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Soit qu’on l’écrivît avec ou sans l’n euphonique, frak ou frank, comme
le latin ferox, voulait dire fier, intrépide, féroce [61] . L’on sait que la férocité
n’était point regardée comme une tache dans le caractère des guerriers
germains ; et cette remarque peut s’appliquer aux Franks d’une manière
spéciale ; car il paraît que, dès la formation de leur ligue, affiliés au culte
d’Odin, ils partageaient la frénésie belliqueuse des sectateurs de cette
religion. Dans son principe, leur confédération dérivait, non de
l’affranchissement d’un grand nombre de tribus, mais de la prépondérance,
et probablement de la tyrannie de quelques-unes. Il n’y avait donc pas lieu
pour la communauté de se proclamer indépendante ; mais elle pouvait
annoncer, et c’est ce qu’à mon avis elle se proposa en adoptant un nom
collectif, qu’elle était une société de braves résolus à se montrer devant
l’ennemi sans peur et sans miséricorde.
[61] On trouve dans de très-anciens glossaires Franci a feritate
dicti. Frech, en allemand moderne, signifie hardi, téméraire ; vrang, en
hollandais, veut dire âpre, rude.
Le premier de ces rois, dont l’histoire constate l’existence par des faits
positifs, est Chlodio ; car Faramond, fils de Markomir, quoique son nom
soit bien germanique et son règne possible, ne figure pas dans les histoires
les plus dignes de foi. C’est au nom de Chlodio que se rattachèrent, dans les
temps postérieurs, tous les souvenirs de la conquête. On lui attribuait à la
fois l’honneur d’être entré le premier sur le territoire des Gaules et celui
d’avoir porté jusqu’au bord de la Somme la domination des Franks. Ainsi
l’on personnifiait en quelque sorte les victoires obtenues par une succession
de chefs dont les noms demeuraient dans l’oubli, et l’on concentrait sur
quelques années des progrès qui avaient dû être fort lents, et mêlés de
beaucoup de traverses. Voici de quelle manière ces événements sont
présentés par un historien très-postérieur, il est vrai, plein de fables, mais
qui paraît être l’écho fidèle d’anciennes traditions populaires :
« Les éclaireurs revinrent et rapportèrent que la Gaule était la plus noble
des régions, remplie de toute espèce de biens, plantée de forêts, d’arbres
fruitiers ; que c’était une terre fertile, propre à tout ce qui peut subvenir aux
besoins des hommes. Animés par un tel récit, les Franks prennent les armes
et s’encouragent, et, pour se venger des injures qu’ils avaient eu à souffrir
des Romains, ils aiguisent leurs épées et leurs cœurs ; ils s’excitent les uns
les autres par des défis et des moqueries à ne plus fuir devant les Romains,
mais à les exterminer. En ces jours-là, les Romains habitaient depuis le
fleuve du Rhin jusqu’au fleuve de la Loire ; et depuis le fleuve de la Loire
jusque vers l’Espagne dominaient les Goths ; les Burgondes, qui étaient
ariens comme eux, habitaient de l’autre côté du Rhône. Le roi Chlodio
ayant donc envoyé ses coureurs jusqu’à la ville de Cambrai, lui-même passa
bientôt après le Rhin avec une grande armée. Entré dans la forêt
Charbonnière, il prit la cité de Tournai et de là s’avança jusqu’à Cambrai. Il
y résida quelque temps et donna ordre que tous les Romains qui s’y
trouvaient fussent mis à mort par l’épée. Gardant cette ville, il s’avança plus
loin et s’empara du pays jusqu’à la rivière de Somme [64] … »
[64] Gesta Francorum per Roriconem monachum, apud Script. rer.
gallic. et francic., t. III, p. 4.
(Ibid.)
[68] Procopii Hist., apud ibid., t. II, p. 37.
Outre la hache, qui, de leur nom, s’appelait francisque, ils avaient une
arme de trait qui leur était particulière, et que, dans leur langue, ils
nommaient hang, c’est-à-dire hameçon [69] . C’était une pique de médiocre
longueur et capable de servir également de près et de loin. La pointe, longue
et forte, était armée de plusieurs barbes ou crochets tranchants et recourbés.
Le bois était couvert de lames de fer dans presque toute sa longueur, de
manière à ne pouvoir être brisé ni entamé à coups d’épée. Lorsque le hang
s’était fiché au travers d’un bouclier, les crocs dont il était garni en rendant
l’extraction impossible, il restait suspendu, balayant la terre par son
extrémité : alors le Frank qui l’avait jeté s’élançait, et, posant un pied sur le
javelot, appuyait de tout le poids de son corps et forçait l’adversaire à
baisser le bras et à se dégarnir ainsi la tête et la poitrine [70] . Quelquefois le
hang attaché au bout d’une corde servait en guise de harpon à amener tout
ce qu’il atteignait. Pendant qu’un des Franks lançait le trait, son compagnon
tenait la corde, puis tous deux joignaient leurs efforts, soit pour désarmer
leur ennemi, soit pour l’attirer lui-même par son vêtement ou son
armure [71] .
[69] Alibi enim secures multæ acuebantur, alibi patria hastilia, quæ
ipsi angones vocant. (Agathiæ Hist., apud Script. rer. gallic. et
francic., t. II, p. 65.)
[70] Ibid., p. 65 et 66.
[71]
« J’ai presque vu deux fois la lune achever son cours et n’ai obtenu
qu’une seule audience : le maître de ces lieux trouve peu de loisirs pour
moi, car l’univers entier demande aussi réponse et l’attend avec soumission.
Ici, nous voyons le Saxon aux yeux bleus, lui qu’aucune mer n’étonne,
craindre le sol où il marche. Ici, le vieux Sicambre, tondu après une défaite,
laisse croître de nouveau ses cheveux. Ici, se promène l’Hérule aux joues
verdâtres, presque de la teinte de l’Océan, dont il habite les derniers golfes.
Ici, le Burgonde, haut de sept pieds, fléchit le genou et implore la paix. Ici,
l’Ostrogoth réclame le patronage qui fait sa force et à l’aide duquel il fait
trembler les Huns, humble d’un côté, fier de l’autre. Ici, toi-même, ô
Romain, tu viens prier pour ta vie ; et quand le Nord menace de quelques
troubles, tu sollicites le bras d’Eurik contre les hordes de la Scythie ; tu
demandes que la Garonne, maintenant belliqueuse et puissante, protége le
Tibre affaibli [82] . »
[82] Sidon. Apollinar. Epist. ad Lampridium, apud Script. rer.
gallic. et francic., t. I, p. 800.
« Après la mort du roi Chlodowig, son fils Chlother s’étant établi dans
la ville de Soissons, il arriva qu’un certain Frank, nommé Hozin, l’invita à
un banquet, conviant aussi parmi les courtisans de sa suite le vénérable
Védaste (saint Waast), évêque d’Arras. Le saint homme accepta cette
invitation dans le seul but de donner quelque enseignement salutaire à la
foule des conviés et de profiter de l’autorité du roi pour les attirer au saint
baptême. Étant donc entré dans la maison, il aperçut un grand nombre de
tonneaux rangés par ordre, tous remplis de bière. Ayant demandé ce que
c’était que ces tonneaux, il lui fut répondu que les uns étaient destinés aux
chrétiens, tandis que les autres avaient été consacrés, suivant les rites des
gentils, à l’usage de ceux des conviés qui professaient le culte des idoles.
Ayant reçu cette explication, le vénérable Védaste se mit à bénir chacun des
vases indistinctement au nom du Christ et par le signe de la croix. Au
moment où il fit sa bénédiction sur les tonneaux consacrés à la manière des
païens, tout à coup les cercles et les liens se brisèrent, donnant passage à la
liqueur dont le pavé fut inondé. Cet événement ne fut pas inutile au salut de
ceux qui étaient présents ; car un grand nombre furent amenés par là à
demander la grâce du saint baptême et à se soumettre au joug de la
religion [88] . »
[88] Quæ causa multis qui aderant profuit ad salutem. Nam multi
ex hoc ad gratiam baptismi confugerunt, ac sanctæ religioni colla
submiserunt. (Vita S. Vedasti, apud Script. rer. gallic. et francic., t. III,
p. 373.)
« Vive le Christ qui aime les Franks ; qu’il garde leur royaume, et
remplisse leurs chefs de la lumière de sa grâce ; qu’il protége l’armée, qu’il
leur accorde des signes qui attestent leur foi, les joies de la paix et la
félicité ; que le Seigneur Christ-Jésus dirige dans les voies de la piété les
règnes de ceux qui gouvernent ; car cette nation est celle qui, brave et forte,
secoua de sa tête le dur joug des Romains, et qui, après avoir reconnu la
sainteté du baptême, orna somptueusement d’or et de pierres précieuses les
corps des saints martyrs que les Romains avaient brûlés par le feu,
massacrés, mutilés par le fer, ou fait déchirer par les bêtes [95] . »
[95] Legis Salicæ prologus, apud Script. rer. gallic. et francic., t.
IV, p. 122 et 123.
LETTRE VII
Sur l’état des Gaulois après la conquête.