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Les énergies renouvelables et

la digitalisation des systèmes


électriques

Tendances et défis pour les


pays de la région MENA

Working paper February 2017. © 2016 - enerpirica.com


Table des matières

1. Introduction.................................................................................................................3
2. Les systèmes électriques en transition numérique...................................................5
3. Eléments du système électrique d’avenir..................................................................8
3.1 Nouvelles technologies – Smart Grids................................................................8
3.2 Nouveaux modèles d’activité........................................................................... 11
3.3 Régulation ......................................................................................................... 13
3.4 Risques .............................................................................................................. 14
4. Conclusion / Recommandations.............................................................................. 15
5. Annexe – Liste des projets / applications dans la région MENA............................ 16
Impressum........................................................................................................................ 17

2
1. Introduction

Les systèmes électriques des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (région


MENA) font face à une transformation profonde. Plusieurs projets importants de
centrales solaires et de parcs éoliens témoignent du fait que les énergies
renouvelables sont en train de prendre leur envol : en février 2016, le Maroc a mis en
service la plus grande centrale thermo-solaire en Afrique, le projet Noor 1 avec une
puissance de 160 MW. Aux Émirats arabes unis la construction de la plus grande
centrale photovoltaïque au monde a démarré à Dubaï, totalisant 800 MW, avec une
expansion prévue jusqu’à 5 GW1. L'Egypte a récemment signé un contrat de plusieurs
milliards d’Euros pour la construction d’un vaste parc éolien censé atteindre la
puissance de 7 GW en 20222. À ces grands projets d’envergure nationale, s’ajoute
aussi un grand nombre de projets éoliens et photovoltaïques décentralisés de taille
moyenne, en construction ou en phase de planning dans divers pays de la région.
Grâce à de nouvelles législations et de nouveaux programmes d’incitations sur
certains marchés, comme en Tunisie, au Maroc ou en Égypte, une montée des petits
systèmes est attendue, notamment ceux photovoltaïques et connectés au réseau de
basse tension chez des clients privés ou des petites et moyennes entreprises.

La question du « coût élevé » – un argument souvent invoqué en défaveur des


énergies renouvelables – est aujourd’hui remise en cause par la récente chute du prix
des technologies. Le photovoltaïque, par exemple, atteint sur plusieurs marchés un
niveau de coût (par kWh) concurrentiel, et parfois même plus bas que la majorité des
technologies de génération conventionnelles. À Dubaï, un récent appel d’offres émis
par la société de l'Électricité et de l'Eau de Dubaï (DEWA) a mentionné un prix de 2.99
¢USD pour un contrat d’achat d’électricité sur 25 ans.

Malgré la perspective économiquement prometteuse pour les énergies renouvelables


il est à noter qu’à long terme, leur expansion à grande échelle aura inévitablement
des conséquences et constituera un défi pour le fonctionnement et la gestion des
systèmes électriques dans la région MENA. Sur le plan technique, deux questions se
posent principalement :

 L’intégration des énergies renouvelables : comment maintenir l’équilibre entre


consommation et production dans un système où la production intermittente
augmente, voire pourrait à longue terme dominer le mix électrique ?
 Gestion de la complexité : Comment faire fonctionner de manière efficace un
futur système de génération caractérisé par des milliers de producteurs
décentralisés (et renouvelables) au lieu de grandes centrales
conventionnelles?
1
Le Mohammed bin Rashid al-Maktoum solar project. Voir www.pv-
magazine.com/news/details/beitrag/third-phase-of-dubais-dewa-solar-project-attracts-record-low-bid-
of-us-299-cents-kwh_100024383/
2
http://africasmartgridforum2016.org/sites/default/files/presentations/
Egypt%E2%80%99s%20Renewable%20Energy%20Revolution,%20ElSobki_0.pdf

3
En Europe, où l’expérience avec les énergies renouvelables connectées au réseau est
relativement avancée, certains pays atteignent aujourd’hui des taux de pénétration
des énergies renouvelables supérieurs à 30%. Au Danemark, en Allemagne, en Italie
ou en Espagne, les défis liés à l’intégration des sources d’énergies renouvelables sont
déjà palpables chez les opérateurs traditionnels. Ils ont même provoqué un débat sur
l’avenir des systèmes électriques en général. Pour beaucoup d’observateurs, une
nouvelle architecture du réseau électrique, mais aussi un nouveau modèle de gestion
du marché, s’imposent, dans l’optique de développer la trajectoire actuelle de
l’expansion renouvelable. Trois éléments sont au centre de cette discussion :

(1) L’introduction des systèmes de stockage, notamment par batteries


électrochimiques, dont les coûts sont en train de chuter très rapidement.

(2) La modernisation de l’infrastructure du réseau avec de nouvelles technologies


informatiques et de télécommunication, les « smart grids ».

(3) Les nouveaux rapports commerciaux entre consommateurs et producteurs


(‘prosommateurs’) à la base des technologies numériques.

Cette modernisation – aussi connue sous le terme «digitalisation » ou


« numérisation » des systèmes électriques – est décisive pour assurer le
fonctionnement sûr et efficace du futur système électrique décentralisé et basé
essentiellement sur les énergies renouvelables.

La réalisation de cette infrastructure aura évidemment des répercussions sur la


structure du marché électrique. Dans certains pays d’Europe, par exemple en
Allemagne, aux Pays-Bas ou en Angleterre, on peut actuellement observer une
montée en puissance des nouveaux acteurs, souvent avec des modèles d’activité
innovateurs, qui commencent à bouleverser les anciennes structures du secteur : des
plates-formes indépendantes d’échange d’électricité entre consommateurs et
producteurs, agrégation de la production/demande, des centrales électriques
« virtuelles », ... etc. Autrement dit, la logique et la segmentation classique du
secteur– production, transport, distribution – perdra de son importance à la lumière
de la décentralisation et de la digitalisation du système électrique. Bien évidemment
ces développements défient également les modèles traditionnels de régulation et de
la législation du secteur.

À l’heure actuelle, la région MENA n’est pas encore confrontée à cette situation étant
donné que la génération d’électricité est toujours dominée par des centrales
conventionnelles. Néanmoins, une discussion similaire à celle en Europe sera
incontournable au moment où les taux de pénétration des énergies renouvelables
atteindront des niveaux importants et contraindront les acteurs à reconcevoir les
systèmes, voire à restructurer le secteur. Le présent document entend donner une
première orientation aux décideurs et aux professionnels du secteur, un aperçu des
enjeux, mais également des concepts et des innovations actuellement en discussion

4
en Europe. De cette manière, il envisage de contribuer au futur débat en proposant
quelques pistes de réflexion et recommandations.

2. Les systèmes électriques en transition numérique

De nos jours, les technologies numériques sont incontestablement utilisées


quotidiennement dans le secteur électrique dans la région MENA. Depuis les années
2000, les opérateurs ont fait un effort remarquable pour équiper leurs systèmes des
nouvelles technologies de l’information et de la communication (ICT), par exemple
avec la mise en place des systèmes de télé-conduite, des centres de dispatching, la
réhabilitation des voies de télécommunication via la technologie de la fibre optique et
l’introduction des systèmes SCADA pour automatiser le fonctionnement des centrales
électriques.

Néanmoins, en ce qui concerne la transition vers un système électrique renouvelable


et décentralisé, le niveau de numérisation doit être de plus grande envergure. En
raison de la progression des énergies renouvelables (intermittentes et
décentralisées), il s’agit notamment de préparer les systèmes pour maîtriser les défis
suivants :

Défi n°1: L’augmentation quantitative des données à gérer

Comme d’autres secteurs industriels, le secteur d’électricité est également atteint par
le phénomène de « big data », c’est-à-dire la croissance rapide des données
numérisées à traiter par le système. Déjà visible aujourd’hui, cette tendance est
censée s’amplifier, notamment en raison des « objets interconnectés » qui sont de
plus en plus présents dans les équipements techniques. Ce phénomène est aussi
connu sous le terme de « Internet of Things » ou « IoT ». Dans le secteur électrique
aujourd’hui, presque tous les nouveaux dispositifs liés à la production, au transport et
à la distribution d’électricité sont équipés de capteurs IoT qui enregistrent,
transmettent et échangent des données avec les autres composantes du système. Un
exemple significatif concerne le « smart meter » qui permet la télé-relève de la
consommation d’électricité d’un ménage ou d’un client industriel. Déjà introduits
dans plusieurs pays européens, par exemple en Italie, des projets pilotes pour les
smart meter sont également expérimentés surtout dans la région du Golf, par
exemple à Abu Dhabi, au Qatar et en Arabie Saoudite3. Les données et les prévisions
météorologiques contribueront également à l’accroissement du volume des données,
car ils seront de plus en plus importants pour les modèles et les outils de prédictions
de la production d’électricité renouvelable.

Défi n°2 Gestion de l’intermittence et de la production décentralisée

3
https://www.metering.com/middle-east-smart-meters-qatar-to-finish-phase-one-in-2016/

5
Le passage d’un système centralisé à un système décentralisé à la base des énergies
renouvelables nécessite de nouveaux outils numériques pour gérer l’intermittence de
la production éolienne et solaire, et également le fait que cette production soit
décentralisée et géographiquement dispersée. Contrairement aux systèmes
conventionnels, où la production est centralisée et suit la demande, la nouvelle
architecture du système doit s’adapter à des conditions opérationnelles totalement
différentes :

 Un taux croissant des moyens de production dans le système dont la


génération est soumise à des variations temporaires et dépend des
conditions météorologiques
 Les flux énergétiques bidirectionnels entre les différents niveaux de tension
(non seulement de la HT -> MT -> BT, mais aussi vice-versa)
 La prolifération des systèmes de stockage par batterie à grande échelle pour
compenser la variabilité de la production renouvelable 4
 Le pilotage de la demande (« demand side management ») pour encourager
les consommateurs à adapter leur demande au profil de la production
d’électricité.

Les deux derniers points en particulier (pilotage de la demande et systèmes de


stockage) soulignent le fait que la « demande » jouera un rôle plus important dans les
systèmes électriques futurs, surtout si une valeur économique est attribuée à sa
flexibilité.

Défi n°3 : Nouvelles structures du marché

Comme mentionné ci-dessus, la maîtrise de la demande d’électricité est en passe de


devenir un élément important vis-à-vis de la gestion du système électrique de
l’avenir. Puisque la flexibilité de la demande est également associée à une valeur
économique (et que cette valeur croît avec l’expansion de la production
intermittente), on peut s’attendre à des répercussions sur la structure du marché
électrique et sur le rôle de ses acteurs. Dorénavant, les consommateurs d’électricité
deviennent économiquement plus actifs puisqu’ils peuvent agir comme fournisseurs
vis-à-vis de la flexibilité de la demande afin d’atténuer les instabilités dues à la
variabilité de la production. C’est par exemple le cas pour les opérateurs de batteries
de stockage, mais aussi pour les consommateurs industriels, et même de simples
ménages qui contrôlent désormais leur demande de manière active à l’aide des
« smart meter » et des nouvelles technologies domotiques (« smart home »). À ceci
s’ajoute un nombre croissant de consommateurs produisant leur propre électricité,
par exemple avec des systèmes photovoltaïques domestiques (« toits solaires »)5 ou
même des installations plus puissantes (centrales solaires, parc éoliens) pour

4
Des premiers projets pilotes ont déjà été réalisés dans la région MENA, par exemple à Abu Dhabi:
http://www.adwea.ae/en/press/press-releases/adwea-has-successfully-deployed-a-battery-energy-
storage-system.aspx
5
Dans la région MENA, plusieurs projets de toits solaires ont déjà été réalisés, par exemple le
programme PROSOL ELEC en Tunisie:
https://energypedia.info/images/6/6b/Programme_Prosol_Elec_(Fr).pdf

6
l’autoproduction chez des clients industriels6. La transition d’un modèle de
consommateur passif vers un « prosommateur » actif, c’est-à-dire un consommateur
qui agit aussi partiellement comme producteur, va avoir des conséquences sur le
paradigme du marché électrique en général. Dans plusieurs pays se pratique déjà le
« net metering », qui consiste à ne facturer que la consommation nette aux clients qui
produisent (partiellement) leur propre énergie électrique (par exemple avec un
système photovoltaïque individuel). Aujourd’hui des règlementations concernant le
net metering sont déjà en vigueur dans 48 pays au monde, entre autres dans la région
MENA, en Tunisie, au Liban, en Egypte, au Maroc, en Jordanie et à Dubaï7.
Actuellement en Europe, on peut observer un développement des plates-formes
électroniques dédiées à l’échange direct d’électricité entre petits fournisseurs et
clients particuliers. Les discussions les plus récentes évoquent aussi l’utilisation des
nouvelles technologies de transactions numériques – notamment la chaîne des blocs
(anglais « block chain ») – comme élément décisif pour la formation des nouveaux
marchés électriques – sans avoir recours à un opérateur centralisé du marché. Il est
évident qu’à court terme, ces visions n’atteindront pas les marchés électriques
règlementés et plutôt monopolisés des pays de la région MENA. Néanmoins dans
l’avenir, avec la libéralisation du secteur prévu dans plusieurs pays8 des opportunités
pour des « business models » numériques pourraient émerger dans la région.

Le tableau synoptique suivant donne un aperçu des défis et solutions numériques


pour les systèmes électriques de l’avenir.

Défis Tendances Solution(s) numériques


Gestion de données - objets interconnectés (IoT) Big Data
- Smart Meter Cloud
- données météorologiques Nouveaux algorithmes
- producteurs décentralisés (prévision de la
demande/production
renouvelable)

Gestion de l’intermittence et - Intermittence Algorithmes


production décentralisée - Stockage d’électricité Smart Grids
- Production décentralisé Contrôle-commande en temps
- Flux inverses réelle
- Pilotage de la demande
Nouvelles structures du - Prosommateurs Plates-formes de commerce
marché - Autoproduction numérique
- Net metering Contrats intelligents
(blockchain)

6
Au Maroc, plusieurs cimenteries autoproduisent leur électricité à l’aide des parcs éoliens. Voir:
http://www.leconomiste.com/article/972761-ksar-sghir-le-parc-eolien-de-haouma-vend-deja-ses-
megawatts
7
REN21. Renewables 2015. Global Status Report.
8
Åberg, E. Myrsalieva, N. Emtairah, T. Power Market Structure and Renewable Energy Deployment
Experiences From the MENA Region, dans: In: Rubino, Alessandro et al. (ed.): Regulation and
Investments in Energy Markets. Solutions for the Mediterranean. Academic Press, 2015. ISBN 978-
0128044360.

7
3. Eléments du système électrique d’avenir
La transition vers les systèmes électriques du futur – renouvelables, décentralisés et
numériques – s’appuiera notamment sur trois éléments : (1) l’apparition des
nouvelles technologies pour la gestion des réseau intelligents (« smart grid ») ; (2) de
nouveaux concepts pour la mise en valeur économique de ces technologies c’est-à-
dire leur application commerciale « business models» et (3) le développement d’un
cadre législatif et administratif pour organiser les futurs marchés électriques.

3.1 Nouvelles technologies – Smart Grids

Bien que sa traduction française signifie « réseaux intelligents », la notion « Smart


Grid » est aujourd’hui perçue de manière plus large. Elle prend en compte tous les
efforts pour intégrer les différentes composantes du système électrique – les réseaux,
mais aussi les équipements de production, les consommateurs et les systèmes de
stockage – avec des technologies informatiques et de télécommunication.

Figure 1. Éléments de la “smart grid”

Selon l’illustration ci-dessus, les smart grids combinent les éléments suivants :

Télécommunications et solutions numériques

8
Les technologies informatiques / télécommunications sont un pilier essentiel des
smart grids. Comme mentionné plus haut, c’est surtout le besoin de traiter en temps
réel un nombre croissant des données qui accélérera le développement des nouvelles
technologies dans ce secteur. Les équipements qui seront certainement soumis à des
changements technologiques concernent les systèmes de contrôle et d’acquisition de
données (SCADA) qui assurent traditionnellement le fonctionnement des centrales
électriques et des réseaux. Ils doivent être reconçus pour maîtriser des hauts débits
de données. La tendance « big data » dans le secteur électrique impactera également
les développeurs des logiciels qui optimisent la production, le transport et la
distribution de l’électricité. Pour contrôler les « smart grid », de nouveaux
algorithmes intelligents seront nécessaires, par exemple pour la prédiction de la
demande ou de la production renouvelable à partir des données météorologiques.

Réseaux intelligents
Grâce à l’introduction des nouvelles technologies, les réseaux électriques sont
devenus de plus en sophistiqués ces dernières années. Des composantes auparavant
passives, comme les lignes électriques ou les transformateurs, peuvent aujourd’hui
être régulés activement. Par exemple, le système de ‘dynamic line rating’ permet de
mesurer en temps réel les températures, la vitesse de vent etc. de lignes électriques
pour pouvoir maximiser leur courant de transit. Les transformateurs dans les postes
électriques ou dans les réseaux de distribution, seront de plus en plus équipés de
dispositifs permettant la régulation en temps réel de leur tension, en fonction des
différentes sources de production. Pour les réseaux de transmission à haute tension,
le développement des « smart grid » est notamment caractérisé par les avancements
de la technologie de l’électronique de puissance. Les systèmes de transmission flexible
en courant alternatif (anglais FACTS9) en sont un exemple -ils permettent de réguler
activement le transit de l’énergie à travers les réseaux électriques à courant alternatif
(AC). Une autre application de l’électronique de puissance concerne les
convertisseurs pour les réseaux de transmission à courant continu de haute tension
(anglais HVDC10). Les réseaux HVDC sont souvent considérés comme une technologie
clé pour le transport de l’électricité (renouvelable) sur de grandes distances. Pour la
région MENA, cette technologie a surtout été utilisée dans le cadre des liaisons à
travers la Méditerranée pour échanger de l’électricité (renouvelable) avec des pays
européens.

Production intelligente
Dans un environnement « smart », l’expansion des énergies renouvelables
décentralisées sera également accompagnée de solutions intelligentes pour la
production d’électricité. Ceci concerne le réglage de la fréquence et de la tension,
ainsi que la puissance réactive pour stabiliser le réseau. De plus en plus, il devient
standard dans l’industrie que les générateurs éoliens, ainsi que les onduleurs
photovoltaïques, soient capables de reproduire (artificiellement) l’inertie comme chez
les générateurs conventionnels. Avec des moyens informatiques et de
télécommunication, il est désormais possible d’agréger plusieurs petites unités

9
Flexible Alternating Current Transmission System
10
High Voltage Direct Current

9
dispersées de productions – ainsi que des batteries de stockage – pour former des
« centrales électriques virtuelles » qui se comportent comme des centrales
conventionnelles. Et comme cela est évoqué dans la section suivante, la commande
de la production en fonction de la demande et vice-versa serait un élément essentiel
des « smart grid ».

Pilotage de la demande
Un élément principal des smart grids concerne le pilotage de la demande, c’est-à-dire
la commande (à distance) des consommateurs d’électricité. En principe, le pilotage
peut être appliqué à tous les consommateurs qui disposent des équipements avec
une interface de télécommunication pour échanger des données avec le système
électrique. De cette manière, la demande des consommateurs peut être réglée en
fonction des variations de la production (renouvelable/intermittente) ou des prix de
l’électricité. En Europe, plusieurs entreprises utilisent déjà des dispositifs automatisés
qui commandent, en fonction des prix de l’électricité, la mise en marche ou l’arrêt de
leur équipement industriel - moteurs, installations frigorifiques, fours industriels, etc.
Avec l’introduction des objets interconnectés, cette possibilité est également à la
portée des ménages via notamment des applications « smart home » ou
« domotiques » qui visent à interconnecter et piloter les appareils électroménagers,
les systèmes de climatisation et de chauffage et d’autres appareils électriques de
petite puissance qui se trouvent dans les foyers. La gestion de cette demande
s’appuie habituellement sur des compteurs communicants (anglais « smart meter »)
qui sont de plus en plus répandus dans le secteur électrique. Outre le pilotage de la
demande, les smart meter offrent également des avantages pour les fournisseurs
d’électricité en termes de facturation, celle-ci étant plus précise et plus adaptée à la
consommation des clients. De plus, les smart meter sont souvent considérés comme
un moyen de mieux détecter et de combattre le vol d’électricité, par exemple via un
raccordement sauvage sur le réseau électrique, qui constitue une pratique de fraude
très souvent répandue dans certains pays de la région MENA.

Stockage d’électricité
Le stockage d’électricité à la base des procédés électrochimiques (batteries) est
aujourd’hui une technologie mature en pleine croissance (voir Figure 2). En 2014, le
marché mondial des batteries connectées au réseau s’élevait à 360 MW ; en 2023 il
est prévu qu’il atteigne un volume de 14 GW.

10
Figure 2. Perspective du développement du marché de stockage d’électricité par batterie au monde
(source : IRENA, 201511)

Intégrer des batteries dans les réseaux offre plusieurs avantages. Tout d’abord, les
batteries permettent de stocker l’énergie électrique produite par les systèmes à
sources d’énergie renouvelable et de le déstocker au moment opportun, par exemple
en cas de forte demande. Puisque les systèmes de batteries sont toujours équipés
d‘onduleurs, ils sont aussi capables de stabiliser la fréquence et la tension du réseau
électrique. Nonobstant la technologie de stockage, on distingue deux types
d’applications : des grandes batteries connectées aux réseaux publics (transmission et
distribution) et des petites batteries installées « derrière le compteur électrique » -
surtout chez des prosommateurs (ménages ou petites industries). Pour ces derniers,
le stockage d’énergie est souvent un moyen d’augmenter l’autoconsommation de
l’énergie produite par les systèmes photovoltaïques individuels. À long terme – même
s’ils ne sont pas encore répandus dans la région MENA – les véhicules électriques
pourraient également devenir un élément des smart grids. Connectés à des stations
de recharge intelligentes, leurs batteries pourraient être agrégées et utilisées comme
moyen de stockage d’énergie pour contribuer à la stabilisation et la flexibilisation du
système électrique.

3.2 Nouveaux modèles d’activité


La transition numérique offre aussi de nouvelles opportunités économiques pour les
entreprises sur les marchés électriques. En Europe actuellement, une multitude de
« business models » est en cours de test, souvent par de jeunes entreprises
innovantes (« startups »). Bien qu’il soit encore prématuré d’évaluer leur efficacité (et
même leur applicabilité) pour les pays MENA, un tour d’horizon et une typologie de
ces nouveaux modèles d’activités est présentée dans cette section.

Agrégation ou « pooling » de la production décentralisée


Jusqu’à aujourd’hui, la production décentralisée renouvelable était surtout traitée
comme une source d’électricité « passive », dont l’injection dans le réseau était

11
http://www.irena.org/documentdownloads/publications/irena_battery_storage_report_2015.pdf

11
priorisée et la rémunération garantie (par exemple par un tarif d’achat). Mais que
deviendra la production décentralisée dans un environnement compétitif ? Des unités
renouvelables (systèmes photovoltaïques chez des particuliers et même des parcs
éoliens individuels) sont souvent trop petites pour participer activement comme
producteur/vendeur d’électricité sur un marché d’électricité. En Europe, le
« pooling », à savoir l’agrégation de plusieurs producteurs individuels pour former
une « centrale d’électricité virtuelle » (en anglais « virtual power plant », VPP) est de
plus en plus discuté. Les nouvelles technologies informatiques et de
télécommunication permettent aujourd’hui de constituer des VPP à partir d’un grand
nombre de producteurs individuels, voire même de très petites unités de production.
Avec des algorithmes de prévision météorologiques, mais aussi en intégrant le
stockage distribué (par batterie) dans ce schéma, les VPP sont rendus flexibles et
pourraient fournir des services semblables à ceux d’une centrale conventionnelle.

Agrégation de la demande.
De même que pour l’agrégation de la production, il est aussi possible d’agréger
différents consommateurs d’électricité – ménages, entreprises, petites industries. De
nouveaux outils informatiques permettent désormais de gérer ces consommateurs
dispersés de manière intelligente en les regroupant dans un cluster dont la demande
peut – dans certains limites – être adaptée aux caractéristiques de la production
renouvelable. Les nouveaux dispositifs de télégestion, la nouvelle génération des
« smart meter », jouent un rôle important, car ils sont capables de mettre en
marche/désactiver (à distance) de façon indépendante des utilisations électriques
chez des consommateurs en fonction de l’offre d’électricité dans le réseau. Cela
concerne par exemple les climatiseurs, le chauffage électrique, les réfrigérateurs, les
machines à laver.

Pool management / plates-formes indépendantes d’échange d’électricité


Les « pool managers » sont des instances qui commercialisent la
production/demande agrégée (voir ci-dessus). Ceci peut comprendre la simple vente
de l’électricité produite dans une centrale virtuelle sur le marché, mais aussi
l’organisation de l’échange d’électricité directement entre producteurs et
consommateurs (ou prosommateurs) sur des plates-formes « peer-to-peer ». En
Allemagne, mais aussi au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, des entreprises pionnières
commencent à lancer leurs activités sur la base de ces nouveaux business models,
comme par exemple Next Kraftwerke, Lumenaza, Vandebron, buzzn, piclo. 12

Contrats intelligents – Blockchain


Jusqu’à aujourd’hui, les transactions commerciales entre producteurs et
consommateurs d’électricité étaient généralement organisées de manière
centralisée, par exemple via un opérateur de système ou – dans des marchés
libéralisés – via une bourse d’échange de l’électricité (spot market). Néanmoins, il
existe de nouvelles technologies informatiques qui permettent, en principe, de
contourner ces voies classiques pour l’achat et la vente d’électricité. Il s’agit

12
Next Kraftwerke (next-kraftwerke.de), Lumenaza (lumenaza.de), Vandebron (vandebron.nl), buzzn
(buzzn.net), piclo (piclo.uk)

12
notamment de la technologie « Blockchain », que beaucoup d’experts considèrent
comme un outil d’avenir pour organiser les marchés électriques 13. Le blockchain
(« chaîne de blocs » en anglais) est un protocole d’échange décentralisé qui permet
de suivre chaque unité d’électricité (kWh) du point de production jusqu’au point de
consommation. Ainsi, une transaction énergétique est associée à une transaction
financière – sans avoir recours à un opérateur centralisé qui formalise ces
procédures. Déjà aujourd’hui, plusieurs entreprises commencent à se positionner sur
ce créneau, comme par exemple Trans Active Grid et Brooklyn Microgrid aux Etats-
Unis ou Power Ledger en Australie14.

3.3 Régulation
Il est important de noter que la plupart des innovations et tendances décrites ci-
dessus nécessitent un environnement réglementaire relativement libéralisé pour être
réalisées. Ceci constitue un défi surtout pour les pays de la région MENA où les
marchés électriques sont en grande majorité toujours organisés selon le modèle des
opérateurs verticalement intégrés : des monopoles (étatiques) contrôlent la
production, le transport et la distribution d’électricité. Ce modèle a démontré sa
viabilité pour les systèmes conventionnels et centralisés, mais est généralement
considéré comme inadéquat vis-à-vis des futurs concepts « smarts » pour
l’intégration des sources décentralisées et renouvelables.

Figure 3: Niveaux de libéralisation des marchés électriques (source : IEA15)

Depuis les années 1990, dans la région MENA également, différents pays ont
commencé à ouvrir progressivement leurs marchés d’électricité. Une première étape

13
Voir: https://www.pwc.com/gx/en/industries/assets/pwc-blockchain-opportunity-for-energy-
producers-and-consumers.pdf
14
Trans Active Grid (transactivegrid.net), Brooklyn Microgrid (brooklynmicrogrid.com), Power Ledger
(powerledger.io)
15
IEA: Repowering Markets. Market design and regulation during the transition to low-carbon power
systems. International Energy Agency, 2016.

13
– déjà mise en place au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Jordanie et en Arabie
Saoudite – a consisté à permettre un accès limité aux producteurs indépendants
selon le modèle IPP (en anglais « independent power producer). Un autre niveau de
dérégulation concernerait la séparation juridique (en anglais « unbundling ») des
activités de monopole dans les différentes entreprises qui gèrent indépendamment
les secteurs de génération, de transport et de distribution. La prochaine étape repose
sur l’établissement de marchés d’électricité ouverts à la compétition pour les
différents (même petits) producteurs d’électricité. Ce schéma, qui envisage la
libéralisation du secteur de la distribution et de la vente d’électricité, est considéré
comme le plus favorable pour l’épanouissement des nouvelles technologies et la
transition numérique des systèmes électriques.

3.4 Risques

La digitalisation des systèmes électriques est également liée à certains risques. Un des
soucis principaux implique la sécurité des systèmes d’information. Cet aspect mérite
une attention particulière, parce que l’intégration accélérée des technologies
numériques dans des systèmes électriques touche une infrastructure très sensible.
Désormais, une multitude d’utilisateurs et objets seront connectés aux réseaux
informatiques qui gèrent la génération, le transport et la distribution d’électricité.
Ceci les rend plus vulnérables à des attaques informatiques. Assurer la protection de
l’infrastructure contre ces attaques - par des mesures appropriées (« cyber security »)
- représente l’enjeu majeur de la transition numérique des systèmes électriques.

Un deuxième risque concerne la protection des données. Avec le roll-out des smart
meter, une énorme quantité de données utilisateurs (profil de consommation, type
d’équipement installé dans les ménages, etc.) seront enregistrées, répertoriées et
mises à la disposition de tiers. Des mesures doivent être prises pour éviter les abus,
notamment car il s’agit de données privées.

Un autre risque à considérer est l’impact sur l’emploi. Comme déjà observé dans
d’autres secteurs industriels (photographie, industrie musicale, tourisme, transport),
les nouvelles technologies numériques ont un effet de « rupture », bouleversant les
industries établies et les marchés traditionnels. Souvent, ces ruptures
s’accompagnent de conséquences importantes pour l’emploi. Il est probable que
dans le secteur électrique, la transition numérique réduira le besoin en emplois pour
certaines activités. Un exemple trivial est le relevé des compteurs électriques qui,
avec l’introduction des smart meter, sera désormais automatisé. De la même façon,
les technologies de télégestion réduiront le personnel nécessaire dans la
maintenance du réseau et des centrales électriques. Parallèlement, de nouvelles
opportunités pourront être créées pour des techniciens et des informaticiens
hautement qualifiés.

14
4. Conclusion / Recommandations
L’expansion des énergies renouvelables connectées aux réseaux électriques est une
tendance globale, qui s’observe également dans les pays de la région du Moyen-
Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). Bien que la part des énergies renouvelables y
soit encore souvent relativement faible comparée à celle de la production
conventionnelle, il est à prévoir que tôt ou tard, le taux de pénétration des énergies
renouvelables atteindra des niveaux imposant une réflexion sur ces nouvelles
méthodes et leur intégration dans les réseaux électriques.

Des exemples en Europe montrent qu’une panoplie de solutions intelligentes sont


déjà utilisées pour faciliter l’intégration des sources renouvelables : les systèmes de
stockage d’électricité par batterie, les smart grids et de nouvelles technologies
numériques, comme par exemple des algorithmes pour la gestion des données « big
data » en temps réel. Ensemble, ces mesures aideront à établir un système électrique
axé de plus en plus sur une production renouvelable, décentralisée et dispersée.

Malgré les multiples opportunités, les risques de la transition digitale des systèmes
électriques sont également à prendre en compte : sécurité des systèmes, protection
des données, impact sur l’emploi.

Les décideurs industriels et politiques des pays de la région MENA sont appelés à
adapter - prudemment - les modalités de leur marché électrique pour créer un
environnement favorable à cette nouvelle industrie émergente, tout en garantissant
la sécurité des infrastructures, les droits du consommateur et le bien-être de la
société.

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5. Annexe – Liste des projets / applications dans la région MENA
Synoptique (non-exhaustif) des projets et activités connus dans la région du Moyen-
Orient et de l’Afrique du Nord :

Type de projet Pays Détails


Smart meter (introduction à Qatar*, Arabie Saoudite*, *
déjà réalisé
grande échelle) Abu Dhabi*, Dubai**, **
prévu
Egypte**, Oman**
Stockage via des batteries Abu Dhabi Plusieurs unités de 4-8MW installées
connectées au réseau depuis 2015 (capacité totale 120 MW)
par la société nationale d’électricité
ADWEA.
Composantes « smart » pour Jordanie Introductions de systèmes de
l’intégration des énergies transmission flexible en courant
renouvelables alternatif (FACTS) pour une centrale
photovoltaïque de 24 MW.
Schéma d’autoproduction des Maroc La loi 13-09 permet au client final
énergies renouvelables d’utiliser et de vendre de l’énergie
produite entre clients finaux
Net metering Tunisie, Maroc, Egypte, Permis par réglementation.
Jordanie, Dubai.

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Impressum

Publisher

Enerpirica - Dr. Bernhard Brand


c/o Agora Spaces
Kopfstr. 48
12053 Berlin
Germany
www.enerpirica.com

Authors

Bernhard Brand
bernhard.brand@enerpirica.com

Date of publication

15 February, 2017

About Enerpirica

Enerpirica is a Germany-based consultancy firm, offering international advisory


services in the area of renewable power projects, electricity markets and energy
system planning. We combine practical, engineering competences with empirical
methods from energy research. Our aim is to provide our clients - project developers,
investors, institutions and political decision makers - with quick, professional and
unbiased consultancy support. Enerpirica has particular experience and knowledge of
the renewable energy markets in the Middle East and North Africa (MENA) region.

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