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La manière de préserver les secrets d'État et d'avoir de bons ambassadeur... https://www.monde-diplomatique.

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La manière de préserver les secrets


d’État et d’avoir de bons
ambassadeurs

L
� Livre de la couronne, que l’U.N.E.S.C.O. vient de publier dans la série de ses traductions
d’auteurs arabes, est une lecture à la fois divertissante et instructive : il s’agit d’un ouvrage
sur les questions de protocole écrit par un auteur inconnu, au IXe siècle, dans un dessein
didactique (1). Le terme protocole est pris ici dans un sens très large : il englobe non
seulement le cérémonial qui doit entourer le souverain dans ses relations avec ses sujets et
les souverains étrangers, mais traite aussi de nombreuses autres questions concernant l’attitude du
souverain dans diverses circonstances de la vie.

L’auteur pose en principe qu’il y a trois choses qu’un roi ne saurait supporter : la trahison avec ses
femmes, l’attaque contre son gouvernement et la divulgation de ses secrets. Pour se préserver du
premier danger il conseille de faire subir à ceux qui ont accès au palais royal des épreuves rigoureuses.
Il n’est pas moins sévère à l’égard des conseillers capables de trahir les secrets du roi ; là encore il
estime nécessaire de mettre à l’épreuve les personnes qui pourraient être portées à l’indiscrétion ; il
cite l’exemple de Chosroès II Parviz qui employait en pareil cas des moyens que l’auteur juge
admirables.

« Quand il savait que deux personnages de son entourage et de sa suite étaient intimement liés d’amitié
et s’accordaient en tout et contre tout, il s’isolait avec l’un d’eux et lui confiait un secret relatif à son
ami : il lui apprenait (par exemple) qu’il était décidé à le faire exécuter, lui recommandait de ne pas
dévoiler ce secret à l’intéressé, à plus forte raison à d’autres personnes, et le menaçait d’un châtiment.
Son épreuve consistait ensuite à observer l’attitude de son ami quand il entrait au palais et en sortait,
l’éclat de son visage et son comportement quand il se présentait devant le roi. S’il constatait que son
maintien n’avait pas changé, il comprenait que l’autre ne lui avait rien révélé de son secret. De ce dernier
il faisait ensuite son familier ; il le traitait avec des égards particuliers, élevait son rang, lui marquait sa
faveur, puis, seul avec lui, lui disait : “Je voulais faire exécuter Untel à cause de certains renseignements
que je possédais sur son compte, mais, après enquête, j’ai constaté que c’était faux.” »

Mais s’il remarquait que (le condamné) était effrayé, se tenait à l’écart et détournait son visage, il
comprenait que l’autre avait divulgué son secret. Alors Parviz le jetait en disgrâce, le rabaissait et le
traitait durement ; il faisait savoir à son ami qu’il avait simplement voulu l’éprouver en lui confiant son
secret. Si celui-ci était un haut dignitaire, il le rétrogradait ; si c’était un familier, il ordonnait qu’on
l’écartât ; s’il s’agissait d’un fonctionnaire, il donnait des ordres pour qu’on se passât de ses services ; si
c’était un préposé à un pyrée, il ordonnait sa révocation et la suppression de ses émoluments. »

L’auteur se préoccupe aussi des qualités que devrait posséder le diplomate, c’est-à-dire l’émissaire que

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le roi choisit pour l’envoyer auprès de souverains étrangers. Cet ambassadeur doit être « robuste de
constitution et de tempérament, doué d’éloquence et d’aisance dans sa manière de s’exprimer, capable de
saisir les finesses de langage, et de répondre promptement, de transmettre la lettre et l’esprit du message
du roi ; il doit avoir un accent sincère, ne pas être enclin à l’ambition ni au risque, bien retenir ce dont il
a été chargé ».

Comme généralement l’auteur rappelle sur ce point encore la pratique de ces modèles préférés, les
rois de Perse : « Quand les rois de Perse décidaient de choisir parmi leurs sujets un futur émissaire auprès
des souverains des nations étrangères, ils le mettaient tout d’abord à l’épreuve en le chargeant de quelque
mission auprès d’un dignitaire ou d’un personnage de la cour, non sans dépêcher auparavant un agent
chargé d’assister à l’accomplissement de la mission et d’enregistrer les paroles prononcées.. Quand le
messager revenait en rendre compte, l’agent rapportait le texte de ses paroles et de ses réponses, et le roi
n’avait plus qu’à le comparer avec le rapport présenté par le messager ; si les deux versions concordaient
absolument, ou tout au moins quant au fond, le roi pouvait constater la rectitude de son esprit et la
sincérité de son langage. Ensuite il le chargeait d’une mission auprès d’un ennemi en le faisant suivre
d’un agent chargé de retenir ses paroles, de les transcrire et de les lui rapporter. Si le rapport de
l’émissaire concordait avec celui du témoin, et si le roi constatait qu’il lui avait fidèlement transmis les
paroles de son ennemi, sans rien y ajouter à cause de leur hostilité, il lui conférait la charge d’émissaire
auprès des souverains étrangers et lui accordait sa confiance. Après ces épreuves, ses rapports avaient la
force d’un témoignage probant. »

Cette méfiance initiale à l’égard des personnes destinées à devenir diplomates, l’auteur la justifie en
rappelant le mot d’Ardéchir Ier, fils de Babek : « Combien de sang les émissaires ont fait verser d’une
manière illicite ! Combien d’armées massacrées, de troupes défaites, de femmes violées, à cause de la
trahison et des mensonges des émissaires ! »

Le Livre de la couronne insiste aussi sur la nécessité pour le roi de posséder un service de
renseignement parfait lui permettant de connaître les pensées de son entourage et tout ce qui se passe
dans son pays. « Le bon roi doit avoir pour règle d’être au courant de tout ce qui est caché, enterré, de
façon à tout connaître comme il se connaît lui-même ; rien, dans sa politique et l’organisation de son
gouvernement ne doit revêtir à ses yeux plus d’importance et de gravité que les renseignements dont nous
venons de parler. Aucun roi ne fut jamais plus admirable sous ce rapport qu’Ardéchir Ier, fils de Babek.
On dit que, le matin, il savait tout ce qui s’était passé durant la nuit, en bien ou en mal, chez les
habitants de la capitale ; le soir il savait tout ce qu’ils avaient fait dans la journée. Il pouvait à son gré
dire au plus haut placé comme au plus humble : “Cette nuit, il s’est passé chez toi telle et telle chose !”
puis lui raconter tous les événements oui s’étaient déroulés jusqu’au matin. D’aucuns disaient même qu’il
recevait la visite d’un ange descendu du ciel pour l’informer. Cela ne provenait que de sa vigilance et du
grand soin qu’il prenait du sort de ses sujets. Il possédait de pareils renseignements sur les habitants de
son royaume qui étaient éloignés de la capitale. »

Ces quelques citations ne donnent qu’une idée bien incomplète de cet ouvrage oui présente un réel
intérêt au point de vue de l’histoire des mœurs du monde arabe au IXe siècle et même de l’histoire de
la diplomatie.

(1) Le Livre de la couronne, attribué à Gahiz, traduit par Charles Pellat, société d’édition « les Belles Lettres », 1954.

Mot clés: Essai Idées Histoire Stratégie Diplomatie Monde arabe

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