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2022 04:28
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0831-1048 (imprimé)
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D
epuis une vingtaine d’années, les mobilités spatiales se sont impo-
sées comme une dimension centrale des sociétés contemporaines
avec la globalisation de l’économie, le développement des systèmes
de transports et les communications à distance. La mobilité, dans son accep-
tation géographique, est ainsi devenue un objet important sinon central de
la sociologie, amenant même certains sociologues à vouloir refondre le pro-
gramme et l’objet de la sociologie à la lumière des mobilités1.
Le terme de « mobilité », même entendu dans sa seule acception géogra-
phique, regroupe des phénomènes de nature distincte : migrations, mobilités
résidentielles, déplacements quotidiens, etc. Ce sont précisément les mobi-
lités quotidiennes qui feront l’objet de cette contribution. Longtemps lais-
sées au regard des géographes, les mobilités quotidiennes font depuis une
quinzaine d’années l’objet d’investigations éparses dans la sociologie franco-
phone, en particulier française et suisse. L’objectif de cette contribution est
de dresser un état des lieux de ces recherches et de leurs problématiques afin
de montrer comment l’analyse des mobilités quotidiennes peut constituer un
objet d’intérêt pour la sociologie.
1. John Urry, Sociology beyond societies : mobilities for the twenty-first century, Londres, Routledge,
2000.
Cahiers de recherche sociologique, nos 59-60, automne 2015–hiver 2016
Les mobilités quotidiennes comme objet sociologique
6. William Isaac Thomas et Florian Znaniecki, Le paysan polonais en Europe et en Amérique – Récit
de vie d’un migrant (Chicago, 1919), Nathan, coll. « Essais et Recherches », Paris, 1998 [1919] ; Ernest
Watson Burgess, « La croissance de la ville. Introduction à un projet de recherche », dans Yves
Grafmeyer et Isaac Joseph (dir.), op. cit., p. 131-147.
7. Pitirim Sorokin, Social Mobility, New York, Harper and Brothers, 1927.
8. Ibid. ; Stéphanie Vincent-Geslin et Vincent Kaufmann, Mobilités sans racines – Plus loin, plus vite…
Plus mobiles ?, Paris, Éditions Descartes & Cie, 2012.
9. Pierre Lannoy, « L’automobile comme objet de recherche, Chicago, 1915-1940 », Revue française de
sociologie, vol. 44, no 3, 2003, p. 497-529.
10. Pierre Lannoy, « La mécanique des flux : l’ingénierie du trafic routier comme politique d’intégration »,
dans Vincent Kaufmann et Bertrand Montulet, Mobilités, fluidités… libertés ?, Bruxelles, Facultés uni-
versitaires Saint-Louis, 2004, p. 99-119.
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L’apparition de l’objet
11. Nathalie Brevet, Le(s) bassin(s) de vie de Marne La Vallée. Une politique d’aménagment à l’épreuve
du temps et des habitants, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 56.
12. Daniel Pinson, Du logement pour tous aux maisons en tous genres, Paris, PUCA, coll. « Recherches »,
1988.
13. Catherine Bonvalet et Eva Lelièvre, « Les lieux de la famille », Espaces et sociétés, vol. 2, no 120-121,
2005, p. 99-122.
Les mobilités quotidiennes comme objet sociologique
Cahiers de recherche sociologique, nos 59-60, automne 2015–hiver 2016
Les mobilités quotidiennes comme objet sociologique
Le temps de l’excès
Cahiers de recherche sociologique, nos 59-60, automne 2015–hiver 2016
33. David Harvey, The Condition of Postmodernity, Boston, Blackwell, 1989 ; L. Boltanski et E. Chiappello,
op. cit.
34. Michel Bassand, Vincent Kaufmann et Dominique Joye, Enjeux de la sociologie urbaine, Lausanne,
Presses polytechniques et universitaires romandes, 2001 ; Manuel Castells, The rise of the network
society – the information age, Oxford, Blackwell., 1996
35. Hartmut Rosa, Accélération : Une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, coll. « Théorie
critique », 2010.
36. Marie-Hélène Bacqué et Sylvie Fol, « L’inégalité face à la mobilité : du constat à l’injonction », Revue
Suisse de Sociologie, no 33, 2007, p. 89-104 ; Éric Le Breton, Bouger pour s’en sortir. Mobilité quoti
dienne et intégration sociale, Paris, Armand Colin, 2005.
37. S. Allemand et al., op. cit.
Les mobilités quotidiennes comme objet sociologique
Cahiers de recherche sociologique, nos 59-60, automne 2015–hiver 2016
42. Voir notamment Tim Cresswell, On the Move : Mobility in the Modern Western World, Boston,
Routledge, 2006 ; Tim Cresswell et Peter Merriman (dir.), Geographies of Mobilities : Practices, Spaces,
Subjects, Londres, Ashgate, 2011 ; Peter Merriman, Mobility, Space and Culture, International Library
of Sociology, Taylor & Francis Other, 2012 ou encore Peter Adey et al. (dir.), The Routledge Hand-
book of Mobilities, Boston, Routledge, 2013.
43. Alain Bourdin, « Les mobilités et le programme de la sociologie », Cahiers internationaux de sociolo-
gie, no 118, 2005, p. 6.
Les mobilités quotidiennes comme objet sociologique
44. Anne-Catherine Wagner, Les nouvelles élites de la mondialisation. Une immigration dorée en France,
Paris, Presses universitaires de France, coll. « Sciences sociales et sociétés », 1998.
45. Laura Gherardi, Philippe Pierre, « Mobilités géographiques et écarts de pouvoir au sein de trois
entreprises mondialisées. Mobiles, immobiles et “ubiquistes” », Revue européenne des migrations
internationales [En ligne], vol. 26, no 1, 2010, consulté le 6 janvier 2014 ; Laura Gherardi, La mobilité
ambigüe. Espace, temps et pouvoir aux sommets de la société contemporaine, Bruxelles, Éditions
Universitaires Européennes, 2012.
46. Cécile Vignal, « Les espaces familiaux à l’épreuve de la délocalisation de l’emploi : ancrages et
mobilités de salariés de l’industrie », Espaces et sociétés, nos 120-121, 2005, p. 179-197 ; Cécile Vignal,
« Attachement territorial, liens familiaux et délocalisation de l’emploi : les enjeux des arbitrages
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résidentiels en milieu ouvrier », dans Annabelle Morel-Brochet et Nathalie Ortar, La fabrique des
modes d’habiter. Homme, lieux et milieux de vie, Paris, L’Harmattan, 2011.
47. Jean-Noël Retière, « Capital d’autochtonie », dans Ilaria Casillo avec Rémi Barbier, Loïc Blondiaux,
Francis Chateauraynaud, Jean-Michel Fourniau, Rémi Lefebvre, Catherine Neveu et Denis Salles
(dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participa-
tion, 2013.
48. M.-H. Bacqué et S. Fol, op. cit.
49. Stéphanie Vincent-Geslin, « Des racines et des ailes. Les mobilités pendulaires, stratégie de concilia
tion entre vie privée et vie professionnelle », SociologieS, 2002 [http://sociologies.revues.org/3945].
50. Joël Meissonnier, Provinciliens : les voyageurs du quotidien, Paris, L’Harmattan, 2001.
51. Ce programme a donné lieu à plusieurs publications : Norbert Schneider et Gerardo Meil G. (dir.),
Mobile living across Europe I : Relevance and diversity of job-related mobility in six European coun-
tries, Leverkusen, Barbara Budrich Publishers, 2008 ; Norbert Schneider et Beate Collet (dir.), Mobile
living across Europe II : Causes and consequences of job-related spatial mobility in cross-national
comparison, Leverkusen, Barbara Budrich Publishers 2010 ; Emmanuel Ravalet, Stéphanie Vincent-
Geslin, Vincent Kaufmann, Tranches de vies mobiles, Paris, Éditions Loco, 2014 ; Gil Viry et Vincent
Kaufmann (dir.), High mobility in Europe. Work and personal life, Londres, Palgrave, MacMillan
2015 ; Emmanuel Ravalet et al., Grandes mobilités liées au travail. Perspective européenne, Paris,
Economica, 2015.
Les mobilités quotidiennes comme objet sociologique
anglais et français52, les travaux menés sur les grands mobiles pour raisons
professionnelles en Europe au travers d’une enquête longitudinale conduite
en 2007 et 2012 et issus du projet JobMob précité. Ces travaux révèlent
des effets de genre53 et le rôle structurant de la construction familiale sur
les pratiques de mobilité. Ils constituent également un révélateur de la flexi-
bilisation du travail et de l’injonction à la mobilité en même temps que des
attachements territoriaux des individus qui cherchent à résister à ces injonc-
tions54. Ainsi, les mobilités apparaissent paradoxalement comme l’expression
des attachements multiples des individus, des systèmes de contraintes et
des rapports proximité/distance tant d’un point de vue social que spatial.
Dans la continuité des réflexions amorcées dans le champ des migrations,
ces travaux récents montrent que les trajectoires résidentielles deviennent
plus réversibles en particulier sous l’effet des transformations du monde du
travail. Ces réversibilités dessinent des pratiques multi-locales qui recentrent
le regard du sociologue sur les formes plus quotidiennes des mobilités.
52. Nathalie Ortar, La vie en deux. Familles françaises et britanniques à l’épreuve de la mobilité profes-
sionnelle, Paris, Pétra, 2015.
53. Voir notamment Estelle Bonnet, Beate Collet et Béatrice Maurines, « Mobilités géographiques pro-
fessionnelles : rapport au territoire et carrières familiales », rapport de recherche PUCA, 2006.
54. Philippe Hamman, Maurice Blanc, Cédric Duchêne-Lacroix, Tim Freytag et Caroline Kramer (dir.),
Questionner les mobilités résidentielles à l’aune de la multilocalité, Strasbourg, Néothèque, 2014 ;
Stéphanie Vincent-Geslin, « Être mobile pour (mieux) exister socialement ? Réflexion autour du
couple déplacement/mobilité », dans Sébastien Lord, Paula Negron-Poblete, Juan Torres (dir.),
Mobilité et inclusion, quelles relations ?, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2015, p. 253-280.
55. Vincent Kaufmann, Mobilité quotidienne et dynamiques urbaines, la question du report modal, Lau-
sanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2000.
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56. Michael Flamm, Comprendre le choix modal : les déterminants des pratiques modales et des représen-
tations individuelles des moyens de transport, thèse de doctorat, EPFL, 2004.
57. Anais Rocci, De l’automobilité à la multimodalité ? Analyse sociologique des freins et leviers au
changement des comportements vers une réduction de l’usage de la voiture. Le cas de la région pari
sienne et perspective internationale, thèse de doctorat en sociologie, Paris-Descartes, 2007.
58. Stéphanie Vincent-Geslin, Altermobilités, mode d’emploi, Déterminants et usages de mobilités alter-
natives au tout voiture, CERTU, coll. « Débats », 2010.
59. Fabrice Clochard, « Un regard sur le rapport à l’objet automobile », dans Fabrice Clochard, Anaïs
Rocci et Stéphanie Vincent (dir.), Automobilités et altermobilités : quels changements ?, Paris, L’Har
mattan, 2008, p. 249-264 ; Laurent Fouillé, L’attachement automobile mis à l’épreuve : étude des dis-
positifs de détachement et de recomposition des mobilités, Géographie, Université Rennes 2, 2010.
60. Thomas Buhler, Déplacements urbains : sortir de l’orthodoxie Plaidoyer pour une prise en compte des
habitudes, Lausanne, Presses Polytechniques Universitaires Romandes, 2015.
61. Marie Goyon, « Jeunesses périurbaines en Dombes : Mobilité quotidienne, modèles parentaux et
socialisation », Colloque de l’Association de Science Régionale de Langue Française, Clermont-
Ferrand, 6-9 juillet 2009.
62. Clément Rivière, Ce que tous les parents disent ? Approche compréhensive de l’encadrement parental
des pratiques urbaines des enfants en contexte de mixité sociale (Paris-Milan), thèse de doctorat,
Université de Milan-Bicocca, 2014.
Les mobilités quotidiennes comme objet sociologique
63. Nicolas Oppenchaim, Mobilité, socialisation et ségrégation : une analyse à partir des manières
d’habiter des adolescents de zones urbaines sensibles, thèse de doctorat, Université Paris-Est, 2011,
p. 79.
64. Julian Devaux, Mobilité du quotidien, manières d’habiter et socialisation d’adolescents d’un village
rural francilien, thèse de doctorat en sociologie, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, 2013.
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65. Salvador Juan, « Le concept de routine dans la socio-anthropologie de la vie quotidienne », Espace
populations sociétés consulté le 26 janvier 2016 [http://eps.revues.org/5935] ; Philippe Gerber et Sam-
uel Carpentier (dir.), Mobilités et modes de vie. Vers une recomposition de l’habiter, Rennes, PUR, 2013.
66. Sylvie Depeau et Thierry Ramadier, Se déplacer pour se situer. Places en jeu, enjeux de classes, Rennes,
PUR, 2011.
67. Dominique Mignot et Sylvia Rosales-Montano, Vers un droit à la mobilité pour tous : inégalités,
territoires et vie quotidienne, PUCA, La Documentation française, 2006 ; Christophe Gay, Vincent
Kaufmann, Sylvie Landriève, Stéphanie Vincent-Geslin, Mobile, Immobile, Quels choix, quels droits
pour 2030. Choices and rights for 2030, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2 tomes, 2011.
68. Vincent Kaufmann, Max Bergman et Dominique Joye, « Motility : Mobility as capital », Internatio
nal Journal of Urban and Regional Research, vol. 28, no 4, 2004, p. 745–756 ; Vincent Kaufmann,
Re-Thinking Mobility : Contemporary Sociology, Farnham, Ashgate Publishing Company, 2002.
Les mobilités quotidiennes comme objet sociologique
Cahiers de recherche sociologique, nos 59-60, automne 2015–hiver 2016
Les mobilités quotidiennes comme objet sociologique
offrent des pistes de réponse, ils méritent d’être prolongés pour consolider
les résultats obtenus.
Si des dispositions aux mobilités quotidiennes sont intériorisées par les
individus, il convient de s’interroger sur la nature de ces dispositions ainsi
que sur les situations dans lesquelles elles sont mobilisées et mises en œuvre.
Ce second questionnement prolonge les travaux autour de l’existence d’un
capital de mobilité dont le contenu reste à préciser, de même que ses liens
avec les autres formes, plus classiques en sociologie, de capital. Quelles sont
les ressources mobilisées par les individus pour se déplacer ? Existe-t-il des
ressources spécifiques que les individus mobilisent pour, au contraire, éviter
de se déplacer ? Ces ressources sont-elles différenciées selon l’appartenance
sociale ? Enfin, la pratique ou la non-pratique de mobilités quotidiennes
influencent-elles la position sociale des individus et leurs trajectoires sociales ?
Leur permettent-elles d’accéder à certains statuts professionnels ou d’évi-
ter la précarisation liée au travail ? Comment s’articulent-elles avec d’autres
formes de mobilités, telles que les mobilités résidentielles ?
Au final, de nombreuses questions restent en suspens sur les effets croi-
sés des mobilités spatiales quotidiennes, mobilités résidentielles et mobilités
sociales et offrent des pistes de recherche nombreuses. Autour de ces ques-
tionnements, les mobilités quotidiennes apparaissent bien comme un objet
légitime pour le sociologue.