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IEP de Toulouse
Présenté par DANTON Christelle, GALOIX Jade, GALEAZZI Léna
Directeur de mémoire : Mr PLONT
Décembre 2022
Remerciements
Nous tenons à remercier Monsieur E., qui fut notre premier contact sur le terrain, et
qui a su nous accueillir, nous guider dans la bienveillance et qui a pu nous permettre de
réaliser ce mémoire.
Nous voulons exprimer finalement, notre reconnaissance à C., sans qui ce mémoire
n’aurait pu voir le jour. Nous saluons son implication, sa disponibilité, sa bienveillance, et sa
gentillesse qui ont été des qualités essentielles à la réalisation de notre enquête. Nous lui
témoignons toute notre gratitude.
Sommaire
Introduction............................................................................................................................1
Conclusion............................................................................................................................18
Retours réflexifs...............................................................................................................20
Bibliographie.....................................................................................................................40
Introduction
Les multiples confinements liés à la pandémie de covid-19 ont fait resurgir le discours
des Témoins de Jéhovah au sein du débat public. En effet, dès mars 2022, les organisations
jéhovistes se sont saisies de cette actualité afin de réaffirmer leur position. Un des huit
membres du Collège Central, Stephen Lett, a publié une vidéo sur le site officiel, en alertant :
« Les événements que nous vivons montrent plus que jamais que nous vivons la fin des
derniers jours et même sans aucun doute la fin de la fin des derniers jours, juste avant le
dernier des derniers jours ». Les fidèles diffusent un extrait de la Bible selon lequel Jésus
aurait prédit cet événement : « Il y aura de grands tremblements de terre, et, en divers lieux,
des pestes et des famines ; il y aura des phénomènes terribles, et de grands signes dans le ciel
» (Nouveau Testament, Luc 21:11). Cet événement qui semble annoncé et prédit dans la Bible
représente pour la communauté une occasion de renforcer la croyance des fidèles en la parole
de Jéhovah ainsi que l’espoir de convaincre des profanes. Ainsi, les Témoins de Jéhovah
semblent se saisir de sujets d’actualités prégnants afin de diffuser leurs croyances et idées
quant à la société, les modes de conduites, valeurs et normes à adopter. Ces propos ont
suscité de vives réactions et critiques dans les médias, jugeant cette attitude opportuniste et
dangereuse, en profitant de l’insécurité liée à la crise sanitaire.
1 Dericquebourg (Régis), “Les groupes religieux minoritaires : protestation, refus du monde et action
humanitaire” in Bréchon (Pierre), Duriez (Bruno), Ion (Jacques), dir., Religion et action dans l’espace public,
L’Harmattan, 2000, p.75-87.
2 Bainbridge (William Sims), Stark (Rodney), Future of religion: secularization, revival and cult formation,
Berkeley, University of California Press, 1985
1
environnement, bien qu’ils tentent de démontrer le contraire. En effet, persiste au sein de
cette communauté une reprise des codes et caractéristiques des institutions totales. Par
conséquent, il semblait intéressant d’étudier les caractéristiques d’une institution totale
appliquées au domaine spirituel et religieux, dans le cas de la communauté des Témoins de
Jéhovah. Notre étude se centre alors sur la trajectoire et le parcours d’un Témoin de Jéhovah,
son engagement total ainsi que sur son rapport à la communauté et la société, afin de
comprendre l’effet et les caractéristiques d’une institution totale sur ses agents.
Depuis la création du mouvement des Témoins de Jéhovah en 1870, par Charles Taze
Russell, aux États-Unis, il n’a cessé de se développer et de prendre en intensité, pour
s’inscrire toujours plus dans le paysage spirituel et religieux. Les Témoins de Jéhovah
forment un mouvement pré-millénariste et restaurationniste se réclamant du christianisme.
Les croyants adhèrent à une doctrine générale selon laquelle le Christ reviendra avant le
Millénium, c’est-à-dire avant son règne littéral de mille ans sur Terre. De plus, la doctrine
prétend restaurer le christianisme originel. Les Témoins de Jéhovah, autrefois appelés
Étudiants de la Bible, se basent sur une réécriture de celle-ci, conforme aux grands canons
protestants, appelée ‘La Bible, Traduction du Monde Nouveau”. Les adeptes croient en
l'intervention imminente de Dieu dans les affaires humaines lors de la Bataille d'Armageddon
et ont pour objectif l’établissement du Royaume de Dieu sur Terre, seule solution aux maux
de l’Humanité. Selon leur doctrine, Jéhovah est le nom personnel de Dieu, et faire reconnaître
ce nom est primordial pour eux, il est la traduction littérale de “l’existant, qui fait devenir” en
hébreu. Leur dimension restaurationniste leur confère un aspect très critique envers les autres
religions, qui font pour eux partie de Babylone la Grande, organisation de Satan, décrite
comme l’empire mondial de la fausse religion. Les Témoins de Jéhovah sont issus d'un
mouvement connu sous le nom d'« Étudiants de la Bible ». Dès 1914, le groupe des Étudiants
de la Bible dépasse les 13 000 membres, sans compter les sympathisants. En janvier 1917,
Joseph Franklin Rutherford est élu en tant que nouveau président de la Watch Tower Bible
and Tract Society et entame une réorganisation complète du mouvement. Il centralise
l'autorité en transformant, en à peine treize ans, les églises ou ecclésias indépendantes en
congrégations sous les ordres de la société Watchtower, et fait de la diffusion de son message
l'activité principale des ecclésias. En plus de cela, Rutherford défend une interprétation de la
Bible qui contribue à couper ses fidèles des autres chrétiens et de leur environnement. Durant
sa présidence, il interdit de nombreuses pratiques : la célébration de Noël (1928), les
anniversaires, la fête des Mères, le salut au drapeau et les vaccinations.
D’autre part, les Témoins de Jéhovah se veulent politiquement neutres 3 et ont refusé
d’accomplir le service militaire, ce qui creuse l’écart avec la société, et produit dans une
certaine mesure une exclusion sociale. La direction du mouvement est exercée par le Collège
Central, garant de l’ordre théocratique et de l’enseignement. Ce siège international est à
l’origine de nombreuses publications et revues, dont La Tour de Garde et Réveillez-vous ! et
offre à ses adeptes un ensemble de services tels que : une chaîne tv, une bibliothèque
musicale, de nombreux articles thématiques et pratiques dont la parution est quotidienne. Le
3 Voir annexe 4
2
site officiel regorge de ressources, entraînant les adeptes à cultiver leur foi, et leur implication
au sein de la communauté. Celle-ci étant l’essence même de leur foi, elle définit leur
appartenance au groupe. De fait, une des caractéristiques principales des Témoins de Jéhovah
est la prédication. Cette activité considérée comme une œuvre de salut s’inscrit dans des
pratiques prosélytes, et consiste à diffuser et prêcher la Bonne Nouvelle, c’est-à-dire
l’instauration prochaine du Royaume de Dieu et la fin de notre monde. De plus, le groupe des
Témoins de Jéhovah est caractérisé par un ensemble de valeurs véhiculées par leur activité de
prédication, toutes relatives à la Bible, telles que l’amour, la fraternité, la solidarité et la
neutralité. Leur vie est conduite par l’application des textes sacrés dictant leurs
comportements, ils accordent une place prépondérante à ce qu’ils considèrent comme étant la
Vérité. Les témoins attribuent une valeur scientifique a tout ce qui est relaté dans la Bible, et
comprennent ces événements comme une prédiction du futur.
Notre enquêtée est de ce fait C., une femme de 33 ans, célibataire, sans enfant, vivant
à Toulouse depuis 2011. Elle est infirmière à domicile. C. est originaire de la région
parisienne, née à Blanc-Mesnil dans le 93, elle a grandi dans une maison à Villeparisis, avec
ses deux parents, deux grands frères, une grande sœur et un petit frère. Son père était boucher
et sa mère secrétaire de mairie, agent de la fonction publique. Ses parents étant devenus
Témoins de Jéhovah, elle a été élevée et a grandi dans une famille de Témoins, et a donc
côtoyé la communauté, participé aux réunions, et prié depuis son enfance. Vers ses 10 ans,
ses parents se sont éloignés de la religion, alors que ses grands frères et sa grande sœur ont
continué de pratiquer. À ses 15 ans, C. a participé à une journée dédiée aux Témoins de
Jéhovah qui est apparue comme une révélation pour l’adolescente qu’elle était et trouvant
ainsi toutes les réponses aux questions qu’elle se posait 4. Par conséquent, elle est retournée
aux réunions, a recommencé à étudier la Bible et à prier. A 17 ans, elle s’est faite baptiser.
Depuis 11 ans, elle exerce régulièrement son activité de prédication, et son engagement est tel
4 Voir annexe 1
3
qu’elle détient le statut de pionnière permanente au sein de la communauté. Ce statut est
conféré à des adeptes particulièrement engagés dans l’activité de prédication. En effet, ceux-
ci en font leur activité principale. C. est également partie deux ans en Normandie, au Béthel,
qui est le siège national des Témoins de Jéhovah, afin d’exercer bénévolement en tant
qu’infirmière au service des Béthélites.
5 Goffman (Erving), Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Les
Editions de Minuit, 1961
6 Ibidem, p.48
7 Darmon (Muriel), La Socialisation, Paris, Armand Colin, 2016
4
La trajectoire de notre enquêtée C., est propice à l’analyse d’un individu engagé. En
effet, elle est membre de la communauté des Témoins de Jéhovah depuis sa naissance, dans
la mesure où ses parents se sont engagés lorsqu’ils avaient une vingtaine d’années. Dès lors,
elle n’a jamais connu que cet environnement, dans lequel la religion et la communauté sont
omniprésentes. Elle a ainsi été éduquée selon les principes de la religion, faisant siennes les
normes et valeurs de la communauté. Jusqu’à ses dix ans, C. suit l’engagement de ses
parents, prie, va aux réunions selon le modèle de ses aînés. Elle intègre ainsi les pratiques et
valeurs qui lui sont transmises. La religion rythme ainsi son quotidien depuis sa naissance,
exceptées cinq années durant lesquelles ses parents s’éloignent de la religion, pris par le
travail8. N’ayant que dix ans, elle suit les décisions de ses parents, et prend aussi de la
distance. Néanmoins, elle retourne vers la religion à l’âge de 15 ans, attirée par les réponses
qu’elle peut lui offrir, accompagnée par ses aînés 9. Elle reprend alors une vie pieuse, où la
religion devient délibérément une priorité, son propre mode de vie, ce qui transparaît dans
son discours. En effet, la manière dont elle se voit, se décrit, se présente et se positionne se
fait toujours vis-à-vis de la religion, de la communauté ou de la Bible. Alors, la religion
apparaît comme un prisme par lequel C. se conçoit. Selon elle, son éducation est le fruit de
cette religiosité, par laquelle elle se construit et intègre des valeurs, des habitudes et des
représentations.
À travers la trajectoire biographique de notre enquêtée, ainsi que la manière dont elle
se présente et évoque l’institution des Témoins de Jéhovah et ses effets, il est possible
d’affirmer que la communauté est omniprésente dans sa vie. Elle occupe une place centrale et
déterminante puisqu’à l’origine de son éducation. Selon Émile Durkheim, “l'éducation est
l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie
sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'états
physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son
ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné 10.” En ce sens, l’institution
des Témoins de Jéhovah peut être analysée comme une instance de socialisation. Par
conséquent, elle a pour rôle la mise en œuvre du processus de socialisation par la
transmission de normes et valeurs, dans le dessein d’intégrer au groupe les individus et
assurer leur conformité face aux canons bibliques. Selon la sociologue Muriel Darmon, la
socialisation représente « l’ensemble des processus par lesquels la société construit les
individus et l’ensemble des apprentissages qui les font devenir qui ils sont 11. ». La
socialisation présente deux phases distinctes, la socialisation primaire et secondaire. La
socialisation primaire est opérée par la famille et l’école, se voulant particulièrement
déterminante, comparée à la socialisation secondaire opérée par les pairs. En effet, cette étape
dans la construction d’un individu est marquante et profondément ancrée. Elle participe à la
création d’un habitus voué à perdurer tout au long de la vie de l’individu, régissant ses modes
de penser, ses comportements, ses représentations et valeurs. L’habitus représente dans une
certaine mesure une incorporation de l’éducation et la socialisation fournie par les différentes
8 Voir annexe 1
9 Voir annexe 4
10 Durkheim (Emile), Education et sociologie, Paris, Quadrige / PUF, rééd. 2006 (1922), p. 51
11 Darmon (Muriel), La Socialisation, Paris, Armand Colin, 2016
5
instances, que Pierre Bourdieu définit comme : « loi immanente, déposée en chaque agent par
la prime éducation, qui est la condition non seulement de la concertation des pratiques mais
aussi des pratiques de concertation, puisque les redressements et les ajustements
consciemment opérés par les agents eux-mêmes supposent la maîtrise d’un code commun et
que les entreprises de mobilisation collective ne peuvent réussir sans un minimum de
concordance entre l’habitus des agents mobilisateurs (e. g. prophète, chef de parti, etc.) et les
dispositions de ceux dont ils s’efforcent d’exprimer les aspirations.12 ».
Chez C., la socialisation est donc opérée par les instances primaires et
particulièrement la famille. Nonobstant, dans le cas de la famille, elle agit, teintée d’une forte
dimension religieuse. Tout ce qui lui est enseigné est relatif aux codes et valeurs véhiculés
par la communauté des Témoins de Jéhovah, ce qui fait de cette institution, une instance de
socialisation particulière. Lui est conféré une grande légitimité, dans la mesure où cette
socialisation est véritablement le fruit de la religion. En effet, C. nous expose les valeurs
intégrées dans son enfance : “Les valeurs de la famille, premièrement, du partage, du respect,
aussi ne pas juger les autres, d'accepter les personnes comme elles sont. Qu’est-ce qu’il y a
d’autres? Il faut que je me rappelle, il y en a tellement… Ne pas mentir, ne pas voler, dire la
vérité, tout ça c’est ce que je me rappelle de quand j’étais petite” 13. Elle confirme aussi, que la
religion joue un rôle encore aujourd’hui dans la construction et le développement de sa
personne, réaffirmant ainsi le rôle d’instance de socialisation endossé par l’institution des
Témoins de Jéhovah : “Ça a continué à m’apporter de belles valeurs que je continue à
appliquer, ça me permet de me sentir bien dans mes baskets. Comment dire, je pense que
j’avais déjà cette conscience du bien et du mal, on l’a tous, et ce que j’apprenais dans la Bible
c'était cohérent avec ma conscience et avec ce qu’on m’avait déjà appris aussi, ça résonnait
en fait”14.
12 Bourdieu (Pierre), Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Seuil, 1972, p.272.
13 Voir annexe 1
14 Idem
15 Idem
6
ce que ses parents lui ont transmis, résonnant avec le discours religieux de la communauté.
Cela renvoie à la construction de son habitus, fruit de ses socialisations spécifiques, propre à
la religion que Muriel Darmon constitue comme “[...] l’incorporation des conditions sociales
et des expériences passées, notamment enfantines” 16. Il en résulte une emprise de l’institution
religieuse sur les discours et les représentations des agents. Les comportements et modes de
pensées ont pour origine l’institution des Témoins de Jéhovah, détentrice du monopole de la
socialisation, faisant d'elle une institution totale.
19 Voir annexe 1
20 Voir annexe 4
21 Extrait d’entretien avec C. du 15/11/2022
22 Goffman (Erving), Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1961, p. 5-6
8
la Bible, et leur uniformité entre les membres de la communauté 23. Par conséquent, il est
possible d’affirmer que les institutions totales conditionnent les modes de vie et les pratiques
de ses adeptes, en produisant une distinction entre les pratiques profanes et les pratiques
considérées comme légitimes. Ces éléments participent à une institutionnalisation des loisirs
et un encadrement de toutes les formes d’activités et de pratiques, faisant des institutions
totales des instances de contrôle des modes de penser et d’agir.
23 Voir annexe 2
24 Voir annexe 1
25Maes (Jean-Claude), Famille et sectes, in Cahiers critiques de thérapie et de pratiques de réseaux, n°26,
2001, pp.196-218
26 Extrait d’entretien avec C. le 15/11/2022
9
politique qui se résume aux partis politiques et au gouvernement 27. La politique, l’actualité,
sont des sujets rejetés par la communauté. Ainsi tout positionnement est réfuté, et encourage
les Témoins à se tenir à distance de ces domaines et par la même occasion, de la
connaissance, en cultivant un discours parfois stéréotypé. De fait, les représentations,
discours, visions de certains sujets sont aux antipodes entre Témoins et profanes.
27 Voir annexe 4
28 Idem
29 Idem
10
hommes, mais ça aussi c’est un modèle biblique, mais y a un penchant un parallèle à l’église
catholique quoi. Mais alors on essaie quand même de pas être misogynes ou quoi parce que
les femmes ont leur part pour participer, juste cette responsabilité là on veut la laisser à un
homme pour pouvoir enseigner, prier, voilà quoi dans la Bible en fait c’est Dieu qui l’a
demandé.30”. Cette domination est prégnante au sein de la communauté, elle est
institutionnalisée et exercée par un petit groupe d’hommes, usant d’une domination que Max
Weber nomme charismatique31. Au sens de Weber, le charisme est considéré comme une
qualité au nom de laquelle une personne détient le statut de chef. Il est donc fondé sur une
domination dans la relation sociale, entre le chef charismatique et des fidèles qui croient en
cette qualité. Le chef charismatique adopte cette position de dirigeant par lui-même, il crée
une “communautarisation émotionnelle” dont la cohésion est liée à l’attachement personnel
au chef. La domination charismatique tire donc le fondement de sa légitimité de la croyance
dans le caractère exceptionnel du chef, et des obligations que les membres doivent remplir
vis-à-vis de ce dernier. Par ce mécanisme de domination charismatique, celle-ci se veut
discrète, non contraignante et donc largement acceptée voire appréciée par les adeptes.
30 Voir annexe 4
31 Weber (Max), chapitre 3 « Les types de domination », Économie et société, Tome 1, Plon, 1995 (1971), p.
285-291.
32 Voir annexe 4
11
Ainsi, la communauté des Témoins de Jéhovah en tant qu’institution totale représente
une réelle instance de socialisation, formant un habitus particulier fondé sur les normes et
valeurs relatives à la croyance des Témoins de Jéhovah. Ce processus de socialisation
singulier concourt à former un lien social particulièrement fort au sein du groupe, à l’origine
d’un entre-soi entraînant une forme de mise à l’écart de la communauté du reste de la société.
La volonté des adeptes se résume ainsi à satisfaire les attentes de la communauté, en
correspondant à un type idéal. En ce sens, une institution totale produit une négation de
l’individu au profit de la secte, en créant un discours et un comportement uniformes et
conformes aux attentes de la communauté et de ceux qui la dirigent. Alors, les fidèles sont
encouragés à adopter une posture prosélyte et un fort engagement dans l’optique de faire
développer le groupe et diffuser la pensée jéhoviste.
L’engagement prend une place prépondérante dans la vie de C., à tel point que celui-
ci peut apparaître comme un sacrifice. En effet, elle dédie presque l’intégralité de son temps à
son rôle de Témoin de Jéhovah, au détriment des autres pans de sa vie. En ce sens, elle ne
travaille qu’à mi-temps depuis l’obtention de son diplôme, adapte ses offres d’emploi et son
emploi du temps à son engagement, renonçant ainsi à un niveau de vie confortable en se
satisfaisant du juste nécessaire pour vivre33. Cette activité ne lui confère aucune rétribution
monétaire, elle agit de manière totalement bénévole. Lors d’un entretien, C. nous explicite
dans quelle mesure ce sacrifice impacte sa vie : “Dans le sens où je gagne moins d’argent, ça
interroge, mes collègues me disaient mais comment tu fais pour payer tes factures, bon, je
m’en suis toujours sortie, mais c’est vrai que c’est un petit sacrifice financier. Parce que
quand on est bénévole on ne gagne pas d’argent on le fait sur notre temps libre, sur notre
énergie, donc c’était quand même un petit sacrifice financier mais j’en ai jamais souffert. Je
me suis toujours arrangée, j’ai toujours pu faire ce que j’avais envie, trouver un certain
équilibre dans ces deux activités”. À première vue, elle minimise l’impact de ce fort
engagement sur son épanouissement et sur le développement de sa vie personnelle. Dans ses
33 Voir annexe 1
12
dires, elle met en avant un certain équilibre trouvé, où le sacrifice serait largement compensé.
Le sacrifice est entendu, selon Hubert et Mauss dans l’Essai sur la nature et la fonction du
sacrifice34, comme un moyen pour le profane de communiquer avec le sacré, de s’en
rapprocher. Le sacrifice, rappelle aux consciences particulières les forces collectives et
entretient leur existence idéale. En effet, Mauss affirme que : « dans le sacrifice, la société est
présente d’un bout à l’autre »35 . De plus, « les faits religieux s’ordonnent en genres dont
chacun est défini par une nature et une fonction, et dont les manifestations effectives ne sont
que des réalisations d’un type idéal ». De fait, le sacrifice que C. réalise, n’est en fait qu’une
concrétisation de sa foi et de son appartenance au groupe. Par cela, elle prétend entretenir une
relation avec son Dieu. Néanmoins, le sacrifice est toujours une empreinte de la société, du
groupe ou de la collectivité sur l’individu. Elle se plie aux pratiques, afin de se conformer au
type idéal36, attendu dans la Bible, mais surtout par la hiérarchie. Elle nous confie qu’il arrive
qu’elle se sent moins impliquée, qu’elle manque de volonté : “Oui, après même dans une
année ou dans un mois, y’a des jours et j’ai pas envie de.. motiver, j’ai pas envie de lire la
Bible, ou j’ai pas envie d’aller prêcher, ça c’est sur” 37. Son engagement demeure une mission
qu’elle accomplit coûte que coûte. Transparaît ainsi, que celui-ci n’est pas seulement voué à
entretenir une relation personnelle avec Dieu comme elle le prétend, mais est à d’autres
égards. Ce sacrifice illustre le fait que, malgré la croyance commune selon laquelle la foi
serait entièrement personnelle, il n’en est rien au sein d’une institution totale telle que les
Témoins de Jéhovah. En effet, en son sein rien n’est personnel, tout est collectif, le sacrifice
n’est alors fait que pour satisfaire un idéal. Il y a donc un intérêt à la fidélité 38. En ce sens, il
permettrait d’acquérir un statut au sein de la communauté. En effet, par le biais de ce sacrifice
qu’est l’engagement total auprès de la communauté, C. se voit recevoir nombre de
rétributions. Son engagement participe à son intégration au groupe et à l’affirmation de son
appartenance à celui-ci. C’est en cela qu’elle obtient des rétributions symboliques et que
s’organise un réel marché de celles-ci, d’autant que La Tour de Garde encourage une
admiration envers les témoins engagés, pionniers, et même béthélites 39. L’engagement permet
une réaffirmation du lien social, fort et omniprésent dans la communauté. Dans le cadre d’une
autorité charismatique fixant l’idéal-type au sein de la communauté, C. se retrouve valorisée
dans ses pratiques actives de prédication. Elle en est récompensée de manière symbolique,
constituant une rétribution d’ordre social. Ces rétributions symboliques 40 participent à une
incitation à l’engagement dans son acception la plus extrême, atteignant un sacrifice d’autres
pans de la vie des adeptes.
41 Durkheim (Émile). De la division du travail social. Presses Universitaires de France, 2013, p. 1-40.
42 Voir annexe 1
43 Bourdieu (Pierre), L'Intérêt au désintéressement - Cours au Collège de France (1987-1989).
14
C'est un enseignement très uniforme. Ça aussi c’est intéressant, j’aime bien ce côté uniforme.
Vu que j'aime bien voyager, j’aime bien découvrir d’autres cultures dans d’autres pays et voir
qu’il y a quand même quelque chose qui nous unit : la Bible, notre croyance en Dieu 44.”.
Transparaît de son discours un goût pour l’uniformité, la conformité, intégré et développé au
cours de sa vie au sein de la communauté. En ce sens, C. met un point d’honneur à respecter
certaines normes, par exemple le port de la jupe longue, vue comme un costume sacré,
représentant une forme de dignité envers Jéhovah 45. Elle concède aussi à ne pas faire carrière,
à consacrer la majeure partie de son temps à sa confession et sa communauté à travers la
prédication mais aussi son implication personnelle avec les prières, les études de la Bible, la
préparation des réunions et de la prédication. Sa vie personnelle s’en voit largement
influencée aussi quand elle souhaite construire une famille avec un individu aussi engagé
qu’elle, partageant sa vision de la vie et de la religion. En ce sens elle nous confie : “Moi ce
que j’aimerais, c’est pour ça que je ne suis pas mariée, que j’ai personne dans ma vie, que j’ai
pas d’enfants (rires), c’est qu’il faudrait quelqu’un qui veuille faire la même chose que moi
en fait ! Mon double (rires)46”. De fait, la nécessité d’une conformité à un idéal transparaît. La
communauté apparaît comme une masse uniforme, où le croyant dans son individualité est
dans une certaine mesure niée47. Cet idéal est renforcé dans la dimension prosélyte, largement
incarnée par notre enquêtée. C. endosse un rôle où elle se doit de correspondre au mieux à
l’idéal construit par la communauté et la hiérarchie. Elle s’inscrit dans une dynamique de
marché de rétributions symboliques. Par son activité de prosélytisme, elle a pour objectif de
répandre la vérité telle que conçue par l’institution. Bien qu’elle affirme le faire pour le bien,
les autres, ses agissements ne sont en aucun cas désintéressés. En effet, la recherche de
valorisation et de reconnaissance est au cœur de cette posture prosélyte, et participent d’un
réel abandon de soi au profit de la communauté.
C. se doit de correspondre à l’idéal dans la mesure où, du fait de son profil, elle
appartient à une certaine élite. En effet, elle détient le statut de pionnière permanente depuis
plus de dix ans maintenant. En effet, ce statut signifie qu’un Témoin de Jéhovah va exercer
son activité de prédication de manière régulière et organisée. Ce statut est signe d’un
engagement prégnant et total pour la cause, et fait de C. une adepte dédiant la presque
intégralité de sa vie et de son quotidien en faveur de la communauté. Ainsi, elle consacre une
majeure partie de son temps à la vie de la communauté et surtout à la prédication. Elle
accomplit en ce sens son devoir de la plus stricte des manières. Son profil élitiste dans la
communauté est renforcé par le fait qu’elle ait été durant deux ans béthélite. En d’autres
termes, elle s’est engagée durant deux ans à être bénévole au siège national des Témoins de
Jéhovah, qui sont les sièges nationaux de l’organisation. L’origine des Béthels 48 remonte au
prophète Russell, qui fait construire le premier en 1889 comme “la maison de la Bible” 49. Les
44 Voir annexe 1
45 Idem
46 Idem
47 Goffman (Erving), Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Les
Editions de Minuit, 1961, p.48
48 Voir annexe 3
49 Dericquebourg (Régis). “Le Béthel, ordre religieux jéhoviste ?” / The Jehovist Bethel, a Religious Order?,
Archives de sciences sociales des religions, n°50/1, 1980. p. 77-88.
15
béthélites forment une équipe qui produit les écrits “inspirés par Dieu ; ils jouent donc un rôle
dans la transmission de la littérature et des ordres. Cette proximité à la source sacrée
d’émission doctrinale fait, selon les Témoins, “l’ambiance théocratique” du Béthel” 50. Le
Béthel est ainsi l'organe d'organisation relatif à la diffusion de la doctrine et la pratique
prosélyte. C’est un lieu d’élitisme dans la mesure où n’importe quel Témoin ne peut revêtir le
statut de béthélite. En ce sens, le statut préférentiel de pionnier permanent permet d’accéder
plus aisément à cette structure nationale, il faut aussi présenter une grande disponibilité, dès
lors être célibataire apparaît comme un grand avantage. Le statut de Béthélite est considéré
comme l’engagement exemplaire au sein de la communauté, dans son acception la plus
idéale. Le Béthel apparaît ainsi comme une bulle hermétique au monde extérieur,
représentation d'un certain rejet de la société de la part des Témoins. En ce sens, Czatt affirme
: “Les adeptes de cette croyance constituent un exemple moderne de ces gens religieux qui
doivent vivre par nécessité dans le monde mais qui ne veulent pas faire partie des institutions
existantes”51. Le Béthel peut être ainsi considéré comme la matérialisation de l’institution
totale qu’est la communauté des Témoins de Jéhovah. Erving Goffman définit les
caractéristiques des institutions totales propres au domaine religieux, auxquelles nous
pouvons comparer le Béthel : le retrait, la programmation des activités, la contiguïté entre les
membres, la mutilation de la personnalité, la prise en charge totale de l’individus, et le
contrôle permanent exercé sur eux 52. En ce sens, le Béthel apparaît comme la représentation
suprême de l’institution totale chez les Témoins de Jéhovah, paroxysme de l’engagement et
surtout de l’abandon de soi au profit de la communauté et de la posture prosélyte.
Ce grand bâtiment qu’est le Béthel est divisé en plusieurs services. C. a pendant deux
ans offert ses services en tant qu’infirmière. Dans son discours, elle met au jour une
expérience avant tout enrichissante, lui permettant de se dédier entièrement et exclusivement
à la cause des Témoins de Jéhovah et à l’étude de la Bible. En effet, lorsqu’il est question
d’aborder les apports de ces deux années de vie recluse, elle confie : “Ben j’ai appris je
pense, utiliser la Bible concrètement. Voilà, parce que en fait c’est vrai que avant, y’avait
mon travail et pis mon activité de prédication, c’était un peu séparé, c’était deux choses dans
ma vie. Bah là c’était la première fois que je faisais mon travail et qu’c’était associé un peu à
ce que j’apprenais dans la Bible [...] et en fait, les deux mondes que j’avais avant ce sont mis
tous ensembles, et euh ça a été assez enrichissant [...] 53”. Ce lieu sacré qu’est le Béthel
représente en ce sens le paroxysme de l’engagement pour un Témoin de Jéhovah, et de la
cristallisation des caractéristiques d’une institution totale. En effet, Goffman précise la
particularité des institutions totales, dans lesquelles “ [...] les barrières entre ces aspects de la
vie sont abolies. Non seulement tous les aspects de la vie sont menés au même endroit et
soumis à la même autorité unique, mais ces activités sont également soumises à un «
regroupement », c’est-à-dire qu’elles sont entreprises avec d’autres personnes qui sont
50 Idem
51 Idem
52 Goffman (Erving), Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Les
Editions de Minuit, 1961, p.5-6
53 Voir annexe 3
16
traitées de la même manière et dont on attend qu’elles fassent les mêmes choses ensemble 54”.
Par conséquent, cette organisation béthélienne s’inscrit dans une logique d’espace dans lequel
le moi est abandonné au profit d’une dimension collective. Les activités professionnelles et
personnelles sont confondues, les frontières entre l’individualité et la communauté sont
brouillées. Le Béthel constitue une étape dans la vie d’un Témoin, et en particulier d’un
pionnier permanent, durant laquelle il va intérioriser plus que jamais les attentes et les idées
de l’institution. En ce sens, cet engagement total, au sein d’une institution totale se
matérialisant par le Béthel, aboutit à un réel abandon de soi.
L’engagement total, incarné par le bénévolat au sein du Béthel passe par un certain
abandon de soi. Dans un premier temps, cet engagement entend un isolement imposé à
l’adepte, antérieur à l’intégration au sein de la structure. Le retrait chez C. se caractérise par
son statut de pionnière, sa vie professionnelle réduite au minimum, mais aussi la
différenciation du style de vie avec la société globale. Cela renvoie au rapport limité avec le
système social évoqué par Goffman. De fait, l'entrée au Béthel ne fait que consacrer un retrait
déjà effectif. Les béthélites ne disposent que peu de temps libre qu’ils pourraient consacrer au
contact avec l’extérieur. Chaque jour, ils travaillent plus de huit heures, et le week-end est
consacré à l’activité de prédication. Ils ne côtoient ainsi que des gens occupant le même
statut, ou en lien direct avec la communauté, C. le souligne durant un entretien : “Et voilà, et,
la particularité c’est que on vit tous ensemble quand même, on a quand même euh, euh, voilà
on, on traverse le couloir ben c’est d’autres Béthélites, d’autres Témoins de Jéhovah, euh” 55.
L’abandon de soi se traduit aussi par l’absence de liberté. En effet, les béthélites n’ont pas
vraiment une liberté de choix en ce qui concerne leurs activités, et sont soumis à un emploi
du temps répétitif. La rigueur est de mise, puisque cet engagement permet au fidèle de faire
ses preuves et démontrer sa capacité à une consécration absolue. Bien que C. ne présente
qu’un discours mélioratif vis-à-vis de sa religion, et de son expérience au Béthel 56, celle-ci
n’est en réalité qu’une mutilation de la personnalité. En effet, le Témoin renonce à sa vie
pendant une période, à son logement, ses amis, sa famille, sa liberté, mais aussi ses revenus.
Le Béthel ne laisse pas de place à l’expression de l’identité individuelle. L’expérience au
Béthel est si forte, qu’elle agit dans la vie de C. comme une réactivation de ses croyances, de
ce qu’elle a pu intégrer lors de ses différentes phases de socialisation. Durant deux ans, elle
côtoie des gens qui sont en tous points similaires à elle, partageant un même système de
pensée, elle se voit de nouveau convaincue par la vérité répandue, puisqu’elle apparaît
comme la norme, omniprésente autour d’elle.
Conclusion
Nos recherches et notre analyse de la trajectoire de C. nous ont permis de saisir les
caractéristiques d’une institution totale appliquée au domaine spirituel et religieux. Eu égard
54 Goffman (Erving), Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Les
Editions de Minuit, 1961, p.5-6
55 Voir annexe 3
56 Idem
17
de la définition d’une institution totale selon Erving Goffman, nous avons pu, dans le cadre
de la communauté des Témoins de Jéhovah, en saisir les caractéristiques et mettre en
évidence son effet sur ses agents.
18
semblables, dans leurs discours, leurs représentations et leur mode de penser et d’agir. Cette
uniformité des agents est permise notamment par un encadrement et un contrôle de
l’institution de toutes les activités régissant la vie de ses agents. L’institution totale est
créatrice de lien social, contribuant à créer une communauté émotionnelle forte, mettant en
retrait les adeptes de la société. Ce retrait des institutions totales participe au renforcement de
ce lien particulier unissant les agents, en créant un véritable groupe d’inclusion. D’autre part,
l’institution totale se caractérise par un engagement total de ses adeptes, afin de faire vivre et
perdurer la communauté, incluant dans une certaine mesure une mutilation de la personnalité.
19
Retours réflexifs
Léna Galeazzi : Avant notre enquête de terrain sur les témoins de Jéhovah, j’avais très peu,
voire pas, de connaissances sur cette organisation religieuse. Notre choix de groupe s’est
porté sur cet objet d’étude, dans la mesure où il nous semblait pertinent de l’évoquer dans le
cadre d’une monographie d’un individu engagé politiquement. En effet, sans connaître leurs
croyances et rîtes, j’avais une vague idée de leurs pratiques de prédications, ainsi que de leur
vie en retrait. Ne connaissant pas de témoin de Jéhovah, j’ai cependant eu égard de l’image
véhiculée par les médias de ce groupe religieux. En effet, les faits relatifs à cette communauté
diffusés dans les médias peuvent être des sources de virulentes critiques à leur égard. Dès
lors, ma posture de chercheuse a pu être influencée par l’image des témoins de Jéhovah qui
est donnée à voir dans les médias, ainsi que par les représentations de sens commun que cela
génère. De plus, j’avais l’image de croyants qui voulaient à tout prix endoctriner les
personnes à qui elles parlaient. Ainsi, ces considérations ont fait l’objet d’idées préconçues et
de préjugés quant à mon approche du terrain. Afin de négocier au mieux ce terrain, j’ai
adopté des discours mettant en avant mon envie de découvrir cette communauté sans tenir
compte de ce qu’il se dit dans les médias, ce qui a été très apprécié. Lors de mes premières
venues à la salle du Royaume, la domination masculine m’a interpellé immédiatement, de par
l’occupation de l’espace et de la parole ainsi que les échanges entre les agents. Ma position
de chercheuse a pu donc être biaisée, dans la mesure où j’ai observé dans un premier temps la
manière dont cette domination masculine s’exerce au sein de la communauté et de sa
hiérarchie, en faisant une caractéristique majeure. Mon observation a occulté les autres types
de dominations et rapports de pouvoir qui régissent l’organisation des témoins de Jéhovah, à
l’image de la domination des personnes plus âgées et expérimentées, ainsi que celles
appartenant aux classes sociales supérieures.
De plus, le secrétaire de l’Assemblée a désigné notre enquêté sans que nous en ayons
le choix. Ainsi, lors de nos premiers entretiens, j’ai considéré son discours comme n’étant pas
réellement le sien, mais comme le produit d’un discours imposé par la hiérarchie au sein du
champ religieux. En effet, notre objet d’étude étant relatif aux institutions totales et à
l’engagement total, ma position de chercheuse a pu être biaisée par cette considération.
Christelle Danton : Cette enquête a démarré pour moi sur un terrain que je connaissais déjà
personnellement, ayant fréquenté les assemblées Témoins de Jéhovah dans mon enfance, du
fait de mes parents, je connaissais déjà beaucoup de choses de leur manière de fonctionner et
de leur doctrine. J'avais déjà assisté à des réunions et connu personnellement des membres du
groupe, et ayant grandi dans un univers religieux j’avais au cours de ma socialisation
primaire intégré beaucoup des codes et des pratiques des églises comme étant des normes.
Possédant, aujourd’hui, une opinion personnelle marquée à leur égard, j’ai vite
considéré le risque de n’être pas assez neutre ou objective lors de l’enquête. Je me suis donc
efforcée, lors de nos premières visites à la Salle du Royaume, d’adopter un regard neuf et une
vision d’analyse, sans laisser mon ressenti lié à mon expérience empiéter sur ma position de
chercheuse. J’ai observé des changements dans leur assemblée, par rapport à mon souvenir, et
remarqué des choses qu’à l’époque je n’aurai pas relevé. Ce qui m’a le plus marqué dans un
premier temps c’est leur aspect vraiment familial, le communautarisme qui saute aux yeux
20
dès les premières impressions, le fait qu’ils s'appellent tous frère et sœur, que le chef de la
réunion connaisse les prénoms de chacun. Ensuite, leur accueil très ouvert et chaleureux en
apparence, en contraste avec leur réputation de secte, toute cette apparente égalité qui masque
en réalité les disparités au sein de la communauté et le manque de liberté de pensée.
L’uniformité du discours est perceptible comme une sorte de dictature de la pensée, chacun
est libre de s’exprimer mais pour dire la même chose. Mes nouvelles premières impressions
ayant pu renforcer mes stéréotypes sur leur communauté, j’ai donc fait un effort de prise de
distance et de neutralité lors des premiers entretiens, afin d’arriver à considérer le discours de
notre enquêtée comme un objet neutre et non comme quelque chose que je voyais dicté,
ordonné par la doctrine.
Jade Galoix : Dès ma prise de connaissance du sujet soit « monographie d’une personne
politiquement engagée » j’ai directement pensé à réaliser notre enquête auprès d’un Témoin
de Jéhovah. En effet, pour en connaître quelques-uns, ce sont pour moi des individus au
paroxysme de l’engagement. Ils offrent leur vie à une doctrine, en se pliant à ses normes et
ses valeurs qu’ils intègrent, et consacrent la majeure partie de leur temps et de leur énergie
pour le développement de leurs croyances. C’est selon moi, la représentation d’un
engagement sans limites.
De plus, s’intéresser au parcours d’un Témoin de Jéhovah suscite chez moi un grand
intérêt, étant donné qu’ils ont des profils relativement opposés au mien. D’une part, dans une
dimension religieuse, tout nous oppose, je n’ai pas grandi dans une éducation religieuse. Puis,
sur le plan politique de même, nous n’avons rien en commun. Les Témoins de Jéhovah
demeurent en dehors de toute activité politique, ils ne votent pas, prônent un entière
neutralité, et cultivent ainsi un certain retrait de la société. J’ai aussi un grand intérêt pour les
religions dans leur ensemble, leur histoire comme leurs mécanismes. Ainsi, la dimension
religieuse d’un sujet comme les Témoins de Jéhovah, doublée d’une dimension totalitaire et
d’un profond rejet de la société, ont suscité chez moi une grande curiosité.
Du fait de l’éloignement du profil d’un Témoin de Jéhovah vis-à-vis du mien, je pense
que ma posture de chercheuse peut-être dans une certaine mesure biaisée. En effet, leurs
codes, leurs normes et leurs représentations sont drastiquement différents des miens. Ainsi,
certains de leurs comportements relatifs à la communauté ou la société, me semblent
incompréhensibles, suscitent chez moi de nombreuses questions, voire une totale opposition.
Ainsi, naturellement, je pense avoir tendance à être assez critique envers cette communauté,
sur leur système très hiérarchisé, leur illusion d’égalité, le prosélytisme exercé, mais aussi
leur représentation très péjorative de la société et des institutions politiques et
administratives. Je pense que le plus difficile pour moi a été de prendre du recul sur cette
emprise, ce contrôle, sur l’uniformité du discours qu’ils pensent individuellement personnel
et l’omniprésence de la société mère la WatchTower et des rapports de domination. Tant de
mécanismes invisibles à leurs yeux. Ces observations m’ont dès le départ conforté dans
l’image que j’avais de la communauté, la distance était donc peu aisée à prendre avec mes
préjugés d’origine. C’est donc au contact de notre enquêtée que je me suis efforcée à me
détacher de mes opinions et préjugés, afin de l’écouter simplement, accueillir son témoignage
et produire une analyse la plus objective possible et détachée de mes opinions personnelles.
21
Annexe 1: Extrait d’entretien du 08/11/2022 avec C.
J.G: Pouvez-vous décrire votre parcours de vie de l’enfance à aujourd’hui ? Quels sont les
éléments marquants ?
C.H: Je vous disais, que bah j’ai une vie assez typique en fait. On était en région parisienne
avec toute ma famille, donc euh on est 5 enfants, on avait une maison en région parisienne,
mes parents travaillaient, voilà. Moi j’ai eu une enfance très normale, je sais pas quoi dire.
Après, bon euh les années collège et lycée ça s’est bien passé, j’ai eu un bac scientifique.
Après euh, qu’est ce que j’ai fait dans ma vie? (rires). Comme j’aimais l’hôpital, je sais pas
pourquoi (rires), j’étais très attirée par l’hôpital, je n’aurais pas aimé faire un métier routinier
derrière un bureau, donc je voulais absolument travailler à l’hôpital, et mon père m’a dit “tu
devrais faire médecine, t’as des bonnes notes”. Mais bon, j’avais pas vraiment envie de faire
10 ans d’études (rires). Donc je me suis dit, pourquoi pas infirmière. Et j’ai bien aimé, parce
qu’on est au contact des gens et c’est assez varié car on peut être infirmière dans pleins de
domaines différents, j’ai bien aimé du coup.[...]
[...]
J.G: Pouvez-vous me décrire le rapport que vous avez avec vos parents, votre famille en
général. La famille que vous avez là mais aussi celle que vous projetez.
C.H: Alors, grosso modo, sans rentrer dans l’intimité, mon papa a perdu pas mal de sa
famille, de ses frères et sœurs donc bah ça a été un peu dur pour lui avant que je naisse. Donc
il a voulu consolider sa propre famille, sa famille à lui quoi. C’est un peu cohérent avec les
valeurs qu’il y a dans la Bible aussi mais bon, je pense que ça aurait été pareil sans, donc on
est assez proches nous, après j’ai plus de grands pères, j’ai une grand-mère, mais bon on est
plus proches mes parents et mes frères et soeurs. Déjà, mes parents, mes frères et sœurs et les
enfants qu’ils ont eu on est déjà 18 (rires). Et après, il me reste une grand mère, euh une tante,
2 cousines, donc bon on a une petite famille. On va dire que je vois plus ma famille, mes
grands-parents, mes frères et sœurs que les autres et c’est vrai que c’est mes parents qui ont
connu la religion, ça a mis un peu un froid avec les autres. Parce que les souvenirs que j’ai de
mon autre grand-mère c’est qu’elle disait qu’on peut pas te faire des cadeaux pour Noël, pour
ton anniversaire… donc en fait elle avait plus de contact avec moi, euh avec nous. On
essayait de la voir tous les ans mais ça mettait une distance alors que pour les autres petits
enfants elle faisait toujours une carte, une attention, mais il fallait toujours qu’il y ait une
occasion, c’était sa manière pour elle de créer du lien donc bon on essaie quand même de la
voir, euh j’ai été la voir avant qu'elle décède, mais y’a un lien qui s’était pas créé à cause de
ça. Après, toutes les familles sont différentes mais bon, je crois que euh ça a créé une petite
différence sans le vouloir.[...]
[...]
J.G: Vous avez donc grandi dans cette culture, c’est une foi qui vous a été transmise?
C.H: Voila! Mon enfance et bien, à la maison, on priait, euh on allait aux réunions, on avait
les valeurs aussi, c’est pour ça qu’on était très famille. On essayait d’aller vers le reste de la
famille même s’il y avait une distance, mais bon on essayait quand même, euh, c’est ce que
nous inculquaient nos parents. Ce qui s’est passé, c’est que j’avais 10 ans à peu près, 10/12
ans et mes parents ont un peu arrêté les Témoins de Jéhovah donc ils se sont un peu moins
engagés, et ils allaient plus trop aux réunions. Mon père avait changé de travail donc il avait
22
de nouvelles responsabilités et c'était fatiguant aussi pour lui le soir, de devoir sortir et aller à
la réunion, ça demande du temps et donc moi, bah j’avais 10-12 ans et ça m’a pas trop
dérangée (rires). Notre famille était la même, voilà, sauf qu'on allait plus aux réunions. Et
puis, on commençait à ne plus prier à la maison, voilà. Je n’avais pas d’étude personnelle de
la Bible mais bon, on avait quand même des amis Témoins de Jéhovah, on les voyait de
temps en temps. Au final, ça s’est fait assez naturellement je m’en suis pas trop rendue
compte. Après mes grands frères étaient eux toujours Témoins de Jéhovah mais ils venaient
quand même à la maison, on en parlait, il n’y avait pas de soucis, et euh mon père en parlait
aussi, on en parlait naturellement. Mais nous on y allait pas donc mes parents, moi et mon
petit frère on a arrêté.
[...]
J.G: Combien de temps cette période a-t-elle duré?
C.H: Alors euh pour mes parents, ça a duré 15 ans, et moi euh 10 ans je pense, car vers mes
15 ans, j’ai commencé à me poser des questions. Pourquoi mes grands frères vont aux
réunions, lisent la Bible? Ils prient. Pourquoi mes parents ne le font pas? J’en ai discuté avec
mes parents, et euh ils ont été honnêtes, ils m’ont répondu “par la force des choses, on s’est
un peu éloignés, on a arrêté, on a pas le temps”. Et moi, à ce moment-là, comme je me posais
des questions, je me demandais si Dieu existe, est ce que c’est quelque chose qui pourrait être
bien, qui pourrait m’aider. Bon 15 ans quoi (rires). Du coup j’ai demandé à ma grande sœur si
je pouvais l'accompagner, et je suis retournée à une réunion. Et euh dans les questions que
vous m’avez fait parvenir, il y en a une a propos de la 1ère réunion, et c'est vrai que pour moi
c’est celle là parce que oui avant j’y allais avec mes parents mais j’étais trop petite, mais
c’était tellement naturel, alors que là j’y suis allée en me disant “mais qu’est ce qu’ils vont
me dire là bas” (rires), en grandissant j’avais peut être un autre regard. Même à l’école on
parlait de l'évolution, quand j'étais petite on m’avait dit que c'était Dieu qui nous avait créé,
donc forcément j’avais des questions. En plus cette 1ère réunion c’était pas n’importe
laquelle, c’était tous les étés, on a des grandes assemblées qui durent une journée, et j’ai
commencé par ça (rires), direct! Ma sœur m’a dit “si tu veux viens je vais à l’assemblée, on
prend notre pique nique”, et c’était une journée entière d’enseignement de la Bible, et en fait,
j’ai trop aimé! Je pense que j’ai pas tout capté, des fois j'étais en mode euh qu’est ce qu’il se
passe, je savais pas trop où regarder, mais il y a eu une partie sur les jeunes, et ce jour là, ça
nous arrive aussi de publier des livres, des cd etc.. Et ce jour-là ils nous ont annoncé la
parution d’un nouveau livre “Les jeunes s'interrogent", et en fait euh c’était que des questions
pour les jeunes, comment la Bible peut nous aider, par exemple sur tout, même de la
psychologie. Si on a des problèmes avec nos parents, pourquoi on est sur Terre, bref pleins de
questions existentielles sur les jeunes, avec des illustrations, c’est génial, c’est super bien fait
et j’ai dévoré le livre, j’ai trop aimé, ça m’a aidé! Il y avait aussi sur “si je plais à un garçon”,
il y avait tout pleins de thèmes dans ce livre, vous pouvez le retrouver sur le site internet.
Après tout ça, comme j'aimais, j’ai demandé un cours biblique, ça s’est fait assez facilement.
[...]
J.G: Vous avez eu une éducation dans la religion, quelles sont les valeurs qui vous ont été
enseignées?
C.H: Alors euh, les valeurs de la famille, premièrement, euh du partage, du respect, aussi de
pas juger les autres, d'accepter les personnes comme elles sont. Qu’est ce qu’il y a d’autres?
23
Euh, il faut que je me rappelle, il y en a tellement… Ne pas mentir, ne pas voler, dire la
vérité, tout ça c’est ce que je me rappelle de quand j’étais petite.
J.G: Dans la période où vous vous êtes éloignée de la foi, puis après à votre retour, est ce que
vous vous êtes parfois sentie tiraillée entre ce qu’on pouvait vour dire à l’école et dans la
religion? Est ce que vous avez facilement réussi à choisir quelle était votre vérité?
C.H: Alors c’est vrai que j'étais tiraillée, que je me posais pleins de questions et quand j’ai
commencé à étudier la Bible, j’ai vu qu’il y avait une certaine cohérence, et bien sûr
j’approfondissais certains thèmes mais pour moi bah ça a toujours été très cohérent. Et aussi,
comme mes parents m'enseignaient tout ça quand j’étais petite bah ça a résonné, j’ai eu des
souvenirs, comme par exemple euh, “est-ce que Dieu existe”, quand mes parents me parlaient
de la nature, je voyais quand je lisais la bible qu’il y avait des choses logiques. Et voilà, du
coup tout ça c’est revenu. Donc euh je pense qu’il y avait vraiment une cohérence avec ce
qu’on m’avait dit petite, et des réponses à des questions, vraiment, on répondait à mes
questions. C’est bon j’ai répondu à la question ? (rires).
J.G: Est ce que ces enseignements ont participé à faire de vous la personne que vous êtes
aujourd'hui?
C.H: Ah bah oui je pense, ça a continué à m’apporter de belles valeurs que je continue à
appliquer, ça me permet de me sentir bien dans mes baskets quoi. Comment dire euh, je
pense que j’avais déjà cette conscience du bien et du mal, on l’a tous hein, et ce que
j’apprenais dans la Bible c'était cohérent avec ma conscience et avec ce qu’on m’avait déjà
appris aussi, ça résonnait en fait. Et en plus, vu que j’étais tourné vers les autres vu que je
voulais faire infirmière, ça me plaisait quoi, c’était bien, il y avait une cohérence en fait. Il y
avait une cohérence ouais c’est ça. Tout était cohérent entre ce que je voyais, ce que
j’appliquais, ce que je voyais que les autres faisaient, tout ce qui était dit dans la religion des
témoins de Jéhovah, tout ça c’était vraiment cohérent quoi ! J’ai jamais vu une personne
malheureuse. Alors bien sûr on a des difficultés comme tout le monde hein, mais ce sont des
gens positifs, des gens joyeux, et qui savent expliquer, euh, expliquer ce qu’ils croient,
pourquoi ils le croient, et voilà. Tout ça c'était pas farfelu, c’était très logique. Ouais.
[...]
J.G: Est-ce que le fait d’être entré dans la communauté des Témoins de Jéhovah a participé
au fait que vous vous sentiez entourée?
C.H: Et bah oui forcément, c’est vrai que le mot de communauté est bien choisi. C’est vrai
qu’on est nombreux, en fait on est à peu près une centaine à chaque fois, à chaque réunion, il
y a tous les âges, des jeunes, des moins jeunes, des papas et vu que moi je venais sans mes
parents, il y avait des papas qui m’aidaient. Il y avait de tout, même au niveau des ethnicités
il y avait de tout, surtout en région parisienne vu que c’est multiculturel. On faisait même des
supers repas entre nous, euh, avec des gens du Portugal, d’Espagne, des Antilles, et
franchement c’était bien quand même. C'étaient des bons souvenirs, de très bons souvenirs.
Le côté de "j'ai 15 ans j’y vais seule” ça peut faire flipper (rires). La première fois que je vais
à la salle, c’est pas très loin j’y vais à pied toute seule, euh tu te dis “bon ok”, mais en fait ça
s'est tout de suite bien passé, un bon accueil (rires).
J.G: Est ce que vous pourriez nous présenter la religion des Témoins de Jéhovah, les traits
principaux?
24
C.H: [...] c’est international, il y en a dans tous les pays, c’est assez uniforme, parce que euh
pour avoir voyagé, j’ai vu dans d’autres pays que c’était aussi le même programme, tous les
lundis. C'est un enseignement très uniforme, ça aussi c’est intéressant, j’aime bien ce côté
uniforme. Vu que j'aime bien voyager, j’aime bien découvrir d’autres cultures dans d’autres
pays et voir qu’il y a quand même quelque chose qui nous unit : la Bible, notre croyance en
dieu.
[...]
J.G: Vous nous avez dit que vous étiez très engagée dans la communauté, pouvez-vous nous
en dire plus ?
C.H: Alors euh je me suis fait baptiser témoin de Jéhovah à 18 ans, les études sont arrivées
juste derrière et bah comme j’aimais aider les autres, je me suis vite rendue compte
qu’infirmière c’est très limité, les gens vont forcément finir par mourir, et que bah je verrais
dans mon travail des choses qui vont un peu me peiner, ou euh me révolter que je pourrais
pas vraiment agir, et en parallèle en étudiant la Bible, je me suis aperçue que la vraie manière
d’aider les gens c’est en leur faisant connaître la Bible. Alors bien sûr c’est ma vision sans
l’imposer aux autres hein, donc en allant à la rencontre des gens, en discutant avec eux, j’ai
vu qu’ils se posaient des questions comme moi à 15 ans et que je pouvais euh un petit peu les
aider, ça me faisait plaisir. Comme on dit, des fois il y a plus de bonheur à donner qu'à
recevoir. Ça allait avec ma personnalité, le travail que je voulais faire, c’était bah comme un
complément, et après mes études, je me suis dis que je voulais consacrer un peu plus de
temps à la prédication, parler aux autres de la Bible, et donc je me suis dit que j’allais me
mettre à temps partiel, donc je n’ai jamais travaillé à temps plein. C’est donc un mode de vie
un peu calculé entre euh pouvoir subvenir à ses besoins mais aussi avoir du temps pour la
prédication. Voilà c’est pour ça que je me dis que je suis un peu plus engagée parce que bah
j’ai fait ce choix et les Témoins de Jéhovah ne font pas tous ce choix-là parce qu’ils ne
peuvent pas, et on a pas les moyens, la situation ou la santé pour cela ou bien des fois ils ne
veulent pas, c’est assez libre. Bah on devient Témoins de Jéhovah c’est en engagement
certes, mais prendre plus de temps pour la prédication c’est un engagement dans un
engagement un peu.
[...]
J.G: Vous n’avez donc pas le sentiment de sacrifier quelque part une carrière professionnelle
au profit d’autre chose ?
C.H: Dans le sens où je gagne moins d’argent, ça interroge, mes collègues me disaient mais
comment tu fais pour payer tes factures, bon, je m’en suis toujours sortie, mais c’est vrai que
c’est un petit sacrifice financier. Parce que quand on est bénévole on ne gagne pas d’argent
on le fait sur notre temps libre, sur notre énergie, donc c’était quand même un petit sacrifice
financier mais j’en ai jamais souffert. Je me suis toujours arrangée, j’ai toujours pu faire ce
que j’avais envie, trouver un certain équilibre dans ces deux activités. Donc ça ça s’appelle
être pionnière permanente. Quand on est Témoin de Jéhovah on peut, si on le souhaite, être
pionnier permanent, donc on se dit par exemple bah que pendant une année on peut consacrer
plus de temps à aller vers les gens. Et après mes études j’ai entrepris ça, voilà donc euh au
début c’est qu’un an après c’est une deuxième année, troisième, quatrième, et maintenant ça
fait onze ans que je fais ça (rires). Et c’est devenu mon mode de vie, demain je travaille,
aujourd’hui j’étais toute la journée en prédications. Mes semaines sont remplies, et j’en suis
25
épanouie, euh, en 11 ans j’ai eu la chance de pouvoir aider des gens à étudier la Bible presque
en entier, ils sont peut-être pas devenus Témoins de Jéhovah à la fin mais c’était quand même
agréable de donner des cours bibliques.[...]. Pionnier c’est, ce mot pour dire qu’il en fait sa
vie. Ça peut durer un mois, dix ans etc.
26
bénévolat restera important pour moi, et je peux pas trop travailler. Je vais travailler juste ce
dont j’ai besoin pour subvenir à mes besoins en fait.
J.G: Et dans votre vie personnelle, cet engagement a-t-il une place prépondérante ?
C.H: Alors, oui, je pourrais réduire mon engagement pour une vie de famille mais si
aujourd’hui je ne suis pas mariée et si je n’ai pas d’enfants, bah c’est pas forcément qu’un
choix de moi même, c’est que je n’ai pas trouvé la bonne personne. Mais si ça se fait, que je
trouve la bonne personne, bah euh avoir une vie de famille c’est très important dans la vie,
mais il faudrait que je trouve un équilibre, parce que c’est quelque chose que j’aime prêcher
et être bénévole. Si je le fais plus du tout ça va me manquer, donc c’est trouver un équilibre.
Avoir une famille tout ça aucun soucis, après, bon construire une famille avec quelqu’un qui
n’est pas Témoin de Jéhovah, ça me serait difficile, dans le sens où ça fait 12 ans que je fais
ça, je suis tellement engagée, qu’il faudrait que je le partage avec la personne. Moi ce que
j’aimerais, c’est pour ça que je ne suis pas mariée, que j’ai personne dans ma vie, que j’ai pas
d’enfants (rires), c’est que bah il faudrait quelqu’un qui veuille faire la même chose que moi
en fait ! Mon double (rires). Bon y’en a, après faut aussi que la personnalité ça aille, voilà.
L’amour ne s’invente pas. Voilà pour ma vie personnelle, ce n’est pas incompatible, mais ça
complique la donne (rires).
[...]
J.G: Tout à l’heure quand vous êtes arrivée vous m’avez dit que vous arriviez d’une journée
de prédication, et que c’était pour cela que vous étiez en jupe, pouvez-vous m’en dire plus ?
C.H: [...] Alors quand on étudie la Bible il y a un certain rapport avec le sacré, je sais pas si
vous voyez dans les Églises, ils ont des tenus aussi hein, quand ils font la messe tout ça. Pour
eux c’est leur tenue pour leur activité sacrée. Et c’est vrai qu’aller aux réunions, même si
c’est beaucoup plus détendu qu’à la messe, et aller dans la rue parler aux gens, même si c’est
détendu, ça relève du sacré pour nous, c’est une activité qu’on fait pour Dieu, pour Jéhovah,
donc il y a une certaine révérence. Et c’est pour ça qu’on essaie en France, le côté digne, on a
opté pour la jupe pour les filles et la cravate pour les hommes.
L.G: Cette activité de prédication dans le cadre votre foi, pensez-vous qu’elle peut être
quelque chose de personnel ? Car vous avez évoqué des sujets que vous choisissez etc.
C.H: C’est vrai, je pense que chaque Témoin de Jéhovah adapte sa prédication à sa
personnalité, moi aussi j’adapte à ma personnalité, à ce que j’aime aussi dans la Bible. Il faut
que je parle aux gens de ce que j’aime pour que cela soit sincère, donc bah voilà. Donc les
thèmes, les versets de la bible que j’aime, après bon en fonction du retour qu’il y a des gens,
il faut s’adapter aussi à eux, ce qu’ils aiment, ce qui les intéressent, ce qu’ils veulent savoir.
C’est un peu aussi des fois du relationnel, de la relation humaine, du temps qu’ils ont besoin
donc oui c’est personnel, je m’implique dans cette activité.
[...]
L.G: Au-delà de cette activité de bénévolat, quelle place occupe la religion dans votre vie ?
C.H: Donc euh en dehors de la prédication, moi dans ma vie personnelle, euh, il y a la prière,
avant de manger, le matin, le soir, voilà y’a pas de position, de rituels, c’est naturel. Il y a
aussi ma lecture de la Bible, mon étude aussi personnelle. J'étudie pour moi, euh pas
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forcément pour préparer quelque chose pour les gens. Moi si j’ai des questions, des
problèmes, que j’ai envie d’apprendre de nouvelles choses, donc ça ne prend pas beaucoup de
temps, c’est quelques instants le matin ou si j’ai pas le temps le soir. Mais j’essaie de le faire
régulièrement, un peu tous les jours ça peut être 15 min des fois 30, ou 1 heure ça dépend du
temps que j’ai, de la fatigue, du travail, des rendez-vous.
[...]
L.G: Au-delà des réunions tout ça, ça a une place importante dans votre vie ?
C.H: Oui ça c’est mon quotidien parce que c'est comme pour moi, tout ce que je fais c’est
pour dieu, et j’ai comme une relation d’amitié avec Dieu, j’ai besoin d’entretenir cette
relation, en lui parlant, en écoutant, en lisant, voilà, en approfondissant sa foi et il y a aussi
quelque chose quand j'ai vu cette question qui est importante pour moi dans mon culte c’est
aussi passer du temps avec les autres Témoins de Jéhovah, parce qu'on s’appelle frère et
sœur, c’est quand même un lien fort entre nous. J’ai des amis, ou d’autres que je connais pas
trop et c’est important de s’encourager, de passer du temps ensemble, étudier ensemble,
prêcher ensemble, aller en prédication ensemble, et moi aussi j’aime bien faire ça, ça fait
partie de ma personnalité, les inviter ou voilà, c’est aussi des qualités que Dieu aime,
d’hospitalité, la générosité, le partage, voilà, donc ça c’est plus détente, on est pas
officiellement à la réunion, on va même des fois au cinéma ou au bowling. On essaie d’être
ensemble, de partager des moments ensemble, on essaie de créer du lien quoi.
[...]
L.G: Selon vous c’est important, et cela provient de votre travail d’interprétation ?
C.H: C’est vrai que ce que j’ai lu dans la Bible, Dieu demande de nous aimer les uns les
autres. La générosité et l’hospitalité c’est vraiment marqué dans la Bible mais le faire avec
des étrangers c’est bien, quand je rencontre des nouvelles personnes, quand je commence un
cours biblique, ça aussi mais avec ceux qui partagent la même foi que moi, s’ils ont des
problèmes ou voilà, c’est important pour moi aussi, de se serrer les coudes. Après, je ne suis
pas la seule c’est logique hein, c’est une application en concret de ce qu’on apprend dans la
Bible voilà.
[...]
L.G: Comment pourriez-vous nommer cette relation ?
C.H: C’est un terme biblique, c’est l’amour fraternel. L’amour, qu’on pourrait avoir dans une
famille ça j’ai bien aimé dans la Bible, y’a pleins de thèmes d’amour, y’a l’amour eros,
érotique, l’amour fraternel donc la famille, l’amour agape c’est quand on aime les étranger,
aider des étranger etc, voilà, il y a différents types d’amour et c’est intéressant de voir que
dans notre communauté y’a cet amour fraternel, comme une famille, se soutenir, mais chacun
aussi a sa vie. parce que si on est tout le temps avec son frère ou sa sœur on s’exaspère, avec
les parents c’est pareil (rires).
[...]
L.G: Comment organisez-vous votre temps concrètement du coup ?
C.H: A peu près, deux jours par semaine et un peu le samedi aussi. Après quand je dis deux
jours, moi mon idéal, c’est le matin je dors et je prépare la prédication, je suis pas du matin
(rires), et après je fais une bonne après midi de prédication 14h-20h. Bon c’est un choix
personnel, parce que des gens dans la rue y’en a à toutes les heures, donc euh deux gros
après-midis.
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L.G: Et vous faites quoi exactement ?
C.H: Donc bah quand j’assiste à la réunion pour la prédication, c’est à 14h, donc on est
plusieurs, tous ceux qui veulent partir en prédication, pour ne pas être seuls. On nous donne
une zone géographique, soit vous faites de la rue, ou du porte-à-porte et on est bien organisés,
parce que surtout pour le porte-à-porte si on va toujours au même endroit, aux mêmes portes,
les gens vont péter un câble (rires). On passe une fois tous les six mois quoi, pour pas que
cela soit désagréable et c’est très bien organisé et euh, ça se fait quand on va dans ces petites
réunions là. Et l’après-midi on se retrouve et on change de groupe, comme ça on peut changer
de compagnon. On boit un café et on repart (rires). C’est cool. Chacun prend le temps euh, on
a pas d’objectif de résultat, j’aime bien ça, on est pas là pour forcer les gens. On arrête à
l’heure qu’on veut, y’a pas de pression et ça m’arrive euh de pas aller à ces réunions et on y
va comme ça à deux. C’est juste quand on a besoin de quelqu’un ou besoin d’une zone pour
travailler, après moi je varie, euh je fais du porte-à-porte, je vais faire le présentoir mobile, je
varie pour que ça soit plus agréable. Au porte-à-porte, on va rencontrer des gens qui sont chez
eux, donc on va dire trois/quatre, dans la rue ça peut être infini. Suivant ma motivation (rires)
et au présentoir, on laisse les gens venir, ils voient les thèmes, les images, les gens s’arrêtent.
Et à Toulouse ça marche vraiment pas mal hein. Des fois certains c’est pour polémiquer et
d’autres c’est pour poser des questions.
[...]
L.G: Et vous ça vous apporte quoi de faire cette prédication ?
C.H: Je le fais pour rendre gloire à Dieu, comme j’ai dit c’est comme un ami, j’ai envie qu’on
le connaisse, que c’est pas un dieu comme on l’imagine, donc ça me fait plaisir pour lui.
C’est comme mon père, et c’est comme si on avait salit mon nom, mon patrimoine, c’est un
peu ce qu’il se passe là, et ça me fait plaisir de rétablir ça et de participer à embellir un peu
tout ça, rétablir la vérité. Les échanges sont toujours intéressants, j’apprends de nouvelles
choses, je fais des recherches. Puis il y a aussi le côté relations humaines, il y a des gens qui
souffrent, et des choses dans la bible leur donne un peu d’espoir, ça fait plaisir. Donc c’est
pour Jéhovah, pour les gens et moi pour renforcer ma foi.
[...]
L.G: Pourquoi prêchez-vous?
C.H: Ben…, ben c’est vrai que c’est en lien avec ce que ça m’apporte (rires). Mais oui,
comme je disais c’est pour honorer le nom de Dieu, lui rendre gloire. Il y a aussi une raison
oui c’est que dans la Bible c’est demandé aussi aux chrétiens, donc pas que les Témoins de
Jéhovah mais tous les chrétiens c’est demandé. C’est que Jésus il faisait ça quand il était sur
Terre et il a formé les autres, et il a dit “continuez à le faire”, et donc c’est quand même,
voilà, bien explicite dans les Evangiles. Voilà, après c’est quand même comme un devoir de
chrétien, donc ça aussi c’est important. Et puis voilà, aussi pour l’amour de Dieu et pour
notre prochain, pour les autres. Voilà, je pense que c’est ça les raisons de la prédications.
[...]
L.G: Pourriez-vous écouter ces musiques dans la vie de tous les jours, en vous baladant dans
la rue par exemple?
C.H: Charlotte: Oui oui ça m’arrive, oui. J’écoute toute sorte de musique, mais heu là je peux
aller ici (montre sur son téléphone), sur bibliothèque-contenu audio, et mettre en aléatoire les
chansons si j’en ai envie, ça peut m’arriver. Franchement c’est par envie, des fois j’ai envie,
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heu voilà, après j’ai spotify comme tout le monde (rires). Voilà, mais je sais pas comment
décrire ça, ouais y’a des moments peut-être dans la semaine, ou dans la journée, peut être
dans la journée aussi ou, ou ça fait plaisir d’écouter les paroles qui pourraient m’encourager.
Voilà. [...] Donc tout ce que je fais, je lis, j’écoute ça me rend heureuse, sinon je le ferais pas
hein (rires).
[...]
L.G: Lors du dernier entretien, vous aviez évoqué une potentielle perte puis retour d’entrain
de la foi pour les témoins de Jéhovah. Avez-vous déjà eu à y faire face ?
C.H: Moi personnellement non, après j’en connais plusieurs, comme mes parents, mais moi
non personnellement non. Après je suis pas parfaite, ça peut arriver à tout le monde. C’est
comme une sorte de découragement, une lassitude, voilà. Moi non, ça va ça va.
[...]
L.G: Et par exemple si vous aviez une amie, un frère ou une sœur de la communauté qui vous
confierait ce genre de chose, que lui diriez-vous? Quels conseils donneriez-vous?
C.H: (Rires). Bah je suis assez sensible à ce thème parce que mes parents ont vécu ça, et en
fait je dirais qu’il faut jamais juger ou rajouter encore “oh non heu, motive toi, vient à la
salle!”. Faut jamais faire ça parce que c’est culpabilisant en fait. Et quand on est lassé, ou
quand on est découragé, c’est dans tout dans la vie, imaginons dans un couple, on, je sais pas,
on perd un peu la flamme dans un couple, ça sert à rien de se culpabiliser, ou rejeter la faute
sur l’autre. Il faut trouver des solutions, positiver. C’est pareil dans la foi qu’on a avec Dieu
quoi. C’est même à peu près la même image quoi, il faut après, comment dire, varier sa foi,
trouver des choses qui nous plaisent. Peut être euh… peut être faire des nouvelles activités,
rencontrer des nouveaux frères et soeurs, voilà.. [...] Malheureusement ça c’est… Comme on
est dans une communauté, on peut se comparer, “voilà, pourquoi moi là j’en ai marre,
pourquoi je me lasse alors que les autres ils ont l’air trop bien, ils kiffent leur vie…”. On peut
vite se comparer, et en fait ça sert à rien parce que de toute façon la foi c’est personnel, c’est
entre nous et Dieu ça a rien à voir avec les autres.
[...]
L.G: Vous êtes-vous déjà sentie moins impliquée?
C.H: Oui, après même dans une année ou dans un mois, y’a des jours et j’ai pas envie de..
motiver, j’ai pas envie de lire la Bible, ou euh j’ai pas envie d’aller prêcher, ça c’est sur. C’est
humain en fait. C’est humain mais, ça c’est même pas un problème en fait (rires). Mais voilà,
quand je disais que j’essaie de lire la Bible tous les jours, euh c’est pas 7j/7. C’est pas un
rituel, c’est plutôt un mode de vie donc je sais pas, c’est comme euh, je vais dire un exemple
bête, c’est comme se laver, il y a des jours ou on a pas envie de se laver et on a envie de
rester en pyjama (rires). Bah c’est pareil en fait! Ou des jours on a pas envie de cuisiner, on a
pas envie de manger, y’a des jours ou on a pas envie d’étudier la Bible. Mais en fait
globalement, on se nourrit quand même, on se lave quand même (rires). Bah oui! Parce que
c’est un mode de vie voilà.
[...]
L.G: Je viens de comprendre qu’il y a des formes assez libres de prédication. Quand vous
étiez encore jeune dans cette communauté, avez-vous été effrayée par cette mission, ou ça a
toujours représenté…
C.H: J’aimais pas du tout au début! (rires). Bah, c’est bizarre quand même d’aller vers les
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gens, téléphoner c’est encore pire (rires). Euh ouais, c’était… c’est spécial quand même.
“Qu’est ce qu’on va dire” et surtout si on nous pose une question qu’est ce qu’on va
répondre. Je connais pas tout quoi, même encore aujourd’hui, j’ai pas les réponses à toutes les
questions. Et je pense, après, j’ai pris goût, en fait. Et euh je pense qu’au début quand je me
suis engagée, c’était pas du tout par plaisir, mais pour faire plaisir vraiment à Jéhovah, pour
lui faire un cadeau, voilà. Et je m’étais dit, bon euh je fais ça quelques mois, ou un an, puis,
c’est tout quoi. Et en fait après j’ai pris goût vraiment, après, quand les gens sont réceptifs, et
qu’on passe des bons moments aussi entre frères et sœurs, entre témoins de Jéhovah, tout ça
mélangé en fait. Après j’ai pris goût, et ça fait 11 ans (rires). Voilà, ben c’est sûr que si on
aime pas on peut arrêter hein, mais non maintenant j’aime bien ouais.
[...]
L.G: Je me demandais aussi quelle relation vous entreteniez avec les autres Témoins de
Jéhovah, donc en particulier ceux que vous voyez plusieurs fois par semaine dans le cadre des
réunions, de la prédication, est-ce que vous pouvez décrire vraiment ce que c’est au quotidien
cette relation avec vos frères et vos soeurs, mettre un peu des mots dessus ?
C.H:[...] euh on essaie quand même de cultiver ces liens là proche, ouais de frères et soeurs,
en fonction des âges, y en a certains ça peut même être des papis des mamies, des petites
soeurs des petits frères, voilà apprendre à se connaître, savoir aussi en profondeur pas en
superficie, savoir par quoi ils ont traversé, pourquoi ils aiment Jéhovah, tout ça et puis après
leurs goûts, des fois leurs délires, leur euh… Tout ça ça rapproche quoi. Et c’est vrai que j’ai
des amitiés vraiment que grâce à ça quoi, enfin j’en ai des amitiés qui sont pas grâce au
Témoins de Jéhovah mais mes amitiés les plus fortes c’est vraiment chez les Témoins de
Jéhovah quoi.
L.G: Comment pouvez-vous expliquer que vos amitiés les plus fortes c’est avec des Témoins,
est-ce que c’est par rapport à la foi?
C.H: Je pense c’est parce que on partage quelque chose d’assez fort, c’est vrai, et euh, ça unit
quand même ça donne un lien fort d’amour et d’amitié, après ya de toutes les personnalités
hein, y a toutes les personnalités heu par exemple, dans l’une des plus anciennes assemblées
là où j’ai été, là où je me suis fait baptiser, on était une centaine j’ai gardé que deux ou trois
amis très intimes, on peut pas être ami avec tout le monde, après j’me dit peut être avec ces
deux trois personnes peut être on voit les choses de la même façon, c’est possible hein c’est
comme ça ça s’explique pas, même si on est différents même si euh… Voilà une amie qui est
de Paris aussi, qui est antillaise on est pas du tout pareilles sur certaines choses sur certaines
cultures, mais on est très amies quoi.
L.G: Donc en fait c’est une certaine conception de la foi et pas forcément la manière dont on
la matérialise ?
C.H: Voilà c’est ça. Voilà voilà. Et c’est vrai c’est comme en fait la foi, comme on dit
croyant pratiquant, ça peut être un peu réduit à ça, mais on pratique pas tous pareil en
fonction de ses possibilités, sa vie, ses charges familiales, (rires)
C.D: Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre vie au Béthel, comment organisez-vous
vos journées là-bas, les particularités de la vie au Béthel?
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C.H: Oui ! Pas de problème. Alors le Béthel euh en fait c’est un mot euh, le Béthel c’est vrai
c’est un mot plus fort qu’on croit.. Le Béthel c’est un mot qui vient de la Bible, en hébreu ça
veut dire la maison de Dieu. C’est juste un mot qui a été utilisé, il a approprié, c’est pour
expliquer c’est un endroit hein, euh, voilà euh, un endroit en Normandie où y’a des grands
bâtiments et où des bénévoles organisent toute l’activité des témoins de Jéhovah de la France.
Donc que ça soit nos réunions, euh nos, notre prédication aussi, surtout nos outils pour qu’on
ai euh, tous en France, en France on a à peu près 160 milles témoins de Jéhovah, donc on a
tous, si on a besoin de Bibles, en français, de, de, de publications, que le site jw en français
aussi soit à jour, voilà, y’a une équipe euh…
C.D: Il y a que la maison de retraite là-bas ou il y a d’autres endroits, en plus du siège…
C.H: Et moi euh, bah la maison de retraite c’est vraiment une petite partie de tout ce siège
national. Y’a des personnes âgées, ils sont une vingtaine, voilà, et c’est une aile en fait, de ce
grand bâtiment qu’est le Béthel. Sinon on va dire que 80% des activités c’est plutôt ce que je
vous disais au début, organisez euh, l’activité des témoins de Jéhovah en France. Et moi euh,
je m’occupais de, euh, des personnes âgées dans le service médical des personnes âgées mais
aussi si des, les autres, on appelle ça les "Béthélites", ceux qui vivent dans un Béthel, si les
autres Béthélites si ils sont malades par exemple. Si un matin y’a un Béthélite je sais pas, il a
une rage de dent, il a euh, l’appendicite n’importe quoi, une gastro, il peut appeler le service
médical et nous les infirmières on peut l’aider aussi, et y’avait un médecin sur place aussi. Et
on est euh, au Béthel actuellement, ils sont 500. Voilà, parce que quand même ça demande du
temps, du monde, au médical on était 30, voilà y’a un service informatique, un service euh,
euh, rédaction, traduction, y’a un service euh qui organise la prédication, les réunions, les
assemblées, qu’est ce qu’il y a d’autre comme service ?
[...]
C.D: Tous ceux qui travaillent au Béthel vivent sur place?
C.H: Voilà, voilà on vit sur place. Euh, alors y’a des, y’a des bâtiments de logement, un peu
ça peut ressembler comme des grands immeubles en fait, des grands immeubles avec des
étages, des appartements [...] Et voilà, et, la particularité c’est que on vit tous ensemble quand
même, on a quand même euh, euh, voilà on, on traverse le couloir ben c’est d’autres
Béthélites, d’autres témoins de Jéhovah, euh.
[...]
C.D: Avez-vous gardé des contacts avec des personnes du Béthel?
C.H: Oui oui, parce que donc c’est vrai qu’c’est un lieu qu’on travaille, oui et c’est un travail
particulier parce que euh, moi je sais que mon métier d’infirmière je l’ai fait de bonnes
conditions, j’ai, euh, on était pas stressés, on était en nombre parce que 30 infirmières pour
comme je vous ai dit 20 personnes âgées bah même si on a les jeunes un peu à s’occuper, des
fois à soigner, on avait pas à courir, on était pas en sous-effectif, on faisait les choses avec, de
qualité, on nous apprend à vraiment, dans chaque service, la particularité c’est d’essayer de
faire son travail, donc si chuis infirmière, si chuis informaticienne, si chuis cuisinière, c’est de
faire son travail en suivant quand même le principe de la Bible. Voilà, ben, la nourriture euh,
qu’est, comment on peut faire une nourriture de qualité pour protéger la santé, euh médical,
comment on peut être une infirmière patiente, bienveillante. En informatique c’était aussi
intéressant je trouvais, on m’avait un peu expliqué, c’est que ils travaillaient en équipe, ils
essayaient euh, les informaticiens des fois ils sont un peu geek, ou pas facile de communiquer
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bah ils essayaient de faire des efforts là dessus, voilà. Le but c’est aussi, c’est une aventure
quand même, une expérience quand même humaine, enrichissante pour apprendre des
qualités, pour, voilà. Y’a toujours quand même une dynamique biblique dans ce qu’on fait,
voilà.
[...]
C.D: Qu’avez vous retiré du Béthel ?
C.H: Ben j’ai appris je pense, utiliser la Bible concrètement. Voilà, parce que en fait c’est
vrai que avant, y’avait mon travail et pis mon activité de prédication, c’était un peu séparé,
c’était deux choses dans ma vie. Bah là c’était la première fois que je faisais mon travail et
qu’c’était associé un peu à ce que j’apprenais dans la Bible [...] et en fait, les deux mondes
que j’avais avant ce sont mis tous ensembles, et ça a été assez enrichissant [...].
[...]
C.D: Au Béthel, ce n’était que des patients qui faisaient partis de la communauté…
C.H: (nous coupe la parole) Voilà, voilà, c’est, c’est des, ceux qui font partis de la
communauté ou d’autres témoins de Jéhovah qui sont en situation de difficulté en, en
atteignant un certain âge, à partir de 60-70 ans, on va dire que s’ils ont pas du tout de famille
ou s’ils ont pas du tout d’argent, ils ont pas les moyens on va pas les abandonner quoi, donc
y’a cette chose un peu particulier, c’est vrai que ça aurait été bien de le faire à tout le monde,
pas que les témoins de Jéhovah mais bon, déjà on arrive à le faire avec les témoins de
Jéhovah en France [...].
[...]
C.D: Est-ce que pour vous ces actions humanitaires traduisent un positionnement politique ?
C.H: Pour nous ce n’est pas du tout politique car on sait que l’aide qu’on va apporter est
temporaire elle est pas définitive. Peut-être que les politiciens eux veulent apporter plus de
moyens, de choses sur l’avenir, sur un quinquennat, nous ça être vraiment une aide pour des
gens qui sont en danger, c’est de l’humanitaire. Et y’a pas de rapport avec la politique du
pays. Bien sûr il y a des règles, la législation, mais la politique, c’est un peu différent. C’est
en accord avec les valeurs de la Bible. Si c’était politique ce serait plutôt national par
exemple. Euh je sais pas on irait voir des politiciens pour dire qu'on veut construire des puits
sur tout le pays. Non nous c’est vraiment des opérations localisées.
[...]
C.D: Ça pourrait être politique dans le sens où vous choisissez une action humanitaire plutôt
qu’une autre, non ?
C.H: C’est vrai que bah chaque Béthel, comme je vous ai dit y’en a dans chaque pays, chaque
Béthel, est responsable de savoir s’il y a eu une catastrophe, et s' il y a eu des personnes,
surtout des témoins de Jéhovah en danger, donc ils priorisent, l’urgence. Mais à chaque
catastrophe en France, il y a eu une équipe qui a été envoyée, voilà, donc ils essaient, on
essaie, parce qu’on est humain, avec de l’impartialité, le plus possible, les peu de moyens
qu’on a, et les volontaires quoi, mais souvent, souvent, ça se fait assez facilement, parce
qu’une fois qu’on a les volontaires, on a les trois quart de la mission humanitaire. Quelqu’un
qui va, qui répare une maison, qui fait des courses, c’est déjà beaucoup. Y’a pas beaucoup
besoin d’argent pour aller aider quoi.
[...]
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C.D: Quand vous parlez de prêcher la bonne nouvelle, concrètement à quoi faites vous
référence ?
C.H: Bah, la bonne nouvelle de la Bible c’est de savoir que Dieu il existe, que c’est un
créateur qu’il a des qualités, et euh qu’il a écrit la Bible pour nous guider dans la vie, qu’il
nous donne des conseils voilà qu’il a envoyé Jésus ça aussi c’est une bonne nouvelle. Qui est
Jésus, quel est son rôle, qu’est-ce qui va se passer dans l’avenir aussi voilà, ces questions sont
hyper positives, et chargées d’espoir c’est pour ça que bah c’est une bonne nouvelle. On peut
utiliser la Bible, des revues, des vidéos et la bonne nouvelle c’est l’enseignement de base de
la Bible, en fait.
[...]
C.D: Quel rapport entretenez-vous avec le siège international ? Que pensez-vous de cette
organisation qui finalement est assez pyramidale?
C.H: Personnellement, je ne les connais pas là-bas. Je peux aller les voir, visiter, même vous,
n’importe qui non témoin de jéhovah, on peut aller visiter. Donc je ne connais pas, mais je
sais que ça fonctionne, à peu près comme ça fonctionne en France, après c’est beaucoup plus
grand, euh je crois qu’ils sont 8000 là-bas. Et, euh, dans mon, dans mon service, au médical,
on avait pas de contact avec eux. J’aurais bien aimé, mais de ce que j’ai entendu, bah c’est
une organisation, bénévole, un peu comme ça se passe, euh aux réunions, on essaie de trouver
toujours des solutions avec la Bible. Et moi, ce que j’aime beaucoup, que ça soit le siège
mondial ou le siège national c’est que c’est que des bénévoles. C’est une entreprise en fait,
comme je sais pas le siège de l’Oréal, je sais pas. C’est une entreprise, que des bénévoles,
dans la bonne humeur, et aussi à but non lucratif. Ça c’est un truc de fou je trouve,
aujourd’hui, alors que l’argent est au centre de tout normalement dans nos vies, voilà, et par
exemple, pour vous dire, bah tous les Béthel essaient aujourd’hui de traduire le site jw,
aujourd’hui il est traduit en plus de mille langues. Moi je trouve ça extraordinaire hein, tout
ça sans argent, que des bénévoles. Et euh, quand, quand j’étais là-bas, je pense que c’est
pareil, dans le siège national, toute la journée c’est la bonne ambiance. On essaie de se
respecter, de s’aimer. Voilà. Voilà, je trouve que c’est quand même super.
C.D: Et quel rapport avez-vous avec les publications de ce siège, musique, revues, tv etc. ?
Cela fait partie intégrante de votre quotidien ?
C.H: [...] Ça m’aide quand je vais rencontrer des gens, pour la prédication, aussi pour leur
montrer, les nouveaux articles qui viennent de sortir, c’est aussi un peu, euh pour utiliser la
technologie, les moyens modernes pour quand même enseigner la Bible à moi et aux autres.
Voilà. Par exemple là (nous montre sur son téléphone), “comment être un bon papa?”, il y a
toujours des nouveaux articles, on peut les utiliser pour nous, bon moi non (rires), mais on
peut utiliser pour nous ou pour les gens. Voilà, et souvent, il y a des actualités, donc les gens
du Béthel, fait un peu des rapports, de qu’est-ce qui se passe dans le pays, voilà euh, quelles
sont les actualités, pour pouvoir créer des articles après en direct un peu, quand la guerre a
commencé direct il y avait des articles, “que pense Dieu de la guerre”. Voilà euh, voilà. Des
qu’il y a des actualités, il y a des nouveaux articles. Tous les jours hein, il y a des nouveautés.
Pour connaître un peu des amis qui sont à l’informatique, au Béthel de France, il y a une
permanence 24h/24. Tous les Béthels travaillent, et je sais pas si y’a le Béthel d’Allemagne
qui fait un article, nous on le traduit en français, on le publie. Travail très collectif, utile,
moderne, aujourd’hui pour ma foi et pour aider les autres.
34
[...]
C.D: Pourquoi pensez-vous que les Témoins de Jéhovah font autant l’objet de critiques ?
Pensez-vous que c’est dû à la méconnaissance ?
C.H: Je me suis dit que la réponse était un peu dans la question, en fait c’est parce qu’on nous
connaît pas. Ce qu’on connaît pas on a peur, on aime pas, je sais pas. Et euh…
C.D: Pourtant, on vous connaît, vous êtes plus de 8 millions.
C.H: Oui, mais souvent les gens s’arrêtent pas au présentoir, ou ouvrent pas la porte, ou euh
disent non non ça ne nous intéresse pas. Donc après, petit à petit on essaie de se faire
connaître, mais moi j’en parle librement à mes collègues et tout. Peut-être d’autres Témoins
de Jéhovah ont pas trop envie d’en parler par peur d’avoir des préjugés, c’est pas agréable en
fait hein. Même pour les enfants à l’école hein, si tes parents sont Témoins de jéhovah, toi tu
vas à l’école, on peut se moquer et tout c’est pas très agréable. Je pense que c’est de la
méconnaissance. Et en France, y’a quelques années, je crois que c’est plus le cas depuis
2004, on nous avait étiqueté comme secte. Depuis 2004, on a fait un procès tout ça, pour
enlever cette étiquette, on est maintenant association cultuelle, mais ça reste dans les esprits.
[...]
35
France les gouvernements sont bien intentionnées, ils essaient ils sont quand même limités,
bon certains ils ont pas des bons mobiles mais quand même la majorité ont des bons mobiles
et ils essaient mais ils sont limités. Et je sais que Dieu lui il a et les bons mobiles et la
capacité voilà.
J.G: Pensez vous que se tenir en dehors de la vie politique participe à une forme de
marginalisation ?
C.H: Bah euh, moi je me sens pas en marge hein, je me sens bien dans ma société je me sens
active, comme je disais bah je respecte les lois je paie mes impôts fin voilà je fais mon devoir
de citoyen, pacifique, coopérant, pas activiste. Je suis actif pour autre chose, pour ce que
j’aime, ce que je suis convaincue ça sera la meilleure solution, de mon point de vue après je
respecte aussi tous ceux qui font des choix différents en politique c’est vrai des fois quand je
travaille ya des discussions des fois là dessus, et je comprends aussi, après c’est mon choix
aussi voilà en cohérence avec ma foi, et … Voilà. C’est vrai que je me sens pas trop en marge
et que même quand ça arrive les élections et qu’on prêche dans la rue, les gens viennent nous
parler de politique. Et en fait on s’est rendus compte que y'a tout plein de point de vues là
dessus en fait. Y a tout plein de choses et en fait des fois on retrouve des gens qui nous disent
ben oui, vous avez raison on est déçus on a plus de solution, bon voilà c’est leur point de vue
à eux, et euh comment dire on se rend compte que bah on est pas mal vu en faisant le choix,
en gros euh mon choix c’est pas de voter pour un homme mais de voter pour Dieu quoi, et on
se sent pas en marge [...]
J.G: Et vous pensez que c’est fondamentalement possible d’être neutre ?
C.H: Bah oui (rires) oui oui oui bah moi bah oui j’ai l’impression que j’y arrive quand même,
après c’est un équilibre on est pas des extrémistes je veux dire je veux dire on en parle, on a
le droit de s’intéresser aux élections, mais c’est, après faut se donner des limites dans le sens
ou faut être cohérent quoi, c’est comme, je sais pas quel exemple vous donner, si je suivais
tous les meetings et tout qui existent, bah après je serai plus neutre, ça me plairait et tout, du
coup je m’informe, mais en gardant une certaine distance. Mais bon, après les médias ils font
le show aussi, bon alors des fois c’est pas très intéressant non plus.
Et après pour dire aussi, est-ce que c’est facile d'être neutre; en France c’est facile. Après
dans certains pays, si c’est des dictatures aussi, les TJ qui doivent rester neutres, c’est très
difficile hein, en France c’est facile on a de la chance on est dans un pays libre, mais ouais on
a pas tous cette chance.
[...]
J.G: Qu’est ce que la “vérité” pour vous, et pour la communauté ?
C.H: C’est un terme biblique en fait, euh bon c’est un mot classique mais c’est un terme qui
revient dans la Bible, dans les Evangiles euh, on nous dit que on connaîtra la vérité, et la
vérité nous libérerait, entre guillemets nous soulagerait, et en fait la vérité c’est tous les
enseignements de la Bible, voilà tout ce qu’on a appris sur Dieu, ce qu’on connaît sur
l’avenir, voilà, aussi les bons conseils pratiques qu’il y a dans la Bible pour améliorer sa vie
au quotidien, tout ça c’est la vérité, aussi l’enseignement et le mode de vie. si on applique ce
qu’on connaît, certains après c’est pas mon cas mais par exemple, ont grandi dans une autre
religion et ont appris des enseignements, des fois des mensonges comme des choses un peu
oui fausses, donc le contraire de la vérité, et se sentent un peu libérés peut être de certaines
peurs, qu’on leur a fait connaître dès touts petits dans leurs religions, et ils se sentent libérés
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de savoir en fait “ah bah non en fait Dieu il est pas comme ça, on m’a jamais demandé de
faire ça,”
J.G: Vous avez des exemples de ça ?
C.H: Bah oui, bah par exemple euh tout simplement quand un bébé meurt, on dit que Dieu a
envoyé un ange à ses côtés, ça c’est pas du tout, c’est pas possible, (rires) c’est pas du tout
possible Dieu il ferait jamais ça, c’est cruel voilà et en fait des gens qui ont souffert de ça,
qu’on croyait pas et qui on peut être commencé à se détourner de Dieu en se disant non je
veux pas aimer un Dieu comme ça, alors que non c’est pas ça, des fois on meurt psk bah on
est malade, ou parce que on était au mauvais endroit au mauvais moment, pareil pour l’enfer
en fait, des fois on fait peur aux gens avec cette doctrine qui n’existe pas qui n’est pas
biblique, voilà, donc certains, moi ce n’était pas mon cas moi dans mon cas j’ai grandi dans
les enseignements bibliques des Témoins de Jéhovah, mais certains étaient catholiques ou
musulmans ou d’une autre religion, et en découvrant ces enseignements ils se sont sentis
libérés de connaître la vraie vérité de la Bible.
J.G: Mais vous avez dû faire face à un certain choix entre deux vérités à un moment donné,
non ?
C.H: Oui c’est vrai, c’est pour ça que euh c’est intéressant pour moi ce terme de vérité parce
que quand adolescente je me suis dit j’ai envie d’étudier la Bible, je veux me faire baptiser
Témoin de Jéhovah, j’étais convaincue aussi que c’était vrai, que c’était la vérité, sinon je
l’aurais pas fait. Et c’est comme ça qu’on fonctionne.
J.G: Mais vous avez donc connu “plusieurs vérités" ?
C.H: En plus oui, en plus il y a aussi le fait que mes parents ont vécu pendant des années sans
appliquer la bible entre guillemets, et c’était bien aussi. On peut être heureux aussi. On a
chacun besoin aussi d’être convaincu, de ce qu’on apprend, ne serait ce que pour se faire
baptiser.
[...]
J.G: Pourriez-vous vous imaginer heureuse et comblée sans la dimension religieuse de votre
vie ?
C.H: Les questions cette fois-ci, c’était très pertinent hein ! (rires), pardon non à chaque fois
(rires) ! Mais là, j’ai vu que c’était profond. Alors, euh, avant de devenir Témoin de Jéhovah,
je me suis demandée, est-ce que tu verrais ta vie sans être Témoin de Jéhovah, donc euh, moi
j’ai décidé d’être Témoin de Jéhovah, donc de vivre avec les tj, avec dieu, tout ça, donc je
dirai que, pour moi tout le monde peut être heureux, c’est pas que les Témoins de Jéhovah
qui peuvent être heureux, euh, tout le monde à des hauts et des bas dans la vie, tout le monde
a des difficultés, ça n’empêche pas ça mais le fait d’être euh, devenue Témoin de Jéhovah ça
a vraiment donné un sens à ma vie, voilà. Ça a été pratique, ça a répondu à certaines de mes
questions, donc déjà ça ça rend heureux. Euh, c’est une joie intérieure, profonde, voilà. Le
côté pratique concret, et le côté, plus intérieur, par rapport à ma foi, interne, par rapport à ma
relation avec dieu, avoir un sens à ma vie, avoir un espoir. Ça rend heureux, et euh
aujourd’hui je ne verrais pas vivre sans.
J.G: La religion répond-elle à l’ensemble de vos besoins ?
C.H: Ça répond quand même à pas mal de besoins. J’ai pas réfléchis à tous les besoins, mais
déjà les besoins spirituels, les besoins affectifs dans la communauté, y’a les besoins
intellectuels, je ne sais pas si ça existe vraiment ce genre de besoin, mais bon c’est très
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intéressant. Euh, après je m’étais dit que je trouvais que ma vie était assez équilibrée, y’a
aussi tout ce qui est matériel donc bon bah, bah, la religion m’aide pas à avoir de l’argent
mais ça m’aide à faire les bons choix, à faire attention à mon budget, être raisonnable. Des
conseils pratiques. Je trouve que la religion aussi, bon j’aime pas toujours dire religion mais
ma foi, la religion après chacun choisit sa religion mais bon les principes de la foi, de la
Bible, ça aide à avoir de bonnes relations avec les autres, c’est fondamental dans la vie,
même au travail régler des conflits, ou dans la familles, bon bah voilà des amitiés.
[...]
J.G: Vos grands frères et votre grande sœur ont été des modèles, sur tous les aspects de la vie
et notamment la religion…
C.H: (nous coupe la parole) Oui oui oui c’est vrai que euh, en fait quand mes parents ont un
peu arrêté d’aller aux réunions tout ça, qu’ils se sont un peu, on va dire démotivés, mes 3, on
a beaucoup d’écart en fait, on a presque 5-6 ans d’écart entre chaque, les 3 premiers étaient
déjà partis de la maison, euh certains se sont mariés jeunes, ma soeur elle est partie faire ses
études ailleurs euh, voilà. Et en fait euh, je les ai toujours vus continuer euh, même si ils
étaient seuls euh ou même loin de nous, bah continuer à aimer Jéhovah à, à être actifs à être
engagés et euh, ça m’a toujours touché quand même, parce que nous dans le foyer c’était
complètement différent. Ca m’a toujours touché et principalement peut-être mon frère aîné,
parce que lui c’était le, le seul, vraiment de la famille à prendre le service de pionnier
permanent voilà, il était jeune tout ça il avait envie, il a appris une langue étrangère à Paris
pour pouvoir euh parler aux gens de la Bible dans une autre langue voilà. Et dans ma famille
pas trop, après ma soeur elle l’a pris mais que récemment, moi je l’ai pris après euh, donc
euh, c’est vrai, ça donnait, je voyais que ça donnait envie, bah c’est vrai qu’il aimait bien ce
qu’il faisait, il nous racontait un ptit peu euh, l’expérience euh, voilà quoi, et pis, bon après,
après comme c’est aussi un choix toujours personnel, mais c’est sur que ça donnait des, des
bons exemples on voyait que c’était pas, c’était pas une vie, c’était pas une vie difficile que
c’est qu’il était heureux voilà, voilà. Voilà, mais c’est vrai que tout ça ça existait et ça a pas
empêché mes parents de se démotiver, et ça m’a pas empêché d’faire, d’faire mon parcours et
après moi de me dire “ah! euh, qu’est ce que je fais” mais c’est sûr ça dépend aussi de, c’est
des bons exemples, c’est des bons exemples.
[...]
J.G: Dans votre entourage et vos fréquentations, quelle part de témoins de Jéhovah y a-t'il,
est-ce que vos amis ont plus tendance à être des témoins de Jéhovah ou non? Votre famille
oui du coup…
C.H: (nous coupe la parole). Bah… alors oui oui, pour le coup ma fam… mais j’ai aussi des,
des , il m’reste une grand mère qui est pas témoin de Jéhovah, euh une cousine, un cousin et
un tante qui est pas témoin de Jéhovah on essaye de, de les cotoyer quand même, donc
comme je disais y’a une distance qui s’est fait donc je les vois moins souvent que le reste de
ma famille mais on essaye de les cotoyer, de partir en vacances on les invite, et après sinon,
ch… chais pas concrètement dans mon répertoire euh… j’dirais c’est principalement les
numéros des contacts des amis des témoins de Jéhovah mais y’a quand même euh… y’a
quand même des non témoins de Jéhovah et, dans mes fréquentations, bon y’a les collègues
de travail [...] Ca… après c’est vrai que je travaille pas non plus beaucoup donc (rires) j’les
voyais moins que si j’étais à temps plein et tout mais euh, j’ai des liens euh, amicaux euh,
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voilà.[...] Mais bon pour être honnête principalement j’pense … des Témoins de Jéhovah
dans mon répertoire et dans mes amis, mais ça c’est par la force des choses peut-être avec le
temps qui passe, voilà on se fréquente quand même plus.
J.G: Puis vous partagez aussi peut-être plus…
C.H: Oui on partage plus, ne serait-ce que des fois quand, partir en vacances, euh pfff, si c’est
pour se reposer on se dit “avec qui je vais partir?” faut que ça soit une bonne ambiance et
tout, bah, on va choisir ses amis intimes, parce que, je trouve que voilà, chez les témoins de
Jéhovah on a tous des valeurs en commun mais après y’a des affinités quoi, qui s’créent et on
peut pas les faire avec tout le monde. Donc après j’ai des amis intimes dans les témoins de
Jéhovah ou je sais que si j’ai un problème c’est eux que j’appelle, si j’veux partir en vacances
ils sont partants, voilà, des choses comme ça quoi.
[...]
J.G: Avez-vous déjà été présidente de réunion ?
C.H: Non, (rires), non non c’est vrai que ça change, mais comme c’est quand même une
responsabilité quoi on va dire c’est quand même des personnes d’expérience, c’est pas que
j’ai pas d’expérience mais c’est des personnes d’expérience psk il faut maîtriser toute la
réunion, voilà, connaître bien le programme et tout donc voilà déjà c’est des personnes
d'expérience, et souvent ce sont des hommes, mais ça aussi c’est un modèle biblique, mais y a
un penchant un parallèle à l'Église catholique quoi. Mais alors on essaie quand même de pas
être misogynes ou quoi parce que les femmes ont leur part pour participer, juste cette
responsabilité là on veut la laisser à un homme pour pouvoir enseigner, prier, voilà quoi dans
la Bible en fait c’est Dieu qui l’a demandé.
J.G: Le fait que ça alterne ça participe pour vous à l’égalité ?
C.H: Ah oui oui oui, j’trouve ça bien quand même, parce que tout le monde est différent, tout
le monde à sa personnalité, apporte des choses, même la méditation en fait la réflexion sur
l’enseignement biblique, certains on le voit hein, dans l'assemblée certains sont plutôt très
sensibles donc ya une part d’émotions dans ce qu’ils font, d’autres sont plutôt très terre à
terre, des chiffres et tout, euuuh ,d’autres y a un peu d'humour, et en fait ya la personnalité
aussi qui joue, dans ce qu’on comprend aussi, euh dans ce qu'on enseigne, comme un prof
quoi, ya des profs avec plein de personnalités différentes.
J.G: Vous vous aimez participer aux réunions ?
C.H: Ouais j'aime bien quand même, ouais ouais j’aime bien quand même, après des fois
c’est un peu stressant ou on est un peu fatigués, mais j'aime bien quand même, j’essaie de
faire une fois à chaque fois, bon des fois on m'interroge pas parce que y’a tellement de monde
mais bon ça va j’aime bien participer, ça va. [...]
Bibliographie
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- Blandre (Bernard), Les Témoins de Jéhovah. Un siècle d'histoire, Paris, Desclée de
Brouwer, 1986
- Bourdieu (Pierre), Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Seuil, 1972, p.272
- Dericquebourg (Régis). “Le Béthel, ordre religieux jéhoviste ?” / The Jehovist Bethel,
a Religious Order?, Archives de sciences sociales des religions, n°50/1, 1980. p. 77-
88.
- Durkheim (Emile), Education et sociologie, Paris, Quadrige / PUF, rééd. 2006 (1922)
p. 51
- Goffman (Erving), Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux et
autres reclus, Paris, Les Editions de Minuit, 1961
- Hubert (Henri), Mauss (Marcel). Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, Paris,
Presses Universitaires de France, 2016 (1899), p.16
- Lagroye (Jacques), Offerlé (Michel), Pour une sociologie des institutions, Paris,
Belin, 2011
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