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L’HÉRITAGE IMPENSÉ
DES MALTAIS DE TUNISIE
Licence accordée à Michèle muscat michele.muscat66@gmail.com - ip:2.4.248.197

© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-56398-8
EAN : 9782296563988
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Michèle MUSCAT

L’HÉRITAGE IMPENSÉ
DES MALTAIS DE TUNISIE
Licence accordée à Michèle muscat michele.muscat66@gmail.com - ip:2.4.248.197

Couverture: Boukhchina Wafa, Professeur Art Plastique


Institut Supérieur d’Arts et Métiers de Gabès, Tunisie
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À tous les Maltais


qui m’ont aidée
dans cette recherche
et plus particulièrement
les descendants de Maltais
de ma famille.

Mes remerciements s’adressent en premier, à


messieurs les professeurs Simon Mercieca de
l’université de Malte et Habib Kazdaghli de
l’université de Tunis, La Manouba, pour leurs pré-
cieux conseils. Je remercie aussi mon directeur de
thèse, M. Ahmed Ben Naoum de l’université de
Perpignan, pour le patient suivi de mes travaux de
recherche.
Enfin, je tiens à exprimer toute mes amitiés à
Madame Vérié Cassar ainsi qu’à messieurs Patrice
Sanguy et Carmel Sammut du cercle Vassalli pour
leur attentif soutien et la très riche documentation
qu’ils ont bien voulu me communiquer.
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Préfaces

C’est avec plaisir que j’accepte de préfacer le livre de Madame MUS-


CAT-PÉTEUL L’héritage impensé des Maltais de Tunisie. C’est
l’expression d’une amitié qui dure plus de 10 ans à un couple d’amis :
Michèle et son époux Joseph Muscat. Les deux sont aujourd’hui citoyen
français, mais le couple a toujours affirmé et revendiqué une filiation avec
la Tunisie et avec Malte. Ce livre reprend les développements et les résul-
tats d’une thèse d’Université, préparée sous la direction de mon ami
Ahmed Ben Naoum. Je dois dire que j’ai déjà eu l’occasion et le plaisir de
lire ce travail et d’apprécier sa consistance en tant que membre du jury de
soutenance en décembre 2008 à l’Université de Perpignan. Le livre est à
la fois un rappel historique de ces relations qui ont bien lié trois pays :
Malte, La Tunisie et la France contribuant à la naissance d’un tissu de
relations entre les femmes et les hommes de ces trois pays, mais aussi une
invitation aux jeunes français issus de ce partage référentiel pour décou-
vrir les multiples facettes d’une identité riche et plurielle qu’ils portent en
eux et qu’ils doivent explorer au-delà des préjugés et des stigmatisations.

L’auteur originaire de Normandie, sociologue de formation, mariée à


Joseph Muscat, enseignant natif de Tunisie mais dont les arrières grands
parents sont originaires de Malte, a bien connu et fréquenté le milieu objet
de son étude. Elle nous propose ici les résultats de sa prospection et sa
recherche face à un constat de départ qui s’est traduit par l’absence de
transmission de la composante non seulement tunisienne mais aussi mal-
taise chez les descendants des Maltais, devenus Français, depuis qu’ils
étaient en Tunisie. Il s’agit d’un groupe qui porte la mémoire de plusieurs
générations et qui a subi deux exils. Le premier exil remonte au milieu du
XIXe siècle lorsque, par vagues successives, des milliers de Maltais, pour
des raisons essentiellement économiques, étaient venus s’installer au
Maghreb et d’un deuxième exil qui s’est imposé à eux, en tant que « Néo-
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II L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

français », puisqu’ils ont dû suivre les retours en métropole (rapatriement)


qui ont accompagné les indépendances de la Tunisie et des autres pays du
Maghreb.
L’impensé dans l’héritage des Français d’origine maltaise ne pouvait se
comprendre et devenir un objet d’étude sociologique sans la mobilisation
de l’histoire de Malte, de la Tunisie, de la présence coloniale française au
Maghreb, de la mémoire et d’un type particulier de transmission généra-
tionnelle, comportant une partie constamment vouée à l’oubli et
l’occultation plus ou moins consciente dans la mémoire collective du
groupe étudié. Cette forte pesanteur socio-historique constitue un passa-
ge obligé pour comprendre et expliquer cet oubli qui caractérise la
mémoire du groupe ; c’est ce qui a amené Michèle Muscat à donner toute
la place qu’elle mérite à la présentation du long parcours d’une mémoire
portée, par plusieurs générations, depuis son départ de Malte jusqu’à son
arrivée en France et après avoir fait une longue escale en Tunisie. Ce long
processus a été bien observé et étudié à travers ce livre pour aboutir à une
conclusion présentant les résultats confirmant à la fois l’existence de «
temps oubliés » dans l’héritage des originaires de Malte qui vivent
aujourd’hui en France et annoncer de nouvelles pistes de recherches.
Le livre est une invitation au voyage, il doit suivre l’auteur sur le
terrain de sa recherche constitué de trois entités territoriales : Malte, la
Tunisie et la France qui ont formé le cadre spatial de cette transmission
d’une mémoire collective composée de plusieurs strates se prolongeant
dans le temps du milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours. En présentant
sa méthodologie de travail basée sur l’approche biographique (Ecole de
Chicago), l’auteur fait remarquer qu’elle a dû combiner cette méthode
avec les outils de l’approche anthropologique afin « de mettre en relation
des éléments qui, dans une première approche, pourraient apparaître épars
et de saisir la nature du lien social entre différents groupe constitutifs, de
la « mosaïque tunisienne ». Une présentation minutieuse a été faite du
contexte du travail de terrain et de la lente et patiente collecte des éléments
pouvant composer l’échantillon indicatif au cours des nombreux déplace-
ments effectués en Tunisie et à Malte et les recherches opérées parmi le
groupe des originaires de Malte installés essentiellement au Sud de la
France.
Un autre intérêt de ce livre est la présentation du cadre général et des
contextes historiques des territoires qui vont produire les « failles de la
mémoire ». Michèle Muscat nous décrit avec la précision du géographe le
cadre physique, démographique de l’archipel maltais caractérisé par un
excédent permanent en population, ce qui a obligé depuis une date lointai-
ne les Maltais de rentrer en contact avec la Tunisie, le territoire continen-
tal le plus proche. Cet échange permanent va donner lieu à une histoire
commune et conflictuelle qui remonte à la préhistoire en passant par la
période de la domination « tunisienne » sur l’île, la course en
Méditerranée et le rôle joué par les chevaliers de Malte qui s’étaient basés
dans l’archipel durant plusieurs siècles. L’occupation anglaise de l’île au
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie III

début du XIX e siècle mettra fin à un nouveau type de rapport obligeant


les Maltais à émigrer individuellement, hors des frontières, en dehors des
cadres d’un Etat ou un ordre protecteur. Les moments forts de cette histoi-
re commune ont été bien décrits par l’auteur, cependant, force est de
constater que cette histoire défile en absence du fil d’Ariane montrant les
liens possibles entre cette histoire et les oublis dans la transmissions de la
mémoire que vont connaître, plusieurs décennies plus tard, les descen-
dants de ces émigrés maltais ?
Le livre consacre un long développement à l’étude du processus
d’identification des Maltais en Tunisie, à la genèse de la naissance d’une
« démarcation » par rapport aux autochtones musulmans et le chemine-
ment de leur rapprochement historique des Européens par l’entremise de
l’Eglise Catholique. Une fine reconstitution est faite par l’auteur pour les
différentes communautés maltaises de Tunisie (Djerba, Porto Farina,
Sousse, Sfax et enfin Tunis). Mme Muscat, montre bien que malgré la jux-
taposition au niveau des conditions sociales entre les Maltais et les
Tunisiens, l’intégration à la société majoritaire ne s’est pas faite, elle a eu
tendance à se faire du côté du groupe dominant. Elle a eu raison d’insister
sur l’importance du facteur religieux qui a servi de « lien cultuel et cultu-
rel » entre la colonie française et les Maltais de Tunisie et par conséquent
de creuser le fossé entre les Tunisiens musulmans (les Arabes) et les
Maltais, même si les deux communautés étaient très proches socialement.
Mme Muscat a bien fait de s’attarder sur le rôle de l’Eglise dans la struc-
turation identitaire des différentes communautés maltaises.
Le livre s’attarde également sur les parcours migratoires en analysant
les trajectoires familiales racontées par des témoins ou des descendants de
Maltais racontant l’expérience familiale. Partie intéressante, nous avons
bien apprécié l’introduction du comparatisme à travers l’exposition des
comportements différenciés des Maltais selon les terres d’accueil. De
même que l’auteur n’a pas manqué d’ « éveiller » ou de faire ressurgir une
catégorie de Maltais qu’on pensait à jamais perdue. Il s’agit d’un groupe
d’originaire de Malte qui est resté « coincé » dans la Tunisie indépendan-
te. Pour la plupart, ils ont la nationalité française, mais ont choisi de res-
ter en Tunisie en tant que Français sans toutefois partir en France. Mme
Muscat a pu non seulement retrouver ces témoins « oubliés » mais aussi,
elle a interrogé des Tunisiens sur les lieux de mémoire des Maltais et le
regard qu’ils portaient sur leur présence en Tunisie, elle finit par les dési-
gner sous le vocable de Maltais-tunisiens. Un regret que Mme Muscat,
n’ait pas pu, pour des raisons familiales assister au mois de Malte à Tunis
organisé pour la première fois en janvier 2007 ; à cette occasion, plusieurs
Maltais vivants encore en Tunisie étaient venus s’exprimer publiquement
pour la première fois. Leurs témoignages confirment la situation de l’oubli
dans laquelle ils s’étaient confinés pendant cinquante ans.

Mme Muscat a également étudié les manifestations de l’absence de la


transmission chez les descendants des Maltais qui vivent aujourd’hui en
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IV L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

France. Avant d’arriver à l’émergence en France d’une « identité » maltai-


se reconstruite, elle s’attarde sur l’histoire et revient à la représentation par
les Maltais de leur pays d’origine lorsqu’ils étaient encore en Tunisie. Le
livre est un effort considérable, méritoire et réussi de familiarisation avec
plusieurs univers, la place des Maltais dans la société coloniale, leurs par-
cours personnels et collectifs, les identifications des Maltais dans la pre-
mière société d’accueil, les formes de transmission de la mémoire ou com-
ment s’est fait le travail de mémoire au sein ce groupe, les raisons du
silence et de l’oubli des traces des Maltais.
S’il est évident que le livre va beaucoup apporter à la connaissance
de ces Françaises et Français de « souche maltaise », sa lecture sera éga-
lement appréciée par les Tunisiens qui viennent d’accomplir au début de
cette année 2011 une révolution qui va les amener à travers les débats, les
campagnes électorales pour l’Assemblée nationale constituante à
s’interroger, à revisiter leur riche histoire à mieux connaître les compo-
santes humaines et les traces de leur patrimoine riche et pluriel. Le Livre
de Michèle Muscat apportera aux lecteurs tunisiens des données supplé-
mentaires sur les divers apports humains et civilisationnels introduits en
Tunisie à la faveur des passages de ces hommes et femmes, parmi lesquels
les Maltais occupent une bonne place, qui ont constitué, eux aussi, un des
fragments colorés de cette belle mosaïque tunisienne, fière de son passé
riche, mais dont l’avenir ne peut être envisagé que dans une ouverture aux
rives de la Méditerranée.

Tunis, mars 2011

Habib Kazdaghli,
Professeur des Universités en Histoire contemporaine.
Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités
(Université de Tunis-Manouba)
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie V

Nous sommes en présence d’un ouvrage rare : son auteure n’est pas une
chercheure comme les autres et, dans sa carrière, rien n’a jamais annoncé
qu’en son achèvement, elle ouvrait sur un travail de recherche scienti-
fique ; rare aussi parce que les études maltaises ne sont pas, en France,
aussi développées qu’elles devraient l’être : voici, en effet, un territoire
îlien, restreint dans son extension, mais combien vaste dans
l’extraordinaire originalité de sa civilisation et de son histoire ; et les
études maltaises sont encore plus pauvres — et c’est dommage — dans
leur appréhension de l’émigration / immigration de populations tuni-
siennes et maghrébines originaire de l’île, et devenues françaises et euro-
péennes à l’indépendance des sociétés de la rive sud de la « Mer du
milieu ».
Michèle MUSCAT est donc entrée en sociologie par la marge, à l’orée
d’une retraite et d’une sortie de profession qui lui ont permis, à mon sens
et de la manière dont je l’ai intuitivement perçue, de satisfaire une deman-
de profonde de résolution d’un conflit : un chercheur ne va jamais là où il
ou elle ne s’attend pas : nous sommes, dans nos terrains — et le nom
MUSCAT en île de Malte ne renvoie absolument pas aux fruits qu’en
France il désigne — et par effet différé, en recherche de l’Autre et de
l’Autre ous.
De ce point de vue, le travail qu’elle offre à lire s’enracine dans le
double mouvement d’une recherche de soi et, dans la saisie de cet ego,
dans le domaine qu’il territorialise par destination. En l’occurrence, le
domaine comme le terrain ne pouvaient pas ne pas être les Maltais de
Tunisie à travers leur héritage impensé. La raison n’est rien d’autre que le
constat, après coup, du résultat de la recherche qu’on va lire. C’est vrai
pour tout lecteur qui ne serait pas partie prenante de ce travail. La consé-
quence en est que ce dernier s’indique lui-même comme devant être lu en
dehors de tout dogmatisme strictement scientifique.
Je dois dire que je refuse la démagogie qui consiste, pour le préfacier,
exclusivement à illustrer, à distinguer l’ouvrage à publier, en allant plus
dans les laudes que dans une lecture objective. Avec celui de Michèle
Muscat, la question n’a pas été construite de cette façon : en dehors des
problèmes techniques et théoriques propres à une recherche en actes, s’est
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VI L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

posé à elle celui de l’articulation d’une « science » de l’Autre, déjà ancien-


ne en ses passés et ses présupposés ethnocentristes, mais totalement à fon-
der comme altérologie. C’est ce qui lui a permis de travailler des terrains
difficiles d’accès — et c’est peu dire — « exotiques », et qui nécessitent
des moyens financiers importants.
Il lui a fallu séjourner à quatre reprises en République de Malte, et à
quatre autres reprises en Tunisie. C’est surtout dans ce pays, qui nous est
si proche et si familier, qu’elle a beaucoup travaillé. Elle l’a sillonné du
nord au sud en séjournant à Tunis bien sûr, à Porto Farina (Ghar el Melh),
à Sfax, à Sousse et dans l’île de Djerba. Cela n’aurait pu se faire si, sur
place, elle n’avait trouvé aide et compréhension, principalement auprès du
professeur Habib Kazdaghli de l’Université de Tunis. De même, elle n’a
pas hésité à se rendre en Grande Bretagne et quasiment partout où ses
objets pouvaient être atteints.
Le récit de ses terrains montre bien que l’enquête a été exhaustive :
Michèle Muscat a littéralement chassé l’information, comme on chasse le
gibier, partout où elle était entreposée. Les Archives Nationales de la
République Tunisienne, l’ambassade de Malte et celle de Grande Bretagne
en Tunisie, les institutions religieuses catholiques de Tunisie articulées
autour de la prélature, et jusqu’aux annuaires téléphoniques, en se servant
de la graphie proprement maltaise des noms de personnes, pour construi-
re un effectif tout à fait respectable de personnes d’origine tunisienne à
enquêter. Michèle Muscat a systématisé la chasse à l’information, jusqu’à
consulter, au port de La Valette, les registres d’embarquement, pour la
Tunisie, de candidats à l’émigration, à différentes périodes de l’histoire de
Malte.
Elle a, en même temps, été à la rencontre d’un grand nombre de per-
sonnes, en Tunisie d’abord où il reste quand même quelques tunisiens
d’origine maltaise, dans le sud de la France, à Paris et dans d’autres villes
de France. Michèle Muscat a aussi participé à des rencontres scientifiques
internationales sur le sujet, en intervenant de manière académique, à l’égal
des autres intervenants pour partager son savoir.
Son enquête a, aussi et davantage, porté sur la mémoire vive de témoins
vivants. De ce point de vue, rien non plus n’a été négligé : l’impétrante
guidée par Carmel, un informateur et traducteur hors pair, a suivi, à la
trace, les Maltais de Tunisie. Elle a fait parler les vivants et interrogé les
cimetières et jusqu’aux anneaux auxquels les cochers maltais de Tunis
attachaient leurs chevaux. Les quartiers maltais de toutes les villes de
Tunisie à population maltaise ont été visités, les maisons, les rues et les
plaques des noms de rue ont été photographiées.
Les entretiens, nombreux, ont été la seconde base de la collecte de
l’information. Ces entretiens ont concerné, en outre, les anciens parmi les
citoyens tunisiens qui ont fréquenté les immigrés maltais.
Michèle Muscat s’est ainsi, d’une certaine manière, et en compagnie de
Carmel, reterritorialisée à la fois à Malte, en Tunisie, en France et en
Grande Bretagne. De la longue et complexe enquête qu’elle a réalisée, elle
a pu construire une problématique de la transmission de l’identité maltai-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie VII

se libérée des poncifs idéologiques déguisés en concepts socio-anthropo-


logiques. Son examen a porté sur les manifestations les plus connues de
ce qui se dit identitaire. Pour les Maltais l’identité est marquée, au pre-
mier chef, par la religion, puis par le nom patronymique, les techniques
de corps — habillement, santé, sexualité et art culinaire.
C’est à ce niveau que le lecteur peut avoir l’impression que l’auteure
était tellement en empathie avec les Maltais de Tunisie, qu’elle en a —
inconsciemment — reproduit le dynamisme d’une identité syncrétique.
Alors qu’elle sait que les Maltais ont un rapport ambigu à leur langue, à
l’origine du peuplement de l’île, de la toponymie, à la terminologie des
rituels religieuse, et à d’autres choses encore, l’analyse reste quelquefois
elle-même dans l’ambiguïté. En 1882, en France, le dictionnaire le plus
utilisé — « Dictionnaire encyclopédique d’histoire, de biographie, de
mythologie et de géographie » —, porte cette l’ambiguïté à la contradic-
tion : « la population (147 000 hbs) demi italienne, demi arabe est catho-
lique. »
Qu’est-ce à dire ? Toute langue, toute religion, tout système symbo-
lique quelle que soit sa nature est lu — c’est-à-dire immédiatement inter-
prété — de manière différentielle. Je dis, personnellement, et sur la base
d’une documentation restreinte et sans jamais avoir été à Malte, que la
langue des Maltais, que je lis et comprend en général, est de morphologie
et de syntaxe arabes tunisiennes, qu’une partie du vocabulaire du rituel
catholique maltais vient de l’arabe et les Arabes chrétiens d’Égypte, de
Syrie, du Liban ou de Jordanie et d’Irak, n’y sont pour rien. Il aurait fallu
s’interroger sur cette manière de se défausser. Cette terminologie vient de
l’islam et de beaucoup plus loin, de l’Hébreu soit du judaïsme. Je dis que
l’origine de Malte post déshérence c’est non la Tunisie actuelle, mais
Ifriqiya, l’ancêtre de la Tunisie. Je reviens, ce faisant au syncrétisme des
langues et des religions. Comment travailler sur Malte, sur les Maltais de
Tunisie, sur tout émigré / immigré, et finalement sur toute société humai-
ne ? Comment en rendre compte en étant à la fois Bororo et ethnologue
des Bororo ?
Il y a une voie difficile, complexe mais combien féconde d’un point de
vue scientifique : c’est de problématiser la différence et non l’identité.
C’est de penser de manière génésique qui entraîne à se ligoter et se
bâillonner dans l’identité et la pureté des origines ; et c’est de penser en
termes de généalogie, et d’expliquer le présent par le syncrétisme, c’est-à-
dire de penser tout ce que l’Autre nous apporte, que l’ethnologue peut
penser le Bororo et se reconnaître en lui.
Je sais bien que Michèle Muscat n’avait pas pour objet de penser
Malte, sa langue, son histoire, et tous les rapports aux universaux que la
société maltaise a construits et construit toujours. J’indique seulement que
penser en termes de différence permet de savoir sans regret de délestage
identitaire, et donc sans culpabilité et sans culpabiliser, pourquoi les
Maltais de Tunisie impensent leur héritage.
Michèle MUSCAT doit être remerciée pour cette étonnante performan-
ce qui introduit le lecteur dans l’univers de la complexité maltaise et dans
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VIII L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

celui plus complexe encore des Maltais de Tunisie ne vivant plus en


République de Malte ni en Tunisie, et donc doublement Autres et pourtant
eux-mêmes. Au-delà, et grâce à cet ouvrage, cela m’a permis de sentir au
plus profond de moi-même que Malte était une partie de moi-même et que
j’étais, une partie de Malte.

Pr. Ahmed BEN NAOUM


Université de Perpignan
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Introduction
« Mutato nomine de te fabula narratur » : « Le
nom étant changé, c’est de toi qu’il s’agit dans
cette histoire ».
Cité par Karl Marx, in Le Capital,
livre I, tome I, Éditions sociales, Paris, 1971, p. 2611.

Préambule curieux que de parler de soi au début d’une thèse, c’est


pourtant dans une histoire personnelle que ce travail de recherche
s’origine. Point de départ de nos premières interrogations, un kaléidosco-
pe familial symbolisé par une mini-tour de Babel linguistique ;, lors de
réunions communes, les échanges se déroulaient dans un florilège où se
mêlaient expressions françaises, tunisiennes, italo-siciliennes, maltaises
et anglaises. Cette famille, devenue mienne par alliance, descendait des
premiers Maltais émigrés en Tunisie, au début du XIXe siècle. Au cours de
ces rencontres où nous étions dans une situation, à la fois d’observateur
et de participant, deux faits retenaient, de prime abord, notre attention :
le peu de connaissances sur l’archipel maltais et, dans le cadre du pluri-
linguisme, le nombre infime de locuteurs maltais. os questions à ce sujet
rencontraient peu d’écho sinon celui du leitmotiv : « ous sommes
Français »2. Quelles étaient les causes de cette apparente absence
d’héritage maltais ? La double migration des familles, de Malte en
Tunisie, puis vers la France pouvait-elle en être la seule explication ?

Différents itinéraires tant professionnels que personnels nous avaient


conduite, depuis de nombreuses années, à nous interroger sur les problé-
matiques liées à la transmission identitaire ; nous avions ainsi initié, lors
d’un DEA, un début de recherche concernant ce processus, pour une
population ayant, sur quatre générations, fait face à une double migra-
tion : à savoir les descendants des Maltais de Tunisie, vivant en France.
Au cours de ce travail, nous avions peu à peu éprouvé la nécessité de nous
dégager des constats empiriques dus à l’aspect familial de nos premières
interrogations. En outre, une prise de conscience personnelle des limites
de l’utilisation du concept de l’identitaire s’était effectuée, grâce à
diverses lectures ; fallait-il, d’ailleurs, rester dans le domaine de ce
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10 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

concept dans la mesure où cette notion se trouve « mobilisée chaque fois


qu’il s’agit d’éviter l’altérité qui est en nous »3, notamment dans la rela-
tion à l’Autre, celui d’en face, le supposé-différent. ous avons donc
essayé de dépasser ce concept, souvent trop conforme aux idées reçues,
pour approfondir notre réflexion car « l’identité est avec l’ethnicité une
production idéologique qu’a contribué à cautionner l’anthropologie colo-
niale »4. Aussi, compte tenu des implications coloniales inhérentes à la
situation de la communauté maltaise en Tunisie, la relation à l’Autre,
celui du pays d’accueil, fut privilégiée au cours de ce travail. C’est pour-
quoi nous avons préféré déplacer l’axe de la recherche initiale en traitant
ici de « l’héritage impensé » autrement dit, des aléas et des paradoxes de
la transmission générationnelle, dans le cadre de cette double émigration.
Cependant, quel était l’intérêt d’interroger une migration ancienne, eu
égard à cette problématique ? Les processus de transmission étaient-ils
fonction des seuls facteurs d’immigration ?

S’interroger sur la transmission au regard d’une population de


migrants, c’est, en premier, essayer de connaître de l’intérieur, territoire
d’origine et territoire d’accueil des intéressés ; c’est la raison pour
laquelle cette étude est également une invitation au voyage ; voyage dans
le temps à la rencontre des destins croisés de deux pays : l’un arabo-
musulman, la Tunisie, l’autre européen et chrétien, Malte. En effet, depuis
son entrée dans l’Europe, en 2004 : « Malte a appartenu à bien des
ensembles divers, orientaux comme les empires punique, byzantin et
arabe, purement méditerranéens comme l’empire romain, réduits à
l’Europe occidentale comme l’ordre de Saint-Jean ou le Saint-Empire
romain germanique de Frédéric II, ou à dimension universelle comme
l’empire de Charles-Quint ou l’Empire britannique. Jamais à une commu-
nauté politique s’étendant sur le continent tout entier de l’Atlantique aux
Carpates, de la Méditerranée au Cercle polaire arctique »5. Les deux
siècles précédents, XIXe et XXe, une surpopulation endémique avait fait de
l’archipel un pays de forte émigration notamment vers l’Afrique du ord
où plusieurs générations de Maltais ont fait souche. La disparition des
empires coloniaux a suscité, pour les descendants des premiers émigrés,
de nouvelles migrations européennes.
ous posant la question de la part éventuelle d’un héritage culturel
commun, entre Malte et la Tunisie, nous nous sommes attachée à pointer
les correspondances, entre ces deux pays, surgies au détour d’une Histoire
entrecroisée d’un Orient et d’un Occident qui « ont été, territorialement
parlant à géométrie variable. Mais cela n’est perceptible qu’au travers de
la longue durée »6. Il s’agissait néanmoins, pour les Maltais, d’une émi-
gration en pays musulman pour une population issue de la très catholique
Malte ; or, l’Histoire nous avait appris les nombreuses luttes entre les
Chevaliers de l’Ordre de Malte et « Les Barbaresques », archétypes des
Sarrasins contre les Templiers, symboles de l’affrontement de la civilisa-
tion occidentale opposée à celle de l’Orient. Dans cette optique, l’Histoire
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 11

semblait contredire la notion d’un éventuel choix territorial de la part des


futurs émigrés maltais.

Saisir les processus de transmission, c’est aussi s’interroger sur les


premiers migrants, découvrir au travers de documents et de témoignages,
y compris auprès de la population tunisienne actuelle, non seulement les
causes de leur émigration mais aussi leur territorialisation et leur mode
de vie en Tunisie. Qu’allaient-ils conserver de leur culture d’origine ?
Quelle représentation de leur « Être Maltais » pour ces premiers émi-
grants ? À la même époque, des émigrants maltais s’étaient également
dirigés vers d’autres terres d’Afrique du ord et du Proche-Orient, les
problématiques de transmission générationnelle y avaient-elles été sem-
blables ?
Différents événements politiques majeurs allaient, peu à peu, transfor-
mer le « paysage » du pays d’accueil : la Tunisie devenait, en 1881, pro-
tectorat français. Les changements induits par la colonisation française
furent-ils les seuls à modifier le processus de transmission ? Quel rôle
allait jouer l’Église catholique ? D’autres éléments entraient-ils en jeu ?
Le siècle suivant, en 1956, la Tunisie accédera à l’indépendance ; cette
évolution générera, pour les descendants des Maltais, une seconde émi-
gration, vers l’Europe et, principalement vers la France.
Une question demeurait en suspens : restait-il, en Tunisie, des descen-
dants des premiers immigrés ? Et si oui, quel était leur vécu ?
Parallèlement, ceux des émigrés, qui avaient choisi la France, avaient-ils
pu transmettre, aux générations futures, des noyaux de sens, eu égard aux
origines. La Tunisie, pays d’accueil des ancêtres, pouvait-elle devenir une
destination touristique banalisée pour les anciens migrants ? Un travail
de terrain, effectué auprès des descendants, tant en France qu’en Tunisie,
nous a permis d’approcher de l’intérieur ce groupe particulier de
migrants sans pour autant négliger la référence essentielle au pays
d’origine : Malte. En outre, l’entrée de la République Maltaise dans
l’Union Européenne, en 2004, avait-elle eu un impact sur la transmission
générationnelle et sur l’intérêt porté au pays des origines dont peu de des-
cendants semblaient connaître encore la langue ?

Ces différentes recherches, axées au départ sur le processus de trans-


mission générationnelle, nous conduisaient à constater un ensemble de
blocages, de non-dits, dont il nous fallait démêler l’écheveau ; la question
linguistique nous paraissait être le fil d’Ariane, de ce « Malaise dans la
civilisation »7, qui nous permettrait d’approcher les paradoxes d’une
transmission dont l’essence même est peut-être mythique.
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Première partie

Le cadre de la recherche
et ses limites
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14 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

1. LE TERRAIN
otre étude nécessitait de définir les lieux et périodes étudiés, de
manière à cerner l’objet de la recherche ; en effet, l’émigration maltaise
en Tunisie eut lieu du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle, époque
à laquelle elle fut progressivement remplacée par une émigration vers
l’Australie. En outre, le milieu du XXe siècle fut marqué par la fin du pro-
tectorat français en Tunisie et l’accession de ce pays à l’indépendance.
Cette phase historique déterminante, pour les relations entre ces deux
pays, sera source d’une seconde émigration vers la France pour de nom-
breux descendants de Maltais installés depuis plusieurs générations en
Tunisie. Sur le plan historique, la recherche s’inscrivait donc des pre-
mières émigrations du XIXe siècle, jusqu’aux descendants de Maltais
vivant en France ou en Tunisie actuellement.
Par ailleurs, il fallait définir un cadre territorial dans la mesure où
notre parcours d’étude se situait dans trois pays différents : la Tunisie,
Malte et la France. En Tunisie, outre les recherches effectuées aux
Archives et à la Bibliothèque ationale, des contacts ont également été
établis auprès des différents consulats, maltais, anglais et français.
Cependant, compte tenu de l’éclatement du terrain, nous avons dû, pour
des raisons d’efficacité, limiter nos investigations aux principaux lieux
d’arrivée des premiers immigrés maltais ; il s’agit des villes portuaires de
Tunis, Ghar el Mehl (anciennement Porto-Farina), Sousse, Sfax et de l’île
de Djerba. Plusieurs voyages d’étude ont permis d’avoir, dans un second
temps, des entretiens tant avec des Maltais issus de l’immigration mais
demeurés en Tunisie, qu’avec des Tunisiens ayant le souvenir précis de
cette population.
Au début de nos recherches, un descendant de Maltais de Tunis, parta-
geant son temps entre la France et la Tunisie, nous avait affirmé qu’il ne
restait plus, en Tunisie, de Maltais de l’ancienne origine émigrée ; cette
assertion semblait confirmée par la plupart des personnes d’origine mal-
taise vivant en France8. Un doute subsistait toutefois dans la mesure où
d’autres contacts, en France, avaient émis l’hypothèse qu’il demeurait,
peut-être, quelques Maltais très âgés sur Tunis, Sousse et Djerba. Entrer
en relation avec ces témoins privilégiés, gardiens de la mémoire des
Maltais immigrés fut une entreprise longue et délicate.
Désireuse de nous entretenir avec ces Maltais résidant encore en
Tunisie, nous nous sommes dirigée vers d’autres sources d’informations
possibles. Compte tenu des premières relations établies en France et en
Tunisie, nous avions pu localiser les anciens quartiers maltais de Tunis ;
c’est pourquoi, suite au peu d’informations recueillies précédemment,
nous décidions alors d’orienter nos recherches vers ceux qui avaient pu
connaître les Maltais : c’est-à-dire, les Tunisiens demeurant actuellement
dans ces quartiers. En effet, « dans une entreprise d’étude de l’histoire des
communautés qui marquèrent par leur présence des quartiers et des
espaces, des noms de rues, des monuments, des souvenirs personnels, on
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 15

ne peut faire l’économie du recours à toutes les traces qui peuvent l’aider
à reconstituer les événements du passé »9.
Ayant, d’autre part, relevé l’importance de la religion catholique chez
les Maltais, nous prenions également contact avec le responsable de la
paroisse de la cathédrale de Tunis où résidaient des prêtres, susceptibles
de nous procurer des informations sur la vie du groupe maltais ; non seu-
lement leur connaissance des Maltais fut un apport précieux, mais aussi
leur information sur le fait qu’il subsistait effectivement quelques Maltais
âgés, continuant de fréquenter les offices de la Cathédrale, lieu où nous
pourrions les rencontrer. De plus, ils nous indiquèrent la présence de
quelques-uns d’entre eux, dans deux maisons de retraite accueillant des
Européens : l’une à Radés10, l’autre à La Goulette11. ous constations
cependant que les contacts proposés excluaient la possibilité de connaître
des Maltais susceptibles de s’être intégrés à la société tunisienne, soit du
fait de leur conjoint, soit d’une prise de distance d’avec la pratique reli-
gieuse catholique. Compte tenu de nos dernières recherches, nous émet-
tons l’hypothèse que le nombre des Maltais, descendants des premiers
immigrés est, sans doute, plus important que celui des seules personnes
âgées, signalées au début de nos investigations ; cette appréciation diffé-
rente provient, de la prise en compte, de l’existence d’un petit nombre de
mariages mixtes Maltais-Tunisiens très difficilement répertoriables. La
possible existence de quelques autres personnes isolées et très âgées, nous
a aussi été signalée, dans d’autres secteurs géographiques, mais nous
n’avons pas pu vérifier ces indications.

Le même souci d’efficacité nous a conduite à effectuer des séjours de


travail à Malte plus limités dans le temps ; ils se révélèrent cependant suf-
fisants pour compléter certaines de nos informations. Le travail de terrain
s’est principalement focalisé, les premières années, sur un travail de
recherche à la Bibliothèque ationale au niveau de l’Histoire de
l’archipel et de la société maltaise, enrichi d’échanges avec des historiens
de ce pays.
ous avons pu, également, interviewer quelques familles qui avaient
encore des liens réguliers avec des Maltais vivant encore en Tunisie ou
ayant émigré en France. Deux autres déplacements dans ce pays nous ont
apporté d’autres éléments d’appréciation : il s’agit d’une part, de notre
participation à une réunion de famille, regroupant les descendants du pre-
mier émigré maltais en Tunisie en 1830 ; ce regroupement rassemblait une
trentaine de personnes venues à la fois d’Angleterre et de France auquel
se joignait un Maltais de Malte, parent par alliance12, de l’ancêtre immi-
grant. ous avons, d’autre part, effectué un autre voyage à Malte dans le
cadre de l’association des Amis de Malte, Midi-Pyrénées : les Maltais,
originaires de Tunisie, étaient, cette fois, peu nombreux, par rapport à
ceux descendant des Maltais d’Algérie. Malgré leurs limites, ces investi-
gations nous ont permis de resituer, en partie, les conditions de vie mal-
taise à l’époque de l’immigration en Tunisie et d’approcher l’essentiel des
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16 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

référents maltais à savoir leur spécificité linguistique et leur profonde


imprégnation catholique.

En France, le travail fut circonscrit principalement au Sud de la


France, compte tenu des deux autres terrains évoqués, et plus précisément
à la région Midi-Pyrénées. Ce choix présentait aussi l’intérêt de pouvoir
adhérer à des associations maltaises et ainsi, dans un premier temps,
d’élargir le panel de personnes interviewées soit une trentaine personnes
comprenant, pour deux situations, plusieurs membres d’une même famille
mais de génération différente. ous pouvions ainsi étayer nos premières
hypothèses et les confronter aux témoignages recueillis en Tunisie
Dans un second temps, une brève analyse de la relation d’affiliation
maltaise, dans le cadre du vécu associatif, a été esquissée. otre travail a
également pu être enrichi de témoignages épistolaires, recueillis auprès
de descendants de Maltais, plus éloignés géographiquement.
La possibilité d’une étude des contenus des publications associatives a
été abordée mais nous avons surtout bénéficié de l’apport de ces pages
concernant, soit des éléments de vie maltaise en Tunisie, soit des informa-
tions plus actuelles au sujet de la République maltaise.

Ainsi les limites spatio-temporelles, indispensables, compte tenu d’un


terrain de recherche réparti en différents territoires, n’ont certes pas per-
mis de traiter l’ensemble des problématiques soulevées à partir de la
question initiale de la transmission générationnelle. Des questions
demeurent en suspens, des pistes restent à explorer, elles pourront éven-
tuellement être approfondies dans des travaux ultérieurs.

2. RÉFLEXION MÉTHODOLOGIQUE

2.1. REGARDS CROISÉS SUR LES PROCESSUS DE TRANSMISSION


Qu’est-ce que transmettre ? Cette interrogation nécessite deux direc-
tions indissociables. La première est de s’interroger sur les représenta-
tions, conscientes et inconscientes, concernant les liens géographiques et
historiques entre Malte et la Tunisie, pour les immigrés maltais ; ce ques-
tionnement allait nous faire découvrir l’existence d’un espace légendaire
commun. Quel sera l’impact de l’ensemble de ces représentations dans le
cadre de la transmission ? En effet, comme le souligne Catherine Joubert,
« chaque homme naît dans un contexte historique déterminé » et « il
revient à chacun de transmettre aux générations à venir une part de la
mémoire dont il est héritier »13.
Comprendre les processus de transmission demandait non seulement
de s’appuyer sur l’ensemble des données historiques, mais aussi de tenter
d’appréhender de l’intérieur ce groupe de descendants d’émigrants avant
que les derniers témoins ne disparaissent. La seconde direction de notre
recherche s’intéressera donc à la mémoire familiale, malgré tous les aléas
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 17

qui lui sont liés. En effet, tout individu est inscrit dans une histoire fami-
liale et générationnelle dont il ne peut s’abstraire. Les recherches effec-
tuées dans les différents territoires concernés, à savoir la Tunisie, Malte
et la France, allieront observation participative et entretiens le plus sou-
vent non-directifs, acceptant les inévitables digressions, imprécisions ;
notre attitude deviendra parfois cependant, semi-directive afin de favori-
ser l’émergence du passé. ous avons ainsi privilégié l’écoute à un ques-
tionnement réducteur, écoute de familles d’origine maltaise ou de
Tunisiens, habitants des anciens quartiers maltais, invités à évoquer la vie
de la société maltaise en Tunisie.
Saisir, au cours des entretiens avec les descendants, une part de cette
« mémoire archéologique [...] Récit d’une origine, temps de la vie
d’autrefois, inscription dans une histoire collective »14, constituera un de
nos objectifs ; puis, nous tenterons d’en démêler les fils enchevêtrés.
Interviendront aussi des notions d’étayage, familial et social maltais, où
« Le Moi-Peau15 » constituera un des aspects de la relation à la terre
d’accueil, pour les premiers immigrés maltais. Il s’agira d’une démarche
anthropologique permettant, non seulement de « saisir les flux et les ten-
sions les plus imperceptibles »16 mais aussi de mettre en relation des élé-
ments qui, dans une première approche, pourraient apparaître épars et de
saisir la nature du lien social, entre les différents groupes constitutifs, de
la « mosaïque tunisienne ». En effet, ces bribes de mémoire familiale,
confrontées à l’Histoire et aux traces territoriales et orales en Tunisie,
mises en relation avec les sources maltaises, nous ont permis d’approcher
la position paradoxale de ces émigrants, entre Orient et Occident, eu
égard aux aléas de la transmission.
À ce stade de la recherche, s’est posée une question d’éthique : avions-
nous le droit, au nom d’un travail universitaire, d’interroger ainsi le passé
de nos interlocuteurs ? En effet, « revivre est toujours dangereux, qu’il
s’agisse de ne pas arriver à retrouver ce que l’on voudrait revivre ou de
ne revivre que trop ce dont on a souffert »17 ; cependant ces éléments de
récits de vie, souvent réifiés, parfois inexacts ou bien transformés dans un
« présent-composé »18, sont irremplaçables car ils témoignent, non seule-
ment de l’aspect humain de l’Histoire mais aussi de la nature de la rela-
tion entre les hommes.

2.2. UNE PROBLÉMATIQUE D’ORDRE LINGUISTIQUE


En Tunisie et à Malte, des problèmes d’ordre linguistique se sont posés
au niveau de la compréhension de certains documents et, en partie, au
cours des entretiens avec des informateurs de ces pays. Ce domaine de
notre travail impliquait la nécessité de la collaboration d’un « passeur »19,
capable de s’exprimer en arabe tunisien et en maltais, à même de saisir
les objectifs de la recherche et d’initier ainsi un échange révélateur. Le
désir de saisir la complexité du vécu maltais en Tunisie nous a conduite à
choisir une personne issue de ce groupe afin d’affiner notre recherche.
ous nommerons cette personne, Carmel, prénom courant parmi la popu-
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18 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

lation maltaise de Tunisie, et lui attribuerons la fonction de « témoin-


relais » car sa présence a permis d’établir des contacts privilégiés, tant à
Malte qu’en Tunisie. En effet, au début des entretiens dans ces deux pays,
la langue de communication utilisée nous mettait, en situation
d’observateur des seules attitudes des interviewés, ne pouvant intervenir
directement qu’auprès du témoin-relais ; nous étions alors réduite à la
position d’un tiers, étranger au groupe, l’interviewé ayant tendance à
englober le témoin-relais, dans son système de pensée, en référence à un
vécu commun, le plus souvent mythique. Cet aspect limitait alors le cadre
des entretiens puisqu’il était alors supposé, par nos interlocuteurs, que
Carmel connaissait presque tout de la vie maltaise en Tunisie dans la
mesure où il y était né. La préparation des entretiens avec notre témoin-
relais n’a pas empêché d’éviter totalement cet inconvénient ; cependant,
quelques questions de notre part ont, le plus souvent, favorisé la reprise
du dialogue même si celui-ci était ponctué des inévitables « toi, tu le sais »
ou bien « tu as dû le connaître » à l’adresse de Carmel, suivi de « mais je
vais lui expliquer, à elle » énoncé à notre intention. La poursuite de
l’entretien permettra une participation plus active dans la mesure où le
français sera le plus souvent utilisé, de manière majoritaire. Cependant,
les contacts établis en français nous gardaient dans la distance par rap-
port aux éléments que nous souhaitions recueillir ; dans ce domaine, la
participation de Carmel, s’exprimant en maltais ou arabe tunisien, a per-
mis d’enrichir nos investigations. Dans un second temps, nous avons pu
ainsi, aborder les parcours familiaux avec les descendants, notamment
par le biais de la demande de récit sur les ancêtres, premiers émigrés en
Tunisie. Établir le lien avec des membres de la famille, vivant actuelle-
ment à Malte et n’ayant pas émigré, a été possible pour deux situations.
En outre, que ce soit en France ou en Tunisie, la communication
s’effectuera souvent, lors des premiers entretiens, sur un mode opératoire
hyperréaliste, nos interlocuteurs ayant tendance à parler des causes his-
toriques de l’immigration maltaise, sans aucune référence à un vécu per-
sonnel. Ayant réussi à rencontrer quelques-uns des anciens Maltais,
demeurés en Tunisie, ces derniers nous apprendront l’existence de
quelques autres de leurs concitoyens ; maintes fois, nos interlocuteurs ont
tenté de nous diriger vers ceux de leurs concitoyens, occupant une fonc-
tion importante, ou bien considérés, par eux-mêmes, comme plus cultivés,
estimant que ces derniers pourraient nous apporter un témoignage,
davantage digne d’intérêt que le leur. Or, nous tenions à effectuer des
entretiens, avec des personnes appartenant à différents milieux sociaux,
car nous les pensons davantage révélateurs de la représentation d’un
groupe social, que ceux réalisés avec les seules personnalités. Ce procé-
dé de recherche, en « boule de neige », nous a permis de progresser dans
la compréhension et la rencontre des Maltais restés en Tunisie, mais il a
nécessité d’y consacrer un temps relativement important ; nous l’avons
cependant privilégié par rapport à celui consacré à la consultation
d’archives. ous avons pu ainsi, nous entretenir avec une vingtaine de
descendants de Maltais dont la majorité a pu être revue lors de voyages
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 19

successifs. ous tenons à souligner ici, l’importance de ces entretiens car


ils constituent une mémoire vivante, certes source d’erreurs compte tenu
de la part de l’affect, mais cependant « dit » irremplaçable.
En Tunisie, des problèmes d’ordre linguistique se sont également posés
au niveau de la compréhension de certains documents. ous avons été
particulièrement confrontée à cet écueil lors de la consultation de jour-
naux maltais, édités en Tunisie sous le protectorat, et rédigés en maltais,
italien et français ; des exemplaires de ces publications sont conservés, en
Tunisie, à la Bibliothèque nationale ainsi qu’à la Bibliothèque nationale
de La Valette à Malte. Présent pour la partie de la recherche en Tunisie et
à Malte, Carmel a été d’une aide précieuse ; cependant, il ne possède seu-
lement, comme la majorité des descendants d’immigrés, que la pratique
du maltais oral, utilisé en Tunisie : il aborde donc les traductions par ana-
logie avec l’oral ; de ce fait, ces dernières sont restées parfois partielles et
ont nécessité plus de temps. Cependant ces difficultés concernant le mal-
tais écrit, n’handicapent que très peu Carmel à l’oral et ne constituent pas
un obstacle pour établir une communication efficace avec des Maltais de
l’archipel.
D’autre part, à Malte, la communication a été facilitée du fait de la
grande disponibilité des enseignants, et de leur connaissance du français.
Les quelques entretiens, que nous avons pu avoir avec des Maltais, se sont
déroulés presque entièrement en langue maltaise grâce à la participation
de Carmel ; cette manière de procéder n’était pas une situation d’échange
direct mais elle nous a semblé préférable à un échange relativement limi-
té en anglais. De plus, un entretien en langue maltaise initiait une entrée
dans « l’intimité du peuple maltais » en abolissant les distances de
l’étranger, s’exprimant uniquement dans la langue de Shakespeare.

2.3. ÊTRE DU DEDANS ET DU DEHORS


Cependant, il nous faut aborder ici, outre les questions de traduction,
la problématique liée à l’appartenance groupale de notre témoin-relais.
ous nous arrêterons plus longuement sur notre position personnelle au
regard de cette recherche ; en effet, compte tenu de l’appartenance de
notre conjoint au groupe maltais, sujet de l’étude, nous possédions à la
fois des portes ouvertes mais aussi des difficultés inhérentes à cette situa-
tion. En effet, nous devions, non déconstruire ce que nous avions commen-
cé à entrevoir dans le cadre du groupe familial élargi, à l’origine de nos
interrogations, mais du moins mettre en sommeil nos premières hypo-
thèses pour tenter de porter un regard autre. ous étions au départ, dans
ce que nous pensions être une situation d’immersion dans le groupe mal-
tais mais celle-ci, bien que réelle, était illusoire dans la mesure où le vécu
personnel diffère souvent de l’objectivité. C’est ici qu’interviennent lec-
tures et échanges avec des informateurs universitaires, capables d’ouvrir
le champ de la recherche en apportant des éléments plus objectifs. C’est
pourquoi nous nous sommes orientée vers une prise de distance, essayant
de porter un regard extérieur sur un groupe dont nous faisions partie ;
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20 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

incluse, de manière partielle, adoptée mais non issue de ce groupe, nous


appartenions à la fois au-dedans, de par les liens familiaux, mais aussi
au-dehors, de par nos origines françaises. Cette réalité en occultait une
autre : notre démarche n’a-t-elle pas été facilitée en raison de notre
double appartenance ? Les entretiens auraient-ils eu la même teneur si
nous nous étions présentée uniquement comme française ? Or, nous avons
toujours choisi délibérément de faire état de nos liens avec le groupe mal-
tais, établissant une relation de confiance avec les personnes inter-
viewées ; était-ce de la démagogie ? ous ne le pensons pas car ainsi nous
abolissions, en partie, la distance de notre « francéité ». Cependant, faire
advenir les anciens récits familiaux risquait de provoquer la résurgence
d’éléments concernant l’époque de la domination coloniale française et
notre position de chercheur français aurait pu induire l’ancien rapport
dominant-dominé qu’avaient connu les Maltais en Tunisie ; aurions-nous
pu nouer des contacts identiques si nous avions été complètement étran-
gère à ce groupe ?
Ainsi, nous avions entrevu dès le début de cette étude, la nécessité de
connaître au travers des récits de leurs descendants, la vie de ce groupe
d’émigrés, pour appréhender la problématique de la transmission généra-
tionnelle. Peu à peu, les descendants des Maltais de Tunisie se révélèrent
être, en Tunisie, une microsociété beaucoup plus complexe que ne le lais-
saient entrevoir la plupart des anciens écrits. Quelques études, plus
récentes, commençaient à envisager cette « communauté », sous un angle
plus diversifié que « cette masse de Maltais » ou « cette émigration dite de
la misère ». Cet aspect garde sa part de vérité ; il en est de même pour les
descriptions précises de C. Camilleri20 et C. Sammut21, à propos d’une
population maltaise très pauvre, proche du niveau de vie des Tunisiens,
durant les premières années du protectorat ; cependant cette situation
était-elle représentative, de celle de tous les Maltais émigrés ? ’était-il
pas nécessaire de s’interroger aussi, à propos de la transmission, sur le
rôle d’une élite maltaise, certes réduite en nombre, dont l’influence était
cependant prépondérante sur ses concitoyens.

ous pouvions, alors, commencer à approfondir les premières hypo-


thèses sur les questions de transmission concernant la population maltai-
se immigrée, à savoir l’impact d’une transmission en négatif des vécus de
l’émigration ; nous avons ensuite, confronté ces hypothèses à la réalité
des documents et des récits familiaux. Toutefois, nous relèverons chez les
descendants de Maltais installés en France, une situation de non-dits
identitaires multiples, accompagnés d’une transmission, souvent non
explicite en Tunisie, de la culture maltaise ; se posait alors la question de
l’origine de cette problématique. À ce stade de la recherche, quelques
aspects de la vie des autres communautés maltaises émigrées en territoi-
re musulman au XIXe siècle, nous ont paru intéressants car ils permet-
taient d’établir similitudes et différences avec les autres groupes
d’émigrants maltais.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 21

Progressivement, nous avons abordé non seulement la vie du groupe


maltais en Tunisie au temps des premières immigrations, mais aussi la
connaissance des histoires familiales en nous interrogeant sur le contenu
de la transmission aux générations suivantes. Ces récits ont été obtenus
lors d’entretiens effectués principalement avec des Maltais appartenant à
la troisième génération née en Tunisie. En effet, cette génération semblait
pouvoir apporter l’information la plus riche : elle portait en elle, les
représentations de l’île mère, Malte, et celles du vécu en Tunisie ; même si
le fil était ténu, elle restait apparemment la seule source de transmission.
Partant de ce postulat, nos interrogations restaient les mêmes et, cepen-
dant, évoluaient en se précisant ; ainsi, nous passions d’un questionne-
ment relatif au processus de construction identitaire, dans le cadre d’une
double immigration, à celui de l’évolution d’une transmission génération-
nelle en nous interrogeant sur ce qui a rendu Autre, le migrant maltais de
Tunisie en tant que sujet-transmetteur.

2.4. DU TERRAIN À L’ÉCRIT


Passionnée par le travail de terrain, nous avons éprouvé quelques dif-
ficultés à nous arrêter pour engager le travail de rédaction, indispensable
à l’objectivation bien que celle-ci soit un leurre : on ne peut, effective-
ment, s’abstraire entièrement de son propre vécu. Ce ne fut pas cependant,
la page blanche de l’écrivain qui nous figeait mais le fait de devoir choi-
sir, trier parmi les éléments recueillis, d’où une plus lente élaboration de
l’écrit ; il nous a été, ainsi, particulièrement difficile de renoncer à utili-
ser l’ensemble du travail de terrain même si la totalité nous autorisait à
avancer dans les hypothèses ; en effet, « l’anthropologie est aussi une
perte, un abandon, un lâcher-prise, un sacrifice, un don »22.
Concrètement, les entretiens ont été enregistrés quand nos interlocu-
teurs l’acceptaient ; dans le cas inverse, nous prenions des notes brèves,
par exemple des indications d’ordre généalogique et les complétions dès
que possible, en retranscrivant l’ensemble de l’interview. ous pensons
effectivement, qu’une prise de notes, trop importante durant l’entretien, ne
laisse pas assez de place à l’écoute de la parole de l’Autre ; l’inconvénient
de cette attitude réside dans le fait de la perte éventuelle d’éléments du
discours, mais cette perte est le plus souvent compensée par la qualité de
l’échange, associée à la retranscription quasi immédiate de l’entretien.
Par la suite, nous avons repris, à chaque retour en France, l’ensemble des
interviews menés en Tunisie de manière à en analyser le contenu, sans
déformer les propos23 afin d’essayer d’aller au-delà du dit et d’approcher
le registre symbolique.
De plus, nous avons souvent été confrontée aux modalités d’expression
du souvenir. os correspondants mêlant bribes de récits de vie, vécu
actuel et réflexions personnelles, suivaient davantage la chronologie de
leurs souvenirs que celle de l’Histoire ; nous avons cependant pu établir
une relative cohérence diachronique des histoires familiales et les relier
aux événements historiques. Toutefois, le temps des ancêtres est resté par-
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22 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

fois quasiment méconnu ; s’agissait-il alors d’une simple défaillance


mémorielle ou d’espaces de mémoire inhabités ?
L’utilisation de pseudonymes pour évoquer les personnes, sujets des
entretiens, a fait l’objet d’une longue réflexion car la majorité de nos
interlocuteurs, bien qu’ayant accepté l’utilisation de leurs dires à des fins
de travaux universitaires, ne souhaitait pas que leur patronyme apparais-
se dans un écrit. Dans un premier temps, nous pensions utiliser prénom
banalisé et initiale du nom de famille. Cette option n’était pas satisfaisan-
te pour deux raisons : d’une part, les précisions données sur les histoires
familiales ne paraissaient pas suffisamment garantir l’anonymat, d’autre
part, l’absence de référence à des patronymes maltais privait de sens cer-
tains des propos étudiés. ous avons donc choisi d’élaborer une liste de
pseudonymes correspondant à des patronymes de Maltais, ayant émigré
en Tunisie à la fin du XVIIIe et dans la première partie du XIXe siècle, puis
de leur associer un prénom usuel de la communauté maltaise. Cependant,
dans la mesure où les mêmes patronymes reviennent souvent dans
l’onomastique maltaise, il fallait éviter, si possible, les occurrences avec
des personnes de noms et prénoms identiques24. Dans le même souci de
respect des interlocuteurs, il nous est arrivé plus rarement, de ne pas men-
tionner certains noms de lieux ; nous avons ainsi préservé l’anonymat des
personnes, et gardé une cohérence au regard de la population étudiée.

Ces diverses étapes faites de réflexion, parfois de remise en question de


notre travail ont certes allongé le temps de production de cette recherche ;
elles ont été, cependant, source d’approfondissement et d’enrichissement ;
c’est pourquoi, nous ne regrettons pas ces temps de latence où l’altérité
s’est frayé un chemin dans notre réflexion.
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Notes de la première partie


1 Ben Naoum, A. « Haine de soi, désir de l’autre : l’autodérision comme critique de
la violence », Les formes de reconnaissance de l’autre en question, Perpignan,
P.U.P., 2004, p. 67.
2 Cette assertion fut présente dans tous les entretiens avec les descendants des Maltais
de Tunisie.
3 Laplantine, F. Je, nous et les autres, Paris, Le Pommier- Fayard, 1999, p. 18.
4 Ibid.
5 Sanguy, P. Les cahiers Vassalli, 1er semestre 2003, p. 8.
6 Marouf, N. « Le paradigme identitaire et son statut épistémologique dans le champ
des sciences sociales », Identités, Communautés, Paris, L’ Harmattan, Les cahiers du
CEFRESS, 1995, p. 16.
7 Freud, S. Malaise dans la civilisation, Paris, P.U.F., 1971.
8 Au cours de cette étude, j’emploierai parfois le seul terme de Maltais, pour désigner
les descendants des Maltais ayant émigré en Tunisie, afin d’éviter la répétition de
périphrases.
9 Kazdaghli, H. « Apports et place des communautés dans l’Histoire de la Tunisie
moderne et contemporaine », Actes de l’histoire de l’immigration, Tunis, Université
de Tunis-Manouba, Tunisie. Disponible sur : http://barthes.ens.fr
10 Banlieue de Tunis.
11 Port de Tunis.
12 Il n’est pas possible de déterminer de manière exacte cet ancien lien de parenté.
13 Joubert, C. « Du sacrifice pour la famille à la famille sacrifiée », Destin des mythes
familiaux,Le divan familial, 2000, n°4, p. 133, op. cit.
14 Muxel, A. Individu et mémoire familiale, Paris, Nathan, 1996, p. 16.
15 Anzieu, D. Le Moi-peau. Paris, Dunod, 1985.
16 Laplantine, F. Je, nous et les autres, p. 70, op. cit.
17 Muxel, A. « Le souvenir de la fête ou les étincelles du désir », La fête de famille,
Explorations psychanalytiques, Paris, In Press Éditions, 1998, p. 153.
18 Granjon, E. « Fête, mémoire et transmission psychique dans la famille », La fête de
famille, p. 171, op. cit.
19 Liauzu, C. Passeurs de rives, Changements d’identité dans le Maghreb colonial,
Paris, L’Harmattan, 2000.
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24 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

20 Camilleri, C. “Une communauté maltaise en Tunisie entre les groupes arabo-ber-


bères et français”, Actes du premier Congrès des Cultures Méditerranéennes, Malte,
1972, pp. 406-423.
21 Sammut C, “La minorité maltaise de Tunisie : ethnie arabe ou européenne ?” Actes
du premier Congrès international d’Études des Cultures Méditerranéennes
d’influence arabo-berbère, Alger : SNED, 1973, pp. 406-423.
22 Olive, J. L. « La relation asymétrique ou la claudication de l’anthropologue, » in Les
formes de reconnaissance de l’autre en question, p. 488 op. cit.
23 Le risque existait au niveau des séquences en maltais ou en arabe tunisien ; nous
avons donc demandé à Carmel, notre témoin-relais, une retranscription littérale dans
la mesure du possible
24 Les patronymes, spécifiquement maltais, sont répertoriés à la Bibliothèque
Nationale de Malte, à La Valette.
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Deuxième partie

Correspondances méditerranéennes
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26 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

1. DONNÉES GÉOGRAPHIQUES
Malte, Malàt25, Melita autant de toponymes pour évoquer, dans les
temps antiques, cet archipel situé au cœur de la Méditerranée, « mer plu-
rielle [...] où se distinguent deux grands ensembles humains, une rive
ord (à l’ouest de Byzance) à dominante chrétienne, une rive orientale et
méridionale à dominante musulmane »26. Son originalité tient au fait qu’il
se trouve au croisement de deux routes : « celle qui d’Ouest en Est unit
Gibraltar au canal de Suez, c’est-à-dire l’Atlantique à l’Océan Indien ou
mieux encore l’Occident à l’Orient, la fameuse route des Indes. Et celle
qui, du ord au Sud, unit les rives du Golfe de Gênes ou du golfe adria-
tique aux côtes de Tunis ou de Tripoli »27.

L’archipel maltais en Méditerranée

Totalisant une superficie de 316 km2, l’archipel comprend les îles de


Malte (248 km2), Gozo « Gawdex » (68 km2), les îlots de Comino
« Kemmuna » (2 km2), Comminoto « Kemmuneta », et le rocher inhabité
de Fifla.
Connue des géographes arabes du Moyen-Âge, Malte est souvent
confondue, par ces auteurs, avec d’autres petites îles de la Méditerranée ;
cependant Al Dimašqî donne des précisions sur les dimensions de
l’archipel : « On compte au nombre des îles de la Méditerranée la Sicile
qui fait face à l’Ifriqiya28[…] Malte, qui est longue de 70 milles et large
de 32, avec une ville du même nom »29. Al-Idrisi, lui, se fait plus explici-
te : « De l’île de Pantelleria, à une distance de 100 milles du côté de l’Est,
se trouve l’île de Gozo avec un port abrité. De Gozo, on se rend à une peti-
te île appelée Kaminna. De là, en allant vers l’Est, on trouve l’île de
Malte. Elle est grande et pourvue à l’orient d’un port abrité. Elle possè-
de une ville et abonde en pâturages, en moutons, en fruits et en miel »30.
De cette dernière caractéristique provient peut-être l’ancien nom de
Melita à moins qu’il ne fasse référence à la roche calcaire maltaise qui
donne une couleur ocre aux constructions.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 27

Ramla
Bay GOZO
Inland Sea   Xaghra

Dwejra Point  Victoria  Qala


Xlendi  

Sannat Mgarr COMINO
Cirkewwa Mellicha
 Bay St Paul’s
Gladira  Bay


Mellieha
Bugibba Marsamxett
Harbour
 Naxxar Grand
Harbour
 Mosta
 Valette
 Mdina
Rabat  Paola 

Zebbug  Zejtun St Thomas
Dingli 
Bay
 Birzebbuga

Hagar Qim St George’s
Bay

Archipel maltais

Distante de 80 km des côtes siciliennes, Malte est proche de l’Afrique ;


ainsi 320 km seulement séparent Malte de Tunis. La ville de Sousse
(Tunisie) se trouve ainsi sur le même parallèle que l’archipel maltais
(36°). On comprend mieux, dès lors, la continuité des relations faites
d’échanges commerciaux mais aussi de batailles livrées entre Tunisie et
Malte, chacune ouverte sur sa Méditerranée, à la fois Orientale et
Occidentale : Tunisie Occident des pays du Levant, Malte à mi-chemin
entre Orient et Occident pour les habitants de l’Ouest européen, mais
néanmoins bastion de la chrétienté. Ainsi : « Il y a encore trente ans, le
débat politique né au XIXe siècle, qui faisait de Malte soit un morceau du
bloc italien, soit le début du continent africain, se traduisait dans les ana-
lyses des origines géologiques de l’archipel maltais. Aujourd’hui, la plu-
part des savants s’accordent pour faire de Malte le point le plus élevé
d’une crête sous-marine allant de la Sicile à la Tunisie et la Tripolitaine,
et qui partage la Méditerranée en deux bassins sensiblement égaux. Cette
crête, avant la remontée du niveau de la mer, devait être émergée, au
moins partiellement, permettant ainsi la circulation d’animaux de la Sicile
à l’ensemble maltais, si ce n’est à l’Afrique »31. La grotte de Ghar Dalam
(grotte de l’éléphant ou grotte sombre), ainsi nommée du fait de la présen-
ce de vestiges de grands herbivores fossilisés, est le témoin, le plus inté-
ressant de cette période préhistorique.
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28 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Si les géographes arabes du XIIe siècle semblent évoquer une terre,


autrefois fertile, il n’en reste pas moins vrai que l’archipel maltais est,
constitué d’un plateau calcaire, au climat sec dont le point culminant
(253 m) se situe à Dingli, sur l’île de Malte. « Déjà peu gâtés par un sous-
sol qui ne renferme ni pétrole, ni minerais ou autres matières minérales ou
énergétiques, les Maltais souffrent d’un mal encore plus grave : le manque
d’eau. Dans un environnement méditerranéen où l’eau représente assuré-
ment le bien le plus précieux, Malte constitue un cas d’école avec le pro-
blème chronique mais malheureusement toujours actuel de son insuffisan-
ce en eau douce »32 ; actuellement, l’eau douce est fournie par des usines
de désalinisation. En outre, le sous-sol essentiellement calcaire laisse peu
de place à des espaces suffisants de terre arable à tel point qu’elle fut
même apportée de Sicile au temps des chevaliers. Les îles possèdent de ce
fait, des ressources agricoles peu abondantes. De plus, la densité de la
population constitue un problème récurrent sur l’archipel ; elle « était de
375 (habitants au km2) en 1850, soit six fois supérieure à celle de la
France à la même époque »33. Ces deux caractéristiques des îles maltaises
préfigurent une des causes de l’émigration.
Ces quelques données ne prétendent pas être une géographie au sens
rigoureux du terme mais elles introduisent, déjà, la complexité des repré-
sentations d’appartenance quant aux origines des premiers peuplements
de l’archipel ; elles situent, par ailleurs, les réseaux de possibles relations
en raison de la proximité de ces deux pays méditerranéens que sont Malte
et la Tunisie34.

2. MALTE-TUNIS :
UNE HISTOIRE COMMUNE ET CONFLICTUELLE
Les îles maltaises sont indépendantes de l’empire britannique depuis
1964 et constituent une république depuis 1974. Les diverses migrations
d’une partie de leur population entre le XIXe et le début du XXe siècle nous
ont paru en relation avec une Histoire complexe où s’entrecroisent divers
conquérants, facteurs d’enracinement d’une culture aux multiples
racines. Antiquité, puis Moyen-Âge, verront se succéder sur les terres
maltaises : Phéniciens, Carthaginois, Grecs, Romains, Byzantins et
Arabes avant que n’interviennent les Chevaliers de l’ordre de Saint Jean.
Au cours des siècles, les relations entre la Tunisie et Malte seront faites
de liens privilégiés mais aussi de nombreux conflits au cours desquels des
populations vont transiter d’un territoire à l’autre. ous citerons donc,
pour mémoire, seulement certains événements, éléments de la trame qui a
permis le tissage de l’Histoire.

2.1. PRÉHISTOIRE
L’étude des données préhistoriques permet de situer l’établissement
possible de premières relations entre Malte et la Tunisie à la fin du
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 29

VIe millénaire avant J.-C. ; cette période est aussi celle du peuplement ini-
tial des îles, à partir de la Sicile ou de la Calabre, par « des marins-
pêcheurs-agriculteurs qui prennent pied sur l’archipel »35. Ceux-ci impor-
tèrent sans doute du continent les productions alimentaires (blé, orge, len-
tilles) et l’élevage (bœufs, moutons, chèvres). Ils vivaient dans des grottes
telle celle de Ghar Dalam, précédemment citée, ou dans des villages de
huttes comme celui de Skorba. Durant cette période, Malte s’inscrit, selon
J. Guilaine, dans « les mouvements de diffusion agricole de la
Méditerranée centrale » qui s’étendent « de la Grèce occidentale à la
Sicile en comprenant l’Albanie côtière, le Monténégro, le sud de la Bosnie
et de la Croatie, l’Italie méridionale… Pantelleria et Lampedusa. Cette
dynamique permet d’envisager de probables liens, dès lors, avec la
Tunisie, ce que semble confirmer la découverte d’obsidienne de
Pantelleria dans le Maghreb oriental »36. On constate également
l’utilisation d’outils locaux importés des îles de Pantelleria et Lipari.
« L’étude en cours de 300 000 fragments humains récemment exhumés
près de Xhaghra, non loin des temples de Ggantija sur l’île de Gozo,
donne l’image d’une population typiquement méditerranéenne trapue, de
taille moyenne, en bonne santé »37.
On ne peut évoquer les temps préhistoriques de l’archipel sans men-
tionner la présence d’imposantes constructions mégalithiques datant de
la fin du IIIe millénaire av. J.-C. ; il s’agit des temples de : Ggantija,
Mnaidra, Hagar Quim, Hal Saflieni et Tarxien. Ces réalisations doivent
être resituées dans l’évolution des régions de la Méditerranée. Anthony
Bonanno38 suggère que ces temples « servaient de centres politiques et
économiques, de lieux de rassemblement et de redistribution des surplus
de production » et émet « l’hypothèse que cette hiérarchie sociale était
très certainement basée sur un pouvoir religieux exercé depuis ces struc-
tures étonnantes »39, différentes des autres constructions mégalithiques
connues en Europe. « Ces temples à fonction publique et religieuse étaient
perçus comme symbole identitaire et manifestation d’appropriation d’un
espace. Ils témoignent également de l’importance du culte des morts asso-
cié à celui d’une déesse
de la fertilité représen-
tée par la célèbre et
imposante “sleeping
lady” (la femme endor-
mie) »40.
À la fin du
IIIe millénaire av. J.-C.,
la civilisation des
temples s’effondre sans
que l’on puisse, pour le
moment, l’expliquer ;
de nombreuses hypo-
thèses sont émises à ce
Sleeping lady (la femme endormie) sujet : y a-t-il eu des
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30 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

périodes de famine associées à une immigration des autochtones ou des


invasions de pirates ? La question reste en suspens. Une nouvelle popula-
tion s’installe alors sur l’archipel ; on sait seulement que « les nouveaux
venus, peu nombreux, viendraient de l’Orient via la Sicile »41. Ces der-
niers introduiront, sur les îles maltaises, l’usage du bronze et la pratique
de l’incinération des morts.
Au IIe millénaire avant J.-C., une seconde vague migratoire viendra de
Sicile et des tensions se produiront entre les groupes : les vestiges du vil-
lage fortifié de Borg in adur en témoignent ; des conflits guerriers déchi-
rent les populations qui entretiennent cependant des relations non seule-
ment avec leurs voisins de Sicile et de Calabre mais aussi avec les habi-
tants des différentes rives de la Méditerranée.

2.2. LES PHÉNICIENS


Venus principalement de Tyr, les Phéniciens s’installent sur les côtes
tunisiennes et créent la ville d’Utique en 1101 av. J.-C., puis celle de
Carthage en 814 av. J.-C. Poursuivant leur implantation en Méditerranée,
ils fondent à Malte une colonie et « il est probable que des colons aient
été envoyés de Carthage à Malte »42 ; ce sont sans doute ces mêmes colons
qui, selon Etienne de Byzance, auraient fondé la ville antique d’Acholla,
située à la base du cap Boutria en Tunisie. Une étude archéologique
récente, concernant la période punique à Malte précise que la colonisa-
tion des îles aurait été effectuée, à partir des côtes syriennes et libanaises,
autour de mille ans av. J.-C., par des commerçants phéniciens43.
Malte constitue très vite un point d’ancrage intéressant pour les
Phéniciens « qui cherchaient à s’approprier une terre à la fois proche de
leur métropole nord-africaine, Carthage, et de la Sicile grecque »44 ; en
effet, ceux-ci désiraient étendre leur commerce et Malte offrait un port de
haute mer sûr pour leurs embarcations. Le plus intéressant vestige de
cette occupation reste les deux cippes en marbre, dédiées au dieu
Melquart45, portant un texte bilingue phénicien et grec ; elles permirent,
en 1758, de déchiffrer l’écriture phénicienne. De cette découverte datent
les anciennes affirmations sur l’origine de la langue maltaise et la polé-
mique soulevée à Malte par la question linguistique. À cette époque,
d’après les découvertes archéologiques, Malte semble avoir joué un rôle
majeur sur la route commerciale entre Italie et Tripolitaine.
Vers la fin du IVe siècle av. J.-C., Carthage s’ouvre à l’influence hellé-
nistique des Grecs de Sicile, influence qui atteint Malte. Par la suite, les
guerres puniques (264-146 av. J.-C.) vont décimer les Carthaginois et la
domination romaine va s’imposer en Méditerranée jusqu’au Ve siècle
après J.-C.

2.3. LES ROMAINS


En 218 av. J.-C., Malte se trouve incorporée au monde romain du fait
de la prise de l’île lors d’une expédition navale, elle est alors incluse dans
la province de Sicile ; Cicéron la décrit comme prospère, comme en
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 31

témoigne la domus romaine de Rabat. « À ce stade l’archipel apparaît


comme le carrefour de trois langues et cultures diverses »46 : celle des
nouveaux occupants, associée à l’ancienne base punique auxquels
s’ajoute un courant grec-hellénistique. L’île restera sous domination
romaine jusqu’au VIe siècle après J.-C.
Les premiers siècles après J.-C. sont marqués, à la fois en Ifriqîa et à
Malte, par l’expansion du christianisme. Durant cette période, des
Berbères romanisés tels saint Augustin et saint Cyprien prêchent la reli-
gion catholique sur les côtes d’Afrique dont la Tunisie tandis que la tra-
dition catholique rapporte le naufrage de saint Paul sur le rivage de
Malte. Cet épisode mentionné dans les Actes des Apôtres (actes XXVII-
XXVIII) aurait eu lieu en 60 après J.-C.
Il s’agit d’un événement majeur pour l’archipel car le naufrage de
saint Paul a de tout temps été considéré comme élément fondateur du
christianisme maltais ; cependant, selon un article de Mario Buhagiar47,
sur « Malte dans l’Antiquité tardive et à l’époque byzantine »48,
l’identification de Malte comme étant l’île du naufrage reste probléma-
tique ; s’agit-il réellement de Malte (Melite) ou de l’île dalmate de
Meleda49 (aujourd’hui Mljet, ancienne Melite Illyrica), mentionnée par
Constantin VII Porphyrogénète (945-959) ? La désignation de ces lieux
renvoie à deux origines possibles, l’une relevant d’« une longue tradition
byzantine » (Meleda), l’autre d’ « une tradition latine qui préférait Malte
(anc. Melite Africana), l’île probablement mentionnée par le sous-diacre
romain Arator vers 544 »50. De fait, le texte précédent des Actes situe le
début du naufrage dans l’Adriatique, beaucoup plus éloignée de Malte
que de la Dalmatie (actuelle Croatie), hypothèse qui confirmerait
l’existence d’un doute au sujet de l’identification de Malte en tant que lieu
exact du naufrage de saint Paul.
La tradition paulinienne ne remonterait en fait qu’au XVIIe siècle et les
traces d’inscriptions chrétiennes, trouvées sur l’archipel, ne dateraient
que du IVe-VIe siècle après J.-C. ; de plus, « aucun évêque n’est sûrement
attesté à Malte jusqu’en… 878 »51, période de la conquête de l’île, par les
musulmans. Il est possible que la christianisation initiale se soit faite à
partir de Syracuse. Mario Buhagiar indique, d’autre part, que les pre-
miers chrétiens de Malte étaient en relation étroite avec l’Afrique du
ord, autour du Ve siècle après J.-C., suite à la conquête de l’île par les
Vandales ariens52 du ord de l’Afrique, et que l’Église maltaise a peut-
être incluse dans l’ « Ecclesia Africana ». Elle aurait sans doute accueilli,
à cette époque, comme la Sicile, des chrétiens libyens fuyant devant les
Berbères. « Le témoignage le plus important sur un lien avec l’Afrique du
ord est le triclinium funéraire… point focal des cimetières souterrains
maltais. Ces triclinia, connus parmi la population sous le nom de “tables
d’agapes”, sont « étroitement associés à un refrigerium ou pratique de
repas funéraire… Cette pratique, (inconnue en Sicile), survécut jusqu’en
692 »53, avant d’être interdite lors d’un concile.
Ces différents éléments indiquent l’existence de relations entre Malte et
l’Afrique, durant l’Antiquité tardive ; cependant, leur interprétation se
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32 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

doit de rester prudente car « les sources écrites sur Malte », concernant
cette période, « sont fragmentaires et parfois contradictoires »54.

2.4. LES BYZANTINS


Par la suite, l’archipel maltais et le territoire africain qui deviendra la
Tunisie subiront, avec des influences moindres, l’invasion des Vandales,
puis des Byzantins. La conquête de Malte aura lieu en même temps que
celle de la Sicile. L’influence grecque ne semble pas avoir apporté de
changements culturels majeurs sur l’archipel. Malte revêt principalement,
durant ces années, une importance stratégique, pour l’empire romain
d’Orient dont la capitale, l’ancienne Byzance grecque, prendra le nom de
Constantinople55.

2.5. LES ARABES


À cette époque, le Maghreb échappe progressivement à l’autorité des
califes de Bagdad56, le calife nomme alors comme émir de l’Ifriqiya,
Ibrahim ibn El Aghlab, fondateur de la dynastie des Aghlabides (800-
909) ; sous son règne, la ville de Kairouan, fondée en 670, acquiert le sta-
tut de capitale et voit la reconstruction de la grande mosquée. Les
Aghlabides vont engager leurs guerriers berbères dans la conquête médi-
terranéenne, ils envahissent la Sicile et s’emparent de Palerme en 831. La
Sicile deviendra au Xe siècle une riche île musulmane avec pour capitale
Palerme. « Faute de données numériques, il faut supposer que la plus
grande partie des musulmans de l’île était formée de populations indi-
gènes converties à l’Islam. L’île comprenait des populations non musul-
manes, chrétiens et juifs, qui avaient le statut de protégés (dhimmis), la
Geniza57 du Caire mentionne des liens étroits entre les communautés
juives de Sicile et celles de Tunisie et d’Égypte »58.
L’île de Malte sera conquise, à son tour, en 870. Il existe différentes
hypothèses quant au comportement des vainqueurs à Malte. Les écrits des
géographes et historiens, d’expression arabe à l’époque médiévale, rela-
tent la possibilité d’une déportation totale de la population et son rempla-
cement par des musulmans et des esclaves59. Ainsi Ibn ‘Abd al-Mun’im al
Himyari, dans son dictionnaire géographique du XVe siècle, affirme que
« Malte est devenue une ruine inhabitée » et Ibn Hauqal confirme que « les
seuls habitants de l’île étaient les chèvres et les ânes sauvages »60.
D’autres historiens de la même période évoquent également la conquête
de Malte ; à ce propos Mbarek Redjala cite, entre autres, Ibn Khaldun :
« Puis ce fut l’avènement de l’Islam, suivi de conquêtes. Les Arabes
bédouins arrachèrent aux Francs toutes les villes importantes de l’Ifriqiya
et du littoral oriental de la Méditerranée, ainsi que les îles telles que la
Crète, Malte, la Sicile et Majorque »61.
Une précision supplémentaire est apportée par An-uwayrî : « La
prise de l’île de Malte eut lieu sous le règne de ce prince aghlabide, Abu
al-Garanîq, (250/261 = 684/875) »62. Cette conquête fut l’œuvre de
« Abd-Allah ibn al-Aglab »63 ; elle signe une période de rupture dans
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 33

l’histoire de l’île marquée par le changement de langue. Inhabitée pen-


dant ans, Malte fut repeuplée entre 1045 et 1048 par des musulmans venus
de Sicile dont l’héritage serait : « la langue maltaise qui dut prendre ses
racines dans l’arabe sicilien »64. Cette hypothèse semble confirmée par
l’absence de toponymes pré-arabes sur l’île et la quasi-disparition de
toute trace de christianisme. Il semble actuellement difficile de dire si
l’archipel a été entièrement dépeuplé, lors de la conquête arabe, comme
le suggèrent les sources écrites, ou bien si une infime partie de la popula-
tion a pu échapper à la déportation ou au massacre. Il est, par ailleurs,
possible que la religion musulmane n’ait pas été imposée à la population,
seul un tribut aurait été exigé pour ceux qui refusaient la conversion à
l’Islam.
Les données archéologiques autorisent à situer Malte durant la domi-
nation arabe, dans un réseau commercial allant du Maghreb (dont
l’actuelle Tunisie) à la Sicile jusqu’au milieu du XIe siècle65. C’est donc
par l’intermédiaire de l’occupation de Malte par les Arabes, que des rela-
tions ont pu s’établir entre les populations. Auparavant, la route de Malte
était peu ou pas utilisée et les échanges marchands s’établissaient plutôt
directement entre les Arabes installés en Sicile et la Tunisie. Sous la domi-
nation arabe, Malte devint rapidement un centre de piraterie et
d’esclavage vers les côtes chrétiennes d’où les équipages ramenèrent des
captifs sur l’île. Les siècles suivants verront s’alterner les mêmes conqué-
rants sur les terres tunisiennes et maltaises. On peut dire que « l’histoire
des relations entre les pays d’Islam et le monde latin du milieu du Xe siècle
au milieu du XIIIe siècle présente une réelle homogénéité, quelle que soit
la partie du monde musulman considérée »66.

2.6. NORMANDS, ANGEVINS, CATALANS ET ESPAGNOLS


En 1090, le comte normand Roger de Hauteville, déjà maître de la
Sicile depuis 1091, met fin à la domination arabe sur l’archipel mais ne
les expulse pas : ils peuvent travailler et pratiquer leur religion moyen-
nant un tribut ; ce n’est cependant qu’en 1127, que son successeur Roger
II, confirmera lors d’une nouvelle expédition la véritable conquête de
l’île.
À Malte, « comme en Sicile, les ormands imposèrent un certain
nombre d’institutions occidentales à la population largement islamique…
Ceci inclut l’introduction de l’Église latine et le rétablissement d’un dio-
cèse local »67. En réalité, il semble que la monarchie normande ait davan-
tage emprunté aux musulmans que ces derniers aux chrétiens. Henri
Bresc souligne, dans un article intitulé : « Sicile, Malte et Monde musul-
man », « le pragmatisme des conquérants normands qui a utilisé, canton-
né et protégé partout la culture, la langue, les structures sociales et fami-
liales, le patrimoine technique des Arabo-musulmans, les prenant comme
à la nasse dans l’illusion d’un empire plural fondé sur des communautés
de tributaires, comme celles que les musulmans avaient encadrées en
Afrique, en Andalus et en Sicile »68.
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34 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Parallèlement les ormands vont poursuivre leurs conquêtes jusqu’à la


côte tunisienne, de Sousse à Gabès (1148-1160), s’emparant de Djerba en
1135, puis de Mahdia en 1148 ; le Père François Dornier relate, dans son
ouvrage sur « Les catholiques en Tunisie », qu’ « à Mahdia, les chrétiens
font cause commune avec les musulmans,paru en 2000, devant les
ormands. Les musulmans se réfugient chez eux ou dans leurs églises pour
échapper à la vindicte des ormands69 ». Cependant, la suprématie arabe
va progressivement s’effriter et à partir de 1180 « la Sicile fut en grande
partie coupée de l’Afrique. À long terme, seules Malte et Pantelleria
demeurèrent dans la sphère culturelle arabe »70 ; les inscriptions en carac-
tères kufiques, des tombes situées hors des murs de Mdina en témoignent.

Durant cette période, de nombreuses relations continuent de


s’effectuer entre Malte et la Tunisie, ainsi le commerce avec l’Afrique est
assuré par des Juifs maltais ; le port de Malte assure un relais en direc-
tion de Djerba, Sfax, et Kélibia ; des échanges commerciaux concernant
principalement l’huile, la laine, et les peaux se poursuivent régulièrement.
En outre, la permanence de l’esclavage, continue d’être source de trans-
fert de population ; on note ainsi la présence, en 1241, à Malte, de quatre-
vingts esclaves djerbiens qui contribuent au travail sur les domaines.
Il semble que l’on puisse dire que « vers 1241, la population de Malte
et Gozo se composait de 836 familles musulmanes et probablement 1230
familles chrétiennes ; on relève aussi la présence de 35 familles juives »71.
Durant le la fin du XIIe et jusqu’à la fin du XIVe subsistera à Malte, une
« coexistence institutionnelle entre chrétiens musulmans et juifs… les juifs
maltais assument un rôle commercial exceptionnel, ils assurent les rela-
tions avec la Sicile et le colportage » ; ne vivant pas en quartiers séparés
ils « assurent également la fonction d’usurier et une part essentielle de
l’artisanat et de la médecine »72. On note, d’autre part, la présence d’un
gouverneur royal des îles maltaises, Gilberto Abbaté, dont le propre frère
était consul royal à Tunis. Dans le même temps, une petite marine se
constitue à Malte ; assez vite marins maltais et commerçants juifs
s’engagent dans des trafics commerciaux de petite importance, vu la légè-
reté de leurs embarcations.
Dix ans plus tard, vers 1250, la reconversion des îles maltaises, au
catholicisme, s’effectue presque totalement : « La particularité culturelle
des îles maltaises était devenue alors spécifique. De nombreux habitants
avaient, en effet, renoncé à leur religion islamique pour conserver leurs
biens tout en gardant leur langue et leur culture arabe. On peut dire que
les peuples de ces îles avaient une certaine conscience d’une identité eth-
nique ayant des racines à la fois en Afrique et à Byzance »73.

En 1266, Malte devient possession de Charles d’Anjou, déjà roi de


Sicile et de aples ; son frère, Louis IX (St Louis) débute en 1267, une
nouvelle croisade (la huitième) mais décide en cours de route de se dérou-
ter sur Tunis, pensant recevoir des renforts de Charles d’Anjou. La flotte
ancrée devant Carthage eut à souffrir du manque de vivres et d’eau ; une
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 35

épidémie se déclara atteignant le roi lui-même, celui-ci décède à


Carthage le 25 août 1270.
Les Angevins, eux, seront chassés de Malte lors de l’insurrection des
Vêpres Siciliennes (1222) ; se succéderont alors comme maîtres de
l’archipel, les Aragonais (1282-1360), les Catalans de Martin l’Humain
(1396-1410), puis les Castillans jusqu’en 1530. Henri Bresc évoque ainsi
le multilinguisme de l’île de cette époque : « L’usage du sicilien et du
catalan est le privilège des classes normandes immigrées, chevalerie, haut
clergé, juristes ; les notaires et les administrateurs sont contraints à une
grande agilité linguistique, entre le sicilien et le latin, langues de la Cour,
et celle du peuple, l’arabe »74.
À la même période, la dynastie Hafside (1236-1574) règne en maître
sur Tunis ; les Sultans en font une ville cosmopolite et leurs corsaires
ramènent à Tunis les vaisseaux pris au monde chrétien. Les côtes mal-
taises sont très souvent razziées et des centaines d’esclaves emmenés en
Tunisie tandis que les Maltais multiplient les expéditions en Tunisie et en
Libye. En conséquence, « les longues captivités, faute de moyens pour
payer les rançons, deviennent tardivement le lot des Siciliens et des
Maltais […] dès 1403, une aumône fonctionne à Gozo et sans doute aussi
à Malte […] pour organiser les rachats »75. Cette époque marque le début
de la Course en Méditerranée, vaste système de piraterie entre l’Europe
et l’Afrique qui ne s’arrêtera définitivement qu’au début du XXe siècle,
bien après le départ des chevaliers.

2.7. LES CHEVALIERS ET LA COURSE EN MÉDITERRANÉE


Installés sur l’île de Malte, en 1530, sur ordre de Charles-Quint, les
Chevaliers, initialement appelés Chevaliers de l’Ordre de Jérusalem, vont
poursuivre leur lutte contre les Ottomans ; cependant, à leur tour, ils subi-
ront l’attaque, le 18 mai 1565, de la flotte turque, commandée par
l’amiral Mustapha Pacha, secondé par le corsaire Dragut. Malgré
l’inégalité des forces en présence, les chevaliers et les Maltais résistent
pendant plus d’un mois jusqu’à l’arrivée des renforts ; Dragut est tué au
cours des combats. Le siège de l’île durera jusqu’au début de septembre,
date de l’arrivée de secours plus importants. Avertis de cette aide, les
Turcs lèveront le siège de l’île, le 8 septembre de la même année. Le
« Grand Siège de Malte » constitue, encore aujourd’hui, un élément
essentiel dans l’Histoire maltaise puisque cette date a été choisie, comme
jour de fête nationale. La victoire marquait par ailleurs « le début du
déclin maritime de la Turquie » qui sera effectif, lors de la victoire de
Lépante, le 7 octobre 1571 et rendra « à la chrétienté la maîtrise des
routes maritimes entre l’Orient et l’Occident »76.
Le siècle suivant constitue, pour l’archipel, une période de prospérité
durant laquelle il devient centre de Course en Méditerranée. Il ne s’agit
plus de croisades contre les Turcs ou les Barbaresques mais d’actes de
piraterie perpétrés contre les petits navires commerciaux du Levant ou
d’expéditions sur les côtes tunisiennes ou libyennes qui furent à la base de
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36 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

nouveaux échanges de population et de marchandises, entre Malte et la


Tunisie.
Ainsi en 1602, les Chevaliers de Malte s’emparent de la ville
d’Hammamet, y installent une garnison et « emmènent en captivité sept
cents hommes, femmes et enfants »77. À la même époque Djerba et Sfax
dépendaient du Pacha de Tripoli tandis que la ville de Sousse servait de
base aux corsaires tunisiens ; ces derniers se faisaient souvent capturer
par les navires des Chevaliers et servaient alors de main-d’œuvre sur
l’archipel. Le nombre total des esclaves musulmans, présents sur l’île, est
évalué à « 10 000 durant le premier tiers du XVIIIe siècle, soit plus du
dixième des habitants de Malte »78. Quelques-uns de ces captifs se conver-
tissaient afin d’obtenir une relative liberté : « Le plus curieux est le sort
réservé au captif baptisé : il est devenu libre […] mais il lui est interdit de
quitter l’île : il restera à Malte pour la vie… »79 ; d’autres captifs faisaient
l’objet de rachat ou de tractations commerciales et se trouvaient parfois
chargés de racheter les captifs chrétiens prisonniers sur les terres barba-
resques : « Il s’agissait d’un mouvement commercial, le rachat des
esclaves musulmans de Malte étant lié à celui des captifs de Barbarie »80.
Au temps des Chevaliers, les possibilités maritimes de Malte étaient
rigoureusement identiques à celles de la Tunisie, à savoir six galères
basées pour les unes à Valette, pour les autres à Bizerte. Paul Sebag rap-
pelle dans son étude sur Tunis au XVIIe siècle, que « sous des apparences
différentes, Malte et Tunis cachaient des ressemblances nombreuses, avec
leur Grand Maître et leur dey, leur “Venerando Consiglio” et leur divan,
leurs chevaliers et leurs janissaires, leur marine d’État, leurs navires de
Course du Grand Maître et ceux du dey, leurs “prigioni de’ schiavi” et
leurs bagnes »81.
Cependant au XVIIIe siècle, le champ d’action des corsaires se réduit
du fait des traités de paix entre Tunis et la plupart des pays d’Europe, mis
à part les principaux états de la péninsule italienne et Malte. « Ce sont les
chevaliers de l’Ordre […] qui portent les coups les plus rudes aux cor-
saires barbaresques. En octobre 1775, dans une lettre à Louis XVI, le bey
de Tunis Ali b. Husayn (1759-1782) écrit : “les Maltais sont nos ennemis,
ils nous font tout le mal qu’ils peuvent, ils prennent nos bâtiments ou les
coulent à fond, et mettent à la chaîne ceux qui les montent.” »82. On peut
noter cependant la continuité de l’existence, à cette époque et malgré la
Course, d’un commerce régulier entre Tunis et Malte concernant les pro-
duits de l’agriculture et de l’élevage tunisien : bétail, céréales, huile, mais
aussi laine, cuirs, éponges ; de même Malte exportait vers Tunis tabac,
produits manufacturés, vins, spiritueux, papier, verre, glace et surtout de
la poudre et des balles.
Il nous paraît intéressant de nous arrêter quelques instants sur la vie à
Malte, durant la gouvernance des chevaliers. Les écrits des voyageurs
étrangers du XIXe siècle ont laissé une description peu flatteuse de la
population : « Les hommes sont petits, mais vigoureux, ils ont tous de
larges nez écrasés, de grosses lèvres et les cheveux forts crépus… les gens
du peuple vont nu-pieds en hiver comme en été… presque tous sont
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 37

d’excellents matelots ». Quant aux femmes, si l’auteur leur accorde « de


belles mains, de beaux yeux noirs, vifs et perçants » ainsi que « de la viva-
cité, de la justesse dans l’esprit » il déplore qu’elles ne cherchent qu’ « un
vil intérêt, en favorisant leurs amants. […] Seul Brydone voit les Maltais
d’un œil sympathique » : il décrit un peuple travailleur et patient mais
malheureusement porté à l’usure, du fait de la fréquentation des étrangers
qui « lui ont inspiré un violent amour de l’argent. » Le Maltais se montre-
rait jaloux et infidèle, prêt « à livrer, les uns leurs propres filles, les autres
leurs propres épouses à ceux qui ont assez peu de délicatesse pour ache-
ter leurs plaisirs […] quelques chevaliers sont de ce nombre »83. Ces des-
criptions semblent peu prendre en compte la réelle organisation de la
société maltaise de cette époque.
L’historien Alain Blondy, dans son étude sur l’Ordre de Malte au
XVIIIe siècle présente cette société comme un « mélange de classes
sociales, d’ordres féodaux et de statuts municipaux », hérité du royaume
normand. La répartition de la population s’effectuait entre « les nobles,
les clercs, les habitants des villes ou bourgeois, les gens de commerce, les
artisans et les gens de la campagne »84. ous soulignons, ici, les diffé-
rences essentielles, présentes au sein du peuple maltais, notées dans cet
ouvrage car elles nous semblent avoir interféré de manière plus ou moins
consciente, dans le comportement des Maltais émigrés. En effet, dans
cette structure sociale, il n’existait pratiquement pas de lien entre peuple
et classes aisées, nobles et bourgeois, sinon celui de l’indifférence, voire
du mépris pour les gens du peuple qui ne pratiquaient que la langue mal-
taise et dont le mode de vie restait proche de celui connu sous
l’occupation arabe. Ainsi, dans les campagnes, « la maison d’habitation
était typique des maisons berbères du Sud Tunisien : peu ouverte sur
l’extérieur et les pièces ordonnées autour d’une cour centrale »85. obles
et notables résidaient dans la ville nommée « Città di Malta, bâtie sur une
hauteur au centre de l’île […]. C’est là que résidait l’évêque et que sié-
geait le conseil de la commune (l’Università) […]. Devenue Mdina à
l’époque arabe, avec son faubourg de Rabat » elle sera élevée au rang de
« Città otabile, la notable cité de Malte »86. La grande bourgeoisie com-
merçante demeurait à La Valette, ville des chevaliers ; cette dernière était
plus cosmopolite du fait de la présence de tous les corps de métiers néces-
saires à la vie urbaine « sans oublier les esclaves, turcs ou maures, qu’on
voyait souvent aller par les rues dans la journée, même si le soir, ils
devaient en principe regagner le bagne ». Joseph Cassar Pullicino pense
que cette population d’esclaves eut une réelle influence sur le folklore
maltais et, citant le Frère Domenico Magri, que cette influence s’est peut-
être prolongée jusqu’en 190587.
D’autre part, aucun Maltais, même noble, ne pouvait accéder au grade
de chevalier dans la mesure où l’Ordre, du fait de la méfiance des cours
européennes et « de la crainte, politique, de la collusion entre un parti
national des chevaliers maltais et la caste dirigeante de l’île »88. Cet état de
fait ne leur permettait, théoriquement de devenir seulement chapelain conven-
tuel; cependant quelques-uns d’entre eux, en obtenant des lettres de natu
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38 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

ralisation ou en résidant à l’étranger, pouvaient cependant contourner


cette difficulté.
Cette société va progressivement connaître des changements marqués
tout d’abord, par un accroissement de la population : l’île passe de 27 000
habitants en 1590 à 81 400 en 1797. Même si la vie dans les campagnes
reste primitive, des bourgeois aisés s’installent dans de gros bourgs
ruraux ; l’architecture des maisons s’enrichit d’apports siciliens et
s’ouvre sur l’extérieur avec présence d’étage et de balcons. Cette période
sera surtout celle d’un début de sentiment d’appartenance nationale,
grâce à des intellectuels comme Mikiel Anton Vassalli (1761-1829) consi-
déré, aujourd’hui, comme le père de la langue maltaise, en raison de sa
publication du premier alphabet phonétique maltais, en 1790. Pour la
première fois, dans leur histoire, les Maltais vont prendre conscience que
leur langue, celle du peuple, constitue « un lien très important : "un lan-
gage inconnu aux Chevaliers" »89 ; Pour la classe aisée, l’influence ita-
lienne restera cependant très présente, tant dans l’évolution de
l’architecture, que sur le plan linguistique. Ces différentes composantes
de la société maltaise seront encore présentes dans la microsociété des
Maltais de Tunisie, reproduisant ainsi en partie, les structures de
l’archipel.
À la fin du XVIIIe siècle, l’appauvrissement du peuple dû aux difficul-
tés financières de l’Ordre, associé à l’intérêt de lettrés maltais pour les
idées des philosophes français, va favoriser l’organisation d’un complot
contre la souveraineté des Chevaliers et précipiter la chute de l’Ordre. En
1798, à la suite de négociations passées avec l’Ordre et quelques élites
maltaises, apoléon s’installe à Malte sans rencontrer de véritable oppo-
sition. L’occupation de l’archipel n’est pour lui qu’une étape sur la route
de l’Égypte ; elle va cependant permettre la libération « d’un peu plus de
2000 esclaves barbaresques, sur lesquels plus de 400 étaient originaires
de la Régence ; » en contrepartie, « le consul de France à Tunis,
J. Devoize demande et obtient la libération de tous les esclaves maltais
devenus français par la prise de Malte, qui sont alors au nombre de
64 »90.
L’île restera peu de temps sous domination française, en effet
apoléon n’y laissera qu’une garnison après s’être attribué les biens de
l’Ordre. Il aura toutefois posé durant ce bref passage, les bases d’une
réorganisation de l’île du point de vue administratif suivant le modèle
français, sans octroyer pour autant une véritable citoyenneté française
aux Maltais. Par la suite, les restrictions concernant le clergé et surtout
la confiscation d’une partie de ses biens suscitèrent la révolte du peuple
qui sollicita l’aide des Anglais et du roi de aples pour chasser la garni-
son française. Cette dernière capitulera le 5 septembre 1800.
De l’occupation française, il restera des sentiments ambivalents.
Appelés par les intellectuels, les Français seront rapidement détestés par
le peuple qui, au départ, indifférent à leur présence, retiendra principale-
ment le côté anticlérical des mesures prises. Il n’en reste pas moins vrai
que des Maltais purent bénéficier à cette époque de la nationalité françai-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 39

se du fait de leur enrôlement dans l’armée de Bonaparte et de l’aide qui


s’ensuivit pour leur famille. Quelques-uns émigrèrent en France, princi-
palement dans les régions du Sud.
Parallèlement, Malte continuera son activité corsaire jusqu’à la
conquête définitive de l’île par les Anglais91, s’enrichissant en attaquant
non seulement les Barbaresques mais aussi les navires français et ceux de
leurs alliés.
De même, en Tunisie, malgré les traités de paix cités précédemment,
les corsaires poursuivront leurs actions de piraterie en Méditerranée,
durant le XIXe siècle. En réalité, il existait deux sortes de course en
Tunisie : l’une privée, l’autre publique ; les équipages étaient surtout
constitués de Turcs, de renégats, et même « d’esclaves chrétiens […] qui
consentaient à servir comme marins […] pour un salaire convenu ou pour
une part des prises »92. Les documents de P. Grandchamp ont permis à
Paul Sebag de relever le nombre de navires sortis en course durant la pre-
mière partie du XIXe siècle soit : de 1811 à 1815, cent six bâtiments ;
l’année 1820 correspond à l’arrêt de ces expéditions corsaires avec un
nombre nettement inférieur de sorties signalées.
Ces chiffres permettent de souligner l’aspect paradoxal de
l’émigration maltaise dans la mesure où les dernières sorties de la cour-
se tunisienne se situent seulement une dizaine d’années avant les pre-
mières émigrations maltaises en Tunisie : les récits concernant les cor-
saires faisaient certainement partie de l’imaginaire familial ou même par-
fois de la réalité dans la mesure où des chrétiens esclaves ou éventuelle-
ment des hommes libres constituaient équipages et chiourme. En outre,
nous pouvons remarquer, toujours d’après P. Grandchamp, que les
navires utilisés pour la course tunisienne sont les mêmes que ceux des
futurs émigrants : barques, tartanes et speronares93 ; quant aux ports de
départ des corsaires, ils correspondent également à ceux des premières
installations maltaises : ce sont, pour les navires de course du Beylik,
principalement ceux de « Bizerte, Porto-Farina, la Goulette » alors que
les « navires armés par des particuliers sortent des ports de Sousse,
Monastir, Sfax et Djerba pour se porter à la rencontre des vaisseaux cala-
brais, siciliens ou maltais » 94. Ce n’est que lors du congrès de Vienne que
l’Angleterre sera chargée, au nom des grandes puissances, de
« contraindre les Régences d’Alger, de Tunis et de Tripoli à libérer tous
les chrétiens qu’elles retenaient captifs, à faire la paix avec les Puissances
[…] ennemies et à renoncer à leurs courses » 95. Le bey de Tunis accepte-
ra de libérer les captifs mais la course ne s’arrêtera définitivement qu’en
181896, si l’on excepte quelques sorties de bateaux jusqu’en 1820.
Ce « Corso » constitue donc, sur presque deux siècles, une période
d’échanges continuels de population entre Malte et Tunis alliée, sans doute,
à des modifications de mode de vie, de coutumes après des années
d’esclavage dans l’un ou l’autre pays. Les propos de l’historien P. Colletta,
cités par Paul Sebag, concernant le retour des captifs napolitains, pour-
raient sans doute s’appliquer aux Maltais lors de leur retour de captivité :
« ombre d’entre eux qui avaient été des esclaves pendant de nombreuses
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40 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

années, rejoignant leurs familles, les trouvaient éteintes ou formées de nou-


velles générations qui n’éveillaient en eux ni souvenirs ni sentiments. Alors
ces hommes, qui étaient déjà différents par les usages, les coutumes et les
besoins qu’ils avaient acquis en vivant parmi les Barbares, et en devenant
Barbares comme eux prenaient la décision de repartir, de leur plein gré, en
hommes libres, cette fois, vers les terres africaines »97.
Au cours de ce bref parcours historique, nous avons ainsi pu noter la
succession des mêmes conquérants, à la fois en Tunisie et à Malte, provo-
quant de nombreux échanges de population et, par là même, l’ébauche
d’une culture où se fondent les influences européennes et arabo-berbères.

3. BREF APERÇU DE TOPONYMIE MALTAISE


Comme le souligne Jacques Godechot, à propos de l’archipel, « les
survivances arabes sont infiniment nombreuses si on considère la topony-
mie […]. Il suffit de se pencher sur une carte de Malte pour constater que
presque tous les noms de lieux sont d’origine arabe. Par exemple ghar, qui
indique une caverne, uyed, une vallée, ayn, une source […] nadur, un
point éminent »98. Le voyageur qui aborde l’archipel maltais se trouve de
suite frappé par la consonance de toponymes similaires à ceux des rives
d’Afrique du ord tels ceux des villes de « Rabat »99 ou de « Mdina »
situées au sud-est de Malte : « Rabat » était, durant le haut Moyen-Âge,
le faubourg de la ville de « Mdina », ancienne capitale médiévale de l’île ;
la ville de Mdina est effectivement citée, par Al-Himyari : « A Malte, la
vieille ville est appelée Medina »100. D’autres dénominations correspon-
dent à des anthroponymes utilisés dans le Maghreb tel celui de Sliema,
ville située au ord de La Valette ; cet anthroponyme provient du patrony-
me : « Salama, porté par les Juifs et les Musulmans avec le même sens
sémitique de paix, salut »101. Un autre type d’appellation, évoquant aussi
l’Afrique du ord, peut correspondre à la fonction agricole du lieu ou être
un anthroponyme ; c’est le cas de la ville de « Zejtun », au sud-Est de l’île
principale : il s’agit soit d’une région de plantations d’oliviers, soit du
surnom donné à la personne qui travaillait dans les champs d’oliviers102.
ous relèverons également le terme de « Ras », utilisé pour nommer les
caps tels au Sud de la Valette : « Ras il-Gebel » (cap de la petite colline)
ou bien encore « Ras il-Fenek » (cap du lapin). Le terme de « Marsa »
(port) est aussi fréquemment utilisé notamment dans les noms composés
de villes portuaires tels « Marsalforn » au nord de l’île de Gozo ou
« Marsaxlokk » au sud-est de Malte. Ces toponymes témoignent de
l’impact de l’occupation arabo- musulmane de l’archipel durant deux
siècles. Il semble que peu d’entre eux aient été modifiés malgré le « chan-
gement total » apporté, selon les historiens, par la reconquête chrétienne.
D’autres toponymes attestent de l’importance des références chré-
tiennes ; nous trouvons ainsi, du ord au Sud de Malte, un certain nombre
d’appellations faisant référence à des noms de saints ; c’est le cas de villes
telles que celle de Saint Paul’s Bay (San Pawl il-Baħar) qui rappelle le
lieu où saint Paul aurait fait naufrage, ou bien encore, près de la capita-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 41

le Saint Andrews ou Saint Julian’s. De création plus récente, ces deux der-
nières localités ne possèdent pas d’appellation en langue maltaise. Les
dénominations italiennes de Santa Lucia existent à la fois sur Malte et
Gozo : elles font référence à de très anciennes traditions chrétiennes de
l’archipel et rappellent l’importance de l’influence culturelle italienne au
XIXe siècle. Seule l’appellation de la capitale, La Valette, créée en 1566,
par le grand maître français Jean Parisot de La Valette, résonne de conso-
nance familière à des tympans français

Ce bref aperçu de toponymie maltaise reflète l’importance des diffé-


rents occupants de l’archipel depuis la préhistoire jusqu’à l’occupation
anglaise et correspond à son histoire linguistique.

Carte de l’archipel maltais

4. ÉVOLUTION DES INFLUENCES EUROPÉENNES


(XIXE-XXE SIÈCLE)

4.1 .TUNISIE : DU PROTECTORAT À L’INDÉPENDANCE


L’année 1830 est marquée par la prise d’Alger par la France. À cette
époque, les beys de la dynastie husseinite détiennent le pouvoir en Tunisie
depuis 1705. Malgré différents complots familiaux ourdis lors des successions,
cette dynastie se maintiendra jusqu’en 1956, soit plus de 70 ans après
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42 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

l’installation du protectorat français. Bien que dépendant de l’Empire


Ottoman, les beys gardaient une relative indépendance : ainsi, « ils avaient
leur armée et leur marine, battaient monnaie » et possédaient « à l’étranger
des missions diplomatiques […] à Paris, à Malte »103. Dès 1836 la France
s’instaure en protectrice d’une Régence considérée comme souveraine, et sou-
tient les velléités d’indépendance tunisienne vis-à-vis des Ottomans « Les
consuls de France […] savaient entretenir les craintes du bey […] Leur influen-
ce était prépondérante à la cour tunisienne où ils étaient des conseillers respec-
tés »104. En réalité, la politique de la France en Tunisie visait principalement à
maintenir le calme dans l’Algérie voisine dont elle avait fait une colonie.
La France n’est pas la seule puissance à souhaiter opérer une mainmi-
se sur la Tunisie ; elle doit compter non seulement avec l’Italie, du fait de
la présence de nombreux immigrés italiens, sur le sol tunisien mais aussi
avec l’Angleterre en raison de sa présence industrielle. Il en résultera des
luttes d’influence entre les consuls de ces pays respectifs ; ainsi le consul
anglais, Richard Wood105, sera pratiquement le seul à s’intéresser à la
population anglo-maltaise à des fins d’hégémonie sur la Tunisie ; dans ce
but, il obtient, dès octobre 1863, pour les ressortissants britanniques, le
droit d’acquérir des biens immeubles dans la Régence. Les Maltais seront
les premiers bénéficiaires de ces mesures et, dans les années 1870, envi-
ron cinq cents familles sont connues comme étant propriétaires dans les
banlieues de Tunis, Sfax et Sousse106. Quelques années plus tard, en 1878,
au congrès de Berlin, l’Angleterre acceptera de s’effacer devant la
France, puis c’est l’Italie qui renoncera.

En mai 1881, le traité du Bardo installe le protectorat français en


Tunisie. Désormais, une influence spécifiquement française va progressive-
ment s’imposer. L’archevêque d’Alger, le futur Cardinal Lavigerie (1867-
1892), aura contribué de manière efficace à l’installation du protectorat.
Ainsi, « prévoyant l’arrivée des Français en Tunisie, il y envoie des Pères
Blancs en 1875 », il trouvera « un appui auprès de M. Roustan, consul de
France qui, en 1875, sollicitait des Pères Blancs pour restaurer et desservir
la chapelle Saint-Louis ». En réalité Mgr. Lavigerie « qui, depuis un certain
temps, avait des vues sur la Tunisie, envisageait une installation à
Carthage. Il y voyait […] une possibilité de redonner à Carthage son éclat
d’autrefois et au moins une fenêtre pour son patriotisme » explique le père
François Dornier107. Ce point de vue du futur cardinal pourrait être mis en
relation avec « les mythes de l’assimilation et de la conversion » qui « se
sont parfois conjugués avec le mythe berbère : le peuple originel du
Maghreb, celui de Saint Augustin, avait été et devait redevenir chrétien »108.
Cet épiscopat aura un fort impact sur la population maltaise très atta-
chée à sa religion et fort dépendante des ministres du culte. Il y aura d’une
part la nomination, dès 1884, d’un évêque auxiliaire maltais, Mgr.
Buhagiar, précédemment curé de Sfax, promu rapidement évêque de
Malte, et d’autre part la promesse de la construction d’une chapelle
dédiée à otre Dame de la Mellaha109, associée à un pèlerinage annuel.
Le Cardinal effectuera par ailleurs, un voyage à Malte où il sera reçu
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 43

avec magnificence par une population en délire. Ces différents éléments


feront oublier aux Maltais leur déception lors du départ des Capucins ita-
liens orchestré par le Cardinal en 1891. Ce dernier craignait sur un plan
politique, la trop grande influence des Italiens notamment sur la popula-
tion maltaise. Dans le même but, le Cardinal créera de nouvelles confré-
ries, telle notamment celle du Mont Carmel pour les Maltais (ceux-ci
avaient antérieurement leur propre confrérie : la Société Fraternelle
Maltaise de saint Joseph). L’intérêt du cardinal pour les Maltais, n’est
pas dénué d’intérêts politiques liés à ceux du protectorat français ; aussi
l’influence de ce prélat sera un des éléments déterminants de la politique
d’assimilation française et contribuera à l’acculturation maltaise.

Cependant la naissance d’un jeune nationalisme tunisien associé à des


revendications sociales préoccupe l’État français ; en effet dès 1920 se
crée le parti nationaliste du Destour qui s’oppose à la politique française
dans la Régence. Les années suivantes, deux événements vont « sensibili-
ser l’opinion musulmane et la mobiliser contre le régime »110 : il s’agit en
premier de l’érection de la statue du cardinal Lavigerie en 1926 à Tunis,
entre Bab el Bhar (porte de la mer) et la médina, sur la place de la Bourse
(actuelle place de la Victoire). Quelques années plus tard en 1930, le
Congrès Eucharistique de Carthage allait de nouveau heurter l’opinion
publique tunisienne. Sadok Boubaker évoque l’ « électrochoc culturel
dans la population » suscité par l’ampleur de cette manifestation religieu-
se catholique qui « rassemble dix mille pèlerins, cent évêques, quatre
mille chanoines, huit princes de l’Église, un cardinal légat »111.
Parallèlement à ces événements, d’autres facteurs, tels l’importance de
la communauté italienne, inquiètent les dirigeants français. En 1921 le
nombre d’Italiens atteint 84 799 personnes tandis que la population fran-
çaise n’est que de 54 476 résidents. Cet élément interviendra dans la déci-
sion de promulguer les décrets de naturalisation (8 novembre 1921) qui
accorderont, de manière automatique, la nationalité française à « tout
individu né dans la Régence, de parents dont l’un y serait lui-même né » ;
le décret sera « consacré par la loi française du vingt décembre 1923 »112.
La population maltaise (soit 13 504 sujets anglo-britanniques en 1921)113
directement concernée par ces mesures se trouvera dès lors, divisée en
Français et en Anglo-Maltais, restés sujets britanniques. Devenus
Français ou restés Anglo-Maltais, les Maltais de Tunisie vont désormais,
comme les Tunisiens, se trouver dans un univers valorisant uniquement la
culture française et par là même européenne ; toutefois, la montée du fas-
cisme en Italie et la deuxième guerre mondiale mettront un terme à
l’influence italienne à la fois à Malte et en Tunisie.
Durant les années d’après guerre, le désir d’autonomie puis
d’indépendance seront les principales sources d’agitation en Tunisie, jus-
qu’à la proclamation de l’indépendance le 20 mars 1956, associée à la prise
de pouvoir par Bourguiba. Ces événements affecteront la population mal-
taise. Devenus Français par décret ou restés Britanniques, la plupart des
Maltais de Tunisie prendront le chemin d’un nouvel exil que ce soit vers la
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44 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

France ou vers l’Angleterre. En effet, à Malte, une loi émise en 1948, inter-
disait le retour des descendants des émigrés « en raison des craintes de voir
revenir des milliers de Maltais d’Égypte, de Libye et des Balkans qui sou-
haitaient quitter leur pays d’accueil en raison de la situation politique »114.
Les départs de ces descendants des premiers Maltais s’échelonneront
des années 1956 à 1961, date de la crise de Bizerte, et se poursuivront jus-
qu’en 1964 lors des nationalisations des terres. Quelques Maltais reste-
ront cependant discrètement sur le sol tunisien constituant une minorité
que nous qualifierons d’ « oubliée de l’Histoire ».

4.2. MALTE : DE LA DOMINATION ANGLAISE


À L’ENTRÉE DANS L’EUROPE
Au début du XIXe siècle, Malte est à la veille de devenir possession bri-
tannique ; en réalité les Anglais occupent déjà l’archipel du fait de la pré-
sence de leur flotte. Cette dépendance de la Couronne sera effective lors
du traité de Paris en 1814, et ratifiée lors du congrès de Vienne en 1815.
Durant cette période « l’île reprit […] au profit de l’Angleterre, le rôle
qu’elle avait joué avant 1789 à l’égard de la France, celui de dépôt et de
centre de distribution de marchandises »115.
Les composantes de la société maltaise évoluaient peu et marquaient
toujours l’absence de liens entre peuple et bourgeoisie sinon celui de
« protecteur » ou « qaddisin », reconnue à certains notables, créant
autour d’eux ce qu’on nommerait aujourd’hui clientélisme ; cette relation
de dépendance n’excluait pas, cependant, un certain mépris pour
les protégés s’exprimant dans le seul maltais.
La proclamation de la République maltaise le 13 décembre 1974 avec
l’arrivée au gouvernement des travaillistes et du premier ministre Don
Mintoff relancera, pour un temps, des relations privilégiées avec la Libye,
Malte ayant choisi le camp des pays non-alignés. Partis travailliste et
nationaliste alterneront à la direction de la république les années sui-
vantes, envisageant ou retardant les négociations en vue d’une entrée, de
leur pays dans l’Union européenne. « Très vite, l’enjeu européen consti-
tua une des données majeures et l’un des principaux chevaux de bataille
des deux courants politiques, d’autant que ces derniers étaient, sur cette
question, totalement opposés. La marche vers l’Europe allait ainsi se
dérouler au rythme des changements politiques, par avancées rapides
lorsque les nationalistes étaient au pouvoir, et par coups d’arrêt brutaux
sous le gouvernement travailliste »116. Ce dilemme prendra fin, en 2004,
lors de l’entrée effective de Malte dans l’Union européenne.

5. L’ÉMIGRATION

5.1. CAUSES ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES


Les causes de l’émigration maltaise sont aujourd’hui bien connues ;
nous en rappellerons brièvement l’historique, puis nous poserons les
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 45

interrogations sous-jacentes au choix de l’Afrique du ord comme terre


d’accueil pour les immigrants maltais, et plus particulièrement celui de la
Tunisie. Possession anglaise depuis 1814, l’archipel maltais va se trouver
dans la première moitié du XXe siècle, confronté à de graves difficultés
économiques dues non seulement au peu d’intérêt des Anglais mais aussi
à l’évolution industrielle ; l’excès démographique permanent sur ce terri-
toire exigu, aggravera les problèmes de l’archipel au cours du XIXe siècle.
Marc Donato note à ce sujet, qu’à partir de 1840, ces questions devien-
nent majeures pour l’île ; il cite à ce propos les rapports du consul de
France, D. Miège, signalant que « malheureusement à Londres, on regar-
de l’île de Malte comme une colonie agricole, industrielle et commercia-
le qui doit se suffire à elle-même et l’on repousse toute idée
d’amélioration tendant à augmenter les dépenses »117.
Jacques Godechot évoque de même, le marasme économique sévissant
sur l’île de 1817 à 1848, ponctué par la crise importante de 1837, au
cours de laquelle les Maltais réclameront « du travail ou du pain ». De
fait la production agricole maltaise (essentiellement céréales, pommes de
terre et fruits) reste insuffisante pour l’alimentation d’une population qui
est rarement propriétaire de la terre. En effet « Les Maltais n’en possé-
daient qu’un tiers, l’Église catholique et la Couronne britannique (héri-
tière de l’Ordre de Saint-Jean) se partageaient les deux autres tiers »118 ;
quant au bétail, il se résume aux chèvres maltaises, le reste étant importé
de Libye ou de Tunisie. À ces difficultés, va s’ajouter celle de la crise du
coton maltais concurrencé d’abord par celui d’Égypte, puis dans les
années 1870 par celui des États-Unis. Par ailleurs le développement
industriel est quasi inexistant si ce n’est celui de l’extraction des carrières
de pierres exportées dans toute la Méditerranée.
En outre, à la misère des campagnes s’ajoutaient « les conditions de vie
terrifiante qui prévalaient […] dans les taudis de La Valette et des Trois
Cités dont la densité atteignait celle de Calcutta ou de Shanghai »119.
Parallèlement le développement de la marine à vapeur, va dès 1820 sup-
primer pour les navires l’obligation de faire escale à Malte, et ainsi faire
perdre à l’île sa principale source d’emploi. L’ouverture du canal de Suez
offrira de nouvelles possibilités mais ne réussira pas à résoudre les diffi-
cultés économiques posées par une démographie excessive.
Le problème majeur de l’île provient de sa surpopulation : « Malte
détient le record de la plus haute densité de l’Europe qui passera de 350
à 647 habitants au km² entre 1821 et 1901 »120.
Compte tenu de ces éléments, l’émigration va apparaître aux yeux des
Anglais mais aussi de la bourgeoisie maltaise comme la solution la
meilleure. Ainsi le journal du 7 mai 1870, « L’emigrazione Maltese
Giornale-Patrio », évoque la nécessité d’une émigration organisée. Un
notable, Amabile Bonello n’hésite pas à écrire : « Il levare parte di una
sovrabbondante popolazione […] sarà un gran bene » 121, c’est-à-dire :
« le départ d’une partie d’une population surabondante […] sera un
grand bien ».
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46 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Différentes tentatives d’émigration vers des pays anglophones propo-


sées par le gouvernement britannique vont être tentées en Australie,
Crète, Chypre et Israël. Ces projets vont tous échouer en raison soit de
leur éloignement, soit de l’obstacle de la langue ; la majorité des émigrés,
originaires des régions les plus pauvres, telles que l’île de Gozo, l’Ouest,
le Sud-est et le ord de Malte, sont effectivement peu instruits et encore
moins anglophones. Marc Donato rappelle le constat de D. Miège à pro-
pos d’une « instruction publique, réservée à la bourgeoisie et négligée,
inexistante pour le peuple »122. C’est donc une émigration principalement
individuelle vers les côtes proches de l’Afrique du ord qui va se mettre
spontanément en place au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle,
introduisant des facteurs de choix différents de ceux proposés par le gou-
vernement britannique.
En Tunisie les registres de baptême conservés à la prélature témoignent
des premières émigrations maltaises dans ce pays ; nous pouvons ainsi
relever à titre indicatif, dès l’année 1820, la présence de nombreuses
familles maltaises telles les Micallef, Camilleri, Schembri et Muscat ou
bien encore les Farrugia ou Azzupar123.
Durant cette période et jusqu’en 1881, date du protectorat français, la
Tunisie dépend de l’Empire turc ; les étrangers des pays européens, pré-
sents en Tunisie, relèvent alors du régime des capitulations, « privilèges
accordés par Soliman le magnifique à François 1er, allié à l’Empire
Ottoman dans sa lutte contre Charles Quint »124 ; ces privilèges concer-
naient la « liberté de séjour dans l’Empire », la « liberté religieuse », et «
la transmission du patrimoine aux héritiers125 ». La situation sera diffé-
rente en Algérie en raison de la prise d’Alger par la France en 1830 et de
la transformation de ce territoire en département français.
De ces différents statuts, résultera, comme nous le verrons ultérieure-
ment, une plus grande conservation de la langue et des coutumes mal-
taises en Tunisie du moins pour les deux premières générations de Maltais
nés en Tunisie.

5.2. UNE ÉMIGRATION PROGRESSIVE ET TRANSITOIRE


Ces données de l’émigration omettent de prendre en compte la longue
tradition de commerce et d’échanges de Malte avec ces différentes terres
d’immigration. À ce propos, Carmel Vassallo précise que si l’installation
de communautés maltaises en Tunisie est bien connue, il faut distinguer
dans le phénomène migratoire, la première partie du XIXe siècle où une
grande partie des migrants semble constituée de commerçants itinérants ;
profitant de la protection du drapeau anglais et de celle des consuls, le
commerce maltais se développe vers les ports d’Afrique du ord ; modes-
te au départ, le trafic commercial régulier sur les speronara va, en quin-
ze ou vingt ans, permettre aux Maltais d’acquérir le statut de mar-
chands126.
Les archives de Tunis et de Malte concernant le trafic des bateaux entre
ces deux pays, témoignent de ces échanges commerciaux :
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 47

AT, Dt.G.Int, (C.224, D.406.1)


Doc. 1 : un certain Mahmut Elluli (aucune indication sur ses origines ne figure dans le
document) charge dans le port de Malte, sur une bombarde, 5 020 boulets de canon ainsi
que d’autres marchandises, pour le compte de son Excellence le bey de Tunis. C’est un
Maltais du nom de Vicenzo Francisco Camilleri, précisé sujet anglais, qui est chargé
d’acheminer la marchandise en Tunisie.
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48 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

AT, D.G.Int. (C.204, D.56bis)


Doc. 2 : Au départ de Tunis, Isaac Soria et Cie, sujets britanniques, sont chargés de
convoyer en direction de Malte, le 2 juillet 1828, un chargement de « 90 bœufs vifs et en
bon état », et le 7 du même mois « 120 bœufs vifs et en bonne situation » pour le comp-
te d’Antoine Farrugia. Le transport est effectué sur des « bombardes », les capitaines
sont précisés Anglais, il s’agit de : Benedetto Calleja et Carlo Momano.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 49

ous pouvons aussi relever à titre d’exemple, du 1er juillet au


er
1 décembre 1828, l’arrivée à Malte de « maltesi trafficanti » en prove-
nance de Tunisie ; si, dans ce registre, le nom des bateaux n’apparaît pas,
celui des passagers maltais y figure ; ce sont les Spiteri, Debono et
Bonello ; le chargement est constitué de bœufs et de diverses marchan-
dises (tabac, thon, éponges etc.) pour le compte d’un certain Bonnano.
Parmi les passagers d’un autre navire, trois sont des commerçants mal-
tais : Salvadore Spiteri, Giuseppe Debono, Gio Gaetano Bonello ; ils
transportent également du thon, du tabac et des éponges. Ce même mois,
un bâtiment arrive à Malte avec comme passagers en provenance de
Tunisie : Giorgio Muscat accompagné de Marie, sa femme et de ses quatre
filles, Carmela, Antonia, Emmanuela et Veneranda ; on note aussi la pré-
sence de Vicenzo Xiberras et de sa femme ; il est précisé que Vicenzo est
musicien ; un autre jeune maltais, Michele Grech, voyage seul. Dans ce
cas de figure on peut se demander s’il s’agit de simples voyages ou de
retours à Malte du fait de la présence de familles.
Par contre le 5 janvier 1830, embarquent de Malte à destination de
Tunis, vingt Maltais dont trois familles : Chili Michele avec son fils Santo,
Catarina Vella avec ses cinq enfants, Catarina Mifsud et son fils
Giuseppe. Sur ce relevé, plusieurs passagers portent un patronyme iden-
tique (Borg, Zarb, Mifsud) ; dans la mesure où c’est un fait courant à
Malte, ces indications ne permettent pas d’établir un lien de parenté entre
ces personnes. Par ailleurs, aucun de ces passagers n’est signalé comme
commerçants, on peut donc émettre l’hypothèse qu’il s’agit vraisembla-
blement d’émigrants ; la présence de femmes voyageant seules avec des
enfants va dans le même sens. otons d’autre part, que le navire convoie
un chargement de pierres de Malte.
Cinquante ans plus tard, le 29 janvier 1881 (année du protectorat fran-
çais en Tunisie), le vapeur français Dragut quitte Malte en direction de la
Tunisie avec 21 passagers maltais127 dont un voiturier et quatre commer-
çants appartenant à la même famille : les Curmi128 ; un des Maltais, Luigi
Micallef se dirige vers Sfax et cinq autres Maltais poursuivent vers Bône.
Cette fois, tous sont inscrits comme commerçants et aucun élément
n’autorise à les situer en tant que migrants. De plus petits navires effec-
tuent aussi la liaison avec la Tunisie ; ainsi le brigantin Schooner « ueva
Stella » appareille de Malte vers Sfax en janvier 1881 avec quatre passa-
gers maltais, un seul est commerçant, le métier de deux autres n’est pas
précisé.
Dans l’article précédemment cité, Carmel Vassallo se réfère à Finotti
pour décrire les échanges commerciaux entre Malte et Sfax : les navires
maltais apportaient principalement dans le port tunisien, des vêtements
anglais et du calicot maltais connu sous le nom de malti ou Kham en
Tunisie ; il en existait deux sortes : le « Kham Soukri », étoffe fine desti-
née aux Européens et le « Kham Halloufi », plus rustique et moins oné-
reux, préféré de la population arabe. Transitaient en outre : ancres,
chaînes, produits tropicaux et chimiques ainsi que le bétail. À ces com-
merçants réguliers, s’ajoutent nombre de Maltais pratiquant, non seule-
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50 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

ment pour les mêmes denrées mais aussi pour les armes et le tabac, une
contrebande importante. « Cela a déterminé la perception même “Maltais
contrebandier” auprès de l’opinion, vision qui a été largement véhiculée
par l’historiographie des époques coloniale et post-coloniale »129.

Il semble donc nécessaire, toujours selon Carmel Vassallo, de prendre


en compte dans le phénomène migratoire ces commerçants itinérants qui
avaient deux pôles de vie : un en Afrique du ord pour les affaires, et un
second pour la famille à Malte. On comptait ainsi à Tunis en 1854 une
centaine de maisons de commerce d’importance diverse, appartenant à
des Maltais. L’auteur de cette étude note d’une part que, de 1826 à 1880,
les statistiques de l’immigration montrent la présence parmi les émigrants
de seulement 15 % puis 5 % de femmes et d’enfants ; cette donnée confir-
me l’hypothèse d’une immigration initiale, principalement masculine et
souvent saisonnière, accompagnée de nombreux retours. D’autre part,
seuls 40 % des départs correspondraient à l’intention d’émigrer, les 60 %
restants n’ayant pas l’intention de s’installer réellement ; ainsi, Charles
Price signale sur 30 000 départs de 1825 à 1842 vers l’Algérie, la Tunisie
et l’Égypte, seulement 15 000 Maltais comptabilisés à l’étranger. De plus,
certains Maltais ne restaient que quelques mois au même endroit ; colpor-
teurs ou contrebandiers, ils n’étaient pas tous répertoriés, de part et
d’autre de la Méditerranée130. S’ajoutaient vraisemblablement à cette
population, depuis le XVIIe siècle, quelques descendants des « renégats
maltais des régences de Tunis et d’Alger et des matelots corsaires des
galères de l’Ordre […] ainsi que des religieux et religieuses, population
mobile, itinérante, faisant de fréquents séjours à Malte, “fior del mondo”
(fleur du monde), pour s’y retremper » 131. La majorité des ports tunisiens
étaient à la fin du XIXe siècle, à la fois terre d’implantation maltaise et
base importante de la « kuntra », trafic parallèle au commerce légal, où
les différentes communautés présentes sur le sol tunisien (Tunisiens,
Maltais, Siciliens, Juifs) se trouvaient impliquées. On pouvait d’ailleurs
être à la fois commerçant régulier et trafiquant : nous trouvons ainsi
Pietro Gili, grand négociant maltais de Sfax, faisant travailler passeurs et
marins132 ; ce même Gili se plaint dans une lettre adressée au consul Wood
en 1872, d’un différent commercial avec deux juifs tunisiens qui sont eux-
mêmes en prison pour banqueroute.

Que ce soit du fait du commerce régulier ou de celui effectué dans le


cadre de la contrebande, les contacts étaient fréquents entre Tunis et
Malte au XIXe siècle. La possible compréhension du tunisien par les
Maltais a sans doute facilité grandement ces échanges ; il est par ailleurs
vraisemblable que les Maltais de Tunisie ne connaissaient pas l’origine
historique arabe de leur langue ; nous pensons cependant qu’ils avaient
dû remarquer, sans peut-être s’autoriser à l’énoncer clairement, en raison
du poids de l’histoire et du facteur religieux, la similitude entre les deux
langues. ous pouvons aussi envisager l’hypothèse que les récits des
commerçants et des marins sur la vie dans les différents ports tunisiens,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 51

circulaient dans les villages maltais et permettaient aux éventuels candi-


dats à l’émigration de se projeter dans un futur fantasmé. La préférence
pour les terres d’émigration d’Afrique du ord ne relevait donc pas seu-
lement de la proximité (Tunisie) ou d’un choix fortuit mais aussi d’une
relative connaissance des possibilités d’installation associée à la proximi-
té linguistique.

CONCLUSION
Un bref parcours géographique et historique a esquissé les contours
d’une Histoire conflictuelle, partagée entre Malte et la Tunisie, pays
d’accueil des émigrants maltais à la fin du XIXe et au début du XXe siècle ;
des correspondances ont été établies faisant apparaître des éléments de
culture communs à ces deux pays notamment dans le domaine linguis-
tique. Quelques aspects plus spécifiques, propres à chaque pays, ont été
abordés du fait de leur importance au regard de la problématique de
l’immigration maltaise ; il s’agit plus particulièrement pour l’archipel
maltais, de l’influence de l’Église catholique sur la société au XIXe siècle
et de la problématique concernant la question linguistique, les questions
directement liées à l’émigration faisant l’objet d’un point à part. Pour la
Tunisie, il nous a semblé indispensable de souligner l’influence du cardi-
nal Lavigerie et de commencer à évoquer les naturalisations des étran-
gers durant le protectorat français. En effet, traiter de la transmission
généalogique chez les descendants des Maltais de Tunisie, nécessitait
d’interroger l’Histoire avant de les accompagner dans leurs premières
migrations.
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Notes de la deuxième partie


25 Le toponyme Malte viendrait du vieux mot sémitique màlat voulant dire « les
refuges », « les ports ». (Godechot, J. Histoire de Malte, Paris, PUF, 1952, p. 4.)
26 Belhaj, Y.E. Boubaker, S. « La Méditerranée tunisienne », Les représentations de la
Méditerranée, Paris, Maisonneuve et Larose, 2000, p. 21.
27 Godechot, J. Histoire de Malte, pp.4-5, op. cit.
28 Ancien nom arabe de la Tunisie et de l’Algérie orientale.
29 Redjala, M. “L’archipel maltais dans la littérature historico-géographique
d’expression arabe à l’époque médiévale”, Actes du premier Congrès international
d’Études des Cultures Méditerranéennes d’influence arabo-berbère, pp. 203-220.
op. cit.
30 Ibid.
31 Blondy, A. Malte, Paris, Arthaud, 1991.
32 Bernardie, N. Malte, parfum d’Europe, souffle d’Afrique, Bordeaux, CRET, 1999,
collection Îles et Archipels, n° 27, pp.11-12.
33 Ibid., p. 79.
34 Cf. Cartes, pp. 26
35 Guilaine, J. “Malte et la préhistoire de la Méditerranée” in Dossiers d’Archéologie,
Malte, n° 267, oct. 2001, p. 16-20.
36 Ibid..
37 Vella C., N. “Après les géants…” Ulysse, Malte, n° 56, 1997, p. 21, (Nicholas
C. Vella est professeur au département des études classiques et d’archéologie de
l’université de Malte.
38 Anthony Bonanno est directeur du département des études classiques et
d’archéologie de l’université de Malte.
39 Bonanno, A. « Malte antique », Le Carrefour Maltais, Revue du Monde Musulman
et de la Méditerranée, CNRS, Université de Provence, 1994, pp. 40- 46.
40 « Sleeping lady » : il est, généralement admis, malgré quelques divergences de spé-
cialistes, que cette statuette féminine symbolise la fertilité.
41 Bernardie, N. Malte, parfum d’Europe, souffle d’Afrique p. 338, op. cit.
42 Bonanno, A. « Malte antique », Le Carrefour Maltais, p. 43, op. cit.
43 Sagona, C. The archaeology of Punic Malta, disponible sur le site :
http://uninews.unimelb.edu.au
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54 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

44 Frendo Anthony J., Vella Nicholas C. « Les îles phéniciennes du milieu de la mer »,
Malte, Dossiers d’archéologie, n° 267, oct. 2001, p. 46.
45 Divinité punique dont l’origine du culte se situe à Tyr, ville du Liban (auj. Sour.)
46 Bonanno, A. « Malte antique », Le Carrefour Maltais, p. 45, op. cit.
47 M. Mario Buhagiar est Directeur du Département d’Art à la faculté d’arcitecture de
l’université de Malte.
48 Buhagiar, M. « Malte dans l’Antiquité tardive et à l’époque byzantine », Malte,
Dossiers d’Archéologie, pp.68-75, op. cit.
49 Île de Croatie située entre Korcula et Dubrovnik.
50 Buhagiar, M. « Malte dans l’Antiquité tardive et à l’époque byzantine », Malte, op.
cit.
51 Ibid.
52 Il s’agit d’adeptes de l’arianisme, doctrine issue de la chrétienté ; ses partisans
niaient la divinité de Jésus-Christ. L’arianisme fut condamné par le concile de Nicée
en 325. (Dict. Larousse)
53 Buhagiar, M. « Malte dans l’Antiquité tardive à l’époque byzantine », p. 70, op. cit.
54 Ibid.
55 Constantinople prendra le nom d’Istambul après sa prise par les Turcs.
56 Jusqu’au VIIIe siècle, la Tunisie dépend du Califat de Damas, puis de celui de
Bagdad.
57 La Geniza est le lieu de la synagogue où sont conservés les manuscrits ; il s’agit, ici,
de celle de la synagogue de Ben Ezra au Caire qui comprend plus de 200 000 manus-
crits.
58 Guichard P., Sénac P. Les relations des pays d’Islam avec le monde latin (milieu Xe
- milieu XIIIe.) Poitiers, CNED, Paris, SEDES, 2000, p. 45.
59 Redjala M. “L’archipel maltais dans la littérature historico-géographique
d’expression arabe à l’époque médiévale”, Actes du premier congrès international
des Cultures Méditerranéennes d’influence arabo-berbère, pp. 203-208. op. cit.
60 Buhagiar, M. « Malte dans l’Antiquité tardive et à l’époque byzantine », Malte,
Dossiers d’archéologie, p. 74, op. cit.
61 Redjala M. “L’archipel maltais dans la littérature historico-géographique
d’expression arabe à l’époque médiévale”, op. cit.
62 Ibid.
63 Ibid.
64 Buhagiar, M. « A l’ombre de St Paul », Ulysse, Malte, n° 56, p. 35.
65 Cutajar, N. « Arabes et Normands à Malte », Malte, Dossiers d’archéologie, pp. 76-
85, op. cit.
66 Guichard P., Sénac P., Les relations des pays d’Islam avec le monde latin, p. 279,
op. cit.
67 Ibid.
68 Bresc, H. « Sicile, Malte et Monde Musulman », Malta, a case Study in
International Crosscurrents, (First International Colloquium of the Central
Mediterranean, University of Malta, 13-17 December 1989), Malte, Fiorini S. and
Mallia Milanes V, 1991, p. 49.
69 Dornier, F. Les Catholiques en Tunisie au fil des ans, Tunis 2000, p. 33.
70 Lutrell, A. « L’effritement de l’islam 1091-1282 », Le Carrefour Maltais, pp. 49-58,
op. cit.
71 Ibid.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 55

72 Bresc H. « Malte et l’Afrique 1282-1292 », Le Carrefour Maltais, pp. 63-73, op. cit.
73 Luttrell, A. « L’effritement de l’islam 1091-1282 », Le Carrefour maltais, pp.49-59,
op. cit.
74 Bresc, H. « Malte et l’Afrique, 1282-1492 », Le Carrefour maltais, p. 67, op. cit.
75 Ibid.
76 Godechot J., Histoire de Malte, p. 46, op. cit.
77 Sebag P. Tunis au XVIIe siècle, Histoire et Perspectives méditerranéennes, Paris,
L’Harmattan, 1989, p. 111.
78 Petiet, C. Ces messieurs de la religion. L’ordre de Malte au XVIIIe siècle ou le cré-
puscule d’une épopée, Paris, France-Empire, p. 154.
79 Ibid.
80 Pignon, J. “Aperçu sur les relations entre Malte et la côte orientale de Tunisie au
début du XVIIe siècle”, Les cahiers de Tunisie, Tome XII, n° 47-48, 1964, pp. 59-
87.
81 Sebag, P. Tunis au XVIIe siècle, p. 109, op. cit.
82 Sebag, P. La course tunisienne au XVIIIe siècle, Tunis, IBLA, 2001, pp. 40-41.
83 Petiet, C. Ces messieurs de la religion. L’ordre de Malte au XVIIIe siècle ou le cré-
puscule d’une épopée, pp.147-149, op. cit.
84 Blondy, A. L’Ordre de Malte au XVIIIe siècle, Des dernières splendeurs à la ruine,
Paris, 2002, p. 70.
85 Ibid. p. 80.
86 Fontenay, M. « Le développement urbain du port de Malte du XVIe au XVIIIe siècle
», Le Carrefour Maltais, pp. 91-107n op. cit.
87 Cassar Pullicino J. Some Considerations in Determining the Semitic Element in
Maltese Folklore, p. 45, op. cit.
88 Blondy, A. L’Ordre de Malte au XVIIIe siècle, p. 89, op. cit.
89 Ibid., p. 189.
90 Sebag, P. La Course Tunisienne au XVIIIe siècle, p. 59, op. cit.
91 Traité de Paris : 30 mars 1814
92 Sebag, P. La Course Tunisienne au XVIIIe siècle, p. 11, op. cit.
93 Speronare : simple barque maltaise qui, au départ, assurait la liaison entre Malte et
Gozo ; utilisée à Malte depuis le XVIE siècle d’après les archives ; peinte, le plus
souvent de couleurs vives, elle était protégée du mauvais œil, par l’œil d’Horus ou
d’Osiris. Disparue des eaux maltaises au début du XXe siècle, la speronare est le
prototype d’autres constructions navales maltaises telles que luzzu et dgħasa.
(D’après Joseph Muscat, historien maritime.)
94 Sebag, P. La Course Tunisienne au XVIIIe siècle, p. 19-20, op. cit.
95 Ibid., p. 66-68.
96 Date à laquelle Lord Exmouth menacera Tunis avec une flotte de guerre du fait du
non-respect des engagements pris.
97 Sebag, P. La Course tunisienne au XVIIIe siècle, p. 66-68, op. cit.
98 Godechot, J. Histoire de Malte, Paris, Que sais-je ? PUF, 3e éd, 1981, p. 22.
99 L’île de Gozo possède également une ville du nom de Rabat.
100 Wettinger, G. Place-ames of the Maltese Islands, 1300-1800, Malte, PEG publica-
tions, 2000, p. 367, (traduction)
101 Ibid., p. 537.
102 Ibid., p. 630.
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56 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

103 Ganiage, J. Les origines du Protectorat français en Tunisie (1861-1881), Tunis,


Maison tunisienne de l’édition, 1968, 2e éd, p. 14.
104 Ibid., p. 21.
105 Richard Wood assumera, pour l’Angleterre, la charge de consul en Tunisie de 1855
à 1879.
106 Ganiage, J. Les origines du Protectorat français en Tunisie, p. 47, op. cit.
107 Dornier, F. Les Catholiques au fil des ans, Tunis, 2000, p. 45, op. cit.
108 Liauzu, C. Passeurs de rives, Changements d’identité dans le Maghreb colonial,
p. 47, op. cit.
109 Pèlerinage créé en souvenir du sanctuaire maltais situé sur l’île de Gozo où est véné-
rée une fresque de la Vierge, attribuée à saint Luc, par la dévotion populaire ; il s’agit
sans doute d’une œuvre du XIVe siècle.
110 Martin, J. F. Histoire de la Tunisie contemporaine, de Ferry à Bourguiba (1881-
1956), Paris, L’Harmattan, 1993, p. 94.
111 Belhaj Yahia, E ; Boubaker, S. La Méditerranée tunisienne, Paris, Maisonneuve et
Larose, 2000, p. 27.
112 Sebag, P. Tunis Histoire d’une ville, Paris, L’Harmattan, Histoire et perspectives
méditerranéennes, 1998, p. 426.
113 Donato, M. Rue des Maltais, p. 37, op. cit.
114 Ibid., p. 128.
115 Bernardie, N. Malte, parfum d’Europe, souffle d’Afrique p. 356, op. cit.
116 Ibid., p. 363.
117 Donato, M. Rue des Maltais, p. 8, op. cit.
118 Godechot, J. Histoire de Malte. Paris : P.U.F, 1952, p. 93.
119 Sanguy, P. « Une vision de l’émigration maltaise au début du XXe siècle, Les nou-
velles “Nord-Africaines” de Sir Temi Zammit », Le départ et le retour dans le
monde anglophone, Paris, A3, 2000, pp.43-79.
120 Vadala, R. Les Maltais hors de Malte, Paris, Arthur Rousseau, 1911 (épuisé), p. 34.
121 Abela, R. À, Zammit, A. M. Les Français de souche maltaise, tome I, a dissertation
presented to the faculty of Education for the degree of Bachelor Education (Honors)
University of Malta, May 1995, pp. 4-15.
122 Donato, M. Rue des Maltais, p. 9, op. cit.
123 Nous faisons, ici, seulement référence à des patronymes rencontrés au cours de
notre étude.
124 L’Angleterre bénéficiera de ces mesures en 1580
125 Kazdaghli, H. Apport et place des communautés dans l’histoire de la Tunisie moder-
ne et contemporaine, 2006, pp.1-15, disponible sur : http://barthes.ens.fr/clio/revues
126 D’après Vassalo, C. « The Maltese mercantile diaspora in the Mediterranean in the
eighteenth and nineteenth centuries », History, Culture and Society in The
Mediterranean world, Journal of Mediterranean Studies, Vol. 10, No. 1& 2, Malte,
The Mediterranean Institute, University of Malta, 2000, pp. 203-211 (Traduction).
127 Les neufs autres passagers sont : Arabes (2), Français (2), Anglais (3), Turc (1) et
Grec (1) ; l’origine d’un des passagers n ‘a pu être précisée.
128 Le registre ne permet pas d’établir le lien de parenté exact.
129 Larguèche, D. Territoire sans frontières, la contrebande et ses réseaux dans la
régence de Tunis au XIXe siècle, CPU, Tunis, 2001, p. 108.
130 D’après Vassallo, C. « The Maltese mercantile diaspora in the Mediterranean in the
eighteenth and nineteenth centuries » History, Culture and Society in The
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 57

Mediterranean world, Journal of Mediterranean Studies, Vol. 10, op. citn (traduc-
tion).
131 Bernardie, N. Malte, parfum d’Europe, souffle d’Afrique p. 92, op. cit.
132 Larguèche, D. Territoire sans frontières, la contrebande et ses réseaux dans la
régence de Tunis au XIXe siècle, p. 119, op. cit.
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Troisième partie

Processus d’identification
en Tunisie
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60 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

1. TERRITORIALISATION ET MODE DE VIE


DES PREMIERS MALTAIS EN TUNISIE
Peut-on réellement parler de territorialisation des Maltais en Tunisie ?
ous pouvons, dans un premier temps, répondre par l’affirmative,
puisque ce territoire constitue « l’assiette terrienne » d’une partie de la
population maltaise immigrée. Les sources historiques et les données des
registres paroissiaux permettent une approche globale des premières ins-
tallations maltaises en Tunisie. On sait que le début de l’émigration se
situe dès la première moitié du XIXe siècle ; au cours de cette période, elle
revêt souvent un caractère temporaire et, nombreux sont les allers-retours
entre Tunis et Malte ; certains de ces retours, sur l’archipel, semblent
avoir été définitifs ; ils auraient atteint, selon Charles Price, jusqu’à 85 %
entre 1840 et 1890 ; ils seront, plus précisément, de l’ordre de 10 000 de
1842 à 1901133. Patrice Sanguy, dans son analyse des nouvelles du
Docteur Zammit, évoque l’image de ces « returnee » aux surnoms
(laqam134) significatifs de « Tal-Girbi » ou « Sûsi », autrement dit ayant
vécu eux-mêmes ou ayant eu un ascendant immigré dans l’île de Djerba
ou la région de Sousse135.
Cependant les émigrés maltais s’installent progressivement et les
anciennes bases de Course, également ports de commerce légaux, devien-
nent autant de points d’ancrage pour ces migrants. Il en sera ainsi des îles
de Djerba et Kerkennah, des villes de Porto-Farina136, Sousse, Sfax, Tunis
ainsi que Bizerte et Madhia. ous prendrons en compte seulement les
villes où nous avons pu effectuer une étude sur le terrain ; elles ont été
choisies en raison de l’importance de leur population maltaise avant
l’indépendance de la Tunisie.

1.1. DJERBA
La présence maltaise est effective sur l’île avant 1830 et semble s’être
concentrée principalement à Houmt-Souk, port principal de l’île. Les
documents que nous avons pu consulter, associés à quelques récits fami-
liaux ne donnent des précisions que sur les installations dans cette ville,
ou témoignent simplement de l’arrivée à Djerba. C’est le cas
d’« Alexandre Grima, maçon, qui envoyé en Égypte, débarque à Tripoli,
et de là passe à Sfax pour essayer de retourner à Malte et finalement
s’installe en 1822 à Djerba avec sa femme et son fils Félix âgé de quatre
mois »137, quelques années plus tard, en 1828, on note la venue des trois
frères Caruana (Vincent, Joseph, Publio) dont un lointain ancêtre (ou
homonyme), Jackinus Caruana est cité, en 1473, comme étant autorisé
par les chevaliers de l’Ordre « à partir en course en raison de la menace
sarrasine »138.
En outre, l’étude des Actes de catholicité, effectuée par Pierre
Soumille, permet de relever pour la paroisse de Djerba, de 1848 à 1882,
302 baptêmes maltais sur un total de 392 baptêmes ; les autres baptêmes
étaient majoritairement italiens. Ces chiffres, soulignant l’importance de
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 61

la communauté maltaise avant le protectorat et au début de ce dernier,


sont confirmés par ceux concernant les mariages et sépultures, pour les
mêmes années, soit :
- 49 mariages maltais endogamiques, un seul exogamique (espagnol-
maltais) sur 62 unions
- 143 sépultures maltaises sur 297 sépultures catholiques, (chiffre rela-
tivement élevé en raison de deux épidémies de typhus et choléra).
On peut noter, dès 1848, l’existence à Houmt Souk (port principal de
l’île) d’un local dédié à otre Dame du Mont-Carmel139 pour la célébra-
tion des Saints Offices ; la même année un presbytère sera construit. C’est
autour de ces deux édifices, liés à la catholicité, que les premières familles
maltaises vont s’installer. Par ailleurs, une copie des actes originaux,
concernant l’église de cette ville, atteste de la donation par testament d’un
magasin appartenant à « feu Giuseppe Caruana », le 25 septembre 1884,
en échange de prières, pour lui-même et sa femme, « Margherita Pace ».
Ce couple possède des noms typiquement maltais et s’inscrit dans une tra-
dition catholique de legs de ses biens à l’Église. Différentes confréries
religieuses maltaises, dont celle du saint Sacrement, existaient aussi sur
l’île.
D’après les entretiens
que nous avons conduits
tant avec les Tunisiens
qu’avec deux personnes
d’origine maltaise140, il
apparaît que l’ensemble
des constructions avoisi-
nantes était occupé par
les Maltais, l’une des pre-
mières étant sans doute
un ancien fondouk, situé
juste en face de l’église
actuellement désaffec-
t é e 141. C e t y p e
d’habitation utilisé de
même par les Juifs et les
Arabes, est ainsi décrit
par Abdelhamid Lar-
guèche : « Lieux
d’hébergement où l’on
peut mettre à l’abri char-
rettes, bêtes et marchan-
dises. Autour d’une vaste
cour en terre battue, des
Eglise de Djerba
pièces étroites et très peu
éclairées servent de dor-
toir pour les passagers, souvent d’autres chambres sont à l’étage desser-
vies par des escaliers »142. Les frères Caruana utiliseront ce mode
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62 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

d’habitation pour protéger leurs marchandises de contrebande (poudre à


fusil, alcool) ; peu à peu, ils loueront, à leurs compatriotes qui émigrent,
des pièces dans ces fondouks, en général, une par famille.
Madame Attard évoquera les trois frères Camilleri, arrivés sur l’île
deux ou trois ans avant les Français ; l’un d’entre eux, arrière-grand-
oncle de notre interlocutrice, assurait la liaison en diligence de Gabès à
Tunis ; elle nous parlera aussi du transport des matières premières, fari-
ne, huile mais aussi « épées », entre Malte, Tunis, Tripoli et Sfax ; d’après
notre témoin, ce commerce s’effectuait sur des bateaux appelés
« Mahonnes »143 d’où leur surnom de Mahonnais donné à des membres de
sa famille. Les métiers de la pêche semblent également avoir été pratiqués
par les émigrés.
Les Maltais de Djerba s’exprimaient les premiers temps, en arabe dia-
lectal ; la langue maltaise étant comme dans les autres lieux
d’implantation maltaise, réservée à l’usage intracommunautaire.
Il s’agit donc, pour cette île, d’une communauté maltaise immigrée,
territorialisée les premiers temps, principalement autour du sanctuaire, et
dont la différenciation d’avec le monde tunisien se situait essentiellement
dans le domaine religieux.

1.2. PORTO-FARINA (GHAR EL MELH)


Ce port, situé à soixante kilomètres au nord de Tunis, possédait au
XVIIIe siècle un arsenal « qui fut très actif sous le règne du bey Hammûda
b.’ Alî (1782-1814). La direction en fut assurée par un ingénieur français
[…] qui n’avait sans doute pas trop de peine à trouver sur place la main-
d’œuvre dont il avait besoin parmi les Maures libres ou les chrétiens cap-
tifs »144. Y-avait-il des Maltais parmi ces captifs ? L’auteur de cette étude
ne le précise pas mais une telle hypothèse semble plausible, compte tenu
de la poursuite de la Course en Méditerranée, « sous les beys de la dynas-
tie husaynite, jusque dans les premières années du XIXe siècle »145.
L’arrivée de familles maltaises migrantes s’effectuera quelques années
plus tard, entre 1840 et 1850 : « Ce sont les : Baldacchino, Muscat,
Camilleri et, plus tard Grima, Spiteri »146. Carmel Camilleri décrit les
habitations maltaises147 organisées autour de l’église et construites sur le
modèle traditionnel arabe ; cependant le mobilier était italien. Ces deux
caractéristiques renvoient à la symbolique d’appartenance maltaise : un
socle d’origine arabe associé à l’intégration d’éléments culturels euro-
péens ; en effet « la maison, son orientation et celle des différentes fonc-
tions, son organisation spatiale interne, la disposition des pièces, son
mobilier […] ont un sens qui ne doit rien au hasard, mais au contraire
[…] expriment une symbolique, laquelle figure, pour une société donnée,
son genre de vie et sa représentation du monde »148. Carmel Camilleri
souligne également que les habitations des Français étaient plus éloi-
gnées et rejoignaient celles de quelques familles maltaises aisées. ous
avons pu, d’autre part, obtenir auprès de la population locale, quelques
précisions sur l’existence de fondouks, occupés par des Maltais ; leur
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 63

localisation reste cependant assez imprécise pour être sûrs de leur


authenticité. Ainsi, toute l’organisation spatiale du village reflétait le sta-
tut des différents groupes sociaux et leurs relations.
Ponctuée par les fêtes religieuses chrétiennes, la vie familiale se dérou-
le suivant un mode de vie « moralement patriarcal » relate le même
auteur ; dans ce cadre, les liens et obligations envers les collatéraux ne
relèvent pas de normes institutionnelles mais plutôt d’obligations morales
intra-groupales ; ainsi la place prépondérante de l’homme au sein de la
cellule familiale, associée aux notions de respect de la hiérarchie de l’âge
et des sexes, reste très présente à l’intérieur de la communauté maltaise
comme dans toutes les sociétés méditerranéennes. Si les jeunes époux
s’installent indifféremment dans la famille de l’époux ou de l’épouse, il
s’agit sans doute, de l’impact de facteurs économiques instituant un chan-
gement par rapport à la matrilocalité maltaise du XIXe siècle où le mari
était accueilli dans sa belle-famille. Cependant, c’est l’homme le plus âgé
du foyer qui a autorité sur le groupe domestique tandis que le mari exer-
ce la sienne sur femme et enfants. Le fils aîné a des droits et des devoirs
moraux envers la fratrie ; la remarque d’un de nos interlocuteurs, ancien
maltais de Tunis, en témoigne : « Lorsque mes frères faisaient une bêtise,
c’était moi qui recevais en tant qu’aîné »149. Généralement la naissance
d’un garçon est valorisée mais quelque soit le sexe du nouveau-né, la pre-
mière enfance se déroule de manière très permissive : sevré tardivement,
le bébé accapare sa mère jusque vers l’âge de deux ans.
On peut noter, dans la communauté, la présence d’un leader, person-
nage plus instruit, servant souvent de lien avec les autorités ou amené à
arbitrer des différents entre ses concitoyens. Le rôle de ce « sage » sera
confirmé par le témoignage de Charles Cortis : il se souvient que ce per-
sonnage, issu de la communauté, était surnommé « le hakem » et, que son
grand-père paternel, né à Tunis en 1872, s’adressait à lui pour des sujets
importants. Il est intéressant de souligner que cette appellation était, au
temps des Chevaliers de Malte, celle du Capitaine de la Verge, haute fonc-
tion de responsabilité ; ce personnage était, à la fois, gouverneur de
Mdina, l’ancienne capitale, et colonel de la milice.
À Porto-Farina, les Maltais semblent avoir très vite adopté certaines
habitudes culinaires des Tunisiens : utilisation de l’harissa, des piments,
du s’men (sorte de beurre rance) gardant quelques recettes spécifique-
ment maltaises, notamment à l’occasion de fêtes religieuses : ils confec-
tionnaient, pour Pâques, les « figolli », sortes de poupées en pâte ornées
d’un œuf sur le ventre ainsi que la « jemma », pâtisserie composée d’œufs
et de dattes ; ces friandises étaient destinées aux enfants.
Par ailleurs, des éléments de superstition, communs à la population
maltaise et tunisienne, se retrouvent dans ce port. Il s’agit tout d’abord,
de l’importance accordée à la référence au mauvais œil, mais aussi, nous
apprend Carmel Camilleri, de « l’utilisation de philtres confectionnés par
des Tunisiennes pour empêcher la rupture de fiançailles »150. Cassar
Pullicino rapporte que ces superstitions existaient à Malte au milieu du
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64 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

XVIIe siècle et qu’elles y auraient été introduites par les femmes des
esclaves musulmans151.
D’autres aspects, comme la manière de se vêtir rapprochaient les
femmes des deux communautés ; ainsi les Maltaises portaient générale-
ment des pantalons mi-longs, proches du sarouel des Tunisiennes. Elles
fréquentaient les bains maures et se rendaient au domicile de leurs amies
tunisiennes leur racontant la vie extérieure : elles échangeaient sur la
mode et sur les futurs mariages prévus dans l’une ou l’autre des commu-
nautés.
La communication se faisait essentiellement en arabe avec des intona-
tions italiennes, souligne l’auteur de l’étude sur Porto-Farina, les Maltais
utilisant la langue maltaise seulement à l’intérieur du groupe. De nom-
breux échanges s’effectuaient ainsi avec les Tunisiens : les hommes se
rencontraient au café maure et y disputaient des parties de cartes appe-
lées « chkouba » (scopa italienne) ; comme leurs épouses, ils allaient au
bain maure et participaient à la discussion mais ils n’étaient pas reçus
dans les foyers. Ils écoutaient les conteurs tunisiens qui étaient admis
dans les foyers maltais afin que les femmes puissent les entendre ; souvent
à cette occasion, nourriture et café étaient offerts au conteur en remercie-
ment.
Dans cette ville vivaient également les premières familles de petits
fonctionnaires français ; il semble que, jusqu’en 1925, ces familles de
Français issues du monde rural, aient fréquenté les familles maltaises les
plus aisées ; puis, au cours du protectorat, remplacés par d’autres fonc-
tionnaires d’origine sociale différente, ces fonctionnaires se mêlèrent peu
aux Maltais. Ainsi, les relations entre Maltais et Français resteront dépen-
dantes du statut social des groupes en présence.
Caractérisée par un mode de vie proche du monde arabo-tunisien
durant ces années, la population maltaise de Porto-Farina sera stigmati-
sée dans le discours des Maltais interviewés, principalement lorsque la
relation entre le mode de vie de leurs ancêtres et celui des Tunisiens sera
évoquée. ous entendrons des remarques telles que « peut-être ceux de
Porto-farina vivaient comme cela » ou « à Porto-farina, c’était différent ».
Il est sans doute vrai que ce groupe s’est plus longtemps maintenu hors de
l’évolution vers un mode de vie français du fait de son isolement.
Cependant, ne s’agit-il pas plutôt pour nos interlocuteurs, d’un déni de la
reconnaissance d’une proximité culturelle d’avec un groupe social de cul-
ture arabo-musulmane ? Le rapprochement paraît accepté quand il s’agit
de l’autre, le Maltais dit « peu évolué » ou « de la campagne » ; ces expres-
sions, à connotation péjorative, pourraient correspondre à l’ancienne
image véhiculée à Malte au sujet des classes sociales défavorisées152.

1.3. SOUSSE
Quelques indications sur la vie des Maltais avant le protectorat nous
sont données dans l’ouvrage : « A la recherche du Sousse d’antan »153.
ous y apprenons les patronymes des premières familles, arrivées aux
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 65

environs de 1820 ; ce sont les Balzan, Borg, Schembri, Vella, Rizzo, etc. Ils
s’installent, comme ailleurs, dans les fondouks, principalement ceux
d’entre eux exerçant le métier de cochers ; il s’agit au Sud, du fondouk
Berryana sur la place Bab Djedid et d’un second, situé dans l’actuelle rue
Ali Bach Hamba, aujourd’hui disparu. Quelques Maltais possédaient des
diligences, destinées aux liaisons entre les grandes villes, mais la plupart
étaient seulement postillons ; d’autres étaient cochers en ville et les
auteurs de cet ouvrage précisent que ces fiacres étaient de véritables «
œuvres d’art entourées par leurs propriétaires de tous les soins […]
pein ures vives sur les roues, clous de cuivre jaune et coquillages sur les
harnais, grelots, foulards et talismans sur la monture »154.
Une autre partie de la population maltaise vivait dans un quartier
proche de la Grande Mosquée et du Ribat : les toponymes, rue de Malte
et d’Angleterre, l’attestent encore aujourd’hui ; dans le même secteur,
existait, depuis 1836, une maison privée où se déroulait le culte catho-
lique ; par la suite, une petite chapelle, dédiée à Saint Félix, fut installée
dans ce même quartier, avec l’autorisation d’Ahmed Bey (1837-1855) ; il
est possible qu’elle ait été située entre les deux monuments précités mais
nous manquons d’indications suffisamment fiables, pour en être sûrs.
Cette chapelle fut remplacée en 1865, par l’église otre-Dame ; parmi les
bénévoles qui participèrent à l’élaboration des plans de l’édifice, nous
pouvons citer Laurent Mifsud dont le patronyme indique l’origine maltai-
se ; cette église fut rasée lors de l’aménagement du site autour du Ribat ;
d’après plusieurs témoignages d’habitants du quartier, son emplacement
pourrait correspondre à celui de l’actuel lycée.

Rue de Malte Anciens quartiers maltais de Sousse. Rue de l’église.

Si effectivement une partie de ce quartier a été modifiée, nous avons


cependant pu localiser les rues citées précédemment et vérifier auprès de
la population locale que le souvenir de la population maltaise, dans ce
secteur de la médina, restait présent dans la mémoire des Soussiens
d’aujourd’hui. La plupart des Maltais travaillaient comme artisans, com-
merçants ou jardiniers ; certains purent très tôt, acquérir des propriétés
tel Michel Cachia, marchand, qui vers 1860 achète des biens fonciers et
des olivettes. Toutefois une des activités importantes des Maltais de
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66 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Sousse était liée à la contrebande en association étroite avec les Juifs et


les Tunisiens.
ous retrouvons ici, une situation identique à celle des autres lieux
d’implantation des émigrés maltais en Tunisie, à savoir la proximité des
habitations et du lieu de culte catholique, associée pour beaucoup, à un
mode de vie proche du monde tunisien.

1.4. SFAX
La présence des émigrés Maltais se situe autour de 1820 ; ils
s’installent dans le quartier franc, proche de l’église et non loin de la
médina ; cette localisation demeure un paramètre constant des divers
lieux d’implantation. H. Jamoussi, s’appuyant sur le relevé des registres
paroissiaux note en 1840, la présence de trente familles chrétiennes dont
une quinzaine de familles maltaises tels les « Farrugia, Abela, Agius et
Bussutil »155. La pause de la première pierre de l’église en 1841, sera
d’ailleurs relatée dans un journal publié à Malte : « Le portefeuille mal-
tais », et saluée par les coups de canon du brigantin maltais « La Regina
Vittoria » présent dans le port156. Différents articles de la revue « La
Diaspora Sfaxienne », viennent confirmer les premières installations mal-
taises à Sfax avant le protectorat; ainsi le numéro de juin 1993 rappelle
l’existence de fondouks chrétiens dans le quartier franc, et la présence des
Maltais dès 1820; celui d’octobre 1999 relate l’arrivée à Sfax, d’un nommé
Portelli dès 1869, « venu de Malte dans une balancelle chargée de coton-
nades. Devant le succès obtenu, il s’installa dans cette ville et devint fournis-
seur attitré des caravanes du Soudan et du Sahara qui venaient régulière-
ment dans cette ville ».

Villa Portelli
(Malte)
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 67

Comme dans les autres lieux d’émigration, le choix d’unions matrimo-


niales est avant le protectorat, principalement endogamique ; ainsi de
1841 à 1869, on relève 152 mariages entre Maltais sur 240 unions. Les
années suivantes, une diversification s’établira progressivement en direc-
tion des Siciliens et des Français.

L’insertion des Maltais semble avoir été liée sur ce territoire principa-
lement aux activités de contrebande. Il existait depuis le XVIIIe siècle un
commerce régulier entre la ville de Sfax et Malte concernant l’importation
de bétail, céréales et huiles, associé à l’exportation de poudre à fusil et de
vin. Ce commerce va très vite être doublé par une contrebande active
concernant les mêmes produits. J. Ganiage l’élève au rang d’institution en
ce qui concerne les Maltais. Dans ce domaine selon D. Larguèche157 une
grande complicité s’est établie entre Tunisiens, Maltais, Juifs, Italiens
impliqués dans les mêmes affaires du haut de l’échelle sociale au plus
petit des passeurs tel pour Sfax, Pietro Gili, que nous avons précédem-
ment cité158.
La correspondance consulaire de la fin du XIXe siècle montre un autre
aspect de l’étroite relation existant avant le protectorat, entre les Maltais
et les Tunisiens : il s’agit le plus souvent de plaintes concernant des vols
de moutons entre éleveurs maltais et tunisiens ; l’histoire est parfois com-
plexe, ainsi en avril 1868, 243 moutons sont volés par les Uled Freddo au
préjudice de Giuseppe Spiteri (qui en possède 110), Michele Grech,
Fortunato et Giuseppe Cutajar, Paolo Bussutil ; c’est une affaire grave, on
évoque la contrebande, le caïd est impliqué, les Maltais s’adressent à leur
consul par l’intermédiaire d’Eduardo Carleton pour recouvrer leur bien.
otons qu’à cette époque, un seul des plaignants sait signer, les autres
sont relayés par des concitoyens plus instruits. Cette correspondance
consulaire nous informe en outre sur les pratiques du métier de pêcheur,
commun aux Tunisiens et aux Siciliens ; ce sont généralement des requêtes
au sujet de différends concernant des zones de pêche, dans le secteur des
îles Kerkennah ; le courrier adressé à ce sujet en 1879 au consul Wood,
par le commissaire Francis Debono159, lui-même Maltais, au nom de
G. Bugeia et d’autres pêcheurs maltais, témoigne des problèmes existant
entre les divers groupes sociaux partageant le même territoire160.
H. Jamoussi signale, par ailleurs, l’existence, dès 1852, d’une école gra-
tuite pour les enfants de ces mêmes pêcheurs161. C’est aussi dès 1852
qu’une école religieuse pour les filles s’ouvre, accueillant principalement
des jeunes Maltaises.

D’autres aspects de la vie des Maltais de Sfax apparaissent dans diffé-


rents écrits ; ainsi une lettre adressée au général Kheireddine en
avril 1876, rapporte, dès cette époque, d’une demande d’achat de terrains
en vue de construire des magasins par les Maltais : Giuseppe Pavia,
Rafaelo Vella, Giuseppe Bonnici et Giuseppe Borg ; nous n’avons pas
d’indication précise sur la localisation de ces terrains. Toutefois, les
recherches d’Andrea Smith162, citées par Pierre Soumille, dans la revue,
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68 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

« La Diaspora Sfaxienne163 », permettent, grâce à l’étude de deux docu-


ments consulaires britanniques, d’établir les propriétés de soixante-
quatre familles européennes à Sfax dès 1867. En effet, en octobre 1863, le
consul Wood avait obtenu, des autorités de la Régence, pour les Anglo-
Maltais, le droit d’acquérir des biens immeubles en Tunisie. Quinze ans
plus tard, 500 familles maltaises sont propriétaires dans la banlieue de
Tunis, les villes de Sfax et de Sousse164.
Parmi ces propriétaires, 64 % sont Maltais, un peu moins de 11 % fran-
çais, et 18,75 % Italiens. L’étude souligne l’importance des propriétés
françaises par rapport aux surfaces possédées par les Maltais et les
Siciliens. Il s’agit de deux types de propriétés, les unes étant des maisons
ou des magasins situés en ville, les autres en secteur rural dans la zone
dite « des jardins ». ous n’avons pas pu localiser de manière exacte ces
propriétés bien que parmi les Maltais interviewés, encore présents à Sfax,
quelques-uns d’entre eux affirment occuper encore, une partie des terres
de leurs ancêtres ; mais est-ce bien les mêmes familles dans la mesure où
les mêmes patronymes et prénoms reviennent plusieurs fois dans
l’onomastique maltaise ? C’est ainsi que nous retrouvons dans le docu-
ment cité, un Michele B.165, originaire de Djerba, propriétaire d’une mai-
son à Sfax où il semble s’être installé par la suite ; s’agit-il réellement de
l’arrière-grand-père d’un de nos interlocuteurs ou est-ce un homonyme ?
La famille F. figure de même parmi les propriétaires mentionnés ; lors de
notre entretien, les descendants nous expliqueront qu’ils habitent dans la
maison des grands parents paternels de Monsieur, et que les terrains avoi-
sinants appartenaient antérieurement à l’ensemble de la famille. Ces ter-
rains sont effectivement situés route de Menzel Chaker, ancienne route
d’Aghareb ; cependant, comme pour la situation précédente, plusieurs
propriétaires portant ce patronyme, apparaissent dans le texte de référen-
ce ; il est donc impossible, en l’état de nos connaissances, d’affirmer qu’il
s’agit bien des ancêtres de nos interlocuteurs.
Diverses indications sur les Maltais, accédant à des fonctions ou à un
statut plus importants, figurent dans « LE GRAND ANNUAIRE,
Commercial, Industriel, Administratif, Agricole et Vinicole DE
L’ALGÉRIE ET DE LA TUNISIE » de 1886-1887 ; ainsi, les nommés
Cardona et Vella sont notés au chapitre « négociants indigènes et étran-
gers », alors que Félix Cardona est « conseiller européen » et Henri Gatt,
agent maritime ; ces données accréditent la thèse de la présence de
quelques émigrés maltais instruits, aux premières heures du protectorat.
Malgré une évolution certaine, la majorité continuera, encore de nom-
breuses années, à exercer les mêmes métiers que ceux précédemment évo-
qués, restant ainsi proches des Tunisiens. Ainsi, Charles Lallemand signa-
le, à propos des habitudes vestimentaires, qu’à la fin du XIXe, les Maltais
« ne dédaignent pas » d’une part, « d’arborer la capout des Kerkéniens
[…] sorte de capote courte de couleur brune à capuchon », d’autre part
de porter « le vaste bonnet » des Siciliens qui « retombe comme une
langue large et plate sur une épaule »166. ous avons peu d’indication
pour les tenues féminines de cette ville mais le port de la faldetta,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 69

« curieux voile noir qui, tendu sur la tête par de longues baleines,
recouvre le corps en cachant la moitié du visage : vestige du litham que
les femmes musulmanes mettent sur la face »167 reste présent jusque dans
les premières années du protectorat ; cet élément du costume féminin mal-
tais, nommé « ghonnella », ou « aunella » dans une variante simplifiée
plus courte, était encore porté par les femmes âgées au début du
XXe siècle sur l’archipel. Il existe différentes interprétations de l’origine
de ce voile, les unes le rapportent aux mantilles traditionnelles, les autres
à une tradition plus orientale. Ainsi Micheline Galley, dans l’étude sur
l’Imnarja, évoque à Malte, la réaction d’une informatrice qui « avait ten-
dance à éluder l’existence de la faldetta […] qui lui paraissait être trop
proche du voile arabe […] confrontée à des reproductions […] elle le
donna comme pur effet de coquetterie »168. Si l’éventuelle origine orienta-
le de la « aunella », n’était pas connue des Maltais émigrés, son utilisa-
tion ne pouvait pas être mise en relation avec le voile porté par les femmes
arabes, car cette sorte de « coiffe » était généralement revêtue pour se
rendre à l’église ; était-ce la seule raison de cette différenciation ?

Gravure ancienne

Couple de fermiers, axxar,


Malte, 1969
(l’aunella n’était plus portée
mais conservée par la famille)
Aunella dans les deux versions
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70 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Quant aux cimetières, partie intégrante de la mémoire collective et


familiale, ceux de Sfax ont subi divers déplacements, certains sont aujour-
d’hui disparus. ous nous référerons à l’étude de Pierre Soumille en ce
qui concerne ces traces qui seraient devenues sans mémoire, sans le tra-
vail précis de cet historien. À Sfax, le premier cimetière date de 1852 ; il
était situé au niveau de l’ancienne gare de chemin de fer de 1911. Sur 400
tombes, une majorité était maltaise ; ainsi deux monuments contigus
« portaient des bustes chacun au sommet d’une stèle et se côtoyaient : ils
concernaient les deux frères Barbara appartenant à une famille maltaise,
représentés l’un avec des favoris sur le visage, l’autre avec des mous-
taches. L’épitaphe en italien de l’aîné Ignazio, nous apprenait qu’il “était
né à Malte, mort à Sfax le premier décembre 1892 à 77 ans” suivait un
éloge du défunt qualifié de : “simple de mœurs, d’humain, loyal, franc,
cultivant une foi ardente, ayant consacré toute œuvre et toute pensée […]
au bien de sa famille très aimée qui fut toujours le premier et le plus haut
de ses soucis, de commerçant intègre et probe qui a eu pour unique but de
toutes ses actions, l’honnêteté et non l’utilité” »169.
L’épitaphe consacrée à son frère décédé à Sfax en 1893, également
commerçant, est rédigée à peu près dans les mêmes termes. Ces inscrip-
tions nous donnent, d’une part, des indications sur les valeurs prônées
chez les Maltais, notamment l’importance de la foi catholique et de la
famille mais elles sont, aussi la manifestation d’un portrait idéalisé de
notables maltais ; d’autre part, ces valeurs restent conformes au discours
religieux de l’époque. Elles viennent en outre, contredire les descriptions
généralement peu flatteuses du misérabilisme maltais. Actuellement le
nouveau cimetière de Sfax possède peu d’anciennes pierres tombales
même si un important travail de restauration a été réalisé.

Il s’agit donc, sur Sfax, d’une communauté bien implantée avant le


protectorat et en relation étroite à cette époque, avec le monde tunisien
mais aussi sicilien, du fait des activités communes de contrebande. Il
semble toutefois, que la religion ait été un des facteurs de différence, et
non de séparation effective entre les groupes se référant au catholicisme,
et ceux du monde musulman. Cependant, cette constatation ne doit pas
conduire à l’hypothèse d’une opposition systématiquement dualiste,
d’ordre seulement religieux entre les groupes, car les facteurs écono-
miques et sociaux furent eux aussi déterminants, en fonction de la situa-
tion des intéressés dans la hiérarchie sociale tant maltaise que coloniale.

1.5. TUNIS
Après cet aperçu de la vie des Maltais dans quelques ports tunisiens, il
convient de s’arrêter sur Tunis où résidait une importante fraction de la
communauté maltaise. Les premières installations des Maltais se font à
l’intérieur des portes de la ville. Ainsi, dès 1850, des Européens sont ins-
tallés au début de la médina, non loin de la porte Bab el Bahr, près de
leurs consulats (Angleterre, Italie), et non loin du futur quartier franc.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 71

H. Jamoussi explique qu’en raison de l’affluence des immigrés européens


de condition plus que modeste, Tunis connaissait une crise de logement ;
de ce fait « La fermeture des portes d’accès nord et sud de la médina
apparut bien désuète et, en 1861, le président du conseil municipal pro-
posa […] de les maintenir ouvertes. Vers la même époque, les remparts
qui longeaient Bab-el-Bahr étaient déjà en état de délabrement, ce qui
permit leur lente destruction. La connexion de la médina avec le quartier
franc se fit alors autour de deux axes latéraux : du côté sud-est, elle
s’ouvrait directement sur la rue des Maltais et le quartier des Maltais ».
« L’histoire de la ville de Tunis »170, publiée en 1924, permet de locali-
ser les premiers emplacements de quelques maisons maltaises non loin de
l’église Sainte Croix, inaugurée en 1837, installée « dans des locaux loués
par les Capucins » et, nommée ainsi, « en souvenir de l’ancienne chapel-
le des Capucins à l’intérieur du bagne, bénite en 1662 »171. Ainsi, sur le
plan, la maison du Maltais Farrugia172 est clairement indiquée de même
que des boutiques appartenant à la famille Cardoso ; il est possible que le
patronyme Cardoso soit d’origine maltaise ou italienne mais le texte ne le
précise pas. L’auteur de cet ouvrage relate aussi la donation par le bey de
Tunis, en 1874, d’une maison destinée aux Frères des écoles chrétiennes.

Tunis : ancienne école des Frères

Plaque commémorative
du fondateur

D’autres précisions concernant ce quartier et ses habitants sont rele-


vées après l’église Sainte-Croix, se trouve « le quartier des bouchers
européens au nombre de trois : Mifsud, Farrugia et Pisani, suivis de plu-
sieurs boucheries indigènes », puis « à l’entrée de la rue de la Verrerie, le
bazar de Félix Magri où […] par la suite, il fit de brillantes affaires ».
ous apprendrons aussi, par cet ouvrage, que le premier médecin de
l’hôpital Saint Louis fut « M. Laferla, Maltais »173.
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72 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Quartier européen de Tunise au XIXe siècle. (Dessort Ch. R. L’histoire de la ville de


Tunis, op. cit. p. 184 in Demeures de France en Tunisie, Planel. A. M, Tunis, publications
C.D.T.M. 1990, p. 20

Les premières habitations semblent cependant avoir été pour la plupart


des Maltais d’anciens fondouks. L’un d’entre eux s’appelait d’ailleurs
fondouk des Maltais ; actuellement détruit, il était situé dans le quartier
de « Malta Srira » (petite Malte). Des familles vivant actuellement en
France attestent par leurs récits, de l’arrivée de leurs arrière-grands-
parents dans ces habitations et de la vie communautaire inhérente à ce
type de logement : « Le fondouk pouvait abriter de 20 à 30 familles, cha-
cune occupant une seule pièce, séparée de la galerie commune par une
porte ou une pièce de tissu ; la cuisine se faisait dans la cour commune où
se trouvait le puits »174. Il était vraiment le lieu partagé, territoire
d’accueil du nouvel arrivant au sein de la famille déjà installée en Tunisie.
Quelques exemples de
ce type d’habitation
peuvent encore se voir
dans ce même quar-
tier ; ils ont été,
d’après les témoi-
gnages des habitants
actuels occupés par
des familles maltaises
et siciliennes, mais nos
interlocuteurs ne
pourront pas nous
indiquer les années.
Fondouk ayant été occupé par des familles maltaises,
cour intérieure, (Bab el Khadra, 2003)
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 73

La construction la plus ancienne, celle du fondouk des Français, rue de


l’ancienne douane, a gardé son aspect original. Il fut construit entre 1659
et 1660 par le Père Levacher, alors consul de France. Paul Sebag, dans
son étude sur la population de Tunis au XVIIe siècle, cite la description de
cette construction par le chevalier d’Arvieux : « Il est bâti comme les
Khans ou caravansérails de tout l’Orient. C’est un grand corps de logis
qui a une grande cour carrée au milieu, des magasins au rez-de-chaussée,
et des chambres au-dessus qui se communiquent les unes avec les autres
par une galerie qui donne sur la cour, et qui conduit aux appartements du
consul. […] Tous les appartements du premier étage qui sont voûtés, sont
couverts d’une terrasse sur laquelle on monte par une échelle pour
prendre le frais, le soir et le matin »175.
Les cochers semblent s’être installés un peu plus loin en dehors
des portes, le long des anciennes murailles actuellement démolies, dans le
quartier délimité aujourd’hui par la rue Malta-Srira et l’ancienne rue des
Maltais, (actuelle rue Mongi Slim). On peut y voir encore, derrière les
étals des marchands de meubles, les anneaux qui servaient à accrocher les
chevaux des cochers maltais. Un des marchands d’origine israélite,
d’environ soixante ans, rapportera au cours de l’entretien176, que son
grand-père lui a raconté qu’au début du siècle dernier, cette rue était
principalement occupée par des Maltais, pour la plupart cochers ; notre
interlocuteur dira, en français : (il y avait) « partout des Maltais, ils
avaient des immeubles et ils avaient des chevaux, ils les lavaient » ; de
fait, l’eau du lac de Tunis arrivait à cette époque jusque-là. Après
quelques réticences, ce commerçant acceptera de nous donner rendez-
vous pour réaliser quelques photos des anciens anneaux à l’intérieur de
son magasin.

Ancien anneau de cocher maltais

Magasin de meubles
Tunis, rue Mongi Slim
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74 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Le quartier de Bab el Khadra, situé dans le faubourg nord, deviendra


les années suivantes, le quartier d’habitation des cochers rassemblés près
de l’église du Sacré-Cœur, devenue symbole de la communauté maltaise.
Georges Micallef rappellera lors de sa participation à un colloque du
cercle Vassalli177, l’ancienne existence, dans ce quartier, d’un fondouk
maltais dénommé : Ben Ayed ; il ajoutera que les Maltais utilisaient le
terme de « patio » afin d’éviter l’emploi du terme arabe « fondouk » ; ce
dernier terme était devenu pour tous, à Tunis, synonyme de lieu
d’habitation pour les plus pauvres. La fierté maltaise, liée au souhait
d’une évolution sociale, leur dictait non seulement d’utiliser une appella-
tion plus conforme à leur idéal européen, mais aussi de quitter cet endroit
dès que possible. Cependant, jusque vers les années 1950, le métier de
cocher était effectivement une véritable institution maltaise, à tel point
que le cocher tunisien s’exprimait lui-même en maltais ; cette remarque
est significative puisque cela semble être le seul cas d’utilisation de la
langue maltaise par des non-Maltais, constante que nous retrouvons dans
l’ensemble de cette première période d’installation avant le protectorat.
C. Sammut pense que cette pratique linguistique était principalement
d’origine sociale du fait du monopole du métier de cocher détenu par les
Maltais178.
D’autres Maltais tenaient des tavernes, vraisemblablement à
l’extérieur de la médina (rappelons qu’au temps de la Course, les esclaves
avaient, le jour, le droit d’exploiter des tavernes autour des bagnes) ; ces
établissements étaient destinés à la clientèle européenne ; Maltais et Juifs
poursuivaient donc là une très ancienne activité. C’est ainsi que nous
trouvons dans le journal d’un lycéen de Tunis daté de 1891, mention de
l’existence d’ « un débit de liqueurs maltais ou sicilien » dont il transcrit
fidèlement l’enseigne :
« Al restorant
De Leone
O DE VIE A 2
Caroub Le Ver
Bar come Paris »179

Ce relevé est intéressant à plusieurs titres. Il souligne, d’une part,


l’imprécision quant à l’origine nationale du tenancier du bar et les diffi-
cultés, liées à l’usage de la langue française pour ces immigrés, en majeu-
re partie analphabètes ; d’autre part, le « summum de la culture », dans
leur imaginaire, est symbolisé par la France, la référence étant Paris.
P. Sebag, dans son étude sur la ville de Tunis, nous donne un aperçu des
différentes activités maltaises que nous retrouverons dans le discours de
nos interlocuteurs : « A leur arrivée, les Maltais se portaient vers les acti-
vités qu’ils avaient coutume d’exercer dans leur pays d’origine. De vieux
Tunisois se souviennent encore des chevriers maltais conduisant leur trou-
peau à travers les rues de la ville et allant de maison en maison traire
leurs bêtes. Ils assuraient les transports de toutes sortes de produits, à
l’aide de voitures à deux roues appelées arabas, que tirait un cheval […]
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 75

ou, à l’aide de camions à quatre roues, tirés par deux chevaux. Ils ont été
les premiers à conduire ces fiacres appelés “victorias” […]. Les Maltais
ne se limitaient pas aux métiers de chevrier, de charretier ou de cocher. Ils
fournissaient une main-d’œuvre appréciée […]. Dès qu’ils le pouvaient,
ils s’établissaient à leur compte pour exercer les professions de boucher,
épicier, cafetier ou bien menuisier, charron ou carrossier »180. J. Ganiage
précise, en outre, que cette population « ne se sentait pas supérieure aux
Tunisiens avec qui elle vivait en assez bons termes… et que la colonisa-
tion française de la Tunisie allait changer cet état de choses »181.
Les métiers exercés par les Maltais de Tunis figurent dans « Le Grand
Annuaire de l’Algérie et de la Tunisie » ; parmi les agents d’affaires sont
citées les familles Camilleri et Pisani ; les bouchers se nomment : Cassar,
Zhara et Agius, trente ans plus tard, cette profession « est entre les mains
des Maltais »182 ; les distilleries appartiennent aux : Borg, Cassar (homo-
nyme du premier cité) et Pisani ; parmi les épiciers, ferblantiers et cordon-
niers, nous pouvons relever les : Grima, Xuereb et Agius ; d’autres
Maltais pratiquent les métiers de pharmaciens184, représentants de com-
merce, peintres, tapissiers, ou imprimeurs ; ils sont aussi, patrons
d’entreprise de matériaux de construction, telles les familles : Zeraffa,
Muscat, Farrugia, Pace, Azzopardi, Camilleri et Bussutil. Soulignons que
souvent, plusieurs familles étaient associées dans ces entreprises et
employaient prioritairement comme ouvriers ou apprentis, leurs conci-
toyens maltais. Cette pratique s’est poursuivie dans la seconde moitié du
XX siècle ; ainsi J. Muscat était employé à l’imprimerie Bascone-Muscat.
Cet aperçu présente un aspect de la vie des Maltais à Tunis, au début du
protectorat, compte tenu des emplois occupés par la grande majorité.
À Tunis, comme dans les autres villes, les Maltais montrent par leur
participation aux événements religieux, l’importance de leur attachement
à la foi catholique ; cette question faisant l’objet d’un chapitre ultérieur185,
nous mentionnerons seulement l’existence de confréries telle celle du
Saint Sacrement dès 1847, et le pèlerinage à otre Dame de la Mellieha
au couvent des Carmélites de Carthage. Les Maltais célèbrent, par
ailleurs avec éclat, leur fête nationale, le 8 septembre.
Parmi les coutumes, le port de la faldetta (aunella) pour sortir dans la
rue, est noté dans tous les récits familiaux ; les hommes se rendaient à
l’église en djellaba et coiffés de la chéchia ; cependant, l’usage de la ché-
chia par les hommes ne semble pas significatif puisque les capucins la
portaient sur demande du Bey afin de passer dans la foule avec plus de
discrétion186. Par ailleurs, il était de bon ton dans la « haute société euro-
péenne » de se donner une teinte d’orientalisme en mettant la chéchia187.
Si certaines descriptions laissent à penser que le costume arabe était
porté par les seuls cochers, il ne faut pas oublier que les pantalons dits
« sirwâl mâlti » de couleur bleue, portés par les couches moyennes de la
population tunisienne dans la seconde moitié du XIXe siècle, étaient réa-
lisés en tissu importé de Malte, de même que les costumes des marins.
C. Sammut rapporte, qu’avant 1881, les Maltais s’habillaient avec des
vêtements tunisiens : « Les hommes portaient la qashshâbiya (sorte de
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76 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

burnous) ; ils mettaient même la shâshiya stambûlî (chapeau haut de


forme que l’on portait dans l’Empire ottoman) ; les cochers maltais en
étaient tous coiffés […] les vieilles femmes préféraient continuer à porter
le sirwâl et à chausser les qobqâb (socques) » ; l’auteur complète ces pro-
pos en énonçant : mon « propre arrière-grand-père portait ce chapeau
haut-de-forme, selon le propre témoignage oral de ma grand-mère »188.
Cependant ces vêtements ne correspondent pas à ceux des classes popu-
laires en usage à Malte au XIXe siècle : « pour les hommes, ils se compo-
saient du pantalon et du gilet sans manche en cotonnade rayée, d’une che-
mise blanche ou de couleur, souvent d’une large ceinture de 2 ou 3 mètres,
et le bonnet tombant sur l’épaule, la bariola. Les femmes portaient un
grand mouchoir […] sur la tête […] une chemise à manches longues, un
châle et une jupe, la Gezurra. Pour aller à l’église, elles portaient la
Ghonella noire »189.
Il semble donc que les émigrés aient adopté, de manière pragmatique,
certains vêtements tunisiens, sans doute en raison de leur grande pauvre-
té. Les années suivantes, les Maltais, comme les différentes populations de
la classe ouvrière, s’habillèrent progressivement de manière européenne.
Par ailleurs, la population maltaise était illettrée à son arrivée en
Tunisie ; il ne pouvait guère en être autrement puisque la langue maltaise,
celle du peuple et donc de presque tous les immigrés, était encore orale.
Il semble à ce propos qu’il ait existé dès 1856, à Tunis, rue des Potiers,
une école d’obédience anglicane destinée aux seuls enfants maltais ; les
cours s’y donnaient en maltais et on y enseignait l’arabe et l’anglais.
Aucun des Maltais interviewés n’a pu se souvenir de l’existence d’un tel
établissement compte tenu sans doute, de sa faible fréquentation ; particu-
lièrement attachés à leur foi catholique, les Maltais se dirigèrent plutôt
vers l’école des Frères, citée précédemment ; ils la considéraient comme
leur école bien que cette dernière ait accueilli également d’autres enfants
européens et quelques Tunisiens.
Plus diversifiée, la situation des Maltais de Tunis rejoint cependant
l’essentiel des caractéristiques des diverses villes d’arrivée des émigrés,
à savoir une primo-territorialisation à proximité des lieux de culte catho-
lique et frontalière du monde musulman, associée à un mode de vie quasi
semblable à celui des Tunisiens.

CONCLUSION
Avant le protectorat français et au début de ce dernier, la plupart des
descendants de Maltais se différenciaient peu de la population tunisienne,
en raison de leur langue et de certains aspects de leur mode vie ;
C. Sammut, s’interrogeait déjà en 1972, sur les raisons pour lesquelles
ces premiers Maltais ne s’étaient pas fondus dans la population tunisien-
ne, en suivant le schéma classique de l’intégration progressive de
l’immigré au territoire d’accueil ; il émettait alors l’hypothèse selon
laquelle, les raisons de cette impossible intégration seraient dues essen-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 77

tiellement, à la différenciation religieuse entre Maltais catholiques et


Tunisiens musulmans, associée les années suivantes au capitalisme colo-
nial français. Qu’en était-il ? D’autres causes entraient-elles en jeu ?

2. CLIVAGE DES PROCESSUS D’IDENTIFICATION :


LE RÔLE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

2.1. RELATION ENTRE ÉGLISE ET SOCIÉTÉ À MALTE


AU MILIEU DU XIXE SIÈCLE
La société maltaise est avant tout inscrite dans la religion catholique ;
au XIXe siècle, la foi des Maltais constitue le fondement d’une société à
dominante religieuse où les clercs jouent un rôle prépondérant. M. Galley
n’hésite pas à parler du passé théocratique de Malte où l’Église catho-
lique exerçait un pouvoir global, nuancé cependant par un clergé local
resté très proche de la population.
À cette époque, l’Église catholique détient les clefs de l’Histoire de
Malte. Les Maltais dont la seule instruction est celle de l’Église, sont
convaincus de la continuité de la foi catholique chez leurs ancêtres, depuis
la conversion des habitants lors du naufrage de saint Paul. Or, selon
M. Buhagiar : « dans l’état présent de nos connaissances, il n’existe, en fait,
aucune justification pour dater la tradition paulinienne de Malte d’une
époque antérieure à la fin du Moyen-Âge ». Cependant, cette tradition
semble avoir gardé longtemps les Maltais dans l’ignorance d’une partie de
leur Histoire relative à la conquête arabe ; d’autre part, « le sort de la popu-
lation indigène qui survécut à la conquête musulmane est incertain » et
« l’hypothèse d’une île déserte semble être soutenue par l’absence généra-
lisée de noms de lieux pré-arabes et la cassure culturelle nette avec le passé,
après 870. Les sources disponibles soulignent la disparition complète du
christianisme et un changement linguistique net »188.
Si, effectivement, le Moyen-Âge de Malte est peu connu, les connais-
sances historiques actuelles permettent d’évoquer une situation proche de
celle d’ « Al Andalus » en Espagne, où un temps, juifs, musulmans et chré-
tiens partagèrent une vie de relations sociales non exemptes de conflits et
d’inégalités entre ces trois communautés. En outre, H. Bresc évoque la
continuité entre Sicile, Malte, Pantelleria et le monde maghrébin, du fait
de nombreuses similitudes sur le plan de la culture et de la langue, des
structures sociales et familiales héritées des Arabo-musulmans.
Par ailleurs, présenter l’Histoire de Malte dans une perspective de
continuité historique chrétienne, c’est aussi oublier la question des rené-
gats qu’ils soient musulmans ou chrétiens. On peut noter à ce sujet, les
cas bien connus d’Antonio de Belvis en 1441 et de Bartolomeo Calela en
1425. Le premier se dit de mère maltaise, né à Sousse, il s’enfuit pour se
faire baptiser à Pantelleria ; le second reçoit du sultan hafside Abû Faris
« la proposition de se faire “moru” et de faire venir sa femme et ses
fils. La promesse du Sultan […] révèle la permanence du clandestin et du
non-dit entre Malte, Sicile et Maghreb »189.
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78 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Héritiers d’une Histoire tronquée, les Maltais vivent dans la dépendan-


ce de la hiérarchie catholique. Ainsi, toute l’organisation sociale de la vie
du village est organisée en fonction du prêtre à la fois officier d’état civil
et conseiller spirituel et temporel des familles. Il peut même faire office de
« huttab » c’est-à-dire d’intermédiaire en vue d’un mariage190. Les diffé-
rents repères spatio-temporels s’ordonnent autour du fait religieux ; ainsi
dans son étude relative à la paysannerie maltaise au XIXe siècle, un étu-
diant maltais évoque la situation des paysans qui restent sous le pouvoir
des prêtres ; ces paysans suivent le calendrier saisonnier de l’Église et le
rythme du clocher ; pour eux, « le premier événement du jour était la
messe vers quatre ou six heures du matin »191. Cependant le paradoxe
n’est pas absent de l’aspect religieux puisque le vendredi se nomme en
maltais actuel : « nar il-Gimgħa », c’est-à-dire « jour de la mosquée » et le
Carême, « randan » ; ces deux termes témoignent de la survivance linguis-
tique des temps d’occupation arabo-musulmane du Moyen-Âge maltais.
Le cœur du village est la paroisse et même si les villages
s’agrandissent, la référence religieuse reste présente ; encore aujourd’hui,
nous pouvons l’observer, plus rarement il est vrai.

Façade de maison (Malte 2004)

Les contacts avec les habitants des autres villages ont lieu principale-
ment lors de manifestations religieuses, telles que les fêtes de saints
patrons. Ces fêtes d’abord religieuses engendrent souvent des rivalités
entre partisans de dévotions différentes ; c’est à qui organisera la plus
belle et la plus bruyante fête lors des processions où les membres des
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 79

confréries, en grande pompe, sortent le saint dans les rues du village,


accompagné des « bandas » et des tirs en son honneur ainsi que de feux
d’artifice.
Confréries et band-clubs sont les sociétés qui gravitent autour de
l’Église ; la première à vocation plus religieuse sert aussi d’organisme de
bienfaisance pour les plus démunis ; chaque chef de famille appartient à
l’une d’entre elles ; leurs ressources proviennent des dons des fidèles, en
contrepartie elles ont l’obligation d’organiser une fois par an, fête et pro-
cession en l’honneur du saint patron. La seconde à vocation plus artis-
tique, date de la seconde moitié du XIXe siècle, plus récente elle sert de
support à la manifestation extérieure de la foi. Ces deux institutions sont
responsables de rivalité dans la vie sociale des villages ; souvent plusieurs
confréries, accompagnées de leur « bandas » respectives, coexistent dans
la même agglomération : Haz-Zebbug possédait par exemple quatre
confréries concurrentes au XIXe siècle192.
La fête de « l’Inmarja » (fête des lumières) le 29 juin, donne lieu à la
fois à une cérémonie religieuse en l’honneur de saint Pierre et saint Paul,
et à une fête populaire d’origine païenne liée aux rites de la saint Jean ; à
cette occasion se déroulent, dans les jardins de Buskett193 depuis 1720, un
concours agricole, et depuis 1835, les « Spiritu Pront », sorte de concours
de chants improvisés. Durant ces manifestations, les Maltais partagent un
repas festif où l’on consomme le plat national de lapin grillé. Il semble
que les clercs aient seulement toléré cette manifestation populaire et se
soient approprié le sens de la fête en s’attribuant l’organisation de
l’exposition agricole et en mettant l’accent sur les manifestations reli-
gieuses, notamment messes et processions.
Clef de voûte de la vie sociale, l’Église a joué un rôle majeur dans la
transmission non seulement par le biais de son enseignement religieux, le
catéchisme étant pour beaucoup de Maltais le seul apport culturel, mais
aussi par sa position dans la querelle au sujet de la langue maltaise ; en
effet le clergé et la classe aisée étaient pour la prédominance de l’italien
sur le maltais, le reste de la population étant, comme nous l’avons souli-
gné, pratiquement illettré.

2.2. ÉGLISE CATHOLIQUE ET MALTAIS ÉMIGRÉS :


UNE SITUATION PARADOXALE
Le fait d’émigrer, quelle qu’en soit la cause, opère une rupture avec le
cadre de vie, l’enveloppe familiale ; franchissant la frontière, l’émigré
garde en lui ses racines, son vécu antérieur. C’est, donc, tout naturelle-
ment que les Maltais vont ancrer, comme nous l’avons souligné précédem-
ment, leur nouveau territoire dans un secteur proche des églises, souvent
à la frontière de la médina. À Tunis, deux quartiers témoignaient de cette
disposition spatiale ; il s’agissait de celui de l’église Sainte Croix et de
celui de Bab el Khadra ; ce dernier, lieu d’habitation des familles de
cochers maltais, possédait depuis 1899 son église, appelée « San Paolo de
Maltesi » ; elle fut érigée sur l’emplacement d’une première chapelle
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80 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

datant de 1882, déjà destinée aux Maltais194. L’hebdomadaire maltais


« The Friend, Il Habib ta Tunes » n’hésite pas à publier les articles
concernant cette paroisse sous le titre :

Paroccia ta Bab el Khadra


Il vera cnisia tal Maltin

C’est-à-dire : Paroisse de Bab el Khadra, la véritable église des


Maltais.

Porte de l’église Sainte Croix Église de Bab el Khadra


Tunis

Le Carmel de Carthage constituait un autre lieu symbolique car sa


chapelle possédait une représentation de otre Dame de la Mellieha195 ;
les Maltais de Tunis avaient l’habitude de s’y rendre en procession pour
le 8 septembre.
Les mêmes observations peuvent être faites pour différents lieux
d’implantation maltaise que ce soit à Sfax ou à Djerba. Dans ce dernier
cas, la construction de l’église commencera dès 1848, grâce aux sommes
réunies par des familles maltaises aux revenus souvent plus que
modestes ; le Père François Dornier rapporte que « les chapiteaux ont été
sculptés par un ciseau gozitain »196. Quant à Porto-Farina (Ghar el
Melh), C. Camilleri décrit la disposition suivante : « Les maisons mal-
taises irradiaient à partir d’un centre ord-est, où se dressait leur église.
Les demeures tunisiennes s’étendaient à partir d’un centre ord Ouest,
délimité par leur rah’aba, grande place circulaire où s’élevait la plus
ancienne mosquée »197.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 81

Porto-Farina : ancienne rue maltaise (l’église est située en haut, à droite)

Participant de cette territorialisation, les premiers cimetières euro-


péens chrétiens seront témoins de cette frontière religieuse mythique ;
ainsi on peut noter la présence effective des Maltais lors des problèmes
d’hygiène posés par l’utilisation de l’ancien cimetière saint Antoine198,
« premier cimetière chrétien qui datait du début du XVIIe siècle et qui se
trouvait […] à l’emplacement de l’actuelle cathédrale » : en 1868 « le
conseil sanitaire de la régence […] nomma une commission de surveillan-
ce […] qui comprenait un Français, un Maltais, un Italien »199. Par la
suite, « 62 Maltais, sujets britanniques » adresseront, le 26 avril 1890,
une pétition à la résidence générale de France par l’intermédiaire du
consul d’Angleterre, pour s’opposer au transfert de ce premier cimetière
sur un nouvel emplacement à Bab el Khadra. Témoin de ce différend, la
plaque de l’ossuaire situé dans la crypte de la Cathédrale, mentionnant le
nom de la famille Licari. Parmi les monuments transférés au nouveau
cimetière, Pierre Soumille relève sur une stèle l’inscription, accompagnée
« d’un motif décoratif », concernant « Domenico Guelfi, né à Malte en
1806, mort à Tunis le 4 décembre 1875 “avec les secours de la religion”.»
Il cite également les pierres tombales de : Giuseppe Galea (né à Malte, le
10 octobre 1814, décédé à Tunis en 1874), Giuseppe Zammit, (né à Malte
le 19 mai 1801, décédé à Tunis en 1880) et celle de Michelina Schembri
(née à Tunis en 1831) dont l’épitaphe est rédigée en italien200. Ce relevé
est intéressant à plusieurs titres car il témoigne à la fois de l’époque des
premières émigrations maltaises, du problème linguistique et de
l’attachement à la religion catholique des émigrés.
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82 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Si les premières habitations des Maltais étaient souvent le fondouk, lié


à la proximité d’une chapelle ou d’un lieu de culte, les habitations mal-
taises, occupées par la suite, vont être aussi sanctuarisées : statues,
images pieuses, devant lesquelles brûlent des lampes à huile, sont pré-
sentes dans tous les foyers ; ainsi, nous découvrirons, chez l’un de nos
interlocuteurs, une pièce dont le plafond est orné de médaillons représen-
tant des saints dans un style apparenté au baroque italien du XIXe siècle.
À Djerba, c’est une des religieuses, arrivée en 1901, qui témoigne dans
une lettre à la fondatrice de l’Ordre, du comportement religieux des
Maltais ; en voici un extrait : « Les Maltais ont gardé un je-ne-sais-quoi
de la simplicité patriarcale des premiers temps de l’Église ; les jeunes
filles ne sortent jamais seules ; une lampe brûle dans chaque maison
devant la Madone, et le mercredi en l’honneur de .D. du Mont Carmel,
la plupart des hommes jeûnent et s’abstiennent même d’œufs et de lai-
tages ; le samedi est aussi pour eux un jour de pénitence. Une des jeunes
filles de la famille chez laquelle nous sommes descendues avait fait vœu
de jeûner au pain et à l’eau si les sœurs venaient à Djerba : le lendemain
de notre arrivée, elle s’acquitta de sa promesse »2.
Dans le domaine de l'attachement à la religion catholique, les photos
de famille reflètent l’importance des pèlerinages effectués à Rome ou à
Lourdes. Cimetières, lieux de culte, intérieurs des maisons fondaient ainsi
la différence entre Maltais et Tunisiens bien que leurs modes de vie soient
restés proches les premières années du protectorat.
Comme à Malte, l’Église catholique va constituer le principal étayage
groupal des Maltais en Tunisie, excluant toute possibilité de se situer hors
de cette appartenance. égligeant l’inscription au consulat britannique,
(le registre des nationaux inscrits au consulat ne comportait qu’une cen-
taine de noms et l’état civil, ouvert dès 1858, n’avait enregistré qu’un ou
deux actes jusqu’en 1870)202 les Maltais vont s’adresser aux prêtres pour
tous les actes importants de leur vie : les registres des baptêmes, mariages
et décès tiennent lieu de registres d’état civil. Dès « 1886, un décret avait
institué l’état civil dans la régence, mais en le déclarant facultatif »203 ; un
décret ultérieur du 30 septembre 1929 rendra obligatoire uniquement la
déclaration des naissances et des décès, omettant celle du mariage civil.
En outre, P. Soumille souligne qu’aucun enterrement civil n’est signalé
parmi les Maltais.
Pratiquement seuls lettrés, si l’on excepte les quelques intellectuels du
groupe maltais, les prêtres « babas »204, en lien direct avec le peuple,
continueront de servir de conseiller spirituel et temporel. Ces deux fonc-
tions leur permettront d’assurer outre la transmission de la foi, une fonc-
tion de cadre du groupe. Les clercs seront ainsi à la fois lien de filiation
avec Malte et gardiens de « l’âme maltaise ».
Recréant le modus vivendi de Malte, les émigrés vont se regrouper
dans les confréries dont le rôle social est important. « Ces confréries qui
ont fonctionné jusqu’aux environs de 1940, étaient des associations de
fidèles sous la direction du clergé… en vue de certaines œuvres… telles
que l’ornementation des autels, les processions, l’assistance aux malades,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 83

l’ensevelissement des morts »205 ; lors des manifestations solennelles, « les


membres de chaque confrérie revêtent l’aube et le camail aux couleurs du
groupe […] et arborent l’énorme médaille »206. Plus spécifiquement mal-
taises étaient la confrérie de saint Joseph et celle de otre Dame du Mont
Carmel. Charles Cortis, que nous avons déjà cité, se rappelle que son
grand-père portait une tenue spéciale lors de cérémonies religieuses
importantes ; il ne peut cependant préciser l’appartenance exacte de der-
nier, à l’une ou à l’autre de ces confréries. En effet, les Maltais se répar-
tissaient aussi dans d’autres confréries tel « Carmelo Sammut, né le 9 juin
1847, Président de l’Archiconfrérie du St Sacrement, décédé 23 rue Malta
Srira le 1er juin 1923 »207 Les membres maltais de ces confréries pouvaient
ainsi être présents au moment des funérailles des différentes communau-
tés européennes ; de plus, le fiacre utilisé en ces circonstances était géné-
ralement conduit par un cocher maltais. Le Père François Dornier racon-
te que : « ce voyage ne manquait pas de pittoresque […] accrochages,
bandages de roues restant sur la chaussée […] invectives vis-à-vis de ceux
qui ne laissaient pas le passage »208.
L’accompagnement des principales manifestations religieuses, notam-
ment les processions, est la fanfare ou « banda », créée à l’identique des
« bandas » de Malte. Bien qu’étant des sociétés civiles, ces fanfares sont
très liées à la vie religieuse. Elles participent à l’externalisation de la foi
chrétienne en terre musulmane. Ainsi, en 1916, « la Duke of Connaught’s »,
banda principale, participe à la célébration de l’office solennel lors de la
fête de saint Pierre et saint Paul à la cathédrale de Tunis ; la même année
est créée « Il banda Maltija » par Don L. Attard, fondateur de la société
« juventus melitensis » (jeunesse maltaise). Ainsi, l’ensemble des liens
sociaux de la communauté maltaise est empreint de la dimension religieu-
se.
Les relations avec les autres communautés n’échappent pas à cette
règle. Elles font également référence aux rivalités entre les communautés
et plus particulièrement avec celle des Italo-Siciliens. R. Darmon rappor-
te deux anecdotes sur ce sujet ; la première concerne une sœur tourière du
Carmel qui disait aux touristes devant le tableau de otre Dame de la
Mellieha : « Observez bien : la Vierge sourit aux Maltais, garde son
sérieux devant les Français et se renfrogne en présence d’Italiens » ; la
seconde anecdote raconte que « dans l’été 1943, à la Goulette, zone alors
interdite aux Italiens, à l’occasion de l’Assomption, les Maltais substituè-
rent à la Madone de Trapani209 […] leur madone du Mont Carmel déjà
sortie en pompe le mois précédent » ; le but de cette substitution était de
« détourner à leur profit les grâces qu’escomptaient leurs concurrents »210.
Fêtes et événements religieux sont aussi source d’échange entre les com-
munautés : partage de friandises entre les enfants, service rendu par le
voisin qui accepte de venir allumer l’électricité le jour du Sabbat. Les
confusions de termes, elles-mêmes, procèdent de ce paradoxe où interfè-
rent frontières et relations de proximité ; ainsi l’appellation de « hakem »
utilisé du temps des Chevaliers à Malte, et employé par un de mes infor-
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84 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

mateurs, pour désigner un « sage » parmi les membres de la communau-


té, pourrait être l’équivalent oriental du terme « rabbin »211.

Comme nous l’avons souligné, un des points de rencontre et de diver-


gence des groupes sociaux de la « Mosaïque tunisienne » reste le fait reli-
gieux, présent dans tous les domaines de la vie sociale. Les journaux mal-
tais de l’époque en témoignent ; il s’agit de trois hebdomadaires parus
respectivement les années 1915-1916 et 1937-1938. Le premier sera édité
à Tunis, sous le titre de : « Melita » ; il prendra ensuite le nom de « The
weekly Melita ». Le second aura pour titre : « Il Habib ta Tunes » (l’Ami
de Tunis) et deviendra, à partir du numéro huit, « The Friend, Il Habib ta
Tunes » ; ce changement d’intitulé fait référence à la qualité de sujets bri-
tanniques des Maltais, le titre initial étant dans la seule langue maltaise.
Le troisième journal, édité à Sousse, s’intitulera également « Melita ».
Dès les premières éditions, ces journaux informent longuement leurs
lecteurs sur les événements ayant trait à la religion catholique ; ainsi,
l’éditorial de « Melita » du 22 août 1915, publie la photo de Mgr Combes
qui a donné sa bénédiction apostolique au journal, par ces mots : « ous
bénissons de tout cœur le journal Melita, nous lui souhaitons longue vie
et recommandons sa lecture »212. De même, l’année suivante, la messe
pontificale de Mgr Tournier est longuement relatée ; on y précise la parti-
cipation de la « banda » dirigée par M. Caggia. Un autre article rappor-
te « que des Maltais sont honorés par l’Archevêché de Carthage » ; il
s’agit, plus particulièrement, de « Salvatore Camilleri qui a récolté des
fonds auprès des Maltais pour l’érection de l’autel majeur du Sacré-Cœur
de Bab el Khadra »213. La cérémonie qui eut lieu à cette occasion est aussi
relatée par « The Friend » dans son numéro de juillet 1916. Cet hebdoma-
daire commente largement, lui aussi, les cérémonies religieuses ; ainsi
dans son deuxième numéro, il fait part de la prochaine solennité à la
Cathédrale, pour la « festa ta naufragiu ta St Paul Malta, fil 10 ta frar
serra 58 nara G.R. » (fête du naufrage de St Paul, Malte, le dix février,
année 58 après J.-C.) ; il annonce de même, celle de la commémoration
du martyr des saintes Félicité et Perpétue à l’amphithéâtre de Carthage,
sous la présidence de Mgr Combes.
Le dernier journal maltais paru en Tunisie, Melita (Sousse) continue
d’ouvrir largement ses colonnes au fait religieux ; ainsi le numéro du 5
décembre 1937 consacre sa une à l’intronisation de Mgr Gounot214. En
juin de la même année, un auteur anonyme affirme : « ous Maltais, nous
avons des sentiments différents (des Français) qui nous font confondre
ensemble la religion et l’autorité civile » ; ce correspondant demande éga-
lement que « les Maltais ne soient plus traités en parents pauvres, vis-à-
vis des autres fidèles du diocèse ». De nombreux autres articles, de
l’année 1938, concernent la vie de l’Église : récits concernant saint Paul
durant son séjour à Malte, absence de vicaires maltais dans plusieurs
paroisses ou bien encore manifestations de « bandas » et réunions de
scouts. À propos de ces derniers, un éditorial interroge : « Les Maltais
sont-ils catholiques »215 ? Cette question concerne les scouts britanniques,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 85

composés principalement de Maltais ; leur appartenance à une associa-


tion britannique les fait supposer « protestants » ; l’éditorialiste affirme
solennellement : « Ils sont catholiques ». Un de mes interlocuteurs,
Carmel Rizzo, se souvient d’avoir appartenu à ce mouvement : il portait
un uniforme différent de celui de ses cousins qui étaient affiliés aux scouts
catholiques, basés à la cathédrale. Il existait effectivement, d’une part les
boy-scouts britanniques, fondés en juillet 1937, (leur président était Sir
Knight, consul d’Angleterre) et d’autre part, un mouvement scout catho-
lique créé en 1925 : les « Scouts de France de Tunisie ».

Scouts maltais
britanniques

Le même questionnement, concernant l’appartenance religieuse, appa-


raît chez les Maltais de Porto-Farina, au sujet des Français non prati-
quants ; selon C. Camilleri, ils étaient « incapables de percevoir le fait de
l’athéisme, tellement il excédait leurs catégories conceptuelles […] ils
affirmaient » à propos de ces Français « qu’ils étaient protestants ».
Par ailleurs, H. Jamoussi signale dans sa thèse216, l’existence à Tunis
d’une Loge maçonnique, ouverte par la Loge provinciale de Malte, sous
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86 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

le nom d’ « Ancient Carthage Lodge and royal Arch », dépendante de la


Grande Loge d’Angleterre. Un entretien avec M. Jamoussi autorise à
évoquer la possible présence, parmi les membres de ces loges, d’une
petite minorité de notables et d’intellectuels maltais, fervents catho-
liques. Les documents de ces sociétés tenant secrets les noms des adhé-
rents, il est difficile d’avancer plus d’hypothèses à ce propos. ous
remarquons cependant que le numéro dix du journal « The Friend »,
abordait cette question ; en effet, sous le titre « Rubbish », nous trou-
vons un paragraphe concernant des dissensions au sein de la commu-
nauté à propos de l’affaire des loges suivi d’un grand espace blanc
avant une seule initiale comme signature : Y ; une partie de l’article a
été supprimée, nous ne pouvons que nous interroger sur une censure
éventuelle des autorités à ce sujet.
À d’autres moments, le même journal n’hésite pas à soulever des
questions de fond sur l’Histoire de Malte. Il publie ainsi, sous le titre
«les Maltais furent-ils islamisés ? », la réponse d’un lecteur à Gabriel
Audisio217 qui aurait laissé « croire que les Maltais ont été islamisés
pendant un certain temps ». Ce correspondant fait état de la continuité
catholique de l’archipel depuis saint Paul et reconnaît seulement « que
certaines familles maltaises d’aujourd’hui descendent d’Arabes ou de
Berbères retenus à Malte comme esclaves et par la suite christiani-
sés » ; il achève par cette tautologie : « Les Maltais sont des Maltais »
donc, sous-entendu, tous catholiques depuis toujours. Figure égale-
ment, dans quelques éditions de Melita, cette exhortation en majus-
cules :

DEJJEM GHAMEL
IR-RELIGIO, n OSSERVA
IT-TGHALIM TAHHA

C’est-à-dire : « Suis toujours ta religion et observe ses enseigne-


ments ». Le journal n’hésite pas à publier des textes de prière en mal-
tais tel l’Ave Maria (« Melita », 29 avril 1938). Il sera, par ailleurs
reproché, dans le numéro du 20 mai 1938, aux prêtres maltais d’avoir
laissé tomber leur langue maternelle, et d’avoir initié en conséquence
une diminution de ferveur religieuse. Il ne s’agit cependant à aucun
moment de journaux religieux, mais de publications dont le but était de
rassembler les Maltais en développant un sentiment national et en
assurant la promotion de la langue maltaise parmi les Maltais eux-
mêmes. otons que ce sentiment national est directement lié au reli-
gieux, ainsi le Père F. Dornier souligne que : « La fête de otre Dame
du Mont Carmel est pour les Maltais comme une fête nationale » 218 ; il
s’agit là d’une référence à l’épidémie de peste qui sévit à Tunis de
1876-1877 ; la ferveur des Maltais envers otre Dame du Mont Carmel
aurait stoppé l’épidémie.
Le souci de l’éducation des enfants, notamment des enfants pauvres,
est important pour les quelques lettrés maltais ; ce domaine rejoint
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 87

celui de l’enseignement de la foi. Plusieurs articles du journal « The


Friend, Il Habib.. » soulignent, dès 1916, cette préoccupation. Ainsi,
l’éditorial du sept octobre remarque, en français, que « ces enfants per-
dront nos traditions… ils perdront le nom de chrétiens » ; le second
article de ce même journal, cette fois en maltais, suggère pour « une
mère pauvre » des « remèdes » à cette situation : ce sera « l’étude de la
doctrine, enseignée par des prêtres maltais ». Effectivement, l’autre
élément important de la transmission de la foi est le catéchisme ; il se
fait le plus souvent en maltais et par là même participe de la culture
maltaise. Cependant nous relevons dans ce même journal, un article
concernant les leçons de catéchisme dispensées à la cathédrale : « des
ordres ont été donnés pour que les enfants maltais soient admis au caté-
chisme français », l’auteur de l’article déplore cette directive car « ces
enfants n’ont pas les moyens d’apprendre le français » et la présence
d’un prêtre maltais sur la paroisse pourrait leur permettre de bénéfi-
cier d’une catéchèse en maltais. Il conclut en espérant être entendu de
l’ « Autorité ecclésiastique ».
Ce fut, sans doute, le cas, sous l’épiscopat de Mgr. Combes, où fut
publié en 1913, un catéchisme en maltais, à l’intention des enfants des-
cendants des immigrés ; l’étude de quelques textes de ce livret, permet de
situer les deux pôles de la problématique linguistique maltaise toutes les
expressions concernant le dogme ont des racines italiennes (les princi-
paux mystères par exemple), le reste y compris les prières usuelles est en
maltais courant donc proche de l’arabe.

Catéchisme p. 6 : Il principali Misteri p. 7 : Alla (Dieu)


de Mgr. Combes, (les principaux mystères)
Tunis, 1913

En outre, les expressions maltaises concernant la foi renvoient en


écho, une problématique qui n’est pas seulement d’ordre linguis-
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88 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

tique ; ainsi, pour les Maltais, Dieu se nomme « Alla », sans que pour
autant la majorité des émigrés ne fasse la relation entre ces termes et,
ceux concernant l’expression de la foi musulmane. Un linguiste mal-
tais, Joseph Aquilina, nous éclaire à ce sujet en proposant une classi-
fication du vocabulaire religieux suivant son origine : d’une part les
termes provenant des Arabes chrétiens d’Orient, d’autre part les mots
empruntés à l’Islam et adaptés au contexte chrétien et ceux d’origine
grecque venant du rite byzantin219. ’étant pas spécialiste des ques-
tions linguistiques, nous relèverons seulement quelques expressions et
mots encore en usage chez les Maltais de Tunisie au début du
XXe siècle. À titre d’exemple, les termes suivants paraissent être
d’origine chrétienne orientale : « Knissia » (église), « Milied » (nati-
vité), « maghmudia » (baptême), « zwieg » (mariage) et « Ghid il
Kbir » (Pâques) ; Charles Cortis citera l’expression : « Andek it sum
il djemma il kbira » (tu dois jeûner la semaine sainte). Parmi le voca-
bulaire d’origine arabe, connu de notre interlocuteur, le mot « ran-
dan» 220 me semble particulièrement intéressant dans la mesure où
dans un premier temps, il sera rejeté par son épouse : « On ne disait
pas ça » ; après hésitation, celle-ci admettra l’utilisation de ce terme
par les familles maltaises. Charles complétera ce propos en ajoutant
que sa grand-mère maternelle disait : « ma tishicch tghamel dan ouat
il randan », c’est-à-dire : « n’as-tu pas honte de faire ça pendant le
ramadan », (notre interlocuteur ne se souvient plus de l’objet de cette
remarque)221. L’emploi de cette expression est effectivement confirmé,
par son usage, comme titre d’article de la première page du journal
« Il Habib ta Tunes » : « Il Carnaval u Ras ir-Randan » (Le carnaval
et le début du Carême)222.
Les proverbes maltais, eux-mêmes, renvoient à la présence du reli-
gieux dans la vie de tous les jours ; parmi ceux courants à Malte, nous
pouvons citer, comme étant d’usage habituel en Tunisie : « Alla jaħ-
seb » (Dieu pourvoit), « Alla ta, hu, Alla ha : ni żżiħajr ‘l Alla » (Dieu
donne et Dieu prend, et merci à Dieu) ou bien encore « Għin ruħek
biex Alla jgħinek » (équivalent de l’ancien proverbe : « aide-toi, le
ciel t’aidera »)223.
Dans le même temps, le latin est la langue utilisée pour les offices reli-
gieux, seuls les sermons, généralement en italien, sont parfois en maltais
quand l’origine du prêtre l’autorise ; c’est notamment le cas pour la
semaine sainte. Selon le père F. Dornier, sermons et catéchisme, dispen-
sés par les Pères Blancs, auront lieu en arabe de 1891 à 1898 sur l’île de
Djerba et de 1887 à 1897 pour la ville de Porto-Farina ; par la suite, ils
seront en maltais224.
Ainsi, à la fois, détentrice du lien avec Malte et facteur de séparation
d’avec la terre d’accueil, l’Église catholique garde les émigrés maltais
dans un lien de filiation étroit avec l’île-mère mais les place aussi dans
l’impossibilité structurelle d’une véritable insertion territoriale.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 89

2.3. LE RÔLE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE


DANS LA PERTE DE TRANSMISSION
Comment la hiérarchie de l’Église catholique en accord avec le pou-
voir colonial, va-t-elle peu à peu, limiter la transmission culturelle en fai-
sant basculer les Maltais vers un modèle français ?
Cette Église va instrumentaliser cet élément de population, durant
l’épiscopat du Cardinal Lavigerie, en les maintenant dans une illusion
groupale. En effet, un grand nombre de traditions maltaises seront main-
tenues : messe de sept heures, sermons de Carême prêchés par des prédi-
cateurs maltais venus spécialement de Malte pour la Semaine Sainte et
processions de otre Dame du Mont Carmel en juillet. Cependant la hié-
rarchie de l’Église catholique, en accord avec le pouvoir colonial, va peu
à peu « freiner » la transmission maltaise en faisant basculer les Maltais
vers un modèle français.
Progressivement, les Maltais vont être canalisés dans l’expression cul-
turelle de leur foi. Le premier élément sera le renvoi des capucins italiens
par le Cardinal Lavigerie en juillet 1891225. Par ailleurs si les processions
ont toujours lieu, les manifestations de foi, quelque peu exubérantes des
Maltais, vont être réprimées. Ainsi un courrier du 21 juin 1877, adressé
au consul R. Wood, nous apprend qu’à Sfax, les Maltais ont célébré,
accompagnés de leur curé, l’anniversaire du Pape au cours lors d’une
procession, en procédant à des tirs d’arme à feu et en injuriant les
Italiens226 ; à la suite de ces faits, leurs responsables seront sermonnés par
les autorités, et leur curé convoqué par le cardinal. Or, excepté leur com-
portement envers les Italiens, les Maltais ne faisaient que reproduire en
Tunisie, l’expression autrefois courante à Malte d’une foi populaire227.
Parallèlement, le clergé français va s’instituer protecteur des Maltais, les
incluant dans son prosélytisme chrétien colonial et les séparant chaque
jour davantage du monde arabe ; toutefois, les émigrés maltais n’étaient
pas à proprement parler inclus dans le monde arabe mais, au début du
protectorat, la grande pauvreté de la plupart d’entre eux, leurs coutumes
et leur langue les rapprochaient des Tunisiens. Ils étaient cependant chré-
tiens, c’est pourquoi, R. Vadala peut écrire en 1911, à propos du Cardinal
Lavigerie : « Le grand prélat comprit vite que l’élément maltais était une
force dont il fallait se servir »228.
De plus, la scolarisation va jouer un rôle majeur dans le blocage de la
transmission du fait de la scolarisation massive des enfants maltais dans
les écoles catholiques françaises (les statistiques officielles permettent
rarement de distinguer élèves d’origine maltaise et élèves italiens).
Cependant, l’étude du Père F. Dornier donne de précieuses indications
sur ce sujet ; ainsi, cent soixante-sept garçons maltais sont présents chez
les Frères des écoles chrétiennes à l’école de la Casbah en 1881 et
soixante-neuf fréquentent l’établissement des Marianistes de Sousse en
1886. Les jeunes maltaises sont scolarisées chez les sœurs de Saint Joseph
de l’Apparition : elles sont cent six à Tunis en 1895 ; quarante-huit, à La
Goulette en 1886 et cinquante et une à Sousse, en 1888. Sur l’île de
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90 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Djerba, ce sont des franciscaines qui arrivent le 13 mai 1901 et sont


accueillies par une famille maltaise ; quant à Sfax, l’école plus petite,
signale vingt-cinq enfants maltais, scolarisés dès 1856229. Il semble que,
les premiers temps, ces petits établissements scolaires aient été ouverts
aux cultures différentes des enfants accueillis ; par exemple, les enfants
apprenaient l’italien et l’arabe à Sousse ; pour l’arabe, c’est « un Maltais,
père d’un élève, qui donna gratuitement trois cours par semaine »230.
Cependant, dans ces différents établissements, les enseignants sont des
religieux français qui vont, du fait de la colonisation, surenchérir le sen-
timent de dévalorisation de l’identité maltaise en interdisant la pratique
de cette langue en milieu scolaire ; il en sera de même durant le protecto-
rat, dans les établissements publics, souvent congréganistes231.
L’interdiction de la pratique en milieu scolaire d’une autre langue que le
français sera conforme aux principes de l’école de Jules Ferry232. L’usage
du maltais relèvera, désormais, du seul domaine familial sur lequel les
enseignants religieux exerceront de discrètes pressions, pour inciter les
parents à parler français à leurs enfants. Aussi, dans beaucoup de
familles, le maltais sera progressivement la langue utilisée par les parents
entre eux ou bien entendue chez les grands-parents233. La scolarisation
française constituera ainsi une des causes de la diminution de la pratique
de la langue maltaise chez les descendants des immigrés.
Désormais les Maltais sont ancrés du côté français, le point d’orgue
étant le Congrès Eucharistique de Carthage qui eut lieu du 7 au 11 mai
1930, en présence du légat du Pape ; de nombreux prélats européens y
assistaient, ainsi que des milliers de fidèles catholiques. Les Maltais vont
participer massivement à cette imposante manifestation religieuse où,
« parmi les cérémonies les plus remarquées, celle du Belvédère réunit 5 000
enfants en tenue de croisés et disposés en croix ; à Carthage, des centaines
de croisés, portant la palme, défilent dans l’amphithéâtre devant une assem-
blée de 40 000 mille personnes » ; ils seront ainsi « associés à cette propa-
gande latino-chrétienne » qui aura un impact négatif sur la population tuni-
sienne « qui se sent agressée »234. Malte est effectivement très largement
représentée par son archevêque et l’évêque de Gozo, accompagnés des
élites maltaises immigrées ; ces dernières ont d’ailleurs largement pris part
à l’organisation du Congrès tels MM. Licari, Bussutil et le Docteur
Zammit ; participeront également, durant le Congrès, les principales asso-
ciations maltaises comme la fanfare « Duke of Connaught’s » et celle de
«Pie X » de la Paroisse du Sacré-Cœur, dirigée par M. Caggia. En outre,
l’entreprise Souik et Baizeau, citée par plusieurs de nos correspondants
comme étant l’employeur de membres de leur famille, assurera une partie
de l’organisation matérielle235. L’un de nos interlocuteurs a tenu à nous
montrer la tenue qu’il portait pour la cérémonie ainsi que les documents
qu’il conserve précieusement et nous a autorisée à les photographier. C’est
donc lui-même qui a choisi la disposition de ces « reliques » en leur confé-
rant, au-delà du souvenir, un caractère mythique dans la mesure où la photo
leur fait prendre valeur d’archives.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 91

Tenue de croisé de M. B.

Livret du Congrès
Eucharistique : groupe de
500 tentes où sont logés des
ecclésiastiques du pèlerinage
français

Offrande des palmes à


l’amphithéâtre de Carthage
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92 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

D’autre part, certains aspects plus populaires des fêtes religieuses de


Malte paraissent inconnus en Tunisie telles les manifestations de la fête de
« l’Imnarja », liée à celle de saint Pierre et saint Paul ; la question posée
à l’ensemble des personnes interviewées n’a jamais eu de réponse positi-
ve. L’absence du lieu traditionnel de la fête et les conditions de vie des
premiers immigrés ont sans doute contribué à la perte de cette tradition ;
en outre, le fait qu’il s’agisse d’une manifestation populaire peu appréciée
du clergé et des élites maltaises qui n’y participaient pas, constitue peut-
être, une autre raison de son absence chez les émigrés. La toute puissan-
ce paternelle de l’Église va venir ainsi se substituer, peu à peu, à l’ancêtre
Malte, symbolisée par ce dicton : « Malta hanina, bicha hobs ou sardina »
(Malte chérie, un morceau de pain et de sardine) ; cette expression, bien
connue des Maltais émigrés, les renvoie inconsciemment au symbole
d’une mère qui n’a pu nourrir ses enfants ; elle est aussi figure de
l’attachement à la terre natale que l’émigré a dû quitter.
Toutefois, C. Camilleri évoque une certaine fascination des Maltais,
avant le protectorat et, au début de ce dernier, pour le monde arabo-
musulman tandis que R. Darmon énonce : « Faute d’église, les Maltais
vont à la mosquée »236 ; ces situations furent sans doute rares. Cependant,
cette remarque ne peut-elle sous-entendre l’existence d’un fantasme de
séduction sur une population, très religieuse mais peu instruite, qui trou-
vait là, comme sans doute autrefois les anciens berbères catholiques, une
religion qui leur paraissait plus simple ? L’attrait pour la religion musul-
mane, non évoqué par l’Église catholique, ne semble pas avoir engendré
de conversions mis à part quelques cas isolés auxquels pourrait se rap-
porter la remarque précédente. Cette attirance eut peu de répercussion
chez les Maltais sinon, peut-être pour s’en préserver, celle de souder
davantage la communauté maltaise en la maintenant dans une illusion
groupale de type communautaire, notamment pour les villes de Porto-
Farina et Djerba, plus isolées géographiquement. En dépit de ces situa-
tions particulières, le mauvais « objet » reste, pour tous les descendants
de Maltais « les Arabes », désignés sous le nom de « Torok » (Turcs), lors
de différends. Cependant, en maltais, Arabe se dit « Gharbi » ; il ne s’agit
donc pas d’une confusion linguistique mais plutôt d’une forme de rejet, de
l’autre (le musulman) liée à la fois au catholicisme et à l’Histoire de
Malte. Par ailleurs, M. Galley souligne que « les classes aisées, spéciale-
ment lorsqu’elles parlent en anglais, utilisent le terme “Arabe”, mais que
le terme maltais, le seul utilisé par les classes populaires, est “Tork” du
fait que du temps des luttes des Chevaliers contre les corsaires musul-
mans, le monde musulman était dominé par les Turcs ». Les différents
aspects de cette situation plaçaient les Maltais de Tunisie, dans une dua-
lité, certes inconsciente, de rejet et d’attirance pour un monde interdit du
fait de l’Histoire et de l’Église.
En outre, si certains des premiers émigrés retournent à Malte, il
s’agissait, pour beaucoup d’entre eux, d’une émigration sans retour ; les
repères religieux vont alors rester le principal lien de filiation avec Malte.
Toutefois, le Clergé français va inciter ses membres d’origine maltaise à
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 93

devenir Français, les faisant renoncer implicitement à leur identité mal-


taise. À ce sujet, Mme Vérié Cassar nous a cité le cas d’un prêtre maltais,
qui aurait été rétrogradé de ses fonctions par son évêque, pour avoir refu-
sé de prendre la nationalité française lors des décrets d’application. Ainsi,
les clercs français ou maltais, référents écoutés et estimés, vont favoriser
un clivage des repères maltais vers ceux d’une France, fille aînée de
l’Église. Se substituant ainsi progressivement à l’ancêtre Malte, l’Église
va préparer le mythe d’une inscription symbolique dans une filiation fran-
çaise avant même les lois de naturalisation (1923) du fait d’une collusion
du pouvoir spirituel et temporel.

Le domaine religieux constitue donc un des points d’ancrage pour les


émigrés maltais ; en effet, certains aspects du cadre social religieux de
l’archipel sont conservés en Tunisie notamment la suprématie du pouvoir
des clercs et le rappel de la peur de l’envahisseur turc ; s’y ajoutent
d’importants « silences » sur la période de domination arabe durant le
Moyen-Âge et les conversions d’esclaves musulmans au temps de la
Course. Instrumentalisée par l’Église, la population maltaise va dévelop-
per un processus d’identification au mythe français proposé par la colo-
nisation. L’émigré va alors faire sienne une autre Histoire, la sienne et
celle de ses ancêtres constituant « un pacte des négatifs », qui jusqu’à la
seconde migration sera ciment de la communauté ; le groupe des émigrés
maltais est, dans ce cas, considéré comme une entité psychique, permet-
tant d’établir la frontière entre le moi et le non-moi, c’est-à-dire avec
l’autre qu’il soit Arabe, Juif, Italien ou Français. ous soulignerons, ici,
l’importance du patronyme, premier élément d’identification pour les
Maltais et, dans le même temps, facteur paradoxal que nous étudierons
parallèlement à celui de la langue ; toutefois, il ne s’agit pas de faire une
étude linguistique, mais de souligner dans ce domaine les similitudes et
différences par rapport au monde arabe, en relation avec l’Histoire de
Malte.

3. UNE PROBLÉMATIQUE SPÉCIFIQUEMENT MALTAISE :


LA QUESTION LINGUISTIQUE

3.1. HISTORIQUE
Il est maintenant clairement admis que le maltais est une langue
d’origine arabe, « proche vraisemblablement de celle des vieux dialectes
citadins de Tunisie »237 datant vraisemblablement de la prise de l’archipel
par les Arabes, principalement Aghlabides238 venus de Tunisie en 870.
Cette conquête, antérieure à l’invasion hilalienne du Maghreb, explique-
rait la classification de la langue maltaise, dans la catégorie des dialectes
pré-hilaliens239. Ensuite, à partir de 1090, se sont ajoutés à la structure de
la base arabe de la langue, des léxèmes italo-siciliens enrichis de ceux des
divers occupants240.
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94 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Les particularités de la langue maltaise posent la question de la langue


utilisée par les habitants de Malte avant la conquête arabe. Selon
G. Wettinger241 et M. Buhagiar, il est possible que la première langue par-
lée sur l’archipel ait été un dialecte punique, le grec étant à cette époque,
la langue de l’administration. Cependant il ne semble rester « aucune
trace de punique, de latin ou de grec médiéval […] dans la langue mal-
taise » ; en outre, si Malte a bien fait partie de l’empire punique carthagi-
nois, changeant plusieurs fois de mains durant les guerres Puniques (264
– 146 avant J.-C.), les inscriptions puniques s’arrêtent après le premier
siècle après J.-C.242. Cette apparente contradiction peut éventuellement
s’expliquer par une conquête arabe violente qui aurait laissé « les îles
désertes jusqu’en 1045 »243. À l’appui de cette hypothèse, M. Vanhove rap-
pelle, en citant les travaux de J. Brincat, que « dans l’édition […] du dic-
tionnaire géographique […] de al-Himyari […] il est en effet mentionné
que l’île de Malte fût vidée de sa population à la suite de la conquête
arabe et repeuplée seulement par les musulmans et leurs esclaves à par-
tir de 440/1048-1049 »244 ; les éventuelles sources phénicienne, punique
ou « cananéenne » de la langue maltaise se trouvent ainsi démenties. Il est
important de le souligner car, à une époque encore récente, l’origine sup-
posée phénicienne de la langue maltaise avait encore « les faveurs d’une
grande partie de la population…, tant les préjugés contre tout ce qui peut
avoir un lien avec la religion musulmane sont forts dans ce pays profon-
dément catholique » 245. Ce débat semble aujourd’hui dépassé. Il renvoie
cependant à la problématique maltaise d’une interrogation sur la conti-
nuité chrétienne depuis saint Paul. Cette période de l’Histoire de Malte
comporte encore des inconnues ; la seule chose clairement établie étant le
changement total de langue et de culture des habitants.
Toutefois, il semble qu’il y ait eu une continuité de contact avec la
langue arabe ; différents auteurs relèvent qu’en 1176, l’évêque de
Strasbourg visite l’île et note qu’elle était habitée par des musulmans ; ce
contact semble avoir perduré même après l’expulsion de ces derniers en
1249. En outre, G. Wetinger souligne qu’il s’agissait vraisemblablement
d’une expulsion religieuse visant les musulmans et non d’une expulsion
ethnique. Il ajoute que bon nombre de musulmans seraient restés sur
l’archipel afin de garder leurs biens en acceptant d’être baptisés, sans
doute suivant le rite grec246. Ces précisions, ajoutées à l’isolement et à la
dimension de l’île expliqueraient la survivance de la langue maltaise.
ous pouvons effectivement noter l’existence d’un petit nombre de
poèmes, en arabe classique, datant de la première moitié du XIIe siècle ;
au XVe siècle, la persistance « d’un usage raffiné de l’arabe » est confir-
mée par quelques poèmes et notamment la « Cantilène de Pietro
Caxaro »247. De plus, E. Fenech mentionne la présence à Malte en 1587 de
lettrés religieux servant aussi d’interprètes pour l’arabe. De 1631 à 1680,
l’arabe est enseigné à Malte y compris dans deux écoles primaires l’une
privée, l’autre publique confessionnelle à Mdina. Un séminaire de
langues orientales existe, durant la même période, à Cospicua ; il est fré-
quenté par des missionnaires venant de Syrie, de Perse et d’Inde ainsi que
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 95

par des étudiants maltais, italiens et irlandais248. De même, A. Lutrell relè-


ve dans une étude sur les sources de l’Historiographie maltaise, plusieurs
éléments relatifs à l’usage de la langue arabe. Ainsi, « en 1632 le Maltais,
Domenico Magri, a traduit une partie de la géographie d’Idrisi. Cinq
années plus tard, en 1637, la congrégation de la Propagation de la Foi
fonde une école de langue arabe à Malte » ; A. Lutrell complète ce propos
en énonçant que « les Maltais qui avaient commencé à étudier l’arabe,
devaient naturellement réaliser les affinités de cette langue avec la leur. »
Il ajoute « qu’il était clair, pour le jésuite Athanasius Kircher qui visita
Malte en 1637, que les Maltais parlaient un arabe pur sans aucun apport
d’italien »249.
Par ailleurs, l’arabe est toujours lu à l’université en 1795 et ce jusqu’à
sa fermeture par apoléon en 1803. On le trouve encore enseigné à Zeitun
en 1838. Cette étude de la langue arabe s’arrêtera en 1915 et ne sera
réintroduite qu’en 1970 par les travaillistes mais il s’agira dès lors de
l’arabe moderne.
Il est intéressant de noter que le monde maltais est resté en contact
avec la langue du futur pays d’immigration et que sa pratique était cou-
rante au XVIIe siècle, période durant laquelle de nombreux esclaves
maures étaient également présents sur l’archipel. Toutefois,
l’enseignement de l’arabe écrit a, sans doute, peu concerné le petit peuple
mais plutôt les futurs clercs et religieux dans un esprit missionnaire.
Parallèlement l’influence de la langue et de la culture italienne s’est déve-
loppée à partir de la conquête normande et maintenue sous les chevaliers,
évêques notables, administratifs étant souvent d’origine sicilienne. À par-
tir de la domination britannique (1800), l’italien reste la langue des
classes supérieures et instruites, le maltais celle du peuple. Ainsi, « en
1838, le Statut fondamental de l’Université, reconnaissait que l’italien
“était la langue de culture des Maltais” »250, l’anglais étant réservé aux
fonctions administratives et militaires.
La question d’une prédominance linguistique se posera sur l’archipel
à partir de 1860, en raison d’une poussée démographique et du dévelop-
pement de l’enseignement primaire en maltais ; dans les années précé-
dentes, correspondant aux premières émigrations en Afrique du ord, un
Maltais sur dix sait lire et écrire. « C’est un Maltais, Casolani, qui, dans
une publication éditée […] à Londres en 1867, conseilla de substituer
l’anglais à l’italien comme langue de “culture” et d’enseigner dans les
écoles primaires le maltais après “l’avoir purgé de tout […] itali-
cismes” »251. Deux tendances vont s’opposer : d’un côté les partisans de
l’italien appartenant majoritairement aux classes aisées, soutenus par
l’Église catholique et les nombreux exilés libéraux et républicains italiens
présents sur le sol maltais ; de l’autre, les partisans du maltais appuyés
par les pro-britanniques et les pasteurs anglicans qui utilisaient le dialec-
te maltais à des fins de propagande religieuse. En effet, « depuis qu’en
1878 une commission royale d’enquête a conclu à la nécessité d’éliminer
l’italien, les autorités britanniques mènent… une politique de grignotage
des positions que cette langue occupe de temps immémorial dans tous les
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96 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

secteurs de la vie culturelle et publique »252 maltaise. Deux ans plus tard,
en 1880, le problème linguistique devient élément majeur de la politique
maltaise avec la fondation du parti national de Fortunato Mizzi, défen-
seur de l’italianité de l’île. Le gouvernement britannique impose alors
l’égalité de l’anglais et de l’italien dans l’enseignement. En 1887, Lord
Strickland, secrétaire général du gouvernement, s’oppose au parti de
Mizzi et impose le maltais et l’anglais ; la question linguistique reste
durant cette période « matières réservées » dépendant du domaine de la
couronne ce qui interdit aux élus du parti national de Mizzi d’intervenir
dans ce domaine. Soutenus par la hiérarchie catholique, les Maltais du
parti nationaliste étaient pro-italiens ; ils considéraient la langue verna-
culaire maltaise comme « an embarrassing poor relative of arabic-tainted
with the stain of Black Africa and Islam » ou même « the curse of the
country »253 (c’est-à-dire, comme une parenté embarrassante, teintée d’un
arabe entaché de l’Afrique oire et de l’Islam et même la honte du pays).
La traduction littérale permet, ici, de souligner les aspects relevant des
théories « racialistes »254 en cours en Europe, à la fin du XIXe et au début
du XXe siècle. La question linguistique, liée à celle de l’identité nationa-
le, sera cause d’agitation politique durant une longue période.
otons que cette problématique ne semble pas avoir affecté le choix du
pays pour les émigrants puisque c’est, au contraire, à partir de 1881 que
se situent les plus importants flux d’immigration vers l’Afrique du ord.
Les historiens font habituellement le rapprochement avec l’installation du
protectorat français en Tunisie qui aurait rassuré les Maltais candidats au
départ. Par ailleurs, durant toute cette période d’immigration, le maltais
est encore au stade d’une langue de transmission orale puisque l’adoption
d’un alphabet en caractères latins ne date seulement que de 1921.
En 1911, il est décidé que le maltais remplacera l’italien dans les tri-
bunaux inférieurs, les cours criminelles ayant le choix entre Maltais et
Anglais. À ce stade, les pro-Italiens proclament que la langue maltaise
dérive de l’arabe pour la décrier ; or, « le souvenir de la domination arabe
était odieux aux Maltais parce qu’il leur rappelait l’esclavage de leurs
ancêtres »255. Par ailleurs, les partisans du maltais continuent en ce début
du XXe siècle à vouloir se rattacher aux glorieuses origines phéniciennes,
évoquées précédemment. L’agitation politique liée à cette question conti-
nuera jusqu’en 1934, date à laquelle le maltais devient langue officielle
de l’île ; cependant, l’italien restera jusque dans les années soixante la
langue des érudits maltais. Les années suivantes, l’anglais prendra la
place de l’italien dans les domaines scientifique et technologique.

3.2. LE MALTAIS ACTUELLEMENT


Vu les caractéristiques, très particulières, de la langue maltaise, nous
nous référerons à certains des articles linguistiques de Fernande Krier et
Martine Vanhove. En 1999, le maltais était parlé par 400 000 personnes.
C’est le seul idiome arabe écrit en caractères latins, du fait de son origi-
ne, il présente des affinités avec le tunisien. F. Krier énonce que cette
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 97

langue n’a plus été, après le haut Moyen Âge, en contact avec le monde
arabe jusqu’en 1980, date à laquelle le gouvernement travailliste s’est
rapproché de la Libye256 ; toutefois, de nombreux liens commerciaux ont
toujours existé avec le Maghreb malgré les luttes entre Orient et
Occident ; ces luttes ont généré au temps de la Course en Méditerranée,
la présence d’esclaves originaires des côtes nord-africaines. ous avons
souligné, d’autre part, la relative continuité de l’enseignement de la
langue arabe sur le sol maltais. Ces différents éléments autorisent à
émettre l’hypothèse, non d’une véritable connaissance de la langue arabe
par les Maltais, mais sans doute d’une sensibilisation auditive aux pho-
nèmes du Maghreb. Par ailleurs, à la base linguistique arabe de la langue
maltaise se sont ajoutés des termes d’origines diverses : normands, ange-
vins, aragonais, siciliens et, plus récemment, anglais. C’est toutefois
l’italien qui domine dans ces apports. F. Krier énonce que c’est la « struc-
ture grammaticale du maltais qui permet de le qualifier de parlé
arabe »257. M. Vanhove émet le même type d’observation lorsqu’elle
explique par exemple, qu’en maltais « les suffixes de pluriel d’origine
arabe se retrouvent avec des noms provenant du sicilien, de l’italien ou de
l’anglais »258 ; elle ajoute que l’on peut trouver des constructions ita-
liennes avec des participes d’origine arabe comme dans la phrase :
«/ Yigi miktub/» (c’est-à-dire : il est écrit) ; il s’agit d’une expression cal-
quée sur la locution italienne : « Viene scritto »259. Ce bref aperçu du mel-
ting-pot de la langue maltaise témoigne de l’inscription des Maltais entre
Orient et Occident au cours de leur Histoire mouvementée. À ce propos,
F. Krier note que : « La situation insulaire de l’archipel a toujours empê-
ché le maltais d’être aspiré par une italianisation ou, ce qui est moins pro-
bable, une arabisation poussée. En outre, comme langue “mixte”, il fait
figure de pont linguistique, et vers l’Italie, et vers le Maghreb, car il faci-
lite l’apprentissage de l’italien et de l’arabe et sert par là à promouvoir
la compréhension interculturelle » ; elle relève cependant elle aussi, que
c’est l’anglais et non le maltais qui jouit de la faveur de la couche socia-
le aisée »260.
Cette réflexion sur l’emploi de l’anglais par rapport à celui du maltais
paraît s’inscrire dans un fait social paradoxal où coexistaient encore
récemment sur l’archipel, une mésestimation de la langue maltaise par
certains de ses locuteurs et l’affirmation : « ous sommes fiers de notre
langue »261. La remarque de Charles Cortis, « ils ne parlent même pas
maltais ou seulement à la campagne et encore »262, à la suite d’un premier
voyage à Malte dans les années quatre-vingt appuierait cette hypothè-
se. otre interlocuteur qui a conservé l’usage du maltais se montrait déçu
d’entendre principalement l’anglais qu’il ne pratiquait pas. Toutefois,
nous avons pu constater ces dernières années que le voyageur qui
découvre Malte entend davantage parler maltais, contrairement aux
années antérieures où les sonorités anglo-saxonnes dominaient effective-
ment à La Valette et dans les villes touristiques de la côte.
Dans le cadre de la valorisation de la langue maltaise, il est important
de souligner, qu’à partir de mai 2004, date de l’entrée de Malte dans
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98 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

l’Union Européenne, le maltais devient la première langue, d’origine


arabe et de caractères latins, utilisée comme langue officielle dans cette
institution ; elle est, par ailleurs, enseignée depuis le 15 février 2005 à
L’IALCO (Institut ational Langues Civilisations Orientales) de Paris.

3.3. QUESTION LINGUISTIQUE ET IMMIGRATION


La langue maltaise, élément fondamental de l’identité nationale maltai-
263
se , est au cœur de la problématique du processus d’identification des
Maltais en Tunisie. Héritiers d’une langue de transmission orale, les émi-
grés vont privilégier comme outil de communication celui de leurs interlo-
cuteurs qu’ils soient arabes, français ou italien. La langue maltaise reste-
ra du domaine privé familial et communautaire et, progressivement un
grand nombre d’émigrés oubliera sa langue maternelle. Par ailleurs, la
parenté linguistique du maltais et de l’arabe va venir de manière para-
doxale étayer la différenciation déjà effective sur le plan religieux entre
monde tunisien et maltais. Cette problématique linguistique n’existe pas
seulement du fait de l’émigration en Tunisie et de l’impact de la colonisa-
tion française : elle trouve son origine à Malte même du fait de la repré-
sentation symbolique du monde musulman dans ce pays, liée à son
Histoire. Analyser les différents aspects tant linguistiques que psycholo-
giques et sociologiques, de la perte de la langue maltaise parmi les familles
immigrées en France, nous a paru essentiel. Rappelons brièvement que les
flux migratoires s’échelonnent de 1842 à 1921, la population maltaise en
Tunisie passant durant cette période de 3 000 à 13 520 ressortissants264. Or,
à ces dates, la langue maltaise est essentiellement orale, bien qu’un alpha-
bet latin et une première grammaire aient déjà été élaborés.
À leur arrivée en Tunisie, les Maltais vont être pour la première fois en
contact linguistique direct avec le monde arabe, si l’on excepte la catégo-
rie des marchands et des marins qui avaient l’habitude des côtes tuni-
siennes. Leur attitude, vis-à-vis de cette langue, proche de la leur, n’est
pas directement connue ; restent les documents d’archives, notamment au
s u j e t d e l a c o n t re b a n d e , q u i p e r m e t t e n t d ’ a v a n c e r q u e
l’intercompréhension fut sans doute presque immédiate entre les différents
interlocuteurs.
Ainsi à Sfax, une grande complicité s’était établie entre Tunisiens,
Maltais, Juifs et Italiens impliqués dans les mêmes affaires du haut de
l’échelle sociale au plus petit des passeurs. Les archives font état, par
exemple, des trafics de Pietro Gili grand négociant maltais, qui faisait tra-
vailler passeurs et marins265 ; le nom de ce même Gili apparaît dans une
lettre, adressée au consul R. Wood en 1872, où il se plaint de différend
commercial avec deux Juifs tunisiens. D’autres éléments d’information,
sur les échanges entre les diverses populations, sont donnés dans
l’abondante correspondance de ce consul avec les autorités tuni-
siennes266. Elles concernent le plus souvent des plaintes de Maltais, sujets
britanniques, dans leurs relations quotidiennes avec les autochtones ; cer-
taines d’entre elles feraient sourire aujourd’hui, notamment les requêtes
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 99

adressées au consul, relatives à des jurons émis soit par des Tunisiens ou
des Juifs tunisiens à l’encontre des Maltais. Outre la proximité de vie avec
les Tunisiens, ces lettres indiquent une capacité de mutuelle compréhen-
sion linguistique ainsi que le niveau social des plaignants.
De même l’étude de C. Camilleri, à propos de Porto-Farina témoigne
de cette intercompréhension entre Maltais et Tunisiens à propos de
l’écoute des conteurs au domicile des Maltais267. Rappelons que dans ce
port ainsi qu’à Djerba, catéchisme et homélies avaient lieu en arabe pour
une population chrétienne principalement maltaise. Antérieurement, nous
ne possédons, pour Djerba, que peu d’éléments sur les langues utilisées
dans le domaine religieux. Cependant, dans un courrier adressé à sa
supérieure, une religieuse de l’ordre des Franciscaines missionnaires de
Marie écrit lors de son arrivée sur l’île en 1901 : « Il faut absolument
connaître l’italien, le maltais et l’arabe, plus le grec ; le curé parle toutes
ces langues » ; elle ajoute quelques lignes plus loin : « Le maltais res-
semble à l’arabe, il est aussi guttural »268.
ous soulignerons toutefois, que les différentes études ne signalent
jamais l’utilisation du maltais comme outil de communication avec les
Tunisiens, et encore moins son usage par les autochtones hormis le cocher
tunisien, cité précédemment. ous avons cependant pu constater que les
Tunisiens habitant les anciens quartiers maltais connaissaient encore des
expressions maltaises et citaient spontanément : « Malta hanina, bicha hobs
ou sardina »269 ; de même, l’expression italienne « Malta fior del mundo »
(Malte, fleur du monde), usitée pour tourner en dérision l’attachement des
Maltais à une île natale exiguë qu’ils avaient été contraints de quitter,
appartient au vocabulaire des diverses communautés.
Par ailleurs, H. Skik relève l’existence de quelques expressions et
constructions grammaticales empruntées à l’arabe tunisien dans le parler
des Maltais de Tunisie, telles que :

« Nnhar ssibt [samedi] pour nar ta ssbet, construction maltaise (le jour
du sabbat).
Mhabbin pour mahubin [aimés] ».
Ou bien encore :
« Sabbiela (tun. sabbala) pour vit tal lilma [robinet].
Hasilu, équivalent du dunque italien »270.

ous avons pu vérifier l’usage de ces quelques expressions auprès de


nos interlocuteurs capables de s’exprimer en maltais. Cependant, ces der-
niers ne sont pas toujours d’accord sur l’origine linguistique des termes
qu’ils utilisent ; ainsi, nous entendrons cet échange entre deux conjoints
au sujet de mots tels que « sebilla » (fontaine) ou, bien encore « tmatma »
(tomate)271 : « C’est du maltais, mais non, c’est de l’arabe » ; quant aux
termes relevant du domaine religieux comme nous l’avons évoqué à pro-
pos de « randan », ils susciteront davantage de discussion.
Facteur d’insertion, la parenté linguistique du maltais et de l’arabe a
pu aussi être vécue par les premiers immigrés, comme un danger possible
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100 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

d’absorption culturelle ; la non-utilisation du maltais comme outil de


communication extérieure, maintes fois soulignée, pourrait alors être pen-
sée en tant que défense des Maltais immigrés, contre une acculturation
linguistique à l’arabe.
Par ailleurs, l’anglais est pratiquement inconnu des émigrés ; ainsi en
1916, un article de « The Weekly Melita », rédigé en maltais, constate
qu’en Tunisie, environ cinquante personnes sur une population d’environ
dix mille Maltais, sont capables de s’exprimer en anglais ; en conséquen-
ce, il est demandé qu’une démarche soit effectuée auprès du consulat pour
obtenir l’ouverture d’une classe d’anglais pour adultes. L’auteur de
l’article souligne qu’à la différence des Maltais, Français et Italiens ont
leurs propres écoles et qu’ils pratiquent une langue parlée par un grand
nombre.
La relation à la langue italienne relève pour la population maltaise de
Tunisie d’un statut différent ; pour comprendre cette situation, il convient
de rappeler la querelle linguistique qui occupe la classe politique de
Malte durant les années d’immigration et la suprématie de la culture ita-
lienne. La connaissance de l’italien restera longtemps synonyme de cultu-
re et d’évolution sociale, pour l’ensemble des Maltais émigrés. De plus,
les premiers enseignements dans les écoles vont se faire en italien ; ce sera
le cas de l’école des Frères à Tunis et de la plupart des écoles situées dans
les autres villes d’implantation maltaise. Ce sont donc des écoles de
langue italienne qui vont accueillir les premiers enfants maltais scolari-
sés ; en fait, il semble, d’après les écrits et le témoignage d’un de nos
interlocuteurs qu’un double enseignement ait subsisté pendant quelque
temps. Ainsi, à Tunis, la première école située dans un local à Bab al
Gezira comprenait deux classes de garçons. La première, dite italienne,
gratuite pour les enfants maltais et juifs pauvres dispensait un enseigne-
ment en italien ; la seconde, destinée aux familles aisées était payante, les
cours s’y effectuaient en français. otre interlocuteur rapporte également
que ces classes avaient des entrées différentes ; ainsi, une différenciation
sociale s’inscrivait déjà entre les enfants, non en raison de leur nationa-
lité ou de leur religion, mais davantage en fonction de leur niveau de vie.
ous ne connaissons pas la répartition des enfants maltais entre ces deux
classes. ous soulignerons, toutefois, le paradoxe engendré pour les
Maltais par cette situation : au début du protectorat, l’italien devient la
langue d’une scolarité, réservée aux pauvres, juifs et maltais, alors que la
scolarité en français est l’apanage des classes aisées quelle que soit
l’origine des enfants.

La querelle linguistique de l’archipel apparaît également dans les jour-


naux maltais de Tunisie, notamment lors de la sortie de « Il Habib Ta
Tunes » ; en effet si les sept premiers numéros de cet hebdomadaire, sont
rédigés uniquement en maltais, les suivants paraissent sous le titre : « The
Friend, Il Habib Ta Tunes » et paraissent en maltais, français, italien,
anglais. L’hebdomadaire concurrent « The Weekly Melita » publie dans
son numéro du 30 avril 1916, la lettre d’un lecteur critiquant « The Friend,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 101

Il Habib ta Tunes » en le qualifiant de « it torri ta Babel » et de « xecxu-


ca »272. L’auteur de cette correspondance met l’accent sur le fait qu’« un
journal maltais ne doit être écrit que dans notre langue c’est-à-dire mal-
tais/anglais » ; il poursuit : « On ne voit que The Friend c’est-à-dire, le
début du titre en anglais, le reste ne contient rien » […] « s’ajoutent au
texte quelques mots inconnus à Malte à cette époque, mots sans doute
d’influence arabe et le niveau des articles en italien ferait rire tout Tunis ».
Il conclut par ces mots : « Est-ce qu’il ne vient pas l’envie de devenir Turc
en voyant tout cela » ? Remarque, en forme de « boutade » qui traduit de
manière imagée l’indignation au sujet de ce journal par une référence à
l’« ennemi historique, turc » ; par ailleurs, l’éditorialiste de « The Weekly
Melita » trouve ce journal « abominablement écrit » et souligne « les
impitoyables assauts de la littérature italienne »273.
Toutefois, l’attrait pour la culture italienne diminuera en Tunisie au
sein de la société maltaise lors la montée du fascisme italien ; ainsi, en
1937, le journal « Melita » sera rédigé seulement en maltais et en fran-
çais. C’est un tournant culturel important qui doit aussi être mis en rela-
tion d’une part avec la scolarisation française au temps de la colonisation
et d’autre part avec le nouveau statut de langue officielle, de la langue
maltaise à Malte. De nombreux articles seront effectivement consacrés à
la promotion de la langue maltaise, notamment par Laurent Ropa ; toute-
fois, il nous paraît significatif et que ces articles sur la langue maltaise
soient rédigés principalement en français.

Rupture dans l’existence du sujet, l’immigration va intervenir comme


« expérience de hors-lieu »274, associée à la conservation d’un « reliquat
d’identité qui ne peut disparaître dans lequel s’indique l’impossibilité
d’unifier en soi terre et langue natales aux terres et langues d’accueil »275.
Dans le cas des Maltais de Tunisie, se greffe sur cette problématique un
refus inconscient de la reconnaissance de la proximité linguistique de
l’autre ; situation qui présente un aspect paradoxal du fait de l’utilisation,
semble-t-il, presque immédiate du tunisien par les Maltais. Par contre, la
non-utilisation du maltais par les Tunisiens est généralement expliquée
par les historiens et les linguistes par le fait que c’était une langue mino-
ritaire ; des raisons complémentaires de cette absence de pratique
seraient peut-être à chercher du côté de la représentation symbolique du
maltais pour les Tunisiens. Ainsi, peu de Tunisiens étaient capables de
s’exprimer en maltais, mis à part quelques figures légendaires ;
n’auraient-ils pas, eux aussi, rejeté une langue arabe parlée par une
population chrétienne, porteuse d’une Histoire imbriquée dans la leur,
même si les intéressés, de part et d’autre, n’en avaient aucune connais-
sance ? En effet, « la fonction d’une langue ne peut être considérée sépa-
rément des individus qui l’utilisent et de la société dans laquelle vivent ces
individus à un moment donné »276.
Cependant, pour les descendants des premiers immigrés, la langue
maternelle revêt une importance particulière ; elle les relie au territoire
d’origine des ancêtres et crée ainsi, dès le plus jeune âge, un sentiment
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102 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

d’appartenance à groupe distinct de celui du pays où ils sont nés. Cette


différenciation se fera dès avant la naissance, dans la mesure où la musi-
calité linguistique fait partie intégrante des perceptions du fœtus.
Composante de l’enveloppe généalogique familiale, les sonorités de la
langue maternelle, se développeront durant la première enfance du fait du
discours à la fois familial et groupal. Cependant l’enfant maltais va rapi-
dement intérioriser l’usage de cette langue, réservée au seul domaine
familial et acquérir d’autres sonorités linguistiques dont certains pho-
nèmes seront très proches de sa langue maternelle tant en ce qui concer-
ne le tunisien que l’italien. Percevant, sans que rien ne soit énoncé de
manière formelle, les différents niveaux de communication, il va progres-
sivement, au cours des générations, développer un sentiment de dévalori-
sation eu égard à sa langue maternelle. Ce sentiment prend appui sur
l’Histoire, la langue maltaise étant, comme nous le disions précédemment,
la langue du peuple, témoin d’un passé refoulé ; ainsi, les représentations
véhiculées dans le parler maltais font souvent référence au monde arabo-
musulman telle la nomination du vendredi « nhar ed Jemma » ou jour de
la mosquée277. L’enfant trouvera après le protectorat des raisons supplé-
mentaires d’ignorer cette langue maternelle qui le rapprochait des
Tunisiens colonisés. Ces hypothèses seront confirmées lors des entre-
tiens où nos interlocuteurs exprimeront leur honte de parler maltais en
Tunisie ; d’autres affirmeront, plus simplement « avoir oublié leur langue
maternelle ». ous soulignerons cependant que le maltais était effective-
ment connu de la majorité des parents de nos informateurs, mais utilisé
souvent seulement à l’intérieur du couple, et peu en direction des enfants ;
ainsi, dans certaines familles, les enfants ne connaîtront que quelques
expressions maltaises, échappées du discours parental ; Germaine
Bartolo rapporte, à ce sujet : « Les parents parlaient en maltais seulement
quand ils ne voulaient pas que nous comprenions ». Dans ces conditions,
la langue maltaise prenait le statut de « langage codé parental » destiné
aux secrets des adultes, ce qui peut, en partie, expliquer la méconnaissan-
ce linguistique des descendants.

Comme nous l’avons déjà relevé, un des motifs de l’absence de trans-


mission de la langue maltaise dès la Tunisie découlera de la scolarité qui,
après les premières années du protectorat, s’effectuera uniquement en
français. Désormais, la promotion sociale passe par l’acquisition du fran-
çais : les émigrés maltais vont souhaiter, pour leurs enfants, une situation
professionnelle, supérieure à la leur et favoriser au minimum une scolari-
té primaire ; en cela, ils ne différeront pas des Français de la même géné-
ration. À Tunis et dans les principales villes où la population maltaise
était importante, ce sont les établissements des Frères des écoles chré-
tiennes, pour les garçons, et des sœurs de otre Dame de Sion ou de Saint
Joseph, pour les filles, qui assureront l’essentiel de la scolarité ; peu
d’enfants maltais sont alors scolarisés dans les écoles publiques si ce
n’est ceux des familles très pauvres. C’est alors que, beaucoup de parents,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 103

conseillés par les enseignants, vont s’efforcer de parler uniquement fran-


çais à leurs enfants.
En outre, est venue se greffer sur cette acquisition valorisée de la
langue française, la problématique linguistique de Malte à cette période :
à savoir la valorisation d’une langue européenne par rapport à une
langue maltaise similaire à l’ arabe. Parallèlement, en Tunisie, la paren-
té linguistique avec le tunisien va accentuer la dévalorisation du maltais,
même si paradoxalement : « il est possible que le contact avec un autre
parler arabe ait aidé le maltais à conserver ses caractères propres en
Tunisie et à résister plus aux influences non-arabes, par exemple celle de
l’anglais et, dans une certaine mesure, de l’italien »278.
Il est nécessaire de souligner, ici, la longue tradition d’oralité de la
langue maltaise. En Tunisie, peu d’immigrés maltais avaient accès à la
langue écrite ; ainsi, parmi les personnes interviewées, deux seulement
nous diront que leur mère était capable de lire le maltais ; d’autres nous
apprendront que leur père était autodidacte. Ce rapport, pratiquement
inexistant à l’écrit, pourrait s’expliquer en partie, hors l’absence de sco-
larité pour raison de pauvreté, par l’ancienneté des générations émigrées
en Tunisie à une époque où l’enseignement de la langue maltaise débutait
seulement dans les écoles primaires de Malte.
En conclusion, ce n’est pas directement la colonisation qui aurait pro-
voqué la perte du maltais mais plutôt sa proximité avec le tunisien dans la
mesure où il existait un non-dit historique et sociologique au sujet de la
parenté linguistique du maltais et de l’arabe ; le facteur colonial, venant
se greffer sur cette problématique, amplifiera l’écart entre Maltais et
Tunisiens. Ainsi, l’utilisation de la langue maltaise en Tunisie s’inscrit
dans une représentation symbolique du rapport de l’immigré au territoire
d’accueil dans la mesure où le langage est un « fait culturel par excellen-
ce et celui par l’intermédiaire duquel toutes les formes de vie sociale
s’établissent et se perpétuent »279.

3.4. PLACE ET SENS DES PATRONYMES MALTAIS EN TUNISIE


Être Maltais, c’est, outre la langue maltaise et l’attachement à la reli-
gion catholique, avoir un nom immédiatement reconnaissable par ses
pairs, élément essentiel d’identification pour l’immigré qui, de ce fait, est
reconnu comme appartenant à la même « famille ». C’est aussi le seul élé-
ment qui restera témoin de ce lien quand les deux premiers auront dispa-
ru. Il s’agit d’une question délicate dans la mesure où le patronyme iden-
tifie l’individu et le situe dans la chaîne des générations. Les origines
patronymiques maltaises renvoient aux questions historiques, religieuses
et politiques de l’archipel maltais. L’étude la plus complète, dans ce
domaine, est, à ce jour, celle de G. Wettinger ; nous tenterons d’esquisser
une analyse des patronymes rencontrés au cours des interviews, en nous
appuyant sur ses travaux. Par ailleurs, lors des entretiens avec les descen-
dants des Maltais de Tunisie, nous avons pu constater que leurs patro-
nymes correspondaient, pour la plupart, à ceux en usage à Malte ; déjà,
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104 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

en 1911, R. Vadala, dans son étude sur « Les Maltais hors de Malte »,
nous livrait un aperçu de leurs diverses origines possibles : « Le meilleur
moyen de reconnaître si un individu donné est Maltais, c’est encore son
nom. Celui-ci est en général tiré de l’arabe et rentre dans un des types sui-
vants : Micallef, Farrugia, Busuthil, Xuereb, Cachia, Muscat, Schembri,
Caruana, Cassar, Xerri, etc. Les noms maltais ayant une origine latino-
italienne sont aussi très nombreux : Pace, Magro, Frendo, Galea,
Vassallo, Abela, Pisani, Debono, Grima, Camilleri, etc. 280
De nombreux noms spécifiquement maltais, courants en Tunisie, sont
gravés sur le monument aux morts de la dernière guerre à La Valette :
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 105

Ces patronymes sont presque tous présents dans deux documents


d’archives : la liste du « rôle de la milice » (1419-1420) et celle de
« l’Angara » (1480), sorte de service civil281. Cependant certains patro-
nymes ne sont pas pris en considération par ces listes, la première ne tient
pas compte des habitants de Gozo, ni de Birgu, et la seconde ne compta-
bilise pas ceux des villages de Zejtun, Axaq, et Zabbar. Remarquons que,
suivant les auteurs et les traductions de ces listes, les termes « d’origine
arabe » et « d’origine sémitique » sont indifféremment employés, laissant
ainsi la possibilité d’une interprétation différente sur le plan symbolique.
Dans son étude, G. Wettinger s’appuie sur diverses sources provenant
d’anciens documents, tels qu’actes notariés ou registres de noms de per-
sonnes ayant travaillé à la cour royale ; il se réfère également aux listes
indiquant les noms de serfs musulmans, présents sur l’archipel au temps
de la Course. Parmi les patronymes figurant dans les documents cités
dans cette étude, nous avons relevé des patronymes identiques à ceux des
descendants de Maltais, interviewés par nous-mêmes, tels que :
« Vella sous la forme “Robertus Yella [sic, Vella ?]”, ce patrony-
me pourrait aussi avoir une origine grecque byzantine ou provenir
du vieux catalan. »
Cette dernière possibilité était déjà envisagée par J. Godechot, pour
plusieurs noms, du fait du faible peuplement de l’île lors de l’expulsion
des musulmans : « Les souverains s’efforcèrent alors d’augmenter la
population en favorisant l’immigration. Des marchands génois et pisans
se fixèrent à Malte. Puis des Catalans. Certains noms de famille portés
encore aujourd’hui en sont la vivante preuve »282.
Figurent aussi les patronymes :
« Psaïla, sous la forme du nom grec Ponsalé, mais d’autres ori-
gines sont possibles (en arabe Psaïla signifie : oignon) ; ce patrony-
me aurait existé à Gozo dès 1299 ».
« Grech, lui, semble indiquer l’origine ethnique de la personne ;
toutefois, il peut s’agir d’un vieil anthroponyme juif, présent massi-
vement en Algérie et en Tunisie ».
Selon G. Wetinger, l’histoire des patronymes rejoint aussi celle de la
rechristianisation de l’île. Deux phases peuvent être envisagées : l’une se
situerait vers 1300 lorsqu’une première génération se convertit au chris-
tianisme lorsque l’île redevient entièrement chrétienne (ces nouveaux
chrétiens ont, sans doute, évité de donner des prénoms arabes à leurs
enfants) ; la seconde phase correspondrait à l’adoption par leurs enfants
du prénom de leurs pères comme nom de famille ; ce serait le cas de :
« Bartholo de Bartolomeus »

D’autres patronymes proviendraient d’occupation comme :


« Camilleri (Hal Millieri), ce nom peut aussi faire référence à un
nom de lieu (Djebel Kamellel) ».
« Cassar (César, en arabe), peut correspondre à « casseur » ou à
« Kaysar », marchand de la Kayssarya, quartier des marchands
francs dans les grandes villes du Maghreb »
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106 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

D’autres encore, « du statut personnel, tel Vassallo » ou bien encore


« de noms de lieux » tels :
« Farrugia (Raħal Farruġ)
Caruana (Kairouan)
Gauci (Gozo) ou (Sidi Kaouki sur la côte marocaine)
Borg, (forteresse, bastille) pourrait provenir de la ville sicilienne
de Burgi ; ce patronyme peut aussi renvoyer à celui d’Ambrogio,
père de l’Église, durant l’époque médiévale ou bien encore à “il-
Burgi”, nom normand sicilien, provenant de l’arabe. »

otons que ce patronyme peut renvoyer au terme de Borj, employé


pour désigner une forteresse ou une bastille ; le « j » de borj se serait alors
transformé en « g » ; cette explication est plausible dans la mesure où ce
patronyme se prononce : « borj » en maltais.
« Muscat, (lieu d’origine) est cité comme étant, peut-
être d’origine juive arabe. »

Outre ces patronymes, ceux de : « Sammut, Xerri, Agius, Bussutil »,


d’origine arabe, ont aussi été rencontrés parmi nos informateurs.

Quelques-uns, parmi ces noms, présentent une histoire particulière.


Toujours selon G. Wettinger, ils auraient été traduits au XVIe siècle sous
une forme romane ; à titre d’exemple, le patronyme Magro serait à mettre
en relation avec celui de « Dejf », en raison peut-être d’une erreur
d’interprétation. Il semblerait qu’il ne s’agissait pas, à l’origine, d’un mot
signifiant « maigre » mais du nom arabe signifiant « l’invité », provenant
lui-même du nom théophorique : « Dejfullah » c’est-à-dire : « l’invité de
Dieu » ; la traduction est venue modifier profondément le sens de ce patro-
nyme ; est-ce dû à une seule erreur de transcription ou à une volonté de
changement ? Les deux hypothèses ont pu se compléter.

G. Wettinger envisage, comme autre origine possible de certains patro-


nymes maltais, une relation avec ceux de tribus berbères ; ainsi le nom
de Schembri se rapporterait, au nom d’une esclave noire, présente à
Malte au début du XVIIIe siècle, appelée Zeina bint Schamber (fille de
Schamber) ; la liste des tribus permettrait ainsi de faire correspondre ce
patronyme à celui de la tribu d’Ech Chenabra, sous division de la tribu El
Mrassen. Il apparaît aussi dans des toponymes tels que Bjar Ximbir (les
puits de Ximbir), ħal Ximbir (ceux de la tribu de Ximbir) »283.
G. Wettinger ajoute en outre, qu’une origine grecque est envisageable
pour ce patronyme.

Le patronyme « Vassallo », cité ci-dessus, pourrait également être mis


en relation avec des noms de tribus tels que : « Beni Ouacel, Menzel
Ouacel » (le territoire de Ouacel).
Et, celui de Grima avec la tribu de « El Krima ».
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 107

L’étude de ces quelques patronymes, rencontrés au cours de notre


recherche, montre la complexité de cette question ; en effet, G. Wettinger
souligne le très grand nombre de noms arabo-berbères présents dans la
nomenclature médiévale de Malte. Pour lui, cette constatation pose de
nouveau la question du sort des habitants de l’archipel lors de la conquê-
te arabe, dans la mesure où cette population, sans doute peu nombreuse,
n’a laissé aucune trace, y compris dans les noms de lieux ; cependant cer-
taines sources manquent pour pouvoir connaître de manière sûre cette
période de l’Histoire maltaise. Il ajoute que les éléments nécessaires, à
l’approfondissement de la recherche, historique et linguistique,
devraient : « Étendre le champ d’étude du Baghdad médiéval à la
Renaissance, en passant par l’Italie et l’Espagne » en tenant compte « des
langues indo-européennes (latin, grec, espagnol, italien, sicilien et tos-
can) » et de l’occurrence, dans la mesure où : « les Caruana, Cassar,
Farrugia284, Sammut, Xerri, Xuereb, sont présents dans les pays arabes ».

Ainsi l’anthroponymie maltaise fait souvent référence à une source


arabe soit du temps de la conquête de l’archipel, soit du temps de la
Course où les esclaves musulmans étaient nombreux. Or, le nom de famil-
le renvoie non seulement à l’origine, à la mémoire collective et à sa trans-
mission, mais aussi au devenir du sujet. ous constaterons, au cours de
notre étude que, toute relation patronymique établissant une possible réfé-
rence au monde arabe, sera soigneusement écartée par les intéressés ; par
contre, ces derniers privilégieront systématiquement une référence euro-
péenne car la représentation symbolique de l’origine de ces patronymes
et les recherches généalogiques qui s’y rattachent, revêtent sans doute
autant d’importance que la réalité elle-même.
Au cours des différents entretiens, la question du patronyme a souvent
été abordée ; il signe un degré d’appartenance à une entité maltaise liée
à une filiation collective de par l’existence d’un socle commun conscient
et inconscient où se mêlent souvenirs, migrations et Histoire de
l’archipel ; le vécu de chaque immigré est effectivement étroitement imbri-
qué, dans l’Histoire collective associée à sa propre histoire familiale.

4. UNE IDENTIFICATION PARADOXALE

4.1. UNE CONSCIENCE NATIONALE MALTAISE DIFFUSE EN TUNISIE


Le défaut d’une appartenance à une nation indépendante rend difficile
pour le Maltais immigré l’existence d’un sentiment national. Un bref rap-
pel historique permet de resituer le contexte de la domination anglaise sur
l’archipel maltais jusqu’en 1964 et par voie de conséquence, pour les
Maltais de Tunisie, la qualité de sujets britanniques, dépendants du
Consulat anglais de Tunis. Seul le consul R. Wood se préoccupe des émi-
grés maltais car il souhaite contrecarrer la prépondérance de l’influence
française. Ce consul aurait aimé établir une colonisation anglaise de type
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108 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

capitaliste en mettant en place des hommes d’affaires anglais, employant


des ouvriers indigènes encadrés par des contremaîtres maltais. En fait,
aucune des grandes puissances politiques, présentes en Tunisie, à savoir
Angleterre, France et Italie, ne semblait avoir intérêt à ce que les Maltais
accèdent à une notion d’appartenance nationale en tant que peuple.
Il existait par ailleurs un danger d’alliance de la population maltaise
avec les Italiens, devenus éléments immigrés majoritaires dans la
Régence. Le jeu politique français va donc être de séparer les Maltais des
Italiens. Ce sera non seulement sur le plan religieux, la politique du
Cardinal Lavigerie que nous avons précédemment évoquée, mais aussi
celle des politiques français convaincus de la possibilité d’utiliser la
population maltaise comme élément de contrepoids. À ce sujet, R. Vadala
reprend les propos écrits en 1911, par un spécialiste des questions tuni-
siennes, E. Fallot, au sujet de cette population : « Mieux vaut chercher à
tirer le meilleur parti possible d’un élément de peuplement qui vient à
nous… plus assimilable que n’importe quel autre étranger. Ses ancêtres
[…] ont toujours vécu sous une domination extérieure sans s’incorporer
jamais à leurs conquérants successifs […] aussi le Maltais qui s’établit en
Tunisie, n’apporte-il aucun sentiment de nationalité qui puisse faire obs-
tacle à l’œuvre de la civilisation française »285.

L’Histoire de Malte va alors être réduite, pour les migrants majoritai-


rement illettrés, à quelques événements liés principalement à la religion
catholique, seule « productrice autorisée de la mémoire »286. Pour beau-
coup, elle se résumera à deux faits majeurs : la conviction de la christia-
nisation totale et ininterrompue de leurs ancêtres suite au naufrage de
saint Paul, en soixante après J.-C., sur l’archipel ; à ce premier élément,
sera associé celui du souvenir de la victoire contre les Turcs et leurs alliés
arabes, lors du grand siège de Malte. La commémoration de la levée du
siège focalisera pour les Maltais immigrés, en raison de l’institution de la
fête nationale de Malte à cette date du 8 septembre, une représentation
négative des relations établies avec la population arabe autochtone.
Il est, d’autre part, vraisemblable d’envisager, du fait de relations com-
merciales anciennes et continues entre Malte et Tunis, l’installation, dès
le début de l’immigration, d’un petit nombre de familles instruites et
aisées, sur le territoire tunisien parallèlement à l’émigration de masse des
plus pauvres ; l’accès, relevé par Marc Donato, de « quelques-uns des
Maltais […] à la presse étrangère, “journaux anglais et surtout […] ita-
liens, les seuls qui puissent être lus” »287, paraît confirmer cette hypothè-
se. La présence de ces familles pourrait expliquer, en partie, non seule-
ment la maintenance, avant le protectorat et au début de ce dernier, de la
continuité de la référence à Malte, mais aussi le maintien de l’intérêt pour
la culture italienne parallèlement à la constitution, à partir de 1883,
d’associations anglo-maltaises. En outre, dès 1915, paraissent les pre-
miers journaux maltais de Tunisie, à l’initiative, sans doute, des quelques
intellectuels maltais, cités précédemment. Ces publications bénéficiaient
vraisemblablement du soutien financier de commerçants plus aisés,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 109

comme en témoignent les réclames relevées ci-dessous ; elles attestent non


seulement, de la présence de maltais instruits capables de lire ces jour-
naux mais aussi, déjà, d’utiliser la publicité afin de développer leur entre-
prise ou leur commerce.

Melita, 1915.

La diffusion de ces publications était vraisemblablement réduite et leur


lectorat rejoignait, sans doute celui de la presse étrangère, en raison de
l’illettrisme des émigrés et de la codification tardive de la langue maltai-
se écrite ; de ce fait, s’adressant, plus particulièrement, aux Maltais ins-
truits, plusieurs articles leur rappellent l’importance de se sentir fier
d’être Maltais. Cette insistance doit être mise en relation, avec
l’émergence, sur l’île-mère, d’une conscience nationale ; les auteurs des
articles semblent vouloir persuader leurs lecteurs de son existence et leur
suggèrent de s’y rallier. Compte tenu des relations à l’intérieur du groupe
dues en grande partie aux liens de parenté entre les familles, ils espéraient
sans doute transmettre à l’ensemble de leurs concitoyens, même non-lec-
teurs, leurs convictions patriotiques.
Ainsi en 1915, un article de « Melita » proclame : « C’est par la langue
que nous sommes une nation » ; dans le même ordre d’idée, l’édition du 6
juin 1915 rapporte la demande d’explication faite par un lecteur au sujet
de disputes et même échanges de coups, auxquels il aurait assisté, entre
Maltais et Espagnol d’une part et, Maltais et Italien d’autre part, au sujet
de l’inexistence d’un drapeau maltais. Le journaliste maltais évoque sa
propre préoccupation eu égard au thème de la nationalité, et précise que
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110 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

le qualificatif d’ « Anglo-Maltais » ne s’emploie qu’à Tunis et que les


Maltais sont sujets britanniques ; selon lui, il n’y a pas plus de différence
entre « Irlandais, Gibraltais ou Maltais qu’entre Français et Corses ou
Italiens et Siciliens »288. Le numéro suivant de cet hebdomadaire rend
compte d’une discussion à laquelle ce lecteur a participé : « Il y a quelque
temps dans un café, a eu lieu une discussion sur la sujétion (britan-
nique) », entre quatre amis dont deux nés à Tunis ; l’un d’eux remarqua
qu’il avait entendu dire que :

« Tous les Maltais qui ne s’étaient pas fait inscrire sur les
registres du Consulat ne comptaient pas comme sujets anglais.
— Que sont-ils alors ? demandais-je.
Se grattant la tête un des interlocuteurs, dit :
— Je ne sais pas ; je pense qu’ils sont comme les Arabes ; c’est le
bey qui s’en charge !
— Et quand ils ont des enfants : où vont-ils les inscrire ? dis-je.
— À l’Église seulement, me répondit-il, mais certains les inscri-
vent aussi à la mairie. Ce qui veut dire que s’ils ne vont pas au
consulat, ils perdent la sujétion (de sujet britannique). Certains de
nos concitoyens aimeraient savoir ce qu’il en est »289.

Ces quelques articles montrent la confusion qui régnait parmi les


Maltais bien avant les lois de naturalisation, au sujet de leur allégeance
à l’empire britannique. Le dernier récit souligne à nouveau, l’importance
de la déclaration d’état civil auprès de l’Église, en conformité avec les
pratiques en usage à Malte.

L’année suivante, un article en date du 28 mai 1916 rappelle à propos


de l’Empire Day290, la large contribution des Maltais qui « au nom de
Dieu ont contribué à la défaite de l’empire turc et à sauver l’Europe des
musulmans » ; voici un court extrait d’un long poème, adressé, à cette
occasion, par un lecteur, Auguste Bartolo, le 24 mai 1916 :

« Malta, pride of the nations,


Malta, pearl of the sea,
Malta, land of my childhood,
My heart ever yearns for thee ».

C’est-à-dire :
« Malte, orgueil des nations,
Malte, perle de la mer,
Malte, terre de mon enfance,
Mon cœur se languit sans cesse de toi ».

Le journal publie, régulièrement, par ailleurs, en maltais, une histoire


des « Îles de Malte » et donne aux immigrés des nouvelles de l’archipel.
Il convient de rappeler ici, le contexte de la première guerre mondiale ;
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 111

durant ce conflit où la Grande Bretagne était engagée, les Maltais de


Tunisie, toujours britanniques, n’étaient pas soumis au service militaire
obligatoire ; quelques-uns se posaient la question d’un engagement volon-
taire auprès de l’armée anglaise ou des forces françaises. Ainsi, un article
de « The Weekly Melita » du 19 mars 1916, souligne que « l’heure de
prendre les armes n’a pas sonné et que la loi du service obligatoire n’est
pas édictée pour nous (les Maltais), sauf en Angleterre […] mais nous
assurons que tous les Maltais sont solidaires des nations alliées, si l’heure
vient de défendre leur drapeau » ; parmi les volontaires, les uns
s’engagèrent aux côtés des Britanniques, les autres se dirigèrent vers les
armées françaises. Ainsi le journal, « The Friend, Il Habib ta Tunes »,
publie, le 9 septembre 1916, sous le titre : « Les Maltais à la guerre », la
liste des Maltais engagés dans les armées françaises ; trois mois plus tard,
seront cités le naufrage du Queen Mary et la bataille du Jutland291 où des
marins maltais, originaires de Tunisie, sont décédés.

Un mouvement va parallèlement se faire jour, durant cette année 1916


avec la création de la « Patriotic League of Britons Overseas », à laquel-
le vont adhérer un grand nombre de Maltais de Tunisie. Le numéro du
4 juin 1916 du même journal, présente les principaux buts de cette asso-
ciation :
« L ‘Oversea Club est une vaste fraternité d’hommes et de femmes pour
qui la mission […] de l’Empire britannique dans le monde est une religion
[…] Elle réalise l’unité des sujets anglais sous un roi, un drapeau, un
idéal ; elle a pour but de maintenir la suprématie de notre empire par-delà
les mers et de tracer ensemble un lien de camaraderie du peuple anglais
autour du monde »292. Les Maltais inscrits reçoivent insignes et badges
venus de Londres, et sont invités à les retirer à la « Mutual help society »,
située dans les locaux de la Salle Maltaise.

Salle maltaise, Tunis


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112 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

ous soulignons l’importance symbolique de ce lieu pour la commu-


nauté maltaise ; en effet, cet immeuble situé 11 rue de Grèce était le siège
des associations maltaises de Tunis depuis 1893. Appartenant à
l’association théâtrale de Tunis, l’édifice dépend actuellement de la muni-
cipalité de Tunis. Il a été toutefois conservé en l’état : ainsi une grande
croix de Malte figure toujours sur le sol de la salle principale ; Carmel,
notre témoin-relais, a pu relever une partie de l’ancienne inscription mal-
taise figurant sur le fronton :

« GHAQDA TAL (Société de)


IL HADDIEMA MALTI (Les travailleurs maltais) »

Il nous a d’autre part semblé, que les associations ayant leur siège à la
Salle Maltaise étaient pro-britanniques ; il s’agissait, en premier, d’une
société de secours mutuel : la « British Benevolent Society » ; les diffé-
rents comptes rendus des séances mentionnent les patronymes des
membres de la commission, destinée à aider les plus pauvres de la com-
munauté ; cette instance se réunit pour la première fois, le 12
décembre 1915 ; elle est composée de prêtres, d’avocats, de négociants et
de travailleurs maltais. Dans les mêmes locaux, existaient une troupe de
scouts britanniques (déjà citée), un groupe de théâtre et une société phil-
harmonique : « La Duke of Connaught’s », qui participent, à la fois, aux
processions et à des manifestations humanitaires comme la fête de la
Croix Rouge. « The Weekly Melita » relate également, la manifestation du
27 février 1916, où est jouée devant une importante assistance, avenue
Jules Ferry293 une marche composée pour la circonstance par son direc-
teur, G. Gatt ; le morceau est intitulé : « La triple Entente » car il s’inspire
des hymnes nationaux d’Angleterre, France et Russie294. Ainsi, ces publi-
cations suivaient de près les événements politiques de leur archipel
d’origine, et gardaient le souci, non seulement, d’informer mais aussi
d’instruire leurs concitoyens.
Ce journal rappelle le 12 mars 1916 que la Colonie anglaise (c’est-à-
dire les Maltais) est la seule exclue de l’aide municipale, qu’elle ne per-
çoit pas de subventions et qu’il serait souhaitable que femmes et enfants
puissent recevoir une aide (nourriture et diverses nécessités). Le consulat
anglais flatte, par ailleurs, les Maltais en invitant les Dames de la Colonie
à une rencontre à la Chambre de Commerce anglaise où elles participe-
ront à la vente de petits drapeaux anglais au profit des familles de sol-
dats ; rencontre que relate l’édition du 14 mai de la même année, en citant
les personnes présentes ; il s’agit de mesdames : « Arbib, Abeassis,
Bianchi, Bugeia, Cassar, Cohen, Diacono, Mifsud, Pisani, Xuereb et
Zammit ». Cependant, lorsqu’il s’agit de célébrer le second anniversaire
de la déclaration de guerre, les Maltais se voient refuser l’autorisation de
participer à cette manifestation malgré leur demande. Les autorités
anglaises auraient eu peur de troubles provenant de l’opposition entre
Maltais pro-français et Maltais pro-britanniques. En effet, les Maltais se
montraient divisés en raison de prises de position politique différentes à
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 113

une époque où l’influence de la culture française tendait à s’imposer à


leur communauté.
Cette dissension sera soulignée par l’hebdomadaire concurrent « The
Friend, Il Habib ta Tunes », dans un article, au sujet de la fête nationale
maltaise où les différends au sein de la Colonie sont évoqués : il est sou-
haité, à cette occasion, de pouvoir réunir tous les Maltais et de « relever
[…] le prestige de notre Colonie, un moment abandonné par suite de
mésentente causée entre ses membres »295. Il apparaît ainsi, au travers des
journaux, une certaine confusion dans les prises de position des Maltais :
les uns s’engageant aux côtés des Français, les autres restant pro-
anglais ; la grande majorité restant, vraisemblablement, en dehors de ces
réflexions du fait d’un manque d’information et de sa grande pauvreté. Il
n’en reste pas moins vrai que nombre d’entre eux, désirant sans doute
pouvoir être aidés par la société de secours maltaise, devaient se sentir
plus proches des pro-britanniques qui présidaient les associations de la
Salle Maltaise.
Constatant les difficultés matérielles de beaucoup de familles mal-
taises, l’éditorialiste se demande ce que fait la société de bienfaisance
créée le 7 décembre 1883 sous le nom d’« Associazione patriottica
Maltese di Mutuo Soccorso tra gli opera » (Association patriotique mal-
taise de secours mutuel pour les ouvriers). Le journaliste propose que des
sandales soient données aux enfants pauvres pour qu’ils puissent aller à
l’école : « os enfants pauvres sont assez habitués aux intempéries pour
ne pas craindre un bain de pied même en hiver n’en déplaise aux Maltais
civilisés ». Cette dernière remarque en italique dans le texte original,
semble bien indiquer l’existence d’une classe sociale aisée, peu importan-
te en nombre, il est vrai, mais sans doute fort distante de la majorité des
Maltais ; de plus, les différences de statut social à l’intérieur du groupe,
associé à un fort sentiment de dévalorisation pour la plupart des immigrés
sont ainsi soulignées. Où se situaient les responsables des associations
maltaises dans ce contexte, il est difficile de se prononcer vu l’absence de
témoins de cette période. La dénomination de l’association en pose à elle
seule les idéaux ; le journaliste semble vouloir souligner l’éloignement,
pour quelques-uns de ses membres, des premiers buts fixés.
Le même hebdomadaire publie d’autre part, la liste des Maltais enga-
gés volontaires dans les armées françaises lors de la guerre de 14-18. Il
souligne leur courage ainsi que celui des héros anglais, mais ce temps
passé sous les drapeaux français ne leur sera pas compté, dans les trois
ans de résidence alors exigés, pour obtenir la nationalité française (loi du
3 octobre 1910). Peu de Maltais engagés en feront d’ailleurs la demande
et « ceux qui n’avaient pas participé au conflit […] étaient écartés des
naturalisations »296. Qu’en était-il du sentiment d’appartenance territo-
rial et ethnique à l’île-mère des Maltais immigrés ? Présentés, le plus sou-
vent, comme tributaires d’une émigration sans retour, les Maltais conser-
veront en Tunisie, un fort sentiment d’appartenance territorial et ethnique
en contradiction avec l’absence de sentiment national.
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114 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

« IL Habib ta Tunes », septembre 1914.


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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 115

Cependant, au début de l’immigration, les retours à Malte seront nom-


breux avant des implantations plus définitives sur le territoire tunisien297 ;
liens familiaux, coutumes seront ainsi préservés durant de nombreuses
années même si les plus démunis n’ont guère la possibilité de retour effec-
tif au pays. Compte tenu de l’existence d’une parenté étendue en Tunisie,
quelques-uns des membres de ces familles étaient, on peut le supposer,
tout à la fois suffisamment aisés et instruits pour pouvoir soit rendre visi-
te à la famille demeurée à Malte soit correspondre avec elle. En outre,
l’habitation collective du fondouk permettra le maintien des relations
groupales et la conservation des traditions ; les années suivantes et jus-
qu’à la seconde guerre mondiale, la continuité sera assurée, du fait de
l’installation dans des espaces précis, notamment à Tunis dans le quartier
de Bab el Khadra et de Malta Srira. Il en sera de même, dans les ports du
Sahel, premiers lieux d’immigration ; Djerba et Porto-Farina, plus à
l’écart, conserveront plus longtemps des traditions maltaises.
Par ailleurs, analysant les thèmes du journal « Melita » de 1937,
A. Mejri relève dans cette publication, la volonté de susciter chez les
Maltais un patriotisme, lié à la notion de race ; il précise : « Même si les
Maltais de Sousse ne représentaient pas tous les Maltais de Tunisie,
Melita peut nous permettre d’avoir une idée générale sur les problèmes
qui préoccupaient […] la colonie maltaise » ; il cite, à ce propos, plu-
sieurs extraits de cette publication :
« Il (le Maltais) doit être partout un patriote fervent, aimant…
par-dessus tout sa patrie et ses enfants qui au demeurant sont ses
frères de sang.
À défaut de patrie, les liens séculaires de mœurs et de sang, peu-
vent et doivent suffire à former ce bloc homogène et invulnérable
que l’on nomme race.
’oubliez pas surtout ce que vous défendez avec moi ; c’est la
grandeur de notre idéal patriotique, nos coutumes et peut-être enco-
re nos croyances qui se perdent immanquablement.
Être d’une nation, ou d’une race c’est avant tout être d’une
langue »298.
Ces affirmations s’inscrivent dans le cadre de la montée des nationa-
lismes en Europe et la propagation de l’idéologie fasciste italienne en
direction des émigrés.
Partageant langue, coutumes et religion, les Maltais, conscients de
leur appartenance à une même terre d’origine, resteront perçus comme
Maltais même après les lois de naturalisations, non seulement par les
Français mais aussi par les Tunisiens et l’ensemble des populations de
Tunisie ; cette perception est demeurée en Tunisie et nous a permis
d’entrer en contact avec ceux des Maltais qui sont restés.

4.2. IMPACT DES LOIS DE NATURALISATION


La promulgation des lois de naturalisation en 1923, va placer, par voie
de conséquence, les Maltais en face d’un choix d’appartenance nationa-
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116 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

le : devenir français ou rester sujets britanniques et Maltais. Il existait,


sur demande du Gouvernement britannique, une mention spéciale pour
les Maltais, leur permettant de refuser la nationalité française s’ils étaient
nés avant le 8 novembre 1921. Auparavant, les Autorités britanniques
reconnaissaient la qualité de sujets anglais aux Maltais de Tunisie nés à
Malte, ainsi qu’à leurs enfants nés en Tunisie, mais non à leurs petits
enfants, nés en Tunisie d’un père qui y était lui-même né. De ce fait, ceux-
ci se trouvaient sans nationalité définie. On peut résumer ainsi l’ensemble
de cette situation :
La première génération, née en Tunisie, des premiers Maltais immigrés
dans ce pays, garde la qualité de sujet britannique (avant 1881, les
Maltais bénéficiaient de la protection consulaire anglaise).
La deuxième génération se retrouve sans nationalité définie à moins
d’un choix personnel de devenir Français.
La troisième génération, née en Tunisie, deviendra française par les
décrets de naturalisation et principalement celui du 8 novembre 1921. Ces
décrets vont introduire un choix obligatoire, effectué seulement par le
père : rester Britannique ou devenir Français.
Concrètement, tous les Maltais (mis à part ceux de la première géné-
ration) qui n’exprimeront pas leur choix, de manière officielle, auprès des
autorités, se retrouveront automatiquement Français.
Marc Donato rappelle les incitations antérieures faites aux Maltais
afin qu’ils prennent la nationalité française : en 1896, les Anglais renon-
cent à leurs privilèges en Tunisie et dès juillet 1897, trois ans de résiden-
ce suffisent pour devenir Français. Seulement soixante-dix-sept Maltais
demanderont à bénéficier de cette mesure en dix ans ; en 1910, ce sont
trois ans de résidence et un casier judiciaire vierge qui sont exigés299.
Déjà, des situations mixtes apparaissent dans certaines familles ayant
émigré, dans un premier temps, en Algérie (française depuis 1830) : les
enfants, nés en Algérie, de parents maltais sont Français alors que les
enfants de la même famille, nés en Tunisie, restent étrangers.
Soulignons, cependant, qu’à cette époque, l’état civil officiel, reconnu
par le protectorat, était celui des actes de catholicité ; or, pour les très
catholiques Maltais, ces documents étaient la référence essentielle ; ils
indiquaient d’ailleurs souvent l’origine maltaise des intéressés.
Un certain nombre de Maltais ne se sentiront pas concernés par les
nouvelles lois françaises, pas plus qu’ils ne s’étaient sentis concernés par
les déclarations au Consulat britannique dans le passé. D’autre part, la
perspective du service militaire obligatoire, pour leurs enfants,
n’encourage pas les familles à acquérir la nationalité française. Cet
aspect restera une constante dans les choix de naturalisation, ce qui pose-
ra parfois problème, aux descendants, après le conflit de 1940, aux des-
cendants. Le journal, « La Dépêche Tunisienne » du 11 juin 1923, consa-
crera un de ses articles à cette question en précisant que les enfants de la
deuxième et troisième génération, nés en Tunisie, avant le décret du huit
novembre 1921, ne sont pas soumis au service militaire actif. Il en résul-
tera des situations différentes, au regard des obligations militaires, dans
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 117

les fratries, lorsque les parents avaient omis soit volontairement, soit par
désintérêt pour les lois françaises, de faire inscrire leurs enfants sur les
listes du contrôle civil français. Ainsi, au sein d’une même famille, ceux
des enfants, nés après les décrets de naturalisation, rencontreront des dif-
ficultés lorsqu’ils voudront, plus tard, s’installer en France ou même seu-
lement y voyager ; ils seront, en effet, considérés comme déserteurs par les
autorités françaises, dans la mesure où ils n’ont pas accompli leur servi-
ce militaire.
La complexité des situations familiales provoquées par ces lois, ainsi
que leurs conséquences au niveau personnel identificatoire, transparais-
sent largement dans la presse maltaise de Tunisie. Des dissensions dues
aux naturalisations vont apparaître au sein de la communauté maltaise :
ainsi le journal « Melita », dans son édition du 5 février 1937, rappelle à
propos des œuvres de bienfaisance maltaises que « seules les personnes de
nationalité britannique pouvaient être admises ou secourues ». Le journa-
liste poursuit : « ce système fonctionnait à merveille dans la communauté
maltaise […] jusqu’au décret du 8 novembre 1921 qui admit systémati-
quement […] nos compatriotes dans la grande famille française […] et
notre colonie si unifiée auparavant, s’est trouvée divisée un beau jour en
deux clans : Les Maltais demeurés Britanniques et les Maltais devenus
Français ».
Les naturalisations, appuyées par le discours de l’Église catholique,
vont venir concrétiser le souci de normativité, de l’élite maltaise, parta-
gée entre ses affinités européennes qu’elles soient italiennes, britanniques
ou françaises. De plus, ces lois accentueront les différenciations d’avec le
monde arabe, initiées dès les premières années du protectorat, et contri-
bueront à la destruction symbolique de la culture maltaise en Tunisie.
Cependant choisir de rester britannique pourra correspondre au choix
de s’affirmer Maltais comme le fera une partie de ceux qui y étaient auto-
risés par la loi (nés avant novembre 1921) ; le document ci-dessous est
une réponse du consulat britannique à une demande de renonciation à la
nationalité française d’un Maltais de Tunis.

Document personnel
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118 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

D’autres refuseront, dans un premier temps, puis accepteront pensant


ainsi assurer un meilleur avenir à leurs descendants comme en témoignent
quelques passages de cette lettre :
« Je me souviens toujours que mon père et ma mère n’avaient pas
voulu devenir Français. L’abandon de leur nationalité anglo-mal-
taise n’était pas leur idée. Aussi mes parents ont refusé les effets de
la dite Loi. Mais, au bout d’un certain temps il fallait se décider.
Mon père, à contrecœur, a accepté la réintégration dans la nationa-
lité française qu’il avait perdue grâce à la possibilité qu’offrait un
article de la loi. Son geste entraînant toute sa famille avec lui. Ses
enfants étaient mineurs.
Devant le juge français, mes parents comparurent à l’effet de
confirmer leur acceptation de la nouvelle nationalité… Ma chère
mère, a raconté à ses cinq enfants dont moi-même, l’affront que lui
a fait le juge en lui disant : Madame c’est parce que vous aviez peur
du service militaire français pour vos garçons […] que vous avez en
premier lieu refusé de devenir vous et votre mari français […] Cet
affront bêtement proféré a marqué pour toujours ma mère lâchement
“blessée” dans son âme300. »

M. B. poursuit : « Il était pénible à une certaine génération


d’abandonner sa nationalité ; ce qui, d’ailleurs, n’accordait que très peu
d’avantages. On montrait du doigt le Maltais ». Quelques lignes plus loin,
il évoque les différences entre Maltais venus d’Algérie et ceux nés en
Tunisie : « M. X à Constantine, de souche maltaise déclarait avec
orgueil : “moi je suis pur Français tandis que vous de Tunisie, de souche
maltaise, vous n’êtes pas tout à fait Français ; vous l’êtes mais de secon-
de zone.” » M. B. tient également à souligner la différence entre « natu-
ralisation » et « réintégration » ; sa famille s’étant retrouvée dans le
deuxième cas de figure, entraînant pour les enfants, dont lui-même,
« ennuis et empêchements pour embrasser un emploi de fonctionnaire ».
Cette longue missive prouve la confusion dans laquelle était une bonne
partie des familles maltaises, confrontées à une naturalisation autoritaire
dont elles ne mesuraient pas vraiment toutes les implications. La question
du sens de leur appartenance nationale se posait soudainement à ces
Maltais qui n’avaient de britannique que leur statut de sujet et qui se sen-
taient seulement liés, par ce même statut, à une île natale colonisée. Ils se
trouvaient mis d’office en mesure d’accepter un autre « colonisateur » : la
France ; celle-ci aura l’habileté de les assimiler en prônant, dans les
textes, leur entière égalité avec les Français de souche ; réelle, dans les
textes législatifs, cette égalité ne se mettra que très progressivement en
place dans les mentalités autant françaises que maltaises, du fait de la
situation antérieure des différenciations d’ordre social.
L’acquisition de la nationalité française pour les Maltais est toutefois,
pour beaucoup, l’occasion de prendre part à des manifestations solen-
nelles initiées par les personnalités pro-françaises de la communauté ; un
correspondant de « La Diaspora Sfaxienne » rappelle ces événements en
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 119

citant un extrait de « La Tunisie illustrée » du premier décembre 1921, le


journaliste évoque :
« L’émotion et les sentiments de reconnaissance des […] Anglo-
Maltais qui avaient perdu, du fait de leur naissance sur le sol tuni-
sien, leur nationalité et se trouvaient sous la juridiction des lois
musulmanes […] : l’expression de reconnaissance des nouveaux
Français s’est concrétisée en une manifestation imposante qui s’est
déroulée à Tunis […] Le cortège comprenant la plupart des
membres de la colonie maltaise de Tunis se forma devant la
Municipalité et se dirigea vers la Maison de France précédée par
l’harmonie française […] M. Le Docteur Cassar, au nom du comité
d’organisation de la manifestation, exprima […] les sentiments de
gratitude de tous les Maltais, touchés par le décret présidentiel, et
qui se confondent aujourd’hui dans un même élan d’absolue
confiance envers leur nouvelle patrie, à la grandeur de laquelle ils
contribueront de tout cœur. »

Cet extrait a retenu notre attention car il souligne d’une part, pour les
Maltais catholiques, l’importance de ne plus dépendre des lois musul-
manes ; or, l’Histoire ne paraît pas dire qu’ils ont effectivement dépendu
de ces lois ; les termes de ce discours induisent donc la dualité, catho-
liques, musulmans ; d’autre part, une personnalité maltaise exprime la
reconnaissance des Maltais envers la France, au nom de l’ensemble de
ses concitoyens alors que son discours n’est pas représentatif de
l’ensemble de la communauté ; un détail l’indique : c’est la fanfare fran-
çaise qui accompagne la manifestation et non la « banda, Duke of
Connaught’s » maltaise. Le ministre résident général répondra, dans la
même veine patriotique de l’époque, en précisant que « ses nouveaux
compatriotes sont certains de voir respecter leurs coutumes et leur reli-
gion ». Un Te Deum sera, par ailleurs, célébré, le 4 décembre de la même
année, à la Cathédrale de Tunis, en présence des officiels.
Dans ce processus de naturalisation, les pouvoirs politique et religieux
ont fait cause commune pour obtenir l’adhésion de la population maltai-
se ; cette implication des autorités ecclésiastiques en faveur de
l’acquisition de la nationalité française fut sans doute, le facteur le plus
important, dans les décisions prises en faveur du choix de nationalité
française par les Maltais ; paradoxalement, ils avaient une piètre opinion
de la population française sur cette question et classaient souvent les
Français, du seul fait d’une pratique religieuse moins assidue que la leur,
dans la catégorie des mécréants.
Parfois, un rappel à l’ordre, quant à l’acquisition de la nationalité
française, sera effectué par les autorités religieuses en direction de l’un
ou l’autre de ses prêtres ; à ce sujet, Madame Vérié Cassar nous informe-
ra que l’un d’entre eux, d’origine maltaise, aurait été rétrogradé dans ses
fonctions pour avoir refusé de devenir Français. Par ailleurs, dès 1922,
entre le premier décret de naturalisation (1921) et la promulgation de la
loi (1923), des protestations s’élèvent parmi les Maltais ; ainsi C. Sammut
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120 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

rapporte le dilemme devant lequel se trouvaient les ressortissants maltais


convaincus d’une possible élévation de niveau de vie par l’acquisition de
la nationalité française mais aussi inquiets, d’un certain anticléricalisme
français ; il relate que des prélats, venus de Malte, en 1922, pour « la
commémoration du naufrage de saint Paul, […] avaient prêché en langue
maltaise dans plusieurs églises de la ville de Tunis » et que l’un d’entre
eux, « au cours d’un de ces sermons à la Cathédrale […] exhorta les
fidèles à rester maltais affirmant qu’attenter à leur nationalité, c’était
attenter au christianisme »301. De même, R. Darmon rapporte qu’« en
1928, à Tunis le R. P. Sala, rédemptoriste italien, proclama en chaire qu’il
y a péché mortel pour un père de famille qui, même dans le dessein
d’obtenir certains avantages dans l’éducation de ses enfants, se faisait
naturaliser français en Tunisie » ; il poursuit : « Tel autre déclare vice
l’attitude du national qui opta pour le pays protecteur, et vertu le fait de
conserver sa nationalité d’origine »302. Ces prises de position, peut-être
plus politiques que religieuses, en ce qui concerne principalement le cler-
gé italien, soulignent le trouble entretenu parmi les Maltais.
D’autre part, les autorités britanniques essaient discrètement d’inciter
les Maltais à ne pas se soumettre à l’application des décrets au préjudice
éventuel de la situation de leurs enfants. Cette problématique apparaît
dans plusieurs notes confidentielles de la Sûreté Publique de la ville de
Tunis à la fin de l’année 1921 et au début de 1922. Elles font apparaître
un rapprochement des élites maltaises du Consulat Britannique :
« MM. Licari, Mifsud, Farrugia »303, sont plusieurs fois cités. La mise en
place d’un responsable maltais pro-anglais, « assez instruit et resté fidèle
à l’Angleterre » sera envisagée « dans chaque centre habité par un assez
grand nombre de Maltais. Celui-ci recevrait pour mission de mettre en
parallèle la politique généreuse de l’Angleterre vis-à-vis de ses sujets et
celle de la France toujours intéressée ». L’accent est mis sur le fait que
cette « personne devra faire ressortir que la France est antireligieuse et
qu’elle a voté le divorce »304; une autre note rapporte que des Maltais
réunis au Consulat d’Angleterre « auraient décidé de faire des démarches
auprès du Tribunal Interallié pour protester contre ces décrets e, contre
l’attitude de Monseigneur Lemaître, archevêque de Carthage, qui,
diraient-ils, obligerait les curés maltais à faire de la propagande en
faveur des dits décrets »305.
Un courrier adressé, le 28 février 1922, à M. Raymond Poincaré,
Ministre des Affaires étrangères, par le Résident Général de la République
Française en Tunisie, fait ainsi état « de la campagne d’obstruction
contre l’application des décrets du 8 novembre 1921 » menée par le
consul d’Angleterre qui emploie, auprès des Maltais, l’argument reli-
gieux : « Il lance au sein de la colonie maltaise des hommes à lui, chargé
de faire vibrer chez nos nouveaux compatriotes le sentiment religieux. En
devenant français, fait-il dire, vous pouvez divorcer »306 ; le consul sait,
fort bien, que cet argument va heurter profondément les croyances reli-
gieuses maltaises et l’utilise sciemment afin que des Maltais, devenus
Français, se rétractent et redeviennent, ainsi, citoyens britanniques. De
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 121

plus, quelques Maltais, opposés au changement de nationalité, font, de


leur côté, circuler des pétitions contre le décret tels « les sieurs Pace Aimé
pharmacien, rue des Maltais et Zerafa fils, cafetier, rue des Maltais »307.
Les statistiques officielles, d’après les naturalisations, marquent la
progressive disparition du groupe maltais en Tunisie, l’ethnonyme
« Maltais » devenant représentatif d’un groupe minoritaire dans les
registres. L’effectif passe ainsi de 13 520 Maltais en 1921 à 8 385 en 1926
puis à 700 en 1971308. Phagocyté du fait des naturalisations, le groupe
maltais va paradoxalement tenter de survivre comme en témoigne la pres-
se maltaise de Tunisie, précédemment évoquée.

Encore présent, dans le discours des Maltais de France, l’impact de


ces décrets semble les avoir distanciés de leurs racines en leur faisant pri-
vilégier dans le discours les éléments concernant leurs ancêtres européens
et plus particulièrement français. C’est ainsi que beaucoup de nos inter-
locuteurs affirmeront, dès le début de l’entretien : « Je suis français »,
brandissant, tel un porte-drapeau, leur identité acquise en 1921. Ils en
sont fiers et ce n’est que dans un second temps, mis en confiance par la
présence d’un de leurs concitoyens, qu’ils évoqueront Malte, la vie en
Tunisie et souvent leur situation particulière au regard de la nationalité.
Ainsi, Madame Agius309, âgée de 80 ans lors de notre entretien, possède la
qualité de sujet britannique de par son arrière-grand-père, Maltais, pre-
mier émigré de la famille en Tunisie. Au cours de l’entretien, nous appren-
drons l’existence d’ancêtres familiaux d’origine anglaise, italienne et
française, plus précisément catalane, me dira-t-elle ; détails et anecdotes
seront racontés à leur sujet : ainsi, au temps de l’occupation de Malte par
apoléon (1798), une de ses arrière-grandes-tantes serait restée céliba-
taire car son père ne voulait pas qu’elle épouse un français ; mon interlo-
cutrice explique alors que le port de la « aunella310 » date de cette époque,
car les jeunes filles étaient obligées de se cacher des troupes napoléo-
niennes ; elle ajoute que certains pères de famille préféraient, parfois,
jeter leur fille dans un puits plutôt que de risquer le déshonneur. Dans
cette famille, la présence d’ascendants anglais et italiens provient
d’alliances matrimoniales qui se sont conclues en Tunisie ; là, encore des
précisions nous sont apportées : il s’agit d’un intendant du bey, italien de
Venise, ayant émigré en Tunisie, qui épouse une anglaise résidant en
Tunisie ; cette dernière ne parlera jamais anglais à ses enfants, le motif ne
semble pas en être connu ; instruite, elle deviendra préceptrice des enfants
du comte Raffo311. L‘une des enfants de ce couple deviendra la grand-mère
de Madame Agius.
otre interlocutrice nous confiera, par ailleurs, qu’elle ne possède que
très peu d’informations du côté de sa famille maternelle maltaise : « du
côté de ma mère, c’était maltais, j’ai peu d’informations, les Maltais sont
avares de leurs origines. » Elle semble vouloir en faire un cas de figure
propre à l’ensemble des Maltais. Si dans ce discours, parfois siècles et
réalité historique s’entrechoquent, là n’est pas l’essentiel ; il me paraît
important, par contre, de relever la richesse du récit concernant les sou-
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122 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

venirs liés aux ancêtres européens ; ne constituent-ils pas majeure partie


d’une mémoire familiale que l’on pourrait qualifier de « clivée » ?
Madame Agius, qui « s’est toujours sentie française », a effectivement, à
21 ans, opté pour cette nationalité. Elle redeviendra, cependant, sujet bri-
tannique lors de son mariage avec un Maltais britannique ; ce n’est que
lors de leur arrivée en France, après l’indépendance de la Tunisie que le
couple sollicitera la nationalité française et l’obtiendra.
Multiples seront les situations des diverses personnes, d’ascendance
maltaise, interviewées ; ainsi Antoinette Vassallo dont les ancêtres sont
sicilo-maltais, est française par son père qui avait lui-même fait ce choix.
Elle nous dira cependant qu’en Tunisie « personne (il s’agit des Maltais
et des Siciliens) n’aimait les Français » et elle ajoutera : « notre âme n’est
pas française » ; Antoinette Vassallo conclura cependant ce sujet en énon-
çant : « et pourtant je suis française ». Michel Cordina, lui, gardera en
France sa nationalité britannique ; du fait d’une venue plus tardive en
France, ses enfants auront pour un temps un livret de famille arabe après
l’indépendance de la Tunisie ; la question délicate de leur nationalité en
Tunisie ne sera pas évoquée, nous saurons simplement qu’ils obtiendront
la nationalité française sur le territoire français, leur mère étant françai-
se. D’autres, comme Jacques Psaïla, se vivent comme uniquement
Français du fait d’une première émigration d’un arrière-grand-père en
Algérie avant la venue en Tunisie et de ce fait, d’une acquisition de la
nationalité française antérieure à celle des Maltais de Tunisie ; il ajoute
qu’il ne s’est jamais posé la question de la nationalité. Georges Attard,
lui, nous citera le décret d’application en précisant que « le choix d’être
Français a été effectué par ses parents et qu’il en est fier. »
Un autre de nos correspondants rapporte que, lui-même, né en Tunisie,
de père britannique, aurait dû être Français à sa naissance, compte tenu
des lois de naturalisation ; il nous en explique ainsi les raisons « Mon père
a eu un différend avec le maire du village, au moment de ma naissance,
alors qu’ils se connaissaient très bien ; alors, il m’a mis sujet britan-
nique »312 ; ce fait illustre la fantaisie avec laquelle les lois, il est vrai com-
plexes, pouvaient être appliquées par les autorités administratives fran-
çaises de Tunisie ; mais il souligne aussi le peu d’importance accordée à
la situation des Maltais. En conséquence, dans cette famille trois nationa-
lités seront présentes lors de leur venue en France : le père, sujet britan-
nique, son épouse italienne et leurs enfants nés en Tunisie, Français.
Ayant demandé la nationalité française, notre interlocuteur sera encore
pendant quelque temps britannique en France, ce qui vaudra à son fils né
en France à cette période d’être lui aussi Britannique durant les premiers
mois de sa vie puisque né de parents étrangers sur le territoire français.
Si les parcours de ces Maltais sont parfois différents, les uns « se sen-
tent plus français » du fait d’une première émigration de leurs ancêtres en
Algérie ; d’autres comme Michel Cordina, cité ci-dessus, sont demeurés
britanniques en France ; tous, cependant, aiment à référer leur histoire
familiale maltaise à de lointains et hypothétiques ancêtres européens,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 123

s’inscrivant ainsi dans le choix de leur île d’origine tout en méconnaissant


en partie son Histoire.
En outre, les naturalisations vont venir concrétiser le mirage français
induit par la colonisation. C. Sammut, dès 1981, analysait la probléma-
tique de ce groupe de migrants en France, en insistant sur le fait qu’ils
« étaient allés jusqu’au bout de l’aliénation coloniale »313, en s’identifiant
français. Il intégrait cependant, lui aussi, cette dimension dans la mesure
où il considérait qu’il s’agissait finalement, malgré une complète accultu-
ration, d’« une assimilation réussie »314. On peut, cependant, s’interroger
sur « la métaphore digestive qui est contenue dans le mot lui-même et […]
l’espèce d’“anthropophagie” dont on a fait une caractéristique spécifi-
quement française et qui consiste à consommer et à tout assimiler, indivi-
dus, groupes, ethnies, cultures, langues, nations etc.315 ».
L’insertion dans le groupe dominant va, alors, à la fois contenir le
négatif mais aussi renforcer l’aspect forclos de la « colonie » dont les
membres « oublieront » alors langue maternelle et majeure partie de leurs
coutumes. Maltais du seul fait de leur patronyme, ils seront devenus por-
teurs d’une enveloppe généalogique dépouillée de son histoire, devenue
vide de sens. Beaucoup feront alors leur une « Autre histoire », bloquant
le passé pour ne vouloir être sur le plan conscient que dans l’avenir, inter-
disant tout regard en arrière ; position qui sera encore plus effective, une
fois hors du contexte territorial tunisien, lors de la seconde émigration
suite à l’indépendance de la Tunisie.
Les naturalisations détermineront, en partie, le choix du nouveau ter-
ritoire d’immigration. Les situations rencontrées au cours de nos diffé-
rents entretiens, montrent cependant une grande diversité dans ces choix ;
c’est ainsi que les Maltais demeurés britanniques se dirigèrent principa-
lement vers le Royaume-Uni, pays dont ils ne connaissent pas la langue ;
cependant quelques-uns d’entre eux choisiront également la France ; ces
derniers seront surpris par les questions de l’administration lors de leur
demande de nationalité française ; ainsi Carmel Rizzo devra prouver dans
les années soixante qu’il parle français et est capable d’écrire dans cette
langue316. Cependant, la majorité, ayant acquis, en Tunisie, la nationalité
française, se dirigera vers la France ; ils auront, toutefois, toujours à
prouver qu’ils possèdent bien la nationalité française lors des renouvelle-
ments de documents d’identité (carte d’identité nationale, passeport.)
Cette situation est vécue comme une sorte d’affront pour ces Maltais qui,
déjà en Tunisie, avaient choisi d’être Français ; ainsi X., mobilisé durant
la guerre d’Algérie (service militaire), nous dira avoir adressé à
l’administration, outre les certificats demandés, sa carte d’ancien com-
battant.
D’autre part, les membres du groupe familial élargi, souvent de natio-
nalité différente à l’intérieur d’une même famille, vivaient très souvent, en
Tunisie, dans une situation de proximité géographique ; la différence de
nationalité sera un des facteurs d’éclatement des familles entre France,
Angleterre et Italie.
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124 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

4.3. ÊTRE MALTAIS EN TUNISIE :


UNE SITUATION SYMBOLIQUE PEU AISÉE
4.3.1. Une surabondance de descriptions négatives
Le portrait du Maltais émigré, transmis par les voyageurs européens,
n’était guère flatteur ; il trouvait une base de réalité dans « la mesure où
les Autorités Britanniques graciaient certains criminels dès lors que ces
derniers s’engageaient à s’exiler »317 vers les côtes africaines (cet aspect
de l’immigration semble avoir davantage concerné l’Algérie que la
Tunisie). En outre, la misère de beaucoup, associée aux activités de
contrebande d’une autre fraction de la communauté maltaise, venait ren-
forcer une image discriminatoire de cette population, à substrat originel
pluriethnique, décrite par des voyageurs aisés et cultivés, qui connais-
saient peu ou mal les Maltais ; ils les réduisaient vraisemblablement au
monde des cochers et à leur quartier insalubre, seuls contacts réels qu’ils
aient avec eux, en raison de leurs fréquents déplacements ; ils ne compre-
naient d’ailleurs pas leur langue et l’on peut raisonnablement avancer
que tout ce petit peuple, qui comprenait aussi les Siciliens318 et quelques
Grecs, était confondu dans un grand ensemble sans distinction sinon celle
d’avec les Tunisiens et les Juifs, du fait d’une appartenance religieuse dif-
férente ; même dans ce domaine, . Faucon note à propos des Maltais :
« Ils sont sur le chapitre de la foi d’une intolérance égale à celle des
Arabes. On les appelle des Arabes chrétiens et la définition ne manque
pas d’exactitude. L’ossature, les traits, la langue, le tempérament, les
mœurs, tout révèle en eux le sang arabe »319.
Ce qui gênait ces voyageurs était surtout la difficulté à faire entrer
dans une classe précise les Maltais ; la colonisation, puis les naturalisa-
tions quelques années plus tard, décideront de ce classement. Toutefois, si
A. Smith souligne que ces écrits sur les émigrés maltais sont des textes à
connotations racistes et stéréotypées, il n’en reste pas moins vrai qu’il
existe un effet cumulatif de ces textes associé à leur transmission ; ainsi,
M. Donato reprend ces mêmes descriptions en y ajoutant certes,
l’existence d’une classe moyenne peu nombreuse qui sera toutefois rejoin-
te progressivement, au début du siècle suivant, par bon nombre de familles
maltaises en raison de leur évolution sociale320. Cependant ces textes,
concernant la situation des Maltais en Tunisie, ne font que reprendre ceux
des Chevaliers ou des voyageurs européens du XVIIIe siècle sur la popu-
lation de l’archipel maltais à cette époque. Rappelons brièvement que ces
Chevaliers et voyageurs appartiennent à une classe aisée et ne compren-
nent pas la langue maltaise ; ils n’ont donc aucun accès direct au peuple
dont proviendra la majorité des émigrants ; de plus, les nobles et grands
bourgeois maltais qu’ils côtoieront sont d’origine étrangère, soit Italiens,
soit Français, devenus Maltais par alliance ; ils préfèrent s’exprimer en
l’italien et dédaignent la langue maltaise.
Voici quelques extraits de ces textes : « L’un des sujets d’étonnement
des voyageurs est la population de l’île. Elle ne ressemble à aucune autre,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 125

du fait de la situation de Malte au croisement de l’Occident et de l’Orient


[…] les hommes sont […] petits, mais vigoureux, ils ont tous le nez écra-
sé, de grosses lèvres, le menton charnu et les cheveux forts crépus… ces
traits annoncent le voisinage de l’Afrique »321.
De tels éléments se retrouvent ainsi dans une description de la popula-
tion européenne du golfe de Gabès, parue en 1888 : « Le Maltais y forme,
à lui seul, un genre extrêmement curieux à étudier… Il semble servir de
trait d’union entre la race berbère et la race latine… » ; l’auteur pour-
suit : « Teint bronzé, œil vif et noir, nez aplati, lèvres épaisses et charnues,
cheveux légèrement crépus etc. tout dénote une origine barbaresque non
douteuse… Ils sont aussi fanatiques chrétiens que les Arabes sont fana-
tiques musulmans »322.
Les « mêmes traits maltais », sont évoqués par L. Bertrand dans son
ouvrage intitulé « Le sang des races » ; il y évoque : « Les Maltais, au teint
mat et au visage gras [qui] caressaient de grosses moustaches à la Victor-
Emmanuel. Plusieurs avaient des anneaux d’or à leurs oreilles. Mais au
fond les autres les méprisaient à cause de leur sang mélangé et de leur
ressemblance avec les Maures et les Juifs »323.
Ces textes repris, quasiment à l’identique, par différents auteurs, cor-
respondent en partie à ceux contenus dans l’Atlas géographique de 1906,
destiné aux élèves du secondaire, utilisés pour décrire « La race noire » ;
on peut, ainsi lire : « La race noire a… le nez épaté,…les lèvres épaisses,
les cheveux courts, crépus »324 ; or cet ouvrage classe les Arabes dans la
subdivision sémitique de la race blanche dont « les peuples […] ont, de
tout temps, marché à la tête de la civilisation et du progrès »325.
L’ethnocentrisme du début du XXe siècle fait, ici, florès : les Maltais sont
inclassables donc inquiétants. C’est peut-être une des causes du rappro-
chement de ces stéréotypes de « la race noire » ; ainsi le portrait du
« Sûsi »326, conté par le Maltais Théodore Zammit, pourrait attester de
cette hypothèse car il présente « le returnee »327, comme appartenant à
« plusieurs mondes » ; nous retrouvons alors quelques-uns des traits pré-
cédents attribués, cette fois, au long séjour en Afrique : « Sa peau, d’un
brun inhabituel dans la campagne maltaise dont les habitants sont pour
autant des Méditerranéens hâlés par le soleil, évoque l’inquiétante et
proche Afrique où il a grandi »328.
Les quelques extraits cités autorisent à évoquer le passage d’une des-
cription « racialiste329 » européenne du peuple maltais, au XVIIIe siècle, à
celle du stéréotype de l’émigré « étrange » et donc inquiétant apparaît
clairement dans ces différent extraits.

ous voudrions souligner, ici, que les évocations des Maltais de


Tunisie sont différentes suivant l’origine des auteurs. Ainsi, D. Larguèche
souligne le fait que, dans le domaine de la contrebande, « nous nous
trouvons confrontés à des idées préconçues largement répandues, asso-
ciant les seuls Maltais et, ensuite, les pauvres, les marginaux et les déshé-
rités » ; elle rappelle que, si ces catégories ont effectivement pris une
large part à ces trafics illicites, la contrebande « associait des groupes
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126 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

ethniques, linguistiques, religieux et sociaux multiples » à tous les éche-


lons de la société et non les seuls précités, dont les Maltais330. De même,
des auteurs maltais, comme le Frère L. E. Attard, soulignent, au contrai-
re, la sobriété et le sérieux dans le travail des émigrés, insistant finale-
ment davantage sur leurs capacités d’intégration au monde européen.
D’une part, ce point de vue reste conforme aux idéaux de l’archipel qui
pourraient s’énoncer en ces termes : « se vouloir catholiques et
Européens fonde l’identité des Maltais, et correspond à la représentation
générale qu’ils se font d’eux-mêmes331 » ; d’autre part, malgré un regard
positif sur les émigrés, il rejoint l’ancienne attitude coloniale qui, juste-
ment, acceptait ces Maltais parce qu’elle les jugeait capables de
s’intégrer aux Français.
Cependant la plupart de ces récits, provenant de différentes sources,
reprises par les historiens au cours des siècles, donnent une image néga-
tive de la communauté maltaise des débuts de l’immigration ; ainsi,
Pelissier évoque une « masse » de Maltais qui « exercent diverses indus-
tries boiteuses, la contrebande surtout » ; H. Dunant, en 1858, décrit éga-
lement, « les familles d’ouvriers pauvres des fondouks […] dont les habi-
tants sont pour la plupart Maltais […] ces gens sont entassés au nombre
de cinquante ou soixante familles et leurs enfants vivent pêle-mêle, durant
le jour, au milieu des femmes sales et mal peignées »332. Ces descriptions
péjoratives doivent être replacées dans le contexte de la vie à Tunis à la
fin du XIXe siècle et au début du XXe : l’état général des rues y était déplo-
rable et tous les habitants en subissaient les inconvénients ; « ainsi par
temps de pluie, les rues se transformaient en cloaques […] les Européens
se chaussaient de trampani (sortes de socques très élevées en bois) […]
Les rues présentaient un second inconvénient les égouts […] à ciel ouvert
nommés kandaks. Une corporation d’ouvriers tunisiens était chargée du
nettoyage »333.
En 1959, J. Ganiage reprendra, dans sa thèse, ces évocations discrimi-
natoires de la population maltaise de Tunisie. Ces descriptions, trans-
mises au cours des générations et, semblables dans leur objet, ne relèvent-
elles pas de la position ethnocentrique du colonisateur ? Quelques pro-
verbes maltais renvoient, d’ailleurs, à ces représentations négatives ; ainsi
Louis Grech, nous citera, en arabe, celui-ci : « Au Maltais et au rat,
n’ouvre même pas la porte de ta maison » ; ce proverbe fait preuve de
l’humour des Maltais sur eux-mêmes mais il montre aussi leur accepta-
tion d’une représentation négative de leur situation.
La transmission de ces textes d’écrits en écrits, d’études en études, conti-
nue d’inscrire les ancêtres maltais migrants dans une discrimination que
ressentent encore aujourd’hui, à leur seule lecture, les descendants de la
troisième génération née en Tunisie. Les Maltais de Tunisie qui ont eu
connaissance de ces descriptions les refusent car elle leur renvoie une
image inacceptable de leurs ancêtres. Une de nos informatrices l’exprimera
en ces termes : « ous étions pauvres, certes, mais n’étions pas comme
ça. »334 Une pauvreté « honnête » est admise pour les générations précé-
dentes, et non les corollaires racistes et stéréotypés, associés à l’image de
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 127

l’émigré. Un de nos interlocuteurs, Philippe Cortis, exprimera, d’autre


part, le fait que le caractère « pionnier » de l’immigré maltais335, capable
d’adaptation et d’évolution en quelques années, n’est jamais relevé ; pour
lui, le qualificatif de « pionnier » était réservé aux seuls colons français
bien que certains aient émigré pour raisons économiques. Seul, R. Vadala
les présente comme « pionniers de la civilisation336 », il ajoute :
« Personne n’avait songé à mentionner les Maltais et à montrer les suc-
cès qu’ils ont remportés dans l’œuvre colonisatrice des terres africaines
baignées par la Méditerranée. La raison de ce silence est que certains
considèrent les Maltais comme des demi-Arabes dont il n’y avait pas
grand-chose à dire »337. Un autre motif de l’absence de l’utilisation du
terme « pionnier » pour les Maltais émigrés réside, peut-être, dans le fait
que ce terme porte déjà en lui la notion de « conquête », de « supériori-
té » par rapport à un territoire ; or tous les auteurs s’accordent à témoi-
gner que les premiers immigrés maltais ne se sentaient pas supérieurs aux
Tunisiens, assertion sans doute juste pour l’ensemble de cette population ;
nous y apporterons cependant quelques nuances du seul fait de la présen-
ce au sein de la Colonie maltaise de quelques grands commerçants ins-
truits ; ces derniers étaient davantage imprégnés de culture italienne et
plus distanciés du monde arabe que leurs concitoyens ; bien qu’en propor-
tion infime, leur impact sur la Colonie était, sans doute, relativement
important du fait des habitudes de « protection » ou de liens de parenté,
même lointains, avec les plus démunis. Quel regard portaient-ils sur leurs
compatriotes dont le mode de vie les rapprochait du monde arabe ? Quelle
transmission sans doute inconsciente, eu égard à l’identité maltaise ? Ce
n’est effectivement que dans les années 1930 que sentiment national et
langue maltaise commencèrent à se développer sur l’archipel, provoquant
des prises de positions différentes parmi ces immigrés aisés.
Il semble que l’objet du rejet, par les Maltais, des assertions précédem-
ment évoquées, provienne de l’incorporation de la position ethnocentrique
coloniale, par les Maltais eux-mêmes. Devenus Français, ils projettent à
leur tour « sur le migrant, le fantôme misérable qui avait jadis hanté
l’intellect colonial devant l’indigène »338 ; ils associent alors, dans une col-
lusion passé-présent, le stéréotype de l’immigré maghrébin actuel en
France et les anciennes descriptions de leurs propres ancêtres immigrés en
Tunisie. Ici, générations, groupes ethniques, parcours d’immigration, vécu
personnel viennent s’entrechoquer dans une cacophonie où le seul rythme
acceptable serait celui du refus d’être assimilé à des immigrés puisque
« nous sommes français » ; assertion sans doute surinvestie, au cours des
entretiens, du fait de mes propres origines françaises.

4.3.2. Une narcissisation compromise en tant que Maltais


Devenus, pour majeure partie d’entre eux, Français par décret, les
Maltais avaient conscience d’appartenir à un même peuple, d’être origi-
naires d’une même terre mais cette terre les avait refoulés, conduits à
s’expatrier.
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128 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Peut-on parler de vécu d’échec, dans leur pays d’origine, pour majo-
rité des premiers immigrés ? Est-ce la rudesse d’une vie orientée vers
l’unique subsistance matérielle associée au peu de communication fami-
liale qui a produit l’absence de « parole » sur Malte ? Les deuxièmes et
troisièmes générations, nées en Tunisie, n’ont-elles pas vécu une image
négative de la différence, de ce qui n’était pas « français » ? S’agit-il,
pour elles, de l’incorporation psychique, d’une hiérarchisation sociale,
différente de celle de Malte, induite par la colonisation ?
Les propos de M. Azzopardi339, en 1938, lors de sa conférence à la Salle
Maltaise, sur la « Splendeur des îles et la foi chrétienne » attestent de
cette absence de transmission ; le conférencier déplore le comportement
de la « colonie maltaise qui n’a fait aucun effort jusqu’ici pour faire
connaître à nos compatriotes la beauté de la terre qui vit naître nos
ancêtres »340. Sensible dans les journaux, l’exaltation d’un sentiment
national maltais est toujours associée à la présence française sans oublier
les références au monde britannique.
Ainsi, le journal « Melita », mettra en exergue le sentiment national
maltais, en proclamant, dans un article du 20 février 1938 : « ous
Maltais, nous devons être fiers de pouvoir clamer le nom sacré de notre
terre, de notre Patrie » ; l’auteur explique que le peuple maltais doit
prendre exemple sur le peuple juif qui, lui, est fier de ses racines. Cette
remarque est peut-être due au statut des Juifs livournais qui, en Tunisie,
possédaient un statut social relativement élevé. Ces prises de position doi-
vent être resituées dans le contexte historique de cette période où les
nationalismes étaient exacerbés ; l’élite lettrée maltaise devait être, du fait
de sa proximité avec les Italiens, sensible à ces options nationalistes. Le
journal incite, par ailleurs, les Maltais à se rendre à Malte : « Un voyage
que tout Maltais doit faire une fois dans sa vie » 341, et organise une croi-
sière à cet effet.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 129

4.3.3. Évolution des identifications et surinvestissement


de la société coloniale française
aturalisations et scolarité vont, malgré les problèmes soulevés, favo-
riser l’évolution du niveau de vie de la population maltaise. De 1921 à
1926, la population active des Maltais de l’agglomération tunisienne se
répartissait ainsi :

Figure : Sebag, P. p. 427. (Les pourcentages indiqués ne prennent pas en compte le


chiffre des non-classés)

Toutefois, dans les années 1920, quelques Maltais ont encore un niveau
de vie misérable ; dans la région de Monastir, ils sont ainsi décrits : « Au
bord de la mer… vit une population des plus misérables, celle des pauvres
marins, des pauvres pêcheurs arabes et maltais… Les Maltais… sont
extrêmement religieux. Le dimanche, ils vont à l’église, même s’ils n’ont
rien à manger ; et si pendant la semaine, ils portent des vêtements mal-
propres ou déchirés, ils ont alors, par contre, un col blanc et des souliers
vernis. » L’auteur poursuit : « Ils sont honnêtes… modestes et ne
s’occupent que de leurs affaires342. » Ce portrait insiste sur une pauvreté,
à la fois, « honnête » et « résignée » associée à la pratique religieuse
quelles que soient les difficultés ; il souligne ainsi la différence d’avec les
mêmes travailleurs arabes qui, eux, sont décrits, quelques lignes plus loin,
certes pauvres mais portés à l’alcoolisme. Ce type de récit continue
d’étayer une position ethnocentrique coloniale plaçant, le bon pauvre,
Maltais, travailleur et catholique, du côté des Européens.
Cependant quelques Maltais ont, dès cette époque, des petites entre-
prises artisanales florissantes ; les annonces parues dans Melita témoi-
gnent d’une certaine élévation de leur niveau de vie ; nous ne pouvons
tous les citer mais si les entreprises Licari et Bondin, anciennement
connues, apparaissent le plus souvent dans les écrits, la société de trans-
port franco-maltaise Vella, les établissements L. Et G. Galea (bois et
acier), la briqueterie Mangani ainsi que la société Camilleri « agent
exclusif pour le whisky », ont aussi pignon sur rue à Tunis343.
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130 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Les Maltais sont, par ailleurs, fiers de recevoir des décorations, même
si ce sont celles décernées par le bey de Tunis ; c’est ainsi que les jour-
naux rapportent fidèlement ce palmarès ; quelques décorations, reçues au
titre de services rendus à la France, figurent aussi dans ce palmarès :
Ainsi, le 20 janvier 1937, Marie Bugeja reçoit « la médaille vermeille
du gouvernement français pour services rendus à la langue en dehors de
la métropole. »
Le mois suivant Pascal Tanti est fait chevalier de la légion d’honneur,
il a par ailleurs le grade de Commandeur du « ichan al Iftikhar »344, est
officier d’Académie, titulaire du mérite agricole, et de la médaille de la
Mutualité.
Albert Bondin (cité ci-dessus), président de société maltaise de bienfai-
sance et de l’association sportive est promu commandeur de la décoration
beylicale.
D’autres familles, parmi celles interviewées, tels les Xuereb et les
amura seront, eux aussi, fiers de nous informer qu’un de leurs ancêtres
a reçu cette même décoration. Tous les événements tendant à mettre en
exergue les sentiments de fierté nationale sont relatés fidèlement dans
les journaux maltais ; leur consultation nous apprend ainsi l’accession
de quelques Maltais à des postes élevés au niveau de la représentation
administrative anglaise ; c’est le cas d’Edouard Cachia de Sousse,
nommé pro-consul de sa Majesté britannique. Un autre article fait part
du « triomphe de l’Écurie Licari à [l’hippodrome] de Kassar Said »,
célébré par une fête, le soir, à la Salle Maltaise ; il s’agit d’un événe-
ment important car les Maltais sont, depuis toujours, de grands ama-
teurs de courses de chevaux. Le journal cite également l’exposition de
peinture, à Tunis, de Gaétan Mifsud comprenant quarante toiles aux
thèmes tunisiens et français.
Sur le plan professionnel, l’évolution sera souvent associée à des chan-
gements de lieu d’habitation tel le passage du fondouk à l’habitat réservé
à une seule famille ; les générations suivantes vivront l’acquisition
d’appartement dans le quartier européen à l’instar des Psaïla345 ; ces
déplacements territoriaux, effectués dans la même ville, vont induire des
modifications de frontières non seulement territoriales mais aussi, intério-
risées par les Maltais, des modifications plus profondes de leur identité.
Ascension sociale et déplacement territorial urbain confirmeront, alors,
les Maltais dans un sentiment d’appartenance français associé à une dis-
tanciation, certes inconsciente, de leurs propres origines.
Rappelons que la scolarité est, dans ces années, principalement fran-
çaise et qu’elle aussi introduit une dévalorisation de la culture maltaise,
dès le plus jeune âge. En effet, mis à part la brève existence, dès 1830,
d’une école anglaise où les enfants étaient censés apprendre maltais et
anglais, il n’existait que des écoles soit italiennes, soit françaises ;
Charles Cortis346 raconte que son père, artisan forgeron, comptait tou-
jours en italien, du fait de quelques années de scolarité effectuées dans
une école italienne. Il n’a pu nous indiquer la localisation de cette école
dans le quartier de Bab el Khadra où son père avait vécu enfant ; il peut
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 131

toutefois s’agir, chez notre interlocuteur, d’une confusion avec l’école des
Frères de la rue de la Casbah où, les premières années, l’enseignement se
faisait en italien, français et arabe ; assez rapidement, la seule langue
française aura cours dans cet établissement. D’ailleurs, dans toutes les
écoles, les parents seront d’ailleurs fortement incités à s’exprimer en fran-
çais avec leurs enfants ; la spécificité culturelle maltaise sera totalement
ignorée des enseignants français qui assimilaient le maltais à de l’arabe.
Cette remarque de notre interlocuteur s’inscrit dans une échelle de diffé-
renciation sociale au bas de laquelle était assignée, dans l’opinion
publique française, une grande partie de ce qui se rapportait au monde
arabe ; les niveaux sociaux des Français étaient, certes divers, et même
parfois, teintés d’une pointe d’orientalisme parmi les plus aisés, mais il
fallait, pour les Maltais, se démarquer davantage.
Le regard colonial va effectivement pointer de manière défavorable
les éléments culturels proches du monde arabe symbolisés tout particu-
lièrement par la langue. Porteur « d’un reliquat d’identité qui ne peut
disparaître » le Maltais émigré en Tunisie « se trouve dans
l’impossibilité d’unifier, en lui, terre et langue natale aux terres et
langues d’accueil »347, du fait même de la parenté linguistique de ces
langues. Dévalorisé partiellement dans son appartenance culturelle, il
ne pourra réaliser le « contrat narcissique », qu’en s’absentant d’une
partie de lui-même, par une totale identification à l’univers français
proposé. e s’agit-il pas, comme le souligne Lévi-Strauss, d’une « adhé-
sion au genre de vie occidental, ou à certains de ses aspects […] loin
d’être aussi spontanée que les occidentaux aimeraient le croire. » et qui
« résulte moins d’une adhésion libre que d’une absence de choix »348.
Des frontières invisibles vont se développer, dans le psychisme des
Maltais, rendant difficile un regard objectif sur le colonialisme français
et, pratiquement impossible l’idée même de possibles éléments de cultu-
re communs entre Malte et Tunis.
Si les Maltais ont été perçus, au départ, comme semi-européens, popu-
lation intermédiaire qu’on ne savait trop où classer ; l’évolution se fera,
en partie par intérêt politique français, vers une assimilation française,
sans doute inéluctable, en raison d’une profonde identification à la reli-
gion catholique associée à la colonisation ; cependant, durant de nom-
breuses années après les lois de naturalisation, beaucoup de Maltais ne
se sentaient pas sur un pied d’égalité avec les Français. D’autres élé-
ments d’appréciation de ces situations complexes nous sont apportés par
les récits des descendants des Maltais dans la revue de « La Diaspora
Sfaxienne »349 ; un des correspondants relate le récit de Pauline Genevoix,
« J’avais quinze ans » où l’auteur rappelle d’une part, les félicitations
reçues par son professeur de français, du fait de sa nouvelle nationalité
mais aussi, d’autre part, le rejet exprimé par une de ses camarades : « les
Maltais sont des chevriers, des cochers, mes parents ne les fréquentent
pas. ». Cette histoire, souvent citée, souligne toute l’ambiguïté de la situa-
tion des Maltais devenus Français mais, dans un premier temps,
« Français de deuxième zone » ou « Français sfaccés », c’est-à-dire
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132 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

« rapiécés » comme l’exprimeront avec humour, plusieurs de nos corres-


pondants350. Une remarque de A. Memmi concernant la population juive,
pourrait s’appliquer au vécu de nombre d’entre eux : « ous n’en avions
pas les privilèges (des Européens), comme les Arabes nous étions aussi
des colonisés, nous étions pauvres, comme eux »351. A cette différence que
les Maltais, eux, n’étaient pas colonisés en Tunisie, mais venaient d’une
terre colonisée depuis des siècles.

CONCLUSION
Inséré de manière obligatoire dans une culture différente et dominatri-
ce, étrangère à celle de la terre d’accueil, le migrant maltais vivra dans
son histoire personnelle un double paradoxe, à savoir celui d’une impos-
sibilité structurelle de s’insérer en raison de la différenciation religieuse,
de la colonisation et de la dévalorisation de leur propre culture. Les
Maltais devront alors, du fait de la toute puissance de l’Occident chrétien,
« se distinguer du plus proche tout en opérant une projection de ce qu’ils
ne voulaient pas savoir d’eux-mêmes » 352 ; dès le début du protectorat, ils
seront confrontés à une incitation à entrer dans un personnage fran-
çais fantasmatique associé à une possibilité d’ascension sociale dont la
contrepartie s’avérait liée à une distanciation d’avec Malte et, subsé-
quemment, d’avec la société tunisienne. Les Maltais ne vont-ils pas, alors,
se trouver pris, dans un processus culturel paradoxal où « le monde mal-
tais » réduit à l’intrafamilial pourra être difficilement objet de transmis-
sion ?
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Notes de la troisième partie


133 Bernardie, N. Malte, parfum d’Europe, souffle d’Afrique, p. 108, op. cit.
134 L’usage des surnoms était fréquent à Malte du fait de la fréquence de patronymes
identiques.
135 Sanguy, P. “Une vision de l’émigration maltaise au début du XXe siècle, Les nou-
velles “Nord-Africaines” de Sir Temi Zammit”, Le départ et le retour dans le monde
anglophone », pp. 43-79, op. cit.
136 Nous emploierons, ici, l’appellation utilisée du temps du Protectorat à savoir Porto-
Farina.
137 La colonie maltaise de Djerba, Tunis, Bull. Eco. 1952. pp.84 - 88.
138 Bresc, H. « Malte et l’Afrique, 1282-1292 » Le Carrefour Maltais, p. 71, op. cit.
139 Dévotion importante pour la communauté maltaise, sa fête est célébrée le 16 juillet.
140 Entretiens avril 2003.
141 Cette église a été réhabilitée en 2007 et, de nouveau, consacrée au culte catholique.
142 Larguèche, A. Les ombres de la ville, pauvres, marginaux, minoritaires à Tunis
(XVIII e et XIXe siècle), CPU : Tunis, Manouba, p. 79.
143 Sorte de chaland utilisé en Méditerranée
144 Sebag, P. La course Tunisienne au XVIIIe siècle, p. 21, op. cit.
145 Ibid., p. 5, op. cit.
146 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 255, op. cit.
147 Camilleri, C. Une communauté maltaise en Tunisie entre les groupes arabo-berbères
et français, Actes du premier Congrès des Cultures Méditerranéennes, Malte, op.
cit.
148 Vidal, J.-P. « L’Habitat familial et ses rapports avec l’espace psychique », La mai-
son familiale in Le Divan familial, Revue de thérapie familiale psychanalytique,
Paris, Inn Press, n° 3, 1999, p. 16.
149 Entretien mai 2003.
150 Camilleri, C. Une communauté maltaise en Tunisie entre les groupes arabo-berbères
et français, Actes du premier Congrès des Cultures Méditerranéennes, Malte, op.
cit.
151 Cassar Pullicino, J. Some Considerations in Determining the Semitic Element in
Maltese Folklore, Actes du premier Congrès international des Cultures
Méditerranéennes d’influence arabo-berbère, 1973, pp. 374-375, op. cit. (traduc-
tion).
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134 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

152 Cf. Sixième partie, Attitude des élites maltaises en Tunisie, p.219
153 À la recherche du Sousse d’antan, collectif, S.A.S., 1985. (Épuisé)
154 Ibid.
155 Jamoussi, H. Juifs et chretiens en Tunisie au XIXe siecle. Essai d’une etude socio-
culturelle des communautes non-musulmanes (1815-1881), these, Doctorat en
Histoire, Tunis I, Faculte des Sciences Humaines et Sociales, 1998, pp. 365-366.
156 Ibid
157 Larguèche, D. Territoire sans frontières, La contrebande et ses réseaux dans la
régence de Tunis au XIXe siècle, p. 160, op. cit.
158 Cf. p.50.
159 La famille Debono appartient à une très ancienne famille maltaise de Sfax, arrivée
en 1876, dont certains membres ont eu d’importantes responsabilités locales ; nous
avons pu rencontrer un de leurs descendants, encore présent en Tunisie, qui nous a
aimablement permis de consulter l’histoire de la famille.
160 Fonds du protectorat série E, carton 248, dossier 667/2. N° 162.
161 Jamoussi, H. op. cit.
162 Smith, Andrea, L. The colonial in postcolonial Europe : the social memory of
Maltese-origin Pieds-oirs, Department of anthropology, these, University of
Tucson (Arizona), 1998.
163 « La Diaspora Sfaxienne », octobre 1999, n° 33.
164 Ganiage, J. Les origines du protectorat français en Tunisie, p. 47, op. cit.
165 Dans cette partie, seule l’initiale du patronyme de mes interlocuteurs est utilisée, de
manière à respecter leur anonymat tout en préservant l’authenticité du document.
166 Lallemand, C. « Sfax à la fin du XIXe siècle, La Tunisie », Paris, 1892, cité dans La
Diaspora Sfaxienne, n° 33, oct. 99. p. 48.
167 Godechot, J. Histoire de Malte, Paris : PUF, Que sais-je ? 1981, p. 7.
168 Galley, M. L’Imnarja, la fête des lumières à Malte, Littérature arabo-berbère, n° 14,
fascicule II, p. 213, note 6.
169 Soumille, P. Le Cimetière européen de Bab El Khadra, in Cahiers de Tunisie,
tome XIX, 1971, n° 75-76, pp. 129-182.
170 Dessort, C.H. L’histoire de la ville de Tunis, Alger : E. Pfister, 1924.
171 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 167, op. cit. (À l’époque de
la Course, treize bagnes existaient à Tunis : chacun possédait une chapelle destinée
aux esclaves chrétiens.)
172 Notons à quelques lignes d’intervalle dans ce texte les variantes orthographiques du
même patronyme : Farrugia puis Farugia.
173 Dessort, Ch. R. L’histoire de la ville de Tunis, op. cit. pp. 165-169.
174 Entretien, Maltaise du Sud de la France (70 ans), sept. 2000.
175 Sebag, P. Tunis au XVIIe siècle, p. 130, op. cit.
176 Entretien mars 2002. (Cet entretien s’est effectué en français et en arabe avec l’aide
de notre témoin-relais,Carmel.)
177 Colloque du Cercle Vassalli, Paris, mars 2007.
178 Sammut, C. “Mariages maltais à Tunis, Le récit d’Antoinette Schembri (1895-
1988)”, Littérature arabo-berbère, n° 25, CNRS, 1997, pp.159-200.
179 Souquet, H. Journal d’un lycéen de Tunis, 1891, p. 71. (Épuisé)
180 Sebag, P. Tunis, histoire d’une ville, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 332.
181 Ganiage, J. Les origines du protectorat français en Tunisie, p. 171, op. cit.
182 Dessort, Ch. R. L’histoire de la ville de Tunis, pp. 165-169, op. cit.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 135

182 À cette époque, il ne s’agit pas de pharmacien dans l’acception actuelle du terme
mais plutôt de boutiques proches de l’herboristerie.
183 Cf. Troisième partie : Processus d’identification en Tunisie, Église catholique et
Maltais émigrés : une situation paradoxale, p. 79.
184 Dornier, P. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 43, op. cit.
185 Dunant, H. La Régence de Tunis, p. 35, op. cit.
186 Sammut, C. La minorité maltaise de Tunisie : ethnie arabe ou européenne? Actes du
premier Congrès international des Cultures Méditerranéennes d’influence arabo-
berbère, op. cit.
187 Vérié Cassar, A. Minigazette, Les Amis de Malte, Toulouse, Midi Pyrénées, n° 52.
188 Buhagiar, M. « Malte dans l’Antiquité tardive et à l’époque byzantine », Malte,
Dossiers d’Archéologie, n° 267, oct. 2001, pp.68-75.
189 Bresc, H. “Sicile, Malte et monde musulman”, Malta, A case Study in International
Cross-Currents, p, 71, op. cit.
190 Galley, M. L’Imnarja, la fête des lumières à Malte, Littérature arabo-berbère, n° 14,
fascicule II, p. 230, note 64.
191 Sammut, C. The Maltese Peasantry, 1880-1930, Université de Malte, (B.A. Hons.)
May 1999, pp. 10-13. (Traduction - Il s’agit du mémoire d’un étudiant maltais,
homonyme de M. Carmel Sammut, sociologue et, descendant des Maltais de
Tunisie.)
192 Cortis, O. Town Development and social life in Haz-Zebbug during the 19 th centu-
ry, B. A. Hons. History, Malta, 2000, (traduction).
193 Il s’agit des anciens jardins d’été du Grand Maître de l’Ordre.
194 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 177, op. cit.
195 Mellieha : petite ville des environs de La Valette où se trouve une chapelle dont la
crypte renferme une fresque de la Vierge du XIVe siècle, avec une inscription en
grec ; la tradition populaire a attribué la composition de cette fresque à saint Luc.
196 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 294, op. cit.
197 Camilleri, C. Une communauté maltaise en Tunisie entre les groupes arabo-berbères
et français, Actes du premier Congrès des Cultures Méditerranéennes, Malte, op.
cit.
198 Un terrain avait été concédé en 1660, par le gouvernement local, aux chrétiens pour
enterrer leurs morts.
199 Soumille, P. “Le Cimetière européen de Bab El Khadra”, Les Cahiers de Tunisie,
tome XIX, 1971 n°75-76, pp. 129-182.
200 Ibid.
201 Archives des sœurs franciscaines de Marie., série C, Afrique Tunisie ; île de Djerba,
annales 1901. (Photocopie de l’original aimablement donnée par les religieuses pré-
sentes sur l’île en 2003.)
202 Ganiage, J. “Étude démographique sur les Européens de Tunisie”, Les Cahiers de
Tunisie, 1957, pp. 168-197.
203 Darmon, R. La situation des Cultes en Tunisie, Paris, 1930, Rousseau et Cie, p. 5.
204 Terme d’origine arabe utilisé par les Européens pour désigner les prêtres.
205 Soumille, P. Le cimetière européen de Bab el Khadra à Tunis. Étude historique et
sociale, , Les Cahiers de Tunisie, tome XIX, 1971 n°75-76, op. cit.
206 Darmon R., Déformation des cultes en Tunisie, Tunis, 1930, S.A.P.I., p. 76.
207 Abela, R. À, Zammit, A. M. Les Français de souche maltaise, tome II, p. 236, op.
cit.
208 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 173.
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136 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

209 Cette statue de la Vierge représente celle qui aurait été soustraite aux Turcs lors du
siège de Famagouste (Chypre).
210 Darmon, R. Déformation des cultes en Tunisie, pp. 78- 85.
211 Darmon, R. La situation des Cultes en Tunisie, p. 77, Tunis, 1930, s.a.p.i. op. cit.
212 Traduction de l’article en maltais accompagnant la photo.
213 « Melita », 25 juin 1916.
214 Mgr. Gounot (1884-1953) est nommé évêque coadjuteur de Mgr Lemaître le 14 août
1937.
215 « Melita », Sousse, 20 juillet 1938.
216 Jamoussi, H. Juifs et chrétiens en Tunisie au XIXe siècle. Essai d’une étude socio-
culturelle des communautés non-musulmanes (1815-1881), p. 250, op. cit.
217 Audisio Gabriel (1900-1978) : poète, écrivain, ancien directeur du théâtre d’Alger
218 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 169, op. cit.
219 Aquilina, J. Maltese Christian words of Arabic origin, Actes du premier Congrès
international d’Études des Cultures Méditerranéennes d’influence arabo-berbère,
pp.70-74, op. cit.
220 Le mot « Randan » semble être un terme datant du temps où chrétienté et islam
coexistaient à Malte ; il date du temps où la commémoration de la passion était plus
rigoureuse qu’aujourd’hui et, en quelque sorte, comparable au jeûne islamique.
(D’après, Aquilina, J. “Maltese Christian words of Arabic origin” op. cit.)
221 Entretien mai 2003.
222 Il Habib ta Tunes, n° 4.
223 Ces proverbes ont été relevés par Carmel, notre témoin-relais. Ils sont cités dans
l’étude susnommée de J. Aquilina
224 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 294, op. cit.
225 Les capucins italiens étaient installés en Tunisie depuis 1843, date à laquelle le Pape
Grégoire XVI leur avait confié l’administration du vicariat de Tunis. (Supérieur
Mgr. : Sutter 1843-1881)
226 Il s’agit vraisemblablement de Siciliens aussi pauvres que les Maltais : ces deux
populations entraient souvent en rivalité, les Sicilo-Italiens cherchant à se prévaloir
d’une supériorité nationale.
227 Aujourd’hui, des feux d’artifice ont lieu les jours de procession.
228 Vadala, R. Les Maltais hors de Malte, p. 76, op. cit.
229 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 407, op cit.
230 Ibid., p. 559.
231 Cette particularité de l’enseignement public résultait de conditions propres à la
Tunisie.
232 Une observation identique peut être faite à propos des langues régionales en France
à la même époque.
233 C’est du moins ce qu’affirmeront presque tous nos interlocuteurs.
234 Belhaj, Y.E. Boubaker, S. « La Méditerranée tunisienne », Les représentations de la
Méditerranée, Paris, Maisonneuve et Larose, 2000, p. 27.
235 D’après Jean Marcillac, Le printemps de Carthage, (ouvrage, hors commerce,
consulté à Tunis, Bibliothèque de Sidi Saber), p 68.
236 Darmon, R. Déformation des cultes en Tunisie, op. cit.
237 Vanhove, M. « La langue maltaise, un carrefour linguistique » in Le carrefour mal-
tais, p. 168, op. cit.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 137

238 Aglhabides : dynastie arabe qui régna sur la partie orientale de l’Afrique du Nord
(800-909) ; leur capitale était Kairouan (Tunisie).
239 Il s’agit de dialectes préexistants à l’invasion du Maghreb au XIe siècle par la tribu
d’Hilal, venue d’Arabie Centrale.
240 Krier F. « À propos du trilinguisme “stabilisé” à Malte » in Langues du Maghreb et
du Sud Méditerranéen, Cahiers de socio-linguistique n° 4, Rennes, P.U.R., 1999,
pp.129-134.
241 Monsieur Godfrey Wettinger, professeur de l’Université de Malte est particulière-
ment connu pour ses travaux sur l’Histoire médiévale des Îles maltaises.
242 Ce sont les textes bilingues phénicien-grec, trouvés sur deux cippes a Malte, qui per-
mirent de déchiffrer l’écriture phénicienne.
243 Cutajar, N. « Arabes et ormands à Malte » Malte, p. 78, op. cit.
244 Vanhove, M. « La langue maltaise, un carrefour linguistique » in Le carrefour mal-
tais, p. 167, op. cit.
245 Ibid.
246 Wettinger, G. Studies of its Heritage and History, Malta, Mid-Med Bank, 1986,
pp.87-104. (traduction)
247 Bresc, H. « Sicile, Malte et monde musulman », Malta A Case Study in
International Cross-Currents, p. 52, op. cit.
248 Fenech, E. Malta’s Contribution Towards Arabic Studies, in Actes du premier
Congrès international d’Études des Cultures Méditerranéennes d’influence arabo-
berbère, pp. 256-260 op. cit. (traduction).
249 Luttrell, T. A. Girolamo Manduca and Gian Francesco Abela : Tradition and invention in
Maltese Historiography, Melita Historica, 7 (1977), pp. 105-132. (traduction)
250 Godechot, J. Histoire de Malte, pp. 94-95, op. cit.
251 Ibid.
252 Sanguy, P. « Une vision de l’émigration maltaise au début du XXe siècle, Les nou-
velles ‘ Nord-Africaines’ de Sir Temi Zammit », Le départ et le retour dans le
monde anglophone, Paris, A3, 2000, pp.43-79.
253 Attard Bezzina, L. Maltese and Hebrew, two cases of cultural survival, article dis-
ponible sur : http:/aboutmalta.com
254 Todorov, T. ous et les autres, Paris : Le seuil, 1989, pp. 133-140.
255 Godechot, J. Histoire de Malte, p. 99, op. cit. (Il semble qu’il soit fait référence ici,
à la période de la Course en Méditerranée).
256 Krier, F. « À propos du trilinguisme “stabilisé” à Malte, langues du Maghreb et du
Sud Méditerranéen », Cahiers de socio-linguistique, n°4, op. cit.
257 Ibid.
258 Vanhove, M. « La langue maltaise, un carrefour linguistique » in Le carrefour mal-
tais, pp. 167-181, op. cit.
259 Ibid.
260 Krier, F. « À propos du trilinguisme “stabilisé” à Malte », Langues du Maghreb et
du Sud Méditerranéen, Cahiers de socio-linguistique n°4, op. cit.
261 Ibid.
262 Ce descendant de Maltais, appartenant à la troisième génération, née en Tunisie,
réside actuellement dans le Sud de la France ; nous aurons avec lui et son conjoint,
plusieurs entretiens durant les années 2002-2005.
263 La législation linguistique est décrite dans la Constitution, dans la Judicial
Proceedings Act, dans l’Education Act de 1999 et dans la Loi sur la langue maltai-
se (Maltese Language Act) de 2003 : « Le maltais est la langue de Malte et un élé-
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138 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

ment fondamental de l’identité nationale du peuple maltais. » Article 3 de la


Constitution.
264 Donato, Rue des Maltais, p. 23, op. cit.
265 Larguèche, D. Territoires sans frontières, La contrebande et ses réseaux dans la
Régence de Tunis au XIXe siècle, p. 160, op. cit.
266 Archives, correspondance consulaire britannique, 1872-1876.
267 Cf., Troisième partie, Porto-Farina, p.62.
268 Archives des sœurs Franciscaines de Marie, 1901, série C, Afrique, Tunisie, p 162.
269 Cf., p.92 (expression phonétique)
270 Skik, H. Les Maltais en Tunisie, Actes du premier Congrès international d’Études
des Cultures Méditerranéennes d’influence arabo-berbère, pp.83-90, op. cit.
271 Ces deux termes ne s’emploient pas à Malte où « tomate » se dit : tuffiha (ortho-
graphe phonétique)
272 Chachouka : Il s’agit d’un plat tunisien composé d’un mélange de légumes méditerra-
néens variés; dans l’article, ce terme veut donner, de manière imagée, un aperçu sur
l’utilisation anarchique des différentes langues employées par le journal concurrent.
273 Traduction de l’article.
274 Buin, Y. « L’étranger essentiel » in Le risque de l’étranger, soin psychique et poli-
tique, Inconscient et Culture, Paris, Dunod, Toulouse, Privat, 1999, p. 17.
275 Ibid.
276 Mohamed, A. Langues et identité ou les jeunes maghrébins de l‘immigration, Paris :
SIDES, 2003, p. 90.
277 Expression utilisée par les Maltais en Tunisie. (Aucun de nos interlocuteurs n’a éta-
bli de rapprochement entre cette expression et la religion musulmane.)
278 Skik, H. Les Maltais en Tunisie, op. cit.,
279 Levi-Strauss, C. Anthropologie stucturale, Paris, Plon, 1958, p. 392.
280 Vadala, R. Les Maltais hors de Malte. op. cit.
281 Selon G. Wettinger : la liste de la milice comprend 1870 noms répertoriés dont 57
appartenant à la communauté juive de Malte ; la liste de l’Angara, sorte de service
civil, comprend 1466 noms chrétiens et 52 noms juifs.
282 Godechot, J. Histoire de Malte, p. 31, op. cit.
283 Wettinger, G. Proceedings of the first congress on Mediterranean studies of arabo-
berber influence, Alger, SNED, 1973. (traduction).
284 Le patronyme « Farrugia » correspond à un prénom de femme en Kabylie et signi-
fie « coq » en langue berbère.
285 Vadala, R. Les Maltais hors de Malte, p. 78, op. cit.
286 Hervieu Léger, D. La religion pour mémoire, Paris, Cerf, 1993, p. 181.
287 Donato, M. Rue des Maltais, La vie de la colonie maltaise de Tunisie, p. 51, op. cit.
288 Traduction de l’article rédigé en langue maltaise.
289 Ibid.
290 « L’Empire Day » était célébré le 24 mai, date anniversaire de la naissance de la
reine Victoria ; il commémorait la puissance de l’empire britannique au début du
XXe siècle.
291 Presqu’île du Danemark où se déroula, en 1916, une importante bataille navale
anglo-allemande.
292 Traduction de l’article.
293 Actuelle avenue Habib Bourguiba.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 139

294 « The weekly Melita », le 5 mars 1916.


295 « The Friend il habib ta Tunes », 9 septembre 1916.
296 Donato, M. Rue des Maltais, La vie de la colonie maltaise de Tunisie, p. 50, op. cit.
297 Cf. Deuxième partie, L’émigration, p. 44
298 Mejri, A. La colonie maltaise de Tunisie et ses préoccupations à la veille de la
seconde guerre mondiale, Les Cahiers de Tunisie, numéro spécial, Tome XXXVI,
n° 143-144, 1er et 2e trimestres 1988, pp.117- 118.
299 Donato, M. Rue des Maltais, La vie de la colonie maltaise de Tunisie, pp. 49-50, op.
cit.
300 Extrait d’une lettre transmise après lecture de la proposition d’un article, rédigé par
nous-mêmes, sur les Maltais de Tunisie en vue de la réalisation d’un numéro spécial
du Cercle Vassalli consacré à ce groupe d’émigrants (numéro non réalisé à ce jour).
301 Sammut, C. La minorité maltaise de Tunisie : ethnie arabe ou européenne ?, Actes
du premier Congrès international des Cultures Méditerranéennes d’influence
arabo-berbère, op. cit.
302 Darmon, R. Déformation des Cultes en Tunisie, p. 86, op. cit.
303 A.N.T., Ministère des Relations Extérieures, série Tunisie 1917-1940, dossier n° 1,
1923-1927. Gouvernement Tunisien, Sûreté publique, note du 3 décembre 1921.
304 Ibid., note du 22 février 1922.
305 Ibid., note du 12 avril 1922.
306 Document disponible sur : www.aboutmalta.com
307 A.N.T., Ministère des Relations Extérieures, série Tunisie 1917-1940, dossier n° 1,
1923-1927. Gouvernement Tunisien, Sûreté publique, note du 6 avril 1922.
308 Donato, M. Rue des Maltais, La vie de la colonie maltaise de Tunisie, p. 23, op. cit.
309 Entretien, juin 2003.
310 Cf. Troisième partie, p. 69
311 Il y eut trois comtes Raffo en Tunisie, le plus connu étant le 1er Giuseppe (1795-
1862), il joua un rôle politique important sous le bey Hussein et ses deux succes-
seurs. Les deux autres détenteurs du titre, descendants du premier, sont moins
connus. Notre interlocutrice ne pourra nous préciser duquel il s’agit.
312 Témoignage anonyme souhaité par notre témoin.
313 Sammut, C. « Les communautés migrantes maltaises de Tunisie installées en
France : un cas d’acculturation coloniale », Le cuisinier et le philosophe, hommage
à Maxime Rodinson, op. cit.
314 Ibid.
315 Sayad, A. « La double absence », Des illusions de l’émigré aux souffrances de
l’immigré, p. 311.
316 Entretien mars 2001, Maltais, soixante ans, région parisienne
317 Bernardie, N. Malte, parfum d’Europe, souffle d’Afrique, p. 99, op. cit.
318 En 1870, la population maltaise était équivalente de la population sicilienne.
319 Faucon, N. La Tunisie avant et depuis l’occupation française. Histoire et colonisation.
Vol. II, Colonisation, Paris, Challamel, 1893. (Cité par Smith A. L. in « Les Maltais en
Tunisie à la veille du protectorat : une population intermédiaire », p. 117.)
320 Donato M., Rue des Maltais, La vie de la colonie maltaise de Tunisie, pp. 32-33, op. cit.
321 Petiet, C. Ces messieurs de la religion. L’ordre de Malte au XVIIIe siècle ou le cré-
puscule d’une épopée, pp. 147-148, op. cit.
322 Servonnet J. Lafitte F. Le Golfe de Gabès en 1888, Paris, Challamel, 1888.
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140 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

323 Bertrand, L. Le sang des races, (cité par Patrice Sanguy, in “Une vision de
l’émigration maltaise au début du XXe siècle”, Les nouvelles ‘Nord-Africaines’ de
Sir Temi Zammit, Le départ et le retour dans le monde anglophone, p. 16, op. cit.)
324 Atlas-Géographie, cours supérieur. Paris-Lyon : librairie catholique Emmanuel
Vitte, 1909, p. 14.
325 Ibid.
326 Il s’agit d’un émigré qui revient de Sousse.
327 Le mot « returnee » signifie : celui qui est revenu à Malte après une période
d’émigration.
328 Sanguy, P. “Une vision de l’émigration maltaise au début du XXe siècle, Les nou-
velles “Nord-Africaines” de Sir Temi Zammit”, Le départ et le retour dans le monde
anglophone, p. 16, op. cit.
329 Todorov, T. ous et les autres, Paris, Seuil, 1999, p. 134.
330 Larguèche, D. Territoire sans frontières, La contrebande et ses réseaux dans la
régence de Tunis au XIXe siècle, p. 105-107.
331 Galley, M. “L’Imnarja, la fête des lumières à Malte”, Littérature arabo-berbère,
n°14, note 6, p. 212, op. cit.
332 Smith, L.A. « Les Maltais en Tunisie à la veille du protectorat : une population inter-
médiaire »,La Tunisie mosaïque, Toulouse, PUM, 2000, p. 117.
333 Dessort, C.R. L’histoire de la ville de Tunis, p. op. cit.
334 Entretien 2003, Mm Vérié-Cassar.
335 Terme employé en 2003, dans un écrit sur ses souvenirs, par un Maltais de la troi-
sième génération, née en Tunisie.
336 Vadala, R. “L’émigration maltaise en pays musulman”. Revue du monde musulman,
1911, vol. XIV, n° IV, p. 59.
337 Ibid. p. 7.
338 Ménéchal, J. Le risque de l’étranger, soin psychique et politique, p. 63, op. cit.
339 Le conférencier vient de Malte.
340 « Melita », Sousse, 5 février 1937.
341 Ibid., 24 juin 1938.
342 Monastir, Terre de Tunisie, Guido Médina, 1940. (L’auteur raconte « il y a 20 ans »)
343 Melita, Sousse, 5 janvier 1937.
344 Ordre de l’honneur, décoration attribuée par le bey de Tunis
345 Cf. Quatrième partie, De l’Algérie à la Tunisie : une évolution inscrite dans un ter-
ritoire, p. 149.
346 Entretien octobre 2004.
347 Ménéchal, J. Le risque de l’étranger, Soin psychique et politique, p. 17, op. cit.
348 Lévi-Strauss C., Race et Histoire/Race et Culture, Albin Michel/Unesco, déc. 2001.
pp. 83-84.
349 D. S. n° 27, juin 1993, p. 198.
350 Entretien téléphonique Madame Vérié Cassar, septembre 2003.
351 Memmi, A. La terre intérieure, Paris, Gallimard, 1976, p. 54.
352 Mihai, C. « Identité nominales et langagières dans la Roumanie actuelle. Les pro-
verbes-images », Groupes minorisés et ethnies discriminées. Des processus de
nomination et de désignation de l’autre, Esprit Critique, 2004, Vol.06, n° 01, p. 20.
Disponible sur : http://www.espritcritique.org
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Quatrième Partie

Les parcours migratoires


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142 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

1. TRAJECTOIRES FAMILIALES
Ces histoires particulières sont des récits familiaux avec ce que cela
comporte d’interprétation de la mémoire familiale, d’oublis dûs quelque-
fois à une mémoire défaillante mais aussi à une relative déformation de la
réalité, de censure et d’autocensure, d’incohérences historiques. Souvent
la représentation du passé sera recontextualisée par les émigrants, deve-
nus Français ou Anglais, de par leur nouvelle émigration soit en métro-
pole, soit en Grande Bretagne, du fait d’une nouvelle migration après
l’indépendance de la Tunisie. La relation au contexte historique nous per-
mettra de resituer et d’analyser concrètement les changements intervenus.
Obtenir ces récits n’est pas chose aisée car les descendants de Maltais
s’expriment souvent, peu, à propos d’un passé qu’ils connaissent souvent
mal353.
Le choix de quelques trajectoires, parmi l’ensemble des personnes
interviewées, s’est effectué suivant des critères d’ordre historique, social,
et territorial particuliers ; nous rappellerons que, pour des raisons de
confidentialité, noms et prénoms des intéressés ont été modifiés sauf dans
les cas où les récits familiaux appartiennent au domaine public, du fait de
leur parution soit en librairie, soit dans les revues des associations.

1.1. PROBLÈMES IDENTITAIRES EN CORRÉLATION AVEC L’HISTOIRE :


LA FAMILLE CORTIS ENTRE MALTE, TUNISIE, FRANCE, ANGLETERRE
AU COURS DES GÉNÉRATIONS
De nombreux entretiens, avec un couple de Maltais, Jacqueline et
Charles Cortis, ont permis d’approfondir les parcours de leurs familles
respectives en les resituant dans le contexte historique. Pour plus de clar-
té, nous suivrons d’abord les itinéraires migratoires de la famille de
Madame Cortis, puis nous étudierons les changements progressifs inter-
venus dans la famille de son conjoint.
otre interlocutrice, Jacqueline Cortis, peut faire remonter son histoi-
re jusqu’à son grand-père paternel, Georges Refalo, né en 1870 à Zeitun
(Malte), qui décède, encore jeune, d’un coup de sabot de cheval. Elle
pense qu’il était cocher. Un de ses fils, Antoine (père de notre interlocu-
trice), né à Malte en 1896, part jeune homme pour l’Amérique travailler
aux usines Ford. À cette époque crise économique et surpopulation obli-
gent de nombreux Maltais à émigrer. Antoine ne semble pas s’adapter à
cette nouvelle vie. Le choc culturel doit, effectivement, être important car
il passe d’un monde rural surpeuplé à l’univers, froid et impersonnel, du
taylorisme où rendement et parcellisation des tâches sont le maître mot.
Ajoutons à cela, vraisemblablement, une méconnaissance de la langue
anglaise, peu pratiquée par les gens du peuple si ce n’est les marins ou
les petits employés de la capitale.
De plus, la famille manque à ce jeune homme qui décide de retourner
à Malte ; de là, il rejoint la Tunisie où il se marie avec une Maltaise née
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 143

en Tunisie ; pour des raisons inconnues de mon interlocutrice, le couple


effectue un nouvel essai de vie à Malte où naîtra un premier enfant. À par-
tir de 1926, cette fois, pour des raisons d’emploi, la famille émigre en
France dans la région de Grenoble, où Antoine Refalo travaillera dans les
hauts fourneaux jusqu’en 1931. Deux filles naîtront en France. D’après
notre interlocutrice, il semble que la vie en France ait été difficile pour ses
parents, compte tenu de la rudesse du climat et de conditions de logement
précaires ; ajoutons à cela une connaissance approximative de la langue
française ; Jacqueline nous précise que son père était autodidacte : il
avait appris à lire et écrire le français à l’aide de journaux.
À noter que durant cette période, la crise économique mondiale affec-
te tous les secteurs d’activité. e trouvant plus de travail, la famille déci-
de une nouvelle émigration vers la Tunisie où se trouvent, déjà, d’autres
membres de la famille. Antoine Refalo y exercera différents petits métiers
comme la majorité de ses concitoyens maltais ; il sera ainsi successive-
ment garçon de café, cuisinier dans des restaurants populaires. Il passe-
ra aussi quelques années à la Compagnie des Chemins de Fer tunisiens
en tant qu’ajusteur. La famille nombreuse (sept enfants) a alors peu de
ressources ; ils habiteront durant quelques années dans la casbah et,
Jacqueline se souvient qu’elle devait faire la corvée d’eau au puits com-
mun en revenant de l’école. Elle se marie en 1956 à un maltais serrurier
de Tunis. Le couple décide alors de s’installer en France ; leur premier
point de chute sera Marseille, dans le quartier de la Belle de Mai, puis
Paris où son conjoint entre dans la fonction publique.

Parmi les frères et sœurs de Jacqueline Cortis, on peut noter un début


de diversification des nationalités suivant les unions matrimoniales
contractées. Ainsi, la plus jeune épousera un Italien de Tunis et vit actuel-
lement en Italie. Les autres enfants vont progressivement rejoindre la
France, principalement la région parisienne. Les parents, eux, la rega-
gneront, lors de leur retraite pour s’installer auprès d’un de leurs enfants.
Le parcours mouvementé de cette famille entre Malte, États-Unis, France
et Tunisie, reflète bien l’esprit de ces migrants décrits, dans la revue mal-
taise « Heritage » : « Le timide paysan engagé - à l’étranger - pour don-
ner un coup de main durant la moisson était capable de devenir très vite
propriétaire d’une petite terre et capable de produire à son tour.
Cependant il se sentait solitaire et dépressif et gardait la nostalgie de sa
famille, ainsi le gouverneur Grant a pu écrire en 1870 que l’émigrant
quittait Malte avec le désir d’y retourner. Son environnement traditionnel
paroissial où l’église et le café tiennent une place importante n’a pas
d’équivalent dans d’autres pays particulièrement ceux situés au-delà de la
Méditerranée où langages et coutumes lui sont étrangers. »354

ous avons pu nous entretenir, lors d’un voyage d’études à Malte, avec
un couple de leurs cousins, Jeanne et Félix Bartolo355. Ils nous confirme-
ront qu’il s’agissait d’une émigration familiale, en Tunisie, étendue aux
collatéraux, oncles et tantes accompagnés de leurs enfants. ous appren-
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144 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

drons ainsi que les parents de Madame Bartolo ont émigré tardivement,
en Tunisie dans les années 1920, alors qu’elle-même, était encore enfant.
« La Tunisie, c’était l’Amérique pour eux », nous dira son conjoint. Ils
rejoignent alors les membres de la famille déjà installés. Le père et les
oncles de notre interlocutrice travaillent alors pour les usines Peugeot.
C’est en Tunisie que Jeanne épousera un Maltais, enfant, lui aussi,
d’immigrés ; cependant, les parents de Madame Bartolo, commençant à
être âgés, rentreront à Malte tandis qu’un de ses oncles se dirigera vers
l’Angleterre. Quelques années plus tard, M. et Mme Bartolo rejoindront
l’archipel, afin de s’occuper de leurs parents. Les relations seront conser-
vées entre les membres dispersés de cette famille, notamment de manière
épistolaire ; toutefois des possibilités de voyages, moins onéreux, favori-
seront des rencontres tardives ; ainsi la mère de Jacqueline Cortis a pu,
dans les années soixante-dix, retrouver sa sœur qu’elle n’avait pas vue
depuis quarante ans ; de même, Monsieur Bartolo nous racontera qu’il a
fait la connaissance de ses cousins anglais, seulement à l’âge de soixante
ans.

Des entretiens ultérieurs avec Charles Cortis, conjoint de notre inter-


locutrice, permettront de compléter le parcours familial ; il évoquera, tout
d’abord, ses propres ancêtres, confirmant le vécu des premiers immigrés
maltais en territoire tunisien puis, apportera d’autres éléments, permet-
tant de mieux cerner les raisons de la seconde émigration, des familles
maltaises vers la France et la Grande-Bretagne à la suite de
l’indépendance de la Tunisie.
Le grand-père paternel de Charles, Antoine Cortis, est né en Tunisie en
1872, avant le protectorat français de 1881. C’est donc son arrière-
grand-père paternel qui a émigré en Tunisie. Charles sait seulement que
ce dernier est sans doute originaire de Rabat (Malte). Il nous rapporte
que son grand-père leur racontait qu’enfant, il était allé voir l’arrivée des
Français à Tunis, par la porte Bâb Saadoun ; « il devait avoir entre huit
ou neuf ans à cette époque. » La famille vivait alors dans un fondouk dans
le quartier du Sacré-cœur (Bab el Khadra) où se trouvaient beaucoup de
ses compatriotes ; elle acquerra par la suite une maison dans ce même
quartier. Antoine Cortis apprendra le métier de serrurier ; il se mariera
avec une Maltaise née à Tunis en 1878. euf enfants naîtront de cette
union, tous épouseront des conjoints maltais. Les familles issues de ces
mariages résideront dans la médina ou à proximité. Deux d’entre elles,
continueront à vivre dans la demeure paternelle bien que ce ne soit pas
une coutume maltaise. En effet, à Malte, le couple s’installait indifférem-
ment mais « préférait de beaucoup résider dans la paroisse de
l’épouse »356 afin de se protéger d’éventuelles violences conjugales.
Pour les neuf enfants, dont cinq de sexe masculin, les métiers exercés
reproduisent ceux des parents ; on retrouve les petits métiers artisanaux
cités par C. Sammut dans son étude sur « Les communautés migrantes
maltaises de Tunisie »357 : trois, d’entre eux, deviendront serruriers ; les
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 145

deux autres débuteront également comme serruriers puis deviendront


commerçants dans le transport et les vins.
La troisième génération née en Tunisie, au cours des années trente,
comporte quarante-six enfants. C’est à ce stade qu’une diversification
familiale importante va se faire jour progressivement. Elle concerne tout
d’abord les choix matrimoniaux. Parmi les quarante-six personnes de
cette génération, on notera :
18 mariages avec des Maltais,
8 mariages avec des Anglais,
5 mariages avec des Italo-Siciliens,
5 mariages avec des Français,
3 unions non identifiées,
7 célibataires dont 6 prêtres ou religieux.

Soit dix-huit unions exogamiques à la communauté maltaise, tandis


que dix-huit autres restent endogamiques. On notera l’importance du
nombre des religieux, dimension fréquente dans beaucoup de familles
maltaises qui, outre l’attachement à la religion catholique, trouvaient là,
une source de fierté et d’élévation sociale.
Aucun enfant de la troisième génération ne restera en Tunisie. Les évé-
nements historiques en sont, sans doute, en grande partie la cause. En
effet la Tunisie devenant indépendante en 1956, il semble qu’il était de
plus en plus difficile, pour les Maltais, d’y envisager leur avenir.
Une nouvelle émigration s’organisera à la fois, en fonction de choix
économiques (période des Trente Glorieuses en France), mais aussi poli-
tiques. En effet, à la suite des lois de naturalisation, les deuxièmes et troi-
sièmes générations nées en Tunisie vont, dans cette famille, comme dans
la plupart des familles maltaises, se trouver avec des nationalités diffé-
rentes ; ainsi le père de Charles Cortis (notre interlocuteur), né avant
1923, choisira de rester britannique mais acceptera que ses enfants
deviennent français par décret358 ; par contre, Victor et Armand Cortis,
oncles paternels de Charles, garderont la nationalité britannique pour
leurs enfants. Quels en sont les mobiles ? Les entretiens, avec différents
membres de cette famille, n’apporteront pas vraiment de réponse ; peu
d’explications étant données aux enfants comme nous l’avons déjà souli-
gné. Cependant, ces choix différents détermineront, dans une certaine
mesure, l’orientation de la seconde émigration, vers la France,
l’Angleterre ou l’Italie.
Toutefois, ces Maltais de la deuxième et troisième génération, nés en
Tunisie, sont avant tout des Méditerranéens. Ils connaissent habituelle-
ment le maltais, le tunisien, le sicilien et le français, mais n’ont aucune
notion de la langue anglaise ni du mode de vie britannique. Leur choix
est, peut être, une autre manière de marquer leur appartenance au monde
maltais. Cependant leurs débuts semblent difficiles : la langue anglaise,
peu ou mal possédée, restera pour les plus âgés, et ce jusqu’à ce jour, très
peu utilisée (nous avons pu le vérifier auprès des intéressés). L’expression
linguistique privilégiée reste le français, souvent mêlé de maltais, de tuni-
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146 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

sien et d’italien dans le cercle familial, recréant ainsi le mode de vie anté-
rieur ; de même la conservation du métier exercé en Tunisie, tel celui de
serrurier, laisse apparaître une certaine nostalgie et l’on voit fleurir au
milieu des villas anglaises de superbes balcons en fer forgé dont le bleu,
caractéristique de Sidi Bou Saïd, vient rappeler le ciel tunisien dans la
grisaille londonienne.
Ce mode de vie, intermédiaire entre diverses cultures, va être à
l’origine d’un va-et-vient entre la France et l’Angleterre, au cours de la
vie de quelques-uns de ces émigrés. Ainsi, après une vie professionnelle
en Angleterre, Victor Cortis et son épouse, également maltaise de Tunisie,
rejoindront la France lors de leur retraite. Cependant, se trouvant loin de
leurs enfants, mariés à des Anglaises, ils reviendront de nouveau en
Angleterre pour vivre auprès de leurs trois fils. Ils y resteront quelques
années puis rejoindront la France avec leur plus jeune fils, célibataire.
Les deux aînés, arrivés enfants, en Angleterre, resteront dans ce pays, et
deviendront, respectivement, enseignant et directeur d’une importante
imprimerie ; cependant, à l’image de ses parents, Paul, le second des
enfants, à quelques années de la retraite, s’installera en France alors
qu’il n’a jamais vécu antérieurement dans ce pays, et que ses propres
enfants sont demeurés en Angleterre. Dans cette situation, le lien avec la
France paraît d’ordre affectif et culturel ; comme ses parents, Paul dit
« apprécier la vie en France » ; il a d’ailleurs conservé l’usage de la
langue française mais ne connaît que quelques mots de maltais. Une
représentation mythique de la France paraît s’être transmise dans cette
famille aux dépens de la transmission d’éléments culturels maltais ; Paul
tiendra, cependant, à faire découvrir à ses enfants, devenus adultes, la
Tunisie et Malte, terre de leurs origines ; ainsi le fil ténu d’une transmis-
sion, tunisienne et maltaise, se poursuit malgré une apparente quasi-
inexistence.

Le parcours sera similaire pour Armand Cortis359, le plus jeune des


oncles paternels de notre interlocuteur principal, Charles ; il s’installera
d’abord, en Angleterre, avec son épouse Raymonde puis choisira le sud de
la France pour sa retraite ; ses enfants resteront, eux, en Angleterre. Il
nous parlera, au cours d’un entretien, de ses arrière-grands-parents
maternels qui auraient été, à Malte, commerçants en tissu ; il expliquera
que ses grands-parents maternels avaient poursuivi cette activité en
Tunisie où « ils vendaient des tissus, notamment des brocarts aux
Arabes ». Ce témoignage, qu’il n’a pas été possible de vérifier auprès
d’autres membres de la famille, confirme cependant l’existence
d’échanges commerciaux entre Malte et la Tunisie, au cours du
XIXe siècle ; même si elles sont inexactes sur le plan historique familial,
ces relations existaient dans l’imaginaire collectif des Maltais de Tunisie.
Le couple rapportera d’autre part, au cours de l’entretien, quelques cou-
tumes maltaises, usitées en Tunisie : ainsi, pour les cadeaux de mariage,
la famille de la fiancée se devait d’offrir non seulement la robe de mariée
mais aussi « un bon lit, des tapis, rideaux et batterie de cuisine ».
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 147

Raymonde Cortis ajoutera que l’usage d’un intermédiaire était fréquent


pour choisir le conjoint, « cela se passait souvent à la messe ; il s’agissait
parfois d’un cousin éloigné qui remarquait la jeune fille » pendant
l’office ; dès le lendemain, « une de ses tantes venait en parler à la mère
de la jeune fille » qui informait l’intéressée ; « les pères intervenant par la
suite, les familles se mettaient d’accord pour les futures fiançailles ».
Raymonde évoquera, d’autre part, son propre grand-père paternel, tra-
vaillant en Tunisie comme charretier, puis son père, devenu contremaître
à l’entreprise Souik360 et Baizeau ; elle nous précise que ses grands-
parents parlaient arabe et que sa grand-mère lisait le maltais et l’italien.
Tous les deux parlent encore maltais et leur fils aîné, demeuré en
Angleterre, le comprend ; par contre si Raymonde Cortis peut s’exprimer
en anglais, son conjoint semble s’être toujours refusé à l’utilisation de
cette langue qu’il comprend vraisemblablement, dans la mesure où il a de
nombreuses années travaillé dans ce pays. Madame a, par ailleurs,
conservé l’habitude de confectionner quelques recettes maltaises : la
« Kwalata », sorte de potée, et différentes tourtes à la ricotta et aux petits
pois. Éléments affectifs importants, l’attachement aux traditions culi-
naires et la conservation d’une pratique linguistique, sans oublier le fac-
teur religieux (les pèlerinages à Lourdes seront évoqués durant
l’entretien) ont su préserver chez ce couple, malgré les migrations succes-
sives, les bases d’une possible transmission étayée par une découverte
tardive de Malte en 2002.

1.2. DE L’IMPORTANCE D’UNE INSERTION SOCIALE RÉUSSIE


1.2.1. Une famille originaire de la Goulette
M. Michel Attard, lors d’entretiens, accepta de nous parler très simple-
ment de sa famille, de son enfance et nous montra l’interview du « Sunday
Times » de Malte en date du 28 juin 1998 où M. J. Licari interroge son
neveu M. C. Bartolone, ancien ministre français de la ville, sur ses
ancêtres maltais. Il en ressort que l’arrière-grand-père de M. Bartolone,
était né à la Goulette361 en 1852. Le grand-père de Michel Attard épouse
une maltaise Carmen Hili en 1876. Un de leurs fils, Antoine Victor né en
1896, se marie à Antoinette Butiggieg, d’origine maltaise ; en 1918, cinq
enfants naissent de cette union dont M. Michel Attard lui-même, et une
fille Carmen qui se marie avec P. Bartolone, d’origine sicilienne, père de
l’actuel ministre. ous pouvons remarquer que, dans ce cas, une alliance
exogamique à la communauté maltaise s’effectue comme dans la famille
précédente au niveau de la deuxième génération née en Tunisie. Dans ce
même article et lors de notre entretien, M. Michel Attard explique que son
père débuta dans la vie comme petit commerçant, ravitaillant les bateaux
qui exportaient le fer à partir du port de la Goulette. Il travailla ensuite
sur le « Zembra », navire pour lequel il était responsable des achats. Il
perdit ce travail lors de la crise de 1930 ; après une période de chômage
où la vie fut très dure pour la famille, il travailla au marché du port, où il
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148 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

percevait les taxes, dues par les grossistes ; il contrôlait aussi l’arrivée des
bateaux de pêche. Il décédera jeune à trente-sept ans. Dans cette inter-
view, C. Bartolone parle également de son enfance à Tunis et de la com-
munauté maltaise et italienne, en évoquant ce melting-pot culturel dans
lequel ils vivaient, chaque communauté ayant ses plats, ses coutumes et
dialectes. Son oncle nous livre quelques détails complémentaires sur cette
vie : scolarisé enfant chez les Frères, il rejoignait ses copains tunisiens et
juifs pour écouter derrière la porte, l’enseignement de la mosquée ou
celui de la synagogue. Les différentes communautés étaient très liées tout
en gardant chacune leur spécificité. Ainsi les fêtes de oël, de la fin du
Ramadan, de la Torah, étaient l’occasion pour chaque groupe d’échanger
des pâtisseries. À d’autres occasions, il rendait service à ses voisins juifs
en venant « appuyer sur le bouton électrique le samedi. » Ces petits évé-
nements de la vie familiale se retrouvent dans les écrits de R. Darmon :
ainsi le samedi « on fera tourner le commutateur de la lumière électrique
par un “Sabbat Goï”, un gentil du Sabbat »362.
otre interlocuteur explique, par ailleurs, que les filles étaient peu sco-
larisées et restaient à la maison avec les femmes du groupe familial ; elles
sortaient cependant soit pour les achats, soit pour les offices religieux et
les promenades en famille dont le but était très souvent la visite aux
grands-parents. Selon l’expression d’une autre Maltaise cette « vie en
couleur » s’arrêtera pour celle en « noir et blanc » de la capitale françai-
se en 1960.
Ainsi C. Bartolone rappelle, dans l’article du journal, qu’à l’époque de
l’arrivée au pouvoir de H. Bourguiba, son père, petit propriétaire vitico-
le, en désaccord avec les nouvelles orientations de l’économie tunisienne,
décide très rapidement de rejoindre la France. Le parcours migratoire de
cette famille suit le même processus d’évolution que celui des familles pré-
cédemment évoquées, à savoir une immigration de l’un des trisaïeuls ou
bisaïeuls de Malte vers la Tunisie, au milieu du XIXe siècle. Ces données
sont confirmées, à la fois, par les registres de catholicité de l’église Ste
Croix que nous avons pu consulter et par les études précédemment effec-
tuées (J. Ganiage évoque la présence de six à sept mille Maltais en Tunisie
au milieu du XIXe siècle.) La même concordance, entre études antérieures
et familles interviewées, existe en ce qui concerne les mariages conclus à
l’intérieur de la communauté maltaise, jusqu’à la deuxième génération
née en Tunisie, autrement dit à partir de 1930. C’est cette même généra-
tion qui effectuera une nouvelle migration liée à l’évolution politique de
la Tunisie.

1.2.2. Une famille de Tunis


Rencontrée au cours de nos recherches, Mme Vérié Cassar deviendra
rapidement une de nos informatrices privilégiées ; tout en confirmant
l’ensemble de nos propos, sur la vie des familles maltaises en Tunisie, elle
apportera cependant quelques éléments différents. Ainsi, durant
l’entretien, elle évoquera l’arrivée de sa famille en Tunisie dès 1824 ; la
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 149

génération suivante connaît des difficultés matérielles avec le décès du


grand-père ; cependant sa grand-mère ouvre un petit commerce près du
consulat britannique. Elle a l’idée de faire venir d’Angleterre des produits
spécifiques que les Anglais trouvent difficilement en Tunisie. On retrouve
ici l’esprit inventif des Maltais immigrés qui, malgré les difficultés,
s’adaptent et trouvent des solutions pour faire vivre et évoluer leur famil-
le.
ous avions, retrouvé dans l’édition de « Melita » du 14 mai 1916,
mention de la participation d’une Madame Cassar à une réunion du
consulat anglais en vue d’une vente de bienfaisance. Pensant qu’il
s’agissait, peut-être d’une proche parente de notre interlocutrice, nous
l’en avons informée ; elle nous a précisé qu’il s’agissait vraisemblable-
ment d’une de ses tantes.
Les filles issues de la deuxième génération née en Tunisie seront, nous
dit-elle, mariées rapidement. Cependant la famille de Mme Vérié Cassar
devient plus aisée. Sa génération peut faire des études et fréquente aussi
bien les Français que les Italiens. Pour notre interlocutrice, il n’existait
plus de communauté maltaise en Tunisie après la seconde guerre mondia-
le.
Au cours des différents entretiens, reviendra souvent le thème de me
proposer de citer le parcours de Maltais ayant réussi à émerger en France
soit professionnellement, soit politiquement. Il semble rester très impor-
tant pour beaucoup de Maltais, vivant en France, de prouver encore leur
assimilation réussie dans la culture française. Ce sentiment est cependant
associé, pour certains, à un questionnement sur la transmission aux géné-
rations suivantes, de signifiants maltais.

1.3. DE L’ALGÉRIE À LA TUNISIE :


UNE ÉVOLUTION INSCRITE DANS UN TERRITOIRE
Analyser le parcours de la famille Psaïla a paru intéressant dans la
mesure où nous avons pu nous entretenir, à des moments différents, avec
les représentants de trois générations, vivant actuellement en France.
ous suivrons le parcours migratoire de cette famille en nous intéressant
plus spécialement à leur déplacement géographique à l’intérieur de Tunis,
signe de l’ascension sociale de la famille ; nous essaierons de comprendre
comment du fait d’une nationalité française acquise en Algérie, puis de
son évolution en Tunisie, cette famille, au cours des générations, s’est
davantage vécue comme française ; quelles traces, pour chacun d’entre
eux, restait-il du passé maltais ; quels liens avaient pu être conservés avec
la Tunisie ? Quel sens leur donner ? ous rencontrerons successivement,
Jacques Psaïla, son fils Jean, et Louis, grand-père paternel de Jean363.
Jacques Psaïla nous résumera l’essentiel des données concernant
l’émigration familiale : le premier émigrant fut son arrière-grand-père,
Ernest Psaïla ; originaire de Gozo, donc Maltais de nationalité britan-
nique, il émigrera d’abord vers l’Algérie et, de ce fait, deviendra
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150 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Français. Les données concernant ce premier ancêtre, semblent être peu


connues de Jacques ; il nous dit savoir seulement qu’il se dirigea vers la
Tunisie avant 1880, accompagné d’un de ses fils, Antoine, encore enfant.
Antoine se marie en Tunisie avec une Italo-Maltaise ; de cette union naît
en 1910, Louis, que nous aurons l’opportunité de rencontrer quelque
temps plus tard.
Au cours de l’entretien, nous apprenons que Louis épouse, comme son
père, une Italo-Maltaise dont les parents exercent le métier de boucher à
Tunis. Leur mariage est célébré dans cette ville, à la Cathédrale, en 1938 ;
plusieurs enfants naîtront dans ce foyer dont Jacques, notre interlocuteur.
Louis, de nationalité française par son père, né en Algérie, sera soumis
aux obligations militaires et, de ce fait, participera au conflit de 1940. Sur
le plan professionnel, il ouvrira, dans un quartier aisé de Tunis, une sorte
de « supérette »364 où il vendait divers articles de droguerie y compris des
liqueurs.
En 1959, un an après l’indépendance de la Tunisie, l’ensemble de la
famille rejoindra la France. Jacques choisira comme conjointe une
Française ; c’est un choix d’alliance conforme à l’image qu’ils se font
d’eux-mêmes : « Ils sont de milieu français, de culture française et ne se
sont jamais posé la question de la nationalité. »
ous sommes ici dans un discours distancié, opératoire, mais objectif
dans sa présentation puisqu’effectivement, l’ancêtre maltais de nationali-
té britannique, émigrant d’abord en Algérie, est devenu français depuis la
loi de naturalisation de 1889365. Que restait-il alors du passé familial mal-
tais ? Quel avait été le vécu en Tunisie de cette famille, quels souvenirs
subsistaient ?
Il semble avoir été peu question de Malte dans le discours familial ; la
langue maltaise n’est pas connue alors que, pour des raisons commer-
ciales, l’arabe est pratiqué ; l’italien semble avoir été conservé quelque
temps du côté maternel du fait de la composition Italo-Maltaise de ce
couple. Seules quelques recettes de cuisine, d’origine maltaise, italienne,
arabe et française, se transmettent dans la famille, au travers d’un cahier.
Recueillis auprès de divers membres de la famille, ces éléments de mémoi-
re familiale sont retransmis à tous, l’affectif sensoriel, interférant ici dans
la « culture française ».
Peu concerné, semble-t-il, par la relation à Malte, notre interlocuteur
a cependant conservé des liens avec la période de sa vie passée en Tunisie
notamment celles de l’enfance et de l’adolescence. Le principal lien sub-
siste à travers la référence à la religion catholique et, principalement
celui lié à la chorale de la Manécanterie des Sables366 ; cette dernière, en
plus de l’animation des messes, fonctionnait « un peu comme les scouts
[…] nous participions, en plus de la chorale, à des activités, essentielle-
ment jeux et camps […] des enfants de souche maltaise, Français et
Siciliens en faisaient partie ». Les anciens petits chanteurs continuent de
se retrouver une fois par an en France ou en Italie, autour du fondateur
de la chorale, M. Petit. Sur ma demande, Jacques évalue à environ 30 %,
le nombre d’enfants de « souche maltaise » ayant appartenu à cette cho-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 151

rale ; il préférera cette expression à celle de Maltais car « il s’est toujours


senti français » et ce, pour lui « dès la naissance ». Il retrouve cependant
avec plaisir ses anciens camarades maltais de la chorale et semble être
resté en relation avec eux. Il informera, par ailleurs, de l’existence d’une
autre association catholique, fondée en Tunisie et continuée en France :
celle de sainte Félicité et sainte Perpétue367.
Peut-on évoquer, ici, une fonction compensatrice de la religion, substi-
tutive d’une absence de sens, quant au territoire d’origine familial ?

Lors de l’entretien réalisé avec Jean, l’un de ses enfants (trente ans),
quelques nouveaux éléments seront apportés, quant à la connaissance du
parcours familial : originaire de Gozo, son bisaïeul, immigrant d’abord
en Algérie, aurait exercé, par la suite, le métier de maquignon. Était-ce la
profession de son père et le lien avec l’archipel était-il gardé à cette
époque ? Rien ne nous autorise à l’envisager si ce n’est l’habitude, dans
les familles, de poursuivre une tradition professionnelle de père en fils et
le lien particulier des Maltais à tout ce qui se rapporte soit aux courses
de chevaux soit au métier de cocher.
C’est effectivement Louis, né en Tunisie en 1910, qui nous introduira
plus précisément dans le parcours familial. Il resituera l’émigration de
son arrière-grand-père paternel, Ernest, vers l’Algérie, sans autre indica-
tion connue ; il complétera le récit de son fils, Jacques, en évoquant le
mariage de son propre père, Antoine, avec une Maltaise, petite-fille d’un
gouverneur d’Égypte ; cette mention est importante car, nous dit-on, la
mère s’exprimait, de préférence, avec ses enfants, en italien et en français
plutôt qu’en maltais. La famille partira pour la Tunisie avant le protecto-
rat.
é en Algérie, puis venu en Tunisie, Louis fréquentera comme beau-
coup d’enfants maltais, l’école des Frères, rue de la Casbah où nous rap-
pelons que, les premières années, l’enseignement était donné en italien
puis en français ; pour des motifs familiaux et scolaires, l’enfant
n’apprendra que ces deux dernières langues. La vie familiale est proche
du monde français ; la nourriture, nous expliquera, Louis, était internatio-
nale : « grecque, française, italienne, maltaise : beignets sucrés frits, au
petit-déjeuner (bambalone), raviolis, figollis »368.
Par ailleurs, l’élément religieux est souvent relevé au cours de
l’entretien : participation aux sorties et à la troupe de théâtre, organisés
dans le cadre d’un patronage catholique ; notre interlocuteur souligne
l’importance de la confirmation faite à treize ou quatorze ans et, tout par-
ticulièrement, celle du parrain de confirmation, le plus souvent maltais,
même dans le cas de cette famille, très ouverte sur la culture française ;
en effet « le parrain considère le jeune confirmé, comme son propre fils ».
otre interlocuteur évoque également les processions effectuées à otre
Dame de Tunis, petite église située en haut du Belvédère369 et surtout celle
de otre Dame de Trapani où pour le 15 août, la statue était portée dans
les rues ; il tient à nous en décrire l’itinéraire : départ de la cathédrale
puis l’avenue Jules Ferry (actuelle avenue Habib Bourguiba), le secteur
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152 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

de la petite Sicile puis de nouveau l’avenue Jules Ferry pour rejoindre la


Cathédrale. Comme les autres informateurs maltais de sa génération,
notre interlocuteur a gardé le souvenir du Congrès Eucharistique de 1935
dont il tiendra à nous expliquer l’organisation ; ce fut, pour lui, une céré-
monie « inoubliable » du fait de la présence du légat du pape et de mil-
liers de participants.
Cependant la famille ne fréquente pas la Salle Maltaise qui aurait sans
doute trop signifié, pour eux, une appartenance de type communautaire.
Ils ne se sentent pas davantage concernés par les institutions liées au
consulat britannique. Effectivement, nous n’avons jamais vu leur patrony-
me figurer dans les extraits des comptes rendus des réunions
d’associations maltaises dans les feuillets de « Melita ».
Le parcours géographique de cette famille, à l’intérieur même de
Tunis, témoigne de l’évolution sociale de ces familles maltaises qui chan-
geront progressivement de secteur d’habitation ; ainsi les Psaïla passeront
successivement du quartier « sicilo-maltais », proche de la cathédrale, à
l’avenue de Lyon puis au secteur du Belvédère ; ces deux derniers sites
étant davantage occupés par des familles aisées.

1.4. ALLIANCES ITALO-MALTAISES EN TUNISIE


La famille Saliba, d’origine Italo-Maltaise, installée en France, peu de
temps après l’Indépendance de la Tunisie, a semblé représentative des
liens entre l’archipel maltais et la péninsule italienne, symbolisés par de
fréquentes unions, en Tunisie, entre les ressortissants de ces deux pays.
C’est Joseph Saliba, né en 1883, grand-père paternel de notre interlo-
cuteur, qui émigre de Malte vers la Tunisie. Parmi leurs territoires
d’origine, nous trouvons les villes de Vittoriosa et Cospicua370, cités ayant
traditionnellement des chantiers navals ; les difficultés économiques du
XIXe et début du XXe siècle conduisirent la population de ces villes à émi-
grer massivement ; charpentier de marine, Joseph Saliba s’inscrira dans
cette migration.
Son petit-fils, Sauveur, notre interlocuteur, possède peu d’éléments à
son sujet et ne connaît pas, de manière exacte, la date de son arrivée en
Tunisie ; il la situe, dans les années 1900. En Tunisie, Joseph Saliba épou-
sera une Maltaise, ayant eu parmi ses ancêtres, nous souligne-t-on, un
Français. Cette dernière rejoindra Malte où elle s’installera définitive-
ment ; il s’agit là d’une trajectoire peu courante pour cette génération,
dans le parcours des immigrés maltais de Tunisie ; ce fait est sans doute à
mettre en relation avec une immigration plus récente qui a dû permettre à
cette personne de ne pas être tributaire de lois maltaises concernant le
refus du retour des immigrés371. Du côté des grands-parents maternels, les
ancêtres sont italo-siciliens.
Le couple aura six enfants dont le père de notre interlocuteur ; ce der-
nier exercera différents métiers passant de la gestion d’une entreprise de
transport à celle d’hôtels à Tunis ; à cette époque, il s’agit d’entreprises
familiales au sens large puisque oncles et tantes de notre interlocuteur y
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 153

participent. Ces hôtels étaient situés non loin de la Salle Maltaise.


D’après Sauveur, ces deux établissements existent encore et ont conservé
le même nom bien que n’appartenant plus à la famille.
« Les grands-parents parlaient peu », « la seule chose que je sais »
dira Sauveur, au début de l’entretien : « c’est que mon grand-père et ma
grand-mère sont Maltais, ils sont venus en Tunisie. » Quelques minutes
plus tard, il apportera cependant des précisions en nous montrant les
documents d’état civil qu’il possède. Il ajoutera que sa grand-mère mater-
nelle était issue « d’une très bonne famille » ; élément qui prend de
l’importance, dans une Tunisie où les Siciliens constituaient une popula-
tion aussi pauvre que la plupart des Maltais ; cette remarque souligne la
différence entre Italie du ord, région d’origine du grand-père paternel et
Sicile, région de la grand-mère maternelle.
Sauveur « se sent Maltais » et aurait aimé connaître la langue maltai-
se ; ses parents le parlaient entre eux mais, comme beaucoup de leurs
compatriotes, s’adressaient à leurs enfants en français ; l’italien et le sici-
lien seront cependant davantage pratiqués en Tunisie par cette famille, et
resteront, partiellement, utilisés par le couple lors de leur venue en
France. Ils adhéreront d’ailleurs quelque temps à l’association Dante
Alighieri ; seuls quelques mots de maltais seront connus de leurs enfants.
Les parents de Madame, eux, ont pris leur retraite en Italie. Au cours de
l’entretien, notre correspondant nous soulignera l’importance, pour lui,
du soleil, notamment, lors de vacances à la plage entre Salammbô et
Hamilcar ; comme dans toutes les familles maltaises rencontrées, les liens
avec la religion catholique sont mentionnés : Sauveur sera scolarisé à
l’école libre des Maristes372 et deviendra enfant de chœur dès l’âge de sept
ans. Son épouse souligne d’autre part, l’importance des fêtes religieuses :
« En Tunisie, c’était les grandes fêtes, pour les communions : c’était
l’occasion d’aller à la Salle Maltaise » ; nous apprendrons que notre
interlocuteur fréquentait, de temps à autre, la Salle Maltaise accompagné
d’un de ses oncles.
Ayant le souci de garder des liens avec Malte et la Tunisie, Sauveur
effectuera quelques voyages dans ces deux pays. Son fils aîné aura égale-
ment le souci de découvrir Malte, l’île de ses ancêtres paternels. De ces
séjours, Monsieur Saliba retiendra, outre la beauté des paysages,
l’imprégnation catholique de l’archipel en me relatant un aspect du par-
cours effectué en taxi : le chauffeur a tenu à leur monter un arbre, frappé
par la foudre et dont l’aspect représente le Christ sur la croix. Voulant
conserver l’image de la Tunisie de son enfance, son épouse ne
l’accompagnera pas en ce qui concerne la Tunisie.
Si l’influence italienne a paru importante dans cette famille du fait de
la continuité du lien avec l’Italie, le couple a tenu, lors d’un second entre-
tien à souligner son attachement à la culture française et le choix de la
France comme pays d’accueil après l’indépendance de la Tunisie, alors
que d’autres membres de la famille se sont dirigés vers l’Italie. Divers
entretiens avec des familles maltaises, vivant en France, dont un conjoint
est d’origine italienne confirmeront cette tendance à donner, au plan du
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154 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

discours, la priorité à la culture française, alors que dans les faits


l’influence italienne semble très prégnante.

1.5. UN TÉMOIGNAGE SUR LA VIE DES MALTAIS DANS LE QUARTIER DE


BAB EL KHADRA : LE RÉCIT DE JOSEPH FARRUGIA
Joseph Farrugia, qui réside actuellement en Angleterre, a bien voulu
nous confier l’histoire de sa famille, qu’il écrit à l’intention de ses petits-
enfants. Ce récit, en cours d’écriture373, est émaillé d’anecdotes vécues,
mêlées à des connaissances historiques, plus générales, sur l’émigration
maltaise ; il nous introduira plus précisément dans le vécu des Maltais de
Tunisie, principalement dans le quartier de Bab el Khadra durant les
années 1926-1935. Suivons, avec lui, les principaux éléments du parcours
familial qui nous seront confirmés lors d’un entretien avec une de ses
sœurs vivant en France.

La famille de notre correspondant est arrivée en Tunisie avant 1881 ;


Joseph se souvient des récits qu’aimaient raconter ses grands-parents et
parents, au sujet des caravanes de marchands allant à cheval du Sud tuni-
sien jusqu’au Sahara ; elles transportaient principalement des dattes de
Tozeur et de Zarzis ; il souligne la forte constitution de ces hommes et les
razzias dont ils étaient souvent victimes et évoque, à ce sujet, une attaque
de caravanes ayant eu lieu en 1870 : il la nomme « msaken » traduisant
ce mot par la locution « the infortunate », en faisant référence, cette fois,
au sort malheureux de ceux qui se sont fait assaillir. D’après lui, il semble
que les Maltais se soient mieux organisés entre eux, par la suite, en éta-
blissant des relais spécifiques où ils pouvaient se reposer et changer
d’équipage. Joseph rappelle également le transport de pierres de Malte
destinées à la construction de la Cathédrale de Carthage. S’agit-il vérita-
blement de souvenirs familiaux ou de récits concernant le groupe maltais
de ce quartier de cochers ? L’essentiel ne réside pas, ici, dans le véridique
familial mais davantage dans la volonté de transmission de la mémoire
familiale et groupale ; cependant, l’existence de ces caravanes maltaises
est attestée notamment à partir de la Libye. Pour l’auteur de ces lignes, la
dureté des conditions de travail de cette époque aurait incité les Maltais
à scolariser leurs enfants dans les écoles françaises, de manière à leur
assurer un avenir moins pénible.

Un autre point important du récit concerne la religion catholique,


« focal point, » (c’est-à-dire « point central ») pour notre correspondant ;
l’Église constitue effectivement, pour les Maltais de Tunisie, l’essentiel du
lien social : c’était un plaisir pour lui de participer aux offices religieux,
notamment le dimanche bien qu’il faille se lever très tôt pour nourrir les
chevaux avant la messe ; le summum de la ferveur est atteint le vendredi
saint où les Maltais ont l’habitude d’assister à la prédication des trois
heures ; ce fait est effectivement rapporté dans l’ouvrage de F. Dornier qui
cite le père M. Prignot : « Le vendredi saint était de loin le jour le plus
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 155

sacré. Entre midi et 15 heures, un prédicateur maltais faisait sans


s’arrêter un prône suivi par une grande foule »374. À ce sujet, Joseph rela-
te la prédication d’un autre prêtre maltais, le père Debono, qui l’avait
particulièrement marqué, tout en précisant qu’il s’agit du souvenir laissé
dans l’imaginaire d’un enfant et prenant sans doute, de ce fait, un carac-
tère exagéré ; il se souvient qu’emporté dans son élan oratoire, ce prédi-
cateur avait failli tomber de la chaire et que les auditeurs étaient comme
hypnotisés ; ce même père avait fondé une petite compagnie de théâtre
« Gharda Tal Maltin San Paul »375 (Association des Maltais de saint Paul)
et recevait à cet effet des manuscrits directement de Malte.
La présence d’un conteur dans les soirées familiales est source de plai-
sir pour tous durant les soirées d’hiver ; celui-ci du nom de Salvo, sur-
nommé « Salvo ta Marie », ressemblait, nous dit Joseph, à Charlie
Chaplin : petit, mince et nerveux ; il racontait avec enthousiasme et
conviction de terrifiantes histoires de fantômes (l’auteur rappelle à ce
propos que le principal cimetière de Tunis se trouvait non loin de sa mai-
son) suscitant peurs bleues ou fous rires376.
Joseph Farrugia tient à noter, dans un premier temps, les bonnes rela-
tions existantes dans la communauté maltaise et la voit comme une gran-
de famille qui avait gardé en Tunisie coutumes, langue et religion ; pour
lui, deux éléments soudaient la communauté : d’une part, parce que la
seule aide à attendre, en cas de difficulté importante, était celle des voi-
sins, le plus souvent Maltais ; d’autre part, parce que, du temps de ses
grands-parents, « les unions matrimoniales ne s’effectuaient qu’à
l’intérieur de la communauté » et que « les liens du sang étaient les plus
forts »377. Relevant le côté cosmopolite de son quartier et ses nombreux
amis, siciliens, italiens, juifs, grecs, français, Joseph précise que tous
s’entendaient très bien ; il note cependant des difficultés de relation avec
une famille maltaise plus aisée : enfant, il n’avait pas le doit de fréquen-
ter leur fils du même âge ; il tient à relever que d’autres, malgré un niveau
de vie plus élevé qu’eux-mêmes, restaient simples et conservaient de
bonnes relations avec tous ; à ce propos, il souligne les liens d’amitié
entre son père et le père de Claude Rizzo, auteur du roman « Le Maltais
de Bab el Khadra »378 ; ces derniers, plus aisés, possédaient une salle de
bains avec baignoire dont son propre père, malade, appréciera les bien-
faits ; cet élément de confort et de modernité est aux yeux de la famille
Farrugia et, plus particulièrement, de Joseph, âgé de sept ans à cette
époque, le symbole d’une réussite sociale certaine, confirmée ultérieure-
ment par l’acquisition de la première automobile du quartier.
otre narrateur décrit aussi quelques habitations maltaises de ce sec-
teur dont la sienne : la plupart étaient des maisons à terrasse avec une
grande porte servant d’entrée principale et permettant le passage des che-
vaux et des équipages, suivaient une cour où donnait l’écurie prévue pour
six chevaux ; âne, poulets, lapins, chat et un caméléon en cage occupaient
également l’espace du patio. Enfant, il se plaisait à être sur la terrasse où
se trouvaient des pots de basilic, jasmin et géranium ; de ce lieu
d’observation, il regardait les autres enfants, jouer dans la rue, les gens
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156 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

qui marchaient pour aller au travail ou qui prenaient le tramway, les


transports de chevaux. Il appréciait particulièrement le soleil et la vue des
champs, non loin de son quartier. « Il voit, » toute cette vie, « sur l’écran
de sa mémoire »379. Joseph précise qu’habitant une maison comprenant
cuisine, salle à manger et chambre et disposant, en outre, de l’eau cou-
rante, sa famille bien que modeste jouissait de conditions de vie
meilleures que beaucoup d’autres « entassés de manière épouvantable ».
Les relations de quartier avec les familles tunisiennes sont relatées
avec précision, notamment celle de la cérémonie du thé à laquelle une voi-
sine conviait sa mère et lui-même. Il note que l’habit traditionnel de cette
femme, l’utilisation du henné, étaient source d’amusement pour sa famil-
le mais sa mère et lui savaient aussi apprécier le plaisir « el kiff »380,
d’être assis sur un tapis oriental, devant le « canoun »381 où chauffait le
thé, accompagné d’odeurs de menthe et d’amandes. Cette voisine mon-
trait à sa mère comment faire le couscous et la « khoreiba », sorte de
pâtisserie orientale. Il évoque l’épicier djerbien dont les produits allaient
du beurre à la paraffine et les achats journaliers de très petites quantités
par l’ensemble des familles du fait, nous dit-il, de l’absence de frigi-
daires ; il s’agit, sans doute, ici, d’une interférence, dans le discours de
Joseph, du niveau de vie actuel. L’explication de ce comportement étant,
plus vraisemblablement, liée aux difficiles conditions de vie de beaucoup
d’habitants de ce quartier et à l’inexistence de la société de consomma-
tion. Jean souligne, par ailleurs, « la bonne entente »382 qui régnait entre
tous.
Un autre centre d’intérêt, pour l’enfant qu’il était, est constitué par le
magasin funéraire où l’artisan travaille le marbre importé d’Italie. Ce
personnage est mince, porte moustaches et est vêtu d’un pantalon de fla-
nelle bleue, tenu par une large ceinture de cuir. À ces éléments de costu-
me s’ajoutent dans le souvenir de notre auteur un gilet gris et un feutre
toujours poussiéreux. La mémoire a fixé ce qui était des éléments de noto-
riété pour l’enfant d’alors : moustaches et sveltesse, feutre et gilet (beau-
coup d’ouvriers revêtaient une simple blouse alors que chapeau et gilet
faisaient habituellement partie des tenues de cérémonie). otre corres-
pondant lui donne parfois un coup de main, ce qui lui donne le sentiment
d’appartenir au monde des grands. L’entrée dans la vie adulte était à
cette époque symbolisée par celle de l’entrée dans le monde du travail,
souvent vers l’âge de quatorze ans, parfois même avant, et rares étaient
les enfants maltais qui poursuivaient des études secondaires. Ces der-
nières étaient réservées aux descendants des familles aisées ou à ceux qui,
de par leur propre choix ou sur incitation de leur famille, se destinaient à
la vie religieuse.
Ces quelques passages de l’histoire familiale retracent le vécu maltais
de ce quartier ; elles permettent, pour ces années de l’entre-deux-guerres,
d’y relever une hiérarchisation sociale interne alors que ce secteur de la
ville de Tunis, celui des cochers, est le plus souvent présenté comme un
tout, rassemblant une population plutôt misérable. Ainsi Madame Agius,
de milieu aisé, nous apprendra qu’elle a découvert l’existence de ce lieu
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 157

de vie spécifiquement maltais, seulement lors de son mariage, en raison


de la location d’une calèche pour cette circonstance.
En réalité, il semble que, mis à part, une petite classe sociale bourgeoi-
se relativement aisée, l’ensemble de la population maltaise immigrée a
continué d’être pensée, par les Européens résidents, comme une « globa-
lité », inférieure aux Français de souche malgré les naturalisations et
l’évolution certaine de leur niveau de vie. Devenir, peu à peu, Français à
part entière, en « oubliant » majeure partie de la composante maltaise de
soi, sera la seule voie proposée par le colonisateur pour le descendant
d’immigré maltais. Ce cap deviendra complètement franchi lors de la
venue des familles maltaises en France après l’indépendance de la
Tunisie. Dans ce nouveau cadre à la fois physique et psychologique, quel-
le sera la place d’une transmission déjà peu effective en Tunisie ?

2. DIFFÉRENCIATION SUIVANT LES TERRES D’ACCUEIL


L’émigration maltaise spontanée de la fin du XIXe et du début du
XXe siècle s’est effectuée principalement vers l’Afrique du ord et
l’ensemble du pourtour méditerranéen ; nous présenterons, dans ce cha-
pitre, une approche de l’étude comparative des différentes communautés
maltaises installées en pays musulman, en soulignant les aspects com-
muns et les différences d’avec celles des Maltais de Tunisie. Si
l’émigration maltaise, en Algérie, est assez bien connue, nous possédons
beaucoup moins d’éléments sur la vie des communautés d’Égypte, de
Libye, de Constantinople et de Smyrne.

La liste des passeports, effectuée à Malte, à partir de 1841 permet de


chiffrer approximativement le pourcentage d’émigrants vers ces destina-
tions des années 1842 à 1868383 :

Évolution, par années, de l’immigration :

1842 1861 1868


Tunis 17 % 24 % 8%
Tripoli 2,5 % 5% 8%
Algérie 54 % 31 % 5%
Égypte 15 % 27 % 64 %
Constantinople 2,5 % 6% 9%

Price, Ch.A. Malta and the Maltese. À study in ineteenth Century Migration
Melbourne : Georgian House, 1954, p. 59

Toutefois, ces pourcentages ne tiennent pas compte des immigrations


spontanées, sans aucun document officiel ; or, elles semblent avoir été
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158 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

nombreuses. D’autre part, il faudrait, pour être plus complet, ajouter à


ces chiffres ceux de l’immigration vers les îles ioniennes et la Grèce.
Ce tableau souligne l’importance de l’émigration maltaise en Algérie
dès 1842 ; la Tunisie et l’Égypte recevront un pourcentage inférieur
d’immigrés qui cependant progressera en 1861. La fluctuation des pour-
centages d’immigration sera, le plus souvent due aux évènements poli-
tiques et sanitaires des pays concernés notamment lors de rébellions
contre les occupants (Algérie) ou de situations d’épidémies.
ous noterons que ces chiffres ne tiennent pas compte des émigrations non
déclarées aux autorités ni des multiples allers et retours entre Malte et ces dif-
férents pays ; il faudrait cependant pour être plus complet, ajouter à ces
chiffres , d’une part ceux de l’immigration vers les îles ioniennes et la Grèce
et, d’autre part ceux de la fréquence des passages d’un pays à l’autre : Libye
et Tunisie par exemple.
Compte tenu de l’ensemble de ces facteurs, il est généralement admis que
le nombre d’émigrants fût plus important que celui relevé dans les statistiques.

2.1. ALGÉRIE
En ce qui concerne cette émigration, nous nous référerons principale-
ment au travail de M. Donato, historien, né lui-même en Algérie. ous
compléterons ces données par l’apport de diverses sources d’études, mal-
taises et étrangères, sur ce sujet.
Les premiers Maltais arrivent en Algérie dès la prise d’Alger en 1830.
Le mode d’immigration est, le plus souvent, une traversée aléatoire en
barque vers le port de La Goulette en Tunisie. Plus rarement, quelques-
uns rejoindront directement le port de la Calle, proche de Bône, n’étant
pas toujours fixés sur le but définitif de leur future territorialisation, cer-
tains resteront en Tunisie, plus proche géographiquement, ou feront des
allers et retours entre les différents territoires du pourtour de la
Méditerranée.
En Algérie comme en Tunisie, les Maltais exercent au départ de petits
métiers artisanaux : bouchers, forgerons, transporteurs, etc. Peu de
pêcheurs parmi eux, par contre le monde agricole sera, lui, beaucoup plus
représenté qu’en Tunisie, mis à part la région de Sfax ; les Maltais seront
chevriers, jardiniers ou encore journaliers ; plus tard, quelques-uns déve-
lopperont l’élevage du porc alors que d’autres réussiront dans le commer-
ce d’importation de chevaux. L’opinion française ne leur est guère favo-
rable en ce début de XIXe siècle. Il faut dire que certains justiciables mal-
tais avaient été envoyés en Algérie contre une remise de peine ; Marc
Donato reprend, à leur propos, outre les descriptions dévalorisantes des
voyageurs de l’époque384, celles contenues dans les rapports des autorités
locales où l’on parle de la nécessité « d’organiser l’ordre au milieu des
Maltais, des indigènes, des fainéants et des voleurs » ; on dit les Maltais :
« doués d’un tempérament où le sang africain domine, dégradés par la
misère, dépourvus d’instruction et sans éducation morale ; considérés à
peine comme des Européens, on leur accorde cependant d’être des
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 159

ouvriers intelligents et laborieux, des travailleurs expérimentés, on les


trouve partout où la patience, l’intelligence et la force du corps sont
nécessaires […] on les voit fidèles à leurs engagements et serviteurs
dévoués […] le fonctionnaire conclut : « Les Maltais sont dignes d’être
admis »385.

L’historien n’est pas sans relever le contexte colonial de l’époque et


trouve que la conclusion du rapport cité est « optimiste et visionnaire ».
e s’inscrit-il pas, ici, dans une idéologie qui poserait l’acculturation
comme corollaire de la dignité « d’être admis » ; le fait de devenir
Français devrait-il être associé à la dévalorisation de la culture du grou-
pe d’origine impliquant une possible dévalorisation de soi en tant que
membre de ce groupe.
Comme, plus tard, en Tunisie, la scolarisation en français, semble
avoir été un des facteurs de perte, pour les Maltais, de la pratique de la
langue maltaise. Cet aspect est confirmé par les réponses reçues à un
questionnaire sur la langue maltaise, adressé en 1994, par deux étu-
diantes maltaises, à des Maltais originaires de ces territoires et installés
en France. Un de leurs correspondants explique : « On apprenait la
langue nationale : le français. Lorsqu’on accédait aux études secondaires
ou supérieures, on pouvait apprendre une seconde langue comme l’arabe
ou l’anglais… jamais un dialecte n’a été proposé ni enseigné dans les
écoles de l’Algérie française »386. Il est intéressant de relever que le mal-
tais est ici, encore, caractérisé par le terme de « dialecte », alors qu’il a
le statut officiel de langue depuis 1934 ; l’auteur de cette réponse au ques-
tionnaire n’aurait-il pas intégré l’échelle de valeur proposée par le colo-
nialisme, à savoir la supériorité du « tout français » associé à une néga-
tion du « différent » ? Il apparaît que les mêmes facteurs « d’oubli » pro-
gressif de la langue maltaise, par les ressortissants maltais, sont présents
en Algérie et en Tunisie ; cependant, ceux-ci ont eu un impact majeur en
Algérie du fait de leur précocité par rapport à la date des premières immi-
grations en relation avec le statut de département français instauré en
Algérie et les institutions concomitantes.
La grande différence proviendra, effectivement, de ce statut de dépar-
tement français de l’Algérie et de la promulgation, dès juin 1889, des lois
de naturalisation : les Maltais deviennent, à partir de cette date, automa-
tiquement Français. Rappelons, pour mémoire, qu’en Tunisie, une légis-
lation sensiblement équivalente n’interviendra qu’en 1923, c’est-à-dire,
une génération plus tard. Les Maltais d’Algérie pouvaient, certes, à leur
majorité, conserver leur nationalité d’origine, mais les démarches étaient
beaucoup trop complexes pour cette population ; six documents étaient
effectivement nécessaires : il s’agissait :
– du certificat de naissance,
– du certificat de mariage des deux parents, traduit par les
consuls français dans le pays d’origine,
– des certificats de naissance des deux parents, traduits égale-
ment,
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160 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

– d’un certificat des autorités militaires,


et d’un certificat de nationalité obtenu dans le pays d’origine,
envoyé par le consul et signé de deux témoins disant que
l’individu n’essaierait jamais de devenir Français.
En conséquence, les Maltais d’Algérie renoncèrent massivement à leur
nationalité britannique. aturalisés Français, les Maltais pourront accé-
der au statut de fonctionnaires, facteur d’élévation dans la hiérarchie
sociale française pour ces familles d’immigrés. Devenu absent des
registres officiels, l’ethnonyme « Maltais » continuera cependant, encore
longtemps, d’exister en Algérie dans la conscience collective. ous trou-
verons effectivement, des nouvelles des Maltais d’Algérie dans l’édition
du journal « Melita », de Tunis en avril 1915 ; ces informations sont, le
plus souvent, d’ordre religieux ; ainsi un correspondant de Bône, fait part
de la fête solennelle qui a eu lieu pour célébrer saint Paul ; un autre
article anonyme fait l’éloge de Don Pietru Paul Pace, chapelain maltais
de Philippeville. Des associations maltaises existent encore en 1938 ;
ainsi le journal « Melita », publie le trois juin de la même année, le comp-
te rendu de l’assemblée générale de l’amicale franco-maltaise « La
Valette » de Bône.
En outre, le fait que la France soit un pays chrétien a constitué un fac-
teur important pour les émigrés maltais dans leur pleine acceptation de
devenir Français ; ce facteur était-il plus marqué en Algérie ? Il est diffi-
cile de l’apprécier ; nous savons seulement que la laïcité restait incompré-
hensible des premières générations de Maltais. Il semble toutefois que
l’assimilation ait été relativement rapide en Algérie, les Maltais intégrant
le groupe multiculturel de ceux que l’on nommera plus tard pieds-noirs,
où se mêlaient Espagnols, Italiens et Français. Marc Donato souligne,
d’autre part, que « l’intégration sera totale au XXe siècle par le biais de
l’école, de la conscription et des mariages croisés de ces néo-Français
avec les éléments des autres groupes »387. Une anecdote, vécue en 2005
par Charles Cortis, paraît accréditer cette hypothèse : « J’avais rendez-
vous avec le nouveau représentant de mon assurance388 ; ayant remarqué
l’origine maltaise de son nom, je me suis permis de lui dire que, moi aussi,
j’étais maltais. J’ai été surpris de son absence totale de connaissance à ce
sujet : il a commencé par me dire qu’il était de Montpellier mais que ses
parents avaient été en Algérie ; il ne connaissait rien au sujet de ses
ancêtres maltais et n’avait jamais entendu aucun mot de maltais dans sa
famille ».
Quelques réflexions recueillies lors de réunions d’association franco-
maltaises reflètent les différences entre Maltais de Tunisie et d’Algérie ;
ces derniers se disent effectivement « plus français que ceux de Tunisie »,
assertion qui renvoie à une forme supposée de supériorité donnée par une
acquisition plus ancienne de la qualité de Français. En dehors de ceux
qui, en Tunisie, avaient choisi de garder la seule nationalité britannique,
ils tiennent tous à mettre en avant leur francéité. En devenant Français,
ils ont, dans un premier temps, subi, puis incorporé l’idéologie coloniale,
se distanciant de plus en plus des autochtones. e leur fallait-il pas être,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 161

en ce qui concerne leur représentation, des Français à part entière plutôt


que de rester les descendants d’immigrés, de ces « sang-mêlé » que le
pouvoir ne savait où classer. Par cette démarche, ne se rapprochaient-ils
pas, inconsciemment, d’une idéologie maltaise qui préférait occulter,
encore au début du XXe siècle, l’héritage culturel arabe de l’archipel.
Devenus citoyens français, les Maltais d’Algérie se trouvèrent incorpo-
rés dans les armées françaises lors de la première guerre mondiale et de
ce fait, amenés à défendre un territoire national qui, au départ, leur était
étranger ; la plupart foulaient, effectivement, le sol de leur nouvelle
patrie, pour la première fois. Combattant, aux côtés des Français de
souche, un ennemi commun, ils allaient progressivement « faire corps »,
avec ces Français de métropole, dans un contexte différent de celui du
colonialisme. Ont-ils, au départ, été considérés sur un pied d’égalité avec
les autres combattants français ? Question pour laquelle il n’est pas pos-
sible d’avoir des éléments d’appréciation ; l’extrême dureté du conflit et
l’hécatombe qui a suivi ont sans doute, très vite, effacé durant le conflit,
puis anéanti dans la mémoire collective, d’éventuelles différences. Les
conditions de l’émergence d’un sentiment mythique d’une appartenance
très ancienne à la France, liant symboliquement ces « Français de souche
maltaise » dans une même Histoire, se trouvaient alors créées. La lutte
contre un ennemi commun peut être effectivement facteur, momentané et
illusoire, de négation de la différence. Le second conflit mondial viendra,
en 1940, renforcer l’adhésion à une France dont les Maltais d’Algérie se
sentaient de plus en plus proches, dans la mesure où la colonisation les
avait déjà incorporés, au même titre que les autres européens immigrés,
dans le melting-pot de l’Algérie française.

Des années plus tard, les événements, liés au processus


d’indépendance de l’Algérie, contribuèrent à renforcer ce sentiment
d’appartenance au groupe français ; Français, depuis trois générations
pour la plupart, ils pouvaient difficilement rester neutres dans le conflit
qui opposait les indépendantistes algériens aux partisans de l’Algérie
française. Quels sentiments profonds les habitaient-ils, durant ces
années ? Il est sans doute encore trop tôt pour traiter de ce thème encore
sensible. En effet, les Maltais, de la quatrième génération née en Algérie
(autour de 70 ans, actuellement), ont, pour certains, sans doute, effectué
sur place, leur service militaire durant cette période, alors que ceux de
Tunisie se sont répartis différemment : les uns de nationalité britannique
étaient exempts de service militaire français, les autres affectés soit en
Tunisie même, soit en France ou en Algérie.
Les départs massifs d’Algérie de l’ensemble des Français en 1962, lors
de l’indépendance, conforteront cette dynamique d’une appartenance
mythique française souvent symbolisée par la référence aux institutions
créées par apoléon, lors de l’occupation de Malte et ce, malgré
l’expulsion des troupes napoléoniennes et le mauvais souvenir de cette
occupation laissé dans la mémoire des Maltais. Outre le fait d’être nés en
territoire français, les descendants des Maltais d’Algérie utiliseront
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162 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

cependant, comme ceux de Tunisie, la moindre référence généalogique de


leur histoire personnelle se rapportant à la France, pour affirmer leurs
origines françaises.
Il est d’ailleurs, intéressant de relever qu’aujourd’hui, l’ethnonyme
« Maltais » est absent du discours lorsqu’on évoque les populations euro-
péennes de l’Algérie coloniale : les Allemands, les Italiens et les
Espagnols bien qu’ayant, eux aussi, été naturalisé Français, sont cités, les
Maltais oubliés comme ce fut le cas dans l’émission diffusée par Arte sur
le conflit algérien389 ; est-ce du seul fait de l’importance numérique de ces
populations ou parce que les documents du début du siècle ne savaient pas
où situer les Maltais ? L’homme a besoin de faire rentrer l’autre dans une
catégorie de ses propres échelles sociales ; le Maltais, lui, avait dans un
passé colonial, posé aux dominants, les premiers temps de son immigra-
tion, la question d’une appartenance originaire, à mi-chemin entre Orient
et Occident : le pouvoir ne savait où le classer. Dans ce cadre, le proces-
sus d’acculturation d’une population immigrée, ne proviendrait pas seu-
lement de la nouvelle territorialisation, mais plutôt de l’impact du pouvoir
et de ses représentations sur l’immigré lui-même, dans la mesure où cer-
taines de ces représentations peuvent prendre sens dans le territoire
d’origine.

2.2. LIBYE : TRIPOLI ET CYRÉNAÏQUE


En Libye, la présence de marchands caravaniers maltais se situe dès le
début du XIXe siècle, sous la dynastie des Karamanlis (1711-1835) ; ces
caravaniers transportaient diverses marchandises à travers le désert
libyen vers le Soudan et revenaient avec des produits sahariens (plumes
d’autruche, ivoire, peaux tannées, alfa, etc.)390 vers Malte ; en dépit de la
Course, un commerce régulier, à la fois terrestre et maritime, continuait
d’exister entre ces deux pays ; « les bateaux transportaient souvent du blé,
des bovins, du sucre, du fromage turc, des meubles, du café, du tissu, de
la pierre maltaise et de la chaux pour la construction et la restauration de
la ville de Tripoli » ; ils transportaient également « des passagers »391.
L’archipel maltais n’est effectivement qu’à 425 km de Tripoli. Les aven-
tures de ces courageux caravaniers faisaient, d’ailleurs, partie des récits
légendaires encore racontés par les ancêtres, en Tunisie, au début du
XXe siècle, dans les familles de cochers maltais.
D’autres récits de voyageurs évoquent la présence précoce de Maltais
en Tripolitaine. Il me semble intéressant de rapporter ici, quelques élé-
ments d’un article de Patrice Sanguy, paru dans la revue « Les Cahiers du
Cercle Vassalli » concernant d’éventuels descendants de Gozitans à
Tarhouna en Libye ? Cette question fut soulevée, à Malte même, du fait de
la relation de deux témoignages, parus dans le Sunday Times de Malte en
1984, mentionnant l’existence de ces Maltais :
« Un franciscain, le père Costanzo Bergna, avait relaté… en 1925,
comment il avait découvert, à sa grande surprise, des descendants de
Maltais convertis à l’islam à Tarhouna […] Un autre franciscain, le père
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 163

Agostino Taliana, né lui-même à Tripoli de parents maltais, publiait en


1947, le compte rendu d’un voyage » dans ce pays : « Il y décrivait les
particularités linguistiques d’habitants de Tahrouna qui, bien que musul-
mans, étaient toujours considérés comme Maltais et comme chrétiens par
les gens du pays »392.
S’agit-il d’une fraction de la population en partie déportée en 1551,
lors du raid de Sinan Pacha et Dragut contre Gozo ? Patrice Sanguy sou-
ligne que les historiens maltais, MM. Wettinger et Fiorini, suggèrent une
grande prudence quant à cette interprétation dans la mesure où la majo-
rité des captifs fut emmenée à Constantinople, puis rachetée. À notre
connaissance aucune étude n’a actuellement pu approfondir cette ques-
tion ; remarquons cependant dans ces récits de voyages du début du
XXe siècle, la pérennité de l’association « Chrétiens et Maltais » qui per-
dure encore, à Malte, aujourd’hui. Ces Libyens ne peuvent-ils être pensés
autrement que comme des descendants de captifs, dans la mesure où une
quelconque acculturation au monde arabe musulman, semble relever
encore aujourd’hui, pour les Maltais, de « l’interdit de penser » ?
Outre ces éventuels descendants de captifs, les premiers émigrés
s’installeront, principalement au début du XIXe siècle, dans les ports de
Tripoli Benghazi et Derna qui furent « reliés à Malte par câble télégra-
phique »393 ; un armateur maltais, Antonio Galea proposera la création
d’une ligne de bateaux à vapeur, à partir de Malte vers les principaux
ports tunisiens mais aussi ceux de Tripoli, Benghazi et Cagliari
(Sardaigne) : « C’est en 1835 que le premier vapeur arrive à Tripoli et dès
1846, c’était quatre bateaux par mois qui assuraient transport de cour-
rier, marchandises et personnes »394.
Les chiffres de l’immigration en Libye semblent, quelque peu, différer
suivant les sources : R. Vadala pense que c’est « à partir de 1833, année
au cours de laquelle les Turcs chassèrent les Karamanlis et prirent pos-
session directe de la Tripolitaine, que les Maltais furent encouragés à se
fixer à Tripoli, puis à Benghazi et ensuite à Derna ». V. Guerrin évoque,
lui, effectivement, la présence de 4 000 Maltais vers 1850 à Tripoli.
Durant tout le XIXe siècle, événements politiques ou épidémies rythment
de nombreux allers et retours entre l’archipel et la Tripolitaine395 ; ainsi
un certain nombre de familles aisées rentrèrent à Malte en 1882, en rai-
son du bombardement d’Alexandrie et de leur crainte d’extension des
troubles en Lybie ; en 1895, ce sont les Maltais installés à Benghazi qui
rentrent en raison d’une épidémie de typhus qui décime la colonie : « Les
uns moururent, les autres rentrèrent à Malte, et le reste, au nombre de 250
personnes environ, continuèrent une existence très médiocre »396. En
outre, le commerce était, à cette époque, en difficulté et ceux qui restent
alors ont un niveau de vie équivalent à celui des plus pauvres397. Les sta-
tistiques du consulat anglais donnent pour 1901, une population de 2 004
Maltais ; ils étaient sans doute plus nombreux dans la mesure où comme
en Tunisie, ils ne s’inscrivaient pas tous au consulat britannique. Pour le
Frère L. E. Attard, la population maltaise n’aurait été que d’un millier
pour les villes de Tripoli et Benghazi avant 1911398 ; il attribue les motifs
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164 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

d’une émigration moins importante dans ces contrées, à la domination


turque de cette période. Cette dernière ne semble pas cependant être en
cause dans ce contexte, ni d’ailleurs la différence religieuse ; en effet,
selon . Lafi, « après 1835, […] les Maltais étaient toujours très pré-
sents… Dans les années 1850/52 […] la population de la ville et de ses
faubourgs était d’au moins 30 000 habitants parmi lesquels 17 000
Musulmans, 8 000 Juifs, 4 000 Maltais, 900 Italiens […]. La population
chrétienne était en général d’origine maltaise »399. Après la première
guerre mondiale, le chômage, dans les arsenaux maltais, a créé de nou-
velles vagues migratoires ; quelques émigrants maltais rejoindront alors
la Libye où se trouvaient déjà des membres de leur famille ; en fait, les
possibilités commerciales, liées à ces installations, apparurent sans doute
plus importantes aux candidats maltais à l’immigration, que les réti-
cences liées à l’histoire de l’archipel dans sa lutte contre les Turcs. C’est,
effectivement, durant tout le XIXe siècle, que les Maltais continuèrent de
s’installer sur les côtes libyennes, principalement le long du golfe de Syrte
et en Cyrénaïque, formant de petites communautés unies à celle de
Tripoli.
Le témoignage d’un Maltais d’Australie, Romeo Cini400, dont la famil-
le avait émigré de Gozo vers Tripoli, au début du XIXe siècle, donne un
aperçu sur la vie de ces émigrés. Il évoque en premier ces « intrépides
pionniers » en citant outre son propre ancêtre, Cini Francesco, les patro-
nymes de quelques-uns des premiers Maltais nés à Tripoli tels « Cini
Michele (24-9-1844), Lanzon Felice (25-1-1849), Taliana Giovanni (30-
5-1852), ou bien encore Carabot Tomaso (29-8-1855) » ; rappelons à ce
propos que l’expression de « pionniers » n’a pratiquement jamais été
employée en ce qui concerne l’émigration en territoire français, l’accent
étant davantage mis sur le misérabilisme lié à la condition d’émigré ; or,
il semble que ces premiers immigrés aient travaillé en Libye, dans de dif-
ficiles conditions s’élevant peu à peu dans l’échelle sociale comme dans
les autres territoires d’émigration. À quoi est due cette vision positive, de
l’émigrant maltais, différente des portraits laissés par les voyageurs fran-
çais en Tunisie et en Algérie ? Est-ce dû au fait que ces témoignages soient
ceux d’auteurs, eux-mêmes pionniers dans d’autres contrées ? L’Histoire
coloniale française liée à une politique d’assimilation a certes influé sur
ces écrits mais notre champ d’étude ne nous permet pas actuellement
d’établir une comparaison effective dans ce domaine.
Ce descendant de Maltais de Libye précise que les familles maltaises
de Tripoli vivaient dans différents quartiers, celui de « Bâb-al-Bahr »,
ceux de « Dahra el Kebira » et de « Dahra el Sghira » situés sur une hau-
teur, et celui plus modeste, de la rue Riccardo Cassar du nom d’un ancien
marchand maltais ; ces différents lieux d’habitation s’organisaient comme
en Tunisie autour des lieux de culte : notamment celui de l’ancienne
cathédrale, Sainte Marie des Anges, dans le quartier ancien, près de la
mer ; cet édifice avait été construit en pierres de Malte, en grande partie
par des ouvriers maltais. Auprès des deux autres secteurs d’habitation se
trouvaient respectivement, l’église Saint Francis et celle du Sacré-Cœur.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 165

Omniprésente, comme dans les autres territoires d’immigration maltaise,


la composante religieuse est lien social pour cette communauté ; ainsi, les
coutumes liées à la pratique religieuse continuent d’être observées telle
l’assistance au sermon du Vendredi Saint, dit des « trois heures », prêché
par des prêtres, venus spécialement de Malte. Progressivement, diverses
associations catholiques (groupements sportifs, scouts) verront le jour.
Par ailleurs, R. Cini évoque la préférence des familles maltaises, en
dehors des mariages endogamiques maltais, pour les unions italo-mal-
taises ; il souligne, également, l’impossibilité de mariages mixtes avec des
juifs ou des musulmans du fait de la différence religieuse.
Durant la domination turque, les riches commerçants maltais manifes-
taient principalement leur esprit d’entreprise et leur volonté de vivre en
paix avec l’ensemble des populations vivant sur ce territoire. Soumis au
régime des Capitulations jusqu’à la domination italienne de 1912, les
Maltais restèrent, effectivement, neutres, durant le conflit qui opposa
Arabes et Italiens en 1911, puis Juifs et Arabes après guerre. Cependant
cette neutralité disparut lorsque certains Maltais, proches des Italiens,
adhérèrent dans les années trente, à l’idéologie fasciste. Les années sui-
vantes, beaucoup furent contraints de prendre la nationalité italienne
pour ne pas être expulsés. R. Cini s’étendra longuement sur ce sujet en
évoquant l’internement des Maltais hostiles au fascisme, d’abord en Libye
puis en Italie. Il n’est pas dans notre propos de pouvoir, ici, approfondir
cette question complexe. Après l’armistice, il semble que la majorité des
Maltais, nés en Libye soit retournée dans ce pays qui, en 1943, passera
sous domination anglaise. Indépendante en 1951, la Libye deviendra
république islamique en 1969, lors de la prise de pouvoir par le colonel
Kadhafi. À la suite de ces événements, la majorité des Maltais de Libye se
dirigea vers la nouvelle terre d’immigration qu’était l’Australie ; d’autres
se rendirent sans doute en Tunisie ou en Italie. Ceux qui étaient restés
eurent comme les Italiens leurs biens confisqués et furent expulsés. Les
émigrés maltais étaient contraints d’envisager une seconde émigration en
raison « d’une loi adoptée en 1948 à Malte » [qui] « empêchait les
Maltais nés à l’étranger de venir s’établir dans cette île surpeuplée, en
raison des craintes de voir revenir des milliers de maltais d’Égypte, de
Libye et des Balkans qui souhaitaient quitter leur pays d’accueil en rai-
son de la situation politique »401.
Il est intéressant de souligner que . Lafi relève que les Maltais
« étaient particulièrement tenus en estime, peut-être parce qu’ils parlaient
une langue proche »402 de celle des Libyens ; cette remarque vient étayer
l’hypothèse d’une différence importante du statut de la langue maltaise
dans les territoires indépendants de la colonisation française. En outre,
les Maltais ont pu, bénéficier, pendant quelque temps, à Tripoli, d’une
scolarité en langue anglaise qui n’excluait peut-être pas systématique-
ment la langue maltaise ; la plupart des enfants maltais étaient scolarisés
à la « St. Georges British School, créée après la guerre, pour les enfants
des sujets britanniques. Mis à part un petit groupe d’enfants juifs et
quelques indiens, tous les autres élèves étaient maltais (ainsi que les pro-
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166 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

fesseurs) rapporte, Jacques Arbib, lors d’un entretien avec l’écrivain mal-
tais Adrian Grima 403. Ayant fréquenté par la suite le lycée italien, Jacques
Arbib précise qu’il s’y est fait par la suite des amis maltais : « Ils venaient
de riches familles maltaises, comme les Debono, les Mallis, les Aquilina ».
L’histoire de l’émigration maltaise retenant principalement les histoires
de ceux qui ont réussi socialement, le narrateur cite à titre d’exemple :
« Ricardo Cassar qui investit dans un moulin (à huile) et construit un
ensemble d’immeubles » ou bien encore les Carabot et Aquilina (quin-
cailliers), Taliana et Salinos (constructions) parmi d’autres »404 ; cepen-
dant beaucoup de Maltais étaient seulement employés ou pêcheurs et, de
ce fait, plus proches des Grecs et des classes pauvres.
Cependant, malgré un fort impact italien, dû non seulement à la domi-
nation italienne en Libye mais aussi à la tendance pro-italienne des
classes aisées maltaises, une vie sociale et culturelle spécifiquement mal-
taise semble avoir été conservée sur ce territoire. Ainsi, existaient à
Tripoli des clubs maltais et un dancing du nom de « Quadriglia » ; vers la
fin du XIXe siècle, orchestres et chanteurs venaient d’ailleurs directement
de Malte ; beaucoup de Maltais jouaient eux-mêmes d’un instrument de
musique ; la « banda » (fanfare) maltaise du nom de « ta Ndri »405 se pro-
duisait seulement pour les mariages, à la différence de celle de Tunis.
L’existence d’une « Malta House » est mentionnée dans les différentes
sources : la Salle Maltaise était, comme en Tunisie, à la fois siège de
l’organisation de la communauté maltaise et lieu de la vie sociale. Les
Maltais fêtaient, en grande solennité, la victoire du Grand Siège de Malte
et, pendant quelque temps, un tournoi commémoratif eut lieu le long d’un
ancien chemin de fortification où se trouvait une mosquée dédiée à
Dragut, corsaire connu pour avoir participé au Grand Siège de Malte ;
R. Cini souligne le fait que les habitants turcs de Tripoli ne connaissaient
pas la relation entre la fête nationale maltaise et la victoire sur les Turcs.
De plus, les Maltais organisaient un grand carnaval. D’après, l’auteur de
ces lignes, ces divertissements étaient bien vus d’une population cosmo-
polite ; qu’en pensaient les autochtones ? ous n’avons actuellement, pas
d’éléments de réponse à cette question.
Cette communauté semble avoir davantage préservé une identité cultu-
relle maltaise à la différence des Maltais installés en Algérie et Tunisie.
Doit-on attribuer cette différence au seul fait colonial français et à sa
politique d’assimilation ? D’autres aspects liés au contexte historique et à
l’influence italienne restent à étudier pour ces Maltais, devenus pour une
grande partie d’entre eux, Australiens.

2.3. ÉGYPTE
La première immigration de Maltais en Égypte renvoie à l’expédition
de Bonaparte, immédiatement après la prise de Malte en 1798 ; lorsque
apoléon quitte Malte pour l’Égypte, ce sont environ 2 000 Maltais qui le
suivent, engagés ou enrôlés, dans ce qu’on appellera plus tard La Légion
maltaise. Celle-ci fut presque entièrement décimée, et la plupart des sur-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 167

vivants se dispersèrent, dans le Levant, après la défaite d’Aboukir en


1798, devenant ainsi les pionniers de l’installation en Égypte406.
Au XIXe siècle, la construction du canal de Suez (1859), attirant de
beaucoup d’émigrants, de nombreux Maltais se dirigèrent vers ce pays où
ils trouvèrent un emploi auprès des Anglais407 ; les émigrés maltais étaient
appréciés en raison de leur capacité à communiquer avec les Arabes ; s’y
ajoutait, pour quelques-uns, une connaissance suffisante de l’italien.
Précieux auxiliaires sur les chantiers, ils se montraient fiers de la relation
de leur pays avec l’Angleterre.
Par la suite, ce sont principalement les ports du Caire et d’Alexandrie
qui accueilleront les Maltais mais aussi ceux de Suez, Rosetta et Port-
Saïd. Dans cette dernière ville, les Maltais avaient, comme dans les pré-
cédents territoires d’immigration, construit, eux-mêmes, leur église en
pierres de Malte. Au nombre d’environ un millier au début du XIXe siècle,
ils seront évalués à 7 000 en 1880 ; leur effectif diminuera en juin 1882, à
la suite du retour à Malte de plusieurs milliers d’émigrés après le bom-
bardement d’Alexandrie ; Ch. Price évalue à 7 000, le nombre de réfugiés
en provenance de cette ville408. Selon R. Vadala, le coût de ces retours
aurait été de plus de 33 000 £, pour le gouvernement anglais, ce qui peut
sans doute expliquer, en partie, l’interdiction de retour à Malte, prise un
demi-siècle plus tard, pour l’ensemble des Maltais nés à l’étranger. Une
fois la paix revenue, beaucoup de Maltais parmi les anciens émigrés, se
réinstallèrent en Égypte ; « d’après les statistiques officielles du
Gouvernement égyptien, ils étaient 6 984 en 1901, principalement concen-
trés à Alexandrie, au Caire et à Port-Saïd »409.
Au début du XXe siècle, on les retrouve « commerçants, employés ou
fonctionnaires. Quelques-uns d’entre eux ont été faits Beys par les
Khédives »410. Les Maltais, envoyèrent leurs enfants dans des écoles fran-
çaises parce qu’elles étaient tenues par des missionnaires catholiques mais
ces migrants gardèrent la pratique de leur langue maternelle ; soulignons
que dans ce contexte colonial, différent de celui des territoires occupés par
la France, une scolarité en français ne semble pas avoir, ici, induit dévalo-
risation et « oubli » de la langue maternelle ; une étude approfondie de cette
question dans les différents territoires d’immigration maltaise permettrait
d’aborder l’impact des politiques culturelles dans ce domaine.
De bonne heure, une vie culturelle maltaise s’organise : ainsi, dès
1854, un petit nombre de travailleurs maltais d’Alexandrie, réunis dans
un local attenant à leur église, s’associe pour fonder la « Konfraternita
tal-Madona tal-karmnu » (confrérie de otre Dame du Mont Carmel) ; le
domaine d’activité de cette confrérie s’élargira au cours des années sui-
vantes : seront alors créés sociétés de secours, clubs, groupes de théâtre,
fanfares, Scouts et Guides, associations sportives etc. ; ces diverses asso-
ciations seront instituées dans les quatre principales villes d’immigration
et regroupées en 1930 sous la houlette du Conseil Central des
Communautés Maltaises d’Égypte411. En outre, dès 1893, des journaux
maltais sont édités : « Melita », puis « Egittu » et, en 1909, George
J. Vella publie un hebdomadaire intitulé « Li Standard tal-Maltin »
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168 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

(l’étendard des Maltais) ; malgré quelques interruptions, ce journal parut


jusqu’en 1924. À Port-Saïd, un autre Maltais, du nom de Toni Said, fonde
une association et une revue « Il-Qari Malti » (lectures maltaises) pour le
développement de la langue et de la littérature maltaise.
L’écrivain, d’ascendance maltaise, Laurent Ropa qui avait lancé
depuis l’Algérie, l’idée d’une Fédération Maltaise Universelle se félicite
dans les colonnes du journal « Melita », du trois juin 1938, publié à
Sousse en Tunisie, de la réaction positive des Maltais du Caire à ce sujet :
« Le bulletin de la communauté maltaise du Caire parle de la fédération
future avec le plus vif intérêt et M. Magri Owen, ancien rédacteur à la
revue du Caire, « le rayon d’Égypte », a demandé de lui faire connaître
nos buts et nos statuts. » Il rappelle à ses lecteurs que cette future fédéra-
tion universelle a été initiée à Malte par le Dr J. Aquilina et le professeur
P. Saydon auxquels se sont associés, J. Vella, directeur de la revue
« Melita » de Sousse ainsi que les Maltais du Caire. Laurent Ropa résu-
me ainsi l’objectif essentiel de la future fédération : son but « est de
répandre notre langue dans le monde » ; il poursuit : « Il faut que le
Maltais où qu’il se trouve exilé […] se souvienne qu’il est Maltais […]
l’originalité des Maltais, c’est leur langue » ; quelques lignes, plus loin,
l’auteur cite, en exemple, ses amis, les patriotes Toni Said et Ivo-Muscat
Azzopardi » qui fondèrent à Alexandrie une société littéraire.
D’autres publications maltaises seront éditées en Égypte et se main-
tiendront jusqu’au départ de l’ensemble de la communauté maltaise ;
ainsi en 1937, paraît le « Bulletin de la communauté maltaise du Caire »
qui deviendra en 1943 « Il Ħabbar Malti » (les nouvelles maltaises) ; ce
journal, écrit d’abord en maltais, comportera par la suite certains articles
rédigés en anglais et en français ; il sera publié jusqu’en 1953.
Très bien insérés en territoire égyptien, les Maltais durent, cependant,
lors de l’indépendance (1956), comme les autres étrangers, quitter ce pays.
Le développement de ces journaux et associations montre l’importance
d’une vie intellectuelle maltaise en Égypte alors qu’elle semble avoir été
beaucoup plus restreinte en Tunisie ; était-ce dû à la présence d’une élite
intellectuelle plus importante ? Il apparaît difficile de répondre à ces
questions, les témoignages des descendants d’immigrants retenant princi-
palement ceux d’élites attachées à promouvoir la culture et la langue mal-
taise. Toutefois cet essor culturel en territoire colonisé d’une communau-
té immigrée, pose en filigrane la problématique de la culture du dominant
et de son impact sur le dominé eu égard aux territoires sous domination
française.

2.4. CONSTANTINOPLE, SMYRNE


Compte tenu de l’opinion négative affichée envers les populations
turques, on aurait pu croire que les Maltais se seraient abstenus de toute
émigration vers ces contrées ; or, si cette destination fut de moindre
importance, on a pu cependant comptabiliser en 1912, 3 000 Maltais à
Constantinople (Istanbul) ; principalement ouvriers et petits commer-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 169

çants, ils vivaient dans le quartier de Galata, non loin de l’église Saint
Peter ; ils eurent même un journal : le « levant Herald ». À Smyrne (Izmir),
les Maltais étaient au nombre d’environ 1800, ils travaillaient principale-
ment comme ouvriers portuaires ou étaient également commerçants.
Cette population, semble-t-il assez pauvre, fut obligée de se réfugier à
Malte lors de la prise du pouvoir par Atatürk, ceux qui restèrent furent
massacrés. ous possédons très peu d’informations sur cette immigra-
tion ; il est seulement souligné que les réfugiés, lors de leur retour à Malte,
ne parlaient ni maltais, ni anglais ; y aurait-il eu acculturation du moins
sur le plan linguistique ? Une relative misère aurait-elle engendré une
plus grande acculturation ? Que devient dans cette hypothèse l’imaginaire
collectif maltais de rejet et de crainte du monde turc ?

CONCLUSION
Au cours de cette brève étude comparative nous avons pu relever des
caractères communs aux différentes territorialisations des Maltais en
pays musulman, à savoir une implantation urbaine autour des lieux de
culte catholique, une scolarisation et des institutions culturelles, le plus
souvent en lien avec l’Église ; ces éléments reproduisaient en territoire
étranger, l’organisation sociale de l’archipel maltais durant la même
période. Par contre, le domaine linguistique, eu égard à la transmis-
sion de la langue maternelle, présente des différences dans les terri-
toires sous domination française ; en effet, la pratique de la langue
française s’est rapidement imposée comme unique voie d’une possible
évolution dans la société ; à ce processus s’est ajouté celui de la déva-
lorisation d’une culture différente, renforcée par les décrets de natura-
lisation412. La conjugaison de ces facteurs pourrait à elle seule expli-
quer l’acculturation précoce des Maltais d’Algérie suivie en partie par
ceux de Tunisie. En effet, à la suite des changements politiques surve-
nus lors des accessions à l’indépendance, les Maltais, de ces deux ter-
ritoires, se dirigeront, majoritairement, vers la France parachevant
ainsi leur acculturation ; par contre, les descendants des Maltais, émi-
grés dans les autres pays susnommés, s’orienteront, soit vers
l’Angleterre, soit vers un pays dépendant du Commonwealth, principa-
lement l’Australie ; cette nouvelle terre de peuplement autorisera
conservation et transmission de l’identité maltaise comme en témoi-
gnent les nombreuses associations maltaises de ce pays. Conservation
et transmission d’un patrimoine culturel différent de celui du pays
d’accueil sont-ils des paramètres compatibles avec une politique
d’assimilation qui « continue » aujourd’hui, encore « à être magnifiée
comme une vertu prioritairement française… garde-fou contre la dis-
crimination essentialiste (par nature, donc raciste) »413 ? Comment
répondre à cette problématique sans tomber dans l’écueil du commu-
nautarisme ? Le cadre de notre étude ne nous permet, ici, que l’ébauche
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170 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

d’un questionnement beaucoup plus vaste qu’il serait intéressant


d’approfondir par d’autres travaux.
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Notes de la quatrième partie


353 Au-delà de deux générations, les souvenirs s’estompent.
354 Mizzi, P. “Maltese Émigration, Political overtures” in Heritage, An encyclopedia of
Maltese culture and civilization. (Traduction).
355 Entretien Malte, mai 2003.
356 Ciaparra, F. Marriage in Malta in The Late Eighteenth Century, (traduction de
quelques pages, communiquées par Madame Vérié-Cassar).
357 Sammut, C. « Les communautés migrantes maltaises de Tunisie installées en
France, un cas d’acculturation coloniale », Le cuisinier et le philosophe, hommage
à Maxime Rodinson, op. cit.
358 Cf. Annexe, p. 273.
359 Entretien juin 2004.
360 Orthographe phonétique : nos interlocuteurs n’ont pas su donner l’orthographe
exacte d’une partie du nom de cette entreprise.
361 La Goulette, actuel port de Tunis, était alors un petit village de pêcheurs et un centre
d’exportation pour le fer
362 Darmon, R. Déformation des Cultes en Tunisie, p. 50, op. cit.
363 Il s’agit de trois entretiens répartis au cours de l’année 2003.
364 Le terme de « supérette » est employé dans son sens actuel
365 Les Maltais d’Algérie étaient devenus citoyens français par la loi de naturalisation
automatique de 1889, octroyant la nationalité française à tout enfant né en France
ou en Algérie d’un étranger né lui-même en France ou en Algérie.
366 La manécanterie des Sables était la chorale d’enfants de la Cathédrale de Tunis.
367 Martyres dans l’amphithéâtre de Carthage où, en 1930, se déroulera le Congrès
Eucharistique.
368 Cf. Troisième partie, Porto Farina, p. 62
369 Notre Dame de Tunis : c’est sur les hauteurs du Belvédère qu’une cathédrale, équi-
valente de celle d’Alger, devait être construite en l’honneur de Notre Dame
d’Afrique ; le projet commencé sous Mgr. Combes n’aura pas de suite.
370 Ces villes appartiennent à un ensemble appelé « Les trois cités » ; il s’agit
d’agglomérations, intégrées dans les anciennes lignes de fortifications situées en
face de La Valette : « Bormla reçut le nom de Cospicua en 1721 ». Les deux pres-
qu’îles situées dans le prolongement de cette agglomération prirent respectivement
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172 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

les noms de Senglea, et de Vittoriosa (anc. Birgù), en souvenir du grand siège de


Malte.
371 Cf. Sixième partie, Une quasi absence de transmission sur Malte, p. 207
372 Il s’agit de l’école des Maristes, située rue d’Algérie à Tunis.
373 Récit autobiographique, en anglais, destiné, au départ, à la seule utilisation familia-
le. Il s’agit, donc, ici, d’une traduction résumée des propos de l’auteur, complétée
par des entretiens téléphoniques en 2004 et 2005. Le texte est désormais disponible
sous le titre : The riches of my life. (Acquisition possible sur le site : www.lulu.com)
374 Dornier, F. Les catholiques au fil des ans, p. 172, op. cit.
375 Le mot « gharda » semble avoir été employé pour le mot maltais : « għaqda ».
376 Ce cimetière a depuis été déplacé au Borgel dans la banlieue nord de Tunis.
377 Entretien téléphonique, mai 2004.
378 Rizzo, C. Le Maltais de Bab el Khadra, Paris, Lafon, 2003.
379 Cette expression est en français dans le texte.
380 En arabe dans le texte : orthographe originale de l’auteur.
381 Canoun : poterie d’argile non vernissée dont la base inférieure est remplie de
braises, la partie supérieure permet de chauffer un petit récipient.
382 En français dans le texte.
383 Price, Ch.A. Malta and the Maltese, A study in ineteenth Century Migration
(Malte et les Maltais, Une étude de l’immigration au XIXe siècle), Melbourne,
Georgian House, 1954, p. 59.
384 Cf. Troisième partie, Une surabondance de descriptions négatives, p. 116.
385 Donato, M. Elisa, La Maltaise, histoire des Maltais d’Algérie, 1830-1962, Nice :
Gandini, 2002, pp. 50- 52.
386 Abela, R. À, Zammit, A. M. Les Français de souche maltaise, tome II, op. cit.
387 Donato, M. Rue des Maltais, La vie de la colonie maltaise de Tunisie, p. 25, op. cit.
388 Entretien juin 2005 : la personne, sujet de l’anecdote, est un jeune adulte d’environ
quarante ans.
389 ARTE, « Les trois couleurs de l’empire », émission télévisée, 1er février 2006.
390 Vadala, R. L’émigration maltaise en pays musulman, Revue du monde musulman,
volume XIV, avril 1911, n° 4. p. 41.
391 Lafi, N. « Les relations de Malte et de Tripoli de Barbarie », Le Carrefour Maltais,
Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, pp.127-142.
392 Sanguy, P. Les cahiers du cercle Vassalli, été 2000, n° 3, p. 14.
393 Vadala, R. L’émigration maltaise en pays musulman, Revue du monde musulman,
volume XIV, op. cit.
394 Lafi, N. « Les relations de Malte et de Tripoli de Barbarie », Le Carrefour Maltais
op. cit.
395 Ancienne province du Nord-ouest de la Libye qui fut réunie à la Cyrénaïque pour
forme la Libye italienne. (1934)
396 Vadala, R. L’émigration maltaise en pays musulman, Revue du monde musulman,
volume XIV, op. cit.
397 Attard, Fr. L.E. « The Great Exodus » (Le Grand Exode), pp. 23-26.
398 Après la guerre italo-turque de 1911-1912, la Libye passe sous domination italien-
ne.
399 Lafi, N. « Les relations de Malte et de Tripoli de Barbarie », Le Carrefour Maltais
op. cit.
400 Cini, R. Tripoli of Barbary, disponible sur : http :/www.maltamigration.com
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 173

401 Donato, M. Rue des Maltais, La vie de la colonie maltaise de Tunisie, p. 128, op.
cit.
402 Lafi, N. « Les relations de Malte et de Tripoli de Barbarie », Le Carrefour Maltais,
Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, pp.127-142.
403 « Juifs et Maltais de Tripoli » (extrait d’un échange entre Adrian Grima et Jacques
Arbib, disponible sur : www.babelmed.net ; Adrian Grima est conférencier en litté-
rature maltaise à l’Université de Malte et responsable du comité scientifique au
Conseil National pour la langue maltaise.
404 Ibid.
405 Il n’a pas été possible de traduire exactement cette expression.
406 Attard, Fr. L.E. « Great Exodus » (Le Grand Exode), op. cit.
407 De 1882 à 1922, les Anglais exercent une grande influence en Égypte.
408 Price, Ch. Malta and the Maltese : A Study in nineteenth Century Migration, pp.
135-137.
409 Bernardie, N. Malte, parfum d’Europe, souffle d’Afrique p. 104, op. cit.
410 Vadala, R. L’émigration maltaise en pays musulman. Revue du monde musulman,
volume XIV, 1911, p. 39, op. cit. (Khédive est le titre porté par le vice-roi d’Egypte
de 1867 à 1914.)
411 Magri-Overend, I. Président de l’association des Communautés Maltaises
d’Egypte : « Association des Communautés Maltaises d’Égypte. » disponible sur :
http://www.maltamigration.com
412 Nous n’envisagerons pas ici la question des naturalisations italiennes, contraintes en
Libye, durant la période fasciste. Une partie des descendants de ces émigrés choisi-
ra l’Italie comme pays d’accueil après l’indépendance de la Libye.
413 Sayad, A. La double absence, Des illusions de l’émigré aux souffrances de
l’immigré, p. 311 op. cit.
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CINQUIÈME PARTIE

DES MALTAIS, UN TEMPS OUBLIÉS


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176 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

1. LES PASSEURS DE MÉMOIRE


Restait-il des Maltais, descendants des immigrés, en Tunisie ? Les pre-
mières investigations auprès des Maltais immigrés en France avaient été
négatives ; d’après nos correspondants, il ne restait pratiquement plus, en
Tunisie, de Maltais descendants des premiers immigrés. Un religieux âgé,
résidant encore en Tunisie, nous était, cependant, signalé comme étant
d’origine maltaise ; nous le rencontrerons, dès notre premier voyage
d’étude en Tunisie, pensant qu’il pouvait être éventuellement en relation
avec d’anciens concitoyens ; en effet, les réponses, précédemment obte-
nues en France, autorisaient un doute sur la question d’un départ total de
la population maltaise. Ce religieux que nous nommerons le père
François, nous affirmera, lui aussi, dans un premier temps, que notre
recherche n’aboutira pas car « tous les Maltais sont partis ». Quelles
étaient les raisons de cette affirmation ? Compte tenu de ces indications
négatives, nous avons décidé d’interroger la mémoire tunisienne, sur la
vie de l’ancienne communauté maltaise, en interviewant des Tunisiens
demeurant dans les anciens quartiers maltais414. Toutefois, nous gardions,
présente à l’esprit, notre première hypothèse concernant la possible pré-
sence de Maltais n’ayant pas quitté la Tunisie.

otre parcours commence à Tunis dans la rue Malta Srira (petite


Malte). Premier lieu d’habitation de beaucoup de Maltais, lors de leur
arrivée en Tunisie, cette rue, dont l’appellation n’a pas changé, longe la
médina. Le rez-de-chaussée des immeubles est actuellement occupé par de
petits marchands de meubles ; un premier échange avec l’un d’entre eux,
nous permettra de constater que la présence maltaise est toujours vivan-
te dans la mémoire des Tunisiens. Ce commerçant, se référant aux des-
criptions de son père, nous relatera, tout d’abord, la vie des cochers mal-
tais, au début du XXe siècle, dans ce quartier ; puis, confirmant, dans un
premier temps, nos informations, il nous dira : « après l’indépendance, ils
sont partis » cependant, il ajoutera : « du côté de Radés, il y a la maison
des vieux, là-bas, vous en trouvez » ; puis, notre interlocuteur désignera
un passant qui, selon lui, pourrait, mieux que lui, nous parler des
Maltais : « L’Italien qui vient, il est devenu Français, il connaît, moi je
suis israélite, il connaît mieux que moi ». C’est donc en italien que notre
passeur, Carmel, abordera ce nouvel interlocuteur ; celui-ci, après nous
avoir dit qu’il n’y a plus beaucoup de Maltais résidant à Tunis, nous indi-
quera cependant l’adresse de l’un d’entre eux qui réside encore près de la
rue Malta Srira. Ainsi, dès nos premiers entretiens avec des Tunisiens,
l’assertion « il n’y a plus de Maltais en Tunisie », courante chez les
Maltais, vivant en France, se trouvait infirmée. La présence de Carmel
avait suscité la résurgence des anciens cadres sociaux de « la Mosaïque
tunisienne415 » malgré la disparition quasi-totale des groupes qui la
constituaient.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 177

La suite de notre itinéraire maltais, nous conduira dans le quartier de


Bab el Khadra ; là encore, les habitations témoignent de la présence mal-
taise : Église aujourd’hui désaffectée, ancien atelier de forge, boucherie,
immeubles correspondent à des édifices, connus des Tunisiens comme
ayant appartenu à des Maltais. Dans ce quartier, Madame .416,
Tunisienne, âgée de 80 ans, patronne d’un atelier de cordonnerie, tou-
jours en activité, évoquera, pour nous, les allées et venues des calèches
maltaises ; elle décrira le logement des familles de cochers dans les sou-
pentes au-dessus des écuries. Le témoignage d’une religieuse, cité par le
père François Dornier, confirme ce type d’habitation encore en usage
dans les années 1930 : « Presque tous nos malades maltais étaient des
chevriers et des cochers, et les P.S.A.417, pour les soigner, devaient leste-
ment escalader l’échelle-escalier qui conduisait à leur chambre, toujours
située au-dessus de l’écurie »418. Au cours de notre entretien, Madame
. nous apprendra que ces anciens logements existent toujours : ils sont
devenus la propriété de petits garagistes ; l’un d’entre eux, sera effective-
ment fier de nous montrer qu’il a gardé en souvenir des Maltais, les lieux,
pratiquement tels qu’ils étaient : anneaux servant à attacher les chevaux,
calendrier de l’époque ; nous pourrons même monter par l’échelle dans
l’ancienne soupente qui servait de logement à la famille.

Ancienne habitation de cocher, Bab el Khadra


(Tunis, 2003)

Poursuivant nos investigations auprès des Tunisiens, nous nous ren-


drons successivement dans les principaux lieux d’émigration maltaise en
Tunisie. ous commencerons cet itinéraire par le port de La Goulette situé
dans la banlieue de Tunis. Les entretiens, avec des habitants de cette ville,
confirmeront la présence d’une mémoire bien réelle des Maltais chez les
Tunisiens. C’est ainsi qu’à la Goulette, un boucher419, juif tunisien, nous
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178 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

décrira de manière très vivante ses anciens concitoyens maltais ;


l’entretien aura lieu dans un mélange d’arabe, de juif tunisien, de maltais
et de français, véritable kaléidoscope linguistique à l’image de la langue
de Kaddour Ben itram420 ; seront successivement cités : les courses de
chevaux, tant à La Valette (Malte) qu’à Tunis, le va-et-vient des calèches
avec une précision sur le lever des cochers à quatre heures du matin, ainsi
que les bouchers maltais de la rue de la Casbah dont un dénommé
Micallef. otre interlocuteur évoquera également les processions catho-
liques du quinze août en l’honneur de otre Dame de Trapani. R. Darmon
rapporte que ces fêtes étaient « la manifestation de sympathie interconfes-
sionnelle des familles musulmanes et juives qui, le matin, faisait porter
des cierges à l’église, et de ces femmes non-chrétiennes s’habillant de
neuf ce jour-là et saluant la Madone au passage, par de joyeux you-
you »421. La population de la Goulette, notamment les femmes, s’associait
aux fêtes religieuses des différentes communautés ce qui explique les
connaissances de notre interlocuteur.
Lors d’une seconde entrevue, il acceptera de chanter une comptine,
selon lui, en maltais ; Carmel, notre passeur peut saisir l’essentiel du
refrain et nous le traduire :

« Et moi, j’avais les yeux vers le ciel,


Et j’en ai vu la soie déchirée.
Lucia joue de la guitare
Et Georges, lui, joue du violon
Ah !… »

Ce refrain renvoie à un aspect connu des coutumes maltaises et ita-


liennes telles que la pratique fréquente d’un instrument de musique,
notamment le violon, par les gens du peuple. Les prénoms chrétiens de
Lucia et Georges indiquent le contexte chrétien ; la suite de la chanson est
plus difficilement compréhensible et nous ferons appel à une personne
ayant une très bonne connaissance du Maltais écrit et oral422 ; d’après
elle, la chanson de notre interlocuteur comporterait peu de mots maltais.
Voici ce qu’elle nous écrit à ce sujet :

« J’ai réécouté les bouts de chansonnettes en maltais ; il commence


par des mots en arabe, puis :
Dawk ghajnek Jiħarsu leija
U fommok ma jikellemnise
U jekk trid sei ħaġa minnhi u
Ġėjt u ma nśibse.

Ce qui veut dire :


« Ces yeux tiens ou ces yeux à toi, ils me regardent
Et ta bouche ne me parle pas
Et si tu veux quelque chose de moi et […]
Je suis venu et je ne trouve pas ».
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 179

Une autre partie du texte dit plus clairement :


« rid nraġa Malta »

C’est-à-dire :
« Je veux retourner à Malte ».

Il s’agit donc bien de bribes de chanson maltaise malgré le mélange


linguistique ; nous avons effectivement retrouvé, dans l’étude sur
« l’Imnarja », les deux premiers vers de ce chant traditionnel maltais ; il
a été recueilli par « C. Sammut en 1984, auprès de son père, né à Tunis…
Le premier quatrain… a été recueilli de la bouche d’une femme, à
Hamrun, en 1968. »423 ; les vers suivants appartiennent sans doute à un
mélange d’autres chants maltais dont nous ne pouvons dire s’ils provien-
nent de Malte ou s’ils ont été composés par les émigrés ; ainsi, le dernier
vers se rapporte directement à la situation de l’immigré. La connaissance
de ces chants maltais par notre interlocuteur vient confirmer la grande
proximité des groupes de « La Mosaïque Tunisienne. »
Poursuivant nos recherches, nous nous rendrons ensuite à Ghar el
Mehl (Porto-Farina) ; fréquemment citée par nos interlocuteurs maltais,
que ce soit en France ou en Tunisie, cette petite ville semble être restée
comme le signe de la différence, du lien refusé avec le monde tunisien.
Concernant l’ancienne population maltaise de cette ville, nous avons pu
relever les remarques faites par des descendants de Maltais vivant en
France : « Ils vivaient comme les Arabes, ils parlaient comme eux » ou
bien encore « Ils se mariaient uniquement entre Maltais, dans cette petite
ville, il y avait des tares. » Cette perception des Maltais semble provenir
de représentations sociales et idéologiques liées aux normes maltaises
concernant l’obligation de signifier la séparation du groupe d’avec le
monde musulman.
Dans ce lieu, les premiers contacts vont s’établir, à la terrasse d’un
café, avec deux Tunisiens424. Le plus âgé, nous expliquera que beaucoup
de Maltais étaient là, avant les Français, donc avant le protectorat ; la
majorité travaillait la terre en tant que maraîchers ; ils produisaient aussi
des amandes : « C’était les filles qui enlevaient les coques » ; notre inter-
locuteur connaît encore quelques expressions maltaises telles que :
« Inzel (descends) ; Deyem (toujours) ; Kèm giornata ? (Combien de
jours ?) ; Fein seyer ? (Où vas-tu?) ; pour le bled, ils disent païs »425.
Il ajoutera que les Maltais faisaient la fête avec les Siciliens et parfois
« carozella » c’est-à-dire que les jeunes couples dont la famille refusait le
mariage disparaissaient ensemble, en général durant quelques jours, met-
tant les parents respectifs, dans l’obligation d’accepter le mariage ; dans
le cas contraire, ils devaient soit partir dans une autre ville soit, de nou-
veau, s’exiler. L’importance de la pratique religieuse est de même souli-
gnée avec notamment l’assistance à la messe, matin et soir, nous dit-on.
otre interlocuteur poursuit :
« Tunisiens et Maltais s’entendaient bien mais à l’Indépendance de la
Tunisie, ils ont pris peur et se sont réfugiés dans le fort426. Quelque temps
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180 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

après, ils sont pratiquement tous partis alors qu’ils auraient pu rester
sans problème ».
Entendant nos propos, un troisième Tunisien se joindra au groupe pour
donner des informations complémentaires :
« J’ai connu un parent de C. Camilleri, du nom de Fredo Camilleri qui
travaillait à la minoterie ; cette famille est ensuite partie à Tunis »427.
Il nous désignera ensuite la maison des derniers Maltais de Porto-
Farina : « Lise Scotto et son frère Joseph » ; ce dernier serait décédé, en
1998, quelques années après sa sœur ; le père de notre témoin les aurait
bien connus. Ce témoin nous dit qu’ils ont été inhumés au cimetière euro-
péen de Tunis. Constatant que cette dernière information ne correspondait
pas, tout à fait, à l’affirmation de C. Camilleri concernant la totale dispa-
rition de la communauté maltaise de cette ville, nous essaierons d’avoir
confirmation de ces éléments. Aucune de nos investigations ultérieures ne
pourra nous apporter de réponse. ous ne retrouverons aucune trace de
cette famille ni au cimetière européen du Borgel à Tunis, ni auprès de la
paroisse catholique de Bizerte, secteur catholique comprenant Porto-
Farina (Ghar el Mehl)428 ; seul Michel Cordina, Maltais vivant en France,
a un vague souvenir d’un concitoyen du nom de Joseph Scotto mais il le
situe à Tunis ; il décrit un personnage peu communicatif et pense qu’il a,
peut-être, vécu quelque temps à Tunis avec sa sœur, avant de retourner à
Porto-Farina ; cependant, ce témoin nous dit ne pas être sûr qu’il s’agisse
effectivement, de ces personnes, vu l’importance de l’homonymie des
familles maltaises.

Porto Farina : Maison


désignée comme étant
celle de la famille
Scotto
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 181

ous décidons, alors, de nous rendre à l’ancien cimetière européen,


situé un peu à l’écart de la ville ; nous nous renseignons, auprès d’un
Tunisien429, sur son emplacement exact et, de ce fait, évoquons l’ancienne
présence maltaise. Très vite, cet homme (nous le nommerons Aziz) se
montre, particulièrement, intéressé par notre démarche et nous apprend
que lui-même est à demi-maltais ; il explique : « Ma mère était une mal-
taise du nom de Grech. Mon père était maçon ; il a eu trois femmes : la
première est décédée, la deuxième est partie, la troisième c’était la
Maltaise, elle est restée ».
Aziz précise également qu’il a « une sœur arabe » (demi-sœur ?)
mariée à un Maltais qui vit à Marseille. Sur notre demande, il sera content
de prouver à Carmel qu’il sait encore un peu de maltais et citera prati-
quement les mêmes mots et expressions que nos précédents interlocu-
teurs ; il ajoutera celui de « Ayeltlek » c’est-à-dire : « Je t’ai appelé ». Au
cours de l’entretien, Aziz évoquera les relations des Maltais avec les
Siciliens en disant qu’ils faisaient la fête ensemble et « parfois carozel-
la » ; il n’oubliera pas de mentionner l’importance de la pratique religieu-
se chez les Maltais en nous livrant son opinion à ce sujet : « Les Maltais
allaient à la messe, le matin, le soir, ils exagéraient »430.
S’inscrivant dans la tradition des anciennes activités maltaises et tuni-
siennes de ce port, il est à la fois pêcheur et cultivateur (amandes,
pommes de terre) ; ce témoin oublié de la présence maltaise est, par
ailleurs, fier de nous faire visiter sa maison, récemment construite, sym-
bole de sa réussite matérielle.
Ce témoignage spontané ne vient cependant pas infirmer les propos de
C. Camilleri sur le départ de tous les Maltais ; il s’inscrit davantage dans
un processus de négation de la composante maltaise, par les Maltais eux-
mêmes, de personnes devenues étrangères à la communauté. Comment
ces alliances matrimoniales avec des Tunisiens, ont-elles été vécues par le
groupe ? La mémoire collective nous apprend le rejet de ces personnes
hors de la communauté maltaise ; il s’agit, le plus souvent, de jeunes
femmes maltaises qui, dès lors, seront considérées comme étrangères à
leur groupe d’origine et coupées de leurs racines. Ainsi C. Sammut rap-
porte la situation de deux jeunes filles : l’une sera « exorcisée du démon
car elle avait voulu épouser un Tunisien » ; elle partit cependant vers le
groupe musulman et adopta l’islam ; l’autre quittera le village431. S’agit-
il de cas isolés ? Il est difficile d’y répondre, vu l’aspect tabou que revêt
encore aujourd’hui cette question.
ous constatons cependant que, dans la situation précédemment citée,
le couple a continué de vivre et de travailler à Porto-Farina dans une
situation de proximité et de partage du travail des deux communautés. A-
t-il existé d’autres situations semblables ? Comment ont-elles été vécues
sur le terrain ? L’étude de C. Camilleri, sur cette communauté, n’en fait
pas état soit qu’il ne les ait pas connues432, soit qu’il les ait pensées trop
particulières et de ce fait, peu représentatives de cette communauté.
La ville de Sousse constituera l’étape suivante de notre parcours ; là
encore, les Tunisiens situent divers lieux et immeubles, empreintes d’un
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182 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

passé maltais encore présent tels la rue des Maltais, qui existe toujours à
l’intérieur de la médina, entre l’emplacement de l’ancienne église otre
Dame et le Ribat. Dans ce quartier de la ville, nous avons pu interviewer,
sur le souvenir des Maltais, deux Tunisiens âgés, assis sur le pas de leur
porte ; sans hésiter, ils nous indiqueront la maison où demeurait, au pre-
mier étage, Madalena, guérisseuse maltaise : « Elle guérissait avec l’or
(bijoux, alliances), touchait les yeux (des malades). »
Le président tunisien de l’A.R.E.M.S.433, S. Hamadi Melloulhi, évoque-
ra, lui aussi, ce personnage en précisant que Madalena n’était pas seule-
ment guérisseuse, elle remplissait, en outre, les fonctions de marieuse et
d’intermédiaire dans les prêts. Il ajoutera qu’une autre maltaise était
davantage réputée pour sa qualité de guérisseuse : « elle soignait le tra-
chome en mettant des gouttes de bleu (de méthylène) dans les yeux ou met-
tait des alliances au-dessus des malades ; ses soins étaient gratuits. »
Complétant nos diverses informations, M. Hamadi Melhoulhi rappelle-
ra les métiers des premiers Maltais de Sousse, le plus souvent, chevriers,
cochers ou pêcheurs ; ces derniers habitaient près de la mer, dans des
cabanes au pied des remparts, comme les Tunisiens et les Siciliens, exer-
çant les mêmes métiers434. otre informateur citera également différentes
familles maltaises qu’il a connues, tels les Vella, Cachia, Fenech, Checa
ou Herrero ; ils étaient artisans, commerçants ou fonctionnaires.
M. Hamadi Melhouli hésitera cependant sur certains patronymes ne
sachant s’ils sont Juifs ou Maltais du fait, selon lui, de la présence à
Sousse, de Juifs maltais venus d’Italie435.
« Le Grand Annuaire de l’Algérie et de la Tunisie (1886-1887) », puis
le journal « Melita » de 1938 confirment et complètent les données de nos
informateurs ; nous pouvons ainsi noter dès 1886, l’existence du café-res-
taurant Camilleri, de la pharmacie Bezzina436, de la banque Costa ;
W. Galea et F. Psaïla sont à cette époque, respectivement, vice-consul et
conseiller municipal. Cinquante ans plus tard, les entreprises maltaises se
développent et les pages d’annonces de « Melita » mentionnent : l’atelier
de mécanique S. Attard, les entreprises Galea (Bois, acier, métaux), Tanti
et Belhano, l’imprimerie L. Attard, les transports Vella. Quelques Maltais
ont accédé à des fonctions plus importantes comme proconsul britannique
ou vice-consul tels E. et L. Cachia, C. Galea et L. Caruana. Cette fonction
est cependant quelque peu décriée ; ainsi dans son étude sur la Régence
de Tunis, G. Finotti précise que l’agent consulaire, respecté en tant que
personne par les Maltais, « n’est que l’ombre du pouvoir » et que cette
charge est « tournée en dérision », par les Maltais eux-mêmes437. Cet
aspect peut éventuellement s’expliquer du fait de l’importance d’une
contrebande où toutes les communautés et les couches de la société
étaient impliquées438. Les agents consulaires de ces villes se révélaient, le
plus souvent, effectivement, impuissants à contrôler efficacement ces tra-
fics et les faire cesser.
Dans cette ville, le fondouk Berryana, le café « Zokhra » sis place du
monument aux martyrs où se retrouvaient les charretiers et le hammam
Sidi Bouraoui439 nous seront indiqués comme édifices maltais. Par
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 183

ailleurs, le café « Bristol », avenue Fallières440 dans le quartier européen,


servait de salle de fête et de siège des associations maltaises ; cet empla-
cement est significatif car il témoigne du déplacement progressif des élites
du groupe maltais en dehors de la médina et de leur installation dans
l’espace européen ; en outre, l’équipe de foot soussienne porte encore le
nom de « Red Star » comme l’ancienne équipe maltaise ; il n’a pas été
possible d’obtenir des précisions à ce sujet.
D’autre part, P. Sanguy nous avait informée de l’existence à Sousse, de
Joe Gallia, un Maltais appelé « Cabachi », ancien boulanger, devenu por-
tefaix au marché d’où son surnom. Un échange avec des Tunisiens, dans
le quartier proche du marché, nous permettra d’apprendre qu’il était bien
connu et que sa situation de porte-faix était due, selon eux, à sa passion
pour les jeux de courses de chevaux441 ; ils nous apprendront, son décès,
en 2003 ainsi que celui de sa sœur six mois auparavant et ajouteront
qu’ils se sont occupés de lui pour cette circonstance. ous avions égale-
ment appris, lors d’un congrès, qu’un médecin tunisien, résidant à Sousse,
était d’origine maltaise.
À Djerba, ce sont également des Tunisiens qui porteront témoignage
des anciens quartiers maltais : fondouks et habitations situés près de
l’église442. D’autres fondouks nous seront indiqués comme ayant été mal-
tais mais nous ne pourrons le vérifier. Des contacts pris avec la paroisse
catholique nous permettront d’entrer en contact avec deux couples : l’un
Italien-Maltais, l’autre Maltais-Tunisien.
Sur Sfax, c’est un médecin tunisien, président de l’association France-
Tunisie, qui nous parlera longuement des Maltais : pour lui, les Maltais
étaient comme les Tunisiens, mal vus, par les Français de souche. Il évo-
quera des points communs en ce qui concerne l’odorat, la cuisine ; des
coutumes similaires seront aussi signalées tel le recours à une guérisseu-
se, parfois commune aux deux communautés.
Les contacts établis avec la population tunisienne confirmaient ainsi
notre première hypothèse : à savoir qu’il restait, dans les différents ports
d’implantation maltaise, des descendants des premiers immigrés maltais ;
qui étaient-ils ? Quelles étaient les raisons de l’affirmation de leur non-
existence ?

2. LA MÉMOIRE DES TÉMOINS OUBLIÉS

2.1. QUI SONT-ILS ?


Compte tenu de la difficulté à identifier une possible ascendance mal-
taise tant chez les anciens Européens de Tunisie que dans la population
tunisienne, nous avons poursuivi notre interrogation de la mémoire col-
lective. C’est en évoquant la présence des Maltais, en Tunisie, pendant
plus d’un siècle, avec quelques-uns de nos correspondants qui, de fait, les
connaissaient443 mais ne les identifiaient plus en tant que Maltais, que
nous avons pu effectivement, entrer en contact avec nos témoins oubliés.
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184 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Les premières affirmations de leur non-existence paraissent dues, en


partie, au nombre restreint d’individus encore présents en Tunisie, et à
leur moyenne d’âge élevée (deux couples d’environ 55 ans, les autres per-
sonnes se situant dans une échelle d’âge allant de 60 à 85 ans) ; en 2003,
d’après les contacts que nous avions noués, nous pensions être en état
d’établir une approche chiffrée du nombre de personnes d’origine maltai-
se444, résidant encore en Tunisie. ous pouvions, alors, les évaluer
approximativement à une quarantaine, répartis de manière sensiblement
égale entre Tunis (une vingtaine), et l’ensemble des villes de Sfax, Sousse,
Porto-Farina et l’île de Djerba. Quelques personnes, très âgées, reste-
raient dans les secteurs de Zarzis, Medenine et Kasserine ; cette dernière
information, donnée par des Maltais, n’a pu être vérifiée. Il faudrait,
cependant, tenir compte, pour approcher d’une relative réalité concernant
cette population, non seulement des éventuels décès survenus depuis cette
date, mais aussi d’un petit nombre de Maltais ayant opté pour la nationa-
lité tunisienne ou ayant un conjoint tunisien, et difficilement répertoriés,
de ce fait. ous avons pu cependant rencontrer certains de ces couples
mixtes ; d’après les Maltais restés en Tunisie, il existerait quelques autres
couples Maltais-Tunisiens mais ces derniers désirent rester discrets quant
à leurs origines maltaises.

Immeuble Spiteri.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 185

Actuellement, la résidence des anciens Maltais reflète en partie


l’ancienne répartition territoriale ; ainsi à Tunis, quatre d’entre eux occu-
pent, encore, leur ancienne maison familiale dans les quartiers de Malta
Srira et de Bab el Khadra. À Sfax, une Maltaise âgée occupait en 2003 un
des appartements de l’immeuble Spiteri tandis que demeures et terres,
appartenant autrefois à des familles maltaises, sont occupées partielle-
ment, encore aujourd’hui, par ceux qui sont restés ; en effet, la nationali-
sation des terres agricoles, appartenant aux étrangers, en 1964, avait pro-
voqué le départ d’un grand nombre de Maltais ; cependant quelques-uns
prirent la nationalité tunisienne et acceptèrent la réduction de leur pro-
priété afin de rester en Tunisie. Cette situation concerne trois des familles
rencontrées sur ce secteur.
D’autre part, nos informateurs, qu’ils soient d’origine maltaise ou
française, ont souvent eu tendance à vouloir nous mettre en relation uni-
quement avec des personnes, représentatives, pour eux, de l’ancienne
communauté maltaise, en raison de leur réussite sociale ; de ce fait, ils ne
penseront ou ne souhaiteront pas nous présenter les autres, (personnes
très âgées ou de niveau de vie modeste) persuadés « qu’ils n’auront rien
d’intéressant à nous dire. » Dans cette optique, Paul Fenech, ancien petit
artisan maltais, nous conseillera, ainsi, de rencontrer M. Caruana, deve-
nu « tailleur des ministres », puis évoquera une famille bien connue : les
Pisani445. Ces digressions vers l’histoire de personnalités, jugées célèbres,
seront fréquentes au cours des entretiens ; elles induisent le besoin, pour
ce groupe social néantisé, de se référer « à un individu doté d’un grand
prestige, de charisme, d’autorité ou de pouvoir »446.
C’est donc par la mémoire groupale collecte que nous avons pu entrer
en relation avec ces témoins oubliés ; cependant, en les sollicitant nous les
renvoyions à leur « maltéité » ; se sont-ils « tunisifiés », sont-ils restés
Maltais ou sont-ils devenus des acculturés français ? Comment sont-ils
perçus par la population actuelle de Tunisie ?

2.2. LES MOTIFS DE LEUR PRÉSENCE EN TUNISIE


os interlocuteurs évoqueront, principalement, des motifs écono-
miques pour justifier leur choix de rester en Tunisie : les uns, pour des rai-
sons de propriété immobilière car le revenu de loyers d’appartements per-
met à un petit nombre de conserver des ressources suffisantes ; les autres,
très âgés, sans doute les plus nombreux, nous expliqueront comme Paul
Fenech, que des raisons économiques les ont incités à rester en Tunisie :
sa retraite d’ancien artisan, se révélant trop modeste pour vivre en
France. De même, quelques situations particulières ont permis à des
Maltais de rester propriétaires de petites superficies agricoles ou de conti-
nuer à exercer leur profession, vraisemblablement en acceptant de
prendre la nationalité tunisienne ; d’autres encore, peu nombreux, ayant
contracté une alliance matrimoniale avec des Tunisiennes, ont choisi de
rester dans le pays de leur conjointe ; nous rencontrerons une seule situa-
tion de couple Tunisien-Maltaise.
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186 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Par ailleurs, quelques résidents avaient envisagé un temps, un départ


vers la France qui ne fut pas suivi d’effet. Ainsi, deux de nos témoins se
sont déplacés dans le Sud de la France à cette intention ; le premier, Louis
Aquilina, marié à une Maltaise, s’est rendu, une fois, à Marseille où « il
s’est senti quelque peu perdu » ; en conséquence, il n’a pas souhaité s’y
établir en famille ; il a, par contre, apprécié la vie à Malte où il a effectué
deux voyages et aurait aimé pouvoir s’y installer. Louis, naturalisé fran-
çais, depuis l’âge de 28 ans, dit ne s’intéresser ni aux lois ni à la vie poli-
tique française, et donne comme exemple sa méconnaissance des partis
politiques : il s’est ainsi rendu, l’année précédente, à une réunion de
l’UDF, pensant qu’il s’agissait d’un rassemblement de tous les Français
vivant à l’étranger. Sur ce plan, son attitude rejoint celle de l’ancienne
communauté maltaise lorsque les nouveaux naturalisés français ne se sen-
taient pas concernés par les lois françaises. Par ailleurs, Louis se montre
préoccupé de l’avenir, professionnel et matrimonial de sa fille, née après
l’Indépendance et de ce fait, de nationalité tunisienne. Ce dernier facteur,
peu évoqué, a sans doute été pris en compte par les familles émigrées en
France, soucieuses que leurs enfants ne contractent pas des alliances
avec des Tunisiens, du fait de la diminution de la population européenne.
otre second témoin, après un séjour de quelques années en France,
durant lequel il a éprouvé des difficultés professionnelles pour s’installer
comme artisan, a préféré revenir s’établir définitivement en Tunisie.
Décrets de naturalisation française, lois maltaises, alliances matrimo-
niales et nécessités économiques ont conduit nos témoins oubliés à opter
pour des nationalités différentes. ous constaterons au cours de nos
entretiens que les Maltais, demeurés en Tunisie, restent particulièrement
discrets sur cette question ; se disant volontiers Français mais aussi
Maltais ou Britanniques, ils associent parfois les trois possibilités sans
aucun souci de cohérence législative. La référence à Malte correspond,
davantage, pour presque tous nos interlocuteurs, au besoin de spécifier
leur ascendance familiale maltaise plutôt qu’à la nationalité maltaise pro-
prement dite. Une seule famille, parmi celles interviewées, la possède
effectivement ; le souhaitent-ils d’ailleurs réellement ? Plus rarement,
quelques-uns d’ entre eux nous diront avoir opté pour la nationalité tuni-
sienne en raison de motifs économiques ou professionnels.
ous apprendrons également que plusieurs de ces Maltais, demeurés
en Tunisie, ont soit des enfants, soit des parents proches (frères et sœurs)
installés en France ; seuls quelques voyages seront évoqués à ce sujet.
Quelques autres ont des enfants dont les conjoints sont tunisiens ; ils évi-
teront presque toujours d’en parler et nous l’apprendrons par des tiers
vivant actuellement en France ; le sujet sera évoqué à mi-voix, sur un ton
que l’on pourrait situer, entre confidence et discret reproche, nuancé par
l’énonciation que ces jeunes étant demeurés en Tunisie, ils ne pouvaient
faire autrement puisqu’il ne restait plus d’Européens447.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 187

3. STATUT DES RÉFÉRENTS IDENTITAIRES MALTAIS :


ASPECT LINGUISTIQUE ET RELIGIEUX

3.1. LA LANGUE MALTAISE « SÉSAME » DES ENTRETIENS


ous avions prévu de rencontrer Paul Fenech, premier Maltais dont
l’adresse nous a été donnée. À cet effet, nous décidons de nous rendre,
accompagnée de Carmel, notre passeur maltais, directement à son domi-
cile ; sa présence nous autorisait à nous inscrire, dans un habitus où le
savoir- vivre maltais n’exigeait pas de prévenir son concitoyen avant de
lui rendre visite. Paul Fenech nous reçoit sans difficulté et nous demande,
en français, les raisons de notre visite ; c’est après un échange en maltais
et en français, lui permettant de situer Carmel en tant que descendant de
Maltais de Tunisie, que notre interlocuteur acceptera de nous parler libre-
ment de ses ancêtres. Paul, âgé de 80 ans, sait que l’émigration de sa
famille vers la Tunisie, se situe au niveau de ses arrière-grands-parents
paternels qui s’installent à Sousse ; du côté maternel, il s’agit d’une émi-
gration moins ancienne sur laquelle il peut nous donner une précision :
son arrière-grand-mère maternelle est venue directement du village de
axxar (Malte) ; les alliances matrimoniales de cette famille sont unique-
ment maltaises.
otre interlocuteur nous citera, d’autre part, différents fondouks de
Tunis ayant été habité par des Maltais : il s’agirait des fondouks Pino et
Bel Ayed448 ; certains d’entre eux ont été détruits et il n’a pas été possible
de déterminer leur emplacement exact.
Paul Fenech, tiendra à nous relater, lors d’un second entretien, sa ren-
contre en 2002, avec un groupe de touristes maltais originaires de Malte ;
la scène se passe devant la Cathédrale :
« Moi, je rentrais, j’ai entendu parler maltais ; je me suis arrêté. Je
regardais : y’en avait un parmi eux, il a dit en italien :
— Qué cosa tcha ? Qu’est-ce que tu as à rire ? (en français, à notre
intention). J’entends que vous parlez maltais. Toi, tu sais le maltais ?
— Je suis Maltais de Tunis. »
Cette réponse est donnée en italien par Paul qui nous indique que la
suite de la conversation s’effectue en maltais :
« Pourquoi vous parlez français, ici, les Maltais ?
— ous sommes ici du temps de la France, alors nous avons été obli-
gés avec les écoles françaises. »
Ce court épisode contient l’essentiel de l’identité maltaise à savoir
l’attachement à la langue maternelle (celle-ci est connue de notre interlo-
cuteur), associé au lien avec l’Église catholique du fait du lieu de
l’échange ; dans ce dialogue, c’est la langue qui signe l’appartenance
maltaise. Cependant, chacun des deux interlocuteurs tient à montrer un
apparent degré d’aisance culturelle, en s’exprimant d’abord en italien,
langue de la classe aisée maltaise, au temps de l’immigration en Afrique
du ord. Il s’agit toutefois d’une situation paradoxale dans la mesure où
la plupart des immigrés maltais ne connaissaient, sans doute, que des
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188 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

rudiments d’italien lors de leur immigration ; beaucoup ont vraisembla-


blement acquis la pratique courante de cette langue, en Tunisie, au
contact des immigrés Italo-Siciliens ; de ce fait, leur italien est, le plus
souvent, mêlé d’expressions siciliennes. Par ailleurs, l’étonnement du tou-
riste maltais de trouver en Tunisie un Maltais âgé, parlant sa langue
maternelle, n’est pas feint ; en effet, ceux-ci, se trouvent dans une sorte de
« non-lieu » identitaire où se superposent maltéité, bribes de culture fran-
çaise, tunisienne et italienne.
De fait, nous constatons, assez souvent, chez ces Maltais, une conser-
vation de la langue maltaise et, même, une préférence à l’utiliser, lors des
entretiens, pour aborder des aspects plus personnels concernant leur his-
toire ; ainsi lorsque nous rencontrerons à la maison de retraite de Radés,
Joséphine Bonello, celle-ci utilisera le français pour parler des Maltais
autrefois, en général ; le passage à la langue maltaise s’effectuera natu-
rellement lors de l’évocation de sa propre famille.
C’est en fonction du regard supposé de l’autre que ces Maltais
« oubliés » adapteront leur discours, proclamant : « Je suis Français »449,
dans le premier temps de l’échange ; cette attitude a pu être induite par les
représentations qu’ils ont de notre statut de Française et leur refus d’une
nouvelle immigration en France ; ils redeviendront pleinement Maltais
dès qu’ils constateront que notre collaborateur est, comme eux, un des-
cendant des Maltais de Tunisie et qu’il peut s’exprimer en langue maltai-
se.
Pour ces Maltais, restés en Tunisie, la langue maltaise reste une des
dimensions essentielles de leur identité. Ils relèvent toutefois des diffé-
rences entre leur parler maltais et celui de Malte ; ainsi François Saïd,
lors d’un entretien avec nous, proposé par son ami Paul Fenech, affirme-
ra : « ous, nous parlons le vrai maltais, celui d’avant », faisant ainsi
référence à la langue du XIXe siècle, pratiquée par les premiers immi-
grants. Il nous confirmera, par ailleurs, que la langue maltaise était
réservée à l’intra familial ; il situe cet état de fait, avant le protectorat,
principalement chez les Maltais de Porto-Farina, Sousse et Djerba où,
selon lui, la langue tunisienne était utilisée en priorité hors de la famille.
La situation paraît avoir été différente à Tunis où, selon François Saïd, les
Maltais pouvaient aussi communiquer en italien, du fait de l’importance
de cette communauté ; A. Salmieri, évoquait, lors de journées d’études450,
un usage possible de la langue maltaise par les Tunisiens. Cette réflexion
vient en contradiction avec les témoignages recueillis auprès des Maltais
ainsi qu’avec les différents écrits d’historiens tels J. Ganiage et P. Sebag
qui ont relevé que seuls les cochers tunisiens, de par l’appartenance au
même milieu professionnel, étaient capables de s’exprimer en maltais.
Toutefois, en dépit de l’importance de la référence linguistique, plu-
sieurs de nos témoins de Tunisie affirmeront avoir oublié le maltais ; cette
situation semble fréquente lorsqu’il existe une alliance matrimoniale ita-
lienne : le maltais, entendu durant la petite enfance, se trouve alors sup-
planté par l’italien et le français, acquis durant la scolarité. À la pratique
de ces deux langues s’ajoute souvent celle del’arabe tunisien ; une seule
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 189

fois, une connaissance, de l’arabe littéraire, nous sera signalée au niveau


de la seconde génération en Tunisie : ainsi Victor Dingli nous apprendra
avec une certaine fierté que son père lisait l’arabe car il l’avait appris à
l’école coranique ; était-ce du fait de l’absence de tout autre possibilité de
scolarisation locale ? otre interlocuteur est passé rapidement à d’autres
aspects de la vie maltaise et nous n’avons pu que relever cette particula-
rité451. Dans quelle mesure la langue maltaise, encore utilisée par un très
petit nombre de locuteurs âgés, s’est-elle davantage tunisifiée ? ous ne
pourrons en évaluer, les modifications.

3.2. UNE RÉFÉRENCE À LA RELIGION CATHOLIQUE


TOUJOURS PRÉSENTE
Autre référence essentielle, la religion catholique sera présente, dans
presque tous nos entretiens avec les Maltais restés en Tunisie. ous avions
pris rendez-vous avec Pierre Grech qui avait accepté de nous recevoir
chez lui ; c’est un personnage duquel émane une certaine autorité, ancien
fonctionnaire d’une relative importance sous le protectorat, il semble
avoir gardé des fonctions identiques après l’Indépendance. C’est du
moins ce qu’il nous laisse entendre sans autre précision car il nous inti-
mera l’ordre de l’écouter sans l’interrompre. ous le reverrons plusieurs
fois ce qui nous permettra de mieux comprendre l’histoire de sa famille
évoquée très brièvement lors de ce premier entretien.
Les premières paroles de Pierre Grech seront pour nous dire qu’il est
de l’âge du pape ; il sera fier de nous parler de ses relations avec le cler-
gé et l’évêque : il connaît effectivement tous les prêtres du diocèse et pour
lui, « tous sont Maltais », sans discussion possible, même si nous lui fai-
sons remarquer que certains des patronymes, cités par lui-même, ne sem-
blent pas d’origine maltaise. Il nous précisera, au cours de l’entretien,
que l’évêque actuel est un oriental et, qu’il n’est pas étranger à ce choix ;
cette dernière remarque est sans doute de l’ordre du symbolique, Pierre
tenant à nous prouver le haut niveau de ses relations avec la hiérarchie
catholique et l’importance de son implication dans ce domaine452.
La présence massive des Maltais au Congrès Eucharistique de 1930
sera souvent évoquée par nos témoins ; les plus âgés y ont, effectivement,
directement participé ; pour d’autres, la transmission familiale et collec-
tive du groupe maltais concernant cette manifestation catholique, les ren-
dra capables d’évoquer cet événement comme s’ils en avaient été les
acteurs. Ce sera le cas de Louis Aquilina qui, détenteur d’une mémoire
familiale, marquée par un profond catholicisme, nous fera un récit de cet
événement comme si, lui-même, avait pu y assister453. Louis ajoutera qu’il
a fréquenté l’école des Frères à Tunis et fait partie de la troupe scoute
maltaise britannique ; il précisera cependant avoir pris quelque distance
vis-à-vis de la fréquentation religieuse mais il connaît bien les prêtres de
Tunis et même, les horaires des offices.
De même, à Sfax, Pauline Schembri évoquera avec émotion, les treize
années où, jusque dans les années 1970, lors de la nuit de oël, la crèche
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190 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

était installée dans l’étable familiale, pleine de monde, pour la circonstan-


ce ; autel et siège des fidèles, venus assister à la messe, étaient simplement
constitués de bottes de paille. Elle rappellera aussi la destruction de
l’église paroissiale au cours des bombardements de 1942 et de la recons-
truction de l’édifice.

4. HISTOIRES DE FAMILLES
Au cours de nos différents entretiens avec des Maltais demeurés en
Tunisie, nos interlocuteurs maltais avaient, comme nous l’avons précé-
demment relevé, invoqué des raisons économiques comme motif principal
de leur maintien en Tunisie après l’Indépendance ; nous constaterons tou-
tefois, chez nos témoins oubliés, une grande diversité de situations
sociales, notamment en ce qui concerne les alliances matrimoniales, ce
qui introduit un questionnement au niveau de leur influence sur les choix
territoriaux de ces familles et leur rapport au monde tunisien.
Ainsi, un de nos interlocuteurs, entrepreneur, nous racontera qu’il se
fait souvent passer volontairement pour Tunisien auprès de ses ouvriers ;
il relate une anecdote à ce propos :
« Quelqu’un voulait le voir et a demandé où se trouvait un Européen
sur le chantier ; les ouvriers ont répondu qu’il n’y en avait pas ; l’autre l’a
reconnu et a dit aux ouvriers : c’est celui-là là-bas, en le désignant. »
Il commentera son attitude en expliquant la nécessité, pour lui, de se
fondre dans le milieu tunisien en s’habillant comme un simple ouvrier afin
de pouvoir travailler et se faire respecter. Ce qui est, pour notre témoin,
une simple anecdote révèle son ambivalence vis-à-vis des Tunisiens. Il se
trouve, en effet, dans une position d’intégration d’esprit colonial : la
situation de ce Tunisien est celle de l’ouvrier que, lui-même, ne dédaigne
pas être éventuellement ; cependant, dans le même temps, il pointe sa fier-
té d’être reconnu par l’autre (l’Européen) comme étant, lui-même,
Européen même si son apparence vestimentaire pouvait, de prime abord,
le désigner comme Tunisien. De plus, nous soulignerons que, pour les
deux protagonistes, le Tunisien ne peut être effectivement qu’un ouvrier
plus que modestement vêtu. Cette histoire, que notre interlocuteur situe
dans les années précédentes, montre la persistance de la pensée colonia-
le dominatrice, bien au-delà de son existence historique.
À la crainte d’identification avec le monde immigré arabe, en résonan-
ce inconsciente avec la situation intermédiaire des premiers immigrés
maltais en Tunisie et les non-dits de l’Histoire, est associée l’évocation de
relations idylliques entre les différents groupes ethniques présents en
Tunisie ; or, si les relations étaient effectives du fait de la proximité de rési-
dence ou du travail, le point commun du souvenir omet les aspects conflic-
tuels, notamment au sujet des mariages.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 191

4.1. ALLIANCES ITALO-MALTAISES


Parmi les Maltais demeurés en Tunisie, nombreuses seront les
alliances matrimoniales avec des Italiens. En dehors de la ville de Tunis,
ce sont, le plus souvent les paroisses catholiques, qui, cette fois, nous per-
mettront d’entrer en contact avec les Italo-maltais.
Ce sera le cas de Lucie Vitto qui nous accordera deux entretiens dont
un à son domicile ; notre interlocutrice appartient à la troisième généra-
tion en Tunisie. Du côté maternel, la famille est d’origine maltaise ;
l’émigration en Tunisie s’est produite vers la fin du XIXe siècle mais Lucie
possède peu d’éléments concernant ses ancêtres maternels. Du côté pater-
nel, l’émigration est plus récente ; la famille, originaire de Pantelleria,
émigre en Tunisie lorsque le père de notre interlocutrice est âgé de sept
ans. Ils s’installent dans un appartement qu’ils louent aux grands-parents
de Lucie ; la location d’appartements aux nouveaux venus était un mode
de ressources complémentaire, courant, chez les Maltais qui avaient réus-
si professionnellement ; il permettait, également, aux parents âgés de ne
pas être à charge, financièrement, de leurs enfants454.
Lucie se montre fière de la réussite professionnelle de son mari qui
était parvenu à posséder trois bateaux et leurs équipages pour la pêche
des éponges. La pièce principale de la maison familiale est, d’ailleurs,
transformée en mini-musée rappelant ce dur métier ; elle nous informera
que les pêcheurs d’éponge, étaient le plus souvent Italiens mais aussi par-
fois Tunisiens et nous fera, à leur propos, une remarque identique à celle
concernant le parler maltais des cochers tunisiens : « les pêcheurs tuni-
siens employaient souvent des mots italiens. » Selon notre interlocutrice,
ce métier s’est arrêté car les fonds marins ont été détruits par les chalu-
tiers.

Sfax : équipage de pêcheurs d’éponge (photos privées)

otre témoin évoquera brièvement les difficiles relations entre


Français et Italiens entre 1940 et 1942 du fait des choix politiques fami-
liaux et nationaux durant la dernière guerre : « les enfants (français) les
traitaient de sales Italiens et les parents voulaient les sortir de l’école des
Sœurs. » De même, Tony Mizzi racontera les démêlés entre sa grand-mère
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192 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

maternelle italienne, sympathisante de Mussolini, et son père d’origine


maltaise ; durant ces années, grands parents, enfants mariés et céliba-
taires cohabitaient. Compte tenu des appartenances nationales différentes
et opposées durant le conflit, les membres de la famille s’insultaient sou-
vent ; ainsi les Italiens traitaient les Maltais de « lécheurs de bottes
anglaises » ; cependant lorsque l’un d’entre eux, du fait de sa nationalité,
se trouvait menacé d’emprisonnement, il était protégé par ceux du parti
opposé qui déclaraient : « Je le garantis. » Tony ajoutera que sa belle-
mère, comme la plupart des Italiennes, donnera alliance et bagues en or,
pour la cause italienne455 ; selon lui « donner son alliance équivalait se
marier avec le fascisme. »
Présentées comme idylliques par les Maltais vivant actuellement en
France, les relations avec les Italiens se révélaient complexes ; elles
alliaient alliances matrimoniales du fait de la proximité territoriale des
deux communautés et partage d’un niveau d’activité professionnelle iden-
tique. Ces liens sociaux n’étaient cependant pas exempts de conflits, voire
de mépris entre les deux groupes. Actuellement, cet aspect paraît s’être
estompé du fait de la réduction de la population européenne et de la
volonté des intéressés de privilégier leur appartenance à une entité poli-
tique commune, l’Europe.

4.2. UNE INSERTION MALTAISE EN TUNISIE


Parmi les descendants de Maltais interviewés précédemment, l’un
d’entre eux, nous dira : « si vous voulez rencontrer une famille spécifique-
ment maltaise, il faut voir les Grima ». Il ajoutera : « Ils ne savent rien,
ils sont peu évolués et n’auront rien d’intéressant à vous dire » ; puis, à
notre demande, il nous donnera leurs coordonnées. Cette présentation, à
la fois simpliste et paradoxale, pose question. S’agit-il seulement d’une
opinion très personnelle de notre correspondant par rapport à des per-
sonnes qu’il n’apprécie pas ? Mais alors, pourquoi associer la caractéris-
tique de « spécifiquement maltais » à une dévalorisation ? S’agit-il du
souci, toujours présent, chez nos interlocuteurs maltais, de vouloir orien-
ter nos entretiens vers des personnes, valorisant à leurs yeux leur ancien-
ne communauté ; d’autre part, cette famille, ainsi que quelques autres ren-
contrées par la suite, ne nous avait pas été indiquée comme maltaise lors
de nos premières investigations auprès de la paroisse catholique456.
Présentée de manière négative par un de ses concitoyens, plus ou moins
ignorée, semble-t-il, en tant que Maltais, par les autres, il nous a paru
important de la rencontrer.
Contactés par téléphone, les Grima acceptent très facilement un entre-
tien à leur domicile457. ous pourrons nous entretenir avec trois membres
de cette famille458 qui continuent de vivre dans la ferme des grands-
parents et exploiter les terres d’une partie de l’ancienne propriété. Les
lieux revêtent, ici, une importance particulière : locaux d’habitation et
ferme paraissent, de prime abord, accréditer certaines des remarques
effectuées au sujet de cette famille ; leur simplicité évoque effectivement,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 193

dans la campagne tunisienne, le mode de vie des Maltais, au début du XXe


siècle459. Qu’en est-il réellement ? otre perception n’est-elle pas comme
engluée dans un prisme à la fois citadin et français, clivée par l’image de
nos propres représentations des Maltais de Tunisie ? Se superpose à cette
impression photographique celle de l’évolution récente des campagnes
maltaises où disparaît progressivement le mode de vie rural des années
1970. Une attitude de mise à distance, d’objectivation des savoirs, auto-
risera regard différent et dépassement, sans doute partiels, de ces clivages
d’une vision ethnocentrique de l’Autre.

Ferme de famille maltaise, Tunisie (2003)

Le dialogue s’établira principalement avec Rita, la plus jeune du grou-


pe ; les deux autres personnes de la famille se contenteront d’acquiescer
ou d’apporter quelques éléments complémentaires. À notre demande, Rita
évoquera les premières émigrations familiales. Peu d’informations sont
connues du côté maternel ; elle sait seulement que son grand-père mater-
nel est né en Tunisie dans cette même ville, et qu’il a effectué un voyage à
Malte pour trouver sa future femme, effectivement originaire de Rabat
(Malte). Du côté paternel, il s’agit d’une émigration plus récente et, de ce
fait, mieux connue : son grand-père paternel est arrivé de Gozo à Mahdia,
en barque avec son troupeau de chèvres et, nous précise-t-elle, « beau-
coup de livres maltaises », somme d’argent qui lui permettra d’acquérir
assez rapidement des terres. Les Grima nous diront, d’ailleurs, être res-
tés, en Tunisie, à cause des propriétés.
Diverses langues sont parlées dans la famille : maltais, français puis
arabe ; « il le faut bien » commentera notre interlocutrice. Elle ajoutera
que sa mère leur parlait de préférence en français et qu’ils ont été scola-
risés au lycée français où ils ont acquis quelques bases en anglais. Ils se
sentent à demi-Français et à demi-Maltais ; en effet, leur mère avait déjà
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194 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

la nationalité française, de par ses parents qui l’avaient choisie pour leurs
enfants ; leur père, lui, avait conservé la nationalité britannique. Rita et
ses frères et sœurs furent un temps Français, du fait des lois de naturali-
sation, d’ailleurs un de ses frères a conservé la nationalité française ; pré-
sent à la fin de l’entretien, il s’exprimera peu mais soulignera son admi-
ration pour ce pays « C’est beau la France » ; il la connaît, seulement, au
travers des récits de cousins installés dans le ord. L’émigration du côté
paternel étant plus récente, leur père a pu, par la suite, obtenir, pour lui-
même, la nationalité maltaise dès l’indépendance de Malte en 1964 ; ceux
de ses enfants qui le désiraient ont pu, ainsi, obtenir un passeport maltais
qu’ils seront fiers de nous montrer.
Conservant les traditions familiales, le plus jeune des frères effectuera,
lui aussi, le voyage à Malte dans le but de trouver une épouse ; ici,
s’ajoute à l’attachement au pays d’origine, le fait qu’il n’existe plus de
population européenne féminine, jeune, correspondant à leur mode de vie.
Cette démarche n’ayant pas abouti, nous apprendrons à la fin de
l’entretien qu’il est marié, depuis peu de temps, à une Tunisienne et qu’il
n’habite plus à la ferme ; il y travaille cependant toujours. ous n’aurons
pas d’indications sur les représentations familiales liées à cette union.
La famille garde, par ailleurs, quelques coutumes maltaises sur le plan
culinaire ; elles sont liées aux fêtes religieuses : agneau pascal et confec-
tion de « figolli » à cette occasion ; pour oël, oreillettes, makroud tuni-
siens (gâteaux au miel et aux figues) ; s’y ajoutent « fenech » (lapin), che-
vreau farci, tourte à la ricotta et « caldis » (sorte de chaussons fourrés de
petits pois). Les traditions d’origine culturelle diverses, en usage chez les
Grima, les rendent proches des habitudes maltaises sous le protectorat.
La pratique religieuse paraît être conservée mais semble désormais
appartenir, pour eux, à un univers qui n’est plus le leur : « le samedi, à la
messe, il y a des étrangers » ; est-ce seulement une constatation due à la
réduction de la communauté maltaise, ou à l’existence d’un mode de vie
qui les situerait, insérés dans le monde tunisien, et vivant comme diffé-
rents des autres Européens ? Position d’écartèlement entre Europe et
Afrique qui pourrait être difficilement vécue si cette famille ne possédait
pas un double ancrage terrien et maltais.
Les raisons du maintien de l’identité maltaise proviennent, pour les
Grima, de la permanence de leurs liens avec Malte où ils allaient réguliè-
rement rencontrer grands-parents paternels, tante et cousins. Une de nos
interlocutrices, nous confiera : « L’année dernière, je suis allée à Malte,
c’est pauvre Malte dans la campagne ». Elle évoquera, par ailleurs, une
procession à laquelle, elle a pu assister : « C’est resté toujours la même
chose, ils sortent les statues, c’est très joli ». Les Grima conservent enco-
re ces relations familiales.
Sachant que nous devons nous rendre à Malte, ils nous donneront les
coordonnées de leur famille à Gozo. ous pourrons effectivement rencon-
trer, quelque mois plus tard, à Malte, un de leurs cousins, religieux éru-
dit ; il nous confirmera la permanence de relations commerciales entre
Malte et la Tunisie au XIXe siècle, principalement avec les ports de Sfax
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 195

et de Sousse ; il ajoutera que, pour lui « les Maltais n’ont pas peur des
Arabes »…malgré leur réputation « de venir voler des jeunes filles » ; à ce
propos, il nous racontera un épisode de l’histoire familiale qu’il situe
approximativement vers 1870. Le récit suivant lui a été transmis par sa
mère : « Une de ses grandes tantes a été enlevée par des Arabes de
Tunisie ; ses neveux sont alors partis pour la Tunisie ; ils l’ont trouvée et
sont restés avec elle pour la protéger ». Ce fait rappelle, outre les histoires
de razzias du temps de la Course, la complexité des causes de
l’émigration maltaise en Tunisie.
Insérée dans le tissu social tunisien, la famille Grima peut, effective-
ment, être présentée comme « spécifiquement maltaise » non du fait d’un
statut social dévalorisé, comme l’avait laissé entendre notre interlocuteur,
mais plutôt en raison de la conservation de la langue et de coutumes mal-
taises et de la permanence de liens réguliers avec Malte.

4.3. LES MALTAIS-TUNISIENS


Pour les descendants de Maltais, désignés par nous-mêmes sous le
vocable « Maltais-Tunisiens », il semble qu’une différenciation d’avec les
autres Maltais se soit opérée du fait d’alliances matrimoniales avec des
Tunisiens. C. Liauzu signalait d’ailleurs qu’au temps du protectorat,
« l’Afrique du ord n’a pas manqué de femmes européennes, françaises,
espagnoles et italiennes (ou maltaises) nombreuses dès l’origine […], qui
se sont érigées en surveillantes soucieuses des mœurs et de la pureté
raciale »460. En outre, en « Tunisie et au Maroc, l’administration a élabo-
ré dans les années 1920 des circulaires destinées à mettre en garde les
Françaises désirant contracter un tel mariage »461. Il s’agit, ici, de maria-
ge entre arabe musulman et française sous-entendu catholique. On peut
penser que le clergé qu’il soit maltais ou français relayait abondamment
les directives de ces circulaires et renforçait l’attitude de rejet de ces
mariages dans la communauté maltaise. Actuellement, si ces alliances
n’engendrent plus comme autrefois l’exclusion, elles restent toutefois de
l’ordre du non-dit ; ainsi, les mariages mixtes avec des Tunisiens, peu
nombreux à notre connaissance, ne sont presque jamais évoqués par les
autres Maltais devenant, pour eux, des traces sans mémoire. Quelques
situations rencontrées en Tunisie autorisent cependant à donner réalité à
ces unions puisque nous avons pu échanger, dans chaque ville
d’implantation maltaise, avec des couples Maltais-Tunisiens ; actuelle-
ment, nous en connaissons six ; quatre autres n’ont pu être rencontrés
mais ce chiffre est sans doute légèrement en dessous de la réalité.
Cependant, d’autres faits peuvent montrer qu’au travers même de cette
problématique la transmission s’effectue et que les descendants de ces
couples mixtes connaissent sans doute leur ascendance maltaise ; ainsi,
nous pouvons rappeler que, lors de notre passage à Ghar el Mehl, nous
avons rencontré un Tunisien qui, spontanément, nous a appris que sa mère
était maltaise. Ces descendants de Maltais se sont comme « fondus » dans
la société tunisienne et il est très difficile de les connaître ; souhaitent-ils
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196 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

d’ailleurs être confrontés à leurs origines maltaises, à leur choix différent


de l’ensemble de l’ancien groupe ? Que devient leur statut juridique et
confessionnel ?
Un éclairage sur cette question est apporté par l’étude de Mohamed
Kerrou, dans son ouvrage intitulé : « Logique de l’abjuration et de la
conversion à l’Islam en Tunisie au XIXe XXe siècle ». Ce chercheur dis-
tingue deux périodes : la période précoloniale où il y eut peu de
demandes ; celles-ci, alors nommées en arabe « adoption de l’islam »,
semblent avoir été peu nombreuses, elles relevaient d’une « promiscuité et
pauvreté similaire à celle des musulmans » ; ces personnes restent le plus
souvent dépendantes de leur consul d’origine ; c’est ainsi que « le consu-
lat britannique à Tunis réclame, en 1840, la remise de la Maltaise Garcia
Abela qui, depuis deux ans, avait abjuré la religion de ses pères au profit
de l’Islam. Le consulat veut, en fait, “conserver cette femme dans ses
devoirs d’allégeance” britannique »462. Le cas d’une prostituée maltaise,
Maria Callus, est aussi rapporté : celle-ci, mariée à un anglais, se rema-
rie à un Tunisien après le décès de son premier mari ; en 1865, elle
demandera une protection consulaire pour ses trois filles463. Ces situations
sont source de conflits familiaux : ainsi le père de Carmelo icolas accu-
se son fils de viol après sa conversion et demande au consul anglais de
l’enfermer. De 1834 à 1878, les Maltais arrivent en troisième position, au
niveau des conversions, après les Italiens et les Israélites tunisiens bien
avant les Sardes, les apolitains, les Anglais et les Français. Ces conver-
sions semblent être davantage le fait de femmes pour des motifs sentimen-
taux et matrimoniaux. Après le protectorat et jusqu’en 1930, ces ten-
dances se modifient légèrement : les conversions maltaises passent en
quatrième position après celles de Français464.
Le cas de mariages Maltais-Tunisienne, moins fréquent, a encore
aujourd’hui, des conséquences religieuses et sociologiques importantes :
adoption de la religion musulmane, modification du prénom parfois ; ces
changements bien que non officiels sont effectifs du fait des pressions
sociales familiales. Ajoutons qu’au XXe siècle, il s’agit le plus souvent
d’une régulation de concubinage. otre itinéraire de recherche de descen-
dants de Maltais, nous conduira à interroger, avec le concours de notre
témoin-relais, la mémoire de conducteurs de calèche tunisiens ; l’un
d’entre eux, nous désignera alors, une des calèches destinée à promener
les touristes, comme étant une ancienne calèche maltaise ; il nous appren-
dra que son propriétaire est toujours un Maltais du nom de : « Youssef ou
Luigi Zammit ». Cependant notre souhait de le rencontrer suscitera des
réponses évasives : « Il viendra peut-être demain, revenez » ; ces
demandes de rendez-vous étant infructueuses, nous essayons d’obtenir
son adresse mais nous nous heurtons à une forme de refus : il s’agirait
d’une ferme éloignée et « de toute manière, il (Youssef) ne vous entendra
pas et de ce fait, ne pourra vous ouvrir ». Pensant qu’il s’agit d’une fin de
non-recevoir, nous décidons de demander seulement l’autorisation de
photographier la calèche maltaise ; c’est alors que la situation se
débloque et, contre toute attente, le cocher tunisien, accepte, moyennant
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 197

le prix d’une course, de nous conduire dans cette même calèche, à la


ferme du propriétaire maltais du véhicule.

Sousse, calèche maltaise du XIXe, (rénovée, elle est utilisée pour les touristes)

Le temps passé à échanger en tunisien avec les cochers a-t-il mis en


confiance « Luigi-Youssef » ? Toujours est-il qu’il nous attend. Dès notre
arrivée, il nous invite à nous asseoir sur un tronc d’arbre dans la cour de
sa ferme ; en présence de ses quatre fils, il commence alors à raconter
spontanément l’histoire de sa famille il mettra ensuite, lui-même, fin à
l’entretien en nous commandant un taxi. Au cours de cette entrevue, dans
un quasi-monologue, il évoquera successivement, son arrière-grand-père
paternel, « émigré en Libye, retourné à Malte pour trouver une femme » ;
puis, l’installation de la famille, en Tunisie où son père travaillera comme
cocher pour une entreprise maltaise de commerce de chevaux ; les
calèches viennent à cette époque de France : celle que nous avons utili-
sée aurait environ cent cinquante ans. Cependant son père décède, « suite
à une attaque, due à un cheval emballé », alors que lui-même n’a que huit
ou neuf ans ; la famille se retrouve sans ressources et dès seize ans,
Luigi465 deviendra cocher à son tour, après avoir fréquenté quelques
années l’école laïque (fait plutôt rare chez les Maltais, le plus souvent, dû
à la pauvreté). Il expliquera ensuite qu’il a eu la nationalité française et
possède aussi la nationalité tunisienne mais ne donnera aucune précision
sur son changement de prénom ; il ajoutera que sa femme est tunisienne ;
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198 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

il est fier, de ses enfants qui portent tous des prénoms tunisiens et tient à
nous les présenter ; les aînés comprennent relativement bien le français ;
il est également fier de sa réussite matérielle : il possède effectivement un
élevage important de vaches laitières et quelques chevaux. ous ne serons
pas invités, cependant, à rentrer chez lui ni à rencontrer son épouse tuni-
sienne.
Quel sens donner à cet entretien accepté par Luigi-Youssef, mais dont
il a déterminé le cadre, celui de sa réussite matérielle ; ce même entretien
aurait-il pu avoir lieu dans l’espace privé, intrafamilial de la maison,
symbole de son choix matrimonial qu’il se contentera de présenter comme
un fait objectif ? Il a cependant tenu à la présence de ses fils pour tenir un
discours sur leurs ancêtres maltais. e peut-on, alors, penser que cet
entretien leur était autant destiné qu’à nous-mêmes et lui donner valeur
de transmission des origines maltaises familiales ?

4.4. LES NEO « RETURNEE478 » EN TERRITOIRE TUNISIEN


Sur Sfax, nous pourrons nous entretenir avec Philippe Baldacchino et
sa femme tunisienne Fatima. Il nous reçoit dans la maison de ses grands-
parents où il est revenu depuis 1987. Philippe est né en Tunisie, de parents
Maltais et Italiens ; après l’Indépendance, il rejoint la région parisienne ;
puis il se marie, en France, avec une Tunisienne qu’il a connue, enfant, à
l’occasion de vacances en Tunisie. Les parents de sa future épouse sont
alors gardiens de l’ancienne maison familiale. C’est ainsi que le couple a
pu décider de prendre sa retraite en Tunisie en réinvestissant le territoire
familial ; cependant, une nouvelle séparation familiale inversée s’opère :
les filles aînées, dont les conjoints sont français, resteront en France ; les
plus jeunes, deux filles et un garçon, à la suite d’une situation de chôma-
ge en France, se sont installés, récemment, en Tunisie ; une des filles y a
épousé un Italien. Cependant la situation semble difficile pour eux et
Philippe déplore que le consulat ne leur trouve pas d’emploi ; seul, le fils
travaille pour une entreprise maltaise renouant avec les anciennes tradi-
tions du groupe d’origine.
otre interlocuteur fait remonter l’histoire de l’émigration familiale
aux années 1837, vers l’île de Djerba où s’installe une arrière-grand-
mère466. Les origines familiales paraissent être à la fois maltaises, ita-
liennes et juives. Il nous précisera que son père était d’une famille
d’origine génoise et citera, parmi ses ancêtres, le comte Raffo ; il souhai-
tera ainsi faire ressortir davantage la lignée italienne en faisant référen-
ce à des personnages célèbres. Appartiennent-ils réellement à sa famille
ou ces « ancêtres » relèvent-ils d’un fantasme de notoriété européenne
chez un Maltais que l’on pourrait qualifier de « tunisifié » ?
Au cours de l’entretien, Philippe s’étendra longuement sur les difficul-
tés rencontrées lors de son mariage ; il nous expliquera qu’il a contracté
un mariage civil au consulat tunisien mais qu’il s’est aussi trouvé dans
l’obligation morale de devenir musulman ; c’est ainsi qu’il a accepté un
rendez-vous avec le mufti, appris la prière et prononcé la profession de foi
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 199

musulmane. Que représente pour lui cette conversion due à la pression


sociale ? Il paraît difficile de répondre à cette interrogation ; cependant
Philippe tiendra, de suite, à relativiser sa « conversion » en ajoutant que
sa femme et lui sont allés à Lourdes et que « Fatima y croit »467. Sommes-
nous dans une forme de syncrétisme religieux ou plus simplement dans
l’acceptation pragmatique de codes sociaux et religieux dont les com-
plexités sont méconnues de notre interlocuteur ?

CONCLUSION
Ainsi, les Maltais, restés en Tunisie, paraissent avoir conservé la plu-
part des caractéristiques propres à la société maltaise de Tunisie, avant
l’indépendance de ce pays ; en effet, presque tous pratiquent plusieurs
langues à savoir : maltais, français, italien et tunisien même s’ils ne les
possèdent pas parfaitement. Leur point de repère semble toujours l’Église
catholique ; si la fréquentation est plus distanciée, pour quelques-uns uns,
tous connaissent les prêtres de la Cathédrale de Tunis ou ceux des villes
évoquées ; d’ailleurs nos correspondants savent souvent, de manière assez
exacte, les horaires des principaux offices sans que ce soit pour autant,
une quelconque référence à une réelle pratique religieuse . e formant
pas un véritable groupe, ils se connaissent, cependant tous, en tant que
Maltais. Leur histoire familiale s’articule sur celle évoquée précédem-
ment : petits métiers pour la première génération ; la deuxième génération
voit une évolution vers l’artisanat, le commerce ou pour quelques-uns, la
fonction publique. Ces témoins « oubliés » sont souvent restés pour
s’occuper de parents âgés ou plus simplement parce qu’ils appréciaient la
vie en Tunisie tandis que les fratries ont progressivement émigré vers la
France, la Grande Bretagne ou l’Italie. D’autres n’ont pas émigré, de
manière à conserver leurs biens immobiliers.
Dans la majorité des situations rencontrées, la transmission familiale
reste pauvre quant aux origines maltaises ; désireux de se fondre dans
l’anonymat, ces Maltais restés en Tunisie demeurent tous très discrets sur
leur parcours et sont peu à peu devenus effectivement, jusqu’à ces der-
nières années, des « oubliés de l’Histoire ». ous apprendrons ultérieure-
ment, par un de nos informateurs en Tunisie, que fin 2005, le nouvel
ambassadeur de Malte à Tunis, son excellence Madame Tanya Vella, a fait
paraître dans la presse tunisienne, un article demandant aux personnes
d’origine maltaise de se faire connaître auprès de l’ambassade. Selon cet
informateur, il y eut peu de réponses à cette sollicitation, mis à part celles
de Maltais ayant acquis une notoriété dans le monde tunisien, du fait de
leur réussite économique ou de leur statut social ; de même, seuls
quelques anciens Maltais auraient participé à une réception organisée
par l’ambassade pour l’ensemble des Maltais de Tunisie468. Comment ces
« Maltais oubliés », souvent naturalisés français ou devenus parfois
Tunisiens, vivent-ils cette nouvelle « maltéité », soudain reconnue, après
ces années d’oubli ?
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Notes de la cinquième partie


414 Ce travail de terrain initié en 2001 nécessitait une parfaite connaissance territoriale
de l’implantation maltaise ainsi qu’une capacité à communiquer en tunisien ; nous
serons donc accompagnés de Carmel, notre « passeur », pour cette partie de notre
étude.
415 Valensi, L. La Mosaïque tunisienne in La Tunisie Mosaïque, p. 23, op. cit.
416 Nous ne connaissons pas son patronyme.
417 P.S.A. : Petites Sœurs de l’Assomption, ordre fondé en France en juillet 1865 ; ces
religieuses arrivèrent à Tunis en février 1931.
418 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 521, op. cit.
419 Entretien février 2001, M. X. est âgé de 80 ans environ.
420 Kaddour Ben Nitram, alias Edmond Martin, comédien humoriste français né en
Tunisie, connu comme « Le roi des Sabirs et des dialectes ords-
Africains » durant la période colniale (195).
421 Darmon, R. La Goulette et les Goulettois, p. 26.
422 Il s’agit de Madame Vérié Cassar.
423 Galley, M. L’Imnarja, la fête des lumières à Malte, littérature arabo-berbère, n°14,
p. 208, op. cit.
424 Entretien de 2002, nos interlocuteurs sont respectivement âgés de 75 et 50 ans.
(Questions et réponses sont traduites par Carmel)
425 Ces expressions maltaises ont été relevées de manière phonétique par Carmel.
426 Épisode historique.
427 Il s’agit de la famille du psychosociologue Carmel Camilleri.
428 La prélature de Tunis a, sur notre demande, recherché cette information.
429 Cet interlocuteur est âgé d’environ 70 ans en 2002.
430 Traduction de l’entretien, effectué en arabe tunisien par l’intermédiaire de Carmel,
notre passeur.
431 Sammut, C. La minorité maltaise de Tunisie : ethnie arabe ou européenne, Actes du
premier congrès des cultures méditerranéennes, Malte, op. cit.
432 Carmel Camilleri a quitté Porto-Farina pour Tunis alors qu’il était encore enfant ; ses
informateurs maltais, n’ont sans doute pas jugé intéressant de l’informer de ces
situations particulières.
433 Association Mémoire et Recherche de Sousse.
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202 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

434 Il n’a pas été possible de déterminer la période précise de ce mode d’habitation.
435 Il s’agit peut-être d’une confusion avec les « Grana », juifs aisés venus d’Italie mais
l’existence de juifs maltais à Malte permet aussi d’envisager l’émigration, de cer-
tains d’entre eux, vers la Tunisie ; nous n’avons actuellement aucune information à
ce sujet.
436 Les pharmacies ne correspondaient cependant pas à la dénomination actuelle : il
s’agissait plutôt d’une sorte d’herboristerie.
437 Finotti, G. La Reggenza di Tunisi, 1856, pp.108-109.
438 Larguèche, D. Territoires sans frontières la contrebande et ses réseaux dans la
régence de Tunis au XIXe siècle.
439 Actuelle dénomination.
440 Actuellement l’emplacement est occupé par la banque S.T.B.C., avenue
Mohamed V.
441 Il s’agit d’une passion habituelle des Maltais : ainsi, pour le 15 août, se déroule à
Gozo des courses de chevaux dans les rues de Vittoriosa, la ville principale de cette
île.
442 Cf. Troisième partie, Djerba, p. 52.
443 Il s’agit, le plus souvent des prêtres des paroisses catholiques existant à ce jour, en
Tunisie.
444 Ces chiffres prennent en compte les seuls Maltais descendants des premiers émi-
grés ; ils ne tiennent compte ni des religieux, ni des fonctionnaires dépendant des
corps diplomatiques, installés récemment en Tunisie. Il serait intéressant de savoir
si d’autres nationaux maltais (commerçants par exemple) s’implantent actuellement
en Tunisie.
445 Il s’agit de la famille de l’ancien ministre Pisani
446 Kozakaï Toshiaki, L’étranger, l’identité, Essai sur l’intégration culturelle, Paris,
Payot & Rivages, 2000, p. 157.
447 Pour ces descendants de Maltais, les coopérants ne sont pas considérés comme
appartenant à leur monde.
448 Il est possible que ces fondouks aient été aussi italiens.
449 Leitmotiv présent dans la majorité des entretiens réalisés en Tunisie.
450 Cet entretien, réalisé en 2004, s’est effectué au magasin de notre interlocuteur et, de
ce fait, les questions ont été limitées.
451 Entretien Tunis 2003, commerçant très âgé.
452 Ce fait semble peu vraisemblable car les évêques sont nommés par le Pape.
453 Entretien Tunis 2002, Maltais, la cinquantaine.
454 Ce mode de complément de ressources sera utilisé également en Angleterre, par les
immigrés Maltais, après leur départ de la Tunisie.
455 Il s’agit de la cause fasciste.
456 Ces paroisses seront le plus souvent notre premier contact dans la mesure où elles
tenaient les registres d’état civil ; en outre, nous avons pu constater que les descen-
dants des Maltais gardaient un lien avec l’Église catholique.
457 Entretien Tunisie, 2003.
458 Par souci de respecter l’anonymat de ces personnes, nous ne communiquerons
aucun lieu ni élément d’état civil ; la moyenne d’âge de nos interlocuteurs se situe
entre 30 et 45 ans.
459 Était-ce tellement différent du mode de vie dans les fermes françaises ? Une étude
comparative pourrait apporter un éclairage complémentaire.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 203

460 Liauzu, C. Passeurs de rives, Changements d’identité dans le Maghreb colonial,


p. 14, op. cit.
461 Ibid. p. 17.
462 Ibid.
463 Ibid. (Les Français passeront en tête des conversions à partir de 1953.)
464 Nous privilégions ici le prénom de Luigi dans la mesure où la période évoquée est
celle de la jeunesse de notre interlocuteur ; la modification de son prénom semble-
rait être intervenue soit après l’Indépendance, pour motifs professionnels, soit lors
de son mariage avec une Tunisienne. Aucun élément objectif ne nous permet
d’apporter des précisions.
465 « Returnee » terme employé autrefois à Malte pour désigner les premiers immigrés
qui revenaient s’y installer.
466 Le récit reste imprécis, Philippe ne connaît qu’une partie de ses ancêtres.
467 Il ne semble pas y avoir de contradiction formelle dans cette démarche dans la
mesure où « Marie » est reconnue comme mère d’un prophète dans la religion
musulmane.
468 Cette rencontre concernait également des Maltais, présents de manière récente en
Tunisie, tels que les personnels d’ambassade.
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Sixième partie

Un processus de transmission
de l’ordre du négatif
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206 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

1. LES PARADOXES DE LA TRANSMISSION


Il me semble important de rester ici dans un cadre diachronique comp-
te tenu des phases d’immigration successives ; les premiers immigrants
avaient, certes, apporté avec eux une mémoire vive du pays d’origine
constituée, pour la plupart d’entre eux, de souvenirs d’une vie pénible non
dépourvue cependant, d’affects positifs envers le territoire ancestral, liés
à un vécu familial de type patriarcal.
Cependant le futur émigrant est déjà de l’autre rive, avant même
d’embarquer : il vit dans l’imaginaire du pays d’accueil dès sa décision
de départ. Au choc de la rupture, provoquée par l’expatriation, va se gref-
fer celui de « l’exil comme expérience de hors-lieu »469. Une nouvelle réa-
lité territoriale va progressivement rendre le migrant autre, à son insu, du
fait de la confrontation de son histoire individuelle et collective à celle de
ce pays ; dans le contexte de l’émigration en Tunisie, ce nouveau paysl
présentait, comme nous l’avons déjà évoqué, à la fois similitudes et diffé-
rences avec le pays d’origine, plaçant le migrant maltais dans une situa-
tion paradoxale dont la principale résultante sera l’impossibilité d’une
véritable territorialisation tunisienne.
Effectivement, les raisons du non dit de la transmission peuvent être
pensées comme un « mal être » de l’immigré devenant « étranger à lui-
même » ; les descendants des premiers émigrants ont vécu cette expérien-
ce, doublée d’un refus, au-delà du conscient, d’une possible intégration
sur le territoire tunisien. En effet, les représentations d’un passé collectif,
indissociable de l’attachement à la religion catholique, incitaient les émi-
grés à se percevoir comme fondamentalement différents des Tunisiens.
Confronté à une impossible intégration sur le territoire d’accueil, le
migrant maltais intériorisera la dévalorisation de sa culture et parallèle-
ment adoptera « un moi-surfaciel étranger », conforme aux attentes du
colonisateur ; peu à peu, il intégrera ce « moi-surfaciel » dans sa propre
psyché, du fait de l’incorporation psychique, de la dévalorisation de la
société arabe, induite par la colonisation. De plus, les difficiles conditions
d’installation des premiers émigrants, vont venir entraver le processus de
mémorisation et bloquer celui de la transmission. e peut-on, alors, pen-
ser qu’immergés, dans une hyperréalité de survie quotidienne, les pre-
miers immigrés maltais tairont leur histoire, sans pouvoir la transmettre
du fait de l’existence d’un « clivage familial enfants-adultes » associé à
« la non-disponibilité des membres de la famille pour se préoccuper de
cette histoire et l’inscrire dans la vie »470. En effet, l’absence de « discours
familial » sur Malte, en relation avec les causes de l’immigration, reste le
dénominateur commun de ces familles de migrants qu’il s’agisse de ceux
qui sont restés en Tunisie ou de ceux qui ont choisi une seconde émigra-
tion vers la France.
Le vécu familial migratoire est, presque systématiquement, présentée
de manière négative par les descendants qui ont fait leur, l’ensemble des
données historiques concernant une immigration, dite « de la misère »,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 207

même si quelques-uns d’entre eux, reconnaissent que leurs ancêtres ont


émigré avec quelques biens. Philippe Cortis exprimera, dans un écrit, sa
vision de l’émigrant maltais : « Le Maltais émigrant se trouve en situation
d’échec. Il est celui qui n’a pu rester au pays, celui dont le métier ne pou-
vait plus assurer sa subsistance, celui qui n’a plus sa place au sein de la
famille insulaire ; quitter son pays à une époque où les moyens de trans-
port sont rares et coûteux présuppose un départ souvent définitif ; les pre-
miers émigrants resteront sans doute longtemps marqués par cette expé-
rience. » Évoquant, quelques lignes plus loin, les difficiles conditions de
traversée, effectuées le plus souvent, sur des embarcations de pêcheurs,
notre correspondant établit alors un parallèle dans le présent : « la ques-
tion rejoint l’actualité, celle de centaines d’immigrants, rejoignant,
aujourd’hui, l’Europe dans des conditions aussi périlleuses, aussi aléa-
toires. » Ce bref extrait d’un texte, plus prolixe, contient l’essence même
de ce qui a pu se transmettre du vécu migratoire au cours des généra-
tions : sentiment d’échec, traumatisme de la séparation familiale et terri-
toriale, fierté étouffée, lutte pour la survie, intégration de la hiérarchie
coloniale, suivis d’une nouvelle rupture lors de la venue en France et
malaise au regard des populations immigrées ou des descendants de
l’immigration ord Africaine en France471.

1.1. UNE QUASI-ABSENCE DE TRANSMISSION FAMILIALE SUR MALTE


Si nos premières recherches ont été orientées vers les apports fami-
liaux, très vite, est apparue la nécessité d’étendre notre champ d’étude à
un échantillon plus large de descendants de Maltais de Tunisie. C’est,
principalement, en nous référant à leur patronyme que nous avons pu
entrer en contact avec des familles résidant dans le Sud de la France ; or,
ces premiers contacts nous ont presque toujours renvoyée vers ceux qui
appartenaient à la troisième génération née en Tunisie, dont les ancêtres
ont émigré avant le protectorat, ou au début de ce dernier. Les réponses,
obtenues, lors de demande d’entretien, étaient souvent du type de celle-ci :
« ous, on ne sait rien, si vous voulez, je peux vous donner l’adresse de
ma mère ou de mes parents, eux, ils pourront vous dire des choses. »
Comme en écho, d’autres diront, au cours des entretiens : « os enfants
ne savent rien, ce n’est pas la peine de les rencontrer », injonction discrè-
te à ne pas « mêler » leurs descendants à cette histoire, la leur cependant,
à moins qu’il ne s’agisse de la crainte qu’ils en soient informés. Le témoi-
gnage d’une participante à un colloque confirmera l’hypothèse d’une pos-
sible méconnaissance totale des origines maltaises. Ainsi, ces réponses
correspondaient soit à une quasi-absence de transmission sur le passé
maltais de leur famille, soit à une évocation du pays d’origine de l’ordre
d’une symbolique « pauvre, non valorisée » comme l’avait déjà noté
C. Sammut472. « Les parents n’avaient rien à dire sur Malte », « ce rocher
où il n’y a pas d’eau », « où rien ne pousse » seront les expressions le plus
souvent rencontrées lors de nos entretiens.
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208 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Ainsi, la mémoire familiale avait conservé peu de connaissances, au


sujet des ancêtres : Charles Cortis, avec lequel nous avons eu de nom-
breux entretiens, ne connaît pas l’année de l’arrivée de son arrière-grand-
père paternel en Tunisie ni, d’ailleurs, les métiers qu’il a pu exercer ; il
sait cependant que la famille de sa grand-mère paternelle était déjà ins-
tallée dans ce pays. Comme nous l’avons antérieurement souligné, cette
méconnaissance des racines familiales est fréquente chez nos interlocu-
teurs ; pour Charles, comme pour majorité de ses compatriotes, toute la
vie familiale était centrée sur la nécessité de s’adapter et d’évoluer en se
fixant sur l’avenir, de manière à pouvoir émerger d’une situation de sur-
vie économique.
Quant aux lieux d’origine sur Malte, ils sont, de même, rarement
connus avec exactitude. Par contre, la provenance de Malte ou de Gozo
sera toujours différenciée chez nos interlocuteurs. S’agit-il d’une simple
différence d’appartenance insulaire ? La superposition de mémoires fami-
liales et l’évolution actuelle de l’archipel, notamment sur le plan touris-
tique, tendent à transformer les anciennes références, à savoir une légère
suprématie de l’île mère, Malte, sur Gozo plus rurale, considérée autre-
fois, comme moins évoluée.
Les indications concernant les professions demeurent elles aussi
vagues : le plus souvent, les métiers de charrons ou cochers sont évoqués ;
il s’agit, peut-être, d’une identification aux premiers métiers connus des
ascendants en Tunisie. Parmi nos interlocuteurs, Jean Saliba sera le seul
à évoquer un métier précis concernant un de ses ancêtres, charpentier de
marine, en provenance de l’actuelle ville de Cospicua ; cette profession
est présentée de manière valorisée par la famille en association avec une
qualification artisanale actuelle.
En contrepartie, les informations données sur les branches italiennes
ou françaises des familles apparaissent mieux renseignées : ainsi Pauline
Agius, qui n’avait pas d’information sur la branche maltaise de sa famil-
le, mettra en valeur ses ascendances françaises par le récit d’anecdotes
familiales : elle racontera comment une de ses arrière-grandes-tantes est
restée célibataire car elle était tombée amoureuse d’un officier français,
pendant l’occupation de Malte par l’armée de apoléon ; tel autre relève-
ra l’alliance d’une arrière-grand-mère, avec un Italien du ord de l’Italie
en disant : « C’étaient des gens biens ». Par cette remarque, il tient à dif-
férencier son ancêtre par alliance, de la population sicilienne, pauvre et
dévalorisée comme les Maltais ; cette union matrimoniale représente,
dans ces années, une promotion pour des Maltais, admiratifs de l’Italie.
Pour d’autres encore, une première émigration vers l’Algérie fait qu’une
famille « se sent entièrement française » ; l’un de ses membres précisera
« qu’ils sont seulement de souche maltaise » et non Maltais ; cette
remarque, exacte du point de vue de la nationalité, n’est-elle pas aussi une
forme de refus, de l’ancien statut des Maltais, en Tunisie ?
Ces bribes de récits familiaux doivent être mises en relation avec diffé-
rents facteurs : âge, oubli normal après plusieurs générations, traumatis-
me d’une double migration ; il faudrait ajouter qu’une présence en Tunisie
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 209

de trois générations, ne suscitait pas de questionnement généalogique


chez les descendants. D’ailleurs, les différents membres de la famille émi-
grée vivaient souvent dans un même secteur géographique, parfois dans
le même immeuble. À une époque où la dispersion familiale n’existait pas,
il n’était pas nécessaire d’établir un arbre généalogique pour connaître
ses racines. Quant aux détails racontés sur les branches européennes, ils
pourraient être attribués à un souci de valorisation ou bien encore à la
superposition des récits familiaux et des connaissances acquises sur
l’Histoire de Malte.
Malgré « les blancs » de la transmission familiale qui ne sont pas des
trous créant des fantômes générationnels, il s’agit plutôt d’une transmis-
sion groupale « constitutive de l’identité d’un groupe, élaborée dans
l’histoire de celui-ci et intéressant le groupe avant d’intéresser
l’individu »473. ous pourrions conclure avec Michel Cordina : « on
savait naturellement qui était Maltais, Juif ou Sicilien ». Cette assertion
vaut évidence pour la génération ayant émigré474 en France à partir de la
Tunisie ; tous sont capables de relever dans un annuaire téléphonique, les
patronymes spécifiquement maltais et même préciser ceux qui étaient pré-
sents en Tunisie.
On trouve parfois, comme autre explication possible d’absence de
transmission, le fait qu’il s’agissait d’une émigration sans retour ; cette
assertion ne tient pas pour les premières phases d’immigration ; en effet,
« Price estime à 85 % la proportion de retours au pays entre 1840 et 1890,
et évalue à seulement dix mille personnes, l’émigration nette entre 1842
et 1901 »475. Si cette absence de contacts avec la terre d’origine reste
vraie pour les plus défavorisés, elle n’est pas pour autant absence totale
de liens dans la mesure où quelques-uns pouvaient se permettre financiè-
rement le voyage et transmettre à une parenté élargie des nouvelles du
pays. Des études récentes effectuées à partir des mouvements de bateaux
attestent de ces nombreux échanges entre Malte et Tunis476. Un autre
témoignage sur ces retours est contenu dans les nouvelles du Docteur
Zammit où l’auteur raconte, avec humour, des histoires supposées être
arrivées aux « returnee » ; il s’agit de jeunes Maltais qui, après un séjour
plus ou moins long en Afrique, reviennent au pays ; souvent enrichis de
manière légale ou illicite. Leur fortune est jugée suspecte par les autoch-
tones et la méfiance est de mise à leur égard477. Parmi nos correspon-
dants, trois familles ont vécu, pour quelques-uns de leurs membres, ces
retours à Malte ; nous n’avons pas d’information sur le vécu de leur réin-
sertion sur le territoire ancestral. Ces retours n’ont cependant plus été
possibles après les années 1950, date à laquelle, « Malte, encore sous le
régime colonial, refusa systématiquement d’accueillir ceux qui étaient
contraints de quitter l’Égypte, la Tunisie ou la Libye ».
Cependant vivre l’émigration comme non-retour permet d’être « là »,
présent au lieu d’accueil dans la mesure où « la notion d’immigration
peut être alors le moyen de masquer la perte du là, quand elle réduit le
déplacement des hommes et des femmes à une satisfaction de besoins, en
les enfermant dans la seule dimension de la subsistance »478. L’émigration
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210 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

pourrait être alors pensée comme conflit entre projet de vie (Éros) et mort
psychologique lente des origines (Thanatos), à moins que de solides bases
n’aient ancré symboliquement le sujet dans son histoire générationnelle et
territoriale, principalement lorsque le discours des ancêtres sur Malte a
pu être à la fois présent et positif sur le plan symbolique. Ainsi, malgré les
difficultés du temps de la colonisation française, une conservation en
Tunisie de la langue maltaise, par ceux de la deuxième génération, ou
transmise aux enfants ou dépourvue d’affects négatifs, autorise continui-
té et transmission psychique intergénérationnelle. Dans ces conditions,
une transmission psychique de « fragments, non élaborés du passé »479,
liée au traumatisme de l’émigration des générations antérieures, pourra
être épargnée aux générations suivantes.

1.2. UN VÉCU FAMILIAL MALTAIS EN TUNISIE


La vie intrafamiliale va, en Tunisie, préserver longtemps certaines cou-
tumes de l’archipel. De fait, la transmission familiale, presque inexistante
au niveau du « dit », était cependant bien présente au niveau de « l’être »,
du vécu quotidien, portée « par le non-verbal,…le comportement, […] les
attitudes, […] tous les gestes, les signes qui composent la communication
et auxquels chaque sujet est sensible, et encore plus l’enfant, voire le jeune
enfant sans langage »480. C’est ainsi que dès avant sa naissance, le bébé
maltais participera d’une « peau commune » façonnée par les premières
perceptions infantiles tant auditives que sensitives : proto-rythmes, consti-
tutifs de la première interface de l’enveloppe familiale, incluant l’initiation
aux sonorités linguistiques spécifiques du « parler » commun en usage
dans le foyer. Puis, lors de sa naissance, l’accouchement, réalisé, le plus
souvent, par la même matrone maltaise, l’introduira au sein de la commu-
nauté ; des précisions ont pu être données à ce sujet : il s’agissait pour les
Maltais de Tunis, principalement ceux du quartier de Bâb el Khadra, d’une
certaine Maria ; plusieurs de nos correspondants peuvent situer de maniè-
re précise sa maison. Vincente Agius, une de nos informatrices en Tunisie,
nous décrira l’intérieur de la cour où se trouvaient deux ou trois petites
chambres permettant à quelques accouchées de se reposer quelque temps.
Elle ajoutera que, si les naissances se passaient la plupart du temps sans
problème, l’absence de formation ne permettait pas à Maria de faire face
aux accouchements difficiles : « Une fois, il y a eu un problème, Maria est
discrètement retournée à Malte pour chercher un diplôme ; elle est ensuite
revenue à Tunis où elle a continué de travailler »481.
ous relèverons, ici, que J. Cassar Pullicino souligne, au sujet de la
naissance, à Malte, des habitudes similaires en Sicile et en Tunisie. Il cite,
par exemple, l’utilisation, jusqu’au début du XXe siècle, d’une chaise spé-
ciale d’accouchement, datant de l’époque des pharaons ; cet usage aurait
été importé, dans le courant du XIXe siècle, dans les îles Kerkennah, du
fait de contacts entre pêcheurs.
Charles Cortis se rappelle que le nouveau-né était placé dans une sorte
de hamac, placé au-dessus du lit parental de manière à ce qu’un des
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 211

parents puisse facilement imprimer, à l’aide d’une baguette, un léger mou-


vement de balancement à ce berceau improvisé ; l’usage de ce hamac, fai-
sant office de berceau, est signalé par J. Cassar Pullicino comme une pra-
tique courante, dans la campagne, à Malte au XIXe siècle482. Dans cet
environnement, le nouveau-né s’imprégnera du rythme et des intonations
de la langue maternelle483 : le maltais de Tunis émaillé parfois de sicilien,
juif, ou tunisien, bénéficiant ainsi d’une initiation précoce au multicultu-
rel.
Cependant la véritable entrée dans la communauté maltaise aura lieu
lors du baptême, dans les premiers jours qui suivent la naissance ; ainsi,
tant que le jeune enfant n’est pas baptisé, il reste Turc « għadu Tork »
c’est-à-dire : « l’ennemi Turc » ; certes, cette expression renvoyait, au
XXe siècle, au seul impératif de devoir baptiser l’enfant et non à une forme
d’exclusion dans la mesure où le nouveau-né, non baptisé, semble avoir
été, sans doute au temps de la Course, assimilé à l’ennemi héréditaire.
Cette non-reconnaissance du nouveau-né, liée à l’entrée dans la commu-
nauté catholique, existait également en Sicile mais, élargie, cette fois, au
terme plus général de païen484. Par ailleurs, Philippe Cortis souligne :
« Curieusement, le nouvel arrivant se voyait attribuer un état civil par ses
propres enfants ; ceux-ci étaient toujours baptisés. Leur inscription au
registre de baptême précisait alors la nationalité et le lieu d’origine des
parents. Ainsi le certificat de baptême du fils permettait d’établir officiel-
lement au moins la nationalité des parents par le lieu de naissance »485.
Cet état de fait induit, dans une société traditionnelle patriarcale, une
fonction identitaire inversant les rôles de l’ordre des générations, au
regard de la société civile : les premiers Maltais immigrés accédant à
l’existence civile du fait de la naissance de leur premier descendant.
Les années d’enfance se déroulent dans le cercle familial élargi car
l’habitation est souvent commune à plusieurs générations : présence de
grands-parents, d’oncles ou de tantes encore célibataires ou même parfois
de cousins suivant le nombre de pièces disponibles. Charles Cortis, dont
la famille occupait un immeuble, non loin de la médina, évoquera
l’importance, pour lui et ses frères, de la terrasse qui accueillait leurs pre-
miers jeux, semblables en cela aux enfants juifs ou tunisiens mais aussi
aux jeunes Maltais de Malte. Comme nous l’avons déjà souligné, le jeune
enfant se trouvera, dans cet environnement très protégé, en situation
d’une incorporation globale de la culture maltaise. Dans le même temps,
il intégrera l’espace social et relationnel familial où grands-parents,
oncles et tantes tiennent une place importante et parfois, partagent la
même demeure. Il apprendra de même à situer place et rôle de chaque
membre de sa famille : le père que l’on respecte et dont le travail se situe
à l’extérieur, la mère, sa tante et ses sœurs dont la fonction est de rester
au foyer ; ces femmes sortent d’ailleurs peu, limitant leurs déplacements
aux achats domestiques et aux offices religieux. Les promenades fami-
liales ne sont pas absentes mais réservées aux dimanches et jours de fête.
Écoutons plutôt notre témoin précédent, nous parler de sa vie familiale :
« Ma mère était plutôt timide et réservée, elle sortait peu ; bien qu’elle
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212 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

aille au marché central faire quelques courses, c’était souvent mon père
qui rapportait des provisions au retour de son travail ; le dimanche nous
allions à la messe à l’église sainte Croix, puis l’après-midi nous rendions
visite au grand-père paternel, souvent nous y retrouvions nos cousins.
Parfois, la promenade nous conduisait au Jardin du Belvédère ou encore
au cimetière de Bab El Khadra486 où notre famille possédait un caveau.
Ces sorties constituaient une sorte d’épreuve pour notre mère car nous
étions nombreux et elle devait bien nous habiller pour la circonstance. »
Il s’agit ici d’une enfance centrée sur les relations familiales intégrant,
dès le plus jeune âge, la participation aux cérémonies chrétiennes dans la
continuité de la tradition maltaise. La sortie dominicale au cimetière
s’inscrit tout naturellement dans la vie sociale car celui-ci est lieu de ren-
contre et d’échanges pour les familles et leurs enfants dont les jeux ne sont
pas proscrits ; ainsi, le culte des morts est aussi élément de vie, comme
dans toute société de culture méditerranéenne.
En outre, la personnalité de l’enfant sera marquée par l’habitat fami-
lial et notamment par sa localisation dans l’espace urbain : quartier des
cochers de Bab el Khadra, abords immédiats de la médina ou bien enco-
re quartier européen. De nombreux Maltais ont vécu ce passage d’un
quartier à un autre plus aisé au cours des générations ; ainsi dans la
famille Saliba, les grands parents vivaient à Bab el Khadra, et, eux-
mêmes, dans un immeuble à l’entrée de la médina ; quelque temps avant
leur nouvelle émigration en France, ils vinrent habiter dans un immeuble
du quartier européen. Claude Rizzo, dans son roman autobiographique
« Le Maltais de Bab el Khadra »487, fait allusion à cette problématique
dans la mesure où le jeune Gaétan Vella, accède finalement au lycée488
grâce à l’enseignement, complémentaire et original, d’une tante qui
demeure au début du secteur européen. Il découlera du changement spa-
tial de l’habitat, lié à une élévation du statut social, une ouverture plus
grande des familles en direction du milieu européen. Ainsi notre informa-
trice, Madame Vérié Cassar, témoignera d’un vécu plus proche des
Français et des Anglais. En contrepartie, elle tiendra à souligner
l’importance de l’espace intra-familial, gardien de l’identité maltaise, du
fait de la pratique de la langue maternelle et de l’importance de la reli-
gion catholique, facteurs prioritaires d’identification maltaise ; dans ce
cadre protecteur de la petite enfance, les codes familiaux ne seront pas
remis en question et le contenu infra-verbal, de la communication paren-
tale concernant l’héritage culturel maltais, tiendra lieu de transmission.
Plus tard, la scolarisation va, tout en introduisant l’enfant à un monde
multiculturel, lui faire davantage prendre conscience de ses origines.
Toutefois, dès 1830, les Anglais avaient déjà ouvert une école. « Mais
lorsque les frères des écoles chrétiennes inaugurèrent leurs écoles […],
les Anglais aidèrent les missionnaires pour l’instruction des Maltais. Ces
derniers, en effet, considéraient l’école de la rue des Maltais, comme leur
école à eux et c’est pour cette raison que les Anglais n’eurent plus
d’école »489. Cependant, F. Arnoulet note la création en 1856, rue des
Potiers490, d’une école d’obédience anglicane, par la société anglo-mal-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 213

taise ; elle proposait, aux enfants maltais de Tunis, un enseignement dans


leur langue associé à des cours d’arabe et d’anglais491. Cet établissement
ne semble avoir fonctionné que très peu de temps. En effet, d’une part, on
voit mal comment les Maltais, récemment émigrés, auraient pu scolariser
leurs enfants dans une école, non catholique ; d’autre part, on peut se
demander si les Maltais cultivés souhaitaient, réellement, pour leurs
enfants, une scolarité en langue maltaise ; les querelles linguistiques de
Malte, concernant la priorité de l’italien sur le maltais, auront, sans
doute, influencé la position des Maltais émigrés. Un demi-siècle plus tard,
dans les années 1910, les pères respectifs de Charles Cortis et de Madame
Vérié-Cassar seront scolarisés à l’école italienne, nous disent avec une
certaine fierté leurs descendants ; cette fierté peut s’expliquer par le
nombre restreint d’enfants maltais scolarisés à cette époque du fait de la
pauvreté des familles ; s’y ajoutait sans doute, l’attrait, encore présent,
pour la culture italienne, malgré trente années de protectorat français.
D’autre part, les écoles françaises publiques existaient depuis le pro-
tectorat comme en témoignait sur la principale avenue de Tunis492, la sta-
tue de Jules Ferry avec à ses pieds un enfant français apprenant à lire à
un enfant africain. Cependant, peu d’enfants maltais semblent les avoir
fréquentées ; les Maltais préféraient une scolarisation dans les écoles
congréganistes. Parmi les personnes interviewées, seules deux d’entre
elles nous diront être allées à « l’école laïque. » Peut-on avancer
l’hypothèse qu’au début du siècle, le mythe colonial français n’était pas
encore installé dans les mentalités maltaises ?
La génération suivante, celle de plusieurs de nos interlocuteurs, née à
partir des années trente, est massivement scolarisée dans les écoles fran-
çaises, principalement à l’école des Frères, située dans la médina où les
jeunes Maltais vont retrouver Siciliens et quelques Tunisiens de leur quar-
tier. Le modèle colonial français est alors dominant, les enseignants sont
des Français venus de France, conscients de l’importance de leur rôle
dans la colonisation. Philippe Cortis raconte ainsi ses débuts de scolari-
té : « Je devais avoir six ou sept ans quand je suis allé à l’école, je ne
savais que le maltais ; Le Frère était muni d’un manche à balai et dès que
l’un de nous prononçait un mot français de manière inexacte ou
s’exprimait involontairement en maltais, arabe ou juif tunisien, il recevait
un coup de bâton sur la tête […] dans ces conditions, l’apprentissage était
rapide ». La valorisation de la langue française se trouvait, ainsi, asso-
ciée à la sortie du monde de l’enfance et, symboliquement, à la séparation
maternelle.
Le temps scolaire était heureusement rythmé par les vacances d’été où
beaucoup de familles maltaises partaient à la plage pour éviter la chaleur
de Tunis. Les demeures de vacances allaient du simple cabanon à des
petites maisons plus élaborées mais l’essentiel était, pour l’enfant, d’y
retrouver la famille élargie. Autre moment d’inscription dans la commu-
nauté maltaise : ces plages, de la banlieue de Tunis, fréquentées par les
familles, étaient souvent les mêmes la Goulette, le Kram ou Salammbô493.
C’était non seulement l’époque des jeux insouciants de l’enfance mais
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214 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

aussi celle de l’enracinement sur une terre dont le jeune enfant garde la
trace, constitutive d’un « moi-peau »494, fait des brûlures du soleil, du
contact avec la mer. Un de nos interlocuteurs se souvient : « Ce dont je
me rappelle, ce sont les brûlures du soleil, mes frères et moi nous en étions
malades ; on ne se protégeait pas du soleil et nos jeux sur la terrasse
accompagnés de baignades en étaient la cause » ; sa mémoire sensorielle
rejoint, ici, celle d’Albert Memmi : « J’ai noté quelque part que lorsque je
faisais allusion au soleil, malgré moi je suggère une forme dangereuse,
qui donne migraines et méningites […] et non ces rayons totalement
agréables dont les Occidentaux sont si friands »495.
Inscrit dans une identité maltaise, l’enfant de la troisième génération
grandit parallèlement dans un environnement multiculturel ; souvent, le
statut social de la famille a progressé et il n’habite plus spécifiquement
dans le quartier maltais. Il va donc côtoyer davantage la population fran-
çaise sans cesser de fréquenter pour autant les associations spécifique-
ment maltaises telle la salle des fêtes de la rue de Grèce. Cette ouverture
a, elle-même, été préparée par la scolarité primaire, voire secondaire
dans les écoles françaises.
Ainsi le Maltais, né dans les années trente, se trouve porteur d’une
identité peu valorisée hors de son groupe d’appartenance ; il n’en discer-
ne pas bien les contours et les limites mais perçoit dès son enfance le dis-
cours implicite familial et groupal concernant notamment la réservation à
l’intra-groupal de sa langue maternelle, parallèlement à la pauvreté des
informations sur ses propres ancêtres et leur pays. Le silence de l’origine
ne va-t-il pas laisser la place à l’imaginaire, favorisant l’installation d’un
mythe français dans les mentalités maltaises ?

1.3. PLACE ET SENS DES RITES, SUPERSTITIONS ET LÉGENDES


Entendant peu parler de Malte dans la famille, l’enfant prenait pro-
gressivement conscience d’une appartenance à une communauté, rythmée
par les fêtes religieuses dont certains rites étaient spécifiques aux Maltais.
Éléments essentiels de la transmission en Tunisie, les rites religieux et
familiaux, vont, à la fois, être lien avec Malte et différenciation d’avec le
monde arabo-musulman. Comme à Malte, grandes étapes de la vie et
déroulement du temps annuel seront marqués par les mêmes célébrations
religieuses ou familiales.
Les anciens Maltais de Tunisie se rappellent que, pour le 8 décembre,
enfants, ils semaient des germes de blé ou autre graminée (lentilles) dans
des assiettes gardées à l’ombre pour une meilleure germination ; les
pousses blanches obtenues étaient ensuite placées devant la crèche fami-
liale pour oël. Une pratique identique était observée pour la fête de
Pâques où, cette fois, le blé germé ornait églises et tombeaux. ous avons
pu observer, à la Co-cathédrale de La Valette, la conservation de ce rite,
à deux reprises : une première fois, en avril 2002, pour Pâques et, en
décembre 2003, au moment de la célébration de la ativité ; à l’occasion
de ces deux fêtes, la grille, séparant autrefois le prêtre de l’assistance,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 215

était ornée de cette blanche végétation. Il s’agit cependant de la survivan-


ce d’une tradition préchrétienne, connue sous le nom de « jardins
d’Adonis »496. Les graines germées accompagnaient, huit jours plus tard,
une procession où l’on portait, vers la mer ou vers une source, un tableau
représentant la scène de la mort d’Adonis ; cette reproduction symbolique
était jetée dans l’eau ainsi que les pousses obtenues497. Ce rite était censé
demander, à la déesse, la fertilisation des sols par la pluie.
L’origine d’une autre tradition maltaise se rattacherait également à ce
culte ancien ; les Maltais avaient effectivement coutume de se rendre,
durant la Semaine Sainte, le jour du Jeudi Saint « aux reposoirs de sept
églises de la ville » pour « y baiser le crucifix », tradition commune à
l’ensemble des « bons chrétiens »498. J. Cassar Pullicino pense que cette
coutume prend source dans le culte d’Adonis car elle rappelle les jours
écoulés entre la germination des semences et leur rejet à la mer. ous
pouvons aussi souligner la valeur universelle du chiffre sept, symbole de
la perfection depuis l’antiquité ainsi que dans les différentes religions499.
Si nos témoins de Tunisie ne connaissent pas la signification de cette sorte
de pèlerinage, ils se rappellent presque tous ces pérégrinations à travers
la ville pour se rendre dans les différentes églises ou chapelles ; outre
l’occasion d’admirer les différents reposoirs, elles favorisaient les ren-
contres familiales ou amicales entre les membres de la communauté.
De plus, la période du carême marquait la relation à Malte ; ainsi, un
prêtre maltais venait, parfois, spécialement de l’archipel pour ses conci-
toyens immigrés. F. Dornier évoque l’assistance des Maltais de Tunis, à
la Cathédrale, le Vendredi Saint, lors de la prédication dite des trois
heures, faite à leur intention en maltais : « Entre midi et quinze heures, un
prédicateur maltais faisait, sans s’arrêter, un prône suivi par une grande
foule »500 ; R. Darmon, lui, parle de certains de ces prédicateurs « dont le
plus grand succès consiste à provoquer les larmes aux récits de la semai-
ne sainte ! »501. Les témoignages recueillis attestent de l’impact de cette
prédication sur un public peu instruit et prêt à s’émouvoir rapidement.
Suivait la fête de Pâques où il était de tradition de confectionner « pastiz-
zii » et « figolli »502, toujours présents dans la cuisine maltaise actuelle.
Une autre coutume, en usage en Tunisie, est celle de « la Quccija »503 ;
elle a lieu généralement lors du premier anniversaire de la naissance d’un
enfant. Au cours d’une réunion de famille, on présente au bébé, suivant
son sexe, quelques objets représentant un éventuel métier, le plus souvent
morceau de tissu ou objet de cuisine pour une fille, morceau de bois ou de
fer pour un garçon ; l’objet vers lequel l’enfant dirige sa main est censé
indiquer le travail qu’il exercera à l’âge adulte. ous restons ici dans une
répartition des rôles familiaux par sexe, habituelle, dans les sociétés
méditerranéennes traditionnelles.
La célébration de la Sainte Lucie, le 13 décembre, appartient aux fêtes
conservées par les Maltais émigrés. D’après les témoignages, une pra-
tique, commune aux Maltais et aux Siciliens de Tunisie, était observée à
cette occasion ; elle consistait en un jeûne complet ou simplement en pri-
vation « de tout ce qui est farine (pain, pâtes etc.). Mais tous mangent la
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216 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

“Cuccia”. Madame Olga Vassallo nous a expliqué l’histoire de ce plat…


Il y eut un temps où la Sicile éprouva de manière exceptionnelle la misè-
re et la famine. Un jour de décembre 1646, un violent orage éclata et un
bateau chargé de blé fit naufrage près de Syracuse. Ce fut la Providence
pour les habitants de la ville, qui purent ainsi se procurer de quoi manger.
Les ménagères ne songèrent même pas à moudre le blé, mais le firent
bouillir pour pouvoir donner à manger le plus vite possible à leurs
familles. C’était le 13 décembre, jour de la sainte Lucie. Ainsi naquit la
“Cuccia”. Le mot “Cuccia” peut dériver du nom “Cocciu”, grain, ou du
verbe “cucciari”, manger un grain à la fois »504. Selon ce récit, cette tra-
dition maltaise serait d’origine sicilienne et chrétienne puisqu’on y
convoque sainte et providence ; il correspond cependant aussi à une pra-
tique superstitieuse car l’invocation de sainte Lucie était censée protéger
contre les maladies des yeux.
Les Maltais étaient effectivement superstitieux ; nous retrouvons ainsi en
Tunisie, comme à Malte, un des mythes communs à l’ensemble du monde
méditerranéen : la crainte du mauvais œil ; à ce sujet, sous le vocable, « il-
għajn », P. Sanguy rappelle, dans son analyse des nouvelles du Docteur
Zammit, « l’histoire d’une paysanne dont la fillette est malade. Se refusant,
par pingrerie autant que par méfiance, à avoir recours à un médecin,…elle
demande conseil à une voisine… La conseilleuse, qui envisage la possibili-
té du mauvais œil, “il-għajn”, rapporte avoir entendu dire, par son oncle
maternel, qu’en Tunisie on envoie chercher dans un tel cas un sorcier qui
conjurera le maléfice par un contre-maléfice. Malheureusement, ajoute-t-
elle avec une pointe de regret, voilà déjà quelque temps qu’il n’y a plus de
sorcier à Malte »505. Ce conte est intéressant à plusieurs titres ; en effet,
d’une part, ces récits seront recueillis et publiés à Malte par un jésuite éru-
dit, le père Manwel Magri, entre 1900 et 1907 (années d’immigration pour
les Maltais) ; ce dernier décédera d’ailleurs « à Sfax, en Tunisie, où il était
allé prêcher le carême à la communauté maltaise de cette ville »506. On peut
donc aisément penser, que ces contes populaires se transmettaient orale-
ment dans les familles, et que leurs récits venaient s’enrichir de ceux des
conteurs tunisiens dont la présence, dans les familles maltaises, est attestée
à Porto-Farina ; d’autre part, ces histoires montrent que les pratiques tuni-
siennes contre les maléfices sont bien connues du peuple maltais et que ce
dernier regrette leur dispari-
tion. ous soulignerons,
d’autre part, la relation entre la
crainte du mauvais œil et celui
peint sur les barques maltaises
pour se protéger ; il s’agit de la
représentation de l’œil
d’Horus507, dieu du panthéon
égyptien. Ces superstitions
existent aussi dans la tradition
juive et musulmane.
Barque maltaise, Marsaxlokk
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 217

Une autre légende concerne le Ġaħan, héros populaire maltais ; selon


une de mes correspondantes508 : « Cette légende a été la seule à émigrer
en Afrique du ord509, sans doute parce qu’elle est la plus populaire à
Malte, puisqu’il y a eu émission d’un timbre-poste. On voit bien la maman
vêtue de sa Għonella, arrivant à l’église et loin derrière Ġaħan qui a tiré
la porte après lui. Pourquoi cette légende et pas les autres, aussi plai-
santes ? Je pense que la raison en est que Ġaħan a fait son remue-ména-
ge dans l’église et il semble que cette légende-là ne se retrouve pas
ailleurs, dans les pays où l’on retrouve ce personnage dont les différents
noms sont proches, synonyme d’idiot du village mais pas si bête et parfois
profitant de l’impunité due à son état, pour dire tout haut ce que d’autres
pensent tout bas. Dans nos familles, il était courant de dire “tu as fait
comme Ġaħan” ou “Kem inti Ġaħan”, c’est-à-dire “comme tu es sot”. »
Timbre maltais
représentant la légende du Ġaħan.

A ce sujet, J. Cassar Pullicino précise


l’origine purement sémitique de
l’appellation Ġaħan en se référant à un
article de M. Galley où elle précise que ces
légendes du « Ġaħan » ont été rassemblées,
dès le IXe siècle, dans un livre intitulé « Kitâb
nawâdir guha » ; il s’agit, du même héros
populaire, connu dans l’ensemble de la
Méditerranée, avec cependant, quelques
variations linguistiques : « Guha », en Afrique du ord, « Giufa » en
Sicile, par exemple510. Compte tenu de la référence à l’église catholique
dans le cas de la légende maltaise, il s’agit sans doute d’une construction
légendaire plus récente que celles auxquelles font référence Cassar-
Pullicino et Micheline Galley ; de plus, au IXe siècle, Malte et la Sicile
étaient occupées par les Arabes ce qui semble exclure une référence pos-
sible au monde catholique.
ous avons pu constater, par ailleurs, la présence chez les descendants
des Maltais de Tunisie, d’éléments de culture communs à ceux du ord de
la Catalogne. Ainsi, Charles Cortis nous racontera, qu’ayant assisté, en
2007, à la fête de Saint Ferréol, les chants improvisés, faits de questions
et réponses en catalan et accompagnés d’instruments de musique anciens,
lui ont rappelé ceux des Maltais et des Siciliens de Tunisie : « Cela com-
mençait par une première rencontre, spontanée des musiciens et chan-
teurs, chez l’un ou chez l’autre ; puis ils convenaient de se rencontrer dans
un endroit précis, plage ou autre lieu » pour ces sortes de joutes oratoires.
Cette coutume du chant improvisé est connue à Malte, sous le nom de
Spirittu pront ; elle se pratique encore lors de la fête de l’Imnarja, mais il
semble qu’elle ait tendance à se folkloriser. À ma demande, Charles a
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218 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

essayé de se renseigner sur les instruments de musique utilisés lors de


cette fête, mais il a pu seulement nous préciser qu’ils étaient sans doute,
presque identiques à ceux utilisés au XIIe siècle. Il ajoutera qu’en Tunisie,
Maltais et Siciliens jouaient de la mandoline et du violon ; ces musiciens
étaient généralement issus de « classes sociales de petites gens » c’est-à-
dire, pour notre interlocuteur, « de petits artisans ne possédant pas de
boutique et travaillant à la demande comme les ferrailleurs ».
ous découvrirons, également, grâce à notre interlocuteur, la possible
connaissance de la légende catalane du « Babau »511 par les Maltais de
Tunisie : Charles raconte que ses parents le menaçaient, lui et ses frères,
du « Babau », sorte d’ogre qui passerait les prendre s’ils ne voulaient pas
dormir. S’agit-il d’une légende méditerranéenne transmise depuis la
Catalogne jusqu’à Malte ? ous pourrions en faire l’hypothèse car la
légende commence ainsi : « C’était dans la nuit du 2 au 3 février 1290
[…] L’époque était paisible en Roussillon sous le règne du pacifique roi
Jaume II de Majorque »512 ; à cette époque, le catalan Martin l’Heureux,
règne effectivement sur Malte ; cependant les éléments que nous possé-
dons à ce sujet ne permettent pas d’approfondir cette hypothèse. En effet,
si, dans le cas de la légende catalane, il s’agit d’un dragon qui dévore des
enfants, l’histoire transmise se trouve banalisée par la transformation en
ogre, du dragon original ; seule l’appellation de « Babau » reste connue
des Maltais alors que l’origine de l’histoire a disparu. Cette appellation
de « Babau » serait due, d’après la légende, au bégaiement du veilleur de
nuit qui, effrayé d’avoir vu le monstre, n’avait pu dire que : « Vavau,
c’est-à-dire il a… Il a… ; depuis le monstre fut dénommé le Babau ». Le
contexte de l’entretien est, ici, important car il se situe à une période où
la ville de Rivesaltes rappelle, de manière festive, cette légende, notam-
ment par des peintures représentant un dragon sur les vitrines des com-
merces. La relation, avec l’appellation familière du « Babau » de
l’enfance maltaise, ne sera pas établie, d’emblée, par Charles qui réside
en Catalogne depuis seulement une vingtaine d’années ; pour lui, le patri-
moine légendaire catalan ne peut appartenir ni à son histoire ni à son
imaginaire.
ous n’avons pu approfondir la question de la transmission de ces
légendes compte tenu de l’ampleur du sujet, de l’âge de nos informateurs
et des années écoulées depuis leur venue en France. Il semble que cou-
tumes et légendes maltaises aient continué à se transmettre en Tunisie tant
que le contexte territorial et social est resté favorable à leur maintien. La
rupture de transmission, due à la perte des signifiants et à la disparition
des cadres sociaux maintenant la cohérence du groupe, deviendra effecti-
ve lors de la seconde émigration en France. Ces traditions, partiellement
conservées en Tunisie, disparaîtront alors totalement ; cependant la perte
des traditions n’est-elle pas due, à une progressive perte de sens dès la
Tunisie, liée à la distanciation des origines maltaises, conséquence du
mépris du colonisateur pour une culture différente, inexistante à ses
yeux ? L’expression, « nous n’avions pas de culture », employée par l’un
de nos interlocuteurs, pourrait confirmer cette hypothèse ; pour ce témoin,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 219

la seule culture est, bien sûr, la culture française qu’il a reçue durant sa
scolarité française en Tunisie.
Un autre interlocuteur, évoquant ses concitoyens en Tunisie, nous
dira : « On ne les voyait pas » ; mais souhaitaient-ils être vus, désignés en
tant que Maltais, comme étaient vus les Juifs et les Tunisiens, sous-enten-
du par les Français ? ’étaient-ils pas plus à l’aise dans une identité euro-
péenne imprécise hors du contexte intrafamilial et groupal maltais ? Ces
remarques n’introduisent-elles pas une forme de négativité dans la repré-
sentation chez les Maltais, de leur propre identité, eu égard aux autres
composants de la « Mosaïque tunisienne » ?

1.4. ATTITUDE DES ÉLITES MALTAISES EN TUNISIE


Soulignons, d’autre part, que les familles maltaises de Tunisie ayant
accédé à un niveau de vie relativement aisé vont progressivement, au
cours des générations, privilégier pour leurs descendants langue et cultu-
re française, se mettant parfois en contradiction avec les idéaux avancés
par eux-mêmes. Différents articles de journaux maltais affirment vouloir
promouvoir langue et culture maltaise auprès de leurs concitoyens ; ainsi
l’hebdomadaire « Melita », dans son édition du 29 avril 1938, présente
quelques titres en maltais, puis une proposition concernant « la biblio-
thèque du Maltais » à propos des « livres que tout Maltais doit posséder :
ce sont d’abord, des ouvrages en langue nationale… des ouvrages fran-
çais sur Malte et les Maltais ». De même, un article du 14 janvier 1938,
proclame : « Affirmez-vous Maltais » et, regrette que scouts, club de nata-
tion et philharmonique n’aient pas d’appellation maltaise ; quelques
semaines plus tard, le 28 janvier, L. Ropa cite R. Randon « Je ne com-
prends pas pourquoi les Maltais d’Alger, de Bône ou de Tunis se montrent
si indifférents à l’égard de leur mère patrie et de leur langue maternelle
[…] leur maxime devrait être : Malte d’abord et puis LA FRACE ». ous
respectons, ici, les caractères d’imprimerie utilisés par l’auteur de ces
lignes ; ils prouvent l’importance accordée à la France même si le nom de
Malte est énoncé en premier. Soulignons par ailleurs la rédaction en fran-
çais de ces différents articles ; cet aspect me semble être témoin de
l’évolution du groupe maltais qui s’est éloigné de la langue maltaise, et
dont les élites tiennent un propos paradoxal quant à la perception de leur
propre identité maltaise.
Toutefois, si les Français de Tunisie continuaient de penser la majori-
té des Maltais dans une globalité déjà évoquée, les historiens s’accordent
pour reconnaître, dès le début de l’immigration, l’existence d’une petite
élite, sans doute proche de la culture italienne des classes aisées de
l’archipel. Ces Maltais n’avaient sans doute, au début de l’émigration,
que peu de points communs avec la majeure partie de leurs concitoyens
émigrés si ce n’est leur situation de migrants et la possibilité de commu-
niquer en langue maltaise ; ces deux aspects méritent réflexion car il ne
s’agissait ni d’un réel partage de condition sociale, vu les écarts de
niveau de vie, ni même de celui d’une langue commune compte tenu des
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220 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

querelles linguistiques de l’archipel. En effet, le maltais restait la langue


du peuple. Quel était le regard de l’élite immigrée sur ses concitoyens ?
En France, mes interlocuteurs situeront leurs relations, au sein de la
société maltaise comme avec les différentes populations présentes en
Tunisie, dans ce que nous pourrions nommer de l’ordre d’une banalisa-
tion-gommage de toute hiérarchisation sociale du groupe maltais en
Tunisie : « ous étions bien ensemble », « Il n’y avait pas de différence »,
« ous nous entendions tous bien », autant de réflexions entendues, au
cours des entretiens avec divers interlocuteurs. Quelques-uns, plus rares,
évoqueront les disparités sociales existant à l’intérieur du groupe maltais,
parfois avec une certaine gêne : « Je n’ai connu le quartier des cochers
qu’à mon mariage, c’était vulgaire », « nous ne fréquentions pas les
Licari », « Je n’avais pas le droit d’aller jouer chez un copain plus aisé ».
Ces témoignages viennent d’une part, confirmer l’existence d’une réelle
hiérarchisation sociale dans la microsociété maltaise de Tunisie ; d’autre
part, lorsque les changements de statut relèvent d’une évolution positive
personnelle, que ce soit en Tunisie ou en France, ils induisent souvent un
malaise ou un non-dit, vis-à-vis des origines « simples » de la famille,
comme l’exprimera Jean Psaïla. Ces quelques éléments, associés à une
hiérarchisation sociale, comparable à celle de Malte, ne permettent-ils
pas de poser l’hypothèse d’une relative contribution de l’élite maltaise de
Tunisie au blocage de la transmission ?
Par ailleurs, dans les familles où l’origine nationale des parents diffè-
re, la langue italienne pourra être privilégiée, par exemple dans le cas de
couples mixtes italo-maltais ; l’italien ou plus fréquemment l’ « italo-sici-
lien » de Tunisie, supplanteront le maltais comme outil de communication
familiale. Toutefois dans la majorité de ces familles, pour des raisons
pragmatiques d’évolution sociale, la culture privilégiée deviendra pro-
gressivement celle du colonisateur français513. En effet, la culture des
peuples, composant la « Mosaïque tunisienne », qu’ils soient grecs, sici-
liens, maltais ou sardes ne paraît, jamais avoir été considérée comme un
enrichissement possible par les Français en Tunisie514. L’ethnocentrisme
français se trouvait renforcé du fait de la position dominante coloniale
renvoyant non seulement aux Tunisiens mais aussi aux autres peuples
européens migrants, une image négative d’eux-mêmes. Dans le cas des
Maltais et ce, pour des motifs politiques, se substituera à l’image négati-
ve, le déni, du moins dans les textes officiels, d’une autre appartenance
nationale, lors des naturalisations. En réalité, la différence restera bien
présente entre les Français de souche et les nouveaux Français d’origine
maltaise.
Le blocage de la transmission ne serait pas dû au seul fait du colonialis-
me, mais bien davantage à la représentation du monde arabe véhiculée, non
seulement par les Français de Tunisie, mais aussi par les classes sociales
aisées de l’archipel maltais qui avaient tendance à « transférer l’arabité pos-
sible aux mœurs des seules classes inférieures, les seuls véritables Maltais
étant, dans cette conception, les couches aisées »515. Le Maltais, immigré en
pays musulman, souvent issu des couches défavorisées de la société maltai-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 221

se, se devait donc paradoxalement de se défaire d’une grande partie de ses


coutumes qui, hors de l’archipel, présentaient quelques points communs
avec le monde arabo-musulman. Cette relation était encore plus marquée
par rapport à la langue et incitait donc les Maltais, à la garder pour l’usage
intrafamilial puis, progressivement à préférer celle du colonisateur; attitude
qui conduira majorité d’entre eux, à ne plus s’adresser à leurs enfants dans
la langue d’origine, suivant en cela les conseils prodigués par les ensei-
gnants français. En effet, « la transmission des langues est […] d’abord un
phénomène social. Lorsque dans une famille les parents apprennent à leurs
enfants une autre langue que la leur, c’est à la fois sous la pression du milieu
et parce qu’ils pensent que leur langue ne sera pas utile à l’avenir de leur
progéniture : leurs pratiques sont ainsi influencées par leurs représentations,
qui elles-mêmes sont un produit social »516. De plus, après les naturalisa-
tions, la religion catholique restera, pour les Maltais devenus Français, le
lien essentiel au monde maltais d’origine; ce facteur de différenciation de la
population tunisienne musulmane et juive ne fera d’ailleurs pas l’objet d’un
antagonisme, dans la mesure où un certain partage culturel, du moins dans
les quartiers populaires, continuait d’exister lors des principales fêtes reli-
gieuses de chaque communauté.
Cette « mise en parenthèses », d’éléments de leur propre culture par les
Maltais, relevait-elle d’une stratégie identitaire par rapport à la culture
française comme semble l’envisager C. Camilleri ? Cet auteur, issu de la
communauté maltaise de Tunisie, me semble avoir en partie raison si l’on
augure de l’aspect colonial et religieux mais il n’y avait pas d’autre choix
possible sinon celui du refus et du repli. C. Camilleri conçoit les straté-
gies identitaires comme la « prise de position de l’individu dans sa négo-
ciation personnelle et sociale des identités à adapter selon une double
priorité : la cohérence ontologique et l’insertion sociale »517. C’est ainsi
que le choix des parents, pour leurs enfants, de la culture française asso-
cié à celui de la nationalité, relevait davantage d’un souci d’élévation
sociale. La conception de C. Camilleri ne peut cependant s’appliquer
entièrement à la condition des Maltais en Tunisie car cet auteur situe son
étude « dans la dichotomie de cultures de références distinctes… où
l’identité s’articule en relation, non pas à deux cultures, mais aux dyna-
miques de leur contact »518 ; or, il ne s’agissait pas, pour les Maltais, de la
relation à une seule culture, en l’occurrence, celle du colonisateur mais
plutôt, d’un vécu sur un territoire multiculturel dont les « références » ne
se situaient pas toujours « dans la dichotomie de cultures » ; pouvait-on
effectivement parler d’une forme de culture « dichotomisée » dans le cas
des cultures maltaise, tunisienne et sicilienne ?

CONCLUSION
Porteur d’une enveloppe généalogique dépouillée de son histoire,
transformée en fonction de mythes maltais et coloniaux, associée à un
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222 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

mécanisme de défense vis-à-vis du monde musulman, le Maltais immigré


s’est trouvé avec – nous en formons l’hypothèse –, une relative charge de
culpabilisation, en situation de passer la frontière du côté des dominants,
des colonisateurs. Tributaire d’une Histoire collective, non intégrée donc
non pensée, l’émigration en pays musulman, a pu jouer comme révélateur
inconscient du « mauvais objet » porté en soi par le groupe maltais du fait
de la confrontation à la similitude de l’héritage culturel arabo-musulman
eu égard à sa propre culture. Considérant que l’autre est aussi une partie
de soi, le migrant construira peu à peu un moi-multiple, fait de différentes
identités intégrées ou refoulées, toujours hiérarchisées en fonction de son
histoire et de l’Histoire de son territoire d’origine ; il léguera, de ce fait,
à ses descendants de manière consciente et inconsciente, le vécu migra-
toire des générations précédentes auquel s’ajoutera son vécu personnel.
Quel sera l’impact psychologique et sociétal, de ces discours du négatif
des origines, sur les descendants de ces immigrés ?

2. PROCESSUS DE CONSTRUCTION
D’UN MYTHE FRANÇAIS EN TUNISIE
La question de l’impact de la colonisation française sur « les commu-
nautés maltaises de Tunisie, vivant en France », déjà étudié par
C. Sammut sous l’angle de « l’acculturation coloniale », me semble un
point essentiel dans la compréhension des processus de transmission.
Comment cette représentation d’une France mythique a-t-elle pu jouer un
rôle de fascination majeure sur la population maltaise au point de leur
faire « oublier » leur propre culture ? En effet, « le mythe ne relève pas
seulement d’un grand récit antique ou d’une célébration du sacré, il
s’inscrit dans la culture au quotidien »519.
Selon C. Sammut, « les migrants maltais avaient leur propre culture
d’origine qu’ils ont défendue ou nié dans une situation coloniale où se
développait une hiérarchisation des valeurs culturelles en fonction de
groupes ethniques sociaux qui étaient ainsi partagés entre une culture
française dominante et une culture tunisienne dominée »520. Les entretiens
que nous avons pu avoir personnellement avec des familles maltaises
confirment cette première hypothèse. Ainsi, le « territoire valorisé » de
Tunis, équivalent des grands boulevards parisiens, nous dit-on, commen-
çait à « Bab el Bhar » (porte de la mer), rebaptisée Porte de France, avec
à son début la statue du cardinal Lavigerie dressant une croix vers la
médina ; il se poursuivait par l’avenue de France où se trouvait la tombe
du soldat inconnu, pour s’achever sur l’avenue dominée par la statue de
Jules Ferry521. Tout semble, d’ailleurs, se passer à cette époque comme si
les Français voulaient ignorer l’existence des Maltais, en tant que peuple
ayant des racines, une histoire, une culture.
Le facteur principal d’entrée dans le mythe français sera effectivement
celui de la scolarisation. Elle s’effectue, comme nous l’avons déjà évoqué,
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 223

dans les écoles primaires françaises où il est interdit de parler maltais ; la


langue maltaise est, en réalité, traitée comme l’étaient en France, les
langues régionales bretonnes, catalanes ou autres, soumises, à la même
époque, aux mêmes interdits. Un facteur supplémentaire de dévalorisation
intervient pour le maltais, dans la mesure où les Français l’assimilent
plus ou moins à de l’arabe et donc à la langue des colonisés522. Jeanne
Mangion raconte : « Lorsque mon père nous accompagnait à l’école, il
disait quelques mots en maltais à la Sœur, mes amies françaises me reje-
taient alors en me disant : tu es arabe, ton père parle arabe ». Un autre
de nos correspondants explique que lors de ses études secondaires, il était
interne dans un établissement catholique où il n’avait droit qu’à une cui-
sine strictement française, voire régionale : « Jamais les plats méditerra-
néens n’étaient présents ». Habitué, comme d’autres condisciples maltais,
à obéir et à faire preuve de sérieux dans la structure familiale, il se mon-
trait docile et acceptait les valeurs proposées par ses éducateurs français
avec pour seul objectif celui de réussir. Aucun de ces jeunes maltais
n’avait d’ailleurs, conscience du progressif changement de leur « être
maltais », induit par la scolarité française.
Dévalorisé dans sa propre culture, le Maltais pouvait, selon
C. Sammut, aller jusqu’au bout de « l’aliénation coloniale » en
s’identifiant Français, vivant « au niveau individuel, un processus de
déculturation […] son identité profonde n’est cependant pas remise en
question ». Paradoxalement, l’auteur de ces lignes évoque, pour les
Maltais, malgré cette négation d’une part de soi, « une assimilation réus-
sie »523. Que recouvrent ces termes ? Le symbole de la réussite du Maltais
immigré serait-il obligatoirement accompagné d’un déni de ses racines ?
Pendant le protectorat, le statut social des Maltais est envisagé de maniè-
re négative ; on sait cependant que, dès les premiers temps de
l’immigration, quelques-uns pratiquaient un commerce lucratif, tel
« Carmelo Sammut sujet britannique… né à Tunis le 9 juin 1847. Celui-ci
faisait le commerce des tissus dans les souks de Tunis. Il jouissait d’un
grand respect de la part de tous les Maltais… Il était président de
l’Archiconfrérie du Saint Sacrement »524 ou bien encore « Paul Mallia »
qui « avait quitté Malte et avait essayé d’établir un commerce en Tunisie,
à l’époque souveraine du Bey. Le Bey accueillait les Européens négo-
ciants. Monsieur Mallia, comme d’ailleurs d’autres Maltais, avait aidé à
l’établissement des relations commerciales entre les deux pays »5525.
Décrivant abondamment la misère des uns, occultant la réussite des
autres en les situant dans le monde européen évolué, le colonisateur fran-
çais n’a-t-il pas favorisé chez les Maltais la permanence d’une image
dévalorisée d’eux-mêmes, encore prégnante aujourd’hui lorsqu’ils évo-
quent leurs ancêtres ? Ainsi, Daniel Saïd, lors d’un premier entretien,
hésitera avant de nous dire : « Vous ne trouverez rien, on était comme les
Arabes » puis, nous confiera un peu plus tard : « os ancêtres étaient des
pirates » ; à nouveau, l’image négative de soi est associée à la représen-
tation, également négative du peuple tunisien, au temps de la colonisa-
tion524. Cependant, la majeure partie des familles maltaises va très vite
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224 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

acquérir un statut social plus aisé, voire connaître une réussite certaine ;
ainsi à Tunis, les entreprises des liqueurs Licari et des cafés Bondin conti-
nuent de se développer ; l’enseigne de ce café témoigne toujours de son
importance.

Enseigne du café
Bondin

ous citerons également, parmi les plus connues, l’imprimerie Saliba,


les éditions Bascone-Muscat ou la quincaillerie de la famille amura dont
nous avons pu interviewer un descendant. En fait, il semble que le pouvoir
colonisateur français ait voulu se servir de la situation spécifique des
Maltais pour développer son emprise coloniale en leur proposant le mythe
français.
Rappelons en outre l’impact du clergé catholique français dans le
cadre de la colonisation. En effet, les premiers émigrés, perçus proches
des Tunisiens par les Français, étaient cependant situés différents des
musulmans du fait de leur caractéristique de « bons chrétiens ». Le cler-
gé va donc, comme nous l’avons vu antérieurement, subtilement proposer
aux Maltais le modèle français. Toutefois, quelques membres de ce clergé
sont issus de familles maltaises de Tunisie ; n’est-ce pas alors, pour leurs
familles souvent modestes, outre la certitude d’une ascension sociale, à la
fois se référer au monde maltais et accepter le mythe français que d’avoir
un de ses enfants prêtre ou religieux. À Malte, ces orientations étaient fré-
quentes ; on attribue ainsi au grand maître Aloïs de Wignacourt cette
phrase « Malte serait une île délicieuse si chaque prêtre était un
arbre. »527. En Tunisie, ces orientations prennent une autre dimension,
celle d’une profonde démarcation par rapport au monde musulman et
d’une acceptation progressive du modèle français. Le clergé français, se
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 225

servant de l’attachement des Maltais à leur foi, n’a-t-il pas contribué


outre à la perte de transmission, à leur acculturation en les incluant dans
le mythe colonial français ?
Mais pourquoi parler de mythe au sujet de la vision de la France ? En
fait, le pouvoir colonisateur donne à voir une image irréelle, simplifiée de
la France à cette époque, une France évoluée tant sur le plan de
l’industrialisation que sur celui de l’hygiène ou de l’éducation. Aucune
critique objective n’est faite à propos des colons, le seul point incompré-
hensible pour les Maltais étant la laïcité et l’athéisme. En fait, tout ce qui
constitue l’identité et les valeurs culturelles d’un peuple était dénié sauf
la religion dont bien des aspects, comme nous l’avons souligné, servaient
le pouvoir colonial. Ainsi les différents éléments que nous venons
d’évoquer témoignent du processus d’installation d’un mythe occidental
principalement français dans la mentalité des Maltais de Tunisie et dans
une moindre mesure d’un mythe anglais.
À ce stade de notre propos, il me semble intéressant de nous arrêter sur
quelques aspects de la situation de la France au temps des premières
immigrations maltaises en Tunisie. Voici une description du Paris de
l’époque : « Entre 1801 et 1851, […] la population de Paris double. Cette
croissance est due essentiellement à un mouvement d’immigration qui
déverse sur la capitale… des centaines de milliers de provinciaux […]
miséreux, attirés par les perspectives de travail ou d’enrichissement […]
Ainsi prolifèrent bientôt les gamins et leurs chambres où l’on s’entasse à
cinq, à six, parfois à dix dans la promiscuité la plus totale […] les nou-
veaux parisiens sont frustrés, différents dans leur habillement et leur lan-
gage »528. Puis en 1870, c’est l’insurrection populaire de la Commune qui
agite la capitale. À la même période, E. Zola décrit la misère du monde
ouvrier et, pourtant, il s’agit de la même France industrialisée, que celle
vantée par les colons. La vie dans les campagnes n’est guère meilleure ;
on parle ainsi, pour la Bretagne du XIXe siècle, « d’une économie agrico-
le de type médiéval »529. C’est d’ailleurs cette région qui fournira les pre-
miers travailleurs immigrés, que ce soit à Paris ou dans les mines. Cette
France idyllique des colons avait donc ses manques, ses misères, soigneu-
sement tus par ceux qui la décrivaient. Attitude normale de colons qui, eux
aussi, avaient mythifié la France non seulement en raison de leur situa-
tion de pouvoir mais aussi de leur condition d’immigrés sur une terre
étrangère. Ce comportement ne révèle-t-il pas aussi, pour ces Français, le
rejet d’un passé proche « encore relativement familier pour certains, mais
très souvent dénié, dévalorisé ou refoulé pour la plupart d’entre eux »530.
Ces propos, tenus eu égard aux populations maghrébines actuelles, ne
pourraient-ils pas s’appliquer à la situation coloniale de la Tunisie des
XIXe et XXe siècles ? L’immigré maltais sera assimilé au Français des
campagnes ou du prolétariat des villes, alors considéré comme semi-
inculte, sans oublier cependant l’intérêt que l’on peut en tirer sur le plan
politique.
L’incorporation du mythe français allait confronter les Maltais émi-
grés à un double « non-dit » concernant, en premier, l’occultation des
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226 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

aspects négatifs de la vie en France métropolitaine et la survalorisation


des aspects positifs de son développement ; en second, une dévalorisation
subtile, des autres cultures minoritaires en Tunisie, sera mise en œuvre.
Parallèlement, en 1921, les Maltais seront confrontés à un choix essentiel
du fait des décrets de naturalisation531. Antérieurement certains d’entre
eux avaient déjà opté pour la nationalité française mais ils étaient peu
nombreux : « 149 Maltais de Tunisie se sont naturalisés Français de 1888
à 1907 » 532 ; par ailleurs, les ressortissants maltais étaient évalués, fin
1907, entre 11 527 et 12 085533. En fait, ces lois vont faire passer les
Maltais « de la naturalisation individuelle et volontaire à la naturalisa-
tion automatique »534. Cependant la situation reste confuse et encore
aujourd’hui, les Maltais de France, descendants des immigrés, ont
quelques difficultés à expliquer clairement la présence de Britanniques et
de Français au sein d’une même famille.
Conserver la nationalité britannique n’était-ce pas, pour les Maltais
qui choisissaient cette option, revendiquer leur appartenance à Malte ? Il
s’agissait d’une démarche importante, témoin les lettres, ci-après, d’un
Maltais de Tunisie concernant le choix de garder la nationalité britan-
nique. Que représentait pour eux, l’Angleterre ? Avait-elle créé chez ses
ressortissants un mythe semblable au mythe français ? En fait, il semble
qu’à certaines périodes, il y eut interférence entre mythe français et
anglais. C’est du moins l’avis d’un de nos correspondants maltais ; il écrit
à ce sujet : « Avant la seconde guerre mondiale, le mythe anglais semble
pratiquement inexistant dans l’esprit des Maltais. Le Consulat britan-
nique, mis à part, l’influence de l’Angleterre est négligeable. Rares sont
les Maltais qui connaissent l’anglais. » À cette période, l’Angleterre se
désintéresse de la colonie maltaise. Elle permet par exemple aux Maltais
d’opter pour la nationalité britannique selon leur bon vouloir535. « Le
Maltais de Tunisie voulant se rattacher à une communauté nationale pen-
sait bien plus à Malte qu’à l’Angleterre » poursuit notre correspondant.
Cependant, selon lui, la perception de l’Angleterre devient, pour les
Maltais de Tunisie, différente au lendemain de la guerre car les Anglais
ont su résister aux assauts de l’aviation allemande alors que la France a
subi une défaite. En outre, un certain nombre de Maltais se sont retrouvés
dans les rangs des soldats anglais ; ils avaient parfois, pour cela renoncé
à la nationalité française. Une dualité va s’installer dans le groupe mal-
tais entre les pro-français et les pro-anglais. Le mythe d’une grande
nation anglaise commençait à prendre jour de manière plus nette. Les
Français eux-mêmes y étaient sensibles relève ce correspondant. À ce pro-
pos, Carmel, notre passeur se rappelle qu’un de ses enseignants français,
prenait plaisir, après un séjour en Angleterre, à s’exprimer en anglais
devant eux alors qu’aucun d’entre eux ne connaissait cette langue ; il
ajoute que ce professeur admettait, d’ailleurs, difficilement qu’un Maltais
de Tunis puisse avoir la nationalité britannique.
L’influence du mythe français sur la population maltaise restera cepen-
dant majeure par rapport à celle du mythe britannique. Les Maltais vont
donc progressivement mais de manière majoritaire choisir la nationalité
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 227

française. On dénombre ainsi 973 naturalisations de 1924 à 1938536. Il


semble d’ailleurs, d’après nos entretiens que certaines familles aient hési-
té à accepter la nationalité française pour leurs enfants, nés après 1921,
en raison de l’obligation du service militaire lié à la crainte d’un possible
conflit mondial. Restés britanniques ou devenus français, les Maltais ne
vont pas cesser d’être happés par le mythe français, symbole de
l’accession à la culture occidentale.

3. IMPACT DE LA SECONDE ÉMIGRATION EN FRANCE,


SUR LES PROCESSUS DE TRANSMISSION
Lors de l’indépendance de la Tunisie, une grande partie des descen-
dants des premiers Maltais va se diriger progressivement vers la France
du fait de la nationalité acquise ; l’Histoire se rejouait avec certes
d’importantes différences : plus aisés que leurs ancêtres, ils rejoignaient
un pays mythique dont beaucoup n’avaient qu’une idée livresque. Cette
seconde émigration fut cependant très progressive pour les familles, puis-
qu’elle s’est étalée sur plusieurs années : dès les premières années de
l’Indépendance de la Tunisie, en 1956, jusqu’aux années soixante. Pris
dans un processus d’occultation, les Maltais vont-ils, malgré une deuxiè-
me immigration vers la France ou l’Angleterre, pouvoir transmettre à la
génération suivante des noyaux de sens identitaires ? Dans ce nouveau
cadre physique et psychologique, quelle sera la place d’une transmission
déjà peu effective en Tunisie ?
Il convient de rappeler tout d’abord, un aspect particulier, concernant
la diversité des situations familiales, dû aux décrets de naturalisation : il
s’agit de l’éclatement des familles entre France, Angleterre, Tunisie et
Italie, alors que toutes vivaient dans une grande proximité géographique
sur le territoire tunisien. Cette dispersion va inscrire, dans un espace ter-
ritorial différent, des constellations familiales, groupe de cousins par
exemple, notamment en Angleterre où il existe un vécu communautaire ;
ces ensembles familiaux se répartiront dans les trois pays susnommés, sui-
vant les choix parentaux lors des naturalisations. L’adaptation de ces
familles à des modes de vie différents variera suivant les pays concer-
nés537.
Parmi ceux qui choisirent la France, quelques-uns exprimeront leur
surprise d’avoir découvert un pays qu’ils ne connaissaient que par la géo-
graphie. Durant les premières années sur ce nouveau territoire, la famil-
le reste de type patriarcal conservant ainsi les valeurs du territoire anté-
rieur : le père jouit d’une autorité incontestée et la mère reproduit, dans
l’éducation donnée à ses enfants, la structure connue précédemment ;
ainsi dans la famille Saïd, une relative liberté est laissée aux garçons,
alors que la mère fait preuve d’une grande exigence quant à la participa-
tion de ses filles aux travaux ménagers. Ce mode de vie, pourrait être, seu-
lement celui de toute société traditionnelle méditerranéenne s’il ne s’y
ajoutait pas, du fait de l’évolution de la société française, un sentiment de
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228 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

dévalorisation du système éducatif ancestral, notamment lors de


l’adolescence des jeunes, âge d’ouverture sur l’extérieur. Cette dernière
remarque sera confirmée par Carmel Schembri qui, lors de son arrivée en
France à quinze ans, dans une petite ville du Sud, me dira avoir eu du mal
à s’intégrer auprès des jeunes de son âge. Peu habitué à sortir du cercle
familial, il n’avait pas d’argent de poche comme ses camarades ; il pense
que cette absence d’argent était davantage due au fait qu’il s’agissait
d’une coutume inhabituelle pour ses parents plutôt qu’en raison de diffi-
culté financière particulière. Pour Carmel, les codes éducatifs familiaux
différaient légèrement de ceux pratiqués en Tunisie, notamment en ce qui
concernait la liberté laissée aux adolescents. Dans cette situation, la dis-
parition des anciens repères inscrits dans le cadre de l’évolution de la
famille en France, vient renforcer la perte identitaire migratoire.
Au cours des différents entretiens, les difficultés, lors de l’arrivée en
France, seront discrètement évoquées ou généralisées, par identification
aux Pieds-oirs d’Algérie ; « on est reparti à zéro » nous diront, sur le ton
de la confidence, plusieurs des personnes interviewées. Considérés à tort
comme rapatriés, ces nouveaux immigrés, qu’ils soient originaires
d’Algérie ou descendants des Maltais de Tunisie, devront effectivement à
nouveau tout recommencer : recherche de logement et d’emploi. Comme
leurs concitoyens restés en Tunisie, les Maltais éprouveront souvent le
besoin de se référer à des Maltais connus sur le plan professionnel ou
politique ou essaieront systématiquement de nous proposer de rencontrer
ceux qui, à leurs yeux, ont réussi. Ce mode de réaction pourrait être mis
en relation d’une part avec les pratiques de parrainage en usage à Malte,
d’autre part avec l’ancienne situation de dévalorisation, vécue en
Tunisie ; mais, ne s’agit-il pas d’un passé encore trop récent pour que ce
sujet puisse être abordé plus profondément ?
Par ailleurs, les générations nées en France se trouvent dans un pro-
cessus de rupture avec la transmission familiale et groupale ; en effet, les
anciennes références maltaises concernant la langue et la religion, enco-
re vivantes dans les familles en Tunisie malgré leur affaiblissement, sont
absentes dans le contexte d’acculturation française ; or, on ne peut pas ne
pas transmettre : la transmission en négatif, initiée en Tunisie, va ainsi se
poursuivre lors de la seconde émigration en France.
Élément essentiel de la transmission, le patronyme fonde la chaîne des
générations ; porteur de consonances souvent arabes ou italiennes, il va
être marqueur identitaire accepté ou vécu en « négatif » à certains
moments de la vie : Anne Saïd, trente ans, raconte : « Au collège, nous
avions honte de notre nom de famille, cela faisait arabe ». Parfois, ces
patronymes ne présenteront pas de caractéristiques particulières et leurs
porteurs n’en préciseront pas l’origine maltaise, laissant leurs interlocu-
teurs, les penser originaires d’Espagne, d’Italie ou parfois de Corse. ous
pouvons, dans un premier temps, concevoir qu’il s’agisse là d’une simple
facilité, Malte étant peu connue du grand public, jusqu’à ces dernières
années. Cependant d’autres remarques des intéressés nous renvoient à
l’aspect négatif ; ainsi Paul Cortis, dont la famille a effectué après son
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 229

départ de Tunisie, de nouvelles migrations entre France et Angleterre,


précise qu’à quatorze ans, lors de son entrée dans le monde du travail, sa
famille lui aurait conseillé : « surtout ne dis pas que tu es Maltais »538.
Jean Psaïla se situera de manière différente, en précisant qu’il a toujours
su qu’il était Maltais et que des traces de son patronyme existaient à
Malte depuis 1517. Quelques commentaires, de sa part, feront, cependant,
référence au besoin de cacher, pour quelques membres de la famille, « la
consonance arabe de leur patronyme ». Tel autre francisera la prononcia-
tion de son nom.
Le fait objectif importe peu, mais bien plus significative sera la repré-
sentation symbolique de ces réactions, dans la mesure où se trouve prin-
cipalement rejetée la proximité linguistique avec l’onomastique arabe ; ne
portent-elles pas en germe une collusion inconsciente de la représentation
du statut d’immigré des ancêtres, avec celle de l’immigré actuel en
France ? Cette possible collusion passé-présent s’accompagne d’une
interrogation sur les origines ; suis-je le descendant de Siciliens,
ormands, Arabes, Français ou des Maltais, issus des premiers peuple-
ments de l’archipel, ou bien encore de multiples métissages dus aux sou-
bresauts de l’Histoire ? Interrogation qui prend sens pour les descendants
d’aujourd’hui, en quête d’une reconnaissance de leurs origines. Toutefois,
les références européennes familiales seront systématiquement privilé-
giées ; c’est ainsi que, parmi les personnes interviewées, les uns se diront
descendants de Bretons, d’Italiens ou même de Suédois. D’autres, ayant
effectué quelques recherches généalogiques, me montreront fièrement la
reproduction de blasons familiaux, trouvés sur le Web393 ou achetés lors
de voyages à Malte ; ils en déduiront l’existence de nobles ascendants et
aimeront souligner les références européennes de la généalogie proposée.
Ainsi, le blason des Psaïla est accompagné d’une légende indiquant que
ce patronyme, courant à Corfou, paraît être à 100 % d’origine grecque.
Ce commentaire vient en contradiction avec les études de G. Wettinger et
l’étymologie même de ce nom5.

Blason des Psaïla

De plus, il n’existait sur l’archipel qu’une trentaine de titres de nobles-


se, datant pour majorité de la fin du XVIIIe siècle et « à Malte, le droit de
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230 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

porter des armoiries n’a jamais été réglementé, en conséquence, un bla-


son familial y est encore moins qu’ailleurs un indice de noblesse »541. En
outre, peu de nobles, émigrèrent en Afrique du ord si ce n’est « le baron
Testaferrata Moroni Viani, homme d’affaires, et un Teuma Castelleti, des
marquis de Ain Tuffieha, interprète en chef à la Résidence général » […]
« ils furent, au début du XXe siècle, des figures en vue de la communauté
maltaise de Tunis »542. Quel sens donner à ces « nobles » représentations ?
Mis à part, leur aspect démagogique, elles paraissent s’inscrire dans un
besoin de valorisation lié au besoin de prouver, à soi-même et aux autres,
que l’on possède bien une ascendance européenne, supposée identique à
celle de l’ancien colonisateur français ; ce recours, à une référence
mythique, concernant des ancêtres maltais, supposés prestigieux, pourrait
se penser en tant que transformation, sur le plan symbolique, d’une par-
tie du négatif de la transmission.
Cet aspect se retrouve sur le plan linguistique où subsistent des élé-
ments de l’ordre du non-dit puisque, la plupart des émigrés disent ne pas
connaître la langue maltaise. L’attitude des Maltais de France, vis-à-vis
de leur langue maternelle est à cet égard significative ; ainsi, rares sont
les descendants de Maltais capables de s’exprimer en maltais. S’agit-il
d’une langue réellement « oubliée » ? Des Maltais, dont l’âge se situe
autour de la soixantaine, disent « ne pas savoir le maltais » ou « très mal
le comprendre »543, mais la langue maternelle peut-elle, ainsi, s’effacer de
la mémoire ? Compte tenu des blocages linguistiques, précédemment évo-
qués au niveau des générations antérieures, nous avons pu constater que
seuls les aînés de quelques familles, en moyenne âgés de cinquante ans,
ont parfois conservé une compréhension partielle du maltais ; cette situa-
tion de transmission partielle existe dans le cas où les deux parents, eux-
mêmes d’ascendance maltaise, ont gardé au début de l’arrivée en France,
l’habitude de parler maltais entre eux. Dans ces mêmes familles, les plus
jeunes, autour de trente-cinq ans, comprennent quelques expressions car
ils ont pu côtoyer des grands-parents qui pratiquaient encore cette langue.
Cependant cette transmission, a minima, n’a pas été vécue durant leur
enfance, comme un enrichissement possible dans la mesure où ce parler,
souvent d’ailleurs multiculturel544, les renvoyait aux difficultés de leurs
propres parents à s’exprimer de manière impeccable en français. Pour les
descendants de Maltais, interviewés en France, le discours relatif à la
pratique de la langue maltaise reste actuellement, d’ordre utilitaire : « À
quoi cela servirait de savoir le maltais ? » Cette réflexion de l’un de nos
interlocuteurs concerne ses propres descendants nés en France ; elle peut
être mise en relation avec diverses expressions relevées lors d’autres
entretiens telles que : « les jeunes sont entièrement Français » associées
à « il ne reste rien », sous-entendu de spécifiquement maltais. e sommes-
nous pas encore dans le registre de la négativité ?
Les Maltais, de la troisième génération née en Tunisie, ne gardent-ils
pas une réaction de colonisés, vis-à-vis de leur langue ? C’est la langue
française qui reste la langue noble, indépendamment des autres langues
pratiquées en Tunisie telles l’italien et l’arabe. e s’agit-il pas d’un oubli
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 231

signifiant associé à une collusion passé-présent ? ous rappellerons seu-


lement, ici, la difficulté de la reconnaissance de l’utilisation du mot « ram-
dan » dans le vocabulaire religieux et familial des Maltais au début du
XXe siècle545. En outre, au cours des interviews, différentes remarques
associeront l’absence de pratique du maltais à la proximité linguistique
de l’arabe ; ainsi Jacques Psaïla dira : « Mes parents ne parlaient pas
maltais, c’est une langue gutturale qui se rapproche de l’arabe ». Cette
attitude de déni vis-à-vis de la langue maltaise correspond au rejet des
origines arabes du maltais et témoigne encore aujourd’hui, du paradoxe
identitaire maltais ; Mme Vérié Cassar, se référant à la seule origine sémi-
tique de la langue nous expliquera : « Certains mots viennent plutôt de
l’hébreu », rattachant ainsi l’origine du maltais à une source biblique ;
elle ajoutera : « Beaucoup d’autres (mots) sont romans »546.
Cet oubli de la langue maternelle, ne signifie-il pas, alors, un refus
inconscient de la proximité linguistique de l’autre ? Outre les raisons liées
à la colonisation française, la dévalorisation de la langue maltaise ne
pourrait-elle alors, être attribuée à sa proximité avec le tunisien dans la
mesure où il existait à Malte un non-dit historique et sociologique sur
l’origine de la langue maltaise. La dévalorisation n’était-elle pas déjà
induite, pour les premiers immigrés, antérieurement à l’immigration, dans
la mesure où le maltais était la langue du peuple et non celle des élites ?
D’autres éléments accréditent l’hypothèse d’une transmission en néga-
tif ; négatif qui, selon Jean Guillaumin, « a de toute part à voir, à titre
essentiel, avec l’incontournable et l’irreprésentable de notre propre place
dans notre relation avec nos objets de pensée »547. C’est ainsi que nous
pouvons relever la conservation d’éléments culturels appartenant au
monde maltais et tunisien, sans distinctions bien établies mais existaient-
elles réellement548 ?
Cet aspect se retrouve dans le domaine de l’oralité avec transmission
de recettes de cuisine ; il s’agit d’une transmission liée à l’affectif fami-
lial. Ainsi, dans la famille Psaïla, on se transmet un cahier où figurent les
recettes de plats de différentes origines, recueillies auprès des différents
membres de la famille ; pour notre interlocuteur, Antoine Psaïla, « la cui-
sine était internationale : grecque, française, maltaise » et comprenait
ente autres : « beignets sucrés à l’huile (bambalones) au petit-déjeuner,
raviolis, figollis, melouklia et mekbouba » ; aux recettes typiquement mal-
taises se sont ajoutées, au cours du temps, d’autres recettes de la
« Mosaïque tunisienne ». Toutefois, Antoine omet de relever l’origine
juive ou tunisienne de quelques-unes de ces recettes telles que : « melouk-
lia », ou « mekbouba »549 ; est-ce seulement un oubli ? D’autres corres-
pondants expliqueront que, souvent les jeunes femmes ne savent plus,
aujourd’hui, ce qui est spécifiquement maltais, mis à part, peut-être la
permanence dans les menus familiaux de « pasta and pastizzii ». Peut-on,
cependant, se contenter de réduire l’héritage culturel à ce patchwork culi-
naire comme semble le suggérer Paul Mizzi, à propos de Maltais émigrés
en Australie ? ’est-ce pas alors une manière de situer cet héritage dans
l’ordre du négatif en sachant que « la persistance des traits culinaires
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232 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

chez les migrants est plus durable que celle d’autres caractéristiques cul-
turelles, comme la pratique religieuse ou l’usage de la langue maternel-
le » ; en outre, « certaines études suggèrent que les pratiques alimentaires
seraient les dernières à disparaître lors de l’acculturation »550.
Un de nos interlocuteurs, Philippe Schembri, soulèvera la probléma-
tique de l’absence de racines, en France, pour ses enfants adolescents ; en
effet, « lorsqu’on ne s’inscrit pas dans un circuit d’appartenance, le sen-
timent d’être soi reste flou : l’univers ne se structure pas, on n’acquiert
pas la notion du temps, ni l’idée que les générations se succèdent »531. Il
évoquera, à ce propos, la question des ancêtres inhumés en Tunisie et, par
là, une des difficultés de l’ancrage générationnel. En outre, certains de
ces lieux de mémoire que constituent les cimetières européens de Tunisie,
n’existent plus en raison de l’extension urbaine. C’est notamment le cas à
Tunis, de celui de Bab el Khadra, lieu d’inhumation des Maltais jusqu’en
1966 ; cependant quelques monuments, dédiés aux défunts maltais, ont été
transférés au nouveau cimetière européen, situé l’extérieur de la ville,
dans le quartier dit du Borgel ; d’autres n’ont pu être conservés par les
descendants et auraient disparu de la mémoire collective sans le travail
de l’historien P. Soumille.
Lors de la seconde émigration vers la France, il y aura reproduction
de la rupture vécue par les premiers émigrants maltais, vis-à-vis de leurs
ancêtres ; ainsi, C. Camilleri, évoquant l’état d’abandon du cimetière
chrétien de Porto-Farina, suite au départ des Maltais, résumait cet état de
fait par une phrase lapidaire : « Pour bien mourir à eux-mêmes, ils
avaient consenti à tuer leurs morts »552. S’agissait-il alors d’un travail de
deuil impossible ? Cette absence d’enracinement pourra-t-il être compen-
sé, au cours des générations, ou restera-t-il dans la catégorie du manque
et de l’absence malgré les voyages en Tunisie et à Malte de quelques-uns ?

Cimetière européen de porto-Farina (2002)

Durant les entretiens en France, comme en Tunisie, le surinvestisse-


ment de l’acquisition de la nationalité française restera omniprésent ; dès
les premiers mots, plusieurs interlocuteurs, descendants de Maltais de
Tunisie, tiendront à affirmer : « Je suis Français » ; dans cet esprit, la
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 233

référence aux naturalisations sera présentée de manière positive : « Le


choix d’être Français a été fait par mes parents et j’en suis fier ». Ces pro-
pos font office, en quelque sorte, de porte-drapeau identitaire mais occul-
tent les problématiques induites par ces mesures autoritaires ; parfois,
cependant, un rappel de la condition de naturalisés sera effectué en
France, à l’adresse des anciens de Tunisie, par un de leur concitoyen mal-
tais, originaire d’Algérie, en ces termes : « moi je suis pur Français tan-
dis que vous, de Tunisie, de souche maltaise, vous l’êtes mais de seconde
zone ». Les descendants des Maltais d’Algérie se prévalent ainsi de
l’antériorité de leur acquisition de la nationalité française, statut sans
doute surévalué, du fait des événements politiques liés à l’indépendance
de l’Algérie ; d’ailleurs, les Maltais d’Algérie se considèrent « pieds-
noirs » au même titre que les Français nés en Algérie alors que les
Maltais de Tunisie, emploient plus rarement cette expression.
Du point de vue de la nationalité, la situation des Maltais était effecti-
vement différente en Tunisie ; nous rappellerons ainsi, le vécu, évoqué
antérieurement, des quelques familles de Maltais, demeurés britanniques,
qui choisiront cependant la France, comme terre d’accueil, après
l’indépendance de la Tunisie. Il semble que ces Maltais, malgré leur
nationalité officielle qui les rattachaient à Malte et à l’empire britan-
nique, se soient eux aussi pensés culturellement français. D’ailleurs, ils
témoignent encore de leur incompréhension de l’attitude des autorités
françaises sceptiques quant à leurs connaissances culturelles françaises.
D’autres familles, anciens « Maltais-Britanniques », après une vie profes-
sionnelle en Angleterre, choisiront la France pour leur retraite ; nous
avons rencontré, au cours de nos investigations dans le Sud de la France,
trois situations de ce type ; toutefois, dans ces familles, la génération née
en Angleterre, est acculturée anglaise et a contracté des liens d’alliance
avec des Anglais.
Ainsi, la seconde émigration, cette fois vers la France ne peut être pen-
sée en tant qu’émigration553, par les descendants des Maltais, « puisqu’ ils
sont Français ». Une hiérarchie de leurs différentes appartenances iden-
titaires va s’instaurer en fonction de ce qui apparaît comme essentiel à un
moment donné de l’Histoire collective et individuelle ; ainsi, être Maltais
en Tunisie ne possède pas la même valeur hiérarchique qu’être, aujour-
d’hui, descendant de Maltais en France, du fait de l’entrée de Malte dans
l’Europe ; cette dimension ne nous a pas paru toutefois, être complètement
intégrée par tous nos interlocuteurs bien qu’ils en soient fiers. Quels
changements, au niveau de la transmission, cette nouvelle appartenance
va-t-elle introduire ?
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234 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

4. DU MYTHE REFOULÉ AU MYTHE RECONSTRUIT

4.1. LA PART DE LA MYTHOLOGIE


L’archipel maltais résonne de récits mythologiques allant de celui de
l’Odyssée à ceux du naufrage de Saint Paul, origine de la croyance d’un
enracinement dans la foi catholique, sans discontinuité, depuis les pre-
mières conversions. Depuis l’antiquité, Malte et Tunis se partagent effec-
tivement les mêmes héros mythiques ; ainsi Ulysse, héros de l’Odyssée
d’Homère, aurait, après son naufrage, échoué sur l’île d’Ogygie,
l’actuelle Gozo. C’est là qu’il serait resté sept ans, prisonnier de la
nymphe Calypso ; poursuivant ses aventures, Ulysse aborde l’île des
Lotophages « le pays des mangeurs d’oubli » qui ne serait autre que
Djerba mais écoutons plutôt le chant antique :
« euf jours durant, les vents de mort emportent sur la terre aux pois-
sons. Le dixième nous met au bord des Lotophages, chez ce peuple qui n’a
pour tout mets qu’une fleur […]. J’envoie trois de mes gens reconnaître
les lieux […]. Mais à peine, en chemin, mes envoyés se lient avec des
Lotophages qui, loin de méditer le meurtre de nos gens leur servent du
Loto. Or sitôt que l’un d’eux goûte à ces fruits de miel, il ne veut plus ren-
trer ni donner de nouvelles. »554
Dans ce périple d’Ulysse, s’agit-il réellement de Gozo puis de Djerba ?
Aucune source sérieuse ne nous autorise à l’affirmer. Reste la fiction poé-
tique, assimilant ces îles à des lieux enchanteurs, vraisemblablement
connus des marins antiques. Par ailleurs, outre la fiction, ne peut-on voir
dans ces aventures une préfiguration du parcours des migrants méditer-
ranéens555, anciens ou actuels, à la fois « passeurs de frontières et trans-
metteurs » ? Cette hypothèse paraît contenue, selon E. Temine, dans un
texte de G. Audisio : « Ulysse ou l’intelligence » ; le héros y est considéré
comme « l’ancêtre de ces orateurs grecs ou latins qui tentent de gouver-
ner par la parole » ; G. Audisio poursuit ainsi son propos : « Toutefois
dans le monde méditerranéen, se transmettra par-delà les siècles ce pou-
voir de la parole, qui donne aux clercs, à ceux qui possèdent la connais-
sance et qui ont la capacité de la transmettre, un rôle privilégié. Rôle
d’autant plus important qu’il dépasse les frontières, qu’il se répand d’un
bout à l’autre de la Méditerranée par ces routes terrestres ou maritimes,
le plus souvent d’est en ouest, qu’ont suivi les Juifs de la diaspora, les pré-
dicateurs chrétiens (à commencer par saint Paul) […]. Routes commer-
çantes, routes d’exil »556. Cependant, G. Audisio évoque, en tant que
« transmetteurs », les seuls clercs, personnages instruits qu’ils soient
civils ou religieux ; cette analyse rejoint notre interrogation au sujet d’une
transmission particulièrement dépendante du discours de l’Église et des
représentations de l’élite maltaise émigrée.
Cette interprétation du récit mythologique renvoie effectivement non
seulement aux migrations mais aussi aux sources de la transmission
depuis saint Paul dont on connaît l’importance pour les Maltais. Les
siècles suivants, du fait notamment de la lutte contre l’envahisseur turc et
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 235

musulman, venu de l’Orient méditerranéen, verront se renforcer


l’organisation de la société maltaise autour d’un mythe fondateur, à la
fois catholique et européen. Ce mythe fondateur pourrait s’accorder exac-
tement à celui des origines, pensées siciliennes du fait des premiers peu-
plements mais aussi sémitiques sur le plan de la linguistique557. Comme
nous l’avons déjà souligné, le terme sémitique sera longtemps privilégié
par les Maltais, l’acceptation des sources arabes du maltais étant relati-
vement récente. Dans cette optique, nous pensons que le terme sémitique
venait en appui des origines chrétiennes en tant que rapport à un monde
biblique faisant référence au seul peuple de Dieu.
Considérant que « les mythes sont des convictions partagées et accep-
tés par tous les membres d’un groupe […] donnant forme à l’inconnu des
origines, au laisser pour compte du passé » et qu’« ils assurent ainsi une
fonction de lien entre le groupe dans ses aspects diachroniques et synchro-
niques et chacun de ses membres »558, quelle sera leur évolution du fait de
l’immigration ?

4.2. DE LA FICTION DES ORIGINES


Diverses légendes relatent des histoires concernant des possibles
ascendances communes aux peuples tunisien et maltais. C’est ainsi
qu’une histoire raconte l’origine de la dénomination des oranges dites «
maltaises » ; elle fait directement allusion aux relations de piraterie entre
Malte et Tunis, en voici l’essentiel :
« Il était une fois un bey qui possédait, comme tout souverain oriental
qui se respecte, de nombreuses épouses, toutes d’une très grande beauté.
La plus belle parmi ces belles était une ravissante Maltaise que les pirates
avaient arrachée à son île natale. Le bey amoureux était aussi passionné
d’horticulture. Et des journées durant, il s’amusait à greffer, croiser les
espèces. Un jour, il obtint, par un hasard de la nature, une orange nouvel-
le à la saveur si délicate et parfumée qu’il l’appela, en hommage à sa
belle, la “Maltaise” »559.
Parallèlement, d’autres récits témoignent de la présence de nombreux
esclaves musulmans sur l’archipel au Moyen-Âge ; ainsi celui de « La
grotte de Hassan » raconte l’histoire selon laquelle cette grotte, située sur
la côte méridionale de l’île, « aurait servi de refuge à un musulman mal-
tais de ce nom qui s’y serait caché, lors de l’expulsion de ses coreligion-
naires, pour préparer l’invasion du pays par les Barbaresques ». En
outre, la tradition rapporte que « le dénommé Hassan enleva une très
jeune fille maltaise, et la retint prisonnière dans la grotte avec lui »560.
G. Wettinger « pense que la série de légendes antimusulmanes à laquelle
appartient cette histoire […] a notamment pour but d’occulter le fait que
les musulmans ne furent probablement pas expulsés mais convertis »561. Il
s’agit là d’une hypothèse possible qui accréditerait la thèse de strates
d’origine arabo-berbère, parmi la population maltaise depuis le haut
Moyen-Âge.
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236 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

4.2.1. UN PRÉSENT-PASSÉ RECOMPOSÉ OU LA LÉGENDE RECONSTRUITE


Pierre Grech, nous racontera lors d’un second entretien, le début d’une
autre légende, concernant l’origine de la tribu tunisienne des Ouled Saïd :
« Dans les temps anciens, un petit groupe de Maltais aurait été fait pri-
sonnier par les Arabes ; puis, ces Maltais, devenus esclaves, se seraient
complètement assimilés à la population arabe, adoptant notamment la
religion musulmane ».
Pierre situe cet épisode dans la région de Makhtar, au centre de la
Tunisie mais ne peut en préciser l’époque exacte ; pour lui, la tribu des
Ouled Saïd, installée en Ifriqiya lors de l’invasion hilalienne vers 1040,
serait donc d’origine à la fois chrétienne et maltaise ; il est évident pour
Pierre que ces Maltais, réduits en esclavage, étaient autrefois chrétiens.
Compte tenu du récit de Pierre, nous tenterons une investigation dans la
région de Makhtar562 mais cette démarche ne donnera aucune indication
permettant d’accréditer cette hypothèse.
Par contre, nous trouverons une autre version de cette légende, dans
deux documents ; il s’agit, tout d’abord, de l’étude de G. Finotti sur la
Régence de Tunis, en 1856 :
« Au sud des montagnes de Zaghouan […] se détache un éperon assez
prolongé, à l’est et au sud duquel habite la tribu des Ouled Saïd […] la
tradition qui court en ce pays est que les Maltais dont l’origine arabe
n’est d’ailleurs, en rien, remise en cause, descendent des aïeux des Ouled
Saïd. »
Le même auteur, tout en rappelant dans une note que Malte constitue
« le rempart de la chrétienté », affirme également que « Les vrais Maltais
sont Africains » de par « leur aspect, leurs coutumes, leur langue. » Ces
éléments doivent être mis en relation avec les divers écrits européens du
XIXe siècle, relatifs au rattachement supposé de Malte à l’Afrique. Trente
ans, plus tard, en 1888, le récit d’un voyageur, fait allusion à la même tra-
dition :
« Une légende court dans le Sahel tunisien, que les Maltais ne seraient
que les descendants d’une fraction de l’antique tribu des Ouled Saïd
immigrés, à une époque et pour des raisons indéterminées, sur ce rocher
isolé de Malte qui a subi, depuis les temps historiques, des tribulations si
diverses »563.
Un autre document précise à propos de cette tribu : « On les décrit tur-
bulents et excellents dans l’élevage des chevaux »564, point commun avec
les Maltais qui a, peut-être, entraîné des confusions à une époque où cer-
tains Français ne savaient où classer la population maltaise par rapport
aux Tunisiens.
Par ailleurs, cette légende pourrait être à l’origine d’une ancienne
croyance populaire, présente en Afrique du ord ; en effet, J. Cassar
Pullicino rapporte :
« À Tripoli, Tunis, Alger et au Maroc, les gens croient que leurs loin-
tains ancêtres, étaient venus à Malte au temps où l’île n’était pas habitée
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 237

et que quelques-uns uns s’y installèrent tandis que les autres se rendirent
en Afrique du ord »565.
otre interlocuteur, qui a sans doute eu connaissance de certains de
ces récits, les transforme car leur contenu est inacceptable pour lui ; dans
sa version, les Ouled Saïd ont une origine maltaise et donc chrétienne
alors que dans la légende tunisienne, cette tribu, tunisienne et musulma-
ne, aurait été à l’origine d’une partie de la population de Malte. Cette
modification du récit pourrait correspondre également au mythe berbère
présent dans une société coloniale qui, « par-delà plusieurs siècles
d’islam, imagina qu’elle renouait avec la tradition perdue d’une Afrique
latine et chrétienne »566.
Suite à son récit sur les « Ouled Saïd », Pierre donnera son point de
vue sur l’origine des différentes populations de « la mosaïque tunisien-
ne » ; il affirmera : « À Sfax, il y a des descendants de Bretons parce qu’ils
ont les yeux bleus ; à Tabarka, ce sont des Génois ; à Sousse, des Sardes
qui venaient comme domestiques dans les familles françaises, puis ils se
sont mariés avec des Espagnols et des Maltais ».
Ce qui importe ici, ce ne sont pas les éléments de réalité concernant
une population portuaire d’origine cosmopolite mais, plutôt les références
uniquement européennes ; notre interlocuteur a intégré un enseignement
de l’Histoire où, même dans les territoires colonisés, les ancêtres étaient
censés être des Gaulois aux yeux bleus. Pierre Grech conclura, cet entre-
tien, sur le fait que lui-même est Africain puisque né sur la terre d’Afrique
et que « les Maltais sont venus en Tunisie à cause de la peste transportée
par les marins du fait de la guerre de 1870 en France ». Cette affirmation,
au sujet des causes de l’immigration maltaise bien qu’inexacte, n’est pas
entièrement gratuite puisqu’il y eut effectivement des épidémies dévasta-
trices à Malte en 1815 (peste) et en 1837 (choléra). La caractéristique
principale de cette émigration qualifiée d’« émigration de la misère » se
trouve, ainsi, déplacée par notre témoin ; or, Pierre est suffisamment cul-
tivé pour connaître les causes de l’émigration de ses concitoyens sans
parler de celle ses propres ancêtres. Il tient cependant à nous présenter
l’histoire des Maltais en Tunisie, dans un « présent passé-recomposé » et
même plus, nous l’enseigner.

4.2.2. DES HISTOIRES DE COUPLES FONDATEURS


Joseph Cassar-Pullicino a présenté, lors d’un congrès, un autre récit
légendaire qui évoque une possible origine tunisienne des Maltais :
« Une femme enceinte, tenant dans ses bras son bébé d’un an et demi,
s’enfuyait d’un endroit appelé Mader, contrée berbère de Tunisie, en com-
pagnie d’un vieil esclave turc du Sultan ; ce dernier encourait la colère de
son maître car il avait donné à manger à cette femme une des ailes d’une
oie fraîchement rôtie qu’il devait porter au Sultan. Que pouvait faire le
pauvre esclave ? Que pouvait faire la pauvre mère ? L’esclave savait qu’à
peu de jours de navigation de Mader, se trouvait en mer un immense bloc
de pierres si inaccessible que le grand Sultan ne savait rien sur lui. Dieu
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238 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

soit loué. Le vieil esclave et la femme chargèrent un petit xebec de


semences, de jeunes arbres, plantes et animaux, de tout ce dont ils pou-
vaient avoir besoin. Ils firent voile vers le grand rocher. Ils s’y installèrent,
construisirent une cabane pour eux-mêmes, plantèrent les semences et les
arbres et vécurent heureux. Ils appelèrent l’île Mader car la mère des
enfants venait de Mader ; par la suite, les gens déformèrent le mot et
Mader devint Malta »567.
Sous le titre : « Les Maltais et les Tunisiens sont parents » La lettre du
Cercle Vassalli568 relate, sur le même sujet, une autre tradition populaire
recueillie par le Père Manwel Magri569 auprès de Maltais établis en
Tunisie :
« Il était une fois deux frères qui avaient épousé deux sœurs. Les deux
ménages vécurent longtemps ensemble. Mais un jour l’un des deux frères
alla s’établir à Malte avec sa femme tandis que l’autre restait en Tunisie.
Telle fut l’origine des Maltais et des Tunisiens. »
Ces légendes, relevées en Afrique du ord, attestent de liens étroits
entre Malte et ces contrées, principalement la Tunisie. S’agit-il seulement
de fictions ? Dans ces différents récits, il s’agit de personnes, dont la des-
cription, plus ou moins précise, varie suivant l’histoire, qui sont toutes
originaires de Tunisie. Elles s’installent à Malte, décrite comme un rocher
inhospitalier dans deux des légendes ; ces dernières sont par ailleurs
intemporelles : elles se passent, dans un temps ancien, sans autre préci-
sion. En outre, dans les deux dernières légendes citées, il s’agit de couples
fondateurs de la population maltaise ; notons que l’un de ces couples se
compose d’un Turc et d’une femme berbère tunisienne : ils fuient la colè-
re du Sultan car ils ont commis une faute ; nous soulignerons la présence
du personnage turc, ennemi historique des Maltais. Toutefois cette figure
diminue l’importance de la menace turque car il est âgé et bon, la femme,
elle, est jeune et peut procréer. Assez curieusement cette histoire évoque,
de manière inversée, par rapport aux pays concernés, celle des Maltais
qui faisaient « carozella » en s’enfuyant avec la bien-aimée interdite.
C’est ainsi que certaines émigrations maltaises furent aussi dues à des
amours contrariées ; cependant ces légendes prennent aussi, sans doute,
source dans des fonds plus anciens, à l’époque de l’esclavage où à Malte
comme à Tunis, les unions intercommunautaires étaient prohibées,
excluant le contrevenant féminin de sa communauté d’origine. La derniè-
re légende présente un double lien d’alliance entre frères et sœurs qui, par
la suite, se séparent : l’un se dirige vers Malte, l’autre reste en Tunisie ; il
existe donc un lien d’attachement très fort entre ces territoires, même si
ces récits légendaires doivent être analysés avec une grande prudence.
Les mêmes éléments ou « mythèmes » sont repris dans ces différents
récits ; ils situent ces légendes dans l’univers du mythe. En effet « les évé-
nements qui constituent le mythe forment une structure permanente […]
Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur »570.
ous poserons l’hypothèse de l’existence d’un mythe refoulé dans la
mesure où ces récits imaginaires traitent d’une origine impensable pour
les Maltais, notamment dans le second récit où le couple fondateur de
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 239

Malte est une femme berbère et un esclave turc. Ces légendes ne parais-
sent pas avoir été ignorées des migrants puisqu’elles ont été recueillies
auprès de Maltais de Tunisie. Comment les interprétaient-ils ? Vaste ques-
tion à laquelle nous ne pouvons répondre aujourd’hui sur la seule base de
la transformation d’une de ces légendes par Pierre, l’un de nos informa-
teurs.
Ces mythes, relatifs à l’origine, vont devenir « impensables » pour les
Maltais du fait de leur propre mythe fondateur catholique associé à celui
de la lutte contre l’envahisseur turc musulman. Ils sont pourtant connus et
même racontés par les émigrants maltais du début du XXe siècle ; sommes-
nous dans le paradoxe ? ous ne le pensons pas car il s’agit de récits
populaires et, nous avons à différentes reprises, souligné la proximité cul-
turelle des premiers immigrés avec le monde tunisien ; il faut certes exclu-
re de cette analyse la position des quelques familles de migrants aisés.
C’est donc, progressivement que ces mythes vont donc être refoulés, ou
transformés, comme dans la version de Pierre, pour devenir acceptables.
Ainsi, mythes et légendes à la fois proches et différents de l’Histoire sont,
eux aussi, fondateurs d’une culture aux sources mêlées et entrecroisées où
la Méditerranée reste sans doute, le principal élément fédérateur.

4.3. ÉMERGENCE EN FRANCE D’UN MYTHE MALTAIS RECONSTRUIT


Dispersés en France, certains des Maltais de Tunisie vont éprouver le
besoin de se tourner, cette fois, vers leurs racines maltaises ; ce mouve-
ment de retour à l’origine va se manifester soit par l’adhésion à des asso-
ciations soit par des voyages sur la terre des ancêtres.

4.3.1. Ré-affiliation dans le cadre des Associations


Différentes associations, réparties majoritairement en région parisien-
ne et dans le Sud de la France, rassemblent des descendants de Maltais
émigrés : elles furent longtemps réunies dans une « association mère »,
France Malte571 qui, jusqu’à ces dernières années, fédérait majorité de ces
groupes. L’analyse approfondie de ces diverses associations ne peut être
effectuée dans le cadre de notre recherche ; il me paraît, cependant impor-
tant de les évoquer brièvement avant de les aborder sous l’angle de la
transmission. Actuellement, nous pouvons répartir ces associations en
trois grandes catégories :
Les premières regroupent principalement des descendants de Maltais ;
les unes font référence au lieu d’implantation des ancêtres de leurs adhé-
rents en Tunisie telle celle des Amis de Sousse ; les autres sont localisées
sur une région française et rassemblent des descendants de Maltais de
Tunisie et d’Algérie ; c’est le cas des « Amis de Malte Midi Pyrénées »,
regroupant les associations de Toulouse et Pau ou bien encore de celle des
« Amis de Malte » de Montpellier ; cette dernière s’est associée, en 2005
à celle des anciens de Tunisie, de la même ville.
Les secondes, ouvertes à d’autres catégories de personnes ayant vécu
en Tunisie ou y vivant actuellement, rassemblent un assez grand nombre
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240 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

de Maltais pour pouvoir figurer ici. Dans ce cadre, nous pouvons citer une
association culturelle pluri-ethnique, celle de la Diaspora Sfaxienne qui
comptabilisait six cent vingt-cinq adhérents en 1993 ; ils sont, actuelle-
ment, pour la région Midi Pyrénées, au nombre de soixante-dix dont une
cinquantaine de membres participent régulièrement aux activités propo-
sées. « Les Sfaxiens », comme ils se nomment, forment un groupe différent
dans l’esprit ; partie des anciens élèves du collège de Sfax, à l’initiative
d’un de leurs professeurs Marcel Regui, cette association est ouverte à
tous les Sfaxiens, anciens ou actuels, « sans distinction de nationalité, de
religion, de milieu social, d’opinion politique » ; elle suit, en cela, les
objectifs de son fondateur.
Une mention particulière pour la revue éditée par « Les Sfaxiens » sous
le titre : « La Diaspora sfaxienne » dont les parutions mériteraient une
étude particulière ; une analyse de cette publication a antérieurement été
effectuée par P. Soumille en 1995, elle portait sur les 28 numéros parus
entre 1967 et 1994 ; « cet exercice délicat » [avait été] « voulu par les res-
ponsables de l’association et accepté par la plupart de ses membres »572.
Cette association continue actuellement ses activités en publiant un bulle-
tin semestriel et en proposant à ses membres des voyages culturels en
Tunisie et à Malte.
Quelques autres associations présentent un caractère plus spécifique-
ment en relation avec la religion catholique. Ainsi, celle de la Fraternité
Sainte Perpétue commémore, notamment à îmes et Vierzon573, le marty-
re de deux saintes, Félicité et Perpétue, dans l’amphithéâtre de Carthage
en 203 après J.-C. ; l’association, fondée par le père Pelloquin, ancien
curé de Tebourba dans les années d’après guerre (1945), propose princi-
palement des pèlerinages ou des cérémonies religieuses commémora-
tives ; elle publie également un bulletin trimestriel intitulé : « Échos de
sainte Perpétue ».
Un autre groupe rassemble les anciens de « La manécanterie des
Sables », chorale d’enfants de la cathédrale de Tunis, autour de son fon-
dateur M. Petit. La particularité de ce groupe, qui comprend de nombreux
descendants de Maltais, est que ses adhérents se retrouvent une fois par
an, dans une ville d’Europe où ont émigré d’anciens choristes. C’est ainsi
qu’en 2007, l’association s’est réunie à Rome à l’initiative des anciens
Italiens de Tunisie, membres de la chorale ; pour l’un de nos correspon-
dants qui participe régulièrement à ces rassemblements, ce groupe reste
le seul lien valorisé de son vécu en Tunisie.
Le Cercle Vassalli fondé en décembre 1999 correspond à une catégo-
rie différente d’association : il a « pour vocation de rassembler les per-
sonnes résidant en France, qu’elles soient maltaises, d’ascendance mal-
taise ou simplement amies de Malte, qui… contribuent par leur action
personnelle ou professionnelle, leurs recherches ou leurs travaux à une
meilleure connaissance de Malte, ceci afin de resserrer les liens entre
Malte et la France, notamment dans les domaines économiques et cultu-
rels »574. Il s’agit, donc, d’une association de coopération culturelle et
économique, différente des précédentes ; tournée vers l’avenir, elle se
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 241

situe davantage dans l’établissement de liens entre Malte et la France et


La Tunisie.
Les membres du Cercle, majoritairement originaires de Tunisie sont à
la fois mémoire du passé pour les plus anciens et ouverture sur la culture
maltaise du XXIe siècle. Peu de membres de l’association connaissent la
langue maltaise en raison des problématiques de transmission familiale
antérieurement énoncés ; cependant quelques-uns s’y sont suffisamment
intéressés pour l’apprendre. Il ne peut évidemment s’agir du maltais parlé
par leurs ancêtres du fait de l’évolution du maltais. Cette langue est donc
« épurée » des éléments tunisiens acquis par les générations
d’immigrants ; indépendamment du plaisir à s’exprimer en maltais, quel-
le représentation symbolique de cette possibilité ? En effet, ces personnes
possèdent un excellent niveau de communication en anglais et ne se trou-
vent pas en difficulté lors d’échanges avec les Maltais. ’est-ce pas alors,
une manière de recréer un lien de filiation à l’ancêtre Malte, l’émigration
ancestrale, ayant instauré une rupture dans l’histoire collective et indivi-
duelle. Cette hypothèse peut aussi correspondre à la fonction principale
d’ouvrages tels que les deux dictionnaires, français-maltais et maltais-
français, de J. Cutayar575. Toutefois, ce besoin d’acquérir la langue du
pays n’est pas éprouvé par rapport à la Tunisie où les échanges universi-
taires s’effectuent en français ; il s’agit, donc, bien en ce qui concerne la
langue maltaise, d’un manque, en raison du vécu migratoire.
De même, dans les diverses associations maltaises de France, la perte
de la langue reste une constante malgré le regret, nouveau dans le dis-
cours, de ne pas savoir s’exprimer en maltais. Ces groupes rassemblent,
une majorité de Maltais de Tunisie de la troisième génération ; de ce fait,
l’âge des adhérents correspond à celui d’une association du troisième âge
et attire peu les générations nées en France ou parties très jeunes de
Tunisie. Ces derniers, informés par leurs aînés, participent parfois à une
rencontre mais n’y donnent aucune suite ; nous pouvons seulement suggé-
rer quelques hypothèses à ce sujet dont un certain désintérêt pour les acti-
vités proposées : repas, galette des rois qui ne correspondent pas à leur
génération. D’autres aspects méritent d’être soulignés : ainsi Philippe
Cortis me faisait part de son regret que le groupe auquel il participe, n’ait
aucune activité culturelle concernant Malte ou la Tunisie durant ces ren-
contres où parfois l’essentiel du discours se situe dans l’évocation d’un
passé révolu ; notons à ce propos que les participants tiennent toujours à
marquer la différence du vécu entre Maltais de Tunisie et Maltais
d’Algérie576. Le besoin de s’affirmer français reste, par ailleurs, très pré-
sent. Ces groupes ne seraient-ils que des associations semblables à
d’autres associations dites du troisième âge ?
’y a-t-il pas dans ces espace-temps de convivialité recréée, une forme
d’illusion groupale compte tenu de la mise entre parenthèses des divers
vécus migratoires et des anciennes différences sociales pour une sorte de
tout unificateur : « ous les anciens Maltais de Tunisie » ? Le temps de la
rencontre serait aussi celui de l’illusion en raison de la « croyance sub-
jective à une communauté d’origine donnée sur… des souvenirs de la
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242 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

colonisation ou de la migration »577, et de la continuité d’un mécanisme


de défense groupale vis-à-vis du monde arabo-musulman. Tout se passe
comme si le fait d’évoquer un passé tout à la fois conflictuel et relation-
nel risquait de mettre l’existence du groupe en danger. Le processus
d’affiliation recrée alors une filiation maltaise symbolique dans le pré-
sent ; les adhérents redeviennent dans le cadre de l’association, enfants de
Malte, ne serait-ce que par la présence des consuls honoraires ou du
consul lui-même dans certaines circonstances, officialisant ainsi la filia-
tion ethnique et le partage des ancêtres.
La dimension culturelle reste, toutefois, présente de par l’existence de
bulletins associatifs propres à chacune de ces associations. C’est ainsi
que, l’association Midi Pyrénées, publie régulièrement une
« Minigazette », où sont développés, outre les informations propres au
groupe, différents aspects de civilisation maltaise en lien avec les
anciennes émigrations. Dans un minutieux travail de recherche, l’éditrice,
Madame Vérié Cassar, s’attache à relever pour ses concitoyens, le par-
cours de personnages maltais prestigieux, établissant au fil des numéros,
une galerie de portraits ; relevons, à titre d’exemple celui de : « Domenico
Magri (1604-1672). Cet ecclésiastique était un fin diplomate… Il fut
nommé secrétaire de la propagation de la Foi […] écrivit des livres de
théologie […] reçut, peu avant sa mort, le titre de Comte Palatin ». Dans
le même numéro, figurent le portrait d’un autre prêtre, Paolo Micallef
(1897-1956), soucieux de l’éducation des jeunes ; les hommes politiques
ne sont pas absents de ces panégyriques élogieux dont les Mizzi et Gino
Muscat Azzopardi (XIXe-XXe siècle), ardents défenseurs de la langue mal-
taise578. Cette galerie de portraits s’échelonne au cours des numéros et
laisse au lecteur, compte tenu des occurrences patronymiques, la possibi-
lité de se penser lointain parent d’une de ces personnages célèbres. otes
d’archives, détails d’architecture sont également relevés ; la description
des balcons de la Valette est accompagnée du commentaire suivant : « Il
en existe depuis le XVe siècle contrairement à ceux des pays musulmans,
leur objectif n’est pas de cacher les femmes. Munis de plusieurs ouver-
tures, ils protègent du soleil, du vent et du bruit. On y boit son thé, on
lit »579. L’utilisation européenne de cette particularité architecturale, par
la classe aisée maltaise du siècle dernier, est ainsi largement soulignée
ainsi que la différence avec les pays arabes.
La fidélité à la religion catholique participe aussi du lien associatif à
Malte ; ainsi, lors du méchoui annuel de l’association Midi Pyrénées, une
messe est célébrée si possible par un prêtre maltais, originaire de Tunisie.
De nombreux numéros de la « Minigazette » évoquent les églises mal-
taises, rappelant les circonstances de leur fondation ou les légendes liées
à leur construction. Quelques toponymes maltais sont également expli-
qués en référence au catholicisme ; c’est le cas du sens donné à l’origine
du nom de la ville de Sliema :
« La belle et élégante Sliema était à l’origine un modeste hameau grou-
pé autour de sa chapelle. Sur les bateaux, au départ comme à l’arrivée,
les marins disaient un “je vous salue” en passant devant la chapelle. En
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 243

maltais, cette prière commence par Sliema. Le hameau fut baptisé


ainsi. »580
La seule explication du toponyme fait ici référence au religieux en
omettant la possible origine arabe de ce terme. otre éditrice s’inscrit
ainsi, dans un passé-présent, riche de la tradition des journaux maltais
des années trente, instructeurs des Maltais émigrés sur leur patrie
d’origine et initiateurs parfois, de l’élaboration d’un nouveau « roman
familial diasporique » dans l’imaginaire de leurs lecteurs.
En outre, il me faudrait évoquer, ici, la question des réunions de famil-
le qui commencent à s’effectuer en France à Malte et en Tunisie. Au cours
de ces rencontres, à nouveau espace et temps sont abolis puisque, malgré
la dispersion familiale, la famille se reconstitue comme au temps où en
Tunisie, ses membres vivaient dans la même ville ou dans un environne-
ment de proximité. À ce propos, « la lettre du cercle Vassalli » évoque le
compte rendu d’une réunion de famille des M. en Tunisie : « cette
cousinade semble avoir été un moment où les jeunes ont pu connaître le
pays de leurs parents ou de leurs grands parents et où les moins jeunes ont
revu leur pays d’origine avec beaucoup d’émotion »581. Ainsi, à la diffé-
rence des associations, quelques éléments des jeunes générations partici-
pent à ces manifestations, souvent d’ailleurs à la demande de leurs
parents qui souhaitent leur faire connaître le pays où leurs ancêtres ont
vécu.
Ces rencontres familiales à Malte et en Tunisie revêtent-elles des
caractères différents suivant les lieux ? ous resterons ici, dans le domai-
ne des hypothèses ne pouvant approfondir l’ensemble de ces questions ;
cependant le sens de ces voyages, qu’ils soient effectués ou non dans le
cadre de réunions de famille, interroge ; peuvent-ils être facteurs de réap-
propriation identitaire symbolique ou demeurent-ils simple découverte
touristique notamment dans le cas de Malte ?

4.3.2. Un tourisme différent


Depuis une vingtaine d’années, les descendants des Maltais de Tunisie,
effectuent des séjours touristiques à Malte et en Tunisie. ous ne pouvons
négliger d’évoquer, à ce propos, l’aspect économique ; les prix, pratiqués
par les tour-opérateurs, permettent à nombre de personnes, notamment
dans le cas de la Tunisie, de profiter de séjours à des coûts raison-
nables582 ; or voyager, c’est en changeant de lieu, trouver une autre altéri-
té583. Quelles significations et représentations vont alors, revêtir ces deux
destinations pour les descendants des immigrés ?

Tunis : tourisme-pèlerinage
Abordables sur un plan financier, les voyages en Tunisie demandent
une capacité de distanciation des vécus familiaux antérieurs pour les
anciens descendants de Maltais ; ils s’effectuent parfois de manière indi-
viduelle ou familiale afin de faire découvrir, par exemple à son conjoint,
Français de souche ou à ses enfants, le pays où ont vécu leurs ancêtres.
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244 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Toutefois, dans les familles, la caractéristique d’immigrants pour dési-


gner les ancêtres de Tunisie semble rarement employée par les familles ;
le parcours des ascendants est souvent évoqué en ces termes : « Ils sont
allés en Tunisie ». ’y a-t-il pas dans cette apparente banalisation une
crainte d’un possible parallèle avec les immigrations actuelles en
France584 ? Les autres déplacements en Tunisie s’effectuent dans le cadre
des associations maltaises de France. Ces groupes maintiennent effective-
ment des liens avec la Tunisie et, pour quelques-uns d’entre eux, plus par-
ticulièrement avec la ville d’origine des adhérents, Sfax (déjà citée) et,
Sousse notamment. Au cours de ces voyages, un retour sur les lieux de
mémoire, associé à la découverte d’autres régions tunisiennes, est propo-
sé aux adhérents. En effet, la majorité des descendants de Maltais de la
troisième génération n’a pas eu, pendant l’enfance en Tunisie, possibilité
de connaître ce pays car les familles se déplaçaient peu et voyager à
l’intérieur du pays, n’était pas envisagé en dehors d’une nécessité éven-
tuelle, mariage par exemple.
Ces retours au pays des ancêtres585 pourraient être qualifiés de touris-
me-pèlerinage pour ceux qui ont vécu dans ce pays tant l’aspect affectif
qui s’y rattache est important ; comme pour les pieds noirs d’Algérie, la
terre natale, ancrage de plusieurs générations d’immigrés, devient le lieu
d’une déambulation presque religieuse dans les rues du vécu de
l’enfance ; mais peut-on faire surgir de la mémoire un passé révolu sans
irruption du présent ? En effet, les contours d’un passé folklorisé, gom-
mant similitudes et différences avec les autres populations, se dessinent ;
chevriers, contrebandiers et cochers sont devenus des ancêtres que l’on
peut désormais évoquer avec une pointe d’humour ou de fierté, dans la
mesure où les situations familiales ont évolué positivement. En contrepar-
tie, la représentation des émigrés maltais par les voyageurs du
XIXe siècle, faisant référence à la grande misère de la plupart d’entre eux
et surtout aux éléments de proximité avec les Tunisiens, est toujours diffi-
cilement acceptée par les intéressés. Cependant, les relations avec les
Tunisiens, au cours de ces pérégrinations, sont empreintes de bienveillan-
ce mutuelle comme si les tensions passées avaient subi un gommage ; les
codes ne sont plus les mêmes, les années passées en France ayant pleine-
ment joué leur rôle assimilateur.
Pour Charles Cortis, ces itinéraires sont liés à une symbolique relevant
du pèlerinage : visite au cimetière chrétien, parcours des rues de
l’enfance, passage au lieu de l’atelier du père où lui-même a commencé
son apprentissage ; « tout ça, c’est fini maintenant » sera son seul com-
mentaire. La nostalgie est bien présente au cours ces déambulations bien
que Charles s’en défende. Il manifeste toutefois un apparent désintéresse-
ment de la vie traditionnelle tunisienne qui ne relève ni du mépris, ni du
racisme mais plutôt d’une difficulté à se situer. C’est encore le paradoxe
venu de la langue, qui le rattachera au vécu identitaire tunisien lorsqu’il
éprouvera une relative satisfaction à s’entendre dire par les autochtones :
« toi tu es d’ici »586. Un véritable échange pourra alors s’initier entre les
interlocuteurs. Prise dans le prisme de l’acculturation française, la gran-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 245

de majorité des anciens Maltais de Tunisie pourra cependant, comme


Charles, se réapproprier émotionnellement des parcelles du vécu familial
antérieur par l’intermédiaire des odeurs familières de la cuisine tunisien-
ne et notamment celle des beignets à l’huile, consommés au petit-déjeu-
ner. À ce sujet, sera appréciée par les participants à une réunion de famil-
le, l’évolution des normes d’hygiène des hôtels, mais aussi regrettée la
boutique du coin de rue, moins normative, où le père allait les matins de
fête acheter ces mêmes beignets. Cet élément d’appartenance à une socié-
té antérieure se trouve projeté dans un contexte de non-lieu identitaire,
celui de l’hôtel touristique, mais la mémoire des Maltais a recréé dans le
présent les anciennes références sensorielles et affectives. Par ailleurs,
quelques-uns des jeunes Français, descendants de ces Maltais nés en
Tunisie, plus distanciés que leurs aînés, s’amuseront d’être parfois pris
pour des Tunisiens587. À la différence de leurs parents, ces jeunes pourront
alors, en l’absence de « barrage familial », dans un processus d’ouverture
à une culture méconnue, se réapproprier des éléments d’histoire généra-
tionnelle et les intégrer dans leur champ identitaire.
Ainsi, c’est peut-être lors de ces pérégrinations sur les sols ancestraux,
qu’il s’agisse d’ailleurs de Malte ou de la Tunisie, que des noyaux por-
teurs de sens pourront se transmettre.

Malte : « A la recherche d’une identité »588


Cet itinéraire est, lors d’un premier voyage, celui d’une découverte des
origines familiales pour les Maltais de Tunisie ; en effet, pratiquement
aucun de nos interlocuteurs ne s’est rendu sur la terre des origines durant
la période de vie passée en Tunisie. Madame Vérié Cassar nous signalait,
il y a peu, un intérêt nouveau pour Malte chez les descendants de Maltais
en France ; faut-il le rattacher au domaine politique ? L’archipel maltais,
depuis 2005, fait partie de l’Union européenne. Malte n’est plus ce
« rocher inconnu » que stigmatisaient les premiers immigrés mais un pays
indépendant, membre de l’Europe. À ce propos, François Saïd589, né en
France, me confiait récemment : « Lorsque j’étais au collège et que je
disais que mon père était Maltais, personne ne savait où cette île se trou-
vait ; maintenant c’est différent, les gens ont entendu parler de Malte ».
Incluse dans un complexe « euro-méditerranéen et non pas euro-arabe
ou méditerranéen […] faisant disparaître toute référence aux Arabes »590,
Malte devient une destination digne d’intérêt pour les descendants de
Maltais immigrés ; elle leur offre alors la possibilité de renouer avec une
identité acceptable puisque symboliquement occidentale. De prime abord,
le comportement des voyageurs apparaît similaire à celui d’autres tou-
ristes principalement lorsqu’il s’agit d’un circuit organisé : visite des
temples préhistoriques et des principaux monuments de l’époque des che-
valiers, clichés photographiques et promenade en barque à destination de
la grotte bleue591. Cependant ces voyages aux pays des origines n’en sont
pas moins porteurs de paradoxes à différents niveaux. En effet, ils sont
émotionnellement chargés de sens : la plupart des Maltais qui les entre-
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246 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

prennent ont souvent la soixantaine et leurs propres parents n’ont, par-


fois, jamais foulé le sol ancestral. Durant le séjour les liens avec le passé
familial migratoire vont être mis en exergue tels les patronymes identiques
à ceux des voyageurs remarqués sur les enseignes des magasins de La
Valette ; cette découverte est relatée par les participants dans « La
Diaspora Sfaxienne » :
« Le voyage à Malte nous a permis au moins une chose… retrouver au
hasard des rues parcourues la présence de nos noms patronymiques affi-
chés sur les enseignes et les boutiques des magasins à La Valette. Ainsi
Françoise Gauci, devenue Farrugia par le mariage, a retrouvé les nom et
prénom de sa belle-mère Joséphine Bonello. Qui dit mieux ? Sans oublier,
au cours de discussions très colorées avec les autochtones, la confronta-
tion des noms de famille tels : Vella, Caruana, Barbara, Cachia,
Azzopardi, etc. […] “Tiens, moi aussi je m’appelle Abela, on ne serait pas
cousin des fois ?”[…]Un déballage pas possible qui n’a pourtant débou-
ché sur aucune filiation ni apparentement entre les intéressés. » Et de
conclure : « C’eût été un miracle, fallait pas rêver ! »
Un autre de ces voyageurs relève les patronymes familiers, présents en
Tunisie et leur joint la profession des intéressés ; il en livre un aperçu :

Café CORDIA
DEBO Import-Export
Francisco FEECH Granite Works
CASSAR Bros. Merchants
PORTELLI BRICAT Ldt
BARTOLO Import-Export
CAMILLERI Hadware Products
ZAMMIT Florist
VELLA General Stores
BUSUTIL Antique Jewelry
AZZOPARDI Fisheries
GAUCI Versailles Antiques
MUSCAT Household Stores
BUTTIGIEG Insurances Ldt.
PACE Avokat
MICALLEF Swimming Pools
Borg OLIVIER utar
SCICLUA’S Hiring Service

À la suite de ce relevé, il poursuit : « J’ai vu quelques Diasporiens mal-


tais frémir d’orgueil lorsqu’ils ont vu, gravés sur le marbre de la cathé-
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 247

drale de Dina, le nom des prélats tels que FARRUGIA, FALZO,


CUTAYAR, CHIRCOP, ZAHRA »592.
Le plaisir manifeste de ces voyageurs, éprouvé lors de la découverte,
sur le sol maltais, de patronymes identiques aux leurs, n’est pas ano-
din car ces homonymies signent l’appartenance maltaise des anciens émi-
grés ; cette quête des origines maltaises nous semble récente chez ces
Maltais de « la troisième génération », considérés comme totalement
acculturés français. L’histoire passée, malgré les négatifs de la transmis-
sion, est ainsi réactivée non seulement du fait des références patrony-
miques mais aussi de la possibilité de se sentir désormais fiers d’être
Maltais.
Le second lien avec les origines familiales est constitué par la langue ;
or, nous l’avons vu, les uns savent peu s’exprimer en maltais, les autres
sont restés dans une situation de déni, lié en partie à la continuité de la
trame linguistique avec le monde arabe. Les Maltais, originaires de
Tunisie, se montrent cependant déçus d’entendre majoritairement parler
anglais sur l’archipel593. À noter, certes, que l’évolution même du maltais
par rapport à la langue parlée de Tunisie déconcerte le nombre infime de
ceux qui savent encore le parler mais pas au point de ne pas le com-
prendre.
Inscrit dans un noyau de sens paradoxal, au niveau linguistique, le
voyage à Malte reste cependant, symbole d’une prise de conscience des
origines, liée aux paysages et notamment à l’omniprésence de la
Méditerranée ; cette expérience essentielle est aussi fonction du regard
des Maltais de Malte sur leurs concitoyens immigrés. Mis à part l’aspect
politique et commercial de vouloir bien accueillir les descendants, deve-
nus Français, de leurs lointains ancêtres communs, le contact se révèle
chaleureux dès la connaissance des origines maltaises du touriste. Ainsi,
Marie Mifsud, nous avoue, après un premier séjour : « Quinze jours de
plus et je me sentais à nouveau Maltaise ». D’autres, comme ce jeune de
vingt ans, Christian Cortis, parcourant l’île avec pour seule connaissan-
ce de la langue, l’expression, « Missiri malti » (mon père est Maltais),
raconte : « J’ai été reçu dans des familles, on m’a offert à manger et à
boire gratuitement ». Le partage de quelques mots dans la langue du pays
a autorisé comme autrefois l’entrée dans la communauté594 ; les portes des
maisons s’ouvrent, alors qu’habituellement, le Maltais ne montre à ses
hôtes de passage que « les richesses héritées de cultures étrangères en les
tenant loin de sa propre essence, de ses maisons, de sa vie domestique, de
sa campagne ». Hospitalité, don et contre don font lien et sens entre les
Maltais de l’archipel et les descendants des anciens émigrés de Tunisie.
ous citerons également pour mémoire, l’expérience vécue dans les
années soixante-dix par Dominique Spiteri595 et son conjoint lors de leur
premier voyage à Malte. Dominique, d’origine maltaise est né en Tunisie ;
ce sont ses arrière-grands-parents qui ont émigré de Malte en Tunisie,
avant le protectorat. Venu en France dans les années soixante, Dominique
a épousé une Française. Ayant choisi de se rendre à Malte à partir de la
Sicile, le couple s’installe sur le ferry au départ de Taormina ; sur le pont
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248 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

du bateau, l’attention de Dominique est attirée par un groupe de Maltais,


qui, de retour de Rome, récite le chapelet en maltais. Il réalise qu’il les
comprend (c’est sa langue maternelle) et peut communiquer avec eux.
Dominique est alors, de suite, considéré comme membre du groupe.
S’informant des possibilités de camper sur l’île, il apprend que cette
forme d’hébergement n’est pas envisageable. Il sera, sans hésitation, invi-
té à partager en compagnie de sa femme, la demeure d’un paysan de
axxar596 durant tout son séjour. Cette famille, non seulement, lui donne-
ra l’hospitalité, mais aussi lui fera l’offrande de certains mets : lait de
chèvre, vin traditionnel foulé au pied, minestrone etc. ; en fait, Dominique
et sa femme seront adoptés par ces paysans et considérés comme s’ils
étaient leurs propres enfants immigrés ; en effet, dans cette famille de qua-
torze enfants, sept ont émigré en Australie où ils vivent aujourd’hui. Au
moment du départ de Dominique et de son épouse, acceptant les cadeaux
offerts en remerciement du séjour, leurs hôtes offriront à leur tour de nou-
veaux présents.
Dans ce cas, le seul lien social linguistique de départ a permis une
expérience unique de vécu maltais traditionnel et, pour Dominique, une
approche du mode de vie de ses ancêtres.
Tourisme récent pour les Maltais de la Diaspora, la destination maltai-
se prend une place particulière depuis ces dernières années ; il s’agit
d’une découverte d’un pays auquel on appartient par le nom, dont on ne
parle pas la langue mais dont les sonorités ne sont pas étran-
gères. Laissons plutôt parler les voyageurs : un voyage à Malte, en
juin 2004, avec une association du sud de la France a permis de relever
des différences entre Maltais originaires d’Algérie et ceux nés en Tunisie ;
le groupe se composait presque exclusivement, à l’exception de quelques
Maltais originaires de Tunisie, de couples dont l’un des membres maltais,
était né en Algérie. Durant ce séjour, la mémoire du vécu en Algérie sera
omniprésente. Était-ce le cadre, enchevêtrement des terrasses blanches
malgré les buildings modernes, luminosité du ciel, sonorités d’une langue
maternelle oubliée qui rappelait à ces « pèlerins » leur Algérie natale ?
Fiers d’appartenir à une Malte européenne, ils étaient constamment dans
un discours de rejet du monde arabe et plus particulièrement des immi-
grés actuels. Confronté à des parcelles de leur passé, ils n’hésitaient
cependant pas à s’accueillir en arabe : « labès ? » (Comment vas-tu ?), et
à reconnaître leur pratique de cette langue ainsi que, pour quelques-uns,
une relative connaissance de l’écrit.
La sensorialité liée à l’affectif se manifeste dans les réactions vis-à-vis
de la cuisine internationale servie dans les hôtels ; déçus de l’absence de
plats typiquement maltais, nos voyageurs achèteront caldis597 et autres
spécialités dès que possible.
Au cours de ces voyages, la copie du blason familial sera acquise ;
ainsi icolas Farrugia me montera fièrement sa noble ascendance ; cette
démarche réassure l’origine certifiée du berceau familial à Malte et
s’inscrit dans une réappropriation de la fierté d’être Maltais du fait de la
référence à des ancêtres supposés prestigieux.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 249

Quelques voyageurs achèteront graines et plantes de Malte aux fins de


plantation dans leur région en France. Cette démarche pourrait, sur le
plan symbolique, être rapprochée de celle de l’immigré ramenant sur son
nouveau territoire un peu de la terre natale ; nous en soulignerons, cepen-
dant l’aspect paradoxal dans la mesure où il ne s’agit pas de la terre nata-
le mais d’une terre ancestrale lointaine pour ces Maltais, que trois géné-
rations sur un continent ord Africain colonisé ont distancié de leurs ori-
gines.
Dans ce même domaine, une démarche hautement symbolique a, ces
dernières années, été initiée par le gouvernement maltais, soucieux de
constituer un parc arboré. Les anciens immigrés ont été invités, le plus
souvent par l’intermédiaire des associations, à acheter un arbre pour
qu’il soit planté, dans le cercle des racines, à Ta Quali, ational Park. En
2004, cent vingt-six arbres ont été, ainsi plantés au nom de familles mal-
taises, résidant actuellement en France dont les ancêtres avaient princi-
palement émigré en Algérie et Tunisie598. ouvel enracinement ou nouvel-
le illusion pour ceux qui, un temps, se repensent Maltais ?
Poursuivant leur quête de racines, quelques descendants essaieront
d’obtenir la nationalité maltaise faisant valoir la continuité de leur généa-
logie depuis Malte ; toutefois, l’émigration en Tunisie étant, pour la plu-
part des familles, beaucoup trop ancienne, elle ne leur permet pas de pré-
tendre à la nationalité maltaise. Il ne me semble pas que les Maltais de
l’archipel abordent le problème sous le même angle : pour eux, les des-
cendants de Maltais ayant vécu plusieurs générations en Tunisie étaient
Tunisiens ou bien Français suivant les choix effectués lors des naturalisa-
tions599 ; cependant le réseau d’alliance reparaît dès que le touriste est
perçu comme Maltais, il réintègre alors pour un temps la parenté ethnique
des origines.

Malte : Cercle des Racines


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250 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

4.4. UN NOUVEAU NARCISSISME

Actuellement, un début de référence explicite à une filiation maltaise se


recrée dans un présent où l’entrée de Malte dans l’Europe joue un rôle
non négligeable ; ce choix européen, mythe d’un acte fondateur pour l’île
mère, vient étayer le dire de nombreux émigrés sur leurs origines euro-
péennes ; il s’agit cependant d’une situation paradoxale puisque ces
mêmes personnes évoquaient principalement leurs ancêtres Français,
Italiens ou Grecs pour justement se prévaloir de leur européanité en lais-
sant dans l’ombre leurs ascendants maltais. En effet, pour que le concept
de filiation « acquière un sens, il faut voir apparaître la nécessité ou le
désir de mémoriser, voire de fabriquer, au besoin, la lignée d’où on serait
originaire »600.
Ce nouveau mythe fondateur tourné vers Malte pourrait avoir comme
fonction de « transformer tout ou partie de l’héritage généalogique, de
rendre dicible,…le déjà-là familial »601. Autrement dit, énoncer, aujour-
d’hui, une ascendance maltaise peut apparaître comme un « nouveau pos-
sible », libre de tout sentiment de dévalorisation ; cependant cette produc-
tion, d’un héritage repensé, est le fruit de traces mnésiques « recrées »
dans le présent ; elles nous paraissent associées à un « faux-self » de
connaissances historiques où les relations avec la France semblent
prendre le pas sur d’autres périodes de l’Histoire de Malte. e s’agit-il
pas, dès lors, de la création d’un « roman diasporique » commun à
l’ensemble des immigrés de l’archipel ? Cette histoire recréée prend appui
sur les mythes de la terre d’origine du migrant et se confronte à ceux du
pays d’accueil ; dans le cas des Maltais de Tunisie, il y a collusion sur le
plan de l’histoire symbolique et construction d’une « mythopoièse » col-
lective défensive et paradoxale par rapport au monde arabo-musulman,
représenté par les Tunisiens. Ainsi, plusieurs des Maltais interviewés,
insisteront sur le fait qu’ils n’avaient aucun point commun avec les
Tunisiens puisque, lorsqu’ils étaient en désaccord avec eux, ils les trai-
taient de « Torok » (Turc) les assimilant à l’image mythique détestée et
redoutée de l’envahisseur musulman. Apparente dans le discours, cette
attitude défensive se trouve relativisée par la réalité historique et par les
récits des immigrés eux-mêmes, souvent à leur insu, dans la mesure où les
mots du discours viennent, en écho, dire quelque chose de l’inconscient
collectif.
Désormais les Maltais émigrés vont pouvoir développer un narcissis-
me vis-à-vis de la mère patrie. Gardant l’hypothèse d’une transmission
négative, pouvons-nous évoquer celle d’une réappropriation possible,
d’un nouveau « Soi Maltais » du fait d’une distanciation sociale et psy-
chologique par rapport au vécu initial de la période tunisienne ?
Il semble qu’un vécu social valorisant, en France, ait permis la distan-
ciation nécessaire et, par la même, autorisé une relative réappropriation.
Ainsi, Victorine Saïd, la soixantaine, est fière de pouvoir maintenant
répondre à son petit-fils de dix ans : « Je ne sais peut-être pas bien parler
le français mais je sais parler trois autres langues (il s’agit du maltais, de
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 251

l’arabe et de l’italien) alors que tu n’en sais qu’une »602. De même, une de
ses filles, Anne, qui avait, au collège, eu honte de son nom maltais, du fait
de sa consonance arabe, me dira : « maintenant je suis fière d’être mal-
taise ».
S’inscrivant dans une démarche bien actuelle, les descendants des
Maltais essaient au travers de recherches généalogiques de retrouver leur
histoire familiale. En effet, la dispersion des familles, autant que les
modes de vie contemporains, incite les personnes à trouver des repères
dont ils n’éprouvaient pas le besoin notamment dans les anciennes
familles patriarcales maltaises de Tunisie ; ainsi, de jeunes Français se
disent fiers de leur ascendance maltaise et effectuent des recherches
généalogiques. Madame Vérié Cassar s’est trouvée en contact, il y a
quelques années, avec un petit nombre de ces jeunes afin de les aider dans
leur démarche de réappropriation de leurs racines. D’autres utilisent des
sites Internet de généalogie603 où ils publient leur arbre familial ; nous
avons pu, ainsi, retrouver, sur ce site, les patronymes de la majorité de nos
correspondants sans pouvoir, toutefois, établir, avec exactitude, les liens
de parenté avec les personnes connues, du fait de l’occurrence des mêmes
prénoms et patronymes ; ces recherches se révèlent donc complexes, pour
les descendants des Maltais, pour les années antérieures à l’immigration
en Tunisie604.
La généalogie, en compensant une impossible transmission matérielle,
concrétise, effectivement, l’articulation avec les générations précédentes ;
de ce fait, elle autorise à penser l’acte de transmettre. C. Sammut conce-
vait ces recherches, lors d’un récent colloque du Cercle Vassalli605, comme
la manifestation d’un retour virtuel vers la terre d’origine sur le mode
symbolique ; peut-on cependant, envisager cette démarche comme un
retour, même symbolique, dans la mesure où trois générations d’émigrants
en Tunisie ont distancié l’ancrage territorial maltais lui préférant un
ancrage symbolique français ? S’agit-il seulement de restaurer le mailla-
ge de la chaîne des générations par une démarche psychologique permet-
tant une réassurance des origines maltaises et de l’histoire familiale
migratoire parallèlement à un vécu dit, « entièrement français », pour ces
descendants de Maltais, parfaitement intégrés en France mais coupés de
leur propre histoire ? Ainsi Carmel, notre témon-relais, découvrait au
cours d’entretiens qu’un de ses condisciples du secondaire avait une
ascendance maternelle maltaise ; le père de ce jeune étant français, son
patronyme n’indiquait pas, a priori, l’existence d’une branche familiale
maltaise ; les raisons du non-dit enfantin se situent, peut-être, du côté
d’une valorisation familiale de la branche française, en adéquation avec
le discours des enseignants français ; il se peut aussi que le contexte de
dévalorisation eu égard aux « non Français de souche » n’ait pas favori-
sé le partage de cette commune origine.
D’autres, parmi nos correspondants, exprimeront également le regret
d’une coupure des racines mise en parallèle avec une parfaite intégra-
tion ; s’agit-il seulement d’un problème psychologique individuel ? Certes,
l’individu en tant que sujet singulier est concerné mais cette probléma-
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252 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

tique semble davantage s’inscrire dans un ensemble collectif où « le passé


agit sur la scène du présent »606.
Toutefois, le début de réappropriation des origines concerne principa-
lement l’archipel maltais et non l’histoire des générations antérieures en
Tunisie. Ce nouvel intérêt pour Malte n’aurait-il pas pour fonction de
transformer tout ou partie de l’héritage généalogique, en « taisant » le
vécu de l’immigration ? En outre, la référence à Malte paraît ressentie
comme plus valorisante car plus distante du monde arabo-musulman.
Ainsi, ces recherches généalogiques donnent, certes, à penser un début de
réappropriation symbolique d’une identité maltaise par les descendants
des Maltais de Tunisie, mais ne contiennent-ils pas, cependant, le germe
d’un européo-centrisme aux dépens de la transmission du vécu en Tunisie,
des premiers ancêtres émigrés ? Le temps de la vie, en Tunisie n’est toute-
fois pas complètement exclu de cette re-narcissisation dans la mesure où
chacun aime à citer les cas de réussite exceptionnelle, de quelques-uns de
leurs concitoyens, comme appartenant à l’histoire collective de la diaspo-
ra maltaise ; cependant, les situations citées, toujours les mêmes, ne
datent que du début du XXe siècle et correspondent à l’apparition d’une
classe moyenne de commerçants et d’artisans maltais en Tunisie. Compte
tenu du souci d’intégration européen de ces classes moyennes, on peut
s’interroger sur leur éventuelle distanciation de l’ensemble de la popula-
tion maltaise à laquelle, elles restaient toutefois liées en raison de mul-
tiples liens de parenté.
D’autre part, différentes lois sur la nationalité, prises par le gouverne-
ment maltais, avaient laissé espérer à des descendants des maltais de
Tunisie qu’ils pouvaient prétendre à la nationalité maltaise607 ; ces lois
étaient cependant restrictives puisqu’elles énonçaient l’obligation d’avoir
un ascendant de nationalité maltaise. Les descendants d’émigrations
anciennes peuvent donc rarement se prévaloir de ces conditions dans la
mesure où leurs ascendants étaient sujets britanniques et non Maltais608.
Outre la réelle difficulté, d’obtenir la nationalité maltaise pour ces
anciens émigrés en Tunisie, il serait intéressant de s’interroger sur les dif-
férents aspects de ces demandes tant sur le plan quantitatif que sur le plan
symbolique.
Cependant la transmission n’est-elle pas aussi « un mythe, un fantasme,
organisant les liens intersubjectifs, générationnels, généalogiques […] au
regard d’enjeux psychiques particuliers », dans la mesure où l’individu émi-
gré recrée, transforme tout ou partie de la transmission en fonction du terri-
toire d’accueil et de ses propres idéaux? Ses descendants n’auront accès
qu’à des parcelles d’éléments, parfois non reliés dont ils seront parfois assi-
gnés à trouver sens; les recherches généalogiques pourraient alors avoir
fonction de transmission pour les descendants, supposés, parfois, étrangers
à cette histoire. Le vécu d’une double immigration vient ainsi renforcer les
représentations culturelles négatives, déjà présentes chez les futurs émigrés
et rendre effective l’acculturation; cependant ces représentations de l’ordre
du négatif peuvent-elles se modifier, en acquérant un statut différent, comp-
te tenu du cours de l’Histoire dans les territoires d’origine?
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 253

Conclusion
Un bref parcours à la fois géographique et historique a permis, dans
un premier temps, d’approcher l’histoire de deux pays souvent « frères
ennemis » : Malte et la Tunisie. Après le temps des échanges de popula-
tion, notamment d’esclaves à l’époque de la Course, est venu celui, pour
les Maltais, de l’émigration. En effet, au XIXe siècle, les problèmes démo-
graphiques et économiques de l’archipel maltais rendaient impossible la
survie de nombreuses familles. L’émigration était la seule solution envi-
sagée, tant par les Anglais que par les Maltais eux-mêmes. La Tunisie est
alors devenue une des terres d’accueil pour ces Maltais qui tenaient à
marquer leur différence d’avec les autochtones par leur appartenance à
la chrétienté. La parenté linguistique entre ces deux territoires, du fait de
l’origine pré-hilalienne de la langue maltaise, a été soulignée ainsi que
l’importance des querelles linguistiques, sur l’archipel maltais au
XIXe siècle ; ces dernières ont été mises en relation avec les différentes
périodes de l’Histoire de Malte où, conquérants ou esclaves, des popula-
tions d’origine arabe, ont vécu sur l’archipel.
os recherches se sont appuyées à la fois sur la consultation
d’ouvrages de référence, d’archives et de documents dans les pays
concernés. La confrontation avec la mémoire des descendants nous a
introduite dans le vécu ordinaire de ces premiers immigrants, confrontés
à des similitudes culturelles, notamment linguistiques, sur le territoire
d’immigration. Les premiers immigrés dont le mode de vie et la langue
restaient proches des autochtones, avaient effectivement leur place, dans
le melting-pot tunisien où les Français n’étaient pas majoritaires ; ils
constituaient une communauté parmi d’autres. ous avons également
relevé le fait que, durant les premiers temps de l’immigration, les Maltais
avaient pu garder un lien avec leurs origines maltaises, non seulement
grâce aux allers-retours de quelques-uns uns, mais aussi en raison de la
conservation de légendes et de coutumes, parfois communes à celles du
pays d’accueil. Ainsi, ces premiers émigrés paraissaient avoir été recon-
nus, acceptés, dans leur différence et leur proximité par les Tunisiens et
les autres communautés migrantes ; leur religion, certes, divergeait de
celle des autochtones mais elle n’était pas synonyme d’exclusion, compte
tenu des relations entre les divers groupes de population présents en
Tunisie ; l’émigré maltais ne remettait pas en cause la culture du territoi-
re d’accueil.
En outre, les témoignages apportés par les Tunisiens ont permis, non
seulement, de compléter nos informations sur la vie des Maltais, mais
aussi de mieux saisir les relations entre les communautés. Le suivi migra-
toire de quelques familles, au cours des générations, a révélé la corréla-
tion entre histoire familiale et Histoire collective en soulignant
l’importance pour l’immigré, d’une insertion sociale réussie. ous avions
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254 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

gardé à l’esprit l’hypothèse d’une possible existence de descendants de


Maltais émigrés, demeurés sur le sol tunisien après l’accession à
l’indépendance de ce pays ; ultérieurement, nous avons pu, d’une part,
confirmer la présence de ces Maltais, un temps « oubliés », et d’autre
part, grâce aux entretiens, réalisés avec certains d’entre eux, approfondir
notre réflexion sur les aléas de la transmission au cours des parcours
migratoires.
Récits familiaux et interviews avaient fait émerger la constatation
d’ambivalence, de blocages, de la transmission générationnelle; nous avons
alors posé l’hypothèse d’une transmission en négatif; mais quelle était
l’origine de ces « ratés » de la transmission? La mise en place d’un processus
paradoxal concernant l’accession à une nouvelle altérité pour ces migrants, a
été soulignée; la colonisation française, en lien avec le rôle de l’Église catho-
lique, en était-elle la raison principale? Les naturalisations puis la seconde
émigration vers la France avaient certes contribué à l’acculturation. Il sem-
blait cependant que, malgré leur importance, ces facteurs, ceux-ci ne venaient
que renforcer un « déjà-là » chez ces migrants. Ce « déjà-là » n’était-il pas en
relation avec le territoire d’origine? e prenait-il pas source dans une origine
mythique commune, liée au refus de l’héritage culturel arabe? ous rappelle-
rons ici la dévalorisation, ancienne à Malte, des couches pauvres d’une popu-
lation dont la langue (maltaise) et les coutumes étaient qualifiées de « proches
des Arabes » par les Maltais aisés, fiers de leur culture italienne. Au fond, ne
s’agissait-il pas alors, pour les descendants de Maltais, de refouler cet hérita-
ge soit en le transformant comme l’un de nos témoins, soit en réduisant le sens
par l’évocation des seuls fondements phéniciens et chrétiens de la civilisation
maltaise, ou bien encore en le modifiant par «l’activation […] du mythe néo-
andalou comme mythe de réconciliation […] exemplaire de la reconstruction
d’un passé commun et de son instrumentalisation pour conjurer les menaces
du présent. Là où il est formulé609[…] il survalorise des moments exceptionnels
de l’histoire conflictuelle des rapports islamo-chrétiens en Méditerranée occi-
dentale pour en faire le symbole du dialogue et du consensus, et refouler les
conflits du passé ou du présent »610. Ainsi, l’émigré continue, au cours des
générations, de porter en lui les soubresauts de l’Histoire de son pays. Devenu
autre, étranger à lui-même, le Maltais se situe dans l’entre-deux, position
impossible de passeur inconscient, obligé de se recréer un « roman familial
diasporique » pour se reconstruire. Cependant toute transmission nécessite
une ligne de sens, un fil d’Ariane qui permet l’inscription dans un devenir. Or,
ces descendants de Maltais immigrés ne pouvaient effectivement, dans un pre-
mier temps, être des passeurs entre les civilisations; il fallait que soit mis à dis-
tance leur « être maltais », symbolisé par la dévalorisation de la culture
d’origine, l’oubli de la langue maternelle et les failles de la transmission.
Compte tenu de notre première hypothèse, relative à une transmission de
l’ordre du négatif, nous nous sommes interrogée sur une nouvelle appropria-
tion de leurs origines maltaises par les descendants des immigrés; les voyages
en Tunisie et la découverte d’une Malte, membre de l’Europe, pourraient en
être le signe précurseur.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 255

Confrontée aux aspects multidirectionnels de notre travail tant sur le


plan disciplinaire que territorial, nous avons éprouvé du plaisir à cher-
cher, comprendre, mettre en relation des éléments souvent épars ; cepen-
dant l’étendue du sujet a parfois généré insuffisances ou manques. ous
en avons pris conscience au cours d’une rédaction qui fut, de ce fait, sou-
vent laborieuse ; mais savoir s’arrêter pour reprendre quelques domaines
plus précis et les approfondir nous paraît une option riche de sens. ous
avons, ainsi, regretté de ne pas avoir pu traiter suffisamment auprès des
générations de Maltais nés en France, la relation à leurs origines mal-
taises, au regard de la situation de Malte avant son entrée dans l’Union
Européenne, et actuellement. ous aurions souhaité prolonger notre tra-
vail sur les associations maltaises en France ainsi que sur les rassemble-
ments familiaux, justes évoqués dans cette étude. Le sujet concernant
l’implantation, à Malte, d’arbres familiaux dans « Le Cercle des
Racines » a de même été abordé trop succinctement. Ces points pour-
raient être l’objet d’études ultérieures.
Par ailleurs, cette thèse ouvre divers champs d’étude dans un cadre
sociologique et historique ; nous pensons, plus particulièrement, à
l’exploitation des multiples informations contenues dans les journaux
maltais du début du XXe siècle eu égard non seulement à la population
maltaise de Tunisie, mais aussi aux autres terres d’émigration maltaise où
des publications semblables ont existé ; des exemplaires ont-ils pu être
conservés dans les archives de ces pays, principalement en Algérie, Égyp-
te et Libye ?
Dans un autre domaine, une réflexion à partir des œuvres d’auteurs
maltais, issus de l’immigration en Tunisie, nous intéresserait tout particu-
lièrement. Ce travail présente, cependant une difficulté car certains de ces
écrivains sont répertoriés en tant qu’Italo-maltais ; là encore, interfèrent,
d’une part, les anciens problèmes politiques de la suprématie de la langue
italienne sur le maltais mais aussi, d’autre part, les questions de patro-
nymes liées, elles aussi, à la question linguistique. Ainsi, la Bibliographie
proposée par Guy Dugas, dans son article, « Vie et mort d’une littérature
de l’immigration : La littérature Italo-Maltaise de Tunisie »611 comprend
des patronymes d’auteurs maltais tels ceux de : Laurent Ropa, Azzopardi-
Madonia, Scalesi Marius et Tabone Carmel, sans pour autant que leur
part d’ascendance maltaise soit parfois connue. Depuis, de nouveaux
auteurs français, descendants des anciens immigrés maltais, ont publié
des récits de vie, concernant la communauté maltaise de Tunisie ; nous
citerons principalement, ici, les écrits de Georges Spiteri : « Bonheur
d’exil », de Claude Rizzo : « Le Maltais de Bab el Khadra » ou bien enco-
re de Joyce Lacour Galea : « En fermant les yeux, je vois, là-bas »612. Une
étude sociologique comparative de ces différents textes pourrait non seu-
lement compléter la connaissance de l’ancienne communauté maltaise
mais aussi permettre de saisir, de l’intérieur, les déconstructions et
reconstructions, relatives au territoire d’origine de ces auteurs maltais,
nés en Tunisie.
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256 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

En conclusion, traiter de la problématique de la transmission, pour une


population méditerranéenne, issue d’une double migration, semble, dans
un premier temps, avoir fait resurgir un « Malaise dans la civilisation »
entre Orient et Occident ; cependant, riches d’une culture millénaire, les
descendants des Maltais de Tunisie, témoins de la condition métisse de
l’être humain, ne pourraient-ils devenir, symboliquement, des
« passeurs », médiateurs entre deux civilisations, pleinement assumées ?
Toutefois, l’essentiel de ce « malaise » ne relève-t-il pas, davantage, d’une
division sociale et politique où les dominants attribuent tous les maux aux
dominés, quelles que soient les situations individuelles ou le pays ?
Ainsi la question du processus de transmission générationnelle, trame
de l’ensemble de cette thèse, est aussi celle de l’origine, de la recherche
de l’altérité qui diminue les tensions, sans pour autant les nier, car « le
passé ne se laisse jamais oublier »614. Ce travail sur l’origine, que nous
avons modestement essayé de mener, en nous appuyant sur la particulari-
té de la double migration des Maltais de Tunisie, « est aussi l’enjeu de
tout travail de recherche » afin « de réduire et d’assimiler l’altérité »615
qui est en nous.
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Notes de la sixième partie


469 Ménéchal, J. Le risque de l’étranger, soin psychique et politique, p. 69, op. cit.
470 Yahyaoui A., Un mythe peut en cacher un autre, ou les mythes familiaux au risque
de l’exil, in Le Divan Familial, Revue de thérapie familiale psychanalytique, Paris,
in Press, 2000, n° 4, p. 41.
471 Cette dernière dimension, sous-jacente parfois, au cours des entretiens, mériterait un
approfondissement particulier.
472 Sammut, C. « Le processus d’acculturation des communautés maltaises de Tunisie
installées en France », Le cuisinier et le philosophe, hommage à Maxime Rodinson,
op. cit.
473 Yahyaoui A., Un mythe peut en cacher un autre ou les mythes familiaux au risque
de l’exil, in Le Divan familial, Revue de thérapie familiale psychanalytique, Paris,
in press, 2000, n° 4, p. 41.
474 L’emploi du terme « émigré » peut paraître, ici, discutable dans la mesure où les
Maltais avaient pour la plupart, la nationalité française ; il s’agissait cependant d’une
forme d’émigration dans la mesure où le territoire français n’était connu que de
manière théorique.
475 Price, C. Ch.A. Malta and the Maltese, A study in ineteenth Century Migration,
(cité par Bernardie, N. Malte, parfum d’Europe, souffle d’Afrique, p. 108, op. cit.)
476 Cf. Deuxième partie : une émigration progressive et transitoire, p. 44.
477 D’après Patrice Sanguy, « Une vision de l’émigration maltaise au début du
XXe siècle, Les nouvelles “Nord-Africaines” de Sir Temi Zammit », Le départ et
le retour dans le monde anglophone, op. cit.
478 Ménéchal, J. et coll. Le risque de l’étranger ; soin psychique et politique, p. 72, op.
cit.
479 Granjon, E. Mythopoièse et souffrance familiale; Le Divan Familial, n°4, op. cit.
p. 18.
480 Ciconne, A. La transmission psychique inconsciente, Paris : Dunod, 1999, p. 158.
481 Entretien, Tunis, 2003.
482 Cassar Pullicino, J. Studies in Maltese Folklore. Malta, University Publication,
1976, p. 208.
483 Dans ce cas de figure, les parents sont uniquement d’ascendance maltaise ; les cou-
tumes pourront différer si la mère est d’ascendance différente.
484 Cassar Pullicino, J. Studies in Maltese Folklore, p. 228, op. cit.
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258 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

485 Réflexions écjrites de Philippe Cortis, frère de Charles Cortis, cité précédemment.
486 Actuellement, le cimetière de Bab el Khadra n’existe plus ; il a été transféré, de
même que le cimetière juif, au Borgel où ils sont mitoyens.
487 Rizzo, C. Le Maltais de Bab el Khadra, Paris : Lafond, 2003.
488 Il s’agit du Lycée Carnot de Tunis.
489 Dessort, C.R. L‘histoire de la ville de Tunis, p. 167, op. cit.
490 Il existe toujours une école à cette adresse.
491 Cité par Habib Jamoussi (Juifs et chrétiens de Tunisie au XIXe siècle, p. 304, op.
cit.)
492 Actuellement avenue Habib Bourguiba.
493 Salammbô petite ville balnéaire de la banlieue de Tunis ; proche de Carthage, elle
fut rendue célèbre par le roman de Flaubert intitulé « Salammbô » en 1862.
494 Anzieu, D. Le Moi-Peau, Paris, Dunod, 1985.
495 Memmi, A. La terre intérieure, p. 225, op. cit.
496 Adonis : « dieu phénicien de la Végétation, honoré dans le monde gréco-romain. Le
mythe de sa mort et de sa résurrection est le symbole du cycle annuel de la végéta-
tion. » Larousse.
497 Cassar Pullicino, J. Studies in Maltese Folklore, p. 20, op. cit. (L’auteur signale la
présence de cette coutume en en Sicile, Calabre et Sardaigne.)
498 Darmon, R. Déformation des Cultes en Tunisie, p. 12, op. cit.
499 Nous pensons également à la légende des Sept dormants d’Éphèse.
500 Dornier, F. Les catholiques en Tunisie au fil des ans, p. 172, op. cit.
501 Darmon, R. Déformation des Cultes en Tunisie, p. 64, op. cit.
502 « Figolli » : il s’agit d’un gâteau de massepain en forme de poisson, colombe ou
panier garni d’un œuf en son milieu ; ces friandises étaient destinées aux enfants, (cf.
Porto- Farina, p.), « Pastizzi » : pâte feuilletée farcie de ricotta et de petits pois.
503 Cette coutume est encore en usage à Malte dans un grand nombre de familles. On
présente actuellement à l’enfant des jouets, censés représenter une activité adulte,
tel un jeu de construction par exemple.
504 Flash, Bulletin de l’Église catholique de Tunisie, déc. 2003.
505 Sanguy, P. « Une vision de l’émigration maltaise au début du XXe siècle », Le
départ et le retour dans le monde anglophone, op. cit.
506 Ibid.
507 Horus : « Dieu solaire de l’ancienne Égypte, symbolisé par un faucon ou par un
soleil ailé » (Dict. Larousse).
508 Courrier de Madame Vérié Cassar.
509 D’autres légendes se sont transmises, les premières années de l’immigration, notam-
ment par le père Manwel Magri.
510 Cassar Pullicino, Some Considerations in Determining the Semitic Element in
Maltese Folklore, Actes du premier Congrès international d’Études des Cultures
Méditerranéennes d’influence arabo-berbère, p. 52, op. cit., (traduction).
511 Légende datant du Moyen-Âge et racontant l’histoire d’un monstre dévoreur
d’enfants en catalogne Nord à Rivesaltes.
512 La légende du Babau, ville de Rivesaltes (66), bulletin de l’Office d’Animation et
de Tourisme. Annexes
513 La défaite des Italiens lors de la guerre de 39-40 sera également une des causes de
ces changements.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 259

514 La situation semble la même en France, aujourd’hui, vis-à-vis des diverses popula-
tions immigrées.
515 Galley, M. L’Imnarja, la fête des lumières à Malte, littérature arabo-berbère,n°14,
p. 213 (note 6), op. cit.
516 Calvet, J-L. « Diffusion et évolution des langues », Qu’est-ce que transmettre ?
Sciences Humaines, 2002, n° 36, p. 35.
517 Camilleri, C. Psychologie et culture, concepts et méthodes, Paris, A. Colin, 1995,
p. 59-60.
518 Ibid.
519 Fabre, T. Petites et grandes mythologies méditerranéennes. p. 14, op. cit.
520 Sammut, C. « Les communautés migrantes maltaises de Tunisie installées en
France, un cas d’acculturation coloniale », Le cuisinier et le philosophe, hommage
à Maxime Rodinson, op. cit.
521 Cf. p. 151
522 Qu’en était-il alors de la langue arabe dans le système colonial français ?
523 Sammut, C. Les communautés migrantes maltaises de Tunisie installées en
France un cas d’acculturation colonial, Le cuisinier et le philosophe, hommage à
Maxime Rodinson, op. cit.
524 Abela R.A., Zammit A.M. Les Français de souche maltaise, p. 236- 237, op. cit.
525 Ibid.
526 Cette représentation des peuples arabes ne continue-t-elle pas de se transmettreœ
527 Vilain-Gandossi, C. « Médianité de l’Archipel Maltais » in Le Carrefour Maltais,
p. 8, op. cit.
528 La Grande Encyclopédie Larousse, « Paris ».
529 Ibid. « Bretagne ».
530 Camilleri, C. Chocs de cultures, Paris, l’Harmattan, 1989, p. 258.
531 Cf. Annexe, p. 273.
532 Vadala, R. Les Maltais hors de Malte, p. 67-77, op. cit.
533 Ibid.
534 Abela R. À, Zammit A. M. Les français de souche maltaise, p. 78, op. cit.
535 Cf. Accord Curzon, Annexe, p. 276.
536 Skik, H. Les Maltais en Tunisie, Actes du premier Congrès international d’Études
des Cultures Méditerranéennes d’influence arabo-berbère, op. cit.
537 Nous limiterons cette partie de notre étude aux familles installées en France.
538 La situation des Maltais ayant rejoint l’Angleterre présente des aspects différents,
du fait de l’ancienne situation coloniale maltaise.
539 Les blasons des familles maltaises sont disponibles sur le site :
http://www.searchmalta.com
540 Cf. Troisième partie, Place et sens des patronymes maltais, p. 103.
541 Sanguy, P. Les cahiers Vassalli, n° 3, 2000, p. 22-23.
542 Ibid.
543 Réflexions entendues lors de différents voyages à Malte : en 2003 lors d’une
réunion de famille regroupant des « Maltais-Français » et des « Maltais Anglais »,
originaires de Tunisie ; puis, en 2006, avec des anciens Maltais de Tunisie et
d’Algérie, originaires du Sud de la France.
544 En Tunisie, les minorités culturelles utilisaient de manière fréquente le « sabir »,
mélange d’italien, français, tunisien, maltais comme mode d’expression.
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260 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

545 Cf. Troisième partie, Église catholique et Maltais émigrés : une situation paradoxa-
le, Partie, p. 79.
546 Notre informatrice possède cependant une parfaite maîtrise du maltais, écrit et oral.
547 Guillaumin, J. Théorie du négatif ou pensée du négatif en psychanalyse in Le néga-
tif-Travail et pensée. L’esprit du temps, perspectives psychanalytiques, Paris, P.U.F.
1995, p. 142.
548 De nombreuses coutumes sont effectivement communes à l’ensemble des rives de
la Méditerranée.
549 Melouklia plat arabe à base de poudre de corète (variété d’épinards), il possède une
odeur caractéristique. Mekbouba plat juif à base de poivrons et de pommes de terre.
550 Calvo, M. Migration et alimentation, Information sur les sciences sociales, 21,
1982, pp. 383-446, cité par Kotzakaï, T. L’étranger, l’identité, Essai sur
l’intégration culturelle, Paris : Payot & Rivages, 2000, note 1, p. 227.
551 Cyrulnik, B.Les ourritures affectives, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 83, (cité par
Mohamed Ahmed in Langues et Identité, les jeunes maghrébins de l’immigration,
SIDES 2003, p. 164.)
552 Camilleri, C. Une communauté maltaise en Tunisie entre les groupes arabo-berbères
et français, Actes du premier congrès des cultures méditerranéennes, Malte, op. cit.
553 La situation sera différente pour ceux des Maltais de Tunisie qui émigreront en
Australie après l’indépendance de la Tunisie.
554 Homère, L’Odyssée. Paris : Cercle du Bibliophile, Chant IX p. 146.
555 On peut également faire le rapprochement avec les migrants du XXe siècle.
556 Témine, E. Ulysse, ou l’homme mythifié. Petites et grandes mythologies méditerra-
néennes, La pensée de midi, 2007, n° 22, p. 25.
557 Langues sémitiques : « ensemble de langues parlées dans un vaste domaine de
l’Asie occidentale à l’Afrique du Nord (arabe, hébreu). Dictionnaire Larousse,
1980.
558 Granjon, E. « Mythopoièse et souffrance familiale, in revue de thérapie familiale
psychanalytique », Divan familial, n°4, p. 13-14, op. cit.
559 Cazalis, A-M. La Tunisie par-ci, par-là, p. 63, op. cit.
560 Galley, M. Imnarja, La fête des lumières à Malte, littérature arabo-berbèren n°14,
pp, 163-164, op. cit.
561 Sanguy, P. « Une vision de l’émigration maltaise au début du XXe siècle, Les nou-
velles “Nord-Africaines” de Sir Temi Zammit » Le départ et le retour dans le monde
anglophone, op. cit. (La persécution des musulmans maltais dont il est question, eut
lieu au milieu du XIIe siècle… cette histoire est d’origine plus tardive.)
562 Région des tables de Jugurtha (roi de Numidie, 118-105 av. J.-C.)
563 Servonnet J., Lafitte F. « Le golfe de Gabès en 1888. » (Document aimablement pro-
curé par un jeune étudiant franco-tunisien, Ahmed Choukri)
564 Excursions en Tunisie, livret guide du Centre, Sousse, 1904-1905, propriété exclu-
sive de l’imprimerie, librairie française à Sousse, (ce livre dit « de réserve » est
interdit de photocopie ; il contient un plan de Sousse, non accessible, et de nom-
breuses photos d’époque.)
565 Cassar Pullicino J. Some Considerations in Determining the Semitic Element in
Maltese Folklore, Actes du premier Congrès international d’Études des Cultures
Méditerranéennes d’influence arabo-berbèren op. cit. (Traduction)
566 Courbage, Y/Fargues, P. Chrétiens et Juifs dans l’Islam arabe et turc, Paris : Payot
& Rivages, 1997, p. 118.
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 261

567 Cassar Pullicino J. Some Considerations in Determining the Semitic Element in


Maltese Folklore, Actes du premier Congrès international d’Études des Cultures
Méditerranéennes d’influence arabo-berbère, op. cit. (Traduction)
568 Sanguy, P. Lettre du cercle Vassalli, n° 5, janvier 2008.
569 Magri, M. : jésuite maltais (1851-1907) connu pour ses travaux archéologiques et la
publication d’un recueil de contes populaires maltais ; il est décédé à Sfax lors de la
prédication d’une retraite de carême.
570 Lévi-Strauss C., Anthropologie structurale. Paris : Plon, 1958. p. 231.
571 France Malte n’existe plus actuellement pour des raisons administratives et les
diverses associations sont indépendantes.
572 Soumille P., Marseille et le choc des décolonisations. Les rapatriements 1954-1964,
colloque Marseille, 11,12 et 13 mai 1995, p. 19.
573 Ces deux villes possèdent des reliques des saintes.
574 Sanguy, P. Les cahiers du Cercle Vassalli, n° 1, janvier 2000, p. 2.
575 Cutayar, J. Dictionnaire Maltais-Français, dictionnaire Français-Maltais. Paris :
L’Harmattan, 2001.
576 Observations effectuées lors de ma participation à trois associations : Perpignan
aujourd’hui dissoute ; Languedoc Roussillon et Midi Pyrénées.
577 Weber, M. Économie et société (1922), Paris : Plon, 1995, p. 130.
578 Les Amis de Malte Toulouse Midi Pyrénées, Mini gazette, n° 38.
579 Ibid.
580 Ibid. n° 49, juin 2005.
581 La lettre du Cercle Vassalli, 2007.
582 Les tarifs, extrêmement peu élevés de ce tourisme de masse, principalement en
Tunisie, soulève d’autres problématiques eu égard aux autochtones qu’il n’est pas
dans notre propos de traiter ici.
583 J’exclus, ici, du propos, un certain type de tourisme qui donne peu à voir sur les réa-
lités du pays visité.
584 Il s’agit de quelques expressions familiales relevées ; leur nombre restreint ne per-
met pas d’en faire une véritable hypothèse.
585 La Tunisie peut être qualifiée de « pays des ancêtres » dans la mesure où trois
gén5rations de Maltais y ont vécu.
586 Réflexions relevées lors de réunion de famille en Tunisie : avril 2004.
587 Interview de jeunes d’origine maltaise (25 - 35 ans) vivant dans le Sud de la France.
588 Titre du récit d’un voyage à Malte : La Diaspora Sfaxienne, 1999, n° 33.
589 Échange épistolaire avec un jeune maltais (37 ans), du Sud de la France, dont les
parents sont nés en Tunisie.
590 Henry, J.-R. La Méditerranée, nouvelle frontière européenne, Sciences Humaines :
1996-1997, hors série, n° 15, p. 46.
591 Cette grotte se visite en barque à partir du petit port de Marsaxlokk (baie du sirocco).
592 Ces différents extraits proviennent du n° 33 d’octobre 1999, édité par la revue la
Diaspora Sfaxienne.
593 Ce facteur a évolué depuis nos derniers voyages à Malte où nous avons pu consta-
ter une plus importante prédominance de locuteurs maltais.
594 Cette dimension d’ouverture à partir d’un partage linguistique existe à chaque fois
que le voyageur fait un pas en direction de l’Autre.
595 Spiteri : ce patronyme évoquerait une naissance à l’hôpital d’enfants maltais, issus
d’une liaison illégitime entre un Chevalier et une Maltaise.
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262 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

596 Petite ville rurale située au centre de Malte (voir carte p. 27) Actuellement urbani-
sée et développée, cette ville est le siège d’une importante foire agricole.
597 Cf., p. 194.
598 Les relevés actuels concernant ces plantations ne permettent pas de distinguer le
pays d’immigration, en Afrique du Nord, de ces familles ; en effet, seules les
adresses des demandeurs sont relevées ; de nombreux arbres ont été plantés par les
Maltais ayant émigré en Australie.
599 Je ne reviens pas, ici, sur la problématique des Maltais, restés britanniques.
600 Kozakaï, K. L’étranger, l’identité, p. 71, op. cit.
601 Granjon, E. « Traces sans mémoire et liens généalogiques dans la constitution du
groupe familial », Le couple et la famille, Dialogue, Paris, 1987, n° 98.
602 Entretiens familiaux, 2002.
603 Geneanet : www.geneanet.org
604 Les recherches généalogiques à Malte sont basées sur deux relevés bénévoles : la
collection Adami pour Malte et la collection Zammit pour Gozo (1600 à 1820) ; ces
relevés peuvent présenter des erreurs compte tenu de la fréquence de patronymes
identiques et de libellés orthographiques variables. De plus les années 1820 à 1863
sont absentes de ces relevés ; or ces dernières années correspondent à celles des
immigrations vers l’Afrique du Nord.
605 Colloque d’avril 2007.
606 Assoun, P.-L. « La transmission et son envers inconscient », Envers et revers de la
transmission, Ethnologie française, Paris : PUF, 2000, n° 3, p. 339.
607 Depuis 2008, le principe de la double nationalité est accepté par Malte et peut favo-
riser pour quelques-uns, cette acquisition.
608 Textes de lois : annexes p. 273.
609 Assoun, P. L. “La transmission et son envers inconscient” Envers et revers de la
transmission, p. 244, op. cit.
610 Il s’agit de la France, de l’Espagne, de l’Italie et du Maroc.
611 Henry, J.-R. La Méditerranée nouvelle frontière européenne, Sciences Humaines :
1996-1997, hors série, n° 15, p. 46.
612 Dugas, G. Vie et mort d’une littérature de l’immigration : La littérature Italo-
Maltaise en Tunisie, Études littéraires maghrébines, n° 7, disponible sur :
http://www.limag.refer.org/
613 Rizzo, C. Le Maltais de Bab el Khadra, Paris : Lafond, 2003 ; Lacour Galea, J. En
fermant les yeux, Je vois, Là-bas, Le champ des cadets, 1996 ; cette liste d’auteurs
n’est certes pas exhaustive.
614 Ciccone, A. La transmission psychique inconsciente, Paris : Dunod, 1999, p. 183.
615 Ibid., p. 182.
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Les cahiers Vassalli (2000, 2003, 2006)
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La lettre du cercle Vassalli (2005, 2006, 2007)
Minigazette, les Amis de Malte Toulouse Midi- Pyrénées. (2000-2006)
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Annexes

Textes législatifs
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274 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie


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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 275


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276 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie


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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 277


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TABLE DES MATIÈRES


Préfaces
Pr.Habib KAZDAGHLI .............................................................................I
Pr. Ahmed BEN NAOUM ........................................................................V
Introduction ..........................................................................................................9
Première partie : Le cadre de la recherche et ses limites.............................13
1. Le terrain ...................................................................................................14
2. Réflexion méthodologique........................................................................16
2.1. Regards croisés sur les processus de transmission ..........................16
2.2. Une problématique d’ordre linguistique...........................................17
2.3. Être du dedans et du dehors .............................................................19
2.4. Du terrain à l’écrit............................................................................21
Notes de la première partie ...........................................................................23
Deuxième partie : Correspondances méditerranéennes...............................25
1. Données géographiques ............................................................................26
2. Malte-Tunis : une histoire commune et conflictuelle ...............................28
2.1. Préhistoire.........................................................................................28
2.2. Les Phéniciens ..................................................................................30
2.3. Les Romains ......................................................................................30
2.4. Les Byzantins ....................................................................................32
2.5. Les Arabes.........................................................................................32
2.6. ormands, Angevins, Catalans et Espagnols ...................................33
2.7. Les Chevaliers et la Course en Méditerranée ..................................35
3. Bref aperçu de toponymie maltaise ..........................................................40
4. Évolution des influences européennes (XIXe-XXe siècle) ......................41
4.1. Tunisie : du protectorat à l’indépendance........................................41
4.2. Malte : de la domination anglaise à l’entrée dans l’Europe ...........44
5. L’émigration ..............................................................................................44
5.1. Causes économiques et politiques ....................................................44
5.2. Une émigration progressive et transitoire ........................................46
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280 L’héritage impensé des Maltais de Tunisie

Notes de la deuxième partie.........................................................................53


Troisième partie : Processus d’identification en Tunisie ..............................59
1. Territorialisation et mode de vie des premiers Maltais en Tunisie...........60
1.1. Djerba ...............................................................................................60
1.2. Porto-Farina (Ghar el Melh)............................................................62
1.3. Sousse................................................................................................64
1.4. Sfax....................................................................................................66
1.5. Tunis ..................................................................................................70
2. Clivage des processus d’identification : Le rôle de l’Église catholique ..77
2.1. Relation entre Église et société à Malte au milieu du XIXe siècle ..77
2.2. Église catholique et Maltais émigrés : une situation paradoxale....79
2.3. Le rôle de l’Église catholique dans la perte de transmission ..........89
3. Une problématique spécifiquement maltaise : la question linguistique ...93
3.1. Historique .........................................................................................93
3.2. Le maltais actuellement ....................................................................96
3.3. Question linguistique et immigration ...............................................98
3.4. Place et sens des Patronymes maltais en Tunisie...........................103
4. Une identification paradoxale .................................................................107
4.1. Une conscience nationale maltaise diffuse en Tunisie ...................107
4.2. Impact des lois de naturalisation....................................................115
4.3. Être Maltais en Tunisie : une situation symbolique peu aisée .......124
4.3.1. Une surabondance de descriptions négatives .........................124
4.3.2. Une narcissisation compromise en tant que Maltais ..............127
4.3.3. Évolution des identifications
et surinvestissement de la société coloniale française......................129
Notes de la troisième partie .......................................................................133
Quatrième partie : Les parcours migratoires..............................................141
1. Trajectoires familiales .............................................................................142
1.1. Problèmes identitaires en corrélation avec l’Histoire :
la famille Cortis entre Malte, Tunisie, France, Angleterre
au cours des générations .......................................................................142
1.2. De l’importance d’une insertion sociale réussie............................147
1.2.1. Une famille originaire de la Goulette .....................................147
1.2.2. Une famille de Tunis ..............................................................148
1.3. De l’Algérie à la Tunisie :
une évolution inscrite dans un territoire ...............................................149
1.4. Alliances italo-maltaises en Tunisie ...............................................152
1.5. Un témoignage sur la vie des Maltais
dans le quartier de Bab el Khadra : le récit de Joseph Farrugia.........154
2. Différenciation suivant les terres d’accueil ............................................157
2.1. Algérie .............................................................................................158
2.2. Libye : Tripoli et Cyrénaïque..........................................................162
2.3. Égypte .............................................................................................166
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L’héritage impensé des Maltais de Tunisie 281

2.4. Constantinople, Smyrne ..................................................................168


Notes de la quatrième partie ......................................................................171
Cinquième partie : Des Maltais, un temps oubliés .....................................175
1. Les passeurs de mémoire ........................................................................176
2. La mémoire des témoins oubliés ............................................................183
2.1. Qui sont-ils ?...................................................................................183
2.2. Les motifs de leur présence en Tunisie ...........................................185
3. Statut des référents identitaires maltais :
aspect linguistique et religieux ..............................................................187
3.1. La langue maltaise « sésame » des entretiens ................................187
3.2. Une référence à la religion catholique toujours présente..............189
4. Histoires de familles ...............................................................................190
4.1. Alliances Italo-maltaises.................................................................191
4.2. Une insertion maltaise en Tunisie ..................................................192
4.3. Les Maltais-Tunisiens .....................................................................195
4.4. Les neo « returnee » en territoire tunisien .....................................198
Notes de la cinquième partie......................................................................201
Sixième partie : Un processus de transmission de l’ordre du négatif.......205
1. Les paradoxes de la transmission ...........................................................206
1.1. Une quasi-absence de transmission familiale sur Malte................207
1.2. Un vécu familial maltais en Tunisie ...............................................210
1.3. Place et sens des rites, superstitions et légendes ...........................214
1.4. Attitude des élites maltaises en Tunisie ..........................................219
2. Processus de construction d’un mythe français en Tunisie ....................222
3. Impact de la seconde émigration en France,
sur les processus de transmission................................................................227
4. Du mythe refoulé au mythe reconstruit ..................................................234
4.1. La part de la mythologie.................................................................234
4.2. De la fiction des origines................................................................235
4.2.1. Un présent-passé recomposé ou la légende reconstruite........236
4.2.2. Des histoires de couples fondateurs .......................................237
4.3. Émergence en France d’un mythe maltais reconstruit...................239
4.3.1. Ré-affiliation dans le cadre des Associations .........................239
4.3.2. Un tourisme différent..............................................................243
Tunis : tourisme-pèlerinage .........................................................243
Malte : « A la recherche d’une identité » ....................................245
4.4. Un nouveau narcissisme .................................................................250
Bibliographie...................................................................................................263
Annexe
Textes législatifs ..............................................................................................273
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(00226) 76 59 79 86

ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA L’HARMATTAN CONGO


Faculté des Sciences sociales, 67, av. E. P. Lumumba
politiques et administratives Bât. – Congo Pharmacie (Bib. Nat.)
BP243, KIN XI BP2874 Brazzaville
Université de Kinshasa harmattan.congo@yahoo.fr

L’HARMATTAN GUINÉE
Almamya Rue KA 028, en face du restaurant Le Cèdre
OKB agency BP 3470 Conakry
(00224) 60 20 85 08
harmattanguinee@yahoo.fr

L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE


M. Etien N’dah Ahmon
Résidence Karl / cité des arts
Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03
(00225) 05 77 87 31

L’HARMATTAN MAURITANIE
Espace El Kettab du livre francophone
N° 472 avenue du Palais des Congrès
BP 316 Nouakchott
(00222) 63 25 980

L’HARMATTAN CAMEROUN
BP 11486
Face à la SNI, immeuble Don Bosco
Yaoundé
(00237) 99 76 61 66
harmattancam@yahoo.fr

L’HARMATTAN SÉNÉGAL
« Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E
BP 45034 Dakar FANN
(00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08
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N° d’Imprimeur : 81731 - Dépôt légal : septembre 2011 - Imprimé en France

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