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anthropologues
Association française des anthropologues
124-125 | 2011
Les rapports de sexe sont-ils solubles dans le genre ?
Activités de l'AFA
Anthropologie du numérique –
Atelier organisé par l’AFA
Issy-les-Moulineaux – 18 novembre 2010
ÉTIENNE BOUREL
p. 459-468
« centre de création numérique » fut lancée. Moins d’un an plus tard, le Cube était
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inauguré afin d’être un lieu de pratiques créatives pour tous les publics, un lieu de
yourdécouverte,
request tod’expérimentation ou de production, notamment à travers le thème de la
« ville communicante ». Il est possible que le Cube Don’t Proxy This
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années dans le cadre d’une implantation sur l’île Seguin. Nils Aziosmanoff a eu
l’occasion
the proxy de définir le terme « création numérique » comme renvoyant à des formes
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traditionnelles évoluant avec l’arrivée du numérique (comme la photographie) mais
aussi comme lié à des innovations de rupture débouchant sur des œuvres
numériques.
L’introduction du thème a été assurée par Sophie Accolas et Nadine Wanono, de
l’AFA, au cours d’une intervention à part entière. La première, après avoir indiqué que
le numérique, en tant que nouvelle forme d’écriture automatisée, concerne
l’anthropologie, en tant que science exerçant une partie de ses observations sur les
actes, traits et comportements techniques, a rappelé l’importance de prendre en
compte les chaines opératoires techniques pour finaliser l’objet et non de se focaliser
uniquement sur l’acte achevé. Différents auteurs, tels qu’André-Georges Haudricourt
ou Robert Cresswell, ont ensuite été mentionnés, comme autant de moments de la
pensée anthropologique sur les techniques. C’est avec Jacques Godbout et Bernard
Stiegler que la question du don a été introduite et qu’Internet put être présenté à
travers une culture de la liberté et de la gratuité, une pensée libertaire basée sur une
logique contributive en opposition à une vision mercantile. Ceci a permis d’aboutir à
la mention du récent (puisque promulgué en mai 2010 à Paris) « Manifeste des
Humanités digitales ». Ensuite, Nadine Wanono a expliqué en quoi le numérique
modifie la relation à l’environnement, permet de repenser les systèmes techniques et
sociaux et a introduit la distinction entre la part irréductible et la part contingente de
ses usages. En insistant, elle aussi, sur la lignée dans laquelle s’inscrit Bernard
Stiegler quand il indique que l’intérêt pour le numérique se trouve dans la prise en
compte des traces et des outils dans la production du savoir, en l’occurrence celle
d’André-Georges Haudricourt, André Leroi-Gourhan, Georges Simondon, Bruno
Latour, elle n’a que mieux mis en avant l’impasse, la dénégation du rôle des
techniques dans le milieu universitaire. L’usage de ces dernières, dans une
perspective stieglerienne donc, a été envisagé à un croisement entre dynamiques
vitales et aspects sociaux, ceci aboutissant à une coconstruction entre humains et
techniques, dans un processus d’extériorisation, un processus de mémoire (désigné
comme épiphylogénétique). Ces réflexions ont débouché sur des considérations
politiques à propos de l’idée de baisse de la « valeur esprit », décelée par Paul Valéry
dans les années 1930, reprise par Ars Industrialis et visant à mettre l’accent sur le
danger du capitalisme pulsionnel en tant qu’il cherche à capitaliser sur l’esprit (ce qui
a permis de renvoyer à la distinction entre information et connaissance).
Durant la première intervention de la journée, intitulée « L’éclatement de l’article.
À nouveaux formats d’écriture, nouveaux usages de la recherche », Sophie Pène,
directrice de la recherche à l’École nationale supérieure de création industrielle, a
tracé, par le biais d’une histoire des technologies industrielles au XXe siècle, une
histoire des formes de présentation de l’œuvre, de la recherche à travers l’analyse du
travail sur l’exposition, le curating, utilisant les technologies informatiques
notamment. Il s’agit donc d’une réflexion sur la manière dont l’intangible du
matériau de la création est pensé et recomposé comme une scénographie. Est posée
ainsi la question de l’intention, de l’agencement des données du travail, du rapport
entre désir du travail et processus d’organisation mais aussi du rapport éthique à la
tâche en se regardant travailler. Il fut ainsi fait mention, entre autres, du travail d’Aby
Warburg sur les mnémosynes (idée se rapprochant de celle de sérendipité),
notamment à travers l’Atlas Mnémosyne (1924-29) et des commentaires de Georges
Didi-Huberman à ce sujet, du Mundaneum (1910) de Paul Otlet, « l’homme qui
voulait tout classer », du « memex » de Vannevar Bush1, de la carte mondiale des
sciences réalisée par l’Institut de Santa Fe à Los Alamos (Nouveau Mexique – États-
Unis), de la prolifération narrative dans les 1001 Nuits à partir d’un article du
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Journal canadien de sémiotique, de la revue Rosa B de l’École des beaux-arts de
yourBordeaux,
request du to site internet de Pierre Giner qu’il est possible de qualifier de « livre qui
se débat », de l’enquête sur l’écrit réalisée parDon’t
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Denis,This Site Artières
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David Pontille à travers Scriptopolis, de l’œuvre comme forme d’archive de soi
d’Hasan
the proxy atElahi Trackingtransience, de la plateforme Hypothèses mise en place par
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Pierre Mounier sur Revues.org, du réseau collaboratif de la culture scientifique et
technique que constitue Knowtex, de l’idée d’« extended brain assistant » de Maria
Laura Mendez, ou encore des phycons mis au point au Media Lab du MIT.
Au cours de l’intervention suivante, c’est à partir d’exemples concrets que Pierre
Mounier, directeur-adjoint du Cléo, a voulu s’interroger sur « Numérisation des
données et publication en ligne », soit ce que le numérique change aux pratiques de
recherche en SHS, notamment dans la communication des recherches. L’état des lieux
qu’il a dressé mettait en avant trois aspects :
tradition reste très forte et on note surtout une reproduction de l’imprimé vers
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le numérique.
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!" Pour la communication scientifique, Don’tleProxy
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possibilités, ce qui engendre une effervescence, un
foisonnement. C’est ce que relate le rapport de l’Association of Research
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Librairies intitulé Current Models of Digital Scholarly Communications qui
met en avant les nouvelles formes de communication.
des points de vue et il est intéressant de faire un parallèle avec les grands récits
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(L’Iliade et L’Odyssée, Le Tao, La Torah, Le Roi Arthur) qui sont autant de récits non
yourlinéaires,
request navigables,
to interactifs. Plus récemment, le Songe d’une nuit d’été de
Shakespeare proposait trois modes de lecture enDon’t Proxy les
interactions This
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avec les autres. ✕
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On retrouve ces idées à travers des récits délinéarisés tels que la traduction des
théoriesatdeezproxy.u-paris.fr.
the proxy Newton effectuée par Madame du Châtelet, L’Encyclopédie de Diderot et
D’Alembert, Microméga de Voltaire. Au XXe siècle, il convient de faire référence à
Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen, à Sigmund Freud, aux surréalistes,
à Locus Solus de Raymond Roussel, à 1984 de Georges Orwell, à Homo ludens du
sociologue hollandais Johan Huizinga, au Nouveau roman, à la Nouvelle vague, à
l’Oulipo, à William Burroughs, à Gilles Deleuze et Félix Guattari marquant la crise
des subjectivités occidentales et réfléchissant aux « agencements collectifs de
subjectivités ». Concernant le numérique, il faudrait exiger un Habeas Corpus
protégeant les données de l’esprit. Ceci introduit l’idée de chaosphère et, face aux
risques de dérives commerciales du net, les espoirs se trouvent dans les réseaux
ouverts et le DIY.
Par la suite, c’est en filant la métaphore deleuzienne qu’Axel Guïoux, maitre de
conférence à l’université Lumière Lyon 2–CREA, et Évelyne Lasserre, maitre de
conférence à l’université Lyon 1−S.2S.H., ont introduit leur réflexion anthropologique
comme située sur un autre plateau que celui de l’analyse des formes qui avait été
traité le matin. Ils ont ainsi eu l’occasion de questionner, dans un propos intitulé « Se
jouer des situations : ethnographie, virtualité et mondes procurés », l’usage des TIC
pour des personnes handicapées, notamment dans les mondes persistants proposés
par des jeux en ligne massivement multi-joueurs (MMOG), comme World of Warcraft.
Leur intérêt s’est porté sur l’adaptation du handicap via des interfaces spéciales,
puisque ces jeux donnent la possibilité d’investir des corps, désignés par le terme
« avatar », qui représentent la personne physiquement mais également moralement.
Ils ont ainsi eu l’occasion de rencontrer régulièrement et de s’entretenir (de manière
semi-directive) avec cinq personnes âgées de 15 à 46 ans. Il en ressort que les TIC
permettent une remédiation du handicap, une nouvelle adaptation. Ainsi, les
nouvelles technologies prennent place dans l’intégration des personnes handicapées.
Par ailleurs, il a pu être mis en avant que les discours technophobes ou technophiles
ne sont que les deux côtés d’une même mythologie. Concernant le rapport à la
virtualité, dans la lignée des travaux de Vili Lehdonvirta il apparaît que ces « mondes
jumeaux » que sont le réel et le virtuel ne sont pas distincts mais se coconstruisent. À
propos des jeux vidéo en tant que tel, les approches narratologiques (américaines et
tendant vers le logocentrisme) ou ludologiques (nord-européennes et tendant vers
l’hyperspécialisation du jeu) sont renvoyées dos-à-dos par la conception pragmatiste
de Thomas Malaby pour qui le jeu est une effectuation d’expérience à part entière, du
fait que jouer revient à agir, produire de la contingence voir du déplaisir, de la
souffrance. Il est dès lors possible de poser la question de l’incorporation pour penser
le dispositif technique, notamment pour des personnes qui négocient déjà avec un
dispositif technique car handicapées. Les travaux de thèse d’Étienne Armand Amato
ont ainsi permis de mettre en avant la simultanéité de l’émergence de ces deux
mondes, réel et virtuel, à travers un processus d’instanciation. Au final, c’est la notion
de procuration qui émerge puisque lorsque qu’un personnage virtuel évolue, un
tiers-espace se dessine car le joueur vit un peu à travers lui, par procuration, par
instanciation de la procuration.
En conclusion de la journée, Bernard Stiegler, directeur de l’Institut de recherche
et d’innovation du Centre Georges Pompidou est intervenu pour présenter une
communication intitulée « Anthropologie et numérique » qui lui a permis de brosser
un panorama rapide de plusieurs de ses principales idées. Le numérique fut ainsi
envisagé comme un cas particulier de support d’écriture et d’enregistrement, un
hypomnémata. Si cette question fut réactivée par Jacques Derrida ou Michel
Foucault, ce sont surtout Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant qui, dans deux
textes essentiels2, ont montré le rôle décisif joué par l’écriture dans l’émergence de la
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rationalité. À propos de la place de la technique dans l’anthropologie, Bernard
yourStiegler
requestdéfend
to le point de vue d’André Leroi-Gourhan pour qui l’anthropogenèse est
une technogenèse et la technique, une mémoire Don’t Proxy ThisIlSite
supplémentaire. s’agit, enProxy
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d’une troisième mémoire, qualifiée d’épiphylogénétique, après les mémoires
génétiques
the proxy et épigénétique. Est ainsi introduite la problématique de la
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grammatisation, procédure consistant à discrétiser des flux, c’est-à-dire à les
spatialiser et donc les rendre reproductibles : cela rend possible l’enregistrement des
phénomènes et donc leur répétition. Si l’imprimerie fut une grammatisation qui
permit la Réforme, la révolution industrielle a entrainé la grammatisation des corps.
Avec la photographie et le phonogramme, au XIXe siècle, a débuté la grammatisation
de la perception. Le numérique, au XXe siècle, a engendré la grammatisation du social
(social enginering), social envisagé ici comme une transindividuation. Ceci
entrainant une prolétarisation accrue, il est possible d’aboutir à la conclusion
paradoxale que l’hominisation est un processus de déshominisation. La
grammatisation est donc à comprendre comme le développement de pharmakons.
Dès lors, pour qu’une société fonctionne, il lui faut construire les circuits très longs
(intergénérationnels) de l’anthropogenèse. L’idée d’anamnèse renvoie à ces circuits
absolument longs, conditions de la confiance, de la fidélité, de l’investissement social,
de la société. En tant que pharmakon, le numérique commence par produire des
courts-circuits avant de produire des circuits longs. Pour le comprendre, il faut
passer par une organologie générale afin de saisir les individuations psychiques,
techniques et sociales possibles. Ainsi, si le virtuel produit des courts-circuits
(effrayants) dans l’anthropogenèse, il présente aussi des possibilités
d’expérimentations (passionnantes). Pour l’anthropologie, il s’agirait de faire des
usagers du virtuel, des anthropologues critiques, la spatialisation rendant les
éléments sociaux analysables. Pourrait alors se profiler la création de nouveaux
modes sociaux3.
Notes
1 Une continuité de ce travail est réalisée par le groupe de recherche Hypertexte.
2 Détienne M. (dir.), 1992. Les savoirs de l’écriture : en Grèce ancienne. Villeneuve d’Ascq,
P.U. de Lille, Cahiers de philologie.
Vernant J.-P., 2004 [1962]. Les origines de la pensée grecque. Paris, PUF.
3 Après cette conclusion, une présentation du portail des sciences humaines AnthropoWeb a
été réalisée par la personne qui en est à l’origine, Sophie Haberbüsch.