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Armand Colin

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET SON ARMÉE


Author(s): Georges LEFEBVRE
Source: Annales historiques de la Révolution française, 41e Année, No. 198 (Octobre-
Décembre 1969), pp. 576-582
Published by: Armand Colin
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41914013
Accessed: 13-07-2023 09:41 +00:00

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aux Jacobins et aux sans-culottes toute initiative; il les encadra


dans une organisation gouvernementale et bureaucratique où
ils n'eurent plus qu'à obéir. Les sans-culottes virent avec
amertume emprisonner les Enragés et conduire à l'échafaud
les Hébertistes qui avaient leur confiance. Ils se turent sans
doute, mais sans cesser de faire leur devoir, ils se désintéres-
sèrent d'un gouvernement qui ne les consultait plus et qui
les traitait en suspects. Au 9 thermidor, les sections pari-
siennes se divisèrent et ce fut celle des Gravilliers, la section
de Jacques Roux, qui envahit l'Hôtel de Ville. A comprimer le
ressort de la Révolution, on l'avait brisé. La suite est bien
connue : les thermidoriens purent rétablir la domination de
la haute bourgeoisie capitaliste. Il ne serait pas difficile de
montrer qu'au fond, la seconde République, pour ne rien dire
de la troisième, a péri par la même raison.
L'histoire ne se répète pas automatiquement et c'est
pourquoi l'historien ne peut tirer du passé des indications
concrètes valables pour l'avenir; mais, de ses observations, le
péril essentiel qui menace tout mouvement populaire ressort
avec évidence. L'élan populaire doit prendre conscience que
la discipline lui est indispensable; ceux qu'il a portés au
pouvoir doivent prendre souci de ne pas l'étouffer en se lais-
sant devancer par lui dans les réalisations qui sont sa raison
d'être. La République n'a jamais péri que par la division des
républicains.
Georges LEFEBVRE.

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
ET SON ARMÉE

Le 20 octobre dernier, M. Wladimir d'Ormesson rappelait


en fort bons termes aux Français que la guerre continuait.
Il s'indignait à juste titre parce que certains ne paraissent
pas s'en soucier. Et tout à coup, sans transition, il concluait
ainsi : « On parle beaucoup de la Révolution française en ce

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moment. On évoque les ombres du Comité de salut public, de


Saint-Just et de Robespierre. La Révolution est, certes, une
prodigieuse époque. Pourtant, ce qu'il y a de plus admirable
en elle, ce ne sont pas les bavardages, les intrigues et les excès
qui ont conduit au 18 brumaire et aux « capucinades » de
1804, c'est l'effort de guerre et pas seulement les volontaires
de l'an II, Valmy, Jemappes, mais l'œuvre tenace, l'œuvre
technique d'un Lazare Carnot et de ses commis, cette armée
de douze cent mille hommes qu'ils trouvèrent le moyen d'enca-
drer, d'armer, d'équiper et qui devait devenir la « Grande
Armée ». Oui, parlons de la Révolution française, mais pour
en retenir surtout le sursaut patriotique. »
D'où il paraît ressortir qu'aux yeux de M. d'Ormesson,
Robespierre et Saint-Just, se souciant peu de la guerre, se
consacraient aux « bavardages, intrigues et excès », tandis
que Carnot et l'armée, se désintéressant de ce qui se fait à
l'intérieur, ou même le blâmant, ne songeaient qu'à la fron-
tière. Peut-on se tromper sur le conseil qui s'ensuit de là ?
J'en doute. Il rejoint celui que donnait M. Mauriac ouver-
tement dès le 13 dans le même journal : « Nous voulons, nous
exigeons le châtiment des coupables - non celui des suspects ;
et nous ne faisons pas bon marché de la vie ni de la liberté
des innocents. » Conclusion : l'amnistie. « Des coupables
échapperont peut-être au châtiment; mais des innocents seront
délivrés : ainsi la justice gagnera d'un côté ce qu'elle perdra
de l'autre. » Autrement dit encore : arrêtons la répression et
l'épuration, afin de restaurer l'unité nationale et de mieux
faire la guerre.
*
<**

Des militants de la Résistance, que le précédent historique


passionne en effet, m'ont demandé ce que je pensais de ces
opinions. Je dirai donc, en premier lieu, qu'elles ne me
semblent pas très cohérentes. Ces messieurs veulent mener la
guerre avec l'énergie du Comité de salut public, mais ils ne
veulent pas connaître de suspects. Pourtant quel Etat en guerre
n'en découvre et néglige de les mettre sous clef ? Tous les
belligérants depuis 1914 ont eu leurs camps de concentration,
et chez nous, avant 1914, n'existait-il pas un carnet B ? Or ces
suspects ne sont-ils pas singulièrement nombreux et redou-
tables quand, pour des raisons politiques, religieuses ou
sociales, l'ennemi trouve au sein du pays des complicités ou
des sympathies ? Tel était le cas au temps de la Révolution

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et tel fut malheureusement le nôtre. Nos auteurs estiment


apparemment que nos « frères égarés » sont revenus à de
meilleurs sentiments et que la cinquième colonne n'existe
plus. Je le souhaite de tout cœur, mais les renseignements
font défaut pour en décider et l'exemple de la Révolution
n'incline pas à tant d'optimisme. De 1792 à 1815, la contre-
révolution n'a jamais désarmé. En 1815 encore, 30 000 hommes
furent retenus par l'insurrection de la Vendée : s'ils avaient
été présents à Waterloo, la bataille eût été gagnée. A Sainte-
Hélène, Napoléon est allé jusqu'à dire que les massacres de
Septembre avaient arrêté l'invasion prussienne et que si l'on
eût terrorisé les traîtres en 1814 et 1815, la nation n'aurait pas
succombé. En tant qu'historien, je ne suis pas de son avis. Mais
qu'en l'an II, le Comité de salut public n'ait même pas songé
à passer l'éponge, je le trouve raisonnable.
Ce n'est pas que, dans le précédent révolutionnaire, ces
messieurs n'eussent pu trouver à reprendre sans que personne
contestât. Il est vrai que Jacobins et sans-culottes ont, en 1793,.
traité en suspects ou en coupables des hommes dont le senti-
ment national ne nous paraît pas douteux. L'emploi de la
« force coactive » de la terreur - que nous appelons l'épu-
ration - a dépassé la mesure à cause du schisme catholique,
puis de l'entreprise de déchristianisation; à la suite aussi de
l'insurrection du 31 mai que de bons républicains avaient
motif de juger incompatible avec la légalité démocratique;
à raison encore des conflits des partis et des querelles person-
nelles. Mais aucun de ces motifs de suspicion n'est évoqué
aujourd'hui.
*
•**

Il est vrai, d'autre part, que les Jacobins et les sans-


culottes ont fini par ne pas sauvegarder convenablement les
droits de l'accusé. Ils avaient vu les royalistes obliger Verdun
et Valenciennes à capituler; les chefs vendéens appeler les
Anglais et ceux de Lyon les Piémontais; les Toulonnais livrer
aux Anglais leur port et l'escadre de la Méditerranée; la fureur
leur a fait oublier que, dans l'intérêt même de leur cause
autant que par humanité, les rigueurs devaient être réduites
au strict nécessaire. Je crois que ces messieurs tomberaient
d'accord que pareil reproche s'adresse à ceux qui réprimèrent
l'insurrection de juin 1848 et aux Versaillais de la semaine
sanglante de mai 1871, d'autant que leurs victimes étaient
pures de toute complicité avec l'étranger. Mais, jusqu'à preuve

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LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET SON ARMÉE 579

du contraire, aucun innocent ne périt sous nos yeux et aucun


suspect n'est privé du droit de se défendre. Reste donc bon
à rappeler cette maxime d'un fonctionnaire du Directoire :
« Si la confiance (dans les chefs qu'il a élus) est la première
vertu d'un républicain, la défiance est la première vertu d'un
révolutionnaire ».

Mais l'attention de mes amis de la Résistance s'est prin-


cipalement portée sur l'opposition implicitement affirmée entre
Carnot et l'armée de la République d'une part, et de l'autre,
Robespierre, Saint-Just et tous autres révolutionnaires. L'asser-
tion n'est pas nouvelle. Tous ceux qui, attachés à la Révolution
de 1789, vouent à l'exécration les hommes de 1793, y ont
trouvé un moyen commode d'exalter la défense nationale
tout en condamnant la politique intérieure du Comité de
salut public. Pourtant, séparer les révolutionnaires de leur
armée est insoutenable. Tous les membres du Comité de salut
public se sont intéressés à elle ; on devrait au moins se rappeler
que Saint-Just fut l'animateur de la défense de l'Alsace et qu'il
conduisit à Fleurus l'armée qui, bientôt après, reçut le nom
à jamais fameux de « Sambre et Meuse ». D'un bout à l'autre
de la République, les administrations et les sociétés popu-
laires ont toujours placé l'armée en tête de leurs préoccu-
pations et lui ont tout subordonné. L'organisation de la
recherche et de la préparation du salpêtre, une des plus éton-
nantes entreprises du temps, n'aurait pas été possible sans
la coopération dévouée des pouvoirs locaux. L'armée a été
le symbole de la solidarité révolutionnaire parce qu'elle était
le rempart, non seulement de l'intégrité du territoire, mais
aussi de la Révolution.

Et Carnot dira-t-on ? N'a-t-il pas affirmé qu'enfermé dans


des bureaux, il était resté étranger aux mesures terroristes
et que, s'il en avait contresigné quelques-unes, ç'avait été sans
les lire ? Il est vrai; il a été le créateur de sa propre légende,
au temps de la terreur blanche de l'an III : il voulait sauver
sa tête et y réussit de justesse; plus tard, ses apologistes lui
ont fait écho. Mais les thermidoriens déjà avaient écouté ses
explications avec ironie; et quel historien peut y ajouter
foi quand il trouve la signature de Carnot au bas de l'arrêté
qui prescrivit l'arrestation de Danton ? A qui fera-t-on croire
qu'il l'a signé sans en connaître les termes ? Et puisque
Robert Lindet, son collègue, et Ruhl, du Comité de sûreté

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générale, ont refusé d'en faire autant san


le leur aient jamais reproché, comment nier que Carnot ait
pris parti délibérément ? C'est qu'autoritaire comme tous les
membres du Comité, toute opposition lui semblait intolérable;
qu'il lui paraissait indispensable au salut public que le
pouvoir du Comité demeurât incontesté ; qu'il se rendait compte
enfin que ses membres étaient solidaires et que, s'ils se divi-
saient, l'armature du Gouvernement révolutionnaire s'effon-
drerait. L'événement a prouvé que cette conjecture était juste
et l'étonnant est que Carnot l'ait perdue de vue quand il a
contribué si ardemment à perdre Robespierre.
Comment, d'ailleurs, Carnot aurait-il pu mener à bien la
tâche que le Comité lui avait confiée si la durée ne lui avait été
assurée ? Et qui la lui a procurée sinon l'action même du
Comité pour défendre son existence à la Convention et dans
le pays ?
*
i**

Mais l'armée enfin ? Eh bien, il est vrai qu'à l'égard de


certains de ses éléments, la réserve s'impose. Les restes de
l'ancienne armée royale lui étaient incorporés et nombre de
ces soldats de métier furent jugés hostiles, indifférents ou
douteux. La levée en masse atteignit tous les hommes non
mariés, de 18 à 25 ans : parmi eux, nécessairement, toutes les
opinions pouvaient être représentées. Il y a plus : en l'an II,
l'armée fut un refuge; car le soldat de la République était sacré
à moins de trahison patente, et des monarchistes, constitu-
tionnels ou francs contre-révolutionnaires, s'y mirent à l'abri.
Enfin, il est légitime de soutenir que, dans l'esprit des soldats
de l'an II, le sentiment national, l'amour de la France en tant
que patrie territoriale et idéale, indépendante du régime
politique, social, religieux, de ses fils éphémères, coexistait
avec l'attachement passionné pour la Révolution et pour
l'Indivisible. Il est vrai que la République détruite, la Révo-
lution vaincue, ils n'en sont pas moins restés fidèles à la
France. C'est pour leur mémoire un titre de gloire. Les répu-
blicains ont pu se voir proscrire : jusqu'en 1940 du moins,
aucun de ceux qui ont prétendu compter dans leurs rangs
n'a jamais lié partie avec les ennemis de la France.
Mais, cette complexité reconnue, il reste que l'âme de
cette armée de la République est celle du peuple révolution-
naire, de même qu'à ce dernier elle doit aussi le nombre. Elle
a été tirée de la garde nationale, du peuple en armes depuis

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1789, dont sont issus les volontaires à partir de 1791. Ces


volontaires servaient et pensaient comme les Jacobins et les
sans-culottes; ils chantaient la Carmagnole et vouaient les
aristocrates à la lanterne. En 1792, avant et après les massacres
de septembre, M. Caron a énuméré 67 exécutions sommaires
en province, et on peut en ajouter quelques autres : dans un
grand nombre de cas, les volontaires en ont pris l'initiative ou
y ont joué un rôle notoire. D'ailleurs, parmi les septembriseurs,
il y en eut aussi. Que tous aient approuvé ces procédés
extrêmes, on ne peut le croire; qu'ils aient différé d'opinion
sur l'étendue de la répression terroriste, ce n'est pas douteux.
Mais qu'ils aient été d'accord avec les révolutionnaires restés
à l'arrière sur la nécessité d'écraser à tout prix la trahison;
qu'ils aient compris, comme Robespierre n'a cessé de le répé-
ter, que la République faisait la guerre à l'intérieur aussi
bien qu'à l'extérieur, les extrémités mêmes auxquelles certain
nombre d'entre eux se sont portés m'en paraissent rendre
témoignage. Faut-il rappeler que Hoche adressa des lettres
affectueuses à Marat ? Et qu'en frimaire an II, au temps
des batailles du Mans et de Savenay, mais aussi des noyades
de Nantes, Kléber et Marceau complimentèrent Carrier pour
l'énergie qu'il déployait contre les Vendéens ? Ce sont là,
dira-t-on, de regrettables écarts. Si l'on veut ! Mais il en
ressort clairement que ces héros de la République ne peuvent
pas être opposés, comme on l'a voulu faire, aux patriotes
« frères et amis » de la Convention, des districts, des muni-
cipalités et des sociétés populaires, aux Jacobins et aux sans-
culottes. La Révolution et son armée forment un bloc.

Et puis, il est un autre point auquel il conviendrait de


prendre garde. Si les républicains de l'an II ont été honnis,
le caractère sanglant de la répression n'en est pas la raison
essentielle. Comme j'ai essayé de le montrer, les thermido-
riens, en criant : « Sus aux buveurs de sang », visaient le
régime économique et social de l'an II : la réquisition, la
taxation, l'économie dirigée, la suppression des compagnies
par actions, la fermeture de la Bourse, la guerre aux acca-
pareurs. Et quant à la dictature militaire, elle a été conçue et
instituée par une partie de la bourgeoisie, acceptée par l'autre,
afin d'achever la défaite de l'étranger et de ses complices, mais
aussi pour rendre définitivement aux « notables » la domination
sur le reste de la nation. En répudiant la répression révolu-
tionnaire, encore serait-il sage de spécifier qu'on ne condamne
pas en même temps le régime économique et social que le

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Comité de salut public avait institué et que Robespierre et


Saint-Just proposaient de compléter; car, dans son esprit
du moins, ce régime est celui que préconise la Résistance avec
l'adhésion du gouvernement. Pour que la guerre reste nationale
dans le plein sens du mot, c'est-à-dire populaire, il ne faudrait
pas la séparer encore une fois de l'idéal social qui en est
inséparable aux yeux du peuple comme au temps de la Pre-
mière République.
Georges LEFEBVRE.

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