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II Concepts de Base de La Négociation Et Etapes Pratiques
II Concepts de Base de La Négociation Et Etapes Pratiques
Théorie et pratique de la
négociation
Approche de la littérature
Ressources en ligne pour l’élaboration des politiques
Théorie et pratique de la
négociation
Approche la littérature
Tanya Alfredson, John Hopkins University, Baltimore, Maryland, États-Unis
et
Azeta Cungu, Service du soutien aux politiques agricoles, Division de
l’assistance aux politiques et de la mobilisation des ressources, FAO,
Rome, Italie
pour le compte de
Le programme de renforcement des capacités relatives aux politiques et aux stratégies agricoles a pour but
de former les responsables de haut niveau de l'élaboration des politiques des pays membres en matière de politiques
et de stratégies de développement agricole et rural. Pour ce faire, il leur fournit des connaissances avancées, facilite
l'échange de savoir et présente des mécanismes pratiques d'application des changements apportés aux politiques
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Programme de formation aux politiques de la FAO
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
Sommaire
1. Introduction ....................................................................................... 1
5. Conclusion ....................................................................................... 27
1. INTRODUCTION
Il n’est donc pas surprenant, que depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et encore plus
depuis la fin de la guerre froide, ait émergé un champ d’investigation consacré
exclusivement à la théorie de la négociation. Des penseurs et des praticiens de disciplines
aussi diverses que l’économie, le droit, les relations internationales, la psychologie, les
mathématiques et la gestion de conflits sont à l’origine de toute une littérature visant à aider
les praticiens à comprendre la dynamique de la négociation.
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Programme de formation aux politiques de la FAO 3
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
compétents auprès des responsables de l'élaboration des politiques et des experts agricoles
est devenue de plus en plus nécessaire.
Les politiques agricoles et les questions apparentées requièrent souvent des négociations
complexes au niveau national et international. Le processus de création de la Politique
agricole commune (PAC) dans l’Union européenne et ses réformes subséquentes en
constituent un exemple classique, de même que les efforts de réduction des distorsions des
marchés internationaux conséquences du protectionnisme agricole et des pratiques
commerciales non équitables de nombreux pays qui sont apparues pendant les multiples
cycles de négociations internationales du GATT et de l’OMC (encadré 1).
Le Traité de Rome avalisait l'idée d'un marché commun et d'une politique agricole commune.
Pour en arriver là, cependant, les six membres fondateurs ont dû réconcilier des intérêts
divergents dans plusieurs domaines et surmonter leurs désaccords sur la marche à suivre
pour atteindre leurs objectifs communs. La PAC est entrée en vigueur cinq ans plus tard,
après des négociations entre les deux principaux pouvoirs, la France et l’Allemagne. Par un
traité signé entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer en 1962, la France acceptait un
marché libre et une union douanière qui permettait à l’industrie allemande d’accéder à ses
marchés intérieurs, tandis que l’Allemagne subventionnait les agriculteurs français par
l’intermédiaire de Bruxelles. C'est ainsi qu’est née la PAC complexe que nous connaissons
tous aujourd'hui.
La PAC a certes relancé et redynamisé l’agriculture européenne, mais au prix d’une multitude
de politiques protectionnistes. Une batterie de mesures douanières et domestiques a été mise
en place, sous forme, entre autre, de subventions de la production, de quotas et de diverses
taxes sur les marchandises importées, afin de garantir les prix et de protéger les producteurs
locaux. Au fil du temps, ces politiques se sont avérées de plus en plus inefficaces, ont
déformé le marché et ont coûté très cher à maintenir. Dans les années 1980, l’UE stockait
d’énormes surplus agricoles et subventionnait massivement les exportations pour s’en
débarrasser à grande échelle. À son apogée, la PAC représentait plus des deux tiers du
budget de l’UE, au bénéfice disproportionné des grosses exploitations riches. Elle commença
alors à susciter des critiques de plus en plus vives de la part des partenaires internationaux,
parce qu’elle déformait le marché et instaurait une concurrence déloyale pour les producteurs
des pays extérieurs au bloc. De plus, les circonscriptions nationales renâclaient de plus en
plus à payer le prix fort pour continuer à soutenir les agriculteurs.
La première réforme sérieuse de la PAC fut celle de MacSharry, en 1992. Les nouvelles
mesures ont procédé en partie par versements directs aux agriculteurs pour soutenir leur
revenu plutôt que les prix. Cette réforme ouvrit la voie au soutien de l’UE à la conclusion des
négociations sur le commerce international du Cycle de l’Uruguay (CU) dans le cadre du GATT
4 Module EASYPol 179
Matériels conceptuels et techniques
En résumé, dans les sociétés démocratiques les processus de négociation jouent un rôle
crucial dans l’élaboration des politiques et ont le pouvoir d’en façonner les résultats, ainsi
que d’influer sur leur choix et les modalités de leur mise en œuvre. Ce point a été de plus en
plus largement reconnu ces dernières décennies. Par exemple, aux États-Unis, une série
d’initiatives législatives et de décrets, dont le Negotiated Rulemaking Act de 1990,
demandent aux organes de l’État de définir des règles et des procédures pour « l’élaboration
de règles » négociée.
Cependant, le rôle de la négociation dans le cycle des politiques ne jouit souvent que d’une
reconnaissance implicite. Il serait possible de conceptualiser un modèle reconnaissant
l’importance de la théorie de la négociation et des capacités en négociation au cours des
phases de base du cycle d’élaboration des politiques (définition de l'agenda, analyse des
politiques, formulation, mise en œuvre, suivi et évaluation). Mais de toute évidence, la
négociation pèse surtout dans les consultations relatives à la discussion et à la formulation
des agendas, des options et des instruments des politiques.
Parce que la responsabilité de la mise en œuvre est souvent dispersée entre plusieurs
systèmes de gouvernance modernes (rôle des États membres d’un organe de prise de
décision régional tel que l’UE ou organe central de gouvernement comptant sur ses bras
municipaux pour mettre en œuvre des politiques nationales, par exemple), les responsables
de l’élaboration des politiques qui tirent parti des enseignements des processus de
négociation intégrative sont mieux armés pour livrer un résultat dont la légitimité perçue
garantit la mise en œuvre par les parties concernées.
Des faits récents montrent que des éléments de la négociation peuvent même s’avérer utiles
pour éclairer la phase évaluation du cycle des politiques. Ainsi, Campbell et Mark (2006)
2
Type de négociation impliquant souvent un processus d’aide à l’intégration des besoins et des buts de toutes
les parties concernées grâce à une approche créative et collaborative de la résolution de problèmes. Les
négociations intégratives sont décrites en détail à la section 4 du présent document.
6 Module EASYPol 179
Matériels conceptuels et techniques
ont découvert que des facteurs connus pour faciliter la négociation intégrative (savoir que
l’on doit rendre des comptes à la population et structuration du processus de dialogue, par
exemple) pourraient améliorer efficacement la qualité du dialogue sur l’évaluation des
programmes et des politiques entre les parties prenantes.
Stratégie et tactique
Avant d’aborder les diverses approches de la négociation dont rend compte la littérature
existante, il est utile de dire un mot de la stratégie et de la tactique et de la place qu’elles
occupent dans les diverses écoles. La stratégie est un « ensemble d’actions coordonnées, de
manœuvres en vue d’un victoire », alors que la tactique est « l’ensemble des moyens
3
Ceci vaut pour la négociation en général. Cependant, il convient de noter que dans certains cas un participant
malhonnête peut engager des négociations, non pour parvenir à un accord, mais pour un autre motif, tel que
gagner du temps ou peut-être tirer un avantage politique du fait d’être vu à la table de négociation (quel que
soit son engagement réel à la réussite des négociations). Mais même dans ce cas, la dynamique enclenchée par
les négociations peut se conclure par des accords.
Programme de formation aux politiques de la FAO 7
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
coordonnés que l’on emploie pour parvenir à un résultat ». 4 Les approches structurelles,
stratégiques et procédurales de la négociation tendent à partager une vision distributive. 5
Elles partent du principe que les négociations sont des transactions à somme nulle. En
d’autres termes, les négociateurs considèrent les négociations comme une compétition pour
une quantité limitée ou fixe d’un avantage souhaité par les parties concernées de manière à
ce que le gain de l’un soit la perte de l’autre. La totalité des bénéfices disponibles est
souvent représentée métaphoriquement sous la forme d’un « gâteau ». Parce que les
négociateurs se battent pour une quantité fixe d’un bien ou d’un bénéfice, ils espèrent en
« gagner » une portion ou « part » au prix de la perte correspondante (de part de gâteau) par
leur adversaire (voir a figure 1a). Cette approche diffère de celles qui se servent des
négociations pour agrandir le gâteau, en d’autres termes, pour multiplier les gains afin que
les deux parties repartent gagnantes (figure 1b).
Ces approches tendent donc à appliquer des stratégies de nature distributive ou prédatrice.
Les stratégies distributives, également dites « à somme nulle », compétitives ou « gagnant-
perdant », voient la négociation comme une compétition. Leur but est qu’un côté accapare la
plus grosse part possible du gâteau proverbial (on parle aussi d’« appropriation de gain ») et
que l’autre ne récolte que des miettes.
Les tactiques utilisées dans les négociations distributives ont donc pour but de s’approprier
un gain tout en se défendant contre les agissements identiques de l’adversaire. Parce que les
stratégies compétitives produisent des résultats gagnant-perdant, de nombreuses personnes
(en particulier les tenants de l’école intégrative) les considèrent comme destructrices.
L’encadré 2 ci-dessous fournit des exemples de tactiques utilisées dans la négociation
distributive.
(Saner, 2000)
4
Le Petit Robert, 1987
5
Ces approches seront abordées en détail plus loin dans ce document..
8 Module EASYPol 179
Matériels conceptuels et techniques
Qu’est-ce qui permet d’arriver à une solution négociée ? Pour répondre à cette question,
intéressons-nous brièvement à plusieurs concepts clés des approches distributives et
intégratives. Dans toute négociation, chaque partie se fixe un point de réserve, parfois
appelé « minimum absolu ». Il s’agit du point que la personne ne dépassera pas et auquel
elle préférera interrompre la négociation (Raiffa, 1982). En général, les adversaires
l’ignorent et, pour Raiffa et d'autres, sa valeur doit demeurer secrète.
Dans le cas ci-dessus, parce que le prix plafond que l’acheteur est prêt à payer et le prix
plancher que le vendeur est prêt à accepter se chevauchent, on dira qu’il existe entre eux une
zone d’accord (Raiffa, 1982) ou une zone d’accord possible (ZAP) (Fisher, Ury et Patton,
1991). La ZAP correspond à la plage de chevauchement des points de réserve (dans notre
exemple, n’importe quel prix situé entre 4 et 5 EUR la tonne de betterave à sucre). Si les
négociateurs atteignent leur objectif, ils tomberont d’accord dans cette fourchette et feront
tous deux une meilleure affaire que s’ils s’étaient adressés ailleurs. Si, à l’inverse, le prix
d’achat maximal et le prix de vente minimal ne se chevauchent pas, il n’y pas de ZAP. Dans
ce cas, l’accord devient hautement improbable et les parties auront intérêt à trouver une
autre solution. La figure 2 fournit une représentation graphique de la ZAP.
ZAP
A B
Point de réserve Point de réserve
de A de B
L’existence d’une ZAP rend probable (mais non certain) que les parties parviennent à un
arrangement acceptable. Le calcul de la ZAP n’est pas toujours facile en raison d’éventuels
Programme de formation aux politiques de la FAO 9
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
Les théoriciens diffèrent sur les modalités de classement des principales écoles de pensée sur
la négociation. Par exemple, Daniel Druckman (1997) les répartit entre quatre approches :
négociation comme résolution d’une énigme, négociation comme jeu de marchandage,
négociation comme gestion organisationnelle et négociation comme politique diplomatique.
Howard Raiffa (1982), quant à lui, avance une typologie d’« approches » autour des
dimensions de symétrie-asymétrie et prescription-description.
L’aperçu des approches ou des écoles de pensée de la négociation présenté ici s’appuie sur
une synthèse proposée par I. William Zartman, théoricien, praticien et chercheur en
négociation, comprenant cinq niveaux d’analyse ou approches de base, à savoir :
structurelle, stratégique, procédurale (que nous appelons « concession-échange »),
comportementale et intégrative. 6 La suite de la présente section résume les hypothèses, les
concepts et les théories de base associés à chacune d’entre elles. Il est néanmoins important
de signaler, qu’en pratique, la plupart des négociateurs combinent plusieurs approches et
puisent dans différentes écoles de pensée.
Les analystes des approches structurelles de la théorie de la négociation tendent à définir les
négociations comme des scénarios de conflits entre des adversaires aux buts incompatibles
[voir positions]. Ils insistent tous sur les moyens apportés par les parties dans la négociation.
Le rôle central et déterminant du pouvoir constitue l’une des principales contributions
théoriques de l’approche structurelle (Bacharach et Lawler, 1981). De ce point de vue, le
pouvoir relatif de chaque partie influe sur son aptitude à atteindre ses buts par la
négociation. Les théories structurelles proposent diverses définition du pouvoir, telles que la
capacité à gagner ou bien la possession de « force » ou de « ressources ».
6
Dans son ouvrage fondateur, The 50% Solution (1976), Zartman identifiait sept « approches ». Il les a
réduites à cinq par la suite (1988).
10 Module EASYPol 179
Matériels conceptuels et techniques
Leurs critiques soulignent que les explications structurelles tendent à mettre l’accent sur le
rôle du pouvoir et plus particulièrement sur ses aspects « durs ». D’autres facteurs, comme
les capacités en négociation, peuvent jouer un rôle clé dans les résultats négociés. Par
exemple, dans leur analyse des négociations entre le Front patriotique rwandais (FPR), le
gouvernement de Habyarimana et les leaders des partis d’opposition avant le génocide de
1994, Zartman et Alfredson (2006) se sont aperçus que ces capacités avaient constitué l’un
des facteurs ayant permis au FPR de conclure l’accord de Arusha, très favorable à ses
intérêts.
Les approches structurelles de la négociation présentent une autre limite : leur insistance sur
la prise de positions [voir la section 4], qu’illustre à nouveau l’exemple rwandais. Pendant le
processus d’Arusha, le FPR se cramponnait à la position que le nouveau gouvernement de
coalition devrait exclure le parti extrémiste Hutu, le Comité de défense de la République
(CDR), en dépit de signaux forts pendant le déroulement des discussions qu’un tel accord
serait intenable. Bien que le FPR ait réussi à convaincre les parties présentes à la table de
négociation d’accepter sa position dans l’accord final, il a sans le vouloir joué contre son
camp (protéger la vie de la population Tutsi), quand le refus du CDR de reconnaître la
légitimité de l’accord négocié s’est traduit par un déferlement de violence cataclysmique.
Bien sûr, les conséquences des négociations sur les positions atteignent rarement de telles
extrémités. Cependant, les négociateurs doivent savoir qu’une volonté aveugle de tirer le
maximum d’une négociation sans se soucier de savoir si cela satisfera les autres parties peut
s’avérer une stratégie peu rentable à long terme, en particulier si l’autre côté ne veut plus ou
ne peut plus respecter sa part de l’accord négocié.
7
Le Petit Robert, 1987
Programme de formation aux politiques de la FAO 11
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
Les modèles stratégiques sont souvent de nature normative. Comme ils partent du principe
qu’il existe une unique solution meilleure pour chaque problème, ils s’efforcent de
représenter « ce que des super individus ultra intelligents et parfaitement rationnels
devraient faire dans des situations interactives compétitives [c’est-à-dire de négociation] »
(Raiffa, 1982). Parce qu’elle recherche les « meilleures solutions » sous tous les angles
d’une négociation, cette approche a également été qualifiée de symétriquement prescriptive
(Raiffa, 1982). L’approche stratégique fonde les théories de la négociation du type théorie
du jeu et théorie du risque critique décrites ci-après (Snyder et Diesing, 1977).
La théorie du jeu fait appel à des modèles mathématiques formels pour décrire,
recommander et prédire les actions que les parties doivent mener pour optimiser
leurs gains quand les conséquences d’une action qu’elles choisissent dépendent des
décisions prises par un autre acteur. Elle s’intéresse aux « jeux de ‘stratégie’ et non
à des jeux d’habileté ou de hasard, dans lesquels la meilleure voie à suivre pour
chaque participant dépend de son anticipation des actions des autres participants »
(Schelling, 1960). Les jeux prennent souvent la forme de tableaux ou
d’arborescences (dans leur forme extensive), où chaque joueur doit choisir entre un
nombre fini d’actions possibles, possédant chacune des gains connus.
La théorie du risque critique d’Ellsberg (Ellsberg, 1959) constitue une autre théorie
sur la négociation de crise. Comme la théorie du jeu, elle se sert de nombres
cardinaux d’utilité pour expliquer le comportement de prise de décision, mais
introduit la notion que les parties utilisent des estimations de probabilité quand elles
effectuent le calcul rationnel de faire ou non des concessions dans une négociation de
crise. Ces probabilités dérivent du calcul par chaque acteur de son propre risque
12 Module EASYPol 179
Matériels conceptuels et techniques
critique ou du risque maximal de rupture des négociations qu’il est prêt à tolérer pour
rester sur sa position combiné à l’estimation du niveau inhérent de détermination de
son adversaire à maintenir son propre point de vue.
Le dilemme du prisonnier (DP) constitue l’un des jeux les mieux connus en matière de
négociation. 8 Son scénario est le suivant : deux prisonniers attendent le jugement d’un délit
qu’ils ont commis. Chacun d’entre eux doit choisir entre deux actions : avouer ou se taire. Si
aucun des deux n’avoue, ils coopèrent et devront purger une peine de deux ans de prison
chacun. Si ils dénoncent l’autre, la peine passera à quatre ans pour tous les deux.
Si le jeu s’arrêtait là, la coopération entre les deux prisonniers serait probable, mais la
version classique du DP propose d’autres alternatives. Les prisonniers apprennent que, si
l’un d’entre eux coopère et que l’autre dénonce, ce dernier sera libéré et celui qui aura
refusé de témoigner contre son partenaire écopera de cinq ans de prison. Parce que chaque
joueur s’efforce d’optimiser son propre résultat et ignore ce que l’autre va faire, le jeu du
DP démontre que le joueur rationnel choisira systématiquement la dénonciation parce qu’il
se rend compte qu’ainsi il s’en sortira beaucoup mieux que son opposant, quel que soit le
choix de ce dernier. La figure 3 ci-dessous illustre graphiquement le jeu du DP.
A
Coopération Dénonciation
Coopération 2 ans/2 ans 5 ans/0 an
B
Dénonciation 0 an/5 ans 4 ans/4 ans
Les négociateurs sont confrontés à un défi similaire dans leur prise de décision parce qu’ils
disposent eux aussi d’informations incomplètes sur les intentions de l’autre négociateur.
Dans les scénarios de négociation, cette formulation suggère que les accords sont
improbables parce que chaque partie possède une bonne raison de dénoncer pour optimiser
ses propres gains. Cependant, un tel résultat est sous optimal parce que les joueurs s’en
sortiraient mieux si ils coopéraient. Dans la vie réelle, la coopération existe. Pour en rendre
compte, Robert Axelrod a utilisé une version itérative du jeu DP pour démontrer que les
individus qui recherchent leur intérêt personnel sont susceptibles de coopérer quand ils
réalisent qu’ils risquent de se rencontrer à nouveau. Par ailleurs, Axelrod s’est servi de
simulations informatiques d’un jeu de DP itératif pour montrer que, même en face d’un
adversaire qui refuse de coopérer, un joueur peut optimiser ses gains en utilisant une
stratégie du type un prêté pour un rendu, où il commence par coopérer puis punit son
adversaire (dénonciation) si il ne coopère pas (Axelrod, 1984). Ou bien, si la seconde partie
8
En janvier 1950, Melvin Dresher et Merrill Flood ont mené à la RAND Corporation l’expérience qui a fait
connaître le jeu baptisé aujourd’hui dilemme du prisonnier (DP). Howard Raiffa a mené ses propres
expériences avec ce jeu.
Programme de formation aux politiques de la FAO 13
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
La description par Robert Axelrod de la guerre des tranchées entre troupes britanniques
et allemandes le long du front occidental pendant la première guerre mondiale constitue
l’un des exemples les plus connus de dilemme du prisonnier itératif où les joueurs se
servent d’une stratégie « un prêté pour un rendu » pour arriver à une coopération
durable. Pendant la guerre, les troupes ont creusé des positions le long des
800 kilomètres de frontière entre la France et la Belgique. Une fois les tranchées
creusées, comme personne ne pouvait gagner et que la seule option était de tenir ses
positions, des petits groupes armés se sont fréquemment aperçus qu’infliger des pertes
à l’autre côté ne faisait que provoquer des représailles sans apporter de gains
supplémentaires. Comme des groupes d’hommes isolés se faisaient face de part et
d’autre de petites bandes de terre pendant de longues périodes, la dynamique du jeu
est souvent passée d’un dilemme du prisonnier à un coup, où la dénonciation constitue
le choix dominant, à une version itérative favorisant la coopération.
À noter que, dans le cas d’interactions prolongées dans le temps, le résultat des
négociations, c’est-à-dire le choix des parties de coopérer ou de dénoncer, peut dépendre
fortement du degré de confiance existant entre elles.
9
Traduction dans le langage de la théorie des jeux : les troupes se sont aperçues (au grand dam du
commandement central) que, même si la défection unilatérale (DU) présentait une valeur supérieure à la
coopération unilatérale (CU) ou à la défaite (D), la condition de réciprocité excluait la possibilité d’une
défection unilatérale et que, sur les options restantes, la coopération mutuelle (CM) était préférable à la
défection mutuelle (DM). Par conséquent : DU>MC>DM>D et CM > (CM+D/2).
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Matériels conceptuels et techniques
La tension que fait naître ces deux approches crée le paradoxe suivant, baptisé « Toughness
Dilemma » (dilemme du dur à cuire ») ou « dilemme du négociateur » (Zartman, 1978, Lax
et Sebenius, 1986) : les négociateurs « durs » ont davantage de chance d’aboutir à une
solution négociée très favorable pour eux, mais au risque d’une probabilité plus forte
d’échec de la négociation.
Une autre contribution importante de l’approche comportementale (également traitée par les
théoriciens d’autres écoles) concerne le cadrage. On appelle cadre la manière dont un
problème est décrit ou perçu. Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? La manière
dont la question est posée peut rendre certains objectifs évaluatifs importants et donc influer
sur le résultat (Raiffa, 1982). Elle peut jouer sur la réaction émotionnelle d’un individu face
Programme de formation aux politiques de la FAO 15
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
Cette approche présente un risque inhérent : les participants engagés dans un échange de
concessions risquent de laisser passer des occasions de trouver de nouvelles solutions
profitables pour leur dilemme commun et finissent par se retrouver dans un processus
purement régressif qui laisse les deux côtés avec moins de gains que si ils avaient choisi une
approche plus créative [voir la section sur la négociation intégrative].
10
Ces concepts sont traités à la section 5.
16 Module EASYPol 179
Matériels conceptuels et techniques
Les théories de la négociation par « phases », qui considèrent les périodes de transition
pendant les négociations comme des étapes d’un processus de prise de décision collective,
constituent une contribution notable à l’école intégrative. Alors que les théories
procédurales s’intéressent à la manière dont le comportement de concessions fait avancer
une négociation, les théories de l’école intégrative mettant en avant les phases se penchent
sur des sous-processus qualitativement distincts (phases) qui définissent la texture, la
dynamique et le potentiel des négociations elles-mêmes. Ils peuvent fournir une feuille de
route opérationnelle aux négociateurs. Par exemple, Zartman et Berman (1982)
maintiennent que les négociateurs peuvent se préparer plus efficacement à la négociation et
se doter d’une probabilité plus grande de la traverser avec succès si ils tiennent compte dans
leurs préparatifs qu’elle passe par trois étapes : une phase Diagnostic, une phase Formule et
une phase Détails.
Dans cette théorie, la phase Diagnostic décrit les événements et les comportements
antérieurs au début des négociations. Les parties évaluent le problème, s’assurent que la
négociation constitue la bonne approche pour le résoudre, manifestent leur volonté de
négocier et testent la volonté de l’autre partie à s’engager avec sincérité dans une
négociation. Dans la phase Formule, les parties recherchent, consciemment ou non, un cadre
ou un ensemble de principes convenus mutuellement sur lesquels baser un accord potentiel.
Les chances de trouver une formule gagnante augmentent si les parties partagent les
informations ouvertement, tiennent compte de leur point de vue respectif et s’appuient sur
des principes ou des valeurs communs pour avancer. Enfin, dans la phase Détails, elles
passent des grands principes à l’élaboration des détails de l’accord. Dans la réalité, les trois
phases ne se déroulent pas nécessairement dans cet ordre et souvent les négociateurs
naviguent de l’une à l’autre si les événements d’une phase contraignent à revenir à une
phase antérieure.
Mais avant tout, les auteurs insistent sur le fait que la négociation est un processus. La
planification et la négociation du processus lui-même sont donc autant cruciales pour le
résultat que la négociation des questions importantes. Les parties doivent prendre le temps
de répondre à des questions telles que : Qui va négocier ? Quelles questions vont être
discutées ? Comment seront-elles discutées ? Quels devraient être l’ordre et la valeur des
questions ? Et comment les engagements seront-ils décidés ? Prendre le temps de négocier
le processus avant d’entamer les discussions profite à toutes les parties concernées. Cela
peut prendre du temps, mais au final, « [négocier le processus] non seulement fera gagner
du temps, mais permettra de conclure des marchés plus sages, plus solides et plus utiles »
(Wondwosen, 2006).
Le moment est considéré comme un autre facteur important des négociations. Selon
Zartman, les parties ont peu de chance d’entamer des discussions tant que la situation n’est
pas « mure pour une solution », c’est-à-dire tant que les parties ne comprennent pas que le
statu quo constitue une « solution perdant-perdant et non gagnant-perdant ». Pourtant les
auteurs affirment que la maturité est une condition nécessaire, mais non suffisante, à la
réussite des négociations. Celle-ci nécessite aussi l’existence d’une impasse douloureuse
Programme de formation aux politiques de la FAO 17
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
La négociation raisonnée constitue une autre théorie de la négociation par phases de l’école
intégrative. Dans leur ouvrage Getting to Yes: Negotiating Agreement Without Giving In,
Roger Fisher et William Ury démontraient les mérites de la résolution de problèmes
« gagnant-gagnant » en tant qu’approche de la négociation (Fisher et Ury, 1981). La
négociation raisonnée, affirment-ils, va au-delà des choix stratégiques limités de la
négociation distributive. Ils la considèrent comme un processus en trois phases dont
l’efficacité dépend de la manière dont les négociateurs traitent quatre éléments essentiels :
intérêts, personnes, options et critères. Dans un ouvrage ultérieur, ces quatre piliers sont
devenus les « sept éléments » de la négociation, à savoir : intérêts, relations, options,
légitimité, alternatives, engagements et communication. Dans le modèle de la négociation
raisonnée, les « éléments essentiels » (décrits ci-dessous) servent de composants prescriptifs
des négociations intégratives. Ces éléments seront discutés en détail à la section 5.
• Exclut l’usage du
Gagnant-perdant.
pouvoir, acteurs
Stratégique (par Centrage sur les Existence de
indifférenciés (en
exemple, théorie du fins, la rationalité, solutions optimales
dehors de différences
jeu) les positions et d’acteurs
de qualité des options
rationnels
ouvertes à chacun)
Comportementale Centrage sur les
(par exemple, traités Gagnant-perdant,
traits de
diplomatiques, types rôle des perceptions • Accent sur les positions
personnalité
de personnalités) et des attentes
Processus Valeurs
Intégrative
Distributive
Positions Résultats Stratégique
Négociation
Personnalité
Concessions Comportementale
Procédurale
En pratique, les négociateurs invoquent souvent des stratégies basées sur leur
compréhension consciente ou inconsciente du processus de négociation. Mais les théories de
la négociation nous aident à réfléchir de manière analytique. Leurs intuitions nous aident à
façonner la manière dont nous négocions et, de ce fait, contribuent à influer sur le résultat
que nous obtenons. Par exemple, utilisés délibérément, les enseignements et les techniques
théoriques que nous employons peuvent nous aider à transformer la théorie de la
négociation en savoir-faire technique.
Les sections suivantes de ce document s’intéressent à des étapes pratiques d’application des
approches intégratives élaborées par Fisher et Ury dans leur travail fondateur sur la
négociation raisonnée de 1981.
20 Module EASYPol 179
Matériels conceptuels et techniques
Un frère et une sœur se querellent pour s’approprier une unique orange. Chacun
affirme qu’elle lui revient (situation à somme nulle), mais le problème apparaît
plus facile à résoudre quand on l’exprime en termes d’intérêt. Ainsi, les raisons
pour lesquelles ils veulent l’orange diffèrent. L’un d’entre eux veut la chair pour
presser un jus. L’autre veut l’écorce pour parfumer un gâteau. Vu sous cet
angle, c’est-à-dire en termes d’intérêts et non de positions déclarées, le
problème trouve une solution à somme positive ou gagnant-gagnant. Les
enfants s’aperçoivent qu’ils peuvent obtenir ce qu’ils souhaitent de l’orange sans
léser l’autre.
Il n’est pas toujours aussi simple de comprendre les intérêts de l’autre partie. Celle-ci pourra
masquer intentionnellement son intérêt sous-jacent dans un sujet donné ou bien ses intérêts
seront difficiles à décrypter parce qu’ils sont nombreux. Quand les parties ne sont pas des
individus, mais des groupes d'individus, la situation devient encore plus complexe. Dans ce
cas, elles doivent deviner, non seulement les intérêts des groupes, mais aussi ceux de leurs
membres.
Programme de formation aux politiques de la FAO 21
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
4.2. Personnes
Les personnes constituent un autre élément des stratégies intégratives. Dans leur ouvrage
Getting to Yes, Fisher et Ury avancent que les parties d’un différend oublient souvent que
l’autre côté est constitué de personnes qui, tout comme elles, sont sujettes à des faiblesses
humaines telles que des émotions, le risque de malentendu et les idées fausses. Une autre
règle du négociateur raisonné est donc de séparer les personnes du problème. En d’autres
termes, trouver une solution sans se laisser distraire par des éléments personnels et parvenir
à un accord qui protège la relation.
Plus la relation est bonne, plus chaque côté est prêt à coopérer, plus il est possible de
partager les informations sans tensions, plus les chances de parvenir à une solution gagnant-
gagnant sont élevées. Pour faciliter la composante relationnelle, Fisher et Ury conseillent de
recourir à des tactiques susceptibles d’aider les négociateurs à mieux connaître leurs
adversaires, telles que trouver des occasions de rencontres informelles, arriver en avance
pour bavarder ou s’attarder après la fin des discussions officielles [voir émotions
négatives]. Les négociateurs doivent également garder à l’esprit des tactiques et des
considérations importantes qui leur donnent le sentiment de pouvoir sortir de la négociation
la tête haute et sans ternir leur image. Il faudra peut-être prendre des mesures pour éviter
que l’une des parties soit contrainte de perdre la face ou apparaisse personnellement
compromise parce qu'elle a cédé aux demandes de l'autre. Sauver la face peut débloquer des
négociations arrivées dans une impasse ou fournir la clé à des situations antérieures aux
négociations. Il faudra peut-être faire des gestes permettant à l’adversaire de justifier son
changement de position, éventuellement devant le public concerné.
D’un autre côté, les négociateurs doivent garder à l’esprit que ne pas perdre la face ne doit
pas prendre une importance exagérée dans le processus, au point de noyer l’importance des
questions ou de générer des conflits intenses susceptibles de retarder la conclusion d’un
accord ou d’empêcher d’avancer sur cette voie.
4.3. Alternatives
Pour fixer des buts réalistes, les négociateurs doivent tenir compte de certaines questions
fondamentales : dans quelle situation se retrouvera chaque côté si aucun accord n’est
atteint ? Quelles autres solutions existe-t-il pour atteindre les objectifs s’il est impossible de
compter sur la coopération de l’autre côté ? Comme vu plus haut, le souci d’alternatives
constitue une caractéristique importante des approches distributives et intégratives.
Cependant, au lieu de mettre l’accent sur des concepts des approches positionnelles de la
négociation tels que les points de réserve et les minima absolus, les approches intégratives
22 Module EASYPol 179
Matériels conceptuels et techniques
tendent à adopter une vue légèrement plus nuancée du rôle des alternatives. Fisher et Ury
avancent qu’il est crucial pour les deux parties de connaître leur meilleure alternative à un
accord négocié (BATNA) avant et pendant toutes les étapes de la négociation. Ils affirment
qu’un minimum absolu peut coûter cher. Par nature rigide et onéreux, il peut bloquer la
réflexion créative et verrouiller les parties sur des positions susceptibles de les empêcher de
trouver une solution favorable.
Une BATNA confère aux négociateurs la flexibilité qui manque au minimum absolu. En
effet, elle change quand les négociateurs perçoivent une évolution de leurs alternatives. La
négociation envisagée en termes de BATNA, et non de positions ou de minima absolus, peut
se poursuivre même en cas de refus des chiffres parce que les négociateurs sont plus libres
de continuer à explorer d'autres solutions. Par ailleurs, parce que l’approche intégrative
conçoit la négociation comme un processus de prise de décision conjoint, les deux côtés
conservent toujours la possibilité de revoir leur position en plein milieu et de choisir une
autre voie que celle prévue à l’origine. Les négociateurs qui n’évaluent pas (et ne réévaluent
pas) leurs alternatives avant et pendant le processus risquent donc d’accepter
précipitamment un accord sans avoir totalement pesé leurs alternatives ou celles de l’autre
partie et donc d’accepter un marché qu'ils auraient dû refuser.
Les BATNA peuvent constituer une source de pouvoir ou de force importante dans une
négociation. Une partie « puissante », mais avec une BATNA faible, aura davantage besoin
de parvenir à un accord négocié que sa rivale. C’est pourquoi Fisher et Ury affirment que
l’élaboration d’une BATNA peut s’avérer le meilleur outil face à des négociateurs puissants.
Dans les négociations sur le commerce agricole, pouvoir se tourner vers d’autres partenaires
commerciaux, par exemple, plusieurs acheteurs potentiels d’un stock de blé peut-être prêts à
incorporer des contrats latéraux au contrat d’achat principal, renforce la BATNA du vendeur
par rapport à d’autres acheteurs potentiels.
Les négociateurs doivent évaluer et élaborer leurs BATNA avant et pendant la négociation.
Pour ce faire, ils commencent par établir la liste des alternatives à l’échec d’un accord. Ils
doivent aussi prendre le temps de comprendre et d'anticiper les BATNA de l'autre côté, de
peser les options disponibles compte tenu des deux ensembles de BATNA, d'élaborer un
plan de mise en œuvre pour elles, puis de choisir la meilleure des alternatives élaborées.
Connaître sa BATNA constitue un « indicateur pour éviter d’accepter un accord qu’il faut
refuser et de refuser un accord qu’il faut accepter » (Fisher et Ury, 1981 p. 99). En bref, il
est avisé de réfléchir à ses limites à l’avance, mais un bon négociateur ne les laisse pas
brider son imagination et son aptitude à reconnaître les opportunités fructueuses.
4.4. Options
Une fois que les parties ont commencé à nouer des relations et à échanger des informations
afin de comprendre clairement les intérêts en jeu, elles doivent passer à la génération
d’options. En matière de négociation, les options sont des solutions possibles à un problème
convenant à au moins deux parties. Dans la négociation intégrative, il s’agit de manières
susceptibles de satisfaire le plus grand nombre possible d’intérêts des deux parties. Comme
le révèle l’exemple de l’orange, quand deux personnes (ou deux entreprises ou deux nations)
s’enferment dans des solutions ou des modes de pensée routiniers, elles finissent facilement
par ne plus voir les possibilités qu’un soupçon de créativité permettrait de révéler. Parce que
le processus d’identification des options ou des solutions possibles à un problème favorise la
Programme de formation aux politiques de la FAO 23
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
pensée créative et élargit la capacité à résoudre les problèmes, il est aussi crucial pour le
processus de négociation que l’identification des intérêts sous-jacents. La génération
d’options à l’aide de techniques telles que le brainstorming, qui consiste à inviter les parties
à noter toutes les idées qui leur viennent à l’esprit sans les critiquer, ni les rejeter, favorise la
réflexion créative sur un problème et augmente les chances de formulation de solutions
« gagnant-gagnant » par les parties concernées.
4.5. Critères/légitimité
Les négociateurs qui se cantonnent à des positions font une condition sine qua non de la
réussite des négociations la renonciation par l’une des parties à sa prétention d’origine. La
négociation positionnelle verrouille les deux côtés sur des positions incompatibles. Selon
Fisher et Ury, cela peut entraîner un affrontement de volontés, de l'amertume et un blocage.
Ils assurent que les négociations abordées de cette manière peuvent coûter cher, même si
elles débouchent sur un accord. Par exemple, les négociateurs risquent de parvenir à une
solution qui semble « diviser la différence » entre les deux positions, alors qu’une solution
composée plus rationnellement aurait mieux répondu aux intérêts des deux parties. Enfin,
les accords conclus de cette manière peuvent s'avérer difficiles à mettre en œuvre si les
parties concluent ultérieurement que la solution trouvée n’a pas de légitimité. Les auteurs
insistent sur une meilleure manière d'approcher le processus de négociation : invoquer des
critères objectifs.
Prenons l’exemple suivant. Un pays intéressé par l’importation d’un engrais sans risque
pour l’environnement fabriqué dans un autre pays se cramponne au refus de payer plus de
5 euros par livre. Pendant ce temps, le fabricant se cramponne avec autant de fermeté à la
position qu’il doit l’exporter à 10 euros la livre. Comment résoudre cette différence de
positions ? Si la position de chaque partie semble claire, la base de leur exigence respective
reste floue. Pendant les négociations, les arguments auront davantage de poids et les
solutions seront plus acceptables si ils n’apparaissent pas arbitraires.
Où trouver ces critères ? Au minimum, ils doivent être indépendants de la volonté de l’autre
partie. L’une des méthodes consiste à faire appel à des normes équitables pertinentes pour
la question concernée. Les normes équitables sont des marqueurs sans liens avec les parties
du conflit, qui affectent une valeur ou servent de base à la solution d’un problème. L’affaire
n’est pas toujours simple, car il peut exister de multiples normes potentiellement
acceptables. Par exemple, dans notre exemple ci-dessus, faut-il baser les prix sur les prix du
marché de produits similaires ou sur les coûts de la production domestique ? Une partie
affirmera que le prix du marché mondial constitue une norme équitable de calcul du prix des
marchandises exportées. Une autre soutiendra que c’est le prix domestique de la
marchandise exportée. Quels autres critères peuvent venir étayer une norme équitable
acceptable par toutes les parties ? Il en existe beaucoup. Dans les négociations de ce type,
les parties choisissent souvent comme critères plausibles de prise de décision un jugement
scientifique antérieur, des normes professionnelles, le rendement, les coûts, des normes
morales, l'égalité de traitement, la tradition ou la réciprocité, par exemple. Ainsi, le pays
importateur pourra-t-il convaincre le producteur d'abaisser le coût de son engrais sans risque
pour l'environnement parce qu’il servira à produire des cultures qui, à leur tour, seront
réexportées dans le pays fabricant l’engrais qui les fait pousser ?
24 Module EASYPol 179
Matériels conceptuels et techniques
Les parties auront davantage de chance d’influer favorablement sur les négociations et
augmenteront la probabilité de déboucher sur une solution rationnelle à valeur ajoutée si les
principes qui président à leur déroulement sont mutuellement acceptables. En outre, les
accords négociés risquent davantage de durer et d’être acceptés par les circonscriptions des
deux bords si les solutions qu’ils proposent sont perçues comme légitimes.
On peut également aborder la création d’une base d’accord légitime en invoquant ce que les
deux parties reconnaissent comme une procédure équitable pour trancher la question.
L’encadré 8 ci-dessous en fournit une illustration simple.
Dans les négociations, la prise de décision conjointe augmente l’équité perçue des
négociations, améliore la satisfaction à l’égard du résultat, favorise des relations positives
entre les parties, accroît la légitimité perçue des accords et contribue à renforcer la volonté
de respecter les engagements pris. Le fait de cadrer les négociations comme un processus de
prise de décision basé sur des critères objectifs libère les négociateurs et leurs adversaires de
la nécessité de s’accrocher à une position pour ne pas apparaître (ou se sentir) faibles ou
sournois. Que les négociateurs choisissent des normes ou des procédures équitables, le point
essentiel pour la théorie de la négociation raisonnée est de cadrer conjointement une base
saine de prise de décision logique qui ajoute de la valeur au processus et assoit la légitimité
de la solution négociée aux yeux des parties. Par ailleurs, les négociations conduites de cette
manière gagnent en efficacité. Plutôt que de passer leur temps à attaquer leurs positions
respectives, les négociateurs peuvent centrer leurs énergies sur l’analyse et la résolution des
problèmes et augmenter les chances de concevoir des accords que les parties finiront par
juger légitimes.
4.6. Engagements
Un accord négocié n’a de chances de durer que si toutes les parties respectent leurs
engagements. Bien sûr, ceux qui ne tiennent pas leurs promesses risquent de perdre leur
intégrité, de susciter le ressentiment de la partie adverse et de se heurter au refus de leur
partenaire dans les négociations (et peut-être d’autres personnes extérieures à l’accord
également si leur réputation filtre à l’extérieur) de traiter avec eux dans l’avenir. Aucun
participant à une négociation ne doit intentionnellement prendre des engagements qu’il n’a
pas l’intention de tenir. Fisher et Ertel (1995) soulignent que, pendant le processus de
négociation, les parties doivent réfléchir avec soin au type d’engagements qu’elles sont
prêtes à prendre. Sont-elles capables de les respecter ? Les engagements doivent-ils être
Programme de formation aux politiques de la FAO 25
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
généraux ou spécifiques ? Quand chaque partie devra-t-elle tenir ses promesses ? La mise en
œuvre progressive d’une structure d’engagement constitue l’une des manières de créer la
confiance. Les parties sont mieux disposées à conclure un marché avec un adversaire qui a
apporté la preuve au fil du temps de sa capacité à respecter ses engagements. Une fois la
confiance rompue, comment les parties peuvent-elles recoller les morceaux ? Les gestes de
bonne volonté, entre autre, permettent à la partie dont la mauvaise foi a sapé la fiabilité aux
yeux de l’autre de commencer à compenser les griefs antérieurs. Par exemple, une partie qui
n’a pas versé un montant contractuel pourra proposer un paiement anticipé sur un nouveau
contrat pour convaincre le partenaire commercial lésé qu’elle mérite que l’on traite avec elle
dans l’avenir.
4.7. Communication
La négociation n’est possible que s’il y a communication. Fisher et Ury assurent que se
sentir entendu constitue un intérêt clé pour les deux bords d’une négociation. Une bonne
communication peut changer les attitudes, empêcher ou prévenir les blocages et les
malentendus et améliorer les relations. Par ailleurs, de bonnes capacités en communication
sont essentielles pour faire passer son message de manière convaincante et comprendre
parfaitement celui de ses interlocuteurs (Wondwosen, 2006). En outre, les approches
intégratives soulignent l’importance du partage d’informations pour mettre au jour les
intérêts et aider les parties à explorer des menaces ou des problèmes communs. Pourtant, les
négociateurs sont fréquemment gênés dans leur rôle par des erreurs de communication ou
des inefficacités courantes. Par exemple, ils se concentrent sur leurs propres réponses et
oublient d’écouter leurs interlocuteurs. L’écoute fournit des informations importantes sur
votre adversaire et montre que vous vous intéressez à ce qu’il pense et respectez ses
préoccupations.
Des problèmes sont possibles même avec de bonnes capacités en communication. Des
émotions négatives peuvent émousser l’aptitude du négociateur à communiquer
efficacement. De plus, la présence d’un public aux négociations, qu’il s’agisse d’une
circonscription, d’un supérieur ou d’un médiateur, peut influer sur le style et l’efficacité de
la communication.
De nombreux théoriciens de l’approche intégrative ont souligné le rôle du cadrage dans une
bonne communication. En tant qu’outils de communication, les cadres aident l’autre partie à
comprendre vos préoccupations et à faire preuve d’empathie. Par ailleurs, Fisher et Ury
avancent qu’un bon cadrage du sujet augmente les chances d'aboutir à une définition
partagée du problème et du processus de résolution du différend. Ils assurent qu’en
présentant les négociations comme un problème partagé à résoudre ensemble, les
négociateurs contribuent à créer une ambiance de détente, de « camaraderie » et
d’ouverture. Dans les approches intégratives, le cadrage constitue donc à la fois une capacité
en communication et un outil d’amélioration des canaux de communication.
Enfin, les négociateurs doivent savoir qu’il faut apprendre à gérer habilement les émotions
difficiles, qui se manifestent souvent au cours des discussions. Fisher et Ury soulignent
que, dans une négociation difficile, il est important de laisser son interlocuteur exprimer ses
émotions, quelles qu’elles soient. Autoriser l’autre négociateur à exprimer ses sentiments
constitue une tactique efficace pour hausser la qualité de la conversation, car cela évacue
les émotions indésirables et remet la discussion en selle plutôt qu’elle soit entravée par des
sentiments négatifs. Ils recommandent donc de donner l’occasion à l’autre côté de « lâcher
la vapeur » quand cela est nécessaire. Si les sentiments de l’autre partie s’expriment sous
forme d’attaques verbales ou de discours longs et polémiques, ils conseillent d’écouter et
de faire preuve de patience. Les théoriciens intégratifs soulignent souvent l’importance de
confronter les émotions difficiles quand elles se manifestent et de les rendre explicites afin
de souligner la gravité du problème, de reconnaître leur légitimité et de rendre les
négociations plus proactives. Pour mieux reconnaître et comprendre les émotions, Fisher et
Ury (1981) conseillent également aux négociateurs d’examiner et d’identifier les leurs. Ils
doivent se demander ce qu’ils aimeraient ressentir, puis se poser la même question en se
mettant à la place de leur interlocuteur.
Programme de formation aux politiques de la FAO 27
Théorie et pratique de la négociation : approche de la littérature
5. CONCLUSION
Au final, la négociation est un processus que l’on peut aborder de multiples manières.
Quelle que soit la stratégie choisie, sa réussite dépend de la qualité de la préparation. La clé
pour négocier un résultat profitable tient à l’aptitude des négociateurs à envisager tous les
éléments de la situation avec soin, à identifier les options et à les peser. Ils doivent aussi
pouvoir mettre les événements en perspective et se montrer aussi équitables et honnêtes que
les circonstances le permettent. Le négociateur pourra s’efforcer de profiter du terrain
d’entente ou de l’intérêt commun qui a amené les parties à la table de négociation. En
considérant l’autre bord comme un partenaire plutôt que comme un adversaire et en
collaborant, les négociateurs pourront parvenir à une solution bénéfique pour tout le monde.
Cette présentation fait partie d’un ensemble de modules qui appartient au parcours de
formation EASYPol: Programme de formation aux politiques, Module 4 :
Formulation des politiques et des stratégies, Session 5 « Rice trek « Jeu de
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METADONNEES DU MODULE
4. Résumé
5. Date
Janvier 2008
6. Auteur(s)
Tanya Alfredson, John Hopkins University, Baltimore, Maryland, États-Unis
et
Azeta Cungu, Service du soutien aux politiques agricoles, Division de l’assistance aux
politiques et de la mobilisation des ressources, FAO, Rome, Italie
9. Sujets secondaires
abordés dans ce
module