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Séquence théâtre Bérénice (texte 3/3)

Acte IV sc. 5 (réplique de Titus, v. 1087-1102)

Table des matières


Texte ........................................................................................................................................................ 1
Introduction............................................................................................................................................. 2
Situation de l’extrait ............................................................................................................................ 2
Problématisation ; annonce des axes d’étude (plan analytique) ........................................................ 2
Etude du texte ......................................................................................................................................... 2
UN DISCOURS DE RUPTURE CRUELLE & d’AUTORITE.......................................................................... 2
Phrases courtes, simples au début .................................................................................................. 2
Tournures injonctives ...................................................................................................................... 3
Affirmation de soi (1e personne) ..................................................................................................... 3
Les négations, discours fermé ......................................................................................................... 3
Possessivité et domination .............................................................................................................. 3
UN DISCOURS QUI REVELE LA COMPLEXITE ET LES BLOCAGES (l’humanité ?) de TITUS .................... 3
Rimes contradictoires, antithèses ................................................................................................... 3
Grande tension du personnage ....................................................................................................... 3
Sentiment encore très prégnant ..................................................................................................... 3
Omniprésence subtile de Bérénice ................................................................................................. 3
Une rupture qui n’en finit pas ......................................................................................................... 4
Vers 1102 qui révèle le double langage de Titus............................................................................. 4
Conclusion ............................................................................................................................................... 4
Bilan ..................................................................................................................................................... 4
Ouverture ............................................................................................................................................ 4

Texte

1087 Et c’est moi seul aussi qui pouvais me détruire.


Je pouvais vivre alors et me laisser séduire.
Mon cœur se gardait bien d’aller dans l’avenir
1090 Chercher ce qui pouvait un jour nous désunir.
Je voulais qu’à mes vœux rien ne fût invincible ;
Je n’examinais rien, j’espérais l’impossible.
Que sais-je ? J’espérais de mourir à vos yeux,
Avant que d’en venir à ces cruels adieux.
1095 Les obstacles semblaient renouveler ma flamme.
Tout l’empire parlait ; mais la gloire, Madame,
Ne s’était point encor fait entendre à mon cœur
Du ton dont elle parle au cœur d’un empereur.
Je sais tous les tourments où ce dessein me livre ;
1100 Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre,
Que mon cœur de moi-même est prêt à s’éloigner ;
Mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner.

Introduction

Situation de l’extrait
Antiochus a présenté la situation et ses dilemmes en acte I.

Bérénice attend que Titus tienne ses engagements.

Titus, à l’acte III sc. 1, a souhaité qu’Antiochus se charge de l’éloigner du palais. Nous avons l’image
d’un empereur plutôt faible et procrastinateur (lâche ?). Cf. le roman Titus n’aimait pas Bérénice (par
Nathalie AZOULAY, P.O.L. éditeur) qui a fixé dans la littérature contemporaine l’image d’un Titus faux
et lâche.

Titus n’est-il que cela ? N’a-t-il pas droit lui aussi à sa complexité et sa profondeur tragiques ?

Comment la langue va-t-elle exprimer, dans une tirade, tout et son contraire ?

Problématisation ; annonce des axes d’étude (plan analytique)


Double discours de Titus :

→ Discours littéral, apparent, évident, immédiat : acter la séparation, clôturer la relation ;


discours d’autorité
→ Discours souterrain, inconscient : garder Bérénice, faire valoir son propre conflit identitaire
(prince vs empereur, homme libre vs raison d‘Etat), discours de l’intime + questionnement
philosophique (liberté)

Etude du texte
UN DISCOURS DE RUPTURE CRUELLE & d’AUTORITE
Phrases courtes, simples au début
→ Phrases assez simples

Que sais-je ?

Où l’on a le sujet « je » + le verbe « sais » + le COD « que », ce qui correspond à une structure
élémentaire de la phrase.

→ Voire contenues (de simples propositions infinitives en guise de propositions dépendantes)


au début de sa tirade :
Je pouvais vivre alors et me laisser séduire.

Ou encore

« Les obstacles semblaient renouveler ma flamme. «

Tournures injonctives
→ « il ne s’agit plus de…. » tournure impersonnelle qui donne l’impression d’un discours
objectif, supérieur et sentencieux
→ « il faut régner », verbe falloir dont le sens indique la modalité injonctive

Affirmation de soi (1e personne)


→ Anaphores du « je » pronom sujet de la première personne (« je pouvais », « je voulais »,
« j’espérer », « Je sais », « Je sens ») souvent en ouverture du vers

Les négations, discours fermé


→ Négations morphologiques, par les préfixes : « désunir », « détruire », « impossible »,
« invincibles »
→ Négations syntaxiques « ne s’était point », « je n’examinais rien », « il ne s’agit plus »

Titus acte une situation de blocage et de refus.

Possessivité et domination
Si l’on observe les mots à la rime, on constate un phénomène d’emprise : « Madame « (v. 1096), se
trouve enserré entre « flamme » (v.1095) et « cœur » (v.1097) : lien maintenu et visible

UN DISCOURS QUI REVELE LA COMPLEXITE ET LES BLOCAGES (l’humanité ?) de TITUS


Rimes contradictoires, antithèses
→ Oppositions qui traversent le texte et traduisent l’hésitation ou la contradiction (le dilemme)
qui agite Titus
→ Tout le texte est porté par l’antithèse « mourir » (v.1193) / « vivre » (v. 1088 et 1102)
→ Termes qui riment malgré leur opposition => dissonance dans le sens : « détruire » /
« séduire » aux vers 1087-88 et « cœur » / « empereur » (v.1197-98)

Grande tension du personnage


Au v. 1193, interrogative directe, dès l’attaque du vers, pour traduire le désarroi du personnage : « Que
sais-je ? » avec une question ouverte (d’autant plus angoissante que toutes les réponses sont
permises) ; pas sûr du tout qu’ici, la question ne soit que rhétorique (Titus se demande, tout en parlant
à Bérénice, réellement où il en est).

Sentiment encore très prégnant


→ « mon cœur » à trois reprises, au début (v.1089), au milieu (v.1098) et à la fin (v.1101)
→ « ma flamme » métaphore typiquement précieuse, vocabulaire galant, cliché de la passion en
milieu de tirade, alors qu’il est censé rompre et affirmer sa suprématie impériale.

Omniprésence subtile de Bérénice


Allitération en [b] : « invincible », « impossible », « obstacle », « bien »

2 hypothèses :

• Est-ce Bérénice qui se rappelle irrémédiablement et inconsciemment à lui ?


• Ou bien lui qui stratégiquement place habilement des allitérations [b] pour calmer Bérénice
en lui donnant des gages de son attachement persistant ?

Une rupture qui n’en finit pas


A partir du vers 1096

Tout l’empire parlait ; mais la gloire, Madame,

Ne s’était point encor fait entendre à mon cœur

Du ton dont elle parle au cœur d’un empereur.


Besoin de solliciter celle qu’il renvoie (apostrophe madame), placée en bout d’alexandrin (comme si
tout ramenait tout de même à elle) et en amorçant, par l’enjambement, une longue phrase (sur trois
vers successifs), comme s’il voulait quand même faire durer le moment des adieux avec elle.

Vers 1102 qui révèle le double langage de Titus


Le déséquilibre de Titus se voit particulièrement au dernier vers aux faux airs d’adage (avec la tournure
presque proverbiale, où Titus semble parler avec aplomb)

« Mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner. »

L’hémistiche coupe entre « plus » et « de » causant le rejet de vivre au-delà de la césure : la première
indépendante de la phrase (avant la virgule, puisque la phrase est composée deux indépendantes
juxtaposées) fait pencher le verbe « vivre » de l’autre côté de l’alexandrin, signe d’une vie de Titus
désormais inconfortable, en suspens.

La tournure injonctive (« il faut ») et le terme relevant du champ lexical du politique (régner) semblent
avoir le dernier mot (et de fait, « régner » clôture notre passage) ; pourtant, toute la partie de la phrase
consacrée à la vie déborde et prend plus de place (selon le décompte des syllabes : 8 sur 12), à croire
que c’est ce en quoi Titus croit le plus, malgré ce qu’il dit officiellement.

Conclusion
Bilan
Au moment où il affirme le primat de la Raison d’Etat, l’envie de vivre (son amour, sa relation) occupe
le plus l’alexandrin. Au moment où il affirme sa puissance, il parle d’amour. Au moment où il rompt, il
la retient auprès de lui. Contradiction consciente (auquel cas le personnage est hypocrite) ou
inconsciente (auquel cas le personnage lui-aussi est une victime) ?

Ouverture
Cf. la préface de la pièce par Racine, qui affirme trois principes

• L’unité « faire un », avec cette esthétique de « la simplicité » et de fait, tous les personnages
(Antiochus, Bérénice, Titus), sont pris dans un dilemme = cohérence des destins tragiques ici ;
• Le principe de « l’émotion », « toucher », les « larmes ».
• La contradiction « tristesse majestueuse », grandeur vs statut de victime, et Titus n’échappe
finalement pas à la règle, ce que traduit l’expression hyperbolique avec son effet d’écho de
« tous les tourments » (à la fois l’hyperpuissance et le malheur, ou plutôt ici, l’hyperpuissance
surtout dans le malheur).

Cf. la demande du metteur en scène allemand Klaus-Michael GRÜBER aux acteurs de la Comédie
française qui jouaient Bérénice en 1986 : « parler le cœur chaud et la bouche froide ».

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