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“Réflexions sur Little Rock” est une prise de position de Hanna Arendt sur la ségrégation

raciale à l'école, faisant suite aux événements survenus à Little Rock aux États-Unis en
1957.
A l'heure où Arendt est fréquemment étudiée dans les établissements scolaires en France
(notamment), il me semble important de partager ce texte et de comprendre les fondements
de la pensée de Arendt qui l'obligent à une position aussi problématique.
On a la chance d'accéder à ce texte en ligne, en suivant l'adresse plus bas. Quant à
l'évènement lui-même, il est assez détaillé dans Wikipedia. “Neuf de Little Rock”

Le 2 septembre 1957, la Little Rock Central High School refuse d'accepter en son sein neuf
étudiants afro-américains. Ces enfants avaient été inscrits en vertu de l'ordonnance de la
cour fédérale interdisant la ségrégation raciale à l'école.

Hanna Arendt répond en se mettant successivement à la place d'une mère noire puis d'une
mère blanche du Sud. Et plus loin on peut lire le genre de rapprochement qu'elle fait avec la
question juive.

“Le point de départ de mes réflexions, ce fut une image parue dans les journaux, qui
montrait une Noire rentrant d'une école nouvellement intégrée ; elle était persécutée par une
troupe d'enfants blancs…”
“Si j'étais une mère noire du Sud, je sentirai que la Cour Suprême, sans le vouloir mais
inévitablement, a placé mon enfant dans une position plus humiliante que celle dans laquelle
elle se trouvait auparavant”
“Que ferais-je si j'étais une mère blanche du Sud ?…Je conviendrais que le gouvernement
est impliqué dans l'instruction de mon enfant dans la mesure où il est censé devenir un
citoyen, mais je dénierais au gouvernement tout droit de me dire en compagnie de qui mon
enfant reçoit cette instruction.”

Si Hanna Arendt se voyait refuser l'inscription de son enfant à l'école publique de son choix,
au motif qu'elle est juive, que dirait-elle ?

Arendt ne répond pas à cette question, ou plutôt la déplace en choisissant un lieu différent,
plus anodin, qui ne fait que renforcer la confusion.

“Si, en tant que juive, je veux passer mes vacances seulement en compagnie de juifs, je ne
vois pas comment qui que ce soit peut raisonnablement m'empêcher de le faire ; de même,
je ne vois pas pour quelle raison d'autres lieux ne devraient pas s'occuper d'une clientèle qui
ne souhaite pas voir de juifs pendant ses vacances”.

En revenant à la situation subie par l'enfant, Arendt a-t-elle à l'esprit ce qu'elle a subi en tant
qu'enfant juive ?
Extrait d'une conversation télévisuelle le 28 octobre 1964 :
“Je viens d'une vieille famille de Königsberg et pourtant le mot "juif" n'a jamais été prononcé
quand j'étais enfant. Je l'ai rencontré pour la première fois par le biais de remarques
antisémites (inutile de les répéter) des enfants dans la rue. Après cela, je pense que j'ai été
"éclairée" si l'on peut dire.
- Ce fut un choc pour vous ?
- Non.
- Est-ce que vous vous êtes dit : "Désormais je suis une personne à part" ?
- C'est une autre question. Ce ne fut pas du tout un choc pour moi. Je me suis dit : "C'est
comme ça."»

Faut-il d'ailleurs assimiler la question de la ségrégation raciale à la question juive ? C'est


une autre question.

En tous les cas, Arendt pouvait facilement supposer que pour cette enfant noire à Little
Rock, ça n'était pas non plus un “choc”. L'heure était à la déségrégation concrète après
plusieurs décennies de luttes depuis l'abolition de l'esclavage.

Arendt préfère plutôt voir l'urgence à légaliser les mariages mixtes, qui est un droit universel.
Mais pourquoi opposer ce problème fondamental au problème tout aussi fondamental qui
s'est manifesté à Little Rock ?

Il faudrait remonter à cette opposition fermement maintenue par Arendt entre un monde et la
politique d'un côté et la vie de l'autre ; entre la liberté du côté de la politique, et la nécessité
du côté de la vie.

On peut objecter que le droit universel reste abstrait si les conditions universelles d'accès à
l'universel n'existent pas réellement, c'est-à-dire si la ségrégation demeure la réalité
quotidienne.
Mais Arendt estime qu'au bout de cette logique le gouvernement serait autorisé à légiférer
sur tous les aspects de la vie quotidienne ; ce que personne ne veut.

Autrement dit, l'auteure oppose la liberté politique à la nécessité de la discrimination


positive. Mais cette opposition entre liberté et nécessité devient une abstraction stérile s'il n'y
a pas un jugement de la situation particulière.

Nous sommes ainsi ramenés au début du texte : “Si j'étais une mère noire...si j'étais une
mère blanche du Sud”. de quel droit peut-on parler à la place de l'autre ? Si on parle des
"vérités de fait", où sont-elles ? Prétend-elle être « libérée des idiosyncrasies » ? Rien n'est
moins sûr, tant elle lit l'évènement au sein de l'opposition qu'elle maintient obstinément entre
le monde et la vie.

Il y a une circularité hallucinante dans les textes de Arendt. Mais sur le chemin, fonçant tête
baissée dans l'obscurité des affaires humaines, elle sème des problèmes dont on doit
débattre. Ce commentaire n'a donc pour but que de commencer une réflexion.

Lien vers le texte, pages 151 à 163


https://jugurtha.noblogs.org/files/2018/05/<a
href="/livres/Arendt-Responsabilite-et-jugement/156339"
class="titre1">Responsabilite-et-jugement</a>-Hannah-Arendt.pdf

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