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INTRODUCTION GENERALE

1. Présentation du thème

La théologie a connu de nombreux développements avant et après le Concile Vatican


II. Parmi les fruits d’une réflexion renouvelée au sujet de la foi dans le monde moderne, on
trouve la théologie politique de Jean-Baptiste Metz (1928 - 2019). Disciple de Karl Rahner,
ce théologien allemand a été ordonné prêtre en 1954 et il a étudié aux universités d’Innsbrück
et de Munich. Docteur en philosophie et en théologie fondamentale qu’il enseignait à
l’université de Bielefeld1.

Dans sa théologie politique, Metz part de la thèse selon laquelle « l’idée chrétienne de
Dieu est en elle-même une idée pratique »2. Autrement dit, parler de Dieu, le confesser, le
louer, cela engage un processus historique réel. Pour Metz, la théologie elle-même - comme
discours sur Dieu - doit déterminée l’être-sujet de l’homme devant Dieu 3, par un engagement
dans l’histoire et dans la société. Si l’on ne parvient plus à identifier ce qu’opère la foi dans
une existence et à quoi cela engage de croire, c’est l’idée même de Dieu qui se trouve vidée
de son sens4. La foi doit donc se vérifier à l’épreuve d’une raison et se communiquer,
également, par l’intermédiaire d’une raison qui de son côté, comme liberté d’un sujet, se veut
toujours aussi pratique comme liberté de l’autre et donc comme justice et, ainsi, se réaliser
pleinement elle-même5. D’où, sa définition du programme d’une « théologie politique » qui
prend acte que l’Église en tant qu’institution sociale, a nécessairement une influence efficace
sur la vie collective et qu’il lui incombe donc d’en répondre. Cette « théologie politique »
entreprend donc résolument de s’interroger sur les interventions que l’Église doit effectuer de
manière réfléchie « en fonction de son outillage propre » (les forces sociales qu’elle se trouve
capable de mobiliser, la tradition de la foi, l’écoute priante de la Parole, les sacrements etc.)
en vue d’ouvrir la société vers plus de justice et de paix 6. Il s’agit pour lui de « déterminer un

1
Johann Baptist METZ, « En face des Juifs. La théologie chrétienne après Auschwitz », dans Concilium, n° 195,
(1984), 45.
2
Johann Baptist METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, Essai de la théologie fondamentale pratique,
Traduction par Paul CORSET et Jean-Louis SCHLEGEL, Paris, CERF, 1999, 70.
3
J.-B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 86.
4
Jean-Louis SOULETIE, La crise, une chance pour la foi, Paris, L’Atelier, 2002, 99.
5
J.-B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 18.
6
Jean-Louis SOULETIE, « La théologie politique : enjeux pour l'Église en France », (2004) dans La croix,
https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Theologie/La-theologie-politique-enjeux-pour-l-Eglise-en-France
https:\croire.la-croix.com › (19/02/21)

1
nouveau genre de rapport entre la religion et la société, entre l’Église et la réalité politique,
entre la foi eschatologique et la pratique sociale »7. Ce qui fait de l’Église d’une part, « une
institution de critique sociopolitique des systèmes injustes » ; d’autre part, une institution
libre pour « une possibilité de coopération […] avec des institutions ou des groupements non
chrétiens »8.
Cet engagement de l’Église à une participation à la vie de la société, revient à
plusieurs reprises dans les écrits de Djéréké. En effet, il évoque dans ses écrits la question de
l’engagement « politique » du clergé catholique en Afrique et d’une manière particulière en
Côte d’Ivoire. Il s’interroge notamment sur les retombées de l’accession des pays africains à
l’indépendance et sur les défis auxquels le clergé catholique devrait faire face 9. Cette
interrogation l’a conduit à jeter un regard critique sur l’actualité ivoirienne. Dans une trilogie,
l’auteur analyse les événements politiques en Côte d’Ivoire de 1980 à 2005 en mettant en
évidence les discours du clergé catholique face à la réalité sociopolitique. A cet effet, Djéréké
reconnaît une prise de position du clergé catholique qui se veut plus incisive et plus directe 10.
Il n’omet pas pour autant son penchant pour le matériel et son attitude ambiguë face à
certaines situations.
Dans ses écrits, Djéréké critique l’engagement des prêtres et des évêques de l’Église
face des personnes qui voient dans la politique, un moyen d’enrichissement rapide, alors que
le peuple qu’ils aspirent à servir, croupit dans la misère. Pour lui, ces derniers - les prêtres et
les évêques - ne doivent pas se taire ou rester passifs ou indifférents lorsque l’homme est
écrasé, exploité, bafoué dans sa dignité, opprimé, torturé ou persécuté 11 dans par ceux qui ont
la responsabilité de la gestion de la cité. A cet effet, il appelle l’Église catholique à répondre,
à affronter et à assumer courageusement les questions journalières de paupérisation, de la
dégradation inquiétante des conditions de vie de la masse, d’une part ; d’autre part, à faire
face à la montée d’une élite qui a pris parti de se servir au lieu de servir le pays et de se
structurer en clans d’intérêts politiques, économiques privés, herméneutiquement fermés aux
autres citoyens comme un devoir et une obligation. De fait, les hommes d’Église - évêques et
prêtres - ne doivent pas se tenir loin de la politique, lorsque leurs ouailles sont victimes
d’arrestations arbitraires et si leurs droits fondamentaux sont piétinés 12. Ils sont donc
7
Johann Baptist METZ, « Théologie politique et liberté critico-sociale », dans Concilium 36 (juin 1968), 13.
8
J.-B. METZ, « Théologie politique et liberté critico-sociale », 24.
9
Jean-Claude DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé africain en Afrique noire, Paris, Karthala, 2001, 27-
28.
10
Jean Claude DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’ivoire (2000- 2005), III, Paris,
L’Harmattan, 2009, 165.
11
Jean-Claude DJÉRÉKÉ, Réflexion sur l’Église catholique en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2014, 25-26.
12
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 16-17.

2
convoqués à la « politique » qui consiste « à dénoncer les maux de la société, à interpeller
vigoureusement ceux qui ont en charge la gestion de la res publica »13. Ils ont donc une
obligation de promouvoir la dignité humaine et de défendre les droits de l’homme envers et
contre tout14. Ce qui fait de l’Église la conscience des sociétés humaines pour condamner le
mal, dénoncer les projets pervers et les structures injustes 15. Même si ses écrits s’appuient plus
sur la Côte d’Ivoire, il s’adresse aussi aux Africains, pour une prise au sérieux des situations
sociopolitiques, économiques et la situation de l’homme en Afrique.

Dans les propos de Djéréké, apparaît sa volonté de voir l’Église fait face aux
différentes crises sociopolitiques et économiques que vit son pays la Côte d’Ivoire en
particulier ; et en général le continent Africain. Pour lui, l’Église se doit de mener des
actions qui témoignent de sa volonté de faire advenir des institutions justes. En outre, il est
préoccupé par la relation que l’Église entretient avec la politique en Côte d’Ivoire. Ainsi,
ses écrits et ses positions âpres vis-à-vis de la politique menée en Côte d’Ivoire et sa
volonté de voir l’Église engagée et active dans l’arène politique, nous ont conduit à
formuler le thème suivant : « Etude descriptive et critique de la théologie politique de Jean-
Claude Djéréké ». Il s’agit de montrer, après de description, en quoi la théologie politique
de Djéréké est pertinente par rapport à son champ d’action. Par la suite, de donner des
perspectives pour approfondir et enrichir sa théologie politique.

2. La problématique

Au regard de ses écrits, on se demande s’il est possible d’y percevoir une théologie
politique ? Peut-t-on parler de théologie politique avec Djéréké ? Ces interrogations nous
amènent à l’évidence que si dans ses écrits, Djéréké fait allusion à la théologie politique, il
va de soi de donner sa conception de la théologie politique. D’où la question de savoir
comment est-ce que Jean-Claude Djéréké conçoit la théologie politique ? Sur quoi,
s’appuie-t-il pour construire la théologie politique ? Ces interrogations vont nous conduire
aux sources, aux fondements et aux influences qui ont conduit Djéréké à la théologie
politique. Une autre série de questions est de savoir comment cette théologie politique est
mise en pratique ? Comment Djéréké invite l’Église à un engagement social et politique
dans sa théologie politique ? Avec quels moyens, de quelle manière et sur quelles bases
l’Église doit-t-elle s’inviter en politique ?
Les réponses à toutes ces questions vont nous donner une compréhension de sa

13
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 24.
14
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 20.
15
Jean Marc ELA, Repenser la théologie Africaine, Paris, Karthala, 2003, 236

3
théologie politique. Mais pour la pertinence, un dialogue s’impose entre Djéréké et d’autres
théologiens dans ce domaine. En effet, poser des questions et les répondre en même temps
à partir de Djéréké uniquement ne nous amène pas à l’évidence d’une théologie politique
pertinente. D’où la nécessité d’un dialogue. Pour la circonstance, nous avons opté pour un
théologien occidental en la personne Johann Baptist Metz (1928-2019) et un théologien
africain, Jean-Marc Ela (1936-2008). Metz est reconnu comme le père de la théologie
politique en Europe16. Quand à Jean-Marc Ela, prêtre Camerounais du diocese d'Ébolowa,
il est reconnu par ses pairs comme le théologien africain de la libération par excellence 17.
Notre préoccupation dans ce dialogue est de percevoir comment leur théologie politique
s’articule par rapport à celle de Djéréké ? Il y a-t-il compactibilité ou dépassement ? A quel
niveau pouvons-nous les percevoir ? Quelles sont les pertinences de la théologie politique,
Djéréké à partir du dialogue entre ces deux théologiens ?

A la suite de ces questions, il va de soi que les réponses nous orientent et nous
aident à nous faire notre propre opinion non seulement sur la théologie politique en
général, mais particulièrement sur celle de Djéréké. Au regard de ces appréhensions, notre
préoccupation sera de savoir quelles réserves pouvons-nous émettre à l’endroit de la
théologie politique de Djéréké ? Comment faire pour la rendre plus pertinente, capable de
répondre aux enjeux et aux défis de la théologie politique à partir de la réalité d’où elle est
pensée ? Il s’agit ici de dégager tout ce qui entrave la pertinence de la théologie politique
de Djéréké. En plus, dans une perspective de réécriture, de considérer des éléments
nouveaux compétents, pour permettre à celle-ci de répondre aux enjeux et défis de la
théologie politique. Ainsi formulé, cet ensemble de questions constitue notre
problématique. La recherche des réponses permettra de donner corps à notre travail.

3. Les méthodes de recherche

Pour Gratwitz, la méthode de recherche est l’ensemble d’opérations intellectuelles par


lesquelles une discipline cherche à atteindre les vérités qu’elle poursuit, les démontre et les
vérifie18. Partant de cette assertion, nous voulons, utiliser trois méthodes pour notre travail.
Etant donné que notre travail porte sur un thème précis, la première méthode est thématique.
Cette dernière suppose une perspective statique à partir d’une thématique développée par
l’auteur, dans ses ouvrages et articles. Ce qui nous amène à considérer ses ouvrages et
16
Johann Baptist METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 70.
17
Bénézet BUJO — Juvénal ILUNGA MUYA, Théologie africaine au XXIe siècle, quelques figures, Fribourg,
Academic Press Fribourg, 2005, 180.
18
GUMUCHIAN Hervé — MAROIS Claude, Initiation à la recherche en géographie, Montréal, Les Presses de
l’Université de Montréal, 2000, 77.

4
articles, conçus comme un système fermé, supposé immobile, qu’on peut étudier en elle-
même, afin de dégager la thématique commune. Ce qui exige de notre part, une exploitation
de tous les ouvrages et articles publiés sur le thème en question, fait le point de la question,
examiner les différentes positions puis dégager, dans ses œuvres, des conclusions dignes
d’intérêt, avec les perspectives nouvelles19.

La deuxième méthode est comparative. Elle est une démarche cognitive par laquelle
on s’efforce à comprendre un phénomène par la confrontation des situations différentes. La
méthode comparative, « cherche et analyse les ressemblances et différences entre deux
œuvres, deux auteurs, un même terme dans deux œuvres »20. Il s’agit donc pour nous de
rechercher les divergences et les ressemblances qui existent entre d’une part, Djéréké et
Metz, et d’autre part, entre Djéréké et Ela, dans l’utilisation du thème qui fait l’objet de notre
étude. Cette méthode est dynamique en ce sens où elle fait intervenir différentes perceptions
d’un même thème et offre une approche nouvelle des termes, des concepts et de leurs
relations.

Enfin, la méthode critique. Il s’agit maintenant de nuancer, de contredire le contenu du


texte, ou de le compléter. En d’autres termes, il s’agit de montrer que la position de l’auteur
n’est pas acceptée unanimement, qu’il existe d’autres points de vue.

3. La Documentation

Nous voulons ici nommer quelques documents qui nous servirons dans notre travail de
recherche. Pour la documentation de notre travail, nous voulons la diviser en deux catégories.
Etant donné notre travail porte sur la théologie politique de Jean-Claude Djéréké, la première
catégorie de notre documentation regroupe essentiellement des œuvres de notre auteur. Il
s’agit d’une sélection des œuvres de Djéréké qui nous aiderons à faire notre travail de
recherche à savoir :

- Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, 3 Tomes, Paris,


L’Harmattan, 200921.
- Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire. L’exemple de Mgr
Bernard Yago (Côte d’ivoire), Paris, L’Harmattan, 2009.
19
Pierre N’DA, Méthodologie et guide pratique du mémoire de recherche et de la thèse de doctorat, Paris,
L’Harmattan, 2007, 54-55.
20
P. N’DA, Méthodologie et guide pratique du mémoire de recherche et de la thèse de doctorat, 55.
21
Ce titre est présenté en trois tomes: tome I (1980-1989), tome II (1990-1999) et tome III (2000-2005).
Cependant, pour notre travail nous allons le considerer comme une seule oeuvre puisque c’est ce titre qui a fait
l’objet de sa these.

5
- L’Engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, Paris, Karthala,
2001.
Bien que constituant la liste des principales œuvres que nous allons exploiter, celle-ci
n’est pas exhaustive. En effet, nous ajouterons d’autres œuvres et articles de notre auteur
selon que le besoin se fera sentir.

La seconde catégorie regroupe l’ensemble des œuvres qui nous permettrons de faire la
confrontation avec la pensée de Djéréké. Il s’agit de celles Metz et de Ela. A tous ces
documents, nous voulons ajouter ceux qui sont propres à l’Église, ceux des théologiens dans
le même domaine et autres documents qui pourront nous aider à aborder notre travail.

4. Plan du mémoire

Ce travail de mémoire sera composé de quatre chapitres. Le premier chapitre sera


essentiellement porté sur notre auteur et ses œuvres qui seront utilisées pour la rédaction de
notre mémoire. A cet effet, nous allons d’abord faire sa biographie. Ensuite, présenter ses
ouvrages notamment ceux qui nous seront utiles pour notre travail. A ce niveau une
présentation succincte des ouvrages concernés s’impose. Pour finir nous allons présenter sa
méthodologie et les différentes sources qui ont servi à la rédaction de ses ouvrages.

Le deuxième chapitre est le point central de notre travail. Il s’agit de présenter la


pensée de notre auteur avec une fidélité inouïe, dans un développement des concepts et des
mots clés, propre à notre auteur. En d’autres termes, nous présenterons les éléments clés de sa
théologie politique à savoir sa christologie, le sens qu’il donne à la politique et sa conception
de la théologie politique à proprement parlé.

Le troisième chapitre va consister à juger notre auteur par rapport à la pensée d’autres
auteurs de la théologie politique qui sont Metz et Ela. A cet effet, nous allons présenter la
théologie politique de ces derniers ; par la suite, nous allons établir un dialogue pour comparer
la théologie politique de Djéréké à celle Metz et de Ela.

Dans le dernier chapitre, il sera question de notre regard par rapport à la pertinence et
les limites de la théologie politique de Djéréké. Ce regard personnel portera sur sa
christologie, sa conception de la théologie politique, le dynamisme. Pour finir, partant de tous
les acquis nous envisagerons une perspective d’une « nouvelle théologie politique » de
Djéréké.

6
Chapitre I : JEAN-CLAUDE DJÉRÉKÉ, SES ŒUVRES, SA METHODOLOGIE ET

SES SOURCES

Introduction partielle

Cette partie de notre travail vise à fournir une certaine connaissance de l’auteur Jean-
Claude Djéréké. Cette connaissance est basée sur sa biographie et sa bibliographie d’une part,
et d’autre part, sur des éléments divers qui nous permettront de comprendre sa pensée. Pour ce
qui est de sa bibliographie, nous allons faire un parcours des œuvres qui vont nous aider dans
notre travail, en mettant en exergue les idées principales. Concernant la compréhension de sa
pensée, nous allons présenter dans les lignes de notre travail, la méthodologie employée par
notre auteur ainsi que les différents penseurs, courants et ouvrages qui ont influencé sa
pensée.

1. Biographie

Dans l’optique d’une connaissance de notre auteur, nous avons eu recours à un


échange avec le concerné lui-même, dans une correspondance écrite via WhatsApp, le 14
février 2021. A ces informations, nous avons ajoutés celles venant des différents ouvrages qui
ont servi pour notre travail. Ainsi, dans la présentation de la biographie de Jean-Claude
Djéréké, nous allons d’abord, présenter sa famille biologique; ensuite, son cursus scolaire et
universitaire ; puis, les différentes responsabilités et fonctions qu’il a occupées ; enfin, rester
un peu plus sur sa lettre de démission.

Jean-Claude Djéréké, de nationalité ivoirienne, est né le 8 novembre 1962 à Tékpalilié,


une localité située à 8 km de Divo dans la région du Sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Fils de
Tékpa Djéréké Michel et de Soko Dilio Marie, il est l’aîné de 3 garçons et de 3 filles. Il a vécu
son enfance à Tékpalilié, son village paternel, et à Dogossolilié, son village maternel. Son
père Tékpa Djéréké Michel, a travaillé à la sous-préfecture de Divo avant d’exercer le métier
d’agriculteur à Tékpalilié son village. Il est décédé en 2007. Quant à sa mère, elle a toujours
été ménagère, c’est-à-dire, qu’elle s’est occupée d’élever et d’éduquer ses enfants ainsi que
ceux laissés par deux frères de son père trop tôt disparus.

Enfant, Jean-Claude Djéréké était un modèle à imiter. Dans l’entretien qu’il nous a
accordé, il affirme à ce propos : « j’avais un cousin avec qui je passais le plus clair de mon
temps. Chaque fois que nous allions chez lui et qu’il se bagarrait soit avec sa mère (ma tante)
7
soit avec sa grande-sœur, ces dernières l’invitaient à prendre exemple sur moi qu’elles
trouvaient calme et posé »22. Ceux qui ont vécu avec lui disent de lui qu’il est « un pince-sans-
rire », « un boute en train » et réservé. En fait, c’est parce que très tôt, il aime écouter
beaucoup et parler peu. Sinon, il s’exprime beaucoup, mais il préfère le faire par écrit. Cela
explique toutes ses publications en si peu de temps. De fait, pour connaître ses pensées ou
opinions, il faut se référer à ses articles et livres.

Jean-Claude Djéréké a commencé ses études primaires (1970-1975) à l’école


catholique de Tékpalilié où il a fait les deux premières classes primaires (Cp1 et Cp2).
Ensuite, il a fait la classe de CE1 à Dogossolilié, son village maternel; et a terminé ses études
primaires à la mission catholique de Divo (CE2-CM2). Son excellent parcours scolaire
primaire lui a permis d’être admis au petit séminaire Saint Dominique Savio de Gagnoa où il
a étudié de septembre 1975 à juin 1979. Après le petit séminaire, il a continué ses études au
moyen séminaire Saint Joseph Mukasa de Yopougon-Kouté (Abidjan - Côte d’’Ivoire) où il
fera son second cycle de septembre 1979 à juin 1982.

Après toutes ces expériences et formations dans les maisons de préparation à la vie
sacerdotale, le jeune Djéréké décide de servir le Seigneur et le monde dans la vie religieuse. Il
entre dans la Compagnie de Jésus (les Jésuites) et fait son noviciat de 1982-1984 à Nkoabang,
près de Yaoundé. Il commence ses études universitaires à l’Université d’’Abidjan entre 1984
et 1987 sanctionnées par une licence en lettres modernes 23, puis il fait son premier cycle de
philosophie à Kimwenza (1987-1989) dans l’actuelle RDC. A l’issue de ce cycle, il est
envoyé au Collège Charles Lwanga à Sahr dans le sud du Tchad, où il enseigne l’anglais et le
français de 1989 à 1991. Après ces deux années, il fera une année supplémentaire à INADES-
Formation de Ouagadougou d’octobre 1991 à juillet 1992. Il fait ensuite son premier cycle de
Théologie à Hekima Collège, Nairobi (Kenya) 24 de septembre 1992 à juin 1995. Il effectue
son stage pastoral à la paroisse Notre Dame de l’Annonciation de Bonamoussadi-Douala
(Cameroun) avec le P. Gilbert Lescene, sj, d’août 1995 à juillet 1996, temps durant lequel, il
est ordonné diacre le 13 juin 1996 à la cathédrale SS. Pierre et Paul de Douala par le nonce
Mgr Santos Abril y Castelló. Il va poursuivre ses études de Maîtrise en Théologie morale-
option Foi et politique à l’Université pontificale grégorienne de Rome 25 (Italie), de septembre

22
Jean-Claude DJEREKE - Abekan Saint Calliste KASSI, « entretien », WhatsApp, 14 février 2021.
23
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 23.
24
FURET DU NORD, « biographie de Jean-Claude Djéréké », s.d. dans https://www.furet.com/livres/fallait-il-
prendre-les-armes-en-cote-d-ivoire-jean-claude-DJÉRÉKÉ-9782747550635.html (14/02/2021)
25
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, quatrième de couverture.

8
1996 à juin 1998. Son mémoire de fin de cycle portera sur le thème : Prêtres, évêques et
politique en Afrique noire. Jusqu’où peuvent-ils aller? Entre temps, il est ordonné prêtre, par
Mgr Bernard Agré à la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan (Côte d’Ivoire) le 17 août 1997. 26
Après sa maîtrise en théologie, il est nommé directeur des études au Collège Libermann de
Douala et exercera sa charge de 1998 à 2000.27

Il quitte la Compagnie de Jésus en juin 2001 pour incardiner le diocèse de Gagnoa


(Côte d’Ivoire). Avec la permission du nouvel archevêque de Gagnoa, Mgr Jean-Pierre
Kutwã, il ira préparer sa thèse de doctorat à Paris. Il s’inscrit en sciences politiques, ce qui lui
permet d’étudier les sciences politiques à l’Institut Catholique de Paris, la philosophie
politique au Centre Sèvres avant de s’inscrire à l’Ecole-Pratique des Hautes Etudes-Sorbonne
IV pour sa thèse de doctorat unique en histoire contemporaine et en sociologie des Religions.
Sa thèse, Les évènements politiques dans les lettres pastorales des évêques de Cote d’Ivoire
(1960-2005), est dirigée par les professeurs Claude Langlois (EPHE-Sorbonne, Paris-France)
et Simon-Pierre Ekanza (Université d’Abidjan, Côte d’Ivoire), et est soutenue le 25 juin 2008
avec la mention « très honorable ».

En 2015 Jean-Claude Djéréké abandonne définitivement la vie sacerdotale. Il est


professeur de Religion et Politique à Temple University aux USA et chercheur associé au
Cerclecad, à Ottawa (Canada)28 ; il enseigne les littératures et cultures africaines, Religion et
Politique.

Dans une lettre adressée à Mgr Boniface ZIRI (évêque d’Abengourou) ancien
compagnon Jésuite et au Père Julien N’guessan SESS, Jésuite, qu’il appelle « amis », rendue
publique en mars 2015, Jean-Claude Djéréké annonce sa démission de la vie sacerdotale.
Cette décision prise depuis Philadelphie aux Etat Unis d’Amérique, est pour lui un départ sans
amertume et sans regrets. Cependant, cette décision douloureuse et grave résulte du fruit
d’une longue méditation et profonde réflexion29.

Les raisons qu’il évoque sont d’abord le silence de l’Église catholique sur des crimes
contre l’humanité commis en Côte d’Ivoire de 2002 à 2011 et commendités par France de
bout à bout d’après lui. Ainsi, la rébellion du 19 septembre 2002, l’embargo sur les

26
Jean-Claude DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission » (2015), dans abidjan.net
https://news.abidjan.net/h/390067.html. (02/02/2021).
27
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, quatrième de couverture.
28
J.-C. DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission ».
29
J.-C. DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission ».

9
medicaments, la fermeture des banques étrangères et le bombardement des symboles de
souveraineté de la Côte d’Ivoire en avril 2011, ont conduit à des crimes contre l’humanité, qui
sont passés sous silence par la hiérarchie catholique (le Vatican et la conférence épiscopale de
Côte d’Ivoire)30.

Ensuite, il y a sa volonté de se soumettre à Dieu seul. Djéréké refuse de faire partie


d’un corps de soumission aveugle aux autorités ecclésiastiques, même lorsque celles-ci sont
dans l’erreur31. La seule soumission qu’il veut, est désormais de se soumettre à Dieu et à Dieu
seul. Ainsi, pour ne pas faire la courbette et renoncer à sa dignité et à sa liberté, il quitte la
prêtrise pour le laïcat.32 Enfin, son choix de ne plus vivre dans le système. Pour lui, l’Église
aujourd’hui est comme un système « prêt à frustrer, à marginaliser, à persécuter et à tuer à
petit feu »33 quiconque désire marcher dans les traces de Jean-Baptiste. Or, il a choisi de vivre
comme Jean-Baptiste, c’est-à-dire dénoncer les injustices sociales. De fait, il est obligé de
quitter l’Église, afin de donner le meilleur de lui-même comme laïc dans ses écrits sur les
questions liées à la foi et à la justice sociale. Toutefois, il invite ceux qui sont restés dans le
système, à se battre pour faire « bouger les lignes » afin que clercs et laïcs ensemble, amènent
l’Église à devenir « un lieu d’humanité, de vérité, de liberté, de justice et de paix afin que tout
homme puisse y trouver des raisons d’espérer encore »34.

2. Bibliographie sélective

Djéréké est auteur de plusieurs ouvrages et articles. Mais dans le cadre de notre travail,
nous allons présenter les ouvrages qui nous sont utiles. Il s’agit ici d’une sélection et d’une
présentation succincte du contenu des ouvrages qui vont guider notre recherche à savoir :

Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire. L’exemple de Mgr


Bernard Yago (Côte d’ivoire), Paris, Ed. L’Harmattan, 2009.

Les évêques et les événements politiques en Côte d’ivoire (1980-1989) Tome I, Paris,
L’Harmattan, 2009.

Les évêques et les événements politiques en Côte d’ivoire (1990-1999) Tome II, Paris,
L’Harmattan, 2009.

Les évêques et les événements politiques en Côte d’ivoire (2000 - 2005) Tome III,
Paris, L’Harmattan, 2009.

30
J.-C. DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission ».
31
J.-C. DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission ».
32
J.-C. DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission ».
33
J.-C. DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission ».
34
J.-C. DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission ».

10
L’Engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, Paris, Karthala, 2001.
Toutefois, nous n’excluons pas, dans la rédaction de notre travail, le recours à certains
ouvrages ou articles que nous n’allons pas présenter dans la bibliographie.

2.1. L’Engagement politique du clergé catholique en Afrique noire


De façon chronologique, cet ouvrage est la première œuvre écrite de Djéréké. Parue
en 2001 aux éditions Karthala, cette œuvre est une reprise améliorée de son mémoire de
maîtrise en théologie morale soutenu en 1998, sous la direction du père jésuite Philipp
Schmitz. Dans l’Engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, Djéréké évoque
les raisons qui ont rendu inexistant l’engagement politique de l’Église, des années allant de
1960 à 1990. Même si le prêtre et l’évêque ne devraient pas faire la «politique» en tant
qu’activité destinée à l’administration ou à la transformation de la société à travers la
conquête et l’exercice du pouvoir étatique35, rien ne les empêche cependant de faire la
«Politique » comme recherche du bien commun et implique négativement une dénonciation
de la corruption et, positivement une promotion de la justice et des droits de l’homme 36. A cet
effet, il présente Jésus comme modèle, qui tout en refusant de devenir un messie temporel,
critiquait les bases religieuses du système sociopolitique, qui permettaient aux pharisiens,
prêtres, anciens et scribes de dominer et d’exploiter les pauvres 37. Partant de ce modèle, il
exhorte les prêtres et les évêques à s’engager dans la «Politique » directement, c’est-à-dire, à
être « une voix au service de la vérité, de la justice et de la liberté» 38. Dans cette optique,
parce que Jésus, modèle du prêtre et du pasteur, n’agit pas autrement 39, le prêtre ou l’évêque
peut être amené à assumer temporairement, une responsabilité politique avec la permission de
son évêque - s’il s’agit d’un prêtre - ou de la conférence épiscopale - pour un évêque 40.
Indirectement, ils sont appelés à soutenir les causes justes à travers la formation des laïcs « à
ne pas se résigner sur tout ce qui blesse, détruit, et avilit l’homme; lorsqu’il les aide à prendre
en main leur destin »41. Enfin de compte, Djéréké invite les prêtres et les évêques à « être le
garant de la vie et l’espérance du peuple »42 au prix du prophétisme.

35
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 78.
36
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 78.
37
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 116, 119.
38
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 173.
39
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 207.
40
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 199-200.
41
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 208.
42
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 267.

11
2.2. Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire. L’exemple
de Mgr Bernard Yago (Côte d’ivoire)43

La deuxième œuvre fait partie d’une série de livres tirés de la thèse unique de Djéréké.
L’Afrique post-indépendance est marquée par le règne des pères fondateurs avec le parti
unique. C’est aussi la période où l’administration coloniale est peu à peu remplacée par les
cadres du pays. L’Église n’échappe pas à cette nationalisation. Ainsi, le 1 er mai 1947, Bernard
Yago devient le second prêtre ivoirien après l’Abbé René Kouassi 44, et par la suite premier
évêque de la Côte d’Ivoire ordonné le 8 mai 1960 à Rome par Jean XXIII; enfin, il est créé
premier cardinal ivoirien, le 2 février 1983 par le pape Jean-Paul II45.

Dans la période allant de 1960 à 1990, l’Afrique est marquée par des régimes
autocratiques issus des indépendances ou des coups d’États. C’est le cas de la Côte d’Ivoire
avec Félix Houphouët Boigny, de la Guinée avec Sékou Toure et du Zaïre avec Mobutu. Ces
derniers ne consentent aucun partage du pouvoir, d’opposition ou de protestation. C’est dans
cette atmosphère que les évêques de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et du Zaïre, respectivement
Mgrs Yago Bernard, Tchidimbo Raymond-Marie et Malula Joseph, sont appelés à se
prononcer sur les évènements politiques du pays, dans la recherché de la vérité, et réclamer la
justice pour les citoyens.

Pour Djéréké, le cardinal Bernard Yago a eu beaucoup de «retenue», par rapport à ses
pairs de la même époque, avant de se prononcer librement vis-à-vis du pouvoir politique. En
effet, certains évènements comme l’arrestation des étudiants en mai 1969 et la répression du
Sanwi de la même année, sont passés sous silence dans les lettres et les actions du premier
cardinal ivoirien46. Il en est de même pour le massacre des Guébié en octobre 1970. Ce drame
n’a suscité aucune prise de position de la part des responsables de l’Église catholique 47. Le
silence dans la lettre du 1er Janvier 1971 de Mgr Yago est plus que troublant 48. Cependant,
Djéréké indique un épisode où Bernard Yago, n’a pas hésité à prendre position, vis-à-vis du
pouvoir politique sur sa gestion de la cité. Ainsi, en 1963, au nom de la justice il prend le
risque de réclamer la libération des prisonniers politiques et d’intervenir en faveur de leurs
épouses et de leurs interdits de tout travail rétribué 49. A cela s’ajoute le fait qu’il soit le seul à
43
Bien que faisant partie de sa thèse, nous allons considerer cette oeuvre comme individuelle.
44
Jean-Claude DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire. L’exemple de Mgr
Bernard Yago (Côte d’ivoire), Paris, L’Harmattan, 2009, 36-37.
45
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 38.
46
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 124.
47
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 133.
48
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 133.
49
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 104.

12
s’incliner devant la dépouille de Boka50, un opposant d’Houphouët Boigny mort dans sa
cellule en 1963, et à prendre la décision de célébrer les obsèques selon les rites requis,
réfutant ainsi la thèse d’un suicide annoncé par le pouvoir51. Ainsi, pour Djéréké, « malgré son
silence sur le parti unique et sur certains évènements politique (…) il faut reconnaître que le
premier cardinal ivoirien eut une réelle liberté de ton vis-à-vis du pouvoir politique » 52.

2.3. Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (Tome I)

Cet ouvrage est en trois tomes, qui proviennent aussi de la thèse de Djéréké. Dans ce
premier tome qui recouvre les années allant de 1980 à 1989, Djéréké passe en revue, les
premières élections législatives (1980 et 1985) en Côte d’Ivoire, la fulgurante montée
économique du pays avec la découverte du pétrole et la première crise économique. A cet
effet, Djéréké fait remarquer que ces évènements ont fragilisé l’union du pays et même au
sein du parti unique le PDCI-RDA, ce qui n’est pas passé inaperçu par les évêques. En effet, il
a retrouvé dans leur intervention, la volonté de s’attaquer aux causes des divisions que sont le
mensonge, la corruption, et l’injustice de toutes sortes53. C’est aussi dans cette période que
l’Église s’agrandit avec la création de nouveaux diocèses54 et les évêques parlent pour la
première fois en tant que conférence épiscopale de la Côte d’Ivoire mais dans une timidité et
une prudence comme s’ils redoutaient de déplaire au pouvoir politique55.

2.4. Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (Tome II)

Le tome II recouvre les années 1990 à 1999. Pendant cette période, la situation sociale,
économique et politique est encore plus tendue. Au plan économique, le pays plonge dans une
crise qui conduit, au plan social, à des grèves à répétition initiées tantôt par les enseignants du
secondaire et supérieur56, tantôt par des jeunes officiers, tantôt par les étudiants pour réclamer
des meilleures conditions d’étude57. Mais le père fondateur du pays est plus préoccupé par
l’achèvement de sa Basilique et sa consécration par le pape Jean-Paul II. Ce dernier point
divise l’épiscopat ivoirien58. Si pour les uns, ce joyau architectural est bien accueilli, pour les
autres la somme faramineuse de 80 milliards de F. CFA (avant la dévaluation) injectée dans

50
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 81.
51
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 104-105.
52
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 229.
53
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome I, 41.
54
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome I, 120.
55
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome I, 134.
56
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome II, 10.
57
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome II, 11.
58
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome II, 38.

13
cette construction, aurait pu servir à améliorer les conditions de vie des Ivoiriens et à sortir le
pays de la crise économique qui a conduit à des crises sociales. 59 Au plan politique, après
l’approbation du multipartisme en avril 1990, la Côte d’Ivoire organise ses premières
élections présidentielles en octobre de cette même année. Le père fondateur qui sera élu à sa
propre succession, n’aura pas le temps d’achever son mandat. En décembre 1993, il décède
laissant une guerre de succession entre Alassane Ouattara son premier ministre et Henri
Konan Bédié, président de l’assemblée nationale d’alors.

Pour Djéréké, pendant cette période, les évêques « se sont prononcés sans langue de
bois sur tous ces évènements politiques, donnant ainsi l’impression d’être passés d’une parole
timide et trop prudente à une parole claire, directe et forte»60.

2.5. Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (Tome III)

Dans ce dernier tome, Djéréké relate les évènements politiques de 2000 à 2005. Cette
période est marquée par la transition militaire, suite au coup d’État militaire du général Guéï
le 24 décembre 1999, qui fut accueilli avec joie par une bonne partie de la population
ivoirienne61. Pendant la transition militaire, Guéï s’évertue à travailler et à faire appel à toutes
les couches sociales pour réfléchir, en toute liberté, au devenir de la situation 62. Après le refus
de sa défaite aux élections présidentielles du 22 octobre 2000, dont il était candidat, Guéï
Robert est finalement chassé du pouvoir par la rue. Les heurts qui suivent, replongent la Côte
d’Ivoire dans des affrontements sanglants et violents. Pour refaire le tissu social, l’une des
premières actions sociales du nouveau président, Laurent Gbagbo, est de réconcilier la nation
en organisant le Forum de réconciliation nationale du 9 octobre au 18 décembre 2001. Mais
pour les évêques de Côte d’Ivoire, le Forum de réconciliation nationale « n’a pas atteint son
objectif, à savoir réconcilier des Ivoiriens entre eux, les Ivoiriens et leurs frères étrangers, les
Ivoiriens et leurs responsables politiques »63.

Cette déclaration va peser de tout son poids lorsque trois mois après, la Côte d’Ivoire
sera coupée en deux par une rébellion menée par le Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire
(MPCI) dirigé par Guillaume Soro. Une fois de plus, le pays renoue avec la violence, ce qui
ne rend pas indifférant les évêques ivoiriens. Réunis au sein de la conférence épiscopale, ils
59
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome II, 41.
60
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome II, 158.
61
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome III, 11.
62
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome III, 13.
63
CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE CÔTE D’IVOIRE, Déclaration des évêques sur la situation socio-
politique, Abidjan, s.e., juillet 2002.

14
appellent leurs frères qui ont pris les armes, et le gouvernement en place, à faire en sorte que
les négociations aboutissent à un accord de paix pour le bien de la nation 64. Aussi, ils mettent
en garde gouvernement et opposition, confessions religieuses, communauté internationale,
nationaux et étrangers, médias locaux et occidentaux sur l’envenimement de la situation 65.

Pour retrouver l’intégrité du territoire ivoirien suite au non-respect des accords de


Marcoussis (France) et l’exploitation des richesses de la partie du pays sous contrôle de la
rébellion, Laurent Gbagbo lança l’opération « Dignité » qui consistait à bombarder les
positions tenues par les rebelles66. Cette opération sera interrompue par l’armée française,
affirmant que les bombardements ont détruit sciemment un des hangars où étaient
positionnées les troupes de l’opération Licorne faisant ainsi au moins neuf morts dans ses
rangs. Dans sa riposte, l’armée française détruira tous les aéronefs de l’armée de l’air
ivoirienne. Scandalisée par cette réaction, la population descend massivement dans la rue,
pour barrer la route à l’armée française. Sur ces évènements des 6, 7 et 8 novembre 2004, les
évêques invitent les responsables politiques à faire l’effort d’apaiser le climat social afin de
canaliser et de conjuguer toutes les forces pour aboutir à la paix tant recherchée 67. S’adressant
à la Force Licorne, ils affirment que leur mission officielle est d’aider à la réunification du
territoire ivoirien et non de semer la mort et la désolation dans notre pays 68. Les prélats
dénoncent la duplicité de la France en traitant d’abord sa réaction disproportionnée et en
l’accusant de ne pas œuvrer pour la paix. En clair, elle serait pour la déstabilisation du pays 69.

A la suite de tous ce parcours, Djéréké reconnaît que les évêques ivoiriens ne sont pas
restés insensibles aux différentes situations de crises sociales, politiques et économiques du
pays. En effet, toutes les fois où la paix nationale était menacée, les droits de l’homme violés
et la dignité était bafouée, individuellement comme collectivement réunis au sein de la
conférence épiscopale, les évêques, ont donné leur position. Cependant, il critique le fait que
certaines déclarations n’ont pas été à la hauteur de l’attente, aussi bien auprès des gouvernés
que des gouvernants. En fin de compte, Djéréké nous fait comprendre que le discours des
évêques s’est corsé progressivement et aussi avec les évènements que le pays a connus.
64
CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE CÔTE D’IVOIRE, Déclaration des évêques sur le contexte socio-
politique, Abidjan, s.e., novembre 2002, 2.
65
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome III, 96-97.
66
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire, Tome III, 127.
67
CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE CÔTE D’IVOIRE, Déclaration des évêques sur les évènements des 6, 7, 8
novembre 2004, Abidjan, s.e., 2004.
68
CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE CÔTE D’IVOIRE, Déclaration des évêques sur les évènements des 6, 7, 8
novembre 2004.
69
CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE CÔTE D’IVOIRE, Déclaration des évêques sur les évènements des 6, 7, 8
novembre 2004.

15
3. La méthodologie de Jean-Claude Djéréké

L’intention des écrits de Djéréké est soulignée en ces termes : « inviter clercs et laïcs à
s’engager davantage dans la société ivoirienne afin que cette dernière devienne meilleure, plus
juste et plus humaine »70. Les écrits de Djéréké témoignent à cet effet de l’engagement
politique de l’Église ivoirienne, dans le bon sens du terme. Les évêques ivoiriens n’ont jamais
caressé d’ambitions politiques, ils entendent rester fidèles à leur mission spirituelle, et
respecter pleinement les responsabilités propres des gouvernants. Car l’Église catholique a la
conviction que son influence au regard des rapports avec le pouvoir dans nos sociétés ne
souffre, dans l’esprit populaire, d’aucun doute. Cette conviction d’une Église Catholique
engagée se retrouve dans les écrits des évêques ivoiriens. Pour arriver à cette découverte,
Djéréké a eu recours, dans la rédaction de ses différents ouvrages, à plusieurs méthodologies.
En effet, en parcourant ses ouvrages on se rend vite compte - à travers les analyses, les
critiques, les comparaisons, les faits historiques et empiriques - qu’il use de plusieurs
méthodes dans son argumentation, pour éclaircir ses idées, pour montrer les différences et les
limites ou encore pour donner sa critique d’une situation analysée. Il reconnait lui-même qu’il
a eu recours à une approche informative, interprétative, comparative et critique 71. Ainsi dit,
nous allons présenter ces différentes méthodes utilisées, accompagnées d’exemples pour
étayer nos arguments.

La première méthode que Djéréké lui-même met en évidence est « l’interprétation


d’un fait à partir d’un document existant »72. Il s’agit d’une interprétation juste d’un certains
nombres de faits ou d’évènements tels qu’ils sont abordés dans les textes qui ont un intérêt
pour ses écrits. Pour le professeur Pierre N’da, cette méthode est exploratoire et descriptive.
Elle consiste à nommer, décrire, examiner un fait, un phénomène, une situation, à partir d’une
collecte de données73. L’exploration permet d’obtenir des données à partir de l’exploitation
des documents. Le but de la recherche exploratoire est de mieux comprendre le problème.
Pour cela, les facteurs importants concernant le problème et les relations possibles entre eux
sont des données potentiellement intéressantes à collecter. La méthode exploratoire est
souvent réalisée sous la forme d’une recherche documentaire ou d’une petite recherche
qualitative (comme une étude de cas) 74.
70
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 10.
71
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 33.
72
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 31.
73
P. N’DA, Méthodologie et guide pratique du mémoire de recherche et de la thèse de doctorat, 55.
74
Justine DEBRET, « Les différentes méthodes de recherche et de collecte de données » dans Scribbr, le 11
octobre 2019; https://www.scribbr.fr/methodologie/differentes-methodes-de-recherche/, (14/02/2021).

16
Associée à la méthode exploratoire, la méthode descriptive est souvent de nature
quantitative et comporte généralement des questions de recherche spécifique 75. Cette méthode
part de connaissances préalables sur le sujet, pour aboutir à une étude plus approfondie. La
méthode descriptive peut démontrer des associations entre les variables, mais elles sont
seulement descriptives76. Djéréké utilise cette méthode dans Les hommes d’Église et le
pouvoir politique en Afrique noire, et les trois tomes sur Les évêques et les événements
politiques en Côte d’Ivoire. En effet, on peut voir dans ces œuvres une collecte et une
exploitation des homélies, des déclarations, des messages et des lettres pastorales des évêques
ivoiriens ainsi que des lettres pastorales et déclarations de la conférence épiscopale
ivoirienne77. Il faut reconnaître à cet effet, que ses ouvrages regroupent un bon nombre de
lettres et des déclarations des évêques de Côte d’Ivoire, pris individuellement ou réunis au
sein de la conférence épiscopale de la Côte d’Ivoire.

L’autre méthode qui apparaît plus souvent dans les écrits de Djéréké est la méthode
comparative. Il dit, à propos de cette méthode, que « l’objectif poursuivi ici est de voir
comment les choses se passent ailleurs, quels sont les points de convergence et de divergence
entre l’épiscopat de Côte d’Ivoire et celui des autres Églises d’Afrique »78. En effet, dans la
méthode comparative, il s’agit d’effectuer des recherches pour mesurer l’effet de différentes
conditions sur certaines variables. En d’autres termes, il s’agit de mettre en relation deux ou
plusieurs groupes ou situations les uns avec les autres afin de tirer des conclusions. Il est
important de mesurer les variables qui sont comparées de la même manière 79. Pour reprendre
les mots du professeur Pierre N’da, la méthode comparative « cherche et analyse les
ressemblances et différences entre deux œuvres, deux auteurs, un même terme dans deux
œuvres »80. Avec Reuchelin il faut reconnaître que, la méthode comparative est une démarche
cognitive par laquelle on s’efforce à comprendre un phénomène par la confrontation des
situations différentes. En un mot, l’analyse comparative consiste à rechercher les différences
et les ressemblances existant entre les situations qui font l’objet de la comparaison, en
interprétant la signification de ces ressemblances et de ces différences et en essayant de
découvrir à travers elles des régularités 81. Par conséquent, le raisonnement n’est pas suffisant

75
J. DEBRET, « Les différentes méthodes de recherche et de collecte de données ».
76
J. DEBRET, « Les différentes méthodes de recherche et de collecte de données ».
77
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 33.
78
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 32.
79
J. DEBRET, « Les différentes méthodes de recherche et de collecte de données ».
80
P. N’DA, Méthodologie et guide pratique du mémoire de recherche et de la thèse de doctorat, 55.
81
Maurice REUCHELIN, Les méthodes en psychologie, 3éme éd., Paris, Presses Universitaire de France, 1973,
25.

17
pour comprendre une réalité. Il faut la dépouiller de son caractère abstrait en établissant une
corrélation avec la réalité perceptive. Seule une comparaison bien objective permet
d’atteindre cet objectif. Nous retrouvons l’usage de cette méthode dans son ouvrage Les
hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire. Parlant de Mgr Bernard Yago sous
l’ère Houphouët Boigny et du parti unique, il affirme qu’il a été moins prophétique 82 et que
Mgr Raymond-Marie Tchidimbo en Guinée-Conakry sous l’ère Sékou Touré et le parti
unique ainsi que le cardinal Joseph Malula sous le règne du président Mobutu au Zaïre. En
effet, pour Djéréké, Mgr Bernard Yago évitait de critiquer le régime d’Houphouët 83.
Contrairement à Mgr Bernard Yago, Mgr Tchidimbo qui n’acceptait pas toute la politique de
Sékou Touré, ne manquait pas l’occasion de le lui faire savoir, notamment sa dictature. C’est
donc à cause de son opposition à la dictature de Sékou Touré qu’il a été arrêté et emprisonné
en 1970 au camp Boiro84. Il en est de même avec le cardinal Malula. Ce dernier « qui n’avait
pas sa langue dans la poche, ne toléra ni la tentative de Mobutu de soumettre l’Église au
contrôle de l’Etat ni la déification de Mobutu par certaines personnes »85. A la suite d’un
rassemblement où des gestes et des paroles de célébration de la messe furent imités, le
cardinal Malula produit une lettre âpre sur ces « singeries ». Ce qui a couté à l’Église du
Congo de grandes représailles et pour le cardinal Malula son expulsion de sa résidence et sa
radiation de l’ordre du Léopard86.

La comparaison que fait Djéréké porte sur le rôle politique joué par l’Église
catholique, qui pourrait être soit préventif soit d’objecteur de conscience ou même passif. De
fait, le regard que porte Djéréké sur l’action catholique, vise à mettre en évidence les écueils
et les dysfonctionnements de cette action. Il s’agit de déceler les convergences et les
divergences de l’engagement politique de l’Église catholique durant les différentes périodes
de crise en Côte d’Ivoire. La grande variété dans la vie politique des différents pays africains
oblige à faire appel à la méthode comparative pour mieux présenter, dans son ensemble, les
progrès et aussi les défis de l’engagement politique de l’Église catholique des pays concernés.

Une autre méthode utilisée par Djéréké est l’analyse critique. Dans cette méthode, il
s’agit de nuancer, de contredire le contenu du texte, ou de le compléter. Aussi, il faut montrer
que la position de l’auteur n’est pas acceptée unanimement, qu’il existe d’autres points de

82
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 205.
83
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 187.
84
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 197.
85
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 193.
86
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 194-195.

18
vue. Ce que dit l’auteur n’est pas objectif compte tenu des autres sources de connaissances et
d’informations. C’est donc à cela que s’est investi Djéréké quand il pose un regard critique
sur le contenu des homélies et lettres pastorales collectées 87. Le but de cette méthode, nous
dit-il, est d’ « éclairer la discussion publique, de favoriser des argumentations rationnelles
dans le but de faire en sorte que l’on aille dans le bon sens »88. Il s’agit pour lui de faire
ressortir des textes, des discours et des déclarations les principales intentions qui soutiennent
les actions des différents acteurs de la vie politique et religieuse.

L’analyse ne peut être opérante sans une critique préalable des textes, des documents
et des faits historiques en présence. En effet, pour être objectif dans la critique, il faut arriver à
la vérité des faits. Sachant que la majorité des sources portent le sceau de la société, il serait
indispensable de les analyser dans leur propre contexte historique, culturel, idéologique et
même international pour débusquer les richesses enfouies dans les lignes colorées de ces
sources. C’est pourquoi, le recours à la méthode historique pour étudier de façon objective et
scientifique les documents et les supports, contribue à une analyse approfondie du présent des
évènements. Cette méthode consiste en la collecte, le croisement, la confrontation et la
critique objective des documents historiques sans faire abstraction de leur contexte. Cette
démarche permet à terme de reconstituer, de reconstruire et de décrire les faits pour écrire
l’histoire en lui donnant l’image la plus plausible possible 89. L’analyse des textes est faite de
façon chronologique et transversale. Ce qui permet de reconstruire les évènements et d’en
saisir les causes. Elle permet aussi d’ouvrir la problématique à d’autres champs et de relier les
évènements de leurs causes, et justifie le but de la réflexion. A titre d’illustration, nous
pouvons dire que Djéréké utilise cette méthode dans Les hommes d’Église et le pouvoir
politique en Afrique noire, l’exemple de Mgr Bernard Yago (Côte d’ivoire) et les évêques et
les évènements politiques en Côte d’Ivoire, du Tome I au Tome III. Djéréké y présente de
façon chronologique, les faits politiques majeurs qui constituent la trame de l’histoire
politique de la Côte d’Ivoire. Par présentation, il faut comprendre non seulement la
description, mais aussi l’analyse et l’interprétation 90 qu’il fait en s’appuyant sur une
documentation abondante, variée et puisée à diverses sources. Mais avant tout, pour une
meilleure compréhension des évènements, il s’efforce de restituer, le contexte dans lequel ils
se situent. Afin que les évènements soient éclairés et illuminés, il les replace « à l’intérieur du
87
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 33.
88
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 33.
89
Paul N’DA, Manuel de méthodologie et de rédaction de la thèse de doctorat et du mémoire de master en
lettres, langue et sciences humaines, Paris, L’Harmattan, 2015, 151.
90
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 9.

19
temps et de l’espace révélateurs d’un ensemble de significations auquel il est inextricablement
lié »91.

4. Les sources

Djéréké cite beaucoup dans ses écrits ce qui montre à quel point il s’est documenté.
Les sources que nous proposons ne sont pas exhaustives. Cette sélection de sources relève de
leur importance ou de leur répétition.

Djéréké reconnaît que sa vision de l’Église a changé grâce aux réflexions d’un certain
nombre de théologiens92 qui sans doute constituent les sources de ses écrits. A cet effet, dans
son ouvrage, l’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, il cite des
hommes et des femmes tel que l’abbé Pierre en France, Mgr Helder Camara au Brésil, Mère
Teresa en Inde ou l’abbé Jean-Marc Ela qui travaillait parmi les paysans kirdis du Nord-
Cameroun93, et dont le vécu reste une marque de témoignage. Il affirme à ce propos : « En
lisant la vie de ces hommes et femmes, j’ai mieux saisi l’interpellation de l’évangéliste Jean
« Si quelqu’un dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas alors qu’il déteste son frère qu’il voit,
celui-là est un menteur. Donc, que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn 4, 19-
20) »94.

Une des sources qui l’a plus influencée, comme lui-même le reconnaît s’en est
beaucoup inspiré, est François Varillon, un prêtre jésuite qui a écrit une quinzaine de livres
théoriques comme éléments de doctrine chrétienne ou Abrégé de foi catholique, mais surtout
des ouvrages spirituels tels que, Joie de croire, joie de vivre, Vivre le christianisme 95. Parlant
de lui, Djéréké affirme :

C’est François Varillon qui m’a le plus aidé à découvrir la nécessité et l’urgence
d’une lecture actualisée et contextualisée de la parabole du bon samaritain (Lc 10,
23-37). Ce que j’ai retenu de son interprétation de cette parabole, c’est que
l’Évangile ne nous appelle pas à nous résigner au sort de ceux qui sont spoliés,
massacrés, humiliés, torturés mais à trouver les véritables causes de la misère
humaine et de l’injustice, à travailler, directement ou indirectement, à trouver les
solutions qui feront qu’il y aura moins de brigands, non pas dans les déserts mais

91
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 10.
92
J.-C. DJÉRÉKÉ, Réflexions sur l’Église catholique en Afrique, 9.
93
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 20-21.
94
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 21.
95
LA PROCURE, « François VARILLON », s.d. ; https://www.laprocure.com/rayons/varillon-francois.html
(14/02/2021)

20
dans les sociétés multinationales, les banques, les chancelleries, les grands intérêts
financiers, etc.96

En plus de cet influent philosophe et théologien jésuite Français, Djéréké reconnaît


aussi l’influence du prêtre jésuite Français Paul Valadier, théologien et philosophe spécialiste
de Friedrich Nietzsche.97.

En outre, Djéréké fait remarquer que pour rédiger les hommes d’Église et le pouvoir
politique en Afrique noire et les évêques et les événements politiques en Côte d’ivoire, il a usé
de deux sources d’information. Premièrement, il y a des écrits collectés à la faveur de
différents voyages effectués en Côte d’Ivoire entre septembre 2003 et février 2008 et produits
par la hiérarchie catholique ivoirienne : les lettres pastorales et déclarations de la conférence
épiscopale ivoirienne, les homélies, déclarations, messages et lettres pastorales de Mgr
Bernard Yago, et lettres pastorales de Laurent Mandjo et de Joseph Akichi 98. La deuxième
source concerne les entretiens qu’il a eus avec des évêques, prêtres, religieuses et laïcs à
Abidjan, Paris, Tunis, Montréal et Ottawa99.

En plus de ces sources, nous pouvons en discerner d’autres dans les écrits de Djéréké,
à savoir, les sources théologiques, les sources philosophiques, les sources magistérielles et
ecclésiastiques, les sources historiques et les sources documentaires.

Par sources magistérielles et ecclésiastiques nous entendons les écrits, les lettres et les
déclarations, qui résultent des conciles, des synodes, des papes, des différents dicastères et
commissions de réflexions, des conférences épiscopales régionales et nationales, ainsi que les
divers documents épiscopaux. Partant de cette perception, nous pouvons dire que Djéréké ne
s’est pas éloigné de la vision de l’Église puisqu’on retrouve dans ses écrits une panoplie de
références magistérielles. En effet, il cite plusieurs fois les documents conciliaires. Lumen
Gentium, la constitution dogmatique sur l’Église est citée dans les évêques et les événements
politiques en Côte d’Ivoire, Tome II pour montrer l’action de l’Église dans le monde. La
constitution pastorale Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, et Ad gentes,
le décret sur la mission de l’Église sont cités dans les hommes d’Église et le pouvoir politique
en Afrique noire, pour parler de la mission de l’Église dans le monde, surtout face à la
96
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 21.
97
FRANCE CULTURE, « Biographie de Paul Valadier », s.d. dans https://www.franceculture.fr/personne-paul-
valadier.html#biography (14/02/2021)
98
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 33.
99
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 34.

21
politique quand les droits fondamentaux de l’homme ne sont pas respectés. La raison de
l’usage de ces documents résulte du fait que Djéréké parle de la mission de salut de l’Église
dans le monde, l’engagement et l’action des clercs et des laïcs pour réaliser sa mission de
salut. Et ces documents sont des guides adéquats. En plus des documents conciliaires, Djéréké
se réfère au Code de droit canonique qui régit actuellement l’Église catholique. Il faut aussi
citer les écrits des papes Paul VI, Jean XXIII, Jean-Paul II, Benoît XVI et François et le
Catéchisme de l’Église Catholique. Il fait aussi référence aux documents du Symposium des
Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM). La revue la Documentation
Catholique lui sert de recevoir pour dénicher ces textes. Nous notons aussi, les lettres et les
déclarations de l’Église locale par la voix de l’épiscopat individuellement ou collectivement.
Sur ce sujet, il faut reconnaître que les écrits de Djéréké constituent un répertoire des lettres
de l’épiscopat ivoirien. Cette richesse résulte du fait que ses écrits portes sur les déclarations
et lettres de l’épiscopat ivoirien face aux situations socio-politiques. En plus de la Côte
d’Ivoire, Djéréké fait quelque fois référence à d’autres conférences épiscopales en Afrique
(Rwanda, Guinée Conakry, Congo etc.).

Les autres sources théologiques, sont l’ensemble des écrits et références, des
théologiens sur l’action de l’Église dans le monde, la manière de concevoir la foi par rapport
aux réalités de nôtres temps, qui ont servi de nouveaux paradigmes pour l’Église locale ou
universelle. Nous pouvons dire que Djéréké s’est beaucoup inspiré de la nouvelle tendance
théologique issue des années précédant et suivant Vatican II. En effet, les années 60 ont été
marquées par la floraison de courants théologiques, initiés par des théologiens qui ont
beaucoup influencé le Concile Vatican II. Il s’agit de Bernard Sesboüé, Johann Baptist Metz,
Leonardo Boff, Juan Luis Segundo, Heinz Schürmann, Mgr Pierre Debergé, le pasteur Marc
Lienhard, théologien et historien français reconnu comme spécialiste du protestantisme, de
Martin Luther et Duquoc Christian.

Outre ces théologiens occidentaux, nous pouvons aussi énumérer des théologiens
africains qui ont eux aussi marqué la théologie africaine parmi les autres sources
théologiques. Il s’agit de Jean-Marc Ela, Albert Nolan, Fabien Eboussi, Efoé-Julien
Penoukou, Meinrad Hebga et Kä Mana. Jean-Marc Ela était un prêtre camerounais,
sociologue, anthropologue et théologien. Figure marquante de la théologie de la libération en
Afrique, il a laissé une contribution importante pour la sociologie et les sciences sociales
africaines. Albert Nolan, est un prêtre dominicain sud-africain qui a énormément contribué à
la théologie de la libération en présentant l’Evangile en soi comme l’évènement de libération.
22
Fabien Eboussi, ancien prêtre jésuite, a marqué la théologie africaine par sa volonté
d’africaniser la foi et la pratique religieuse chrétienne. Efoé-Julien Penoukou, prêtre béninois,
s’intéresse à la vie politique de son pays et reste incontournable dans les grands débats de
société. En tant que théologien africain, il reste attentif aux angoisses et aux espérances des
hommes et des femmes d’Afrique, face auxquelles les Églises d’Afrique doivent se poser les
vraies questions. Meinrad Hebga, est un prêtre jésuite, exorciste et anthropologue
camerounais. Il est l’un des grands leaders africains du renouveau charismatique catholique.
Le Congolais Kä Mana, docteur en théologie et pasteur de l’Église reformée africaine, est
auteur d’une abondante œuvre en philosophie, en théologie et en psycho-socio-anthropologie
et analyste politique.

Dans les sources philosophiques, Djéréké s’est plus référé aux philosophes politiques
parmi lesquels figurant : Platon, Habermas Jürgen, Madoma Kolbenschlag, Jean-Yves Calvez,
John Rawls, Frantz Fanon, Hannah Arendt, Achille Mbembe, Jean-François Bayart,
Nietzsche, Montesquieu, Maurice Duverger, Max Weber, Dominique Colas, N’da Paul,
Zabsonré Emmanuel, Pouthier Jean-Luc, Ferry Luc, Bakary-Akin Tessy, Kom Ambroise,
Latouche Serge, Freire Paulo, Simon Hyppolite et Tessy Bakary Akin.

Les sources historiques sont marquées par des historiens ou journalistes, qui donnent
des informations sur les évènements politiques en Côte d’Ivoire. Nous pouvons citer parmi
elles, Frédéric Grah Mel, Laurent Gbagbo, Marcel Amondji de son vrai nom Marcel Anoma,
Baulin Jacques, Kipré Pierre, Koné Amadou, Kouamé Marc, Koui Théophile, Lébry Léon
Francis, Loucou Jean-Noël, Nandjui Pierre, Monga Célestin, Ngoupandé Jean-Paul, Rénond
René, Dagbo Gadji Joseph, Baulin Jacques, Ékanza Simon-Pierre, Gbagbo E. Simone, Diégou
Bailly, Porcellato Antonio, Ki-Zerbo Joseph, Donwahi Bauza Charles, Fauré Yves-André,
Memel-Fotê Harris et Médard Jean-François.

Ajouté à ces sources, Djéréké utilise aussi les publications quotidiennes,


hebdomadaires, magazines et revues comme Jeune Afrique, Jeune Afrique Economie, Afrique
Magazine, Archivres des Sciences sociales des Religions, Le Courier d’Abidjan, Fraternité
Matin, le Jour, Aujourd’hui, Libération, Notre Voie, Nouveau Réveil, Nord-Sud, Le Nouvel
Observateur, Le Parisien, Le Patriote, Soir Info et Le Monde un journal français connu pour
sa réputation et termes d’information.

23
Conclusion partielle

Ce premier chapitre nous a permis de faire une connaissance de notre auteur et de


certains de ses ouvrages. Ivoirien de nationalité, Jean-Claude Djéréké, est originaire du centre
ouest du pays où il a commencé ces études. Il a été prêtre jésuite de 1997 à 2001 et prêtre du
diocèse de Gagnoa (Côte d’Ivoire) de 2001 à 2015, avant de rendre sa démission pour
s’installer au Canada comme professeur de Religion et Politique à Temple University aux
USA et chercheur associé au Cerclecad, à Ottawa (Canada). Dans sa bibliographie, cinq
ouvrages ont retenu notre attention pour notre travail à savoir, Les hommes d’Église et le
pouvoir politique en Afrique noire. L’exemple de Mgr Bernard Yago (Côte d’ivoire), Les
évêques et les événements politiques en Côte d’ivoire (en trois Tomes) et L’Engagement
politique du clergé catholique en Afrique noire. Le résumé de ces ouvrages nous a permis de
prendre connaissance des différentes méthodologies employées par notre auteur, mais aussi de
mettre en exergue ses différentes sources. Ceci étant explicite, nous allons dans le chapitre
suivant, présenter sa théologie politique.

24
Chapitre II : CONCEPTION DE LA THÉOLOGIE POLITIQUE CHEZ JEAN-

CLAUDE DJÉRÉKÉ

Introduction partielle

Le premier chapitre nous a permis de connaître, de notre auteur, sa biographie, un


résumé des ouvrages qui servirons pour notre travail, la méthodologie utilisée et les sources
qui lui ont servi dans la rédaction de ses ouvrages. Les bases de notre recherche ayant été
posées, nous abordons dans ce deuxième chapitre l’étude descriptive à proprement dit, de la
théologie politique de Djéréké. Cette dernière se comprend à partir de l’évènement Jésus-
Christ historique et le sens qu’il donne à la politique. Ces deux éléments déterminent
l’engagement politique de l’Église. Dans cette partie de notre travail, nous voulons mettre en
exergue ce qui fait la théologie politique de Djéréké. Il s’agit à cet effet de sa vision du Christ
exprimée dans sa christologie ; ensuite, du sens qu’il donne à la politique ; puis les exigences
et sa conception d’un engagement politique de l’évêque, du prêtre et du laïc ; enfin, la critique
de l’engagement politique de l’Église en Afrique.

1. La christologie de Jean-Claude Djéréké

La christologie de Djéréké s’inscrit dans la perspective d’une christologie « d’en bas »,


c’est-à-dire une christologie qui est caractérisée par l’accent qu’elle met sur l’humanité de
Jésus-Christ ; « son être historique dans la Palestine du Ier siècle »100. Pour ce courant, le
passé historique de Jésus est la clef de son action présente, au sens où son passé est le moyen
qui nous le rend présent aujourd’hui101. En effet, chez Pannenberg, un des pionniers de la
christologie « d’en bas », l’humanité de l’homme est achevée par Jésus. A cet effet il dit ce
qui suit :

la signification de Jésus doit être expliquée à partir de ce que Jésus a jadis été réellement (…)
[de telle sorte] qu’en Jésus la destinée de l’homme trouve véritable sa réalisation, qu’on la
comprenne comme divinisation sous une forme ou sous une autre, comme justice devant
Dieu au sens d’accomplissement de la loi ou de déclaration de justice, comme détermination
de la relation avec le monde par la conscience religieuse, comme libération pour le devoir
moral ou pour la personnalité pure102.

En d’autres termes, Jésus n’a de signification « pour nous » que dans la mesure où
cette signification s’attache à lui-même, à son histoire et à la personnalité que révèle cette
100
James H. CONE, La noirceur de Dieu, Genèse, Labor et Fides, 1989, 143.
101
J. H. CONE, La noirceur de Dieu, 143.
102
Wolfhart PANNENBERG, Esquisse d’une christologie, Traduction A. Liefooghe, Paris, Cerf, 1971, 51-52.

25
histoire. « C’est pourquoi la christologie, l’étude de Jésus lui-même, de sa personne, de cette
personne qui a vécu jadis sur la terre au temps de l’empereur Tibère, doit précéder toutes les
questions concernant sa signification, toute sotériologie »103. Ainsi donc, pour la christologie
« d’en bas », si nous ne prenons pas au sérieux le fait que seul le Jésus de l’histoire nous
donne accès à la signification de la présence du Christ aujourd’hui, il est possible d’éviter le
reproche de subjectivisme, le reproche d’identifier le Christ à une opinion politique
passagère104.

Dans la christologie de Djéréké, Jésus substitue l’idée d’un Dieu de pureté à un Dieu
de compassion, c’est-à-dire, celui qui souffre quand l’homme souffre et, donc, ne peut tolérer
que les hommes soient chosifiés105. En effet, dans la société de son temps, les pauvres et les
illettrés étaient non seulement perçus comme des pécheurs, mais aussi « exclus des avantages
sociopolitiques par l’élite religieuse juive dont le pouvoir reposait sur son interprétation de la
loi mosaïque et sa conception de la religion »106. C’est pourquoi, au nom « d’un
amour préférentiel pour ceux et celles qui étaient exploités, méprisés et traités de manière
inhumaine »107, Jésus entrepris un combat contre la structure théocratique de la société juive
telle qu’interprétée et mise en place par l’élite religieuse et politique. Il s’agit d’une mise en
cause par Jésus des « bases religieuses du système sociopolitique, lequel système permettait
aux pharisiens, prêtres, anciens et scribes de dominer et exploiter les pauvres »108.

Pour mener son combat, Jésus choisit la voie de la non-violence, c’est-à-dire, une
confrontation pacifique avec les tenants de l’ordre social injuste 109. En effet, Jésus était opposé
à l’usage de la force contre ceux qui oppriment ou sont coupables d’injustice 110 parce qu’il a
compris qu’à partir du moment où des particuliers s’arrogent le droit d’user de la force, la
paix est menacée et la cité est en danger. En tant que promoteur et protecteur de la vie, il ne
pouvait que choisir la voie qui ne mènerait pas au massacre de la population. En outre, il n’est
pas nécessaire de recourir à la force ou à la violence pour amener un gouvernement à lâcher
du lest. C’est donc à juste titre qu’il refusa de se joindre à ceux qui voulaient le changement
par la violence111 comme les Zélotes, qui étaient partisans d’une action militaire 112. Pour Jésus

103
W. PANNENBERG, Esquisse d’une christologie, 50.
104
J. H. CONE, La noirceur de Dieu, 143.
105
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 116.
106
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 113.
107
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 116.
108
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 116.
109
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 115
110
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 115.
111
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 114.
112
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 119.

26
« seules les armes de la foi et de la compassion sont susceptibles de faire advenir le Règne de
Dieu »113. Cependant, la non-violence n’est pas synonyme de passivité, ou l’absence de
résistance face aux responsables de la violence et de l’injustice.

Dans son combat, il s’attaque à la racine du mal, la Loi juive, qui était devenue pour
les autorités religieuses, un moyen pour contrôler la vie morale, économique et politique et
qui n’avaient pas de compassion pour leur semblable dans la société 114. En effet, comme
affirme Albert Nolan, dans une comparaison entre les autorités juives et les autorités
romaines, « il existe davantage d’oppression et d’exploitation de la part du judaïsme que de la
part de l’étranger »115. C’est pourquoi, le combat de Jésus consistait à montrer que « la Loi
n’appelle pas à distinguer entre purs et impurs mais à l’amour et que le péché ne consiste pas
à transgresser la loi, (…) mais à manquer de compassion, c’est-à-dire, à ignorer la détresse
d’autrui »116. A cet effet, la révolution accomplie par Jésus réside dans la « pratique efficace
de l’amour du prochain au plan de la société et de l’individu »117. En d’autres termes, il s’agit
de « l’accomplissement de la Loi à travers l’abolition de toutes les barrières empêchant la
communication entre les personnes, les barrières érigées par la loi religieuse pour séparer les
purs des impurs, les saints des pécheurs »118. Jésus s’en prenait donc « aux structures
oppressives juives en faisant remarquer que l’organisation sociale de la population juive, ses
fardeaux et sa souffrance dépendaient beaucoup moins de l’empire romain que des règlements
théologiques élaborés par les scribes et pharisiens »119. En stigmatisant le manque de
compassion et la cupidité du pouvoir religieux de son temps, Jésus fait remarquer que ce sont
les scribes et les pharisiens qui chargeaient le faible de lourds fardeaux120.

Dans ce combat contre la manipulation de la Loi juive pour l’exploitation de la


population, Jésus a préféré se faire « serviteur » de tous et a refusé de se faire « roi » pour
régner sur les hommes. La tentation du peuple juif à l’époque de Jésus était noble, celle d’un
salut, d’une délivrance contre l’envahisseur Romain. En effet, « Israël attendait celui qui
apporterait la libération de Jérusalem (Lc 2,38), celui qui le délivrerait de la main de ses

113
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 114.
114
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 116, 119.
115
Albert Nolan Cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 119.
116
A. Nolan Cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 117.
117
Teofilo Cabestrero, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire,
120.
118
Joseph Moingt, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 117.
119
Juan-Luis Segundo, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire,
119.
120
J.-L. Segundo, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 119.

27
ennemis, c’est-à-dire, les Romains (Lc 1,74) »121. De fait, face aux miracles opérés et aux
prédications faites par Jésus, les gens qui le suivaient, voulaient le faire roi (Jn 6, 14-55),
c’est-à-dire, un « messie libérateur » du joug romain. Mais Jésus refusa de devenir un messie
temporel pour accepter la mission de « serviteur » de tous. A cet effet, face à Pilate il déclare
« que son royaume n’est pas de ce monde, c’est précisément pour signifier que sa royauté
consiste non pas à régner sur des personnes et sur un territoire, mais à donner la puissance aux
désarmés, le verbe aux muets, la grandeur aux médiocres et l’assurance aux humiliés »122. Son
messianisme ne consiste donc pas à dominer les hommes, mais à rendre témoignage à la
vérité et « c’est uniquement dans ce sens que Jésus accepte d’être considéré comme roi lors de
son entretien avec Pilate (Jn 18, 36-37) »123. En se présentant comme celui qui est venu pour
servir et non pour être servi (Mt 20, 28 ; Mc 10,45), Jésus manifeste « un aspect déroulant du
comportement de Dieu qui, tout en ayant le droit et le pouvoir d’être servi, se met « au
service » de ses créatures »124. Et s’il y a bien une chose que Jésus a voulu faire comprendre
est qu’il n’y a pas d’homme supérieur c’est pourquoi, dans son affiliation divine, il a bien
voulu se solidariser avec tout homme, quelles que soient sa couleur, sa condition sociale, ou
ses convictions politiques et religieuses.

Jésus n’a pas nié ou méprisé les réalités politiques de son temps. Cependant, il ne les a
pas sacralisées non plus et cela se comprend dans l’épisode de Marc 12, 13-17. Face à la
question sur le payement des impôts, Jésus affirme la reconnaissance du pouvoir politique
représenté par César. Cependant, il fait comprendre que la politique est « une activité humaine
qui interdit que l’on rende à ses détenteurs un culte divin »125. En effet, on assiste à une
divinisation du pouvoir, quand ceux qui sont au pouvoir veulent être adorés, que leur nom soit
chanté, qu’ils soient considérés comme des bienfaiteurs pour des travaux qu’ils ont le devoir
de fournir à ceux qui les ont élus 126. Par contre, il fait remarquer que « Dieu, sa loi, la loi de la
conscience inscrite au fond des cœurs, sont supérieurs au pouvoir politique »127. Dans cette
perception, Jésus distingue sans opposer César et Dieu, en ce sens « qu’il ne met pas sur le
même plan César et Dieu puisque ce n’est pas César qui sauve, mais Dieu. En d’autres termes,
c’est à Dieu et à Dieu seul que revient toute adoration, car c’est lui le créateur de toute chose

121
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 118.
122
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 119.
123
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 120.
124
Jean-Paul II, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 118.
125
Pierre Debergé, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 98.
126
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 127.
127
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 120.

28
y compris la politique »128. César est un homme parmi d’autres, qui prend en charge une
dimension de l’existence humaine, celle de garantir les conditions d’une réalisation
personnelle et collective, alors que Jésus insiste sur la prééminence de Dieu, c’est-à-dire, sur
le caractère englobant du Royaume de Dieu qui sollicite toute la personne129.

Une autre compréhension de Marc 12, 13-17 dans une lecture faite chez Richard J.
Cassidy par Djéréké est que César ne possède rien qui ne lui ait été confié par Dieu du fait que
son royaume est inclus dans celui de Dieu. En conséquence « l’invitation à « rendre à Dieu ce
qui appartient à Dieu » peut conduire le chrétien à désobéir aux Césars qui s’adonnent à des
pratiques contraires à la volonté de Dieu (injustice, oppression, tribalisme, exploitation
etc.) »130. La non-sacralisation du pouvoir par Jésus, est aussi une invitation à ne pas se
soumettre aveuglement aux ordres destructeurs de ceux qui détiennent le pouvoir. En effet,
Jésus reconnaît que le citoyen doit obéissance et soumission au pouvoir politique, mais dès
que le bien commun est négligé, les citoyens ne sont plus obligés de se soumettre au
pouvoir131. Car « les autorités qui outrepassent leurs droits et violent le principe du bien
commun perdent leur autorité »132. Un pouvoir ne peut être obéi que s’il travaille au bien
commun, à la justice et sévit contre ceux qui ne respectent pas les lois en vigueur dans la
communauté133. Il faut donc « désobéir non seulement aux ordres criminels mais aussi se
dresser contre les pouvoirs tyranniques, de dire non aux dirigeants irresponsables »134. Car,
toute politique authentique se doit de promouvoir le bien commun et la dignité humaine.

Si Jésus n’a pas sacralisé le pouvoir politique, il n’a pas pour autant demandé que l’on
s’en désintéresse à la politique, car « Jésus s’est intéressé aux affaires de la polis de son
temps »135. Celle-ci ne s’est pas fait dans une politique partisane en étant membre des
différents groupes qui existaient - pharisiens, scribes, grands prêtres et Zélotes - mais en
s’attaquant au système théocratique de la Judée d’alors. A cet effet, il s’est révélé comme
esprit critique envers les pouvoirs sacerdotaux et rabbiniques de son époque, en interdisant à
ses disciples de se faire appeler « rabbi » ou d’appeler « père » quiconque (Mt 23, 8-9), en
affirmant la prééminence de Dieu sur César, en n’hésitant pas à traiter de renard, Hérode

128
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 121.
129
Bruno Chenu, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 121.
130
Richard J. Cassidy cité par J.-C. DJÉRÉKÉ L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 122.
131
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 125.
132
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 125.
133
Pierre Debergé, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 126.
134
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 143.
135
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 154.

29
Antipas qui cherchait à le tuer (Luc 13,32) et en fustigeant la profanation du Temple et son
exploitation à des fins commerciales136.

Ainsi, Jésus fut un homme de son temps, totalement immergé dans son monde,
montrant ainsi que le Royaume de Dieu est déjà à l’œuvre au milieu des hommes et que
quiconque accepte ce Royaume est sommé de célébrer sa présence maintenant, en participant
à la transformation du monde avec les valeurs du Royaume. De fait, l’attente du Royaume à
venir ne détourne pas Jésus de l’action dans et en faveur de ce monde appelé à passer 137. Jésus
rejeta ainsi la voie d’une révolution par la violence, pour l’établissement du règne de Dieu par
la non-violence. C’est à cette politique du Christ que Jean-Claude Djéréké invite l’Église.

2. Le sens de la politique chez Jean-Claude Djéréké

Le sens que Djéréké donne à la politique s’appuie sur trois penseurs à savoir Madonna
Kolbenschlag (Americaine), Leonardo Boff (Brésilien) et Bartolomeo Sorge (Italien). Avec
Madonna Kolbenschlag, Jean-Claude Djéréké pense qu’on peut distinguer quatre sens
d’utilisation du mot « politique »138. Au premier sens, « la politique est perçue comme quelque
chose que nous faisons tous »139. Dans ce sens, la politique est comprise comme un ensemble
d’actions ou d’activités, bonnes ou mauvaises, menées individuellement ou collectivement et
qui ne vise pas nécessairement un objectif ou une intention. Au deuxième sens, la politique
consiste « à influencer indirectement l’exercice du pouvoir social et politique » 140. A ce
niveau, il y a une intention, celle « d’attirer l’attention sur certain nombre de valeurs comme
la justice, la destination universelle des biens, le primat de l’homme sur le capital, la liberté de
conscience »141 par des écrits, des encycliques ou encore une lettre pastorale. En effet,
individuellement ou collectivement, des volontaires apportent leurs contributions face à une
situation sociale ou politique, à travers des réflexions ou des écrits en vue d’une amélioration.
Au troisième sens, la politique est « l’agir des groupes sociaux » 142 dont le but est d’influencer
le pouvoir législatif. Les acteurs sont les différents mouvements qui se constituent au sein de
la société appelés « la société civile », capables de recourir aux grèves et aux marches de

136
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 154.
137
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 155.
138
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 73.
139
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 73.
140
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 74.
141
Madonna Kolbenschlag cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique
noire, 74.
142
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 74.

30
protestation pour faire entendre ou pour influencer le pouvoir législatif 143. A ce niveau, il y a
une organisation et une mobilisation commune en vue d’une action pour apporter un
changement. Au quatrième sens, la politique est la conquête du pouvoir. Il s’agit d’une
participation directe au gouvernement de l’État. La politique « serait une lutte pour l’accès au
pouvoir, la conquête du gouvernement dans un État »144. A ce niveau, la politique se rapporte
à l’État, une politique comme gestion du pouvoir, comme activité des partis politiques, du
gouvernement et de l’administration publique. Ceux qui l’embrassent peuvent être considérés
comme des professionnels de la politique145.

Avec Leonardo Boff et Bartolomeo Sorge, Djéréké résume ces quatre sens en deux. Le
premier sens est la politique avec un « p » minuscule qui renvoie au quatrième sens de la
politique chez Madonna Kolbenschlag. Ce sens désigne toute activité destinée à
l’administration et l’exercice du pouvoir étatique avec comme acteurs les partis politiques, les
syndicats et les gouvernements de l’administration publique. Nous pouvons dire que nous
sommes au sens restreint de la politique, qui est la pratique des activités spécifiques telles que
les partis politiques, le gouvernement, et l’administration publique. Ainsi, la politique, au sens
restreint, est une activité exercée par des hommes et des femmes qui se dévouent au bien de
tous avec sincérité et droiture et aussi avec l’amour et le courage que requiert la vie
politique146. Ce qui signifie que celui qui doit l’exercer, doit la comprendre comme un service
et non un mérite ou une promotion ; et s’il l’exerce, c’est d’abord dû au fait qu’il est
compétent147 en la matière. C’est en cela que la politique est un service et non un instrument
pour s’enrichir et écraser les autres148. A ce niveau, la politique au sens restreint devient une
profession qui requiert des compétences et une expérience en la matière.

Le second sens de la Politique, avec un « p » majuscule, renvoie aux trois premiers


sens chez Madonna Kolbenschlag. Dans ce sens la Politique désigne « la recherche du bien
commun et impliquerait une dénonciation de la corruption et, positivement, une promotion de
la justice et des droits de l’homme »149. On peut dire que ce sens de la Politique embrasse un
vaste champ d’activités sociales, caritatives, culturelles, économiques, éducatives, sanitaires,
commerciales, etc. A ce niveau, il s’agit du sens large de la Politique qui « concerne et

143
M. Kolbenschlag cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 74.
144
M. Kolbenschlag cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 74.
145
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 75.
146
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 97.
147
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 131.
148
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 151-152.
149
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 78.

31
contribue aux rapports harmonieux entre les hommes, aux conditions et à la réalisation de leur
bien-être personnel et collectif »150. Elle se comprend comme la promotion de la vie sociale
sous tous ses aspects sur la base d’une certaine conception de l’homme et de la société. On
peut dire que cette Politique « consiste à promouvoir le bien commun et à défendre les droits
de l’homme »151. Cette vision de la Politique est une voix au service de la vérité, de la justice
et de la liberté152. Elle est essentiellement un projet éthique, fondé sur la vertu et sur un
système de valeurs sociales et morales qui donnent un sens à l’exercice de la politique 153.
Ainsi, Djéréké distingue deux sens de la politique : Politique et politique154.

Bien que distincts, les deux sens ne s’opposent pas. Bien au contraire, ils sont
complémentaires dans la mesure où, la politique des partis a besoin de s’inspirer de la
Politique qui a une certaine vision du monde et de l’homme et reconnaît l’importance des
valeurs155. De fait, quand la politique n’est pas exercée dans son essence, qui est de travailler
et de gouverner pour le bien de la cité, mais est exercée pour le propre bien des politiciens et
les avantages de la politique, ou encore pour nuire les citoyens, la Politique se met en place
afin que les valeurs sociales et morales donnent un sens à l’exercice de la politique. A cet
effet, nous pouvons dire que la Politique intervient quand la politique est pervertie. En effet, il
arrive que la politique se ternisse et se dénature totalement à cause des hommes et des
femmes, guidés par considérations égoïstes, prêts à recourir à la violence et à l’injustice pour
réaliser leurs ambitions démesurées. Pour Djéréké, cette perversion de la politique est due à
une compréhension machiavélienne du pouvoir qui consiste à accéder et à conserver le
pouvoir. Dans cette vision, tous les moyens efficaces parmi lesquels figurent la ruse, le
mensonge et l’assassinat pour parvenir à cette fin sont bons. Dans ce sens, « la politique est
regardée comme une foire d’empoigne, c’est-à-dire, comme un lieu où la quête et la conquête
du pouvoir ou sa conservation pousserait des individus à faire des coups bas, tricherie, à
mentir, voire à tuer »156. La vie politique apparait ainsi comme un marché à conquérir ou à
protéger, pour servir les intérêts personnels et ceux du clan au détriment du bien de tous les
citoyens. En Afrique surtout, « on continue d’avoir, du pouvoir, une représentation et une
pratique qui font de celui-ci un avoir ou, un butin, que les détenteurs doivent conserver par

150
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 78.
151
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 98.
152
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 173.
153
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 102.
154
A partir de la compréhension de ces deux sens - Politique et politique - nous nous référerons aux orthographes
pour désigner l’assertion de la politique dont nous ferons allusion dans la suite de notre travail.
155
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 99.
156
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 88.

32
tous les moyens et à tout prix »157. Pour cela, dit Djéréké, « les hommes politiques ne reculent
pas devant les moyens peu recommandables tels que les homicides, les emprisonnements
arbitraires, les destructions de villages, les déplacements de populations, les incendies
d’immeubles abritant les traces des malversations commises »158 pour se maintenir au pouvoir.
A cela s’ajoute l’habitude de recourir à des fraudes grossières pendant les élections
présidentielles, avec la complicité de préfets et sous-préfets acquis d’office à leur cause. 159

La politique est pervertie aussi, quand « les rivalités de personnes l’emportent sur les
débats de choix de société »160, c’est-à-dire, le désir de dominer (ou volonté de puissance) de
certains hommes politiques est mis plus au-devant 161. C’est ce que saint Augustin (354-430)
appelle la libido dominandi. En effet, en plus de regarder leurs adversaires politiques de haut
et d’être enfermés dans leurs certitudes comme s’ils savaient tout et donc n’avaient plus rien à
apprendre des autres, certains politiciens sont aussi pleins de mépris. Ils se prennent pour des
dieux. Imbus d’eux-mêmes, ils n’écoutent plus aucun conseil. La seule chose qu’ils soient
prêts à entendre, c’est qu’ils sont les plus intelligents, les plus forts, les plus beaux et surtout,
qu’ils ont sauvé leur pays du chaos162.

La politique est pervertie encore, quand elle devient une activité où l’intérêt consiste à
jouir des divers avantages et privilèges auxquels le pouvoir politique donne accès, avantages
et privilèges qui ne profitent qu’aux dirigeants et les membres de la famille ou de la tribu 163. Il
s’agit ici de l’utilisation de la politique comme un instrument d’enrichissement personnel. La
politique apparaît ainsi comme la meilleure échelle d’ascension sociale et économique 164. En
effet, « la politique sur le continent africain apparaît comme un instrument d’enrichissement
rapide, un moyen efficace pour accaparer les ressources nationales ou ce qui reste »165.
Djéréké explicite cette perversion de la politique en ces termes :

Présidents accrochés au pouvoir malgré un bilan largement négatif ; coups d’État à


répétition ; persécution ouverte ou voilée de ceux qui empêchent de tourner en rond ;
confiscation de la radio et de la télévision nationales par les partis au pouvoir ; suffisance,
arrogance et insolence de certains dirigeants ; détournement des derniers publics et des aides
157
Achille Mbembe cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 90.
158
Jean-François Bayart cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire,
91
159
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 93.
160
La Conférence épiscopale du Mali citée par J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en
Afrique noire, 89.
161
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 92.
162
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 93.
163
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 90.
164
La Conférence épiscopale du Mali citée par J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en
Afrique noire, 89.
165
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 89.

33
étrangères au profit du clan, de la tribu ou des compagnons de la première heure ;
humiliation, voire élimination physique de ceux qui différemment du prince 166.

Pour illustrer ces propos, Djéréké présente le cas de Mobutu qui, dans le film Mobutu
roi du Zaïre réalisé par le Belge Thierry Michel, se prenait pour le messie de l’ex-Zaïre. Son
ambition de gouverner le pays comme un despote paternel et se disant aimé du peuple, a
obligé les opposants et les intellectuels à s’exiler. A cela s’ajoute la persécution de l’Église
catholique qui refusait de s’associer au culte de sa personne 167. Toutes ses actions ont conduit
à une crise qui a profondément déchiré le pays.

La politique est pervertie quand les autorités outrepassent leurs droits, négligent et
violent tous les principes du bien commun qui garantissent la vie en cité. C’est en ce moment
que la Politique comme « une voix au service de la vérité, de la justice et de la liberté »168 se
met en place. Il s’agit d’un « garde-fou face aux excès du politique, un pôle de résistance
contre toutes les tentatives totalisatrices, un veilleur devant les situations alarmantes de
l’économie ou du social, en un mot un régulateur d’une vie commune qui déraille »169. Elle se
met en place sous forme de « rébellion » non seulement comme désobéissance aux ordres
criminels mais aussi en se dressant contre les pouvoirs tyranniques, en disant non aux
dirigeants irresponsables170, contre les tyrans et les dictateurs ceux qui cherchent à corrompre
la société et à voler des richesses qui n’appartiennent qu’au peuple. Une « rébellion » contre
ces criminels qui, tous les jours, violent et volent en toute impunité, en menant une guerre
contre la pauvreté, l’ignorance et l’arriération des citoyens 171. Elle s’oppose « à ceux qui ne se
limitent pas à humilier les intelligences et à bâillonner la presse »172. C’est dans cette action de
la Politique que s’inscrit d’une part, le combat de Jésus face aux réalités d’injustice de son
temps ; d’autre part, la compréhension de la « théologie politique » de Djéréké. Elle est un
engagement politique pour la dignité de l’homme par une implication active « dans la lutte
contre les structures sociales et économiques qui condamnent l’homme à la pauvreté, à
l’humiliation et à l’avilissement »173. C’est à cet engagement qu’il invite l’Église en général et
en particulier les évêques, les prêtres et les laïcs.

166
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 146.
167
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 93.
168
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 173.
169
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 101.
170
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 143.
171
Thabo Mbeki, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 172
172
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 172.
173
J.-C. DJÉRÉKÉ, L'engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 178.

34
3. La « théologie Politique » de Jean-Claude Djéréké comme engagement
Politique de l’Église

La « théologie politique » de Djéréké se comprend à partir des deux points précédents.


Il s’agit d’une part, de la christologie qui présente Jésus face aux réalités d’injustice sociale et
de violation des droits de l’homme de son temps ; d’autre part, du sens de la Politique comme
capacité de décider et d’agir de l’Église face à une politique pervertie. « La théologie
politique » de Djéréké est, pour ainsi dire, la mise en œuvre de la Politique de Jésus. Elle est
l’agit de l’Église à la manière du Christ en son temps.

L’Église est « un espace social autonome »174 ce qui signifie qu’elle doit aider à créer,
en collaboration avec la politique, des espaces de paix, de charité, de vérité et de justice 175 à
travers sa Politique. Comme un genre de corps public, elle est le corps du Christ, insérée dans
la société pour créer des espaces de justice et de vérité dans le monde 176. Pour Djéréké, par le
fait que l’Église soit insérée dans une société, elle fait corps avec elle, et ne peut rester
indifférente devant les faits et les problèmes sociaux de la vie quotidienne 177. En d’autres
termes, « l’Église ne peut s’empêcher de prendre position lorsque des hommes et des femmes
sont brimés, brutalisés, torturés etc., lorsque leurs droits sont bafoués »178. Ainsi, toutes les
crises que traverse une société, doivent être au centre, non seulement des travaux de l’Église,
mais aussi de ses réflexions et surtout de ses prières et célébrations 179. En effet, l’Église en
imitant le Christ, n’a pas pour vocation de prendre le pouvoir politique, mais elle doit
respecter l’autonomie du pouvoir, sans pour autant se désintéresser du politique 180. Présente
dans la société, elle doit avoir une responsabilité politique, c’est-à-dire, contribuer, de pair
avec la politique, à la rendre meilleure, plus humaine, plus juste ; y jouer un rôle de
fécondation des esprits et des libertés 181. L’Église n’a pas de compétence dans le domaine
politique ou économique. Cependant, l’appui moral qu’elle peut offrir à ceux qui ont en
charge la cité terrestre s’explique, et se justifie, par la volonté de servir l’homme, en lui

174
Jean-Claude DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, Paris,
L’Harmattan, 2009, 87.
175
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 87.
176
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 87.
177
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 14.
178
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 13-14.
179
Jean-Claude DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, Paris,
L’Harmattan, 2009, 95.
180
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 15.
181
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 16.

35
rappelant ce qui fait sa grandeur, ou en l’éveillant aux réalités qui transcendent ce monde 182.
L’Église demeure ainsi une boussole pour éclairer les consciences des populations, mais aussi
des hommes politiques. Dans sa collaboration avec le politique, l’Église ne doit pas se laisser
assimiler à une force sociale comme les autres qui peuvent se laisser manipuler 183, mais elle
est une force, non au service d’un parti politique, d’un individu, encore moins au service d’un
gouvernement, mais une force qui n’a d’autre visée que le triomphe de la vérité et de la
justice184.

L’action politique de l’Église consiste à restituer la vérité et à réclamer la justice. Pour


Djéréké, lorsque l’Église est devant un fait d’une véracité inouïe, au nom de sa mission, elle a
le devoir de proclamer la vérité et l’obligation de réclamer la justice. Ce qui veut dire que
l’Église à un sens propre de la vérité et de justice qui relève de sa mission. Cette mission est
exprimée dans le Concile Vatican II en ces termes :

Il appartient à la mission de l’Église de porter un jugement moral, même en des matières qui
touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des
âmes l’exigent, en utilisant tous les moyens, et ceux-là seulement, qui sont conformes à
l’Évangile et en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des temps et des
situations.185

Autrement dire, l’Église n’a pas à dicter aux hommes politiques la conduite à tenir
mais à prendre position sur la manière dont les gouvernés sont traités par leurs gouvernants, à
défendre les pauvres et les petits186. Mgr Joseph Téky donne une explicitation en ces termes :

Si le pouvoir politique travaille bien, il n’y a pas de raisons que l’Église se mette en travers
de ses décisions. Par contre, si l’autorité fait des choses qui sont répréhensibles, il est tout à
fait normal que l’Église intervienne pour attirer l’attention et quelquefois dénoncer l’attitude
des décideurs. L’Église ne fait pas de part belle aux responsables politiques. 187

Nous pouvons dire avec Jean Ridal, que la poursuite et la réalisation de sa mission ne
deviendra Bonne Nouvelle que si elle s’effectue dans le langage de ce temps. Sinon elle
n’aura pas d’impact. Le langage ici ne désigne pas seulement les mots, mais un type de
présence, d’écoute et de communication qui sache rejoindre les questions des gens, leurs
centres d’intérêt et leurs dynamismes. La parole de foi ne deviendra parole de vie que si elle
rencontre les attentes et la vie concrète des personnes auxquelles elle s’adresse, que si elle
182
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989), I, Paris,
L’Harmattan, 2009, 17.
183
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 84.
184
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 89.
185
CONCILE VATICAN II, Gaudium et Spes, 1965, n° 76§5.
186
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 177.
187
Mgr Joseph Téky cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-
2005), III, 154.

36
dialogue avec l’existence188. C’est cela que consiste sa mission de proclamer la vérité et
réclamer la justice.

La vérité dont il est question chez Djéréké, « c’est la vérité de l’Évangile et ses
exigences dans un monde qui a besoin que la bonne nouvelle de Jésus-Christ lui soit annoncée
par des témoins fermes et des institutions ecclésiales solides dans leur foi et dans leur choix
de civilisation »189. Cette vérité est que la dignité humaine, enracinée dans la création de
l’homme à l’image de Dieu, est à défendre en attirant régulièrement l’attention sur le fait que
la vie humaine est sacrée depuis sa conception jusqu’à sa mort et donc doit être respectée 190.
De fait, l’Église doit avoir la capacité de dénoncer les idéologies qui légitiment le mensonge,
la violence et l’exploitation de l’homme ; qui restreignent, étouffent et suppriment la dignité
humaine 191. Non seulement parce que l’Église doit dénoncer tout ce qui écrase l’homme, elle
doit aussi œuvrer au relèvement de tout être humain, à défendre les droits fondamentaux de
tous les citoyens192. Plus exactement, la justice de l’Église consiste à ce qu’on restitue ce qui a
été pris au peuple193.

Pour Djéréké, seule l’Église, par les prêtres, les évêques et les laïcs sont à même
d’incarner dans la politique, les valeurs de justice et de vérité 194. A cet effet, avec les mots de
Mgr Bernard Hubert, il dit ceci :

Les membres de l’Église, qu’ils soient laïcs, religieux, prêtres ou évêques, sont partie
prenante de la société dans laquelle ils sont appelés à vivre. Ils sont donc engagés dans la vie
de la cité ; la vie de la cité c’est la politique : non pas celle des formations partisanes qui
présentent des programmes afin de faire élire des représentants qui assumeront le
gouvernement de la cité, mais, en un sens plus large, celle qui englobe les décisions
économique, sociale et culturelle de la vie en société195.

En effet, pour rester fidèle au Christ qui s’est identifié aux faibles de son temps, dans
leur engagement dans la Politique, les membres de l’Église ne peuvent pas ignorer le cri des
laissés-pour-compte maltraités, méprisés et écrasés par les puissants et arrogants de ce
monde196. Parce que Jésus leur modèle n’a pas agi autrement, les membres de l’Église doivent
s’insurger contre « la corruption, les détournements des fonds publics, les injustices sociales,

188
Jean Rigal, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989),
I, 113.
189
J.-C. DJÉRÉKÉ, Réflexions sur l’Église catholique en Afrique, 15.
190
J.-C. DJÉRÉKÉ, Réflexions sur l’Église catholique en Afrique, 50.
191
J.-C. DJÉRÉKÉ Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 75.
192
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 165.
193
J.-C. DJÉRÉKÉ Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 24.
194
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 23.
195
Mgr Bernard Hubert cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 73.
196
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 226.

37
les arrestations arbitraires ou les assassinats politiques »197. Ils annoncent ainsi le Christ venu
dans le monde pour que les hommes aient la vie et la vie en plénitude (Jn 10,10).

Pour y parvenir, les hommes d’Église ne doivent pas se borner à dénoncer - dans leurs
homélies et lettres pastorales - la violence, la corruption, l’injustice, l’enrichissement illicite
etc., mais encourager leurs fidèles à être présents là où les hommes et les femmes de ce temps
se retrouvent pour dire « non » aux maux qui affligent la société 198. Car, « pour faire bouger
les choses, il ne suffit pas de rappeler des principes, d’affirmer des intentions, de souligner
des injustices criantes de proférer des dénonciations prophétiques »199. Il est des circonstances
où l’Église devrait mobiliser la population contre les gouvernants 200. Pour Djéréké, « l’Église
devrait être fière de voir certains de ses enfants se joindre aux hommes et femmes qui
marchent pacifiquement pour exprimer leur colère contre la violation des droits de
l’homme »201. Toutefois, si les gens ont peur de faire connaître ce qu’ils pensent, il faut que
l’Église se mobilise et parle à la place de la population. L’Église doit être prophétique en
encourageant les gens à s’exprimer, même en descendant dans la rue 202 pour faire bloc face à
une politique pervertie. « Il suffit en effet de penser aux foules qui remplissent nos églises
chaque dimanche pour imaginer avec quelle facilité, prêtres et évêques pourraient soulever les
populations contre les gouvernements s’ils le voulaient »203. Aussi, Djéréké ne s’oppose pas à
l’idée que les hommes d’Église - évêques et prêtres - participent à une marche pacifique de
protestation contre l’injustice et le mensonge. Il est tout à fait évident qu’ils doivent se tenir
loin de la politique partisane, mais ils doivent être des acteurs de la Politique. De fait, ils sont
appelés dans une période de crise, à poser des actes concrets comme marcher contre des lois
scélérates est aussi important que discourir ou prêcher sur la justice et la vérité 204. A cet effet il
affirme :

les évêques devraient aussi se joindre aux ONG et autres mouvements qui bataillent pour une
société plus juste et plus humaine (…) en organisant des marches pacifiques qui consistent
non seulement à protester mais aussi à prendre l’opinion publique à témoin sur une situation
d’injustice et à forcer ainsi l’auteur des violations à y mettre fin 205.

197
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 208.
198
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 86.
199
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 89.
200
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 130.
201
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 86.
202
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1990-1999), II, 130.
203
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 68.
204
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 164.
205
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 162

38
Pour Djéréké, les membres de l’Église - évêques, prêtres et laïcs - sont appelés à être
des prophètes, c’est-à-dire, qu’ils doivent accepter de se dresser avec audace, pour dénoncer
toutes formes d’injustice, de marcher à contre-courant sachant que ceci suscite des ennemis 206.
C’est aussi avoir un langage libre par rapport aux appareils, aux idéologies, et aux intérêts de
classe. Le langage n’est libre et vrai que lorsqu’il ne fait pas preuve de démagogie et ne
caresse pas le peuple et les politiciens dans le sens du poil, mais parle de façon à être compris
de ceux à qui il s’adresse207.

Les évêques, successeurs des apôtres, sont appelés à être des coopérateurs de la vérité
comme demandé par le Christ « si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes
disciples, vous connaîtrez la vérité et la vérité fera de vous des hommes libres » (Jn 8, 32). De
fait, ils n’ont pas à attendre que la vérité vienne des hommes politiques qui sont souvent
enclins à mentir, à ne pas reconnaître leurs erreurs, car les mensonges ont toujours été
considérés comme des outils nécessaires et légitimes non seulement du métier de politicien
mais aussi de l’homme d’État208. Il revient donc aux évêques de dire tout haut ce que tout le
monde pense tout bas.

L’engagement politique du prêtre relève de la misère et de la souffrance des siens 209.


Autrement dit, il ne devrait jamais être en paix quand ses ouailles, les âmes pour lesquelles il
prie nuit et jour et offre des messes, sont honteusement exploitées et leurs droits
fondamentaux piétinés210. Ce qu’on attend du prêtre, c’est qu’il parle à tous parce qu’il est à
tous, qu’il dise la vérité à tout le monde211. « On se fait prêtre parce qu’on désire courir avec le
Christ le risque d’une vie vouée à rappeler aux méchants qu’affamer, opprimer, humilier ou
torturer l’homme, c’est insulter Dieu »212. De fait, le prêtre s’engage en Politique, afin de
« former les consciences, à promouvoir la dignité humaine et à défendre les droits de
l’homme envers et contre tout »213. Il s’agit donc pour les prêtres de « se faire les défenseurs
des valeurs qui fondent la dignité humaine, s’opposer de toutes leurs forces à tout ce qui
rabaisse la personne humaine, provoque la violence, l’oppression, la guerre et les maux de
toutes sortes »214.

206
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989), I, 13.
207
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989), I, 112.
208
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 117.
209
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 18.
210
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 16-17.
211
J.-C. DJÉRÉKÉ, Réflexions sur l’Église catholique en Afrique, 26.
212
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 18.
213
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 20.
214
Le SCEAM cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 20.

39
Même si, les évêques et les prêtres, au nom du Christ leur modèle et la mission de
l’Église par laquelle ils sont appelés à un engagement politique, il faut reconnaître qu’ils n’ont
pas la science infuse. En effet, ils peuvent avoir des limites ou des carences, en particulier
dans les choses dites profanes. C’est pourquoi, il y a la nécessité pour ces derniers de
collaborer avec les chrétiens laïcs pour examiner les problèmes 215. Les hommes d’Église
« doivent apprendre à travailler avec les laïcs, à les écouter, à les respecter »216. Les laïcs
devraient être davantage consultés et entendus si les hommes d’Église veulent que leurs lettres
pastorales soient entendues. « Il faudrait donc qu’ils soient impliqués d’une manière ou d’une
autre dans la production des lettres pastorales »217. Dans une Église post-Vatican II, dit
Djéréké, les prêtres et les évêques, ne doivent pas être les seuls à monter au créneau pour
interpeller ou encourager, pour dénoncer ou annoncer, pour s’opposer ou proposer. De fait, les
laïcs doivent prendre aussi la parole, oser se prononcer sur les questions qui se posent dans la
société et dans l’Église218. Car, il n’est pas impossible que les laïcs soient libres et
responsables, capables d’allier une analyse lucide et sans complaisance des réalités, avertie de
leurs possibilités comme de leurs contraintes, avec une fidélité sans défaillance à
l’Evangile219. Au mieux, les laïcs doivent s’engager dans la politique « comme parlementaires,
maires, ministres ou chefs d’État pour y vivre autre chose que le mensonge, le culte de la
personnalité, la délation, les coups bas, l’enrichissement d’une minorité au détriment de la
majorité, la violence physique et verbale, l’intolérance et l’arrogance »220. Car, il est
important, voire impérieux, qu’au cœur des sociétés humaines, il existe des hommes - faisant
allusion aux laïcs - qui soient crédibles afin que, forts de leur autorité morale certaine, ils
puissent servir de force d’apaisement et de médiation 221.

4. La critique de Jean-Claude Djéréké sur l’engagement politique de l’Église

La théologie Politique chez Djéréké, telle que présentée, est très exigeante sur
l’engagement de l’Église. Il s’agit d’un engagement avec courage, un esprit ferme, une foi
inébranlable, à être du côté de tous les opprimés et, si nécessaire, jusqu’au sang, mais dans la
non-violence. Parce que l’Evangile pousse à récuser la voie des armes et de la violence pour
sortir des conflits et des crises 222. A cet effet, dans la présentation de la théologie politique,
215
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989), I, 67.
216
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 46.
217
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 44.
218
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 151.
219
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 151.
220
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 144.
221
Grah Mel Cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé en Afrique noire, 268.
222
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989), I, 111.

40
Djéréké fustige certains comportements des hommes d’Église. Il s’agit de la qualité de leurs
discours ou lettres quand il faut se prononcer sur une situation sociale et politique ou
s’adresser aux hommes politiques, sur la dépendance financière de l’Église ou la politique du
« donnant donnant » des hommes d’Église, sur des conflits entre les hommes de l’Église
surtout dans la hiérarchie, sur la formation du clergé et l’infantilisation des laïcs par le clergé.

Parce que Jésus n’a jamais ménagé ses critiques aux chefs officiels et du fait qu’il ne
disait rien en secret ou en cachette, mais adressait des critiques beaucoup explicites à ceux qui
détenaient les pouvoirs223, les hommes d’Église ne doivent pas avoir la langue de bois. En
effet, pour Djéréké, face à des crises politiques, sociales et économiques qui oppriment
l’homme dans ses droits fondamentaux et le conditionnent à une situation d’injustice, le
langage prophétique doit prendre le pas sur le langage diplomatique. Le vrai prophète n’a pas
la langue enjôleuse, ne fait pas de preuve de démagogie et ne caresse pas dans le sens du
poil224. De fait, les discours des hommes d’Église, ne doivent pas être voilés, quand ils
s’adressent aux hommes politiques sur des évènements du pays225. C’est pourquoi, à la suite
des différentes analyses qu’il fait dans ses écrits sur l’engagement politique de l’Église,
Djéréké s’insurge lorsque, faces aux crises ivoiriennes, la conférence épiscopale ne touche pas
du doigt les problèmes politiques, économiques ou sociaux, n’interpelle pas les responsables
politiques et ne s’engage pas activement pour remédier à la situation. A cet effet il affirme :

La hiérarchie catholique ne s’est pas prononcée sur tous les évènements politiques du pays
entre 1960 et 1979. Par exemple, aucune déclaration, aucune lettre pastorale, aucune
homélie pour dénoncer ou condamner l’emprisonnement de plusieurs cadres ivoiriens à la
suite des faux complots de 1963 - 1964, l’arrestation des étudiants grévistes de mai 1969, la
répression de la tentative de sécession du Sanwi (novembre 1969), le massacre des Guébié
(octobre 1970) ou la première offensive du régime contre les enseignants du secondaire et
du supérieur (mars 1971)226.

Sur ce même point, le Père Porcellato Antonio fait le même constat. Parlant de
l’archevêque d’Abidjan pour son intervention dans le débat socio-politique, il affirme qu’il ne
s’est pas prononcé ouvertement. « Les prises de position publiques et officielles, adressées à
la Nation dans son ensemble, restent, somme toute, assez rares. Les appréciations et les
critiques concernent surtout les aspects sociaux et ne visent jamais directement l’œuvre du
gouvernement en tant que tel ».227 On retrouve cette même critique chez certains laïcs. En
223
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 201.
224
B. Chenu, cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989), I,
112.
225
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989), I, 108.
226
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 184.
227
Antonio Parcellato cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire,
187.

41
effet, la majorité de ceux qui ont été approchés par Djéréké regrettent que les évêques
s’expriment en des termes trop généraux et trop vagues. Les mêmes laïcs se sont montrés
sceptiques quant à l’efficacité des actions souterraines des hommes d’Église 228. Pour Djéréké,
« si certains silences sont d’or, il en est d’autres qui peuvent cacher des lâchetés et des
complicités avec l’inacceptable »229. Les gens persécutés ou écrasés attendent de leurs
pasteurs, non qu’ils ménagent la susceptibilité des gens au pouvoir, mais qu’ils dénoncent et
condamnent courageusement la violation des droits de l’homme230.

En plus du discours des hommes d’Église, Djéréké critique aussi la dépendance


financière de l’Église. En effet, pour Djéréké, si l’Église veut parler librement, sans langue de
bois, si elle veut être la bouche des malheureux qui n’ont point de bouche, elle doit être
entièrement indépendante financièrement vis-à-vis du pouvoir politique. A cet effet, il
souligne que si les évêques manquent de critique claire, ouverte et vigoureuse, c’est parce
qu’entre autre, l’Église dépend quelques fois financièrement du pouvoir politique 231. En effet,
parlant du cas spécifique de la Côte d’Ivoire, Djéréké souligne que « en 1970, l’église reçut
du gouvernement la somme de 200 millions de francs CFA. Une somme qui permit à la
conférence épiscopale d’augmenter le salaire versé aux enseignants de l’école catholique,
beaucoup moins payés que leurs collègues de l’enseignement public »232. Pour lui, ce
financement explique le silence de la hiérarchie catholique sur les évènements politiques du
pays entre 1960 et 1970233. Les évêques ne sont pas obligés, pour financer tel projet ou faire
face à telle difficulté de s’adresser aux gouvernants 234. Sous Sékou Touré en 1967 « les
catholiques guinéens ont apporté la preuve que, avec un peu de volonté, d’imagination et de
gestion transparente, l’Église peut se prendre en charge »235. La dépendance financière rend
incapable de penser et de parler librement. En outre, la foi suppose l’autonomie, la prise en
charge de soi, de son être dans-le-monde236. Se prendre en charge implique que :
prêtres et évêques aient le courage d’abandonner certaines œuvres dont l’entretien coûte
cher. Cela exige aussi que le clergé consente à vivre plus modestement. Car on ne peut,
pendant la messe, soumettre les fidèles à plusieurs quêtes, leur parler sans cesse d’argent et,
en même temps, se permettre de voyager en première classe ou de rouler dans une grosse
cylindrée même offerte237.

228
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 208.
229
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 209.
230
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 209.
231
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 221.
232
Marc Kouame cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 185.
233
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 184.
234
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 221.
235
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 221.
236
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 152.
237
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 152.

42
En outre, selon Djéréké, l’Église ne devrait pas succomber à la « politique du ventre »,
avec des régimes corrompus, meurtriers et autoritaires. Par « politique du ventre », il faut
entendre la conformation à un système d’anti-valeurs, (par exemple un régime dictatorial)
dans le seul but d’en tirer son propre bénéfice 238. En effet, pour continuer à bénéficier de
l’aide financière et autres avantages matériels de la part du gouvernement,
l’Église s’abstient de critiquer l’État aussi longtemps que ces privilèges sont assurés et protégés
par l’État. Celui-ci, en retour, se montre le plus généreux possible pour éviter d’être interpellé
quand des injustices sont commises ou que des atteintes sont portées aux droits de l’homme par
ses dirigeants239.

Cette disposition de l’Église, Kä Mana l’appelle la « capitulation de la foi dans une


société que les pouvoirs autocratiques précipitent dans un monde sans foi ni loi »240. Ainsi,
pour Djéréké, il est clair que, la collusion de certains hommes d’Église avec les hommes au
pouvoir a certainement permis à ces hommes d’Église de bénéficier de certains avantages et
privilèges matériels, mais le revers de la médaille les a empêchés de dénoncer injustices et
abus de pouvoir241. La hiérarchie ecclésiastique ne pourra préserver sa liberté de la parole que
si elle est financièrement autonome242.

Djéréké critique aussi la division au sein de la hiérarchie catholique. Pour lui il n’y a
rien de plus scandaleux que de voir des gens que le Christ a voulu unis (Jn 17, 21) se soient
laissés diviser par les politiciens. Il écrit à cet effet :

des évêques se sont désolidarisés de leurs confrères quand il s’est agi de dénoncer des
injustices ou de condamner des lois dangereuses dans leur pays, pourquoi des conférences
épiscopales n’ont pas toujours parlé d’une voix, pourquoi certains hommes d’Église sont
plus estimés que d’autres par des régimes dictatoriaux (…) si le changement en Afrique a
tardé à s’opérer (…) c’est en grande partie en raison de cette division de l’Église au
sommet(…) Les divisions de la hiérarchie catholique ont fortement contribué à faire de
l’Afrique ce qu’elle est devenue aujourd’hui : un continent appauvri, à genoux et sous
perfusion243.

Deux exemples suffisent pour étayer ses propos. Le premier est l’affaire « Mgr
Ndongmo », l’évêque de Nkongsamba au Cameroun (1970 - 1971). Ce dernier a été sollicité
par le président d’alors, Ahmadou Ahidjo, pour rencontrer les rebelles upécistes et les
convaincre de renoncer à la violence. Alors qu’il réunissait les conditions pour accomplir sa
mission, il fut accusé de vouloir renverser le régime et condamné à mort. En réaction à cette

238
KÄ MANA, Cité par Djéréké, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 49.
239
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 49.
240
KÄ MANA, Christ d’Afrique, Karthala, Paris, 1994, 169.
241
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 55.
242
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 227.
243
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 68.

43
accusation, les évêques du Nord-Ouest anglophone, publièrent une lettre non seulement pour
se solidariser avec l’évêque de Nkongsamba, mais aussi et surtout pour rejeter les accusations
grossières et malveillantes du régime. Cette lettre sera lue dans tous les diocèses du pays à
l’exception de celui de Yaoundé où siège Mgr Jean Zoa. Pour lui « il est hors de question de
confondre Mgr Ndongmo avec l’Église catholique et, soulignera-t-il, s’il est prouvé que
l’évêque de Nkongsamba est bel et bien coupable d’avoir voulu faire un coup d’État contre
Ahidjo, il doit payer seul »244.

Le second exemple est celui de la Côte d’Ivoire lorsque le pape Jean-Paul II venait
pour la consécration de la basilique Notre Dame de la Paix à Yamoussoukro (1990). Pendant
que d’un côté, le Cardinal Yago et son auxiliaire Paul Dacoury s’opposent à cette
consécration parce que le coût de la construction aurait pu servir à la construction des écoles,
des universités et des hôpitaux ou encore à améliorer la condition des fonctionnaires qui
traversaient une crise financière à cette époque. De l’autre côté, les évêques partisans de la
consécration, voyaient en la basilique un joyau architectural qui pouvait être bénéfique pour la
Côte d’Ivoire.

A la critique de la division dans la hiérarchie catholique, s’ajoute celle de la formation


du clergé. Pour Djéréké, l’Église doit sortir des séparations entre action et réflexion. Le fait
que la formation à l’évangélisation prenne une forme caritative et spirituelle au détriment des
réflexions sur la meilleure façon d’être authentiquement africain et authentiquement
chrétien245 est pour Djéréké un handicap dans l’engagement politique des prêtres. En effet,
pour lui, le tout n’est pas d’avoir des diplômes dans des universités de renom, mais « oser
écrire, soumettre des idées à l’appréciation des autres, participer au débat public, prendre
position sur les problèmes et défis du continent et de l’Église en Afrique »246. Cette culture
intellectuelle a beaucoup manqué dans formation du clergé en Côte d’Ivoire, car les pères
missionnaires de la Société des Missions Africaines (SMA) étaient beaucoup plus préoccupés
à avoir des prêtres capables d’action (de dire la messe, de célébrer les mariages…) et non des
penseurs comme si l’un (agir) excluait l’autre (penser) 247. Pour Djéréké, pour un bon
engagement politique, il faut apprendre à penser le monde à nouveaux frais, parce que la
société est changeante. « De nouveaux problèmes se posent à elle. Pour les résoudre, nous
avons besoin d’interroger d’autres disciplines que la bible et la théologie »248. En outre, parce
244
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 69.
245
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 155.
246
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 156.
247
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 156.
248
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 158.

44
qu’il n’est guère certain que des prêtres ayant reçu une formation approximative puissent
répondre aux attentes d’une Afrique qui compte aujourd’hui plus de diplômés
qu’auparavant249, surtout dans des disciplines théologiques.

Une dernière critique que nous retenons de Djéréké est la place et la participation des
laïcs dans l’Église. A ce propos, il dit ceci :

On remarque par ailleurs que ceux qu’on appelle les fidèles laïcs ne sont pas associés à la
participation des lettres qui leur sont destinées. En effet, les fidèles sont rarement consultés.
Rarement, leur savoir en matière d’affaires économiques et politiques est sollicité. Rarement,
ils ont l’occasion de dire comment ils vivent dans les villes ou villages, ce qu’ils pensent sur
leurs dirigeants politiques ou religieux. Bref, ils n’ont pas encore de voix au chapitre soit
pour donner leur avis sur la marche de l’Église et de la cité, soit pour faire des propositions à
même de faire avancer l’Église et la cité. (…) les fidèles sont encore considérés par bon
nombre de prêtres et d’évêques en Afrique comme des gens dont prêtre et évêques attendent
une seule chose : accepter et exécuter sans murmurer ce que le clergé aura décidé pour
eux250.

Poursuivant avec les propos d’Achille Mbembe, Djéréké affirme qu’« en


dépit des déclarations officielles sur le rôle des laïcs, tous les efforts de renouveau
semblent dépendre, dans la pratique de l’agrément et de la disponibilité des
curés »251. Il exprime mieux cela avec les mots de Meinrad Hebga, en ces termes :

Même les concessions faites aux laïcs (…) n’ont fait que renforcer l’emprise des clercs sur
les rouages vitaux des Églises. D’abord ce sont eux qui reconnaissent aux laïcs les fonctions
et les droits donnés par Dieu, les leur restituant petit à petit ; mais surtout, ils revendiquent
une autorité de gouvernement exclusive et sans partage, en vertu d’une disposition divine 252.

Une telle perception des fidèles et de leur rôle dans l’Église est méprisante, voire
offensante pour la dignité des laïcs, telle que présentée dans le deuxième Concile du Vatican.
En effet, le second concile affirme qu’il « existe entre tous - évêques, prêtres et laïcs - une
véritable égalité, sur les plans de la dignité et de l’action commune, en ce qui regarde
l’édification du Corps du Christ »253. Il ne suffit pas cependant, de déplorer le fait que les laïcs
ne soient pas associés à l’engagement politique de l’Église. Encore « faut-il que ces derniers
soient formés aux valeurs évangéliques et à l’enseignement social de l’Église (…) car là est le
grand problème aujourd’hui : l’ignorance dans laquelle vivent bon nombre de laïcs, de
l’enseignement social de l’Église »254.

249
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-2005), III, 158.
250
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 39.
251
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 40.
252
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 39.
253
CONCILE VATICAN II, Lumen Gentium, 1965, n°32.
254
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire, 242.

45
Conclusion partielle

Ce chapitre nous a permis de comprendre la théologie politique chez Djéréké. Cette


dernière part de la sequela Christi à travers la christologie d’en bas d’une part ; d’autre du
sens large de la Politique. Dans sa christologie d’en bas, Djéréké présente le Christ dans
l’histoire comme celui qui ne ménage pas avec le pouvoir des scribes et des pharisiens. Un
pouvoir qui exploite et abuse de la population au nom de certaines lois et règles. Par des
critiques âpres et des prises de position, le Christ défend la cause de la population et des
pauvres par la non-violence. En outre, tout en reconnaissant l’autorité du pouvoir politique
romain, il ne l’a jamais sacralisé. C’est à cette suite du Christ que Djéréké invite l’Église à
travers la Politique. Il s’agit du sens large qui invite l’Église a s’engagée, par des écrits et des
manifestations, du côté de la population opprimée, face à une politique pervertie. Pour finir,
Djéréké critique la tiédeur de l’Église face aux hommes politiques ou aux crises sociales et
politiques, sa dépendance financière du politique, ses conflits entre la hiérarchie, la formation
du clergé et la mise à l’écart des laïcs. Le chapitre qui suit permettra de déterminer la
pertinence de cette conception de la théologie politique.

46
Chapitre III : LA THEOLOGIE POLITIQUE DE JEAN-CLAUDE DJÉRÉKÉ FACE

A CELLES DE JOHANN BAPTIST METZ ET DE JEAN-MARC ELA

Introduction partielle

Ce chapitre est la première partie critique de notre travail qui consiste à jauger la
quintessence de la théologie politique de Jean-Claude Djéréké par rapport d’autres. Il s’agit,
en premier lieu, de faire un dialogue entre la théologie politique de Djéréké et celle de Johann
Baptist Metz, présenté comme le Père de la théologie politique en Europe 255. En second lieu,
avec celle de Jean-Marc Ela, considéré par ses pairs comme le théologien africain de la
libération par excellence256. A cet effet, nous allons présenter les articulations qui nous sont
clés dans la théologie politique de l’un et de l’autre, surtout ce qu’ils ont de plus que Djéréké.
Le dialogue consistera à montrer les points communs et les différences entre la théologie
politique de Djéréké et celle de nos deux auteurs.

1. La théologie politique de Johann Baptist Metz

Quand on parle de « théologie politique », on pense évidemment à Johann Baptist


Metz. À cette notion, Metz renvoie d’une part, à un correctif opposé à une propension
marquée de la théologie contemporaine à n’envisager, dans l’être humain, que l’aspect
relevant du « domaine privé ». D’autre part, il représente une tentative d’expression du
message eschatologique, en fonction des circonstances spécifiques où vit la société actuelle 257.
Ce théologien allemand, disciple de Karl Rahner, s’est donné pour tâche de rendre compte de
la dimension sociale et politique de la foi chrétienne. A travers la théologie politique, Metz a
développé une théologie incarnée dans l’histoire du monde, où la foi entretient un rapport
dialectique et critique permanent avec le présent historique. Cette dernière permet à l’Église
d’avoir un impact, au titre même de sa foi et des moyens d’action qu’elle lui donne, sur la vie
de la cité et ses formes d’organisation, dans le cadre d’une société sécularisée 258. Il s’agit de
penser théologiquement le rôle proprement politique de la foi chrétienne et de l’Église dans
laquelle elle est vécue.

255
Jean-Louis SOULETIE, « La théologie politique : enjeux pour l’Église en France », dans La Croix, 2004 ;
https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Theologie/La-theologie-politique-enjeux-pour-l-Eglise-en-France
(19/02/21)
256
Bénézet BUJO — Juvénal ILUNGA MUYA, Théologie africaine au XXIe siècle, II,180.
257
Johann Baptist METZ, « Théologie politique et liberté critico-sociale », dans Concilium, 36 (1968), 9.
258
Henri-Jérôme GAGEY— Jean-Louis SOULETIE, « Sur la théologie politique », dans Raisons politiques, no 4
(2001), 168 ; https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2001-4-page-168.htm (19/02/21)

47
Toute la pensée « théologique politique » de Metz est sous-tendue par l’affirmation
qu’une théologie responsable ne peut laisser en dehors de son champ de préoccupation
l’impact de la foi dans l’histoire et la société et qu’elle doit, au contraire, en vérifier sans cesse
la nature évangélique259. En effet, Metz soutient que l’idée chrétienne et biblique de Dieu, est
une idée essentiellement pratique, qui construit l’identité présente du sujet, sur la base même
de son existence260. D’où sa définition du programme d’une « théologie politique » qui prend
acte que l’Église en tant qu’institution sociale a nécessairement une influence efficace sur la
vie collective et qu’il lui incombe donc d’en répondre. Cette « théologie politique »
entreprend de s’interroger sur les interventions que l’Église doit effectuer de manière réfléchie
« en fonction de son outillage propre » (les forces sociales qu’elle peut mobiliser, la tradition
de la foi, l’écoute priante de la Parole, les sacrements, etc.) en vue d’ouvrir des possibles dans
la société261.

Metz développe dans sa théologie politique, une morale politique en dégageant les
conséquences de la foi dans l’engagement des chrétiens. C’est ici toute la signification de la
politique : la mystique de la « suite » du Christ n’est jamais détachée du contexte social ou de
la situation politique, elle n’est donc pas étrangère aux souffrances et aux conflits du
monde262. C’est pourquoi il propose une prise de position en faveur du pauvre et du petit et de
toutes les victimes comme conséquence d’une prise au sérieux de la Croix. La théologie de
Metz se veut donc effectivement politique, en ce sens que son apport essentiel est de
démontrer qu’il n’y a pas de théologie politiquement innocente : le sujet de la théologie est
toujours un être politique par son enracinement dans l’histoire et dans la société ; la relation à
Dieu ne saurait donc être le fait d’un individu isolé 263. De ce qui précède, nous voulons mettre
en exergue trois aspects de la théologie politique de Metz à savoir, d’abord, l’idée de Dieu ;
Ensuite, Dieu qui se manifeste dans l’histoire et dans l’existence humaine en prenant le parti
des pauvres et des opprimés ; Enfin, la sequela Christi, comme engagement des chrétiens à
partir des pratiques et les moyens éthiques de l’Église.

L’idée de Dieu chez Metz se comprend, dans la Bible, comme celle d’un Dieu au cœur
de l’existence humaine d’une part ; d’autre part comme celle d’un Dieu de justice universelle.
259
Johann Baptist METZ, La foi dans l’histoire et dans la société. Essai de théologie fondamentale pratique,
traduction par Paul CORSET et Jean-Louis SCHLEGEL, Paris, Cerf, 1979, 99.
260
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 83.
261
H.-J. GAGEY— J.-L. SOULETIE, « Sur la théologie politique », 175.
262
Pierre-Yves MATERNE, Vers une herméneutique pratique du christianisme. Confrontation entre les
théologies de Johann Baptist Metz et de Stanley Hauerwas, Thèse de doctorat, Université catholique de Louvain-
Faculté de théologie, 2009, 53.
263
H.-J. GAGEY— J.-L. SOULETIE, « Sur la théologie politique », 168.

48
Ce qui fait que chez Metz, la question de Dieu et la question de la justice sont indissociables.
Dieu n’est pas une idée close à l’histoire du peuple d’Israël, mais une idée qui se vit dans
l’histoire et dans l’existence de l’humanité, dans la mesure où l’histoire du peuple d’Israël
révélée dans la Bible, doit se lire en dialectique avec celle de l’humanité tout entière. En effet,
l’histoire de la religion biblique, révélée à travers l’histoire du devenir-sujet du peuple
d’Israël, ne doit pas être isolée de l’histoire de Dieu dans l’humanité. En d’autres termes, « les
histoires de foi de l’Ancien et du Nouveau Testament ne viennent pas s’ajouter à une
humanité déjà constituée dans son être-sujet comme une superstructure ou un accessoire
sacralisant. Elles sont au contraire des récits de la constitution dramatique de l’être-sujet
humain - justement dans son rapport à Dieu »264. L’histoire de la naissance d’Israël dans
l’Ancien Testament, montre comment l’Exode a été pour Israël le caractère dynamique des
déterminations qui ont fait du peuple l’être-sujet de son histoire. Au milieu des angoisses de
l’Exode, grâce à la religion, le peuple a su relever la tête, afin d’être appelé en plein danger, à
être élu. Pour le peuple d’Israël, la religion s’est engagée dans la construction même de leur
265
être-sujet . L’Exode constitue pour le peuple juif une expérience de libération de
l’esclavage, en Égypte sous pharaon, par la main du Dieu libérateur. Cette expérience
d’oppression a ouvert l’homme et l’humanité tout entière à la puissance créatrice de la
libération. En effet, dans son rapport à Dieu, l’homme n’est pas soumis à la condition de
servile ni d’humiliation. Bien au contraire, dans son rapport à Dieu, la religion pousse sans
cesse l’existence de cet être-sujet, face aux pires dangers qui le menacent, à relever la tête.
« Ainsi la prière presse celui qui prie de rester sujet (…) elle l’oblige à devenir sujet devant
ses ennemis et, au milieu de l’angoisse, à ne pas perdre son nom, son visage, à ne pas se
perdre lui-même »266. De cette appréhension, nous comprenons que l’idée chrétienne et
biblique de Dieu, est une idée qui construit l’identité présente, à la base même de
l’existence267.

De cette même idée de Dieu, se dégage celle du Dieu de la justice universelle 268. Par
cette assertion il faut comprendre que, la justice de Dieu ne se limite pas à l’histoire d’Israël.
Elle se réalise dans les conditions de l’existence de l’homme. En d’autres termes, ce que la
Bible dit dans le langage d’un christianisme itinérant et villageois, c’est à l’Église universelle

264
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 82.
265
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 82.
266
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 83.
267
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 83.
268
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 99.

49
de se le dire et de le prendre au sérieux 269. De fait, la justice d’Israël révélée dans la Bible,
prend une proportion universelle grâce à l’Église. Cette universalité de la justice de Dieu se
comprendre par le fait que les chrétiens, dans l’histoire de l’humanité, font toujours preuve de
lutte pour l’homme d’une part ; d’autre part, par le fait que cette lutte est pour tous les
hommes dans la mesure où ses principes peuvent être appliqués partout. En effet, les chrétiens
d’ici peuvent être ceux qui aident et qui sont solidaires aux souffrances d’ailleurs, dans la
mesure où, « à la lutte directe du peuple pauvre et opprimé là-bas doivent correspondre ici la
lutte et la résistance contre les idéaux bien polis de la richesse toujours plus grande, du bien-
270
être toujours mieux » . Dieu est donc le Dieu d’une justice universelle dans la mesure où,
dans toutes les sociétés, par l’action des chrétiens, il brise les valeurs qui oppriment l’homme
et sauve ceux qui souffrent injustement 271. Ainsi, face à l’immense cri de misère et de
pauvreté vers le ciel, l’Église ne peut que prendre le parti des pauvres et des victimes ou des
otages des oligarchies impitoyables. C’est pourquoi chez Metz, « le sujet de la théologie est
aussi sujet de l’histoire et de la société. La théologie fondamentale pratique opte ici pour un
décloisonnement car la question de Dieu et celle de la justice sont intimement liées »272.

Pour Metz, une théologie responsable se doit de répondre en s’interrogeant sur les
effets politiques de la foi dans une situation donnée pour en vérifier la conformité à
l’Évangile273. Voilà pourquoi, dans sa théologie politique, Metz met en évidence Dieu prenant
le parti des pauvres et des opprimés dans l’histoire humaine. Cette disposition, relève du fait
que la foi est mémoire de la souffrance de l’humanité. En effet, pour Metz, la foi chrétienne
est un souvenir eschatologique susceptible d’ouvrir l’avenir : « la foi chrétienne est une
attitude où l’homme se souvient des promesses annoncées et d’espérances vécues à cause de
ces promesses, une attitude où il se lie à ces souvenirs pour vivre sa vie »274. Ce souvenir de la
mémoire en laquelle consiste la foi chrétienne est mémoire de la souffrance, d’une part, du
peuple de Dieu qui, opprimé par l’Exode, se façonne par la mémoire des promesses de Dieu ;
et d’autre part, la mémoire du Seigneur crucifié, memoria passionis, mortis et resurrectionis
Jesu Christi, bien déterminée sur laquelle se fonde la promesse de la libération pour tous 275.
Cette mémoire qui rend présent le souvenir du Dieu d’Israël et du Seigneur crucifié,

269
Johann Baptist METZ, « Le regard d’un théologien européen », dans Concilium, n° 232 (1990), 138.
270
Johann Baptist METZ, « Religion messianique ou religion bourgeoise ? La crise de l’Église en République
Fédérale d’Allemagne », dans Concilium, n° 145 (1979), 97.
271
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 96.
272
P.-Y. MATERNE, Vers une herméneutique pratique du christianisme, 52.
273
Henri-Jérôme GAGEY « L’énigme de la « théologie politique » », dans Documents-Épiscopat n° 8 (2002), 5.
274
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 225.
275
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 131.

50
détermine des moyens de libération, dans les systèmes sociaux de la civilisation
contemporaine276. On peut dire que le souvenir de la mémoire « presse le présent et le met en
cause, parce qu’il fait souvenir vers un avenir non encore éprouvé. Un tel souvenir fait éclater
le joug de la conscience dominante. Il réclame des conflits encore inouïs, refoulés jusqu’à
aujourd’hui, et des espérances hors prix »277. C’est pourquoi, pour Metz, il est important que
la conscience humaine se rende compte de sa responsabilité à l’égard des injustices dans le
monde. Cette responsabilité permet de définir le sujet à partir de ses actions mais également
de sa souffrance. De fait, sa théologie implique un combat contre les formes d’oppression et
de haine pour que tous les hommes puissent être reconnus dans leur dignité. L’Évangile des
chrétiens devient alors politique et engage politiquement du seul fait qu’il proclame que tous
les hommes sont sujets devant Dieu278. Parce que le souvenir de la mémoire dans les Écritures
interdit d’oublier et d’ignorer les nombreuses croix du monde, de passer sous silence les
nombreuses douleurs, les innombrables échecs anonymes, la souffrance réduite au silence, la
persécution de tant d’hommes279. Ce qui fait que penser Dieu, non seulement nous conduit à
réviser les intérêts et les besoins trop immédiatement orientés sur nous-mêmes 280, mais aussi
nous pousse à justement sortir des situations et des instants de graves menaces281.

La théologie politique de Metz est une théologie « engagée », qui s’appuie sur
l’exigence d’une éthique chrétienne de l’engagement, qui implique une option préférentielle
pour les pauvres. Celle-ci ressort de sa relecture de la tradition biblique présentant un Dieu
intervenant dans l’histoire pour sauver son peuple. Metz affirme que « l’acte historique de
devenir sujet, pour un peuple, une race ou une classe, commence pratiquement toujours quand
ils brisent le joug de la conscience « officielle » de l’histoire en la démasquant comme
propagande des puissants et des maîtres »282. De fait, face aux opprimés et aux sujets qui n’ont
pas eu leur part de la vie, face aux nécessiteux, mais aussi face aux vaincus, tout au long de
l’histoire de la souffrance de l’humaine, « plus que jamais, on fait appel aux capacités de la
religion pour sauver l’identité de l’homme »283. Les chrétiens interviennent pour un devenir-
sujet solidaire de tous ; ils résistent au danger de voir se désagréger le sujet humain dans

276
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 129.
277
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 225.
278
Johann Baptist METZ, Pour une théologie du monde, Traduction par Hervé SAVON, Paris, Cerf, 1971, 94.
279
Johann Baptist METZ, Un temps pour les ordres religieux ? Mystique et politique à la suite de Jésus,
Traduction Jean-Louis SCHLEGEL, Paris, Cerf, 1981, 89.
280
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 70.
281
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 83.
282
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 89.
283
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 96.

51
l’histoire marquée sournoisement par l’évolution284. Cette intervention chrétienne est une
détermination morale permanente de la praxis sociale, qui rend possible et garantit son
devenir-pratique comme critique de la violence ou d’une continuité de la violence, contre une
logique de la violence et de la haine 285. Ainsi, l’idée de Dieu invite à être-sujet dans
l’existence humaine, ou à prêter assistance sans condition à ceux qui veulent devenir sujets,
face à l’oppression et au rejet286. La théologie politique de Metz prend comme champ d’étude
le sujet impliqué dans la société où il est en relation avec d’autres, sans se limiter aux «
proches », qui attendent la justice et la paix.

En faisant mémoire que Jésus s’est mis du côté des opprimés et qu’il a annoncé par sa
vie la puissance de Dieu comme amour sans réserve, la communauté des chrétiens annonce le
salut offert à tous. Cette mémoire subversive qui vient de la foi chrétienne peut prendre une
forme concrète grâce à l’Église287, en luttant contre les pratiques sociales et politiques qui vont
à l’encontre de la dignité humaine, tout comme elle a usé de ses ressources théologiques pour
dénoncer les totalitarismes politiques. En plaçant la sequela Christi au cœur de la foi
chrétienne, Metz ne fait pas de la christologie, le cadre d’un système conceptuel sans le sujet,
mais dans les histoires de ceux qui suivent Jésus 288. En effet, « la christologie n’est pas
seulement un enseignement sur la suite de Jésus, elle se nourrit, au prix de sa vérité propre, de
cette suite pratique. Elle exprime par essence un savoir pratique »289. De fait, la foi en tant
que don de soi plein de confiance à la volonté de Dieu, est ici avant tout la marche sur un
chemin, qui consiste à suivre le Christ, la Vérité et le Chemin. Ce qui fait que « tout essai de
le connaître, de le comprendre, est chaque fois une marche, une marche à la suite du
Christ »290. Cette foi en Christ est en relation avec la foi dans le Dieu de l’histoire et ne doit
pas détourner les hommes de leur aspiration à la libération. Au contraire, elle garantit un
combat persévérant en faveur de la dignité de tout être humain et de la libération universelle.
La foi en la résurrection des morts n’est pas d’abord une consolation pour le peuple. Elle
suscite plus radicalement un témoignage vivant en faveur de l’amour et de la justice dans le
monde.
Cette foi au Dieu des vivants et des morts partage en un sens l’intérêt marxiste et socialiste
pour le devenir-sujet solidaire des hommes, notamment des défavorisés et des opprimés, et
284
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 97.
285
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 77.
286
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 96.
287
P.-Y. MATERNE, Vers une herméneutique pratique du christianisme, 193.
288
Johann Baptist METZ, « En face des Juifs. La théologie chrétienne après Auschwitz », dans Concilium, n°
195 (1984), 54.
289
J. B. METZ, Un temps pour les ordres religieux ? 33.
290
J. B. METZ, « En face des Juifs », 54.

52
elle s’oppose à une culture scientifique et technique qui engendre l’apathie, culture où la
« mort du sujet », l’éclatement du langage, le silence de l’histoire sont déjà théoriquement
anticipés291.

Pour Metz, le christianisme est fondamentalement une éthique qui commande une
certaine praxis. De fait, l’éthique chrétienne, en tant que réflexion critique, vise à rendre
compte des actions d’une communauté vivant à la suite de Jésus. « Le suivre radicalement,
voilà qui donnera une compétence religieuse »292. Cette suite va à l’encontre d’une domination
de l’homme sur l’homme et contribue à une maîtrise du pouvoir de sorte à promouvoir la
dignité humaine. Le témoignage qui concrétise cette suite du Christ est celui des ordres
religieux dans la pratique de l’obéissance au Dieu qui invite à une proximité et une
bienveillance à l’égard de toute personne. Dans cette perspective, Metz croit que les ordres
religieux sont en mesure d’offrir des modèles d’autorité légitime non seulement à l’Église
mais également à la société civile. Parce qu’« il ne s’agit pas d’obéir dans l’apathie ou
l’indifférence, le dos tourné aux hommes qui souffrent ! Le Dieu de cette obéissance ne
conduit pas à la recherche frénétique de notre identité. Il n’épuise pas en nous l’imagination
au service de la souffrance ; au contraire, il l’éveille et la nourrit »293. Ainsi, pour retrouver la
praxis de la foi, Metz invite à redécouvrir ce qu’il nomme le « paradigme synoptique de la
foi », à savoir la pratique de suivre Jésus :

La suite de Jésus implique non seulement une imitation de la façon d’être de celui-ci mais
elle dépasse les formes historiquement situées de cette dernière par l’appropriation de
nouvelles expériences liées à des contextes inédits. Autrement dit, la fidélité évangélique
invite à faire preuve de créativité pour répondre de façon plus juste à la présence dynamique
du salut dans le monde294.

Ainsi, au regard de l’histoire humaine de la souffrance, le chrétien par les moyens et


les pratiques de l’Église, arrive à une « rédemption libérant dans et par le Christ d’une part,
une libération de l’homme par lui-même, libération pour s’émanciper, libération
révolutionnaire et critique d’autre part »295.

291
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 99.
292
J. B. METZ, Un temps pour les ordres religieux ? 59.
293
J. B. METZ, Un temps pour les ordres religieux ? 56.
294
P.-Y. MATERNE, Vers une herméneutique pratique du christianisme, 57.
295
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 144.

53
2. Dialogue entre la théologie politique de Johann Baptist Metz et celle de Jean-
Claude Djéréké

À la lecture de la théologie politique chez Djéréké et chez Metz, plusieurs éléments


aussi bien communs que différents apparaissent. Cette partie de notre travail consiste à mettre
ces deux auteurs en dialogue afin de percevoir les différences ou les concomitances, surtout ce
que Metz peut apporter de plus chez Djéréké. Ceci étant, nous allons essayer de regarder chez
nos deux auteurs les points suivants : la notion de théologie politique, l’idée de Dieu, le sens
de la politique et les acteurs de la politique.

2.1. La notion de théologie politique


Parlant de la théologie politique, Metz présente deux aspects. Le premier est une
critique de la théologie bourgeoise et le second est une exigence à formuler un discours sur
Dieu dans les catégories de la résistance et du changement 296. La critique que Metz adresse à
la théologie bourgeoise est qu’elle est une abstraction du « sujet », c’est-à-dire, du discours
sur « l’homme » et sa « raison », sur son « autonomie » et sa « liberté »297. Elle pense devoir
défendre sans critique autant le sujet moderne que le sujet religieux 298. La théologie politique
dénonce le fait que la « théologie bourgeoise » ne prend pas Dieu au sérieux au sens où l’idée
de Dieu est une idée pratique. C’est pourquoi, concernant le deuxième aspect, elle représente
une tentative d’expression du message eschatologique, en fonction des circonstances
spécifiques où vit la société actuelle299. Selon Metz, la théologie doit prendre en compte non
seulement la dimension réellement historique du salut chrétien telle qu’elle ressort de toute la
Bible, mais aussi engager un certain type d’attitude prophétique à l’endroit de la vie
collective. C’est pourquoi, elle se présente davantage comme une éthique chrétienne de
l’engagement, qui s’appuie sur l’exigence éthique impliquée par l’option préférentielle pour
les pauvres qui ressort de la relecture de la tradition biblique présentant Dieu intervenant dans
l’histoire pour sauver son peuple300.

Dans la perspective de Djéréké, la théologie politique se présente plus comme une


critique de la part de l’Église sur la montée d’une certaine élite qui a pris le parti de se servir
au lieu de servir le pays et de se structurer en clans d’intérêts politiques, économiques privés,
hermétiquement fermés aux autres citoyens d’une part ; d’autre part sur la manière dont

296
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 20.
297
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 49.
298
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 51.
299
J. B. METZ, « Théologie politique et liberté critico-sociale », dans Concilium, 36 (1968), 9.
300
H.-J. GAGEY « L’énigme de la « théologie politique » », 6.

54
l’Église elle-même assume courageusement les questions journalières de paupérisation, de la
dégradation inquiétante des conditions de vie de la masse 301. Ce qui fait que la théologie
politique de Djéréké est essentiellement critique et particulièrement attentive aux problèmes
de société302 auxquels se trouvent confrontées la politique et la religion.

2.2. L’idée de Dieu

L’idée de Dieu chez Metz commence par l’histoire du peuple d’Israël et se poursuit
dans l’histoire de l’humanité. Il n’y a pas de discontinuité. C’est pourquoi il affirme que « les
histoires de foi de l’Ancien et du Nouveau Testament ne viennent pas s’ajouter à une
humanité déjà constituée dans son être-sujet comme une superstructure ou un accessoire
sacralisant »303. Dans la théologie politique de Metz Dieu est présent et vit en action au cœur
de l’existence de l’humanité et de son histoire. Dieu n’est pas une référence ; c’est plutôt
l’histoire de la Bible qui est une référence pour comprendre la présence et l’action de Dieu.
C’est justement parce que Dieu est présent au cœur de l’existence humaine et de l’histoire de
l’humanité, qu’il est le catalyseur de l’homme à devenir l’être-sujet de son histoire et celui des
autres. Ce qui fait que chez Metz, c’est au regard de l’histoire humaine de la souffrance, que
se discute, par la religion, le rapport de l’homme à Dieu 304. Le recours au Christ dans la notion
de sequela Christi, reprend plus explicitement les différentes implications de la définition de
la foi comme mémoire de la souffrance : cette notion permet de fonder la dimension pratique
de la théologie politique que Metz développe, sans occulter le caractère pathétique qui tient à
la définition de la foi comme mémoire de la souffrance. La suite du Christ est une pratique
référée à la foi au Christ : elle a une signification double et indissociable, à la fois mystique et
politique305 dans le sens où l’exigence de la « suite du Christ », ne peut manquer d’avoir des
répercussions sur les prises de position des chrétiens dans la société. Ainsi, dans sa théologie
politique Metz rend présent Dieu dans l’histoire et dans l’existence humaine et le rend actif
dans la libération de l’homme par la pratique des chrétiens de la sequela Christi. Dieu n’est
pas une réalité intellectuelle mais une présence active au sein de l’histoire humaine.

Dans la théologie politique de Djéréké, l’idée de Dieu est rapidement substituée à celle
de Jésus Christ dans l’histoire de l’humanité. En effet, Djéréké présente un Dieu compatissant
à la situation d’oppression et d’injustice que subit l’homme. Mais cette idée de Dieu renvoie à
301
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 22.
302
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989), I, 9.
303
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 82.
304
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 82.
305
J. B. METZ, Un temps pour les ordres religieux ? 36.

55
l’évènement Jésus le Christ dans l’histoire de l’humanité, au contact des réalités sociales,
politiques et religieuses. Djéréké développe plus une christologie dans sa théologie politique,
présentant Jésus-Christ qui prend le parti des pauvres et des opprimés, et mène un combat
non-violent contre les structures religieuses et politiques oppressives de son temps. Le vécu
christique est renvoyé à notre réalité quand nous devons faire face aux dérives politiques. La
manifestation de Dieu est dévoilée lorsque nous agissons comme le Christ. Le problème de la
christologie de Djéréké est que Christ est enfermé à une époque de l’histoire dont les actions
et les enseignements sont à reproduire dans notre époque face à des situations similaires.
Toute se passe comme si la vie du Christ était statique et servait de référence pour répondre
aux besoins de notre Temps. En somme, le Christ ne vit que parce que nous le faisons vivre
par la reproduction de ses actes en faveur des pauvres et des opprimés. Aussi, Djéréké ne
parle pas de mémoire souffrante, mais de la souffrance comme condition de vie sociale causée
par une politique pervertie. Même si Djéréké accorde plus de place au vécu du Christ qu’à
l’action de Dieu en référence à la relecture des Écritures, il faut reconnaître que la
manifestation de Dieu se fait dans le vécu du Christ et par conséquent par l’action humaine à
réaliser les exigences du vécu du Christ.

2.3. Le sens de la politique

Chez Metz la politique est toute action humaine qui, partant de la révélation biblique,
s’érige en défenseur de la dignité humaine. En d’autres termes, « il signifie que la mystique de
la « suite » n’est jamais détachée du contexte social ou de la situation politique, elle n’est
donc pas étrangère aux souffrances et aux conflits du monde »306. Cette perception ne
s’enferme pas sur l’action politique comme gestion de la cité, mais s’ouvre à toute forme
d’assujettissement humain. Cette vision de la politique ne peut pas être relative à un seul
champ d’action mais à toutes les fois que l’homme dans sa dignité propre est déshumanisé.
Ainsi chez Metz, la politique renvoie au sens que l’idée chrétienne et biblique de Dieu, est
une idée pratique qui construit l’identité présente, à la base même de l’existence 307.

Dans sa perception, Djéréké définit la politique, dans sa théologie politique, dans un


sens qui renvoie à toute action en vue de recadrer la politique entendue comme gouvernance,
quand celle-ci est pervertie. En effet, pour Djéréké, l’action politique doit se comprendre en
termes de participation à la vie de la cité, par une dénonciation des activités politiques
opprimantes, par des critiques, des manifestations ou encore des écrits qui interpellent les
306
P.-Y. MATERNE, Vers une herméneutique pratique du christianisme, 53.
307
J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, 83.

56
gouvernants sur leur mauvaise gestion de la cité. C’est une « rébellion » par la non-violence
qui interpelle les hommes politiques pour une gestion plus responsable de la cité. C’est donc à
juste titre qu’il l’a explicité avec les mots de Mgr Joseph Téky en ces termes :

Si le pouvoir politique travaille bien, il n’y a pas de raisons que l’Église se mette en travers
de ses décisions. Par contre, si l’autorité fait des choses qui sont répréhensibles, il est tout à
fait normal que l’Église intervienne pour attirer l’attention et quelquefois dénoncer l’attitude
des décideurs308.

Ainsi, dans la perception de Djéréké, la politique est un engagement des hommes


d’Église à exiger des dirigeants politiques, une bonne gestion de la cité ; elle veille à ce que les
dirigeants politiques, dans l’exercice de leurs tâches, garantissent les conditions de
l’épanouissement et de la réalisation du bien commun.

2.4. Les acteurs de la théologie politique

Dans sa théologie politique, Metz met l’accent sur le sujet non seulement pour
répondre à cette tendance théologique qui l’avait extirpé, mais aussi pour le mettre en relation
avec Dieu par une expérience du sujet dans l’histoire. Metz met le sujet en situation, au cœur
de l’action de la théologie politique. Par sujet, il faut comprendre « un être politique par son
enracinement dans l’histoire et dans la société »309. Même si plus loin il substitue ce sujet aux
chrétiens, pour lui l’action politique n’est pas l’apanage d’une entité quelconque. Elle est une
action de tout sujet confronté à une situation déshumanisante, oppressive et injuste. Et donc la
théologie politique de Metz ne devient plus la chasse gardée des chrétiens. Cependant, il voit
plus là une affirmation du devoir qui s’impose aux chrétiens de travailler à l’advenue d’un
être sujet pour tous dans le cadre d’une Église « démocratisée ».

Djéréké fait de l’action politique l’apanage de l’Église en la personne des évêques, des
prêtres et de laïcs. Pour Djéréké, ce sont les membres de l’Église - évêques, prêtres et laïcs -
qui sont appelés à prendre position, c’est-à-dire, qu’ils doivent accepter de se dresser avec
audace, pour dénoncer toutes les formes d’injustice, de marcher à contre-courant sachant que
ceci suscite des ennemis310. Ce sont les évêques, les prêtres et les laïcs qui, d’une part, au nom
de leur devoir de membre de l’Église et dans l’accomplissement de la mission de celle-ci ;
d’autre part, à cause des vertus et de l’éthique chrétienne, sont appelés à être les acteurs de la
politique en termes d’engagement social et politique. C’est donc à juste titre que Djéréké se

308
Mgr Joseph Téky cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (2000-
2005), III, 154.
309
H.-J. GAGEY—J.-L. SOULETIE, « Sur la théologie politique », 177.
310
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989), I, 13.

57
focalise plus sur les lettres des évêques face aux évènements politiques, sur la capacité des
prêtres à intervenir face aux structures qui oppriment les hommes et à celle des laïcs à pouvoir
prendre part à l’engagement politique. Cependant, il n’exclut pas la possibilité pour l’Église
de soutenir et de motiver une action politique dans la mesure où elle réclame une pratique
juste de la politique. Pour Djéréké, toute action allant contre une politique pervertie doit être
soutenue.

2.5. Les points communs entre Djéréké et Metz

Au-delà des différences, il faut reconnaître qu’il y a des points communs entre Djéréké
et Metz d’une part, dans la lutte de l’Église comme manifestation de Dieu qui prend le parti
des opprimés, d’autre part, le visage du pauvre et le combat de l’Église contre les systèmes
injustes qui oppriment et assujettissent l’homme dans sa dignité. Chez Metz comme chez
Djéréké, l’action de Dieu est menée par l’Église, en occurrence les chrétiens, qui se battent
aux côtés des pauvres et des opprimés. En effet, chez nos deux auteurs, la foi chrétienne et la
vie de l'Église doivent avoir des répercussions socio-politiques. En outre, en connivence avec
tel ou tel groupe social, les chrétiens sont toujours appelés à exercer une influence dans la
configuration socio-politique du monde dans lequel ils vivent 311. Cette disposition de l’Église
à prendre le parti des pauvres lui vient de sa tradition. En effet, l’élection d’Israël, comme
nous enseigne Dt 7,7 est due à son état de servitude en Égypte, son cri d’innocent vers Dieu et
la promesse faite à Abraham. Dieu se révèle à pharaon comme le défenseur des pauvres. Dans
le Nouveau Testament, Jésus révèle l’Image du Dieu vivant, venu « porter la Bonne Nouvelle
aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue » (Lc 4, 18).
Jésus, comme dans l’Ancien Testament, incarne le Dieu défenseur des pauvres et se substitue
aux pauvres « j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger…, j’étais nu et vous m’avez
vêtu…, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi
que vous l’avez fait… » (Mt 25, 35-36.40). Dans son œuvre de salut pour les pauvres, Jésus
révèle l’Image du Dieu Sauveur des pauvres. Ainsi la Sainte Écriture nous enseigne que Dieu
accorde une attention particulière à ceux qui sont opprimés et victimes l’injustice des
systèmes sociaux. Dieu est « celui qui se préoccupe de ceux que les hommes maltraitent »312.

Nous retrouvons aussi chez nos deux auteurs le même visage du pauvre, c’est-à-dire
toute personne dont la dignité humaine d’enfant de Dieu est détruite ou réduite : une
311
Oscar Arnulfo ROMERO, Théologie politique, engagée en faveur des pauvres, (1980) dans
https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1679 (02/03/21)
312
Jean Marc ELA, Le cri de l’homme africain : question aux chrétiens et aux Églises d’Afrique, Paris,
L’Harmattan, 1980, 134-135.

58
déshumanisation. C’est une situation vécue au quotidien par des hommes victimes des
systèmes politiques, économiques et sociaux, mais aussi soumis aux dérives des plus forts qui
sans cesse violent leurs droits. Le pauvre apparaît ainsi comme « une victime pitoyable ou une
épave à sauver » 313.

Cette situation indique à l’Église, l’urgence d’adopter une stratégie efficace pour
combattre tous les systèmes qui appauvrissent et empêchent l’épanouissement intégral,
d’autant plus que la notion de pauvre s’actualise et se redéfinit face aux conditions de vie
sociale, politique et économique. L’essence de l’Église dans sa mission de servir le monde, de
le sauver en totalité, dans l’histoire, ici et maintenant, exige d’elle une solidarité dans toutes
les situations des hommes. Ainsi, comme Jésus, l’Église existe pour évangéliser les pauvres et
relever les opprimés, pour chercher et sauver ce qui était perdu 314. Cette action vise à les sortir
des conditions déshumanisantes imposées par le système de gouvernance politique,
économique, sociale. En effet, pour Metz comme pour Djéréké, la situation de l’homme ne
doit pas être une situation de souffrance, de servitude ou d’oppression. L’homme, depuis la
création, est appelé à vivre dans des conditions qui lui permettent de se réaliser et de parvenir
à son épanouissement intégral. C’est pourquoi, toutes les situations qui ne garantissent pas les
conditions d’un épanouissement, sont combattues par l’Église, par les moyens qui lui sont
propres.

3. La théologie de libération de Jean Marc ELA

Dans son article, Existe-t-il une théologie politique en Afrique ? Bede Ukwuije répond
à cette question par « oui » et affirme que cette théologie politique s’articule en forme de
critique sociopolitique des systèmes injustes et aussi en forme de propositions positives pour
l’émergence d’institutions justes en vue de la construction de la paix et de la justice 315. En
effet,
une analyse rigoureuse des expressions théologiques majeures en Afrique - les engagements et
les textes des évêques, les déclarations écrites des conférences épiscopales, les coalitions des
Églises chrétiennes, les œuvres de certains théologiens africains - révèle qu’il existe bel et
bien une théologie politique en Afrique. Celle-ci s’articule d’une part, en forme de critique
sociopolitique des systèmes injustes et d’autre part, en forme de proposition d’une vision
alternative de l’humanité et de la société qui découle de la foi en Dieu Trinité 316.

313
Albert GELIN, Les pauvres de Yahvé, Paris, Cerf, 1953, 24.
314
CONCILE VATICAN II, Lumen Gentium, 1965, n° 8.
315
Bede UKWUIJE, « Existe-t-il une théologie politique en Afrique » ? (2007), 63(2), dans Laval théologique et
philosophique, 299. https://doi.org/10.7202/016786ar (03/03/21).
316
B. UKWUIJE, « Existe-t-il une théologie politique en Afrique ? », 291.

59
Dans le prolongement de sa réflexion, il présente la théologie politique en Afrique,
sous la forme de la théologie africaine de la libération qui s’inscrit dans la dynamique de la
Black Theology d’Afrique du Sud et la théologie latinoaméricaine de la libération. Dans ce
même contexte, il présente la théologie de la libération économique et politique de Jean-Marc
Ela comme un courant de la théologie politique africaine. De façon succincte, nous voulons
présenter les articulations de la théologie de libération politique et économique de Ela. Il
s’agit ici de présenter d’abord chez Ela, ce qui constitue des lieux d’oppression, d’exploitation
et d’injustice ; ensuite l’idée de Dieu et de Jésus-Christ sauveur ; enfin le combat de la
théologie pour la libération des opprimés et des pauvres.

Dans sa théologie de libération politique et économique, Ela rend compte des


rapports sociaux, des dynamismes qui travaillent de l’intérieur le milieu africain. A cet effet,
Ela part du constat que les systèmes politiques coloniaux et postcoloniaux engendrent
l’exploitation, les souffrances et l’oppression des pauvres femmes, jeunes et paysans 317 et
enferment l’homme dans un cercle de la misère 318. Il s’agit d’une analyse de l’organisation
du monde qui montre qu’elle produit nécessairement le sous-développement, l’injustice et la
misère319. En effet, les pays francophones d’Afrique sont sous le contrôle de l’Elysée et gérés
comme des comptoirs français320. Ils sont embobinés dans une instabilité politique avec des
dictatures qui sont l’œuvre d’acteurs extérieurs interposés par le biais des dirigeants
autochtones corrompus et se livrent à tous actes de vandalisme sans crainte d’être un jour
poursuivis, semant ainsi entre les populations innocentes la mort. Ces dictateurs manipulent,
remanient et forgent la constitution nationale en fonction des logiques de pouvoir, des
destinées à préméditer le désordre établi et à préserver le gain des bailleurs de fonds
extérieurs321. En outre, Ela constate que l’Afrique indépendante reste un réservoir de
matières premières pour l’Occident et sa population constitue une main d’œuvre à bon
marché pour les investisseurs étrangers 322. Ce qui lui fait dire que « la « pauvreté » sous
toutes ses formes, est un effet de domination imposée à la grande majorité des Africains » 323
dans la mesure où ses immenses richesses sont exploitées par les puissances étrangères. Ela
présente la situation des relations entre l’Occident et l’Afrique en ces termes
317
Yao ASSOGBA, « Sociologie de Jean-Marc Ela ou Quand la sociologie pénètre en brousse », Gatineau,
Québec, Université du Québec en Outaouais, département de travail social, 2017, 17.
318
Jean-Marc ELA, Ma foi d’africain, Paris, Karthala, 2009, 111.
319
J.-M. ELA, Ma foi d’africain, 112.
320
Boniface KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela. Une Christologie Africaine II, France, Universitaires
Européennes, 2021, 72.
321
Jean-Marc Ela cité par B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 73-74.
322
Jean-Marc ELA, Le cri de l’homme africain, Paris, L’Harmattan, 1980, 82.
323
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 81.

60
La situation contemporaine est marquée par ces inégalités vécues sur le plan mondial : d’un
côté, L’Occident opulent qui se demande quel sens donner à cette société abondante ; de
l’autre, une Afrique appauvrie sans cesse, humiliée et surexploitée où se crée une sorte de club
des nantis autochtones associés à l’exploitation des masses peinant sous le poids de multiples
privations.324

Pour Ela, si l’Afrique est pauvre malgré ses nombreuses richesses, c’est parce qu’elle
est appauvrie par les élites indigènes qui collaborent à la culture de la violence
institutionnalisée par les mécanismes économiques et politiques. Ces derniers fondent le
système d’inégalité et de domination, qui se réactualise depuis le temps colonial 325. Aussi, si
elle est en sous-développement c’est à cause de la « dépossession, l’exploitation et la
dépendance ».326 Pour une libération économique et politique et une accession au
développement, Ela estime qu’il faut une véritable relecture des politiques extérieures des
pays riches et une véritable coopération qui a soin du pauvre et de l’affamé 327. Et en cela,
l’Église se doit de jouer un rôle car « l’Église ne peut éviter d’intervenir dans la cité quand
l’homme est menacé dans sa vie et sa dignité »328. Sa mission d’Évangélisation « inclut
nécessairement la solidarité avec les hommes et la participation à l’effort de ceux qui luttent
pour atteindre une libération plénière dans tous les domaines socio-économiques, culturels et
spirituels. Elle est la conscience des sociétés humaines pour condamner le mal, dénoncer les
projets pervers et les structures injustes »329.

Dans la théologie de Ela, la personne de Jésus-Christ, porteur d’un Dieu et l’Evangile


sont au cœur. Elle est en fait, une redécouverte de ce Dieu fidèle depuis l’Ancien Testament et
se fait reconnaître en Jésus-Christ et invite l’Afrique marginalisée à lire son histoire à
l’intérieur de cette histoire sainte 330. En effet, dans une relecture de l’Ancien Testament, Ela
présente Dieu qui est en faveur de la vie, particulièrement celle du pauvre. Il est un Dieu
tourné vers l’homme et sujet de relations personnelles dans l’exacte mesure où c’est
l’intervention de Dieu dans l’histoire d’Israël qui dira qui est Dieu 331. C’est pourquoi, le sous-
développement, l’injustice et la misère sont incompatible au dessein de Dieu pour l’homme.
De fait, dans l’histoire de l’homme africain Dieu se dévoile comme un Dieu puissant qui
prend à cœur sa condition existentielle de l’homme, dans les situations qui peuvent conduire
l’homme à la misère. Ce qui fait que « Dieu est atteint en personne dans tout ce qui porte
324
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 82.
325
Jean-Marc Ela cité par B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 81.
326
J.-M. ELA, Ma foi d’africain, 112.
327
Jean-Marc Ela cité par B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 74.
328
B. UKWUIJE, « Existe-t-il une théologie politique en Afrique ? » 298.
329
J.-M. ELA, Repenser la Théologie africaine, 236.
330
B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 112.
331
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 46.

61
atteinte à la dignité et à la libération de l’être humain »332. C’est pourquoi il prend parti pour le
plus faible quand triomphent la fatalité et tous les mécanismes de pauvreté et d’oppression 333.
Ainsi, pour Ela, Dieu se révèle quand l’injustice, la corruption et l’oppression deviennent une
vraie gangrène sociale et le sort des pauvres laissé à la marge. Dans cette mesure, Dieu
s’implique lui-même à la vie, car « la destinée de l’être humain se joue autour des
comportements et des attitudes à l’égard des faibles et des démunis »334. C’est pourquoi chez
Ela, « le centre de la révélation, c’est que l’engagement en faveur des pauvres s’enracine dans
une histoire où les dynamismes messianiques sont en genre »335. L’axe de la révélation est
cette tension entre l’oppression et la libération.

Dans sa théologie, Dieu est manifesté au cœur de l’existence humaine par Jésus, le
Seigneur de la vie qui libère et donne vie 336. En effet, pour Ela, Jésus est la Parole de Vie pour
tous les temps et le Salut de Dieu accompli pour toutes les générations qui à la fois libère et
donne la vie337. Jésus révèle Dieu à partir de son choix pour les pauvres et les petits 338. Il
manifeste cela à partir de son incarnation qui est la manifestation du salut dans l’histoire où
les forces de mort sont à l’œuvre dans le quotidien 339. En Jésus, Dieu est au cœur de l’histoire
humaine faite de rapports de force, d’inégalités et de disparités et opère en celle-ci. Ainsi,
« pour Ela, Jésus-Christ libérateur vient libérer l’homme de tout ce qui est contraire à la vie,
de tout ce qui bloque ou tue la vie pour que l’homme africain vive une qualité de vie digne de
son rang »340. Ce « salut de l’homme en Jésus-Christ s’opère dans une lutte sans violence et
une résistance active qui fait porter dans la foi la mission libératrice du Dieu crucifié »341.
Concrètement il s’agit d’une libération de l’esclavage du pouvoir et de la dictature politique et
économique, du système économique mis en place pour appauvrir l’Afrique, des structures
qui bêtisent l’homme, du néo-colonialisme avec son terme de coopération, de la destruction
de l’environnement, des doctrines politiques, sociales et religieuses qui ne favorisent pas
l’épanouissement et le bonheur de l’homme africain342.

Pour Ela, faire de la théologie c’est interpréter les dogmes chrétiens, à partir du

332
J.-M. ELA, Repenser la Théologie africaine, 225.
333
Jean-Marc Ela cité par B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 116.
334
J.-M. ELA, Repenser la Théologie africaine, 225.
335
J.-M. ELA, Ma foi d’africain, 134.
336
B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 124.
337
Jean-Marc Ela cité par B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 124.
338
Jean-Marc Ela cité par B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 128.
339
J.-M. ELA, Repenser la Théologie africaine, 82.
340
B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 136.
341
J.-M. ELA, Repenser la Théologie africaine, 418.
342
B. KOUASSI, Le Christ de Jean-Marc Ela, 136.

62
contexte africain, et donc se réapproprier le sens de la Révélation. De cette manière, parler
de Dieu, engage pour lui un dialogue avec les Écritures à partir des lieux d’urgences de
l’Afrique. De fait il affirme que « si la théologie est un discours sur Dieu, elle doit
s’interroger sur le Dieu dont elle parle en restant à l’écoute des questions des hommes et des
femmes dont nous ne pouvons ignorer les situations, les inquiétudes et les aspirations » 343. Il
s’agit de rejoindre les destinataires de la Bonne Nouvelle dans leurs univers propres, avec
leurs problèmes, impasses et défis. La théologie de Ela se veut donc une théologie
d’engagement social, politique et économique aux côtés des populations d’en bas. Cette
théologie s’élabore dans « le coude à coude fraternel, là où des chrétiens partagent le sort
d’un peuple paysan qui cherche à prendre en main la responsabilité de son avenir et la
transformation de ses conditions d’existence »344. Il s’agit d’un processus discursif qui fait de
la vie quotidienne des communautés chrétiennes le « lieu » de l’élaboration théologique
d’une lecture de l’Évangile avec les yeux du petit peuple, mieux, d’une quête de réponse au
«cri de l’homme africain »345.

Pour Ela, la théologie doit être à l’écoute des questions et des besoins des Africains
opprimés qui luttent pour leur libération, afin de dire Dieu dans les langages des hommes et des
femmes africains qui vivent la tragédie de la croix dans l’histoire présente. Cette théologie est
l’expression d’un Dieu entré dans l’histoire des hommes et prenant parti pour les Africains
réduits à l’état d’hommes corvéables à merci ; le Dieu des pauvres et des opprimés, complice
des démunis, le Dieu révolté devant l’horreur que constitue le meurtre du frère par le frère346.
C’est ce Dieu-là qui libère des abus criminels et des situations d’injustice, de la corruption des
classes dirigeantes347. La théologie de « libération » de Ela s’oppose autant à l’annihilation
visée par la domination coloniale qu’aux systèmes politiques mis en place après les
indépendances. Elle se construit autour de la perception africaine de la pauvreté telle que
vécue en Afrique c’est-à-dire, une pauvreté alimentée par des structures socio-politiques et
économiques injustes. Pour Ela, la question du développement doit être au service des
secteurs pauvres, là où se concentre la masse de la population. Dans cette perspective, le
développement vise à surmonter les contradictions qui aggravent l’inégalité dans la répartition

343
J.-M. ELA, Repenser la Théologie africaine, 8.
344
J.-M. ELA, Ma foi d’africain, 216.
345
Ignace NDONGALA MADUKU, « Jean-Marc Ela (1936-2008) ou le bonheur de faire « la théologie sous
l’arbre » », dans Nouvelle revue théologique Tome 131 (2009), 558.
346
I. NDONGALA MADUKU, « Jean-Marc Ela (1936-2008) ou le bonheur de faire « la théologie sous l’arbre
» », 561.
347
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 121.

63
348
du revenu national et à inventer une société différente . Il s’agit ici du combat contre la
dépendance. Ela n’inscrit pas le développement uniquement dans la production pour avoir
« plus d’argent et vivre mieux », mais aussi dans cette exigence de justice et de promotion
totale de l’homme349. C’est sur cette conception du « développement » comme suppression
des forces de domination, d’oppression et d’injustice pour l’insertion d’une indépendance et
d’une justice dans les rapports pour l’épanouissement intégral de l’homme que Ela battit
sa théologie pour la libération.

Pour Ela, « la question du « développement » renouvelle le projet de libération de


l’homme africain, projet auquel, depuis un demi-siècle, ont consacré leur pensée et leur
action »350. De fait, la théologie va de pair avec le développement intégral de l’homme, « car il
s’agit de nous demander comment témoigner de Dieu en Jésus-Christ à ce moment précis de
notre histoire où la reconquête de l’initiative apparaît comme une tâche collective de tout un
peuple enfermé dans le cercle de la dépendance et de la domination »351. Dans cette
perception, la théologie n’est plus une appréhension mais un « vivre de tous les jours », un
quotidien renouvelé. Elle signifie vivre l’Evangile 352. C’est pourquoi, l’évangélisation de
l’homme doit s’articuler avec le combat pour la promotion de l’homme à tous les niveaux 353.
Pour lui, la théologie ne saurait passer à côté de « l’homme tombé entre les mains des
brigands », dans une société africaine malade de corruption et d’injustice, rongée d’amertume,
menacée par la griffe de la famine qui étrangle toute vie dès son apparition. 354 « Les
problèmes suscités par l’Afrique étranglée et humiliée ne doivent pas demeurer à la périphérie
de la problématique de la théologie africaine »355. Il est donc impérieux que le discours sur
Dieu s’interroge sur le Dieu dont il parle en restant à l’écoute des questions des hommes et
356
des femmes dont il ne peut ignorer les situations, les inquiétudes et les aspirations . Dans sa
théologie, Ela parle de « Dieu » à partir de l’Afrique réelle, cette terra nullius, vache à lait des
États coloniaux qui l’asservissent grâce à la complicité des Africains véreux et au silence
accablant de l’Église357. Dieu ne doit pas être étranger et indifférent aux événements
348
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 107.
349
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain,119-120.
350
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 107.
351
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 107.
352
Boniface KOUASSI, Théologie de la Libération et Développement Jean-Marc Ela, notes de cours, ITCJ,
2020.
353
J.-M. ELA, Ma foi d’africain, 212.
354
J.-M. ELA, Ma foi d’africain, 121.
355
Jean KOUADIO, Foi et libération dans les œuvres de Jean-Marc Ela, Paris, L’Harmattan, 2017, 61.
356
J.-M. ELA, Repenser la Théologie africaine, 8.
357
I. NDONGALA MADUKU, « Jean-Marc Ela (1936-2008) ou le bonheur de faire « la théologie sous
l’arbre» », 558.

64
politiques, sociaux, économiques et culturels, sans perspective d’engagement inhérente à la
promesse. Il s’agit d’une théologie qui porte les préoccupations existentielles actuelles de
l’Afrique en crise depuis longtemps avec elle-même et avec l’étranger358.

Ela fait dans sa théologie, des problèmes de développement, le lieu privilégié où il


importe de repenser notre foi et de la vivre en tenant compte du paradoxe de l’indépendance
dans la dépendance 359. C’est pourquoi, la théologie est appelée à jouer un rôle de conscience
de la nation, à faire entendre sa voix devant les abus criminels et les situations d’injustice, la
corruption des classes dirigeantes360. Elle doit donc chercher à de mettre fin à cette
discrimination, ouvrir la conscience des populations sur leur situation et créer des conditions
nouvelles pour leur renaissance en formant des leaders 361. Il s’agit d’organiser l’intelligence
de la foi et la praxis de l’évangile à partir de ce qui est le problème actuel des peuples
africains. De fait la théologie doit « s’inscrit dans un contexte historique et s’exprimer par une
praxis, car elle doit faire apparaître en des signes compréhensibles le message de libération de
l’homme »362. La théologie de Ela est donc le lieu de libération des liens de dépendance dans
lesquels vivent les hommes et les femmes Africains depuis la traite négrière. Il s’agit des
injustices dramatiques existant dans notre société qui découlent d’un système politique,
économique et social dominant363.

4. Dialogue entre la théologie politique de Jean-Claude Djéréké et celle de Jean-


Marc Ela

Ce présent point est un regard sur le dialogue que nous pouvons établir entre la
théologie politique de Djéréké et celle de Ela. Il vise à montrer les rapprochements, les
différences et les compléments entres ces deux théologiens d’autant plus qu’ils sont Africains
et s’inscrivent dans la perspective de la théologie politique en Afrique. Pour ce fait, nous
allons présenter d’abord les points communs. Par la suite, nous présenterons les différences en
montrant en quoi l’un complète l’autre.

4.1. Les points communs

Le premier point que nous trouvons de commun entre Djéréké et Ela est la situation de
l’Africain provoquée par une politique égoïste. En effet, les deux théologiens s’insurgent
358
J. KOUADIO, Foi et libération dans les œuvres de Jean-Marc Ela, 63.
359
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 108.
360
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 121.
361
B. KOUASSI, Théologie de la Libération et Développement Jean-Marc Ela.
362
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 108.
363
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 108.

65
contre la politique de gouvernance menée en Afrique. Pour Ela, cette politique est une
continuité de la colonisation en ce sens où les gouverneurs Africains mènent plus une
politique pour satisfaire l’Occident que les compatriotes. Pour Djéréké cette politique est
fondée sur un égoïsme fondamental et profond avec pour principe l’accession au pouvoir, la
conservation du pouvoir et la jouissance à satiété des tous les privilèges du pouvoir.

Le deuxième élément que partagent Djéréké et Ela, c’est la personne du Christ qui,
dans son humanité, intervient en tant que Dieu qui a une attention particulière aux faibles, aux
petits, à tous ceux qui sont sans droit et sans défense, exposés au pouvoir écrasant de certains
hommes politiques. Au regard des abus de pouvoir des chefs religieux et politiques d’Israël
auxquels Dieu a confié le peuple, il décide de prendre le parti des opprimés et de dénoncer les
abus. Le Christ s’engage donc pleinement aux côtés du peuple opprimé, en s’opposant à
l’exercice égoïste du pouvoir des élites d’Israël pour leur propre gloire et dans leurs propres
intérêts, au détriment du peuple qui devrait être bénéficiaire. Cet engagement prend une forme
critique, contre l’élite religieuse juive dont le pouvoir repose sur l’interprétation de la loi
mosaïque et la conception de la religion. Par la non-violence, Jésus s’érige en défenseur des
pauvres et des opprimés de la société juive, par une critique âpre des institutions religieuses
oppressives. Dans son combat, Jésus s’oppose à une manipulation de la loi en vue d’abuser,
d’opprimer et d’appauvrir le peuple. Le Christ est présenté comme modèle par qui tout
Africain se reconnaît et se définit un avenir, une libération. Djéréké s’accorde avec Ela sur la
personne, l’identité, les enseignements et les actes du Christ comme modèle à suivre et à
reproduire dans le vécu des Africains. De cette même manière Djéréké et Ela invitent l’Église
à prendre position face à une politique pervertie et des hommes politiques oppresseurs,
criminels.

Djéréké et Ela s’accordent en troisième lieu sur le fait que l’Église se doit, par les
moyens et les méthodes qui lui sont propres, de mettre fin à toutes les formes de mauvaise
gouvernance politique, d’exploitation humaine, d’assujettissement et de maintien des hommes
dans une situation de pauvreté et de dépendance. C’est pourquoi, toutes les actions de l’Église
doivent dénoncer tout ce qui écrase l’homme. Elles doivent œuvrer au relèvement de tout être
humain, dans la défense des droits fondamentaux et favoriser une politique qui garantit
l’épanouissement intégral de l’homme. C’est donc au cœur des contradictions de l’existence
humaine que la foi trouve sa pertinence dans la société. Parce que, justement, cette foi ouvre à
un avenir porteur de sens pour chacun des hommes et pour l’ensemble de l’humanité. Il s’agit
ici du choix de l’Église pour l’option préférentielle pour les pauvres, mais aussi, tous ceux

66
qui, privés de leurs droits fondamentaux, voient leur dignité humaine bafouée et niée.
Djéréké, particulièrement en s’appuyant sur les valeurs éthiques et morales de l’Église, invite
les évêques dans leurs adresses à dénoncer explicitement les situations de crise, à indexer les
responsables et exiger le rétablissement de la vérité et de la justice. Les prêtres doivent
prendre le parti de la population dans la dénonciation de la violence, de la corruption, de
l’injustice, de l’enrichissement illicite dans leurs homélies ; ils doivent aussi être avec elle
quand elle manifeste contre les maux qui affligent la société. Pour terminer, il exige des laïcs
un engagement en politique, par une conscience morale susceptible d’insérer et de
promouvoir la valeur absolue de la dignité de l’homme d’une part, d’autre part, une prise de
position contre une politique pervertie, lorsque cela s’avère nécessaire et utile, malgré les
vents contraires. Ainsi, l’Église dans son ensemble doit tenir son rôle d’éclaireur au service de
la dignité et de l’unité de l’homme en Afrique.

L’Église ne peut pas rester étrangère à l’homme et à ses problèmes, elle n’est pas
indifférente à ce monde et à l’histoire de ses habitants. De fait, elle se doit, de façon concrète
et visible, d’exprimer sa proximité aux pauvres à partir des Écritures et de l’exemple de Jésus
face aux réalités de son temps.

4.2. Les points divergents

La différence que Ela marque par rapport à Djéréké, c’est qu’il fait cas des affres de la
colonisation qui conditionnent l’Afrique postindépendance à une dépendance totale vis-à-vis
de l’Occident. Cette période constitue pour les Africains la mémoire souffrante. En effet, Ela
présente la rencontre entre l’Occident et l’Afrique comme une tragédie pour l’Afrique et une
aubaine pour l’Occident. L’Afrique s’est vue déposséder de toute son humanité. Elle s’est vue
vider de son suc. C’est par une relecture des Écritures, que l’Exode situe l’Afrique dans les
mêmes conditions que celles du peuple d’Israël. Cette proximité avec Israël a permis à Ela de
se sentir interpellé sur la condition de l’Afrique, par l’histoire du peuple de Dieu. Ainsi, dans
une reprise de la pensée de Johann Baptist Metz, s’est élaboré une réflexion théologie sur
l’Afrique. Cette mémoire souffrante de l’Afrique coloniale est absente dans la théologie
politique de Djéréké. Par contre la condition de l’Afrique post-indépendante est bien martelée
par Djéréké mais causée par une politique pervertie.

La deuxième différence est l’absence chez Djéréké d’un discours théologique africain
propre. On retrouve en effet, chez Ela un discours théologique propre élaboré à partir du
contexte d’oppression, d’exploitation et d’injustice qu’il appelle théologie du développement

67
ou théologie sous l’arbre ou encore théologie de libération économique et politique. En effet,
dans le développement de sa réflexion, Ela essaie de mettre sur pied, une théologie qui soit
capable de répondre aux besoins des chrétiens opprimés et exploités. Partant des réalités
existentielles des africains, sa théologie politique donne une place prépondérante à l’action en
faveur des pauvres sur la revendication de la libération. Le message de la Bible est compris
alors comme un message de libération adressé tout particulièrement aux opprimés. Cette prise
de conscience de la situation vécue par les Africains a conduit Ela à élaborer une théologie
politique à partir du contexte et des conditions des Africains pour les Africains. C’est ici le
lieu de mentionner la contribution de la théologie politique comme un discours de
dépossession du message biblique orné de la culture occidentale et le projet d’un discours
africain en tenant compte de la culture, du contexte social et des réalités africaines. Cette
considération a fait naître une théologie politique qui tient vraiment compte de l’Afrique, de
son histoire et de ses réalités vécues. Dans cette même perspective, nous pouvons parler de
théologie africaine de reconstruction, de théologie africaine de libération, et de théologie
africaine de restitution culturelle. Ce discours d’une conception théologique à partir de la
réalité africaine n’est pas présent chez Djéréké.

La dernière différence est le dynamisme de la théologie politique africaine présent


chez Ela et absent chez Djéréké. Par dynamisme, nous entendons d’une part, la possibilité
pour la théologie de ne pas concerner une époque, un lieu ou un groupe de personnes, mais
d’être théologie pour tous les hommes et tous les temps, d’autre part, sa capacité à envisager
une perspective d’avenir pour ceux à qui elle est destinée. Dans sa perspective, la théologie
politique de Ela ne prend pas en compte uniquement une époque de l’histoire du continent. En
effet, Ela n’est pas uniquement marqué par l’Afrique coloniale et ne s’arrête pas non plus à
l’Afrique indépendante. Dans l’optique de sa théologie, il va jusqu’à penser l’Afrique de
demain. Cela se voir quand il affirme que Dieu « n’est pas un Dieu qui oriente l’homme vers
le perpétuel recommencement du cycle cosmique, mais vers l’avenir ou l’achemine toute son
histoire. En définitive, le Dieu qui révèle son nom est le Dieu de l’espérance à l’avenir d’un
mouvement irréversible et d’une radicale nouveauté »364. Cette projection est absente chez
Djéréké. Notre auteur se situe plus dans l’histoire de l’Afrique postcoloniale et présente sans
perspective d’avenir. Il ne donne pas, dans sa théologie politique une perspective qui engage
l’Afrique dans l’avenir.

364
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 46.

68
Conclusion partielle

L’objectif de ce chapitre a été de faire un dialogue d’une part, entre la théologie


politique de Djéréké et la conception de la théologie politique de Metz ; d’autre part, par
rapport à la théologie politique de Ela.

Après une présentation succincte de la théologie politique de Metz et Ela et un


dialogue avec Djéréké sur certains points, il ressort ce qui suit. Avec Metz, il y a une
différence sur la perception de Dieu, le discours théologique dans sa conception, du sujet
acteur pour son être dans l’histoire, et surtout l’absence de la mémoire souffrante dans la
théologie politique de Djéréké. Cependant, malgré cette absence de la mémoire souffrante
chez Djéréké, il y a chez nos deux auteurs cette prise au sérieux de la souffrance du peuple et
de l’engagement de l’Église, par les chrétiens à la suite du Christ, aux côtés des pauvres de la
société et de l’histoire.

Le second dialogue s’est fait avec la théologie de la libération de Jean-Marc Ela. Notre
approche nous amène à l’évidence que le point de concomitance avec Djéréké est celui d’une
lutte contre les dirigeants oppresseurs et la volonté de voir l’Église engagée dans la société au
côté des pauvres. Hormis cela, Djéréké ne fait pas allusion à l’histoire sombre du continent
marquée par l’esclavage qui a déshumanisé et dépossédé les Africains. En outre, Djéréké ne
construit pas un discours théologique, tel que manifesté par Ela avec la théologie du
développement ou encore la théologie de libération économique et politique. Dans cette
perspective, Ela répond aux besoins et aux problèmes des Africains, à partir de la prise au
sérieux des réalités et circonstances d’existence des Africains.

69
Chapitre IV : CRITIQUE ET PERSPECTIVE D’UNE NOUVELLE THÉOLOGIE

POLITIQUE AVEC JEAN-CLAUDE DJÉRÉKÉ

Introduction partielle

Notre parcours atteint sa deuxième phase critique avec ce quatrième chapitre. En effet,
le chapitre précédant nous a permis d’avoir un regard sur la théologie politique de Djéréké à
partir du dialogue que nous avons établi entre lui et d’autres auteurs à savoir Metz (théologie
politique occidentale) et Ela (théologie politique africaine). Ce présent chapitre est notre
propre regard sur la théologie politique de Djéréké en tenant compte des aspects dégagés dans
les chapitres précédents et notre connaissance personnelle. Il s’agit d’abord de montrer la
pertinence de la théologie politique de Djéréké ; Ensuite, présenter les limites et les
faiblesses ; Enfin, d’envisager une nouvelle perspective pour repenser la théologie politique
de Djéréké.

1. Pertinence de la théologie politique de Djéréké

La pertinence de la théologie politique de Djéréké repose sur trois éléments. Le


premier est le sens qu’il donne à la politique c’est-à-dire, la capacité qu’a l’Église de prendre
une part active dans la gestion de la cité. Le deuxième est l’Église comme réalité incarnée
dans la société et qui répond à ses besoins. La dernière est l’aspect critique dans laquelle est
inscrite sa théologie politique.

Dans sa théologie politique, Djéréké accorde une importance particulière au mot


politique dans le sens d’un engament contre des structures ou des systèmes injustes. Nous
connaissons la politique comme une activité qui concerne l’organisation et le fonctionnement
de la cité et qui se propose de travailler au vivre-ensemble d’individus et de groupes aux
intérêts divergents365. Cette dernière est l’apanage des hommes, des femmes et des
organisations (syndicat, parti politique…) qui à travers un programme de gouvernance,
mobilisent toutes les forces nécessaires pour servir les intérêts de l’homme et de la société en
vue de la réalisation du bien commun, l’épanouissement intégral de l’homme et le
développement de la cité. Mais Djéréké ne réduit pas le sens de la politique à une compétition
plus ou moins féroce, plus ou moins équitable entre individus pour accéder au pouvoir 366.

365
Francis Barbey WEABEY, L’Église et la politique en Afrique. Eléments de réflexion pour dédramatiser le
débat, Paris, L’Harmattan, 2009, 16.
366
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 20.

70
Dans sa perspective, la politique prend le sens d’un engagement, d’un combat au côté des
pauvres, des exploités et des déshumanisés. En effet, pour Djéréké, les membres de l’Église
sont appelés à combattre, par la non-violence, aux côtés des pauvres pour arriver à faire du
monde un lieu où l’humanité s’accomplit intégralement. Il s’agit, par la vérité, la liberté et la
justice de faire de la vie sociale le lieu où tout homme puisse trouver des raisons de réaliser
leur épanouissement. Et pour Djéréké, cette politique est plus l’apanage du clergé, car dit-il,
« l’un des premiers services que le prêtre rend au monde, c’est de lui dire la vérité, qu’il doit
rester dans la grande ligne prophétique, que, comme le Christ, le prêtre apporte à l’humanité
un bienfait sans égal »367. Djéréké reconnaît que les hommes d’Église peuvent assumer des
charges publiques qui comportent une participation à l’état civil comme assumer des
fonctions de député, de ministre ou de chef d’Etat et de juge ou encore de tout autre fonction
ayant trait au pouvoir civil368 et cela à titre exceptionnel. Mais pour lui, il n’y a pas besoin
d’avoir une responsabilité politique, civile ou étatique pour s’impliquer activement dans la
lutte contre les structures sociales et économiques qui condamnent l’homme à la pauvreté, à
l’humiliation et à l’avilissement369. Les évêques et les prêtres peuvent promouvoir la justice et
faire respecter les droits de l’hommes autrement qu’en entrant dans un syndicat ou un parti
politique ou encore en assumant une charge publique ou civile 370. Il s’agit pour les hommes
d’Église d’apporter ouvertement et clairement leur soutien aux pauvres et aux défavorisés
dans le démantèlement des structures injustes et oppressives. Il s’agit d’un combat des
hommes d’Église contre les injustices, la famine, les oppressions et autres maux qui mine la
société.371 Ce combat consiste à interpeller les autorités politiques lorsque leurs activités sont
injustes, oppressives et déshumanisantes et aussi de revendiquer, par la non-violence, des
conditions plus justes et plus humains pour leurs concitoyens. Pour Djéréké, cette démarche
ne doit pas se limiter dans les lettres, déclarations ou homélies. Elle doit se matérialiser si
nécessaire par des marches pacifiques du clergé ou même avec des ONG, associations ou la
population.

Cette perspective est pertinente, car la politique ne devient plus une activité fermée,
d’une part comme gestion de la cité, et d’autre part comme l’apanage de quelques personnes
ou groupes sociaux. La politique renvoie ainsi à toute action qui vise à rétablir l’ordre social,
à promouvoir la vérité, à réclamer la justice, à exiger la liberté. Dans cette optique elle est

367
J.-C. DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission ».
368
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 158.
369
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 178.
370
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 206.
371
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 179.

71
l’affaire de tous ceux qui sont enquête d’une société capable de leur garantir leurs droits
fondamentaux. Dans cette politique, Djéréké donne une place, un rôle capital aux hommes
d’Église, car pour lui, étant en contact permanent avec le peuple ils sont mieux placés pour
non seulement comprendre sa situation, mais aussi, parce qu’ils sont appelés à faire le
sacrifice de leur propre vive pour que triomphe la justice et la vérité 372. Pour Djéréké, cette
forme de politique prend tout son sens lorsque le prêtre et l’évêque sont engagés dans la
société par des actions qui dénoncent les structures injustes, se battent aux côtés des pauvres
contre toutes formes d’oppression et déshumanisation. Par ces actes, les hommes d’Église
participent concrète à la gestion de la cité.

Le deuxième aspect pertinent est l’Église comme une réalité incarnée dans la société et
appelée à former les consciences, à promouvoir la dignité humaine et à défendre les droits de
l’homme envers et contre tout373. Cette dernière permet de sortir les gens de leur ignorance, de
leur éviter de prendre parti sans savoir d’une part ; d’autre part de se faire les défenseurs des
valeurs qui fondent la dignité humaine en s’opposant à toutes les forces qui rabaissent la
personne humaine374. Pour Djéréké, l’Église est appelée à apporter à l’humanité un bienfait
sans égard ; une révolte qui prône l’insurrection des consciences non pour troubler l’ordre
social et la paix mais, dans le respect de l’autorité légitime, pour être à sa manière, à la suite
du Christ, artisan d’avenir du devenir, du jaillissement de l’histoire.

L’Église est appelée avant tout à s’intéresser au peuple dans lequel le Christ s’incarne vit,
souffre, meurt et ressuscite ; elle doit vivre non pas dans la préoccupation de ses droits mais
combattre pour les droits sacrés du peuple ; elle ne doit pas s’inquiéter de ce qui lui arrivera
demain mais de ce que nous sommes et de ce que nous faisons aujourd’hui. C’est là sa raison
d’être et sa mission375.
Pour Djéréké, l’Église est la conscience de la société. En conséquence, prêtres et
évêques ne doivent pas avoir peur de parler, de « dénoncer voire de condamner en termes
clairs les vices sociaux de la nation, et particulièrement de ses responsables, en cas de
besoin »376. Cette invitation à ne jamais se taire sur les injustices, sur l’oppression sous toutes
ses formes, sur l’exploitation des faibles, sur la violation des droits de l’homme vaut toujours.
Elle vaut pour les prêtres et les évêques en Afrique. Elle nous rappelle qu’il y a une indignité
à sacrifier la vérité sur l’autel d’on ne sait quels avantages et privilèges matériels périssables.

372
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 16-17.
373
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 20.
374
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 20.
375
Teófilo Cabestrero cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 35.
376
Hyacinthe Thiandoum cité par J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire,
32.

72
Elle nous enseigne surtout que l’autorité de la vérité évangélique doit toujours l’emporter sur
la vérité des autorités politiques377.

Ainsi, l’Église n’est plus vue seulement comme une réalité spirituelle, enfermée dans
le culte. Elle est aussi une réalité sociale qui, prenant conscience des réalités, s’engage avec
ces moyens à éveiller les consciences et à s’engager dans un combat social.

Le troisième aspect pertinent est l’aspect critique de la théologie politique de Djéréké.


En effet, en plus d’être un nouveau regard sur la théologie fondamentale, la théologie
politique est aussi une critique sociopolitique de la société et de l’Église 378. Djéréké fait de la
critique un élément fondamental dans sa théologie politique.

Cette critique est pertinente parce qu’elle est un regard sur la politique, qui met en
exergue ce qui fait d’elle en Afrique l’origine des crises et des conditions déshumanisantes
des Africains. En outre, cette critique concerne aussi l’Église, car il indexe sa hiérarchie qui
en plus de ne pas pourvoir dénoncer l’injustice, se désolidarise de ceux qui le fond. Ces
critiques relèvent en particulier d’une analyse profonde de la situation sociopolitique. En
effet, avant de se prononcer sur un évènement particulier, Djéréké a pris le temps de
l’analyser, en tenant compte de toutes les informations nécessaires. En outre, son regard sur
cet évènement, a tenu compte des circonstances similaires dans d’autres lieux. C’est pourquoi,
il fait toujours des rapprochements dans ses critiques. En plus, sa critique n’est pas partielle,
elle implique aussi bien l’Église que la politique face à leur responsabilité sur l’homme dans
la société.

De ce qui précède, pour ce qui est de la politique, Djéréké pense que si l’Afrique
aujourd’hui connait des situations de guerre, famines, coups d’Etat et pauvreté, c’est tout
simplement parce que la politique est menée dans au profit des politiciens et au détriment du
peuple. Elle est le moyen pour une confiscation outrancière du pouvoir par des politiciens
avides de pouvoir et d’argent, avec à la clé des coups d’État à répétitions, des assassinats de
chefs d’État ou de leaders politiques, des gestions désastreuses des ressources des jeunes
nations, sapant ainsi tous les espoirs pour un avenir meilleur. Les hommes politiques en
Afrique, qui ne se dépassionnent pas pour la conquête du pouvoir, dans l’oubli de la défense
des droits fondamentaux de l’homme et l’exercice de la politique comme un service, créent
des pauvres politiques, mais aussi économiques, sociaux et culturels. Ce que Djéréké nous
donne ne percevoir, est que la politique a perdu son sens et sa fonction fondamentale. Dans
377
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 32.
378
B. UKWUIJE, « Existe-t-il une théologie politique en Afrique ? », 302.

73
cette optique, elle ne constitue plus une sécurité pour l’homme Africain en quête d’un bien-
être. Elle devient ainsi destructrice que constructrice.

Quant à l’Église, consciente des affres de la politique, elle ferme ses yeux sur les
déviations politiques, versant dans un spiritualisme et n’attend du politique que des privilèges
et des financements. De cette perception, la pertinence de la théologie politique de Djéréké
réside dans la capacité réprimander l’Église pour cette façon de faire et de donner un autre
regard sur l’Église que celui du regard commun. En effet, la théologie politique de Djéréké,
n’hésite pas à dénoncer les écarts de l’Église face à la situation sociale. Il va jusqu’à montrer
son désaccord avec la hiérarchie de l’Église non seulement pour son silence face l’injustice,
mais aussi pour sa dépendance financière du pouvoir. Il affirme cela en ces termes

l’Église, en tant qu’institution, m’apparaît aujourd’hui comme un système qui lutte plus pour
sa survie que pour témoigner de la vérité et de la justice, un système prêt à frustrer, à
marginaliser, à persécuter et à tuer à petit feu quiconque désire marcher dans les traces du
Baptiste à qui Jésus rendit pourtant un vibrant hommage379.
Cette critique apparaît parmi les raisons évoquées dans sa lettre de démission. En effet,
Djéréké exige des hommes d’Église de dénoncer plus clairement possible tout ce qui
déshumanise l’homme dans sa dignité. L’action de l’Église n’est crédible que si elle répond
aux réalités sociopolitiques.

Pour lui en 1960 et 1990, les hommes d’Église ont joué un rôle peu prophétique. En
effet, au lendemain des indépendances, au moment où les nations africaines se construisaient
et avaient besoin d’orientation face aux coups d’Etat répétés et aux présidents despotes et
tyrans, « l’Église catholique, qui aurait dû mettre tout en œuvre pour redresser la situation et
ranimer les consciences a brillé par son silence complice et son absence aux endroits
sinistrés »380.

2. Critique de la théologie politique de Jean-Claude Djéréké

La critique de la théologie politique de Djéréké relève en grande partie des limites, des
insuffisances et des différences constatées tout au long de notre travail. C’est à partir de la
prise en compte de ces différents éléments que nous voulons fonder nos critiques sur la
théologie politique de Djéréké. Se faisant, nos critiques porteront sur les aspects suivants : (1)
les limites de la christologie ; (2) L’identité de l’Église Corps mystique du Christ ; (3) la
théologie politique n’est pas un discours élaboré ; (4) elle est une critique suivie d’exemples

379
J.-C. DJÉRÉKÉ, « Lettre de démission ».
380
J.-C. DJÉRÉKÉ, L’engament politique du clergé catholique en Afrique noire, 37.

74
sans proposition; (5) elle reste enfermée dans la politique ; (6) et finalement elle manque de
dynamisme.

2.1. Les limites de la christologie

Dans sa théologie politique, Djéréké s’appuie sur une christologie d’en bas. En
d’autres termes, il présente le Christ dans son humanité engagé dans un combat non-violent au
côté du peuple opprimé, contre l’exercice égoïste du pouvoir des élites d’Israël pour leur
propre gloire et dans leurs propres intérêts, au détriment du peuple qui devrait être
bénéficiaire. Jésus est présenté comme modèle par sa manière de s’ériger en défenseur des
pauvres et des opprimés de la société juive, par une critique des institutions religieuses
oppressives. Le cardinal Ratzinger affirme le danger d’une telle christologie :

Le problème central de notre temps est que l’on vide de son sens la figure historique de Jésus.
On commence par nier la naissance virginale, puis la résurrection devient un événement
spirituel, puis on nie la conscience qu’a le Christ d’être le Fils de Dieu, on lui laisse seulement
les mots d’un rabbi381.

En nous nous appuyant sur cette affirmation, nous voulons monter qu’une telle
christologie court le risque de perdre de vue la dimension divine du Christ, la Révélation de
Dieu ainsi que son œuvre de salut. En mettant plus l’accent sur l’aspect humain de Jésus-
Christ, la christologie de Djéréké ne montre pas l’identité divine de Jésus, dans laquelle réside
sa mission de Fils de Dieu envoyé par le Père pour le salut du genre humain. Cette affirmation
est d’une part, une reconnaissance en sa personne d’une seule identité, c’est-à-dire, vrai
Homme et vrai Dieu et d’autre part, une reconnaissance en Jésus comme Fils de Dieu et par
qui Dieu se révèle aux hommes. A cette identité s’associe nécessairement l’œuvre rédemptrice
du Père par le Fils car « le rôle et l’œuvre du Christ, Sauveur des hommes, ne peuvent être
séparé de son Verbe Incarné étant donné qu’ils sont dépendants de sa personne »382. Par la foi,
nous comprenons que la personne de Jésus-Christ est la personne éternelle du Fils unique de
Dieu. La nature personne de Jésus-Christ est divine, éternelle et immuable dans son
Incarnation. Jésus est Fils unique de Dieu le Père par nature, puisqu’il a reçu de Lui son être
personnelle par génération. Ainsi Jésus se présente aux hommes comme Vrai Dieu et Vrai
homme.

381
Joseph Ratzinger cité par Robert A. KRIEG, « La christologie au début du XXIe siècle », dans La Croix,
2002 https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Theologie/La-christologie-au-debut-du-XXIe-siecle
(10/05/51)
382
Vincent FERRER, Jésus-Christ notre sauveur, Paris, Le Laurier, 2005, 87.

75
L’implication de l’identité de Jésus-Christ vrai Dieu et vrai Homme est la
manifestation, dans la Révélation, de l’Image du Dieu Invisible d’abord par sa personne,
ensuite ses paroles enfin par ses gestes. La Révélation de Dieu manifestée depuis le temps des
pères, a atteint sa plénitude en la personne de Jésus-Christ. Cette révélation de Dieu en la
personne du Christ est aussi la révélation de l’œuvre de salut de Dieu pour les hommes :
l’œuvre du salut voulu par Dieu et réalisée en la personne de Jésus-Christ. En effet, la
personne de Jésus - vrai Homme et vrai Dieu - révèle l’Identité et l’Image du Père et son
œuvre de salut pour les hommes. Il faut comprendre que le salut que Jésus apporte, n’est pas
que temporel, il est aussi spirituel, car les miracles manifestent la puissance divine, qui opère
en Jésus-Christ et s’étend au-delà du monde humain et se manifeste également comme
pouvoir de domination sur les forces de la nature383. Bien que Jésus ait manifesté sa volonté de
sauver l’homme du pouvoir oppressif des institutions religieuses, sociales et politiques, il a
aussi manifesté son pouvoir de sauver l’homme du mal qui menace son âme immortelle,
notamment en guérissant les corps.

Le salut que Jésus nous apport est la manifestation et l’accomplissement de l’œuvre de


Dieu Invisible. Par le mystère du salut, Jésus révèle l’amour de Dieu qui se traduit dans le
salut apporter aux hommes, et par la même occasion nous permet de faire l’expérience de
Dieu et nous le reconnaissons comme Sauveur. « L’incarnation est essentiellement un fait, le
fait plus décisif de l’histoire du saut»384. L’incarnation en lui-même est l’œuvre du mystère de
Dieu devenu homme pour le salut de ses semblables. « Ainsi, Jésus montre que sa mission est
aussi de libérer l’homme du péché, du mal spirituel qui le sépare de Dieu »385. La Révélation
de Dieu est indissociable de l’histoire de l’humanité.

Cette dimension de Jésus vrai Dieu et vrai homme révélateur l’œuvre de salut de Dieu
pour l’homme explique tout le combat de Jésus dans l’histoire de l’homme. Et pour nous cet
aspect manque à la christologie de Djéréké. Car pour nous, il ne faut pas isoler le combat de
Jésus dans la société de son identité divine et du salut spirituel qu’il nous apporte.

La seule historicité de Jésus est insuffisante pour fonder la christologie 386. En restant
dans une christologie d’en bas enfermée sur la dimension humaine, la christologie de Djéréké
perd le sens du mystère du salut, l’œuvre par laquelle le Christ rédempteur s’est livré pour

383
JEAN-PAUL II, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, 78.
384
Y. CONGAR, Jésus-Christ notre médiateur notre Seigneur, 15.
385
JEAN-PAUL II, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, 81.
386
James CONE, La noirceur de Dieu, Traduction M. Jean et J. Philibert, Genève, Labor et Fides, 1989, 149.

76
nous sur la croix. En outre, elle oublie d’actualiser la mission du Christ dans celle de l’Église
son corps mystique. Ainsi, avec James Cone nous acquiesçons à l’idée que

nous n’avons pas à choisir entre une christologie « d’en bas » et une christologie « d’en
haut ». Nous devons au contraire les tenir toutes les deux dans un rapport dialectique,
reconnaissant que le sens du Christ pour nous aujourd’hui se trouve dans notre rencontre avec
le Jésus de l’histoire, le Seigneur crucifié et ressuscité, solidaire avec nous dans notre lutte de
libération 387.
En d’autres termes, la christologie d’« en bas » ne peut pas faire fi de la christologie
d’« en haut ». De même, la christologie d’« en haut », ne doit pas être amputée de celle d’« en
bas », car prise isolément, elle perd certains aspects dans l’affirmation de l’identité de Jésus-
Christ.

2.2. L’identité de l’Église Corps mystique du Christ

En outre, en restant uniquement sur l’humanité de Jésus, la christologie de Djéréké ne


prend pas en compte la continuité de la mission du Christ à travers son corps mystique qui est
l’Église. En effet, l’Église, corps mystique du Christ, durant son pèlerinage sur terre, assume
sa mission qui tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le
dessein de Dieu le Père388.

La mission du Christ est inscrite dans celle de l’Église qui continue et déploie au cours
de l’histoire humain. En effet, toute la mission du Christ auprès des pauvres, sous la poussée
de l’Esprit du Christ, continue dans celle de l’Église à travers son combat pour la justice et la
vérité. En réduisant la mission du Christ à son humanité, la christologie de Djéréké ne
considère pas celle de l’Église comme la continuité de la mission du Christ, car elle ne
développe pas l’aspect mystique de l’Église corps du Christ. De fait, toutes les actions de
l’Église dans engagement sociopolitique, sont réduites à des actions de combat social, sans
portée mystique.

2.3. Absence de propositions concrètes

Cependant, le handicap de sa théologie politique est qu’elle se limite à l’aspect


critique. Certes, nous reconnaissons qu’il invite le clergé à prendre sa part de responsabilité
face aux systèmes injustes et oppressifs mis en place par les politiciens. Toutefois, cette
invitation est en partir, une reprise des propositions de la doctrine sociale de l’Église. Djéréké
ne fait pas de lui-même des propositions qui, partant de l’Evangile, seraient des résolutions

387
J. CONE, La noirceur de Dieu, 149.
388
CONCILE VATICAN II, Ad gentes, 1965, n°2.

77
novatrices pour la construction d’une politique au service du peuple ou encore pour un
engagement du clergé. En outre, il ne fait aucune proposition pour l’émergence d’une
politique africaine qui prenne plus en compte l’aspect service et promotion du bien commun.
Or, la théologie politique n’est pas que critique, elle est aussi une forme de propositions
positives pour l’émergence d’institutions justes en vue de la construction de la paix et de la
justice389. Sur ce terrain, nous observons une platitude de la théologie politique de Djéréké. A
la rigueur, il présente des présidents qui ont été des modèles dans leur responsabilité
d’hommes d’Etat et qui ont vraiment servi leur pays dans le sens de faire de la politique. Il
présente aussi des hommes d’Église qui se sont montrés prophétiques face à des régimes
dictatoriaux et des politiciens tyrans. Ou encore qui ont assumé des responsabilités politiques
et ont permis à leur pays de retrouver une stabilité. Dans cette perception, la théologie
politique de Djéréké est plus une invitation à la mise en pratique des principes éthiques et
moraux qui relèvent de la mission de l’Église tout en invitant le clergé à s’impliquer dans leur
réalisation. Il en est de même pour la politique en invitant les politiciens à exercer leur tâche
dans pour le bien de la société et la réalisation du bien commun. Or, si la politique ne peut
plus être assumée comme service, ou encore, si le clergé manque d’engagement, c’est sans
doute parce que certains principes ne répondent plus aux exigences de la société ou d’un
engagement. Ce qui constitue une faiblesse. D’où la nécessité d’une proposition d’une
nouvelle vision tenant compte des réalités sociopolitiques, d’une part, pour une politique au
sens de service ; d’autre part, pour un engagement du clergé à partir des principes éthiques et
moraux de l’Église.

2.4. L’absence d’un discours théologique structuré

Dans la théologie politique de Djéréké il y a un discours élaboré qui prend la forme


d’un engagement à partir de la réalité sociopolitique. La pertinence de la théologie politique
réside dans le fait que, le contact entre la foi et la réalité sociale, développe un discours
élaboré qui prend en compte et le caractère moral de la foi, et son évaluation éthique dans une
praxis face aux réalités sociales. Ainsi, au milieu des questions existentielles, l’Evangile
devient un discours qui engage, par une force, qui met en mouvement l’homme en avant pour
sa libération. Ce qui fait de la théologie politique, la mystique de la « suite » du Christ qui,
partant du contexte social ou de la situation politique, s’érige en discours pratique, pour
défendre les souffrances et les conflits du monde. De cette manière, la théologie politique
s’ouvre à la vie du peuple, aux questions existentielles, aux requêtes d’une époque afin
389
B. UKWUIJE, « Existe-t-il une théologie politique en Afrique ? », 296.

78
d’interpréter le message de Jésus dans un contexte des hommes auxquels ce message
s’adresse390. Ainsi, tenant compte de la situation sociale et politique, un discours moral en
congruence avec le message de l’Évangile, développe une théologie publique en phase avec la
pratique. Cette perspective de la théologie politique en discours qui se construit à partir du
contexte sociopolitique est bien présente chez les théologiens latinoaméricains quand ils
parlent de théologie de la libération. Elle est aussi présente chez Jean Marc Ela quand il parle
de théologie de la libération africaine, ou encore chez Kä Mana avec la théologie de la
reconstruction. Cependant, chez Djéréké on ne retrouve aucune trace d’une conceptualisation
ou d’un discours théologique élaboré qui se forme à partir de la réalité sociopolitique. Nous
reconnaissons qu’il évoque à plusieurs reprises des principes de la théologie politique, à
savoir la justice, la vérité, la liberté etc. pour un engagement, à partir des documents
conciliaires, de la doctrine sociale de l’Église, des documents des conférences épiscopales,
des lettres des évêques et des réflexions de certains théologiens. Toutes ces références
devraient pourtant servir d’appui pour élaborer un discours propre, mais il n’en est rien.
Djéréké n’élabore pas un discours théologique qui puisse répondre à la condition sociale et
politique à laquelle la population est confrontée. Or, c’est dans la capacité à élaborer un
discours théologique à partir de la réalité existentielle que réside la pertinence de la théologie
politique.

2.5. La surévaluation du politique dans l’analyse

Malgré le fait que Djéréké a une compréhension large de la politique, la dimension du


pouvoir et de la gestion de la cité prend le pas sur tous les autres aspects. Lorsque Djéréké
révèle dans sa théologie politique un aspect social ou économique, c’est en grande partie une
conséquence d’une mauvaise gestion politique. On peut le voit par exemple quand il parle de
la crise économique de 1977 qui est due selon lui, à une mauvaise gestion de l’économie et
une absence de contrôle qui ont occasionné des détournements et des fraudes fiscales 391. Cette
situation a par la suite déteint négativement sur la situation sociale avec la réduction des
salaires des fonctionnaires administratifs, la réduction et du personnel et des salaires des
employés des sociétés d’Etat et la réduction des subventions des paysans392.

Certes, l’aspect politique peut avoir des impacts sur les plans social et économique. A
contrario, la théologie politique de Metz est née dans un contexte caractérisé par une

390
J.-M. ELA, Ma foi d’Africain, 197.
391
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989) I, 77.
392
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-1989) I, 77.

79
sensibilité vive pour les réalités existentielles. De fait, la théologie politique est dynamique.
Fondée dans la tradition biblique, elle touche tous les domaines où l’homme est déshumanisé
en vue d’une justice. Dans cette perspective, la théologie politique ne doit pas s’intéresser
uniquement à la gestion de la cité. Elle doit aussi avoir un intérêt pour l’économique
(l’intégration d’une critique du capitalisme), le social (l’intérêt pour la condition des hommes
dans les quartiers populaires), l’éducation, l’écologie, la culture, l’anthropologie, etc.
Enfermer la théologie politique dans la gestion de la cité court le risque de laisser échapper
d’autres aspects et domaines de la vie humaine où l’homme dans son existence est aussi
déshumanisé.

2.6. L’absence de dynamisme

La dernière critique est l’absence de dynamisme de la théologie politique de Djéréké.


Un des enjeux de la théologie politique est de pouvoir penser des orientations déterminantes
pour l’avenir, tout en ayant la condition humaine comme enjeu de l’action. Dans cette
perspective elle une capacité à donner sens à la mémoire et à la vie, au passé comme au
présent et à l’avenir. Elle est une prise de consciences pour des conditions de possibilité de
l’existence. De cette manière, elle fonde l’avenir sur le socle d’une nouvelle révolution et
d’une nouvelle conscience d’être. En outre, elle se redéfinit à partir des réalités existentielles.
Cette possibilité de se projeter dans l’avenir et de se redéfinir à partir des réalités existentielles
sociopolitiques, est ce qui rend dynamique la théologie politique. Cependant, la théologie
politique de Djéréké ne prend en compte que le passé et le présent en ignorant l’avenir.
Djéréké n’envisage pas de projection de sa théologie politique dans la capacité d’une pensée
qui assume le lendemain. Pour Djéréké, tout doit se jouer dans le présent en tenant compte de
l’histoire qui est un répertoire riche d’enseignement pour ce qui est de l’engagement politique
du clergé et de la gestion de la cité. Or comme le souligne Ela, Dieu

n’est pas un Dieu qui oriente l’homme vers le perpétuel recommencement du cycle cosmique,
mais vers l’avenir ou l’achemine toute son histoire. En définitive, le Dieu qui révèle son nom
est le Dieu de l’espérance à l’avenir d’un mouvement irréversible et d’une radicale
nouveauté393.

En d’autres termes, c’est aussi dans les évènements avenir, et pas seulement en
référence à une histoire antérieure déjà connue que Dieu se fait connaître.

393
J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain, 46.

80
3. Perspectives pour élaboration d’une théologie politique avec Jean-Claude
Djéréké

Nous voulons dans ce présent point, proposer une perspective d’élaboration d’une
théologie politique avec Djéréké. Sans avoir la prétention de réécrire la théologie politique de
Djéréké, nous voulons ici énumérer certains éléments qui doivent être considérées dans celle-
ci. Il s’agit ici de prendre en compte, toutes les réflexions qui ont précédé, c’est-à-dire, la
description, les limites, les critiques et les pertinences afin de donner une nouvelle perspective
pour l’élaboration de celle-ci. Pour nous, la théologie politique doit jouer un rôle considérable
dans l’émergence des processus démocratiques dans le service et de développement intégral
des pays. Pour l’essentiel, il s’agit d’abord, de donner à la théologie politique de Djéréké, un
autre regard qui pourra permettre de s’impliquer dans l’émergence des conditions pour la
justice, le respect des droits de l’homme et la promotion de sa dignité dans toutes les
existentielles de l’homme. Ensuite, de montrer la capacité de la théologie politique à se
constituer en discours propre à partir du contexte et de la réalité existentielle. Enfin,
d’envisager la capacité de la théologie politique à passer d’un discours à la praxis, à la
capacité de poser des actes concrets et réalistes.

Dans sa théologie politique, Djéréké part de la condition de l’homme, condition de


pauvreté, d’oppression et d’injustice - causée par la perversion de la politique comme gestion
de la cité en vue de l’épanouissement intégral des citoyens - comme lieu de révélation de Dieu
par l’Église à partir de la suite du Christ. La politique dans son essence est dans le service du
bien commun et la capacité d’associer les hommes pour un vivre-ensemble. De fait, les forces
politiques doivent être au service des intérêts sociaux et non pas se servir elles-mêmes. Il faut
sortir d’une conception égoïste et partisane de la politique qui maintient l’Africain dans des
conditions de pauvreté et d’assujettissement. Une telle politique est plus un moyen
d’oppression et d’injustice pour les gouvernés et un moyen d’enrichissement et d’exploitation
pour les gouverneurs.

Face une politique hasardeuse de développement imposées aux populations, les


détournements de derniers publics, le culte du pouvoir d’Etat et l’idolâtrie du pouvoir
politique qu’ils gèrent, la dépendance du pouvoir judiciaire à l’égard du pouvoir exécutif et le
mensonge institutionnalisé, les hommes politique qui créent des pauvres Djéréké exige un
combat de l’Église par les évêques, les prêtres et les laïcs. Un combat non violent demande
que la dignité humaine ait une valeur absolue qu’aucune justification ne saurait mettre en

81
cause. C’est une lutte contre des hommes politiques qui ont assez fait preuve de leur
incohérence politique. Il s’agit du combat de l’Église qui voudrait « témoigner à temps et à
contretemps de la puissance créatrice de l’amour »394 par la puissance d’inspiration de
l’Evangélisation. A cet effet, l’expérience humaine du Christ, offre à l’Église, la possibilité de
fonder un discours chrétien qui va chercher désormais à prendre le parti des plus faibles, des
marginalisés, des opprimés pour la défense de leur dignité, mais aussi pour la contribution à la
réalisation d’une politique qui ne déshumanise pas l’homme. C’est pourquoi, Djéréké place le
Christ, sa vie, ses actions et ses enseignements, au cœur de l’actions des chrétiens. En effet, en
son temps, le Christ s’est pleinement engagé au côté du peuple opprimé, en s’opposant à
l’exercice du pouvoir par les élites d’Israël. Cet engagement prend une forme critique, contre
l’élite religieuse juive dont le pouvoir reposait sur l’interprétation de la loi mosaïques et la
conception de la religion. Par la non-violence, Jésus s’érige en défenseur des pauvres et des
opprimés de la société juive, part une critique âpre des institutions religieuses oppressives.
Dans son combat, Jésus s’oppose à une manipulation de la loi en vue d’abuser, d’opprimer et
d’appauvrir le peuple. De cette même manière Djéréké invite l’Église par l’action des
évêques, des prêtres et des laïcs à prendre position face à une politique pervertie et des
hommes politiques oppressifs, criminels.

Pour Djéréké, l’Église se doit de mettre fin à toutes formes de mauvaise gouvernance
politique, d’exploitation humaine, d’assujettissement et de maintien des hommes dans une
situation de pauvreté. C’est pourquoi, toutes les actions de l’Église, menées par les évêques,
les prêtres et les laïcs, doivent dénoncer tout ce qui écrase l’homme. Elles doivent œuvrer au
relèvement de tout être humain, dans la défense des droits fondamentaux et favoriser une
politique qui garantit l’épanouissement intégral de l’homme. C’est donc au cœur des
contradictions de l’existence humaine, que la foi trouve sa pertinence dans la société. Parce
que, justement, cette foi ouvre à un avenir porteur de sens pour chacun des hommes et pour
l’ensemble de l’humanité. Il s’agit ici du choix de l’Église pour l’option préférentielle pour les
pauvres, mais aussi, tous ceux qui, privés de leurs droits fondamentaux, voient leur dignité
humaine bafouée et niée. L’Église ne peut pas rester étrangère à l’homme et ses problèmes,
elle n’est pas indifférente à ce monde et à l’histoire de ses habitants. Elle est le signe visible
de la présence de l’amour de Dieu pour le monde et pour les hommes, en particulier pour les
pauvres. De fait, elle se doit, de façon concrète et visible, exprimer sa proximité aux pauvres,
à partir des Ecritures et de l’exemple de Jésus face aux réalités de son temps. La foi, en effet,

394
Olivier CLÉMENT, Questions sur l’homme, Paris, Stock, 1972, 139.

82
ne doit pas être comme un espace fermé de spiritualité, exalté sans engagement dans l’espace
public de la construction de la cité. Dans sa dynamique, elle entretient aussi une relation avec
la gestion de la cité dans ses préoccupations les plus profondes en matière de transformation
des mentalités et de promotion de nouvelles espérances auprès des citoyens395.

Partant de ce qui précède, nous voulons reconsidérer la christologie, l’espérance,


l’eschatologie, l’élaboration d’un discours systématique à partir de la réalité existentielle, la
praxis et « les personnes de bonne volonté », pour une perspective d’élaboration de théologie
politique avec Djéréké.

Le premier élément qui nous semble fondamentale est l’identité du Christ vrai Dieu et
vrai homme. La christologie ne peut pas amputer la dimension divine du Christ sinon elle
court le risque de présenter le Christ comme leader social qui lutte pour des conditions justes.
Elle doit impliquer la dimension divine qui non seulement fait partie de son identité, mais
aussi permet d’affirmer et de manifester, dans les œuvres du Christ, Dieu qui se révèle à
l’homme en situation. Car, le Christ est la révélation parfaite, intégrale et absolue de Dieu. A
cette identité du Christ, aussi doit être associée celle de l’Église, corps mystique du Christ.
Cette dimension permet non seulement à l’Église de se distinguer des organisations ou
institutions internationaux mais aussi, inscrit la mission de l’Église dans cette du Christ.
Ainsi, L’Église n’interfère pas dans le temporel pour le temporel lui-même, mais pour le
spirituel dans le but d’accomplir sa mission de salut du genre humain par le Christ.

Le deuxième élément que nous voulons considérer est l’espérance. La théologie


politique doit être une démarche intellectuelle et pratique visant à rendre compte de
l’espérance chrétienne. De fait, la suite de Jésus suppose une existence radicalement orientée
par l’espérance, qui conduit à sortir la foi du domaine privé pour communiquer avec autrui.
De cette manière, l’Église transforme son autorité religieuse en pouvoir de domination, sans
quoi elle ne serait plus disciple du Christ qui porte une espérance de libération pour tous. Elle
devient ainsi, une constituante de personnes qui sont chargées de transmettre une espérance à
travers un engagement concret dans le monde. Ainsi, confrontés aux besoins de justice, les
croyants sont invités, dans la promotion de la justice, à faire de l’espérance le lieu de
réalisation des promesses, et à se lier à celle-ci de telle sorte qu’elle détermine sa vie. C’est ici
l’expression réelle de la foi.

395
J.-C. DJÉRÉKÉ, Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire, 11.

83
Le troisième élément est l’eschatologie. En tant que porteuse d’une espérance, l’Église
ne peut pas faire fi de l’ eschatologie. En effet, l’angoisse de la mort qu’offre l’existence de la
nature humaine, trouve sa résolution dans l’eschatologie. Il s’agit, dans l’espérance, du retour
glorieux du Fils de l’homme - Jésus-Christ - à la fin des temps pour rétablir définitivement
son royaume. Celle-ci ne peut s’affirmer en se désolidarisant de la vie présente. En effet,
l’évidence de l’eschatologie transforme le présent de l’existence humaine et permet à la vie
terrestre de se prolonger dans le pas-encore déjà entamé. Cette espérance se déploie à travers
une métamorphose quotidienne de la vie des hommes. Dans cette optique, l’eschatologie a, en
plus d’une dimension d’avenir, une dimension présente et elle devient une réalité agissante
qui s’impose aux chrétiens qui savent que la cité céleste commence dans le présent.

Ainsi, par l’espérance et l’eschatologie, la théologie politique ne reste pas enfermée


dans le passé et ne vise pas que des actions présentes. Elle est aussi déterminante pour
l’avenir. Elle est une recherche des « anticipations » du Royaume dans notre histoire et le
retour glorieux du Christ.

Le quatrième élément est que la théologie politique doit se constituer en discours en


tenant compte du contexte et des réalités sociopolitiques pour non seulement répondre aux
besoins, mais aussi participer au changement de mentalité. L’enjeu ici est la capacité de la
théologie politique à entreprendre un changement de mentalité, mais aussi de donner des
moyens et outils pour réaliser un nouvel ordre social ou une libération de toute forme
d’asservissement. Il s’agit ici de la capacité de la théologie politique à bâtir des nouvelles
capacités d’initiative créatrice dans le domaine social, politique, économique et culturel pour
sortir de ce qui les opprime, les assujettit, les exploite et les détruit. Le défi pour l’existence
d’une telle théologie est avant tout de sortir du confort d’une théologie standard, c’est-à-dire,
qui ne fait que répéter et appliquer les mêmes principes sans pour autant chercher à faire sortir
du neuf. Il s’agit ici d’assumer une rupture dans la continuité afin de ne pas tomber dans
l’impasse de nouvelles formes de et de bâtir une nouvelle réflexion qui soit libre,
déterminante, fertilité et initiative dans l’histoire de l’homme. De fait, ce discours théologique
politique, doit rendre compte « des besoins et des attentes de nos peuples et de nos Église» 396
à partir des nécessités et des urgences qui concernent tous les domaines de la vie de notre
humaine. Il ne doit à cet effet s’abstenir de ce que les hommes vivent quotidiennement, car
l’annonce de l’Evangile et du Royaume de Dieu ne peut pas être séparée des combats
politiques, économiques, sociaux et culturels du continent. En outre, ce discours de la
396
KÄ MANA, Foi chrétienne, crise africaine et reconstruction de l’Afrique, 49.

84
théologie politique doit revêtir le caractère universel de la pensée chrétienne qui soit capable
d’intérêt et d’enrichissement pour d’autres pensées théologiques. En un mot, il doit être un
patrimoine de l’Église universelle. Il s’agit de penser en profondeur la théologie de la
politique comme force de créativité concrète, d’articuler ses principes théologiques sur des
perspectives de novation ecclésiologique capable de nous faire comprendre que les modèles
sont à inventer en fonction des défis, des attentes, des aspirations qui sont les nôtres et de leur
conformité à la fécondité évangélique397. De ce fait, la théologie politique doit
intellectuellement pénétrer les situations, les réalités et les conditions d’existentielle de
l’homme dans tous les domaines, afin de rendre intelligibles les enjeux ultimes et aptes à y
répondre. Par la suite une élaboration des exigences qui servent d’articulation entre la mesure
éthique de l’humain qui manifeste la parole de Dieu et des stratégies pratiques à mettre en
œuvre pour les changements en profondeur398.

Le cinquième élément à considérer est que la théologie politique doit passer d’un
discours à une praxis, avec la capacité de prendre le parti des opprimés et des pauvres.
L’Église dans sa configuration - hiérarchie, clergé, religieux, laïcs - doit contribuer à
l’avènement d’institutions justes en bousculer les dictatures ou en démantèlement des
systèmes injustes. De fait, dans un contexte marqué par la pauvreté de plus en plus prononcée,
les injustices, les totalitarismes politiques par endroit, le difficile décollage économique et les
vices qui l’accompagnent, la théologie politique doit engager l’Église dans son intégralité
dans les luttes de libération aux côtés des peuples, qui se battent pour l’avènement de
meilleures conditions de vie. La théologie politique doit, susciter dans chez les chrétiens, la
conscience du rôle important que la religion chrétienne peut aujourd’hui jouer dans les
questions liées au développement et à la dignité humaine. Il s’agit en fait de l’apport de la
théologie politique au relèvement de l’homme dans une situation donnée. Il importe donc
pour la théologie politique de prendre position et de s’inscrire dans la ligne de manifestation
publique des peuples opprimés, pour réclamer la vie, la démocratie, la dignité et la liberté face
à la faillite économique, l’angoisse sociale, l’immobilisme politique et l’incapacité des
dictatures en place à conduire le continent sur la voie du développement 399. De fait, l’Église
doit s’imprégner des crises en les nommant publiquement, clairement, avec courage et lucidité
afin de faire comprendre conscience de la situation vécue et d’amorcer un processus de
réflexion sur ce que la crise dévoile. Cette démarche permet à l’Église d’une part de dénoncer

397
KÄ MANA, Foi chrétienne, crise africaine et reconstruction de l’Afrique, 117.
398
KÄ MANA, Foi chrétienne, crise africaine et reconstruction de l’Afrique, 121.
399
KÄ MANA, Foi chrétienne, crise africaine et reconstruction de l’Afrique, 94.

85
« la bonne conscience et la mauvaise foi de tous les pouvoirs en place, et d’autre part la fausse
conscience des peuples africains qui ont tendance à ne pas voir leurs propres responsabilités et
leurs implications dans ce qui arrive » 400. En plus de ces critiques, l’Église, représentée par les
évêques et les prêtres, se doit de profiler des recommandations et des consignes d’action
concrète pour l’engagement des chrétiens dans les domaines de la politique, de l’économie et
du socio-culturel. C’est par ces actions de l’Église en Afrique face à la situation politique sur
le continent qu’une « éthique politique qui fonde le projet de bâtir nos sociétés sur les bases
humaines, à partir de l’Evangile comme puissance de changement » 401 est possible. Ainsi, la
théologie politique, serait « un processus de constitution des lieux d’action, des structures
d’invention où s’élaborent et se pratiquent des stratégies de changement »402 par la
mobilisation des forces de créativité des individus, des Églises et des sociétés africaines pour
leur transformation en profondeur, dans tous les domaines et à tous les niveaux.

Pour terminer, la théologie politique doit non seulement intégrer le combat des
« personnes de bonne volonté », quand celui-ci entre dans la vision de la vérité de l’Église,
mais aussi doit les impliquer dans le combat de l’Église. Le combat de l’Église qui prend le
parti des pauvres dans la lutte pour la justice, ne doit pas être la chasse gardée des membres de
l’Église. Sans perdre sa mission évangélisatrice, l’Église doit s’impliquer dans le combat des
« personnes de bonne volonté ». Elle doit se joindre à ces derniers quand leur combat entre
dans la droite ligne de sa perception de vérité et de la justice. Par « personnes de bonne
volonté », nous voulons ici désigner l’engagement de toutes celles - personnes morales ou
physiques - qui, prenant conscience d’une situation de crise sociale, économique ou politique,
s’engagent, par des moyens rationnels et justes dans l’optique fondamentale de ramener à
l’ordre les dirigeants comme le peuple.

Conclusion partielle

Notre parcours, à la fin de ce chapitre, nous a permis de montrer dans un premier


moment la pertinence de la théologie politique de Djéréké. Cette dernière réside dans le sens
qu’il donne à la politique comme engagement ; l’Église un corps incarné dans la société et
donc ne peut pas rester insensible à sa situation ; et le sens même de sa théologie politique
comme critique. Dans un deuxième moment, nous avons mis en évidence les limites de sa
théologie politique. Celles-ci ont été perçues dans sa christologie ; dans l’identité de l’Église

400
KÄ MANA, Foi chrétienne, crise africaine et reconstruction de l’Afrique, 97.
401
KÄ MANA, Foi chrétienne, crise africaine et reconstruction de l’Afrique, 117.
402
KÄ MANA, Foi chrétienne, crise africaine et reconstruction de l’Afrique, 121.

86
comme Corps mystique du Christ ; dans sa théologie politique qui est n’pas élaborée en
discours systématique ; dans ces critiques qui n’aboutissent pas à des propositions ; dans une
théologie politique centrée seulement sur la politique comme gestion de la cité ; et dans le
manque de dynamisme de la théologie politique. Pour remédier à tout cela, dans un troisième
moment, nous avons donné un ensemble d’éléments qui doivent être considérés dans la
perspective d’une « nouvelle théologie politique » de Djéréké. Il s’agit de la considération de
la divinité du Christ dans la christologie ; de la considération de l’espérance et l’eschatologie
comme catalyseur du combat présent pour une détermination avenir ; de la capacité de la
théologie politique de se constituer en discours systématique en tenant compte des réalités
sociopolitiques ; de la capacité de la théologie politique de passer d’un discours à une praxis,
en prenant le parti des opprimés et des pauvres ; et enfin, de la participation des « personnes
de bonne volonté ».

87
CONCLUSION GÉNÉRALE

L’intérêt de notre travail était porté sur la théologie politique de Jean-Claude


Djéréké. Plus exactement il s’agissait pour nous de donner un contenu au thème suivant :
« Etude descriptive et critique de la théologie politique de Jean-Claude Djéréké ». Dans la
démarche de nos recherches, notre problématique nous a guidé, à aborder ce thème à
partir de quatre chapitres à savoir : chapitre I : Jean-Claude Djéréké, ses œuvres, sa
méthodologie et ses sources ; chapitre II : Conception de la théologie politique chez Jean-
Claude Djéréké ; chapitre III : La théologie politique de Jean-Claude Djéréké face à celles
de Johann Baptist Metz et de Jean-Marc Ela ; chapitre IV : critique et perspective d’une
nouvelle théologie politique avec Jean-Claude Djéréké.

Dans le premier chapitre, nous avons fait une présentation biographique et


bibliographique de notre auteur. Ce qu’il y a retenir de sa biographie est que l’Ivoirien Jean-
Claude Djéréké est originaire de Divo précisément à Tékpalilié son village natal. Après ses
études primaires(1970-1975), il a fait le collège au petit séminaire Saint Dominique Savio de
Gagnoa (1975-1979) et le secondaire au moyen séminaire Saint Joseph Mukasa de
Yopougon-Kouté (Abidjan - Côte d’’Ivoire) (1979-1982). A la fin de ses études secondaires,
il est entré dans la Compagnie de Jésus (les Jésuites) où il a suivi toute la formation nécessaire
pour faire de lui un prêtre Jésuite. Ainsi, le 13 juin 1996 il est ordonné diacre à la cathédrale
SS. Pierre et Paul de Douala et prêtre l’année suivante à la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan le
17 août 1997. Mais en juin 2001 il quitte la Compagnie de Jésus pour s’incardiner dans le
diocèse de Gagnoa (Côte d’Ivoire). Avec la permission du nouvel archevêque de Gagnoa,
Mgr Jean-Pierre Kutwã, il continue ses études à l’Institut Catholique de Paris, la philosophie
politique au Centre Sèvres avant de s’inscrire à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes-Sorbonne
IV pour sa thèse de doctorat unique en histoire contemporaine et en sociologie des Religions
qu’il achèvera en 2009. En mars 2015, Djéréké annonce son abandon de la vie sacerdotale.

88
Pour ce qui est de sa biographie nous nous sommes contentés de présenter les œuvres
qui nous ont semblé utile pour notre travail. Il s’agit de : Les hommes d’Église et le pouvoir
politique en Afrique noire. L’exemple de Mgr Bernard Yago (Côte d’ivoire), Les évêques et
les événements politiques en Côte d’ivoire (en trois Tomes) et L’Engagement politique du
clergé catholique en Afrique noire. Ce que nous retenons de ces résumés est que Djéréké
analyse des évènements politiques en Afrique en général, mais plus particulièrement en Côte
d’Ivoire depuis les indépendances jusqu’en 2005. Par la suite, il porte un regard critique sur
ces évènements politiques en question d’une part ; d’autre part et sur la réaction de l’Église
notamment ses membres sur les mêmes évènements. Dans son analyse, Djéréké reconnaît que
les hommes de Dieu ont mis du temps à se prononcer ouvertement et sans langue de bois sur
les actes d’injustice, d’assassinat, d’oppression et d’exploitation des politiciens sur la
population. Il reconnaît aussi des modèles parmi les hommes politiques que parmi les
hommes d’Église. Tous ces résumés nous ont permis d’élucider les méthodes de notre auteur
à savoir qui sont la méthode exploratoire, la méthode descriptive, la méthode comparative et
l’analyse critique. Ils ont permis aussi de mettre en exergue ces différentes sources qui sont
les sources magistérielles et ecclésiastiques, les sources théologiques, les sources
philosophiques, les sources historiques ainsi que les publications quotidiennes,
hebdomadaires, magazines et revues.

Dans le deuxième chapitre, nous avons présenté la théologie politique de Djéréké.


Avec la méthode thématique, nous avons rassemblé tous les ouvrages et articles nécessaires
pour comprendre et mettre en exergue la théologie politique de Djéréké. A ce niveau, nous
avons d’abord présenté sa christologie. Cette dernière s’inscrit dans la perspective de la
christologie d’en bas qui est une christologie qui met l’accent sur l’humanité de Jésus, c’est-
à-dire, le Christ, son être historique dans la Palestine du premier siècle de notre ère. Dans sa
christologie, Djéréké substitue Jésus à l’idée d’un Dieu de compassion, c’est-à-dire, celui qui
souffre quand l’homme souffre et, donc, ne peut tolérer que les hommes soient spoliés de leur
dignité d’être créé à l’image de Dieu. C’est pourquoi, prenant le parti des pauvres de son
temps, Jésus se fait leur défenseur. Refusant de s’allier au Zélotes, Jésus mène un combat
non-violent contre les élites religieuses d’Israël notamment sur la manière dont ils utilisent la
Loi pour imposer leurs volontés au peuple au lieu de celles de Dieu. Le combat du Christ a
consisté à faire une critique ouverte et publique de la malhonnêteté des chefs religieux et du
pouvoir de César.

89
Djéréké présente la vie de Jésus comme un modèle d’engagement pour les évêques, les
prêtres et les laïcs. Cette forme d’engagement est ce qu’il définit par politique avec un « p »
majuscule. En effet, Djéréké donne deux sens au mot politique. Le premier sens est la
politique entant que gestion de la cité. Il s’écrit avec un « p » minuscule et concerne la gestion
de la cité par les personnes qui ont des aptitudes dans ce domaine. Il s’agit pour ses derniers
de servir, par leurs compétences et connaissances, leurs concitoyens par la garantie d’un
épanouissement intégral et le développement de la cité. Le second sens est la politique avec
un « p » majuscule. Elle désigne l’engagement des membres de l’Église - évêques, prêtres et
laïcs - pour réclamer la vérité et dénoncer l’injustice. Pour Djéréké, face à une politique
pervertie, l’Église se doit de chercher la vérité et la proclamer publiquement. Par la suite, elle
doit réclamer la justice par un combat non-violent. Il s’agit donc pour les évêques, les prêtres
et les laïcs de prendre le parti des opprimés et des exploités en dénonçant dans leurs lettres
pastorales, homélies et écrits toutes formes de situations et de conditions d’injustice,
d’exploitation et d’oppression de l’homme dans sa dignité. Djéréké invite même les hommes
d’Église à s’unir aux marches pacifiques aux côtés de la population quand celle-ci manifeste
contre une politique pervertie. Aussi, dans sa théologie politique, Djéréké fait une critique de
la politique menée en Afrique. En effet, pour la plupart des pays Africains, la politique vise la
possession du pouvoir et d’une sécurité financière. Dans cette optique les politiciens usent de
tous les moyens pour éliminer leurs adversaires et pour s’enrichir illicitement, au profit du
clan ou de la famille, sur le dos de la population sans être inquiété. Djéréké fait aussi une
critique de l’Église qui reste silencieuse sur les abus de pouvoir et s’attache au pouvoir pour
jouir des privilèges et des financements. Enfin il fait une critique pour le fait que les laïcs sont
infantilisés par les hommes d’Église.

Dans le troisième chapitre, nous avons usé de la méthode comparative, pour mettre en
dialogue la théologie politique de Djéréké d’une part, avec celle d’un auteur occidental qui est
Metz ; d’autre part, avec celle de Ela, d’un auteur Africain. Par cette méthode, nous avons
perçu les différences et les similitudes qui apparaissent entre les différentes théologies
politiques. Pour ce fait, nous avons présenté succinctement la théologie politique de chaque
auteur.

Dans la comparaison entre Djéréké et Metz, il ressort qu’ils partagent en commun, la


lutte de l’Église contre les systèmes injustes qui oppriment et assujettissent l’homme dans sa
dignité. L’Église prend le parti des pauvres qui sont les opprimés, les exploités, les
déshumanisés, les victimes d’injustices sociales. Il s’agit de toutes les personnes qui sont

90
dépourvues de leur dignité d’homme créé à l’image de Dieu à cause des systèmes
sociopolitiques qui déshumanisent l’homme. Pour nos deux auteurs, la vie de l'Église doit
avoir des répercussions sociopolitiques. Cependant, les deux auteurs se distinguent sur pas la
conception de la théologie politique, l’idée de Dieu, le sens de la politique et les acteurs de la
théologie politique.

Le dialogue entre Ela et Djéréké montre que d’un commun accord, ils font une critique
des dirigeants africains et de leur politique qui consiste à satisfaire leur propre ego, au
détriment du peuple déshumanisé, qui croupit dans la pauvreté, la corruption et victime
d’injustice. Ils ont aussi une même vision de la personne du Christ qui, dans son humanité, a
une attention particulière pour tous ceux qui sont sans droit et sans défense, exposés au
pouvoir écrasant de certains hommes politiques. Enfin, ils s’accordent sur le fait que l’Église
se doit, par les moyens et les méthodes qui lui sont propres, de mettre fin à toutes les formes
de mauvaise gouvernance politique, d’exploitation humaine, d’assujettissement et de maintien
des hommes dans une situation de pauvreté, d’exploitation et de dépendance. Cependant, ils
n’ont pas la même vision sur les conditions d’émergence de la théologie politique,
l’élaboration de celle-ci et de son dynamisme.

Dans le quatrième chapitre, nous avons porté notre propre regard la théologie
politique de Djéréké. Par la méthode critique, nous avons pu montrer les limites et les
pertinences de la théologie politique de Djéréké. Comme pertinence, nous avons évoqué
le sens plus large que Djéréké donne à la politique. Cette perception ne fait plus de la
politique une activité exclusivement réservée à la gestion de la cité et propre à un groupe
de personnes ou de parti, mais une activité ouverte à tous ceux qui sont engagés dans un
combat pour la construction d’un monde de justice, de liberté et de vérité. Une autre
pertinence est que Djéréké fait de l’Église un corps incarné dans la société. De cette
manière, l’Église n’est plus insensible aux réalités sociopolitiques. Elle est donc engagée
aux côtés des populations dans leur lutte. Enfin, la pertinence de la théologie politique de
Djéréké réside dans l’aspect critique qu’elle prend. A travers cet aspect, elle nous a permis
de voir que la politique menée en Afrique n’est plus une sécurité pour l’Africain. En
outre, l’Église a dévié de sa mission prophétique et s’est versée dans la spiritualité au
profit des privilèges et des financements. Concernant les limites, nous avons souligné que
la christologie de Djéréké n’a pas évoqué la divine du Christ, l’a plus présenté comme
leader politique et social. L’espérance et l’eschatologie mises à la marge n’ont pas donné
un caractère déterminant pour l’avenir, dans sa théologie politique. L’Église a plus été

91
présentée comme une entité insérée dans la société que considéré comme corps mystique
du Christ qui continue la mission qu’elle a reçu de lui. La théologie politique n’est pas
élaborée comme un discours systématique qui partant de la réalité sociopolitique, se
construit en forme de réponse aux besoins sociaux et politiques. Elle a été plus abordée
dans le sens de la gestion de la cité, tout en s’appuyant sur le passé comme référence pour
une action présente sans perspective avenir.

Au regard de toutes ses limites, nous avons envisagé une perspective pour
l’élaboration d’une théologie politique avec Djéréké. A cet effet elle doit considérer les
éléments suivants : la divinité du Christ dans la christologie ; l’espérance et l’eschatologie
comme catalyseurs du combat présent pour une détermination avenir ; la dimension
spirituelle de l’Église comme corps mystique du Christ et de voir dans ses actions la
continuité de la mission du Christ ; la capacité de la théologie politique de se constitué en
discours systématique en tenant compte des réalités sociopolitiques ; la capacité de la
théologie politique de passer d’un discours à une praxis, en prenant le parti des opprimés
et des pauvres ; et enfin, la possibilité de l’Église de s’associer aux combats des personnes
de bonne volonté.

De cette étude nous retenons de la théologie politique un domaine de réflexion qui


partant de la réalité, s’articule en une réponse à la fois théorique et pratique. A ce titre,
nous reconnaissons que la théologie politique est dynamique. Elle se construit et s’adapte
en tenant compte des réalités où elle est pensée. En plus, elle détermine par elle-même, en
s’appuyant sur la vision de l’Église, les moyens pour répondre aux besoins. Elle constitue
ainsi, pour l’Église, un instrument inéluctable pour sa mission de salut du genre humain.

Comme acquis, nous reconnaissons que cette étude nous a permis d’avoir une
connaissance plus aiguisée de la théologie politique. Notre connaissance embryonnaire, a
pu s’enrichir et se constituer en une connaissance plus prononcée dans ce domaine. En
effet, elle nous a permis d’acquérir les méthodes et les principes de la théologie politique.
La mise en dialogue de plusieurs auteurs nous a permis de percevoir d’autres aspects de la
théologie politique que ceux pré-acquis. En effet, Djéréké, Metz, Ela et tous les autres
auteurs qui ont servi de base pour notre travail, nous ont permis de déterminer et de
concevoir ce qui peut aujourd’hui constituer des lieux ou des situations pour la réflexion
théologique dans ce domaine. A ce titre nous reconnaissons qu’ils nous ont donné des
instruments nécessaires pour réfléchir, nous prononcer sur certaines situations et même

92
envisager des actions dans ce domaine.

Avec ce travail, nous réalisons que Djéréké a jeté une graine dans le champ de la
théologie politique en général et celui de la théologie africaine en particulier. En effet, comme
Jean-Marc Ela au Cameroun ou Albert Nolan en Afrique du Sud, il a essayé, par ses travaux,
de donner un contenu à la théologie politique, à partir de l’Eglise et des réalités
sociopolitiques de la Côte d’Ivoire. Au grand constat, cette entame de la théologie politique
en Côte d’Ivoire de la part de Djéréké, reste encore un défi compte tenu des crises passées et
d’autres encore latentes. En effet, vu l’impact de la théologie politique en Amérique Latine,
elle se doit d’être en Côte d’Ivoire, une réflexion profonde pour répondre aux aspirations des
habitants de ce pays à la justice, à la vérité, à la réconciliation et à la paix véritable. Et ce
mémoire nous met déjà en mouvement sur ce chantier.

BIBLIOGRAPHIE

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TABLE DES MATIERES


INTRODUCTION GENERALE.............................................................................................1
1. Présentation du thème...................................................................................................1
2. La problématique..............................................................................................................3
3. Les méthodes de recherche...........................................................................................4
3. La Documentation..........................................................................................................5
4. Plan du mémoire............................................................................................................6
Chapitre I : JEAN-CLAUDE DJÉRÉKÉ, SES ŒUVRES, SA METHODOLOGIE ET
SES SOURCES..........................................................................................................................7
Introduction partielle............................................................................................................7
1. Biographie.......................................................................................................................7
2. Bibliographie sélective.................................................................................................10
2.1. L’Engagement politique du clergé catholique en Afrique noire......................11
2.2. Les hommes d’Église et le pouvoir politique en Afrique noire. L’exemple de
Mgr Bernard Yago (Côte d’ivoire)................................................................................12
2.3. Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (Tome I)...............13
2.4. Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (Tome II)..............13
2.5. Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (Tome III)............14
3. La méthodologie de Jean-Claude Djéréké....................................................................16
4. Les sources.......................................................................................................................20
Conclusion partielle.............................................................................................................24

97
Chapitre II : CONCEPTION DE LA THÉOLOGIE POLITIQUE CHEZ JEAN-
CLAUDE DJÉRÉKÉ..............................................................................................................25
Introduction partielle..........................................................................................................25
1. La christologie de Jean-Claude Djéréké....................................................................25
2. Le sens de la politique chez Jean-Claude Djéréké....................................................30
3. La « théologie Politique » de Jean-Claude Djéréké comme engagement Politique
de l’Église.............................................................................................................................35
4. La critique de Jean-Claude Djéréké sur l’engagement politique de l’Église.........40
Conclusion partielle.............................................................................................................46
Chapitre III : LA THEOLOGIE POLITIQUE DE JEAN-CLAUDE DJÉRÉKÉ FACE A
CELLES DE JOHANN BAPTIST METZ ET DE JEAN-MARC ELA............................47
Introduction partielle..........................................................................................................47
1. La théologie politique de Johann Baptist Metz............................................................47
2. Dialogue entre la théologie politique de Johann Baptist Metz et celle de Jean-Claude
Djéréké.................................................................................................................................53
2.1. La notion de théologie politique..............................................................................54
2.2. L’idée de Dieu...........................................................................................................55
2.3. Le sens de la politique..............................................................................................56
2.4. Les acteurs de la théologie politique.......................................................................57
2.5. Les points communs entre Djéréké et Metz...........................................................58
3. La théologie de libération de Jean Marc ELA..............................................................59
4. Dialogue entre la théologie politique de Jean-Claude Djéréké et celle de Jean-Marc
Ela.........................................................................................................................................65
4.1. Les points communs.................................................................................................65
4.2. Les points divergents................................................................................................67
Conclusion partielle.............................................................................................................69
Chapitre IV : CRITIQUE ET PERSPECTIVE D’UNE NOUVELLE THÉOLOGIE
POLITIQUE AVEC JEAN-CLAUDE DJÉRÉKÉ..............................................................70
Introduction partielle..........................................................................................................70
1. Pertinence de la théologie politique de Djéréké............................................................70
2. Critique de la théologie politique de Jean-Claude Djéréké.........................................74
2.1. Les limites de la christologie....................................................................................75
2.2. L’identité de l’Église Corps mystique du Christ...................................................77
2.3. Absence de propositions concrètes..........................................................................77
2.4. L’absence d’un discours théologique structuré.....................................................78

98
2.5. La surévaluation du politique dans l’analyse.........................................................79
2.6. L’absence de dynamisme.........................................................................................80
3. Perspectives pour élaboration d’une théologie politique avec Jean-Claude Djéréké
...............................................................................................................................................80
Conclusion partielle.............................................................................................................86
CONCLUSION GÉNÉRALE................................................................................................88
BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................93

99

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