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du langage
Sartre lecteur de Brice Parain
Hiroaki Seki
© UKSS and NASS Sartre Studies International Volume 26, Issue 2, 2020: 22–39
doi:10.3167/ssi.2020.260203 ISSN 1357-1559 (Print) • ISSN 1558-5476 (Online)
L’humanisme et la question du langage
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Or, il existe une affinité plus profonde entre Parain et Sartre, celle qui
risque de mettre en danger la séparation que ce dernier veut établir
entre métaphysique et morale. Il faut recommencer : Parain postule
l’existence de Dieu comme étant nécessaire pour sauver l’homme du
désespoir, car sinon tout sombrerait dans l’absurde. Comme nous
l’avons vu, la raison pour laquelle il en a tant besoin trouve son origine
profonde dans la méfiance que le dysfonctionnement représentatif du
langage lui inspire. Privé de ce fondement de l’intelligibilité, toute
la réalité tendrait à perdre sa stabilité, et c’est cette déstabilisation
du monde qui fait tellement peur à Parain. Il s’agit ici de la preuve
dite morale, qui « conclut à l’existence de Dieu du grand besoin que
nous en avons » (251-252). Sartre voit clairement cette angoisse
paranienne devant la fluidité du langage : « Il y a des tremblements de
mots, plus dangereux que des tremblements de terre. Nous voilà donc
rejetés dans un mobilisme universel […] Contre ce péril, il n’y a qu’un
secours : Dieu » (251). Or, si cette méfiance du langage est, nous
l’avons dit, un phénomène générationnel qui résulte de la guerre de
1914, le remède métaphysique de Parain ne peut pas être facilement
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laissé dans l’ombre, mais doit être repensé à tout prix. N’écrivait-
il pas : « L’homme est un animal qui cherche à s’assurer contre ses
faiblesses » 42 ?
Au fond, c’est sur cette misère de l’homme pascalienne43 que
Parain nous incite à réfléchir depuis son Essai sur la misère humaine.
Réflexion écartée par Sartre ? Non : quoiqu’il puisse exclure de sa
philosophie tout recours à Dieu, Sartre n’évite pas cette question
de la faiblesse humaine, et même la reprend comme sienne. Nous
voudrions le montrer, en partant de ce long passage qui exige une
analyse intertextuelle :
Rien n’est plus éloigné de lui [Parain] que le grand dépouillement à quoi
ses camarades de 1925 l’ont invité. Surréalistes, gidiens, communistes
l’entouraient alors et lui murmuraient : « Lâche prise ! ». Lâcher prise,
s’abandonner, abandonner tous les ordres, toutes les coordonnées, se
trouver enfin seul et nu, étranger à soi-même, comme Philoctète lorsqu’il
a donné son arc, comme Dimitri Karamazov en prison […] Mais Parain ne
lâche pas prise, il se cramponne au contraire, il se ligote au mât. Chacun
connaît cette résistance profonde qui se révèle soudain lorsqu’il est
question de se perdre. […] Parain ne s’est pas perdu. Il n’a pas voulu vivre
sans borne. Les champs ont des bornes, les bornes jalonnent les routes
nationales et départementales. Pourquoi se serait-il perdu (240-241, nous
soulignons) ?
Conclusion
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Notes
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