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Les proverbes amazighs entre le local, le national et l’universel


(Cas de l’oasis de Figuig1)

par Abdelkrim SAA

Les proverbes et dictons qui suivent ont été recueillis à Figuig en


partie par une étudiante figuiguienne au cours de l’année 19922; et ils
ont été complétés, remaniés, transcrits, traduits3 et commentés par
moi-même en février 2005. Ils sont tous inédits.
Les proverbes classés ici comme ayant une portée universelle sont
des proverbes qui peuvent être aisément compris par quiconque sans
avoir une connaissance vécue de la société oasienne de Figuig. Ils ne
concernent pas exclusivement la culture et la société dont ils sont
l’expression, mais également l’humanité toute entière.
Les proverbes de portée nationale sont ceux que l’on rencontre
dans d’autres régions du Maroc (le Sous, le Rif, le Maroc central, le
Sahara…) et qui portent le même sens quoique leur forme littéraire
soit parfois différente. Ils traduisent des valeurs qui marquent
l’identité marocaine dans sa pluralité.
Quant aux proverbes locaux, ils ne peuvent être compris que par les
personnes qui connaissent cette société, le vécu de ses gens, les mots
et les choses dont ils font quotidiennement usage. Ils sont l’expression
singulière d’une culture déterminée. Ils reflètent les traits majeurs de
la société et de la mentalité figuiguienne.
Parmi les dizaines de proverbes recueillis sur place, seuls ceux qui
ont trait à l’organisation sociale et à la psychologie collective ont
retenu mon attention et ont été sélectionnés, l’objectif n’étant pas ici
de présenter un recueil. Ces proverbes, quoiqu’ils aient une forme
littéraire très ancienne, font allusion à des coutumes et à des pratiques
et comportements encore répandus de nos jours. Autrement dit, le
1
Située au sud du Maroc oriental, à 400 Km de la ville d’Oujda. Cette oasis est
composée de sept qsour dont le nombre d’habitants est d’environ 14500 personnes
selon le recensement de 1994. Sur le plateau s’élèvent six qsour (de l’ouest vers
l’est) : At Annej (El Abidat, en arabe), At ’Atti (Loudaghir), At Slimane (Oulad
Slimane), At Lem’iz (El Maïz), At ’Amer (El Hammam Fouqani) et At Wattay (El
Hammam Tahtani). Et dans la plaine : Iznayen (Zenaga), le plus grand et le plus
riche des qsour de Figuig.
2
Fatiha, NACIRI. 1992. Al amtal achaabiya bi mintaqet Figuig (Proverbes
populaires à Figuig). Mémoire de maîtrise. Littérature arabe. Université Oujda.
3
Pour éviter toute défiguration, j’ai essayé de donner des traductions littérales.
2

proverbe à Figuig n’est pas seulement quelque chose qui se dit mais
quelque chose qui se vit. Et c’est cette dimension du vécu qui
m’intéresse ici plus particulièrement et que j’aimerais mettre en
exergue.

Proverbes à portée universelle

Travail et persévérance

1..fas ul tski ukkass


« Fès ne s’est pas construite en un jour. »

Se dit comme conseil de persévérance dans la poursuite d’un objectif.


Il ne faut pas se presser, à chaque jour suffit sa peine

Cf. fr. « Paris ne s’est pas fait en un jour. »


Cf. Latin « Rome ne s’est pas faite en jour. »

2. wikk ixsen lward isbar ik ʁatiren.


“Qui veut les roses, qu’il se porte leurs épines.”

Quand on veut obtenir quelque chose, il faut supporter les peines


qu’elle implique.
Cf. turc. «Pour l’amour d’une rose le jardinier est serviteur de mille
épines. » (Rob. p. 475).
Cf. fr. « Celui qui mange le miel doit souffrir les piqûres d’abeilles. »
(Rob. p. 546).

Solidarité

3. idžen nufus ulitŝit abaqqa.


« Une seule main n’applaudit pas. »

Dans la vie, il y a des choses que l’on ne peut pas faire tout seul ; on a
besoin de l’aide d’autrui.
Cf. fr. « L’union fait la force. »
Cf. marocain : yedd waħda ma tsaffaq.
Parole et action
3

4. imi iqqnen uss ttitfen izan


« Bouche fermée, les mouches n’y entrent jamais. »

Si l’on se garde de calomnier les autres on ne s’attirera aucun ennui.


C’est pour dire aussi que le silence est un trait de sagesse.
Cf. fr. « En bouche close, n’entre mouche. » (Rob. p. 61).
Cf. marocain : al famm al maŝdud ma tdaxlu dabbana (EL ATTAR4,
118)

5. ukk ul iεlim tamemt uk qllal nnes, iyyit ik iles nnes


« Qui n’a pas de miel dans sa cruche, qu’il en mette dans sa langue. »

Il faut être poli et aimable avec tout le monde, surtout lorsqu’on est
pauvre.

Cf. marocain. lli ma εandu εsel fərkanu εandu fəlsanu.


« Celui qui n’a pas de miel dans ses encoignures, doit en avoir dans
(le bout de sa langue) son langage. » (cf. L. BRUNOT5, p.68)

6. ud as qaε irettŝem wawal ikk mi.


« La parole ne se mouille pas dans sa bouche. »

Se dit d’une personne qui n’est pas discrète et qui se hâte toujours de
divulguer les secrets et les nouvelles des autres. On l’utilise aussi pour
dire d’une personne qu’il est mouchard.

7. iles uliεlim iʁess


« La langue est sans os. »

Se dit pour signifier que c’est plus facile à dire qu’à faire.
Se dit aussi à propos de quelqu’un qui injurie son adversaire, mais
sans avoir le courage de se bagarrer avec lui.
Cf. marocain : « Allssan ma εndu εdam »
Cf. anglais : « Les belles paroles ne beurrent pas les épinards. »
Cf. chinois : « Le bavardage est l'écume de l'eau, l'action est une
goutte d'or. »
4
Bouchta EL ATTAR. 1992. Les proverbes marocains. Casablanca : Najah Eljadida.
5
Louis BRUNOT. 1928. « Proverbes et dictons arabes de Rabat. » Hespéris, Tome
VIII, 1er trim., pp. 59-121.
4

8. imi iqqaren sud adi sud natta


« La bouche qui dit : souffle, n’a qu’à souffler elle-même.»

Le mot sud est fréquemment utilisé pour dire souffler sur le feu. Il
symbolise un geste à haut risque.
Se dit à propos de quelqu’un qui dit aux autres de faire quelque chose
de dangereux à sa place au lieu de le faire lui-même. Il vaut mieux
prêcher d’exemple que de donner des ordres sans agir.

Cf., Aït Ayyach : wnna yennan sud isud


« Celui qui demande de souffler n’a qu’à souffler lui-même. »
(SOUGHATI6, 146)
Cf. Zemmour : aqmu ynnan sud ad isud nta.
“La bouche qui a dit : “soufflez!” qu’elle souffle elle-même. »
(MAHMAH7, 149)

Honnêteté

9. ul ittitef žar iššer d uysum day lusex.


« Entre l’ongle et la chair ne se loge que la crasse. »

Seuls les mauvais et les malhonnêtes essayent de séparer les gens qui
s’aiment.
En dialecte marocain : ma yadxel bin llħem wa ttfer ʁir lexnez. (El
ATTAR, p. 111).

Illusion

10. ittraεa anšušen nulʁem att wdan


« Il attend que tombent les lèvres du chameau. »
Attendre quelque chose qui n’arrivera jamais

Cf. grec : « Le renard qui attend que la poule tombe reste affamé. »

6
Collectif. 1993. Proverbes berbères. Paris : L’Harmattan-Awal. Sous la direction
de Fernand BENTOLILA.
7
Fernand BENTOLILA. Ibid.
5

Cf. chinois : « Il est difficile d'attraper un chat noir dans une pièce
sombre, surtout lorsqu'il n'y est pas. »

11. ul ittqərqər day mayk ixwan.


« Il ne fait de bruit que ce qui est vide. »

Cf. fr. « Les tonneaux vides sont ceux qui font le plus de bruit. »
Cf. allemand. « Les grands arbres donnent plus d'ombre que de fruit. »

Apparences et réalité

12. ʁillex ttazart tεlem ibakuren saεa day ttazkkart tεlem iʁatiren
« J’ai cru que c’est un figuier plein de figues, alors que ce n’est qu’un
jujubier plein d’épines. »

Ce dit à propos d’une désillusion, et aussi d’un individu qui déçoit, en


faisant le contraire de ce que l’on attendait de lui, ou encore d’une
chose dont les apparences sont trompeuses.

Cf. marocain : kaysħab li karma ufik alkarmus saεa sabtak xarba u fik
annamus. (EL ATTAR, p. 221)

12. aydi ishawhawen ul inetter.


« Le chien qui aboie, ne mord pas. »

Ce dit à propos de quelqu’un qui s’agite et qui bluffe et qui est


cependant incapable d’agir.

Cf. marocain : lkalb anebbaħ, ma yεadd ma yxraħ. (EL ATTAR, p.


137)

Orgueil

13. lmalik iεlam ttaž lbda illa yeħtaž


« Le roi porte couronne et a toujours besoin. »
Se dit à propos de quelqu’un qui prétend pouvoir se passer de tout le
monde en raison de sa fortune ou de sa force. Et pour dire aussi qu’on
a toujours besoin d’autrui même si celui-ci est plus petit.
6

Cf. marocain : ssoltan b ttaž u kayħtaž (AL ATTAQ, p. 217).

14. kulha itepper tayllimt ala yisi imi nnes.


« Chacun fait la bouchée à la mesure de sa bouche. »

Il ne faut pas se lancer dans des entreprises que l’on ne peut pas
réaliser.

Cf. marocain : εmel alleqma qed fmmek εandek tawħel lek.


« Proportionne à ta bouche ta poignée de nourriture, afin qu’elle ne
t’étouffe pas. » (EL ATTAR, p. 84).

15. tiqšbet isint waman tʁill tella tisi aman


« L’écaille du palmier flotte sur l’eau et croit que c’est elle qui porte
l’eau. »

Cf. fr. « L’orgueil s’installe au large dans une tête vide. »

Disparités sociales

16. šra iffud, šra nʁen ss wa man


« L’un a soif, l’autre est tué par l’eau. »

17. uš a yaqlil i terga


« Ô cruche, donne [l’eau] à la rigole. »

Se dit à propos d’une personne qui malgré ses richesses n’hésite pas à
demander aux pauvres de partager avec lui le peu de choses qu’ils ont.

Cf. Ait Saghrouchen : « ma ʁa yasy uʁnja zi tʁanjayt. »


« Que va prendre la louche de la cuillère. » (Ali, ARDOUZ, p. 143).

Ingratitude

18. aεla zzix šemm wala ukk udi d tamemt ad itt tinid yeɛɛ.
7

« Même si je te plante dans le miel et le beurre fondu, tu me diras


toujours que c’est amer. »

On le dit à propos de quelqu’un qui renie le bien qu’on lui a fait et


pour dénoncer tout comportement ingrat.

Faiblesses et défauts

19. εla anxallad immannex delum unax tatten iʁyal


« Si on ne s’est pas mêlé à la paille, on serait pas bouffé par les ânes. »

Un homme honnête qui s’associe à des malfaiteurs finit par payer le


prix de son erreur. Se dit comme conseil pour éviter d’avoir de
mauvaises fréquentations.

Cf. danois : « Celui qui entre dans le moulin se couvre de poussière. »


(Rob. p. 372).

20. manis daŝtt tust lεafit a yafarran, sik mi nuʁ.


« Ô four, comment le feu est-il venu en toi? Par ma bouche. »

On le dit lorsqu’une personne a des ennuis à cause de ses dires.

Cf. marocain : qalu lferran : mnin daxlatek annar ? qal : men fami
« Ils ont demandé au four : comment le feu est-il entré en toi? Il a
répondu : par ma bouche. »

21. wik u n neεlim ulli ul itekked ukk uššen.


« Celui qui n’a pas de brebis, ne craint pas le loup. »

Le proverbe signifie que celui qui ne nuit ou qui ne fait de mal à


personne, n’a rien à craindre.

Amour

22. wala tažlis tεazz syemmas


« Même le stercoraire est chéri par sa mère.»
8

Cf. Géorgien. Une mère comprend la langue de son fils muet.

Proverbes à portée nationale

Mariage

23. taħrirt issdssan wala ttrid issallan.


« La soupe qui fait rire vaut mieux que la galette qui fait pleurer. »

Le ttrid est un type de crêpe très fine. Les Figuiguiens le mangent


quelques fois par an, surtout au moment des fêtes : fête du mouton, le
mariage (« nuit de l’acte chez la fille») le pèlerinage (le matin, avant
le départ des pèlerins du village).
Les mots taħrirt (soupe) et ttrid symbolisent la femme.
Le proverbe se dit pour signifier qu’il vaut mieux se marier à une
femme pauvre et peu jolie mais agréable qu’à une femme riche et
belle mais capricieuse et infidèle.
Il signifie aussi qu’il est préférable de se contenter du peu que l’on a et
rester tranquille et heureux que de briguer des situations brillantes qui
nous rendent malheureux.

Cf. marocain. xanfusa u tuunnes, ħsen men lħala u thues


« Un stercoraire d’un commerce agréable est préférable à une gazelle
qui cause du tourment. » (L. BRUNOT, p. 80).

Hospitalité

24. attif ul itreyyi ul ittiteŝ lemεaŝ uk muŝ.


« L’invité ne recommande pas et ne donne pas à manger au chat. »

Il s’agit des règles de politesse relatives à l’hospitalité chez les


Marocains et, de façon générale, des codes du savoir vivre. La
coutume veut que les hommes soient servis les premiers, puis les
femmes et les enfants et le chat en dernier. Et très souvent le chat
mange les restes. Si l’invité lui donne la viande, les femmes et les
enfants en seront privés. L’invité doit donc respecter les codes
d’hospitalité.
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Hypocrisie

25. ttsbiħ ikk iri tušrda itziri


« Le chapelet au cou, le vol au clair de la lune. »

Se dit pour se moquer de quelqu’un qui jouit d’une belle réputation et


qu’on découvre un jour en flagrant délit.
Se dit aussi parfois pour signifier que tout le monde à des défauts.

Cf. Rif. ssift nrħaž ti ttawin u muš


« L’aspect d’un Hadj mais les yeux d’un chat. » (A. Bouylmani, p.46)
Cf. Sous : aslham ura yskar ttalb
« Le bernous ne fait pas le maître. » (A. ELMOUNTASSIR, p. 93)

26. wi rkkden ul ittiden tmart nnes


« Qui danse ne cache pas sa barbe. »

Le mot tmart (barbe) représente ici une marque de respect, de piété et


de virilité, alors que le mot rrked (danse) est marque de féminité, de
légèreté et de bassesse.

27. yazid itetten ul ittzilli.


« Le coq appelle à la prière, mais il ne prie jamais. »
Les grands diseurs ne sont pas les grands faiseurs

Egalité et inégalité

28. mik illa itkedded yumaŝ lħruz nnes tbedid akides


« Quand ton frère est en train de mordiller son talisman, partages avec
lui. »

C’est pour dire, il faut savoir partager ce qu’on possède avec les
proches.

29. l-kfen ul iεlim ašu


« Le linceul n’a pas de poche. »
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C’est pour signifier qu’on ne porte jamais ses biens avec lui dans la
tombe, et que les hommes sont ainsi égaux devant la mort.

30. šra ittʁenni s elqurane šra ul yufi may zzeg izzull


« L’un psalmodie le coran, et l’autre n’a même pas de quoi faire sa
prière.»

Ce proverbe se dit à propos des disparités entre des gens très fortunés
qui gaspillent leurs richesses et des misérables qui ne peuvent même
pas manger à leur faim.

Cf. Rif : iž itira s rqorɛan iž waufi minizi ya y zzadž


« L’un récite le coran par cœur et l’autre ne connaît même pas
suffisamment de versets pour faire sa prière. » (A. BOUYLMANI,
p.51)

31. ixdem id d wass llεid nnes damerwas


« Il travaille jour et nuit et il s’endette pour la fête du mouton. »

Se dit à propos de quelqu’un qui travaille beaucoup et qui cependant


manque toujours d’argent. Et au moment de la fête du mouton, il se
trouve obligé de faire crédit pour pouvoir faire la fête comme toutes
les familles marocaines.

32. yemmas n twtmin ul tudum.


« La mère des filles ne vit pas perpétuellement. »

C’est pour dire que l’on préfère avoir des garçons et non des filles, et
que la mère qui a des garçons a un statut privilégié au sein de la
famille.

Déviances

33. ithanna zzis blis


« Le diable est tranquille à son égard. »

34. mayk itekk blis uksekkass itekki natta ukkass


« Ce que fait le diable en une année entière lui le fait en un seul jour. »
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Se dit d’une personne qui a des pratiques toute à fait contraires à


celles recommandées par la religion musulmane. C’est une critique à
tout comportement qui transgresse les normes de la communauté
musulmane.

Proverbes locaux

Relations familiales

35. aselham l ħurr nifeyyey ul itffeʁ l berra.


« Le burnous pur de Figuig ne sort pas dehors.»

Le mot Aselham (burnous) symbolyse la femme. Le mot barra


(dehors, extérieur) symbolise le mariage exogame.
Ifeyyey (Figuig) est le vocable authentique dont les habitants de l’oasis
(At ufeyyey) font usage. On ignore si Ifeyyey est le nom que portait
l’oasis avant l’apparition du mot Fižiž ou Figuig (XIIème siècle).
Ainsi, à Figuig, le mariage avec la bint el ɛamm n’est ni un droit ni un
devoir. C’est l’union avec ce que les Figuiguiens appellent yellis n-
uʁrem, la fille du qsar qui est considéré comme union préférentielle
en ce sens qu’elle constitue la pratique prépondérante du mariage. Elle
est observée dans tous les qsour de l’oasis. En effet, dans les registres
des mariages conservés au tribunal de première instance de Figuig,
j’ai comptabilisé 173 contrats de mariage pour l’année 1992, dont 170
intra-qsar et seulement trois inter-qsour.

36. maykk teyyu tsleyt εna maykk teyyu temʁart issiktabi reppi.
« Ce qu’a fait la belle-fille est volontaire, ce qu’a fait la belle-mère est
voulu par Dieu. »

L’appellation tasleyt (pl. tislatin), signifie l’épouse8. Et temʁart (pl.


timʁarine) veut dire mère du mari.
Il faut rappeler que la résidence étant patrilocale à Figuig, la jeune
mariée s’établit chez les parents de son époux. Et puisqu’elle est
toujours perçue comme source potentielle de conflits, elle est
immédiatement placée sous l’autorité de sa temʁart, belle-mère.
8
Elle peut être appelée, tamettut, femme en général et elle est nommée tanout (pl.
tinoudin), bru, lorsqu’on se place du point de vu de la mère ou du père du mari.
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Celle-ci a un rôle prépondérant au sein de la maison et détient le


pouvoir quant aux décisions relatives à l’organisation et à la
distribution des tâches domestiques. C’est elle qui parachève son
éducation de future mère.
Ainsi, le proverbe se dit pour signifier que la belle-mère, du part son
autorité, on ne peut lui dire qu’elle a tort même quand c’est réellement
le cas. Alors que la belle-fille, étant souvent considérée comme
étrangère au milieu de la famille de son mari, on peut la soupçonner
de tous les torts qu’on veut. Le proverbe est une critique à ce type de
relation familiale hiérarchique.

37. isbaħ umʁar iyu abenkal.


« Le chef de la famille en a fait trop, il a raison. »

L’appellation amʁar veut dire ici le chef de la famille.


Ce proverbe a le même sens que le précédent : On doit du respect au
chef de famille même quand celui-ci ne le mérite pas.
On raconte qu’une belle mère a préparé un jour le dîner. Et elle en a
tellement préparé qu’une grande quantité a pourri au lendemain. Et au
lieu de lui faire des reproches, on l’a flatté.

38. amezwar izzi izzwa ankkaru iqqim žar tizzwa.


« Le premier s’est réchauffé et s’est rafraîchi, le dernier est resté
sans. »

Ce dit à propos du premier né qui est toujours gâté par rapport à ses
frères et sœur nés après lui.
« Qui reste assis sèche, qui va lèche. »

Relations tribales

39. inyer nu εddi mi muter aznay


« Le front du Loudghiri face au Zénagui. »
inyer (front) est vu comme la partie du visage qui exprime la bonne ou
la mauvaise humeur de la personne, sa haine et son amour...
L’appellation uεddi (sing. de At εddi) désigne ici quelqu’un du qsar At
εddi, connu sous le nom de Loudaghir. Quant au mot aznay (sing. de
Iznayen), désigne une personne du qsar Iznayen, connu sous le nom de
Zenaga.
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Il faut souligner que l’histoire du peuplement de l’oasis de Figuig est


marquée par les conflits incessants entre les deux groupes (At εddi et
Iznayen) pour l’appropriation d’une source d’eau (tzadert), la plus
abondante dans cette oasis. Et le proverbe se dit lorsqu’on voit la
haine sur le visage d’une personne contre une autre.

40. wi xsen tħsint nu jaber yaweytt madel annes.


« Celui qui veut la coupe (des cheveux) de Jaber, qu’il donne son
visage. »

Le mot jeber veut dire le fils de Beni Jaber qui sont arrivés au XIIIème
siècle à Figuig. Ils se sont établis sur le plateau pour dominer la source
de Tzadert et se sont ainsi enrichis au détriment des Zenaga. On
raconte que lorsqu’une famille de Beni jaber veut couper les cheveux
de leur premier fils, il exigeait des gens de Zenaga de sacrifier un de
leurs nouveaux nés. Un jour, une femme a refusé que son fils, son
unique, de subir ce sort et a réussi à mobiliser les guerriers de Zenaga
pour mettre fin à cet horrible rituel. Ainsi, en 1782, Zenaga et
Loudaghir se coalisèrent et remportèrent une victoire sur les Beni
Jaber.

Discrétion et indiscrétion

41. iffeʁt tteεban si žaž n uεban


« Le serpent est sorti dessous la couverture. »
« Il n’est pire ennemie que ses proches. »

Le mot tteεban (serpent) symbolise ici le danger, le poison, le mal.


Le uεban (couverture) représente la famille et la maison. Il est
fabriqué par les femmes ; et il se présente comme un tapi multicolore
de taille variable, très souvent d’environ 2 m. de largeur et 5 à 6 m. de
longueur. Il peut servir à couvrir l’ensemble des membres de la
famille. Chaque aεban porte un signe particulier indiquant la famille à
laquelle il appartient. C’est en fait un des emblèmes de l’identité et de
l’unité familiale dans cette société oasienne.
Se dit à propos d’une personne qui crée des ennuis graves à sa propre
famille. On peut donner ici l’exemple d’une fille qui déshonore sa
famille.
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42. buseyyar nnex issufuʁ wala d lħeppat.


« Notre tamis laisse passer même les grains. »

Se dit à propos d’une personne qui crie sur le toit les nouvelles de sa
propre famille, au lieu de les garder.
Le mot heppat (les grains de blé) représente ici les secrets de la
famille, quelque chose que l’on doit cacher et conserver, tout comme
on conserve le blé dans les silos à l’intérieur de la maison.
Il faut souligner ici que les maisons des qsour à Figuig ne sont
égayées d’aucune fenêtre donnant sur l’extérieur. C’est par une porte
massive en bois de palmier que la maison communique avec
l’extérieur. Elle donne ordinairement sur un vestibule en chicane, que
l’on appelle imi n-tittart, (lit. la bouche de la maison), et qui, de par sa
disposition coudée, empêche toute personne de violer de son regard
indiscret l’intimité familiale, la horma de la maison dirait G.
TILLION (1966, 139-140). En fait, beaucoup plus que la porte, c’est
le vestibule qui révèle la présence de réalités inviolables.
Outre ces aspects physiques qui concourent à assurer l’hermétisme
de la maison, il importe de noter que même entre parents adultes assez
proches, il est d’usage d’annoncer toujours son arrivée au seuil de la
maison en prononçant à haute voix la formule wida, « y a
quelqu’un? ». Ce sont ici des cérémonials qui rendent plus forte
encore l’inviolabilité de la maison ; une inviolabilité qui, dans l’esprit
des Figuiguiens, se confond toujours avec la dignité et l’honneur.

43. tʁatt nnem tʁazza imendi


« Est-ce ta chèvre mâche le blé ? »

Se dit au moment où on demande la main d’une jeune fille au mariage.


C’est la mère du garçon qui pose cette question à la mère de la future
mariée. Et ce pour savoir s’il est du genre à dévoiler les secrets de la
famille.

44. ssiwlex i txabeyt izzar iyi lessqaq.


« J’ai parlé dans la jarre, mes paroles m’ont précédé dans la rue. »

Le mot txabeyt (jarre) représente ici par extension, la famille,


l’intérieur de la maison. A Figuig, dans chaque maison se trouve une
chambre réservée aux jarres et que l’on appelle tazaqqa n txubayy (pl.
de txabeyt), chambre des jarres. Elle est toujours protégée loin du
15

regard des étrangers, et c’est le chef de la famille qui détient les clés
de cette chambre.

On le dit à propos d’une personne qui semble être discret et qui


cependant divulgue les secrets de la famille, ou qui trahit notre
confiance.

Déception

45. uħlex may šemm tellmex dleħrir, saεa šemm day dlefdam.
« Je t’ai tant filé comme la soie, mais tu n’es que fibres mortes du
palmier. »

Ce dit lorsque on fait du bien à quelqu’un qui ne le mérite pas. Ou


quand on a déployé de grands efforts sans résultats.

On le voit, les proverbes de Figuig se présentent comme des


formules courtes qui résument des situations complexes. Ces formules
sont poétiques marquées par des rimes, des images, des assonances…
Leur expression est parfois métaphorique et énigmatique.
La moralité de ces proverbes est souvent détachée de son contexte
d’origine, une moralité qu’on retrouve dans les proverbes de sociétés
très éloignées l’une de l’autre. Ils se réfèrent à un fond d’expérience
commun, surtout quand il s’agit de blâmer l’hypocrisie, l’injustice,
l’orgueil, l’avidité etc., ou au contraire de louer la politesse, la
modestie, la solidarité, la vérité…
Mais la question qui se pose ici, c’est comment expliquer le fait
que certains proverbes circulent librement et voyagent dans le monde
entier sous des habits variés et d’autres restent incrusté dans le registre
local ?
L’hypothèse qu’on peut émettre à cet égard, c’est que l’examen des
proverbes locaux montre qu’ils traduisent tous des réalités et des
événements qui sont propres à la société figuiguienne d’hier et
d’aujourd’hui. C’est le particularisme de Figuig, dirait le sociologue
R. GROMAND9.

9
GREMOND, Roger. 1936. « Le particularisme de Figuig », BCAF., n° 4. Avril,
1939. pp. 89-160.
16

Cet article est paru dans :

Le substrat Amazigh de la Culture Marocaine, Acte du colloque


nationale organisé au Palais des congrès à Fès les 10-11-12 mars
2005, sous la direction de Moha Ennaji, Série : Colloques et
Séminaire, N° 2, Mohammedia : Fédala, 2006.

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