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Pierre Soulages: Maître de la lumière

Les Vitraux de l’Abbatiale de Conques

Ludovico Baldelli, Università degli studi di Genova


TD Art Contemporain
Deuxième Semestre, année: 2014/2015

  1  
1. Biographie
 
Pierre Soulages est né le 24 décembre 1919 à Rodez, une petite ville
dans la région Midi-Pyrénées.
Très jeune, il est attiré par l’art roman : en effet la ville de Rodez était
une centre celtique et gaulois, qui offrait au petit Soulages la
possibilité d'admirer les grandes œuvres des ces peuples.
Distante d’à peine une cinquantaine de kilomètres de Rodez, se
trouve la célèbre abbatiale, Sainte Foy de Conques, lieu très cher à
l’artiste et qu’il rappelle avec ces mots: « …c’était ici, juste à cet
endroit, que j’ai décidé d’être peintre - pas architecte, peintre»1.
Après avoir persuadé sa famille de son intérêt pour l’art, en 1938
Soulages se rend à Paris et il entre dans l’atelier de Réné Jaudon. Il prépare le professorat de
dessin et le concours d'entrée à l'École Nationale supérieure des Beaux - Arts et il est admis.
A ce moment, il a la possibilité de fréquenter le musée du Louvres et d’entrer en contact avec les
œuvres d’artistes comme Cézanne et Picasso.
Au moment où la guerre arrive à Paris il décide de se déplacer à Montpellier et, jusqu’à la fin du
conflit, il ne peindra pas. Il y entre en contact avec Sonia Delaunay2, qui l’introduira à la peinture
abstraite.
En 1942 Soulages se marie. Et, en 1946, après la guerre, il s’installe dans la banlieue de Paris.
L’année suivante il expose pour la première fois trois des ces œuvres au Salon de Surindépendents
et il réalise ses brous de noix (Image 1), qui lui permettent d’explorer le champ pictural avec liberté et
audace.
En 1948, il participe à des expositions à Paris et en Europe, notamment à "Französische abstrakte
malerei", exposition itinérante, qui se déplacera dans plusieurs musées allemands. L’affiche de
l’exposition sera un de ses brous de noix représenté en négatif: cela inaugure une reconnaissance
internationale immédiate. On doit remarquer, qu’il est le plus jeune de ce petit groupe de peintres
où se trouvent les premiers maîtres de l'art abstrait, Kupka, Doméla, Herbin.
En 1949 a lieu sa première exposition personnelle à la galerie Lydia Conti à Paris et, de cette année
jusqu’en 1952, il sera engagé dans la réalisation de trois décors de théâtre et ballets.
En 1952 il réalise ses premières gravures à l’eau-forte et en 1957 il se rendra pour la première fois
aux États-Unis, chez son marchand de New York: la galerie Samuel Kootz. Il y aura la possibilité

                                                                                                               
1
 James  Johnson  Sweeney,  Soulages,  Editions  Ides  et  calendes,  cop.  1972  (p.  9).  
2
 Artiste  et  peintre  d’origine  ukrainienne  qui  suit  le  mouvement  abstrait.    

  2  
de visiter les ateliers des grands artistes comme Mark Rothko, Willem de Kooning et Robert
Motherwell.
Dans les années 1960 il acquiert une maison à Sète, qu’il reconstruira totalement et où il va
aménager son atelier. Dans ces mêmes années auront lieu les premières expositions rétrospectives
dans les musées de Hanovre, Essen, Zurich, la Haye.
En 1979 il expose au Centre Georges Pompidou pour la première fois ses peintures
monopigmentaires, fondées sur la réflexion de la lumière par les états de surface du noir. Cette
lumière picturale, naissant de la différence entre deux obscurités, porte en elle un grand pouvoir
d'émotion et de grandes possibilités de développement. On l'appellera plus tard "noir-lumière" et
"outrenoir".
En 1987 il va travailler pour sa ville natale, quand il recevra la commande de cent quatre vitraux à
réaliser pour l’abbatiale de Conques. Pour cette réalisation, qu’il achève en 1994, il élabore un verre
incolore opaque, qui ne laisse passer que les «variations d’intensité d’une lumière diffusée»3.
Dans les années 2000 il va abandonner l’usage de l’huile pour celui de l’acrylique, qui lui permet
un jeu de matière offrant des nouvelles possibilités pour la réflexion de la lumière et en 2007 le
musée de Montpellier va lui consacrer une des ses ailes. Même à l’âge de 95 ans, ce maitre de l’art
abstrait continue à travailler sur ses œuvres.

2. La peinture abstrait

« L’art abstrait serait celui qui, pour composer des œuvres, isole par la pensée certains éléments de
la réalité alors que la perception de ces objets ne le donne jamais à part.»4

L’art abstrait est une forme artistique qui ne représente rien de parfaitement reconnaissable ou
identifiable. A la base de ce mouvement il y a l’affirmation de la conception de «la mort du sujet»,
propre à l’art du XXème siècle, et l’idée que le protagoniste de la peinture devait être la peinture
elle-même.
Un des premiers étudiants qui a réussi à définir ce type d’art était Meyer Schapiro, dans son article:
«La nature de l’art abstrait», paru en 1937.

                                                                                                               
3  Éric  de  Chassey  et  Sylvie  Ramond  ,  Soulages  XXIe  siècle:  Catalogue  de  l’exposition,  Editions  Hazan,  2013  (pg.  204).  
4  Etienne  Souriau,  Vocabulaire  d’esthétique,  Edition  Quadriage/Puf,  2010  (page  9).      

  3  
Développement du Mouvement

A l’instar de l’art abstrait on peut placer Monet, qui décide de se libérer des règles picturales liées à
l’académisme, de décomposer le travail du peintre et de considérer l’effort du regarde du spectateur
sur la toile pour comprendre ce qu’il y a représenté.
Par la suite on retrouve l’artiste que Kandinsky et Malevitch placeront à l’origine de leur travail:
Cézanne, qui ouvre la voie vers la conception autonome de l’art, en la libérant de la valeur
mimétique liée à l’académisme.
Enfin, on retrouve le mouvement Cubiste, qui donne la possibilité aux artistes de pouvoir
s’exprimer seulement avec leurs propres moyens, c’est à dire: la couleur, la lumière, la forme et la
touche.
On voit que toutes ces expériences vont déterminer la création abstraite, à laquelle sera donné un
grand élan par le MOMA, qui sera inauguré en 1936 avec une exposition nommée: «Cubisme et art
abstrait».
Foyer des premières expériences abstraites sera la Russie avec Kandinsky, Malevitch, le
Constructivisme et le Rayonnisme. Ici les leçons du cubisme sont comprises, somatisées et
transformées dans un type d’expression qui sera singulière aux artistes russes.
Les connaissances de l’art abstrait vont se déplacer dans toute l’Europe, d’une manière très rapide
et ce sera après la Seconde Guerre mondiale que ces connaissances vont arriver dans le nouveau
continent.
Les artistes de Paris, qui ne voulait pas être seconds face à ceux de New York vont s’organiser en
collectifs, comme Abstraction-Création, et retrouveront un nouvel essor qui donnera naissance à
l’abstraction Lyrique, de laquelle sera protagoniste Pierre Soulages.

Soulages et L’art Abstrait

Pierre Soulages a toujours choisi l’art abstrait comme mode d’expression. Après la période définie
par l’abstraction lyrique, sa peinture trouve, avec l’«outrenoir» (Image 2), la représentation de toute
la complexité du jeu de lumière et de profondeur qu’il cherche à obtenir.
En effet, c’est seulement à partir de 1979 que l’artiste trouve son style, et avec la seule utilisation du
noir, qu’il sublime par des effets de brillance et de texture, il fait naitre la lumière.5

                                                                                                               
5  Laure  Caroline  Semmer,  L’art  abstrait,  Larousse  2010  (pg.  152).  

  4  
Il travaillera initialement avec les outils normaux du peintre comme des brosses larges, après
l’artiste arrivera à produire lui-même ses outils comme des balais et des racloirs de différentes
largeurs, pour réaliser des œuvres les plus proches du résultat souhaité.
Soulages décidera de laisser libre cours à l’expérience du spectateur, en l’immergeant dans des
toiles de grand format auxquelles il ne donnera pas de titre.
On comprend donc comment l’artiste veut mettre le spectateur en contact direct avec les sentiments
qu’il avait lui-même au moment de la création, sans la présence des filtres extérieurs qui peuvent
influencer ou fausser la vision de l’œuvre.

Image  1   Image  2  
Pierre  Soulages,     Pierre  Soulages,    
Brou  de  noix,  1948.   Peinture  (Polyptyque  I),  
Papier  marouflé  sur  toile,  65   1986.    
x50.   Huile  sur  toile,  324  x  362  cm.  
Rodez,  Musée  Soulages.   Rodez,  Musée  Soulages.  
   

  5  
Vitraux  de  l’abbatiale  de  Conques  

  6  
3. Analyse d’œuvre

« Lorsque j'ai eu quatorze ans, c'est devant l'abbatiale de Conques que j'ai décidé que, seul, l'art
m'intéressait dans la vie (...). Conques est le lieu de mes premières émotions artistiques.» Pierre
Soulages6

Les Vitraux de la Cathédrale de Conques

C’est en 1987 que Soulages reçoit la commande de réaliser les vitraux de l’abbatial de Conques, un
des plus importants lieux pour sa croissance artistique. Il achèvera ce travail seulement en 1994, en
réalisant cent quatre vitraux, qui ne laissent passer que les «variations de lumière».

Le contexte: La Cathédrale de Sante Foy de Conques

Située dans un pittoresque village dans la région Midi-


Pyrénées, la cathédrale a été bâtie pour abriter les reliques
de la Vierge de Sainte Foy.
Les origines de l’abbatiale ne sont pas claires. On sait
qu’au Xème siècle, sur les lieux de l’église il y avait un
oratoire consacré au Saint Sauveur, qui, suite à
l’épanouissement du culte de Sainte Foy, a été consacré à
cette Sainte avec la construction d’une église. A la fin du XIIème siècle, en devenant une des étapes
principales sur la route de pèlerinage de Saint Jacques, l’abbatiale a été agrandie pour contenir la
foule qui voulait s’y rendre pour voir les reliques miraculeuses.
L’église présente une nef centrale très haute, qui est mise en communication avec les bas-côtés par
l’utilisation des grandes arcades. Les nefs collatérales sont éclairées par des grandes fenêtres et au
croisement entre la nef et le transept s’élève la coupole. Le déambulatoire est caractérisé par
l’ouverture de sept chapelles et sa structure en demi-cercle encadre le chœur, où se concentre
l’adoration des reliques.
La majesté de l’église était visible de l’entrée: cette grandeur liée à la simplicité de la décoration
était caractéristique de la période Romane, où on voulait développer un contact pur et sans
distraction entre le fidèle et le divin.

                                                                                                               
6  James  Johnson  Sweeney,  Soulages,  Editions  Ides  et  calendes,  cop.  1972.  

 
  7  
L’église, joyau de l’art roman, est célèbre pour sa décoration statuaire
avec ses nombreux chapiteaux historiés et le majestueux bas-relief qui
décore le portail.
Les vitraux de l’église, à l’origine, était en ligne avec les canons romans
de décoration, donc pour comprendre le travail affronté par Soulages il
est utile de tracer une petite histoire des vitraux.

Les Vitraux

« Ensemble de pièces de verre, généralement peu épaisses, découpées en formes diverses selon un
dessin préétabli, translucides ou transparentes, colorées ou non et maintenues entre elles par un
réseau de plombs. Le vitrail constitue le plus souvent un décor.»7

Les Vitraux peuvent être définis comme des « brillantes mosaïques pariétales», qui connurent leur
apogée au Moyen-âge.
A cette époque les vitraux étaient utilisés comme des vrais livres qui pouvaient montrer aux fidèles
des scènes de la Bible, des Évangiles ou encore de la vie des saints.
Les vitraux n’étaient pas importants seulement à cause de leur fonction narrative, mais aussi à cause
du fait lumineux. En effet ils permettaient l’entrée de la lumière dans le bâtiment religieux, qui
éclairait les espaces et en même temps les rendaient sacrés: on doit penser qu’au Moyen-âge la
lumière était la manifestation la plus tangible de la présence de Dieu.
On comprend donc que les vitraux étaient considérés comme des moyens qui, avec leurs couleurs et
leur richesse décorative, pouvaient sublimer la présence de Dieu dans l’église.

Pierre Soulages se trouve alors face à deux immenses défis:


1. Habiller de lumière l'un des joyaux de l'art roman: ce sera la recherche d'une qualité de
lumière adaptée à cet espace qui va guider l'artiste dans ses recherches et ses travaux.
2. Inscrire une œuvre du XXème siècle dans un édifice du XIème siècle.
Il cherche à relever ce défi en faisant beaucoup de recherches sur la structure de l’église et sur la
réalisation des vitraux, pour arriver à accomplir une œuvre qui ne soit pas en contraste avec le
contexte et qui puisse le valoriser.

                                                                                                               
7  Nicole  Blondel,  Vitrail,  vocabulaire  typologique  et  technique,  Edition  d  patrimoine  2012  (page  60).  

  8  
Analyse Plastique

« L'espace créé est tel que l'on n'a pas envie d'avoir le regard sollicité par l'environnement extérieur.
Il me fallait donc trouver un verre qui ne soit pas transparent, laissant passer la lumière mais pas le
regard (...). C'est ce qui m'a conduit à fabriquer un verre particulier, un verre à transmission à la fois
diffuse et modulée de la lumière.» Pierre Soulages 8

Pour réaliser cette œuvre l’artiste entreprend une collaboration avec l’atelier du maitre Jean-
Dominique Fleury, créateur et restaurateur de vitraux anciens et contemporains.
Le travail pour la création des vitraux commence toujours avec la création des esquisses colorées
remises au verrier qui interprètent et transcrivent la pensée d'origine de l’artiste. Mais Soulages a
opté pour une approche très différente: « les vitraux ne pouvaient être la reproduction en verre d'une
maquette née d'un procédé pictural quel qu'il soit».
Il commence d’abord à penser au moyen de réaliser ses vitraux et après différentes recherches, au
CIRVA (Centre International de Recherches sur le Verre et les Arts plastiques) de Marseille et au
centre de recherche de Saint-Gobain Vitrage à Aubervilliers, il arrive à la conclusion que l’effet
qu’il veut obtenir ne peut pas être recherché dans des verres déjà présents sur le marché.
Donc, avec l’aide de Fleury, il arrive à réaliser un
type de verre obtenu à travers la technique de la
granulation: le verre présente des zones de
cristallisation plus ou moins dense en permettant
de nuancer la lumière diffusée. Le résultat est un
verre translucide et non transparent, traversé par
la lumière mais opaque au regard: un verre à
transmission diffuse de la lumière qui ne la
produit pas par un effet de surface, mais par la
Essais  de  verre,  pour  les  vitraux  de  Conques.  
manière dont sa masse est constituée.9
Avec ce choix il a réussi à isoler l’église de l’espace extérieur en soulignant, à travers la lumière, la
délicatesse de la pierre qui constitue l’édifice, qui, à l’avis de Soulages, ne devait pas être mortifiée
par l’utilisation des vitraux colorés.

                                                                                                               
8  Christian  Heck,  Pierre  Soulages,  Conques  les  vitraux  de  Soulages,  Edition  SEUIL  1994.  
9  http://www.tourisme-­‐conques.fr/fr/histoire-­‐patrimoine/eglise-­‐abbatiale/vitraux-­‐Soulages.php.  

 
  9  
«Il est bien évident que les rouges, les bleus, toutes les couleurs violentes que l'on rencontre dans
les vitraux gothiques au nord de la Loire ne pouvaient que nuire à la délicatesse de la coloration des
pierres et à l'espace intérieur de cet édifice. J'ai tenu à respecter l'identité de ce bâtiment, ne
perturber en rien la qualité spécifique de l'espace tel qu'il découle des dimensions des baies, de leur
répartition très particulière. Seule la lumière naturelle m'a paru lui convenir.» Pierre Soulages10

Après avoir retrouvé le matériau souhaité, c’était le moment de penser au travail sur les cartons.
Pour réaliser ce passage il se rend dans l’atelier de Fleury à Toulouse où a été élaboré un procédé
assez particulier: sur des grands panneaux de bois, des bandes de scotch noir ont été positionnées
pour préfigurer l’emplacement des plombs et des barlotières dont les lignes donneront la forme aux
futurs vitraux. Pouvant être déplacé de nombreuses fois, le ruban adhésif permettait, avec un
contrôle visuel à distance, d'arriver progressivement au trait juste.

« L'œil de Soulages dessinant à distance, dirigeant le tracé, les bandes de ruban adhésif se mettant
en tension, en espacement, en rectitude sur le carton, donnant le noir, l'épaisseur, l'élan du
graphisme.» Jean-Dominique Fleury 11

Soulages a décidé de ne pas


introduire de lignes orthogonales,
qui auraient pu rompre la fluidité
du dessin du vitrail et souligner la
pesanteur de l’édifice. En outre, il
a supprimé la bordure habituelle
des vitraux, qui souligne
généralement le contour des
fenêtres, en souhaitant ainsi garder Cartons  pour  les  vitraux  de  Conques.  
la pureté et la puissance du dessin
architectural de la baie; ce qui rapproche involontairement cette œuvre des premiers panneaux
d'albâtre utilisés dans les églises avant l'emploi du verre.
Le résultat, sera un dessin défini par des lignes légèrement courbes, plus ou moins tendues, qui
accompagnent la modulation de la lumière sur toutes les baies.
Vu de l’extérieur, le verre, parfaitement blanc, prend la couleur bleutée de la lumière qui illumine

                                                                                                               
10  Christian  Heck,  Pierre  Soulages,  Conques  les  vitraux  de  Soulages,  Edition  SEUIL  1994  (50).  
11  Christian  Heck,  Pierre  Soulages,  Conques  les  vitraux  de  Soulages,  Edition  SEUIL  1994  (page  101).  

  10  
le toit en ardoise, tandis qu’il reste plus sombre dans les zones où la réflexion est plus faible. Le
rapport des couleurs avec celles de l’architecture sont de deux natures: parfois elles sont en rapport
avec la coloration de l’ardoise du toit et de certaines pierres des murs, alors qu’on peut retrouver
d’autres parties où il y a des accords de complémentaires (bleu-orange).
A l’intérieur le verre blanc se colore avec des tons chauds et froids et les baies se nuancent
différemment selon les heures de la journée et la lumière reçue.

 
Vitraux  vues  de  l’extérieur  de  l’abbatiale.    

Le  même  vitrail  vu  de  l’intérieur  dans  deux  moments  différents  de  la  journée.  

  11  
Analyse Sémantique

En regardant l’œuvre on doit considérer différentes variantes, pour achever une analyse sémantique
complète: d’abord on doit penser à la fonction des vitraux dans l’époque romane en la confrontant
avec l’utilisation qu’il en fait; ensuite, on doit prendre en considération les caractéristiques du
travail de Soulages, lequel est principalement concentré sur la lumière et l’effet qu’elle donne en se
posant sur les superficies.
Comme on l’a déjà dit, la lumière au Moyen-âge avait une connotation très précise, puisqu’elle était
considérée comme un des signes les plus tangibles de la présence de Dieu: en conséquence les
vitraux étaient utilisés pour sublimer cette présence à l’intérieur de la structure sacrée.
Soulages, même s’il travaille au XXème siècle, ne veut pas créer de lumière neutre dont la seule
fonction serait d’illuminer la structure.

« Cette lumière “transmutée” a la qualité émotionnelle, l’intériorité que je recherchais, qualité


métaphysique en accord avec le caractère sacré de cette architecture.»Pierre Soulages 12

En effet il veut préserver la sacralité de l’édifice, en créant une lumière qui puisse exalter
l’importance que l’abbatiale a eue dans les siècles. Comme il l’affirme, ce qu’il cherche est une
lumière qui ait une qualité émotionnelle: une lumière qui puisse avoir des effets dans l’intériorité
des fidèles et qui puisse faire qu’ils se sentent dans un lieu isolé et détaché du monde terrestre.
C’est pourquoi, on voit que les considérations de Soulages à propos de la lumière ne sont pas très
éloignées de celles du Moyen-âge; même si son premier but était de montrer comment l’église et sa
structure pouvaient être sublimées par le filtrage de la lumière, à travers l’utilisation d’un type
particulier de verre dont la couleur change selon la composition de chaque pièce et selon le moment
de la journée.
On doit mentionner un autre facteur dans l’œuvre de Soulages : la non figuration. On voit que par
rapport aux vitraux du Moyen-âge, il décide de ne pas réaliser des vitraux historiés, en faisant un
choix presque iconoclaste. Soulages réalise des vitraux qui ne déconcentrent pas le spectateur
pendant la visite, pour lui faire vivre une expérience plus pure avec Dieu et la structure.

                                                                                                               
12  Pierre  Soulages,  Ecrits  et  propos,  Edition  HERMANN  2009  (PAGE  98).  

  12  
Analyse esthétique

« Les curés avaient dû enlever de l'église le cahier des intentions de prières parce qu'il était plein de
plaintes. Quelqu'un avait écrit: “on se croirait dans un aquarium”. Et des mamies avaient fait des
pétitions pour qu'on remette les anciens vitraux colorés».13

Comme on l’a déjà dit, Soulages a soutenu un défi très important en décidant d’entreprendre la
réalisation de cette œuvre. Son propos était de faire entrer la lumière d’une façon pure et
d’immerger le spectateur dans l’espace sacral, en l’entourant à travers la délicatesse des passages
lumineux.

«A l'été 1994, il y avait eu une conférence de M. Soulages au Centre européen d'art et de


civilisation médiévale de Conques. Ses vitraux venaient d'être inaugurés et, oh là là, des gens
s'étaient levés pour l'insulter».14

C’est normal que l’introduction d’un élément contemporain dans une église bâtie selon les plus
rigides canons romans déstabilise la réception des spectateurs qui, dans un espace si traditionnel,
pouvaient seulement attendre la présence de vitraux historiés, typiques du moment de l’édification
de l’église.
Mais le choix fait par Soulages avait beaucoup satisfait les religieux, parce que ces vitraux non
figurés emmènent le fidèle à se concentrer seulement sur l’œuvre architecturale et sur la sacralité du
lieu et le détache de cette époque saturée d’images.
Avec le temps, les réactions des visiteurs se sont diversifiées: «Une moitié se montre réticente,
l'autre se laisse conquérir par cette lumière»15.
On voit que l’appréciation de l’œuvre change selon la sensibilité de chaque personne: il y a des
personnes qui s’attendrissent devant ce spectacle et d’autres qui voient un gâchis dans les vitraux
de Soulages.
On comprend que la réception de cette œuvre est complètement liée à l’espace où elle est située.
Même si l’œuvre tend à se mélanger d’une façon très fluide et soignée avec l’église, on peut voir

                                                                                                               
13    Claudine  Rudelle,  doyenne  des  guides  de  l'office  du  tourisme  de  Conques  sur  L’Express  culture  :  Quand  Conques  la          
médiévale  rejetait  "la  lumière"  de  Soulages.  Publié  le:  17/05/2014.  
14  Claudine  Rudelle,  doyenne  des  guides  de  l'office  du  tourisme  de  Conques  sur  L’Express  culture  :  Quand  Conques  la          
médiévale  rejetait  "la  lumière"  de  Soulages.  Publié  le:  17/05/2014.  
15  Anne  Romiguière,  Guide-­‐conférencière    sur  L’Express  culture  :  Quand  Conques  la    médiévale  rejetait  "la  lumière"  de  
Soulages.  Publié  le:  17/05/2014.  
 
  13  
comme elle bouleverse la structure traditionnelle du lieu, simplement par sa présence si
contemporaine. C’est exactement ce mélange qui parfois peut déstabiliser et entraver la correcte
vision de ceux des spectateurs qui tendraient à considérer l’église et les vitraux comme deux
éléments complètements différents.

Analyse comparative

L’œuvre la plus proche du travail de Soulages est celle de Manessier, qui a réalisé les vitraux pour
l’église du Saint Sépulcre à Abbeville.
Manessier est un artiste qui a beaucoup travaillé dans le domaine des vitraux, en introduisant l’art
non figuratif dans l’église dès 1948. Sa manière si audacieuse de travailler a toujours été
accompagnée de l’application d’une technique traditionnelle qui concerne l’utilisation du verre
antique et plombé.
Les deux œuvres sont contemporaines: Manessier a travaillé sur ses vitraux de 1982 jusqu’à 1993,
tandis que Soulages a reçu la mission en 1987 et il l’a accomplie en 1994.
Ensuite, on voit que les deux lieux sont caractérisés par la jeunesse de deux artistes et c’est
exactement sur ce point qu’on doit se concentrer pour retrouver un premier contraste dans le travail
de Soulages et de Manessier. En effet, l’église de Conque était une source d’inspiration pour
Soulages, celle d’Abbeville effrayait le jeune Manessier: « (…) lieu de passage obligé quand il
allait voir sa mère hospitalisée dans une clinique toute proche, lors d’une maladie grave dans les
années 1920; un édifice chargé de mystère et d’angoisse par le fait même de cette souffrance et
aussi en raison d’un émouvant gisant du XVIème siècle dans une chapelle latérale qui effraya
l’enfance du petit Alfred.»16
La mission donnée à Manessier comprenait la réalisation de 21 fenêtres et 8 oculi, dont les vitraux
avaient été détruits lors du bombardement de 1940, pour lesquels il décide de réaliser une œuvre en
suivant les thèmes de la Passion du Christ, sa mort et sa Résurrection. Ainsi, ces vitraux deviennent
des symboles de prédication du message lyrique et libre, au service de la foi.
L’œuvre s’installe dans l’église avec une présence puissante mais harmonieuse et c’est grâce à ses
couleurs que l’espace si obscur, qui effrayait le petit Manessier, était valorisé et sublimé par la
présence de Dieu.
Or, les deux œuvres, même si proche l’une de l’autre, présentent des différences: d’un point de vue
plastique, on voit que l’œuvre de Manessier est caractérisée par une sorte de division alvéolaire du
vitrail. Toutes ces petites gemmes multicolores, divisées par de subtils fils de plomb, sont
                                                                                                               
16  Jean-­‐  Marie  Lhote,  Manessier  –  L’oeuvre  vitrail,  in  la  revue  du  céramique  et  du  verre,  n°69,  mars  –  avril  1993.    

  14  
rapprochées l’une de l’autre pour créer un dessin qui symbolise un des passages de la Passion du
Christ. La première grande différence peut être notée dans l’utilisation de la couleur, puisque
Soulages, comme on l’a déjà dit, utilise un type particulier de verre translucide, qui ne va pas
modifier les qualités naturelles de la lumière.
Ces deux types de vitraux ont aussi des répercussions différentes sur la réfraction de la lumière à
l’intérieur de l’édifice. La lumière de Soulages souligne doucement les différentes parties
structurelles de l’église, avec un ton neutre défini par la réflexion de la lumière sur le vitrail et par
les couleurs de l’édifice. Par rapport à l’utilisation de la lumière par Soulages, celle de Manessier
sera plus artificielle, premièrement parce que la lumière filtrée par les vitres créera des reflets, qui
ne vont pas reprendre les tons naturels de l’église mais qui seront colorés par la tonalité du verre en
créant des dessins multicolores sur les superficies qu’ils vont toucher.
Cependant, l’opposition la plus importante à la base de leur travail est liée à la différence qu’il y a
entre le message des deux artistes. En effet on a déjà dit que Soulages utilise la lumière, filtrée par
les vitraux, principalement pour souligner la structure de l’église, pour la sublimer en révélant
toutes ses particularités. De l’autre côté on voit les majestueux vitraux de Manessier, avec lesquels
l’artiste veut exprimer un message complètement au service de la foi. Sa recherche artistique ne
veut pas être définie par la perfection de la réalisation mais veut être le symbole de la perfection
divine.

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Conclusion

Après l’analyse de l’œuvre on peut affirmer que le but de Soulages a été complétement achevé: il
est réussi à intégrer parfaitement des vitraux contemporain, non figuratif, dans une église romane.
En effet, après son travail, l’église resplendie d’une lumière nouvelle, qui sublime la structure en
conservant, au même temps, l’atmosphère sacrée typique au bâtiment.
La démarche pour achever la réalisation de cette œuvre n’a pas été facile, il suffit penser au temps
employé pour travailler au projet, mais le résultat est quand même étonnant: avec ce travail il est
devenu le vrais maître de la lumière.
On peut donc constater comment le peintre du noir, de l’absence de lumière, ait changé
complétement le sujet de son œuvre: maintenant l’importance est la lumière et les vitraux
deviennent des simples moyens qui aide l’artiste à exploiter toute sa puissance.
En conclusion, on peut voir comment cette œuvre montre la versatilité de cet artiste, qui ne s’arrêt
pas devant à aucun défit en créant un travail majestueux, digne de sa brillante carrière.

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Bibliographie

• Alfred Manessier: 1911-1993, peintures, aquarelles, vitraux, lithographies, Musée des


beaux-arts, Angers, 1994.
• Christian Heck, Pierre Soulages, Conques les vitraux de Soulages, Edition SEUIL 1994.
• Éric de Chassey et Sylvie Ramond, Soulages XXIe siècle: Catalogue de l’exposition,
Editions Hazan, 2013.
• Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Edition Quadriage/Puf, 2010.
• James Johnson Sweeney, Soulages, Editions Ides et calendes, cop. 1972.
• J. Ries, C.-M. Ternes, Symbolisme et expérience de la lumière dans les grandes religions,
Edition Breepols 2002.
• Laure Caroline Semmer, L’art abstrait, Larousse 2010.
• L’Express culture : Quand Conques la médiévale rejetait "la lumière" de Soulages. Publié
le: 17/05/2014.
• Louis Grodecki, Catherine Brisac et Claudine Lautier, Le Vitrail roman, Office du livre,
Paris, 1977.
• Nicole Blondel, Vitrail, vocabulaire typologique et technique, Edition d patrimoine 2012.
• Pierre Soulages, Ecrits et propos, Edition HERMANN 2009.

Webographie
• http://www.pierre-Soulages.com

• http://www.tourisme-conques.fr/fr/histoire-patrimoine/eglise-abbatiale/vitraux-
Soulages.php.
 
 

 
 

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