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Florian Mazel, L’Evêque et le territoire.

L’invention médiévale de l’espace


(Ve -XIIIe siècle)
Avant-propos : « Assurément, l’espace est en partie le fruit de nos représentations. Pour
autant, l’espace en question est aussi le produit de pratiques sociales et politiques. ». L’espace
est dont partie prenante de l’histoire, car il n’est plus un donné mais un construit, « élaboré au
carrefour des pratiques sociales et des représentations. ». Ce livre tente « d’approcher,
décrypter et essayer de comprendre le rapport singulier d’une société à l’espace ; ainsi, « si
une certaine inertie [des structures romaines] existe bien sûr, en particulier dans les
discours, l’évolution conjuguée de la société chrétienne et de l’institution ecclésiale a en
réalité modifié le sens, les usages et les formes de l’espace qu’elles produisaient et qui
contribuaient en retour à les façonner. » cela est dû d’abord à la nature du pouvoir et à
l’évolution des relations de domination traditionnelles, mais aussi au lieu d’exercice de ce
pouvoir : rapport entre transformation sociale et territorialisation de la domination.
Introduction :
1) Rome, l’Eglise et nous  : une enquête à rouvrir
Depuis le 18e, on juge considérable le rôle de l’Eglise dans la transmission de l’héritage
romain et de la romanité. Mais on donne aussi à l’Eglise un rôle majeur dans la conservation
des structures territoriales de l’ancien imperium, par le biais de ses propres circonscription
territoriales : certitude historiographique de la continuité entre la civitas et le diocèse pendant
longtemps. Mais on ne pose pas la question de l’évolution du rapport de l’Eglise à l’espace.
Le problème majeur est que la thèse de la continuité repose sur la conviction de la
perpétuation des formes territoriales et suppose que l’Eglise a toujours entretenu un rapport
administratif à la société  élude la question du sens et des usages du territoire. Cela est dû
notamment à la surestimation des normes juridiques dans les processus sociaux mais aussi au
désintérêt, depuis les Annales, pour une histoire trop politique ou juridique. L’étude de la
naissance de l’espace chrétien laisse donc de côté les questions administratives et territoriales.
Renouveau de la question avec les travaux d’Alain Guerreau, qui invitent à penser que
l’espace n’était ni pensé, ni vécu sur le mode géométrique, mais comme un assemblage
discontinu et hétérogène de lieux ou de pôles plus ou moins hiérarchisés.
2) Le territoire  : une question d’histoire politique
On définira le territoire comme l’espace de projection d’une institution, selon la définition de
Max Weber. Il n’y a donc de territoire que lorsqu’un pouvoir institutionnel tente de le définir
et d’organiser l’espace où il entend exercer sa domination. Cette définition se rapproche de
celle de la civitas romaine, espace au sein duquel les magistrats ont le pouvoir de juridiction et
de coercition. Mais cette définition est étroite car elle ne considère pas le territoire comme
espace de projection d’une communauté d’appartenance, faisant entrer dans l’étude les
questions d’appartenance et de rejet du territoire par ceux qui y sont assignés ou par les
institutions.
Au vu de cette définition, rôle central de l’évêque, qui représente un guide du peuple chrétien.
Son autorité sur les communautés locales est établie dès le 2e siècle. Tournant de la période
carolingienne qui voit naitre les rituels de l’ordination épiscopale : la réception de la crosse et
de l’anneau. L’épiscopat devient un ordo au sein de l’Eglise et l’ordre des évêques obtient un
rôle politique majeur dans le gouvernement de l’Empire. Du 10e au 11e siècle, on a donc à
faire à un épiscopalisme triomphant. Le pouvoir de l’évêque réside dans le pouvoir d’ordre
qui fait de l’évêque le premier dispensateur du sacré, qui joue un rôle majeur dans
l’appropriation par l’évêque de l’espace du diocèse. C’est à partir du Décret de Gratien que
les pouvoirs de l’évêque sont définis en 3 catégories : l’ordre, la juridiction et le magistère.
Enfin, à l’horizon de la période considérée figure l’Eglise-Institution des années 1250-1350.
Le diocèse est alors un espace délimité entièrement soumis à la souveraineté de l’évêque, à
l’exception parfois de zones monastiques exemptes mais clairement circonscrites. « L’Eglise
apparait dès lors comme une institution territoriale centralisée, organisée en une hiérarchie
de circonscriptions gérées sur un mode bureaucratique. », avec une identité forte, un langage
propre et une autonomie réelle à l’égard des structures territoriales civiles.
On commence l’enquête au 4e-5e siècle pour comprendre pourquoi le gouvernement épiscopal
a éprouvé le nécessité de s’exercer sur un mode territorial. Deux dimensions majeures : celle
de la connaissance de la communauté et du diocèse par l’évêque ; et celle du
contrôle/domination par laquelle les évêques réussissent à attacher les prêtres, fidèles et
églises à un territoire, au-delà des relations personnelles.
3) Sources et méthode de l’enquête
On a longtemps donné une importance excessive aux sources normatives, notamment aux
capitulaires et traités d’Hincmar de Reims dans les analyses de l’Eglise carolingienne. On
cherche donc à tirer profit de la longue durée de l’étude et à envisager une grande variété de
sources possibles : normatives attendues, hagiographiques, historiographiques, diplomatiques,
fiscales et archéologiques. Mais il ne faut pas se faire d’illusion : pénurie de sources avant le
13e.
L’étude s’appuiera sur deux espaces-témoins privilégiés : la Provence et l’Anjou/Maine.

Chapitre 1 : L’Evêché-cité (5e-11e siècle)


A la fin du 11e, l’évêché est considéré comme un corps pourvu d’une tête (le siège, l’église
majeure, la cité) et de membres (les domaines, châteaux, églises). Il y a une primauté de la
cité et en son sein de l’église qui accueille le siège de l’évêque, la cathédrale. Dans une telle
conception, l’évêque est le pasteur de la cité. Cela explique l’évolution du terme de civitas : à
parti du 5e-6e, ne renvoie plus simultanément au chef-lieu de cité et au territoire qui lui est
subordonné, mais seulement aux villes abritant un siège épiscopal.
L’évêque et la cité
Un lien hérité
La Mission chrétienne se voit d’abord comme l’œuvre de conversion de populations urbaines,
donc de communautés définies par leur appartenance à une cité, rassemblées autour d’évêques
presque toujours implantés dans des villes.
L’Eglise et la cité antique
Une fois le christianisme religion officielle en 315, la préférence urbaine se traduit par
l’adoption des cités comme cadre de l’exercice du ministère épiscopal. Au concile de Nicée,
le cadre provincial sert de base à l’organisation des sièges épiscopaux. Dans le contexte
administratif romain, la civitas renvoie à un chef-lieu et au territoire qu’il commande en leur
subordonnant implicitement les campagnes. On cherche à éviter en effet la multiplication des
évêques dans les campagnes pour garder le prestige de la fonction. Tout est fait pour
privilégier l’épiscopat monarchique et son lien avec la ville.
Mais sur le terrain, diversité des rapports entretenus avec les structures civiles. De plus,
recompositions administratives dues aux évolutions politiques, sociales et économiques des 4e
aux 7e siècles. Le souhait d’une parfaite adéquation avec les structures civiles est parfois allé
jusqu’à la soumission totale à l’autorité impériale. Les troubles des 5 e et 6e siècles remettent
en cause l’emprise des anciens chefs-lieux : exemple de la déstructuration de l’ancienne cité
de Nîmes. Cette instabilité est due à des facteurs politiques : conquête et fixation du territoire,
notamment la frontière entre Francs et Wisigoths en Gaule méridionale après la bataille de
Vouillé en 507. Au sein-même du royaume franc, les partages successoraux entrainent
l’érection de nouveaux sièges. Ainsi, « la domination politique s’appuyait encore sur le
contrôle des chefs-lieux de cité. Lorsque ceux-ci faisaient défaut, il était légitime d’en
ériger dans de nouveaux sites, qu’il s’agisse d’anciennes agglomérations secondaires
dotées d’un certain rayonnement ou plus encore d’une capitale. ».
Ces bouleversements modifient la carte des sièges et affaiblissent le contrôle épiscopal sur les
campagnes, mais n’affectent pas le lien privilégié entre fonction épiscopale et cité, qui en sort
renforcé notamment par son affirmation législative sous les carolingiens. L’argumentation
associe poids démographique, importance politique et héritage antique
La Notice des Gaules et ses manipulations
Ce document décrit l’organisation provinciale des Gaules à la fin du 4 e siècle : liste des 17
métropoles provinciales des Gaules avec les chefs-lieux, points fortifiés et ports fluviaux qui y
sont associés. Ce n’est pas une liste des sièges épiscopaux : mais les milieux ecclésiastiques y
ont vu un inventaire des cités épiscopales avant la disparition de l’Empire et en ont modifié le
contenu selon leurs intérêts, favorisé par la convergence entre l’Ordinatio Imperii de
Charlemagne, la mise en valeur de « l’ordre des évêques » dans le gouvernement de la société
chrétienne et le rétablissement de l’autorité des métropolitains au sein de l’institution
ecclésiale.
L’Evêque, le comte et le pouvoir dans la cité
A la fin de l’Empire, les évêques ne sont pas les seules autorités présentes dans les chefs-lieux
de cités : depuis la fin du 5e, présence du comte, qui représente le pouvoir central. On assiste
même à une ruralisation du pouvoir comtal à l’est de la Gaule, où se développe des comtes de
pays aux dépens des comte de cité : ils s’installent dans un vicus et représentent le roi à
l’échelle d’un pagus dépourvu de cité épiscopale. Ainsi, les évêques apparaissent comme les
seules autorités résidant de manière effective et durable dans les cités qu’ils font survivre en y
fixant les populations, ressources et activités. Ils ont une grande marge de manœuvre car ils
reçoivent du souverain des privilèges d’immunité qui fait d’eux les seuls représentants du roi
dans la cité, avec parfois même le droit de nommer le comte ou le duc. Ils participent aussi
aux défenses de la cité contre les agressions extérieures.
Un lien exclusif
Le principe de stabilité épiscopale
L’Eglise tente dès le 4e de faire appliquer le principe de stabilité de l’évêque. Le concile de
Nicée interdit le transfert d’un évêque d’une cité à l’autre ; on ne veut pas voir apparaitre un
cursus honorum délaissant les petites villes au profit des grandes. Ainsi, le lien entre l’évêque
et sa cité et permanent et définitif, même si l’évêque est débauché par les habitants d’une
autre cité. Cette stabilité conforte l’inscription de chaque épiscopat dans une langue chaine
garante de la tradition et du principe de succession apostolique mis en avant au 9e.
Rituels d’avènement
Les grands moments du pontificat doivent illustrer cette relation évêque/cité : consécration de
l’évêque et intronisation au siège de la cité. Le siège épiscopal est souvent vu comme un
trône. Captation de la cérémonie de l’adventus à l’origine réservée aux empereurs, rois et
hauts dignitaires, par a charge épiscopale. Il faut néanmoins attendre les 12e et 13e pour que
ces cérémonies fassent l’objet d’un ample rituel et s’étendent à de nombreux évêchés,
notamment grâce à la réforme grégorienne qui diffuse le rituel de l’entrée dans Rome du Pape
et dote la cérémonie d’une nouvelle signification : noces de l’évêque et de son église.
La maison et la tombe
Une fois installé, l’évêque est censé séjourner le plus possible dans sa maison. Il élit
également sépulture dans la cité ou ses alentours proches. Dans certaines cités, on voit même
se développer de vraies nécropoles épiscopales. Les funérailles de l’évêque constituent un
rituel public qui reprend celui de l’entrée solennelle du prélat dans la cité lors de son
avènement. Ainsi, les sépultures épiscopales honorent et distinguent les églises qui les
reçoivent et les abritent.
Les évêques sont donc présents dans la cité, qu’ils soient morts ou vivants : s’ils ne le sont
pas, on note que les cités voient leur autorité et leur rayonnement s’étioler
Un lien affiché
L’élection, l’ordination et l’investiture font l’évêque. La fonction d’évêque, personnelle et
définitive, découle du sacrement de l’ordre, qui n’est pas lié à une église ou un lieu particulier.
Il a donc pu exister jusqu’au 8e des évêques itinérants, sans siège. Mais à partir du 7e siècle,
les évêques tendent à imposer au titulaire la mention d’une ville de rattachement. Jusqu’au
12e, la titulature épiscopale reste assez fluctuante, même pour un même évêque. Le lien avec
la cité et l’église-mère est affiché plus systématiquement en Septimanie et en Provence que
dans le reste de la Gaule. La titulature qui associe l’évêque à sa cité le distingue des chefs
laïcs : les comtes sont représentants temporaires du roi sur un espace, là où l’évêque l’est par
la grâce de Dieu, donc de manière définitive.
La fabrique de la « ville-sainte »
L’évêque consacre à la ville l’essentiel de son activité de pasteur. Tout d’abord, dans
l’héritage des 5e-6e siècles, l’évêque est vu comme un bâtisseur et un fondateur qui orne sa
cité de sanctuaires et de communautés religieuses. Il y rassemble des reliques qu’il manipule
et met en scène dans de nombreuses cérémonies. Il est donc un consécrateur qui fait de la cité
un lieu sacré. Il s’efforce enfin de promouvoir l’unité liturgique de la cité afin de la faire
célébrer, chanter et prier d’une seule voix. Cela vise à faire de la cité épiscopale une « ville
sainte », objectif en soi de l’activité épiscopale, car assoit le prestige et la légitimité du siège.
L’évêque fondateur, bâtisseur et consécrateur
Un évêque exemplaire  : Aldric du Mans (832-857)
Aldric, ancien chanoine de Metz, est d’abord soucieux de doter la communauté des clercs de
la cathédrale des conditions matérielles qui permettent de mettre en pratique la règle d’Aix. Il
restaure de nombreux bâtiments, ce qui favorise l’installation d’une communauté de clercs, ce
qui reconfigure le centre symbolique du lieu tout en en accroissant la sainteté. Il s’engage
aussi dans la fondation ou la rénovation d’établissements monastiques dans les faubourgs de
la cité ou à proximité. Il est surtout connu pour la fondation du monastère de Saint-Sauveur à
1 heure du Mans. Sa fondation reste associée à la cité du Mans, jouant en faveur de sa
sanctification.
Les Actes des évêques du Mans et l’exaltation d’une tradition
Les Actes accordent une attention privilégiée aux principales étapes de la construction de
« l’église-mère de la cité »
Un programme universel
Dans un certain nombre de cités de Lotharingie et de Germanie, l’œuvre de bâtisseur des
évêques des 10e et 11e siècles a pu récemment être interprétée comme une véritable action
urbanistique, qui se caractérise par la conduite, du financement à l’exécution, de divers
aménagements liés à l’enceinte urbaine, la distribution de l’eau et l’organisation de la voirie,
ainsi que par la volonté d’imiter à travers les dédicaces et la répartition des lieux de culte dans
l’espace ma topographie sacrée romaine ou hiérosolomytaine. Lorsque le modèle romain
apparait de manière explicite, il fournit l’image mentale d’une géographie mystique appliquée
à la cité et non un manuel de planification urbaine. De manière plus large, l’œuvre de
bâtisseur de l’évêque ne reflète aucune pensée de la ville ou de l’espace urbain mais se
concentre sur la production de lieux sacrés.
La politique épiscopale des reliques
Les évêques, comme ils gèrent le culte des saints, mènent une véritable politique des reliques.
Ls cités restent alors de lieux privilégiés de réunion des saints, qui permettent de consolider
leur prestige et leur légitimité à gouverner le peuple chrétien.
Les reliques de l’église-mère
Les églises sont avant tout conçues comme des sanctuaires à reliques, surtout les églises-
mères. Le prestige d’un sanctuaire semble tenir au nombre et à la diversité des reliques qui y
reposent. Dans ce cadre, aucune église ne doit faire d’ombre à la cathédrale.
Le culte des saints évêques
Les évêques, dès le 9e mais surtout dès le 10e, mènent une véritable politique des reliques au
profit exclusif de leur cité. Les saints que cette politique privilégie sont presque toujours les
saints évêques tenus pour les fondateurs des sièges, et leurs reliques sont de plus en plus
souvent rassemblées dans l’église-mère dont il s’agit de renforcer le prestige et l’autorité.
Cette concentration de puissance sacrale est toute entière tournée vers l’objectif de faire des
évêques les garants du salut du peuple de la cité ici-bas et dans l’au-delà.
«  Pour le salut du peuple et la garde de la cité  ».
Pare qu’elles abritent des corps saints, les églises ont pour vocation de protéger la cité et ses
habitants : cette protection se veut à la fois spirituelle et matérielle : cela explique, par
moment, la militarisation de certains saints, comme Rémi de Reims en 882.
Les rituels liturgiques et la production d’un espace-temps public
Quelques évêques entreprennent de favoriser l’unité de leur cité en encourageant des
pratiques liturgiques communes aux différents sanctuaires et communautés. Depuis les 5e et 6e
siècles, des processions de rogations destinées à éloigner les calamitées agricoles et à
favoriser les récoltes sont organisées dans un certain nombre de cités et conduisent le cortège
mené par l’évêque à faire plusieurs fois le tour de la ville. A l’occasion de ces fêtes et
processions, les reliques, le clergé, l’église-mère et l’évêque sont mis en scène dans un
moment et un espace de communion collective qui articule les principaux sanctuaires et
l’enceinte de la cité. L’évêque œuvre alors la production d’une sorte d’espace-temps public.
Mais de la à parler de formation de communauté à part entière, il faut prendre quelques
précautions, car on n’est pas capable de mesurer le degré d’adhésion au culte de ladite
communauté. Il demeure que la communauté liturgique rassemblée à l’initiative de l’évêque
autour des lieux sacrés de la cité prend la relève de la communauté civique qui jusqu’au 5e
cimentait la cité antique autour d’autres lieux et pratiques sociales. Subsiste alors l’association
entre communauté et espaces urbains.
Cité et « honneur » épiscopal.
Depuis l’Antiquité tardive, les évêques exercent des fonctions publiques dans les cités, mais
l’époque carolingienne représente un tournant car les souverains choisissent d’intégrer les
évêques à leur service de manière systématique et centralisée en leur confiant de multiples
tâches et en exigeant d’eux des prestations substantielles jusque sur le pan militaire. La charge
d’évêque devient alors un honor et plus uniquement un ministère, avec ses responsabilités et
ses droits au regard de l’Eglise mais aussi de l’Etat. Cette intégration de l’honneur épiscopal
aux structures de gouvernement explique le nouvel intérêt soutenu et entretenu par une
idéologie royale soucieuse de renouer avec le prestige de l’ancienne Rome. Cela se voit car
les souverains veulent faire coïncider la nouvelle carte des charges comtales avec la carte des
cités. L’évêché-cité devient alors le pivot d’une économie des pouvoirs à l’échelle régionale.
Cela explique l’importance et la rivalité dans le contrôle des sièges épiscopaux à partir du 9 e
siècle.
Les Carolingiens et les cités (8e -9e siècle)
Les carolingiens veulent restaurer la centralité des cités dans l’exercice du pouvoir, ce qui
passe d’abord par l’implantation de comtes nommés par le roi. Cette politique s’accompagne
d’une reprise en main des évêques. De Charles Martel à Charlemagne, on démantèle les
républiques épiscopales apparues au 7e. Ce n’est qu’une fois la domination acquise que les
rois cherchent à s’appuyer sur les évêques et à les intégrer au système de gouvernement en les
faisant collaborateurs des comtes. Les Carolingiens tiennent les évêques pour des agents du
comte et les garants de l’ordre civil et religieux. Leur position s’améliore donc : beaucoup
acquièrent des diplômes d’immunité ce qui renforce leur puissance seigneuriale. A l’échelle
locale, les situations sont très diverses. Si les cités furent revitalisées par le volontarisme des
Carolingiens, le phénomène repose autant sinon plus sur les évêques que sur les comtes.
Au cœur des stratégies aristocratiques (10e -11e siècle)
Dans le contexte d’effondrement de l’Empire carolingien, le contrôle des honneurs
épiscopaux revêt un enjeu considérable, car ils sont un moyen d’accéder à des ressources
privilégiées, de contrôler des réseaux et d’assoir une légitimité. Dans ce cadre, la restauration
du rôle politique des cités amorcée sous les carolingiens se poursuit, mais les équilibres
antérieurs se modifient car les grands qui parviennent à placer des évêchés sous leur coupe
font beaucoup plus sentir leur tutelle.
L’emprise sur les sièges
En Provence, les cités, qui pour la plupart ne sont pas de véritables villes mais de simples
bourgs, demeurent des centres de pouvoir et les lieux de résidence privilégiés des grands en
dépit d’une intense floraison castrale. Aux 10e et 11e, l’emprise comtale ou seigneuriale sur les
cités et les sièges épiscopaux se rencontre fréquemment et sert de fondement à la construction
des dominations aristocratiques.
Provinces, Empires et principautés
Malgré la reprise du système provincial romain, la cohésion des provinces ecclésiastiques et
l’autorité des métropolitains restent fragiles et s’évanouissent au 7e. l’instabilité politique et
les rivalités entre métropoles provoquaient de fréquents transferts de siège d’une obédience à
l’autre. Les Carolingiens s’efforcent de reconstituer les provinces ecclésiastiques et de
restaurer l’autorité des métropolitains : leur légitimité est accrue par le renouveau du rite de
l’obtention du pallium de la main du pape. De plus, l’empereur s’efforce de régler les conflits
d’obédience qui peuvent exister entre diocèses et rétablit plusieurs métropoles antiques,
comme Embrun. L’Empire carolingien à la mort de Charlemagne se présente comme un
ensemble de provinces mais, en tant qu’empire chrétien, il s’agit avant tout de provinces
ecclésiastiques.
A la fin du 9e, ce programme reste inabouti et l’autorité des archevêques pâtit fortement de la
disparition de l’Empire. Les traditions d’autonomie d’une partie de l’épiscopat reprennent le
dessus : la carte des provinces est instable. Néanmoins, le modèle romain des provinces
ecclésiastiques carolingienne joue le rôle de modèle de deux manières : d’abord, la province
semble avoir parfois dessiné l’horizon de l’expansion princière. Mais plus souvent, le prince
cherche à doter sa principauté d’une métropole qui lui aurait permis, en conservant
l’archevêché sous tutelle, de mieux contrôler l’ensemble des évêques.
La cité-forteresse
La cité revêt un autre intérêt, celui d’être une forteresse majeure. Entre 860 et 950, cet intérêt
est renforcé par le contexte des agressions extérieures, qui ne s’atténuent qu’à la fin du 10 e
siècle. Néanmoins, la fortification des cités se poursuit bien après la disparition de la menace
extérieure. Le rôle des évêques dans la défense des cités varie énormément d’une cité à
l’autre : on peut assister à une certaine militarisation de la fonction épiscopale.
Quoiqu’il en soit, même si l’évêque en est à l’origine, la fortification des cités a surtout pour
effet de renforcer la présence aristocratique laïque en ville, ce qui amoindrie l’emprise direct
de l’évêque sur la cité.
Le modèle épiscopal du pouvoir princier
Conclusion : la cité occupe une place centrale dans l’économique du pouvoir épiscopal,
centralité qui apparait d’abord comme un héritage de l’Antiquité tardive et le produit d’une
idéologie qui fait avant tout de la cité une ville sainte où se déploient les liturgies épiscopales.
Cette centralité découle par ailleurs de l’évolution de la société qui voit les élites et les
pouvoirs laïques abandonner la plupart des cités à l’évêque, qui est le seul puissant à
continuer d’y résider régulièrement et à en assurer la survie matérielle au 7e et 8e. La
préservation de cette centralité tant symbolique que matérielle dépend toutefois du maintien
du statut urbain de la cité, même à un niveau très réduit. Dans les régions où toute vie urbaine
disparait, la centralité des anciens chefs-lieux a été diminuée jusqu’à conduire au
déclassement de certains et de susciter l’émergence de nouveaux sièges dans de simples
agglomérations rurales.
Un tournant se dessine au 9e : le regain d’intérêt pour les cités de la part des carolingiens puis
des pouvoirs féodaux restaure un part de leur centralité, surtout en matière militaire : mais ce
regain peut à terme affaiblir l’emprise territoriale de l’évêque en profitant plus aux pouvoirs
laïques. Certains évêques y échappent en empêchant l’enracinement d’une dynastie comtale
ou en s’appropriant l’essentiel des droits publics

Chapitre 2 : Au-delà de la cité (5e-11e siècle)


Le lien privilégié unissant l’évêque à sa cité a d’importantes répercussions sur l’emprise que
l’évêque entend exercer sur les campagnes qui sont subordonnées à la cité. Dans les discours,
la situation semble claire : le diocèse est polarisé par la cité, centre autour duquel l’espace
rural s’organise de manière hiérarchique en cercles successifs au fur et à mesure que l’on s’en
éloigne. Le diocèse est donc régi par une triple logique de polarisation, hiérarchisation et de
continuité spatiale. Dès l’époque carolingienne, il s’agit cependant d’une représentation idéale
héritée du monde antique, qui occulte le caractère fragile, fluctuant et discontinu de l’emprise
épiscopale sur l’espace dès lors qu’on s’éloigne de la cité et de ses environs. Au 6 e, la civitas à
l’antique apparait encore comme le cadre privilégié de l’organisation et de la représentation
des pouvoirs. Changement d’échelle car ce rôle était assuré par les provinces sous l’Empire
romain. On a également une promotion de la fonction épiscopale dans la société et dans
l’économie politique. Mais au 9e, cette primauté de la civitas n’est plus évidente : les partages
royaux deviennent plus complexes et combinent cités, pays et abbayes, recourent aux
frontières naturelles et traduisent en définitive la primauté des honneurs sur les territoires.
Dans ce contexte, c’est le contrôle de l’évêché qui importe, bien plus que celui de la civitas.
Une telle évolution témoigne bien sur de la transformation globale des structures de pouvoir,
mais révèle aussi une perte de cohésion territoriale de la civitas antique.
D’un monde à l’autre
Les mots pour le dire
Au 4e siècle, la parochia désigne l’ensemble de la communauté des fidèles soumise à l’évêque
dans la cité et les campagnes environnantes. Mais au Moyen-Age, ce sens glisse pour désigner
le lieu où s’exerce cette charge, ou l’espace où réside la communauté. Jusqu’au 12 e, évoquer
la paroisse d’un évêque revient à nommer son diocèse. Cependant, deux termes désignent plus
spécifiquement l’espace rural associé à la cité : territorium et pagus. Le territorium renvoie à
l’espace rural soumis au chef-lieu de la cité. Il est très employé à l’époque carolingienne. Le
terme de pagus se substitue peu à peu au territorium, son usage ne se répandant qu’à partir du
8e siècle. Si le pagus a pu dans certains cas surtout méridionaux désigner l’espace rural de la
parochia épiscopale, il recouvre en fait des situations très diverses, rarement réductibles aux
seules réalités ecclésiales. Le terme diocèse vient du grec et est attesté dès l’Antiquité. Il
garde le sens grec de gouvernement et désigne d’abord une vaste circonscription civile qui
regroupe plusieurs provinces sous l’autorité d’un vicaire. Un deuxième sens l’associe à un
groupe d’églises baptismales réunies par une certaine proximité topographique.
En définitive, aucun terme ne désigne de manière exclusive et univoque l’espace du diocèse :
l’instabilité du vocabulaire suggère que durant longtemps le pouvoir de l’évêque ne se décline
pas prioritairement sur un mode territorial.
L’affaiblissement du principe territorial
Les fondements de l’autorité en question  : territoire, rites et lien personnel
Entre le 4e et 6e siècle, les élites ecclésiastiques prennent leur distance avec la territorialité
administrative et juridique romaine. Nait alors un conflit entre fondement territorial et
fondement personnel de l’autorité. En effet, la logique territoriale traditionnelle se heurte à
des comportements alternatifs et rencontre de sérieuses résistances dès les 5e siècle. L’écart
entre la norme et la pratique peut se révéler important. Les comtes cherchent à imposer leur
autorité au clergé. En même temps, l’attachement du clergé au principe territorial s’affaiblit,
ce que montre le fait que le terme diocèse définissent bien souvent la communauté des fidèles
et non le lieu d’exercice de la charge.
Un révélateur : le conflit entre Sienne et Arezo
Ce conflit témoigne de l’affaiblissement du lien territorial. Il montre qu’au 8e siècle en Italie,
on ne cherche plus, pour régler les conflits de compétence entre évêques, à s’appuyer sur la
connaissance des anciennes limites de la cité, mais on recoure à l’ensemble des liens
sacramentels et rituels qui unissent un évêque à des clercs et à des autels. Cela s’explique par
l’affaiblissement du principe de territorialité du droit au profit de principes qui mêlent droit du
sol, appartenance ethnique et compromis politiques ; mais aussi par la déterritorialisation des
pouvoirs civils, royaux et aristocratiques qui délassent les structures administratives de l’Etat
romain au profit d’une série de lieux centraux et de réseaux impersonnels soutenus par la
parenté, l’amitié et la vassalité.
Le volontarisme carolingien
Dès le 8e siècle, les souverains carolingiens puis une partie du corps épiscopale prennent des
mesures volontaristes pour renforcer l’unité diocésaine. Volonté de revenir aux sources de
l’Empire romain chrétien : le vocabulaire antique du territoire refait alors surface. Mais à
l’échelle locale, les territoires civils ne sont pas superposables à nos circonscriptions
modernes : sont plutôt des mouvances soumises à des ajustement réguliers dont l’assise
spatiale repose sur des points de contrôle forts. Les pratiques épiscopales doivent avant tout
gérer l’héritage de la dissolution territoriale des anciennes cités : le volontarisme carolingien
porte donc presque exclusivement sur le contrôle du clergé et des églises.
Le contrôle des prêtres
On cherche à resserrer l’emprise des évêques sur les prêtres. Ils ne peuvent célébrer la messe
ans autorisation de l’évêque et doivent venir le trouver pour chercher le saint chrême. Seul
l’évêque peut administrer la confirmation. Début 9e, certains évêques s’inspirent du modèle
royal et composent des règlements pour les prêtres de leurs diocèses : capitulaires épiscopaux.
Ces textes étendent les prérogatives judiciaires de l’évêque et témoignent du volontarisme qui
anime les cercles épiscopaux les plus proches de la cour. Ce contrôle et cette stabilité devaient
garantir et encourager le bon évêque en resserrant les liens personnels, sacramentels et
sociaux qui l’unissaient aux clercs de son diocèse.
Conflits de limite
On ne cherche pas à définir une limite territoriale en soi, mais à se répartir les lieux de culte.
Le partage qui met fin aux différends ne tient pas compte de la géographie civile franque ou
antique. En définitive, le volontarisme carolingien n’entend pas restaurer la territorialité des
anciennes civitates, mais affirmer l’autorité de l’évêque sur les hommes et les lieux qui font la
parochia épiscopale. Sa force tient à la légitimité et aux moyens supérieurs dont disposent les
évêques, qu’ils tirent eux-mêmes de l’appui des souverains carolingiens.
Pratiques épiscopales de l’espace
Sous les carolingiens, les évêques expérimentent de nombreuses pratiques ayant pour but
d’intensifier les liens personnels entre évêque, églises et prêtres. Ces liens, directs ou
indirects, reposent toujours sur la mobilité des hommes : les relations et le contrôle s’exercent
de près. Mais la mobilité étant réduite, cette contrainte peut s’avérer être une faiblesse, qui
explique la fragilité de l’emprise épiscopale sur l’espace.
Parcourir  : déplacements, circuits et visites
Le déplacement des prêtres à la cité
L’étude montre que les textes législatifs carolingiens prennent acte de l’opposition entre une
zone proche (dans un rayon de 5 à 6 milles autour de la ville), qui évolue en relation étroite
avec la cité, et le reste du diocèse, où l’emprise épiscopale est plus lâche, plus épisodique et
plus dépendante de différentes formes de délégation.
Les déplacements liés aux rituels liturgiques
Certains rituels liturgiques permettent d’assurer une unité de la communauté diocésaine. Si les
prêtres ruraux se déplacent peu vers la cité pour des activités liturgiques, l’évêque effectue de
son côté certains rituels dans les campagnes, comme la consécration des autels et des églises.
Concrètement, le lien que chacune de ces communautés entretient avec l’évêque permet à
celui-ci d’étendre la protection des saints à l’ensemble de sa parochia. Le diocèse est alors
conçu non pas comme un territoire, ni même comme l’ensemble des principaux lieux de culte,
mais comme une collection de sanctuaires à reliques que l’évêque tente de mettre au service
de son autorité. Il faut noter que ce genre de cérémonie est rare et tend à se resserrer autour de
la figure de l’évêque.
La visite épiscopale
L’obligation canonique d’une visite annuelle apparait assez tard, dans le royaume
wisigothique vers le 6e. le but est d’enseigner et de corriger les prêtres et les fidèles, puis de
dresser un état des lieux de l’édifice ecclésial et de son mobilier liturgique. L’évêque en
profite pour dispenser les serments dont il a le monopole. Dans ce cadre, la promotion de la
visite épiscopale par la législation carolingienne peut constituer une réponse à la disparition
des véritables rituels liturgiques unissant les cités aux campagnes. Le diocèse est alors conçu
comme une simple extension de la cité. A partir du 9e siècle, la visite est investie d’un rôle
majeur dans la construction et la préservation de l’unité de la parochia épiscopale, ce qui ne
veut pa dire que l’action est effective sur le terrain. Le fait de dispenser la confirmation n’est
pas une obligation si impérative que le laissent penser les sources canoniques : jusqu’au 7e, il
y a beaucoup d’exceptions en faveur des prêtres locaux. De plus, les fidèles ne jugent pas ce
sacrement indispensable car ils n’en comprennent souvent pas le sens : il n’est donc pas vécu
sur le mode de l’urgence et de la régularité propre au baptême. Enfin, la visite épiscopale doit
permettre à l’évêque de défendre les faibles face aux juges et comtes : la visite permet en fait
avant tout à l’évêque de manifester sa puissance par la somme de ses dépenses fastueuses
pour les églises : occasion en or de manifester son pouvoir en dehors de la cité.
Rassembler  : les synodes diocésains
Le terme de synode peut désigner toute sorte d’assemblée. Les plus connus sont les synodes
diocésains, que les carolingiens tentent d’organiser et de généraliser, même s’ils restent assez
marginaux. Une petite évolution se voit à la fin du 10e, où on a une petite augmentation du
nombre de synodes. Leur fréquentation par les prêtres ruraux est faible, d’abord pour des
raisons matérielles, mais aussi parce que ces assemblées se transforment dès le 9e en cours de
justice, favorisant le développement du pouvoir juridictionnel de l’évêque mais limitant
l’intérêt des assemblées aux seules personnes impliquées dans un litige. Le synode permet
dont avant tout à l’évêque de manifester son pouvoir de juge, de rassembler ses fidèles et d’en
imposer au comte : mais rôle minoritaire dans la formation d’une communauté diocésaine.
Encadrer  : les agents intermédiaires
Les évêques sont assistés dans leur gouvernement par des clercs (archidiacre et chorévêque).
Dans le cadre de la hiérarchisation croissante des fonctions ecclésiastique, la fonction de
chorévêque disparait dans l’ouest carolingien à la fin du 9e. Le principal auxiliaire de l’évêque
est donc l’archidiacre. Leur multiplication s’explique par l’importance donnée par les
carolingiens à la visite pastorale : intensification des visites plutôt que signe de la
territorialisation du diocèse. La fonction d’archiprêtre, elle, ne semble pas attachée à une
église particulière, mais attribuée sur critère personnel. Au 9e, une nouvelle figure les
concurrence : le doyen, dont la création vise sans doute à reprendre en main le clergé rural en
mep une nouvelle structure plus centralisée et en écartant les responsables locaux trop
enracinés dans leur environnement.
Inventorier  : les listes d’églises
Le recours à l’écrit
Quelle connaissance l’évêque peut-il avoir de sa paroisse ? Cette connaissance se fait d’abord
par la transmission d’un savoir vivant appuyé sur les chanoines, premiers gestionnaires de la
paroisse épiscopale. Mais l’écrit a aussi joué un fort rôle, surtout à partir de l’époque
carolingienne, dans l’appréhension théorique du diocèse voire dans la gestion concrète du
gouvernement épiscopal. Mais le recours à l’écrit ne doit pas être exagéré.
La technique de la liste
Etude des listes d’églises montre que le but des rédacteurs des Actes est d’enraciner le
maillage ecclésial de l’évêché dans le temps lointain et prestigieux des origines du siège et
d’en attribuer la constitution progressive aux seuls évêques.
Seigneurie épiscopale et « paroisse de l’évêque »
La propriété seigneuriale a toujours constitué un obstacle latent à l’autorité ecclésiastique de
l’évêque du lieu. Les évêques ont donc deux stratégies : certains s’efforcent de pénétrer sur
les domaines par tous les moyens pour y maintenir leur autorité sur les prêtres et les églises.
Par défaut, les évêques s’appuient souvent sur leur propre seigneurie, grâce à laquelle ils
pouvaient plus facilement contrôler un certain nombre d’églises et leurs desservants.
Les domaines de l’évêque
On trouve fréquemment la combinaison d’un patrimoine ecclésial concentré aux abords d’une
cité et de quelques possessions lointaines. Au sein de la paroisse épiscopale, une ou deux
seigneuries rurales disposent souvent d’un statut particulier sur le plan symbolique et matériel.
On voit par cette étude qu’à l’époque carolingienne, les évêques ne résident pas de manière
exclusive dans leur cité : la plupart disposent dans leur parochia de quelques lieux de
résidence et seigneurie privilégiée complémentaire à la cité. Les possessions éloignées sont
souvent dues à la politique redistributrice des carolingiens. Tout dépend en fait de la relation
tissée entre l’évêque et les puissants et de leur intégration ou non aux réseaux de clientèle de
l’évêque. Les seigneurs les plus dangereux sont alors ceux qui peuvent se prévaloir d’une
autorité ecclésiastique indépendante de l’évêque du lieu.
Les monastères épiscopaux
Dès le 7e, multiplication dans les campagnes des communautés monastiques et des
expériences érémitiques. Certaines communautés sont fondées par des évêques, d’autres par le
roi ou par des grands laïcs. Le contrôle des communautés apparait vite pour l’évêque comme
un moyen de d’assurer son emprise dans les confins disputés par les évêques voisins. D’une
part, faire de l’évêque le gardien des principaux lieux saints de sa parochia, et de se garantir
par délégation les droits du siège dans des lieux stratégiques ou appelés à le devenir. Les
abbayes épiscopales sont donc un fort relai de son autorité.
Conclusion : au HMA, en dépit du sursaut carolingien, le principe antique d’assignation
territoriale des populations s’efface. La paroisse épiscopale apparait de plus en plus comme
un conglomérat mouvant de personnes et de lieux soumis à l’autorité plus ou moins effective
de l’évêque. L’emprise spatiale du pouvoir épiscopal repose donc sur la capacité de l’évêque à
contrôler les prêtres et à maintenir son autorité sur les lieux de culte. En l’absence d’appareil
administratif et de personnel auxiliaire suffisamment nombreux, l’évêque recourt à des
pratiques socio-spatiales comme les assemblées, les rituels liturgiques, les visites, proches de
celles mises en place par les rois pour contrôler leurs fidèles. Ils s’appuient également comme
les rois de manière privilégiée sur les domaines et abbayes qu’ils contrôlent le mieux parce
qu’appartenant à leur seigneurie. La domination épiscopale est donc plus personnelle que
territoriale, plus seigneuriale qu’administrative. Ces caractères sont accentués par deux
facteurs : d’abord, l’intégration croissante des honneurs épiscopaux aux stratégies de pouvoir
des élites aristocratiques : d’autre part, la concurrence des évêques voisins, des puissants laïcs
qui contestent et s’approprient les prérogatives de l’évêque. L’emprise de l’évêque sur sa
parochia reste donc fragile.

Chapitre 3 : La « paroisse » de l’évêque : un espace plastique (5e-11e siècle)


Introduction : le conglomérat de personnes et de lieux sur lesquels s’exerce pleinement
l’autorité épiscopale durant les siècles du HMA dessine une sorte de nébuleuse ou d’archipel.
La configuration de ct archipel varie au fil des siècles tout en se concentrant dans un
périmètre réduit, laissant émerger à sa périphérie des zones de marge ou de confins dans
l’ampleur fluctue. Le diocèse circonscrit de manière précise et continue est donc un horizon
théorique, très éloigné des réalités sociales et ecclésiales médiévales. En réalité, la paroisse de
l’évêque correspond à un espace plastique au sein duquel l’emprise épiscopale peut fortement
varier en intensité.
Une histoire d’infidélité : cité romaine et diocèse médiéval
La thèse de la continuité…
On a longtemps vu les diocèses comme héritiers directs des civitates romaines : l’Eglise
comme institution aurait donc été dans la continuité territoriale romaine, tant de manière
pratique qu’idéologique.
De Benjamin Guérard à Camille Jullian
Au 19e siècle, on construit l’histoire d’un fort lien entre la géographie historique, la
construction du territoire national et le principe monarchique, notamment avec les travaux de
Benjamin Guérard : thèse de la continuité des structures dominantes de l’organisation
territoriale et de la puissance des effets d’institution. Cette conception se cristallise avec le
renfort de l’école méthodique, notamment sou l’égide de Camile Jullian. Enfin, le désintérêt
des Annales pour cette question trop institutionnelles explique qu’une telle conception
s’installe durablement dans l’historiographie française, sans contradiction.
Une méthode de reconstitution
En 1981, la thèse de Michel Aubrun remet quelque peu en question cette conception
géographique de la paroisse. Mais il reprend une argumentation et une méthode directement
hérité de Jullian, s’appuyant sur la conception de la tradition qui voit dans l’adéquation des
territoires administratifs et religieux au cadre de vie des populations l’origine de leur longue
durée.
… et ses failles
Les partisans de la thèse de la continuité territoriale ne s’interrogent pas sur l’historicité-
même de la notion de territoire, ni sur l’évolution du rapport des sociétés à leur espace. La
thèse de la continuité fait donc l’économie de toute réflexion sur l’exercice/les usages du
territoire, voire la notion d’habiter.
Le territoire et son usage : juridiction
Pour l’Etat impérial romain, le sens de la civitas est avant tout fiscal voire judiciaire. L’Eglise
en général s’en distingue, même si elle assume certaines fonctions de ce domaine. D’abord
parce que les fonctions eurent tendance à se rétracter sur la ville elle-même et ses proches
environs. L’exercice de prérogatives ecclésiastiques spécifiques aurait pu prolonger sous de
nouvelles formes au profit de l’évêque, celui des anciennes prérogatives des magistrats de cité
sur leur territoire : mais nous avons vu que ce n’est en fait pas possible au vu de la faible
emprise su contrôle épiscopal sur les desservants et lieux de cultes dès les 6e et 7e siècles.
Le territoire et son usage : fiscalité
Les évêques ne perpétuèrent pas le système de fiscalité directe de l’Empire tardif qui repose
sur la domination du chef-lieu sur son territoire. Le rupture du consensus entre pouvoir central
et élites locales (dont les évêques) joue un rôle décisif dans cette évolution. Si dès les 5 e
siècle, les évêques reprennent à leur compte la fonction régulatrice des curies romaines, deux
évolutions modifient la perception de l’impôt : d’abord, les rois francs ne recourent pas aux
évêques pour effectuer la levée de l’impôt. Ensuite, les évêques prennent plus à cœur la
défense de l’intérêt de la communauté citadine et plus encore de leur Eglise que dépens de
celui du roi. Les évêques sont donc hostiles au maintien de la fiscalité directe de l’Etat. Aucun
impôt épiscopal pesant sur l’ensemble du territoire ne vient se substituer à la fiscalité romaine.
A partir de l’époque carolingienne, de nouvelles redevances épiscopales liées aux visites ou
synodes sont levées sur certaines églises, mais cela reste sporadique jusqu’au 11e.
La question de la dîme
Les Carolingiens rendent le versement de la dîme obligatoire, son assiette portant sur les
productions agricoles et le croît de l’élevage. Authentique fiscalité de la dîme : caractère
obligatoire, définitif et universel+ le fait qu’elle bénéficie à une institution publique (l’Eglise)
intégrée à l’Etat+ l’absence de contrepartie immédiate pour le contributeur. Le versement se
fait à l’Eglise où se font baptiser les enfants du foyer. Mais il semble pour autant qu’on ne
peut pas y voir une nouvelle fiscalité épiscopale. L’évêque doit veiller au versement de la
dîme par les fidèles, garantir son affectation à la bonne église et donner son accord pour tout
transfert éventuel. C’est un bien ecclésiastique, qui relève donc de la juridiction épiscopale :
mais la part épiscopale du prélèvement de la dîme n’est en réalité pas effectuée, due à
l’incapacité matérielle de collecter cette part. les modalités de perception de la dîme l’éloigne
d’une fiscalité propre : elle est dès Charlemagne levée dans le cadre des domaines par les
seigneurs-mêmes, qui la reversent ensuite à l’église paroissiale. Cela entraine la fragmentation
de l’unité théorique de la paroisse en autant d’aires de perception qu’il y a de domaines. De
plus, étant intégrée dans le paiement paysan aux prélèvements seigneuriaux, elle favorise la
seigneurialisation ainsi que sa division et sa redistribution. Ainsi, la dîme instaurée par les
carolingiens ne peut être tenue pour une fiscalité épiscopale et n’a pas pu favoriser la cohésion
territoriale du diocèse, ni même celle des paroisses baptismales : mais elle contribue à élargir
le champ des compétences juridictionnelles de l’évêque en lui donnant l’occasion d’intervenir
dans les affaires des clercs. L’évêque du HMA n’a pas les mêmes pratiques de l’espace que
l’administrateur romain, mais n’a pas non plus le même besoin de territoire que l’Etat romain.
Ainsi, la thèse de la continuité territoriale repose implicitement sur un postulat niant le fait
que toute structure institutionnelle dépend de la société qui la génère, la perpétue, la
transforme ou la délaisse.
La discordance des limites
On trouve des discordances entre les limites des cités antiques et les limites diocésaines du
HMA. On relève donc la fragilité des arguments reposant sur la toponymie et sur l’étude
appuyée des frontières.
La territorialité des cités romaines en question
La cité romaine est une entité territoriale pourvue de limites et organisé autour d’un centre. Le
territoire de la cité faisait donc l’objet de tournées pour vérifier l’état des limites et des
bornages, au sens à la fois administratif et religieux. Le territoire obtenu était avant tout
l’espace de projection de différents pouvoirs. Sous l’Empire, la principale raison d’exister
d’un territoire est fiscale. Mais certaines nuances à apporter : tout l’espace rural romain ne fut
pas précisément quadrillé. Les zones de lotissement des assignations foncières des vétérans
pouvaient se recouper entre elles. Enfin, grande ampleur des libertés prises par les habitants à
l’égard des limites théoriques de la cité. Donc par endroits, situations de co-spatialité qui
entraine une conflictualité entre communauté civique et communauté d’assignation. Ainsi, le
paradigme du territoire de la cité défini comme une limite linéaire stable ne constitue pas
l’héritage absolu par rapport auquel il conviendrait de situer l’évolution médiévale
postérieure. De plus montre que c’est avant tout la fiscalité qui justifiait le territoire, et
d’abord la fiscalité directe. L’effacement de ces pratiques au HMA ne peut qu’avoir des effets
dissolvants sur les territoires.
Entre héritage et remodelage
La discordance entre frontières anciennes et frontières épiscopale tient au fait que pendant
longtemps, il n’y a pas eu de délimitation précise entre les paroisses épiscopales mais des
périphéries mouvantes où s’exercent des influences concurrentes. Elles sont une preuve de la
fragilité de l’emprise des évêques sur leur diocèse. Ces périphéries commencent de manière
significative à nous être connues quand elles font l’objet de conflit, vers le 10 e. on a alors une
volonté affirmée des évêques de mieux définir les limites territoriales de leur autorité.
Des périphéries mouvantes
Le caractère indéterminé des confins diocésains se rencontre autant dans les régions bien
romanisées que dans les autres. Ces fluctuations ne concernent pas des espaces de déserts
humains comme des forêts, mais des espaces dynamiques peuplés et exploités depuis
longtemps. L’espace diocésain est en reconfiguration régulière car il n’est en définitive que la
somme des lieux de culte, églises et monastères contrôlés par l’évêque à un moment donné.
Etudes de cas
L’auteur développe 4 études de cas sur lesquelles nous n’allons pas nous attarder.
Compétition épiscopale et contrôle fragmentaire de l’espace
On remarque en miroir à la mauvaise maitrise des confins par l’évêque une sorte de
fragmentation au sein des zones qu’il contrôle le mieux. Beaucoup de maitres de lieux de
cultes ne veulent pas voir intervenir l’évêque dans la gestion seigneuriale des églises. Ces
maitres sont des laïcs ou des évêques voisins. En effet, un évêque peut parvenir à se substituer
à l’évêque local sur le plan sacramentel et juridictionnel, surtout lorsqu’il a obtenu une
immunité de la part du roi : indépendance à la fois spirituelle et seigneuriale, il est dangereux
pour l’évêque local. Cela entraine parfois des situations d’échange à l’amiable entre évêques.
Mais il faut pourtant reconnaitre la persistance dans la longue durée de l’indifférence des
évêques et des grands à l’égard de la continuité diocésaine. La où la seigneurie est forte, les
droits ecclésiastiques de l’évêque peuvent prospérer : mais pour un évêque, la fondation d’une
communauté cléricale ou monastique est l’un des meilleurs moyens d’enraciner ses droits en
un lieu aux dépens de l’évêque dont le siège est le plus proche
Sede vacante  : les risques des vacances épiscopales
La faiblesse de l’emprise épiscopale est aggravée par les périodes de vacance du siège qui
peuvent être longues et répétées. Ces situations ouvrent la voie aux évêques les plus proches
qui tentent d’élargir leur influence et leur implantation. Mais derrière l’accident de la vacance
épiscopale se profile toujours nettement le rôle déterminant joué par les dominations laïques
comtales ou seigneuriales.
Compétitions spatiales
Cujus dominus, ejus episcopatus  : l’unité du dominium laïque et ecclésiastique
Dans le contexte carolingien et postcarolingien où l’Ecclesia se confond de plus en plus avec
la société dans son ensemble, le premier facteur de fluctuation des emprises épiscopales réside
dans l’adhérence de la domination ecclésiastique à la domination civile ou laïque dès lors
qu’elle apparait dépositaire du pouvoir public. Le phénomène concerne d’abord les
dominations royales ; mais à la fin du 9e, dans le contexte de patrimonialisation des honneurs
et d’émergence des principautés régionales, le phénomène s’étend aux dominations comtales
ou vicomtales, et bientôt seigneuriales. Très liées aux enjeux seigneuriaux, les fondations
monastiques jouent un rôle important dans la fluctuation des zones éloignées des sièges :
logiques similaires qui peuvent être à double-sens : par exemple, au 7e, bcp de laïcs fondent
des monastères dans les zones périphériques pour les maintenir plus facilement hors de
l’emprise de l’évêque. L’implantation privilégiée des établissements monastiques en zones de
confins peut aussi bien découler de la faiblesse de l’emprise épiscopale que la perpétuer ou
l’aggraver.
Les «  libertés  » monastiques et la fabrique d’ilots extra-diocésains
L’emprise de l’évêque sur le diocèse est menacée par certaines communautés monastiques dès
lors qu’elles obtiennent des libertés qui leur permettent de se soustraire à son autorité.
Certains monastères arrivent dès le 10e à constituer de petites enclaves extra-diocésaines. Les
libertés monastiques s’exprimant toujours en termes de degré, leurs conséquences territoriales
se révèlent très variables, mais sont moins importantes que ne le relève l’historiographie. Le
premier niveau d’autonomie concerne les biens mobiliers et immobiliers des abbayes qu’on
soustrait à l’ordre seigneurial de l’évêque. Cette liberté n’a pas de conséquences sur la
soumission de la communauté à l’évêque. Le deuxième niveau d’autonomie limite les
prérogatives juridictionnelles et sacramentelles de l’évêque et interdit la levée des taxes et
offrandes qui y sont liées. Dans un contexte où la parochia se fait par lien directement tissé
par l’évêque avec les clercs, ces dispenses favorisent une véritable soustraction à l’autorité
épiscopale. Il faut du moins que ces libertés soient cumulées pour être vraiment
contraignantes, ce qui est loin d’être le cas en effectif. Troisième degré d’autonomie lorsque
les privilèges pontificaux procèdent explicitement à une véritable soustraction territoriale.
Ainsi, le principal facteur de dissolution du lien diocésain est la seigneurie exercée par une
autre institution ecclésiastique.
Conclusion : la cristallisation des pouvoirs épiscopaux et comtaux sur le chef-lieu antique
favorise en apparence le maintien de la structure territoriale de la cité antique. Mais de
nombreux facteurs jouent en sens inverse, d’abord en défaisant ce qui faisait la justification du
lien antique de domination, à savoir la fiscalité, mais aussi les vacances épiscopales et les
multiples reconfigurations administratives du 6e. D’autres facteurs jouent notamment la
relative indifférence de la pastorale pour les limites des cités antiques et un rapport à l’espace
fondé sur des liens personnels et non sur l’appartenance à un territoire communautaire. Tout
au long du HMA, le pouvoir épiscopal se développe de manière privilégiée dans un périmètre
qui correspond approximativement aux anciennes cités : mais l’action de l’évêque ne s’inscrit
pas dans une circonscription revendiquée. Les périphéries éloignées des cités présentent une
réelle plasticité. Une évolution apparait au 10e et se met au place au 11e : les conflits
d’interface deviennent plus fréquents : nouvel enjeu de stabiliser et de définir les zones
d’influence. L’arbitrage est difficile et la stabilité des limites n’est pas reconnue comme un
principe intangible.

Chapitre 4 : La fabrique du diocèse : genèse d’un territoire (10e-13e siècle)


A partir du 10e, territorialisation de plus en plus prononcée, par la définition explicite des
frontières linéaires du diocèse, qui demeure rare et partielle. Fin 11e, le pape revendique de
manière exclusive l’entière gestion de la géographie ecclésiastique : la définition des limites
diocésaines relève alors de sa seule autorité : une morphogénèse territoriale des diocèses se
produit à l’échelle locale dans le cadre de la territorialisation des paroisses. Dès le milieu du
11e, la réforme grégorienne entreprend de soustraire la fonction épiscopale à la tutelle des
rois : cela concerne la désignation des évêques et leur investiture, mais aussi l’episcopatus,
cad les droits et les biens liés à la charge épiscopale. Processus de définition, de distinction et
de séparation des sphères ecclésiastiques et laïques. La logique propre de la réforme et de
l’action de la papauté conduit à la restauration de l’autorité et du prestige de l’évêque. Cet
affermissement de son autorité et le renforcement de son gouvernement à l’échelle du diocèse
doivent beaucoup à la redéfinition de l’office épiscopal dès le 12e sous l’influence du droit
romano-canonique. On mep une distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction : la
principale évolution concerne le sens et l’exercice de la juridiction : le sens traditionnel,
pouvoir de juger, perdure : mais conception plus large se mep : pouvoir de gouverner, pouvoir
dont la nature territoriale ne cesse d’être soulignée dès les années 1170. Ainsi, en termes de
juridiction, le pouvoir de l’évêque tend à s’imposer sur le terrain avec de plus en plus de
vigueur.
Le contrôle des lieux et des hommes : la territorialisation de la juridiction épiscopale
L’acquisition des églises  : transferts et rituels
Le mouvement de donation engagé dès le 11e profite surtout aux grands établissements
bénédictins. Le fort volume de transfert explique qu’en 1200, évêques et chapitres ne
possèdent qu’une faible part des églises paroissiale de leur diocèse : mais on ne doit pas
occulter un phénomène qui augmente le nombre de lieux de cultes en possession de l’évêque
et conduit certains prélats à mener une politique d’acquisition à l’échelle du diocèse et non de
leur seigneurie. Forte emprise du siège épiscopal sur les églises paroissiales, car les donations
leur profitent d’avantage qu’aux grands monastères. Les chanoines ont un rôle majeur : si les
donations leur sont faites dans un but ecclésiologique (ils sont défenseurs de l’Eglise-mère), il
y a aussi des raisons pratiques : ils peuvent mener une vraie politique patrimoniale plus
efficace que l’évêque car ont plus de moyens humains. Début 13e, évêques et chapitres
possèdent donc beaucoup d’églises et ont donc une forte emprise sur le clergé diocésain. Le
phénomène des restitutions constitue alors un aspect fondamental de l’investissement
épiscopal du diocèse.
La médiation épiscopale
Le problème principal des évêques reste celui de leur autorité sur les églises qu’ils ne
possèdent pas et surtout sur celles en possession des moines. Rôle crucial de la réforme
grégorienne : elle impose à tous les acteurs sociaux la nécessité de recourir à la médiation
épiscopale dans une transaction concernant un bien ecclésiastique.
Le contrôle des desservants
En étant intermédiaire des transactions, l’évêque peut influencer les donateurs mais surtout
imposer la reconnaissance des droits de son siège en matière de contrôle des desservants ou de
collecte des droits épiscopaux. Par-delà la bureaucratisation du mode de gouvernement
diocésain, l’évêque cherche à tisser un lien personnel avec les prêtres de son diocèse,
important car il y a une forte mobilité cléricale au 13e.
La généralisation des redevances épiscopales
Les évêques font reconnaitre de manière plus systématique la nécessité pour les églises
d’acquitter les redevances épiscopales. Elles sont de plusieurs sortes : dîmes, droits de
sépulture, taxe de réunion du synode diocésain et de la visite épiscopale. Les exemptions de
certaines abbayes permettent de rappeler que les évêques seuls sont légitimes de disposer de
ces redevances+ dénonciation de leur appropriation par certains seigneurs.
L’encadrement des «  libertés monastiques  »
La réforme grégorienne favorise à plus ou moins long terme la restauration du pouvoir
épiscopal et le développement de son assise territoriale : plusieurs outils des évêques pour
lutter contre les effets dissolvants territoriaux des libertés monastiques. Ils s’efforcent de
normaliser et règlementer les relations avec l’ensemble des monastères qui possèdent des
églises dans leur évêché, notamment par l’octroi de privilèges.
Termini ecclesie : la délimitation du territoire diocésain
Barrer l’espace du diocèse  : le marquage des confins
Confins= zone au contours fous et au statut fragile, à l’interface entre deux espaces : large part
des périphéries diocésaines. On a une compétition du contrôle des confins entre diocèses.
La fondation de sanctuaires de confins
Dans les campagnes, certains ensembles ecclésiaux manifestent par leur architecture leur
attachement à l’église-mère de la cité : « balisage rituel de l’espace », les confins sont des
instruments de l’emprise des cités sur les campagnes soumises. Certains confins font alors
l’objet d’un surinvestissement de la part de l’évêque pour enraciner son autorité et bloquer les
ambitions de ses voisins, par la récupération ou la fondation d’un lieu de culte établissant sa
relation de dépendance envers l’église-mère. Volonté donc de mettre en place des pôles de
stabilité dans les périphéries. Pour un évêque, la fondation d’un établissement monastique
présente plus d’intérêt que la simple dédicace du lieu de culte : prestige supérieur+ en
suscitant la naissance d’une nouvelle seigneurie, une telle fondation favorise la réorganisation
domaniale d’un espace clé, donnant force et longévité à un conglomérat de terres et de droits
attachés au nouvel établissement, qui pouvait alors favoriser l’expansion épiscopale par la
suite. Mais cela peut aussi susciter la réplique de l’évêque voisin : logique concurrentielle
entre évêques
Compétition épiscopale
L’emprise épiscopale sur une zone de confins repose in fine sur la capacité de l’évêque à
conserver l’établissement sous son autorité. si l’établissement allait sous le contrôle d’un
autre, l’évêque pouvait perdre le contrôle de toute la zone.
Délimiter l’espace du diocèse  : la morphogénèse locale
Conflits d’interface et délimitations épiscopales
Les premières délimitations linéaires de diocèses procèdent du règlement de conflits
d’interface entre évêques voisins : délimitation de diocèses limitrophes à partir du 11e.
La lente fabrique des limites paroissiales en périphérie de diocèse
La délimitation des zones disputées entre sièges voisins dans le cadre de conflits d’interface
ne concerne le plus souvent qu’une partie des contours de chaque diocèse. La définition
territoriale du diocèse résulte du lent processus de construction des limites paroissiales à
l’échelle locale, qui connait une phase décisive au 12e. Mais la définition de l’appartenance
des églises situées à l’interface de deux diocèses ne signifie pas pour autant l’existence
systématique d’une frontière, car les territoires paroissiaux dépendant de ces élises ne sont pas
eux-mêmes tous délimités. Au 12e, le processus de délimitation est partout bien engagé, et
s’appuie sur des éléments naturels pour créer des frontières paroissiales.
Délimiter l’espace du diocèse  : la morphogénèse globale
Un geste impérial (10e-début 11e siècle)
Certains diocèses font de manière exceptionnelle l’objet de délimitations complètes et
systématiques, surtout en Germanie et en Italie, à l’initiative des souverains ottoniens et
saliens. A la suite des Carolingiens, Otton 1er entreprend de fonder aux marges orientales de la
Germanie une série de sièges appelés à s’intégrer dans une nouvelle province ecclésiastique
dont la métropole fut fixée à Magdebourg en 967. De plus, les terres de mission des pays
slaves constituent au 10e et 11e un laboratoire de la morphogénèse diocésaine. Le principe de
linéarité l’emporte dans la définition des limites diocésaines, reposant essentiellement sur le
réseau hydrographique qui compartimente les plaines orientales. Les diplômes impériaux qui
délimitent les diocèses participent donc à la prérogative impériale sur l’institution ecclésiale
en général : depuis le 10e, le pape est soumis à l’empereur, même s’il est associé aux prises de
décisions.
L’extension et l’affirmation de la prérogative pontificale (milieu 11e-14e siècle)
A partir du 11e, contexte de réforme grégorienne et de rivalité qui les oppose aux empereurs,
les papes octroient à certains évêques des bulles de confirmation qui incluent la délimitation
de leur diocèse, qui ne sont jamais complètes. Hors d’Italie, l’intervention pontificale ne porte
toujours que sur une portion de diocèse et s’inscrit dans le cadre de conflits d’interfaces entre
voisins, ou de l’érection d’un nouveau siège. La délimitation s’appuie soit sur les cours d’eau,
soit sur les agglomérats de paroisses. Au 14e, la géographie ecclésiastique revendique une
totale indépendance à l’égard des structures territoriales civiles : les papes refusent
régulièrement d’ajuster la carte des sièges et provinces aux frontières des royaumes ou
principautés.
Circonscrire les anomalies  : la délimitation des enclaves
Les domaines qui échappent à l’évêque du lieu parc qu’appartenant à un autre évêque
deviennent de véritables enclaves clairement circonscrites par le processus de délimitation
paroissiale. Toutefois, pour qu’une enclave demeure dans la longue durée sous l’autorité de
l’évêque qui la possédait, celui-ci devait comme pour les sanctuaires de confins fonder son
droit sur le pouvoir de saints diocésains efficaces. Par certains côtés comme la prise en charge
des opérations par les clercs, l’attention à l’environnement physique et humain, le caractère
intangible de la limite, ces délimitations diocésaines se rapprochent des délimitations
d’immunité et d’aire sacrée effectuées à la même époque. ces délimitations opèrent des
séparations dans l’espace conditionnant le statut des personnes et des droits qui se trouvent
inclus dans l’aire sacrée : elles distinguent certains lieux et territoires, les mettent à l’écart du
reste du monde en raison d’une plus grande proximité avec le sacré, et dessinent des espaces
hors espaces. Leur objet n’est pas de singulariser des espaces mais de pourvoir tout l’espace
d’une trame universelle, en assignant tous les fidèles à un territoire ecclésiastique particulier.
Le principe d’assignation territoriale des fidèles est affirmé avec force par Latran IV en 1215.
Les limites diocésaines sont donc peu à peu dessinées à l’occasion de conflit d’interface entre
évêques voisins et communautés paroissiales. Mettre un terme à ces conflits passe alors par la
production et l’officialisation de frontières précises inscrites dans l’espace.
Identité, mémoire et territoire
Clarification terminologique et identité ecclésiale
L’évolution terminologique témoigne, dès la fin du 11e, de la singularité croissante de
l’espace diocésain, cad de l’affirmation de son identité proprement ecclésiastique : les termes
episcopatus et diocesis s’imposent pour définir l’espace diocésain, effaçant l’emploi de
parochia. Episcopatus conserve le sens de dignité, de siège épiscopal, surtout pour évoquer
l’ascension ou la succession. Diocesis désigne alors l’ensemble du territoire diocésain.
L’évolution se fait à des rythmes différents selon les régions, et elle est confortée par la
papauté via des bulles de confirmations délivrées aux établissements monastiques.
L’invention des traditions et le modèle impérial
Les conflits jouent un rôle décisif dans la fabrique du territoire diocésain, et produisent la
limite en l’officialisant. Dans un contexte où l’autorité du passé reste indispensable à la
justification du présent, ils déclenchent un considérable travail de mémoire. L’assise
territoriale du diocèse se retrouve alors enracinée dans une histoire souvent imaginaire mais
appelée à faire autorité pour de longs siècles.
L’auteur décrit ensuite les traditions élaborées successivement dans Le Saint Empire (origines
médiévales), en Gaule Italie, Espagne (origines antiques)
Conclusion : la fin du 11e et le 12e constituent un tournant majeur dans l’histoire du rapport
de l’Eglise à l’espace. D’abord, c’est le moment où l’institution ecclésiale s’extrait de façon
définitive des structures territoriales civiles et se dote d’une territorialité propre. Ensuite,
l’évêque investit l’espace en resserrant de manière décisive son emprise sur les lieux de culte,
prélude au contrôle croissant des desservants. Ce phénomène a de grands enjeux territoriaux :
droits du siège mieux répartis dans l’espace, influence de l’évêque plus importante que celle
de la seigneurie cathédrale. Enfin, les diocèses commencent à être envisagés comme de vrais
territoires, dotés de limites linéaires précises ou tenues pour telles et que l’on explicite en cas
de conflit de voisinage. Cette délimitation participe au travail d’appropriation de l’espace par
l’évêque, mais témoigne aussi d’une insertion de l’Eglise dans l’espace différente et inédite en
regard du HMA : ‘insertion n’est plus seulement fondée sur le contrôle des lieux sacrés
privilégiés ou sur le tissage de liens personnels, mais appréhende aussi l’espace du diocèse
comme une étendue bornée sur laquelle doit pleinement s’exercer la juridiction de l’évêque et
qu’il va falloir organiser territorialement pour mieux la dominer.

Chapitre 5 : l’Eglise institution territoriale (7e-début 14e siècle)


Introduction : la fabrique territoriale du diocèse se nourrit de la transformation des pratiques
épiscopales de l’espace, qui acquièrent une régularité et une ampleur inédite, tout en
endossant de nouvelles fonctions aptes à renforcer la cohésion sociale et spatiale du diocèse.
Apparaissent de nouvelles pratiques fondées sur une appréhension résolument territoriale de
l’espace. Tout d’abord, la formation d’un maillage administratif du territoire permet à
l’évêque d’exercer par délégation et dans un cadre hiérarchique pérenne un gouvernement
rapproché des paroisses, surtout en matière juridictionnelle. Ensuite, la fidélité épiscopale se
déploie sur une vaste échelle et finit par toucher l’ensemble des lieux de culte et des paroisses
du diocèse. Le principal enjeu de cette extension est moins matériel qu’ecclésiologique et
territoriale : l’évêque veut faire reconnaitre son autorité supérieure, sa souveraineté ecclésiale
sur tous les desservants. Cette transformation des pratiques épiscopales de l’espace engage le
gouvernement diocésain sur les voies d’une bureaucratisation croissante, qui confère au
gouvernement local de l’Eglise une dimension plus institutionnelle à l’unisson du
gouvernement central de la papauté.
Un nouveau mode de gouvernement
Formation d’un maillage territorial
Milieu 11e, subdivision de diocèses en circonscriptions subalternes comme les archidiaconés
ou les archiprêtrés. Cela contribue au renforcement du contrôle épiscopal sur les églises et les
desservants (réforme grégorienne), mais manifeste aussi l’émergence d’un nouveau rapport à
l’espace du diocèse, non plus considéré comme un conglomérat de lieux et d’itinéraires
subordonnés à une pratique liturgique, mais comme un maillage territorial de cellules
hiérarchisées et emboitées les unes aux autres : conception proto-administrative de
l’encadrement des fidèles.
La subdivision du diocèse : archidiaconés, doyennés et archiprêtrés.
La rivalité aux confins des diocèses favorise les innovations institutionnelles. Les archidiacres
en charge des zones périphériques fragiles avaient pour fonction de défendre les droits du
siège et d’enraciner la région concernée au sein du diocèse. Ces premières expériences
préparent la subdivision du diocèse qui intervient au 11e siècle. Les archidiaconés se
constituent territorialement parfois en souvenir des anciens pagi francs, dont les contours
apparaissent assez mouvants. Entre les archidiaconés et les paroisses locales apparait une
seconde catégorie de circonscriptions intermédiaires, appelées soit doyennés soit archiprêtrés.
Il s’agit désormais d’un phénomène général qui s’accompagne clairement de la formation
d’un maillage territorial. En définitive, la création d’un maillage complet et hiérarchisé de
l’espace s’achève dans la plupart des évêchés au milieu du 13 e siècle. Au-delà de la
morphogénèse variée de ces dernières subdivisions, ce maillage traduit l’émergence d’une
géographie administrative spécifique à l’institution ecclésiale, destinée à son propre
gouvernement et reflétant un projet institutionnel inédit.
Une hiérarchie territoriale
Dans sa circonscription l’archidiacre exerce par délégation l’ensemble des pouvoirs de
l’évêque à l’exception de la collation de la cura animarum, des principaux sacrements et
rituels et de la juridiction d’appel. Il délègue ses prérogatives à des subordonnés, doyens et
archiprêtres. L’évêque conserve l’entier monopole de son pouvoir et le maillage territorial lui
permet d’exercer son pouvoir de juridiction de manière démultipliée et resserrée. Les
différents échelons territoriaux jouent un rôle déterminant dans la collecte des redevances
épiscopales
Pastorale et territoire
Dès le 12e, certains évêques s’appuient de manière privilégiée sur les nouvelles communautés
de chanoines réguliers pour assoir leur autorité au sein du territoire diocésain. Ces
établissements sont soumis à la juridiction épiscopale : beaucoup s’investissent dans la
desserte des paroisses et dans l’encadrement des fidèles, étant un bon relai de l’autorité
épiscopale notamment auprès des prêtres ruraux. On a un tournant pastoral à l’échelle des
diocèses après Latran IV en 1215 : rythme plus régulier des visites de l’évêque et des synodes,
qui contribuent à renforcer l’autorité épiscopale.
La pratique de la visite
Les visites étaient en réalités souvent effectuées par les archidiacres et non par l’évêque lui-
même, qui ne se déplace que pour des occasions exceptionnelles. Au 13 e, la papauté cherche à
encourager la visite faite par l’évêque lui-même, en insistant sur le sens grec originel du terme
episkopos. Ces prescriptions mettent en avant la dimension pastorale de la visite. La régularité
de la visite reste à la libre appréciation de l’évêque.
La réunion des synodes diocésains
L’entre dans ce qu’on peut appeler l’âge synodal s’accompagne d’une transformation
profonde du rôle de ces assemblées. Jusqu’au début du 13e, ils restent un évènement liturgique
et judiciaire où l’évêque distribue le saint chrême et arbitre les conflits. L’essor des officialités
au 13e prive le synode de sa fonction judiciaire, et devient un moment tourné vers la formation
des prêtres avec Latran IV. Ils deviennent de vraies assemblées cléricales
Fiscalité et territoire
Au 13e, les évêques lèvent désormais 4 types de redevances ou taxes ecclésiastiques : un cens
épiscopal, une taxe synodale, des procurations et une part des dîmes. Seuls les deux premiers
sont systématiques : les procurations ne sont pas toujours levées en dehors des visites et la
part épiscopale des dîmes est loin d’être versée par toutes les paroisses. Les synodes
parviennent à rassembler des représentants de toutes les églises paroissiales du diocèse. La
taxe synodale a donc un fort intérêt économique et symbolique car elle touche les paroisses et
est considérée comme un autre cens épiscopal, permettant à l’évêque d’avoir une vision
complète du tissu ecclésial de leur diocèse. Deux types de prélèvements possibles : soit
portable (apportée à l’évêque lors du synode) soit quérable (cad collectée par l’évêque ou
l’archidiacre pendant sa visite). La généralisation de ces collectes manifeste l’avènement
d’une fiscalité épiscopale étendue à l’ensemble du diocèse. La fiscalité épiscopale vient à
recouvrir une fonction recognitive : constitue le signe de l’appartenance au diocèse. Au sein
du diocèse, cette fiscalité repose largement sur l’organisation territoriale mise en place au
cours du 12e, appuyé sur les doyens et les archidiacres. Ainsi, en occupant une place de plus
en plus grande dans l’économie matérielle et idéelle de l’Eglise, les échanges qui avaient pour
cadre la paroisse et le diocèse viennent renforcer ces structures d’encadrement des fidèles
jusque dans leur dimension territoriale. Le nouvel ordre économique et symbolique de
l’institution ecclésiale nécessitait une territorialité forte et bien assise.
Une nouvelle géographie de la Chrétienté
L’inventaire du diocèse
Au 12e et 13e, le recours croissant à l’écrit et l’essor des chancelleries épiscopales produisent
une forte augmentation des documents liés aux évêchés.
Bulles et diplômes de confirmation
A partir des années 1140, de nombreuses bulles pontificales confirment les droits et
patrimoines des évêques, souvent par sollicitation de leur destinataire
Les cartulaires
Dès la fin du 11e, les clercs des entourages épiscopaux et les chanoines des cathédrales
veulent classer leurs archives et recopier les chartes qui leur semblent importantes dans un
cartulaire. Les premiers cartulaires ont une finalité tant historiographique qu’archivistique :
mettent en valeur l’ancienneté du patrimoine et l’œuvre de certains évêques. Au 13e siècle,
tournant, nouveaux classements reflétant l’insertion du patrimoine canonial au sein de la
circonscription diocésaine.
Les comptes fiscaux
Les registres de comptes et de fiscalité épiscopale sont les premiers à dresser l’inventaire des
églises du diocèse. Il existe deux grands types de classement : le premier obéit à une logique
d’itinéraire, le deuxième repose sur les subdivisions territoriales du diocèse.
Une perception cohérente du territoire diocésain
Plusieurs zones de convergence en termes de perception globale du territoire diocésain : rôle
central des églises et système des circonscriptions. Ainsi, la multiplication de ces documents
de toutes sortes a contribué, autant que les pratiques sociales, seigneuriales ou fiscales qui en
motivaient la confection, à la transformation du diocèse en véritable circonscription
ecclésiastique. On ne peut donc pas opposer représentation technique et représentation
symbolique de l’espace, qui sont toutes deux liées à l’essor des pratiques administratives et à
la bureaucratisation croissante de l’institution ecclésiale. Tous véhiculent aussi et
simultanément une représentation de l’espace diocésain comme territoire qui n’est pas
seulement le produit de ces usages techniques mais découle de manière plus globale des
grandes mutations ecclésiologiques et politiques que connait la Chrétienté depuis le 11e.
Une nouvelle centralité  : de la cité à la cathédrale
Au 12-13e, la place de l’évêque dans la cité présente une ambiguïté sur le plan politique. D’un
côté, l’évêque conserve des droits publics ou seigneuriaux importants et manifeste sa
puissance de manière ostentatoire. Mais d’un autre côté, le pouvoir de l’évêque dans a cité ne
cesse de reculer face à ses compétiteurs laïques, princes, communes, souverains. C’est dans ce
contexte qu’il faut replacer l’investissement monumental, liturgique et symbolique croissant
dont la cathédrale est l’objet de la part des évêques. L’église-mère devient le centre du
diocèse, en lieu et place de la cité toute entière. Au cours des cérémonies, la concélébration
effectuée par un nombre imposant d’évêques, la consécration de multiples autels et la
manipulation spectaculaire des reliques opéraient une sorte de recharge sacrale de la
cathédrale, peu à peu érigée en seul véritable lieu saint de la cité. La place de la cathédrale
dans l’espace sacré de la ville et du diocèse réside dans l’adoption de la cathédrale comme
principal lieu de sépulture par les évêques. Enfin, le rayonnement de la cathédrale découle de
la reprise de certains éléments de son architecture ou de son décor par les églises du diocèse.
La cathédrale devient ainsi le lieu où, autour des reliques des saints fondateurs du diocèse et à
travers le chantier perpétuel qui semble l’animer, se déploie la sainte alliance de l’évêque et
du chapitre. Elle domine la ville comme le diocèse et constitue alors l’authentique chef-lieu de
l’une comme de l’autre.
L’invention de l’Eglise catholique romaine
Au milieu du 11e, la papauté s’est mise à intervenir de sa propre initiative dans les conflits
entre sièges et la délimitation des diocèses. Les papes revendiquent pour eux seuls le droit
d’ériger de nouveaux sièges épiscopaux, de diviser ou fusionner les diocèses. Ces
revendications se font dans un triple contexte. D’abord, la réforme grégorienne et l’essor du
droit romano-canonique engagent une mutation ecclésiologique qui favorise une vraie
monarchie pontificale restreignant la vieille tradition d’autonomie des évêques fondée sur le
principe de succession apostolique. Ensuite, les papes commencent à sortir de Rome et du
Patrimoine de Saint Pierre pour faire de longs voyages dans les Alpes, donc une plus grande
mobilité pontificale. Enfin, convergence régulière d’évêques vers Rome en raison de l’essor
des visites ad limita et de la réapparition des conciles œcuméniques. L’action des papes et de
leurs serviteurs dessine alors une nouvelle géographie de la Chrétienté.
Reconfigurer la carte, déplacer les hommes
Dans les années 1050-1060, les papes procèdent à une série de reconfigurations de la carte du
Patrimoine de Saint Pierre, justifiées par des raisons économiques et pastorales. Affirmation
théorique du monopole pontifical comme architecte territorial de la Chrétienté, prérogative
reprise tout au long de 12e et 13e.
L’inventaire de la Chrétienté
Nécessité pour la papauté de disposer de listes lui offrant une vision globale exhaustive et
actualisée des provinces et diocèses, à l’image des takita de l’Eglise d’Orient. C’est le
Provincial Romain, qui connait un tournant majeur lorsqu’il est renouvelé au 12 e : il recense
de manière exhaustive la totalité des diocèses en les classant par province ecclésiastique,
regroupées elles-mêmes au sein de grands ensembles territoriaux. Ce nouveau provincial
devient alors, en plus d’être une image mentale de l’orbis christianorum dominé par Rome,
un véritable instrument de gouvernement au service du pape et de la Curie.
Conclusion : la lente bureaucratisation de l’institution et les nouvelles représentations
pontificales de l’œkoumène catholique dessinent l’Eglise comme une hiérarchie de
circonscriptions emboitées les unes dans les autres. Une telle organisation repose in fine sur la
restauration d’une territorialité fondée sur le droit, la juridiction et la fiscalité. La papauté
grégorienne au sommet s’instaure comme puissance législatrice et revendique le droit de
modeler l’espace ecclésial selon sa volonté. Un renfort est fourni au 13 e par l’essor de la
juridiction et de la fiscalité épiscopale et pontificale, qui favorise l’établissement d’une sorte
de souveraineté territoriale de l’évêque sur toute l’étendue du diocèse : rétablissement du lien
entre territoire, juridiction et fiscalité qui rapproche le diocèse de ce qu’il avait été à l’époque
de la civitas gallo-romaine. Le diocèse est donc un territoire car est devenu le cadre d’une
juridiction unifiée et d’une ponction fiscale de la part du chef-lieu de cité et d’un centre
lointain (Rome). En devenant une institution universelle territorialisée renouvelant l’ancien
Imperium romanum, l’Eglise d’Occident pouvait pleinement se dire catholique romaine.

Conclusion générale  :
La part de Rome
Il faut reconsidérer la part de Rome et le devenir de la cité antique entre le 4 e et le 6e siècle.
Trois dimensions majeures de la cité antique : la cité était une ville+ la cité était un territoire
doté d’un chef-lieu urbain, une entité administrative contrôlée par les élites locales et pourvue
d’une fonction de gestion à l’échelle local et au nom du pouvoir impérial, en particulier dans
le domaine fiscal+ La cité était une communauté de citoyens disposant d’une capacité de
participation à la vie civique. Cette dernière dimension disparait au 6 e, mais les deux autres
survivent sous la forme épiscopale. Entre le 7e et le 11e, l’essentiel du legs romain réside
seulement dans le maintien de la plupart des anciens chefs-lieux de cité comme centres de
pouvoirs et pôles d’urbanité grâce à l’implantation des centres épiscopaux. Le territoire de la
civitas n’est plus ce que le droit romain considérait comme un territoire. C’est une enveloppe
spatiale poreuse aux contours fluctuants. Les limites n’ont plus de rôle structurant dans la
définition du diocèse ou l’exercice de la domination épiscopale, car les marqueurs de la
puissance épiscopale sont désormais les lieux de sacralité. Le pouvoir de l’évêque ne
s’applique donc pas de manière homogène sur le territoire, mais bien par zones de
concentration.
Le délitement de la territorialité de la cité antique découle de 3 causes : les évêques ne
reprennent pas la fonction fiscale essentielle à la cité antique. Les élites ecclésiastiques et les
évêques en particulier s’éloignent des paradygmes territoriaux de la romanité qui ne sont pa
indispensables à l’exercice de l’office épiscopal. Enfin, le pouvoir des évêques est tôt
contrarié par des emprises concurrentes qui viennent s’interposer entre eux et les églises, eux
et les prêtres, et limiter leurs prérogatives juridictionnelles. Cet affaiblissement de la
territorialité n’a pas été compensé par l’essor au sein du peuple d’un sentiment d’appartenance
à une communauté diocésaine. L’emprise des évêques sur le peuple diocésain est très
hétérogène et dépendent de la puissance seigneuriale de l’évêque.
La fabrique médiévale du territoire
Le diocèse apparait donc comme le produit d’une fabrique sociale et politique médiévale, qui
s’accélère à la réforme grégorienne et repose sur la combinaison de 4 processus. D’abord,
l’essor du pouvoir juridictionnel de l’évêque ; ensuite l’essor des pratiques de délimitation et
de subdivision de l’espace diocésain ; également, le développement de procédures de gestion
par l’écrit et de pratiques socio-spatiales de type administratif ; enfin, l’invention d’une
mémoire de l’institution qui se donne non seulement pour une histoire de la fondation des
sièges mais également de leur emprise spatiale. La plupart de ces évolutions renvoient in fine
à la transformation profonde de la nature du dominium exercé par les évêques et le chapitre
cathédral, qui entre le 10e et le 13e passe d’une modèle seigneurial ou féodal à un modèle
gouvernemental, assis sur une juridiction territorialisée des pratiques administratives et des
échanges fiscalisés.
De l’Eglise à l’Etat
L’Eglise participe à la genèse de l’Etat moderne en lui fournissant des concepts, experts,
techniques et rituels. Les pratiques gouvernementales mises en place par l’Eglise ont
fortement influencé et éduquée celles des états modernes. Le plus remarquable concerne
l’adoption des circonscriptions ecclésiastiques comme premier cadre territorial des
administrations séculières. En matière territoirale, l’Eglise a ouvert doublement le chemin à
l’Etat d’une part en mettant à sa disposition les hommes et le cadre administratif
indispensable à la mise en œuvre des deux pratiques qui sont aujourd’hui les principaux
instruments de l’essor de sa puissance ; l’enquête et la fiscalité directe ; d’autre part de
manière plus générale en lui offrant un modèle de domination spatiale d’ordre territorial et
non seigneurial, qui relève d’une logique de souveraineté et non d’une logique féodale.
De l’espace au temps : repériodiser le Moyen-Âge
On observe un faux départ carolingien et impérial au 9e et 10e et un vrai tournant dès le 11/12e,
lié à la réforme grégorienne. Le moment carolingien et son prolongement témoignent d’un
authentique renversement de tendance : les souverains et les évêques cherchent à restaurer le
pouvoir des métropolitains et la hiérarchie de province des sièges. Mais c’est principalement à
partir du milieu du 11e dans le cadre grégorien que l’autorité épiscopale dispose de
suffisamment de ressources et d’appuis pour commencer à s’imposer aux dépens des
seigneurs laïques et des communautés monastiques. Le diocèse territorial commence alors à
se construire par la scission de la seigneurie et par l’établissement progressif de la
souveraineté épiscopale.
On peut alors s’interroger sur la question d’une re-périodisation du Moyen-Âge soulevant
deux enjeux fondamentaux : la place centrale à accorder à l’institution ecclésiale ; le rôle
déterminant à attribuer au rapport à l’espace des pouvoirs des institutions et des groupes
sociaux.

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