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Introduction
À bien des égards, ce même précepte est appliqué dans Gargantua de Rabelais. Le
roman connait un vif succès auprès des contemporains du début du XVIème siècle. Ces
derniers, pour leur plus grand plaisir, décèlent sous le voile de l’histoire comique, des sujets
de réflexion sérieux, des sujets souvent brûlant de l’actualité d’une Renaissance qui voit
s’épanouir le mouvement humaniste dans lequel Rabelais s’est pleinement engagé.
Mais les théologiens de la Sorbonne condamnent Gargantua. D’une part, parce qu’il
repose sur des discours obscènes, indignes du discours littéraire, et d’autre part, parce qu’il
dissimule à peine, sous couvert du rire, une violente satire des dérives des institutions
religieuses.
On peut alors s’interroger sur la présence du rire dans le célèbre roman de Rabelais :
quels sont ses déclencheurs, ses fonctions, au-delà de celle de divertir pour faire rire ? Quelles
sont les limites du rire dans l’objectif de plaire et mieux faire réfléchir ? On peut aussi en quoi
le rire et le savoir sont liés dans Gargantua et dans quelle mesure Gargantua est une œuvre
sérieuse qui tend à éclairer son lectorat et à le faire réfléchir.
Or, dans Gargantua, tous les personnages rient et le livre s'ouvre d'ailleurs sur une
invitation au rire car « rire est le propre de l'homme ». (Dizain liminaire) Rabelais emprunte
cette formule à Aristote pour qui « aucun animal ne rit sauf l’homme ». Pour Rabelais, penseur
humaniste être un homme, c’est cultiver l’harmonie du corps et de l’esprit.
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B. Le roman présente de nombreux déclencheurs du rire.
Susciter le rire constitue un idéal de perfection à atteindre, pour Rabelais. C’est ainsi
que l’auteur humaniste affirme dès le poème liminaire « Vrai est qu’ici, peu de perfection /
Vous apprendrez, sauf pour ce qui est de rire » (p20). Faire rire demande une certaine habileté,
d’autant que Rabelais compte faire rire son lecteur sur des sujets sérieux à des fins sérieuses
(Faire réfléchir, instruire, aiguiser l’esprit critique, etc…) (Cf II.) Rabelais excelle dans l’objectif
qu’il s’est fixé. Il exploite de nombreux déclencheurs du rire tout aussi efficaces les uns que
les autres.
Le rire est le signe que le lecteur a pris conscience d’un disfonctionnement, d’une
absurdité ou d’une aberration sur les sujets sérieux et de cette manière il invite à la réflexion
sur ces mêmes sujets !
a) Le comique de mots.
b) Le comique de situation.
Chap 17 Gargantua noie des Parisiens avec son urine du haut de Notre Dame.
Les Parisiens importunaient Gargantua à tel point qu’il fut contraint de se réfugier sur les tours
de notre Dame de Paris. Il considère alors qu’il va leur offrir à « boire » pour leur payer sa
bienvenue. Cf analyse linéaire)
c) Le comique de caractère.
Colère de Picrocole.
Chap 26, Picrochole se met en colère lorsque les fouaciers de Lerné viennent se plaindre à lui
de la querelle qu’ils ont eue avec les bergers de Grandgousier. Sans chercher à comprendre ni
à savoir le contexte, il ordonne à chacun de prendre les armes pour attaquer les bergers de
Grandgousier. Picrochole est régi par son instinct colérique : sa raison est dominée par les
passions => anti-modèle. Un homme d’État doit être mesuré en toute circonstances…
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Bêtise de Thubal Holoferne.
Chapitre 14, Maître Thubal Holoferne, un sophiste, est chargé de faire l’éducation de
Gargantua en fonction de ses capacités, mais il rend plus idiot Gargantua qu’instruit. Il lui
faudra plusieurs années pour lire un livre à Gargantua et 5 ans pour lui apprendre l’alphabet
qu’il récitera par cœur, mais à l’envers, sa bêtise est d’avoir mal instruit Gargantua et de l’avoir
rendu encore plus stupide, avec une hygiène de vie mauvaise
d) Comique de gestes
« Frère Jean cogna alors si rudement sur eux, par surprise, qu’il les renversa comme une bande
de porcs, frappant à tort et à travers, à la vieille escrime. Aux uns il écrabouillait la cervelle,
aux autres il brisait bras et jambes, il leur disloquait les vertèbres du cou, leur fracassait les
reins, il leur cassait le nez, leur pochait les yeux, leur fendait les mandibules, leur enfonçait les
dents au fond de la bouche, leur défonçait les omoplates, leur pourrissait les jambes, leur
déboîtait les hanches et meurtrissait leurs membres »
2. L’exploitation du gigantisme.
- Gargantua est tellement imposant qu’il effraie : cf chap 17. Grâce au gigantisme de
Gargantua, Rabelais caricature la peur de l’étranger apparaissant comme un monstre.
(Cf Perception de l’homme du Nouveau Monde…)
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- Le mythe du géant mangeur d’hommes est aussi repris pour rappeler la fragilité des
hommes et de leur condition. Ainsi dans le chapitre 38 Gargantua avale sans le savoir
6 pèlerins avec sa salade, mais ces derniers finissent par fuir.
3. L’humour scatologique.
On retrouve à de nombreuses reprises dans le roman l’esprit épicurien, qui prône le fait de
vivre au jour le jour sans se priver des plaisirs de la chair. Les notions de bien manger et bien
boire sont très présentes et la famille des géants, une famille noble et qui ne manque pas de
moyens.
L’humour scatologique provoque facilement le rire : pas besoin de références culturelles pour
le comprendre !
4. Le discours parodique.
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L’épopée et le roman de chevalerie sont des genres qui dominent respectivement la
littérature Antique et la littérature du Moyen-Âge. En les parodiant, Rabelais laisse entendre
qu’ils deviennent désuets et qu’il est temps de renouveler le genre romanesque.
Il est bon pour le corps d’où l’injonction à la fin du prologue « lisez gaiment ce qui suit,
pour le bien-être du corps et la santé des reins. » (p 26)
Il est bon pour l’esprit. Le rire a pour fonction de détourner le lecteur du « chagrin qui
le mine et le consume. » (Cf poème liminaire). Le rire, comme le divertissement pascalien, est
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un remède qui doit faire oublier à l’homme sa triste condition (L’homme est fragile, et mortel).
En rire, la rend acceptable.
Pour plaire au lecteur, Rabelais le fait rire. Mais ce rire n’est pas gratuit. Le lecteur rit
bien souvent d’une réalité que l’auteur veut qu’il remette en question, une réalité le plus
souvent sérieuse. Le rire permet de prendre du recul par rapport à cette réalité. Il est souvent
le signe que cette dernière est absurde et doit faire l’objet d’une réflexion pour comprendre
en quoi elle dysfonctionne.
(Cf tous les déclencheurs du rire : indiquer quelle prise de conscience ils entrainent.)
Prologue « Car, dans ce livre vous trouverez un goût bien différent et un savoir caché qui vous
révéleront de très hauts mystères horrifiques concernant tant notre religion que notre vie politique et
économique. »
Dans son prologue, Rabelais exploite deux images qui rendent compte de ces
caractéristiques du texte littéraire : celle des silènes et celle du chien qui s’amuse à ronger un
os jusqu’à sa « substantifique moelle ».
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3. La satire passe par le rire.
a) Satire de la religion
Rabelais se moque des pratiques religieuses qui, selon lui, n’ont aucun sens dans
l’expression de la foi.
- Par exemple, les prières toutes faites et récitées de manière machinales sont
pointées du doigt au chapitre 40 puisqu’elle sont dépourvues de sentiments et de
sincérité. Gargantua s’indigne des prières récitées par les moines « Ils marmonnent
quantité de psaumes auxquels ils ne comprennent rien (…) et même sans y penser.
J’appelle cela des moque-Dieu et non des prières. » p 241.
- Au chapitre 27, Rabelais se moque aussi des litanies, et des Saints invoqués sur les
champs de bataille. Non sans humour, il met en lumière l’inefficacité de cette
pratique. « Les uns criaient « Sainte Barbe ». Les autres « Saint Georges ». Les
autres « Sainte Nitouche » (…) Les uns mouraient en parlant. Les autres parlaient
en mourant » (Le néologisme et le chiasme ici, sont les supports de l’humour).
- Les pèlerinages ne sont pas épargnés par la verve satirique de Rabelais. L’écrivain
humaniste condamne cette pratique qu’il considère comme un rituel manquant de
profondeur spirituelle et qui n’a pas de sens dans l’appropriation individuelle de la
foi. Pour Rabelais, ce qui compte n’est pas la pratique du culte mais la manière
dont chacun exprime et vit sa foi. Cf chapitre 45. + Chapitre 38 Gargantua mange
des pèlerins.
Rabelais procède aussi à la satire de l’univers monacal. Les moines dans Gargantua
sont oisifs et n’expriment pas leur foi avec suffisamment de ferveur et de convictions.
Les moines sont paresseux, couards, inadaptés au monde en dehors de l’église, il copule et ils
boivent. L’auteur reproche aux moines les prières mécaniques, il leur reproche aussi leur
hypocrisie, leur paresse et leur ignorance.
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- Ils boivent et mangent de manière outrancière :
o Lors de l’attaque de l’abbaye de Seuilly les moines se réfugient pour tenir
une réunion : ils boivent et mangent. « Ainsi par le ventre de Saint Jacques !
Que boirons nous pendant ce temps nous autre pauvres diables ? Seigneur
Dieu : Da mihi pot um ! » Les moines utilisent le latin, la langue dans laquelle
s’exprime la foi chrétienne pour demander à boire à Dieu, ce qui est
presque blasphématoire.
- Ils copulent :
o Chapitre 45 : Frère Jean dit aux pèlerins que les moines de leur pays
« biscottent leurs femmes » en leur absence : ils rompent donc leurs vœux
de chasteté en plus de tromper les pèlerins. Rabelais continue de se
moquer des moines en affirmant que « même l’ombre du clocher d’une
abbaye est source de fécondité »
Rabelais éclaire le lecteur en lui proposant des modèles en matière d’expression de la foi :
Même si les pratiques de Frère Jean ne sont pas toujours très ‘’catholiques’’, ce moine
apparaît comme un ‘’modèle’’ : il agit toujours avec de bonnes intentions, dans la joie et avec
conviction.
b) Satire politique.
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À travers la figure de Picrochole, à travers laquelle le lecteur doit reconnaitre certains
traits de Charles Quint, Rabelais procède à la satire du roi tyran. Autrement dit, Picrochole
est la caricature comique du roi tyran dont se moque Rabelais. Ce roi, en effet est
colérique, belliqueux, mégalomane et cruel. Il est incapable d’agir avec raison et devient
comique dans ses débordements. Puisque le lecteur peut rire de lui, c’est le signe qu’il est
un anti-modèle.
L’onomastique en dit long sur le personnage : en grec, son nom signifie « qui a une
bile amère ». Picrochole est bel et bien dominé par des pulsions de colère qu’il ne peut
contrôler par la raison. C’est un anti modèle : un chef d’État doit toujours agir de manière
mesurée et réfléchie. D’après l’ambassadeur Gallet, Picrochole semble dépourvu de raison :
« Cet homme est entièrement hors de son sens et oublié de Dieu » p 196 (Chapitre 32). C’est
ainsi qu’il se met en colère quand ses sujets viennent lui présenter leurs doléances et que,
dominé par la colère il décide de rompre un traité d’amitié signé avec Grandgousier.
(Chapitre 28).
Ils apparaissent comme les doubles négatifs du roi tyran. Grandgousier est attentif à
ses sujets. Il rappelle à Gargantua que le rôle du roi est de protéger ses sujets (chapitre 29 ;
Lettre à Gargantua.) C’est pourquoi, Grandgousier veut à tout prix éviter la guerre. Quand
celle-ci est inévitable, il ne manque pas, après les combats, de créer des hôpitaux et de
rembourser aux civils les dommages subis.
Grandgousier et Gargantua incarnent l’idéal du roi philosophe tel qu’il est défini par
Platon. Au chapitre 45, Gargantua cite le livre V de La République de Platon « Les républiques
seront heureuses quand les rois philosopheront ou quand les philosophes règneront » p264.
Le roi doit donc recevoir une éducation exemplaire lui permettant de faire preuve de bon
sens et de discernement dans les décisions politiques qu’il doit rendre.
Dans une lettre adressée à Gargantua, Grandgousier annonce que Picrochole a attaqué
leur royaume. Il lui demande de rentrer afin de protéger les siens. Grandgousier et Gargantua
représentent les modèles de l’idéal de Rabelais à savoir le pacifisme. En effet, ils sont pour la
paix. Grandgousier veut apaiser les tensions et ne surtout pas répondre à la provocation. Il ne
souhaite pas attaquer mais défendre et protéger ses fidèles sujets et ses terres. Grandgousier
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a besoin de l’aide de son fils pour faire tout cela. Il veut modérer la colère tyrannique de
Picrochole en lui envoyant des émissaires mais malheureusement ce dernier s’oppose
toujours autant à lui. Leur but est de sauver leurs fidèles et de renvoyer les ennemis en faisant
le moins de dégâts possible et surtout en évitant la guerre.
« C’est pourquoi, mon fils bien aimé, après avoir lu cette lettre, reviens rapidement
secourir non pas moi mais ton peuple, que tu peux, en toute vraisemblance, sauver et protéger.
»
c) Satire de la guerre.
Elle passe par la parodie du genre épique afin de discréditer l’héroïsme guerrier. La
guerre, quelles que soient ses motivations, est un fléau pour l’humanité. C’est ainsi, qu’avec
beaucoup d’humour, parodiant les codes de l’épopée, Rabelais souligne la cruauté de la
guerre picrocholine. Il n’y a pas de mort héroïque au combat, il n’y a que du carnage. Il n’y a
encore moins de mort digne sur un champ de bataille. Il est absurde de louer les faits d’armes
car ils impliquent toujours violence massacres et morts. Cf guerre de Picrochole + combat de
frère Jean.
Grâce à son récit farfelu, Rabelais parvient lui faire partager des idéaux humanistes. Ainsi
éclairé, le lecteur aura alors la liberté d’y réfléchir.
a) Sur l’éducation.
Ce thème, particulièrement important pour les humanistes (cf. traités d’Erasme), est
notamment traité grâce à l’opposition radicale entre l’éducation moyenâgeuse des « vieux
tousseux », abrutissante, et dont les résultats sont du plus haut comique (cf. la journée-type
de Gargantua) et l’éducation dispensée par Ponocrates, qui dessine un idéal humaniste.
Pourtant, Gargantua est intelligent : Chapitre 12 : il joue une farce à des chevaliers qui
n’y voient que du feu. Chapitre 13 invention du torche-cul. Et il a soif de savoir : Cf symbolique
des paroles qu’il prononce à la naissance « A boire, à boire, à boire » Chap. 6.
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) Satire de l’éducation moyenâgeuse.
Rabelais se moque aussi des méthodes de pédagogie pratiquées par ces personnages
comiques. Elles reposent essentiellement sur l’apprentissage par cœur, dépourvu de réflexion
et de mise en application (Chap 14 Gargantua apprend des livres par cœur et à l’envers ! ),
d’une somme impressionnante de connaissances parfois très futiles. (Cf chapitre 22 liste
impressionnante des jeux auxquels Gargantua a appris à jouer). Ces méthodes entrainent la
paresse, le manque d’hygiène et la perte de temps. (Début du chap 15 Gargantua devient
« fou, stupide rêveur, idiot »)
• Les enseignements doivent être dispensés dans la JOIE. L’enseignant doit faire preuve d’un
enthousiasme qui doit irradier l’élève le mettant ainsi dans de bonnes dispositions.
Ponocrates associe l’utile à l’agréable pour transmettre le savoir à Gargantua.
- Chapitre 24 : Gargantua a le droit à une journée par mois de plaisir (beuverie, repas
interminables, ...)
- Chapitre 23 « Cela fait, on apportait des cartes. Non pour joueur, mais pour
apprendre mille petites choses intéressantes et inventions nouvelles / il y passait
son temps aussi plaisamment que d’habitude avec des dés ou des cartes. »
- Chapitre 23, Gargantua apprend en peignant, faisant de la musique, en découvrant
des instruments, sculpture…
- Chapitre 24 : Lorsqu’il pleut, Gargantua et son maître s’amusent à assembler des
bottes de foin ensemble. « En jouant, ils se remémorent les passages des auteurs
anciens en faisant allusion, directement ou métaphoriquement, à ce jeu. »
• Pour les penseurs humanistes, le CORPS et l’esprit sont indissociables. Pour bien penser,
il faut avoir une bonne hygiène de vie et respecter son corps.
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- Chapitre 21 : « Ponocrates lui fit observer qu’il ne pouvait pas autant manger
aussitôt après être sorti du lit sans avoir fait au préalable de l’exercice ».
- Dans le chapitre 23, l’écuyer Gymnaste fait son apparition et apporte à Gargantua
l’éducation de l’art de la chevalerie et l’initiation aux activités sportives et aux
combats armés.
• Les savoirs enseignés doivent pouvoir être exploités au quotidien dans la VIE de
l’apprenant.
- Gargantua effectue des calculs en regardant les étoiles un soir avec Ponocrates.
- L’art du combat et de la chevalerie appris est utilisé tout au long des batailles de la
guerre.
- L’art oratoire transmis par Ponocrates à Gargantua est utilisé dans la harangue aux
vaincus (chapitre 50).
- Chapitre 24 : « Ils allaient écouter, voir, assister à des leçons publiques, des actes
solennels, des répétitions, des déclamations, des plaidoiries des bons avocats »
- Gargantua se moque du discours du vieux tousseux car il a pris conscience de son
inefficacité (Signe qu’il a pris conscience de ce qu’il aurait fallu faire pour que le
discours soit meilleur…)
- L’art oratoire transmis par Ponocrates à Gargantua, est utilisé dans la harangue aux
vaincus (chapitre 50).
Gargantua se conclut par six chapitres qui semblent tout à fait à part dans l’œuvre, les chapitres
consacrés à l’abbaye de Thélème. Souhaitant offrir à frère Jean des Entommeures la direction d’une
abbaye pour le récompenser de sa vaillance durant la guerre picrocholine, Gargantua lui offre tout
d’abord l’abbaye de Bourgueil ou celle de Saint Florent. Frère Jean refuse l’offre sous prétexte que, ne
sachant se gouverner lui-même, il ne saurait gouverner les autres et demande à Gargantua de fonder
une abbaye « selon son désir ». Dans ces célèbres pages du roman, nous retrouvons des éléments des
récits utopiques, très à la mode dans la première moitié du XVIème siècle depuis L’Utopie de Thomas
More (1516 ).
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) La représentation d’une abbaye rêvée.
Frère Jean veut aller à l’encontre des pratiques des abbayes qu’il connaît et de celle où il a
vécu selon lesquels seuls les individus disgraciés entrent en religion. À Thélème, c’est tout le contraire :
les jeunes gens sont à la fois beaux et ont l’esprit bien fait. Thélème ressemble à une sorte de couvent
d’élite rassemblant la fine fleur de l’aristocratie. Le recrutement est élitiste. Il ne s’agit pas d’imaginer
une organisation sociale de l’ensemble de la société mais un lieu réservé à quelques-uns et quelques-
unes. Dans le chapitre 54 « Inscription mise sur la grande porte de Thélème », l’auteur définit ceux qui
sont exclus de l’abbaye et ceux qui peuvent y entrer.
(L’architecture de l’abbaye de Thélème est originale et riche de sens cachés. Elle est fondée sur
le nombre six, qui a été considéré comme un nombre parfait, le nombre associé à la création, puisque
Dieu a créé le monde en six jours. Chacune des tours fait soixante pas. L’abbaye compte six étages, dont
un est enterré. Les paliers des escaliers sont déparés par douze marches. Les bibliothèques contiennent
des ouvrages en six langues. Enfin, l’arceau de l’escalier est large de six toises et six hommes d’armes
peuvent monter la rampe de front. Une telle présence du six ne peut être due au hasard. Certains
critiques estiment également que le chiffre de Dieu, le sept, est présent dans l’inscription mise sur la
grande porte de l’abbaye : le poème comprend en effet deux fois sept strophes. Rabelais, pratique bel
et bien l’écriture stéganographique qui consiste à inclure dans le texte un message caché qui ne sera
perçu que par un lecteur attentif et averti.)
Les matériaux qui servent à la construction de l’abbaye sont nobles et la notion de luxe, caractéristique
de l’utopie, est présente. Dans l’abbaye de Thélème, la sensibilité à la beauté, à la richesse et à la
diversité du monde est très fortement marquée. Nous sommes aux antipodes du mode de vie monacal
traditionnelle où la pauvreté est la règle de vie, du moins, dans certains ordres monastiques.
Les vertus monastiques, chasteté pauvreté, et obéissance sont entièrement remises en cause à Thélème.
- La chasteté :
Au contraire de toutes les règles monastiques, la vie à Thélème n’est pas synonyme d’enfermement
perpétuel et de chasteté plus ou moins assumée. Le jeune Thélémite peut sortir de l’abbaye pour se
marier. Le mariage est l’aboutissement de l’éducation à Thélème et résulte d’un choix partagé entre les
jeunes gens. La liberté de choix conduit à une entente durable et à l’harmonie entre les époux.
- La pauvreté :
La richesse et le luxe sont omniprésents l’abbaye. Nous les retrouvons dans les vêtements des
Thélémites et dans leur mode de vie. Ainsi, les occupations : la chasse avec les oiseaux et la chasse à
courre, la lecture et l’écriture, l’étude des langues, la poésie, la musique, sont celles d’une société
aristocratique et requièrent d’importants moyens financiers. Cependant, la richesse n’est pas convoitée
pour elle-même. L’abbaye, a été richement dotée par Gargantua dont les ressources semblent
inépuisables, (Chapitre 53, dernier paragraphe.)
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- L’obéissance :
Le principe d’obéissance est banni au profit de la liberté. Celle-ci s’exprime de différentes façons :
C’est d’abord la liberté d’aller et venir puisque, à la différence des autres abbayes, celles-ci
n’est pas entourée de murs.
Ensuite, l’emploi du temps n’est pas réglé par les cloches C’est une proposition tout à fait
révolutionnaire quand on sait que toute la vie monastique était précisément réglée par les
différents offices qui rythmaient la journée des religieux et religieuses et qui étaient annoncés
à son de cloche.
Enfin, à Thélème, la liberté et l’autonomie de l’individu sont revendiquées comme règle
absolue. La règle énoncée par la formule : « Fay ce que vouldras » illustre l’importance de la
liberté. De même, le nom même de Thélème, du grec thélèma : disposition, libre volonté,
désir, symbolise ce choix.
Rabelais éclaire (Transmission d’un savoir) le lecteur sur la conception de la liberté du
chrétien : il doit adhérer librement et volontairement à sa croyance. Celle-ci ne saurait lui
être imposée par la contrainte et la force des institutions. Ainsi, si chaque Thélémite possède
son propre lieu de prière, c’est qu’il peut s’y adonner à une vie spirituelle contemplative, sans
images, sans rituel, sans encadrement hiérarchique.
À un lecteur non averti, le texte rabelaisiens parait peut paraître inintéressant voire
choquants. La plupart des allusions scatologiques peuvent choquer.
- Dès le début de l’œuvre, le lecteur peut avoir du mal à trouver amusante l’idée que
Gargamelle risque d’accoucher dans ses excréments parce qu’elle a trop mangé de
tripes, si bien que le bébé doit remonter le corps de sa mère pour naître de son
oreille. Le lecteur trop dégouté ne peut réfléchir à l’allégorie de cette naissance par
la tête, et même si Rabelais nous rappelle que Minerve jaillit elle aussi du cerveau
de Jupiter, ou que le Christ eut lui aussi une naissance extraordinaire puisqu’il
naquit d’une vierge ayant conçu sans péché. Le lecteur doit relire le passage afin
de comprendre que ce texte, évoquant la naissance de Gargantua, symbolise la soif
de connaissances et l’éveil de l’intelligence d’un être humain en devenir.
- De même, le lecteur mal avisé risque de se lasser des propos de l’enfant Gargantua
cherchant le meilleur torche-cul et passant en revue toutes les expériences de
papier-toilette qu’il a menées, avec l’étole de velours d’une demoiselle ou le
manchon maternel, en passant par son essai avec un chat qui le griffe, ou avec des
feuilles d’orties, pour en arriver au plus doux et au meilleur : l’oison au duvet si
délicieux à ressentir. Ce serait mettre de côté le fait que l’enfant géant a su
composer un rondeau, jouer avec les mots, et surtout prouver dès ce jeune âge
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une maturité étonnante qui consiste à passer par l’expérience pour trouver la
conclusion à problème posé.
CONCLUSION :
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