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Les antécédents de Nabonide, de son enfance

à Harran jusqu’aux marches du trône1

Paul-Alain Beaulieu*

Résumé

Cet article analyse les données que nous possédons sur la vie et les antécédents du dernier roi de Babylone, Nabonide,
avant son accession au trône en juin 556 av. J.-C. De nouveaux documents et des études récentes nous permettent de
situer Nabonide dans le milieu des hauts fonctionnaires de l’empire babylonien, notamment sous son prestigieux
prédécesseur Nabuchodonosor II (605-562 av. J.-C.).

Abstract

The present contribution surveys the evidence for the life and background of the last Babylonian king Nabonidus before
he became ruler of the Babylonian empire in June 556 BC. New documents and studies have been published in the past
several years that allow us to situate the figure of Nabonidus in the context of the officialdom of the Babylonian empire
under his predecessors, most prominently Nebuchadnezzar II (605-562 BC).

Il me fait grand plaisir de collaborer à ce volume en l’honneur de mon collègue et ami Francis
Joannès, qui a tant contribué au renouveau des études néo-babyloniennes. Je lui offre en cette
occasion quelques réflexions sur un sujet qui, je le sais, lui tient à cœur2, et d’ailleurs, qui parmi
les spécialistes de cette période ne s’est pas intéressé à Nabonide ? Personnalité énigmatique
et controversée, on ne saura sans doute jamais si le dernier roi de Babylone méritait vraiment
l’opprobre dont le couvrent les écrits de propagande que sont le Verse Account et le Cylindre de
Cyrus. Toutefois, je ne m’étendrai pas ici sur les événements de son règne, me proposant plutôt
de faire le point sur le parcours de Nabonide avant sa prise du pouvoir, car si le sujet a été abordé
à quelques reprises, beaucoup s’en faut qu’il ne soit épuisé3. De plus, des éléments nouveaux sont
venus s’ajouter depuis quelque temps au dossier.

La mère de Nabonide

Toute discussion des antécédents de Nabonide doit commencer par la stèle de sa mère retrouvée à
Harran4. Ce monument affirme qu’elle mourut centenaire (col. II, 26-29) :

Depuis le temps d’Assurbanipal, roi d’Assyrie, jusqu’à la neuvième année de Nabonide, roi de
Babylone, mon propre fils, ce sont 104 bonnes années que le dieu Sîn, le roi des dieux, m’a
fait vivre grâce à la révérence qu’il avait établie (pour lui) dans mon cœur.

La Chronique de Nabonide nous donne la date exacte de son décès, le cinquième jour du mois de
Nisannu dans la neuvième année du règne de son fils, ce qui correspond au 6 avril 547 dans le
calendrier julien5. Adad-guppi serait donc née en 651. Mais ceci contredit la chronologie qui est
fournie auparavant dans la stèle (col. I, 29-44) :

1
Les abréviations utilisées dans cette contribution sont celles de PNAE (= Baker & Radner 1998-2011) et de RINBE 2 (= Weiershäuser
& Novotny 2020).
*
Department of Near and Middle Eastern Civilizations, Université de Toronto, Canada.
2
On se reportera, entre autres, à son article sur le règne de Nabonide (Joannès 2002) et à son livre récent (Joannès 2022), qui a paru
toutefois après la rédaction de ma contribution.
3
Les principales discussions des antécédents de Nabonide sont effectuées par Dougherty 1929, p. 16-70 ; Beaulieu 1989, p. 67-86 ;
D’Agostino 1994, p. 39-47 et 116-121 et Schaudig 2001, p. 9-15.
4
Editio princeps par Gadd 1958, p. 46-56 ; édition récente avec bibliographie détaillée dans RINBE 2, p. 223-228 (Nabonidus 2001).
5
Voir Grayson 1975a, p. 107, Chronicle 7, col. II, 13-14.

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Paul-Alain Beaulieu : Les antécédents de Nabonide, de son enfance

De la 20e année d’Assurbanipal, roi d’Assyrie, qui me vit naître, jusqu’à la 42e année
d’Assurbanipal, la troisième année de son fils Aššur-etel-ilāni, la 21e année de Nabopolassar,
la 43e année de Nabuchodonosor, la deuxième année d’Amēl-Marduk, (et) la quatrième année
de Nériglissar, au terme de 95 années le dieu Sîn, le roi des dieux du ciel et de la terre, dont
je visitais assidûment les sanctuaires et qui vit avec plaisir mes bonnes actions, entendit ma
prière et accepta ma demande. La colère de son cœur se calma, il pardonna et se réconcilia
avec l’Ehulhul, le temple du dieu Sîn dans la ville de Harran, sa résidence favorite. Alors il
me regarda et appela à la royauté Nabonide, mon propre fils unique, et il lui remit entre les
mains la souveraineté sur le pays de Sumer et d’Akkad, ainsi que sur toutes les contrées, de
la frontière de l’Égypte et la mer supérieure jusqu’à la mer inférieure.

Les données ne concordent pas, car si on additionne tout on obtient en effet un total de 95 ans, mais
le temps écoulé depuis l’an 20 d’Assurbanipal, qui tombe en 649, et l’accession de Nabonide en 556,
est de 93 ans seulement. Donc il y a une erreur de deux ans dans le calcul de l’âge d’Adad-guppi.
Comme la chronologie des rois néo-babyloniens est assurée, la stèle doit comporter une erreur dans
le comput des années d’Assurbanipal et d’Aššur-etel-ilāni. Cependant, l’accession d’Assurbanipal
se situant en 669, sa 42e année tomberait en 627, l’année qui précéda l’accession de Nabopolassar.
Donc, les trois ans d’Aššur-etel-ilāni sont de trop, ce qui a incité certains à proposer qu’il y eût
corégence avec Assurbanipal durant cette courte période6. On pourrait d’ailleurs comprendre le
passage comme suit : « jusqu’à la 42e année d’Assurbanipal, (c’est-à-dire) la troisième année de son
fils Aššur-etel-ilāni ». Le fait que la stèle ne mentionne de lien de filiation qu’entre ces deux rois
assyriens pourrait favoriser cette interprétation.

Étant donné l’âge avancé d’Adad-guppi au moment de son décès, on n’est guère surpris d’apprendre
qu’elle mourut arrière-arrière-grand-mère (col. II, 33-34) : « j’ai vu de leur vivant mes descendants
jusqu’à la quatrième génération. » On doit donc en conclure que Nabonide était arrière-grand-père
en 547, ce qui veut dire qu’il devint roi à un âge mûr ou avancé. Adad-guppi assista probablement
à la prise de Harran en 609, car sa stèle débute par une description du sac de la ville dans la 16e
année de Nabopolassar. C’est probablement à la suite de la prise de Harran qu’elle vint à Babylone.
Elle avait alors 40 ans, peut-être même plus. Nabonide serait donc né à Harran et y aurait passé son
enfance, bien qu’on ne puisse exclure une conception tardive.

Le père de Nabonide

Dans ses inscriptions Nabonide se proclame souvent le fils (māru, plus rarement aplu) d’un certain
Nabû-balāssu-iqbi. Le nom de ce dernier est presque toujours suivi du titre rubû emqu « prince
avisé »7, dans deux cas rubû gitmalu « prince accompli »8. On retrouve aussi une fois la séquence
rubû emqu pālih ilī rabûti « le prince avisé qui vénère les grands dieux »9. Toutefois, il n’est pas assuré
que ces titres s’appliquent à Nabû-balāssu-iqbi. Il s’agit d’épithètes royales traditionnelles qui
pourraient tout aussi bien faire partie des titres de Nabonide. Une inscription contient la séquence
šakkanakku qitrudu pālih ilī u ištarāti « preux gouverneur qui vénère dieux et déesses » après le
nom de Nabû-balāssu-iqbi, mais elle est aussi la seule où Nabonide réclame l’épithète rubû emqu au
début de sa titulature10. Comme on ne pouvait répéter le même titre, on l’aurait donc remplacé par
šakkanakku qitrudu. Ceci semblerait confirmer que rubû emqu et les autres qualificatifs qui suivent
le nom de Nabû-balāssu-iqbi s’appliquent en fait à Nabonide.

6
On pourrait aussi arguer qu’Assurbanipal mourut en 630 et que le comput de 42 ans pour son règne est fictif. On ne peut trancher cette
question pour l’instant.
7
C’est le cas, par exemple, dans RINBE 2, Nabonidus 1 (col. I, 12), 2 (col. I, 31-32), 13 (col. I, 7’-8’), 16 (col. I, 29-30), et plusieurs autres
inscriptions.
8
RINBE 2, Nabonidus 18 (ligne 3) et 51 (ligne 2); il s’agit de courtes inscriptions sur briques.
9
RINBE 2, Nabonidus 28 (col. I, 6).
10
RINBE 2, Nabonidus 24 (col. I, 3, 9).

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Études Mésopotamiennes – Mesopotamian Studies

La même question se pose pour le père de Nériglissar. Deux inscriptions de ce roi appliquent le titre
rubû emqu à son père Bēl-šumu-iškun11. Dans une autre inscription, cependant, on retrouve le titre
šar Bābili à la place de rubû emqu12. On devrait donc en conclure, comme H.-P. Schaudig l’a proposé,
que toutes ces épithètes se rapportent au roi seul13. Cependant, R. da Riva a émis l’hypothèse qu’il y
aurait ambigüité délibérée dans les inscriptions de Nériglissar14. On pourrait arguer de même pour
Nabonide. Dans une de ses inscriptions, celui-ci réclame en effet l’épithète de rubû nâdu « prince
attentif », puis il est qualifié de emqu « avisé », et enfin la titulature se termine par mār Nabû‑
balāssu‑iqbi rubû emqu anāku15. S’agit-il d’une redondance, ou le titre s’applique-t-il vraiment ici
au père de Nabonide ? La même question se pose pour une courte inscription sur briques qui se
termine par mār Nabû‑balāssu‑iqbi rubû emqu et omet le pronom anāku à la fin16. On semble dans
ce cas avoir voulu donner le titre de « prince avisé » au père de Nabonide, mais là aussi on peut le
comprendre comme une épithète du roi. La question reste donc ouverte.

En dehors des inscriptions de son fils, on n’a aucune mention assurée de Nabû-balāssu-iqbi. Pas
moins de 25 personnages distincts portent ce nom dans les textes de l’empire assyrien tardif17.
Certains proviennent de Babylonie, mais la plupart sont assyriens. Aucun ne se prête d’emblée à une
identification avec le père de Nabonide. Il en est de même pour les archives babyloniennes des viie
et vie siècles. Si le nom Nabû-balāssu-iqbi est commun, on n’y retrouve aucun personnage portant
ce nom qui pourrait être le père du futur roi. Que faut-il en conclure ? Que le père de Nabonide
était un personnage sans importance ? Le caractère fragmentaire de nos sources ne nous permet
pas d’affirmer quoi que ce soit, et pour l’instant nous devons simplement constater qu’il n’a laissé
aucune trace dans la documentation. Son absence de la stèle d’Adad-guppi semble par ailleurs
curieuse, mais le texte nous parle surtout de l’assiduité de cette dernière à la cour de Babylone,
de l’ascension de son fils, et de la restauration du temple de Harran. Il est fort possible que Nabû-
balāssu-iqbi, peut-être depuis longtemps décédé, ne fut jamais témoin de ces événements. On note
toutefois que les tablettes néo-assyriennes du recensement de Harran mentionnent un individu
nommé Nabû-balāssu-iqbi parmi nombre de noms théophores en Nabû. Ceci indique tout au moins
que, du strict point de vue de l’onomastique, une origine harranienne du père de Nabonide est
plausible, même si l’individu lui-même ne peut être repéré dans nos sources18.

Les origines harraniennes

Sans le désigner par son nom, la Prophétie Dynastique traite Nabonide de roi rebelle (šar hammā’i)
qui aurait inauguré le règne de Harran (palê Harran)19. La mémoire d’une extraction harranienne
de Nabonide aurait donc perduré jusqu’à l’époque hellénistique. Ses origines expliquent d’ailleurs
l’intérêt qu’il porta à la restauration du temple Ehulhul, de même que sa dévotion au dieu Sîn.
Mais aucune source n’est plus probante à cet égard que la stèle de sa mère. Le texte s’ouvre sur
l’abandon de Harran et insiste sur la conduite de la future reine-mère, qui prit des vêtements
de deuil en raison du départ de Sîn de son temple20. La dévotion d’Adad-guppi s’étendit aussi à
Nabuchodonosor et Nériglissar. Pleine de gratitude pour les deux monarques qui la comblèrent de
bienfaits et favorisèrent la carrière de son fils, à tous les mois elle accomplit les offrandes et rituels

11
Il s’agit de RINBE 2, Neriglissar 1 (col. I, 11) et 7 (col. 11’) ; dans ce dernier cas l’adjectif emqu doit être restauré.
12
RINBE 2, Neriglissar 3 (col. I, 14).
13
Schaudig 2001, p. 12-13.
14
Da Riva 2014, p. 14-16 ; elle note la même ambigüité dans les inscriptions de Nabonide.
15
Voir RINBE 2, Nabonidus 1 (col. I, 1, 3, et 12). Les désinences des épithètes ne peuvent aider à une solution car les cas, incluant le
génitif, sont très souvent fautifs.
16
RINBE 2, Nabonidus 20 (ligne 2’); il faut noter aussi Nabonidus 51, une inscription sur briques de Harran, qui se termine par mār Nabû‑
balāsssu‑iqbi rubû gitmalu (ligne 2).
17
PNAE, p. 806-808.
18
Les tablettes du recensement de Harran sont éditées par Fales & Postgate 1995, nos. 201-220 ; le Nabû-balāssu-[iqbi] en question
apparaît dans le texte no. 219, col. II, 3’.
19
Voir l’édition de ce texte dans Grayson 1975b, p. 32-33.
20
Nabonide attribue dans sa stèle de Babylone un comportement similaire à Nabopolassar, qui assista impuissant au sac des sanctuaires
de l’Assyrie, et donc de celui de Harran, par les Mèdes, et « se coucha sur un lit de terre, les cheveux décoiffés » (RINBE 2, Nabonidus 3,
col. II, 39’-41’).

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Paul-Alain Beaulieu : Les antécédents de Nabonide, de son enfance

du kispu en leur mémoire, devoirs que leurs propres descendants, favoris et courtisans négligèrent.
Puis elle mourut, et le reste de l’inscription décrit ses funérailles qui devinrent une affaire d’État,
avec les gouverneurs de toutes les provinces de l’empire et même des monarques régnant sur des
contrées lointaines se rassemblant pour ses obsèques. La Chronique de Nabonide évoque une période
de deuil (bikītu) dans le pays d’Akkad21.

On a souvent qualifié la stèle d’Adad-guppi d’autobiographie ou de pseudo-autobiographie, mais


cette désignation, qui persiste toujours, prête un peu à confusion. Il s’agit d’une inscription funéraire,
mais d’un type unique en Mésopotamie. En effet, c’est dans le monde araméo-hittite de l’Âge du
fer que l’on retrouve ses parallèles les plus évidents. Ainsi l’inscription louvite hiéroglyphique de
Kupapiyas, retrouvée à Sheizar dans la vallée de l’Oronte, nous dit que cette femme, épouse du
roi Taitas de Walistin, vécut centenaire en raison de sa justice, et que ses descendants, incluant
ses arrière-arrière-petits-enfants, érigèrent le monument à sa mémoire22. L’inscription araméenne
de Si’gabbar, prêtre du dieu Śahar à Neirab, s’exprime en termes similaires23. Le dieu récompensa
sa droiture en lui accordant une longue vie avec jouissance de ses pleines facultés et il vit sa
progéniture jusqu’à la quatrième génération. Il s’agit de courtes inscriptions, mais on y retrouve
les mêmes topoï que dans celle d’Adad-guppi : piété du défunt, longue vie, santé, quatre générations
de descendants. La stèle de Si’gabbar comporte un élément de plus, la dévotion au dieu-lune,
car Śahar n’est autre qu’un des noms de Sîn en Syrie du nord. Le Verse Account accuse d’ailleurs
Nabonide de se fier aux rêves que lui envoie le dieu Ilteri, une graphie cunéiforme de Śahar que
l’on doit sans doute lire Śe(h)ri. Un autre nom local du dieu-lune, Si’, forme apocopée de Sîn, se
retrouve d’ailleurs dans le nom du prêtre, Si’gabbar « le dieu Si’ est un héros »24.

On a souvent affirmé dans la foulée d’Édouard Dhorme qu’Adad-guppi était prêtresse du dieu
Sîn à Harran, et l’analogie avec Si’gabbar semblerait le confirmer25. Mais il ne s’agit là que d’une
supposition. Adad-guppi ne revendique pas ce titre et la piété que sa stèle lui attribue ne diffère
pas fondamentalement de celle qui est exprimée par les rois et qui devait être partagée par le
plus grand nombre. En outre, le titre de grande-prêtresse de Harran n’est pas attesté dans nos
sources. En revanche celui de grand-prêtre (šešgallu) est connu, car Assurbanipal nomma son frère
cadet Aššur-etel-šamê-erṣeti-muballissu à cette fonction26. Le rôle catalyseur d’Adad-guppi dans la
restauration de l’Ehulhul se rapprocherait plutôt de celui des reines et reines-mères des mondes
anatolien et syro-palestinien, comme la Tawananna de l’empire hittite ou la gebīrāh des royaumes
d’Israël de Judah, protectrices des cultes en raison de leur statut royal mais qui ne jouissaient pas
d’une fonction sacerdotale particulière. On peut aussi invoquer des parallèles assyriens, comme la
reine-mère Naqia/Zakûtu au temps d’Assarhaddon27.

Quant au nom de Nabonide, la Prosopography of the Neo-Assyrian Empire comporte 33 individus


nommés Nabû-na’id, dont quatre seulement sont des Babyloniens alors que tous les autres sont
des Assyriens28. Dans les archives néo-babyloniennes, H. Baker a identifié pas moins de 32 individus
nommés Nabû-na’id, mais leur nombre chute dramatiquement à partir de l’accession de Nabonide29.
On peut attribuer ce phénomène à un genre de tabou associé au nom royal. Après 539 le nom

21
Voir Grayson 1975a, p. 107, Chronicle 7, col. II, 14-15 : ina māt Akkadi bikītu ina muhhi ummi šarri šaknat.
22
Édition et discussion par Hawkins 1980, p. 219, et Payne 2012, p. 47-50.
23
Il existe quelques éditions et commentaires de cette inscription. On se rapportera à celle de Gibson 1975, 93-98.
24
Sur la lecture du nom propre voir Kaufman 1970, de même que les nombreux noms ouest-sémitiques avec le théonyme Sē’ rassemblés
dans PNAE, p. 1097-1107, incluant quelques individus nommés Sē’-gabbar(i) ; parmi ces derniers on en retrouve un qui est prêtre (sanga)
de Neirab à l’époque de Sargon II et qui est presque certainement le même que celui de la stèle (Parpola 1985).
25
Cette idée remonte à son compte-rendu de la publication du premier exemplaire, très fragmentaire, de la stèle d’Adad-guppi par
Henri Pognon (Dhorme 1908). Voir aussi Dhorme 1947, qui en retrace l’adoption dans la littérature savante.
26
Novotny & Singletary 2009, p. 170-171; et PNAE, p. 184-185. Voir à ce sujet Mayer 1998, qui avance l’hypothèse d’une origine royale
d’Adad-guppi ; elle aurait été la fille d’Aššur-etel-šamê-erṣeti-muballissu et lui aurait succédé autour de 625 comme grande-prêtresse de
Sîn à Harran. Bien qu’on ne puisse d’emblée rejeter ce scénario, il reste dans le domaine de la spéculation.
27
Voir Ackerman 1993 sur la Tawananna et la gebīrāh, de même que l’étude de Melville 1999, p. 31-60, pour le rôle religieux de la
reine-mère Naqia.
28
PNAE, p. 853-854.
29
Baker 2002, p. 7-8.

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Études Mésopotamiennes – Mesopotamian Studies

Nabû-na’id disparaît presque complètement, cette fois pour des raisons politiques évidentes. Ces
facteurs pris en considération, il semble que le nom Nabû-na’id ait été aussi populaire en Assyrie
qu’en Babylonie. Comme indiqué plus haut, les anthroponymes en Nabû étaient assez fréquents
dans la région de Harran. Pour ce qui est du nom d’Adad-guppi, il est sans doute araméen (*Hadad-
ḥappī)30. La famille de Nabonide appartenait donc à un milieu culturel mixte, pétri d’influences
araméennes, néo-hittites et mésopotamiennes, et politiquement inféodé à l’empire assyrien.

La succession des empires

Pour Hérodote, Babylone n’est que l’ultime capitale de l’Assyrie. Cette oblitération d’un empire
spécifiquement babylonien, véritable amnésie historique qui sera combattue plus tard par Bérose,
n’est nulle part mieux exprimée que dans l’introduction à son logos babylonien (I, 178)31 :

Maître de tout le continent, Cyrus attaqua les Assyriens. L’Assyrie a sans doute beaucoup de
places importantes, mais la plus célèbre et la plus puissante, celle qui, après la destruction
de Ninive, devint le siège de la royauté, c’était Babylone.

Dans la perspective d’Hérodote et des Grecs, mais aussi des Perses et des Mèdes, cette affirmation
ne paraît pas sans fondement. S’il nous semble naturel de faire une distinction entre les deux
empires, ceci ne devait pas aller de soi à l’époque, surtout pour les étrangers. Les politiques
d’Assarhaddon en sont en partie responsables. La double monarchie qu’il institua au profit de ses
deux fils fit de Babylone la seconde capitale de l’empire assyrien et jeta par là-même les fondements
du futur empire babylonien, qui devint ainsi l’incarnation ultime de l’Assyrie. Si Nabopolassar et
Nabuchodonosor observent un silence presque total sur l’existence de cette dernière, il n’en va
pas de même de Nabonide. Il évoque à plusieurs reprises ses prédécesseurs assyriens32. Ceci n’est
guère surprenant si on tient compte de ses origines harraniennes. C’est en effet à Harran que
l’Assyrie connut ses derniers moments et c’est dans ses inscriptions se rapportant à la restauration
de l’Ehulhul que Nabonide mentionne le plus souvent les rois assyriens. Mais Assurbanipal et
Assarhaddon apparaissent aussi dans son inscription pour l’Eulmaš d’Agadé, et un passage de la
stèle de Babylone décrit un cylindre-sceau qu’Assurbanipal consacra au dieu Sîn et que Nabonide
déposa dans l’Esagil33. Nabonide s’inspire d’ailleurs à quelques reprises d’Assurbanipal, reprenant
certains titres et épithètes royales assyriennes à son profit. Il partage avec le roi assyrien son
obsession pour les rêves. Eux seuls, parmi tous les souverains mésopotamiens depuis Gudéa, en
font la matière de leurs inscriptions royales.

C’est cependant dans la stèle d’Adad-guppi que l’on retrouve l’expression la plus éloquente de ce
désir de continuité avec l’Assyrie. Il faut donc revenir à la chronologie de sa vie citée plus haut. La
succession des souverains sous lesquels elle vécut et le comput de leurs années de règne, considérés
dans leur ensemble, ne correspondent à aucune chronologie que nous connaissons par ailleurs.
En effet, le Canon de Ptolémée et les documents chronographiques babyloniens ne mentionnent
jamais Assurbanipal et Aššur-etel-ilāni ; ils ne reconnaissent que Kandalānu34. Si on avait suivi
la chronologie de Harran, où Adad-guppi vécut probablement jusqu’en 610-609, la stèle devrait
inclure les années de règne de Sîn-šarru-iškun et Aššur-uballiṭ II. Mais ceux-ci sont ignorés et
remplacés par Nabopolassar, qui ne régna en fait sur cette région que de 609 à sa mort en 605.
La succession des règnes dans la stèle d’Adad-guppi est donc un document de nature politique

30
Voir von Soden 1968, p. 271 : Hadad-ḥappe « Le dieu Hadad (ou Adda) a recouvert, protégé » ; il s’agirait de la racine ḥpy « couvrir »
au thème Pa’’el. On note toutefois le nom araméen Adda-gappī « Adda (ou Hadad) est mon aile (protectrice) » dans PNAE, p. 45.
31
La traduction d’Hérodote reproduite ici est celle de Barguet & Roussel 1964.
32
On peut se reporter à l’index de RINBE 2, p. 251, pour les références aux monarques assyriens dans ses inscriptions.
33
Voir RINBE 2, Nabonidus 3, col. X, 32’-51’, de même que l’étude de Lee 1993.
34
Il en est de même des documents assyriens, la seule exception étant le fragment de liste royale synchronique Grayson 1980-1983,
no. 3.13 (King List 13), qui semble grouper les deux Šūzubu, Sennachérib, Assarhaddon et Assurbanipal comme rois babyloniens, mais le
texte est très endommagé et ardu d’interprétation.

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Paul-Alain Beaulieu : Les antécédents de Nabonide, de son enfance

et historiographique destiné à proclamer une continuité impériale entre l’Assyrie et Babylone.


L’affirmation d’Hérodote ne s’avère donc pas gratuite.

La chute de Ninive et le transfert du pouvoir à Babylone, suivis de l’effondrement précipité de cette


dernière en 539, inaugurent une ère nouvelle dans l’histoire de l’Antiquité, celle de la succession
des empires, la translatio imperii chère à l’historiographie médiévale. Le motif est toutefois déjà
présent dans l’Antiquité classique35. Mais c’est le livre de Daniel qui lui donna véritablement le
coup d’envoi en raison de l’influence immense qu’il exerça sur la vision juive et chrétienne de
l’histoire. La translatio imperii suppose qu’un seul empire exerce à la fois l’hégémonie et qu’il la cède
à un autre par le mouvement linéaire de l’histoire. À cette notion s’adjoint souvent l’idée d’une
dégénérescence, chaque empire répliquant en moindre celui qui l’a précédé. Daniel 2 exprime cette
idée de façon éloquente dans le premier rêve de Nabuchodonosor, la vision de la statue composite
dont les parties symbolisent l’empire babylonien et ses trois successeurs. La dégénérescence
se traduit par la qualité des métaux qui la forment : la tête est d’or, mais le reste d’argent, de
bronze, et de fer mêlé à de l’argile36. On sait depuis longtemps que le Nabuchodonosor du livre de
Daniel préserve une mémoire de Nabonide, l’obsession du roi pour ses propres rêves constituant
un des nombreux éléments révélateurs de ce transfert de mémoire. On constate en effet que le
Nabuchodonosor de l’histoire ne mentionne jamais ses rêves dans ses nombreuses inscriptions,
alors que Nabonide le fait à plusieurs reprises, parfois même en relatant leur contenu. La vision de
la statue provoque un grand effroi chez Nabuchodonosor, car elle annonce la fin prochaine de son
royaume. Peut-on supposer que Nabonide reçut un rêve similaire annonçant sa chute prochaine?
Nos sources sont muettes sur ce point. On note toutefois que dans sa stèle de Harran, Nabonide
affirme que son retour à Babylone fut précédé d’un rêve « terrifiant »37. Rappelons que peu de
temps auparavant Cyrus achevait la conquête de la Lydie, se posant désormais en menace mortelle
pour Babylone. Nabonide aurait-il vu la fin approcher ? Le rêve auquel la stèle de Harran fait
allusion contenait-il un avertissement à cet effet ? C’est dans le domaine du possible. N’oublions
pas que selon le cylindre de Sippar les dieux avaient auparavant annoncé à Nabonide la chute
de l’empire mède. Ainsi, la succession des empires a fait partie du vécu de Nabonide. Le motif
de la translatio imperii dans le rêve de Nabuchodonosor pourrait bien trouver son origine dans la
situation transitoire de l’empire babylonien et les angoisses de Nabonide face à des événements
qui échappaient désormais à son contrôle.

Nabonide et Nabuchodonosor

Si le Nabuchodonosor de Daniel n’est nul autre que Nabonide, on peut se demander quels rapports
les deux personnages entretenaient dans la réalité. Dans sa stèle de Babylone, Nabonide affirme
avoir vu Nabuchodonosor en rêve38 :

Dans ce même rêve, Nabuchodonosor – un roi antérieur – et un serviteur se tenaient debout


dans un char. Le serviteur s’adressa comme suit à Nabuchodonosor : « Parle avec Nabonide,
qu’il te répète le rêve qu’il a vu ! ». Nabuchodonosor l’entendit et me parla ainsi : « Dis-moi
les signes favorables que tu as vus ! ». Je lui répondis et lui parlai ainsi : « Dans mon rêve la
Grande Étoile (Jupiter), le dieu Sîn (la lune), et le dieu Marduk culminaient dans les cieux. Je
les contemplais pieusement, (quand) il (Marduk) m’appela par mon nom ».

Dans son ouvrage sur les rêves et leur interprétation en Mésopotamie, A. L. Oppenheim postula que
Nabuchodonosor ne devait pas connaître Nabonide personnellement, puisque ce dernier nécessita

35
Voir Scheil 2016, p. 26-27 pour l’origine antique de ce motif historiographique, appliqué en l’occurrence à Babylone. Ce motif se
développe de pair avec le concept d’histoire universelle, analysé entre autres par Momigliano 1982.
36
Il s’agit de l’empire des Perses et des Mèdes (l’argent), d’Alexandre et ses successeurs Argéades (le bronze), puis de l’empire divisé des
Lagides et des Séleucides (le fer et l’argile).
37
Voir RINBE 2, Nabonidus 47, col. III, 2 : ina šāt mūši šuttu pardat « cette nuit-là (mon) rêve fut terrifiant. »
38
Voir RINBE 2, Nabonidus 3, col. VI, 12’-36’.

197
Études Mésopotamiennes – Mesopotamian Studies

l’intervention d’un tiers pour que le célèbre monarque s’adressât à lui39. Mais ceci contredit la
stèle d’Adad-guppi, selon laquelle elle introduisit elle-même son fils à la cour et le présenta à
Nabuchodonosor et à Nériglissar (col. II, 45-48) :

Je présentai Nabonide, le fils issu de moi, à Nabuchodonosor, fils de Nabopolassar, et à


Nériglissar, roi(s) de Babylone, et il les servit jour et nuit, faisant toujours ce qui leur plaisait.

Nabonide se déclare d’ailleurs le délégué de ces deux rois dans sa stèle de Babylone (našparšunu dannu
anāku)40. Cette affirmation s’accompagne d’une condamnation sans équivoque de leurs héritiers
Amēl-Marduk et Lâbâši-Marduk, dépeints comme des personnages falots et incompétents41. Bérose
fait d’ailleurs écho à la stèle de Babylone en les traitant presque de criminels. Il est donc probable
qu’il connaissait ce monument. De plus, comme nous l’avons vu, la stèle d’Adad-guppi insiste sur
l’impiété et l’ingratitude des successeurs et favoris de Nabuchodonosor et Nériglissar, les accusant
d’avoir négligé leurs offrandes funéraires, alors qu’elle se dévoua pour honorer leur mémoire.

En fait, le rêve rapporté par Nabonide pourrait tout aussi bien constituer un indice de sa familiarité
avec Nabuchodonosor. Celui-ci savait à l’occasion se montrer affable, comme l’indiquent deux
lettres que nous avons de lui alors qu’il était prince héritier. Adressées au clergé d’Uruk, elles
nous révèlent un Nabuchodonosor libre des contraintes imposées plus tard par la fonction royale.
La famille de Nabuchodonosor provenait d’Uruk ou de sa région, et ce ton plus cordial qu’à
l’accoutumée s’expliquerait par le fait que Nabuchodonosor s’adressait ici à d’anciens collègues42.
On peut deviner le même registre familier dans le rêve rapporté par Nabonide, qui veut de toute
évidence souligner la relation privilégiée qu’il entretenait avec son illustre prédécesseur.

Si Nabonide était un habitué de la cour de Nabuchodonosor, on souhaiterait le retrouver dans la


documentation de l’époque. Malheureusement, nous ne possédons pas pour l’empire babylonien
d’archives palatiales comme celles de l’empire des Sargonides. On peut toutefois supposer que
Nabonide n’appartenait pas à la grande aristocratie qui se pressait autour de Nabuchodonosor
durant la première partie de son règne. En effet, il n’est pas mentionné parmi les dignitaires de la
cour et de l’administration provinciale dans le Hofkalender, daté de 598 (an 7 de Nabuchodonosor)43.
Il ne faisait pas non plus partie de ceux qui, selon la Bible, accompagnèrent l’armée babylonienne au
deuxième siège de Jérusalem en 587 (Jer 39). Il s’agit de sources, bien entendu, très fragmentaires,
mais elles seules nous renseignent directement sur la haute administration impériale.

Restent les textes économiques et administratifs. On a parfois proposé qu’un certain Nabû-na’id,
qui apparaît avec le titre de ša muhhi āli (šá ugu uru) dans le texte Nbk 70, pourrait être Nabonide. Le
texte date de 597 (an 8 de Nabuchodonosor) et provient d’un village proche de Babylone. Le Nabû-
na’id en question y fait office de premier témoin. Le texte est connu par un duplicata qui remplace
ša muhhi āli par une désignation peu claire (a lú lugal dù ?), mais il contient quelques erreurs
et graphies aberrantes44. En tout état de cause, rien ne nous permet d’affirmer qu’il s’agit ici de
Nabonide. En revanche, deux lettres datant du règne de Nabuchodonosor mentionnent un individu
assez important nommé Nabû-na’id que l’on considère maintenant comme étant probablement le
futur roi. La première, NBDUM 67, provient des archives de l’Eanna d’Uruk45. Elle est adressée par

39
Oppenheim 1956, p. 204.
40
Voir RINBE 2, Nabonidus 3, col. V, 14’-18’.
41
Le fragment sur Amēl-Marduk publié par Grayson 1975b, p. 87-92, semble aller dans le même sens.
42
Voir Levavi 2017, p. 187-188. Edition et discussion des deux lettres dans Levavi 2018, p. 169-171 et 297-298 (nos. 58 et 59).
43
Voir l’édition récente de ce document par Da Riva 2013, p. 211-217. Deux personnages mentionnés dans cette inscription étaient
présents au second siège de Jérusalem : il s’agit de Nabû-zēru-iddin, le rab nuhatimmu (col. V, 36’), et Nergal-šarru-uṣur (le futur roi),
le simmagir (col. VI, 21’), identiques au Nebuzaradan rab‑ṭabbāhīm de Jer 39, 9-13 et 40, 1, et au Nergalšarezer samgar de Jer 39, 3.
Nebuzaradan apparaît aussi dans 2 Rois 25 et d’autres passages de Jérémie.
44
Dougherty 1929, p. 29-33, avait fait beaucoup de cas de ce document, car il croyait pouvoir lire lú:a-lugal « fils du roi » à la ligne 9
du duplicata (lecture justifiée par le fait que ce document contient quelques inversions de signes), ce qui aurait fait de Nabonide un fils
de Nabuchodonosor, hypothèse hautement improbable. La copie de Strassmaier autorise peut-être une lecture a lúrab!-dù « descendant
du rab-banî », un nom d’ancêtre assez courant à cette époque.
45
Sur ce personnage comme étant identique au futur roi, voir Jursa 2014, p. 133 note 17.

198
Paul-Alain Beaulieu : Les antécédents de Nabonide, de son enfance

Nabû-na’id à Nabû-ahhē-iddin, le même qui occupa le poste de šatammu du temple de l’Eanna de


l’an 4 à 19 de Nabuchodonosor46. La lettre daterait de la dernière période de son administration,
entre les années 14 et 1947. NBDUM 67 ne comporte aucune formule de salutation et le ton en est
assez péremptoire, ce qui pourrait indiquer que le Nabû-na’id en question occupait un rang plus
élevé que son correspondant48. Toutefois, la lettre débute par la mention d’un serment (adû) que le
député (šanû) avait imposé à Nabû-na’id à l’effet que tout l’argent dû par Uruk devrait lui être versé
avant le 15 du mois de Dûzu. Il s’agit presqu’assurément du député du Pays-de-la-Mer (šanû ša māt
tâmti), le second dans la hiérarchie de cette importante province dont Uruk faisait probablement
partie. Le Nabû-na’id expéditeur de la lettre serait donc son inférieur dans la hiérarchie. Il continue
en notant que le député a retiré une somme de six talents d’argent de son compte, sans compter
les trois mines dues au rab mungi. Ce dernier occupait une importante charge dans l’armée – la
Bible mentionne la présence de cet officier, transcrit rabmag en Hébreu, au siège de Jérusalem – ce
qui situerait la lettre dans un contexte militaire. Ceci est confirmé par les lignes qui suivent. En
effet, Nabû-na’id ordonne à son correspondant d’imposer la taxe igisû sur les cinquanteniers et de
remettre l’argent ainsi obtenu à un certain Temūdāya, un Arabe (arbāyû). La lettre nous révèle donc
que ce Nabû-na’id occupait une fonction importante en rapport avec le système de conscription
et de financement de l’armée, mais sans préciser laquelle. De plus, la mention d’un Arabe, homme
de confiance de ce Nabû-na’id, pourrait être révélatrice, si l’on songe aux relations du futur roi
Nabonide avec la péninsule arabique et ses habitants.

La seconde lettre, CT 22 185, provient des archives de l’Ebabbar de Sippar. L’expéditeur en est
un certain Nergal-gāmil. Le récipiendaire, Bēl-ušallim, occupait la fonction de résident (qīpu)
de l’Ebabbar, fonction dans laquelle il est attesté de l’an 18 de Nabopolassar jusqu’à l’an 8 de
Nabuchodonosor. Toutefois, comme son successeur n’est attesté qu’à partir de l’an 25 de ce dernier,
on peut facilement envisager un terme plus long pour Bēl-ušallim. Nergal-gāmil écrit au sujet d’un
certain Abu-nādib et cite un ordre que Nabû-na’id lui a envoyé : « Conscrit des soldats et viens
me rejoindre au neuvième jour, toi, Abu-nādib, et Abu-ilā’ ! ». Nergal-gāmil poursuit son message
en disant que d’autres individus ont refusé de coopérer et n’ont pas conscrit de soldats, puis il
termine en promettant de venir rencontrer Bēl-ušallim en compagnie d’Abu-nādib. Cette lettre
évoque des conditions similaires à NBDUM 67. Il y est probablement aussi question de conscription
pour l’armée ; le Nabû-na’id dont les ordres sont cités remplit une mission reliée à cette tâche
et occupe donc une position supérieure dans la hiérarchie ; de plus, les deux personnages qui
doivent accompagner Nergal-gāmil portent des noms de facture ouest-sémitique. Il s’agit donc
vraisemblablement du même personnage, et son identification avec le futur roi semble plausible.

Il reste à verser à ce dossier deux pièces importantes. On a retrouvé un certain nombre de textes
dans le bâtiment voûté du palais sud de Nabuchodonosor. Ce bâtiment faisait probablement office
d’entrepôt, et les quelque trois cents textes découverts par les fouilles allemandes consistent
surtout en livraisons de fournitures à des dépendants du palais. Un de ces textes est connu depuis
longtemps. Publié par E. Weidner en 1939, il comptabilise l’allocation de denrées au roi judéen
captif Joiakîn (Yeho-yakīn) et sa suite49. O. Pedersén a publié le catalogue descriptif de ces textes,
qui s’étalent de l’an 10 à l’an 34 de Nabuchodonosor, avec une concentration plus importante
de l’an 10 à l’an 2050. On y retrouve un dénommé Zababa-šarru-uṣur, qualifié de ša bīt Nabû‑na’id
« appartenant à la maison de Nabû-na’id », aux côtés d’autres personnages importants comme
Nabû-mār-šarri-uṣur, ša bīt ekallītu (mí.šà.é.gal), et un autre Nabû-mār-šarri-uṣur, rab ummâni. Il y
a aussi mention des femmes (munus.meš) de la maison de Nabû-na’id51. Comme les textes ne sont

46
Voir Levavi 2018, p. 96.
47
Voir Levavi 2018, p. 423-424, avec édition du document et commentaires.
48
Voir cependant Levavi 2018, p. 44, qui note que quelques lettres, dont celle-ci, ne possèdent pas de formule de salutation, mais il
admet ne pouvoir en expliquer la raison.
49
Voir Weidner 1939.
50
Pedersén 2005, p. 111-127.
51
Pedersén 2005, p. 115-116. Six textes de cette archive ont été récemment publiés par Van Buylaere 2022; voir le texte 2, face, ligne
16, et revers, ligne 10, pour deux mentions de Zababa-šarru-uṣur de la maison de Nabû-na’id.

199
Études Mésopotamiennes – Mesopotamian Studies

pas encore publiés il est difficile d’en dire plus, mais de toute évidence il y avait un personnage
important nommé Nabû-na’id qui gravitait dans l’entourage du palais de Nabuchodonosor. On
pourrait donc supposer qu’il s’agit de Nabonide.

Il faut finalement mentionner une brique estampillée avec une courte inscription cunéiforme
de Nabuchodonosor conservée au Musée de l’Université de Philadelphie52. Elle provient
vraisemblablement de Babylone. La brique comporte une seconde inscription en écriture
alphabétique araméenne qui se lit comme suit : nbwn’d « Nabû-na’id ». Cet exemple n’est pas
unique car d’autres briques avec des inscriptions de Nabuchodonosor comportent aussi de courtes
inscriptions en écriture araméenne. Il s’agit aussi surtout de noms propres. Quelle est la portée
de cette inscription ? Il ne s’agit pas d’un graffiti, mais bien d’une estampille. Le Nabû-na’id en
question devait donc avoir une certaine importance. Mais pourquoi inscrire son nom sur une
brique portant une inscription royale ? Nous possédons certaines données sur la mise en œuvre des
grands projets de construction à l’époque néo-assyrienne, particulièrement Dūr-Šarrukīn. On sait
que les grands dignitaires de l’empire étaient responsables de la construction de parties désignées
des murs de la nouvelle capitale. Le même système semble avoir prévalu sous l’empire babylonien.
En effet, un groupe de textes de l’Eanna d’Uruk se rapporte aux dépenses encourues par le temple
pour la construction d’un segment du palais nord de Nabuchodonosor à Babylone53. Doit-on en
conclure que ce Nabû-na’id était responsable de financement d’un tel projet, du moins en partie,
et qu’il aurait estampillé son nom sur les briques au nom de Nabuchodonosor qui devaient faire
partie de son segment du nouvel édifice ? Pour l’instant ceci reste dans l’ordre des hypothèses.
On note cependant que l’estampille est en écriture araméenne, la langue maternelle présumée de
Nabonide.

Le témoignage d’Hérodote

Nous devons maintenant nous pencher sur le témoignage d’Hérodote. Son Enquête mentionne un
personnage nommé Labynétos à trois reprises. Le nom Labynétos est évidemment dérivé de Nabû-
na’id, le /l/ initial provenant d’une dissimilation. Le /t/ final fait problème, car le nom original
Nabû-na’id comporte la dentale sonore /d/. La solution se retrouve dans l’inscription de Darius Ier
à Bisitun. Parlant du deuxième rebelle babylonien, Arakha (= Nabuchodonosor IV), l’inscription
allègue que celui-ci prétendait être Nabuchodonosor, fils de Nabonide. La version vieux-perse
transcrit le nom de Nabonide par Nabunaita54. La forme Labynetos remonterait donc au nom perse
de Nabonide, Nabunaita. En effet, les transcriptions grecques plus tardives du nom de Nabonide
conservent toutes la dentale sonore /d/, alors que la dentale sourde /t/ n’apparaît que dans la
version vieux-perse de l’inscription de Bisitun. Ceci indique qu’Hérodote puise ici à des sources
mèdes ou perses. Son récit sur Babylone comporte d’ailleurs des éléments qui trahissent souvent
une origine iranienne. Ainsi il est le premier auteur grec à parler de Sémiramis et Sardanapale. Il
s’agit de légendes perses et non pas babyloniennes qui ne prendront leur envol qu’un peu plus tard
avec Ctésias. Le récit d’Hérodote refléterait donc une mémoire iranienne des événements, filtrée
par des informateurs colportant une tradition orale.

Hérodote nous rapporte qu’un conflit de cinq ans opposait le roi Lydien Alyatte au Mède Cyaxare,
quand dans la sixième année une éclipse de soleil survenue durant la bataille les convainquit de
faire la paix : « Ils eurent pour médiateurs Syennésis de Cilicie et Labynétos de Babylone » (I, 74).
Il ajoute que l’éclipse en question avait été prévue par Thalès de Milet55. Poursuivant son récit sur
la Lydie, Hérodote en arrive un peu plus loin au conflit opposant Crésus à Cyrus. Non content de

52
Cette brique est reproduite dans Baker 2019, p. 56.
53
Sur ce projet et les parallèles assyriens, voir Beaulieu 2005.
54
Voir Heller 2015, p. 339 et note 75, avec renvoi à la littérature. Pour la forme originale vieux-perse dans l’inscription de Behistun,
voir Schmitt 1991, p. 67, § 49 (III 76-83) : Nabunaita.
55
Celui-ci n’aurait pu prédire une éclipse solaire que de façon approximative. L’éclipse en question est sans doute celle du 28 mai 585
(97% d’occultation), car elle a été visible en Cappadoce ; voir les commentaires de Asheri 2007, p. 134-135.

200
Paul-Alain Beaulieu : Les antécédents de Nabonide, de son enfance

sa mainmise sur le royaume mède, celui-ci se préparait maintenant à marcher sur Sardes. Menacé
dans sa capitale, Crésus s’efforça de rassembler une grande coalition contre le roi perse (I, 77) :

Il avait l’intention d’appeler à son aide les Égyptiens en vertu du serment qui les liait (il avait
fait un traité d’alliance avec le roi d’Égypte, Amasis, avant de s’adresser aux Lacédémoniens),
de mander aussi les Babyloniens (ses alliés également, qui avaient alors pour roi Labynétos),
et d’inviter les Lacédémoniens à le rejoindre à une date fixée.

Mais Cyrus s’empara de Sardes, et quelques années plus tard se retourna contre Babylone, où
régnait maintenant un autre Labynétos : « Cyrus fit la guerre au fils de cette femme, qui portait le
nom de son père Labynétos et régnait sur l’Assyrie » (I, 188).

Diverses interprétations du récit hérodotéen ont été proposées. Toutefois, si l’on s’en tient
strictement au texte, on doit forcément en conclure que les deux premières mentions de Labynétos
se rapportent à un seul et même individu. Le Labynétos de Babylone qui servit de médiateur en
585 n’était pas le roi Nabuchodonosor, mais un plénipotentiaire qui plus tard devint roi à son tour
et l’était toujours lors de la conquête de la Lydie par Cyrus en 547. Il s’agirait donc de Nabonide. Le
Labynétos qui occupait le trône lors de l’assaut final de Cyrus contre Babylone en 539 doit être son
fils Bēl-šarru-uṣur, puisque ce second Labynétos était le fils homonyme du premier. Cette confusion
ne surprend guère car le nom du fils de Nabonide ne survécut après la chute de l’empire babylonien
que dans la tradition juive. Il refit surface à l’époque hellénistique dans le livre de Daniel avec le
personnage de Belshazzar, roi de Babylone lors de la chute de la ville en 539. Le nom de Bēl-šarru-
uṣur disparut entièrement de la tradition cunéiforme, car l’historiographie babylonienne tardive
ne le connaît que sous son titre de « prince héritier » (mār šarri)56. On n’est donc guère surpris que
les sources mèdes et perses qui forment la matière du récit d’Hérodote lui attribuèrent le nom de
son père, Labynétos. D’ailleurs, Bēl-šarru-uṣur n’exerça jamais pleinement la fonction royale et ne
réclama jamais le titre de šarru dans les inscriptions de l’époque, celui-ci étant réservé à Nabonide.

Hérodote puise à des sources dont la fiabilité est souvent sujette à caution. Néanmoins, la
reconstruction proposée ici s’accorde avec ce que nous savons du contexte international de
l’époque. La situation militaire de l’empire babylonien au printemps 585 aurait probablement
empêché Nabuchodonosor de se déplacer vers l’Anatolie pour concilier Mèdes et Lydiens57. Selon
la Bible, il n’assista pas non plus à la prise de Jérusalem en août 586 (ou 587) car il avait établi
ses quartiers généraux à Riblah près de Hamath sur l’Oronte. C’est à Riblah qu’on amena le roi
judéen captif Sédécias (Ṣidqiyah) devant Nabuchodonosor pour subir son châtiment58. Les travaux
de C. van der Brugge et K. Kleber sur la ville de Tyr ont mis en évidence la fragilité de la mainmise
babylonienne sur la région. On leva d’urgence des troupes à Uruk en septembre/octobre 586 pour
« venir en aide à Bēl et au roi »59. La situation en Palestine resta très instable jusqu’en 582 et même
au-delà. De plus, le siège de Tyr, commencé vraisemblablement en 588/587 et au plus tard en 585,
dura treize ans et absorba une bonne part des efforts babyloniens dans la région, avec l’Égypte
toujours prête à profiter des faiblesses de son encombrant voisin en suscitant des rébellions. Dans
ce contexte, le récit d’Hérodote paraît tout à fait crédible. Installé à Riblah, Nabuchodonosor aurait
confié à Nabonide, homme de confiance déjà rompu aux affaires militaires et stratégiques, le soin de
faire la paix entre Lydiens et Mèdes, freinant ainsi l’expansion de ces derniers vers l’Asie Mineure.
La mémoire de cette médiation aurait imprégné de façon durable la tradition orale des Mèdes et
des Perses, pour finalement se joindre à celle du dernier souverain de l’empire qu’ils abattirent en
539. C’est ainsi qu’Hérodote hérita du personnage de Labynétos (Nabunaita).

56
C’est ainsi qu’il est en effet désigné dans la Chronique de Nabonide et le Verse Account of Nabonidus.
57
Melkman 1940, p. 106 ; il croit toutefois que les trois mentions de Labynétos se rapportent à Nabonide, car Hérodote n’aurait pas pu
croire selon lui que le Labynétos de 585 pouvait encore vivre en 539, donc il aurait inventé un fils héritier de toutes pièces pour faire un
récit plus vraisemblable. Sur la politique babylonienne en Asie mineure voir aussi Joannès 1991.
58
Les mentions bibliques de Riblah comme quartier général babylonien se retrouvent dans 2 Rois 25, 6-7, 20-21. Selon 2 Rois 23, 33 il
semble que les Égyptiens avaient auparavant établi leur quartier général levantin dans cette ville.
59
Van Der Brugge & Kleber 2016, p. 198.

201
Études Mésopotamiennes – Mesopotamian Studies

La prise du pouvoir

On en arrive maintenant à la prise du pouvoir, qui eut lieu selon les documents d’archive entre
les 20 et 26 juin 55660. Mais Nabonide a-t-il vraiment « pris le pouvoir » au sens littéral du terme ?
On pourrait en douter, car trois témoignages, celui de Nabonide lui-même, de même que ceux
de Bérose et de Cyrus, laissent planer le doute à ce sujet. Dans sa stèle de Babylone, Nabonide se
défend bien d’avoir convoité la royauté. Il s’adresse ainsi au dieu Marduk61 :

Puissé-je être un roi selon tes désirs, moi qui ne songeais pas à la royauté (ša šarrūtu ina libbīya
la tabšû), ne sachant pas que toi, seigneur des seigneurs, allait me confier une seigneurie
encore plus grande que celle exercée depuis toujours par les rois que tu avais nommés !

Une affirmation identique se retrouve dans la stèle de Harran, composée après le retour du roi à
Babylone dans sa treizième année de règne : « Moi, Nabonide, le fils unique qui n’a personne, qui
ne songeait pas à la royauté (ša šarrūtu ina libbīya la tabšû) »62. Selon Bérose, Nabonide fut nommé roi
par un groupe de conjurés dont il faisait partie et qui éliminèrent le fils de Nériglissar63 :

Son fils Laborosoardokhos, encore enfant, lui succéda sur le trône et régna pendant neuf mois.
À cause de ses mauvaises manières, ses compagnons fomentèrent un complot contre lui, et
il fut battu à mort. Après que Laborosoardokhos eut été tué, les conspirateurs convinrent
qu’un certain Nabonide de Babylone devait régner. Il était l’un des comploteurs.

La stèle de Babylone, probablement connue de Bérose, fait écho à cette assertion64 :

Ils me portèrent à l’intérieur du palais (ana qereb ekalli ublū’innīma), et tous se prosternèrent
à mes pieds. Ils baisèrent mes pieds, louant ma royauté. Je fus ainsi élevé à la seigneurie sur
le pays (ana bēlūt māti annašīma).

Plus d’un millénaire auparavant, Samsu-iluna utilisait aussi le thème N du verbe našû pour décrire
l’usurpateur Rīm-Sîn II : « Rīm-Sîn, l’agitateur du pays d’Emutbal, qui avait été élevé à la royauté
de Larsa (ša ana šarrūt Larsa innašiu) »65. Avec le thème N du verbe šakānu, le Cylindre de Cyrus déploie
une rhétorique similaire contre Nabonide, nommé roi contre la volonté de Marduk : « Un incapable
fut installé pour gouverner son pays (maṭû iššakna ana enūt mātīšu) »66. Les sources semblent donc
unanimes pour dépeindre Nabonide comme l’instrument d’une coterie qui lui aurait conféré la
dignité royale à la faveur d’un coup d’État. On peut bien entendu objecter que cette impression est
créée par Nabonide lui-même, Bérose se contentant de relayer sa propagande. Quant à l’emploi
des formes passives il ne constitue qu’un indice possible, mais pas une preuve formelle que
Nabonide ne joua qu’un rôle d’arrière-plan dans sa prise du pouvoir. On pourrait en effet ne voir
dans ces protestations d’innocence qu’une tentative malhabile de se disculper. Mais il pourrait
tout aussi bien s’agir du plaidoyer angoissé d’un dignitaire surpris de se retrouver soudain hissé
par un concours exceptionnel de circonstances à une fonction qu’il n’aurait jamais osé convoiter.
Dans une étude récente, M. Sandowicz a retracé les origines d’un petit nombre de dignitaires de
l’entourage de Nabonide après son accession à la royauté67. Plusieurs de ces dignitaires proviennent
de l’entourage de Nériglissar, alors que d’autres semblent être des hommes nouveaux, dont certains
portent des noms ouest-sémitiques. Elle en conclut que la coterie qui aurait porté Nabonide au
60
Sur ces dates, voir la mise au point récente de Frame 2018.
61
RINBE 2, Nabonidus 3, col. VII, 45’-54’.
62
RINBE 2, Nabonidus 47, col. I, 8-9.
63
De Breucker 2016, 680 F 9a; la principale source pour ce passage est Flavius Josèphe, Contre Apion, I, 148-149.
64
La colonne IV de la stèle de Babylone se termine sur un portrait défavorable de Lâbâši-Marduk. Le début de la colonne V est perdu et
le texte ne recommence qu’avec ana qereb ekalli ublū’innīma. Donc la partie manquante devait donner une description du coup d’État,
peut-être similaire à celle qu’en fait Bérose.
65
Voir Frayne 1990, p. 387, lignes 96-97.
66
Le texte comporte ici des lacunes. Finkel 2013a, p. 4 et 2013b, p. 130 a cru voir dans ce passage une référence à Bēl-šarru-uṣur, mais
Schaudig 2019, p. 17, note 4, rejette cette argumentation sur une base grammaticale.
67
Voir Sandowicz 2020.

202
Paul-Alain Beaulieu : Les antécédents de Nabonide, de son enfance

pouvoir comprenait des Araméens ainsi que des personnages influents de la cour, deux groupes
sociaux étrangers aux élites citadines qui contrôlaient les temples, d’où le conflit avec le clergé
qui domina le règne de Nabonide. Vu sous cet angle, les doutes qu’il exprime dans ses inscriptions
paraissent en effet refléter une angoisse réelle quant à sa légitimité et la stabilité de son pouvoir.

Conclusion

Que peut-on conclure au terme de cette brève enquête ? Nabonide provenait de Harran et grandit
dans un milieu culturel araméo-hittite d’allégeance assyrienne. Réfugié à Babylone avec sa famille
après l’effondrement de l’Assyrie, Nabonide n’oublia jamais ses origines et vécut cette première
succession des empires comme un traumatisme politique. Si nous ne savons pas comment sa mère
réussit à s’imposer à la cour des rois néo-babyloniens, c’est néanmoins grâce à elle que Nabonide
gravit les échelons initiaux qui le menèrent ultimement au pouvoir. Les sources du règne de
Nabuchodonosor contiennent quelques références à des personnages importants nommés Nabû-
na’id et qu’on pourrait identifier avec le futur roi. S’agit-il dans tous les cas du même homme ? Le
nom Nabû-na’id, sans être commun, est tout de même porté par bon nombre d’individus, et ceci
nous incite à la prudence. En effet, on retrouve des cas surprenants d’homonymie même parmi
le cercle très circonscrit des fonctionnaires impériaux. Ainsi, tel que mentionné plus haut, il y a
dans les textes du palais de Nabuchodonosor deux Nabû-mār-šarri-uṣur exerçant des fonctions
importantes, et un troisième personnage du même nom apparaît dans le Hofkalender avec le titre
de rab malāhi68. Autre exemple, la Bible affirme que deux Nergalšarezer assistèrent à la prise de
Jérusalem : le premier portant le titre de samgar (= simmagir), le second celui de rabmag (= rab
mungi)69. Le premier est sans doute le futur roi Nériglissar. Quant au second, inconnu par ailleurs,
on a souvent invoqué un doublet textuel, mais sans fondement réel. L’existence d’au moins deux
personnages nommés Nabû-na’id et occupant de hautes fonctions semble donc envisageable.
Quant à décider de la nature des responsabilités confiées au futur roi, la carrière militaire doit
probablement l’emporter. Se réclamant de Nabuchodonosor et Nériglissar, Nabonide n’affirme-t-
il pas que leurs armées lui sont confiées (ummānātūšunu qātūya paqdā)70 ? Malgré son âge avancé,
il conduisit les troupes babyloniennes en personne vers la conquête de l’Arabie. On devrait donc
logiquement identifier Nabonide au Nabû-na’id des textes NBDUM 67 et CT 22 185. Le Labynétos
de la paix négociée de 585 serait le même personnage. Quant aux autres Nabû-na’id du règne de
Nabuchodonosor, on ne peut se prononcer avec certitude. Si celui du texte Nbk 70 semble devoir
être exclu, ceux des textes du palais de Nabuchodonosor et de la brique estampillée au nom de ce
dernier pourraient fort bien être identiques au futur roi. La lumière se fait donc petit à petit sur
les antécédents de ce singulier personnage que fut Nabonide, et on est en droit d’espérer que de
futures découvertes dévoileront des étapes encore insoupçonnées de son long parcours vers les
marches du trône.

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68
Voir Da Riva 2013, p. 213, col. VI, 17’.
69
La lecture correcte du texte biblique (Jer 39:3), déjà proposée par Vanderhooft 1999, p. 151, est maintenant confirmée par un
document cunéiforme publié par Jursa 2008.
70
Voir RINBE 2, Nabonidus 3, col. V, 19’-20’.

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