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Lecture des œuvres de la bibliographie : collecte d’informations en vrac

Devroey Jean-Pierre, « Au-delà des polyptyques. Sédimentation, copie et


renouvellement des documents de gestion seigneuriaux entre Seine et Rhin (IXe-XIIIe
siècle) », dans X. Hermand, J.-F. Nieus et É. Renard, éd., Décrire, inventorier,
enregistrer entre Seine et Rhin au Moyen Âge : formes, fonctions et usages des écrits
de gestion, Paris, 2012 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 92), p. 53-86.

« Le polyptyque d'Irminon constitue un support privilégié par les moines de Saint-


Germain-des-Prés pour conserver la trace de transactions foncières, mais ces
interventions ne sont pas guidées par une logique géographique. »

« À Saint-Germain-des-Prés, le polyptyque d'Irminon est devenu un objet d'admiration


comme le montre l'intervention d'un moine de l'abbaye qui a continué l'œuvre
d'Aimoin en transcrivant et en annotant les Annales de Saint-Bertin à la fin du xi°
siècle : « Le très prudent abbé Irminon a renfermé dans un seul écrit [l'état] des
revenus de toutes les villae de Saint-Germain, en vérité jusqu'à un œuf et une poule
ou même un bardeau; et il a réglé la part que les moines auraient pour leur usage et
celle que l'abbé devait revendiquer pour l'armée du roi ou pour son propre usage ».

« Comme à Saint-Germain-des-Prés, ces nouveaux assemblages de brevia ont


vraisemblablement été opérés à partir de plusieurs exemplaires de polyptyques, sans
que leurs acteurs hésitent à en mutiler une partie des cahiers »

- Devroey Jean-Pierre. « Recording social and legal conditions in early medieval


rural society in Francia and central Italy : denominations, lists, status, and
judgments », Quaderni storici, 55/1, 2020, p. 29-48.

« Parmi les polyptyques les plus riches contenant des informations sur les personnes,
on trouve l'inventaire des tenures et des esclaves du monastère de Farfa, dans la
région de Sabina, la descriptio mancipiorum de l'Église de Marseille ordonnée par
l'évêque local Wadald, en Provence, ainsi que les polyptyques de Saint-Germain-des-
Prés et de Saint-Remi de Reims dans le nord-ouest de la Francie. »

« Le niveau élevé de mobilité des paysans dans ces domaines provençaux se reflète
dans le vocabulaire du polyptyque par l'utilisation de mots indiquant un écart entre la
dépendance et la résidence : la description mentionne systématiquement
l'étranger/extraneus (ou extranea), qui s'est installé au sein d'une famille ou sur une
propriété seigneuriale par mariage, tout en restant dépendant d'un autre seigneur. »

« Le polyptyque du monastère parisien de Saint-Germain-des-Prés a été commandé


par l'abbé Irminon entre 823 et 828, et est conservé dans un manuscrit original. Sa
composition matérielle reflète l'intervention simultanée de dix scribes. Il s'agissait
probablement des commissaires qui ont parcouru les domaines du monastère lors de
deux enquêtes locales et sur la base de deux formulaires principaux. Les registres
locaux ont ensuite été rassemblés par les administrateurs centraux du monastère pour
être relus et corrigés. Comme nous le verrons, des listes de personnes ont été
extraites des archives et insérées dans les descriptions locales lors de cette
centralisation. Après quelques révisions au IXe siècle, et jusqu'au XIIe siècle, le
manuscrit d'Irminon a servi de support pour transcrire des événements importants
liés au patrimoine de l'abbaye ou à la domination sociale qu'elle exerçait. »

« Dans les deux formulaires utilisés au début du IXe siècle pour décrire les biens de
Saint-Germain-des-Prés, les enquêteurs ont élaboré leur inventaire au niveau de la
villa pour confirmer et maintenir les coutumes locales. Ainsi, la lex villae se trouve au
cœur même du système domanial. Cela se reflète dans de nombreux polyptyques du
nord par l'utilisation de modèles pour définir les obligations et les charges des
locataires. À travers un système simple de référence (solvit similiter), une tenure
standard permet de regrouper tous les paysans auxquels des charges similaires sont
attribuées sur différentes fermes. Cette description se concentre sur le locataire en
charge, dont le nom et le statut sont soigneusement précisés. Le détenteur de la
tenure modèle est souvent un 'notable' du village, tel que le maire ou un autre officier
seigneurial. Dans les polyptyques de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Remi de
Reims (discutés ci-dessous), l'épouse du chef du mansus ou sa famille élargie sont
ensuite associées à lui. Le statut de ses descendants est déterminé par les normes
locales (statut le plus bas des parents, transmission par la mère, etc.). Alors que les
noms du père et de la mère sont toujours mentionnés, dans ces deux documents, les
enfants sont soit simplement listés selon leur sexe, soit nommés précisément. Le
recensement n'est pas exhaustif car il concerne uniquement les dépendants de Saint-
Germain, dont les noms et les statuts légaux sont soigneusement enregistrés. Parmi
ceux qui vivaient dans les mansi, il y avait aussi des habitants qui n'avaient pas de
relation subordonnée avec l'abbaye. Ces hommes et ces femmes, qui ne faisaient pas
partie de la familia du monastère, sont mentionnés de manière sommaire. Leur
partenaire et leurs enfants sont simplement évoqués (uxor/infantes qui non sunt
sancti Germani) ou passés sous silence. Ces omissions expliquent les déséquilibres de
genre dans les polyptyques et la sur-représentation artificielle des individus
célibataires ou des familles monoparentales. La naissance et la résidence dans la
seigneurie (à la fois sur les terres du seigneur et dans sa familia) étaient les clés de
l'inscription. »
« Parmi les migrants qui entraient dans la seigneurie foncière, le vocabulaire des listes
distinguait entre l'advena, qui passait du dominium d'un seigneur extérieur à celui de
Saint-Germain, et l'extraneus, qui restait sous la dépendance d'un autre seigneur.
L'inventaire précisait également l'origine des coloni de Saint-Germain-des-Prés qui
étaient nés sur d'autres domaines appartenant à l'abbaye.
Ces méthodes de réalisation d'enquêtes locales et de leur consignation écrite étaient
un moyen efficace de reproduire les relations sociales de domination et de préserver
la structure des manoirs en établissant les obligations des locataires et en listant les
héritiers et les lignées familiales. Cependant, ces documents étaient difficiles à
maintenir à jour en raison du manque de nouvelles enquêtes. À l'exception de
corrections marginales ou d'ajouts, les polyptyques ne montrent aucune preuve de
renouvellement complet et systématique. Peut-être que la mémoire collective suffisait
à résoudre les problèmes individuels ? La menace de lire en public les "vieux
polyptyques" était utilisée pour contrer les plaintes des paysans concernant
l'aggravation des charges seigneuriales ou les litiges sur leur statut légal. Là où les
noms des enfants avaient été omis, une enquête locale pouvait probablement
remonter leur statut d'une ou deux générations pour déterminer le statut d'une
tenure ou de ses occupants. »

Alors que les inventaires fonciers permettaient d'encadrer efficacement les habitants
des mansi, les techniques utilisées par les administrateurs rendaient difficile
l'identification des situations temporaires ou marginales : vacance ou occupation
temporaire d'une tenure, terres en dehors du système domanial, dépendants absents
au moment de l'enquête ou ayant quitté la juridiction territoriale du manoir, etc. En
général, ces situations étaient gérées au moyen de listes de personnes établies et
conservées séparément. À Saint-Germain-des-Prés, plusieurs de ces listes ont été
insérées par les scribes à la fin du chapitre, en continuité de l'inventaire foncier, ou
dans des parties du manuscrit laissées en blanc. Les divergences de noms entre ces
listes et le corps de la description suggèrent qu'elles ont peut-être été produites avec
un léger décalage par rapport à l'enquête locale.
La nature non systématique de ces listes, le manque de normalisation des formes et la
diversité du vocabulaire utilisé pour qualifier le statut des personnes montrent
qu'elles n'ont pas été établies selon un plan d'action global et systématique, tel que
l'enquête qui a permis d'établir le polyptyque. Elles étaient sans doute des enquêtes
occasionnelles développées en réponse à des initiatives ou situations spécifiques. Leur
présence dans les archives centrales a permis aux commissaires de compléter
l'inventaire principal de manière opportuniste.
De la fin du IXe siècle au début du XIIe siècle, le manuscrit du polyptyque d'Irminon a
été régulièrement utilisé pour suivre les événements significatifs : listes de propriétés,
enregistrements de donations foncières et listes de personnes redevables de la cire
pour le service d'éclairage de Saint-Germain, inventaire des ornements liturgiques,
etc. Le manuscrit, conservé dans la bibliothèque monastique, est devenu un objet
d'admiration, un miroir vivant et un bouclier protecteur pour le patrimoine du
monastère. Les emplacements choisis par les communautés religieuses pour stocker
ces sédiments documentaires étaient-ils accidentels ? Je pense que non. Un type
particulier de manuscrit, tel qu'un livre de chapitre ou de réfectoire, contenant des
lectures pieuses, des copies de la règle monastique ou des statuts, finissait
fréquemment par inclure d'autres traces documentaires liées à la vie de la
communauté locale : nécrologies et listes d'anniversaires, règlements ou comptes des
offices monastiques, registres fonciers, listes de dépendants ou de tributaires de
l'église, etc.

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