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GESCHtNK.

BER WOTGEFïERWgCHÆFT
DER DEUTSCHEW WïâSENgCHAfT
ÏN B-EREHM
i
MANUEL

D ART BYZANTIN
PAR

GIIARLES DIEIIL
MHMHHEDEL!XSTITUT
['HOFESSEUn A LA FACULTE DES I.ETTHES UE L'UMVEHSITÉ KE TAHIS

3°)';D]T[ONHE\L'EETAU(;MEMHB

TOME PREMIER

PARIS
AUGUSTE PICARD, l'MtTBUR
Ti'/ira/re Jes /)re/n'ues e/ t/e /a Soe/e/e </e /'X'eo/e des C/iar/es
82, RUEBoNAPAHTE, 82

i92n
/
1

b.
MANUEL D'ART BYZANTÏN
MANUEL

D'ART BYZANTIN
PAH

CHARLES DIEHL

2^ ÉDtTION REIUE ET AUUMENTÉE

TOME PREMIER

PARIS
HBRAIRIE AUGUSTE PICARD
I.tT)ra:'re des /!rc/tt'res e( de /a Soct'eM de /\Eco/e des C/tatdes
82, RUEBONAPARTE, 82

1925
PRÉFACE

L'art byzantm, pendant de longuesannées, a été considéré


comme un art immobiie, impuissant à se renouveler, et qui,
sous ta stricte surveiHance de l'Egiise, borna son etïort millc-
naire à répéter indétiniment les créations de queiques artistes
de génie. Assurément cette conception surannée ne trouve
pius guère de partisans aujourd'hui. Pourtant les historiens
récents de i'art byzantin y reviennent en queique manière,
par un détour, iorsque dans ia piupart des œuvres de cet art
postérieures au vP siècie, ils ne veulent retrouver autre chose
que des répiiques de prototypesperdus. Au vrai, l histoire de
i'art byzantin oifre infiniment pius de complexité et de sou-
piesse. Certes ii fut, nui ne ie conteste, bien des fois imita-
teur et copiste ; mais ii fut, davantage encore, capable d'ori-
ginaiité et d'invention créatrice. L'admirabie fioraison artis-
tique qui marque 1e siècle de Justinien ne i'épuisa point. La
màgnifique renaissance qui accompagna i'époque des empe-
reurs macëdoniens et Comnènes trouva des sources d inspira-
tion inconnues à l'âge antérieur, et révéia des qualités que cet
âge n'avait point connues. Enfin, au xiv^ et au xv° siècles,
i art bvzantin, dans une évolution suprême, apparut capable de
se transformer et comme prêt à se renouvelei'. L'art bvzantin
n'est donc point, comme on ie pensetrop souvent, un art mort-
né, qui, après un fugitif éciat, s'est survécu en une iongue et
stériie décadence ; c'est un art vivant, dont le déveioppement
suit une courbe logique, continue et progressive, et dont il
VI PRÉFACE

faut, comme pour tout orgauisme vivant, étudier révolution


et les transformations successives.
Ce sont ces considérations, d'importance essentielle à mon
gré, qui ont déterminé le pian et iecaractère du présent livre.
Ii est moins un manuei qu'une histoire de l'art byzantin.
Assurément on y trouvera, et sans peine, les renseignements
pratiques que le lecteur attend iégitimement d'un livre qui
s'intituie manneJ ; on les trouvera seulement groupés selon
l ordre historique plutôt que selon l'ordre systématique. Et
aussi bien est-il plus instructif peut-être et, à mon sens, plus
scientihque, de présenter, par exemple, dans son dévetoppe-
ment chronolog'ique, l'histoire de i'architecture byzantine que
d'analyser dans un même chapitre, sans souci des temps, les
formes diverses et les partis différents de la construction. 11
sera aisé à celui qui s'intéresse plus spécialement aux monu-
ments de la miniature, de l'ivoirerie ou de l'émaiilerie, de
retrouver, dans chacune des parties de ce livre, les chapitres
particuliers consacrés à ces diverses branches de l'art. 11 eût
été déplorable, à mon avis, en étudiant sous une ruhrique
unique l'ensemble des manuscrits illustrés ou des ivoires ou
des émaux byzantins, de supprimer le lien qui unit ces monu-
ments au développement général de l'art. Au système des
monographies spéciales, relatives à telle ou telie catégorie
d'ouvrages d art, volontairement on a préféré une exposition
plus historique, où apparaîtra, dans l'unité de son harmonieux
développement, l'art byzantin aux ditférentes époques de sa
vie. Mais ie iecteurcurieux de ces monographies spéciales les
rencontrera aisément à la place qu'elles occupent dans cha-
cune des sections de l ouvrage, et il pourra, s'il tui piaît, les
consulter en se dispensant de lii e tout le reste.
On a toutefois écarté à dessein de ce livre certaines séries
de monuments qui, tout en se rattachant à l'histoire de l'art,
ont semhlé former un domaine pius spécial. Ni la numisma-
tique ni ia sigillographie hyzantines, d'ailieurs étudiées dans
l'HEFACE VII

des travaux excellents, n'ont pris place dans le cadre de ce


manuel. Pareidement, et pour dautres raisons, d'autres
branches d'art, comme ia verrerie ou la céramique, que nous
connaissons à peine, n'y Rgurent point. Et eniin ii a paru tout
à fait inutiie de dresser, en particulier pour ies arts mineurs,
ie catalogue compiet des monuments, qui nous ont été conser-
vés, et parmi iesqueis beaucoup souvent sont médiocres. On
a retenu ceux-là seuiement qui ont une vaieur pour i'art ou
pour i'histoire, et à des énumérations fastidieuses, qui n'ap-
prendraient rien, on a préféré queiques anaiyses précises et
une détinition des caractèresgénéraux qui distinguentchacune
de ces l)ranches de l'art.
Unedernièreremarque estnécessaire. Lesdécouvertes faites
en ces dernières années ont enrichi prodigieusement et éciairé
surbien des points i'histoire de l'arthyzantin; eiies ontdonné
naissance aussi à nomhre d'hypothèses hasardeuscs, de théo-
ries sensationnelles, où il n'est point toujours aisé de démê-
ler la part qu'eiles contiennent de vérité. 11 a été impossible
dans ce livre de discuter à fond toutes ces nouveautés reten-
tissantes, et plus d une fois il a fallu prendre parti sans pou-
voir donner par le dëtail les raisons du parti qu'on prenait.
Mais ce n'est jamais, j'ai à peine besoin de ie dire, sans de
sérieux rnotifs et sans un examen attentif du prohlème que !es
conclusions exposées ont été adoptées. Toutefois, il serait
vain de dissimuler que ])eaucoup de points denteurent encore
étrangement obscurs dans l histoire de l'art byzantin, et que
sur hien des questions les solutions proposées ne peuvent être
que provisoires. On s'est appliqué surtout ici à faire connaître
l'état le plus actnel de nos connaissances scientifiques, à résu-
mer avecprécision les données les plus récemment acquises, et
qui ont semblé sufhsamment certaines. A cet exposé l'avenir
sans doute changera hien des choses : c'est l'inévitahle destin
de tout livre de cette sorte. Maiss'ila mis au point clairement,
exactement, consciencieusement, ce que nous savons à cette
VIII PREFACE

heure sur tant de difticiles problèmes, peut-être ne paraîtra-


t-il point absolunient inutile.
L'illustration de ce volume a été pour moi une sérieuse et
constante préoccupation. A côté des monuments bien connus,
mais trop célèbres ou trop caractéristiques pour qu on pùt se
dispenser de les reproduire, il a paru intéressant de faire à
l'inédit aussi largeplace quepossible. On trouvera ici,en par-
ticulier pour l'illustration des manuscrits, un certain nombre
de documents pbotographiés tout exprès sur les originaux de
la Hibliothèque Nationale ou de la Vaticane. D'autres figures
reproduisent les excellents clichés pris récemment par M. Le
Tourneau à Salonique ou par M. Ebersolt à Gonstantinople.
M. Van Berchem, pour les monuments de Syrie, 1e P. de Jer-
phanion, pour les fresques de Cappadore, m'ont communi-
qué de bonnes photographies. Enbn M. Millet a mis gracieu-
sement à ma disposition les ricbesses de la CoIIection des
Ilautes-Etudes, où j'ai puisé largement. A tous, et à bien
d'autres encore que je ne puis nommer, j'adresse ici mes
remerciements, et je les adrcsse aussi à M. Picard, mon édi-
teur, qui n'a rien épargné pour que cette illustration, très
abondante, eût le caractère scientibque qui lui donnera, je l'es-
père, quelque intérêt.
PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION

Quinze ans ont passé depuis que furent écrites les lignes
qui précëdent : et pendant ces quinze années, comrne ii était
aisé de le prévoir, des travaux importants ont été publiés sur
Thistoire de l art byzantin. Des ouvrages d ensemble excel-
lents ont paru, ceiui de Dalton en Angleterre, celui de Wuitf
en AHemagne, où i'on a, comme dans ie présent iivre,
quoique parfois avec une méthode diiférente, cherché à déhnir
les traits caractéristiques et à classer les monuments de l'art
byzantin. Paraiileurs ie difiicileproidèmedesorigines del'art
chrëtien orientai a continué à donner naissance à des théo-
ries aussi intéressantes qu'audacieuses et à des débats par-
fois orageux : etencore que, de l'aveu même du pius iilustre
auteur de ces théories, « on ne puisse ni ne doive rien appor-
ter encore de définitif et de certain a, bien que, selon un mot
du même savant, <( les abimes ne soient point franchis, et
que ies lacunes soient peut-être pius grandes que l'étendue du
terrain soiide ' o, if va de soi qu'on ne saurait faisser passer sans
mention et sans examen ces nouveautés retentissantes, et que,
s'iin'est point possibfe ici de lesdiscuterà fond, ii estnéces-
saire cependant d'en exposer les conclusions essentielles. C'est
une grosse question de savoir quelle a été, dans 1a formation
del'art chrétien d'Orient, 1a part de 1a Mésopotamie, de l'Iran,
de l'Arménie : et quelques réserves que l'on puisse faire sur
I importance relative de ces diverses influences, ce serait trai-
ter trop injustement 1e grand savant qu'est Strzygowski de

1- Strzygowski, t/rspraay fter eàrtsttieàeft KtrcAen/t'Hnst, i920, p. v.


X PRBFACE DE LA OEUXîÈME EDITION

sembler négbg'er ce quH a apporté de faits nouveaux et dignes


d'attention, d'idées souvent discutables, mais toujours intéres-
santes, et tout ce dont il a enrichi l'état actuel de nos con-
naissances.
A i'autre extrémité de l'bistoire de l'artbyzantin, ta Renais-
sance des xiv^ et xv" siècles a donné iieu à de nombreuses
recherches. Ons'est etïorcé d'en mieux déterminerles causes,
d'en déiinir pius complètement les traits caractéristiques ; et
de même que, dans les origines de l'art byzantin, on s'est
apptiqué à démêter tes inftuences et ies traditions diverses,
ainsi, dans te bloc compact de l'art chrétien d Orient à son
apogée, on a tenté de reconnaître et de caractériser des écoles
d'art distinctes : ç'a été en particulier l'œuvre de M. Millet.
dansses intéressantes RecAerc/iessn/' / :conoy/'apA/ede/'A'can-
p//e. On a par ailleurs mieux précisé la nature et 1a portée de
l intluence que Byzance exerça alors dans 1e monde oriental :
des découvertes et des recherches nouvelles nous ontappris
quel fut son rôle en ëerbie et en Bulgarie, en Roumanie et
en Russie et dans quelle mesure — d'ailleurs considéral/Ie —
les monuments de ces régions doivent prendre place dans
l'histoire de I art byzantin.
De tout cela il était indispensable de tenir compte dans une
édition nouvelle de ce livre, si l'on voulait, comme je 1e sou-
haitais pour sa première édition, qu'il tit connaitre l'état le
plus actuel de nos connaissances scientifiques, qu il résumât
avec précision les données les plusrécemmentacquises, et qui
ont semblé suffisamtnent certnines. Des additions importantes
sont donc venues s'ajouter au texte comme à i'illustration de
cet ouvrage ; des chapitres nouveaux ont remplacé plus d une
fois des indications incomplètes ou trop brèves ; la bihliogra-
phie a ëté soigneusement mise à jour, de façon à ne laisser
ignorer au lecteur aucun des travaux importants qui ont paru
en grand nombre, outre ceux que j'ai mentionnés dejà, dans
toutes les parties de ce vaste domaine ; une révision attentive
X!
PRÉFACH DE LA DEUXïÈME ÉDtTfON

a été faite enfin de toutes ies pages de la première édition,


travail iaborieux et souvent pénible, mais qui a semblé indis-
pensabie en un ouvrage de cette sorte. Je n'ai pas besoin
d'ajouter que j'ai tejnu compte, dans toute ]a mesure du pos-
sible, des critiques qui ont été faites à ce livre, sauf d'une,
que sa discourtoisie peu intedigente m'a paru rendre négli-
geable b
Peut-être s'étonnera-t-on que, dans le titre, on ait conservé
!e terme d'art byxantin. Je n'entends nullement, par l'eniploi
de cette expression usueHe, formuler une tbéorie quelconque
sur ]a p]ace qui appartient à Byzance dans ]a formation et le
développement de l'art cbrétien d'Orient. Je n'ignore pas la
part qu'i] faut faire légitimement à bien d'autres régions du
vaste empire des ni les traditions —- syriennes, cap-
padociennes ou autres — qui se sont opposées à la tradition
de Gonstantinople. Sansdoute je persiste à croire quon dimi-
nue avec quelque excès 1e rôle de la capitale byzantine dans
l'bistoire de l'art bvzantin et de son expansion. Mais je sais
aussi quelle est actueliement 1a xmleur exacte du mot d'art
byzantin, etquelle erreur il y aurait à 1e prendre en un sens
trop strict. Je l'emploie parce qu'il est consacré par l'usage,
parce qu il est commode, et aussi parce que, à considérer atten-
tivement les choses, il s'applique, malgré tout, assez bien à
l'art qui Reurit dans l'ensemble de territoires qui formaient
ce qu'on nomme, de Byzance sa capitale, l'empire bvzantin,
et pendant 1a période historique qui correspond à l'existence
de cet empire.

Juin 1925.

!. Vt'z. Vrem., t. 20, !9!3, p. 1-2).


RENSEIGNEMENTS BIBLIOGRAPIIIQUES
ET ABRÉVIATIONS

Labibliographieaétéptacée, nonpoint, àlaRndectiaquectiapitre,


en une iiste généiaie qui eut été forcément un peu confuse ; mais, dans
ies notes au bas du texte, on a, pour chaque monument important ou
chaquegroupe de monuments, indiquélesprincipaux ouvragesà consul-
ter. Toutefois certains travaux d'ensemble doivent être cités, certaines
indications bibiiograpinques généraies doivent être données ici une fois
pour toutes.
— Une bibiiographie fort détaiiiée des pubiications reiatives à l'art
byxantin se trouve dans Krumbacher, Gesc/ttc/t/e r/er Ayza/i/Zntsc/aenZ,:/-
/era/ttr, 2" éd., Munich, 1897, p. 1H3 etsuiv. On iacomplëtera au moyen
des indications données par Strzygowski dans la By:an/t'ntsc/te Zet'/-
sc/tt't'/'/ et dans ies //yzati/t'ttt'sc/t-ttettyt*t'ec/tt'sc/te Ja/tt'bt'ic/tet', où est
signalé et brièvement apprécié presque tout ce qui a paru dans ce
domaine depuis 1893 jusqu'à 1921. On v joittdra utilcment les notices du
Ut':att/tÿs/i'ty Ut'etttettttt'/c, larevue byzantine russe quipat'aitdepuis lSOl-.
Pour ce qui est des monuments, la coilection byzantine de l'École des
Uautes-Etudes contientpiusieursmHliers de photographies, dont beau-
coup sont inédites (Cf. Miilet, La eo//ee/t'ottùyzatt/ttte t/es //aa/es-Æ*/at/es,
Paris 1903). On trouvera des répertoires assez compiets de reproduc-
tions, pourie vt" siècie, dans Diehl, Jtts/t'tttet:e/ /a ci'tti'/tsa/t'ott /tyzatt/t'tte
att U/c st'éc/e, Paris, 1901, pour le x" etle xt° dans G. Schlumberger,
tVt'cëp/tot'e P/toeas, Paris, 1890, et Z/Zfpopée /tyzaa/ttte, Paris, 1896-1908,
3 vol. (Un index méthodique de celte abondante iliustration est publié
dans ies 9Zé/attgres offerts à G. Schiumiterger, Paris, 1925).
— 11 existe plusieurs histoires générales de l'art byzantin. Comme
étude d'ens'embie, on doit citer :
Kondakof. /Zt's/ott'e c/e /'ar/ Zyzatt/tn cottstt/éréprtttctpa/etnen/ t/atts /es
mt'ttta/ttres, 2 vol.,Paris, 1886-1891 (traduction de l'ouvrage russe publié
à Odessa en 1876).
Bayet, Z,'ar/ Zyzatt/ttt, Paris, 1883. Nouvelle édition, Paris, 1904.
Pokt'ovskij) d/oatttttett/s <Ze /'t'cottoyt'ap/tt'e e/ t/e /'at'/ or//tot/otres (russe),
Pétersbourg, 1894; 2^ éd., 1900.
Miiiet, Z.'ar/ Zyzatt/t'a (dans A. Michel, ZZt's/ot're t/e /'ar/, t. 1, Paris,
^905, et 111, Paris, 1908).
Bréhier, Z,es /tast'/t'yttes c/trti/t'ettttes. Z,esëy/t'sesZyzatt/taes, 2 vol., Paris,
1906.
Leciercq.articie/lt'/ /tyzatt/t'tt, dans Cabrol, Dtc/t'ottttat're t/'arc/tdo/oyt'e
c/trë/t'ettae, Paris, 1909.
xtv RENSEtGNEMËNTS BÏBLIOGRAEmQUES ET ABREVIATtOXS

Datton, Bysan/iâe ari aad arcAaeoioyt/. Oxford. tOÜ.


Wuiff, A/tcfirMfficAe a/îJ Ay:,a/if:iMsc/îe 7fuasf, 2 vol., Berlin, 1914-1918-
Bréhier, L'art A;/zaai:'a, Paris, 1924.
— L'histoire de l'art byzantin tient égalementune place, parfois impor-
tante, dans les histoires générales de l'art chrétien. On citera :
Oarrucci, S/ort'a Jen'ai'fecrisfi'an.a aet prioîî otio seco/:Jena C/iiesa,
6 vol. Prato, 1873-1881.
Müntz, Æ"/ocies sar i'/îîs/oîre Je /a peia/are e/ cie i'icoaogrrap/îie c/îrë-
itenaes, Paris, 1882.
Pératé, CArc/îëoioyie c/trëiietiae, Paris, 1892.
Kraus, Cesc/iiciîier/ercArisiiic/:eaA''tttisi, t. I. Fribourg, 1896.
Venturi, Sioria t/eii'arie iiaiiatta, t. 1-HI, Milan, 1901-1905.
K. M. Kaufmann, /Latîti&ttcA t/er c/trisiiic/iett ArcAaoioyie, 2^ éd.,
Paderborn,1913.
Lethaby, tl/eciiaerai ari /t-otti i/te peace o/* i/te cAnrc/t io iAe ette o/
iAe retiaissattce, Londres, 1903.
Leclercq, Matittei t/'arc/tf/oioyie cAréiieatte, 2 vol. Paris, 1907.
Brëhier. A'ari cArdiiea, Paris, 1918.
— Pour l'histoire de l'architecture, on doit citer :
Choisy, A'ari t/e /taiit' cAez ies Rt/gattiitts, Paris, 1884.
Rivoira, Ae ot'iyitii t/eiia arcAiieiittra iotit/tart/a, t. I, Rome, 1901 et
t. II, Rome, 1907.
— Pour l'histoire de 1a peinture et des arts industriels :
Labartè, /Lisioire t/es at'is ittc/usirieis, 2" éd.,3 vol. Paris 1872-1875.
Pokrovskij, Peitiiares tnttraies t/atis ies attcietities ëyiises yrecyues ei
rasses H'usse), Moscou, 1890.
— On consultera utilement enfin les deux recueils de sources publiés
par :
Unger, Qtteiiea c/er Aygaaiitiiscitett /LuasiyescAicAie, Vienne, 1878.
J. P. Richter, Qtteiietî t/er /tyzaniittiscAett AiuttsiyescAic/iie, Vienne,
1897.

Un certain nombre de publications fréquemment citées dans les notes


du volume sont désignées habituellement par lesabréviations suivantes :
Aïnalof, Oriy. — Aïnalof, Oriyitîes Aeiiéttisiiyttes t/e i'ari Aygatiiitt
(russe), Pétersbourg, 1900.
Bayet, AecA. = Bayet, AecAercAes pottr serair à i'Aisioire t/e ia peitt-
ittt'e ei f/e ia scttipiure c/tréiietittes eti Ot'ietii auatti ia yttereiie t/es /cotto-
ciasies, Paris, 1879.
BCII. — Bulietin de Correspondance hellénique.
BZ. — Byzantinische Zeitschrift.
Ghoisy. = Choisy, A'ari </e AàiircAez ies Rt/zattiitis, Paris, 1884.
DAW W. = Denkschriften der Kais. Akademie der Wissenschaften in
Wien.
RENSEIGNEMEKTS BtBEtOGRAPHIQUES ET ABRÉVtATfONS XV

HR. = Izvjestija (DuHetin) Je l'Iustitut archéotogique russe de Cons-


tantinople.
JDAI. = Jahrbuch des deutschenarchaeolog-ischen Instituts.
JKS. = Jahrhuch des Kunsthistor. Samniiungen des aHerhôchsten
Kaiscrhauscs.
JPK. = Jahrbuctt der K. preussischen KunstsamnHungcn.
Kondakof, f/efac/. = Kondakof, ra;'/ Ayzan/;';;co;;sf-
dé;e pr;';;c;/).;/eme;;/ /es m;';;;'a/u;'es, 2vo). Paris, 1886-i89i.
Aiiliet, H;*/ /jy:. = Miliet, J.'H;*f Ay:a;;/;;: (dans A. Michel, de
/'ar/, I,i27-30i, Paris, 1903).
MiHet, H; / /lyn. !L= ^!iilet,/.'A;7 cA;*é/;'e;; f/'0;':'e;;/ f/;;;;;;7;'eu A'77"
au ;;::'/:'e;; <7:: A*L7= s:'èc/e(dans A. Mic!;cl, 7/;'sL de /'a;*/, !!!, 928-962,
Paris, 1908).
NBCA. = Nuovo BuHettino di archcoiogia crisliana.
OCi;. = Oricns chrislianus.
BA. = Revuc arc!;éo!ogique.
RQ. = RômischeQuartalschrift.
Viz. Vrcm. = Vizantijskij Vremennik.
MANUEL D ART RYZANTIN

LIVRE PREMIER
ORIGINES ET FORMATION DE L'ART BYZANTIN

CHAPITRE PREMIER

L'ÉVOLUTION DE L'ART CHRÉTIEN AU IV- SIÈCLE. — CARACTÈRE


ET ORIGINES DE L'ART NOUVEAU

I. Conséquences du Iriomphe del'Ëgliseau iv*siècle. Les formes de l'archi-


tecture. Les procédés de la décoration. Formation du style historique et
monumental. — II. Caractères de I'art nouveau. L'art chrëtien, artofflciel.
L'artchrétienart oriental. L'artreligieuxetl'artprofane. —III. Élèments
constitutifsde l'art byxantin. Orient ou Rome? Les thëories de Strzygo'w-
ski. Rôle de Constantinople.

Le christianisme naissant avait eu peu de goût pour i'art, dans


iequei il voyaitavec raison un des meiHeurs soutiens du paganisme,
et qui lui semMait, par ses créations, une éco!e d'idotâtrie et d'im-
moralité. La vieille répugnance que ies Juifs avaient pour les
images se perpétua donc d'abord chez les docteurs chrétietis.
Lorsque, iinatement, i)s durent s'en accommoder, l'art qu'its accep-
tèrent prit de ce iait un aspect tout particutier. Dans ]es peintures
chrétiennes des Catacombes, ies représentations historiques eurent
peu ou point de ptace : on n'y rencontre que rarement des scènes
empruntées à ]'histoire sacrée, jamais des épisodes de martyre ou des
portraits. L'art des Catacombes fut un art tout symbolique, qui, au
moyen des décorations mythotogiques et des thèmes champêtres
empruntés à l'art antique, s'efforça de traduire ]es idées chères aux
tidèles. 11 s'est compbi surtout aux représentations famitières,
traitées au point de vue technique dans le styte des fresques campa-
niennes, et, comme eltes, profondément imprégnées d'influences et
1
2 ÉVOLUTtON DE L ART CHRÉTtEN - ORtGtNES DE L ART NOUVEAU

d'esprit alexandritis. H a fait grand usage des signes mystiques,


i'ancre, ie poisson, ia coiombe, inventés, eux aussi, dans ies commu-
nautés de i'Orient grec, à Antioche ou à Aiexandrie. H a donnë
enttn à toutes ses créations un caractère doux, tendre et poétique ;
ii a conçu ie Ghrist sous i'aspect du Bon Pasteur paissant ou rame-
nant ses brebis, i'âme immorteiie sous i'aspect de l'Orante priant
parmi ies fteurs du paradis ; ii a nimé ies Hgures aiiégoriques,
grosses de signification pour ies seuis initiés, Psyché et Orphée,
Daniei et Jonas. Tout au pius, dans queiques rares et curieuses
représentations iiturgiques, a-t-ii mêié à ce symboiisme naïf i'esprit
subtii des phiiosophies orientaies. Dans son ensembie, i'art chré-
tien tei. qu'ii apparaît avant ia paix de i'Égiise a été un art tout
simpie, tout famiiier, tout popuiaire, à ia formation duquei, ii ne
faut pointi'oubiier, i'Orient a contribué pour une iarge part '.

i
CONSÉQUENCES DU TRtOMPHE DE L'ÉGHSE AU n'" SIÈCLE

La grande révoiution historique qui, au commencement du


tv° siècie, amena ie triomphe de i'Égiise, eut pour i'art aussi de
grandes conséquences. Jusqu'aiors, ie christianisme s'était, en
Occident du moins, — car i'Orient a connu pius tôt des comntu-
nautés reiigieuses fortement organisées — surtout déveioppé dans
i'ombre, etii avait éprouvé pius d'une fois ies rigueurs de ia persé-
cution : maintenant ii devenait une reiigion d'Htat, ofiicieiiement
reconnue et protégée par i'empereur. Une exaitation, une aiiégresse
sans pareiiie saiuèrent cette magnitique victoire. Une prodigieuse
activité artistique en futie résuitat. Pourlecuite victorieux ii faiiait'
en effet des égiises pius vastes et pius beiies ; d'autre part, pour
céiébrer ieur triomphe, ies chrétiens voulurent apporter, dans ia
construction et ia décoration de ces éditices, un goût de splendeur
tout nouveau L
1. Surces choses, qui ne peuventêtreindiquées ici quesommairement, on
consuttera utilemcnt i'excellent chapitre de Pératé, au tome [ de i'Nt's/ot're de
['Ar/, d'A. Michet. On trouvera là aussi, p. 9i-96, une bonne bibtiographie de
ces questions.
2. Cf. pour ['ensembte de ce chapitre : Bayet, tteeàereàes pour serni'r à
fàt'sfotre Je fa pet'fttttre e/ <ie ht sett/p/ttre cAreftettnes ett Ortettt attatti ia
qttereftedes Jeottoctasfes, Paris, 1879; Aïnatof, Ort'fyt'ftes /teHettt'sit'quesde /'arf
Âyzantttt, Pétersbourg, 1900 (russe);Strzygowski, Orsprtttty</ercArtsift'eAett
AtreAett/tftttsf, Leipzig, 1920.
LES FORMES DE L'ARCHITECTURE 3

Les /ormes Je l'arcAtfecfure. — De ces deux besoins, ie premier


se traduisit dans i'architecture. D'un bout à i'autre de i'empire
on vit surgir de terre une tloraison de constructions nouveHes.
« Dans chaque viüe, écrit Eusèbe, ont iieu des ietes pour
ies dédicaces, ies consécrations d'oratoires nouveiiement con-
struits. A cette occasion ies évêques s'assembient. ies pèierins
accourent des régions éioignées ; on voit éciater i'affection des
peupies pour ies peupies ; ce sont ies membres du Christ unis
dans une même harmonie. « L'empereur iui-même donnait i'exempie,
excitant ie zète du ciergé, assurant aux préiats i'appui et 1e con-
cours de i'autorité pubiique, bâtissant, dans ia nouveiie capitaie du
Bosphore aussi bien que dans ies anciennes capitaies du christia-
nisme oriental, des monuments somptueux. G'étaient tantôt des
égiises de forme basiiicaie, teiies que Sainte-Sophie ou Sainte-
Irène à Constantinopie, ou ia basiiique de i'Eieona à Jérusaiem ',
et tantôt des édihces de forme circuiaire ou octogonaie, teis que
i'Aeroon de i'égiise des Saints Apôtres à Byzance, ia rotonde de
Sainte-Constance à Rome, i'égiise de l'Ascension sur ie mont des
Oiiviers à Jérusaiem, ou la grande égiise octogone d'Antioche, ie
pius ancien exempie de ce type de constructions, et dont Eusèbe
remarque qu'eiie était un monument unique en son genre (p.ovoYevs;
n /p*iiu.x Tantôt ies deux types d'éditices se trouvaient
réunis, comme ii arriva dans ie magniiique monument éievé par
Constantin à Jérusaiem sur i'empiacement du Saint-Sépuicre. « Ii
convient, avait écrit i'empereur, de faire en sorte que cette basiiique
ne soit pas seulement pius beiie que tout ce qui existe aiiieurs,
mais que i'ensembie en soit tei que tout ce que i'on rencontre de
pius beau dans chaque viiie soit surpassé par cette construction. p
En conséquence, à une ampie basiiique à cinq ou trois nefs,
précédée, du côté de l'est par un vaste atrium, s'ajouta ia rotonde
de i'Anastasis éievée au-dessus du tombeau du Sauveur et qu'un
autre atrium reiiait au bâtiment principai L Tantôt entin, conime
à Bethiéem, une égiise de forme basiiicaie s'acheva par trois
absides disposées en forme de trèfle, une dans i'axe de ia nef
principaie, et ies autres sur ies côtés nord et sud Grâce à ce

1. Vincent(Rev. bibtique, 1911, p. 219 et suiv.).


2. Gf. Heisenberg, Dt'e GrabesAtreàe tn Jerusalem, Leipzig, 1908.
3. Vogüë, Les tfghses Je ia Terre Sainte, Paris, 1860 ; Vincent et Abei,
ÆeDttëem, Paris, 1914. H sembie démontréaujourd'hui que ce pian tréflé est
te résuttat d'une transformation exécutée au vt* siècie.
4 ÉVOLUTION DE L'AIiT CHRÉTIEN — ORIGIKES DE L'ART N'OUVEAt'

grand mouvement Je consLructions, l'art chrétien s'épanouissait


en des formes variées et souvent nouveHes ; des types d'édifices
étaient créés, qui aHaientbien vite devenir canoniques, et qui, ser-
vatit de tnodèies aux architectes des âges postérieurs, devaient
exercer utte infïuence profonde sur le déveioppement de l'architec-
ture reiigieuse '.
Les procèc/és r/e /a c/écora/ioit. — Dans 1a décoration de ces
monuments se manifesta ie goût nouveau de splendeur, dotit
['enthousiasme chrétien jugeait convenabie de parer ie cuite vic-
torieux. Sur ies muraiiies intérieures des égiises, des revètements
de marbre couvrirent ia nudité des parois de briques ; au iieu des
modestes peintures qui décoraient les cryptes des Catacombes, la
mosaïque, cette « peinture poui' i'éternité r, pius riche à ia fois
et plus durabie, mit à ia courbe des absides ies tonaiités somp-
tueuses et décoratives de ses fonds de bieu ou d'or. Les métaux
précieux i'urent empioyés pour rehausser ia richesse des construc-
tions sacrées. On dora ies chapiteaux, on dora ies plafonds, de
manière à figurer, au-dessus des têtesdesfidèies, l'éciat du ciei lumi-
neux. L'égiise d'Antioche, au rapport d'Lusèbe, était tout étince-
iante des refiets de i'or, du bronze, et des autres matériaux de prix
qui y avaient été prodigués. Sur le soi des édifices, on dépioya ie
tapis magnifique des pavements historiés. Et jusque sur ies murs
extérieurs des monuments on vouiut ia même poiychromie cha-
toyante et spiendide. A ia façade des égiises teiles que ia basilique
de ia Nafivité à Bethiéem, ies mosaïques mirent ieurs notes écia-
tantes. Dans ces vastes et beiies constructions, ia simpiicité de ia
décoration eût sembié un signe de pauvreté. Désormais tous ies
membres de i'édifice durerit être revètus d'une parure poiychrome,
riche et harmonieuse tout à ia fois.
Mais c'est surtout dans ie choix des sujets que se manifesta i'es-
prit nouveau qui animait ie christianisme. Sans doute — et ce point
doit être soigneusement retenu — ies scrupuies anciens que
i'Egiise avait à i'égard des images persistèrent encore durant de
iongues années. Comme jadis dans ies Gatacombes, on eut peur de
représenter par la peinture ies mystères chrétiens, et i'on aima
mieux accueiiiir jusque dans i'égiise des motil's profanes, emprun-
tés au décor païen, auxqueis on attacha une signification symboiique.
C'est pour ceia que, dans beaucoup d'édifices de ce temps, on ren-
1. ttübsch, Die aMeàri.sfb'cèea ttircàen, Kartsruhe, 1862-1863, et surtout
Strzygowski, /neiaasien, eia iVeuiaafi Jer7lnnsiçesciM'ciiie, Leipzi^, 1903.
LES t'ROCÉDÉS DE LA DÉCOHATIOX 5

conLre une décoration puremeut pittoresque. Ce sont <Jes ornements.


des guirtandes de ileurs et de fruits, des rinceaux de vigne ou
d'acanthe, parmi iesqueis se joue tout un peupie d'oiseaux ; ce sont
des architectures compiiquées et fantaisistes, pareiiles à ceiies qu'on
voit dans ies fresques pompéïennes, et des peintures de genre,
scènes de chasse ou de pêche, jeux d'eufants nus qui se pour-
suivent dans un frais paysage rempii d'animaux. Et ce n'est point
seuiement dans ies constructions profanes qu'on observe ces motifs,
dans ies riches demeures chrétiennes du tv"siècie, teiies que ia mai-
son récemment découverte à Rome sur le Coeiius au-dessous de
i'égiise des Saints Jean et Paui (casa Coelimontana). Que i'on con-
sidère ies édiiicessacrés, teis que i'égiise deSainteConstanceà Rome,
qui t'ut d'abord ie mausotée d'une fiiie de Constantin. Uans ce monu-
ment de type tout orientai, intéressant exempte, avec sa rotonde
à coionnade intérieure et son portique circuiaire à i extérieur, de
ia construction dite à pian centrai, ia dëcoration n'est pas moins
remarquabie. On y voit de petits génies occupés à faire ia ven-
dange, des enfants nus jouant et pêchant dans ies eaux d'un Heuve
sur iequei vognent des canards et des cygnes. Les mêmes motifs
d'origine aiexandrine se retrouvent dnns toute unc suite d'édiüces
du iv" et du v" siècie, dans une chapeiie d'Ei Bagaouat (iv^ siècie)
en Egypte, comme dans ia rotonde de Saint Georges de Saionique
(v^ siècie) ou dans ies deux baptistères de Ravenne (v° siècie), où
des architectures gemmées et dorées forment une frise au pourtour
de ia coupoie, dans ies mosaïques absidiaies du Latrau etde Sainte-
Marie-Majeure, comme dans ceiies qui décorent ia nef de ia basiiique
de Bethiéem. Le mème décor se rencontre pareiiiement dans ies
manuscrits teis que ie Caiendrier de 354. dans ies pavements Leis
que ia mosaïque de Kabr-Iiiram conservée au i^ouvre (fin tv° siècie) ;
ii se refrouvait de même dans ies étoffes, s'ii en faut croire ce
curieux témoignage d'Astérios d'Amasie (fin tv° siècie) : " On a ima-
giné, écrit cet évêque, une étrange et méprisabie industrie, qui, par
ies combinaisons de ia chaine et de ia trame, imife ies effets de ia
peinture, et figure suries vêtements toutes ies sortes d'animaux.
On fabrique aussi des iiahits éciatants, iiiustrés d'innombrabies
figures... ; on y voif des iions, des panthères, des ours, des tau-
reaux, des chiens, des forêts, des rochers, des chasseurs, et tout ce
que ia peinture emprunte à !a nature. x Et ie saint s éievait avec
indignation contre ces habiiiements, qui faisaient ressembler ceux
qui ies portent à « des murs peints ambuiants « (-roï/oi ysYcs't'-'
6 évOLUTION DE L'ART CHRETIEN - ORIGINES DE L ART NOUVEAU

y.svit) et qui excitaient dans la rue tes moqueries des entants. Mal-
gré de tets btâmes, l'art chrétien restait tidèle à la tradition alexan-
drine, et, par un vieux scrupute, it prodiguait, même après te
triomphe de t'Egtise, dans les sanctuaires les plus vénérés, les orne-
ments et les sujets de genre que lui avait transmis l'art hellénis-
tique
A'oinia/tou f/n AM/or:yue ef monutnetifa/. — Pourtant,
vers 1a tin du iv" siècle, une évolution se marquait vers des idées
nouvelles. Certains pères de l'Eglise voyaient dans 1a peinture
non pas seulement une vaine décoration, mais un moyen de con-
tribuer à l'instruction et à i'édilication des Hdèles. K Ce que 1a
parole présente à l'oreille, écrivait saint Basile, la peinture muette
1e montre de même par l'imitation x. << Le peintre, disait Grégoire
de Nysse, travaille avec des couleurs comme dans un livre parlant.
La peinture muette parle sur 1e mur et fait beaucoup de bien x. De
ces préoccupations, on trouve un intéressant témoignage dans 1a
lettre que Saint Ni), vers 1a lin du iv° siècle, écrivait au préfet
Olympiodore. Ce personnage, voutant faire décorer une église qu'il
venait de fonder, avait demandé conseil au saint : il voulait savoir
s'il convenait d'y faire peindre, conformément à l'usage courant,
des scènes de chasse et de pêche, et de se préoccuper surtout,
comme ii 1e disait, dans cette décoration, « du seui plaisir des yeux v.
A cettequestion, Nil répondit que ce projet était purement « enfan-
tin et puéril H. Ce qu'il fallait, c'était peindre dans 1e sanctuaire
l'iniage de 1a croix, sur les murailles, des scènes empruntées à l'An-
cien Testament et aux Ëvangiles, « afin, ajoutait-il, que ceux qui ne
savent pas les lettres et ne peuvent lire les Saintes Ëcritures se
souviennent, en regardant les peintures, des belles actions de ceux
qui ont fidèlement servi 1e vrai Dieu et soient excités à imiter leur
conduite x
II ne s'agit plus ici de compositions pittoresques cachant une
vague intention symbolique ; c'est une décoration de caractère
nettementhistorique que propose etrecommandel'écrivain. Ce qu'il
conseiüe, et ce qui, conformément à ses conseils, apparaît dès 1e

1. On tiia avec intérèt surce point ies remarques d'Ai'naiof, au chapitre Ht


du tivre cité pius haut: Caracfère àetle'nt'que despet'nfHres uturaies àgsau-
ft'nes, p. 129-159 et ies remarques, sur iesqueiies it y a au reste bien des
réservesài'aire, de Strzygowski. auxchapitres V etVI de son iivre dëjà cité:
tfrspruitty dercàrt'sfit'eàen fft'rcàeuàuusf, p. 88-132.
2. Cf. Strzygowski, t'Ittd.,p. 139-140.
FORMATIOX MJ STYLE IIISTORIQUE ET MONUMENTAL 7

commencement du v^ siècle dans !a décoration des basiliques, c'est


une suite de sujets empruntés aux Livres saints et se succédant
dans un ordre à peu près chronoiogique, ou bien encore les hauts
faits de la vie de tel ou tei martyr. A défaut d'œuvres qui nous soient
parvenues, des témoignages fort précis attestent cette orieutation
nouveiie de i'art chrétien. Grégoire de Nysse décrit des peintures
qui, dans une égiise d'Euchaïta, représentaient ies épisodes de ia
iégende de saint Théodore. Astérios d'Amasie rapporte que ies gens
riches de son temps faisaient, par dévotion, broder sur ieurs vête-
ments ies miracies du Christ. Mais ie texte ie pius curieux en ce
genre est ceiui où ie même Astérios a décrit une étoffe conservée à
Chaicédoine, auprès du tombeau de Sainte Euphémie. On y avait
peint sur ia toiie quatre scènes du martyre de ia jeune femme, sa
comparution devant le juge, ies tortures qui iui furent infligées, sa
captivité et sa mort. Ge qui frappe surtout dans cette description,
c'est ie réalisme hrutal avec lequei les épisodes étaient repré-
sentés. « Les hourreaux, dit Astérios, vêtus seuiement d'une
tunique, accomplissent leur tâche. L'un d'eux a saisi la tête de la
vierge et ia renverse en arrière : ii ia maintient ainsi immobiie,
exposée auxtortures ; i'autre iui arrache iesdents. On voities ins-
truments du supplice, un niaiilet, un foret. Le peintre a si distinc-
tement rendu ies gouttes de sang qu'ii sembie qu'on ies voie réeiie-
ment couler. n La même recherche des eifets viotents se retrouve
dans ies épisodes de la iégende de saint Théodore décrits par Gré-
goire de Nysse. Ce qui frappe également les écrix'ains qui nous ont
transmis ie souvenir de ces peintures, c'est la vérité des attitudes et
des expressions que ies peintres avaient su donner à ieurs person-
nages, ia façon dont iis avaient traduit ieurs sentiments, pudeur,
courage ou coière. H L'art, dit Astérios, sait enetfet, quand il veut,
peindre ia coière, même au moyen d'une matière inanimée. )i
De teiies tendances, s'exprimant par un tel choix des sujets,
devaient natureiiement donner à i'art chrétien un aspect tout nou-
veau. Un des traits ies plus caractéristiques est la grande place qui
y est i'aite au portrait. Les tigures prennent désormais un caractère
plus précis, pius historique ; ies types des principaux acteurs
sacrés tendent à s'individuaiiser et à se iixer. Les compositions et
ies personnages s'ordonnent d'autre part en une symétrie plus soien-
nelle. <t i[ faut, dit fort bien M. Bayet, étahlir une proportion
exacte entre ia décoration et i'étendue de i'édifice. Or tous ces
héros de i'art antérieur, avec ieurs aiiures modestes et famiiières,
8 ÉVOLUTION DE L*ART CHRÉTIEN - ORIGINES DE L'ART A'OUVEAU

leurs vètements aux couieurs peu éclatantes, seraient ici dépaysés;


on ne sentirait plus peut-être tout ce qu'il y a de noblesse et de
charme dans leur simplicité. On cherchera donc à leut' donner une
dignité ptus compassée, on moditiera leur attitude, leur démarche,
jusqu'à leur costunie n
Au tieu du Bon Pasteur des Catacombes, si poéticjue dans
sa familière douceur, c'est le Ghrist triomphateur, maitre du
monde, que l'art s'attache à représenter. « H semble, dit encore
M. Bayet, qu'on soit choqué des allures familières d'autrefois,
qu'on les évite comme un manque de dignité et de tenue. Ce
Christ qui ne se distingue point de ceux qui l'entourent, qui se
mêle à tous, a quelque chose de trop populaire. II est roi et l'art
doit 1e faire sentir -. H C'est comme un empereur céleste que se 1e
représentent les écrivains du temps. « Les arcs du monde hii
servent de trône, dit Eusèbe, 1a terre est son escabeau. Les armées
célestes montent 1a garde autour de lui, les puissances surnatu-
relles sont ses doryphores ; elles 1e reconnaissent pour leur despote,
leur maitre, leur roi. M C'est sous cet aspect que l'art aussi le Hgure.
II lui donne un costume éclatant, un air de majesté qui impose. II
ceint sa tête du nimbe ; il l'assied sur un trône resplendissant d'or
et de gemmes, il élève sa main dans un geste royal pour bénir et
dominer 1e monde. Autour de ce monarque, il groupe toute une
cour : ce sont lesanges, dont 1e type s'inspire de celui des Victoires
antiques, les apôtres, les évangélistes, les prophètes. Et pour
rehausser encore son prestige, il ne voit pas seulement en lui 1e
maître tout-puissant de l'univers : mais aussi 1e juge suprême de
l'humanité. Dès 1e iv° siècle, Ephrem le Syrien décrit 1a scène du
Jugement dernier, non plus sous 1a symbolique tigure du Bon
Pasteur séparant les brebis des béliers, mais tel que 1e représen-
teront plus tard les peintures bvzantines, avec 1e Roi des rois
entourë de son divin cortège hiérarchiquement groupé à ses côtés,
et se manifestant dans sa gloire pour juger les vivants et les morts.
Ainsi, dans les formes de l'architecture, dans les procédés de 1a
décoration, dans 1a formation d'un style historique et monumental
tout différent de 1a tradition et de l'esprit de l'art des Catacombes,
se manifeste l'évolution profonde qui s'accomplit au iv° siècle dans
l'art chrétien. II faut déflnir maintenant les caractères distinctifs
de cet art nouveau et rechercher où il a puisé son inspiration et
trouvé ses modèles.
1. Bayet, tteeti., p. 46.
2. /àùt., p. 54-55.
t/ART CIIRÉTIEX ART Ot'y!C!F.!. 9

II

CARACTÈRES DE !.'.\RT NOUVEAU

A'ar^ cArèft'en a/*/ o//icfeL — Ën devenant une retigion d'Htat,


1e christianisme était entré en reiations étroites avec le pouvoir.
Protégé par lui, ii devait à ia faveur impériaie croissante une
part de sa grandeur : dociie aux ordres du prince, ii niit,
d'autre part, sa force à son service et fut un des instruments de
i'action gouvernementaie. Par ie fait de ces rapports continueis,
i'art chrétien natureiiement fut dès ie iv" siècie un art o//:cte/.
Encouragé, aiimenté par ies empereurs, par ieur i'amiiie, par
ies grands seigneurs de la cour, ii prit assez vite en conséquencc
un certain air d'uniformité. Sans doute, on ie verra plus ioin, ies
écoies régionaies qui naquirent dans ies diverses parties du monde
orientai gardèrent iongtemps une spontanéité, une diversité qui
ieur donnèrent une marque propre, et durant tout ie iv^ siècle, ies
grandes viiies heiiénistiques de Syrie et d'Egypte, Antioche ef
Aiexandrie, dirigèrent ie mouvement artisfique autant et pius que
Constantinopie. Pourtant, dès cette époque, ies constructions éie-
vées par ies empereurs semblaient des modèies dignes d'être univer-
seiiement imités. Oès ce moment ia cour donnait ie ton et i'inipui-
sion aux créations de i'art. La magnificence dont s'entouraient ies
princes, ie goût de iuxe et de pompe qu'iis affectaient, i'étiquette
soienneiie qui présidait à leurs actes, intluaient curieusement sur
ies conceptions des artistes chrétiens. Leur imagination, comme on
i a justement remarqué, « se modelait sur ies cérémonies de ia
cour n ; eile transportait dans ie monde spirituei ia liiérarchie ter-
restre dont ie palais impériai iui oifraitiemagniHque spectabie. On
racontequePorphyre, ëvêquedeGaza, étant, en40l, venuàCons-
tantinopie, fut particulièrement frappé de ia beauté des costumcs
dont s'habiiiaient i'empereur et ses courtisans. n Si ces pompes
terrestres, disait-ii, qui ne durent qu'un temps, ont un tei éciat,
que doit être i'éclat ties pornpes céiestes préparées pour ies jusfes. «
Le mot estcaractéristique. H montre comment « i'Egiise, au contact
du pouvoir, adapta son goût comme sa pensée aux usages de ia
société qu'elie prëfendaif diriger' H, et connnent cette société
imprima son caractère à i'art.

!. Mittet, ^rf. tn/z., p. 128


10 ÉVOLUHON DE u'ART CHRÉT!F.N — ORtGÏNES DE L ART NOL'VEAU

Si à cetle influetice, qui devait forcément engendret* quetque


uniformité, on ajoute le désir nouveau, qui se manifesta au iv^ siècle
dans l'âme chrétienne, de donner à i'art une vateur éducatrice, on
conçoit que de bonne heure certaines traditions se soient étabties,
que certains types se soient fixés, que certaines compositions se
soient répétées seion une formuie immuabie, qu'en un mot, dès 1e
iv' et ie v° siècles, une iconographie se soit constituée. Aïnalof a
fort bien montré queile influence eurent à cet égard certains sanc-
tuaires céièbres, en particuiier ies constructions magnibques
édibées en Palestine par Constantin. I.a piété chrëtienne entraînait
ies pèierins en fouie vers ces iieux saints au.xqueis s'attachait ie
souvenir du Ghrist. Or, dans toutes ies égiises qui consacraient
ces souvenirs, dans ceiies aussi qui enfermaient ies reiiques de
queique saint ou ie tombeau de queique martyr, des peintures ou
des mosaïques, conçues en génërai dans ce styie historique qui à
ce moment prenait naissance, rappeiaientaux visiteurs ies épisodes
sacrés qui avaient donné iieu à ces pieuses fondations. De ià ces
compositions se répandaient natureilement à travers ie monde,
grâce aux menus ohjets qui en ofl'raient des copies pius ou moins
iidèieset qu'on vendait aux dévots soucieux d enconserverunsou-
venir. C'est ainsi que ies monuments ies pius iiiustres de Jérusaiem,
ie Saint-Sépuicre ou ia Groix du Goigotha, que ies compositions
. histot'iques empruntëes aux saints iivres qut décoraient ces monu-
tnents (Nativité et Adoration des Mages dans ia basiiique de
Bethiéem, Ascension dans i'égiise du mont des Oiiviers, Pentecôte
dans i'égiise deSion, Anastasis à l'abside du Martyrion, etc.), furent
bien vite universeiiement connues dans toute ia chétienté. Partout
on imita voiontiers ces prototypes iiiustres, et ainsi, de bonne
heure, pour un certain nombre de scènes, une tradition se cons-
titua.
En même temps que ies épisodes, ies types des personnages se
fixèrent, grâce à ce gout de vérité réaiiste qu'on a précédemment
signaié. Jadis, aux Gatacombes, l'art donnait au Christ un visage
sans caractère bien individuei, ies traits abstraits, un peu vagues,
d'un jeune Romain queiconque. Le tv^ siècie, en Orient surtout,
s'efîorça de préciser ies traits du Sauveur. Dans ie document apo-
cryphe qu'on appeiie ia iettre de Lentuius au Sénat et qui date du
iv° ou du v" siècie, Jésus est représenté avec des yeux d'azur, ies
cheveux iisses jusqu'aux oreiiles, puis tombant en boucies sur ies
épauies, et piusieurs monuments s'inspirent visibiement de ce type
L'ART CHRÉTtEN ART ORtENTAL 11

emprunté à l'art hellénistique. Bientôt les Sémites de Mésopotamie


et de Syrie iui altribuèrent comme signe caractéristique !a barbe
noire, ies cheveux crespetés séparés sur !e front ; et si, se!on les
régions, !e type a pu quelque peu varier, dans toules les variantes
pourtant se manifeste un même désir, ce!ui de donner au Christ,
avec une beauté majestueuse, !es traits arrêtés d'un portrait qui ne
iaissaient nuüe place à !a fantaisie '. Dès !e iv" sièc!e, dans !es
textes, i! est question de portraits du Ghrist. !! en advint bientôt
de même pour !es images de !a Vierge. Lorsque, au connnencement
du v*' siècle, le concile d'Ephèse (431), !'eut so!enne!lement pro-
clamée !a Mère de Dieu, !'art !ui donna vite !es trails graves, le
visage aüongé, i'attitude et !es vêtements qui caractériseront
désormais !es madones byzantines. La même tendance au portrait
individuaüsa de bonne heure le type de piusieurs des apôtres ; dès
le iv" siècte, on représentait saint Paul, et sans doute aussi saint
Pierre, sous t'aspect qui depuis !ors est demeuré traditionne!. !lt
ainsi, par la fixation des types conçus de p!us en plus comme des
portraits, par !a composition des sujets de plus en p!us soumise à.
des formules précises, !e nouve! art chrétien, devenu, sous
l'influence de !a cour, un art officiel, évotua de plus en p!us vers
un sty!e historique tout différent de !'idéa! des premiers âges et
tendit de p!us en p!us à s'attacher aux règles uniformes de !a
nouveüe iconographie.
L'arf cAretfeu arf orfeufaL — En second !ieu, ! art chrétien du
iv" siècte fut essentieüement un art ortenfaL
La fondation de Constantinople, en transportant en Orient !a
capitaie de t'empire, avait dépiacé du même coup !e centre de gra-
vité de !a monarchie. Or c'est en Orient égaiement que se trouvait
a!ors le centre de gravité du christianisme. C'est dans cette partie
du monde, en Syrie, en Egypte, que naîtront et se déveiopperont
!es grandes hérésies du iv" et du v" siècle. C'est dans cette partie
du monde que se tiendront, à Nicée, à Ephèse, à Chatcédoine, !es
grands conciles où se fixeront !a pensée et !e dogme chrétiens. Par
!à, !es deux forces qui coüaborèrent à !a formation de l'art nouveau
se trouvèrent natureüement mises en un contac.t fécond avec !es

1. N. Mülter, Càrisfiisàt'Mer (Hauck's Real-Enzyklopiidie, IV ') ;Dobschütz,


CàrtsIusMMer, Leipzig, 1899 ; Weis-Liebersdorf, C/trt'sftis- und AposteMit-
der, Fribourg-, 1902 ; Strzygowski, Càn'stus t'it /leheitt'shsc/ter iiitd ort'eit/a/t'-
se/ter Aiiyasstiity (Beilagez. AHg. Zeitung, 19 janvier 1903) et f/rsprtiugder
c/trt's//tc/teit /ft're/teit/mns/, p. 137 et suiv.
)2 ÉVOLU'I'ION DE L ART CHRÉTIEN — ORIGINES DE L'.\RT NOUVEAU

civiHsations orientales, et l'art en subit natureiiement ia profonde


et décisive intïuence.
Cette iniluence fut d'une doubie nature. Ce fut d'abord ceiie de
i'heiiénisme. Depuis longtemps, dans i'Urient grec, existait un art
vivantet prospère, qui continuait en toute indépendance ies tradi-
tions anciennes de l'art heiiénistique. De grandes et florissantes
cités, Antioche, Aiexandrie, Ephèse, étaient ie foyer où s'aiimen-
tait et se déveioppait cette cuiture antique, vivace et féconde.
Autour de ces cités maitresses, et dans ieur rayonnement, en Syrie,
en Egypte, en Asie Mineure, avait pris naissance une civiiisation
originaie et forte. On y conservait ies types antiques, ies beiies
formes que ia Grèce avait créées, ies nobies traditions, à peine
modifiées, du styie ciassique. C est sous i'intfuence et au contact de
ce nionde heiiénistique que se forma en partie ie nouvei art chré-
tien. Et aussi bien ia « nouveiie Rome ') créée par ia voionté de
Constantin, et qui aiiait au vi^ siècle prendre ia direction du mou-
vement artistique, devait-eiie orienter i'art dans des voies toutes
sembiabies. Enrichie par son fondateur des pius iiiustres chefs-
d'œuvre du monde antique, devenue par ià ie pius admirabie des
musées, eiie mettait sous ies yeux des artistes iés pius beaux
ouvrages dont on pùt s'inspirer, eiie maintenait en eux ie goût des
formes et de ia mythoiogie païennes. Ainsi, dans tout i'Orient, ie
souvenir de i'antiquité heiiénique s'imposait natureiiement à i'art
nouveau et iui i'ournissait des modètes
Mais une autre intluence, pius curieuse à noter, s'ajouta à celie
de ia Grèce : ce fut ceiie du vieii Orient primitif Depuis ie jour oü
ia Perse s'était reconstituée sous ia dynastie des Sassanides, une
véritabie renaissance nationaie s'était produite dans cette région du
monde asiatique. En s'assimiiant ies formes et ies enseignements
des anciennes civiiisations orientaies, en ies combinant avec une
heureuse ingéniosité, ia Perse du nP siècie, comme jadis ceiie des
Achéménides, avait créé un art originai et tlorissant. Le centre prin-

t. Strxygowski, Orteitt oder ttom, Leipzig, !90t.


2. Strzygowski, iOetttasten ; HeHas t'tt des Ort'ettts Omarmtttty, Munich, 1902 ;
Setdetts/o/^e atts zteyypiett t'm /tat'ser-Frt'edrt'e/t-tMttsetim (JPK, t. 24 (1903) :
Der Dom ztt Aaeàett, Leipzig-, 1904; Dte Sc/tt'e/.sate des /feHettt'smtts trt derhtt-
dettdett Xttttst, Leipzig, 1905 ; Af.se/tatta (JPK, t. 25 (1904) ; Ettte a/eæattdrt'ttt'sc/te
Vt^e//c/trottt'/t (DAWW, t. 51 (1905) ; Amte/a, Hcidetherg, 1910 ; Dte /tt'/t/ettde
Ktttts/t/es Os/etts, Leipzig, 1916 ; A//at-/ratt ttttt/ Vô//ferteattt/ertttty, Leipzig,
1917; Dte Datt/ctttts/ t/er Armettt'er tirtt/ Ettropa, 2 vol. Vienne, 1918; Orsprtttty
t/erc/trts//tc/tett/èt're/tett/fHtts/, Leipzig, 1920.
L ART CHHHTIEN AR'l' ORtENTAL t3

cipal de cette renaissance fut te pays compris enfre 1 Euphrate et


te Tigre, cette Mésopotamie où toujours s'élevèrent les grandes
capitales, Babvlone et Séleucie, Ctésiphon et plus tard Bagdad.
De là, les vieilles traditions orientales ressuscitées se propagèrent
bien vite à travers ie monde heliénistique, arrétant, refouiant ia
civilisation grecque, réveillant, partout où elles pénétraient, la
mémoire des anciens arts indigènes. De bonne heure elles enva-
hirent ainsi, sinon ies grandes cités heliénistiques du iittorai, — où
cependant ieur influence se fit sentir — du moins tout i'arrière-
pays de Syrie, d'Egypte, d'Asie-Mineure, apportant des formes
nouveiies, des enseignements nouveaux, modiiiant à ieur contact
ies iibres figures de i'art ciassique. C'est à eiies que l'architecture
dut ia coupoie sur trompes d'angie et les procédés de ia voûte sans
cintrage qui permirent de ia consruire. C'est par eiies que la déco-
ration apprit à substituer ie charme de ia couieur à i'harmonieuse
ordonnance des proportions, et rempiaça par ia poiychromie des
muraiiies i'ornementation scuiptée antique à forts reiiefs et à
modeié très ressenti. C'est de ia Perse que vinrent ies procëdés de
i'orfèvrerie cioisonnée, i'art de i'émailierie, ies étoffes sompfueuses
tramées d'or et tissées de couleurs éciatantes, et par eiies, ies sujets
et ie styie de i'Orient.
En même temps que les formês et ies procédés techniques, des
idées nouveiies pénétraientle monde heiiénistique. Dans l'esthétique
desvieiiies civiiisations orientaies, i'art a toujours eu pour fonction
essentieiie de glorifier ie souverain par ie iuxe de ia matière aussi bien
quepariechoixdessujets représentés. De )à vint au monde byzantin
sa prédiiection pour ies arts de iuxe, de ià son amour de ia pompe, de
ia spiendeur, des costumes magnifiques, de là surtout cette majesté
un peu raide des attitudes et ce souci constant de ia dignité. Comme
dans i'anfique Orient, i'art, au iieu d'ètre une iibre création de beauté,
fut un instrument aux mains des puissants et des prêtres ; ii eut
pour rôie d'instruire et d'édifier, de giorifier Dieu et César. A ce
contact, i'heiiénisme se transforma. La puissante infiuence orientaie
raidit et giaça ies soupies et vivantes créations où ia Grèce avaif
mis tant de beauté et de charme. C'est un des faits iespius caracté-
ristiques de'i'histoire de i'artau iv*= siècle, un de ceux qui ont eu
les plus graves conséquences, que ce réveii et ce retour offensif des
vieilies traditions orientaies pénétrant ou faisanf recuier ia cuiture
iieiiénique. C'est à ce fait que i'art byzantin doit un de ses traits ies
pius remarquabies : car c'est ie mélangedes deux esprits, des deux
14 ÉVOLUTION DE L ART CHRÉTIEN — OR!GÎNES DE L'ART NOUVEAU

traditions rivales, qui y a inlroduit et qui expiique ce méiange de


fantaisie etd'immobitité qu'ony observe si fréquemment.
Ainsi, pour créer ie nouvel art chrétien, trois éléments se sont
rencontrés au iv" siècle : le christianisme, rhellénisme, l'Orient.
C'est de leur combinaison que naquit l'art byzantin. Parmi les
formes nouvelles de l'architecture qu'il employa, les unes, la basi-
lique ou l'octogone, étaient, on 1e verra, dèslongtemps familièresà
l'art hellénistique ; d'autres, commela voûte cintrée ou 1a coupole,
lui vinrent, 1a première dela Mésopotamie, la secondede 1a Perse.
De même, dans 1a décoration, il combina volontiers les motifs
pittoresques du décor alexandrin avec l'ornementation plus com-
pliquée, géométrique ou zoomorphique, avec les rafhnements de
1a polychromie que lui appril l'Orient. Dans 1a peinture enfin, au
style pittoresque hellénistique il substitua bien vite ie goût du style
historique et monumental. C'est ce mélange de tendances diverses
qui explique précisément, selon ia juste remarque de Kondakof,
que l'art byzantin du iv" et du v" siècie soit si malaisé à déhnir
nettement. Peu à peu, à mesure que, sous l'inlluence de Constan-
tinople, se grouperont et se coordonneront les formes et les
formules, à mesure qu'une certaine unité s'établira, Ies caractères
de l'art byzantin apparaîtront plus précisément. Mais dès mainte-
nant on peut prévoir l'orientation qu'ii prendra. II sera un art ofii-
ciel et un art surtout oriental.
7'effyfena; e/ /iro/aue. — II faut ajouter que, malgré 1a
façon dont il se mit au service de l'Hglise, cet art byzantin ne fut pas
uniquement un art religieux. Si le christianisme trouva en lui un
moyen de célébrer son triomphe, l'hellénisme, en transmettant à
Byzance ie goût des sujets et des types antiques, i'Orient, en lui
apportant 1a tradition monarchique qui fait de I'art rinstrument
de 1a glorification du souverain, amenèrent tout naturellement, en
face de l'art religieux, 1a création d'un art profane. La peinture
d'histoire, inspirée de l'esprit et des motifs orientaux, et corres-
pondant d'ailleurs à ce goût de vérité réaliste que i'on a déjà
signalé, eut à Byzance, dès les premiers siècles chrétiens, un rnagni-
fique développement. Malheureusement, ies œuvres de cet art pro-
fane nous sont fort imparfaitement connues. Mais i) exista, et
peut-être même a-t-il précédé l'art religieux et intlué sur son
développement. Depuis ies temps lointains des Assyriens et des
Achéménides, l'Orient connaissait et pratiquait la n peinture
d'apparat et d'histoire o. C'est Ià que de bonne heure on chercha
OmHNTOUROME 15

des modètes pout' gtoriHer ies hauis i'aits des empereurs ; el des
murs des paiais impériaux cet art réagit peut-être sur i'art reiigieux
iui-même, K en ie pénétrant à ia fois de sa puissance exprcssive et
de sa rigidité soienneiie * r.

lii

ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L'ART ÉYZANTtN

Ainsi, par queique côté qu'on le considère, i'art chrétien du


tv" siècie apparait tout pénétré d'infiuences orientaies, qu'eiies soient
duesàiafloraisonpersistantede i'heiiénisme, ouqu'eiies proviennent
de la renaissance dei'ancien Orient. Mais àces èiéments, dont i'ac-
tion est indéniabie, d'autres ne se sont-iis point ajoutés ? et d'autre
part, où et comment s'est accompiie ia fusion de ces apports divers
en un tout homogène et harmonieux ?
Orfent ou /fome ? — On a attribué pendant iongtemps, on attribue
parfois encore une part prépondérante, souvent même exciusive,
à i'influence de Rome dans ia formation de i'art chrétien. Certains
savants, au premier rangdesquels ii faut nommer Wickhotï ^ et dans
une certaine mesure Riegi \ pensentque, durant ies deux premiers
siècies de i'empire, ii se f'orma en Occident un art spéciRquement
romain, qui se répandit uniformément dans tout ie monde poiitique-
ment soumis auxCésars. Getc artd'empireromain r (7fdm;sc/:e7iefc/!s-
Ttuitst) aurait, en Orient, remplacé ia vieiiie cuiture heiiénistique
à son déciin et y aurait constitué iefondement sur iequei, au iv" et au
Vsiècie, s'éieva i'artchrétien. D'autres écrivains, teis queKraus
tout en concédant qu'à i'origine i'art chrétien des premiers siècies a
dù à i Oi'ient une part de son inspiration, estiment qu'après ia paix
de i'Égiise, Rome fournit à toute ia chrétienté ies types et ie styie
qu'adopta i'art nouveau, ét que ie grand mouvement artistique qui
se déveioppa entre ie iv" et ie vn" siècle en Syrie et en Ègypte, en
Asie Mineure et à Constantinopie, procède uniquement de Rome,
et n'est autre chose qu'une forme proviticiaie de i'art romain de ia

1. Miflct, Artùt/=.,180.
2. tîartel et Wickhofl', Dte Wieaer Geaest's, Vienne, 1895.
3. Riegi, Dte sp;ïtro'mt.seàe /ûiustt'ndHstrt'e, Vienne, 1901. Cf. du mëmc
auteur, Sttt/'rityen, Beriin, 1893.
4. Kraus, Gese/tt'càfe der c/trtstù'c/tett Kunst, t. t, Fribourg, 1896. Cf.
Rivoira, De ortgtttt detta arc/tftettitra /ottt/tart/a, t. I.
16 ÉVOLUTfON t)E L ART CHRÉTIEX — ORIGINES DE L'ART NOUVEAU

décadence. Et sans doule, pat* uu cerlain côté, ces opinions, qui


accordent à llome une suprématie absoiue dansla l'ormation de l'art
chrétien, peuvent s'expliquer. Tandis que les grandes capilales de
l'Orient chrétien, Alexandrie, Antioche, Gonstantinople méme, ou
bien otit disparu ou bien ne nous fournissent qu'un nombre fort res-
treint de monuments, Home, au contra're, demeurée debout,et toute
pleine des souvenirs illustres de l'art chrétien, s'impose à I'attention
et l'accapare par Ie prestige prodigieux dont fut environnée de
bonne heure Ia ville pontificale. Nid ne se demande si ces monu-
ments romains ne doivent point à l'Orient les traits les plus carac-
téristiques qui nous frappent en eux : nul ne se préoccupe de cher-
cheren Orient des points de comparaison qui en éclairent l'origine.
Avec beaucoup d'intransigeance et parfois aussi d'assez singulières
ignorances, on dogmatise sur des problèmes qui réclament 1a plus
minutieuse étude, et jusqu'en ces dernières années bien peu de
savants avaient osé s'inscrire en fauxcontre ces théories.
Les /Aeort'es </e S/r?yyotoxAf. — 11 n'esl que juste de rappeter que
Courajod, il y a près de quarante ans, avait, dans ses Ortytnes de
/'ar/ rotttatt e/yo//tfytte \ misen lumière avec insistance 1a part qui
revient à l'Orient syrien dans 1a forniation de l'artchrétien, etque plus
récemment Choisy définissait excellemment l'art byzantin, en
écrivant qu il est K l'espritgrec s'exerçant, au milieu d'une société à
demi asiatique, sur des éléments empruntés à Ia vieille Asie - x. Pour-
tant ce n'est qu'en ces derniers temps que 1a science a réagi sérieu-
sement contre l'hypothèse des romanistes. En 1900, dans un beau
livre, intitulé Orfyfue); /leffénfxffyuex de/'ar/ Aycan/fn, Aïnalof mon-
trait, par des exemples précis, tout ce que cet art devait à la culture
hellénistique d'Egypte et de Syrie, et en particulier au style pitto-
resque qui caractérise l'art alexandrin. Simultanément, dansun ou-
vrage retentissant, intitulé de façon signiflcative Orfen/ or/er V?om,
un professeur de Graz, Strzygowski, revendiquait nettement pour
l'Orient 1e rôle jusque là attribué à Rome. Par une série d'exemples
bien choisis, il prouvait que, durant les trois premiers siècles de l'ère
chrétienne, il exista en Orient, en Egypte, en Syrie, en Asie Mineure,
un art chrétien original, indépendant de toute influence romaine.
Que cet art se inanifestât, dans 1e domaine de l'architecture, par

1. Courajod, Or/<//ae.s c/e /'ar/ roman e/ yo/à/i/He, Paris, 1899. Cf. de Dar-
tein, Æ/ude snr /'arc/u'/ec/nre /om/jarde e/sor /es or/t//aes de /'arc/n'/ec/ure
romano-ài/nan/iiie, Paris, 1882.
2. Ghoisy, ô'.lr/ de àâ//r c/ie: /es Bi/san/Zits, p. 6.
LES THÉORtES UE STRXYGOWSKt 17

des égltses teltes que celles de la Syrie centraie ou du piateau ana-


toiien, dans ie domaine de ia peinture, par des ouvrages teis queies
i'resques d'une catacombe paimyrénienne du ut" siècie ou ies por-
traits si vivants et si expressifs découverts au Fayoum, dans ie
domaine de ia scuipture enfin, par toute une suite de sarcophages
d'Asie Mineure, au reiief mépiat, creusé à ia virole, et qui datent
du tu° siècie, ou par ies fragments de scuipture encastrés dans ia
façade de i'égiise du Saint-Sépuicre et qui sembiaient provenir de ia
basiiique de Gonstantin, de i'examen de tous ces monuments se déga.
geait une conciusion ideutique. lis n'avaient d'une part aucun rap-
port avec ies ouvrages de i'art romain, et d'autre part, tous ces pro-
duits d'un art iocai se ressembiaient par certains traits communs.
Dans tous on pouvait observer un singuiier goût de réaiisme dans
ia façon de traiter ies figures, une piace grandissante faite à ia déco-
l'ation, des motifs d'ornement d'une variété, d'une soupiesse, d'une
fantaisie qui n'avaient rien de ia réguiarité romaine, enfin et sur-
tout des etïets obtenus, non pius par ie modeié puissant des formes,
mais par i'opposition des couieurs sur ie fond presque uni du reiiei'.
De ces traits, certains étaient nettement heilénistiques, et Sirxy-
gowski démontrait sans peine qu'iis procédaient du grand mouve-
ment d'art qui, durnnt ies trois premiers siècies de i'ère chrétienne,
se déveioppa « dans ies grandes viiies orienLaies du monde heiiénis-
tique, en particuiier à Aiexandrie, à Antioche et à i'iphèse' Mais
d'autres traits venaient d'aiiieurs : pius purement orientaux, iis se
rattachaient aux pius anciennes traditions des divers pays d'où pro-
venaient ces monuments.
Strzygowski, en etïet, a mis en pieine iumière ie retnarquabie phé-
nomène historique, signaié un peu pius haut, qui se produisit en
Orientà partir de i'époque chrétienne. Assurément ia cn u e heiié-
nique subsista dans ies grandes viiies du iittorai méditerranéen.
Mais tandis qu'autrefois ces grandes cités propageaient puissam-
ment à i'intérieur ia civiiisation grecque, maintenant cet arrière-
pays, au contact de ia Perse sassanide, reprit conscience de ses
antiques et primitives traditions. Devant ie vieii Orient qui se
réveiiie, partout aiors i'heiiénisme recuie. Des vaiiées du Tigre et
de i'Euphrate, i'esprit orientai réagit sur ies pays jadis heiiénisés.
En Égypte, ie vieux fond traditionnei, si tenace à travers toutes ies
révoiutions poiiliques, se ranime. En Syrie, ies vieiiies traditions
1. OrtentoderHom, p. 8.
18 ÉVOLUHON DE u'ART CHRÉTIEN — ORIGIKES DE L ART NOUVEAU

sémiliques reprennent 1e dessus. II en va de même dans 1a rëgion


de 1a Mésopotamie septentrionale, dans 1e pays qui a pour centres
Edesse, Amida, Nisibe, et semblablement dans tout l'arrière-pays
qui fonne le baut plateau ariatolien. Partout, à ce contact, nait un
art original et vivace, où riiellénisme se pénètre profondément
d'Orient; et jusque dans les grandes villes bellénistiques, se fait
sentir l'effet de cette féconde combinaison *.
Depuis lors, chaque année, avec une inlassable activitë, Strxy-
gowski a déveioppé, enrichi, fortihé sa doctrine ; et peut-être même
tend-il aujourd'hui à diminuer avec quelque excès, au profit de
l'Orient, i'intluence hellénistique. Pour lui, 1e problème des origines
de l'art chrétien ne se pose plus sous sa forrne première : Orienl ou
7?o/ne? mais sous une forme nouvelle : /7e/?énnme ou O/ tent ? et il
n'hésite guère à attribuer, aux dépensde l'hellénisme, 1a part essen-
tielle, pour l'architecture comme pour 1a décoration, à 1a Alésopo-
tamie sémitique et à 1a Perse iranienne. « Ce que I HelIade a été
pour l'antiquité, éci'it-il, i'Iran Ie devient, dans l'art plastique, pour
le monde chrétien naissant^ a ; et au monde méditerranéen, péné-
tré par 1a culture hellénique, et que représentent les grandes cités
grecques d'Ëgypte, de Syrie, d'Asie Mineure, il oppose fortement
]a Mésopotamie, avec ses viiles d'Edesse, de Nisibe, d'Amida, et
l'Iran, avecson avant-poste occidental, l'Arménie. De 1a première,
où dès 1e in" siècle une Ëglise chrétienne était solidement établie,
où ileurirent de bonne heure de grandes écoles théologiques, où se
développa un puissant mouvement d'art, dont les monuments
d'Amida et les monastères de Tur Abdin nous attestent l'existence,
l'art chrétien a reçu Ia voûte en berceau, sans parler des éléments
qui devaient constituer son système décoratif et son iconographie.
De ITran, il a reçu 1a coupole, par l'intermédiaire de l'Arménie.
C'est en Arménie, en effet, qu'il faut, selon Strxygowski, chercher
l'origine de Loute l'architecture chrétienne d'Orient. C'est là,
déclare-t-il, que, dans ses recherches sur ie développement de i'art
chrétien, il a, x pour 1a première fois, senti un terrain solide
sous ses pieds s w. A en croire Strzygowski, l'Arménie, recevant de
l'Iran 1a coupole, a créé tous les types de i'architecture chrétienne
d Oi'ient, 1a coupole sui' plan carré, soutenue d'abord par des

t. Gf. en particutier sur ces questions le mémoire déjà cité, /feffas ;*it des
Or/enfs t/marmHity.
2. t/rspr;uty der c/trisfftcften K;rc/;e;tàRnsf, p. 18.
3. D/eBauA'HMs/ c/e;*7tr;;teH:'er, p. 877.
LES THÉORIES DE STRXYGOWSK! 19

trompes d'angle, et ensuite par des pendentifs, t'édifice à pfan cen-


traf, hexagonal ou octogonal, ]e triconque et ]a basiHque à cou-
po]e, !e plan en croix grecque même ; et c'est de l'Arménie que
]a coupoie est venue à Constantinople et en Grèce, dans ies Ba)-
kans et en Russie. C'est à i'école de l'Arménie que se sont instruits
ies maitres anatoliens qui ont bàti Sainte-Sophie, et voità pourquoi
eiie est une égiise « purement arménienne ü (ret'n armentsc/t)
C'est par l'Arménie que Constantinople a connu ta forme « pure-
ment arménienne a ^ de t'égbse en croix grecque, qui, par i'Asie
Mineure, est parvenue dans ta capitaie, et s'y est réaiisée, à !a fin
du !x*= siècie, dans ta NouveHe ÉgHse édifiée par Basite R*'. Ce n'est
point ici ie Heu de recbercher, à ia suite de Strzygowski, tout ce
HOccident, à Hépoque de la Renaissance même, devrait à f'Armé-
nie, ni d'exposer comment, seion iui, Léonard de Vinci, et Bra-
mante à Saint-Pierre, et Vignole au Gesù n'auraient été que des
étèves lointains des architectes d'Arménie. Pour s'en tenir à i'art
chrétien d'Orient, il suffira de noter que, dans ]es théories actuelles
de Strzygowski, ]'he]]énisme ne compte plus pour rien, dans ]es
origines de l'art chrétien, auprès des influences sémitiques et ira-
niennes, et que, pour iui, ]es grandes cités heHénistiques eHes-
mêmes, Atexandrie, Antioche, Ephèse, et Constantinopte surtout,
n'ont joué aucun rôte dans ta formation de l'art chrétien, se bor-
nant à recevoir d'aiiteurs, des régions où renaissaient tes anciennes
traditions nationales, des formes d'art qu'ettes ont adoptées et pro-
pagées 3.
Strzygowski, quoi qu'i] en puisse penser, était, je crois, plus
proche de !a vérité quand i] écrivait autrefois : « Ce sont les grands
centres hefténistiques de t'Orient qui ont préparé ]a naissance du
nouVe] art mondia). L'arrière-pays égyptien, syrien, anatohen ne
joue, en comparaison d'eux, qu'un rôte secondaire L o Et peut-être
iui fera-t-on justement aujourd'hui ]e reproche qu'H adresse vo]on-
tiers à ses contradicteurs, d'être étrangement exciusif (etnsefRy).
L'occasion se trouvera, dans ]es chapitres ultérieurs, de discuter
de ptus près queiques-unes des opinions du savant autrichien.
Pour l'instant, sans ]e suivre dans ces théories compiiquées et
ambitieuses où, après i'Iran, entrent en scène l'Inde, 1e Turkestan

1. U!'.spraay, p. 39. Cf. p. 57.


2. /htd., p.'6t.
3. iàt&,p. 35, 38.
4. tnet'ttastea, p. 183.
20 ÉVOLUTtOX DH L'ART CHRÉTJEX — ORtGINES DE L'ART NOUVEAU

chiaois et tout ie Nord asiatico-européen — Strzyg'owski iui-même


a pris soin de nous avertir de tout ce qu'ii y a là dedans d'incerti-
tude * — it suffira de rappeier ce qu'ii écrit, d'une ptume ptus posée
etpius raisonnable,et par quoi ii se corrige heureusement. tt Pour
cetui qui rejette ia vieiiie iégende de t'existence unique d'un art
romain d'empire, les quatre premiers siècies présentent un aspect
fort varié de formes d'art chrétiennes existant les unes à côté des
autres... H est antiscientitique de vouioir piacer à l'origine de
t'art chrétien un courant unique et de te tenir pour seui décisif a
Ainsi, dans 1e détaii, Strzygowski rectifie souvent ce que ses théo-
ries offrent de trop rigide et de trop absoiu ; et, si i'on tient 1e compte
nécessaire de ces contradictions heureuses, on arrive tinalement à
un exposé moins éloigné de 1a vérité. On concédera volontiers à
Strzygowski Ia place considérable qu'occupent 1a Mésopotamie,
l'Arménie, l'Iran, dans 1a combinaison d'où sortit l'art chrétien :
lui-même ne reconnaît-ii pas d'autre part i'influence puissante que
1a Syrieet Byzance exercèrent aux v" et vi" siècles sur l'Arménie^,
1a façon dont, par Antioche, l'hellénisme pénétra 1a Mésopotamie
sémitique^, 1a manière dont, à Sainte-Sophie, 1e génie grec modi-
tia les inffuences iraniennes^. Ht on admettra volontiers au total,
avec Strzygowski, que, pendant les quatre premiers siècles, l'art
chrétien, selon les régions et )es races où 1e christianisme se pro-
pagea, a adopté les foi'mes diverses que iui fournissaient les tradi-
tions nationales de chaque pays, helléniques ici, ailleurs orientales,
et qu'en combinant ces formes diverses, l'Hglise d'abord, au
v" siècle, et davantage encore 1a cour, au vi", ont progressivement
introduit une manière d'unité, jusqu'à constituer une sorte d'art
d'Etat (Vfe:'c/M/nimf), qui fut l'art byzantin".
Quoi qu'il en soit, et malgré ces réserves nécessaires sui' l'ou-
trance un peu ambitieuse des plus récentes théories de Strzygowski,
ce sera toujours son mérite incontestable d'avoir rnontré tout ce
qu'il y eut, entre 1e iv" et 1e vi" siècle, de vie et d'activité créatrice
dans tout cet Oriènt de Syrie, d'Egypte, d'Asie Mineure, d'Armé-
nie, de Mésopotaniie, et d'avoir établi de façon décisive que, pour

1. t7rsprmiy, p. v.
2. /àt<L, p. 1-2.
3. Dt'e BatiàHTtst der ^trtnHttt'er, p. 668-618.
4. t/rspruHy, 119, 138, 143.
5. /àtd., 40.
6. /àtd., p. 25, 30-39.
RÔLE DE CONSTANTiNOPLE

connaitre tes origines de t'art chrétien et byzantin^ ce n'est point


vers Rome qu'it faut tourner tes yeux. Au ]\*°et au v" siècte, cet art,
toin de recevoir queique chose de Rome, s'est au contraire déve-
toppé en dehors d'ette, par la combinaison du vieit Orient et de
I'hetiénisme, et it a exercé dans tout te monde chrétien, et jusqu'à
Rome même, une influence prépondérante.
Les théories dont je viens d'exposer à grands traits tes tignes
générates ont, depuis vingt-cinq ans, renouveté trop comptètement
ta dithcite et déticate question des origines de t'art byzantin pour
qu'it ne fût point indispensabte d'en marquer ici, au moins briève-
ment, i'importance. Et si, sur bien des points, on ne saurait parta-
ger ]es idées de Strzygowski, it faut reconnaitre que, dans ]'en-
sembte, ia doctrine qu'i) soutient parait fort acceptabte. Mais s'i]
convient donc d'excture Rome comptètement du débat, d'attribuer
à LheHénisme pénétré par i'Orient ]a piace essentieHe dans )a for-
mation de ]'art byzantin, i] faut égatement, et malgré tout, faire sa
part à ta capitate de i'empire oriental, à Constantinople.
Tfofe c/e Con.sfa;Rtn.o/jfe. — Du jour où, par ]a volonté de
Constantin, Byzanpe devint ta résidence du prince et ]e centre
pohtique de ]a monarchie, eHe devait nécessairement exercer
une inHuence '. Sans doute, au début et durant tout ie cours
du tv^ siècie, tes provinces asiatiques, avec ]eur !ong passé
de civüisation, et grâce à ]eur contact ptus direct avec )es vieiHes
civilisations orientaies, l'emportèrent en importance sur]a nouveiie
viHe impériaie. Antioche et ta Syrie fu^'ent aiors, p]us que Cons-
tantinop]e, te véritable centre de gravité du monde oriental. Sans
doute aussi, jusqu'au sièc]e, une activité vivace et féconde se
manifesta dans ces provinces d'Égypte, de Syrie, d'Asie-Mineure,
d'Arménie, et i'art originai et hardi qui s'y constitua rayonna de ]à
sur tout )e reste de ['Empire. Tout ce!a est indéniabte. Pourtant,
dès ]e v° sièc)e, Constantinopie préiudait à ses futures destinëes ;
seton t'expression de Strzygowski, « ie nouveau centre qui grand[s-
sait dans ]a capitate connnença bien vite à prendre ]a direction dans
tes choses d'art. " Et cela s'exptique aisément. Admirablement située
au point où t'Europe et t'Asie serencontrenl, ta viHede Constantin,
par]e magnifique déveioppement de son commerce, se trouvait en
re!ations avec. tous ]es peuptes de i'univers. Cité neuve, sans tradi-

1. Gf. Bertaux, La parf <te Bysaaee daas t'arf àyzanfùt (Journat des Savants,
1911, p. 164 et 304).
22 BVOLUTtON DE t.'ART CURÉTtEN - ORIGIXES DE L'ART NOUVEAU

tions séculaires, eiie était toute prête à accüeiiiir tout,ce que iui
apportaient ies civiiisations ies pius diverses. Capitàie dë ia monar-
chie, centre de i'orthodoxie et de i'heiiénisme, elie attirait^naturei-
iement à eiie toutes ies forçes du monde chrétien. i^ûi terrain
n'était donc pius propice. pour combiner ies traditions diverses des
civiiisations de ia Grèce et de i'Orient ; nui milieu ne se prètait
mieux à accepter ies méthodes et ies procédés qui iui venaient du
monde persan ou du monde heiiénistique: nuiie citén'étaitenfin
plus capabie de coordonner ces formuies diverses, de façon à ies
fondre en un styie nouveau. C'est sous « ia.tripie consteiiation '),
comrne dit Strzygowski, d'Aiexandrie, d'Antioche et d'Hphèse, que
Constantinopie naquit et grandit. Afais si, comme i'écrit ie même
savant, « i'art byzantin s'est préparé en Asie Mineure, en Syrie et
en Ëgypte, s'ii a grandi dans ies centres heiiénistiques, à Autioche
en particuiier, c'est pourtant seuiement à Constantinopie, au v^ et
au vi" siècie, qu ii a atteint sa pieine croissance et trouvé son unité,
et c'est de ià seuiement qu'ii a réussi à exercer sa suprématie sur
i'ensembie du monde civiiisé'. o ii estcertain que, dans ia nou-
veiie résidence itnpériaie, ia profusion des constructions nouveiies,
ie iuxe de ia cour, ie contact permanent avec ies chefs-d'œuvre de
i'heiiénisme devaient produire debonne heure un grand et puissant
mouvement d'art. Accueiiiant de toutes parts ies formes et ies pro-
cédés, adoptant ies méthodes que iui fournissait i'Orient heiiénis-
tique, sémitique ou iranien, les coordonnant, ies appliquant avec
une ingéniosité et une hardiesse jusqu'aiors inconnues, Constanti-
nopie ies consacra et ies tit en queique manière propres de i art
byzantin. « Les systèmes d architecture, écrit encore Strzygowski,
particuiiers aux trois régions ies pius importantes de i'Orient heiié-
nistique (Êgypte, Syrie, Asie Mineure) se combinent pour former
ia nouveiie forme d'art heiiénistico-orientaie, ia byzantine, et Sainte-
Sophie doit être considérée comme i'incomparabie monument de
cette réciproque pénétration -. n ii se peut que Constantinopie ait
été, moins que ies autres régions du monde orienta), vraiment créa-
trice : ce n'en est pas moins ià qu'au vC siècie a pris naissance un
« art d'empire )) (TfefcA.sAmnsf)

t. Strzygowski, De/Zaa m des Ort'eais t';<tarmtt)ttjr,p. 16. Cf. du même auteur


t'introduction au t. Itt des BysauO'ttt'se/te Dett/tma/er, Vienne, t903, intitutée :
t/rsprutty nttd Stey des ai//)y:att<t'ttt'ac/tett Ktnts/.
2. Æ/eûtastett, p. nt-ïv.
3. Strzygowski, Orsprttrtg, p. 39.
ROLE DE CONSTANTINOPLE 23

C'est, pour cela que ]e nouve] art chrétien mérite bien ]e nom
d'art byzantin. C'est Byzance, en effet, qui i'a orienté dans les voies
jusqu'ators inconnues qui ]ui furent propres ; c'est eHe qui l'a mar-
qué de son empreinte. C'est à Gonstantinopte, au vi^ siècle, que, par
la volonté de Justinien, l'art byzantin a trouvé sa pleine expression
et sa formule définitive ; et c'est de là que son influence, durant ce
premier âge d'or où il brilla d'un éclat incomparable, a rayonné sur
1e monde entier.
CHAPITRE II

LES ORIGINES SYRŒNNES

HeHénisme et christianisme en Syrie. — I. Les monuments de l'architecture.


Antiocheettes villesmortesde la Syriecehtrale. Les basiliques. Les édi-
fices à plan central. Le problème de la coupole et tes solutions syriennes.
L'art syrien et l'architectttre byzantine. — H. La décoration sculptée. Évo-
lution des motil's. Évolution des procédés. tnftuence de l'Orient dans cette
évolution. Mschatta. L'art syrien et la décoration byxantine. Rôte de )a
Syriedans la formation de l'iconographie. — III. La décoration polychrome
dans les édiflces syriens. Ce que Byzance doit à la Syt'ie.

e/ cA;';.s/;e;;;.s;;;.e e;; Ayr/e. — Entre !es diverses


régions où i'on doit chercher ies origines de l'art chrétien d'Orient,
1a Syrie présente, entre 1e iv^ et 1e vi° siècle, une importance et
un intérét tout particuliers. C'était un pays riche, extrêmement
peuplé; des industries Ilorissantes y étaient établies; de grandes
villes, conimerçantes et prospères, s'y rencontraient en foule ;
on y entretenait des relations actives, d'une part avec tous
les pays méditerranéens, 1a Sicile et l'Afrique, les rivages de
l'Adriatique et 1a Gaule, de l'autre, — et ceci est à retenii' — avec
l'intérieur du continent asiatique, 1a Perse, l'Asie centrale, l'Inde et
1a Chine même. Le mouvement intellectuel n'y était pas moins
considérable. Les écoles d'Antioche, d'Edesse, de Nisibe, celle de
Gaza, où l'on enseignait 1a rhétorique, celle de Béryte, où l'onétu-
diait ledroit, étaient célèbres dans tout l'Orient; et 1a multitude
d'écrivains illustres, ecclésiastiques ou profanes, que vit naître
1a Syrie, atteste suftisamment le goût qu'on y avait des choses de
l'esprit. Entin les gens de cette région avaient une ardeur passion-
née pour tout ce qui touchait à 1a religion. Leur dëvotion était
grande, leur fanatisme souvent intolérant. NuIIe part les que-
relles théologiques n'ont excité plus d'attention, allumé plus ile
haines; toute l'histoire dela province au v^ et au vi" siècle tourne
autour des luttes du nestorianisme et du monophysisme. NuIIe part
non plus l'ascétisme n'a trouvé un terrain plus propice. La Pales-
tine, 1a Syrie, 1a Mésopotamie septentrionale étaient, dès le
iv^siècle, couvertesde couvents et peuplées de solitaires. Dans un
HELLÉNtSME ET CHmSTIAXtSME EN SYR!E 25

te! mitieu, riche, inteliigent et pieux, i'art chrétien aussi devait


tout natureiiement se déveiopper magnifiquement.
Toutefois, ce puissant mouvement artistique devait prendre en
Syrie un caractère originai. Maigré ia profonde influence exercée
par ia cuiture grecque, maigré !a iongue durée de ia domination
romaine, ce pays était toujours demeuré fort particuiariste. Assu-
rément, ies grandes cités teiies qu'Antioche étaient devenues assez
vite des capitales de i'heiiénisme, à ce point que, dans cette viiie, ie
christianisme eut bien de la peine à déraciner pieinement tous ies
vestiges païens. Mais, sous ce vernis d'heiiénisme, persistaient, sur-
tout dans ies campagnes, ies traits caractéristiques de ia race sémi-
tique, si profondément empreints sur ies âmes que ie christianisme
syrien en prit un aspect tout spéciai. Les gran()es hérésies, en eli'et,
pour iesqueiies ia province se passionna, ne sont pas autre chose
que des manifestations de cette humeur séparatiste que ies popuia-
tions syriennes étaient heureuses de montrer en toute occasion,
qu une réaction contre i'esprit heliénique que représentait Constan-
tinople. Or, ie triomphe du christianisme, natureiiement hostiie à
ia cuiture ciassique et païenne, ne fit, en mettant celle-ci en échec,
que déveiopperces tendances nationaies. La période qui suit ia paix
de i'i'igiise fut marquée par un réveii presque immédiat de ia iangue
et de ia iittérature syriaques, et dans i'art pareiiiement se mani-
festa une sembiabie renaissance des vieiiies traditions indigènes.
Des formes nouveiies s'y rencontrent aiors, qui n'ont pius rien de
grec ni de romain, et dont certaines même sont assez étranges.
Sous ces inüuences, tandisque i'Occident s'abâtardit, un art nou-
veau apparait ici, vivant, savant, capabie de trouver des voies ori-
ginaies et fécondes. Le contact incessant de ia Syrie avec i'Orient
deMésopotamie et de Perse ne pouvaitquerenforcer ces tendances
et faire fructiüer ces germes. Et ainsi, dans i'art chrétien de Syrie,
se trouvèrent tout natureiiement appeiées à coiiaborer ies trois
forces quiont produit i'art byzantin : ie christianisme, i'heiiénisme et
l'Orient.

LES MOXUMENTS DE L'ARCHtTECTURE

An/focAe ef /e^ rt//es mo/de.s de ^yrte cenfrafe. — Dès ie


début du iv" siècie, et depuis iors sans interruption jusqu'à ia fin
26 LES ORIGINES SYIilEKNES

du vi", l'architecture syrienne s'épanouit en une merveiHeuse


floraison de constructions. Les pius céièbres furent ies sanctuaires
éievés par Gonstantin' et sa mère aux endroits que sanctitiait le
souvenir du Ghrist. Ce furent, à Jérusaiem, ia basiiique et ia
rotonde du Saint-Sépuicre ; sur ie Mont des Oiiviers, i'égiise de
i'Ascension; à Bethiéem, ia basiiique de ia Nativité; à Nazareth,
ceiie de i'Annonciation ; aiiieurs, d'autres encore, par exempie ceiie
de Tyr. Du iv° siècie également date ia beiie basiiique qui est
devenue aujourd'hui ia grande mosquée de Damas. Mais c'est
Antioche surtout, qu'on surnommait « ia Grande x ou <( ia Beiie x,
qui devint une des pius magniiiques cités de ia Syrie. Dans cette
viiie riche, éprise de iuxe, de bien-être, de piaisir, ies empereurs
du IV** siècie résidèrent presque aussi voiontiers qu'à Constanti-
nopie. Dans cette grande métropoie ecciésiastique et jioiitique, vraie
reine de i'Orient, iis muitipiièrent ies édifices ies pius somptueux.
C'est là que Constantin en particulier bâtit, en 33i, ia magnifique
égdise octogonaie, « i'égiise dorée B, comme on i'appeiait, qui n'avait
point sa pareiile dans tout i'empire romain. C'était, dit Eusèbe,
« un éditice unique par sa grandeur et sa beauté ", avec ies vastes
portiques qui y donnaient accès, ses deux étages d'une hauteur
prodigieuse, ie luxe de sa décoration faite de métaux précieux.
D'autres Constructions encore s'éievèrent auprès de cet admirabie
monument. Et on conçoit sans peine qu'Antioche, foyer d'une civi-
iisation si briiiante, ait pris natureiiement en Syrie ia direction de
i'art chrétien.
Malheureusement nous savons fort mai ce que fut cet art antio-
chéen, et d'une manière généraie ce que fut i'art chréfien dans ies
grandes viiies heiiénistiques de Syrie et de Paiestine. A peine voit-
on, en combinant ia description d'Eusèbe avec ies rares débris de
i'édifice qui ont été retrouvés, que ie marfyrton bâti par Constantin
à Jérusaiem était une basiiique du type heiiénistique, précédée à
i'est d'un vaste atrium et de propyiées, partagée à i'intérieur en cinq
ou trois nefs couvertes en charpente et pourvue de tribunes au-des-
sus des bas-côtés '. C'est sur ie même pian qu'est bâtie — à ceia près
qu'eiie n'a point de tribunes — ta basiiique de Bethiéem - ; et la
grande mosquée de Damas est un édifice du même type L Quant aux
1. Heisenberg-, Dte Grahea/ïirc/te in Jemsa/em. Leipzig, 1908.
2. Cf. Weir Schuilz. L/ie c/nire/t o/' /he /Va/t'rtfy a/ Be//i/e/iem. Londres,
1910; Weigand, Dt'e Gehiir/s/fi'rc/ie in Be/h/e/iein. Leipzig, 1911; et surtout
VincentetAbei, //e//i/e'em. Paris, 1914.
3. Dussaud, Le /emp/e de ./upi'/erDainaa/feni'eit (Syri'a, t. tlt, 1922).
ANTtOCHE ET LES V]LLES MORTES DE LA SYR]E CENTRALE 27

monuments d'Antioche, it n'en reste rien que 1e ténioignage des


textes. Et l'on serait fort embarrassé en conséquence de caractéri-
ser l'architecture chrétienne de Syrie, si une rare bonne fortune
n'avait conservé une incomparabte série de constructions, éievées

rS'
ÏB

Fig. 1. — Égtisc de Tnurmanin (restauration)


(d'après Vogüé, Syrie centraie).

pour ia piupart précisément dans ie voisinage d'Antioche, et proba-


idement sous i'influence artistique de cettegrande cité \ et si ies
!. Vogüé.Si/rfecertiraie, ArcMertarecrctieeirehyfeHse, d:t J";u: V/f=sfècte,
Paris, 1865-1877 ; Ouspcnski, ftlonantenfs arcftèofoyfqaes de St/rfe (en russe)
(IIR, t. 7 (1902); Ivondakof, Voyaye arcfte'ofoyfqtte ett Syrfe ef Pafe.sffne,
Pétersbourg, 1904 (russe); II. C. Butler, /tmerfc.'ttt arcftæofoyfc.tfeæpedfffou fo
^yrfa. t. tt. Arcftffecfttre atttf offter arfs, New-York, 1901; 11. C. Butier, Prfn-
cefott Pnfceratfy .trcftæofoyfcaf eæpetffffott fo Syrfa, division II : ylncfenf
arcftffecfure fa Syrfa. Section A : Souff:ertt Syrfa : !. Anttnottfffs, Leyde, 1907 ;
2. SoHfftern Pauratt, 1909; 3. Pntnt-ftfj'-Djfntai, 1913 ; 4. Posra, 1914 ; 5. /lauran
28 LES OR]G[\'ES SYEtENNES

monunients récemment découverts en Mésopotamie ne compté-


taient utitement d'autre part nos informations sur i'art de cette
région '.
A t'est de cette vitte, dans ta Syrie du Nord, et ptus au sud, dans
te districtdu Hauran, tes découvertes de M. de Vogüé (1860-i8R!),
comptétées par )es recherches ptus récentes des expéditions russe
et américaine. ont fait connaitre toute une suite de viltes mortes,
« dont la vue transporte te voyag'eur au mitieu d'une civitisation
perdue et tui en révète pour ainsi dire tous tes secrets o. L'impres-
sion qu'on y éprouve est « anatogue à cette que t'on éprouve à Pom-
peï, mais ptus nouvetle. E)) etfet, toutes ces cités, qui sont au
nombre de ptus de cent sur un espace de trente ou quarante tieues,
formentun ensembteoù tout se lie, s'enchaine, appartient au même
styte, au même systènie, à ta même époque entin, et cette époque
estt'époquechrétienne primitive, cettequi s'étend du tv^ au vù' siècte
de notre ère^ n. Dans ces vittes, hrusquement abandonnées au
vt)° siècte par teurs habitants, fuyant devant l'invasion perse ou
arahe, tes édifices, protégés par te désert qui tes environne, et seu-
temenl ébranlés par tes accidoits naturels, sont, sur beaucoup de
points, demeurés merveiHeusement intacts^. Et dans ces magni-
fiques constructions, éditiées avec un soin minufieux en matériaux
de quatité admirabte, toute !a société chi étienne de Syrie revit à nos
yeux, avec sa prodigieuse richesse, ses goûts de tuxe, ses préoccu-
pations retigieuses ou charitabtes, ses sentiments coutumiers, et ta
pnagnificencede sesbâtiments.On trouve tà des maisons, des vitt;)s,
des hôtetteries, des ctoîtres, surfout des égtises, dont beaucoup,
datées d'une manière précise, jettent un jour singutier sur t'évotu-
tion de t'architecture du tv^ au vt° siècte dans ces rëgions. Assuré-
ment — et ceci doit être remarqué — pour t'hisLoire propre de t'art
ptaù) and DJejbef /t,-);)!,-!):, 1915. Section B : /Vorf/tera Syr/a : 1. Tèe A/a and
/è,]sr-</)a-tl'ar&'})t, 1907 ; 2. Attderùt, /verra/t'tt, Marata, 1908; 3. D/te DJe/te/
Z/t'/ta attt/ //te Dye/te/ Waa/attt', 1909; 4. 7'/te /tje/te/ //art's/ta, 1909; 5. 77te /t/e-
/te/ //a/a/,e/t. 1912; 6. 77te Dje/te/ .Sttnatt, 1920. Cf. Jcan George, ducde Saxe,
7'at/e/tttt7)/j/à7/et* ttt tVorf/st/rt'ett, Leipzig. 1912.
1. Strzygowski et Van Berchem, /ttnt'f/a, tteidelberg, 1910; Preusser. /Vorti-
tttesopo/atttt.sc/teDattdett/cmti/et', Leipzig, 1911; Bell, Atttttra//t /o Atttttra//t,
Londres, 19)1, et C/torc/tes attt/ tttottas/ertes o/' //te 7'ttr-/l/tf/t'tt, Londres, 1913 :
Guyer, Dosa/a/t. dansSarre-Hertzfeid, Arc/taeo/. //et'se t'ttt/fttp/tra/ ottd 7't'yrt's-
ye/tt'e/, Berlin, 1914.
2. Vogüé, /oc. ct/., p. 7-8.
3. Le peuptemcnt partiet du pays a toutefois, depuis ie moment où M. de
Vogiié les visita (1860), giavemettt endommagé plusieurs de ces édilices. C'est
ainsi que la belle église de Tout-manin a été complètement démotie pour bâlir
un poste militaire et un viilage.
LES BASHJQUES 29

byzantin, ces ouvrages syriens n'ont point, on ie verra, une impor-


tance capitate, et iis difîèrent profondénient par certains points des
monuments caractéristiques de cet art. Mais on y trouve du moins,
de même que dans ie styie byzantin, une combinaison des éiéments
beiiéniques et des vieiiies traditions orientaies ; et par ià, outre i'in-
térèt considérabie qu'ils oii'rent pai' eux-mêmes, ces monuments

-iS
. *. (, rT5

Fig. 2. —.Hgtise de Qaib-Louzé (d'uprès Vogüé, Syrteeeairaie).

prennent une singuiière vaieur, par tout ce qu'iis nous apprennent


indirectement sur ies origines et ia formation de i'art byzantin.
Les Aast/tyHeA'. — La piupart des égiises syriennes sont des basi-
iiques, généraiement à trois nefs (une seute, ceiie de Soueida, en
a cinq), et terminées par trois absides. Eiies offrent d'ordinaire ia
forme d'un rectangie pari'ait ; tantôt, en eifet, eiles s'achèvent par un
sanctuaire carré, tantôt, et pius fréquemment, par uneabsidecourbe
à i'intérieur, et empâtée extéricurement dans un cadre rectiiigne. Ce
n'est qu'au cours du v° siècie, et suriout au vt°, ({u'apparaît i'abside
faisant saiiiie sur ie chevet de i'édiiice, et qui prend aiors une forme
demi-circuiaire ou polygonaie. Mais, tout en se conformant ainsi à
un pian très connu, dont on rencontre au tv° sièciedes exempies en
30 LES ORtGtNES SYRtKNNES

OrienL comme en Occident, ies édifices syriens présentënt nombre


de dispositionsori^inaios et nouveHes. Hs doivent d'abord un carac-
tère très spéciai aux procédés mêmes de 1a construction et à ia
nature des matériaux eniptoyés : iis ne sontpoint, comme les monu-
ments byzantins, bàtis en briqueset en moeHons, mais en pierresde

Fig. 3. — Kgtise de Qaib-Louzé. tntcrieur (d'après Butter).

taiHe de grand appareii. En conséquence, la voûte s'y rencontre


rarement, et tes tribunes au-dessus des bas-côtés ne s'y trouvent
presque jamais. Pour d'autres raisons, on n'y voit point, comme
dans ta basitique tietténistique, te vaste atrium carré précédant ta
façade. Comme cette grande cour tenait trop de place, on n'en con-
serva qu'un seul côté, te portique attenant au corps de t'égtise, et
ce portique ne tarda pas à prendre, au vi" siècte, un aspect caracté-
ristique et fort pittoresque. Conformément à de très anciennes tra-
ditions orientales, qui remonteraient, d'après certains savants, jus-
qu'au c/iffaitt hittite, et que t'on trouve suivies en tout cas dans
tes patais persans de Firouz-Abad et du Servistan, le narthex
LES BASÏHQUES 31

devinl un véritabie porche, s'ouvrant par une large baie arquée


entre deux tours carrées et surtnonté d'une terrasse formant ioggia
couverte ou baicon. Un baut escaiier donnait accès à cette entrée.
L'intérieur de ces églises syriennes n'était pas moins remar-
quabie. Au-dessus des coionnes ou des pitiers, l'architrave antique
est remptacée par des arcades, et par-dessus ces arcades, jusqu'à ia
toiture de ta nef principate, s'étève un mur, percé d'une longue série

Fi{?. 4. — Égiise de Roueiha (Phot. Van Rerchem).

d'éiégantes fenêtres. Comme dans la basiiique heHénistique, t'égiise


est couverte d'une charpente en bois, dont tes poutres transversaies
s appuient sur des coionnettes en encorbeiiemenl. disposées entre
ies ienêtres. Queiquefois, surtoutdans]esconstructionsduvt°siècie,
ies coionnes sont rempiacées par des piiiers quadranguiaires, qui
permettentde donner une portée pius grande aux arcades. Queique-
fots, à ia mème époque, on rencontre des arcs doubieaux jetés par-
dessus ia nef et destinés à soutenir ia charpente (Roueiha). Enfin,
vers le même temps, on trouve parfois i'abside en forme de fer à
cheval (Zebed, au S.E. d'Aiep, datant de 51!) et i'arc outre-
passé remplaçant le piein cintre (Roueiha). Ainsi, dans toutes ces
constructions se manifeste un art vivant, savant, curieux de trou-
32 LES omGIKES SYRIENNES

ver des voies nouveties, et qui a produit des édiüces tout à fait
remarquabies par la beauté du styie, i'éiégance des proportions,
i'habiie distribution de i'espace et de ia iumière, et ia richesse de
ia décoration.
Ii est aisé de suivre ies progrès de cet art depuis ies monuments
ies pius anciens en date ', teis que i'une des basiiiques de Roueiha
(tv" siècie) (tig. 4) où pour ia première i'oisi'arcade se substitue à ia

Fig. 5. — Égtise de Mcitabbak. Extérieur(d'après Butter).

piate-bande, ou bien i'égiise de Mchabbak (v^siècie) (hg-5) si heureu-


sement conservée et si éiégante dans ses ampies et harmonieuses pro-
portions^, jusqu'à ces constructions du vF siècie, dont M. de Vogüè
dit justement qu'eiies sont c des chefs-d oeuvre que ies architectes
de nos jours pourraient étudier avec profit «. Dans ces beiies basi-
iiques de Bakirha(546) ou deBaqouza,dansceiie deTourmanin(tig.l),
teiie que nous ia montre ia restauration deM.de Vogüé, dans ceiie de

1. Les églises datées tes ptusanciennessont, auHauran, celted'Oum-idj-


Djemai, construite en 345, et, dans ia Syi'ie du Nord, ceile de Faiirtin, qui est
de 372. Gl'. sur i'origine du typei IL G. Butiei', y/ie î'ye/iat'on at /s-&tnanteit
aitd Hte pian o/' eariy c/tarc/tes t'tt 5yrt'a (tt. A., 1906, ti, 413).
2. G'est une des pius iiautes. Les coionnes y ont près de 5 mètres.
LKS BAStHQUES 33

Qa!b-r,ouxé surtout (fig. 2 et3), qui est vt-aiment ta merveitte Je cet


art, l'architecture syrienne a atteint son apogée. Ce qui frappe dans
cesmonuments, c'estieconstant souci J'innovation qui anime ies con-
structeurs, ieur incessant effort pourmoditier et perfectionner teurs
ouvrages, ta soupte ingéniosité avec laqueüe its unissent aux tradi-
tions heiiéniques ies inspirations que ieur apporte ie contact du
vieiiOrient. G'estài'Orientd'aiiieurs qu'ils vontie pius voiontiers.
Its iui empruntent et i'arc outrepassé et ia façade si décorative à
porche centrai flanqué de deux tours. Pour ménager pius d'espace
à i'intérieurdeieurs bâtiments,iis abandonnent iacoionne grecque,
et sur des piiiers rectangulaires iis posent des arcades pius iarge-
ment ouvertes; au chevef, iis mettent ia saiiiie de l'abside, décorée
de deux étages de demi-colonnettes superposées ; et sur toutes ies
muraiiies enfin, iis répandent une ornementation d'une richesse
merveiiieuse, encadrant ies fenêtres et ies portes de mouiures
courbes qui se repiient en spiraies, couronnant ia baie d'entrée de
ioggias ou de baicons élégants, mêiant sans cesse dans cette déco-
ration, avec une savante habiieté, ies motifs ciassiques aux élèments
qui ieur viennent de i'Orient.
Les édihces du Hauran ont un aspeci plus originai encore. La
rareté du bois dans cette région de la Syrie a amené i'empioi exciu-
sif dans ia construction d'un basaite très dur, et ceci déjà a donné
aux monumentè une physionomie très particuiière. De très bonne
heure en outre, et pius tôt même que dans ia Syrie du Nord, i'Orient
a tait sentir son inQuence sur ia disposition de ces bâtiments. Ce
sont, comme dans ia région d'Antioche, des basiiiques pour ia piu-
part; mais, dès ie second siècie, i'arcade s'y rencontre aussi fré-
quemment empioyée que ie iinteau. Le manque de bois, d'autre part,
a obiigé à renoncer à ia couverture en charpente, et à y substituer
des arceaux transversaux en pierre, jetés par-dessus ia nef et qui
supportent un toit ptat en daiies. Le procédé, qu'on observe dès ie
siècie dans ies édifices païens de Chaqqa, a passé de ià au
iv^ siècie dans ies égiises de Qennaouat et de Tafka. Ainsi se cons-
titua dans cette région un styie tout à fait originai, très pénétré des
fraditions orientales, moins éiégant sans doute, moins pieinement
déveioppé que ceiui de ia Syrie du Nord, mais intéressant et curieux
dans sa i'orte simpiicité.
Le groupe des égiises de ia Mésopotamie du Nord, bien qu'ii
soit assez mai connu encore et parfois assez insufhsamment étudié,
mérite égaiement de retenir i'aftention.
3
34 LHS OHiGINES SYRIENNES

A Diarbekir, i'ancienne Amida, à Mayafarqin, l'ancienne Marly-


ropolis, à Dara, à Nisibe et dans cette région montagneuse du
Tur-Abdin, qui s'étend entre Mardin et 1e cours du Tigre, et,
d'autre part, à Rusafah, l'ancienne Sergiopolis, on a relevé un
certain nombre de monuments fort intéressants de date assez
diverse, mais dont plusieurs peuvent être placés entre 1e iv" et 1e
vi" siècle. Beaucoup de ces édifices sont des basiliques, et l'une d'elies
tout au nioins, celle de Saint-Serge à Rusafah, qui appartient au
commencement du vi° siècle, est encore du type hellénistique et
couverte en charpente Mais dans 1a plupartde ces basiliques —
et c'est l'intérêt des constructions de cette région — c'est 1a voûte
au contraire qui semble avoir été de bonne heure employée : et
s'il ën faut croire Strzygowski, c'est de 1a Mésopotamie qu'elle se
serait répandue dans i'art chrétien d'Orient. Beaucoup de ces
basiliques mésopotamiennes sont des édifices à nef unique, et plu-
sieurs offrent cette particuiarité d'être, non point à nef longitudi-
nale, mais à nef transversale. Assurément, par certains traits, ces
monuments sont apparentés d'assez près à l'art de 1a Syrie 2 ; des
influences heHénistiquess'ymêlent aux influences orientales^, et
Strzygowski lui-même reconnait combien ce milieu sémitique a
été pénétré par l'hellénisme et à que) point il a subi l'action d'An-
tioche '. H n'y en a pas moins dans ces monuments des traits ori-
ginaux, qui doivent être retenus. Malheureusement 1a date de cer-
tains d'entre eux, ceux du Tur-Abdin en particulier, demeure
quelque peu incertaine : après les avoir d abord, comme Strzygowski,
placés entre 1e iv° et 1e vi° siècle, miss Bell, qui les a visités à deux
reprises, incline à dater les plus remarquables d'entre eux de 1a fin
du vn° ou du commencement du viu° siècle " : ce qui leur ôterait
incontestablement beaucoup de leur signification. Mais les monu-
ments de Rusafah et d'Amida, qui sont certainement du cours du
vi° siècle, et d'autres plus anciens, méritent, parleurs formes archi-
tecturales autant que par leui' riche décoration, une place impor-
tante dans l'histoire de l'art byzantin.

1. Guyer, toc. ctô, 3, 6-7 (tirage à part).


2. Beiï, C/tnrc/tes and ntouas/ertes 0^ //te yttr-AMtft, p. 99-100. Gf. Guyer,
/oc. ct'/., p. 11-12.
3. Guycr, /oc. ct/., p. 44-45.
4. Strzygowski, Crsprtiny t/er c/trt'.s//. Rà'rc/ten/ctitts/, 138, 169.
5. Loc. ct'/., 107-108. Gf. tes réserves que fait, sur t'inftuence de la Mésopo-
taniie, Guyer, Atttt'c/.'t (Repert. für Kunstwiss., t. 38 (19.15).
LESÉDIFÏCESAPLAKCENTHAL 35

Les ét/;y?cesà p^ttt cen/raL— A côtédes éditicesde pian basiiicai,


!es architectescbrétiens de Syrie, désireuxde ne pointindéfininient
reproduire ies mênies modèies, édifièrent aussi des constructions à
pian centrai, de forme circuiaire ou octogonaie, que surmontait une
coupoie. C'est à ce Lype que se rattachaient en Syrie ia rotonde
bâtie par ConstanLin au-dessus du Saint-Sépuicre, avec sa coionnade
intérieure supportant ia coupoie, etses tribunes couronnantie pour-
tour annuiaire du monument, etpareiiiementl'égiise octogonaie, eiie
aussi pourvue de tribunes, bâtie à Anfioche par Constantin. G'est au
même type qu'appartient en Mésopotatnie i'octogone iégèrement
ovaie de Wiranscbeir (Constantina), avec sa coupoie portée sur huit
piiiers, ses tribunes annutaires, son narthex carré flanqué de deux
tours et surmonté d'une ioggia, qui précédait i'entrée occidentaie.
Ce monument, que Strzygowski croit du îv^ siècle, doit peut-être
piufôt ètre attribué au v^, et du même temps datent deux autres
édifices qui sembient de ia même famiiie, i'intéressant marfyrmn
de Rusafah combinaison du type basiiicai et du pian triconque,
et peut-être i'égiise de ia Vierge à Amida L En tout cas, queiie qu'en
soif ia date précise, tous trois attestent de façon remarquabie i'inté-
ressant effort d'invention qui est ie trait caractérisfique de i'archi-
tecturesyrienneS.
Ce génie créateur se manifeste surtout dans un édifice, où se com-
binent le pian basiiicai ef ia construcfion à pian centrai, et dont on
a pu dire sans exagération qu'ii est v le joyau archéoiogique de ia
Syrie centraie'* B et i'une des pius beiies œuvres de l'art chrétien.
C'est, entre Antioche et Aiep, ie couvent de Saint-Syméon Sty-
iite (Kalat Seman), bâti vers ia fin du v" siècie autour de ia coionne
que ie céièbre ascète avait iiiustrée par son iong séjour et ses
miracies.
Le pian générai de i'ëdifice est aussi original que savant (fig. 6).
Sur quatre des faces d'une cour octogonaie à cie! ouvert, qui iorme
iecentredu monastère, s'embranchent quatre basiiiques à trois nets,
disposées de manière à dessiner une croix gigantesque. Ceiie de
i'est, terminée par une abside saiiiante, constitue i'égiise propre-
ment dite, consacrée à ia mémoire du saint; ies autres sont de

1. Guyer, toc.cù.,2R,32.
2. Guyer, p. 3132, pensetoutefoisqueicsdeuxédifieesn'ctaientpasà
coupote. Cf. Strzygowsiki, Amtda, 219-223.
3. Strzygowski, THeittast'ett, 96 et suiv.
4. Vogüé, /oc. ctù, 141-153 et pi. 139-50.
36 LES OR[G]\ES SYRIEXXES

vasLes promenoirs, desLinés à accueiHir )a fouie des pèierins. Dans


cef édifice énorme, d'un arf toui iocai, se manifesteni toutes ies
particuiarités du styie s rien, et spéciaiement cette richesse dans
i'ornenientation qui en est i'un des traits ies pius caractéristiques.
Que i'on regarde )a décoration extérieure de i'abside, avec ses fines
coionnettes superposées en deux étages (fig. 14), ou ie beau por-

Fig. 6. — t ian du couvent de Saint-Syméon


(d'après Vogüé, Syri'e eentraie).

tique à trois arcades qui donneaccès à ia basiiique du sud (fig. i5),


ou encot'e ies iarges arcades qui encadrent i'octogone centrai (iig. 7),
on ne saurait admirer assez ia variété, ia fantaisie, ia magniiicence
de i'ornementai ion, ia soupiesse et i'habiieté d ' i'exécution. Et si i'on
songe à ia multitude des pèlerins qu'attiraitau monasière, de tous
ies points du monde orientai, et de i'Occident même, ia renommée
de saint Symëon, on admettra voiontiersqu'un monumentsi céièbre,
etd'une si prodigieuse spiendeur, ait dù avoir queique iniluence sur
ie déveioppement de i'art, sur ia propagation des types architectu-
raux aussi bien que des motil's décoratifs.
G'est ià précisément ce qui donne aux constructions syriennes à
LES ÉLHFICES A PI.AN CENTRAL 37

plan cenh'al un intérêt tout particuiier. On y peùt voir par queis


essais, par queis tâtonnements ies architectes s'etîorcèrent de réali-

Fig. 7. — Vue sut- ta cottr octogonate de Saint-Syméon


(Phot. Van Berchem).

ser ce qui fut toujours ia prëoccupation essentieiie de i'art byzantin,


a savoir de couronner d'une coupoie circuiaire un pian carré ou
38 LES OR[G!NES SYR!EN?fES

octogona], et par quels raccords ptus ou moins habites its parvinrent


à passer du polygone au cercle.
Ze /n'uA/è/ne (/e /a cou/jo/e e/ /e.s xo/u/tons .sy/'/eone.s. —
Depuis iongtemps ]'art perse empioyait ia coupote, que déjà !es
Assyriens avaient connue. Dans !es patais du Servistan et de Fi-
roux-Abad, on trouve des coupotes soutenues sur quatrc trompes
d'angte, c'est-à-dir'e Sur des niches sphéritpies [ogées aux angtes
du p!an carré et qui constituent une base octogonale, d'où it devient
p!us aisé de passer au cercte. Ce procédé fut, dès ]e :v" siècle,
emprunté à ]a i^erse par !es architectes byzantins ; on ]e rencontre
vers cette date dans certaines égtises de Mésopotamie ^Et-Adhra à
Hakh ', éghse du couvent nestorien à Amida^), d'Asie Mineure et
d'Égypte, et i] demeura en usage, jusqu'au xn" siècte, dans d'assez
nombreux éditices de Grèce etde Sicile. Une autre forme de coupoie,
qui devait avoir une grande fortune dans i'art byzantin,est ta cou-
po!e sur pendentifs, où quatre grands arcs pénétrant une caiotte
sphériquet'échancrent de manière ày déterminer quatre triangtes
sptiériques, qui s'inscrivent entre ]es courbes des arcades. Ainsi on
obtient, sans recourir aux trompes d'ang]e, H un type de voùte qui
s'adapte directèment au pfan -. n Cettesotution du probième, qui
l'ut la grande trouvaihe de ]'art byzantin, sembte bienêtre heHénis-
tique et avoirétéimaginée, on le verra, en Asie Mineure: rnais eHe
a ëgalement son originedans ]es procédés persans. De bonne heure,
dans les plaines de ]'E]am,quifournissaient des argites excetientes,
mais où ]e bois manquait pour étabtir des cintres, ]es architectes
s'essayèrent à construire des voùtes sans cintrage, maçonnant ies
briques par tranches verticates accotées tes unes aux autres, au
iieu de bâtir ta voûte par assises rayonnantes s'éievant progres-
sivement dans ]e vide '. Ce procédé p!us économique, faciie à
apphquer avec ia brique durcie au feu, fut adopté dès !e :v" siècte
par ies architectes chrétiens d'Orient; on verra p!us !oin de quehe
façon it se déveioppa pour donnernaissance à ta coupote sur pen-
dentifs.
La Syrie était trop voisine de la Perse, trop pénétrée d'intluences
orientates, pour qu'ehe n'essayàt point d'apphquer t'un ou t'autre
Jt. Bett, toc. cth, 82.
2. Stryzgowski, lotô/o, :119.
3. Choisy, L'art tle hâltr càe: les p. 81.
4. Cf. sur ta dilîérettce des deux systémes )es tumineuses exptications de
Choisy, p. 3t-32. On consuttcra )es chapitres V à Vttt de cet ouvrage pour toute
ta fpiestion indiquée dans te texte.
Î,E PROBLÈME DE LA GOUPOLE 39

de ces deux systèmes, pour qu'elie ne tentât point, eile aussi, de


résoudre !e prob!ème de!a coupole. Mais, dansce pays où !a pierre
abondait et où 1a cons-
truction appareHlée
s'était surtout déve!op-
pée,i! nepouvaitvenirà
!'esprit de bâtir, comnie
dans d'autres régions,
des coupoles en briques
ou en menus matériaux
posés sur un !it de mor-
tier. Les conditions !o-
ca!es imposèrent donc
d'autrespartisetd'autres
Fig. 8. — Voûte sphërique appareiHce (Jcru-
artiHces, qui méritent satemporteau Haram-ech-Chérif, d'après
d'être exannnés. Choisy).
Dès!a fin du tL siècle,
!e prétoire de Mousmieh montre une tentative pour couvrir un
espace carré d'une coupole. Mais c'est surtout au m^ siècle, dans
de petits édiûces tels que 1a Kalybé
d'Omm es Xeitoun, datée de 282, et dans
celte de Chaqqa (fln du nL siècle) qu'ap-
paraît un essai de solution. Sur chacun
des angles du p!an carré, une pierre
estposée en pan coupé, de façon à déter-
miner un octogone ; sur chacun des
angtes de l'octogone, de nouveau une
pierre est mise à cheval, de façon que !a
nouvelle assise forme un potygone à seixe
côtés ; par un procédé semblable, l'assise
suivantea trente deuxcôtés, et ainsi
tig. 9. — Égtise d'Ezra. insensiblement e!Ie se rapproche de 1a
Pian (d'après Vogüé, basecircu!airenécessaireàl'assiettede!a
A/rte cett^raie).
coupo!e en btocage qui couronne !a cons-
truction. Ce système ingénieux ne permettait guère toutefois de
couvrir que des espaces assex restreints. « I! est, dit Choisy, au
pendentif d'apparei! ce que !a plate-bande est à 1a voûte : 1a portée
des pierres disponibles en limite !es applications, et nous sommes
loin encore d'une so!ution définitive et vraiment pratique L r

i. Choisy, p. 88.
40 LBS ORIGINES SYRIEMNES

Les consti'ueteurs syriens étaient trop habiies pour ne point par.


venir, même avec ies matériaux dont iis disposaient, à construire
des coupoies sur pendentifs appareiHês (tig'. 8). Le pius ancien
exemple de ce type se rencontre dans une saiie de Djerach où i'on
voit, comme dit fort
bien Choisy, « une
conception asiatique
réalisée par une
mainromaine x. De
même, ilsconnurent
bien vite sans doute
et appiiquèrentà An-
tioche et au Saint-
Sépuicre i'autrepro-
cédé de construc-
tion, pius pratique,
venu de ia Perse par
i'intermédiaire de
i Asie Mineure, et
qui consiste à bâtir
des coupoies en rne-
nus matériaux sur
trompes d'angie ou
sur pendentifs. En
tout cas on voit
qu'au vi" siècie, dans
l'égiise Saint-Serge
Fig'. 10. — Hgtise d'Exra. tnlérieui' (d'après de Gaza décrite par
Kondakof, Syrie ei Paiesitne). Choricius,iisavaient
appiiqué ie premier
de ces types L Cependant iis demeurèrent en générai tidèies au
procédé iocai itidiqué pius haut et qu'iis se contentèrent de perfec-
tionner. C'est ainsi qu'au vi" siècie, pour couvrir d'une coupoie
i'égiise octogonaie de Saint-Georges d'Ezra (tig. 9 et 10), bâtie en
515, on posa sur ies angies du tambour octogonai des pierres en
pan coupé, de façon à déterminer unpoiygone à seize côtés, auquei
succéda par ie même procédé un poiygone à trente-deux côtés

1. Mitiet, L'Axt'e Aft'iteure (RA, 1005, I, p. 99-100), a traduit et fort ingénieu-


sement commenté )e texte de Ghoricius.
t.E PROBI.HME DE t.A COUt'OLE 4)

voisin du cercie, sur iequei on put édifier une haute coupoie en


biocagede forme eHiptique. C'est d'une façon sembiabie qu'en 512
on tenta de couvrir fa grande égfise de Bosra (bg. 11). Sur un
tambour circuiaire, porté par buit pitiers, onconstruisitla coupoie
centraie. Mais comme i'édibce était de dimensions plus vastes que
d'ordinaire, on dutsepréoccuper d'atléger fes poussées de ia voûte,
et à cet effet on disposa à f'entour
un bas côté annulaire, soutenu à l'ex-
térieur par quatre exèdres placés aux
angles d'un carré. Mais, si ingéniettx
que fùt ce parti, les matériattx em- T"
ployés étaient trop lourds, les points
d'appui trop faiblement établis,
l'espace à couvrir surtout trop grand
%H
pour que la solidité en fût durable.
La coupole de Bosra ne tarda pas à
s'effondrer. 'f-
Dans la Syrie du Nord comme
au Hauran,les constructeurs s'appli-
quèrent à résoudre le problème de
la coupole.On atrouvéà Moudjeleia Fig. li. — Bosra. Cathédraie
Pian (d'après Vogüé, Si/rie
une cbapelle polygonale, à Hass et cen./ra^e).
à Roueiha des tombes encore cou-
vertes de coupoles. Ges monuments datent du vf siècle, et on y
observe les mêmes tâtonnements que dans les édifices du Hauran.
Le pendentif ne s'y rencontre point. Sur fes angles du plan carré,
une pierre est posée en pan coupé, puis échancrée à l'intérieur de
façon à former un arc de cercle tangent au carré. Sur cette assise
circutaire est édifié un dôme appareillé. Ici encore, comme on le
voit, il ne s'agit que d'un artifice ingénieux, résultant des condi-
tions focales de la construction, et l'on y trouveun exemple inté-
ressant des partis divers employés pour dégager la solution d'un
problème qtii s'imposait. Mais ces procédés « ne s'étendent guère,
comme le dit Choisv, au delà des provinces syriennes, et ils
paraissent moins appartenir au fonds commun de l'architecture
byzantine qu'à l'école locale de Syrie ^ «. La vraie coupole byzan-
tine n'en vient point ; et l'on peut même se demander si quelques-
uns de ces édifices syriens, en particulier ceux du vi° siècle, tels

t. Choisy, p. 90.
42 LES ORtGIl'iES SYRtENNES

que ]es égtises d'Hxra et de Bosra, loin de présenter une création


originale d'un art ioca), ne sont pas tout simptement des appüca-
tions en pierre de ce qui, en d'autres rég'ions de l'Orient, s'exécu-
tait en briques vers ]e même temps.
Z,'a?2 farcAt^ec^ttt'e Ayzatt^t'tte. — Si intéressante
que soit donc l'architecture syrienne, il faut se garder de iui attri-
buer une ittHuence trop grande sur ]'art byxantin. Tandisque l'une
emploie exctusivement )a pierre, ies monuments caractéristiques
de t'autre sont tous construits enbriqueseten moeHons; et cette
ditïérence dans fes matériaux a entrainé des diiférences capitates
dans ies procédés de !a construction et dans ]es principes même
qui règlent l'économie de l'édifice. Assurément t'arcbitecture
syrienne a eu un rÔ]e considérabie dans fe monde, et son action,
on ]e verra, s'est exercée dans un targe domaine, et jusqu'en Occi-
dent. Mais Byzance iui doit en somme peu de chose. I] convient
donc peut-étre, dans une histoire de i'art byzantin, de mettre à part
p!us qu'on ne fait d'ordinaire, cet art vigoureux et fécond qu.e,
sous t'influence de l'Orient, ]a Syrie vit naitre entre le iv" et ]e
vt" siècie. Mais si ce grand mouvement artistique n'a point, par ses
édifices, influé sérieusement sur )e dévetoppement de i'architecture
byzantine. i) a, par d'autres points, exercé une action considérabte
et puissante sur i'art byzantin. C'est, d'une part, par ]e caractère
nouveau qu'it a donnéà ]a décoration scutptée, d'autre part, par la
place prépondérante qu'eut !a Syrie dans )a formation de l'icono-
graphie chrétienne.

I]
LA DÉCORATtON SCULPTEE

De très bonne heure, ]a Syrie avait aimé, dans t'ornementation


scutptée dont ette parait ies monuments de ['architecture, une
magnificence un peu tourde et chargée. Les édiflces de Baalbeck et
de Palmyre, certaines construcfions du Hauran (Qennaouat
attestent, dès f'époque païenne, ce goût de iuxe pompeux et compli-
qué. Cetto tendance se déveioppa encore dans ]es ouvrages de ia
période chrétienne. Désormais, ]a décoration prit une ptace consi-
dérabte, presque excessive; elte se répandit, avec une richesse qui
touche à !a profusion, sur toutes ies parties de l'architeèture. Cha-
piteaux et corniches, encadrements des portes et des fenêtres, ctô-
ÉVOLUTtON DES MOTtFS ET DES DROCÉDÉs i3

tures des sanctuaires et parapets des tribunes, arcades et iinteaux


se couvrirent d'ornements scuiptés d'une variétéet d'une compiica-
tion extrêmes, où disparut bien vite presque tout souvenir des tra-
ditions de i'art classique. Par désir d'ébiouir, pour réveiiler aussi
i'attention d'un pubiic un peu biasé, on dédaigna aiors de faire
simpie, on s'ingéniaà imaginer des formes nouveites, et sans peine
on ies trouva dans ies motifs que. fournissait i'Orient perse à i'art
de ce temps.
Æt'o/uttou t/es ttto/t/is.—Sous ces inlluences, insensibiement, ies

Fig'. ]2. — Linteau de Béhio (d'après Vogüé, Syrte eea/ra/e).

traditions antiques se déformèrent. i.a feuiiie d'acanthe chère à i'art


ciassique prend un aspect uouveau. D'une part, i'acanthe moiie
romaine, si éiégante et si vigoureuse, devient moins soupie et pius
sèche (tombeau d'Ei Barah D.Sa feuilie droite, iargement étaiée, et
de pius en pius styiisée, s'appiique à ia pierre comme une broderie ;
elie se dépioie sur ia piate-bande des iinteaux, à ia courbe desarcades,
en rinceauxqui finissent par s'enrouierautourdu ileuron(iinteau de
Boueïha^) ou même par se fermer encercles (iinteau d'Ei Barah^,
iinteau de Moudjeieia). D'autre part, utt type nouveau apparait,
i'acanthe épineuse, aux feuiiies grasses et dentelées, souvent gon-
tlées et comme agitées par ie vent. Ce sont ensuite ies riticeaux de
pampres, jaiiiissant de grands vases et se déveioppant en une mer-
veiiieuse floraison de méandres, oü se iogent parfois des oiseaux
ou des animaux. L'art syrien sembie ies avoir particuiièrement
aiméset en avoir fait un de ses thèmes ies pius caractéristiques (Saint-
Syméon '').

t. Vogüé, /oc. c:'L,pt. *5.


2. LbùL, pl. 68 .
3. /htd., pl. 32.
4. /Z)Zd., pl. 146.
LES ORMINES SYRIENNES

Mais, à côLé de ces éléments connus, une fouie de niotifs nou-


veaux, surtout géométriques,apparaissent* ; ce sont des cercies ou
des tosanges enfermant des fteurons, des rosettes, des étoites à six
branches, deshélices,descroix. L'architecture syrienneena faitun
targe usage et a diversifié avec une merveilteuse fantaisie tes combi-
naisons de ces disques sculptés(tinteau de Béhio ^) (hg. 12). Ailleurs,
ce sontdes tresses,desentrelacs, dont leréseaucompliquécouvrela
pierre d'une véritable orfèvrerie (linteau de Betoursa^). Enhn, ce

Fig. 13. — Linteau d.e Danaid'aprcs Vogüè, 5yrte eentrate).

sont des figures d animaux, fantastiques ou réels, paons ou lions,


cerfs ou griffons, alfrontés aux côtés d'un motif central, vase, croix
ou Aom persan, ou courant parmi des feuillages de vigne ou de
lierre (linteau de Dana ^') (fig. 13).
On voit sans peine le caractère nouveau que prend cette dëcora-
tion. A mesure que le temps marche, de plus en plus nettement
ette s'éloigne de t'ornement classique, aussi bien par la façon dont
elle est traitée que par l'origine des motifs qu'elle emptoie.
L'foLift'ou r/es procèc/ès. — Jadis, dans l'architecture classique,
la décoration demeurait toujours subordonnée à l'harmonie géné-
rate des lignes. Maintenant un principe nouveau prévaut. La déco-
ration existe parelle-même etpour etle-même : l ornemaniste met
sa gloire à multiplier ses ciselures sur pierre, à les varier par des
combinaisons savantes; la difticulté vaincue estun mérite et un

1. Gf. Gourajod, Ori'gi'nes de t'arf roiuan ef yot/u'qiie, p. 115 et suiv.


2. Vogüë, L c., pi. !37, et Butier, p. 32-33.
3. , pl. 43.
4. 7ibtd.,pl. 45.
lïVOLUTION DES MOTfFS ET DES t'ROCÉDÉS 45

charme de pius. L'ornement scutpté, en cessant d'être étroitement


lié à 1a structure, perd en même temps son caractère plastique.
Au lieu de se proposer d'embeüir les édifices par les formes du
modelé et les jeux d'ombre et de lumière qui en résultent, il vise
plutôt à égayer les surfaces par les contrastes de 1a couleur, par les
oppositions de noir et de blanc alternant sur Ie fond lég'èrement
entaillé de la pierre et qui détachent 1e dessin sur un champ

Fig. 14. — Absidedel'égtise de Saint-Syméon (Phot. VanBerchem).

d'ombre (?'fe/enefun./ce^). En devenantun décor indépendant de !a


construction, l'ornement (tevient ainsi une forme de revêtement
polychrome. En conséquence, 1e relief s'amortit ; les motifs orne-
mentaux sont gravés à 1a surface de 1a pierre plutôt que modelés
en pleine matière ; ils se répandent surles chapiteaux et les arcades
en fines et souples broderies qui semblent une dentetle ou une
orfèvrerie, et, pour les obtenir, l'artiste, au lieu de taiiler franche-
ment 1e marbre au ciseau, 1e creuse à 1a viroie, 1e fouille et 1e
1. G'estl'expression qu'a imaginêeStrzygowskipour caractériser ce pro-
cédé. Cf. sur ce point Strzygowski, Die .S'c/ucA'.sate de.s /fettenfsmHS et surtout
4fschatta.
46 LES ORtGINES SYRtENNES

refouttle avec une incomparable virtuosifé. Or, ces procédés du


relief méplat, cette conception aussi du dëcor qui en est la raison
d'être, ce goût de la décoration polychrome, tout cela, ce sont des
choses ahsolument orientales.
/n/fueace cte fO/'t'enf daus cefte éuo^u/:'on. — Et c'est pareillement
de l'Orient que viennent la plupart des motifs nouveauxqu'emploie
l'ornement sculpté. Ges ornements g'éométriques, cette décoration
végétale et animaleoù se montre une observation si attentive et si
remarquable de la nature, ont été empruntés par 1a Syrie à l'Orient
perse,etc'estvraisemblablement parles tissus historiés qu'on fabri-
quait dans l'empire sassanide qu'ils sont surtout parvenus dans le
monde hellénique*. En tout cas, du iv° au vi*= siècle, cette intluence
orientale va de jour en jour s'accusant plus fortement ; de plus en
plus les éléments étrangers à I art classiquese substituentaux motifs
antiques etprennent une place prépondérante. Ce sont par exemple
des formes nouvelles du chapiteau qui apparaissent au v° siècle et
qui semblent bien inspirées par la Perse : pour assurer à la retombée
de i'arc une assiette plus solide, des consoles latérales viennent don-
ner à l'abaque une formeobtongue (Baqouxa : c'est déjà presque
le chapiteau-imposte, dont le tailloir apparaît parfois timhré d'une
croix (Refadi ^). Ce soht encore les fenêtrës à double ou triple
arcades que séparent de minces colonnettes (Qennaouat^). C'est
surtout la merveilleuse lïoraison de sculptures qui couvre d'ara-
besques, d'entrelacs, de fleurons, de rosaces, de feuillages et d'ani-
maux tous les membres de l'ëdifice, avec une variété, une élé-
gance, une splendeur sans égales.
On en peut suivre la richesse croissante et l'évolution dans le sens
de l'Orient sur toute une série de monuments datés. G'est, par
exemple, le portail de Babiska" (401), où une bande d'acanthe de
style tout classique est comprise entre deux bandes d'enroulements
et de tresses qui rappellent curieusement ie travail de la vannerie.
C'estensuite le linteau de Déir-SëLa" (412), où les motifs géomé-
triques tiennentuneplace essentielle. Maisc'est surtoutau vi" siècie
que l'évolution est nettement caractérisée. A Qalb-Louzé, à Saint-

1. Strzygowski, Setdensto/^e aas /tegyptea, C/ùtta, Perst'en. ttnd $t/rt'en t'n


t'àrer Wee/tseltotr/ttitty (JPK, t. 24 (1903). Cf. Antt'tta, p. 365 et suiv.
2. Vogüé,/oe.et'C, pt.107.
3. Vogüé, /oc. ct'/., pi. 111.
4. Butter, p. 403-405.
5. /ù., p.133-134.
6. Vogüé, pt. 100.
tHFLUBNCE DH L ORtENT DANS CETTE EVOLUTION 47

Syméon, les formes sinueuses remplacent de plus en ptus les iignes


droites. Les mouiures suivent comme un feston ia ligne courbe des
arcades pour se recourber à l'extrémité en spirales très caractéris-

tiques de l'art syrien. Les proHIs classiques disparaissent : 1a cor-


niche cintrée égyptienne, 1e tore saillant, deux motifs orientaux
employés déjà depuis 1a fin du iv" siècle, sont I'objet d'une particu-
lière prédilection. Et sans doute il subsiste des éléments antiques,
tels que les pilastres ornementauxappliqués suries façades, 1a super-
position des ordres dans 1e décor des absides (Hg. i4), les consoles
^i8 LES ORtGINES SYRtENNES

piacées sous les corniches et l'ornenientation Rnement traitée des


acanthes et des rangs de peries : tout cela se rencontre dans ies
façades de Saint-Syméon (fig. 15) ou de Qalb-Louzé. Malgré ceta,
) impression d'ensemble ne gai'de pius rien de t'art ctassique.
Le même mélange
d'heHénisme et d'Orient,
où l'Orient, àmesureque
le temps marche, prend
unepiaceprépondérante,
s'observe dans tous les
monumentsprovenantde
Syrie, de Paiestine ou de
Mésopotamie, et on y
remarque de même l'em-
ploi de !a technique
nouvelle, qui donne à la
décoration scuiptée un
caractère inattendu.
Voici par exempie
ies scuiptures constan-
tiniennes, que Strzy-
gowski a reconnues à
.lérusalem dans ta façade
duSaint-SépuicreLDans
rig. 16, — Pilastre de provenance syrienne . , .
à Saint-Marc de Venise. cescormchesoul acanthe
alterne avec d'élégantes
palmettes stylisées, où, entre )es consoles, des rosettes s'inscrivent
parmi des feuillages, il y a unerichesse, une variété des motifs qui
contrastent avec la froide régularité romaine. On y sent t'esprit
d'un artiste soucieux de l'elïet pittoresque, non point la conception
académique d'un ingénieur préoccupé de i'effet imposant. Et
I exécution de même a une libertë, une souplesse admirables. C'est
le pur goutde i'Orient heliénistique qui y apparaît.
En face de ces sculptures qui datent du commencement du tv^
siècie et qui attestent ia fantaisie créatrice de i'art qui régnait
alorsdansiaSyrie grecque, placez les deux piiiersprovenantd'Acre
qui sont dressés devant Saint-Marc de Venise (tig. 16), et où

1. Strzygowski. Ort'ealoderHom, 127 suiv. On a contesté plus d'une fois


l'origine constantinienne de ces sculptures.
tKFLUENCE DE L'oRIENT DAXS CETTE ÉVOLUTtON 49

Strzygowskt reconnaît iogénieuseinent un spécimen de l'art antio-


chéen On y voit tout ce qn'en peu de temps i'Orient a apporté
à l'heHénisme. La décoration y a une abondance tout orientaie.
Sur ie corps du pitier, des méandres, des héiices, des grenades
en forment ies motifs essentiels. Le décor du chapiteau, d'autre
part, rappeiie de façon frappante ceiui des chapiteaux perses de
Takht-i-bostan ou d'fspahan et ies partis hahitueliement empioyés
dans l'ornement des étoifes sassanides. Enfin, ia technique est tout
orientaie,avec son reiief peu ressenti, sa recherche par ie contraste
des couieurs de i'effet poiychrome. Gomparez ces monuments du
v^ siècie aux scuiptures du Saint-Sépuicre : on comprend tout ce
qu'en un siècie ies influeuces de i'Iran et de ia Mésopotamie ont
apporté à ia Syrie et comment eiies ont modifié, même dans ies
grandes viiies heiiénistiques teiies qu'Antioche, i'aspect et ies pro-
cédés de ia décoration scuiptée.
t)n pourrait égaiement examiner, comme témoignage de ce
méiange des deux cuitures, ies scuiptures, évidemment syriennes, qui
décorent un tambourde coionne conservé au musée de Constanti-
nopie et où i'on voit des scènes évang-éiiques représentées eu reiief
au miiieu de magnifiques enroulements de pampres 2. L'œuvre est
un remarquable spécimen du styie pittoresque ; mais ce qui est
pius signifrcatif, c'est ia façon dont ia scuipture est exécutée, les
feuiiies et ies animaux se détachant presque à jour sur ie fond de
ia coionne. C'est ia technique orientaie se combinant avec ie décor
heiiénistique. Mais de cette coiniiinaison on trouvera des exempies
pius caractéristiques encore dans ia riche décoration de ia porte
septentrionaie et du màrfyrion de ltusafah^ (2" moitié du vi^ siècie),
dans ies façades aux magnifiques scuiptures qui entourent ia cour
de ia grande mosquée d'Amida (et que Strzygowski date dei'époque
de Constantin ^), et surtout dans un monument considérabie qui,
situé dans ia région intermédiaire entre ia Syrie et ia Perse, offre
de pius cet avantage de montrer ciairement d'où sont venues et par
quels intermédiaires se sont transmises ces intluences orientaies,
qui ont si profondément modifié l'art décoratif de ia Syrie heiiénis-
tique.

1. Strzygowski, AnfiocAeiu'.scèe Xuasf (OGh., 1902).


2. Strzygowski, Die afthi/sanfi'ntscAe PfasffA' tfer itfüfeseff (BZ, I, (1892),
p. 575 et Aïnatof, Orfgr., p. 159.
3. Guyer, foc. cff., 20 et suiv., 33 et suiv.
4. Strzygowski, Amftfa, 144 et suiv., 207 et suiv.
ftfauuef tf'Arf hysattffn. 4
50 LES ORIGtXES SYRfENXES

— ATestduJourdain, sur )a grande route des pèierius


qui va de ))amas à ia Mecque, se trouvent ies ruines de Mschatta
Eiies forment unimmense carréqu'entoure un niut' de pierre fianqué,
de distance en distance, de tours demi-circuiaires, et où une seule
entrée est ménagée sur la face méridionaie. A l'intérieur, sur le
pourtour d'une cour carrée, s'éièvent des bâtiments construits
en briques, trait par iequel ies édiiices de Mschatta tranchent sur
l'ensembie des monuments syriens. Au fond de ia cour, une porte
à trois arcadessoutenues par despiiiers donne accès à un édifice de
forme basiiicaie partagé en trois nefs; ii aboutit à une salle tréflée,
originairement voûtée en coupoie et qui rappeiie ie pian t< tri-
conque o, que i'on rencontre en Syrie dès ie v" siècie (égiise
Saint-Jean-Baptisteà Jérusalem)^, ruinesde Der-Dosi(couventde
Saint-Théodose) Tpfxo'/yov otypo! mentionné dans une inscription
de Bosra de i'an 487.
On a fort discuté sur ia destination de cette construction énigma-
tique, où tourà tour onavu uneforteresseou un paiais, sursa date,
suri'art dontii est ie produit, etquia paru tour à tour persan, arabe,
byzantin ou sassanide. En tout cas, ii oiîre par sa décoration surtout
un intérêt de premier ordre. Sur ies deux tours pentagonaies qui
encadrenti'entrée,et surie murqui iesavoisine se trouve une frise
richement scuiptée qui n'a pas moins de 47 mètres de longueur.
Eiie a été récemment transportée au Kaiser-Friedrich Museum
de Beriin, et Strzygowski, qui iui a consacré une étude de haute
vaieur, en abien montrétoutei'importance. « Ce que Mschattanous
apprend, écrit-ii, piace ce monument bien au-dessus de ia piupart
des monuments de l'époque de transition qui va de i'antiquité au
moyen âge. li constitue en son genre un point cuiminant d'une
importance égaie à ce qu'est ia création d'Anthémius et d'Isidore
(Sainte-Sophie) dans i'histoire de i'architecture religieuse. Le
méiange qu'on y observe des i'ormes architecturaies syriennes et
mësopotamiennes y a pour paraitèie ia décoration de ia façade et
i'évoiution si nette qui, des formés famiiières à i'art antique, aboutit
à des formes purement perses '. ))

1. Strzygowski, AfscAaMa (JPK, t. 25 (190J); Brünnow et Domaszewski,


Die proriaci'azty-atn'a, t. tt, Strasbourg, 1905.
2. Vincent, Pe ptan tre/fe' daaa t'arc/tùeciure Aycaa/tne (R. A. 1920, I, 82-
111).
3. VVeiganct, Das T7ieoJos;'os Kfosfer (B. Z. XXIII(1914), 167-216).
4. Strzygowski, foc. ctt.
MSCttATTA 51

C'est déjà une idée tout orientaie que ceile de décorer une
muraiiie d'une haute frise scuiptée. Jadis, dans ies palais babylo-

Fig. J7. — Frise de Mschatta (Musée de Berlin), d'aprés Strzygowski


(Æschatta)

niens et perses; uu revêtement de briques émaillées mettait à 1a


façade des édilices une éclatante parure poiychrome. Dans 1a con-
struction en pierre de Mschatta ie mème effet décoratif a été
52 LES OmGtNES SYR!ENNES

recherché par d'autres moyens, appropriés aux conditions spé-


ciaies de la bâtisse ; mais l'intention est identique.
Examinons maintenant ie choix et ia disposition des motifs qui
constituentt'ornement scuipté (Hg*. 17). Au-dessus d'un socie iisse,
une bande formée de grands zigzags détermine une série de triangies,
dont ie centre est occupé par des rosettes saiilantes ; or, i'un et
i'autre motif appariiennent incontestabiement à l'art perse.Sur ies
deux tores qui courent à ia base des triangies,dans ies mouiures de
ia haute corniche qui couronne ia frise, se rencontrent dcs motifs
très divers. G'est, d'une part, i'acanthe styiisée, dressée en feuiiies
droites, les paimettes, ies rinceaux de pampres, c'est-à-dire ies
mèmes éiéments qu'on observe dans ies monuments syriens, et qui,
pour )a piupart, sont antiques. Et d'autre part, sur ie fond piat des
triangies, ce sont, autour de ià rosette centraie, des rinceaux de
vigne encore, mais fermés en cercies, et où jouent des oiseaux, des
vases aux côtés desqueis des animaux s'affrontent, iions, centaures
et gritï'ons. Ainsi, dans ies thèmes, on constate un méiange indé-
niabie, d'art ciassique et d'art orientai : et pourtant i'impression
d'ensembie n'a pius rien d'antique. Ce qui frappe dans cette déco-
ration, c'est sa prodigieuse variétés sa richesse inouïe ; et d'aiiieurs,
à mesure qu'onavance de ia gauche vers ia droite, i'éiément orien-
tai prend une piace de pius en pius prépondérante.
Dans i'exécution technique, on observe un sembiabie méiange de
deux inspirations diverses. Comme dans i'art ciassique, certaines
parties de i'ornement sont modeiées en assez fort reiief, et c'esL
par i'ombre des saiiiies qu'elies forment que i'effet décoratif est
obtenu. Pius souventle procédé employé estceiuiqui, conformé-
ment à ia pure tradition orientaie, s'efforce de produiredes oppo-
sitions de couieur sur un fond presque piat. Dans i'intérieur des
grands triangies, ie reiief est à peine sensibie, ies saiiiies n'existent
point; i'etfet est obtenu par ie contraste du bianc et du noir, réa-
iisé en incisant profondément ia pierre et en faisant ressortir ie
dessin sur ie fond d'ombre uniforme. G'est ià justement ce qui
donne soncaractère à i'ensembie de ia décoration. On sent qu'au-
cun effort n'a été fait pour iamettre en harmonie avec ia structure ;
eiie s'y appiique comme un décor adventice, posé sur elie dans un
but purement ornemental, à ia façon des tapis d'Orient qu'on sus-
pend ie iong d'une muraiiie et qui, pas pius que ia frise de
Mscbatta, ne sont iiés intimement àu monument.
Dans tout ie reste de i'édifice, on trouverait la trace des mêmes
MSCHATTA 53

intluences combinées et mêlées. Ainsi, dans les portes et dans les


voûtes du bâtiment principal, on renconlre l'arc légèrement brisé,
qui est un trait de l'architecture perse, tandis qu'au contraire 1e
porche à trois arcades qui précède la basilique rappelle de façon
frappante 1e porche hellénistique de Saint-Syméon. De même, à
côté dechapiteaux corinthiens, d'autresoffrent undécor de rinceaux
d'acanthe simplement incisé à 1a surface de 1a pierre, et où l'elfet
est cherché par 1a couleur, non par 1e modelé. La même préoccupa-
tion de 1a décoration polychrome apparaît dans les rehauts de cou-
leur qui, sur certains chapiteaux, mettent les feuilles jaunes
en valeur sur un fond bleu. Quelques-uns même portent des traces
de dorure.
Si 1e palais de Mschatta datait avec certitude, comme Strxy-
gowski incline à l'admettre, du iv" siècle, son importance serait
capitale dans l'histoire desorigines de l'art bvxantin. Mème en admet-
tant, comme je 1e pense, avec Brünnow, qu'il est d'une époque un
peu plus basse, du v" et même du vi^ siècle, et qu'il est, comme 1e
palais d'Amman, qui en est tout proche et lui ressemble fort,
comme Tûba et Ixharani dans 1a même région, l'œuvre des pre-
miers princes de 1a dynastie ghassanide, son importance demeure
considérable'. L'artqu'il représente doitl'essentiel de son inspira-
tion à cette Mésopotamie, où se succédèrent 1a capitale grecque
Séleucie et 1a capitale perse Ctésiphon, et d'où l'iniluence persane
rayonna largement, comme d'un foyer admirable, au nord, vers 1a
Syrie, l'Asie Mineure et Constantinople, au sud, vers l'Egypte,
apportant au monde hellénique les enseignements, les procédés, 1e
système décoratif du vieil Orient ressuscité.
Entre l'art de Mschatta et les monument de 1a Syrie, 1a parenté
est étroite, soit que l'on considère certaines formes de l'architec-
ture, soit surtout que l'on observe 1a conception et les motifs de

1. Sut' la date, Dussaud, Jtes Arabes eu Syrte arautt'Atam,Paris, 1907,


39-56; Lammens(Mém. delaFacuttéoi'ieutale.IV, 91-112), quidateMschatta
de ta lin du vn' siècte ; Hertzfetd. Æse/taffa, 77i'ra uad Padtya. (J. P, K.
Xlt (1921). 104-116), qui t'atlribue au mitieu du vm° siccle. Strzygowski refuse
d'accepter ces dates, qui me sembtent en elfet trop iiasses (Perstscùer ffelfe-
iu'smns t'it eftrt'sll. ZterAttttsf, dans Hepert. f. Kunstwiss, 41 (1918), 125, et,
Hr.sprtitty d. c/trtsH. /ftre/tett/tfttts/. 97. Pout' les monuments apparentés,
Kondakof, Xt/rt'e, 127 et pl. 18-24 (Amman); Musil, Ara/tt'a Pe/raea, Vienne,
1907,1, 180 (Tùba) et 290 (Kharani) ; Massignon, Les c/tà/eatta; des prtttces de
/7tra/t (Gaz. Beaux-Arts, 1909, et G. R. Acad. Inscr., 1909, 202). Jaussen et
Savignac, Les cAâ/eattæ ara/tes de Qeset'r Atttra, /faratte/t ef Tttha. Paris,
1922.
54 ms onicixEs svmEKNEs

t'ornement scutpté. On retrouve des deux parts !es rosettes sai!-


lantes, ta prédiiection pour les enrouiements de pampres, ia même
recherche de l'effet coioré. Queiie que soit donc ta date précise de
Mschatta, on y peut voir comme un jaion indiquant de quelie
origine — persane — et par queiie voie — mësopotamienne —
l'art syrien a reçu i'essentiei de ia décoration que nous avons ana-
iysée. C'est de ià, ensuite, par i'intermédiaire de ia Syrie, parfois
même peut-être par i'apport direct de ia Mésopotamie et de ia
Perse, que ces motifs nouveaux ont passé dans i'art byzantin. H
est remarquabie qu'entre i'ornementation sculptée de Sainie-
Sophie et ceiie de Mschatta ii y a identité absoiue d'inspiration et
de technique*. C'est ie mêrne décor incisé, presque sans modeié, et
qui ne doit presque pius rien aux traditions de i'ornementation
antique. Le système de décoration poiychrome devait être, on ie
verra, dans i'art byzantin, ia règie fondamentaie; ii en doit, pour
ce qui concerne i'ornement scuipté, i'essentiei, motifs et procédës,
à la Syrie formée à l'écoie irano-mésopotamienne.
En Syrie, en tout cas, ce système décoratif, où i'ornement
tient une piace chaque jour grandissante, devait avoir une iongue
fortune. On ie retrouve dans toute une série d'œuvres d'art, qu'ii
a marquées d'uncaractère Spécial. Ce sont, d'unepart, desivoires,
teis que ia chaire de Maximien conservée à Ravenne, où tout un
peupie d'animaux et d'oiseaux se joue parmi des enrouiements de
vigne, ou teis que ies diptyques à cinq compartiments que i'on
conserve à Paris, à Ravenne et à Etschmiadzin. Ce sont, d'autre
part, et pius sûrementencore (carparfoisonattribue àcertainsdes
ivoires précités une origine égyptienne piutôt que syrienne), des
manuscrits iiiustrés, teis quei'évangiie syriaque deiaLaurentienne
eniuminé en 586 parle moine Rabuia au couvent de Zagba en
Mésopotamie, teis que l'évangiie d'Etschmiadzin, dont les minia-
tures sont visibiement inspirées de mosaïques syriennes du v° ou
du vt^siècie, teis encore que i'évangiie syriaque de Paris qui pro-
vient de Mardin, et qui date probabiement du v:" siècle.
Dans tous ces ouvrages, i'iiiustration présente ce méiatige qui
nous est famiiier d'infiuences heiiénistiques et d'influences orien-
taies, avec une prédominance croissante de ia magnitique ornemen-
tation chère à i'Orient. On y trouve presque à chaque page de
hautes et éiégantes arcades, soutenues par des coionnettes autour

1. Sàtadin, Le paiat's de Mae/tùta (Buil. archéotogique, 1905, p. 409).


LA SYHIH ET L ÏCONOGRAPmE Ct[RÉT!ENNE 55

desqueHes des oiseaux se jouent parmi ies ileurs. On y observe sur-


tout ie même g-oût recherché, ia même abondance un peu toufïue,
ie méme« styie de parade o (5'cA/n:/cA;3/f/), commeditStrzygowski,
que i on remarque dans ia décoraiionscuiptée. Et tout ceia prouve,
en même temps que ia spiendeurdes industries d'artdansia région
syrienne, — ies ateiiers d'Antioche fabriquaient des orfèvreries
céièbres, dont piusieurs nous ont été conservées, — ie caracière
originaiet durabie de ce puissant mouvement artistique.
Tfôfe cfe /a .S'y/'te t/att.s /a /o/'/ua/to/t /7e /'/co/toy/a/jAfe. — On
reviendra pius tard sur ces monuments, qui appartiennent presque
tous au siècie. On endoitpourtantdès maintenanttirerunensei-
gnement. On a vu précédemment déjà comment les monuments
céièbres de ia Paiestine ont contribué de bonne heure, par ies mo-
saïquesqui iesdécoraient, à ia constitution de i'iconographie byzan-
tine. Les miniatures des manuscrits que i'on vient de mentionner
confirment i'origine syro-mésopotamienne et attestent en même
temps ia diffusion de cette iconographie. Aïnaiof a fort bien mon-
tré connnent, dans ces évangéiiaires syriaques, on trouve ies pius
anciens exempiaires connus de certaines compositions devenues
pius tard classiques dans i'art byzantin, et comment ces composi-
tions, teiiesquei'Atmonciation, i'Adoration desMages, ie Baptême
du Christ, ia Crucifixion, ies Saintes Femmes au tombeau,
i'Ascension, ia Pentecôte, i'Anastasis, ont pour prototypes
ies mosaïques qui décoraient queiques-uns des pius iiiustres sanc-
tuaires de ia Paiestine L Strzygowski a exptiqué de son côté com-
ment ies épisodes de ia iëgende de ia Vierge et une portion de
i'iilustration du Psautierontégaiement uneoriginesyrienne. Faut-
ii croire, comme ie veut Strzygowski, que, dans i'élaboration et
ia propagation de cetteiconographie, ierôie essentieiait appartenu
aux couvents de ia région syro-mésopotamienne et que cette tradi-
tion monastique, natureiiement hostiie à i'heiiénisme et profondé-
ment imprégnéed'Orient, ait exercé dans i'art byzantin une longue
et puissante intluence * ? II entre dans ces théories, à côté de vues
justes et profondes, une part trop considérabie d'hypothèses, ingé-
nieuses maisencoreindémontrées, pourqu'on puisse s'yraiiiersans
réserve. Mais ce qu'ii faut en tout cas retenir comme certain,c'est
qu'en i'ace de ia tradition iieiiénistique, une autre tradition ico-
ï. Cf. Baumstatk, P,'ttaest/'ne/tsta(BQ, t. XX (1906), p. 1*15.)
2. Cf. Stiv-ygowski, Æt/te Afeæattdrt'tttse/te t'VeMe/tro/ttk, p. [80-183, et Der
serAt'se/te P.sa/fert'tttl/tt/tc/tett, p. 87 suiv.
56 LES ORiGINES SYRtENNES

nographiques'est, entre leiv^ et te vi^ siècle,constituéeen Palestines


en Syrie, enMésopotamie, en Cappadoce h EUe a donné aux hg-ures
sacrées, au Christ, à ia Vierge, un aspect entièrementnouveau, fort
différent de celui que leur donnait t'art hellénistique. EHe a, dans
son souci d'instruireles tidèles des grands faits de la foi chrétienne,
opposé, en une longue suite de représentations, les épisodes de
l'Ancièn et du Nouveau Testament, et en face de l'illustration, telle
que la concevait ['art heilénistique, elle en a créé une autre, dont
on peut entrevoir le caractère soit dans ces mosaïques de Gaza que
décrit Ghoricius, soit dans les fresques des églises rupestres de
Gappadoce, soit dans des manuscrits tets que la Paris. 74, qui repré-
sente fortbiennla rédactiond'Antioche o, en face du Laur. VI. 23,
où revit « la rédaction d'Alexandrie^x. Dans ces écoles d'Antioche où
les exégètes, et Chrysostome à leur tête, s'appliquaient à commenter
et à interpréterles récitsdel'Evangiie, dans cesécoles théologiques
si florissantes de Nisibe et d'Edesse, l'idée devait naitre de bonne
heure d'illustrer le récit sacré. On le fit dans un esprit assez diffé-
rentde ccluide l'arthellénistique, et très vite, la formule syrienne
se répandit dans 1 art chrétien à côté de la formule hellénistique.
Pendant tout le moyen âge, en Orient comme en Occident, les deux
tradifions ont exercé leur-inftuence; plus d'une fois aussi elles se
sonf rencontrées et mêlées, de telle sorte— et ceci ne doit pas être
oublié — que Constantinople mème a pu contribuer à propager
des formules syriennes: au xt^ siècle, on l'a remarqué, on s'inspi-
raitàConstantinople, dansl'illustration des manuscrits, de certains

1. ft convient de signafei* ici, parce qu'efies font bien comprendre ta tradi-


tion réaiiste dont s'inspire !a peinture syriennc, ies frcsques découvertes en
1920 à Saiihijë, sur t'Euphrate. t'antique Doura. (Cf. Breasted, Pefntnres
d èpoque romaine ffans te d<*sert de Syrie (Syria, 1922, p. 111 et suiv.) et ta note
de Cumont qui fait suite à cet articte (tht'd., p. 206 et suiv.). Voir surtout !e
hvredc Breasted, Ort'enhtf /'orertutpers o/ hy:a;tft'tte pttt'ttft'tty, Chicag-o, 192i).
La pius intéressante représente un sacrihce cétébré par deux prêtres syriens
en présence des membres d'une g'rande.familte de ta cité. Ette date du com-
mencentent du n" siècte ap. J. Cti. et c'est un monument unique de !a pein-
ture syrienne. L'auteurest un artiste indigène, au nom sémitique, et it se rat-
tache certainemcnt à cette écotc de Patmyre, dont Strzygovvski déjà avait
signaté i'importance au uV siècle et te caractère (Orienf oder Ttom, p. 11-39).
Les peintures de Doura ont, pius que ceiies de ia catacombe de Patmyre, un
accent profondément réaiistc, qui faitdes figures représentces autant de vivants
portraits; ctonajustement remarquécombien cespersonnages, rangcs sur
une méme iigne, et tous vus de face, ressembient aux peintures byzantines et
en particuiier aux mosaïques de Ravenne.
2. Miiiet, Jtecherche.sSHr t't'eonoyraphiede t'^i'anyife, 581 et suiv.
LA DÉCORATtON POLYCHROME DANS LES ÉD!FICES SYRIENS 57

modèles provenant deta région d'Antioche On voit ainsi par queiies


puissantes racines i'iconographie byzantine piong'e dans ie monde
syro-paiestinien, et comment sur ce point essentiei, de mêrne que
dans ia formation de son système décoratif, ia Syrie a exercé sur
Byzance une intluence incontestabie^.

iii
LA DÉCORATMN POLYCHROME DANS LES ÉDIFtCES SYRtENS

L'architecture de ia Svrie centraie a, on ie verra,jouépeut-être


queiquerôiedans ie dëveioppementde i'architectureoccidentaie, et
en particuiier de i'art roman, avec iequei ses monuments otfrent
de curieuses anaiogies. Mais s'ii est vrai qu'à cet égard, Gonstanti-
nopie ne doit rien ou presque rien à ia Syrie, toutefois ii ne faut
point perdre de vue que nous sommes ioin de connaître encore dans
toute son ampieur ie déveioppemertt de i'architecture syrienne au
tv*= et au v" siècie. A côté de i'art très orientaiisé que nous rencon-
trons dans l'intérieur du pays, on peutcroire qu'à Antioche, capi-
taie de ia région, ii en exista un autre, pius pénétré d'heiiénisme,
moinsstrictement iocai etparticuiier, et ii est inadmissibiequecette
grande viiie tiorissante n'ait exercé aucune sorte d'action.
Assurément ii est impossibie, dans i'état actuei de ia science, de
déterminerexactement i'étendue de cette action etde détinir ie carac-
tère de cet art. On observera cependant que, tandis que ies con-
structeurs de ia Syrie centraie empioyaient exciusivement ia pierre,
à Antioche certainement, à Jérusaiem et dans ies grandes viiies
heiténistiques du iittorai, on bâtissait en briques^. Or, de ce fait,
résuitent de nécessaires consëquences. Tandis que ia construction
enpierre exclut, ou du moins n'exigepas ia poiychromie, ie muren
brique, au contraire, a besoin, ài'intérieur et à i'extérieur, d'un revê-
tement somptueux qui cache son indigence. l)ans ies édiiices des
viiles heiiénistiques de Syrie, ia décoration poiychrome eut donc sa
piace, soit par i'empioi des métaux précieux, comme dans a i'égiise

1. Mittet, toe. ct'L, 592.


2. Gf. sur laformationetle caractère dei'iconographiesyrienne,Strzy^owski,
Ur.spr!ttty tî. c/trMf.Xt'rcàenkamt, i37-t45, et Mâie, i'yirt rett'yteuædtt A/f°.st'ècie
ett frattce, Paris, 1922, p. 48-56.
3. On peut remarquer que toutes ies basiiiques de Paiestine du tv° et dn
V siècie, dont ii subsiste des ruines, sont construites dans ie type heiiénis-
tique (Cf. Baumstark, Paittesftttensta, 130-133.)
58 LHS ORIGtXES SYRIEWES

dorée o que Constantin éteva à Antioche, soit par Tempioi des


mosaïques sur ta façade extérieure des constructions. La mosaïque
de Madaba montre une décoration de cette sorte au fronton des
monuments de Jérusalem; Choricius vante iapoiychromie des rues
de Gaza, et l'on a ia preuve qu'à ia basilique deBethiéem, i'Adora-
tion des Mages était représentée sur ie mur extérieur de i'égiise.
A i'intérieur, ies constructions syriennes ont connu de même, sur
ie soi, ie décor poiychrome des pavements historiés (mosaïques de
Kabr-Hiram, de Jérusaiem, de Madaba)', sur ies parois, ia spien-
deurdes incrustations de marbre, desmosaïques à fondd'or oudes
peintures. Les édifices constantiniens de Jérusaiem étaient ainsi
décorés, aussi bien ia basiiique du Saint-Sépuicre que i'égiise de
i'Ascension sur ie mont des Oiiviers. La description qu'a faite Cho-
ricius des égiisesde Saint-Serge etde Saint-Étienne, bâties à Gaxa
au commencement du vi^ siècie, monirequ'eiies aussi étaient ornées
de sembiabie manière et avec un iuxe pareii. Pas un endroit n'y
restait sans un revètement de marbres précieux, de mosaïques à fond
d'or ou de peintures. On y voyait représentés, à Saint-Serge, des
jat'dins pieins de pommiers chargés de fruits, de poiriers et de gre-
nadiers, où s'ébattaient des oiseaux, àSaint-Ltienne, ie Niiavec ses
courants, ies prairies de ses rives, ies animaux qui se baignent dans
ses eaux. Aiiieurs c'étaient des vignes, des vergers, des ornements
de tout genre,et à côté de ce décorpittoresque, unesuiie de scènes
évangéiiques, montrant i'enfance, ies miracies et ia Passion du
Christ. ii y a même tout iieu de croire que ies plus beaux édifices
de ia Syrie centraie étaient décorés de cette façon. On sait, par
exempie, qu'au couvent deSaint-Syméon, des peintures, des pave-
rnents de marbre, des caissons peints et dorés s'unissaient, pour
rehausseria magnificence dei'égiise, à ia décoration scuiptée toute
pièine d'éiëments orientaux.
Ce yue ^y-tincedoi/ à /a Nyiiie. — Si i on sesouvient enfinque
ia Syrie a connu, parmi ies formes architecturaies, ia basiliquehei-
iénistique et ia construciion à piancentrai, ia coupoie sur trompes
d'angie à Saint-Serge de Gaza et dans ies égtises mésopotamiennes,

1. On trouvera unetistc des pavements de Patestine dans Baunistarck, foc.


cif., 139-141. Gf. pour ta mosaïquc de Kabr-lliram, Renan, Mtssioit de PAeitt-
cte, Paris, 1864: pour cellcd'Orphée à Jérusa!em,Strxy^owski, DasiteH-ye/uit-
deite Orp/teHs-Jtosat'A'tn Jernsa/ent (Zt. d. deutsch. Paiaestina-Vcreins. t. 24
(1901); pour celie de Madaba, Schuiten, Dte lifosatk/carte uou ilf.'tdahn, Beriin.
1900; Jacoby, Dasgeoyrap/ti'sc/te Jfosat'/f tioitikfada/ia, Leipxig, 1905.
LA DÉCORATtON POLYCHHOME DANS LES ÉDIHCES SYRIEXS 59

le ptan tréfléà Jérusafem et à Bosra, on ne pourra douter du grand


et fécond mouvement d'art qui se déveioppa entre te iv" et ie vi^
siècie dans ies viiies heiiériistiques de Syrie. Assurément, une par-
tie des éiéments qui s'y rencontrent n'est point propre à cette
région et iui est venue d'aiiieurs: entre ies diiïérentes provinces de
ce monde orientai, si piein de sève et d'activité ci'éatrice, ii y a,
entre ie iv*^ et ie vi° siècie, un constant échange d'idées, de formes
et d'iniluences. La Syrie a donné beaucoup: eiie n'a pas moins
reçu. Et c'estpourquoi ii estdifficiiedemesurerexactementiapart,
qui est certaine pourtant, d'Antioche dans ies origines de i'art
byzantin. Mais si, en ce qui touche ies formes de i'architecture, on
doit garder une prudente réserve, du moins peut-on affirmer que
Byzance dut à ia Syrie deux choses : sa conception de ia décoration
scuiptée, et ies principes sur iesqueis s'appuie i'une des formuies
de son iconographie.
CHAPITRE III

LES ORIGINES ÉGYPTIENNES

HeHënisme et christianisme en Égypte. Naissance d'un art nationai. —-


I. Lesmonuments de i'architecture. Lesbasiliques. La décoration sculptée.
— II. La décoration poiychrome et ia pcinture pittoresque. Le système
de décoration aiexandrin. Le styie pittoresque heliénistique. Le goùt du
portrait. — Ili. Les iniluences orientaies dans ies monuments chrétiens
d'Egypte. Les fresques. Les miniatures. La scuipture. L'évolution de l'art
chrétien en Egypte. Ge que Byzance doit à i'Égypte. — IV. Les étoiTes.

7/e/fé;t:xt?te ef c/trtsHaM:s?ne ett Fyypfe. — Parrni les grandes


viHes duniondeaniique, peu decitësont tenudans l'histoireautant
de place qu'Aiexandrie d'Hgypte. Depuis le jour où Alexandre la
fonda jusqu'au jour où les Arabes 1a prirent, elle connut pendant
près de mille ans une éclatante prospérité. Centre d'un commerce
tlorissant, elle entretenait des relations avec tous les rivages de 1a
Méditerranée, aussi bièn qu'avecles contrées lointaines de l'Orient,
Ceylan, l'Inde etla Chine. Ville de luxe, élég'ante et riche, facile et
corrompue, elle était célèbre par 1e faste insensé de ses fêtes, la
magniflcence de ses constructions, 1e nombre et 1a beauté de ses
courtisanes. Capitale savante enfln, lettréeet artiste, elledevait à sa
bibliothèque, à son rnusée d'avoir donnénaissance à unpuissant
mouvement scientihque, à unegrandeécoled'érudition, à une acti-
vité littéraire prodigieuse, à une admirable Iloraison artistique. Au
moment même où triomphait 1e christianisme, 1e nëoplatonisme don-
naitencore àsesécoles un dernier rayon de gloire ; jusqu'au vi^ siècle,
malgré 1a décadence, elle produisit des poètes tels que Nonnos. Par
tout cela, Alexandrie a tenu une place éminente dans I'histoire de
1a civilisation, de 1a littérature, de I art, et 1a forme de culture
qu'elle a créée a mérité de prendre 1e nom d'alexandrinisme.
Capitale de l'hellénisme, elle fut de bonne heure aussi une capi-
tale du christianisme. Dès 1a fin du siècle, avec Clément, au
]n" siècle, avec Origène,eIIeétait une des patriesdel'apologétique;
àpartirdu iv^siècle, sonrôle allaitdevenirplusconsidérableencore.
NuIIe part, si ce n'est en Syrie, on ne rencontre une ardeur plus
passionnée pourlesdisputes théologiques, nulle partplusd'enthou-
HHLLÉNISME ET CHRISTIANISME EN ÉGYPTE 61

siasme mystique pour les choses de ia religioti. G'est ià qu'est né


t'arianisme ; c'est de là que, par réaction contre 1e nestorianisme,
te monopbysisme s'est répandu dans tout 1e monde oriental ; c'est
là enfin que 1e monachisme a trouvé une prodigieuse fortune. C'est
d'hgypte que sont originaires tous les grands fondateurs de 1a vie
cénobitique, les Antoine, les Pachôme, les Schnoudi, les Sérapion,
dontl'infatig-able activité a peuplé de couvents et de solitaires « 1e
désert des saints ". Les environs d'AIexandrie mêrne étaient pleins
de monastères, et dans 1a ville, lepatriarche, qui aspirait, au v"siècle,
à devenir 1e pape de l'Eglise orientale, semblait, avec l'armée de
moines et de fanatiques qui l'environnait et lui obéissait, 1e véri-
table et tout puissantsuccesseur des Pharaons.
Comme en Syrie, 1e christianisme devait, en Egypte, prendre un
aspect particulier. II apparut en face de i'hellénisme comme une
manifestationde l'espritnational, eti'hérésien'y futpasautrechose
qu'uneforme du séparatisme. .lamais, en elfet, dans ce très vieux
pays qu'est Ia vallée duNil, lestraditions indigènesn'avaient entiè-
rement disparu. Alexandrie avait hien pu être une capitale del'hel-
lénisme, elle avait pu mêine propager pendant un ternps, à travers
1a terre des Pharaons, les industries et les modes de ia Grèce; 1a
plus grande partie de 1a contrée était restée égyptienne, ou i'était vite
redevenue. Lc triomphe du christianisme ne put qu'aider à cette
renaissance des tendances nationales. La destruction duSérapéum,
1e meurtred'IIypatie attestentl'hostilité farouchede l'Eglisecontre
l'hellénisme : une miniature d'un manuscrit égyptien du commen-
cement du v" siècle montre, de façon caractéristique, 1e patriarche
Théophile debout, dans une attitude triomphante, sur les ruines du
célèbre sancLuaire païen. Dans cette lutte passionnée, les moines
surtout se firent remarquer par leur fanatisme : 1e christianisme
national égyptien a trouvé, à 1a fln du iv° et au cominencement du
v" siècle, son plus iilustre représentant dans 1e moine à l'esprit
étroit, violent et dur que fut Schnoudi d'AtripéL
Æaf.M'an,ce cf'nn arf nafionaL — Dans l'art aussi, de bonne
heure, en face de l'hellénisme alexandrin, 1e vieux fond indigène
reparut. Dès 1e siècle, il se manifesta par 1a naissance d'un
art national, l'art copte, qui se déveioppa et grandit, en face de
1a grecque Alexandrie, dans i'arrière-pays égyptien et surtout

1. Cf. Strzygowski, ReMas ta/ies Orieitts OniarmHny, et Æine /tieæandri


itiscAe Weiiciironiif, p. 122.
62 LES ORIGINES ÉGYPTIENNES

dans la Haute-Égypte. Assurément, dans cet art, tes sujets et ies


types furent d'abord heHéniques, et iis 1e denieurèrent long--
temps. Mais, dès te début, i'esprit et ia technique y furent tout
égyptiens. Le christianisme aida natureiiement au déveioppe-
ment de cet art indigène, qui atteignit, au iv" et au v^ siècie,
son apogée, et qui présente, de même que i'art syrien, une
combitiaison féconde des motifs heiléniquesetdesiniluences orien-
taies. Lorsque, par i'intermédiaire dela Syrie, ies motifs décoratifs
de i'Asie antérieure vinrent ajouterensuiteia richesse deieurorne-
mentation aux créations de cet art nationai, i'art copte acheva de
s'orientaiiser. L'esprit qui i'inspira fut de pius en pius hostiie et
étranger à i'esprit heliénique. « Représentant typique, seion ia
détinition de Strzygowski, des courants qui, dès i'antiquité, se
manifestaient dans i'arrière-pays des rivages heiiénistiques, et qui
prirent à i'époque chrétienne la suprématie' o, i'art nationai de
i'Egypte, tout imprégné d'Orient, devait avoir sur i'art byzantin
une iniluence considéraiiie.
Ainsi, de mème qu'en Syrie, Byzance trouva en Égypte une
double source d'inspirations. A côté de i'art heiiénistique d'Aiexan-
drie, elie rencontra i'art indigène, où ies éiéments grecs se méian-
geaientd'éiéments égyp.tienset syriens. Pourapprécier exactement
ies origines égyptiennes de i art byzantin, ii importe de distinguer
soigneusement ces deux courants artistiques. De i'art copte, ies
découvertesrécentesnousfont connaître chaquejourun pius grand
nombre de monuments ; de i'art qui fleurit dans ia grande viiie hei-
lénistique, rien au contraire ne nous est parvenu ou bien peu de
chose. Pourtant c'est eiie, sembie-t-ii, qui exerça sur l'art byzantin
i'intluenceiapius grande. L'artorientaid'Egypte, commei'artorien-
tai de Syrie, prit de pius en plus un caractère local qui ie difî'éren-
cia et l'éioigna de Byzance. Sans doute ii convient de iui faire sa
piace dans l'étude qui nous occupe. Mais c'estaux influences aiexan-
drines qu'appartient ie rôie essentiei.

l.Strzygowski, Kopfiseàe Kiunt, dans Cafafoy'ie yëneratde.santiqriiites


eçpptieanesda maseeda Caire, Vienne,1904.tntroduction, p. xxiv: cf. Riegi,
Koptische Ktmst. (BZ, II, 11?); Crum, Copiie moitninenis, Caire, 1901;
Gayet, i'Art copte, Paris, 1902; W. de Grüneisen, Ces caractëristiqrnes de
cop^e. Fiorence,1922.
LHSBAStHQUES 63

LES MONUMBKTS DE L ARCmTECTURB

Les Aastlnyues. — Dans le domaine de i'architecture, l'Egypte,


comme 1a Syrie, donna peu de chose à Byzance. Assurément, ia
terre des Pharaonsavu,comme ia Syrie, une merveiHeusetloraison
de constructions accompagner ie triomphe du christianisme. De
ce grand mouvement, un des monuments ies pius remarquabies
est assurément ia belie basiiique construite par i'empereur Arca-
dius au commencement du v^ siècte sur l'empiacement où avait été
enterré un des saintsies pius iilustres de i'Ég-ypte, saint Ménas'.
Les fouiiies récentes de Kaufmann à Abou Mina, près de Mariout,
nous ontrendu tout ie magnifique ensembie d'édinces dont secom-
posait ie céièbre sanctuaire : ia basiiique impériale à trois nefs,
avec son iarge transept à deux rangées de coionnes et son abside
unique, ia basiiique pius ancienne, édifiée au-dessus de ia vaste
crypte où reposait ie corpsdu martyr, ie baptistère octogona) qui
iui fait face à i'ouest, ies bâtiments monastiques qui i'environnent,
ia basiiique cimitériaie, et près des bains sacrés, une autre basi-
iique encore, à deux absides opposëes. i.'expiorationdes ruines de
Baouit, ceiiedu monastère de Saint-Jérémie à Saqqara^ n'ont pas
fournide rnoins curieuses informations surl'architectureetiadéco-
ration scuiptée des ëglises chrétiennes d'Egypte au v° et au vi^ siècie.
Enfin toute une série de monuments, mieux conservés, se rencontre
dans ies égiises du Couvenf Blanc et du Couvent Rouge, que
Schnoudi fonda vers ia tin du tv^ siècle sur ia rive gauche du Nii
près de Sohag en Thébaïde, dans ceile du Déir Seman, près d'As-
souan, dans ceiies enfin du désert de Nitrie, Saint-Macaire, Amba-
Beschaï, Souriani, Baramous, qui toutes datent du vi^ siècleL De
ces constructions, ies unes, ceiies d'Abou Mina ou de Saqqara,
reproduisent exactement ie pian ciassique de ia basilique heiiénis-
tiqueà toitureen charpente; ies autres, dontia disposifion ne dif-
fère guère d'une égiise à i'autre, sont des basiiiques à frois nefs,

L C. M. Kaufmann, DteAusyraàuuyder Henas //e;'ù'yfümer, 3rappoi-ts,


Caire, 1906-1908; Die.Menasstacft, t. I, Leipzig, 1910; Die àeùt'yeSfadf der
Musfe, Kempten, 1918.
9. Quibett, Eæpforaù'ons af Saqqara (1906-1907), Caire, 1908.
3. A. J. Butter, î'àe.irteienf eopffccàureàeso/'Æ'yypf, Oxford,1884. Somers
Ctarke, Càrfsft'an anft'qut'ftes t'uf/teiYtfe raffet/. Oxford, 1919.
64 LES ORIGir-ŒS EGYPTIEKXES

qu'un transeptsépared'un vaste sanctuaire triconque donties absi-


des étaient décorées de niches abritant des statues. Une coupole
sur trompes d'angte couronne ce sanctuaire (tig. 18) Or, des deux
éléments caractéristiques de ces édifices, aucun n'appartient en
propre à l'Ëgypte. Le plan tréflé lui a été transmis par la Syrie,
la trompe d'angle vient del'architecfure persane. Et rien ne prouve
que cesoitd'Égypte
que ces deux partis
aientpassédansi'art
byzantin. Strzygow-
ski, à la vérité, ad-
met que ce sont
les progrès du mo-
nachisme égyplien
qui ont porté en
Syrie et puis à Gon-
stantinople la con-
naissance du sanc-
tuaire triconque -.
En tout cas, ie pro-
cédé de la trompe
d'angie paraît avoir
Fi 18. — Coupotedu Couvent ttouge à Sohag été connu et accli-
(d'après Strzygowski, Afei'ita.s;eit).
maté sur la côte
asiatique avant le moment où ies disciples de Schnoudi l'em-
ployèrent dans leurs monastères. Mais, quoi qu'ii en soit, un point
intéressant résulte de l'examen de ces églises égyptiennes. On y voit
tout ce que l'Egyptechrétienne, commela Syrie chrétienne, dut à
l'Orient asiatique pourles formes de l'architecture.
Alexandrie, en revanche, a fourni certainement à la ville impé-
riale le modèle de quelques-uns de ses édifices. Les vastes citernes
souterraines ménagées dans le sous-sol de Gonstantinople imitent
lesciternes à colonnes, souvent à multiples ëtages, de la grande cité
hellénistique d'Egypte

1. It n'est point certain que cescoupotes soientanciennes; en tout caseUes


seinbient avoir été fort restaurées.
2. Strzygowski, tirspruny nttd St'ey der a/lht/2. Jèttnst, p. xvi suiv. Cf. dans
i'article cilé du P. Vincent, t,e piait tré/!ë dans l'arc/ttiectttre ht/zan/t'tte
(Heti. arcà , 1920, 1), la thèse contraire, qui cherche à Constantinopie i'ori-
gine du pian triconque.
3. Strzygowski, Dt'eZt's/erttenrott dZeæattdrt'eit (BZ, iv, 592); Strzygowski
ct Forchheimer, Ote ht/zau/t'nt'schen Wasserhe/tàùer tiott Coitsianitnopel,
Vienne, 1893.
LA DBCORATtON SCULPTEE 65

La décorafton scuZp/èe. — EnRn Strzygowski prétend que, dans


le domaine de i'ornement scuipté, Byzance doit à l'Egypte son cha-
piteau-imposte, avec ie tin réseau d'entrelacs ajourés quile couvre,
et il suppose que des sculpteurs égyptiens ontapportédans les ate-
liers de Proconnèsecesi'ormesfamilières, à l'encroire, àl'artcopte
du iv" siècle E Ici encore, le doute est plus quelégitime. Les chapi-
teaux chrétiens que possède 1e muséedu Caire, et qui proviennent,
soit de Baouit (v" siècle), soit d'AIexandrie (vi^ siècle), soit du cou-
ventde Saint-Jérémie (v^et vPsièc!e),Ies autresfragments de déco-
ration sculptée, frises, architraves, pilastres, arcades, niches à
coquilles, etc., de même origine, ne présentent aucun trait carac-
téristique par où ils se distinguentdel'artbyzantin: ilsdiffèrentau
contraire sensiblement des ouvrages de style proprement copte. Le
choix des motifs, feuilles d'acanthe dressées ou s'enroulant en cercie,
entrelacs, hélices, rinceaux de pampres ou grappes de vigne, ani-
maux inscrits dansdesrinceaux, l'élégancede l'ornement, 1a tech-
nique du travail, découpant les feuillages en arètes aiguës, creusant
1e marbre à 1a virole, ne donnant au décor qu'un relief peu res-
senti, tout cela rappelle plutôt 1a Syrie. Parfois, à Baouit en parti-
culier, desrehauts depeinturerougeet bleuesoulignentla sculpture,
etce traitrappellecequi aété signaléàSaint-Syméon. Sur cepoint,
il semble bien que Byzance ne doive rien à l'Égypte^, et aussi bien
on verra plus loin comment, au contraire, c'est bien plutôt « Cons-
tantinople qui a élaboré l'évolution du chapiteau au v" et au
vP siècle 3 H.

1. Strzygowski, tirsprung intù Si'ey d. Aiinst, p. xvm-xix et


Kteinasien,
2. La publicationdcs morceauxd'architecture de Baouit, parM. Chassinat,
L'ontBesà Baoiiti, t. t. Le Caire, 1911, recueit dellû p)anches)etceHedes
i'ragments provenant de Saint-Jërëmie, en faisant connaitre deux grands
ensembies datantdu v" au vn° siècie, ont hcureusement prccisé te caractère
de l'art chrétien d'Égypte dans sa pèriode ancienne. Cf. dans te Cataiogue
de Strzygowski, Æoptt'sc/ie /funs/, ies n°* 7295 à 7300 (niches à coquiiie), 7301
et suiv. (frises à enrouiements de feuiiiage, ou à animaux inscrits dans des
cercies, provenant d'Ahnas et Baouit), 7314 et suiv. (chapiteaux). Strzygowski
iui-même reconnaît que piusieurs de ces chapiteaux sont d'importation
byzantine (n* 7350 et suiv.) Le chapiteau de Baouit à tétes de béiiers n'est
pas rnoins nettcment byzantin.
3. Miiiet, Art by:.,p. 155.

ifaime/ d',1 ri bynau/t'n.


66 LESOmGtKHSHGYt'TtENNHS

LA DÉGORATtON POLYCHROME ET LA PEINTUHE PITTORESQUE

G'est par aiHeurs quei'Ég-ypte, et surtout t'Égypte heHénistique,


a exercésur l'art byzantin une inftuence puissante. Byzance doit à
Aiexandrie, d'une part, ie goùt et fes procédés de ]a décoration
potychrome; de !'autre, l'amourde 1a peinturepittoresqueettatra-
dition heHénistique du portrait. Pour te bien comprendre, ii faut
d'abord jeter un rapide coup d'œit sur certaines habitudes de
t'Atexandrie antique.
Le syntème de dèeoration nZeæaitdrni. — De bonne heure, pour
satisfaireiegoûtde magnificence des souverains, Ptoiéméesou Séieu-
cides, qui lesempioyaient, iesarchitectes imaginèrent uneméthode,
expéditive et iuxueuseàia fois, dont iis trouvèrent ies procédés dans
i'Orient assyrienet perse*. Surlesmuraiiies debriques de ieurs édi-
fices, ils mirent un briiiant et coûteux revêtement de métai, de
marbres précieux, d'ivoire, de verre, de stucs, de mosaïques ou de
tapisseries. Ainsi ia paroi primitivedisparut sous ia richesse de i'in-
crustation. Ce système de décoration, fait de ia combinaison de
matières diverses, fut surtout en honneur à ia cour d'Aiexandrie.
Les matériaux précieux qu'ii exigeait abondaient dans le pays ; tes
industries de iuxe nécessaires pouri'exécution y étaientflorissantes.
Le Sérapéum, tout étinceiant de piaques métalhques, fut un des
chefs-d'œuvre et des modèies de cette décoration poiychrome.
En outre, pour rehausser Péciat de ces incrustations, dans ies
compartiments architectoniques disposés sur )a muraiHe, fes
Afexandrins eurent f'idée de ptacer des bas-refiefs pittoresques,
des « bas-refiefs de fuxe ou de cabinet H, comme on fes a nom-
més, accrochés en quefque sorte comme des tabfeaux de prix dans
fes panneaux de ia paroi. Rome emprunta à l'art aiexandrin ce
système décoratif: eiie imita cesincrustations muraies et ces bas-
reiiefs, soiten trompe-f'œii, à Pompéi,où des eniuminuresmurafes
donnèrenti'iiiusion desmarbres, des architecturesetdes bas-reiiefs,
soit en réaiité, comme dans fes stucs qui décoraient ia maison de ia

1. Th. Schreiber, Die tVieiteivBrniMieitreitefs ans Patazzo Grintaitt, Leipzig,


1888 ; Dte aieæaitdrtm'sc/te î'orenit'if, Leipzig,1894 Dt'e AeDeittsiiscAett Beiie/-
hiMer, Leipzig 1894 ; Courbaud, Le has-reiie/* roiitaiit à reprèseitiaiioits itt'sio-
riques, Paris, 1899 ; Aïnaiof, Oriyiites.
LE SYSTÈME PITTORESQUE HELLEXISTIQUE 67

Farnésine (i^ siècle), on dans les beaux marbres encadrant des bas-
reliei's pittoresques et les incrustations qui paraient 1a basilique
construite en 317 par Junius Bassus sur rEsquilin. LesByzantins,
à leur tour, empruntèrentcette mode fastueuse : leurs palais, leurs
églises furent décorés de marbres, parés de mosaïques, ornés par-
fois, conformémentàla pure tradition alexandrine, derevêtements
métalliques (Antioche) ou de ces légers bas-reliefs en stucqu'on ren-
contre par exemple au baptistère des Orthodoxes à Ravenne,
L'idée du revêtement polychrome, trait caractéristiqueet principe
fondamental de l'art byzantin, lui est venu sans doute de I art
aiexandrin.
Le xyxfème AeffènMffyue. — Byzance a eu toutefois
Lant de rapports directs avec i'Orient perse qu'elle a pu lui emprun-
ter sans l'intermédiaire de l'Égypte qui l'avait mis à 1a mode, 1e
goût tout oriental de 1a polychromie. Mais voici autre chose qui
luivientincontestabiementde 1a grandeviile helIénistiqued'Egypte.
L'artalexandrin fut essentiellementunart décoratif. Danslesélé-
ments, bas-reliefs et peintures, au moyen desquels il a constitué
ses décorations, ii a recherché deux choses principalement, 1e détail
pittoresque et 1e trait de vérité réaliste. Ce n'était là qu'une consé-
quence de 1a grave évolution sociale qui s'était accomplie dès 1e
tv" siècle dans 1a cité d'AIexandre. Alexandrie était 1a vilie de 1a
joie, des plaisirs, de l'amour: elie devait se plaire àretrouverdans
l'art ies motifs coquets et précieux qui reflétaient ses goûts, les
Amours jouant, vendangeant, moissonnant, les scènes élégantes,
un peu mièvres, dont 1a femme et l'amour fournissaient 1e thème.
Ville peu croyante, familière avec les dieux, elle devait aimer les
épisodes qui traduisaient les côtés piquants de 1a mythoiogie clas-
sique, s'amuser des figures un peu caricaturales, Silènes, Satyres,
etc., qui humanisaient 1a majesté de l'OIympe antique, transposer
volontiers dans ie mode romanesque les belles légendes tragiques
d'autrefois. Enfin, comme toutes les sociétés très raffinées, lemonde
alexandrin se sentait des goûts très idyliiques. II aimait 1a nature.
Alexandrie était 1a ville des fleurs, et 1a « guirlandomanie x de ses
habitants était célèbre. On y aimait donc natureliement, dans l'art,
les paysages, les scènes champêtres, ies natures mortes. Et pareil-
lement ces élégants ge plaisaientaux représentationsde 1a vie fami-
lière, fussent-ellesmême un peuterre à terre, grossières ou ridicules.
De toutes ces raisons diverses devait naître un art très particu-
lier, une peinture surtout pittoresque, éprisedes sujets degenre, et
68 LES ORIGtKES ÉGYPTIEXNES

les traitant d'aiileurs avec une technique très savante et une sufR-
sante connaissance des iois de ia perspective.
Cet art alexandrin fut bien vite à ia mode dans tout le monde
antique.
On sait queüe grande induence i'Hgypte exerça sur Rome en
particuiier : en même temps que sa iittérature et ses reiigions,
son art aussi, tei que i'avait fait i'heilénisme, passa en Occi-

Fig. 19. — Mosaïques de Sainte-Constance à Rome (Phot. Anderson).

dent. Les peintures pompéiennes, ies fresques de ia maison de


i^ivie au Paiatin sont pieines de ces fonds d'architeciures ou de
paysages chers aux maîtres d'Aiexandrie. Les scuipteurs pareiiie-
ment imitèrent et popuiarisèrent ies créations spirituelies du génie
aiexandrin. C'est de ia grande viile heiiénistique qu'on iit venir ies
orfèvrerie précieuses, ces services de tahie, ces argenteries, dont les
trésors de Boscoreaie, de Bernay ou d'Hiidesheim nous fontentre-
voir ie styie etia magniiicence. C'est à i'écoie d'Alexandrie que ies
mosaistes apprirent ieur art, cet A/eaianf/rtnnrn marnioran<ft yenttx
qu'inventa i'Égypte heiiénistique, et ieurs pavements historiés,
LE GOUT DU PORTRAtT 69

dont la mosaïque de Palestrina offre un remarquabte exempie,


reproduisirent tes motifs favoris de l'art alexandrin.
Ce grand courant d'intluence égyptienne qui traverse tout l'art
romain persista dans l'art chrétien.
Pour les raisons qui ont été prëcédemment indiquées, l'Eglise
admit volontiers dans ses sanctuaires la décoration pittoresque
qu'avait crëée l'art alexandrin. Les mosaïques et les peintures des
éditices religieux du iv" et du v" siècle sont pleines de motifs pro-
fanes, d'oiseaux et de tleurs, de scènes de pêche et de chasse, de
paysages égyptiens représentant les rives du Nil, d'architectures
toutes semblables à celles des fresques pompéiennes, de peintures
de genre et d'ornements de toute sorte. II serait aisé de montrer,
après Aïnalof, par de nombreux exemples, quelle place les traditions
alexandrines ont prise dans l'art chrétien et conservée dans l'art
byzantin. II suftira de rappeler quelques monuments particulière-
ment caractéristiques, tels que les mosaïques de Sainte-Constance,
à Rome(tig. 19), avec leurfleuve où des enfatits nus jouent parmi
des animaux aquatiques, celles de Saint-Ceorges de Salonique et
du baptistère des orthodoxes à Ravenne, avec leur brillant décor
d'architectures, celies enfin de Saint-Etienne de Caza, décrites par
Choricius, avec leur représentation nettement caractérisée du Nil.
Le youf du /lorfrat'L — A côté de son goût pour 1a décoration
pittoresque, I art alexandrin avait fort aimé aussi 1e réalisme. Les por-
traits égyptiens, si vivants, si expressifs, retrouvés au Fayoum,
montrent combieni'art heilénistique s'appliquaet réussità traduire
ies traits individuels d'un visage, l'expression d'une physionomie.
Cettetradition encore passadansl'artchrétien.' Aïnalot afort bien
montré comment les traits essentiels des portraits égyptienset leurs
procédés d'exécution caractéristiques se retrouvent soit dans les
icones peintes à l'encaustique qui proviennent du Sinaï, soit dans
les mosaïques qui, à Ravenne ou au Sinaï, tigurent dans une
série de médaillons des images d'évêques ou de moines, soit dans
les verres, comrne celui du musée de Brescia, que décorent des
eftigies d'une vie et d'une vérité si intenses. Ce sont les mêmes
yeux largementouverts, 1a même pruneile ronde placée tout près
du nez, lesmémeslèvresauxcommissures nettes, 1a même expres-
sion séi'ieuse et grave, 1a même façon de tigurer en buste 1e person-
nage(fig, 20). Cegoûtduportraitdevaitavoirune grandeinfluencesur
1e développementdel'artchréfien.Loi'sque, vers 1a findu iv^siècle,
!. W. deGrüneisen, Le porirati, 191!.
70 LES ORIGIXES ÉGYPTIENNES

cet ai't évotua vers lestytemonumentai, lorsquel'Ëglise, en faisant


de 1a peinture un moyen d'édilication, l'orienta vers 1e style histo-
rique, 1a tradition hellénistique du portrait aida puissamment à 1a
formation de 1a nouvelle peinture d'histoire. C'est l'application de
ses procédés qui donna aux tigures idéales du Christ, dela Vierge,

Fig. 20. — Peinture d'une toiie d'Antinoé (Musée égyptien du Vatican).

des apôtres, des évangélistes, un caractère plus individuel etqui en


fixa 1e type historique. C'est elle qui aux images saintes mêla ces
portraits des vivants, princes, évêques, higoumènes, qui donnent à
a mosaïque byzantine un si puissant accent de vérité. Ici encore
Byzance dut énormément à l'art alexandrin, et il est remarquable
qu'elley ait simultanémentrencontré et emprunté ces deux choses
en apparence contradictoires, 1a décoration pittoresque, d'origine
purement hellénistique, et 1a tradition du portrait, qui aida à for-
merle style historique, plus spécitiquement oriental.
LES FRESQUES 71

I.ES :NFLUE[StCES ORIENTALES OANS LES MONUMENTS CHRETIENS D*ÉCYPTE

11 est intéressant de rechercher, de même que nous l'avons fait


pour la Syrie, ie mélange de ces deux traditions dans les monu-
ments d'art de provenance sûrement égyptienne et de voir com-
ment cette combinaison d'éléments contraires, où de pius en ptus
i'Orient prédomine, fut ie trait caractéristique et iongtemps durabie
de cet art.
Le.s /i'esynes. — Les découvertes de ces dernières années nous
ont fait connaitre, en Hgypte, un certain nomhre de peintures de
i époque chrétienne, qui ont dans i'histoire de i'art une importance
d'autant piusgrande que ies monuments decettecatégorieétaient jus-
qu'ici fort peu nombreux pour ia période qui va du iv° au tx" siècie
Beaucoup de ces peintures proviennent des chapeiies funéraires
des oasis du désert iibyque, et beaucoup d'entre eiies s'inspirent de
ia pure tradition heiiénistique. C'est ainsi que, dans ia nécropole
d i'ii Hagaouat, ia coupoie d'une des chapeiies, datant du iv° siècie,
montre ies scènes symboiiques des Catacombes disposées sans ordre
et sans cadre sur un fond bianc parsemé de rinceaux où des oiseaux
picorent ; sur ies muraiiies et à i'abside, ie décor est purement
ornementai. A ia coupoie d'une autre chapeiie de ia même nécro-
poie, des Sgures aiiégoriques demi-nues, représentant ia Paix, ia
Justice, ia Prière, attestentégaiement i'infiuence de i'esprit heiiénis-
tique. Et à côté de ces éiéments grecs, déjà des traits orientaux
apparaissent dans ia façon de vêtir ies personnages, Jonas ou
Daniei, et de ieur donner parià un caractère pius indivifiuei. L'évoiu-
tion se précise encore dans ia coupoie déjà mentionnée d'Ei Bagaouat,
où l'on ti;ou ve, mêiées aux personnitications alexandrines, une iongue
suite de ûgures monumentaies empruntées au Nouveau Testament.
t< Ainsi on voit en un même iieu ia décoration iibre et soupie ins-
pirée par ia tradition heilénistique céderia piace aux zones concen-
triques, aux processions sévères et monotones, aux figures de gran-

1: W. de Bock, dfatëri'anæ /lonr .serrir à t'arc/ie'otoyie de tteyi/pte c/tre-


ti'enne, Pétersbourg, 1901 ; G. M. Kaufmann, Æi'it att-e/tn'sfttseùes Potnpet' tit
der /t'ùyse/tett Wüs/e, Mayence. 1902 ; Gtédat, Le ntonas/ère e/ /a itèeropo/e de
Baout/, 3 vot. Gaire, 1904-1916; J. Maspéro, /Lppor/ siir /es /'ont'//es de Baont/,
(C. B. Acad. fnscr. 1913) ; Qnibell, /t'æeara/t'oits ;t/ Sayi/ara, Caire, 1908 ; Gayet,
/'Ar/ cop/e ; et surtout, pour les monuments cités, Aïnalof, Orù/tites.
72 LES OmGINES ÉGYPTmNNES

deur natureHe ou de proportions coiossaies, atignées sur un seui


ptan, sans fond ni accessoires, en un mot, au styie monumentai H
Le même contraste, et pius frappant encore, apparait dans ies
fresques récemment découvertes à Baouit, en Haute-Egvpte, dont
une partie remonte sans doute au vi" siècie. L'infiuence du styie
heiiénistique s'y manifeste avec persistance dans ia décoration, sou-

Fig. 3!. — Peinture de Haouit (d'aprés Glédat).

vent fort éiëgante, où des oiseaux, des corbeiiies de fruits et de


(ieurs, des animaux et des figures de genre s'inscrivent dans des
iosanges ou dans des médaiiions pour former au bas des muraiiles
unriçhesoubassement(chapeiieXVni) (fig. 21). Aiiieurs, degrands
vases, d'où s'échappent des rinçeaux de pampres, figurent sur des
parois où ia peinture a représenté en trompe-i'œii des incrustations
de marbre (chap. XIX). Enfin, des figures aiiégoriques ousymbo-
iiques, la Foi, i'Espérance, ia Patience, i'Eglise, etc., rappeiient ies
créations de l'art aiexandrin. Pourtant, ie style monumentai tend à
dominer dans ces peintures. Au-dessus des soubassements, où
d'aiiieurs ia décoration eiie-même devient de pius en pius géomé-
trique et tend à styiiser ies motifs qu'eiie empioie, s'aiignent en une
frise continue tantôt des épisodes bibiiques, etnpruntés à i'histoire de
David (chapeiie III) ou à i'enfance du Ghrist, tantôt des figures de
1. Mittet, /t7't. ùy:., p. 165.
LES FRESQUES
73

prophètes et de saints, tantôt des portraits de moines céièbres dans


t'Égypte chrétienne (chapeHe XVH), tous traités dans un styie
réaiiste qui donne parfois à ieurs images une singulière intensité de
vie (chapetie Vtt). A !a conque des absides (chap. X\ tl, XXVt et
XXVIII), te Christ dans une gtoire dominant ta Vierge et tes images

Fig. 22. — L'Ascension. Fresque de Baouit (d'après Giédat).

symétriquement rangées des apôtres (hg. -2), !e Christ triomphant


monté sur un char, la Vierge à t'enfant accompagnée de saints rap
petient ies compositions méthodiques et ies graves attitudes des
mosa't'ques. Ainsi, de pius en pius iadécoration ornementaieet synt-
boiique s'efface pour faire piace à ia peinture historique. Sansdoute
certaines figures conservent queique chose de 1a grâce antique : les
anges soutenant un médaiilon qui Ilottent au-dessus de ia courbe
d'une abside (chap. XVIII), ceuxqui accompagnent iessaints cava-
liers, et quelques-uns de ces derniers même, tel ie saint Phoibam-
mon de 1a chapelle XVII (fig. 23), rappelient Ies types que créa l'art
heilénistique. Mais à côté d'eux apparaissent les motifs chers à l'ico-
nographie copte, par exempie cette représentation si curieuse du
séjour des pécheurs dans i'enfer (chap. XVII), les saints locaux, ies
74 LESOIiimXKSÉGYt'TIENNES

figures des personnages qui présidèrent à )a construction des cha-


peiies, dont piusieurssont remarquabies parla science du dessin et
i'harmonie des proportions (chap. VII), et qui toutes attestent ce
goût du portraitet cettehabiietéà l'exécuter qui sont caractéristiques
de i'art de i'Hgypte. Un grand courant de réaiisme traverse et ins-

Fig. 23.— Saint Phoibammon. Fresque deBaouit (d'après Clédat).

pire tout cet ensembie, révéiant un art qui, depius en plus, s'éioigne
de i'esprit grec.
Le même méiange d'intluences contraires se rencontre dans ies
peintures qui décoraient ie couvent de Saint-Jérémie à Saqqara, et
dont ies pius anciennes datent du v" et du vU siècie. Dans ies petites
niches creusées aux muraiiies des ceiiuies, ia Madone trônant entre
des angeset des saints, ie Christ trônant ou ia Vierge debout entre
des anges, ont toute ia gravité des figures représentées dans ies
mosaïques ; et certaines effigies, comme ceiie de i ajoa Jérémie, qui
remonte peut-être au v" siècie, ont un accent de vérité et de vie
qui en fait de véritabies portraits. Aiiieurs, une grande fresque,
représentant ie sacrifïce d'Abraham, rappeiie ies miniatures du
75
LBSMINfATUHES

manusci'it deCosmas. Mais d'autre part ies riches soubassements,


où des Oeurons et des paimettes s'inscrivent dans des iosanges ou
dans des médaiiions, gardent queique chose encore de i'éiégance
heiiénistique, et des fig-ures aiiégoriques, i'Amour, i'Espérance, etc.,
se rattachent aux traditions du symboiisme aiexandrin. Toutefois,
comme à Baouit, i'Orient i'emporte sur i'heiiénisme ; et certaines
de ces figures rappeiient ies créations de i'art syrien.

Les mfmaptrex. — La mèmeévoiution semanifestedans )a minia-


ture '.
L'iiiustrationdesmanuscrits avaitétéundesartsfavorisdei'Égypte
pharaonique ; eiie s'était ensuite déveioppée encore entre ies mains
desAiexandrins. Sous ies Ptoiémées,onsecompiut àdonnerdesomp-
tueuses éditions de nombreux ouvrages savants et profanes ; dans les
miniatures qui ies accompagnaient, i'art byzantin pius tard trouvera
fréquemmentdes modèles. Ainsi toute une série de manuscrits iiius-
trés, ie Dioscoride de Vienne, ie Nicandre de Paris, ne sont que de
simpies copies de créations aiexandrines. L'esprit en est tout heiié-
nistique. Ce sont des aiiégories, des épisodes mythoiogiques, des
scènes rustiques, des plantes et des animaux, toutes ies représen-
tations qu'aimaient ies maîtres d'Aiexandrie ; ce sont, d'autre part,
des frontispices décoratifs, montrant ie portrait de i'auteur, et qui
annoncent ie styie monumentai. l^e même méiange des deux styies
apparaît pius nettement encore dans certains manuscrits, teis que ia
7o/)oyrapAte cAréffenne de Cosmas Indicopieustès, dont i'originai
fut sûrement iiiustré en Égypte au vp siècie, ou dans ie céièbre
rouieau de Josué, que Strzygowski tientégaiement pour une œuvre
de i'art aiexandrin. Dans i'un et i'autre manuscrit, on retrouve, à
côté de compositions nées sous i'infiuence du styie monumentai, ia
persistance de ia tradition heiiénistique. Eiie devait exercer une
iongue infiuence. Les iiiustrations du Psautier « aristocratique x,
ies beiies miniatures en pieine page qui décorent ie Psautier de
Paris (Gr. 139) ou ies Extraits bibiiques de ia Vaticane (Reg. 1), ont
un caractère tout antique, avec ieurs paysages idviiiques, ieurs
aiiégories, ieurs arcidtectures et ia grâce charmante de ieur
coioris 2. Et i'on a déjà signalé !a piace considérable qu'a eue, dans

1. Strxygowski, tù'ne ^tteæandrinîseàe Weffeàro;n7,'.


2. Strzygowski pourtant inctine à attribuer une origine asiatique à cette
ittustration, aussi bien qu'au Dioscoride. Mais it n'en méconnaitpointte carac-
tère tietténistique (t?:7teafeæandrînt'.se/te tyefteàroaîA, p. 182).
76 msomGIKHSÉGSPTIENNES

l'iconogTaphie, ta rédaction aiexandrine, toute pleine du pittoresque


hedénistique, en face de la rédaction d'Antioche
JjHgypte a récemment fourni un autre manuscrit ihustré, très
intéressant par sa provenance certainement égyptienne et par Jes
tendances qu'il révèle. C'est une chronique grecque sur papyrus,
accompagnëe de miniatures, maJheureusent fort endommagées,
et dont StrzygowsJci, qui J'a
étudiéedans un travaiJ exceJ-
lent, pense qu'elJe a été eniu-
minée dansJa Haute-Egypte,
aux premières années du v°
siècJe. En face des œuvres
éJégantes de l'art aJexan-
drin, mentionnées pJus haut,
on trouve ici un ouvrage de
caractère pJus populaire et
p!us indigène;sion compare
iachronique, parexempte,
au Cosmas, avec Jequel eJJe
offre une incontestabie pa-
renté, on voit sanspeine que
!e Cosmas est pJus pénétré
d'espritheHénistique, Jachro-
nique pJus marquée d'esprit
copte. L'artiste qui J'a enJu-
minée appartenait évidem-
ment à cette coucJie de popu-
Jation indigène, très superh-
cieilement JieJiénisée, et dont
Fig. 2i. — Le patriarche Théophiie. — Mi-
niature de la cinonique alexandrine Je triomphe du cJiristianisme
(d'après Strzygowski, Ft'ite ateæandi't'- réveiJJa J'esprit nationaJ. JJ
nt'seAe iVefte/tront'/t). est donc tout à fait intëres-
sant, dans ces conditions, de
définir Je caractère de cette iJtustration. Or, on y observe, comme
dans Je Dioscoride, comme dans Ja Genèse de Vienne, un méJange
tout à fait remarquabJe d'heJJénisme et d'Orient. Non que J'orne-
ment proprement dity tienne une très grande piace : ce n'est que
pJus tard que Ja Syrie introduisit en Egypte Jes magnificences orien-

1. Miiiet, 7tec/iei*e/<essiii' t't'eoitoyiap/tt'ede t'tto.'tityt'te, p. 578-sqq.


I.ESMINIATI'RES 77

t,ates de son st,y!e ftécoratii'. Les miniaiures de la ciironique ne


représentent que des Hgures, et ceci déjà est un trait essentieiie-
ment heiiénistique. Mais dans ie type et dans i'attitude de ces
Hg-ures, i'heiiénisme se modifie étrangement au contact de I art
indigène égyptien. A côté des aiiégories des mois, qui gardent
queique chose de ia grâce grecque, ia Vierge et ies autres femmes
représentëes dans i'attitude de i'orante ont dans ie type, dans ie
costume, dans ia pose raide et tigée, un caractère nettement iocai.
A côté de hgures, telles que ceiie d'un ange, qui sont encore tout
heiiénistiques, certainsvisagesd'hommesont un type sémite singu-
iièrement accusé. Et de même que dans ies représentations du styie
monumentai, ia piupart despersonnages sont représentés, non point
mêiés à queique action, mais aiignés sur ie même pian, comme
d'immobiies et hiératiques icones. Les mêmes tendances au portrait
et à la peinture historique apparaissent enhn dans ies miniatures
qui montrent ia destruction du Sérapéum et ie patriarche Théophiie
debout sur ies ruines du céièbre sanciuaire païen (fig. 24).
Assurément, au point de vue de i'art, ce manuscrit est de vaieur
médiocre. il est singuiièrement intéressant en revanche par ce qu'ii
nous apprend de i évoiution que ie christianisme triomphant pro-
duisit en Ëgypte. En face de i'éiégance pittoresque, de ia grâce
soupie, de ia iibre fantaisie de i'art aiexandrin, et par une réaction
vouiue contrei'heiiénisme, dès ie iv^siècie, etpius encore au v", un
art indigène, tout pénétré de vieiiies traditions orientaies, grandit,
qui, tout en conservant ies types grecs, ies hgea, les raidit en des
attitudes pius sèches et pius conventionneiies, en des figures pius
styiisées. Ii abandonnait en même temps ia décoration pitto-
resque, chère aux Aiexandrins, pour s'orienter vers ie styie monu-
mental. De ces deux tendances confraires, i'heiiénistique et i'indi-
gène, qui iongtemps coexistèrent ainsi en Egypte, mais dont ia
première peu à peu céda ie pas à i'autre pius puissante, Byzance a
subi inégaiement i'influence. Eiie a surtout connu, imité et aimé ies
créations de i'art aiexandrin, dans sa peinture reiigieuse aussi bien
que dans i'iiiustration de ses manuscrits. L'art de i'arrière-pays
égyptien, comme ceiui de i'arrière-pays syrien, iui a donné moins
de chose, encore qu'ii ait, en queique mesure, aidé à 1a formation
du styie monumentai, où i'acheminait déjà ia tradition heiiénistique
du portrait.

La scu/j9fure. — Dans tous ies autres monuments de provenancc


78 [.ES ORÏGÏKES ÉGYPT[EKKES

égyptienne, on peut retrouver ie mêrne méiange de motifs heiiénis-


tiques et orientaux, la même évolution du styie pittoresque au
style historique.

Fig'. 25. — La citadettcdela foi. Scutpture enbois(MuséedeBerlin),


d'après Strzygowski, Orient oder Bom.

Au tv" et au v" siècie, ia sculpture parait avoir eu un grand


déveioppement en Égypte. Dans les monuments qui nous en sont
parvenus prédomine surtout ie styie historique. G'est ainsi qu'au
Viëux-Gaire, à i'égiise A1 Mualiaka, une frise en bois scuipté repré-
Fig. 26. — tvoiredeta coHectionTrivu)ce(Miian).
80 LES ORIGtNES EGYPTIENNES

sente des épisodes de la vie du Christ. PareiHement, dans un magni-


Rque haut-reiief en bois, que possède ie musée de Beriin, une scène
de bataille devant une forteresse rappeiie ies combats qui iiiustrent
ie rouieau de Josué (Hg. 25), Strzygowski a donné de cet épisode
une interprétation fortingénieuse C Ii y voit ia forteresse de ia foi,
dont ies soidats du Christ expuisent ies iniidèles, et au sommet de
iaqueiie sont figurées ies trois puissances que défendent les chrétiens,
ia Trinité, i'Egiise et i'Empereur. Quoi qu'ii en soit de cette expii-
cation, ia scène est traitée dans le styie historique, et Strzygowski
iui-même déciare « qu'on est tenté d'en chercher ie sujet dans i'his-
toire de i'Egypte chrétienne x. L'œuvre remonterait au règne de
Gonstantin.
A côté de ces curieux monuments de ia scuipture sur bois,
i'Ëgypte aégaiement travaiiié ie porphyre C'est ia vaiiée du Nii qui
fournissait ia matière première ; c'est de ià probabiement que pro-
viennent ies diverses œuvres de cette sorte qui nous sont parvenues.
Strzygowski a fortheureusement rapproché du haut-reiief de Berlin
ies cavaiiers et ies prisonniers qui décorent ie sarcophage dit de
sainte Héiène, que conserve ie Vatican, et de même ii a signaié
ies anaiogies qu'ofïrenties enfants nus dansant parmi des pampres,
qui ornent, égaiement au Vatican, ie sarcophage de sainte Cons-
tance, avec deux fragments existant à Constantinopie et à Aiexan-
drie. Tous ces monuments datent du iv^ siècie, et, tandis que ies uns
montrent ies guiriandes et ies motifs décoratil's chers à i'art iieiié-
nistique, ies autres préiudent au styie monumentai. C'est ce même
styie qui se retrouve dans ies curieux bas-reliefs conservés à Venise
etqui représentent des statues d'empereurs. Ony sent ie goût réa-
iiste du portrait, qu'on observe pareiiiement dans un busteen por-
phyre du musée du Caire.
L'Egypte enfin a fort travaiüé i'ivoire, que ie commerce appor-
tait en quantité considérable sur ie marché d'Aiexandrie Beaucoup
de ces ouvrages sont du meiiieur styie heiiénistique, en particuiier
ces piaquettes en ivoire et en os, trouvées dans ies nécropoies

1. Strzygowski, Ort'eiti octer Rom, 65 suiv. Cf. Æoptt'xeàe Jvttrtsf, n°* 8775, et
suiv. (bois sculpté deBaouit, v° siècle).
2. Strzygowski, Ortetti oder Rom, 75 suiv. ; Dt'e PorpAyryrnppen rott
S. Mttrco ttt Vettedtt/ (Beitrage zur aiten Geschichte, 1902) ; Dte chrt'sDtcàett
Dett/ttttaierzieyt/ptettx (RQ, t. 12. 1898).
3. Strzygowski, Tfeiiertt'stt'scTte ttttti Æopft'scàe Rttttsf ttt yfieæartdrt'a, Vienne,
1902 ; Der Dottt 2tt Aac/tett, Leipzig, 1904 ; Koptt'scàe Kttttsf, n°* 7075 et suiv.
(piaqucttes d'os incisées et n°* 7117, piaque en ivoire d'Antinoé).
LA SCUH'TURE 81

alexandrines, et où se conservent jusqu'au iv" et au v^ siècte dans


toute ieur éiégance iesmotifs et )es formes chers à i'art ciassique. A
ia même écoie Strzygowski rattache i'ivoire Barberini, aujour-
d'hui au Louvre, dans iequei ii reconnaît Gonstantin défenseur de
ia foi, représenté dans i'attitude, chère à t'Egypte, du cavaiier vain-
queur. Mais ies chefs-d'œuvre de cet art sont assurément ia heiie
piaque de ia coiiection Trivuice, qui hgure ies soidats endormis
près du Saint-Sépuicre et ies saintes femmes au tombeau, ouvrage
tout à fait admirabie de i'art aiexandrin du ]v" siècie (tig. 26), et ie
fragment de diptyque du Musée britannique représentant un ange
et qui date du vi° siècie.
On pourrait retrouver ia même survivance du styie ciassique dans
d'autres monuments qui sembient bien de provenance aiexandrine,
par exempie dans ia beiie pyxide de Beriin, où i'on voit ie sacri-
Hce d'Abraham et où ia tradition heiiénistique est très vivace, et
dans ies curieux bas-reiiefs, enchâssés dans ia chaire d'Aix-ia-Cha-
peiie, etqui figurent des Néréides, desBacchus parmi des pampres,
un guerrier debout, un cavaiier vainqueur. Strzygowski toutefois
remarque finement combien, dans ces derniers ivoires, malgré fa
persistance des motifs heiiénistiques, on sent déjà i'influence de
i'esprit indigène et combien iis contrastent par ià avec ies œuvres
purement aiexandrines. ii en aingénieusement rapproché toute une
série d'œuvres coptes, où s'accusent, pius brutaiement seuiement,
certains traits déjà sensibies dans ies reiiefs d'Aix. C'est ia même
transformation des types et des formes seion ie goût indigène,
attestant i'aifaibiissement croissant de ia tradition aiexandrine et
iaprédominance toujours pius puissante dei'éiément égyptien L
Ainsi, dans ia scuipture sur ivoire comme dans tous ies autres
ouvrages de provenance égyptienne, on retrouve, en face de ia tra-
dition heiiénistique, d'une part, i'évoiution vers ie styie mottumen-
tai, très sensibie par exempie dans i'ivoire du Louvre ^représentant,
sous un couronnement de hautes architectures, Saint Marc entre
ies patriarches ses successeurs (fig. 27) et, d'autre part, ia prédonti-
nance des influences orientaies qui pénétrent de pius en pius i'art
aiexandrin. Certaines de ces influences, ies pius anciennes, viennent
de l'arrière-pays égyptien ; d'autres, pius tardives, sont venues de ia
Syrie. Mais i'effet en est identique. ii se manifeste dans cespiaquettes

1. Strzygowski, Refteat'stt'càe Æuttsf, p. 74-75.


2. Schlumberger, t/a t'rot're eùrettett t'ttedù da ntasee du Lottrre (Mon
Piot, 1894) ; Stry.ygowski, Ort'etti oder Hottt, 72-73.
Ifttttttef d'ùrt ùyzatttttt.
82 LESOmGtKESEGH'TIHXNES

d'os incisées et coioriées, conservées au Caire età Beriin, où, par une
technique tout orientaie, i'ornement polychronie rempiace t'orne-

Fig. 27. — Ivoire ehrétien (Musée du Louvre), d'aprés Schiumberger


(Afofmmeftts Ftof, 189i).

ment scutpté. H apparaît, à une époque postérieure, dans les é!é-


ments orientaux qui se mêtent, sur !es scu!ptures de !a chaire de
Maximien, au décor heüénistique, et p!us encore dans !e diptyque
CE QUE BYZAKCE DOiT A L EGYi'TE 83

à cinq morceaux dont une feuiiie, provenant de Murano, est conser-


vée à Ravenne, et dont i'autre se trouve dispersée entre piusieurs
coiiections privées. Dans ie choix des compositions, dans certains
détaiis des scènes, dans ie styie enfin, on reconnaît dans ces ivoires
un art tout pénétré de goût orientai. Strzygowski voit dans ie dip-
tyque un produit de i'artmonastique de ia Haute-Hgypte et i'oppose
en un frappant contraste à i'art tout aiexandrin de i'ivoire Barbe-
rini.
efe /'ar/ c/trétt'ett ett /?yt//t/e. — On trouvera pius
tard cesmonuments. Gequi importeici, c'est demontrerbrièvement
comments'acheva et où aboutit i'évoiution qui, en Ëgypte, substi-
tuaitprogressivementà i'art heiiénistique un art indigène tout impré-
gné d'Orient. D'abord cet art resta fidèie aux types que ia Grèce avait
aimés; mais ii dessécha et raidit ces soupies figures, durcit ies piis
des étotfes, imposa des attitudes conventionneiies, transforma seion
ie goût nationai ces ëiéments étrangers. Bientôt cet art fit un pas de
pius. « i.a Gt'èce aryenne, (!it Strzygowski, était toujours demeurée
incompréhensibie aux Chamites, comme i'esprit et ies formes du
gothique ie furent à i'Itaiie '. )) L'art copte finit par éiiminer presque
totaiement ies figures, pour ies rempiacer par ia riche ornementation
qu'ii emprunta à ia Svrie. Le décor de pampres, de bonne heure cher
à i'Orient, y eut en particuiier une durable fortune ; ii fut traité dans
ie styie un peu conventionnel et seion iesprocédés que i'on rencontre
à Mschatta. En tnême temps, ce qui restait dereprésentations figurées
se modeiait sur ies types syriens. C'est à ce dernier terme qu'abou-
tira i'art copte, à être un art nationai égyptien, modifié au contact
de ia Syrie, et aussi distinct de i'art byzantin que i'est i'art natio-
nai syrien \
Ce g^ue Z/T/zance efof/ à Z'A'yyp/e. — Mais, a\ ant que cette évoiu-
tion s'achevât, i'Égypte heiiénistique avait exercé sur Byzance une
iniiuenceprofonde. La tradition piftoresque de i'art aiexandrin, avec
ses architectures, ses paysages, ses scènes de genre, s'était trans-
mise à Constanfinopie, et, jusque dans i'art monumentai même,
et dans i'iconographie dont ii s'inspira, cette tradition devait
longtemps maintenir queique chose de ia Grèce anfique. On a
souvent méconnu ia part de i'Égypte dans ia formation de i'art
byzantin. Seion ia juste remarque de Strzygowski, on inciine

1. Strzygowski, Xopft'.scAe ttuasf, Introduction.


2. Gf. Grüneisen, /,es earac/e'rfsf[y::es de f'ar/ copfe.
84 LESOKÏGIKESEGYI'TIHNNES

aujourd'hui à tomber d'uti extrême dans ['autre, et à voutoir tout


faire venir d'Aiexandrie ii est certain que, pour bien des monu-
ments, ii est parfois assex maiaisé de dire s'iis sont de provenance
égyptienne ou syrienne, et que ie voisinage des deux pays a donné
pius d'un traitcommun à ieurs deux arts. Ii est donc prudent, dans
bien des cas, de se contenter pour i'instant de l'appeüation, plus
vague, d'art syro-égyptien, 1e mot sefvant à désigner les influences
des provinces méridionales, plus imprégnées d'Orient, par opposi-
tion aux influences, plus purement hellénistiques, qui, de l'Asie
Mineure, agirent sur l'art byxantin.

IV

i.ES É'iorrns

Parmiles manifestationsde l'art égyptien,on a iaissé de côtéjus-


qu ici une catégorie de monuments, les étoffes. EHes méritent en
efïet une place particulière dans l'étude des origines égyptiennes de
l'art byzantin. Par 1a facilitéavec laquelle ces objets passaient d'un
pays à unautre, ils ont, plus que tous autres, contribué à répandre
à travers 1e monde les sujets etle style de l'Orient. 11s ont ainsi fait
connaître les créations de l'Ëgypte et aidé, avec les miniatures des
manuscrits, àfixer l'iconographie chrétienne-.
L'Égypte fut de bonne heure célèbre dans l'antiquité pour ses
tissus historiés. Pline l'Ancien déjà parle des toiles, teintes en un
seul ton, qu'on y fabriquait, et où les figures étaient réservées sur
1e fond naturel de l'étoffe. A côté de ces toiles teintes, ies ateliers
égyptiens fabriquaient des tapisseries de laine ou de soie, souvent
de plusieurs couleurs, où les ornements et les sujets étaient tissés
avec l'ëtoire, et qui étaient employées soit pour les vêtements, soit
sous forme de rideaux et de tentures. Enfinon fabriquait des toiles
peintes, du genre de celle qui, à Chalcédoine, représentait 1e mar-
tyre desainte Euphémie.

]. Strxygowski, Æinr ateæamfriniscàe WeKcàroiiiA, p. 170.


2. Gerspach, Les iapisseries copies, Paris, 1S90; Forrer, Die Grâàer- unù
Teæiii/HKÙe roit àc/nnim Panopoiis. Strasbourg, 1891 ; Rômische imci hi/sait-
iiitisc/te Seideit/eæ/iiieit, Strasbourg, 1891 ; Strzygowski, Orieit/ oder Rom,
90suiv. ;Seideits/o//'e ans/ley!/pieit; Lessing, Die Geteeàe-Sammiuitg desÆ.
/taits/t/eMiei'he-lliiseiiiit, Berlin, 1900 et suiv.) ; Falke, Kiias/yesc/ticà/e der
Seiùeitiueherei, llerlin, 1913^ nouv. édition. 1922; Gt'üneisen, op. ci/.
LESETOFFES 85

On a retrouvé, en ces dernières années, un grand nombre de ces


étott'es égyptiennes, soit à Achmim, i'antique Panopoiis, dont Stra-
bon déjà mentionne ies ateiiers, soit à Antinoé, où Gayet a recueiiii
une admirabie coiiection des styies ies pius divers. La décoration
de ces tissus est d'une variété extrême. L'ornement, où ies motifs

Fig. 28 — Tissu de Daniet (Musëe d'art industriet à Bertin),


d'après Strzygowski, Orient oder ttom.

heiiénistiques et orientaux se mêient, y tient une trés grande piace.


Mais ia iigure aussi y apparaissait fréqueniment, et, de mème que
dans ia peinture, ies scènes mythoiogiques, ies sujets de genre, ies
épisodes de chasse ou de pèche, ies compositions empruntées à ia
vie du cirque, ies caricatures même, href, tous ies motifs chers à
i'art pittoresque d'Aiexandrie s'y rencontraient en i'ouie. On con-
naît déjà sur ce point ie texte céièbre d'Astérios d'Amasie. Les
fouilies récentesnousont rendu de nombreux spécimens dece genre
86 LES ORIGtNES É&YPTIENNES

de décoration. Mais, à côté de ces monuments du style pittoresque,


dans ies étoiïes aussi on retrouve de bonne heure l'évolution qui
conduit i'art vers 1e style monumental. C'est ainsi que, sur d'assez
nombreuses étoffes, et particulièrement dans les tentures destinées
aux églises, on prit l'habitude de représenter des scènes bibliques.
Ge fut, sous une frise représentant des martyrfa célèbres, Daniel
entre les lions, recevant 1e pain des mains d'Habacuc (étoffe du
ÆHnshyeu'erAemu.senfn de Beriin) (flg. 28). Ce fut, sous une bande
ornementale rappelant symboliquement les miracles du Christ, Pierre
recevant 1e psautier des mains du Sauveur (Berlin), composition
qui rappelle 1e rideau d'autel de Sainte-Sophie, tel que le décrit
Paul 1e Silentiaire. Ailleurs, par un usage familier à l'Église chré-
tienne, les scènes de l'Ancien Testament s'associèrent à celles du
Nouveau en de nombreuxcompartiments carrés disposés en bandes
parallèles (tissu Reinhardt, Berlin et Leipzig). Ailleurs, sur des
soieries tissées, ce fut l'histoire de Joseph, toujours particulière-
ment chère à l'Hgypte (trésor de Sens, collection Goleniscev), ou
les apôtres Pierre et Paul debout, tenant en main un rouleau et
séparés parune plante (Berlin, Musée royal). On pourrait multi-
plier ces exemples. II suffira d'ajouter, comme indication de 1a même
tendance, que quelques-unes de ces étotl'es montrent des figures
traitées comme des portraits.
Ainsi les tissus égyptiens complètent ceque nous savions déjà de
l'art chrétien d'Égypte. Mais si l'on song-e en outre avec quelle faci-
lité ces étoffes se transportaient à travers 1e monde (les égdises de
Rome, au témoignage du LfAer/ionff/Icaffs, étaient pleines de ces
tentures orientales), on admettra sans peine que 1a forme qu'y pre-
naient les scènes des Écritures ne pouvait manquer, en se répan-
dant à travers 1a chrétienté, d'avoir une influence sur l'art. L'Occi-
dent assurément a connu par là 1e style et les sujets de l'Orient. A
plus forte raison, Byzance plus voisine a-t-elle reçu ainsi les créa-
tions égyptiennes et y a-t-elle pris des modèles. Et par là, à côté
de 1a Palestine et de ia Syrie, l'Egypte a puissamment aidé à con-
stituer l'iconographie byzantine, et, en face de 1a tradition orien-
talc, cut'ieuse de réalité, soucieuse d'exprimer les passions, elle
a maintenu 1a tradition antique éprise de pittoresque et de noblesse,
et enveloppant de toutes les gràces hellénistiques lés thèmes de
l'histoire sacrëe.
CHAPITRE IV
LES ORIGINES ANATOLIENNES
ROLE DE L'ASIE MINEURE DANS LA EORMATION
DE L'ART BYZANTIN

HcHënismc el chrislianisme en Asie Mincure. — I. Les monuments de l'archi-


teclure. Les basiiiques. Les conslructions à plan central. Le probième de 1a
coupoie et ies solutions anatoliennes. Les basiliques à coupole. Rôle de
l'Asie Mineuredans l'évolution de Tarchitecture. Du rôle de l'Arménie dans
la formation de l'art chrétien. — II. La sculpture et la peinture chrétiennes
en Asie Mineure. Sarcophages asiatiques. Fresques et miniatures,

//e//èn/^n<e e/ c/trA//at<A/He e/t Aste /)/t;:eü/'e. — A côté de ]a


Syt'ie et de t'Égypte, t'Asie Mineure eut un rôte essentie) dans ia
formation de l'art byzantin.
Entre toutes tes régions de ]'Orient, nuiie n'avait été pius pro-
fondément marquée de l'empreinte de ]'he]ténisme. Sans doute,
dans t'intérieur du haut ptateau anatoiien, dans ]'arrière-pays de
Cappadoce ou de Lycaonie, ]a cutture grecque pénétra de façon
pius tardive et ptus incomplète ; comme en Syrie et en Égypte, it y
eut une vaste portion du pays où ]'Orient resta tui-même ; et ce fait
n'est point sans importance pour ]e dévetoppement ultérieur de
]'art dans ces régions. Mais ]a zone côtière en revanche se couvrit
de grandes viHes heüénistiques, Miiet, Smyrne, Éphèse, et p]us
avant dans hintérieur, ]e iong des grandes voies de pénétration que
forment )e Méandre et i'Hermus, Magnésie, Sardes, TraHes, Phi-
ladetphie ; bref, toute la région occidentale de t'Asie Mineure fut
un despoints vitaux de i'heHénisme. D'autre part, t'Anatotie subit
de bonne heure ]'influence du christianisme ; ia propagande de ia
nouveHe retigion y fut rapide etson action profonde. De ]a combi-
naison de ces deux étéments résuita tout natureitement une grande
activité intetlectue]]e et artistique. L'AnatoHe fut, au iv^ siècte,
avec Basi]e, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, ta terre
classique de i'éloquence chrétienne ; et, auvP siècie, quand Justi-
nien voutut bâtir Sainte-Sophie, c'est i'Ionie qui iui fournit, avec
IsidoredeMiietet Anthémiusde Trattes, ies architectes caitabtes
de mener à bien son vaste dessein.
88 LES ORtGINES ANATOLIENNES — FORMATION DE L*ART BYZANTIN

Enfin, par sa position géographique, nui pays n'était mieux


piacé pour échanger ies idées et combiner ies apports provenant
des civiiisations diverses ; nuiie part ne pouvaient niieux se pro-
duire ie contact et ia fusion de t'Orient et de hheHénisme. Par
tes targes et betles vallées de l'Hermus et du Méandre, les cara-
vanes apportaient jusqu'aux rivages de l'Ionie les produits et les
enseig'nements des pays riverains de l'Euphrate ; et, d'autre part,
des ports de la côte anatolienne, l'influence de l'Asie Mineure
rayonnait avec son commerce sur toute 1a Méditerranée. Gomme
Antioche en Syrie, comme Alexandrie en Egypte, Ephèse était 1e
point nécessaire où devaient se rencontrer et se fondre ces éléments
divers. « Ephèse, dit très bien Choisy, située à 1a jonction de ces
deux grandscourants, formait 1e conftuent desidées et des richesses
des deuxmondes ; et si un art nouveau devait naître de leur concours,
1a région d'Éphèse était prédestinée à lui servir de berceau '. B
Jusqu'en ces dernières années pourtant, l'art chrétien d'Asie
Mineure restait pour ainsi dire inconnu. Quelques rares monu-
ments seulement avaient été signaiés en passant, très sommaire-
ment pour 1a plupart, lorsqu'en 1903, Strzygowski, mettant en
œuvre foute unesérie de découvertes récentes, révéla, dansunlivre
retentissant, l'Asie Mineure comme un domaine nouveau de l'his-
toire de i'art (Æ/ettta^fett, efn A'eu/and e/er ÆtiiM/yexe/n'c/i/e).
Depuis lors, d'autres explorateurs nous ont apporté toute une foule
de précieux documents : les voyages de miss G. Loxvthian Bell en
Cilicie etenLycaonie (1905), les recherches de MM. Michel et Rott
en Pisidie, en Gappadoce et en Lycie (1907), les grandes fouilles
que le gouvernementautrichien et plus récemmentlegouvernement
grec onf poursuivies à Ephèse ont fait connaître avec pi'écision un
certain nombre de monuments chrétiens Sans doute l'avenir en
accroîtra sensiblement le nombre ; mais dès maintenant ies résultats
acquis sul'fisent à marquer avec netteté ce que l'art byzantin dut
à l'Asie Mineure.

1. Choisy, p. 158.
2. Ilfautmentionnei'égatement tes exptoralions de Guyci-en Ciücieeten
Lycaonie(/tn.s f/emc/trt'sftie/teti IHetttasteit, Voi'lai'ifiger Rericht.Zi'irich, 1906),
de tlasluck en Bithynie (Bt't/tytti'ea, dans British Schootat Athens. Annual
report, xtn (1906-1907), de Ramsay et miss Bell en Lycaonie (1907), les
fouilles que legouvernement allemand a faitcs àMilctetau Latmos(Wiegand,
Der La/tttos, Bertin, 1913, t. Itl de 1a publication des fouilles de Milet) el celles
du gouvernemcntgrecàEphèse (Sotiriou, ' Ovcto; 'hnâvvoj Ttrj OsokoYOJ 'ev
'EtpÉaoi, Athènes, 1922).
LES BAStHQUES 89

LES MONUMENTS DE L'ARCHITECTURE

Au sud-est de Konia, à l'endroit nommé Bin-bir-Kiiissé (ies miiie


et une égiises), et un peu au nord de cet empiacement, à Daouieh
ou Deghiié, on trouve ies ruines d'une cinquantaine environ
d'égiises chrétiennes. Les pians ies pius divers s'y rencontrent, et
ces monuments sans doute ne datent
point tous du mème temps. Strzygowski
ies attribue presque uniformément au
iv° siècie ou au v°, ce qui leur donne-
rait évidemment une importance capi-
tale pout' i'histoire des origines de
i'art byzantin ; d'autres archéoiogues,
comme Ramsay, s'appuyant surtout
sur ies données fournies par i'épigra-
phie, font descendre au contraire ia
construction de beaucoup d'entre eux
jusqu'au vnD et même jusqu'aux x" et
xi" siècies '. ii faut, à mon sens, ad-
mettre, — et Ramsay ne ie conteste
point — pour une partie tout au moins
de ces ruines, ies dates proposées par
Strzygowski ; et, en ies rapprochant
d'autres édifices sembiabies relevés en
Lycaonie et en Cappodoce, on peut en
faire iégitimement état pour i'étude de
i art chrétien primitif en Anatoiie^.
Les Aast^ttyttes. — La piupart de ces édifices sont des basiiiques,
queiques-unes à nef unique, ie pius grand nombre à trois nefs, mais

1. Cf. sur ce point W. Ramsay et rniss G. L. Reii, ï'àe I/totisatici ant/ otte
e/tttrcàes. Londres, 1909, p. 14-15, 24-25, 309, 432.
2. Strzygowski, Æietnastett; Hoitzmann, Rt'tt-àtr-Xt/tsse', Hambourg, 1905 ;
G. Lowtbian Belt, Æotes ott a y'ottrttey 1/trotty/t Ct'/t'cta ttttt/ Lycaottt'a fRA,
1906, t et ii ; W. Ramsay, .S7ttt/tes t'tt //te /tt's/ort/ anc/ ar/ o/'//te /Sas/erit pro-
ot'ttces o/* //te rottntt etttptre, Londres, 1906 ; A e/trt's/tatt ct'/y t'tt //te /tyzan-
/ttte aye (The Expositor, IV), et surtout ie iivre, cité plus haut, de Ramsay
et miss Beti. Gf. Miilet, L'Aste tlft'rtefire ttottceatt c/otttat'tte c/e Z'/tt's/otre de /'ar/
(RA, 1905, I) ; Diehi, Les ortyt'ttes ast'a/ù/ttes c/e /'ar/ /tyzatt/t'tt (Etudes
byzantines, 337); Rott, /y/e/ttast'.'t/t'sc/te Dett/cttta/er, Leipzig, 1908; Sotiriou,
u.vY]ULEtot *ryj; p.tzpct; 'Aot'cc^, Athènes.1920.
90 LHS OMGIKES AKATOLtEKNES — FORMATION DE L ART BYZAKTIN

n'ayant, même dans ce cas, qn'une seute abside, circutaire ou poly-


gonaie, saiHant fortement sur le inur orientat (fig. 29). EHes n'ont
que rarement des tribunes sur ies bas côtés. Ce qui leur donne un
caractère particuiier, par où eties rappelient ies édifices de fa Syrie
du Nord, c'est qu'eHes sont entièrement bâties en pierres de taiHe et
que leur façade présente, au moins à Bin-bir-KHissé, en avant de fa
porte de 1a grande nef, un porche étroit s'ouvrant entre deux pièces
cfoses, dressées comme deux tours aux angfes de i'édifice. D'autres
particuiarités, pius significatives encore et ég-aiement étrangères à

Fig. 30. — Daouteh. Basitique n° 31 (Phot. Bett).

f'art grec, caractérisentces basiiiques et ies distinguent des monu-


ments syriens. G'est d'abord qu'eiiessont voûtées(fig. 30), couvertes
de voûtes en berceau soutenues par des arcs doubieaux ; c'est ensuite
que, dans le profii des arcades ou dans ie tracé de i'abside, l'arc
outrepassé en fer à chevai s'est substitué au simpie demi-cercie.
Ajoutez ies piiiers trapus, obiongs, terminés vers ies nefs par des
demi-coionnes engagées sans chapiteaux : tout cela donne à ces
édifices une physionomie fort originaie et dont ies traits essentieis
sontnettement orientaux '. Ainsi dans i'intérieurde i'Asie Mineure,
1. Ou peut rattacher à ce groupe, quoique par quelques traits ettesen dif-
fèrent, tes égtises cappadociennes, datant du v° siècte, de Saint-Constantin à
Eski Andavat, deta Panagia à Gueurémc det'Argée, deSaint-André àTiti (pians
et vues dans Rott, fUeinasiafMc/ie Den/imâ/er, p. 103 sqq., 166 sq., 231 sqq.).
LESHASILIQUES 91

un art s'est constitué, qui ne doit rien à la cuiture grecque ' ; et ii


est intéressant de constater dans ses monuments, ici aussi bien
qu'en Syrie ou en Égypte, ia renaissance des anciennes traditions
orientaies qui accompagna ie progrès du christianisme et dont
t'intluence devait se faire sentir, partieiiement au moins, non seu-
iement dans ies cités heiiénistiques de ia côte, et jusqu'à Byzance
et en Grèce mais encore en Arménie, en Géorgie, jusque chez ies
Russes et ies Siaves du Sud, et peut-être jusqu'en Occident.
Acôté de cette basiiique orientaie, un autre type de basiiique se

Fig. 31. — Kanytelideis. Abside d'une basitique(Phot. Bett).

rencontre fréquemment en Asie-Mineure. Sur ia côte méridionaie


et occidentaie, ies éditices de pian basiiicai sont précédës d'un
atrium et couverts en charpente, et iis sont uniformément con-
struits en briques. C'est ià ia vraie basiiique heiiénistique, teiie
qu'eiie se répandra à travers tout ie monde byzantin, et au deià
même, en ttaiie, en Afrique, en Gauie. On observera toutefois que,
dans ies provinces asiatiques du sud-est, voisines de ia Syrie du
Nord, i influence du pays iimitrophe a modifié queique peu ie type
heiiénistique. Dans ies basiliques de Giiicie et d'Isaurie, à Boudroun,
à Anazarbe, à Kanyteiideis (tig. 31), à Ivorykos (Hg. 32), ia pierre

1. Gf. Ramsay et Bett, toc. ct'ô, 301-302.


2. Mittet, L'ecotc yrecqHe datts t'arc/u'fectore ày:3tt/t';te, Paris, i916.
92 LES ORIGtNES Ats'ATOHENKES - FORMATtON DE L AR'i' BYXANTIN

aremplacéta brique, et i'atriumadisparu pourt'aire piaceau porche


iargement ouvert par deux ou trois arcades ; parfois, en outre,
i'abside centraie est, par une disposition assez particuiière, ména-
gée en avant des deux absides iatérales, et un passage voûté entoure
et contrebute cette abside centraie (Korykos, basiiiques 1 et 4,
Scheher). I,e même emploi de ia pierre se rencontre pius à i'ouest,
à Sagalassos en Pisidie, à ia Djoumanoun-djami d'Adaiia en Pam-
phyiie ', enhn à i'égiise de i'archange Gabriei, à Aiadja-Jaiia en
Lycie, cette dernière restaurée en 8i2, mais où on reconnaît aisé-
ment ie pian de ia basiiique heiiénistique primitive L Aiiieurs,
i'atrium heiiénisiique a persisté dans ia construction en pierre
(Korykos, basiiique 2, Pergé en Pamphyiie). Ainsi, entre ia Syrie et
i'Asie Mineure, existe une zone intermédiaire où se pénètrent ies
architectures des deux pays : mais, defaçon généraie, ie type pure-
ment heiiénistique domine sur ie iittorai anatolien (Pergame, Güi-
Batché, près de Smyrne, Miiet, etc.)
LM cott^/rtzc/fom à pÙM cenfraL — Un second type de con-
struction, fréquent en Asie Mineure, est i'édifice dit à pian centrai,
de forme octogonaie ou circulaire et surmonté d'une coupoie.
Une iettre fort curieuse de Grégoire de Nysse à i'évêque
d'Iconium Amphiiochios (/'afr. yr., 95, coi. 1906) nous décrit
très exactement ie pian de cette sorte de bâtiment, souvent
édifié sur ia tombe d'un martyr et nommé pour cette raison
martyrfon, et atteste en même temps combien, dès ia 6n du
tv" siècie, ii était répandu en Anatoiie. L'édifice que Grégoire veut
construire devra avoir ia forrne d'une croix, disposition qui sera
obtenue par ia constructiou de quatre chambres faisant saiiiie à
i'extérieur du monument. Ceschambres seront reiiées i'une à i'autre,
<( ainsi, ditietexte, quec'esti'usageuniverseidans ie pian enforme
de croix ", par quatre niches demi-circulaires intercaiées entre ies

). Strzygowski (tètemast'ea, p. 16S sqq.) range à tortparmi ies basiliques à


coupoie ia Djounianoun-djanii d'Adaiia. itott (A'ie/nastatiscàe Dett/fmaier, 32-
46) a bienmontré que i'éditice était une basiiique iiciiénistique ordinaire, avec
tribunes, datant du v' siècie.
2. Gf. itott, toc. ci't., 32 sqq.,318 sqq.
3. Weber, Bast/t'Aa ttttc/ Bap/ts/ertttttt t'tt Gti/-//a<//scàe (BX, X, 568) ; Wiegand,
.Sec/ts/er tior/att/. Aert'c/t/ ü/ier t/t'e t'tt Aft/e/ ttttt/ Dt't/yttte utt/eryettotttmettett
Att.syra/ittftyett(Abhandi. d. IÂ. Preuss. Akad. d. Wiss., 1908). Dans eette basi-
iique de Miiet, antérieurc à Bainte-Sophie, et aussi remarquabie par son archi-
tccture que par ia richesse de ses pavenients de ntosaïque, on trouve, à côté de
t'atrium à coionnes de marbre, ies ncfs séparées par des pitiers àdemi-coionnes
LES CONSTRUCTIONS A PLAN CENTHAL
93

branchesdela croix. Devant chaque niche serontpiacées des cotonnes


reiiées par des arcades, et sur l'octogone ainsi obtenu reposera une
coupote conique. La construction sera faite en briques, )a pierre
de taiiie manquant dans ie pays.
H y a dans cette description des traits fort intéressants, qui
révèlent dans cette architecture 1e mélang'e de l'Orientet de l'hellé-
nisme. La coupole conique rappelle les édifices persans et armé-
niens ; l'emploi des voùtes sans cintrage, expressémentindiqué dans

Fi};'. 32. — Koi'vkos, ]iorched'unebasi)ique(Phot. Beti).

Ie texte, est un procédé courant de l'architecture orientale; surtout


1e document atteste que ce type de bâtiment était tout à fait usuel
dans l'art chrétien d'Asie Mineure au iv^ siècle. Et, en ell'et, i! est
question, dans un discours de Grégoire de Nazianze, d'un éditice
octogonal du même genre, bâti en pierres de taille avec tribuneset
bas côtés et couronné d'unecoupole portée sur une colonnadeinté-
rieure. Surtout, toute une série de monuments conservés repré-
sententcetype en Asie Mineure ^ : tels l'octogonede Bin-bir-Kilissé

1. Strzy^owski,7L/e['ttasten; DerDom za ytac/teit ; Friedenthat, Das Kretiz-


/'drmt'ye O/t/oyon, Kartsruhe, 1908.
94 LES omGtKES ANATOHENNES - FORMATiON DE L'ART RYXANTm

dont le plan rappeUe 1e martyrion de Grégoire de Nysse, l'octo-


gone d'Isaura, pius simpie, ceux de Soasa et d'Hiérapolis, où les
huit piliers constituant l'octogone central sont entourés d'un bas côté
circulnire. Aucun de ces édifices n'a de tribunes ; tous sont bâtis en
pierre de tailte. Au même groupe se rattachent, à cela près qu'iis
sont bâtis enmoellons et rangs de briques alternés, les deux curieux
octogones (Hg'. 40) qui ttanquent l'église de Déré-Ahsy ou Cassaba
en Lvcie. L'un, dont 1a disposition rappelle la rotonde de Saint-
Georges à Salonique, présente à l'intérieur, sur ses huit faces, des
niches alternativement demi-circulaires ou rectangulaires, couvertes
en cul-de-four ou en berceau ; celle de l'est, plus profonde, forme une
abside à trois pans. L'octogone du sud est peut-être plus remar-
quable encore : ses huit pans sont, comme dans i'autre, creusés de
niches, couvertes semblablement ; mais, sur ce soubassement se
dresse un haut tambour à douze pans, creusé également de niches
demi-circulaires ; des fenêtres cintrées s'y ouvrent, cantonnées de
piliers en brique à l'extérieur. Une coupole surbaissée couronnait
l'édifice qui, selon la remarque fort juste de Texier, « est peut-être
ie seuiexempie d'une construction de ce genre qui reste dës temps
bvzantins * o.
Assurément, pas pius que ia basiii(]ue, le pian octogonai n'appar-
tient exciusivement à i'Asie Alineure et ii ne semble même pas qu'ii
ysoit né. Dès le commencement du iv^siècie, on ierencontre peut-être
à Gonstantinopie, dans l'égiise des Saints-Apôtres bàtie par Constan-
tin, et sûrement en Syrie, dans ia grande égiise d'Antioche édifiée par
ie même empereur, et en Paiestine, dans l'église éievée aux frais de
sainte Héiène sur ie Mont des Oiiviers. Mais, queiie qu'en soiti'ori-
gine,cettedispositionest assurémentétrangère ài'artgrec et essentiei-
iement orientaie. Comme ia basiiique, au reste, ce type devait avoir
une beiie fortune et se répandre promptement dans tout le monde
chrétien. C'est de lui que dérivent ies égiises syriennes d'Ezra et de
Bosra, et ie vaste octogone, iégèrement ovaie, de Wirancheir en Méso-
potamie ; c'est de iui que procèdent beaucoup des égiises d'Armé-
nie ; enfin, ii est d'usage courant au vi° siècie à Constantinople, où
ii produit i'égiise des Saints-Serge et Bacchus, et à Bavenne, où il

1. Texieret Putlan, Arcèùeeiare 183. Cf. Rott, ioc. cù., 311-313,


qui fait A tort, seton nmi, desccndre jusqu'au vm* siècte t'ensembfe des con-
structions de Déré-Ahsy. Un édifice anatogue, de forme circulaire, où se
creusent à 1 intérieur cinq niches demi-circutaires, a cté retrouvé à Mitet, au
suddetabasiiique.
LA COUMOLE ET LHS SOLUTMXS AKATOLtEXA'ES
95

produit Saint-Vitai. Tous ces édiiices, où ie pian octog'ona] se


modifie au reste par i'adjonction et ia disposition des niches demi-
circuiaires, sont garnis de tribunes au-dessus des bas côtés.
Le proAfème de /a coupofe ei fex xofttffonx anaioftertne.s. —
Un troisième type d'éditice, pius caractéristique, pourrait bienêtre
une création propre de i'art anatoiien. C'est la basiiique à coupoie.
Avant de devenir ie trait essentiei, ia marque originaie de l'art
byzantin, la coupoie, on i'a vu déjà, fut un parti d'origine nette-
ment orientaie. La coupoie sur trompes d'angie est un procédé de
i'architecture persane ' ; ia coupoie -sur
pendentifs, quoique pius spécifiquement
heiiénistique, ne s'expiique que par ia diffu-
sion, dans ie monde chrétien d'Asie, du
procédé persan de ia voûte sans cintrage.
C'est dans i'Ouest de i'Asie Mineure que,
comme Choisy i'a fort hien expiiqué, ces
procédés orientaux sembient, surtout à
partir du tv" siècie, avoir été étudiés et
appiiqués à ia construction en brique : de
i'empioi des voûtes sans cintrage sortit
natureiiement ia voute d'arête, produite par
Hg'. 33. — Voûtesd'arètc
ia pénétration de deux berceaux(fig. 33), et construitcs sans cin-
ensuite ie pendentif, soiution rationneiieet trage (d'après Choisy).
élégante du probième de ia coupoie.
« L'art byzantin, dit exceilemment Ciioisy, c'est i'esprit grec
s'exerçant, au miiieu d'une société à demi-asiatique, sur des éié-
ments empruntés à ia vieilie Asie o Avec une ingénieuse éié-
gance des méthodes, avec un esprit de caicui et de combinaison
tout à fait remarquabie, ies architectes des écoies anatoiiennes
heiiénisèrent ies procédés et ies types asiatiques et ies adaptèrent
à des édifices nouveaux. Tandis que ia voûte romaine n'avait été
qu'une concrétion pure et simple, un monoiithe artificiei fait
d'une matière piastique qui en assure ia cohésion, l'art savant des
constructeurs d'Asie Mineure <( chercha dans ie jeu des poussées un
nouveau principe d'équiiibre x Pour assurer ia soiidité de ieurs
constructions, iis associèrent ieurs voûtes « d'après un certain mode

1. Strzya-owski.Dt'e perst'seàe 7'rontpeakHppet (Zeitschr. f. Gesch. d. Arclii-


tektur, 1909).
2. Choisy, p. 6.
3. /d., p. 163.
96 LES ORtGtNES ANATOUEXNES —- FORMATION DE L'ART BYZANTIN

de groupement, qui rend un plan byzanLin reconnaissabie à première


vue ' H. En outre, par une innovation opposée aux habitudes
romaines, iis s'attachèrent à réduire ia masse de ces voûtes, et iis
construisirent en particuiier ieurs coupotes en menus matériaux,
biocag'e, briques minces, tuiies creuses, tubes de poterie emboités
ies uns dans ies autres. Avec un génie essentieiiement pratique, i)s
posèrentcescoupoiessurdespendentifsèxécutés en briques, adoptant

Fig-, 3t. —Hin-bir-Kiiissé. Egiise n°2. Façade(d'aprèsSt.rzygowski, ff/ei'nasi'en

des proiiis surhaussés, de jour en jour pius hardis; etappiiquant ces


métbodes aux constructions préexistanies, iis inaugurèrent des types
d'édifices tout nouveaux.
Les AaM/ùyues à coupole. — Pour agrandir ie pre^Ayferi'um, ies
chrétiens eurent d'assez bonne beure i'idée de ménager, en avant
de i'abside, une travée sur pian recianguiaire ; on trouve de ce
parti un exempie assez ancien dans i'égiise de Kesteii en Isaurie.
Pour donner, d'autre part, pius de piace aux iidèies, on aménagea,
comme dans ia basiiique heiiénistique, des tribunes au-dessus des
bas côtés. Ce doubie parti se remarque dans une des basiiiques
de Bin-bir-K.iiissé (n° 2) (iig. 34 et 35), et ces traits annoncent
un type nouveau de construction A Pour mieux éciairer en efïet ces

1. Ghoisy, p. 4.
2. Sur cet édifice (n° 32), cf. Ramsay et Bet), foc. c:f., 209 sqq., 320-324.
Gf. surtabasiiiqueàcoupote Strzygosvski, t'r.s'piimçJercèrf.s/. f\<rc/icoA;iu.sf,
p. 61.
LES BASILIQUES A COL'POLE 97

églises de dimensions pius vasLes, sans pourtanL aiîaibiir ia voûte


en y perçant des fenêtres, on eut i'idée de couper par un dôme le
berceau de ia grande nef. Ainsi naquit ce que Strzygowski a nommé
1a « basiiique à coupoie H, qui se rencontre très fréquemment en
Anatoiie et dont ie pius ancien exempie sembie être ia basiiique de
Meriamlik, enCiiicie, qui date du v" siècie. ^De cetyped'ëdiiice on
trouve un autre exempiaire particuiièrement reinarquabie à Kodja-
Kaiessi, en Isaurie - (fig. 36, 37, 38) : ià, sur deux travées de ia
grande nef, ia voûte en berceau est coupée par une coupoie, que

Fig. 35. — Binbirkitissé. Egiise n° 2. Pian Fig. 36. — Kodja-Katessi. Pian


(d'après Strzygowski, Æiet'nasien). (d'après Headiam).

soutenaient quatre trompes d'angie. Les grands arcs iatéraux du


nord et du sud encadrent un mur divisé en trois étages. L'étage
supérieur est percé de fenêtres ; à chacun des deux autres, une
tripie baie, soutenue par des coionnes, fait communiquer la nef
centraie avec ies bas côtés et ies tribunes qui surmontent ies
coiiatéraux. Comme dans ies édifices de ia Syi'ie voisine, ia con-
struction est en pierres de taiiie, et on y constate i'empioi de i'arc
en fer à chevai dans ies arcades qui couvrent ia grande nef ;
l'église date du iv^ siëcie, d'après Strzygowski, plus vraisembiable-
ment du v°, seion i'opinion de Headiam.
1. Sur cet édifice, cf. Arch. Jahrb., 1909. p. 442 et suiv.
2. Headtam, Æccieataaft'catstfes t'it /satirt'a (Journ. of HeHenic Studies, 1892,
Suppiëment).
Afatmet d'Art hycanft'tt. 7
98 LES OMGtNES ANATOHENNBS — FORMATtON DE L'ART BYZANTIN

Le même type se rencontre, réatisé en briques, dans l'égiise de


Saint-CIément d'Ancyre, ou la coupole est également portëe sur des
trompes d'angle. Ailleurs, au contraire, à Saint-Nicolas de Myra,
à Cassaba (ou Déré Ahsy) en L\cie, 1a coupole repose sur des
pendentifs. Mais ces pendentifs exerçaient des poussées trop fortes
sur les simples parois d'une grande nef basilicale. II fallut donc,

Fig'. 37. — Egtise de Kodja-Kalcssi. Façade (d'aprés HeacHam).

pour épauler ptus solidement 1a coupole, imaginer divers pro-


cédés ; et cette difficulté de construction aida au rapide dévelop-
pcment du type. Tantôt on se tira d'affaire en surélevant les col-
atéraux pour contrebuter les deux grands arcs du nord et du
sud (Myra) (fig. 39) ; tantôt, entrela coupoleetles paroisextérieures,
on intercala deux solides berceaux (Ancyre, êglise de la Vierge à
Éphèse, Sainte-Sophie de Salonique, église de 1a Vierge à Maya-
farqin). Tantôt, à traverslescollatéraux, on prolongea ces berceaux
jusqu'au mur d'enceinte (Cassaba (Rg. 40), Sainte-Irène deConstan-
tinople, église de Philippes). Les berceaux, avec ceux de 1a nef,
dessinaient alors une croix à branches égales, et ainsi, par ces
LES BASIHQUES A COUPOLE 99

transformations successives, de ia basilique à coupoie sortit tout


natureUement )e type proprement byzantin de i'église en forme de
croix grecque, inscrite dans un rectangie U
On a fort discuté sur ie pays où ce type prit naissance. Dans son

Fig. 38. — Egiise de Kodja-Kalessi. Intérieur (d'aprés Ileadiam).

iivresurl'égiisedeNicée^, Wuiffafaitdérivertoutesieséglisesdecette
sorte de Sainte-Sophie deConstantinople, dont ia parenté esteneffet
évidenteavec iesbasiiiques à coupoie de Cassaba, de Myra et d'An-
cyre. Hsembie pourtant qu'ii faiiie, avec Strzygowski, renverserce

1. Sur ces monuments et leur évolution, cf. outre Strzygowski, T^^etnasien,


Wuldt', DieKoimes^-Ætrc/te Dt McRa. Strasbourg, 1903, et Rott, ^oc. ci^.
2. Wulfî, ^oc ct%., p. üol sqq.
100 LES ORtGtXES ANATOHENNES FORMATfON DE L ART BYZANTtN

rapport, et chercher, hieo avant le vP siècle, probabiement en


Asie Mineure, i'origine de ia basiiique à coupoie. H est certain en
tout cas que ce pian se propag'ea vite. Tandis que ia coupole sur
trompes d'angie se répandait, cotiformément au type de Kodja-
IÂaiessi, en Égypte et en Syrie (Saint-Serge de Gaza), ia basiiique
à coupoie sur pen-
dentifs était adoptée
le long de ia côte
d'Asie Mineure, à
Korykos (basiiique rt°
2), à Myra, à Phiia-
deiphie, à Magnésie,
à Sardes, à Kphèse,
où une grande égiise
à trois nefs, précédée
d'un doubie narthex,
fut couronnée d'une
coupoie de douze
mètres de diamètre,
portée sur quatre
massifs piiiers de
briques, et contre-
butée à l'est et à
i'ouest par deux ro-
bustes berceaux. ii
sembie hien que ce
Fig. 39. — Egtise de Saint-Nicotas de Myra. Pian
(d'après Rott, tHet'ttast'aôseAe DettTtntaier). dernier monument ne
date que du vP siècie ;
mais, parmi ies autres, ia piupart appartiennent au iv" siècie,
comme i'atteste ia forme de ieurs coupoies basses '. Au deià même
de i'Anatoiie, ie type de ia coupoie sur pendentifs trouva une
belie fortune. On ie rencontre en Mésopotamie, à Mayafarqin,
i'ancientie Martyropoiis,dansi'intéressante égiise de ia Vierge (vp
siècie) en Syrie, réaiisé en briques, dans ia beiie basiiique de
Kasr-ibn-Wartan, d'époque assez tardive sans doute (vt^ siècie), à
en juger par ia difFérence profonde qui distingue cet édifice des

1. Ileberdey, Fortaü/'. Dert'càt tiàer dt'e Graàttttyett t'tt Ep/testt.s, Jahres-


hefte d. ôsterr. arch. Instituts, X(1907), Beibtatt, 74 ; Choisy, 160-162.
2. Bell, CAtfrc/tes attd ntottasierteso/'t/te T'ur-^làdtn, 88 etsuiv.
L'ASÏE MMEUEE ET L'ÉVOLUTtOK DE L'ARCHITECTURE 101

autresconstruclions de la Syrie du Nord L On le trouve pareilie-


meut en Europe, à Sainte-Sophie de Salonique, à Sainte-lrène de
Gonstantinople, dans l'égiise de Phiiippes en Macédoine comme dans
i'ég'iise de Sainte-Sophie à Sofia et dans ceiie de Pirdop en Bui-
garie ; et Sainte-Sophie eiie-même, création d'architectes anato-
iiens, procède directement des modèies fournis par i'Asie Mineure.
La basiiique à coupoie, nce en Anatoiie, « constitue, comme on
i a justement remarqué, ia couche heiiénistique au-dessus de
iaqueiie i'art byzantin a poussé ^ a.
Hô/e r/e /'A^/e
#/ueure r/a/n /'èeo-
/u//on c/e /'arcA//ec-
/ure. — K Une archi-
tecture, dit fort bien
Choisy, ne nait point
à date fixe, constituée
de toutes pièces et
prête à consacrer son
existence par un chef-
d'œuvre ^«. Partoutes
ses racines, l'art by-
zantin se rattache àce
mouvement d'art
originai et puissant,
qui, entre 1e îv" et ie Fig. 40. — Église de Déré-Ahsy. Pian (d'après
vEsiècie, se produisit Rott, R/e/nasi/t//scAe DenAoî/i/e/ ).
en Syrie, en Mésopo-
tamie, en Egypte, en Asie Mineure, en Arménie. Les typesde con-
struction iespiusdivers serencontrentaiorsdans ces régions, basiiique
heiién'.stique et basiiique voûtée, édihces à pian centrai, octogona)
ou circuiaire, basiiique à coupoie, sans parier des égiises à pian
tréflé (chœur triconque des égiises monastiques d'Egypte et de
i'égiise de Saint-Jean-Baptiste à Jérusaiem, mausoiée de Bin-bir-
Kiiissé, etc.), et du pian en forme de croix avec coupoie Centraie,
qui se rencontre en Anatoiie dans d'assez nombreux édifices, dont
piusieurs datent du v° siècie (égiise de Tomarza, égiise des Qua-

1. H. G. Butter, Prt'aee/oa t/tu'rerst/.i/ arc/taeo/oyt'ca/eæpet/t'/tott/oSt/rt'a


division H,sectionB, fasc. 1, Leydc, 1908.
2. MHlet, L'Asie Afmenre nonveaH doznatne de P/HsZot're de /'ar/, p. 98.
3. Choisy, 151.
102 LBS OIUGtNES ANATOHENNES — FORMATtON DE L'ART BYZANTIN

rante-Marlyrs, près de Skupi, surtout Kizil-Kilissé à Sivri-Hissar,


avec unecoupoie sur tambour octogonai, où quatre trompes d'angie
s'intercaient entre quatre arcades ' ). Partout, par i'empioi de pro-
cédés nouveaux, par 1e développement de formes plus anciennes,
les architectes montrent une activité prodigieuse, une ingéniosité
souvent créative. Dans toutes leurs œuvres, un mênie trait carac-
téristique apparait : 1e méiange des éléments purement orientaux
et de l'hellénisme. Et de Ieur elfort naissent partout des types
fondamentaux, des modèles bien vite consacrés par quelque édifice
célèbre, et qui sont promptement imités dans tout l'Orient. Ainsi,
sous ia « triple constellation )), comme dit Strzygowski, d'AIexan-
drie, d'Antioche, d'Éphèse, par où ces types, bientôt devenus
canoniques, se répandent à travers 1e moncle, l'art byzantin naît
et grandit.
Ilans cette grande évolution, c'est I'Asie Mineure qui, pour ia
formation de l'architecture byzantine, joua sans doute 1e rôle essen-
tiel. '< La décoration sculptée, dit Choisy, voilà i'apport probable des
influences syriennes dans l'architecture byzantine. Mais quand il
s'agit de 1a construction même des édifices et notamment du sys-
tème des voùtes, on ne voit ni quelle part l'art de 1a Syrie peut
revendiquer, ni même queile action il eût été capable d'exercer.
L'art byzantin a pour point de départ la voùte sans cintrage, et celle-
ci suppose essentiellement l'emploi de 1a brique ^ )). Or ces condi-
tions ne se rencontrent qu'en Asie Mineure. « Hors de 1a région
occidentale de I'Asie Mineure, on n'aperçoit nulle part l'esprit de ia
construction voùtée sans cititrage, ni cet enchaînement logique de
progrès dont l'art byzantin fut 1a manifestation dernière ; partout
aiHeurs on 1e trouve constitué de toutes pièces comme un art
importé : là seulement on 1e saisit dans son germe et dans son essor.
C'est de ià qu'il rayonna sur 1e reste de l'empire grec 3 H.
Dtt rô/e t/e /'A/mètne f/a/t^ /a /b/*//t/t/to/t t/e Z'a/*/ c/tré/ten. —

1. Tous ces cdiüces sont en picrre, méme la coupoie de Sivri-Hissar. Cf.


Rott, ^oc. ct^., 182 sqq., 192 sqq., 274 sqq., et Ramsay et Bell, ^oc. ct%., où sont
mentionnés piusieurs monuments du mcme type, à Bin-bir-Ki!issë (p. 221),
à Mahaletch(p. 241 sqq.), à Hayyat(p. 350), à Kourshoundjou(p. 353), à Wiran-
cheir dans le Hassan-Dagh (p. 363), à Tchoukouken (p. 382). Toutes ces con-
structions a!fectent !a forme de la croix en T, et n'ont point, commc Téglise à
croix grecque, de bas-côtcsgarnissant lescoins vides entre les bras de la croix
et assurant 1 équitibre de la coupole.
2. Choisy, p. 162.
3. Choisy,.p. 162.
DURÔLEDEL'ARMÉNIE !03

Ges conclusiotis, qui semblaient, et qui me paraissent encore ies


pius vraisembiables, ont été battues en brèche récemment, de
façonretentissante, dansie grand ouvrage,déjàcité précédemment,
que Strzygowski a consacré à i'Arménie ^.
Par sa situation géographique, i'Arménie se trouva de bonne
heure dans une position particuiièrement digne d'attention. Eiie
entretenait des reiations fréquentes avec ia Syrie, avec la Mésopo-
tarnie, avec ia Perse ; eiie était par aiiteurs en étroits rapports
avec i'Asie Mineure et avec Byzance. D'autre part, eiie fut de
bonne heure convertie au christianisme — dès la iin du in" siècie
iaretigion chrétienne ydevenaitreiigiond'Etat— etenconséquence
de nombreux monuments d'art reiigieux s'y éievèrent dès ie
commencement du iv" siècie. On conçoit aisément qu'à ce grand
mouvement d'art ie monde iranien tout proche ait fourni d'utiies
enseignements et que ia coupoie sur trompes en particuiier ait été
vite adoptée par ies architectes arméniens. li est égaiement com-
préhensibie qu'en un pays où, comme en Syi'ie, on bâtissait en
pierre jiius habitueilement qu'en briques, un art originai ait pris
naissance, entre ies mains de constructeurs habiies, chercheurs et
pieins d'initiative. Et en effet de nombreux monuments, de formes
et de types ti'ès divers, dont nous devons ia connaissance à Strzy-
gowski, attestent ia floraison d'art merveilieuse que connut alors
l'Arménie.
Onrencontre dans i'architecture arménienne, durant cette période
d'admirable épanouissement qui va du v° au viB siècie, des basi-
iiques voûtées, soit à nef unique, soit àtripie nef ; mais surtouton
y observe ies appiications diverses de ia coupoie au pian carré, soit
que des niches demi-circuiaires contrebutent à i'extérieur ia con-
struction, soit que ia coupoie couronne un édifice à plan centrai,
quatrefeuiiies, hexagone ou octogone. De ia combinaison de ia nef
voûtée et de ia coupoie naissent en outre toute une série de formes
nouvelies : c'esf ie triconque, c'est ia basiiique à coupoie, c'est ie
pian en forme de croix grecque, c'est ia nef unique couronnée de
coupoies (Au/ipe^/m//e). Et de tous ces types, dont il est incon-
testabie que i'Arménie ofïre des exempies aussi nombreux qu inté-
ressants, Strzygowski affii'me que ies architectes arméniens ont éte
ies inventeurs. Iis ont, entre !e iv^ et ie vi^ siècie, sous i influence

1. Strzygowski,Dte Æaukiutsf der Armeater iutd Æiiropa, 2 vot. de 888pages,


Vienne, 1918, Cf. du mème, tfrsprnng der càrt'sf. tti'rcàeit/tiiitsf, Leipzig, 1920,
p. 44-64.
104 LES ORtGtKES ANATOLIENNES. — FORMATION DE L'ART BYZANTIN

de l'Iran, créé un art national, sans nul rapport avec l'art syrien
et i'art hellénique, et qui a pris dès ie iv° siècle son caractère
particulier ' ; etc'estd'Arménie que ia coupoie et iesformes arehi-
tecturales auxqueiles eHe a donné naissance se sont répandues à
travers le monde oriental, à Gonstantinopie et à Salonique aussi
bien qu'en Egypte ou en Asie Mineure : si bien que Sainte-Sophie
aussi bien que Saint-Vital sont des édihces spéciliquement armé-
niens (l'ein arme/niscA)
H y a dans ces théories une grande part d'hypothèse. Et d'abord
il faut remarquer que de ce iv" siècle, où le courant nationai aurait
donné son caractère propre à i'art arménien, ii ne reste pas un seui
monument : Strxygowski iui-même reconnaît que « ies pius anciennes
égiises arméniennes qui subsistent datent du v° siècie )) Assu-
rément on doit reconnaître qu'un mouvement d'art aussi puissant
que ceiui qu'on rencontre en Arménie du v" au vn" siècie suppose
une période antérieure de préparation, mais ceci ne suffit point
à déterminer avec certitude ies infiuences qui ont agi sur cette
période. Et par aiHeurs, iorsqu'on considère ies plus anciens
monuments chrétiens subsistants, ii se trouve que ce sont des
basiiiques, comme ceiies d'Ererouk (Hg. 41) ou de Tekor, dont
Strxygowski iui-même admetiaparenté étroite avec i'art syrien, et
où n'apparait pas ia coupoie. Et aussi bien i'auteurne conteste-t-ii
pas qu'ii y a eu une période d'un siècie et demi (428-571), où ii y
a eu en Arménie une invasion de i'éiément syrien et grec i! ne
sembie pas du reste que, dans ies édilices décrits par Strzygowski,
ia coupoie, qui est d'empioi générai au vn° siècie, se rencontre avant
ie iniiieu du vi^ siècie ", et ceci laisse fort incertaine ia date où ia
ia coupoie iranionne apparut d abord en Arménie et un peu hypo-
thétique i'assertion que c'est de ià qu'eiie passa dans i'art chrétien
d'Orient.
S'ii est vrai, comme ie déciare Strzygowski, qu'entre428 et 571,
ies égiises d'Arménie ont été hâties « d après des modèies syriens
et anatoiiens " n, H importe reiativement peu, pour i'iniluence
exercée sur i'art byzantin, que ie courant nationai du iv^ siècie se
soit réveiilé à ia fin du vG et ait produit ie grand mouvement du
1. Strzygowski, 604-605.
2. t/rspraay, 39, 47-49.
3. tàùt., 120.
4. ùauknnst, 668-697.
5. A i'ëglise d'Awan, bâtie entre 557 et 574 (t'ùt'd., 89 et 91).
6. Satiknnst, 679.
DURÔLEDELAHMHNIE !05

Hg*. 41. —Ererouk, hasi!ique(d'après une aquareHe de Fctvadjian).


tÛ6 LES ORtGtNES ANATOLIENNES - FORMATION DE I.'ART BYZANTIN

vn" siècte, où l'art arménien trouva son apogée. On verra ptus


loin que, à mon avis, ces monuments arméniens du vn^ siècie, ioin
d'attester t'existence d'un art nationai, doivent iniiniment à i'in-
tluence de Byzance : ce qui achève de rendre bien douteuse
i'hypothèse d'une Arménie inventant, en ce iv^ siècie dont nous
ignorons tout, toutes les fornies de ia nouveiie architecture chré-
tienne. ii y a assurément toute raison d'admettre, quand on con-
sidère ia muititude et ia variété des monuments que l'Arménie a
conservés du v°, vi^ et vn° siècies, qu'ii y a eu dans cette partie du
monde orientai, comrne en Mésopotamie, comme en Syrie, comme
en Eg-ypte, comme en Asie Mineure, un puissant mouvement d'art
au v" et au vi" siècie, et c'est i'incontestabie service qu'a rendu
Strzygowski de nous ie révéier. li est très vraisembiabie aussi que
i'Iran a transmis à cet art, comme aux autres régions de i'Orient,
sa forme favorite, ia coupoie, et ii se peut que des architectes
savants et habiies en aient tiré des partis très heureux. ii serait
puérii de contester i intérêt de i'art arménien, de nier ia iarge
expansion qu'ii aura pius tard dans i'Orient chrétien, et ii faut,
dans i'histoire des origines de i'art chrétien d'Orient, faire désor-
mais à i'Arménie sa part, encore qu'eiie soit assez maiaisée
à déterminer exactement. Mais, ceci dit, on ne saurait en vérité
faire de cet art arménien 1a cause unique de iaqueiie tout procède,
i'éiément créateur qui a tout inventé : c'est ià trop simpiifier ies
choses, et on ne voit pas, maigré toute i'ingéniosité des démons-
trations de Strzygowski, que ies résuitats obtenus en Arménie, au
iv^ et au v" siècie, aient eu i'importance particuiière et ia portée
spéciaie qu'on veut ieur attribuer E

LA SCULPTUHE ET LA PEINTURE CIIRÉTIENNES EN ASIE MINEURE

i)u grand mouvement d'art qui se manifesta en Asie Mineure au


iv^ et au v" siècie, ia piastique et ia peinture nous oifrent d'autres
témoignages intéressants.

^arco/iAagfes a^i'a^i'yiie^. — L'Asie Mineure ne nous a encore


iivré qu un petit nombre de scuiptures chrétiennes. Mais il en est

1. Cf. Diehl, L'arcAi'feefare arme'ni'enae anæ Vi'et V/t'atèeies (Rev. des


études arméniennes, I (192t), p. 221-231).
SARCOPHAGES AStATtQUES !07

une, d'une haute vateur artistique et d'un grand intérêt pour i'his-
totre : c'est ie bas-reiief découvert à Constantinopie, et aujourd'hui
conservéà Beriin, qui représenteieChristentre deux apôtres* (fig.42).
Ce qui frappe tout d'abord dans ce monument, c'est tout ce qui y

Fig. 42. — Christ de Psamatia (Musée de Beriin), d'après Strzygowski,


Orteut oder /iottt.

subsiste de ia traditionciassique. Par i'attitudeeti'arrangementdes


draperies, le Christ rappeiieie type de i'orateur antique, tei qu'ii
apparaît dans ia statue de Sophocie du musée de Latran. La tête

1. Strzygowski, Ortent oder ttom, 46 suiv. ; Aïnatof, Ortytttes, p. 160 et


suiv. cf. Strzygowski, Das PeirHS-tteb'e/' aus /ftetttast'en t'tt Rerît'tt (JPK,
t. 22, 1901).
]08 LES OR!G[NES A?!ATO[,[ENNES - FORMATtON UE L'ART BYZANT[N

imberbe, à t'ovate déticat, encadrée de tongscheveux bouciés, res-


sembie à !a tête de i'Eubouieus (t'Eleusis, ouvragede t'écoiepraxi-
télienne. Et si les apôtres à la vérité ont le type pius oriental,
l'ensemble pourtant montre une harmonie des proportions et une
élégance tout antiques. Strzygowski date du [v° siècle ce bei
ouvrage; Aïnalof i'attribue plutôt auv^: quoi qu'il en soit, i) jette
un jour curieux sur le caractèrede 1a sculpture anatolienne.
Ce marbre, fragment d'un sarcophag'e, est en effet apparenté à
toute une série de sarcophages découverts en Asie Mineure, et qui
présentent tous ce caractère commun, d'être décorés de hgures
alternativement placéessous une arcade richementsculptéeou dans
un entrecolonnementh Le phis ancien exemplaire se trouve au palais
Riccardi à Florence ; d'autres, fortremarquables, provenant de Sida-
mara (fig. 43), de Selefkeh, de Konia, sont conservés au musée de
Constantinople ; d'autres collections encore possèdent d'autres
représentants dumêmetype; de fort beauxfragments serencontrent
en particulier dans 1a collection Cook à Richmond. Tous ces
[nonuments datent de l'époque païenne, et s'échelonnent entre le
milieudu [[*= siècle et 1e commencement du iv"; mais tous pré-
sentent, dans la façondontils sontexécutés.certainsdétailscaracté-
ristiques, que l'on retrouve dans 1e marbre de Rerlin. Tandis que
les tigures sont antiques, les architectures qui Ies encadrent se
rattachent par leur technique à l'Orient. Les sculptures des chapi-
teaux à double volute, de l'architrave bombée, des frontons, sont
incisées dans la pierre plutôt que modelées ; c'est le même relief
méplat, 1e même travail à 1a virole, que nous avons observés déjà
dans 1e monumentde Mschatta; etla Lendance artistique aussiest
la même : c'est par l'opposition des blancs et des noirs, non parle
relief des formes, que l'efl'et à obtenir est cherché ; et la pierre,
minutieusement refouillée, semble comme revêtue d'une dentelle
se détachant sur un fond sombre.
On voit ie caractère de cette école asiatique, remarquable par 1a
richesse de son style décoratif et bien supérieure à l'école qui a pro-
duit les sarcophages romains du même temps. EHe est profondé-
ment imprégnée d'influences orientales, qu'elle combine heureuse-
ment avec les traditions de l'art hellénistique. Son iniluence fut consi-

1. Th. Heinach, /.esarcopàage de Sù/amara (Mon. Piot, tX); Munoz, S.irco-


/àyi asia/t'ct' iNBAG, XI, 1905 et t'Arte, 1906, p. 130); Michon, Sarco-
pàaye c/n /yped'As/eAI/neure (Métangesde Rome, XXVI, 1906); Strzy-
gowski, A sarcopàaye o/' /èe Sidamara /ppe (Jonrn. of heti. Studies, 1907).
SARCOPHAGES ASIATIQUES 109

dérnble sur le développemenl de la scutpture proprementbyzantine:


commeStrzyg'owski l'ajustementremarqué, lafaceantérieure de

Fig. 43. — Sarcopha^e de Sidamara (Musée de Gonstantinopte), daprès


Th. Heinach, iKonuments Pt'ot, t. IX.

la chaire de Maximien, et pareillement le fragment de diptyque du


British Museum rappellent, par !es arcades richement sculpties
sous tesquelles les personnages sont placés, ladisposition des sai-
cophages asiatiques.
110 LES ORIGrnES ANATOLIENNES. - FORMATION ÜE L'ART RYZANTIN

Fresynes e% iiîtnta^iire^. — Qitelques documents nous permettent


aussi d'entrevoir quei i'ut en Asie Mineure ie déveioppement de ia
peinture ^.
Dès ieiv°sièc)e, ies peintrescommencèrentàreprésenterieshauts
faits des martyrs chrétiens. On a déjà cité précédemment ies de-
scriptions fort circonstanciées que nous ont laissées de ces ouvrages
saint Basiie, Grégoire de Nysse ou Astërios d'Amasie, et noté ie
caractèré de réaiisme qu'oifraient, d'après ces témoignages, à
Euchaïta, ies épisodes du martyre de saint Théodore, à Chaicé-
doine, ies scènes du martyrede sainte Euphémie -. En face du pitto-
resque dëcor des aiiégories, des sujets de genre chers à ia peinture
aiexandrine, l'Asie Mineure ouvrait à l'art une voie nouveile, con-
forme d'aiiieurs à la doctrine de ses grands docteurs cappadociens,
qui dans lesreprésentations tiguréescherchaient, nonunvainamu-
sement, mais un utiie enseignement. Par ces scènesde martyre, si
vivementrendues, eiie préparait i'évoiution vers ie styie historique
et ia peinture d'histoire, et eiie constituait des modèies qui devaient
exercer une action considérabie suri'iconographie.
De ces fresques ii ne reste que ie souvenir. Pourtant on peut
admettre que, de bonne heure, autour de la tombe des martyrs
céièbres, des peintures ou des icones iilustrèrent, partout comme à
Euchaïta, la gioire du saint iocai, et que ies voyageurs et ies pèie-
rins qui frèquentaient ces sanctuaires rendirent popuiaires dans
i'art beaucoup de ces représentations. On s'cst, par une hypothèse
ingénieusë, demandé si ies miniatures du Ménoioge basiiien, au
caractère si nettement historique etmonumentai, nereproduiraient
point certains tableaux de cette primitive période 11 se peul, et
i'art byzantin doit peut-être à i'Asie Mineure autant qu'à ia Syrie et ia
Paiestine une part de son iconographie. Mais ii lui doit en tout cas
une orientation nouveiie et iaprédominancecroissantequ'y pritbien
vite ie style historique sur ia décoration pittoresque empruntée à
ia tradition aiexandrine. Et ici encore c'est de i'Orient que vient ce
courant nouveau, et c'est par i'arrière-pays anatoiien, pius réfrac-
taire à ia culture heiiénistique, qu'ii s'est propagé à travers ie monde
chrétien.
Queiques manuscritsprécieux, de provenance vraisemblabiement

1. Strzygowski, t/rsprmty nitdSi'ey tümtst; Æiiteateæaitdn'itt'sc/te


WeMcitroitt'/i, 182 sttiv.
2. Voir chap. I, p. 7.
3. Miltet, Ari. ht/z., 237-238.
FRESQUES ET MtNIATURES 111

anatoiienne, conlirment ces remarques et attestent t activité et ies


tendances de cet art. On admet volontiersaujourd'hui que ies belies
miniatures à pieine page qui iiiustrent ies Psautiers du groupe dit
« aristocratique ') (Bibi. Nat., Gr. 139 ; Vat., Reg. 1), reproduisent
un prototype créé en Asie Mineure, et dont ie caractère hellénis-
tique apparaît nettement. Strxygowski a de même revendiqué pour
i'Asie Alineure, contrairement à i'opinion généraie qui ie rattache
à i'écoie d'Aiexandrie, ie prototype du manuscrit de Dioscoride,
eniuminé au vi° siècie à Constantinopie, et noté ie méiange qu'ii
otrred'ornementation orientaieetde Rgures,— aiiégoriesou portraits
d'auteur —- inspirées de la tradition antique. Or, ce qui frappe, si
i'on compare ces deux manuscrits, c'est iapiace piusgrande,que, de
i'un à i'autre, prend i'influence orientaie et ia façon dont eiie
transformeiesmotifs heiiénistiques. Ceci apparaît demême,et pius
fortement encore, dans uneautre série de manuscrits d'origine anato-
iienne, à savoir ia Genèse de Vienne et ies évangéliaires, si proches
par leur styie de ia Genèse, qu'on conserve à Rossano et à Paris
(fragments provenantde Sinope). Dnns i'évangéiiairedeRossanoen
particuiier, ies portraits des évangéiistes ont un caractère tout
antique et imitent ie motif ciassique des auteurs inspirés par ia
muse ; mais, à côté de ces figures encore heiiénistiques, ie caractère
monumentai des autres représentations rappeiie i'Orient et ie
styie historique etréaiiste des i'resquesanatoiiennes, que nous font
connaitre ies texfes du iv° siècie. Ces manuscrits doivent-iis,
pour cette raison,ètre, commeie veut Strzygowsid, attribués à une
région pius fortement orientalisée de i'Asie-Mineure, à i'arrière-
pays anatoiien?' Jenesais. Représentent-iis, comme ie veut ie
même savant, un art monastique, en face de i'art pius iaïque que
caractériserait i'iiiustration du Psautier ? Mystère. En tout cas, ces
ouvrages, qu'on peut assez iégitimement revendiquer pour i'Asie
Mineure, montrent quei grand mouvement d'art existait dans ces
régions, etqueiieintiuence exerça, nonseulementsuriaformation
de i'architecture byzantine, mais sur ia scuipture même et ia pein-
turedeByzance, ce pays où se combinèrent, piusheureusementque
partout aiiieurs, ies enseignements du vieii Orient et ies traditions
de i'heiiénisme.

t. Strzygowski, Eiae afeæ. ll'eMe/iroai/f, 182.


CHAPITRK V

LA DÎFFUStON DFS INFLUENGES ORIENTALES


ROLEDE GONSTANTINOPLE DANS LA FORMATIONDE L'ART
BYZANTIN.

I. La ditl'usion des influences orienLales. Le commerce. Le monachisme. —


II. Les effets de Finfluence orientale. Les monumcnts occidentaux.Le palais
deDioclétien à Spalato. Lemausolée de Galla Placidia à Ravenne. Lebaptis-
tère des orthodoxes à Ravenne. Les égiises de l'Afrique du Nord. Le baptis-
tèrede Naples. L'ItalieduNordet laGauIe.Lesmonumentsdel'Orienteuro-
pèen. Saint-Démétriuset Sainte-SophieàSalonique. Lesmosaïquesde Saint-
Georges à Saionique. Gonstantinople. — III. Rô!e de Gonstantinople dans
1a formation de l'art byzantin. Ce ({ueConstantinopIe dutà l'Orient. Comment
Constantinople transforma les apports orientaux. Maisons et citernes. Evo-
lutiondu chapiteau. Originalitè créatrice de l'art byzantin. — IV. Lesmonu-
ments de Gonstantinop!e avant Sainte-Sophie. La Porte d'Or. La basilique
du Stoudion. L^église des Saints Serge et Bacchus. Sainte-Irène. La citcrne
de Bin-bir-Direk.

Le grand mouvement d'artchrétienqui, entre ie iv^etievi^siècle,


se produisit en Mésopotomie. en Syrie, en Egypte, en Asie Mineure,
en Arménie, ne iimita point son action aux provinces mêmes où il
se manifesta. On a marqué déjà sommairementce que t'art byzan-
tin doit à chacune de ces régions : it faut voir maintenant comment
se propagèrent ces influences, et contmentaussi ces apports divers
se combinèrent pour constituer, au commencementdu vi^ siècie.un
art nouveau.

LA DtFFUStON DES tXFLUEXCES OHIEXTALES

/Lecommerce. — De tout temps, ieshabitants desrivages orientaux


de ia Méditerranée furent de grands commerçants etdegrands navi-
gateurs. Dès l'époque romaine, ies Syriens, Ies Alexandrins fré-
quentaient tous les ports de !a Méditerranée et y portaient, avec
leurs denrées, des idées et des formes d'art. Cette activité ne fit
LE COMMERCE H3

que grandir àl'époque chrétienne'. Ace moment, au iv" et au


v° siècte, on trouve ces Orientaux établis dans toutes les grandes
vities de i'Occident, à Rome, où iis sont assez nombreux pour
exciter ia jaiousie des commerçants indigènes, et où les Aiexan-
drins forment une "orp<"'ation sous i'invocation de saint Ménas,
à Ravenne, à Napies, à Gartbage. On ies trouve pius ioin
encore, à Marseiiie, oùSaivien, auv^siècie, dénonce i'aviditédes
marchands de Syrie, à Nice, à Narbonne; de ià ii remontent, soit
par ia vaiiée de ia Garonne, jusqu'à Bordeaux, soit par ia vailée du
Rhône, vers Aries, Vienne et Lyon. On ies rencontre pius ioin
encore, sur ia Loire, à Oriéans et à Tours, sur ia Seine, à Paris,
sur ia Moseile, à Trèves. Ht partout ies Orientaux forment un
groupe à part au miiieu des popuiations d'Occident, gardant soi-
gneusement ieur langue etieurcaractère ethnique.
Parmiiesobjets qu'importent cesétrangers, àcôté des vinsde
Syrie et des papyrus d'Egypte, des épices et de ia pourpre, ii faut
noter tout particuiièrement ies étofTes de coton et de soie de prove-
nance orientaie. Ges tissus tiennent une grande piace dans i'babii-
iement et dans ia décoration des égiises ; aussi se répandent-iis en
masse enOccident. Ge sont, au témoignage des documents qui enre-
gistrent attentivement ces objets de iuxe, des voiies de pourpre à
franges d'or, des voiies de soie bianche brochés d'or, des étoffes
brodées de bgures d'animaux ou représentant des sujets profanes
ou sacrès. Sidoine Apoiiinaire décritune tapisserie de ce genre,
représentant de grandes chasses auxenvironsde Gtésiphon, etcer-
tains fragmentsdetissusconservés dansies muséesetdansdiverstré-
sorsd'ëgiise (Miian,Sens, etc.), attestent demême uneorigine orien-
taie, égyptienne ou persane.
Or ces étotfes, auxqueiies ii faut ajouter ies ivoires, ies manu-
scrits, ies émaux, ies orfèvreries également importés pai' ies mar-
chands d'Orient, etencore cesampouies paiestiniennes en terre ou
en métai que Ies pèierins rapportaient des iieux saints, devaient
avoir pour i'histoire de i'art une importance considérabie. Par
ces objets parvenaient en Occident ies motifs décoratifs chers à
i'Orient ; par eux se propageaient un certain nombre de composi-
tions céièbres,empruntées aux fresquesou aumosaïques quidéco-
raient des sanctuaires iiiustres : on a ia preuve formeiie que ies

1. Bréhier, Les eotomes d'Ort'eaiaHæ ett Oeetdeitt att [comntetteement dtt


otot/en àgre (B Z, Xtl, 1903) : Strzygowski, Xtet'ttast'ett, 215 suiv.,230 suiv.
àlatttiet d'Art ht/:att(ttt. 8
H4 LA DIFFUSION DES INFLUENCES ORIENTALES

ampoutes de Palestine reproduisaient de sembiables motifs. Et


ainsi ies types de l'iconogTaphie orientaie se répandaient à travers
ie monde chrétien.
Z.e mouacAnmè. — A cescauses de diffusion des créations artis-
tiques de l'Orient ie christianisme en ajouta une autre. Le mona-
chisme, né en Egypte et en Syrie,'excita bien vite en Occident une
admiration sans égaie. Tandisqu'Athanase, exiiéen Occident,y répan-
daitie nom et ia gioire des soiitairesdeiaThébaïde, Jérôme courait
en Orient pour étudier ianouvelie institution dans son pays d'origine,
et c'estsurdes modèles orientauxque saint Martinetsaint Ambroise
organisaient ies monastères qu'iis fondaient. Beaucoup des grands
fondateurs de couvents vinrentd'Orient au v^siècie, un saint Cassien,
un saint Honorat, et ia réputation des grands soütaires orientaux,
d'un saintSyméon Styiite par exempie, était universeiiement répan-
due. A Bome, ies boutiquiers syriens mettaient sa statuette au-des-
sus de leur porte pour attirer ia prospérité sur ieurs maisons ; et
i'ascétisme, dont ii étaitia gioire,se propageait jusqu'en Occident.
Or ies moines — qu'on se souvienne du rôie que jouèrent pius
tard ies Cisterciens — furent toujours de grands constructeurs et
parià iis exercèrent une profonde infiuence sur i'art. Mais en outre,
ces moines orientaux représentaient un autre aspect de i'art que
ceiui dont ies commerçantsse faisaienties initiateurs. Tandis que
ces derniers transmettaient surtout ies enseignements des grandes
cités heiiénistiques, i'éiément monastique représentait essentieiie-
ment cet arrière-pays d'Ëgypte, de Syrie, d'Asie Mineure, pius
imprégné d'iniluences orientaies. Les moinesapportaient ainsiavec
eux d'autres idées, d'autres formes d'art, et parià iis compiétaient
ia diffusioti des muitipiestraditionsartistiques qu'éiaboraiti'Orient.
11 faut ajouter enfin que ces Orientaux tinrentde bonne heure une
graiide piace dans l'Eglise. Pendant ies premiers siècies de i'ère
chrétienne, Bavenne a eu une iongue série d'évêques syriens, natu-
reliement empressés à accueiiiir ce qui venait d'Orient et désireux
de retrouver ies formesd'art auxquelies iisétaient accoutumés. Les
grands docteurs de i'Égiise occidentaie étaienten constants rapports
avec ies Pères de i'Egiise grecque, et ia iiturgie de i'Église de Miian,
si pieine de souvenirs orientaux, atteste ies relations qui existaient
entre ies deux mondes au temps de saint Ambroise. ii n'est pomt
invraisembiabie que, pour ieursconstructionsaussi, les prélatsd'Ita-
lie aient fait appei à des architectes d'Orient. La tradition rapporte
qu'au v^ siècie i'évêque de Siponto demanda à Constantinopie des
1
LE PALAÏS ÜE DtOCLETIEN A SPALATO 115

arlistes pour décorer son église. D'autres saus doute Rrent comme
lui, et ies princes laïques de même s'adressèrent sans doute volon-
tiers, comme iit Justinien plus tard quand ii voulut bâtir Sainte-
Sophie, à un pays où un art plus savant de la construction leur
donnaitiieu d'espérer deptus magnifiques réussitesarchitecturaies.
Ainsi, d'un bout à l'autredumondeméditerranéen, sepropagèrent
les intluences orientales.

11

LES EFEETS DE L'tNFLUENCE ORtENTALE

Lex tttouttntenfs occtt/ettfattæ. — De nombreux monumeiits, chro-


nologiquement échelonnés entre iecommencement duiv" etfedébut
du vi^siècie, attestent cette influence de façon incontestable.
Le /ja /at.s de Dtoc/éften à
,S/)a/afo'. — Dès le commen- fmTrrT!Tcr *
cement du tv^ siècte, eiie ap-
paraitciairementdans )e paiais <

que Diociétien se fitbâtirprès }- ;


de Saione, et qui a formé ie
M
i—
noyau de ia viiie moderne de
Spaiato, en Daimatie. 11 se
peut que ce vaste édifice repro-
duise, comme on i'a dit, avec
précisionie type des grands
paiais syriens d'Antioche, teis
que ies décrit Libanius : à coup
sûr c'est un monument d'archi-
tecture orientaie, comme ie
prouvent iesmarquesdetâche-
ronsgrecquesencorevisibiessur
ies biocs de ses constructions.
Les architectes appelés d'Orient parDiociétien enfermèrent ie
i. Adam, Vt'atn.s o/'tAepafaceo/'tùeentperorD/ocfettaa atSpatafoût Dal-
nmfta, Londres, 1764; Hauser. Spafafouttddte rdntt'sc/tettl/ottomettfeDafma-
ffetta, Vienne, 1883 ; Butic, Jelic et Rutar, Gufda df Spafafo eSafotta,Zara,1894 :
Dieht, Dtt JVëdfferratte'e, Paris,1901 ;de Beytié, t'Daitffaffoa ftp:attfftte, Paris,
i902; Strzygowski, Spafafo, ettt JfarAsfefa der rotttattf.scftett Attttsf ftef fàrettt
Üfteryattge t)om.Orfettf ttacft tfettt Aitettdiattde, P'ribourg, 1906 et surtout;
Niemann, Der Pafasf des Dfoftfeffatt ttt Spafafo, Vienne, 1910 ; Kowalczyk,
Dettfcmâierder Vfunsf itt Dafmaffett, Vienne, 1910 ; Hébrard et Zeilier, Spafafo.
De paiais tfe Dfocfëffeu, Paris, 1912.
116 LA DIFFUSION DES INFLUENCHS ORIEKTALES

patais dans un vaste rectangie de muraiiles, mesurant 215 mètres


environ sur 180 (6g. 44). Commedans une citadeiie, de solides rem-
parts, flanqués de tours massives, constituèrent cette enceinte : seuie,
la Porte dorée, ménagée surle front nord, reçut unedécoration un
peu pius pittoresque d'arcatures portées sur des coionnettes et de

Fig. 45. — Spaiato. La Porte dorée.

niches demi-circuiaires (6g. 45) ; seuie, ia façade méridionaie, tournée


vers i'Adriatique, olfrit un aspectmoins sévère et s'ouvrit vers ia
mer par une iongue galerie disposée sur ie haut de ia muraiiie. A
l'intérieur dei enceinte, deux grandes avenues, perpendicuiairesi'une
à l'autre, etbordéesde portiques, traversèrentdeparten part iepaiais.
Un peu après ie point où eiies se croisaient, s'ouvrit une grande cour
d'honneur, un des restes ies pius magnihques de l'architecture du
bas-empire (fig. 46). Suries deux iongscôtés,des portiquess'éten-
daient, formés de coionnes reiiées par des arcades ; suria face sud,
un haut prothyron, composéde quatre coionnes de granit rouge por-
tant un fronton. conduisait à ungrandiose vestibuie de forme circu-
iaire, vaste rotonde couronnée d'unecoupoie,par où on entraitdans
LB PALALS DE DtOCLETIEN A SPALATO 117

les appartements. A l'ouest et à l'est, en arrière des colonnades du


péristyle, deux autres édilices s'élevaient symétriquement : d'une
part, la chapelle du palais ; de l'autre, )e mausoiée destinéà la sépu)-

mmn;

Fig. 46. — Spatato. Péristyte du patais de Dioclétien.

ture de )'empereur,niagnihqueoctogone entouréd'un portique exté-


rieur et couvertpar unehautecoupote. Ladécoration extérieureet
intérieure en était tout à fait remarquab)e:au-dessusdes co)onnes
portantun lourdet magnihque entablement, d'autres colonnes mon-
taient jusqu'à 1a basede iacoupole, etentreelles unefrisecourait,
sculptée de scènes de chasse et de courses de chars.
On sent tout i'intérêt de cet ensemble de monuments, qüi permet
d'entrevoir ce que fut, à Gonstantinopie, l'ordonnance du palais
H8 [,A D]t'[*US[i)\ DES IXFLUEXC3S OR]EXTALES

impérial bâti parGonstantio. Toutyatteste l'influence orientate.


Diociétien avait iongtemps vécu en Orient ; il y avait pris 1e gout du
pompeux et du colossal. Quant il voulut construire sa résidence,
c'est à l'Orient qu'il demanda des matériaux et des modèles. 11
ëmpruntaà l'Hgypte ses granits et ses porphyres, il lui demandales
sphinx qui s'allongent sur 1e patier du mausolée. Surtout il prit à
l'Orientles formes caractéristiques de sonarchitecture. L'architrave
disparut, pour faire place à Ia ligne courbe des arcades s'appuyant
directement sur les colonnes, ou bien elle se courba en archivolte
pour ^ouronner l'enttée principale du prothyron, selon un type
habituet aux édifices de Syrie et fort ancien en Orient. La Porte
dorée ne fut pas moins caractéristique, avec son grand arc de
décharge ouvert au-dessus du linteau de l'entrée, etsa rangée d'ar-
catures s'appuyant sur de minces colonnettes posées sur des con-
solos. Enfin l'emploidelacoupoledanslevestibuledupalaisetdans
1a rotonde du dôme — cette dernière construite, par un procédé alors
tout nouveau, par petites trompes étagées— achève de donner une
impression d'Orient. La décoration ne fut pas moins significative.
EUe eut 1a richesse un peu lourde des monuments de Syrie, et
comme eux elle montra ces broderies dedentelle découpées sur 1a
surface de 1a pierre. EHe reproduisit les motifs orientaux, vases
accostés de lions et de griHons, à Ia frise extérieure du baptistère,
entrelacs se mêlant aux palmettes et aux oves, à l'entablement du
mausolée. Surtout elleappliqua à 1a coupole du vestibuie circulaire
les cubes étincelants des mosaïques, fournissant ainsi 1e plus ancien
exemple connu d'un procédé quidevaitfaire unesimerveilleuse for-
tune. Etpar toutcelaSpalato, commeonl';) observé, marque « une
des premières étapes dans 1a diffusion vers I'Occide[)t de i'architec-
ture orie[)tale. a
Le mauyo/ée cfe GaHa Pfacfcffa à Aarenne'. — Ainsi, dès Ie
commencement du iv^ siècle, l'art syrien, dont Antioche était la
métropole, exerçait son actionsur le rivage oriental de l'Adriatique.
1. Pour Ravenne: Richter, Dt'e MosatTcenuon Rarenna, Vienne, 1878 ;Bayet,
RechercTtes ; Gtausse, Basiftqnes et tttosat^ues e/tre'Rennes, Paris, 1893 : Aïnatof,
f.estttosa'tqttes Ju et dt; stèete, Pétersbout'g, 1895 (russei ; Rjedin, èes
tttosai'ques desèyitsesJeRat'etttte, Pétersbourg, 189H (russe),*C. Ricci,R;tt'etttta.
Bergame, 1902 ; Kurth, Dt'e l/osatA'ctt der e/trt'stit'c/tett Era, 7, Dt'e U'attdftto-
saDcett ttott Raretttta, Leipzig, 1902; Diehi, Daretttte, Paris, 1903; Düfschke,
RarettttaD'se/te <S/ut7t'ett. Leipzig 1909 ; Kut th, 7)t'e A7osat/cett rott 7/aretttta,
Munich; 1912 ; Ricci, 7/ tttattso/eo dt' GaDa 7*/aet't7t'a ttt Tîaretttta, Rome, 1914.
Cf. Strzygowski, Att/t'oc/tettt'se/te Tfttrts/ (O. Ch., 1902) et Daretttta a/s Voror/
aratttat'se/ter 7ftttts/(0. Ch., 1915.)
LE MAUSOLÉE DE GALLA PLACIDtA A HAVENNE 119

Cenl anspius ttu-.l, an milieu duv^ siècte, H dominait pai-eiilement


sur l'autre rivage de cette mer, à Havenne.
Au temps où ia HHe de Théodose ie Grand, GaiiaPiacidia, gou-
vernait i'empire d'Occident pour sonjeune His Vaientinien Iil, eile
couvrit de iuxueuses constructions Ravennesacapitate. Des éditices

Big. 4". — Ravenne. Tombeau de Gatta Placidia (Phot. Atinari).

qu eiie éieva, un seul nous est parvenu intact : c'est ie charmant


oratoire qu'on appeiieiachapeile des saints Nazaire et Ceise, etpius
fréquemment ie mausoiée de Gaiia Piacidia (Hg'. 47). ii date de 450
environ, etc'est peut-être ce que i'art chrétien nous a iaissé de pius
exquis.
C'est unetoute petite construction en forme de croix, couverte
par une coupoie sur pendentifs, curieusement édifiée au moyen de
ionguesamphores creuses emboîtées iesunes dans ies autres. Jadis
ia partie inférieure des muraiiies était revêtue d'un piacage de
marbres précieux ; au-dessus, à iacourbedes arcades, aux iunettes
du tambour, à ia voûte de ia coupoie, de somptueuses mosaïques
mettent leur harmonieuse douceur. Toute ia partiepurementdéco-
rative est proprement admirabie. Sur ie fond bieu sombre, des
120 LA DIFFUSION DES INFLUENCES ORIENTALES

omements d'or ftamboient. Au hautde ia coupoie,unegrandecroix


étinceHe dans un champ d'étoiies, tandis que tes symbotes des évan-
gélistes rayonnent dans tes pendentifs ; ptus bas, à ta courbe des
arcades, de souptes rameaux de vigne, jetés parmi des tys et des
roses, encadrent des tigures dorées de prophètes ou d'apôtres. Ait-

Fig. 48. — Le Bon Pasteur. Mosaïque du tombeau de Galta Placidia


(Phot. Alinari).

leurs, au fond des tunettes, des cerfs attérés viennent, parmi dès
rameaux d'or, se désattérer à !a source de vie ; ptus haut, deux
cotombes boivent au bord d'une targe coupe. Tout ceta est d'une
richesse élégante et sobre, d'un cotoris savant et harmonieux. L habi-
teté du maître n'est pas moindre, quand il s'agit de poser les
Hgures, soit ces images d'apôtres affrontés deux à deux et qui, les
yeux levés vers 1a coupole, adorent 1a croixsymbole duChrist, soit
les personnages des deux grandescompositionsquisecorrespondent
au-dessus de 1a porte d'entrée et au fond dela chapel!e.lci,c'estle
Bon Pasteur au milieu de son troupeau (fig. 48), jeune, imberbeet
grave, pareil à quelque Apollon antique, mais vêtu de pourpre et
nimbéd'or, commeun roi majestueux et bienveillant. Là, c'est un
LE MAUSOLEE DE GALLA PLACÏDIA A RAVENNE !2t

Fig. 49. — Havenne. Haptistére des ort,hodoxes. Intérieur(Phot. Alinari).


122 LA DtFFUSION DES INFLUENCES ORIENTALES

martyr —où parfois on veutreconnaître saintLaurent— s'avançant,


une longue croix sur l'épaule, vers un gril sous lequei brûlent des
tlammes, tandis que, sur ia gauche, une armoire ouverte contient
ies Évangiies. Nuiie partn'apparaît mieux que dans ces deux scènes
iatransformation capitaie qui s'accompiit aiorsdansi'iconographie
chrétienne. En face du Bon Pasteur, chef-d'œuvre de ia peinture
symboiique et traditionneiie, ia scènedu martyrereprësente ies ten-
dances nouveiies d'unart qui s'essaieà traduire de façon pius réaiiste
ies épisodes de la vie du Christ et des saints. L'évoiution vers ie
styie historiquese manifeste ainsi de façon caractéristiquedans ces
mosaïques, qui sont assurémentune des plusbeiiescréations de i'art
chrétien.
Le //arenne. —Lebaptistère desortho-
doxes, comme le mausoiée de Gaila Piacidia, date du miiieu du
v" siècie; c'est une constructionde formeoctogonale, couronnée d'une
coupoie bâtiedeia mêmefaçon queceiie du mausoiée. i.'extérieur est
assez insignifiant. L'intérieur, au contraire, est décoré d'une façon
originaie etprécieuse, où revitlapuretradition aiexandrine (iîg'. 49).
Jadis, à ia base desmuraiiies, de richesincrustations de marbre, dont
iineresteque queiquesfragments, mettaienti'éciatde ieurpoiychro-
mie. Plus haut, à ia courbe des deux rangées d'àrcades super-
posées qui soutiennent ia coupoie, des mosaïques ornementaies où,
sur un fond bieusombre, des arabesques d'or encadrent des iîgures
d'apôtres, et des ornements de stuc, d'une grâce et d'une fantaisie
charmantes, rappeiient les procédés de i'art heiiénistique. Et de
même, ia zone d'architectures qui décore le tambour do ia coupoie
et où huit compartiments aiternés montrent, entre des coionnes,
des auteis et des ti'ônes d'or, s'inspire des rnotifs chers à i'art
d'Aiexandrie. Ausommetde iacoupoie, aucontraire, ie styie monu-
mentai apparaît, sinon dans ie médaiiton centrai représentant ie
Baptême du Christ, et où ia tigure du Jourdain procède nettement
des modèies antiques et de ia symboiique païenne, du moinsdans
ia processiondes apôtres qui tourne, soienneiie, autourdece médaii-
ion (iîg. 50). Chacune de ces figures, encore drapées seion ies meii-
ieures tradit.ions du styie antique, a un type individuei réaiiste et
vivant. Ce sont des portraits que ie peintre a vouiu faire, et ia
même recherche de ia nouveauté se manifeste dans i'aiternance des
tuniques ciaires ou sombres correspondant à des manteaux tei'ntés
en jaune d'or ou en bianc, que ie peintre a substituée à ia monoto-
nie des vêtements uniformément biancs. Ainsi, pius nettement
LE BAPTISTÈRE DES ORTHODOXES A RAVENXE 123

encore qu'au mausolée, se marque Févolution qui, du symboiisme


prinntif et de ia peinture pittoresque, conduit i'art chrétien vers
des représentations pius réeiies et pius historiques.

Fig. 50. — Ravenne. Baptistère des oi liodoxes. Mosaïques de !a eoupoie


, (Phot. Aiinari).

On a ingénieusement rattaché ces mosaïques ravennates du


v" siècie à ia grande écoie d'art qui florissait à Antioche de Syi'ie :
et au vrai toute ia partie décorative, par son élégante et har-
monieuse richesse, rappeiie ie goût qu'eut i'art syrien pour i'orne-
124 LA DtFFUStOK DES [NFLUENCES ORtEXTALES

mentation. Gertains éiéments pourtant, on l'a vu, sembient venir


de l'art alexandrin, et peut-être cette combinaison de deux tradi-
tions pourrait-elle s'expiiquer, si les artistes qui travaibèrent à
Ràvenne venaient de Constantinople, qui dès ce moment tendait à
prendre la direction de i'art. Quelie que soit, au reste, i'origine
précise de ces mosaïques, du moins ies influences orientaies y sont-
eiies indéniabies; et en tout cas, mausolée et baptistère nous ont
conservé les œuvres ies pius remarquabies et ies pius parfaites de
i'art chrétien de ce ternps.
Lesmonnments Je rA/r:yuee?u /Vo:*i!f'.—Dans i'Afrique du Nord
sembiablement, on constate 1a trace évidente des influences orien-
taies. On sait quei fut dans cette région, au iv° et au v^ siècie,
ie briiiant déveioppement duchristianisme; c'est parcentaines qu'on
rencontre en Aig*érie et en Tunisie ies ruines d'éditices reiigieux. Or,
par ieur pian etqueiques-unes de ieurs dispositions essentieiies, ces
églises rappeiient étrangement ceiies de ia Syrie et de i'Ëgypte. Ge
sont pouriaplupartdesbasiiiques.'ni ia construction à piancentrai,
ni ia basiiique à coupoie ne sembient avoir pénétré dans i'Afrique du
Nord; mais ces basiiiques présentent des traits tout à fait caractéris-
tiques. L'atrium n'y npparait que très rarement : ii est rempiacé d'or-
dinaire par un vestibule fermé, piacé en avant de l'édifice, queiquefois
même, comme dans i'égiise de Morsott,par un porche s ouvrant entre
deux tours,seion ie type ordinaire des monuments deSyrie. A i'inté-
rieur, ies nefs très nombreuses (on trouve des égiises à cinq nefs,
comme à (Iriéansviiie, à sept comme à Tipasa, à neuf comme à
Damous-ei-Karita) sont sépat'ées soit par des coionnes, soit par des
piiiers quadranguiaires, queiquefoismême, comme en AsieMineure,
par des piiiers cantonnés de coionnes engagées(Ksar Taia); au-dessus
de ces supports, nuiie part ne se rencontre pius i'entabiementrecti-
iigne : ce sont toujours des arcades qui couvrent ies entrecolon-
nements. L'abside est fréquemment, connne en Syrie, enfermée datis
un cadre rectanguiaire. Eniin, si ces égiises sont généraiement cou-
vertes en charpente, il est certain cependant qu'en Tunisie ii exis-
tait des égiises voûtées à piusieurs vaisseaux. Ajoutex ia rareté des

1. Satadin, Atpport sur tttte mt'sstoa ea Ttttttst'e(Arch. des Missions, 3= série,


XIII (i887), et Nouv. Arch., t (1893); Dichi, A'A/rt't/ue hy:attt;';te, Paris, 1896 ;
Gavault, Ëlude sur /es rut'ue.s romatttes de ï t'y:t'rL Paris, 1897 ; Baliu, Ae' ntottas-
7ère hysattlt'tt de 7'e'he.s.s;t, Paris, 1897; Gseli, Le.s ntottuntettls nnlt't/ues de t'At-
t/e'rt'e, Paris, 1901 ; Gauckter, yl/osait/ue.s lonttnttes d'utte c/tapelte de tttar/yrs à
7*/tahraca(Mon. Piot, XHl (1907); Basth't/uesc/trèltetttte.s de 7*unt'st'e, Paris,
1913.
LES MONUMENTS DE L AFÏUQUE DU NORD Î25

tribunes, t'emploi au-dessus des iinîeaux de porte des îunettes t'or-


mant arc de décharge, l'absence de transept; de tous ces faits une
conclusion importante se dégage. K C'est que, comme i'observe
M. GseH,maigré îes nombreuses attaches de l'Eglise d'Afrique avec
Rome, ies édiîices reiigieux de ce pays n'ont pas été copiés sur
ceux de ia capitaie du monde iatin, où i'on trouve des transepts,
et pius fréquemment encore des où ies absides ne sont pas
enfermées dans des cadres, où ies sacristies üanquant i'abside sont
i'exception, de même que ies vestibuies cios par des murs. Les
monuments chrétiens de i'Afrique du Nord ressembient beaucoup
pius à ceux de ia Syrie et de i'Égypte qu'à ceux de Rome L o
G'est la Syrie et l'Ëgypte égaiement que rappeiient ies édiftces à
plan tréfié ou quadrifoiié, dont on rencontre piusieurs exempies
dans i'Afrique du Nord (Tébessa, Aguemmoun, Ksar-Heliai, Hen-
chir-Damous, Henchir-Maatria) et qui sans doute étaient éievés au-
dessus du tombeau d'un saint. Comme ies basiiiques, ces construc-
tions sont bâties en biocage avec des chaines en pierre de taiiie ;
l'empioi de ia brique est tout à fait exceptionnei.
La piupart des monuments chrétiens de i'Afrique du Nord ont
été éievés à ia hâte, et attestent pius de zèie reiigieux que de goût
artistique. Pourtant, entre cesconstructions généraiement médiocres,
queiques édiiices tranchent par une exécution pius soignée et une
riche ornementation. Teiie est par exempie ia vaste basiiique de
Tébessa, dont ia partie ia pius ancienne, datant sans doute du
iv^ siècie, comprertd une égiise à trois nefs précédée d'un atrium
et dressée sur un haut soubassement où i on monte par un escaiier
de quatorze marches, et d'autre part une étëgante saiie tréfïëe.
La construction est fort bonne, en pierres de taiiie formant des
assises réguiières ; ia décoration sernbie avoir été assez riche. Des
mosaïquesornementaies couvrentiesoi; ,dans ia saiie tréfiée, ies
mursétaientrevêtus d'une marqueterie de marbre, et des mosaïques
en cubes de verre tapissaient ies voûtes. Pius tard, au connnence-
ment du v^ siècie, on ajouta à ces constructions ia grande avenue
daiiée qui s'étend transversaiement en avant de ia basiiique, ies
deux portes monumentaies qui y donnent accès et ia vaste piace
ouverte du côtédu sud. Pius tard encore, on construisit destribunes
au-dessus des bas-côtés de ia basiiique, on adossa des ceiiujes aux
murs extérieurs de i'égiise et on entoura tout ce vaste ensembie
d'une enceinte flanquée de tours à i'intérieur.

1. Gset), Les i)fotntt)te;tt.s attù't/ties ùe t'Atyërt'e, It, )50.


126 LA UtL'FUStON DES Us'FLUENCES ORtENTALES

Les églises de Tigzii't mériteut égatement t'attention. La grande


basiliqne, qui date du miiieu du v" siècie, est à trois nefs séparées
par une doubie rangée de coionnes. L'abside, où ) on montait par
deux petits escabers, était précédée de huitcoionnes disposées deux
à deux, qui portaient trois arcades en pierres de taide. Les cobaté-
raux étaient surmontés de tribuùes, dont )es arcades reposaient,
comme à ['étage inférieur, sur des coussinets décorés de scutptures,
croix, animaux, etc. La décoration était assez riche, mosaïques
ornementales sur le so), mosaïques à )a voûte de i'abside. A côté
de ia grande égiise, on trouve un curieux baptistère qui a ia forme
d'un quatre-feuiiies.
Garthage surtout offrait des édifices remarquabies, en particuiier
ia basiiique de Damous-ei-IÂarita, vaste construction à neuf nefs,
coupée transversaiement par un iarge transept et précédée d'un
atrium en forme d'hémicycie entouré d'un portique, sur lequei
s'ouvrait, au nord, une chapeiie tréfiée, et ia basiiique de Ilermech,
à cinq nefs, avec un autei centrai entouré d'un chancei de marbre.
Piusieurs autres de ces constructions africaines doivent encore ètre
signaiées : ia basiiique d'Oriéansviiie, qui date de 324, avec cinq
nefs séparées par des piiiers et une abside dans un cadre rectiiigne;
la basiiique de Sainte-Saisa, à Tipasa (iv" siècie), en pierres de
taiiie, à trois nefs, avec un portique en avant de ia façade, coupé
par un couioir centrai, et des tribunes sur ies coiiatéraux ; ia basi-
iique de Bénian (vers 435) et ceiie de Kherbet-Guidra (avant 444) ;
et en Tunisie ia basiiique du Dar-ei-Kous, au Kef, avec ses bas-
côtés voûtés en arête, sa curieuse abside creusée de cinq niches
demi-circuiaires et recouverte par une demi-coupoie à côtes, qui
rappeiie ies dispositions de certaines petites égiises de Constanti-
nopie; ia basiiique d'Henchir-Msaadin (Fumi), à trois nefs, pavée
de mosaïques qui marquent ies principaies divisions de i'égiise ; ia
basiiique de Siagu, à trois nefs, avec son déambuiatoire régnant
autuur de i'abside, son autei au miiieu du chœur, son baptistère
octogonai ; ia chapeiie de Thabraca, à trois nefs et abside unique
en fer à chevai, avec son curieux pavement de mosaïques représen-
tant une basiiique chrétienne du iv^ siècie ; ia basiiique d'Uppenna
eniin, à trois nefs et abside unique empâtée dans un carré.
Une disposition intéressante, que i'on observe à Tébessà et à
Tigzirt, rappeiie i'intérieur des égiises de Syrie. Les coussinets qui
supportent ies arcades des tribunes reçoivent ie sommet des arcs
sur ieur partie postérieure; ieur moitié antérieure faisant saiiiie
[,E BAt-TISTÈRE DE XAPLES 12"

portait, une coionnette qui servait à soutenir tes poutres de la toi-


ture. On retrouve ia même disposition à Qatb-f,ouzé. Les baies
des tribunes étaient fermées d'autre part par de petits frontons por-
tant à feur sommet une cofonne qui partageait ia baie en deux
ouvertures cintrées. Ce dispositif est attesté à Tigzirt par de
curieux bas-retiefs qui représentent une coupe de )a basiiique.
Le Aayffsfére cfe — Ainsi t'art syrien, de même qu'en
Orient il débordait sur l'Asie Mineure et t'Arménie voisines, éten-
dait pareiiiement son intluence en Occident, ie iong du rivage alri-
cain de ia MédiLerranée. Si i'on- se transporte maintenant sur ie
rivage occidentai de i'ftaiie, on constatera que i'Orient exerçait
également dans ia région napoiitaine une action considérabieL
Piusieurs édiiices construits en Campanie au v° siècie présentent
un caractère purement orientai. G'était ie cas des basiiiques grou-
pées à Noie autour du sarcophage de saint Féiix; d'après ia
description qu'en a iaissée saint Pauiin, eiies rappeiient assez exac-
tement ia disposition du monastère syrien de Kaiat-Seman et
sembient avoir été une imitation du 7narfyr;on de Jérusaiem. De
même ia basiiique de saint Sévère à Napies (fin du iv^ siècie) oii're
dans son abside à jour, au-dessus des chapiteaux, des impostes de
styie tout byzantin, ies pius anciennesque i'on connaisse en itaiie.
Mais surtout ie baptistère de Soter à Napies (miiteu v° siècie) est,
par son pian comme parsa décoration, un édiftce absoiument orien-
tal. De forme carrée, ii est couvert d'une coupoie sur trompes
d angie, et ies mosaïques dont ii est orné présentent des sujets tout
a tait dignes d'attention. Dans ies trompes ftgurent ies symboies
des évangéiistes, représentés, comme sur i'ivoire Trivuice, avec six
aties. A ia coupoie, autour d'un médaiiion centrai où briiie ie signe
de ia croix, un cercie s'enrouie, orné de fieurs, d'animaux, de per-
drix, de canards, de paons affrontés. De cc motif centrai partent
huit bandes décoratives, déiimitantautant de compartiments, où
sous des draperies iamées d'or apparaissent huit scènes évangé-
bques. On remarquera ia combinaison des deux styies, ia peinture
de genre et ie styie.monumentai, qui se rencontre dans cette déco-
ration. On y notera surtout ies traits d'origine orientaie, ia dispo-
sttmn de ia croix parmi ies étoiies et ies symboies, identique à ia
décoration de ia coupoie du mausoiée de Galia Piacidia, ies six

J. Bertaux, ^/^a^emeridtona^e,Paris, 190i; Munoz, /wtusafci de^


d/Sazt Giova?t7tt a ^Vapo^ (fArt-e, 1908).
128 L.\ DtFFUStON DES I\'FLUENCES ORIENTALES

ailes des animaux symboiiques rappelant 1a plaque Trivulce, et 1e


motif des Saintes-Femmes au tombeau qu'on ne rencontre, avant 1e
v^ siècle, que dans deux ivoires (ivoire Tt'ivulce, ivoire de l'Anti-
quarium de Munich), tous deux d'origine sûrement orientale. Cette
parenté avecles mosaïques de Ravenne, ces traits essentiellement
orientaùx sont chose significative. Les mêmes observations con-
viennent aux mosaïques de Capoue, à celies de Santa-Prisca, à celles
de 1a cathédrale, où l'on voyait jadis à l'abside une Vierg'e glo-
rieuse aujourd'hui détruite. De tout cela ii ressort que I influence
orientale, en même temps qu'elle dominait à Ravenne, parvenait
d'autre part jusqu'en Campanie.
L'Z/aGe dtt fVortf ef ia Gaufe. — EHe s'étendait plus Ioin encore L
De Ravenne, par l'Italie du Nord, elle atteignait Milan, où i'église
de Saint-Laurent (hn du iv^siècle), avec sa coupole reposantsurune
colonnadeintérieure,procède,comme Saint-Vital, de l'artdel'Orient,
où l'église de San Naxaro, avec son plan en forme de croix, rap-
pelle l'édiflce décrit par Grégoire de Nysse et procède peut-être
de l'église des Saints-Apôtres bâtie à Constantinople par Constan-
tin. PIus loin encore, par Marseille, elle pénétrait peut-être en
Gaule et jusqu'au Rhin^. II est sans doute un peu excessif de
considérer Trèves, seion 1e mot de Strzygowski, comme « un
avant-poste del'art oriental x; du moins faut-il remarquer qu'on
trouve en assez grand nombre dans cette région des ivoires de
provenance égyptienne (sculptures de 1a chaire d'Aix-la-ChapelIe,
ivoire de 1a transiation des reliques, au trésor de Trèves, ivoire
Barberini, au revers duquel se lisent une série de nomsqui semblent
rattacher 1e monument à l'église de Trèves, pyxide de Wiesbaden,
jadis appartenant au trésor de Trèves) et que ces objets semblent
indiquer d'anciennes relations avec l Orient.
Assurément, dans tous ces faits, il subsiste encore bien des
incertitudes, et « la première question bvzantine H, cornme on
nomme volontiers 1e problème des influences exercées par l'Orient
sur l'Occident au iv° et au v" siècie, garde une part d'obscurité II
est sage de ne point exagérer ces influences, il est prudent surtout
de n'en pas vouloir trop précisément déterminer l'origine. Le terme

1. Strzygowski, A/ettta^tett, 2it suiv.;t/rsprtttty ctereArtst. Atrc/teaAuttst,


49, 73-73 ; ttivoira, Ae orttytttt ùetta arcAtie/ittra tottt/tarùa, Rome, 190i.
2. Strzygowski, Der Dottt :u AacAett, 44 suiv.
3. F. von Reber, Dt'e At/Tatt/ttttscAe Fraye ttt der .4rc/tt/eAittryescAt'cAie
(Sitzungsber. d. Phit. hist. Kt. d. bayer. Akad. d. Wiss., i902, p. 463).
L ITALIE DU XORD ET LA GAULE 129

Fig. 51. — Salonique. Église de Saint-Déniétrius (Phot. Le Tourneau).

9
130 LA DIFFUStOK DES INFLUENCES ORIENTALES

de « Syriens o esl, au v° et au vi" siècie, uu mot assez vague, sous


lequei ies textes désignent et confondent toute espèce d'Orientaux.
Mais, ces réserves faites, ii faut faire une iarge part à i'action des
civiiisations orientaies sur ia cuiture occidentaie : et si ces
influences ont si puissamment agi sur i'itaiie, sur i'Afrique, sur ia
Gauie iointaine, combien, à pius forte raison, ont-elies dû se faire
sentir dans ies régions, bien pius voisines, de i'Orient européen.

Fig. 52. — Saionique. Égiise de Sainte-Parastévi


(Eski-djouma) : vue intcrieure.
(Service photograpinque de i'armée).

Lex monumenfs de f'Orienf européen. — Les monuments de


Saionique en offrent une première et remarquabie preuve L
<Saiu/-Déuiéfrius e/ <Sain(e-.So/i/tie à -Sa/ouiyue. -— Au point de
vue de i'architecture, on rencontre dans cette viiie, dès ie v" siècie,

1. TexieretPutian, i.'Trcàt'teciureàynantt'ae, Londres, !864:Laurent,Suràt


date des eqtt'ses de Sat'tti-Denteirt'tts ei de Sat'ttie-Sop/tt'e, BZ, IV (1895), et sur-
tout : Diehi, Le Tourneau et Saladin, Les tttottutttett/s c/tre'/tetts cfe Sa/ottt'qtte,
Paris, 1918.
SALOXtQL'E 131

tous ies types de constructîon que nous a révétés l'Orient. G'est,


à Saint-Démétrius (flg. 51), la basilique heUénistique avecl'atriuni,
]e narthex, ]es trois nefs séparées par des colonnades à arcades,
!e transept — addition probabtement postérieure — formant un
péristyte de chaque côté de ta grande nef, tes tribunes faisantie tour
de t'égbse et passant même au-dessus du narthex, et ]a cut'ieuse
crypte découverte après l'incendie de 1917. A l'ég'hse de Sainte-
Paraskévi (Eski-djouma). au contraire, c'estune basiiique purement
syrienne, qui, par les baies ouvertes sur ses façades, par ses tribunes
formant de véritabtes loggias, par son ordonnance et par son styte,
rappeHe Rouweya ou Qalb Louzè(fig. 52). G'est la construction sur
pian centra] dans ]a vaste rotonde
de Saint-Georges (commRiu tv« siècle,
transformée en égtise, au comm^ du
v<= sièc]e, par ]'adjonction à ]a ro-
tonde primitive d'un coHatérat cir
cutaire '), où la coupoleest posée sur
]e mur du pourtour épais et creusé
de niches. C'est, à Sainte-Sophie
(fig. 53 et 54), ]a basilique à coupote,
incontestabiement inspirëe d'un type
asiatique, rnatgré l'atrium et 1e pro-
pylée qui ia précédaient. On a fort
discuté Ia date et ]'origine de ce Fig. 53. —-Satonique. Sainte-
Sophie (d'après Hoitzinger).]
monument Gertains savants ont
pensé qu'i] était postérieur à ]'époque
de Justinien et n'était qu'un dérivé, assez matadroit et grossier, de
Sainte-Sophie de Constantinople. Tout fait croire, aucontraire, que
cette construction est de date antérieure à ]a « Grande Égtise x et
qu'eHe procède d'un autre modète L C'est, en effet, une basiiique à
coupole, analogue àceties quenousavonssignaléesenAsie Mineure,
mais exécutée avec une timidité un peu gauche par un architecte peu
habitué à ce type de construction. Pour épauter sa coupoie, i] a, au

1. Cf. sur cet èditice et sa retation avec t'arc de Gatère, Hébrard, Les tra-
Panædusert't'ce arc/tèotoytqne de l'artne'e d'Ortentàt'arcde frtomp/tede Gatére
ct à /'e'yttse .Sat'nt-Geortjres de 5a/ont'qite (B. C. H., 1920, p. 5-40).
2. Strygowski, Æietnast'ett, p. 110 suiv.; Wulff, Dt'e Æottttest's/tt'rc/te t'tt
A't'caa, p. 36 suiv.
3. Cecin'exciut nuiiement i'hypothèse qu'eiiepuisse apparteniraucommen-
cement du règne de Justinien, dont ies monogrammes se rencontrent sur ies
briques de Sainte-Sophie.
132 t.A DIFFUStON DES INFLUENCES OHIENTALES

nord et au sud, iuLercaté deux lourds berceaux, donL l'etîet est de


reporter les collatéraux au delà de l'alignement des petites absides.
Pour 1a mème raisori, Ie tambour de Ia coupole est enchâssé
dans une gaîne extérieure carrée. Tout cela atteste quelque incer-
titude dans l'emploi d'un type importé d'ailleurs. Mais, par ses traits
essentiels, coupole sur pendentifs, collatéraux étroits surmontés de

Fig. 5 i. — Sainte-Sophie. Extérieur (Phot. Le Tourneau).

tribunes, murs à trois étages de baies inscrits dans les formerets,


Sainte-Sophie n'en est pas moins conforme à ce type que l'on
trouve, à 1a fin du vi" siècle encore, exactement conservé en Méso-
potamie ^ ; et dans 1a forme mème et 1a décoration de ses chapi-
teaux apparaissent clairement des influences orientales
Le.s moM/'yuey Je Satnf-Georyex à Sa/omyiie. — La décoration
des églises de Salonique n'est pas moins caractéristique ni moins
instructive. Les mosaïques qui décorent Sainte-Sophie sont, à 1a

1. Bett, Chiireàes aad moaasfert'es o/' tàe Tiir ythi/t'a, 88 suiv.


2. Sainte-Sophie de Salonique, fort endommagée par le grand incendie de
1890, est demeurée pendant près de vingt ans en assez méchant état. Grâce
aux études qu'un architecte français, Le Tourneau. a faites de cet intéressant
'monument, t'attention a été rappetée sur tui. En 1909, ta restauration de
Téditlce, entreprise par le gouvernement ottoman, était fort avancée : etteest
achevée aujourd hui, et l'égiise a été rendue au cutte orthodoxe C'est à Le
Tourncau pareiltement qu'on doit t'idée de la restauration d'Eski-djouma,
commcncée en 1910.
SALONIQUE 133

vérité, de date sensiblement postérieure, et nous les retrouverons


plus tard. Mais ceties de Saint-Georg-es méritent dès maintenant
l'attention ' (Hg. 55). H)!es rappeiient de façon frappante ceties
du baptistère des orthodoxes : comme à Ravenne, une grande
place y est faite à l'ornement et aux architectures ; et comme eiles
sont de date un peu plus ancienne (commencement du v^ siècle),
le style monumental s'y accuse moins fortement qu'au baptistère.

Fig. 55. — Satonique. Mosaïques de la coupote de Saint-Georges


(Coli. HautesHtudes, A. 13).

Autour d'un médaillon central, aujourd'hui détruit, et encadré


d'une riche bordure de feuillàges et de fruits, se déroule une zone
miérieure, partagée en huit compartiments. Sur les fonds d'or, des
architectures se dressent, d'une richesse et d'une fantaisie tout
alexandrines ; ce sont des absides ajourées, en avant desquelles des
autelss'abritent sous des baldaquins. Devant ces édifices, des saints,
d'un fort beau style et d'un extraordinaire réalisme, sont debout,
dans i'attitude d'orantes ; tous sont orientaux et antérieurs à la paix
de l'Église; des légendes les accompagnent, indiquant leur nom et
le mois de iettr fête. Mais, pius encore que les tigures, le dévelop-
pement des architectures a préoccupé i'artiste, et c'est par ia beauté

1. Bayet, ttech., S5-86 ; Aïnatof, Oriy., 147 suiv. Dtehi, Le Tourneau et Sala-
din, op. ct'L, 23-31 (S. Georges) ; 52-59 (Eski-Djoutna). D'exceitents reievés des
mosaïques de Saint-Georges ont été exécutés par le peintre Lambert, sous ia
direction de M. Hébrard.
134 t.A DtFFUSfHX XES INFLUENCES ORIENTALES

surtout de i'ornementation que ces niosaïques sont d'un si grand


effet. De même, dans trois des petites voûtes absidiaies, ies motifs
atexandrins, oiseaux et fruits, forment l'essentiet de ta décoration.
Pareiltement, à Eski-Djouma, les belies mosaïques décoratives qui,
aux arcades des tribunes et du rez-de-chaussée, à la courbe de ta
tripte baie du narthex, montrent des gniriandes de fruits, des vases,
des arabesques, des semis de feuiites ou de fleurs épanouies, s'en-
roufant parfois autour d'une croix, attestent fes mêmes influences
et montrent d'où procède cette décoration d'une éfégance et d'une
grâce incomparables (milieu du v^ siècle). Et à Saint-Démétrius
entin, dont nous étudierons plus tard tes magnitiques mosaïques,
les motifs ornementaux qui subsistent à ia courbe des arcades se
rattachent aux mêmes origines hellénistiques.
CoiMtauitno/ife. — Les mêmes influences orientafes — mésopo-
tamiennes ou anatoliennes — se rencontrent en d'autres points de
la péninsule balkanique, dans les égtises de Philippes, de Pirdop,
de Sainte-Sophie de Soha. Toutes trois datent du vi^ siècle, toutes
trois sont des basiliques à coupole : parnii elles, Sainte-Sophie de
Soffa est particulièrement intéressante, avec ses voùtes en berceau
couvrant ses trois nefs, son farge transept en avant de f'abside
unique, ses nombreuses fenêtres et sa sobre décoration'. Mais
c'est surtout, et tout naturellement à Constantinople que se ren-
contrèrent ces apports divers de f'Orient. On a dit précédemment "
comment, par sa position géographique, par son rôfe de capitafe,
par t'ampleur de ses relations commerciales, fa ville de Constantin
attirait à elle un perpétuel atllux d'Qrientaux, comment aussi la
présence de la cour y dévefoppait nécessairement la spfendeur des
constructions. Gonstantin avait voulu parer sa fondation de tous
tes luxes, et ses successeurs le suivirent dans cette voie. Grandes
places entourées de poi'tiques, tels que fe Forum de Constantin, le
Forum du Tauros ou t'Augustéon, colonnes et arcs de triomphe,
aqueducs et citernes, splendeurs du pafais impérial, assez semblable
sans doute en son ordonnance au palais de Dioclétien à Spalato,
élégance des habitations particulières, rien ne manqua à 1a ville
nouvelle, dans laquelle Rome et l'Orient mêlèrent leurs traditions.
L'architecture religieuse rnarcha de pair avec l'architecture civile :
Constantin éleva les grandes basiliques de Sainte-Sophie et de
1. Fitof, Sainfe-Sop/u'e de Sotia, 19)3: Protic, L'.trc/u'teetHre de
i'ë<yii.se Je Saiaie-Sopiu'e à .S'o/ia, Soiia, 1912.
2. Voir chap. 1, p. 21-22.
CONSTAHTiNOPLE ) 35

Sainte-Irène, i'ég-lise en forme de croix des Saints-Apôtres, et bien


d'autres. Ses successeurs continuèrent. Et comme 1a nouveiie viiie
eut ia bonne fortune d'avoir à sa porte ies matériaux admirabies
que iui fournissaient ies carrières de marbrede Proconnèse, ie iuxe
des constructions prit de ce fait un déveioppement pius briilant
encore.
Dans cette viiie neuve, enrichie, d'une part, des dépouiiies artis-
tiques de i'antiquité, ouverte. d'autre part à toutes ies intluences
orientaies, dans cette cité riche et magnifique, où ia profusion des
constructions et ie iuxe de ia cour attiraient toutes ies forces vives
du monde chrétien, un grand mouvement artistique devait néces-
sairement se produire et Gonstantinopie devait bien vite prendre
ia direction de i'art. Dès ie commencement du v^ siècie, on voit
i'impératrice Eudoxie envoyer de Byzance des pians pour ia recon-
struction d'une égiise de Gaza. Dès ce moment, c'est de Gonstanti-
nopie que se propagent à travers ie monde certains types architec-
turaux créés par Constantin et bientôt devenus canotiiques '. Ainsi,
dès )e v" siècie, '< ies hautes destitiées, ménagées par Constantin à sa
nouveiie Rome- o s'accompiissent, et ia capitale oh're ie terrain
commun où ies artistes de tous ies pays se rencontrent, où ies procé-
dés divers vont se fondre heureusement en un styie nouveau.
Ce qu'eiie reçut de i'Orient et ce qu'eiie en adopta, ce qu eiie
rejeta au contraire comme trop spécifiquement orientai; comment
eiie combina, groupa, coordonna ies formes, ies traditions et ies
formuies diverses, ies apports de i'Egypte et de ia Syrie, de i'Asie
Mineure et de ia Perse, et comment, consacrant par des monu-
ments considérabies ces formes nouveiies propres à i'art byzantin,
elie fut vraiment créatrice : c'est ce qu'il faut dire pour marquer à
ia fois ia diifusion des éiëments orientaux et ie rôie essentiei de
Constantinopie. On s'etforce aujourd'hui, après Rome, de décou-
ronner Byzance, et i'on refuse à ia ca'pitaie byzantine, au mépris de
i histoire, toute piace, ou à peu près, dans ia formation de i'art
byzantin; on cherche ia genèse de cet art en Syrie, soit à Antioche
dont nous ignorons tout, soit dans des monastères obscurs dont

1. Gf. Vincent. t,e pfan fre'/te' Jans t'arctu'fecfHre ôycaHÙne (Rev. Arcti.,
t920, t), qui pense que ie ptan triconquc procède d'une église de ee type b&tie
a Gonstantinopie vers ia Rn du tv" siècle (p. 104 sqq.) et que le mausoiëe de
Gaila Pia'cidia à Ravenne imite i'église des Saints-Apôtres bâtie par Constan-
tin (p. 108-109).
2. Miiiet, Arf ày:., 129.
!36 LA DIFFHSION DES INFLUENCES ORIENTALES

nous ne savons guère davantage, soit en Arménie, dont ii ne nous


reste pas un monument antérieur au v^ siècle. C'est pourquoi ii
importe de serrer ie problème et de définir avec précision ce qui
appartient avec certitude à Constantinopie, et queis sont, au moment
où ii achève de se constituer. les traits caractéristiques de i'art
byzantin ^.

iil
RÔLE DE CONSTANTINOPLE DANS LA FORMATION DE I.'ART BYZANTIN

Ce ^ne Coinfanfinopfe ùof à f'Orienf. — Etd'abord,dansl'archi-


tecture, Constantinopie, dès ie temps de Constantin, reçut de l'Orient
hellénistique certaines formes architecturales.Ce furent la basilique
gréco-romaine et la construction à plan central, octogone ou circu-
laire. De bonneheure aussi lui vint, d'Egypte ou de Syrie, le plan tréflé
inconnu à l'Asie Mineure, et dont l'église de Saint-André, aujour-
d'hui Hodja-Must.apha-pacha-djami, offre un exemple caractéris-
tique^. Mais surtout l'Orient lui donna /a coupofe, fraffeMenffef ùe
/'arDùi^zaii/iii, et, en mème temps que cette forme architecturale, le
procédé des voûtes sans cintrage qui en facilitait la construction,
l'un et l'autre empruntés à la Perse et transmis par l'Asie Mineure
à Byzance. Gonstantinople adopta tout cela. Pourtant l'esprit grec
repoussa, comme étrangers à son génie, certains traits trop orien-
taux, tels que la basilique voûtée anatolienne, le porche syrien,
l'arc outrepassé ou brisé, et entre les deux partis imaginës pour
porter la coupole, elle eut plus de goût pour le pendentif, plus
hellénistique, que pour la trompe d'angle plus orientale.
Dans la décoration, Constantinople dut à l'Oi'ient le goût de la
polychromie. G'est de là que lui vinrent, importës par les ëtoffes
persanes, un certain nombre de motifs ornementaux ; c'est de là
que lui vinreht les procédés du relief méplat, substituant aux effets
de forme les effets de couleur. Mais ce qui caractérise l'art byzantin,
c'est que fe yoùf ùe fa ùécoraffon po/ycArome 3'y c/éne/oppa auec une!

1. Strzygowski, t/rspruny unù .Sicf/ r/rr aÙti/u. A'iiits'I (Byz. Denkm. III).
CI. Dt'e iMi'iM'aùiren des .sertn'scAeit Psatlers iit üfHaeàeii (DAWW, t. 52).
ViennIS?*1906, p. 87 suiv., où ta thèse presque contraire est soutenue.
2. ^Cette égtise, on le verra, est de date postérieure. Mais tes textes signatent
te ptan triconque à Constantinople dès !a Sn du iv° siècle (Ps. CodiniOrt'qrtnes,
éd. Preger, p. 260), Cf. pour !e v° sièc!c Thëophane, a. 6005 (p. 245) et 6064.
CE QUE COKSTAXTtXOPLE DUT A L OMEXT 137

joat/t'cu/tére amp/eu7*, au f/e c/eueu/r uue f/e.s ;*èf//ex /ortf/umeu-


/a/es e/e ce/ ar/. On l'appliqua, non seuiement à l'intérieur, mais à
l'extérieur des édifices, et ceia se conçoit aisément. La construction
byzantine emptoyait exclusivementla brique : ia nécessité d'unrevê-
tement s'imposait pour dissimuier cette matière un peu indigente.
On y parvint soit par des jeux de briques et de moelions, soit par

Fig. 56. — Maison byzantinc à Serdjilta (Phot. Van Berchem).

des incrustations de marbre, soit par des appiications de faïences


recouvrant ies membres extérieurs de i'édifice. La richesse des
matériaux disponibies, empruntés soit aux dépouiiies des monu-
ments antiques, soit aux carrières toutes proches de Proconnèse,
fournit aux artistes de ia capitaie ie moyen de réaiiser ces revête-
ments avec un iuxe prodigieux. A i'intérieur des édihces, iis y joi-
gnirent ia mosaïque, étendue comme un tapis sur ie soi, ou appii-
quée comme un vètement étincelant sur ies nitiraiües et sur ies
voùtes. Et par ia variété de ces combinaisons, ici encore, sur des
données venues d'aiiieurs, Constantinopie sut être créatrice.
Dans ia peinture enfin, Constantinopie dutà i'Orient heliénistique
ies fantaisies charmantes du styie pittoresque ; eiie dut surtout à
i'Orient /e 5*/ï//e At^/ortytte e/ tnonumen/a/, yttt /tt/ utt c/es /t*aZ/.s
i:is LA DIFt'USÎON DFS [NFLUENCES ORIEKTALES

eg^e??/?e/s Je /a?/ hyza??/???. G'est du vieil Orient assyrien et perse


que !ui vint, avec le respect de la personne du prince, !e désir de
glorifier par i'art et d'éterniser tous ses actes, d'oùsortit naturelie-
ment un art profane, à tendances nettement historiques et réaüstes.
Gette peinture d'histoire, qui déçora les murs des palais impériaux,
inllua nécessairement sur la peinture religieuse; eHe lui donna le
goût de ia symétrie so!enneHe, i'amour des attitudes nobies et
graves, un penchant pour 1e !uxe et ]a magniiicence. A cela, qui est
capital, laPerse ajouta certains procédés, te!s que I'émail cloisonné,
propres à satisfaire cette recherche de splendeur, en même temps
que l'Orient de Syrie, par 1a création de certains types et de cer-
taines compositions, fournissaità 1a peinturedes modètes bien vite
imités, et donnait ainsi à Byzance l'une des bases de son icono-
graphie.

Co?u?ne?!f Co?Mh't??C?iopfe /?','üi.s/<!?'??!,! /es app«?'/.s o?*:en/a:?a;. —


II est aisé, par quelques exemples, de préciser ces apports et 1a
façon dont Constantinople les reçut et les transforma.
#a:so?n e/ c?7e???es. — Partni les monuments de l'architecture
civile, les maisons de la capitale, si mal que nous en connaissions
1a disposition, présentent pourtantcertains traits caractéristiques h
Si t'on met à part queiques grands palais qui représentent 1a maison
patricienne romaine, 1a piupart de ces habitations sont de type orien-
tal et rappellent les demeures encore debout dans les viHes mortes
de Syrie (fig. 56). Que l'on regarde l'ivoire de Trèves, représentant
une procession défHant dans une rue de lacapitale, ou les mosaïques
de Saint-Apoilinaire à Ravenne, flgurant 1a façade du palais de
Théodoric (fig. 57), on voit que les maisons byzantines ont des
façades à portiques,au-dessusdesque!sdes fenêtrescarrées s'ouvrent
à l'étage entre des colonnes. Mais, pour ménager l'espace, toujours
mesuré dans une grande cité, Ia cour qui en Syrie précède l'habi-
tation à disparu à Constantinople, et les portiques s'alignent direc-
tement 1e long des rues.
Pour assurer à 1a capitale son alimentation d'eau potable, on
employa d'abord, comme en Syrie, les réservoirs à ciel ouvert, avec
cette seule différence que, sauf une exception, on les construisit en
brique au lieu de pierre, et qu'ils furent, en général, de dimensions

1. De Beylié,Z,'#a&^a%ion Lî/san^?ï.e, Paris, 1902. Cf. Vogüé, S//rfecenùa7e,


et II. C. Butler, yircA^ec^ure aad o^Aer ar^.
MAtSONS ET CtTBRNBâ ]39

pfus grandes que ies rései'voirs syriens '. G'est au milieu du tv^ siècle,
en 369, qu'apparaissent ]es premiers éditices de cette sorte (citerne
de Modestus, au j. Sarradjchané, et citerne d'Aétius), et on continua
à en construire jusqu'au vt^ siècie, où t'empereur Anastase fit édi-
6er en pierre de tai]]e, à t'imiiation exacte du type syrien, )e réser-
voir de Saint-Mocius (aujourd'hui Tchoukour-bostan à Exi Atar-
mara), ]e ptus vaste de tous, et dont ]a superticie était de près de
25.000 mètres carrés. Alais bientôt, quand au commencement du

1 '-g.;-. W

Fig. 57. — Le Patatiuni de Ravenne (mosaïque de Saint-Apoltinaire-Neut'


(Ptiot. Atinari).

v" siècie, l'espace !ibre se resserra dans ]a grande vitfe surpeuplée,


on aménagea des citernes souterraines soutenues par des cotonnes,
sur ]e modète de ce qui se j'aisait à Aiexandrie : ]a p!us ancienne
parait avoir été ]a Cisterna maxima sous ie Forum, construite en
407. Aujourd'hui encore ]e sous-sol de Gonstantinople est ptein de
ces constructions, où ] on peut suivre de !a façon ]a pttis intéres-
sante !e dévetoppement et ['audace croissante de ]'architecture
byzantine. Les ptus anciennes, cebes du v^ siècie, n'eurent qu'un
seut étage, à cause de )a difticutté de creuser ]e sol rocheux,
et ne furent point de dimensions très considérables : )a ptus grande,
]a citerne de Puichérie, bâtie-en 421 (auj. Eschrefijé Sokaghy), eut
une superficie de^ 1.063 mètres carrés seuiement. E!)es n'eurent
guère qu'une trentaine de colonnes, pour lesqueües, comme à
Atexandrie, on emptoya volontiers ie granit. Les architectes-du

1. StrzygowskietForchheimer, Dt'e hi/cant. IFa.s.serheàüùer t'tt Cottshtnù-


ttopel (Byz., Denkmater, II). Vienne, 1893. Cf. Wulzinger, Dt/:. Suùslrttctto-
ttetti'ttXottstattù'nopel(Jahr. d. d. Arch. Inst., t. 28(19t3), p. 370 ctsuiv.).
140 LA DIFFUSIOX DES [KFLUENCES ORIENTALES

vi" siècle eurent une hardiesse bien pius grande. Jérébatan-sérai


(citerne du portique royai) et Bin-bir-Direk (citerne de ia basi-
iiqued'Hlus)eurent des proportions coiossales, 10.293 mètres carrés
et 3.6i0 mètres carrés de superhcie; par ieurs étages muitipies,
eiies rivaiisèrent avec ies citernes
d'Aiexandrie et comptèrent parmi ies
pius beiies créations de i'architecture
byzantine.
Ainsi, dans i'architecture civiie,
Constantinopie travaiilait sur des mo-
dèies empruntés à ia Syrie et à i'Bgypte
et qu eiie acconimodaitàsesexigences.
Dans un autre ordre d'idëes, i'histoire
du chapiteau byzantin n'est pas moins
caractéristique du rôie joué par ia
capitale, et de ia façon dont eiie trans-
forma des éiéments étrangers.
A'fofu/to/; t/t; eAa/it/eau h — Lecha-
piteau composite corinthien, que i'art
byzantin eniprunta à i'art ciassique,
prit dès ie v" siècie, à Constantinopie,
une forme particuiière. A i'acanthe
moiie on substitua i'acatithe épineuse,
aux feuiiies grasses et denteiées, que
tantôt on fit gonflées et comme retour-
nées par ie vent, que pius généralement
Fig 5S. — Constantinopte. Saint- on disposa en deux rangëes superposées
Jean du Stoudion. Chapiteau de huit feuiiies, avec, entre ies voiutes,
théodosien (Phot. Ebersott).
des feuiiies droites d'acanthe molie
au iieu des oves. Ainsi se.créa un type nouvéau, qu'on a nommé
le chapiteau i/;èoo?ox:e;;. J/exempiaire daté ie pius ancien qu'on en
rencontre est de 463 et se trouve à Constantinopie dans ia basiiique
du Stoudion (auj. Mir-Achor-djami) (tig. 58). Maisi'usage sembie
s'en être répandu dès ie femps de Théodose 11. On ie trouve dans
tout i'Orient, à i'Eski-djouma de Saionique, à Deiphes et jusqu'en
Itaiie. Mais on s'aperçut vite que ie taiiioir de ce chapiteau rece-
vait mal ia retombée des arcs. On piaça donc au-dessus du chapi-
teau unepièce intermédiaire,i'imposte, sortede coussinet en forme

I. Laurent, Detphes chre'ti'en B. C. H.,XXttI (1899).


ÉVOLUTtON MU CHAPtTEAU 141

de pyramide tronquée et renversée (Hg. 59). L'imposte semble être


née en Syrie et peut-être est-elle d'origine perse : en tout cas, elle
devint, dès le v" siècle, d'un usage courant dans les monuments
syriens comme dans les monuments africains (Tébessa, Tigzirt), à
Satonique (Saint-Démétrius) cotnme en Italie, où Timposte se con-
servamêmejusqu'au vPsiède à Saint-Vital de Ravenne(Hg. 60) ou
à Parenzo. Généralement, eile fut richement ornée de scuiptures,

Fig. 59. — Salonique. Eski-djouma. Chapiteau théodosien


(Coil. HautesÉtudes, C, 680).

rinceaux d'acanthe ou de vigne, animaux atfrontés, croix et mono-


grammes.
Mais ce parti offrait un danger encore : les deux pièces super-
posées pouvaient se disjoindre. On eut alors l'idée de les souder
l'une à l'autre et de créer ainsi un type nouveau, 1e chapiteau-
imposte, procédant des modèles fournis par 1a Perse sassanide et
dont l'exemple Ie plus ancien, sans décoration aucune, apparaît en
142 LA D!FFUSION DES tXFLUEXCES ORtEXTALES

528, à Constanlinople, dans la citerne de Hin-bir-Direk. Ce chapi-


teau euttantôt une formecubique unpeu massive (Sainte-Sophie

Fig. 60. — Chapiteau à Saint-Vitai de Ravenne (Phot. Aiinari).

de Saionique), voisine d'un tronc de pyramide renversée (fig-. 6i),


tantôt une i'orme pius soupie et plus éiégante, se rapprochant du
tronc de côn?^: c'est le chapiteau à corbeiiie, dont on trouve d'ad-
nrirabies exempiaires àSainte-SophieetauxSaints Serge etBacchus
(fig. 62). Parfois aussi, aux votutes des angies, on substitua des
EVOLUTION DU CUAPITEAU 143

têtes d'animaux, aigtes, béliers, etc. (Hg. 63), ce qui sembie bien
encore ètre uneinspiration persane. Etde même, iadécoration dont
furent revêtus i'imposte et le chapiteau-imposte fut d'inspiration et
de technique tout orientaies. L'ornement, perdant [tout caractère
piastique, s'appiiquasur ies faces du chapiteaucomme unedenteüe,
tantôt découpée à jour, tantôt minutieusement ciseiée, couvrant

Fig. 61.— Saionique. Cliapiteau à Sainte-Sophie (Phot. Le Tourneau).

toutes ies surfaces d'un réseau compiiqué de rinceaux, de tresseset


d'entreiacs qui se détachent sur un champ d'ombre uniforme. Heau-
coup des motifs de cette décoration, i'acanthe mise à part, furent
empruntés du reste à i'Orient par i'intermédiaire des tissus et des
mosaïques. Mais ici encore, sur ces donnéesétrangères, Constanti-
nopie, au v" et au vt" siècie, travaiiia pour en tirer des créations
originaies. Le voisinage des carrières de marbre de Proconnèse iui
fournissaitàpointnommé, avecdes matériaux admirabies, desarti-
sans expérimentés : eiie put ainsi imaginer ie chapiteau théodosien,
inventer )e chapiteau-imposte et ies répandre à travers ie monde.
C'est en marbre de Proconnèse — chose significative — que s'ont
exécutés ies nombreux chapiteaux répandus dans tout ie bassin
méditerranéen : preuve évidente du rôie que joua Constantinopie
dans cette évoiution et de i'iniluence que par ià eiie exerça.
144 LA MFFUStON DES INFLUENCES ORIEKTALES

Gt*:iy:i<a/:7e creaù*:'cec/e /'ar//)i/zan/:i:. —Mais surloutla capitale


travailla sur les apports qui )ui vinrent d'Asie Mineure. « L'Asie
Mineure, ditingénieusemeritStrzygowski, est le corpsde l'artbyzan-
tin. Sur ce corps, Gonstantinople mit un vêtement nouveau, grâce
auxcourantsquiconvergèrentdansla capitale, àussibien dusudhel-
iénistique deSyrie et d'Égyptequede i'Orientasiatique et persanLa
EHe emprunta surtout à l'Asie, pour ledévelopper encore davan-

62. — Constantinopte. Chapiteau à t'égtise des Saints Set'ge et Bacchus.


(Phot. Ebersott).

tage, cet art savant et hardi, où « tout est combinaison et calcul « ;


au iieu de monuments d'une majesté massive, eiie voulut des édi-
fices diune structure plus déiiée et pius soupie, et eiie « chercha
dans ie jeu des poussées un principe nouveau d'équiiibreL a
Ainsi, Constantinopie combina ces trois groupes d'apports divers,
syi'o-mésopotamiens, égyptiens, anatoiiens; eiieyajouta iesensei-
gnements qui iui vinrent de ia Perse, soit pour ies procédés de ia
construction, soit pourie système de ia décoration poiychrome ; et
de tout ceta^de i'aveu même de ceux qui prétendent ie pius

1. Strzygowski, Byzaitt. DeHtcmâter, t. Itt, p. xvi.


2. Choisy, p.]63.
ORtGINALITB CRHATRICE I)E L ART BYXAXTM 145

réduire son rôie \ ette lira i'art byzantin. Mais eile ne se borna
point à adopter serviiement cesméthodes et cesleçons : i'artbyzati-
tin, tel que 1e créa 1a capitaie, différa toujours des arts orientaux.
Non seulement l'emploi exclusif de 1a brique, entraînantla néces-
sité du revêtemenl, lui imposa
des partis nouveaux, que 1e
voisinag-e de la cour et 1a faci-
lité à se procurer des maté-
riaux précieux l'amenèrent à
réaliser avec une prodigieuse
splendeur. Mais surtout, en
combinant ces éléments étran-
gers, Constantinople resta tou-
joùrs fidèie à l'esprit grec.
Tandis qu'en Egypte, en Syrie,
en Arménie, l'hellénisme recu-
lait devant 1e vieil Orient, dans
lacapitale, pieinedesmerveilles
de l'art antique, 1a tradition
classique subsista. C'est ce qui
empècha l'art byzantin d'être
une simple copie de l'art orien-
tal, c'est ce qui lui donna son Fi}-;. 63. — Chapiteau à figures d'aigtes à
originalité propre. Et ce fut 1e Saint-Démétrius de Saionique (Phot.
grand mérite de Gonstantinople Laurent).
de faire vraiment œuvre créa-
trice, en appliquant les formules reçues avec une ingéniosité et
une hardiesse jusqu'alors inconnues, et, au sortir d'une longue
période de préparation et de tâtonnements, de les consacrer défini-
tivement par des chefs-d'œuvre.

IV
LES MONUMENTS DE CONSTANTINOPLE AVANT SAtNTE-SOPHIE

Cette évolution progressive, dont Ia capitale fut Ie centre et 1a


]. Strzygowsld iui-niême (fir.sprHnç. 36-39) a i'ort bien montré comment
i Egiise au v* siècle. ia cour au vt* unifièrent les formes que i'oumissaientles
diverses régions de i'Orient, et coniment ii se crëa ainsi « un art d'empire,
i'art byzantin. <i (m'ne /trf /tei'c/isAiinsf, di'e by:anfim'sc/te). Ainsi se trouve,
même chez Strxygowski, af'firmé ie rôie décisii' de ia capitaie byzantine. Cf.
Bertaux. /.a parf </e Bi/^aitce dans /'ar/ /lyzan/in (Journ. des Savants, 191],
]6i et 304.)
J/aitne/ d'Ar/ ht/cait/t'it. ]0
146 [,A MFFUSION DUS [NFLUENCES OMEKTALES

cause, se laisse enlrevoir si l'on passe en revue les monuments


maiheureusement Irop peu nombreux, que Conslanlinopie a con-
servés de la Hn du iv" au commencement du vi*= siècie.
La /^or/e cf or.—Si on iaisse decôté ies murs bâtis par Théodose 11
au commencement du v^ siècie, dont ie système de construction
ressembie fort, au reste, à ceiui des réservoirs à ciei ouvert précé-
demment signaiés, un des monuments ies pius anciens et ies pius
curieux de Constantinopie est ia Porte d'oi'T En avant de i'arc de
triomphe, flanqué de deux lourds pyiones, qu'édifia, entre 388 et
391, Théodose ie Grand, Théodose II Ht, vers 447, construire des
propyiées, dont ies descriptions des anciens voyageurs permettent
dereconsfitueria remarquabiedécoration. Le centre en était occupé
par une porte flanquée de deux coionnes de marbre vert, dont ies
chapiteaux composites portaient,au iieu de voiutes, desoiseaux. A
droite et à gauche de cette porte, un grand mur s'étendait, partagé
par des coionnettes et des piiastres en deux rangées paraiièies de
compartimenfs rectanguiaires ; dansces compartiments étaient enca-
drés des bas-reiiefs à sujets anfiques et des incrustations de marbre.
Or c'est, on ie sait, un usage tout aiexandrin que i'empioi dans la
décoration de ces piacages poiychromes et de ces bas-reiiefs pifto-
resques. Mais c'est une innovation byzanfine d'avoir appiiqué ce
partj à i'ornementation extérieure des édifices, et i'intérêt des pro-
pyiées de la Porfe d'or est d'en offrir, sembie-t-ii, ie premier
exempie.
On trouve ensuite une série de constructions reiigieuses se ratta-
cbant à des fypes connus, mais ies rëaiisant chacun avec un trait
particuiier d'originaiité
La AasfffyHe du Sfonfffon. — De 463 date ia basiiique de Saint-
Jean du Stoudion (auj. Mir-Achor djami). Elie est pieinement
conforme au type heiiénistique, donteiie a i'atrium, ies trois nefs,
ies tribunes, et elie ie réaiise mêmeavecun certainesprit conserva-

1. Strzygowski, Das GoMeae 7'àor ùt7LOîtslanD'no/)ei(JUAI, t. VIII, 1893).


2. Salzenherg, AMeArtsDtcàe BaHdeitàtttâler oott Cottsi.-titlt'ttopef, Berlin,
1851; Pulgher, Ces e'yft'xes hyzaithttes de Cott.sf.'ttttt'ttop/e, Vienne, 1880 ; Kon-
dakof, Tt'yltses itt/zattlt'ites el tttotttitttettls de Cottslattltttople, Odessa, 1877
(russe); Gurlill, Dte Datt/cttttsl /tonslaitltttopels. Berlin, 1908 et suiv. ; Eber-
solt, É/tit/essttr /a /opot/rap/tt'e e/ /es ntoftfftttettls t/e Cotts/attlt'ttop/e (RA, 1909,
11). Gf. Diehl,*tZps/tftt'eit e/ /a ettft/t'sa/t'ott /tyzatt/t'tte aa V/°st'èc/e. Paris, 1901 ;
Van Millingen, .Byzaft/tne cAffrcàes ttt Cotts/atttt'ftop/e, Landres, 1912 ; Eber-
solt et Thiers, Les èy/t'ses t/e Cotts/att/tttop/e, Paris, 1913, Diehl, Corts/att/t-
ttop/e, Paris, 1924.
[.A BASILIQUE DU STOUD[ON [47

teur, puisque Ia plate-bande y persiste au lieu des arcades. Mais on


y trouve dans 1a décoration ie chapiteau théodosien, qui estcomme
ia marque propre qu'y a mise Gonstantinopie. On y a égaiement
retrouvé récemment un chapiteaucomposite à têtes d'aigies, iort sem-
blabie àceux qui décoraient ia Porte dorée : et aussi bien, dans i'en-

Fig. 6i. — Constantinopte. Egtise des Saints Serge et Bacchus. Pian


(d'aprùs tc retevé de M. A. Thiers).

sembie deia consiruction, ia basiiique oit're avec ce derniermonu-


ment des anaiogies tout à fait remarqual)ies. Entin, à i entabiement
du portique extérieur, ies rinceaux d'acanthe qu[ décorent ia frise,
découpésàjourdefaçonàse détacherenvigueursur iefond d'ombre,
rappeiient, par i'inspiration comme ia technique, ies procédés de
i'ornementation syrienne.
148 LA MFFUSfON DES INFLUENCES ORIENTALES

A'ey/i.se i/es Sa:n/.s .Serye ct //ace/:H.s. — Du premier liers du


vi" siècie date un édifice à plan centrai, l'égdise des Saints Serge et
Bacchus, élevée par les soins de Justinien et de Théodora, dont

Fig. 65.— Gonstantinopie. Ëglise des Saints Serge et Bacehus. Intérieur


(Phot. Ebersott).

les chapite^x portent les monogrammes sculptës (tig. 64 et 65).


Si on compàre cette construction aux édilices anaiogues conservés
en Syrie, et qui )a précèdent de quelques années à peine, teis que
ia cathédraie de Bosra (512) et Saint-Georges d'Ezra (515), on voit
SAtNTE-mÈNE 149

d'un coup d'œit tout )e progrès réatisé. Ce n'est ptus aux angies
extérieurs du carré que sont piacés ies exèdres destinés à contre-
buter tes poussées de ia coupoie ; par un art tout autrementsavant,
ils s'ouvrent sur i'octogone centrai, et ies piiiers entre iesqueis iis
sont ménagés sont reiiés aux murs extérieurs par tout un système
d'arcs et de voûtes concourant à ia
butée deiacoupoie. Parcetteinnovation
capitaie, en même temps que i'équiiibre
est fortifié, i'éditiceestentièrementmo-
difié dansson dessin et dans son aspect.
Sans doute, comme au Stoudion, ia
bande subsiste au-dessus des co-
ionnes ; mais ies tributies régnant au
pourtour de t'édifice et surtout i'ingé-
nieuse construction de ia coupoie
attestent, avec i'habiie répartition des
poussées, ie progrès accontpii dans )a
réaiisation du type. Bâtie en matériaux
iégers, cette coupoie se raccorde à i'oc-
togone de base par un tracé à seize côtés,
aiternativement droits ou courbes, qui
donnent naissance à autant de fuseaux, Eig. 66. — Hgiise de Sainte-
aiternativement plats ou côteiés, se Iréne. Plan (d'après Holt-
réunissanL au sommet de ia coupoie. xinger).
Chacun des fuseaux côteiés correspond
aux huit grands piiiers de base et est contrebuté à i'extérieur de
ia coupoie par d'ingénieux contreforts : système de construction
aussi savant que simpie et qui marque ciairement ies progrès
accompiis '.
<Satnfe-/rëne'. — Ii en va de même à Sainte-trène, construite en
532 par Justinien, et où apparaît ie type de ia basiiique à coupoie,
mais modiiié parune ingénieuse soiution des probièmes d'équiiibre
(hg. 66 et 67). Les berceaux qui, à Sainte-Sophie de Saionique,
contrebutaient ia coupoie, furent proiongés ici jusqu au mur d'en-
ceinte extérieur, ies petites arcades qui séparent ia grande nef des

1. G'est à tort que Choisy, pt. XX, 1, représente ta coupote comme consti-
tuée par seize côtes creuses. Leparti exact a été déterminé par tes intéressants
retevés de MM. Ebersott et Thiers.
2. Betjajev, L'e'yù'se de &t'nte-7rène (Viz. Vrem, t (J894), et It (en russe).
Watter George, 77te càurc/t o/' Sat'tti-Æ'trettettt Cott.sIattitttopie, Oxford, 1912.
150 LA ÎHFFUSÏON DES [NFLUENCES omENTALES

bas-côlés ne se répétaiit point à t'étage supérieut'. Ces berceaux


dessinaient ainsi une croix avec ceux de ia nef, et dans cette dis-
position était déjà en germeie ptan byzantin à croix grecque. M;tis,
à Sainte-trène, maigré ia seconde coupoie, basse et aveugie, cou-
vrant ia partie ouest de ia nef, ie proiongement de cette net' et
i'étroitesse des coiiatéraux rattachaient nettement encore i'édihce
au type de ia basiiique à coupoie '.
Aa cfferue f/e 7/[n-/)//'-Z///eA*. — Ce qui frappe dans ces édifices,

Fig. 67. — Gnnstantinopte. Sainte-Irène (Phot. Sebah et Joaiiiier).

c'est i'ingëniosité des partjs empioyés,i iiabiietésavanteà résoudre


ies probièmes d-équilibre, i'audace croissante et ie progrès continu
qui, d'un monument à i'autre, se manifestent dans ia conception
comme dans i'exécution. La même évoiution apparaît, on i'a vu,
dans ies citernes de ia capitaie et s'achève avec un incomparabie
éciat dansies magniHques réservoirs de .iéré-batan-Séraï et de Bin-
bir-Direk -. Dans ie premier, qui n'a qu'un ëtage de coionnes et

t. Les méme9 sotutions apparaissentdanstesruinesde tégtisedePhilippes


en Macédoine, contemporaine de Sainte- Irène, et commë ette, intermédiaire
entre ta basitique à coupote et te ptan en croix grecque (Strzygowshi, Die
Rut/te vo/t PAt'tippi (BZ, Xt (1903). p. 473).
2. StrzygowskietForchteimer, toe. ctt.
151
LA CHERNE DE B[K-BtR-DtRHK

qui est couvert de calottes à pendentifs, on observe quelque timi-


dité encore, et la présence des chapiteaux du type théodosien
sembie )e rattacher à l'ancienne écoie du v" siècle. Le second, au
contraire, qui date de 528, égale en audace !a construction de
Sainte-Sophie (lig. 68). Comnie dans !es citernes alexandrines, on
y trouve deux étages de minces colonnes superposées, que l'archi-
tecte, avec une hardiesse prodigieuse,a rehées par de simples tirants
en bois : et sur ce frêle appui, il a audacieusement posé les voûtes

Fig. 68. — Constantinople. Citernede Bin-bir-Direk


(Phot. Sebah et Joaittier).

massives de ses coupoles à pendentifs. Sur un espace de 64 mètres


sur 56, on compte 212 de ces cotonnes, mesurant respectivement
4"'8 et 4'"4 de hauteur. En même temps, l'architecte de la citerne
créait !e chapitenu-imposte, qu'on rencontre ici pour !a première
fois, et qui était appe!é à une si beüe i'ortune. Par tout ce!a, Bin-
bir-Direk est !e cbef-d'œuvre de ce genre de monuments, compa-
rab!e à Sainte-Sophie même par !'habi!eté technique de !a con-
struction et le génie créateur; etelte ressembte à Sainte-Sophie en
ceci encore, que jamais, depuis !e vt" siècte, on ne se risqua à
Byzance à en répéter les audacieuses dispositions.
152 LA DHFUStON DES INFLUBNCES ORIENTALES

Avec de tels chefs-d'œuvre, la période des origines est close ;


l'art qui se manifeste à Constantinopte a trouvé sa formuie défini-
tive et atteint du même coup son apogée. A ce moment, toutesles
méthodes de construction sont tixées, tous ies types d'éditices se
sont produits et se montrent tous appiiqués, sans parti pris, sans
exclusion. Jamais t'art n'a été pius varié, p)us fécond, p)us )ibre ;
jamais i) n'a eu ptus de science dans )a conception, ptus d'audace
dans l'exécution, pius d'habileté et d'esprit d'invention dans )a
sotution des ptus déiicats problèmes techniques. Jamais peut-être,
comme on )'a remarqué, à aucune époque de t'histoire de Byzance,
des individualités artistiques p)us géniales n'ont réahsé de p)us
grands progrès.
Assurément, pour obtenir de te)s résuttats, i) a faHu une )ongue
période de préparation et de tâtonnements ; nous en avons suivi en
Mésopotamie, en Pyrie, en Egypte, en Asie Mineure, )e déve!oppe-
ment progressif. Mais si tout ce)a a abouti, si cet art a trouvé à
Constantinop)e sà forme détinitive, ii a fa!)u quelque chose de p!us :
ie génie de queiques grands architectes, que ie vt" siècie vit naitre,
et ies ressources inépuisabies que mit à ieur disposition l'ambition
grandiose de Justinien.
LIVRE II
LE PREMtER AGE D'OH DE L'ART BYZANTtN

CHAPITRE PREMIER

SAtNTE-SOPtHE

I. LaconstrucLion de SainLe-Sophie. Les matériaux. Les architectes. —


II. L'archiLecture. L'aspect extérieur. Le plan. La coupole. Les combinai-
^ons d'équilibre. —III. La décoration. L'ornement sculpté. La décoration
poiychrome. Les mosaïques. Les arts du mëtal. Admirationdes contem-
porains et originalité de l'œuvre.

Sainte-SophiedeGonstantinopIe, « ia Grande-Kglise )), commela


nomma tout le moyen âg*e oriental, est le type par exceHence de
!'art byzantin, tei qu'il se constitua sous ie règne de Justinien, ie
représentantie plus parfait, par ies formesde sonarchitecture et
la splendeur de sa décoration, de Hidéai que cet art s^efforça de
réaiiser. Peu d'édihces reiigieux ont une importance comparabie,
Notre-Dame de Paris, si remarquabie qu'eüe soit, a des égaies ;
Saint-Pierre de Rome manque un peu d'originaiité et n'est guère
chrétien que de destination ; Sainte-Sophie, au contraire, est unique ;
et en même temps qu'eiie marque i'avènement d'un stvie nouveau,
eiie en marque du même coup i'apogée E

I. Salzenberg, A//c/z7*zs//zc/ze Z3;uide?JonaZe7' Æo7ts/A7i/mope/, Bcrlin,


1854; Pulgher, LesèyZ/ses ôi/MTt/tTtesde Co77.s/a7L/?7top/e, Vienne, 1880;Ghoisy,
L'ar/ de bâ/t7* c/ies Zes Æz/zazz/zzzs, Paris, 1882 ; Kondakof, ZfT/Iises hi/zaTt/mes
e/ 7R07ï.n7ne77/s de Co7Zs/a7z/z7zo/?/e, Odessa, 1887 (russe); Lethaby etSwainson,
r/te c/i/zrc/t o/^ Saac/a Sop/na, Londres et New-York, 1894 ; Diehl, y?zs/i7nfe77,
Paris, 190!;Gurlitt, D/e Ba?z/Ô77ts/ Kozzs/a^z/zzzopels, Berlin, 1908 et suiv. ;
Antoniadis, '^Exçpa?L; T?j; ayia; Eoçta;, 3 vol. Paris, 1907-1909 ; Prost, S?zr Za
/*orzne przTZzZ/zre de ZacozzpoZe de Sanz/e-Sop/zie (G. R. Acad. Inscr., 1909, p. 252) ;
Ebersolt, Saza/e-Sop/zze de Cozzs/azz/zzzop/e, Paris, 1910: Sazzc/zzazres de /b/Tazzce,
Paris, 1921. Cf. ies textes cités dans les QzzeZ/ezzde Richter. L.a belle restaura-
tion de Prost, qui a obtenu 1a médaille d'honneur au Salon de 1900,vient d'ctre
publiée en partie dans les Afozzzzznezz/s azz/zqzzes re/erès e/ res/azzz*ès par /es
arc/zz/ec/es pezzsz07z7zazres de /'AcadèTnzede Frazzce à Rozzze. Supplément, Paris,
1924, pl. 1-10.
154 SAINTE-SO)'[HE

EA CONSTRUCTIOX DE SAIXTH-SOPIIIE

Z-e.s/uafe/'/aua;. —Loi-sque,en532, !a )?asilique,jadis édiHée par


Gonstantin en Fhonneur de )a Sagesse divine, fut défruife par )'in-

Fig. 69. — Constantinopte. Sainte-Sophie. Extérienr (Phot. Uerggren).

cendie aHumé au cours de )a sédition Nika, Justinien entreprit de


)a reconstruire avec unemagnificence inouïe. A )a ptace de )a petite
basitique, i) rêva d'élever queique chose d'extraordinaire et de
cotossa). Pour agrandir )e terrain de )a construction t'uture, on
acheta à prix d'or )es maisons environnantes. Pour donnerà )'édi-
fice )a splendeur projetée, on rassemhta dans ie monde entier )es
matériaux )es ptus précieux. Une circuiaire impériaie invita, dit-
on, ies gouverneurs des provinces à envoyer à Gonstantinopie ies
pius somptueuses dépouiiies des monuments antiques ; ii en vint,
LESARCmTECTKS i55

dtt-on, d'Athènes et de Rome, de Baatheck et d'Éphèse, d'Europe


et d'Asie. On mit égatement à contribution tes carrières ies pius
fameuses. Proconnèse donna ses marbres biancs, Carystos d'Eubée,
ses marbres vert ciair, fasos de Garie, ses marlu-es blancs et rouges,
Chemtou de Numidie, ses jaunes antiques, Synnada de Phrygie ses
roses veinés ; l'Egypte envoya ses porphyres, 1a Thessalie et 1a Laco-
nie, leurs brèches de vert antique : Justinien accepta et employa
tout. Jadis 1a Grèce antique, pour bâtir les Propylées ou 1e Par-
thénon, recherchait les tnarbres Ies plus parfaits, pour leur éclat et
leur pureté ; Justinien se complut, au contraire, aux combinaisons
savantes de 1a polychromie et mêla, d'ailleurs avec un goûtexquis,
les marbres les plus divers, les couleurs les ])Ius opposées. II poussa
plusloinencorele luxe etlaprodigalité. Avec une profusioninouïe,
i'or, l'argent, l'ivoire, les pierres précieuses, furent miseen œuvre,
autant pour rehausser 1a splendeur de l'édifice que pour éblouirles
yeux par ledéploiement d'un faste inaccoufumé.
Les arcARecfey. — Pour exécuter sa volonté et réaliser son rêve,
Justinienfitappelà deux architectes d'origine asiatique, Anthémius
de Tralles et Isidore de Milet. Les contemporains s'accordent à van-
ter leur intelligence, leur esprit d'invention, leur habileté, leur
science ; Ieur œuvre montre en eux de savants constructeurs,
capables de résoudre les plus délicats problèmes, de poursuivre Ies
recherches les plus ingénieuses, parfois les plussubtiles, de l'artde
bâtir. Sous leur direction, 1a construction fut poussée avec une
activité prodigieuse. Dix mille ouvriersy furenf employés. L empe-
reur lui-même suivit attentivement les travaux, visitant les chan-
tiers, excitant 1e zèle des ouvriers, ne dëdaignant mcme pas de con-
seiller les architectes ; et comme un empereur, par définition, pos-
sède une compétence universelle, ces conseils étaient, parait-il,
excellents, et tirèrent les architectes de plusieurs embarras très
graves. En tout cas, Justinien ne marchanda pas l'argent aux maîtres
de l'œuvre ; plus de 360 millions furent dépensés, dit-on, pour 1a
construction de Sainte-Sophie. Aussi, en cinq ans, le monument
était terminé. Le 27 décembre 537, il fut solennellement inauguré.
Monté sur un char à quatre chevaux, Lempereur se rendit du palais
à l'église, à l'entrée de laquelle 1e patriarche 1e reçut en grande
pompe. Arrivé à 1a porte royale, quand Jusfinien, d'un coup dàeil,
embrassa son rêve réalisé, d'un élan il courut jusqu'à l'ambon
placé sous la grande coupole, et là, les mains étendues, il s'écria :
« Gloire à Dieu qui m'a jugé digne d'accomplir une tclle œuvre !
[56 SAIKTE-SOPmE

0 Satomon, je t'ai vaincu ! o Pour cétébrer ce jour mémorable,


Justinien combta son peupie de iibéralités et de fêtes, et ia Grande
Egiise de richesses, de vases précieux, d'ornements sacerdotaux
magnitiques, de vastes domaines, de reiiques vénérabies. H avait
raisou. « Jamais, comme ie dii très bien Choisy, ie g'énie de Rome
et ceiui de i'Orient nes'étaient associés dans un pius surprenant et
pius barmonieux ensembie )P.

II

t.ARCHITECTURE

L'a.s/iecf ea?ferieu/'. —Aujourd'hui, quand, parie dehors, on con-


sidère Sainte-Sophie, i'impressionestassez médiocre (6g. 69). C'est
que, pour soutenir ia construction de Justinien, ies siècies posté-
rieursont dûi'étayerd'une forêt demassifscontreforts, et, au miiieu
de ces supports parasites, ia coupoie, dont ia demi-sphère s'appuie
au reste directement, sans tambour interposé, sur ies pendentifs,
paraît pius ioui'de et plus dépriméç en'core qu'eiie n'est en réaiité.
Assurément, de ioin, i'effetque produit Sainte-Sophie est pius puis-
sant; eiie justihe aiorsi'expression .deProcope,qui ia comparejoti-
ment à un navire à i'ancre, dominant de sa masse gigantesque ies
édihces de ia cité. Nëanmoins, une construction byzantine du
vi"siècle, avec ses murs de brique nue, garde toujours, à i'extérieur,
un aspect assez monotone et indigent. Toutes ies spiendeurs et toutes
ies audaces sontréservées pour l'intéi'ieur. ii fautentrerdansSainte-
Sophie pour en comprendre i'originaiité puissante etia rare magni-
Hcence.
Z.e ja/an. —Jadis, enavant dutempie, s'étendaitun grand atrium
entouré de portiques, au miiieu duquei une beiie fontaine de marbre
jetait i'eau dans de iarges vasques (Hg. 70). Ii n'en reste pius aujour-
d'hui que queiques substructions. De cette cour, par cinqportes, on
entraitdansunegaierie ferméeou narthex qui, par neufportes, s'ouvre
dans i'égtise ; ia portecentraie, ou porte royaie, était réservée aux cor-
tèges impériaux. Le monument iui-même forme un vaste rectangie,
iong de 77 mètres sur 71 mètres 70 de iarge, dont ia partie médiane est
occupée par une magniiique nef centraie, au-dessus de iaqueile se
dresseunecoupoie énorme deJl mètres dediamètre. Gette coupoie

1. Choisy, //ist. r/e ['arc/iiiecOue, II, 51.


LEt'LAN 157

s appuie par des pendenlil's sur qualre grands arcs, qui eux-mêmes
reposent sur quatre pitiers coiossaux. Deux de ces arcs, au nord et
au sud, sont des formerets qui enveloppent un mur ptein, percé
de .deux rangées de fenêtres, et soutenu par deux étages de colonnes ;
à i'est et à t'ouest, ies grands
arcs s'appuient, au contraire,
sur deux vastes demi-coupoles
contrebutant et soutenant la
coupole centrale, et épauiées,
à leur tour, chacune par deux
niches pius petites. Une abside
en saiiiie, poiygonaie à, i'exté-
rieur, circuiaire à l'intérieur,
s'ouvreau miiieude i'hémi-
cycie que recouvre ia demi-
coupoie de i'est ; ies exèdres.
iatéraux mettent, de même que
les arcades de droite et de
gauche, ia nef principaie en
communication avec ies bas-
côtés. Ceux-ci, voûtés en arète,
sont surnLontés de tribunescou-
vertesde voûtes sphériques. et
tttt*
qui font ie tour de i'égiise en
passant au-dessus du narthex.
Ges gaieries supérieures étaient
réservées aux femmes : c'est
ià qu'avec ies dames de sa cour,
i'impératrice assistait aux of-
hces et donnait partotsses au- -;o.— Gonstantinopte. Sainte-Sophte.
diences en certains iours de Ptan (d'après Hottzinger).
fêtessoienneiles.
Ii est aisé d'apercevoit' ies rapports qu'offre ce pian avec ceux
des édiltces que nous connaissons déjà. Par ia iongueur de 1a nef,
i'isoiement des formerets, ies deux étages d'arcades iatéraies,
Sainte-Sophie'se rattache au lype des basiiiques à coupoies. Mais,
à l'est et à l'ouest, au iieu des berceaux qui, dans ce type, épauient
ia coupoie centraie, on trouve ici un autre parti empioyé, qui se
rattache semblabiement à des édiflces antérieurs. Coupez par le
miiieu, suivant une iigne nord-sud, ie plan des Saints Serge et
158 S.UXTE-SOPHIE

Bacchus, entre ]es deux demi-coupotes ainsi formées, intercaiez


une coupole ptus haute qui s'appuiera sur ettes, ajoutez les cotlaté-
raux, vous aurez Sainte-Sophie. Ainsi la Grande Eglise n'est que
i'aboutissement tinat it'une évotution longuement préparée : mais
ce qui en fait quelque chose d'originat et d'unique, c'est que ces
partis y ont été réatisés avec une ampleur de proportions, une
harmonie de iignes, une audace de conception, qui font des con-
structeurs de Sainte-Sophie tout autre chose que des imitateurs, et
de ieur œuvre <( une merveiHe de stabilité et de hardiesse a, que ne
pouvaient faire même pressentir ies modestes éditices de i'âge pré-
cédent.
La coupofe. — Un problème surtout était d'une difficuttésingu-
tière : ies proportions énormes que l'architecte avait assignées à sa
coupoie imposaient au constructeurtes recherchestes plusdéiicates.
On apporta à cétte partie de Fédifice une attention toute particulière.
Les pierres des quatre pdiers, soigneusement appareitlées, furent scel-
]ées avec du ciment et hées par des crampons de fer ; pour rendre p]us
uniforme ]a répartition des charges, on assit tes lits de pierresur des
feuihes de ptomb taminé ; pour prévenir l'éctatement des cotonnes
qui soutenaient ]e mur sous les formerets, on cercla les fûts de frettes
métaHiques ; et, maigré ces précautions, plus d'une fois ]es points
d'appui manquèrent fléchir sous ]e poids des grands arcs qu'ils
soutenaient. Pour 1a coupote même, 1a difticutté était p]us considé-
rabte encore. Pour en diminuer 1e poiJs, on employa à 1a construire
des matériaux particuhers, des tuites d'une terre bianche et spon-
gieuse, extrêmement légère, que ]'on fabriquait à Rhodes ; pour
raidir et rendre moins déformable cette coque mince qui consti-
tuait 1e dome, on la partagea en quarante fuseaux par autant de
nervures saiitantes convergeant au sommet ; pour en atténuer ]es
poussëes, on ]'enve]opp.a à 1a base d'une gaine extérieure, consfi-
tuée par une suite d'éperons ou de contreforts, logés dans l'inter-
vatfe des baies d'éctàirage. Enfin on aboutit, et, à p]us de cinquante
mètresau-dessusduso], ]a coupole de Sainte-Sophies'éleva, « ouvrage
admirable etterrihant tout ensemble n, seton le mot de Procope, et
qui semble, dit ]e mèmeécrivain, « moins reposer surla maçonnerie
qu'être suspendue par une chaîne d'or du haut du cie] o (fig. 71).
G'est par là surtout, par n la prodigieuse légèreté de sa struc-
ture ^ )i, bien p]us encore que par te tuxe de ses mosaïques et de ses

1. Choisy, p. 135.
LES COMBtNAISOKS u'ÉQUILIBRE 159

marbres, que Sainle-Sophie étonna ies contemporains. It importe


donc d'anatyser brièvement ces organes de soutènement, si légers

Sainte-Soptne. Intérieur (Phot. Sebah et Joaiitier).

etsi savants toutensembte,demontrercomment furentdéterminées


ces combinaisons d'équiiibre, qui lirent tant d'honneurà ia science
et au génie d'Anthémius.
Aescotn/itttat^ott^ J'èyut7t'Ay*e. — « Sainte-Sophie, dit Choisv, con-
t60 SAMTE-SOPHIE

siste essentieHement en une salle à pendentifs, dont 1a voûte centrale


est soutenue sur deux de ses faces par de grandes niches, et sur les
deuxautres facespar deuxarcsde tête L )) G'est là un exemple, qui
n'est point rare, de l'association de deux procédés distincts de butée :
mais ces deux systèmes, concurremment admis, sont loin d'offrir
d'égales garanties de solidité. Avec )es niches plus petites qui les sou-
tiennent, l'équilibre des deux demi-coupoles de l'est et de l'ouest est
surabondamment assuré. II n'en va pas de même pour les formerets du
nord et du sud, dont 1a stabilité est beaucoup plus restreinte, et qui
seraient incapables à eux seuls de maintenirles poussées de 1a cou-
pole, sans 1e concours de vigoureux contreforts, dressés à l'extérieur,
au-dessus de 1a terrasse des collatéraux. Ces contreforts, composés
de deux éperons d'inégale épaisseur, ne présentent, conformément
à l'usage byzantin, aucunesailliesur 1a face extérieure dé l'édiRce ;
ils apparaissent au-dessus des bas côtés comme de simples murs
de refends. Des combinaisons non moins savantes assurèrent l'équi-
libre des collatéraux par une ingénieuse combinaison de larges
formerets et d'éperons adossés au mur d'enceinte. « L'efl'et de cette
construction, dit Choisy, où les contreforts sont presque tous
remplacés par des voûtes de buLéè, est surprenant de hardiesse.
Ilardiesse, disons-Ie, un peu téméraire, et qui faillit compromettre
Lexistence même du monument )i
Le 7 tnai 558, 1a merveilleusecoupole, ne justifiant que trop les
craintes qu'elle faisaitconcevoir aux architectes, s'écroula, écrasant
sous ses ruines l'ambon placé au-dessous. L'accident causa dans l'em-
pire une consternation générale, et Justinien n'eut de cesse que 1e
mal ne fût réparé. Alais Anthémius et Isidore étaient morts ; on
chargea donc un neveu du second de reprendre l'œuvre des deux
grands architectes. II rëtablit 1a coupole dans des conditions de
moindre pousséë, c'est-à-dire, avec plus de Ilèche et, touten 1a sur-
élevant de trente pieds, il lui donna, avec une moindre envergure,
une form,e généraIe moins audacieuse ; en outre, pour reuforcer les
formerets, il les empâta dansun massifde garniture L En 562, l'ou-
vrage était achevé. Le 24 décembre, veille de Noël, pour 1a seconde

1. Choisy, p. 135.
2. On en trouvera i'anaiyse dans Choisy, 136-138, que j'ai suivi de très près
dans tout cet exposé.
3. Choisy, p. ]38.
i. Cf. Millet, La coapoie prtmiiire de Sainte-Sop/n'e, Revue beige de phiio-
logie et d'histoire, n° i, 1923.
L OHKEMENT SCULP'i'E 16)

fois, en présence de i'empereur et du patriarche, on inaugura la


Grande Egiise ; et à cette occasion, Paul le Siientiaire prononça
devant Justinien sa fameuse Dexcrtp/ton ofe 5atu/e-6'op/ne.
Malgré iesimperfections de détail, malgré tesréparations fréquem-
ment nécessaires, Sainte-Sophie a duré, en somme, pius de treize
cents ans, etelie apparaît, aujourd'hui encore, comme une merveiiie
de iogique audacieuse et de science. Sans doute, comrne ie dit Choisy,
« ia conception était trop originaie pour étre dès ie premier jet réa-
iisée d'une façon irréprochabie « ; eiie était trop hardie aussi et trop
savante pour qu'on se risquàt bien souvent par ia suite à i'imiter '.
Mais, teiie qu'eiie est, Sainte-Sophie reste « une des pius puissantes
créations de i'architecture )), un de ces édihces types qui résument
pour nous tout un ensembie de méthodes et tout un idéai d'art.

1H

LA DÉCORATION

Par ia décoration dont eiie est revêtue, Sainte-Sophie n'a pas


moins d'importance dans i'histoire de i'art byzantin, et, ici encore,
ie monument est singulièrement caractéristique.
On sait déjà ie goût de iuxe pompeux et rafiiné dont cet art était
pénétré, iessavantescombinaisonspar iesqueiies, dédaignant de faire
simpie, i'artiste s'appiiquait à réveiiier i'attention d'un pubiic un peu
biasé ; on saii commentiadécoration, jadis subordonnée à i'ordon-
nance généraie, devient aiors de pius en pius une parure advëntive,
existant par eiie-même et pour eiie-mème, et par queis moyens
divers, scuiptures tinement ciseiées se détachant comme une den-
teiie sur un champ d'ombre, chatoyants revêtements de marbres,
mosaiques aux fonds de couieurs éciatantes, eiie mit sur tous ies
membres de i'édihce un admirabie revêtement poiychrome. Tout
ceia fut appliqué à Sainte-Sophie avec une prodigieuse magniticence,
et ia décoration de ia Grande Egiise forma un ensembie d'une har-
monie admirabie, où ies moindresdétaiis furent exactementcom-
binés pour concourir à i'etfet générai.
L'ornemen/ ^cu/p/é. — Regardez i'ornement scuipté (fig. 72).
Sur ies hautes colonnes de ia nei' et des gaieries, des chapiteaux-

i. On ne t'a fait qu'auxvi* siècte, dansles mosquées deta Mohammedieh,


de ta Bayezidieh et de la Sutéimanieh.
iManuet d'Arf hyzauftit. i i
102 SAINTE-SOPHtE

impostes, en marbre btanc de Proconnèse, sonvent rehaussés de


dorures, posentla Rne denteile de leurs cubes ciselés. Tous ne sont
point de même forme : mais dans tous on observe ia même

t'ig. 72. — Gonstantinopte. Sainte-Sophie. Intérieur.


(Phot. Sebah et Joaiilier).

recherche de l'eifet coloré. L'acanthe, principai motif de l'ornement,


a perdu toutcaractère piastique ; eiie s'aiigne en paimettes, se déve-
ioppe en rinceaux, se ploie autour de cabochons portant ies mono-
LA DÉCORATION POLYCIIROME 163

grammes de Justinien et de Théodora, mais sans relief saiilant, sans


modeié vigoureux, comme une broderie appiiquée sur le cube de
pierre qu'eiie enveioppe. Les mêmes motifs et ies mêmes procédés
se rencontrent à ia courbe extérieure et intérieure des arcades, et
de même, dans ies écoinçons, l'acanthe enroule ses feuiiies bianches
se détachant sur champ noir autour de disques de porphyre ou de
marbre vert. On a signaié déjà ia frappante ressembiance qu'offre
cette décoration scuiptée avec ceiie de Mschatta ; pareiiiement, ce
sont des motifs d'origine orientaie, fleurons, rosaces, entreiacs, qui
décorent en partie ies corniches, ies piates-bandes et ies encadre-
ments, et qui apparaissent sut' ies parapets des gaieries.
décoratfon po^ycArome. —- Mais ce qui sitrtout mérite l'at-
tention, c'est ia spiendeur de ia décoration pûiychrome. Sur ie soi,
ies marbres de toutes couieurs, ies jaspes, ies aibâtres, ies por-
phyres, ies serpentines, se disposent et s'enrouient en combinaisons
qui sembient nuancées par ia main du pius habile des peintres ; on
dirait, seion ie mot d'un contemporain, d'un tapis, 011 encore d'un
jardin, tout jonché de ileurs de pourpre semées dans i'épaisseurdu
gazon. Les grandes colonnes de ia nef sont en vert antique, ceiies
des exèdres en porphyre d'Égypte. Toute ia partie inférieure des
murailies est tapissée d'incrustations de marbre (fig. 73). Dans ies
nefs, ce sont des panneaux muiticoiores, encadrés de fines bordures
denteiées ou de iarges bandes scuiptées de marbre bianc ; ies uns
sont veinés de veines symétriques ; aiiieurs ies tons foncés aiternent
avec ies tons ciairs ; au sommet, sous ia corniche, court une frise
de ciment coiorié incrusté dans ies creux d un dessin ornementai.
Les marbres ies pius précieux, ies combinaisons ies pius rares ont
été réservés pour i'abside. Autour de carrés ou de cercies, formant
ie centre du panneau, des Rgures géométriques se dessinent, des rin-
ceaux ou des voiutes se dérouient, des dauphins affrontésse disposent;
et quetques-uns de ces panneaux ont tout i'eciat, tout ie veiouté de
tapis d Orient. Jadis, dans ie sanctuaire, au-dessous des incrustations,
des piaques d'argent tapissaient ies muraiiies. Au-dessus, sur ie mur
qu'encadrent ies hauts formerets, à la courbe des coupoies et des
absides, sur ies voûtes des tribuneset des coiiatéraux, d'immenses
mosaïques se dérouient sur des fonds d'or vif ou de bieu foncé.'
Le^ mo^ai'yHe^. — La Rgure humaine sembie avoir tenu peu de
piace dans ies mosaïques qui, à Sainte-Sophie, datent aveccertitude
du vi" siècie : tout au pius peut-on attribuer à cette époque ie bei
archange qui se trouve surie mur méridionai du sanctuaire (fig. 74),
164 SAtNTE-SOPHtE

et, nu portail du sud, une mosaïque, encore vue par P'ossati, et


oùla Vier^e était représentéeavec son divin Hls, entre.lustinien lui

Fig. 73. — Constaatinopte. Sainte-Sophie. Vue intérieure (Phot. Berggreni.

présentantSninte-Sophieet Gonstantin lui offrantla ville fondée par


lui Dans son ensenrbie, la décoration priniitive de Sainte-Sophie

1. Les grandes A^urcs de sainLs et de prophètes, ainsi que !a belic mosaïque


du tympan^ie !a porte royale, sont de date certainement postërieure.
LES ARTS DU MÉTAL )65

était surtout ornementaie Au sommet (ie ia grande coupote, une


croix coiossate briiiait sur un ciei tout parsemé d'étoiics ; aiiieurs
couraient des rinceaux de verdure et defleurs. Le tout se détachait.
'sur des t'onds aux tonaiités puissantes de bleu, d'or et d'atgent, que
i'art nouveau avait substitués aux
fonds ciairs des peintures aiexan-
drines. (J'est ià une des innovations
capitaies de i'art byzantin, et eiie
montre ciairement comment cet art a
renouveié ia poiychromie aiexandrine
au moyen des procédës directement
empruntés à i'Orient.
't'out cet admirabie décor était mis
en vaieur par ia grande iumière que
versaient dans i'éditice ies quarante
fenêtres ouvertes à ia base de ia cou-
Fig. 74. — Ange. Mosaïque de
poie et ceiies percées dans i'ëpaisseur Sainte-Sophie de Gonstanti-
des absides et des grands murs iaté- nople (d'aprèsSalxenberg).
raux. Ainsi parée, sous son riche
vètement de mosaïques et de marbres, Sainte-Sophie apparaissait
toute iumineuse, à ce point que, seion ie mot de Procope, au iieu
de recevoir ies rayons du soieii, eiie-même sembiait émettre de ia
iumière.
Ley arts cfu mèfaL — Justinien, dit-on, eût vouiut davantage. Ii eût
désiré, imitant ie modèie fourni par certains édiüces d'Aiexandrie,
revêtir de piaques d'or ies muraiiles et ie soi même de Sainte-Sophie.
Du moins tft-ii une iargepiace nu métai précieux dansia décoration
de i égiise par ia spiendeur des monuments d'orfèvrerie qu'ii y consa-
cra. Au centre de i'édifice, sous ia coupole, s'éieva une grande tri-
bune, i'ambon, égaiement w admirabie par ses fleurs de marbre et ies
merveiiies de i'art qui i'ornaient n. L'éciat mat de i'ivoire et de i'ar-
gent, i'ébiouissement des pierres précieuses s'y mêiaient à i'étincei-

I. Heisenberg(Dt'e .ttten Afosatàett der y4postefA:t'rc/te attc! Jer fAigrt'a Sop/tt'a


dans Estta, hommage à t'Université nationale de Grèce, 1912) pense qu'une
grande partie de cette décoration ornementale date de t'époque iconoclaste et
que les figureS tenaientplus de place dans la décoration primitive de Sainte-
Sophie. Après te désastre de 558. Justin II, le successeur de Justinien, y aurait
fait représenter un cycle de scènes empruntées à la vie et aux miracles du
Ghrist, et destinées à glorifier 1e dogme lixè par ïe concile de 553. Un passage
de Théophane fait aliusion à ces embellissements exécutés par Justin II, et
Heisenberg croit en trouver la confirmation dans Corippus. Les iconoclastes
auraient au vtn* siècle détruit cette décoration. L'hypothèse est intéressante
et ingënietfse; elle semble cependantfragile.
166 SAtXTE-SOWHH

lement des marbres précieux ; et par dessus la tribune était piacé un


dôme, revêtu de plaques d'or rehaussées de pierreries et surmonté
d'une croix. Devant i'abside, se dressait une magnitique clôture, tout
en argent ciselé ; sur ies coionnes de cet iconostase se détachaient
dans des médaiHons les images du Christ et de la Vierge, des
archanges, des prophètes et des apôtres. Mais i'autel surtout fut
une merveiHe. La saiute tabie était tout en or, éblouissante de
pierres iines et d'émaux ; eile reposait sur des colonnes d'or, et
au-dessus quatre colonnes d'argent doré portaient un dôme sur-
monté d'une grande croix d'or. De merveiiieuses étofîes, où étaient
tissées en soie et en or les bonnes œuvres de Justinien et de Théo-
dora et teurs personnes impériales inclinées sous la bënédiction de
la Vierge et du Christ, formnient ies rideaux de l'autel. Enfin, au
fond de l'abside, était placé le trône du patriarche, également en
argent doré ; et si î'on veut par un chiffre prendre quelque idée de
cette magnificence, on notera que, d'après Procope, dans le seui
sanctuaire de Sainte-Sophie, ity avait 40.000 iivres pesant d'argent.
Mais ce qui, plus que tout le reste, sembie avoir frappé les con-
temporains, ce fut labeauté de l'éçlairage dont, ia nuit, auxgrandes
fètes, l'égtise s'iituminait. Paui ie Siientiaire a ionguement décrit
ies po/yca/:c/:7a d'argent, ies iampes en forme de navires, ies can-
déiabres en formes d'arbres, d'où ia tlamme jailiissait comme une
fleur, les ianternes aériennes accrochées à ia base circuiaire de ia
coupole. Ainsi, magnifiquementéciairée, « àcepoint, dit le poète,
que ia nuit iumineuse, souriante comme ie jour, y avait des coio-
rations de rose n, i'église briiiait comme un incendie splendide,
annonçaht de ioin aux navigateurs l'approche de ia capitale et ta
gloire de Justinien.
//e.s con/em//ora//M e/ or/y://a///è r/e / eeue/e. —
La Grande Église excita chez les contemporains une admiration
sans égale. Les écrivains du temps n'ont pas assez d'éloges pour le
génie de l'architecte, « dont i'œuvre, dit Agathias, aussi longtemps
qu'elle dùrFra, suffità perpétuer 1a gloire o. Un autre hisf.orien dit
de Sainte-Sophie : « C'est un ouvrage puissant, incomparable, tel
que jamais l'histoire n'en a mentionné, une église merveilleuse,
unique, que les mots sont impuissants à décrire n. Pour Procope,
c'est K un spectacle de toute beauté, qui dépasse l'attente des visi-
teurs et semble incroyable à ceux qui en entendent seulement par-
ler B ; mais c'est surtout dans un autre passage que 1e même écri-
vain a traduit de façon émouvante l'impression qu'on éprouve en
pénétrant dans Sainte-Sophie. (( Lorsque, dit-il, on entre dans cette
ORIGtNAHTÉ DE L'ûEUVRE 167

église pour prier, on senL lout aussitôt qu'eiie n'est point l ouvrage
de )a puissance et de l'industrie humaines, mais bien l'œuvre même
de 1a divinité ; et l'esprit, s'élevant vers 1e ciel, comprend qu'ici
Dieu est tout proche, et qu'il se plaît dans cette demeure que lui-
mêmes est choisie
Durantles sièclessuivants, l'entreprisegigantesque de Justinien
continua à frapper puissamment les imaginations populaires, et
tout un cycle de légendes s'accrocha autour de 1a coupole de Sainte-
Sophie. On sait quel rôle considérable 1a superstition du moyen âge
a prêté au diable dans 1a construction des cathédrales gothiques
d'Occident. L Orienta voulu de même expliquerd'une façon surna-
turelle 1a construction de Sainte-Sophie : mais,^plus dévot, il en a
reporté l'honneur à Dieu lui-même, intervenant pnr ses anges pour
suggérer 1e plan et surveiller les travaux de 1a Grande Église.
L'imagination populaire n'a pas été moins vivement frappée de
l'énormité des sommes dépensées pour cette grande œuvre, et ici
encore elle a fait intervenir 1e surnaturel pour expliquer comment
Justinien put trouver l'argent nécessaire. Lcs conteurs naïfs qui
inventèrent ces légendes avaient raison. Ils sentaient qu'il y avait
là une réussite incomparable, un monument merveilleux, où l'art
byzantin avait trouvé sa formule définitive et réalisë ses caractères
constitutifs.
C'est ce qu'ont parfaitement exprimé, dès 1e vi" siècle, les con-
temporains de Justinien. Aux yeux de Procope, Anthénnus de
Trailes apparaît comme t< 1e plus savant homme dans I art de 1a
mécanique, non seulement entre tous les gens de son temps, mais
entre tous ceux des siècles antérieurs x. Isidore de Milet est délini
comme un homme « d'une intelligence remarquable o. Et l'histo-
rien ajoute que c'est une preuve évidente de 1a protection que Dieu
étendait sur l'empereur, « d'avoir ainsi préparé les hommes les plus
capables de servir ses projets o, et que c'est une preuve aussi de
i'esprit supérieur de Justinien, « d'avoir, entre tous les hommes, su
choisir ceux qui étaient 1e plus aptes à réaliser ses grands des-
seins o. Par 1e génie de ces architectes éminents, 1e grand courant
novateur et hardi qui traversait alors l'art byzantin avait en effet,
dans un monument unique, manifesté sa puissance créatrice, et, au
sortir de 1a longue période de préparation et de tâtonnements, con-
sacré par un chef-d'œuvre les méthodes qu'il avait adoptées. Désor-
mais, durant 1e vi^ siècle, ce style nouveau allait rayonner sur 1e
monde et Constantinople allait prendre 1a direction unique de l art
byzantin.
GHAPITHE 11

L'ART DE BATIR CHKZ LES RYZANTINS


LES MONUMENTS DE L'ARCHITECTURE AU VI" SIÈCLE

I. Les principes de 1a conslruction byzantine. Les matériaux. Les points


d'appui. Les voûtes. Les coupoles. Les combinaisons d'équilibre. — II. Les
formes del'église byzantine. La basilique et ses diverses parties. La cons-
truction a plan central. La basilique à coupole. Le plan à croix grecque. —
III. Lës monuments de i'architecture. Constantinople. Les Saints-Apôtres.
Les édiüces civils. Inlluence exercée par Constantinople. Syrie. Kasr ibn
Wartan. L'Occident. Parenzo. Ravenne. Saint-Vital. — IV. Ladécoration scul-
ptée. — V. L'architecture civile et militaire. Les maisons. Les forteresses.

Justinien fut un grand bâtisseur. Par ses soins, ia capitale et


l'empire se couvrirent d'une muititude de monuments, églises et
monastères, palais et forteresses, ponts, citernes et aqueducs,
thermes et hôpitaux, dont 1a description suffit à remplir 1e livre
tfes ÆoE/tces de Procope, et dont les ruines, éparses des bords du
Panube au pied de l'Atlas, des rivages de l'Euphrate aux colonnes
d'HercuIe, attestent en tous lieux 1a prodigieuse activité de l'empe-
reur. Aujourd'hui encore, sur les hauts plateaux de l'AIgérie'et de
1a Tunisie comme dans les solitudes du Sinaï, dans les régions
désertes de l'Asie Mineure comme dans 1a popuieuse Constanti-
nople, à Salonique comme à Ravenne ou à Parenzo, partout on ren-
contre, ineffaçable, 1e souvenir du grand « Tous les types
d'édiRces se montrent appliqués à 1a fois : 1e plan polygotial se
renouvelle à Saint-Serge et à Saint-Vital ; 1e plan en basilique se
retrouve à l'église de 1a Mère de Dieu à Jérusalem, à Parenzo et à
Saint-ApoIIinaire de Ravenne ; 1e plan en croix à cinq coupoles
apparaît lors de 1a reconstruction de l'église des Saints Apôtres ' a ; et
àcôté dela belle disposition de Sainte-Sophie, déjà se faitpressen-
tir 1e type de ces églises à coupole centrale, dont les monuments
postérieurs de l'artbyzantin ne sont guère que des variantes. La
coupole est consacrée désormais comme 1a forme architecturale
propre de l'art byzantin ; mais sur ce thème, avec une ingéniosité

1. Choisy, p. 164.
LES MATÉRIAUX 169

féconde, tes architectes bioiient d'innombrabfes variations. Jamais


i'art ne s'était montré plus varié et pius libre, pius savant et pius
audacieux tout ensemble. Les mêmes qualités qui éciatent dans
'Sainte-Sophie se rencontrent dans une série d'autres monuments,
dans ia citerne de Bin-bir-Direk, où de bons juges reconnaîtraient
voiontiers i'œuvre.d'Anthémius, comme dans i'aqueduc de Justi-
nien, ouvrage d'up maître inconnu qui fut « assurément i'un des
premiers ingénieurs de tous ies temps * o. On pourrait muitipiier
ces exempies, où apparaîtraient i'ingénieux esprit d'invention,
i'adresse à résoudre ies pius déiicats probièmes d'architecture, i'ac-
tivité toujours en éveii qui caractérisent ies maîtres byzantins du
s i" siècie. Nuile époque ne convient donc mieux pour anaiyser les
principes de ia construction byzantine, et déiinir ies formes essen-
tieiies par où eiie s'est manifestée.

LES PRINCirES DE LA COXSTRUCTIOX. BYZAXTIXE'

Les matérmiLn. — Les matériaux empioyés dans ia construction


byzantine sont : ia pierrede taiiie, ies moeiions, iabrique, iespier-
raiiies et ie mortier. Assez souvent ie mur byzantin est construit de
ia façon suivante. Un blocage constitue ie corps du mur ; sur ies
deux faces, des pierres de taiiie formentie revêtement ; pointdescei-
iemententre ies pierres ; ie mortier rempiace ies ferrements soudés
au piomb, si habitueis dans i'architecture romaine. Pour consoiider
1a construction, chaque assise présente, mêiées aux biocs posés
sur ieur iit de carrière, des pierres posées en déiit qui s'insèrent
dans i'épaisseur du mut' et font office de boutisse. Mais pius sou-
vent ia brique fait ie fond de ia construction byzantine. L'échan-
tiiion usuei mesure de 0 m. 30 à 0 m. 45 de côté sur 0 m. 04 à
0 m. 05 d'épaisseur : ii est cuit très soigneusementet portegénéraie-
ment une estampiiie. Tantôt cette brique est employée uniquement
dans ia construction, alternant avec desiits de mortier d'une épais-

J. Strzygowski, Hy-:. Deakm;itei*, It, 14.


2. Pour Tout ce paragraphe, cf. Saizenberg, Tttc/ir/stti'c/ie Cauùen/c-
m;i/er uon Cons/an/i'uope/ ; Dehio et Bezold, /èi'rc/i/ic/ie Baii/.Tiit.s/, i, Stutt-
gart, 1884 ; Holtzinger, Dte ai/c/tris/tt'c/te uud ùyzan/titi'sc/te Bau/fuus/, 3* éd.,
Leipzig, 1909, et surtout Choisy, i'/ir/ de iià/t'r c/ie: /es Ziysatt/tns. Cf. ies
utiies résumës de Benoit, L'are/tt'/ec/ure .' /'Ort'en/ tnèdtëra/ e/ ntoderne, Paris,
1912,151 et suiv.
170 L ART DE BAT]R CHEZ LES BYZANTtXS

seur ég'ale et souvent supérieure à celte des briques. Tantôt eile se


mêie à ia construction en blocage, et des assises réguiières de
briques, souvent au nombre de trois, généralement au nombre de
cinq, interrompent aiors ie biocage, formant arases et donnant à ia
masse une iiaison transversaie bien assurée. Tantôt eile rempiace ies
boutissés et s'intercaie en une, deux ou trois assises, entre ies cours
de moeiions. « Les cours de briques tranchent aiors en rouge sombre
sur ie blanc rougeâtre des mortiers et sur ie gris mat de ia pierre.
Ordinairement, ie mortier est iissé en retraite sur ie nu du mur :
si bien que chaque brique, chaque moeiion a son contour redes-
siné en noir par un trait d'ombre. On ne saurait ailier une meiiieure
entente des etl'ets avec un sens pius juste des vraies convenances
de ia bonne construction L a Dans tous ces types, te corps du mur
est toujours en biocage, ies moeiions assez gros étant soit jetés
pêie-mêie dans ia gangue du mortier, soit disposés par assises régu-
iières. Le mortier se compose engénérai d'untiers de chaux grasse,
un tiers de sable, un tiers de brique piiée, qui en assure ia consis-
tance et en fait une sorte de béton. Ainsi, ii peut être, sans crainte
d'émieitement, empioyé sous ies épaisseurs que iui attribuent ies
Hyzantins.
Les — A côté du mur, un autre éiément apparaît
commepoint d'appui dans ia construction byzantine. C'est ia coionne,
simpie accessoire décoratif chez ies Romains, et qui joue, à Byzance,
un rôie tûut nouveau. Tantôt eiie est monoiithe et, pour empêcher
i'éciatement, souventeiieestcerciée defrettes métailiques; tantôteiie
est formée de deux ou trois tiouçons, dont ies extrémités s'insèrent
dans des assises basses, posées sur iit de carrière et faisant saiiiie sur
tout ie pourtour. Souvent, pourmieux assurerencore ia répartition
uniforme des charges, ies tambours sont dressés sur des feuiiies de
plomb iaminé d'un miiimètre d'épaisseur. La base de ia coionne,
quand eiie n'est pas ia copie d'une base antique, se présente sous la
forme d'un empâtement par gradins ; ie chapiteau oii're ies formes
successives qui ont été anaiysées précédemment (chapiteau théodo-
sien, imposte, chapiteau-imposte) et qui sont destinées à étabiir le
passage du plan circuiaire du fût au pian carré nécessaire pour
la retombée des arcades ou des voûtes. Pari'ois ies coionnes sont en
briques, qui ont alors, seion ie diamètre, ia forme ronde, ceiie d'un
demi-cercle, ou ceiie d'un segment. Souvent des piliers quadran-

1. Càoisy, p. 13.
LESYOri'ES 17)

gu!aires en briques ou eu pierres rempiacent !es coionnes, ce qui


permeL de donner p!us de portée aux arcades.
uoùfex. — Sur ces points d'appui, !e constructeur byzantin
posesesvoûtes.Quandcesvoûtessonten pierre de taiüe ou en moe!-
!ons, eHes sont, selon l'usage antique, construites sur cintres. C'est
!e parti ordinaire dans !es édiüces syriens. Mais, en généra!, !es
Byzantins qui emptoyaient ta brique ne crurentpoint nécessaire d'é-
lever !eurs voùtes sur
des cintres : ce fut !'une
des nouveautés caracté-
ristiques, on !e sait, que
leur architecture ern-
prunta à t'Orient. Au
!ieu de bâtir par assises
rnyonnantessurpiombant
progressivement sur le
vide, ce qui impose^ !e
cintre, i!s éievèrent donc
teursvoûtespar tranches
verticaies successives,
ayant pour point de dé-
part 1e mur de tête
contre leque) s'appuie !e
berceau (iig. 75) ; i'adhé- - Constantinopie. Sainte-Sophie. Her-
^ ^ ceau construit par tranches et sans cintre
rence iixant chacune des (d'après Choisy).
tranches à ceüe qui pré-
céde, tout auxüiaire est supertlu. Pour empêcher !e güssement de
ces tranches verticates, les Byzantins ingénieusement imaginèrent
divers procédés ; i!s remp!acèrent !es tranches verticales, soit par
des tranches p!us ou moins inchnées, soit par des tranches tronc-
coniques, ou bien i!s combinèrent !es deux partis. Surtoul Hs
adoptèrent !e p!us souvent une solution mixte, très pratique et 1a
p!us usitée de toutes. I!s commencèrent !a construclion de !a voûte
par Hts rayonnants, aussi tongtemps qu'eüe t'ut possibte sans cintres ;
puis, changeant de procédé, i!s !a terminèrent par tranches '.
Lescaupo/es. — Les voûtesainsi construites purentêtrede ditférents
types: voûtes en berceau, voùtes d'arête résuttantde !a pénétration

1. Voit', sur toute cette question, Choisy, p. 31-47, et tes pt. II, Itl, IV,
comnie exempte de ta sotution mixtc indiquée dans le texte.
172 L ART Dï BAT)R CHEZ LES BYZANTI?;S

de deux berceaux, voûles sphériques sur plan circulaire ou coupoies.


L'empioi de la brique, on ie sait, faciiita prodigieusement la con-
struction de ceder nier type. « Les Byzantins surent, par une heureuse
extension d'idées, transporter aux voûtes en briques 1e principe
des lits çoniques. 11s rangèrent les briques par couronnes succes-
si ves, qui représententindividuellement de minces surfaces coniques.
Cette disposition de briques par cônes
emboîtés se prêta à merveille au genre
d'économie que les Byzantins recher-
chent avant tout, 1a suppression du cin-
trage. Les briques d'un lit A sont appli-
quées sur une couche de mortier qui
ies hxe au lil prëcédent ; puis, une fois
terminé, ce lit A se comporte comme
un tronc de cône tourné ia pointe en bas
et qui ne peut ni se déformer, ni des-
pote sur trompes (d'aprés cendre ; il demeure en place et sert à son
Choisy).
tour de surface d'appui pour un deu-
xième anneau ; celui-ci pour un^ trôisième et ainsi de suite : un
cintre ne serait qu'un embarras ' A 1a base, pour en assurer
1a solidité, 1a coupôie fut enveioppée d'une garniture de maçonnerie
formant gaîne ; pius tard, i'usage se répandit de monter ies coupoies
sur des tambours cyiindriques ou poiygonaux, ayant aux angies,
comme contreforts, des coionnes engagées reiiées par des arcades -.
Pour préveniries déformations de ia coupoie et en aiiéger iespous-
sées, ies constructeurs imaginèrent enfin divers partis, partager
ieurs coüpoies en fuseaux par une série de nervures (Sainte-
Sophie), ou ieur donner par des côtes i'aspect d'une surface sphé-
rique onduiée (Saint-Serge). Mais surtoùt, iis s'appiiquèrent à ies
construire en matériaux iégers, étroitement enciievêtrés, tuiies
courbes, tubes en terre cuite emboités ies uns dans ies autres (baptis-
tère de Ravenne, Saint-Vitai). C est d'après ies mêmes principes
qu'iis éditièrent ies niches sphériques qui ne sont, en somme, que
des voûtes sphériques coupées par un pian verticai.
Maisia grosse difhcuité de ia construction était d'adapteria cou-
poieà base circuiaire à un plan carré ou poiygonai ; de bonneheuré

1. Choisy, toc. ctf., 61.


2. Le tambour apparait. dès te v* siècie, encore bas et trapu. On le trouve
au mausotée de GatlaPlacidia et à Sainte-Sophie de Satonique, au vi* siècle à
Saint-Vitat età Ivasr-ibn-Wartan.
LES COMBINAISONS D'ÉQUILIBRK <73

!e problème se posa, de savoir par quels raccords on passeraii du


polygone ou du carré au cercte. On a indiqué précédemment 1a
double solution qu'imaginèrent, au contact de l'Orient, Ies archi-
tectes d'Asie Mineure, et qu ils transmirent à l'architecture byzan-
tine : 1a coupole sur trompes
d'angle (Hg. 76) et 1a coupole sur
pendentifs (Hg. 77). II n'est point
nécessaire d'analyser à nouveau
ces formes dont on a montré déjà
1a progressive évolution. II suf-
fira de rappeler Ia préférence que
marqua l'art proprement byzan-
tin pour 1a coupole à pendentifs,
en menus matériaux posés surlit
de mortier, K type essentiellement
pratique, dont 1e double mérite
est de se réaliser, à da fois sans
épure et sans cintre ' i'. t'ig. 77. Goupote surpenùentifs,
Voûtes en berceaux, voùtes (Ravenne, Tombeau de Gatta Pta-
cidia), d'après Choisy.
d'arête, voûtes sphériques s'asso-
cièrent étroitement dans l'architecturebyzantine, et ces trois types
fondamentaux offrent une étroite corrélation. Selon les cas, selonla
hauteur disponible surtout, le constructeuren Rt usage alternative-
ment. Sainte-Sophie en offre dans ses collatéraux un remgrquable
exemple. A l'étage inférieur, où 1a hauteur devait être ménagée
pour n'avoir point à surélever trop l'ensemble de l'édifice, la voûte
d'arête, qui a plus de poussée et moins d'élévation, fut employée;
pour l'étage supérieur, au contraire, où l'espace libre était indéfini,
rien ne s'opposait à l'emploi de 1a voùte sphérique, plus haute et
ayant moins de poussée.
Les coniùtnaMon..s cf èym/tAre. — Pour assurer enfin lasolidité de
tout l'édifice, on doubla volontiers 1a tète de 1a voùte pardes arcs en
décharge, exécutés en matériaux plus épais que ceux de 1a voùte
même. Pour garantirles constructions contre l'efïet des tremblements
de terre, on noya dans l'épaisseur des murailles et des voùtes des chaî-
nages en bois. Enfin on se préoccupa d'annulerpardes contreforts
les poussées. Mais tandis qu'en Occident ces contreforts furent
extérieurset servirent à donner aux façades 1e relief et 1e mouve-

1. Choisy, p. 90.
174 L ART DE BATIR CIIEZ LES BYZANTINS

ment, !es Byzantins, au conti'aire, empioyèrent toujoursies massifs


de butée à i'intérieur de réditice, et ne laissèrent jusqu'à ta naissance
des voûtes que de grands murs droits et nus d'une étrange sévérité
d'aspect.
C'estsurtout en effet par le savant groupement des voûtes que
ies architectes byzantins se sont etforcés d'annuter tes poussées
qu'exercent en tous sens teursconstructions. Its ont réatisé ce iner-
veiHeuxéquitibre de ta façon ta ptusheureuse. « Leur constante pen-
sée, dit Choisy, est de chercher des associations de voûtes où tes
efïorts s'entre-détruisent; et tes coinbinaisonsqu'its pratiquent sont
toutes fondées sur ie besoin d'opposer une résistance continue à
ta poussée diffuse de ieurs voûtes^ o. En conséquence, tantôt iis
épautent par quatre berceaux une voûte à pendentifs, tantôt its
ta soutiennent par quatre niches de butée ; souvent its associent
tes deux systèmes, et Sainte-Sophie, on i'a vu, offre un admirabie
exempie de ces combinaisons d'équiiibre. C'est ià vraiment 1e trait
caractéristique et originai de ia construction bvzantine, d'avoir
cherché dans ie jeu des poussées un nouveau principe d'équiiibre.
Dans cet art, tout est combinaison, tout est caicui. « Les poussées
des voûtes réclament des masses d'appui d'un type nécessaire, qui
découiedu système des voûtes comme son coroiiaire et rend un
pian byzantinreconnaissabie àpremière vue. o

Ii

LES FORMES DE L ÉGLISE BYZANTINE

Ces principes généraux de construction s'appiiquent au vi^ siècie


à quatre types d'éditices
La ôa.si7tyiie ef sex dteet'xes parfteg. — G'est d'abord ia basiiique
hëiiénistique, précédée d'un a/i'tutn entouré de portiques (iig. 78),
au centre duquei se trouve ia fontaine d'abiutions, ia pAtafe.
Un porcAe ou uarfAea;, réservé aux catéchumènes et aux péni-
tents, s'intercaie entre cet atrium et i'ëgdise. Le porche est un
vestibuie ouvertsur ie deiiors ; ie narthex, une gaierie fermëe éten-
due sur toute ia iargeur de i'édiiice. A partir du vi" siècie, s'intro-

1. Choisy, p. 128.
2. Cf. sur tes différents types, Strzygowski, 1/rsprmty der eAri$C Jft'reAeit-
àiiitsf, 50-64, et Dte Bàti/tiinsf der Arinenier, 460-512.
LA BASIUQUE ET SES PARTtES 175

duit l'usage du doubie narthex, l'un extérieur, l'autre intérieur. La


basiiique elie-même forme un rectangie aiiongé, généraiement par-
tagé dans ie sens de ia iongueur en piusieurs nefs par des coion-
nades ou des piiiers portant d'ordinaire desarcadesetexceptionnei-
iement des piates-bandes. On y distinguedeux partiesessentieiies:

Fig. "S. — Parenzo. Atrium de ta basiiique.

ie nao^ réservé aux fidèies, ie j&èma ou sanctuaire réservé au


ciergé. Cette partiea laforme d'un enfoncement demi-circuiaire,
ménagé dans i'axe de ia nef centraie ; eiie est souventsuréievée au-
dessus du soi de ia basiiique. C'est i'aAsfde ou x-r'x-rj, au pour-
tour de iaqueiie des gradins demi-circuiaires sont destinés aux
prêtres ; au miiieu de ces gradins, se trouve ia catAedra ou Opdvos
de i'évêque (fig. 79). En avant est piacé i'aùtei (ô.Y'i'x Tpot-xe^ct), sur-
monté d'un baidaquin ou cf^orfum soutenu par quatre coionnes.
Cette abside, assex profonde, fait saiiiie à i'extérieur, et a généraie-
ment au dehors ia forme poiygonaie. De bonne heure elle fut fian-
quée de deux absides iatéraies, à gauche ia prof/té^fs', qui sert à
ia préparation des espèces, à droite ie dtacotttcon, qui sert de ves-
tiaire au.ciergé. Le pian à trois absides, qui manqueencore à Sainte-
Sophie, se généraiise au vt° siècie, où on ie rencontre en Syrie comme
en Asie-Mineure, à Saionique comme à Parenzo et à Itavenne.
Le Aèma est séparé de ia nef par une cloture (xtyxXt'SEs ou
xxYxsXAot) qui deviendra i'iconostase, et où s'ouvrent trots
176 L'ART DE BATfR CttEZ LES BYZANTIKS

portes, dont ceUe du milieu se nomme la porte sainte (ÿ.Yrxt


it'jXat). En avant de cette clôture, entre l'abside et ta nef, un
espace était réservéà l'usage des chantres et des lecteurs: c'étaitla
sofea, correspondantau c/tccur des basiliques occidentales.EHe était
souvent close de batustradesde bois ou de marbre. De chaque côté
de ces balustrades, ou parfois au mitieu de la sotea (par exempie à
Sainte-Sophie), s'élevaient
sur queiques marches une
ou deux tribunes ou amôons,
dont l'une était réservéeàia
lecture del'évangile, i'autre
au prône. Parfois la solea
ou le chœur occupe une
nef transversale ou /ransep/
régnant entre l'abside et la
nef. Certaines basiliquesont
deux absides, l'une à l'est,
l autre à l'ouest. Parfois,
l'édiûce a même trois ab-
sides, orientées en divers
sens, ce qui produit )es
sanctuaires triconque^ ou
églises à [Ran trétlé E Au-
dessus des bas côtés ou
coliatéraux, tantôt simptes,
tantôt doubles, seton que la
basilique està trois nefs, ce
quiesti'ordinaire,ou àcinq,
s'éièvent des tribunes qui souvent font le tour de l'égdise en passant
au-dessus du narthex : ce sont les ca/ec/iouineua ou YO'rxtzMvtTt;.
L'édifice est couvert en charpente apparente ou dissimulée sous un
plafond àcaissons. L'absideseule est. voûtéeencui-de-four. Quei-
quefois iesbas côtés aussi sont couverts de voûtes d'arête.
Généraiementun baptistère s'éiève àcôté de ia basiiique. Cesont
des éditices à pian centrai, circuiaires ou octogonaux, contenant
une piscine centraie, et souventcouverts d'une coupoie. ils se rat-
tachent au second type usuei dans i'architecture byzantine.

1. Gf. Vincent, Le ptait tre'/le' Jaits /'are/tttecfure àyaan/t'tte (R. arch.,


1920, I).
LA BASIHQUE A COUt'OLE 177

Z,a con^^ructt'on à pian cett^raL — C'est la construction à plan


central, circulaire ou octogonale, où tantôt la coupole pose sur le
mur de pourtour, où tantôt elie s'appuie sur une coionnade inté-
rieure : dans ce cas un bas côté circulaire enveioppe i'espace octo-
gonai qui constitue ia nef. Souvent, ce coiiatérai est surmonté de
tribunes. On a vu précédemmentcomment desnichesappuyéesaux
côtés obiiques de i'octogone, soit au pourtour de i'édiiice, soit aux
côtés de ia nef ce'ntraie, modifient et compiiquent ie pian octogonal,
et souvent ie rapprochent du carré. Parfois aussi, comme dans ie
martyrton. décrit par Grégoire de Nysse, i'éditice prend ia forme
d'une croix, par ia saiiiie des quatre compartiments iogés dans
i'intervaiie des quatre niches. De même que ies basiiiques, ies édi-
iices de ce type ont un narthex et, à i'opposé, une abside.
La ôastYtyne à coupo/e. — La basiiique à coupoiecombine, on ie
sait, despartisempruntésaux deux typesprécédents. Deiabasiiique
eiie conserve ia iongueur de ia nef, ies deux éiages d'arcades iaté-
raies encadrées par ies formerets, ies coiiatéraux, ies tribunes, 1a
direction des berceaux des bas-côtés paraiièie au grand axe de
i'église. Seuiement cette basiiique est, comme ies basiliques anato-
iiennes, voûtée, et 1e berceau de ia grande nef est coupé par une
coupoie. Ii n'est point nécessaire de revenir ici sur ies partis divers
qui ont modihé ce type primitif et assuré 1a stabiiité de son équiiibre.
Ii sufBt de noter que ia disposition généraie par terre rappeiie sen-
sibiement ie pian de ia basiiique ; eiie en a ie narthex et ies trois
absides.
Le en cro:'æ y/'ecyue. —- Un dernier type d'édihce, qui sera
i'égiise proprement byxantine, apparaît auv^siècle, où il sortassez
natureiiement de i'évoiution de 1a basiiique à coupoie L C'est ie pian
enforme de croixgrecque inscrite dansunrectangieetcouverte par
unecoupoiecouronnant iacroisée. Quatre grands arcs soutenus par
quatre berceaux égaux iargement ouverts jusqu'au mur d enceinte
épauient cette coupole, et dessinent à i'extérieur, sur ie faîte des
façades, ia forme de ia croix. Souvent des coupoies secondaires se
iogent dans ies angies formés par ies berceaux des bras, et contri-
buentàmainteniri'équiiibre de ia construction.Généraiementcette
égiise est à tribunes. Sous cette forme parfaite, 1e pian à croix

1. Cf. B&htmann, Dte Æn.tsteàutty der ÆrenzltHppeUttreàe (Zeitsehr. f.


Gesch. d. Architektur, suppl. 10), Heidelberg, 1913 ; Strzygowski, Dte
Æntsfeàuny der ÆreHz/cHppelktreTte (tht'd., t. VII, 1919).
JtfanHe! d'Arl hyzanlt'tt. 12
178 L ART BE BATtR CHEZ LES BYXANTtXS

grecque ne se rencontre que postérieurement au vi" siècieL Mais,


dès ce moment, et même antérieurement, ii se iaisse pressentirdans
certains éditices d'Asie-Mineure (Aiadja Kisié, Binbirkiiissé, Maha-
ietch)2, et ii va se trouver réatisé dans une certaine mesure dans
i'église des Saints-Apôtres, éievée à Gonstantinopie sous ie règnede
Justinien, dans ceiie de Saint-Jean à Ephèse, et ài'Hecatompyiiani
de Paros, qui datent égaiement du règne de Justinien Ces édi-
fices toutefois, ne sont qu'apparentés à l'égiise byzantine à croix
grecque ; ils ne i'ont point engendrée ; il sera donc préférabie de
revenir pius tard sur i'anaiyse détailiée d'un type qui ne fait que
se pi'éparer au siècie de Justinien.

IH

LES MONUMENTS I)E L'ARCHITECTURE

G'est entre ces divers types que se distribuent ies constructions


reiigieuses du vP siècie, qui nous ont été conservées ou qui nous
sont connues par ies textes.
CoMsfanfiHopIe. Z,e^^at'n,/8-AjOÔ/resL — Justinien avait admi-
rabiementcompris ia beauté du décor naturei qu'otfrait sa capitaie;
ii se piut à ie rehausserencoreparia beautédes constructions. Pro-
cope a ionguement décritlesëdificesqui, par ia voionté du prince,
parèrent Constantinopie, et ia variété des aspects qu'iis présentèrent.
Saint-Jean-de-i'Hebdomon, Saint-Michei sur l'Anapie furent des
construetions à pian centrai, de forme circuiaire et couvertes
d'une coupote ; Sainte-Marie-de-Ia-Source, Sainte-Marie-des-Bia-
chernes furent des basiliques. L'égiise des Saints Serge et Bac-

1. Strzygowski, Alrian.sier., 138-1 40.


-2. Gf. sur ces monuments Ramsay et Beit, toc. cit., 340 sqq., où t'on voit
par où ces prototypes en forme de croix difl'èrent dè ia vcritabie égiise à
croixgrecque. On a signalétoutefois à Gortyne une construction de ce der-
nier plan, l'égiise de Saint-Titus. On la date de ia Rn du vi° siècle (Fyfe, 7'àe
c/tHrcà oLSaùtt-7'rtHs at Gorfyna ia Grefe, Archit. Review, 1907, t. XXtl).
Cet édifice sembte très curieux. Plus récemment Sarre a reievé à Rusafa-
Sergiopoiis une autre ëgiise â croix grecque, qu'ii date du vi* ou vn° siècie
(AfonafsAe/'fe/'. XHHsfteMseascAa/'f, 1909, p. 95-107). Gf. Guyer, Rusa/'aà, 39.
3. Jeweli et Hasiuck, 7'àe cÙHrc/t o/*onr Aady o/*fàe /iHndred Gafes t'n. Paros,
Londres, 1920.
4. Gf. tes ouvrages précédemment cités de Satzenberg, Pulgher, Guriitt,
Ebersoltet Thiers et pour ies Saints-Apôtres, Heisenberg, Dt'e AposfeRftrcàe
t'n CP., Leipzig, 1908,
LESEDIFICESCH'ILS 179

chus (Rg. 64) renouvela de la façon la p!us ingénieuse le plan


polygonal ; Sainle-Irène (6g. 66) modiâa avec une logique heu-
reuse ie pian de 1a basilique à coupoie. EnHn l'égiise des Saints-
Apôtres, commencée par Théodora en536 etachevée en 546, donna
à Anthémius de Traiies et à Isidore 1e Jeune une occasion nou-
velle de montrer leur génie créateur. L'édiHce eut 1a forme d'une
croix grecque, obtenue par 1e croisement de deux nefs basiiicales,
voûtées à triple travée et bordées de collatéraux. Mais tandis qu'à
Sainte-Sophie une seule et énorme coupole couronnait I'édiHce, ici
cinqcoupolessurmontèrent l'intersectionet lesextrémités des quatre
branches de 1a croix. Quatre de ces coupoles furent peut-être des
calottes aveugles ; celle du centre, plus hauteet percée de multiples
fenêtres, rappela 1a coupole de Sainte-Sophie. 11 n'y eut point d'ab-
side: lesanctuaire occupa Ie centre dela construction. Comme dans
1a Grande Église, les architectes déployèrent aux Saints-Apôtres
toutes les splendeurs de la décoration b^zantine. Une forêt de
colonnes antiques forma sur tout 1e pourtour de l'édifice un double
étage aux éclatantes couleurs; sur 1e sol, sur les murailles, les
marbres précieux se disposèrent en incrustations étincelantes ; enHn,
à 1a voûte des coupoles, aux parois de i'église, des mosaïques
flamboyèrent '.
De 1a plupart de ces constructions, il ne reste aujourd'hui que ie
souvenir. A côté de Sainte-Sophie, Saint-Serge et Sainte-frène ont
seuis échappéà la ruine. L'église dës Saints-Apôtres a été détruite
par ies Turcs pour faire place à 1a mosquée de Mahometll, etnous
n'en pouvons prendre idée que par les monumënts qui furent
copiés surelie, comme Saint-Jean d'Ephèse, Saint-Marc de Venise
ou Saint-Frontde Périgueux. Mais du moins ce fait atteste l'heu-
reuse fortune que rencontra l'œuvre d'Anthémius et d'Isidore.
Tandis queSainte-Sophie, tropdifHcile à imiter, est demeurée à
peuprès unique, l'églisedes Saints-Apôtres, avecses coupoles mul-
tiples etson système de construction centrale, a fourni un modèle
que reproduisirent dans ses traits essentiels 1a plupart des édiRces
reiigieux de Constantinople, de 1a Grèce et de l'Orient tout entier.
Les écff^ces cn'ffsA — même esprit novateur et magnifique

1. On a cru toutefois que cettes dont Constantin de Rhodes nous a taissé


ta description datentdu ix° siècle seutement. On a récemment étabti qu'elles
remontent ptus vraisembtablement au vi' siècle.
2. Strzygowski et Forchheimer, Dte hyz. Wasser&eMMer Æonstantf-
nopet; Dieb], 7n.stùuen.
180 LART DE BATtR CHEZ LES BYZANTINS

apparutdans les constructions civiies de Justinien. Au lendemain


de laséditionde 532, 1a grande place de l'Augustéon, toute dallée
de marbre, fut bordée de portiques formant une double colonnade
et encadrée de monuments somptueux,IeSénat en marbre blanc, les
bains de Zeuxippe splendidement décorés de marbres multicolores.
Au palais impérial, 1e vestibule de 1a Chalcé fut une merveille
d'architecture savante èt de luxe décoratif. Ce fut une grande salle
à coupole, soutenuë par quatre grands arcs portés par quatre piliers
colossauxet contrebutés au nord et au sud par deux berceaux voûtés.

Fig. 80. — Aqueduc dit de Justinien, près de Constantinopte (d'après Strzy-


gowski. Dt'e àÿsanttniscàen WasserbeMtter ron CP).

Sur 1e sol, un pavement de marbres de couleur rayonnant autour d'un


médaillon central de porphyre ; sur 1e bas desmurailles. un revête-
ment de marbres multicolores ; plus haut, de curieuses mosaïques
représentant les victoires de Justinien constituèrent une décora-
ti.on polychrome pareille à celle des Saints-Apôtres et de Sainte-
Sophie et attestent l'ample développement que l'art profane prit à
côté de l'art religieux.
Les thermes d'Arcadius, restaurés par les soins de l'empereur,
montrèrent une semhlable magniticence dans leurs cours et leurs
portiques décorés demarbres et destatues. Maissurtout les citernes
colossales de Jérë-batan-serai et de Bin-hir-Direk (Rg. 68), celle-ci
surtout avec ses deux étages de minces colonnes supportant les
voûtes massives ; l'aqueducde Justinien (Hg. 80), avec son double
étagede hautes arcàdes qui s'achèventenun arc légèrementaigu, ses
INH.UENCE HXBRCEE EAR COXSTANTfNOPLE 18)

massifs piliers contrebulés de contreforts prismatiques, i'harmo-


nieuse éiégance de sa construction, 1a merveilleuse habileté tech-
nique de ses combinaisons; ie pont du Sangarios enfin, en Bitby-
nie, construitsur cintres en berceaux appareiHés, mais où éclatent
des qualités analogues, tous ces monuments témoignent d'une
science, d'une habiieté, d'uneaudace, dontseulsfurent capables des
architectes de génie. Et l'on conçoit sans peine que, créatrice de
semb!ab)es chefs-d'œuvre, pénétrée d'un te! esprit novateur et
hardi, Constantinople n'ait point eu de peine à prendre dësor-
mais )a direction unique de l'art byzantin et que son influence, au
siècte de Justinien, se soit targement répandue dans tout ['empire.
/n/fuertce eæe;*cée yrar Cortsfanfrnopfe C — De cette influence de
!a capitate, i! existe une preuve bien remarquabie.
Dans toutes !es régions sur [esqueües s'étendait au vP siècie t'au-
torité de hempire byzantin, on rencontre des chapiteaux de style
identique, tous en marbre de Proconnèse '^. On en trouve à Sa!o-
nique, à Parenzo, à ltavenne : sur !a côte d'Afrique, à Sfax, à
Mahedia, à Sousse, dans !es mosquées de Kairouan, qui !es emprun-
tèrent aux édifices ruinés de Garthage ; en Égypte, à Atexandrie et
au Fayoum, dans !'ég!ise d'Ahnas ; à Jérusalem, dans !a mosquée
d'Omar, à Kertch et à Tirnovo en Butgarie. On voit par !à queües
étaient, au v^et surtoutau vP siècte, l'activité et!a cé!ébrité des
fameuses carrières qui aümentaient !a capitate : eHes exportaient
leurs produits dans !e monde entier. Mais eHes ne se contentaient
pas de fournir des matèriaux bruts : t'unité de sty!e qu'ofl'rent tous
ces chapiteaux, !es motifs orientaux qui les décorent uniformément
montrent qu'its ont été tous travaiüés dans un même ateher. On
est donc en droit de conc!ure qu'i! existait à Constantinop!e une
grande éco!e de scu!pteurs-décorateurs, à taqueüe tout !e monde
méditerranéen demandait !a parure sculptée de ses églises. Et rien
ne prouve mieux !a vogue que rencontrèrent !es formes décoratives
que Constantinople avait consacrées et l'influence universeüe
qu'exerça !a capitale.
Ce n'est pas tout. Les p!ans des édihces, !es architectes qui !es

). Strzygowski, t/;*spruag [uut Sieg deraftàyz. K;[[t.si, XX sqq. ; /vteiMsien,


129 sqq; Àlittet, i'Asie MiaeHre (RA, 1905) ;Dle!)t, jRStiaieR.
2. Strzygowski, Xopiiseàe XuRSi, n°' 7350 sqq. ; Rondakof et Tolstoï,
RoHssàiia Drernosii, t. IV, Pétersbourg, 1891 (russe) ; Katcheret:, d/onH-
Hienis c/tre'iiens de C/tersonése (RA, 1899, II) ; Satadin, Z.a tnosqHe'e c/e Sidi
O/cha à XairoHan, Paris, 1903.
182 L ART DE BAT!R CHEZ I.ES BYZANTINS

construisent, viennent égatement de Constantinopie. Dès ie com-


mencement du v^ siècle, on rencontre un curieux exempte de
l'action qu'en cet ordre de choses exerçait la viiie impériale. En
40), à Gaza en Syrie, un tempie païen cétèbre, ie Marneion, avait
été détruit par ies chrétiens, ett'on vouiait à sa piace élever une
égtise. Mais on ne savait trop quette forme donner à t'édifice, et
plusieurs proposaient de reproduire tout simptement tes disposi-
tions du tempte démoti, quand t'impératrice Eudoxie, qui s'était
charg'ée des frais de ta construction, envoya de Constantinopte, en
même temps que t'argent, un ptan en forme de croix. Un archi-
tecte d'Antioche reçut mission de i'exécuter, et ta souveraine fit
expédier en outre des matériaux précieux, cotonnes et chapiteaux
de marbre, pour t'embettissement de ta nouvette égtise. Ce qui
n'était au v" siècte qu'un incident assez exceptionnet était devenu
au vp une règte presque générale. Le traité t/es Æ'e/i/icex de Pro-
cope, dont t'épigraphie vient très heureusement confirmer te
témoignage, montre tes architectes de t'empereur travaittant
dans tout te monde orientat, et tes édifices de ta capitate servant
partout de modètes. En Asie* Mineure, l'égtise de Saint-Jean
d'Ephèse est rebâtie sur te ptan des Saints-Apôtres, et tes fouittes
J'écemment entreprises sur t'emptacement du cétèbre sanctuaire, en
nous en révéiant tes magnifiques proportions (120 mètres de tong
sur 60 de targe)( montrent combien Procope, a eu raison de le
proctamer, poursa grandeur et sa beauté, te rival de t'ittustre église
de ta capitate L En Mésopotamie, torsque Dara est menacée par
tes débordements de son fleuve, Justinien consutte, sur tes mesures
à prendre, Anthémius et Isidore, et sur te ptan que tui présentent
tes deux grands architectes, t'empereur tui-même dessine un pro-
jet qui est transmis à t'architecte iocat. Sur t'Euphrate, ta viite de
Zénobie est reconstruite tout entière, avec ses muraittes, ses
égtises, ses bains, ses portiques, par Jean de Byzance et Isidore te
Jeune, neveu d'Isidore de Mitet, a deux jeunes gens, dit Procope,
mais qui étaiënt doués d'une intettigence supérieure à teur âge. c
A Kennesrin, t'antique Chatcis, au sud d'Alep, des inscriptions
attestent pareitiement t'intervention et t'activité, à ta date de 550,
du même Isidore, a te très gtorieux iHHs/ris et ingénieur H. Une

1. Sur tes fouittes decetimportantédiflce, cf. Sotit'iou, 'A'iscixxmott è'/


'EmsoM votou 'lMctvuou ioü9soXoYOu('Ap^. A3Xrtov,1922),quivoitdansrég;tise
d'Ephèse le modète de celte de Constantinopte, foc. cft., p. 216-218.
KASR-IBN-WARTAN 183

sembtable mission fut confiée par Justinien à un autre architecte,


Théodore, en Palestine et au couvent du Sinaï. Et ici encore
l'empereur intervient sans cesse dans les travaux en cours et y fait
sentir l'intluencede ia capitaie. Quand ii s'agit, à Jérusaiem, d'édi-
tier i'égiise de ia Vierge, « ia nouveiie égiise n, comme on ia nomme,
c'est ie prince iui-même qui choisit i'empiacement et détermine ies
dimensions de ia basiiique. C'est iui qui faciiite aux architectes ies
moyens de construire ies substructions coiossaies sur iesqueiies
s'appuie une partie de i'édifice, et dans l'établissement desqueiies
Procope note que, << méprisant ies procédés habitueis, les architectes
recoururent à des partis originaux et tout à fait inconnus. « Se
trouve-t-on embarrassé ensuite, à cause de i'éioignement de ia
mer, d'expédierà Jérusaiem ies coionnes néc'essaires au monument,
de nouveau ie souverain se préoccupe de ia difticuité et trouve une
soiution. Et de même, en tout iieu, avec cette prétention à i'infail-
iibiiitéqui est caractéristique de son génie, Justinien intervient
jiour imposer ses conseiis et sa voionté.
Ainsi, grâce à cette multitude de constructions dirigées de haut
et attentivement surveiiiées, se propage partout i'infiuence de ia
capitale. Assurément, ii seraitexcessifde dire que cette expansion
de i'art byzantin a supprimé ou entravé le déveioppement des arts
orientaux ; i'art syrien, i'art copte continuèrent à évoluer selon
ieur génie propre, éiiminant de pius en pius ies traditions heiiénis-
tiques auxqueiies i'art byzantin demeurait pius attaché. Mais, dans
ce domaine mème des arts orientaux, en Syrie comme en Ëgypte,
Gonstantinople tit pius d'une i'ois, au vf siècie, sentir son action
toute puissante.
Nyrie. Æasr-rhn,-Warfan*. — EnSyrie,eiie se manifestedefaçon
signiticative par Tempioi de ia brique sesubstituant à ia pierre. Ce
trait apparaît, par exempie dans ies édifices de Kasr-ibn-Wartan,
entre Hama et, Aiep, qu'uneinscription date avec précisionde 564.
iJans ces ruines « ies pius imposantes, dit Butier, et, àcertains
égards, ies pius remarquabies de toute ia Syrie du Nord, a on
trouve, côte à côte, une égiise et un paiais. L'égiise est une basiiique
à coupoie, du type anatoiien, mais où certains traits nettement
indigènes apparaissent dans ia décoration, en particulier dans ies

1. Strzygowski, tnet'aasiert, 121 sqq. ; H. G. Butter, /taetent arcàt'tecfure t'a


^yrt'a (Princeton Expedition to Syria, divisionlt, sect. B., partl), Leyde,
1901.
184 L ART DE BATIR CHEZ LES BTZANTINS

chapiteaux (Rg'. 81). De mêrne des tours, à ta mode syrienue,


Hanquent la façade du narthex ; -nais en revanche. ia technique de
ia brique est absoiument byzantine. Le palais est une construction
à deux étages, avec trois nefs terminées par trois absides se dis-
posant en pian trétfé à i'étage inférieur, et une grande saiie au pre-

Fig. 81. — Basiiique de Kasr-ibn-Wartan. intérieur (d'après Strzygowsk ,


Kietttasten).

mier, de forme à peu près sembiabie, que couronnait une coupole


centraie. Les murs sont bâtis en briques et pierres alternées. Un
simpie coup d'œii suftit à montrer que ces éditices diffèrent absoiu-
ment de toutes ies autres constructions syriennes. Iis sont, dit
Butier, « bâtis sur un pian, dans un styie, et avec des matériaux
sembiabies à ceux qui étaient usités dans ies édifices impériaux de
Gonstantinopie durant ie règne de Justinien. a Le iuxe de !a
poiychromie qu'on remarque dans ia décoration atteste égaiement
une iniluence étrangère à ia Syrie.
L OCCtDEXT EARENZO 185

Les mêmes partis caractéristiques s'observent dans le castron d'An-


derin, voisin de Kasr-ibn-Wartan, et qu'une inscription date de
558. 11 faut ajouter toutefois que la plupart des églises syriennes de
cette époque demeurèrent fidèles au type ancien etaux traditions de
la construction en pierre. Ce n'en est pas moins un fait remar-
quable que ce mélang'e d'influences étrangères pénétrant dans le
monde syrien. EHes apparaissent de même en Palestine, où tous
les monuments datant du vP et du viP siècle s'inspirent exclusive-
ment des modèles byzantins ; elles apparaissent dans l'église Saint-
Serge de Gaza, qui, d'après la description de Choricius, semble
bien avoir réalisé, dès le vi° siècle, ie type de l'église à trompes
d'angle, avec nef basilicale combinée avec une coupole et tribunes
au-dessus des collatéraux ' ; elles apparaissent enfin à Rusafah, où
la porte nord et le marh/rion, semblent dater de l'époque de
Justinien et à Mschatta même, —- ce qui semblerait bien faire
croire que Mschatta date du vi" siècte— dans l'emploi de la brique",
et dans certaines formes du décor monumental.
Enfin l'influence byzantine parait s'être en Orient étendue jusque
dans le monde perse. f^es palaisde Ctésiphon, bâtis en briques,
furent, d'après une tradition, édifiés par des architectes byzantins
envoyés à Cbosroès par Justinien, et qui construisirent les rési-
dences sassanides selon la technique byzantine (TÉ^v-q
Simocatta, V, 6). Des matériaux précieux auraient même, dit-on,
été expédiés par t'empereur en même temps que les architectes.
L'OcctcfenL Rat'ettzo L — En Occident également, plusieurs
monuments, parfaitement conservés, attestentl'expànsion puissante
de l'art byzantin au vi° siècle.
A Parenzo, en Istrie, dans la première moitié du vi° siècte,
l'évèque Eufrasius tit construire, sur les ruines d'un édifice plus
ancien, une basilique du type hetlénistique. C'est un des plus beaux
spécimens et des plus coniplets de cç genre de constructions. En

1. Mittet, t.'ztste tVt'tteüre (loc. ctf., 99 sqq.).


2. Guyer, ioc. ct'f., 36-38.
3. Strzygowski pourtant estime que ia technique de ta brique à Mschatta
al testeptutôt une iniluence perse (JJscàaffa, p. 242). Sur ia questiondeMschatta
et les diverses hypothèses proposées à ce sujet, cf., outre ies ouvrages précé-
demment cités, t'articie de Van Berchem, dtt pays de itfoat) et d'Ædont (Journ.
desSavants, 1909, p. 402-408).
4. Marucchi, Le receitft' scoperte net duonto dt Parenso (NBAC. ti, 1896) ;
Wiha et Niemann, Der Dont con Parenzo ; Puigher, /i dttonto dt' Parenzo,
Trieste, 1902 ; Errard et Gayet, P'/irfhyzanft'n, iivr. ii, Paris, 1903.
186 L ART DE BAT!R CHEZ LES BYZANT!!<iS

avanl de l'église, se Lrouve ua alrium carré, entouré de portiques,


(tig. 78) sur iequei s'ouvre, en face de l'entrée de !a basiiique, un
baptistère de forme octogonaie. L'égdise même est partagée en trois
nefs par des rangées de coionnes ; une abside unique fait saiitie au
fond de 1a nef principaie. La décoration de marbres et de mosaïques,
sur iaqueiie on reviendra tout à i'heure, est toutà fait remarquabie.

Fig. 82. — Itavenne. Saint-Apottiaaire in Gtasse. Extérieur.

— Mais c'est à Ravenne surtout qu'ii


faut, au vt^ comme au v" siècie, aiier chercher d'incomparables
monuments de i'art byzantin. Dans ies édifices qui datent del'époque
de Théodoric (fin v° et commencemenf vi° siècie), comme dans ceux

1. Quast, Dfe atteàrMtft'cAen Æamcer/feron Ztareana, Bertin, 1842 ; ffùbsch,


Dte aZ/c/u'/s/f/càen, Æ/rc/ten, Kartsruhe, 1862 ; Rivoira, Le ort'y/n/ t/e//aarc/tt-
/e//ttra Zootàart/a, t. f, Rome, 190i ; Ricci, Raretttta, Bergame, 1902 ; Dieht,
Rat'etttte, Paris, 1903.
RAYEXNE SA!NT-V[TAL j87

qui datentde t'époque de Justinien, se manifestent également ces


intluences orientates, qui de ptus en plus dominaient alors tout t'art
chrétien. Si on iaisse de côté ie baptistère arien, construction à pian
centrat presque identique au baptistère des orthodoxes, trois monu-
ments surtout retiennent i'attention : deux basiliques, Saint-Apôi-
ünaire-NeufetSaint-Apoliinairein Ciasse, uneégiiseà pian centrai,

Fig. 83. — navenne. Saint-ApnHinaire-Neuf. tntcricur (Phot. Atinari).

Saint-Vitai. La première commencée sous Théodoric, et dont ies


Byzautins achevèrentia décoration, produit une impression magni-
tique et puissante ; mais, pas ptus que Saint-Apoüinaire in Ciasse.i
consacrée en 549, ehe n'otïre dansson architccture de traits carac-
tenstiques. Toutes deux sont des basihques du type ordinaire, aux
muraitles extérieures nues et tristes, sobrement décorées (à Saint-
Apollinaire in Oasse) d'un double étage d'arcades aveugles (tig. 82).
A l'intérieur, elles ont trois nefs, sëparées par de belies rangéesde
colonnes, une abside unique, surélevée à Classe au-dessus de la
nel ', et où l'on monte par un large escalier; toutes deux ont une
1. Cette surétévation nc date qne du xvt° siècie.
188 L ART DE BATIR CHEZ LES BYZANTIKS

grandeur de lignes puissante et sobre, dont Teffet est incomparable'


(Rg.83).
Saint-Vitat au contraire, commencé entre 526 et 534, ter-
miné en 547, est tout autrement originat. Quoiqu'ii ne pro-
cède directement, comme on ie répète votontiers, ni de Sainte-
Sophie de Constantinopie, ni de Saint-Serge et Bacchus, auxqueis
ii est un peu antérieur, ii appar-
tienttoutefois,comme ces édi-
fices, à ia mème écoie orien-
taie. dont ie trait caractéris-
tique est ia coupoie hardiment
posée sur une base poiygonaie.
Assurément 1e tracé en est
moins originai, i'exécution
pius timide, ia facture pius
arriérée que dans les monu-
ments contemporains de 1a ca-
pitale byzantine : ily a pourtant
déjà une singulière maîtrise
dans 1e plan de Saint-Vital (fig.
Fig. 8-! . — Ravenne.' Saint-Vital. Plan 84) et dans ia savante habileté
(d'après Holtxinger) de ses combinaisons d'équi-
libre. L'édifice a 1a forme d'un,
octogone, surmonté d'une coupole sur tambour ; huit forts piliers'
1a soutiennent, reliés l'un et l'autre par un ingénieux système
d'exèdres à deux étages de coionnes, tout pareils à ceux que i'on
voit à Saint-Serge et Bacchus et à Sainte-Sophie. Autour de ce
vaisreau central, des bas-côtés à deux étages voûtés en arête se
développent égale.ment en octogone. Pour diminuer 1e poids de ia
coupole, l'architecte l'a construite en longs tubes creux de terre
cuite, emboîtés les uns dans les autres. Pour l'épauler solidement,
il a relié les huit piliers qui 1a portent aux murs extérieurs de
l'édifice par des arcs robustes. Mais il a en outre, de fnçon tout à
fait ingénieuse, raccordé 1a base octogonale au plan circulaire de
Ia coupole (Hg. 85) ^ ; avec une hardiesse élégante, i! a, sur l'un
des pans de l'ocfogone, ménagé, dans toute 1a hauteur du monu-

J. Le raccord estobtenuau moyen de huit petites trompes d'angie disposëes


au-dessus des angles de l'octogone, et qui déterminent, commc à Saint-Serge
et Bacchus, mais par un procédé un peu difTérent, une figure à seize côtés,
d'où l'on passe au cercie de la coupoie.
189
SAINT-VtTAL

ment, le chœur et l'abside ; à Fouest, en avant de i'égtise, il a


ptacé enfin un imposant narthex à deux étages, tlanqué de deux

Fig. 85. — Ravenne, Saint-ViLat. Intérieur (Phot. Atinari).

toureHes par où on accédait au gynécée. Et sans doute il faut


reconnaître que par l'aspect extérieur, avec son enceinte octogonaie,
[90 L'ART DE BATfR CHEZ LES BYZAKTfHS

son tanibour centrai, sà toiture qui dissimule entièrement 1a cou-


pole, Saint-Vital ne rappelle en rien les lig-nes hardies de Sainte-
Sophie. Mais I'intérieur(fig. 85), niême si Ton fait abstraction de 1a
magnitiquedécoration quilepare, est d'une originalité pittoresque
etd'unebeautédedessin remarquable. Surtout touty révèle nette-
ment 1a collaboration des maîtres grecs, et rattache incontesta-
blement Saint-Vital aux types architecturaux que les architectes
chrétiens élaboraient, au commencement du vr^ siècle, au contact
de l'Orient '.
On pourrait citer en Occident d'autres édifices encore qui
montrent de même Ia dilTusion des méthodes byzantines et l'acti-
vité architecturale qui marqua 1e règne de Justinien. L'Atrique
reconquise par cet empereur se couvrit ainsi de constructions nom-
breuses, dont les ruines, souvent importantes, serencontrent à Car-
thage (basilique de Dermech), à Haïdra, à Announa, à Matifou, à
Timgad, ailleurs encoreA Ge sont toutesau reste des basiliques de
type hellénistique, à l'exception d'une curieuse petite chapelle, à
Sousse, où un plan carré est couvert d'une coupole côtelée portée
sUr quatre trompes d'angle*. En revanche, )es baptistères de l'époque
byzantine montrent en Afrique, à côté des types classiques, des
t'ormes d'uneréelle originalité. A Mammam-Lif, Uppenna, Sfax. etc.,
ce sont des bassins étcilés à six ou huit branches.

IV

LA DÉCORATtOX SCULt'TÉE

Un trait commun se rencontre dans tous les éditices qui viennent


d'être signalés. C'est 1a conformilé qu'ils otfrent, dans leur déco-
ration sculptée ou polychrome, avec les principes qui ont inspiré
1a décoràtion de Sairtte-Sophie, et qui sont caracféristiques désor-
mais de l'art byzantin du vi° siècle Dans tous, c'est 1e même luxe
des chapiteaux, dont Ia variété d'aspect est merveilleuse ; tantôt
corinthiens du type fhéodosien (fig. 87), tantôt cubiques et sur-

1. On a signalé laressembtance qu'oftre Saint-Vital avec t'égtise octogonale


bâtie par Constantin à Antioche et que décrit Eusèbe.
2. Dieht, L'AfrtqHebyzanfùre, Paris, 1896; Gselt, t,esmO!t:tme;rfsa;tft'qttes
de f'Afyèrt'e, t. II.
3. Laurent, Delphes c/tre'tt'e;t (BCH, 1899).
LA DECORATION SCULPTEE 191

monlés de l'imposte(li!j. 88), tantôt réunissant deux éléments dis-


tincts sous la fornie du chapiteau-imposte, ils perdent de plus en
ptus le caractère classique; etrevêtus d un réseau compliqué de
tresses et d'entrelacs, décorés à l'imposte ou aux angies de tig'ures
d'animaux et d'oiseaux (tig. 63), rehaussés de dorures, iis attesfent

Fig. 86. —Détait de construction Fig. 87. — Ghapiteau à Saint-


deSaint-Vitat de Ravenne (d'a- Déméti'ius de Saionique
près Rivoira, Le ortyint deHa (Pitot. Laurentt.
areàheltttra iomttarda).

par leur magnitique travaii, pius voisin de l'orfèvrerie que de ia


scuipture, ie goût croissant de ia spiendeur et ie désir d'ébiouir.
Le même caractère apparait dans ces piaques de chancei fouiiiées
et percées à jour comme une denteiie (fig. 89 et 90), qui à Saint-Vitai
ou à Saint-Apoiiinaire forment iaciôture du chœur, dans ces para-
pets décorés de roues à six rayons, accompagnées de iongues croix,
que i'on rencontre en si grand nombre dans ies monuments byxan-
tins d'Asie etd'Europe (par exempie à Sainte-Sophie de Constanti-
nopie, Saint-Démétrius de Saionique, Ravenne, Parenzo, etc,), dans
ces daiies à ornementation orientaie, dont les rosaces et ies entre-
iacs ont passé de Syrie dans tout ie monde byzantin (Delphes,
Ravenne, etc.), enlin, dans ces déiicats omements de stuc qu'on
observe sous ies arcades et sous ies voutes de Parenzo et de Saint-
Vitai, et surtout dans ies spiendides incrustations de marhre qui
recouvrent les muraiiies.
192 !. ART DH BAT!R CHEZ LES BYZANTIXS

Dans ta Jescriplion qu'it a faile des égiises de Gaza, Ghoricius


vanle la variété et ie prix des marbres qui revêtaient Saint-Serge,
la beauté des coionnes de porphyre qui décoraient Saint-Ëtienne.
A Saint-Démétrius de Salonique (fig. 51), à ia courbe des arcades, à
)a bande quicourt au-dessous de la galerie du gynécée, des marbres

mufticoiores mettaient de même teurs notes éciatantes, et dans ies


écoinçons, des ptaques quadrangulaires montraient, autour d'une
pièce rare, les combinaisons les plus variées de l'incrustation poly-
chrome. Dans.I'absidede Parenzo surtout(fig. 91), des panneaux
admirables, où les marbres les plus rich.es se mêlent aux pâtes
d'émail et aux nacres, se disposent 1e long des murailles comme des
tapis d'Orient veloutés et harnionieux. Partout enHn, à Gaza, à Saint-
Démétrius, à Parenzo, à Ravenne, des mosaïques admirables mettent
à l'extérieur (Parenzo) et à l'intérieur des édifices leur éclatante
parure et achèvent de dcmontrer 1a largediffusion de cet artbyzan-
tin, qui a fait de la polychromie sa règle fondamentale.
L ARCHtTECTURE CIVILE ET MIHTAIRE 193

V
L'ARCIIITECTUHE CIVILE ET MILITAIRE

On a signalé déjà ie grand mouvement d'art profane qui, à


i'époque de Justinien, correspondit au déveioppement de i'art reii-
gieux. Maiheureusement, ies monuments de i'architecture civiie

Fig. 89. — Ravenue. Saint-Apoltinaii'e-Ncuf. Ptaque de chancel (Phot. Atinari).

nous ont été conservés en bien moindre nombre que ies monuments
de i'architecture sacrée. Nous avons mentionné déjà ies citernes de
Constantinopie, ies aqueducs, ie pont du Sangarios. Ii faut, pour
compiéter ces indications, résumer ici !e peu que nous savons de
ia maison byzantine et dire un mot des ouvrages, ceux-ià beaucoup
pius nombreux, que nous a iaissés i'architecture miiitaire.
Le.s manons '. — De i'habitation byzantineaü vi^ siècie noussavons
peu de chose. On a vu précédemment ies indications quei'on peut,
reiativement aux maisons de Constantinopie, tirer de documents teis
que i'ivoire de Trèves ou ia mosaïque de Saint-Apoiiinaire-Neuf. Mais
c est en Syrie seuiement que se sont conservées des ruines de viilas
ruraies et de maisons urbaines, permettant d'entrevoir ce que furent,
dans cette région du moins, ies ouvrages de i'architecture civiie.
La piupart de ces habitations, au iv^ et au v" siècie, comprenaient
piusieurs corps de bâtiments, à deux ou trois étages et à portiques
décorant ia façade, disposés sur ies trois côtés d'une cour assez
f. De Beytié, L'Aahifaft'oa ht/sanh'Me, Paris, 1902. Cf. Vogüé, St/rt'ecen(raie ;
H. C. Butler, Arcltt'fecfare artd of/terarls; et Mordtmann, Æsgut'sse /opogra-
p/tt'qtte de Cotts/au/t'uop/e, Litte, 1892.
tt/attue/ t/'Ar/ /ty:au/t'tt. 13
194 L ART HE BA'ftH CHEZ LES BYZANTtNS

vaste; on y entraït par une porte cochère souvent ilanquée d'une


tour (Amrah, iv^ siècle) ou dont la grande arcade était surmontée
d'une tour dominant i'entrée (Rouweiha, datée de 396). Au rez-de-
chaussée se trouvent en générai une grande saile de réception et ies
appartements des hommes; l'étage, auquel on accède d'ordinaire par
un escaiier extérieur, est réservé aux femmes et aux enfants. Ces
dispositions persistèrent jusqu'au vt" siècie. Dans ies maisons

Fig. 90. — Ravenne. Saint-Apotlinaire-Neuf. Piaque de chaneet (Phot. Atinari).

urbaines, teiies que celies de Serdjiiia (v^ siècie) (fig. 56), de Refadi
(datée de 5i6), de Dëir-Sambii, i'une des pius beiies et des mieux
conservées (vt" siècie), on retrouve ies mêmes arrangements, à ceia
près que ies constructions s'aiignent souvent sur un seui côté au
fond de ia cour. Mais ce sont ies mêmes dispositions des apparte-
ments et aussi ies mêmes coionnades, décoratit ies façades et formant
des gaieries extérieures et des loggias donnant sur ia cour. Sur ia
rue, au contraire, i'habitation n'a que queiques rares fenêtres, et
parfois un baicon.
Le même pian s'appiiquait aux hôteiieries(joanffoc^et'a) très nom-
breuses dans ies viiies de ia Syrie centraie. Ce sont de vastes con-
structions, à deux ou trois étages, avec gaieries extérieures sur
tùutes leurs faces (Tourmanin, Déir-Seman). Chaque étage com-
prenait une seuie grande saiie. A Tourmanin, un paviiion centrai
et deux paviiions d'angie se détachaient en saiiiie.
LES MAISONS 195

Entre ces habitations couraient des rues bordées de portiques,


ie plus souvent isoiés des maisons. La mosaïque de Madaba nous
représente sous cet aspect ies grandes artères des viiies de Paies-
tine, et ies textes attestent i'existence de portiques sembiabies

t'ig. 'JI. — Paienzo. Revêtement de marbre, d'onyx et de nacre de l'abside.


(Ciiché Courtettemont).

(Ép.^oAoi) à Constantinopie. De ia Syrie et de Constantinopie, cet


usage devait se rëpandre dans toute ia Méditerranée.
On a vu enfin comment Justinien, après ia sédition Nika, recon-
struisit une partie du vieux paiais bâti par Constantin, et dont bas-
pect rappetait i'ort sans doute le paiais de Dioclétien à Spalato. Aux
196 [,'ART DH BATIR €HEZ LES BYZANTtNS

Conslantinnpte : )a maison de Justinien (Phot. Sebah ét Joudher).


LES FORTERESSES 197

sailes basilicales, rotondes et octogones, qui te composaient, tes


architectes du siècte ajoutèrent, dans la coupote de la Chatcé,
tes nouvettes formes propres à t'art byxantin, et ils parèrent avec un
luxe ébtouissant de marbres, de mosaïques et de métaux précieux
le vestibute de ta Chalcé, te grand Consistorium ou salle 'du trône,
te triclinium des Dix-Neuf Lits, qui formaient la partie ofîicieHe
de !a résidence impériate, et constituaient, en avant du patais de
Daphné, !es appartements de réception. Mais ici encore !a dispari-
tion des monuments et )es rares indications des textes ne per-
mettent guère de décrire avec précision, au moins pour !e vL siècle,
!es dispositions du Pa!ais Sacré Tout au p!us peut-on signa!er !es
ruines du pa!ais situé au bord de ia mer etqu'on appeüe !a maison
de Justinien (Hg. 92). La façade s'ouvrë sur !a mer par de larges
baies donnant sur un balcon ; à l'intérieur, une grande pièce voû-
tée en berceau occupe une grande partie dè l'édiHce. Une puissante
tour d'angle, qui termine 1e bâtiment à l'est, contenait une salle
couverte d'une coupole sur pendentifs. Vers l'ouest, une porte en
plein cintre, faite de blocsde marbre blanc, donnait accès dans un
vestibule, et formait, du côté de 1a mer, une des entrées du Grand
Palais. Ces éditices, oùsontréemptovées beaucoup de sculptures du
vPsiècIe, sentblent avoir été restaurés dès l'époque byzantine^.
Les /orfereMes — De nombreux restes nous sont parvenus
de l'archltecture militaire des Byzantins. Sans parler de 1a grânde
enceinte de Gonstantinople, dont 1a majeure partie date du règne
de ThéodoseIi(première moitié v^ siècle), on rencontre en Orient,
à Antioche, à Dara, à Nicée, à Anazarbe, et surtout en Afrique,
(Haïdra, Aïn-Tounga, Tébessa, Mdaourouch, Lemsa, Timgad,
Sétif, etc.), de remarquabies spécimens de 1a construction mili-
taire au vf siècle (fig. 93). En règle générale, une triple série de
défenses protégeait 1a place forte byzantine : un mur d'enceinte
(tEtyos, 'ÉoMTElyo;), haut de deux, étages, garni d'un chemin de ronde
couvert porté sur des contreforts intérieurs ou placé en encorbel-

1. Ebersott, 7,e patats <te Constaatmople et /e ttrre des Ceremom'es,


Paris, 1910.
2. Ebersott, 3tM.s;on.arcàe'otoyt'<p::eJeCoRsta7ttiaopIe, Paris, 192t, p. 32 et
suiv.
3. Texier et Puttan, rtreh:teeture àpsantine, Londres, 1864; Dieht, ttapport
snr deuæ m:'ss:ons dans i'yt/r;<pue du ÎVord, Paris, 1894; Dieht, L'A/ràyHe
àyzantine, Paris, 1896; Gseti, Les monHments antiqües de t'yllpër:'e, t. il;
Van Mittingen, Bpzantine Constantinopie. Tàe tt-'aiiso/' t/:e e:/y and adjo:'-
n:ny /::'stor;'ca/s:/es, Londres, i899.
198 !. ART DE BATIR CIIEZ LES BYZANTIXS

lement, et Hanqué de puissantes tours crénelées; un avant-mur


npoTsi'ytc[mz), couvranl les approches du corps de place,
lui aussi souvent défendu par des tours; un fossé (Totcppo;) large et
profond, bordé par un parapet de terre ou de maçonnerie. Ainsi trois
étages superposés de défenses, séparées ies unes des autres par de
iarges glacis (nEpt'^o)<o-;,ÉEMTtapaTEt^t'ov), assuraient en générai ia pro-
tection desviiies fortes'.

Dans ia pratiqüe, ii arriva souvent que ce système très compiet, que


i'on rencontre dans i'enceinte de Constantinopie, se réduisit à une
ou à deux iignes de retranchements; mais, dans toutes ies con-
structions, certaines règies communes sont touiours observées. ii
faut que ie mur, toujours forméd'un double revêtement de pierres
de taiiie, dont i'intervaiie est rempii d'un massif en biocage, soit
très haut et très épais : très haut pour protéger ia piace contre i'es-
calade, très épais pour amortir ie choc des machines destinées à

I. Voir la restauration de i'enceinte forti&ée de Constantinopie dans Guriitt,


Dt'e DaaA'Hnst ttonaiai<hnopei.s, pt. 2 c.
LES FCiRTERESSES 199

l'aire brèche. En conséquence, la hauleur moyenne des courtines


varie de 8 à 10 mètres (Constantinople, 11 m.) et souvent dépasse
notablementces chiffres(Martyropolis, H m. 20; Dara, 18 m. 50);
l'épaisseur ntoyenne est de 2 m. 30 en Afrique, et souvent supé-
rieure (Constantinople 4 à 5 m. ; Martyropolis, 3 m. 70). H faut
que des tours nombreuses, quadrangulaires, rondes ou hexagonales,

Fig'. 94. — Vue restituée de la citadeile de Haïdra (dessin de 11. Satadin).

assez saillantes et assez rapprochées les unes des autres, couvrent


!es courtines : leur front est de largeur variable (7 à 10 mètres),
leur hauteur atteint 17 mètres (Tébessa) et 20 mètres (Constanti-
nople). Gertaines d'entre elles. isolées du reste du système défen-
sif, forment parfois de véritables donjons (Tt'jpY3xoi?TE)Aov) desti-
nés à offrir à la résistance un suprême asile (tour de garde à Dara,
tour du centenier à Nicée, tour des Perses à Edesse). 11 faut enfin
que les portes, point vulnérable, soient défenduesavec uti soin par-
tcculier : elles sont donc très ëtroites et commandëes par des
tours très voisines; — que le fossé soit très profond, pour couvrir
les remparts contre les attaques des mineurs ennemis, et très large
(Consfantinople 15 à 20 mètres); —que laforteressesoitabondam-
ment pourvue d'eau au moyen de citernes et d'aqueducs.
200 L ART DE BATH{ CHEZ LES BYZAKTIKS

On obtient ainsi des constructions de plusieurs types. Ce sont


tantôt des vilies fortes entourées d'une enceinte continue (Tébessa,
Béja, Constantinople, Antioche, etc.), tantôtdes forteresses isolées,
gardant des points stratégiques (Lemsa), ou construites dans 1e
voisinage immédiat de certaines cités 'qu'elles protègent (Haïdra,
Timgad, Mdaourouch), tantôt de petits postes, ordinairement sans
tours. En Afrique, où il fallait faire vite, 1a main-d'œuvre est fort
inégale, et les matériaux ont souvent été empruntés aux monuments
antiques. En Orient, 1a construction estmeilleure. L'enceinte de
Cônstantinople, avec ses murs en pierres de taille coupées de rangs
de briques, ses 96 tours espacées de 50 en 50 mètres 1e long du
mur intérieur, son avant-mur dont les tours plus petites corres-
pondent au milieu de 1a courtine supérieure et couvrent l'espace
laissé vide ëntre les tours de celle-ci, son fossé bordé d'une escarpe
haute de 7 mètres et d'une contre-escarpe en maçonnerie, offre une
disposition aussi imposante que savante. L'enceinte d'Antioche,
telle qu'elle subsistait il y a encore peu d'années, avec ses hautes
murailles crénelées escaladant 1a pente de 1a montagne, ses puis-
santes tours carrées à trois étages de défenses, son chemin deronde
établi sur àrcades, son énorme donjon pentagonal et 1e réduit for-
tifié, flanqué de massives toureMes, qui se dressait tout en haut de 1a
ville sur un rocher presque inaccessible, n'était pas moins remar-
quable. Dara, Anazarbe, Haïdra en Afrique (tig. 94), attestent de
même 1a science et l'ènergique activité des architectes de Justi-
nien, et tout cet ensemble de forteresses montre de 1a façon 1a plus
intéressante comment, selon une observation fort exacte, « beaucoup
des dispositions employées par les Byzantins dans leurs travaux de
fortifications forment une transition entre les méthodes antiques
et celles du moyén âge ^ o.

1. ttecàerche Jes aaôqm'tes ea A/r:'^ue, 159.


CIÎAPITHE III

LES MONUMENTS DE LA PEINTURE


FRESQUES, MOSAtQUES ET ICONES

Les fresques. Le rôte de 1a mosaïque. — I. La technique de 1a mosaïque. —


II. Les monuments de 1a mosaïque. Les Saints-Apôtres à Constantinople.
Chypre etle Sinaï. Saint-DémétriusdeSalonique.Ravenne. Saint-ApoIIinaire-
Neuf. Saint-Vital. Saint-ApoIIinaire in Classe. Parenzo. L'art profane. —
III. Les pavements historiés. — IV. Les icônes.

Le.s /resyue^. -— L'art chrétien, on 1e sait, avait vu de bonne


heure dans 1a peinture moins une décoration banale, faite pour l'amu-
sement des yeux, qu'un moyen d'instruire les hdèles. Dans l'orne-
mentation polychrome des édifices sacrés du vt^siècle, les représen-
tations figurées, dont les sujets étaient empruntés aux Ecritures
saintes, tinrentdonc une place considérable. Des grands cyclesde
peintures qui paraient les églises du temps de Justinien, il ne nous
reste malheureusement guère que 1e souvenir. Si l'on excepte les
fresques, déjà mentionnées précédemment, déçouvertes en Ëgypte
dans 1a nécropole de Baouit ou au couvent de Saint-Jérémie,
et peut-être certaines des peintures, encore imparfaitement con-
nues, qui ont été récemment sigmalées dans les grottes de 1a Cappa-
doce, les œuvres mêmes ont pour 1a pluparf disparu. Aussi
faut-il d'autant plus attentivement retenir 1a curieuse description
que 1e rhéteur Choricius a faite des peintures qui décoraient Saint-
Serge de Gaza L Tousles sujets étaient empruntés au Nouveau Tes-
tament, et, de l'Annonciation à l'Ascension, représentaient les épi-
sodes de 1a vie du Christ, partagés en trois séries chronologiques,
les scènes de l'enfance, les miracles, 1a Passion. II n'est point néces-
saire de décrire longuement, à 1a suite de Choricius, 1a composition
de ces divers tableaux.Ce qui y apparait clairement, c'est 1a prédo-

i. Bayet, Rec/t., 60-62.


202 LES MOXUMENTS DE LA PEINTL'RE

minance croissante du styie historique et monumenta] sur 1a simple


décoration pittoresque. Gette prédominance apparaîtplus nettement
encore dans !a grande place que l'art de cette époque tît à ta
mosaïque.
Ae de /a mo.sa:yue. — PIus dispendieuse que la peinture
muraie, 1a mosaïque offrait l'avantage d'être p]us durable, d'êtr&,
comme on ]'a dit, « une peinture pour l'éternité x. Par ]a richesse
des matériaux qu'elte emptoyait, e!te correspondait bien d'autre
part aux goûts de luxe et de splendeur qui marquent l'art de ce
temps. Par 1a tonalité puissante de ses fonds de bleu ou d'or, elle
produisait des effets décoratifs d'une incomparable magniticence.
Entin, par 1e caractère de sa technique même, elle excellait à
rendre ces calnies et immobiles figures, aux attitudes majes-
tueuses ët nobles, ccs compositions solennelles, à 1a symétrie un
peu monotone et froide, où se complaisait de plus en plus l'art
chrétien transformé. Pour toutes ces raisons, les mosaïques
tinrent une place essentielle dans 1a décoration polychrome du
vi° siècle, et devinrent un des moyens d'expression les plus carac-
téristiques de l'art byxantin. Et il faut avouer en effet que, malgré
les incorrections et les faiblesses de détail, malgré l'équilibre un
peu conventionnel de 1a composition, malgré 1a raideur un geu
morne des draperies et des figures, 1a splendeur du coloris où s'op-
posent un petit nombre de tons nettement tranchés, 1a richesse des
costumes, 1e sens profond de l'effet décoratif mettant en valeur,
par de vigoureux contrastes, les visages et les draperies, l'esprit
d ordre enfin et d harmonie qui y règne, donnent à ces ouvrages
une valeur singulière et font aujourd'hui encore, aux yeux mêmes
des profanes, des mosaïques du vp siècle les chefs-d'œuvre de l'art
byzantin.
I

LA TECHNIQUE DE LA MOSAÏQUE ^

Pour appliquer surles murailles ces magnifiques dëcorations, 1e


mosaïste commençait par préparer 1e niur. Après l'avoir rustiqué
au préalable, il l'enduisait d'une couche de ciment de chaux et de

1. Gerspacli, /..t mosalçnie, Paris, 1S86; Saccardo, Les niosaiqnesde 5aint-


ttfarc de Vem'se, Venise, 1897 ; cf. Van Bercheni et Gfouzot, Mosai'f/iies càrè-
tienite.s, /V"-X*siècfes, Genéve, 192t. tntroduction.
LA TECHKtQLE ÜE LA MOSAtQUE 203

marbre pHé, à grumeaux assez gros, desünée à niveter ta surface à


recouvrir, et employëe en une assez forte épaisseur. Une seconde
couche, de compositionsemblabte, mais à grains plus menus, recouvre
h) première et porte à sa surface un ciment ptus hn destiné à rece-
voir tes cubes. Sur ce ciment p)us tin, on constate fréquemment,
sous tes cubes, des traces de couieur, et on en a concfu que sur t'en-
duit frais on peignait à fresque i esquisse de ia composition, sur
iaf^ueiie ie mosaïste succédant au peintre posait ses smaites. U
setnbie bien que c'est ià une erreur. Les mosaïques n'étaient point
composées direciement suriemur, mais préparéesài'ateiiersurdes
canevas coioriés. Les teintes sous-jacentes qu on observe sur ie
ciment proviennentde ces couieursdissoutes par ia coiie. ioute-
fois, comme ii ai rivait que, sous ia poussQe des cubes enfoncés, ie
ciment produisait une bavure bianche dans i'intervaiie des smaites,
on mettait souvent en couieur, à i aide d un enduit coiorié, cette
partie apparente du ciment.
Les cubes d'émaii empioyés pour ia mosaïque et taiiiés au niar-
teau, iégèrement en biseau vers i'extrémité, étaient de dimensions
variabies, généralement pius petits poùr ies visages. Au mausoiée de
Gaiia Piacifiia, certaii^s cubes n'ont pas pius de 3 miiiimètres (ie
côté; à Saint-Démétrius de Saionique, ies cubes empioyés pour ies
iigures mesurent en moyenne 4 miiiimètres. Iis sont coiorés en
divers tons à i'aide d'oxydes métaiiiques mêiés à ia pâte de verre ;
dans ies cubes dorés ou argentés seuiement, !e métai n est pas dans
ia masse, mais est piacé'en feuiiie très mince sur ie smaite et recou-
Yert d'une peiiicuie de verre bianc. A ces pâtes d'émaii, ia mosaïque
byzantine ajoute parfois des cuiies de marbre jusque dans ses com-
positions muraies. En outre, à mesure que ie temps marche, les
nacres, ies pierres précieuses même se mêient aux pâtes de verre
coiorées pour en rehausser i éciat ; eiies apparaissent à Ravenne au
miiieu du vi" siècie, en même temps que ies fonds d'or se muiti-
piient et s'étendent, et que ies fonds d'argent apparaissent à Sainte-
Sophie et au Sinaï.
La gamme des Lons n'est point très nombreuse, et ie mosa'iste du
siècie ne s'appiique point, comme le peintre, à muitipiier ies
nuances intermédiaires eties dégradations de tons. Iijuxtapose sans
crainte ies couieurs tranchées, comprenant bien que ia mosaïque
cst faite pour être vue à distance, et que ia dureté apparente de ces
oppositions se perdra dans i'harmonie généraie de i'œuvre et en
accroitra au contraire ia vigueur et i'éciat.
204 LES MONUMENTS DE LA PEINTURE

11

LES MONUMENTS DE LA MOSAÏQUE *

Les Natufs-Apdfres à Con,sfan.ftaojofe —- Les textes noug' ont


gardé le souvenir de nombreuses mosaïques exécutées au vL siècie
pour ia décoration des égiises. Constantin ie Rhodien et Nicoias
Mesaritès ont longuement décrit ia suite de compositions histo-
riques qui, dans Fégiise des Saints-Apôtres, racontaient les
épisodes de la vie du Christ L EHes étaient disposées non point,
comme pius tard, dans l ordre des grandes fêtes de i'Égiise, mais
^conformément à l'usage du vi<= siècie, tei que ie montrent ies
cycies évangéliques de Saint-Serge de Gaza ou de Saint-Apoiiinaire-
Neuf de Ravenne, d'après ia suite chronoiogique des événements.
Comme à Saint-Apoiiinaire, i'artiste avait évité d'y représenter
ies scènes trop douioureuses de la Passion, et s'était efforcé de
mettre en relief, non sans queique arrière-pensée théoiogique, ia
nature divine du Sauveur. Un trait curieux en outre marquait
ces mosaïques. Dans !a scène des saintes femmes au tombeau, ie
peintre s'était représënté iui-mênie sous !a figure d'un des soidats
qui gardaient ie Saint-Sépuicre, « dans 1e costume et sous i'aspect
extérieur qu'ii avait en son vivant, iorsqu'ii peignait ces com-
positions **. H C'est ie seui exemple que nous connaissions dans i'art
byzantin, si impersonnel d'ordinaire, de ces portraits d'auteurs
que ia Renaissance devait tant aimer. li atteste sans doute, par sa

1. Pourl'ensembte du paragraphe, outre Bayet, /tecàereàes, cf. P.Gauckler,


La mosaïque auffque, extrait du Dtef. des dtth'qut'fe's de Daremberg, Sagtio et
Pottier;Diehl, 7asft!tt*ett;Van Berchem et Ctouzot, tVosai'qrtteseàrëtt'ettnes,
fP*-X*.st'èctesi Genève, 1924.
2. Heisenberg, Dt'e ttposfet/tt'rcàe. Gf. Coustantin te Rhodien, Desert'p/t'ott de
/'e'y/tse des Satrt/s-Apd/res, éd. Legrand et Th. Reinach (Rev. Etudes grecques,
1896).
3. D'aprés ia description de Constantin ]e Rhodien, Miliet (ylrl hyï-, p. 190)
inctinait à attribuer cette décoration au tx° siècte. Heisenberg, commentant
ta description récemment découvert.e de Nicotas Mesaritès, sembte avoir au
contraire bien étabti queces mosaïques datent du vt' siècte (Heisenberg, /oc.
ct'L, 166-171).
4. Une note inscrite à la marge du manuscrit de Mesaritès a conservë !e
nom de ce peintre : it s'appetait Eutaüos. Cf. Heisenberg, Dfe Zeff des hyz.
àfa/ers Æutaffos (dans Phit. Wochenschrift, 1. 41 (1921, n° 43), et Bees, Xunsf-
yescàfc/tfffcAe DutersucAunqen. üher dfe Dufaffos-Fraye, Beriin, 1917 (dans
Repertorium für Kunstwissenschaft, t. 39 et 40).
LES SAINTS-APÔTRES A CONSTANTINOPLE 205

singrdarité même, ia haute vaieur de ia décoration de i'égiise des


Saints-Apôtres, en mème temps qu'ii correspond bien à ce goût du
portrait expressif et vivant qui est caractéristique de i'art du
vi^ siècie.
Choricius de Gaza décrit pareiiiement ies mosaïques qui, dans
ies églises de Saint-Serge et de Saint-iftienne, avaient été empioyées
à ia décoration du sanctuaire. On y voyait à i'abside ia Vierge Lenant
i'enfant divin, et dans i'abside de Saint-Serge, ie fondateur de i'édi-
iice s'était fait représenter auprès de ia Madone escortée de saints.
Agneiius de même nous fait connaître à Ravenne, pouri'époque de
Théodoric, ies mosaïques de Saint-Théodore, aujourd'hui Spirito
Santo, de Sainte-Marie-Ma jeure, oùia Vierge était, comme en Orient,
représentée à ia conque de i'abside, et pour i'époque de Justinien,
ceiiesdeSaint-Htienne, où de iongues sériesde compositions repré-
sentaient ia vie des apôtres et des martyrs, ceiies de i'abside de
Sainte-Agathe qui existaient encore au xvn" siècie, ceiies de Sainte-
Euphémie à Ciasse, etc.
CAyyjre ef /e — De ces décorations en mosaïque du
vi° siècie, un assez grand nombre nous est parvenu. On a parié déjà
précédemment de ceiies de Sainte-Sophie. A Constantinopie ëgaie-
ment, dans i'église de Sainte-Irène, i'abside est décorée d'une croix
gigantesque, se détachant en bieu foncé sur ie fond d'or-. A Chypre,
i'égiise de ia Panagia Angéioktistos, près de Kiti, montre à i'abside,
assez mutiiée malheureusement,. ia Vierge tenant i'enfant, escortée
de deux anges; et dans ia même îie, à i'égiise de ia Panagia Cana-
caria, ie même sujet apparait à i'abside, dans une bordure de médaii-
ions représentant ies apôtres. iïnfin, dans i'abside du céièbre cou-
vent de Sainte-Catherine au Sinaï, une beiie mosaïque du temps de
Justinien montre ia Transfiguration. Sur un fond bleu foncé, ie
Sauveur debout, vètu de bianc, s'eniève dans une auréoie d'azur ;
a ses pieds, ies trois apôtres sont figurés, prosternés ou ievant ies
t"*as; sur ies côtés, debout, se trouvent Moïse et i'Jie. A ia courbe
de l'arcade, et au pourtour de i'hémicycle, une série de médaiiions

1. Smirnof, Mosai'i/iiesde Cèypre (Viz. Vrern., tV, 1S97); Schmidt, nævotYtat


AYysXoxmj-o; (Buttetin de t'Institut russe de GP., t. XV (1911), 206-239) ; Kon-
dakof, Voi/ageaii Stnai', Odessa, 1882 (russe); Wiegand, Stna't, Bertin, 1920;
Benesevic, Snrtadatedeta ntosaït/iie de ta T*rana/tyiirattonaii MontSt'na'i'
(Byzantion, I, 1924).
2. Betjajef, Sat'nte-/réne (Viz. Vrem-, II, 1895); Ebersolt et Thiers, Tes
^yh'ses de Constanù'nopte, Paris, 1913, p. 57-72.
206 LES MONUMENTS DE LA PEtNTURp

représentent des prophètes, des apôtres, et les fondateurs de f'édifice,


i'higoumène Longin et ie diacre Jean. Sur ie mur qui domine i'ar-

Fig. 95. — La Vierge. Mosaïque de Saint-Démétrius de Salonique


(Phot. Le Tourneau).

cade, deux anges soutiennent une croix dans un cercie; pius haut,
aux côtés d'une fenêtre, deux sujets sont empruntés à ia vie de
Moïse et ie montrettt devant ie buisson ardent et recevant ies tables
de ia ioi. Ces deux scènes ont été refaites pius tard. On notera
dans cette mosaïque i'empioi des fonds argentés.
SAtvr-DHMETRlUS DE SALOMQUH 207

-Samt-Deynétriin (/e-Sa/omŸHe'. —- Les mosaïques découvertes


en 1907 à Saint-Démétrius de Salonique, et maHieureusement
détruitespouria piusgrandepartie dans leterribie incendiedel917,
oifrent unensembie du pius baut intérêt. On a fort discuté au sujet

Fig. 96. — Saint Sei'ge. Mosaïque de Saint-Démétrius de Saionique


(Phot. Le Tourncau).

de ieurdate, eten eifetonyrencontredesmorceauxd'époquesassez


différentes. Le panneau qui décore ie pilier de gauche, à i'entrée

t. Papageorgiou, Mvijpetot roa ctytou A<]p.7)ipto'j (BZ, XVH, 1908); Ous-


pensld, Àfosai'ques re'cemment deeoiirertes à Saiitt-DemetriindeSaioni'ijriie(lI R,
V, 1908) ; tes articles de Tafrali (RA, 1909, 11, cl 1910, I) ; Dield et Le 'i'our-
208 LES MONUMENTS DE LA PEINTUEE

du transept, et où sont représentés ta Vierge et un saint, sembie


appartenir au x° ou au xi^siècie. Les trois médaiiions du collatéra].

Fig. 97. — Saint Dëmétrius. Mosaïque de Saint-Démëtrius de Satonique


(Phot. Le Tourneau).

au-dessous desquels uneinscriptionrappeHe « ies temps de Léon « et


fait aHusion à des restaurations consécutives à un incendie, ont été

neau, Les mosai'qaes de Satnt-Demetrius de Satoiu'que (Mon. Piot, t. XVHI,


1911); Dieht, Le Toumeau et Saladin, Les ntonamen/s eàre'ù'ens de Satoitt'que,
Paris, 1918; Sotiriou, 'o vao; rou txytou AtnLïiTptou OEOTæXovtxri;, Athènes, 1920.
SAtNT-DËMÉTmuS DE SALOWQL'E 209

datés, tantôt de !a première moitié du vn° sièc!e, tantôt du com-


mencement du vm° (Léon tH). Pourtant, dans son ensembie, !a
p!us grande partie de !a décoration semb!e remonter au vP siècte.
La disposition en est t'ort rem^rquable. Au-dessus des arcades de
ia cotonnade qui sépare !es deux coüatéraux de gauche, on voit,
dans les écoinçons, tantôt saint Démétrius debout, dans l'attitude
de l'orante, devant une niche à 1a voûte côtelée, tantôt 1a Vierge,
escortée de deux anges, assise sur un trône et tenant sur ses
genoux l'enfant divin (fig. 95), ou bien debout, les bras ouverts
dans un geste d'accuèi! ; aiHeurs, des compositions, malheureuse-
mentmoinsdistinctes, semblent rappelerdes grâces accordées par
1e saint patron de l'église. Entre ces scènes, au-dessus de la courbe
des arcades, des médaillons, groupés par deux ou trois, figurent 1e
Christ, 1a Vierge, des saintes et des saints. II est visible qu'aucun
plan d'ensemble n'a présidé à l'ordonnance de cette décoration,
qu'aucun lien ne relie les ditïérents sujets représentés. Ce sont des
épisodes distincts les uns des autres, que des donateurs distincts
ont i'ait exécuter. Et en eil'et, dans 1e champ des diverses mo-
saïques, on remarque,agenouiHéesau pied des personnages sacrés,
ou debout à côté d'eux, des figures de dimension plus petite, clercs
ou laïques, hommes'ou femmes, et des inscriptions, placées aüprès
d'eux, expriment les remerciements ou les prières de ces dévots
restés volontairement anonymes.
On ne connait point jusqu'ici, dans les mosaïques byzantines qui
nous ont été conservées, d'autrë exemple d'une semblable disposi-
tion, où chaque panneau, véritable ex-voto. semble avoir été exë-
cuté pour ie compte d'un donateur particulier, en reconnaissance
de 1a grâce dont il avaif été l'objet. Mais l'œuvre a des qualités
d art fort remarquables. L'harmonie des draperies, !a souple
élégance desattitudes, 1e réalisme expressif des visages qui en fàit
de véritables portraits, sont particulièi'emenf dignes d'attention.
On notera également la place faite dans 1e décor aux monuments
d'architecture, au paysage, bref à tout le détail pittoresque et vrai
qui sifue les seènes dans un milieu déterminé. Le symbolisme en
est complètement.absent, ie style historique et monumental y
triomphe. La technique enfin est extraordinairement supërieure à
tout ce que nous connaissons par ailleurs. Assurément, il y a une
parenté évidente entre ces ouvrages et les mosaïques de Saint-
ApoIIinaire-Neuf et de Parenzo : 1a Madone trônant entre les anges
offrele même type et 1e même costume. Mais l'ensemble est d'une
beauté tout autrement rare.
ttanuet d'/trf )4
LES MONUMENTS DE LA PElKTURE
210

Fig*. 98. — Saint Dcmétrius et ies fondateurs. Mosaïque de Saint-Démëfrius


de Salonique (Phot. Le Tourneau).
SAtNT-DÉMÉTRHJS DE SALONtQUE 2!1

Les mêmes qualités, p!us hautes eucore peut-être, apparaissent


dans !a seconde série de mosaïques, ceüe que forment !es panneaux
placés, comme des icones, sur !es piüers de !'entrée du sanctuaire.
On y voit saintSerge en somptueux costume (fig. 96), saint Démé-
trius couvrant de sa protection deux jeunes enfants aux visages
expressifs (6g. 97), surtout saint Démétrius debout entre deux per-
sonnages, un évêque et un haut fonctionnaire, qu'une inscription
désigne conime !es fondateurs de !a basiüque (6g. 98). Ce dernier
panneau montre des quaütés d'art tout à fait éminentes et un sens
singu!ièrementaf6né del'eifetdécoratif. Sur !a!ongue robe bianche
de t'évêque, sur !a robe verte du préfet du prétoire, des cubes, ici
d'argent, là d'or, mettent de iongues cou!ées verticates de méta!
resptendissant. Les visages sont modeiés avec une extraordinaire
habiteté, au moyen de cubes très 6ns qui permettent de !es regar-
der de tout près, sans que !a beauté en soit a!térée; i!s respirent
d'autre part un sentiment de vie expressive et réaiiste, qui en fait
d'incomparab!es portraits. On a pris parfois pour des nimbescarrés
— insigne des vivants — !es créneaux de !a muraiüe sur !esque!s
se détachent !es têtes des compagnons du saint, et on a en consé-
quence daté !a mosaïque du v^ siècie. En fait, !es panneaux sont
certainement postérieurs à l'incendie du commencement du
vn^ sièc!e, et dans !es personnages représentës aux côtés du saint,
on doit reconnaître vraisembtablement le préfet Léontius qui, au
v" siècte, bàtitl'ég!ise,et!'évêquequi, en!a restaurantau vn°sièc!e,
en fut comme !e second fondateur. Quoi qu'i! en soit, ces ouvrages
de ia première moitié du vn° sièc!e sont d'un art tout à fait remar-
quabte, et ce n'est pasteur moindre intérêt de montrer qu'après !e
grand ed'ort du règne de Justinien, !'art byzantin était capabte
encore de produire des œuvres éminentes.
De cette doubte suite de mosaïques qui méritent de prendre p!ace
parmi !es chefs-d'œuvre de l'art byzantin, !a seconde seute a
échappé àla ruine. De !a beüe'décoration du coüatéra!, i! ne
feste rien et c'est une perte irréparabte L

1. Au cours des travaux de débtaiement exécutés à la suite de t'incendie,


on a découvert quetques autres morceaux de mosa'iques, et, sur te mur du
bas côté de droite, de bettes peintures représentant des miractes de saint
Dëmétrius. Dans une petite chapelte à droite de t'abside, on a retrouvé une
décoration de fresques datée de 1303. Sur tout ceta, on consultera ie mémoire
de Sotiriou.
2)2 LES MOKUMENTS DE LA PEtNTURE

— Si i'on metà part cette intéressante etremarquabie


décoration, c'estenOccident, àRavenne surtout, qu'on devra cher-
cher les pius beiies mosaïques du vt" siècie, ceiiesqui i'ont ie mieux

comprendre toute ia puissance décorative dece g'enre de compositions.


— H sufiirade mentionner brièvementia

1. Outre ies ouvrages, déjà eités précédemment, de Richter, Bayet, Ciausse.


Rjedin, cf. Kurth, Dte IVa;tdtttosat7fea ron Rarenna, Leipzig, 1902 ; Diehi,
Rarentte, Paris, 1903 ; Quitt, Der tifosaticetteyciHS rott Satt Vt'iaie (Byz. Denk-
màier, t. HI). Vienne, 1903 ; Wulfï, Das rarettttaitac/te Afosat'A ttoaS. tVtciteie
t'tt A/i'rtctsco (J P K, XXV), 190J) : Kurth, Dt'e Mo.satàett ttoa Davetttta, Munich,
1912.
SAIXT-APOLLmAIRE-NEUF 213

mosaïque qui décore la coupole du baplisière des Ariens, où l'arliste


du commencement du vi" siècie s'est borné à reproduire assez médio-
crement la magnitique composition du baptistère des orthodoxes.
Saint-ApoHinaire-Neuf au contraire est ia merveiiiedel'époqueostro-
gothique (Hg. 83). Sur ies muraiiies de ia basiiique, trois zones super-
posées de mosaïques se dërouient au-dessus des arcades. A ia bande
inférieure, deuxionguesprocessions, i'une desaints, i'autrede saintes
(fig. 99), sortent des remparts de Ravenne et de Ciassis, et se dirigent

Fig. too. —- Le Christ devant Pitate. Mosaïque de Saint-Apottinaire-Neuf à


Ravenne (Phot. Atinari)

vers ie Christ èt ia Vierge, assis sur des trônes parmi des anges.
Au-dessus, en tre ies fenêtres, s'aiignent sur des fonds d'or des figures
desaints, de prophètes et d'apôtres; pius haut, une suite de petits
tabieaux représententies miracies et ia Passion du Christ. Onnesau-
raitassez dire i'impression profonde que produit cette décoration, i un
des ensembies ies pius grandioses que nous ait iaissés i'art byzantin.
" invoiontairement, comme on i'a écrit, on se prend à songer à
t'antiquité ciassique, et à certaines œuvres d'une incomparable per-
fection, mais oùdominaitce même esprit d'ordre etd'harmonie qui
se retrouve ici C x Sans doute, ii y a des défauts dans ces œuvres, et
d n'en faut point anaiyser ie détaii de trop près. Pourtant, dans

L Ba^ et, Ree7terc/tes. 99.


214 t.ES MOXL'MEKTS DE LA PEINTURÉ

ces frises somptueuses, dont Saint-ApoHinaire nous ofïre l'unique


exempie dans l'artbyzantin, dans cette procession de saintes surtout,
aux costumes éciatants, à i'attitude charmante, on sent, malgré la
gravité un peu solennelte de ia pose et ia pompe tout orientaie
des habiHements, revivre comme un souvenir iointain de la frise
des Panathénées.
Gette zone inférieure de ia décoration est de date un peu posté-
rieure au reste des mosaïques de Saint-Apoilinaire : elie appartient

Fig. 101. — Les SaintesFemmcs au tombeau. Mosaïque de Saint-Apoliinaire-


Neuf à Ravenne (Phot. Alinari).

à i'époque de Justinien, dont i'image en mosaïque, aujourd'hui


conservée dans une des chapeiles iatéraies, avait été, vers !e même
temps, piacée au-dessus de iaporte intérieurede l'église. Les deux
zones supérieures au contraire appartiennent à l'époque de Théo-
doric, et l'art en est tout à fait remarquable. Les vingt-six compo-
sitions qui, en deux cycles, représentent les épisodes de la vie du
Ghrist, offrent en particulier, autant par la science de la composi-
tion, la richesse et l'harmonie du coloris que par le caractèredes
représentations,unintérêtdetoutpremierordre(fig. tOO, 101, 102).
Tandisquelesscènesdesmiracles,surla paroi de gauche, continuent
la traditioh de l'artdesCatacombes,lesépisodes de laPassion, sur la
paroi de droite, procèdent dn style nouveau qu'adopte alors l'art
SAIKT-APOLLINAIRE-NBUF 215

byzantin; en facedusyniboiismenaïfderai tchrétien priniitif, appa-


raissent des conceptions tout historiques. Sans doute i'artiste, sou-
cieux de ne point amoindrir ia majesté divine, a évité de traiter les
scènes doutoureuses de ia Fiageilation ou de 1a Crucifixion ; son
Christ, à l'aspect majestueux, à l'attituderoyale, apparaîtcommeun
héros tragique supérieurà ses accusateurs età l'adversité. C'estun
grand point pourtant que l'art chrétien ait osé aborder ici, avec 1e sen-
timentde laréalité historique, Ia représentationdudramedela Pas-
sion; et si l'on ajoute par ailleurs que, dansies types, dans lescos-

Fig. 102. — Le Ghrist séparant teshrebis. Mosaïque de Saint-Apollinaire-Neuf


àttavenne(Piiot. Alinari).

tumes, dans 1a composition, ces mosaïques oflrent avec les minia-


tures des manuscrits syriens du vi" siècle des analogies profondes,
on voit toute rimportance que prend ce cycle, d'origine incontesta-
blement orientale, dans l'histoire de l'iconographie et de l'art chré-
tiens.
-SamCVffaZ. — Mais c'est à Saint-Vital sui'tout qu'apparaissent
toutes les splendeurs de 1a mosaïque byzantine au vi" siècle. Pour
juger l'art de l'époque de Justinien, il n'existe point de monument
plusimportant, plus complet, que lasériede représentations qui, du
sol au sommet des voùtes, tapissentle chœur et l'abside de cette admi-
rable église. Rien, dans cette décoration, n'a été Iaissé au hasard ; une
grande idée en inspire et en coordonne Ies parties essentielles ; une
216 LES MONUMENTS DE LA PEINTURE

ordonnance savanteen relie ies muitiples épisodes. Suries parois iaté-


raies, au tympan des arcades, des scènes, empruntées à i'Ancien Tes-
tament, montrent, à droite, Abei et Meichisédech ofîrantieurs dons
au Seigneur, à gauche, Abraham recevant ies anges etse préparant
à sacritier Isaac (fig. 103). Sur ies côtés, des ftgures d'évangéiistes,
assis au-dessous de ieurs symboies, et des images de prophètes se

Fig. 1Q3. —La phiioxénied'Abraham. Mosaïquede Saint-Vitat (Phot. Atinari).

mêlent à des épisodes empruntés à ia vie de Moïse. A ia courbe de i'arc


d'entrée, des médaiiions encadrenties têtësdu Christet desapôtres;
à i'arc triomphai, entre ies viiies saintes de Bethiéem et de Jérusa-
iem, desanges flottantdoucementdans iesairs soutiennentiemono-
gramme du Christ. Ainsi sont rapprochés et groupés de manière
symboiique autour dei'autei, où se céièbre ia messe, tous ies per-
sonnages, tous ies épisodes qui annoncent et giorifient ie sacrifice
de i'agneau : et pour compiéteret acheveriadécoration.àia voûte,
sur des fonds où i'or et le vert aiternent, parmi d'éiégants rinceaux
où se joue toutunpeupied'aniniaux etd'oiseaux,quatreangessou-
tiennent de ieurs bras tendus i'iniage de i'agneau divin (fig. 104).
SAtKT-Yt'i'AL 217

Dans toute cette partie de la décoration, ia pius ancienne et où


on reconnaît sans peine un même art et une même main, tes souvenirs

I*'g. 10i.— Iiavenne. titosa't'que dc ta voûte <tu cliœurà Saint-Vitat(Phot.


Alinaii).

de i'art chrétien primitif, ses intentions symboliques se mètent


curieusement à un certain goût de réaiisme, à un sens tout à fait
remarquabte de !a vie et de !a nature, qui annoncent !e nouveau
sty!e historique. Ce!ui-ci apparaitdans tout son développement dans
!es mosaïques de !a conque de i'abside, postërieures à ceües du chœur
2i8 [ÆS MOXUMEXTS DE t.A PEtNTURE

de queiques années à peine, ei où, sur un i'ond d'or, 1e Christ


imberbe trone sur 1e globe du monde entre des archanges et des
saints (fig. )05), et surtout dans ies deux grands tableauxd'histoire,
achevés vers 547, qui, auxcôtés del'abside,représentent, au milieu

Fig. 105. — itavenne. Saint-Vitat. Mosaïque de i'abside (Phot. Aiinari).

de leur cour, JustinienetThéodora (iig. 106, 107). Déjà, à l'abside,


un art pius pompeux, plus cérémonieux se manifestait : 1e riche cos-
tume de saintVital, 1a tête si caractérisiique - vrai portrait — de
l'évêque Ecdesius préseniant son église au Christ, attestaient le
goût de cet art pour les représentations historiques et vraies. Ces
tendances apparaissent plus fortementencoredansles deuxgrandes
compositions qui évoquent, avec son luxe raffiné, sa savante éti-
quette, Ie Palais Sacré de Byzance.
On a décrit bien des fois les magnifiques habillements de l'em-
pereur, de ses officiers, de ses gardes, les ajustements splendides,
tout étincelants de bijoux et d'or, que portent l'impératrice et les
dames de sa suite. Le luxe des matëriaux employés correspond à
cette pompe du cérémonial : c'est un éblouissement de cubes d'or,
de nacres, de pierres précieuses. Mais ce qui est surtout remar-
SAtKT-YtTAL 219

quable, cest ]e caractère individue] dont ]e maitre a marqué ses


iigures. Justinien,Théodora, ]'évêque Maximien ettes personnages

106. — Justinien et sacour. Mosaïque de Saint-Vital de Ravenne (Phot. AHnari).

secondaires même, prêtres au doucereux sourire, olHciers à l'air


rude et brutat, eunuques gtabres aux joues trop pteines, dames de
]a cour à ['éclatante beauté, sont autant de portraits expressifs et
vivants. Et sans doute il y a, dans i'aiignement symétrique des tigures,
quelque ehose de conventionne] et d'un peu monotone, et dans tes
220 LES MONUMENTS DE LA PEINTURE

lourdesdraperiesdesvêtementsuneraideurun peu solenneHe. Mais


l'éctatdu coioris, te caractèredes tigures, ta spiendeurdes costumes

Fig. 107. — Théôdora et sa cour. Mosaïque de Saini,-Vit,a! de Ravenne (Phot. Alinari).

dissimulent ampiement ces faibtesses. Dans ces beiies mosaïques,


toutimprégnées d'inliuences orientaies, i'art byzantin nous aiaissé
une de ses pius admirabies créations, par où i'on entrevoit ce que
fut au vt" siècie cet art profane dont on pariera tout à i'heure, et
dont il nous reste à peine ie souv&nir.
SAtNT-APOLUNAIRE iN C.LASSE 221

&ttt/-Apo//tttatre ttt C/as^e. — Le même mélange complexe,


et le même conflit des traditions anciennes et des tendances nou-
velles seretrouve dans les mosaïquesde l'abside de Saint-ApoHinaire
in Ctasse (tig. 108). Dans un vaste médailion bleu tout parsemé

Fig. 108. — Ravenne. Saint-Apoliinaire in Glasse. Mosàïquesde i'abside(Phot.


Aiinari).

d'étoiles d'or, une grande croix gemmée s'inscrit, qui, à la croisée


des branches, porte un buste du Christ; au sommet de la croix, on
iit ies mots iXOTS, au bas ies mots &î/tts tttttttt/t', à droite et à
Hauche i'A et i'Q, toutes désignafions symboiiques duSauveur. Sur
ies côtés du médaiiion, deux bianches tigures flottantdans ies nues
représentent Moïse etKiie;au-dessous, trois brebis ièvent ies yeux
vers ia croix. Ii y a ionglemps que, dans cette composition, on a
reconnu une représentation de ia Transfiguration, où se manifesle,
en piein vt^ siècie, comme un suprême effort du symbolisme chré-
tien, symbolisme vouiu au reste, compiiqué et subtii, qui n'a pius
rien de commun aveciesaiiégories naïvesdu christianismenaissant.
A cette scène, une autre s'oppose au bas de i'abside. Dans une
22-2 LES MOKUMEKTS DE LA PEtKTL'RE

verLe prairie parsemée de fteurs, ombrag-ée de pins et toute pteine


d'oiseaux, saint Apotfinaire, entouré de douze brebis, contempfe,
ies bras ievés, fa scène grandiose qui s'accompiit au-dessus de iui.
On saisit assez mai, ii faut ie dire, à quoi tend ia représentation de

Fig. 109. — Parenzo. Mosaïques de t'abside (Coiiection Hautes Études, C. 598).

ce personnage, seuie figure réeiie parmi tant de symboies. Mais ce


qui est surtout remarquabie, c'est ie curieux méiange qui se trouve
dans cette décoration de symboiisme vouiu etmystiqueetde réaiité
historique. Ii sembie qu'ii y ait ià comme une dernière tentative de
résurrection des vieiiles inspirations chrétiennes, comme un suprême
PAREKZO 223

et impuissant essai de réaction contre l'écoie historique triom-


phante. Mais )e caractère artificiei de cette tentative en montre
assez la vanité : et rien ne prouve pius ctairement que i'évolution
est achevée, qui du symbolisme naïf des Catacombes a progressive-
ment mené i'art chrétien au styleréaliste et monumentai du vi" siècte.
Une autre mosaïque encore subsistait à Havenne du temps de
Justinien : c'est ceiie de l'abside de Saint-Michei in Affricisco,
aujourd'hui exposée au Kaiser-Friedrich-Museum à Beriin, et qui
montre, sur un fond d'or, ie Christ debout entre ies archanges
Michei et Gabriei. Entin, la basiiique peu connue de Parenzo, en
istrie, conserve une des œuvres ies pius remarquabies de i'art
byzantin duvF siècie (fig. 109).
Pare/tzo U — A i'arc triomphai, ies apôtres, en iongs vètements
biancs, s'avancent et) deux fiies vers ie Ghrist assis, comme à Saint-
Vitai, suriegiobedu monde^; àiacourbedei'arcade, dansune suite
de médaiiions, des saintes en robes d'or, parées de itijoux, rappeiient
ies vierges de ia frise de Saint-Apoiiinaire-Neuf. A i'abside, ia
Madone tenant sur ses genoux i'enfant divin est, comme à Saint-
Apoiiinaire, assise sur un trône que gardent deux archanges ; des
saints i'environnent et, parmi eux, saint Maur, qui présente à ia
Vierge I'évêque Eufrasius, fondateur de ia basilique, accompagné
de i'archidiacre Ciaudius et du jeune fiis de ce dignitaire, égaie-
ment nommé Eufrasius. Pius bas, dansi'hémicycie, entre ies fenêtres,
un ange et deux saints occupenties panneaux, et, aux extrémités,
deux scènes, intéressantes par ie détaii des costumes et des archi-
tectures, figurenti'Annonciation (fig. 1 iO) etia Visitation. La ressem-
biance est grande entre ces mosaïques, qui datenl du vp siècie, et
ceiies de Ravenne : c'est ie même méiange de dignité soienneiie et
froide et d'accent réaliste dans ies portraits, 1e même iuxe des ajus-
tements etia même spiendeurdu coioris, 1e même caractère nette-
ment orientai. Jadis ce décor se compiétait par d'autres mosaïques,
dont ii ne reste plus que d'insignifiants fragments, et qui étaient
piacées à ia façade de i'égiise. Mais, te! qu'ii nous est parvenu,
i'ensembie de ia décoration de Parenzo mérite de prendre piace à
côté des meiiieurs monuments de Ravenne : comme eux, ii atteste

1. Marucchi, Le recenbscoperte nefdHomo di Parenso (NBAC, H, 1896) ;


Errard et Gayet, L'art hy:antt'n, Paris, 1901: Wtha etNiemann, Der Dont
ron Parenzo.
2. De cette partie de ta mosaïque, découverte en 1890, seute ta zone supé-
rieure est antique.
224 LES MOXUMHKTS DH LA PHiNTUHE

Fig. 110. — 1/AnnonciaHon. Mosaïque de Parenzo (Ciiché Diehl)


L ART PROFANE 225

defaçon éclatanfe [a supériorité de i'art byzantin au vPsiècie; it


montre comment, au temps de Justinien, cet art a donné aux con-
ceptions chrétiennes [a forme, souventdéRnitive, qu'eites garderont
désormais, et mis puissamment en retief, par un styte majestueux
et réatiste tout à [a fois, ia sptendeur du christianisme*.
D'arf /)ro/ane. — Les mosaïques du chœur de Saint-Vitai sont ies
seufs monuments qui nous restent, au vt° siècle, de cet art profane,
destiné surtout à [a gtorihcation du souverain, et qui parait [es
muraitles des patais impériaux. Mais des textes assez nombreux
attestent ['importance que Byzance attacha aux représentations de
cette sorte, et montrent [a ptace que tint cette peinture d'histoire
dans tes manifestations artistiques de ce temps. Procope rapporte,
par exempte, qu'au Patais-Sacré de Constantinopte, dans te vestibule
de ia Chatcé, des mosaïques représentaientdes victoires de Justinien,
iesguerres d'Afrique et d'itaiie, [e triomphe de Béiisaireprésentant
tes rois vaincus et [es trésors conquis à Justinien età Théodora, et
les souverainsdebout parmi [es sénateursenhabits defête, <( qui se
réjouissent, dit ['historien, de [a gioire du maître, et ['adorent à
i'éga! d'un dieu. )' Au palais de Ravenne, somptueusement décoré
de marbres précieux etde mosaïques,Théodoric s'était faitde même
reprësenter, soit sur son chevat de guerre, soit debout en costume
miiitaire, entre deux hgures de femmes qui symboiisaient ses deux
capitaies, Bome et Ravenne. A !a frise de Saint-Apoüinaire-Neuf,
dans ia représentation du paiais (fig. 57), on entrevoit, sous les
arcades, des figures à demi eifacées : eiies représentaient sans doute
ie roi ostrogoth et sa suite, dont ies Byzantins vainqueurs s'empres-
sèrent de faire disparaitre ie souvenir. Au paiais de Pavie et au
forum de Naples, Théodoric avait égaiement son portrait en
mosaïques. Enfin, à ia fin du vt° siècie, à Constantinopie, dans ie
portique Carien, au quartier des Biachernes, i'empereur Maurice
faisait peindre une suite de fresques représentant ies aventures de
sa vie, depuisson enfance jusqu'à son avènement au trône^.
Ii fautretenirattentivementcesindicationséparses; on enretrou-
vera de sembiabies à toutes ies époques de i'art bjzantin-. Eiies
montrent queile erreur on commet en considérant i'art byzantin

t. D'autres mosatques de style orientat, datant du vt' siécte, se trouvent cn


ttatie à Gasaranelto (Hasetofï, 7 mnsaict' dt' Casaranetto. Botlettino d'Arte, t,
t90") et à Albenga (A'i'nalof, 7,es mosal'qtte.s de 7'anct'en àaplt'sière d'Atàenya.
Viz. Vreni., VHI, 1901).
2. TJiéophane, a. 6079, p, 102.
A7anue7 ti'Ari 7)t/=an7t'n. 15
226 LES MONUMENTS UE LA PEIKTURE

comme un art exctusivement retigieux. Sans doute, de ces


représentations profanes, la piupart ont disparu aujourd'hui, et à
peine en retrouve-t-on un écho iointain dans queiques miniatures
de manuscrits ou dans quelques objets d'ivoire ou d'émail ; mais
c'est un fait certain, qu'à côté de l'art religieux, un puissant cou-
rant d'art profane traverse à tous les siècles l'histoire de l'artbyzan-
tin '. G'est à cette peinture d'histoire que cet art dut, sans doute, 1e
caractère réaliste et monumental qu'il prit de bonne heure, et peut-
être est-ce cet art profane qui, comme on l'a dit, a donné l'impul-
sion à l'art religieux.

111

LES PAVEMENTS HtSTORtES ^

Aux mosaïques murales il faut ajouter les pavements historiés,


qui couvrent 1e sol des basiliques de leurs motifs géométriques, de
leurs rinceaux, de leurs ornements divers. 11s difîèrentdoublement
des mosaïques murales: par 1a matière, où 1a pierre et le marbre
tiennent 1a place des cubes d'émail ; par Ie choix des sujets, pris de
préférence parmi les scènes pittoresques ou mythologiques, afin de
ne point exposer aux souillures des pieds les images sacrées. On a
retrouvé un très grand nombre de ces pavements. On se bornera à
citer ici Ies plus caractéristiques.
La grande mosaïque de Kabr-IIiram, près de Tyr, aujourd'hui
exposëe au Louvre, semble bien dater de 1a lin du iv° siècle, plutôt
que de 1a fin du vt^, où 1a plaçait Renan. Dans les enroulements
d'un rinceau sans fin, figurent, comme en autant de médaillons, des
scènes de chasse et de vie champêtre, qui ofl'rent de curieusès
ressemblances àvec les mosaïques de Sainte-Constanceà Rome. Ce
sont des animaux divers, des fauves terrassant des biches, puis de
petites flgures humaines, un berger assis, jouant de 1a flûte, un
paysan, trainant par 1e licol un àne chargé de paniers, des enfants
jouant autour d'un pressoir. Ailleurs, dans des médaillons encore,
des bustes allégoriques représentent les mois, les vents, les saisons,
tous les motifs familiers à l'art alexandrin.
Les mèmes compositions pittoresques, allégoriques ou mytholo-
giques, se rencontrent dans les pavements historiës qu'on peut
1. Cf. Ebersoit, Z.esarfssompfHatres <ie By=a;tee, Paris, 1923.
2. Miintx, t,espaoeotettfs/tt'siort'esduJV=aHXt/*stècte(R. A., 1876, H, et
1877, t), et tes ouvrages indiquës pius haut (p. 58).
LES PAVEMENTS ]]]STOR]ÉS 227

dater avec certitude de la Hu du v" ou du commencement du


v]" siècte. Une mosaïque trouvée à SerdjiHa et datée de 473, piu-
sieurs des nombreux pavements retrouvés à Madaba, au pays de
Moab, unemosaïque àinscription arméniennede Jérusaiem (vi^siècie)
montrent un décor de fieurs, de fruits et d'animaux. Aiiieurs c'est
ie iabyrinthe et ie Minotaure, Psyché ou Orphée, qui se rencontre
en particuiier dans une beiie mosaïque trouvée à Jérusaiem. Uans
un cadre, où des médaiiions enfermantdes ânimaux prennent piace
entre des têtes aiiégoriques, Orphée chante, entouré de bêtes, un
centaure et un faune à ses pieds; pius bas, ce sont des scènes de
chasse, et, dans un panneau rectanguiaire, deux figures de femmes
nimbées, séparées par une coionne, et désignées par des inscrip-
tions sous ies noms de Theodosia et de Georgia. L'œuvre, certaine-
ment chrétienne, et d'art spécitiquement syrien, date du v" ou
vi° siècie.
G'est au même temps qu'ii faut rapporter ia pius céièbre des
mosaïques de Madaba, ceiie quireprésente une carte deia Paiestine.
Le trait ie pius remarquabie de cette vaste composition, d'un travaii
très soigné et très fin,c'est qu'eiiea tous ies caractères d'un paysage
pittoresqueL Sur ies onduiations bieues de ia mer Morte voguent
deux vaisseaux ; ies poissons nagent dans ies rivières, ies fauves
poursuivent les biches dans ie désert parsemé de cactus et de pai-
miers; ies montagnes dressent ieurs chaînesà i'horixon ; ies viiies et
ies viliages apparaissent avec ieurs tours, ieurs portes, ieurs éditices
ies pius céièbres, Bethiéem avec ia basiiique de ia Naiivité, Jérusa-
iem avec ies iongs portiques qui ia Jraversent, une piace, une haute
tour. Ainsi toute ia Paiestine se dérouie, comme à voi d'oiseau,
sous ies yeux du spectateur. La technique de cette mosaïque, iden-
tique à ceiie des mosaïques muraies du v" et du v]° siècie, en donne
ia date. L'inspiration, tout aiexandrine, atteste à ia fois ie goût
du pittoresque et de ia réaiité qui est caractéristique de i'art du
v]" siècie

t. Cf. Aïnatof, Ort'f/ines, p. 214.


2. 11 fautsignalerégalement les remarquables pavemenls historiés récem-
ment découverts dans la basiliquc chrétienne de Mitet. Dans l'atrium, on voit
représentés des animaux de toute sorte, panthère, ours, tigre, faisans,
canards, aigles et griiïons. Dans lebaptistère, aux brebis paissant et aux cerfs
buvant à une fontaine s'opposent des tigres dévorant des chevaux, des pan-
thères luttantcontre des builles. Dans l'église entin, ce sont des motifs géomé-
triques qui couvrent le sol de l'abside et des coiiatéraux. Cet ensemble fort
intéressant, où le style pitto]'esque aiexandrin se pénètre déjà d'inftuences
orientales, est de date antërieure à la construction de Sainte-Sophie (Wie-
gand, dans Abhandt. d. Prenss. Aàad. d. Wtss., 1908, p. 29-32).
'228 LES MONUMENTS DE LA PEfNTURE

Certains pavements africains montrent tes mêmés tendances.


Dans un bâtiment annexe dela basiiique de t'Oued-Ramel en Tuni-
sie, on voit, représenté avec un sentiment très vif de )a vie, un
chantier de construction, avec i'architecte donnant ses ordres, ies
ouvriers au travai!, !e cbariot apportant une colonne. AiHeurs, dans
un pavement de Gafsa (musée du Bardo), !es courses de t'hippodrome
sont représentées avec une pittoresque vivacitè. Enfin, dans !es
mosaïques tombales de Lamta et de Tabarka, où hommes, femmes
et enfants apparaissent vêtus d'éciatants costumes, !e goût du por-
trait expressif et vivant se manifeste comme dans !es monuments
de i'Ég'ypte chrétienne L

IV

G'est de cette même tendance réaiiste que procèdent !es rares


icones qui nous sont parvenues de !a première Dériode de !'art
byzantin Un curieux passage de saint Jean Chrysostome par!e des
portraits peints à hencaustique et d'autres ténioi-
gnages postérieurs attestent que cette technique, employéeen Ugypte
pour !a représentation des tigures, était en vogue à Byzance au
vt° siècie, et p!us tard encore, pour !es peintures sacrées. On con-
çott donc que !es p!us anciennes icones, reproduisant, sur des pan-
neaux de bois, l'image de !a Vierge, du Christ et des saints; aient
eu !e même caractère de vie expressive et réaiiste qu'offrent !es
portraits du P'avoum.'Aussi bien, est-ce d'Egypte que proviennent
la ptupart des monuments de cette sorte actueüement connùs. C'est
du Sinaï que !'évêque PorphyreOuspenski a rapporté au musée de
Kief !es icones, datant vraisemb!ab!ement du v[° siècle, dont i'une
représente deux bustes de saints, où !'on a cru à tort reconnaitre
Constantin et sainte Hétène, et i'autre, i'efEgie des saints Serge et
Bacchus, que domine !e médaiüon du Christ (tig. 111). On y voit
clairement comment !a peinture d'icones dérive de !a peinture de
1. Gauckter, Aamosaique aatiqHe,* CatatogaeÙH [HHséeytiaom' (supptcment),
Paris, 1907.
2. Strzygowski, Orteat o</erRom, p. 123; tlys. De;[A*mater, 113-125; Aïna-
lof, tcones dn S/nai' peiafes à t'eneanstiqne (Viz. Vrem., IX, 1902); Kondakoi',
iltonnînenis de i'ari càreit'en à i'Ai/tos, Pétersbourg*. 1902, p. 120 suiv. ; Petrof,
AiÙHttt dà ntHse'e tie i'Acade'mie ecciesiasiiqHe ;ie A'ic/) iivr. 1, Kief, 1912.
/
LES tCOXES 229

portraiLs. Le même caractère, ptus naturatiste encore, se rencontre


dans deux autres monuments du même musée, une image de saint
Jean-Baptiste entre les médaiHons de ia Vierge et du Christ, une
tigure surtout de ia Vierge portant i'enfant dans ses bras, dont on a
pu dire justement que, sans ie nimbe qui entoure son visage, per-
sonne ne songerait à y reconnaître une tigure divine, tant eiie res-

t'*ig. tll. — Les saints Scrge et Bacchus. Icone pcinte à t'encaustique


(Musée de t'Académie ecctésiastique à Kief).

sembie aux portraits heiiénistiques trouvés dans ies tombeaux egyp-


tiens. Ainsi, jusque dans ces monuments, comme dans ceux de même
sorte que conscrve ie musée du Caire, se manii'este ie trait dominant
et significatif de i'art byzantin au v:" siècle, ia recherche de ia véritë,
substituant de pius en pius à ia peinture de genre ia peinture d'his-
toire, ef au styie symboiique ie styie monumentai.
CHAPITRE IV
LES MONUMENTS DE LA PEINTURE
L'ILLUSTRATION DES MANUSCRITS

I. Remarques générales surlaminiature byzantine. Le rôle de 1a miniature


à Byzance. La théorie du prototype et 1a méthode de Kondakof. — II. Les
monuments de [aminiature. Les manuscrits profanes. Calendrier de 354.
Homère et Virgile. Dioscoride. Cosmas Indicopieustès. 'Les manuscritsreli-
gieux. Genèse de Vienne. BibledeCotton. Rouleaude Josué.Évangile syriaque
de Florence. Évangile d'Etschmiadzin. Évangile de Rossano. Fragments de
Sinope. L'Octateuque.. Le Psautier. Grégoire de Nazianze. — III. Caractères
généraux de 1a miniature au vt" siécle. <<

REMAHQUES GÉNÉRAUES SÙR LA MtNIATURE BYXANTtNE '

L'iHustration des manuscrits, qui nous a conservé comme une


image réduite de ia grande peinture, a, on i'a vu, ses origines dans
l'Ëgypte alexandrine. C'est dans i'entourage des Ptoiémées qu'appa-
rait pour 1a première fois i'usage d'orner de miniatures ies iivres
prëcieux; c'est de ià que, pendant ies siècies suivants, cet usage se
propagea par tout le monde romain. Dans cette société savante et
lettrée, on prit plaisir à illustrer les ouvrages les plus célèbres de Ia
science et de 1a littérature. Sùr les longs rouleaux de papyrus, dont
les découvertes récentes nous ont rendu les fragments, comme sur
les feuillets de parchemin rassemblés en forme de <( codex o, 1e
texte s'accompagna d'ornements et de figures parmi lesquels, en
général, prit place 1e portrait de l'auteur. Dans cette ornementa-
tion, volontiers on déploya un luxe extrême, surtout dans les
mamuscrits enluminés à l'intention des souverains : le parchemin
fut de pourpre, les lettres d'argent et d'or, les miniatures somp-
tueuses. C'est ainsi que l'empereur Constantin possédait dans sa

1. Pour l'ensemble de ce chapitre, Kondakof, Jftsloi're de l'art hyzantt'tt


const'dèrè prtttetpalement datts tes ttttttt'atttrea, Paris, 1886-1391, et les
ouvrages de Bayet, Reehere/tes, et d'Aïnalof, Ortgrtttes.
LEROLEDELAMtXtATURE 231

bibliolhèque deux routeaux écrils en lettres d'or qui contenaient


i'Itiade et l'Odyssée et des Kvangiies magniüquement iHustrés.
Le 7Ô/e (Ve fa 7?î!ntat[7re à Æysance. — Byzance, amie des livres
et du luxe, continua volontiers ces traditions alexandrines et
demanda fréquemment des modèies à l'art de la grande cité heiié-
nistique. C'est, comme Aïnaiof l'a remarqué, un fait tout à fait
signihçatif que Constantin ait appeié à Constantinopie de nombreux
savants aiexandrins et fondé une bibiiothèque dans i'Octogone où iis
donnaient ieur enseignement. Avec ies hommes, ies iivres aussi
vinrent natureiiement d'Aiexandrie dans ia capitale, et l'art byzan-
tin, on ie verra, copia pius d'une fois ies briiiantes créations dont
i'art heiiénistique avait paré iesouvrages profanes, ou ychercha des
hispirations pour i'iliustration des manuscrits reiigieux. Ainsi, ia
miniature ne tint pas moins de piace dans ie monde byzantin que
dans ie monde antique ; le moyen âge grec nous a iaissé par cen-
taines ies beaux manuscrits eniuminës, dont i'étude a une impor-
tance capitaie pour i'histoire de i'art byzantin.
En nous otfrant en efïet une série presque ininterrompue de pro-
ductions depuis ia période ia pius ancienne de cet art jusqu'aux
derniers jours de i'empire grec, ies miniatures présentent ce premier
avantage de combier ies iacunes de notre information pour ies
périodes trop fréquentes où ies œuvres monumentaies manquent à
peu près compiètement. En outre, ies renseignements qu'eiies four-
nissent sont singuiièrement instructifs. Ainsi que Kondakof i'a jus-
tement observé, cette branche de i'art eut toujours à Byzance un
caractère popuiaire très accentué, et i'indépendance de i'artiste y
fut toujours pius grande que dans ies productions de i'art ofiiciei.
Non sans doute qu'on doiveconsidérer i'iiiustration d'un manuscrit
comme une ceuvre de hasard, passe-temps frivoie d'un artiste
et produit d'une fantaisie individueiie : un iien étroit rattache
toujours ie texte et ia miniature, et plus d'une fois ie sujet a
dû être indiqué à l'artiste par un théoiogien. Pourtant ie dogme
imposa toujours moins de sévérité à ia miniature qu'à ia décoration
des édifices sacrés : eiie put, sans inquiéter i'orthodoxie, interpréter
piusiibrement ies idées théoiogiques du jour, exprimer pius pieine-
ment ies tendances diverses, les caractères multipies d'une époque,
conserver pius aisément ia tradition pittoresque qu'écartait de pius
en pius i'art monumentai.
Ainsi, ia miniaturë nous apparait « comme i'expression normaie
d un certain miiieu x. G'est ià, par exemple, à i'époque des icono-
232 LES MONUMBNTS DE LA PEMTUHE

clastes, que se réfugie t'orthodoxie persécutée; c'est tà que t'enthou-


siasme retigieux éclate dans toute sa force individueiie et créatrice
Pius tard, « au miiieu de i'art éiégant et briiiant, mais pauvre
d'idées, que cuitiva ia cour de Byzance o, la miniature fut de nou-
veau « ie seui asiie peut-être pour un homme iihre o.,^ et ses pro-
ductions, bien mieux que ies mosaïques ou ies peintures-contem-
poraines, K nous représentent ia vie pubiique ou monacaie de
i'époqueL « Ainsi, grâce à ia toiérance pius iarge dont eiie jouit,
ia miniature a qm g-arder pius de variété, pius de souplesse, pius
de puissance créatrice : et par ià, eiie est tout particulièrement ins-
tructive pour i'histoire de i'évoiution de i'art byzantin.
La tAëorte da prototype et mët/tode ofe Æonda/co/*. — Pour-
tant, quand on compare ies manuscrits iiiustrés d'un méme
ouvrage, on constate aisémentque, maigré ies ditîérences de date,
iis otfrent souvent des ressembianCes frappantes. Or, ces ressem-
biances ne peuvents'expiiquerquesii'onadmet que ces manuscrits
se rattachent à un originai commun. ii n'y a ià, au reste, rien qui
doive nous surprendre. C'est, en etfet, un fait indéniabie que ies
miniatures d un manuscrit sont souvent pius anciennes que ne ie
donneraient à croire ia paiéographie ou ia signature du manuscrit.
L'artiste qui était chargé de i'iiiustration s'est borné bien des fois à
reproduire une œuvre atitérieure, copiant ies images du prototype
comrne ie caiiigraphe copiait ies niots. Ce serait donc se tromper
grossièrement que dé vouioir juger i'art byzantin de teiie ou teiie
"L
époque d'après ies signes purement extérieurs qui attribuent tei
manuscritàcette époque. Maisla conséquencede ces observations,
c'est qu'une autre méthode s'impose, si i'on veut étudier scientitr-
quement ies manuscrits iiiustrés et en dégager ia véritabie signiti-
cation historique et iconographique.
- S'ii estvrai, seion i'expression de Kondakof, que tous ies manu-
scrits iiiustrés K sont comme ia ramification de certains manuscrits
types ^ H, ii serait puérii d'étudier un de ces manusci'its isoiément,
comme queique chose qui se sufHt à soi-même. Tout manuscrit fait
partie d'un groupe naturei constitué par toutes ies iilustrations du
même texte. H faut donc, en histoire de i'art comme en phiioiogie,
former des famiiies de manuscrits en ies groupant, non d'après la
date ou ie caractère de i'exécution, mais d'après ieur parenté
1. Kondakof, de t'arf, I, 31, 33-34.
2. /àtd., 34.
3. 7/it'd., 30.
THÉORIE ET MÉTHODE DE KONDAKOF 233

intime, c'est-à-dire d'après ies matières qui y sont traitées et ies


sujets qu'iis représentent. On aura ainsi ie groupe des Bibtes iiius-
trées, ceiui du Psautier, ceiui de i'Octateuque, celui du Méno-
ioge, etc. Dans chacun d'eux, ou étudiera ies manuscrits en s'efîor-
çant de remonter au prototype dont iis dérivent, de caractériser ce
prototype, d'en suivre ie déveioppement progressif et ies ramifica-
tions successives, de reconnaitre ce que chaque manuscrit a con-
servé de i'originai ou dans queiie mesure cet originai a. été trans-
formé au cours des étapes intermédiaires. Ainsi on comprendra vrai-
ment ie sens intime de ces miniatures et i'état qu'on en doit faire
pour i'histoire de i'art.
Dans cette théorie du prototype, aujourd'hui fort à ia mode,
ii y a assurément une part incontestabie de vérité, et dans cette
méthode, dont Kondakof a été i'initiateur, on aperçoit aisément
tout cequ'ii y a de vraiment scientifique et de fécond. Pourtant on
ne saurait dissimuier ies réeiles difhcuités qui l'accompagnent, ies
dangers certains qu'entraînerait son appiication exagérée. fi n'est
point aisé, d'une part, d'après des répiiques de date souvent assez
différente, d'apprécier exactement ce que fut ie prototype, de
déterminer à queiie époque ii fut constitué, de reconnaître ie degré
de fidéiité avec iequei ies copies reproduisent i'originai. A afïit'-
mer d'auire part trop absoiument i'identité entre ies copies et l'ori-
ginai, on courrait grand risque de simpiiher arbitrairement et de
fausser ia réaiité des choses. Si presque toùs ies manuscrits grecs
iiiustrés n'étaient vraiment, comme On i'a dit,. n que des répiiques
de prototypes pius anciens ^ x, si i'arfiste avait toujours borné son
rôie à n'être qu'un copiste serviie, ii faudrait conciure du même
coup à ia stériiité absoiue de i'art byzantin, répétant indéfiniment
ies créations de queiqnes artistes de génie.
Kondakôf iui-même a mis soigneusement en garde contre ces excès
possibies de ia méthode. c Toutes ies copies de manuscrits iiiustrés
que nous possédons, dit-i), ne ressembient pas d'une façon absoiue
à ieurs originaux : au contraire, chacune d'eiie a un cachet particu-
iier^. )) Chaque siècie impritne à ces répiiques d'un prototype iointain
queique chose de ses goûts propreset de ses tendnnces dominantes.
C'est un fait signihcatii' par exempie que de rencontrer, dans cer-
tains manuscrits d'un même siècie, une abondance pius grande de
souvenirs ciassiques. C'est ià, comme ie dit fort bien Kondakof,
t

1. MiUet,
2. Itondakof, /U'sU de t'arf, 63.
234 LES MOXUMEKTS DE LA ['EINTURE

<( la.preuve évidente que l'antiquité inspirait l'art et toute 1a vie


inteHëctuelIe de l'époque. H Ce travail de choix qui, entre des
modèles divers, retient plus volontiers les thèmes antiques, est déjà
un commencement d'originalité. Mais il y a davantage. Ces copistes,
en reproduisant 1e prototype, ne s'astreignent point à de vains
scrupules d'antiquaires ; ils Ie transforment librement selon les idées
et 1e style de leur temps. Et entin tous ces prototypes ne datent
point uniformément des origines de l'art byzantin : au cours de sa
longue existence^ cet art, bien des fois, on 1e verra, s'est montré
capable de création. II y a donc quelque excès à ne voir dans 1a
plus grande partie des manuscrits grecs iliustrés que des répliques,
et il est aussi péfilleux de vouloir à toute force, sous 1a copie loin-
taine, reconnaître toujoursl'original primitif qu'il serait dangereux
de prétendre, sur^ces copies, juger absolument l'art de l'époque où
elles furent faites. Ce qu'il faut surtout retenir, c'estla méthode de
groupement scientifique que Kondakof a appliquée à l'étude des
miniatures, méthode féconde qui rapproche en groupes homogènes
les manuscrits dispersés dans les bibliothèques d'Europe, qui nous
les montre nés dans les mêmes conditions et sous les mêmes
inftuendes, et qui, entin, ne séparant jamais l'iilustration du texte
qui l'explique, lui donne toute sa signitication historique et icono-
graphique.

II

LES MONUMENTS DE LA MtNIATURE

Ces remarques générales, qui s'appliquent à l'ensemble de l'his-


toire de 1a miniature byzantinè, devaient être faites avant d'aborder
1e détail de cette histoire. II faut maintenant étudier, d'après 1a
méthode qui vient d'être indiquée, les beaux manuscrits illustrés,
assez nombreux, qui nous restent du v" et du vi" siècle. On peut
les classer d'abord en deux groupes distincts : les manuscrits pro-
fanes et les manuscrits religieux.
On comprend aisément 1a raison de cette double production. En
tout temps les Byzantins eurent un goût très vif pour les œuvres de
l'antiquité classique, ouvrages de science ou d'histoire, chefs-d'œu vre
des poètes fameux. 11s ies copièrent volontiers, plus d'une fois en
de beaux exemplaires magnifiquement ornés de miniatures, et par
là, en tout temps, ils firent large place à l'art profane. Mais l'Église,
LES MAKUSCRtTS PROFANES — CALENDRtER DE 354 235

d'autre part, adopta ta miniature. Dès latin duiv" siècle, on Ie sait,


elle avait compris 1a valeur éducatrice de l'image. La même raison
qui 1a déterminait à emprunter aux livres saints les sujets de 1a
décoration des églises l'amena à encourager l'illustration des
ouvrages sacrés. Aux yeux des Pères, 1e miniaturiste parut capable
de donner aux tidèles les mêmes enseignements que 1e calligraphe ;
ses compositions semblèrent capables d'expriiuer 1a puissance de
l'Hvangile, d'une manière plus grossière peut-être, mais plus sen-
sible aussi, et par là plus etîicace aux yeux des illettrés. En consé-
quence, l'image prit place dans les livres sacrés, tantôt sur les
longues bandes des rouleaux, tantôt sur les feuillets plus commodes
à manier des manuscrits, tantôt introduite dans 1e texte ou à la
marge, tantôt se déployant plus Iargement en de vastes composi-
tions de pleine page. Mais l'iliustration eut en outre une autre
tâche plus délicate et plus haute : à côté de l'initiation grossière
qu'elle.donnait aux illettrés, elle fournit, par l'interprétation qu'elle
donna de certaines idées théologiques, par 1a traduction qu'elle fit
de certaines aMusionsou de certains symboles, comme un commen-
taire flguré des textes sacrés à l'usage des initiés. Sous l'une et
l'autre forme, elle offrait. à l'Église un moyen puissant d'agir sur
les esprits; l'Eglise ne 1e négligea point. Les manuscrits religieux
nous sont parvenus en quantité considérable, et ils forment les
groupes les plus divers.
Lex ntaim^crifx juro/ane^. — Cafendrt'er c/e ^54 L — Parmi
les manuscrits de 1a série profane, Ie plus ancien en date est
^e Calendrier illustré de 354, exécuté à Rome, mais par un
artiste certainement oriental, au temps des flls de Constantin 1e
Grand. Nous ne 1e connaissons plus que par des copies faites au
xvn^ siècle d'après deux originaux depuis lors détruits, et ce n'est
plus que par de vagues contours, fort éloignés du style primitif,
que nous pouvons entrevoir ce que fut cette œuvre réellement
remarquable. II est aisé de voir pourtant combien elle était
conforme aux traditions de l'art hellënistique. Les miniatures qui
représentent les mois sont des compositions pittoresques, d'une
vivacité et d'une grâce charmantes, qui offrent 1e caractère antique
dans toute sa pureté. Les figures y sont encadrées d'architectures
fantaisistes,qui rappeilent les décorationspompéiennes etannoncent

J. Strzygowski, Di'e ttafeitJerhi'fder dex Gàroitoyrapàs t)om Ja/tre ,15^,


Berlin, 1888.
236 LES MOKUMEKTS DE LA l'EtNTUHE

les architecLures luxueuses et comptiquées des mosaïques de Sato-


nique et de Ravenne. D'autres altëgories p]us tourdes et p]us pom-
peuses, personnifient ies principales viües de t'empire : Rome avec
1a Victoire et Plutus, Constantinopie avec des gènies chargés de
guirlandes, Aiexandrie, Trèves tenant un barbare par ]es cheveux.
En tête enfin, trois feui]]ets montrent ies-dieux protecteurs de
i'empire sous forme de statues piacées sur un arc de triomphe, ie
Génie de i'empereur entre deux Victoires, enfin Constantin II et
Constance en grand costume de cérémonie. Ii y a un contraste
visibte entre ie frontispiceeties tigures qui iiiustrentie caiendrier
iui-même : ia magnificence des costumes. [a -richesse de i'ornemen-
tation, ies architectures même qui ne sont point sans anaiogie
a vec ceiies de i'Evangiie syriaque dont on pariera pius ioin, iaissent
déjà, dans cette iiiustration tout antique, entrevoir i'influence de
i'Ürient.
/fomère ei Vtrytie'.—L'Iiiade de i'Ambrosienneetie Virgiiedu
Vatican (n° 3225) se rattachent pareiiiement, par ie choix des sujets,
ie styie, )a technique, à )a traditiofi antique, teiie que 1a constitua
ie goûtalexandrin. Dans ces deux manuscrits, dont ]a date est p]acée
d'ordinaire entre ie iv° et ]e v° siècte, les miniatures forment de petits
tabieaux de dimensions inégaies, intercaiés dans ie texte et encadrés
desimpies fiiets. L'un et l'autresont incompiets. L'Riade comprend
58 miniatures, où Kotidakof reconnait justement <t ie styie et ]a
manière des meitteures fresques ds Pompéi a. On y voit des
bataiites, des assembtées de dieqx, de superbes tigures de héros
combattants, et aiiteurs, des scènes de genre, dramatiques ou char-
mantes, des paysages délicieux, des personnitications, teltes que ]a
Nuit drapée d'un voiie vert sombre ou ie Scamandre nageant au
mitieu des ondes vioiacées, autant de traits qui rappeiient )a tradi-
'tion helténistique. It y a dans tout ceta beaucoup d'animation,
beaucoup de science de ]a composition, un sentiment artistique
remarquabte, avec une tendance peut-être exèessive à !a grâce. Le
coioris, où domine ie rouge pourpre, est tour à tour accentué et
doux. Maiheureusetnent, dans cette œuvre de maître, aucun trait
n'apparaît qui puisse caractériser i'art chrétien à son berceau. G'est
une copie faciie, un peu négiigée parfois, d'un originai purement
antique.
I] en est de mème des 50 miniatures que conserve ie Virgite du

1. P. de Notlrnc, Ae Vù</i/e Jn l aiicaH, Paris, 1897.


/
DtOSCORIDE 237

Vatican. Tout v est antique, ies costumes et tes ameubiements, !es


cérémonies reiigieuses et !es attributs des dieux, !es personnages
et les épisodes. Les scènes idyHiques et mytho!ogiques, conformes
au goût alexandrin, y tiennent une grande place, en particuüer
dans tes ülustrations des Géorg'iques. Le dessin et le coloris y ont
encore une simplicité toute classique. Pourtant l'exécution ne vaut
point ta conception, ce qui semble indiquer qu'on est en pré-
sence d'une copie d'un original plus ancien. Plusieurs mains, assez
inégales,-ont travaillé à TiHustration, et certains procédés techniques,
par exemple l'emploi* des rehauts d'or, annoncent déjà 1a facture
des miniatures byzantines.
Dfoscorfefe L — Le Dioscoride de Vienne prête à des remarques
semblables. 11 a été exécuté à Byzance pourla princesse Juliana Ani-
cia, qui mourut en 524 : mais il est de toute évidence 1a copie d'un ori-
ginal beaucoup plus ancien. Que cet original vienne d Alexandrie,
comme Aïnalof l'a établi avecbeaucoupde vraisemb!ance,ou qu'ilait
été exécutéen Asie Mineure, commele veut Strzygowski, il n'importe
guère : il est l'œuvre évidemment d'un art purement hellénistique.
Ge sont des compositions tout antiques que ces deux groupes de
médecins célèbres qui Hgurent aux premiers feuillets du manu-
scrit, et dont on retrouve déjà Ie prototype dans une mosaïque
de 1a villa de GaracaDa: plus loin, les épisodes où l'auteur est repré-
senté en conversation avec des figures féminines qui personni-
fient la découverte (Euresis) et l'attention (Epinoia) ne sont pas.
moins caractéristiques. Ges portraits d'auteur sont un des traits
ordinaires de l'illustration des manuscrits alex/indrins, et il n'est
point inipossible qu'ils aient déjà figuré sous cet aspect dans Ia pre-
mière édition du traité de Dioscoride. Ailleurs sont représentées
des plantes médicinales, dont 1a connaissance exacfe étaitfacile grâce
aux jardins botaniques qui existaient à Alexandrie ou à Pergame,
et que pour cette raison les manuscrits alexandrins reproduisaient
volontiers. L'une d'elles, « le chêne marin a (une variété de corail),
est curieusement accompagnée d'une figure mythologique repré-
sentant Thétis (ia mer) couronnée de pattes de homard et accou-
dée sur un monstre marin.

t. Premerstein, Wessefy et Mantuani, De coùicts Dtoscnrt'Jet' ytnt'ct'ae ./ttft'tt-


næ VtnJotbonettst's At'.sforta, /'ttrttttt, .scrt'/tittrtt. pt'ctnrt's, Leyde, 1906 ; cf. Pre-
merstein, .4tttct'tt ./nitana tttt WtenerDt'os/tttrt'desCodeæ (Jahrb. d. Kunsthist.
Satnnit. d. aüerhôchsten Kaiserhauses, t. XXIV), Vienne, 1903, et Diez, Dt'e
JftntaOnrendes WtenerDt'os/fttrt'des (Byz. Denkmaler., 1/1), Vienne, 1903.
238 LES MONUMENTS DE LA PEINTUHE

Une seute miniature peut être considérée comme l'œuvre propre


derartisteduvi"siècie:c'est ceiiequi représente ieportrait
de ia pt'incesse Juiiana (6g. 112). Au centre d'un cercie que
découpent deux carrés entrecroisés, eiie est assise sur un trône,

Fig. 112. — Juliana Anicia. Miniature du manuscrit de Dioscoride (Vienne)


(d'après Premerstein).

vêtue d'un costume somptueux ; à ses côtés se trouvent deux


jeunes iiiies personniiiant ia Magnanimité et ia RéOexion ; à ses
pieds, un génie aiié 6gure « ie désir de ia sagesse créatrice ') et
une jeune femme agenouiiiée symboiise « ia reconnaissance des
arts. )< Dans ies triangies de i'encadrement, des ouvriers s'oc-
cupent aux divers travaux des arts. L'exécution est assez éiégante,
ies attitudes natureiies et simpies, ie fond bieu ciair, sur iequei se
DtOSCORtDE
239

détachent.tes hgures, d'un heureux etfet. L'œuvre, avec ses person-


nihcations, ses génies ailés, ses scènes de genre, est encore conçue
dans le pur gout aiexandrin. Ainsi, au commeticement du vr" siècie,

Fig. 113. — Le sacrificc d'tsaac. Miniatures du manuscrit de Cosmas (Bibiio-


thèque Vaticane), d'après Stornajolo, Le nu'fttature detL'i 7'opoy;a/ta ct is-
ftana dt L'osma ittdt'copieusfe.

i artbyzantin conservait soigneusement !es traditions de i'artheiiénis-


tique ; il copiait ies modèies antiques et s'en inspirait dans ses œuvres
propres. Toutefois certain^ éiéments nouveaux s'ajoutaient déjà,
dans ia technique, à ces survivances ciassiques : i'empioi de i'or
et des couieurs vives reiève des procédës hyzantins.
240 LES MONL'MEXTS DE LA PEIXTURE

Co$max /nJfcop/eusiè^ C — Au mëme groupe d'ouvrag'es inspi-


rés de ia tradiiion pittoresque niexandrine, on doit rattacher une
œuvre capitaie, qui forme en queique manière la transition de ia
miniature profane à ia miniature reiigieuse : c'est ia ?'opoyra/[/ne
cAréOe/nte de Cosmas Indicopieustès. L'auteur éiait un Aiexandrin,
qui vécut et écrivit vers ie miiieu du vt" siècie : l'œuvre nous est

Fig. 114. — La vision d'Isaïe. Miniature du manusctit de Cosmas


(Bibliothèque Vaticane). Phot . communiquée par M. Miilet).

parvenue par piusieurs manuscrits, i'un au Vatican (Gi'. 699), qui


est du vn° siècie, ies deux autres, de date postérieure, conservés
à ia Laurentienne et au Sinaï. Tqus trois sont des copies d'un
originai pius ancien, datant du siècie de Justinien et pubiié à
Aiexandrie par i'auteur iui-même, et iis nous fournissent ainsi ies
informations ies plus précieuses pour apprécier ies goûts et ies ten-
dances de i'art de ce temps.
De même que ie texte de i'ouvrage, i iliustration, teiie que ia cons-
titua ie vt^ siècie, unit ies données de !a science aiexandrine et i'his-
toire du christianisme. On y trouve d'une part des cartes, des
dessins géométriques semblabies à ceux qui iiiustrent ia géographie
de Ptoiémée, desreprésentations de iaTerre sous ià forme d'uneiie

1. Le an'nt'alHre deHa *?'opog!'a/:a crtsliana tii Cosü:a /adieopieasie, éd. Stor-


najoio, Milan, 1908; cf. Kondakof, Vopage àt: Sinai, Odessa, 1882.
COSMAS [KDÏCOPLEUSTÈS 24)

quadrangulaire entourée par TOcéan et ilanquée de quatre vents


qui souillent dans des conques, ou bien d'une montagne derrière

Fig;. H5. — Danic) et )es tions. Miniature du manuscrit de Gosmas (Bibito-


thèque Vaticane).

taqueUe se ièvent et se couchent le soieii et ]a lune, puis des ani-


maux, souvent dessinés d'après nature, des plantes, des fruits, des
monuments, bref tout ce que savaient t'astronomie, ]a cosmogra-
phie, ]a botanique et ]a zo'ologie de Pépoque. Et d'autre part Phis-
toire chrétienne est représentée soit par des figures isotées de
prophètes et d'autres personnages bibiiques, soit par des scènes
Manuet d'Art hyaaniùt. 16
242 I.ES HIOKUMENTS ])E LA PEINTURE

empruntées à t'Ancien et pu Nouveau Testament. C'est Aio't'se rece-


vant ies tabtes de ]a ]oi, ]e saci'ifice dlsaac (fig. !13j, i'enlèvement

Fig'. 116. — Le Chrisl, la Vierge et des saints. Miniaturedu manuscrit de Cos-


mas (Bibtiothèque Vaticane).

d'Ctie au ciet. )a vision d'Isaïe (Hg'. H4), )a vision d'Kzéchiei, Daniet


dans 1a fosse aux ]ions (Rg. 115) ; c'est la conversion de saint Pau]
ou ia lapidationde saint Etienne. Beaucoupdeces scènes sont repré-
sentées en piusieurs tabteaux marquant ]es difîérentes phases de
i'évènement, et qui sontsuperposés souvent dans ie mêmecadre :
c'ëst, avec l'absence de fonds coiorés et la suppression presque
générate du sot sur lequei posent ies personnages, une des particu-
tarités ]es p]us remarquables du manuscrit de Cosmas.
COSMAS ÏNDtCOPLEL'STÈS 243

!^e même mélange d'inspirations diverses se renconLre dans 1a


composition et le styie : aux souvenirs du passé se mêie i'esprit par-
ticutier de l'art grec nouveau ; à !a tradition alexandrine se joint !e
style monumenta!. Aïnalof a signalé toute une série de détaüs qui
montrent 1e rapport étroit du Cosmas avec l'art alexandrin. Ce sont
les emprunts faits aux monuments et aux mœurs de l'Hgypte, 1e
goût des personnitications (1e Jourdain, 1e Soleil, 1a Mort), ia fré-
quenpe des scènes champêtres, l'habileté à traiter 1e nu. Mais tan-
dis que certaines compositions, comme 1e sacrifice d'Isaac, s'ins-
pirent de l'iconog'raphie chère à l'Egypte, d'autres, au contraire,
telles que l'épisode de Jonas ou l'enlèvement d'EIie, rappellent l'art
des catacombes, et d'autres semblent vraiment des copies de
mosaïques contemporaines. Telle est en particulier 1a belle minia-
ture en pleine page où cinq personnages, 1e Christ, 1a Vierge, saint
Jean-Baptiste, Zachnrie, sainte Elisabeth sont Symétriquement
rangés au-dessous des médaillons contenant les images de sainte
Anne et de saint Siméon (fig, tl6). « L'attitude de ces figures, la
sérénité religieuse de leurs visages, l'or qui éclate sur 1e fond des
nimbes et surles vêtements, tout concourt à donner à cette minia-
ture un aspect original et saisissaut. On retrouve ici 1e même
esprit qui a présidé à l'ordonnance d'un grand nombre de mosaïques
et qui' s'est perpétué dans l'art byzantin * r. C'est 1e style monu-
mental sesubstituant à 1a tradition pittoresque de l'art hellënistique.
Et de même certaines compositions, telles que 1e Jugement dernier
(fi.g. 117),apparaissent déjà, par leur ordonnance en.zones superpo-
sées, çomme 1e prototype dont s'inspirera, malgré certaines modiSca-
tions, l'art byzantin des siècles postérieurs. Les costumes enfin
sont en général les costumes byzantins.
Oans l'histoire de l'art du vt^ siècle, 1e manuscrit de Cosmas a
donc une importance extrêmè. Par les idées, il est nettement
alexandrin, comme 1e marque 1e parallélisme des deux Testaments,
conforme à l'exëgèse symbolique de l'art d'AIexandrie. Par 1e
style, il s'écarte déjà des principes de l'art hellénistique, etc'est ce
qui fait son intérêt. Grâce à lui, toute une série de compositions
nouvelles etde types nouveaux sont entrés pour toujours dans l'ico-
nographie byzantine ; de là" viennent en particulier ces types
d'hommes solides, aux é^aules carrées, aux mains puissantes, aux
pieds bien posés, à 1a musculature robuste, au corps souple se mou-

t. Bavet, Beeàercàes, 70^71.


Fig. 117. — Le Jugementdernier. Miniature dumanuscrit de Cosmas(Biblio-
thèque Vaticane),d'aprèsStornajo!o, Le mtaza^zzre de^a 7'opozyra^aczzs^zana
dt Cosma /adzcopfezzs^e.
LES MANUSCmTS RE[.[G[EUX 245

vant'librement dans leurs ampies vêtements, que nous rencontre-


rons fréquemment dans t'art du vt" siècte et qui apparaissent comme
d'origine atexandrine.
Zes man[[.scr:fs 7*e/iy[eH[c. — Toutes ies œuvres que nous venons

Fig. 118. — Isaac chez Abimclech. Miniature de 1a Genèse de Vienne (d'après


Ilartei et Wickhofl').

d'anaiyser sont des copies pius ou moins tidèies d'originaux sortis


des ateiiers aiexandrins, mais où ie v[° siècie, conformément aux
tendances gënéraies de i'époque, tend à substituer ie styie monu-
mentai à ia pittoresque fantaisie de i'art heiiénistique. Les mêmes
caractères et ia même évoiution se retrouvent dans ia miniature
reiigieuse.
Dès ie [v^ siècle, ii exista une édition iiiustrée de ia Bibie, comme
ie prouvent ia bibie iatine, récemment décour'erte à Qued-
iinbourg, eties mosaïques qui décorent iagrande nef deSainte-Marie-
Majeure '. De cette édition primitive, nous ne possédons aucun

1. Richter et Taylor, TAe yoMea aye o/' ciassic càrisù'aa art, Londres, 1904 ;
Van Bcrchem et Ctouzot, .Vosaiqties chrètt'eanes, Gcnève,1934, p. il-58.
346 LES MONUMENTS DE LA PEMTUHE

exeniplaire grec complet L Certainea parties seulemetit des livres


saints nous ont été conservées dans des manuscriis illustrés.
Genèse <7e Vt'enne — L'un des plus anciens est la Genèse de
Vienne, qui date du v" siècle. Le manuscrit, très incomplet, ne
comprend plus que vingt-quatre feuillels, qui mènent du péché ori-
ginel jusqu'à la mort de Jacob. Comme l'Évangile de Rossano,

Fig. H9. — Laban et Jacob. Mirtiature de ia Genèse de Vienne (d'après


Hartel et Wickiroft').

avec tequel il oiTre des points de ressemblance remarquables, il est


é*erit en lettres d'argent et d'or sur un parchemin de pourpre.
A-t-it été exécuté, comme le pense Strzygowski, dans la Syrie du
Nord ou en Cappadoce? Je ne sais. En tous cas l'œuvre est profon-
dément pénétrée de la tradition bellénistique.
Plusieurs artistes, cinq, au jugement de WickholT, ont colla-

1. LaBibtiothèque Nationaiepossèdeunebibie syriaquefSyr. 3il), écrite


au vn' ou vm' siècte, mais dont t'iitustration, inspirée de modèies pius
anciens, est fort Curieuse. Le styie, qui par certains détaiis rappeile ie Cosmas,
offre le même mélangc de traditions pittoresques et de compositions monu-
mentaies ; t'inftuence orientaie y est très fortemcnt accusée (Cf. Omont. dans
Mon. Piot, t. XVII).
2. Hartel et Wickhofï, ûie IVt'euer Gettest's, Vienne, 1895 ; cf. Strzygowski,
Ætae aieæ. WeÆe/troatA, p. 182-183.
GENj^E DE VIENNE 247

boré â cette iHustration, dont iis sembient avoir puisé les éié-
ments à une doubie source. Aïnalof distingue ingénieusement
deux groupes parmi !es miniatures de ia Genèse. Les unes, à
fond coioré, avec des ciels ciairs ou chargés de nuages, forment
de vrais petits tableaux rectanguiaires et sembient copiés sur
queique manuscrit iiiustré dans ie styië de l'Iiiade ou du Vir-
giie. I.es autres, où l'on a conservé ie fond pourpre du parchemin,

Fig. 120. — Eticxer et Hébecca. Miniaturp de ta Genèse de Vienne (d'après


Hartel et Wickhoiïj.

se développent en une suite ininterrompue, souvéttt sans cadre,


d'une pageà l'autre, ou se superposent en deux registres ; visible-
ment elles reproduisent un rouieau analogue au rouieau de Josué,
dont on a découpé ies épisodes. Mais i'un et l'autre original se
rattachaient nettement à i'art antique. Nui sentiment religieux, nulie
soiennité ne se rencontrent dans ces miniatures. Ce sont des
scènes de genre, teiles que l'épisode de Jacob et d'Lsaü, où l'on
voit Hsaü suivi de ses chicns et Jacob faisant ia cuisine, telies que
i histoire tout entière de Joseph dans ia pittoresque variété de ses
représentations famiiières (fîg. 118). Ce sont des épisodes idyiiiques,
comme Jacob paissant ses troupeaux ou reçu sous 1a tente de
Laban (Hg. 119). Le paysage y tient une large piace. Les aliégories
n'en sont point absentes : la nvmphe de ia source préside à 1a ren-
contre d'Eiiézer et deRébecca (Hg. 120). Toute cette iiiustration a
248 t.ES MOKUMEXTS DE LA TEtNTURE

un caractère de naïveté gaie et amusante qui ia rapproche des


miniaturesduVirgileetderttiade. H semblequetespremiers
artistes qui ont entuminé la Bibte en aient conçu FiHustration abso-
lument comme ceiie des poèmes épiques, du moins dans certaines
parties teHes que Hhistoire des premiërs hommes et des patriarches.
Aussi tout y est-il plein de la tradition hellénistique. Le type
des visages est grec comme la technique ; les constructions, les
jardins, les épisodes mettent sous nos yeux tous les détails de la
vie antique. Une seule miniature, Halliance de Noé avec Dieu, porte
la marque du style monumental des égli'ses chrétiennes.
de Cotto/i L —Je ne nommerai que pourmémoire les frag-
ments de la Bible de Cotton, détruite par un incendieen 1731, et
que conserve le Musée Britannique. On sait que cette illustration a
été copiée avec une surprenante exactitude dans les mosaïques du
narthex de Saint-Marc de Venise. Le manuscrit date du vL siècle,
et il olfre d'assex remarquables analogies avec la Cenèse de Vienne, en
particulierdans l'emploi deshguresàllégoriques. L'exécution toute-
fois se rapproche davantage de la manière byxantine. L'or des vête-
ments,'laprédilection pourles couleurs claires et éclatantes, le rose
et l'azur en particulier, y sont caractéristiques. Ces traits se
retrouvent en effet dans les autres manuscrits exécutés au vi" siècle,
comme le Dioscoride ou l'Hvangile de Rossano.
de Josué — La Bibliothèque Vaticane (Pal. Gr. 431)
nous a conservé un remarquable spécimen de ces rouleaux où fut
découpée l'ittustration de la Genèse de Vienne et de la Bible de Cot-
ton. C est un parchemin, long d'en'viron 10 "" 50, haut de 0 " 31, sur
leque! se déroulent en une suite ininterrompue les exploits de Josué,
II date probablement du vu" siècle. Gette illustration ne s'inspire
'nullement, comme on l'a cru parfois, des bas-reliefs historiques
romains, tels que ceux de la colonne Trajane ; elle se rattache
plutôt, comme la Genèse de Vienne et plus encore qu'elle, à ces
rouleaux illustrés qui contenaient les poèmes épiques de Virgile et
d'Homère. C'est une épopée guerrièrc que cette histoire de Josué,
pleine de sièges, de batailles, qui sont représentés avec une anima-
tion, un mouvement, uii sens de l'effet dramatique et une habileté

1. Ca/a^oiyoe o/*an.cten% ota/t/zscri^s //^e /?r^/s//..!/oseo/n, ParL I, Greek,


Londrcs, 188!. Cf. Tikkanen, D/e Ge/tes/smosai/tea /a Venedty, Heisingfors,
1889.
2. /^ro^o^o dt G/o.soe (Codices Vaticani, V), Milan, 1905.
ROULEAU DE JOSUE
249

de groupement tout à fait remarquables (ftg. 121). Un trait parti-


culièrement intéressant et bien aiexandrin se marque dans ia place
que tiennent dans ces miniatures les personnifications. Les viiies,
ies fleuves, ies montagnes, sont symboiisés par d'éiég'antes figures

Fig. 121. — Josué recèvant les rois vaincus. Miniature du manuscrit de Josdé
(Ribîiothéque Vaticanei, d'aprés /i roîuio d; Giosae'.

d'une grâce tout antique (fig. 122) : c'est un fleuve couché à demi-
nu auprès de son urne renversée ; c'est une viife assise près de ses
remparts, ia tête couronnée de tours ; c'est un dieu des montagnes
étendu au sommet de l^) coiiine. Toutefois, entre ies compositions
et i'exécution, ii y a un assez curieux contraste, et par ia facture
ces peintures sont bien inférieures à ceiles de ia Genèse. C'estévi-
demment que i'on. se trou ve ici en présence d'une copie d'un originai
250 LES MONUMBXTS DE LA PEIATURE

pius aticien qui, d'après'Strxygowski, remonterait. jusqu'à une


époque antérieure à Constantin, maisqui fut, ptus vraisembtabte-
ment, exécuté au vi" ou au v" siècle. En tout cas, comme la Genèse
et )es manuscrits profanes, ['ieuvre est profondément pénétrée des
traditions lieHénistiques.
--—

h'ig. 122. — Josué ett'ange devantJéi icho. Miniature du nianuscrit de Josué


(Bihiiothèque Vaticane), d'après 7t /'otuto di Giosue'.

H en va tout autrement, si de l'Ancien Testament on passe à


Tillustration des Hvangiles. D'autres intluences s'y manifestent,
plus spécitiquement orientales ; l'art syro-palestinien y tient une
large place à côté de l'art alexandrin. A côté du style pittoresque
apparaît une tendance très caractérisée vers le style monumental :
c'est ce que démontrent amplement plusieurs beaux manuscrits du
vi*= siècle.
C'est vers le v= ou le s siècle, c'est-à-dire assez long'temps après
l'Ancien Testament, que l'Évangile reçut son illustration très
détaillée, très abondante, et, commeon l'a dit, « complète jusqu'au
superflu ^ H. Elle fut créée presque simultanément dans deux milieux

1. XliHct, Ttecàerc/ies snr./'i'coiioyrap/it'ede /'Æraityt/e, p. 57).


ROULEAU DE .10SUE 25)

distincts, et en s'inspirant de deux traditions difTérentes : à Atexan-


drie, )a rédaction heHénistique resta p)us conforme â t'idéat de

Fig'. 123. — L'Ascension. Miniature det'évangite syriaque de Ftorence (Piiot.


communiquce par M. Vcnt,uri).

noblessequ avaitpoursuivi t art classique ; eile K retinties épisodes


qui se prêtèrent à une interprétation éiégante, décorative ' x, eiie
écarta ceux qui semblaieht d'une trop âpre réalité ; eite conserva te
goût du pittoresque qu avait eu t'art aiexandrin : à Antioche, ia
1 . ttnd., 565.
252 LES MONUMENTS DE LA PEtNTURE

rédaction orientaie eut uu souci pius sincère de ia vërité ; eüe ne


craignit point de <( représenter ia réaiité crueüe, touchante ou
triviaie ' p ; eiie vouiut exprimer ies passions.

' 93 1.' -'Ë

i'ig. t94. — La Pentecôte. Miniature de l'évangiie syriaque de Fiorencc Phot.


comnmniquée par M. Venturi).

L'unê et i'autre forme d'iiiustration devaient rencontrer une


briiiante fortune. Constantinopie adopta de bonne heure ia rédaction
heiiénistique, que ies papyrus peintsexportés d'Egypterépandaient
à travers toutie mondeorientai : c'est d'eile que s'inspirent ie pius

1. Millet, Tiecàerc/tes sur ft'conoyrapAie det'Rrauyite, p. 565.


EVAKG!LE SYRÏAQUE DE FLOREXCE 253

souvent, [es mosaïques des SainLs-Apôtres * ; et c'est ette que repré-


sentent des manuscrits comme [e Paris, 510 ou le Laur. VI, 23. La
rédaction d'Antioche au contraire apparaît dans )es mosaïques de
Saint-Serg-e de Gaza, dans celtes de Saint-Apoliinaire-Neuf à Ra-
venne^, et un manuscrit tei que [e Paris. 74 en donne une exceHente
idée^.L'une etl'autre tradition devaientavôir une longue fortune,
etexcercer sur tout ['art chrétien d'Orient une grande et durabte
influence. Etsi Byzance en général demeura pius volontiers tidèie
à ta première, ]es Evangiles iHustrés qui nous restent du vf siècle
attestent 1a faveur quela seconde rencontra.
ÆMnyi/e syi'tayue de ^orence. — La Laurentienne de Florence
conserve un évangile syriaque eniuminé en l'an 586 par un moine
nommé Rabula dans un couvent de Zagba en Mésopotamie.
II semble bien que Rabula ait copié un original grec, mais cet
original se rattachait nettement àlatradition de l'artasiatico-orien-
tal, tel que 1e cultivaient surtout les monastères. Un des traits les
plus caractéristiques de cet art, c'est 1a grande place qu'il fait à
l'ornementation. Sur presque tous les feuillets du manuscrit, on
rencontre de grands encadrements architecturaux, de hauts por-
tiques soutenus par de frêles et élégantes colonnettes, tout un
ensemble de formes dont beaucoup n'ont plus rien d'antique. Sur 1e
faîte et au pied de ces légères constructions, sont placés des fleurs,
des oiseaux, des animaux, traités dans un style gracieux et recher-
ché. Sur les côtés, se disposent des mihiatures de petite dimension,
représentant, pour 1a plupart, dès scènes évangéliques, etqui ont un
caractçre historique très marqué. PIus loin, sous des ,arcades, sont
tigurés les évangélistes écrivant, dont 1e type, inspiré des portraits
d'auteurs profanes, se rencontre ici pour ia première fois dans
l'iconographie chrétienne. Entin, degrandes compositions en pleine
page, encadrées, àla façon des mosaïques, de motifs géométriques ou
inscrites sous des arcades, représentent la Grucifixion, 1a Résurrec-
tion, l'Ascension (tig. 123), 1a Pentecôte (Rg. 124), 1a Vierge avec
l'Enfant et le Christ assis.entre deux évêques et deux moines.
Aïnalof a justement signalé l'étroite pàrenté qu'offrent ces compo-
sitions avec les scènes Rgurées sur les ampoules de Monza, où sont
reproduites, on 1e sait, certaines mosaïques fameuses des sanc-
!
1. Millet, toc. cit., 558-559, 570 et suiv.
2. Lbt'd., 581, Ct'. toutefois, p. 555, où, en ce qoi touclie Saint-ApoHinaire,
on af&rme exactement le contraire, à tort d'ailieurs, selon moi.
3. Gf. Mitlet, ioc. cif., p. 555-592, oùcesidéessontexposéesengranddétaii.
254 LHS MONUMHNTS DE t.A PEINTURE

Luatt'èspàtesüniens. Ceci prouve à !a fois 1e !ien irès éiroit qui unit


cet art syrien à !a Paiestine et explique !e styie monumenta! de ces
compositions. Si, malgré !arichesseet!'é!égancede!'ornementation,
l'exécution générale du manuscrit est médiocre, ces grandes pages
tt'en sontpas moins fort remarquables par !eur arrangement. On y
trouve p!us d'une fois !e premier exempfe iconographique de teüe
ou teüe scène, depuis !ors
consacrée par !essièc!es. Les
personnages égaiement sont
dignes d'atteution : !eur
stature ramassée, un peu
iourde et trapue, n'a, pas
p!us que !eur visage, gardé
!a beauté destypes antiques.
Avec son ova!e amaigri, son
nex mince, ses grands yeux
noirs, sa bouche menue, !a
Vierge olfre un aspect ca-
ractéristique qui subsistera
dans l'art byzantin ; et pa-
reiüement !eChrist, avecses
veux noirs, sa barbe épaisse
et noire, son front étroit
qu'ombrageune amp!e che-
ve!ure noire tombant jusque
Fig. )25. — Miniaiure de i'évangéiiaire sur tgg épaules, annonce un
d'Etschmiadzin fd'après Strzys;owski, , .
DasÆLscànu'ad=in-Æranyetiar). art nouveau. On vott tct,
pour!erappe!erenpassant,
tout ce que doit !'iconographie byzantine à !a Syrie età !a Pa!estine,
et combien t'inüuence de ces régions a modifié i'aspect de !'art L
t/'A'/sc/itrtt'at/zttt. — On peut rapprocher du manuscrit
de Fiorence un autre évangiie syriaque, provenant de Mardin, et
datant du vi" siècle, que conserve !a Bibtiothèque nationate (n°
33) et surtout !'évangi!e (i'Etschmiadzin, copie arménienne faite en
989 d'après un originai p!us ancien, et qui d'aiüeurs conserve à !a
tin quatre miniatures du vi° sièc!e provenant du manuscrit primitif.

I. Gf. Strzygowski, Dte des seràt'seàett PsaDers t'n ttfuneàett,


87 suiv ; t/r.spruttgr der cèrt'sf. èttrcàen.à'Httst, 137-145.
3. Strzygowski, DasÆtscAfittadztTt-Æuanyettar (Byz. Denkmàier, t), Vienne,
1892.
EYANGH.E M ETSCHMIADZIX 255

On y trouve, comnie dans ['évangiie de Rabula, cette riche ornemen-


tation architectonique, arcades couronnées de fleurs et d'oiseaux,
qui atteste des influences orientales (hg'. 125), et des compositions
— images d'apparat, comme la Vierge trônant, ou scènes évan-
gëiiques, comme i'Adoration des Mages ou i'Annonciation, -— qui
s'ordonnent avec ia symctrie et seton ies principes du styie monu-
mentai (Hg. 126). Dans
ies miniatures originnles
du vt" siècie subsistent
encore queiques traits
heiiéhistiques. Mais i'en-
sembie, comme dans ie
manuscrit de Rnbuia,
montre d'étroits rapports
avec i'art monumentai de
ia Paiestine. L'Adoration
des Mages. avec ies archi-
tectures fantaisistes qui
en occupent le fond,
sembie copiée sur ies
mosaïques de ia façade
de Bethiéem. Certains
détaiis du Sacriftce d'A-
braham ne s'expliquent
qUe par i'iconographie
paiestinienne. Fig. t26. — Miniature dc i'évangéiiaire
Æ'rauyf/e cfe Tfossauo '. d'Etschmiatizin (d'après Strzygowski,
Da.s Ætsc/nnt'adcin-Erançeb'ar).
— Le pius important par
son iiiustration des évangéiiaires g'recs de ia première période est
ie céièbre manuscrit, écrit en iettres d'argent sur parchemin de
pourpre, que possède ia cathédraie de Rossano. H date de ia fin du
vi'' siècie, et aurait, d'après Strzygowski, été exécuté en Asie Ali-
neure, d'après Haseiofî,-en i'igypte ou en Syrie. Fort apparenté
par ia facture à ia Genèse de Vienme, ii conserve certains traits de ia
tradition heifénistique, par exempie ie portrait d'évangéiiste écri-
vant sous ia dictée d'une figure aiiégorique, et qui rappeiie ies

t. Haseioit', CodeæpnrpHrens /iossaneàsis, Heriin, j898 ; Munoz, 7i codice


purpnreo di Rossano, Rome, 1907. Gf. Strzygowski, ytieæ. WeiiciironiAi, 181-
183.
^56 LES MOXUMEXTS DE LA PEIXTURE

Fig. 127. —- Le Ghrist devant Pilate. Aliniaturc du Codea? T^ossane/ts^


(d'aprèsHaseloff).
EVANGILB DE BOSSANO 257

Fig. 128. — Piiate et les Juifs; Miniature du Codeæ Rossaiteusis


(d'aprèsHaséiotï)

Nanuei d'yirt itÿzaniiit. 17


258 LES MOKUMENTS UE LA PEtNTURE

portraits d'auteur du Dioscoride. Pourtant ii ofîre encore pius de


traits communs avec les évangiies syriaques. Comme eux, ii est un
produit de i'école monastique ; conime eux, ii prête au Christ un
type orientai ; comme eux, ii emprunte à ia Paiestine piusieurs
traits de l'iconographie ; comme eux, et pius fortement accusé
encore, ii donne aux compositions un caractère monumentai. La
piupart des douze grandes miniatures du manuscrit de Rossano
sembientinspirées de mosaïques. La Gommunion des Apôtres, avec
son Christ deux fois hguré, ies Vierges sages et ies Vierges foiies,
avec 1a porte qut occupele milieu de 1a scène, rappellent, par leur
disposition, 1a décoration d'un hémicycled'abside; lesdeux épisodes
représentant 1e Christ devant Pilate(fig. )27-128) devaient décorer
un tyntpan. Les autres compositions, avec leur absence de cadres,
leurs personnages tous au même niveau, leur mince ligne de sol,
sans paysage, semblent empruntées à quelque longue frise disposée
sur les murs d'une grande nef ; et dè même Ies prophètes qui les
accompagnent, alignés sous les scènes et à moitié cachës par des
rouleâux déployés, semblent avoir une origine pareille. Enhn, le fond
de pourpre du manuscrit remplace admirablement ies fonds bleu ou
or des mosaïques. I) faut remarquer, en outre, l'absence presque
complète d'éléments symboliques, 1a tendance marquée vers les
représentations historiques. Les deux jugements de Pilate sont, à
cet égard, particulièrement remarquables, par l'exactitude des
costumes comme par 1e réalismc des figures. Par Ià, plusieurs des
peintures du Rossanensis rappellent les mosaïques de Saint-Apol-
Iinaire-Neuf à Ravenne. Enfin l'œuvre a par aiileurs encore une
importanceconsidérable : elie annoncel'iconographie de 1a seconde
époque byzantine, et ses compositions fournissent des prototypes
qui seront fréquemment imités au xt^ et au xn" siècle (Hntrée à
Jérusalem, Bon Samaritain, Résurrection de Lazare, Communion
des Apôtres, etc.).
.Fraymenfs de Sfnope — Un fragment d'évangéliaire prove-
nant de Sinope, et récemment acquis par 1a Biblothèque Nationale,
otfre 1e même style que 1e Rossanensis. Ecrit en lettres d'or sur
parchemin de pourpre, il ne contient plusque cinq miniatures, qui
décorent l'évangile selon saint Matthieu. Comme dans 1e matiuscrit

1. Omont, Peiatures ftu mauuscrit yrec de t'Fuanytfe de saiut #at/tt'eu


(Mon.Piot, VII, 1901) ; Fac-st'mt'iès des mtutatures Jesptusaucteus mauuscrtts
yrecs tte fa Pt'bftof/tègue tYaft'ouafe, Paris, 1902 ; Munoz, Codeæ purpureus
St'nopeust's (NBAC, XII).
L OCTATEUQUE 259

de Rossano, des prophètes vus à mi-corpsmarquent]aconcordance


des deux Testaments ; les scènes ont parei]]ement un caractère his-
torique très accusé (fig. 129). L'œuvre date du vi" siècle. Toutefois
eHe appartient à une famille différente d'évangiies iHustrés, dont
nous trouverons pius tard de nombreux.exemplaires : c'estcehe où,
au ]ieu d'être condensée dans des frontispices, l'idustration se
dévetoppe à travers le texte.

Fig. 129. — Hérodiade et ta décoitation de saint Jean-Baptiste. Miniature


de l'ëvangite de saint Matthieu (Bibtiothèque Nationaie), d'après Omont,
jFa'c-simifes de.s' muu'atures.

Te]s sonties manuscrits iHustrés qui nous sont parvenus du v" et


du vi" siècle. Mais, dès ce moment, existaient ou se créaient des
prototypes pour t'iHustration d autres hvres sacrés. De ceux-ià, ]es
originaux ou tes copies de date ancienne sont perdus, et nous ne
ies connaissons plus que par des répüques d'époque souvent fort
postérieure. Néanmoins, ces copies conservent assez de tracesde !a
composition primitive pour permettre d'entrevoir ce que fut ie pro-
totype. Sans vouioir donc empiéter sur i'étude de manuscrits que
nous rencontrerons ptus tard, i] importe de noter au moins briève-
ment ici, pour donner une idée complète de l'activité artistique de
l'époque, ces œuvres diverses où s'exerça ]e tatent des miniaturistes.
— Le roui&au de Josuë, dont it a été question tout
à i'heure, n'est qu'un fragment du recueii piusvaste qu'onappeHe
i'Octateuque. Decette coHection de iivressaints.nous ne possédons
pas moins de sixmanuscrits itlustrés, datant pour ]a piupart du xi°
ou xn" siècte, et dont tes miniatures sembtent pJr ]eur disposition
indiquer qu'eites ont été découpées dans un rouieau. Entre cette
260 LES MONUMENTS DE LA PEfNTU.RE

iHustrationd'autrepartetceHe du routeau de Josué,laressemblance


est frappante et la parenté évidente. Or, comme il est impossible
d'admettreque, par un hasard invraisemblable, le rouleau du vi^
siècle se soit trouvé entre les mains des copistes bien postérieurs
de HOctateuque, il faut conclure que ces divers manuscrits pro-
cèdent d'un original commun, d'un rouleau de provenance alexan-
drine contenant les huit premiers livres de la Bible et qui existait
dès le v<^ ou vt" siècle
ZeRsau/ter. —^De même le Psautier parait avoir été illustré de
très bonne heure. Les psaumes, on le sait, ont tenu une grande
place dans la liturgie de l'Eglise primitive; ils ont fort occupé la
pensée des Pères du iv^ siècle. Dès lemilieu du v" siècle, un évêque
de Ravenne faisait peindre dans le triclinium de sa cathédrale une
illustration du psaume 148 ; dans une catacombe chrétienne décou-
verte à Kertch et datée de 491, la décoration des murailles est for-
mée pardesinscriptions tirées des Psaumes, et reproduisant, entre
autres, le texte entier du psaume 9(C ; enfin, c'est un sujet fréquem-
ment reproduit sur les étoffes que le Christ remettant le psautier
à saint Pierre. On est donc fondé à croire que de bonne heure ce
livre populaire et vénéré fut illustré, de miniatures, et c'est ce que
çonlirme l'aspect tout antique des belles miniatures qui décorent
le célèbrePsautier de Paris(Gr. 139). Lemanuscrit est du x° siècle,
1 mais il reproduit de toute évidence un prototype beaucoup plus
ancien, dont le pays d'origine semble être l'Asie Mineure, et dont
l'inspiration, commç cell.e du rouleau de Josué, est tout à fait hellé-
nistique, Certainementce prototype existait au v^ ou vP siècle. Gn
autre prototype semble, dès la mème époque, s'être constitué en
" SyrieL
Gréyoire ife Æa^tanze. — Dès cette époque aussi était constituée
l'illustration des principaux Pères de l'Eglise, qui tiennent une si
grande place dans les préoccupations des théologiens etdes tidèles.
Geta paraît évident en particulier pour Grëgoire de Nazianze. Le
beau manuscritde la Bibliothèque nationale (Gr. 510), enluminé dans
la secônde moitié du ix^ siècle pour l'empereur Basile P*', suppose un
prototypebeaucoup plusancien. Gertaines scènes, commela Vision

1. Üf. Millet, L'oeiatetu/He h!/:a7ihn,(R.A., 1910, H).


2. Ivulakovski, Æine aRcArt'stl. GraMtamttter tn Æerlcliatts ^9/ (RQ, 1K94).
3. Strzygowski, Àteæ. WeRcltrottt'/c, p. 182 ; Dt'e itftrtt'a/ttrett Jes seràtsc/tett
Psal/ers, 89 ; Baumstark, Frti/tc/trt'st/i'c/t-st/rt'schePsaRertnttstratt'ott (O. Ch.,
1905).
CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA M!N!ATURE AU Y!° SIÈCLE 261

d'Ezéchiet,conse!'ve!itencorelecolo!'!sde lapeinture antique; dans


beaucoup d'épisodes évangéliques, on sent l'imitation de vieux
modèles.Le fait apparaît surtoutdefaçonfrappantedans la manière
dont sont mises en relief et traitées, parexemple dans le Grég-oire
de Nazianze de l'Ambrosienne, les aliusions mythologiques ou poé-
tiques, dans la façon tout antique dont sont illustrés, dans un manu-
scrit de Jérusalem et dans le .Goislin 239, certains passages des
homélies évoquant desscènes champêtres ou des souvenirs païens.
Or, certains de ces passages avaient été, au vi° siècle,abondamment
commentés par desscholiastes érudits. Ici encore toutpermet donc
d'admettre l'existence d'un prototype dès l'époque de Justinien.
Nous retrouverons plus tard ces manuscrits : il fallait pourtant
dès maintenant en signalerles origines lointaines. EHes montrent en
elfet toutce que le vi" siècle conservait de là traditionhellénistique;
elles expliquent comment, par l'intermédiaire surtout des manu-
scrits illustrés, la Renaissance byzantine du x^ siècle put retrouver
le contact de la culture antiquè.

1H

CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA M!NIATURE AU Vl" SIÈCLE '

Si l'on essaie, au terme de cettemtude,de dégager quelques con-


clusions, on voit toutce que l'étude des miniatures nous fait con-
naître sur l'art du vi" siècle. Assurément, parmi ces manuscrits,
plusieurs ne sont que des copies de prototypes ]îlus anciens, et ils
nenous apprennent guère qu'unechose pour le siècle de Justinien,
le goût qu'on y conservait de la culture antique,le plaisir qu'on
prenait toujours à imiter les modèles iaissés par l'art hellénistique.
D'autres manuscrits, au contraire, sont de véritables créations du
vf siècle. L'évangile syriaque de Rabula, l'évangile de Rossano,
s'ils sont des çopies, reproduisent en tout cas des originaux à peine
plus anciens qu'eux. L'une des miniatures du Dioscoride est une
œuvre certaine du vi" siècle. Quant au manuscrit de Gosmas, il
nous offre une illustratioit-constituée tout entière à Alexandrie à la
même époque; etc'est avec raison que Kondakof a pu écrire:
« Les miniatures du manuscrit de Gosmas caractérisent l'art byzan-
tin à l'époque de Justinien, mieüx que tout autre monument de
cette période, à part quelques mosaïques de Ravenne L «

1. Kondakof, toc. ct't.,1, 138.


262 [ÆS MONUMENTS DE LA PB[NTURE

De ces documenLs particuüèrement significatifs, un fait saii-


lant se dégag'e tout d'abord. Dans i'iUustration des manuscrits
comme dansiadécoration desëdifices, deux sources d'inspiration
se juxtaposent, se combattent et se métangènt. G'est d'une part ia
tradition pittoresque de i'art atexandrin, toute pénétrée d'esprit
antique. C'est chez etie que l'auteur du Dioscoride a trouvé ies
modèies pour son portrait de Jutiana Anicia ; c'est à eiie que i au-
teur du Cosmas emprunte une bonne part de son iiiustration ^ et
jusque dans ies pejntures des iivres sacrés ia même intluence s'ac-
cuse. Nui ne s'étonne de voir ia Genèse ou ie iivre de Josué iiius-
trés dans ie mêmestyieque ies poèrnes épiques dei'antiquité profane.
D'autre part, c'est ia tradition monumentaie de i'art asiatico-
orientai avec son doubie caractère, ie goût de i'ornementation éié-
gante et riche, d'une abondance un peu touffue parfois, i'air de
gravité sotenneiie, de cérémonie pompeuse, de réaiité historique,
qui apparait dans ia composition des scènes comme dans i'expres-
sion des figures. On a noté tout ce que ie Cosmas, i'évangiie de
Rabula, ceiui d'Etschmiady.in,ceiuideRossanodoiventà i'imitation
de certaines mosaïqu.es céièbres de i'époque, et quei étroit rapport
iis présentent avec eiies. On sait quelie piace ia décoration pure
tient dans i'iiiustration des manuscrits syriaques. Entre ces deux
sourCes d'inspiration, i'art du vi° siècie, dans ia miniature comme
dans ia mosaïque, tend à préférèr chaque jour davantage ie styie
monumentai. Pourtant ia miniature a toujours, on i'a vu, gardé
pius d'indépendance que ia grande peinture ; pius qu'eiie, eiie est
demeurée fidèie à ia tradition pittoresque, et par ià eiie a rendu un
service inappréciabie à i'art byzantin, <( non seuiement paria copie
"des prototypes antiques, mais par i'adaptation inteiiigente, sincère,
de ieurs procédés aux ouvrages chrétiens '. ))
Un autre point important se dégage de cette étude : c'est ia pro-
digieuse activité artistique qu'eiie révèie pour le vP siècle. A côté
des ateiiers aiexandrins auxqueis nous devons ie Cosmas et ie
Josué, ies ateiiers syriens et mésopotamiens produisent ia série des
évangiies syriaques,dont ie piusfameux estceiui deRabuia. L'Asie
Mineure iiiustre ies évangiies de Rossano et de Sinope; Byzance
produit le manuscrit de Dioscoride. De i'existence de ces ateliers
divers, peut-on conciure à des différences d'écoles bien tranchées ?
R y en a. deux, assurément, Aiexandrie heliénistique, Autriche

1. Miflet, ytr^àyz., 252.


CAHACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA MtNLATURE AL' V]" S]ÈCLE 263

orientale, encore que, pius d'une t'ois, ces divers centres de pro-
duction o!Trent dans teurs ouvrages des caractères communs assez
accusés. Mais ie fait particuiièrement remarquabie c'est qu'une
activité puissante se constate dans toutes ies régions de l'empire
au vi^ siècie, et on conçoit aisément. que ce grand mouvement
d'art n'ait pu manquer d'être créateur. Dans les compositions,
dans ies types, ies miniaturistes ont souvent inventé. On a vu tout
ce que i'iconographie byzantine doit au Cosmas, à l'évangiie de
Rabuia, au Rossanensis, tout ce que pour !a première fois, etpour
toujours, iis ont introduit dans !e trésor de l'artbyzantin.
Ainsi !es miniatures confirment ce que nous ont appris !es autres
monuments de !'époque. Les mêmes centres de production artis-
tique donnent naissance à des œuvres de semb!ab!e inspiration.
C'est dans !'ensemb!e !e même caractère de pompeuse et gran-
diose cérémonie, !a même_ façon de traiter les figures dans un
styie essentieüement p!astique, !a méme manière de p!acer !es
scènes dans un monde idéa!,où !es personnages s en!èvent puissam-
ment sur !es fonds unis de pourpre et d'or. Le Christ de !'évangi!e
syriaque et du Rossanensis rappeüe à s'y méprendre !e Christ
barbu, te! qu'i! est figuré dans !es épisodes de !a Passion à Saint-
Apoüinaire ; dans !es deux jugements de Pilate du manusciit de
Rossanô, de nombreuses anaiogies apparaiss.entavec !es mosaïques
de Saint-Vita! représentant Justinien et Théodora. Le sty!e histo-
rique et monumenta!, ici comme dans !a <!écoi;ation des égüses,
tend à prévaioir de p!us en p!us sur !a tradition pittoresque.
CHAPITRE V
LI5S TISSUS

L Les monuments. Vogue des tissus dans ie monde byzantin. ÉtofFes


d'Égypte.— II. Lessujets. Sujets antiques. Décorornementat. Sujetsreli-
gieux. — III. L'infiuence orientaie. Motifs d'origine persane. Ëvoiution du
styie.

LES MOXUMEXTS

Acôté des ouvrag'es de la peintureproprementdite, l'industrie


des tissus historiés atteste non moins fortement, par ie développe-
ment qu'elte prit au vt" siècie, les goûts de luxe qui caractérisaient
1a société byzantine de ce temps'.
Voyue /M3U3 dans fe 7?]onr/e Ayzan/t'n. — Les écrivains de
l'époque mentionnent fréquemment les belles étoffes qui, sous
forme de rideaux, de tentures, de tapis, étaient employées dans
1a décoration des ëglises. Paul 1e Silentiaire a longuement décrit
l'un des rideaux qui, au-dessus de l'autel de Sainte-Sophie, pen-
daient entre les colonnes du ciborium. On y voyait au centre,
debout sous une coupole d'or, 1e Christ, vêtu de pourpre et d'or,
tenant de 1a main gauche 1e livre des Evangiles ; à ses côtës,
les Apôtres Pierre et Paul, vêtus de blanc, complétaient 1a scène
bien connue du Sauveur donnant 1a loi. Dans les bordures étaient
retracés les miracles du Christ ; i'artiste y avait joint des architec-
tures, hôpitaux et églises, rappelant Ies bonnes œuvres accomplies
par Justinien et par Théodora. Sur les autres rideaux du ciborium
étaiept tigurées les images des souverains, debout aux côtés de 1a
Vierge ou s'inclinant sous 1a main bénissante du Christ Dans ce
tissu précieux, « ouvrage d'une technique savante H, les RIs desoie
teints de couleurs variées étaient tissés avec des Rls d'or pour pro-
duire une merveilleuse harmonie. A Rome, à Ravenne, les égüses
étaient pareiliementrempiies de magniRques étoffes provenantde

1. Pour t'ensembte du chapitre, cf. Lessing, D;'e GeMtehesammtHny <ües


7t. LLunstyeM)eràe-<tf<]se«!n,Ber]in, 1900 et suiv. ;Cox, L'art <üe decorer tes /<s-
e«.;, Paris et Lyon, 1900 ; Migeon, Les ar/s du /<ssH, Paris, 1909 et 1e tivredëjà
de Fatke, ÆHH.st</e.seà<eMe der Seidentoeherei.
2. Cf. Ebersott, Les arts sompfHat'res cte Dyzance, Paris, 1923,'p. 46.
ÉTOFFES D'ÉGYPTE 265

l'Ûrient et représentant pour la piupart des sujets sacrés. Le Lt&e?'


et l'ouvrag'e d'Agneitus nous ont conservé de iongues
énumérations de ces richesses, étottes brodées d'or ou tissées d'or,
tissus de soie aux couieurs éciatantes, rehaussés d'ornements bro-
chés en or, etc. De tout cela maiheureusement ii ne nous reste que
ie souvenir.
Les tissus historiés servaient également au costume. On a cité
déjà précédemment ie texte fameux d'Astérios d'Amasie, compa-
rant à des murs peints ambuiants H ces riches aux vêtements cou-
verts de scènes profanes ou sacrées. Théodoret de Cyr rapporte
pareiiiement qu'ii n'est point rare en son temps de rencontrer i'his-
toire entière du Christ tissée ou brodée sur la toge d'un sénateur
chrétien. Les monuments nous iaissententrevoir iamagnificence de
ces costumes. Dans i'une des mosaïques de Saint-Vitai (6g. 107),
ies femmes de ia suitede Théodora apparaissent vêtues d'étoffes aux
couieurs éciatantes, brochées d'or, semées de Heurs ou de grands
médaiiions; !e manteaude i'impératrice a une bordurereprésentant
l'Adoration des Mages, s'enievant enorsur ie fond de pourpre vio-
iette. Et ie même luxe apparaît dans les costumes mascuiins.
On conçoit que, pour toutes ces raisons, i'industrie des tissus ait
pris dans ie monde chrétien un prodigieux déveioppement. De
bonne heure, on ie sait, i'Egypte avait été renommée pour ses
étoffes historiées ; les produits et ies procédés de ses fabriques se
répandirent iargement dans tout i'Orient. Au vt" siècie, i'introduc-
tion de ia cuiture de ia soie dans i'empire byzantin accrut encore
i'essor de cette industrie depuis iongtemps ûorissante. Les manu-
factures de Syrie en particuiier, qui depuis des siècies travaiiiaient
iasoie brute importée de Chine pari'intermédiairedesPerses, trou-
vant maintenant à meiiieur compte ia matière première, connurent
une nouveiie prospérité. Tyr et Béryte étaient ies principaux
centres de cette fabrication.
— Les fouiiies récentes d'Ëgypte nousont rendu
d'assez nombreux monuments de cet artL Dans ies nécropoies d'Anti-

1. Outre les ouvragesde Gerspach, Forrer etStrzygowski, mentionnës à la


p. 84, cf.Bock,Æe.seàred):;nyron Goàet:na'trAere:en...aH/ys/'::::den;ajKopf:s-
eàenBeyrà'hntsstâtfen Oheraegyptens, Düsseidorf, 1887; Riegi, Dt'e aepypfts-
e/ten 7'ea:ft'f/'Httde uom K. K. ôsferr. t)7:;se:;nt, Vienne, 1889 ; Swoboda, Kt'n
atfchrtsthcTter Ktreàearoràany aus Aeyypten (RQ, Vt, 1892) ; Ke eosfHnte ett
Æyypfe dn //O ,t:: .Y//7' stècte, Paris, 1902; Gayet, A'oftces retaG'res a::.r oà/eis
reeHetiftsà /Inft'noe', Paris, 1901, 1902, 1903 et 1907 ; L'eæpioraft'ott des nèero-
potes yre'co-byzaHtt'nes d'ylnftnoè (Ann. du Musée Guimet, t. XXX) ; F/trf
266 LES TtSSUS

noé, ona Lrouvépar centaines lesfragments plusou moinsbien conser-


vés de tissusde toutesorte, tuniques deiin brodées, robesdeiaineà
panneaux de tapisserie, de fabrication presque identique à ceiie des
Gobelins, bandesoucarrés de soie brochée garnissantdes manteaux,
linceuls en toile brodée, coussins de tapisserie, écharpes de légère
mousseline imprimée, tissus brodés de soie, toilcs peintes où i'imag'e
dumort estreprésentée avec unremarquablesentimentderéalisme.
Pareillement dans ia nécropole d'Achmim, i'antique Panopoiis, on
a découvert des étolfes semblables, mais d'un style plus nettement
oriental, et où d'assex bonne heure les motifs ornementaux sont
traités avec bien plus d habileté que ne l'est 1a hgure vivante.
Malheureusement, on ne s'est guère préoccupé jusqu'ici d'étudier
bien sérieusement et de classer chronologiquenient ces suites de
monuments. Beaucoup d'entre eux, on l'a vu précédemment, se
rattachent à 1a tradition hellénistiquc, etles plusanciensremontent
au moins au iv" siècle de l'ère chrétienne. D'autres, plus précisément
datés, appartiennent au milieu du v" siècle, comme ce panneau en
brodërie au petit point, provenant d'Antinoé, et qui représente, sous
des arcades, ies portraits en buste, très vivants, d'un certain Aurc-
lius Coliuthus et de sa femme. Beaucoupdatent du vPetvn^siècIe.
Ce sont ces derniers surtout qu'on étudiera ici, sans prétendre au
reste s'enfermer dans des limites chronologiques absolument pré-
cises, chose impossible quand il s'agit d'ouvrages qu'on ne saurait
dater rigoureusement. Les étoffes que nous aurons à examiner, et
auxquelies on joindra les belles soieries conservées en divers
musées ou trésors d'églises, et les rares broderies qui nous restent
de ce temps,appartiennentà!apériode qui va du vt^auvnf siècle L

copte, Paris, 1902 ; Baittet, ùe.s t.iptssert'es ti'/t7ttt''toe att ntttse'e d'Orieaits,
Ortéans, 1907; Dieht, Sttr qiteit/ttes e'io/f'es eoptes dtt tttttse'e titt /.ottttre (Mon.
Piot,t. XXV, 1921-1922).
1. Cf. Cahier et Martin, Mëiattyes d'arc/tèoiot/f'e, 1" série, t. tt et tii, Paris,
1853; Chartraire, /ttttett/at're Jtt /rèsor de Setts, Sens, 1897 ; Chartraireet Prou,
iVo/esttrtttt tt'sstt itt/Mn/t'ttà persotttt.tyes ei t'ttscrtp/t'otts titt tre'sor de Setts
(Mém. de ta Société des Antiquaires de France, t. LVIil, 1899) ; Lauer, /.e
/re'sor du Sattc/a Sattc/orttttt (Mon. Piot. t. XV), Paris, 1906 ; Chartraire, Les
itsstts attct'etts du /rèsor de ia cat/te'dra/e de Setts (Rev. de i'Art chrétien,
t. LXi, 1911), et surtout Lessing, /oc. ct'/.
SL.IETS ANTIQUBS 267

II

LESSL'JETSI

Su/el.s an/iyiies. — Si l'on examine les sujets repi'ésenlés sur ces


tissus, une première catégorie peuL ètre constituée par les étoITes
à figures antiques. L'ornementntion ne fait ici que continuer une
longue tradition. Sut* les parements de manche, sur les médnillons
incrustés dans les tuniques, sur les bandes qui décorent les manteaux,

Fig. J30. —Tissu de soie(dôme de Coire et musée de C)uny),d'aprèsLessing.

on retrouve les Iigures mythologiques, nymphes et génies,lesenfanLs


joueurs chevauchantdés lions ou desdauphins, lesscènespastorales,
les joueurs de Ilûle et les danseuses, tout le style pittoresque enlin
qu'aimait l'art alexandrin. Seulement, tandis que, dnns Ies étoifes
plus anciennes, les couleurs étaienl franches et peu nombreuses —
les Hgures étant en général trnitées en violet et dans toute 1a
gamme des pourpres sur fond écru, ou bien réservées en blanc sur
des fonds violets — au vi" siècle, au contraire, 1e goût de Ia polychro-

J. Migeon, Esxat' deei.n.semettt des it'sstis t/e sot'ede'eore'ss.tssaitt'dese/ Ly:att-


/t'its (Gaz. des BeauxtArts, 1908, 2).
268 LES TISSUS

mie introduit une richesse plus grande de la coloration, et ie pro-


grès du styte monumental entraîne une composition plus symé-
trique. Pour représenter cette série, on citera en particulier une
bande de soiedu Kaiser-Friedrich-Museum à Berlin, où des figures
de nymphes et d'archers luttant contre des lions se mêlent à des
bustes de femmes tenant dans les deux mains des branchages. Les
mêmes sujets de genre se rencontrent dans un autre fragment de
soie dn même musée, où des hommes demi-nus, armés d'épieux et
accompagnés de chiens, combattent contre une bête fauve, et sur-
tout dans des tissus de soie, conservés aux musées de Kensington,
de Cluny, de Berlin, de Lyon, au musée Germanique de Nuremberg,
au trésor dela cathédraledeCoire^ (fig. 130), au trésordu SanctaSanc-
torum à Bome %et où, sur un fond rouge, se détachent des hommes
en costume antique (Hercule ou Samson) luttant contre des lions
dont ils forcent 1a gueule. On date ces étoffes du vf au vnP siècle
environ. Un autre motif d'origine antique se rencontre dans un
tissu du musée de Crefeld, où i'on voit les Dioscures debout sur une
colonne, au pied de laqueile sont couchés des taureaux immolés.
Ces motifs pittoresques apparaissent non moins fréquemment sur
les tissus, autres que les soieries, provenant d'Antinoé ; dans tous, on
note toutefois une évidente tendance à styliser les figures, et à rai-
dir, sous l'influence de l'Orient, 1a liberté des attitudes hellénis-
tiques.
Dèco?* 07V7e77îenfaL —Une autre sériede tissus est caractériséepar
un décor purement ornemental, très remarquableau reste parl'ex-
trême variété des motifs. Ce sont tantôt de simptes motifs géomé-
triques, des losanges surtout, enfermant un ornement floral ou un
petit médaillon L Tantôt, dans desmédaitlons isolés ou tangents,des
rinceaux et des palmettes s'inscrivent sur un fond de pourpre
Tantôt c'est une ordonnance à semis ; tantôt ce sont des animaux,
quadrupèdes ou oiseaux, symétriquement rangés entre des palmes

1. Lessing, toe. et'L, tivt'. 7.


2. /ùt'd., tivr. 11.
3. Spécimens au Kaiser-Friedricit-Museum à Bertin, ct dans ta cottection
Forrer, TtomtscAe ttttd ùt/zant. Set'de7tteætt'tt'ett, pt. Vttl, 4 et 5, pt. X, 1 et 2.
4. Exemplesau Kaiser-Friedrich-Museunt, dans ta coliection Forrer, pt. !It,
4, et au mùsée industriet de Bertin où, sut' une soie à fond rouge, des rinceaux
s'enroutent pour former des cerctes, au centre desquels une ileur s'épanouit,
verte, rouge et jaune, terminée par trois pointes d'argent. On date ce tissu
du vt° au vm* siècte (Gf. Lessing, toc. ct'f., livr. 3).
5. Soie d'Antinoé, à fond bteu, au Kunstgewerbe-Museum de Berlin, v°-vn*
siècle. Lessing, toc. ctt., livr. 10. Soieries d'Aix-la-Chapelte, tbt'd., tivr. 11.
SUJETS REHGIEUX 269

ou inscrits Jans des médailions^ (Rg. 131). Les mêmes motifs, des-
sinsgéométriques,roses mystiques, lions stylisés, iièvres et gazelies
brodés sur les linceuis, se retrouvent dans ies tissus d'Antinoé
autres que les soieries.
7'eftyieH.E.— Une troisième série d'étotïes enfin est décorée
de sujets reiigieux. On a déjà cité précédemment quetques-uns des
monuments, deprovenanceégyptienne, appartenantà cettecatégorie,

Fig. 13t. —Tissu desoie(trésor du Sancla Sanctoium à Rome),d'aprèsLauei*.


dfon. Fiot, t. XV.

que possèdent le trésor de Sens (histoire de Joseph) ette musée indus-


triet de Beriin (Ghrist donnantte psautier, Daniel entre ieslions).
D'autres tissus de même sorte sembientappartenirpius précisément
au vt" siècie. Tei est ie cas du grand paiiium trouvé par Forrer à Ach-
mim, aujourd'hui conservé au Kaiser-Friedrich-MuseumdeBeriin,
et où sont tigurés, sur une série de parements de soie, des anges, des
saintsorants, etdescompositions évangéiiques trèssimpiifiées, Résur-
rection de Lazare, Cruxifixion, etc. Un autre paiiium, de même
date, peut-être un peu postérieur, montre, traités de la même façoti
simpiifiée en broderies sur soie, ie Christ, un Ang*e, ia Visitation et

1. Soieries du trésor du Sancta Sanctorum : lions affrontés dans des médail-


tons verts sur fond violet lilas (vn*-ix'' siècle) ; coqs nimbés rouges dans des
médaitlons sur fond jaune écru (vi° ou vn° siècte).
2. Forrer, toc. ct'L, p). IX, 1, 2, pt. XVI etXVII.
270 JÆSTISSUS

un apôtre'. Un autre enHn est décoré de médaiHons enfermant des


bustes de saints L Aiiieurs, c'est une figure de Saint Georges, tenant
d'une main 1a croix, de l'autre, transperçant 1e dragon de sa lance^.
Au musée de Ravenne, on conserve plusieurs bandes où des bustes
desaintssontbrodësenor et soiesmulticolores'*. Au trésordeSens,
une soie du vi" siècle, à dessins bleus, blancs et jaunes sur fond cha-
mois,montreun personnageà longs chcveux, probablement Daniel,

Fig. t32. — Suaire de saint Victor. Tissu de soie (Trésor de Sens).

repoussant deux lions dressés con tre lui et en foulant aux pieds deux
autres (flg. 132) (même sujet dans un tissu qui fut jadis à Eichstaedt).
Enfln 1e trésor du Sancta Sanctorum contient un morceau de soie
où, dans des médaillons de fond rouge pourpre, se détache Ia scène de
l'Annonciation (Hg. 133). Un autre fragment de mème styte montre,
dans un médaiIIondefondécru,Ia scène dela Nativité.Lesdeuxtis-
sus, fort remarquables, peuvent être datés du vi" au vin" siècle
Ce qui frappe surtout lorsqu'on examine ces trois séries de

1. Forrer, pt. XtV, 1-5.


2. Forrer, IX, 3.
3. Forrer, 111, 2.
4. Gipotta, /Itielo di Gtasse, Rome, 1S97.
5. Lessing, toe.cù., tivr. H.
SUJETS HELJGtEUX 271

monuments, c'est ta place croissante qu'y tient i'inspiration orien-


taie. Ce sont des motifs d'origine perse et mésopotamienneque ces
ordonnances à roues, à iosanges, à semis, si fréquentes dans ces
tissus. C'est de ià aussi que vient ce décor à paimettes, que i'on
t-encontre si souvent dans ies étod'es que nous étudions. Kt c'est

Fig. 133. — L'Annonciation. Tissu de soie (trésor du Sancta Sanctorum à


Rome), d'aprèsLauer, Mon. 7^;'ot, t. XV.

sous i induence de i'Orient encore que ies Hgures et ies animaux se


styiisent, ies formes se faisant au reste plus épaisses, les visages
pius ditformes, et que ie décorornementai tend à prendre une piace
prédominante, ia dore cessant d'aiiieurs de s'inspirer de la nature,
pour devenir de pius en pius conventionneiie. Jusque dans ies tis-
sus à figures antiques, ces induences orientaies se manifestent par
ia disposition symétrique des motifs atfrontés, par i'ordonnancedes
272 LES TISSUS

personnages en bandes horizontaies iimitées par des lignes qui rap-


peiient ies frises des paiais persans, par ia façon dont des thèmes tout
antiques se transforment parfois seion ia mode sassanide, comme
dans cette soie du muséeindustrieideBeriin,oùdesAmazones chas-
sant ia panthère sont inscrites dans des médaiiions à fond rouge,
imitation d'un modèie perse. Le tissu date du vii-vm" siècie L

ili
L INFLUENCE OHIENTALE

A/o/i'/is ûTo/'iyMie persane. — C'est qu'aussi hien, au vi° siècie, ies

Fig. 134. —- Tissu de soie, imitation d'un modèie sassanide (Cologne), d'après
Lessing.
1. Lessing, iiv. 8.
MOTIFS D'ORIGINE PERSANE 273

fabriques sassanides, qui depuis longtemps avaient emprunté à ia


Ghine ies procédés du tissage de ia sôie, étaient dans tout i'éciat
de leur prospéi'ité, et répandaient au ioin les modèies qu'eiies
créaient. Le musée de Tokio possède un tissu de soie, ie tissu Ito,
datant du vn" siècie, qui est une imitation chinoise évidente d'une
étoiïe sassanide : ies cavaiiers chassantieiion, symétriquementdis-

Fig. 135. — Tissu de soie (Sainte-Ursuie de Gologne), d'après Lessing.

posés de chaque côté d'un arbre sacré (Aom), i'ordonnance à roues


reiiées par des paimettes, tout atteste un modèie perse transform
pardes tisserands chinoisL A pius forte raison, l'infiuence des
étoffes sassanides s'exerça-t-eiie puissamment sur les fabriques
byzantines. Toute une série de précieux monuments atteste i'imita-
tion de ces modèies : ce sont en particuiier, ies étoffes de soie à
sujets de chasse et représentations de cavaiiers. On en trouve un
bei exempiaire dans ie paiiium de Saint-Ambroise de Miian
1. Lessing, ^oc. ctL, livr. 4.
L?/san,^7i..
274 LES TJSSUS

(vi^ siècle) qui, dans de grands médaillons à fond vert, montre un


prince persan à cheval, Tarc tendu, tirantsur un lionblesséqui ter-
rasse un onagre ', dans 1a soie de Saint-Cunibert de Colog*ne-(fig'.
134) et dans un tissu du South-Kensington, où le motif identique
est répété sur fond bleu, tandis qu'un arbre sacré sépare les deux
cavaliers alfrontés. Lessing* date ce tissu, imitation byzantine d'un

Fig.136.— Tissude soie (trésorduSanctaSanctoruniàRome),d'après Lessing.

original perse, du vi^ au vm^ siècle Ailleurs les mêmes cavaliers

1. Venturi, S^o^a de^ pa^o ambros/ano, Rome, 1899.


2. Lessing, livr. 4.
3. Un bel exempiairc du modèle sassanide se trouve dans une étotTe jadis
conservëe à Sainte-Ursule de Gologne, aujourdliui au musée industriei de Ber-
lin, et qui semb!e de !a première moitié du vu° siècle. Des rois sassanides,
montés sur des griüons ailés, Agurcnt aux deux côtés d'un arbre sacré ; atta-
qués par derrière par un mauvais génic, sous forme d'un lion aiié, ils luttent
contre lui avec l'aide d'un bon génie sortant de l'arbre ; au bas de la scène
passent des lions ; entre les motifs principaux courent des bouquetins ; les
Iiguress'enlèventenjauneetrougesur un fond pourpre etb!eu(Lessing, livr. 1).
EVOLU'nON DU STÏLE 275

chassant le Hon apparaissent dans des médaiHons à fond rouge sur


une soie de couteur jaunâtre (Kaiser-Friedrich-Museum à Beriin,
provenant d'Akmim trésor de Saint-Servais de Maestrich (Les-
sing, iivr. 7) ; trésor de Sainte-Ursuie de Coiogne (hg. 135) (Les-
sing, iivr. 8), Musée du Louvre (coii. Marteau) dans ies Mon. Piot,
t. 25 ; tous du vP au viP siècie) ; ou bien ce sont des beiiuaires à
pied, en costume persan, qui iuttent, i'épieu à ia main, contre des
iions (fig. 136) (Kaiser-Friedrich-Museum, trésor du Sancta Sanc-
torum, vP itu viP siècie). Aiiieurs, on voit des cavaiiers, isoiés ou
aifrontés, ie sceptre à ia main, un oiseau voiant au-dessus de ia
tête de ieur chevai, tandis que, dans ie registre inférieur, un piéton
arméde ia iance est debout à côté d'une cigogne
Le décor à paimettes qui, sur ces derniers tissus, se mêie souvent
aux hgures, i'arbre sacré auquei s'affrontent ies cavaiiers, attestent
ici encore un modèie sassanide : mais ies inscriptions grecques
tissés dans i'étofre dénoncentune fabriquebyzantine, et, s'ii en faut
croire Strzygowski, probabiement syrienne. D'autressoieriesenfin à
sujets proprementbyzantins, montrent égaiementdes motifsd'origine
persane. On conserve, au muséede Ciuny (Bg. 137) et au musée du
Pat-c du Cinquantenaire à Bruxeiies, des étoffes où des médaitions
à fond bieu, vioiet ou pourpre, encercient des cochers de cirque
conduisant des quadriges ; entre ies médaiiions, des bouquetins sont
piacés entre des paimettes : ces tissus datent du v"-vi" siècie (Les-
sing, iivr. )0). Aiiieurs, des animaux fantastiques, griffons biancs
inscrits dans des médaiiions à fond rouge ciair (Beriin, musée
industriei,viP-ix" siècie, Lessing, iivr. 1 et 11), griffons vioietsins-
crits dans des médaiiions à fond bianc damassé (Sens, suaire de
Saint-Siviard, viP-vnPsiècie), chevauxaiiés(Antinoé), tigresséparés
par un pyrée (Saint-Utienne de Chinonj, sont égaiement des imita-
tions byzantines de modèies sassanides.
Æ*nofutton tfu xft/fe. — On voit, par tous ces exempies, ia vogue
qu'avaient dans ie monde byzantin ies tissus persans, et on saisit ies
conséquences que devaitavoir i'imitation de tous ces motifs décora-
tifs 3. Les ouvriersbyzantins ou syriensne devaient pas inutiiement
s'inspirer de ces modèles, où ài'entente de iacomposition etdu grou-

1. Forrer, Dt'e Gra?àer- ttttd reættf/*t;tttle itott Aàttttttt, XtH, 6.


2. Forrer, JMttt. ttttd tby:. Set'dettteættftett, V, 2etVIt, 1 ; ntusée Grassi A Leip-
zig ;Kaiser-Friedrich-Museunt, vt° siècie environ.Lessing, ioe. et'L, iivr. H.
3. Cf. Strzygowski, Set'detts/o^'e att.s yletyt/piett, C/tt'tta, Perst'ett ttttd St/rtett
itt t'/trer Wee/tse/tot'r/tutty (.!PK, XXIV, 1903.)
2*76 ms Tissus

pemeut, au sens du mouvement s'unissent tant de grandeur et de


nobiesse. De pius en plus its devaient renoncer à ia Hbre souplesse

Fig. 137. — Tissu de soie (musée de Gtuny), d'après Lessing.

du style pittoresque pour donner àleurs ouvragesla gravité du style


monumental. Le principe de l'alfrontement introduisait dans 1a com-
position'une symétrie plus rigoureuse ; dans les étolfes à sujets reli-
gieux surtout, cette ordonnance plus sévère devint une règle presque
ÉVOLUTMN DU STYLE 277

constante. Un bel exempte s'en trouve dans un tissu du musée de


Lyon, montrant, en décor polychrome sur fond depourpre, un saint
nimbé séparant deux combattants. Un singulier goût de réaiisme,
déjà apparent dans ies portraits tissés sur ies étotfes égyptiennes
du tv<= et du v" siècie *, persistait et se déveioppait dans ces tissus imités
de l'Orient, tes figure^t tendant pourtant à se styiiser et se déformant
Rnaiement, principaiement en Égypte, pourfaire piace au décor
purement ornementai. Mais surtout ie goût croissant de ia poiychro-
mie se manifeste dans ia richesse et ia variété de ia coioration. Comme
ia mosaïque, ia tapisserie chercheà détacher ses Hgures sur des fonds
aux tons puissants de pourpre, de vioiet, de bieu ou d'or ; et ces
figures eiles-mêmes sont rehaussées de couieurs joyeuses, souvent
brutaiement éciatantes. Le dessin perd en finesse et en iégèreté :
mais la spiendeur du coioris est prodigieuse. Pius encore que dans
ies miniatures, ies ivoireset ies orfèvreries, i'Orient a mis sa marque
sur ies tissus byzantins du siècie.

1. Forrer, Dte Græher uad Feætt't/'HaJe, pt. XVI.


CHAPITRE VI
LA SCULPTUHE

Décadence de la scnlpture. — L La pierre et te bois. Statues impériates et bas-


reiiefs historiques. Portes de Sainte-Sabine. Ambon de Saionique. Scuip-
tures de styie heiiénistique. Sarcophages de Ravenne. Pr6dominance de l'or-
nement. — II. L'ivoire. Diptyques consulaires. Ivoire Barberini. Ivoires de
style heliénistique. Ivoires destyie orientai. Chaire de Maximien. Diptyques
à cinq compartiments. Diptyque de Ravenne. Caractères généraux dei'ivoi-
rerie byzantine au vf siècte.

Dëcadertce de /a xcu/ptHre. — Pendant que, dans l'art byzantin,


l'architecture et ia peinture se déveioppaient d'une façon orig-inaie,
ia scuipture, et surtout ia grande scuipture monumentaie, décii-
nait !i y a piusieurs raisons à cette décadence. Onrépète voiontiers,
par exempie, que i'Ëgiise grecque proscrivit formeiiement ia scui-
pture. Souscètte forme, cette assertion peut sembier un peu exagé-
rée, et eiie est nettement contredite par ies faits : s'ii est vrai en
efïet que,^trr ie tard, i'Eglise orthodoxeinterditd'adoreries images
scuiptées, ii est certain d'autre part qu'au début ia scuipture tenait
une grande piace dans ies égiises. Pourtant, ii est incontestabie que
lechristianisme eutde bonne heure une préférence pouria peinture.
Ii éprouva toujours queique défiance pour une forme d'art à iaqueiie
ies dieux du paganismeavaient dù ieurs pius parfaites images et ieurs
aspects ies pius séduisants ; etconsidérant, seion ie mot d'un théoio-
gien, ia peinture comme pius sainte, forcément ii réduisit assez vite
ia piace du scuipteur èt ie borna au rôie modeste de décorateur et
d'ornemaniste. Par aiiieurs, ies goûts de i'époque'*n'étaient point
pour favoriser ie développement de ia scuipture. On sait déjà com-
ment, sous i'intiuencede i'Orient, i'ornement scuipté s'était trans-
formé, comment, dans ie désir de substituer aux etîets de forme ies
eifets de couieur, on était arrivé à atténuer de pius en pius, à etfa-

1. Pour l'ensembte de ce chapitre: Bayet, Reehei'ches ; Aïnatof, Ori'gtnes,


surtout te chap. II : Le reft'e/'pt'fiore.sqHe ; Venturi, Stort'a dett'arfe t'faft'atta,
t. I ; Diehl, Jttstt'ttt'ett ; L. von Sybet, C/trt'sfft'e/te AttitAe,'!. II, Marburg, 1909,
et surtout Bréhier, ^fttdes sttr L/tt'stotre de /a sctt/pfttre hyzattft'tte, Paris,
191t, et iVotfrettes rec/terc/tes sttr t'/ttsiotre de ta sctitptttrehgïattttfte, Pat'is,
1913.
STATUES [MPÉmALES ET BAS-REHEFS [USTORtQUES 279

cer presque te relief plasfique, à te rempiacer par une sorte de gra-


vure à ia poiute, iucisant ies iignes sur une surface piate au iieu de
modeier ies formes en pieine matière. De teis procédés n'étaient
point faits pour déveiopper ia technique de ia scuipture : de pius
en pius, ia scuipture au trépan, ia scuipture à jout', ia scuipture en
mépiat, ia scuipture broderie, rempiacent ia scuipture en ronde
bosse ou en reiief de i'époque ciassique et règnent exciusivement
dans ia décoration bvzantine. Enfin, ia piace chaque jour pius
grande faite à i'ornementation pure devait nécessairement amener
ies artistes à négiiger ia représentation de ia personne humaine.
C'est un fait digne d'attention que, dans ies viiies mortes de la
Syrie centraie, on n'a retrouvé ni utie statue, ni un bas-reiief. Le
scuipteur n'y apparait pius que comme un auxiiiaire au service de
i'architecte, et sa virtuosité s'appiique à couvrir ies divers membres
de ia construction du fin réseau de ses denteiies de pierre, de i'en-
rouiement de ses rinceaux, du iuxe de sa dëcoration trop souvent
iourde et chargée. Tout ceia, assurément, était inquiétant pour
i'avenir de ia grande scuipture et expiique ampiement pourquoi,
surtout après ie triomphe des images, eiie fut, dans i'art byzantin,
si peu et si mai représentée.

LA PIERRE ET LE BO]S

-Sfafues tn:/jèr;afe.s et /j,t.s-re/te/!s At.s/ortr/tte.s. — La tradition


romaine des statues impériaies et des bas-reiiefs historiques avait,
avec i'empire, passé de Rome en Orient. A Constantinopie, sur ie
forum, on voyait ies statues de Constantin et de ses fiis, entourant
un grand monogramme constantinien, et, pius ioin, ies images de
Constantin et d'Héiène, séparées parune grande croix et accompa-
gnées de deuxfiguresd'anges aiiés. Biend'autresstatuesd'empereurs
et d'impératrices décorèrent de même, au tv" et au v" siècie, ies
piaces pubiiques de ia capitaie. Pareiiiement, à i'imitation de ia
olonne Trajane, Théodose ie Grand en 386, Arcadius en 403, céie-
vèrent des coionnes, dont ies bas-reiiefs en spiraie racontaient
ieurs victoires sur ies barbares et ies triomphes qu'iis avaient céié-
brés. De ces monuments détruits, ie premiet' aucommencement du
xvt° siècle, ie second au commencement du xvtn", ii ne reste pius
280 LA SCULPTURE

que de curieux dessins L Seuis, ies bas-reiiefs de i'arc de triomphe


de Saionique, éievé au commencement du iv" siècle et ceux qui
décorent, à Constantinopie, sur l'Atméidan, 1e piédestat de i'obé-
lisque de Théodose nous peuvent donner t'idée de cet art déjà en
déclin, mais dont ies œuvres ont pius J'aHure pourtant que ceiies
de la décadence romaine. La statue colossaie de bronze, qui sub-
siste à Barietta, et où l'on croit reconnaître l'empereur Théodose,
atteste non moins nettement 1a décadence, et montre combien,
dès ce moment, 1e ciseau des sculpteurs s'étaitraidi.
Pourtant, au vi° siècle encore, 1a tradition de cette sculpture pro-
fane persistait à Byzance. Les textes des historiens parlent de sta-
tues de marbre ou de bronze, élevées en l'honneur de Justinien,
de Théodora, de Bélisaire, de Justin II, de Sophie. Un de ces
ouvragesnonp est même particulièrement bien connu. Sur 1a place de
l'Augustéon, au sommet d'une haute colonne de bronze, se dressait
hèrement dans les airs 1a statue équestre de Justinien. L'empereur
était représenté, 1e visage tourné vers l'Orient, 1a maiti droite
levée, 1a gauche tenant 1e globe surmonté de ia croix. Costumé
à l'antique, dans l'hahillement que 1a tradition prêtait à Achille, il
portait sur les épaules 1e manteau semé d'étoiles, et sur 1a tête, 1e
cercle d or orné d'un panache en plumes de paon dorées, qu'on
appelait 1a /ou/a. L'œuvre, qui était en bronze, et de proportions
colossales, existait encore au xv° siècle, et elie nous est connue par
un curieux dessin de ce temps. II ne semble guère qu'elle justifie
les éloges ampoulés que Procope accorde aux scuipteurs de l'époque,
lorsqu'il proclame leurs œuvres si parfaites qu'on les dirait sorties
des mains de Phidias, de Lysippe ou de Praxitèle. Les quelques
portraits d'impératrices de 1a hn du v^ ou du vi" siècle les
quelques bas-reliefs du même temps, tels que 1e relief de Porphyrios,
représentant les courses de l'hippodrome, que conserve 1e Musée
impérial ottoman, sont d'une exécution assex médiocre et parfois
presque barbare. II est intéressant pourtant de noter, au vi^ siècle,

1. Cf. Müntz, t,a eotoaae tAeodosfeane à Coastantînopte (Rev. des Et.


grecques, 1888) ; Strzygowski, Di'e Saüte des Tr/cadtns /a Eons/ait/tcope/
(.Tahrb. des deutsch. archaot. tnstituts, 1893) ; Gefîroy, La eo/ointe d'TrcadUis
à Cons/an/i'itop/e (Mon. Piot, t. It, 1895) ; FreshReld, A'o/es oit a re//mit aZ/jum.
coit/at'ittng sotne ortg/tta/s/te/c/ieso/'pii/j/t'e/mt'/dt'it^.saitdiitoniiiiteu/s,Oxford,
1922 (colonne d'Arcadius).
2. Kinch, t'arc de /rt'outp/te de Sa/ontqne, Paris, 1890.
3. Deibrûck, Poi'/rà/s Zii/s. Ka/sert'itaen (Milt. des Arch. Inst. Rôm. Abt.,
t. 28 (1913), p. 310-352).
STATUES Ilü'EmALHS ET HAS-RELIEFS IIISTORIQUES 38!

Fig. 138. Rome. Portcs en bois de Sainte-Sabine (Pliot. Aünari)


282 LA SCULPTURE

1a persistance de cette scutpture profane, dont on peut, après Jus-


tinien, suivre 1a tradition, depuis 1e temps de Justin II et de
Maurice jusqu'à l'époque de Justinien II, etpresque jusqu'à 1a Hn
del'empireL
II reste toutefois du vi" siècle un certain nombre d'œuvres, qui
prouvent 1e réel développement de 1a sculpture, même religieuse,
durant cette période. G'est ainsi que Rome possède dans les portes
de 1a basiiique de Sainte-Sabine, sur l'Aventin (Hg. 138), un monu-
ment tout à fait considérable de 1a sculpture sur bois.
T*or/es <Ve 5am^e-<SaA:ne — Qn y voit représentées, dans les
dix-huit panneaux qui subsistent, une suite de scènes bibliques et
évangéliques, montrant 1a concordance des deuxTestaments, depuis
t'histoire de Moïse etl'enlèvement d'EIie au cieljusqu'aux épisodes
de 1a vie du (^hrist. L'origine orientale de ce motiument n'est point
douteuse. Aïnalof a clairement prouvé les rapports étroits que cer-
taines de ces compositions, telles que l'Ascension d'EIie, présentent
avec l'iconographie palestinienne H a bien fait sentir surtout 1e
caractère pittoresque de l'exécution, qui rattache les portes dë
Sainte-Sabineà 1a pure tradition hellénistique. Comme il l'observe
justement, 1e panneau qui représenterenlèvement d'ÉIie (fig. 139),
avec sa montagne, ses rochers d'où jaillit une source, ses marches,
ses arbres, tout 1e paysage en perspective sur lequel se détachent
les personnages, est, exception faite pour l'ivoireTrivuIce, <i 1e meil-
leur exemple de bas-relief pittoresque que l'on connaisse dans les
monuments du vL siècle. H La scène du passage de 1a Mer Rouge
n'est pas moins signiticative, par 1a place faite au détail réaiiste ; les
mêmes tendances se remarquent dans le paysage qui encadre 1a
Vocation d'Habacuc ou dans 1a Prière du Christ à Gethsémané.
Mais, à côté de ces scènes traitées dans !e style pittoresque, certains
traitshistoriquesrappellentl'évolution qui conduit I'artduvi°siècle
vers 1e style monumental. Deux compositions surtout, d'aliure plus
solennelle, représentent 1a Glorilication de l'empereur et 1a Glorifi-
cation de l'Eglise. L'arrangement en est d'un caractère sensiblement
ditïérent : plus simple à ta fois et plus grave, il rappelle 1a dispo-
sition de certaines mosa'i'ques.
1. It est fait mentiou, au vm° siècle. d'une statue de Constantin VI, au xu°
d'une statue en bronze d'Andronic Comnéne, au xm° d'une statue en bronze
de Michel VIII Paléologue agenouillé aux pieds de l'archange Michel. Cf. Eber-
solt, Les arfs somplnaires de Æynance, 131-132.
2. Berthiei', La porte de Sat'nfe-Sabt'fte à Bome, Fribourg, 1892 ; Wiegand,
Das altc/trMfltehe Ratip/por/a/ att t/er /tet/. Saht'tta t'tt Hont, Trèves, 1900.
3. A'i'nalof, Ort'y., 121 suiv.
AMBOX DE SALOXtQUE
283

AmAon f/e.Sa/ofnyue L —- Les mêmesinspirations, d'origine dii-


férente, apparaissent dans ies ouvrages de ia scuipture sur pierre.

Fig. 139. — L'enièvement d'Elie. Panneau des portes de Sainte-Sabine à


Rome (Phot. Alinari).

1. Bayet, Atèmotre sur une mts.st'on auNonf-Athos (Arch.desMissions,1877).


Sur ce monument, comme pour ceux énumérés pius ioin, cf. Mendei, Cataioyue
des seuipiuresyrecques, romatnes ei hysanttnes du ntuse'e t'mpe'rt'ai ofiomau,
Paris, 1912-1914, t. H.
284 LA SCULPTURn

Le monuinent le plus considérable qui s'en conserve en Orient est


t'ambon de Salonique, aujourd'hui au musée de Constantinople, et
qui date du v° siècle. Sous une série d'arcades à coquilles, richement
décorées, quiisolent chaque personnage, les Mageâ soht représentés
cherchant leur route, puis adorant la Vierge et l'enl'ant divin. On ne
retrouve plus guère dans ces bas-reliefs, d'une exécûtion d'ailleurs
soignée, la gràce naïve et faniilière des compositions chrétiennes plus
anciennes. Dans l'attitude des personnages divins, séparés par un
ange de leurs visiteurs et isolés sur leur trône, ü y a une majesté

Fig. 140. — Sarcophage dc Ravenne.

un peu raide, une gravité un peu solennelle, qui correspondent bien


aux idées de la société nouvelle et font pressentir déjà le style et
l'iconographie des-unosaïques ravennates du vr° siècle.
.Scufpfures efe^fy/e AeMè/nsffyue L —En face decette œuvre carac-
téristique, d'autres monuments au contraire se rattachent à la tra-
dition hellénistique. Telles sont les deux statuettes du Bon Pasteur,
que possède le musée de Gonstantinople, etqui représentent le ber-
ger divin, adossé à un arbre, un bélier sur les épaules, une houlette
à la main, entre deux brebis dont il ne reste que des fragments. Ce
sont sans doute des répliques d'un groupe célèbre érigé par Cons-
tantin pour faire pendant à Daniel entre les lions : toutes deux
datent du vi" siècle. A la mème tradition hellénistique appartiennent

1. Strzygowski, Dt'e Ptasti/c dér RMfeseit (BZ, I, 1892) ; Das Derit-


ner nosee-Detie/' (JPK, XtV, 1893).
SCUI.PTURES DE STYLE HEI.LÉNISTIQUE 285

ies tambours de cotonne, également au musée de Gonstantinople,


où, parmi des rinceaux de vigne très élégants, se détachent des
scènes famiiières, bergers en costume antique, paysannes tenant
des oiseaux de basse-cour, animaux divers, et un sujet reiigieux, ie
Baptême. L'œuvre date du commencement du vi" siècie, et maigré
ia gaucherie avec laqueiie sont traitées les hgures, on y sent encore,
dans l'ornement et dans les animaux, une liberté tout antique. La
facture grecque caractérise de même un buste de saint Marc, au
musée de Constantinople. D'autres bas-reliefs, dont l'un, repré-
sentant Ies trois jeunes Hébreux dans 1a fournaise, peut êtrecompté
parmi les meilleurs morceaux de 1a sculpture byzantine, dont les
deux autres hgurent des apôtres élégamment drapés, s'inspirent
pareillementde I& tradition hellénistique, et attestentia renaissance
du sentiment plastique qui se produisit au vi" siècle L Enfin les
trois curieux bas-reliefs retrouvés en 1909 dans l'église de Saint-
Jean du Stoudion, appartiennent, malgré 1a diiférence apparente
qu'ils présentent, au même monument, à 1a même époque, 1e
vi^siècle, et à 1a même école, toute pénétrée encore d'hellénisme
Dans 1a plaque représentant Ie Ghrist et saint Pierre, et dont on
rapprocherà le relief de Sinope conservé à Berlin 3, comme dans les
plaques où apparaissent l'Entrée à Jérusalem et un groupe d'apôtres,
on peut, dans la différence des techniques, suivre 1a transformation
du relief arrondi en relief plat qui s'accomplit alors à Constanti-
nople : mais les originaux dont s'inspirent ces sculptures sont de
stylecertainementhellénistique, et sans doute alexandrin. Toutefois,
si I'on compare tous ces monuments aux œuvres vraiment belles
de l'art chrétien hellénistique du iv" siècle, par exemplè à ce Ghrist
du sarcophage de Psamatia (hg. 42), précédemment mentionné
déjà, dont l'attitude est celle de l'orateur antique, dont Ia tête
rappelle le type praxitélien de l'EubouIeus, on sent d'un seul coup
toute l'infériorité technique des ouvrages du vi^ siècle, 1a grossièreté
de l'exécution, 1a maladresse à garder aux corps leurs proportions
exactes ; on voit combien l'influence de l'Orient raidit déjà les libres
créations de l'heilénisme. Bientôt ce reste même de liberté antique
va s'évanouir (plaque de tuf de Psamatia représentant Isaac age-
nouillé, bas-relief de Berlin figurantMoïse surl'Horeb) ; de plus en

!. Menùet, toc. cù., tl, 468 et Itl, 525, 535.


2. Pancenko, Helte/s Je 1a àastfùjiHe dtt SIoHfltott à GP. Izv. tle l'Institut
russe de GP, t. XVI (1912) ; Mendel, toc. ct'G, II, 455-470.
3. Dalton, Rys. arl. attd arcàaeology, 153-154.
286 LA SCULPTURE

plus tes iniluences de t'art syro-ot-iental eiïacent ia tradition hellé-


nistique.
&/*cojoAaye^ de 7faue/t/ie h — Ces iniluences se manifestent
surtoul de façon frappante dans ia tendance croissante qu'a ia
scuipture en pierre de ce temps à devenir un art purement orne-
mental. Ii existe à Ravennetout un groupe de sarcophages, datant
pour 1a plupart du v** siècie et tie ia première moitié du vt". Par
ies sujets qui y
sont représen-
tés, par l'orne-
mentation, par
ie styie, iis dif-
fèrent sensi-
biement des
sarcophag-es
romains, et
beaucoup
d'entre eux
sont d'origine
orientale.Or, si
quelques - uns
d'entre eux
représentent
des scènes
évangéliques (Annonciation, Adoration des Mages, Visitation) ou
bien des épisodes traités avec une symétrie assez conventionnelle
(hg. 14)) (1e Christ parmi les apôtres sous des arcades ou entre des
palmiers), 1e plus grand nombre pourtant évite 1a représentation de
1a personne humaine. Ce qu'on y rencontre principalement, ce
sont des agneaux, des cerfs, des paons, des colombes, symétrique-
ment affrontés, autour de vases d'où s'échappent des rameaux de
vigne, autour de monogrammes ou de croix (fig. 140). Or cette
décorationtout ornementale, d'une richesse souventun peu lourde,
estchose essentiellement orientale : et si, dans ces ouvrages, l'ar-
tiste, malgré une facture un peu molle, sans vigueur et sans accent,
conserve pourtant quelque habileté et quelque élégance, ceci aussi

t. Dieht, ttaren/re, Paris, 1903 ; Gotdmann, Dte rarenaatt'seàen SarAopàaye,


Strasbourg, 1906 : Dütschke, /tauetttta/tsc/te S/ttt/t'ett, Leipzig, 1909 ; Sybel,
toe. ctL, tï,196-20".
PRÉDOMtNANCE DE L'oRNEMENT 287

correspond bien au caractère généra! que présente en Orient la


scu]pt,ureduYi°siècle*.
Précfomfüance tfe /'ornen!e;tt. — Cet art, qui n'exceüe pius guère
que dans ia décoration ornementate, se comptait en etFet à couvrir
la pierre de Hnes broderies, qui sembtent de i'orfèvrerie ou de ta
dentelie, à y répandre la tuxuriante végétation de ses feuiliages,
où, parmi les rinceaux, se joue un peuple d'animaux et d'oiseaux.
Au servicede
cetartluxueux,
compHqué et
chargé, d'une
magnificence
unpeulourde,
d'une richesse
qui vajusqu'à
laprofusion, le
sculpteur met
une virtuosité
prodigieuse. H
fouilleetciselle
temarbre, ilie
piieauxmotifs
ies plus com-
pliqués, por-
tant partout
une étégance et une splendeur sans égaies, une variété d'aspects
merveilleuse, une grâce dans l'ornementation végétale et animate,
qui est fondée sur une observation attentive de ia nature. C'est ce
styie, toutpieinderéminiscences orientaies, toutinspiré de modèies
persans, que nous montrent uniformément ies décorations de ces

1. H faut rappeter ici, parce que leurs scutptures procèdent de la méme


inftuence orientale, tcs cotonnes du ciborium de Saint-Marc à Venise. On les
date du mitieu du v* siècte (Wutfï) ou du commencement du vt* (Datton). Sur
un fond d'arcades richement scutptées se détachent des scènes du cycte
évangétique, vie deta Vierge, enfance, miracles et Passion du Ghrist, où t'on
reconnait t'influence évidente des évangites apocryphes. Ces représentations
nous oft'rent un des plus anciens exempfes de ta rédaction orientate du cycte
du Nouveau 'l'estament (Mittet, ftecàercàes, 581 et suiv.) On a contesté parfois
l'origine orientate de cesmonuments : te réatismc dramatique qu'on y observe
sembtecependant, autant que t'iconographie, conûrmer cette attribution. Gf.
Venturi, -Sforfa detf'arfe ffahana, t. f, fig. 219 à 272 et p. 44i et suiv., où
i'auteur soutient que ces colonnes sont une œuvre occidentale.
288 LA SCULPTURE

vill$s syriennes que nous avons anaiysées déjà, ces iinteaux sur-
chargés de sculptures que l'on trouveà Béhio, à Baqouza, et doni
le iinteau de Dana (hg'. 13), avec ses paons ail'rontés, ofîre un si
remarquabie exemple. C'est ie même style qui àppàraît dans cette
curieuse décoration scutptée, signalée par Texier à Aiadja en
Lycie, et où, dans une église du temps de Justinien, tes symboies
reiigieux et ies embièmes des évangéiistes se mêient aux anges à
six aiies et aux hgures des saints. C'est cette même richesse qui se
montre à Ravenne dans ces baiustrades de Saint-Apoiiinaire-Neuf
(fig. 142), où des animaux s'affrontent parmi des pampres, dans ces
chapiteaux et ces parapets travaiüés à jour, dans ces ambons cou-
verts d'entreiacs ou d'animaux, etdont ia décoration rappeiie ies
motifs des portes du gynécée de Sainte-Sophie. C'est ie même
caraclère q^i apparait enfin dans ies descriptions qui nous restent
de Sainte-Sophie. Pour décorer ia fontaine sacrée, on scuipte des
iéopards, des biches, des iions qui vomissent i'eau ; sur i'ambon, il
n'y a d'autres motifs que des arbres et des lleurs. Ainsi ia repré-
sentation de ia iigure humaine est de pius en ptus négiigée, ou,
quand on s'y essaie encore, de pius ert pius médiocre. Et ainsi ces
ouvrages, d'ordinaire de dimensions assez restreintes, montrent
combien ia grande scuipture esl étrangement compromise et com-
bien ses jours déjà .sont comptés.

].'lV0[RE

La piace perdue par ia scuipture monumentaie fut prise par ia


scuipturesurivoire. L'artistebyzanlin, presque incapabie désormais
de taiiier ie marbre et d'en faire sortir de grancies Hgures, sut faire
preuve au contraire, dans cette scuipture en miniature, d'une pro-
digieuse virtuosité. Aussi bien cet art industriei, depuis iongtemps
famiiieraux Orientaux, correspondait à merveiiieauxgoûtsluxueux
des Byzantins. Ii ti'est donc point étonnant qu on ait empioyé i'ivoire
à une muititude d'usages, pour ia décoration des meubies et ies
objets divers de ia vie civiie aussi bien que poui' ies pièces du
mobiiier iiturgique. Diptyques et cott'rets, pyxides, couvertures
d'évangéiiaires, chaires épiscopaies furentscuiptésen grand tiombre
par des artistes d'une habiieté technique et d'une dëiicatesse de
LIYCHRE 289

Fig. 143. — Diptyque du cnnsui Anastase (Paris, Cabinet des médailtes).

7lfanueid'Ariby:an%tn. 19
290 LA SCULPTURE

style souvent surprenantes. Quetques-uns datent de ta période qui


nous occupe, et piusieurs ne sont pas toin d'être des chefs-d'œuvre
Dtp/yyue^ cousHja:re.s — Une série fort instructive de monu-
ments est constituée par les diptyques consulaires.' C'était i'usage,
pour ies consuis nouveiiement nommés, d'envoyer, ie jour de ieur
entrée encharge, à ieurs amis, aux g'rands personnages de i'Utat et
ài'empereur, desdiptyquesformés de deuxfeuiliets d'ivoirescuipté,
souvent somptueusement sertis d'or. Des consuis, i usage passa à
d'autres fonctiounaires et fut adopté tnême par ies particuiiers, qui,
à i'occasion de certaines fètes de famiiie, d'un mariage parexempie,
oti'rirent à ieurs parents des diptyques de cette sorte. Ce qui donne
à cette suite de monuments une importance particuiière, c'est qu'ii
est faciie de ies dater avec précision, et qu'ils permettent en consé-
quence de^suivre i'évoiution de i'art, depuis ie commencement du
v° siècie jusqu'au miiieu du vi°. Parmi ies pius anciens de ia série, ii
en est de fort beaux. Teisjsontie diptyquedeMonza, qui représente
sans douteStiiicon etsa femnie, !e diptyquede Probianus, conservé
au musée de Beriin, ou ceiui des Symmaques, dont ies feuiiiets sont
partagés entre ie musée de Ciuny et iemusée de South-Kensington à
Londres. Tous trois datent des premières années du vp siècie, et dans
ie troisième en particuiiersubsistecomme un reflet de ia grâce et de
i'éléganceantiques. Plus tard, i'exécution devient moins bonne, et
ies thèmes représentés pius monotomes. On y voit d'ordinaire ie
nouveau consui, revêtu des insignes de sa charge, soit debout à ia
porte de sa maison et recevant les féiicitations de ses amis, soit, à
partir de ia fin du v" siècie présidant aux jeux du cirque et don-
nant ie signai des courses. Parfois, au bas du trône du consui ou
sur i un desfeuiliets du diptyque, sont figurés des épisodes des com-
bats de i'hippodrome ; parfois des figures aiiégoriques, assez heu-
reusemcnt traitées, accompagnent i'eftigie du haut dignafaire. Si
intéressants pourtantquesoient cesmonuments au point de vue his-

1. Stuhtlauth, Dt'e attcArÉstô'c/ie Æf/eitàet'uptasfi'A, Fribourg, 1896 ; Motinier,


Ht'st. gëtte'rafe Jes ar/s appft'qtte's à /'tatütts/rt'e, t. I, fes tttot'res, Paris, 1896 ;
Gracven, Frti/tc/trt'sttt'c/te ttttt/ tttt//e/a//et'/t'c/:e Æ//ettàet'/ttcer/fe, /,a:ts /tity/attd
(Rome, 1898), II,atts Da/t'ett (Rorne, 1900), ouvrage malheurcusement interrompu
par ta mort de t'auteur ; Maskett, Z.a sett/p/ttre de /'t'rot're att cottttttettcetttett/ de
/'ère c/tré/ietttte e/ de /'épotffte bp:att/t'n.e (Gaz. des Beaux arts, 1909) ; Sybet,
/oc. ct'/., tt, 228-251.
2. Gori, T/tesattrtts t'e/erttttt dtp/ye/torttttt, Ftorence, 1759. Une liste com-
ptéte de ces monuments se trouve dansMotinier, Zoc. ct/., et dans Sybet, /oc.
ct/., II, 232 et suiv.
3. Le premier exempte connu est le diptyque de Boethius, de l'année 487.
DH'TYQUES COKSULAmES 29)

torique, et par ]e caractère de portraits fidèles qu'otïrent leurs

Fig. [ H. — Diptyque de Magnus Faris, Cabinet des médaiites). Pbot.


Giraudon.

imag-es, ils n'ont en généra! qu'une médiocre va!eur artistique ; 1e


style en est lourd, l'exécution souvent maiadroite. On citera parmi
les meilleurs ceux d'Anastase (517), [Hg. 143] de Magnus (518) [fig'.
292 LA SCULPTURE

144]/de Philoxenus (525). Le dernier en date, celui de Basile (541),


que possède le Musée National de Floèence, est au contraire d'une
facture étrangement g-auche et sèche.
/uotre BarAsrtnt'. — A ce.s monuments d'un art ofHciel, qui pro-
viennent pour la plupartdes ateliersdeConstantinople, on peut
rattacher une autre œuvre, dont la valeur d'art est tout autrement
remarquable. C'est ie fameux ivoire Barberini, aujourd'hui au Musée
du Louvre (fig. 145). On a cru souvent, dans ce cavalier victorie.ux,
dont la Terre embrasse les pieds et que supplie un barbare, recon-
naitre l'empereur Justinien. Strzygowshi au contraire recule au
iv^ siècle la date de cet ivoire, et y voit Gonstantin défenseurde ta
foi. 11 semble, quel que soit le personnage représenté, qu'on doive
plutôt attribuer l'œuvre au vi° siècle Les anges floltant dans l'air
qui, au haGt de la plaque, soutiennent le médaillon du Christ, les
barbares qui, dans le bas, apportent leurs offrandes exotiques, rap-
pellent des motifs qu'on rencontre dans les ouvrages du vp siècle.
L'œuvre, traitée avec souplesseet vigueur, gardeencore bien accusée
l'empreinte hellénistique, et tout porte.à croire qu'elle provient d'uti
atelier atexandrin.
/uot'res t/e xty/e Ae//èuMt/yue. — Par sa position géographique,
Alexandries'étaittrouvée de bonne heureundescentres principaux
de l'industriedel'ivoire. Dansles ateliersde la grande cité, dë nom-
breux artistes travaiilaient ia précieuse matière, et de bonne heure
s'était par eux introduit dans ia scuipture chrétienne l'élément pit-
toresque heliénistique. Ceci apparaît de façon fort curieuse dans
tout un groupe de sarcophages romains, où le reiief pittoresque,
avec ses paysages, ses architectures, se mêleauxtraditions duhaut-
reiief ciassique.Gecise manifeste davantageencoredans un certain
nombre de beaux monumenfs de i'ivoirerie reiigieuse, où se con-
serve puissamment, du tv^ au vi" siècie, ia tradition heiiénistique.
Nous avons déjà rencontré ies ouvrages les pius anciens de cet art
aiexandrin : piaquettes d'ivoire provenant des nécropoies aiexan-
drines, bas-reiiefs à représentations antiques enchûssés dans ia
chaire d'Aix-la-Chapeiie, et surtoutcet admirabie ivoire de ia coi-

1. Sch]umbergcr,L'n)ot're Baràertrtt (Mon. Piot,VH,1900);Cf. Strzygowski,


ffelletttsttelte ttttd Aoptt.se/tc /ftttts/.
2. C'estégatementtesentimentd'Aïnalof. Ona observé toutefois que ie
cercleincrusté de pierreries, mais sans pendeioques, qui ceintia tête de i'ern-
pereur différe des couronnes du vt* siècie et sembie indiquer une date antë-
rieure (Ebersoit, Les ar/s sontp/uat'res t/e Byzattee, p. 34.)
!VOtRES BE STYLE HELLENISTiQUE 293

Fig. 145. — Ivoire Barberini (Musée du Louvre).


294 LA SCULPTURE

tectfon Trivutce, à Mitan, qui est 1e chef-d'œuvre de cette école


(Hg'. 26). Certains détails iconographiquesattestentavec certitude
l'origine orientale de cet ouvrage. Mais, bien plus encore, 1a façon
dont 1e paysage est traité, lo rapport des proportions entre les per-
sonnages etlesédifices, les raccourcishardis avec lesquels sont flgu-
rés lessoldatsendormis devant 1e Saint-Sépulcre, 1a richesseélégante

Fiy. 146. — Lipsanothèque de Bresciafd'aprés GraeventÆtfenhetntt'erAe).

des portes sculptées devanf lesquelles les Saintes Femmes sont


assises, en dénonhentla provenance alexandrine. Par ailleurs, l'élé-
gance toute classique des figures, l'harmonieux arrangement des
draperies, 1a flnesse de l'exécution lerattachent, comme l'observe
Aïnalof, à « une école remarquable, pleine de vie, encore maitresse
de toutes les traditions du relihf pittoresque ' n. C'est à 1a fln du
iv"sièclequ'il fautattribuer cet ouvrage, qui n'est point sans analo-
gie avec certains diptyques, comme celui des Symmaques, précé-
demment citës. Mais In tradition dont s'inspire l'ivoire Trivulce a
persisté longtemps après lui. Si au vi^ siècleencore les monuments
del'ivoirerie religieusese distinguent pardesqualitésd'élégance et
de dëlicatesse tout à fait remarquables, ils 1e doiventsurtout à ce
qu'ilsont gardé du style pittoresquehellénistique.

1. Aïnatof, Orty., 94 et suiv.


IVOIRES DE STTLE HELLEHISTLQUE 295

Gette sui'vivance de i art classique se manifeste par exempiedans


certains diptyques à sujets antiques, teis que ceux de Sens ou deia
Bibiiothèque Nationaie, hgu-
rant !e iever du soieii et ie
iever de ia iune. Iis datent du
vi^ siècie, mais sont évidem-
ment des copies d'originaux
pius ancietis, dont ies repré-
sentations à caractère aiiégo-
rique révèient i'orig'ine aie-
xandrine. On peutrattacherau
même groupe de monuments
certaines pyxides dont ie reiief,
assex piat, indique une époque
assex basSe, et qui sont déco-
rées, soit de scènes de chasse,
commeunepyxidedutrésor de
Sens (vi° siècie), soit de motifs
païeris, comme une pyxide du
Sancta Sanctorum, où i'on
voitunescène bachique (iv^ou
v^ siècie) G
Un autre monument fort
remarquabie de cette ivoirerie
chrétienne est ia cassette ou
fqo.sanof/réyue de Brescia, qui
date probablement du v° siècie
ou de ia tin du iv" siècie (fig.
i46). Les épisodes des.miracies
et de la Passion du Christ y
sont représentés en piusieurs
compositions, qu'ii est intéres-
sant de comparer aux mo-
saïques de Saint-Apoiiinaire-
Neuf. aux bas-reiiefs des portes
de Sainte-Sabine et aux nii-
niatures de i'Évangiie de Bos- Fig. 147. — Ange sur une plaque
sano. On y trouve, avec ies pius d'ivoire provenanfcFùii diptyque
hautes quaiités d'art, nobiesse (Britisti Museum).

1. Lauer, Le tre.sor dii Sancta Sanctoriiiit à /tome (Mon. Piot, XV, 1906).
296 LA SCULPTURE

de 1a figure et des gestes^ soupiesse des draperies, préeision et


sobriété du décor, technique exceilente, un curieux méiange du
style pittoresque et de tendances vers l'art monumental. Les mêmes
traits caractérisent 1e bean diptyque du Vatican, où 1e Ghrist
imberbe Rgure entre deux anges, tandis qu'en haut deux anges
flottants portent un médaillon et qu'en bas les Mages sont repré-
sentés adorant l'enfant dicin et se présentant à HérodeL Mais 1e
chef-d'œuvre, au vL siècle, de ce style pittoresque et classique est
assurément 1e bel ange du British Museum, debout sous une arcade
richement décorée et tenant en main 1e sceptre et 1e globe (fig. 147).
« Les ailes, largement déployées, sont travaillées avec beaucoupde
soin ; 1e costume, composé d'une tunique etd'un manteau, otl're des
draperies d'un goût excellent et d'une rare élégance. Quant à 1a tête,
encadrée *par une chevelure aux boucles épaisses, elle présente un
type d'une parfaite régularité. Les yeux grands ouverts donnent
à 1a figure une expressiôn vivante ; l'attitude esL noble, impo-
sante et sans raideur L ))
A 1a même école, toute pénétrée de 1a tradition hellénistique, on
peutrattacherégalementiapyxidede Bologneoùsont représentés
les miracles du Christ, et celle de Berlin, que Molinier date du
vi^ siècle, et où l'on voit le Christ parmi les Apôtres et 1e sacrifice
d'Abraham. On a remarqué souvent tout ce que ce dernier épisode
montre deressouvenirs antiques. Isaac estfiguré sous lestraits d'un
amourpaïen; Abraham, une main tenant l'épée, l'autre posée sur
1a tête de son fils, rappelle l'attitude que, dans 1e tableau célèbre
de Timanthe, avait Calchas sacrihant Iphigénie. Ici encore 1a tradi'-
tion hellénistique est vivace.
/uofrex de rs/i/fg orfentaL — Mais, à côté de cette survivance du
style classique, uneautresourced'inspiràtionapparaitdans un autre
groupe de monuments. Des influences orientales, qui n'excluent
point d'ailleurs tout élément pittoresque, se manifestent, plus ou
moins puissantes, dans une double série d'ouvrages du vi^ siècle.
CAafrede d/aætnnen — OnconserveàRavenne,dansIa sacristie
de 1a cathédrale, une chaire épiscopale en ivoire qu'on appelle 1a

1. Kanzler, Gtiarortraticaat', Rome, 1903; Gf. Graeven, Dte Madorttta stot-


sc/tett Zac/tartas ttttd Joàattttes (BZ, X, 15 suiv.) qui y voit une imitation alie-
mande d'un ivoire byzantin.
2. Bayet, Dec/terc/tes, 118. Gf. Datton, GataioqHeof t/tet'oorycarrtrtgrso/' //te
G/trts/t'att aera o/ //te Drt7t'a/t MHsettrrt, Londres, 1909.
3. A't'naiof, Ort'y., 101 suiv.
CHAtRE DE MAXtMtEX 297

chaire de Maximien. On a, en ces derniers temps, contesté, non sans


quelque fondement, iatradition qui attribue ce siège au préiatcon-
temporainde Justinien, et, par des raisons assez piausibles, on a tenté
d'étabiir quece meubie nevint àRavenne qu'au commencementdu

Fig. t4S. — Ravenne. Ciiairc enivoire de Maximien (Phot. Atinari).

X]= siècie, époque où un doge de Venisei'envoya en cadeau à i'empe-


reur OttonHi. Mais,quei qu'aitpu être ie premierpropriétairede ia
céièbrechaire,ia dateoù eiie i'utexécutéeestcertainemenfie v^siècie
et iemonument, chef-d'œuvre incontestabie de i'ivoireriebyzantine
au tempsde Justinien, nous révèie de ia façon ia piusremarquabie ies
298 ).A SCULPTUHH

inlluences diverses qui se métangeaient et se combinnientdanst'art


de cette époque.
La partie ia plus remarquable comme travail est la faceantérieure
du siège tfig. 148). Deux !arges bandes ornementales, traitées avec
une richesse et un goût extrêmes, représentent, sejouantparmides
enroulements de vigne, des animaux de toute sorte, paons, cerfs,
lions, etc. Cette ornementation très caractéristique, et qui rappelle
la magnificence des décorations svriennes, encadre cinq plaques où
sont ftg'urés saint Jean-Baptiste et les quatre évangélistes debout
sous des arcades. Les têtes sontfort belles d'expression, pleines de
réalité et de vie : par le faireample etlarge desdraperies, par lajus-
tesse des attitudes, lescinq personnages sont toutà faitremarquables.
Les plaques qui garnissent le dossier du fauteuil, et dont plusieurs
sonf dis^erséesdans descollections particulières, sontd'un artplus
inégal. Les unes, qui représentent des scènes de la vie du Christ,
sont traitées tfans un rëlief peu ressenti ; le modelé est obtenu
au moyen de traits profondément entaillés, de hachuresetd'un cer-
tain arrondissement des surfaces ; les plans successifs ménageant
la perpective, les pavsages et lesédifices formant lefond du tableau
les rattachent évidemment aux compositions de style pittoresque.
Au contraire, les plaquesqui racontent lesépisodes de l'histoire de
Joseph sont exécutécs en haut-relief et parfois presque en ronde
bosse; l'élément pittoresque y tient moins deplace ; lestyle montre
d'intéressantes tendances réalistes ef naturalistes. Toutefois, mal-
gré ces différences de technique par lesquelles se distinguent ces
deux groupes de plaques, l'ensgmble est l'œuvre d'une même éc'ole
et le produit d'un niême atelier, qu'il esf aisé de déterminer.
Le sculpteur^de la chaire de Maximien connaît évidemment
l'Orient. Gertains détailsde la composition, empruntés auxévangiles
apocryphes, certains Iraits du décor topographique attestentlacon-
naissance et l'influence de la Palestine. D'autres motifs procèdent
mêmed'un Orient plus lointain : les gardesdeJoseph, vêtus comme
les barbares scythesou sarmates, la tiare que portelefils deJacobet
qui est celledes rois perses (flg. 149), certains traits del'ornemen-
tation rappelant la frise de Mschatta dénoncent la connaissance
d'un art purement oriental. D'autres éléments pourtant sont essen-
tiellemetst égyptiens. Le choix dessujets empruntés à l'histoi,re de
Joseph est une marque d'origine, si l'on se souvient avec quelle
prédilection l'Égypte chrétienne, dans les étoffes en particulier,
traita ces épisodes. !^e goût pour les personnifications (par exemple
CHAtRE DE MAXÎSHEN 299

1e Jourdain dans [e Baptème) n'est pas moins caractéristique. En


outre, une parenté remarquabie existe entre )es bas-re]iefs de !a
chaire de Maximien et !es miniatures du Cosmas : ce sont ]es mêmes
hgures trapueset soiides, au visage arrondi, à la muscu]ature sai]-
lante, aux extrémitésiourdes. Enfin, ]a p]ace faiteaux détaits pit-

Fig. H9. — Scènesde ta vie de Josepti. Bas-reiiefs dc ia chaire de Maximien


à Havenne (Phot. Aiinari).

toresques et réalistes est significative. Danst'histoire de Joseph on


observe des traits de naturatisme qu'on ne rencontre nuHe part
aiHeurs : ]e type et tes coifrures des marchands égyptiens dans )a
scène deJoseph vendu parsesfrères sontàcetégard particufièrement
dignes d'attention. Ainsi ]a chaire de Ravenne estsortie d'unatelier
égyptien, mais en un temps où ia tradition aiexandrine était déjà
300 LA yCULP't'URE

fort pénétrée d'influences orientates, non seuiement syriennes, mais


persanes. Ce temps ne saurait être antérieur au vf siècie: et par tà
s'exptiquent aussi certaines traces déjà visibies de décadence,
comme ies corps posés de facesur des pieds de profii, i'aiiongement
des proportions, ia perspective appiiquée à rebours. Cesfaibiesses

Fig. 150. — Pyxide d'ivoire (Musée nationat de Ftorence), d'après Graeven


ÆV/e;}àe:'ntr'er/te.

disparaissent pourtantdans i'incontestabie beauté de i'ensembie. Le


scuipteurdela chaire deMaximien, encore maître detoutes ies res-
sources de son art, asu créer des compositionsémouvantes, 'teiies
que ia rencontre de Jacob avec ses tiis, où au désespoir du père
s'oppose si admirabiement ia sombre résignation de Rachei
(iig. 149). Un juge compétent a pu dire de ia chaire de Maximien:
« Aucunmonumentd'ivoiredeia périodeantérieure ne nousmontre
une pareiiie entente de 1a décoration jointe à une habileté tech-
nique au-dessusdetoutéloge L u
à cfny co/n//a/'t//?/e//t^. — A l'école de ia chaire de
Ravenne, il faut rattacher toute une série d'autres monuments :
plusieurs pyxides, parmi iesquelles on peut citer celle du Musée
Britannique représentant des épisodes de 1a vie de saint Ménas
(ancienne pyxide Nesbitt), dont 1a provenance est sûrement égyp-
tienne et qui date du vi" siècle, une autre également du Rritish

1. Mottnier, /oe. ct'/., 69.


DtPl-yQUES A CtKQ COMPAHTIMENTS 301

Museum, de mème date et de même origine *, représentant des


scènes de t'histoire de Daniet, ia pyxide de ia cotiection Ficdor,
cettes du Musée nationai de Horence (tig-. 150) et de i'égiise de ia
Voûte-Chiihac, et surtout ces diptyques à cinq compartiments

Fig. 151. — Ptaquc d'ivoire, dite de Murano (Musée de Ravenne).

conservés à Paris (Bibi. Nationaie, évangéiiaire de Saint-Lupicin), à


Beriin et à Etschmiadzin-. On a cru parfois que ces monuments
étaient i'œuvre d'un ateiier ravennate : on s'accorde aujourd'hui,
après uneétudepius attentivedu styie et dei'iconographie, à en recon-

1. Daiton, Catatoyue of tàe earty eàrt'stt'an atttt'qtit'lfes o/* Cte Brt'tt'sA


lÜHsetim, Londres, 1901, et ie cataioguedes ivoirescité piushaut.
2. Strzygowski,DasÆtsc/Mntddzt'ti Æranyettar (Byz. Denkmaier, I), Vienne,
1892 ; Aïnaiof, Ort'y. ; Strzygowski, Dt'e c/trt'stit'c/ieti Detiknta/er Aet/yp/etts
(RQ, 1898).
302 LA SCULPTUHE

naître i'orig'inesyro-égyptienne. L'ornementation pittoresque ytient


moins de piace peut-être que dans !e siège deMaximien. Mais les
tigures représentent iemêmetype trapuetrobuste sicaractéristique
dans iachaire de Ravenne; un goûtsembiabiè des personnitications
s'y manifeste ; entin,iacompositiondes scènesévangéiiquesy appa-
raît presque identique. Ce n'est point sans* queique apparence de
raison qu'Aïnaiof rapporte à ia même écoie i'ivoire Barberini qui
rappeiie, en etfet, ie styie desdiptyques àcinqcompartiments. Iiy
faut rattacher en outre ie diptyque de Tongres, si sembiabie aux
bas-reiiefs de ia chaire de Maximien et ie beau diptyque de Beriin
repi'ésentant ia Vierge et ie Christ.
Dqo/y^iuec/e 7/at'enneL — Tandis quecegroupe de monumentsse
rattache piutôt à i'Bgypte, à uneEgypte déjà fort pénétrée au reste
d'influences syriennes, une autre série de monumentsappartientà une
autre écoie, pius purement orientaie encore. i.e monument ie pius
remarquabie de ce groupe est iediptyque de Bavenne, jadis conservé
à Murano (tig. tol), et dont i'autre feuiitet, dispersé entre piusieurs
cotiections privées (Stroganof, Crawford, etc.), a été récemment
reconstitué. Autourdu Christ trônant, de ia Vierge accueiilanties
mages, se disposent desépisodes de i'enfance et desniiraciesdu Ghrist
et des scènes symboiiques empruntées à i'art chrétien primitif: au-
dessus, deuxanges voiants portent un médailion. i.a disposition géné-
raie rappeiie donc ceiie desdiptyquesà cinqcompartiments; maisie
stvte est tout autre. Les tiguressontsèches etanguieuses, ies têtes
petites, ies membres grêles ; ies yeux ievés, ies regards aigus rap-
peltenti'art desmanuscrits syriaques. Ccrtains traits sont visibiement
même empruntés à l'art persan. Les autres monuments de ta même
sériejpeigned'Antinoé^, pyxideBasiiewski, pyxides du Vatican, de
Werden, de Rouen, du musée de Ciuny ; volet de triptyque deiacoi-
iection Goienischetî, feuiiiet de diptyque du British Museum repré-
sentant i'Adoration des mages) ^ offrent descaractères sembiabies. Le
choix dessujets, empruntéspourla piupartauxévangiiesapocryphes,
fait penser à une infiuence paiestinienne; ie caractère monumentai
de certaines représentations, par exempie ia Vierge trônant de ia

1. Aïnatof, t/a morceaa dt: t/ipiyyne de Ttareanedans ta cottecfi'oa Jacomfe


Stroyaaof (Viz. Vrem., tV, 1897) ; t/a morceaada tfipfyytie de ttacenae Jan.s
facoffecfion dn comie Cratc/*ord (Viz. Vrem., V, 1898); Strzygowski, Zioei
iceiiere Sfüc/ie der iMarieiiia/'ei zam DipiycAoa roa itfurano (BZ ., VHt, 1899).
2. Stizygowski, Die cArisiiicàea DeainitàierAeyypieas (RQ. 1898).
3. Dalton, Caiai. 0^ i/te iaory cari!t'iiy.s, n" 14. L'autre feuittet, où sont tigu-
rés te Christettes apôtresRierre et Paut.est dansta cottectionMartinLeRoy.
MPTYQUE DE RAVENNE 303

piaque Crawl'ord, rappeiteies tendancesde i'arL syrien. Sans doute,


dans i'ornementation, dans ie costume, dans ia physionomie géné-
rate, subsistequelquechosedeia plastiqueantique: maisl'inltuence
orientale yest plus fortementaccusée quedans les monunients qui
segroupentautourde lachaire deMaximien.A ia traditionheiiénis-
tiquepénétréed'éléments syi'iens, succèdeici un art d origineexclu-

Fig. i52. — tvoire du trésor de Tréves (Phot. comiuuniquée par M. Mittel).

sivement syrienne et paiestinienne, et en contact très proche avec


l'art persan. Et l'on voit assez mal pourquoi Strzygowski attribue
à un atelier de 1a Haute-Egypte ie diptyque de Ravenne.
Ainsi, en face des œuvres où survit ia tradition ciassique, l'art
du vi^ siècie a produit toute une série de monuments où apparaît
nettement l'influence orientale. D'autres ouvrages encore attestent 1a
puissante action de cetart syro-alexandrin. Ii sufttra de nommer 1a
plaquette du trésor de Trèves (fig. t52), où Strzygowski a ingénieuse-
mentreconnu ia représentation d'unetranslation dereliques qui eut
lieu à Gonstantinopie en 552, et où apparaît 1e lien étroit qui unissait
1a capitale même à 1a grande ville égyptienne *. On citerapareiliement
les curieuses piaques qui décoraient 1a chaire dite de Saint-Marct
jadis conservéeà Grado, et aujourd'hui à Milan. Ledéveloppemen,
des architectures dans Ic haut de 1a composition y est une preuve
remarquable d'origine égyptienne

t. Strzygowski, Orieatoùer Hom, 85suiv.


2. Graeven, Der /teùtye Æar/ftts t'tt tiom ttttd ttt c/er Petttttpo/t's (RQ, 1899).
304 LA FCULfTURE

Ca/'ac/éres yeneraua; f/e /'/eo/re/ te //)/:;//;///;e a// 47'' g/èc/e. —


Si i'ou essaie, de i'étude que nous avons faite de ces monuments,
de dégager les traits caractéristiques de i'ivoirerie byzantine au v^
siècie, un fait frappe tout d'abord, c'est ia parenté généraie qu'iis
offrent tous. Maigré ies différences de technique et d'inspiration,
tous procèdent pius ou moins de ia tradition beiiénistique; tous
ont conservé certains traits de i'art aiexandrin, ie goût du pitto-
resque, ie caractère antique de ia piastique. Mnis, en dépit de
ces survivances ciassiques, ii est visibie — et c'est )e second point
— que ce styie heiiénistique se modifie profondément sous
i iniluence du goût oriëntni. Les types perdent i'aspect antique,
ies propot'Lions ciassiques s'aitèrent; ies mouvements, iadémarche
rappeiient ies formes de i'art assyrien et de i'art persan; ies iibres
aiiures heiiénistiques se raidissent, ies formes deviennent pius
sèches et pius anguieuses. Enfin, ie reiief s'apiatif, ia science du
raccourcise perd, ia perspecfivedéformée est appiiquéeà rebours.
Sans doute, dans queiques beiies œuvres, subsiste ia fraicheur du
styie antique ; au totai pourtant, des signes de décadence appa-
raissent, due à i'introduction dans i'art byzantin du styie syrien et
du styie persan. Jusquedans ia capitaie, ces infiuences syro-aiexan-
drines se mnnifestent. Dans ies monuments qui sembient ie pius cer-
tainementexécutés à Gonstantinopie, danscesdiptyques de consuis
et de fonctionnaires si nombreux au vt" siècie, on sent i'action des
éiéments orientaux. Le beau diptyqued'Aréobindeofi'reunedécora-
tion toute sembiabieà ceiiede ia chaire deMaximien'; iefeuiiietde
Trèves a des origines aiexandrines. Sous i'influence des artistes
syrienset persans, dont Aïnaiof signaie iaprésencedansla capitaie,
Constantinople a adopté et consacré ie styie nouveau, et entre ies
mainsdes maitres de génie qu'a produits ie v/^siècie, iui a donné,
ici comme partout, sa formedéfinitive.

i. Iléron de ViHefosse, Feu/ffe de d/ptyqae coasufa/re couseruee au nzuse'e


du Louune (Gaz. archéol., 188f).
CHAPITREVH

L'ORFÈVRERIE ET LES ARTS DU MÉTAL

Les origines de l'émaiiterie cioisonnée. L'orfèvrerie. Atetiers de Constanti-


nopie. Atetiers syro-égyptiens. Ampoules de Monza. Trésors de Kerynia.
Vase d'Émèse. Vogue de i'orfèvrerie syrienne. Bijoux.

Ee goût du^Iuxe, qui caractérisela sociétébyzantine duvi^siècte,


se manifeste tout particulièrementdans îaptace faiteau travail des
métaux'. L'orfèvrerie, déjà protégée par Constantin, devient alors
une desbrancbestesplusimportantesde t'artbyzantin. On a vu pré-
cédemment quelteptaceette occupaitdans !a décoraiion de Sainte-
Sophie, et décrit t'ambon avec son dôme couvert de piaques d'or,
I iconostase avecses fig'uresd'argentciselé, lemerveiHeux autei sur-
tout, tout éblouissant de pierreries et d'émaux et qui, seton ]'ex-
pression d'un poète du temps, n scintiitait de couieurs variées, tan-
tôt reHétant !'éc!at de l'or et de l'argent, tantôt briitant comme !e
saphir, et iançait des rayons mu!tip!es, suivant !a cotoration des
pierres tines, des perles et des métaux de toutes sortes dont i! est
composé. x « I! était, dit!e chroniqueur Cedrenus (éd. Bonn, f,
677), en or, en argent, en pierres de tout genre, en métaux. .!usti-
nieny rassemb!abeaucoupde matièresprécieuses; i! fitfondre ceües
qui étaient fusib!es, i! !es réunit aux sotides. H Nicétas ajoute que
! aute! étaitcomposé de diverses matières précieuses assembtées au
!eu, et réunies en une seu!e masse de diverses couieurs, et d'une
beauté parfaite.
Le.s orfyfnes ife /'éinaif/erie c/oMonnèe — Sous i'imprécision
de ces termes, i! semb!e bien qu'on doive reconnaître un pre-
mier essaid'émaülerie (probab!ementde !'éniai!champ!evé),eti! est
vraisemb!ab!e que, dès ce moment !es Byzantins connaissaient !a
technique savante de cet art tuxueux, qui devait p!us tard, àpartir du

f. Pour t'ensentbte du chapitre, Motiniei', /fisfoire genèraie des arts appti-


f/ne's à i'indnstrie, t. IV, i'Or/ëurerie, Paris, 1901-
2. Linas, Les oriyines de i'or/ërrerie cioisonne'e, Paris, 18*7 ; Kondakof,
Kistoire et inoniiMients des ëmaiiæ hyzantins, Francfort, 1892.
dfannet d'Art by:antin. 20
Fig. J53. — Croix d'émail cloisonnë (trésor du Sancta Sanctorum à Rome).
d'après Lauer, #07t. Pto%, t. XV.
L'oRFÈVRERtE 307

:x" siècle, prendre chez eux un si magnihque déveioppement. Dès


le vi" siècle, quelques monuments iaissent supposer en etTet qu'aux
procédés du travaii en reiief ies. orfèvres byzantins, suivant ia ten-
dance générale de i'époque, substituaient volontiers 1a polychro-
mie. La croix du trésor de Monza, donnée en 603 par Grégoire 1e
Grand au roi Adaloald, montre 1a GruciHxion dessinée en nieiles
sur une feuille d'or. L'encoipion de 1a comtesse Dzyalinska, qui,
d'après Molinier, date du vi" siècle, offre, dans une enveloppe d'or
niellé, une croix cloisonnée de verroteries rouges et vertes. Ce pro-
cëdé menait directement à l'émail. Et en effet 1e reliquaire de
Sainte-Groix de Poitiers, envoyé par l'empereur Justin II à sainte
Radegonde, avait, à en juger par 1e dessin qui nous reste de ce monu-
mentaujourd'hbi perdu, unedécoration faite de verroterieset d'émaux
cloisonnés. Enfin une croix d'émail cloisonné, rëcemment retrouvée
au trésor du Sancta Sanctorum ' (Rg. 153) et qu'on attribue à 1a Hn
du v" ou au début du vt" siècle, est décorée, non plus seulement d'or-
nements, rnais de scènes évangéliques exécutées au moyende pâtes
translucides séparées par des ctoisons d'or. Maigré les imperfections
du dessin, l'ensemble de ce monument est des plus harmonieux.
Les têtes sont assez expressives, 1a gamme des couleurs heureuse-
ment variée. L'émail a ce coloris rouge vineux, qui semble carac-
téristique des émaux byzantins. Toutceci donne doncà croire que
ies artistes byzantins connaissaient dès cette époque, non seulement
l'émail champlevé de caractère antique, tel qu'il paraît avoir
été employé dans l'autel de Sainte-Sophie, mais qu'ils avaient
emprunté à 1a Perse, plus tôt que ne lé pense Kondakof, Ia tech-
ntque de l'émaillerie cloisonnée, où ils devaient plus tard exceller.
L'or/eurerfe. — Le même luxe, et plus somptueux encore, se
rencontrait dans les objets d'orfèvrerie de destination profane. Le
trône de Justinien, dressé dans 1a salie du palais qu'on appelait ie
grand Constsforfum, était tout consteiié de pierreries et d'or; une
coupole d'ôr 1e surmontait, portée par quatre colonnes ; deux Vic-
totres aux ailes éployées 1e fianquaient, qui tenaient en main des
couronnes de lauriers. Pareillement, avec i'or recueiiii dans 1e tré-
sor des rois vandales, Justinien avait fait exécuter tout un somptueux
service de table, des plats où, parmi les bas-reliefs racontant les vic-
toires du règne, était ciselée l'image de l'empereur, des vases pré-

1. Lauer, Le tresor du Sancta SaRctoram à Roàte (Mon. Piot, XV, 1906) ;


Grisar, Die rôntt'sc/telùtpetle Saneta Sattctorttm, Fribourg, 1908.
308 LORFHVRERtE ]ÏT LES ARTS DU MÉTAL

cieux étinceiants de pierreries. ii est aussi fréquemment question


des statues d'argent et d'or éievées en i'honneur des empereurs. Et
comme enftn ia même spiendeur se rencontrait dans ies pièces du
mobiiier ecciésiastique, croix, patènes, caiices, etc., ies K arg-en-

Fig'. 154. — Disque d'at'gent trouvé à Iüertch et représentant un empereur du


vï" siècle.

tiers H tenaient dans ie monde byxantin une piace considérabie,


qu'attestent ies mentions fréquentes faites de ieur corporation '.
Ateiters de Gon.sia/tifnojoie. — Matheureusement, en dehors des
pièces émaiiiées nientionnées déjà, ii ne nous reste, pour ie vi" siècie,
qu'un bien petit nombre d'ouvrages de cette orfèvrerie. ii faut

1. Cf. sur tes objets mentionnës et sur i'activité des ateliers de Constanti-
nople aux v° et vi* siécles, Ebersoit, Les arts somptuatres de Hpzance, 18-48.
ATF.HERS DE CONSTANTtNOPLE 309

citer en particulier ie bouciier de Justinien, trouvé à Kertch \


(iig. ]34) où, sur ie fond d'argent du disque, se détache, non
pius en reiief, mais simptement dessinée à ia pointe et dorée, la

Fig. 155. — Groix de Justin Ii (Basitique de Saint-Pierre à Home).

Hgure d'un empereur à chevai, vêtu à ia mode barbare qui avait


pénétré à ia cour byzantine, suivi d'un gnrde du corps et précédé
d'une Victoire : exempie remarquabie de i'évoiution qui, à ia tech-

i. Strzygowski et Pokrovskij, Der SDàersc/uM au.s /îer/eà (Matériaux pour


] arehéoiogie russe, n° 8), Pétersbourg, 1892.
3tO L'oRFÈVREtUE ET LES ARTS DU, MÉTAL

nique du modeié, telle qu'etle se rencontrait encore dans ies bou-


ciiers du et du v° siècie, tendait à substituer ie t'ond ptat à
dessin polychromeb Les procédés du repoussé se conservaient
au contraire dans ie beau médaition d'or que possédait ie Gabinet
des médaiiles, et qui fut voté et fondu en !83t : on voit d'après le
moutage que garde ie British Museum qu'on y avait repr.ésenté en
retief, d'un côté, te portrait
de Justinien, de i'autre,
['imag-e de i'empereur à
chevai, précédé d'une Vic-
toire A Du vt^ siècie égaie-
ment date ia céièbre croix
en argent doré du trésor de
Saint-Pierre, qui fut donnée
par i empereur Justin It^
(tig. 155) : eiie est ornée, sur
une de ses faces, de pierres
serties qui décorent ies
bords des bras de ia croix ;
sur i'autre, entre des orne-
ments de feuiiiage, cinq mé-
daiiions travaiiiés au re-
poussé représentent i'A-
gneau, ie Ghrist, i'empereur
et i'impératrice. Ces trois
ouvrages sembient devoir être attribués à i'écoie d'art qui fieurissait
à Constantinopie.
Afe/iers syro-éyypAens. — Des monuments pius nombreux sont
d'une autre origine : iis attestent i'activité, i'habiieté et ia vogue
des ateiiers syriens et égyptiens du vp siècie.
Ampou/e.s c/e J7o;na. — Je n'insisterai pas sur queiques petits
médaiiions d'or, trouvés pour une part en Ciiicie, conservés aux
musées de Constantinople, du Vatican, de Catanzaro, de Reggio,
et où, sur ia mince feuiiie d'or, i'artiste a repoussé des scènes
1. I! faut rapprocher de ce monumenttebouclier de Pérouse, aujourd'hui
perdu, mais qui était du mème temps, et où on voyait un captif derrière un
guerrier à chevai (Venturi, Sfort'a, I, 546 et suiv.).
2. Diehi, Jusftnten ; Babeion, Jn.stùtt'en ef Bèhsatre (Mëm. de ta Soc. des
Antiquaires, t. 57).
3. De Waai, Dte attit'/tett Be/tq:tt'are derPe/ers/tt'rc/te (RQ, 1893). Delbritck,
/oe. ct'/., veut reconnaitre Justin I dans la itgure de i'empereur.
AMPOULES DE MONZA 311

évangéliques Mais H laut signaier tout particutièrement les


curieuses ampoules d'argent, que possède ie trésor de Monza Ce
sont de petits tlacons ronds et piats, qui, comme l'indiquent les
inscriptions grecques qui y sont frappées, contenaient de l'huile de
ta lampe allumée au Saint Sépulcre ou de la terre des lieux saints.
Les pèlerins les rapportaient en souvenir de ia Palestine, et c'est
ainsi que celles de Monza
vinrent,versl'an600,de Rome
à Milan, pour être offertes à la
reine Théodelinde. La date et
la provenance de ces petits
monuments sont donc égale-
ment certaines : et c'est ce qui
donne à la décoration dont its
sont ornés un intérêt tout par-
ticulier.
Sur le disque hombé des
ampoules, on a, souvent à
l'aide d'un même timbre, frappé
certains sujets évangéliques.
Selon 1a grandeur du flacon,
tantôt plusieurs épisodes sont
juxtaposés (Rg. 157), tantôt un
seul est représenté, et ptus
simple (fig. I56j. Mais toutes
les ampoules offrent dans l'exécution, dans les formes, dans !e style,
une unité si parfaite qu'elles sont certainement l'oeuvre d'un même
atelier. Les motifs représentés ne sont pas bien nombreux, et le
même poinçon a visiblement servi pour plusieurs ampoules : mais
ce qui en fait l'intérêt, c'est que ces représentations sont incontesta-
blement inspirées dès compositions monumentales, fresques ou
mosaïques, qui décoraient certaines églises célèbres de Jérusalem,
de Bethléem ou de Nazareth. Aïnalof a fort bien montré qu'au
fronton extérieur de la basilique de Bethléem une mosaïque repré-
sentait l'Adoration des Mages, et que c'est là que ies fabricants des
ampoules ont chercbé le modèle de leur composition : ce sujet

1. Strzygowski, Ztret' GoMenkoljot'eft aas. /tdana (Byz. Denkmater, I).


2. Barbier de Montault, l.e tre'sor de ta àastlt'çue royate de Æonza (Bult.
monumentat, 1883), etsurtout Aïnatoi', Ort'y., 168-190.
312 L'ORFÈVRERIE ET LES ARTS DU METAL

apparaît, en effet, trois fois répété, sur tes flacons de Monza et


toujours de façon identique, ce qui indique bien un prototype
unique. De même, ia Crucilixion, curieusement tigurée par une
croix nue que domine ie buste du Christ, flanqué du soieil et de ia
lune, sembie copiée d après ia mosaïque qui décorait i'abside du
martyrion à Jérusaiem et montre les scrupules qu'éprouva iong-

Fig. 158. — Plats d'argent de Chypre (British Museum), d'après Dalton.


Catatogne o/' 1/te cArt's/t'an aa/tq:;i/tes.

temps i'art chrétien à représenter dans sa réaiité ie drame du


Caivaire. La disposttion de i'Ascension atteste pareiilement qu'eiie
est ia reproduction de queique grande composition monumentaie.
Sur d'autres ampoules enRn on voit une image de ia Vierge, copie
probabie de queique icone céièbre de ia Mère de Dieu. Hvidemment
ces reproductions assez grossières ne donnent qu'une idée iointaine
des originaux dont eiies se sont inspirées ; pourtant ces petits
objets, en se répandant dans tout ie monde chrétien, ont propagé
au ioin ies types de i'iconographie paiestinienne.
7'rèsors cte A'erynm '. — C'est aux ateiiers d'orfèvres de Syrie

1. Datton, A ht/s. stluer treasure /rom tàedts/rtct o7Ker:/nt'a(Archaeologia.


t. 57, I ; A secoad treasure /'rom Cyprus (BZ, XV, 1906), et Catatoyue o/' 1/te
earty c/trtsC au/t'qrut'/t'es o/*//te Ært/t's/t Afuseunt; cf. t'art. de Sambon dans /e
tltusèe, avrit 1906 et les deux autres articles de Datton, Arc/taeo/ogta, t. 60, I
et Bur/tuy/ott tMagazt'ue, t. X (1907), p. 355. On trouvera d'admirabtes repro-
ductions des objets appartcnant à la coltection Morgan dans ie beau catatogue
pubiié par les soins du possesseur.
TRÉSORS DE !ŒRYN!A 313

qu'it faut également attribuer les précieux objets trouvés dans


)es deux trésors de Ixerynia, en Chyp'e, et que se partagent
1e Musée britannique, celui de Chypre et 1a collection Pierpout
Morgan. Ce sont surtout de grands plats d'argent, les uns tra-

t'ig. 159. — Mariage de .David. Ptat d'argent de Ghypre (Musée de Nicosie).

vaillés en relief, les autres partiellement ornés de nielles ( ces der-


niers portent au centre, inscrits dans une bande décorative fort
élëgante, tantôt une croix, tantôt un monogramme, tantôt une
flgure de saint (fig. )58). L'autre série, infiniment pius remar-
quable, comprend neufplats représentant des épisodes de l'histoire
de David. Sur les plus petits (0, t4 de diamètre) on retrouve,
dans les paysages qui occupent 1e fond de 1a composition, dans 1a
façon dont les épisodes sont traités comme des scènes de genre,
314 L'onFÈVRBRIH ET LES ARTS DU MÉTAL

chasses et berg-eries, dans l'attitude des personnages, ie souvenir


de ia tradition aiexandrine et du style pittoresque heilénistique. Les
grands disques au contraire (quatre dê 0,27 de diamètre) otïrent
des compositions pius solenneiies et pius graves qui procèdent du
style monumentai (tig'. 159) ; ies perspnnages y sont symétrique-
ment groupés devant une construction à arcade centraie soutenue
parquatre colonnes, qui rappeiie ie fond du bouciier de Théodose,
à Madrid ; et comme dans ce monument, à i'exergue inférieur, des
motifs aiiégoriques, de styie antique, hgurent divers objets en
harmonie avec le sujet représenté. Dans ies costumes, apparaît ie
même méiange caractéristique de personnages vêtus à ia mode
byzantine et de Hgures encore tout antiques. On verra pius ioin ie vif
intérêt qu'oiTrent ces monuments pour l'histoire de l'iconographie
byzantine, et ce qu'ils apprennent sur ies origines de i'iiiustration du
Psautier. Iis ne sont pas moins remarquabies par ia vaieur nrtis-
tique, par ia beautë de ia composition, par i'éiégance harmonieuse
des figures. Ge sont assurément, parmi ies monuments connus de
cette époque, ies chefs-d'œuvre de i'orfèvrerie byzantine, et d y a
tout iieu de ies attribuer à un ateiier syrien, et de les dater du
v!° siècie.
Vase A'mèse. —- Le Musée britannique possède, provenant
du même trésor, des cuiiiers obiongues en argent, où courent des
animaux, iions, chevaux, iièvres, griifons, et un encensoir hexa-
gonai en argent, que décorent Ies figures en reiief du Ghrist, de
ia Vierge et de quatre apôtres '. Par ies types iconographiques
comme par ie styie de ia décoration, ce petit objet est étroite-
ment apparenté à un vase d'argent, provenant d'Émèse, que con-
serve 1e Louvre, et qui date du vP siècie Sur ia zone médiane de
ce vase, une bande circuiaire enferme une série de médaiiions
représentant ie Christ et des saints, et ia même ornementation se
rencontre dans un reliquaire d'argent trouvé à Sébastopoi et con-
servé au musëe de i'Ermitage, dans un coffret d'argent du trésor
du Sancta Sanctorum et dans ia pyxide dite de Grado 3. gur tous
ces monuments, ia décoration est constituée par des médaiiions
représentant en buste ie Ghrist et des saints ; en outre ies torsades

1. Datton, CatatogfHe, n" 399.


2. H. de Villefosse, communication dans ÆnH. de ia Socieie' de^ àntù/nat'res,
1899.
3. CR. de ta Commt'sstott t'ntp. areAëoioyttjfue, 189" ; Garrucci, Stort'a, Vt,
p], -136 ; Lauer, ioc. ctl., 71.
VASE D'ÉMÈSE 3)5

et les omements qui encadrent ces médaiHons présentent sur


ces divers objets une te))e anatogie de style, qu'on doi), sans nu)
doute, )es attribuer tous à )a même date, )e vt° sièc)e, et au mème
pays d'orig'ine, )a Syrie, que )e vase d'Émèse.
Entin, de ce groupe de monuments on peut rapprocher p)usieurs
autres ouvrages, )a célèbre d'argent trouvée à Henchir-
Zirara, en Afrique, aujourd'hui au Vatican, que de Rossi datait du

Hg'. 160. — Ptat en argent trnuvé en Sibérie (co)iection Stroganof à Rome).

commencement du v" siècie, mais qui sembie un peu plus moderne,


et )a ca/)6e//a de Brivio, au Louvre, qut est du mème temps
La décoration, constituée par des scènes évangéhques de carac-
tère symbohque, est un peu diiférente ; tnais )e déiaii de i'orne-
mentation, ia torsade en forme d'épi, le styie et ies caractères
généraux des scènes représentëes attestent une évidente parenté

1. ile Rossi, t-acapsen.i arf/eufea a/'rt'cau'a, Rome, 1889 ; Lauer, La eap.seiia


cie Rrt'uto (Mon. Piot, Xiit, 1907).
316 L'oRFÈVRERtE ET LES ARTS DU MÉTAL

avec le vase d'Ëmèse. II faut en6n rattacher au même groupe 1e


calice de 1a collection Tyler provenant de Syrie, et dont une
inscription forme 1e seul décor, et surtopt deux patènes d'argent,
sur lesquelles est représentée 1a Communion des apôtres. La
première, trouvée à Riha sur l'Oronte, et qui fait partie de 1a
coltection Kalebdjian, est du vi" siècle, etsi l'exécution en est assez
grossière et rude, elle est remarquable par ailleurs par 1e vigoureux
réalismedes figures '. L'autre, découverte àStûma, près d'AIep, et
qui est aujourd'hui au musée de Constantinople, date de 1a première
moitié du vn° siècle et dans sa technique maladroite elle montre 1a
fin d'une grande tradition d'art L Quoique trouvés en des points
fort éloignés les unsdes autres, tous ces objets dérivent d'un foyer
commun d'inspiration artistique : ils ont été fabriqués dans une
région unique, çertainement orientale, très vraisemblablement
syrienne et ils permettent, par leur technique et leur style, d'en-
trevoir quelque chose des traditions artistiques des ateliers d'An-
tioche. Un des traits les plus caractéristiques de cet art paraît être
1e constant souci et 1a recherche minutieuse de la vérité ; on y
observe, conime dans toutes les œuvres qui semblent d'origine
syrienne, un accent de réalisme qui se marque dans 1e goût du
portrait, dans hi poursuite de l'expression individuelle. Et si ces
ateliers assurément n'ont point ëté ies seuls qui aient existé dans
l'Orient chrétien, ils ont en tout cas exercé une large influence et
contribué à donner à I'art des directions nouvelles L
Vogfne de for/errerie syrienne. — Facilement transportables,
ces ouvrages d'art se sont répandus sans peine en Af'rique ou en
Italie, de mème que 1a vogue de l'argenterie syrienne en portait
vers 1e même temps les produits jusqu'au centre de l'Asie. C'est
en Mésopotamie qu'a été ciselé 1e célèbre plat d'argent de 1a col-
1. Bréhier, Les tre'sors d'aryett/erte syrt'emte el t'ècote ,trtt'stt'(/iie d'/tttft'oc/te,
(Gazette des Beaux-Arts, 1920, t, p. 175-196).
2. Ebersott, Le fre'sor de Sfùttta ait ntasèe de Cottsfatttt'ttopfe (R. A., 1911,
I).
3. Outre l'articte cité de Bréhicr, cf. Diehl, C'ècofe arftsftqite d'Attftoc/te ef
/esfrèsorsd'àryettferte st/rt'etttte (Syria, 1921). Dufanieux calice Kouchakji,
trouvé en 1910 à Antioche, it n'y a pas lieu de parler ici. Cette très belle
pièce, où, au tniiieu de frondaisons de vigne, des figures, d'un accent très
individuel, représentent le Ghrist et les apôtres, est attribuée par Eisen au
premier siècle ; niais elie semble piutôt du m* ou de ia première tnoitié du
iv* siècle, et peut-ètre mème est-eiic postërieure. Cf. Voihach, Der &'/fter-
schàfï cott Attft'oc/tt'a (Zeitsehr. f. biid. Kunst, t. 32 (1921), et surtout le grand
ouvragedetuxe pubiié rècemmentparEisen, 7'/tegreaf c/ta/t'ce o/ Att/t'oc/t,
2 voh, New-York, 1923.
mjoux 317

lection Stroganof (vi° siècle) (fig. 160), découvert en Sibérie, et


où sont représentés en repoussé, avec un goût qui rappetle Fart
hellénistique, deux anges debout aux côtés d'une croix. Un autre
ptat à inscriptions syriaques, de même date, trouvé dans ia région
de Perm, montre des sujets empruntésauxampouiespalestiniennes
(Ascension, Crucifixion, Résurrection), maismodibésselon les pro-
cédés et le styte de l'art sassanide *. De teis faits attestent à la fois la
notoriété dont jouissaient les ateiiers d'orfèvrerie syriens, et
expliqqent — chose importante pour f'histoire de l'iconographie
— comment se propagèrent à travers fe monde chrétien les com-
positions monumentaies créées en Syrie et en Palestine.
— Plusieurs musées ou collecfions parficulières pos-
sèdent enfin des bijoux précieux du v- et du vi° siècle. Le Musée bri-
tannique conserve un certain nombre de bagues en or, cachets ou
bagues de mariage, portant des monogrammes ou des figures de
saints 2 ; quelques-unes, qu'on date du v" siècfe, sont formées d'une
série de médaillons représentant des saints ou portant des bustes
alternés d'hommes et de femmes exécutés en nielles (n°° 190, 207).
Un beau bracelet d'or (n° 279), de provenance syrienne, est orné
d'un mëdaillon figurant la Vierge oranle, tandis que sur le cercle
des ôiseaux, cygnes et perdrix, sont représentés parnii des rin-
ceaux. Au musée de l'Ermitage, parmi lesobjets provenant du tré-
sor de Mersina, on signalera un collier d'or, formé de vingt médail-
lons décorés des deux bustes d'un empereur et d'une impératrice
(Justin 11 et Sophie ?), et auquel est suspendue une plaque d'or
repoussée montrant, entre deux fighres allégoriques, un triompha-
teur en costume antique L Mais ici encore 1a série 1a plus remar-
quable a été fournie par 1e trésor découvert en 1902 à Iverynia
de Ghypre On notera particulièrement une ceinture formée de
seize médaillons d'or, dont les quatre plus grands, représentant un
basileus sur un qùadrige, sont au nom de i'empereur Maurice
Tibère (582-602), des bracelets d'or richement décorés de rinceaux
de vigne, un collier d'or formé de feuilles ajourées auquel sont sus-

1. Chvotson, Pokrovskij etSmirnof, Un ptat ù'a!*gre;tfsyrte<t frouredatts


te yourerttemettt de Pernt (Matériauxpourt'archéologie russe, n° 22). Péters-
bourg, 1899 (russe) ; Stassof, Uttpiaf d'aryetti ort'etttai à i'Ermtfage, y voit au
contraire un travaii turcdu xtn° ou xtv" siècle. Cf. Smirnof, Aryettferte ort'ett-
tale, Pétersbourg, 1909.
2. Dalton, Cafaloytte.
3. Kondakof, 7*re'sorsrttsses,Pétersbourg.
1. Sambon, ioc. ct't..
318 L'ORFÈVRERIE ET LES ARTS DU MÉTAL

pendus une croix et six pendentifs en forme de disques ou de


feuilies, un autre coltier d or entln, avec croix à dessins estampés
et dix pendentifs en forme de vases ou d'amandes. Tous ces objets,
que possède ia coliection Morg'an, sont travaillés au repoussé, et
certaines de leurs formes attestent des influences orientaies. On en
doit rapprocher ie riche trésor découvert en Egypte vers 1909 et
dont ies objets sont partagés entre ies coilections Morgan, Freer à
Detroit, et von Gams à Francfort *. Ii comprend des pectoraux d'or,
composés de grands médaiiions àefligies impériales ou à représen-
tations évangéliques et de monnaies serties dans une somptueuse
monture d'or, et dont ies pius récentes sont au nom de Justinien,
de Justin II, de Tibère et de Maurice ; on y trouve en outre des
coiliers formés de piaques d'or travaiiiées à jour et enrichies de
pierreries et de peries, et d'autres constitués par des médaiiions
d'or ajourés ; puis ce sont des médaiiions pius petits, où des
monnaies de Justinien et de Justin il sont enchâssées dans une iarge
bordure d'or et qui sembient provenir d'une ceinture, des braceiets
décorés de médaillons d'or ou de pierres précieuses, des boucies
d'oreilies, etc. La plupart de ces pièces, dont ia technique rappelie
pius d'une fois le trésor de Kerynia, datent de ia seconde moitié du
vi" siècie et elies sotit fort remarquabies par i'éiégance de leur déco-
ration. ici encore ii y a lieu de penser que toutes ces pièces d'or-
fèvrerie ont une origine commune, que l'on cherche soit en Syrie,
soit en Egypte, soit en Ciiicie. En tout cas ces ouvrages d'art
portent ia marque évidente de i'Orient heiiénistique, et iis montrent
quei était au vi" siècie i'éciat de i'orfèvrerie byzantine.

1. Dennison, <yoM treasnre o/'làe tale romatt pert'oJ, New-York, 1918.


CHAPITRE VIII

LA FORMATION DE L'ICONOGRAPHIE

I. Les ai t^ mineurs et l'art monumental. Rôle de l'art industriel dans la for-


mation de l'iconographie.— II. Les origines etl'évoiution de l'iconographie.
Les origines paiestiniennes. Les éiéments nouveaux de l'iconographie. Les
compositions. Les types. Le Christ. La Vierge. Prophètes et apôtres. —
III. Caractère de l'iconograpiiie. Son immobiiité. L'art byzantin du vi^ siècle.

Aex arfs /ntneury ef /'ar/ yüotmmedlaT — ]-es monuments des


arts mineurs, qui ont étë étudiés dans ]es prëcédents cha-
pitres, ne méritent pas seuiement t'nttention pour leur valeur
artistique propre. Its ofïrent encore un autre intérêt. On a p[us
d'une fois dëjà sigiialé au passage ]es rapports étroits qui existent
entre ces miniatures, ces étoffes, ces ivoires, ces orfèvreries, et
]es grandes œuvres de i'art monumental, et montré queHe puis-
sante induence ces dernières ont fréquemment exercée sur ]a com-
position et te sty]e des produits de ]'art industriet. !] suffira de
rappeier, par exempie, que ptusieurs des miniatures du Rossanen-
sis, du Cosmas, dei'évangétiaired'Etschmiadzin, semhtentvisibie-
menf inspirées de mosaïques ou de fresques, que ]es ampoutes de
Monza, comme )es miniatures des évangües syriaques, reproduisent
assez fidètement ]es mosaïques ou ]es fresques des sanctuaires
céfèbres de !a Patestine, que !es ivoires, p]us encore peut-être au
xi" siècte qu'au vi", empruntèrent ptus d'une fois des modètes à ta
peinture et à )a mosaïque. Inversement, on te verra, !a miniature a
fourni parfois des modètes à ta mosaïque. Un manuscrit des Actes
des Conciles a sans doute inspiré 1a décoration de ia basitique de
Bethtéem ; un rouleau évangélique a peut-être donné l'idée des
compositions qui se déroulent en frise aux parois de ]a Métropole de
Mistra ; 1a Bible de Cotton enfin a certainement servi de modèle au
mosaïste qui décora les coupoles du narthex de Saint-Marc. De
tout ceta ii résutte qu'entrë ]es créations de i'art monuniental et ]es
320 LA FORMAT!ON DE I. tCONOGHAPHIE

ouvrages des arts minenrs il existe une parenté étroite et incontes-


tab!e ; et c'est là un fait qui est gros de conséquences.
7?o/e r/e /'ar/ mt/ux/r/e/ c//in.s /a /orma//on de /'tconoyrapAte.
— Tous ces petits objets mobiles, manuscrits, étoffes, ivoires,
ampoules de métal, ont propagé, en effet, par tout le monde chré-
tien, et au delà même, les types de i'iconographie Hxés par i'art
monumental. De cette ditfusion un exempie précis et frappant cst
fourni paries céièbresampouiespalestitiennesdeMonza : copiesassez
tidèies des mosaïques ou des fresques qui décoraient ies sanctuaires
de ia Terre-Sainte, eiies ont porté ces compositionsnon seulement
dans toute ia Syrie, mais bien au deià, aussi bien dans i'Occident
chrétien que dans ies communautés iointaines de ia Mésopotamie et
de ia Perse : i'art sassanide même y a trouvé des inspirations, comme
i'atteste par exempie ia patène décorée de thèmes paiestiniens,
qui a été retrouvée dans ia région de Perm. Or )e rôie que nous
pouvons avec certitude attribuer aux ampouies de Monza,
bien d'autres monuments semblables i'ont pareiiiement rempii: iis
ont transmis à travers ie monde certaines formes d'art, certains
modèies de compositions ; et pat* ià iis ont contribué à ia fois à ia
formation età ia dilfusion d'une iconographie nouveiie. Et naturei-
iement alors une question se pose, qui est essentieiie. Où ce sont
constituées d'abord ces compositions chrétiennes qui désormais
vont devenir ciassiques, et queis éiéments nouveaux y vont appa-
raître au v^ et au vt° siècie ?

ii

LES ORtGtXES ET L ÉVOLUTtOX DE L tCOXOGRAPHtE

Aex or/qtnes pa/es/tn/ennex *. — Les recherches récentes,


ceiies d'Aïnaiof et de Miiiet en particuiier, ont démontré qu'ii faut
chercher en Paiestine et en Syrie une des origines principaies de
cette iconograpbie nouveiie. C'est dans ies sanctuaires éievés au
iv" siècie à Jérusaiem et autour des iieux saints que se créèrent
dès ce moment queiques-unes des pius anciennes compositions
évangéiiques, iiiustrant ies épisodes fameux de ia vie et de ia mort
du Sauveur. C'est de ià, grâce à ia vénération universeiie qu'ins-
piraient ces souvenirs sacrés, qu'eiies se répandirent natureliement

1. Aïnatof, Or/g/n.e.s ; Miltet, Recàere/tes sur /'t'coRoyrapù/e de t'Æ'anyt/e


I.ES ORIGINES PALESTINIEIsMES 321

dans toute la chrétieuté, par rintermédiaire des pèierins qui


aftluaient en fouie dans ia Terre-Sainte. Des exempies précis
attestent cette intluence de ia Palestine. EHe se manifeste dans
Ia prédiiection avec iaqueiie l'art chrétien reproduisit les monu-
ments de Jérusalem, Saint-Sépulcre et croix du Golgotha, escalier
et autel du sacrihce d'Abraham que les visiteurs rencontraient au
pieddu Calvaire, g-rotte et crèche de Bethléem, etc. ; elle apparaît
également dans 1a place que cet art ht aux légendes paléstiniennes.
Et cela se conçoit aisément. Le grand élan de piété qui entfaînait
les foules'vers les lieux saints leur en rendait également chers les
souvenirs : les pèlerins s'efforçaient de rapporter et de faire repro-
duire l'image des compositions illustres qui, aux sanctuaires
fameux du christianisme, au tombeau des martyrs célèbres, avaient
frappé leurs yeux et enflammé leur dévotion. Ainsi se constitua
naturellement 1a base de l'iconographie.
Le^ nouneanai Je TicouoyrapAie. — Certaines scènes
de l'Ancien Testament avaient de bonne heure trouvé dans l'art
des Catacombes une forme à peu près délinitive : tels 1e sacrihce
ou 1a philoxénie d'Abraham, les enfants dans 1a fournaise ou
Daniel parmi les lions. L'art nouveau les conserva sans y chan-
ger rien, sans se préoccuper non plus de développer beaucoup
1e cycle de ces compositions ; tout au plus fit-il assez largement
place aux épisodes del'histoire de Joseph ou de celle de Josué, et à
C]uelques scènes de l'hisfoire de Moïse. Au contraire il s'appliqua
avec une ardeur passionnée à retracer Ies multiples épisodes du
cycle évangélique L Dès la fîn du iv° siècle et dans 1e courant du
l'histoire évangéiique tout entière fut mise en images. Sous
l'influence des Pères de l'Église, des exégètes qui expliquaient et
commentaient les récits de l'Évangile, une iconographie se consti-
tua, à Alexandrie aussi bien qu'à Antioche, et selon l'endroit où
elle se créa, elle s'inspira davantage, en Egÿpte, de 1a tradition
hellénistique, en Syrie, de 1a tradition orientale. Dès ce moment,
ct à côté des inspirations qu'on chercha dans les évangiles cano-
uiques. il faut noter qu'on lit plus d'un emprunt à ces évangiles
apocryphes, qui plus tard fourniront tant de thèmes à l'art chrétien.
En étudiant les ivoires de la chaire de Maximien ou 1e diptyque
de Ravenne, Aïnalof a reconnu toute une série de détails qui tous

1. Rohautt de Fleury, t'Éraayùe, Tours, 1874 ; Pokrowskij, t'Fraayùe,


Pëtersbourg, 1892; Mitlet, ouvrage cité.
-Matmet d'Art hyzanMh. 21
322 LA FORMATION DE L ICONOGRAPHIE

viennent des apocryphes : tets, dansi'épisode de i'Annonciation, ia


Vierge Hiant ; dans !a Nativité du Ghrist, ia sage-femme Saiomé ;
dans ie voyage à Bethiéem, i'ange conduisant i'âne, ou encore
i'épreuve par l'eau imposée à ia ViergeG Pareiiiement, dans ie
manuscrit de Rossano, ies deux épisodes du Jugement de Piiate et
du peupie rëciamant la mort du Ghrist (fig. )27 et 128) doivent
ieur origine aux apocryphes, cfe TVtcoc/ème et Ac/e^ cfe
Pt/ale.
Le3 compo3i/;on3. — Ainsi se constituèrent de iarges cycies de
compositions jusqu'aiorsinconnues. Dèsiafin du v° siècie, iesépisodes
de ia Passion du Christ étaient fréquemment représentés, comme i'at-
teste un curieux passage de Léontios de Neapotis : t< C'est par amour
pour Dieu que nousreprésentons ses souffrances dans toutesies égiises,
dans ies maisons, sur ies vêtements, et partout, pour ies avoir sans
cessesousiesyeux. " LaGrucitixion, d'abordécartéepardepieuxscru-
puies, apparait^.Tandis que,dansiesampouies de Monza, copiedes
mosaïques absidiaies du Martyrion, 1e Christ est représenté, non
point attaché sur ia croix, mais pianant dans ie ciei, entre !e soieii
et ia iune, au-dessus des croix dressées et des personnages du
drame, dès ia fin du v^ siècie et dans tous ies monuments du vi^, ii
est figuré cioué sur ia croix, tantôt nu, tantôt vêtu du coiobium,
mais sans que i'artiste craigne de faire scandaie eri représentant ie
Dieu souffrant et mourant. Tei ii se rencontre sur ies portes de
Sainte-Sabine, sur ies feuiiiets de i'évangiie de Rabuia ; tei il se
trouvait dans ies fresques de Saint-Serge de Gaza, et sans doute ii
ne manquait point davantage dans ies mosaïques de Saint-Apoiii-
naire-Neuf de Ravenne. Au vi° siècie, ia Transhguration apparaît
dans i'abside du couvent du Sinaï et à Saint-Apoiiinaire in Ciasse ;
dès ie iv" siècie, ia composition fameuse du Jugement dernier est
décrite dans un passage d'Ephrem ie Syrien, teiie que ia réaiisera
pius tard i'art byzantin. Bien d'autres épisodes évangéiiques encore,
Annonciation, Adoration des Mages, Baptême du Christ, Ascension,
Pentecôte, etc., ont égaiement ieur origine dans ies mosaïques qui
décoraient ies sancfuaires paiestiniens et ont trouvé ià de bonrie
heure ieur forme définitive. Que i'on considère, par exempie, ies
miniatures de i'évangiie de Rossano : on y rencontre, seion ia juste

1. Gf. Adamantiou, 'A'pefagHEtpot, dans AotoYpayta, t. là 3 (1909-1910).


2. Bréhier, Les ortytues du criiet/tæ dans farf reitytetiæ, Paris, 1901 ; Reit,
Dte /'ritàcàrts^tcàen Darstefhmyen der Æreintgutty CTtrtslt', Leipzig, 1901.
LESCOMPOSITIOKS 323

remarque d'Aïnatof, !e type de toute une série de compositions tixé


dès ie vi° siècle, et pour toujours. La Résurrection de Lazare ou
i'Entrée à Jérusaiem se retrouveront au xn" siècte dans les mosaïques
de 1a Chapelle Palatine, toutes semblables aux prototypes repré-
sentés dans le vieux manuscrit. La Communion sous les deux
espèces, 1a scène du bon Samaritain, 1a parabole des Vierges sages
et des Vierges folles se répéteront, identiques au vieux modèie,
dans les ouvrages du xi^, du xn" et du xnp siècle.
On pourrait multiplier ces exemples. Le cycle des mosaïques de
Saint-ApoIIinaire-Neuf à Ravenne, ia description qu'a laissée Cho-
ricius des peintures de Saint-Serge de Gaza, celle qu'a faite Nicoias
Mésaritès des mosaïques des Saints-Apôtres montrent qu'au
vi^ siècle, 1e cycle évangélique, largement développé, avait trouvé
en beaucoup de pointssa forme déRnitive, où 1e symbolisme s'était
effacé pour faire place à l'élément historique L Pareillement, les
thèmes émpruntés à l'histoire de David, tels que les représentent
les fresques de Raouit et les plats du trésor de Chypre, permettent
de supposer que dès cette date se constituaient les éléments de
l'illustration du Psautier dit « aristocratique B, et donneut quelque
vraisemblance à l'hypothèse de Strzygowski, relativement aux ori-
gines syriennes de l'un des types d'iHustration de ce livre fameux.
Entin, si 1e cycle de 1a Vierge n'a pris qu'à partir du xi° siècle tout
son développement, pourtant, dès 1e vP siècle déjà, il tient quelque
place dans les ivoiresj et lui aussi semble devoir à 1a Syrie son
origine
On voit par tout ceci 1e grand effort créateur qui s'accomplit
dans bart chrétien au v° et au vi" siècle. La trace très visible s'en
rencontre dans le manuscrit du Cosmas. C'est ici, par exemple,

1. Une autre description, d'origine égaiement syrienne, montre ie cycie


évangéüque (enfance, miracles, passion) absolument, Axé dans tous ses détails.
Eüe date du vm° siècle et se trouve dans 1e Pseudo-Damascène, Ora//o ad
Cons/an//nHm. Caha///nnm (Pa/r. grr., t. 95, p. 314-315), mais l'origine est sans
doute plus ancienne. On trouve dans le même texte (p. 316 et 325) le thème de
l'Anastasis et celui du Jugcment dernier fixés dès le vm* siècle sous leur forme
traditionnelle. Sur 1a formation et révolution du cycle ëvangélique, voir:
Reil, Dte a//chr/s///c/ien Z?Pdzi//den. des Peherts ./esu, Leipzig, 1910, et surtout
Mület, PecAercAes sizr /'/conograp/t/e de / jÉran<y//e, Paris, 1916, qui a analysé
avec une minutieuse prccision, depuis l'Annonciation jusqu'à la Résurrection,
l'origine, les aspëcts divers et révolution des thèmes iconograpiiiques. Cf.
aussi les indications très précises que donne Dalton dans son manuel, p. 652
etsuiv.
2. Baumstark, Zn den Jf/n/a/nren der Narten/*es/predtf/en des JaAiohos non
Ao/f/f/nôhaphos (OCh, IV, 1905).
324 LÀ FORMATION DE L'iCONOGRAPHIE

qu'apparaît pour la première fois l'esquisse de !a céièbre composi-


tion du Jugement dernier, avec ce trait, qui ne disparaîtra jamais p!us
par la suite, de la distribution du sujet enp!usieurs zones superposées
(fig'. 117). C'est là qu'on trouve !a première idée de !a descente du Saint-
.Esprit, teüe qu'eüe tigurera plus tard aux coupoles de Saint-Luc ou
de Saint-Marc. De même toute une'série de motifs, qu'on retrou-
vera plus tard dans !es psautiers byzantins, ont ici leur origine :
par exemple la représentation des antipodes et surtout ceHe de !a
Terre, figurée tantôt comme une montagne derrière iaqueHe se
lèvent !e soteil et la !une, tantôt comme un carré aux angles duquel
quatre vents soufflent dans des cornes. Ce sont !à autant de thèmes
qui ne changeront p!us.
Les L — Le CArMf. — De même que les compositions
tendent à s'ordonner en une disposition désormais immuab!e, ainsi
!es types des principaux personnages sacrés commencent à se fixer.
L'art chrétien avait jusqu'ici représenté le Christ sous des traits
assez divers Sous l'influence de i'art heHénistique et de )a !itté-
rature qui s'en inspirait, i! le figurait volontiers jeune, imberbe, les
cheveux tantôt retombanten tongues boucies sur!es épau!es(monu-
ments d'Asie Mineure) (fig. 42), tantôt courts et bouc!és sur un
visage !arge etptein (monuments d'Égypte), mais au tota! sous !es
traits d'un héros ou d'un dieu antique (fig. 48\ En face de ce
type, !a Syrie en imagina un autre, moins idéa!, conçu dans !e
visibte dessein de créer une figure p!us proche de !a réaüté histo-
rique : !e Christ y apparut p!us âgé, !e visage encadré d'une barbe
noire p!us ou moins iongue, !es cheveux p!ats, séparés par une raie,
!es sourcüs joints, !e teint comme les b!és, soust'aspect caractéris-
tique d'un homme du peup!e d'Israë!. Au début, !es deux types
coexistèrent dans !es épisodes du cyc!e évangéiique : dans !es
mosaïques de Saint-Apoüinaire-Neuf, sur !es ampoutes de Monza,
dans les miniatures de !'ëvangile de 586, aiHeurs encore, !e Christ,
iinbei bedansles mirac!es(fig. 102), apparaîtbarbudans!esscènesde!a
Passion (fig f00.). Pourtant, !es tendances réaüstes et historiquesde
!'artbyzantin consacrèrent promptement !e second de ces deux types
et en souügnèrent encore le caractère solenne! et grave. Si !e Christ
du cycle ëvangéüque garda dans sa maturité du charme et de !a grâce,

1. Detzel, GàrMMteAe 7/coaoyrapàie, Fribourg, 1894-1895.


2. Oulre tes ouvrages mentionnés p. 11, de N. Mütter, Dobschütz, Weis-
Liebersdorf et Strzygowski, cf. Kondakof, leonoyrapAt'e de /ësH.s-Gàrtsf,
Pëtersbourg, 1905.
LESTYPES 325

de ptus en plus ie Pantocrator, le dieu tout-puissant, maitre du


monde, prendra un aspect sévère jusqu'à ta tristesse et à ladureté.
Seu), te Christ Emmanuet conserva te souvenir du type originat :
l'iconographie byzantine te représenta toujours imberbe et jeune.
La Vterye. — La mêmeévotution dans te sens historique Bxates
traits deta MadoneL A partir du jouroù le concile d'Ephèse t'eut
solennettement proclamée ta mère d'un dieu (tAeo/oAo3),eHeprit te
visagealtongé, tes traits graves, t'attitudeimposanteque tui attribuent
pareillement, dèste vt°siècte, tes mosaïquesdeSaint-Apolhnaire-Neuf,
de Parqnzo (fig. !09)etde Satonique(fig'.95), I'évangé[iairede586et
t'ivoire Crawford, et qui persisteront jusqu'au xn" siècte et même au
detà. Sans doute, bien des différences subsistèrent dans t'attitude
et te geste attribués à !a mère de Dieu ; toute une série de types
divers coexistèrent, reproduisant en générai certaines icones
cétèbres dela Panagia It y eutla Vierge Rooftyt'frfa (conductrice),
représentée debout, tenant sur l'un de ses bras l'enfant divin,
l'autre main, levéedansl'attitudedela prière, etqu'on rencontrede
bonne heure dans les monuments chrétiens d'Egypte. II y eut 1a
Vierge hgurée en buste, les deux bras levés dans
l'attitude de l'orante, ayant d'ordinaire sur 1a poitrine 1e médaitlon
du Christ. II y eut 1a Vierge Æyrtofnsa, représentée debout, ser-
rant de ses deux mains l'Enfant Jésus sur sa poitrine. II y eut 1a
Vierge orante, debout, sans l'enfant, !es mains levées, et 1a Vierge
assise sur un trône, bénissant ou tenant son divin fils sur ses
genoux. II y eut même, d'assez bonne heure, 1a Vierge allaitant
l'enfant divin. Mais, dans toutes ces représentations, les traits
essentiels du visage ne changèreht, guère, et 1e type, de bonne
heure fixé, se répéta immuablement.
Anyeg,propAèfex, apdfrex, éran^refMfex. — L'étude des manu-
scrits montre de même comment, vers 1e même temps, se précisent
les types des autres personnages sacrés Dans 1e Cosmas, certaines

1. Rohautt de Fteury, La Vt'erge, Paris, 1878 ; Venturi, Z,a tMadottna,


Mitan, 1900; Munoz, Zcottoyra/*t'a det/a Nadotttta, Horence, 1905, etsurtout
Kondakof, Zeottograp/tte de /a Vt'eriye, 2 vot., Pétersbourg, 1914-15, et t'ou-
vrageparusousle niême titre en 1911, etqui ëtudie surtout ['iconographie
dela Vierge dans ses rapports avec ]'art itatien.
2. Schlumberger, St'ytlioyrap/tte hysatttt'tte, Paris, 1884, Introduction ; Kon-
dakof, Noatttttetti.s de /'art c/tre'/t'ett à Z'At/tos, Pétersbourg, 1902 (russe), p. 141
sqq. ; Strzygowski, Dt'e #arta Oratts t'a der bt/z. Kttas/ (RQ, 1892) et Kt'tte a/eæ.
We/tcArottt'à, p. 158 sqq.
3. Stuhtfauth, Dte K'ttyet ttt der attc/trt'sftt'c/tett Kttttsf, Fribourg, 1897 ;
Ficker, Dfe Darsfeffttttt/ derylposfei ftt deraffc/trfsff. Ktttt.sf, Leipzig, 1887.
326 LA FORMATION DE L ICONOGRArHIE

figures de saints, de prophètes, d'anges et de chérubins appa-


raissent sous des traits qui ne se modiheront pius désorniais. C'est
de !à que vient ce type du vieiHard à long-s cheveux et à longue
barbe, qui sera désormais caractéristique du prophète (Isaïe,
Zacharie, etc.). C'est de là que vient 1e type de saint Jean-
Baptiste, avec ses longs cheveux noirs bouclés, sa barbe noire,
son visage osseux, sa croix à 1a main. Comme 1e dit très bien
Aïnalof, <( grâce à 1a Topographie de Cosmas, toute une série de
nouvelles compositionset de nouveaux typessont entrés dans l'ico-
nographie et y ont pi'is une place d'autantplus importante à remar-
quer, que ce manuscrit unit aux particularités de l'art alexandrin
1e génie créateurde l'art chrétien '. a Demème, lesarchanges appa-
raissent, ailés comme des Victoires antiques, somptueusement
vêtus comme des empereurs. Pareillement, 1e type de l'évan-
géliste se fixe : il apparaît pour 1a première fois, assis sous une
arcade et ëcrivant, dans l'évangile syriaque de 586 et dans celui de
Rossano : et ce modèle, visiblement inspiré des portraits d'auteurs
ciassiques placés en tête de leurs ouvrages, se répétera désormais
sans changement. Enhn, dès levi" siècle, 1a typologie de plusieurs
des apôtres, tels que Pierre, Paui et André, est arrêtée de façon
déiinitive.

III

CARACTÈRE DE L'iCONOGRAPIIIE

Son fnïynoAih'fè. —C'estcette tendance àfixertoutes choses, com-


positions et types, en formules immuables qui constitue précisé-
ment 1a faiblessede cet art byzantin. En inventant au v" et au vi" siècle
cette magnitique sériede thèmes proposésparlui àlavénération des
Rdèles, incontestablement l'artchrétien d'Orientavaitfaitungrand
etfortcréateur. Maisces thèmes, ayant pourobjetessentiel d'exprimer
aux yeux des tidèlesles véritésdela foi, en prirent poui' ainsi dire une
valeur sacrée, et I'iconographie nouvelle, unefois qu'elie IeseutHxés
en des compositions parfois admirablcs, naturellement ne se préoc-
cupa plus guère de les renouveler. Sans doute il ne faut point exa-
gérer cette immobilité paresseuse. Beaucoup d'acquisitions nou-
velles enrichiront, on 1e verra, au cours des siècles, l'iconographie

1. A'inalof, Orty., p. 36.


L'ART BYZANTIN AU Vp StÙCLE 327

byzantine ; les anciens thèmes se transformeront par ïe changement


des attitudes, l'addition de personnages ou de motifs nouveaux ;
des variantes nombreuses, en étendant ou en restreignant ie déve-
ioppement de ia composition, iui donneront comme un aspect jus-
qu'aiors inconnu ; un constant mouvement d'évoiution enHn renou-
veHeracet art, et, tantôt sous i'inttuence de i'antiquité, tantôt sous
l'action de 1a tradition pittoresque et réaliste, 1e fera capable de
creation. Pourtant 1a raison d'être même de cet art, sa destination
surtout religieuse, y produiront vite unetendance inévitableà Rxer
ses trouvailles, et surtout Tes plus heureuses, en formules déHni-
tives; et la sève créatrice s'entrouvera assez promptementtarië.
Assurément le magniSque développement d'àrt qui marque 1e
siècle de Justinien permet à peine de pressentir ces faiblesses que
révélera l'avenir. Pourtant l'observateurattentif, quis'efforced'ana-
lyser 1e véritable caractère de cet art, ne saurait s'y tromper.
Z'arf ùyzanffn au ^fècfe. — Ona vu toutce que l'art
byzantin doit à l'art antique. Quand les artistes du v" et du
vt^ siècle créèrent 1e style nouveau, Ieur esprit était plein encore
des souvenirs du passé, ils vivaient au milieu de ses œuvres.
Entre les influences diverses qu'ils subirent, celle d'AIexandrie
fut particulièrement puissante. Its restèrent donc tout natu-
rellement attachés à quelques-uns des principes essentiels de
l'art classique. Gomme lui, ils aimèrent 1a beauté des ordon-
nances, 1a noblesse des attitudes, l'élégance harmonieuse des dra-
peries ; comme lui, ils eurent 1e goût du pittoresque cher à l'art
hellénistique. Sans doute,sous l'action d'autres inftuences, ils exa-
gérèrent parfois 1a symétrie, ils raidirent les libres créations de 1a
Grèce. Un grand souttle d'inspiration antique traverse pourtant et
anime l'art byzantin.
A cet élément claâsique s'ajoutèrent les inHuences orientales. On
a expliqué en détail tout ce que l'art byzantin dut à 1a Syrie, à 1a
Mésopotamie, à 1a Perse, soit pour les formes de l'architecture, soit
pour 1e système de l'ornementation. II leur dut autre chose encore,
1e goût du luxe, de 1a magnificence ; et surtout, à leur contact, il
s achemina vers des formes d'art plus voulues, plus convention-
nelles, où se glaça trop souvent 1a fantaisie charmante de l'art
antique.
Mais l'art byzantin ne se borna point à combiner les apports de
deux grandes civilisations. II fut vraiment créateur, et ii 1e fut par
1e christianisme. II s'est proposé pour tâche, en effet, et il a eu 1e
328 LA FORMATION DE L ICONOGRAPmE

mérite de donner aux conceptions chrétiennes une physionomie


originaie, d'exprimer magnifiquement )es spiendeurs de ia religion
triomphante, la majesté des choses divines, ies espérances que la
reiigion ottre à l'humanité. Etpar ià, maigré la piace incontestable
qu'ii fautà Byzance faire à l'art profane, l'artbyzantin futsurtout,
fut essentietiement un art religieux. De bonne heure ii eut un
caractère théologique très prononcé, et il 1e conserva toujours. De
bonne heure, l'Eglise, qui l'employa comme moyen d'enseignement
et instrument de glorihcation, 1e guida etlesurveilla assez exacte-
ment, et par là il prit vite une certaine uniformité. Et sans doute
cette uniformité n'a point abouti à une immobilité stérile. Après 1e
grand effort d'activitë originale et créatricequi marque 1e vP siècle,
plus d'une fois encore une vie nouvelle a pénétré et transformé
l'art byzantin. Le tx" etle x^siècles ont été une époque d'éclatante
renaissance; !e xtv" siècle a connu une dernière évolution, et non
1a moins curieuse, de l'art byzantin. Pourtant 1a tidélité à des types
arrêtés, d'autant pius grande qu'à ces types l'esprit populaire atta-
chait un sens sacré, a été de bonne heure, il faut 1e remarquer, un
des traits caractéristiques de cet art, et toujours des liens étroits
l'ont unià l'Eglise. Iladù à cette orientation particulièreuneréelle
et incontestable grandeur ; il lui devra aussi quelques-unes de ses
faiblesses.
CHAPITRE IX
L'ART BYZANTIN DE JUSTINIEN AUX ICONOGLASTES

Décadencede l'empirebyxantin auvn°siècle. — I. Lesmonuments de l'ar-


chitecture à Constantinople. Kalender-hané. Hodja-AIoustapha-pacha. —II.
L'art byzantinen Orient. Arménie. Eglises d'Etschmiadzin. Eglise de Saint-
Grëgoire. L'art arménien ett'art byzantin. Byzance et 1a Syrie. — III. L'art
byzat^tinen Occident. Rome. L'architecture. Les mosaïques. Sainte-Agnès.
Oratoirede Saint-Venance. OratoiredupapeJean VII. Fresquesdes Cata-
combes. Santa Maria Antica. Saint-Sabas. Ravenne. Mosaïques du vn* siècle.

Dëcat/ençe c/e /'e/Ttp/re au V//" s/écZe. — Du iv" au


vP s!èc!e, i'art chrétien d'Orient s'était, de progrès en progrès, étevé
jusqu'au point de perfection qui marque !e siècte de Justinien. Ce
magnidqueessor nese ralentit point tout de suite.Les premierssuc-
cesseurs du grand empereur furent, comme tui, de grands bâtis-
seurs : par !eurs soins, de nouveHes égüses furent construites à
Constantinopie, de nouveaux embeHissements s'ajoutèrent aux
spiendeurs du Patais-Sacré. Et de même, on i'a vu. !a portion des
mosaïques de Saint-Démëtrius de Satonique qui date du commen-
cement du vip siècle attesta que ies mosaïstes byzantins étaient
capables encore d'œuvres tout à fait éminéntes. Pourtant, dès ce
moment, 1e puissant effort créateur, par où s'étaient caractérisés
les siècles précédents, tend à se ralentir : on répète les formes
consacrées, on n'invente plus guère. Un lemps d'arrêt se marque,'
que bientôt 1a décadence suivra.
Aussibienles circonstances historiques expliquent sutbsamment
cette atonie de i'art. Le long règne de Justinien avait épuisé les
forces vives et les ressources de 1a monarchie. Dans 1a détresse des
tinances et )a décomposition del'armée, les empereursde 1a fin du
vi^siècle eurent unetâcheétrangement difRcite. L'invasionbarbare,
longtemps contenue, débordait toutes les frontières; !es Lombards
entraient en Italie, lës Avars et les S!aves franchissaient !e Danube,
Ies Perses redevenaient menaçants en Asie. Les agitations inté-
rieures, émeutes, révotutions, coups d'état, s'ajoutaient aux
embarras du dehors. Ce fut bien pis au vip siècle. Peu d'époques
ont été pour Byzance plus tristes, p!us désespérées. t.a Syrie, !a
Palestine, l'Égypte tombent aux mains des envahisseurs, l'Asie
Mineure est ravagée, les Perses parviennent jusqu'en face de
330 L'ART BYZANTW RL JUSTtNIEN AUX ICONOCLASTES

Constantinopte ; en Europe, ies Avars campent sous ies mursde ia


capitaie, ies Staves, à ptusieurs reprises, menacent Thessalonique,
etla détresseest teHequ'Héraciius song'e à transporter sarésidence
à Carthage. Sans doute, pour un court moment, i'énergiqueactivité
de cet empereur repousse i'invasion et répare ies désastres; mais
aux Perses succèdent ies Arabes, pius redoutabies. Gette fois, !a
Syrie, ia Paiestine, i'Égypte sont perdues pour toujours ; ies
Musuimans courent i'Asie Mineure, ies Siaves se répandent dans
toute ia péninsuie des Baikans ; bientôties Buigares s'instaiientau
sud du Danube. De toutes parts i'empire se rétrécit, et la monar-
chie sembie si bien perdue qu'un souverain, petit-fiis d'Héraclius,
quitte Constantinopie pour aiier vivre à Syracuse. Les finances sont
ruinées, iecommerce languit; pour couronnerietout, une anar-
chie eifroyabie agite à i'intérieur et achève de dissoudre ia monar-
chie. Une seuie préoccupation s'impose aux esprits, ceiie de la
défense miiitaire et du saiut commun : tout ie reste, en facede teis
soucis, semble secondaire et méprisabte. Et en effet, ia iittérature
est réduite à une condition iamentabie : queiques théoiogiens,
queiques hagiographes représententtoute i'activitéinteiiectueiie de
ce temps ; on n'y rencontre pas un historien, pas un phiiosophe,
pas un poète. On conçoit que i'art partage ia décadence généraie.
A i'exception de queiques embeiiissements apportés au paiais par
Justinien II, ies textes ne mentionnent pas, pourtout ie viB siècie,
une seuie construction nouveiie éievée à Constantinople. Rare-
ment l'art byzantin a connu pius compiète déchéance.
On ne s'étonnera donc point qu'ii subsiste fort peu de monuments
de cette période. Bourtant queiques ceuvres intéressantes ont sur-
nagé, qui méritent d'être étudiées. Eiies montrent, d'une part, queis
fondements soiides avait donnés à i'art ie grand mouvement du
vB siècie, et comment par là cet art, iongtemps encore, rayonna
sur iemonde; eiies montrent, d'nutre part, iadécadence assez
rapide qui suivit ce grandeffortde créationetqueiienécessités'im-
posait, pour réveiiler et transformer i'art, de queique chose de
nouveau et d'originai.
I
LES MONUMENTS UE L'ARCIIITECTURE A CONSTANTINOPLE

La mort de Justinien, on i'a dit, n'interrompit point sonœuvre.


Ses successeurs, comme iui, se piurent aux constructions, et ieurs
HALENDER-HANB 331

monuments s'inspirèrentdesmêmes principesqui avaientgouverné


l'art durant ie précédent règne. Les édilices qui subsistent à Cons-
tantinople de ce temps, ou ceux dont les textes nous ont conservé
le souvenir, répètent visiblement les types qui nous sont connus
dé à, et que les chefs-d'œuvre de l'âge antérieur avaient consa-
ctés.

Fig. 161. —Constantinople. Kaiender-hané-djami (Phot. Ebersott).

Ainsi le Chrysotriciinium bâti parJustin Hdans i'enceinte du


paiais impériai reproduisitietypede i'égiisedesSaints-Serge et Bac-
chus et de Saint-Vitai. C'était, d'après les descriptions qui nous en
restent, un bâtiment octogone surmonté d'une coupo)e,sur ies huit
faces duquei s'ouvraientautant d'absides,contrebutantia construc-
tion centraie ; ie tout était inscrit dans un vaste carré. Au-dessus
des huit arcs des absides et des pendentifs intercaiés entre eux,
régnait, comme à Saint-Serge, un riche entabiement, au-dessus
duque) une gaierie circuiaire était ménagée sur ie pourtour de ia
saiie ; ies murs et ies voûtes étaient enrichis de mosaïques.
Æa/enJer-Aané*. — Ainsi ia mosquée de Kaiender-hané(fig. 161

1. Freshhetd, tVotes oa tàe eàHreà noto catted the itfosque o/' the Ftatenders
at CP. (Archaeotogia, t. 55, 1 (1897); Wulfï, D;'e Æo:'mesM/fireàe iVicâa; et
tes travaux de Gurlitt et d'Ebcrsottet Thiers, cités p. 134.
332 L ART BYZANTM DE JUSTÏNtEN AUX ICONOCLASTES

et 162) où quelques savants veuient reconnaitre l'égiise de 1a Dia-


conissa bâtie par l'empereur Maurice, et qui, en tout cas, date au

Fig. 162. —Constantinopie. Kaiender-hané-djami. Intérieur(Phot. Ebersoit).

plus tard du conimencement du vn^ siècle, semble, au moins dans


sa forme primitive, avoir répété 1e type de 1a basilique à coupole.
Fort remanié à ditférentes époques, cet intéressant éditice ne laisse
plus aujourd'hui aisémentreconnaitre sonaspect original. L'abside
circulaire qui Ie terminait a disparu pour faire place à un mur
HODJA-MOUSTAPHA-PACHA 333

droit ; une décoration, d'ailieurs fort remarquabie, de revêtements


de marbre en a, sans doute vers le xip siècle, modiRé ia physio-
nomie intérieure ; certaines dispositions premières, par où ie pian
du monument rappeiait assez sensibiement ceiui de Sainte-Sophie
de Saionique, paraissent avoir été aitérées. La construction tou-
tefois reste fort digne d'attention avec ses beiies et vastes propor-
tions, son ëiégance un peu iourde.
L'extérieur en est fort simpie ; ies
lignes de i'édihce n'y dessinent point
de façon très marquée, comme 1e
feront ies monuments de i'àge posté-
rieur, lesdispositions intérieures du
pian ; une coupoie, portée sur un
tambour assez ampie, couronne ia
construction. Un doubie narthex pré-
cède i'égiise, ie narthex intérieur
étant surmonté d'une gaierie qui
s'ouvre sur ie naos ; mais, ce qui
frappe surtout, ce sonties quatre forts
piiiers qui soutiennent ia coupoie et
qui, du côté de i'est, se rattachent
directement à i'abside ; ies arcs qui
ies surmontent donnent naissance Fig. 163. -— Constantinopte.
Hodja-Moustapha-djami. Ptan
à quatre berceaux égaux, qui des- (d'après Pulgher).
sinent dans ia superstructure une
croix à quatre branches égaies. Le même trait caractéristique se
retrouve dans tout un groupe d'égiises constantinopoiitaines, à
Hodja-Moustapha-pacha qui sembie dater de Ia Rn du vi" siècie,
à Gui-djami, qui appartient sans doute au ix", à Atik-Moustapha-
pacha, qui paraît du même temps. Toutes ces égiises, assez vastes
et de beiies proportions, sembient former ia transition entre ie
type de ia basiiique à coupole et ie pian en forme de croix, dont
eiies se rapprochent par des dispositions encore iourdes ou gauches,
et insufRsamment caractérisées.
Æodya-ÆoHxtapAa-/iac/ia L — Pareiiiementia mosquée de Hodja-
Moustapha-pacha, i'ancienne église de Saint-André, qui date pro-
babiement du vn° siècie, est visibiement inspirée du pian de Sainte-

1. Wuift', Die Xoimests/u'rcàe ; Strzygowski, Dyz. DeitA'ntâ/er, IH ; Putgher,


Guriitt; Ebersolt et Thiers, ouvrages cités, p. 134.
334 L*ART BYZANTtN DE JUSTtNIEN AUX ICONOCLASTES

Sophie (Hg-, 163). Comme dans ia Grande Égiise, ia coupoie cen-


trale estcontrebutée par deuxdenii-coupoles, reposantsurunebase
à trois pans, avec cette ditférence seuiement qu'au iieu d'être pia-
cées à i'est et à i'ouest, ces demi-coupoies sont disposées au nord
et au sud. On obtient ainsi un dispositif qui rappeiie à la fois Sainte-
Sophie par ia structure, et, par ie pian, ies sanctuaires tricon-
qués d'Hgypte et de Syrie. Par sa décoration égaiement, ie monu-
ment fait penser aux constructions du vi° siècle. Les chapiteaux
du narthex, à voiutes ioniques, surmontés d'un taiiioir quedécorent
des feuilies d'acanthe dressées, ressembient aux chapiteaux de
Saint-Serge et de Sainte-Sophie. De même, aux coionnes piacées
sous ie grand arc occidentai, ies chapiteaux ornés au centre d'un
médaiiion saiiiant ne sont point sans anaiogie avec ceux du vP
siècie. Mais ce qui frappe surtout dans ce bei édifice, c'est, après
ie narthex aux iignes éiégantes, ies quatre piiiers massifs qui, comme
à Kaiender-hané, soutiennent ia coupoie. li faut noter également
ia façon dont, sous ie grand arc occidentai, ies trois baies du rez-
de-chaussée pénètrent ie berceau, de manière à déterminer des
arcades en fer à chevai. Lniin, ici aussi, comme dans ies égiises du
même groupe, on observe un acheminement vers ie pian cruci-
forme, peu apparent encore toutefois ; car ia branche occidentaie
de ia croix, isoiée du naos par un mur droit inscrit sous ie grand
arc, constitue enfait comme un second narthex, au-dessusduquei,
comme à Kaiender-hané, régnait sans doutejadis unegaierie ouvrant
sur l'égiise.
Eniin, dans un autre édiiice aujourd'hui disparu, i'évoiution qui
de ia basiiique à coupoie a fait sortir i'égiise à croixgrecque sembie
avoirété, dèscemoment, compiètementachevée. li sufhtpourceia,
on i'a vu, que ies arcades qui soutiennent ia coupoie au nord et au
sud, deviennent des berceaux ouverts coupant ies coiiatéraux et se
proiongeant jusqu'auxmurs extérieurs. A Sainte-Irène déjà, on ie
sait, ce parti se préparait ; ii fut pieinementréaiisé, au temps de i'em-
pereur Justin II, dans i'égiise de Sainte-Marie des Blachernes. Les
chroniqueurs racontent en etfet que ce souverain ajoutaà ce monu-
ment,quiavaitiaformed'une basiiique,deuxabsides piacéesau nord
et au sud, de façon que i'égiise eut ia forme d'une croix n (Jis
EtvaiTovTov OTauooetS-fi. Zonaras, 14, 10,2. Cf. Théophane, a. 6064).
Ainsi ies types d'architecture déjà connus persistent dans i'art
byzantin de ia fin du vt" siècie, et les formes nouveiles qui s'ébau-
chaient achèvent ieur évoiution iogique. Et de même, ie système
L ART BYZANTIN EN ORIENT. - L ARMÉNIE 335

de décorat-ionne changepoint. Unseuidétaiiestdignede remarque:


ia peinture profane continue à tenir une grande piace dans ladéco-
ration des édihces. Dans ie portique qu'ii tit bâtir aux Biachernes,
i'empereur Maurice tit représenter par ses peintres « ies épisodes
de sa vie, depuis son enfance jusqu'à soti avènement au trône w.
On ne sauraittrop regretterlaperte de ces ouvrages d'uncaractère
historique et réaliste.

II

L'ART BYZANTIN EN ORIENT

Mais si, partir de 1a seconde moitié du vi" siècle, l'artbyzantin


ne se renouvelle plus guère dans son pays d'origine, il garde au
dehors, par 1a supériorité des méthodes qu'il a créées, l'intluence
puissante qu'il exerçait depuis 1e début du vU siècle dans tout 1e
monde chrétien. Rome, pour l'Occident, en fournira tout à l'heure
d'illustres exemples. Une autre preuve non moins remarquable de
cette action se rencontre en Orient, dans l'Arménie.
Ai'niéme U — Par sa position géographique, l'Arménie était
ouverte à des influences très diverses. Par 1e sud, elle touchait au
monde mésopotamien et syrien, par l'est au monde iranien : elle
devait donc, de bonne heure, recevoir de 1a Perse d'utiles et
fécondes ieçons. Par l'ouest, d'autre part, elie touchait au monde
byzantin ; pendant tout 1e vi° et 1a plus grande partie du vn" siècle,
elles est trouvée dans unè dépendance politique assez étroite à
i'égard de l'empire grec : eMe a donc nécessairement subi 1e
contre-coup du grand mouvement de civilisation et d'art dont
Gonstantinople était alors 1e centre. Plusieurs des patriarches
qui, entre 1e v^ et 1e vn" siècle, gouvernèrent l'église arménienne,
avaient été éievés en pays byzantin. Les architectes de Justinien
avaient par ailleurs bâti en Arménie d'assez nombreux édifices,
qui pouvaient servir de modèle. De ce double contact avec l'Orient
et 1a Grèce devait naître, au vn° siècle, un art intéressant et
original. Les constructeurs arméniens, on 1e sait, ont été en tout
temps des techniciens incomparablement habiles. Vivant dans un
pays où 1a pierre domine, ils ont développé 1a stéréotomie avec

1. Strzygowski, Dt'e ÆaakHitst der Armeaier uaù Æuropa, 2 vot., Vienne,


1918.
336 L ART BYZANTtN DE JUSTÏNIEN AUX ICONOCLASTES

unosingulière adresse. Voyag'eurs infatigabies, prompts à se dépla-


cer, i)s ont cherché partout des enseignements, et d'autre part,
propagé au toin teurs méthodes. On verra plus toin comment,
pat'mi ies intluences diverses, qui au ix° et au x° siècie agirent sur
ia renaissance byzantine, celle de l'Arménie ne fut pas !a moins
considérable. A ]a Rn du vi" sièc!e, et durant )e vu", I'activité des
constructeurs arméniens ne fut pas moindre.

Fig. 164. — Thalich. Cathëdraie: intérieur (d'après Strzygowski,


Die Baatcanst der ytrnteuier).

De cette époque, l'Arménie a conservé de nombreux monu-


ments, dont beaucoup sont datés avec précision par des inscrip-
tions. Assurément certains d'entre eux ont été déformés par des
restaurations postérieures ; mais d'autres, qui nous sont parvenus
en ruines, laissent mieux voir ]eur aspect primitif ; et dans tous,
te plan ancien demeure assez visibte pour permettre de juger ies
œuvres de cette grande école d'architecture. De ces monuments,
ies principaux sont, pour ta seconde moitié du vi^ siècte, ]es éghses
d'Aschtarak (mi]ieu vi^ siècle), d'Awan (entre 557 et 574),
d'Eghiward (entre 574 et 604), et pour ]e vn^ siècle, ce]]e de Saint-
L ART BYZANTIN EN ORIENT. - L'ARMENIE 337

Grégoire à Dvin (entre 606 et 611), celle de Sainte-Ripsimé à


Wagharchapat, près d'Etschmiadzin (618), 1a cathédrale d'Etsch-
miadzin (restaurée entre 611 et 628), l'ég-Iise de 1a citadelle à Ani

Fig. 165. — Thaiin. Gathédraie. Intérieur (d'après Strzygowski).

(622), l'église de Ia Croix à Mzchet (entre 6)9 et639), celle de


Sainte-Gaiané à Wagharchapat (630), celle de Bagaran (entre 624
et 631), celie d'AIaman (637), celle de Mren (entre 638 et. 640),
dfanuei d'vtrt hy:an<irt. 22
338 L ART BYZANTm DE JUSTmfEX AUX tCONOCLASTES

ceHes de Bagawan (entre 631 et 639), de Mastara, d'Artik, d'Agrak


(milieu vn" siècte), toutes trois de même plan et peut-être œuvre
du même architecte, l'égtise de Saint-Grégoire à Zouarthnotz
(entre 640 et 641), la cathédraie de Thaiich (668), entin i'église de
ia Vierge et ia cathédraie à Thalin (vers 690). Une prodigieuse
variété de pian apparait dans ces édifices. Ce sont des basiiiques,
queiques-unes à nef unique (Ani), ia piupart à trois nefs
(Aschtarak, Eghiward), qui, comme ies basiiiques pius anciennes
d'Ererouk (lig'. 41) et de Tekor, s'inspirent incontestabiement des
modèies syriens ou anatoliens * : ce sont des basiiiques à coupoie
(Dvin, cathédraie de Thaiin)^. Ce sont surtout des édihces à pian
centrai, offrant tantôt l'aspect d'un quatre-feuiiies (Bagaran, Mas-
tara, Artik, Agrak), parfois enfermé, comme à Zouarthnotz, dans
une enceinte circuiaire, et tantôt présentant ia forme d'une cou-
poie posée sur huit niches demi-circuiaires (Awan, Mzchet, Sainte-
Ripsimé). Aiileurs se rencontre ie triconque (Aiaman, égiise de ia
Vierge à Thaiin! et ie pian en forme de croix (Sainte-Gaiané,
Mren, Bagawan). Certaines de ces égiises, comme ceiie de Thaiich
(tig. 164), par exempie, ou ia cathédraie de Thaiin (fig. 165), sont
d'un aspect fort imposant, maigré ieur état de ruine. D'autres,
plus intactes, méritent pius d'attention encore. Parmi eiies, ies
pius remarquabies sont ies égiisesd'Ëtschmiadzin, qui représentent
assez bien queiques-uns des types principaux de l'architecture
arménienne.
Æy^'.ses c/'E'fscAmfactzm — La cathédraie d'Etschmiadzin
passe pour ia pius ancienne église d'Arménie : eiie fut construite,
dit-on, vers ia iin du v" siècle; mais eiie a été restaurée au
viP et fort remaniée uitérieurement. Pour autant qu'on en peut
entrevoir ia disposition primitive, i'édifice apparaît comme « un
monument de premier rang dans 1 histoire de l'évoiution de i'ar-
chitecture arménienne ^ o. Le pian enestfort intéressant(fig. 166).
C'est une église en forme de croix grecque ; ia coupoie centraie
repose sut' quatre robustes points d'appui ; ies quatre branches de

1. Strzygowski le reconnait formeHement, p. 8"5-6'6.


2. A Dvin et à Thatin it y a combinaison de ta basitique à coupote et du
triconque.
3. Grimm, Atonuments d'arctiitectHre At/zanitne en Geort/t'e et en. Arme'nte,
Pétersbourg, 1S60; Lynch, Armettt'a, Londres, 1001 ; Strzygowski, Ry:. Oett/t-
ntâler, t ; i)er Dotn =t: AacAett.
i. Strzygowski, Dt'e Batt/ttttt.s/der Artttent'er, p. 66. Cf. p. 332-335.
ÉGLtSBS D'BTSCHMIADZtN 339

ta croix aHachées aux quatre grands arcs se terminent par des


absides demi-circuiaires, si bien que i'éditice a i'aspect d'un quatre-
feuiiiës. Ii est intéressant de noter en passant que ce pian très
particuiier aura une grande fortune : on le trouve dès ie vn" siècie
à Bagaran, à Mastara, à Artik ; plus tard, les égiises de l'Athos au
x" siècie s'en sont inspirées, et, auparavant déjà, dès ie commen-
cement du ix" siècle, on
ie rencontre en Occident
dans i'égiise de Germi-
gnydes-'Prés bâtie par
i'évêque d'Oriéans Théo-
duif
Sainte-Ripsimé, à Wa-
gharchapat près d'Etsch-
miadzin, fut, au témoi-
gnage du chroniqueur
Sebeos, égaiement recons-
truite au commencement
duvn°siècle(fig. 167).Eiie
aia forme d'un rectangie,
dans iequei est inscrit un
quatre-feuiiies, entre les
grandes niches duquei
s'insèrent quatre niches
pius petites. Une coupoie
ytactten).
à seize pans s'appuie sur
ces huit niches, et son toit
conique sembie unparti fort anciennement empioyé dans i'archi-
tecture asiatique : ii apparait déjà en elfet dans ia description que
Grégoire de Nysse fait du céièbre octogone dont il projette ia
construction. Sainte-Gaiané enfin (tig. 168), construite vers630, et
fortement restaurée au xvn^ siècie, a pourtant, comme ies éditices
précédents, conservé son pian primitif. Mais ii est moins originai
que ies autres : c'est 1e pian bien connu en forme de croix, qu'ii
est intéressant toutefois de rencontrer dès ie vn" siècie, représenté
en Arménie par piusieurs monuments.
Æy ?:se de Natnl-Grègfotre — Mais, de tous ces monuments armé-

1. Gf. Strzygowski, Urspruny d. càrtsf. 7f;rc/ienA;iu.sf, 55-56.


2. Ter-Movsesian, Foutiies de t'egtt'se de Satttt-Gregot're, prës d'Ætscttntt'.'idzt'n
340 L ART BTZANTIN DE JUSTINIEN AUX tCONOCLASTES

niens, un des pius curieux assurément et des pius intéressants —


car aucune restauration n'en a aitéré ie caractère — c'est i'égiise

(Butl. de la Commissionimp. archéologique, Vtl, 1903); Strzygowsld, De7*


Do7)r zu AacAe7t; Strzygowski, ioe. cit., 108-118, 421-427, 682-687.
ÉGLISE DE SAINT-GRÉGOIRE 341

ruinée de Saint-Grégoire l'IHuminateur, découverte, H y a peu


d'années, à Zouarthnotz, à quelque distance d'Etschmiadzin.
Lepianen est toutàfaitremarquabie (hg. 169).C'estunédificede
forme circuiaire, mesurant 39 mètres de diamètre. Au centre du

Fig. 168. —Wagharchapat. Ëg'lise deSainte-Gaiané (d'après Strzygowski,


Dt'e Æan/funs( der Ai'utem'er).

cercie, quatre piiiers coiossaux supportentunecoupoie ; ils sontreiiés


i'un à i'aulre par des exèdresdemi-circulaires,dontchacunestsou-
tenu par sixcoionnes ; de sorte que i'ensembiede ia dispositionrepro-
duit i'aspectd'unquatre-feuiiies. Surie murcircuiaire, à i'intérieur,
s'appiiquent 64 piiastres ; aux angies des quatre piiiers quatre
colonnes sont dressées. Du côté de i'est, une chapeiie carrée se
rattache au pian circuiaire ; mais ie sanctuaire se trouve à l'inté-
342 L*ART BYZANTtN DE JUSTINIEN AUX ICONOCLASTES

rieur du quatre-feuiHes, sur une terrassesuréievée eu avant des deux


piiiers orientaux.
La date de ce monument peut être fixée avec précision. Itfutcons-
truit par ie cathoiicos Nersès III, surnommé « ie bâtisseur x
^(NcAinogrA) qui régna de 641 à 661, et dont le monogramme est
inscrit sur ies chapiteaux de l'égiise. Or ce Nersès, au témoignage
de Sebeos, n avait été nourri dès l'enfance dans ie pays des Grecs ;
i) avait étudié ia iangue et ies lettresdes Byzantins r. Ceia étant, il
est tout à fait vraisembiabie qu'ii empioya pour bâtir son monu-
ment des artistes grecs : et aussi bien ies coionnes portent-elies
des chapiteaux en corheiiie avec des volutes ioniques, d'un styie
nettement byzantin, et ies monogrammes qui y rappeiient ie nom
du fondateur sont des monogrammes grecs. Sur un autre cha-
piteau, un aigie aux aiies épioyées n'est pas moins caractéristique,
et pareiiiement ie décor de pampres et de grappes qui se dérouie à
ia courbe des archivoites. Mais si cette scuipture ornementaie est
certainementbyzantine,par aiiieurs, ie pianest purementorientai;
ii se rattache au groupe nombreux des octogones asiatiques et
syriens. Par ià, par ie méiange d'intluences qui s'y rencontrent,
i'édifice est tout à fait remarquabie. Seion ie mot de Strzygowski,
« ie martyrion de i'apôtre des Arméniens a une importance extra-
ordinaire pour i'histoire de i'art chrétien en Orient, et conséquem-
mentaussi pour i'Occident * a. Le type qu'ii représente sembie en
effetavoirété pius d'une fois répété : Saint-Laurent de Miian, par
exempie, oifre une disposition fort anaiogue.
L'arl armén.:en ef far/ AyzanDn. — Mais, au sujet de ces monu-
ments d'Arménie, une question essentieiie se pose. Doivent-iis
queique chose à i'intluence byzantine, ou est-ce au contraire i'Ar-
ménie qui aapporté desenseignements à Byzance? Le probième,
fort controversé, est ioin encore d'être résoiu. Strzygowski jadis
admettait voiontiers qu'entre ie v° et ie vu° siècie i'art arménien,
comme toute ia civiiisation arménienne, dépendait étroitement
de Byzance, et ii présentait à i'appui de cette théorie des preuvesque
lui-même jugeait et qui sembient en effet « irréfutabies M Ii a
depuis iors changé tout ceia, et ii déciare aujourd'hui que c'est
i'art byzantin au contraire qui doit tout à l'Arménie. Sous i'in-
Huencede l'Orient iranien, ii secréade bonne heure dans cette

1. Strzygowski, DerDont Aac/tea, p. 35-36.


2. Strzygowski, Das Æ/scànu'adsùi-Æraiiyett'ar (Byz. Denkmiiter, I), p. 9-16.
BYZANCE ET L'ARMÉmE 343

région un art originai et des formes d'architecture propres ; et de


là non seuiement eiles se sont transmises, entre ie ix° et ie
xi" siècie, d'une part, en contournant ie domaine byzantin, chez
les Géorgiens, ies Russes et ies Siaves du sud, de l'autre, grâce à
i'étabiissement d'une dynastie arménienne à Byzance, jusque dans
ia capitaie même de i'empire : mais bien avant, dès ie v" et ie
vi^ siècies, eiies auraient fourni
à i'art byzantin ies modèies de
ses pius iiiustres monuments
ii y a'dans tout ceia, on i'a
indiqué précédemment déjà,
une forte part d'hypothèse.
Mais, pour s'en tenir aux mo-
numents du vn" siècie, repré-
sentent-ils vraiment, comme ie
pense Strzygowski, « ia victoire
de i'éiément nationai j), et cette
époque marque-t-eiie, pour
i'art arménien, un afl'ranchis-
sement déhnitif de i'influence
syro-grecque ? Ce n'est point
un fait indiiférent — car ii
atteste combien i'Arménie se Fig. 169. — Égtise de Saint-Grégoire
à Zouarlimotz (d'aprcs Strzygowski,
trouvait aiors dans ia dëpen- Der Dom :u .4ae/te:t').
dance de Byzance —, que, dans
ies inscriptions reiatives à ia
fondation de ces égiises, 1a date soit fréquemment exprimée par ies
années du règne des empereurs grecs, et que ies fondateurs se
parent voiontiers de titres byzantins. Et de même ce n'estpoint un
fait indifférent que ie cathoiicos Nersès III, ie constructeur de
i'égiise de Zouarthnotz, eût reçu une éducation toute grecque, et
que ses'sympathies poiitiques i'entraînassent vers Byzance. Mais ii
y a davantage. La coupole sur trompes d'angies, qui est ie trait carac-
téristique des églises arméniennes du viL siècie. n'est nuiiement
une forme qui appartienne en propre à i'art arménien. Son origine
orientaie, peut-être mésopotamienne, est certaine : mais eiie a, dès
ie v^ siècie, passé dans i'art chrétien d'Orient ; on ia rencontre dès

I. Strzygowski, K/e:';tast'e:t, t7â-t76; DerDont su Aac/teu, 36-37, 39-44, et


surtout Dt'e Dau/tuus/ derytrment'er, 745, 780.
344 L ART BYZANTIN DE JUSTINIEN AUX ICOXOCLASTES

ce moment en Ëgypte et en Asie-Mineure ; it n'y a donc rien de


surprenant ni d'originai à ce qu'elle se trouve au vu" siècie en Armé-
nie. Et ii est au contraire remarquabie qu'à côté d'eHe on ren-
contre, dans ies cathédrales de Thalich et de Thalin, ie procédé
tout heHénistique de ia coupoie sur pendentifs. Et faut-it, parce
que ie pian de i'égtise de Zouarthnotz est purement orientai, en
concture que, malgré i'éducation byzantine de Nersès, son archi-
tecte aurait, en toute indépendance, bâti i'édifice en s'inspirant des
formes traditionneiies de i'art arménien ? La décoration à tout ie
moins est, on i'a vu, byzantine, et eiie n'est point du tout, comme
on i'afïirme, queique chose d'exceptionnel et d'unique dans l'Armé-
nie du vn" siècle. Tout cela semble incliner à admettre une influ-
ence byzantinesurles monumentsarméniensde cettecpoque —sans
que toutefois on doive dissimuler 1a tendance croissante qu'eurent
les architectes d'Arménie à s'écarter des formules byzantines.
Z?yzance ef /a Nyrte. — Un autre fait encore pourrait, entre les
deux théories opposées, faire pencher plutôt 1a balance en faveur
de l'influence byzantine : c'est l'action indiscutable qu'au vn" et au
vm" siècle 1a capilale grecque exerça sur touf l'Orient. On en
trouve 1a preuve dans les monuments musulmans de Syrie. La
mosquée d'Omar à Jérusalem, construite de 687 à 690, est, avec
son plan octogone, sa coupole, son tambour cylindrique, ses revê-
tements de marbre surtout et sa magnifique décoration de
mosaïques ornemcntales à fond d'or, une œuvre purement byzan-
tine. II en est de même de 1a grande mosquée de Damas. Lorsque,
au commencement du vm" siècle, 1e Khalife El-Walid voulut
transformer l'église de Saint-Jean-Baptiste à l'usage du culte
musulman, il fit appel, dit-on, à des ouvriers byzantins que l'em-
pereur grec lui fournit. L'édifice, tel qu'ils le modifièrent, ne fut
autre chose qu une basilique à coupole. Dans 1a longueur des nefs
basilicales, un transept médian fut inséré, également surélevé dans
ses deux ailes au-dessus des coilatéraux; une coupole sur trompes
couronna ce transept. La décoration également fut purement
byzantine : colonnettes de style byzantin à relief méplat, frise de
rinceaux de marbre blanc se découpant sur un fond de marbre
foncé. mosaïques surtout disposées à l'intérieur de )a coupole, sur
les murs et jusque sur Ia façade du transept, tout atlesta 1a colla-
boration des ouvriers byzantins. Toutefois, l'obligation de respec-
ter les scrupules musulmans donna à cette dernière partie de la
décoration un caractère particulier. Les mosaïques représentèrent
BYZAKCE ET LA SYR]E 345

des architectures et des arbres se détachant sur un fond d'or : ainsi


l'art byzantin reprenait ies motifs chers au style pittoresque
aiexandrin. Alaiheureusement t'incendie de )893 a détruit ces
mosaïques presque entièrement h
Les fresques curieuses, récemment découvertes, qui décorent
1e palais ommiade de Kuseir-Amra (1" moitié du vm^ siècle) ne
sont pas moins sigrnficatives : à côté des scènes de genre ou de
cbasse, des Hgures de danseuses et de musiciens, on v trouve,
désignées par des inscriptions grecques, des représentations sym-
boliques dë ta poésie, de I'histoire, de 1a philosophie. Auprès de
1a composition qui montre un monarque assis, dans l'attitude d'un
basileus byzantin, un autre tabteau historique représente, désignés
par des inscriptions grecques, les principaux ennemis de l'islam
vaincus par 1e Khalife, les souverains de Byzance, de LEspagne
wisigothique, de 1a Perse et de l'Abyssinie. Dans plusieurs de ces
peintures, qu'on peut rapprocher des ouvrages de l'art profane qui
décoraient les palais de Constantinople, on areconnu I'influence de
l'art byzantin : et en effet, elles procèdent incontestablement de
l'iconographie et de 1a pure tradition hellénistiques, et attestent
clairement I'action que Bvzance à ce moment exerçait sur l'art
arabe Toutefois, c'est en Occident surtout, à Rome, à Ravenne,
qu'il faut, pour cette période, chercher des monuments de 1a pein-
ture. On y verra en même temps avec quelle rapidité cet art, que
le vi^ siècle avait porté si haut, s'achemina vers Ia décadence.

III

L'ART BYZAXTtN EX OCCIDENT

Tfome — Vers 1e milieu du vu" siècle, Rome était une ville


à moitié byzantine. Depuis qu'au temps de Justinien l'autorité

1. Cf. sur ]a mosquée d'Omar et ta mosquée de Damas, Satadin, Æauuet


d'arf musutmau, p. 55-7i et 80-87 ; Kondakof, koyaye areàe'ofoyt'queeuSyrt'e
et Patesft'ue et l'articte déjà cité de Dussaud (Syrt'a, tll).
2. Musi],Araàt'.'tPetraea, I, Vienne, 1907;.Kuset'r,4mr,t,Vienne,1907 ;Strzy-
gowski, ylmra uud setue #aIerete?t(Zeitschr. f. bildende Kunst, XVIII, 1908) ;
JaussenetSavignac, beacà.iteauæaraàesde Qesetrztmra, /Jaraite/t e/ 7*uha,
Paris, 1922.
3. Dieh), Æ7udessur /'admt'ut's/ra/t'o?t /tyïatt/t'net/aus Z'etrarc/ta/de /lat'ettue,
Paris, 1888; Bertaux, 7/ome, Paris, 1905.
:M6 L ART BYZAA'TIA* DE JUSTfKIEN AUX ICONOCLASTES

impériale y avaii été restaurée, pius que jamais t'Orient l'avait


envahie. Dans iapériode qui vade 606 à 74t, treize papes, grecsou
syriens, gouvernent tour à tour i'Egiise romaine. Une nombreuse
coionie d'orientaux est instaiice dans ia viiie éterneiie. Ce sont des
moines d'abord, qui, d'Orient ou d'Afrique, sontvenus, fuyantdevant
i'invasionarabe, chercher à Rome unétabiissement: ainsi s'est cons-
titué dès ie miiieu du viL siècle tout un groupe de monastères grecs,
(]ue peupient des Ciiiciens, des Syriens, des Grecs, des Arméniens.
Puis, pour grossir cette coionie, c'est un flot incessant de pèierins,
de négociants,de voyageurs, de fugitifs. Au pied de i'Aventin et du
Paiatin, tout un quartier grec s'étend autoui' de i'égiise, au nom si
caractéristique, de Sainte-Marie in Cosmedin ou xcAo/a yi'aeca.
Ajoutez enfin ies nombreux fonctionnaires d origine orientaie, qui
souvent s'étabiissent à Rome à demeure, comme ce Piaton, cura-
teur du paiais impériaidu Paiatin, qui futie père du pape.iean Vli.
Par tout cela, on ie conçoit, ies usages grecs pénètrent en Itaiie ;
i'Egiise adopte ies fêtes grecques et ie cuite des saints grecs ; ia
société prend ies costumes, ies mœurs, ies prénoms, ia iangue même
de i'Orient byzantin. L'art natureliement n'échappa point à ces
influences, et bien avaiit i'époque où iapersécution iconoclaste jet-
tera en Italie un iiot de moines et de réfugiés byzantins, ii accepta,
ii subit ies enseignements de Ryzance. Et c'est pourquoi, pour con-
naîtrei'art byzantin du vu" siècie, ii est indispensabie d'étudieries
monuments romains de ce temps.
L'arc/ti/ec/ure. — Que i'on regarde par exempie ies égiises
romainesdecette époque. En Orient, on ie sait, c'étaitun typecou-
rant d'architecture que ia basilique à tribunes disposées au-dessus
des bas-côtés. On i'imita à Rome. Dans ia seconde moitié du
vi" siècie, à Saint-Laurent hors ies murs, ie pape Péiage ii étabiis-
sait une gaierie à arcades au-dessus de i'entabiement droit qui sur-
monte ies coionnes; au miiieu du viU siècie, i'égiise deSainte-
Agnès hors ies murs était pareiiiement rebâtie avec des tribunes
au-dessus des bas-côtés. L'une ef i'aufre formaient ainsi de vraies
basiiiques orientaies, tranchant sur ie type roniain, et qui demeu-
rèrent à i'état d'exception. Ailleurs on rencontre des églises à
plan circuiaire : Saint-Théodore, au pied du Paiatin, qui date de la
fin du vn" siècie ; Sainte-Anastasie, primitivement consacrée sous
le vocabie de i'An.as//n:.s, et qui sans doute reproduisait ie plan de
i'égiise de ia Résurrection à Jérusalem. On sait enfin qu'à !a fin du
vi" siècie Narsès avait fondé une basiiique en i'honneur des apôtres,
347
LES MOSAIQUES ROMAMES

bâtie sur ie pian de l'égHse des Apôtres à Constantinopie : eiie des-


sinait une croix grecque, surmontée au centre d'une coupoie.
Ainsi ies types consacrés de l'architecture orientale fournissaient
des modèles à l'Italie byzantine. La décoration sculptée, et plus
encoreles monuments de 1a peinture, attestent les mêmes inlluences.
tttosat'yttes '. — La mosaïque de l'église des Saints-Cosme et

Fig. )70. —Rome. Sainte-Agnès. Mosa'iques de i'abside(Phot. Anderson).

Damien, exécutéé au commencement du V!" siècle sous 1e pape


Félix IV (526-530), avait été 1a dernière composition où se fût
manifestée iatradition classique et romaine. Après cetteœuvrecapi-
tale, l'une des plus nobles de l'art chrétien, pendant plus de cin-
quante ans 1a série des mosaïques romaines s'interrompt ; et quand
l'art des mosaïstes réapparait à 1a hn du vi° siècle, il reparaîttrans-
formé. C'est Byzance qui y domine désormais. Sans doute, à

1. De Rossi, Nusaiet ertsüattt dt' Ronta, Rome. 1870-1895 ; Ciausse, Rast-


hques et tttosat'qr:!es .ehrë!t'e7t!tes, Paris, 1893; Marucchi, Ëiètttetttsd'arc/te'olo-
yte ehrèttetttte. IIi, Rome, 1902 ; Bertaux, Rottte; Wiipert, Dt'e rottttsehett
Vosat/tett ttttd Naieretett der /tt'rc/tù'cAett Ratt/ett ttottt -1" ht's 73° Ja/trhttnder/,
Fribourg, 1916. ; Marguerite Van Berchem etClouzot, tlfosat'çttescAre'/t'ettttes
7F'-X° stèe/es, Genève, 1921.
348 L ART HYZAKTfN DE JUSTtNIEN AUX ICONOCLASTES

Saint-Laurent hors tes murs, Pétage II (578-590) copie encore sur


l'arc triomphal 1a disposition de l'ahside des Saints-Cosme et
Damien ; mais entre Poriginal et cette gauche imitation il y a un

Fig'. 171. — Rome. Mosaïques de t'oratoire de Saint-Venance au Latran


(P)iot. Anderson).

abîme, et 1e Christ-roi assis sur le globe du monde a déjà quelque


chose d'orienta). Bientôt les motifs tiouveaux empruntés à Byzance
s'introduisent plus largement encore ; et pareillement les costumes
qui donnent aux saints et aux saintes l'aspect de dignitaires de
SAINTE-AGNÈS. ORATOIRE DE SAINT-VENANCE 349

!a cour impériaie, ies attitudes sotenneHes qui sembtent réglées


par un cérémonial immuabte, les gestes de bénédiction que font tes
personnages sacrés, ie décor et tes types, toutcela vientde HOrient
grec.
<Sginte-y4grnès. Oratoire de -Samt-Venance. — Au viL siècle, à
Sainte-Agnès hors les murs, décorée entre 625 et 640, 1e Christ
disparaît de l'abside : à sa place, à 1a place d'honneur, 1a martyre
apparaît,somptueusementvêtue comme une impératrice de Byzance
(fig. 170). Sur sa tête une couronne d'or est posée; des bijoux
ornés d'oretde pierreries s'accrochent aux tresses de ses cheveux;
une étole d'or gemmée recouvre ses épaules, sous laquelle passe
une tunique violette bordée d'or, dont l'un des pans porte l'image
du phénix. Le développement du culte de Ia Vierge, dont l'impor-
tance, toujours sous rinfluencede I'Orient, s'accroîtsingulièrement
dans 1a Rome du vn*= siècle, donne son caractère à 1a décoration
absidale de i'oratoire de Saint-Venance au Latran (vers 640). La
Vierge orante y occupe le centre de 1a composition, 1a tête et 1e
buste drapés dans 1e voile syrien, tandis que 1e Christ n'est tiguré
qu'en buste, dans les nuéesd'où il bénit sa mère. Aux côtés de !a
Madone, et sur les parois latérales de l'arc, des saints font coi'tège
à Marie (Hg. t71) : plusieurs d'entre eux portent 1e costume des
dignitaires byzantins, 1a tunique courte serrée à 1a taille parune
riche ceinture, 1a chlamyde retenue à l'épaule par une fibule et sur
laquelle est cousu le i'oron de pourpre, les hautes bottines richement
brodées. C'est sous 1e même aspect qu'apparaissent les saints qui,
dans l'abside de Saint-Étienne 1e Rond (vers 648), encadrent 1a
croix gemmée supportant 1e médaillon du Christ, et 1e saint
Sébastien de Saint-Pierre-ès-Liens (vers 680), qu'urie image votive
représente en guerrier byzantin. Mais l'oraloiresurtoutquele pape
Jean VII, un grec, Ht construire en 705 à Saint-Pierre en l'hon-
neur de 1a Vierge-reine, atteste ie caractère que Ryzance donna à
I art romain de ce temps.
Oratoire du pape Jean V7/L — Une des parois de 1a chapelle
reproduisait, semble-t-il, Ia disposition d'un retable byzantin. Dans
un grand compartiment central, on voyait 1a Vierge-reine debout
dans l'attitude de l'orante, 1a tête chargée d'un énorme diadètne ;
à ses pieds se tenait 1e pape présentant 1e modèle de sa chapelle.
Autour dece tableaucentral, une série de compositionsplus petites

t. Müntz, L'orafoi're Jopape Jean V!/ (R. A., 1877).


350 L ART BYZANTIN DE JUSTINIEN AUX ICONOCLASTES

représentaient ]a vie du Christ, de ]'Annonciation jusqu'à 1a Des-


cente aux limbes et à ]a Visitedes saintes femmesau tombeau. Sur
l'autre paroi étaient figurés les épisodes de ]a vie de saint-Pierre et
de saint Paut. Matheureusement, lorsque au xvi" siècie Bramante
démolit ['ancienne basiiique de Saint-Pierre, l'oratoire partagea 1e

Fig. 172. — Adoration des Mages. Mosa't'que de l'oratoire de Jean Vtt


(Sainte-Mariein Gosmedin àRome)(Phot. Anderson).

sort commun de tant d'autres monuments. De ses mosaïques dis-


persées i] ne subsiste ptus que quetques fragments épars. La Vierge
est à Fiorence, dans i'ég'iise de Saint-Marc ) i'image du pape est
déposée dans ies Grottes vaticanes ; queiques morceaux sont au
musée du Latran) tin fragment de ia ^iativité a été signaié récem-
ment à Orte. De tous ces morceaux, ie pius remarquabie est ie
panneau représentant i'Adoration des Mages, qui est conservé à
Sainte-Marie in Cûsmedin (tig. 172). Le coioris en est fort beau, et
i'enfant divin tout en or fait une tache iumineuse entre i'angc bianc
et la Madone harmonieusement vêtue de bieu, de biancetdevioiet.
L'exécution n'est point sans beauté, et ies cubes très fins empioyés
pour ies visages attestent un art habile encore et rafbné. Aussi
bien, par ies types comme par 1a composition, cet art est absoiu-
ment byxantin.
351
ORATOIRE DU PAPE JEAN VII

jFrestyi/es ^es ca^acomj&es — Les i'resquesajoulées, au vV et au


vnc siècie, à ia décoration des Catacombes slnspirent é^aiement
pius d une fois de l'Orient. Ceia est visibie dans ies peintures du

Fig. 173. — MadoneetSaints. Fresque du cimetière deCotnrnodilla à Rome


(d'après 1e Nuovo Bullettino di Archeologia cristiana, t. X).

vV siècie récemmentdécouvertesau cimetière de Commodiiia, près


de ia Via Ostiense : i'une rcprésenteieChrist jeune, assis sur ie giobe

1. RoIIer, cataco/??hes de Ro/ne, Paris, 1M8I ; Marucchi, 7^ ct/?n7e/'o e ^a


has/t/ca d/ S. Va^ea^/ao, 1890; Wilpert, D?e 7l7aZere/e/?derXa^aào/??hea Do/??.?,
Fribourg, 1904; P/^/zre de^ c//??/^er/o Co/?t/?tod/Da (NBAC, X, 1902).
352 L ART BYZANTIN DE JUSTtNIEN AUX ICONOCLASTES

du monde, entre des saints ; une autre, pius caractérisque et pius


beüe (fig. 173), Hgure )a Vierge, toute syrienned'aspect, debout entre
)esmartyrsFé)ixetAdautus;à sespiedsunef'emme setient, qu'une
tongue inscription tatine désigne sous te nom de Turtura. Une
dernière fresque enfin, datée avec précision de )a fin du vu° siècte,
montre un saintLuc. Aiiteurs, au cimetière de Generosa, un Gbrist
du v:" sièc)e, barbu, imposant, soiennef, trône, bénissantà ia grecque,
parmi des saints. Aucimetière de Caiiiste, dans ia cryptede Sainte-
Cécile, ia martyre est représentée, jeune, éiégante, gracieuse,
vêtue d'uneriche daimatique de pourpre brodée de fleurs, que couvre
un superhumérai orné de pierreries. Debout, les bras étendus, les
cheveuxentrelacésde perles, elle apparait, de même quelessaintes
des mosaïques, comme une princesse de Byzance, et en ett'et cet
ouvrage date du vn° siècle. Enfin, dans 1a catacombe de Saint-
Pontien, on trouve un Ghrist très byzantin du vn" siècie, et à ia
même époque appartenaient ies peintures presque ruinées de ia basi-
iique cimitériaie de Saint-Vaientin. Eiies racontaient,avec desdétails
empruntés aux apocryphes, ia vie du Christ et ceile de la Vierge,
et t'inlluence byzantine y était manifeste.
Sanfa NarfaAnb'ca'. — Mais, de tous les monuments de 1a
peinture romaine duvn" etdu vm" siècie, 1e pius considérabieassu-
rément est l'importante décoration à fresque de ia basiiique de
Santa Maria Antica, découverteen ]900dansiesfouiiiesdu Forum,
au pied du Paiatin, entre ie tempie de Castor et 1e couvent des
Vestales. Des peintures de date assez diverse couvrent les parois
de cette égiise ; sur certains points, piusieurs couches superposées
se rencontrent, dont il n'est point aisé de déterminer ia chronolo-
gie. Certaines fresques, ies pius nombreuses peut-être, doivent être
attribuées au ix" et au x" siècle ; d'auLres, que des inscriptions
dafentavecprécision,remontentau mitieu duvm°siècie ; quelques-
unes, pius anciennes, sont de ia fin du vn" ou du début du vm" siècie,
et certaines remontent sans doute au miiieu du vu" siècie et jus-
qu'au vi" siècle même. Partout ies inscriptions grecques se mèlent

1. Itusht'orc!, t'/ie e/mrcà o/*S. Ænriit ytnti'ca (Papers of the British schooi at
ltome, I, i902); Wiipert, Appmtit xiiitepittiire de/ia chtesa dt' S. iMtirta Ait/t'ca
(BZ, XIV, 1905); Hiiisen, Dt'e Aiisgrtthiiityeit .tii/'fteiiiFoi'init roittaitniit(Mitt.
des D. arch. Instituts, Itôm, Abt. XX, 1905); de Grüneisen, Sfndj t'eonoyra-
/tct' ttt S. tMart'a Antt'ca (Archivio deila R. Società rontana di storia patria,
XXIX, 1906) ; Venturi, Stoi't'a dett'arte t'ta/t'ana, II, 250- 258 et 377-382 et sur-
tout de Grüneisen, Satitie-Afarte aait^iie, Rome, 1911. Cf. Diehl, Sat'a/e-
tMarte-Aitft'qiie (Dans i'Orient byzantin, Paris, 1917).
SANTA MARIA ANTICA 353

aux inscriptions iatines, et ies traditions byzantines s'unissent aux


traditions romaines ; l'art orientai, porté en Italie d'abord par ies
moines grecs, puis par ies fidèies des saintes images, mêie ses
ceuvres savantes aux ouvrages de l'art romain sui'vivant : si bien
que c'est ici peut-être, comme on i'a justement remarqué, n le
monument de la peinture ie pius important du haut moyen âge )).

Fig. 174. — Home. Fresques de S. Maria Antica (Phot. Moscioni

L'édifice,a troisnef's terminées par trois absides, et iiestprécédé


d'un vaste afrium carré, égaiement décoré de peintures, qui datent
de ia seconde moitié du vm" siècie. Dès i'entrée, i'infiuence byzan-
tine est visibie : à gauche de ia pot'te, sur ia muraiiie, sainte Agnès
et sainte Céciie sont représentées, vêtues en princesses d'Orient,
avec leurs noms écrits en grec ; et un peu pius loin, égaiement
sur ie mur de gauche, est figuré, avec une iongue barbe grise,
Abbacyros, un saint orientai, dont ie corps i'ut au vn" siècie trans-
porté d'Aiexandrie à Rome, et qui, dès !a fin du vu" siècie, avait
sabasiiique nonioinduTibre. Dans l'égiise même, au coiiatérai de
.MaHtiefd'Art hyMtititt. 23
354 L'ART BYZANTIN DE JUSTINtEN AUX ICONOCLASTES

gauche, une soIenneHe assemblée de saints occupe tout le bas du


mur de gauche (fig. t74). Au miheu d'eux te Christ, bénissantà ]a
grecque, est assis sur un trône ; d a les cheveux tongs plaqués sur
]e front, ia courte barbe brune, tes grands yeux largement ouverts,
]e teint pâte, i'aspect triste et vieiHi des Christs byzantins. A ses
côtés se rangent, tous désignés par des inscriptions grecques, des
papes, des pères de l'église grecque, des moines cétèbres de ]a
Pa]estine, à )a stature courte et robuste, aux visages ascétiques,
pieins d'expression et de vie, aux vêtements harmonieusement dra-
pés. Au registre supérieur, une série de tabteaux, expiiqués par des
tégendesiatines, racontentdes épisodes bibhques, depuisia Création
jusqu'à ta tin de ]'histoire de Joseph. Dans ]a nef de droite, une
niche est décorée de trois figures de femmes, dont chacune tient un
enfant dans ses bras; c'est ia Madone, entre sainte Anne et sainte
Éhsabeth, désignées par des inscriptions latines. Ici aussi, deux
rangées superposées d'épisodes évangéiiques compiètent !a décora-
tion de ta paroi : on y voit, assez endommagés au reste, !es miracies
du Christ.
Mais la décoration des absides surtout mérite de retenir i'atten-
tion. Dans cehe de gauche, au fond, ]a Crucifixionestreprésentée;
ies inscriptions sont iatines, mais ta composition est toute byzan-
tine et rappehe ia Crucifixion peinte au vi^ siècie dans i'évangiie
syriaquede Fiorence. Au-dessous, la Vierge-reine, richementvètue,
tenant sur ses genoux i'enfant divin, trône parmiiessaintspatrons et
ies pieuxfondateurs de ]achape]]e(fig. 175).Sur]esparois]atéra]es,
sont figurés ies épisodes de )a passion de sainte Juhtta et de saint
Quiricus, son fits, égaiement avec des inscriptions ]atines. ]ci des
indications précises datent ta décoration : à côté du portrait du pape
Zacharie (741-752), on rencontre par trois fois, avec ]e nimbe carré
des vivants, ]e primicier Theodote, w dispensateur de Santa Maria
Antica )i, qui Ht exécuter ]es fresques de t'abside.
De même, ]'abside principale a sa chronotogie assez bien déter-
minée. On n'y a pas relevé moins de trois couches de stuc peint
superposées, de te]]e sorte que cette muraihe qui occupe ie fond
de l'éghse forme, comme on i'a dit spirituehement, un véritable
pahmpseste, assez mataisé au reste à déchiffrer. Sur ]a couche ]a
plus ancienne, on voit ]a Vierge assise sur un trône, en costume
d'impératrice byzantine, vêtue d'une robe de pourpre violette,
toute constehée de pierreries et d'or, ]a tête chargée d'un lourd et
magnihque diadème. Sur ses genoux, l'enfant est assis, en robe
SAKTA MARIA ANTfCA 355

blanche, en manteau d'or, jotie tête expressive et vivante. Sur la


droite, un ange s'incline vers ia Madone, et sans doute, sur 1a
gauche, figurait, dans 1a même attitude, un autre ange aujourd'hui
disparu.
A voir i'analogre que présentent ces peintures avec les mosaïques
de l'oratoire de Jean VII, on est tenté tout d'abord d'attribuer ces
fresques au commencement du vm^ siècle, au temps d'un pape qui
eut, on 1e sait, une soliicitude spéciale pour Sainte-Marie-Antique.
II faut cependant se résoudre à les dater d'une époque plus ancienne,

Fig. 175. — Rome. Fresquesde S. Maria Antica (Phot. Moscioni).

et peut-être du vi" siècle. Sur 1a couche de stuc en effet qui recouvre


1a Vierge-reine, des peintures sont représentëes, qui datent cer-
tainement du milieu du vu° siècle : ce sont des saints, dont ies car-
tels portent des textes rappelant 1e concile de Latran de 649 ; ce
sont sui'tout les débris d'une Annonciation, deux têtes, dont celle
de l'ange surtout, d'un modelé savant, d'un charme incomparable,
d'une inspiration encore tout antique, est un ouvrage d'un art tout
à fait supérieur, auprès duquelle reste semblepresque insignihant.
Par-dessus ces deux couches de stuc, une troisième couche porte
une vaste décoration. Au haut du mur, au-dessus de la conque de
l'abside, une grande fresque, disposée en zones superposées, repré-
sente 1a Crucitixion, entre des séraphins, des anges et une foule
de tidèies adorant 1e Sauveur attaché à 1a croix ; sur des cartels
rouges sont inscrits en iettres blanches les textes grecs des pro-
phéties relatives à 1a Passion. PIus bas, aux côtés de l'ahside,
s'alignent, en deux registres superposés, des papes et des saints, à
gauche des pères de l'hglise latine, à droite saint Basile et saint
356 L'ART BYZANTIN DE JUSTINIÉN AUX ICONOCLASTES

Grégoire de Nazianze, beHes têtes énergiques et vivantes, que


désig'nent des inscriptions grecques. Sans doute, dans la conque de
i'abside, une tigure de 1a Vierge-reine compiétait ta décoration.
EHe a été au miiieu du vni" siècie recouverte par une coiossate
image du Christ, bénissant à ia grecque ; et à ses pieds est debout
1e pape Paut I (757-767), dont !a tête ceinte du nimbe carré date
ia peinture.
H sembte bien que ce grand ensembie appartient au commen-
cement du vm" siècteetqu'i! est i'œuvre du pape Jean VII. On sait par
1e <L;Aer potift/tcahs que ce pontife avait fait décorer de peintures
l'église de Sainte-Marie-Antique, et les fouilles ont rendu un frag-
ment de l'ambon qu'il y avait fait élever sur lequel, en grec et en
latin, se lit 1e nom du pape, « serviteur de 1a Theotokos w. II y a
donc toute raison d'attribuer à son temps ces fresques de style tout
oriental, de technique habile et de modelé savant, qui s'accordent
bien avec 1a dévotion toute grecque que 1e pape avait pour 1a
Madone. Et sans doute faut-il rapporter à 1a mème époque toute
ia décoration du presbyterium. Sur les murs latéraux, au-dessous
d'une série de tableaux évangéliques presque détruits, deux files
de médaillons représentent les apôtres ; parmi eux on remarquera
particulièrement les têtes, d'un typesi individuel, de saint André
et de saint Barthélémy. Des hgures de saints, représentés en pied,
complétaient 1a décoration : il en subsiste, sur 1a paroi de droite,
une sainte Anne d'un beau style.
Ainsi, les fresques du vi", du viC et du commencement du
vm^siècle se mêlentà Santa Maria Antica aux peintures contempo-
raines de l'époque des iconoclastes et àttestent, pour l'une et i'autre
époque, 1a puissante influence de Byzance sur l'art romain. Les
siècles suivants continuèrent ou renouvelèrent sous les mêmes
auspices 1a décoration de l'église. Une inscription du temps
d'Adrien (Hn vm" siècle) se lit sous une peinture de l'atrium repré-
sentant saint Sylvestre présentant 1e pape à 1a Vierge-reine. Des
saints à légendes grecques, qui semblent du ix<^ siècle, décorent 1e
pourtour de l'abside de droite. AiHeurs, sur un pilastre qui sépare
1a nef centrale du bas-côté de gauche, on voit une intéressante
représentation de l'Anastasis, byzantine, oùIeGhristjeune,emporté
d'un élan rapide, foule aux pieds Satan nu, renversé sur les portes
brisées de l'Hadès. Ailleurs, sur un des piliers de 1a nef centrale,
c'est l'ange de l'Annonciation faisant face à 1a Madone, c'est saint
Démétrius. etau revers du même pilier, 1a belle composition de la
SAINT-SABAS 357

Déisis. Tous ces épisodes sont accompagnés d'inscriptions grecques ;


ies tigures, un peu iongues, sont exceHement modelées et drapées ;
ies restes du coioris sont fort beaux. Enfin sur un autre piiier, c'est
sainte Saiomonè, ia mère des Macchabées, désignée par une inscrip-
tion grecque et représentée debout, dans sa robe jaune, sous son
manteau et son voiie syrien de pourpre vioiette, au miiieu de ses
six tiis. La figure admirabiement modelée est absoiument remar-
quabie : on y trouve toute « ia science, ia nobiesse, i'éiégance "
de l'art by^antin du ix" siècie. C'est à cette date er, etîet qu'ii faut
rapporter ia série des scènes qui viennent d'être décrites, et sans
doute aussi ie Christ trônant parmi ies saints du coiiatéral de
gauche, et ies saintes du coiiatérai de droite.
Ainsi les œuvres les plus savantes et ies pius nobies de 1a Renais-
sance byzantine du ix" siècle se mêient, à SantaMaria Antica, aux
peintures du vn" et du viiRsiècie. Mais une inspiration commune
anime toute cette décoration. Maigré )e méiange d'éiéments iatins,
maigré ies inscriptions iatines, maigré ia piace faite à des saints
nettements iocaux, i'ensembie est grec dans ies compositions, ies
types et 1e modeié. « Ni 1a Grèce, ni i'Orient,a-t-onditjustement,
n'ont conservé de fresques comparabiesaux fresques byzantines de
i égiise du Paiatin *. " C'est ce qui ies rend si précieuses pour i'his-
toire de i'art.
L — Avec ies fresques ies pius récentes de Santa
Maria Antica, nous avons dépassé ievn° siècie et décritpar avance
certaines œuvres, dont ii faudra, pour des chapitres uitérieurs,
retenir ie souvenir. D'autres peintures, récemment découvertes à
Rome, nous ramènent à i'époque quenous étudions. Ce sont, dans
i'oratoire de Sainte-Siivie retrouvé sous i'égiise de Saint-Sabas, ies
sept beiies têtes de saints provenant du mur au-dessus de i'abside.
Le styie en est grec, et ia technique i'ort anaiogue à ceiie des pein-
tures que Jean Vil fitexécuter à Santa Maria Antica. EHes peuvent
donc être attribuées au commencement du vm" siècie. Ici aussi
d'autres fragments, assez endommagés, sembient daterdu ix"ou du
x*= siècie ; iis représentent uue série de scènes de i'enfance et des
miracies du Christ, toutes accompagnées de iégendes grecques et
qui sembientse rattacher à i'iconographie paiestinienne^.

1. Bertaux, ttome, II, 54.


2. Wiischer-Becchi, Die yrtec/usc/ien Waitdmafereteit tit 3. Saba (RQ, XVI,
1903) : Wifpert, Le pttlnre def oratorto dt S. Stfm'a (Méfanges de Honie, 1906).
Gf. Munoz, Pitttire medt'oetiale romane (L'Arte, 1905).
3. Mitiet, Recàerc/ies, 674-676.
358 L ART BYZANTfX DE JUSTINtEX AUX ICOXOCLASTES

7?auen/)e. — Mais si i'on veut voir combien cet art byzantin du


vu° siècie, si capabte encore de pro luire de beties œuvres, est
prochepourtant de ia déoadence, c'est vers Ravenne qu'ii faut tour-
ner ies yeux.
Æosai'yue^ f/u V//"8:ècfe '. — Après i'époque de Justinien, i'art
chrétien s'éteignit vite dans ia capitaie de i'exarchat. Sans doute,
jusqu'à ia iin du vu" siècie, oncontinua à décorer demosaïques ies
muraiiies des égiises : mais de ces médiocres ouvrages toute inspi-
ration originaie a disparu. On se borna à copier assez serviiement
ies modèies incomparabies qu'offraient Saint-Vitaiou Saint-Apoiii-
naire-Neuf. G'est ce que ftt, dans !a seconde moiiié du vP siècie,
i'artiste qui acheva ia décoration pius ancienne de ia chapeiie
archiépiscopale : ii reproduisit, avec pius de raideur seuiement et
de gauche maiadresse, ie beau décor du chœur de Saint-Vitai.
Pareiiiement ies mosaïstes qui, vers ie même temps, ornèrent i'ab-
side de Sainte-Agathe et ceux qui, au vn^ siècie, décorèrent i'arc
triomphai de Saint-Michei in Alfricisco, se contentèrent de copier
le Ghrist trônant de Saint-Apoiiinaire-Neuf. Hnfin, à Saint-Apoiii-
naire in Ctasse, ies artistes qui, dans ia seconde moitié du vn" siècie,
exécutèrent ies mosaïques de i'arc triomphai et achevèrentia déco-
ration du chœur, s'inspirèrent visibiement du décor de Saint-Vitai.
De ià viennent ies viiies saintes, d'où deux processions de brebis
montent vers ie médaiiion du Christ qu'accompagnent ies symboies
des évangéiistes ; de ià viennent ies grandes figures d'archanges
tenant ie iabarum qui occupent ies retombées de i'arc. De ià
encore ies tabieaux eucharistiques où, sur ies côtés du chœur, ie
mosaïste a combiné ies sacrificesmystiquesd'Abei, deMeichisédech
et d'Abraham ; et de ià eniin la composition historique, maiheureu-
sement fort abîmée, où i'on voit i'empereur Constantin IV remet-
tant à i'archevêque Reparatus ies priviièges qui affranchissaient
son égiise de i'autorité romaine. Dans tout ceia, i'artiste s'est con-
tenté de combiner un peu différemment ies éiéments épars qu'ii
empruntait à son modèie : ii n'a fait nui effort créateur. Et à côté
des beites mosaïques de i'abside de Saint-Apoilinaire, d'une inspi-
ration si haute, d'une tenue si beile encore, rien ne montre mieux
ia décadence où est tombé au viP siècie i'art chrétien.
L'uniqueminiatured'un manuscritcopte duiivre deJob, conservé

1. Cf. tes ouvrages citésp. 118 de ttichter, Bayet, Ctausse, ltjedin, Kurth et
Dieht.
RAVENNE. - MOSAÏQUES DU VII^ SIÈCLË 359

à!a bibilothèque de Napies, donne une impression toute sembiabie.


Dans cet ouvrage, qui date du vn" siècie, quatretig'ures sont repré-
sentées, où Aïnalof reconnait des personnages historiquès appar-
tenant à une famiiie royaie aiors régnante. Ii y a donc ià un motif
assez anaiogue aux céièbres tabieaux de Saint-Vital représentant Jus-
tinien et Théodora : maisla différence dansl'exécution est profonde.
Sans doute la miniature de Naples n'est qu'un dessin à 1a plume
préparé pour l'enluminure, et d'ailleurs traité d'une main rapide et
aisée. Mais ces tigures immobiles sont, malgré quelques qualités,
d'une raideùr et d'une gaucherie extrêmes. A cet art byzantin qui
faiblit, il faut donc, s'ildoit vivre, que quelque grande révolution
apporte des éléments nouveaux de fraîcheur etde vie : c'est legrand
service que lui rendra au vm" siècle 1a querelle des images. En lui
portant descoups sensibles, les iconoclastesallaient en même temps
1e réveiller de sa torpeur et 1e transformer.
CHAPITRE X

LA QUEHELLE DES tMAGES

I. Le mouvementiconoclaste. HostiHtéancienne des chrétiens contre iesimages.


Causes du mouvement iconoclaste. La lutte contreles images. — IL L'art offi-
ciel et profane à Lépoque iconociaste. Caractères de l'art nouveau. Les cons-
tructions de Théophiieau Palais-Sacré. Influcnce de l'Orientsur cetart. —
III. Les monuments deLépoqueiconociaste. Mosaïques deSalonique.Ivoires.
Emaux. Miniatures. — IV. L'art reügieux à i'époque iconociaste. Le psautier
Ghioudof. Le Physiologus. Conséquenccs de la crise iconoclaste. — V. La
question byzantine au vni° et au ix^ siècie. Expansion de i'art byzantin.
Ilome. Cividale. La renaissance caroiingienne.

LE MOUVEMEXT IGONOGLASTE

anct'etttte c?es cAtëhetts cottQe ^es t'mayes. — De très


bontie heure, en présenceduniagnitique déveioppenientdel'art chré-
tien, certaines inquiétudes s'étaient manifestées dans l'Égtise, et
tes âniespieuses avaientéprouvé des scrupuies. Dieu même n'avait-
ii point jadis,en dictantàMoïse ses commandements, sembié pros-
crire formeilement ies manifestations de i'art ? K Tu ne te feras
aucune image taiiiée, iisait-on dans 1e Décaiogue, ni aucune ressem-
biance. x Beaucoup de chrétiens conservaient donc i'antique anti-
pathie que iesJuifs avaient eue pour ies représentations de ia tigure
humaine. Desconciies avaient en termes exprès interdit de décorer
ies égiises de peintures, w afin, dit ie conciie d'Eivire en 306, que
i'objet de notre cuite et de notre adoration ne soit pas exposé
sur ies murs. H Des évêques, surtout après ie triomphe de i'Egiise
et ie grand mouvement d'art qui i'accompagna, avaienteu de sem-
hiabies préoccupations. Eusèbe traitait de <( coutume pnïenne x le
fait de représenter ie Christ et ies apôtres. D'autres agissaient, par-
fois avec une brutaie énergie. A ia fin du tv" siècie, Epiphane de
Chypre, entrant dans une égiise de Paiestine, y trouvait une ten-
ture représentant ie Christ. « A ce spectacie, écrit ie saint, je m'in-
dignaide voiria représentation humaine dansieiieu saint, contre ie
CAUSES DU MOUVEMENT ÏCONOCLASTE 361

précepte des Ecritures, et je déchirai ie voile. a Au siècie suivant,


Xénaias, évêque d'Hiérapotis en Syrie, faisait dans son diocèse une
véritable guerre auximages. Cette ferveuriconoclaste se rencontrait
même en Occident. Vers 1a ftn du vi" siècle, Serenus, évêque de Mar-
seille, faisait détruire toutes les images dans sa ville épiscopale, et
1e pape Grégoire 1e Grand, tout en blâmant les excès de ce zèle,
louaitle prélat d'avoir empêché la foule d'adorer les images.
Assurément, ce n'étaient là que des protestations isolées. Mais
elles attestaient un ëtat d'âme obscur, une sourdehostilité qui, sur-
tout en Orient, persistait contre Ies images. Tandis que 1a Grèce,
toujours éprise de beauté plastique, acceptait volontiers dans l'art
chrétien la représentation de 1a Hgure humaine, l'Asie au contraire
gardait franchetnent les vieilles répugnances sémitiques contre
l'idolâtrie. C'esten Syrie, plus que partout ailieurs, quesemanifes-
tèrent les passions iconoclastes. Au vt" siècle, Antioche était 1e
théâtre d'une véritahle émeute dirigée contre Ie culte des images.
Au vn^ siècle, il n'était point rare de voir frapper à coups de lance
ou détruire sauvagement des tableaux sacrés. C'est dans ce milieu
oriental enfln que naissait au vft" siècle et prospérait l'hérésie pau-
licienne, ennemie farouche de tout ce qui n'était point 1e cuite <( en
esprit et en vérité x. Toutes ces tendances se précisèrent et prirent
corps au vtn^ siècle dans 1e grand mouvement des iconoclastes.
Causes c/u mouremenf fconocfasfe '. — Pour comprendre l'âpre
violence de cette querelle fameuse, il faut se rendre compte de Ia
place grandissante que les images avaient prise dans 1a religion et
leculte. Représentationmatérielle duChrist, de 1a Vierge, desapôtres,
des saints, l'image avait bien vite reçu dela piété des tldèles les mêmes
honneurs que 1e modèle représenté et acquis auxyeux des croyants
de surnaturellesvertus. Certainesdeces images étaientmême consi-
déréesparlacrédulitédeleurs adorateurscomnie« non faites dernain
d'homme 'r{K/E<ponot'-r)-trot), etcette prétendue origine miraculeuse leur
valait des respects particuliers. Aussiétait-ceun universeldéborde-
ment de superstition. Onmettait les images partout, nonpas seule-
ment dans les églises, mais dans les maisons particulières, sur les
nieubles, dans Iecostume;onne secontentaitpas de les vénérer, on les
adoraitouvertement.On se prosternait devant Iesicones,onIes baisait,
on les encensait; on les couronnait de fleurs, onallumaitdes cierges
[. Paparrigopouto, Ht'stoire Je ta ctrth'satton AeHetttqtie,Paris, 1878; Schwartz-
tose, Der ÆtMerstret't, Gotha, 1890 ; Lombard, Coüstatttt'tt V, etttperéur des
Rotttattts, Paris, 1902 ; Bréhier, Laquerehe des t'tttaqes, Paris, 190t.
362 LA QUERELLE DES [MAGES

devanteHes, on chantait des itymnesspéciatementcomposésenieur


honneur. Bien pius, on ies donnait pour parrains aux enfants nou-
veau-nés ; on attendait d'eiies des guérisons nierveiiieuses, on en
espérait des miracles prodigieux. Pourfaire venirdei'eau dansson
puits fari, une femme d'Apamée y jetait une image sainte ; et ies
hagiographes montrent ies images pariant, agissant, se dépiaçant
cornrne des êtres surnatureis et divins. Insensibiement, on retour-
nait aux pratiques de i'idoiàtrie païenne : ia foipopuiaire s'attachait
à i'image, simpie symboie, comme à une vivante réaiité.
De teis excès devaient inévitabiement ameneruneréaction. L'ex-
pansion de i Isiam et ses triomphes aidèrent encore au succès des ten-
dances hostiies aux images. Beaucoup de gens pieux. frappés des vic-
toires prodigieusesdesinfidèies, voyaientdans ies défaites chrétiennes
une preuve de ia coière divine et, en combattant ies images, pensaient
apaiserie mécontentement de Dieu. Beaucoup d'autres sentaientle
désir d'épurer une reiigion que ie culte des images transformait en
idoiâtrie. Les peintures, aflirmait un empereur iconociaste, « sont
desobjetsbas, indignesd'exciterl'adoration; ia vérité seuie doit
iixer ies regards x. Les pères du conciie de 753 déciaraient pareii-
iement, en termes énergiques : « Satana réintroduit peu à peu i'ido-
iàtrie sous ie masque du christianisme. o Iis disaient encore : t< L'art
coupabie de ia peinture est un biasphème contre ie dogme fonda-
mental de nofre saiut, c'est-à-dire i'incarnation du Christ. Le chris-
tianisme a renversé ie paganisme tout entier, non point seulement
ies sacriiices païens, mais ies images païennes H ; et impitoyahie-
menties docteurs de i'Egiise condamtiaient « i'artiste ignorant qui,
par un sacriiège esprit de iucre, représente ce qui ne doit pas être
représenté et veut, de ses mains souiiiées, donner une forme à ce
qui ne doit être cru que du cœur t).
Teis étaietit aussi ies sentiments des empereurs de ia dynastie
nouveiie qui, depuis ie commencement du vm^ siècle, régnait à
Gonstantinopie. Syriens d'origine, iis étaient natureilement hos-
tiies à des formes de cuite où iis ne voyaient qu idoiâtrie. Non
qu'iis fussent, comme on i'a dit queiquefois, incroyants ou ratio-
naiistes. Les souverains iconociastes du vtti° et du ix° siècle étaient
des princes pieux, descroyants convaincus et sincères, soucieux de
réformer et de purifter ia reiigion : et c'est un fait significatif
qu'iis trouvèrent autour d'eux pour cette tàche des concours nom-
breuxet fidèles — et cela jusque dans 1e clergé.
Sans doute aux motifs religieux s'ajoutèrent des raisons poli-
LA LUTTE CONTRE LES IMAGES 363

tiques. Dans cettesociété superstitieuse,!es moinesavaientvite pris


une grande intluence. Or 1e développement démesuré de 1a pro-
priété ecclésiastique était une cause d'afîaiblissement pour l'État,
dont il diminuait les ressources militaires et Rnancières ; Ia puis-
sance morale du monachisme était d'autre part un danger évident
pour l'autorité laïque. On conçoit que des hommes de gouverne-
ment, soucieuxdes intérêtsde 1a monarchie, aientsenti lebesoinde
réagir contre cet état de choses, et par là encore ils se trouvèrent
amenés à a},taquer l'art religieux. Outre que cet art en etTet était
en grande partie aux mains des moines, il leur fournissait par ail-
Ieurs un moyen d'action singulièrement fort : une icone célèbre
était pour 1e couvent qui 1a possédait une source derichesse autant
que d'influence.Si bien que, pources ràisonsdiverses, par scrupule
religieux autant que parnécessitépolitique, lesimagessacrées, aux
yeux des princes de 1a dynastie nouvelle, ne pouvaient paraitre
qu'un objet d'abomination, dignedetoutes lesrigueurs et detoutes
les proscriptions.
Za con^re /es — Quoi qu'il en soit des motifs, 1a
lutte menée contreles imagesfutsingulièrementardenteet longue:
pendant plus d'un siècle, elle agita passionnément l'empire byzan-
tin. En 726, l'empereur I.éon III l'Isaurien fit paraitre 1e premier
édit contre lesimages. L'émotion fut vive à Constantinople, quand
on voulut procéder à l'exécution. Une émeute éclata quand un offi-
cier impérial tenta de briser 1a figure du Christ qui, à l'en-
trée du palais impérial, décorait 1a porte dela Chalcé; des femmes
renversèrent l'échelle sur laquelle était monté ce fonctionnaire, et
dans 1a bagarre il fut massacré. Naturellementla violence répondit
à 1a violence; desmesures de rigueurréprimèrentiessoulèvements
qui, à l'exemple de 1a càpitale, éclatèrent dans les provinces occi-
dentales de 1a monarchie. Toutefois, malgré quelques conflits
sanglants, il n'yavait point encore de persécution systématique, et
dans l'application de l'édit une grande modérafion fut d'abord
observée.
Mais avec Constantin V, Hlsde Léon III, 1a lutte se fitplus âpre.
Le concile iconoclaste de 753 condamna formellement les images,
« comme une chose odieuse et abominable )), et anathématisa ceux
qui les exécutaient. Arméde cetinstrument, l'empereuragiténergi-
quement contre des rebelles devenus en même temps des héré-
tiques. Les moines furent persécutés, exilés, emprisonnés, parfois
mis à mort; les couvents furent fermés ou laïcisés; les églises
364 LA QUERELLE DES IMAGES

furent désaffectées ; tes écrits favorabtes auximages furent jetés aux


tlammes; tes imag-es surtout furent détruites impitoyablement.
K Partout où it y avait <!es images, dit un contemporain, on ies
détruisait en les brûtant ou en ies jetant bas, ou bien on les etfaçait
avec un enduit. i) « Geltes qui étaient en mosaïque, dit un autre,
on tes arrachait ; celtes qui étaient peintes au moyen de cire coto-
rée, on tes ractait. Toute beautë disparut des églises. " Ainsi
furent détruites tes fresques de t'ëgtise des Btachernes, qui repré-
sentaient des scènes de ta vie de Jésus ; ainsi disparurent tes
mosaïques et les fresques qui décoraient te patriarchat, et nombre
d'autres œuvres de l'art chrétien. Les manuscrits iilustrés n'échap-
pèrent pas davantage à ta ruine : à Sainte-Sophie, ptusieurs manu-
scrits précieux furent entevés, d'autres tamentabtement lacérés à
toutes tes pages ornées de miniatures. Aiiteurs, les manuscrits
devinrent ta proie des ftammes. Les iconoctastes se vantaient d'ado-
rer te Ghrist « en esprit et en vérité ", mais teur fanatisme nousa
fait perdre ta ptupart des chefs-d'œuvre de t'art chrétien des pre-
miers sièctes.
La niort de Constantin V amena une réaction contre son sys-
tème. La « très pieuse " impératrice Irène vouiut rétabtir ie cutte
des images, et au concite iconociaste de 753 eile opposa i'autorité
d'un conciie nouveau. En 787 ies pères de Nicée restaurèrent dans
tout l'empire 1e culte des saintes icones. « Eiles seront, disaient-
ils, rétablies dansles églises, sui'Iesobjets duculte,surlesvêtements
religieux, sur les murs, sur les tableaux isolés, dans les mai-
sons et dans les rues. Gar plus on les voit, pluson s'élève jusqu'au
souvenir respectueux dû aux personnages qu'elles représentent.
Nous décrétonsqu'onlesbaisera, qu'onseprosternera devantelles,
mais sans leur rendre 1e véritable culte qui n'est dû qu'à 1a nature
divine. " Cette réserve montre combien, malgré leur défaite, les
iconoclastes demeuraient puissants, puisque les orthodoxes eux-
mèmes prenaient souci de leur donner une partielle satisfaction.
Aussi n'est-il point surprenant que 1a lutte ait reconimencé au
ix" siècle. De nouveau, sous Léon l'Arménien, leconcile de 815 pro-
scrivit lesimages; et pendant vingt-cinq ans trois empereurs, surtout
Théophiie (829-842) qui était à 1a fois pieux, entêté et théologien,
menèrent contre elles une lutteimplacable.Denouveautesrigueurs
recommencèrent contre les personnes, et les peintres d'icones, tels
que 1e moine Lazare, dont Ies chroniqueurs ont conservé l'his-
toire, payèrent cruellement de )a prison et des plus atroces traite-
CARACTÈRES DE L'ART NOUVEAU 365

ments leur obstination à ne se point soumettre-s De nouveau les


objets d'art religieux furent systématiquement détruits. « Les
vases sacrés sont livrésau feu, aveclesdessins surlestableaux etles
livres où se lit quelque chose sur les images.. . Les perquisitions
et les enquêtes permettent aux hérétiques de ne laisser intacte
aucune image. p « Les objets précieux, lit-on ailleurs, étaient
traités comme des choses communes, lorsque les tigures divines
y ëtaient gravées. o
Cependan,t l'œuvre des iconoclastes était fragile. Lorsque Théo-
phile mourut, une lassitude générale faisait souhaiter aux hdèles
mêmes de l'empereur 1a hn de 1a persécution. La veuve dusouve-
rain défunt, ré^ente pour son jeune hls, n'eut point de peine
sérieuse à rétablir le culte des images, et plus heureusequ'Irène, à
1e rétablir pour jamais (843). Aujourd'hui encore 1a fête de l'or-
thodoxie célèbre annuellement 1e souvenir de 1a pieuse Théodora
et 1a hn de 1a crise redoutable que venait de traverser l'empire
byzantin.

II

L'ART OFFICIEL ET PROFANE A L'ÉPOQUE ICONOCLASTE

Au cours de cettelutte séculaire^l'artreligieux, onle peut croire,


avait souffert cruellement. Pourtant il seraitfort injustede se hgu-
rer les empereursiconoclastes comme desbarbaresennemisdel'art,
désireux d'en étouffer toutes les manifestations. Pour des raisons
d'ordre religieux, ils proscrivirent l'art religieux et 1e persécu-
tèrent : mais ils étaient amis du Iuxe,des fêtes, et plusieurs d'entre
eux furent de grands bâtisseurs. Hs n'avaient nul goût pour les
églises froides et nues, pour les palais sans magnihcence et sans
beauté. 11s détestaient, comme une profanation, 1a représentation
sous desformesjhumaines du mondeintelligibleetincorporel, «dont
les couleurs mortes ne peuvent hgurer les splendeurs p : mais ils
n'étaient nullement des puritains.
Caractéres Je /'aritiioiireaii.—Ala placedesimagesqu'ils détrui-
saient, ils se préoccupèrent donc demettre autre chose. C'estainsi que,
dans l'église des Blachernes, Constantin V ht représenter, d'après 1e
témoignage d'uncontemporain, « desarbres, desoiseauxde toute sorte
et des animaux, encadrés dans des rinceaux de lierre où se mêlaient
366 LA QUERBLLE DES IMAGES

des grues, des corbeaux et des paons H, si bienqu'on iui reproehait


d'avoir fait de l'égdise c un verger et une volière. x Conformé-
ment à ces goûts, tandis qu'on détruisait attentivement ies repré-
sentations sacrées, on prit soin d'épargner et même de restaurer
tout ce qui, dans la décoration des églises, n'avait point un carac-
tère reiigieux. Quand ies persécuteurs, dit un écrivain du temps,
voyaient figurés queique part « des arbres, des oiseaux, des ani-
maux et surtout ces scènes sataniques,courses de chevaux, chasses,
spectacies et jeux de i'hippodrome, iis les conservaient avec hon-
neur et ies embeiiissaient o. A ia piace de ia fresque représentant
ie sixième conciie, Constantin V, en vertudesmêmes principes, faisait
mettre le portrait de son cocher favori. Aiiieurs ii faisait exécuter
despeinturesreprésentant ses victoires, qui rempiissaient ie peupie
d'admiration et d'enthousiasme.
On voitsans peine queisétaient ies traitscaractéristiques de cet
art nouveau. Une chose y frappe tout d'abord, ie goût des scènes
de genre, du décor pittoresque, de i'ornement, tei que l'avait eu
jadis ia peinture aiexandrine. Ii y a, dans ie styie de i'art icono-
ciaste, un véritabie retour à iaprimitive décoration des égiises chré-
tiennes, un retour aussi à i'imitation de ces modèies antiques qu'a-
vait peu à peu abandonnés ie styie monumentai. La grande piace
d'autre part qui sembie, dans cet art, avoir été faite au portrait
n'est pas moins remarquable : ici encore on observe un retour aux
traditions antiques d'Aiexandrie, et surtout une tendance signiii-
cative à i'observation de ia nature et au réaiisme. Par tout ceia,
i'époque des iconociastes faisait reparaître dans i'art des thèmes et
des traditions que i'Ùgiiseenavait insensibiemeutpresque éiiminés;
iis ne se perdront pius désormais, et ia Renaissance du tx° siècie
en saura faire son proiit.
Assurément ie conciie de 787 condamna sévèrement ces ten-
dances; iiproscrivit, <( comme choses honteuses n, ces représenta-
tionsde danses et de scènes de i'hippodrome. Mais ies souverains
iconociastes du ix° siècie s'inquiétèrent peu de ces prohibitions.
Théophiie surtout, qui fut un grand bâtisseur, tit décorer ses édi-
fices comme avait fait Gonstantin V. Uans ies égiises ii substitua,
comme ses prédécesseurs, aux mosaïques reiigieuses des peintures
représentant des paysages pieins d'oiseauxetd'animaux. Au Paiais-
Sacré, ies constructions qu'it éieva furent pius signihcatives encore
et ies contemporains ies ont jugées à juste titre « extrêmement
magnifiques et dignes de mémoire
LES COXSTRUCTiONS DE THEOPHILE AU PALAIS-SACRÉ 367

cotM^ructton^ (/e 7 AéopA:7e au Pa/aib-^acréjL — Entre ie


patais de Daphné et ie Chrysotriciinium, Théophiie tit édifier un
vaste ensemble de bâtiments. Ce fut d'abord une satie du trône,
ie Triconque, ainsi nommée parce qu'eiie se terminait par trois
absides, disposées à i'est, au nord et au sud. Les murs eti étaient
spiendidement revêtus de marbres muiticoiores; ia voûte était
dorée. Vers i'ouest, ia saiie s'ouvrait sur une terrasse de forme
demi-circuiaire, leSigma, sembiabiementparée dei'éciatdesmarbres
polychrome^, et couverte d'un piafond doré que portaient quinze
coionnes de marbre phrygien. En avant du Sigma s'étendait un
péristyie, d'où i'on descendait sur iapiace de ia Phiaie. G'était une
cour à ciei ouvert, au miiieu de iaqueiie se dressaitune fontaine de
bronze, dont ia margeiie était d'argent, et qui était décorée au
centre d'une pomme de pin en or. Sur ies côtés de ia cour étaient
disposés des gradins de marbre, et, sur i'un des paliers qui ies cou-
paient, s'éievait un petit portique de marbre, où deux lions de
bronze jetaient de i'eau par ieurs gueuies ouvertes. C'est dans ce
décormagnitique que se donnaientqueiques-unes desfêtesqui rem-
piissaient ia vieimpériaie. C'est ià que ies factions de i'Hippodrome
venaient présenter au souverain ieurs chevaux caparaçonnés d'or ;
c'est ià que se dansait ia iente et soiennelie danse aux fiambeaux
qui, auxfêtes des Broumalia, accompagnaitiaréception du saa?:'-
mocteannion. ; ie basiteus présidait à ces cérémonies, assis sur un
trône d'or étinceiant de pierreries, au dessus duquei s'éievait un
dôme porté par quatre coionnes de marbre vert.
Tout autour de cette partie centrale du nouveau paiais se dispo-
sait une suite de saiies ou de paviiions non moins spiendidenient
décorés. C'était ia saiie de i'Amour, qui servait de cabinet d'armes,
et dont ies murs étaient couverts de peintures représentant des
bouciierset des trophées. C'était 1e triciinium de ia Perie, soutenu
par huit coionnes de marbre rose, et dont ies muraiiies étaient
ornées de mosaïques tigurant toute sorte d'animaux. C'était ia
chambreàcoucherd'été dei'empereur, dont quatre coionnes sup-
portaientia coupoie dorée, et qui était toute pavée et incrustée de
marbres précieux. Aiiieurs, au miiieu des jardins, s'ëievait une série
de paviiions somptueux. C'était ie Camiias, que couvrait une cou-
poie dorée soutenue par six coionnes de marbre vert, et dont les

I. Labarte, Le patafs :nîpe';*tat de Gottstanftnopte, Paris, 1861 ; Ebersott,


Le grattd pafats tte Gortatanttttopte et te tt'rre t/es Ge'rentotttea, Paris, 1910.
368 LA QUERBLLE DES IMAGES

murs, incrustés de marbres à la partie inférieure, étaient dans le


haut revêtus de mosaïques d'or représentant des statues cueiiiant
des fruits. Une autre pièce iui faisait suite, égaiement décorée de
mosaïques, où des arbres et divers ornements se détachaient en
vert sur des fonds d'or. C'était encore ia saHe du Mousikos ou de
i'Harmonie, chambre à coucher de i'impératrice, qui devait son
nom à ia variété et à i'agencement harmonieux des marbres dont
eiie était parée, autant qu'à son beau pavé de mosaïque, qui sem-
biait une prairie émailiée de ileurs.
Enhn, dans d'autres parties du paiais, dans ia saiie du Lausiacos
et dans iagaierie du Justinianos.Théophiieavaitégaiement faitpia-
cerdes revêtements demosaïquesd'or. Près de ià, un dernierpavii-
ion renfermait quatre saions couverts d'une coupoie d'or que sou-
tenaient quatre absides ; ies murs étaient couverts de peintures.
Toutes ces constructions attestent pour ia première moitié du
ix° siècieune prodigieuse activitéartistique. Cen'estpas tout. Pour
rehausser encore ia splendeur du palais qu'ii faisait éiever, Théo-
phiieie para de merveiiieux objetsd'orfèvrerie. Dans ia grande
saiie de ia Magnaure, où se donnaient ies audiences soienneiies, ce
fut un vrai décor de féerie. Un piatane d'or ombrageait ie trône de
i'empereur, et sur ses branches étaient perchés des oiseaux d'or ; au
pieddu trône, des iions d or étaientcouchés; suries côtés, des grif-
fons d'or sembiaient monter ia garde ; en face, se dressaient des
orgues d'or, ornées d'émaux et de pierreries. Ces chefs-d'œuvre de
richesse et de iuxe étaient aussi des prodiges de mécanique. Au
moment où i'ambassadeur était introduit, ies oiseaux posés sur ie
piatane s'agitaient et chantaient ; ies griffons se dressaient sur iëur
socie; les iions se souievaient, battaient l'air de ieur queue et fai-
saient entendrede métaiiiques rugissements. Toutes ces merveiiies
étaient i'œuvre d'un artiste fort habiie, parent du patriarche
Antoine, et à qui ie basiieus Théophile avait confié ie service de
i'orfèvrerie impériaie. C'est iui égaiement qui avait exécuté ie Pen-
tapyrgion, grand coifret d'or qui avait ia forme d'un château à cinq
tours, et où i'on déposait ies insignes impériaux et ies joyaux de ia
couronne. Enoutre Théophiie avaitfait renouveier, avec une magni-
iicence inouïe, toute ia garde-robe impériaie, ies vêtements de
parade que portaient aux jours de cérémonie le basiieus et i'Au-
gusta, ies robes tissées d'or ou brodées d'or que revêtaient dans ies
processions soienneiies ies sénateurs et ies grands dignitaires
auiiques. Et si, dans ies récits que ies chroniqueurs nous font de
INFLUEXCE DE L ORIENT SUR CET ART 369

ces magniRcences, il entre peut-être queique part d'exagération,


i'ensembie toutefois iaisse une impression assez forte de spiendeur,
de goût etde beauté : dans ie paiais rebâti ettout éciatantd'or, ies
empereurs iconociastes avaient su, à une magniRcence prodigieuse,
unir des formes d'art pieines de nouveauté et d'attrait.
7n/üuence <7e fOrieni sur ce7 arL — Un trait caractéristique
frappe dans ces manifestations artistiques, c'est tout ce qu'eiies
doivent à i'Orient, surtout à i'Orient musuiman. C'est qu'en
effet cette jaremière moitié du ix" siècie était l'époque où, sous
ies Haroun-ai-Raschid et ies Mamoun, Bagdad atteignait à i'apogée
de sa spiendeur. Lesmerveiiies du paiais impériai de Byzance rap-
peiient ies merveiiiesdupaiais des Khaiifes abbassides. On retrouve
dans ia capitaie arabe ie même iuxe des saiies d'audience, avec ie
même décor de féerie et ies mêmes prodiges de mécanique, et
aussi ie mème goût des paviiions mystérieux cachés parmi ies
ombrages et ies ileurs. C'est sur ces spiendeurs de i'art musuiman
que visibiement Théophiie avait pris modèie. On iitdans un chroni-
queur qu'en i'an 835 Jean ie Synceiie, l'ancien précepteur de i'em-
pereur, fut envoyé en ambassade à Bagdad ; ii y Rt un assez iong
séjour, ébiouissant ies Sarrasins par sa magnihcence, pius ébioui
iui-même par tout ce qu'il vit autour de iui. La beauté des édifices
arabes ie séduisit tout particuiièrement, et, à son retour, ii Rt à
son maître des descriptions si enthousiastes du paiais des Khaiifes
que Théophiie vouiut à toute force en posséder un sembiabie. Ce
fut ie paiais de Bryas, qui, dit un contemporain, « par ie pian et ia
décoration, reproduisaitsans changementies paiaissarrasins H. Aussi
bien, si i'on considère ies édiRces précédemmentdécrits, i'inRuence
de i'Orient y est pariout manifeste. Au Paiais-Sacré on rencontre
ia disposition entriconque, que nous avons trouvée jadis enËgypte,
en Syrie, à Mschatta ; et ce pian piaît si fort à i'empereur qu'au
paiais de Bryas ii ie fera répéter dans l'égiise consacrée à saint
Michei. Aiiieurs on observe ie pian en quatre-feuiiies, que nous
avons rencontré déjàenArménie. Jusqu'auxn" sièciecetteinRuence
se ferasentir dansies constructions du paiais impériai. Le paviiion
du Mouchroutas, probabiement construit à cette époque, est arabe
par son nom (macArouia en arabe signiRe cône) autant que par
son architecture, qui sembie imiteries monuments seldjoucides d'Ico-
nium'. Avecsonescalierdécoré dedenteiures,sescoupoiesconiques,

1. Gf. Heisenberg, Nteoiaos Mesarùés, Wurtzbourg, 1907, p. 44-45 et 72.


jKannet d'art àt/zaitRa 24
370 LA QL'ERELLE DES IMAGES

ses pendentifs à stalactites,iirappelait!es éditices derOrientmusul-


man ; et aussi bien le nommait-on w la maison persane a, ce qui
veut dire « arabe )) dans tout le moyen âge byzantin.
Mais plus encore que dans les partis de l'architecture, cette
influence orientale apparaît dans la grande place qui est faite à
l'art décoratif Les motifs des mosaïques que nous avons signalées
se rattachent tous à l'art ornementai ; à l'imitation des Arabes, la
peinture d'histoire, qu'avait conservée Constantin V, est mainte-
nant entièrement écartée. Et il n'y a là rien qui nous doive sur-
prendre. Dansla Constantinople du ix^siècle, c'est unafHux cons-
tant d'éléments orientaux, Asiatiques, Arméniens, qui détiennent
les postes les plus élevésdel'administrationet de l'armée, en atten-
dant que, avec ies princes de la dynastie dite macédonienne, ils se
haussent jusqu'au trône même.
C'est de l'Orient entin qu'est venue à Byzance, vers cette époque,
la pratique de l'émail cloisonné. L'origine orientale n'en est point
douteuse : c'est laPersequieninventa les procédés. Mais on ne sait
pas trèsexactementen quel temps Byzanceles luiemprunta. Nous
avons précédemment signalé plusieurs monuments du vi" et du vn^
siècle (reliquaire de Poitiers, croix Hope au musée deSouth-Kensing-
ton, reliquaire Oppenheim), où ies émaux se mêlent à la verroterie
cloisonnée etqui paraissent indiquer que, dèscemoment, les orfèvres
byzantins s'essayaient à cette technique nouvelle. Mais ces pièces
sont rares et exceptionnelles, et il semble bien que c'est la période
iconoclaste, où l'attention était fort éveillée par l'Orient, qui déve-
loppa les procédésde l'émaillerie cloisonnée et les mit en honneur.
Apartir decemoment, en elfet, elle occupe dansla décoration une
place importante et devient un des éléments essentiels du luxe
byzantin.
HI

LES MONUMENTS DE L'ÉPOQUE ICONOCLASTE

Ainsi, à l'art religieux les iconoclastes avaient substitué un art


nouveau, un at't surtout officiel et profane, qui se caractérise par
le retour au décor pittoresque antique et par la prédominance des
1. On peutse faire quelque idée de ces peintures de l'époque iconoclaste
par ies fresques qui décorent le château onimiade d'Amra (Gf. Strzygowski,
Amra und set'ne iMaferet'en, dans Zeitschr. f. biidende Kunst, 1908), et pius
haut, p. 345.
MOSAÏQUES DE SALOmQUE 371

motifs ornemen.taux empruntés à l'Orient. De cet art très actif,


iuxueux et magmfique, ii ne nous reste maiheureusement presque
aucun monument: non seuiementies'grands édifices, avec ieurs
richesdécorations,n'ont iaissénuiie trace; maisies ouvrages secon-
daires mêmes, ies produits de i'art industriei manquent presque
absoiument pourcette période. Et c'estpourquoi, dans i'histoire de
i'art byzantin, i'époque de ia quereiie des iconociastes est ia pius
obscure de toutes. On entrevoit parles textes i'importanceconsidé-

Fig.*176. —Salonique. Mosaïquesde Saint-Oéniétrius(P]iot. EeTourneau).

rabie qu'eiie eut sur ie déveioppement uitérieur de i'art;les monu-


ments, religieux ou profanes, font presque compiètement défaut
pouri'étudier.
AfosatyuM c/e ^afontyueL — Des œuvres de l'art monumentai, ii
ne subsiste que queiques fragments de mosaïques, mais datés avec
précision et par ià singuiièrement précieux. A Saint-Démétrius de
Saionique, au miiieu dudécor du vi^ siècle dont ii a été précédem-
ment fait mention, trois médaiiionsont été insérés au moment de !a
restauration dei'édifice,avec une inscriptionquisembieserapporter
autempsde Léonlliffig. )76). IisreprésententsaintDémétrius,fian-
qué de deux personnages ecciésiastiques, dont i'un est un évêque,

1. Ouspenski, 3fosaïqaes recemnient dëconrertes à Saint-Déme'trins de Sato-


niçne (IIR, XIV, 1909) ; DiehletLe Tourneau,Les niosaiquesdeSat'nte-Sopàie
de Satoniqne (Mon. Piot, XVI, 1909), et t'ouvrage déjà cité de Dieh], Le
Tourneau et Saladin, Les monnments càrëti'ens de Satoniqne.
372 LA QUERELLE DES IMAGES

i'aulre un simpie pi'être : ce sont peut-être ies portraits des restaura-


teurs dei'égiise;i'exécutionentoutcas est assezremarquabieparson
caractère de réaiisme. A Salonique, pareiiiement, dans i'abside de
Sainte-Sophie,iadécorationdate de iatin du vm^siècie, commel'at-

Fig. 177. — Satonique. Sainte-Sophie. Mosaïque de i'abside (Phot.


Lc Tourneau).

testent ies monogrammes dei'empereur Constantin Vi,dei'impéra-


trice îrène et ie nom de i'évêque Théophiie, qui figuraen787 au se-
cond conciie de Nicée. A ia voùte du berceau qui précède i'abside,
une grande croix sur fond d'argent est inscrite dans un cercie d'or ;
à ia conque même de i'abside, ia Madone trône sur un fond d'or
MOSAÏQUES DE SALONIQUE 373

(Rg. 177), assez lourde d'aspect et drapée de püscomptiqués; mais


)a figure est très savamment modeiée, et i'on voit, en comparant
l'image teiie qu'eiie est exécutée avec l'eflet qu'effe produit vue du
sof, combien i'artiste connaissait encore admirabfement son métier
et s'efîorçait de tenir compte de la courburetrès accentuée de f'ab-
side. Toutefois on sent queique décadence dans.cette œuvre un peu
gauche et morne : seuf f'enfant divin, au visage expressif et charmant,

Fig. i'8. .— Gofïret de Veroii Musée de South-Kensington). Couvercie.

dont fa robe d'or briHe sur fe vêtement sombre de ia Madone, est


exquis de grâce et de vivacité.
H est mafheureusement pius difîicife de dater avec précision ies
ouvrages des arts mineurs qui pourraient remonter à f'époque des
iconocfastes. Le styie ornementaf et profane que cette période a
remis en honneur n'a point, en effet, disparu avec eiie ; ii a persisté
durant les siècies suivants, etau x° siècie encore son action se fai-
sait puissamment sentir dans i'art byzantin. il n'y a donc point ià
un éiément d'absoiue certitude,et c'estavecbeaucoup de prudence
et de réserves qu'on tentera de proposer quelques conciusions.
Vt'ofres ^. — Gertains groupes d'ivoires, qui nous ont été conservés,
sembient bien devoirêtre attribués en partieà ia période iconociaste.

l.Moliniei ,///s/o/regë^tëi'a/edes ar/sa/)p//qr77esà Z'777.d77s/r/e, t. 1,/es 7ro/res,


Paris, 1896; Graeven, /^i7ï.jRe/iqr77 7e77/fàs/c/7e7ta77S P/ra770 (Jahrb. der Kunsthist.
Samm!. d. alierhôchstcnKaiserhauses, XX), Vienne,1899; A7i/iA:e Vor/agen
ÔT/zaTT./. J?//*e77he7are/7e/'.s (JPK, XVIII), Berlin, 1897.
374 LA QL'ERELLE DES IMAGES

Ce sont ces cofTi-ets, i-emarquabtes par t'ornementation àrosettes, tout


orientate, qui en couvre les bordures, et par les sujets profanes qui
en décorenttes panneaux. On y voitdes scènes de chasse, d'hippo-
drome, méme de guerre, qui se déroutent en tongues frises rappe-
lant tes peintures dont tes empereurs iconoctastes parèrent teurs
constructions. Aitteurs, ce sont des scènes mythotog'iques ou pas-
toraies, et encoredesreproductionsde médaities antiques aiternant
dans ia bordure avec ies rosettes, bref une décoration où n'entre
aucun éiément religieux. De ces monuments, d'un art purement
civii, l'intérèt est in-
contestabie : mais on
s'est demandé s'ii ne
faliait point ies ratta-
cher tous à ia renais-
sance qui suivit ia
querelie des images et
où i'art, ayant rompu
avec beaucoup de ses
inspirations coutu-
mières, cherchait vo-
iontiers des modèies
dans i'imitation des
Fig. 179. — Goftïet de Veroii (Musée de South-
Kensington)^ Gôté. bas-reiiefs antiques.
ii sembie pius naturel
peut-être d'en faire honneur directement à ia pure tradition aiexan-
drine qui, persistant jusqu'à i'époque iconociaste, auraitcoritribué
à conserver et à déveiopper en ce temps !e goût des motifs de i art
heiiénistique. En tout cas, ii y a un rapport étroit entre ces
coffrets et i'art d'une période qui encouragea ies fêtes païennes et
ia peinture de genre, et on a pu avec vraisemblance attribuer à cet
art iconociaste ies plus anciens au moins de ces petits monuments,
ie cotïretde Veroii parexempie, aujourd'huiau South-Kensington,
où sont représentés ie sacritice d'iphigénie, i'enièvement d'Europe
(Rg. 178), Pégase buvant et diverses scènes bachiques (fig. !79), et
iecoffret de Pirano, aujourd'hui à Rome, où i'on voit des scènes
d'hippodrome et des épisodes bachiques. La piupart pourtant de ces
cofTrets, où ii n'est point rare de rencontrer des détaiis empruntés
aux miniature chrétiennes, appartient certainement à l'époque de
ia renaissance macédonienne.
En revanche, deux piaques de diptyque, conservées à Vienne et
IVOtRES 375

au Barg-eHo de Ftorence, dateut peut-être de ]a Rn du vm" siècte


Sous un dome porté par
des cotonnes, une impé-
ratrice estdebout, iourde-
ment drapée, assez gau-
chement modelée (Rg.
180). On y a reconnu i'im-
pératrice Irène : et, en
etîet, i'art qui se révèie
dans ces deux monu-
ments otîre des caractères
assez sembtabtes, à cetui
de i'abside de Sainte-So-
phie de Saionique. On y
observe une entente réette
de ia composition, un sen-
timent assez remarquabte
de !a décoration, et dans
i'ensembie une certaine
majesté simpie.
FnMiia; -. — D'après
Kondakof, !e p]us ancien
monument datéde l'éinai]-
]erie byzantine appartien-
drait à Hépoque des ico-
nociastes.C'estle pafiotto
de Saint-Ambroise à
Mi!an, qui date de 835
environ. Les émaux y
servent simptement à en-
cadrer tes bas-reiiefs ou
ies icones, et ie décor
purement ornementa] y Fig. Î80. — L'impcratrice trène. Piaque en
est d'un cotoris encore Noti.nai de Fl.rence
(Phot-. Aiinari).
assez pauvrc ; on n'y
1. On a pourtant contesté récemment, pour des raisons de costumc, cette
date. Dansi'impératrice reprcsentée, Graeven voit Amalasonthe; Deibrück
(Mitt. d. deutsch. Arcii. Inst. Rôm. Abt., 1913) y reconnaît Thêodora ;
Ebersoît (Les ar^s sompRzaüres de Ri/sance, p. 36) y voit Ariane, ia femme de
Zënon. Gependant îe style de bouvrage ne sembîe guère convenir à la hn du
v° ou au vi° siècle.
2. Kondakof,/77s%o/ree^ monn/nenhs desè/namrhi/2an//as, Francfort-sur-ie-
Mein, 1892.
376 LA QUBRELLE DES IMABES

trouve quetroiscouleurs, vert émeraude, bleu turquoise et rouge.


11 faut ajouter que l'origine byzantine de ce monument est fort
contestée, et rappeler qu'avant le ix° siècle déjà, l'art byzantin
connaissait, semble-t-ii, les procédés de l'émaiüerie cloisonnée.
Mais on doit accorder que l'époque iconoclaste en développa vrai-
semblablementlegoût : en toutcas, le pa/toffo de Miian n'est que
le début modeste d'un art qui sera admirable.
— L'illustration des manuscrits, au contraire, est
plus caractéristique des tendances de l'époque.
Ce qu'on y observe d'abord, c'est le goût qui se manifeste alors
pour l'illustration des manuscrits scientifiques. La bibliothèque du
Vaticanpossède(n°129t) unPtolémée, iliustréentre 813 et820,pro-
bablement à Constantinople, à l'intention d'un empereur ou d'un
gratid personnage. Les miniatures en sonf fort curieuses. Sur une
spbère d'un bleu sombre des animaux figurent les diverses constella-
tiorts ; ailleurs est représentée la marche du soleil à travers les
signes du zodiaque: sous chaque signe, un dieu est assis ; douze
figures demi-nues, six de teinte claire, six de couleurpius sombre,
personnifient les jours et les nuits; au centre, dans un médaiilon à
fond d'or, le soleil est représenté sous les traits d'un jeune
homme, porfant une couronne d'or d'où s'échappent des rayons
d'or; il est monté sur un char traîné par quatre chevaux. Ailleurs
Sélénè est figurée sur un char à deux chevaux, une torche dans
chaque main ; aux angles de la miniature sont placés le Jour et la
Nuit. 11 est de toute évidence que cette iilustration n'est que ia copie
d'un prototype beaucoup pius ancien, peut-être même, s'ii en faut
croire Aïnalof, de l'original tei qu'il sortit de ia main de Ptoiémée.
Mais l'exécution est vraiment artistique et prouve bien que, seion
la remarque d'Aïnalof, ii y eut à ce moment une véritabie c renais-
sance de i'art alexandrin sur le sol byzantin r.
A côté de cette part que l'art iconoclaste faisait à la tradition
antique, i'influence orientale se marque dans ia tendance décora-
tive, « traitprincipai, dif Kondakof, de laminiature byzaniine pen-
dant cette période n. La Bibliothèque nationale conserve un évan-
géiiaire grec du ix° siècie (Gr. 63, Goibert), qui n'est point à cet
égard sans intérêt. L'exécutionen est assez médiocre : maisc'est un
curieux exempie d'une iiiustration oü ia figure humaine estcompiè-
tement absente. Le décor est purement ornementai; ce sont de

1. Kondakof, /ti'sfotredet'arf àÿMnftn; Aïnalof, Ort'gt'ttes, p. 14 et suiv.


M!NIATURES 377

grandes lettres orjiées, des médaillons avecdes ri,nceaux, au milieu


desquels on voit des tleurs, desfruits, des oiseaux ;des architectures
enfin encadrent, selon l'usage, les canons. D'autres manuscrits de
même styie se rencontrent dans 1a bibliothèque du Sinaï. On y
admire surtout lesinitiales formées de poissons, d'oiseaux, d'entre-
lacs, de serpents ; les figures d'oiseaux et d'animaux y sont fort
nombreuses. Sans doute cette ornementation caractéristique per-
sistera au x° siècle, et les initiales des plus beaux manuscrits de
l'époque nmcédonienne montreront dans l'arrangement de ces
motifs une prodigieu^e virtuosité; maistouf fait croire que Konda-
kof a raison, quand il attribue à 1a période iconoclaste l'origine de
ce genre de décoration.
Ce qui est peut-être plus remarquable encore, c'est que, dans Ies
manuscrits religieux mêmes qui datent du tx° siècle, se manifeste
nettement l'influence de ces tendances nouvelles.
A Milan, à l'Ambrosienne, on cotiserveun manuscrit grecde Gré-
goire de Nazianze. C'est 1e n° 49-50, et ildate dutx°siècle. L'exécu-
tion en est assez hàtive etnégligée ; mais Ie caractère de l'illustra-
tion est fort remarquable. Sans doute on y trouve représentés les
événements de l'Ancien Testament ; les prophètes y figurent; mais
les scènes évangéliques y sont presque entièrement absentes, signe
évident del'inditférence de l'artiste pourles préoccupationsthéolo-
giques. Geci apparaitdavantageencore dans 1e touressentiellement
profane de 1a plus grande partie de l'illustration. Les allusions
mythologiques et poétiques que contient 1e texte, 1a traduction lit-
térale des altégories etdes métaphoresmêmesqu'emploiel'orateur,
ont fourni matière à de nombreuses miniatures. Sans doute, ici
encore, iln'estguère contestable que nousavons affaireà une copie
d'unoriginal notablementplusancien : maisil est remarquableque,
dece prototype, l'illustrateurdu!x°siècle ait, avecuneprédilection
marquée, retenu surtout les images profanes. Ptus tard, au temps
de Basile I, pour illustrer les œuvres de Grégoire de Nazianze, on
s'inspireraplus volontiorsdu modèleconsfituésous l'inspirationdes
théologiens, et que représente si brillamment 1e Parisinus 510 ; au
temps des iconoclastes, ou dans 1a période qui suit immédiatement
leur domination, on va de préférence à l'illustration profane, felle
qu'elle s'était formée sous l'influence des commentateurs alexan-
drinsde Grégoire. C'estdonc toujours lemème retouràlatradition
antique, que nous avons plus d'une fois déjà signalé comme carac-
téristique de cette époque, et qui se manifeste pareillement dans
378 LA QUERELLE DES IMAGES

t'exécutioti. Les totis moeiieux des chairs, ies draperies iargement


traitées, ie reiief bien net, ie dessin aisé, i'aspect scnipturai des
compositions, toutattesteieretouràia manièreatttique, ramenée
à ses principes essentieis.
Le même caractère et ie même styie se retrouverit dans unmanu-
scrit de 1a Bibiiothèque nationaie (Gr. 923), qui contient des mor-
ceauxchoisis des Pères dei'Église. G'est ie même goutantique, et,
dans iechoix des sujets, ia mème prédiiection pour ies scènes de
genre. Parmi ies sujets empruntés à i'Ancien Testament, on a retenu
de préférenceles épisodesanecriotiques: i'histoire deSamson, )a
vie de Job, Nabuchodonosor broutant i'herbe comme un ours,
i'aduitère Thamar, etc. On a déveioppé avec compiaisance en
représentations famiiières toutes iesatiusions que contient ietexte,
et montré ici ie médecin chariatan travaiiiant devant ie pubiic, tà
des athiètes nus ou s'habiiiant, aiiieurs ie peintre à son chevaiet.
Sans doute, comme dans i'Ambrosianus, i'exécution est médiocre :
mais i'esprit iout antique de l'iilustration est significatif et digne
d'attention.

IV

L ART RELIGIEUX A u'ÉrOQUE ICONOCLASTE

On répète voiontiers que ies iconociastes ont anéanti i'art. Ce


qui vient d'être indiqué rnontre amplement combien ce reproche
est peujustiiié. Mais il y apius. On ne saurait même dire avec
vérité qu'iis aient anéanti i'art reiigieux. On vient de citer piu-
sieurs manuscrits de cette périodeoù, sousi'intluencedes tendances
nouveiies, i'iiiustration reiigieuse se pénètre curieusement d'éié-
ments profanes. D'autres monuments du même temps attestent par
aiiieurs que i'art persécuté, ioin de périr, dut au contraire à ia
iutte un regain d'activité.
Les rigueurs des empereurs iconociastes atteignirent surtout la
peinture monumentaie. i^'orthodoxieproscriie trouva un refugedans
ia miniature. Toujours, on ie sait, i'ornementation des manuscrits
avait conservé à Byzance pius d'indépendance: i'opposition reii-
gieuse rencontra donc ià un terrain oùeiie put sans peine manifes-
ter toute i'énergie de ses sentiments, toute ia ferveur de sa i'oi, toute
i'ardeur de ses haines, où i'art reiigieux put déveiopper assez iibre-
ment tout ce qu'ii avait eniui de force créatrice. De ià est sorti un
LES MOHUMEXTS OE [. ART HELIGIEUX 319

monument tout à faitremarquabie, né en pieine période iconociaste,


probabiement au monastèredu Stoudion, dansia première moitié
du ix" siècle: c'est le Psautier à iliustrations marginaies, qu'on
appeite aussi le Psautier « monastique et théotogique /).
Le Psautier CA/oudo/^L — On rencontrera ptus tard, au x" et au
xi^ siècte, de beaux psautiers iiiustrés, exécutés pourdesempereurs,
et que décorent magnifiquement de splendidesminiatures en pleine
page; ils constitue[)t ie groupe qu'on nomme « aristocratique «.

Fig. 181. — Sitène. Miniature du Psautier Chloudof (d'après Kondakof).

Mais ce'n'est point sous cette forme somptueuse que t'époque des
iconociastes comprit i'iHustration de ce iivre fameux. II la vouiut
toute popuiaire, tout appropriée à i'instruction de ia fouie igno-
rante. Depuis iongtemps ie Psautierétait pour ies masses une iec-
ture édiiiante particuiièrementchère; ii répondaitbienaugoûtqu'a-
vaient ies Byzantins pour ies spéculations reiigieuses et théoio-
giques : saint Basiie n'avait-ii point dit que les Psaumes contenaient
K ia théoiogie tout entière « ? Les moines encouragèrent ce goût, et
dans Tiiiustration qu'iis créèrent pourie Psautier, iis résumèrent
« sous une forme vivante et popuiaire, combinée pour i'édiiication

1. Kondakof, #['[u'afH!'esd'Hrt!na!t![.scrt't iyrec du Psantter de/a cottecft'on


CAtondo/', Moscou, 1878; Ht'.stotredefart;TH;kanen, Dt'e PsattertlfnatraD'on
tni [Mtftetatfer, Hetsingfors, 1895.
380 LA QUERELLE DES IMAGES

desmasses, toutein science théoiogique et historique du temps^ «.


De là vient l'aspect très particulier cpi'a pris cette iHustration,
dont i'un des ptus anciens exempiaires nous est otTert par te Psau-
tier Ghioudof, conservé à Moscou au monastère de Saint-Nico-
ias. H est orné de nombreuses vignettes marginales (p)us de 200),
vivementexécutées.d'un dessin rapide etaisé, eniuminées trèssim-
piement avec des couieurs mates
fondues très harmonieusement. La
composition est nette, étégante,
remarquaMe pari'animation et l'heu-
reuse disposition des groupes : ies
^A*M< mouvements des figures, un peu
rudes, ont du naturei et de ia vie.
Peu d emprunts sont faits à i'art
antique ; ii y a, au contraire, un
souci de i'observation, une recher-
che de i'expression,un réaiisme qui
n'est point exempt de force comique,
par exempie dans certaines repré-
sentations comine ceiie de Silène
(tig'. 181), ceiie du Jourdain, ou ceiie
encore des orgueiiieux (fig. t82),
« dont ia houche touche )e ciei, et
dont ia iangue pend jusqu'à terre o
(Ps. 72, 9). Un grand souffle popu-
iaire traverse toute i'œuvre, avec
une fraîcheur dimagination, une
Fig. 182. —Les vantards. Minia- iiberté et une verve admirabies :
ture du Psauticr Ghtoudof
c'est une création toute famiiière,
(d'après Tikkanen).
absoiument exempte de ia soiennité
byxantine, et par tout ceia puissamment originaie.
Gette iliustration est composée d'éiéments assex divers. Ii y a
une partie historique, et une autre que l'on pourrait appeier
iyrique et édifiante. i/une comprend ies scènes de i'Ancien et du
Nouveau Testament, qui tiennent une assex iai'ge piace ; ia seconde
comprend ies miniatures d'un caractère symboiique et morai, qui
sont extrêmement nombreuses et où i! est faciie de reconnaitre
l'influence des principesmonastiques. Ainsi touteune série de coni-

1. Kondakof, 7/i'st. de t'arf, I, 167.


381
LE PSAUTIER CHLOUDOF

positions ont pour objet la glorification de ]'aun\ône et l'encoura-


gement à )a pitié ; i'imagination de ]'artiste prête à ce thème les
formes ]es p)us variées, parmi lesquetles it faut signaler surtout ]a
personniiication de !a Charité couronnée de branchages et distri-
buantde l'argent (hg. 183). AiHeurs ce sontdes exempies édifiants
tirés dela vie journatière desmoines, des itiustrations symboliques,

comme ]a Vierge et ia iicorne, le rocher de Moïse, ta vision de


Daniei voyant en songe ie médaiHon de ]a Madone tenant i'enfant
divin, desparaboles enfin et des personnilications. Une inspiration
théologique et mystique empht et domine toute i'œuvre. La Vierge y
tient une ptace qui montre ie progrès croissant du cultede Marie ;
le médaiHon du Christ y apparait sans cesse, au-dessus de Moïse
comme au-dessusde David; ies épisodes de !a Passion du Sauveur
enlin sonttraités avec une particuiière prédiiection. Mais unesérie
382 LA QUERELLE DES IMAGHS

de composiüons est surtout intéressante et caractéristique de


l'époque où fut conçue cette iHustration : ce sout ies miniatures
poiémiques.
Pour représenter« ia réuniondes méchants ;), t'artiste a tiguréle
synode iconociaste de 815 (tig. t84). L'empereur,entouré de gardes,
est assis sur un trône; auprès de lui siège 1e patriache ; et devant

Fig. 184. — Les Iconoclastes.Miniaturedu PsautierBarbet'inifBibl. Vaticane)


(d'après Tikkanen.)

eux, deux hérétiques s'apprêtent à etïacer ou à détruire i'image du


Ghrist. Les deux mêmes personnages reparaissent au bas de ia
miniature représentant ia Crucifixion. Les défenseurs des images,
en eiïet, comparaient voiontiers ieurs adversaires aux Juifs qui
avaient crucifié ie Seigneur. Le rapprochement se rencontre, dèsie
vitL siècie, dans uti ouvrage de poiémique iongtemps attribué à
Jean Damascène(Acf Cons^anftnumCaôafGinim. P. G.,t. XCV, 334-
335), et ii estremarquabieque, sur ia miniatureduPsautierChiou-
dof, i'artiste a inscrit précisément ie passage de i'anonyme qui se
rapporte à cette comparaison.
Aiiieurs on a Hguré ie triomphe de i'orthodoxie. Le patriarche
Nicéphore estreprésenté,tenant en mains iemédaiiion du Christet
fouiant aux pieds i'impie Jannis, c'est-à-dire 1e patriarche icono-
ciaste Jean Lécanomante, tandis qu'au-dessus i'apôtre saint Pierre
LE PSAUTIEH CHLOUDOF 383

terrasse Simonte magicien. Ailieurs deux scènes égaiement parai-


lèies montrent d'une part ies pharisiens corrompant ies soidats qui
gardentie tombeau du Christ, tandisqu'au-dessus, Simon iemagicien,
en habits pontiBcaux, ordonne deux personnages qui iui apportent
de i'argent. Derrière iui le démon de la cupidité (ïnMpYupos Safp.Mv)
iui chuchote à l'oreiiie. Ici encore se retrouve aisément i'ahusion aux
événements contemporains, considérés du pointde vue monastique.
Les iconociastes sont représentés comme des hommes inspirés par
ie diabie, cprrompus par ia vénaiité juive, tous atteints d'une
cupidité sordide et mettant par ieur simonie abominabie i'Egiise et
ie Christ à i'encan. Point devue singuiièrement étroit au regard de
i'histoire, mais quiai'avantage de nous transporter au seinmême des
poiémiques du temps, et qui par ià nous donne ia date eti'origine
de cette curieuse iiiustration.
Ze — Le même esprit et ies mêmes aiiusions se
retrouvent dans i'iiiustration d'un autre ouvrage, ie Physiologus,
sur iequei on reviendta uitérieurement. Eile doit visiblement son
origine au même mouvement théologique et monastique qui suivit
immédiatement 1a dét'aite des iconoclastes, et où se manifestèrent
l'âpretédes haines et lajoie du monachismevictorieux. Sans doute,
on 1e verra, un cycle naturaliste pius ancien s'est combiné dans
cette illustration avec 1e cycle religieux, à tendances allégoriques
et symboiiques, qui rappelle 1e Psautier Chloudof. Mais 1a place
faite dans cette rédaction aux Pères de i'Êglise dont ies doctrines
avaient été citées au cours de 1a querelle des images, l'écho des polé-
miques contemporaines qui apparaît dans ia représentation des
Ariens et de Simon 1e magicien, sufHsent à en dénoncer l'origine. Ce
sont Ies moines du tx^. siècle qui, vers 1e temps où ils créèrent
1e psautier illustré, conçurent cette autre illustration populaire des-
tinée, comme celle du Psautier, à l'instruction morale des masses^.
De tels exemples sufHsent à démontrer quelle activité I art reli-

1. Strzygowski, Der Dt'Meràrets des yrtecàtseàett Pàystotoyus, Leipzig,


1899.
2. Cf. Strzygowski, ioc. ctf., p. 95-97, 98-99. 11 est remarquabte que ce carac-
tère potémique de !a miniature, où apparait un aspect curieux et inattendu
de i'art byzantin, persista après l'époque iconociaste. Nicétas raconte dans
sa kte d'fyttace qu'on trouva chez Photius un manuscrit renfermant !es
actes du concite de 86], qui condamna Ignace. I! était iüustré de miniatures,
qui représentaient ce patriarche battu de verges, insutté, dèposé ; des tègendes
injurieuses inscrites à côté de sa hgure ['appetaient « !e diabte « ou '< !e t!ts de
perdition r (Vtt. /yttalt't, p. 540-541). C'est la même tendance que t'on observe
dans !e Psautier Chtoudof.
384 LA QUERELLE DES IMAGES

gieux conserva au milieu même de ia persécution. Les créations


qu'ii tit alors devaient avoir. une importance essentielle pour te
dévetoppement uttérieur de i'iconographie byzantine : tout cet
ensembie d'idées, en efiet, que ia miniature exprima d'abord,
toutes ces conceptions théologiques auxqueiies, pour ia première
fois, eiie donna une forme artistique, passèrent de ià dans ia pein-
ture monunrentaie ; et ce fait nous mène à une autre conséquence
qu'eut pour i'évoiution de i'art byzantin ia grande crise des icono-
ciastes.
Con^éyuences c/e /a crne fconoc^aste. — Après ia victoire des
défenseurs des images, i'art religieux persécuté se déveioppa natu-
reiiement en une merveiiieuse iloraison ; mais ii dut aux épreuves
qu'ii venait de traverser de prendre un caractère particuiier.
L'art byzantin, on i'a vu, possédait dès ie vi" et ie vn^ siècie cer-
taines traditions fortement étabiies, qui ne pouvaient manquer
d'engendrer assez vite quelque monotonie dans ies compositions et
les types. La quereiie des images eut pour effet de fortifier davan-
tage encore ces traditions. De ia persécution subie, i'art reiigieux,
en eifet, reçut comme une consécration : « ia vénération popuiaire,
dit très bien M. Bayet, s'attacha à iui avec pius de ferveur; et ce
futdès iors un acte de piété dereproduire ies images teiies qu'eiies
avaientété proscrites* o. Le conciie de 787, en ordonnant de véné-
rer ces images comme des objets d'une particuiière sainteté, en
déciarant que <s i'honneur témoigné à une image revient à ceiui qui
est représenté sur i'image a, acheva de donner aux compositions
sacrées uncaractère d'immuabieuniformité. L'artbyzantin avait eu,
dès i'époque ia pius ancienne, un caractère théoiogique très pro-
noncé : à partir du !x° siècle, ia puissance de i'Egiise devint pius
absoiue encore. La quereiie des images avait été surtout une iutte
contreiesmoines. Lesmoines l'emportaient. Par ieurascétisme,
iis avaient depuis iongtemps acquis une force invincibie dans ie
monde chrétien ; par ia victoire qu'ils remportèrent sur i'hérésie,
ieur prestige devint pius grand encore. lis marquèrent désormais
toutes choses de ieur infiuence, ia iittérature aussi bien que i'art.
Le couvent du Stoudion, qui avait été ie centre de la résistance
contre ies iconociastes, devint à Constantinopie ie centre de i'esprit
monastique. De ià sortit sans doute i iiiustrationdu Psautier, de ià
sortirent toute une série d'autres ouvrages historiés, évaugiies,

1. Bayet, ttecàereàes, p. 135.


CONSËQUBNCES DE LA CHISE ICONOCLASTE 385

calendriers, recueiis édiiiants de toute sorte. Dc ià sortit surtout


cette tendance monastique, qui peuà peu se rëpandit sur tout i'art
byzantin. « A partir du x^ siècie, dit Kondakof, ies textes des
manuscrits iilustrés sont teiiement imprégnés des tendances de cette
immense armée ecclésiastique, qu'on peut donner ie nom de ciaus-
traie à toute ia dernière période de l'histoire des miniatures byzan-
tines i. H
Pourtant, maigré ia victoire finaie du monachisme, ia crise ico-
nociaste n'avait pas été inutiie. On peut même afiirmer que, sans
eiie, i'art byzantin se fût bien vite acheminé vers ia dëcadence.
Nous avons vu comment, dès ie vn^ siècie, ii inciinait déjà à queique
monotonie, cominent, sous i'influence de i'i'iglise, ii tendaitdepi
en pius à s'immobiliser dans ies traditions d'une iconographie
récemment créée. La quereiie des images ie réveiiia de ia torpeur
où ii s'endormait et iui donna une jeunesse nouveiie. D'une part,
en face de i'art reiigieux, eiie fit naitre un art pius profane, pius
indépendant, plus désireux de revenir aux modèies antiques, pius
soucieux d'observation et de vérité. D'autre part, i'art reiigieux,
dans ia passion de ia iutte, se retrouva créateur et subit, quoi
qu'ii en eût, i'influence de i'art officiei nouveiiement créé. Quand
ia crise s'acheva, i'art byzantin était mûr pour ia grande renais-
sance du ix" et du x" siècie.
G'est à i'époque des iconociastes que ie K second âge d'or M de
i'art byzantin dut, tout compte fait, ses caractères essentieis. Et ii
ne s'agit pas ici seuiement du renouveau de grandeur et de prospé-
rité matérieiie que ies empereurs iconociastes donnèrent à ia monar-
chie et qui permit à ieurs successeurs, continuateurs de ieur
œuvre, d assurer à Byzance près de deux siècies de force et de
spiendeur. Au point de vue de i'art aussi, c'est de i'époque icono-
ciaste que procèdent ies deux tendances contraires quicaractérisent
i'époquedès Macédoniens. S'ii existeaiors un art impériai, travaii-
iant pour ies souverains, épris de ia tradition ciassique, curieux
du portrait, du modèievivant, du réaiisme, et faisant sentir jusque
dans i'art reiigieux i'iniiuence deses idéesmaîtresses; si,en facede
cet art officiei et profane, ii existe un art monastique, pius sévère,
pius traditiounei, pius théoiogique ; si, enfin, de ia combinaison des
deux nait une admirabie série de chei's-d'oeuvre, c'est dans ia
période des iconociastes qu'ii faut chercher ies germes féconds

t. Kondakof, Tft'stotre de t'.irt, I, 38.


Æatmef d'ytrt ài/ïantt'ft 25
386 LA QUERELLE DES ÏMAGES

dê cette magniHque fïoraison ; et par ià cette période mérite une


attention particutière dansi'histoire de t'art byxantin,autantpârce
qu'eiie fit que par ce qu'eMe prépara pour t'avenir.

LA QUESTtON BYZANTÏNE AU Vtu" ET AU tx" StÈCLE '

Æ'tr/tanston t/e far/Tu/zauMn. —Maisii y a pius. Si la crise icono-


ciaste, quoi qu'on en aitdit, ne marque ni arrêt dansle développement
de t'art chrétien d'Orient, ni interruption dansses traditions, eMe cor-
respond, d'autre part, à une expansion grandissante de i'influence
byzantinedans le monde. La grandeémigration des artistes,faïquesou
moines, qui, au vm" etauix" siècie, fuient fes persécuteurs des images,
renforça fes courants orientauxqui,depuis fe v° siècle, portaient en
Occident fes enseigmements de 1a Syrie, de l'Asie Mineure et de
Byzance. Grâceaux fidèles des saintesicones, l'art orientalprend pos-
session de l'ftalie toutentière, et son action s'étend jusqu'aux pays
francs et germaniques nouvellement sortis de 1a barbarie. « Depuis
Otrante jusqu'à Aix-Ia-Chapelle, l'art, plus ou moins grossier dans
l'exécution, semble presque uniforme dans ses thèmes principaux,
parce qu'il s'inspire partout des mêmes modèles étrangers. Dans 1a
période de revers et de troubles qui sépare les règnes victorieux
d'HéracIius et de Basile 1e Macëdonien, l'art chrétien d'Orient,
répandu à travers l'Occident, a repris quelque peu l'empire que
l'art romain avait autrefois exercéL "
TfomeL — On a vu précédemment ce qu'était Romeauvu"siècIe,
et tout ce que durent à l'influence grecque les artistes qui peignirentà
cette époque les fresques de Santa Maria Antica. Les mosaïques et
les peintures romaines dela première moitié du ix" siècle ne doivent
pas moins à l'art byzantin. A Sainte-Praxède, à Sainte-Cécile, à
Santa Maria in Domnica, malgré la gaucherie des attitudes, les
défauts de 1a perspective, 1a médiocrité parfois de l'exécution, les
mosaïstes qui ont décoré les absides ont produit des œuvres qui,
par 1a splendeur des couleurs et 1e sens de l'effet décoratif, font
honneur en somme à l'art byzantin implanté à Rome. L'oratoirede

1. Bei't.auv, L'ar? daus f'tf.itt'e mërtdfoitate, p. 109.


2. De Rossi, iMiisaict crisftaai di Botna, Rome, 1870-1895 ; Wilpert, Die
rôntisctte Afosaiffert; Van Berchem et Gtouzot, itfosai't/ttes cftre'fiemtes.
EXPANSIOX DE L ART BVZAKTIN 387

Saint-Zénon, qiie ie pape Pascal I" fit construire dans Sainte-


Praxède pour servir de tombeau à sa.mère, fa pieuse Théodora, est
pfus caractéristique encore. C'estieseuf édifiCeromain du moyen
âge qui soit couvert d'une coupoie bâfie sur pian carré, comme
ies coupoies des égiises byzantines ; et, par sa décoration de revê-
tements de marbre etde mosaïques d'or, c'est, comme on i'a dit,un
pur n joyaud'art orientai ' K Les images, qui dans i'édicuie funé-
rairei'ont aiiusion à ia résurrection et à ia gioire, ne sont pius d'an-
ciens symlroles chrétiens, maisdes décors et des motii's empruntés
à i'iconographie byzantine : ia Transfiguration, ia Descenle du
Christ aux Limbes, ie Trône de Dieu a On trouve même ici,
pour ie noter eu passant, un des ptus anciens exempies datés dey
i'Anastasis. Dans cette œuvre exquise et magnifique, toute copiée
sur des modèies grecs, — ia Transfigurafion rappeiie i'évangile de
Rabuia et les fresques cappadociennes — ii ne reste rien des fradi-
tions iatines. Et pareiiiement ies autres mosaïstes romains déve-
ioppent ies thèmes orientaux, ia Transtiguration à i'arc triomphai
de i'égiise des Sainls-Nérée et Achiiiée, ies mofifs qui céièbrent ia
gioire de ia Vierge à i'abside de Santa Maria in Domnica. Quoique
dépendant moins étroitement de i'Orient, ies peintres qui ont
exécuté ies fresques ies pius anciennes de ia vieiiie basiiique de
Saint-Ciément n'échappent pas entièrement à i'intluence byzantine
Si ies peintures du temps de Léon IV (847-855) sont de styie piutôt
iatin, encore que ies thèmes de i'Ascension et du Jugement dernier
soient empruntés à i'iconographie grecque et que ia yierge-Mère
de ia nef de droite soit conforme au canon grec, ia beiie fresque
peinte vers 869 au-dessus de ia tombe de saint Cyriiie a toute ia
sérénité des images by'zantines. Le Christ, bénissant à ia grecque,
accueiiie ies saints Cyriiie et Méthode, que iui présentent
saint And.ré et saint Ciémeiït, assistés des archanges Michei et
Gabriei.
D'autres peintures, étroitement apparentées aux fresques de
Santa Maria Antica, ont été récemment retrouvées, non ioin du
Mont-Cassin, dans une chapeiie voisine dés sources du Voiturne :
eiies sont i'œuvre d'artistes bénédictins, et furent exécutées entre
826 et 843. Parmi ies motifs qui concourent à ia décoration de cet
édicuie, piusieurs se retrouvent dans i'art byzantin et sontemprun-
1. Bertaux, ttome, It, 59.
2. /In'J.
3. Wilpert, Lepi'tlure Jt S. Clemeute (Mélanges de Home, 1906).
388 LA QUERELLE DES LMAGES

tés aux évangites apoeryphes ' ; et s'it est difficiie de considérer


ces fresques, à cause de certainsdétaiisétrangersài'Orient, comme
1a copie directe d'un modèle orienta), du moins dans )es attitudes,
les costumes, )a technique surtout, trouve-t-on )a preuve évidente
d'un art fortement byzantinisé. Rome byzantine répandait tout
autour d'eite un reilet de )a civitisation de Byzance, et, à côté

Fig. 185. — Scutptures de S. Maria detta Vatte à Gividate (d'après Strzy.


govski, Das orieaiaD'scàe //ahea).

d'eHe, t'Orient )ui-même exerçait directement son influence dans


i ltaiie du Nord etjusqu'au de)à des A)pes.
C/rnr/a/e^. — Entre )e v" et ie tx" siècte, i) y a eu, seion i heu-
reuse expression de Strzygowski, une n Itaiie orientaie a. De cette
Itaiie orientaie, un des monuments ies pius remarquabies est, pour
notre période, ia décoration de i'égiise de Santa Maria deiia Vaiie,
à Cividaie en Frioui(fig. 185). Au-dessus de ia porte, des bas-reiiefs
en stuc, représentant six grandes figures de femmes, cjue sépat'e en
deux groupes une ntche richement ornée, forment une frise déco-
rative d'un fort bei eifet. Au-dessous, une spiendide arcature, éga-
iement en stuc, couronne ie dessus de ia porte. Par ies motifs comme
par ia technique, l'ornementation de cette arcade a un aspect pure-
1. Gf. Bertaux, L'arf dam.' t'Dahe ntèrtdt'otta/e, p. 99-103.
2. Strzygowski, Das ort'ett/attscAe ifaftett (Monatshefte f. Kunstwissen-
schaft, I, 1909).
LA RENAISSANCE CAROHXGIENNE 389

ment. oriental, qui rappeHe à Strzygowski ie sf)4e mésopotamien :


par aiiieurs, ies saiutes représentées sont des Grecques voiiées du
mapAorioit syrien ou vêtues comme des patriciennes de Byzance. Si
on observe entin que cette décoration ne sembie point faire corps
avec l'architecture, on inciinera à croire qu'eiie a été apportée tout
achevée du dehors,et qu'eiiepeut être enconséquencei'œuvred'un
artiste byzantin. On date communément ces stucs du vm^ siècie,
encore que Strzygowski observe justement qu'une teiie virtuosité
dans i'ornementation indique peut-être une époque pius ancienne.
Quoi qu'ii en soit, ces bas-reiiefs donnent une heureuse idée de
ce dont était capabie ia scuipture byzantine ; et si i'on s'étonne
qu'au vni" siècle eiie exécutât encore des œuvres de cette irnpor^
tance, on remarquera que, suivant une hypothèse ingénieuse de
Bertaux, ies saintes de Cividaie sont probabiement des imita^
tions ou piutôt t< des contrefaçons économiques de ia scuipture en
métaux précieux )). Or i'argent et i'or gardèrent ionytemps à
Byzance ie priviiège de représenter en reiief ies saintes images.
La Vienatssance caroftnyfeitne '. — Ce n'est point ici ieiieu d'ex-
piiquer ionguement tout ce que dut à Byzance ia Benaissance caro-
iingienne. ï,e dôme d'Aix-ia-Chapeiie, qu'ii s'inspiredeSaint-Vitai
de Ravenneou qu'ii ait poui' modèie un type d'édifice directemenL
venu de i'Oricnt, est en tout cas, selon i'expression de Strzygowski,
une construction heiiénistico-orientaie, de iafamiiiedesniarfyi taà
pian centrai si fréquents en Syrie et en Asie Mineurp^ L'égiise de
Germignydes-Prés rappeiie defaçon remarquabie ies monuments de
i'Arménie. Onsait égaiement par combien de points ies miniatures
des beaux manuscrits caroiingiens rnppeiient ies thèmes décoratifs
des manuscrits syriens et byzantins. Que ies types viussent directe-
ment d'Lgypte, de Syrie, de Byzance, ou qu'iis fussent transmis à
la Gauie, par i'itaiie fortement byzantinisée, de toutes parts i'éié-
ment orientai s'iniiitrait en Occident. Tout préparait à iui fairebon
accueii : ie désir du nouvei empire de rivaiiser avec Byzance, ies
incessants rapports commerciaux et dipiomatiques entretenus avec
l'Orient, ieprestigedes modes byzantines; eti'abondant empioides
étoffesorientaies, i'importationdesivoires scuiptés ou des manu-
scritsgrecs n'introduisaient-iispasconstamment à iacourdes Caro-
iingiens desferments d'intluencebyzantine etdes modèies dignes
1. Strzygowski.Der Dom zu Aac/ien ; Rivoira, Le origntt deiia areàitettH-
;a tont&arda, t. t, Rome. 1901 ;Strxygowski, By:. DenAm;iter,I;Bertaux, L'art
dans t'7/a/ie nte'ruttona/e.
390 LA QLEREH.E DES tMAGES

d'être imités? Sans doute il y a iieu d'admettre que les « intermé-


diaires syrienssembient avoir eu encore pius d'action sur le miiieu
caroiingienque ies Byy.antins purs ' H ; et sans doute ii est incon-
testable aussi que d'autres apports vinrent se confondre dans « ce
mélange éminemment composite ^ r que fut i'art caroiingien. L'en-
semble garde pourtant une couieur orientaie. Et c'est peut-être ia
preuve ia pius forte deia merveilieuse puissance de i'art byyantin,
qu'au moment même où ii traversait ia crise iconoclaste, iiconservait
toujours comme ia direction généraie de l'art dans ie reste de
i'Europe. Le probième des iniiuences exercées sur i'Occident par
i'Orient byzantin, « ia question byzantine r, comme on dit, sembie
bien, pour 1a période qui va du vn** au ix" sièçie, aussi bien que
pour celie qui s'étend du iv" au vi", se résoudre en faveur de
Byzance.

]. A. Miche], de i'ar/, t, 330.


2. /htM., 329.
LIVRE III

LE SECOND AGE D OR DE L'ART BYZANTIN


ÉFOQUE DES MACÉDONIENS ET DES COMNÊNES (IX<'-Xir SIËCLE)

GHAPITRE PREMIER

LA RHNAISSANCE MACÉDONIENNH
CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE L'ART NOUVEAU
L'ART PROFANE A BYZANCE

I. L'empire byzanlin sous les Macédoniens et ies Comnènes. L'cxpansion ter-


ritoriale. Laprospéritéintérieure. Renaissanceintellectuelle. Spiendeur de
Constantinople. — II. LaRenaissance artistique. Ëpanouissement de l'art
byzantin.Cequ'il conserva d'invention créatrice. -—IlI.Caractères nouveaux
del'artbyzantin. L'imitation antique. L'influenceorientale.L'artprofane.Nais-
sance d'un art impëriai.L'artreligieux. Ses caractères. L'inspirationantique.
Le réaiisme. Evolution de l'art religieux. Quaiitéscommunes des deux écoies.

Un chroniqneur byzantin du xu^ siècie a symbolisé par une pit-


toresque et expressive imag'e i'évbiution de cette monarchie byzan-
tine qui, tant de fois au cours de sa longue histoire, a sembié à 1a
veilie de ia ruine, qui tant de fois s'est reievée en des renais-
sances inattendues et éciatantes. ii nous montre « i'empire, cette
vieiiie femme, apparaissant comme une jeune tiiie parée d'or et de
pierres précieuses Tei, au sortir de ia grande ct'ise iconociaste,
i'empire grec apparaît. Entre ia fin du ix° siècie et ia tin du
xtt", ii a connu une magnifique renaissance, qui, dans ie domaine
de i'art aussi, a produit des fruits admirabies. Selon i heureuse
expression de Kondakof, ce fut vraiment c ie second âge d'or de
i'art byzantin )t.
392 LA RENAISSANCE MACÉDONIENNE

L'EMPIRE BYZANTIN SOUS LES MACEDONIENS ET LES COMNÈNES ^

L'eaipaim'on /err//ort'a^e.—Jamais, même autempsde Justinien,


Byzance ne fut plus puissante, plus prospère que pendantles cent cin-
quante années qui vont de 1a fin du ix^ siècle au premier tiers du xi".
Sousle gouvernement des souverains éminents, guerriersintrépides
autant qu'administrateurs habiles, qui forment 1a dynastiemacédo-
nienne, l'empire redevient, une fois encore, un des grands états de
l'Orient. Hn Asie, l'invasion arabe est contenue ; uneolfensive hardie
porte les étendards byzantins victorieux au delà des monts du Taurus,
en Gilicie, en Syrie, et les Grecs précèdent les croisés sur 1e chemin
de Jérusalem. EnEurope, les Russes sont écrasés sur 1e Danube;
1e royaume de Bulgarie est noyé dans le sang; la péninsule des
Balkans est reconquise tout entière ; l'hellénisme est vainqueur du
slavisme comme de Mslam. En Occident, les basileis reprennent
les ambitieuses traditions de 1a politique impériale : ITtaiie du
sudredevient unenouvelle Grande-Grèce; etautour de l'empire un
cortège d'états vassaux, italiens, slaves, arméniens, reconnait l'in-
Iluence et atteste )e prestige de Byzance. Partout l'hellénisme
triomphe, de l'Itaiie au Caucase et à i'Arménie ; ia religion com-
plète l'œuvre, convertissant les païens, en particulier les llusses,
à 1a foi chrétienne. Et i'empire, de caractère nettement hyzantin,
trouve, à défaut de 1a nationalité qui lui manque, une cohésion
puissante par l'empreinte commune de i'hetlénisme, par 1a profes-
sion commune de l'orthodoxie.
Ginquante ansd'anarchie'et de troubles interrompent un moment
cette splendeur. Puis, de nouveau, sous une dynastie nouvelle, celle
des Comnènes, Byzance retrouve un siècle, 1e xip, de gloire et de
prospérité, et Constantinople redevient, une fois encore, un des
centres de 1a politique européenne.
Zap/'M/ièrt7é infè/ieure. — A l'intérieur, une administration
habile et savante assureàl'empirelasécuritéetlarichesse.Constan-

1. Rambaud, t,'e/np/'re gr/'ecatiX"st'ècte, Paris, 1870 ; Schtumberger, Æt'ce'-


phore P/tocas, Paris, 1890 ; L'epopèe hpzantt/te, 3 vot., Paris, 1896-1905 ; Neu-
mann, Dt'e tVei/stettu/tp Jes hyz. Ret'c/tes ror de/t Kreuzzüye/t, Leipzig, 1894
(traduction Renautd et Koziowski, Rev. de t'Orient iatin, X, 1905) ; Diehl,
Ætuc/es /)//za/t/t!tes, Paris, 1905 ; Rt's/otre t/e /'entpt're àt/za/t/t'/t, Paris, 1919 :
Ryza/tce : yr<tttdeure/c/ècat/e/tce. Paris, 1920.
HEXAtSSAKCE fNTELLECTCELLE 393

tinople est ta reine deséiégances, !a capitale du monde civitisé.Des


mains de ses artisans sort toutce que ie moyen âge a connu en fait
de iuxe précieuxetraffiné, étoffesde soieetde pourprehistoriéesde
broderies, bijoux éfinceiants de pierreries et de perles, coffretsd'ivoire
aux scuiptures déiicates, manuscrits aux miniatures spiendides,
bronzes nieiiés d'argent, émaux cioisonnés d'or ; et maigré i'étroite
régiementation que i'Etat fait peser surcetteindustrie— Constanti-
nopiefut, oni'adit. le paradis du monopoie etduprotectionnisme — ie
déveioppement en est prodigieux. Le mouvementcommerciai n'est
pas moinsconsidérabie. Piacée au point où se touchent l'Orientet
i'Occident, Constantinopie est ie grand entrepôt où affluent ets'échan-
gent ies produits de i'univers. Et grâce à cette adniirabie activité éco-
nomique, ies ressources financières de i'empire sont énormes. Benja-
min de Tudèie, un hommequi savait compter, tapporte queies reve-
nus de ia capitaie seuie montaient à 20.000 sous d'orpar jour, soit
7.300.000 sous d'or par an, qui équivaudraient à pius de 500 mil-
iions or aujourd'hui.
./fenaùssance fnieNec/uef/e. — A ce déveioppement de ia vie indus-
trieiie et commerciate, correspond un sembiabie épanouissement de ia
vie inteiiectueiie. Dansi'Université de Constantinopie restaurée, on
enseigne ia phiiosophie, ia rhétorique, ies sciences. Au contactdes
œuvres dei'antiquité profane.une renaissancevéritabiese manifeste
dans tous ies domaines de ia pensée. Le x" siècie dresse tout d'abord
i'inventairede ses richesses : c'est ie siècie des encyciopédies, histori-
ques, juridiques, administratives, grammaticaies, scientifiques, hagio-
graphiques. Surces bases, iessièciessuivants travaiiient. Gettepériode
a vu successivement fieurir, au tx^ siècie, un Photius, savant pro-
digieux, esprit originai ethardi ; au xP siècie, un Pseiios, génie uni-
versel, ie pius puissant et ie pius novateur de son temps, et une
iégion de poètes, de phiiosoplies, d'iiistoriens. A i'époque des Com-
nènes, c'est une véritabie piéiade d écrivains de taient, Anne Com-
nène, Nicétas Acominate, Eustathe de Thessaionique et bien
d'autres. i^e roman renait, ia poésie popuiaire fait bonne figure à
côté.de ia iittérafure savanfe et mondaine. et i'épopée de Digénis
Akritis est ie pendant des chansons de gestes de i'Occident.
On peut voir dans ies ouvrages du temps ia trace de cette presti-
gieuse spiendeur. Qu on ouvre par exempie ie Lfure Cérèmo-
tnes, où l'euipereur Constantin Porphyrogénètea décrit ies pornpes
de ia vie officieiie au x" siècie : à chaque page, c'est un tabieau
ébiouissant de processsions magnifiques, de réceptions soienneiies,
394 LA RENAISSANCE MACÉDON'IEXKE

de fêtes étranges et somptueuses, qui, par les rues de la capitate,


sous tes voûtes de Sainte-Sophie, dans tes saites du Paiais-Sacré,
dérouient incessamment, comme un ruisseiiement d'or, ie pit-
torescjue spectacie d'un iuxe prodigieux. A côté de la capitaie,
d'autresgrandes viiles montrent une égaiemagnificence. Jean Camé-
niate, au x° siècie, vante ia iiorissante industrie de Thessalonique,
ie mouvement de son port, ia spiendcur de ses foires, ie iuxe de
ses habitants, ia renommée de ses écoles. Cette prospérité durait
encore au xn^ siècle. Un écrivain de i'époque des Comnènesnous a
iaissé ün pittoresque tabieau de ia grande foire qui, coïncidant avec
ia fête de saint Démétrius, rempiissaiL ia viiie, pendant dix jours,
de mouvement et de bruit, et y mêiait ia pompe des cérémonies
reiigieuses, i'éciat des cortèges profanes, et i'activité des transac-
tions écotiomiques.
5*p/en<fenr ife Con^fanPiuo/3/e. — Les témoignages des étrangers
qui visitèrent, auxn^ siècie, i'empire sont peut-être pius caractéris-
tiques encore. Le géographe arabe Hdrisi comme ie voyageur juif
Benjaminde Tudèle^iegtand seigneur qu'est Viliehardouincomme
ie pauvre chevaiierqu'est Bobert de Ciari représentent également
Constantinople comme une viiie de merveiiies. lis ne tarissent
point en admiration sur sa richesse, ia beautë de ses édiiices, ie
nombre de ses égiises et de ses reiiques, ie iuxe de ses habitants,
sur ia prodigieuse spiendeui' de cette cité qui, seion ie mot de
Viiiehardouin, a de toutes ies autres était souveraine'i. « A i'excep-
tion de Bagdad, écrit Benjamin de Tudèie, cette viiie n'a pas
sa pareiiie au monde a ; et ii décrit avec une sorte d'étonnement
1 incomparabie richesse de Sainte-Sophie, ia beauté du palais des
Biachernes, « avec ses joyaux dont ia vaieur est incaicuiabie B,
ies habitations privées pleines d'or, de pourpre et de soie, à ce
point <( qu'on ne peut voir nuiiepartdes habitations rempiies d'au-
tant de richesses a, et ia spiendeui' bigari'ée des rues, pieines de
gens simagnifiquement vêtus, « qu'iis semblenttous des enfants de
rois )). Un mêmemot revient sans cesse sous ia piume de Viiiehar-
douin, ébioui par « ces riches tours )), « ces riches paiais )), cette
« riche vilie )).. Et ie moyen âge tout entier, sous ies froids brouii-
iards du Nord et Ie iong des ileuves russes, dans ies comptoirs de
Venise ef dans les châteaux d Occident, rève de Byzance comme
d'une cité incomparabie, pieinede richesses et de prodiges,comme
d'une viiie unique au monde, toufe rayonnante dans un flamboiement
d'or.
ÉPANOUfSSE.MKNT DE L'ART BTZAKTtX 395

H
LA HHNAISSANCE AHTISTtQUE

Une si magnifique ren'aissance devaii nécessairement, s'étendre


aux arts.
7^pa/tomsxe/nenf c/e Z'ar/ Lyzan//n. —
Les Macédoniens et ies Comnènes furent
de grands bâtisseurs (Hg. 186). Basiie I
donna i'exempie : ii construisit ia Nouveiie
Égiise et ie Paiais 5ieuf ou Cénourgion,
ii décora magnifiquement Sainte-Sophie
et peut-étre ies Saints-Apôtres. Son petit-
His Constantin Vii fit mieux : iui-même
fut un artiste. « II peignait si bien, dit son
biographe, que je ne pense pas qu'ii y ait
eu avant iui ou après iui un peintre qui
i'ait égaié. Ii corrigeait ies peintres et pa-
raissait ie maitre ie pius expert, ii donnait
des conseiis aux sculpteurs, aux menui-
siers, à ceux qui travaiilent i'or, l'argent,
ie fer. o i.es empereurs de ia maison des
Comnènes ne furent pas moins épris d'art
et de iuxe : eux aussi construisirent des
paiais, des égiises, des monastères. Ut sous
ia vigoureuse impuision des princes, touf
1e monde autour d'eux s'empressa de faire

Fig. !S6. — Construction d'un èdifice. Miniature du Psautiei' Barberini (Bibt.


Vaticane).
396 LA RENAtSSANCE MACÉDONtENNE

commeeux. De la capitate, iemouvement se propagea dans ies pro-


vinces, où i'influence d'unmonachismenombreux etricheaida puis-
samment au déveioppement de l'art monumentai. Au x*= siècie, se
fondent ies pius anciens monastères de i'Athos, Lavra, Iviron,
Vatopédi. Un peu pius tard, au xt°siècie, Saint-Luc en Phocide, ia
Nea Moni de Chios, ie couvent de Daphni, près d'Athènes, témoi-
gnent de ia prospérité et des goûts artistiques du temps. Simuita-
nément, i'intiuence de i'artbyxantin rayonne au deià des frontières
de i'empire ; ia Géorgie et i'Arménie sont pieinesd'édiiices destyie
byzantin, de monuments admirabtes de i'orfèvrerie et de i'émailierie
byxantines. La Russie, avec ie christianisme, reçoit si fortement i'em-
preinte de ia civiiisation de Byzance, que ies pius anciensouvrages
dei'artrussesont destyie purementbyzantin. En Occident, ies égiises
vénitiennes et siciiiennes reproduisent ie pian et iedécordes sanc-
tuaires grecs ; et jusquedans i'Itaiie centraie, jusque dans ie sudde
ia France, jusqu'en Ailemagne, on reconnaît dans i'architecture, et
pius encore dans i'ornenientation, i'imitation des modèies de Cons-
tantinopie. o Pendant toute ia première partie du moyen âge, comme
on i'a remarqué, i'art byzantin a eu comme ia direction générale de
l'artdans toutie restede l'Europe ' r. En Orient commeen Occident
ii a, de ia fin du tx'* siècie à 1a fin du xiF, produit une admirabie
tloraisondemonuments, dont beaucoup nous sont parvenus, et qui
permettent de déiinir ies caractères essentieis de ce grand mouve-
ment.
Ce hf comert'a tffneen,f:on crènfrtee. — i.es historiens récents
de i'art byzantin sembientavoircommis surce point une assez singu-
iière erreur. A iesen croire, i'artchrétien d'Orient a tout inventé,
tout créé au v" et au vP siècie, et ies œuvresque nous a iéguées ia
période du au xn" ne seraient guère que « des répiiques de proto-
types perdus". C'estvoir ies choses, à mon sens, sousun jour assez
étroit et assez faux. Ii fut un temps, qui n'est pas très éioigné, où
dans ie mépris faitd'ignorance que i'on professait pour i'art byzantin,
on iedéiinissait voiontiersparies mots d'immobiie, de monotone, et,
comme on disait, de « hiératique ". Non sans peine, par de iongs
efforts, on a fait justice de ces assertions, et montré i'inexactitude
profonde de cette conception. Mais n'est-ce point y revenir par un
détourque de refuserà cet art toute originaiitécréatrice, une fois
ie v^ et ie vt" siècie révoius? Sans doute, et on i'a dit précédem-

1. Bayet, Tteeàere/tes, 137.


CE Qu'tL CONSERVA u'tNVENTION CREATRICE 397

ment, il y a dans ces théories nouveHes une part incontestabie dp


vérité, et ceia se comprend aisément. Un art, travaiiiant surtout
pour i'Égiise, iimité à un cercie reiativement restreint de sujets,
condamné à ies répéter sans cesse, devait avoir une tentation natu-
reiiede chercher des modèies dans ies œuvres éminentes des siècies
précédents. Geia est vrai en particuiier des miniatures : ii est indé-
niabie que bien des manuscrits du xn" siècie sont des copies d'ori-
ginaux plus anciens, précieusement conservés, et ce serait x se trom-
per grossièrement de vouioir juger i'art à la cour des Comnènes
d'après un de ces manuscrits, parce que ce voiume contient un por-
trait d'Aiexis Gomnène ' o. Entre i'Octateuque 746 du Vatican, qui
est du xn° siècie, et ie rouieau de Josué, qui est du vi°. ii y a des
ressembiances si frappantes, qu'à moins d'admettre que, par un
hasard extraordinaire et invraisembiabie, ie rouieau se soit précisé-
ment trouvé dans ie monastère où on iiiustra i'Octateuque, ii faut
bienreconnaître que ies deux manuscrits procèdentd'un même pro-
totype ancien. Ge qui est vrai des miniatures i'est parfois mème des
œuvresde ia peinture monumentaie : on verra commenties mosaïques
du narthex de Saint-A'Iarc, qui datent du xm° siècie, copient ies
miniatures de ia Bibie de Cotton, qui est du vU. Mais de cesfaits,
qui sont incontestabies, ii est excessif de conciure trop vite à toute
absence d'invention créatrice.
Et d'abord, dans ces copies mêmes, subsiste une part d'origina-
iité. Eiie se manifeste en premier iieu dans ie choix qui est fait des
modèies à reproduire. Gomrne ie remarque fort justement Kondakof,
« si, dans un manuscrit du x° siècie, nous apercevons un détaii
de peinture d'un cara,ctèrequasi pompéien, nous serons dans ie vrai
en disant : Voioi une copie'faite d après un modèie que ie miniatu-
riste avait par hasard sous ia main, mais cette copie est en même
temps une preuveque i antiquité inspirait i artet touteia vieintei-
iectueiie de i'époque ^ o. Ii y a encore une part d'originaiité dans ia
façondontie copisteinterprète iesmodèieschoisis. Ii existe dans
i'art chrétien des sujets éterneis, dont ies grandes iignes sont fixées
depuisdes siècies: est-ce à dire que ies maîtres qui s'y sont succes-
sivementessayés ont copié serviiement ie modèie primitif? Par
ia composition, une Madone de Giotto ressembie fort à une
Madone de Raphaëi et à une Vierge de Bouguereau : n'y a-t-ii

1. Kondakof, de t'artAt/zatttt'tt, I, 30.


2. Kondakof, foc. ctf., I, 31-32.
398 LA RENAtSSANCE MACÉDOXIENNE

pourtant, entre les trois œuvres, nulte difîérence d'art? Tant de


GruciRxions, tantd'Assomptions, qui toutes s'inspirent d'un thème
commun, sont-eHes pour ceia identiques ies unes aux autres? Et
pourquoi, s'it en est ainsi, ies Byzantins n'auraient-iis point de
mème renouveié de siècie en siècie ies types consacrës?
On a beau nous dire que, dans i'art byzantin,ies intentions, ies
idées directricesontplus d'importance et tiennent pius de piace que
ie styie, que ies œuvres de cet art, étroitement iiées à ia pensée
théoiogique, ne peuvent être bien comprises qu'à ia iumière du
texte qu'eiies iiiustrent, que seion ies canons du deuxième conciie
de Nicée, n ies images doivent être peintes, non point d'après ia
fantaisie des artistes, mais d'après les iois et traditions approuvées de
l'Egtise cathoiique r, et que de teis principes exciuent touteiiberté
de conception. ii ne faut point tirer de ces faits des conciusions
trop rigoureuses. Non seuiement ia façon dont l'iiiustration des
textes sacrés a été comprise et exécutée a varié seion ies époques
et a ainsi introduit dans ia copie même une part d'originaiité :
mais ii y a pius. Des éiéments nouveaux sont, à i'époque que nous
étudions, entrés dans cet art, et iis iui donnent, surtout dans ies
œuvres du grand art, entre iè x^ siècie et ie xu" un aspect tout
diiférent de ceiui qu'ii offrait au v" et au vt°. Ce sont ces élé-
ments nouveaux, caractéristiques dusecond âge d'or, qu'ii importe
de déterminer avec précision.

Iii

CARACTÈRES NOUVEAUX DE L'ART BYZANTIN

La crise iconociaste, on i'a vu, avait eu pour eifet d'aifranchir


i'art byzantin de ia tyrannie monastique, de iui faire chercher des
voies nouveiies en dehors des sujets reiigieux. Ces voies nouveiies,
ii ies avait trouvées soit dans ie retour aux traditions de i'art
aiexandrin, soit dans ie déveioppement de l'ornementation pure
empruntée à, i'Orient arabe, soit dans ia substitution aux thèmes
ecciésiastiques de motifs historiques et profanes, traités dans un
esprit pius réaiiste, avec un souci pius attentif de i'nbservation et
de ia vie. Ces tendances ne disparurent point avec i'époque qui
ies avait adoptées : eiies inspirèrent entre ie ix^ et ie xi" siècie,
toute une écoie d'art.
L !\FLUENCE ORiEXTALE 399

A':'y?!t7a/:on. att/tyue. — Les historiens de la iittérature hyzantine


ont remarquédéjàcomment, autempsdes Macédoniens et desCom-
nène^, i'antique culture grecque marque puissamment ies espritsde
sonempreinte,avec queiiepassionon étudieiesécritsdesanciens, avec
queiie ardeur se modèient sur eux ia pensée et ie siyie. L'art sembia-
bfement est tout piein des souvenirs ciassiques. C'estau x" et au xt^
siècie qu'ont été exécutés queiques-uns des pius beaux manuscrits
iiiustrés desécrivainsprofanes, ie Nicandredeia Bibiiothèque Natio-
naie,i'Apolioniusde Gitium de ia Laurentienne, i'Oppien de iaMar-
cienne, iilustration d'emprunt, je i'accorde, caiquée sur des proto-
tx pes bien pius anciens, mais qui n'en est pas moins signiticative des
goûts de i'époque. A côté de ces monuments, une muititude de témoi-
gnages attestent ia prédiiection des hommes de ce temps pour les
thèmes empruntés à i'antiquité. Dans ia description que fait i'épo-
pée de Digénis Akritas des peintures qui décoraient ie paiais du
héros, on voit qu'à côté des épisodes sacrés, ii avait fait représen-
ter <( ies guerresfabuieuses d'Achiiie, Beiiérophon tuantia Ciiimère
qui vomit le feu, ia défaite de Darius, ies grandes victoires du ter-
ribie et courageux Aiexandre «. Dans ies romans byzantins du
xn° siècie, on trouve, parmi ies sujets qui décorent ies paiais, des
représentations comme ie Triomphe de i'Amour ou ies Hgures aiié-
goriques des douze mois. Les ampiifications de rhétorique appeiées
àxcppctcEt;, où sont décrites certaines œuvres d'art fameuses, ne sont
pas moins instructivesL L'une d'eiies qui date du xu°siècie, nous
fait connaître une mosaïque représentant Uiysse et ie Cyciope. Et
dans ies coffrets civiis d'ivoire, si nombreux au xt" siècie, appa-
raissent ies mêmes thèmes mythoiogiques et profanes, preuve évi-
dente de ia grande piace qu'avait reconquise, parmi ies sources
d'inspiration, i'art heiiénistique d'Aiexandrie.
L'ttt/yuettce orten/a/e. — La connaissance pius intime de i Drient
musuiman, avec qui i'empire entretenait des reiations poiitiques et
commerciaies chaque jour pius actives, eut d'autres conséquences.
Aucontact desmerveiiies de Bagdad ou de Damas, ies artistes byzan-
tins prirent ie goût du iuxe oriental et i'amour de i'ornementation
pure,qui devient aiors d'unemerveiiieuse richesse. C'est de cette
përiode quedatent, dans ies manuscrits iiiustrés, ces magnifiques ini-
tiaies, où piantes et animaux se combinenf avec une fantaisie ingé-

i. Cf. t'intéressant articte de Munoz, AicHttt/*o;t/t /e//erarte per ta s/ort;:


deirar/ehtMtt/t'tta (NBAC, X, 221).
400 LA RENAISSAISCH MACÉDONIENNE

nieuseet charmante,ces encadrements où ies motifs g-éométriques,


les décorsempruntés au monde végétat et animal se mêlent en com-
positionsélég'antes, d'une imagination origina!e etdéIicate(Hg. 187

et 188). Mais surtout, c'est au contact de l'Orient que les artistes


byzantins semblent avoir fait leuréducationde coIoristes,qu'iis ont
appris « à réaliserdes ceuvresdont toute 1a valeur résidât dans unjeu
de couleurs '. H
Zy'ai l pro/ane. — Entin, en créant un art qui ne fût plus unique-
1. Bertaux, Les mosaï^aes de Dapàat (Gaz. des Beaux-Ai'ts, 1901,1), p. 375.
L'ART PROFAKE 40 i

ment religieux, les empereurs iconociastes avaient remis en honneur


ia peinture d'histoire et ies sujets de genre. Cet art profane tint une
iarge place dans ies paiais des Macédoniens et des Comnènes ; et

quoique les monuments en aient à peu près tous disparu, !e témoi-


gnage des textes qni s'y rapportent n'en est pas moins intéressant
à recueiHir.
Dans plusieurs des appartements du Cénourgion, Basi!e I avait
fait placer des mosaïques décoratives de cette sorte. Dans !e grand
26
402 LA RENAISSANCE MACEDONIENNE

saton du palaîs, on voyait, sur un fond d'or. l'empereur <t trônant

Fig. 189. — L'enipereur Basite [I. Miniature du Psautier dè la Mareienne


(Goll. tl'autes-Études, G. 533).

au miiieu des généraux qui avaient partagé ies fatigues de ses cam-
pagnes ; iis lui présentaient comme oiïrandes les vides qu'ii avait
L ART PROFANE 403

conquises H. Au-dessus, sur ia voûte, étaient représentés << ies faits


d'armes hercuiéens de l'empereur, ses grands travaux pour ie

Fig. 190. — Nicéphore Botaniate. Miniature du manuscritde saint JeanGhry-


sostome (Bibl. Nationate), d'après Omont, Fac-sinu'te's des mtntatures.

bonheur de ses sujets, ses eiïorts sur ies champs de bataille, et


ses victoires octroyées par Dieu x. Dans 1a chambre à coucher
impériale, au-dessus des mosaïques ornementales où étaient Bgurées
avec un luxe de couleur admirable les tleurs les plus variées.
404 LA RENAISSANCE MACÉDOXIEKXE

d'autresmosa'i'quesàfond d'orreprésentaient, « assissur des trônes,


l'empereur Basiie et sa femme Eudoxie revêtus du costume impé-
riat et la couronne en tête. Autour d'eux, sur tes murs de la saHe,
semblables à des astres briilants, sont ieurs enfants portant, eux
aussi, ieurs vêtements iinpériaux et ieurs couronnes. Tous tiennent
à ia main des livres contenant les divins préceptes, dans 1a pratique
desquels ils ont été élevés. Au-dessus, 1e plafond est tout resplen-
dissant d'or. On y a reproduit au milieu, en cubes de couleur verte,
1e signe victorieux de 1a croix ; autour de cette croix on voit des
étoi!es,etencore les images de l'auguste empereur, de son impériale
compagne et de leurs enfants, élevant les mains vers Dieu et vers
1e divin symbole de notre salut a
Ainsi 1e fondateur de 1a dynastie de Macédoine, reprenant
l'exemple de Justinien, représentait sur les murailles de son palais
Ies portraits de 1a famille impériale et les gloires historiques du
règne, « tenant, comme l'écrit son biographe, à ce que, mème si
l'histoire s'en faisait, 1e fait fût patent pour tous par 1a voie
de Ia peinture ». Les mêmes préoccupations hantèrent l'esprit
des Comnènes. Au palais des Blachernes, Manuel faisait retra-
cer en une suitede mosaïques t< tous les exploits qu'il avait accom-
plis contre Ies barbares et tout ce qu'il avait fait pour 1e bien des
Romains^ ». Au grand palais, il faisait représenterlesvilles innom-
brables qu'il avait reconqutses sur les infidèles L Andronic Com-
nène pareillement, reprenant 1a tradition des iconoclastes, faisait
représenter en mosaïques, dans 1e paiais qu'il se Ht bâtir près de
I'église des Quarante-Martyrs, des scènes de chasse et d'hippodrome,
et des compositions où on 1e voyait lui-même tuant 1e cerf, déjeunant
sous la tente, ou menant à travers l'Orient son existence de fugitif et
d'exilé^. Le portrait de Manuel Comnène figurait dans 1a basilique
de Bethléem, celui d'Andronic dans l'église des Quarante-Martyrs,
ceux desimpératrices Maried'AntiocheetAnnede Franceen maint
endroit de 1a capitale. Et il ne faudrait point croire qu'au xn"siècleces
décors profanes eussent rien d'exceptionnel. Les empereurs n'en
avaient point 1e monopole, et ils formaient I'ornement de 1a plupart
des palais byzantins. C'est ce que montre un curieux passage de l'his-
torien Cinnamos, relatif à un neveu de l'empereurManuel. Voulant

1. GonstantinPorphyrogénète, VtedeÆasùe, ch. 89.


2. Nicétas, p. 269.
3. Cinnamos, p. 171-172.
4. Nicétas, p. 433-434.
L AHT I'ROFANE 405

décorer de peintures une maison qu'i) construisait, ce personnage


«. n'y représenta, dit )e texte, ni )es épisodes de )a mythologie
grscque, ni)es exptoits de )'empereur, comme c'e^t fAahttuJe c/es

Fig, Ï9J. — Aiexis Gomnène. Miniature du manuscritdc ta Panoptie


doginatique (Bibi. Vaticane)

yetts Aaut p^ace^, ni ce que )ui-même avait accomp)i à )a guerre ou


à )a chasse. H ordonna d'y faire peindre ies exploits du suttan
(d'Iconium), i))ustrantainsisur tesmursde sa maison ce qu'il eûtété
plus convenable de îaisser dans l'ombre ^ «. Dans les maisons plus

1. Cinnamos, p. 266-267. D'autres peintures, réprcsentant ies épisodes de


l'avènement autrône d'tsaacAnge(1185), sont décrites par Robertde Ctari
406 LA RENAISSANCE MACÉDONtEA'KE

modestes même cet art profane trouve sa ptace. H est fréquemment


question dans tes textes de ces portraits de famiüe, où des gens de
toute ciasse, hautsfonctionnaires, cochers, danseuses, etc.,se font
représenter, et par où se conserve ie souvenir des absents'.
De ces œuvres pro-
faues, dont étaient rcm-
piis, on ievoit,lespalais
de la capitale, il ne nous
reste rien, ou presque.
Queiques fresques à
Sainte-Sophie de Kief,
quelques tabieaux de cé-
rémonie à ia Martorana
de Paierme et à Mon-
reaie, queiques pan-
neaux en mosaïques dans
ia chambre de Roger 11
et à ia Zisa, nous iaissent
seuis entrevoir, dans les
œuvres de l'art monu-
mentai, ce que fut cet
art disparu. Du moins ies
miniatures des manu-
scrits comblent elies un
peu cette lacune : ies
portraits impériaux y
Fig. 192. abondent (tig. 189, !90,
(Bibl. Vaticane).
191, 192), et certains
ouvrages, comme le Skybtxès de Madrid ou ie manuscrit siavon
n° 2 de ia Vaticane, traduction buigare de la chronique de Gons-
tantin Manassès, nous conservent, quoiquedatant tous deux du
xiv° siècie, un reilet de cette peinture d'histoire etnous permettent
4e conjecturer quei en était ie caractère.
JVafs3an.ee f/'u;; ar/ fmpérfa/ — Des sujets comme ceux qui

(Hopf, CàroRM/Hes gre'co-romanes, p. 21). Pius anciennement, it est fait men-


tion de tentures de soie pourpre où ctait représentéel'histoire dedean Tzi-
mitzik (Izv. de l'Inst. russede CP, VI, 123).
1. Cf. Ebersolt, i.es;u'IssomptH3Ù'esdeB!/3ance, p. 132-133.
2. Ebersott, Ces arts somptHat'res de By:ance. Etnde sur t'art tmpèrMt de
Constantutopte, Paris, 1923.
L'ART REt.IGIEUX 407

viennenL d'êtreindiquésexigeaient un eiîortnécessaire de création.


Iis supposaienti'observation dumodèle vivantpour iesportraits
des personnag-es, l'étude des détaiis pittoresques, des types, des cos-
tumes, pour ie cadre où ces personnages évoluaient, ia pratique en
un mot du monde contemporain. Or !a Byzance cosmopoiite du x^
et du xi" siècie, pieine deSlaves, d'Arméniens, de Persans, de gens
de toute race et de toute nationaiité, fournissait à souhait aux
artistes qui travaiiiaient pour ia cour des modèies admirabies de
vérité et de vie. ii y a tout iieu de croire — on dira pourquoi tout
à i'heure— qu'iis les étudièrent, avec un vif désir de s'affranchir
des traditions anciennes pour se rapprocher de la réaiité.
Ainsi naquitunart impériai,dont ies ateiiers se trouvaientparfois
au paiaismême, un art travaiiiant pour ies empereurs et ies grands
seigneurs, pratiqué en générai par des maitres iaïques et qui, par
ces tendances diverses, — retour aux modèies antiques, goût du
coioris oriental, effort naturaiiste, — se révéia créateur. Mais, à
côté de cette écoie pius iibre, pius profane, i'art reiigieux demeu-
rait fiorissant. Dans ies couvents innombrabies et richement dotés,
dans ies égiises qui s'éievaient d'un bout à i'autre de i'empire, une
activité incessanteiiiustrait ies manuscrits, muitipiiaitiesmosaïques
et ies fresques. Deux ëcoies étaient en présence. Mais ce qui est
remarquabie, c'est que, maigré ieur antinomie apparente, i'art reii-
gieux subit profondémenti'action de i'artimpériai, et que, siatta-
ché qu'ii fût aux traditions ecciésiastiques du passé, iui aussi sut
être créateur.
L'arf /'effgrfeu.r. — A i'artreiigieuxaussi, ia crise iconociaste avait
donné uneimpuision vigoureuse. Pendant !a période de iutte, ii avait,
oni'avu,transformé etenrichi de thèmes nouveaux iecyciedes com-
positions pariesqueiies ii exprimaitaux yeux desfidèies ies véritésde
îa foi. Des sources d'inspiration s'étaient offertes à iui, où i'on
n'avait guère puisé encore ; ie progrès du cuite de ia Vierge avait fait
chercher dans ies Évangiies apocryphes ia matière pour iiiustrer
ia vie de ia Madone ; i'âpreté des haines de i'époque s'était tra-
duite en des tabieaux oùseretrouve i'écho des événements contem-
porains. Surtoutun système nouveau de décoration était né, qui ne
ressemble pius à ceiui du vi" siècie. Le conciie de 787 avait fortement
exprimé ia subordination nécessaire de i'artaux idëes théoiogiques
et liturgiques : « c'estaux peintres d'exécuter, disait un de ses canons,
aux pères d'ordonner et de régier o. Une ordonnance plus sévère,
conformément à ces principes, détermina donc désormais ia répar-
408 LA RENAtSSANCE MACEDOXIEKXE

tition des composttions dans i'égiise, de façon à en faire l'expres-


sion du dogme. Des règtes précises déterminèrent i'arrangement de
chacune des compositions. Ainsi une iconographie nouvelie appa-

Fig. 193. — Un saint. Mosaïque de Saint-Lue (CoH. Hautes Études, C. 1291).

rut, sicomptètedès i'origine, qu'eiie pourra dësormais se continuer


sahs se transformer sérieusement et qu'assez vite eiie deviendra
immuaiiie. Tout ceia, qni s'était ientementpréparé au cours de
i'époque iconociaste, se manifesta en pieine iumière et s'acheva
pendant ia période macédonienne. La formation de i'iconographie
nouveiie fut,, entre ie tx" et )e siècie, une des œuvres maitresses
du second âge d'or.
5es caractères. — Or, ii est remarquabie que dans cette œuvre
de caractère essentieiiement reiigieux, ies mêmes éiéments se
retrouvent que i'onobservait tout à i'heure dans i'art impériai. J.e
mouvement iconographique subit fortement i'infiuence des tendances
généraies de i'époque. Sans doute ii ne faudrait pas croire qu'ii ait
1,'lx'SPIRATION AHTIQUE 409

rejeté en bloc toustes souvenii's du premier art byzantin: nombrede


motifs s'y rencontrent, qui datent du siècte de Justinien et même
des CafacombesL H n'est pas moins vrai que, maigré ces survi-
vances, cet art, sous des influences nouveiies, s'est presque entière-
ment renouveié.
L'ftMptraftoti aubtytie. — C'est d'abord sous l'influence antique. La
grande place que les modèles classiques occupentdans l'art profane
leur est faite pareillement dans l'art religieux. Regardez les minia-
tures des plus beaux manuscrits sacrés de cette période : elles sont
pleines de motifscopiés sur des thèmes antiques, de scènes mytho-
logiques ou champêtres, de personnitications,d'allégories. On sent
que l'illustrateur a plaisir à reproduire les épisodes où revitl'inspi-
ration antique, à prendre pour modèles ies ouvrages où elle s'est
conservée. Aprèslessujets, considérezlesformes. Lesgestes,ies atti-
tudes, s'inspirent des chefs-d'œuvre de ia sculpture antique. Les pro-
phètes sontdes orateurs ; la Vierge de la Nativité rappelle les figures
accoudées sur les sarcophages ; l'hiadès que ie Christ fouie aux pieds
fait songeràqueique barbare biesséou àqueique fleuvepersonnifié;
le Christ du Baptôme imite certains Apoiions archaïques, et mieux
encore certaines statues telies que i'idoiino de Fiorence. Pareiiiement
ies draperies aux piis profonds et muitipies, sous iesqueiies ies
lignes du corps apparaissent, peuvent rivaiiser avec ia fermeté de
ia sculpture antique ; eiies ont une ampleur et une soupiesse dignes
de i'art ciassique. Et eniin ies types mèmes sont souvent antiques.
Teiiefigure dejeiiue homrne (fig. 193), représentée dans ies mosaïques
de Saint-Luc, a ia même finesse de traits, ia mêrne intensité de vie
que ies portraits hetiénistiques du Fayoum : certains visages aux
traits nets, au nez droit, aux yeux iargement ouverts, au regard
profond, au modeié harmonieux, ont la forte et sereine beauté des
statues antiques.
Z,e réaftsme. — Mais, à côté de i'intiuence ciassique, apparaît une
évidente a'echerche du pittoresque, de i'expression, de ia réaiité. A
ia monotonie des fonds unis se substituent des paysages et des archi-
tectures ; aux épisodes traditionneis se mêient, dans i'iiiustration, des
scènesde ia vie journaiière, des tabieaux de ia vie rustique : à côté
despersonnages ciassiques prennent piace iescostumes et ies portraits
empruntés au miiieu contemporain. Auprès des prophètes et des

1. Gf. tes excettentes remarques de Bertaux, mosaïqties deDapàitt' (Gaz.


des Beaux-Arts, 1901, I, p. 363-364.)
410 LA RENAISSAKCE MACEDONIEKNË

apôlres vêlus à l'antique, on voit des évêques qui portent i'habit


pontifical du xi° siècle, des martyrs haiiiilés comme les hauts digiii-
taires du palais. Aux types grecs se mêlent des types nouveaux et

Fig. 194. — Saint Luc !e Gournikiote. Mosaique.de Saint-Luc (Coli.


Hautes Études, C. 1289).

caractéristiques, aux longs cheveux noirs tombant sur tes épautes,


aux barbes pointues, aux yeux en amande abrités sous des sourcils
épais, au nezfortement busqué. Ges traits nouveaux qui ne doivent
rien àl'antiquité, attestentun souci plusvif de la vérité,une observa-
tionpius'pénétrantedeianature; etiissont pris,en elfet, dansiaréaiité.
Les maitres qui décoraient les égiisesont prêté aux vieux saints ies
traits des hauts personnages, orientaux pour ia plupart, qui remplis-
saient aiors ia cour et ia vilie. Ce que les ateiiers impériauxrecher-
chaient et traduisaient dansia peinture d'histoire, iis l'ont fait passer,
dans un nîême eflort naturaiiste, jusque dans ia peinture d'égiise. De
ià viennentcesfiguresd'un caractèreparfoissi individuel, dontpiu-
sieurs sont de véritabies'portraifs : teiies, dansiesmosaïquesde Saint-
Luc, ces imagesde saint Nicon de Sparte etd'autressaints contem-
porains (Rg. 194), traités avec une vigueur et un accent de vérité
remarquabies ; teiies devaient ètre ces icones de saint Georges ou
KVQLUTIOX DE I. ART RELIGIEUX 411

de sainl Michel, où des peintres de taient avaient su, à ce que rap-


porteùt les textes, mettre une merveiHeuse intensité de vieh
Si l'on veut voir jusqu'à quei point i'art impérinl a pénétré l'art
religieux, il sufHt de regarder les admirabies manuscrits enluminés
â l'intention des empereurs, ie Psautier de ia Bibiiothèque nationale
ou ceiui de la Marcienne, qui appartint à Basite II, ie Grégoire de
Nazianze de ia Nationaie, iiiustré pour Basiie J, ou ie Ménoioge du
Vatican, destinéà Basile II, ou ieJean Ghrysostomede ia Nationale
^ otfert àNicëphore Botaniate, et d'autresencore, comme les extraits
bibtiquesdu Vatican (Reg. I), exécuté§ avec une sembiabie magnifi-
cence surl'ordrede quelque haut dignitaire. On y doit évidemment
reconnaitre ia main de ces maîtres de l'écoie de cour, qui travaii-
laient aussi bien à ia décoration profane qu'à i'iiiustration des thèmes
reiigieux : et ii est frappant de voir à quei point toutes ces œuvres
procèdent du mème esprit, s'inspirent des mêmes modèles, pris soit
dans i'art antique, soit dans ie miiieu contemporain.
Â'roiufion. de i'arfreliyieua!. —Sansdoute,avecietemps, cesélé-
ments s'éiiminerontde i'art reiigieux, et dans iesœuvres popuiaires
surtout, que cetart produira, iis prendront de bonne heure unepiace
subordonnéeetsecondaire.Assez tôt, maissurtoutàpartirduxn"siècie,
ia tendance théoiogique i emportera sur ia tendance iittéraire,
profane et ciassique. En face du psautier aristocratique, aux minia-
turespresqueantiques,sedéveioppera i'iiiustrationdu psautier popu-
Iaire,du « psautierdesmoinesx, avecsesvignettesmarginaies, d'unart
faniiiier et originai, mais qui n'emprunte plusrien à I'art antique. A
i'iiiustration iittéraire et savante des œuvres de Grégoire de Nazianze
s'opposera un autre modèie, formé sous i'inspiration des théologiens.
Le trait distinctif des miniatures du iivre très populaire que fut i'Octa-
teuque est, au xi" et au xn° siècle, i'affaiblissement de ia tradition
antique. En même tempsque 1a mythoiogiedisparaît, ies attitudes se
raidissent, ies types se dessèchent et se Hgent. « Tous ies types de
cette époque, dit Kondakof, se subdivisent entroiscatégories, qu'on
peutappeier : typeangéiique, typeprophétiqueoubibiique, type apos-
toiique. Toutes ies matrones ressembient àsainte Anne, ies femmes
jeunes à 1a Vierge, ies hommes à saint Joseph H Quoique les beiies
ceuvres ne soient point rares, quoique i'ornementation proprement
dite reste toujours d'une merveiiieuse richessë, on sent que ia renais-

1. Ebersolt, ioc. cù.,134.


2. Kondakof, de f'.n'f bÿïanfm, It, 10.
412 LA RENAISSANCE MACEDONIENNE

sance à demi profane a perdu sa viialité, et ce grand etfort créateur


aboutira en somme, au xn" siècle, à ia manière et au procédé. Toute-
fois, mème ators, le mouvement iconographique ne s'arrête pas ;
mais on sent que l'art religieux tend à l'emporter sur l'artimpériai.
Quabtés communex dex deua; écofes. — 11 n'en était point de même
au début. S'il est vrai que la renaissancedu tx° siècie mit en présence
deux courants opposés, et comme deux écoles, l'utte pius profane et
plus libre, l'autre plus dépendante de t'Égtise, i'une travaillant pour
les empereurs, t'autre pour tes monastères et tesédifices sacrés ; s'it est
vrai que, sous t'inftuence des idées théotogiques et monastiques, ta
seconde peu à peu t'emporta, éliminant de t'art ce qui semblait trop
empreint de fantaisie individueite ou trop suspect de paganisme
antique, it est certainqu'audébut ces deuxécotes se caractérisaient
par des quatités communes. Toutes deux avaient te goût du tuxe, de ta
richcsse, dela splendeur; toutesdeux puisaientauxmêmessources
d'inspiration. Toutes deux se distinguaient parundessin ferme, habite
et simpte ; toutes deux possédaient une admirable entente du coloris.
<( La couteur, dit fort justement Kondakof, est !a préoccupation domi-
nante decetteépoque ^ )), et lesartistes la font jouer avec une tinesse et
unescience incomparabies. Toutes deux portaientenfin, dans leurs
ouvrages, un rare souci de l'effet décoratif, une entente de ta com-
position, un amour de t'observation pittoresque et réatiste ; toutes
deux surtout travaillaient d'un même et incessant effortà se renou-
veter. 11 est probable que l'art impérial, vivifié par ia crise icono-
claste, donna en tout cela à l'art religieux une impulsion féconde;
En tout cas, par toutcela, l'art de cette période se révéla créateur,
et par fes qualifés éminentes qu'il posséda, il a produitdes œuvres
supérieures, admirables d'ordonnance, decouleur et de vie. Etpar
tout cela enfin il a exercé dans le monde une influence profonde,
j( un empire comparable à celui de l'art gréco-romain, et qui n a
cédèl'hégémonie delàchrétienté qu'àl'artfrançais du xm^siècle^ )).

1. Kondakof, foe. ctf., tt, 3.


2. Bayet, .4rf ài/3.
CHAPITRE II
LES MONUMENTS DE L'ARCHITECTURE C!VILE.
LE PALAIS-SACRÉ. — L'HABITATION BYZANTINE. — LA VILLE.

I. Les palais impériaux. Les constructions de Basile I. — Le palais du Bouco-


léon. Le palais des Blachernes. — II. Le Patais-Sacré. Le plan. La déco-
ration. Lc luxe des cërémonies. Le Chrysotriciinium. — III. L'hahitation
byxantine. La ville. Tekfour-Séra'i. Maisons byzantines. Constantinople
au x° siècle.

LES PALAIS !MPÉR!AUX

L'embetHssement du Pa!ais-Sacré avait été, à toutes les époques


de fïoraison de l'art, une des préoccupations essentieües des empe-
reurs byzantins. Après Justinien, !e basileus iconoclaste Théophüe
y avait dépioyé, on !'a vu, une prodig-ieuse mag-nihcence. La nou-
veüe dynastie n'eut pas un moindre souci de marquer somptueuse-
ment de son empreinte !a résidence impéria!e.
Les consP'ucHons de 7. — Aussi bien Basi!e I, assassin de
Miche! III, tenait-i! peu à habiter !es appartements de son prédé-
cesseur. I! se bâtit donc, au sud du Chrysotriclinium, un pa!ais
nouveau, 1e Cénourgion. Les historiens byzantins de t'époque en
ont comp!aisamment décrit !es splendeurs. Le grand sa!on était
soutenu K par seize co!onnes disposées à intervaües égaux, dont huit
étaient de marbre vert de Thessaüe et six d'onychite ; toutes avaient
été couvertes d'ornements par 1e sculpteur, et historiées de rameaux
de vigne, au milieu desquels se jouaient des animaux de toute
espèce. Les deux dernières étaient d'onvchite aussi, mais ehes
n'avàient pas été traitées de 1a même manière par l'artiste, qui en
avait orné )a surface de cannelures se déroulant en spirales. Dans
tout ce travail, on avait cherché dans 1a variété de 1a forme un sur-
croit de plaisir pour les yeux. Toute 1a partie au-dessus des colonnes
jusqu'à 1a voûte était ornée, ainsiquel'abside orientale, de mosaïques
de toute beauté H. La chambre à coucher n'était pas moins riche.
« La chambre à coucher édihée par l'empereur Basile est, dit son
414 LES MONUMEKTS DE L ARGHITECTURE CÏVtLE

biographe, un véritabte chef-d'œuvre de l'art. 'Le pavement est en


mosaïque. Au centre s'étale un paon, renfermé dans un cercle en
marbre de Carie ; de là partent des rayons qui se projettent de
manière à former un autre cercle pius grand. En dehorsde ce second
cercle, sont comme des ruisseaux de marbre vert de Thessaiie, qui
se répandent dans le sens des quatre angles de 1a pièce. Dans les
quatre espaces formés par ces ruisseaux sont quatre aigles, faits
avec des petits cubes de couleurs variées, et rendus avec tant de
vérité qu'on les croirait vivants et près de s'envoler. Le bas des
murs est revêtu de plaques de verre polychrome qui charment les
yeux par l'image de tleurs diverses. Au-dessus, une bande d'or
sépare ces ornements des mosaïques qui décorentle haut desmurs L a
Le plafond, tout resplendissant d'or, était égaiement décoré de
mosaïques.
Du côté de l'ouest, Basile ht bâtir 1e Pentacoubouclon, éditice
sans doute couronné de cinq coupoles, où se trouvait un oratoire,
consacré à saint Paul, dont leplan avait 1a forme d'un quatre-feuilles.
Vers 1e nord-est. il htconstruireplusieursautres bâtiments, 1e pavil-
lon de l'Aigle, 1e Trésor, 1e Garde-meuble ou Vestiaire, 1e bain
impériai enfin, <( tousremarquables, ditson petit.-tils Constantin, qui
se connaissait aux choses d'art, par 1a richesse et l'abondance des
matériaux employés, /a uouueau/ède^ 1a splendeurde
l'aménagement, et attestant 1e goût du luxe et l'amour du beau
qu'avait l'empereur ^ a. Les mêmes expressions, très significatives,
reviennentsans cesse sous 1a plume du biographe de Basile : ce qui
1e frappe, c'est, avec 1a richesse, 1a splendeur, 1a beauté des cons-
tructions, 1a noureau/è qui y apparaît Enfln, au-delà de 1a Nou-
velIe-Eglise, ie prince avait fait planter un jardin admirable, « nou-
vel Hden, embelli par des arbres et des fleurs de toute espèce et
arrosé de sources abondantes * )). A l'extrémité, on aménagea un
carrousel, 1e Tzycanistérion, « oü les empereurs etles personnages
d'un rang élevé jouaient à 1a paume montés à cheval )). Pour l'éta-
blir, l'empereur avait dû étendre 1e périmètre du palais et rasér piu-
sieursmaisons particulières qui s'élevaient dans cétte région, et qu'il
acheta.
Pour cet ensemble de constructions, les contemporains ont mar-

]. ConstanLin Porphyrogénète, Vie dè Basife, p. 332 (éd. Bonn).


2. /bùt., p. 335.
3. /bt'd., 329, 336.
4. /tn'cf., 328.
LE PALAIS DU BOUCOLEON 4ï5

qué uue vive admiration : <( Dans ies édiRces qu'ii bâtit au paiais,
écrit'Constantin Porphyrogénète, qui Dasiie n'a-t-ii point surpassé,
entre ies pius fameux bâtisseurs d'autrefois, par ia spiendeur,
ta beauté, ia nonfeauté de ses constructions (notez ce mot qui
revient encore), par ia grâce répandue sur tous ces admirabies
ouvrages — et cela non seulement dans ses églises, si beHes, si
riches, si charmantes, mais dans l'aménagement magnifique et vrai-
ment royal des appartements, où it mêta l'étégance à la richesse,
et ajouta à l'étégance tout ce qui peut créer la commodité ou exci-
ter t'admiration ' ? n
Constantin Porphyrogénète continua au x^ siècie t'œuvre de son
aïeut. Le trictinium des Dix-neuf tits fut décoré par ses soins d'un
ptafond à caissons, orné de branches de vigne et de feuittages dorés,
dont t'empereur lui-même avait donné les dessins. H exécuta pareit-
tement des portes d'argent pour te Chrysotrictinium, dont te pavé
fut aussi renouveté sur ses indications : ce fut une mosaïque de
marbres et de porphyres formant des entretacements du meiiteur
goût et encadrée dans une bordure d'argent. Entin, au Pentacou-
boucton, te même souverain, fortépris des arts du métat et orfèvre
habite tui-même, ttt décorer t'un des appartements de figures et
d'ornements en or.
Le pafafs cfu Roucoféon. — Nicéphore Phocas à son tour tra-
vaitta àembettir ia résidence impériate. Au bord de 1a mer de Mar-
mara, s'élevaitlepalais du Boucoiéon, ainsi nommé d'un groupe de
marbre représentant un lion terrassant un taureau. C'était une
habitation assez modeste, datant du v^ siècle, et que les empereurs
avaient depuis longtempsabandonnée. Nicéphore Phocas l'agrandit
et 1a transforma en un soiide château-fort, dont !e donjon devint
sa demeure habifuelle. Mais cetaspect de forteresse n'excluait point
1a magniflcence. Guillaume de Tyr, à 1a fin du xu° siècle, par!e du
« superbe et admirable quai H, qui précédait 1e pa!ais, et dont les
escaüers de marbre descendaien! jusqu'àla mer, du <( faste royat «
avec lequel ce quai était décoré de figures d'animaux en marbre,
enfln « des galeries et des salles d'une admirable variété y, que l'on
traversait pour monter du Boucoiéon au Palais-Sacré. Jusqu'en
1871 il subsisfait une trace de ces splendeurs : c'était, au bord de
1a mer de Marmara, une loggia à trois arcades, avec deux statues
de lions assis placées sur 1a terrasse. II ne reste rien de cette con-

1. Constantin Porphyrog'énète, Vte de Bastle, p. 329.


4t6 LES MONUMENTS DE L'ARCHtTECTURE CIV[LE

struction que ies deux statues de tions recueiHies au Musée otto-


man. Mais une autre dépendance dupalais du Boucoiéon nous
a probablement été conservée dans l'édifice qu'on appeiie « ia
niaison de Justinien H (Hg. 92). Sa façade s'ouvre sur la mer par trois
grandes poi'tes qui donnaietit accès à un balcon ; à i'intérieur, on
trouvedessaiiesvoûtéesen berceauetfortdéiabrées. Unepartie des
marbres scuiptés employés dans ia décoration sembie dater du
vt° siècie : mais ii est difticiie de dire si ie bâtiment a été construit
en partie àvec des matériaux anciens, ou bien restauré dès i'époque
byzantine. On ne peut donc ni i'identiiier ni ie dater avec préci-
sion '.
Jean Tzimiscès égaiement iaissa son souvenir au Paiais-Sacré. Ce
fut i'oratoire du Sauveur, près de ia porte de ia Chaicé, où ii vouiut
êtreenterré dans un tombeau tout en oret enrichi d'émaux.
Le des TtfacAeme^". — Ainsi chaque génération eut àcœur
d'accroitre ia magniticence de ia résidence impériaie. A partir du
xn" siècie pourtant, ie Paiais-Sacré fut un peu iaissé à i'abandon.
Les Comnènes cherchèrent au fond de ia Corne d'Or, au château
des Biachernes, une nouveiie et pius piaisante demeure, qu'iis vou-
iurent, eux aussi, parer de spiendeurs inoui'es. Les voyageurs
occidentaux, qui ia visitèrent au xu^ siècie, en ont iaissé des des-
criptions ébiouies. Eude de Deuii, c{ui accompagna imuis Vtt à ia
seconde croisade, vante ia merveiiieuse situation de ce paiais, qui
domine à ia fois ia viile, ia campagne et ia mer. « Rien n'en égaie,
ajoute-t-ii, ia beauté extérieure. Quant ài intérieur, il dépasse tout
ce que j'en pourrais dire. ii est tout couvert de peintures exécutées
en or et en couieurséclatantes ; )e sol est pavé de marbres assembiés
avec i'art ie pius savant : et je ne sais pas ce qui iui donne ie
pius de vaieur et de beauté, ia richesse de ia matière ou ia tinesse
de i'art. x Benjamin de Tudèie, de son côté, rapporte que ies coionnes
et ies muraiiles du château des Biachernes sont couvertes d'argent
et d'or, que )e trône impériai, tout en or, et au-dessus duquei pend
une couronne d'or, est couvert de pierres précieuses d'une valeur
inestimabie : à ce point qu'ii respiendit dans i'obscurité même de
ia nuit. Des mosaïques et des fresques compiétaient cette somp-
tueuse décoration. Et tout autour des bâtiments, des cours pavées
de marbre, où des eaux courantes couiaient dans des canaux d'ai-

1. Ebersott, Jfùssion. areàeoioytqtiede CoRst.ittttnopie, Paris, 1921, p. 32-35.


2. J. Papadopoutos, At BXct^sp'tctt, Constantinopte, 1920.
W'

.^. V'.

Fig'. 195. — Les muraiHes de Gonstantinopie (murs de Manuei Comnène).

i,

Æa?me^ d'y4r^ Lî/ca?tha 27


4i8 LES MOXUMEXTS DE L ARCmTECTUHE CtVtLE

bâtre, de vastes jardins ombreux et frais ajoutaient ieur charme


aux magnificences de ia résidence impériaie (iig. 195).
Ge dépiacement de 1a demeure des souverains eut pour consé-
quence ia ruine iente et progressive du Grand Paiais. Au xn° siècie,
on n'y habitait plus que rarement et on l'employait surtout comme
prison pour des condamnés de qualité ; aussi, dès 1e commencement
du xm° siècle, était-ii fort délabré. Au xiv^ siècle, l'argentmanquait
pour y faire les réparations nécessaires. Au commencement du
xv" siècle, quand Buondebnonte visita Constantinople, il trouva
absolument en ruines cequartier, jadis 1e plus beau de 1a ville. Les
"Turcs achevèrent Ia destruction, et des splendeurs de l'immense
palais impérial il ne reste aujourd'hui que 1e souvenir.

II

LE PALAtS-SACRÉ '

II semble donc qu'il soit assez difficile de se rendre compte des


dispositions du Palais-Sacré, sufflsamment pour en apprécier 1e
caractère architectural. Heureusement les écrivains byzantins en
ont si souvent parlé, 1e livre f/ex Gèrémofn'ex de l'empereur Constan-
tin VII en particulier en a décrit pour 1e x^siècle les difl'érentes
parties avec tant de précision, qu'i! n'a point semblé impossible à
plusieurs savants modernes d'en essayer une restitution. Entre ces
recherches, 1e travail de Labarte surtout est célèbre, et, quoiqu'il
date de 1861, il i'ait encore autorité. Sur plus d'un point toutefois,
des réserves pourraient être justement faites ; et, pour n'avoir point
critiqué assez attentivement 1e document essentiel sur lequet il
s'appuyait, l'auteur est tombé dans plus d'une confusion. Mais, au
total, l'æuvre demeure digne d'attention : et aussi bien ne s'agit-H
pointici de faire la description minutieuse de 1a résidencedes basi-
leis, mais simplement d'en marquer quelques traits essentiels, ceux
qu'il faut retenir pour l'histoire de l'art au x^ siècle.
Le p/an. — Un point est d'abord à noter. Le Palais-Sacré de
1. Sur le Patais-Sacré, ct'. Labarte, Le ùnperùù de Coastaaù'aopte et
aes ab07-d.s, Parts, 1861 ; Paspati, T& pu^avTtvà. àvây.Topæ, Atbènes, 1885 ; Bclja-
jef, I. Pétersbourg, 1891 (russe) ; von Reber, Der Æaroù'ttyt'seàe
Paiastbat! (Abhandl. d. Bayer. Akad. d. Wiss., t. 19-20 ; 1891 et 1892) : Eber-
soit, Le ^rattd pttiat's de Cottsianit'ttopie ei ie it'ttre des Cëre'tttottt'es,. Paris, 1910;
Reeàercites datts ies rtn'ttes dü Grattd Paiat's (dans .Mtsst'ott are/tèoioyt'tptte de
CP, Paris, 1921).
LE PALAtS-SACRÉ 4)9

fépoque macédonienne ne ressembie en aucune manière à la plu-


part des habitations princières que nous connaissons. Ce n'est point
un Louvre, un Versaiiies construit tout d une pièce, déveioppant
avec une rigoureusesymétrie t'ordonnancepompeuse de ses façades.
Si queique chose en peut donner i'idée, ce serait piutôt ie Kremiin,
ou mieux encore ie Vieux Sérail, avec ses bâtiments divers séparés
ies uns des autres, ses paviiions semés presque au hasard dans
i'ombre fraîche des jardins. Rien ne sembie à première vue pius
dépourvu de pian, pius incohérent même que ia demeure des empe-
reurs byzantins. Sur une surface énorme de 400.000 mètres carrés se
répartissent sept péristyies, huit cours intérieures, quatre saiies
des gardes, trois grandes gaieries, cinq saiies d'audience, dix appar-
tements destinés à i'habitation particuiière des souverains, trois
saiies à manger, une bibiiothèque, une gaierie d'armes, trois ter-
rasses, un manège, deux bains, sanscompter une muititude d'égiises
et de chapeiies, et huit paiais particuiiers bâtis dans l'enceinte du
Grand Paiais. Des cours, des terrasses, des escaiiers montant et
descendant ', des jardins séparent ces différentes constructions, et on
voit sans peine que cette résidence ne fut point conçue d un seui
jet. Tout au plus, ia partie ancienne, ceiie qui comprenait ia Chaicé
et Daphné, offrait-eiie une disposition pius t'éguiière : bâtie par
Gonstantin, eiie rappeiait assez, ce sembie, ie pian dupalais de Dio-
ciétien à Spaiato. Mais, autour de ce noyau primitif, ies sièciessui-
vants construisirent un peu au hasard. Le x" siècie tit de même : ii
éieva des édifices isolés, ii ne se préoccupa point de ies subordon-
ner à une ordoçnance d'ensembie.
La décoraRou. — Ce qui frappe ensuite et surtout dans ie Paiais-
Sacré du x" siècie, c'est ie iuxe prodigieux qui y était dépioyé. On
peut prendre au hasard ia description des édifices éievés par
Basiie I : ia magniticence y est partout absoiument ébiouissante.
Voici par exempie ce que dit Gonstantin Porphyrogénète de i'ora-
toire du Sauveur construit par son aïeui : a La spiendeur et i'éclat
de cette chapeiie sont incroyabies pour qui ne i'a point vue, tant
est grande ia quantité d'or, d'argent, de pierres précieuses et de
peries qui se trouve amassée dans son enceinte. Le pavé tout entier
est d'argent massif, travaiiié au marteau et enrichi de nieiies. Les
murs àdroite et à gauche sont aussirevêtus de grossesfeuiiies d'ar-

t. On a retrouvé tes restes d'un de ces escatiers, ménagé à t'intérieui' d'un


pavitton, et par où on accëdait à ta terrasse supërieure (Ebersolt, ttecàe!*càes,
p. 29-30).
LES MONUMENTS DE L ARCHITECTURE CIVILE
430
gent damasquiné d'or, et rehaussé de i'éctat des pierres précieuses
et des peries. Quant à ta ciôture qui ferme le sanctuaire, que de
richesses eHe réunit ! Les coionnes en sont d'argent ainsi que ie sou-
bassement qui les porte; Farchitrave qui s'appuie sur ieurs chapi-
teaux est d'or pur, et chargée de toutes parts de cë que i'tnde
entière peut offrir de richesses. On y voit en beaucoup d'endroits
i'image de Notre-Seig-neur exécutée en émaii. Pour ce qui est des
spiendides décorations du sanctuaire, et des vases sacrés qu'il ren-
ferme, comme un iieu spéciaiement affecté à ia garde des trésor^,
ia paroie se refuse à ies décrire : quand ies mots ne peuvent que
rester au-dessous du sujet, mieux vaut se taire. Telles sont, si je
puis dire, ies beautés orientales qui, du sein de ia foi vive de l'ii-
lustre empereur Basile, ont rejaiili sur les œuvres élevées par ses
mains dans 1a demeure impériaie ' )).
C'est qu'aussi bien, dans ce somptueux Palais-Sacré, tout est cal-
culé pour donner aux moindres actes de 1a vie impériale un caractère
de puissance et d'éclat prodigieux. Le basileus est un dieu sur 1a
terre : tout ce qui l'environne doit produire sur ies esprits une
impression demajesté et derespect comparableàcelle qu'on éprouve
devant Dieu méme. Dans ce but, 1e spectacle est merveilleusement
combiné, 1a mise en scèneféerique, digne vraiment des une
Et ceci n'est pointindifférent pourl'histoire del art; car
c est l'art qui fournit les éléments essentiels de cette mise en scène.
Le /uire Jex cèi'èmonies. —- II suHit d'ouvrirau hasard 1e livre des
Cèréiiîonte.5 pour trouver 1e tableau de ce Iuxe prestigieux. Lorsque,
dansle grand triclinium de Ia Magnaure, I'empereurreçoitquelque
ambassadeur étranger, 1e palais tout entier, donton s'arrange à faire
tr.iverser à l'envoyé les intiombrables appartements, est tendu de
brocart, de tapisseries et de soie; les pavés de marbre sont couverts
de tapisd'Orient ou jonchés de feuilles de roses ; dans les galeries
s'alignent, en une hiérarchie multicolore, les soldats des gardes cui-
rassés d'argent, tenant en main des boucliers d'or, les Varangiens
gigantesques, les fonctionnaires palatins et les dignitaires auliques,
aux armures dorées, aux tuniques étinicelantes de broderies, aux
vêtements de pourpre etd'or. Dansla salle d'audience, où s'étalent
au regard les joyaux du trésor impérial, où les pièces d'orfèvrerie
ancienne, les couronnes étincelantes d'émaux et de pierreries, les
lourdes dalmatiques brodées de figures merveillëuses racontent un

1. Const. Porph., toe. ett-, p. 330-331.


LE CHRYSOTRICHNIUM 421

long passé de splendeur et de gtoire, se dresse au fond d'une abside


1e trône d'or de i'empereur. Tout auprès s'élève une grande croix
couvertede pierreries; au-dessoussont rangés des sièges d'or pour
les membres dela famille impériale. Au bas des marches de l'estrade
sur laquelle 1e trône est placé, deux lions d'or sont couchés ; derrière
1e trône d'or, un platane étend son ombre, et des oiseaux d'or
émaillé se reposent sur les branches; aux côtés du trône, de hauts
dignitaires portent les insignes et les bannières de l'empire ; et
quand lebasileus apparait, salué par les acclamations traditionnelies,
parmi les hymnes que psalmodient, au son de l'orgue d'or, les
chantres d'es Saints-Apôtres et de Sainte-Sophie; quand, devant la
cour prosternée, il prend place sur 1e trône, si éblouissant d'or et
de gemmes qu'à peine on ose 1e regarder, si chargé de pierreries et
de lourdes étoffes d'orqu'à peine entrevoit-on son visage, il semble,
dans son impassibilité magnilique, l'émanation vivante de 1a divi-
nité, une icone sainte bien plus qu'un homme. Pour rehausser cette
majesté suprême, surtout pour frapper de stupeur les envoyés
étrangers, on ajoute à ce splendide appareil des prodigesde niéca-
nique. Au moment où l'ambassadeur entrait dans 1a salle d'audience,
les oisèaux perchés sur l'arbre d'or commençaient à voleter et à
chanter, les lions accroupis se dressaient et mêlaient à l'harmonie
puissante des orgues un sonore et métaiiique rugissement ; et pen-
dant que, prosterné devant 1e trône d'or, l'ambassadeur rendait au
basiieus l'hommage prescrit par l'étiquette, i'empereur était, avec
son trône, enlevé dans les airs, et, par un brusque changement de
décor, ilapparaissait revêtud'un costume nouveau et planant, comme
dans une apothéose, aux yeux du barbare relevé et stupide d'éton-
nement.
Z,e CÀryxo/7*:cZ:imim. — Le Chrysotriclinium surtout était, au
siècle, 1e sanctuaire de ce culte impérial. C'était, on 1e sait, une
salle octogone à coupole, sur les côtés de laquelle huit absides s'ou-
vraient. Ceile qui faisait face à i'entrée était fermée par deux portes
d'argent; c'est là qu'était placé 1e trône impérial. Dans les autres, on
exposait, aux jours de réceptions solennelles, toutes les richesses
du palais, couronnes, émaux, vêtements de parade empruntés à 1a
garde-robe impériale, bassins d'argent et d'or, grands plats d'argent
ciselé. Pour rehaUsser 1a splendeur de 1a décoration, on empruntait
aux églises, aux monastères, aux hôpitaux les pièces rares de leurs
trésors, étoffes somptueuses, précieuses ori'évreries, couronnes
votives, po/ycanc/:7a d'argent suspendus à des chaînes d'argent. La
422 LES MOXUMEXTS DE L ARCHtTECTURE CtVH.E

corporation des orfèvres, d'autre part, prêtait des objets d'or et


d'émait, deschefs-d'œuvre d'argentciseié; et danstoute ia demeure
impériaie, tenduc d'étoifes magnifiques, des caudéiabres respiendis-
sants mettaient une iiiumination de féte. Dans ia saiie d'audience,
toute ia Cour, toute ia viiie prenaient piace, soidats des gardes,
Khazares, Phargans et Russes des trois /tèfatrte^, rnarins. gens des
corporations et des t/étney, dignitaires et fonctionnaires du paiais,
fouie bigarrée aux costumes admirabies, brodés d'aigies verts et
rouges, de iions biancs, de griffons de pourpre vioiette. Et quand
tous étaient entrés, ientement deux officiers ouvraient les portes
d'argent, etdans une forêt d'étendards i'empereur apparaissait, cou-
ronne en tête, assissurson trône d'or.
Mais, à Pâques surtout, ie Chrysotriciinium était décoré avec un
iuxe merveiiieux. Ce jour-ià, onyexposait, outreie décorhabituei,
ie penfapyryton où se conservaient ies joyaux de ia couronne, les
trônes d'or des empereurs, ia tabie d'or, ies magnifiques étoffes
extraifes du trésor. Puis c'étaient ies festins, uniquement servis dans
deia vaisseiie d'or, etoùonpoussaitsi ioinia recherche de i'étrange
et du coiossai que ies piats d'or gigantesques, si iourds que dix
hommes ne sufffsaient pas à ies porter, descendaient au moyen
d'une pouiie du piafond sur ia table, et que ies vases d'or coiossaux
qui contenaient ies fruits étaient apportés dans !a saiie sur des cha-
riots drapés de pourpre. Après ie dîner, ies invités recevaient des
cadeaux, de i'argent piacé sur des piats d'or émaiiié, des parfums,
des essences de rose. Et, aux jours ordinaires même, c'étaient sans
cesse dans ie Paiais-Sacrédes processions, des pompes, des cortèges,
tout un spectacie merveilleux que i'imagination a peine à concevoir.
Assurément, dans ies descriptions de ce iuxe éciatant, ii y a peut-
ètre une part d'exagération voiontaire, et on a justement, à ieur
propos, rappeié ie proverbe, que « tout ce qui briiie n'est pas or ».
Luitprand, i'ëvêque de Crémone, dans ie récit qu'ii a iaissé de son
ambassade à ia cour impériaie au x" siècie, a souiigné avec queique
ironie toutes ies tares qui aitéraient cettespiôndeur; el ii est certain
que pius d'une fois, aux jours de gêne, on fit fondre ies richesses du
trésor, etque i'argent ou iecuivre dorés rempiacèrent i'ordans ies
cérémonies. Peu d'années avant i'avènementdesMacédoniens, i'em-
pereur Michei Ifi avait ainsi fait mettre au creuset ies fameuses
orfèvreries de son père Théophiie, ie piatane aux oiseaux d'or, ies
iions êties orgues d'or. Mais ia dynastienouveiieétaitriche, i'em-'
pire au x° sièclesingulièrement prospère ; on peut croireque ia spien-
MAISONS BYZANTINES 423

deur qu'étaièrent ies empereurs de ce temps était encore de bon aioi.


Plus tard, au xiv^, au xv" siècie, dans 1a détresse de ia monarchie,
ce luxe suranné pourra montrer ia corde ; à i'époque où nous
sommes, ii est réei autant qu'admirabie.
Un dernierpoint doitêtre remarqué. Parlesformes dei'architec-
ture, cesédihces du paiaisdiffèrent peudeségiisesdu mêmetemps.
Ce sont ies mêmes principes, ies mêmes combinaisons, ie même
empioi perpétuei de i'abside et de ia coupoie. Et pareiiiement c'est
ie même système de décoration, ies revêtements de marbres et
de métaux précieux, ies mosaïques étinceiantes, toute ia poiychro-
mie chère à i'art byzantin, aveccette seuiedifférence queies motifs
profanes y tiennentpius de piace queies thèmes reiigieux. Mais, à
ceia près, i'anaiogie est complète, et eiie a son importance. Cette
unité qui s'affirme dans des édiiices fort divers prouve, comme on
i'a observé, le caractère vraiment originai de cet art, et on en peut
iégitimement « conclure que i'art byzantin n'est pas un accident, ie
résuitat fortuit de fantaisies individueiies et d'éiéments étrangers
mai combinés, mais qu'au contraire, ii estuntout oi'ganisé, vivant,
répondant au génie propre d'un peupie ^ M.

Hi
L IIAHITATION BYZANTINE - LA VILLE

7'e/c/ou7-6'è7'ai'^. — Constantinopie aconservé toutefois un monu-


rnent de i'architecture civiie, qui sembie se rapporter à ia période
que nous étudions. C'est ia construction nommée tour à tour, avec
une égaie inexactitude, paiais de Béiisaire, paiais de Constantin
Porphyrog-énète, paiais de i'Hebdomon, et que ies l'urcs appelient
Tekfour-Séraï. Eiie faisait probabiement partie des dépendances
de i'ancien paiais des Biachernes, et eile sembie dater du xi" ou du
xn° siècie ^(tig. 196).
G estun bâtiment rectanguiaire, à deux étages, enciavé entre les
deux enceintes des murs théodosiens. î.a disposition en est

1. Bayet, vtrf àyzanù'a, p. H7-128.


2. Salzenberg, tlMcArtsnt'eAe ÆaHtteTtAmâler ro;t CottstaHft'nopel, Berlin,
1854; Van MiHingen, Æyzantt7te Cottstanftttopfe, Londres, 1899; Gurlitt, Dte
DattAttttst Cottsfattft'ttopefs, Berfin, 1908 et suiv.
3. On la date parfois aussi, à cause de i'ornementation de sa façade, de la
ftn du x]tt" ou du début du xiv" siècfe.
424 LES MOXUMEKTS DE L ARCHtTECTURE CIVtLE

intéressanLe. En bas, c'est un rez-de-chauSsée voûté, grande satle


de 17 mètres de longueur, qui prend jour par des arcades ouvertes
surune cour formant atrium, que précédait un propylée soutenu
par dix grandes colonnes. Au-dessus, au premier étage, se trouve
une salle d'honneur rectangulaire qui ne prend jour que du côté du
nord par plusieurs fenêtres cintrées. En haut enfin, on rencontre
une vaste pièce de 23 mètres de long sur 10 de large, haute de
6°* 30; elle est éclairée par de nombreuses fenêtres. Sur ia face
est on voit un balcon supporté par deux arceaux faisant saillie ;
sur le milieu de la face sud, une échauguette qui, à l'intérieur de
la salle, détermine une sorte d'abside. Cet étage supérieur
dépassait la hauteur des murailles ; il était couvert d'une toiture
en bâtière.
Mais ce qui est surtout remarquable, c'est la décoration exté-
rieure du bâtiment. Les briques rouges y alternent avec des
marbres blancs ou jaunes, de façon à former des dessins géomé-
triques. Les arcades du rez-de-chaussée et celles des fenêtres sont
faites de claveaux de marbre de dilférentes couleurs ; de magni-
fiques incrustations se détachent surla façade. Cette application de
la polychromie à l'ornementation extérieure des édifices n'était
point, on le sait, une nouveauté dans l'art byzantin; mais elle se
généralise sous la forme qu'elle prend ici, à partir du x° siècle, grâce
à f'influence grandissante de l'Orient. Pareillement, on le verra,
l'architecture religieuse égaiera, à partir de ce moment, la monotonie
de ses façades par les jeux de couleur que produit la combinaison
des briques, des mortiers et des moellons. Certains édiRces mème
ajouteront les faïences aux compositions d'ornement obtenues à l'aide
de 1a brique.
dfaMons /ti/zatt/i'ue^ '. — II serait intéressant de pouvoir étudier
d'autres habitations byzantines. Malheureusement, au moins pour
la période du x° au xn° siècle, les monuments nous manquent
presque entièrement et les renseignements qui nous viennent
d'ailleurssontassezinsuffisants.
Primitivement, on l'a vu, dans la ville fondée par Constantin,
les palais patriciens imitèrent le inodèle somptueux de la maison
romaine. Mais de bonne heure,àcôtéde cesdemeuresmagnifiques,
apparurent les habitations de type oriental, semblables à celles

1. De Beylië, L'/iaàtàittoa àyzati/t'tte, Paris, 1902; Djelat-Essad, Gotts-


/att/t'tto/t/e, Paris, 1909.
426 LES MONUMEKTS DE L AHCtHTECTURE CtVtLE

qu'on renconLre dans !es vi!fesniort,es dè Syrie, ies maisons à deux


ou trois étages à façade décorée de portiques. H y a tieu de croire
que ces traits persistèrent ptus tard dans la construction civite, à
ceta près que i'inftuence orientaie s'y Ht sentir toujours davantaye.
C'est ce que montrent les édifices qu'on voit représentés dans ies
miniatures des manuscrits (tig-. 197). Évidemment ii serait tout à

Fig. 197. — Le roi Egton et Aod. Miniaturc de i'Octateuque 716


(Bibt. Vaticane).

fait excessif d'y prétendre retrouver i'image exacte de tei ou te!


monument déterminé : mais, du mcins, ces iiiustrations nous
rendent assex bien !a siihouette générate et !es traits essentie!s des
habitations byxantines. Or, ce que !'on voit dans !es manuscrits
entre !e ix° et 1e xn" sièc!e, ce sont des portiques à colonnades
précédant !es façades, des iog'gias décorant !es étages ; parfois
des paviüons iatéraux ou des tours flanquent !e bâtiment princi-
pa!; des ba!cons et des moucharabiés s'accrochent à l'extérieur des
murailles; enfin !a construction est couronnée tantôt par de hauts
toits en pignon, tantôt par des terrasses, des belvédères oudes cou-
po!es. A i'intérieur, une grande salie d'honneur est 1a pièce essen-
tielle; elle occupe souvent tout 1e premierétage et parfois tient
toute 1a hauteur de l'ëdifice.
La maison seigneuriale de Mehiic, en Macédoine, qui date du x^ au
xi" siècle, confirme ces indications des monuments figurés. EHe à
un rez-de-chaussée et deux étages, et est flanquée d'une tour carrée.
COHSTANTINOPLE AU x" StÈCLE 427

Sur ia façade, comme à Tekfour-Séraï, ies moeiions et ies briques


se combinent en dessins géométriques. A i'intérieur, une grande
saiie tient toute ia hauteur du bâtiment, et autour d'eile, aux deux
étages, se disposent des pièces iatérales, cinq par étage. 11 est aisé
de reconnaitre ici ia transformation du type de ia maison syrienne.
i.e patio intérieur est devenu une pièce centraie couverte d'une
toiture, à cause des rigueurs du ciimatseptentrionai.
Queiques rares maisons de Constantinopie, sans être d'époque
aussi ancienne, sembient antërieures à ia conquêteturque, et on en
peut dire un mot. Près de la station de Koum-Kapou, on voit une
habitation ayant à cbaque étage une saiie voûtée de 6 mètres sur
4.50, des fenêtres en piein cintre, un baicon comme ceiui de
Tekfour-Séraï. et un toit en pignon. Deux autres maisons au
Phanar, dont l'une était anciennement occupée par le baiie de
Venise, offrent des dispositionsassezsembiabies, avecunescaiier
intérieur menant à un corridor qui précède ia saiie d'honneur.
En résumé, à partir du ix° siècie, ies maison byzantines,
généralement à deux ou trois éiages, sont construites en rangs
aiternés de pierres bianches et de briques rouges, formant un
décor gëométrique ;des marbres de couieur s'y mêient queiquefois.
Des comiches sailiantes, parfois scuiptées, séparent ies étages ;
des fenêtres rectanguiaires ou cirttrées, munies de petits carreaux
de verre enciavés dans des châssis de plâtre et fermées par de
soiides griiiages, éciairent l'intérieur : au tympan de ces fenêtres
se iisent souvent des dates ou des inscriptions. Des balcons en
encorbeiiement s'accrochent à la façade, permettant à la fois de
regarder dans la rue et de défendre ia porte. Des toits en terrasse
ou à bâtière s'appuient sur des corniches en briques posées en
dents de scie : souvent aussi des coupoies couronnent i'édihce. A
l'intérieur, ies pièces se disposent autour d'une grande saiie,
souvent précédée d'un étroit vestibuie transversa). Le soi est
daiié de marbre bianc ou de briques rouges ; ies portes extérieures
et ies volets sont en fer, et garnis de grands cious à forte tête ;
ceiies de i'intérieur sont en bois scuipté et incrusté. Les escaiiers
sont en bois ou en pierre, à piusieurs paiiers, et s'appiiquent quei-
quefois,jusqu au premierétage, à i extérieurdu bàtiment.
Cott^Lttifftto/:featt .Y" ôfècfeL — On peuL, à i'aide de ces indica-

1. Gonstantin te Rhodien, De.scrt'ption. des <CHrre.s d'art et de t'e'ytt'se de.s


Satnts-Apôiresde Gottstanttttopte,éd. Legrandet Th. Reinach(Rev. desÉt.
grecques, t. iX, 1896);Mordtmann,D.sqt:t'sse topograp/tt'qttedeCottstatttt'ttopte,
Liite, 1892: Dieh), Gottstatttt'ttopie, Paris, 1921.
428 LES MONUMENTS DE L'ARCHfTECTURE CtVfLE

tions, se Rgurer à peu près l'aspect qu'ofîrait Gonstantinople au


x" siècle. De grandes rues ia traversaient, bordées de portiques,
comme on en voit à Bologne ou à Aiger ; de ces rues, ia pius beHe
était ia rue centrale, ia Alésè, qui aHait de la Porte d'Or à l'Augus-
téon. De grandes places, également entourées de portiques, cou-
paient ces rues de distance en distance : c'étaient 1e forum du Tauros,
]e forum de Constantin, l'Augustéon, sur ]e trajetde la Mésè;
et plusloin,le forum duBœuf, le forumAmastrianon,leforum d'Ar-
cadius, etc. De somptueux bâtiments encadraient ces places, des
colonnes triomphales les décoraient. Elles avaient été élevées par
Constantin, par Théodose, par Arcadius, parJustinien, et ces hauts
piliers monumentaux, émergeant entre les maisons, produisaient
une grande impression surles hommesdu x° siècle. Dans le poème
de Constantin le Rhodien sur « les merveilles x de Constantinople
parmi les sept chefs-d'œuvre particulièrement remarquables que
l'auteursignaleàl'admiration, il pfacecinqcolonnes monumentales,
dont deux, celles de Théodose et d'Arcadius, étaient décorées d'une
spirale de bas-reliefs historiques. En outre une multitude de
statues antiques décorait les rues et les portiques. Et de même,
les principaux monuments publics, avec leurs portiques, leurs
colonnades, offraient un aspect tout classique. Gertains de ces
monuments étaient particulièrement célèbres. Tel était, sur le forum
de Constantin, le palais du Sénat, avec son dôme gigantesque, ses
murs décorés de métaux précieux et de mosaïques, son portique
que portaient quatre hautes colonnes de porphyre. Tel était encore
— c'était, avec le Sénat, une autre des « merveilles o de la ville —
l'Anemodoulion, girouette monumentale, analogue à la Tour des
Vents d'Athènes. Elle àvait la forme d'u^e pyramide quadrangu-
laire, revêtue de plaques de bronze sculptées; au sommet, sur un
pivot mobile, était posée une Rgure de femme ailée ; les vents
étaient représentés par douze figures d'enfants accroupis autour de
la plate-forme etsoufflant dans des trompes.
Parm; les autres monuments, « dont la ville, selon l'expression
de Constantin le Rhodien, se pare comme d'autant d'étoiles x, on
peut citer le théâtre, le « forum doré r, la place du Stratégion.
Puis c'étaient les arcs de triomphe, l'Hippodrome avec ses colonnes,
dont l'une, couverte de plaques de bronze doré, fut élevée par
Constantin VII, ët la foule de ses statues, chefs-d'œuvre de l'art
antique. C'étaient les bains, parmi lesquels on vantait ceux de
Zeuxippe, tout remplis de marbres et de bronzés anciens : c'étaient
CONSTANTmOPLE AU xc StECLE 429

)es bazars, qui s'étendaient sous ies portiques et aux environs de la


Mésè, cetui des parfumeurs à i'Augustéon, ceiui des soieries près du
Zeuxippe, cetui des orfèvres à ia Mésè, ie marché au pain ou Arto-
poiia entre ie forum de Gonstantin et ie forum du Tauros, ie marché
au bétaii au Tauros ou au Stratégion. Et c'étaient enfin, sans parier
des édihces religieux, ies hôteiieries, ies hôpitaux, et ies magnifiques
paiais de i'aristocratie byzantine.
Tous ces monuments faisaientde Byzance une capitaieincompa-
rabie, et Constantin ie Rhodien céièbre à juste titre « ia viiie de
Constantin, i'iiiustre et vénérabie cité, qui possède ia domination
du monde, et qui briiie étrangement d'une muititude de merveiiies,
par ia spiendeur de ses hautes constructions, i'éciat de ses magni-
fiques égiises, ies gaieries de ses longs portiques, ia hauteur de ses
coionnes dressées dans ies airs r. Gonstantin Manassès, un peu
pius tard, i'appeiait avec un égai enthousiasme « i'œii du monde,
1a parure de i'univers o. Mais à ces magnificences s'opposaient
d'étranges contrastes. Comrne dans toutes ies viiies d'Orient, ia
voirie de ia grande cité était presque à i'abandon. Eude de Deuii,
qui visita Constantinopie au miiieu du xiR siècie, ia peint saie,
puante et sombre, d'aspect tout orientai avec ses iongues rues
obscures, couvertes de voûtes, ses bas-fonds où grouiiie une popu-
iation misérabie, et son absoiue insécurité. Un écrivain grec
de ia même époque confirme ces renseignements. Ii montre ies
voies ies pius fréquentées coupëes par des bourbiers profonds où
ies atteiages s'eniisent, les rues sans iumière, où, durant toute ia
nuit, ies voieurs et ies coupe-jarréts sont ies maitres du pavé, et
comme, ü y a peu d'années encore, dans 1a moderne Stamboui,
ies chiens puiiuiant, errant parmi ies détritus et remplissant ia
viiie de ieurs aboiements.
En face des spiendeurs du paiais impérial, que décrit ie Porphy-
rogénète, en face de ia richesse des habitations particuiières dont
Eude de Deuii vante ia beauté, ii y a ià un singuiier contraste.
Mais il est intéressant et significatif : ii achève de montrer combien,
dans ses aspects divers, dans son iuxe comme dans ses iaideurs, ia
Constantinopie du moyen âge était essentieiiement une viiie
(TPnâent.
CHAPITRE Hl
LES MOXUMEXLS DE L'ARCHÏTECftJRE REHGrEUSE
LA DÉCORATION SCULPTÉE

I. La NouveUe-Église de Basile I. — II. Les formes de l'église byzanlinc. La


basilique à coupole. L'égiise à croix grecque. Origine du type. Plan. Evo-
lution du typc. Eglise de Skripou. Kazandjilar-djami. Kilissé-djami. —
III. L'évolution del'architecture byzantine. Coupole t-t tambour. Les lignes
extérieures de 1a construction. L'intérieur. Les combinaisons d'équiiibre.
L'église à trompes d'angle et l'églisc à pcndentifs. Les contreforts. —
IV. La décoration. La polychromie des façadcs. La décoration sculptée.
Parapets et chapiteaux. Revétemcnts de marbrcet pavcments. — V. Essai
de classcment chronologique. Eglises du ix° ct du x° siècle. Le groupe de
l'Athos. Lc groupedeséglises à trompesd'angle. Lc xt°siècle. L'époque des
Comnènes. Le Pantocrator. Vogue du plan à c<'oix grecque. — VI. Les
ëglises d'Arménie et de Géorgie. Les monuments. Caractères de l'archi-
tecture arménicnne. Byzancc et l'Arménie.

LA NOUVELLE-ÉGLISE DE BASILE I

Le règne de Basite I, si importanl pour i'architecture civiie, ne


fut pas moins remarquabie par ie déveioppement de i'architecture
religieuse. Constantin Porphyrog'énète ne nomme pas moins de
43 égiises qui, dans ia seuie Constautinopie, furent édifiées ou res-
taurëes par ies soins de son aïeui. Kntre elies, une est particuiiè-
renient céièbre : c'est ia Nouveiie-Égiise, ia Nea, qu'ii fit hâtir
dans i'intérieur du paiais
Dans i'œuvre architecturaie de Basiie I, ia Nouveiie-Ëgdise a ia
même importance que Sainte-Sophie dans i'œuvre de Justinien.
Eiie est ie monument caractéristique, ie monument type, qui sei'-
vira de inodèie à de nombreux imitateurs. Maiheureusementi'édi-
fice a été compiètement détruit. Nous ie connaissons assez bien
cependant par ies descriptions précises qu'en ont iaissées Constan-
tin Porphyrogénète et ie patriarche Photius. D'après ces textes,
l'égiise, simuitanément consacrée au Christ, à ia Vierge, à i'ar-

1. Labarte, Le patats fmpe'ri'at de Gonstaafùtopte et ses aàords; Vogt,


ffast'te 7, Paris, 1908.
LA KOUVËLLE-ÉGLISE DE BASILE I 43!

change Gabrie], au prophète Ëiie et à saint Nicoias, était « toute


parée et embeiiie par tes perles tines, For, i'éctat de l'argent, tes
marbres chatoyants aux mille nuances,- ies mosaïques et les tissus
de soie x. A i'ouest, dans l'atrium de i'église, s'étevaient deuxmagni-
Hques fontaines, « dans lesqueHes i'exceHence de i'arts'unissaitàia
richesse de ia matière " ; i'une était en marbre d'Égypte, ornée
sur son pourtour de dragons de marbre; i'autre était en pierre,
et « sur ia corniche qui borde ie sonnnet du bassin, i'artiste
avait piacé des coqs, des boucs et des béiiers de bronze, qui lan-
çaient de i'eau par des tuyaux x ; toutes deux avaient pour centre
une pomme de pin, percée à jour, par où i'eau s'échappait. Les
portiques extérieurs de i'égiise étaient somptueusement pavés de
piaques de marbre bianc, si déiicatement juxtaposées qu'ii sem-
biait que ce fût « une seuie pierre qui serait siiionnée de iignes
droites w. G'était ià, dit Photius, tt uneséduisante nouveauté ".
A i'intérieur de i'égiise, tout respiendissait d'argent et d'or. <( Tan-
tôt ces métaux sont appiiqués sur ie verre des mosaïques, tantôt
iis sont étendus en piaques, tantôt iis entrent en composition avec
d'autres matières. Les parties de i égiise que i'or n'encbâsse pas ou
que i'argent n'a point envahies sont ornées d'un curieux travaii de
marbre de diverses couieurs. Les murs à droite et à gauche en sont
revêtus. La ciôture qui ferme ie sanctuaire, ies coionnes qui
s'éièvent au-dessus et i'architrave qui ies unit, ies sièges disposés à
t'intérieur, ies marches qui y conduisent et ies saintes tabies, tout
estd'argent doré rehaussédepierres précieuses et de peries. Quant
à i'autei, ii est d'une composition pius précieuse que i'or. Le cibo-
rium, qui s'éiève au dessus, ainsi que ses coionnes, est aussi d'ar-
gent doré. x Le soi était pavé de piaques de marbre muiticoiores,
encadrées de mosaïques; ôn y avait représenté des animaux et
diversornements; et ie tout était si harmonieusement agencé,
« une telie grâce régnait dans tout ce travaii )), que i'égiise sembiait
couverte de tapis de pourpre et de soie. Enfin « ia voûte du tempie,
composée de cinq coupoies, respiendissait d'or et de tigures,
comme ie firmament d'étoiies. )) A i'extérieur, ie toit était revêtu de
piaques de bronze doré.
Ii n'y a pointlieu d insister ici sur ies spiendeurs de cette orne-
mentation intérieure, qui, seion i'expression de Constantin Por-
phyrogénète, « ébiouities regards etfrappe i'imagination. a ii faut
en revanche retenir ies traits caractéristiques de i'architecture. La
Nea avait gardé un souvenir des anciennes basiiiques, i'atrium.
432 LES MONUMENTS DB L'ARCtUTECTURE RËLIGtEUSE

C'est tà, toutefois, une exception daus tes éditicesreiigieux du second


âge d'or : cette, vaste cour entourée de poi tiques tenait trop de
piace pour qu'ii fût toujours aisé de l'établir. Seuls, tes empereurs,
à qui l'espace n'était point mesuré pour leurs constructions, purent
ta conserver, Basiie à ia Nouveiie-Hgiise, Romain ttl, au xi^siècie,
devant ia Péribieptos : mais en générai i'atrium disparaît, rempiacé
par un porche ouvert ou un narthex. Quant au corps même de
t'église, ii n'avait pius rien d'une basilique : son pian présentait
une croix, à branches égales, inscrite dans un carré et couronnée
de cinq coupoies. Mais ces coupoies n'étaient plus, comme dans tes
Saints-Apôtres de Justinien ou dans Saint-Marc qui en est lacopie,
ptacées sur les quatre branches de !a croix. Autourde ia coupote
principaie, qui occupait ie centre, ies quatre coupoies secondaires
s'éievaient au-dessus des bas-côtés, dans tes angies que ces quatre
branches formaient aux coihs du carré. Et de même, ia forme de ia
croix ne se dessinait ptus, comme aux Saints-Apôtres, sur te pour-
tour extérieur de i'édifice, mais seuiementsur iefaîte des façades,
par ies voutes suréièvées des quatre berceaux des bras. Ainsi
i'édifice était conforme au type nouveau et caractéristique de ia
construction byzantine, tei qu'ii apparàît presque exciusivement
à partii* du x^ siècie : l'égiise à croix grecque inscrite dans un
carré.

LES FORMES DE L'ÉGLISE BYZANTINE ^

Z.a Aast'/tyue à cott/io^ë. — Le vi^ siècie avait connu divers types


d'édiiices sacrés, ia basiiique, i'octogone, ie pian tréflé, ia basiiique
à coupoie. A i'époque où nous sommes, ia basiiique tend à dispa-
raître : on ne ia rencontre plus à Constantinopie ; et si eiie se
retrouve en province, en Anatolie, en Maeédoine, en Grèce, eiic y
apparait cependant moins fréquemment qu'autrefois. L'octogone est
devenu rare, ou piutôt ii s'est transformé pour donner naissance à
i'égiise à trompes d'apgie. Le sanctuaire triconque-n'apparaît pius
guère, d'aiiieurs modifié, que dans ies pius anciennes égiises de

1. Sur les difFérentes formes de i cgiise byzanLine, cf. Miliet, L'ëco^e


grecque dans farc/u^ec^ure bz/saa^/te, Paris, 1916, oü ii y a beaucoup de
remarques intéressantes, quoique souvent compiiquées dans l'expression, et
parfois discutabies dansie fond.
LA BASIUQUB A COUPOLB 433

i'Aliios Enfin ia basilique à coupoie elie-méme, qui avaii eu une si


heureuse foriune entre ie v^ et ie vn^ siècie, ne se rencontre plus

Fig. 198. — Constantinopie. Gul-djami (Phot. Ebersoit).

qu'exceptionneiiement. On ia retrouve à Nicée, dans i'égiise de ia


Dôrmition (ix" siècie), dontie pian rappeiie de façon frappante ceiui
de Sainte-Sophie de Saionique et à Constantinopie, à ia Gui-
djami ^ (autrefois Sainte-Théodosie) qui date probabiement du miiieu

1. Wuiit', Dt'eAotme.st's/ft'reàei'itAi'caa.
2. Wultt', tht'd. ; Strzygowski.K/et'ttast'ett, 132; et, d'une façon généraie,
poui' toutes les égiises de Constantinopie mentionnées au cours de ce cha-
dfantie/ d'Arf hyzan/tn. 28
434 LES MONUMENTS DE L'ARCHtTECTURE REHGtEUSE

duix" siècle, et où des portiquescoutinuspassent, comme à Sainte-


Irène, au-dessus des berceaux latéraux (ftg. 198). Maiheureuse-
ment d'assex rtombreuses restaurations ont, aux siècies suivants,
aitérét'aspectprimitif de cette grandeégiise : ies absides en particu-
lier, avec teur décor de niches creuses superposées en plusieurs
étages, sembtent bien appartenir à l'époque des Comnènes. Néan-
moins certains traits caractéristiques subsistent, qui rendent !e
monument fort intéressattt : à l'intérieur, tes quatre piliers énormes
qui, comme à Katender-Hané ou à Hodja-Moustapha, soutiennent
la coupote, et du côté de l'orient se rattachent directement à
l'abside; à i'extérieur, ia façon dont les lignes maîtresses du plan
sont à peine marquées par 1e dessin des toitures et des façades. On
sent un éditice de transition, de belles proportions au reste et
d'élégance simple, où, dans la basilique à coupole, certaines dispo-
sitions font pressentir déjà 1e type nouveau. Le plan en croix
grecque, dissimulé au parterre, se Iit nettement, en etl'et, au-des-
sus des tribunes, dans les quatre berceaux égaux, et aux angles
du carré, quatre coupoles basses sont placées, qui font sur 1e
toit une légère saillie. Le souvenir de la basilique à coupole se
perpétue en partie dans d'autres éditices encOre de l'époque que
nous étudions: à Constantinople, dans les églises de 1a Panachran-
tos (Fenari-Issa-Mesdjid, frn xi" siècle) et de Chora (Ka'hrié-
djami, commencement xn^), sur Iesquelles on reviendra, à l'Athos,
dans 1e catholiconde Lavra, etplus nettementdans certaines églises
de Géorgie (Koutaïs, Mokvi, x"-xi^ s.) et cle Russie (Sainte-Sophie
de Kief, 1037). 11 persistera au reste dans l'architecture byzantine
jusqu'au xiv" et au xv^ siècle. Mais ce ne sont plus là que des sur-
vivances du passé : ce qui dornine désormais, presque sans con-,
teste, d'un bout à l'autre du monde byzantin, c'est 1e plan à croix
grecque, caractéristique de l'art chrétien d'Orient au moyen âge.
à crofæ grrecyue. — Ori'yt'ue du /ypeL — De bonne
heure, la forme symbolique de 1a croix avait été adoptée par les

pitre, tes ouvrages de Satzenberg, Putgher, Kondakof, Gurlitt, Ebersott et


Thiers cités à ta p. 1 i6. Ou y peut joindre Paspati, Bu^otvrtvx't p.EXÉTctt,
Constantinopte, 1877.
1. Strzygowski, Ktet'nasi'en, 132sqq. ; Ramsay-Betl, TAe tàonsahdand oae
eàoi'càes, 3i0-i28. Strzygowski, Di'e EatsteAmiy der /freoc/rnppeIA*irc/te,
(Zeitsch. f. Gesch. der Architektur, t. 7 (1914-1919) ; Bühtmann,D:eÆnts/e/tHny
t/er 7freuz/mppe//ttre/ie, Heidetberg, 1914. Cf. Guyer, Rttsa/a/t, p. 42-43,
Strzygowski, Dt'e Dati/titits/ der Arntent'er, 178 et suiv., et Mitlet, /oe. ct'/.. 55 et
suiv.
L'ÉGL!SE A CROIX GRECQUE 435

chrétiens pour ieurs constructions. Dès ie iv'* siècie, on i'a vu,


Grégoire de Nysse parie, comme d'un type courant, des égdises
en forme de croix ; vers ie même temps, dans i'inscription dédi-
catoire del'église desSaints-Apôtres, à Miian, saint Ambroise, son
fondateur, caractérisait ainsi 1e monument ;

7'o/vna. c/'f/ct.s te/npZu/u c.s't, te/np^u/n c/'ctc/'M CA/ t.s/t


Nacra; /rtt///t/</tai/.s .stt/tttti t/nagro ioct///t.

Une multitude d'éditices s'élevèrentsur ce modèle, dont les plus


célèbres sont l'église des Saints-Apôtres de Constantinople ^
(fig. 199) et celle de Saint-Jean à Ephèse. Mais ces monuments
ne ressemblaient en rien à l'église à croix grecque du x° siècle.
Au v", au vi" siècle, l'image de la croix se dessinait en plan à
l'extérieur du monument, comme on 1e voit, en Occident, au
mausolée de Galla Placidia, en Orient, aux églises anatoliennes
de Tomarza, de Sivri-Hissar, de Bin-bir-Kilissé, etc. et, dans
une certaine mesure,à l'église de l'Hecatompyliani à Paros, comme
on 1e voit surtout à Saint-Marc de Venise qui, reproduisant 1e
pian des Saints-Apôtres, conserve jusqu'en plein xi^ siècle cette
disposition surannée ^ (8g. 200). L'église à croix grecque est tout
autre. Tandis que, dans le type en forme de croix, les bas-côtés
manquent, outoutau moins viennentde f'ea;tér/e!/rgarnir les coins
vides entre les bras de 1a croix, l'église byzantine à croix grecque
au contraire trouve dans ces bas-côtés w un ressort essentiel dè son
équilibre, pour transmettre aux murs extéi'ieurs les pôussées de Ia
coupole*^ B. L'église à croix grëcque ne procède donc point du plan
en forme de croix, comme d'abord on pourrait 1e croire. EHe est
bien plutôt l'aboutissement logique de 1a basilique à coupole,

]. Heisenberg, Dt'e Apostet/ctrcàe ; cf. Wuttï, Dt'e steàe/t Wmtder ro/t Byza/tz
Httd dt'e AposielAircàe tBZ., Vtl, 1898, p. 316); Sotiriou, 'O vct&çTMcL'/ou'tou
OêoAdyou Tv 'EçiÉtyoi.
2. Gf. tesédifices citésptus haut, p. 102.
3. Un àutre exempte assez remarquabte de cette disposition se rencontre â
Peristera, près de Salonique, dans une égiise que t'on date du ix" siècle.
Autour deia coupote centrale, quatre coupotes sur tambour octogonal cou-
ronnentles quatre branches de !a croix ; mais. par un parti fortintéressant,
ces branches se terminent chacune par trois absides disposées en triconque :
ainsite ptancruciforme se combine curieusement avec te ptan tréilè (Kinch,
Dn &i/san!/nsA KirAe dans FestsAt i/'t /or Pro/\ Dssiny, Gopenhague, 1900,
p. 144-155).
4. Miitet, D'/tsie TfineHre(RA., 1905, I), p. 106. Gf. Ramsay et Bett, ioc.cii.,
340 suiy.
436 LES MOKUMENTS DE L'ARCtHTECTURE HBHGIEUSE

[orsque dans ceHe-ci ies berceaux iaiéraux se proiongent à travers

Fig. 199. —L'égiise des Saints-Apôtres. Miniature du manuscrit Gr. 1162


(Bibi. Vaticane), d'après Heisenberg, Die AposteUu'rcàe in GonstanttnopeL

ies coliatéraux jusqu'au murd'enceinte. Sainte-Irène de Gonstanti-


nopie et ies ëgiises ruinées de Phiiippes et de Pirdop, où i'on
observe ce parti, sont en ce sens, dès ie vi" siècie, des précurseurs
L ÉGUSE A CROtX GRECQUE 437

de ï'égtiseà croix grecque'. L'évoluLion se manifeste pius nette


encore dans l'église de Déré-Ahsy en Lycie et surtout dans ta Gui-
djami, où ies berceaux dessinent une croix à branches égaies. Sans
doute, dans tous ces édifices, ce n'est qu'à i'étage supérieur, au-
dessus des tribunes, que ie pian en croix seiit ciairement : ii faudra
que ies petitesarcades qui, au rez-de chaussée, séparent ia nef des
bas-côtés, disparaissent pour que, du soi au sommet des voûtes, ies
quatre berceaux qui soutiennent
ia coupoie dessinent iargement la
croix. Mais ie point de départ ne
sembie pas moins certain, et i'évo-
iution visibie,d'où est sorti, peut-
ètre dès ie vt" siècie ", ie pian
byzantin ciassique, dont il faut
maintenantdéfinir ies traits essen-
tieis (tig. 201).
Pfan.— L'égliseala formed'une
croix, dont ies quatre branches
égaies sont voûtées en berceaux ;
à ia croisée s'éiève une coupoie,
porlée sur un tambour, et généra-
iementassez haute. i.a croix est
Fig'. 200. — Saint-Marc de Venise.
inscrite dans un carré, aux quatre Pian (d'après Holtzinger).
angies duquei se dressent assez
souvent d autres coupoies. i.e bras
orientai s'aiionge pour se terminer en abside ; ies deux comparti-
ments orientaux du carré s'ailongent sembiabiement pour former
deux absides iatéraies. Sur ie côté ouest de i'édifice s'étend un
narthex fermé, assez souvent précédé d'un second narthex exté-
1. Cf. p. 101 et )49-150.
2. Cf. p. 178 tes cgtises de ce type mentionnées à Gortyne et à Rusafa-
Sergiopolis. Dans ce dernier éditice, quatre coupotes posées aux angles
entourenttacoupotecentrate. Cf. cgatementtes cgtises dece type, que f'on
renconti*e au vn* siècte en Arménie. On a fort discutë sur t'origine du type.
Pour Strzygowski, ette est iranienne, et c'est de t lran que, par t'Arménie,
cette forme s'est rëpandue dans t'art clirétien d'Orient : elte est, dit-il,
« purement arménienne o (re;'n armenfseA. Cf. l/rsprany der càrùd. ÆtrcAen-
Annst, p. 61-62). Guyerfui attribue, au contraire, une origine hellénistique,
et Wulil' une origine byzantine. Millet pensè que ce type se crca en Ana-
tolie, sur lesprincipes de la tradition hellénistique, et que Constantinople le
reçut de l'Asie-Mineure et notrdel'Arménie (Inc. cfL, p. 62, 72). Cela sernbie,
à mon avis,l'hypothèse la plus vraisemblable et ellemontre bien le rôle artis-
tique de Constantinople.
438 LES MONUMEXTS DE L'ARCHtTECTUHE HEHGIEUSE

rieur. L'ensembie de la consiruction forme un rectangie aiiongé,


terminé à i'est par trois absides sailiantes, rondes ou poiygonaies.
La forme de ia croix, que dessine ie vaisseau intérieur, apparaît
pareiiiement à i'extérieur. Les quatre berceaux sont, en effet, sur-
éievés de façon à marquer au deiiors, autour de ia base carrée de ia
coupoie, ie symboie divin ; iis
sont d'ordinaire couverts par des
toits en pignon, qui se terminent
par des frontons trianguiaires sur
ie rnut' d'enceinte. Souvent aussi,
surtout à partir du xn" siècle,
des frontons courbes, répétant
exactement ia forme des ber-
ceaux, rempiacent ies frontons
trianguiaires ; d'une façon géné-
raie, ies iignes maîtresses de ia
construction intérieure se des-
sinent à i'extérieur par ia dispo-
sition du faîte des façades et sont
soulignées en outre par queiques
ornements sobres et discrets. Ii
faut observer entîn que ces égiises
sont en générai beaucoup pius
Fig. 201. —Gonstantinopfe. Kifissé-
djami. Ptan (d'après Putgher). petites que ies édiftces sacrés
d'autrefois. Si l'on met à part ie
Pantocrator à Constantinopie (l'" moitié xtP siècie) qui mesure
16 mètres en iargeur et autant de la porte d'entrée au seuii de
i'abside, ies autres égiises de ce type n'ont généralement pas pius
de 9 à tO mètres pour ces deux dimensions (Boudroum-djami, un
peu moins de 9; Kiiissé-djami, 9; Théotokos de Saint-Luc, 9,50 ;
K.azandjiiar-djami à Saionique, 8 ; Eski-Imaret, à Constanti-
nople, It).
ÆuoZu/tou t/u fype. — 5/rrtpou L — Toutefois ce type ciassique
ne s'est point constitué d'un seui coupet ii n'est point resté immuabie
de siècie en siècie. ii y a une évoiution progressive, qui se mani-
feste par une tendance croissante vers pius de iégèreté et d'éié-
gance. Veut-on voir i'égiise à croix grecque à ses dëbuts ? L'égiise

1. Strzygowsti, /aedtta det' Arc/ttteA'tur aus Jer Zet't Æast'/t'o.s t (BZ., Ht.
1894).
SKRtPOU 439

de Skripou en Béotie, qui est datée par une inscriptionde 874, en


otîre un exceHent exempte (tig-. 202). La construction est simpte et
tourde à ta fois : on sent une égtise de province, assez gauchement
exécutée. Les murs sont d'une épaisseur extraordinaire ; la coupote
à pendentifs, unique, qui domine ia croisée, est enchâssée dans un
tambour à seize pans,décoré d'arcadesaveugies, et percé de quatre
fenêtres seuiement ; ia forme de ia croix est fortement accusée au
dehors par ies toitures des berceaux très suréievés au-dessus des
absides etdesbas-
côtés. L'intérieur
estd'aspectiourd,
toutvoûtéenber-
ceaux massifs;
ies murs épais qui
portenttesgrands
arcsenobstruent
une grandepar-
tie; ia coupoie
estde diamètre
assez réduit. Peu
d'ornementati on Fig. 202. — Égiise de Skripou (d'après Strzygovski).
sculptée:ài'inté-
rieur, deux frises scuiptées, à décor de feuities, de raisins et d'oi-
seaux, séparenties étages; à i'extérieur, i'abside principaie seule
montre une bande assez large, oü des médaitions encerciant des
animaux s'aiignent entre des feuiüages. L'édifice est gfossièrement
construit en biocs de pierre de diverse grandeur, empruntés à des
monuments antiques. Le type de i'égiise à croix grecque, quoique
déjà nettement constitué, est donc fort iourdement réaiisé : Skri-
pou, par ia iargeur de ses bas-côtés, donne presque encore i'impres-
sion d'une basiiique voûtée, avec transept sailiant.
—Au contraire, dans i'égiise de ia Théo-
tokos, àSaionique (Kazandjiiar-djami quiest datéepar uneinscrip-
tiondelÛ28, ietypenouveauapparaît mieux dégagé (tig.203). L'édi-
Rce est entièrement bâti en briques, sans aucun décor ornemen-

1. Texier et Puilan, /trcAitectare àysaatùte; Kondakof, nacédottte, Péters-


bourg, 1909, (russe) ; etDiehl, Le Tourneau etSaladin,Les ttto/t;;7tte7ttscàre-
ttetts de Saiotttt/tte.
2. G'est t'édifice que Texiei', par une iectureinexacte de t'inscription qui ia
décore, avait baptisé Saint-Bardias.
440 LES MOXUMENTS DE E ARCHITHCTURE RELIGIEUSE

tat à i'extérieur; lestignes d'ensemb]e,très simptes, sont fortement


accusées ai^ dehors. Des demi-colonnes en briques, appuyées aux
façades, des frontons courbes marquant te narthex, des frontons
aigus, au-dessous desquets s'ouvrent sous une arcade des fenêtres
bitobées, correspondantaux berceaux de ia croix, une coupoie sur
haut tambour octogonai décoré de deux étages d'arcades aveugies,

Fig. 203. — Satonique. Kaxandjilai' djan i (Pliot. Le Touinean).

séparées par des coionnes de brique, et sur ie narthex deux petites


coupoies à tambourspercësde fenêtres,donties .arcadesécbancrent
ta toiiure, dessinent ies dispositions principaies de i'édifice. Des
corniches en brique posées en dents de scie courent à la base des
toitures. Une abside à trois pans. à iaqueiie s'accoient deux petites
absides demi-circuiaires, termine l'égiise à i'est. L'intérieur, de
dimensions fort exiguës (8 m. de iarge, sur 8 m. de iong, de ia
porte de l'égfise à i'arc de i'abside), a une coupole sur pendentifs,
appuyées sur quatre grands arcs que portent quatre coionnes de
marbre, écartées de 3,50 environ : ces coionnes ont deschapiteaux
KAZAXDJtLAR-DJAMI 441

cubiques,ornésde cabochonset de croixqu'entourentdes entreiacs


géômétriques ; des arcades assez élancées retient ces piiiers aux

Fig. 204. — Constantinople. Kiiissé-djanii (Phot. Ebersoit).

murs extérieurs. La coupoie est haute, ies compartiments laté-


rauxtrès petits ; une corniche scuiptée courtà ia base des voûtes.
Au-dessus du narthex, une tribune s'ouvrait par une fenêtre sur ie
vaisseau centrai. Des peintures, dont ii reste des traces, décoraient
jadis ie narthex et i'égiise. 1^'ensembie, très simpie, mais éiégant,
est de lignes nettes, de construction soiide, exacte et sobre.
442 LES MONUMEKTS DE L ARCmTECTURE RELIGIEUSE

— EnHn, te typepteinemenLconsLituéserencontre
àConstaniinopie, àiaKiHssé-djami ' (fig. 201, 204). On la date en
gënératde lapremière moitiédu x^siècte, en y reconnaissant, je ne
sais trop pourquoi, t'ég*tise fondée par te patrice Constantin Lips
en t'honneur de ta Vierge. t) me sembte qu'on devrait avec ptus
de raison t'attribuer à ta seconde moitié du siècte, tant on v sent

Fig. 205. — Constantinopie. Kiiissé-djami. Façade(Phot. Ebersoit).

nne visible et heureuse recherche de grâce et de variéié. Ette oil're


te ptan ctassique de t'égtise à croix grecque. Construite en briques

1. C'est i'église quc Saizenberg appeiie ia Titéotokos, et que Pulgbernomme


Méfa-djami, cti y reconnaissant une égiise byzantine de'Saint-Théodore. Cette
appeiiation de Méfa-djami, qui est répétée aiiieurs, estinexacte. Iiy a bien,
tout près de ia mosquée, une piace de Véfa-meïdan ; mais ies Turcs donnent
géncralement à i'édiitce ie nom de Kiiissé-djami. Cependant on i'appeiie parfois
aussi Véfa-djami.
KILISSÉ-DJAiSH 443

et moettons atternés, ette accuse fortement à i'extérieur les iignes


de ia croix par les hautes toitures triang'uiaires des berceaux, domi-
nant ies toitures pius basses des bas-côtés et les iignes courbes
qui raccordent harmonieusementài'abside iabasecarréesuriaqueiie
s'éiève ie tambour de la coupoie. Ce tambour à douze pans est
décoré d'arcades, dont la courbe échancre ia toiture de ia coupoie ;
des fenêtres y sont percées, séparées par des colonnes. Autour de ia
coupoie centraie, quatrecaiottescouvrent iescoins ducarré,etsur
ie narthex extérieur, trois autres coupoies, très hautes, se dressent
sur des tambours octogonaux, donnant à i'édifice unesiihouette géné-
raie fort éiégante. A i'est, i'abside principaie, à cinq pans, qui seuie
fait saiiiie(ies iatéraies étant marquées simpiement par deux fentes
trianguiaires dans ie mur), est décorée d'arcades aveugles et de
niches creuses, et s'ouvrait jadis par une série de fenêtres séparées
par d'éiégantes coionnettes. Sur ies côtés, degrandes fenêtressous
ies frontonset des arcades aveugies rompent ia monotoniedesfaçades.
Enfin ies combinaisons de la brique et de ia pierre égayent ies
murs du narthex extérieur, qui peut-être, au reste, s'ajouta uu
peu postérieurement (xu° siècie) à i'édiiice primitif (tig. Ii05). A
droite et à gauche de ia porte d'entrée, entre des niches creuses,
s'ouvrent, sur un haut soubassement, des arcades triiobées, avec
parapets scuiptés ; au-dessus, sousiaiigne droite du toit, de grandes
arcades encadrent cinq fenêtres ; ies moeiions entourés de briques,
ies arcades de briques et de pierres aiternées répandent sur
toute cette façade une harmonieuse poiychromie. A i'intérieur,
assez exigu (9 m. de iarge), ia haute coupoie est portée par quatre
minces piiiers, et ie vaisseau, bien dégagé, achève, par ies iignes
courbes des hémicycies qui terminent ie narthex et les absides, de
donner une impression des pius heureuses.
Aussi bien ces mêmes tendances continueront à se manifester par
ia suite : eiies produiront, au commencementdu xiv^siècie, ieschat'-
mantes égiises de Fetijé-djami (ancienne Pammakaristosj à Cons-
tantinopie, de Yakoub-pacha etdes Saints-Apôtresà Saionique, avec
ieurs coupoles éiancéeset multipies, ia grâce de ieursiignes courbes,
et ie riche décor extérieur de ieurs muraiiies et de ieurs absides.
tli LES ^[OXUMENTS DE E ARCHlTECTUnE REL[G[EUSE

Ainsi des innovations incessantes, des raffinements ingénieux


avaient modifié durant cetfe période f'architecture refigieuse. If en
faut chercher !es raisons.
Coupofe ef fam^our. — Le vi" siècfe avait fixé le frait caracté-
ristique de i'archifecture byzantine, ia coupoie, et ii i'avait mer-
veiiieusement réaiiséà Sainfe-Sophie. Cette réussiteadmirabieéta-
biit définitivement ie règne de la coupole : eiie demeurera désor-
mais ia f'orme essentieüe de ia construction. Mais Sainte-Sophie
offrait un trop savant rnodèie pour qu'on fût tenté bien souvent de
ie reproduire : ies architectes s'inspirèrent donc pius voiontiers
d'autres types rnoins difïiciies. Mais, tout en imitant, iis n'en-
tendiretit point copier serviiement ; tout en conservant ia cou-
poie, iis vouiurent en tirer des effets nouveaux ; ieur préoccupa-
tion essentieiie, tout en se conformanf aux principes, fut de ies
appiiqueravec pius de légèreté et d'éiégance.
A i'extérieur, iis modifièrent heureusement ia iigne généraie de
ieursconstructions. Les édificesdu vt" siècie offraientunesiihouette
un peu iourde ; ia coupoie de Sainte-Sophie eiie-mèmè, appuyant
(iirectement ia demi-sphère sur ies pêndentifs, paraît, vue dudehors,
queique peu massive et déprimée. J^es arcbitectes s'ingénièrent à
donner au couronnement de ieurs monuments pius de sveitesse, <( à
projeter pius Jiardiment ieurs coupoies dans les airs ^ H. Pour ceia,
iis suréievèrent ie tambour qui s'intercaiait entre ies grands arcs
ef ies voûtes de la coupoie. Assurément ies architectes du v^ et du
v[" siècie déjà avaient connu et empioyé ce parti mais ieurs tam-
bours, généraiemënt cyiindriques, restaient peu éievés etmassifs.
J.es maîtres du x^ siècie firent )e tambour pius haut, surtout iis le
firent poiygonai, à huit, à douze, à seize pans, de façon que Jes
arêtes des angies, par ieur direction verticaie, vinssent accroître
i'impression d'éiévation qu'on vouiait produire. PourJ'accuserpius
i'ortement, on décora ces arêtes de iongues et minces coionnettes
ou de demi-coionnes portant des arcades; de hautes et étroites
1. Choisy, t,'/trf de èàffr càez /es ityzaafiits ; Mittet, L'ècofe yrecque daas
t'.ire/u'fecfore àyzanfùte.
2. Rayet, ytrf àyzartft'a, 133.
3. Cf."p. 112.
COUPOLE ET TAMBOUR 445

fenêtres, ouvertes dans les pans ttu tambour, contribuèrent au même


effet et accentuèrent encore l'impression de hauteur et de iégèreté.
La coupole elle-même, dans ces églises de dimensions assezexiguës,
fut de diamètre réduit ; mais elle gagna en hauteur ce qu'elle per-
dait en étendue. C'est un trait caractéristique de l'évolution de l'ar-
chitecture byzantine qu'à mesure qu'on avance dans letemps, Ies
coupoles deviennent pluspetites etplus hautes, portéespardesarcs
plusélancés, soutenues pardestambours plus élevés. 11 sufht, pour
s'en rendre compte, de comparer les formes trapues de 1a coupole
de Skripou (ix^ siècle), les tambours un peu lourds de Boudroum-
djami à Gonstantinople et de Kazandjilar-djami à Salonique (Hn
x" et comm^ xi<= siècle), 1a ligne élégante et le souple profil des cou-
poles de 1a Kilissé-djami ou de l'église du Pantocrator (fin xi" et
comm^ xu^ siècle), les tambours surélevés qui couronnent les cons-
tructions du xiip et du xiv" siècle, telles que les Saints-Apôtres de
Salonique, l'église du monastère de Marko en Macédoine ou celle
de Nagoritcha près d'Uskub, et bien d'autres. Un autre parti enfin
donna plus de grâce aux coupoles : dans les édifices les plus anciens
de notre période, 1e tambour s'achève en généraljpar des lignes
droites, sur lesquelles posent les toitures de 1a coupole; dans les
églises plus récentes, à partir du milieu du xi" siècle (1e premier
exemple à Gonstantinople se rencontre à laKilissé-djami), 1a courbe
des arcades du tambour échancre 1a toiture, donnant à l'ensemble
une ligne plus souple, plus légère et plus harmonieuse.
En même temps qu'on modifiait 1a forme des coupolgs, on en
accrut le nombre. Au vp siècle, c'.était chose exceptionnelle que de
couronner un édi&ce de plusieurs coupoles : les Saints-Apôtres
offrirent un exemple presque unique de ce parti. Ce qui était alors
une innovation devint, sinon la règle, du moins une pratique fré-
quentedans notre période, surtoutàpartirde Ialinduxi^ siècle.On
éleva cescoupoles tantôt sur 1e narthex (Kazandjilar-djami, Kilissé-
djami, Kahrié-djami, Saint-Pantéléimon à Salonique), et au xm"
siëcle, Saints-Apôtres et Yacoub-pacha-djami, à Salonique), tan-
tôtsur Ia toiture de l'église même, aux quatre anglesdu plancarré.
II se peut que ce dernier parti apparût déjà dans 1a Neade Basile I :
il se rencontre, Ies coupoles étant au reste encore réduites à des
calottes de faible saillie, à Gul-djami et à Kiiissé-djami ; il appa-
raît plus nettement au xu° siècle (Pantocrator, église de 1a
Kosmosoteira à Feredjik en Thrace, bâtie en )152, monastère
de Nérès, en Macédoine, 1164; Kapnikaréa à Athènes, etc.);
446 LES MONUMENTS DE L ARCHITECTURE RELIGIEUSE

il est d'usagd constant au xm^ et au xrv" siècie, où Mon ne s'arrête


même ptus au nombre de cinq, mais où l'on sembie chercher sur
queiles parties de l'édihce on pourrait bien encore placer d'autres
coupoles (p. ex. 1a belle ég'Iise de Gratchanitsa, en Vieille-Serbie).
Lex h'yney eæhirieHres <fe eoiisfrHcfi'oH. — Enfin une dernière
innovationconsisteàmarquer sur les façadesetaufalle destoitures
les lignes essentielles dela construction. On a signalé déjà 1a suré-
lévation caractéristique des quatre berceaux dessinant Ia forme de
1a croix, et 1a façon dont ils sont couverts tantôt d'une toiture à
pignon formant un fronton triangulaire, tantôt de toitures courbes
correspondant à 1a forme réelle des voûtes et s'achevant sur 1a
façade par de grandes arcades. G'est 1e trait caractéristique de
tous les édihces de ce temps ; chacune des Iignes intérieures
de 1a construction s'accuse au dehors par une disposition des toi-
tures. Autour du carrë saillant qui enchâsse les grands arcs et sur
lequelle tambourse pose, les voûtess'étagent en série décroissante
correspondant avx berceaux des bras, à l'arc qui précède l'abside,
à l'absideprincipale, auxabsideslatérales ;elles Kentament, comme
on l'a dit, et sculptent 1e cube de l'église ' H, de façon,à substituer
« à 1a loui'de rnasse cubique )) des éditices d'autrefois, « une sorte
de pyramide H, dont 1a coupole achèvele souple profil. Certains
édifices, comme Eski-Imaret-djami à Constantinoplë ou Saint-
Pantéléimon à Salonique (xu^siècle) (fig. 206), sont à cef égard tout
à fait intéressants à étudier et montrent quel heüreux parti les
architectes byzantins ont su, pour l'harmonie de leurs édifices,
tirer de ees combinaisons.
L'iiiférieur. —Al'intérieur, d'autre part, on sentunvisibleetîort
pourdonnerplusd'espace etplus d'air. Pourdégagerlevaisseaucen-
tral, pourouvrir deplus largesetplus libres perspectives, on dimi-
nue l'épaisseur desmassifs piliers qui portaienf primitivement 1a cou-
pole ; on les rend moins lourds en les évidant par des niches pro-
fondes, onlesremplacesouventpardes colonnes. Onrompt,d'autre
part, 1a monotonie des lignes droites en terminant par des hémi-
cycles lescôtéslatéraux du narfhex(Houdroum-djami,Eski-Imaret-
djami, 1a Neamoni de Chios, etc.), en m'ettant des niches demi-
circulaires aux côtés de 1a grande abside (Daphni, Kilissé-djami,
Pantocratôr, etc.), en donnant aux absides làtérales 1a forme d'un
sanctuaire triconcjue (Kilissé-djami, Boudroum-djami, Eski-Imaret-

1. MiHet, Dapàiti, p. 53.


LES LIGNES EXTERIEURES DE LA CONSTRUCTION 447

djami, égiise de 1a Panachrantos), en muitiptiant, en un mot, les


iignes courbes.G'estdansie mêmeesprit qu'auxbranchesiatéraiesde
ia croix on adapte, dans ies plus anciennes églises de i'Athos (i.avra,
Iviron), quidatent du ia fin dn x" siècie, et dans certaines égiises de
Géorgie, ies absides iatéraies des sanctuaires triconques, parti heu-

reux qui donne pius de piaceetunpius iarge circuit pour ies staiies
des moines.
Une autre innovation, dont on pariera pius ioin, est ia décora-
tion extéi'ieure des mura.iiies. Mais ce qui vient d ètre dit suilit à
montrercombien ies ëcrivains du x"siècie voyaient juste, quand iis
pariaient de « ia nouveauté des dispositions H qui apparaissait dans
ies édifices de ieur temps.
On peut se demander toutefois si ces rafîinements et ces éié-
gances ne nuisaient point à ia-soiidité de ia construction. Ii sembie
tout au contraire que piusieurs de ces innovations vinrent du désir
même de donner aux édifices pius de résistance.
448 LES MONUMEKTS DE L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE

Les copiAmatsons J'éymYtAre. — L'art byzantin est un art très


savant, qui pousse parfois jusqu'à la subtilité l'ingénieuse habileté
de ses cornbinaisons. Pour bien comprendre i'architecture du moyen
âge grec, rien n'est donc pius utiie et pius intéressant que d'étu-
dier le groupement mutuei des diverses parties de ia construction.
Dans un pian byzantin, en effet, toutes ies parties sont étroitement
liées. Tandis que, dans un pian occidentai, chaque voute est, pour
ainsi dire. isoiément nraintenue, en Grèce, au contraire, ies voûtes
sont associées de façon à s'appuyer ies unes ies autres, et à annuier
réciproquementies poussées diifusesqu'elies exercent. C'estiarépar-
tition de ces poussées qui est ia grande préoccupation des cons-
tructeurs byzantins : « ieur constante pensée, dit Ghoisy, est de
chercher des associations de voûtes où ies efïorts s'entre-
détruisent ' o ; ia façon dont iis y ont réussi est, dans tout édifice
byzantin, ie point qui doit particuiièrement attirer i'attention.
Dans une égiise byzantine, 1a grande aifaire est ia coupoie. Cette
coupoie exerce sur tout son pourtour des poussées divergentes. Le
tambour poiygonai en reçoit une partie : ce qui expiique, au moins
autantque ie désirde ia iégèreté des iignes, ia grande piace qui iui
est faite dans ies constructions de notre période. Parfois, par sur-
croît de précautions, des arcs-boutants extérieurs forment contre-
fort autour dece tambour (Eski-Séraï), conformément à 1a pratique
ancienne des édiiices du vp siècie (Sainte-Sophie de CP., Sainte-
Sophie de Saionique).
Pourtant ie tambour ne sufïit pas à annuier toutes ies poussées. Ce
qui en reste est reporté sur quatregrandsarcs de tête, quand iacoupoie
est sur pendentifs, sur huit points d'appui, quand 1a coupoie est sur
trompes d'angie, et cetteditférenc'e de disposition donne naissance,
^entre ie x" et 1e xin^ siècie, à deux types d'égiise assez différents.
L'éy^ise à frompes d'anyfe ef féy^ise à penctenfi/^. — L'un
procède du pian octogonai (tig. 207). Entre ies quatre arcs dou-
bieaux s'intercaient quatre trompes d'angie ; ainsi se trouve déter-
miné un octogone, appuyé sur huit piiiers. Ge dispositif ofi're des
résistances plus vigoureuses : i'ouverture des arcs qui portent Ia
coupoie est moindre, ies points d'appui qui ia soutiennent sont
pius nombreux. Mais, pius soiide, ce parti est évidemment moins
éiégant. Ii a été cependant fort en usage au xi" siècie ; d'après ia
description de Ciavijo, ii sembie avoir été empioyé à Constan-

1. Choisy, p. 128.
LHS COMBINAtSONS D EQLILIBRB 449

tinopte dans i'égiise, anjourd'hui disparue, de ia Peribieptos (entre


1028 et 1034) ; on ie rencontre en toul cas dans nombre d'églises
de province, à Sainl-Luc, à ia Panagia Lycodimou d'Athènes, à
l'église de Christianou en Triphylie, à la Neamoni de Chios, à
Daphni. Toutes ces égtises otïrent ce trait commun que !a coupole,
assez large de diamètre, y couvre tout te carré sur tequet s'ouvrent
les trois absides ; et on a même
cru qu'il y avait tà un parti propre
à l'époque macédonienne, et par
où ehe se distinguait des cons-
tructions de l'époque des Com-
nènes La chronotogie des édi-
lices conservés dément cette
afHrmation. l.e type de Saint-Luc
et de Daphni se retrouve à Sainte-
SophiedeMonemvasie (xiPsiècte),
aux Saints-Théodores de Mistra
(xin" siècte) : et d'autre part, con-
curremment à ce type, apparatt,
dès ie.xi^ siècle, te parti que l'on
considère comme canonique de
t'époque des Comnènes, ta cou-
pote à pendentifs portée par
quatrepiiiers.
Danst'égiise à trompes d'angie,
lamuitipiicationdespointsd'ap-
' . . ^ ' (daprèsMütet).
pui encombrait i intérieur des
édifices. On eut donc nafureiie-
ment i'idée de chercher une dispositionpius spacieuse etpius éié-
gante : de ià naquit un type pius savant, que nous présentent ia
piupart des égiises de ia capitaie (fig. 208). Dans ces édifices, )a
coupoie ne couvre pius que le carré centrai devant ia grande
abside; eite est dressée sur quatre grands arcs reiiés par des pen-
dentifs et posant sur quatre piiiers ou coionnes. Le diamètre de ia
coupoie est moindre, et ie pian en croix se iit pius nettement.
Maiss'iiestvraiquecetypes'est, àpartirduxn°siècle, substitué
presque uniformément à i'égiise à trompes d'angie, il est certain

1. Strzygowski, A'ea lHoat au/'Gàtoa (BZ, V, 152-153): Schmidl, 'H Ns'ct


u.0'/l] Xiou (Izv. de t'tnst. russe de GP, 1. XVII).
Afaimel d'Arl àyzanlt'n. 29
450 LES MONUMEXTS DE L'ARCHtTECTURE RELIGIEUSE

pa.r aiHeiirs qu ii se rencontre dès ie x^ et ie xU siècie (Boudroum-


djami, Kazandjiiar, etc.). Les architectes des Macédoniens et des
Gomnènes ont employé simultanément les deux formules, et on
chercherait à tort un élément de datation dans cette difl'érence de
partis *.
Les con^re/orfs. — Mais ces arcs, qui reçoivent les poussées de
1a coupole, exercenteux mêmes despousséesanaloguesqu'ils trans-
mettent en grande partie aux piliers. II faut
donc soutenir à leur tour arcs et piliers. A cet
effet, on les relie par des berceaux et des
arcades au mur extérieur : ces berceaux et
ces voûtes, distribuës autour de 1a coupole
sur le reste du carré, reçoivent les efforts
rayonnants et les transmettent amortis aux
murs. Dans ce cas, au moins dans les églises
à trompes d'angle, il y a de véritables con-
treforts ménagés à l'intérieur de l'église entre
1e carré central et l'enceinte ; parfois cepen-
Fig. 208. — Constan- dant, commeà 1a Nea Moni, le-constructeur
tinoplc.Boudroum-
djami. Plan(d'après a résolument supprimé ces membres encom-
Pulghér). brants, et, pour renf'orcer les huit piliers, ily
a simplement addssé autant de colonnes gémi-
nées faisant saillie à l'intérieur du carré. II y
a là évidemment un souci ingénieux des combinaisons d'équilibre
telles qu'on ies observe dans les églises à pendentil's. Enfin les
coupoles secondaires logées aux atigles du carré aident également
à contrebuter les berceaux de 1a croix : et ainsi, comme 1e dit ex-
cellemment Ghoisy, n les diverses voûtes s'appuient de proche en
proche les unes contre les autres, et les dernières contre 1e mur
d'enceinte ^ «.
<i Une coupole, dit encore Choisy, dont les poussées sont repor-
tées par quatre berceaux de tête surquatre piliers d'angle, tel l'ut,
pendant 1e rnoyen âge, 1e programme admis presque sans exception
pour les monumenfs de laThrace et de 1a Grèce « Gette coupole,

1. Certaineséglises siciliennes (Paiatine, Martorana) montrent, au xn° siècle,


des trompes d'angle : pourtant eiies se rattachent plutôt au groupe des églises
à pendentifs. Eiles sont construites avec quatre points d'appui, et leurs
trompes ne sont en fait que des sortes de pendentifs évidés.
2. Choisy, p. 132.
3. Choisy, 131.
LES CONTREFORTS 451

bù l'a vu, en devenant plus haute, prend en général un diamètre plus


restreint(8 mètres environ dans les églises à trompes d'angle duxi"
siècle, 3"* 50 à 4"' 50 dans les églises à pendentifs, exception faite
pour 1a grandeéglisedu Pantocrator, où ii mesure 7 mètres).Mais
queiles que soient les dilTérences du type, jamais on ne rencontre
dans un plan byzantin de contreforts extérieurs, de ces saillies qui,
selon l'expression de Choisy, donnent <s durelief etdu mouvement ' )).
Tous lesappuis sont à l'intérieur, et 1e vaisseau qui, pour les conte-
nir, est forcément quelque peu plus large, est aussi, pour 1a même
raison, quelque peu obstrué.

IV

LA DÉCORATtON

Mais surtout ii résulle de cë parti que l'édifice présente. au


dehors de grands murs droits et nus, d'une étrange sévérité d'as-
pect. C'està corriger cet aspect que l'architecture byzantine s'ap-
piiqua à partir du ix" siècle, en égayant les façades par les combinai-
sons de la polychromie
La pofycAromi'e /açatfe^. — Au lieu de construire les édifices
exclusivement en matériaux d'une même espèce, pierre de tailie ou
brique, on employa simultanémeut dans les parements les rangs
alternés de moellons et de briques, séparés par des lits épais de
mortier. « Les cours de brique, dit Choisy, trauchent en rouge
sombre sur 1e blanc rougeâtre dès mortiers et sur 1e gris mat de 1a
pierre. Ordinairement 1e mortier est lissé en retraite sur 1e nu du
mur ; si bien que chaque brique, chaque moellon a son contour
redessiné en noir par un trait sombre^. « Ceci n'était point
nouveau et on trouverait des exemples de ces combinaisons dans
bien des édihcesdu vi^ siècle : mais maintenant elles sont devenues
1a règle, etil n'est pasrarequed'autres matériaux, comme 1e marbre,
entrent dans 1a composition du mur.
Ce n'est pas tout. Sur les murailles, sur les absides surtout, 1a
brique dessine, pour 1e plaisir desyeux, mille compositions orne-
mentales et charmantes Cet ornement céramoplastique apparaît

1. Ctioisy, 125.
2. Cf. Mittet, L'e'coie yrecçne Jaas i'archt'tecfiire hi/zaititiie, p. 214-289.
3. Choisy, 13.
4. Lampakis, Ifëmot're stir ies aititqntiesciireit'ettites de ia Gréce, Athènes,
1902.
452 LES MONUMENTS DE L'.\RCHITECTURE REHGIEUSE

dès la prenàière moitié du x)^ siècie. Ge sont tantôt des arcades de


brique à doubie ou tripie voussure, s'arrondissant au-dessus du
cintredes fenêtres, tantôt desarcades oudes cornichesoùies briques
sont disposées en dents de scie. Dans ies espaces demeurés vides
entre ia courbe des arcades, ce sont des combinaisons diverses,
où des cordonsde denteiuresaiternent avec des briques formant des
dessins géométriques. Chaque moeilon enfin est encadré d'un
simpie ou doubie rang de briques. Parfois de iarges bandes hori-

Fig. 20!). — Saint-Marc de Venise. Façade.

zontaies en pierre de taiiie, ou encore des corniches de marbre, cor-


respondant aux diffërents étages de ia construction, mettent dans
ces jeux de ia brique unesorte d'ordonnancegénéraie. Queiquefois,
comme à Merbaca (xu° siècie), comme à i'égiise de Saint-Basiie à
Arta (xuV siècie), ia faïence se combine avec ia brique. Parfois
mème, dans queiques rares édifices, des appiiqües et des incrusta-
tions de marbres polychromes rempiacèrent ie décor plus modeste
des combinpisons de brique. C'était ie cas, sembie-t-ii, à ia Nea
Moni de Chios bâtie par un empereur; c'est ie cas à Saint-Marc de
Venise (hg. 209) ; et peut-être queiques constructionsimpériaiesde
i'époque des Comnènes (Pantocrator, Chora)doivent-eiiesi'absence
du décor en briques à ce qu'eiies avaient ceiui, pius somptueux,
des marbres.
LA POLYCHROMtE DES FAÇADES 453

AiHeurs, pourégayeria surface des muraiHes, ce sont des niches


creuses (surtout à partir de i'époque des Comnènes) ou des arcades
aveugles; c'est, au tambour, un décor pareii à ceiui des absides ;
c'est ài'abside, une série d'arcades ajouréesséparées pard'élégantes
coionnettes; et partout, ce sont denombreusesfenêtres biiobées ou
tribolées, rompant de leurs gracieuses arcatures 1a monotonie du

Fig. 210. — Absides des ëglises du monastère de Saint-Luc.


'S.

parement ; de minces colonnettes en soutiennent les arcades; des


plaques de pierre percées de trous dont 1e contour, échancré en
festons, retenait des disques de verre, les garnissent (Saint-Luc,
Petite Métropole d'Athènes) ; de belles dalles sculptées en forment
)es parapets. Les jambages entin et leslinteaux des portes sont en
marbre blanc.
Ainsi l'extérieur des édifiees s'égaie parles jeux multiples de 1a
poiychromie. En face des édifices civils, tels que Tekfout'-Seraï ou
1a maison de Melnic, les absides de Saint-Luc (hg. 210), de 1a Pa-
454 LES MOXUMEXTS DE L ARCtHTECTURE REUGtEUSE

nagiad'Athèties,deKitissé-Jjam!, offrertt, auxt^ siècie, desexempies


pittoresques de cette riche déçoration ornementaie. Salzenberg a

Fig. 21.1. — Constantinople. Kitissé-djami. Dctaii de ia façade (Phot.


Ebersoit).

cru remarquer que ce genre de décor disparatt, au moins à Cons-


tantinople, dans ies constructions de f'époque des Comnènes (Pan-
tocrator, Kahrié-djami). Si cette observation est exacte, elle ne
l'est que partieiiement. Les égiises de Grèce du xtt"sièc)e(Naup]ie,
Merbaca) conservent des exemples charmants de cette décoration
LA POLYCHROMIE DES FAÇADES 455

Fig. 212. — Athènes. La petite métropole.


436 LES MONUMËXTS DE L'AnCHITECTURE RELIGIEUSE

potychi'ome; et ettesubsiste merveiileusement riche, au xin" siècie,


à i'abside des Sainis-Apôtres à Saionique, à ceiie de Fetijé-djami,
et dans piusieurs ég-iises de Macédoine, de Grèce (Arta, Saint-
Nicoias de Verria, etc.), de Buigarie (Mesemvria), et de Serbie
(Krusevac).
La i/ècora/ton ^cnf/i/èe. — Pmn/ie/8 e/ cAa/it/caiia; '. —- La décora-

Fiy. 213. — Parapet du dôme de TorccHo.

tion scuiptée n'est pas moins soignèe. Eiie est représenlée d'abord
par ces parapets sculpté.s qui garnissent ies fenêtres ou forment des
ciôtures, et que i'on trouve encore en piace à ia Kilissé-djami
(fig. 2tt), à Saint-Luc, àTorceiio, à Kiei), à Saint-Marc, ou réem-
pioyés dans ia phiaie de Lavra à i'Athos et sur ies muraiiies de ia
Petite Métropoie d'Athènes (tig. 2t2). D'assez nombreux motifs
sontempruntés à cette décoration zoomorphique et végétaie, fort
inspirée de i'Orient, queies iconociastes avaient miseen honneur.
Ge sont tantôt, comme à Skripou, des animaux fantastiques, cou-
rant dans des cercies au miiieu de feuiiiages,'tantôtdeslions, des
1. Gattaneo, t.'arcàt'teeture en /l.itte diiF/° ,111 .Y/.= stècte, Venise, 189] : H.
von der Gabelentz, Mt'Ilet.'iMertteàe Piaslt'/t ttt Venedtg, Leipxig, 1903 ;
Brockhaus, Dte /siins/ tit den/tt/to.s /tM.slern. Lcipzig, 1891 ; Satzenberg, Pul-
gher, /ne. et'/.; Bréhier, É/tides snr /'àt's/otre t/e /a sctt/p/ttre hyzait/tue,
Paris, 1911;/Voiitie//e.s rec/terc/tes sitr /'/tt's/otre i/e /a scu/p/nre hysait/tite,
Paris, 1913.
LA UECORATtON SCULPTEE 457

gritîons ou des paons att'rontés (Torcetto, fig. 213), des fauves déchi-
rant des cerfs (Sainl-Luc),desaigles héraldiques, ou encore des
oiseauxparmi des bordures de feuiltes d'acanthe. Mais, à partir de
la 'hn du x" siècle, cette décoration tend à disparaître. l.es motifs
géométriques, entrelacs de cercles etde losanges, qui, au tx" et au

Fig. 214. — Parapet de ta phiaicde Lavra(Coii. iîautes Eiudes, C. 139).

siècle, semêlaient déjà aux hguresd'animaux, reprennent, comme


au v° et au vt° siècle, une place prépondérante, presque exclusive
(11g. 214-215). Dans ces cercles ou ces losanges sont inscrits des
rosaces, des étoiles, des ileurons, des boutons saillantsou des croix,
tandis que des entrelacs capricieux se déroulent autour du motif
central et le relient aux angles, qu'occupent des lleurons ou des
étoiles. Les plus anciens exemples de ces parapets caractéristiques
se rencontrent à Saint-Luc et à Kilissé-djami : d'autres plaques du
même style, plus fortement orientalisé encore, se trouvent à Mélé-
goben Cappadocetelles proviennentd'un prétenduotrônede Jean
TzimiscèsHet datentpeut-êtredux" siècle' ; elles sont, en tout cas,
fort remarquabies ; ,mais les plus belles, par la complexité du dessin
etla finesse de l'exécution, sont cellesde Saint-Marc de Yenise, à la

1. Rott, K/et'rtasial/scàe Dea/fmater, Leipzig, 1908, p. 285 sqq.


458 LES MOXUMENTS DE L AHCmTECTUHE RELIGJEUSE

ftn du xi" siecte. Souvent ces parapets, au iieu d'être en marbre,


sont faits d'une pierre transiucide appeiée jo/iengrités (Saint-Luc,
Petite Métropoie d'Athènes).
La même composition savante des parapets s'appiique, au xi^
siècle, aux faces fuyantes du chapiteau-imposte: sa masse cubique
se couvre d'une fine broderie de feuiliages stylisés, de rinceaux de
vigne, d'entrelacs géométriques, au milieu desquels se détachent
des croix ou des cabochons. Certains sont décorés de grappes

Fig. 215. — Parapet de ta phiate de Lavra (Gott. Hautes Études, C. 145.).

de vigne (Kiiissé-djami), d'autres de Hg-ures d'anges ou de séra-


phinsoccapant fesquatrefaces(Kahrié-djami, fouiiles de Gül-hané)
ou les angles (Atik-Mustapha, fig. 216) du chapiteau. Enfin, à côté
des formes anciennes qui persistent, apparaissent des chapiteaux
de dessinptussimple, en troncde pyramiderenversé,longs, étroits
et de hauteur médiocre, marqués soit d'une- simple croix, soit
d'étoiles, soitdemotifsvégétaux traités assezsèchement.
Tfere/emenGi/eniarZu'eef/iat'e/iieuG. — Pourtant, dans la plu-
part des églisesbyxantines de ce temps, la sculpture ne ticnt qu'une
place secondaire dans 1a décoration de l'édifice. L'architecte s'est
borné à marquer, par des corniches de marbre blanc disposées au
pourtour de l'église, les grandes lignes de Ia structure. L'une est
posée à la base des murailles, une autre sépare l'étage inférieur de
celui du gynécée; une autrecourt à lanaissance des quatregrands
arcsde tête ; à 1a base de 1a coupole enfin, une corniche de marbre
forme un anneau d'un profil assez accentué. De hautes feuilles
RBVÊTEMENTS DE MARBRE ET PAVEMENTS 459

d'acanthedressées et dont ]e sonnnetse recourhe en saiHie, desrin-


ceauxde vigne, des rangsd'ovesou de pertes décorentces corniches
où, de p]ace en place, se détachent en re!ief des cabochons curieu-
sement ajourés. Maisi) arrive pat'fois quesurces cornichesi'ornement
sculpté s'efîace presque entièrement. A Saint-Luc, à Daphni, à
Saint-Marc de Venise, certaines d'entre eHes montrent un décor
de feuiltes d'acanthe et
d'arabesques se détachant
en blanc, sans relief, sur un
fond noir. Autour des orne-
ments, le marbre a été lé-
gèrement évidé, et les creux
ont été remplis avec de la
cire durcie au moven de
marbre pilé ^ : procédé fa-
milier aux décorateurs
Fi 2)6. — Ctiapiteau à Atik Mustapha- arabes, et qu'on a juste-
pacha-djami à ConstauHnopic (d'après ment nommé « une sculp-
Putgher). turechamplevée. p
Ht ceci déjà indique la
place prépondérante quela polychromietientdans la décoration.
Dans les églises des Macédoniens et des Comnènes, les revête-
ments de marbre, comme dansles églises du vi^siècle, couvrent les
murailles avec une fastueuse prodigalité. Saint-Luc a conservé
intacte cette décoration, où les marbres gris, rouges eLnoirs; se
combinent en un élégant et harmonieux arrangement -. Aucune note
trop éclatante ne romptlagammedestons discrets etsobres; aucun
contraste trop A'ifne choque ITeil dans le rapprochement des cou-
leurs. Tout est régulier, bien disposé, et pourtant sans monotonie.
Le décor des arcades, aux claveaux alternés de rouge et de noir,
rornpt agréablement l'uniformité des lignes; la dispositlon plus
riche etmoins régulière des marbresde l'abside tranche heureuse-
ment sur le reste de la décoration. D'autres égiises du xi^ et du xu"
siècle, Saint-Marc de Venise, l'église du Pantocrato'r et Kalen-

1. ^tittet, Fe monastére de Dap/tut, Paris, 1899; Bégule, Les t'ncrustattons


de'corattues, Lyon,1905.
2. Dieht, L'ëyitse et tes mo.sai'qaesdu cOHrent de Sat'ut-LHC, Paris, 1889 ;
Schuttz etBarnstey, F/te monastery o/' &ttut Luàe 0^Sitrt's ttt P/toifts, Londres,
1901.
460 LES MOXL'MEXTS DE L AHCtHTECTURE REHGIEUSE

der-haaé'à Constantinop]e,conservent égalementde beauxrevête-


mentsdemarbre; NeaMoni, Daphni étaient semblablementdécorés,
et )es textes reiatifsàla NouveHe-Kgbse, 1a description que Clavijo
fait de ia Peribteptos, montrent que c'était ie procédé habituel de
i'époque. A Daphni, on retrouve en outre dans i'abside un exempfe
intéressant d'un autre système de décoration. Ce sont des incrusta-
tions de marbre, formées de petits triang-jesou de petits carrés de
diverses couieurs, ctisposés en damiers^ en losanges, en étoiies ou en
croix. Le même procédé se retrouve dans fes incrustations de flta-
]ie du sud et de ia Siciie, au commencenaent du xn" siècie.
Enfin le soi est couvert de pavements faits de daiies de marbre
muiticoiores qu'encadrent des bandes-de mosaïque. Saint Luc
en conserve un exempieintéressant, bienqu'assezsimpie, dont ia
disposition rappeiie ies appiiques des muraiiies. Aiiieurs, on trouve
des décors pius compiiqués et plus riches, montrant des entreiacs
en incrustations (iviron), des motifs g-éométriquesoudes figures
d'animaux (Pantocrator), parfois même, comme au Pantocrator,
dessujets mythoiogiques(travauxd'Hercuie). Lestextesreiatifs à
ia Nouveiie-Ëgiise attestent ici encore que ia pratique des pave-
ments de marbreétaitgénéraie dànsies éditices de ce temps, et ies
témoignages reiatifs au Génourgion prouvent que i'architecture
civileiesempioyait aussibien que i'architecture rciigieuse.L'Orient
a gardé malheureusement bien peu de restes de cegenre de décora-
tion; mais onen trouveen Itaiiequeiquesbeauxexempiaires, ins-
pirés par i'art byzantin, et où le décor animai se mêie aux com-
binaisons géométriques (mosaïque de i'ancienne égiise du Mont-
Cassin, tin du xi° siècie-, pavements de Santa-Maria-dei-Patir en
Caiabre,de i'abbaye de Tremitiet de Saint-Marc de Venise, tous
trois du commencement du xn" ^).

ESSAI DE CLASSEMEKT CHRONOLOGIQUE

H serait peu. utiie de décrire ionguement ies égiises assez


nombreuses qui subsistent de i'époque des Macédoniens et des

1. H sembe en effet pi-obable que te revétement de marbre de cette égtise


date de l'époque des Comnènes.
2. Cf. Bertaux, L'art dans i'ffatt'e mèrt'dt'onaie, p. 174-117 ;Frothingham,
Aofesort h^zantt'ite arf attd cuMiire tn ftaty (American Journatofarctiaeo-
togy- X, 1895).
3. Bertaux, ioc. et't., p. 483, 488.
ÉGUSES DU :x° ET X" SIÈCLE 461

Comiiènes. Mais il importe du moins d'essayer de les classer chro-


nologiquement, en insistant avèc quelque détail sur ceux de
ces édihces dont la date, exactement connue, fournit des points de
repère etdecomparaison instructifs.
du /X'' et X'* ^t'éc/e. — On a décrit précédemmentl'église
de Skripou, datée de 874, et marqué les caractères qui en font une
sorte de transition entre l'at.cien plan basilical et 1e type nouveau
de l'église à croix grecque. On en pept rapprochet', parce qu'elle
olfre 1e même aspect de lourdeur un peu massive, 1a métropole
d'Eregli (Héraclée), bâtie en briques, et qui, en particulierpar 1a
forme surbaissée de sa coupole, ne saurait être postérieure au
ix" siècle et 1a mosquéed'Atik-Mustapha-pacha à Constantinople,
où 1e plan cruciforme est de même réalisé de façon assez lourde
encore. Avec 1a Gül-Djami, à laquelle Ie monument cité en der-
nier lieu est fort apparenté, il y a là tout un groupe d'édiBces de
transition, où se prépare, durant 1a seconde moitié du ix° siècle, 1e
type nouveau qui caractérisera 1e second âge d'or L
II ne nous est resté malheureusement aucune église qui soit
documentairement datée du siècle, et l'on a vu les raisons qui,
à mon sens, empêchentd'attribuer à cette époque 1a Ixilissé-djami.
Deuxconstructions plutôt, à raisondes ressemblances qu'elles otfrent
avec 1a Kazandjilar-djami, pourraient être attribuées à 1a tln du
x^ ou au commencement du xi" siècle. L'une est 1a Boudroum-
djami à Constantinople ^ (tig. 208), renforcée à l'extérieur, comme
Kazandjilar, de demi-colonnes en briques, dessinant/ comine
elle, nettement au dehors les lignes de sa structure, e) comme elle
couronnée d'une coupole à tambour octogonal assez trapu. Peu
d'ornementation à l'extérieur seuls, des cordons en dents de scie
courent sous 1a toiture et suivent Ia courbe des arcades. A l'intérieur,

1. Katinka et Strzygowski, Dt'e Catàedrate ron tteraAtea (Jahreshefte d.


osterr. archaeot. tnstituts, I, 1898, Beibtatt).
2. On a signaté réceniment, à Trigiia en Bithynie, une égiise de Saint-
Étienne, que i'on date des environs de i an 800, et où i'on voit un des ptus
anciens exemptes du pian en croix grecque (Hasiuck, /tt'fàyni'ca, dans The
Annuai ofthe British Schooi at Athens, XtH, 1906-07). Gette date semble très
douteuse, i'identiticationdu patriceNicétas, suriaqueiieelie se fonde, demeu-
rant fort sujette à caution; e't la ressembiance du plan avec ia Kiiissé-djami
indiquerait plutôtune époque pius rëcente. Sans doutc i'existencc d'un atrium
est un trait archaïque, et ie styie des chapiteaux du portique sembie assez
ancien. Mais sont-iis contemporains de i'édifice? Geux de i'intérieur sont d'une
tout autre facture.
3. Pulgher, Guriitt, Ebersoit, toc. cif.
462 LES MONUMEKTS DE [, ARCHITECTURE RELIGIEUSE

quatre 'piliers portent une coupoie à nervures ; ies berceaux des


grands arcs sont voûtés en arête. L'aspect d'ensembie est éiégant,
un peu iourd, maigré ia hauteur des voùtes. Pourtant un etTort
visibieapparait pourproduire piusde iégèreté etde grâce; mais, pas
ptus qu'à Kazandjiiar, d'aiiieurs inférieure comme exécution, cette
recherche n'a donné ies résuitats qu'on observe à Kiiissé-Djami.
Du même groupe je rapprocherais voiontiers la Tchanii-Kiissé\
près de Tcheitek en Gappadoce : bâtie en pierre, eiie présente,
dans ies arcades aveugles qui encadrent ies ouvertures des façades
et ies étroites fenêtres du tambour, des combinaisons de briques et
de mortier; ie tambour deiacoupoie, assezhaut, est cependant
iourd ; i'ensembie a queique chose de massif. A i'intérieur, quatre
piiiers portent les arcs outrepassés qui soutiennent ia coupole.
Kazandjiiar, daté de )Û28, étant ie point fixe, Boudroum-Djami
sembie un peu antérieur, Tchanii-Kiissé un peu postérieur.
Ae yroupe cfe i'A/Aos — Les égiises de i'Athos, Lavra, iviron,
Vatopédi, qui rèmontent à ia fin du x° ou au commencement du
xi° siècie, forment, avec ieurs absides demi-circuiaires terminant
ies bras iatéraux de la croix, un groupe à parL Parmi eiies, ie
cathoiicon de Lavra mérite une attention particuiière. ii se dis-
tingue, en effet, de toutes ies autres égiises de l'Athos par ses pro-
portions ramassées, ses voûtes iarges et iourdes étroitement iiées
à ia coupoie, qui est ia pius vaste de toutes ceile.s de ia Sainte-
Montagne. ii est surtout remarquabie par ia ressemblance qu'il
oiîre encore avec ie type ancien de ia basiiique à coupoie : ii en a
ies tribùnes aù-dessus du narthex, ies deux aiies débordant 1a nef;
sur sa façade extérieure, une série d'arcades reproduit 1a division
en trois nefs de i'intérieur. i) nè*s'en écarte que par ies hémicycies
appiiqués sur les bas-côtés nord et sud. Tei qu'ii est, ii sembie ie
dernier anneau de iachaîne quireiieiabasiiiqueàcoupoieài'égiise
à croix grecque, et parià ii mérite une piace dans i'histoire de i'ar-
chitecture byzantine. Le cathoiicon de Lavra, terminé vers 1004,
servit de modèie aux égiises d'Iviron et de Vatopédi. On rattache
parfois au même groupe, en ia datant du xi° siècle, i'égiise d'Eski-
Séraï à Saionique, avec son sanctuaire triconque, ses formes un peu
empâtées, son haut tambour poiygonai décoré d'étroites arcades

1. Strzygowski, 7r/et:tas:'e;t, 156; Ramsay-Bett, toc. cit-, 401 sqq.


2. Bi-ockhaus, Die i:t dea Ai/:os-.Ktôster;t : Mittet, Rec/terc/tes a:: Afou/-
M//tos (BCH, XXtX, 1905); Kondakof, #ou:::;te:t/sc/e/ ar/c/tre'/t'eRà /'yt/Ztos,
Pétersbourg, 1902 (russe).
LH GROUPE DES ÉGLISES A TROMPES D ANGLE 463

cfvougtes et souteuu par quatre contreforts ptacés aux angtes du


carré : mais te narthex formé d'une grande satte rectangulaire et ies
dessins de briques qui décorent ie parementdes absides sembient
piutôtindiquer ie xuH ou ie xiv^ siècie.
Le y?*oupe cfex èy/t'sey à fromjoe^ cf'anyfe L — Du xt° siècie
datent avec précision toute une série d'églises à trompes d'angle,
Saint-Luc (commencement xi" siècle), église de Ghristianou fhn
x^, commencement xi" siècle), ta Panagia Lycodimou d'Athènes
(antérieure à 1044), Nea Monide Chios (milieu du xi sièclef, Daphni
(Rn du xH siècle). On a dit déjà ies traits caractéristiques de cette
série : ia coupole assez large de diamètre, portée sur un tambour
à seize pans, que renforcent encore à Daphni seize contreforts
demi-circuiaires, et otîrant en conséquence un aspect déprimé et
trapu ; le progrès que marque faNeaMoni par lamultiptication des
coupoleset i'arrangementplus savantdes combinaisonsd'équilibre;
la décoration assez riche (sauf à Daphni) des façades extérieures.
On suit bien, dans ce groupe à part, i'évolution et ies progrès de
ia construction byzantine au xi" siècle.
Le xfèc/e. — A côté de lagrandeégiisedeSaint-Luc,lapetite
égiise de ia Theotokos, par l'élégance de ses proportions, parsa sveite
coupole au tambour octogone, que soutiennent quatre minces
colonnes de granit, par l'ingénieuse fantaisie de sa décoration exté-
rieure, par ie souple profil de ses toitures dessinant ies lignes de 1a
construction, réalise excellemment 1e type classique de l'église à
pendentifs (Rg. 210). II semble bien qu'elle soit postèrieüre à sa
massive voisine : on 1a mettrait volontiers à une date un peu anté-
rieure à 1a Kilissé-Djami de Gonstantinople : toules deux sont pour
1a deuxième moitié du xi^siècle de bons exemplaires du type classique
de l'église à croix grecque L
L'époyne cfes Gomnènes. — Avec 1a fin du xH siècle, s'ouvre
l'époque des Comnènes. II y faut mettre à part tout d'abord deux
édifices, l'église de 1a Panachrantos (Fenari-Issa-Mesdjid), formée
de deux édifices accolés, dont l'un, celui du sud, semble dater de !a
fin du xF siècle, et l'église de Chora (Kahrié-Djami), reconstruite
1. Couchaud, Choiæ d'eyMses in/xauftnes e<t Gréce, Paris, 1842 (Saint-Nico-
dème, pt. 11-13); Dieh), L'èfyit'se et ies mosaiqrttee dueottretti Je Satttl-Z.tte,
Paris, 1889 ; Schuttz et Barnstey, 7/te tnottastery o/ Satttt-LttAe o/' ^ttrt's t'tt
P/toitt's, Londres, 1901 ; StrzygoXvski, Aea iMottt' att/' Càt'o.s (BZ., V, 1896);
Schmidt, 'H Nla Movti Xt'o'J ; Mittei, Le mottastère de Dap/tttt, Paris, 1899.
2. Dieh), Schu)tz et Hamstey, )oc. ct'C, Sa)zenberg, Putgher, Gur)itt, Lberso)t
et Thiers, )oc. ctL
464 LES MQNUMEKTS DE i. ARCHtTECTURE REHGtEUSE

au commeucement, du xu" siècle par ia beiie-mère d'Aiexis Comnène ^


(6g. 359). Quatre robustes piiiers en soutiennentiacoupoie, et i'espace
carré qu'iis entourent se rattache presque directement à l'abside ; sur
ies trois autrescôtésdu carrés'éièventdesnefsiatéraies,piusbasses,
voûtées en berceau. Dans ce pian caractéristique. Wuiiî retrouve
justement ie souvenir des basiliques à coupoie et ia tradition de

Fig'. 217. — Constantinopie. Zeirek-djami (église du Pantocrator). Phot.


Ebersott.

Sainte-Sophie de Saionique ou (ie'i'égiise-de ia Dormition à Nicée ^ :


preuve remarquabie de ia variété des recherches auxquciies se
compiaisaienties architectes byxantins de ce temps.
Le Pan/ocra/or. — La tripie égiise du Pantocrator (Zeirek-
Djami) construite vers 1124 par Irène, femme de i'empereur Jean
Comnène, est ie représentant caractéristique du pian à croix grecque
au xu" siècle ^ (Hg. 2t7). Les deux édifices qui, au nord et au sud,
enserrent ia chapeiie où était enterrè i'empereurManuei Comnène,

1. Putghcr, /oc. cù. ; Schmidt, /taArië-dJ.'unt (ItH-, XI), Soha, 1906.


2. Wutiï, loc. cù., 137-138; Schmidt, /oc. ct'/., p. 112 suiv.
3. Satzcnberg, Guriitt, Ebersoit et Thiers, /oc. ct/.
Î.E rANTOCRATOR 465

olTrent ta même disposition : une coupoie centraie, de diamètre


assez considérabte, posée sur quatre grands arcs que portent
quatre cotonnes'. Danst'égtise du nord, quatre catottes hémi-
sphériques couvrent ies angtes du carré; ta même disposition se
répète dans t'égiise du sud, où une haute coupoie couronne en
outreia travée centraiedu narthex; deuxcoupoies enfin, ia seconde
eiiiptique, surmontent ia chapeiie funéraire de Manuei Comnène.
Ces diverses coupoies sont portées sur des tambours poiygonaux
(seize pans pour ia grande coupoie dei'égiise sudjde hauteur variabie,
mais en générai assez élancés, s'achevant par des iignes droites
sur iesqueiies posept ies toitures de ia coupoie; dans ies pans
s'ouvrent de grandes fenètres, séparées par des coionnettes appii-
quées aux arêtes du tambour. Ghaque égiise s'achève par trois
absides saiiiantes ; les absides principaies sont à sept pans. A i'é-
glise du sudetà ia chapeiie,ces absidessont décoréesdedeuxétages
de niches creuses étroites et iongues, sembiabies à celies qui ornent
les absides de Güi-Djami. A l'égiise du nord, i'abside centraie
s'ouvre par une éiégante fenêtre triiobëe. Les iignes extérieures
de ia construction, très accusées, se marquent par des frontons
courbes correspondant aux voûtes des berceaux. L'intérieur, très
dégagé, grâce aux coionnes qui soutiennent ies grands arcs, gràce
à ia sveitesse des hautes arcades qui reiient ces coionnes aux murs
iatéraux, grâce à i'éiévation de ia coupoie, est d'un fort heu-
reux effet. Des hémicycles ménagés aux côtés de ia grande abside
donnent à ceiie-ci une forrne des pius élégantes. Jadis, une riche
décoration de marbre, dont ii reste queiques parties, revêtait ies ^
muraiiies; un beau pavement, où ies marbres eties porphyres
se mêient aux torsades de mosaïques, recouvre encore partieiie-
ment ie soi ; on y voit aussi des hgures représentant ies expioits
d'LIercule. Maigré ia magnifiçence de cette parure, i'édifice lui-
même est entièrement bâti en briques : mais ainsi qu'on i'a déjà
remarqué, i'indigence même de cet aspect iaisse supposer qu'au-
trefois un revêtement de marbre couvrait ies muraiiies extérieures
de i'égiise.
L'égiise de ia Kosmosoteira à Feredjik en Thrace, bâtie en 1)52

1. Dans t'église du nord, ces cotonnes sont remptacées aujourd'hui par


des pitiers ; mais Gyttius, qui tes vit encore en place au xvt* siècte, dit qu'ettes
étaient en marbre thébaïque. Dans t'égüse du sud, ies colonnes en granit rouge,
qui existaient au xvt' siècte, ont été reniptacées par des colonnes en marbre
btanc.
dtanuet d'ytri h.i/:a7îù<t. 30
466 [)ES MONUMEXTS DE L ARC[HTECTURE RELIGIEUSE

par le sébastocrator Isaac Comnène, ofîre un autre exemple d'un


plandésormais devenu classique. Autourdela coupolecentrale, por-
tée sur un tambourà douze pans assez peu élevé, quatre petiles cou-
poles se groupent symétriquement aux angles du carré. Des fron-
tons courbes dessinent à Fextérieur i'extrémité des branches de la
croix. Trois absides polygonales terminent l'édifice: celledumilieu
est ouverte par une fenètre trilobée. Ai'intérieur, Iacoupole s'appuie
à l'est surdeux massifs piliers, ài'ouestsurdëuxpairesdecolonnes
accouplées. Le monument, datéavecprécision, représentebienl'art
courant de l'époque des Comnènes L
L'église du Pantepote (Eski-Imaret-djami) date pareillement de
ia première moitié duxiPsiècIe EHe rappelle par 1e plan Boudrouni-
Djami et IÂilissé-djami, et mieux encore l'église septentriouale de
1a Panachrantos. Son abside à cinq pans est décorée de niches
creuses; 1e faite de ses toitures accuse fortement à l'extérieur les
lignes de 1a structure ; sa coupole sur tambour à douxe pans est
Iarg'ement percée defenêtres. A l'mtérieur, quatre piliers soutiennent
une coupole à côtes plates. Ce qui est digne de remarque c'estque,
comme dans d'autres églises de l'ëpoque des Comnènes (Pantocrator,
Kosmosoteira, Kahrié, etc.), c'est par des lignes courbes que semble
avoir été dessiné sur les façades latérales l'amortissement des ber-
ceaùx de 1a croix. C'est ce trait qui se marque, plus caractérisé.
encore, dans l'église de Saint-Pantéléimon à Salonique (fig.'206),
que je daterais volontiers du milieu du xiP siècle L
En Grèce, Ies jolies petites églises de Kaisariani, prèsd'Athènes
(fin x" siècle), et de Saint-Théodore à Athènes (1049) (6g. 220),
celles de Haghia Moni près d.e Naùplie (6g. 218) (construite en
1149 par l'évêqu&Léon d'Argos) et deMerbaca (6g. 219), qui
date du même temps, 1a Kapnikarea d'Athènes et l'église de
Samari qui sont également du xn" siècle, montrent 1e même
plan, niais simplihé, avec une coupole unique L La décoration
1. Ouspenski, L'Octateaque de t.i Bi'àttot/tèçue ùtt Se'rat't (IIR, XII), Sotla,
1907.
2. Putgher, Gurtitt, Ebersott, toc. ct't.
3. On peut dater de ta même époque sans doute un certain nombre d'églises
anatoiienùes à docor de niches creuses : Firsandyn (Strzygowski, Æietna.stett,
156), Aia-Kiissé (Hamsay-Bell, toc. ctt.,399 sqq.), SHieh (Bei), dans RA,
1907, 1) et peut-étre Iiauli-Klissé (Ramsay-Beii, 118 sqq).
4. Couchaud, toc. ct't. (Saint-Théodore, pi. VIH-X); Michel et Struck, Dt'e
nttttel-hyzant. Xtrc/ten Atttens(Athenische Mitteiiungen, 1906) ; Lampakis, toc.
ct't. ; Sruck, Vtèr hyz. Ktrc/ten der Aryotts (Ath. Mitt., 1909) ; Arnott Hamil-
ton, Ttte clturctt o/' Xat'sart',tnt. Aberdeen, 1916, et surtout Miiiet. L'ècote
yrecqne dans t'arc/tttecture hysantt'ne.
LES ÉGLtSES DE GRÈCE 467

extérieure, on l'a vu, en est souvent fort pittoresque : à !a difTé-


rence des égiises de !a capitate, ia brique, se conibinant parfois
même avec ia faïence.yjoue toujoursierôie essentie). Maissurtout,
tandisque Gonstantinople s'inspire surtout de !a tradition heiiénis-

Fig. 21S. — Nauplie. Ëgiise de Hagliia Moni (Coii. Hautes Études, B. 287).

tique, beaucoup de ces égiises de Grèce, par ies pians, ies formes,
ia technique, paraissent serattacherà i'Orient; ii a même sembié
qu'en face de i'écoie de ia capitaie, on pût distinguer une écoie
grecque dans i'architecture byzantine, qui, sans copier ies égiises
d'Arménie, en rappeiie cependant parfois ies sévères façades, ies
iignes fermes, ies berceaux de pierre, les trompes d'angie et ies
coupoies octogonaies. Ces caractères apparaissent-iis assez con-
stamment dans ies égiises de Grèce pour qu'on ait droit de conciure
468 LES MONUMEKTS DE L'ARCHtTECTURE REHGtEUSE

à i'existence d'une écote? Je ne sais trop. En tout cas, il n'est


point sans intérêt de noter ici, à côté de i'influence de Constanti-
nopie, une action réeiie — mais qu'ii ne faut point exagérer —
des traditions orientaies.
Voyue c/u ja/au à c/'ot'æ yrec^ue. — Quoi c^u'ii en soit, d'un bout
à i'autre du monde byzantin, ie type de i'égdise à croix grecque

Fiy. 2t9. — Mglise de Merbaca (Cotl. Hautes Etudes, B. 291).

est devenu, au xi" et xn" siècie, ie type ciassique. On ie rencontre


en Cappadoce, dans ies égiises rupestres de Soghanii et tie Gueu-
rémé ', qui semblent dater du xP siècie, et en Caiabre, dans ies
égiises de San Marco de Rossano (xiP siècie), et de ia Cattoiica de
Stiio ^ (xnP siècie) ; on ie trouve dans ies égiises, assez insul'tisam-
ment connues encore, de i'iie de Chypre ^ (égiises à cinq coupoies
disposées en croix : Peristerona près Nicosie et Iliéroskypos près
Paphos; égiises à coupoies aiignées sur une nef aiiongée : Saint-
Barnabé près Saiamine et Sainte-Croix) comme dans ceiies de
Macédoine (Nérès, 1164). Partout i) offre ies mêmes traits : sur ie
thème de ia coupoie, qui demeure caractéristique, ies architectes

1. Rott, toc. ct't., 125, 208; Jerphanion (11A, 1908, It, 21).
2. Bertaux, toc. ct't., 119-121.
3. Kntart, Jfanuet d'arc/téotoyt'e, t, 210.
VOGUE DU t'LAX A CROIX GRECQUE 469

byzantins brodent d'innombrabtes variations; tout en régiant ieurs


constructionssurlesgrandes conceptions duvi^ siècle, iiss'efi'orcent
d'y introduire pius de légèreté, de pittoresque, d'élégance. K Ce
même rêve, dit M. Bayet, se retrouve sans cesse aux diverses
époquës de l'histoire de l'art. Quand l'architecture ionique eut pro-
duit ses œuvres les plus exquises, Pythios et ses disciples voulurent

Fig. 220. — Athènes. Égiise de Saint-Théodore.

1a doter deformes plus élancées etd'une parure plus riche encore.


Quand nos maitres d'œuvre du xnp siècle eurent éievé ces églises
où l'élégance s'ùnit si bien à 1a solidité, leurs successeurs du
xtv" siècle, sansdélaisserle système ogival, essayèrent d'innoverà
ieur tour en donnant aux édifices une aliure plus svelte et une
ornementation plus compliquée C B

VI
LES ÉGLISES D'.VRMÉXIE ET DE GÉORGIE

II existe en Orient tout un groupe d'édiflces, qu'on a longtemps


apparentés aux églises byzantines de notre période, mais auxquels
1. Bayet, Arthi/:an(in, 131.
470 LES MOXUMEXTS OE LARCHtTECTURE REHGtEUSE

on a voutu, en ces dernières années, attribuer un rôie considérabie


dans ia formation de i'archttecture relig'ieuse du second âge d'or.
Ce sont ies égiises d'Arménie et de Géorgie. Elies oiïrent cet avan-
tage d'être assez exactement datées en générai, et ia question qui
se pose à ieur sujet ies rend digmes d'une particuiière attention.

— li faut mention-
ner dabord, pour
son caractère excep-
tionnei, un curieux
édifice : c'est, sur ia
côte de ia mer Noire,
i'égiise de Pitzounda
(iig. 221). On i'a
iongtemps attribuée
à i'époque de Justi-
nien : en fait eiie
date du x° ou même
Fig. 221. — Hgiise de Pitzounda (d'après Kondakof, du ^i^ siècie. Eiie a
Bouss/ft'ta Drettttostt).
ia coupoie à pen-
dentifs, portée sur
un haut tambour percé de fenêtres, ies trois absides saiiiantes, ia
forme de ia croix dessinée à i'extérieur par ies toitures des qua'tre
berceaux, ies murs construits en briques et moeiions aiternés, bref
tout ce qui caractérise ies égiises àcroix grecquedece temps. C'est
une œuvre purement byzantine, d'un art visibiement importé.
D'autres éciifices au contraire, surtout dans i'intérieur du pays
arménien, sont d'un styie pius originai. Teiies sont, parmi ies pius
anciennes,i'égiise d'Üsuniar (bâtie en 735), donf ie pian rappeiie ia
basiiique à coupoie et ceiie de Scliirakavan (fin ix" siècie), avec sa
iarge nef unique couronnéed une coupoie (ÆuppefAaffei. Teiieest,
dans une iie du iac de Van, l'égiise d'Akthamar (entre 9)5 et 921),
construction à pian centrai dont ia coupole repose sur huit niches
demi-circuiaires et dont ia disposition rappeiie i'ort ceiie de
Sainte-Ripsimé (fig. 222). Puis c'est, à i'époque des Uagratides,

t. Grirmn, Æoaanteat.s tfarc/titeetare by:atttt'tte ett Gëoryte et ett ytrtrte'ttte,


Pétersbourg',1860; Koudakofet Totstoï, ftoH.ss/u'taDreottostt', IV, Pétersbourg,
1891 ; Lynch, Artttettta, Londres, 1901, et surtout Strzygowski, Dt'e Batt/ctttts/
der Artttettt'er. Voir aussi Baebmann, /ft're/tett uttt/ d/oseàeett t'tt Artttetttett,
Leipzig, 1913, et Hivoira, Are/tt'/eDttra mttxtt/ntatta, Miian, 1914, p. 189-229.
t.'ARMHKtB. — LES MOKUMKKTS 471

àtlx alentoors de l'an 1000, utie admirabte Horaison de monu-


ments : Marmaschen (entre 988 et 1029), nef unique à coupote
(tig. 223). Koskawank (éghse de Saint-Jean, entre t020 et 1040),
et Daratchitchag (église deSaint-Grégoire, 1033), etHagbat(comm'
du xt^ siècte), qui présentent ie mêmc pian. La disposition en
quatre-feuitiesse rencontre à
i'égdisedeSionàAténi (xt"-x^
siècie), à Sanahin (xt" siècie),
aux Saints Apôtres de Kars
(l^ moitié x" siècie), et ins-
crite dans un cercie (t Saint-
Serge de Chtskong (vers
t022) ét à Bana (comm' x"
siècie), qui rappeiie ie pian
de Xouarthnotz. On citera
encore ia cathédraie d'Ar-
gina (fin x" siècie), et en
Géorgie, ia grande cathé-
draie de Koutaïs, bâtie vers
t003, maiheureusement rui-
née par les Turcs en 1691,
i'égiise de Xikortzminda
(miiieu xi" siècie), ia iteiic
égiise de Mokvi(tin x^siècie),
i'égiise du couventde Gheiat
(entre 1089 el 1125), et ies Fig .222.— Égtise ti'Akthamar ;tac de Van)r
égiises de i'époque du roi d'après Lynch,
David () 088-1)25) et de ia
reine Thamar [184-1212). Mais ii t'aut particulièrement men-
tionner ies éditices de i'ancienne capitaie arménienne, Ani. Sur ie
plateau, aujourd'imi désert et couvert de ruines, que i'Arpa-tchaï
enveioppe de son profond ravin, piusieurs monumenls i'ort inté-
ressants suhsistent.C'est ia cathédraie, chef-d'œuvre de i'architecte
Tiridate, commencée en 989, achevée en t00), et dont ie pian en
forme de croix rappeiie Mren et Sainte-Gaianè de Wagharchapat
(tig. 224 et 225) ; c'est i'église de Saint-Grégoire, hâtie en tOOl par ie
roi Gagik, et dont ie quatre-feuiiies inscrit dans une enceinte circu-
iaire répète ie heau modèie créé à Zouarthnotz; c'est i'égiise des
Saints-Apôtres (linx°siècie), qui ressembie fortà Sainte-Ripsimé
de Wagharchapat : c'est ia chapeiie dodécagone de Saint-Grégoire,
472 I.ES MONUMEXTS DE L'ARCHITECTUIIE HELIGIEUSE

bâtie vers ie miiieu du x" siècie par Abougamrentz, (fig. 226) et ia


chapeiie circuiaire du Rédempteur qui date de 1035, et c'est, de
date un peu postérieure ()2i5), i'égiise de Saint-Grëgoire, édiiiée

Fig. 223. —Marmaschen. Hgiise(d'aprèsSt.rzygowski).

par Tigrane Honentx, et qui présenie ut)e nef unique couronnée


d'une coupo(e. Bien d'autres monuments encore, datant du xn" et
du xm" siècte (par exempie i imposante égiise d'Amag'hou) se ren-
contrent en Arménie. Tout cela atteste un merveiiicnx essor, entre
ie ix" et ie xu" siècie, de i'architecture arménienne et forme, par ia
variété des pians, par ies formes, par ia technique, un ensemhie
tout à fait digne d'attention.
LESÉGHSESD'ARMÉME 473

Cai'actéres cfe rarcAifecfurc arménteane. — Une chose y frappe


d'abord : c'est la remarquabte persistance de certaines traditions,
par où ces ëdihces se rattachent aux monuments qu'entre 1e iv° et
Ie vi^ siècle l'art chrétien, sous l'intluence orientale, bâtissait sur 1e
haut plateau arménien. Dans les plans, on trouve 1e souvenir de 1a
basiliqueàcou-
poleetde 1a
construction à
pian central;
1a cathédrale
de Koutaïs
rappelle celle
d e Dvin ;
l'églised'Aténi
est une ré-
plique de celle
deMzchet;Ia
cathédrale
d'Ani ressem-
ble à Sainte-
Gaianè; l'é-
glise de Bana
et celle de Saint-Grégoire que 1e roi Gagik bâtit à Ani reproduisent
exactement 1e beau modèle créé par l'architecte de Zouarthnotz au
vn" siècle ; 1e plan de Sainte-Bipsimé, si particulier à l'Arménie, et
dans Iequel, entre les quatre chapelles des angles, quatre absides
saillantes terminent en demi-cercle les branches de ia croix, se
retrouve à Akthamar, aux Saints-Apôtres d'Ani, en bien d'autres
éditices encore du ix" et du x" siècle. Et sans aucunement mécon-
naître l esprit d'ingëniosité créatrice que semblent avoir possédé
alors les architectes arméniens, sans nier l'aspect caractéristique
qu'offrent les édiHces de ce temps, peut-être cette imitation des
modèles anciens oblige-t-elle cependant à diminuer un peu Ia part
d'invention et d'originalité qu'on attribue aux maîtres et à l'art de
cette époque.
Des traitsremarquables toutefois apparaissent dans les formes.
La coupole a à l'extérieur un aspect très particulier. Le tambour
polygonal, assezhaut, est surmontéd'un toiten forme depyt'amide,
très élevé, qui dissimule 1a coupole, etse dresse, comine une véri-
tabletour, au centre de 1a construction. Les absides ne font point
474 LES MOXUMEHl'S DE L ARCmTECTUKE REHGIEUSE

saiHie sut* i'extérieur de ia façade, et sout simptement marquées


pardes fentes trianyutaires assez profondes, creusées dans i'épais-
seur du mur. A l'intérieur, on observe i'empioi de l'arc outrepassé,
ies piiiers à fnisceaux de piiastres ou à coionnes engagées (Rg. 225).
L'ornementation des murailies extérieures n'est pas moins caracté-
ristique. Des arcades
aveugtes, étroites et
hautes, ies décorent
(fig. 223, 224, 227) ;
des scuiptures orne-
mentaies, d'un style
riche et souvent un
peu chargé, ies cou-
vrent de ieurs entre-
iacs ; généraiement ia
croix, coiossaie, se
dessine à i'abside. Des
Hgures parfois se
mêient à i'ornement
(absides de Nikortx-
m in da, d' Er ta tch-
minda, iig. 228), en
particuiier danS' ia
Fig. 225. — Ani. Gathédrale:intérieur. beiie égiise d'Aktha-
, (d'après Strzygowski. niar, dont toutes ies
façades sont couvertes
d'un magniiique décor, primitivement peut-être peint et doré, de
iigures d'animaux, descènessacrées, de personnages profanes, parmi
iesqueis on remarque i'image du fondateur '. Enfin, dans ia
technique, on constate i'empioi exclusif de ia pierre de taiiie ; ies
hauts toits coniques eux-mêmes sontcouvertsde tuiies en pierre. Et
ainsi ces égiises de Géorgie et d'Arménie présentent un aspect très
particuiier, qui rappeiie bien moins ies types byzantins que ies
édifices romans d'Occident.
Assurément, à côté de ces traits originaux, d'autres traits pure-
ment byzantins apparaissent. Nombre d'çgiises sont construites sur
ie pian à croix grecque ciassique (Pitzounda, Lecbné, Ghéiat, etc.).
Mais, au totai, ce qui frappe surtout dans i'architecture de ces

1. Strzygowski, toc. cit., 289 et suiv.


LESÉGLISESD'ARMÉXIE 475

régîons, c'est 1e métange d'éléments divers, qu'expiiquent fort bien


)a position géographique et ia condition poiitique du pays. Le

Fig. 226. — Ani. Egiise de Saint Grégoire (d'après Strzygowski).

voisinage de ia Perse arabe y a introduit la décoration géométrique ;


ia prépondérance poiitique de Byzance y a fait pénétrer ies formes
de son art. On ne saurait oubtier )a réactioti que )'éco)e byzantine
476 HS MONUMENTS UE L ARCmTECTURE REHGIEUSE

eut sur l'Asie à partir de ia iin du x" siècie, et ie fait que, seion
i'expression de Strxygowski, l'Arménie fut, de t004 à 1064, « une
marche byzantine du côté de i'Est. B Ces importations se sont
combinées avec de vieilies traditions indig-ènes soigneusement con-
servées. Ainsi est né un art original, qui, entre le'x" et le xit^ siècie,
s'est manifesté en de nombreuses constructions et qui, par ses
iarges masses, ses lignes
sévères, ses intérieurs ob-
scurs, s'étoigne de plus en
ptus des formuies byzan-
tines.
Rysaiice —
Ici se pose ia question essen-
tielle. Cet art arménien, te)
qu'il nous apparait, est-i)
tributaire de Byzance, ou
bien au contraire a-t-il
fourni quelques-unes de ses
méthodes à i'art byzantin ?
I) y a quelques années
encore, personne ne doutait
de )'intluence exercée par
Byzance sur )'Arméniè.
Strzvgowski a cbangé tout
ce)a. Pour )ui, I'avènement
d'une dynastie arménienne,
Fig. 227. — Ani. Égtise de Saint-Gi'égoire
(d'après Lynch, Armeiu'a). dans )a personne de Basi)e
I, sur )e trône de Constan-
tinople, aurait eu pour l'histoire de l'art des conséquences particu-
)ières, et )e grand monunient du nouveau règne, )a Nea, procéde-
rait directement de l'art arménien.Elle serait en conséquence « )a
création qui ouvrit des voies nouvetles sur )e sol de Constantinople
" (Jie Aa/ni/nec/ienf/e NcAô/j/'unq aii/' i/cw Boi/en i.'on CoiM/an/Z-
no/ie/) ', et )e p)an de l'église en croix grecque serait, par el)e, origi-
naire d'Arménie
)) y a assurément dans ces théories beaucoup de choses ingé-

1. St,r?,ygowski,Kiet'n,tsien, 193. Cf. Der Dom Aae/teit, 40, etDie Daii/mnst


dei' Aritteitier.
2. Cf. tes remarques très justes de l\ti)tet, L'ècoie yrecqne, p. 73-75.
BYZANCE ET L ARMEME 477

niëuses et séduisantes. II est incontestabie qu'au tx^ et au x" giède,


B\zance était pleine d'Arméniens Une muititude d'aventuriei's
de ce pays venaient chercher fortune dans !a capitate ; beaucoup
d'entre eux y parvenaient aux grands emp!ois de t'administration,
de l'armée, aux g-randes charges de la cour. Des Arméniens occu-
paient !e trône impéria! même, Romain !.écapène, Nicéphore
Phokas, Jean Tzimiscès.
Entre !'Arménie et !a ca-
pita!e, c'était un incessant
va-et-vient de généraux
et de diplomates ; sans
cesse !es petits souve-
rains d'Arménie étaient
en visite au Pa!ais-Sacré,
soüicitant des aüiances,
des titres, des pensions.
Race active et inteüi-
gente, avide et pauvre,
t'Arménien se répandait
à travers tout !e monde
orienta!. ^ On trouve, au
xt^ et au xn° siècte, des
peintres arméniens en
Egypte, et d'autres à
Jérusaiem. A Constanti- Fig'. 228. —Ertatchminda. Abside (d'aprcs
nopte, on rencontre des Ixondakof, Jtoass/ft'ta Drerttostt'.)
jurisconsuites arméniens,
et même — ce qui importe davantage — des architectes. A 1a fin
du x" sièc!e, quand !e trenibtement de terre de 989 ruina !a cou-
po!e de Sainte-Sophie, des architectes arméniens travaiüèrent à !a
restauration. Parmi eux était un certain Tiridate, qui est précisé-
ment i'architecte de !a cathédrate d'Argina, de !'ég!ise de Hagbat et
de !a beüe cathédra!e d'Ani A
I! est incontestab!e, d'autre part, que certaines égiises byzantines
présentent des p!ans qui rappeüenties édifices arméniens. On cite
en particulieries sanctuaires triconques que l'on trouve, à !a tin du
x° siècle, dans !es pius anciennes égüses de l'Athos, et dont !'une,

1. Cf. Strzygowskt, Dte der Armeaier, p. 732 et suiv.


2. 7àtd., p. 729 ct suiv.
3. iàtd., p. 590 et suiv.
478 L5S Mœ.'UMENTS DH L ARCHtTECTURE REHGtEUSE

on 1e remarque justement, fut bâtie par des tbériens (Iviron) ; et


on observe entin que cet art d'Arménie, si originai et si fécond au
x^ et xi^ siècie, n'eut point pu conserver cette originaiité, s'it avait
été dominé par Byzance.
Les faits qui viennent d ètre indiqués sont certains : sont-iis pour-
tant absotument probants ?
Outre que nous sommes assez mat renseignés sur les dispositions
architecturales de la NouveHe-Ëgdise, et que nous ignorons en
conséquence les rapports qu'elte avait avec t'art arménien, il n'est
point étabti que te ptan en croix grecque soit originaire d'Arménie ;
et te ptan triconque d'autre part à pu fort bien venir à t'Athos
directement de Constantinopte, où on ie trouve emptoyé dès te
vtp siècte, et peut-être ptus anciennement.
It demeure donc encore assez difticite de déterminer exactement
ta part de création originate qu'it y a dans t'art arménien et ta
portée de son inftuence. Cependant onne peutptus guère contester
aujourd'hui que tes vieittes traditions de t'art asiatique conservées
dans te pays arménien, tes inttuences orientales dues au voisinage
du monde musutman, n'aient contrebatancé de bpnne heure dans
ces régions t'inttuence byzantine, etproduit, entre tes mainsjt'archi-
tectes habites et capabtes d'invention, un art qui, tout en devant
quetque chose à Byzance, n'est point une copie servite de t art
byzantin. Ce qu'it faut dire en outre, c'est que, si cet art n'a donné
rien d'essentiet à Byzance, ii a dû à ses quaiités propres d'avoir
vers d'autres directions une curieuse expansion. La Géorgie a
imité l'Arménie, et de tà, contournant le domaine byzantin, ie
courant a atteint, dès ie x" ou xi^ siècle, 1a Bussie et les Slaves du
Sud e), franchissant 1e Danube, a pénétré jusque dans 1a péninsule
des Balkans. Entre 1e plan de Mokvi et celui de Sainte-Sophie de
Kief, H y a une analogie remarquable, et on a pu se demander si 1a
vieille église russe n'était pas i oeuvre d'un arménien plutôt que
d'un byzantin. Par ailleurs, I influence de l'art arménien s'est fait
sentir en Crète, en Grèce, et jusque sur les côtes de Dalmatie et
d'ItalieL Parallèlement à l'art de Constantinople, l'Arménie a
contribué à répandre dans 1e monde oriental lés méthodes de son
architecturq. Et peut-être même n'est-il pas sans intérêt d'en recher-
cher — avecbeaucoup de prudence toutefois —l'intluence sur l'Occi-
dent ef sur les originesde I'art roman

1. Cf. Strzygowski, toc. cù., 715 et suiv. Miiiet, L'e'coie yrecque.


2. Cf. Strzygowski, p. 797 et suiv.
TABLE SOMMAIHE DES GHAPITRES

PRÉFACE. - HEKSEIGNEMEXTS BIBLIOGRArHIQUES ET ABRÉVIA-


TIONS. 1-XIV

UVRP PREMIHR
ORtGINES ET I'ORStATION DE L ART BYZANTIN

CnAPiTRE PREMiER : CéroZn/toii i/e Z'arZ cAiéRen an /V


si'ëc/e. — Carac/ère e/ ornytnes t/e /ar/ noiireau. )
CHAPiTRE II : Les oriyiiies Syrtennes. 24
CHAPiTRE IH: Ces oriyiiiesCyy/iZteiiiies. 60
CiiAPiTRE IV : ZLes oriytites Aiialo/t'enites — Z?dZe c/e /'Ast'e
il/tiieiiret/aiis Za /'oiTiinZton t/e Z'ArZ //y^ait/t'n. 87
CHAPiTRE V : Ca fZi'//tisioii t/es t'n/Ziieiices ortenZa/es — /Zô/e
t/e Coits/an/tiio/iZe t/ans Za /oriiiaZtoit t/e Z'ArZ//yzaitZt*ii. . 112

UVRE II
LE PREMtER AGE D OR DE L ART BYZANTIN

CnAPiTRE pREMiER : SatiiZe-So/iAt'e. 153


CnAPirRE II : C'arZ t/e Ziâ/tr cAes Zes /?y^aitZt'its — Ces inoiin-
meaZs t/e Z'arc/tt/ec/nre an VZ^ sièc/e.. 168
CHAPiTRE III : Ces momiitieit/s t/e Za petii/iire — Cresyties,
mosai'yites e/ t'coites. 20)
CnAPiTRE IV : Ces ntontiiiteii/s t/e Zapet'itZtire — /,'t'ZZtisZraZton
t/es ittantiscri/s. 230
CHAPiTRE V: Ces 7Ysstts. 264
CHAPiTREVI: Ca ^cii/pZitre. 278
CHAPiTHE VII: C0r/*èitrerte e/Zes Ar/s t/it iitéZaZ. 305
CHAPiTRE VIII: Ca /brmaZt'oilt/e Z'/coitoyra/tAt'e. 319
CHAPiTRE IX: CAr/Z/yzaitZtit tZe/iis/fnteitaiitE/conocZas/es. 329
CHAPiTRE X: Ca ynereZZet/es /mayes. 360
480 TAHLE SOMMAtHB UES CHAPfTRES

UVRHIH
LE SECOKD AGE D OR DE L AHT BYZAKTm
ÉPOQUE DES MACÉDOmENS ET DES COMNÈNES (]X°-XII^ SIÈCLES)

CïiAPiTRE I : La /0;nvn.s.s,'<ace 4/acet/omeune. — Caraclèrex


gré/iéraua; t/e /'ar/ uotit'eau. Z.'arl joro/atte à Ryzance. 391
CiiAPiTRE II : Ae.s nto/tuntett/s t/e /'arc//t/ec/ure ctut/e — Ze
Ra/atx ^acré — L'/ta/tt/a/to/t /lycatt/t/te —ZLa vt//e. 413
CiiAPiTHE 1H : /.e.s uto/tu/tte/t/.s t/e /'/trcAt/ec/ure re/tyteu.se —
/La t/écora/to/t xcu//t/ée. 430

MACON, ['HO'iAT FRERES, [MPRiMEURS. - MCMXXV.


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M\COX, I'UOTAT FHÈHES, IMI'HniEUnS. — MCMXXV
??. MA) 1959
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v 01411262 80
478 LES MOXUMENTS DE L ARCHtTECTURE REHGtEUSE

on 1e remarque justement,, fut bâtie par des ibériens (Iviron) ; et


on observe entin que cet art d'Arménie, si orig-inat et si fécond au
x^ et xP siècle, n'eût point pu conserver cette originalité, s'it avait
été dominé par Byzance.
Les faits quiviennentd'être indiqués sont certains : sont-its pour-
tant absotument probants ?
Outre que nous sommes assez mal renseignés sur les dispositions
architecturates de 1a Nouvelle-Église, et que nous ignorons en
conséquence les rapports qu'elle avait avec l'art arménien, il n'est
point établi que 1e plan en croix grecque soit originaire d'Arménie ;
et 1e plan triconquc d'autre part à pu fort bien venir à l'Athos
directement de Constantinople, où on 1e trouve employé dès 1e
vn" siècle, et peut-être plus
II demeure donc encore assez
1a part de création originale qj E ?
portée de son intluence. Cepend ^
aujourd'hui que les vieilles trad
dans 1e pays arménien, les influ E—
du monde musulman, n'aient c, E-
ces régions l'intluence byzantine, E II
tectes habiles et capables d'inv( E
quelque chose à Byzance, n'est ^ o
byzantin. Ce qu'il faut dire en o ^
rien d'essentiel à Byzance, il a
vers d'autres directions une cj — Q) (_)
imité l'Arménie, et de là, cont E
courant a atteint, dès 1e x" ou xijjE ^ O
Sud et, franchissantle Danube, E
des Balkans. Entre 1e plan de MjjE*
Kief, il y a une analogie remarq 22-L ^
vieille église russe n'était pas I(
d'un byzantin. Par ailleurs, l'inj E o
sentir en Crète, en Grèce, et jLU E ^
d'Italie Parallèlement à l'art iE* Q)
contribué à répandre dans 1e moj E-- hl
architecture. Et peut-être même ti E-
cher — avec beaucoup de prudenc; E ^
dent et sur les origines de l'art ; ^

1. Gt'. Strzyg;owski, toc. ct't., 715 et : —


2. Gf. Strzygowski, p. 797 et suiv.

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