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Université Mohammed V de Rabat

Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales


Licence d’excellence en Sciences politiques
Année universitaire 2020-2021
Semestre 5

Eléments de cours sur Les relations Maroc – Union


européenne (une perspective analytique)

Professeur : Mohammed Zakaria ABOUDDAHAB


Références

 Documents officiels obligatoires à consulter1 :

- Déclaration commune Maroc – UE, juin 2019 ;


- Décisions de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) relatives à l’applicabilité des
accords conclus au Sahara (2015, 2016, 2019).
- Texte du Statut avancé (Déclaration du 13 octobre 2008) ;
- Rapports de suivi annuels de l’UE sur le Maroc ;
- Rapports des sessions annuels du Conseil d’association ;
- Plan d’Action UE-Maroc couvrant la période 2013-2017 ;
- Programme indicatif national 2011-2013 ;
- Déclaration sur la mobilité (Juin 2013) ;
- Textes des accords officiels : Accord de pêche, Accord sur la libéralisation des
produits agricoles ;
- Tout document utile émanant d’une institution officielle, marocaine ou
européenne, portant sur les relations entre les deux parties. On peut inscrire
dans ce registre les discours du Roi Mohammed VI, les avis et les compte rendus
de la commission européenne, les rapports de l’Assemblée nationale française2…

 Pour les ouvrages et les articles de doctrine en langue française :

- Sans pourvoir fournir ici une bibliographie même sélective (nombre considérable
de textes disponibles), je recommande aux étudiants de consulter quelques
revues spécialisées disponibles sur le portail www.cairn.info : A titre d’exemple,
Relations internationales, Critique internationale, Revue internationale de politique
comparée, Revue internationale et stratégique (entre autres, vous y trouverez des
numéros spéciaux sur la méthode des scénarios), Hérodote, Confluences
Méditerranée, Maghreb Machrek…
- Vous trouverez aussi des références citées dans les notes de bas de page.

1
Voir, entre autres, le Site Internet de la Délégation de l’Union européenne au Maroc et celui du Ministère
marocain des Affaires étrangères et de la coopération.
2
Beaucoup de ces rapports, accessibles sur le net, décortiquent en effet certains aspects des relations
Maroc/UE.
Séquence 1

Mise en perspective : une vue cavalière des relations


Maroc-UE

L’Euro-Méditerranée : du concept à la pratique

Le concept géopolitique de l’Euro-Méditerranée : le facteur géographique combiné à


la dimension politique. L’Euro-Méditerranée est une réalité : démographique, culturelle,
économique… Elle est donc un objet politique approprié. Des visions la concernant se
sont ainsi constituées de par le temps. En filigrane, il convient de souligner qu’une
vision portant sur l’Euro-Méditerranée s’est constituée du cô té européen, puis du cô té
du sud.

I. Repères historiques (chronologie)

- (1963) 1969 (Accord d’association de portée commerciale) ;


- 1976 (Accord de coopération) ;
- 1988 (Protocole d’adaptation) ;
- 1996 (signature de l’AA) ;
- 2000 (entrée en vigueur de l’AA) ;
- 2005 (Plan d’action) ;
- 2008 (Statut avancé) ;
- 2010 (premier sommet UE-Maroc)
- 2011 (lancement du Partenariat de Deauville)
- Révision de la politique européenne de voisinage à la lumière du printemps arabe
- 2011, ratification de l’accord sur la libéralisation des échanges agricoles
- 2011, adoption du PIN 2011-2013 (en principe, un nouveau PIN 2014-2016 a été
adopté)
- Lancement du programme relatif au financement du programme portant sur la
convergence réglementaire
- 2012 (tenue de la 11ème session du Conseil d’association)
- 2013 (tenue de la 12ème session du Conseil d’association)
- 2018-2021 : adoption du nouveau Plan d’Action mettant en œuvre le Statut
avancé…

II. Les grands événements (faits déclencheurs et dynamiques subséquentes


structurantes)

- 1992-1993 : Traité de Maastricht et création de l’Union européenne ;


- Octobre 1994 : La Conférence sur le Moyen Orient et l’Afrique du Nord (Forum de
l’avenir) ;
- 1994 : Lancement du dialogue méditerranéen de l’OTAN ;
- 1994 : Création de l’OMC ;
- Novembre 1995 : la Conférence de Barcelone (une constellation diversifiée) ;
- Elargissements successifs de l’Europe ;
- 2003 : Lancement de la PEV ;
- 2005 : Les Plans d’Action PEV
- 2007 : lancement de l’UM puis, en 2008, de l’UPM. D’où : Processus de Barcelone
Union pour la Méditerranée
- Les « printemps arabes », Partenariat de Deauville ;
- Révisions de la PEV (2011, 2015) ;
- Les nouvelles orientations, notamment post Brexit : 2020 et au-delà .

III. Concrètement, qu’en est-il pour le Maroc : relations UE-Maroc


(trajectoire historique et dynamiques d’évolution)

A. Auparavant, aspects commerciaux prégnants. A partir de 1995, la globalité et


l’interdépendance dynamique (volets politique et sécuritaire, économique et
financier, social, culturel et humain).

1. Institutions : Conseil d’association et comités. Du cô té européen, l’architecture


institutionnelle plus la délégation et la gestion de proximité (jumelages
institutionnels).

2. Instruments : Meda I et II, IEVP, PIN.

B. Réalisations concrètes : un bilan contrasté (infrastructures + rapprochement


optimal). Problème avec l’Espagne (accord de pêche), défaut de mobilité,
élitisme… Mais beaucoup d’aspects positifs en particulier à partir du Plan
d’Action 2005 – 2010.

IV. Le Statut avancé : un tournant ?

A. Les éléments

- DPR (dialogue politique et stratégique);


- EEC (ALECA, AC, Coopération économique et sociale ; réseaux transeuropéens) ;
- Société civile

B. La portée

Un chantier titanesque tous azimuts ouvert. On prend deux aspects : la reprise de


l’AC (Acquis communautaire) et le règlement financier (appui financier).
C. Les perspectives

Rapprochement stratégique avec l’Europe : Conseil de l’Europe, Commission


parlementaire mixte… La question centrale reste : quelle appropriation effective par
les individus et la gestion optimale de l’accord. En outre, il est nécessaire, du point de
vue de la méthode, d’insérer la Statut avancé dans son environnement global.
Séquence 2

L’ancrage stratégique du Maroc à l’Europe : un choix


irréversible

Dès l’indépendance, le Maroc a fixé le choix de l’ouverture commerciale et


l’arrimage économique à la CEE (Communauté Economique Européenne). Les liens
préférentiels liant le Maroc à la France, matérialisés par le Protocole dit 1/7, furent ainsi
communautarisés. Dès 1969, et après moult négociations, le premier accord commercial
Maroc – CEE a été conclu (Accord d’association). Mais, progressivement, et faisant
montre d’un dynamisme commercial remarquable, le Maroc a revendiqué l’extension de
l’accord antérieur pour qu’il intègre de nouvelles dimensions comme le volet
« coopération ». En 1976, alors que le monde sortait d’une crise de l’énergie, le Maroc
conclut avec la CEE un Accord de coopération plus étendu que l’arrangement antérieur.
Après quelques années de mise en œuvre, et avec les adhésions successives à la CEE de
la Grèce (1981), du Portugal et de l’Espagne (1986), il était nécessaire de procéder à la
révision de l’Accord de 1976 pour tenir compte de cette modification de
l’environnement juridique selon la terminologie consacrée par l’article 25 dudit Accord.
C’était l’objet du Protocole d’adaptation conclu en 1988, et ce, afin de préserver les
avantages acquis du Maroc sur le marché européen. Le début des années 90 a coïncidé
avec la refondation de la politique méditerranéenne de la CEE qui, après l’entrée en
vigueur du Traité de Maastricht en 1993, s’est transformée en une Union économique et
monétaire.

Interagissant avec cette dynamique de fond, le Maroc a demandé que soit mis en
place un accord de partenariat plus global ; c’était l’époque des grandes mutations
géopolitiques intervenues à l’échelle planétaire. L’accord global souhaité a été concrétisé
au cours de la Conférence de Barcelone en novembre 1995. Lequel accord a été paraphé
en février 1996 et entré en vigueur en mars 2000 après qu’il ait accompli son processus
de ratification interne. C’est à partir de cette date que le Roi Mohammed VI, lors de son
premier voyage officiel à l’étranger, a plaidé en France pour la révision/correction du
Partenariat euro-marocain. Un statut « qui soit plus et mieux que l’association revue et
corrigée, un peu moins que l’adhésion », selon la formule du Souverain. Dans la foulée, le
Plan d’action PEV (Politique européenne de voisinage) a été élaboré en 2005 pour une
période de 5 ans. Il s’agit d’un document qui détaille les domaines de coopération
préconisés par l’Accord d’association de 1995 et annonce de nouveaux moyens de
soutien financiers dans le cadre de l’Instrument européen de voisinage et de partenariat
(IEVP). Et c’est en octobre 2008, au terme de plusieurs années de discussions, que le
Maroc et l’Union européenne ont conçu un Statut avancé qui pose, au fond, une véritable
feuille de route pour leurs relations. Tous les aspects sont pris en considération : aspects
politico-stratégiques, dimensions économique, sociale, sectorielle… Ainsi, le document
formalisant le Statut avancé prévoit un dialogue politique et stratégique habilitant, entre
autres, le Maroc à contribuer à la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD).

La coopération interparlementaire n’est pas en reste. En mai 2010, le Maroc et


l’Union européenne ont ainsi créé une Commission parlementaire mixte. Le volet
économique du Statut avancé est substantiel dans la mesure où il prévoit l’établissement
d’un Accord global et approfondi de libre-échange (ALEGA) qui sera prolongé, à long
terme, d’un Espace économique commun. La convergence réglementaire est un
préalable pour l’accès intégral du Maroc au marché européen. Un travail a été mené dans
ce sens et trois secteurs prioritaires ont été identifiés, dans un premier temps, pour leur
étendre le processus de convergence réglementaire. Il s’agit des services financiers, des
marchés publics et des normes techniques et industrielles. La spécificité de ce choix est
qu’il cadre avec les orientations stratégiques du Royaume en matière de développement
global et sectoriel. Il s’agit-là d’un processus à long terme qui ira en s’approfondissant
compte tenu de l’irréversibilité d’un choix stratégique.

Dans le même esprit d’arrimage stratégique à l’Europe, le Maroc a adhéré en


juillet 2009 au Centre Nord-Sud relevant du Conseil de l’Europe. Celui-ci a accordé au
Parlement marocain, en juin 2011, le statut de « Partenaire pour la démocratie » compte
tenu des efforts entrepris en matière de consécration de l’Etat de droit. Le Maroc fait
également partie de l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM) créée en
2003 dans le cadre du Processus euro-méditerranéen de Barcelone qui, à partir de 2008,
converge avec l’Union pour la Méditerranée (UpM). Est-il besoin de rappeler que ce
projet a été lancé à Tanger en octobre 2007 par le Président français, Nicolas Sarkozy.

C’est dire que la projection euro-méditerranéenne du Maroc est une constante de


sa politique étrangère. De manière plus globale, le Maroc a su, à travers les expériences
accumulées, gérer plusieurs espaces et façades atlantique, méditerranéenne,
maghrébine, sahélo-saharienne… qui le situent au cœur de plusieurs confluences
géoculturelles et de plusieurs dynamiques géopolitiques. Il s’agit en l’espèce d’une
vocation naturelle que n’affecte aucune contingence politique.

La politique étrangère du Maroc est donc assise sur un socle de principes et de


constantes qui lui donne continuité et stabilité. L’Europe demeure pour le Royaume l’un
des espaces de projection les plus importants compte tenu de sa proximité géographique
et du capital de relations historiques y engrangé. A cela s’ajoute une donnée économique
structurelle, attestée par la densité des échanges, conjuguée à une réalité socioculturelle
fondée sur l’interculturalité et les interactions démographiques.
Séquence 3

La zone de libre-échange entre le Maroc et l’Union


européenne effective le 1er mars 2012

Après douze années de sa mise en œuvre, l’Accord d’association entre le Maroc et


l’Union européenne (UE) a « livré » l’un de ses projets les plus importants ; à savoir
l’instauration d’une zone de libre-échange (ZLE). Le fait n’est pas anodin car il s’agit
d’ouvrir le marché marocain aux 27 pays de l’UE et, réciproquement, permettre aux
entreprises exportatrices marocaines d’accéder à un marché de 500 millions de
consommateurs. Dès lors, l’impact et les enjeux de cette ZLE sont importants. Anticipant
cet événement, le Maroc a lancé durant la phase préparatoire/transitoire plusieurs
réformes et chantiers, l’objectif étant non seulement de développer les capacités
exportatrices des entreprises nationales mais aussi de mettre en place des garde-fous à
même d’amortir les chocs éventuels de l’ouverture. Il en est ainsi, à titre d’exemple, de la
mise en place de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), de la refonte du Code du travail,
de l’adoption de la loi sur la défense commerciale… Parallèlement, un effort de
réaménagement institutionnel a été mené. Ainsi en est-il de la création récente de
l’Observatoire du commerce extérieur.

La nouvelle ZLE s’insère toutefois dans le cadre d’une vision géopolitique : la


fondation d’un espace de paix et de prospérité partagée entre l’UE et les pays du sud de
la Méditerranée. C’était en effet l’un des objectifs du processus de Barcelone lancé en
novembre 1995. C’est à cette date où l’Accord d’association Maroc UE a été conclu, puis
signé en 1996 pour n’entrer en vigueur que le 1er mars 2000. C’est également à cette
date que le Roi Mohammed VI avait fait son plaidoyer, au cours d’une visite d’Etat en
France, pour l’obtention de l’UE d’un statut mieux que l’association et un peu moins que
l’adhésion. Huit ans plus tard, le statut avancé a été accordé au Maroc par l’UE.

A partir donc du 1er mars 2012, les entreprises marocaines peuvent accéder, sur
un pied d’égalité, en franchise de droits au marché communautaire. Cette franchise de
droits ne court toutefois que pour les produits industriels. Quant aux produits agricoles,
ils ont fait l’objet d’un accord spécifique entériné par le Parlement européen en février
2012. Cet accord a toutefois augmenté sensiblement les quotas impartis aux
exportateurs marocains. Pour ce qui est des services, des négociations vont être lancées
prochainement entre les deux parties. Est également envisageable, la conclusion d’un
accord sur le droit d’établissement.

La ZLE ainsi mise en place ne sera qu’une étape pour aboutir à un Accord de
libre-échange complet et approfondi (ALECA). Et cet accord n’est lui-même qu’une phase
intermédiaire devant conduire, à long terme, à la mise en place d’un Espace économique
commun (EEC). Au fond, l’idée est de permettre aux entreprises marocaines d’adhérer
au marché intérieur européen. L’enjeu est donc de taille. Pour ce faire, les entreprises
exportatrices marocaines doivent répondre à des normes techniques, sanitaires et
phytosanitaires draconiennes avant d’espérer bénéficier des quatre libertés fondant le
marché intérieur de l’UE : libre-circulation des biens, des services, des capitaux et des
personnes. Parmi les réalisations s’inscrivant dans ce sens, notons la création en 2009
de l’office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires.

La ZLE Maroc – UE, tout en amenant de nouveaux défis aux secteurs productifs
marocains, offrira d’énormes opportunités aux entreprises d’exportation, notamment
dans le domaine du textile et vêtement, celui de l’agriculture, de l’agroalimentaire ou de
l’agro-industrie. En ce sens, elle conforte certains plans sectoriels comme le Plan
Emergence, le Plan Maroc Vert et le Plan Maroc Export Plus. Toutefois, des restrictions
ou des limitations continueront à frapper certains produits importés, comme par
exemple les voitures d’occasion. De même, les produits importés de l’UE resteront
assujettis à la TVA (environ 20%) et à la taxe parafiscale à l’importation (0,25 pour cent
ad valorem).

Une nouvelle étape s’ouvre donc dans les relations commerciales entre le Maroc
et l’UE. Afin de tirer profit des nouvelles opportunités nées de la nouvelle ZLE, les
entreprises exportatrices du Royaume devront améliorer sensiblement leur
compétitivité. A l’heure actuelle, les autorités marocaines encouragent les entreprises
d’exportation à se regrouper dans le cadre de consortiums d’exportation. En outre, les
entreprises marocaines gagneront à agir de concert avec des opérateurs relevant de la
zone de libre-échange envisagée dans le cadre de l’Accord d’Agadir. En effet, cet accord
admet le cumul diagonal de l’origine dans l’optique des échanges euro-méditerranéens,
ce qui est de nature à renforcer l’intégration sud-sud.

En somme, l’entrée en vigueur de la ZLE euro-marocaine fait partie d’une


stratégie globale de diversification des partenaires commerciaux du Maroc. Elle conforte
par ailleurs les multiples stratégies de développement sectoriel mises en route.
Séquence 4

Le dialogue politique et stratégique Maroc – Union


européenne dans le cadre du Statut avancé

Avec le Statut avancé, le dialogue politique entre le Maroc et l’UE prend une nouvelle
dimension. Pour la première fois, les aspects stratégiques y sont inclus annonçant un
renforcement de la coopération entre les deux partenaires. Les aspects stratégiques
incluent, entre autres, des aspects liés à la sécurité collective, à la coopération régionale,
à la résolution des conflits, à la bonne gouvernance, à la lutte contre le terrorisme… Le
Plan d’action UE/Maroc avait, il est vrai, dès 2005 annoncé les signes avant-coureurs de
ce dialogue élargi et approfondi.

Les éléments du dialogue politique et stratégique (DPS), qui relèvent tous les deux de
la dimension politique du Statut avancé, comprennent plusieurs éléments qu’il est
difficile de détailler dans le cadre de cette brève note. Nous nous en contenterons des
plus importants, tout en cherchant à déceler l’intérêt pour le Maroc d’un tel dialogue,
notamment pour ce qui concerne la résolution du conflit saharien. Cela dit, le DPS
s’inscrit dans une trajectoire tracée par l’Accord d’association ; d’où les trois axes sur
lesquels s’articule ce papier.

I. Un dialogue politique renforcé s’inscrivant dans la droite ligne du


Processus de Barcelone

L’accord d’association Maroc – UE, signé en février 1996 et entré en vigueur en mars
2000, prévoyait des dispositions relatives au dialogue politique. L’article 3, § 1, de cet
accord stipule en effet : « Un dialogue politique régulier est instauré entre les parties. Il
permet d’établir entre les partenaires des liens durables de solidarité qui contribueront à
la prospérité, à la stabilité et à la sécurité de la région méditerranéenne et développeront
un climat de compréhension et de tolérance entre cultures ». Ce dialogue était perçu à
l’époque comme une sorte de conditionnalité démocratique.

L’idée sous-jacente à l’Accord d’association précité était d’instaurer entre les deux
parties les fondements d’une coopération renforcée en matière de lutte contre les
risques qui guettent la région méditerranéenne. Il était aussi question d’instaurer les
bases d’une compréhension mutuelle entre les deux rives de la Méditerranée, car le
dialogue politique s’inscrit dans le cadre d’une vision élargie sur l’Euro-Méditerranée. Le
dialogue des cultures, exprimé par l’idée d’alliance des civilisations proposée par le
Secrétaire général de l’ONU, et entérinée par la Conférence de Barcelone 10 ans après
(2005), y participait. La Déclaration de Barcelone de novembre 1995 visait en effet, à la
suite des changements géopolitiques majeurs que le monde a connus à partir de 1989, à
créer un espace de paix et de prospérité partagée au sein de cette région connue par son
potentiel de conflictualité. Cela devait se concrétiser par l’établissement d’une grande
zone de libre-échange à l’horizon 2010. Le dialogue politique devait donc constituer le
moyen d’un échange de vue permanent entre les partenaires lancés dans ce projet
ambitieux, devenu plus tard Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée.

Le conflit israélo-palestinien a toutefois bridé ce processus. Les changements


géopolitiques en cours dans la région arabe sont peut-être de nature à impulser ce
processus, du moins à moyen terme. C’est dans cette optique qu’il faudra lire la nouvelle
politique de voisinage adoptée en mai 2011. Cette nouvelle politique ambitionne de
développer le "Partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le sud de
la Méditerranée", adopté en mars 2011. Dans cette nouvelle politique, la singularité du
Maroc, mais aussi de la Jordanie, est soulignée par rapport au reste des pays sud-
méditerranéens secoués par plusieurs vagues de contestation, lesquelles ont emporté
dans leur sillage plusieurs régimes autoritaires3.

Le Maroc demeure l’un des pays sud-méditerranéens les plus avancés dans le
partenariat euro-méditerranéen et est le premier bénéficiaire des fonds alloués par l’UE.
Le Plan d’action 2005-2010, formulé à la suite de la Politique européenne de voisinage
(PEV), approfondissait l’Accord d’association, dont les aspects en rapport avec le
dialogue politique. C’est ainsi que des concepts comme les jumelages institutionnels ont
été introduits par ledit plan et devant permettre au Maroc de renforcer ses capacités
institutionnelles. Ce Plan d’action, qui s’ordonne autour du concept de différenciation, a
annoncé la mise en place d’un « partenariat stratégique de voisinage ».

Sur le plan institutionnel, le dialogue politique se tient à échéances régulières au


niveau ministériel (dans le cadre du Conseil d’association), au niveau des hauts
fonctionnaires (dans le cadre des Sous-comités), à travers les voies diplomatiques (par
exemple les consultations tenues à l’occasion de réunions internationales), ainsi que par
le biais de toute autre modalité visant à intensifier ce dialogue (article 5 de l’Accord
d’association).

Sur le plan financier, le soutien au dialogue politique renforcé est important. Il en est
ainsi du soutien sur le plan de l’ancrage de l’Etat de droit, de la lutte contre la
corruption… Aux programmes MEDA I et II, se sont substitué les apports découlant de
l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP). A partir de 2011, un nouvel
instrument financier a été préconisé dans les relations UE-Maroc ; il s’agit du PIN
(Programme indicatif national) couvrant la période 2011-2013 et annonçant une
enveloppe budgétaire totale de l’ordre de 580,5 millions d’euros. Ce programme prend
en compte les nouvelles priorités de la politique extérieure européenne pour la période
2011-2013. Parmi ces priorités, figurent le changement climatique, la flambée des prix
alimentaires, l’énergie, la crise économique et financière et les droits de l’homme4.
3
Cf. La Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité,
Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et
au Comité des régions. Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation, Commission
européenne, Bruxelles, le 25/05/2011, COM (2011) 303, p. 1.
4
Cf. Mid-Term Review of the Country Strategy Paper Morocco 2007-2013 and National Indicative program
2011-2013, p. 4.
D’un dialogue politique « ordinaire » dans le cadre de l’Accord d’association, l’on est
passé à un dialogue politique renforcé avec le Plan d’action, aboutissant à un dialogue
politique et stratégique à la suite du Statut avancé.

II. Les constituants du dialogue politique et stratégique au titre du Statut


avancé

Pour la première fois dans l’histoire des relations Maroc – UE, la dimension
stratégique est intégrée. Cela témoigne, sans doute, du poids et de l’importance
stratégiques du Royaume au sein de la région méditerranéenne. Concrètement, le DPS
inclut plusieurs éléments qu’on traitera de manière succincte.

Le Sommet Maroc – UE est certainement l’un des éléments novateurs de ce


dialogue. Le premier sommet de ce genre a eu lieu à Grenade (Espagne) le 7 mars 2010.
L’Espagne assurait alors la présidence tournante de l’UE. Aux dires de la Déclaration
conjointe adoptée à l’issue de ce sommet, « ce Sommet témoigne du caractère pionnier du
partenariat UE-Maroc ainsi que de sa spécificité. Il illustre le degré de maturité et de
confiance atteint par leur dialogue politique, et souligne l’importance stratégique du
partenariat UE-Maroc »5. Ce premier sommet a été l’occasion de dresser un bilan, au
moins provisoire, des réalisations concrètes au titre du DPS.

Le DPS comprend un volet relatif aux réunions informelles pouvant se tenir sur
une base ad hoc entre les responsables ministériels des deux partenaires. Il comprend
aussi un volet consacré à des réunions de concertation au sein des enceintes
multilatérales. Ainsi, « des initiatives conjointes pourraient être menées par les deux
parties dans le cadre du système des Nations Unies et d’autres organisations
internationales ».

Un autre aspect important du DPS est constitué par la participation du Maroc à la


PESD (Politique européenne de sécurité et de défense). Celle-ci a été mise au point en
1999 ; elle constitue, en fait, l’instrument de la PESC (Politique européenne de sécurité
commune) formulée en 1992. La PESD représente, essentiellement, un outil de gestion
des crises, qu’elles soient de nature civile ou militaire. Elle revêt un caractère préventif,
réactif et correctif (prévenir, réagir et reconstruire). Le DPS fixe comme objectif
l’élaboration d’un accord-cadre pour la participation du Maroc aux opérations de gestion
des crises (civiles et militaires) avec l’UE. En contrepartie, le Maroc s’engage à soutenir
les déclarations de la PESC « selon les modalités établies par l’UE au cas par cas ».

Le volet « Développement du partenariat pour la paix et la sécurité en Afrique »


revêt, quant à lui, une dimension non moins importante que les autres. Cette option
s’inscrit dans le cadre de la Facilité de la Paix pour l’Afrique (FPA) lancée par l’UE en
2004 pour soutenir les efforts à l’échelle continentale visant à résoudre ou éteindre les
conflits qui y sévissent ou pouvant y éclater. Cette possibilité de participation à la FPA

5
Déclaration conjointe Sommet Union Européenne-Maroc, Grenade, 7 mars 2010, Bruxelles, 7 mars 2010
7220/10 (Presse 54), p. 1.
est de nature à conforter le leadership du Maroc au sein du continent africain en dépit de
son absence de l’Union Africaine. Or, le Royaume a déjà fait ses preuves dans le cadre
des OPM (Opérations de maintien de la paix) organisées dans le cadre de l’ONU en
Afrique (Congo démocratique, Cô te d’Ivoire…). La participation à la FPA lui permettra
donc d’élargir le champ de ses interventions (Somalie, République Centrafricaine,
Darfour…).

D’autres volets du DPS ont trait à « la coopération au sein du programme de coopération


régional Euromed sur la prévention, la préparation et la réponse aux désastres naturels et
causés par l’homme » et la coopération en matière d’échange et de sécurisation des
informations.

Bien entendu, la lecture du DPS devrait se faire à l’aune de toutes les dimensions
(politique, économique, sociale, culturelle…) du Statut avancé compte tenu de
l’interdépendance des éléments de celui-ci. La dimension politique du Statut avancé,
dont le DPS est un pilier, comprend aussi la coopération parlementaire, la coopération
sécuritaire, la coopération judiciaire et le renforcement du dialogue et de la coopération
sur les questions relatives aux Droits de l’Homme, aux Droits fondamentaux, à la lutte
contre le racisme et à d’autres sujets d’intérêt commun.

III. Le DPS : un multiplicateur du coefficient géostratégique du Maroc

Le statut du Maroc, en tant que partenaire fiable de l’UE, ira en se renforçant à la


suite de l’institutionnalisation du DPS. Le Maroc a consolidé ce statut grâ ce à sa
participation à plusieurs opérations de maintien de la paix supervisées par l’UE. Il en est
ainsi de l’opération ALTHEA en Bosnie-Herzégovine. Cette participation témoigne de
l’intérêt du Royaume pour la PESD. Cette volonté s’est traduite par la « décision du
Conseil de l'UE autorisant l’ouverture des négociations avec le Maroc en vue de la
conclusion d’un accord-cadre de participation aux opérations de gestion des crises de
l’UE »6.

Le volontarisme politique du Maroc pourrait inciter l’UE à appuyer l’initiative


marocaine visant à octroyer une large autonomie aux provinces du sud. La position de
l’UE est, en général, alignée sur celle des Nations Unies ; elle se caractérise donc par un
certain réalisme que dicte la nature complexe du conflit du Sahara occidental. En effet,
l’UE est pour « une solution politique définitive, durable et mutuellement acceptable »7. En
même temps, elle encourage une intégration maghrébine accrue, l’Afrique du nord
constituant une zone prioritaire dans la coopération en matière de lutte contre le
terrorisme. Or, la stabilité du Maroc est une condition de la sécurité en Méditerranée
occidentale.

6
Paragraphe 13 de la Déclaration de l’Union européenne adoptée à l’issue du Conseil d’association,
Bruxelles, 13 décembre 2010.
7
Déclaration conjointe Sommet Union Européenne-Maroc, op. cit., p. 2.
Le potentiel du DPS est donc important. Le Maroc gagnerait à agir de concert avec
l’UE au sein des instances multilatérales pour appuyer sa proposition relative à l’octroi
d’une large autonomie aux provinces sahariennes, condition sine qua non pour la relance
de l’UMA (Union du Maghreb Arabe) sur une base solide et pérenne. En effet, l’un des
objectifs même du dialogue politique est la prise en compte, par chacune des parties, des
intérêts de l’autre. Dès lors, la voie est tracée pour la mise au point d’initiatives
communes pouvant servir les intérêts mutuels des deux partenaires. La réunion à New
York entre le Ministre des Affaires étrangères du Maroc et le Haut Représentant de l’UE,
qui fait partie du DPS, pourrait être une opportunité pour appuyer le Plan marocain
d’autonomie à l’occasion des négociations entre le Maroc et le Polisario organisées sous
la houlette des Nations Unies. Ainsi, lors de la session du Conseil d’association tenue en
décembre 2010, un dialogue politique a eu lieu, en particulier au sujet du conflit
concernant le Sahara occidental8.

8
Cf. La Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité,
Document de travail conjoint des services. Mise en œuvre de la politique européenne de voisinage en 2010.
Rapport pays : Maroc [COM (2011)303], Commission européenne, Bruxelles, le 25.05.2011, SEC (2011)
651, p. 4.
Séquence 5

Le renforcement du pouvoir du parlement européen


consécutif au Traité de Lisbonne : quels enjeux politiques
pour le Maroc ?9

La dynamique de raffermissement des pouvoirs du Parlement européen a été


mise en branle bien avant le Traité de Lisbonne du 1er décembre 2009. Les instruments
juridiques successifs qui ont consolidé l’Union européenne (UE), de l’Acte unique
européen (1986) au Traité de Lisbonne, en passant par celui de Maastricht (1993), par
celui d’Amsterdam (1999) puis par celui de Nice (2003), ont fortifié la place du
Parlement dans l’ensemble de l’architecture institutionnelle européenne. Fondée sur les
idéaux démocratiques, il était normal que l’UE confère des pouvoirs accrus au Parlement
européen, institution élue au suffrage universel direct. Le même intérêt est accordé aux
parlements nationaux des pays membres. Ces institutions représentatives sont tenues
informées du travail normatif de l’UE et ce, en vue de rendre le fonctionnement des
institutions européennes plus transparent. Les parlements nationaux dans l’UE ont fait
l’objet d’un Protocole (N°1) annexé au Traité de Lisbonne. Cet instrument vise à
augmenter le niveau de participation des parlements nationaux aux activités de l’UE et,
par conséquent, leur donner le moyen d’agir sur les institutions européennes. En vertu
de l’Article premier du Protocole sur le rô le des parlements nationaux dans l’Union
européenne annexé au Traité de Lisbonne, « les documents de consultation de la
Commission (livres verts, livres blancs et communications) sont transmis directement par
la Commission aux parlements nationaux lors de leur publication. La Commission transmet
également aux parlements nationaux le programme législatif annuel ainsi que tout autre
instrument de programmation législative ou de stratégie politique en même temps qu'elle
les transmet au Parlement européen et au Conseil ».

N’ayant pas pu élaborer en 2004 une Constitution acceptée par tous les Etats
membres, l’UE a donc adopté un succédané, le Traité « réformateur » de Lisbonne
(approuvé par le Conseil européen en 2007) dont l’objectif global est de faire de cette
intégration une entité plus démocratique, efficace et en mesure d’affronter les nouveaux
risques planétaires comme les changements climatiques. Le renforcement des pouvoirs
du Parlement européen participait naturellement de cet objectif. Il se recoupe avec
l’introduction d’une nouvelle procédure, l’initiative citoyenne, possibilité qui « permet à
un minimum d’un million de citoyens issus d’au moins un quart des Etats membres de l’UE

9
Ce texte contient plusieurs éléments juridiques et techniques. En même temps, il soulève des problématiques
d’ordre politique. Il invite donc les apprenants à une réflexion sur les enjeux politiques possibles découlant du
renforcement des pouvoirs du Parlement européen consécutif à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en
2009.
d’inviter la Commission européenne à présenter des propositions d’actes juridiques dans
des domaines relevant de sa compétence »10.

Le Parlement européen exerce essentiellement des fonctions de législation et des


fonctions de contrô le politique qui s’étend aux accords internationaux. Il peut aussi user
de son pouvoir d’influence pour agir en amont des décisions prises et ce, en adressant
des recommandations aux institutions principales.

Le PE est doté désormais de nouveaux pouvoirs dans le domaine de la législation, du


budget et des accords internationaux. Ce dernier point nous concerne plus
particulièrement, étant donné que le lien contractuel liant le Maroc à l’UE s’assimile à un
accord international au même titre que l’Accord de Partenariat de la Pêche (APP). En
outre, la procédure de codécision renforce les pouvoirs de contrô le du PE. Pas moins
de 40 nouveaux domaines tombent en effet dans le champ de cette procédure de
codécision élargie par le Traité de Lisbonne. Cela concerne des domaines comme
l’immigration, la justice et les affaires intérieures, la santé et les fonds structurels.
L’article 16 du Traité de Lisbonne, qui fait écho à l’article 14 précité, ajoute au
paragraphe premier,

« Le Conseil exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législative et


budgétaire. Il exerce des fonctions de définition des politiques et de coordination
conformément aux conditions prévues dans les traités ».

Le Traité de Lisbonne a par ailleurs introduit une nouveauté : le droit d'initiative


citoyenne. En effet, un million de citoyens originaires de différents Etats membres
peuvent désormais demander à la Commission européenne de présenter de nouvelles
propositions. On sait que la société civile européenne est, en général, hostile à la position
du Maroc concernant le Sahara.

Dès lors, il conviendra de composer avec cette nouvelle reconfiguration


institutionnelle et anticiper les évolutions futures potentielles.

I. Le Parlement européen, pilier fondamental dans le triangle décisionnel


de l’UE

La collaboration est étroite entre l’ensemble des institutions formant le triangle


décisionnel de l’UE, son ossature stable en quelque sorte. Ce triangle est constitué, en
plus du Parlement de Strasbourg, du Conseil de l’UE (appelé couramment le Conseil car,
lorsqu’il se réunit au niveau des Chefs d’Etat ou de Gouvernement, il se convertit en
Conseil européen) et la Commission européenne. Le Conseil de l’UE est l’instance
décisionnelle principale de l’UE. Quant à la Commission européenne, véritable cheville
ouvrière, elle joue principalement une fonction d’exécution des politiques européennes

10
Voir http://ec.europa.eu/dgs/secretariat_general/citizens_initiative/index_fr.htm. Dernière visite : 1er
Aoû t 2011.
tout en disposant d’un droit d’initiative. Ainsi, si les accords internationaux sont
négociés par la Commission, ils sont arrêtés par le Conseil et contrô lés par le Parlement.

Il existe donc une interdépendance entre ces trois institutions qu’illustrent, entre
autres, les moyens d’action politiques du Parlement. Ces derniers s’expriment,
essentiellement, dans les trois fonctions ci-après (Article 17, paragraphes 7 et 8 du
Traité de Lisbonne) :

- Vote d’investiture du président et des membres de la Commission européenne ;

- Vote d’approbation du haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la


politique de sécurité ;

- Possibilité de renverser la Commission européenne par le biais d’une motion de


censure. En effet, « la Commission, en tant que collège, est responsable devant le
Parlement européen » (art. 17, par. 8).

Dans le cadre de la procédure de codécision, le Parlement européen « exerce,


conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions
de contrôle politique et consultatives conformément aux conditions prévues par les traités.
Il élit le président de la Commission » (Article 14, § 1). Le Parlement européen remplit
donc essentiellement un rô le de surveillance démocratique. Pour ce qui est de son rô le
dans le contrô le des accords internationaux en rapport avec le domaine de la
coopération comme les accords d’association, le Parlement précité peut être considéré
comme le dépositaire de la clause de conditionnalité démocratique. C’est le règlement
intérieur qui fixe le fonctionnement et l’organisation dudit Parlement.

En matière de politique étrangère, la consultation du Parlement est obligatoire au


titre, entre autres, de l’Article 36 du Traité de Lisbonne. En outre, ce même Parlement
peut constituer des commissions temporaires d’enquête11. Dans sa configuration
actuelle issue des élections de juin 2009, le Parlement de l’UE est composé de 736
députés. A la base de son fonctionnement on trouve les commissions parlementaires,
lesquelles reflètent la composition politique du Parlement de Strasbourg. Celui-ci
compte sept groupes politiques ainsi qu’un groupe de députés non inscrits, c’est-à -dire
de députés qui n’adhèrent pas à un groupe politique (Article 33 du règlement intérieur
du Parlement européen). Les groupes en question sont : 1) Groupe du Parti populaire
européen (Démocrates-chrétiens) ; 2) Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes &
Démocrates au Parlement européen ; 3) Groupe Alliance des démocrates et des libéraux
pour l’Europe ; 4) Groupe des Verts/Alliance libre européenne ; 5) Groupe
Conservateurs et Réformistes européens ; 6) Groupe confédéral de la Gauche unitaire
européenne/Gauche verte nordique ; et 7) Groupe Europe de la liberté et de la
démocratie.

11
Cf. Jean-Louis Clergerie, Annie Gruber et Patrick Rambaud, L’Union européenne, 7ème édition, Ed. Dalloz,
Paris, 2008, p. 150.
Le groupe du Parti populaire européen a des affinités directes avec le Parti populaire
espagnol. Or, chacun sait les relations tendues de ce parti, une fois au pouvoir, avec le
Maroc compte tenu de ses origines franquistes et de ses penchants extrémistes. La plus
part des commissions parlementaires d’enquête au Sahara occidental ou des projets de
résolutions « condamnant » le Maroc à la suite d’événements spéciaux comme ceux de
Gdim Izik à Laâ youne (novembre 2010) sont instiguées par ce groupe et par ceux dont
l’affinité ou les visées sont proches. Le Parlement européen est donc loin d’être une
institution neutre.

II. Compétence du Parlement européen en matière de politique étrangère

Le développement et le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que le


respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, est un des objectifs
essentiels de la Politique étrangère et de la sécurité commune (PESC). De manière plus
globale, l’action de l’UE sur la scène internationale, ainsi que le souligne l’article 21,
paragraphe 1, du Traité de Lisbonne,

« repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son
élargissement et qu’elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l’Etat de
droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le
respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité et le respect de la
charte des Nations unies et du droit international ».

Pour ce qui est du rô le du PE en matière de politique étrangère, soulignons qu’aux


termes de l’article 36 du Traité de Lisbonne,

« Le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité


consulte régulièrement le Parlement européen sur les principaux aspects et les choix
fondamentaux de la politique étrangère et de sécurité commune et de la politique de
sécurité et de défense commune et l’informe de l’évolution de ces politiques. Il veille à ce
que les vues du Parlement européen soient dûment prises en considération. Les
représentants spéciaux peuvent être associés à l’information du Parlement européen »12.

Le même article ajoute,

« Le Parlement européen peut adresser des questions ou formuler des recommandations à


l’intention du Conseil et du Haut représentant. Il procède deux fois par an à un débat sur les
progrès réalisés dans la mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune, y
compris la politique de sécurité et de défense commune ».

On soulignera aussi que le règlement européen (dernière version révisée le 1er


décembre 2009 conformément au Traité de Lisbonne) précise certains aspects du rô le
du PE en matière de PESC. Le chapitre 13 dudit règlement intitulé : "Représentation
extérieure de l’Union et Politique étrangère et de sécurité commune" souligne à l’article
98 libellé " Violation des droits de l’homme" :
12
Souligné par nous.
« A chaque période de session, les commissions compétentes peuvent chacune, sans
demander d’autorisation, déposer une proposition de résolution, selon la procédure visée à
l’article 97, paragraphe 4, concernant des cas de violation des droits de l’homme »

Le PE ne décide donc pas de politique étrangère, mais contribue à sa réalisation à


travers le droit de regard dont il dispose. A travers sa commission des affaires
étrangères, le PE est en contact régulier avec le Haut représentant de l’UE pour la PESC,
ainsi qu’avec le commissaire européen chargé des relations extérieures. Dans ce sens, le
Traité de Lisbonne, ainsi qu’on vient de le souligner, a établi à l’article 36 une procédure
obligatoire de consultation du PE au sujet de politique étrangère et de sécurité
commune.

On voit donc clairement que le PE détient plusieurs leviers pour agir sur la politique
étrangère européenne.

III. Commissions parlementaires

L’une des commissions importantes du PE est sans doute celle des affaires
étrangères13. La commission des affaires étrangères est compétente pour les questions
ayant trait (Annexe VII, I, du règlement intérieur du PE):

« 1. A la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et à la politique européenne


de sécurité et de défense (PESD). Dans ce contexte, la commission est assistée par une sous-
commission "sécurité et défense";

2. Aux relations avec les autres institutions et organes de l’Union européenne, les Nations
unies et les autres organisations internationales et assemblées interparlementaires pour
les matières relevant de sa compétence;

3. Au renforcement des relations politiques avec les pays tiers, en particulier ceux
situés à proximité géographique immédiate de l’Union, au travers des grands programmes
de coopération et d’assistance ou d’accords internationaux tels que les accords
d’association et de partenariat ;

4. A l’ouverture, au suivi et à la conclusion des négociations concernant l’adhésion d’Etats


européens à l’Union;

5. Aux questions concernant les droits de l’homme, la protection des minorités et la


promotion des valeurs démocratiques dans les pays tiers. Dans ce contexte, la
commission est assistée par une sous-commission "droits de l’homme". Sans préjudice de la
réglementation applicable, les membres d’autres commissions et d’organes exerçant des
responsabilités dans ce domaine sont invités à assister aux réunions de la sous-
commission »14.

13
Les attributions des commissions parlementaires sont fixées par les articles 183 à 192 du règlement
intérieur du PE ainsi que par l’Annexe VII.
14
Souligné par nous.
Au titre de l’article 97 du règlement intérieur du PE intitulé "Recommandations
dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune", la Commission
compétente, en l’occurrence celle des affaires étrangères, peut formuler des
recommandations à l’intention du Conseil européen :

1. La commission compétente en matière de politique étrangère et de sécurité commune,


après autorisation de la Conférence des présidents ou à la suite d’une proposition au sens
de l’article 121, peut formuler des recommandations à l’intention du Conseil dans le
cadre de sa compétence (…).

4. Les recommandations ainsi formulées sont inscrites à l’ordre du jour de la période de


session suivant immédiatement leur présentation. En cas d’urgence décidée par le
Président, elles peuvent être inscrites à l’ordre du jour de la période de session en cours.
Elles sont réputées adoptées, à moins que quarante députés au moins n’aient présenté leur
opposition par écrit avant le commencement de la période de session, auquel cas les
recommandations de la commission sont inscrites pour débat et vote à l’ordre du jour de
ladite période de session. Un groupe politique ou quarante députés au moins peuvent
déposer des amendements »15.

La Commission des affaires étrangères assure la coordination des travaux des


commissions parlementaires mixtes et de coopération. Elle coordonne également les
travaux des délégations interparlementaires et des délégations ad hoc et des missions
d’observation électorale relevant de son domaine de compétence. C’est donc cette
commission qui a assuré le travail de la délégation ad hoc qui a visité Tindouf, l’Algérie
et les provinces marocaines du sud16.

La Commission des affaires étrangères est prolongé de deux sous-commissions :


la sous-commission droits de l’homme et la sous-commission sécurité et défense.

Une délégation peut donc effectuer une visite au Sahara sur la base du pouvoir de
contrô le démocratique du PE. La délégation est alors constituée dans le cadre de la
Commission des AE.

Par ailleurs, au titre du Statut avancé accordé au Maroc en octobre 2008, une
Commission parlementaire mixte Maroc-UE a été mise en place en mai 2010. La base
juridique de la création de cette commission est l’article 200 du règlement intérieur du
PE portant sur : "Commissions parlementaires mixtes". Cet article dispose notamment :

1. Le Parlement européen peut constituer des commissions parlementaires mixtes avec les
parlements d’Etats associés à l’Union, ou avec ceux d’Etats avec lesquels des négociations
ont été engagées en vue d’une adhésion.

15
Souligné par nous.
16
Au terme de cette visite, un rapport a été établi en 2009. Entre autres, ce rapport propose la création
d’un mécanisme d’observation des droits de l’Homme au Sahara supervisé par la MINURSO.
Ces commissions peuvent formuler des recommandations à l’intention des parlements
participants. En ce qui concerne le Parlement européen, celles-ci sont renvoyées à la
commission compétente, qui présente des propositions quant aux suites à leur donner.

2. Les compétences générales des diverses commissions parlementaires mixtes sont définies
par le Parlement européen et par les accords conclus avec les pays tiers eux-mêmes (…) »17.

IV. La question du vote et la base juridique de la visite d’une délégation


parlementaire européenne au Sahara

Les principes régissant les activités des délégations sont fixés par l’article 3 relatif
aux dispositions d’exécution concernant l’activité des délégations, adoptées par la
Conférence des présidents le 21 septembre 2006. Aux termes de cet article :

« Les délégations maintiennent et développent les contacts internationaux du Parlement.

A cet effet, les activités des délégations doivent, d’une part, viser à maintenir et à accentuer
les contacts avec les parlements des Etats partenaires traditionnels de l’Union européenne
et, d’autre part, contribuer à promouvoir, dans les pays tiers, les valeurs sur lesquelles se
fonde l’Union européenne, à savoir les principes de liberté et de démocratie, le respect des
droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’État de droit (articles 6 et 11,
paragraphe 1, cinquième tiret, du traité sur l’UE) »

Si on se réfère à l’article 185 du règlement intérieur du PE traitant des


commissions d’enquête, l’on conclut que la constitution d’une telle commission est
subordonnée à un vote. Le paragraphe 1 de l’article précité souligne à cet égard,

« 1. Le Parlement peut constituer, à la demande d’un quart de ses membres, une


commission d’enquête pour examiner les allégations d’infraction au droit de l’Union ou de
mauvaise administration dans l’application de celui-ci qui seraient le fait soit d’une
institution ou d’un organe des Communautés européennes, soit d’une administration
publique d’un État membre, soit de personnes mandatées par le droit de l’Union pour
appliquer celui-ci ».

Les questions liées à la base juridique des actes des commissions parlementaires
(dont les actes législatifs) sont prévues à l’article 37 du règlement intérieur du PE. En
vertu de cet article,

1. Pour toute proposition d’acte législatif ou tout autre document à caractère législatif, la
commission compétente pour la matière visée vérifie d’abord la base juridique.

2. Lorsque la commission compétente pour la matière visée conteste la validité ou la


pertinence de la base juridique - cela concerne également la vérification du critère visé à

17
Souligné par nous.
l’article 5 du traité sur l’Union européenne 18 -, elle demande l’avis de la commission
compétente pour les questions juridiques.

3. La commission compétente pour les questions juridiques peut aussi se saisir de sa propre
initiative de questions relatives à la base juridique des propositions d’actes législatifs. Dans
ce cas, elle en informe dûment la commission compétente pour la matière visée.

4. Si la commission compétente pour les questions juridiques décide de contester la


validité ou la pertinence de la base juridique, elle fait part de ses conclusions au Parlement.
Le Parlement vote sur celles-ci avant de voter sur le fond de la proposition.

5. Les amendements tendant à modifier la base juridique d’une proposition d’acte législatif,
présentés en séance plénière sans que la commission compétente pour la matière visée ou
la commission compétente pour les questions juridiques aient contesté la validité ou la
pertinence de la base juridique, sont irrecevables.

6. Si la Commission n’accepte pas de modifier sa proposition pour se conformer à la base


juridique approuvée par le Parlement, le rapporteur ou le président de la commission
compétente pour les questions juridiques ou de la commission compétente pour la matière
visée peuvent proposer de reporter le vote sur le fond de la proposition à une séance
ultérieure ».

V. Accord de Partenariat dans le secteur de la pêche

La référence juridique en la matière est l’article 90 du règlement du PE. Il ressort de


sa lecture que le PE peut refuser la conclusion (ou le renouvellement) d’un accord de
pêche avec le Maroc.

« 1. Lorsqu’il est projeté d’ouvrir des négociations sur la conclusion, le renouvellement ou


la modification d’un accord international, qui peut être un accord dans un domaine
spécifique, comme les questions monétaires ou le commerce, la commission compétente
peut décider de rédiger un rapport ou de suivre la procédure d’une autre façon et
d’informer la Conférence des présidents des commissions de cette décision (…).

2. Le Parlement, sur proposition de sa commission compétente, d’un groupe politique ou de


quarante députés au moins, peut demander au Conseil de ne pas autoriser
l’ouverture des négociations avant que le Parlement ne se soit prononcé, sur la base
d’un rapport de sa commission compétente, sur le mandat de négociation projeté.

3. Au moment où il est projeté d’ouvrir des négociations, la commission compétente


s’informe auprès de la Commission au sujet de la base juridique retenue pour conclure un
accord international du type visé au paragraphe 1. La commission compétente vérifie,
conformément à l’article 37, la base juridique choisie. Si la Commission ne précise pas de
base juridique ou si la validité de la base est mise en doute, les dispositions de l’article 37
sont d’application.
18
C’est-à -dire, les critères liés au principe d’attribution qui régit la délimitation des compétences de l’UE,
et aux principes de subsidiarité et de proportionnalité qui régissent l’exercice de ces compétences.
4. Tout au long des négociations, la Commission et le Conseil informent régulièrement et
complètement la commission compétente, au besoin sur une base confidentielle, de l’état
d’avancement des négociations.

5. A tout moment des négociations, le Parlement peut, sur la base d’un rapport de sa
commission compétente et après examen de toute proposition pertinente déposée
conformément à l’article 121, adopter des recommandations en demandant qu’elles soient
prises en considération avant la conclusion de l’accord international à l’examen.

6. A l’issue des négociations, mais avant la signature de tout accord, le projet


d’accord est soumis au Parlement, pour avis ou pour approbation. Pour la procédure
de l’approbation, l’article 81 est d’application.

7. Avant le vote sur l’approbation, la commission compétente, un groupe politique ou


un dixième des députés au moins peuvent proposer que le Parlement demande l’avis
de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité d’un accord
international avec les traités. Si le Parlement adopte cette proposition, le vote sur
l’approbation est ajourné jusqu’à ce que la Cour ait rendu son avis.

8. Le Parlement donne son avis ou son approbation sur la conclusion, le renouvellement ou


la modification d’un accord international ou d’un protocole financier conclu par la
Communauté européenne, en se prononçant par un vote unique à la majorité des suffrages
exprimés. Aucun amendement au texte de l’accord ni au protocole n’est recevable.

9. Si l’avis rendu par le Parlement est négatif, le Président demande au Conseil de ne


pas conclure l’accord.

10. Si le Parlement refuse son approbation à un accord international, le Président


informe le Conseil que l’accord en question ne peut être conclu »19.

VI. Attributions/prérogatives de la Commission de la pêche :

La Commission de la pêche relève de l’autorité du PE. Ses prérogatives sont fixées à


l’Annexe VII (XIV) du règlement intérieur du PE. Cette commission est compétente pour
les questions ayant trait au:

« 1. Au fonctionnement et au développement de la politique commune de la pêche et à sa


gestion ;

2. A la conservation des ressources de pêche ;

3. A l’organisation commune du marché des produits de la pêche ;

4. A la politique structurelle dans les secteurs de la pêche et de l'aquaculture, y compris les


instruments financiers d'orientation de la pêche ;

5. Aux accords internationaux de pêche ».


19
Souligné par nous.
VII. La Commission de la pêche peut-elle formuler unilatéralement une
demande de visite au Maroc, dans le but d’examiner comment l’accord
de partenariat dans le secteur de la pêche (APP) est mis en œuvre ? Et si
oui, peut-elle le faire en passant outre la Commission européenne ?

La Commission de la pêche peut demander, par le biais du PE, la constitution d’une


commission d’enquête. Il découle en effet de l’article 185 du règlement intérieur du PE
ce qui suit :

« 1. Le Parlement peut constituer, à la demande d’un quart de ses membres, une


commission d’enquête pour examiner les allégations d’infraction au droit de l’Union ou
de mauvaise administration dans l’application de celui-ci qui seraient le fait soit d'une
institution ou d’un organe des Communautés européennes, soit d’une administration
publique d’un Etat membre, soit de personnes mandatées par le droit de l’Union pour
appliquer celui-ci »20 .

En outre, le PE peut dépêcher une délégation pour enquêter sur la mise en œuvre
de l’APP, étant donné que cette question est liée au conflit du Sahara occidental.
Cependant, la commission de la pêche, comme les autres commissions du PE, n’a pas de
pouvoir décisionnel. Les commissions parlementaires ne font que proposer des projets
de résolution qui peuvent être entérinés par le PE. Or, on sait que le PE peut bloquer la
conclusion d’un Accord international, soit celui de la pêche. Aux termes du paragraphe 9
de l’article 90 du règlement intérieur du PE portant sur les "Accords internationaux",

« Si l’avis rendu par le Parlement est négatif, le Président demande au Conseil de ne pas
conclure l’accord ».

La Commission de la pêche n’a pas à attendre l’aval de la Commission européenne


pour effectuer une telle visite dans la mesure où elle tire sa légitimité du PE, institution
centrale dans le schéma de gouvernance européen.

On le voit, le PE peut aller jusqu’à saisir la Cour de Justice de l’UE pour lui demander
un avis sur la conformité d’un accord international (soit l’Accord de pêche) avec le droit
international.

VIII. Conséquences d’un refus du Maroc d’une visite d’une délégation du PE

Les conséquences seront presque similaires à celles que l’Affaire Aminatou Haidar a
provoquées. Le PE, et compte tenu de l’extension de son pouvoir de contrô le politique,

20
C’est nous qui soulignons.
ainsi que de ses attributions budgétaires et législatives, pourrait adopter un projet de
résolution sanctionnant le Maroc. Tous les scénarios sont alors possibles :

- Suspension des fonds alloués au Maroc au titre de l’Instrument européen de


voisinage et de partenariat ;
- Remise en cause du Statut avancé ;
- Durcissement de la position de l’UE au sujet de la question du Sahara ; etc.

En effet, n’oublions pas que le statut avancé inaugure une nouvelle étape dans le
renforcement du dialogue politique entre le Maroc et l’UE et on parle désormais du
rapprochement des agendas politiques des deux parties, en plus de la convergence
réglementaire (reprise séquencée et graduelle de l’acquis communautaire par le Maroc).
En mai 2010, on l’a dit, une commission parlementaire mixte Maroc-UE a été ainsi mise
en place. Cette logique de « rapprochement optimal » (selon les termes du document
conjoint annonçant le statut avancé) engendre des obligations croissantes pour le
Maroc, lequel se voit inséré dans une logique de coopération conditionné, s’il veut
postuler aux fonds substantiels permis par l’UE et, partant, adhérer au corpus juridicum
européen. La mise en place progressive d’un Espace Economique Commun (EEC), et
donc l’intégration du Maroc au marché intérieur, est conditionnée par l’adhésion du
Maroc au socle de valeurs sur lesquelles l’UE est fondée.
Séquence 6

La mise en place d’un espace économique commun entre


le Maroc et l’union européenne : opportunités et défis

Une logique de convergence et de rapprochement optimal

L’aspiration à un Statut avancé dans ses relations avec l’UE est une ambition qui a
été exprimée par le Maroc depuis bien des années. L’amorce de la réflexion stratégique
concernant l’ancrage européen du Maroc a débuté avec feu le Roi Hassan II quand il a
formulé en 1987 une demande d’adhésion à la CEE. Les bouleversements géopolitiques
que le monde a connus à partir de 1989, avec la réunification allemande, et qui se sont
étalés durant la décennie quatre-vingt-dix, ont appuyé cette réflexion : deuxième guerre
du Golfe, dislocation de l’URSS, entrée en vigueur du Traité de Maastricht, prolifération
des accords de libre-échange (MERCOSUR, ALENA…), conclusion des Accords de
l’Uruguay Round et entrée en vigueur de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)…
Le Maroc a dû comprendre ces changements et, dans une optique de régulation de la
pression de la mondialisation et des risques qu’elle peut véhiculer, a compris la
nécessité de s’arrimer à l’UE, tout en cherchant à réactiver l’Union du Maghreb Arabe
(UMA). Cette approche est couplée à une réflexion sur la diversification des partenaires
commerciaux (Etats-Unis, Canada, Turquie, Afrique de l’Ouest…) et la participation à des
initiatives de coopération Sud-Sud : Union pour la Méditerranée, Dialogue
méditerranéen de l’OTAN, etc.

En mars 2000, à l’occasion de sa visite d’Etat en France, le Roi Mohammed VI a


préfiguré les contours du Statut avancé : « Le moment est peut-être aussi venu de donner
à l’agenda européen dans notre région, des tonalités différentes : des tonalités qui
laisseraient espérer au Maroc comme à d’autres pays du Sud de la Méditerranée, qu’ils
pourraient prétendre à un partenariat qui serait à la fois plus et mieux que l’Association
revue et corrigée à laquelle nous nous sommes attelés, et peut être pour quelque temps
encore, un peu moins que l’adhésion que nous dictent pourtant la raison, la géographie et
les réalités au quotidien de la vie économique, sociale et culturelle dans nos pays »21.

A l’heure actuelle, le Maroc est dans une logique de rapprochement optimal avec
l’UE, nourrie par une vision partagée sur les grands enjeux que connait aujourd’hui la
région euro-méditerranéenne. Cette vision, qui englobe donc tout l’espace euro-
méditerranéen, fait l’objet de plusieurs cadres de concertation et de coopération :
processus de Barcelone, Dialogue 5+5, lancement de l’Union pour la Méditerranée… Le
21
Faut-il aussi rappeler que le Roi Mohammed VI, alors Prince héritier, avait passé un stage à la Commission
européenne au moment où il préparait sa thèse de doctorat sur La coopération entre l’Union européenne et les
pays du Maghreb, publiée aux Editions Nathan, Collection « Edification d’un Etat moderne », Paris, 1994, 237
pages.
nouveau partenariat, issu du Statut avancé, traite dorénavant des domaines stratégiques
en rapport avec la stratégie collective, la coopération régionale, la résolution des conflits,
la bonne gouvernance, la lutte contre le terrorisme, la régulation des flux migratoires, la
promotion des droits de l’homme et la coopération en matière d’emploi et des affaires
sociales.

Le Statut avancé se situe donc dans le prolongement de la Politique européenne


de voisinage (PEV). Formulée à partir de 2003 et concrétisée dès 2004, la PEV
ambitionnait de consolider la sécurité des frontières de l’UE au moment où celle-ci
s’était élargie à de nouveaux pays de l’Est, entraînant du coup un changement au niveau
de la géographie politique de l’Europe. Elle se fondait sur une méthode de
différenciation par pays et est exprimée par des Plans d’action opérationnels. Le Plan
d’action PEV-Maroc couvre la période 2005-2010. Cette approche tablait sur la stabilité
et la prospérité du voisinage de l’UE en vue de réduire les risques à ses frontières. Elle
proposait aux partenaires de l’Est de l’Europe et du Sud de la Méditerranée « Tout sauf
les institutions »22, en particulier la possibilité d’accéder progressivement au marché
intérieur européen.

Le Maroc concrétise le schéma d’un partenariat privilégié avec l’UE, une


démarche qui rappelle celle de la Turquie avant l’acceptation officielle de sa demande
d’adhésion à l’UE.

La conclusion du Statut avancé, le 13 octobre 2008, ouvre des perspectives


considérables pour le Maroc. L’agenda politique du Maroc est appelé à se rapprocher de
l’agenda politique européen (logique d’adéquation). Désormais, une interaction forte
devrait se produire entre le Maroc et l’UE à la suite de la mise en œuvre du Statut
avancé, lequel se traduirait, entre autres, par la reprise de l’acquis communautaire. La
transposition de cet acquis dans l’ordre juridique interne, selon une approche séquencée
et ciblée, devrait créer une sorte de pont entre les ordres juridiques communautaire et
marocain.

Le Maroc a donc amorcé une logique de convergence avec l’UE qui devrait lui
permettre « d’atteindre une proximité optimale avec l’Union européenne »23. Elle devrait
aussi lui permettre de « conforter sa dynamique de modernisation politique, d’ouverture
économique et de cohésion sociale et de promouvoir sa concertation et sa coordination
avec l’Union européenne sur les questions stratégiques d’intérêt commun ».24

Le Statut avancé et, de manière générale, le partenariat privilégié dont jouit


désormais le Maroc, lui permet d’accéder à des opportunités considérables, tout en lui
ramenant de nouveaux défis. Des responsabilités nouvelles vont être assumées par les
acteurs politiques et socioéconomiques : gouvernement, parlement, collectivités locales,

22
Selon la formule de Monsieur Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne.
23
Déclaration conjointe, Sommet Union Européenne – Maroc, Grenade, 7 mars 2010, 7220/10 (Presse 54), p.
10.
24
Idem.
régions, entreprises, ONG, individus… Les acteurs étatiques devront penser leurs plans
de développement à l’aune du nouveau contexte géopolitique européen et euro-
méditerranéen : entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en décembre 2009, lancement
de l’Union pour le Méditerranée en juillet 2008, définition d’un nouveau cadre
contractuel entre le Maroc et l’Union européenne à l’aune du Statut avancé…

Le volet économique, financier et social du Statut avancé, formulé à l’heure


actuelle sous forme d’un document conjoint, occupe une place importante, les trois
éléments étant organisés selon une logique d’interdépendance. La création d’un Espace
Economique Commun (EEC) entre les deux parties revêt une dimension stratégique
pour le Maroc, car elle est de nature à stimuler les réformes structurelles du Royaume et
le préparer à l’intégration au marché communautaire. Si cette démarche graduelle et
séquencée présente des opportunités indéniables, elle constitue également un défi
considérable pour le Maroc.

La mise en place de l’EEC devrait se réaliser à travers quatre actions conjuguées :


le rapprochement du cadre législatif du Maroc à l’acquis communautaire ; la conclusion
d’un Accord de libre-échange global et approfondi ; la coopération économique et
sociale ; l’adhésion du Maroc aux réseaux transeuropéens et la coopération sectorielle.
Cette partie (séquence 6) mettra donc en exergue les enjeux sous-jacents à la mise en
place d’un EEC. Elle se déclinera en quatre axes fondamentaux :

- Premièrement, l’Espace Economique Européen : un cadre d’inspiration ;

- Deuxièmement, la reprise progressive de l’acquis communautaire : une approche


graduelle et séquencée ;

- Troisièmement, la conclusion d’un Accord de libre-échange global et approfondi :


une étape essentielle ;

- Quatrièmement, les autres aspects de l’Espace Economique Commun : une


logique d’interdépendance ; et

- Cinquièmement, en termes de perspectives, l’intégration du Maroc dans une logique


de gouvernance euro-méditerranéenne rénovée.

I. L’espace économique européen : un cadre d’inspiration

L’EEC que le Maroc et l’UE devront mettre en place s’inspirera de l’Espace


Economique Européen (EEE) conclu entre trois pays (Norvège, Islande et Liechtenstein)
et l’UE en 1992, entré en vigueur en 1994. La Suisse ne fait pas partie de l’EEE (refus d’y
adhérer par un référendum organisé en 1992), mais elle est membre constitutif de
l’Association européenne de libre-échange (AELE) lancée en 1959. Le Danemark, la
Grande Bretagne, la Suède, el Portugal et l’Autiche, tous membres originels de l’AELE,
ont rejoint plus tard la CEE ou l’UE.
Le Maroc, faut-il le rappeler, a conclu en 1997, un accord de libre-échange avec
l’AELE. Il a également conclu en 2004 un accord de libre-échange avec les Etats-Unis et
avec la Turquie. Il est aussi membre de l’Accord d’Agadir visant à établir une zone de
libre-échange entre les pays arabes méditerranéens25.

Un exercice de benchmarking avec les pays membres de l’EEE serait peut-être


difficile, car les écarts entre ces pays et le Maroc sont importants. Toutefois, rien ne nous
empêche de s’inspirer de l’expérience de ces pays en vue d’en tirer les meilleurs
pratiques.

Juridiquement, l’EEE est un accord d’association conclu entre les communautés


européennes et les trois membres constitutifs de l’EEE. Il n’établit donc pas une union
douanière entre les deux parties. Il assure néanmoins la libre-circulation des
marchandises, des services, des capitaux et des personnes (les quatre libertés). En outre,
il inclut des accords traitant de politique de concurrence, de protection des
consommateurs ou d’éducation. Ceci est atteint en généralisant l’acquis communautaire
dans ces domaines aux membres de l’EEE, en échange d’un droit de consultation lors de
la préparation des directives européennes.

Néanmoins, l’EEE exclut de son champ d’application les produits agricoles non-
transformés ainsi que la pêche. Il ne prévoit pas non plus de coordination des tarifs
douaniers dans le cadre du Tarif Extérieur Commun (TEC). On avance généralement que
l’EEE est une union économique sans union douanière, ce qui est un cas assez atypique
car une union économique, monétaire ou non, est habituellement le degré le plus poussé
de coopération internationale économique, si du moins on suit le raisonnement de Béla
Balassa26.

Théoriquement, le marché commun représente un pas important dans l’intégration


économique. Il supprime les obstacles à la circulation des personnes, des capitaux et
d’autres ressources à l’intérieur de l’espace, tout en éliminant les obstacles non tarifaires
au commerce. Parmi ces obstacles, l’on peut citer les obstacles techniques au commerce
(OTC), les normes sanitaires et phytosanitaires (normes SPS), les normes écologiques…

Sans être dans une logique d’intégration complète au marché commun européen, le
Maroc devra néanmoins subir les conséquences de l’intégration au moins partielle à ce
marché. Ce processus implique une grande harmonisation des politiques dans plusieurs
domaines : convergence, ou du moins rapprochement, des politiques budgétaires et
monétaires, compte tenu de l’interdépendance économique croissante au sein de la zone

25
Cet accord est entré en vigueur en 2007. Il comprend, à l’heure actuelle, quatre pays : Egypte, Jordanie,
Maroc et Tunisie. Cf. Zakaria ABOUDDAHAB, « L’Accord d’Agadir pour la zone de libre-échange entre les pays
arabes méditerranéens : lecture géopolitique (vision marocaine) », in Ahmed DRISS (sous la coordination de),
L’Accord d’Agadir pour la zone de libre-échange entre les pays arabes méditerranéens : Bilans et perspectives,
Actes du Colloque, 3-4avril 2008, Centre des études méditerranéennes et internationales et Fondation Konrad
Adenauer, Tunis, pp. 79-91.
26
Célèbre pour avoir schématisé les étapes de l’intégration économique : zone de libre-échange, union
douanière, marché commun et union économique et monétaire.
et des incidences que les politiques d’un pays membre peuvent avoir sur celles des
autres pays constitutifs.

Le principal avantage de la conclusion d’un EEC réside dans les éventuels gains
d’efficacité de l’économie. Comme l’avancent les économistes, quand la mobilité n’est
pas entravée, la main-d’œuvre et les capitaux peuvent répondre plus facilement aux
signaux économiques à l’intérieur d’un marché commun (même sous forme d’un EEC),
ce qui entraîne une répartition plus efficace des ressources.

La mise en place de l’EEC demandera certainement beaucoup de temps avant de se


concrétiser. Les enjeux liés à l’ouverture économique du Maroc sur l’UE sont
considérables ; ils sont d’ordre monétaire, financier, commercial, social… D’où la
nécessité de mettre en place des filets sociaux de sécurité afin de protéger le marché
national contre d’éventuelles brusques variations. Cette ouverture est à conjuguer à
d’autres processus de libéralisation consentis, soit à un niveau bilatéral, soit à un niveau
multilatéral.

II. La reprise progressive de l’acquis communautaire : une approche


graduelle et séquencée

L’adoption de l’acquis communautaire par le Maroc constitue un préalable pour son


intégration progressive au marché intérieur basé sur les quatre libertés fondamentales.
Cet acquis correspond au corpus juridique communautaire, autrement dit à la somme
des droits et obligations juridiques qui lient les Etats membres. Le critère de l’acquis
communautaire est l’un des trois critères de Copenhague en plus du critère politique et
du critère économique. Ces critères de préadhésion ont été formulés à la suite du Conseil
européen de Copenhague en 1993, renforcés plus tard au cours du Conseil européen de
Madrid en 1995 :

- Critère politique : la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’É tat de


droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ;

- Critère économique : l’existence d’une économie de marché viable et la capacité à faire


face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’UE;

- Critère de l’acquis communautaire, c’est-à -dire l’aptitude à assumer les obligations


découlant de l’adhésion, et notamment à souscrire aux objectifs de l’Union politique,
économique et monétaire.

Or, on sait que le Maroc n’est pas en situation de préadhésion comme pour le cas
de ou de la Turquie ou celui de la Croatie par exemple. Toutefois, et c’est ce qui fait la
singularité de sa relation de partenariat avec l’Union européenne, le Maroc est tenu
d’adopter l’un des critères essentiels de Copenhague, à savoir la reprise de l’acquis
communautaire. Or, par extension, cette reprise ne manquera pas d’avoir des incidences
économiques, financières, politiques, sociales… En effet, « le processus de convergence
réglementaire avec l’UE constitue l’une des composantes essentielles de la mise en œuvre
du document conjoint sur le Statut avancé »27.

D’après le glossaire de l’UE, l’acquis communautaire est en évolution constante et


comprend :

- La teneur, les principes et les objectifs politiques des traités ;

- La législation adoptée en application des traités et la jurisprudence de la Cour de


justice de l’Union ;

- Les déclarations et les résolutions adoptées dans le cadre de l’Union ;

- Les actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune ;

- Les actes convenus dans le cadre de la justice et des affaires intérieures ;

- Les accords internationaux conclus par la Communauté et ceux conclus par les Etats
membres entre eux dans le domaine des activités de l’Union.

Concrètement, l’acquis communautaire est composé de plusieurs chapitres (un


peu plus d’une trentaine divisés en fonction du statut du futur pays membre ou
partenaire avancé pour le cas du Maroc).

Ainsi, pour le cas de la Turquie et celui de la Croatie, ces chapitres sont au


nombre de 35. Ce sont les mêmes que le Maroc devra reprendre et transposer dans son
ordre juridique interne :

 Chapitre 1. Libre circulation des  Chapitre 19. Politique sociale et


biens emploi
 Chapitre 2. Libre circulation des  Chapitre 20. Politique d’entreprise et
travailleurs politique industrielle
 Chapitre 3. Droit d’établissement et  Chapitre 21. Réseaux transeuropéens
libre prestation de services  Chapitre 22. Politique régionale et
 Chapitre 4. Libre circulation des coordination des instruments
capitaux structurels
 Chapitre 5. Marchés publics  Chapitre 23. Appareil judiciaire et
 Chapitre 6. Droit des sociétés droits fondamentaux
 Chapitre 7. Droits de propriété  Chapitre 24. Justice, liberté et sécurité
intellectuelle  Chapitre 25. Science et recherche
 Chapitre 8. Politique de la  Chapitre 26. É ducation et culture
concurrence  Chapitre 27. Environnement
 Chapitre 9. Services financiers  Chapitre 28. Protection des
 Chapitre 10. Société de l’information consommateurs et de la santé
27
Idem.
et médias  Chapitre 29. Union douanière
 Chapitre 11. Agriculture et  Chapitre 30. Relations extérieures
développement rural  Chapitre 31. Politique étrangère, de
 Chapitre 12. Sécurité alimentaire, sécurité et de défense
politique vétérinaire et  Chapitre 32. Contrô le financier
phytosanitaire  Chapitre 33. Dispositions financières
 Chapitre 13. Pêche et budgétaires
 Chapitre 14. Politique des  Chapitre 34. Institutions
transports  Chapitre 35. Autres
 Chapitre 15. É nergie
 Chapitre 16. Fiscalité
 Chapitre 17. Politique économique
et monétaire
 Chapitre 18. Statistiques

A terme, après l’incorporation de l’acquis communautaire, le Maroc devra être en


mesure d’établir avec l’Union européenne un EEC. Cet espace lui permettra d’intégrer
progressivement le marché intérieur de l’Union européenne fondé, comme on le sait, sur
quatre libertés fondamentales et interdépendantes :

- La libre circulation des biens ;

- La libre circulation des services ;

- La libre circulation des capitaux ; et

- La libre circulation des personnes. Pour le cas du Maroc, concernant ce point


spécifique, il s’agira de la libre-circulation des travailleurs selon des modalités à
convenir par la suite.

III. La conclusion d’un accord de libre-échange complet et approfondi : une


étape essentielle

L’Accord d’association Maroc-UE prévoit, dans son volet économique, l’instauration


d’une zone de libre-échange entre les deux parties (voir séquence 3). Ce projet est donc
rattrapé par l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA). Les contours de
cet accord ne sont pas encore définis et il faudra faire œuvre d’imagination pour définir,
juridiquement, ce qu’est un ALECA.

En principe, et conformément à la réglementation pertinente de l’OMC, les zones de


libre-échange (ZLE) ne doivent pas être partielles. D’après la terminologie consacrée, ces
zones doivent concerner l’’essentiel des échanges commerciaux ». Autrement dit, elles
ne doivent pas exclure de leurs champs d’application certains secteurs, comme
l’agriculture par exemple. Or, dans la pratique, on constate que la plus part des ZLE
excluent l’agriculture de leur champ d’application et rarement elles intègrent
complètement les services et le droit d’établissement. Cette situation n’est pas d’ailleurs
sans rappeler le statut particulier de l’agriculture au sein de l’OMC. Ce secteur bénéficie
en effet d’une approche graduelle de libéralisation (au même titre que les services)
devant prendre en considération les aspects non commerciaux de l’ouverture :
protection de l’environnement, normes SPS, etc.

On peut se poser la question si l’ALECA allait permettre une libéralisation intégrale


des échanges agricoles dans les relations entre le Maroc et l’UE. L’accord conclu en
décembre 2009 ne permet d’ailleurs qu’une levée partielle des restrictions au commerce
de ces produits (augmentation des quotas et du nombre des produits concerné par cet
accord).

Par ailleurs, l’accord de libre-échange, étape essentielle dans la concrétisation à


terme d’un EEC, devra inclure les services et le droit d’établissement. Il devra également
prévoir un mécanisme pour le règlement des différends.

Selon le texte annonçant le Statut avancé, l’ALECA devra, entre autres choses,
comprendre les aspects opérationnels suivants (liste exemplative). Ces mesures forment
un tout indivisible et cohérent :

1. Accès aux marchés publics.

2. Facilitation de l’accès au marché pour les produits industriels – harmonisation de la


législation et des normes marocaines.

3. Mouvements de capitaux et paiements.

4. Mesures sanitaires et phytosanitaires.

5. Droits de la propriété intellectuelle et industrielle.

6. Politique de concurrence

7. Protection du consommateur

8. Douane et facilitation du commerce.

9. Commerce et développement durable, notamment les aspects sociaux et


environnementaux, y inclus la bonne gouvernance des pêches.

10. Mécanisme d’alerte ou de consultation rapide en matière de mesures ayant un


impact sur le commerce et l’investissement.

De même, l’UE et le Maroc ont convenu, en vertu de la feuille de route sur le


Statut avancé, ont convenu d’examiner une série de questions d’ordre technique comme
l’adaptation des règles d’origine, le renforcement du dialogue sur le système de
l’Opérateur Economique Agréé (OEA) entre douanes marocaine et européenne, le
renforcement du dialogue en matière de lutte contre la contrefaçon et le piratage, la
possibilité de faire bénéficier le Maroc de dispositions permettant la négociation
d'accords de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles en vue de
favoriser la mobilité des fournisseurs de services et des investisseurs.

On peut écrire que l’ALECA permettra une ouverture maitrisée des marchés. Il
évitera une levée brusque des barrières tarifaires et non tarifaires, selon une démarche
graduelle et séquencée. En ce sens, l’incorporation de l’acquis communautaire permettra
de s’imprégner du goû t avant coureur du libre échange global et approfondi. Elle se
posera sans doute en termes de contrainte systémique, le Maroc (et tous les acteurs
économiques) devant respecter de manière scrupuleuse les règles qui président au
fonctionnement d’une économie viable de marché.

Nous pouvons également se poser des questions de type : le Maroc dispose-t-il de


la pleine capacité administrative pour absorber l’acquis communautaire et, partant,
traduire en des termes concrets les quatre libertés qui fondent le marché intérieur
européen ? Les ressources humaines sont-elles suffisamment qualifiées pour gérer tous
ces enjeux ? Tellement de défis qui doivent être relevés (administratifs, techniques,
financiers, humains…) pour pouvoir réussir l’ancrage stratégique du Maroc à l’Europe.

Il reste toutefois beaucoup à faire sur la voie de la conclusion de l’ALECA. Comme le


souligne la Déclaration conjointe adoptée à l’issue du premier sommet UE-Maroc tenu à
Grenade, les 6 et 7 mars 2010 : « Les deux Parties se sont aussi félicitées des progrès
importants qui ont été réalisées ces derniers mois en ce qui concerne les négociations
commerciales qui ont permis la conclusion des négociations sur le commerce des produits
agricoles, agricoles transformés et de la pêche ainsi que de celles de l’accord sur le
règlement des différends commerciaux qui constituent une étape importante vers un
Accord de libre échange global et approfondi. Dans ce cadre, elles soulignent que des
avancées substantielles doivent être enregistrées dans les négociations en cours sur le
commerce des services et du droit d’établissement ».

IV. Les autres volets de la coopération économique, y compris la connexion


du Maroc aux réseaux de transport transeuropéens et la coopération
sectorielle

La coopération économique ira de pair avec la coopération sociale. Elle couvre un


champ très varié de domaines de collaboration qui sont de nature à aider l’économie
marocaine à devenir une économie viable de marché. Ces domaines, sans pouvoir les
détailler, concernent, entre autres, l’investissement (projet de création d’un Forum
économique Maroc-UE), l’industrie (soutien de la politique de recherche et d’innovation
industrielle), coopération entre les fédérations d’entreprises, la politique d’entreprise
(l’appui à l’ANPME : Agence nationale de promotion des petites et moyennes
entreprises), normalisation et réglementation technique, politique industrielle (soutien
à l’Office marocain de propriété industrielle et commerciale : OMPIC), etc.
La coopération économique devrait se réaliser à travers la connexion du Maroc aux
réseaux transeuropéens et le renforcement de la coopération sectorielle.

La première concerne les infrastructures de transport, le transport maritime, le


transport aérien, le transport ferroviaire…

La seconde couvre des domaines importants comme l’énergie. Le Maroc ambitionne


en effet d’intégrer pleinement son marché de l’énergie au marché européen de l’énergie,
notamment pour l’électricité et le gaz. Des projets de coopération en matière d’énergies
renouvelables (solaire et éolien) sont également prévus.

D’autres secteurs sont également compris dans cette coopération sectorielle. Il en est
ainsi des technologies de l’information et de la communication, de l’agriculture, de la
pêche, des mines, de l’environnement et de l’eau.

On le voit, la coopération économique couvre un vaste domaine. Le Maroc


ambitionne d’inscrire son économie dans le cadre d’une vision de compétitivité globale.
Les grands projets structurants qu’il a lancés seront confortés par la dynamique
impulsée par le Statut avancé. Cette dynamique devra aussi être appuyée par les acteurs
de la société civile. En effet, la dimension humaine du Statut avancé est fondamentale. Le
document sur le Statut avancé note à cet égard : « Le groupe de travail considère qu’il est
indispensable de développer la dimension humaine du partenariat UE-Maroc, à travers le
renforcement des échanges culturels, éducatifs et scientifiques, l'implication de nouveaux
acteurs et l’encouragement d'espaces de dialogue et de concertation entre les sociétés
civiles et l'implication croissante des acteurs non étatiques dans le partenariat Maroc-UE ».

V. L’intégration du Maroc dans une logique de « gouvernance euro-


méditerranéenne rénovée »

A l’occasion du premier sommet Union Européenne – Maroc, le Roi Mohammed VI a


souligné dans un discours prononcé par le Premier Ministre de l’époque, Monsieur
Abbas EL FASSI : « … ce Statut avancé permettra au Maroc et à l’Union européenne de
préfigurer et d’anticiper ensemble les contours d’une gouvernance euro-méditerranéenne
rénovée qui soit davantage ambitieuse et davantage solidaire »28.

La démarche de rapprochement optimal du Maroc avec l’UE n’est pas à sens unique ;
elle est aussi européenne. En effet, depuis 1999, le Maroc mène une politique de
rapprochement avec le Conseil de l’Europe. Cette politique a porté ses fruits. Le 1er juillet
2009, le Maroc a adhéré au Centre Nord Sud relevant du Conseil de l’Europe. Cette
adhésion, la première du genre pour un pays non européen, permettra aux institutions
marocaines d’accéder à des instruments de coopération variés. Dans cet esprit, le Maroc

28
Cité dans Le Matin du Sahara et du Maghreb, 8 mars 2010, p. 2.
a formulé une demande officielle en vue de l’obtention du statut de « Partenaire pour la
démocratie » auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE)29.

D’autres possibilités importantes de coopération entre le Maroc et le Conseil de


l’Europe sont ouvertes : possibilité d’adhérer à la Charte européenne de l’autonomie
locale ; possibilité de faire partie du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux...30. Bien
entendu, il conviendra d’articuler ces possibilités avec la future architecture régionale
du pays, en prenant en considération la spécificité des régions du sud, lesquelles vont
probablement bénéficier d’un régime sui generis.

Le Maroc fait désormais partie de l’Assemblée Régionale et Locale euro-


méditerranéenne (ARLEM). Cette Assemblée a été lancée le 21 janvier 2010, à
Barcelone. Il s’agit en l’occurrence d’un nouvel espace institutionnel de dialogue pour les
autorités locales et régionales au sein de l’Union pour la Méditerranée (UpM) dont le
Maroc est partie prenante. En outre, dans le cadre du Statut avancé, un projet de
création d’une Commission Parlementaire mixte UE-Maroc est en cours ; il devrait voir
le jour au courant de l’année 2010. Les perspectives de coopération avec le Comité des
Régions sont également prometteuses. Dans ce sens, le Maroc et l’UE « encouragent la
coopération entre le Comité des Régions et les entités régionales marocaines. L’UE note
avec intérêt les initiatives marocaines en matière de décentralisation, de régionalisation et
de réformes des collectivités locales »31.

En somme, les possibilités offertes par le chantier titanesque du Statut avancé,


conjugué à la dynamique générée à la suite de l’adossement du Maroc au Conseil de
l’Europe et le lancement de l’UpM (Union pour la Méditerranée), sont considérables. Les
institutions marocaines devront désormais penser leurs actions en des termes
stratégiques et géopolitiques. Stratégiques, car elles devront coordonner leurs actions
avec tous les acteurs du développement selon une démarche systémique et à long terme.
Géopolitiques, car le cadre spatial de leurs actions sera englobé dans un espace élargi :
l’Euro-méditerranée.

Il va sans dire que les capacités conceptuelles, humaines, techniques, financières,


logistiques et opérationnelles de l’administration marocaine (tous acteurs confondus)
devront subir une profonde qualification dans le sens de leur développement,
renforcement et consolidation.

29
Voir séquence 7.
30
Cf. Les conclusions du Séminaire sur les perspectives de coopération entre le Royaume du Maroc et le Conseil
de l’Europe, Rabat, 22-23 février 2010.
31
Déclaration conjointe. Sommet Union Européenne – Maroc, op. cit., p. 6.
Séquence 7

Le Maroc, premier pays non européen désigné comme


Partenaire pour la Démocratie

L’octroi au Maroc par le Conseil de l’Europe, le 21 juin 2011 du statut de


partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire intervenait dans
une période de mobilisation politique en perspective de l’adoption du nouveau texte
constitutionnel. Il intervenait aussi dans la foulée de l’adhésion, en juillet 2011, du
Maroc au Centre Nord-Sud. Le Maroc est, en outre, Etat membre de l’Accord européen et
méditerranéen sur les risques majeurs. Ce titre renforce le statut avancé. En effet, l’une
des dimensions politiques de ce statut est, précisément, de renforcer la coopération
interparlementaire entre le Maroc et l’UE. A cet effet, une commission parlementaire
mixte a été créée en mai 2010 (voir supra). Le dialogue politique renforcé entre le Maroc
et l’UE prend ainsi forme.

C’est en vertu de la résolution 1818 en date du 21 juin 2011 que le Statut de


« Partenaire pour la démocratie a été attribué au parlement marocain. Ce statut a été
créé en vertu de la résolution 1680 adoptée en 2009 par l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe dans l’objectif de soutenir les transformations démocratiques
dans les pays du voisinage européen. Ce nouveau statut a été rendu possible à la suite de
l’amendement apporté à l’article 60 du Règlement intérieur de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Cet amendement est entré en vigueur en
janvier 2010 permettant, ainsi, aux parlements des Etats non membres de bénéficier de
l’expérience de l’Assemblée en matière de renforcement de la démocratie. Il leur permet
aussi de participer au débat politique sur les enjeux communs dépassant les frontières
européennes.

Le Maroc a donc satisfait aux critères énoncés par le Conseil de l’Europe pour
bénéficier du statut de Partenaire pour la démocratie. Aux termes de l’article 60, § 2, du
règlement intérieur de l’APCE, les partenaires pour la démocratie doivent faire siennes
les valeurs du Conseil de l’Europe que sont « la démocratie pluraliste et paritaire, l’Etat
de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Que signifie cette reconnaissance ?

Ce nouveau statut engage le Maroc dans une série de réformes destinées à


renforcer l’ancrage du Royaume aux droits de l’Homme. Parmi ces réformes, la
résolution 1818 précitée énumère une série d’engagements qui ont trait, notamment, à
la consécration du droit à la vie (abolition de la peine capitale), à l’organisation
d’élections libres, justes et transparentes, à la promotion de la parité Hommes-Femmes
et à l’encouragement du Maroc à l’adhésion des Conventions européennes ayant trait
aux droits de l’Homme.
Au vu des réalisations importantes déjà accomplies, et compte tenu de l’extension
significative du champ des libertés et des droits fondamentaux dans le cadre de la
nouvelle Constitution, le Maroc est, toutes proportions gardées, pratiquement au niveau
des standards européens en matière de droits de l’Homme. Bien entendu, il reste encore
du chemin à traverser. On le sait, il y a souvent un hiatus entre la norme et le
comportement, entre la théorie et l’action.

Concrètement, le statut de « Partenaire pour la Démocratie » permettra au Maroc


de participer aux réunions de l’APCE sans toutefois prendre part au vote. Une telle
participation lui permettra, entre autres, d’exposer le point de vue des parlementaires
marocains au sujet de problématiques qui interpellent les deux rives de la Méditerranée
comme la lutte contre le terrorisme, la promotion du dialogue des cultures… Elle lui
permettra aussi de mettre en valeur les efforts que ne cesse de déployer le Maroc pour la
résolution pacifique du conflit du Sahara.

La nouvelle Constitution hisse le Maroc au rang de pays plus ou moins avancés


sur le plan démocratique (régime démocratique encore hybride ou parlementarisme
bicéphale pour reprendre la formule de David Melloni)32. Bien entendu, les efforts
déployés sur les plans politique, juridique et institutionnel, devront être complétés par
des mesures soutenues en matière économique, sociale et culturelle en vue d’ancrer à
jamais l’Etat de droit démocratique, seul rempart contre les extrêmises et les dérives de
toutes sortes. Dans ce sens, le paragraphe 16 de la résolution 1818 précitée stipule :
« L’Assemblée est convaincue que l’octroi du statut de Partenaire pour la Démocratie au
Parlement du Maroc contribuera à renforcer la coopération entre ce pays et le Conseil de
l’Europe et à promouvoir l’adhésion du Maroc aux conventions du Conseil de l’Europe. Elle
encourage, par conséquent, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, en coordination, le
cas échéant, avec l’Union européenne, à mobiliser l’expertise de l’Organisation, dont celle
de la Commission de Venise, en vue de contribuer à la pleine application des réformes
démocratiques au Maroc, notamment dans le cadre de l’imminente réforme de sa
constitution ».

32
In La Constitution marocaine de 2011. Analyses et commentaires, Paris, LGDJ, 2012.
Séquence 8

L’examen de l’impact institutionnel de la convergence


réglementaire : une perspective de transfert de
politiques publiques (PTS)

Le champ des politiques publiques, en tant que catégorie fondamentale de la


science politique, est encore à ses débuts au Maroc. Néanmoins, il n’est pas sans intérêt
de creuser dans le concept de policy transfer, s’interroger sur ses présupposés
théoriques, les paradigmes au cœur desquels il s’inscrit, les hypothèses qu’il renferme,
les lois qu’il édicte, les limites qu’il rencontre… Une telle démarche théorique implique
une perspective interdisciplinaire : science politique comme « science dure », mais aussi
sociologie de l’action publique, politique internationale… Au fond, et nous y reviendrons,
la démarche s’inscrit au cœur du paradigme néo-institutionnaliste.

L’acquis communautaire, somme des actes juridiques et réglementaires produits


par l’Union européenne, depuis sa fondation en CEE en 1957, devrait être réceptionné
par le Maroc au titre du Statut avancé accordé à ce pays en octobre 2008. En des termes
plus explicites, et tout en s’adossant à une démarche de politique publique, il s’agit
d’examiner et d’évaluer le processus d’ « importation » de cet acquis envisagé de
manière systémique et interdépendante, analyser ses courroies de transmission
(institutions, opérateurs…). Bien entendu, au-delà de la dimension institutionnelle du
processus de transfert de politique publique, en l’occurrence l’acquis communautaire
traduit en tant que tel, l’attention sera aussi focalisée sur les entrepreneurs politiques
envisagés en tant qu’acteurs de ce transfert.

Il convient donc d’explorer la pertinence théorique du concept de transfert de


politique publique pour le cas du Maroc dans sa relation avec l’Union européenne, en
particulier à la suite de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en décembre 2009. Des
concepts comme la force normative (Zaki Laïdi) ou le Soft Power (Joseph Nye) ne sont
pas loin des processus de diffusion véhiculés par des institutions comme l’Union
européenne ou la Banque Mondiale. De même, les concepts d’agenda politique, de
fenêtre d’opportunité, de cycle politique s’inscrivent au cœur des policy transfer.

L’on part d’une interrogation fondamentale formulée ainsi : La reprise graduelle


et séquencée de l’acquis communautaire par le Maroc, dans le cadre du statut
avancé, peut-elle être considérée comme un processus de transfert de politique
publique ? Dans l’affirmative, et c’est notre hypothèse fondamentale, quelles sont les
interactions interinstitutionnelles générées à la suite de cet adossement ainsi que
leurs implications ?
1. Hypothèses de travail

A la lumière de la question centrale qui guidera nos développements, l’on pourra


formuler quelques hypothèses à titre préliminaire :

- Les politiques publiques au Maroc convergent à long terme avec les politiques
publiques européennes ;
- L’agenda politique marocain est de plus en plus orienté (ou du moins influencé)
par l’agenda politique européen ;
- L’Union européenne inscrit le Maroc dans une logique de path dependence ;
- La conditionnalité démocratique renforcée stimulera le processus de transition
politique amorcé au Maroc (effets transversaux) ;
- Les acteurs politiques nationaux et les opérateurs économiques subissent de
manière ascendante les effets institutionnels et politiques de l’Union européenne
(effet entonnoir).

2. Cadre méthodologique

Les politiques publiques offrent un cadre heuristique fertile. Si on part de la


notion de paradigme proposée par Thomas Kuhn, celui-ci a cette « capacité de donner à
voir davantage et d’engendrer des études et conclusions prédictives de phénomènes »33. Le
recours au concept de transfert de politique publique (TPP) permet ainsi d’identifier
plusieurs variables à l’œuvre dans la situation étudiée (reprise progressive et séquencée
de l’acquis communautaire par le Maroc consécutif à une logique d’adossement). Pour ce
faire, le néo-institutionnalisme (ou les néo-institutionnalismes), en tant que
paradigme scientifique, sera le cadre méthodologique principal de notre investigation. Il
a cette capacité prédictive en ce sens que les tenants du néo institutionnalisme
soutiennent que les institutions, une fois créées, « empruntent un parcours déterminé par
leur logique initiale et deviennent en quelque sorte des variables indépendantes »34. Dans
une perspective axée sur les politiques publiques, le néo-institutionnalisme mettra en
avant l’idée selon laquelle, « la structure des institutions politiques influe sur l’action des
gouvernements et sur la façon dont ils conduisent cette action »35.

L’analyse des politiques publiques (APP) nous fournira, par conséquent, un cadre
méthodologique pratique. L’interrogation qui en découlera sera forcément systématique
et activera la « boîte à outils » qu’offre donc la démarche, ô combien fertile, en termes de
politiques publiques. L’analysera s’intéressera aussi aux mécanismes de coordination
institutionnelle que les acteurs de l’acquis communautaire au Maroc devront mettre en
place en vue d’en assurer l’effectivité.

3. La convergence réglementaire comme processus de transfert


33
Bertrand Badie et al. (sous la direction de), Dictionnaire de la science politique et des institutions
politiques, 6ème édition, Ed. Armand Colin/Dalloz, Paris, 2005, p. 189.
34
Ibid., p. 218.
35
Laurie Boussaguet et al. (sous la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2ème édition,
Presses Sciences Po, Paris, 2006, p. 293.
La transposition de l’acquis communautaire amènera plusieurs outils cognitifs
dont l’administration marocaine devra s’accommoder. L’enjeu va se situer
essentiellement au niveau des capacités administratives du Maroc. L’implémentation de
l’acquis communautaire est indissociable de la modernisation de l’action publique. Nous
pensons que la convergence réglementaire rapprochera l’agenda politique du Maroc à
celui de l’Union européenne. Il s’agit, en l’espèce, d’une logique proche du processus
d’européanisation qui inscrit les pays candidats dans une conditionnalité serrée. Il s’agit
d’un puissant facteur de développement institutionnel. Dans cette optique, force est de
noter que le PIN (Programme indicatif national) 2011-2013 a pris une enveloppe totale
de 580,5 millions d’euros, dont 40% sont dédiés au programme « faire réussir le statut
avancé » et à la « modernisation de l’action publique ».

4. Les institutions font partie des structures macrosociologiques

Le transfert des politiques publiques, notamment au niveau institutionnel, n’est


pas une pure opération technique ou relevant de la pure technologie institutionnelle. Il
est un processus complexe qui véhicule ou transpose des schèmes cognitifs, des idées,
des valeurs, des méthodes… La greffe des institutions se fait dans un contexte global
constitué de facteurs multiples qui agissent de manière combinée : facteurs politiques,
facteurs socioéconomiques…

L’isomorphisme, c’est-à -dire « l’imitation du modèle le plus légitime à un moment


donné », a donc des limites de type essentiellement cognitif36. L’acquis communautaire
transférera en effet le référentiel européen en matière de politiques publiques. C’est
pour cette raison que des spécialistes des PTS préconisent la nécessité, pour les pays
engagés dans un processus de convergence réglementaire, d’initier également un
processus de convergence cognitif en vue d’assurer les conditions psychologiques de la
réussite des transferts des politiques publiques37.

5. Renforcer la capacité institutionnelle à mettre en œuvre les réformes


de manière efficace : pour une gouvernance de la convergence
réglementaire

La situation du Maroc est proche des pays en état de préadhésion comme la


Croatie ou la Turquie. En effet, dans chacun de ces pays, il est nécessaire que les
administrations aient les capacités institutionnelles pour mettre en œuvre l’acquis
communautaire : non seulement son absorption, mais sa traduction dans les faits, son
opérationnalisation.

36
Thierry Delpeuch, « Comment la mondialisation rapproche les politiques publiques », in l’Economie politique,
Trimestriel-Juillet 2009, p. 98.
37
Selon C.-J. Bennet, « la convergence cognitive renvoie aux modalités de construction d’un problème, de
définition des finalités prioritaires de l’orientation d’une politique publique, et donc de légitimation de celle-ci.
La convergence sur les instruments de politique publique concerne, quant à elle, les outils adoptés et leur mode
d’utilisation ». Cité par Elsa Tulmets, « L’adaptation de la méthode ouverte de coordination à la politique
d’élargissement de l’UE : l’expérience des jumelages institutionnels en Estonie et en Hongrie », in Politique
européenne, n°18, hiver 2006, p. 163.
La capacité institutionnelle implique « la nécessité pour les candidats de disposer
d’institutions administratives et judiciaires capables de mettre en œuvre l’acquis
communautaire »38. Cette capacité agit doublement, dans deux directions : au niveau
horizontal (coordination intergouvernementale) et au plan vertical ou sectoriel. Le
gouvernement, le parlement, les collectivités locales, les établissements publics, et
toutes les autres institutions, seront tous concernés, à des degrés divers, par la
convergence réglementaire. L’un des défis majeurs consiste, précisément, d’assurer la
coordination entre tous les acteurs de ce processus en vue d’en assurer une application
effective.

Si la littérature européenne évoque le concept de gouvernance de l’élargissement,


l’on peut transposer le concept au cas marocain, s’agissant du processus de convergence
réglementaire. Ainsi, il est possible de retenir le concept de gouvernance de la
convergence réglementaire.

38
Elsa Tulmets, « L’adaptation de la méthode ouverte de coordination à la politique d’élargissement de l’UE :
l’expérience des jumelages institutionnels en Estonie et en Hongrie », op. cit., p. 162.

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