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365

MÉDITATIONS
SUR LA BIBLE
VIE INTÉRIEURE

R.P. GASTON BRILLET


Prêtre de l'Oratoire

365
MÉDITATIONS
SUR LA BIBLE
pour tous les jours de l'année
II
POÈMES
Méditations de 92 à 183

AUBIER
ÉDITIONS MONTAIGNE
Imprimi potest
Parisiis die 30 maii 1958.
MAURITIUS DUPREY.
Praepositus generalis oratorii.

Nihil obstat,
Paris, le 29 mai 1958.
JEAN GAUTIER, PSS.

Imprimatur,
Paris, le 31 mai 1958.
PIERRE GIRARD, SS.
V. g.

© 1958 byÉditions Montaigne.


Droits de reproduction réservés pour tous pays.
INTRODUCTION

L'âme du peuple d'Israël et l'âme des narrateurs pri-


mitifs, celle des compositeurs de livres, celle même des
rédacteurs, remanieurs et glossateurs, transparaissent à
travers les récits des livres historiques, mais la poésie a,
de tout temps, mis en un contact plus pénétrant l'auditeur
et le lecteur avec l'âme de l'homme inspiré qui s'y exhale.
La méditation des poèmes de la Bible est donc, en prin-
cipe, plus facile, plus émouvante, plus efficace que celle
des récits.
Elle n'est pourtant pas sans difficulté. Ces beaux chants
des âmes antiques viennent de loin, nous n'en connaissons
presque jamais les auteurs, rarement l'époque et les cir-
constances où ils sont nés; leur texte est parfois incertain,
il a été très utilisé, donc inévitablement transformé; la
psychologie religieuse enfin d'Israël nous est très étran-
gère et ses idées ont varié au cours des temps.
Autant que pour les autres livres de la Bible nous avons
besoin d'introductions et de notes pour comprendre les
psaumes. Ce n'est pas ce que nous leur prêtons qui a
valeur, c'est ce qu'ils nous donnent. Nous les étudierons
de notre mieux avant de les méditer.
Les méditer c'est, à travers les idées qu'ils portent, cher-
cher les âmes et leur vie religieuse et, avec elles et par
elles, trouver Dieu.
Onne médite donc ces poèmes que dans le recueillement
et la prière, et le programme reste : Adorer. Parler à Dieu.
Il y a d'autres «poèmes » que les psaumes dans la
Bible, quelques-uns splendides et qu'on doit absolument
connaître. Mais il a fallu ici se restreindre, non sans regret.
Le choix était comme fait d'avance.
XCII
CHOISIR

Heureux est l'homme, celui-là —qui ne va pas au conseil des


impies, —ni dans la voie des égarés ne s'arrête, —ni au banc
des rieurs ne s'assied, —mais se plaît dans la loi de Yahvé,
—mais murmure sa loi jour et nuit!
—Il est comme un arbre planté —près du cours des eaux...
—tout ce qu'il fait réussit : —rien de tel pour les impies, rien
de tel !...
— Un charmant petit poème, bien composé, vif et
coloré :
—Deux tableaux: le premier, volontairement compli-
qué et que le poète étend avec satisfaction, une descrip-
tion trois fois triple de la descente dans le mal : aller,
conseil, impies — s'arrêter, voie, égarés — s'asseoir,
banc, rieurs — suivie d'une description positive qui
est un principe de conduite et qui s'achève en une gra-
cieuse vision de prospérité;
le deuxième, d'un trait violent : le seul nom d' « impies »
est une description, et la vision qu'il suggère est celle
de la ruine;
— une double formule de jugement décisif sur deux
conditions de vie.
— Ce poème a sûrement été placé comme un beau
portique au Psautier et comme un programme de vie.
— Et comme toujours il faut :
— Adorer...
— Parler à Dieu...
— C'est un maître qui parle ici, ou un sage de profes-
sion, ou en tous cas un homme d'expérience.
Il ne parle donc pas en artiste à un littérateur, en mora-
liste à un philosophe, mais en homme qui sait, parce
qu'il a vécu, à un homme qui veut savoir, pour vivre.
— Je viens à lui comme disciple et je dois lui apporter
la loyauté de ma pensée et la fermeté de ma volonté.
J'écoute.
Il me dit : Vivre c'est choisir. Tu veux faire un bon et
beau choix, tu veux qu'on dise de toi : « Heureux ! »
Écoute !
«Ne suis pas le chemin de ceux qu'on appelle «impies »,
on y croit faire une promenade, bientôt on s'arrête et on
se trouve parmi des gens qui ne reviennent pas, et un jour
on se trouve installé dans un monde de corruption et
de moquerie.
« Prends la Loi, qui est dans le Livre. Médite assidû-
ment. Aie ce long courage. Tu y prendras un plaisir de
plus en plus profond.
« Méditer, tu le sais — on le sait bien en Israël, et ail-
leurs — c'est prier. Et aussi c'est agir. Parle à Dieu pour
comprendre et, quand tu as compris, parle à Dieu pour
vivre ce que tu as compris.
«Alors, crois-moi, ta vie connaîtra le bonheur, le bon-
heur stable, paisible, fécond. Comme un arbre au bord
d'une source.
«— Mais, je t'en supplie, ne fais pas l'autre expérience,
que je t'ai décrite assez tout à l'heure et qu'un mot
désigne, chez nous, horrible, et que les peuples moins
religieux ne comprennent peut-être pas : «l'impiété ».
« Car l'impiété, vois-tu, c'est l'aridité et l'instabilité
même. C'est la paille ou la poussière au vent.
«— Un dernier mot : la vie est jugée. Les hommes la
jugent, et ils peuvent se tromper et on peut les tromper.
Mais elle se juge, et ne se trompe pas. Et Dieu la juge
enfin.
«Dieu! Voilà le dernier mot de tout. Choisis de Lui plaire,
et d'être « connu », c'est-à-dire compris, approuvé, aimé
de Lui.
«Le reste n'est rien. »
Ainsi me parle le sage. Et méditer ce psaume c'est
écouter ce sage.
XCIII

RÉVOLTES DE PEUPLES

Pourquoi ces nations en tumulte, —ce vain grondement de


peuples? —Lesrois dela terre selèvent, —les princes conspirent
contre Yahvé et son Oint : —«Allons, brisons leurs entraves,
—faisons sauter leur joug! »
—Celuiqui siège dans les cieux s'en amuse...
—Quatre strophes, d'un beau mouvement lyrique :
1° tempête de nations; 2° sérénité de Dieu; 3° décla-
ration de Dieu à son Oint; 4° leçon pour les nations.
—C'est la foi d'un peuple qui parle ici. Elle exalte
son roi peut-être, car son roi est un oint, un «christ »,
son Messie surtout, car le Messie est «l'Oint » par
excellence.
La foi d'un peuple, telle est pour nous la leçon.
—Adorer...
—Parler à Dieu...
—On pourrait donner à ce poème le titre : Sérénité
de Dieu.
Les peuples de la terre sont en révolte et en tumulte.
Contre Yahvé, son peuple et son roi.
Yahvé n'en est pas ému. Il a pour Lui : sa puissance,
ses desseins, son «jour » et son Oint.
C'est de son Oint, roi ou Messie, qu'on chante ici la
gloire et la prouesse.
La gloire, par son onction divine. «Aujourd'hui » :
ce jour où Yahvé le fait roi, ou quelque jour de fête
royale, l'aujourd'hui du Messie, qui est le moment pré-
temporel où Dieu le nomme et, en le nommant, le sacre
pour un aujourd'hui éternel.
La prouesse, car, destiné à la royauté universelle, il
doit combattre et vaincre.
—Nous ne nous représentons plus sous ces traits, après
l'Évangile, la sérénité divine devant les révoltes des
hommes.
Ce qui est souverain dans «le Père » c'est son intelli-
gence de notre misère, sa pitié pour nos souffrances, son
amour.
Et son Christ, vainqueur du monde, a triomphé et
triomphe par son message, par ses œuvres de salut des
corps et des âmes, par sa croix et sa mort.
Il triomphe ainsi au moyen de son Église, à laquelle
ne sied le sceptre de fer ni d'or et qui ne brise rien, pas
même un roseau blessé; au moyen de ses fidèles, dont la
charité est la loi totale et absolue, dont la domination
est de servir.
Le Christ est bien «hier, aujourd'hui et pour les
siècles » (Héb., XIII, 8), mais si quelque Chrétien y
voit des façons humaines de conquête et de triomphe et
si, pour comble, il en emploie lui-même, il ne connaît
pas son «Christ ».
XCIV
PRIÈRE POUR SE COUCHER ET SE LEVER

Yahvé, qu'ils sont nombreux mes oppresseurs, —nombreux


ceux qui se lèvent contre moi, —nombreux ceux qui disent de
mon âme : —«Point de salut pour elle en son Dieu! »—Mais
toi, Yahvé, bouclier qui m'entoures, —ma gloire! tu meredresses
la tête... —Et moi, je me couche et m'endors, —je m'éveille :
Yahvé est mon soutien... —Lève-toi, Yahvé! —Sauve-moi, mon
Dieu!... (III).
Quandje crie, tu réponds, Dieumonjusticier, —dans l'angoisse
tu memets aularge;—pitiépourmoi,écoute maprière...—Sachez-
le, Yahvé fait merveille pour son ami... —En paix je mecouche,
aussitôt je m'endors:—Toiseul, Yahvé,tu m'établis ensûreté(IV).
—C'est la jolie parole, répétée d'un poème à l'autre,
qui invite à les rapprocher dans une seule et double
méditation.
Leur structure n'est d'ailleurs pas la même et les
pensées ont des nuances différentes.
—Mais c'est bien la même foi d'un homme pieux
d'Israël et dont la vie n'est pas sans peines. Et c'est
donc la même leçon.
—Adorer...
—Parler à Dieu...
—Ces deux hommes sont entourés d'ennemis, qui ne
leur laissent guère de repos. Et le repos, c'est ce dont
ils ont grand besoin.
Tous deux ont la même foi en Yahvé. Il est leur «bou-
clier », celui qui «écoute » et «fait merveille pour son
ami ».
—Et tous deux font la même expérience, qu'ils expri-
ment à peu près en mêmes termes. Ils sont à ce point
sûrs de Dieu, malgré les ennemis et les soucis... qu'ils
vont se coucher et dormir.
«En paix je me couche, aussitôt je m'endors », dit
l'un; «Et moi, je me couche et m'endors, je m'éveille »,
dit l'autre, qui «s'éveille »le lendemain matin, après une
bonne nuit.
C'est une des formules les plus pittoresques et les plus
éloquentes de la foi parmi toutes celles de la Bible.
Le premier lance un appel, comme l'oiseau du matin,
comme l'autre psalmiste, ce Chanteclair de Dieu, qui pré-
tend «éveiller l'aurore ». Et son hymne s'achève en béné-
diction.
Le second a mêlé une admonition à sa profession de
foi. Il l'adresse aux «cœurs fermés » qui ont le «goût
du rien », qui pratiquent la «course au mensonge »,
comme traduit la Bible de Jérusalem. Il fait œuvre de
sage et de psychologue.
Il ajoute encore, avec la note de mélancolie et de pessi-
misme qui résonne au fond d'une âme sans espérance,
c'est-à-dire sans foi : «Qui nous fera voir le bonheur? »
Et par une opposition qu'il veut, et réussit, très maté-
rielle et très saisissante : «Tu as mis en mon cœur plus
de joie qu'aux jours où leur froment, leur vin nouveau
abondent. »
—Le dernier mot de celui-ci formule tout son credo :
«Toi seul, Yahvé!... »
La foi de n'importe quelle âme religieuse c'est «Toi
seul! »
Le reste ce sont des moments divers des états de l'âme,
des expressions plus ou moins variées d'expériences reli-
gieuses plus ou moins riches. Ajoutons : y compris quand
ce sont les ennemis qui triomphent, ou quand manquent
le froment et le vin nouveau.
Mais l'expérience profonde, au-delà de toute profondeur,
c'est une certitude de Dieu qui dit : «Toi seul! »
xcv
PRIÈRE D'UN MALADE

Yahvé, ne me châtie point dans ta colère, —ne me reprends


point dans ta fureur. —Pitié pour moi, Yahvé, je suis sans force,
—guéris-moi, mes os sont bouleversés, —mon âme est toute
bouleversée. —Mais toi, Yahvé, jusques à quand?
—Reviens, Yahvé, délivre mon âme...
—... Yahvé entend la voix de mes sanglots; —Yahvé entend
ma supplication; —Yahvé accueillera maprière...
—Les strophes de cette touchante prière se suivent
comme les plaintes d'un malade : il expose un mal,
il appelle Yahvé à son secours, puis il reprend ses
gémissements; mais il termine dans le cri de sa foi
victorieuse.
Il nous est facile de lire dans une âme qui s'ouvre.
—Adorer...
—Parler à Dieu...
—Un malade gémit. Parce qu'il est malheureux, il se
croit pécheur. Ses ennemis n'ont aucun effort à faire pour
penser de même et pour en profiter en l'insultant. Les
amis de Job le consolaient à peu près ainsi.
La pire souffrance est que Dieu semble éloigné. «Et
pour combien de temps? » murmure le malheureux.
—Lui, il ne proteste pas de son innocence, il souffre
dans son corps et jusque dans son âme.
Et il appelle Dieu. Il discute même avec Lui : en argu-
mentant de sa miséricorde, mais brièvement au contraire
de beaucoup d'autres : «Sauve-moi, en raison de ton
amour! »
Mêmeil esquisse l'argument, que d'autres développaient
et développeront et que les païens employaient sans ver-
gogne : «Que gagnerais-Tu à ma mort? Car, dit-il, dans
la mort nul souvenir de Toi, — dans le Sheol qui Te
louerait? »
— Son attitude spirituelle serait donc celle d'une rési-
gnation assez passive, touchante sans doute mais non
instructive et éducative, si la foi ne triomphait à la fin,
bousculant ses ennemis d'une façon un peu vive pour
notre goût chrétien : «Yahvé entend ma supplication...
tous mes ennemis, confondus, bouleversés... »
—L'Antiquité a donc compliqué encore le problème
de la souffrance en y voyant un indice, les païens de la
colère ou de la jalousie des dieux, Israël d'un jugement
divin sur des péchés cachés. C'est un exemple à ne point
imiter.
Mais Israël nous donne celui de la fidélité dans la souf-
france.
Car il est bien entendu que la foi ne garantit pas contre
la maladie et les autres maux de la vie —ni contre les
jugements des hommes. Elle fait seulement qu'on se
tourne vers Dieu dans la peine.
Mais quand on se retourne vers sa peine, ou que la
peine nous retourne à elle, la peine a changé de visage.
Cela tous les Psalmistes nous le diront au nom de tout
leur peuple. Et combien mieux doivent le dire tous les
vrais Chrétiens, ce peuple dont le Dieu se montre à lui
sur une croix.
XCVI
LA GLOIRE DU NOM

Yahvé, notre Seigneur, —qu'il est grand ton nom par toute
la terre! —Au-dessus des cieux ta majesté, que chantent —des
lèvres d'enfants, de tout petits... —Avoir ton ciel, ouvrage de
tes doigts,—la lune et les étoiles, que tu fixas, —qu'est donc le
mortel?... —Apeine le fis-tu moindre qu'un dieu, —le couron-
nant de gloire et de splendeur... —Yahvé, notre Seigneur,—qu'il
est grand ton nompar toute la terre!
Voici le premier cantique à refrain du Psautier :
l'acclamation de gloire, qui l'ouvre, le clôt.
Et le refrain donne le thème : la gloire du nom de
Dieu.
Les idées se suivent librement avec de vives opposi-
tions de pensée : — les cieux, les enfants; le monde
sidéral, l'homme; la grandeur de l'homme; la domina-
tion de l'homme sur le monde vivant.
— Voilà un homme et un peuple que les livres n'ont
pas fermés au livre des choses.
—Adorer...
—Parler à Dieu...
Le thème général est la gloire du nom de Dieu. On sait
que le nom représente la personne, l'enclôt et la possède.
Pour la donner. C'est un sacrement.
Un monde d'expériences psychologiques, morales, reli-
gieuses est contenu dans le culte du nom, du nom des
hommes —les plus admirés, les plus vénérés, les plus
chers —et du nom de Dieu. Et pour nous, Chrétiens,
du nom de Jésus.
L'homme d'Israël lit le nom divin partout écrit, il
l'entend chanté par le monde entier.
—Et voici qu'une idée merveilleuse surgit à l'esprit
du poète : les cieux chantent, mais il y a un chant plus
beau et plus puissant que le chant des deux, c'est le
chant des enfants. Ils chantent de leurs lèvres humaines,
ils savent qu'ils chantent, ils pensent ce qu'ils chantent,
ils adorent et aiment quands ils chantent, ils exhalent
et offrent leur âme dans leur chant.
Le poète dit tout cela dans un mot, l'ayant saisi, à
la façon des poètes et des hommes religieux, dans une
intuition.
—Et voici une autre grande idée : en voyant le ciel
immense des nuits et sa profondeur infinie et peuplée
d'astres sans nombre il dit : «Qu'est-ce que l'homme? »
Ce mouvement intellectuel est prodigieux. Il nous fait
penser à Pascal, malgré les différences d'esprit et de
méthode. Car le psalmiste bondit subitement jusqu'à
Dieu. Il achève son élan : «Qu'est-ce que l'homme? Tu
penses à lui! »
Auprès de ce mouvement vertigineux les belles consi-
dérations sur la puissance et la domination humaine
tombent dans l'ombre. Mais il a encore la forte hardiesse
d'expression (qui a effrayé les traducteurs grec et latin) :
«A peine moindre qu'un dieu » (un «Élohim »).
—Ce sont ces mouvements de pensée qui nous don-
nent une première et très grande leçon. Une leçon
d'oraison : contempler le monde et l'écouter parler de
Dieu; aller du monde à l'homme; pénétrer de l'homme
extérieur et dominateur à l'homme intérieur et grand;
en même temps aller du Dieu du monde au Dieu de
l'homme.
L'autre leçon : l'enfant. Il chante, il veut chanter. Il
peut chanter Dieu, il veut chanter Dieu. C'est nous qui
devons lui apprendre. C'est une grande œuvre et un
grand labeur. Nous manquons souvent, à cause du labeur,
l'œuvre.
Enfin la grande leçon de la gloire du Nom. C'est toute
notre vie religieuse.
XCVII
CROIRE QUAND MÊME

En Yahvé j'ai mon abri. —Comment dites-vous à mon âme :


—«Fuis à ta montagne, oiseau. —Vois les impies bander leur
arc, —...que peut le juste? »—Yahvé dans son palais de sain-
teté, —...Yahvé éprouve le juste et l'impie. —... Yahvé est
juste, il aime la justice. —Les cœurs droits contempleront sa
face. »
—Le poème commence par un prologue dramatique
dont la suite des strophes garde l'impulsion :
—l'état désespéré de la cause des justes; la sérénité
de Dieu; l'intervention de sa justice; dernière procla-
mation de la foi.
C'est l'esquisse d'une crise spirituelle, qui fournit à
la foi l'occasion de s'affirmer.
—Adorer...
—Parler à Dieu...
L'œuvre des impies progresse. Ils font des victimes.
Déjà des fidèles voient «ruinées les bases »de la religion.
En de telles circonstances, depuis le commencement de
la lutte du bien et du mal, les personnes prudentes pensent
à la retraite et cherchent un abri.
Et pour faire profiter les autres de leur prudence, et
aussi pour être en plus grand nombre, ce qui est une force
et une justification, elles essayent d'entraîner les fidèles.
Avec des paroles pleines d'une philosophie persuasive.
—Celui qui parle ici ne se laisse pas persuader.
A la vérité la tentation est d'avance vaincue. Il a pro-
clamé superbement sa foi. Un «abri », il a le sien : Yahvé.
L'abri est un lieu très concret, c'est ce que d'autres
appellent, en s'adressant à Dieu : «mon rocher, ma haute
retraite, ma forteresse ». Ce dont parle toute l'histoire
des héros d'Israël, les rochers et les cavernes dont le
pays est plein. On est en Dieu, pour se cacher et pour
combattre.
—Ayant ainsi défini sa position, il définit celle de Dieu.
Dieu regarde. Dieu juge. Dieu agit.
Car Il habite «son palais de sainteté », « Il aime la
justice », Il prépare aux impies «unecoupe»derétribution.
Pour les «cœurs droits »leur part est de «contempler
la face » de Dieu. Cette expression pleine de lumière
marque la direction de leur pensée et de leur prière, de
leur conscience et de leur action. Elle marquera plus tard
leur joie éternelle.
— Il est intéressant d'apercevoir le fidèle dans ce profil
net et énergique qui ne peut queplaire àl'hommemoderne.
Le fidèle, c'en est un dont la réponseprécèdela question,
dont la décision précède le problème parce que sa foi
est claire et immuable. Sa prudence est derrière lui et,
au besoin, sa sagesse est dans la beauté du risque.
Il laisse aux autres, dans les questions de devoir et
de dévouement, les discussions et les hésitations. Beau
coureur, il est prêt, les muscles tendus, pour le premier
signal.
XCVIII
« IL N'Y A PLUS DE SAINTS »

Sauve, Yahvé! Il n'est plus de saints, —la vérité a disparu


parmi les hommes. —Ils ne font que mentir, chacun à son pro-
chain, —lèvres trompeuses, langage d'un cœur double... —A
cause dumalheureuxqu'ondépouille,dupauvre quigémit,—main-
tenant je melève, déclare Yahvé... —Toi, Yahvé, tu nous prends
en ta garde, —tu nous protèges d'une telle engeance à jamais...
—Il y a dans l'âme du poète de ce psaume plus de
pessimisme qu'au psaume précédent. Les formules en
sont violentes, mais pleines d'expérience humaine et,
pour nous, de leçon.
Après un cri de grande angoisse, le tableau du mal;
un appel à Dieu; Dieu annonce son intervention; le
fidèle se réfugie dans sa foi, mais la tempête gronde
encore.
C'est quelque chose de très réel et de très humain
que ce poème. Donc de très douloureux et de très utile.
—Adorer...
—Parler à Dieu...
Les prophètes nous ont habitués à ces explosions de
pessimisme. Parce que les prophètes et les psalmistes
restaient en pleine vie et étaient des passionnés.
Les paroles de celui-ci, qui sont presque des cris, sont
brèves, mais elles font tressaillir jusqu'au fond du cœur.
Et tout de même il décrit, il détaille. Il garde jusqu'au
bout, jusqu'au dernier vers, la vision horrible du mal.
Le mal de son temps c'est le mensonge. On dirait qu'il
parle du nôtre.
«La vérité a disparu parmi les hommes. » «Ils ne font
que mentir. » C'est donc qu'il n'y a plus de vérité des
affirmations, plus de vérité des engagements et des pro-
messes; plus de vérité des attitudes et des actions, comme
des paroles; et jusqu'à la racine : le mensonge est dans le
cœur, le «cœur double ».
L'homme continue sa plainte, devenue un réquisitoire :
le mensonge est maintenant une force et une puissance,
une doctrine, un système d'action. «La langue est notre
fort, nos lèvres sont pour nous, qui serait notre maître? »
Mais il y a Dieu. Dieu, c'est le contraire : sa parole est
sincère, du pur argent.
Et Dieu intervient. Il intervient parce qu'Il est vrai
et juste, et parce que le mensonge est oppresseur. «A
cause du malheureux qu'on dépouille, du pauvre qui
gémit... », dit Dieu superbement.
—Leçon de vérité :
1° parce qu'il n'y en a plus. «Plus de saints »signifie :
plus d'hommes vrais.
2° parce que le mensonge c'est l'oppression. Et, réci-
proquement, l'oppression ment;
3° parce que Dieu est vrai.
C'est une douloureuse surprise pour ceux qui entrent
dans la vie de s'apercevoir que le monde ment. Il y a
des jeunes que cela fait reculer dans la mort par le suicide.
Mais ce leur est une surprise bien plus douloureuse de
trouver le mensonge dans la société chrétienne.
Et quand des jeunes apprennent que leur père, leur
maître, peut-être leur prêtre a menti...
IMPRIMERIE FLOCH, MAYENNE (3896). 22-10-58
N° D'ORDRE : 923. DÉPOT LÉGAL : 4 TRIM. 1958.
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