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Nombres entiers naturels

1. Nombres entiers naturels.


2. Ensembles dénombrables.
Pierre-Jean Hormière
____________
« Dieu a fait les nombres entiers, « Sans un petit grain de métaphysique, il n’est pas
tout le reste est l’œuvre de l’homme. » possible, à mon avis, de fonder une science exacte. »
Leopold Kronecker Georg Cantor

Introduction
Les nombres entiers naturels 0, 1, 2, 3, 4, … servent à compter les éléments des ensembles finis :
deux jetons, trois pommes, 32 élèves, 52 cartes, …
A la fin du 19e siècle, Richard Dedekind (1831-1916) et Giuseppe Peano (1858-1932) ont donné des
définitions axiomatiques de leur ensemble, noté N. Cet ensemble N est infini ; il est, en un certain
sens, le « plus petit » ensemble infini. Les entiers naturels peuvent être ordonnés, additionnés,
multipliés, élevés à une puissance, divisés, factorisés.
Si tous les entiers naturels sont des objets mathématiques, certains entiers sont si grands qu’il est
impossible de les rencontrer dans le monde physique. Ainsi, le nombre d’atomes de l’univers visible
80
est évalué à 10 , c’est-à-dire, en notation décimale, 1 suivi de 80 zéros. Pour un physicien,
considérer des nombres plus grands n’a guère de sens. Cependant, les mathématiciens, à la suite de
Georg Cantor (1845-1918), se sont lancés dans l’étude, vertigineuse, des divers nombres infinis,
« cardinaux » et « ordinaux ».

1. Nombres entiers naturels.


1.1. Axiomes de N.
« La plus haute perfection de Dieu est la possibilité de créer
un ensemble infini, et son immense bonté le conduit à le créer.»
Georg Cantor
Le théorème suivant, admis, est une conséquence des axiomes de la théorie des ensembles.
Théorème 1 : Il existe un ensemble ordonné non vide, noté (N, ≤), dont les éléments sont appelés
nombres entiers naturels, vérifiant les axiomes suivants (N1), (N2) et (N3) :
(N1) Toute partie non vide de N a un plus petit élément.
(N2) Tout élément de N a un « successeur » : ∀a ∈ N ∃a’∈ N a < a’ et ] a, a’[ = ∅.
(N3) Tout élément de N* = N−{0}, où 0 = min N, a un « prédécesseur » :
∀a ∈ N* ∃’a ∈ N ’a < a et ]’a, a [ = ∅.
Conséquences de (N1).
1) N étant non vide, a un plus petit élément, noté 0 ;
2) N est totalement ordonné : quels que soient x et y, on a x ≤ y ou y ≤ x.
Conséquences de (N1) et (N2).
3) N n’a pas de plus grand élément.
4) Le successeur a’ de a est unique, et l’application s : a → a’ est injective.
5) 0 n’est le successeur d’aucun entier.
Conséquences de (N1), (N2) et (N3).
6) Tout élément de N* est le successeur d’un élément : s(N) = N*.
7) Toute partie majorée non vide de N admet un plus grand élément.

1
Remarque : Signification intuitive des axiomes de N.
• L’axiome (N1) signifie que l’on peut « énumérer » les entiers dans l’ordre naturel : on dit que
l’ordre naturel sur N est un « bon ordre ». N a un plus petit élément, noté 0. Si N n’est pas réduit à
{0}, N−{0} a un plus petit élément, noté 1. Si N n’est pas réduit à {0, 1}, N−{0, 1} a un plus petit
élément noté 2, etc.
• L’axiome (N2) assure que l’ « algorithme » précédent se poursuit indéfiniment, autrement dit
que N est « infini ».
• L’axiome (N3) assure que N n’est pas « trop gros », et est même « le plus petit possible ».
Mettons bout à bout deux copies rigoureusement identiques de N et ordonnons l’ensemble obtenu en
0<1<2<…<n<…<ω<ω+1<ω+2<…<ω+n<…
Cet ensemble vérifie (N1) et (N2), mais pas (N3), puisqu’outre 0, ω est sans prédécesseur. Nous
reviendrons sur ce sujet dans la suite.
Exercice 1 : Soit (E, ≤) un ensemble ordonné non vide. Montrer l’équivalence des axiomes (N1, N2,
N3) et (N1, 3 et 7).
Exercice 2 : paradoxe de Richard. Soit n le plus petit nombre entier ne pouvant être exprimé en
moins de quinze mots. Montrer que cet entier n existe… et qu’il n’existe pas… Expliquer.
Exercice 3 : Soit f : N → N bijective. Prouver qu’il existe trois entiers naturels a, b, c tels que
a < b < c et f(a) + f(c) = 2 f(b). [ Concours général 1995 ]

1.2. Construction heuristique de N.


Nous avons admis le théorème 1. En voici une preuve heuristique : la construction de N due à J. von
Neumann. Formons les ensembles suivants :
∅ , {∅} , {∅,{∅}} , {∅,{∅, {∅}} , {∅, {∅, {∅, {∅}}}} , etc.
Considérons l’ensemble ayant pour éléments les ensembles précédents :
E = { ∅, {∅}, {∅,{∅}}, {∅,{∅, {∅}}}, {∅, {∅, {∅, {∅}}}}, etc }.
Dans cet ensemble E, la relation « x = y ou x ∈ y » équivaut à « x ⊂ y ».
Par exemple, {∅,{∅}} = {∅} ∪ {{∅}} , {∅,{∅, {∅}}} = {∅} ∪ {{∅}} ∪ {{{∅}}}, etc.
Cette relation, notée ≤, est une relation d’ordre dans E, et (E, ≤) satisfait aux axiomes (N1), (N2) et
(N3). Si les éléments de E sont notés resp. 0, 1, 2, 3, etc. alors
0 = ∅ , 1 = {0} , 2 = {0, 1} , 3 = {0, 1, 2} , etc.
Nous reviendrons sur ce sujet au § 4.

1.3. Exemples d’entiers naturels.


1 2 3 nous irons au bois 4 5 6 cueillir des cerises 7 8 9 dans un panier neuf 10 11 12 elles seront
toutes rouges…
5, 6. « Et parleray des six sens, cinq dehors et ung dedans qui est le cuer » (Jean Gerson, 1402)
19 est le plus petit indice premier tel que le nombre de Fibonacci correspondant F19 soit composé.
C’est aussi le numéro d’un virus aimablement transmis par une espèce animale pour limiter la
prolifération des bipèdes, et diligemment véhiculé par ces consommateurs compulsifs de kérosène
détaxé que l’on nomme « touristes ».
39. Dans son livre Les nombres remarquables, François Le Lionnais observe que 39 est « le plus
petit entier pour lequel nous ne connaissons aucune propriété remarquable. Le fait d’être le plus
petit ne sera pas considéré comme une propriété remarquable afin d’éviter une récurrence redou-
table dans la suite de la collection ».
100
69 est le plus grand entier dont la factorielle est inférieure à 10 . C’est aussi le seul entier dont le
2 3
carré et le cube contiennent tous les chiffres de 0 à 9 : 69 = 4761, 69 = 328509. Enfin, il a inspiré
des poèmes de Victor Hugo et d’Apollinaire, et nous tairons le reste…

2
224. A l’aube du mercredi 16 mars 1244, Hugues d’Arcis prit possession du castrum de Montésgur
au nom du roi Louis IX. L’archevêque Pierre Amiel fit rassembler les parfaits et les parfaites et leur
demanda d’abjurer. Pas un ne voulut. On dressa alors au pied de la montagne un enclos fait de pals
et de pieux que l’on remplit de bois auquel on mit le feu. Deux cent vingt-quatre Bons Hommes et
Bonnes Dames y furent jetés, sans doute à l’aide d’échelles dressées contre la palissade.
666 est considéré comme le nombre de la Bête de l’Apocalypse. La signification symbolique,
poétique, arithmosophique des entiers ne ressort pas d’un cours de mathématiques ; on en trouvera
quelques-unes dans mon document Poésie et mathématiques.
1729, appelé nombre de Hardy-Ramanujan, est le plus petit nombre entier naturel s’écrivant de deux
3 3 3 3
manières différentes comme somme de deux cubes : 1729 = 12 + 1 = 10 + 9 .
1247200 est le nombre d’Arméniens d’Anatolie et d’Arménie occidentale morts lors du génocide
perpétré par les autorités turques d’avril 1915 à juillet 1916 ; cette évalutation, tirée du carnet
personnel de Talaât Pacha, ministre responsable du génocide, est confirmée par les travaux actuels.
Comme ce génocide n’a jamais eu lieu selon les autorités turques actuelles, on en déduit ce résultat
remarquable :
Théorème de Talaat Pacha et Erdogan : 1247200 est le nombre d’éléments de l’ensemble vide.
Ce théorème a de nombreux corollaires et bien des avatars par les temps qui courent…
299792458 est le nombre de mètres parcourus en une seconde par la lumière dans le vide.
24
×10
0,5× est le nombre d’atomes contenus dans un gramme de matière.
27
×10
7× est le nombre d’atomes présents dans le corps humain.
33
×10
2× grammes est la masse du Soleil, étoile de taille moyenne.
47 50
10 est le nombre de molécules d’eau sur Terre, 10 est le nombre d’atomes sur Terre.
57
10 est le nombre d’atomes contenus, grosso modo, dans une étoile.
Notre Galaxie, la Voie Lactée, contient environ 100 milliards d’étoiles, c’est-à-dire 1011. Par
conséquent elle compte 1011 fois 1057 atomes, soit 1068 atomes.
80
10 est, en chiffres ronds, le nombre d’atomes de l’univers dans sa partie accessible à nos yeux 1.
100 gogol
10 est appelé gogol, et 10 est appelé gogolplex.

1.4. Raisonnement par récurrence.


Au suivant au suivant
Tout nu dans ma vieille serviette qui me servait de pagne
J’avais le rouge au front et le savon à la main
Au suivant au suivant
J’avais juste vingt ans et nous étions cent vingt
A être le suivant de celui qu’on suivait
Jacques Brel
Théorème de récurrence. Soit X une partie de N vérifiant 0 ∈ X et n ∈ X ⇒ n + 1 ∈ X.
Alors X = N. Autrement dit, la seule partie s-stable de N contenant 0 est N.
Preuve : Raisonnons par absurde, et supposons X ≠ N.
Etant non vide, Y = N−X aurait un plus petit élément a.
Comme 0 ∈ X, a ≠ 0 ; a a donc un prédécesseur b, qui n’appartient pas à Y, donc appartient à X.
Mais alors b ∈ X ⇒ a = b + 1 ∈ X. Contradiction !
Corollaire 1 : Soit X une partie de N vérifiant 0 ∈ N et [0, n] ⊂ X ⇒ n + 1 ∈ X. Alors X = N.

1
D’après Christian Magnan, Collège de France, université de Montpellier.

3
Preuve : Soit X’ = { n ∈ N ; [0, n] ⊂ X }. On a 0 ∈ X’ et n ∈ X’ ⇒ n + 1 ∈ X’ .
Par récurrence, X’ = N. Comme X’ ⊂ X, X = N. cqfd.
Corollaire 2 : Soit X une partie de N vérifiant 0 ∈ N , 1 ∈ N et ( n ∈ X et n + 1 ∈ X ) ⇒ n + 2 ∈ X.
Alors X = N.
Preuve : Soit Y = { n ∈ N ; {n, n + 1} ⊂ X }. On a 0 ∈ Y et n ∈ Y ⇒ n + 1 ∈ Y. Donc Y = N.
Comme Y ⊂ X, X = N.
Corollaire 3 : unicité de N. Si (E, ≤) est un ensemble ordonné non vide vérifiant les axiomes (N1),
(N2) et (N3), il existe une bijection strictement croissante ainsi que sa réciproque de N sur E.
Application au raisonnement par récurrence.
1) Pour montrer qu’une propriété P(n) est vraie pour tout entier naturel n, on peut montrer qu’elle
est vraie pour n = 0, et que si P(n) est vraie, P(n+1) l’est aussi. C’est le raisonnement par
récurrence faible.
2) On peut aussi montrer que P(n) est vraie pour n = 0, et que si elle est vraie pour tout k ∈ [0, n],
elle est vraie pour n + 1. C’est le raisonnement par récurrence forte.
3) On peut montrer que P(n) est vraie pour n = 0 et n = 1, et que si elle est vraie pour n et n + 1,
elle est vraie pour n + 2. C’est le raisonnement par récurrence double, qui se généralise à la
récurrence d’ordre p.
Remarques sur le raisonnement par récurrence.
1) Dans tous les cas, il faut connaître à l’avance la propriété à démontrer. Par exemple, il est facile
de vérifier par récurrence les formules :
n(n+1) 2 2 2 n(n+1)(2n+1)
1+2+…+n= et 1 +2 +…+n = .
2 6
sin( 2n+1θ)
½ + cos θ + cos(2θ) + … + cos(nθ) = 2
2.sin(θ / 2)
sin n+1θ
1 + cos θ + cos(2θ) + … + cos(nθ) = cos nθ . 2 , etc.
2 sin(θ / 2)
Mais cela ne dit pas comment on les a trouvées. Le raisonnement par récurrence n’est qu’une
vérification rigoureuse d’une propriété donnée, découverte par induction ou par un autre moyen.
2) Il faut préciser sur quel entier on fait la récurrence ; c’est impératif si la propriété à établir
comporte deux entiers m et n. Dans les cas difficiles (exemple : démonstration d’une propriété
d’algèbre linéaire par récurrence sur la dimension des espaces vectoriels), il faut écrire en toutes
lettres l’hypothèse de récurrence.
3) Une récurrence possède toujours un invariant de boucle, un « moteur » plus ou moins caché. Il
arrive parfois qu’on n’arrive pas à montrer l’implication P(n) ⇒ P(n+1), mais qu’on arrive plus
facilement à montrer par récurrence une propriété Q(n) plus forte que celle à établir. C’est le
Principe « more may be less », ou « qui peut le plus peut le moins ».
Les exercices suivants illustrent ces remarques.
Exercice 1 : Nombres triangulaires et pyramidaux.
Pour tout entier n ≥ 1, on note Tn = 1 + 2 + … + n le n-ème nombre triangulaire,
Πn = T1 + T2 + … + Tn le n-ème nombre pyramidal.
n(n+1) n(n+1)(n+ 2)
Démontrer que Tn = et Πn = .
2 6
Exercice 2 : Soit T(m, n) une fonction N×N → R vérifiant :
∀(m, n) ∈ N×N T(m, 0) = T(0, n) = 1 , ∀(m, n) ∈ N*×N* T(m, n) = T(m−1, n) + T(m, n−1) .
Calculer T(m, n). Lien avec l’exercice précédent ?

4
n
Exercice 3 : Calculer ∑ (k +k1)! .
k =0
n
Exercice 4 : Pour tout n ∈ N* et tout réel x, on pose En(x) = ∑sin(kx) .
k =1

Démontrer que 2.sin x .En(x) = cos x − cos (n + 1 )x.


2 2 2
Exercice 5 : Soit (Fn) la suite de Fibonacci, définie par F0 = 0 , F1 = 1 , (∀n) Fn+2 = Fn+1 + Fn .
1) Démontrer qu’il y a Fn+1 façons de vider un tonneau de n litres avec un pot de un litre et un pot
de deux litres.
2 n+1
2) Démontrer que (∀n ≥ 1) (Fn) − Fn+1.Fn−1 = (−1) .
(∀n ≥ 1) (∀m ≥ 0) Fm+n = Fn−1.Fm + Fn.Fm+1 .

3) Soit A la matrice   . Exprimer A à l’aide des nombres Fk. Retrouver les résultats de 2)
11 n
1 0
Exercice 6 : Montrer que (∀n) 7 | 32n − 2n , 7 | 32n+1 + 2n+2 , 11 | 3n+3 − 44n+2 , 5 | 43n − 4n ,
3n+3
19 | 22^(6n+2) + 3 , 21 | 24^n + 5 , 676 | 3 – 26n − 27 , 92n+1 + 8n+2 ≡ 0 (mod 73) .

Exercice 7 : On range n nombres réels en une liste a1, a2, …, an. On raye les deux premiers nombres
et on inscrit leur somme après an, et on recommence jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul
nombre. Quel sera ce nombre ?
Exercice 8 : Trouver un nombre de 2 chiffres, écrit uniquement avec des 1 et des 2, et divisible par
2 3
2 , un nombre de 3 chiffres, écrit uniquement avec des 1 et des 2, et divisible par 2 , un nombre de 4
4
chiffres, écrit uniquement avec des 1 et des 2, et divisible par 2 . Existe-t-il, pour tout n, un nombre
n
de n chiffres, écrit uniquement avec des 1 et des 2, et divisible par 2 ? 2
n n
Exercice 9 : 1) Soient a1, …, an n réels > 0. Démontrer que ∏(1+ai ) ≥ 1 +
i =1
∑a i =1
i .
n n
2) Soient a1, …, an n réels appartenant à ]0, 1[. Démontrer que ∏(1−ai ) ≥ 1 −
i =1
∑a
i =1
i .
n (−1)k.x 2k
Exercice 10 : On pose Pn(x) = ∑
k =0 (2k)!
. Montrer que ∀m ∀x P2m+1(x) ≤ cos x ≤ P2m(x).

Enoncer et démontrer une propriété correspondante du sinus.


Exercice 11 : Soit (un) la suite réelle définie par u0 = 1, u1 = 5, (∀n ∈ N) un+2 – 2un+1 + un = 4.
2 2
Démontrer que pour tout n : un = n + (n + 1) .
Exercice 12 : Soit (vn) la suite réelle définie par v0 = 1, v1 = 7, (∀n ∈ N) vn+2 – 2vn+1 + vn = 6.
3 3
Démontrer que pour tout n : vn = (n + 1) − n .
1 1
Exercice 13 : Calculer, pour tout naturel n, les intégrales ∫ x .(1− x) .dx et ∫ x .ln
0
n n
0
n n x.dx .

Exercice 14 : Montrer que, pour tout entier n ≥ 1, 1 + 1 + … + 1 < 2.


2² n²
[ Indication : prouver une propriété plus forte, à savoir 1 + 1 + … + 1 ≤ 2 − 1 .]
2² n² n
Exercice 15 : Pour tout n ≥ 1, on note Hn = 1 + 1 + … + 1 .
2 n
Démontrer que, pour tout n ≥ 2, Hn n’est jamais un entier naturel.

2
Le Monde, 11 octobre 2005.

5
Exercice 16 : Montrer que pour tous réels x1 ≥ x2 ≥ … ≥ xn > 0,
x1 x x x x
+ 2 + … + xn ≤ 2 + 3 + … + 1 .
x2 x3 x1 x1 x2 xn
Exercice 17 : Récurrence binaire.
1) Soit A une partie de N* vérifiant :
(i) 1 ∈ A ; (ii) ∀n ∈ N* n ∈ A ⇒ 2n ∈ A ; (iii) ∀n ∈ N* n ∈ A ⇒ 2n+1 ∈ A.
Montrer que A = N*.
2) Soit b(n) le nombre de 1 dans l’écriture binaire de n.
Montrer que b(n+1) − b(n) = 1 − k(n), où k(n) est le nombre de 1 terminant l’écriture binaire de n.
+∞
 
Montrer que b(n) = n − ∑ 2n 
i =1
i
= n − v2(n!) (exposant de 2 dans la factorisation de n! ).

Exercice 18 : Inégalité de la moyenne géométrique, preuve de Cauchy.


1) Soit A une partie de N* vérifiant :
(i) 1 ∈ A ; (ii) ∀n ∈ N* n ∈ A ⇒ 2n ∈ A ; (iii) ∀n ∈ N* n + 1 ∈ A ⇒ n ∈ A.
Montrer que A = N*.
x1 +...+ xn
2) Soient x1, … xn des réels > 0. Démontrer que n
x1 ...xn ≤ , avec égalité si et
n
seulement si les xi sont égaux.
Exercice 19 : Soient f : N → N surjective et g : N → N injective telles que, pour tout n ∈ N, on ait
f(n) ≥ g(n). Prouver que f = g. [Olympiades Roumanie 1986]
Exercice 20 : Déterminer les fonctions f : N* → N* strictement croissantes telles que f(2) = 2 et
∀(m, n) ∈ N*×N* m ∧ n = 1 ⇒ f(mn) = f(m) f(n). [Putnam 1963]
Exercice 21 : Lire les livres de Gabriel Matzneff et en déduire une méthode de dépucelage récurrent.

1.5. Raisonnement par descente infinie de Fermat.


Pierre de Fermat (1601-1665), conseiller au Parlement de Toulouse et génial philomathe, a obtenu
de profonds résultats en théorie des nombres à l’aide de ce principe3, qui ressemble à une
récurrence, ou plutôt à la contraposée d’une récurrence. Il réussit d’abord à démontrer un certain
nombre de résultats négatifs, puis il parvint à établir des résultats positifs (sommes de deux et de
quatre carrés).
Principe de descente infinie : Soit P(n), n ∈ N, une suite de propositions. Si, pour tout m tel que
P(m) est fausse, il existe un entier k < m tel que P(k) soit fausse, alors toutes les propositions P(n)
sont vraies.
Preuve : Si l’une des propositions P(m) était fausse, l’ensemble { k ; P(k) est fausse } serait une
partie non vide de N sans plus petit élément.
Variante par récurrence forte. P(0) est vraie, sans quoi il existerait un entier naturel < 0. Si P(0), …
P(n) sont vraies, P(n+1) est vraie, sans quoi l’une des propositions précédentes serait fausse.
Remarque : Si l’une des propositions P(m) était fausse, on pourrait construire une suite infinie
strictement décroissante d’entiers naturels, par application répétée de l’hypothèse. Or il n’existe pas
de telle suite.
Exemple 1 : 2 est irrationnel.

3
On trouvera un exposé de ce principe par Fermat lui-même dans Hellegouarch, Invitation aux mathématiques
de Fermat-Wiles, p. 8.

6
2 2 2 2
Si l’on avait 2 = a , (a, b)∈N×N*, alors a = 2b . a serait pair ; mais a = 2u implique 2u = b ,
b
a a
donc b serait aussi pair. On aurait 2 = a = 1 = 2 = … , où (bn) serait une suite strictement
b b1 b2
décroissante d’entiers naturels.

Exemple 2 : 3 est irrationnel. Suivons ici une variante. Si l’on avait 3 = a , avec (a, b)∈N×N*,
b
alors : 3+1 = 1 = b , d’où 3 = 3b−a = a1 , où a = 3b − a et b = a − b.
3 −1 a−b a−b 1 1
2 b1
De 3 < 2 on déduit que a1 = 3b − a > 0 et b1 < b.
De 3/2 < 3 on déduit que b1 = a − b > 0 et a1 < a.
a a
Ainsi, 3 = a = 1 = 2 = … , où (an) et (bn) sont des suites strictement décroissantes d’entiers
b b1 b2
naturels, violant le principe de Fermat.

Exercice 1 : Montrer que 5 est irrationnel.


2 2
Exercice 2 : Montrer que ∀(a, b) ∈ Z×Z 11 | a + b ⇒ 11 | a et 11 | b.
3 2 2 2
Résoudre dans Z l’équation diophantienne (E) x + y = 11.z .
3 3 3 3
Exercice 3 : Résoudre dans Z l’équation diophantienne (E) x + 2y = 4z .
Solution : Je dis que (0, 0, 0) est la seule solution. En effet, si (x, y, z) est une solution non nulle,
3 3 3
alors x est pair. Posant x = 2u, il vient 8u + 2y = 4z , donc y est pair. Posant y = 2v, il vient
3 3 3
8 u + 16 v = 4 z , donc z est pair. Du coup, (x/2, y/2, z/2) serait aussi solution non nulle…
3 3 3 3
Exercice 4 : Montrer que dans Z l’équation diophantienne (E) 5 x + 11 y + 13 z = 0 n’admet pas
de solution (x, y, z) formée d’entiers > 0.
3 3
Indication : Montrer que 5 x + 11 y ≡ 0 (mod 13) ⇒ x ≡ y ≡ 0 (mod 13).
Exercice 5 : Prouver qu’il n’existe pas de quadruplets (x, y, z, t) d’entiers > 0 tels que :
2 2 2 2
x + y = 3 ( z + t ).
2 2
Exercice 6 : On cherche les solutions en entiers naturels de l’équation (E) x – 2y = 1.
1) Montrer que la suite (xn, yn) définie par :
(x0, y0) = (1, 0) , xn+1 = 3xn + 4yn , yn+1 = 2xn + 3yn ,
est formée de solutions de (E) .
2) Démontrer que cette suite épuise toutes les solutions de (E) en entiers naturels.
2 2
Exercice 7 : On cherche les solutions en nombres entiers > 0 de l’équation (E) x – 2y = 7.
1) Montrer que les suites (xn, yn) et (x’n, y’n) définies par :
(x0, y0) = (3, 1) , xn+1 = 3xn + 4yn , yn+1 = 2xn + 3yn ,
(x’0, y’0) = (5, 3) , x’n+1 = 3x’n + 4y’n , y’n+1 = 2x’n + 3y’n ,
sont deux suites de solutions de (E)
2) Démontrer que ces deux suites épuisent toutes les solutions de (E) en nombres entiers > 0.

1.6. Ensembles finis, cardinaux finis.


Définition : Un ensemble E est dit fini s’il est vide ou s’il existe une bijection E → [1, n].
Théorème : Soient n et p deux entiers naturels ≠ 0. Les propriétés suivantes sont équivalentes :
i) n ≤ p ;

7
ii) Il y a une injection [1, n] → [1, p] ;
iii) Il y a une surjection [1, p] → [1, n].
Preuve : L’équivalence ii) ⇔ iii) découle du chapitre sur les Ensembles (§ 3.2). i) ⇒ ii) est évident.
Montrons ii) ⇒ i) par récurrence sur n. Si n = 1, il n’y a rien à montrer.
HR(n) : pour tout p ≥ 1, s’il y a une injection [1, n] → [1, p], alors n ≤ p.
Montrons que s’il existe une injection f : [1, n+1] → [1, p], alors n + 1 ≤ p.
Soitent X = [1, n] , X’ = [1, n+1] , Y = [1, p] , f(n + 1) = q , Z = Y−{q}.
L’application g = f ZX est injective.
1er cas : si q = p, Z = [1, p−1], g est une injection [1, n] → [1, p−1], donc (HR) n ≤ p−1 et n+1 ≤ p.
2ème cas : si q ≠ p, soit h : Z = [1, p]−{q} → [1, p−1] une bijection.
Une telle bijection existe : il suffit de choisir l’unique application strictement croissante de Z sur [1,
p−1] ; elle est définie par h(x) = x si 1 ≤ x < q , h(x) = x − 1 si q < x ≤ p.
h est bijective, donc h o g est une injectiion [1, n] → [1, p−1], donc (HR) n ≤ p−1 et n+1 ≤ p.
Corollaire 1 : Soient n et p ∈ N*. Les segments [1, n] et [1, p] sont équipotents ssi n = p.
Corollaire 2 : Tout ensemble fini E est équipotent à un, et un seul, des ensembles
∅ , {1} , {1, 2} , … , {1, 2, …, n} , …
Si E = ∅, on dit que E est de cardinal 0 ; si E est équipotent à [1, n], on dit qu’il est de cardinal n.
Théorème : Les parties finies de N sont les parties majorées de N.
Corollaire : Une suite croissante majorée d’entiers naturels est constante à partir d’un certain rang.
Théorème : Soient E et F deux ensembles finis de même cardinal n, f une application : E → F.
Les propriétés suivantes sont équivalentes :
f est injective ⇔ f est surjective ⇔ f est bijective.
Corollaire : Soit E un ensemble fini, F ⊂ E. Alors F est fini et card F ≤ card E.
De plus, card F = card E ⇒ F = E.
E
Théorème : Si E et F sont finis, les ensembles E∩F , E∪F , E+F , E×F et F = F(E, F) sont finis.

1.7. Opérations sur les entiers.


On définit les opérations + et × sur N en posant :
card(E) + card(F) = card(E + F) et card(E) × card(F) = card(E × F).
Ces définitions sont cohérentes.
Proposition : (N, +) est un monoïde commutatif régulier de neutre 0, × est associative,
commutative, de neutre 1, distributive par rapport à +. De plus, a.b = 0 ⇒ a = 0 ou b = 0.
Remarque : ne pas confondre addition et addiction.
Exercice 1 : Sachant qu’un garçon de 19 ans en bonne santé fabrique 2300 spermatozoïdes par
seconde, combien un taupin fabrique-t-il de spermatozoïdes en deux heures de cours de maths ?
Exercice 2 : La part des anges… 76 % des hommes et 66 % des femmes disent avoir expérimenté la
fellation. Où sont passés les 10 % d’écart ? (Jean-Luc Hennig, Bi, p. 64)
Exercice 3 : Calculer la somme 4404 + 6287 + 3896 + 3870 + 3435. Vérifier sur cet exemple
l’associativité et la commutativité de l’addition des entiers. Ce sont les nombres respectifs
d’officiers polonais, d’active et de réserve, exécutés en six semaines, du 5 avril au 22 mai 1940, par
le NKVD, à Katyn, Kalinine, Kharkov, Minsk et Kiev, d’une balle dans la tête, par une décision
prise par Staline, Molotov et leirs collègues du Politburo, sur rapport de Béria, le 5 mars 1940. Pour
une raison inconnue, 395 (ou 325 ?) officiers ont été épargnés,. Massacres niés pendant des dizaines
d’années par les autorités soviétiques et, conséquemment, par le Parti communiste français.

8
1.8. Division euclidienne, systèmes de numération.
« Il y a dix sortes de gens : ceux qui savent
calculer en binaire, et les autres. »

Théorème : Pour tout couple (a, b) ∈ N×N* , il existe un unique couple (q, r) ∈ N×N tel que
a = b.q + r , 0 ≤ r < b.
Théorème : Soit b un entier > 1. Tout entier naturel n s’écrit de façon unique sous la forme
+∞
(*) n = ∑ d .b
i =0
i
i , où di ∈ { 0, 1, …, b−1 } et les di sont nuls à partir d’un certain rang.

Preuve : L’examen attentif, ou analyse, du résultat, conduit à considérer l’algorithme suivant, formé
de divisions euclidiennes répétées : Posons n = n0.
n0 = n1.b + d0 , 0 ≤ d0 < b
n1 = n2.b + d1 , 0 ≤ d1 < b
n2 = n3.b + d2 , 0 ≤ d1 < b
.........................
2
Multiplions la première ligne par 1, la deuxième par b, la troisième par b , etc. et additionnons les
k+1 premières lignes, de façon à faire apparaître une loi de simplification.
k k+1
Il vient : n = d0 + d1.b + … + dk.b + nk+1.b .
k k k+1
Comme 0 ≤ d0 + d1.b + … + dk.b ≤ ( b – 1 ) + ( b – 1 ).b + … + ( b – 1 ).b = b –1,
k k+1
qk+1 = d0 + d1.b + … + dk.b est le reste, et nk+1 le quotient de la division euclidienne de n par b .
k+1
Or la suite (b ) est strictement croissante, donc non majorée. Elle est plus grande que n à partir
d’un certain rang, les entiers nk+1, et par conséquent les dk sont nuls à partir d’un certain rang.
+∞
∑ d .b
k i
On peut donc écrire n = d0 + d1.b + … + dk.b = i .
i =0
L’unicité de la représentation découle de l’analyse du résultat.
Le développement (*) s’appelle représentation ou écriture de n en base b.
On le note n = b … d3 d2 d1 d0 .
Une fois la base b choisie, les entiers 0, 1, …, b−1, sont appelés chiffres.
Le plus souvent, b = 10 (système décimal), 2 (le système binaire ou dyadique, recommandé par J.
von Neumann et ses précurseurs, s’est imposé en informatique), 3 (représentation triadique). Mais
les babyloniens utilisaient la base 60 (système sexagésimal), Charles XII de Suède recommandait la
base 8 (système octal), l’ingénieur Jean Essig la base 12, et Boby Lapointe la base 16 (système
bibinaire ou hexadécimal).
Rappelons qu’on effectue les calculs arithmétiques (addition, soustraction, multiplication, division)
en base b à l’aide de « retenues ».
Enfin, lorsque b > 10, apparaissent des ambiguïtés de notation entre chiffres et nombres. Ainsi, en
base 11, 10 désigne-t-il le nombre à un chiffre 10, ou le nombre à deux chiffres 10 = 1×11 + 0 = 11 ?
Pour éviter cet inconvénient, on notera les chiffres 0, 1, 2, … , 9, X.
De même, en base 16, on pourra noter les chiffres 0, 1, 2, … , 9, A, B, C, D, E, F.
Sur tous ces sujets, je renvoie à la monumentale et passionnante Histoire universelle des chiffres de
Georges Ifrah. J’en retiens que l’Inde fut le berceau de la numération moderne.
Exercice 1 : Soustraction et addition.4
Comment ramener la soustraction de deux entiers naturels à une addition ?

4
Cette idée fut découverte par Curt Herzstark (1902-1988), inventeur des calculatrices de poche Curta, qui
eurent beaucoup de succès entre 1950 et 1970 (PLS, février 2004).

9
Pour calculer 788139 − 4890, on forme le nombre 999999 et on calcule le complément à 999999 de
4890, c’est-à-dire 995109. On additionne 788139 + 995109, et on trouve 1783248. On supprime le 1
initial et on ajoute 1 : il vient 783249 : c’est le nombre cherché.
Justifier cette règle, et montrer qu’elle est tout à fait générale.
Exercice 2 : On observe en base 10 les formules :
9×0 +1 = 1 , 9×1 + 2 = 11 , 9×12 + 3 = 111 , 9×123 + 4 = 1111 , etc.
Démontrer et généraliser ces formules.
Exercice 3 : On observe en base 10 les formules :
1×8 +1 = 9 , 12×8 + 2 = 98 , 123×8 + 3 = 987 , 1234×8 + 4 = 9876 , etc.
Démontrer et généraliser ces formules.
Exercice 4 : Calculer 12345679×9 et 12345679×36.
Exercice 5 : Le carré de 111111111 est N = 12345678987654321.
2
Sans calculer N , montrer que son chiffre du milieu est 2
Exercice 6 : Calculer k×142 857 , pour 1 ≤ k ≤ 6. Qu’observe-t-on ?
Reconnaître le nombre 0, 142857142857142857…, et expliquer le phénomène observé.
Exercice 7 : Trouver les six derniers chiffres d’un nombre sachant que son cube se termine par
777777 (en base 10).
Exercice 8 : Le naturel n s’écrit 341 en base 10, 2331 en base b. Déterminer b.
Exercice 9 : Trouver les entiers n tels que n = xyz en base 7, n = zyx en base 11.
Exercice 10 : 276 est-il un carré parfait dans une certaine base ?
Exercice 11 : Un nombre entier n est écrit en base 10. Il se termine par 3. Si l’on déplace ce chiffre 3
au début du nombre, celui-ci est multiplié par 3. Quel est ce nombre ?
Exercice 12 : Montrer qu’en base b ≥ 5, 121, 12321, 1234321 sont des carrés parfaits. Généraliser.
Exercice 13 : L’entier N = 444…44111…11 − 555…55 , où les entiers 4, 1 et 5 sont répétés 2006
fois, est un carré parfait. De quel entier ? 5
Exercice 14 : On écrit à la suite tous les entiers de 1 à 1998 (en base 10). Combien a-t-on écrit de
chiffres ? de 0 ? de 1 ? … de 9 ? Vérifier les résultats obtenus au moyen d’une procédure Maple.
Exercice 15 : Entiers palindromes.6 Un entier est dit palindrome en base b s’il est identique
lorsqu’on le lit de gauche à droite ou de droite à gauche. Trouver les carrés palindromes à deux,
trois, quatre, cinq chiffres en base 10. Montrer qu’il existe un unique carré palindrome à six chiffres
en base 10.
2
Réponse : 698896 = 836 .
3
Exercice 16 : Soit Nk l’entier qui s’écrit en base 2 avec k chiffres 1. Calculer (Nk) .
Exercice 17 : Montrer que, dans toute base b ≥ 3, 11211 et 12321 ne sont jamais premiers.
Exercice 18 (Catalan) : Quel que soit le système de numération, montrer qu’aucun des nombres :
10101, 1010101, 101010101, 10101010101, etc. n’est premier.
Exercice 19 : En base 10, montrer que tous les nombres de la suite
a0 = 729 , a1 = 71289 , a2 = 7112889 , a3 = 711128889 , … , ak = 71…128…89 , …
( k fois le chiffre 1 et k fois le chiffre 8 ) sont des carrés parfaits.
Remarque : Autre application : date du jour de Pâques. Cf Encyclopedia universalis.
5
Le Monde, 16 mai 2006.
6
Le Monde, 13 avril 2004.

10
1.9. Numérotation généalogique de Sosa-Stradonitz.
Cette numérotation permet d’identifier par un numéro unique chaque ancêtre direct dans une
généalogie ascendante. Mise au point par le franciscain et généalogiste Jérôme de Susa en 1676, et
reprenant une méthode publiée en 1590 par Michel Eyzinger, elle est aujourd’hui universellement
reconnue par les généalogistes et la majorité des logiciels de généalogie. Par extension, les
généalogistes nomment « lignée ou branche Sosa » d’un individu l’ensemble de ses ascendants
directs. Cette numérotation repose sur quatre principes :
1) Le numéro 1 est attribué à l’individu racine (le sujet sur lequel on établit l’ascendance, appelé
« de cujus » ou « probant ») .
2) Le numéro 2 est attribué à son père, le numéro 3 à sa mère. Plus généralement, si un individu a
le numéro n, son père a le numéro 2n, sa mère le numéro 2n + 1.
3) En général, à partir d’un certain degré, variable selon les informations, les tableaux sont
incomplets, mais la numérotation permet d’en maintenir la cohérence : les ancêtres non connus ont
un numéro prévu, fonction de leur place dans l’arbre d’ascendance.
4) L’augmentation indéfinie du nombre d’ascendants ne peut se produire : on retrouvera forcément
les mêmes personnes à plusieurs places différentes si on poursuit l’arbre d’ascendance suffisamment
loin. Ce phénomène s’appelle implexe. En ce cas, un même ascendant se voit attribuer plusieurs
numéros d’ascendance, caractérisant chacun une de ses places dans le tableau d’ascendance. Par
convention on attribue à cet ascendant commun le numéro le plus petit parmi ces numéros.
Exercice 1 : 1) Démontrer que les sosas ayant des numéros pairs sont toujours des hommes, des
numéros impairs > 1 des femmes.
2) Reconnaître le sosa(15), le sosa(75), en termes littéraires.
n n+1
3) Si le de cujus a une génération 0, la n-ème génération porte les numéros allant de 2 à 2 – 1.
4) Le nombre d’ascendants de chaque génération est égal au premier numéro de cette génération.
5) Le nombre total d’individus du tableau d’ascendance (de cujus et implexes compris) arrêté à la
n+1
génération n est égal au dernier numéro de cette génération, donc 2 – 1.
6) Quel lien y a-t-il entre le degré d’ascendance d’un sosa et son numéro d’ascendance ?
7) Quel lien y-a-t-il entre la numération de Sosa Stradonitz et le développement binaire ?
Comment distinguer les ancêtres paternels et maternels ? ceux de chacun des quatre grands-parents ?
8) Connaissant les sosas d’un individu, trouver celles de son père, de sa mère, de son sosa(n).
Remarque : Si l’on note 1 le sexe masculin, 0 le sexe féminin, les sexes des ancêtres directs d’une
personne, rangés dans la numérotation de Sosa sont donc :
0 ou 1, 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 1 etc.
Convenons que le Sosa n° 1 est une femme. Ses ascendants ont donc pour sexes 0, 1, 0, 1, 0, 1, etc.
Cherchons à comprendre qui est le Sosa n° 75. En binaire, 75 = 1001011.
Associons-lui le nombre transconjugué 0010110, i.e. FFMFMMF.
Le Sosa n° 75 est la mère de la mère du père de la mère du père du père du Sosa n° 1 7.
Exercice 2 : Démontrer et généraliser ce résultat.
Depuis peu, la loi Taubira est venue rompre cette monotonie, que dis-je, ce fatal déterminisme,
suscitant l’ire de quelques passéistes ; je connais même une petite Charlotte qui a deux papas et
deux mamans. Quant aux hyménoptères, ils s’adonnent, comme chacun sait, à la parthénogénèse
arrhénotoque, oh ! les vilains ; la suite des sexes d’un ancêtre est fort intéressante et étudiée dans
mon chapitre « Suite de Fibonacci et nombre d’or ».

7
Exemple affectueusement dédié à la mémoire de ma Sosa(75), Victoire Bénavenq (La Bastide des Fonts, 5
janvier 1789 - Clairac, 20 décembre 1825), très lointaine descendante du comte de Rodez Hugues II.

11
1.10. Ensembles infinis.
Infini, montre un peu tes papiers !
Jules Laforgue

Définition : Un ensemble E est dit infini s’il n’est pas fini.


Théorème : Soit E un ensemble. Les propriétes suivantes sont équivalentes :
i) E est infini.
ii) Il existe une injection f : N → E.
iii) Il existe une injection s : E → E qui n’est pas bijective (paradoxe de Galilée).
Preuve : i) ⇒ ii) Si E est infini, la construction de f se fait par récurrence ;
ii) ⇒ i) Pour tout n, f induit une injection [1, n] → E ; si E était fini de cardinal p, on aurait n ≤ p, et
ce, pour tout n, ce qui est impossible.
ii) ⇒ iii) Si f : N → E est une injection, D = f(N) est une partie de E équipotente à N. Il existe une
injection s : D → D qui n’est pas bijective (transmuée de n → n+1 par exemple). Il suffit de la
prolonger à E en lui imposant d’induire l’identité sur E−D.
iii) ⇒ i) Si E était fini, toute injection de E dans E serait bijective.
Corollaire : Pour qu’un ensemble E soit infini, il faut et il suffit qu’il existe une partie A de E,
strictement incluse dans E, et équipotente à E.
Preuve : Soit A une partie de E, strictement incluse dans E, et f : E → A une bijection.
E
L’application s = f | : x ∈ E → f(x) ∈ E est une injection, et non une surjection. Donc E est infini.
Si E est fini, E n’est en bijection avec aucune de ses parties strictes pour des raisons de cardinal.
Si E est infini, soient a un élément de E, D = {x0 = a, x1, …, xn, … } une partie infinie dénombrable
contenant a. Considérons l’application g : D → D définie par g(xi) = xi+1, et l’application h
identique de E−D. Leur recollée f est une bijection de E sur A = E – {a}.
Exercice : Soit E un ensemble. Montrer que E est infini si et seulement si, pour toute fonction f : E
→ E, il existe A ⊂ E avec A ≠ ∅ et A ≠ E, telle que f(A) ⊂ A.
Exercice : Soit E un ensemble infini. Montrer qu’il existe une partition (A, B) de E formée
d’ensembles équipotents à E.

2. Ensembles dénombrables.

Définition : Un ensemble I est dit dénombrable s’il existe une bijection d’une partie A de N sur I.
Proposition 1 : Pour qu’un ensemble E soit infini, il faut et il suffit qu’il existe une injection N →
E. Autrement dit, un ensemble est infini ss’il contient une partie équipotente à N.
Proposition 2 : I est infini dénombrable ss’il est équipotent à N.
Proposition 3 : Z est dénombrable.
Preuve : Il suffit de numéroter les entiers relatifs en prenant alternativement les entiers > 0 et les
entiers < 0. Cela revient à recoller les bijections f : n → −2n de −N sur 2N, et g : n → 2n−1 de N*
sur 2N + 1. Il résulte aussitôt de ceci que la réunion de deux ensembles dénombrables l’est aussi.
Idem pour un nombre fini.
Proposition 4 : N × N est dénombrable.
Preuves : Nous allons donner plusieurs preuves de cet important résultat.
1ère preuve : On peut numéroter tous les éléments de N×N en mettant bout à bout les ensembles
Fn = { (x, y) ∈ N×N ; x + y = n } = { (n, 0), (n−1, 1) …, (1, n−1), (0, n) }.
(0, 0), (1, 0), (0, 1), (2, 0), (1, 1), (0, 2), (3, 0), (2, 1), (1, 2), (0, 3), …

12
Exercice 1 : Montrer que la bijection précédente est donnée par f(x, y) = 1 (x + y)(x + y + 1) + y.
2
Expliciter la bijection réciproque. Programmer leur calcul.
Remarque : On peut donner de multiples variantes de cette preuve, à l’aide de partitions de N×N en
ensembles finis. Elle découle du fait que la réunion d’une suite d’ensembles finis deux à deux
disjoints est dénombrable.
2ème preuve : Elle repose sur le :
x
Lemme : Tout entier n ≥ 1 s’écrit de façon unique sous la forme n = 2 (2y + 1), où (x, y) ∈ N×N.
Ce lemme est une conséquence du théorème fondamental de l’arithmétique : x est l’exposant de 2
x
dans la factorisation de n. Dès lors, f : (x, y) ∈ N×N → 2 (2y + 1) − 1 ∈ N est bijective.
Remarque : cette fonction f peut être définie récursivement par :
f(0, y) = 2y , f(x + 1, y) = 2 f(x, y) + 1.
3ème preuve : Développement en base b.
2 3
Tout entier n développé en base b > 1 s’écrit n = d0 + d1.b + d2.b + d3.b + ...
2 2
Il donne naissance à deux entiers p = d0 + d2.b + d4.b + ... et q = d1 + d3.b + d5.b + ...
2 2
Réciproquement, deux entiers p = a0 + a1.b + a2.b + ... et q = b0 + b1.b + b2.b + ... définissent par
2 3
panachage un entier n = a0 + b0.b + a1.b + b1.b + ... .
Ainsi, en base 10, n = 757609314 → (p, q) = (77034, 5691).
Exercice 2 : Donner des définitions récursives des fonctions f : n → p, g : n → q et h : (p, q) → n.
Proposition 5 : Les ensembles Z×Z , Nk , Zk et Q sont
dénombrables.
Preuve : La dénombrabilité de Z×Z est fort bien
démontrée par cette figure extraite du tome 2 du Cours de
Mathématique moderne de Georges Papy 8. Rappelons
que ce tome 2 s’adressait à des élèves de 13 ans. Nous
étions, il est vrai, en 1965. A cette époque reculée, les
professeurs de mathématiques construisaient les objets
dont ils avaient besoin, et ne se contentaient pas d’en
admettre l’existence. Les élèves, quant à eux, n’étaient
pas réduits au bout d’index qui sert à cliquer sur une
souris. Les gendres non plus.
Démontrons la dénombrabilité de Q.
Tout rationnel r s’écrit de façon unique sous forme irréductible r = a , (a, b) ∈ Z×N*, a ∧ b = 1.
b
Par suite, Q est équipotent à une partie de Z×N*, donc dénombrable.
Remarque : Numéroter explicitement les éléments de Q est une autre affaire !
On peut y parvenir pour Q ∩ [0, 1]. Il n’y a pas de bijection croissante de N sur Q ∩ [0, 1], mais on
peut énumérer cet ensemble ainsi :
0 , 1 , 1 , 1 , 2 , 1 , 3 , 1 , 2 , 3 , 4 , 1 , 5 , 1 , etc.
1 1 2 3 3 4 4 5 5 5 5 6 6 7
par dénominateurs croissants, puis numérateurs croissants.

8
Georges Papy (1920-2011), mathématicien belge, a travaillé au renouveau pédagogique des mathématiques
avec son épouse Frédérique Papy-Lenger (1921-2005). De 1963 à 1966 il a publié un programme pédagogique
en 6 volumes pour les mathématiques de l’enseignement secondaire : Mathématique moderne, paru chez
Didier. Il unifiait les grands thèmes du programme en s’appuyant sur la théorie des ensembles, le concept
d’application et les structures algériques. Contrairement à une idée reçue, la « réforme des mathématiques
modernes » de la fin des années 1960 s’est accompagnée d’un intense effort de réflexion.

13
+
On peut numéroter les éléments de Q selon la somme du numérateur et du dénominateur de la
forme irréductible : 0 , 1 , 1 , 2 , 1 , 3 , 1 , 2 , 3 , 4 , 1 , 5 , etc.
1 1 2 1 3 1 4 3 2 1 5 1
Mais il y a des pistes plus intéressantes : voir mon chapitre sur la suite de Stern-Brocot et l’exercice
5 ci-dessous.
Proposition 6 : Le produit de deux ensembles dénombrables est dénombrable. Le produit de k
ensembles dénombrables est dénombrable.
Proposition 7 : Toute réunion dénombrable d’ensembles dénombrables est dénombrable.
Preuve : Soit (Dn)n∈N une suite d’ensembles dénombrables, de réunion D. Les ensembles A0 = D0 ,
An = Dn – ( D0 ∪ … ∪ Dn−1 ) sont aussi dénombrables, et forment une partition de D (mais certains
peuvent être vides). Chacun des ensembles An est équipotent à une partie de {n}×N. En recollant ces
bijections, D est équipotent à une partie de N×N, donc est dénombrable.
Proposition 8 : L’ensemble F(N) des parties finies de N est dénombrable.
Preuve : Notons Pn(N) l’ensemble des parties de N à n éléments. L’ensemble An des n-uplets (x1, …,
n
xn) d’entiers naturels deux à deux distincts est dénombrable, en tant que partie de N . L’application
(x1, …, xn) → {x1, …, xn} est une surjection de An sur Pn(N), donc Pn(N) est dénombrable. Il reste
à utiliser la proposition 7.
Voici une preuve plus concrète, donnant un numérotage récurrent des éléments de F(N) :
∅ , {0} , {1} , {0, 1} , {2} , {0, 2} , {1, 2} , {0, 1, 2} , {3} , {0, 3} , {1, 3} , etc.
Une fois numérotées les parties de {0, 1, … , n}, on numérote celles de {0, 1, … , n+1} qui
contiennent n+1, dans le même ordre, en leur adjoignant n+1.
On peut d’ailleurs expliciter cette bijection N → F(N) : à tout entier n écrit en base 2 sous la forme
n = 2a1 + 2a2 + … + 2ar , a1 > a2 > … > ar, on associe l’ensemble { a1, a2, … , ar }.

Proposition 9 : L’ensemble S des suites d’entiers naturels nuls à partir d’un certain rang, est
dénombrable.
Preuve : On peut montrer cette propriété élémentairement. Mais on peut aussi utiliser le théorème
fondamental de l’arithmétique : si p1 = 2 < p2 = 3 < p3 = 5 < … est la suite des nombres premiers,
tout entier n ≥ 1 se décompose de façon unique en facteurs premiers. Si à l’entier n on associe la
suite v(n) = (v2(n), v3(n), v5(n), …) des exposants, on met en bijection N* et S.
Exercice 3 : Montrer que l’ensemble des suites d’entiers naturels périodiques à partir d’un certain
rang, est dénombrable.
Exercice 4 : Montrer que l’ensemble Z/2Z[X] des polynômes à coefficients dans Z/2Z est
dénombrable. Indiquer une numérotation explicite de cet ensemble.
n n−1 n
Solution : Les polynômes de degré n s’écrivent X + a1X + … + an forment un ensemble à 2
éléments. Z/2Z[X] est donc réunion dénombrable d’ensembles finis. On peut lister ainsi ses
2 2 2 3 3 3 3
éléments : 0 , 1 , X , X + 1 , X , X + X , X + X + 1, X , X + 1 , X + X , X + X + 1, etc.
A tout entier n écrit en base 2 sous la forme n = 2a1 + 2a2 + … + 2ar , a1 > a2 > … > ar , on associe le
polynôme P = X a1 + X a2 + … + X ar . Analogie avec la prop. 8.

Exercice 5 : On définit la suite u0 = 0 , un+1 = 1 , où E désigne la partie entière.


1+2E(un)−un
Montrer que n → un est une bijection de N sur Q+.

14
Proposition 10 : L’ensemble Q[X] des polynômes à coefficients dans Q est dénombrable.
Preuve : Q[X] = {0} ∪ U Q [X] est dénombrable, comme réunion d’une suite d’ensembles dénom-
n
n≥0
n+1
brables ; en effet, Qn[X] est équipotent à Q .

Proposition 11 : Le corps Q des nombres complexes algébriques sur Q est dénombrable.


Preuve : Rappelons qu’un complexe z est dit algébrique s’il existe un polynôme P non nul à coeffi-
cients dans Q, et annulant z ; notons Z(P) l’ensemble des zéros réels de P. L’ensemble des nombres
algébriques vérifie donc : Q = { Z(P) ; P ∈ Q[X]−{0} }. Comme Q[X] − {0} est dénombrable
U
(prop. 10), Q est dénombrable comme union dénombrable d’ensembles finis.
Remarque : Plus généralement, le corps des nombres réels ou complexes dits « calculables », c’est-à-
dire définissables par algorithmes, est dénombrable, puisqu’il n’y a qu’une infinité dénombrable
d’algorithmes. Ce corps contient Q , mais aussi certains nombres transcendants tels que e et π.

2.2. Exemples d’ensembles non dénombrables.


Proposition 12 (Cantor) : P(N) n’est pas dénombrable.
Preuve : Plus généralement, pour tout ensemble X, P(X) n’est pas équipotent à X.
S’il existait une bijection f : X → P(X), considérons A = { x ∈ X ; x ∉ f(x) }.
f étant surjective, il existe y tel que A = f(y).
• Si y ∈ A, par défintion de A, y ∉ f(y) = A.
• Si y ∉ A, par défintion de A, y ∈ f(y) = A. Les deux cas sont également impossibles.
Remarque : La situation rencontrée dans cette démonstration rappelle de vieux paradoxes,
notamment celui d’Epiménide le Crétois (VIè siècle av. J. C.), l’un des sept Sages de la Grèce :
« Tous les Crétois sont des menteurs », que l’on peut rendre plus sèchement par : « Je mens » mais
aussi par : « Cette assertion est fausse ». Un peu de réflexion montre qu’elle bouscule la classique
dichotomie des assertions en vraies et fausses. Ce paradoxe du menteur préfigure l’un des
arguments-clés du théorème d’incomplétude de Gödel (cf. D. Hofstadter, Gödel Escher Bach).
Proposition 13 : L’ensemble R des nombres réels n’est pas dénombrable.
Cela est démontré dans le chapitre sur la Droite numérique, § 4.4.
Remarques : 1) Plus généralement, tout espace métrique complet sans point isolé est non dénom-
brable. C’est une conséquence du théorème de Baire.
2) R est un Q-espace vectoriel de dimension infinie. En effet, si R était de dimension finie n, et si
(e1, ... , en) était une Q-base de R, l’application (λ1, ..., λn) → ∑ λi.ei mettrait en bijection Qn et R,
et R serait dénombrable. Mais R n’admet pas non plus de Q-base dénombrable. En effet, s’il
admettait une base dénombrable (en)n∈N, alors on aurait R = UF n , où Fn = VectQ(e0, …, en), et R
serait derechef dénombrable. Donc si R admet une Q-base (ei)i∈I, celle-ci n’est pas dénombrable.
ℵ0 = card N < dimQ R = card I ≤ card R. Si l’on admet l’hypothèse du continu, qui veut que toute
partie infinie de R soit équipotente à R ou à N, on aboutit à ce résultat paradoxal que I a autant
d’éléments que R, autrement dit que dimQ R = card R.9
Proposition 14 (Cantor, 1873) : Il existe des nombres transcendants.

9
Je pense même que cela peut s’établir sans recourir à l’hypothèse du continu.

15
Cette proposition découle des propositions 11 et 13. 10
Proposition 15 : Les ensembles R et P(N) sont équipotents.
Indication : Utiliser le développement binaire d’un réel.
Proposition 16 : L’ensemble C(R, R) des fonctions continues de R dans R est équipotent à R.
Indication : Montrer que l’ensemble F(Q, R) des fonctions de Q dans R est équipotent à R.
Or l’application f ∈ C(R, R) → f |Q ∈ F(Q, R) est injective, par densité de Q.

2.3. Preuves d’existence par les cardinaux.


La méthode des cardinaux, qui a servi à démontrer l’existence de nombres transcendants (prop. 14),
permet de démontrer l’existence d’objets sans en exhiber un seul. C’est une méthode puissante, mais
non constructive. En voici d’autres retombées.
Exercice : Montrer qu’il existe une suite à valeurs dans {0, 1} qui n’est pas périodique à partir d’un
certain rang.
Indication : On peut, soit en exhiber une, soit montrer que la plupart des suites sont dans ce cas…
Exercice : Soit D une partie finie ou dénombrable du plan euclidien E, ne contenant pas O.
n
Montrer qu’il existe une rotation r de centre O telle que (∀n ≥ 1) r (D) ∩ D = ∅.
2
Exercice : Soient A et B deux points du plan euclidien standard R . Montrer qu’il existe un cercle
2 2 2
passant par A et B, et ne rencontrant pas Q . En déduire que R − Q est connexe par arcs.
Solution : Soit ∆ la médiatrice de AB. Il y a une infinité non dénombrable de cercles passant par A
2
et B ; ils sont centrés en M ∈ ∆. Ceux qui passent par un point de Q forment une infinité
2 2
dénombrable. Il y a donc au moins un cercle passant par A et B, et restant inclus dans R − Q .
k
De même, on peut montrer par la méthode des cardinaux qu’il existe au moins une fonction f : N →
N non récursive primitive (grosso modo, une fonction est dite « récursive primitive » si elle est
composée de fonctions élémentaires, polynômes, etc.). En exhiber une est une autre affaire : on peut
démontrer que la fonction d’Ackermann en est une, par des arguments de croissance.

2.4. Applications de la dénombrabilité en analyse.


C’est là un sujet de leçon d’agrégation. Voici quelques résultats :
• Soit f une fonction quelconque de R dans R. L’ensemble des maximaux locaux stricts de f est
dénombrable.
• Soit f une fonction montone de I dans R (I intervalle de R). L’ensemble des points de discontinuité
de f est dénombrable.
• Soit f une fonction convexe de I dans R. L’ensemble des points où f n’est pas dérivable est
dénombrable.
• Soit f une fonction réglée de [a, b] dans E (Banach). L’ensemble des points de discontinuité de f
est dénombrable.

10
Cette preuve abstraite de l’existence de nombres transcendants sans en exhiber un seul a fort intéressé
Weierstrass, lorsque Cantor la soumit à son ancien maître, lors d’une rencontre à Berlin, le 25 décembre 1873.
Pour ne pas heurter Kronecker, farouche algébriste et finitiste, Cantor présenta anodinement sa découverte
comme une « nouvelle preuve du théorème de Liouville » (en 1844, Liouville avait construit une classe
explicite de nombres transcendants). Mais cela ne désarma pas les préventions de Kronecker, qui attaqua
violemment les travaux et la personne de Cantor. Ces attaques furent-elles à l’origine des graves troubles
nerveux qui assombrirent la vie de Cantor, de 1884 à sa mort ? Moins sans doute que la fatigue nerveuse due à
ses tentatives infructueuses pour démontrer les divers résultats de sa théorie. De plus, dès le début Weiertrass et
Dedekind ont encouragé ses travaux, qui furent largement reconnus à partir de 1896.

16
• Structure des ouverts de R : cf. chapitre sur les espaces métriques, § F. 2, th. 5.
• Un espace métrique complet est, soit fini, soit non dénombrable. C’est une conséquence du
théorème de Baire. Pour d’autres résultats, cf. chap. Espaces métriques : théorème de Baire (D. 5),
espaces de type dénombrable (G), résultats relatifs au cardinal des ensembles boréliens, etc.
Exercice : Existe-t-il une fonction continue f : R → R telle que f(R − Q) ⊂ Q et f(Q) ⊂ R − Q ?
Exercice : On se place dans le plan euclidien. On nomme tripode toute réunion [OA] ∪ [OB] ∪
[OC], où ABC est un triangle équilatéral non réduit à un point, et O le centre de ce triangle.
Montrer que toute famille de tripodes deux à deux disjoints est au plus dénombrable. [Oral X 2009]

2.5. L’hypothèse du continu.


Georg Cantor et ses successeurs ont cherché en vain à démontrer que toute partie infinie de R est
équipotente, soit à N, soit à R, autrement dit qu’il n’y a aucun cardinal strictement compris entre
card(N) et card(R) = card(P(N)). Ce résultat constitue ce qu’on appelle l’« hypothèse du continu »
(en abrégé HC).
De fait, on n’a jamais rencontré de partie infinie de R qui ne soit équipotente, ni à N, ni à R.
Cependant, en 1963, Paul Cohen (1934-2007) a démontré que (HC) est logiquement indépendante
des axiomes classiques de la théorie des ensembles ZFC (Zermelo-Frankel + axiome du Choix). Le
mathématicien Hugh Woodin pense cependant qu’il est possible de compléter la théorie ZFC par des
axiomes raisonnables permettant de lever l’indécidabilité de l’hypothèse du continu. Celle-ci
deviendrait alors un simple théorème. (Pour la Science, décembre 2019)
___________

Problème 1 : théorème de Cantor-Bernstein

Soient E et F deux ensembles. On suppose qu’existent une injection f : E → F et une injection g :


F → E, et l’on se propose de démontrer qu’il existe une bijection h : E → F.
1) Démontrer que, si l’on sait construire une partie A de E telle que g(F − f(A)) = E − A, alors
−1
l’application h définie par h(x) = f(x) si x ∈ A, g (x) si x ∈ E−A est bijective.
On se propose dans la suite de démontrer l’existence d’une telle partie A par deux méthodes.
Montrer que l’application ϕ(X) = E − g(F − f(X)) de P(E) dans P(E) est croissante pour l’inclusion.
2) Méthode abstraite.
On considère F = { X ∈ P(E) ; X ⊂ ϕ(X) }. Montrer que F est non vide, que toute réunion
d’ensembles de F est un ensemble de F, et que X ∈ F ⇒ ϕ(X) ∈ F.
En déduire que A = ∪X∈F X vérifie A = ϕ(A).

3) Méthode algorithmique.
On considère la suite A0 = ∅, An+1 = ϕ(An). Montrer que (An) est une suite croissante de parties
appartenant à F, et que A = UAn vérifie A = ϕ(A).
n∈N

4) Application.
Soient E et F deux ensembles. On suppose qu’existent une injection f : E → F et une surjection g :
E → F. Montrer qu’il existe une bijection h : E → F.

17
Exemple : On peut démontrer 11 par ce moyen que l’ensemble K des compacts de [−1, 1] est
équipotent à R. En effet x → {x} est une injection de [−1, 1] dans K. L’application qui au réel x
associe l’ensemble des valeurs d’adhérence de la suite (cos(n!πx)), est une surjection de [−1, 1] sur
K.

Problème 2

Soient E et F deux ensembles non vides. On se propose de démontrer qu’il existe une injection de
E dans F, ou une injection de F dans E (ou non exclusif).
Pour cela, on introduit la définition et on admet l’axiome suivants :
Définition : L’ensemble ordonné (X, ≤) est dit inductif si toute partie totalement ordonnée de X
possède un majorant dans X.
Axiome de Zorn : Tout ensemble ordonné inductif possède un élément maximal.
Soit X l’ensemble des couples (A, f), où A est une partie de E, et f une injection de A dans F.
1) Démontrer que (A, f) ≤ (B, g) ⇔ A ⊂ B et g|A = f définit une relation d’ordre dans X.
2) Démontrer que X posssède au moins un élément maximal (P, ϕ).
3) Démontrer que l’on a P = E ou ϕ(P) = F , et conclure.

Problème 3 : ordinaux dénombrables

On admet dans ce problème l’axiome de Zermelo : tout ensemble X peut être muni d’un bon ordre,
c’est-à-dire d’une relation d’ordre ≤ telle que toute partie non vide de X ait un plus petit élément.
Soit X un ensemble non dénombrable. Munissons-le d’un bon ordre, et adjoignons au besoin à X
un plus grand élément, noté (pour une fois!) ε. Pour tout α ∈ X, notons Sα = { β ∈ X ; β < α }.
1) Montrer que {α ∈ X ; Sα n’est pas dénombrable} est non vide. Soit θ son plus petit élément, et
Ω l’ensemble ordonné Sθ . Les éléments de Ω sont appelés ordinaux dénombrables.
2) Établir les propriétés suivantes :
a) Ω est bien ordonné, non dénombrable ; pour tout α ∈ Ω, Sα est dénombrable.
b) Pour tout α ∈ Ω, {β ∈ X ; β > α} est non vide ; son plus petit élément est appelé successeur
de α, et noté α + 1.
c) Soit 0 le plus petit élément de Ω. Il existe une unique application f : N → Ω telle que f(0) = 0
et (∀n ∈ N) f(n + 1) = f(n) + 1. On plonge N dans Ω via f , et l’on identifie n et f(n).
d) Soit ω le plus petit élément de Ω−N. ω est-il le successeur d’un élément de Ω ?
3) Un élément α ∈ Ω est dit de première espèce s’il est successeur d’un élément, de seconde
espèce ou ordinal limite s’il n’est pas un successeur. On note Λ l’ensemble des ordinaux limites.
Soit A une partie de Ω vérifiant les trois axiomes :
i) 0 ∈ A ; ii) (∀α ∈ Ω) α ∈ A ⇒ α + 1 ∈ A ; iii) (∀λ ∈ Λ) Sλ ⊂ A ⇒ λ ∈ A .
Montrer que A = Ω (théorème de récurrence transfinie).
4) Pour tout (α, n) ∈ Ω×N, on note α + n le n-ème itéré de α par α → α + 1.
Montrer que : (∀α ∈ Ω) ∃!(λ, n) ∈ Λ×N α = λ + n.
L’ensemble Λ est-il dénombrable ? α est dit pair si n est pair, impair si n est impair.

11
Cf. R. Antetomaso, Séries de Cantor, RMS, octobre 2006.

18
5) Pour tout α ∈ Ω, comment définir α + ω ? Plus généralement, comment définir et ordonner les
ordinaux P(ω) = a0 + a1.ω + a2.ω2 + ... + an.ωn , où ak ∈ N ? Lesquels sont des ordinaux-limites ?
Montrer que Ω − { P(ω) ; P ∈ N[X] } a un plus petit élément ; on le note ωω .
6) a) Montrer que toute suite (αn)n∈N d’éléments de Ω est majorée.
b) Montrer que toute suite (αn) strictement décroissante d’éléments de Ω est finie (principe de
descente infinie de Fermat).
7) Si l’ensemble de départ X est remplacé par un autre ensemble non dénombrable Y, que dire de
l’ensemble Ω obtenu ?
8) Montrer que tout ensemble dénombrable bien ordonné est isomorphe à une, et une seule,
section commençante Sα , où α ∈ Ω. Exemples :
i) N muni de l’ordre naturel, est isomorphe à Sω .
ii) N muni de l’ordre 1 < 2 < 3 < ... < n < n+1 < ... < 0 , est isomorphe à Sω+1 .
iii) N muni de l’ordre 0 < 2 < 4 < ... < 1 < 3 < 5 < ... , est isomorphe à S2ω .
iv) N muni de l’ordre 1 < 2 < 22 < 23 < ... < 3 < 2×3 < 2×32 < ... < 5 < 2×5 < 2×52 < ... < ...
est bien ordonné, et isomorphe à Sω^ω = { P(ω) ; P ∈ N[X] } .

__________

4 − Récurrence.
4.1 − Lorsque j’envisage de nouer les pensées je me place d’emblée dans un espace
qui les enveloppe de deux dimensions supplémentaires et dans cet espace qui est un
espace de pensées je manipule des pensées de pensées (qui elles-mêmes peuvent
être nouées) et dans cet espace de pensées de pensées je continue tout doucement
jusqu’à converger vers un espace de pensées de pensées de pensées où je continue
pour converger dans un espace de pensées de pensées de pensées de pensées de
pensées de pensées jusqu’à tendre vers un infini de pensées et là − forcément − je
m’arrête de penser parce que pour penser vraiment à un moment donné il faut
s’arrêter de penser !
Patrick Dubost, Nous les penseurs
_____________

Bibliographie

J.-L. Krivine : Théorie des ensembles (Cassini)


S. MacLane, G. Birkhoff : Algèbre, tome 1, chap. II (Gauthier-Villars)
N. Bourbaki : Théorie des ensembles, chap. III (Hermann)
F. Le Lionnais : Les nombres remarquables, p. 138-139 (Hermann, 1983)
J. H. Conway, R. Guy : The book of numbers, p. 265-299 (Springer)
B. Gostiaux : Cours de mathématiques spéciales, t. 1, chap. 3 (Puf, 1993)
P. Dehornoy : Logique et théorie des ensembles, Notes de cours FIMFA-ENS (2006-2007)
G. Papy : Mathématique moderne (Didier, 1965)
G. Ifrah : Histoire universelle des chiffres (Robert Laffont, 1994)
La Recherche : Les Nombres, août 1999. H. Sinaceur : Existe-t-il des nombres infinis ?
N. Charraud : Infini et inconscient, essai sur Georg Cantor (Anthropos, 1994)
Louis Aragon : La Défense de l’infini
Michel Roquebert : Histoire des Cathares (Perrin, Tempus, 1999)
Pour la science :
Dossier sur les mathématiciens : J. Dauben (janvier 1994, p. 118)

19
Les infinis (décembre 2000)
P. Dehornoy : Suites de Goodstein.
J.-Y. Girard : Les ordinaux (p. 77)
En finir avec l’hypothèse du continu, J.-P. Delahaye (octobre 2019, p. 26)
Wikipedia : nombre cardinal, nombre ordinal, numérotation de Sosa-Stradonitz.
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