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Conclusion générale :
La part de Rome
Il faut reconsidérer la part de Rome et le devenir de la cité antique entre le 4 e et le 6e siècle.
Trois dimensions majeures de la cité antique : la cité était une ville+ la cité était un territoire
doté d’un chef-lieu urbain, une entité administrative contrôlée par les élites locales et pourvue
d’une fonction de gestion à l’échelle local et au nom du pouvoir impérial, en particulier dans
le domaine fiscal+ La cité était une communauté de citoyens disposant d’une capacité de
participation à la vie civique. Cette dernière dimension disparait au 6 e, mais les deux autres
survivent sous la forme épiscopale. Entre le 7e et le 11e, l’essentiel du legs romain réside
seulement dans le maintien de la plupart des anciens chefs-lieux de cité comme centres de
pouvoirs et pôles d’urbanité grâce à l’implantation des centres épiscopaux. Le territoire de la
civitas n’est plus ce que le droit romain considérait comme un territoire. C’est une enveloppe
spatiale poreuse aux contours fluctuants. Les limites n’ont plus de rôle structurant dans la
définition du diocèse ou l’exercice de la domination épiscopale, car les marqueurs de la
puissance épiscopale sont désormais les lieux de sacralité. Le pouvoir de l’évêque ne
s’applique donc pas de manière homogène sur le territoire, mais bien par zones de
concentration.
Le délitement de la territorialité de la cité antique découle de 3 causes : les évêques ne
reprennent pas la fonction fiscale essentielle à la cité antique. Les élites ecclésiastiques et les
évêques en particulier s’éloignent des paradygmes territoriaux de la romanité qui ne sont pa
indispensables à l’exercice de l’office épiscopal. Enfin, le pouvoir des évêques est tôt
contrarié par des emprises concurrentes qui viennent s’interposer entre eux et les églises, eux
et les prêtres, et limiter leurs prérogatives juridictionnelles. Cet affaiblissement de la
territorialité n’a pas été compensé par l’essor au sein du peuple d’un sentiment d’appartenance
à une communauté diocésaine. L’emprise des évêques sur le peuple diocésain est très
hétérogène et dépendent de la puissance seigneuriale de l’évêque.
La fabrique médiévale du territoire
Le diocèse apparait donc comme le produit d’une fabrique sociale et politique médiévale, qui
s’accélère à la réforme grégorienne et repose sur la combinaison de 4 processus. D’abord,
l’essor du pouvoir juridictionnel de l’évêque ; ensuite l’essor des pratiques de délimitation et
de subdivision de l’espace diocésain ; également, le développement de procédures de gestion
par l’écrit et de pratiques socio-spatiales de type administratif ; enfin, l’invention d’une
mémoire de l’institution qui se donne non seulement pour une histoire de la fondation des
sièges mais également de leur emprise spatiale. La plupart de ces évolutions renvoient in fine
à la transformation profonde de la nature du dominium exercé par les évêques et le chapitre
cathédral, qui entre le 10e et le 13e passe d’une modèle seigneurial ou féodal à un modèle
gouvernemental, assis sur une juridiction territorialisée des pratiques administratives et des
échanges fiscalisés.
De l’Eglise à l’Etat
L’Eglise participe à la genèse de l’Etat moderne en lui fournissant des concepts, experts,
techniques et rituels. Les pratiques gouvernementales mises en place par l’Eglise ont
fortement influencé et éduquée celles des états modernes. Le plus remarquable concerne
l’adoption des circonscriptions ecclésiastiques comme premier cadre territorial des
administrations séculières. En matière territoirale, l’Eglise a ouvert doublement le chemin à
l’Etat d’une part en mettant à sa disposition les hommes et le cadre administratif
indispensable à la mise en œuvre des deux pratiques qui sont aujourd’hui les principaux
instruments de l’essor de sa puissance ; l’enquête et la fiscalité directe ; d’autre part de
manière plus générale en lui offrant un modèle de domination spatiale d’ordre territorial et
non seigneurial, qui relève d’une logique de souveraineté et non d’une logique féodale.
De l’espace au temps : repériodiser le Moyen-Âge
On observe un faux départ carolingien et impérial au 9e et 10e et un vrai tournant dès le 11/12e,
lié à la réforme grégorienne. Le moment carolingien et son prolongement témoignent d’un
authentique renversement de tendance : les souverains et les évêques cherchent à restaurer le
pouvoir des métropolitains et la hiérarchie de province des sièges. Mais c’est principalement à
partir du milieu du 11e dans le cadre grégorien que l’autorité épiscopale dispose de
suffisamment de ressources et d’appuis pour commencer à s’imposer aux dépens des
seigneurs laïques et des communautés monastiques. Le diocèse territorial commence alors à
se construire par la scission de la seigneurie et par l’établissement progressif de la
souveraineté épiscopale.
On peut alors s’interroger sur la question d’une re-périodisation du Moyen-Âge soulevant
deux enjeux fondamentaux : la place centrale à accorder à l’institution ecclésiale ; le rôle
déterminant à attribuer au rapport à l’espace des pouvoirs des institutions et des groupes
sociaux.