Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
On me demande souvent, par lettre ou par mail, des détails sur le contenu de
la formation que je propose à Toulouse, au sein de l’Institut de formation en danses
de société que j’ai créé en 2002. Je suis toujours embarrassé de devoir résumer
en quelques lignes ce qui constitue toute une façon de faire, tout une méthode
pédagogique, que l’on s’intéresse aux grandes lignes ou aux détails de certaines
parties.
Par exemple, et pour donner un exemple au lecteur, on me demande souvent
si j’enseigne des styles de danse : le tango argentin, la lindy-hop, la rumba. Il m’est
alors difficile de répondre en quelques lignes, tant j’accorde d’importance aux mots
et à la précision des idées. Par exemple, dans mon enseignement, je parle évi-
demment de la danse qui s’appelle le tango, mais j’utilise souvent l’expression :
« le tango DIT argentin » lorsque l’on me questionne sur une danse apparemment
à la mode depuis les années 1990 en France. Pourquoi ?
D’où l'idée de tenter d'écrire quelques lignes sur ce que l'on pourrait appeler
ma méthode, en tout cas ma façon de penser les danses de société et leur ensei-
gnement.
Une autre raison est la suivante : le ministère de la Culture lui-même m’a
conseillé de déposer ma méthode. Or, en France, on ne peut pas déposer une
méthode ; un écrit, oui ; un dessin ou un sigle, oui ; mais pas une méthode.
Donc, publier progressivement, sur le site de l’Institut, ce qui fonde mes idées,
ce qui signe l’esprit dans lequel je travaille depuis de nombreuses années et ce
qui anime mes formations, est une façon de répondre aux questions que l’on me
pose, une façon aussi de déposer officiellement mes idées et ce que l’on peut ap-
peler ma méthode, qui décrit assez bien qui je suis et ce que je pense de ce beau
métier.
J’espère que cela ne paraîtra pas trop prétentieux, tant il m’importe de faire
comprendre combien ces danses, et surtout leur enseignement, sont à la portée
de tous, de chacune et chacun.
Entrée en formation
Il y a une autre question que je préfère poser sur la table de travail dès le début.
Non seulement il faut être humble pour accueillir un enseignement nouveau, mais
il faut en avoir la première capacité : celle de pouvoir changer. J’ai souvent com-
paré l’entrée en formation à la décision de mettre de l’ordre dans une grande ar-
moire : il faut souvent, dans un premier temps, vider l’armoire, sans rien jeter, bien
évidemment, mais il faut libérer l’espace. Il faut aussi en profiter pour nettoyer cet
espace. Une fois ce nettoyage fait, il faut remettre dans l’armoire tout ce que l’on
décide de garder (et jeter le reste, ce qui n’est pas facile). Mais il faut aussi décider
d’y ranger de nouvelles idées, de nouveaux livres, de nouveau textes, des
concepts, des analyses, des sentiments nouveaux, des fiches de travail, et bien
d’autres choses encore suivant l’angle de rangement choisi.
Il faut même, souvent, revoir ses propres principes de rangement, d’organisa-
tion, de classement, etc. Pour dire que ce n’est pas un chemin toujours aisé, qu’il
peut être long, que chacun va y aller par ses propres chemins, de ses propres
moyens et surtout à sa propre vitesse. Et, lorsque les nouveaux acquis vont entrer
en contradiction avec les anciens, même si tout est bon à garder, surtout si on dé-
cide de « conserver l’historique », l’acte peut être assez douloureux.
Nous avons tous, à tout moment de notre vie, une certaine façon de nous or-
ganiser qui nous est propre. Quelle qu’elle soit, nous sommes tous contraints,
d’une façon ou d’une autre, de choisir, consciemment ou inconsciemment, une
méthode pour nous sortir du chaos dans lequel nous serions si nous n’avions pas
un minimum de méthode. Avec un peu de chance, nos parents, nos aînés, et nos
enseignants précédents nous ont donné quelques pistes d’organisation pour nous
y retrouver dans une vie multiple, souvent éclatée, presque toujours morcelée.
Toutes les personnes que j’ai reçues, ou presque, étaient comme j’ai moi-même
été dans chaque entrée en formation moi-même : entre deux pôles. D’un côté, ils
sont demandeurs de nouveautés, de nouvelles informations, sont habités par d’in-
nombrables questions sur la danse, pour ce qui nous préoccupe, ou sur le métier
d’enseignant de danse. Et de l’autre côté, ils sont déjà farouchement accrochés à
des certitudes, celles-là mêmes qui les ont aidés, jusqu’à ce jour d’entrée dans
une nouvelle formation, à s’organiser, à s’en sortir par leurs propres moyens, à
ne pas trop se perdre avant de tout abandonner. Et il faut ajouter à cela tous ceux
qui ont reçu de soi-disant vérités de la part d’autres enseignants, à travers d’autres
formes pédagogiques, avec plus ou moins de réflexion sur ces informations. En
un mot, certains croient dur comme fer, par exemple, que l’homme commence du
pied droit dans toutes les danses, sauf en rock. Ce qui est fondamentalement faux,
nous en reparlerons.
Et là, arrive à l‘horizon (je le vois souvent assez vite grâce à ma pratique de
longues années, mais eux ne l’imaginent pas) le doute. Le doute terrible ! Cette
formation va peut-être ébranler des piliers de soutien de toute leur organisation
de danseur ou d’enseignant. Et cela peut être très douloureux. Pour illustrer ce
risque, je vais prendre quelques exemples.
Lors de la première semaine de découverte de ma méthode, ce fameux M1,
une de mes élèves, Betty, a été perturbée au point de décider de tout abandonner
sur le champ.
Elle adorait le rock’n’roll. Elle s’était rapprochée d’une célèbre école pari-
sienne dont le directeur lui avait confié un cours dans une banlieue où manquait
un professeur. Elle avait encore plus aimé la transmission : elle se passionnait pour
maintenant l’enseignement. Habitée par cette belle humilité qui caractérise, pour
moi, les grands professeurs, même s’ils sont débutants (comme les grands dan-
seurs ou les grands artistes en général), elle a débarqué un lundi matin pour un
stage de 5 jours.
Le quatrième jour, j’ai abordé le « phénomène du rock », tant je suis persuadé
qu’il y a beaucoup à dire sur la façon, pas toujours correcte, dont il est enseigné
en France et ailleurs dans le monde. Betty s’est évidemment passionnée pour tout
ce que j’ai pu dire au sujet de cette danse, jusqu’à ce qu’arrive la question de la
rythmique. Il faut savoir que le rock est souvent enseigné à partir d’un pas de base
en 6 temps, alors que la musique est en 4 temps. Erreur de jeunesse jamais revue
ni corrigée !
Il n’a fallu à Betty que quelques minutes pour comprendre l’énormité de la
nouvelle en même temps que l’ineptie attachée à cette façon d’enseigner. Et elle
n’y avait jamais même songé ! C’est bien ce qu’elle faisait déjà dans ses cours,
elle le reconnaissait bien. Son gros problème était là : personne ne lui avait fait
prendre conscience du fait que danser en 6 temps sur une mesure en 4 temps,
c’était un peu comme danser une valse, dont tout un chacun sait qu’elle est en 3
temps, de la danser en 4 temps !
La révélation fut très dure pour Betty. Ce fut un très grand choc !
Le déjeuner passé, elle vint me voir en tête-à-tête pour me dire qu’elle était
brutalement très fatiguée, qu’elle ne se sentait pas capable de suivre le cours de
l’après-midi en dansant. Mais elle me demandait la permission d’y assister pour-
tant, à condition de pouvoir rester assise. Betty était alors blanche comme linge,
et on pouvait dire que mes révélations lui avaient coupé les jambes.
Le lendemain, lors du bilan, cette jeune femme, qui était si passionnée le lundi
matin, venue en cachette de son enseignant qui lui avait pourtant interdit de
prendre des cours avec autre que lui, n’avait pas dormi de la nuit, était totalement
abattue, et a déclaré qu’elle avait décidé de tout arrêter, en particulier l’enseigne-
ment.
On peut facilement imaginer ma surprise (une demi-surprise, à vrai dire), et
surtout ma déception : j’étais allé trop fort, et Betty n’avait pas supporté le choc.
Elle, qui semblait pourtant une femme de caractère, s’était écroulée : je l’avais
détruite. Quelques-uns de ses collègues parisiens l’ont alors prise en charge, l’ont
fait manger le soir, et l’ont raccompagnée à Paris dans leur propre voiture, lui as-
surant de ne pas prendre le train toute seule.
Il a fallu près de six mois à cette adorable personne pour se ressaisir. Elle
m’écrivit, alors, que le professionnel parisien qui lui avait gentiment « offert »
quelques heures de cours, lui avait aussi fait signer « un contrat d’exclusivité sur
Paris et la région parisienne pour cinq ans » ! Mais elle était décidée à s’en libérer,
et à reprendre l’enseignement de sa danse fétiche, à condition que je veuille bien
l’aider. Elle avait fait le choix de reprendre sa liberté perdue.
Ma réponse fut évidemment positive, j’étais soulagé, le mal était réparé ; et,
au contraire, Betty la passionnée repartait de plus belle dans sa vie. Ma première
réaction fut de l’adresser à un inspecteur du travail : le conseil porta rapidement
ses fruits. Et Betty est venue reprendre très rapidement sa formation à l’Institut,
formation qui s’est poursuivie durant de longues années. Et je corresponds tou-
jours avec elle, qui est devenue une amie.
En quelques lignes, voici une autre réaction qui montra un grand bouleverse-
ment intérieur.
Marie était, elle aussi, à son premier stage, et nous venions de parler du rock ;
nous en étions à la pratique.
En pleine danse, et alors que la problématique de cette danse et de son ensei-
gnement avait été abordée près d’une heure avant, Marie, pleine d’inquiétude, me
posa brutalement une question qui nécessita que je coupe la musique et que j’in-
terrompe la danse. Elle me demanda :
— Mais Christian, il n’existe pas de musique de rock en 6 temps ?
— Non, Marie.
— Mais même pas une seule musique, même s’il n’y en a pas beaucoup ?
— Eh non, Marie. Je suis désolé de te décevoir, mais tous les rocks que tu peux
entendre et tous les rocks sur lesquels tu as dansé, en cours avec ton professeur,
ou en dancing, sont tous en 4 temps !
Marie était livide et sans voix. De longues minutes se sont écoulées, qui suc-
cédèrent à l’heure qui avait précédé, heure durant laquelle Marie avait probable-
ment tourné cette irritante question dans sa tête des milliers de fois, en espérant,
peut-être, que je finirais par la rassurer, et que j’allais réussir à faire entrer 6 temps
dans une mesure de 4 temps, exceptionnellement !
J’ai ainsi de multiples exemples qui ont montré combien les enseignants fran-
çais, mais pas seulement eux, ont enseigné, et enseignent encore, sans se sou-
cier le moins du monde de la façon dont leurs exercices et leurs explications
peuvent s’articuler dans l’esprit de leurs élèves. Nous sommes alors là plus dans
un bourrage de crânes et des principes de dressage, que dans un véritable sys-
tème éducatif.
D’autres ont été choqués d’entendre que la rumba pouvait se danser sur diffé-
rents rythmes, tout en restant exact. Certains ont découvert, les yeux grand ou-
verts, qu’il existait des paso-doble à trois 3 temps, et, qu’en plus, ils les
connaissaient sans avoir jamais osé le croire. A moins qu’ils aient été surpris de
m’entendre dire qu’on pouvait faire des cours de slow (mais avec quoi ?). Et on
peut dire que j’ai eu, et que j’ai toujours, un nombre infini de questions sur « le
tango argentin », qui semble être apparu lors du dernier atterrissage d’un vaisseau
spatial venant de la planète Mars…
Mais nous y reviendrons, c’est un des fondements de ma méthode.
Patrimoine
Et j’en viens alors à un thème qui m’est cher : je rencontre souvent de bons
danseurs de rock, d’excellents valseurs, de délicieux danseurs de salsa, ou de
très pointus danseurs de tango. Je ne les appellerais pas de bons danseurs, mais
seulement : de bons danseurs de rock, d’excellents valseurs, de délicieux dan-
seurs de salsa, ou de très pointus danseurs de tango. Dans ma conception des
danses de bal, un bon danseur est un danseur qui a un minimum de compétences
dans toutes les danses, même s’il a ses préférences, ses goûts et ses côtés per-
formants.
Un bon danseur de valse qui s’assoie (contraint et forcé parce qu’il ne sait pas)
durant les rocks n’est pas, pour moi, un bon danseur, mais seulement un bon dan-
seur de valse. Un excellent tanguero qui va systématiquement au bar ou au fumoir
lorsque commence la série des salsas n’est pas un bon danseur, mais seulement
un bon danseur de tango. Un parfait rockeur qui ne sait pas valser, exactement
comme nos merveilleux danseurs de tango dit argentin aujourd’hui, n’est pas, pour
moi, ce que j’appellerais un bon danseur, mais seulement un bon danseur de rock.
Evidemment, si on réduit le patrimoine des danses, et si on passe dix heures
par semaine à pratiquer du tango et seulement du tango, ou du lindy-hop et seu-
lement du lindy-hop, ou encore de la salsa et seulement de la salsa, évidemment,
il est plus facile d’atteindre une certaine performance dans SA danse. Il en est tout
autre pour celle ou celui qui pense que la danse de bal est d’abord et avant tout
une rencontre, de partenaires multiples, d’autres couples variés, de différents
groupes. Ceux-là vont diviser par dix le temps qu’ils passeront sur chaque danse,
afin de savoir se débrouiller sur dix danses et non une seule, afin de pouvoir pro-
fiter du plaisir de la danse à deux dans un maximum de circonstances, de lieux et
de partenaires.
Les poupées russes des danses
Là, le choix doit se faire. Et, si chaque danseur est libre de ce choix, dans la
formation proposée par l’Institut, et pour devenir un professeur de danses de so-
ciété diplômé de l’Institut, il faut, avant toute spécialisation, aborder la danse dans
ses fondamentaux, et en particulier : le couple. Exactement comme en médecine,
on doit former d’abord des généralistes, et c’est ma spécialité, avant de proposer
à ces généralistes aguerris des formations spécialisées dans telle ou telle danse.
C’est un grand choix que j’ai fait en tant qu’enseignant, mais aussi comme forma-
teur de formateurs.
Le mot a été lâché : que sont les fondamentaux ? Tout un chapitre leur sera
consacré, plus loin. Mais il est temps de me situer relativement à ce qu’on appelle,
dans la profession, les styles, ce concept étant en relation directe avec ces fameux
fondamentaux.
Prenons quelques exemples précis de styles.
Dans l’esprit de certains, la valse viennoise n’a rien à voir avec la valse an-
glaise. C’est leur expression : « cela n’a rien à voir ! ». De même, rien à voir entre
la valse de danse sportive et la valse pratiquée au bal. Rien à voir non plus entre
la toupie des danseurs musette et le fameux fleckerl de la valse viennoise de com-
pétition. Et allons-y ! Et les questions pleuvent : « Christian, en tango, où de-
mandes-tu à la danseuse de mettre sa main gauche ? Dans le dos du partenaire ?
Sur son bras droit, juste à la lisière des muscles de son épaule ? Doit-on lever le
petit doigt ? A-t-on le droit de tourner la tête en valsant ? ». Et mille autres ques-
tions, des plus générales au plus fines !
C’est pour cette raison que je trouve important de situer mon travail dès que
possible, c’est-à-dire dans les premières heures de nos rencontres pédagogiques.
Et compte tenu du fait qu’il est très facile d’apprendre des pas de danse de bal
dans n’importe quelle ville de France, qu’il est beaucoup plus rare de pouvoir se
former pour enseigner ces danses (la profession pratiquant toujours un principe
de rétention du savoir), de pouvoir comprendre ce que l’on fait, et, pratiquement
impossible d’avoir des conseils pédagogiques et didactiques pour cette transmis-
sion, j’ai rapidement décidé d’axer mes propositions vers la pédagogie en général,
et la pédagogie de la danse en particulier.
Pour donner un exemple concret et vécu, voici ce que j’ai observé un jour, et
qui m’a démontré les manques à combler dans la profession.
Une jeune enseignante de tango dit argentin donnait un cours particulier à un
jeune homme. Elle lui apprenait à marcher. Et il avançait délicatement, avec tant
de précaution qu’il n’osait presque pas poser le poids de son corps sur chaque
pas. Elle le guidait de sa position de femme, sans prêter attention à ce qu’il faisait
exactement. Certainement, était-elle convaincue que la marche est la première
des choses à maîtriser en tango argentin.
Je les ai longuement observés derrière les vitres du studio. Le pauvre garçon
souffrait et devait découvrir « combien le tango argentin est difficile ! ». Tellement
contracté et apeuré, il ne marchait plus comme un être humain normal, mais plutôt
comme un danseur classique : il n’en avait pas du tout le style, évidemment, mais
il en avait une caractéristique essentielle : il avançait de la pointe de pied, et ne
touchait pas le sol avec le talon, ce qu’il faisait bien évidemment dans la rue,
comme tout le monde.
Progressivement, je me suis dit que cette enseignante, aussi convaincue et
bonne danseuse qu’elle fut, ne lui enseignait pas du tango argentin, car, en tango
argentin, on avance avec le talon, le tango en général étant une danse dans le sol,
ancrée dans la terre, et qui articule normalement et simplement.
Alors, que lui enseignait-t-elle ? Une forme de tango argentin ? Eh oui ! Il y a
différents styles de tango argentin. Malheureusement, ai-je envie de dire ! Cette
enseignante lui transmettait (du moins, c’est la seule explication que j’ai trouvée,
sauf à penser qu’elle lui enseignait ce que l’on appelle du « n’importe quoi »), un
style de tango argentin. Et elle le faisait marcher !
En fait, elle le déformait, et elle lui laissait croire que le tango argentin deman-
dait une marche spéciale, et, aussi, que, c’était difficile, plus difficile que de mar-
cher dans la rue, ce qui est une bonne justification du prix qu’elle demandait pour
cette qualité de contact au sol.
Non seulement cette enseignante, de mon point de vue, déformait son élève et
lui donnait de mauvaises sensations, mais elle ne lui enseignait pas du tango ar-
gentin, mais du « tango argentin de style danse classique ». Nous étions loin d’une
éducation en danse.
Non seulement ce n’était pas du tango argentin (dans le sens de strict de tango
argentin), mais ce n’était pas du tango non plus, car dans aucun style de tango le
garçon n’avance avec la pointe de pied. Ce n’était pas non plus une danse de bal,
ce n’était évidemment pas de la danse, mais juste un épiphénomène d’un sous-
ensemble d’un sous-ensemble d’un sous-ensemble de la danse !
J’étais fasciné ! Tant on était loin du métier de professeur de danse, me sem-
blait-il.
De ces réflexions-là est vue ma conception du métier de professeur de danse
de société. Et nous sommes là dans l’éthique.
Le couple
Bien que partant de l’idée que mon travail concerne la pédagogie, la danse, et
plus encore les danses de société, je suis parti de l’idée que la première caracté-
ristique de mon travail concernait le couple, et donc le jeu d’un homme et d’une
femme.
Il en découla une première exigence : il fallait que tous les professeurs de danse
de société aient chacun, qu’ils soient des femmes ou des hommes, une connais-
sance minimum du rôle de l’autre, pour ne pas dire une connaissance maximum
(suivant leurs possibilités) de l’autre rôle. Cela impliquait qu’il ne suffisait pas
d’avoir théorisé sur le couple, les identités et les rôles de celui qui « guide » et de
celle qui « suit », mais de les avoir vécus de l’intérieur, d’en avoir retiré de réelles
sensations, d’avoir pratiquement ressenti ce que l’un et l’autre peuvent vivre.
En un mot, cela impliquait donc qu’hommes et femmes aient été amenés à gui-
der et à suivre, à avoir été guidés par une personne du sexe opposé mais aussi
du même sexe, et d’avoir guidé une personne du sexe opposé mais aussi du
même sexe. Les combinaisons sont alors facilement apparues, avec, pour cha-
cune d’entre elles, les avantages et les difficultés.
Au bal, un homme doit savoir guider une femme (pour parler simplement en
adoptant momentanément le langage populaire que plus tard nous remettrons to-
talement en cause), et une femme doit savoir se laisser guider par un homme.
Mais comment l’homme peut-il réellement savoir quelles informations donner à
sa partenaire si lui-même n’a jamais eu l’occasion d’en recevoir et d’en avoir ac-
cueilli ? C’est une chose passionnante que de savoir écrire une lettre d’amour à
la personne qu’on apprécie. Il est très agréable de recevoir une lettre écrite par la
personne que l’on aime. Et nous sommes tous des expéditeurs potentiels et des
receveurs potentiels aussi. C’est bien ce qui fait que, lorsque nous écrivons une
lettre, nous pouvons nous mettre, momentanément, même imparfaitement, à la
place du destinataire, afin de peaufiner notre missive en la personnalisant pour
celle ou celui qui va la recevoir.
Pourquoi l’homme n’irait-il pas voir ce que c’est que d’être guidé ? Pourquoi la
femme n’irait-elle pas voir ce que c’est que de guider ?
Premier avantage déjà entrevu : la connaissance du mode de réception, des
principes de lecture des messages, et de ceux de leur interprétation, permet à
celui qui les envoie de mieux s’y prendre pour mieux toucher l’autre. Et la connais-
sance du mode d’expédition, des principes d’écriture des messages, et de ceux
de leur codage, permet à celui qui les reçoit de mieux s’y prendre aussi, et être
mieux touché par l’autre. Preuve que tous ont à y gagner !
Autre avantage : la paix des ménages ! Lorsque Madame aura un tant soit peu
expérimenté par elle-même ce que c’est que de conduire une voiture de sport,
elle sera peut-être plus indulgente quand elle sera à nouveau accompagnatrice.
Et de même, lorsque Monsieur sera allé voir ce que c’est que d’être conduit par
un sportif et ce que c’est que de se laisser conduire, il sera, à son tour, peut-être
plus indulgent avec ses prochaines accompagnatrices.
Sauf qu’il ne suffit pas de dire à ses élèves : « Echangez les rôles et vous allez
voir ce qu’il en est quand on est de l’autre côté ! », pour les faire taire. Au contraire,
il s’agit bien d’utiliser ce moyen pédagogique pour consolider les couples, déve-
lopper leurs sensibilités, leur tolérance, leurs sensibilités, et, pourquoi pas, leurs
plaisirs. On sait très bien que, au bal, nombre de femmes « portent le pantalon »,
et pourquoi pas ! Sans que personne, sauf un œil averti, ne puisse jamais s’en
douter.
Dans cette formation, on apprend donc à jouer avec les rôles, c’est-à-dire que,
en fait, on joue avec les identités : on va explorer son côté féminin et son côté
masculin, et cela, que l’on soit femme ou homme. On va aborder son côté domi-
nant et son côté dominé, et on va jouer avec cela. On va jouer avec sa face aven-
tureuse, et sa face organisée. Et ainsi de suite.
Il est rapidement évident qu’une mauvaise façon de travailler le rôle opposé
consiste à inverser brutalement les rôles. Une progression bien plus subtile
consiste à proposer à l’homme qui souhaite développer chez lui les sensations
de la personne guidée, de danser avec un homme. De même, on proposera à la
femme qui veut commencer son apprentissage en tant que guide de tenter sa pre-
mière expérience avec une autre femme.
En effet, lorsque deux hommes dansent ensemble, celui qui joue le rôle de la
personne guidée bénéficie du fait qu’il joue avec un homme, qui, lui, a déjà une
certaine habitude de guider. Il peut ainsi bénéficier de sensations justes, qu’il
pourra tenter de reproduire lorsqu’il aura repris son rôle de guide. De même, lors-
qu’une femme souhaite guider, il lui est bien facile de guider une femme, plus ha-
bituée à se trouver dans la position de personne guidée. Et elle-même pourra se
réapproprier ces sensations lorsqu’elle sera à nouveau dans son rôle.
On peut dire qu’alors la difficulté est une et simple : on guide quelqu’un qui a
l’habitude d’être guidée, et cette dernière va aider, par son comportement et ses
réactions, le guide momentané à mettre en place des sensations qui lui rendront
service lorsqu’elle reviendra dans son rôle. De même, lorsque l’on est guidé par
une personne qui a l’habitude de guider, il est beaucoup plus facile d’avoir des
sensations justes.
Par contre, lorsque l’on inverse les rôles dans un couple homme-femme, alors
la difficulté est double et beaucoup plus rude : pour une femme, guider un homme
qui est justement en train de se découvrir en tant que personne guidée, c’est par-
ticulièrement difficile ; de même que, pour l’homme qui tente de suivre la femme
qui le guide (comme elle le peut), c’est une tâche difficile. On peut en déduire que
l’inversion dans le couple est l’étape ultime, après que les hommes ont dansé en-
semble, et que les femmes ont dansé entre elles. Ceci dans la mesure du possible,
en fonction de la répartition des sexes dans un groupe de formation.
Des choses tout à fait surprenantes se produisent alors dans ces jeux de rôles,
des choses très édifiantes. Le plus amusant étant de découvrir des hommes qui
finissent par prendre du plaisir à être guidés, et cela indifféremment du fait que
leurs partenaires sont des hommes ou des femmes ; ou de découvrir des femmes
qui prennent du plaisir à guider, que ce soit des hommes ou des femmes. Tout un
monde s’ouvre alors, et les esprits aussi. Notre but n’étant pas de faire danser au
bal les hommes entre eux et les femmes entre elles, comme l’avait cru un de mes
stagiaires un jour où je n’avais pas dû être assez clair dans mes explications.
Cette méthode a surtout pour but de fournir aux enseignants des structures de
travail pour améliorer leurs propres conduites et sensations, tout en leur fournis-
sant des processus à proposer à leurs élèves dans le cadre d’exercices d’école
parfaitement construits et précisément conduits.
Transversalité
Illustration de la transversalité
Tout mon travail a donc consisté, alors, à trouver tous les liens qui unissaient
les danses entre elles, étude qui n’avait jamais été ni poussée, et, encore moins,
écrite.
C’est ainsi que j’ai découvert qu’il était plus ingénieux, si l’on disait professeur,
c’est-à-dire quelqu’un qui se situe dans l’éducation, et non dans la reproduction,
ni la reconstitution, ni la compétition, de les regarder par cette fenêtre-là, et de les
enseigner ainsi. Et c’est ainsi que je me suis automatiquement positionné de façon
très différente relativement aux idées en cours à l’époque dans la profession.
Disons en un mot que, pour ce qui était de la formation des enseignants, cela
n’existait presque pas du tout, les seuls enseignants en place ayant été formés,
en cours particulier, sur la base unique et stricte de la danse sportive, et que leur
nombre était volontairement limité. Nous en reparlerons aussi.
De cette nouvelle vision, les découvertes sont rapidement arrivées comme par
enchantement, les idées nouvelles et très riches aussi, et une toute nouvelle pé-
dagogie s’est mise en place, ne rivalisant pas du tout avec le milieu ambiant, mis
à part le succès rapide de tous ceux qui se sont attelés à ces travaux et qui ont
répandu à travers toute la France, ces idées nouvelles.
Je pense que c’est de là qu’est né véritablement l’Institut de formation en
danses de société, et que, plus tard, nous avons été les seuls à être honorés par
une reconnaissance d’état, celle du ministère de la culture, reconnaissance qui
n’aurait jamais vu le jour sans cette réflexion nouvelle sur le métier, et surtout une
réflexion fondamentale puisant son contenu dans l’analyse du mouvement du
couple dansé effectuée par les plus grands danseurs et théoriciens du XXe siècle,
tout en prenant sa distance de la danse sportive, qui s’est avérée très rapidement
n’être qu’un pâle reflet de cette richesse.
La danse sportive
Parmi les premières conversations que j’ai avec mes stagiaires, et cela depuis
l’origine de cette formation, j’aborde très rapidement ce qui s’appelle en France
« la danse sportive ». Je le fais d’autant plus que ma formation technique me vient
de ce style danse, que j’ai fait de nombreuses compétitions, et que, ma partenaire
(Brigitte Saint-Gaudens) et moi-même, avons été en 1981 champions de France
en catégorie « latines », et vice-champions de France en catégories « toutes
danses », c’est-à-dire sur les dix danses dont nous parlerons en détail dans les
chapitres qui suivent.
C’est dire que je peux me permettre non seulement de renseigner précisément
les gens sur ce qu’est la compétition de danse de société, mais aussi d’émettre
un avis de spécialiste en la matière.
Le message que je cherche à faire passer dans les esprits n’est pas des plus
simples ; ou, du moins, je n’ai que rarement trouvé un moyen vraiment clair de
m’exprimer sur ce sujet.
Beaucoup de personnes pensent, à tort de mon point de vue, que les danses
de société, celles qu’on apprend à l’école depuis près d’un siècle et demi, sont
une émanation de la danse sportive, des danses dites aussi danses de compéti-
tion. Or, ces dernières ne sont apparues qu’au début du XXe siècle (exactement
en 1909), alors que les écoles de danse de bal existaient depuis bien longtemps.
Dans la suite de ce raisonnement, ceux qui pensent ainsi ont tendance à expli-
quer que les danses de société ne sont qu’une réduction, une popularisation, une
simplification, une vulgarisation des grandes et belle danses que l’on peut voir et
admirer sur les pistes de concours. Or, cela est faux. C’est bien au contraire les
danses de bal, appelées « danses de salon » au XIXe siècle, puis danses de so-
ciété au XXe, qui se sont prêtées à compétition et à concours. Ce sont elles qui
ont alimenté le corpus des danses choisies pour les concours : tout d’abord la
valse, le fox-trot et le tango, puis les danses latines avec la samba, le paso-
doble, etc.
Pour dire que, lorsque l’on apprend les danses de société (du moins lorsqu’on
les apprend d’une certaine manière correcte), il est toujours possible de se diriger
plus tard vers la compétition, car il n’y a qu’une différence d’amplitude entre les
deux formes. Alors que, lorsque l’on a été formé uniquement aux danses sportives,
et mis à part la conception proprement réductrice de ces danses et surtout de ses
enseignants, il n’est pas possible de retrouver l’essence de cette pratique sportive :
c’est-à-dire la danse de bal.
C’est pour cela que les professionnels enseignants se sont heurtés, en fin de
XXe siècle, à un énorme dilemme : ayant utilisé uniquement la technique sportive
des danses à deux, ils en ont perdu le sens, et surtout le plaisir attaché aux danses
d’origine. Les studios ont été désertés, et le public a rejoint des associations qui
revenaient aux fondements des danses de bal : le plaisir, la rencontre, la créativité.
Mais cela est un autre sujet qui sera abordé plus tard dans le détail.
Quoi qu’il en soit, il faut bien comprendre que les danses de société ne sont
pas un épiphénomène de la danse sportive, mais, bien au contraire, que les
danses sportives sont un épiphénomène des danses de société, ou danses de
bal.
L’arbre de la danse
Et il faut aussi bien comprendre que la technique qui est utilisée en danse spor-
tive n’est que la technique des danses de bal poussée à son maximum de rende-
ment, comme l’exigent le sport et ses compétitions. C’est parce que des danseurs
très avancés, mais aussi des chercheurs en danse de bal, ont travaillé, étudié,
décortiqué ces danses de la tête aux pieds, qu’est né ce qui s’appelle aujourd’hui
la technique internationale, qui se trouve être le fondement des danses de société,
et donc des danses sportives.
Donc, une autre idée à combattre est la suivante : ce n’est pas parce que l’on
utilise, pour enseigner, cette technique dite internationale, que l’on enseigne de
la danse sportive. Et là, est le plus difficile à comprendre pour certains. Surtout
ceux qui pensent que les danses de bal sont ou doivent être très faciles, qu’elles
sont sans technique, que l’on peut faire tout ce que l’on veut, et n’importe comment
sans aucune règle à observer. Ce type de raisonnement, qui a souhaité, un temps,
équilibrer le langage trop intégriste des professionnels obnubilés par la technique
avant tout, a fait beaucoup de tort aux danses de société. Tout simplement parce
que cela revenait à dire que les danses de société étaient mineures, sans exi-
gence, sans valeur et sans but véritablement éducatif, et encore moins créatif.
Rien n’est plus faux qu’une telle idée, de mon point de vue.
Précautions encore
C’est aussi pour ces raisons que je prends encore d’autres précautions d’usage
avant de commencer à enseigner.
La communication :
Je précise que nous serons dans un système de relation fondé sur l’échange.
Sur l’échange corporel par la danse, mais aussi sur l’échange verbal en tant qu’en-
seignant : le professeur de danse faisant évidemment souvent appel à la parole
pour susciter des réflexions, des prises de conscience et des appropriations di-
verses.
Je prends alors quelques résolutions de forme devant mes nouveaux stagiaires,
et je leur propose éventuellement de se les approprier. Il s’agit de ceci :
- Je ferai mon possible pour parler distinctement ;
- Je ferai ce que je peux pour répondre à toutes les questions qui me seront
posées ;
- Je tâcherai de ne pas répondre à deux questions en même temps, ni de poser
trois questions en une seule phrase ;
- Enfin, je ferai tout mon possible pour ponctuer clairement mon discours afin
que personne ne soit contraint de me couper la parole pour en placer une.
Mes stagiaires sourient, et cela commence à les décontracter. Et le débat
s’ouvre comme de bien entendu.
Présentation de la méthode
Après avoir fait un minimum connaissance lors de cette table ronde durant la-
quelle chacun des participants s’est présenté, a donné ses origines, son rapport
à la danse et à son enseignement, mais aussi ses objectifs, il reste encore à pré-
senter les fondements de la méthode avant d’aller danser pour la première fois.
En préambule, je précise toujours qu’il y a deux types d’enseignants.
Il y a ceux qui partent de l’idée suivante : « Tout ce que vous avez appris jusqu’à
présent, vous pouvez le laisser à la porte du studio, nous allons tout réapprendre,
correctement, et je me charge de tout ».
Il y a aussi ceux qui partent du postulat inverse : « Tout ce que vous savez m’in-
téresse et intéresse la formation que vous allez mettre en place avec mon aide.
Donc, nous allons tâcher d’utiliser tous vos savoirs, et les savoirs de chacun vien-
dront vous enrichir les uns les autres ».
Je fais partie du second groupe. Et je l’annonce donc très clairement dès le
début.
Ceci dit, je tente de faire la généalogie de ma propre formation, en mettant en
valeur les points qui peuvent intéresser certains stagiaires, ce qui constitue de fait
une présentation de mon parcours. Il me semble important que les personnes qui
ont fait le chemin pour me rencontrer sachent ce que j’ai suivi comme formation,
de façon à me poser les questions qui les intéressent, et évitent de perdre leur
temps à me questionner sur ce qui n’est pas de mon domaine.
Présenter ainsi les facteurs incontournables de la danse, tels que définis par
Laban, me permet d’entrer très rapidement en dialogue et en relation avec toutes
les personnes passées par des conservatoires, et par exemple tous ceux et toutes
celles qui ont travaillé en danse contemporaine, ou classique. Mais aussi de tou-
cher les enseignants de gymnastique, de sport, les habitués de danse espagnole
et les plus pointus pratiquants de danse dite country. Le mélange des genres per-
met ainsi d’échanger très rapidement, d’instaurer facilement un climat de
confiance, et de créer des liens directement entre les nouveaux arrivants.
Ce passage par la grande généralité ne se fait, dans ma formation, qu’une seule
fois, au tout début, dès la première demi-journée ; et nous n’y revenons plus qu’à
l’occasion d’exercices qui mettent en lumière ou en exemple les principes énon-
cés.
C’est l’occasion de répéter que la danse est un art, même si elle obéit aux lois
de la nature (la gravitation), aux lois du temps (le rythme), aux lois de la bioméca-
nique (les lois du corps humain), comme aux lois de la dynamique, pour ne citer
que les plus importantes et les têtes de chapitre.
Ceci rappelé, et revenant à la dimension artistique de la danse, j’annonce mes
premières convictions, à savoir : ne jamais perdre de vue que la danse est une
expression artistique personnelle ; que si elle a été codifiée par certains, ce fut
tout d’abord pour satisfaire une exigence de compréhension et de diffusion, mais
qu’un aucun cas les conseils ou les répertoires des enseignants, aussi célèbres
fussent-ils, édictent des limitations, ni se présentent comme des canons de beauté
indispensables.
La technique est là pour nous aider à mieux danser (c’est-à-dire avec plus de
facilité, moins d’énergie dépensée, plus d’aisance pour nous comprendre avec
notre partenaire, avec souplesse pour nous faufiler entre les autres couples du
bal, etc.), et en aucun cas pour nous faire danser « correctement ». La technique
n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais une fin en soi : ce n’est qu’un moyen.
Et je cite alors mon ami Plume Fontaine, ex-danseur de contemporain émigré vers
le tango, qui disait : « La technique doit être broyée au service d’un propos ! ».
Conception que j’ai toujours partagée.
Je précise généralement que, si l’on vise les concours de danse, il est évident
que l’on sera contraint d’en passer par des règles autres que celles du bal, des
codes, des techniques particulières, des rythmes imposés, des figures limitées,
et bien d’autres critères définis pour la compétition et pour elle seule. Mais que,
au bal, il en est tout autrement. Si on danse à contretemps au bal, personne ne
viendra nous le reprocher, alors que, en compétition, danser la rumba autrement
qu’à contretemps justifie qu’on soit éliminé au premier tour. Et j’en parle en
connaissance de cause !
Première pratique en solo :
Présentation :
Avant de nous mettre à danser, et fort de ce que je viens de mettre en place
sur les plans généraux, je propose aux stagiaires une leçon que j’appelle la leçon
fondamentale de danse de couple. Il s’agit de mettre en pratique, et dans une
progression très douce, les principes énoncés plus haut, de voir ce qu’ils signifient,
à quoi ils servent (et à quoi ils nous serviront aussi), de les expérimenter par le
corps, en développant des sensations, dans un premier temps en solo, puis en
couple.
J’explique que nous allons prendre chacun des facteurs que j’ai choisis pour
ma méthode (soit : les directions, sous-ensemble de l’espace ; le rythme, les du-
rées ; les positions de couple, caractéristique du bal ; puis la dynamique, que nous
ne ferons qu’aborder avant de la reprendre dans chaque danse.
Je précise que nous allons travailler facteur par facteur : nous allons prendre le
premier (les directions), et nous allons découvrir ce que cela veut dire, ce que l’on
peut faire dans l’espace, mais surtout nous allons le faire sans mélanger un travail
sur un autre facteur en même temps. Donc, dans notre travail sur l’espace, nous
ne ferons, momentanément, pas intervenir le temps, sauf en utilisant ce que l’on
appelle un rythme simple : une pulsation lente.
Puis nous prendrons de la même façon le deuxième facteur, le temps, tout en
restant très simples sur l’espace afin de ne pas mélanger trop vite ces facteurs.
Idem pour les positions, l’espace et le temps restant simple.
Puis, l’objectif de cette leçon fondamentale sera de combiner, évidemment, des
notions l’espace avec des notions de rythme, et cela tout en jouant avec diverses
positions de couple, avant de mettre dans cet ensemble des dynamiques particu-
lières.
Travail solo :
Je reprends donc ma théorie de l’espace et plus particulièrement des directions.
Que peut bien faire un danseur avec son corps dans l’espace (sous-entendu dans
l’espace du bal) ?
Pour les besoins de mon cours, je poursuis alors avec des remarques et des
conseils. A ceux qui se demanderaient ce qu’on peut bien apprendre seulement
en marchant, je tente de montrer que l’on peut faire ressortir de cette marche des
principes fondamentaux qui seront, non seulement utiles pour la suite, mais indis-
pensables pour bien danser et surtout bien guider.
Avant de parler de technique, je propose aux stagiaires d’utiliser tout l’espace
de la piste de danse, et je précise bien : tout l’espace ! Il est intéressant alors de
voir ceux qui vont spontanément se mettre sur la ligne de danse (qu’ils ont apprise
quelque part et c’est très bien), mais qu’ils ne vont pas en démordre facilement. Il
va falloir donc insister pour que les danseurs utilisent TOUT l’espace : les bords,
le centre, et les coins aussi.
Il faudra alors leur proposer des images, des jeux, ou des défis. Le premier défi
peut être le suivant : imaginer que vous être sur un bateau. Il n’est donc pas ques-
tion que vous soyez tous regroupés du même côté ou dans le même coin. Faites
en sorte de vous DISTRIBUER l’espace. Pour cela, je propose que vous soyez
attentifs à votre parcours, mais aussi au parcours des autres danseurs. C’est la
première occasion de tenir compte de l’autre, et donc, de danser avec lui.
Là, je cite toujours Remy Hess qui a écrit, dans son livre La Valse : « Le bon
valseur est attiré par le vide ». Ce qui veut dire qu’une des nombreuses qualités
d’un danseur (ou d’une danseuse), c’est de rester en lien avec les autres couples,
et donc, d’apprendre, en fonction du mouvement des autres, à se diriger, non pas
vers eux, mais loin d’eux, vers les parties de la piste de bal qui sont libres. Le fin
du fin étant pour l’excellent valseur dont parlait Remy Hess, de savoir observer,
tout en dansant, assez finement les autres couples pour deviner, de leur mouve-
ment et de leurs dynamiques, non plus l’endroit où ils SONT, mais bien l’endroit
où ils VONT aller. Donc, d’anticiper le mouvement général du bal.
Je peux aussi donner d’autres consignes pendant que mes élèves marchent
tranquillement dans la salle : il peut s’agir de conseils de posture, simplement ex-
primés. Cela va de : « pensez à regarder vos collègues, particulièrement ceux que
vous croisez ». Cela commence à placer le regard, sans même y prendre garde.
Cela pour éviter les regards en haut (en compétition, les entraîneurs demandent
aux compétiteurs d’avoir une allure de vainqueur, et donc, de « regarder le premier
balcon ») qui correspondent déjà à des styles, c’est-à-dire à des enrichissements,
des perturbations ou des modulations de naturel. Or, nous sommes, dans cette
étape, dans des mouvements naturels. Cela peut raccourcir aussi le temps passé
à baisser les yeux, soit pour éviter justement le regard d’autrui par timidité, soit
pour regarder ses pieds et ce qu’ils font.
Je leur propose aussi de lâcher leurs bras, de les laisser pendre le long de leur
corps, cela dans le but de proposer une isolation simple (les jambes font un travail
alternatif et régulier alors que les bras sont libres ; et suivant la vitesse de dépla-
cement du corps, ils vont se synchroniser ou pas avec le corps, sauf si « le mental
les tient »). Et l’on voit très vite ceux qui sont un peu plus détendus que d’autres,
ceux qui « conduisent » leur bras et les contraignent, ceux qui peuvent les libérer
lorsqu’on le leur demande avec insistance, et ceux qui ne le peuvent pas, ou ne
comprennent pas la consigne. Et c’est toujours très intéressant pour découvrir les
personnalités.
Une autre raison de ce relâché, c’est que, plus tard, il va bien falloir coordonner
les bras, mais, la plupart du temps, dans l’opposition, alors que, à ce moment-là,
les élèves coordonnent souvent à l’amble. Or, on va progressivement apprendre
la dissociation, une notion fondamentale en danse, et la coordination ; et souvent
les jambes auront des oscillations, trois par mesure par exemple, alors que les
bras n’en auront qu’une seule dans le même temps. Et cet exercice prépare à
cette analyse et à ces exercices futurs.
Une image que je donne aussi est la suivante : imaginez que vous êtes parcou-
rus par une ligne imaginaire, verticale, qui passe juste devant votre colonne ver-
tébrale. Développez vos sensations personnelles et vos propres représentations
(cela s’appellera plus tard la proprioception), de façon que cette ligne verticale se
déplace toujours perpendiculairement au sol, sans jamais trop pencher en avant
ni en arrière. Cela est en lien avec le regard dont nous venons de parler, et cela
pourrait se traduire très simplement par l’expression : soyez bien dans vos chaus-
sures, et bien dans le sol. N’oubliez pas que le sol est le meilleur ami du danseur.
Page technique :
Et le moment arrive d’observer comment vos élèves marchent. Moment très
important, tant qu’il est célèbre que tous les professeurs de danse ne peuvent
s’empêcher de regarder les gens marcher dans la rue, d’observer comment ils
marchent, et même d’oser imaginer leur personnalité par leur façon de marcher.
Un genre de : « Montre-moi comment tu marches et je te dirai qui tu es ! ».
Nous en arrivons à un moment où il est possible de donner l’exemple d’un cours
de technique. Les raisons sont multiples. Il peut s’agir de démystifier la technique,
qui effraye les uns, quand elle devient pour d’autres le dieu même de la danse. Il
peut s’agir aussi de prouver combien la technique n’est que le résultat d’une ob-
servation de bon sens, de la façon dont nous procédons naturellement. Une façon
de montrer que l’on n’est pas obligé d’attendre d’en être à un cours avancé pour
se permettre, pour l’enseignant, de donner des informations techniques, des
conseils et de procéder à des corrections indispensables ; mais aussi, pour l’élève,
d’oser poser des questions précises sur le mouvement, comment le parfaire et
comment l’obtenir. Cela peut être enfin une façon de montrer la valeur de la tech-
nique internationale. Et c’est pour toutes ces raisons que je choisis ce moment.
Une de mes premières questions techniques, pendant qu’ils sont en train de
marcher, est la suivante : « Durant votre marche en avant, quelle est la partie de
votre chaussure qui la première touche le sol ? ». Et j’attends les réponses. Une
fois sur deux, les réponses sont correctes : le talon. Mais souvent, les personnes
qui sont issues de la danse classique, marquées au fer rouge par l’en-dehors et
l’extension complète de la jambe, ne savent plus du tout marcher comme tout le
monde, ni comme elles le font elles-mêmes dans la rue : ces personnes avancent
d’une pointe de pied. J’ai remarqué ce défaut aussi chez des timides qui ont peur
d ‘abîmer le beau sol de bois de la salle de danse. Ou venant de femmes qui ont,
peut-être, sans même le savoir, une représentation de la danse qui passe par des
images de danseuse classiques qui n’ont plus de talon.
Nous mettons donc de l’ordre dans cette façon de marcher, et j’insiste sur le
fait que nous recherchons, à ce niveau-là, une marche naturelle, car il est im-
portant, avant d’en passer à des marches non-naturelles (ce qui viendra, par
exemple, lorsque nous irons voir ce qu’est une extension complète des jambes),
de savoir marcher naturellement, de savoir ce que c’est, et comment cela se passe
dans le corps. Cela relaie mon discours sur le naturel, que je préconise avant les
variations et les enluminures. Je conclus en disant que le pied doit donc d’abord
savoir se dérouler naturellement, et que l’on obtient là l’information technique la
plus simple, mais la plus vraie aussi, celle qui est toujours notée sur la première
ligne de la première figure de la première danse détaillée dans les traités : le pre-
mier par de valse.
Puis : « Dans la marche avant, quelle est la partie du pied qui la dernière quitte
le sol ? ». La réponse est toujours exacte : c’est la pointe.
Puis, nous allons voir ce qu’est la marche en arrière. « Quelle est la partie du
pied qui la première touche le sol ? ». La réponse est sans équivoque : par la pointe
(nous ne faisons pas de différence alors entre la pointe, les orteils, les doigts ou
le quart de pointe pour ceux qui savent ce que c’est).
Enfin arriva la question : « Dans la marche arrière, quelle est la partie du pied
qui la dernière quitte le sol ? ». Là, les choses se compliquent et les hésitations
sont multiples, bien que cela dépende des populations, évidemment. Je vais dire
qu’un danseur sur quatre prétend que l’on quitte le sol par la pointe, ainsi qu’une
femme sur deux. Pourtant, le déroulé naturel du pied, ce qui se passe dans la rue,
exige que la partie avant du pied de la jambe libre se soulève « naturellement »
et donc, que l’on quitte le sol par le talon dans la marche arrière.
Or, il faut reconnaître que beaucoup de personnes, et surtout des personnes
qui ont déjà dansé, particulièrement celles qui viennent du classique, et celles qui
les imitent, ne savent plus dérouler naturellement le pied, totalement dressées à
tendre la jambe libre, aussi en reculant. Ce qui nous engage dans une discussion
dans laquelle tous les participants ne sont pas toujours convaincus, ce qui pourra
demander encore d’autres arguments et d’autres reprises du sujet.
Je dois alors rassurer les stagiaires. Il est vrai que, dans la rue, il n’est pas fré-
quent que nous fassions des marches vers l’arrière, c’est infiniment plus rare que
des marches en avant. Et il est vrai qu’il est même difficile de trouver un exemple
probant. Le seul que j’aie trouvé est le suivant.
Imaginez-vous assis dans un avion près du hublot. L’avion a été repoussé loin
de l’aérogare par un genre de tracteur-repousseur et un homme au sol vient d’ins-
pecter des yeux une dernière fois l’avion dans son ensemble. L’homme se rap-
proche une dernière fois du cockpit car son casque est branché dans une petite
trappe sous le poste de pilotage. Puis l’homme libère l’avion et fait signe que tout
est pour le mieux. Il salue l’équipage d’un grand geste tout en reculant. Vous le
vérifierez lorsque cela se produira à nouveau pour vous : il recule en soulevant la
pointe de son pied libre, il « roule » sur ses pieds, exactement comme le ferait un
grand robot de métal genre science-fiction, et il ne s’éloigne certainement pas
comme un danseur classique, en tendant sa jambe libre vers l’avant.
Et c’est ainsi que l’on trouve, tout simplement, les contacts au sol qui caracté-
risent la marche avant et la marche arrière : en avant : « talon-plante » ; et en ar-
rière : « plante-talon ». Et c’est toujours ce qui est écrit sur la première ligne de la
première figure de la première danse détaillée dans les traités : le premier par de
valse.
Voilà une façon correcte de transmettre de la technique : en argumentant, et en
la faisant découvrir aux élèves eux-mêmes. L’appropriation est de dix fois supé-
rieure, et cela immédiatement.
Vous trouverez ci-dessous un bel exemple photographie, de quelqu’un de qui
on ne peut pas dire qu’il l’a fait express parce qu’il était en train de danser ;
Je suis navré de la tournure complexe que prennent, par l’écriture, cet exercice
et cette démonstration simples, d’une difficulté technique qui ne devrait pas en
être une. Le petit schéma ci-dessus peut aider, peut-être, à mieux comprendre
mon propos qui est d’autant plus important que, des assemblés-posés, nous en
trouvons une très grande quantité dans les danses de société (valse, rock, paso-
doble… on pourrait presque dire dans toutes ces danses !).
Cet exercice me semble aussi très important pour souligner comme nous ris-
quons, tous, de nous restreindre à nos habitudes, à nous limiter alors même que
les propositions sont très larges, en un mot à nous enfermer dans nos propres
prisons. Et cette prise de conscience me semble d’autant plus importante qu’il
nous va falloir être très clairs dans nos propres déplacements, parce que la per-
sonne que nous guiderons devra comprendre ce que nous faisons pour savoir ce
qu’elle doit faire, et cela, non par l’intelligence ni le mental (ni en regardant nos
pieds), mais par le sensoriel, et dans l’immédiateté de la danse.
Et l’exercice prendra toute sa signification dès que nous serons en couple, et
l’explication de guidage n’en sera que plus facile. Cr, si nous nous trompons et si
nous ne faisons pas ressentir à notre partenaire sur quel pied nous sommes, et
de quel pied nous allons avancer en suivant, nous avons une chance sur deux ne
lui marcher dessus. C’est le meilleur moment pour ça, si c’est ce que l’on vise !
C’est enfin le moment de s’amuser à reconnaître des formes, qui vont alimenter
nos bibliothèques chorégraphiques. Lorsque je pose la question de savoir com-
ment pourrait s’appeler le schéma que nous faisons ici en combinant une marche
en avant et une marche surplace, nombreux sont capables de répondre que nous
sommes dans un chassé, plus précisément dans « un chassé progressif », comme
indiqué depuis des décennies dans les ouvrages de technique internationale. C’est
même le premier pas de tango proposé, et qu’une multitude de danseurs prati-
quent au bal. Un pas qui a un passé glorieux : il s’appelle même, depuis les années
1910, le « chassé argentin » !
Beaucoup d’enseignants de XXe siècle ont utilisé cette forme pour commencer
à enseigner le tango. La grande différence, ici, c’est que c’est l’élève qui a décou-
vert la forme du chassé argentin, et non l’enseignant qui lui a collé une image
dans le cerveau, en lui disant que c’était « le pas de base du tango ». Ce pas ne
sera donc jamais mystifié, il restera souple et appartiendra en propre à l’élève qui
se permettra, non seulement de le modifier à souhait, mais à l‘utiliser dans d’autres
circonstances (et danses) sans avoir l’impression qu’il transgresse les lois de telle
ou telle danse.
Passage en musique :
Il faut se rappeler que tous ces exercices de mise en danse, de verticalité, de
réflexion sur le travail du pied, etc., ont été faits sans musique. Il arrive, parfois,
que j’utilise la musique un peu plus tôt, sous la forme d’une pulsation que je pro-
pose avec des frappes de mains, avec des claves, ou avec une boîte à rythme.
Mais il est intéressant, dans un premier temps, de prendre de la distance vis-à-
vis de la musique en général, tant c’est un facteur très important dans la danse,
et particulièrement dans les danses de couple.
Nous en arrivons alors à la phase dans laquelle nous allons faire intervenir de
deuxième facteur : le facteur temps. Là, se pose la question du choix de cette mu-
sique. En aucun cas, je ne souhaite qu’elle ne soit qu’une musique de fond. J’ai
d’ailleurs l’habitude de donner ce conseil à mes stagiaires : n’utilisez jamais la mu-
sique comme ambiance de fond tout en faisant faire des mouvements supposés
« mesurés », c’est-à-dire dans des rapports de durée à respecter. Si les élèves
entendent de la musique, il faut absolument qu’ils aient conscience du côté impé-
ratif d’être en musique, sur la musique, avec la musique. Il est très important que,
à aucun moment donné, ils puissent imaginer qu’il est possible de faire des pas
mesurés sans être avec la musique. Si la musique est là, il faut être avec elle.
Certains rétorquent, souvent, qu’ils souhaitent répéter leurs mouvements à une
vitesse plus lente, donc pas sur la musique : alors, il vaut mieux couper tout sim-
plement la musique.
Pour travailler ce deuxième facteur, nous mettons en position simple le facteur
espace : ce qui veut dire que, pour expérimenter le temps, nous nous contenterons
de faire des pas en avant, dans un premier temps, bien sûr. Nous reprenons donc
avec une pulsation lente, celle que j’avais utilisée déjà dans les phases précé-
dentes.
Pour ce moment, il m’est arrivé d’utiliser seulement un percussionniste pour
nous donner une pulsation lente et régulière, à laquelle tous les stagiaires doivent
se conformer. Il n’est alors plus possible de danser « quand on veut », il faut déjà
danser « avec tout le monde ».
Lorsque je n’utilise ni métronome, ni des frappes de mains, d’une boîte à
rythme, ni un percussionniste, je suis alors confronté à un choix très délicat : quelle
musique choisir pour nous donner cette pulsation simple et régulière. Toute mu-
sique trop typée fera entrer les stagiaires dans un imaginaire. Que ce soit un
tango, une rumba, un paso-doble ou toute autre musique, chaque fois, les sta-
giaires auront du mal à se concentrer sur le sujet du temps, et uniquement lui,
sans se laisser « impressionner » par le style musical. J’ai donc choisi pour ce
type d’exercice préparatoire, un vieux disque de fox-trots, très doux, lents, et sur-
tout pas trop typés.
Madison :
Souvent, après avoir travaillé ces lettres de l’alphabet chorégraphique sur un
rythme simple et régulier, je propose aux élèves présents de créer un petit assem-
blage de huit pas lents, dans les directions qu’ils souhaitent, de façon à pouvoir
répéter ces huit pas. On peut imaginer alors que le but est de créer une petite
danse sous la forme d’un madison. Mais on peut aussi se dire que cet « assem-
blage » pourrait servir comme pas de base par défaut pour du slow, ou même du
tango.
Chacun fait alors son petit enchaînement et je laisse les stagiaires travailler li-
brement. Mon seul travail consiste à les aider à répondre correctement aux
consignes : en particulier, il doit y avoir huit pas, pour ne pas dire huit transferts
du PDC. Donc, je repère ceux ou celles qui font un assemblé des deux pieds mais
sans transférer le PDC, ce qui a deux conséquences fâcheuses : au bout on se
retrouve sur le mauvais pied pour recommencer car on a passé deux pulsations
sur le même pied. Le rythme n’est pas respecté, et la chorégraphie ne peut pas
reprendre du même pied. Et je fais cet exercice encore une fois pour que chacun
comprenne bien ce qu’est un transfert du poids du corps. Et il s’en trouvent encore
beaucoup, à ce stade-là, qui mélangent les concepts.
Une fois les recherches effectuées, je propose à la personne qui a fait, de mon
point de vue, la proposition la plus intéressante et la plus fondamentale, de l’en-
seigner à tous les autres : c’est le premier cours de danse donné pour certains,
qui ne s’en rendent même pas compte.
J’en profite alors pour redire que le petit enchaînement trouvé pourrait réelle-
ment être un pas de base pour l’apprentissage du tango, tout en précisant que ce
ne serait que pour l’apprentissage, et qu’il faudrait bien expliquer alors à l’élève
que ce n’est qu’une proposition, que ce n’est pas vérité tombée du ciel, qu’il y a
une infinité de façons de se mettre en danse, particulièrement en tango. Et j’en
profite pour citer un pas de base célèbre de tango dit argentin, qui a été nommé
la salida, et qui est un ensemble de huits pas, qui utilise les quatre lettres de l’al-
phabet que nous venons de voir, et qui est une trame de travail passionnante pour
aborder le tango, à condition de ne pas prendre cette trame comme LE pas de
base obligatoire, vrai à l’exception de tout autre, du tango.
De là, il est très facile de convaincre les gens que la plupart des pas de danse
de couple, même lorsqu’ils sont sophistiqués, ne sont guère que des assemblages
de ces quatre lettres de l’alphabet, sur deux types principaux de durée. Que cela
suffit pour les repérer, pour les écrire, pour les mémoriser, pour les retrouver, et
donc pour les retransmettre.
Pour appuyer mon propos, je rappelle ce fait que j’ai observé dans un cours de
tango très bien mené.
Nous sommes dans un cours de tango (enseigné à la manière argentine), et le
professeur, qui a dans ses bras une danseuse dont personne ne connaît les quali-
fications particulières, dit : « A ce stage, alors que la fille a deux pieds joints avec
le PDC sur le pied gauche, donc le pied droit libre, que peut-elle faire ? Que peut-
il se produire ? La réponse est très simple : soit elle fait un pas en avant, soit un
pas en arrière, soit un pas de côté, soit elle transfert surplace son PDC vers l’autre
pied et elle change donc de pied de support ».
Cela correspondait exactement aux propositions que je faisais dans mes cours,
avec des pas en avant, en arrière, de côté ou assemblés. Il restait, et c’est évidem-
ment, tous les transferts de PDC vers une diagonale avant, ou une diagonale ar-
rière, et même les pas croisés qui sont les pas suivants que j’ai l’habitude
d’enseigner.
Enfin, chacun des stagiaires est à son tour émetteur et récepteur, car, à ce ni-
veau de travail, peu importe le rôle, chaque danseur et chaque danseuse devant
s’imprégner totalement de ces concepts et de ces fonctionnements.
Il est aussi indispensable de pratiquer ces exercices avec tous les collègues,
pour se rendre compte des différences qui peuvent apparaître d’un individu à
l’autre, ne pas parler durant les exercices pour permettre à chacun de développer
son langage non-verbal et son écoute du non-verbal. Par contre, il est judicieux
de laisser un temps d’échange verbal entre partenaires à la fin de chaque temps
de travail afin d’échanger verbalement et compléter, corriger ou conforter ses sen-
sations.
On était là sur le développement de sensations internes, en lien avec des per-
ceptions internes autres que par le regard. L’exercice suivant va compenser en
accordant une place prédominante à la vision.
La mise en couple :
Exceptionnellement, la première fois, je vais prendre le temps d’expliquer pas
mal de points de détails, et répondre à quelques questions qui se posent réguliè-
rement. Et l’explique alors que l’on peut inventorier 5 points de contact importants
entre les deux corps des danseurs.
Introduction du temps
Lorsque le couple souhaite aborder la notion du temps, il est simple de com-
prendre que le guide va d’abord calmer sa relation à l’espace pour se concentrer
sur ce nouveau facteur. Le garçon va donc, peut-être, reprendre les marches les
plus simples : en avant pour lui, et en arrière pour elle. Et, comme il l’a fait simple-
ment en position solo, il va se préparer à passer à la vitesse supérieure, au moins
quelques pas (un nombre impair, évidemment, comme découvert plus haut).