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“Si nous commencions par dire la vérité, à savoir, que nous ne sommes que des Juifs, cela

reviendrait à nous exposer au destin d'êtres humains qui, parce qu'ils ne sont protégés par
aucune loi spécifique ni convention politique, ne sont que des êtres humains”

Cette phrase de Arendt montre l'état de confusion extrême dans lequel elle se trouve, au
moment où elle écrit ce texte en 1943, soit deux ans après son arrivée sur le sol américain.

Certaines descriptions seront peut-être plus conformes à l'idée qu'on peut se faire de
l'instinct de survie qui booste les réfugiés tout le temps de leur fuite.

Mais l'auteure montre précisément la confusion qui règne derrière l'optimisme affiché,
lorsque ces réfugiés sont en voie d'assimilation dans leur nouveau pays.

Et Arendt n'échappe pas à cette confusion.

D'un côté il y a des conditions objectives: des vies privées en miette, le dénuement matériel,
les difficultés d'intégration sociale, le combat pour les droits juridiques et politiques. Arendt
n'obtiendra la nationalité américaine qu'en 1951.

D'un autre côté, il y a un parfum de mort qui reste imprégné, et qui fait le lit de la réaction
identitaire, dans laquelle Arendt se laisse entraînée en tentant d'entraîner les autres.

“Quoi que nous fassions, quoi que nous feignions d'être, nous ne révélons rien d'autre que
notre désir absurde d'être autres, de ne pas être juifs”

Certes, on sait qu'elle s'affranchira plus tard de cette <a


href="/livres/Aristote-Rhetorique/24025" class="titre1">rhétorique</a> identitaire, de ce
masque de l'identité. Quitte à vivre peut-être avec l'idée qu'il y a toujours un masque derrière
un masque ? Quitte à admettre qu'on ne peut rien être sans jouer à l'être ?

Certes, on doit entendre son cri, lorsqu'elle nous jette à la figure la question des
“sans-papiers”.
Mais <a href="/livres/Aristote-La-Rhetorique/833085" class="titre1">la rhétorique</a>
identitaire déployée dans ce texte pose aussi des questions sur sa conception de <a
href="/livres/Aristote-La-politique/49574" class="titre1">la politique</a>.

“nous sommes devenus les témoins et les victimes de terreurs bien plus atroces que la mort
– sans avoir pu découvrir un idéal plus élevé que la vie (…) nous ne sommes pas pour
autant devenus capables ni désireux de risquer notre vie pour une cause.

Manifestement Arendt évoque le genre d'expérience vécu par les résistants, en regrettant de
faire partie d'une communauté qui n'a pas ce genre de vécu. Mais son regret dégénère en
un jugement mortifère, et la conception fantasmee de cette expérience dégénère en une
opposition abstraite entre la liberté et la nécessité, <a
href="/livres/Aristote-La-politique/49574" class="titre1">la politique</a> et la vie.

Arendt juge sa communauté engluée dans les « combines et astuces d'adaptation et


d'assimilation ». Mais son jugement lui-même est une assimilation. Il ne reste plus à
l'auteure qu'à s'empresser de sauver cette masse amorphe en lui faisant endosser une
identité abstraite. Ruine de la pluralité, caricature de démocratie. Demandez ensuite aux
gens d'aller voter !

Elle juge que seule une petite minorité de « parias sociaux », est capable de mutations,
disons existentielles.
Mais parmi les prétendus « parvenus sociaux » et « parias sociaux », qui sait au fond
comment chacune de ces personnes réagirait face à un nouveau choix cornélien ?
Y a-t-il un seul être vivant incapable de muter ?

Mais peut-être Arendt craint-elle précisément cette humanité qui ne cesse de muter ?
Un repli identitaire pourrait en effet ralentir ce processus vital.

« l'histoire de cent cinquante ans de judaïsme assimilé a réussi un exploit sans précédent :
…»

Essayons de deviner la suite. Je dirais que cette histoire a produit des génies dans tous les
domaines, connus ou inconnus. Arendt nous rappelle quelques noms, <a
href="/auteur/Franz-Kafka/1975" class="libelle">Franz Kafka</a>, <a
href="/auteur/Charlie-Chaplin/21847" class="libelle">Charlie Chaplin</a> etc…

Mais ne sommes-nous pas à un certain moment, en un certain sens, des réfugiés ou des
minorités ?
Est-ce pour cette raison que le titre « <a href="/livres/Arendt-Nous-autres-refugies/1105972"
class="titre1">Nous autres réfugiés</a> » fait vibrer une corde sensible ?
Est-ce pour cette raison que nous parlons à la place des autres avec une telle aisance ?
Ou bien, est-ce parce que nous croyons comme <a href="/auteur/Aristote/2654"
class="libelle">Aristote</a> que « l'homme qui ne parle pas est une plante » ?

Arendt a soulevé le très sérieux problème des « sans papiers ». Sans papiers officiels, mais
plein de tous ces formulaires qui ne servent qu'à entretenir la discrimination sociale.
Malheureusement l'engagement de Arendt est limité et la solidarité n'est pas vraiment son
problème. A Little Rock en 1957, par exemple, où on connaît la ségrégation à l'école, Arendt
peut dire « à la place d'une mère blanche du Sud… je dénierais au gouvernement tout droit
de me dire en compagnie de qui mon enfant reçoit cette instruction ».

Deux liens vers les textes de Arendt :


-<a href="/livres/Arendt-Nous-autres-refugies/1105972" class="titre1">Nous autres
réfugiés</a>
https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2013-1-page-5.htm
-Réflexions sur Little Rock -pages 151 à 163
https://jugurtha.noblogs.org/files/2018/05/<a
href="/livres/Arendt-Responsabilite-et-jugement/156339"
class="titre1">Responsabilite-et-jugement</a>-Hannah-Arendt.pdf

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