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Méthode

On me demande souvent, par lettre ou par mail, des détails sur le contenu de
la formation que je propose à Toulouse, au sein de l’Institut de formation en danses
de société que j’ai créé en 2002. Je suis toujours embarrassé de devoir résumer
en quelques lignes ce qui constitue toute une façon de faire, tout une méthode
pédagogique, que l’on s’intéresse aux grandes lignes ou aux détails de certaines
parties.
Par exemple, et pour donner un exemple au lecteur, on me demande souvent
si j’enseigne des styles de danse : le tango argentin, la lindy-hop, la rumba. Il m’est
alors difficile de répondre en quelques lignes, tant j’accorde d’importance aux mots
et à la précision des idées. Par exemple, dans mon enseignement, je parle évi-
demment de la danse qui s’appelle le tango, mais j’utilise souvent l’expression :
« le tango DIT argentin » lorsque l’on me questionne sur une danse apparemment
à la mode depuis les années 1990 en France. Pourquoi ?
D’où l'idée de tenter d'écrire quelques lignes sur ce que l'on pourrait appeler
ma méthode, en tout cas ma façon de penser les danses de société et leur ensei-
gnement.
Une autre raison est la suivante : le ministère de la Culture lui-même m’a
conseillé de déposer ma méthode. Or, en France, on ne peut pas déposer une
méthode ; un écrit, oui ; un dessin ou un sigle, oui ; mais pas une méthode.
Donc, publier progressivement, sur le site de l’Institut, ce qui fonde mes idées,
ce qui signe l’esprit dans lequel je travaille depuis de nombreuses années et ce
qui anime mes formations, est une façon de répondre aux questions que l’on me
pose, une façon aussi de déposer officiellement mes idées et ce que l’on peut ap-
peler ma méthode, qui décrit assez bien qui je suis et ce que je pense de ce beau
métier.
J’espère que cela ne paraîtra pas trop prétentieux, tant il m’importe de faire
comprendre combien ces danses, et surtout leur enseignement, sont à la portée
de tous, de chacune et chacun.

Entrée en formation

Pour commencer par le début, lorsque je reçois des personnes en formation,


lors de notre fameux M1 que j’ai proposé plus de soixante-dix fois en dix-huit an-
nées de formation professionnelle (ce qui doit représenter plus de 1500 personnes
étant venues de plus de 90 départements français), je prends toujours quelques
précautions, et je n’oublie jamais de mettre en place certaines conditions qui me
semblent requises pour toute personne se lançant dans une formation profession-
nelle.
J’ai la chance de ne recevoir que des gens très concernés, pratiquement tous
totalement déjà passionnés par la danse, tout d’abord par la pratique, mais aussi,
souvent, déjà par la pédagogie. Et mon travail est, d’une certaine façon, énormé-
ment facilité par ces dispositions de départ. Pour autant, je souhaite prendre mon
temps, annoncer clairement les règles que je propose, et aussi prévenir. En effet,
entrer en formation requiert, souvent, au minimum du courage, de la souplesse,
et beaucoup d’ouverture d’esprit.
L’entrée en formation d’enseignant de danses de société, et, même si on en-
seigne déjà par soi-même, et même si on est déjà un bon danseur ou une bonne
danseuse, est un moment important. C’est un moment où l’on vient s’en remettre
à une personne plus qualifiée que soi, prêt à entendre ses conseils, décidé à faire
un certain point de sa vie, en quelque sorte. En principe, on est décidé à apporter
des modifications à sa routine (de danseur ou d’enseignant), et, tout en étant avide
de connaître, on s’attend, on recherche même, des secousses, des révélations,
des découvertes, des remises en cause.
Cette posture est courageuse (ou de temps en temps inconsciente), tant il faut
accepter l’idée qu’un autre que soi puisse en connaître plus sur certains sujets.
Cela demande humilité, une des premières qualités nécessaires, même si elle
n’est pas suffisante, pour un enseignant, quel qu’il soit. Donc, autant en parler dès
le début. Et je trouve que, à avertir chacun de la nécessité de cette qualité dans
l’enseignement, du moins de mon point de vue, est déjà un acte pédagogique de
ma part. Et il est indispensable.

Il y a une autre question que je préfère poser sur la table de travail dès le début.
Non seulement il faut être humble pour accueillir un enseignement nouveau, mais
il faut en avoir la première capacité : celle de pouvoir changer. J’ai souvent com-
paré l’entrée en formation à la décision de mettre de l’ordre dans une grande ar-
moire : il faut souvent, dans un premier temps, vider l’armoire, sans rien jeter, bien
évidemment, mais il faut libérer l’espace. Il faut aussi en profiter pour nettoyer cet
espace. Une fois ce nettoyage fait, il faut remettre dans l’armoire tout ce que l’on
décide de garder (et jeter le reste, ce qui n’est pas facile). Mais il faut aussi décider
d’y ranger de nouvelles idées, de nouveaux livres, de nouveau textes, des
concepts, des analyses, des sentiments nouveaux, des fiches de travail, et bien
d’autres choses encore suivant l’angle de rangement choisi.
Il faut même, souvent, revoir ses propres principes de rangement, d’organisa-
tion, de classement, etc. Pour dire que ce n’est pas un chemin toujours aisé, qu’il
peut être long, que chacun va y aller par ses propres chemins, de ses propres
moyens et surtout à sa propre vitesse. Et, lorsque les nouveaux acquis vont entrer
en contradiction avec les anciens, même si tout est bon à garder, surtout si on dé-
cide de « conserver l’historique », l’acte peut être assez douloureux.
Nous avons tous, à tout moment de notre vie, une certaine façon de nous or-
ganiser qui nous est propre. Quelle qu’elle soit, nous sommes tous contraints,
d’une façon ou d’une autre, de choisir, consciemment ou inconsciemment, une
méthode pour nous sortir du chaos dans lequel nous serions si nous n’avions pas
un minimum de méthode. Avec un peu de chance, nos parents, nos aînés, et nos
enseignants précédents nous ont donné quelques pistes d’organisation pour nous
y retrouver dans une vie multiple, souvent éclatée, presque toujours morcelée.
Toutes les personnes que j’ai reçues, ou presque, étaient comme j’ai moi-même
été dans chaque entrée en formation moi-même : entre deux pôles. D’un côté, ils
sont demandeurs de nouveautés, de nouvelles informations, sont habités par d’in-
nombrables questions sur la danse, pour ce qui nous préoccupe, ou sur le métier
d’enseignant de danse. Et de l’autre côté, ils sont déjà farouchement accrochés à
des certitudes, celles-là mêmes qui les ont aidés, jusqu’à ce jour d’entrée dans
une nouvelle formation, à s’organiser, à s’en sortir par leurs propres moyens, à
ne pas trop se perdre avant de tout abandonner. Et il faut ajouter à cela tous ceux
qui ont reçu de soi-disant vérités de la part d’autres enseignants, à travers d’autres
formes pédagogiques, avec plus ou moins de réflexion sur ces informations. En
un mot, certains croient dur comme fer, par exemple, que l’homme commence du
pied droit dans toutes les danses, sauf en rock. Ce qui est fondamentalement faux,
nous en reparlerons.
Et là, arrive à l‘horizon (je le vois souvent assez vite grâce à ma pratique de
longues années, mais eux ne l’imaginent pas) le doute. Le doute terrible ! Cette
formation va peut-être ébranler des piliers de soutien de toute leur organisation
de danseur ou d’enseignant. Et cela peut être très douloureux. Pour illustrer ce
risque, je vais prendre quelques exemples.
Lors de la première semaine de découverte de ma méthode, ce fameux M1,
une de mes élèves, Betty, a été perturbée au point de décider de tout abandonner
sur le champ.
Elle adorait le rock’n’roll. Elle s’était rapprochée d’une célèbre école pari-
sienne dont le directeur lui avait confié un cours dans une banlieue où manquait
un professeur. Elle avait encore plus aimé la transmission : elle se passionnait pour
maintenant l’enseignement. Habitée par cette belle humilité qui caractérise, pour
moi, les grands professeurs, même s’ils sont débutants (comme les grands dan-
seurs ou les grands artistes en général), elle a débarqué un lundi matin pour un
stage de 5 jours.
Le quatrième jour, j’ai abordé le « phénomène du rock », tant je suis persuadé
qu’il y a beaucoup à dire sur la façon, pas toujours correcte, dont il est enseigné
en France et ailleurs dans le monde. Betty s’est évidemment passionnée pour tout
ce que j’ai pu dire au sujet de cette danse, jusqu’à ce qu’arrive la question de la
rythmique. Il faut savoir que le rock est souvent enseigné à partir d’un pas de base
en 6 temps, alors que la musique est en 4 temps. Erreur de jeunesse jamais revue
ni corrigée !
Il n’a fallu à Betty que quelques minutes pour comprendre l’énormité de la
nouvelle en même temps que l’ineptie attachée à cette façon d’enseigner. Et elle
n’y avait jamais même songé ! C’est bien ce qu’elle faisait déjà dans ses cours,
elle le reconnaissait bien. Son gros problème était là : personne ne lui avait fait
prendre conscience du fait que danser en 6 temps sur une mesure en 4 temps,
c’était un peu comme danser une valse, dont tout un chacun sait qu’elle est en 3
temps, de la danser en 4 temps !
La révélation fut très dure pour Betty. Ce fut un très grand choc !
Le déjeuner passé, elle vint me voir en tête-à-tête pour me dire qu’elle était
brutalement très fatiguée, qu’elle ne se sentait pas capable de suivre le cours de
l’après-midi en dansant. Mais elle me demandait la permission d’y assister pour-
tant, à condition de pouvoir rester assise. Betty était alors blanche comme linge,
et on pouvait dire que mes révélations lui avaient coupé les jambes.
Le lendemain, lors du bilan, cette jeune femme, qui était si passionnée le lundi
matin, venue en cachette de son enseignant qui lui avait pourtant interdit de
prendre des cours avec autre que lui, n’avait pas dormi de la nuit, était totalement
abattue, et a déclaré qu’elle avait décidé de tout arrêter, en particulier l’enseigne-
ment.
On peut facilement imaginer ma surprise (une demi-surprise, à vrai dire), et
surtout ma déception : j’étais allé trop fort, et Betty n’avait pas supporté le choc.
Elle, qui semblait pourtant une femme de caractère, s’était écroulée : je l’avais
détruite. Quelques-uns de ses collègues parisiens l’ont alors prise en charge, l’ont
fait manger le soir, et l’ont raccompagnée à Paris dans leur propre voiture, lui as-
surant de ne pas prendre le train toute seule.
Il a fallu près de six mois à cette adorable personne pour se ressaisir. Elle
m’écrivit, alors, que le professionnel parisien qui lui avait gentiment « offert »
quelques heures de cours, lui avait aussi fait signer « un contrat d’exclusivité sur
Paris et la région parisienne pour cinq ans » ! Mais elle était décidée à s’en libérer,
et à reprendre l’enseignement de sa danse fétiche, à condition que je veuille bien
l’aider. Elle avait fait le choix de reprendre sa liberté perdue.
Ma réponse fut évidemment positive, j’étais soulagé, le mal était réparé ; et,
au contraire, Betty la passionnée repartait de plus belle dans sa vie. Ma première
réaction fut de l’adresser à un inspecteur du travail : le conseil porta rapidement
ses fruits. Et Betty est venue reprendre très rapidement sa formation à l’Institut,
formation qui s’est poursuivie durant de longues années. Et je corresponds tou-
jours avec elle, qui est devenue une amie.

En quelques lignes, voici une autre réaction qui montra un grand bouleverse-
ment intérieur.
Marie était, elle aussi, à son premier stage, et nous venions de parler du rock ;
nous en étions à la pratique.
En pleine danse, et alors que la problématique de cette danse et de son ensei-
gnement avait été abordée près d’une heure avant, Marie, pleine d’inquiétude, me
posa brutalement une question qui nécessita que je coupe la musique et que j’in-
terrompe la danse. Elle me demanda :
— Mais Christian, il n’existe pas de musique de rock en 6 temps ?
— Non, Marie.
— Mais même pas une seule musique, même s’il n’y en a pas beaucoup ?
— Eh non, Marie. Je suis désolé de te décevoir, mais tous les rocks que tu peux
entendre et tous les rocks sur lesquels tu as dansé, en cours avec ton professeur,
ou en dancing, sont tous en 4 temps !
Marie était livide et sans voix. De longues minutes se sont écoulées, qui suc-
cédèrent à l’heure qui avait précédé, heure durant laquelle Marie avait probable-
ment tourné cette irritante question dans sa tête des milliers de fois, en espérant,
peut-être, que je finirais par la rassurer, et que j’allais réussir à faire entrer 6 temps
dans une mesure de 4 temps, exceptionnellement !

Enfin, un dernier exemple en attendant d’entrer dans le vif du sujet.


Bernard est ingénieur. Il danse depuis longtemps le be-bop et il l’enseigne
même. On lui a appris des pas de tango, et son enseignant lui a toujours dit que
le garçon, dans cette danse comme dans les autres, doit commencer du pied droit.
Après quelques minutes d’explications théoriques sur le tango, nous passons à la
pratique. J’utilise alors un schéma très pratiqué, sauf que je commence, en garçon,
avec le pied gauche, tout en aboutissant au même schéma qu’il connaît depuis
des années.
Bernard est brutalement et totalement submergé par ce que cela provoque
comme déstabilisation de ses structures. Il me questionne, insiste, ne comprends
pas mes explications : il lui est impossible de comprendre que, alors que je com-
mence du pied opposé, je pratique le même pas que lui, et non un genre d’inverse
que son cartésianisme lui aurait indiqué.
Il faut savoir que nous en étions, à ce moment-là, au deuxième jour du premier
stage de formation, et que la classe avait accueilli environ 14 personnes.
La colère lui monte aux joues. Il y a quelque chose qui lui échappe, mais il ne
réussit pas à savoir quoi. Je suis contraint d’arrêter le cours, jusqu’au moment où
Bernard réalise que la séquence que j’utilise commence du pied opposé, mais en
quelque sorte du rythme opposé, les deux modifications s’annulant l’une l’autre
et le résultat étant le même.
Bernard, alors en colère contre moi, retourne cette colère contre lui, et il im-
mobilise le cours, au total, une bonne heure.
Lui, l’ingénieur, n’avait jamais pensé à remettre en cause la règle édictée par
son « maître », et ne s’était donc jamais libéré de son emprise. C’était très dou-
loureux pour lui, et je n’ai jamais oublié cette aventure qui a aussi frappé tous ses
collègues.

J’ai ainsi de multiples exemples qui ont montré combien les enseignants fran-
çais, mais pas seulement eux, ont enseigné, et enseignent encore, sans se sou-
cier le moins du monde de la façon dont leurs exercices et leurs explications
peuvent s’articuler dans l’esprit de leurs élèves. Nous sommes alors là plus dans
un bourrage de crânes et des principes de dressage, que dans un véritable sys-
tème éducatif.
D’autres ont été choqués d’entendre que la rumba pouvait se danser sur diffé-
rents rythmes, tout en restant exact. Certains ont découvert, les yeux grand ou-
verts, qu’il existait des paso-doble à trois 3 temps, et, qu’en plus, ils les
connaissaient sans avoir jamais osé le croire. A moins qu’ils aient été surpris de
m’entendre dire qu’on pouvait faire des cours de slow (mais avec quoi ?). Et on
peut dire que j’ai eu, et que j’ai toujours, un nombre infini de questions sur « le
tango argentin », qui semble être apparu lors du dernier atterrissage d’un vaisseau
spatial venant de la planète Mars…
Mais nous y reviendrons, c’est un des fondements de ma méthode.

Patrimoine

Dans les préambules qui jalonnent le démarrage de ma formation, il y a aussi


la description des multiples danses que nous allons aborder, même si nous ne
passons pas la même quantité de temps sur chacune. En effet, il me semble très
intéressant de remarquer que l’ensemble des danses que l’on trouve au bal est
très riche :
- Des danses qui font le tour de la salle (la valse, le tango…) ;
- Des danses qui restent sur place (le rock, la salsa…) ;
- Des danses très ancrées dans le sol (la rumba, le cha-cha-cha, le tango…) ;
- Des danses qui « volent », c’est-à-dire des danses à élévation (valse, quick-
step…) ;
- Des danses à rebond (samba, lindy-hop…) ;
- Des danses au temps (valse, rock…) ;
- Des danses au contretemps (le son, le cha-cha-cha) ;
- Des danses rapides (valse rapide, samba, cha-cha-cha…) ;
- Des danses lentes (valse lente, slow, fox-trot…) ;
- Des danses à figures (rock, valse, paso-doble…) ;
- Des danses en improvisation totale (tango, lindy-hop, slow…) ;
- Des danses collectives (madison, quadrilles…).
Et la liste peut s’allonger encore.
On peut déduire de ce grand éventail des danses que ce que peut proposer un
véritable enseignant de danse de couple, c’est vraiment une éducation en danses
de société, une éducation du bal, une éducation du couple et du groupe.

Et j’en viens alors à un thème qui m’est cher : je rencontre souvent de bons
danseurs de rock, d’excellents valseurs, de délicieux danseurs de salsa, ou de
très pointus danseurs de tango. Je ne les appellerais pas de bons danseurs, mais
seulement : de bons danseurs de rock, d’excellents valseurs, de délicieux dan-
seurs de salsa, ou de très pointus danseurs de tango. Dans ma conception des
danses de bal, un bon danseur est un danseur qui a un minimum de compétences
dans toutes les danses, même s’il a ses préférences, ses goûts et ses côtés per-
formants.
Un bon danseur de valse qui s’assoie (contraint et forcé parce qu’il ne sait pas)
durant les rocks n’est pas, pour moi, un bon danseur, mais seulement un bon dan-
seur de valse. Un excellent tanguero qui va systématiquement au bar ou au fumoir
lorsque commence la série des salsas n’est pas un bon danseur, mais seulement
un bon danseur de tango. Un parfait rockeur qui ne sait pas valser, exactement
comme nos merveilleux danseurs de tango dit argentin aujourd’hui, n’est pas, pour
moi, ce que j’appellerais un bon danseur, mais seulement un bon danseur de rock.
Evidemment, si on réduit le patrimoine des danses, et si on passe dix heures
par semaine à pratiquer du tango et seulement du tango, ou du lindy-hop et seu-
lement du lindy-hop, ou encore de la salsa et seulement de la salsa, évidemment,
il est plus facile d’atteindre une certaine performance dans SA danse. Il en est tout
autre pour celle ou celui qui pense que la danse de bal est d’abord et avant tout
une rencontre, de partenaires multiples, d’autres couples variés, de différents
groupes. Ceux-là vont diviser par dix le temps qu’ils passeront sur chaque danse,
afin de savoir se débrouiller sur dix danses et non une seule, afin de pouvoir pro-
fiter du plaisir de la danse à deux dans un maximum de circonstances, de lieux et
de partenaires.
Les poupées russes des danses

Là, le choix doit se faire. Et, si chaque danseur est libre de ce choix, dans la
formation proposée par l’Institut, et pour devenir un professeur de danses de so-
ciété diplômé de l’Institut, il faut, avant toute spécialisation, aborder la danse dans
ses fondamentaux, et en particulier : le couple. Exactement comme en médecine,
on doit former d’abord des généralistes, et c’est ma spécialité, avant de proposer
à ces généralistes aguerris des formations spécialisées dans telle ou telle danse.
C’est un grand choix que j’ai fait en tant qu’enseignant, mais aussi comme forma-
teur de formateurs.

Le mot a été lâché : que sont les fondamentaux ? Tout un chapitre leur sera
consacré, plus loin. Mais il est temps de me situer relativement à ce qu’on appelle,
dans la profession, les styles, ce concept étant en relation directe avec ces fameux
fondamentaux.
Prenons quelques exemples précis de styles.
Dans l’esprit de certains, la valse viennoise n’a rien à voir avec la valse an-
glaise. C’est leur expression : « cela n’a rien à voir ! ». De même, rien à voir entre
la valse de danse sportive et la valse pratiquée au bal. Rien à voir non plus entre
la toupie des danseurs musette et le fameux fleckerl de la valse viennoise de com-
pétition. Et allons-y ! Et les questions pleuvent : « Christian, en tango, où de-
mandes-tu à la danseuse de mettre sa main gauche ? Dans le dos du partenaire ?
Sur son bras droit, juste à la lisière des muscles de son épaule ? Doit-on lever le
petit doigt ? A-t-on le droit de tourner la tête en valsant ? ». Et mille autres ques-
tions, des plus générales au plus fines !
C’est pour cette raison que je trouve important de situer mon travail dès que
possible, c’est-à-dire dans les premières heures de nos rencontres pédagogiques.

Technique générale et styles

Je suis partisan de ce qui s’appelle une technique générale, commune à tous


les danseurs, à toutes les danses, à tous les styles, à toutes les époques, à toutes
les situations. Prenons un exemple simplet. On me pose souvent la question :
« Quelle est la différence entre le jive et le rock’n’roll ? », question venant toujours
de ceux qui pensent que « ça n’a rien à voir ». J’ai l’habitude de répondre ainsi :
« Vous ne pouvez pas dire que “cela n’a rien à voir “. Au minimum, les jiveurs et
les rockers ont tous les orteils devant ! Donc, on ne peut pas les opposer, ne se-
rait-ce que pour cette raison ».

De même, lorsque l’on me demande, par exemple, si, en tango, on a le droit


de reculer un pied droit dans telle figure et à tel moment, j’ai l’habitude, pour calmer
le débat et appuyer mon discours, de dire : « A ma connaissance, nous sommes
encore, en France, dans une démocratie. Qui vous a dit le contraire ? ». Même si
je sais qui professe ainsi.
Voilà pour poser le décor. Ce qui m’intéresse, et ce à quoi je vais tenter d’inté-
resser mes élèves, ce seront des principes de transversalité, avant de parler des
détails et des différences.
En cela, je me réfère très souvent à Madame Michelle Nadal, qui a été, et est
encore, à sa façon, mon professeur. Cette dame a été une grande danseuse fran-
çaise ; c’est elle qui porte aujourd’hui l’écriture de la danse par le système de Pierre
Conté, et c’est elle qui tient de ce dernier ce qu’il a appelé La Technique Générale
de la Danse. Je suis de ce courant-là, parce que cela a été ma formation, mais
aussi parce que c’est ma forme de pensée et que cela correspondant à mes
convictions d’enseignant, d’enseignant de danse, et d’enseignant de danses de
société. Ce qui reste à prouver dans mes cours, ou dans ce petit livre de présen-
tation.

J’ai soutenu, en 1999, une thèse de doctorat en sciences de l’Education, à l’uni-


versité de Paris VIII, sur le thème : « La danse : sport, culture ou éducation ? Le
problème de l’enseignement des danses de société en France ». J’y fais, évidem-
ment, souvent référence. Et je l’utilise aussi souvent que nécessaire.
Pour structurer ma réflexion autour de cette thèse, je conçus l’enseignant de
danses de société comme faisant partie de l’ensemble des enseignants de danse ;
donc obéissant aux lois et règles qui régissent ce type d’enseignement artistique.
J’ai aussi bâti mon raisonnement, sur l’idée que l’enseignant de danse faisait, à
son tour, partie d’un ensemble plus grand : celui des enseignants tout court. Et
donc, de mon point de vue, cet enseignant de danse obéissait aux règles de la
pédagogie en général.

Les poupées russes de la pédagogie

On avait ainsi un genre de poupées russes, l’enseignant de danse de société


étant une partie de plusieurs ensembles imbriqués les uns dans les autres ; et il
devait donc obéir aux lois, non seulement de la danse en général (et pas seule-
ment à celles du bal), mais encore aux lois de la pédagogie. Et, dans mon ensei-
gnement de danseurs comme dans ma pratique de formateurs de formateurs, j’ai
fait le choix d’aller de la périphérie au centre, de la poupée la plus grosse à la plus
petite, donc de la pédagogie à la technique spécifique des danses de bal. Il ne
s’agissait plus alors que de l’appliquer à la danse, et plus particulièrement aux
danses de couple. Le chemin était tout tracé.

Et compte tenu du fait qu’il est très facile d’apprendre des pas de danse de bal
dans n’importe quelle ville de France, qu’il est beaucoup plus rare de pouvoir se
former pour enseigner ces danses (la profession pratiquant toujours un principe
de rétention du savoir), de pouvoir comprendre ce que l’on fait, et, pratiquement
impossible d’avoir des conseils pédagogiques et didactiques pour cette transmis-
sion, j’ai rapidement décidé d’axer mes propositions vers la pédagogie en général,
et la pédagogie de la danse en particulier.
Pour donner un exemple concret et vécu, voici ce que j’ai observé un jour, et
qui m’a démontré les manques à combler dans la profession.
Une jeune enseignante de tango dit argentin donnait un cours particulier à un
jeune homme. Elle lui apprenait à marcher. Et il avançait délicatement, avec tant
de précaution qu’il n’osait presque pas poser le poids de son corps sur chaque
pas. Elle le guidait de sa position de femme, sans prêter attention à ce qu’il faisait
exactement. Certainement, était-elle convaincue que la marche est la première
des choses à maîtriser en tango argentin.
Je les ai longuement observés derrière les vitres du studio. Le pauvre garçon
souffrait et devait découvrir « combien le tango argentin est difficile ! ». Tellement
contracté et apeuré, il ne marchait plus comme un être humain normal, mais plutôt
comme un danseur classique : il n’en avait pas du tout le style, évidemment, mais
il en avait une caractéristique essentielle : il avançait de la pointe de pied, et ne
touchait pas le sol avec le talon, ce qu’il faisait bien évidemment dans la rue,
comme tout le monde.
Progressivement, je me suis dit que cette enseignante, aussi convaincue et
bonne danseuse qu’elle fut, ne lui enseignait pas du tango argentin, car, en tango
argentin, on avance avec le talon, le tango en général étant une danse dans le sol,
ancrée dans la terre, et qui articule normalement et simplement.
Alors, que lui enseignait-t-elle ? Une forme de tango argentin ? Eh oui ! Il y a
différents styles de tango argentin. Malheureusement, ai-je envie de dire ! Cette
enseignante lui transmettait (du moins, c’est la seule explication que j’ai trouvée,
sauf à penser qu’elle lui enseignait ce que l’on appelle du « n’importe quoi »), un
style de tango argentin. Et elle le faisait marcher !
En fait, elle le déformait, et elle lui laissait croire que le tango argentin deman-
dait une marche spéciale, et, aussi, que, c’était difficile, plus difficile que de mar-
cher dans la rue, ce qui est une bonne justification du prix qu’elle demandait pour
cette qualité de contact au sol.
Non seulement cette enseignante, de mon point de vue, déformait son élève et
lui donnait de mauvaises sensations, mais elle ne lui enseignait pas du tango ar-
gentin, mais du « tango argentin de style danse classique ». Nous étions loin d’une
éducation en danse.
Non seulement ce n’était pas du tango argentin (dans le sens de strict de tango
argentin), mais ce n’était pas du tango non plus, car dans aucun style de tango le
garçon n’avance avec la pointe de pied. Ce n’était pas non plus une danse de bal,
ce n’était évidemment pas de la danse, mais juste un épiphénomène d’un sous-
ensemble d’un sous-ensemble d’un sous-ensemble de la danse !
J’étais fasciné ! Tant on était loin du métier de professeur de danse, me sem-
blait-il.
De ces réflexions-là est vue ma conception du métier de professeur de danse
de société. Et nous sommes là dans l’éthique.

Le couple

Bien que partant de l’idée que mon travail concerne la pédagogie, la danse, et
plus encore les danses de société, je suis parti de l’idée que la première caracté-
ristique de mon travail concernait le couple, et donc le jeu d’un homme et d’une
femme.
Il en découla une première exigence : il fallait que tous les professeurs de danse
de société aient chacun, qu’ils soient des femmes ou des hommes, une connais-
sance minimum du rôle de l’autre, pour ne pas dire une connaissance maximum
(suivant leurs possibilités) de l’autre rôle. Cela impliquait qu’il ne suffisait pas
d’avoir théorisé sur le couple, les identités et les rôles de celui qui « guide » et de
celle qui « suit », mais de les avoir vécus de l’intérieur, d’en avoir retiré de réelles
sensations, d’avoir pratiquement ressenti ce que l’un et l’autre peuvent vivre.
En un mot, cela impliquait donc qu’hommes et femmes aient été amenés à gui-
der et à suivre, à avoir été guidés par une personne du sexe opposé mais aussi
du même sexe, et d’avoir guidé une personne du sexe opposé mais aussi du
même sexe. Les combinaisons sont alors facilement apparues, avec, pour cha-
cune d’entre elles, les avantages et les difficultés.
Au bal, un homme doit savoir guider une femme (pour parler simplement en
adoptant momentanément le langage populaire que plus tard nous remettrons to-
talement en cause), et une femme doit savoir se laisser guider par un homme.
Mais comment l’homme peut-il réellement savoir quelles informations donner à
sa partenaire si lui-même n’a jamais eu l’occasion d’en recevoir et d’en avoir ac-
cueilli ? C’est une chose passionnante que de savoir écrire une lettre d’amour à
la personne qu’on apprécie. Il est très agréable de recevoir une lettre écrite par la
personne que l’on aime. Et nous sommes tous des expéditeurs potentiels et des
receveurs potentiels aussi. C’est bien ce qui fait que, lorsque nous écrivons une
lettre, nous pouvons nous mettre, momentanément, même imparfaitement, à la
place du destinataire, afin de peaufiner notre missive en la personnalisant pour
celle ou celui qui va la recevoir.
Pourquoi l’homme n’irait-il pas voir ce que c’est que d’être guidé ? Pourquoi la
femme n’irait-elle pas voir ce que c’est que de guider ?
Premier avantage déjà entrevu : la connaissance du mode de réception, des
principes de lecture des messages, et de ceux de leur interprétation, permet à
celui qui les envoie de mieux s’y prendre pour mieux toucher l’autre. Et la connais-
sance du mode d’expédition, des principes d’écriture des messages, et de ceux
de leur codage, permet à celui qui les reçoit de mieux s’y prendre aussi, et être
mieux touché par l’autre. Preuve que tous ont à y gagner !
Autre avantage : la paix des ménages ! Lorsque Madame aura un tant soit peu
expérimenté par elle-même ce que c’est que de conduire une voiture de sport,
elle sera peut-être plus indulgente quand elle sera à nouveau accompagnatrice.
Et de même, lorsque Monsieur sera allé voir ce que c’est que d’être conduit par
un sportif et ce que c’est que de se laisser conduire, il sera, à son tour, peut-être
plus indulgent avec ses prochaines accompagnatrices.
Sauf qu’il ne suffit pas de dire à ses élèves : « Echangez les rôles et vous allez
voir ce qu’il en est quand on est de l’autre côté ! », pour les faire taire. Au contraire,
il s’agit bien d’utiliser ce moyen pédagogique pour consolider les couples, déve-
lopper leurs sensibilités, leur tolérance, leurs sensibilités, et, pourquoi pas, leurs
plaisirs. On sait très bien que, au bal, nombre de femmes « portent le pantalon »,
et pourquoi pas ! Sans que personne, sauf un œil averti, ne puisse jamais s’en
douter.
Dans cette formation, on apprend donc à jouer avec les rôles, c’est-à-dire que,
en fait, on joue avec les identités : on va explorer son côté féminin et son côté
masculin, et cela, que l’on soit femme ou homme. On va aborder son côté domi-
nant et son côté dominé, et on va jouer avec cela. On va jouer avec sa face aven-
tureuse, et sa face organisée. Et ainsi de suite.
Il est rapidement évident qu’une mauvaise façon de travailler le rôle opposé
consiste à inverser brutalement les rôles. Une progression bien plus subtile
consiste à proposer à l’homme qui souhaite développer chez lui les sensations
de la personne guidée, de danser avec un homme. De même, on proposera à la
femme qui veut commencer son apprentissage en tant que guide de tenter sa pre-
mière expérience avec une autre femme.
En effet, lorsque deux hommes dansent ensemble, celui qui joue le rôle de la
personne guidée bénéficie du fait qu’il joue avec un homme, qui, lui, a déjà une
certaine habitude de guider. Il peut ainsi bénéficier de sensations justes, qu’il
pourra tenter de reproduire lorsqu’il aura repris son rôle de guide. De même, lors-
qu’une femme souhaite guider, il lui est bien facile de guider une femme, plus ha-
bituée à se trouver dans la position de personne guidée. Et elle-même pourra se
réapproprier ces sensations lorsqu’elle sera à nouveau dans son rôle.
On peut dire qu’alors la difficulté est une et simple : on guide quelqu’un qui a
l’habitude d’être guidée, et cette dernière va aider, par son comportement et ses
réactions, le guide momentané à mettre en place des sensations qui lui rendront
service lorsqu’elle reviendra dans son rôle. De même, lorsque l’on est guidé par
une personne qui a l’habitude de guider, il est beaucoup plus facile d’avoir des
sensations justes.
Par contre, lorsque l’on inverse les rôles dans un couple homme-femme, alors
la difficulté est double et beaucoup plus rude : pour une femme, guider un homme
qui est justement en train de se découvrir en tant que personne guidée, c’est par-
ticulièrement difficile ; de même que, pour l’homme qui tente de suivre la femme
qui le guide (comme elle le peut), c’est une tâche difficile. On peut en déduire que
l’inversion dans le couple est l’étape ultime, après que les hommes ont dansé en-
semble, et que les femmes ont dansé entre elles. Ceci dans la mesure du possible,
en fonction de la répartition des sexes dans un groupe de formation.
Des choses tout à fait surprenantes se produisent alors dans ces jeux de rôles,
des choses très édifiantes. Le plus amusant étant de découvrir des hommes qui
finissent par prendre du plaisir à être guidés, et cela indifféremment du fait que
leurs partenaires sont des hommes ou des femmes ; ou de découvrir des femmes
qui prennent du plaisir à guider, que ce soit des hommes ou des femmes. Tout un
monde s’ouvre alors, et les esprits aussi. Notre but n’étant pas de faire danser au
bal les hommes entre eux et les femmes entre elles, comme l’avait cru un de mes
stagiaires un jour où je n’avais pas dû être assez clair dans mes explications.
Cette méthode a surtout pour but de fournir aux enseignants des structures de
travail pour améliorer leurs propres conduites et sensations, tout en leur fournis-
sant des processus à proposer à leurs élèves dans le cadre d’exercices d’école
parfaitement construits et précisément conduits.
Transversalité

Cette notion de transversalité, tout à fait nouvelle en 2002 dans l’enseignement


des danses de société, je l’ai découverte grâce à mon directeur de thèse, Remy
Hess, lors de la naissance du journal Dansons Magazine que nous avons créé
ensemble en 2000, et à l’occasion des très nombreuses conversations que nous
avons pu avoir sur la pédagogie de ces danses.
Remy Hess, prenant progressivement connaissance de la vie de mon métier
de professeur de danse, mais aussi de l’histoire de ce métier, m’a assez rapide-
ment expliqué que je me situais de façon tout à fait « orthogonale » relativement
à mes confrères, d’où les nombreuses incompréhensions entre nous. En effet, la
grande majorité de mes confrères était, et est encore, organisée grâce à un dé-
coupage que l’on pourrait dessiner à la verticale : la profession a pris l’habitude
de classifier les danses, de les étiqueter, de les séparer et de les isoler les unes
des autres. D’où, d’ailleurs, cette expression dont j’ai parlé : « ça n’a rien à voir ! »,
assez répandue chez les Français, qui distinguent radicalement toutes les danses
entre elles, tout lien intermédiaire procédant d’une totale bêtise.
Personnellement, après avoir appris les danses de société de cette façon-là,
mon esprit s’est mis, surtout avec l’enseignement, à les réfléchir et à les organiser
d’une façon différente : horizontalement. Voici un petit tableau pour expliquer ra-
pidement comment j’ai conçu mon enseignement.

Illustration de la transversalité
Tout mon travail a donc consisté, alors, à trouver tous les liens qui unissaient
les danses entre elles, étude qui n’avait jamais été ni poussée, et, encore moins,
écrite.
C’est ainsi que j’ai découvert qu’il était plus ingénieux, si l’on disait professeur,
c’est-à-dire quelqu’un qui se situe dans l’éducation, et non dans la reproduction,
ni la reconstitution, ni la compétition, de les regarder par cette fenêtre-là, et de les
enseigner ainsi. Et c’est ainsi que je me suis automatiquement positionné de façon
très différente relativement aux idées en cours à l’époque dans la profession.
Disons en un mot que, pour ce qui était de la formation des enseignants, cela
n’existait presque pas du tout, les seuls enseignants en place ayant été formés,
en cours particulier, sur la base unique et stricte de la danse sportive, et que leur
nombre était volontairement limité. Nous en reparlerons aussi.
De cette nouvelle vision, les découvertes sont rapidement arrivées comme par
enchantement, les idées nouvelles et très riches aussi, et une toute nouvelle pé-
dagogie s’est mise en place, ne rivalisant pas du tout avec le milieu ambiant, mis
à part le succès rapide de tous ceux qui se sont attelés à ces travaux et qui ont
répandu à travers toute la France, ces idées nouvelles.
Je pense que c’est de là qu’est né véritablement l’Institut de formation en
danses de société, et que, plus tard, nous avons été les seuls à être honorés par
une reconnaissance d’état, celle du ministère de la culture, reconnaissance qui
n’aurait jamais vu le jour sans cette réflexion nouvelle sur le métier, et surtout une
réflexion fondamentale puisant son contenu dans l’analyse du mouvement du
couple dansé effectuée par les plus grands danseurs et théoriciens du XXe siècle,
tout en prenant sa distance de la danse sportive, qui s’est avérée très rapidement
n’être qu’un pâle reflet de cette richesse.

La danse sportive

Parmi les premières conversations que j’ai avec mes stagiaires, et cela depuis
l’origine de cette formation, j’aborde très rapidement ce qui s’appelle en France
« la danse sportive ». Je le fais d’autant plus que ma formation technique me vient
de ce style danse, que j’ai fait de nombreuses compétitions, et que, ma partenaire
(Brigitte Saint-Gaudens) et moi-même, avons été en 1981 champions de France
en catégorie « latines », et vice-champions de France en catégories « toutes
danses », c’est-à-dire sur les dix danses dont nous parlerons en détail dans les
chapitres qui suivent.
C’est dire que je peux me permettre non seulement de renseigner précisément
les gens sur ce qu’est la compétition de danse de société, mais aussi d’émettre
un avis de spécialiste en la matière.
Le message que je cherche à faire passer dans les esprits n’est pas des plus
simples ; ou, du moins, je n’ai que rarement trouvé un moyen vraiment clair de
m’exprimer sur ce sujet.
Beaucoup de personnes pensent, à tort de mon point de vue, que les danses
de société, celles qu’on apprend à l’école depuis près d’un siècle et demi, sont
une émanation de la danse sportive, des danses dites aussi danses de compéti-
tion. Or, ces dernières ne sont apparues qu’au début du XXe siècle (exactement
en 1909), alors que les écoles de danse de bal existaient depuis bien longtemps.
Dans la suite de ce raisonnement, ceux qui pensent ainsi ont tendance à expli-
quer que les danses de société ne sont qu’une réduction, une popularisation, une
simplification, une vulgarisation des grandes et belle danses que l’on peut voir et
admirer sur les pistes de concours. Or, cela est faux. C’est bien au contraire les
danses de bal, appelées « danses de salon » au XIXe siècle, puis danses de so-
ciété au XXe, qui se sont prêtées à compétition et à concours. Ce sont elles qui
ont alimenté le corpus des danses choisies pour les concours : tout d’abord la
valse, le fox-trot et le tango, puis les danses latines avec la samba, le paso-
doble, etc.
Pour dire que, lorsque l’on apprend les danses de société (du moins lorsqu’on
les apprend d’une certaine manière correcte), il est toujours possible de se diriger
plus tard vers la compétition, car il n’y a qu’une différence d’amplitude entre les
deux formes. Alors que, lorsque l’on a été formé uniquement aux danses sportives,
et mis à part la conception proprement réductrice de ces danses et surtout de ses
enseignants, il n’est pas possible de retrouver l’essence de cette pratique sportive :
c’est-à-dire la danse de bal.
C’est pour cela que les professionnels enseignants se sont heurtés, en fin de
XXe siècle, à un énorme dilemme : ayant utilisé uniquement la technique sportive
des danses à deux, ils en ont perdu le sens, et surtout le plaisir attaché aux danses
d’origine. Les studios ont été désertés, et le public a rejoint des associations qui
revenaient aux fondements des danses de bal : le plaisir, la rencontre, la créativité.
Mais cela est un autre sujet qui sera abordé plus tard dans le détail.
Quoi qu’il en soit, il faut bien comprendre que les danses de société ne sont
pas un épiphénomène de la danse sportive, mais, bien au contraire, que les
danses sportives sont un épiphénomène des danses de société, ou danses de
bal.
L’arbre de la danse

Et il faut aussi bien comprendre que la technique qui est utilisée en danse spor-
tive n’est que la technique des danses de bal poussée à son maximum de rende-
ment, comme l’exigent le sport et ses compétitions. C’est parce que des danseurs
très avancés, mais aussi des chercheurs en danse de bal, ont travaillé, étudié,
décortiqué ces danses de la tête aux pieds, qu’est né ce qui s’appelle aujourd’hui
la technique internationale, qui se trouve être le fondement des danses de société,
et donc des danses sportives.
Donc, une autre idée à combattre est la suivante : ce n’est pas parce que l’on
utilise, pour enseigner, cette technique dite internationale, que l’on enseigne de
la danse sportive. Et là, est le plus difficile à comprendre pour certains. Surtout
ceux qui pensent que les danses de bal sont ou doivent être très faciles, qu’elles
sont sans technique, que l’on peut faire tout ce que l’on veut, et n’importe comment
sans aucune règle à observer. Ce type de raisonnement, qui a souhaité, un temps,
équilibrer le langage trop intégriste des professionnels obnubilés par la technique
avant tout, a fait beaucoup de tort aux danses de société. Tout simplement parce
que cela revenait à dire que les danses de société étaient mineures, sans exi-
gence, sans valeur et sans but véritablement éducatif, et encore moins créatif.
Rien n’est plus faux qu’une telle idée, de mon point de vue.

Précautions encore

C’est aussi pour ces raisons que je prends encore d’autres précautions d’usage
avant de commencer à enseigner.

La danse est un art :


Je précise que la danse est un art, et qu’il est représenté, depuis l’histoire
grecque, par Terpsychore, la déesse de la danse, comme Calliope (la poésie),
Clio (l'histoire), Erato (le chant), Euterpe (la musique), Melpomène (la tragédie),
Polymnie (la rhétorique), Thalie (la poésie pastorale), et Uranie (l'astrologie). Je
n’hésite pas à ajouter que nous ne sommes donc pas dans un enseignement de
mathématiques ou de physique, et que, si nous sommes sur le point de voir
quelques règles, ce seront surtout des règles de biomécanique, de bon sens, de
logique, mais aussi de rapport humain comme la bienséance, la tolérance ou le
respect.
Je place donc aussitôt les débats au niveau d’une recherche pédagogique dans
un registre artistique, hors performance sauf dans le champ très circonscrit du
couple, de son fonctionnement et de l’optimisation de ce fonctionnement.

Vérité et honnêteté intellectuelle :


Je précise que je ne possède aucune vérité, cela pour commencer à mettre un
terme à toutes sortes d’idées reçues, la plupart du temps reçues de gourous ou
de mauvais pédagogues qui utilisent l’injonction et la prétention du savoir comme
ils devraient manier l’humilité et l’ouverture d’esprit.
Nous en déduisons immédiatement la règle qu’il n’y aura, dans tout ce que
nous ferons ou presque, rien de juste et rien de faux, au sens de valeurs absolues.
Lorsque dans un cours je donnerai une consigne, il sera de mon devoir de signaler
à l’élève qui ne respecte pas cette consigne, qu’il « est faux relativement à la
consigne », en le lui précisant bien dès le début. Sachant que les seuls points sur
lesquels nous pourront, peut-être être faux, seront le rapport au corps et aux li-
mites d’amplitude de mouvement de chaque élément du corps dansant, ou dans
le rapport à la musique. Mais, même cette dernière notion sera remise en cause
dans le courant de la formation. D’où les regards étonnés que j’ai quelques fois
rencontrés. Et je propose à mes stagiaires d’adopter la même attitude bienveillante
avec leurs propres élèves.

La communication :
Je précise que nous serons dans un système de relation fondé sur l’échange.
Sur l’échange corporel par la danse, mais aussi sur l’échange verbal en tant qu’en-
seignant : le professeur de danse faisant évidemment souvent appel à la parole
pour susciter des réflexions, des prises de conscience et des appropriations di-
verses.
Je prends alors quelques résolutions de forme devant mes nouveaux stagiaires,
et je leur propose éventuellement de se les approprier. Il s’agit de ceci :
- Je ferai mon possible pour parler distinctement ;
- Je ferai ce que je peux pour répondre à toutes les questions qui me seront
posées ;
- Je tâcherai de ne pas répondre à deux questions en même temps, ni de poser
trois questions en une seule phrase ;
- Enfin, je ferai tout mon possible pour ponctuer clairement mon discours afin
que personne ne soit contraint de me couper la parole pour en placer une.
Mes stagiaires sourient, et cela commence à les décontracter. Et le débat
s’ouvre comme de bien entendu.
Présentation de la méthode

Après avoir fait un minimum connaissance lors de cette table ronde durant la-
quelle chacun des participants s’est présenté, a donné ses origines, son rapport
à la danse et à son enseignement, mais aussi ses objectifs, il reste encore à pré-
senter les fondements de la méthode avant d’aller danser pour la première fois.
En préambule, je précise toujours qu’il y a deux types d’enseignants.
Il y a ceux qui partent de l’idée suivante : « Tout ce que vous avez appris jusqu’à
présent, vous pouvez le laisser à la porte du studio, nous allons tout réapprendre,
correctement, et je me charge de tout ».
Il y a aussi ceux qui partent du postulat inverse : « Tout ce que vous savez m’in-
téresse et intéresse la formation que vous allez mettre en place avec mon aide.
Donc, nous allons tâcher d’utiliser tous vos savoirs, et les savoirs de chacun vien-
dront vous enrichir les uns les autres ».
Je fais partie du second groupe. Et je l’annonce donc très clairement dès le
début.
Ceci dit, je tente de faire la généalogie de ma propre formation, en mettant en
valeur les points qui peuvent intéresser certains stagiaires, ce qui constitue de fait
une présentation de mon parcours. Il me semble important que les personnes qui
ont fait le chemin pour me rencontrer sachent ce que j’ai suivi comme formation,
de façon à me poser les questions qui les intéressent, et évitent de perdre leur
temps à me questionner sur ce qui n’est pas de mon domaine.

L’espace, le temps, le corps et l’énergie :


En donnant l’historique de la création de l’Institut, j’ai l’occasion de raconter que
l’Institut a été créé en 2002, suite à un colloque de professeurs d’éducation phy-
sique et sportive organisé à Toulouse, à l’université Paul Sabatier (alors 27000
étudiants de plus de 20 nationalités différentes). Ce congrès avait été pris en
charge par une personne dont je parlerai souvent dans cette formation : il s’agit
de Patricia Vidil-Grenier, que je connaissais depuis 1988 environ, et qui avait pris
en charge ce colloque.
Patricia Vidil-Grenier m’avait demandé, en début d’année 2002, si je voulais
bien venir et présenter « Les fondamentaux des danses de société ». Elle ne sou-
haitait pas que ses collègues intéressés par les danses de couple ne viennent,
une fois de plus, que pour qu’on leur livre quelques figures de rock de plus, mais
elle voulait que tous réfléchissent au sujet suivant : « Les danses de société : objet
d’enseignement à l’université ? ».
Le terme de fondamental m’intéressa aussitôt, mais sans que je ne sache très
bien ce que je pouvais y mettre comme sens. Patricia Vidil-Grenier, remarquant
ma perplexité, me signala que, par défaut, je pouvais m’inspirer de la façon dont
les professeurs EPS s’organisaient, autour de quatre concepts : l’espace, le temps,
le corps et l’énergie.
Les idées sont venues assez vite. Avec le recul, je continue de penser que, de-
puis cette époque, soit il y a dix-huit ans à la date où j’écris ce texte, je n’ai jamais
posé un acte réflexif aussi important et aussi productif qu’à cette période-là, et
sous cette impulsion.
J’ai ainsi écrit ce que j’ai appelé les fondamentaux des danses de couples
(ce qui fut corrigé assez rapidement par Michelle Nadal qui m’a proposé de les
appeler les constantes des danses de société, chaque élément que j’avais
choisi alors étant déjà lui-même une combinaison de fondamentaux). Et nous tra-
vaillons aujourd’hui, encore et toujours, sur cette « nomenclature » de base d’une
éducation en danse de couple.
Le colloque eut lieu, et de nombreux enseignants EPS (Education Physique et
Sportive) ont été ravis par ma communication. Pourtant, leurs objectifs étaient très
disparates : certains enseignaient le rock, et seulement le rock. D’autres faisaient
de même, mais, ayant des attentes pour d’autres danses, tâchaient de se dé-
brouiller comme ils le pouvaient pour répondre à la demande ; tandis que
quelques-uns utilisaient déjà plusieurs danses. Certains avaient pris des cours,
d’autres non.
On est alors venu me remercier pour mon intervention, en me précisant que
j’avais apporté sur un plateau d’argent les connaissances, la didactique et l’orga-
nisation qui leur manquaient. Et six d’entre eux m’ont très précisément demandé
de leur organiser un stage d’une semaine durant l’été. Ils étaient prêts à traverser
la France pour venir apprendre avec moi ce que j’avais mis en place pour ensei-
gner les danses de société. Certains étaient prêts à venir de Lille, de Brest pour
me poser des questions et obtenir des réponses professionnelles.
En les regroupant à six autres professionnels qui étaient déjà venus me voir ou
m’avaient déjà demandé une formation, j’ai pu organiser le premier M1 en fin juin
2002.
Grâce à cette recherche, j’avais donc découvert les quatre facteurs autour des-
quels les professeurs EPS s’organisaient. Je poursuis généralement avec Laban.

Laban : le poids, l’espace, le temps, et le flux


A cette époque-là, toujours en recherche pour le journal Dansons Magazine,
pour mon DEA et pour ma future thèse, je lisais beaucoup sur la pédagogie et sur
la danse. Et, parmi mes lectures, se trouvaient des écrits de Rudolf von Laban,
très célèbre théoricien de la danse contemporaine, qui avait mis son savoir dans
de nombreuses théories, dont celle de l’analyse du mouvement. Ce fut une révé-
lation.
Laban partait de l’idée que tous les danseurs étaient soumis au poids, à la gra-
vitation universelle, comme tous les êtres humains (voila le type de « fondamen-
tal » que je cherchais depuis longtemps), mais aussi à l’espace (la danse est en
effet un art qui se développe dans l’espace, à l’inverse de la musique), mais aussi
au temps (comme la musique et à l’inverse de la peinture ou de la sculpture), et
enfin au flux (qui est en lien avec l’énergie).

Conté : l’espace, le rythme, la nuance et l’accentuation


C’est en 1990 que j’avais rencontré Michelle Nadal, dépositaire, comme an-
noncé précédemment, des idées de Pierre Conté, dont La Technique Général de
la Danse et Le système Français d’Ecriture de la Danse. Et j’ai donc progressive-
ment appris que Pierre Conté avait théorisé sur la danse en proposant ses quatre
facteurs propres : l’espace, le rythme, la nuance et l’accentuation, dont trois étaient
communs à la danse et à la musique (le rythme, la nuance et l’accentuation), tan-
dis que le facteur “son “du musicien était remplacé par le facteur “espace “du dan-
seur.

Les facteurs du mouvement


Les facteurs du mouvement :
Fort de ces connaissances, j’ai tenté de faire mes choix pour étayer une mé-
thode d’enseignement des danses de société, une méthode nouvelle, pas moins
précise que celle qui consiste à commencer par la technique, mais plus large, plus
universelle, et surtout une technique qui prenne en compte, et dès le départ, la
caractéristique de ces danses : le fait qu’elles dansent pour la plupart EN
COUPLE.
Ce tableau résume donc la progression que je propose depuis cette époque
pour aborder les danses de société, et, dans le même temps, il faut la généalogie
du résultat de ma démarche.
Il est temps, d’ailleurs, de dire que, une des particularités de ma méthode,
comme annoncé un peu plus haut, est d’utiliser tous les acquis des personnes qui
viennent me voir. De plus, je pense qu’il est important que chacun et chacune,
avec ses propres connaissances, ses apprentissages personnels et surtout avec
ses cours déjà pris dans d’autres studios aussi divers que variés, puissent se re-
trouver dans ce que je propose.
En effet, en dix-huit années de formation professionnelle, j’ai reçu des per-
sonnes aussi diverses que : des danseurs de bal, des compétiteurs de danse, des
enseignants de danse de société, de danses folkloriques, des enseignants en
EPS (comme expliqué en amont), des animateurs, des salariés d’associations,
mais aussi des professeurs de danse jazz, ou de danse classique diplômés d’état,
et enfin des sportifs, des personnes en reconversion et des demandeurs d’emploi
ayant un peu dansé. Sans oublier que la fourchette des âges a très vite été large :
j’ai accueilli des danseurs et enseignants de soixante-dix ans très en forme, mais
aussi des jeunes filles de seize ans pas moins passionnées par la danse et surtout
par l’enseignement.
Donc, j’ai consciemment choisi de partir du grand général pour avancer vers le
plus particulier, de commencer avec des principes de danse en général, avant
d’entreprendre de parler de ce qui concerne plus particulièrement le bal, et en lais-
sant encore des portes ouvertes vers des spécialisations, que j’ai appelé des
styles, comme je l’ai déjà expliqué.
J’ai emprunté à Michelle Nadal l’expression suivante : « Je ne suis spécialiste
de rien du tout, peut-être spécialiste du général… ».

Présenter ainsi les facteurs incontournables de la danse, tels que définis par
Laban, me permet d’entrer très rapidement en dialogue et en relation avec toutes
les personnes passées par des conservatoires, et par exemple tous ceux et toutes
celles qui ont travaillé en danse contemporaine, ou classique. Mais aussi de tou-
cher les enseignants de gymnastique, de sport, les habitués de danse espagnole
et les plus pointus pratiquants de danse dite country. Le mélange des genres per-
met ainsi d’échanger très rapidement, d’instaurer facilement un climat de
confiance, et de créer des liens directement entre les nouveaux arrivants.
Ce passage par la grande généralité ne se fait, dans ma formation, qu’une seule
fois, au tout début, dès la première demi-journée ; et nous n’y revenons plus qu’à
l’occasion d’exercices qui mettent en lumière ou en exemple les principes énon-
cés.
C’est l’occasion de répéter que la danse est un art, même si elle obéit aux lois
de la nature (la gravitation), aux lois du temps (le rythme), aux lois de la bioméca-
nique (les lois du corps humain), comme aux lois de la dynamique, pour ne citer
que les plus importantes et les têtes de chapitre.
Ceci rappelé, et revenant à la dimension artistique de la danse, j’annonce mes
premières convictions, à savoir : ne jamais perdre de vue que la danse est une
expression artistique personnelle ; que si elle a été codifiée par certains, ce fut
tout d’abord pour satisfaire une exigence de compréhension et de diffusion, mais
qu’un aucun cas les conseils ou les répertoires des enseignants, aussi célèbres
fussent-ils, édictent des limitations, ni se présentent comme des canons de beauté
indispensables.
La technique est là pour nous aider à mieux danser (c’est-à-dire avec plus de
facilité, moins d’énergie dépensée, plus d’aisance pour nous comprendre avec
notre partenaire, avec souplesse pour nous faufiler entre les autres couples du
bal, etc.), et en aucun cas pour nous faire danser « correctement ». La technique
n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais une fin en soi : ce n’est qu’un moyen.
Et je cite alors mon ami Plume Fontaine, ex-danseur de contemporain émigré vers
le tango, qui disait : « La technique doit être broyée au service d’un propos ! ».
Conception que j’ai toujours partagée.
Je précise généralement que, si l’on vise les concours de danse, il est évident
que l’on sera contraint d’en passer par des règles autres que celles du bal, des
codes, des techniques particulières, des rythmes imposés, des figures limitées,
et bien d’autres critères définis pour la compétition et pour elle seule. Mais que,
au bal, il en est tout autrement. Si on danse à contretemps au bal, personne ne
viendra nous le reprocher, alors que, en compétition, danser la rumba autrement
qu’à contretemps justifie qu’on soit éliminé au premier tour. Et j’en parle en
connaissance de cause !
Première pratique en solo :

Présentation :
Avant de nous mettre à danser, et fort de ce que je viens de mettre en place
sur les plans généraux, je propose aux stagiaires une leçon que j’appelle la leçon
fondamentale de danse de couple. Il s’agit de mettre en pratique, et dans une
progression très douce, les principes énoncés plus haut, de voir ce qu’ils signifient,
à quoi ils servent (et à quoi ils nous serviront aussi), de les expérimenter par le
corps, en développant des sensations, dans un premier temps en solo, puis en
couple.
J’explique que nous allons prendre chacun des facteurs que j’ai choisis pour
ma méthode (soit : les directions, sous-ensemble de l’espace ; le rythme, les du-
rées ; les positions de couple, caractéristique du bal ; puis la dynamique, que nous
ne ferons qu’aborder avant de la reprendre dans chaque danse.
Je précise que nous allons travailler facteur par facteur : nous allons prendre le
premier (les directions), et nous allons découvrir ce que cela veut dire, ce que l’on
peut faire dans l’espace, mais surtout nous allons le faire sans mélanger un travail
sur un autre facteur en même temps. Donc, dans notre travail sur l’espace, nous
ne ferons, momentanément, pas intervenir le temps, sauf en utilisant ce que l’on
appelle un rythme simple : une pulsation lente.
Puis nous prendrons de la même façon le deuxième facteur, le temps, tout en
restant très simples sur l’espace afin de ne pas mélanger trop vite ces facteurs.
Idem pour les positions, l’espace et le temps restant simple.
Puis, l’objectif de cette leçon fondamentale sera de combiner, évidemment, des
notions l’espace avec des notions de rythme, et cela tout en jouant avec diverses
positions de couple, avant de mettre dans cet ensemble des dynamiques particu-
lières.

Travail solo :
Je reprends donc ma théorie de l’espace et plus particulièrement des directions.
Que peut bien faire un danseur avec son corps dans l’espace (sous-entendu dans
l’espace du bal) ?

Première lettre de l’alphabet de danse : les pas surplace :


Il peut faire du surplace, que beaucoup appellent des piétinés, ou des piétinés
sur place. Cela est déjà toute une sensation à développer : la sensation du trans-
fert du poids du corps d’un pied vers l’autre, plus précisément du transfert de
l’aplomb du centre de gravité du corps de la surface d’un pied au sol (appelée
aussi surface de sustentation) vers la surface de l’autre pied.
Beaucoup de mes stagiaires ont du mal, au début, à comprendre le pourquoi
de cet exercice. Pourtant, il est fondamental. Pour s’en convaincre, et après avoir
remarqué que c’est ce que nous faisons tous, tous les jours de notre vie, lorsque
nous nous déplaçons chez nous ou dans la rue, il suffit de se dire que, bientôt, il
va falloir transmettre cette information à une partenaire, par le corps et non par la
parole, donc par le mouvement. Or, la distance qui sépare le centre d’un pied au
centre de l’autre qui lui est joint, ne fait que quelques centimètres. Et ce que l’on
appelle la translation de notre centre de gravité est très faible, donc bien plus dif-
ficile à ressentir pour l’autre, que si je me décidais à faire immédiatement un pas
en avant ou de côté.
D’où l’idée que, contrairement à une idée aussi répandue, le pas le plus difficile
à transmettre est un transfert du poids du corps d’un pied vers l’autre, alors même
que les deux pieds sont assemblés.
Une remarque peut être faite dès maintenant. Pour beaucoup de danseurs et
de danseuses, surtout ceux venant de la danse classique, faire un pas en avant
équivaut à un transfert de poids du corps, c’est clair ! Des transferts d’un pied vers
l’autre alors que les pieds sont joints, c’est déjà souvent beaucoup moins clair, les
gens ne faisant souvent, alors, que des transferts incomplets du PDC (poids du
corps), et ne se décidant à faire un transfert complet si, et seulement si, la jambe
libre doit se lever, par exemple pour se tendre devant ou faire une arabesque ar-
rière.
A ce sujet, je vais citer un témoignage précis :
Christian fait son bilan en fin de semaine de M1 (la première). Il exprime le
fait qu’il a compris l’importance de la notion de transfert du poids du corps dans
la culture générale du danseur. Et il regrette que son propre enseignant n’ait pas
commencé par cette explication-là. Et il décrète : « Lorsque j’enseignerai, je com-
mencerai toujours par ce transfert du poids du corps, surtout lorsque les pieds sont
assemblés. C’est fondamental pour mieux se comprendre ».

Deuxième lettre de l’alphabet de danse : les pas en avant :


Après avoir travaillé sur les pas assemblés (dits joints pour certains), il nous
faut aller voir ce que sont les pas de marche avant. Bien connus de tout le monde
(on en fait des milliers par jour… !), on pourrait penser qu’il est de peu d’importance
d’y passer de longues minutes, si ce n’est croire qu’il y a la une perte de temps.
Et c’est un argument qui m’est souvent retourné (nous en verrons bien d’autres
de cet acabit) :
— Mais, nous ne pouvons pas faire marcher les élèves durant des heures, sur-
tout en solo, alors qu’ils viennent pour danser du rock ou de la salsa et qu’ils rêvent
de faire rapidement des tas de figures !
C’est une belle porte que l’on m’ouvre alors pour me permettre de dire qu’il est
célèbre que, dans les cours de danse, quand on ne commence pas le cours en
marchant, souvent il se termine en marchant ; je veux dire : en travaillant la marche,
en l’analysant, en la peaufinant, en la précisant.
Il ne faut pas oublier de dire alors, non plus, qu’il n’est pas question de faire
marcher les élèves pendant des heures, au risque qu’ils pensent qu’on les « fait
marcher » pour mieux leur prendre leurs sous. Certainement pas.
C’est aussi l’occasion de mettre un accent particulier sur l’idée que ce genre
de question traduit souvent, non pas la question de l’élève réel, mais de son propre
enseignant, qui projette alors des idées souvent bizarres sur son élève, idées dont
ce dernier n’est pas forcément encore encombré. Evidemment, l’enseignant va
toujours prendre en compte le désir premier le l’élève de danser, qui est impatient
de danser en couple, de danser vite, de danser bien, de savoir danser toutes les
danses et avec tout le monde, et, pourquoi pas, comme un virtuose, ou comme
un Fred Astaire. Et il ne faudra pas le décevoir.
Mais, c’est bien par sa conviction personnelle et profonde que l’enseignant va
pouvoir convaincre son élève de l’intérêt de faire des gammes s’il veut bien jouer
du piano (même si le petit gamin n’a que faire des gammes pénibles et peu mé-
lodieuses), comme on se soumet à des vocalises avant de chanter un Ave Maria,
ou une chanson de Johnny. Et c’est bien la conviction de l’enseignant qui va être
décisive pour gagner la confiance de l’élève. De ce point de vue-là, il est temps
de dire et redire : on n’enseigne que ce que l’on est. Il ne faut jamais le perdre
de vue, et nous y reviendrons souvent.

Pour les besoins de mon cours, je poursuis alors avec des remarques et des
conseils. A ceux qui se demanderaient ce qu’on peut bien apprendre seulement
en marchant, je tente de montrer que l’on peut faire ressortir de cette marche des
principes fondamentaux qui seront, non seulement utiles pour la suite, mais indis-
pensables pour bien danser et surtout bien guider.
Avant de parler de technique, je propose aux stagiaires d’utiliser tout l’espace
de la piste de danse, et je précise bien : tout l’espace ! Il est intéressant alors de
voir ceux qui vont spontanément se mettre sur la ligne de danse (qu’ils ont apprise
quelque part et c’est très bien), mais qu’ils ne vont pas en démordre facilement. Il
va falloir donc insister pour que les danseurs utilisent TOUT l’espace : les bords,
le centre, et les coins aussi.
Il faudra alors leur proposer des images, des jeux, ou des défis. Le premier défi
peut être le suivant : imaginer que vous être sur un bateau. Il n’est donc pas ques-
tion que vous soyez tous regroupés du même côté ou dans le même coin. Faites
en sorte de vous DISTRIBUER l’espace. Pour cela, je propose que vous soyez
attentifs à votre parcours, mais aussi au parcours des autres danseurs. C’est la
première occasion de tenir compte de l’autre, et donc, de danser avec lui.
Là, je cite toujours Remy Hess qui a écrit, dans son livre La Valse : « Le bon
valseur est attiré par le vide ». Ce qui veut dire qu’une des nombreuses qualités
d’un danseur (ou d’une danseuse), c’est de rester en lien avec les autres couples,
et donc, d’apprendre, en fonction du mouvement des autres, à se diriger, non pas
vers eux, mais loin d’eux, vers les parties de la piste de bal qui sont libres. Le fin
du fin étant pour l’excellent valseur dont parlait Remy Hess, de savoir observer,
tout en dansant, assez finement les autres couples pour deviner, de leur mouve-
ment et de leurs dynamiques, non plus l’endroit où ils SONT, mais bien l’endroit
où ils VONT aller. Donc, d’anticiper le mouvement général du bal.
Je peux aussi donner d’autres consignes pendant que mes élèves marchent
tranquillement dans la salle : il peut s’agir de conseils de posture, simplement ex-
primés. Cela va de : « pensez à regarder vos collègues, particulièrement ceux que
vous croisez ». Cela commence à placer le regard, sans même y prendre garde.
Cela pour éviter les regards en haut (en compétition, les entraîneurs demandent
aux compétiteurs d’avoir une allure de vainqueur, et donc, de « regarder le premier
balcon ») qui correspondent déjà à des styles, c’est-à-dire à des enrichissements,
des perturbations ou des modulations de naturel. Or, nous sommes, dans cette
étape, dans des mouvements naturels. Cela peut raccourcir aussi le temps passé
à baisser les yeux, soit pour éviter justement le regard d’autrui par timidité, soit
pour regarder ses pieds et ce qu’ils font.
Je leur propose aussi de lâcher leurs bras, de les laisser pendre le long de leur
corps, cela dans le but de proposer une isolation simple (les jambes font un travail
alternatif et régulier alors que les bras sont libres ; et suivant la vitesse de dépla-
cement du corps, ils vont se synchroniser ou pas avec le corps, sauf si « le mental
les tient »). Et l’on voit très vite ceux qui sont un peu plus détendus que d’autres,
ceux qui « conduisent » leur bras et les contraignent, ceux qui peuvent les libérer
lorsqu’on le leur demande avec insistance, et ceux qui ne le peuvent pas, ou ne
comprennent pas la consigne. Et c’est toujours très intéressant pour découvrir les
personnalités.
Une autre raison de ce relâché, c’est que, plus tard, il va bien falloir coordonner
les bras, mais, la plupart du temps, dans l’opposition, alors que, à ce moment-là,
les élèves coordonnent souvent à l’amble. Or, on va progressivement apprendre
la dissociation, une notion fondamentale en danse, et la coordination ; et souvent
les jambes auront des oscillations, trois par mesure par exemple, alors que les
bras n’en auront qu’une seule dans le même temps. Et cet exercice prépare à
cette analyse et à ces exercices futurs.
Une image que je donne aussi est la suivante : imaginez que vous êtes parcou-
rus par une ligne imaginaire, verticale, qui passe juste devant votre colonne ver-
tébrale. Développez vos sensations personnelles et vos propres représentations
(cela s’appellera plus tard la proprioception), de façon que cette ligne verticale se
déplace toujours perpendiculairement au sol, sans jamais trop pencher en avant
ni en arrière. Cela est en lien avec le regard dont nous venons de parler, et cela
pourrait se traduire très simplement par l’expression : soyez bien dans vos chaus-
sures, et bien dans le sol. N’oubliez pas que le sol est le meilleur ami du danseur.

Troisième lettre de l’alphabet de danse : les marches arrière :


Nous les pratiquon de la même façon, en ajoutant seulement qu’il faut alors dé-
velopper « un regard arrière », une conscience du dos, si ce n’est utiliser des ré-
troviseurs, ou ne pas avoir peur de libérer les cervicales pour tourner la tête de
façon à ne percuter personne.

Page technique :
Et le moment arrive d’observer comment vos élèves marchent. Moment très
important, tant qu’il est célèbre que tous les professeurs de danse ne peuvent
s’empêcher de regarder les gens marcher dans la rue, d’observer comment ils
marchent, et même d’oser imaginer leur personnalité par leur façon de marcher.
Un genre de : « Montre-moi comment tu marches et je te dirai qui tu es ! ».
Nous en arrivons à un moment où il est possible de donner l’exemple d’un cours
de technique. Les raisons sont multiples. Il peut s’agir de démystifier la technique,
qui effraye les uns, quand elle devient pour d’autres le dieu même de la danse. Il
peut s’agir aussi de prouver combien la technique n’est que le résultat d’une ob-
servation de bon sens, de la façon dont nous procédons naturellement. Une façon
de montrer que l’on n’est pas obligé d’attendre d’en être à un cours avancé pour
se permettre, pour l’enseignant, de donner des informations techniques, des
conseils et de procéder à des corrections indispensables ; mais aussi, pour l’élève,
d’oser poser des questions précises sur le mouvement, comment le parfaire et
comment l’obtenir. Cela peut être enfin une façon de montrer la valeur de la tech-
nique internationale. Et c’est pour toutes ces raisons que je choisis ce moment.
Une de mes premières questions techniques, pendant qu’ils sont en train de
marcher, est la suivante : « Durant votre marche en avant, quelle est la partie de
votre chaussure qui la première touche le sol ? ». Et j’attends les réponses. Une
fois sur deux, les réponses sont correctes : le talon. Mais souvent, les personnes
qui sont issues de la danse classique, marquées au fer rouge par l’en-dehors et
l’extension complète de la jambe, ne savent plus du tout marcher comme tout le
monde, ni comme elles le font elles-mêmes dans la rue : ces personnes avancent
d’une pointe de pied. J’ai remarqué ce défaut aussi chez des timides qui ont peur
d ‘abîmer le beau sol de bois de la salle de danse. Ou venant de femmes qui ont,
peut-être, sans même le savoir, une représentation de la danse qui passe par des
images de danseuse classiques qui n’ont plus de talon.
Nous mettons donc de l’ordre dans cette façon de marcher, et j’insiste sur le
fait que nous recherchons, à ce niveau-là, une marche naturelle, car il est im-
portant, avant d’en passer à des marches non-naturelles (ce qui viendra, par
exemple, lorsque nous irons voir ce qu’est une extension complète des jambes),
de savoir marcher naturellement, de savoir ce que c’est, et comment cela se passe
dans le corps. Cela relaie mon discours sur le naturel, que je préconise avant les
variations et les enluminures. Je conclus en disant que le pied doit donc d’abord
savoir se dérouler naturellement, et que l’on obtient là l’information technique la
plus simple, mais la plus vraie aussi, celle qui est toujours notée sur la première
ligne de la première figure de la première danse détaillée dans les traités : le pre-
mier par de valse.
Puis : « Dans la marche avant, quelle est la partie du pied qui la dernière quitte
le sol ? ». La réponse est toujours exacte : c’est la pointe.
Puis, nous allons voir ce qu’est la marche en arrière. « Quelle est la partie du
pied qui la première touche le sol ? ». La réponse est sans équivoque : par la pointe
(nous ne faisons pas de différence alors entre la pointe, les orteils, les doigts ou
le quart de pointe pour ceux qui savent ce que c’est).
Enfin arriva la question : « Dans la marche arrière, quelle est la partie du pied
qui la dernière quitte le sol ? ». Là, les choses se compliquent et les hésitations
sont multiples, bien que cela dépende des populations, évidemment. Je vais dire
qu’un danseur sur quatre prétend que l’on quitte le sol par la pointe, ainsi qu’une
femme sur deux. Pourtant, le déroulé naturel du pied, ce qui se passe dans la rue,
exige que la partie avant du pied de la jambe libre se soulève « naturellement »
et donc, que l’on quitte le sol par le talon dans la marche arrière.
Or, il faut reconnaître que beaucoup de personnes, et surtout des personnes
qui ont déjà dansé, particulièrement celles qui viennent du classique, et celles qui
les imitent, ne savent plus dérouler naturellement le pied, totalement dressées à
tendre la jambe libre, aussi en reculant. Ce qui nous engage dans une discussion
dans laquelle tous les participants ne sont pas toujours convaincus, ce qui pourra
demander encore d’autres arguments et d’autres reprises du sujet.
Je dois alors rassurer les stagiaires. Il est vrai que, dans la rue, il n’est pas fré-
quent que nous fassions des marches vers l’arrière, c’est infiniment plus rare que
des marches en avant. Et il est vrai qu’il est même difficile de trouver un exemple
probant. Le seul que j’aie trouvé est le suivant.
Imaginez-vous assis dans un avion près du hublot. L’avion a été repoussé loin
de l’aérogare par un genre de tracteur-repousseur et un homme au sol vient d’ins-
pecter des yeux une dernière fois l’avion dans son ensemble. L’homme se rap-
proche une dernière fois du cockpit car son casque est branché dans une petite
trappe sous le poste de pilotage. Puis l’homme libère l’avion et fait signe que tout
est pour le mieux. Il salue l’équipage d’un grand geste tout en reculant. Vous le
vérifierez lorsque cela se produira à nouveau pour vous : il recule en soulevant la
pointe de son pied libre, il « roule » sur ses pieds, exactement comme le ferait un
grand robot de métal genre science-fiction, et il ne s’éloigne certainement pas
comme un danseur classique, en tendant sa jambe libre vers l’avant.
Et c’est ainsi que l’on trouve, tout simplement, les contacts au sol qui caracté-
risent la marche avant et la marche arrière : en avant : « talon-plante » ; et en ar-
rière : « plante-talon ». Et c’est toujours ce qui est écrit sur la première ligne de la
première figure de la première danse détaillée dans les traités : le premier par de
valse.
Voilà une façon correcte de transmettre de la technique : en argumentant, et en
la faisant découvrir aux élèves eux-mêmes. L’appropriation est de dix fois supé-
rieure, et cela immédiatement.
Vous trouverez ci-dessous un bel exemple photographie, de quelqu’un de qui
on ne peut pas dire qu’il l’a fait express parce qu’il était en train de danser ;

Le déroulé naturel du pied ! « Talon-plante en avant, et plante-talon en arrière »

Quatrième lettre de l’alphabet de danse : les pas de côté :


Arrive le moment de découvrir les pas de côté, quatrième lettre de notre nouvel
alphabet. Mais là, il nous reste encore à faire des découvertes. Je demande de
faire des pas de côté, et seulement des pas de côté. Et beaucoup des personnes
que j’ai rencontrées m’ont fait autre chose. Cela peut venir du simple fait que
l’élève tente alors de répondre à la question, quitte à changer la consigne. Alors
j’insiste : je n’ai demandé QUE des pas de côtés. Et certains me font encore des
pas chassés, dont composée d’un pas de côté et d’un pas assemblé avec chan-
gement du poids du corps. Or, si seuls les pas de côté sont autorisés, la seule
chose possible revient à se balancer entre un pas à droite et un pas à gauche, ce
que beaucoup connaissent comme étant des balancés, suivant leurs dires mêmes.
Mais là, on voit bien qu’ils ont besoin d’apprendre à dissocier ces premières
lettres, qu’ils ne savent pas le faire, a priori, et que cela leur demande un effort
que dissocier un pas de côté (un transfert du PDC et un seul, avec une seule
jambe, et d’un seul côté), avec un second pas de côté, qui lui, ne pourra donc
qu’être de l’autre côté.

Nous disposons alors de quatre lettres de l’alphabet, et c’est le moment de sou-


ligner :
1 — que l’on est bien dans un travail fondamental, un travail de base, et acces-
sible à tout un chacun
2 — que l’on est bien dans une éducation véritable, dans laquelle on donne les
outils, ou mieux, on les fait découvrir par l’élève lui-même, qu’il peut s’en emparer
et les faire totalement siens ;
3 — que, avec ces quelques lettres, bien que peu nombreuses, l’élève va pou-
voir immédiatement faire des combinaisons, SES combinaisons, qu’il va retrouver,
bien évidemment, des tas de combinaisons qui sont largement connues et répan-
dues.
4 — et que, lorsque l’on s’arrête un peu pour y réfléchir, les trames fondamen-
tales de toutes les danses, de toutes les époques, de toutes les populations, peu-
vent presque toutes, non pas se réduire, mais se travailler à partir de ces quelques
éléments fondamentaux.
Il nous reste maintenant à apprendre à former des mots, en attendant d’écrire
et de lire des phrases.

Les premiers mots, avec pas surplace et pas en avant :


Reprenant, toujours en solo, chacune des lettres de l’alphabet entrevues plus
haut, nous commençons à faire des combinaisons. Bien qu’il soit tout à fait pos-
sible et très amusant de le faire d’une façon aléatoire, pour ma part, et dans ces
exercices préparatoires, je fais en sorte de suivre une progression logique.
En effet, tout un chacun sait très bien que notre esprit, aussi riche soit-il, choisit
souvent des solutions de facilité, et emprunte alors toujours le même chemin.
Ainsi, nous travaillons et nous inventons à partir du même matériel, des mêmes
mouvements, et nous avons du mal à sortir de nos habitudes. Or, la danse étant
un art de création, et la créativité étant un des fondements de la méthode, il me
semble important, à un moment ou à un autre, de faire une recherche systéma-
tique, ce qui ne prive pas du tout de plaisir, loin de là, mais qui nous amène à uti-
liser des procédures nouvelles, des pistes originales et à découvrir des solutions
jusque-là inconnues.
Dans un premier temps, donc, nous reprenons les deux premières lettres : les
marches surplace et les marches en avant. Je propose à mes étudiants de danser
en utilisant uniquement ces deux lettres, et en faisant de longues séries de
marches surplace suivies de longues séries de marches en avant.
Dès ce moment-là, un jeu, pas obligatoire mais très utile par la suite lors du
guidage, peut consister à demander de la précision dans les gestes : une marche
en avant n’est pas identique à une marche en diagonale ; et c’est le moment aussi,
peut-être, de parler des axes du corps : l’axe médio-sagittal, l’axe médio-sagittal
gauche et l’axe médio-sagittal droit. Et de proposer que les jambes « pendent »
naturellement sous le corps et que les pieds se posent dans deux rails parallèles
entre eux et perpendiculaires à la ligne des épaules et à la ligne de hanches.
Il est alors très intéressant de proposer aux élèves de ressentir, à l’intérieur de
leur corps, ce qui se passe de différent entre les marches surplace et les marches
en avant : les sensations ne sont pas du tout les mêmes. Et on peut aller plus loin
en proposant aux élèves d’observer, toujours de l’intérieur du corps, ce qui se pro-
duit juste au moment où l’on choisit de passer des marches surplace aux marches
en avant, mais aussi quand on passe, inversement, des marches en avant aux
marches surplace.
On pourrait se dire que, si ces différences sont toujours intéressantes à obser-
ver pour comprendre son mouvement et son fonctionnement, cela est de faible
intérêt une fois terminé. Ce raisonnement est valable en effet, peut-être, pour une
danse solo. Mais, dans ce cas précis, on est en train de se préparer à une danse
de couple. Et c’est le moment de dire aux élèves : préparez-vous à avoir devant
vous, devant votre propre corps, un genre de double de vous-même, une per-
sonne à laquelle vous allez inspirer de faire la même chose que vous (mis à part
les sens de déplacement qui seront en opposition).
En effet, en danse de couple, il ne suffit pas de savoir ce que l’on doit faire pour
activer son corps afin qu’il avance, qu’il recule ou qu’il reste sur place. Il faut aussi
savoir comment on va procéder pour faire comprendre cela à une autre personne
que soi, à lui transférer cette information autrement que par la parole, donc par le
corps et son mouvement, tout en précisant que cette personne que l’on emportera
dans son propre mouvement, devra être le plus possible synchrone dans le temps
avec soi-même, jusqu’à le faire presque en même temps. Joli défi !
C’est alors, fort de ces expériences, que je demande aux stagiaires de réduire
leurs séries : faire un nombre de plus en plus restreint de marches surplace puis
un nombre de plus en plus restreint de marques en avant. Après observation du
résultat, et éventuellement complément d’information pour ceux pour lesquels mon
propos n’a pas été assez clair, je propose de réduire séries au strict minimum : un
nombre minimum de marche sur place et un nombre minimum de marches en
avant. Et j’observe.
Je trouve alors passionnant d’observer comment chacun individu interprète la
consigne, et comme il s’en sort. Il est alors fréquent que les stagiaires finissent,
assez rapidement, à trouver que la combinaison minimum est composée d’un pas
surplace et d’un pas en avant, soit deux transferts du poids du corps.
Mais, il est tout aussi fascinant de constater, alors, que certains s’arrangent à
leur façon, et sans même s’en rendre compte, avec la consigne et donc avec la
réalité de la proposition. Détaillons ce qui se passe, tant il me semble important,
et je le leur répète alors, que je cherche à développer, et éventuellement à réac-
tiver, leur bon sens, leur logique et leur simplicité.
Voici le détail de ce qui se passe alors.
En travaillant antérieurement sur la première lettre, les marches surplace, tous
les élèves ont régulièrement alterné le pied droit et le pied gauche sans aucune
rupture, donc en changeant régulièrement de PDC, et généralement sur la pulsa-
tion que j’ai donnée, même si chacun, au bout d’un moment, utilisait la sienne
propre. De même, lors du travail sur la deuxième lettre (les marches en avant),
l’alternance des appuis de deux pieds n’avait pas du tout nécessité un accent ni
une explications particuliers. Dans les deux cas, l’alternance des deux pieds allait
de pair avec la pulsation, et ne posait pas de problème : un pas par pulsation.
Or, là, l’alternance des deux types de marches modifiait totalement cette alter-
nance, et on obtenait, chez certains, non plus une alternance d’une marche sur-
place (avec transfert du PDC) et d’une marche en avant (avec transfert du PDC),
mais, toujours sur la pulsation, l’alternance d’une marche en avant et d’un assem-
blé SANS TRANSFERT DU PDC (= un assemblé sans posé). Ce qui amenait, par
exemple, à avancer le PG (pied gauche), à lui assembler le PD (pied droit) mais
sans transfert du PDC, et donc de repartir du PD en avant, alors que les autres
collègues repartaient du PG dans la même configuration. Ce qui avait aussi pour
conséquence de garder le PDC deux fois plus de temps (deux pulsations) sur le
même pied (gauche), ce que ces élèves n’avaient pas du tout fait auparavant.
J’ai observé cela très souvent chez des danseurs et des danseuses de forma-
tion classique ; comme si, pour eux, lorsque l’on assemblait un pied à un autre,
c’était toujours un « assemble non posé », et jamais avec l’habituel transfert du
PDC comme répété dans toutes les phases précédentes.
Illustration du pas chassé

Je suis navré de la tournure complexe que prennent, par l’écriture, cet exercice
et cette démonstration simples, d’une difficulté technique qui ne devrait pas en
être une. Le petit schéma ci-dessus peut aider, peut-être, à mieux comprendre
mon propos qui est d’autant plus important que, des assemblés-posés, nous en
trouvons une très grande quantité dans les danses de société (valse, rock, paso-
doble… on pourrait presque dire dans toutes ces danses !).
Cet exercice me semble aussi très important pour souligner comme nous ris-
quons, tous, de nous restreindre à nos habitudes, à nous limiter alors même que
les propositions sont très larges, en un mot à nous enfermer dans nos propres
prisons. Et cette prise de conscience me semble d’autant plus importante qu’il
nous va falloir être très clairs dans nos propres déplacements, parce que la per-
sonne que nous guiderons devra comprendre ce que nous faisons pour savoir ce
qu’elle doit faire, et cela, non par l’intelligence ni le mental (ni en regardant nos
pieds), mais par le sensoriel, et dans l’immédiateté de la danse.
Et l’exercice prendra toute sa signification dès que nous serons en couple, et
l’explication de guidage n’en sera que plus facile. Cr, si nous nous trompons et si
nous ne faisons pas ressentir à notre partenaire sur quel pied nous sommes, et
de quel pied nous allons avancer en suivant, nous avons une chance sur deux ne
lui marcher dessus. C’est le meilleur moment pour ça, si c’est ce que l’on vise !
C’est enfin le moment de s’amuser à reconnaître des formes, qui vont alimenter
nos bibliothèques chorégraphiques. Lorsque je pose la question de savoir com-
ment pourrait s’appeler le schéma que nous faisons ici en combinant une marche
en avant et une marche surplace, nombreux sont capables de répondre que nous
sommes dans un chassé, plus précisément dans « un chassé progressif », comme
indiqué depuis des décennies dans les ouvrages de technique internationale. C’est
même le premier pas de tango proposé, et qu’une multitude de danseurs prati-
quent au bal. Un pas qui a un passé glorieux : il s’appelle même, depuis les années
1910, le « chassé argentin » !
Beaucoup d’enseignants de XXe siècle ont utilisé cette forme pour commencer
à enseigner le tango. La grande différence, ici, c’est que c’est l’élève qui a décou-
vert la forme du chassé argentin, et non l’enseignant qui lui a collé une image
dans le cerveau, en lui disant que c’était « le pas de base du tango ». Ce pas ne
sera donc jamais mystifié, il restera souple et appartiendra en propre à l’élève qui
se permettra, non seulement de le modifier à souhait, mais à l‘utiliser dans d’autres
circonstances (et danses) sans avoir l’impression qu’il transgresse les lois de telle
ou telle danse.

Autres premiers mots, avec pas en avant et en arrière :


Nous passons alors à la combinaison des lettres deuxième et troisième : les
marches en avant et les marches en arrière.
Même principe : tout d’abord de longues séries de marches en avant suivies de
longues séries de marches en arrière. Puis observation : de ce qui se passe dans
le corps lors du changement de directions, c’est-à-dire le passage d’avant en ar-
rière, et inversement. Je questionne pour recueillir les sensations de chacun. Gé-
néralement, les propositions sont diverses, et elles peuvent même être tout à fait
contraire à la démonstration que j’ai l’intention de faire.
Certains approchent progressivement du résultat, et il arrive qu’il y ait quelqu’un
qui s’exprime ainsi : « Lorsque je décide de passer des marches avant aux
marches arrière, je garde du PDC en arrière », ou « je ne vais pas au-dessus de
l’appui avant »…
Nous observons alors logiquement ce qui se passe, en tenant compte du fait
que la vitesse influe assez fortement sur la facilité de l’analysé que l’on peut faire.
Mais il ressort assez rapidement que l’idée de garder du PDC en arrière si l’on
veut passer d’avant en arrière, ou l’inverse, est la bonne piste. Ceci peut s’expli-
quer de différentes façons.
Une possibilité est de dire que l’intention est très importante, si ce n’est fonda-
mental : il me faut, pour maîtriser mon propre corps, mettre de l’intention et de la
conscience dans ce que je fais, ce qui amène à penser que, alors même que je
fais mon dernier pas en avant, mon intention doit déjà être de reculer dans les
instants très courts qui suivront. Pour le dire différemment, je n’irai à l’aplomb de
mon pied avant si, et seulement si, j’ai l’intention de poursuivre vers l’avant ; et
que, donc, si j’ai l’intention de changer ma direction, je n’ai pas à l’aplomb de ce
pied avant.
Donc, mon corps se situera en arrière de l’aplomb avant, donc que je n’aurai
pas la totalité du poids de mon corps en avant, donc que j’aurai une partie de mon
PDC vers l’arrière, ce qui revient à dire que je serai entre deux appuis, ce que l’on
nomme un double appui, et que, donc, le déroulement habituel de la marche aura
été interrompue lors du double appui.
C’est l’occasion de présenter une partie technique de l’analyse de la marche
naturelle, en attendant de la voir en détail. La marche naturelle est une succession
de phases qui sont à peu près égales en durée : une phase de simple appui
(lorsque la jambe libre passe de sa position arrière à sa position avant en longeant
le corps, du moins dans une marche avant), et une phase de double appui (lorsque
nous sommes en équilibre entre les deux pieds, plus précisément entre la pointe
du pied arrière et le talon du pied avant, comme un peu le voir sur la photo de
Monsieur Hollande).
Lors du changement de direction entre l’avant et l’arrière, le mouvement de dé-
placement, cesse alors que l’on est dans la phase de double appui, moment où la
vitesse de translation vers l’avant passe par la valeur zéro, avant de s’inverser
vers l’arrière.
J’insiste alors un peu sur ce phénomène, pas seulement parce qu’il est simple,
fondamental et important pour guider, mais aussi parce qu’il est alors facile d’en
trouver une application directe et bien connue des personnes qui ont pris des
cours de danse de couple, surtout ceux qui ont suivi des cours de danse dite spor-
tive. Ceux-là connaissent le terme anglais : check, et ils savent dans quelles cir-
constances les enseignants s’en servent, sans pour autant expliquer le pourquoi
et le comment des choses. On entend beaucoup ce terme en cha-cha-cha ou en
rumba, mais aussi en valse, ou en tango. C’est très précisément lorsque l’on doit
changer de directions, lentement ou rapidement, et que, donc, logiquement, on
n’amène plus la totalité de son PDC sur le pied avant, mais seulement une partie
de ce PDC, l’autre partie préparant la marche suivante, dans l’autre direction.
Beaucoup de visages s’éclairent alors, et je vérifie alors les déclenchements
qui s’opèrent dans les esprits. Nombre d’entre eux laissent apparaître leur satis-
faction à comprendre — enfin ! – pourquoi ce terme existe, et surtout qu’il ne si-
gnifie en aucune façon « un verrouillage », (des genoux chez certains
enseignants), mais « un contrôle de son PDC que l’on ne doit pas laisser aller,
mais au contraire retenir.
Nous sommes alors dans des notions très fines de la technique internationale,
mais expliquées très simplement et surtout justifiées et clarifiées. Et nous sommes
loin des styles, mais au contraire dans les fondements du mouvement.
La réduction des séries de marches en avant et en arrière nous amène à dé-
couvrir, comme nous l’avons fait avec les marches surplace et les marches en
avant, de nouvelles formes très connues. Et on peut vérifier alors que ce n’est pas
parce qu’elles sont connues que je fais remarquer, mais bien parce qu’elles ap-
paraissent d’elles-mêmes dans les premières combinaisons, ce qui expliquera a
posteriori pourquoi elles sont devenues si célèbres.
Les stagiaires trouvent assez facilement ce que peuvent donner deux marches
avant et deux marches arrière : beaucoup appellent cela une hésitation (en effet,
on ne cesse d’hésiter entre l’avant et l’arrière, c’est donc une succession de
checks), ce qui s’utilise dans toutes les danses, même si certains ne pensent qu’u
tango.
Mais une marche avant combiné à une marche arrière s’appelle depuis des
lustres un balancé d’avant en arrière, un rock chez les Anglais, que l’on pourra
utiliser évidemment dans toutes les danses.

? Il manque les combinaisons de côté et surplace

Combinaisons de trois et quatre lettres, la chorégraphie :


Forts de nos trois lettres, nous pouvons alors enrichir nos évolutions et re-
prendre sur la piste de danse, le parcours qui nous plaît.
A l’exigence de précision qui avait pu accompagner l’exercice précédent, je
choisis souvent, alors, d’ajouter cette idée : « Prenez attention à ce qu’un obser-
vateur extérieur, moi en l’occurrence, vous voit et vous observe ; et qu’il serait bien
que vos mouvements soient facilement « lisibles » pour lui, ce qui signifierait que
vous seriez lisibles et compréhensibles pour la prochaine partenaire que vous
aurez dans les bras. Soignez donc vos mouvements, clarifiez-les, amplifiez-les si
besoin est, pour les rendre transparents à la lecture ». Et toujours, à ce moment-
là, les mouvements s’affinent.

Passage en musique :
Il faut se rappeler que tous ces exercices de mise en danse, de verticalité, de
réflexion sur le travail du pied, etc., ont été faits sans musique. Il arrive, parfois,
que j’utilise la musique un peu plus tôt, sous la forme d’une pulsation que je pro-
pose avec des frappes de mains, avec des claves, ou avec une boîte à rythme.
Mais il est intéressant, dans un premier temps, de prendre de la distance vis-à-
vis de la musique en général, tant c’est un facteur très important dans la danse,
et particulièrement dans les danses de couple.
Nous en arrivons alors à la phase dans laquelle nous allons faire intervenir de
deuxième facteur : le facteur temps. Là, se pose la question du choix de cette mu-
sique. En aucun cas, je ne souhaite qu’elle ne soit qu’une musique de fond. J’ai
d’ailleurs l’habitude de donner ce conseil à mes stagiaires : n’utilisez jamais la mu-
sique comme ambiance de fond tout en faisant faire des mouvements supposés
« mesurés », c’est-à-dire dans des rapports de durée à respecter. Si les élèves
entendent de la musique, il faut absolument qu’ils aient conscience du côté impé-
ratif d’être en musique, sur la musique, avec la musique. Il est très important que,
à aucun moment donné, ils puissent imaginer qu’il est possible de faire des pas
mesurés sans être avec la musique. Si la musique est là, il faut être avec elle.
Certains rétorquent, souvent, qu’ils souhaitent répéter leurs mouvements à une
vitesse plus lente, donc pas sur la musique : alors, il vaut mieux couper tout sim-
plement la musique.
Pour travailler ce deuxième facteur, nous mettons en position simple le facteur
espace : ce qui veut dire que, pour expérimenter le temps, nous nous contenterons
de faire des pas en avant, dans un premier temps, bien sûr. Nous reprenons donc
avec une pulsation lente, celle que j’avais utilisée déjà dans les phases précé-
dentes.
Pour ce moment, il m’est arrivé d’utiliser seulement un percussionniste pour
nous donner une pulsation lente et régulière, à laquelle tous les stagiaires doivent
se conformer. Il n’est alors plus possible de danser « quand on veut », il faut déjà
danser « avec tout le monde ».
Lorsque je n’utilise ni métronome, ni des frappes de mains, d’une boîte à
rythme, ni un percussionniste, je suis alors confronté à un choix très délicat : quelle
musique choisir pour nous donner cette pulsation simple et régulière. Toute mu-
sique trop typée fera entrer les stagiaires dans un imaginaire. Que ce soit un
tango, une rumba, un paso-doble ou toute autre musique, chaque fois, les sta-
giaires auront du mal à se concentrer sur le sujet du temps, et uniquement lui,
sans se laisser « impressionner » par le style musical. J’ai donc choisi pour ce
type d’exercice préparatoire, un vieux disque de fox-trots, très doux, lents, et sur-
tout pas trop typés.
Madison :
Souvent, après avoir travaillé ces lettres de l’alphabet chorégraphique sur un
rythme simple et régulier, je propose aux élèves présents de créer un petit assem-
blage de huit pas lents, dans les directions qu’ils souhaitent, de façon à pouvoir
répéter ces huit pas. On peut imaginer alors que le but est de créer une petite
danse sous la forme d’un madison. Mais on peut aussi se dire que cet « assem-
blage » pourrait servir comme pas de base par défaut pour du slow, ou même du
tango.
Chacun fait alors son petit enchaînement et je laisse les stagiaires travailler li-
brement. Mon seul travail consiste à les aider à répondre correctement aux
consignes : en particulier, il doit y avoir huit pas, pour ne pas dire huit transferts
du PDC. Donc, je repère ceux ou celles qui font un assemblé des deux pieds mais
sans transférer le PDC, ce qui a deux conséquences fâcheuses : au bout on se
retrouve sur le mauvais pied pour recommencer car on a passé deux pulsations
sur le même pied. Le rythme n’est pas respecté, et la chorégraphie ne peut pas
reprendre du même pied. Et je fais cet exercice encore une fois pour que chacun
comprenne bien ce qu’est un transfert du poids du corps. Et il s’en trouvent encore
beaucoup, à ce stade-là, qui mélangent les concepts.
Une fois les recherches effectuées, je propose à la personne qui a fait, de mon
point de vue, la proposition la plus intéressante et la plus fondamentale, de l’en-
seigner à tous les autres : c’est le premier cours de danse donné pour certains,
qui ne s’en rendent même pas compte.
J’en profite alors pour redire que le petit enchaînement trouvé pourrait réelle-
ment être un pas de base pour l’apprentissage du tango, tout en précisant que ce
ne serait que pour l’apprentissage, et qu’il faudrait bien expliquer alors à l’élève
que ce n’est qu’une proposition, que ce n’est pas vérité tombée du ciel, qu’il y a
une infinité de façons de se mettre en danse, particulièrement en tango. Et j’en
profite pour citer un pas de base célèbre de tango dit argentin, qui a été nommé
la salida, et qui est un ensemble de huits pas, qui utilise les quatre lettres de l’al-
phabet que nous venons de voir, et qui est une trame de travail passionnante pour
aborder le tango, à condition de ne pas prendre cette trame comme LE pas de
base obligatoire, vrai à l’exception de tout autre, du tango.
De là, il est très facile de convaincre les gens que la plupart des pas de danse
de couple, même lorsqu’ils sont sophistiqués, ne sont guère que des assemblages
de ces quatre lettres de l’alphabet, sur deux types principaux de durée. Que cela
suffit pour les repérer, pour les écrire, pour les mémoriser, pour les retrouver, et
donc pour les retransmettre.
Pour appuyer mon propos, je rappelle ce fait que j’ai observé dans un cours de
tango très bien mené.
Nous sommes dans un cours de tango (enseigné à la manière argentine), et le
professeur, qui a dans ses bras une danseuse dont personne ne connaît les quali-
fications particulières, dit : « A ce stage, alors que la fille a deux pieds joints avec
le PDC sur le pied gauche, donc le pied droit libre, que peut-elle faire ? Que peut-
il se produire ? La réponse est très simple : soit elle fait un pas en avant, soit un
pas en arrière, soit un pas de côté, soit elle transfert surplace son PDC vers l’autre
pied et elle change donc de pied de support ».
Cela correspondait exactement aux propositions que je faisais dans mes cours,
avec des pas en avant, en arrière, de côté ou assemblés. Il restait, et c’est évidem-
ment, tous les transferts de PDC vers une diagonale avant, ou une diagonale ar-
rière, et même les pas croisés qui sont les pas suivants que j’ai l’habitude
d’enseigner.

Les pas lents :


C’est une notion très simple du temps, une façon de marcher en se baladant,
sans se précipiter, et c’est la vitesse sur laquelle nous avons travaillé depuis le
début. Les consignes peuvent se préciser : il faut être le plus précis avec le temps,
c’est-à-dire, par exemple, que le talon, dans une marche avant, doit toucher le sol
exactement au début du son (soit, au début de la durée de la pulsation), et donc
ni avant, ni après. Il est alors intéressant d’écouter les chocs au sol de chaussures,
qui doivent tous se superposer, et se synchroniser. Il peut aussi proposer à cer-
tains élèves de s’extraire du groupe pour entendre ces bruits, qui doivent être syn-
chrones, et qui ne le sont pas toujours. L’écoute de ces bruits peut aider à
comprendre ce que sera une précision rythmique, et façon très simple.
Dans les exercices précédents, nous avions inventorié toutes les lettres de l’al-
phabet sur cette pulsation lente. Nous pouvons donc passer à une autre pulsa-
tion.

Les pas rapides :


Pour passer à la vitesse suivante, et pour le faire correctement, un minimum
d’explication est nécessaire, surtout si l’on veut que l’élève apprenne à maîtriser
ces rapports de durées. Il s’agit alors d’aller deux fois plus vite, c’est-à-dire de
poser deux fois plus de pas au sol que dans la phase précédente.
Le plus délicat à comprendre, pour un débutant, c’est ce rapport de 1 à 2 qui
va s’installer, et qui va représenter une loi très rude au début. Il lui faudra ap-
prendre à passer de pas lents à des rapides le plus vite possible (dans le sens
où, à l’inverse d’une automobile, il ne dispose que peu de temps pour passer de
l’un à l’autre, un peu le temps de traverser le passage à niveau à l’arrivée du train).
Il n’est pas question pour lui (ni pour sa partenaire, ni pour le couple dans sa glo-
balité) d’utiliser trop de temps en une accélération tranquille pour passer de la vi-
tesse d’un pas à deux pas dans le même temps, ni de ralentir très
progressivement pour l’inverse. Il faut que le passage soit bref, au risque de pas-
ser sur ce qui s’appellera le contretemps.
Je propose aux élèves l’image suivante : il s’agit d’une échelle horizontale, un
genre de pont de singe, et le but est de passer d’un barreau de bois à un autre,
sans mettre le pied entre les barreaux. C’est net et précis. Si on met le pied entre
les barreaux, on risque de passer à travers, et d’arriver à contre-temps.
Cette loi est, au début, assez difficile, elle est très rude. Par contre, lorsque la
règle sera totalement intégrée, cette loi deviendra une aide précieuse, incontour-
nable en danse de couple. Pour une raison très simple : la partenaire écoute aussi
la musique, et elle va pouvoir anticiper, deviner plus facilement ce que son parte-
naire va lui proposer, exactement comme quelqu’un qui marcherait, sur notre pont
de singe, en arrière, et se fierait à la grandeur des pas de celui qui avance pour
poser son PDC de barreau en barreau.
Logiquement, cette partenaire s’attendra à certaines durées (courte ou longue
dans notre cas), et pas du tout à d’autres durées. Elle interprétera ainsi plus faci-
lement ce qui se passe, et ce qu’elle peut faire. Elle réajustera même le cas
échéant, si nécessaire.
Pour présenter ces pas rapides, je propose la progression suivante :
1 — frapper tous ensemble la pulsation lente dans les mains (et sans la mu-
sique) ;
2 — Faire entendre ce que signifie la vitesse rapide (le double) ;
3 — Frapper tous ensemble la pulsation rapide ;
4 — Proposer, toujours en cercle, donc en groupe, des alternances de lents et
de rapides.
Je fais souvent un jeu. Je me mets face au groupe et j’explique que, avec les
doigts de ma main droite, je vais afficher combien de lents devront être frappés ;
et avec les doigts de la main gauche, combien de rapides devront être frappés à
la suite, avant de recommencer au début. Et j’affiche ainsi 1 doigt d’un côté (les
lents), 2 doigts de l’autre (les rapides) ; puis, 2 et 2 ; 3 et 2 ; 2 + 4 ; et ainsi de suite.
Une fois que tout ceci est bien rodé, nous passons au corps, sachant que, pour
un débutant, une alternance du PDC en rythme est plus difficile qu’avec les mains,
en tout bon sens. En effet, l’alternance des pieds, non seulement implique le corps
et son poids dans son ensemble, mais cela implique aussi une autre difficulté :
l’acceptation (et la compréhension) que, suivant les rythmes (pairs ou impairs), le
cycle rythmique (que l’on peut assez facilement mémoriser après deux ou trois
fois), va commencer toujours du même pied (dans le cas d’un rythme pair), ou
d’un pied puis de l’autre (dans le cas de rythmes impairs). J’ai pu constater moi-
même cette difficulté chez des personnes pourtant habituées au rythme, du moins
à certaines catégories de rythmes. Voyons l’exemple.
Je suis dans un groupe de travail de musicothérapeute professionnels. On m’a
demandé de proposer un cours sur le rythme. Et j’ai choisi de ne pas trop parler
mais de proposer des exercices réels aux participants.
Je prends le rythme du paso-doble, puis celui de la rumba, puis celui de la
valse, et ainsi de suite, et, dans un premier temps, nous ne faisons que frapper
dans les mains. Tout se passe très bien.
Puis nous engageons le corps, ce qui veut dire que nous coordonnons. Je choi-
sis de rythme du cha-cha-cha qui est toujours constitué d’un nombre de 5 appuis
sur 4 temps.
Je n’oublierai jamais ce qui s’est passé. Sur la trentaine de participants, environ
5 personnes qui me suivaient (nous dansions sous la forme d’une farandole, dans
un système d’imitation, sans explications verbales) ont mis environ 15 minutes
pour prendre le rythme du cha-cha-cha. Pourquoi trouvaient-elles ce pas si diffi-
cile ? Parce qu’elles tentaient de recommencer chaque cellule rythmique avec le
même pied. Donc, soit elles étaient amenées à supprimer un pas, soit à en ajouter
un. Et elles ont mis tout ce temps-là pour comprendre que le pas reprenait une
fois d’un pied, et une autre fois de l’autre pied, tout simplement parce que ce
rythme comportait un nombre impair d’appuis.
J’en ai déduit qu’elles étaient habituées à prendre un rythme, et à faire en sorte
qu’il reprenne toujours du même pied ; donc, elles n’utilisaient que des nombres
pairs : 2, 4, 6, 8, et ainsi de suite, et jamais les nombres impairs.
Lors de passage des frappes de mains, aux frappes de pied, nous travaillons,
bien évidemment, surplace, ce que je ne devais pas faire au début de mon ensei-
gnement. Aujourd’hui, il me semble évidemment que l’apparition du poids du corps
est une difficulté déjà suffisante, sans aller en plus y ajouter des travaux dans l’es-
pace. Travailler seulement avec des piétinés est largement suffisant pour le dé-
butant.
Je peux dire, pour donner un exemple personnel, que, au début de mon e en-
seignement, j’ai dû expliquer le cha-cha-cha comme mon professeur avait dû le
faire pour moi, et comme beaucoup d’enseignants le font encore aujourd’hui.
Mettant mes élèves tout de suite derrière moi, dans une parfaite pédagogie de
l’imitation pure et dure, je montrais le pas de base du cha-cha-cha dans sa forme
finale, et donc sans la moindre progression. C’est-à-dire que nous abordions dans
le même temps : le rythme qui n’est pas un rythme simple, le poids du corps, et
l’espace, avec les pas en avant, les pas en arrière, les pas de côté et les pas assem-
blés. Et tout cela avec le rythme correspondant, aux bons endroits, bien évidem-
ment.
On aurait pu alors me dire ce que je dis à certains élèves-enseignants : si vous
souhaitez démontrer par A + B que la danse, c’est difficile à apprendre, surtout
faites comme je faisais : tout en même temps. Vous perdrez vos élèves, qui met-
tront beaucoup de temps pour comprendre ce que vous attendez d’eux. Certes,
les plus tenaces reviendront plusieurs fois, ce qui sera un gros avantage pour votre
chiffre d’affaires, mais combien seront alors totalement, et dès le premier moment,
découragés ? Vous ne le saurez jamais.
Donc il vaut mieux prévoir, réfléchir aux difficultés, et ne pas se rassurer de
ceux qui reviennent prendre des cours, mais plutôt tâcher de comprendre pourquoi
certains ne reviennent pas, d’autant plus que ce n’est donc pas eux qui vous l’ex-
pliqueront, puisque vous ne les reverrez pas.
Après avoir mis le rythme dans les pieds, surplace, on peut alors commencer
à jouer avec l’espace et le rythme en même temps. Sans oublier que cette mise
en rythme surplace sera presque toujours le début de la danse, une façon de se
mettre en rythme tout en se mettant en jambe, nous abordons alors l’espace dans
sa totalité.
? Préciser la place de la combinaison des lentes et des rapides
Je propose alors aux stagiaires de reprendre des marches en avant sur des
lents, de se préparer à passe à la vitesse supérieure et d’enclencher des pas ra-
pides. Et de faire ainsi des séries de pas lentes suivis de séries de pas rapides,
suivant leur envie, mais tout en écoutant la musique. A ce stade-là, j’observe. Et
je pose une question qui peut sembler très banale à certains, mais qui me semble
capitale. Je leur demande alors ce qu’ils ont observé.
Ma demande ne peut pas trop précise, au risque de vendre la mèche qui va
me servir à allumer un feu de la découverte et du bon sens. Les réponses sont
souvent évasives, surtout parce que les gens ne savent pas ce qu’ils sont suppo-
sés avoir observé. J’oriente progressivement la réflexion en leur disant qu’il y a
une observation très importante à faire lorsque l’on mélange des pas lents et des
pas rapides. Généralement, quelqu’un a une bonne idée, et nous la dit.
Il s’agit d’observer que les séries de pas lents peuvent être composées d’un
nombre pair ou impair de pas, alors que les séries de pas rapides ne peuvent être
composées que d’un nombre pair de pas. Pour certains, c’est évident. Pour
d’autres, pas du tout. Cela demande un tout petit calcul mental, ou un exercice
de bon sens. Et j’ai toujours, dans tous les groupes, des personnes qui sont tom-
bées dans le piège, et qui alors, confirmant ce que j’avais moi-même observé, ont
utilisé des séries de pas rapides en nombre impair. Or, cela n’est pas possible.
Pour quoi ? Comment ?
Tout simplement parce que les pas lents sont des demi-pas rapides, et que, di-
visant des pas lents en deux parties égales, on ne peut trouver qu’un nombre im-
pair de demi-portions. J’ai de ceux qui ont du mal à faire ce petit calcul rapide en
disant : « Si vous achetez, chez votre boulanger, un nombre quelconque de ba-
guettes de pain, et que vous les coupez toutes ou certaines en deux parties
égales, vous ne risquez pas de trouver un nombre impair de demi-baguettes ».
Cela peut paraître un peu simplet, mais je ne pense pas que cela le soit. Et la
réalité me le prouve chaque fois : alors que viennent me voir des personnes qui
dansent depuis longtemps, dont certaines enseignent déjà, certaines étant déjà
diplômées par l’état, il y en a toujours qui, jouant avec le rythme, vont aboutir, sans
même s’en rendre compte, à des nombres impairs de pas rapides.
Cela ne se produira pas au bal : sinon, le couple passerait alors sur ce qui s’ap-
pelle le contretemps. Bien évidemment, rien n’interdit de faire ce choix, mais à
condition que, justement, ce soit un choix. Or, la plupart du temps, les personnes
qui passent sur le contretemps le font, non par choix, mais par erreur, car elles ne
savent pas ce qu’elles font, et que personne n’a pris le temps de leur expliquer
une loi basique et fondamentale du rythme, pourtant pas bien difficile.
Voilà à quoi peut servir cette forme d’exercice, mon but étant aussi de déve-
lopper l’esprit de logique et le bon sens naturel des enseignants. Et c’est une ex-
cellente occasion pour mes élèves de savoir où ils en sont de leur bon sens et de
leur logique, et pour moi, de repérer ceux que je dois aider.
Puis, toujours en solo, mais en musique, les élèves sont invités à se déplacer
dans l’espace, en utilisant toutes les lettres de l’alphabet de l’espace, et en jouant
avec des pas lents et de pas rapides, mais en respectant évidemment la musique.
Généralement, je prends le temps de montrer au moins, ce que pourraient des
pas encore plus rapides : c’est plus rare, ce n’est pas indispensable pour com-
mencer à danser très agréablement, et cela peut être reporté à plus tard. Mais
évidemment, cela existe, comme des pas encore plus lents que les lents, comme
des doubles lents, et je finis pour dire, que dans de nombreuses danses, on peut
aussi arrêter totalement le mouvement, et cela un certain temps, à condition de
respecter toujours la trame de la musique.

Conclusions de la partie solo :


Après le mélange des trois lettres, nous ajoutons enfin la quatrième, ce qui per-
met d’inventer des pas de base, si ce n’est de véritables chorégraphies. Et c’est
à ce moment-là que je propose à chacun de composer un groupe de huit pas de
son choix, groupe utilisant les quatre lettres, et de façon répétitive, comme un pas
de base de tango, par exemple, ou une petite chorégraphie de madison. Je suis
alors amené à corriger tous ceux et celles qui ne considèrent pas encore qu’un
pas assemblé à un autre est aussi un transfert du PDC si on respecte la pulsation.
Je corrige aussi les imprécisions, avant de choisir le groupe fait par l’un des sta-
giaires présents afin de lui demander de l’enseigner à tous les autres. Et on peut
vérifier alors qu’on obtient un groupe utilisable dans de nombreuses danses, ou
pour une danse en ligne.
Les danses de couple ne peuvent en aucun cas se résumer à quatre lettres,
bien évidemment, et ce n’est pas le but de ma démonstration, mais on peut faci-
lement imaginer que, avec cette technique d’analyse, il sera facile non seulement
de comprendre et de mémoriser des successions de pas, mais aussi de les écrire,
d’en tirer des progressions pédagogiques, avant de les offrir aux élèves de façon
qu’ils en fassent très exactement ce qu’ils veulent, en toute liberté.
Présentation du couple

Le passage en couple va bientôt se faire, mais je prends toujours un peu de


temps pour présenter le couple et proposer mes convictions en la matière. Et pour
cela, j’ai choisi deux exercices, l’un pour développer la proprioception (c’est-à-dire
la perception interne du corps), et ce que je vais appeler la « pression positive » ;
et l’autre, pour développer la conscience de la préparation du mouvement, l’inten-
tion et le regard.

Premier exercice préparatoire :


Cet exercice se fait à deux, en face-à-face, donc pas encore dans les bras les
uns des autres, mais avec un contact de paumes à paumes (l’un offre ses paumes
retournées et à hauteur du plexus, à l’autre qui prend la même position). C’est un
jeu, qui consiste à conserver une pression toujours égale entre les paumes de
mains.
Les stagiaires se désignent chacun dans leur couple : l’un sera « l’émetteur »
et l’autre « le récepteur » des informations. Le récepteur peut fermer les yeux de
façon à ne pas interférer dans les émissions de l’autre en s’aidant du regard (d’au-
tant que cela peut troubler tout le monde), pendant que l’émetteur garde les yeux
grands ouverts, en ayant une conscience totale de l’environnement.
D’alors sur place, en se balançant de droite à gauche, l’émetteur va proposer
au récepteur de se positionner sur un pied ou sur l’autre, sans utiliser la parole,
mais seulement par sa propre position. On voit très vite, et déjà là, que l’émetteur
n’a rien d’autre à faire que d’être lui-même être clairement positionné sur un pied
pour que l’autre soit correctement positionné sur le pied correspondant. Cela est
le travail surplace, première lettre de notre alphabet de danse.
Puis l’émetteur peut se lancer vers l’avant en marchant tranquillement, mais
tout en faisant son possible pour ne pas surprendre l’émetteur, bien au contraire
en l’avertissant grâce à l’anticipation de son mouvement. Le travail du récepteur
consiste à conserver une pression égale dans les paumes de mains. Donc, l’émet-
teur avançant, la pression va augmenter, donc le récepteur va logiquement reculer
s’il respecte la règle. On pourrait dire que cela correspond à « pousser l’autre »,
expression que je n’utiliserai jamais, mais que je remplacerai par cette augmen-
tation de pression qui est la conséquence logique de l’avancée de mon propre
corps.
Je dois alors surveiller les bras trop mous, mais surtout les bras trop raides, et
c’est l’occasion de « planter une graine », qui est celle de l’eutonie, la tonicité
juste, concept de Garda Alexander.
Puis vient la marche arrière pour l’émetteur et avant pour le récepteur. Là, la
chose devient plus nouvelle, beaucoup de guides tirant leur partenaire pour la
faire avancer.
Dans cette configuration, il n’est plus nécessaire de tirer qui que ce soit : il suffit
de réduire la pression, ce qui doit se faire très simplement et très logiquement lors
du recul du corps de l’émetteur. Si le récepteur respecte la règle du jeu, il sera
contraint de plus partir en arrière, mais d’avancer, comme s’il était mu par ce vide
que l’émetteur crée devant lui.
L’émetteur pur donc transférer surplace, avancer, reculer. Il peut aussi proposer
des pas de côté plus sophistiqués : des pas chassés. Mais aussi des rotations,
durant lesquelles il faut surveiller qu’il ne « manipule pas » le guidé comme on le
ferait avec poignées. Il faut aussi surveille qu’aucun crochet ne se met en place
pour pallier la difficulté, par exemple un pouce refermé pour serrer des doigts…
Ceci étant en relation on ne peut plus directe avec les prochaines danses en
couple.
L’émetteur peut aussi se lancer dans des changements de dynamique : aller
plus vite, plus lentement, courir, tout stopper…
Il doit ne pas oublier de gérer l’espace et les autres qui sont en train de « dan-
ser » autour de lui, penser à qui et à ce qui est derrière son partenaire, mais aussi
derrière lui-même. C’est l’émetteur qui doit, grâce à des appuis au sol solides et
clairs, donner confiance au récepteur, afin que ce dernier ait une chance d’aban-
donner le mental pour seulement laisser son corps logiquement réagir aux infor-
mations qui arrivent. C’est l’occasion pour le récepteur de travailler aussi son
« relâché » et sa décontraction. Ce moment peut atteindre un intense relâchement
qui ne perd pas, pour autant, la qualité de la présence.
Durant tous ces exercices, il aura l’occasion de ressentir ce qu’est cette prépa-
ration, cette anticipation, totalement inhérente, non seulement au mouvement,
mais plus particulièrement aux danses en couple, qui est « l’anacrouse » du mou-
vement.

Enfin, chacun des stagiaires est à son tour émetteur et récepteur, car, à ce ni-
veau de travail, peu importe le rôle, chaque danseur et chaque danseuse devant
s’imprégner totalement de ces concepts et de ces fonctionnements.
Il est aussi indispensable de pratiquer ces exercices avec tous les collègues,
pour se rendre compte des différences qui peuvent apparaître d’un individu à
l’autre, ne pas parler durant les exercices pour permettre à chacun de développer
son langage non-verbal et son écoute du non-verbal. Par contre, il est judicieux
de laisser un temps d’échange verbal entre partenaires à la fin de chaque temps
de travail afin d’échanger verbalement et compléter, corriger ou conforter ses sen-
sations.
On était là sur le développement de sensations internes, en lien avec des per-
ceptions internes autres que par le regard. L’exercice suivant va compenser en
accordant une place prédominante à la vision.

Second exercice préparatoire :


Cet exercice se fait, lui aussi, à deux, mais l’un étant derrière l’autre. Celui qui
est devant est l’émetteur, l’autre est le récepteur. Le récepteur doit « suivre » par-
tout son guide, et le suivre le plus possible en imitant ce qu’il fait, en terme de pas,
de vitesse, de direction, d’amplitude, etc.
Cet exercice-là permet à chaque émetteur de développer sa conscience « ar-
rière », dans son dos, tout en gardant l’idée que la personne qui lit son mouvement
est à cet endroit-là. Par exemple, il est évident que, s’il souhaite que l’autre le
suive, il ne peut se permettre de faire volte-face brutalement : il doit adapter aussi
son propre mouvement aux capacités de cet autre.
Il sait aussi qu’il lui sera plus difficile de reculer, sauf à développer fortement
son anticipation de façon à ne pas prendre le risque de marcher sur son collègue.
Il peut s’amuser à coordonner des bras, pour complexifier le mouvement et l’en-
richir. Il peut aussi se demander qu’elle est la partie de son corps qui pourra le
mieux guider l’autre, lui donner le plus d’informations utiles, et le moins de rensei-
gnements contradictoires.
Le récepteur, lui, doit se donner le temps de la réaction, son temps de réponse
pouvant varier et ne pouvant jamais être ramené à zéro, en toute logique. Il faut
donc le rassurer.
Mais la question qui me semble la plus importante à se poser en tant que ré-
cepteur, et c’est celle que je pose toujours, pourrais s’énoncer ainsi : « Quelle est
la partie du corps que je dois prendre le plus en charge dans mon observation de
l’autre ? ».
Les réponses varient souvent beaucoup. Avant que les gens ne répondent, il
est facile de deviner, seulement en les regardant faire, ceux qui vont répondre
qu’ils regardent les pieds, et ceux dont le regard est plus haut. J’ai eu des per-
sonnes me disant qu’ils avaient surtout regardé les épaules, ou qui ont développé
un grand regard : un regard dit « périphérique ». Nous ne sommes pas loin alors
de ce qui me semble être la bonne réponse. Mais je n’ai que très rarement obtenu
la réponse la plus satisfaisante : j’ai regardé la tête, le « chef ».
En effet, c’est ce chef, le sommet du crâne qui indique le mieux l’anticipation
de l’action, du mouvement, du départ en avant, sur le côté ou en arrière. C’est
bien là, à condition évidemment que l’ensemble du corps soit structuré, non figé
mais cohérent dans son ensemble, que le mouvement « visible » commence (les
premiers mouvements invisibles se produisent, à l’intérieur du corps, dans la partie
arrière du corps où le sujet lâche les muscles — les haubans — qui l’empêchent
de tomber en avant).
Je prends souvent des images pour expliquer le phénomène et renforcer mon
explication : si, un jour de grand vent, la Tour Eiffel devait s’abattre au sol, c’est
bien sa flèche qui partirait en premier, comme la tour de Pise, l’ancrage de la base
dans la terre, du fait de la gravitation universelle, lui donnant aucune possibilité
de glisser en se laissant emporter par le vent.
Pour donner d’autres visions, je me mets toujours de profil vis-à-vis des sta-
giaires pour montrer, très lentement, comme se déplace ma tête lorsque je passe
d’une position de repos à une marche avant, ou de repos vers une marche arrière.
Et cet exercice prépare totalement à l’un des premiers essais de guidage que nous
faisons par la suite, en valse, et bien que nous soyons souvent dans un niveau
de débutant, en guidant des pas de change avant et des pas de change arrière.
Regarder les pieds, dans cet exercice, et il est intéressant de le noter, revient
à regarder le résultat du mouvement et non sa préparation, sa réalisation finale et
non son démarrage, son aboutissement et non son initialisation. Or, si l’on veut
arriver à l’heure, le départ du mouvement qu’il faut surveiller, et non pas son arri-
vée : sinon, c’est la meilleure façon d’arriver trop tard !

La mise en couple :
Exceptionnellement, la première fois, je vais prendre le temps d’expliquer pas
mal de points de détails, et répondre à quelques questions qui se posent réguliè-
rement. Et l’explique alors que l’on peut inventorier 5 points de contact importants
entre les deux corps des danseurs.

La position des mains et les contacts en couple :


1 — Le premier point de contact est, logiquement, le prolongement du premier
exercice préparatoire vu plus avant : la paume de la main gauche du garçon contre
la paume de la main droite de la fille. C’est une façon d’aller se chercher, de s’ap-
peler, à distance, chacun des deux faisant un pas en avant pour retrouver l’autre.
On retrouve donc tout ce que l’on a mis en place durant l’exercice, et on fait son
possible pour retrouver toute la qualité de ce contact : eutonie, chaleur, présence,
relâchement, conscience, etc.
2 — Le deuxième point de contact pourrait être celui de la main gauche de la
fille sur le bras droit du garçon. Ce mouvement vient du haut et s’en va vers le
bas. La main se pose où elle veut, sinon ou elle peut, sachant que, en position de
base (c’est-à-dire non stylistique de mon point de vue), cette position de main va
dépendre les longueurs des bras et avant-bras des deux danseurs. Pour répondre
à cette question tout en restant général, j’aurais tendance à dire que la fille va re-
plier son coude, en avançant ce dernier jusqu’au plan de symétrie des deux dan-
seurs, donc sans trop (de façon à garder à la fille une expression arrière de son
bras, dans le prolongement de son dos), ni en arrière de ce plan de symétrie pour
les mêmes raisons. El repliant le coude, on obtiendra la position naturelle de
l’avant-bras et la pose tout aussi naturelle de la main.
3 — Pendant que la fille plie son coude gauche et pose sa main sur le bras
droit du garçon, ce dernier plie son coude droit et pose la paume de sa main droite
sur la partie basse de l’omoplate gauche de la fille. A cet endroit, il est en lien
direct avec les muscles croisés du dos de sa partenaire.
Entre la main gauche de la fille, dont la paume est dirigée vers le bas, et la sur-
face supérieure du bras droit du garçon, on tente de retrouver, à l’horizontal, le
même jeu de pression positive que nous avons entre les mains gauche du garçon
et la droite de la fille, mis à part le fait que ce jeu de pression se passe le long
d’un axe vertical et non plus horizontal. Mais l’enjeu est le même, la conception
du contact peut être identique aussi, et c’est à ce propos que l’on entend les en-
seignants dire que « le garçon ne doit trop lever le bras, et la fille ne pas peser
trop sur le garçon », mais juste ce qu’il faut, en eutonie, et en jouant continuelle-
ment dans ce contact qui doit rester vivant et se négocier de façon continue durant
la danse.
4 — Le quatrième contact, du moins en tant que débutant où lors d’une pre-
mière approche, sera encore là : la partie inférieure du bras de la fille, sur la partie
supérieure de l’avant-bras du garçon, l’idée étant de chercher un maximum de
contact pour un maximum de sensations en vue du guidage. On peut y retrouver
le même principe de pression positive à nouveau.
5 — Enfin, le cinquième point de contact très connu est plus intime, plus rare ;
il n’apparaît jamais comme une conquête de l’homme (sauf styles…), mais comme
un rapprochement des deux corps vers uns symbiose plus profonde. Il s’agit de
s’approcher l’un de l’autre au point que les parties droites des deux flancs, des
deux estomacs, se touchent. Cela ne peut se réaliser naturellement que lorsque
les pieds des danseurs sont emboîtés, et c’est aussi pour cela que les danseurs
sont si souvent « emboîtés à droite », c’est-à-dire que le pied droit de chacun est
entre les deux pieds de l’autre, une position très européenne qui vient de la valse,
et qui s’est approfondie en tango. Sans cet emboîté à droite, ce contact ne serait
pas possible « naturellement », sauf à archer les corps en allant chercher, avec
son centre, celui de l’autre.
Cette posture, et en particulier ce dernier contact, permet à la communication
des microguidages qui servent au guidage, de se transmettre beaucoup plus ra-
pidement. Dans cette position, le moindre mouvement du centre du corps du gar-
çon, par exemple son centre de gravité, se transmet directement au centre de la
fille, sans faire le grand chemin qui passe par les bras. Le guidage sera beaucoup
plus fin, plus rapide, et plus précis. Nous y reviendrons souvent. Mais il est certain
qu’il ne sera pas facile au début, qu’il doit se travailler, se proposer d’un partenaire
à l’autre, afin que ce ne soit jamais « une conquête » du garçon, ni un abandon
de la fille.

Les premiers pas :


Une fois dans les bras les uns des autres, et après toutes les précautions que
nous avons prises, la danse peut commencer sans problème. Les tout nouveaux
arrivants ne sont déjà plus des inconnus pour les autres.
Il s’agit, à ce stage, de reprendre tous les exercices faits en solo, et de les re-
faire à deux, l’un guidant l’autre, et d’expérimenter à la fois le rôle d’émetteur et
celui de récepteur.
C’est ce que j’appelle la construction du couple dansant, ce qui fut mon sujet
de DEA.

La construction du couple dansant :


Dans l’ordre, nous reprenons donc les découvertes des lettres de l’alphabet de
danse de couple. Et les danseurs comment à balancer d’un pied sur l’autre.
Pour moi, beaucoup d’information est à faire à ce moment-là.
Premièrement, il est évident pour moi qu’ils sont en train de danser. Certes, la
danse est très simple, basique, presque monotone. Mais c’est la danse de deux
personnes qui ne se connaissent pas, qui se rencontrent, qui se sont pris délica-
tement dans les bras, qui « se reniflent », qui prennent le poids de l’autre (comme
disent certains enseignants argentins), « se soupèsent » en quelque sorte, avant
de se lancer, progressivement, dans une nouvelle aventure. Car chaque rencontre
est forcément une nouvelle aventure. Et c’est ainsi, par des pas surplace, dyna-
miques, en musique (impérativement), que je propose de mettre en danse tous
les couples.
C’est l’occasion de préciser que cette conception de démarrage d’un couple
s’oppose radicalement à un départ brutal, calculé, d’un certain pied (l’autre étant
légèrement en arrière du pied de terre, dans une façon de recroqueviller la jambe,
ce que l’on a vu dans de nombreuses écoles de danse). De fait, la danse sera ef-
fective très vite, rapidement dans le mouvement et la musique, sans intervention
du mental. En fin de compte, plus personne ne sait de quel pied la danse a com-
mencé. Quelle simplicité !
C’est aussi l’occasion de préciser que le guide doit, il me semble, mettre le
couple, et la conversation qu’il entreprend, très progressivement en place. Pas
question de commencer directement par le dernier pas appris en classe : il faut
d’abord faire connaissance, et pour cela, le guide doit écouter l’autre, pour com-
prendre quel sera le meilleur langage à utiliser dans cette relation qui ne ressem-
blera à aucune autre. On fait connaissance, et, dans un premier temps, « on
assure ses arrières » : on commence par éviter de marcher trop vite sur les pieds
de l’autre. Balancer d’un pied sur l’autre est un moyen tout à fait simple et très
performant.
Et c’est là qu’apparaissent l’importance de ce changement de PDC sur place,
et celle de sa précision.
Une fois que le couple a balancé sur place, on peut aborder la deuxième lettre :
marcher en avant pour le garçon et en arrière pour la fille. C’est là que le guide
doit faire très attention à l’espace dans lequel il propulse sa cavalière : si elle re-
cule, elle ne voit pas où elle va ; donc, elle doit pouvoir faire confiance à son guide,
qui devra prendre donc des précautions pour deux. Et la danse continue avec ces
deux lettres.
Puis, le guide peut alterner à sa guise des pas surplace et des marches en
avant, toujours en respectant la pulsation simple et sans la changer encore (ce
sera seulement lorsque la notion de temps entrera en compte qu’il jouera avec
elle).
Dès qu’il le souhaite, il peut faire intervenir des pas en arrière, mais là, il doit
redoubler d’attention, car il a une bien moindre vision et conscience de ce qui se
passe dans son dos. Les exercices fait auparavant peuvent l’aider à comprendre
qu’il y a différentes façons d’éviter les échecs. Tout d’abord, il peut limiter le
nombre de pas en arrière pour limiter les risques. Il peut aussi, par exemple à l’oc-
casion d’un coin de pièce, avoir mémorisé quels sont les danseurs, en fonction
de leurs propres mouvements, vitesses, déplacements, qui peuvent encore ou
nouvellement se trouver derrière lui. Il peut aussi regarder, c’est-à-dire ne pas figer
son regard devant lui, et encore moins sur sa partenaire, mais utiliser ses cervi-
cales pour garder conscience de son environnement.
Enfin, il peut faire confiance à sa partenaire, qui justement voit la portion d’es-
pace qui lui échappe, et lui laisser l’opportunité d’intervenir dans leur mouvement
en offrant une résistance positive avant un choc éventuel. Pour atteindre ce ni-
veau, il aura fallu qu’il se soit préparé à l’idée qu’il n’est pas seul à guider, mais
que ce guidage est lui aussi un partage. Il aura fallu qu’il se soit préparé à l’idée
de faire comprendre, par son attitude, à sa partenaire, qu’elle peut intervenir. Et
tout cela précise progressivement la « conversation » dans laquelle se trouve le
couple dansant.
Progressivement, il tentera d’incorporer des pas de côté, et le langage en quatre
lettres sera lancé. Il faut ajouter que les pas de côté sont très pratiques pour com-
mencer la danse car, non seulement, le guide sait très bien qui est à côté de lui,
mais surtout, en faisant un pas de côté d’un pied droit à droite, il peut être certain
que sa partenaire fera automatiquement un pas de côté du pied gauche et vers la
gauche. C’est là que l’on peut apercevoir le principe même de ce que peut signifier
guider, mais aussi suivre. C’est autant, pour le guide, commencer par faire lui-
même sans chercher à faire faire à sa partenaire, que pour le guidé de refuser
d’être mis en déséquilibre, donc de faire le pas nécessaire et suffisant pour re-
trouver l’équilibre le plus simple.
!! Le principe du guidage par bon sens !! Trouver d’autres exemples.
Désormais, le couple est lancé dans une danse non seulement libre, mais créa-
tive, intelligente (dans le sens où une relation intelligente se met en place
(concept), une intelligence), et les interactions entre les deux danseurs se font
sentir.

Introduction du temps
Lorsque le couple souhaite aborder la notion du temps, il est simple de com-
prendre que le guide va d’abord calmer sa relation à l’espace pour se concentrer
sur ce nouveau facteur. Le garçon va donc, peut-être, reprendre les marches les
plus simples : en avant pour lui, et en arrière pour elle. Et, comme il l’a fait simple-
ment en position solo, il va se préparer à passer à la vitesse supérieure, au moins
quelques pas (un nombre impair, évidemment, comme découvert plus haut).

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