Vous êtes sur la page 1sur 101

Olivier Nesmon

Etre Humain dans son corps

!eitaiho

" o u s s e z l e s p o r t e s q u i o u v re n t s u #

l $ E t r e H u Toucher
m a i n dans
la Vie son
Ed. corp%

Olivier Nesmon
Olivier Nesmon

Etre humain dans son corps

2
Couverture - Mise en page :
Olivier Nesmon

Copyright © 2009 par Olivier Nesmon


Tous droits réservés pour tous pays

Toucher la Vie édition


542 rang 5 Ouest
Baie des sables QC
G0J1C0 Canada

http://toucherlavie.com
contact@toucherlavie.com

ISBN 978-2-8911319-0-4
Dépot légal - Bibliothèque et Archives Nationales du Québec, 2009
Dépot légal - Bibliothèque et Archives Canada
4
Ce livre est dédié à l'homme qui par sa sagesse, sa
détermination et la puissance de son enseignement, a
transformé ma vie, tout en me guidant afin que je retrouve le
sens de l'être humain en moi : Maitre Imoto Kuniaki
Sommaire

Préface
...................................................................................................................................
10

Introduction
...................................................................................................................................
20

Première partie
Entretien avec Maître Imo-
to
...................................................................................................................................
24

Petite histoire du Seitai


...................................................................................................................................
26

Deuxième partie
Seitaihô - Le Principe Seitai
...................................................................................................................................
32

⼈人間 - Ningen .........................................................................................................


34

Le principe Seitai
...................................................................................................................................
36

6
気 - Ki .......................................................................................................................
40

S’exercez à la pratique du Ki
...................................................................................................................................
42

Les Taisô
...................................................................................................................................
46

Taisô à découvrir
...................................................................................................................................
48

Troisième partie
Mon chemin de Sei-
tai
...................................................................................................................................
56

Le langage silencieux du corps


...................................................................................................................................
58

Mieux se sentir
pour se sentir mieux
...................................................................................................................................
62

Le temps qui passe


...................................................................................................................................
66

Leçons d'humilité
...................................................................................................................................
70

Désapprendre le savoir
...................................................................................................................................
74

Rave et réalité
...................................................................................................................................
78

Le temps d'une réflexion


...................................................................................................................................
84

Inspirer l'éveil
...................................................................................................................................
92

Faire de la peur de la maladie un allié


...................................................................................................................................
96

Conclusion sur mon chemin de Seitai


...................................................................................................................................
99

8
Préface

Olivier Nesmon et le Seitai-Hô

Un jour d’il y a longtemps, Olivier Nesmon m’a dit : « Il faut


percevoir au-delà de la technique ce qui se passe ». Cette phrase
m’avait marquée, car elle peut être transposée dans tous les
domaines du savoir et de l’action. Je pense même que c’est ce qui
caractérise la première étape d’une maîtrise dans une connaissance
spécifique, dans un savoir-faire, ou dans un art, par exemple. Je
suis heureux de voir aujourd’hui qu’Olivier, dans ce premier livre
que j’ai l’honneur de préfacer ici, nous dévoile sans pudeur, de
façon autobiographique, avec aisance : son expérience justement…
au-delà de sa technique.

Il faut dire que j’ai une grande admiration pour lui, vous le saurez
désormais. Nous nous étions rencontrés à Tokyo au Japon alors
qu’il étudiait le Seitai chez Imoto Kuniaki Senseï et moi l’Aïkido
chez Ueshiba Kishomaru Senseï. Nous avions eu des parcours
souvent similaires, des méthodes de pensées similaires, et surtout
tous les deux un plaisir à la vie qui, depuis, ne s’est je crois jamais
démenti. De là est née une grande amitié et je pense qu’Olivier m’a

10
apporté beaucoup, autant je l’espère que ce que j’ai pu essayer de
lui offrir de moi également.

Sa méthode à mon sens parfaitement intégrée du Seitai-Ho, ainsi


que ses capacités en ce domaine sont prodigieuses, réellement
prodigieuses, et en font sans doute, comme disent les Japonais, ou
comme le disaient certaines peuplades autochtones et originelles
d’Amérique… « un véritable être humain ».

Personnellement, j’ai plutôt la coutume de dire d’Olivier qu’il a «


des mains d’or ». C’est un terme très ancien lui aussi, antique, qui
signifie qu’Olivier Nesmon est pour moi l’un des trop rares
représentants occidentaux (donc abordables de cet art), à pouvoir
soigner avec ses seules mains et son cœur… sans doute même un
moribond.

J’ai quelques fois eu l’occasion de rencontrer également son


maître, Maître Imoto, et, comme souvent pour les grands Maîtres,
je fus également impressionné par tant de sapience, tant de
pertinence, tant d’à propos dans son approche de la vie. Et ce qui
est le plus extraordinaire, et qui est frappant, c’est que loin de se
sentir « tout petit » au contact de ces personnalités hors du
commun, on se sent grandi et enthousiaste en leur présence, un
peu comme lorsqu’on a le privilège de naviguer ou nager aux côtés
des grands êtres marins en pleine mer, ou pour un enfant de
pouvoir approcher un animal fantastique devenu soudain doux et
très prévenant à son égard.

La nature… c’est un grand thème en Seitai. C’est un grand thème


de vie chez Olivier Nesmon, un thème qui chez lui atteint une
heureuse générosité. Cette générosité naturelle me fait penser par
induction et dans un autre ordre, à cet auteur naturaliste, poète et
réalisateur français : Marcel Pagnol. Car Marcel Pagnol était lui
aussi un grand maître ès vitalité.
Dans son scénario intitulée « Marius », à la première scène de
l’acte un, il avait écrit un passage époustouflant intitulé du nom
d’un cocktail célèbre des cafés terrasses du petit port de Marseille
de l’époque : « le Picon-citron-curaçao-eau ».

Son héros : César, brave philosophe populaire s’il en est, montrait


à Marius, celui- là brave tavernier, comment confectionner cet
élixir, en versant dans un verre : un petit tiers de Curaçao, un tiers
un peu plus gros de jus de citron, un bon tiers de picon et enfin un
grand tiers d’eau. Très satisfait et démonstration à l’appui, notre
philosophe improvisé trouvait ce breuvage très réussi. Plus que
bon, il le trouvait même « joli ». Ce à quoi Marius, totalement
dubitatif, hochant négativement la tête, répondait qu’ainsi, s’il
comptait bien, cela faisait quatre tiers et non trois. Calcul qui
n’était assurément pas acceptable pour un esprit doseur, mécaniste,
puisque son esprit mathématique certifiait que dans un verre il ne
pouvait décidément n’y avoir que trois tiers. À cela César
répondait que tout dépendait de la grosseur des tiers. Cet
argument ne satisfaisait pas cependant Marius l’aubergiste
orthodoxe, qui lui rétorquait : « Eh non, ça ne dépend pas. Même
dans un arrosoir, on ne peut mettre que trois tiers ». César, pas du
tout désarmé, triomphal même, reprenait le cours de sa
démonstration par l'énoncé des faits (mais je vous laisse lire
Marcel Pagnol un peu dans son texte) : « César, triomphant :
Alors explique-moi comment j’en ai mis quatre dans ce verre. -
Marius : Ca, c’est de l’arithmétique. - César : Oui, quand on ne sait
plus quoi dire, on cherche à détourner la conversation… Et la
dernière goutte, c’est de l’arithmétique aussi ? - Marius : La
dernière goutte de quoi ? -

César : toutes les dernières gouttes ! Il y en a toujours une qui


reste au goulot de la bouteille ! Et toi, tu n’as pas encore saisi le
coup pour la capturer. Ce n’est pourtant pas sorcier ! Tu verses en
faisant un quart de tour, puis avec le bouchon tu mets la goutte
dans le goulot. Tandis que toi, tu fais ça en amateur ; et

12
naturellement, tu laisses couler la goutte sur l’étiquette… Et voilà
pourquoi ces bouteilles sont plus faciles à prendre qu’à lâcher !…
(et Cesar montrait à Marius à quel point ses bouteilles étaient
collantes par le sirop qui avait coulé du goulot et s’était cristallisé
en sucre jours après jours jusqu’à l’étiquette effectivement. Mais il
s’offusque :) Et tu ris ? - Marius : Toi aussi tu ris ! - César : C’est
vrai… Mais moi, je ris… de ma patience ! ».

Dans ce passage devenu célèbre pour les cinéphiles, tout le Seitai


d’Olivier me saute un peu au visage. Je sais qu’on pourrait se
laisser abuser en pensant que le rire, ou que cet humour bon
enfant de Marcel Pagnol, est antinomique au sérieux des exercices
de recentrage que propose Olivier par sa pratique assidue,
journalière, par ses efforts constants à secourir et à redonner une
plénitude de vie aux gens souvent en détresse qui viennent le voir.
Mais au Japon où je vis depuis maintenant près de vingt ans, les
thérapeutes traditionnels disent souvent qu’une personne qui rit
bien est rarement « malade ». Aussi me suis-je permis de faire ce
rapprochement ludique qui, vous allez le voir, n’est pas si sot qu’il
en a l’air.

Car pour moi, le Seitai que j’ai découvert en rencontrant un jour


Olivier, en travaillant aussi un peu avec lui, tient de cette force du
rire profond en nous, qui nous dit comme César face à la question
de savoir si un verre contient bien trois tiers de liquide ou non : «
Cela dépend de la grosseur des tiers ! ». Bien entendu que cet
argument ne tient pas devant un jugement scientifique. Mais est-ce
qu’un raisonnement scientifique tient lui-même devant cette
philosophie épicurienne d’un César « pagnolien » qui cherche le «
joli », le « bon » ou le « juste » ? C’est pourtant ce que propose le
Seitai, ce que proposait aussi un grand philosophe académique
comme Henri Bergson qui écrivait, je cite ses « Œuvres », et moi
aussi de mémoire, que son propos, son grand propos était de
réconcilier le corps et l’esprit.
Ces histoires de tiers à remplir, et de gouttes perdues lorsque l’on
verse de la boisson d’une bouteille dans un verre. C’est ici aussi
d’histoire de la vie dont parle Pagnol à mon sens. Cela rejoint le
Seitai complètement : « De combien de tiers, de combien de
vitalité, puis-je remplir ma vie : un tiers, deux tiers, trois, quatre ou
cinq tiers ? » ; « De quel verre de quoi s’agit-il, et d’ailleurs de quoi
parle-t-on quand on parle, quand on souffre, quelle mesure, quel
contenant et quel contenu ? » ; « Pourquoi certaines bouteilles,
pourquoi certains affects, sont plus faciles à prendre qu’à lâcher,
deviennent ainsi « collants » à soi ? Et à cause de quelles façons de
faire dans notre vie sont-ils ainsi devenus des empêcheurs de vivre
bien ? » ; et enfin : « Pourquoi laisse-t-on couler ces gouttes
précieuses sur les étiquettes, alors qu’on pourrait faire autrement ;
pourquoi laisse-t-on trop souvent les choses empirer et
s’accumuler dans notre « âme », ou se perdre et se cristalliser au
contraire en ses abords, et donc dans notre corps, sans réagir avec
l'a propos qu’il conviendrait ? ».

Par philosophie personnelle, je suis partisan pour les temps à venir


et dès maintenant d’une sorte de véritable « industrie de la vie »,
contrairement à une « industrie de l’asservissement » qui a cours
jusqu’à présent. Entreprise d’asservissement généralisée qui se
prône encore aujourd’hui dans notre monde. Pour moi l’avenir de
nos enfants, de nos petits enfants, passe par cette direction.

Olivier Nesmon, je pense, est l’un de ces « Cultivateurs-de-Vie »,


pionniers en ce domaine. Car et vous allez le lire maintenant par
ses propres lignes, il est certes évident que c’est un renouveau de la
sagesse qu’il propose, une sagesse très grande car justement très «
nue », logique, centrée sur chacun de nous, sur chacun de nos

corps en tant que corps vivants étant de nous, sur chacune de nos
aptitudes particulières à vivre « bien », c’est-à-dire : centré,
puissant et disponible. C’est une sagesse dont on peut s’imprégner
sans risque, adaptable facilement, même dans les sociétés actuelles,

14
à la portée de tous donc. Et ce n’est pas non plus une sagesse
éolienne (faite de vent) comme on le voit trop souvent.

Or le mot sagesse désignait au XVI°s, par exemple en France, la


qualité de quelqu’un qui, par un art de vivre spécifique, se mettait
à l'abri de ce qui tourmentait les autres hommes. Or : où se tient
justement cet art spécifique chez Olivier, sinon dans l’écoute,
l’acceptation et l’encouragement des corps vivants à se garder des
tourments ?

Et donc je pose la question ici : Est-ce que la sagesse, la vraie et


authentique sagesse de vivre, ne vient pas du corps finalement ?
Est-ce qu’elle n’est pas « en le corps », d’une façon claire et très
vivace ?

Voilà un renversement de valeur qui peut nous amener à repenser


mieux le monde, notre monde, et à redonner à la vie (au sens
positif, constructif et dans sa quintessence originelle et pratique),
des valeurs et surtout une force lucide qu’on lui a historiquement
dénié, ou que des sociétés entières tentent avec une férocité
malsaine de lui retirer encore aujourd’hui, chaque jour davantage
et encore plus. Olivier nous rappelle la mesure, l’aune de vie. Il
nous rappelle la paix avec autrui par la paix avec soi dans l’action
positive de la vie en fonction des capacités de chacun. C’est une
très belle leçon. Et, chose rare je le souligne, Olivier Nesmon est
capable de lier entre eux ses paroles et sa technique. Or c’est pour
moi la seule preuve d’une vraie maîtrise, d’une vraie expertise et
d’une vraie philosophie. C’est une preuve tout au moins de leur
cohérence vis-à-vis du dire qu’on en fait, ou qu’Olivier Nesmon en
fait aujourd’hui et au jour où j’écris ces lignes.

Je ne m’étendrais pas plus longtemps. J’aurais tant de choses


encore à écrire ou à dire sur Olivier Nesmon ou le Seitai. Et
j’espère bien qu’après ce premier essai Olivier Nesmon les dira ces
choses, avec ses mots simples, ses mots justes, ses mots «
naturellement pleins », avec son sens de la formule aussi, qui fait
timidement son apparition dans les pages qui suivent mais qui, je le
sais, est chez lui un sens encore bien plus fécond.

Je vous souhaite donc une bonne lecture. Et je souhaite qu’un


jour, grâce aux lignes que vous allez parcourir, vous soyez en
mesure d’approcher au plus près, au plus profond, tant « le maître
aux mains d’or » dont je viens seulement d’esquisser les traits, que
de vous réapproprier votre « Être au Corps d’Or », vous-même je

veux dire, redécouvert, revisité, réapproprié peut-être, grâce aux


compétences, à la pratique ou à l’enseignement du Seitaihô.

Olivier GAURIN, Tokyo le Vendredi 19 Janvier 2007

16
Le corps est une totalité. -...- C’est ce qui est
perçu. -…- . Le mental et le corps sont une
seule et même chose. Lorsque la colonne
vertébrale se redresse, c’est la manière de penser
qui se libère. Un corps libre, ouvert, sans
défense, suggère un mental sans appui, ni
fondement.
- Eric Baret -

18
Introduction

Je m'appelle Olivier Nesmon, je pratique et j’enseigne un art de


vivre et de prendre soin de la vie originaire du Japon, que l’on
appelle : “Seitai”. Plus précisément Imoto Seitai. Cet art est
infiniment moins connu que le Shiatsu, le massage ou le Zen, mais
il n’en est pas moins grand. Rares sont ceux qui connaissent
l’existence du Seitai. C’est une chance inouïe pour moi : ainsi,
lorsque je présente mon activité, j’ai l’avantage de pouvoir en
parler sans rencontrer d’idées préétablies, ni de croyances
incorrectes. Chaque fois, je peux partager mon expérience telle
que je la vie au quotidien. Et chaque fois, je constate avec intérêt
combien la vision du Seitai, sur la vie et sur l’être humain peut
fasciner.

J’ai étudié le Seitai pendant presque onze années consécutives au


Japon auprès de Maître Imoto. Pendant tout ce temps, j’ai non
seulement appris l’art de prendre soin et d’améliorer le corps, mais
j’ai aussi et surtout appris à m’imprégner des subtilités de la
culture et de la vie japonaise. Fruit de cette civilisation éloignée de
la notre, le Seitai révèle une vision très particulière de l’être
humain dans son corps, de la santé et de la vie en général. Ma
longue imprégnation m’a permis d’apprendre à discerner le fond
presque insaisissable qui rend le Seitai fascinant pour les gens.
Aujourd’hui, mon expérience me sert à accompagner les hommes

20
et les femmes qui veulent apprendre le Seitai. Chacun a ses raisons
d’y venir. Certains sont là pour leur santé ou leur bien-être.
D’autres cherchent à se découvrir et à évoluer. D’autres encore
sont poussés par le désir de participer à l’amélioration de la vie de
leurs semblables.

Ainsi, ma mission est d’enseigner le Seitai. Mais avec le temps, j’ai


souvent constaté que, dans le monde moderne, on cherche plus à
“comprendre” ou “faire comprendre” qu’à connaître d’un point de
vue intérieur. C’est peut-être acceptable pour l’éducation scolaire
classique. Cependant, cette façon d’apprendre en conceptualisant,
risque de faire passer à côté de ce que vise le Seitai. Alors,
penserez-vous, quelle est cette chose si particulière dont il est
question ?

Par le toucher, ou par le mouvement, la voie du Seitai consiste à


éveiller les sens et à vivifier la vie dans le corps. Le but, est de
recentrer l’attention de l’être humain d’une manière qui lui permet
de se ré-approprier son corps et de renouer avec la vie en lui. C’est
une question d’ajustement de la perception qui ne passe pas par
l’intellect. Si vous allez au dojo Imoto Seitai de Tokyo, vous
entendrez souvent Maître Imoto dire : “Ne cherchez pas à
comprendre avec votre tête. Il faut comprendre avec son corps !”
Ou encore, “Laissez donc votre mental tranquille. Mettez vous
dans votre corps !” Incessamment, l’attention est retournée,
réorientée vers le corps.

Le Seitai demande à ce que l’on apprenne à connaître son corps


par les sens. Pour quelle raison ? “Libérer le corps de l’emprise du
mental” et permettre aux mécanismes naturels de la vie de
reprendre cour en nous. Bref, libérer la vie des interférences
générées par nos conflits psychologiques. Autrement dit, si nous
apprenons à ancrer notre attention sur le seuil des sens, nous
pouvons libérer le corps de nos tensions mentales. Enfin libre de
fonctionner sans la pression des émotions et des pensées limitantes,
le corps retrouve la capacité de recomposer
l’équilibre qui convient à la continuation de la vie, au mieux de la
vitalité disponible. L’excellence d’Imoto Seitai repose sur l’habile
utilisation de techniques, telles que “l’écoute du ventre” ou les
taisô (éducatifs corporels), pour recentrer la vitalité du corps et
éveiller la capacité de celui-ci à s’ajuster spontanément. Il ne sert à
rien de comprendre cela sur le plan mental et de s’en satisfaire.
On pense, mais ça ne nourrit ni le corps, ni la santé. Dans une
démarche où il est question de retrouver l’aspect fonctionnel du
corps dans l’expérience de la vie, le risque de passer à côté de
l’objectif est bien trop grand.

Maître Imoto a été et est toujours mon mentor. Sa pratique du Sei-


tai passe par une connaissance extrêmement précise du corps et
une compréhension profonde de l’être humain. Maître de son art, il
s’est dressé au rang des plus grands thérapeutes exerçant au Ja-
pon. En 1998, il a reçu des mains de Madeleine Albright, ancienne
Secrétaire d’Etat du gouvernement américain, le titre de Docteur
en Médecine et Philosophie pour la pratique de son art. Aimé de
ses patients, respecté par ses élèves et disciples, Maître Imoto pra-
tique et enseigne la voie de la thérapie dans l’Institut Imoto Seitai
de Tokyo. Ainsi, Imoto Seitai est un art de soigner. C’est initiale-
ment ce que j’ai appris à faire. Mais depuis quelques années, j’ai
orienté mon chemin de Seitai de façon différente.
C’est vrai qu’il faut des gens comme Maître Imoto pour prendre
soin des malades. Cependant, la démarche globale du Seitai
consiste à prévenir plutôt que guérir. L’être humain a créé une ère
nouvelle où tout va vite, notamment et surtout l’information.
Cependant, la santé n’est pas un produit fini qui peut s'acheter, et
encore moins se télécharger. J’ai donc pris le parti de laisser de
côté la question de la thérapie, et de transposer l’information
contenue dans le Seitai en un moyen d’entraîner l’être humain à
vivre dans son corps avec intensité. Mon rêve, mon idéal, c’est que
tout un chacun redevienne acteur de son bien-être en reprenant
son corps en main. En tant que praticien Seitai, mon rôle est
d’accompagner chaque personne jusqu’aux portes du corps et de

22
donner les clés qui ouvrent ces portes. Ensuite, libre à chacun de
pénétrer, d’explorer et d’apprendre à connaître le paysage qui se
présente, pour le meilleur de son bien-être.

Ce petit fascicule est un assemblage non exhaustif de mes notes, de


certaines réflexions personnelles lors de mes rencontres autour du
monde, et d’entretiens que j’ai eu avec Maître Imoto Kuniaki. Ce
n’est pas un manuel d’apprentissage. Je désire simplement ouvrir
une fenêtre pour rendre visible cet univers fascinant que je côtoies
au quotidien. Je souhaite à chacun de s’offrir un jour la chance de
découvrir le Seitai et, pourquoi pas, d’apprendre ces techniques
qui, à plus d’un titre, changent la vie.

Une dernière recommandation si vous souhaitez tirer le meilleur


du Seitai : “laissez votre mental en-dehors de l’expérience”. Sentir
est le maître mot de la pratique.
Première partie
Entretien avec Maître Imoto

24
Petite histoire du Seitai

Entretien avec Imoto Kuniaki

Tandis que le Japon se préparait à s’engager dans un conflit qui


allait devenir la seconde guerre mondiale, le gouvernement
japonais avait ordonné que soient répertoriées et classifiées
l’ensemble des connaissances faisant partie du patrimoine national.
Qu’il s’agisse des arts militaires, des beaux arts ou bien de la
médecine, les détenteurs d’un savoir particulier, destinés à partir
au combat, devaient retransmettre leurs connaissances à ceux qui
resteraient afin que soient préservés le patrimoine culturel et la
tradition.

C’est à cette époque que fut crée la “Kenkô Hojikai” (Fondation


pour la préservation de la santé) dont le rôle consistait à
rassembler le savoir des experts en médecine traditionnelle
comprenant les massages, la physiothérapie, la pharmacopée
traditionnelle et les médecines manipulant “l’énergie corporelle”.
Membre de cette organisation, Noguchi Haruchika, déjà
thérapeute, fit partie des privilégiés qui plongèrent dans les
arcanes des médecines traditionnelles. La force de ce groupe fut de

26
ne pas se cantonner à faire une synthèse des matières dont il avait
la charge. Avec un esprit très méticuleux, ils ont pénétrés au cœur
de chacune d’entre elles pour en faire ressortir l’essence qu’elles
avaient en commun. Quand il fut question de donner un nom au
fruit de leurs études, la très forte personnalité de Noguchi lui
permis de se hisser rapidement au sommet du groupe et d’imposer
son avis au sein de la “Kenkô Hojikai”. C’est ainsi que le Seitai est
né. Cependant, ce qui distingua Noguchi de l’ensemble de ses
collègues fut l’habile intégration qu’il fit de la psychologie (ou
travail sur l’inconscient) dans la compréhension du corps humain.

Au sortir de la guerre, les japonais étaient moralement et


physiquement anéantis. Le charisme de Noguchi lui permit de
rassembler et de mobiliser quantité de gens avec ce message simple
: “la santé pré-existe à l’intérieur du corps. Celui-ci travaille
constamment, bien au-delà de notre conscience, pour survivre.”
Par son attitude et sa personnalité, Noguchi se démarqua des
autres praticiens et finit par s’en détacher pour créer la Fondation
de Seitai : Seitai Kyôkai.

Le Seitai n’entretient aucun lien avec une pratique religieuse ou


spirituelle. Son seul intérêt est d’éveiller la sensibilité du corps en
vue de libérer sa force de vivre. C’est là le sens caché du mot
Seitai.

Noguchi était un homme très dur et exigeant qui entraînait ses


élèves d’une façon que l’on n’imagine pas aujourd’hui. Cependant,
il a su s’assurer la fidélité d’une grande partie de la population et
donner au Seitai une place privilégiée dans tout le pays.

Des hommes et des femmes de tous les âges se sont rassemblés


autour de lui, dont, notamment, le père de Me Imoto qui devint le
responsable du développement du Seitai pour toute la préfecture
de Yamaguchi.
Pour sa part, Imoto KuniaKi commença l’étude du Seitai très
jeune dès l’âge de cinq ans. Cela lui permis en étudiant sous la
direction de son père, de côtoyer directement Noguchi.

Aujourd’hui, il ne reste que très peu de pratiquants réellement


compétents. A peine une dizaine d’experts tous âgés de soixante
ans et plus. Etudier sous la direction de Noguchi était une
expérience rude et pénible. C’est pourquoi presque tous
rechignent à transmettre leurs connaissances avec facilité. A vrai
dire, plus personne n’enseigne la technique du Seitai, mis à part
Imoto Seitai qui est le dernier établissement à former des
praticiens. Aujourd’hui au Japon, seules la Fondation de Seitai et
l’Institut Imoto Seitai sont reconnus.

Les être humains ont la capacité de s’adapter à leur environnement


interne et externe. Les problèmes interviennent quand nous
perdons cette capacité d’adaptation. L’objectif du Seitai est donc
de réveiller la vitalité qui s’endort pour que le corps retrouve le
moyen de s’assouplir et de s’ajuster.

Pour intervenir, le professionnel du Seitai va chercher avec ses


mains les voies qui poussent le corps à se raidir. Ensuite, il stimule
la vitalité - toujours avec les mains - par la méthode que l’on
appelle “doKi” (faire passer le Ki par le toucher).

Le Seitai se destine en particulier aux gens simples, qui prennent


leur santé au sérieux, et qui souhaitent se rétablir rapidement, de
préférence en s’appuyant sur leur propre force. Bien entendu, le
rétablissement dépend du désir, des capacités et de l’état de
chacun.

Le praticien est plus un guide qui donnera des indications à suivre


- adaptées à chacun – d’une façon qui stimule la force intérieure.
Pour y parvenir, il s’appuie notamment sur l’utilisation spécifique
de bains chauds et d’éducatifs corporels appelés “Taisô”.

28
Le Seitai est une façon naturelle de vivre. Pour le pratiquer, nul
besoin de forger son esprit pour suivre cette voie. Il suffit d’être
attentif. Ce qui fait le Seitai, c’est la maîtrise que l’on développe de
la technique, et la compréhension que l’on en tire. Cela peut
aboutir à une manière de vivre et une façon de penser, mais ce
n’est pas parce que l’on suit cette façon de penser que l’on pratique
le Seitai.

Guérison, santé et thérapie : un espace réservé à la médecine?

Pour répondre à la question il faudrait d’abord redéfinir ce qu’est


la santé. Voilà un sujet long à débattre. Pour faire simple, nous
observons la santé comme un processus global.

La santé, la guérison sont des qualités inhérentes au corps. Tout au


long de la vie, le corps s’abîme, se régénère, se reconstruit. Il
s’adapte aux saisons, il s’active, il dort. De lui-même, il sait faire en
sorte de préserver son équilibre.

Trop souvent, on ne regarde que la maladie et on s’imagine qu’il


faut la combattre à tout prix. Pourtant, la maladie est une réaction
du corps pour rejeter ce qui le gène, dans l’intention de
reconstruire un environnement mieux adapté.

On croit souvent que la santé, c’est l’absence de maladie. Pourtant,


on ne s’enrhume, on a de la fièvre, que si le corps dispose de
suffisamment de force pour se restaurer. L’attitude que nous avons
d’intervenir systématiquement sur les processus de réajustement
du corps nous expose à la longue à des maux plus graves.

Pour l’ensemble des petits problèmes quotidiens, notre corps sait


parfaitement ce qu’il a à faire. Dans ce cadre, le Seitai consiste
uniquement a s’assurer que la vitalité se reconstruit correctement
dans le corps.

Au Japon, cette manière d’accompagner la reconstruction


s’appelle Seitai. Beaucoup de gens le pratiquent, beaucoup de gens
viennent en profiter. Mais ce savoir faire n’est pas l’exclusivité des
Japonais. Dans tous les pays du monde, les personnes âgées
savent encore tirer profit de la fièvre lorsqu’elles sont malades.
Aujourd’hui, ça parait extraordinaire et incroyable parce que dans
notre esprit la fièvre est l’ennemi à combattre. Chaque fois, on
s’imagine qu’il faut intervenir. Imoto KuniaKi a appris le Seitai de
son père. Son rêve est que cette connaissance sorte du Japon, et
que ce savoir-faire qui apporte le bien-être se perpétue pour les
générations futures.

Que ce soit au Japon ou ailleurs, le Seitai a beaucoup de richesses


à transmettre. Maintenant, la technique du Seitai est longue à
apprendre et nous met souvent à l’épreuve. Elle demande
beaucoup d’investissement personnel et d’attention. L’objectif est
avant tout d’apprendre à protéger son corps. Or, quelque soit
notre nationalité, nous avons pour beaucoup, perdu cette capacité
de nous protéger. C’est pourquoi la méthode Imoto Seitai nous
arrive avec un ensemble de techniques, dont les Taisôs, que tout le
monde peut apprendre en vue d’assouplir son corps, de le
reconnaître et de se le ré-approprier.

Si le Seitai pouvait se résumer en une phrase :

“Éveiller la sensibilité du corps, bouger, s’activer et vivre une vie


intense et bien remplie.”

30
Deuxième partie
Seitaihô - Le Principe Seitai

32
⼈人間 - Ningen

Selon le dictionnaire Sanseidô, le mot japonais “ningen” signifie :


l’être humain. Maintenant, avec un peu de liberté vis à vis des
académies, et dans l’intérêt d’éveiller mes étudiants occidentaux à
la culture qui a donné naissance au Seitai, je me permets de faire
ressortir à ma façon, la profondeur qui se dissimule dans ce mot.

Le mot “Ningen” ⼈人間 s’écrit avec la structure suivante :

⼀一 : le chiffre UN [Ichi]

⼆二 : Le chiffre UN reproduit une seconde fois, donne le nombre :


DEUX [Ni]

⼈人 : UN, prend appui sur l’autre UN, et se dresse. Il y a soutien


et coopération.

Cela donne la “PERSONNE” [Hito]

Enfin, la combinaison des kanji (idéogrammes)

⾨門 : la PORTE [Mon] et

⽇日 : le SOLEIL [Hi, Nichi] donne :

34
間 : l’ESPACE, l’OUVERTURE [Ma, Aida] par laquelle passe la
lumière.

Alors, en n’engageant personne d’autre que moi, il me plaît à


penser que d’une certaine manière, au fond de la pensée japonaise,
l’être humain est celui qui œuvre en coopération avec ses
semblables pour maintenir ouvert le passage de la lumière. Dans le
Japon traditionnel, “être humain” n’est pas une condition acquise.
On le devient.

“Ningen ni natta !” J’ai parfois entendu cette expression chargée


de sens, à l’adresse de certaines personnes qui ont fait preuve
d’une transformation profonde, qui a permis de faire émerger un
aspect positif de leur personnalité. “Ningen ni natta !” signifie : “
Il (ou elle) est devenu(e) Humain(e).” Entendez, il a mûri.

A la lueur de ce qui vient d’être énoncé, j’invite toute personne qui


s’intéresse au Seitai à réfléchir à la façon dont il peut transposer
cela dans sa propre culture, l’intégrer dans sa pratique avec les
autres, ainsi que dans son évolution personnelle.
Le principe Seitai

L’être humain est un petit univers qui contient en lui absolument


tous les éléments et toutes les compétences nécessaires pour vivre,
grandir, s’adapter, s’épanouir et évoluer à travers la Vie, de façon
satisfaisante.

Si notre univers personnel est absolument complet, nos malaises et


nos maladies peuvent être compris comme le signal qu’à un niveau
placé au-delà de la conscience immédiate, notre ordre intérieur est
perturbé, et nécessite un réajustement de la perception et de
l’équilibre. Comprenez ici que tous nos désordres prennent leur
source en nous, et doivent être réglé d’un point de vue personnel et
intérieur.

Etudier le Seitai, dans un premier temps, puis, “vivre en


Seitai” (en japonais : “Seitai seikatsu”) lorsque l’expérience
s’installe, consiste à transformer notre vie en reprenant en main
l’élément le plus tangible de l’expérience humaine : le corps. Le but
ici, est de rétablir l’ordre dans notre structure afin que les
mémoires, les

conflits, et les comportements chargés de stress négatifs s’annulent.


A maintes reprises, j’ai entendu Maître Imoto dire : “lorsque
l’ordre reprend place dans le corps, quand le corps devient Seitai,
l’esprit devient doux et tranquille”. Quand le corps se détend, la

36
santé et le plaisir de vivre (avec son corps) émergent comme au
premier jour. Nous pouvons ainsi vivre librement nos vraies
valeurs.

Le Seitai s’adresse aux gens simples qui veulent être bien,

La pratique du Seitai invite le


changement. C’est à dire :
transformer un état présent
d’inconfort, de malaise ou de
maladie, en un état désiré de bien-
être, de souplesse, d’ouverture et
d’évolution.

stabiliser leur corps et leur mental, se remettre dans la vie, être


rayonnants et retrouver la joie de vivre. Dans cet esprit, le premier
degré d’apprentissage se présente d’avantage comme une
découverte, ou plutôt une initiation. Avant d'entrer dans le vaste
univers de la relation d’aide et du soin, je crois indispensable de se
familiariser, de façon pleine et intime, avec la matière première qui
concerne toutes les thérapies sans exception. Quelques soient les
termes, les théories, les connaissances et les techniques employées,
il est toujours question de la Vie. S’initier au Seitai consiste donc à
s’entraîner à reconnaître la vie et, à adopter les meilleures
dispositions à son égard.

Comment ? En apprenant à connaître la vie d'un point de vue


intérieur. C'est à dire : en retournant l'attention sur les sens.
Durant cette première étape d'initiation, l’accent est mis sur nos
capacités de stabiliser l'attention, grâce à des exercices comme
Gyôki-hô, Gasshô-gyôgi, DôKi ou encore Shinsokuhô. Ces
exercices sont d'un grand intérêt pour prendre conscience, en
profondeur, de l'état réel de notre corps. Par la suite, vient
l'apprentissage des "Taisô". Exercices corporels qui servent à
dénouer les tension du corps et à remettre en circulation la vitalité.
Initialement, les Taisô sont d'excellents outils pour s'assouplir et
apprendre à mieux sentir son corps. Un Taisô s'apprend en
quelques minutes. Cependant, comprenez que c'est par
l'application répétée des Taisô que le changement s'installe de
façon pleine et durable. C'est une stratégie d'apprentissage qui, en
développant les compétences corporelles, dispose à prendre foi en
nos capacités de nous dépasser, et de changer. Au Japon comme
ailleurs, j'ai rencontré beaucoup de gens avec le dos dur, des
membres aux mouvements limités et divers types de douleurs,
profiter de l'apprentissage des Taisô pour guérir, parfois en
quelques jours seulement. Tous ont ressenti de la difficulté. Mais
ils ont persévéré parce qu’après chaque pratique du Taisô qui leur
était indiqué, ils ressentaient un véritable soulagement qui
stimulait la certitude que quelque chose s'améliorait en eux.

Enfin, au court de l'initiation vient la partie du Seitai que j'aime


profondément : "l'écoute du ventre". Mis au point et formalisée par
Maître Imoto, "l'écoute du ventre" est l'art subtil qui nous apprend
à nous servir de nos mains pour "toucher la vie". Le toucher
spécifique de l'écoute du ventre induit le changement dans le
corps, de façon douce et profonde. Le Seitai est un art du
changement. Je pense que toute personne équilibrée comprendra
l'intérêt de savoir appliquer ces techniques de changement sur soi
avant de s'en servir sur les autres. C'est pourquoi le chemin de

38
Seitai que je suis n'est pas l'enseignement de la thérapie. Comme je
l'ai déjà écrit, mon rôle consiste à accompagner tout un chacun
jusqu'aux portes du corps en visant les capacités d’amélioration
constante de la Vie.

L’être humain tire son corps de la terre et du règne animal et, par
ce même corps, demeure associé à la Vie. Grâce à ce lien, nous
pouvons faire l’expérience du mouvement perpétuel de la Vie.
Qu’il s’agisse de l’alternance des saisons, du cycle du jour et de la
nuit, du fait de s’alimenter et d’éliminer, des rencontres et des
séparations, de l’enchaînement des pensées, des émotions, de nos
actions, du passage de la jeunesse à la vieillesse, etc, notre corps
perçoit, s’ajuste et change. Bref, nous évoluons. Le changement
nous entoure et nous pénètre. Par conséquent, quelles que soient
nos croyances et notre vision du monde, si nous voulons être bien,
nous ne pouvons pas nous séparer des règles de la Vie. Nous ne
pouvons pas “ne pas avancer”, et nous ne pouvons pas “ne pas
évoluer”, car la Vie n’attend pas. Ainsi, plutôt que subir nos
malaises et nous poser “en victimes” lorsque qu'un mal nous
atteint, le Seitai nous exhorte à nous dresser, et à saisir la Vie de
l’intérieur en nous unissant à son flot. Voici quelques principes et
visions simples pour avancer sur ce chemin.
気 - Ki
Dans l’univers du Seitai, tout comme dans l’ancien Japon, on a
coutume de dire : “le Ki, c’est la vie!” Mais sous nos latitudes, ce
mot si court présente quelques difficultés pour qui voudrait le
traduire. Ce serait trop simple de limiter son sens à l’idée
“d’énergie” comme on le fait si souvent dans le monde des
médecines alternatives. Au Japon, Ki concerne notamment un
vaste ensemble de contextes culturels qui mettent en avant la
perceptibilité des êtres vivants et/ou leur état émotionnel à un
moment donné.

Dans le langage courant, les Japonais utilisent le mot : Ki, très


fréquemment. On pourrait alors penser qu’ils en connaissent
parfaitement le sens. Cependant, je les ai souvent vu en difficulté
quand un occidental leur demandait d'expliquer ce que c'est
exactement. Tenter de définir le Ki, revient un peu à expliquer le
goût du blanc d'œuf. Tout le monde le connaît, mais personne ne
trouve les mots pour en parler. Ce n'est pas si simple car le Ki
n'existe pas en tant qu'objet matériel. Selon ce que j'ai vécu au
Japon, Le Ki se ressent plus qu’on en parle en tant que chose.
C’est ce qui se trouve au centre de la relation qu'une personne
établit entre elle-même et son environnement intérieur, et/ou son

40
environnement extérieur. Chacun est sensible à cette relation, mais
la perçoit à sa manière. Chaque jour, nous en faisons l'expérience.
Qu'est-ce qui vous permet de vous faire une idée sur un inconnu,
dès la première rencontre, avant même d'échanger un mot ?
Pourquoi la sensation est-elle différente lorsque votre partenaire
vous prend la main, ou s'il s'agit d'un policier qui vous tient par le
bras ?

La réponse est dans la perception que nous avons de nous-même,


du monde et des autres dans la relation qui s'installe. Voilà sous sa
forme la plus dépouillée ce que les Japonais appellent le Ki.

Ki est le pilier de tout l’art du Seitai. Il est dit que sans Ki, rien ne
peut exister. Pour se manifester, le Ki nécessite un rapport entre
deux parties sensibles, autant qu’un espace ouvert, ou disponible,
pour que ce rapport puisse opérer. Il est la capacité de percevoir
autant que la chose perçue. Il est la “force” qui émane d’un objet
ou d’une personne autant, que la perception que l’on a de cette
émanation.

Finalement, et afin de simplifier tout discours abscons, pour


aborder le Seitai, chacun est vivement invité à maintenir son esprit
et ses sens ouverts. Votre rôle consistera pendant un certain temps
à être attentif à votre façon de vous percevoir vous-même, vos
partenaires, et toute relation que vous vivrez. Accordez-vous le
temps de construire votre expérience. Lorsque vous serez bien
imprégné et plus familier avec le contexte culturel qui donne toute
sa valeur au Ki, vous aurez acquis une connaissance intuitive plus
fiable que de longs discours.
S’exercez à la pratique du Ki

Dôkî

DoKi est le terme utilisé en Seitai pour “conduire” ou “faire


circuler le Ki”. Lorsque nous prenons soin de quelqu'un, nous
utilisons nos mains pour éveiller son Ki (sa vitalité). Au Japon, des
scientifiques ont tenté d'expliquer que le Ki correspondrait à une
émanation de rayonnements infrarouges. C’est tout à fait possible.
Cependant, cela n’explique pas encore ce qui rend le Ki utilisable
et efficace dans la relation d'aide.

Nous avons tous la capacité de soulager le corps avec nos mains.


Nous avons tous acquis le geste naturel de poser la main là où
nous avons mal. Et personne ne l’a jamais remis ce geste en
question. L'intérêt de DoKi dépend du niveau d'attention et de la
finesse du pratiquant. En s'exerçant, on peut apprendre à
intensifier notre perception du Ki dans nos mains. Certains
trouveront cela relativement simple à faire, tandis que d'autres
nécessiteront d'un peu plus d'entraînement.

42
La pratique du Seitai inclue un exercice appelé «Gasshô Gyôgi».
Cet exercice sert pour rassembler le Ki dans les mains en vue
d'élever l'attention et la perceptibilité. Pour bien faire cet exercice,
un esprit de recherche importe plus que l'attachement strict aux
formes. Les sensations ressenties peuvent varier d'une personne à
l'autre, et d'un entraînement à un autre.

Gasshô-Gyôgi

Asseyez-vous dans une position stable et confortable. Gardez le


dos droit. Placez vos mains face à face devant vous. Imaginez que
votre souffle entre par l'extrémité des doigts en direction de la
main lorsque vous inspirez, et qu'il circule depuis la paume de vos
mains vers l'extrémité des doigts tandis que vous expirez.

Après quelques minutes, vos mains peuvent percevoir la présence


de l'autre. Il se peut que vous ressentiez de la chaleur ou une
sensation d'humidité. Vous pouvez aussi percevoir une légère
sensation d’attraction ou d’éloignement des mains, comme si vous
teniez deux aimants face à face. Ces sensations indiquent que votre
corps s'éveille à la présence du Ki. Dirigez votre attention sur les
sensations et faites de votre mieux pour maintenir la perception
avec discernement. Si cela peut vous aider, déplacez les mains
légèrement l'une par rapport à l'autre. Graduellement, écartez les
mains pour constater jusqu'à quelle distance vous pouvez
maintenir la perception. Enfin, ramenez les mains doucement.
Avant de terminer cet exercice, prenez une profonde inspiration,
puis relâchez-vous.

Pratique du Ki avec un partenaire

Demandez à votre partenaire de s'allonger sur le ventre. Placez


vos mains à une faible distance de son dos sans toucher. Tandis
que vous centrez votre attention dans votre main, déplacez celle-ci
doucement le long de la colonne vertébrale sans toucher le corps,
en commençant par les région du cou en direction du sacrum.
Arrêtez votre main là où vous sentez une différence de chaleur ou
un changement d'intensité. Maintenez votre attention à cet
endroit. Après un certain temps, vous sentirez peut-être la vitalité
devenir plus intense ou plus chaude. C’est signe que la perception
du corps s’éveille en présence de votre main. L’éveil de la
perception précède au retour de l’activité des cellules. Vous
pourrez alors continuez de chercher la sensation du Ki en
descendant le long du dos vers le sacrum. Vous remarquerez
certainement que le Ki ne peut circuler si vous êtes nerveux, tendu
ou déconcentré. Vous devez donc vous exercer dans un état
d'esprit paisible, dépourvu de pensées inutiles.

Vous développerez votre habileté grâce à une pratique


quotidienne. A mesure que vous élèverez votre perceptibilité, vous
sentirez aisément à quel endroit le corps de vos partenaires a le
plus besoin d'attention. Beaucoup de gens sur la planète laissent
entendre qu’ils disposent d’un pouvoir particulier accessible à un
petit nombre seulement. Mais la pratique de DoKi est très
naturelle et disponible à tous. Exercez-vous. Si vous êtes intègre,
vous verrez que le pouvoir n’est pas exclusivement dans vos mains.
Il est aussi et surtout dans la capacité du corps de percevoir vos

44
mains. Alors, si vous reconnaissez que le pouvoir de changer
appartient à l’autre, votre véritable compétence sera de prendre les
dispositions qui incitent l’autre à vouloir changer.
Les Taisô

Simplement dit, les Taisô, ou éducatifs corporels, sont des


exercices physiques qui tendent à remettre le corps dans la vie.
Chacun suit une ligne très précise et vise une fonction spécifique
du corps en retournant le Ki vers le centre. Les Taisôs favorisent
l’adaptation face aux difficultés de gestion organique et/ou
fonctionnelle que tout un chacun peut éprouver lors des altérations
continuelles de la vie courante (changements de saisons, rythmes
de vie perturbants, surcroît de travail, surcharge pondérale,
surmenage, choc émotionnel grave et moins grave, fatigue,
suralimentation, etc.).

Lorsqu'on arrive au Seitai pour la première fois, on présente les


Taisô comme le moyen de remettre le corps en ordre et de
s'ajuster. C’est vrai qu’il s’agit d’un outil de changement
extraordinaire pour corriger les anomalies et libérer le corps de la
douleur.

Maintenant, à un autre niveau, les Taisô présentent un


remarquable intérêt. Comme un petit nombre de gens aujourd’hui,
je pensent que le corps et l’esprit sont la même chose. En tant
qu’êtres humains, notre façon de penser et d’agir active et stimule
dans notre cerveau des circuits spécifiques de neurones. Nos
attitudes et nos pensées répétitives font que certaines parties de
notre cerveau sont continuellement stimulées tandis que d’autres

46
s’endorment. Selon les travaux de John Hagelin et Fred Travis,
l’engourdissement de ces zones du cerveau correspond à des
“trous”. N’imaginez pas des trous vides sans matière, mais plutôt
des zones où les neurones “n'allument” plus. Cela a des
répercussions inévitables sur la communication entre le cerveau et
le reste du corps jusqu'au niveau cellulaire. J'en déduis que les
engourdissements et les anomalies qui s'expriment dans le corps
sont les répliques exactes des zones de notre cerveau qui ne sont
plus activées.

Finalement, tel que je le comprends, en mobilisant et en stimulant


certaines parties du corps, les Taisô stimulent l’éveil du système
nerveux à travers tout le corps jusque dans les zones endormies du
cerveau. Lorsque le cerveau se réveille dans un corps délié et
détendu, il exécute la fonction pour laquelle il existe : programmer
l’équilibre et la santé.

Voilà comment les Taisô et tous les exercices de Seitai, visent à


nous permettre de reprendre notre corps, notre vie et notre
destinée en mains.
Taisô à découvrir

GyoKihô

GyoKihô est un exercice qui, en se servant de la respiration, nous


entraîne à tourner notre attention sur la perception du corps et sur
les mécanismes internes qui s’activent en nous. Cet exercice a pour
première utilité de recentrer l’attention sur soi, là où elle doit
résider en premier lieu pour être bien. Par exemple, il s’agit d’une
excellente pratique pour toute personne sujette à la dispersion, au
manque d’attention et à la dévalorisation de soi.

Comment?

A force de pratique, vous pourrez accéder à la possibilité de


percevoir comme un “espace” à l’intérieur de vous. Exercez-vous,
et laissez-vous pénétrer par la sensation que procure la présence
de cet espace en vous. Peut-être, vous pourrez y reconnaître
l’élément subtil qui vous rattache à la vie. En sa présence, le
souffle emplit le corps, tandis que la colonne vertébrale se détend
et se redresse. Progressivement, la sensation d’être présent dans

48
son corps émerge d’elle-même, dissipant la douleur, et rassurant les
esprits instables et/ou tourmentés.

Equipé d’un système sensoriel extrêmement sensible et précis, le


corps reconnaît, au-delà de notre conscience, l’état réel de sa
vitalité, sa résilience et sa possibilité de mouvement. En plaçant
posément votre attention sur la perception de votre corps grâce
aux mouvements de la respiration, vous parviendrez à observer de
l’intérieur, vos tensions et leur conséquences sur votre bien-être.
L’espace que vous pouviez ressentir avant est ici, restreint et
comprimé. La respiration est douloureuse, mal aisée, voir même
inexistante. En silence, observez vos anomalies (tensions et
raideurs) une à une sans lutter, ni juger. Si vous êtes perspicaces et
savez persévérer, vous pourrez ressentir les tentatives du corps
pour relâcher ces tensions et se réajuster. Vous découvrirez
aisément que vos raideurs 1 2 agissent comme des systèmes de
1 défense
- I n s p iquir a tcréent
i o n :des interférences entre le désir
déplacez
spontanél’attention
du corps en de s’ajuster, et votre manière de
s uviivvarnet . l L
a ac oml oanlnaed i e n’apparaît plus comme un
vertébrale,
s i m depuis p lle e dysfonctionnement biologique
sommet
o u m éde c ala
n i qtête
u e ,vers
mais comme une attitude incorrecte
leface
coccyx.
à la vie.
2-Expiration
Le corps veut: relâcher
vivre. C’est la nature spontanée de la vie.
l ePratiqué
d o s e avec
t l a iassiduité,
sser GyoKihô est l’exercice le plus
l’attention
simple pourremonter du à
vous aider vous dépouiller des systèmes
basd e d é f e n s e le
du dos vers qui compliquent et embrouillent
sommet de la tête.
votre vision intérieure, et limitent votre capacité à être
bien.
Pratique

- Assis dans une position confortable pour vous, sur une chaise
(sans vous adosser) ou à la mode japonaise sur les genoux,

- fermez les yeux, et faites comme si vous respiriez depuis le haut


du crâne (la fontanelle) en aspirant l’air dans votre corps.
- Commencez par vous familiariser à la sensation du crâne, et
laissez votre dos se révéler à votre perception, au rythme de la
respiration.
- Partout où vous percevez un raidissement, une perte de
sensation, ou bien une douleur, placez votre attention à cet endroit
précis et observez sans juger. Laissez faire.
- Lorsque vous arrivez au seuil de percevoir que ces raideurs sont
une partie de vous, plutôt que lutter contre, acceptez ce fait. Vous
découvrirez rapidement que votre corps est déjà prêt à s’ajuster et
à se détendre.

1 : Allongé(e) sur le dos. 2 : Saisissez la main gauche


avec la main droite.

50
C-Taisô

Exercice d’étirement très simple, en étirant les membres et la


colonne, C-Taisô a cependant l’intérêt de délasser le corps et de
clairement faire percevoir toutes les anomalies ignorées de notre
conscience.

C-Taisô a notamment pour effets d’assouplir les muscles les plus


fatigués, ainsi que les vertèbres où s’accumulent les tensions et
3 a l’épuisement. Excellent
: Bras tendus, les le matin, il4 ne
épaules au prend laquepointe
: Placez 3 ou du4 minutes
pied
sol, avant
montezdelescommencer la journée.
bras et placez les gauche sous le pied droit. Etirez
mains loin derrière la tête, et vous. Sentez votre hanche se
étirez-vous. cambrer, et la colonne travailler
3 b : Rassemblez les omoplates au niveau des raideurs.
dans le dos, tirez les pointes de
pieds vers vous, et étirez-vous
davantage.

5 : Maintenez l’étirement, puis 6 : Comme un arc qui tire sa


inclinez vers le côté droit flèche, lâchez tout d’un coup.
comme un arc qui se tend. Reprenez votre souffle, re-
Etirez vous, encore, et encore, positionnez-vous.
et encore dans le sens de la Recommencez deux fois de
longueur. chaque côté.
1 : Position de départ : allongé(e) 2 : Montez lentement le pied
sur le ventre. gauche le plus haut possible, en
gardant la jambe bien tendue.

52
Libérer les genoux douloureux

Exercice d’étirement très simple, en étirant les membres et la


colonne, C-Taisô a cependant l’intérêt de délasser le corps et de
clairement faire percevoir toutes les anomalies ignorées de notre
conscience.

C-Taisô a notamment pour effets d’assouplir les muscles les plus


fatigués, ainsi que les vertèbres où s’accumulent les tensions et
l’épuisement. Excellent le matin, il ne prend que 3 ou 4 minutes
avant de commencer la journée.
54
Troisième partie
Mon chemin de Seitai

56
Le langage silencieux du corps

Paris le 21 janvier 2002

Quand on prend goût au Seitai, il n'est pas rare d'être intrigué,


puis captivé par des petits signes apparemment sans importance
pour la plupart des gens. Pourtant, si l'on est attentif, un simple
détail peut aider à saisir ce qu'il y a de profond chez une personne.

Il y a peu de temps, j'avais rendez-vous avec un ami sur la place de


l'Opéra de Paris. Comme j'étais en avance, je me mis à observer les
passants devant moi. Sans a priori, je choisissais une personne
dans la foule, et j'essayais de déceler un signe particulier dans sa
façon de se tenir et de marcher. En partant de la ligne médiane du
corps, j'observais les proportions autour de cet axe et, comment les
tensions se répartissent depuis le centre vers les extrémités et
inversement. Avec suffisamment de recul, on peut être amusé de
constater combien l'expression du visage va de paire avec l'attitude
du corps.

Une personne au visage ouvert et épanoui se tient naturellement


droit. Les épaules sont relâchées et le thorax bombé. La

58
respiration est souple et profonde. Comme le corps n'est soumis à
aucune tension, on a l'impression qu'il se dresse en s'ouvrant. Le
ressort des hanches donne à la marche une impression de légèreté
et un air presque joyeux. Il suffit de regarder les enfants pour
comprendre.

Sur une personne fatiguée, les épaules tombent en avant. Le dos se


voûte et le bassin bascule en arrière. Les jambes paraissent
lourdes. Les souliers s'usent autour des talons et sur les bords
extérieurs des semelles. Les traits du visage sont tirés, signe de
fatigue et d'épuisement.

Les personnes stressées ont les épaules raides. Leur marche est
rapide et saccadée. L'espace entre les pas paraît plus court. Les
chevilles, les hanches et le cou se raidissent. On a l'impression que
le corps bouge de façon rigide comme un robot. Leur respiration
est brève et superficielle. Ils s'impatientent rapidement contre la
foule et leur rythme n'est pas en harmonie avec les autres.

La marche des personnes âgées est encore plus particulière. Plus le


corps vieillit, plus il se ramasse sur lui-même. Le dos se voûte et les
hanches s'affaissent. Le regard se tourne vers le sol. On voit moins
loin. De fait, on anticipe moins rapidement. Les hanches n'ont plus
de ressort. La marche devient plus lente et moins assurée. Pour
regarder sur les côtés, un jeune tourne la tête. Une personne âgée
tourne son corps en piétinant sur place.

Debout, certaines personnes joignent les mains dans le dos. Cette


attitude permet notamment de redresser le thorax lorsque la tête et
les poumons sont fatigués. Dans cette position, les omoplates sont
comprimées en arrière et, affichent malgré nous une certaine
rigidité de la pensée. D'ailleurs au cinéma, cette attitude sert
parfois de cliché pour interpréter les maîtres d'école de
l'ancienne génération ou un personnage soucieux. Notez que
plus une pensée investit le mental, plus la tête et le corps penchent
en avant. N'est-il pas fascinant de constater combien une pensée
qui ne pèse rien peut imposer tant de pression au corps ?

Les épaules reflètent entre autres l'état du thorax et des principaux


organes qu'il contient (poumons - cœur). Elles soulignent aussi un
trait de caractère ou un aspect psychologique. Une personne aux
épaules détendues a une respiration profonde. Si les hanches sont
souples et élastiques, la respiration descend jusque dans le ventre.
Il s'agit de quelqu'un de calme et posé, Capable d'écouter avec
une attention soutenue, sans pour autant perdre de vue son
objectif.

Des épaules raides sont plutôt signe d'impatience. La respiration


est plus superficielle, le corps est tendu comme sur la défensive.
Chez les personnes minces ou de petite taille, il n'est pas rare que
cette attitude se transforme en agressivité. Une épaule a tendance
à passer en avant tandis que les traits du visage se referment. Si les
hanches et le ventre sont forts, cela donne à la personne un air fier
et hautain. Dans le cas contraire, on risque de faire face à un
personnage aigri et acariâtre. Lorsque les épaules s'écartent du
centre (la colonne vertébrale), le corps devient plus fatigable. Les
coudes s'éloignent des flancs. Les poignets et les doigts se crispent
comme si inconsciemment le corps tentait de résister à son propre
poids. En vieillissant, il arrive souvent que les omoplates se
durcissent. On respire mal et peu profondément. L'individu
devient bougon, têtu et manifeste beaucoup d'insatisfaction.

Bien entendu, ce ne sont là que des généralités. Sachant que


chacun est un cas particulier, il y aurait beaucoup à dire, car il
existe une multitude de nuances entre deux personnes. Cependant,
ces constatations m'incitent à penser la chose suivante : "au
niveau inconscient, la manière dont nous tenons notre corps,
reflète la perception que nous avons de nous-même dans
l'action de faire face à la vie". Il est évident que notre corps
s’accorde à notre façon de vivre. Si des raideurs s'installent

60
en nous, nous pouvons soit assouplir le corps pour libérer le
souffle, soit corriger la perception que nous avons sur un
aspect de notre vie. Quelque soit le chemin que nous
prenons, le corps se tiendra toujours à la mesure de notre
épanouissement.
Mieux se sentir
pour se sentir mieux

Paris le 05 mai 2002

Il y a deux semaines, j'ai fait une expérience très intéressante qui


m'a incité à approfondir certaines réflexions que j'avais déjà
entamé lorsque je voyageais autour du monde. J'étais à Londres
avec un petit groupe de dames qui étudient le Seitai sous la
direction de Kazemaru YUKAWA, praticienne diplômée de
l'institut Imoto Seitai de Tokyo.

Là, une dame d'une quarantaine d'année m'a demandé très


gentiment : "Olivier, quel état d'esprit faut-il avoir pour prendre
conscience de son corps comme vous l'écrivez dans votre
newsletter ?"

Cette question si simple me fit presque sursauter. A vrai dire, après


avoir passé presque dix ans sous la direction de Maître IMOTO,
je n'avais jamais envisagé le Seitai sous cet angle typiquement
occidental, et j'ai eu malgré moi une réaction très japonaise. Je lui

62
dis : "je ne sais pas quel état d'esprit il faut pour ressentir son
corps, mais dès maintenant, tel que vous êtes assise, pouvez-vous
sentir vos hanches?"

Instantanément, je la vis cligner des yeux comme si son cerveau se


mettait à exécuter des opérations de façon inhabituelle.
Spontanément, elle dressa la tête, puis le cou, puis le torse, pour
enfin s'asseoir bien droite sur sa chaise. Il ne fallut pas plus de cinq
secondes pour voir que, sans même y penser, elle accompagnait sa
respiration jusque dans ses hanches. La réaction ne se fit pas
attendre. A son grand étonnement, elle découvrait qu'elle pouvait
sentir ses hanches de l'intérieur sans que cela demande le moindre
effort intellectuel.

Surprise, elle s'exclama: "Ouah ! Je n'avais encore jamais visité


cette partie de mon corps de cette façon là!" Pendant les minutes
qui suivirent, elle continuait d'apprécier avec enthousiasme la
sensation que lui donnait la perception intérieure de son propre
corps.

Désormais, c'est devenu une habitude très fortement ancrée chez


nos contemporains de vouloir tout appréhender par la force de
l'esprit. Certes, notre intelligence nous permet d'aborder et de
nous ouvrir à des dimensions infinies. Cependant, plus nous
élargissons notre savoir, plus nous risquons d'élaborer une
compréhension abstraite du monde et de notre propre existence.
Nous devenons extérieurs à nous-mêmes. A cause de cela, il
devient de plus en plus difficile de penser simplement, et nous
perdons une qualité essentielle des êtres vivants : "ressentir la vie
par les sens". Or, plus nos sens s'engourdissent, plus il faut
recourir à l'intellect et au "savoir" pour se donner un sens à soi-
même et une raison d'être. Par ce processus même, la santé se
perd. Finalement, elle devient une quête quand nous oublions qu'il
s'agit d'une qualité intrinsèque à la vie.
En vérité, aucun état d'esprit particulier n'est nécessaire pour
ressentir son corps. Il suffit d'être attentif à soi-même, voilà tout.
Quand on s'offre un peu d'attention, notre corps se redresse,
tandis que les sens s'éveillent. Le corps perçoit en lui les zones
défaillantes où la vitalité doit se mobiliser s'ajuster avec précision.
Tandis que la vitalité se répartit pour rétablir l'équilibre, émerge
spontanément une perception de soi qui vient de l'intérieur. Quand
l'attention retourne sur les sens, on peut sentir très naturellement
le corps à l'œuvre pour se libérer et recomposer l'équilibre. Arriver
à mieux se sentir, aide naturellement à se sentir mieux. Il n'y a rien
de magique à cela. L'état d'esprit auquel on aboutit n'est donc pas
un but en soi, mais une condition naturelle du corps en éveil.

Je pense que l'excès de réflexion sur les conditions de l'éveil


retarde la possibilité de s'éveiller. Bien souvent, on cherche à
comprendre le fonctionnement de l'expérience dont parlent les
sages de tous pays, au lieu de se livrer pleinement à l'expérience.
On se lance dans une gymnastique intellectuelle absconse qui
inhibe les sens et engourdit le corps. Le corps trouve son équilibre
par la perception qu'il a de lui-même et de son environnement.
Tant qu'il est souple, il prend plaisir à vivre. Il extériorise son
plaisir en prenant l'attitude ou le comportement d'être bien.

A la différence des autres animaux qui peuplent la terre, j'ai idée


que l'être humain semble avoir développé la faculté d'utiliser son
cerveau pour analyser le monde qui l'entoure sans lier celui-ci à
son propre fonctionnement. D'où la profonde dichotomie entre
l'être et le mal-être qui caractérise un grand nombre de gens dans
nos sociétés modernes.

Quoiqu'il en soit, je regardais cette femme prendre du plaisir à


reconnaître son corps de l'intérieur. Elle semblait sincèrement
apprécier l'expérience. Plus sa perception se clarifiait, plus son
corps se dressait, ses épaules se détendaient tandis que son visage
s'adoucissait . Ses traits devenaient plus gais, plus jeunes et plus
lumineux. Quelques minutes plus tôt elle se tenait courbée, l'air

64
fatiguée. Maintenant elle libérait son charme. J'en conclus que
lorsque l'être humain sait se tenir, il devient beau naturellement.

Puisque vous prenez la peine de lire ces lignes, voulez-vous vous


livrer à une petite expérience? Dès maintenant, tel que vous vous
tenez, pouvez-vous sentir vos hanches?
Le temps qui passe

Paris le 21 décembre 2001

Quand j'avais 12 ou 13 ans, il y a de cela à peine plus de vingt ans,


je m'étais laissé séduire par les paroles d'une chanson d'un artiste
très populaire à cette époque. Mes parents avaient le disque dans
leur collection et je me souviens l'avoir écouté souvent quand
j'étais seul. Il était question du temps qui part doucement quand
on a passé vingt ans. J'entrais dans l'adolescence et à cet âge je me
souciais peu de la vie qui passe. Au contraire, comme tous les
enfants, je mordais dedans à pleine dents. Je ne comprenais pas
bien le sens profond des paroles. Pourtant, le ton lyrique de cette
chanson laissait présager qu'un jour ou l'autre, je serai moi-même
confronté à cette prise de conscience.

Depuis tout petit, j'ai une sorte de fascination pour mes aînés,
surtout pour les personnes âgées. Encore aujourd'hui, ceux qu'on
appelle "les vieux" continuent de soulever des émotions fortes que
j'essaie peu à peu de comprendre en tentant de répondre à ma
question d'enfant: "qu'est-ce qui, outre les apparences, les rend
différents des autres adultes?"

66
Pendant toutes mes années d'études à Tokyo, Maître Imoto nous a
enseigné (et enseigne toujours) un exercice respiratoire basé sur la
perception du Ki et destiné à sensibiliser un individu à sa propre
condition: gyôki-hô. En soi, le principe est simple. Il suffit de
concentrer son attention sur sa colonne vertébrale en s'appuyant
sur la respiration pour sentir et aider le Ki à circuler le long du
dos. A moins d'être extrêmement sensible, on ne comprend pas
toujours de quoi il s'agit à la première tentative. Il faut essayer
encore et encore. Cependant, en persévérant, n'importe qui peut y
parvenir. Pour simplifier, je dirais qu'il n'y a qu'à se concentrer sur
sa respiration et sentir celle-ci se propager depuis la cage
thoracique à travers tout le corps. Si au début on ne ressent que le
mouvement du thorax, avec un peu d'attention, on ressent vite ce
mouvement se propager dans les hanches et dans l'abdomen. Puis,
de loin en loin, on peut percevoir jusqu'aux extrémités des
membres. Là où le corps ne participe pas à la respiration, il y a
raideur et engourdissement de la force vitale. Vous pouvez faire
l'expérience maintenant pendant que vous êtes assis en lisant ces
lignes, sur le quai du métro ou n'importe où ailleurs. Il suffit d'être
attentif et centré. Cela, tout le monde peut le faire.

La pratique de GyôKi-hô liée à l'expérience, mène à constater


certains changements particuliers. Avec le temps, la respiration, la
stature, la souplesse de certaines vertèbres et de certains muscles
changent de façon très subtile. Puis un jour l'évidence se présente
à notre compréhension, simple et directe: "c'est donc ainsi que je
vieillis".

Personnellement, j'apprécie cet exercice parce qu'il fait prendre


conscience de soi- même dans son corps. Il permet aussi de
prendre du recul quant à la notion de fatalité qui accompagne la
maladie. Je veux dire par là que les changement du corps à travers
le temps sont inhérents à notre façon de vivre, à nos manies, à nos
activités quotidiennes, à nos expériences et ce que nous en
retirons, à la façon de s'ajuster au passage des saisons, ainsi que
l'importance que nous accordons à tout ce que nous vivons.
En soi, vieillir est une expérience irremplaçable. Puisque personne
n'y échappe, pourquoi ne pas en tirer partie pour apprendre et se
faire plaisir, en transformant l'inévitable en un jeu qui lie attention,
adresse et stratégie. Un jeu ou toute action commence par soi,
engage tout en soi, et où toute cause et réaction ramènent
finalement à soi. A une époque où tout s'accélère, je crois
nécessaire et utile de savoir reconnaître comment notre corps se
raidit. Que doit on changer en nous pour préserver notre souplesse
et notre vitalité. Savoir écouter son corps apporte également un
peu de sérénité et de silence intérieur, nécessaire dans le brouhaha
permanent qui nous entoure. Inutile pour cela de se livrer à des
exercices ésotériques compliqués, car tout ce que nous connaissons
du monde passe par la perception que nous avons de nous-mêmes.

Il y a quelques années j'ai fait une expérience qui m'a beaucoup


marqué. J'étais en Allemagne où je dirigeais un stage pratique. A
la fin du stage, une participante m'a demandé de recevoir sa mère
âgée de 77 ans. Elle savait que sa mère arrivait au bout du chemin
et demandais seulement un peu d'attention. La vieille dame est
venue s'allonger devant moi. Pendant la rencontre, je pouvais
ressentir sa main froide posée sur mon genou. C'était un froid
intense et pénétrant que j'ai continué de ressentir longtemps après
la séance. Cela m'a rappelé comme ma grand-mère était frileuse.
Beaucoup de personnes âgées craignent le froid. Avec l'expérience,
j'en déduis que plus le corps avance dans le temps, plus il se raidit.
Plus le corps se raidit, plus la vitalité stagne et dépérit. Les tissus,
les organes, les glandes hormonales perdent leur dynamisme. Les
cellules s'endorment et le corps se refroidit. Les mouvements, les
réflexes deviennent plus lents et demandent progressivement plus
de préparation. En conséquence, on atteint vite son seuil de
tolérance. Cependant, même si l'on s'endurcit avec le temps, je
pense qu'on n'en apprécie pas moins la chaleur des autres.

Un enfant se développe et grandit spontanément poussé par son


désir inné de vivre. Arrivé à maturité, il continue d'évoluer sur sa
lancée faisant paraître tout ce dont il est porteur. Puis, quand la

68
vitalité vient à manquer, il s'appuie sur la compétence qui a fait, sa
vie durant, le meilleur de son identité.

Comme une boule lancée en plein air qui se détache en éclats de


lumière avant de disparaître dans l'obscurité de la nuit, parfois je
vois la vie comme un magnifique feu d'artifice. Il suffirait que
chacun ose faire jaillir le meilleur de lui-même. Et, quand la vitalité
est entièrement consumée, dans la paix disparaître.

Il me semble que le temps ce n'est pas seulement le passage des


saisons ou l'alternance du jour et de la nuit. Ce n'est pas
exclusivement cette chose immatérielle que l'on mesure à l'aide de
cadrans et de valeurs économiques. Tant que nous ne sommes pas
conscients de nos vraies valeurs, l'attachement à ces mesures
risque de nous détourner du "sens" de la vie. Ainsi, le temps nous
échappe. A mesure que le temps passe, notre rythme de vie doit
s'ajuster à nos cadrans, au point de rendre rigide les individus
autant que les sociétés.

Je pense que les notions de temps se rattachent avant tout à la


perception que l'on a de la vie qui s'écoule en nous. Nous en
sommes tous plus ou moins conscients, mais l'intensité dont on vit
la vie fait toute la différence.

Autrefois Maître Imoto me disait: "il faut aimer la vie, et vivre


intensément. Autrement on perd son temps!" Ce qui est passé ne
revient pas. Ce qui n'est pas vécu ne se perpétue pas. Le plaisir de
la vie se trouve dans la saveur que nous tirons de nos expériences.
Voilà ce que je tire de mon parcours, et voilà pourquoi je désire
transmettre ce que m'a appris Maître Imoto.
Leçons d'humilité

Tokyo le 23 octobre 01

Le 1er novembre 1998, je partais avec quelques amis découvrir le


continent indien. Ce voyage marquait la fin d'un long séjour au
Japon. Dix années passées dans l'un des pays les plus développés
au monde. Je quittais Tokyo riche en yens et fort de mon "savoir"
de praticien. Pourtant en y repensant, il me semble que j'ignorais
tout du goût de l'aventure et de la vie.

Arrivé en Inde, je vis la misère dépasser de loin l'idée que je m'en


faisais, parfois avec une telle brutalité que ça soulevait le cœur. J'ai
vu des gens sans jambes ni bras, ramper sur le sol. J'ai vu des
petites filles et de vieilles femmes mendier en portant un
nourrisson dans les bras. J'ai aussi vu des contorsionnistes, des
illusionnistes, se déformer volontairement pour inspirer la pitié et
soutirer aux touristes crédules quelques deniers de plus.

Dans le village des pauvres de Manali, mon amie Sophie,


voyageuse avant la lettre, et moi-même avons été reçus comme des
rois par les villageois à qui nous apportions un énorme sac rempli

70
de vêtements pour enfants. Bien maigre don si l'on considère
l'ampleur de la misère. Pourtant, ceux qui, à première vue ne
possédaient rien, nous ont accueilli chez-eux et nous ont tout
donné. Devant des cœurs si chaleureux, je ressentais comme un
honneur d'être invité à pénétrer leurs demeures. Puis un jour, aux
abords d'un petit marché, j'ai vu un Naja se dresser droit devant
moi. Je ne l'avais pas tout de suite remarqué. Mais lui semblait me
regarder sans bouger, la crête gonflée, ses petits yeux noirs fixés
sur moi sans expression. Il était là, à un pas de moi, la tête à
hauteur de ma cuisse et l'on s'est observés, figés dans une
impression de silence absolu pendant quelques secondes, ou peut-
être plus. Je ne saurais dire. Puis le charmeur a rappelé son
serpent comme on renvoie son toutou à la niche. Quant à moi, je
suis retourné à l'auberge où je passai une longue partie de la nuit
prostré. Ma vie aurait pu finir là, à l'autre bout du monde, et je
prenais conscience que jusqu'à ce jour je n'avais jamais vraiment
vécu.

J'ai eu un autre déclic sur ma vie alors que je me trouvais dans un


petit village de l'Himalaya. Mon ami japonais Sugi-chan s'était
tordu le poignet. Mais, soucieux de ne pas me déranger, il avait
passé la nuit sans m'en parler. Le lendemain, comme il souffrait
vraiment, il vint me montrer son poignet enflé. En voyant sa
blessure, une luxation classique, je pensais: "ça, je sais comment
faire". Il suffit d'étirer les segments pour désarticuler les os du
poignet et utiliser l'élasticité des muscles et des tendons pour
rétablir l'ordre. C'est une technique très simple. Je l'avais
pratiquée et même enseignée des dizaines de fois. J'appliquai donc
la "technique" comme il faut le faire. Le poignet s'assouplit, mais il
restait une gène au niveau des carpes. Je refis la même technique,
une seconde fois, puis une troisième fois, mais rien n'y fit.

Dans une telle situation comme dans toutes les situations où un


malade ne guérit pas "comme prévu", une erreur courante est
certainement l'entêtement.
Nous étions assis en plein air à la terrasse d'un petit café à flanc de
montagne, emmitouflés dans nos pulls attendant que le soleil
vienne réchauffer la vallée. L'Himalaya nous entourait de toute
part, tandis que résonnaient en écho les cloches des temples. Les
offices du matin commençaient. Nous avions invité à notre table
un Saddhu, un moine errant qui, comme le veut son culte, avait
renoncé à toute possession en ce monde. Il me regardait
silencieusement et voyait bien comme j'étais "empêtré". Alors, il
tendit la main et demanda s'il pouvait nous aider. Très
naturellement il enlaça ses doigts autour de ceux de Sugi-chan,
secoua le poignet comme il m'avait vu faire et, en un tourne main,
démis le blocage. Puis il me regarda gentiment l'air de dire: "c'est
ce que tu voulais faire ?". Là, passez-moi l'expression: "j'ai pris une
claque!" J'ignore s'il avait des connaissances en soins. Ce qui ne
serait pas surprenant pour quelqu'un entièrement livré à lui-même
et soumis aux caprices de la vie errante. Mais l'important pour moi
fut de réaliser que là où je m'étais obstiné à obtenir un résultat à
partir d'une connaissance technique, il était intervenu avec
simplicité et détachement. C'est à dire: sans tensions. Alors,
humblement, sans me renfrogner, je le remerciai pour la leçon.

Ce qui m'a le plus profondément marqué en Inde, c'est avec quelle


résilience ce peuple se tourne vers la vie. Je ne parle pas au sens
spirituel, mais dans le sens où chaque jour vécu est un pas de plus
à travers les mailles d'un implacable filet. L'image d'un homme
tronc se tortillant sur le trottoir son écuelle à la bouche, hélant les
passants pour quelques roupies peut paraître déprimante,
offensante, peut-être même révoltante. En tous cas, ça ne laisse pas
indifférent. Certains, incapables d'admettre cette réalité, voudront
changer le monde pour la paix et l'égalité de tous les hommes.
Mais qu'est-ce que la réalité sinon ce qui se présente à

nous ? En ce monde, la misère est immense. A première vue ce


pauvre errant paraissait avoir la trentaine, le visage et le corps
noirs de crasse, marqués par les efforts. Je pensai: comment peut-
on survivre ainsi ? Comment est-ce possible ? Car même sans bras

72
ni jambes, ses besoins ne sont pas moins humains. Et moi-même,
pourrais-je vivre ainsi ? Si nous nous posions tous cette question,
je pense que notre réponse déterminerait notre futur.

En dépit des circonstances, j'ai admiré la force de vivre de cet


homme et la manière dont son corps s'accordait pour soutenir sa
volonté. Et je pense que parfois le malheur et la pitié ostensible
sont des notions partiales face à la capacité qu'a le corps de
maintenir sa survie. Une fois que l'on a reconnu cela, détourner le
regard ou donner l'aumône est un choix strictement personnel qui
ne se discute pas.

Je ne pense pas que cette qualité de survivre soit exclusive à


l'Inde. Je pense qu'on la retrouve naturellement partout où
l'existence est difficile, où les conditions de vie sont dures, voir
hostiles et où, faiblir c'est abdiquer. Même sous nos latitudes, ce
n'est pas si rare de voir des gens croulant sous toutes sortes de
difficultés faire preuve d'une étonnante vitalité. Au lieu de
s'apitoyer, ils se dressent.

Aujourd'hui, loin de prétendre être maître, j'ai plaisir à donner


mon aide à qui la demande. Cependant, avec l'expérience,
j'apprends à prendre du recul, et je me demande: "pourquoi cette
personne est là maintenant ? Pourquoi faut-il qu'elle soit malade
maintenant? Qu'est-ce que cela signifie dans son existence
propre ? A quel niveau de sa personnalité s'est assoupie sa
véritable capacité à être bien ?" En vérité, je ne sais que peu de
choses, mais je pense que se poser la question peut nous éclairer
sur nous-mêmes.
Désapprendre le savoir

Tokyo 1er octobre 2001

Le week-end dernier, j'étais invité à participer à un festival de rock


qui se tenait dans les montagnes de la région de Nagano. Ne vous
méprenez pas, je n'étais là ni pour chanter, ni pour jouer au "DJ",
mais pour m'occuper de l'infirmerie durant les trois jours du
festival. A vrai dire, improviser l'infirmerie me semble le terme le
mieux approprié. Personne, parmi les sept autres bénévoles,
n'avait la moindre connaissance en secourisme, et nous disposions
pour seuls outils de travail d'une boite d'anti-inflammatoires, de
quelques mètres de bande de gaze et d'un rouleau de sparadrap.
Dans de telles conditions, soit on prie pour que rien de grave
n'arrive, soit on démissionne avant le premier drame. Surtout si
l'on réfléchit aux responsabilités à endosser par la suite.

A peine installés dans notre bungalow de garde, les premiers


blessés ne se firent pas attendre. Cela allait de l'ongle du gros orteil
arraché, à la lombalgie, en passant par une entaille superficielle
dans le creux de la main, une luxation de la cheville, une crise de
foie, etc. Voyant qu'absolument personne parmi les membres

74
présents ne savait comment répondre à toutes ces difficultés, je
pris sur moi de m'occuper de chaque visiteurs l’un après l’autre en
donnant des instructions bien précises à ceux qui devinrent, pour
quelques jours, mes assistants. J'avais pitié de ces jeunes gens
blessés (principalement par manque d'attention) alors qu'ils
venaient pour faire la fête. Mais en même temps, j'exaltais de
pouvoir éprouver ma maîtrise des techniques que j'ai mis
longtemps à apprendre.

En fin de journée, le plus éveillé des sept qui m'avait observé en


silence, vint me voir en disant: "c'est incroyable ce que tu fais juste
avec tes mains. Comment est-ce possible d'arrêter une hémorragie
comme ça sur le champ? Comment as-tu fais pour soulager cette
jeune femme qui a eu l'ongle arraché?" Fatigué, je n'avais pas
envie de me lancer dans des explications longues et fastidieuses
qu'il aurait oublié au petit matin. Comme il s'assit, je lui pris le
pied. Je saisis immédiatement à la racine entre le second et le
troisième orteil, un petit durillon que je pinçai progressivement. Je
le fis de manière à créer une douleur vive et pénétrante qui
remontait le long de la jambe jusque dans la hanche puis dans
l'abdomen. Je dis: "tu vois, quand tu es fatigué après une soirée
trop arrosée, ton foie s'engourdit, tes reins se fatiguent. Ta hanche,
ta jambe et ton pied deviennent durs jusqu'à cet endroit". Je lui
saisis un autre durillon très sensible juste au-dessus de
l'articulation du genou. Cela le surprit et il demanda prestement:
"comment savais-tu que j'avais mal au genou?" "Je ne le savais pas,
mais si l'on observe avec attention, n'importe qui peut s'en rendre
compte." Devant un blessé ou un malade, la plupart des gens ne
savent que faire. Ils paniquent et dispersent leur attention dans
toutes les directions sans que cela n'aide en rien celui qui souffre.
Si nous sommes

conditionnés par l'idée qu'il faut faire quelque chose, on risque fort
d'agir n'importe comment. Le corps souffre quand la vitalité fuit
vers l'extérieur. C'est ce qu'on appelle communément un
déséquilibre. De façon appropriée, il faut stopper la fuite de la
vitalité et retourner la force du corps vers l'intérieur. C'est cela qui
permet de guérir. Réveillé par la pression que j'exerçais sur son
genou, mon jeune assistant acquiesça. C'est amusant de constater
comme le simple fait de ressentir avec son corps permet de
résumer de longues explications.

Il dit qu'il connaissait plusieurs personnes qui pratiquaient la


physio, les massages ou le shiatsu. Mais il n'avait encore jamais
rien expérimenté de semblable. Il fut encore plus déconcerté
quand j'insistai pour qu'on appliqua une compresse chaude sur la
peau d'un garçon brûlé avec de la cire de bougie. Je revenais de la
cantine et trouvai ce pauvre garçon, énorme glaçon posé sur le
visage. On m'expliqua succinctement l'accident. Sans attendre, je
lui retirai le glaçon des mains, et l'installai sur le ventre pour
appliquer ce que l'on appelle en Seitai: "senkotsu shock" (un choc
sur le sacrum). Correctement appliqué, cette technique réduit, voir
élimine la douleur causée par la brûlure. Elle évite aussi de laisser
des marques indélébiles sur la peau. J'avais déjà vu Maître Imoto
appliquer cette technique sur certains patients profondément
brûlés, et j'ai moi-même eu l'occasion d'en faire usage à plusieurs
reprises.

Après le soin, je dus sévèrement insister pour qu'on appliqua une


compresse chaude sur la peau de ce garçon. Shida, mon "assistant",
n'en revenait pas. "D'habitude on met de la glace sur une blessure.
Pourquoi fais-tu le contraire?" me dit-il. Je répondis: "as-tu touché
sa blessure? As-tu jamais touché une blessure? T'es-tu jamais
demandé pourquoi le corps chauffe en provoquant une fièvre
localisée à l'endroit blessé ? C'est vrai qu'on peut appliquer de la
glace dans les deux premières heures. Mais en vérité, le corps est
tellement actif à cet endroit que chauffer ou refroidir ne change
pas grand chose. Maintenant, une fois qu'on a porté le soin
approprié, il vaut mieux réchauffer. Cela aide à détendre les tissus,
et le corps guérit plus rapidement". "Tu vois" ajoutai-je, "le corps
des êtres vivants (des mammifères) est chaud. Pour rétablir
l'équilibre et maintenir sa souplesse, la température augmente.

76
C'est le même principe lorsque tu t'enrhumes. En revanche, la
chaire d'un cadavre est raide. Comme il n'y a plus d'énergie active
à l'intérieur, il devient froid. Donc, constamment refroidir une
blessure avec de la glace équivaut à inviter le corps blessé à se
raidir et à se tourner vers la mort". Il réfléchit puis demanda: "alors
pourquoi tout le monde fait le contraire?" "Je ne sais pas", dis-je.
"Mais ce qui m'importe c'est, en approchant le patient d'un air
rassurant, de donner à son corps ce qu'il demande. C'est tout."

Le lendemain matin, je croisai ce jeune homme brûlé au visage. Ses


amis vinrent à moi pour me remercier, m'informant qu'il avait
dansé toute la nuit. Je le regardai, mais il ne semblait même pas se
souvenir de moi et passa son chemin. Je pensai alors à une phrase
souvent entendue de la bouche de Maître Imoto: "quand les gens
guérissent trop facilement, ils n'ont aucune gratitude pour ceux
qui les ont soigné". - Ce n'est pas que nous recherchons la
gratitude. Mais c'est intéressant d'observer que s'ils guérissent
sans effort, certains malades ne réalisent pas qu'ils étaient dans une
situation critique et s'imaginent qu'après tout, ce n'était rien de
grave.- Je saluai donc et passai mon chemin. J'étais bien et je
souris à la vie.
Rave et réalité

30 mars 2002

Il n'y a pas si longtemps, je me trouvais avec une poignée d'amis


sur les flancs du mont Hakusan, dans la région de Nagano. Le
fond de l'air était doux et les premiers rayons de soleil traversant
les nuages promettaient une journée chaude et ensoleillée.

Au fond de la vallée, les décorateurs, les éclairagistes et les


techniciens du son achevaient les derniers préparatifs du festival
qui allait rassembler pendant tout un week-end entre cinq et six
mille personnes. Une amie m'avait invité pour prendre soin des
artistes et éventuellement aider à l'infirmerie. Nous étions donc
une dizaine, tous aventuriers, musiciens, organisateurs,
troubadours et poètes assis dans l'herbe, profitant en silence des
dernières heures d'oisiveté avant le coup d'envoi.

Toute la journée les participants arrivaient par cars entiers. À


peine posaient-ils le pied sur le sol qu'ils se précipitaient vers les
meilleurs emplacements pour établir leur campement. En moins de
deux heures, les tentes avaient poussé par centaines dans la vallée

78
comme des champignons multicolores. Du haut de notre
promontoire on les voyait s'activer avec empressement, agités et
bruyants comme des enfants en colonie de vacances. Ici et là, le
son d'instruments de percussion et des didjeridoos résonnaient
déjà. Tous vêtus de tenues fluos et bigarrées, nul doute qu'ils
étaient venus pour faire la fête, et se lâcher la bride. Tout cela ne
correspondait en rien à l'image que l'on a généralement du Japon.
Et pourtant, malgré l'effervescence de cette fourmilière
multicolore, le sens de l'ordre et de l'organisation, qui fait la
réputation de ce peuple, me laissait admiratif. Il faut le voir pour le
croire.

Vers seize heures, la lune pointa son visage rond derrière la cime
des arbres. Peu à peu le son montait tandis que la foule affluait
vers le parterre central. Lorsque le ciel prit enfin la teinte rose des
derniers rayons de soleil, dans un fracas inouï éclatèrent rythmes
binaires et musique électronique unis à la voix de ces éternelles
enfants traquant la transe. Ne serait-ce qu'un instant, ils ne
voulaient qu'être eux- mêmes. Dans un pays où ordre et
abnégation de soi sont les dogmes de l'équilibre social, faut-il en
vouloir à ces grands enfants de s'adonner à la danse pour retrouver
au fond de leurs tripes le souffle de l'extase? C'est vrai que parfois,
la quête de l'extase peut prendre des voies détournées. Et, dans
certains cas, il faut s'attendre au pire.

La nuit était passée sans encombre. Je pu dormir tranquille et me


réveillais frais et dispos. Je me dirigeais d'un pas nonchalant vers
les douches avant de prendre mon tour de garde quand, une jeune
femme vint directement à moi:
- S'il te plaît! dit-elle! J'ai besoin d'aide. Mon petit ami est tombé
tout à l’heure et il ne va pas bien du tout.
- Où est-il? demandai-je.
- Dans notre tente. Il ne peut pas bouger, il a froid. Je ne sais
vraiment pas quoi faire.
En entrant dans la tente, je trouvais le garçon (Nobu) emmitouflé
sous une montagne de duvets. Il était transi de froid, le regard
hagard et le visage crispé. De toute évidence l'ivresse n'était pas
due qu'à l'alcool, et il semblait avoir peur. Le froid le pénétrait et la
musique alimentait son délire. Je pensais que si de surcroît il
prenait peur de moi, je n'aurais aucun moyen de lui venir en aide.
Il fallait agir vite et avec tact. À l'exception de sa petite amie, je mis
tout le monde dehors et ordonnai du thé chaud. Je m'assis près de
lui le plus délicatement possible et, afin de gagner sa confiance, je
me présentais doucement en lui prenant la main. Une seconde son
visage se figea. Je serrai sa main un peu plus chaleureusement
pour lui faire sentir sans équivoque que je venais en ami.

Deux ans plus tôt, dans les montagnes du Rajastan, j'avais moi-
même été saisi par le froid en plein sommeil. Incapable de bouger,
je tremblais comme une feuille. Le feu de camp ne suffisant pas à
me réchauffer, mes amis m'enroulèrent dans leurs couvertures et se
serrèrent contre moi. Il a bien fallu vingt ou trente minutes avant
que mon corps ne se réchauffe. Mais, grâce à cette expérience, je
me réjouis ensuite d'avoir su retrouver la valeur de la chaleur
humaine. C'est cela qu'il fallait transmettre au plus vite à ce pauvre
garçon. Il avait dansé et transpiré toute la nuit. Sa chute l'avait
immobilisé, exposant soudainement son corps à la nuit fraîche des
montagnes.

En posant la main sur son ventre, je constatai que toute sa vitalité


désertait le bas ventre pour remonter vers l'épigastre, les côtes et le
foie. Je posai simplement la main à cet endroit et, en ajustant mon
action à sa respiration, je fis passer autant de chaleur que possible.
Une ou deux minutes plus tard, un pouls se mit à battre. Le foie se
désengorgeait, les côtes se libéraient tandis que le bas ventre
retrouvait un peu de force. Pour aider le corps à se réchauffer
rapidement, je fis venir un grand bol de thé chaud. Afin de capter
son attention, et de rassembler sa vitalité sur la partie essentielle de
son corps, je lui mis le bol dans les mains et lui donnai l'ordre de le
maintenir sur son bas ventre sans renverser le contenu. Il me

80
faisait désormais confiance et s'exécuta sans discuter. Rapidement
son corps se réchauffait, se détendait et cessait de trembler. Quand
le bol devint tiède, je fis renouveler l'opération. Maître Imoto
Sensei m'avait appris ce principe très simple qui remet le corps
d'aplomb après une mauvaise cuite. Je crois que je m'en suis
souvenu par instinct, et je ne m'attendais pas à autant d'efficacité
en si peu de temps. Son pouls redevenait normal, l'acmé était
passé. Je dis à sa petite amie de s'allonger près de lui pour lui
garder sa chaleur et j'ajoutai: “S'il transpire, mets-lui des
vêtements secs et laisse-le dormir. Je repasserai dans une heure.”
Toutefois, j'attendis qu'il s'endorme pour partir. En tout, je ne crois
pas avoir passé plus de vingt minutes dans la tente.

Quand je passais de nouveau voir Nobu, il avait eu de la fièvre


entre-temps. Il s'était changé et dormait le visage serein. Le plus
surprenant, c'est que sa tente n'était qu'à dix mètres de l'énorme
sono qui déversait sans interruption des mégadécibels de "boum-
boum-boum-boum". Une fois qu'il a passé la phase critique, le
corps se détend et peut trouver le sommeil dans n'importe quelle
condition. J'avais déjà constaté cela quand je voyageais à bord
d'un bateau dans le Pacifique Sud. La mer était très agitée. Après
une bonne heure de nausée, tous les passagers qui avaient le mal
de mer se vidèrent totalement. Après quoi, j'étais surpris de voir
qu'ils s'étaient presque tous endormis, malgré les balancements
désordonnés du bateau. Ils se réveillèrent peu de temps avant
d'amarrer au port de Papeete comme si (presque) rien ne s'était
passé.

Vers midi, le couple vint me retrouver à l'infirmerie. J'examinai de


nouveau Nobu. Son ventre s'était bien détendu. Il ne restait qu'un
léger point de tension caché sous la côte près du foie. En Seitai on
appelle ce point "Rishokatten" qui est la marque d'une
intoxication. Cette fois-ci, ce fut plus facile de le détendre.
Complètement soulagé, Nobu s'endormit de nouveau. Je le laissais
tranquillement au chaud entre les bras de Morphée. A son réveil, il
avait faim. Je lui conseillai d'attendre un peu jusqu'à ce qu'il sente
clairement ce dont il avait le plus envie. S'il écoutait son instinct,
son corps en tirerait pleine satisfaction et se rétablirait avec force.

"Tu as eu de la chance", dis-je. "C'est bien de se lâcher la bride, à


condition d'être conscient de ce que tu libères et de pouvoir le
contrôler. Tu peux apprendre de cette manière, mais il faut être
fort!" Comme je ne prenais pas une attitude négative, son visage
exprima une gratitude et un soulagement certain. Avant de partir,
il m'accorda une chaleureuse accolade.

Une fois que j'eus fini mon service, je pensais à tout ce qui était
arrivé dans la journée. A propos de ce garçon, certains penseront
peut-être que nous avons tout simplement eu de la chance.
Pourtant, cette fois encore, je n'ai fait que mettre en pratique ce
que Maître Imoto m'avait appris les premiers mois de notre
rencontre. Je crois sincèrement que tout autre que moi aurait pu
en faire autant. Il suffit d'avoir les bons outils ajoutés à une
attention correcte afin d'établir une relation de confiance qui laisse
le champ libre pour habillement orienter la vitalité. En y mettant
du sien, tout le monde en est capable.

Sur le parterre central, comme un cœur qui bat, le "boum-boum-


boum-boum" assourdissant donnait le rythme à la foule qui sautait
et trépignait d'euphorie. Je trouvais plaisant de voir autant de
gens unis dans la joie. Mais, dans la quête du bonheur absolu,
combien parmi eux avaient pris un risque sans évaluer avec
lucidité l'étendue des conséquences possibles?

Note afin d'éviter tout mal entendu:

Le Seitai ne soutient la consommation d'aucune drogue. Je


n'encourage personne dans cette voie. Pourtant, quand c'est en son
pouvoir, et s'il en a les compétences, un être humain doit faire tout
son possible pour soutenir la vie. Quelles que soient les conditions,

82
et quel que soit le jugement que portent les autres. Dans l'esprit du
guérisseur, la vie est plus importante.

Je n'ai écrit cet article que pour démontrer qu'il est possible de
venir en aide à une personne en situation difficile avec des moyens
simples, sans qu'il soit pour autant nécessaire de céder à la
panique.
Le temps d'une réflexion

12 juin 2003

Samedi matin, j’étais assis à la terrasse d’un café près du dojo


Seitaiho de Paris. Je regardais un vieil homme passer devant moi
portant un sac de commissions à la main. Son allure était lente et
son pied malhabile, à tel point qu’à chaque pas il marquait une
pause, comme pour s’assurer qu’entre temps rien n’avait changé.
Quelques mètres derrière, un autre homme âgé s’adressait à lui
d’une voix forte. Il le raillait et se moquait de lui l’accusant : “il est
sourd comme un pot le vieux!” Ils marchaient l’un derrière l’autre,
à l’allure raide et fragile des grands-pères. Le premier n’arrivant
pas à semer le second qui, ne pouvant rattraper le premier pestait
de sa voix forte comme pour se venger de la distance qui les
séparait.

D’ordinaire, une telle scène passe inaperçue. Au mieux, on sourit.


Cependant, ce matin là je lisais un ouvrage passionnant sur l’avenir
financier des particuliers de Robert KiyosaKi “Père riche, Père
pauvre 2”. Témoin de la scène qui se jouait devant moi, je fus
inspiré d’une toute autre manière. Voici le passage que j’étais en

84
train de lire: “On prévoit qu’aux États-Unis, la sécurité sociale fera
faillite d’ici l’année 2032, de même que l’assurance santé d’ici 2005,
au moment même ou la génération du “baby-boom en aura
besoin.” Ce sont là des prévisions pessimistes envisagées aux
États-Unis. Peut-être a-t-on envie de croire qu’un tel scénario
n’arrivera pas dans nos pays d’Europe, notamment la France, où
les droits sociaux sont si vigoureusement revendiqués par le
peuple. Mais sait-on jamais.

Dans son livre, R. KiyosaKi souligne que le fait de passer de l’ère


industrielle à l’ère de l’information s’accompagne de changements
importants en ce qui concerne l’argent et la compréhension que
nous en avons. Pour lui, il est important que chacun s’attache au
plus tôt à se constituer un capital financier, si petit soit-il, en
prévision de nos vieux jours. Il explique que la plus part d’entre
nous souhaitons devenir riches, mais nous échouons en très grand
nombre parce que, ne comprenant pas comment fonctionne
l’argent, nous limitons nos capacités de réussir. Je vois un parallèle
entre ce que dit R. KiyosaKi sur la façon dont nous envisageons la
richesse et l’argent en général, et la façon dont nous considérerons
notre corps et la santé.

De nos jours, un nombre croissant de gens inquiets de leur


équilibre cherche le moyen de reconstruire ou de maintenir leur
santé de multiples façons. La démarche me parait louable, mais à
l’instar des motivations qui poussent la science à progresser, bien
souvent, la quête de la santé par des voies naturelles ou non,
ressemble à un réflexe conditionné par la peur de la maladie. On
ne veut plus prendre de produits chimiques pour se soigner. Il faut
manger “bio” et équilibré, respirer l’air frais, repousser le stress,
méditer, etc. Ce doit être juste dans une certaine mesure.
Cependant, que ce soit par des voies naturelles ou scientifiques, le
désir de santé n’est ni plus ni moins qu’une réaction contre la
maladie et l’idée de la souffrance. Ce comportement me rappelle
une phrase de Maître Ueshiba, fondateur de l’AiKido : “craindre la
mort est pire que la mort”. Maître Imoto quant à lui disait :
“l’obsession de la santé est signe d’une mauvaise santé”. Incapables
de faire ce constat, nombreux sont ceux qui sombrent dans
l’agitation et remettent leur vie entre les mains d’organismes de
santé ou de gens savants pour protéger santé et bien être.

Je ne me dresse en aucun cas contre la médecine moderne. Le rôle


qu’elle joue tous les jours pour sauver des vies ne se discute pas.
Mais puisque nous sommes les êtres qui créons l’ère de
l’information, ce qui nous intéresse vraiment, c’est la
compréhension que nous avons de la santé et le système que cela
nous pousse à créer dans ce contexte. Avant d’entreprendre des
campagnes contre telle ou telle maladie, je pense utile que nous
nous questionnions sur ce qu’est la santé à sa source et tout ce
qu’elle englobe.

Il y a un mois, un jeune homme est venu me voir parce que ses


genoux le faisaient souffrir. Il avait l’air vidé et éteint comme au
lendemain d’une fête passablement agitée. La vitalité dans son
ventre paraissait faible et pourtant raide et tendue. Visiblement,
quelque chose l’avait ébranlé et poussé au bord de la dépression. Il
disait que tout le faisait douter de ses capacités et de sa propre
valeur en tant qu’individu et sur le plan professionnel. Sombrant
dans l’abandon, il n’avait plus qu’à souffrir. J’avais la main sur son
ventre, et je sondais l’état des tensions qui convergeaient dans la
région de l’estomac. Sans mot dire, j’attirais toute l’attention de son
corps à cet endroit précis, puis, lorsque la force arriva à son point
culminant, je luis dis très calmement pour qu’il puisse relier mes
mots à ses sens: “il y a de la force dans votre ventre. De quoi vous
plaignez-vous? Croyez-vous sincèrement que nous venons au
monde juste pour souffrir et mourir?” Les tensions de son ventre
cessèrent de bouger un instant et je continuais : “Tous les jours,
votre corps respire et s’anime. Il œuvre pour relâcher les tensions
pendant votre sommeil, digérer ce que vous mangez, éliminer les
déchets et régénérer des millions de cellules chaque jour. Pensez-
vous qu’il fasse cela juste pour le plaisir de souffrir davantage?” Il
me regarda interloqué. A cet instant précis, dans un bruyant

86
gargouillis, son corps relâcha d’un seul coup toutes les tensions qui
emprisonnaient l’estomac et la rate. Finalement, son thorax s’est
relâché prenant l’air à plein poumons comme par soulagement.

De nos jours pratiquement tout le monde souhaite être en bonne


santé, mais beaucoup trop de gens ne découvrent leur corps que
lorsqu’ils tombent malades. Or ce corps est la seule chose tangible
qui nous permette de constater et d’affirmer notre présence en ce
monde. C’est un capital fort en possibilités que nos parents ont
investis dans la banque de la vie. C’est à nous, par la suite, qu’il
revient de faire fructifier ce capital afin d’en libérer le véritable
potentiel. Pour arriver à nos fins, nous avons besoin de porter un
regard neuf sur ce que sont la vie et la santé.

En écrivant ces pages, je me suis amusé à compter le nombre de


fois où mon cœur battait en une minute: 78 pulsations. Ensuite, j’ai
calculé combien de pulsations en une heure, en 24 heures, en un
an, et enfin durant les 35 années de mon existence. Lorsque le
résultat est apparu sur ma calculette (1 434 888 000 battements de
cœur), je me suis senti chavirer. C’était incroyable! En silence,
pendant 35 ans, mon cœur a travaillé pour moi presque un milliard
et demi de fois sans que j’ai besoin d’y penser. A peu de chose prêt,
tout le monde trouvera le même résultat pour lui-même. Si à cela
nous ajoutons chaque repas absorbés et digérés, l’adaptation aux
changements des saisons, le nombre de fois où nous nous sommes
enrhumés, les maladies et le blessures, les conflits relationnels, les
plaisirs et les déceptions ainsi que tout ce qui fait le lot d’une vie
humaine, à quoi aboutissons- nous? Pouvez-vous vous représenter
la quantité d’énergie que tout cela représente? L’espace d’un
instant, la somme de toute une vie prend la puissance d’un raz-de-
marée?

Chaque seconde, chaque journée, chaque année sont l’alternance


d’inspirations et d’expirations, de sommeil et d’éveil, d’actions et
d’inactions, de tensions et de détentes, de rencontres et de
séparations, et de toutes sortes d’expériences durant lesquelles
notre corps absorbe, transforme et produit de l’énergie en ne
s’appuyant que sur sa force intérieure. Le corps se compose,
grandit, s’abîme et se régénère parce que sa notion d’équilibre en
tant qu’organisme vivant n’est qu’une suite indéfinie de
changements. La capacité que notre corps a de se renouveler est la
constante qui nous permet d’avancer chaque jour un peu plus dans
la vie, et de faire l’expérience de ses nombreuses saveurs. C’est cela
la santé : Changement et adaptation. D’étape en étape, l’activité
spontanée du corps reflète son inlassable désir de vivre qui se
cache dans notre inconscient.

La santé véritable se trouve dans l’activité de la force vive qui


compose le corps (Ki), et non dans la connaissance que nous avons
de la maladie, des symptômes ou des calculs savants que nous
pouvons faire dans nos laboratoires. Ce que nous appelons maladie
n’est qu’un aspect du processus global de destruction et de
restructuration. Ce processus tout entier est la santé. Or, celle-ci
ne réside pas dans notre mental, mais dans l’activité permanente
du corps. Si notre but est de préserver cela et de nous épanouir,
nous devons faire un retour sur nous-mêmes, et retrouver la
disponibilité qui nous permettrait de sentir cette force vive en
action, en nous, maintenant !

Ce que je dis peut paraître irrationnel. Pourtant, si nous pouvons


sentir le mouvement des côtes et du ventre pendant la respiration,
les tensions musculaires liés à nos activités quotidiennes, les
raideurs et relâchements que suscitent nos émotions, non
seulement nous devenons témoins d’une activité qui dépasse de
loin notre intellect, mais surtout il devient possible d’en
comprendre le sens. Si nous ouvrons nos sens à cette activité, nous
pouvons constater que nos pensées se calment tandis que le corps
se redresse. Au fur et à mesure que nos sens s’affinent, nous
devenons plus intuitifs et commençons à percevoir qu’en vérité
notre corps est en constante autorégulation. C’est une expérience
simple à faire qui ne demande aucune compétence particulière,
rien qu’un peu d’attention.

88
Pour préserver la santé, il suffit de réorienter notre attention vers
l’activité intérieure du corps, jusqu’à percevoir ce qu’il cherche à
faire. Plutôt qu’agir systématiquement pour stopper ce qui nous
effraie, nous avons plus à gagner à nous exercer à ressentir les
besoins du corps, et à y répondre de bonne grâce. Même si, à
première vue, cela ne paraît pas rationnel. Si la maladie nous
atteint, l’important n’est pas tant de comprendre ce qui ne va pas
dans nos organes ou dans nos gènes. Il s’agit plutôt de repérer en
notre for intérieur le système inconscient qui a ouvert la voie au
déséquilibre. L’inattention continuelle et le manque d’observation
personnelle, risquent bien de nous placer dans une situation où, un
jour ou l’autre, on n’a plus d’autre choix que l’état d’urgence.

Il existe une multitude de façons de prendre sa vie en mains et de


produire des résultats surprenants en terme de guérison et de
réalisation personnelle. Je pense sincèrement que toutes valent la
peine, à condition de s’engager pleinement dans la voie qu’on a
choisi sans dissiper son attention. Si nous allons au fond des
choses, nous pouvons constater que tout ce qui concerne l’être
humain se trouve dans son corps.

Le mois dernier, j’ai rencontré une jeune femme qui se plaignait de


ne plus arriver à respirer confortablement. Pour s’aider, elle disait
“pratiquer dans la lumière”. Ne sachant pas de quoi il s’agissait, je
l’invitai à m’en dire davantage. “Chaque matin, je me lève très tôt
pour me connecter à la lumière de l’esprit. Par la visualisation
mentale, j’invite les personnes pour lesquelles je souhaite le bien-
être” me dit-elle. Je l’écoutait attentivement. Son intention me
parut fort louable, mais quelque chose me chiffonnait. En touchant
son corps, j’avais constaté combien son bas ventre manquait de
tonus, tandis que la région de l’épigastre demeurait extrêmement
dure. Bref, la vitalité de son corps manquait d’aplomb exposant
son esprit à une grande instabilité. - L’état du bas ventre reflète la
vitalité corporelle, et l’épigastre l’intensité de l’activité mentale liée
aux émotions.
Elle avait appris cette méthode d’éveil auprès d’une dame qui
l’avait initié et semblait fermement convaincue du bien fondé de sa
pratique. En outre, elle disait avoir constaté des résultats positifs
dans son entourage. Je n’avais donc aucune raison de croire le
contraire. Cependant, plutôt que de visualiser les images dans sa
tête, je lui suggérai de faire descendre sa projection mentale dans
son corps jusqu’à ce qu’elle obtienne une sensation physique de
son bas ventre. Je précisais que cela lui paraîtra certainement
difficile au début, mais si elle persistait, cette façon de travailler
aurait l'intérêt de ramener la force vitale là où son corps en a le
plus besoin. Je lui dis: “votre méthode est certainement
intéressante, mais elle présente l’inconvénient de faire monter la
force vitale vers le cerveau. Imaginez une seconde que vous êtes
capitaine d’un grand voilier. Pensez-vous que votre navire tiendra
la mer si vous mettez la quille en haut du mat?” Si elle voulait
retrouver la capacité de respirer profondément par le ventre, elle
devait retourner sa vitalité dans les fondations de son corps.”

Beaucoup de gens parlent d’esprit, de spiritualité, d’énergie


cosmique etc. Ces théories sont très captivantes, mais je trouve
souvent cela très compliqué. Si vous posez la main sur un cadavre,
vous ne sentirez que de la matière inanimée. La force vive a
disparue. Ce qui persiste alors du défunt, ne sont que des
souvenirs et des pensées émanant de notre propre vision du
monde. Le sens que l’on attribue à ces pensées n’appartient qu’à
nous. En outre, nous ne libérons pas les autres si nous leur
imposons de partager nos croyances, aussi réelles puissent-elles
paraître dans notre tête.

Pour ma part, j’appréhende le Seitai comme l’art d’aider le corps à


s’aider lui- même. En incitant les gens à pointer leur attention
d’abord sur eux, avec des exercices comme “GyoKihô” (percevoir
le mouvement de la respiration dans la colonne vertébrale), ou
“l’écoute du ventre”, chacun peut développer ses sens et
reconnaître son corps comme un système vivant. Progressivement,
nous apprenons à décoder le langage du corps pour finalement

90
nous apercevoir que nos structures corporelles miment avec
précision notre esprit et notre façon de penser.

Récemment, un ami me disait: “c’est excitant de découvrir mon


corps ainsi. Chaque fois, je m’aperçois que c’est “une machine de
folie!” Plus je vois combien il est extraordinaire, plus je m’y
intéresse avec l’envie de le développer!” C’est là tout le secret du
corps et de la santé. Cela ne demande aucune austérité. Seulement
une subtile combinaison de curiosité, d’attention et de passion.
Pour venir en aide aux autres, la démarche du Seitai consiste à
stimuler le réflexe de survie du corps et réveiller la force vive qui
le compose.

Tant que notre cœur bat, la vie s’active en nous. Lorsque nous
courons dans toutes les directions à la quête de la santé, non
risquons fort de passer à côté de nous- mêmes, et de négliger notre
plus grande richesse.

Ce matin il fait bon. Malgré la grève des transports, à la terrasse


des cafés, les gens ont le sourire. Le vieil homme de l’autre jour
revient de sa promenade quotidienne, son maigre sac de
commissions à la main. Il a toujours la démarche des grands-
pères, mais la chaleur s’est adoucie. Ses jambes sont plus alertes.
Inspirer l'éveil

L'été dernier, je me suis rendu à un concert donné par un ami


pianiste dans un bar de Shibuya. L'ambiance était animée et
enfumée comme dans beaucoup de bars où se rassemblent les
jeunes de Tokyo. Les doigts experts de Julien glissaient sur le
clavier du piano libérant une musique improvisée qui cadrait bien
avec l'atmosphère ambiante. Au bout de la salle, assis sur quelques
sofas chahutait un petit groupe d'étudiants. Ils bavardaient autour
de ce que je pris pour un album de photos. L'un après l'autre je les
voyais feuilleter rapidement les pages sans y apporter d'attention
particulière, un peu comme on regarde un magazine qu'on ne lira
jamais. Quand l'album fut passé entre toutes les mains, et retourné
à son propriétaire, je sentais dans le regard de celui-ci une timide
insatisfaction. Je me mis à penser que, de nos jours, nous avons
l'esprit tellement dispersé que nous ne savons plus répondre avec
prévenance à l'attention que désirent les autres.

Mes amis étaient rentrés, mais la soirée battait son plein. Comme
dans un songe, la musique de Julien m'emmenait en voyage. Je
choisis de rester pour profiter de ce luxe que Tokyo n'offre que
très rarement. Assis sur leurs sofas, le groupe de tout à l'heure
continuait de discuter plus calmement cette fois. Ne voyant plus le
garçon à l'album, je me dis qu'il était parti. Mais, lorsque je me
penchai pour prendre mon verre, je le vis sagement assis à côté de

92
moi. Il semblait attendre quelque chose, et quand je lui souris, il
me dit : "voudrais-tu me dire ce que tu penses de mes dessins?"

Il y avait bien une quarantaine de personnes rassemblées dans le


bar, et je me demandai pourquoi il venait vers moi. Peut-être à
cause de son regard de petit prince perdu, j'ai pensé que si, sans
me connaître, il prenait la peine de me demander mon avis, je
devais en retour lui apporter une considération sincère. C'est si
facile d'ignorer un inconnu ou de le rabaisser d'un geste ou d'une
parole. Mais il est beaucoup plus difficile de trouver le levier qui le
rendra plus fort. Sans mot dire, je pris donc l'album en mains.

Il contenait des dessins abstraits faits à partir de quelques tâches


d'encre brunes et ocres, autour desquelles se détachaient à l'encre
noire des personnages féminins. Une atmosphère lourde, triste et
isolée émanait de l'ensemble. En silence, je prenais malgré tout le
temps de regarder chaque page. Mon interlocuteur paraissait de
plus en plus attentif à mes réactions. Quand j'eus fini, son attention
était complètement tournée vers moi. On eut dit qu'il attendait un
verdict. je lui demandai : "comment t'appelles-tu? "
"- Shinya!
- Quel âge as-tu ?
- 19 ans.
-Tous ces dessins sont de toi? Où as-tu trouvé ces idées ?
-Oui, je les dessine moi-même. L'idée m'est venue comme ça, mais
je n'arrive pas à évoluer".

Je l'observais avec attention. Son visage encore enfant semblait


vraiment demander de l'aide. Mais ne connaissant rien à l'art, quel
conseil pouvais-je lui donner? Alors je lui demandai : " es-tu l'aîné
de ta famille?
- Oui, j'ai un petit frère.
- Tu t'entends bien avec lui?
- Non. Ma mère ne s'occupe que de lui.
- Tu penses qu'elle t'oublie?" Il dit oui de la tête, toujours avec ce
regard qui pince le cœur. Je pensai alors qu'en négligeant de
sonder le silence de leurs enfants, beaucoup de parents ne
parviennent jamais à les comprendre.

"Oui, continuais-je, on dirait que c'est cela que raconte ton art. Et
par lui tu voudrais grandir." Il fit oui de la tête. Je poursuivais :
"Tu dessines presque dans l'obscurité, n'est-ce pas? Tu te tiens
courbé sur ta table, les yeux très près de la feuille, et tes doigts
sont crispés sur ta plume. L'air surpris, il fit de nouveau oui de la
tête. "Tu vois, quand tu te tiens ainsi, ton torse devient lourd. Tu
expires plus que tu n'inspires et tes bras s'épuisent. Tu as le sens
du détail, mais ton souffle pèse sur les traits de tes dessins. Ta
position emprisonne ton art et l'empêche de grandir. Est-ce cela
que tu voudrais changer ?" Cette fois, il me gratifia d'un sourire
toujours en hochant la tête. Je lui dis : "je n'ai qu'un seul conseil.
Lorsque tu dessines, sois attentif à ta position. Quand tu
remarques que tes traits deviennent plus courts, que tes doigts se
crispent sur ton crayon, ou que ton nez s'approche de la feuille,
redresse-toi et respire par le ventre. Tu vois, quand tu expires, ton
corps se ramasse sur lui-même et tes mouvements deviennent plus
petits. Quand tu inspires, ton corps naturellement se redresse.
Ainsi, ton torse et tes bras s'ouvrent. Tes mouvements sont plus
amples, plus souples et plus sûrs. Si pendant quelques minutes, tu
prends la peine de te redresser sur ta chaise et de respirer par le
ventre, tu verras qu'avec le temps celui-ci devient plus fort et ta
pensée plus légère. Si tu veux grandir avec ton art et le mener à
maturité, fais cela sincèrement avec attention. L'inspiration
viendra d'elle-même." Spontanément, il se redressa sur son siège et
essayait de mettre en pratique ce que je lui disais. L'espace d'un
instant, son visage s'éclaira. Avant de le laisser prendre congé, je
lui remis ma carte espérant qu'un jour je verrai son évolution.

Récemment, une amie de la famille se plaignait de sa supérieure.


Son caractère tyrannique et dominateur lui fait perdre tous ses
moyens. "Si au moins je pouvais garder mon sang-froid. Elle me
crispe tellement!" disait-elle. Voyant sa peine, je lui donnai le

94
même conseil qu'à ce jeune garçon japonais, espérant qu'elle le
mette en pratique.

Quand on est crispé ou angoissé, la vitalité du corps prend appui


sur le thorax qui se comprime. Le souffle devient plus court et le
cœur s'emballe facilement. Respirer par le ventre renforce les
hanches, détend le thorax et le système cardio-vasculaire. Plus la
respiration est profonde, moins le stress a d'emprise sur le corps et
l'esprit. À mon avis, l'essentiel de la respiration est dans l'instant
où, se remplissant d'air, le corps puise dans ses fondations (le
ventre et les hanches) la force de se dresser et de s'ouvrir.

Jusqu'à ce jour, j'ai donné de nombreux conseils de ce genre à


beaucoup de personnes qui ont croisé mon chemin. Certains
voulaient mieux comprendre le Seitai, d'autres voulaient qu'on
leur donna le moyen d'aller mieux. Mais peu d'entre eux ont
vraiment mis ces conseils en application. Mes réponses me
semblent pourtant simple, mais j'ai souvent l'impression que la
majorité des gens cherchent autre chose que ce qui est simple.
Quand je donne un conseil à quelqu'un, je ne peux pas l'obliger à
faire ce que je lui dis. Je ne peux que l’inviter à se livrer à
l'expérience. S'il fait cela, nul doute qu'il trouvera le moyen de
devenir plus sensible à sa propre condition et développera la
certitude qu'elle peut s'améliorer.

Par expérience, je suis persuadé qu'au fond du ventre siège le


désire de vivre des individus, le pouvoir de création des artistes et
la force tranquille des sages. Pour chacun d'entre nous,
consciemment ou inconsciemment, la pénétration du souffle au
plus profond de soi intensifie la force de vivre et de se réaliser.
Peut-être, en y mettant un peu plus d'attention, par ce principe
simple, ceux qui cherchent sincèrement le moyen de s'élever
sauront retrouver en eux toute l'étendue de "l'inspiration".
Faire de la peur de la maladie
un allié

1er Juillet 2001

Jusqu'à ce jour, partout où je suis allé sur notre planète bleue, j'ai
eu la chance et le plaisir de rencontrer un grand nombres de gens.
Beaucoup m'ont instruits par leurs connaissances, leur culture et
leurs traditions. J'ai rencontré des hommes et des femmes simples
mais avec un savoir-faire ou des manières de penser peu
communes dans notre monde moderne. C’est étrange comme le fait
d’être d'ailleurs m’a permis de vivre toutes ces rencontres cœur à
cœur avec d’autres êtres humains. Le cœur, parce qu'il
n'appartient qu'à soi-même, est peut-être le principal
dénominateur commun qui justifie la différence entre tous les
hommes. Malgré le plaisir que j'ai de m'instruire auprès de mes
semblables des choses que je ne connais pas, il y a toujours un
sujet sur lequel je ne peux m'empêcher d'émettre quelques
réserves.

96
Quand il s'agit de la santé, je suis sans cesse surpris de voir la
multitude d'idées préconçues et d'opinions divergentes qui existent
dans nos sociétés. Si on est malade, ou si pour une raison ou une
autre on ne va pas bien, il y a toujours quelqu'un dans notre
entourage avec un avis sur ce qui pourrait être la cause de notre
malaise. Il y a toujours quelqu'un avec un bon conseil prompt à
vous rappeler qu'untel, qui avait les mêmes symptômes, est
récemment mort de telle ou telle maladie. Ce n'est pas rare non
plus que l'on s'adresse à moi afin que j'intervienne pour changer le
comportement d'un proche pour lequel on s'inquiète.

Même si je suis reconnaissant de la confiance que l'on me porte, je


suis peu enclin à intervenir comme on me le demande, et ce pour
une raison très simple. Avant d'intervenir ou d'affirmer quoi que
ce soit sur l'état de quelqu'un, peu de gens s'inquiètent de savoir
dans quel état d'esprit est la personne concernée, et si elle est
disposée à entendre un conseil. Si oui, de quelle manière convient-
il de lui parler pour qu'elle entende vraiment?

Ce n'est pas rare qu'un diagnostique ai l'effet d'une bombe sur le


moral d'une personne. Dans notre monde on accorde plus
facilement foi à la maladie plutôt qu'à la santé. En visite à Paris
depuis quelques jours, j'ai eu l'occasion de voir plusieurs
personnes suivies médicalement pour de l'hypertension artérielle.
Il y a des cas où la tension peut paraître élevée mais il n'y a rien
d'anormal. Lorsque la tension artérielle est véritablement un
problème, on trouve une anomalie sur la huitième vertèbre dorsale
(D8). Cependant l'hypertension n'est pas la maladie mais la
conséquence d'un dérèglement ayant quatre causes possibles: la
sur-alimentation, une intoxication, un choc sur le bassin (effet de
raidissement sur la cage thoracique et le cœur), une activité
sportive brutalement interrompue.

Si au lieu de s'intéresser à la cause on persiste à traiter


l'hypertension avec des médicaments, à la longue, la peau se
noircit aux extrémités des membres, le bas du dos devient
douloureux, on a des vertiges, le corps se tasse et se raidit.
Cependant, avant d'affirmer que l'hypertension n'est pas le
problème, il faut trouver la cause exacte que le malade peut
reconnaître et accepter. Non seulement cela suffit pour détourner
son attention de l'anomalie, mais le comportement à adopter pour
guérir émerge souvent de lui-même.

Par là, je veux dire que la première condition pour orienter un


malade est de savoir lire et interpréter correctement ce que le
corps "dit" de la vie qu'il mène. Ensuite, il faut cerner les craintes
et les désirs profonds afin d'orienter l'attention de la personne sur
la possibilité de guérir. Le fin du fin sera de transformer la peur
d'un phénomène apparemment anormal en un allier qui libère.
C'est tout un art.

Il ne suffit pas de savoir de quelle maladie la personne souffre. Il


faut avant tout trouver le levier qui fera changer le comportement
maladif.

98
Conclusion sur mon chemin de
Seitai

Août 2001

Je viens de passer quelques semaines à Paris loin du dojo de


Tokyo. A l'occasion de ce voyage, j'ai eu la chance de faire une
agréable rencontre et de me retrouver au sein d'un groupe de
jeunes gens qui m'ont demandé de les initier au Seitai. Le fait de
me retrouver parmi ces jeunes gens, tous âgés de 23 à 24 ans, je me
suis rappelé mes débuts au près de Maître Imoto. J'avais leur âge
et pensais apprendre sa technique en un rien de temps.
Finalement, je suis resté 10 ans. Ce que j'avais pris pour une
méthode de soin s'est révélé être un véritable art de vivre.
Maintenant, comprenez que cet art demande du temps, de la
détermination et de la persévérance.

Aujourd'hui, de-ci, de-la, on me demande si je veux bien venir


enseigner le Seitai. Je pense que le temps de répondre à ces
invitations est enfin venu. Mais avant de s'engager aveuglément,
j'aimerais que chaque étudiant potentiel prenne le temps de
réfléchir à ses véritables motivations.

On peut venir au Seitai par curiosité, pour ajouter une corde à son
arc, ou simplement parce que le discours sur la vie, le corps et
l’être humain sonne comme un appel. Toutes les raisons de vouloir
apprendre sont bonnes, surtout si l'on sait adopter une attitude
droite et simple envers soi-même, et envers l’art. Certains voudront
apprendre à s’occuper de leur famille, d’autres voudront devenir
professionnels. D'autres encore devront faire l’épreuve de leurs
propres limites avant de pouvoir avancer. Qu’importe. Souvenez-
vous simplement que le Seitai ce n'est pas un éventail de
techniques ou de “trucs” qu'on utilise à la légère. Le Seitai se
caractérise par la façon dont il entraîne chaque être humain à se
servir de ses sens (et de ses mains) pour reconnaître le
fonctionnement de la vie dans le corps. A mesure que l’on
comprend ce fonctionnement, il devient possible de discerner les
pulsions inconscientes qui animent tout un chacun sur son chemin
de vie. N’étant pas différents des gens qui nous entourent, à force
d’observer les autres, on finit par se découvrir soi-même.

Dans nos sociétés modernes où tout va vite, et où l’information


nous inonde, cela arrive parfois de voir des étudiants se laisser
décourager en chemin. Il y a pourtant du mérite à persévérer et à
se surpasser. A force d'expérience, le Seitai renforce la vitalité et
nous entraîne à faire confiance à la vie et à l’aimer. En nous
ouvrant à l’art du Seitai, nous devenons plus sensibles à des
notions qui ne sont plus enseignées de nos jours. Je pense
notamment à des techniques rigoureuses, comme celles qui
consistent à établir un rapport de confiance en silence, juste par
l’attitude. Le but de ces techniques est, bien entendu, l’éveil de
l’attention.

“Mon chemin de Seitai m’a conduit à utiliser mes mains pour


apaiser ceux qui souffrent. Je l’ai pratiqué longtemps avant que
l’évidence me touche : chacun de nous guérit dès qu’il s’ouvre à la

100
Vie. Non pas la Vie conceptuelle, mais celle qui, au plus profond
de lui, replace l’Etre Humain dans son Corps. Vivre en Seitai, c’est
développer une façon d’être centré dans la vie et présent à son
corps. En résumé, le Seitai, c’est l’Art de Présence.” Voilà la
conclusion que je tire de mon humble expérience parmi les
hommes et les femmes que j’ai rencontrés autour du monde.

Vous aimerez peut-être aussi