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Aux origines de la BD Camerounaise

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28 novembre 2018

A l’occasion de la tenue de la 9ème édition du Mboa BD, festival international de


bandes dessinées du Cameroun, Christophe Cassiau-Haurie revient sur les tous
premiers pas de la BD Camerounaise, en particulier à travers les premières
planches publiées dans le journal Cameroun Tribune au milieu des années 70. Cet
article renforce et complète son ouvrage L’histoire de la bande dessinée au
Cameroun, parue en 2015.

L’histoire du 9ème art camerounais postcolonial commence avec les aventures de Sam
Monfong, l’intrépide policier, apparu sous la forme d’un strip de quelques cases dans les
années 70 dans La gazette, sous le pinceau de l’autodidacte Thomas Durand Kiti. S’il
s’agit du premier héros BD de l’histoire camerounaise, Kiti avait auparavant publié la
première BD du pays dans le même journal : Ambika et le fantôme errant, durant l’année
74. La Gazette créée par le journaliste béninois Abodel Karimou, ancien rédacteur en
chef de La presse du Cameroun, est considérée comme l’ancêtre de la presse écrite
privée camerounaise. Pius Njawe[1] (1957–2010) y fera ses premiers pas. Kiti y propose
également des caricatures. Par la suite, il travaillera comme journaliste au Cameroun
tribune, seul quotidien autorisé dans le pays à partir de la date de sa création, le 1er juillet
1974 et organe quasi-officiel du gouvernement de l’époque[2]. Il a également proposé
des caricatures dans Goal (en 1975) et plus de 30 journaux et organes reprendront ses
dessins de presse. Kiti sera d’ailleurs le premier dessinateur à caricaturer le président de
la République de l’époque Amadou Ahidjo dans un journal (en l’occurrence Cameroun
Sports) en 1982, juste avant la démission de celui-ci.

Kiti fera aussi des bandes dessinées publicitaires entre 1976 et 1982 (par exemple pour
les Brasseries du Cameroun) et fera paraître 6 numéros de la revue Sam Monfong
magazine, revue africaine de bande dessinée entre 1981 et 1985 (cinq publications) puis
en 1992 (une seule), avant de faire un hors-série de commande en 1999 pour la société
Camlait. En 1985, Kiti lance l’une des premières revues d’humour et de bande dessinée
du Cameroun, Fou-rire magazine (Productions Kiti), dans laquelle on retrouve
également les aventures de Sam Monfong, « l’invincible policier ». La revue durera
quelques numéros. Précurseur, Kiti avait également créé en 1986 le CABDA (centre
africain pour les études et les recherches sur la bande dessinée et le dessin animé) qui
sans soutien, disparaîtra par la suite.

De nos jours, Thomas Kiti est toujours professeur d’arts plastiques et histoire de l’art. Il
continue à travailler et à monter des projets.

Quelques séries ont également été publiées après Sam Monfang. Ce fut particulièrement
le cas en 1975, année où le Cameroun Tribune journal diffusait des séries sous forme de
strips. Ce fut le cas avec Histoire de l’Afrique, une bande dessinée produite en France et

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diffusée dans plusieurs journaux du continent par la N.A.P.

Mais d’autres séries vont apparaître au cours de cette année 1975. C’est le cas de Le
grand duel, scénarisée et diffusée par Macus, qui sera diffusé durant une cinquantaine de
numéros entre le 21 juillet et le 25 septembre. Bien que pouvant être considéré comme
l’un des précurseurs du 9ème art national et auteur de la première série BB de l’histoire,
Macus restera un inconnu pour l’ensemble du public Camerounais.

Quelques jours, plus tard, ce même journal éditera les premiers essais en bande
dessinée de Lémana Louis Marie. Ce sera le démarrage de la série Pep’s ballon qui
abordait sur un mode humoristique – à travers le personnage atrabileux de M. Peps
ballon – différents maux de la société de l’époque (corruption, place de la femme…). Par
la suite, Lémana Louis Marie animera durant une dizaine d’années (de 1975 à 1986) la
page Les petits desseins du sourire, sans doute l’un des caricaturistes les plus talentueux
du pays.

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Après lui viendra Janvier Mana pendant deux ans.[3] En 1988, débarque Jean Florent
Goawé (Go’away), transfuge du club des arts de l’Université de Yaoundé, qui
développera un trait très affiné et espiègle dans une rubrique intitulée Le sourire du
jour[4]. Ces dessinateurs poseront les premiers jalons du dessin de presse et de la
bande dessinée (qu’ils aborderont de temps à autre en publiant des planches) dans le
pays, avant la libéralisation de la presse au début des années 90. Dans leurs rubriques,
Lémana et Go’away, qui furent formés par les Canadiens, « se sont généralement
attachés à déchiffrer la société, ou à démonter les véritables ressorts d’un fait divers.
Souvent avec l’humilité d’un chercheur en sciences humaines. Toujours avec les
exigences d’un observateur de terrain. [5]» Il reste cependant à relativiser leur travail.
S’ils furent des précurseurs, ils ne s’attaquèrent guère au pouvoir en place, réservant
leurs flèches aux leaders de l’opposition. Cette déférence quasi-constante vis-à-vis des
gouvernants n’en fit pas des modèles à suivre pour la génération de dessinateurs de
presse qui suivit.

Plus de 40 années après ces premiers essais, qu’en reste-t-il ?

Lémana Louis Marie décédera en 1997 à 49 ans, après avoir travaillé pour une
compagnie d’assurances et réalisé plusieurs campagnes de publicité pour la sécurité
routière ou les brasseries du Cameroun. Il avait quitté le monde la BD et du dessin de
presse depuis près de dix ans. Macus ne refera plus parler de lui par la suite. Thomas Kiti
n’a pas publié de bandes dessinées depuis plus de 25 ans.

A moins que le Mboa BD ne se décide un jour à leur rendre hommage, on peut


raisonnablement craindre que ces artistes ne sortiront que difficilement de l’anonymat
dans lequel ils sont tombés.

Car c’est souvent le lot commun des artistes précurseurs, en particulier sur le continent
Africain : l’oubli est souvent leur dernière compagnie.

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[1]  Décédé en 2010 d’un accident de la


route aux États-Unis, Pius Njawe est le
fondateur du journal Le messager, qui
fut, dès 1982, le premier organe de
presse à s’opposer au pouvoir autocrate
du président. Ce journal fut créé à
Douala, capitale économique l’un des
bastions de l’opposition. Njawe compta
jusqu’en 2003 Le messager popoli, plus
vieux journal satirique du continent, dans
le groupe de presse qu’il fonda par la
suite.

[2]  La gazette avait cessé de paraître le


29 juin 1974, deux jours avant le
lancement du Cameroon tribune.

[3]  Pour une histoire de la caricature au


Cameroun, cf. Augustin Ndjoa, Au
Cameroun, une forte présence malgré
des difficultés, Africultures N°79, 2009.

[4]  Le travail de Go’away et de Lémana


Louis Marie a été regroupé dans un
recueil, Les petits desseins du sourire en
1999.

[5]  Extrait de la préface de Abui Mama,


ancien rédacteur en chef du Cameroon
tribune dans Les petits desseins du
sourire, Irondel, 1999.

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