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REPUBLIQUE DU BENIN

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UNIVERSITE DE PARAKOU

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FACULTE DES LETTRES, ARTS ET SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE-ANTHROPOLOGIE

Cours de Sociologie Anthropologie Urbaine

Enseignant : Docteur Rodrigue MONTCHO ( PHD)

Maître de Conférences des Universités du CAMES

robachims9@gmail.com

octobre 2022

1
Objectifs du Cours

Objectif global

Le Cours de Sociologie Urbaine vise principalement à mettre l’étudiant dans les conditions
scientifiques pour l’analyse sociologique de la ville et de l’urbanisation, deux concepts
proches et non identiques au plan conceptuel. De plus, le cours vise à permettre à l’étudiant
d’avoir une meilleure compréhension de ce nouveau champ d’étude scientifique
particulièrement dense.

Objectifs spécifiques

De façon spécifique, ce cours permettra aux apprenants de :

Par rapport au savoir :

o Décrire le contexte d’émancipation de la Sociologie Urbaine ;


o Définir le champ de la Sociologie Urbaine ;
o Identifier quelques théories phares de l’urbain et de la ville ;
o Apprécier la ségrégation et la fragmentation urbaines, deux situations possibles en
milieu urbain ;
o Identifier les acteurs et les quelques représentations de la gouvernance urbaine ;
o Décrire quelques réalités de la ville africaine ;
o Décrire quelques documents de planification urbaine.

Par rapport au savoir-faire :

-Concevoir des outils d’analyse sociologique dans la ville et le milieu urbain ;

- Collecter des données sur la ville et le milieu urbain ;

- Rédiger de microprojets pour la ville et le milieu urbain.

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Par rapport au savoir-être :

- Faire preuve de personne ressource en matière d’analyse de la ville et de


l’urbanisation ;
- Avoir une attitude de pro-activité par rapport aux questions de la ville et de
l’urbanisation.

Méthodes pédagogiques

Elles seront fondées sur une approche participative amenant les étudiants à faire une
autocensure de leurs connaissances antérieures pour consolider les pré-requis par rapport au
contexte d’évolutif du programme global de formation. Le dialogue, l’échange et la
réciprocité sont les principes de base qui justifient cette méthode qui se veut active.

La démarche se présente comme suit :

 Test de pré-requis ;
 Présentation analytique du cours ;
 Cours théorique ;
 Travaux pratiques.

Contrôle de connaissance proposé

o Participation au cours (10%)


o Travaux pratiques de recherche (20%)
o Devoir de contrôle (20%)
o Evaluation finale (50%)

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Contenu du Cours

Introduction

I- Concepts clés
II- Contexte d’émancipation de la Sociologie Urbaine
III- Champs de la Sociologie Urbaine
III-1 La distribution spatiale de la population
III-2 Pratiques sociales en milieux urbains
III-3 L’organisation et la gestion de la ville : actions publique ou action privée ?
IIII-4 La ville existe-t-elle ?
II-5 Sociologie de la ville ou de l’urbain ?
IV- Diversité de théories sociologiques de la ville ou de l’urbain
III-1 La définition fonctionnelle
III-2 La démographie
III-3 Théorie marxiste de la ville : la ville un produit économique et social
III-4 De Durkheim à Halbwachs : la ville, la morphologie sociale
III-5 La ville selon l’école de Chicago
V- Ségrégation et fragmentation urbaines : deux réalités de la ville
IV-1 La ségrégation urbaine
IV-2 La fragmentation urbaine
VI- Gouvernance urbaine : de multiples acteurs, des représentations et des enjeux
V-1 De multiples acteurs autour de la gouvernance urbaine
V-2 Les représentations de la ville
V-3 Gouvernance urbaine
VII- Réalités de la ville africaine
V1- Croissance urbaine en Afrique : cas de l’Afrique de l’ouest
V2- Quelques travaux sur la ville africaine
VIII- Brève présentation de quelques documents de planification urbaine

Conclusion

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INTRODUCTION GENERALE : Le phénomène urbain et la ville comme objet d’étude
sociologique

La démarche sociologique en général opte pour la description, la compréhension et l’explication de la


dimension sociale sur les représentations (façons de penser) et comportements (façons d'agir) humains.
Elle insiste sur les rapports sociaux. Ses objets de recherche sont très variés puisque les sociologues
s'intéressent à la fois au travail, à la famille, aux médias, aux relations, aux réseaux sociaux, aux
rapports de genre (hommes/femmes), aux statuts et fonctions, aux religions, ou encore aux formes de
cultures et d'ethnicités. L’une des réalités qui captivent l’attention des spécialistes du fait social est le
phénomène urbain. C’est ainsi que la sociologie urbaine l’une des branches de la Sociologie depuis
plusieurs années cherche à comprendre les rapports d'interaction et de transformation qui existent entre
les formes d'organisation de la société et les formes d'aménagement des villes. L'étude de la première
de ces formes, celles qu'une société prend dans l'espace est appelée morphologie sociale depuis Emile
Durkheim, Marcel Mauss, Max Weber. L'étude de la seconde, celle des formes de la ville avec son
habitat, ses monuments, ses décors, et en général tous ses aménagements, s'appelle morphologie
urbaine.

La connaissance de la réalité des interactions entre une morphologie sociale et une morphologie
urbaine permet d'une part de favoriser la vie sociale dans les villes existantes, d'autre part de mieux
concevoir les nouveaux ensembles urbains ou architecturaux (programmation). De telles recherches
sont à la fois descriptives, compréhensives et programmatiques.

Par ailleurs, on appelle aussi sociologie urbaine, des enquêtes sociales empiriques qui portent sur les
populations établies sur des territoires urbanisés et qui les abordent par les problèmes qu'elles posent
pour l'administration, ceci afin d'éviter les conséquences de leur mécontentement.

La différence entre ces deux sortes de sociologie urbaine n'est pas une question de méthode (toutes
deux procèdent par comparaisons à partir de statistiques ou de monographies) mais une question de
visée pratique de leurs destinataires: les unes permettent d'intervenir par l'aménagement architectural
et urbain à toutes les échelles (rénovation, transformations, construction, décoration, animation), les
autres visent à intervenir par des mesures administratives individuelles (subventions, assistance,
information, répression, éducation, éviction) ou collectives (lois, règlements).

On peut retenir sur la base de ces deux approches d’intervention de la Sociologie urbaine qu’elle est le
champ de la sociologie qui étudie l’effet de l’urbanisation sur la vie en société et sur les processus
sociaux intervenant dans l’espace urbanisé.

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Plusieurs concepts et problématiques intéressent les sociologues de l'urbain. On peut en résumer le
cadre général avec deux principes énoncés par Henri Lefebvre:

 la ville est une projection au sol des rapports sociaux ;


 il existe deux catégories de rapports à l'espace, les rapports d'appropriation (tout ce que les
gens font pour exprimer leur possession plus ou moins exclusive d'un territoire: construction,
décoration, occupation, propreté, barrières réelles ou symboliques, etc..) et les rapports de
domination (tous les dispositifs collectifs d'aménagement: règlements d'urbanisme, d'hygiène,
de sécurité, projets d'aménagement, normes d'administration, de gestion, de promotion
immobilière, police, etc..). La forme de la ville est un compromis permanent entre la multitude
des appropriations et la permanence du pouvoir politique.

Comme études descriptives, on peut citer les territorialités et leurs échelles, les formes de
sociabilités, de civilités et d'échanges, les trajectoires résidentielles, la formation des prix de
l'immobilier, les représentations populaires et savantes de la ville, les monumentalités, etc.

Actuellement, la sociologie urbaine travaille sur le rapport entre ville, culture, violence,
genders, mobilité, territoire, et économie. Certains chercheurs montrent comment l'urbanité
(les spécificités organisationnelles) de la ville affecte le fonctionnement de l'économie et du
marché du travail ainsi que la culture et la création artistique. Saskia Sassen effectue ses
recherches sur le lien entre mondialisation et villes. En ce qui concerne la sociologie de
l'habitation populaire, on peut citer, après les travaux de William Foote Whyte ou du
philosophe Jean-Claude Michéa, les essais prospectifs sur l'habitat sans habitation de Paul
Virilio et Chilpéric de Boiscuillé.

Comme autres problématiques au cœur du projet sociologique de l’urbain, on peut citer les
dynamiques d'intégration ou de ségrégation socio-spatiale (phénomènes de ghettoïsation), de
gentrification, les violences urbaines, les pratiques de mobilité, les représentations sociales de
la ville, les instances citadines de socialisation, le contrôle social sur l'espace public, les
mégapoles, etc. On peut également faire cas des tensions entre distance et proximité, entre
localisation et mobilité, entre diversité et intégration, entre lignes de force qui commandent le
devenir des villes et la gestion collective. On peut enfin à juste titre citer les dynamiques
métropolitaines, les mobilités et les réseaux, le numérique, les inégalités sociales et
fragmentations urbaines, les notions de temps et de quartier ainsi que les imbrications entre
l'économique et le politique dans la production des formes, les problématiques de gouvernance
urbaine, de villes durables, etc.

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I- Concepts clés

Il ne s’agit pas ici d’une clarification proprement dite. Mais d’une entrée dans la discipline en
retenant quelques éléments permettant d’identifier un certain nombre de concepts importants.

Urbanisation :

Pour Benoît N’BESSA, l’urbanisation est le processus de transformation d’un espace rural en
espace urbain 1. Mais cette définition est trop géographique. La méthode la plus courante
consiste à fixer une taille limite entre ville et campagne, limite qui varie cependant
sensiblement d'un Etat à l'autre. Le seuil des 2 000 habitants par unité administrative de base
(la commune pour la France, par exemple), le plus utilisé, a été choisi dans des pays aussi
différents que la France, l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, Israël, l'Ethiopie, le
Liberia, le Honduras, la Bolivie, Cuba ; la limite très voisine de 2 500 habitants, elle aussi
fréquente, est utilisée aux Etats-Unis, au Mexique, au Venezuela, à Porto-Rico, à Bahrein. Le
seuil des 5 000 habitants est retenu dans plusieurs pays d'Afrique (Cameroun, Soudan, Tchad)
ainsi qu'en Inde, en Iran, en Autriche, en Tchécoslovaquie. La limite peut cependant monter
jusqu'à 10 000 habitants (Sénégal, Jordanie, Portugal) et même à 50 000 au Japon, pour
tomber à 1 000 habitants au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Irlande, à 500 en Papouasie-
Nouvelle-Guinée, à 400 en Albanie et à 200 dans les pays scandinaves.

Certaines définitions étrangères intègrent d'autres critères, en plus de la taille : nature des
activités (pourcentage d'actifs agricoles relativement élevé par exemple), densité maximum de
population (390 habitants/km² en Inde), manque de certains équipements (au Cameroun, en
Inde). Enfin, les critères sont parfois purement administratifs : les chefs-lieux d'un certain
niveau peuvent être considérés comme des villes, quelle que soit leur population, ou bien
l'administration dresse elle-même la liste des villes (plusieurs pays africains, ainsi que la
Hongrie).

Le milieu urbain est défini selon le RGPH3 comme une zone hétérogène qui regroupe tout
chef lieu ayant au moins 10.000 habitants et au moins une des infrastructures ci après :
bureau de poste et télécommunication, bureau de recette perception et de trésor public,
système d’adduction d’eau (SONEB), électricité (SBEE), centre de santé, collège

1N’BESSA Benoît, voir Syllabus de cours de L’urbanisation en Afrique, DESS population et Dynamiques
Urbaines, CEFORP / UAC, 2004-2005.
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d’enseignement général du 2ème cycle, d’une part et tout arrondissement ayant tout au moins
quatre des infrastructures énumérées ci-dessus et au moins 10.000 habitants. Dans son
approche démographique, elle est définie comme étant « un phénomène de concentration de la
population qui se caractérise par l’augmentation du nombre de points de concentration et la
croissance de la population »2. Cette définition prend en compte à la fois la dimension
démographique et spatiale du phénomène d’urbanisation. Il faut ajouter à cette conception,
que l’urbanisation entraîne des changements sociologiques qui est liés aux rapports sociaux
que les acteurs développent. Retenons que l’urbanisation est caractérisée l’extension spatiale
et la croissance démographique.

Ville : Selon le petit Larousse Grand format3, la ville est l’agglomération relativement
importante et dont les habitants ont des activités professionnelles diversifiées notamment dans
le secteur tertiaire. Mais peut-on la définir sans ses fonctions ? Selon Jacqueline Beaujeu-
Garnier4 la fonction est la profession de la ville, l’ensemble des activités qui justifient son
existence, qui apportent les ressources nécessaires à la vie. Pour Jean PELLETIER5 , des
critères statistiques et fonctionnels permettent de définir la ville. Le critère statistique ne
permet pas d’appréhender le concept car, il existe de gros villages qui ont de gros effectifs. A
ce propos, il la définit comme une concentration humaine d’une taille minimale proche de
2000 habitants dans laquelle l’activité fondamentale est la fonction de ses services, cette
fonction s’associant souvent avec celle de l’industrie. Il précise que cette définition est
naturellement vague, car elle recouvre une foule de réalités différentes. C’est pourquoi, il vaut
mieux parler des villes plutôt que de la ville. Il apparaît, en dehors de la conception de Jean
PELLETIER, que la définition de la ville n’est pas universelle, elle doit donc tenir compte des
données contextuelles et des réalités sociologiques propres à une région. C’est pourquoi, il
convient de définir la ville comme une concentration humaine d’une taille minimale
dépendant des réalités de la localité concernée dans laquelle l’activité fondamentale est
essentiellement non agricole et ayant atteint la phase finale du phénomène d’urbanisation.

2
AMADOU SANNI Mouftaou, Syllabus de cours de Démographie urbaine, DESS population et Dynamiques Urbaines,
CEFORP / UAC, 2004-2005.
3 Le Plus petit Larousse, Grand Format 2003, 2002, Belgique, 1885 pages.

4 N’BESSA Benoît, voir Syllabus de cours de L’urbanisation en Afrique, DESS population et Dynamiques Urbaines,

CEFORP / UAC, 2004-2005


5PELLETIER Jean et DELFANTE Charles, Villes et urbanisme dans le monde, Armand Colin, Collection U,
1997, Paris, 198 pages.
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Agglomération urbaine

Une agglomération urbaine est définie comme une ville-centre (au sens administratif) munie
de ses banlieues (entités administratives incluses dans la continuité urbaine) s'il y a lieu. La
notion peut également avoir une dimension politique, dans ce cas elle correspond à plusieurs
entités administratives interconnectées mais pas nécessairement agglomérés qui gèrent leurs
projets en commun (transports, déchets, projets de réhabilitation de quartiers, etc.).

En Belgique, l'agglomération bruxelloise a été une entité publique chargée de la gestion de


certaines compétences économiques pour les 19 communes de Bruxelles entre 1971 et 1989.
Elle a été remplacée par la Région de Bruxelles-Capitale en 1989.

Au Québec, le terme a récemment acquis une connotation administrative précise. À la suite


des fusions municipales de 2002 et des défusions qui ont suivi, même si le morcellement
politique du territoire des grandes villes est moindre qu'avant, il a obligé la formation de
structures politiques pour chapeauter les ensembles anciennement fusionnés. L'Agglomération
de Montréal et l'Agglomération de Québec sont des exemples des entités administratives ainsi
créées1.

En France, l'agglomération au sens physique a été définie par l'Insee comme une unité
urbaine. Au sens politique, l'agglomération renvoie selon la taille à une communauté urbaine
(plus de 450 000), une communauté d'agglomération (50 à 450 000, sauf chef-lieu de
département : 30 à 450 000) ou une communauté de communes (moins de 50 000, sauf chef-
lieu de département : moins de 30 000).

Conurbation : Mot formé à partir de deux éléments latins, cum, qui signifie avec, et urbs (ou
urbis) qui signifie ville. C'est donc un « ensemble de villes ».

Une conurbation urbaine est un ensemble urbain constitué de plusieurs noyaux urbains (ou
villes) dont les banlieues finissent par se rejoindre. Ce terme a tendance à être remplacé,
souvent improprement, par celui de mégalopole. La notion et le terme ont été formulés dès le
XIXe siècle par l'urbaniste britannique Patrick Geddes.

En Afrique du Sud, Depuis la fin des années 1990, de nombreuses municipalités ont été
constituées à partir de conurbations. Parmi celles-ci, on peut citer :

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 Tshwane (conurbation incluant Pretoria) que le maire souhaite faire requalifier en ville
à part entière
 Mangaung (conurbation incluant Bloemfontein)
 Johannesburg
 Ekurhuleni (East Rand)
 Mogale City (conurbation incluant Krugersdorp)
 Le Cap
 eThekwini (conurbation incluant Durban)
 Buffalo City (conurbation incluant East London, Bisho, King William's Town)
 Nelson Mandela Metropole (conurbation incluant Port Elizabeth, Uitenhage)
 Polokwane (Pietersburg)

Commune Taux d’accroissement Populations en 2016

Cotonou 2,17 877.358

Sèmè-Podji 6,03 265.058

Abomey-Calavi 9,44 1.101.953

Agglomération de Cotonou 4,09 1.905.294

Source : Estimations INSAE-RGPH 3

Communauté Urbaine :

En France, une communauté urbaine est un établissement public de coopération


intercommunale (EPCI) français à fiscalité propre, qui prévoit une importante intégration des
communes membres. Depuis la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des
collectivités territoriales la communauté urbaine est définie comme étant : « (...) un
établissement public de coopération intercommunale regroupant plusieurs communes d'un
seul tenant et sans enclave qui forment, à la date de sa création, un ensemble de plus de 450
000 habitants et qui s'associent au sein d'un espace de solidarité, pour élaborer et conduire
ensemble un projet commun de développement urbain et d'aménagement de leur territoire»

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Au Bénin, les communes peuvent se retrouver pour former une communauté territoriale que la
loi sur la décentralisation désigne sous le vocable de l’intercommunalité.

Rural : Qui concerne les paysans, la campagne et plus généralement les territoires et activités
non urbains. Ce concept fait appel à celui de la ruralité qui est l’ensemble des caractéristiques,
des valeurs du monde rural et à celui du ruralisme qui est une tendance à idéaliser la vie à la
campagne. Les sociétés rurales sont pourvues d’une culture propre, de coutumes spécifiques,
de relations de voisinage et d’une vie collective très fortement influencées par le monde
paysan qui lui donne son homogénéité souvent révélée par un paysage, un mode de vie, un
type d’habitat et d’architecture. En réalité, un milieu typiquement rural est très difficile à
appréhender aujourd’hui compte tenu de la grande influence de l’urbanisation sur l’espace
rural et sa population. Toutefois, il faut retenir que l'espace rural se caractérise par une densité
de population relativement faible, par un paysage à couverture végétale prépondérante
(champs, prairies, forêts, autres espaces naturels), par une activité agricole relativement
importante, du moins par les surfaces qu'elle occupe.

La ruralité, c’est l’ensemble des caractéristiques, des valeurs du monde rural. Selon le
sociologue français Kayser, la ruralité traduit « un rapport particulier de l'homme au temps et
à l'espace, celui d'une relation de dépendance réciproque entre l'homme et la nature
(environnement, ressources, composantes physiques et biologiques etc.).

Ruralité de la ville : Ce concept fait fortement allusion aux relations entre la ville et la
campagne, mais ici avec pour particularité la présence du fait rural en ville. En d’autres
termes, c’est l’ensemble des caractéristiques, des valeurs du monde rural que l’on retrouve en
ville. La ruralité de la ville est essentiellement caractérisée par la présence d’activités rurales
en ville, l’habitat de type rural en ville et des comportements ruraux des populations de la
ville. Nous distinguons deux types de ruralité de la ville : la ruralité positive de la ville et la
ruralité négative de la ville. La ruralité de la ville est essentiellement caractérisée par la
présence d’activités rurales en ville, l’habitat de type rural en ville et des comportements
ruraux des populations de la ville. Lorsque ces caractéristiques favorisent le développement et
l’aménagement urbain, nous les désignons dans la présente étude par le concept ruralité
positive ; mais lorsqu’elles handicapent le développement urbain, nous les désignons par le
concept ruralité négative de la ville. Ce concept peut prendre d’autres dimensions comme la
rurbanisation, la périurbanisation.

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II- Contexte d’émancipation de la Sociologie Urbaine

- Depuis les premières enquêtes du siècle dernier sur la misère ouvrière urbaine un ensemble de
monographies agencent de façon implicite statistique sociale, histoire locale et description
géographique des formes et fonctions de l’urbanisation. Ces enquêtes s’appuient notamment
sur les sociétés savantes conseillères ou parties prenantes de la réforme sociale par
l’urbanisme. La ville devient ainsi l’objet d’une Science pratique. La « polistique » ou civics
du biologiste écossais Patrick Geddes, proche des conceptions morales et des méthodes
d’enquête de Frédéric Le Play en sont des illustrations.
- Le développement par Maurice Halbwachs du programme de « morphologie sociale » initié
par Emile Durkheim s’inscrit également dans cette logique. L’étude des faits sociaux « dans
leur rapport au substrat matériel » fut une préoccupation diversement partagée à la fin du
siècle dernier par l’école leplaysienne, l’anthropogéographie germanique,
l’environnementalisme américain ou la géographie humaine française. Selon Armand
Cuvillier (1950), il revient à Durkheim de l’avoir sociologiquement définie comme
morphologie sociale suivant laquelle le volume et la densité des populations deviennent
incontournables de l’analyse sociale. Rompant avec le déterminisme géographique, Durkheim
indique dans ses Règles de la Méthode (1895), que la densité matérielle est l’auxiliaire, et
assez généralement la conséquence, de la coalescence des segments sociaux (densité
dynamique ou morale). Dès 1909, la magistrale analyse de Halbawachs sur les variations
concomitantes des prix fonciers, des expropriations liées à l’agrandissement des voies
publiques et des flux résidentiels dans le Paris du second empire à la belle époque, démontre
que la croissance immobilière doit finalement peu au choix rationnel des investisseurs et
encore moins aux velléités de planification urbaine ; seul le spéculateur suit à peine
l’irrépressible « dynamique des besoins collectifs » qui déborde les règlements d’enceinte et
subvertit les tracés sur plan. Michel Amiot (1986) voit dans cette thèse pionnière l’acte
inaugural de la sociologie urbaine française en ce qu’elle soustrait la connaissance du
phénomène urbain à l’emprise de l’Economie et de l’Histoire.
- Le renouvellement des interprétations de la modernité par l’attention portée aux mutations de
la sociabilité dans les métropoles de la seconde révolution industrielle. Cette perspective est
implicite chez Gabriel Tarde (1901) qui se démarque de la fameuse Psychologie des foules de
Gustave Le Bon (1895) pour montrer comment les masses urbaines se transforment en
publics, collectifs fluides d’opinions unifiées à distance. Elle devient explicite en Allemagne
notamment, lorsqu’au début du siècle, Georg Simmel saisit les grandes cités comme
agglomérations moléculaires de cercles sociaux par le jeu desquels l’individualité se forme. La
promiscuité urbaine intensifie la vie nerveuse, blase l’esprit, et forge une culture de la
différence singulière dans l’indifférence générale et l’équivalence monétaire des valeurs.

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Mobilité, superficialité, réserve sont les principaux attributs du citadin simmélien qui se
cristallise dans la figure de l’étranger, obligé du double langage ou celui qui n’a pas perdu la
liberté d’aller et de venir. Dans sa généalogie comparée de la civilisation contemporaine, Max
Weber (1921) érige de son côté la cité bourgeoise de l’occident médiéval en prototype du
capitalisme marchand du droit spécialisé et de la rationalisation instrumentale du monde.
- C’est enfin et surtout avec les travaux de l’Ecole de Chicago avec les travaux de Robert Park,
de Burgess et de McKenzie (The City, 1925), la rencontre inédite entre la sociologie
allemande (Weber dans Economie et Société), la philosophie de l’action américaine et la
volonté de régulation sociale suscitée par une ville dont les cadres explosent sous l’effet d’une
immigration spectaculaire. Ce laboratoire en vraie grandeur diversifie en effet les modes
d’observation (immersion dans le milieu, histoires de vie, etc.), intègre la dimension
territoriale aux théories de la socialisation (aires naturelles, tri urbain, cycle des relations
ethniques, définition de la situation) et invente les technologies sociales de prévention de la
délinquance qui restent encore d’actualité (urban area projects).

A travers ces quatre formes ou expériences, la sociologie urbaine sert l’institution de la


discipline sociologique au sein des universités. Elle cherche sa dignité d’une sociologie dans
la ville à visée empirique (toute enquête sur la vie sociale d’un quartier ou d’une communauté
donnée comme il s’en mène depuis longtemps) vers une sociologie de la ville aux prétentions
théoriques ou philosophiques plus affirmées.

M. Amiot (1986) et d’autres interprètes attribuent la renaissance de la sociologie urbaine dans


la France d’après-guerre (au moment d’ailleurs ou le pôle anglo-saxon perd à cet égard ses
marques distinctives) à une double tension fondatrice. La première, que l’on pourrait qualifier
d’externe, est celle qui l’oppose à l’hégémonie du raisonnement économiste chez les agents du
Plan. Ceux-ci sont à l’écoute du sociologue lorsque leurs modèles prévisionnels ont des
insuffisances ou lorsque leurs projets engendrent le conflit administratif, politique ou social.
La seconde, que l’on pourrait qualifier d’interne, est celle qui l’oppose à une conception
académique ou universitaire du métier de sociologue, comme l’entreprise, la ville relève des
multiples objets de la société industrielle ou de masse qu’il s’agit d’expliquer et de
comprendre à partir d’enquêtes concrètes de terrain, à l’encontre de tout dogmatisme
théorique. En France, on dit de Chombart de Lauwe, le pionnier de la sociologie urbaine. Ce
qui caractérise la sociologie urbaine en France c’est la demande sociale.

Institutionnellement, la sociologie urbaine a eu deux époques dorées aux Etats-Unis. L’entre-


deux-guerres, avec l’étude (dirigée par l’école de Chicago) des mécanismes d’intégration et de
désorganisation sociale dans les grandes villes en croissance accélérée. La période
immédiatement postérieure à la deuxième guerre mondiale avec l’étude (dirigée par l’école de
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Michigan, mais poursuivie aussi à Chicago par Bogue) des phénomènes de diffusion urbaine
et de constitution des régions métropolitaines interdépendantes et hiérarchisées.

Dans les années soixante dix, de nouveaux auteurs en Sociologie Urbaine. Manuel Castels,
principal chef de file de la brèche structuro-marxiste, soumet dès 1968, la sociologie urbaine à
la question épistémologique pour conclure dans une formule devenue célèbre chez les
initiés « s’il y avait encore besoin d’un paradoxe sociologique, ce n’est serait pas le moindre
que celui de constater, après un demi-siècle d’existence de la sociologie urbaine, qu’un seul
thème de recherche reste inédit : son objet. »

L’urbain, enjeu de luttes de définition à l’intérieur de la sociologie et de positionnement de


cette discipline dans le concert des discours concurrents sur la ville, produit le centre de
gravité d’un champ hypothétique qui s’institutionnalise dans des revues (Espaces et sociétés
créée par les Naterriens-Henri Lefebvre et M. Castells, en 1971). La Sociologie Urbaine
empreinte sans doute plusieurs chemins.

III : Champs de la Sociologie Urbaine

Le champ de la Sociologie Urbaine est structuré par trois grandes thématiques :

III-1 La distribution spatiale de la population

Elle représente une dimension importante pour toute la recherche sociologique qui s’intéresse au
monde urbain. En effet, l’inscription des groupes sociaux dans l’espace est toujours, sinon la
traduction directe, du moins une résistante des différences et divisions constitutive de toute société en
pratique, la différenciation sociale de l’espace urbain à toujours été apprécié à partir de la localisation
des domiciles.

Aux niveaux descriptifs, il s’agit de repérer les configurations relativement stable : Opposition entre le
centre- ville et les périphérie, partage entre les secteurs approprié par des couches aisées et ceux dont
la composition sociale est plus populaire, « mosaïque » parfois complexe de groupe qui se distingue
non seulement par leurs niveaux de ressources , mais aussi par leurs origines géographique et
ethnique, leur modèle culturel ou leurs genre de vie.

L’interprétation de ces faits morphologiques ne peut être séparée des débats entourant la notion de
ségrégation. Que les uns assimilent à toute forme de division de l’espace urbain tandis que d’autres
préfèrent en limiter l’usage à la situation de clivage fort et de discrimination explicite.

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Si long passe du registre de la description à celui de l’explication, mais des apports majeurs de la
Sociologie Urbaine est d’abord monté toute la complicité des processus à l’œuvre, qui ne se limite pas
à la seule compétition économique pour l’occupation- du sol. Certes, la distribution spatiale des
ménages et des activités dépend en partie du l’ajustement marchant des argents qui se distinguent tant
par leurs préférences que par leurs ressources et contraintes. Mais elle met aussi en jeux des
représentations et des conduites collectives ou s’imbrique en proportion variable la recherche du
semblable et mise à distance de l’autre l’agrégation voulus et la ségrégation subie.

Le mouvement des populations évolue au rythme des flux d’entrée et de sortie, mais aussi des
circulations interne, le devenir des villes est inséparable du mouvement des hommes. Ces mouvements
sont en partie réguler par la distribution des groupes socio des emplois et des offres de logements au
sein du tissu urbain. Mais ils ont aussi leurs logiques propres qui contribuent à remodeler en
permanence la physionomie de la ville.

III-2 Pratiques sociales en milieux urbains

Le cadre urbain exerce en retour des effets sur les façons de vivre en ville. Les villes ou les territoires
qui les composent peuvent ainsi être analysées comme des milieux spécifiques faits de personnes et
d’objets matériels rassemblés et agencés selon un certain ordre. Produit d’une histoire accumulé, ces
milieux de vie sont aussi, à chaque moment de leur histoire, au principe d’un ordre particulier de
contrainte, de possibilité et de représentation.

Dans quelle mesure et pour qui, la production d’ « effet de milieu » se nourrit-elle de processus de
territorialisation des ressources des relations interpersonnel, des univers mentaux ?

Les études intensives de contexte locaux ont exploré une large palette de cas de figures : quartiers
populaires, traditionnels ou s’imbriquent les interconnaissances de voisinages, les liens familiaux et
amicaux, les solidarités professionnelles et les réseaux d’entraide : « beau quartier » appropriés par des
groupes dominantes qui en contrôlent l’accès et y imposent leur manière d’habiter et de cohabiter ;
quartier « ethnique » préservant les liens communautaires.

Les relations interindividuelles. Certaines de ces configurations socio-spatiales sont, sans nul doute
plus favorables que d’autres à l’affirmation identitaire au développement de liens de proximité ou à la
reconduction des positions sociales. Mais la ville est aussi, par excellence, un lieu de confrontation
entre des personnes qui diffèrent par leurs origines, leurs trajectoires, leurs projets, leurs catégories de
perception et d’action.

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Quelles sont alors les formes de relation qui se nouent sur la base de ces situations de coprésence :
coopération ou conflit, évitement ou ajustement mutuelle, conduite de mise à distance voir de mise en
scène des différences ou au contraire de réduction des distances ?

La question peut-être traitée à différente échelles. Elle se pose déjà au niveau très localisé des espaces
de résidence, même lorsqu’il y prévaut une relative homogénéité sociale .En effet les régulations qui
naguère encore, passaient souvent par le voisinage ou le quartier tendent à se reporter à des échelles
plus larges qui débordent parfois du cadre de cité. Ce sont tous les rythment de vie qui se diversifient,
au grées des attaches qui relient chaque citadin à une multiplicité des territoires : logement et
voisinage, lieu de travail mais aussi lieu de formation, des approvisionnements des loisirs, des
sociabilités, des origines familiales … la capacité à maitriser les distances à jouer sur plusieurs espace,
reste inégalement distribuer selon les groupes sociaux.

Mais d’une façon générale les espace de proximité résidentiel apparaisse de moins en moins pertinent
pour saisie les nouvelles lignes de partages qui se décline au sein des populations urbaines. C’est en
tout lieu de la ville que coexistent des personnes qui tendent à se différencier non plus seulement par
leur position professionnel, leur nivaux de ressources ou leurs habitat, mais aussi par leurs usage de
l’espace et du temps.

Les interactions dans les espaces publiques. Le monde urbain ne se résume pas à une simple addition
de microcosme fortement articulé au lieu de résidence. La vielle question de Simmel, reprise par Wirth
dans un article célèbre (1938), est plus que jamais d’actualité : comment l’habitant des villes
« s’arrange t-il » de la multiplicité des contacts et de l’hétérogénéité des situations ?

Un intérêt tout particulier a été accordé par divers auteurs aux interactions dans les espaces publiques
qui sont par excellence, les lieux de production de citadinité.

III-3 L’organisation et la gestion de la ville

Le troisième axe de recherche de l’espace urbain eux mêmes peuvent constituer des enjeux de pouvoir
et des cibles de l’action sociologie urbaine sont centrées sur l’acteur qui intervienne le plus
directement dans l’organisation sociale de la ville et dans la transformation de sa structure matérielle.
Deux perspectives peuvent être adoptées : d’un coté, la ville ; à la fois comme entité sociale et échelon
territorial, est l’un des cadres pertinents de la vie politique ; de l’autre, les espaces urbains eux même
peuvent constituer des enjeux de pouvoir et des cibles de l’action publique.

La première de ces deux orientations a été abondamment développée par la Sociologie nord-
américaine, dans un contexte ou les villes jouissent d’une assez grande autonomie vis-à-vis des Etats
et de l’échelon fédéral. La question du pouvoir local a été ainsi explorée dans ses différentes
16
dimensions : imbrications entre les réseaux d’influence et de l’action municipale officielle, formes de
participation des citadins à la vie publique, processus de décision, modes de régulation entre des
intérêts divergents, effets des jeux de pouvoir sur la structuration des groupes sociaux et des espaces
de la ville.

Le rôle prépondérant de l’Etat planificateur et aménageur, ses rapports avec les agents économiques et
les collectivités locales ont fait l’objet de plusieurs travaux. Ceux-ci ont conduit au cours des années
70 dans les mouvements sociaux urbains, l’effet de contradictions croissantes autour des enjeux
d’appropriation des espaces de la ville (logement, transport, cadre de vie…) depuis lors, les recherches
ont davantage mis l’accent sur la diversité des contextes et des processus locaux. Elles sont elles-
mêmes devenues plus diversifiées dans leurs références théoriques et dans leurs approches. Leurs
objets d’étude portent également les transformations qui affectent aujourd’hui la vie urbaine :
mondialisation des échanges, redéfinition des rapports entre l’Etat et les collectivités locales ;
territorialisation des actions publiques en faveur des milieux défavorisés, réhabilitation du patrimoine
historique, promotion culturelle de la cité.

III-4 La ville existe-t-elle ?


Philosophe, économistes, démographes, urbanistes, géographes, archéologues, architectes et bien
évidement, sociologues portent tous des regards plus ou moins singuliers sur la ville (Paquot, 2000).
R Ledrut (1973), K. Lynch (1976) ont insisté sur le fait que la ville n’existe pas à la manière d’une
œuvre faite pour un spectateur qui la saisirait du dehors. Elle ne s’offre pas au regard tel un produit
fini doté d’une définition objective fixée une fois pour toute dans des représentations sui generis.

La ville s’appréhende du point de vue de ceux qui la vive du dedans et qui, à leur façon, participent à
son invention. Elle est objet de multiples images qu’il convient de saisir à partir d’enquêtes empiriques
menées auprès des habitants.

Il n’existe donc pas une définition parfaitement objective de la ville. La ville n’existe pas en dehors
des divers cadrages, suivants et populaires, institutionnels et quotidiens, dans lesquels nous sommes
tous d’une manière ou d’une autre engagés.

III-5 Sociologie de la ville ou de l’urbain ?


Le mot « ville » a ceci d’avantageux qu’il mêle, et c’est là toute la richesse de son ambiguïté, des
dimensions à la fois institutionnelles, sociales, matérielles, affectives et symbolique voire dynamiques
qu’aucun autre mot ne semble en mesure de recouvrir. S’il est vrai que la ville au plan conceptuel est
différent de la ville, l’urbain existe-t-il sans la ville ? Elle renvoie effectivement à « une certaine
manière locale de vivre institutionnellement ensemble, qui fut le propre de ces entités dotées d’une

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identité et qu’on appelait les villes » (Choay, 2000). Ces mots expriment en réalité une appréhension,
du moins une attention circonspecte face au « règne de l’urbain ». Celui-ci aurait en effet pour
conséquence de lisser les aspérités de la vie urbaine et de réduire ainsi la charge symbolique et
identitaire de l’espace à travers l’implantation banalisée, récurrente et sans relief des mêmes chaînes
d’hôtels, de restaurants et de magasins.
Pour autant, si notre monde est urbain, il n’est pas que cela. Certes, l’urbain s’étend ; le rural
s’urbanise. Mais l’urbain n’empreinte-t-il pas au rural dès lors qu’il s’organise autour de territoire et
d’identités territoriales ? En outre, si la ville s’urbanise et se standardise pour produire ici et là des
« non-lieux » (Ange, 1992), il reste qu’elle conserve son épaisseur symbolique avec ses buvettes, ses
marchés, ses lieux de concert. Par ailleurs, l’urbain peut aussi être vu comme un champ des possibles.
H. Lefebvre (1968) voit dans « l’aire urbain » le moment de rétablir le principe de plaisir dans l’acte
d’habiter. Il considère que le concept de ville c’est donc un « pseudo concept » incapable de rendre
visible la réalité différentielle et prometteuse de la « société urbaine ».
Nous pouvons cependant, nous demander si l’urbain est vraiment destiné à s’émanciper de la ville
comme semble le suggérer H. Lefebvre. Autrement dit, l’urbain est-il un « champ » qui se suffit à lui-
même ? Il nous apparait que non, dans la mesure où l’urbain est fondamentalement le pendant, certes
incertain, de la ville. Il est l’extension même, c’est-à-dire la déclinaison concrète à une échelle
globale. Les valeurs et les usages urbains expriment un style de vie : celui des villes. La poétique de
l’urbain reprend à son compte l’éclat de la ville et plus encore de ses lieux. C’est pourquoi la
sociologie urbaine est nécessairement une sociologie de la ville.

IV- La diversité de théories sociologiques de la ville ou de l’urbain

La ville est diversement appréciée par les différents auteurs.

Ainsi pour Durkheim, les dispositifs matériels, les structures sociales et les institutions qui forment la
ville sont autant de faits morphologiques où la vie sociale se cristallise en substrats relativement stable.
C’est en ville que la vie sociale atteint sa plus forte densité, aussi bien « morale » que « physique ».

Simmel de son côté analyse les effets induits par la grande ville moderne sur les attitudes et les
comportements du citadin : intellectualisation du rapport aux êtres et aux choses, réserve dans
l’échange, valorisation de l’individu dans sa singularité.

Pour Weber, la ville du moyen-âge est le lieu où s’affirme une économie marchande qui a sa
rationalité propre et des institutions relativement autonomes. Weber ouvre ainsi la voie d’une analyse
globale du fait urbain, en définissant chaque type de ville par un agencement original de traits
interdépendants (économiques, politiques, juridiques, sociaux, culturels…) « Ne pas essayer trop vite

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de trouver une définition de la ville ; c’est beaucoup trop gros on a toutes les chances de se tromper. »
(Perec, 1974 : 119)

IV-1 La définition fonctionnelle

Toute ville répond à une logique ou à une fonction. Selon Jacqueline Beaujeu-Garnier cité par
N’Bessah, « la fonction urbaine, c’est la profession de la ville, c’est l’ensemble des activités qui
justifient son existence, qui apportent les ressources nécessaires à la vie ». Que trouve-t-on dans une
ville et qu’est ce qui est d’ailleurs à la base de son existence ? Des habitations, des bureaux, des
employés, des taxis, des lycées, des usines, de ouvriers. Selon Aholou, (2011) ce qui spécifie la ville,
c’est qu’elle rassemble (agglomère) des objets et des sujets ordinaires, mais que, ce faisant, elle
engendre une dynamique globale plus forte que la somme des dynamiques particulières des éléments
qui la composent. Spécifiquement urbaine, cette dynamique trouve son origine dans ce fait : la ville
met en situation d’alliance, de concurrence et de conflit, pour le meilleurs et pour le pire, des groupes
sociaux qui, éloignés les uns des autres, auraient dépéri ou n’auraient pas produit grand-chose. Cette
fonction historique, la ville arrive à la remplir par sa forme, par son organisation en un lieu étroit et
unique, capable de concentrer une quantité impressionnante de richesse, de force de travail,
d’intelligence, d’imagination, de conflit, de pouvoir, de savoir, de jouissance, d’exploitation,
d’oppression et de libération (Tribillon, 1990). Pour Henri Lefebvre (1972), l’essence de la ville
résiderait dans sa forme et seulement dans sa forme. La forme est entendue dans son acception sociale
la plus large : du tracé des voies à la répartition des groupes sociaux dans l’espace, de l’organisation
des activités de production jusqu’aux conditions d’habitat et d’équipement, des facilités d’accès de
tous à toute la ville jusqu’à la manière dont chacun est logé.

IV-2 La démographie

Quoi de semblable entre une ville de 10.000 habitants et une ville de quinze millions ? Le même
mot « ville » recouvre des réalités très différentes, du bourg à la mégapole, car la plus grande
métropole procède toujours historiquement d’une ville plus petite, c’est une entité évolutive (D.
Pumain, 1997). La définition statistique de la ville (5000 habitants en Afrique, résolution de l’OUA en
1975, 2000 en France, 250 au Danemark, 10000 au japon etc.) reste imprécise et multiple dans le
monde actuel. François Moriconi-Ebrard (1994) constate qu’elle dépend de critères nationaux qui
n’autorisent guère les comparaisons. De plus il précise que les données ne sont pas toujours fiables,
que certains Etats falsifient les chiffres des recensements- à la hausse ou à la baisse, selon le montant
des aides internationales, selon l’image qu’un gouvernement veut se donner, etc. – et qu’enfin, certains
pays ne procèdent pas régulièrement à un recensement et ne peuvent proposer que des séries chiffrées
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partielles. Comme on peut le constater, les données statistiques varient d’un pays à un autre pour ce
qui est du critère de définition statistique de la ville.

IV-3 Théorie marxiste de la ville : la ville un produit économique et social

La différence de la ville avec le monde rural est la première idée qui vient à l’esprit.

La ville est marquée par la concentration de populations, d’entreprises qui mettent sur le marché des
produits alors que la campagne s’illustre par leur éparpillement. Marx pense que le reflet de
l’économie réside dans la dichotomie Ville/Campagne. « La plus grande division du travail matériel
et intellectuel est la séparation de la ville et de la campagne. L’existence de la ville implique du même
coup la nécessité de l’organisation communale, partant de la politique en général. C’est là qu’apparut
pour la première fois la division du travail en deux grandes classes, division qui repose sur la division
du travail et les instruments de production. Déjà, la ville est le fait de la concentration de la
population, des instruments de production, du capital, des plaisirs et des besoins, tandis que la
campagne met en évidence le fait opposé, l’isolement et l’éparpillement. L’opposition entre la ville et
la campagne ne peut exister que dans le cadre de la propriété privée. » (Marx, Engels 1965 :19).

Pour Paul Bairoch (1985), l’émergence des villes n’a été possible que dans le cadre de répartition d’un
surplus agricole. Pas pour autant qu’on va considérer la ville comme étant un parasite économique. La
ville est un facteur d’innovation dans la mesure où « elle favorise la diffusion, la monétarisation de la
société, la mobilité sociale, l’adéquation entre l’offre et la demande de main d’œuvre qualifiée,
l’élargissement des débouchés de la production agricole et industrielle » (1985 : 140).

De ces théories économiques de la ville, l’on peut faire deux observations :

La première est que la ville apparaît comme un phénomène économique, une sorte d’économie de
dimension liée à la juxtaposition d’entreprises et de populations (Rémy, 1966). Par le jeu de la
proximité spatiale, les coûts sont abaissés, la qualité et la diversité des biens sont augmentées, l’offre
et la demande de produits ou d’aptitudes humaines spécialisées sont rapprochées. Pour Max Weber
(1864-1920) la ville est une entité politico-administrative chargée de gérer une « économie urbaine »
qui se caractérise par l’approvisionnement régulier de nourriture, la modicité des prix et la stabilité de
l’activité des producteurs et des commerçants.

De nos jours, considérer la ville comme un produit social et économique renvoie d’abord à la question
foncière. En effet, comment se créent les valeurs immobilières qui influent ensuite sur les phénomènes
de distribution des groupes sociaux économiques dans la ville ? La construction d’un équipement de
prestige, d’infrastructures de transports va-t-elle transformer la perception de l’espace urbain et le
mettre en valeur sur le marché immobilier ? Cette question interpelle l’interaction qui existe entre les
20
actions économiques et institutionnelles dans une ville. Les agents privés ou publics qui participent à
la production de l’espace sont en négociation, une forme d’interaction permanente.

Les chercheurs marxistes qui publient surtout après 1968 sur la ville et les espaces urbains, ne
constituent pas un groupe homogène. Henri Lefebvre est le plus connu parmi eux.

Selon l’approche de lecture de l’œuvre de Marx, l’on pourrait regroupes les chercheurs de cette école
en deux catégories :

La première approche est faite des chercheurs selon lesquels Marx aurait tenté de bâtir le modèle du
système capitaliste sur l’indépendance de trois niveaux-économique, politique et idéologique-de la
réalité sociale, le niveau important étant l’économique. C’est la lecture des marxistes dites
« structuraliste ». Ce schéma élimine l’histoire, faite d’enjeux nés de conjonctures diverses et de
pratiques d’acteurs singuliers et collectifs, des individus, des groupes, des institutions.

La deuxième lecture insiste sur l’analyse et la participation aux mouvements sociaux et politiques et la
recherche des fondements de l’économie politique capitaliste.

Deux lectures des mêmes sources : l’une retient de Marx un schéma explicatif et systémique et
considère Marx comme un économiste, l’autre insiste sur les différents moments de la réflexion
théorique de Marx qui part d’une critique de l’économie capitaliste. Le capitalisme monopoliste d’État
a remplacé le capitalisme concurrentiel, créant de nouvelles situations politiques qui se manifestent
dans les villes. Les nouveaux rapports entre les structures économiques seraient la source des crises
urbaines.

La question urbaine (Castels, 1972) condense les critiques des travaux antérieurs sur la ville, et
propose un schéma censé résumer le « système urbain » c’est-à-dire « l’articulation spécifique des
instances d’une structure sociale à l’intérieur d’une unité (spatiale) de reproduction de la force de
travail ». L’ensemble des rapports entre la Production (P), la Consommation (C) et leurs Échanges (E),
la Gestion ou régulation des rapports entre P, C, E, et le symbolique (S) « qui exprime la spécification
de l’idéologie au niveau des formes spatiales (…) dans son articulation à l’ensemble du système
urbain », se présente comme un tableau simplifié. Les chercheurs peineront à vérifier la réalité de ce
système clos. Il n’est pas cohérent avec les luttes sociales des couches moyennes pour l’amélioration
de leur cadre de vie, ni avec un État qui n’apparaît pas seulement, dans les sites étudiés, comme un
instrument du capital et un producteur d’idéologie. La concentration des grandes unités de production
ne s’accompagne ni d’un pouvoir économique organisé, ni d’un renforcement des pouvoirs de l’État,
ni de luttes ouvrières associant les revendications liées au travail et celles liées au cadre de vie. Ainsi,
c’est l’inscription de la ville dans un système social particulier et les modalités de ce rapport qui
constituent l’objectif des recherches structuralo-marxistes.

21
Henri Lefebvre : La ville comme processus et espace social

La démarche d’Henri Lefebvre est à l’opposé d’une simplification des questions relatives à la ville
réduites à celles des transformations du capital. L’histoire montre que les villes sont des lieux de
permanence et de rupture. La notion de production n’est pas une notion simplement économique, elle
rend compte selon l’auteur, de processus plus ou moins volontaire plus ou moins maîtriser. Des
pratiques sociales, des rapports parfois conflictuels entre groupes sociaux, des représentations à
l’œuvre dans l’organisation sociale et spatiale. La formule « l’espace (social) est un produit (social) »
le conduisent à une réflexion sur l’espace habité dans l’histoire depuis « l’espace nature », à
« l’espace historique », espace de l’accumulation de toutes les richesses et des ressources et à
« l’espace abstrait », formel régit par le nombre, séparant les dominants des dominés. Ces différents
espaces se superposent

Lefebvre fait de la ville non un repoussoir, miroir d’un système social. Il s'est occupé plus
particulièrement des problèmes d'urbanisme et du territoire Pour Henri Lefebvre la ville est le cœur de
l'insurrection esthétique contre le quotidien. L'être humain a des besoins sociaux anthropologiques qui
ne sont pas pris en compte dans les réflexions théoriques sur la ville et notamment en urbanisme. Le
besoin d'imaginaire est oublié par l'urbanisme et ne se retrouve pas dans les équipements commerciaux
et culturels mis en place. Face aux problèmes urbains, il formule notamment la nécessité de
l'affirmation d'un nouveau droit, le droit à la ville. Il définit ce nouveau droit comme un droit à la vie
urbaine, à une qualité de vie urbaine. Dans son dernier livre, la production de l'espace il met en valeur
l'importance de l'espace qui est toujours politique. L'espace est le produit de la société, chaque société
et valeur doit produire son espace et c'est aussi dans l'espace que s'opposent les valeurs à travers les
épreuves de l'espace.

 La vallée de Campan - Étude de sociologie rurale, 1963, PUF


 Pyrénées, 1966
 Le Droit à la ville, I, 1968 (2° édition)
 Le Droit à la ville, II - Espace et politique, 1972
 La Révolution urbaine, 1970
 La Production de l'espace, 1974, Anthropos

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IV-4 De Durkheim à Halbwachs : la ville, la morphologie sociale

La répartition des activités et des lieux de pouvoir, les séparations entre les espaces résidentiels et
économiques, les formes d’habitation et de peuplement sont l’expression de la société, de ses normes,
valeurs, habitudes.

Tous ceux qui interviennent dans le production de l’espace se sont interrogés sur la manière dont
celui-ci renforce ou détruit les groupes sociaux qui y résident ou vont y habiter.

Pour Durkheim (1863), les dispositifs matériels, les structures sociales et les institutions qui forment la
ville sont autant de faits morphologiques où la vie sociale se cristallise en substrats relativement
stables. C’est en ville que la vie sociale atteint sa plus forte densité, aussi bien « morale » que
« physique ». Le « milieu interne » qui en résulte définit à son tour le contexte des actions humaines et
contribue à en orienter les cours : il stimule la différenciation des activités et les solidarités fondées sur
l’interdépendance ; il renforce tout à la fois la vitalité des échanges sociaux et l’individuation des
personnes.

La Morphologie sociale de Maurice Halbwachs

M. Halbwachs soutient une thèse de droit qui devient une pierre fondatrice de la sociologie urbaine :
les expropriations et le prix des terrains à Paris (1860-1900). Sa thèse de sociologie (la classe
ouvrière et les niveaux de vie. Recherches sur la hiérarchie des besoins dans les sociétés industrielles
contemporaines) le désigne comme spécialiste des budgets ouvriers. Il est intégré dès 1904 dans
l’équipe de l’Année sociologique fondée et dirigée par Durkheim. Il est élu en 1944 professeur au
Collège de France dans une chaire qu’il fait intituler « Psychologie collective ».

Durkheim proposait d'appeler morphologie sociale une étude qui porterait sur la forme matérielle des
sociétés, c'est-à-dire sur le nombre et la nature de leurs parties, et la manière dont elles-mêmes sont
disposées sur le sol, et, encore, sur les migrations internes et de pays à pays, la forme des
agglomérations, des habitations, etc. L'auteur des Règles de la méthode sociologique, qui
recommandait d'étudier les réalités sociales « comme des choses », devrait attribuer une importance
particulière à ce qui, dans les sociétés, emprunte davantage les caractères des choses physiques :
étendue, nombre, densité, mouvement, aspects quantitatifs, tout ce qui peut-être mesuré et compté. Il
s’agit là d'une vue plus systématique.

C'est de cette définition que partira Halbwachs. Il a fait observer qu'il y a une morphologie sociale au
sens large, puisque toutes les sociétés, famille, église, Etat, entreprise industrielle, etc., ont des formes
matérielles. Mais tous les faits et caractères morphologiques relevés dans les cadres des sociologies
particulières se replacent et s'intègrent dans les faits de population, objet de la morphologie sociale
stricto sensu.

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L'apparence extérieure des minéraux, l'agencement des couches géologiques, les formes des plantes et
des êtres vivants, la disposition des organes et tissus : autant d'exemples d'études morphologiques,
dans le domaine des sciences naturelles. Dans le monde social, on parle aussi de formes, mais
quelquefois en un sens vague et métaphorique. Il nous faut donc préciser d'abord ce que nous
entendrons ici par structures ou formes de la société.

a) Ce sera, par exemple, la façon dont se distribue la population à la surface du sol.

Fait purement physique en apparence, qui résulte de l'espace disponible et des circonstances locales.
La figure du groupe reproduit les formes de la nature matérielle : population groupée dans une île,
disposée autour d'un lac, répandue dans une vallée. Une agglomération urbaine ressemble à une masse
de matière dont les éléments gravitent vers un noyau central, avec un contour plus ou moins net. Vue à
vol d'oiseau ou d'avion, c'est une excroissance, un accident du terrain.

b) Il appellera aussi structure d'une population sa composition par sexes, par âges. Les différences de
ce genre sont sensibles, au même titre que des caractères matériels. Faits biologiques : la société se
rapproche d'un organisme. Hommes et femmes sont comme deux grands tissus vivants, opposés et
complémentaires. Les âges représentent les phases successives d'évolution pour les cellules d'un
organe ou d'un corps.

Cette fois nous ne considérons plus les sociétés dans leur rapport avec le sol. Les sociétés humaines ne
sont pas seulement en contact avec la matière.

Comment en serait-il autrement, puisque, de l'espace très rapprochée, elles ont, comme tous les objets
sensibles, une étendue et un volume, une forme et même une densité ? Ces grands corps collectifs
peuvent croître, et décroître. Par les morts, ils perdent sans cesse une partie des unités qui les
constituent, et ils les remplacent au moyen des naissances.

Ajoutons qu'ils peuvent se mouvoir. Ici il faut tenir compte à la fois du sol (1º), et de leur nature d'êtres
organiques (2º). Ils se déplacent quelquefois d'ensemble : par exemple des tribus de nomades, ou des
armées en marche. En tous cas leurs parties sont plus ou moins mobiles : il y a, dans ces groupes
courants d'entrée et de sortie.

3º Ce que nous avons observé jusqu'ici s'appliquerait aussi aux sociétés animales.

Non seulement une fourmilière, mais un banc de poissons, un essaim d'abeilles, ont des caractères du
même ordre que la grandeur, la figure des groupes humains ; ils peuvent être localisés, changer
d'emplacement et de forme. Leurs membres se distinguent suivant l'âge, le sexe, etc. — Voici
maintenant des sociétés qui, tout en présentant des formes matérielles, sont ce que nous appelons des

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réalités d'ordre moral. Tel est le cas de groupes relativement simples, qu'on observe surtout dans les
civilisations dites primitives, mais aussi dans les nôtres : les clans, les familles, en particulier les
groupes domestiques étendus.

Il est possible d'analyser la structure d'une famille même compliquée et partiellement fondue avec
d'autres, même si sa localisation dans l'espace est incertaine. Elle se laisse figurer matériellement, par
un tableau de filiation, par une vue schématique des diverses branches et de leurs ramifications. C'est
qu'il y a bien un élément spatial dans la famille. Bien que tels de ses membres s'en éloignent, et
subissent l'attraction d'autres groupes, il y a en elle presque toujours comme un noyau, une région plus
dense où se rassemblent et se tiennent rapprochés à travers le temps une partie appréciable de ses
éléments. En particulier, chaque groupe de parenté a son centre spatial, qui est la maison familiale,
habitée par le plus âgé, ou par une des branches, et où les autres membres se rejoignent parfois. —
D'autre part, outre cette localisation, outre son étendue (à l'origine surtout), signalons la nature
organique de la famille. Elle peut être rattachée, en effet, à ces structures biologiques fondées sur le
sexe et l'âge, puisqu'elle suppose entre ses membres des liens vitaux. La croissance d'une population se
ramène à la lente poussée de toutes ces tiges entrelacées, les familles, qui en sont les membres ou les
parties. Pourtant, la consanguinité et le rapprochement dans l'espace ne suffisent pas à constituer une
famille, en ses traditions et son esprit. La diversité des rapports de parenté, les degrés inégaux qu'on
distingue dans la cohésion familiale nous transportent aussi dans un monde de représentations et
d'états affectifs qui n'ont plus rien de matériel. Tous ces éléments de forme, grandeur, lieu, courant
vital qui passe d'une génération à l'autre, expriment maintenant une réalité différente, c'est-à-dire des
pensées, une vie psychologique. Expression qui, d'ailleurs, a aussi sa réalité, et qui entre comme telle
dans la conscience que la famille prend d'elle-même, dans ses changements et ses démarches, dans sa
consistance.

Ainsi nous sommes passés des formes en apparence surtout physiques et géographiques (place,
grandeur, densité) aux aspects organiques et biométriques (sexe, âge), et enfin à des structures
analogues aux précédentes, mais solidaires d'une conscience collective que nous n'apercevions pas,
que nous ne jugions pas nécessaire de supposer présente aussi sous quelque forme, aux deux premiers
degrés.

25
Le marché foncier, reflet des représentations collectives

Pour Maurice Halbwachs (1970 : 182-183), l’organisation spatiale agit sur la société par la façon dont
celle-ci l’appréhende : « les formes matérielles de la société agissent sur elle non point en vertu d’une
contrainte physique comme un corps agirait sur un autre corps mais par la connaissance que nous en
prenons (…) ; il y a là un genre de pensée ou de perception collective qu’on pourrait appeler une
donnée immédiate de la conscience sociale » .

Il convient de s’attacher aux représentations collectives de l’espace qui renvoient aux « sentiments
communs » de la société. Or la production de l’espace urbain est le résultat d’une action collective.

Cette théorie s’applique d’abord au marché du foncier. Le niveau de prix du sol, urbain ou rural, est un
facteur (déterminant) de la répartition des groupes sociaux dans l’espace. Il se répercute ensuite sur les
prix immobiliers et les loyers. Ainsi, l’explication des prix fonciers révèle fondamentale pour le
sociologue. L’exemple du foncier urbain révèle des phénomènes qui dépassent la théorie économique
classique de l’ajustement offre-demande. Non seulement les prix fonciers sont déterminés par
l’anticipation des acheteurs et des vendeurs (ce qu’on pourrait faire de tel ou tel terrain), mais ils
reposent également sur un prix d’opinion qui renvoie à la représentation de l’espace qu’en ont les
acteurs (ce que devenir tel ou tel quartier par exemple). En outre, l’intervention publique de l’État ou
des collectivités locales modifie considérablement les conditions du marché dans la mesure où elle
contribue à transformer substantiellement la nature du sol.

M. Halbwachs définit l’expropriation comme « l’acquisition par la ville d’un fonds bâti ou non
jusqu’ici approprié en général par un individu ; la démolition partielle ou totale de l’immeuble ; le
rattachement du fonds ou d’une parcelle à la voie publique ; la revente aux particuliers de la partie du
fonds qui reste utilisable pour la construction (…). Dans le cas des expropriations, le nombre des
immeubles atteints, l’étendue des fonds concernés, est considérable. Ce qui caractérise ces
acquisitions, démolitions, reventes, c’est qu’elles portent sur des ensembles étendus (….) ; au lieu
qu’un intervalle de temps souvent assez sépare l’une de l’autre chacune de ces trois phases,
l’expropriation opère avec rapidité » (1909 : 23).

Quelle est la logique de cette politique collective ?

Prenant le contre-pied du sens commun, M. Halbwachs fait l’hypothèse que la décision administrative
d’exproprier est l’issue d’un ensemble de décisions conjointes. Une telle action répond à des besoins et
à la pression collective (exemple des peuplements et des ouvertures de voie nouvelle dans une ville).
La ville apparaît dès lors comme l’expression de « besoins collectifs ».

Dans son analyse des données relatives aux prix des terrains, M. Halbwachs isole les variables du prix
de l’immobilier qui comprend le coût des matériaux. Le prix des terrains permet d’observer la

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formation de « prix opinion » sur la valeur d’un emplacement urbain. Chaque vague d’expropriation
étendue, c’est-à-dire d’offre soudaine de terrains, entraîne une montée des prix, ce qui semble logique
tenu des besoins sociaux collectifs auquel elle répond. C’est donc par l’expropriation que le vendeur
fixe son prix en fonction des gains à venir. Dès lors le développement urbain se trouve aux mains du
spéculateur intelligent qui reconnaît d’avance qu’en raison de la prospérité croissante de nouvelle
valeur à créer, de nouveaux quartiers à tracer, de nouvelles maisons à construire en vue de satisfaire de
nouveaux besoins » (1908 : 173) Cette capacité d’anticipation nécessite une certaine sensiblité
urbaine. Mais le calcul d’un spéculateur oublie rarement de tenir compte, dans ses anticipations des
travaux d’aménagement publics susceptibles de produire des bénéfices privés. (Roncayolo, 1989).

La planification urbaine est l’arme par laquelle les municipalités pourront maîtriser leur extension
grâce à un plan prévisionnel fixant les limites à la constructibilité du territoire (Gaudin, 1985). Dans ce
débat, M. Halbwachs propose que la sociologie participe à une prévision des besoins collectifs,
indispensables à une synthèse pluridisciplinaire : l’urbanisme.

La mémoire collective et l’espace, supports des identités collectives.

Les études de M. Halbwachs sur la mémoire collective posent la question du rôle de l’espace dans la
vie du groupe. Pour Halbwachs, le rôle de la mémoire collective est fondamental. Grâce à elle, le
groupe social prend conscience de sa forme (Marcel et Mutcchielli, 1999). A partir de l’étude du
déplacement dans la tradition chrétienne, de la localisation des épisodes sacrés de l’Évangile, il montre
comment l’espace, perçu et identifié, participe à l’identité collective des chrétiens (exemple on localise
le tombeau du roi David à Bethléem et non à Jérusalem parce qu’il est supposé être un ancêtre de
Jésus).

« Si, entre les maisons, les rues, et les groupes de leurs habitants, il n’y avait qu’une relation tout
accidentelle et de courte durée, les hommes pourraient détruire leurs maisons, leur quartier, leur ville,
en reconstruire, sur le même emplacement, une autre, suivant un plan différent ; mais si les pierres se
laissent transporter, il n’est pas aussi facile de modifier les rapports se sont établis entre les pierres et
les hommes. » (Halbwachs, 1968, 135).

Marcel Mauss, en étudiant les variations saisonnières de l’habitat des esquimaux arrive à la même
conclusion. L’observation des établissements, des mouvements démographiques, des formes
d’hébergement, de la distribution de la propriété et de l’organisation familiale amène à conclure que
« la vie sociale sous toutes ses formes, morale, religieuse, juridique (…) varie en fonction de son
substrat matériel » (1906, éd. de 1991, p. 475). Le sociologue italien Guido Martinotti (1993) propose
une « nouvelle morphologie sociale » prenant en compte les mobilités et non la seule appartenance
résidentielle pour comprendre les mutations des espaces métropolitains.
27
Revenons sur deux questions générales qui se présenteront peut-être maintenant à nous sous un jour
nouveau. Qu'est-ce que la morphologie sociale par rapport à la sociologie ?

Les termes de formes, de structures, nous orientent vers le monde de la vie. Or c'est bien à l'image de
la biologie qu'Auguste Comte proposait de diviser la sociologie en une anatomie et une physiologie
sociales, étude des organes, et étude des fonctions. La morphologie est-elle donc l'étude des organes de
la société ? En biologie, vus sous l'aspect structure, les organes représentent ce qu'il y a de permanent
dans l'organisme, ce qui change le moins, en tous cas ce qui change lentement. La fonction est, aussi,
constante en ce sens qu'elle reproduit d'ordinaire périodiquement le même processus. Mais c'est un
processus, c'est-à-dire une succession d'états, un changement incessant à travers des passages ou
repassages par les mêmes étapes. Certes, les organes s'usent, ils se renouvellent, ils évoluent. La
matière vivante s'écoule sans cesse. Mais la forme demeure, et c'est cet aspect stable du corps que nous
appelons sa structure.

Reconnaissons cependant qu'il existe dans les groupes sociaux des arrangements, des dispositions qui
tendent à subsister, à demeurer tels quels, et qui opposent une résistance à tout changement. Toutes les
fois que les institutions se modifient, elles se heurtent à cette résistance. Il faut qu'elles s'adaptent à une
structure antérieure, et aux habitudes qui lui sont liées dans les groupes qui sont ou doivent être le
support des institutions. Quand une religion universaliste, le christianisme, s'est substituée aux
religions de cités, de tribus, aux cultes de divinités locales, il lui a fallu tenir compte du particularisme
religieux préexistant. On a substitué des saints aux génies locaux.

Tout ce qui subsiste d'éléments païens dans le christianisme y a été introduit en raison des habitudes
propres aux groupes qu'il absorbait. De même, et pour la même raison, les divisions en diocèses,
paroisses, etc., furent calquées sur des divisions administratives romaines. Sur le plan politique, en
France, depuis le XVIIe siècle, tous les régimes ont maintenu une centralisation conforme à la
structure d'une population que la royauté avait de bonne heure pliée à ce type d'organisation. Bien que
les institutions économiques transforment profondément les coutumes des hommes, qu'il n'y en ait pas
qui réussissent aussi bien à détruire en peu de temps les modes d'activité traditionnels, et à créer de
toutes pièces de nouveaux genres de vie, elles aussi ont dû s'adapter aux dispositions des communautés
anciennes. Dans l'agriculture surtout, comme le montre la répartition des zones de grande, moyenne,
petite propriété. Mais dans l'industrie aussi : localisation des diverses branches, des métiers,
subsistance de la petite industrie en telles régions, en telles villes, possibilités d'établissement et
d'extension de la grande industrie, tout cela révèle, en beaucoup de cas, l'influence persistante des
conditions économiques qui caractérisaient autrefois les diverses parties du pays. D'où vient cette force
propre aux arrangements durables des groupes humains, force d'inertie le plus souvent mais aussi,
quelquefois, force d'évolution ? Car de tels groupes sont capables aussi de changer de forme en raison
28
de celle qu'ils ont prise, alors même qu'ils exercent la même fonction, qu'ils sont soumis aux mêmes
institutions. Elle s'explique par deux conditions qui s'imposent à tous les groupes humains.

Bien qu'une société soit faite avant tout de pensées et de tendances, elle ne peut exister, ses fonctions
ne se peuvent exercer que si elle s'installe et s'étend quelque part dans l'espace, si elle y a sa place. Il
faut qu'elle soit liée dans son ensemble et ses parties à une certaine étendue — de telle position, de
telle grandeur, de telle figure.

Ainsi les conditions matérielles de la société opposent leur résistance au jeu de ses fonctions, à la
transformation de ses organes, à sa vie et à son évolution. Cet aspect de la vie collective, c'est-à-dire
les groupes en tant qu'ils sont dans le monde des corps et se trouvent pris dans le courant de la vie
biologique, mais surtout (puisqu'à cette condition nous restons dans le domaine du social, de la pensée
collective) en tant qu'ils se représentent eux-mêmes à eux-mêmes comme choses dans l'espace et
comme réalités organiques, tel est l'objet de la morphologie sociale. Il paraît ainsi suffisamment défini
par rapport à l'objet de la sociologie en général, qui est la société sous tous ses aspects.

Puisqu'il n'est aucunes des sociétés qui n'ait une forme matérielle, la morphologie sociale les embrasse
toutes, et on pouvait en entreprendre l'étude en passant en revue toutes les sections principales de la
sociologie. C'est ce que nous avons appelé la morphologie au sens large, qui se décompose d'ailleurs
en autant de morphologies particulières qu'il y a d'espèces distinctes de communautés, ou, plus
exactement, de types différents de vie sociale.

IV-5 La ville selon l’École de Chicago

Les travaux de cette école urbaine sont connus à travers les articles suivants :

1. Georg Simmel : "Digressions sur l'étranger"(1908) et "Métropoles et mentalité"(1903).


2. Robert Ezra Park : "La ville. Propositions de recherche sur le comportement humain en
milieu urbain"(1925).
"La ville comme laboratoire social"(1929).

"La ville, phénomène naturel"(1952).

"La communauté urbaine : un modèle spatial et un ordre moral"(1926).

3. Ernest W. Burgess : "La croissance de la ville. Introduction à un projet de recherche"(1925).


4. Roderick D. Mc Kenzie : "L'approche écologique dans l'étude de la communauté
humaine"(1925).
"Le voisinage. Une étude de la vie locale à Columbus, Ohio"(1921).

29
5. Louis Wirth : "Le phénomène urbain comme mode de vie"(1938).
6. Maurice Halbwachs : "Chicago, expérience ethnique"(1932).

Robert E. Park (1864-1944) est un ancien journaliste-reporter à Detroit, Minneapolis, Chicago et New
York et a été l'élève de Georg Simmel à Berlin quand il rejoint l'Université en 1913. C'est à partir de
ses "Propositions de recherche sur le comportement humain en milieu urbain", écrites en 1916, que "se
constitue autour de Park une véritable école, ayant une problématique écologique commune et un
champ de recherches (un laboratoire) commun"[...] sans rupture avec le passé journalistique de Park.
Pour lui en effet, le sociologue est "une espèce de super-reporter"[...] dont "le travail"[...] doit "nous
permettre de comprendre ce que nous lisons dans le journal"[...], affirmant ainsi le caractère à la fois
scientifique et pédagogique de la démarche sociologique spécifique de l'Ecole de Chicago dont Park
est le fondateur. Pas de rupture non plus entre d'une part, son passé militant : il a été secrétaire de
Booker Washington et de son association de défense et de promotion des Noirs du Sud, et d'autre part
la place centrale de la figure "simmelienne" de l'étranger dans les travaux de l'Ecole de Chicago. C'est
la véritable clef de voûte théorique de ce courant de recherche. Dans son analyse des mécanismes et
processus de socialisation en milieu urbain : à travers l'étude du rapport individu-environnement, mais
aussi par intérêt pour la question de l'immigration.

Pour Park, "La ville [...]est[...]plus qu'une agglomération d'individus et d'équipements


collectifs[...]plus qu'une constellation d'institutions et d'appareils administratifs[...]". "C'est plutôt un
état d'esprit, un ensemble de coutumes et de traditions [...]"[...]"pas simplement un mécanisme
matériel et une construction artificielle. Elle est impliquée dans les processus vitaux des gens qui la
composent : c'est un produit de la nature et, particulièrement, de la nature humaine."

L'écologie humaine, "par opposition à l'écologie végétale ou animale" est ainsi désignée par les
auteurs de l'Ecole de Chicago, comme la science qui s'intéresse aux forces à l'œuvre dans ce processus
de production : à l'intérieur d'une communauté urbaine ou de "n'importe quelle aire naturelle d'habitat
humain". Est ici explicitement posé le rapport société/espace. La ville est définie comme une unité
géographique, écologique mais aussi économique fondée sur la division du travail ("multiplication des
emplois et des professions au sein de la population urbaine") ; un "tout organique" ayant sa propre
dynamique.

Les principaux facteurs de "l'organisation écologique" de la ville sont "les transports et les
communications [...] les journaux et la publicité, les édifices [...]" devenant "[...]partie prenante de la
ville-vivante [...]par interaction avec les forces vives des individus et des communautés, exactement
comme un outil à la main de l'homme".

30
"En somme, la ville est l'habitat naturel de l'homme civilisé et, par là même [...]une aire culturelle
caractérisée par son type culturel particulier". Les concepts de nature et de culture sont ici non pas en
opposition, mais mis en relation dans une analyse originale voire novatrice de l'urbanisation en tant
que phénomène social. Qualifiée en effet de "phénomène fondamental de l'existence humaine", la ville
est définie par Park comme le produit du caractère "bâtisseur "de l'homme.

La ville [...]"pose en outre l'historicité de la démarche de l'Ecole de Chicago : "[...] jusqu'ici,


l'anthropologie, la science de l'homme, s'est consacrée principalement à l'étude des peuples
primitifs"[...] et non à "l'hommecivilisé [...] objet de recherche tout aussi intéressant [...]". La vie
urbaine contemporaine a "essentiellement intéressé les romanciers mais [...] elle réclame une analyse
plus fouillée".

Penser l'urbanisme en termes d'écologie constitue au premier abord une démarche audacieuse pour
trois raisons au moins:

Au regard de l'époque à laquelle l'Ecole de Chicago développe ses travaux: dans les années 1925_30,
c'est-à-dire, à une période où l'industrialisation et l'urbanisation sont en plein essor dans les sociétés
occidentales. Le rapport ville/nature est alors un rapport de contraste marqué : il y a la ville d'un côté
et la campagne de l'autre, deux univers distincts que tout semble opposer ; modes de vie et mentalités
en particulier. Sur le plan des idées c'est pourtant à cette période que R.Park et les auteurs de l'Ecole
vont s'intéresser au caractère fondamentalement et spécifiquement créatif de la nature humaine, à
travers l'observation et l'analyse des mécanismes de production urbaine, particulièrement mais non
exclusivement citadine.
Les travaux de Park et de ses collaborateurs témoignent d'une prise de recul et d'une œuvre de
conceptualisation certes propres à toute démarche de recherche, mais qu'il convient de saluer ici en
raison du fait que R.Park est issu du journalisme et non pas de l'université...qu'il n'a rejointe qu'à l'âge
de 49 ans. Les emprunts théoriques à des courants sociologiques(le fonctionnalisme de Durkheim en
particulier) ou philosophiques majeurs (Marx) constituent en effet la trame du développement de la
pensée de l'Ecole de Chicago. Ces études se sont attachées à saisir l'ensemble des facteurs
d'émergence et de développement de ce qui constitue une ville ; d'en repérer toutes les dimensions et
de les mettre en lien (territoire, mobilités, économie, immigration...), dans une proposition
sociologique pionnière préfigurant le concept contemporain d'environnement.
En effet, si l'on se réfère à la définition étymologique du terme "écologie" extraite du Larousse 2012:
"du grec oikos : maison, et logos: science, l'écologie est la science qui étudie les relations des êtres
vivants entre eux et avec leur milieu", "l'écologie humaine " de l'Ecole de Chicago apparaît bien
comme un concept avant-gardiste. La forme sociologique de l'étranger se présente comme la synthèse
de la distance et de la proximité, associant en quelque sorte mobilité et sédentarité dans un même
mouvement créatif. Distanciation et proximité sont caractéristiques de toute relation humaine, en

31
particulier dans la relation avec l'étranger dont "toute l'histoire économique montre qu'il fait partout
son apparition comme commerçant" : comme intermédiaire entre le groupe et l'extérieur lorsque les
biens de consommation sont en effet produits à l'extérieur du groupe et qu'il n'y a de ce fait plus
autosuffisance. "Seul le commerce rend possibles ces combinaisons illimitées par lesquelles
l'intelligence trouve des prolongements [...] et de nouveaux territoires". Par son apparentement à la
"forme sublimée" du commerce intermédiaire : la pure finance, l'étranger en acquiert la principale
caractéristique : la mobilité. Par son entrée dans un groupe fermé, elle produit "cette synthèse de
proximité et de distance qui constitue la position formelle de l'étranger." La relation de l'étranger avec
les autres individus peut encore se traduire par de l'objectivité : attitude spécifique déterminée par cette
même distance, propre au fait que l'étranger n'a par définition ni racines ni attaches organiques avec le
groupe. Pour autant, il est membre du groupe et c'est la spécificité de son rapport au groupe qui
détermine la cohésion de ce dernier.

Simmel développe ici l'idée selon laquelle l'étranger, en tant que figure sociologique, est de par le fait
qu'il introduit de l'altérité, à l'origine du processus d'urbanisation...voire de civilisation? Par
extrapolation, ce point de vue donne à penser que la figure simmelienne de l'étranger incarne de par sa
fonction tout facteur d'interrelation entre un groupe social et l'environnement qui lui est extérieur,
entrainant ainsi le développement d'autres interrelations...etc. Si l'on transpose ce qui est décrit à
l'échelle d'un groupe à un niveau plus large, on se représente alors le processus d'urbanisation comme
un ensemble quasi illimité de ramifications prenant la forme d'un réseau en expansion permanente. En
présentant sa description du mécanisme particulier : le rapport groupe/étranger, et de ce qu'il produit :
une synthèse de proximité et de distance. Ce rapport est en effet au cœur même du processus de
production urbaine.

Dans "Métropoles et mentalités", Goerg Simmel(1903) situe son propos dans le contexte
paradigmatique de la division et de la spécialisation du travail du 19° siècle. Il postule que "le ressort
fondamental" de l'accomplissement individuel réside dans la [...] "résistance que le sujet oppose à son
nivellement et à son usure dans un mécanisme social et technique"[...]. C'est son adaptabilité qui
permet à l'individu de procéder aux accommodations nécessaires. C'est en milieu urbain que l'individu
est le plus fortement soumis à une stimulation nerveuse intense et incessante ; et c'est ainsi en premier
lieu sur le plan sensoriel que le sujet s'organise et s'adapte en tant "qu'être de différence", dans un
contraste profond entre ville et campagne. A la différence de l'habitant rural, analyse Simmel, c'est par
son intellectualité plutôt que par son affectivité que le citadin-type parvient à la fois à se protéger de la
"violence de la grande ville" et à s'adapter aux changements permanents auxquels il est confronté en
milieu urbain. Parce que "[...] les couches les plus élevées de notre psyché, transparentes et
conscientes, sont le siège de l'intelligence qui, de nos forces internes, est la plus capable d'adaptation."
par opposition aux [...] "couches psychiques les plus inconscientes (dans lesquelles) s'enracinent la
sensibilité et les rapports affectifs" [...] propres aux habitants des campagnes et petites villes. Les

32
manifestations individuelles de cette intellectualité "citadine" sont multiples, dans l'échange et
plus particulièrement dans l'économie monétaire, [...]"spécificité historique des grandes villes"
[...]. "L'habitant des grandes villes calcule [...] avec des personnes qui appartiennent à son réseau
social d'obligation" dans des relations interpersonnelles qui excluent l'individualité et l'affectivité ; des
relations objectives caractéristiques du marché urbain où producteurs et acheteurs ne se connaissent
pas.

[...]"L'esprit moderne est ainsi devenu de plus en plus calculateur"[...] en conformité avec [...]"l'idéal
de la science [...]". De plus, l'étendue des distances ajoute au caractère méthodique et ponctualisé des
activités et relations d'échange urbaines, la nécessité d'un ordonnancement rigoureux. Il existe ainsi
dans toute localité une attitude psychique citadine typiquement blasée, forme d'adaptation aux
stimulations incessantes de "la grande ville", mais qui n'est pour autant ni de l'indifférence ni
irrémédiable. Cette mentalité est [...] "le reflet subjectif de l'économie monétaire [...] intériorisée [...],
l'argent (étant) avec son absence de couleur et son indifférence, le niveleur le plus effrayant ; (vidant)
de sa substance le noyau des choses, leur particularité, leur valeur spécifique, leur
incomparabilité."[...]. A l'instar de l'évolution d'un individu vers plus de liberté et d'autonomie au sein
d'un groupe social en formation (restreint et délimité puis s'élargissant et s'ouvrant avec son
accroissement), l'habitant d'une ville gagne en mobilité à mesure que le "cercle" s'élargit sous l'effet
des "[...] relations d'échange et (des) connexions [...]". Mais ce n'est pas seulement l'importance de la
superficie de son territoire ou du nombre de ses habitants "[...] qui fait de la grande ville le siège de la
liberté personnelle [...]".

En effet, au-delà de l'expansion visible de la ville, son extension est un phénomène dynamique en
raison du fait qu'ainsi la ville acquiert de la valeur, "[...] d'une façon similaire à la forme de
développement de la fortune [...]"et sa zone d'influence s'accroit en fonction de cette plus-value. Ce
point est défini comme caractéristique des grandes villes.

Ce processus d'expansion-extension est lié à la division et à la spécialisation économique du travail en


général et en ville en particulier, où "[...] le combat avec la nature pour la subsistance (est transformé)
en un combat avec l'homme [...] dont le bénéfice (est accordé) non pas par la nature mais par les
hommes [...]".

"[...] la nécessité de spécialiser la production, pour trouver une source de revenus [...]"conduit à une
différenciation économique qui elle-même entraine une individualisation des qualités humaines...et
son corollaire : le développement et l'accomplissement de la liberté
individuelle.

Dans son analyse, d'une part Simmel se fonde sur l'opposition ville/campagne,
particulièrement marquée mais néanmoins déjà en mutation à la fin du 19°siècle-début 20° (avec

33
l'avènement de l'industrialisation) ; d'autre part il associe des mécanismes de nature différente :
psychologique, économique, historique ou géographique tantôt à l'échelle individuelle, tantôt sur un
plan collectif. Dans cette démonstration le sociologue établit une corrélation entre les processus
d'urbanisation et l'accomplissement de la liberté de l'individu dans la société moderne. Sur le plan
théorique, Simmel s'inscrit dans la continuité de la pensée durkheimienne et développe la sienne
propre: la psychologie sociale ; pensée qui a inspiré l'Ecole de Chicago.

La croissance de la ville.

Burgess (1925), un autre chercheur de l’École de Chicago propose une analyse plus spécifiquement
centrée sur les mécanismes d'expansion des villes.

Depuis la fin du 19ème, l'industrialisation a entraîné de fortes mutations sociales avec, en particulier, la
croissance des grandes villes. "Alors que le passage d'une civilisation rurale à une civilisation urbaine
est survenu plus tard aux Etats-Unis qu'en Europe [...] les manifestations spécifiquement urbaines de la
vie moderne - le gratte-ciel, le métro, le grand magasin, le journal quotidien [...] sont typiquement
américaines." Des études statistiques comparatives (ville/campagne) effectuées par des chercheurs
comme Weber ont mis en lumière certains effets de la croissance urbaine sur la population. Ainsi la
proportion de femmes ou d'individus d'âge moyen est-elle plus grande en ville qu'à la campagne, de
même que le taux d'immigrés y est plus élevé. Cette évolution est révélatrice des mutations sociales
profondes en cours dans la société. Telles sont les réflexions préalables de Burgess dans cet article.
Mais son propos se rapporte non pas au "[... processus d'agrégation urbaine [...] décrit par Weber et
Bücher, mais plutôt aux mécanismes humains qui "produisent" en quelque sorte l'expansion urbaine en
terme de métabolisme et de mobilité.

Le concept d'expansion territoriale, en ce qui concerne les villes notamment, appartient habituellement
au champ de l'urbanisme : logement, transports, développement... L'auteur entreprend dans sa
réflexion de l'aborder en tant que phénomène physique ayant sa dynamique propre.

Burgess utilise pour représenter la croissance de la ville de Chicago, un schéma constitué de 5 cercles
concentriques.

34
Ce zonage concentrique se réfère à un
modèle abstrait suggéré par R. PARK
(1952) à travers l’étude de la sociologie
végétale.

Dans la nature, une terre nue est


colonisée par des espèces spécialement
résistantes puis, petit à petit, de nouvelles
plantes s’introduisent et éliminent les
premières suivant des séquences de
succession. E. BURGESS (1925) effectue
alors un parallélisme avec la ville de
Chicago : la zone de dégradation autour
du centre d’affaires a attiré un temps, la
population riche, a vu se multiplier des
immeubles de luxes, et plus tard ces
immeubles dégradés ont été divisés en
appartements et occupés par des classes
ouvrières. Ce schéma est dynamique : il
décrit une série d’étapes dans l’utilisation
de l’espace
Source : Beaujeu-Garnier J., Chabot G. (1970), Traité de géographie urbain et permet de prévoir
urbaine.
l’évolution de chaque zone.
Paris, éd. A. Colin

En fonction de leur ancienneté dans la ville, de leur position sociale et de leur mode de vie, les
citadins se distribuent en zones relativement typées, depuis le centre des affaires jusqu’aux périphéries.
D’après le sociologue Burgess6, qui a rendu célèbre ce schéma en l’appliquant à la ville de Chicago,
les zones qui entourent le quartier central des affaires, rognées en permanence par son extension,
occupées en partie par des industries légères et servant de première installation aux nouveaux
migrants, ne sont pas convoitées par des couches aisées : celles-ci tendront, au contraire, à s’installer le
plus loin possible, là où ne se font plus sentir les diverses nuisances liées à la congestion centrale et où
on peut s’épanouir un mode de vie familial fondé sur la possession d’une maison individuelle.

Un premier cercle figure le centre-ville : le "loop", lui-même encerclé par une deuxième zone désignée
comme "factory zone". Puis vient la "zone of workingmen's homes", aire de transition, entourant la
précédente. Une quatrième aire représente "the residential zone" ; et la cinquième et dernière : "the
commuters zone" (zone des banlieusards) représente "[...] les aires suburbaines ou villes satellites
[...]".

Ce schéma propose donc une représentation graphique de la tendance de chacune de ces zones à
étendre son territoire selon un processus défini comme "succession" en écologie végétale. Ajoutons
que cette différenciation de la ville en aires résulte du processus de distribution-sélection qui s'opère

6
« La croissance urbaine » (1925), trad. dans l’Ecole de Chicago

35
entre les individus ou les groupes sociaux en fonction de leur lieu de résidence ou de leur profession
notamment (effet de la division du travail).

Ainsi le phénomène d'expansion urbaine se réalise en même temps par extension et par succession. Ce
processus serait la traduction de la tendance naturelle des habitants d'un lieu à rechercher hors des
zones surexploitées ou dégradées de meilleures conditions d'existence, tout en s'assurant des moyens
de subsistance ; tendance elle-même de ce fait puissant facteur de mobilité. Toutefois note Burgess,
des mécanismes complémentaires de concentration et de décentralisation compliquent l'analyse. En
effet, dans sa description du développement de la ville de Chicago, l'auteur observe l'existence d'un
mouvement de convergence qu'il qualifie de naturel, vers les lieux d'activités tels que les gares,
commerces, bureaux, théâtres ou encore musées ; et en même temps, plus récemment, l'apparition de
"centres d'affaires secondaires" dans des zones excentriques témoignant d'une tendance
décentralisatrice à l'œuvre.

Cependant cet accroissement en devenant excessif produirait des perturbations dans le "métabolisme"
social, écrit Burgess, empruntant termes et concepts au(x) champ(s) relatif(s) au développement
individuel – médecine ou psychologie-. Et de donner comme exemple de perturbation "[...] l'excédent
d'hommes sur les femmes [...]" ou inversement.

Mais la désorganisation sociale est pour Burgess, donc en psychologie sociale (école de Chicago),
préliminaire à la "[...] réorganisation des attitudes et conduites [...]" et cette relation réciproque doit
être considérée comme un facteur de progrès car "[...] le changement donne tôt ou tard un sentiment
d'émancipation et incite à poursuivre de nouveaux objectifs.[...]". Dans son article, Burgess propose
une analogie entre les processus individuels de socialisation et "[...] les processus d'organisation et de
désorganisation [...] d'une société donnée : à l'échelle de la personne comme à celle de la société, ces
processus ont leur ancrage dans un environnement préexistant et produisent de la croissance.

Nous sommes sans doute ici au cœur-même du mécanisme d'adaptation, producteur d'évolution,
d'expansion, de croissance. Articulant les concepts d'organisation-désorganisation et celui de mobilité,
Burgess s'attache à démontrer, statistiques à l'appui, que l'accroissement de la mobilité propre à la vie
urbaine génère une augmentation des stimulations qui elle-même entraîne de la désorganisation.
Proposant de concevoir la mobilité comme "[...] le pouls de l'agglomération [...]", Burgess postule
qu'elle agit comme un révélateur de ses changements d'état. On peut mesurer la mobilité à l'aune des
déplacements et des contacts ; éléments entrant dans sa composition. Les valeurs foncières reflètent les
déplacements et constituent (de ce fait) un indicateur sensible de mobilité. Mis en corrélation, les
différents indices de mobilité témoignent ainsi de "l'état de santé" d'une ville, de l'état de son
métabolisme, pour reprendre l'analogie biologique employée par Burgess dans sa démonstration.

36
Expansion, métabolisme et mobilité sont les termes et concepts-clés de l'exposé de Burgess
qui tente, en 1925, dans sa réflexion, par son écrit et à l'aide d'une comparaison "naturaliste"
audacieuse parfois émouvante, de saisir et de rendre compte du caractère vivant, dynamique,
paradoxal des processus à l'œuvre dans le phénomène d'expansion urbaine. Tout comme R.E.Park,
Burgess procède en qualité "d'enquêteur-sociologue" à "[...] l'observation du changement (...)
quasiment la seule fonction scientifique du laboratoire [...]"

L’individu, le citadin ou la personnalité urbaine


Posée avec les chercheurs de l’École de Chicago, la question de l’individualisme urbain n’a fait que se
développer, et l’inversion statistique de cette fin de siècle (quand plus de la moitié de la population de
la planète est désormais urbaine) la rend plus insistante encore. On la retrouve dans des enquêtes
récentes consacrées à une anthropologie de l’individualisation dans les villes, mais aussi, plus
largement et universellement, dans les observations et les réflexions méthodologiques pour une
« ethnologie de la solitude » dont l’argument empirique est essentiellement celui de la généralisation
du mode de vie urbain.
Les chercheurs de l’école de Chicago, dans les années vingt et trente, ont produit un ensemble de
travaux empiriques et d’outils théoriques qui permettent de les considérer comme le groupe
« fondateur » de la recherche urbaine dans les sciences sociales et notamment en anthropologie. Ces
chercheurs (Robert Park, Robert Redfield, Louis Wirth, principalement) ont agi dans un contexte qu’il
est intéressant de rappeler brièvement, selon deux points de vue. D’une part, comme contexte
sociologique, la ville de Chicago était devenue vers 1930 la deuxième agglomération des États-Unis et
la cinquième de la planète, avec plus de trois millions d’habitants. « Laboratoire » pour l’expérience
des contacts inter-ethniques, Chicago était aussi un lieu d’émergence de problèmes sociaux inédits.
Ségrégation, délinquance, criminalité, vagabondage, chômage, formation de gangs, etc., s’imposèrent
comme des thèmes de recherche avec une certaine urgence, d’autant plus facilement que plusieurs
chercheurs de cette « école » furent d’abord des journalistes et des experts municipaux chargés de faire
connaître ou de traiter les problèmes sociaux urbains. Un tel contexte se retrouve directement dans la
première question qui ressort de ce courant de recherche, celle du contrôle social en ville : « Le
problème social est fondamentalement un problème urbain, écrivait R. Park en 1929, il s’agit de
parvenir, dans la liberté propre à la ville, à un ordre social et à un contrôle social équivalents à ce qui
s’est développé naturellement dans la famille, le clan, la tribu. »
Le contexte théorique des travaux de Chicago est marqué par la montée de l’ethnographie savante et
professionnelle (Boas, Lowie, Malinowski), définissant normativement ses premiers outils
méthodologiques (l’« observation participante ») et théoriques (la cohésion sociale et le
fonctionnalisme des institutions des petits groupes observés). Ces savoirs forment alors le contrepoint
anthropologique pour les chercheurs de la ville de Chicago. C’est par contraste avec ce modèle que

37
l’on peut comprendre la base théorique de leurs études urbaines, qui opposèrent la ville à la tradition,
mirent l’accent sur les problèmes de contacts et de communications, et finalement découvrirent
l’individualisme urbain à la lumière de l’ethnologie rurale et communautariste. Le point de départ des
enquêtes urbaines fut donc une conception idéalisée du monde rural (largement critiquée depuis),
réplique holiste de la ville ; il a constitué, la plupart du temps en creux, la problématique du « mode de
vie urbain ». R. Redfield développa un point de vue évolutionniste opposant le village communautaire
à la grande ville hétérogène aux deux extrémités du folk urban continuum. Et c’est en opposant la
société urbaine à la société traditionnelle que R. Park vit dans la ville le lieu de « l’émergence de
l’individu comme unité de pensée et d’action ». Enfin, pour parler de la ville comme d’un monde de
l’individu, L. Wirth reprit et durcit la notion durkheimienne d’anomie. De facteur d’explication des
comportements individuels de dérèglement pouvant conduire au suicide, tel que Durkheim l’introduisit
dans la sociologie, l’anomie devint, dans le texte fondateur de Wirth, une composante substantielle de
la culture urbaine.
Dans l’hypothèse individualiste, la figure du citadin se constitue en recourant à des métonymies de
ville de type « interstitiel » – comme la rue, la déambulation ou le trafic – et à des types sociaux
intermédiaires – le promeneur, l’étranger, le débrouillard et le combinard. C’est donc aux marges, dans
des espaces liminaires ou des « non-lieux », que se définirait le mieux le citadin. Dans ce cadre, on
comprend que, depuis l’école de Chicago et, plus loin encore, depuis Georg Simmel, l’individu
typiquement urbain, c’est l’étranger. Rappelant l’influence de Simmel sur l’école de Chicago, Yves
Grafmeyer note : « Parce que la ville met en présence des personnes qui sont toujours peu ou prou
étrangères les unes aux autres, le citadin ne se départit que très rarement d’une distance à autrui qui est
au cœur des relations sociales en milieu urbain. »

L’erreur méthodologique serait de transformer cette relation sociale citadine en une figure identitaire,
proprement urbaine, d’étranger absolu (sans identité, c’est-à-dire tout autant libre ou perdu, selon le
point de vue qu’on adopte). Même si, comme l’étranger de Simmel, le citadin « n’a pas tout à fait
abandonné la liberté d’aller et de venir », il n’est toujours qu’un étranger relatif.

V- La ségrégation et la fragmentation urbaines : deux réalités de la ville

V-1 La ségrégation urbaine

Le vocable « ségrégation » vient du latin Segregare mettre à l'écart. Comme la discrimination, la


ségrégation est directe ou indirecte. De fait, elle est soit volontaire ou la résultante de décisions
individuelles ou institutionnelles plus ou moins neutres mais aboutissant à la ségrégation. On relèvera
par exemple : les comportements d’entre-soi, les politiques d’emplacement -concentration ou

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dispersion- et d’attribution de logements sociaux -certains immeubles pouvant être réservés aux
Africains et Maghrébins contribuent à la concentration- etc. Le terme ségrégation est fortement
polysémique et recouvre des réalités distinctes. On doit à Grafmeyer (1994) l'effort de clarification du
concept. Dans son acception la plus restrictive, la ségrégation recouvre l’intentionnalité de mise à
l’écart d’un groupe social. La figure emblématique est celle du ghetto religieux ou ethnique. Cette
définition est devenue moins fréquente au fil du temps mais demeure sous-tendue dans les discours
communs.

Dans les années 1970, le sens s'est étendu à l'inégale localisation des groupes sociaux dans l'espace
urbain. Ce qui peut aussi recouvrir les spécialisations des espaces urbains. Le courant marxiste
appréhende la ségrégation des ouvriers par l'inégalité d'accès des groupes sociaux aux biens matériels
et symboliques de la ville. D'où une triple ségrégation « le lieu et la qualité du logement, par les
équipements collectifs, et par les distances imposées entre domicile et lieu de travail ».

Enfin, la dernière approche privilégie « toute forme de regroupement spatial associant étroitement des
populations défavorisées à des territoires circonscrits ». L’image totémique renvoie à celle du ghetto et
« en France, à la banlieue sensible. C’est sans doute dans cette troisième voie que l’on se rapproche le
plus de l’acception originelle ».

Véronique de Rudder nous fait remarquer que les termes ségrégation et discrimination, qui par nature
sont liés, renvoient explicitement à un principe de disjonction : la séparation s’opère sur ce qui fut ou
pourrait être joint, c’est-à-dire considéré ensemble, comme un tout. Elle insiste sur ce point en arguant
que pour disjoindre et continuer à le faire, il faut le justifier car il existe un référent plus général qui
légitimerait l’englobement, le traitement unitaire. D’où il ressort que discrimination et ségrégation sont
associés avec un jugement éthique négatif, avec un traitement inégalitaire (de Rudder, 1995). Cela
implique que les termes discrimination et ségrégation sont applicables aux seules situations dans
lesquelles les différences de traitement sont productrices d’inégalités, de pénalités. Dans le cas de
populations favorisées concentrées, par exemple dans les gated communities, on parlera avec
davantage de pertinence de polarisation spatiale.

Les espaces ségrégués ont une histoire qui s'inscrit généralement dans le long terme. Les anciennes
villes coloniales - en particulier en Afrique - offrent aussi la démonstration que ségrégations raciale et
sociale marquent le territoire sur une durée importante. La division fondamentale de l’espace
s'organise alors en deux sous-ensembles : le village indigène et les quartiers européens. Souvent à
l'origine, se trouve, comme à Abidjan après un arrêté de 1909, une ségrégation foncière.

39
Autre illustration, si la ségrégation d'État a été abolie en Afrique australe, la ségrégation sociale est
toujours spatialement identifiable, à l'instar de celle visible à Harare-Chitungwiza et à Johannesbourg-
Soweto.

Certaines villes africaines, bien qu'ayant connu des redécoupages administratifs municipaux, restent
des espaces ségrégués. Ainsi, la Médina de Dakar est à l'origine un « village de ségrégation » créé
administrativement après les épidémies de peste et de fièvre jaune du XIXe siècle.

Les conséquences de la ségrégation spatiales sont visibles dans le paysage : ainsi, à Kampala,
l'opposition est-ouest qui marque la ville « européenne » publique (Collines de Nakasero et de Old
Kampala) et la ville privée (Mengo-Kisenyi) se traduit-elle par une différenciation des types
d'urbanisation. Les villes d’Afrique du Nord peuvent connaître, en particulier Tunis à l'époque
médiévale, une ségrégation sur des bases plus religieuses que sociales ; ce qui a conduit à la
constitution de quartiers homogènes.

V-2 La Fragmentation urbaine

Dans la plupart des travaux concernant la fragmentation prédomine l’idée selon laquelle ce terme
constitue un mot, une notion, un concept, voire un paradigme explicatif d’une prétendue crise urbaine.
Les divers auteurs s’accordent notamment autour d’un constat de fracture, de rupture, de sécession, de
ségrégation, de scission, de morcellement, d’éclatement des villes, autant de termes dont le contenu
renvoie, selon eux, au terme de fragmentation. De ce fait, celle-ci apparaît négativement connotée en
même temps qu’elle conviendrait pour expliquer les transformations récentes dans la structure urbaine,
lesquelles seraient dues aux effets de la globalisation économique. Par ce biais, la fragmentation est
aussi présentée comme un phénomène récent.

V2-1 Fragmentation urbaine : un processus d’éclatement de ce qui était unitaire ?

Que dit l’expression « fragmentation urbaine » ? Le radical « fragment » suggère qu’une entité
préalablement entière a été brisée, cependant que le suffixe en « ation » désigne un processus en cours
de développement. L’expression « fragmentation urbaine » dénomme donc une transformation, de la
ville, hier cohésive, agglomérée, dense, mixte, continue…en une aire urbanisée aujourd’hui éparse,
diffuse, divisée, éclatée, morcelée, segmentée, fracturée, c’est-à-dire caractérisée par des brisures en
secteurs géographiques étanches et par ses découpages et découplages sociaux. Le phénomène de la
fragmentation serait donc définissable par une tendance à faire coïncider, de manière de plus en plus
étroite, chaque secteur, qui se voit doté d’un statut fonctionnel propre et exclusif, et d’une
morphologie urbanistique et architecturale spécifique (ici un quartier dégradé ou un bidonville, là un
lotissement sécuritaire ou un condominium), avec une population homogène du point de vue

40
sociologique, culturel et économique, voire du point de vue de l’ethnie ou de la classe d’âge. La
distance géographique se redoublerait ainsi d’une distance symbolique entraînant une raréfication des
échanges entre chacun de ces secteurs (P. Genestier).

Dans l’ouvrage « Vie citadine », les auteurs (P. Gervais-Lambony et all) s’accordent pour dire que la
définition la plus générale de la fragmentation urbaine est la dé-solidarisation de la ville, la disparition
d’un système de fonctionnement, de régulation et de représentation à l’échelle métropolitaine ; Selon
eux, les symptômes de cette « maladie » de la ville : la crise des espaces publics comme lieux de
coexistence et de mise en scène des différences, les replis sur des espaces socialement et/ou
ethniquement homogènes. Les causes du « mal » : un changement du mode de production dans la
ville. En Afrique, plusieurs approches ont été développées, très contrastées selon les chercheurs et les
terrains d’études. Dans les sociétés maghrébines, F. Navez-Bouchanine (1998, 2002) privilégie les
dimensions spatiale et sociale de la fragmentation : la dimension économique est secondaire dans les
sociétés en général peu marquées par une industrialisation massive de type fordiste. Le contexte sud-
africain, marqué par un système de ségrégation institutionnelle et une industrialisation importante, a au
contraire porté les chercheurs à privilégier les dimensions politiques et économiques de la
fragmentation (Bénit, 2001, Jaglin, 2001). Enfin, l’étude des villes en guerre conduit une approche à la
fois politique et spatiale (Dorier-Aprill, 2002).

Pour clarifier les choses, il est devenu classique de distinguer quatre dimensions de la fragmentation :
spatiale, économique, politique et sociale.

V-2-2 Fragmentation spatiale

Fragmentation spatiale se définit à deux échelles puisqu’elle désigne la juxtaposition de « fragments »


de villes aux formes hétérogènes (Balbo, 1993 ; Navez-Bouchanine, 1998) et/ou la multiplication de
murs, grilles et barrières qui touchent les quartiers de tous niveaux sociaux. Plutôt que d’assurer la
sécurité des biens, ici, la ville vend le domaine public aux promoteurs ou copropriétaires, entraînant la
privatisation et la fermeture d’itinéraires piétonniers entre les quartiers.

A plus petite échelle, M. Balbo (1993) voit la marque d’une fragmentation dans le développement de
bidonvilles au sein des interstices de ville formelle et dans les contrastes architecturaux entre anciens
quartiers coloniaux et indigènes. Cette acception est également présente dans les travaux plus tardifs
de F. Navez-Bouchanine (1998) sur la fragmentation au Maghreb. S’interrogeant sur « le vécu » de la
fragmentation spatiale, elle argue que celle-ci constitue une ressource pour les citadins dans la mise en
œuvre de leurs stratégies résidentielles, l’habitat non réglementaire périphérique offrant une solution
aux ménages modestes pour quitter la médina paupérisée.

41
Ce faisant, ne risque-t-on pas ainsi d’assimiler fragmentation et simple différenciation liée à la variété
du marché immobilier (à la rigueur sa segmentation) en terme de réglementation, de prix de formes ;
de localisation ?

La notion de fragmentation spatiale, si elle conduit à s’interroger sur le lien entre des espaces
contrastés et apparemment séparés, peut donc être facteur de confusion. Peut-être faudrait-il en
réserver l’usage pour désigner les formes d’enfermement, d’érection de mûrs de clôtures. Le cas de
Carthagène (Colombie), où la vieille ville, entourée de murs, est plus ou moins interdite aux citadins
pauvres pour préserver la manne touristique, en est un exemple extrême.

Toute différenciation ou séparation est-elle signe de fragmentation ?

Par exemple les études urbaines en Amérique Latine mettent l’accent aujourd’hui sur les quartiers
fermés. Le terme d’ « enclaves fortifiée » utilisé par certains auteurs latino-américains traduit certes le
caractère spectaculaire de ce phénomène en Amérique Latine (mûrs de clôture, vidéosurveillance,
société de gardiennage allant jusqu’à des milices armées, contrôle d’identités poussés jusqu’à la fouille
à l’entrée de ces quartiers à Caracas ou Rio…) mais il tend à durcir exagérément la coupure sociale
entre ces quartiers et le reste de la ville. Or le phénomène est hétérogène, comme le montrent divers
articles.

Au-delà de l’usage parfois inadapté de la notion, qui peut conduire à des dérives sensationnalistes dans
les médias (Capron, 2004), il faut donc souligner son ambiguïté fondamentale. On ne peut déduire les
relations sociales des seules formes spatiales. Parler de fragmentation spatiale, c’est faire le postulat
que, parce qu’on vit dans des espaces très contrastés (voire entourés de murs), il n’y a pas ou il n’y a
que peu de relations entre les résidents de ces espaces. Or c’est faux. C’est ce que montrent les travaux
de G. Thuillier (2000), repris par C. Dourlens et P. Vidal-Naquet (2001), sur les gated communities à
Buenos Aires. Ces auteurs soulignent certes le repli sur elles-mêmes de ces « communautés », mais
également les liens importants entretenus avec les quartiers environnants : emploi de personnel
d’entretien et de gardiennage, construction d’une route d’accès qui profite aussi au quartier,
fréquentation des services et des centres commerciaux alentours. Salcedo et Torres, dans leur étude de
Santiago du Chili (2003), ou Guerrien (2004) dans le cas de Mexico, vont plus loin, suggérant que
l’érection de murs permet de réduire la ségrégation métropolitaine, en permettant à des ménages aisés
de vivre dans des espaces populaires, s’en distanciant par des murs plutôt que par un éloignement
spatial. Ces exemples montrent bien l’importance des effets de contexte et d’échelle, qui au-delà de la
forme commune du quartier muré, en modèlent la signification sociale.

42
IV-2-3 La Fragmentation économique

La notion de fragmentation économique désigne le fait que les parties de la ville cesseraient de
fonctionner comme un tout : sous l’effet de la désindustrialisation et de la raréfaction des emplois peu
qualifiés, certains quartiers seraient exclus du système économique métropolitain. On pourrait mesurer
la fragmentation économique d’une ville à l’intensité des liens économiques (migration de travail
notamment) existant entre ses différents quartiers.

V-2 4 La fragmentation politique

La fragmentation politique (ou institutionnelle) désigne une séparation juridique, politique ou


institutionnelle entre des territoires marqués par la proximité spatiale. Ce qui pouvait être conçu
comme formant une unité est administré comme un ensemble de fragments politiquement et/ou
fiscalement autonome. Cette notion s’applique notamment à l’échelle urbaine, que ce soit sur les
découpages municipaux, ou sur la gestion des réseaux divers (Jaglin, 2001, Bénit, 2005).

Cette fragmentation politique peut se lire comme une conséquence de la fragmentation économique.
La fiscalité des particuliers et des entreprises pour financer du logement social, des transports, les
services dans les quartiers défavorisés, est fréquemment remise en cause. D’où les sécessions urbaines
qui peuvent se comprendre en partie comme des révoltes de contribuables.

Cette fragmentation peut également se lire socialement comme une conséquence directe de la
mainmise des communautés sur l’échelon local de gouvernement, alimenté par la ghettoïsation des
populations d’un côté, le repli sur soi des riches de l’autre. On emploie alors la métaphore de la
« balkanisation ».

La fragmentation politique correspond aussi à un discours critique sur l’intervention des pouvoirs
publics, considérés comme incompétents et bureaucratiques coté libéral ; comme autoritaires et non
démocratiques du cotés progressistes. Les politiques de la « gouvernance », largement impulsées par
des décisions politiques échappant aux villes elles-mêmes (Banque mondiale, etc) multiplient ainsi les
acteurs privés (entreprises ou groupes de résidents) et locaux du gouvernement des villes : elles
incitent à développer la participation mais aussi les privatisations. Ces évolutions permettent certes de
contester la rigidité d’une intervention publique déconnectée des pratiques et des besoins, mais elles
conduisent à démultiplier les responsabilités, à diluer la visibilité du pouvoir et à rendre plus difficiles
les contestations. Elles peuvent également, à terme, faire rejouer de vieilles fractures politiques et
identitaires que le monopole des pouvoirs publics permettait de réduire.

43
V-2-5 La fragmentation sociale

Elle désigne la disparition de la ville comme référent identitaire commun, à travers les pratiques
comme les discours, et la montée en puissance, corrélative soit de l’échelle locale sur laquelle
s’organise un repli, soit d’une pratique de réseaux, à travers des archipels connectés entre eux mais
sans plus de liens avec leur environnement immédiat. Pour Navez-Bouchanine (2001, P.111), la ville
devient une « somme de territoires fortement identitaires où les populations, regroupées sur le critère
de l’entre-soi, vivent de manière plus ou moins autarcique, développant leurs propres référents
socioculturels et pouvant aller jusqu’à refuser de manière explicite les normes ou codes communs ou
spécifiques aux autres ». Qu’on la conçoive comme une facette universelle et longtemps méconnue de
l’urbain ou comme la forme planétaire de sa métamorphose actuelle, la « fragmentation » sociale
semble fortement corrélée aux processus d’individualisation accompagnés du développement de
nouvelles formes de sociabilité qui ne sont plus dictées par la proximité spatiale.

La dimension sociale de la fragmentation pose problème parce qu’il est difficile d’en mesurer
l’évolution, et de définir le caractère nouveau par rapport aux phénomènes décrits en termes de
ségrégation (dans les quartiers ségrégués aussi se développent l’illusion d’une autarcie, la volonté de
vivre entre-soi, des codes sociaux et culturels spécifiques, la faible pratiques spatiale d’espace
socialement différents). Mais s’il est permis de s’interroger sur le caractère opératoire de la notion de
fragmentation sociale, il reste que les processus de fragmentation économique et politique ont des
effets sur les pratiques spatiales et sociales des citadins, et sur l’urbanité d’une ville ; les identités
portées par les individus, mobilisées dans les interactions et sur différentes scènes politiques, sont
certainement en mutation dans les villes contemporaines.

Pour Bénit (2006), Johannesburg permet de différencier assez nettement les notions de ségrégation et
de fragmentation. La ville ségréguée d’apartheid fonctionnait comme un système économique. Le
contrôle des populations noires, reléguées dans des espaces ségrégués, permettait leur utilisation à bas
coût dans les industries de Johannesburg, le transport des Noirs étant organisé collectivement (train,
bus) vers les zones industrielles, et financé par les pouvoirs publics et par les entreprises.

La crise du régime d’apartheid intervient à un moment de crise économique : déclin rapide de l’emploi
industriel de masse, déclin des subventions aux transport collectifs devenus moins utiles au moment
où l’emploi peu qualifié se raréfie et se disperse dans la ville.

Cette analyse conduit à un paradoxe : la ville d’apartheid était ségréguée mais pas fragmentée, du
moins économiquement ; la ville post-apartheid semble sujette à un grande fragmentation. Pour
Gervais-Lambony (2006), cette opposition pose problème. Pour lui, une analyse chronologique des
changements urbains en Afrique du Sud depuis les années 1970 démontre que des formes de
« fragmentation » sont bien observables, dès les années 1980, d’abord par morcellement politique

44
volontaire de la ville par les autorités mais aussi par changement économique fondamental. La période
post-apartheid, peut être décrite comme le passage de la ségrégation institutionnelle à la fragmentation
« normale». Dans son analyse, il pose la question de savoir : dans quelle mesure une réflexion centrée
sur la fragmentation urbaine permet-elle de prendre en compte les vécus des citadins ? En d’autres
termes, sur le plan des représentations et pratiques citadines, quelle serait la différence entre
fragmentation et ségrégation ? Yves Grafmeyer (1994) avance l’idée selon laquelle la meilleure
définition de la ségrégation serait à chercher du côté des citadins (c’est-à-dire qu’il aurait ségrégation
quand il y a sentiment d’exclusion chez les citadins concernés). Ce n’est certes pas une définition
suffisante (pourquoi ? question aux étudiants, adhésion des citadins, ou que les citadins ne perçoivent
pas), mais ne doit-on pas s’inquiéter du fait que la plus part des définitions de la fragmentation spatiale
reposent sur des approches « par le haut » des agglomérations ? La fragmentation spatiale se mesure
par une description de la forme de la ville. La fragmentation politique se lit dans une analyse des
institutions de gouvernement des villes et de gestion des services urbains. La fragmentation
économique se décrypte par une étude du marché de l’emploi et des flux économiques dans la ville.
Reste la fragmentation sociale, caractérisée par la disparition du « lien social » urbain qui semble
pouvoir être abordée par « le bas ».

Ce lien social n’est souvent étudié qu’à travers ses manifestations (ou non-manifestations) politiques,
économiques et spatiales. Or, le lien social n’est certes pas indépendant des changements politiques,
économiques et spatiaux, mais aucun de ces aspects ne suffit à en déterminer l’existence ou la
disparition. Le lien social disparaît-il quand disparaît l’espace public ? Il reste qu’aucune de ces
formes de fragmentation n’a pour conséquence automatique la disparition du « lien social », et enfin
que celle-ci n’est que très rarement mesurée par le biais des perceptions citadines.

La compréhension des processus de fragmentation implique que la durée et la temporalité doivent être
prises en compte car elles sont un facteur essentiel d’une part de la compréhension des processus de
fragmentation, d’autre part de différenciation entre « fragmentations » différentes. Ces processus de
fragmentation doivent être observés avec précision et prudence pour éviter toute sur-interprétation. On
comprend ici la prudence de Jean Rémy (2002) qui nous rappelle, à propos du concept de
fragmentation, qu’ "une précaution méthodologique est requise chaque fois que l’on est en face de
termes dont la portée descriptive est étroitement associée à une interprétation. "

V-2-6 Les critères de la fragmentation spatiale

Discontinuité/Discontiguïté : ce critère est évalué de deux manières, soit par le taux d’occupation des
périmètres urbains (ce qui pose un certains problèmes méthodologiques liés aux définitions de ce
dernier), soit par une analyse plus centrée sur la perception visuelle ou cartographiée des « vides » et
« pleins » de l’espace urbain. Ces vides sont hétérogènes ; résidus ou friches agricoles, terrain non
urbanisable etc., ceinture verte destinée à limiter l’extension urbaine.
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Articulations : elles sont souvent entendues au seul sens de trame viaire et d’articulations classiques
assurant la circulation physique, notamment entre le quartier et le centre. Le fait que les routes et les
moyens de transport n’existent pas peut sans aucun doute être interprété comme indice de
fragmentation.

Les modalités de communications immatérielles

La question des articulations matérielles, qui, s’agissant des quartiers périphériques, se décline surtout
en terme d’inexistence ou d’insuffisance, peut aussi se définir en termes d’inadaptation ou de
dégradation des articulations anciennes, lesquelles n’ont suivi ni le modèle, ni le rythme de
développement urbain : l’enclavement des médinas.

Hétérogénéité forte des typo-morphologies : la juxtaposition qualifiée de brutale de fragments typo-


morphologiques différents est souvent présentée comme une hétérogénéisation anormale. Cette
juxtaposition aurait été initiée par la colonisation.

Équipements et services urbains : Les disparités dans les équipements sont loin d’être négligeables,
mais leur utilisation dans une lecture de la fragmentation pose également quelques problèmes.
Concernant les équipements publics et collectifs, si on ne prend en compte qu’un seul critère,
présence/absence, ou ratio équipement/population, on note effectivement dans les différentes villes
une grande variabilité intra-urbaine, entre parties de villes ou fragment spatiaux. Il faut mobiliser un
nombre important de critères puisque les différences importantes peuvent apparaître entre fragments
informels comme formels (Bendjelid, 1998), selon leur localisation, leur âge, ou leur promoteur-
individu, institution ou collectivité.

Il faut prendre en compte les critères additionnels tels que : la qualité de l’équipement fourni, service
humain et matériel compris, et l’accessibilité réelle.

Si beaucoup des processus en cours peuvent être « relativisés » et expliqués comme la simple
accentuation de dynamiques antérieures, d’autres sont révélés par le recours à la notion de
fragmentation. Toutefois, ces processus de fragmentation doivent donc être observés avec précision et
prudence pour éviter toute sur-interprétation, en gardant présent à l’esprit qu’ils ne sont pas
inéluctables parce que liés à un changement économique mondial.

46
VI- La gouvernance urbaine : de multiples acteurs, des logiques et des enjeux

La gouvernance urbaine est un processus de mobilisation et de coordination d’acteurs et d’institutions


cherchant à réaliser des projets urbains afin d’aménager et de développer durablement les territoires
urbains. Selon Jacquier (2008), cette notion qui souvent s’articule et parfois s’oppose aux modes
traditionnels de gouvernement (centralisés, hiérarchisés, descendants «top-down», procéduraux)
postule et parfois promeut une approche fondée sur des réseaux d’action publique et des mécanismes
de coopération, de régulation, voire d’intégration dans des systèmes et dispositifs d’action d’une large
diversité d’acteurs publics et privés (systèmes polycentrés, réticulaires, horizontaux, transversaux,
processuels, ascendants «bottom-up»). Le vrai enjeu de la gouvernance urbaine est celui de la
participation et de la mobilisation des acteurs autour du développement urbain.

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VI-1- De multiples acteurs autour de la gouvernance urbaine

Plusieurs acteurs cohabitent autour de la gouvernance urbaine.

Acteurs globaux Acteurs spécifiques Rôles

Créer une politique favorable ;

Le pouvoir exécutif ; Maintenir l'Etat de droit ;

L’Etat Le pouvoir législatif ; Etablir les normes socio-économiques ;

Le pouvoir judiciaire. Assurer la protection des citoyens ;

Développer des infrastructures sociales et physiques.

Organiser un cadre institutionnel et administratif


(permanentes ou autres) ; pour diriger les affaires communautaires ;
Le
Prendre la décision politique et suivre l’action
gouvernement
politique ;
questions Spécifiques
local
Fournir des services de base ;
(adjudication/
Gérer les projets de développement local ;
Marketing, Terrains).
Assurer la médiation dans la résolution des conflits.

Les petites, les


Pourvoir aux fondements pour la croissance
moyennes et les grandes
économique et le développement ;
Le secteur privé entreprises ; Créer un cadre local favorable à la création
La Chambres de Commerce ; d’emploi ;

Assurer la production dans tous les secteurs.


Groupes producteurs.

Faciliter l’interaction entre social et politique

à travers:
ONG, PTF ;
o l’organisation et l’éducation des
Autres acteurs Intellectuels ; Groupes religieux ; o communautés ;
o la mobilisation des groupes ;
Médias ; Chefs traditionnels.
o le fait de promouvoir la culture, etc. ;
o le soutien des actions de solidarités et
des fonctions de protection.

Source : Rodrigue Montcho

48
La ville est un espace partagé, un milieu de vie qui amène tout un chacun à "composer" avec
l’autre. Elle est aussi un objet d’enjeux, lesquels structurent de multiples façons les relations entre
les citadins, les institutions et les groupes sociaux. Les rapports de coopération, de concurrence ou
de conflit diffèrent selon la nature de ces enjeux : propriété du sol ou du bâti, appropriation
matérielle ou symbolique des territoires urbains, protection de l’intimité domestique ou de l’entre-
soi social, accès aux services collectifs ou aux espaces publics. La figure ci-dessus montre
comment se présente l’interaction des acteurs de développement.

Atouts, ressources

Actions et moyens de développement

Coopération Objectifs de développement

Enjeux, approches de solutions


aux problèmes

Acteurs de
Atouts, ressources
développement

Besoins, aspirations, enjeux

Actions et moyens

de développement
Objectifs
Conflit
de développement
Enjeux, approches de solution

aux problèmes
Degré d’implication
Figure : Interaction entre les acteurs de gouvernance de la ville de Cotonou

Source : Rodrigue Montcho

49
Comme le montre la figure ci dessus entre les acteurs de développement, les relations prennent tantôt
une forme de collaboration tantôt une forme de conflit.

VI-2 Les représentations de la ville

« Le monde que nous percevons est dépendant de celui qui le perçoit. Notre cerveau construit des
mondes à travers notre propre histoire » (U. WINDISCH, 1990) la ville est de facto un espace vécu
multidimensionnel qui se situe au cœur de notre système de représentation.

Trois sous-systèmes de représentation de la ville qui sont ceux du citadin, de l’aménageur et du


chercheur, sous-système en interaction permanente et qui évoluent au rythme des évolutions de la ville
elle-même, d’où la complexité. À l’intérieur de chaque sous-système de représentation, le
dénominateur commun est en effet le changement de discours, et donc de représentation de la ville au
cours du temps.

Représentation du citadin :

Le musée imaginaire (idéologie, culture,


histoire, genre de vie, vécu,……….)

Représentation
Représentation de du chercheur :
l’aménageur et du VILLE Descriptions et
politique : constructions
L’imaginaire des abstraites
Source : Représenter la ville
projets (A. Bailly et al, 1995) (théories et
modèles)

50
VI-3 Gouvernance urbaine

Les villes sont devenues aujourd’hui l’un des lieux où se posent avec plus d’acuité les enjeux de notre
société. Afin d’y répondre, elles ont opéré d’importantes transformations, tant au niveau de leurs
institutions que de leurs dispositifs de gouvernement. Ces évolutions sont souvent rassemblées derrière
le vocable de gouvernance, que de nombreux auteurs notamment anglo-saxons et opérateurs des
politiques publiques ont opposé, de manière caricaturale parfois, à celui de gouvernement. Le concept
de gouvernement encore l’objet de discutions entre les chercheurs. Jean-Pierre Gaudin (1993 et 2003)
montre que la notion de gouvernance n’est pas aussi nouvelle qu’on le croit. Le gouvernement,
souvent assimilé à l’Etat, est en effet considéré comme trop centralisateur, peu adaptable aux
changements socio-économiques et aujourd’hui dépassé par les nouvelles formes contractuelles ou
partenariales d’action collective. Mais cette opposition entre gouvernement est-elle vraiment
pertinente ?

Pour P. Le Galés (2004). Il serait plus judicieux de poser la question du rôle gouvernement dans la
gouvernance urbaine politique des villes, mais également en termes de démocratie.

Le mot gouvernance ré-émerge au sein de la Banque Mondiale dans les années 1980 pour guider les
orientations économiques et sociales des pays du tiers-monde, et surtout comprendre et maîtriser les
causes des distorsions entre le projet de développement et la réalité dont l’opacité allait croissant
(Osmont, 1998 : 80-81). De là surgira la notion de « bonne gouvernance » qui deviendra matrice des
politiques de développement.

Au niveau de la gouvernance urbaine, P. Le Galés fait remarquer que les élites urbaines emploient ce
mot comme une stratégie d’adaptation aux contraintes extérieures, contribuant à reconfigurer le rôle et
le travail politiques et à permettre « aux élus de se mettre en scène avantageusement ». Et l’auteur
d’ajouter que la gouvernance urbaine est bien souvent utilisée idéologiquement, et tout
particulièrement dans une perspective néolibérale en vue de discréditer l’Etat, neutraliser la politique,
les conflits, les problèmes sociaux, et proposer la boîte à outils adéquate d’une soi-disant « bonne
gouvernance » reposant sur l’utilisation du gouvernement uniquement pour pallier les défaillances du
marché. Nous pouvons donc facilement imaginer qu’au nom de l’efficacité et de la concurrence des
villes un petit groupe d’acteurs monopolise les leviers décisionnels et réussisse à imposer un objet ;
d’inquiétantes dérives peut-être ambivalente et recouvrir une multitude de situations et de pratiques.

Dans une perspective sociologique (moins partisane), la gouvernance urbaine repose sur l’idée que
gouverner consiste à coordonner une multitude d’acteurs, de groupe sociaux, d’institution pour
atteindre des objectifs spécifiques discutés et définis collectivement dans des environnements
fragmentés , incertains. La gouvernance urbaine renvoie alors à l’ensemble d’institutions, de réseaux,

51
de directives, de réglementations de normes, d’usages politiques et sociaux, d’autres publics et privés
qui concourent à la stabilité d’une société et d’un régime politique. Dans cette perspective, la question
de la « bonne » ou de la « mauvaise » gouvernance urbaine n’a guère de sens.

VII- La ville africaine et ses réalités

La population mondiale qui était à 92 % de ruraux à la fin du 17ème siècle grâce à la révolution
industrielle a connu un taux d’urbanisation très important. En 19507, 29,2% de la population de la
planète était urbaine. Depuis le phénomène n’a cessé de s’étendre et a atteint 45,2% (de la population
mondiale) en 1990. 51,1% de la population du monde est urbaine en 2000 dont un taux de 40,7% pour
l’Afrique et 39,8 pour l’Afrique occidentale. Au Bénin, la population urbaine est de 38,9% alors
qu’elle était de 35,7% et 26,5% respectivement en 1992 et 1979.8 Comme on peut le constater,
l’urbanisation a atteint tous les pays même ceux de l’Afrique au point où Pierre Claval affirme que le
monde dans lequel nous vivons est devenu un monde urbain. L’urbanisation est donc devenue une
question centrale dans le devenir nos sociétés. Elle n’a pas épargné l’Afrique qui d’ailleurs depuis la
période précoloniale avait connu des villes. Mais dans sa configuration actuelle en Afrique noire, la
ville constitue un phénomène relativement récent (Collantes Diez, 2008 :18). Les grands centres
urbains en Afrique subsaharienne se sont constitués dans un temps court et relativement rapide, à
partir ou comme conséquence d'une histoire marquée par la domination et la dépendance des
puissances coloniales européennes. En effet, l'extraversion a marqué et continue à marquer le
continent, et ce, non seulement dans le domaine économique. Des masses rurales se sont déplacées,
très souvent par contrainte, vers ces nouveaux centres, parfois créés de toutes pièces, en fonction des
intérêts de la puissance coloniale, des mouvements migratoires qui se sont poursuivis et amplifiés
après les indépendances. C'est ainsi que des mutations immenses et accélérées se sont produites dans
des sociétés qui ont été déréglées dans leur fonctionnement, dans leurs structures, voire dans leur
imaginaire collectif. Des groupes, des individus se sont déplacés avec leur histoire, leur mémoire, leurs
références culturelles, leurs pratiques sociales, leurs aspirations et leurs stratégies, individuelles et
collectives, subissant des chocs sociaux et culturels; ce qui va provoquer des stratégies de résistance,
d'inertie, d'adaptation, de transaction pour vivre, survivre parfois, dans ce nouvel espace social qui
répond si souvent à une logique « extérieure », mais qui sera réinvesti par ces ruraux devenus citadins.
Je voudrais donc interroger le phénomène urbain pour en découvrir son sens et sa signification. La
ville est-elle ce lieu de dissolution des liens sociaux traditionnels, ou a-t-elle fonctionné et continue-t-
elle à fonctionner comme «une machine intégratrice» ? La ville dite coloniale - notion elle-même

7
Source : Sala-Diakanda M. D., Introduction à l’étude des populations, document Pédagogique, IFORD,
Yaoundé, 1991, p99.
8 Source RGPH1, RGPH2, RGPH3.

52
coloniale et donc eurocentrée- signifie-t-elle une rupture par rapport au passé? Si oui, dans quel sens,
puisqu'il y avait des centres urbains avant la grande expansion européenne du XIXème siècle, et la
ville ne fut pas vraiment une nouveauté ? Les difficultés actuelles tendent à obscurcir les données et à
en rendre difficile la lecture, complexe sans doute à cause des différentes logiques à l'œuvre, à cause
aussi de l'accélération des mutations ainsi que de l'emprise d'une logique dominante dite
mondialisation.

La ville a été, de tous temps, un creuset et un diffuseur culturel, elle a fréquemment rempli une
fonction d'accélérateur des mutations sociales, ce qui ne va pas sans créer des ruptures, des
réajustements, des transactions. La ville coloniale est le fruit et l'expression de transformations
profondes, souvent induites de l'extérieur et en fonction d'une logique et d'intérêts extérieurs. Le
citadin africain serait-il étranger, parce que soumis à un monde organisé à partir de critères et de
références extérieures: économie monétarisée, concurrence acharnée, logique de profit, individualisme
triomphant - dans la ville? La ville africaine ne serait-elle pas à lui? Y aurait-il deux villes différentes,
telles que certains romanciers africains les ont décrites, juste dans la décennie avant les indépendances,
répondant à deux logiques différentes? Voici ce que Jean-Marc Ela, auteur camerounais, écrit: «Peut-
être l'Africain ne s'est-il jamais tout à fait senti chez lui dans les villes de Blancs. Il y vit comme dans
le monde des autres... Ce qu'a perçu le romancier africain, c'est que la ville est l'espace où le Noir
colonisé fait l'expérience directe de la domination... le roman africain révèle souvent une structure de
la ville coloniale: une société nègre et une société blanche, séparées et vivant chacune dans un espace
et un temps déterminé... la ville est toujours bicéphale ». Le postulat colonial: « les Africains sont des
ruraux; émigrés vers la ville, ils demeurent des paysans égarés en milieu étranger. Ils n'y sont, par
définition, que de passage... », exprime-t-il la réalité ou n'est-il qu'un présupposé eurocentrique ?
Rencontre-t-on dans la ville africaine une dichotomie entre modernité et tradition? Concurrence de
valeurs? Ou pouvons-nous dire que l'on assiste à des processus de transaction, de combinaison, voire
de synthèse entre des valeurs dites traditionnelles et des valeurs dites occidentales? La ville serait-elle
le creuset où l'on forge de nouvelles synthèses culturelles? La ville se présente donc comme un
langage, comme un signe qu'il nous faut déchiffrer et pénétrer pour comprendre et interpréter le
phénomène urbain. En effet, la ville nous permet de comprendre les problèmes de la vie quotidienne
des sociétés de l'Afrique subsaharienne, leurs tensions, leurs conflits, leurs devenirs; elle va nous
permettre de comprendre aussi le passé: les racines profondes de la crise actuelle des sociétés
africaines se trouveraient-elles dans la manière de penser la ville?

Connaître la ville nous permettrait également d'envisager l'avenir, puisque c'est en elle, dans la ville,
lieu des pouvoirs économiques et politiques, que l'avenir de la société toute entière et des cultures
locales se décide. Quel modèle de société s'élabore à partir des mécanismes qui produisent cet espace
que nous appelons aujourd'hui la ville africaine?

53
Les questions sont nombreuses, en voici quelques-unes qui m'ont servi de guide, de piste exploratoire
dans ma démarche, dans ma recherche. La ville, miroir des transformations et des mutations
permanentes, est-elle le reflet privilégiée des échanges, des transactions entre tradition et modernité?
Est-elle le lieu de reconstruction de nouveaux liens, de nouvelles solidarités? Comment se construit ce
lien social? L'espace social commun partagé arrive-t-il à tisser de nouveaux liens de solidarité? La
ville a-t-elle une personnalité propre ou est-elle un lieu de « passage », les références existentielles
étant ailleurs, au village: lieu géographique et symbolique? Comment la culture locale traditionnelle
est-elle réélaborée par de nouvelles pratiques sociales propres aux acteurs soumis à de multiples
contraintes? La ville serait-elle une juxtaposition de groupes sans une véritable identité propre?

VII-1 Croissance urbaine en Afrique : cas de l’Afrique de l’ouest

Selon les données d’Africapolis (Dénis & Moriconi-Ebrard, 2009), en 2010, un habitant d’Afrique de
l'Ouest sur trois, vit dans une ville contre un pour treize en 1950. Malgré cette croissance remarquable,
le taux d'urbanisation y demeure l'un des plus faibles du monde. Entre 1950 et 1970, la population
urbaine y a certes doublé tous les dix ans, mais cette croissance s’est progressivement ralentie et il faut
désormais 30 ans à la population urbaine des seize pays de l’ouest du continent africain pour doubler.Il
n'en reste pas moins qu'entre 2000 et 2020, 500 nouvelles agglomérations y franchiront le seuil des 10
000 habitants. L’Afrique de l’Ouest comptera alors autant d’agglomérations que l’Amérique du Nord.
La population urbaine y atteindra 124 millions d’habitants, contre 74 millions en 2000. En 20 ans, il
faudra donc compter 50 millions d’urbains supplémentaires.

Trois principales sources alimentent la croissance urbaine dans cette région du monde. L’exode
rural reste la principale cause. En l’absence (ou la non application) d’une politique d’aménagement du
territoire, les populations des zones rurales ou des villes secondaires se ruent vers la capitale, lieu de
modernité. Ainsi, dans tous les pays l’Afrique de l’Ouest, et surtout après les indépendances,
l’urbanisation a donné lieu à une mobilité vers les villes capitales (Snrech S. 1994). Alain Dubresson
(1996), en étudiant les villes du golfe de Guinée, observe qu’à partir de 1996, cette région est entrée
dans un processus d’urbanisation extrêmement rapide, caractérisé par la restructuration et la
concentration du peuplement au bénéfice des villes-capitales. Ainsi, contrairement à l’Amérique du
Nord, l’Afrique de l’Ouest se peuple à partir de son stock autochtone de population rurale.

Le processus d’urbanisation dans lequel s’est engagée la planète y compris donc le continent
africain, engendre de nouveaux rapports entre la ville et les campagnes environnantes. Ainsi comme
l’a observé l’anthropologue G. Guldin (2001) en Chine du Sud, on remarque également qu’en Afrique
de l’Ouest, au même moment que la croissance urbaine se nourrit de la migration massive des ruraux,
les anciens villages périphériques se retrouvent absorbés par les grandes villes. De fait, les ruraux

54
n’ont bien souvent plus besoin de migrer vers la ville : c’est elle qui migre vers eux. C’est la deuxième
source de croissance urbaine en Afrique. Agoè-nyivé et Lêgbassito à Lomé (Togo), Agblangandan et
Ekpè à Cotonou (Bénin) illustrent bien ce phénomène. Le même constat est fait dans une étude de
l’OCDE9 qui indique la naissance d’une vaste conurbation ouest-africaine qui prend forme le long du
golfe de Guinée avec la formation d’un réseau de trois cents villes de plus de cent mille habitants.
Érigé autour de cinq villes millionnaires (de Bénin City à Accra), ce réseau qui s’étend sur 600 km
d’est à l’ouest aura en 2020, le même poids démographique que celui de la côte Est des Etats-Unis
(Cour, Snrech , 1998).

Le dernier et facteur d’explosion démographique dans les villes d’Afrique de l’Ouest est relatif
à la croissance démographique naturelle de la population urbaine. La ville-capitale étant le lieu de
concentration des institutions sanitaires, de nombreux progrès réalisés dans le domaine sanitaire, ont
abouti non seulement à la diffusion des pratiques de planification familiale, mais également à la
diminution du taux de mortalité infantile et à la relative augmentation de l’espérance de vie,

Parti d'un noyau ancien centré historiquement sur le système de villes nigérian, en pays Yoruba
en particulier (Camara, 1993), la trame urbaine ouest-africaine s'est peu à peu étendue vers l'Ouest et
renforcée dans la bande sahélienne. On observe, de 1950 à 2020, la continuation des fortes
dynamiques côtières et des dynamiques réticulaires associées mais aussi, l'affirmation de pôles
régionaux majeurs au contact sahélien, tant autour de Kano au Nigéria qu'à Ouagadougou au Burkina
Faso.

Les schémas suivants illustrent bien ce phénomène d’urbanisation en Afrique au Sud du Sahara.

9
Organisation de coopération et de développement économiques.
55
Urbanisation en Afrique de l’ouest en 2000.

992 Villes, 78 millions d’urbains

Source : Africapolis AFD/SEDET 2009

Projection de l’urbanisation de l’Afrique de l’ouest en 2020

1431 Villes pour 123 millions d’urbains


56
Source : Africapolis AFD/SEDET, 2009
Qu’il s’agisse d’un individu né en ville ou du rural urbanisé, ces millions de citadins entrent dans un
processus de production de l’urbain ou de (re)construction identitaire dont l’individualisme est sans
nul doute la finalité.

VII-2 Quelques travaux sur la ville africaine

Dans le champ de l’urbanisation africaine, ces trois dernières décennies ont été marquées par des
recherches abondantes avec des conclusions très remarquables. On peut de prime abord évoquer des
études sociologiques bien connues comme celles de Balandier (1985), d’Ela (1985) ou de Gibbal
(1987). L’historienne Coquery-Vidrovitch présente le mérite de retracer l’histoire urbaine africaine
des origines à nos jours sur la totalité du continent, l’Egypte et le Maghreb inclus. L’auteur met
davantage l’accent sur les processus économiques et sociaux, il montre qu’entre 1920 et 1960,
l’urbanisation est passée en Afrique de moins de 5% à près de 15%. De Tombouctou, Ondourman ou
Zanzibar à Nairobi, Lusaka ou Arusha, en passant par Salé ou Rabat au Maroc, Accra ou Ibadan,
l’auteur fait état de grandes monographies historiques des villes africaines. Il est retenu que
l’urbanisation frappe de plein fouet les continents du Sud, et tout particulièrement l’Afrique. Le Caire,
la plus grande ville d’Afrique, dépasse largement les 10 millions d’habitants et se hisse dans le groupe
des 10 villes les plus peuplées du monde. Elle sera dépassée d’ici 2025 par Lagos. Si l’on appelle ville
toute agglomération de plus de 5000 habitants, l’Afrique en compterait près de 10000.

L’historique de l’urbanisation africaine est tout aussi bien connu. Les auteurs soulignent que l’Afrique
septentrionale, méditerranéenne ou sahélienne était depuis longtemps jalonnée de villes marchandes.
Au nord, l’héritage des cités arabo-musulmanes, Kairouan, Le Caire, Marrakech, au sud, les ports du
désert, Djenné, Tombouctou, Kano. Mais, c’est la colonisation qui a donné le coup d’envoi à
l’urbanisation africaine. La ville était nécessaire au commandement colonial, administratif et militaire.
Depuis les indépendances, la croissance urbaine a été explosive, près de 10% par an jusqu’en 1980.
Depuis cette année, elle s’est assagie, elle est de 5% l’an, sauf pour l’Afrique orientale, la moins
urbanisée, et qui effectue donc son « rattrapage urbain ». Il convient par ailleurs de souligner que
l’évocation de l’idée de « la ville africaine » (surtout en Afrique noire) est restée longtemps «
étrangère ou étrange» ; la « ville africaine » était croyait-on un « concept saugrenu, un fantasme ».
Pour les professionnels de l’urbanisme, la « ville africaine » n’était que « des ensembles urbains mal
fagotés bricolés à la halte » (Pedrazzini, 2009 :18).

Aujourd’hui, le bilan sur l’état des savoirs sur la ville africaine est pluriel. Pour certains, la ville
africaine est dévoreuse d’espace, sa morphologie se caractérise par un éclatement spatial. Des villes
millionnaires comme Bamako ou Ouagadougou, dépassent en superficie des métropoles européennes 3
ou 4 fois plus peuplées. L’étalement urbain « dévore » les terres cultivables, des problèmes liés à

57
l’insécurité foncière ou aux titres de propriétés ne sont pas toujours inexistants. La ville africaine
pensent nombre d’auteurs, est à la fois prédatrice et dépendante, on y observe une présence d’espaces
et d’activités agricoles au cœur du tissu urbain, périmètres de cultures vivrières, jardins de case, etc..
Cette symbiose urbanité/ruralité fait des villes africaines, des « villes rurales ». La ville africaine est «
duale ». Un dualisme entre ville « légale », celle qui relève des normes occidentales et qui participe à
l’économie-monde, et la ville « illégale », celle des quartiers de peuplement informels, et où se
développe une économie de subsistance et de survie.

En réalité, de nombreux auteurs, sociologues comme géographes, ont insisté sur les logiques
dominantes de l’urbanisation africaine. Ils ont montré que les pays africains se trouvent depuis plus
deux décennies engagés dans une urbanisation accélérée, mosaïque, intermittente, anarchique, mal
négociée et mal construite. Les auteurs s’accordent sur la « crise de l’urbanisation » africaine, avec des
« villes éparpillées », « villes poubelles », « villes insalubres ou poussiéreuses », « villes fragmentées
», « villes cruelles », « bidonvillisées », « disloquées » où des populations en provenance chaque jour
des campagnes, font face à la grande pauvreté urbaine et inventent des réseaux et des pratiques illicites
qui compromettent toute efficacité d’une réelle politique urbaine. Les regroupements ethniques et la
réinvention des habitus communautaires sont visibles dans les quartiers populeux et entraînent une
recréation des « villages dans les villes » (Young, Willmott, 1983). Les analystes soulignent une
véritable « colonisation » des rues et des espaces vides qui sont transformés de façon anarchique en
des lieux de la « débrouillardise» (Ela, 1998). La voie publique appartient à qui veut l’utiliser, les
trottoirs sont « envahis » et servent de lieux privilégiés pour toute forme de « petits métiers» (Kengne
Fodouop, 1991). Les violences et les crises sont récurrentes. Au quotidien les citadins doivent faire
face aux agressions, viols, injures, tueries et trafics de toutes sortes. Pour la plupart des auteurs, les
villes africaines présentent des clichés très négatifs. Insécurité, pauvreté, insalubrité sont autant de
critères largement attribués ; les quartiers urbains africains fonctionnent comme de repoussoirs. Des
discours classiques, la question urbaine, dans toutes ses dimensions, apparaît aujourd’hui être un défi
pour les pays africains. Certains auteurs présentent la ville plutôt comme un «risque» pour l’Afrique.
Les villes africaines sont particulièrement affectées par la crise des complexes politico-économiques,
avec un accroissement des dislocations, des fragmentations, des ségrégations et des déségrégations que
les dynamiques citadines du bas » ne parviennent plus à enrayer.

L’état des savoirs sur les questions urbaines en contexte africain montre que nombre d’auteurs ne
décrivent pas (ou décrivent peu) l’invention qui se trame dans la ville africaine. Les analyses
globalisantes ou dominantes en termes de blocages structurels ou conjoncturels ne prédisposent pas à
voir l’invention de la ville africaine. Les évocations en termes de poids du passé ou colonial, d’une
omniprésente pauvreté qui condamne à la survie et à l’insécurité, de déficits de compétences, de
politiques urbaines confuses, montrent surtout le côté négatif de la ville africaine et laissent la place
surtout à la reconnaissance chez les citadins d’un sens de la débrouille. Pourtant, la ville africaine

58
semble être aujourd’hui en pleine mutation, dans toutes ses dimensions. L’Afrique urbaine bouge à la
fois pour des raisons démographiques et pour les dynamiques plurielles créatrices des innovations
sociales renouvelées et diversifiées. L’Afrique urbaine n’est pas seulement un espace de violence,
d’insécurité, de pauvreté et de crises. Elle est aussi le lieu de multiples métissages, de construction de
réseaux sociaux et économiques, de nouvelles cultures urbaines, de solidarités innovantes et de
syncrétismes créateurs.

Cette analyse, loin de s’enfermer dans les discours classiques catastrophistes et réductionnistes,
privilégie l’Afrique urbaine qui bouge plutôt qu’une Afrique où la ville a été, jusqu’ici, qualifiée de
« risque ». II est intéressant d’observer aujourd’hui les cheminements de l’innovation urbaine, et
notamment d’être attentif à l’émergence de cheminements spécifiquement africains, concurremment à
des influences extérieures souvent prépondérantes jusque-là. Entrés dans une longue phase de
complexification, les villes africaines et leurs espaces sont aussi désormais inscrits dans une logique
de différenciation forte.

VIII-Brève présentation de quelques documents de planification urbaine

Le but de la planification urbaine est de coordonner le développement et la création des villes, dans le
respect du cadre de vie des habitants actuels ou futurs, ainsi que de l'équilibre nécessaire entre des
populations, des activités et des équipements (espaces publics, espaces verts, réseaux d'eau potable,
d'assainissement, éclairage public, électricité, gaz, réseaux de communication). La planification
urbaine traduit la volonté des hommes d'organiser leur espace en fonction d'un projet déterminé et
aussi de contingences diverses : climatiques, économiques, politiques, sociales, culturelles voire
religieuses. Il existe plusieurs documents de planification urbaine. On peut citer, entre autres, :

Les SDAU, schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme, sont élaborés dans le cadre d'un
syndicat d'études regroupant l'ensemble des communes concernées par le développement d'une
agglomération. Le SDAU comprend un schéma global à grande échelle (1/50 000° ou 1/20 000°) et en
couleur et un rapport de présentation qui déterminent :

 les grands secteurs d'aménagement (habitat, activités);


 les grandes infrastructures : autoroutes, voies ferrées, aéroports, ports...;
 apparaît aussi pour la première fois une protection de certains territoires agricoles ou naturels
(les parcs naturels, les boisements, les vignes...)

Les SDAU servent de cadre à l'élaboration des POS qui doivent être en conformité avec eux. La durée
d'un SDAU est évaluée entre 20 et 30 ans environ. Le document après une mise à la disposition du

59
public est arrêté par le Préfet. C'est un document d'orientation à long terme d'un territoire qui peut
correspondre à peu près à l'aire urbaine d'une ville-centre. Les SDAU doivent s'inscrire dans les
directives nationales d'aménagement du territoire.

Les POS, plans d'occupation des sols, ou les Plans Locaux d’Urbanisme se substituent aux plans
d'urbanisme de détails. Ces plans d'urbanisme obligatoires pour les communes font l'objet d'une
élaboration conjointe avec les services de l'État et les communes concernées. Ils doivent être en
conformité avec les SDAU. Le SDAC, Schéma Directeur d’Aménagement Communal, s’inscrit
également dans cette logique.

L’exemple de CDS ou SDU grand Lomé. Le projet d’élaboration de la Stratégie de Développement


Urbain du Grand Lomé (CDS Greater Lomé) est une initiative de la Mairie de Lomé et dont le maitre
d’ouvrage délégué est l’AGETUR-TOGO. À l’instar des villes de la sous-région ouest-africaine (cf.
rapport ONU-Habitat 2010/2011), la ville de Lomé a connu une croissance spatiale et démographique
qui a renforcé son statut de capitale macrocéphale du Togo. Résultant de la croissance naturelle de la
population, de la mobilité des ruraux (ou des villes secondaires) vers la ville et de l’absorption des
villages périphériques par la ville, cette dynamique urbaine ne s’est pas fait accompagnée d’une
politique de gestion urbaine efficiente et efficace. De plus, les programmes mis en œuvre par l’État et
les partenaires techniques et financiers manquent de cohérence et d’harmonie.

Intervenant dans ce contexte, le projet d’élaboration de la Stratégie de Développement Urbain du


Grand Lomé vise à doter, selon un dispositif de concertation/négociation, l’espace géographique
partagé par la Commune de Lomé (elle est composée de 5 arrondissements) et les cantons de Baguida,
Togblékopé, Agoè Nyivé, Lêgbassito, Sanguéra et Aflao Sagbado, espace désigné dans le projet par
Grand Lomé, d’une vision de développement à long terme (2010-2030) assortie d’un plan d’action
global et d’un programme prioritaire de réduction de la pauvreté urbaine.

Impliquant tous les acteurs urbains, le CDS (ou SDU) est un exercice de prospective territoriale à
l’échelle de l’Agglomération pour bâtir une vision commune visant un développement harmonieux du
territoire.

Au-delà de l’utopie ou de toute vision technocrate, le CDS/SDU est avant tout une démarche de
planification stratégique qui fixe l’orientation générale de développement spatial de la ville. Cadre de
planification et de programmation, la Stratégie de Développement Urbain du Grand Lomé se voudra
un outil contraignant pour l’administration dans tous les secteurs urbains en l’occurrence
l’environnement et l’économie urbaine.

60
Élaboré suivant une démarche participative, le CDS se caractérise par sa flexibilité. Instrument de
coordination et d’anticipation le CDS Greater Lomé s’adresse à tous les opérateurs (secteurs privés et
publics). Enfin, la transparence, la clarté, la pertinence et la crédibilité se devront être les
caractéristiques du CDS Grand Lomé, pour lequel nous demandons l’adhésion de tous et de toutes.

Le Grand Lomé, une métropole de demain, c’est une vision future réalisable de l’agglomération à
horizon 2030. En réalité, pour des planifications du genre, il ne s’agira pas de spéculer sur le futur,
mais de partir du passé et de la situation actuelle (à partir des enseignements du diagnostic territorial)
pour construire des scénarios des devenirs possibles, sélectionner le scénario le plus réaliste et mieux
adapté à l’agglomération et définir la vision et le sens des actions à mener pour un avenir souhaité.

À partir du diagnostic établi et des études thématiques, des scénarios élaborés, de la vision stratégique
(fondée notamment sur les piliers sur lesquels le développement de l’agglomération pourra s’asseoir),
des réflexions sectorielles existantes, des forces motrices du territoire et des scénarios possibles
élaborés, il sera retenu un scénario partagé par l’ensemble des acteurs.

C’est à partir de ce dernier que seront formulées des orientations stratégiques en matière de
développement de l’agglomération. Celles-ci donneront plus de visibilité aux politiques sectorielles en
leur offrant un cadre cohérent. Elles permettront de mieux cibler les efforts à déployer et fourniront à
la planification du développement les moyens de mieux identifier et localiser les programmes
d’investissement dans des espaces (lieux, zones...) susceptibles d’offrir le maximum d’effet. Enfin,
elles ouvriront un champ pour une réponse ciblée aux besoins des populations en termes d’accès aux
services sociaux de base et permettront d’identifier les éléments structurants dont la réalisation est
susceptible de façonner positivement l’image du territoire_ « L’avenir n’est pas seulement ce qui peut
arriver ou ce qui a le plus de chance de se produire. Il est aussi, dans une proportion qui ne cesse de
croitre, ce que nous aurons voulu qu’il soit » Gaston BERGER
« L’avenir ne se prévoit pas, il se construit »

Au Bénin, selon les dispositions de l’article 84 de la loi n°97-029 du 15 janvier 1999 portant
organisation des communes en République du Bénin, la commune élabore les documents de
planification nécessaires à savoir le schéma directeur d’aménagement de la commune, le plan de
développement économique et social, les plans d’urbanisme dans les zones agglomérées, les règles
relatives à l’usage et à l’affectation des sols., les plans de détails d’aménagement urbain et de
lotissement.

Exposés : Dans une approche participative, certains documents de planification, certains ouvrages et
certains sujets en Sociologie Urbaine seront exposés par les étudiants.

61
CONCLUSION GENERALE : L’option inchangée de l’approche globale dans l’étude du fait
urbain

Le fait urbain ne peut être étudié de façon isolée. Dans la ville ou en milieu urbain s’objectivent
plusieurs dynamiques qui méritent d’être appréhendées globalement. Les trois grands objets de
recherche (les dynamiques urbaines, l’identité des citadins et l’imaginaire urbain) trouvent leur
cohérence dans une vision commune de la ville appréhendée à partir d’une perspective globale. C’est
pourquoi, j’opte pour la démarche de Lazarsfeld et de Wagner pour qui la combinaison de techniques
qualitatives et quantitatives constitue une méthode durable. C’est ce qu’on peut appeler la méthode
progressive. En effet, la réalité sociale pour être bien compris doit être abordée globalement, dans
toutes ses dimensions, tant socio-économiques que culturelles et institutionnelles. Il est nécessaire de
conjuguer les méthodes d’investigations quantitatives et qualitatives. Aussi faut-il croiser l’enquête
par questionnaire avec les entretiens (directifs, semi-directifs, non-directifs, focus groups…).

C’est par les questionnaires qu’on peut obtenir une photographie à un moment T.O des
caractéristiques générales d’une population donnée et des points de vue des individus sur la ville, et,
ii/ par les entretiens que nous sommes en mesure de préciser les données quantitatives et d’affiner
ainsi le « dire » des questionnaires. C’est par ailleurs en mettant en perspective les manières de penser
et les manières de faire plus ou moins conscientes, que nous appréhendons les formes que revêt la
réalité quotidienne du monde urbain, d’où le recours à l’observation ethnographique. Parce que les
individus ne réfléchissent pas forcément toujours à ce qu’ils ce contredisent aussi, il est pertinent de
prendre en compte dans une étude sociologique à la fois le « dire », le « dire sur le dire », le « faire » et
le « dire sur le faire ».

Comme la montre le schéma ci-dessous, c’est dans le croisement de deux axes méthodologiques que la
réalité sociale se saisit le mieux. Cette méthodologie représentée par un repère orthogonal (croisement
de deux axes) permet d’étirer, de travailler et de tordre la réalité sociale pour mieux en appréhender les
plis (creux et saillances) de la vie urbaine. Ce dispositif méthodologique est progressive, dans le sens
où’ il accompagne les transformations d’un espace urbain, et quadrangulaire, dans la mesure où il se
structure autour de quatre pôles (quantitatif/qualitatif, discours/pratiques). Cette méthode est la
méthode progressive.

62
La méthode progressive

Pratique Observation
directe

Observation
participante

Quantitatif Réalité Qualitatif


sociale

Questionnaires Entretiens
biographiques

Entretiens
non directifs

Entretiens semi
directifs
Entretiens
directifs

Focus groups

Discours

63
Bibliographie

En dehors des ouvrages cités dans le texte, les étudiants sont invités à lire les ouvrages
suivants pour approfondir leurs connaissances.

1.) Aholou C., 2012, Cours de Sociologie Urbaine, UAC.


2.) Acacha H., 2005, Cours de Sociologie Urbaine, DESS/PDU, CEFORP.
3.) Clavel M., 2004, Sociologie de l’urbain, Paris, Anthropos.
4.) Fijalkow Y. ; 2002, Sociologie des villes, Paris, La découverte.
5.) Grafmeyer Y. ; Authier j,-Y. ; 2008, Sociologie urbaine, Paris, Armand Collin.
6.) Montcho R., 2011, Dynamiques multiculturelles de la gouvernance locale dans la
ville de Cotonou, thèse de doctorat unique, UAC.
7.) Montcho R., 2012, Dynamiques multiculturelles de la gouvernance locale : étude de
cas dans la ville de Cotonou, Berlin, Editions Universitaires Européennes.
8.) Montcho R., 2012, Cours d’introduction à la Sociologie urbaine, UP.
9.) Stébé J,-M., 2007, la Sociologie urbaine, Paris, PUF.

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Thèmes de recherche

La mobilité urbaine au Bénin

Notion de ville durable et perspectives pour l’Afrique et le Bénin

Plan d’hygiène et d’assainissement de la ville de Parakou : réalités de mise en œuvre et


nouveaux défis

La gestion des espaces verts au Bénin

Le lotissement au Bénin : Processus, Problèmes et défis majeurs

Notion de droit à la ville

Les logements sociaux

La notion d’écoquartiers et perspectives pour les villes africaines

La notion d’écologie urbaine : historique, réalités et perspectives

Les Comités de Développement de Quartier dans le fonctionnement de la ville de


Parakou

Le Schéma d’Aménagement urbain de Parakou

La notion de villes intelligentes

Les documents de stratégie et de planification urbaine

Dynamiques sociales autour des marchés urbains de Parakou

Dynamiques sociales autour du marché kilombo

Notion d’espace social selon les approches sociologiques

Agriculture urbaine

Dynamiques identitaires autour de l’alimentation dans la ville de Parakou

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Problèmes liés à la gestion du foncier à Parakou

Le Schéma Directeur d’Aménagement Urbain

La notion de Morphologie Sociale

Processus d’élaboration du lotissement au Bénin

Notion de villes intelligentes

Notion de gentrification

La ville selon l’école de Manchester

Approche marxiste de la ville

La ville selon l’école de Chicago

ODD 11 : villes durables

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