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Médecine de la douleur

pour le praticien
Chez le même éditeur

Dans la même collection :


Gériatrie, par J. Belmin, P. Chassagne, P. Friocourt. 3e édition. 2018. 1072 pages.
Gynécologie pour le praticien, par J. Lansac, H. Marret. 9e édition. 2018. 656 pages.
Rhumatologie pour le praticien, par B. Mazières, M. Laroche, A. Constantin. 2018. 712 pages.
Médecine du sport, par H. Monod, P. Rochongar. 4e édition. 2009. 504 pages.
Cardiologie, par J.-P. Delahaye, J.-Y. Artigou, J.-C. Daubert, H. Milon. 3e édition. 2008. 568 pages.
Pédiatrie, par A. Bourillon. 5e édition. 2008. 848 pages.
Médecine de l'adolescent, par P. Alvin, D. Marcelli. 2005. 472 pages.
Hépato-gastro-entérologie proctologie, par J. Fexinos, L. Buscail. 5e édition. 2004. 736 pages.
Urgences, par B. Blettery. 2002. 324 pages.
Cancérologie et hématologie, par. B. Hoerni. 2001. 328 pages.
Pneumologie, par G. Huchon. 2001. 408 pages.
ORL, par C. Dubreuil, J.-C. Pignat, G. Bolot, P. Céruse. 2e édition. 2002. 352 pages.

Autres ouvrages :
Bien débuter – Prise en charge de la douleur, par C. Berlemont, S. Moncayo. 2018. 264 pages.
Douleurs – Soins palliatifs – Deuils – Éthique, par A. De Broca. 2e édition. 2018. 360 pages.
La douleur en ORL, par J.-M. Prades. 2014. 240 pages.
Douleurs thoraciques en urgence, par J.-L. Ducassé. 2005. 288 pages.
Guide pratique du traitement des douleurs, par T. Binoche, C. Martineau. 2e édition. 2005. 368 pages.
Le médecin, le malade et la douleur, par P. Queneau, G. Ostermann. 4e édition. 2004. 648 pages.
Interpréter et traiter les douleurs épigastriques, par M.-A. Bigard. 2003. 192 pages.
Collection Pour le praticien

Médecine
de la douleur
pour le praticien
Ouvrage collectif coordonné par

A. Serrie
MD, PhD. HDR, Professeur Associé des Universités, Spécialiste des hôpitaux, Praticien hospitalier, chef de service,
service de Médecine de la douleur et de Médecine palliative Hôpital Lariboisière, Hôpital Robert Debré Paris,
Rédacteur en chef de la revue spécialisée « Douleurs », membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine,
Président de l’ONG Douleurs Sans Frontières.

C. Delorme
Praticien hospitalier. Médecin généraliste. Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la douleur.
Responsable du CETD du CH de Bayeux, coordinatrice du réseau régional douleur Normandie et coordinatrice des
SOS du CLCC de Caen.

M.-L. Navez
Praticien hospitalier, Anesthésiste, Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la douleur,
Ex-responsable du CETD du CHU de Saint-Étienne. Enseignante Douleur Université Rhône Alpes Auvergne.
Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France
Médecine de la douleur pour le praticien, coordonné par Alain Serrie, Claire Delorme, Marie-Louise Navez.
© 2020, Elsevier Masson SAS
ISBN : 978-2-294-76067-9
e-ISBN : 978-2-294-76231-4
Campus : 978-2-294-76984-9
Tous droits réservés.

Les praticiens et chercheurs doivent toujours se baser sur leur propre expérience et connaissances pour évaluer et utiliser toute
information, méthodes, composés ou expériences décrits ici. Du fait de l'avancement rapide des sciences médicales, en particulier,
une vérification indépendante des diagnostics et dosages des médicaments doit être effectuée. Dans toute la mesure permise par
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priété intellectuelle).

Légendes et crédits de la couverture (de gauche à droite et de haut en bas), Copyright © 2019 Adobe Stock :
1. Lombalgies
2. Examen clinique
3. Explorations à visée diagnostique
4. Céphalées
5. Thérapies pharmacologiques
6. Outils d'évaluation de l'intensité, Copyright © 2019 BSIP.
7. Infiltrations
8. Thérapies non pharmacologiques
9. Prise en charge globale

Les illustrations 1.01, 1.02, 4.02, 17.05, 18.11, 18.18, 18.19, 26.02b ont été réalisées par Carole Fumat.

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donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d'auto-
risation de photocopier doivent être adressées à l'éditeur ou au Centre français d'exploitation du droit de copie : 20, rue des
Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70.
Liste des collaborateurs

Les coordinateurs Célian Bertin, Médecin psychiatre-addictologue. Chef de


Alain Serrie, MD, PhD. HDR, Professeur Associé des clinique. Assistant hospitalier. Service de Pharmacologie
Universités, Spécialiste des hôpitaux, Praticien hospitalier, chef Médicale et CETD, CHU de Clermont-Ferrand, Inserm
de service, service de Médecine de la douleur et de Médecine 1107, OFMA, Fondation Institut Analgesia.
palliative Hôpital Lariboisière, Hôpital Robert Debré Paris, Philippe Bertin, Professeur des universités. Practicien
Rédacteur en chef de la revue spécialisée « Douleurs », hospitalier. Rhumatologue. Chef du service de rhumatologie
membre correspondant de l'Académie Nationale de Médecine, et du Centre de la douleur, CHU de Limoges.
Président de l'ONG Douleurs Sans Frontières. Thibault Besselièvre, Néphrologue. Service de Néphrologie-
Claire Delorme, Praticien hospitalier. Médecin généraliste. dialyse. Centre Hospitalier Mémorial de Saint-Lô.
Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la Antoine Bioy, Professeur des universités, université
douleur. Responsable du CETD de l'hôpital de Bayeux, Paris 8. Docteur en psychologie, psychothérapeute ARS.
coordinatrice du réseau régional douleur Normandie et Responsable scientifique du Centre de Formation et
coordinatrice des SOS du CLCC de Caen. d'Études en Hypnose, IPNOSIA.
Marie-Louise Navez, Praticien hospitalier. Anesthésiste. Daniel Bontoux, Professeur émérite des universités.
Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la Rhumatologue. Membre de l'Académie nationale de médecine.
douleur. Ex-responsable du CETD du CHU de Saint-Étienne. Nicolas Bourdel, Professeur. Service de chirurgie
Enseignante Douleur Université Rhône Alpes Auvergne. gynécologique, CHU Clermont-Ferrand.
Olivier Bredeau, Praticien hospitalier. CETD, CHU de
Nîmes.
Les auteurs Paul Calmels, Praticien hospitalier. Docteur en médecine
Pierre Albaladejo, Professeur des universités. Praticien physique et réadaptation. Service MPR, Pôle neuro ostéo
hospitalier. Pôle anesthésie-réanimation, CHU de loco-moteur, CHU de Saint-Étienne.
Grenoble-Alpes. Bernard Calvino, Professeur des universités honoraire.
Denis Ardid, Professeur des universités, université Clermont Neurophysiologiste.
Auvergne. Responsable de l'équipe de pharmacologie François Chast, Pharmacien des Hôpitaux de Paris.
fondamentale et de la clinique de la douleur – UMR Président du Comité des vigilances et risques sanitaires.
Neuro-Dol. Chef de service, CHU Necker-Enfants malades.
Nadine Attal, Professeur des universités, praticien hospitalier Élisabeth Collin, MD, PhD, Responsable de la
de thérapeutique. Neurologue. Hôpital Ambroise Paré. Consultation d'Étude et de traitement de la Douleur, GH
Fré d é r i c Au br u n , Profe s s e u r d e s u n i v e r s it é s , Paris-Seine-Saint-Denis.
université Lyon 1. Praticien hospitalier. Chef du service Aurélie Comptour, Ingénieur hospitalier. Service de
d'anesthésie-réanimation du CHU de Lyon. chirurgie gynécologique, CHU de Clermont-Ferrand. Unité
Nicolas Authier, Professeur des universités. Praticien CRECHE, Université Clermont-Auvergne. INSERM, CIC
hospitalier. Médecin psychiatre. Chef du service de 1405.
Pharmacologie Médicale et du CETD. CHU de Clermont- Christine Courteix, Professeur des Universités. Service de
Ferrand, Inserm 1107, OFMA, Fondation Institut Analgesia. Physiologie, Faculté de Pharmacie, Université Clermont
Véronique Barfety-Servignat, Psychologue clinicienne. Auvergne U1107 Inserm Neuro-Dol.
CS Douleur et Rhumatologie, CHU de Lille. Chercheure Georges Daccache, Clinicien hospitalier. Anesthésiste-
associée LPN Paris 8. Responsable du DIU clinique et réanimateur. Service d'anesthésie-réanimation, CHU de Caen.
psychopathologie de la douleur, université de Lille. Noémie Delage, Praticien hospitalier. Médecin
Denis Baylot, Anesthésiste. Médecin de la douleur. Pôle algologue. Anesthésiste-réanimateur. CETD, CHU de
consultation de la Mutualité française Loire, centre Léon Clermont-Ferrand.
Bérard, Lyon. Rodrigue Deleens, Praticien hospitalier. Médecin de la
Valérie Beauvieux, Praticien hospitalier. Médecin douleur. CETD, CHU de Rouen.
généraliste. Clinique Le Castelet, CHU de Nîmes. Cécile Delours, Juriste spécialisée en droit de la santé et en
Jean-Gabriel Bechier, Médecin algologue. CETP-NHP, droit des assurances.
Hôpital des Franciscaines. Geneviève Demarquay, Neurologue. CETD, service
Anne Bera-Louville, Rhumatologue. Service de rhumatologie, de neurologie fonctionnelle et d'épileptologie. Hôpital
CETD, pôle de neurosciences, CHRU Lille. neurologique et neurochirurgical Pierre Wertheimer.

XV
XVI   Liste des collaborateurs

Vianney Descroix, Professeur des universités, UFR Bernard Laurent, Professeur des universités. Praticien
d'Odontologie de l'Université de Paris. Praticien hospitalier. hospitalier. Neurologue. CETD de Saint- Étienne, INSERM
Consultation de la douleur chronique orofaciale et hypnose U 1028 neuropain.
médicale, Service d'Odontologie, GH APHP Sorbonne Soliman Le Bigot, Avocat au barreau de Paris. Droit de la
Université (Pitié-Salpêtrière). santé. Cabinet LBM Avocats.
Marie-Christine Djian, Anesthésiste-réanimateur. CETD. David L e Breton, Professeur de so ciologie et
Unité de neuromodulation. Hôpital Foch, Suresnes. d'anthropologie, Université de Strasbourg. Membre de
Anne Donnet, Praticien hospitalier. Neurologue. l'Institut Universitaire de France.
Responsable du CETD du CHU de Marseille. Nathalie Lecoules, Médecin urgentiste. Service des urgences
Denis Dupoiron, Praticien hospitalier. Anesthésiste- adultes, pôle médecine d'urgence, CHU de Toulouse.
réanimateur. Responsable du service d'Anesthésie-Douleur de Jean-Pascal Lefaucheur, Professeur des universités.
l'Institut de cancérologie de l'Ouest, site Paul Papin, Angers. Praticien hospitalier. Physiologie, CHU Henri Mondor.
Mathilde Duval, Médecin, équipe mobile de soins palliatifs. Romain Lefaucheur, Neurologue. Service de neurologie,
Service de médecine de la douleur et de médecine palliative CHU de Rouen.
de l'hôpital Lariboisière AP-HP. Célia Lloret Linares, MD, PhD. Ramsay Générale de Santé,
Xavier Emmanuelli, Médecin anesthésiste-réanimateur. Co Maladies nutritionnelles et métaboliques. Hôpital Privé
fondateur de Médecins sans frontières et fondateur du Samu Pays de Savoie.
Social. Caroline Maindet, Praticien hospitalier. Présidente du
Alain Eschalier, Professeur des universités. Président CLUD. Centre de la douleur. CHU de Grenoble-Alpes.
de l'Institut Analgesia. Faculté de médecine de Caroline Makowski, Praticien hospitalier. Service
Clermont-Ferrand. d'Hématologie. Pôle cancer et maladies du sang, CHU de
Isabelle Fayolle-Minon, Praticien hospitalier. Docteur en Grenoble-Alpes.
Médecine Physique et Réadaptation. Service MPR et CETD, Pierre Manoli, Praticien hospitalier. Ophtalmologiste. CHU
Pôle neuro ostéo loco-moteur. CHU de Saint-Étienne. de Saint-Etienne Hôpital Nord.
Denys Fontaine, Professeur des universités, université Fabien Marchand, Enseignant-chercheur. UMR Inserm-
Côte d'Azur. Praticien hospitalier. Département de UCA Neuro-dol - Faculté de médecine. Université
neurochirurgie du CHU de Nice. Clermont-Auvergne.
Jean-Michel Gautier, Infirmier anesthésiste PhDc. Cadre Nicolas Mathieu, Gastro-entérologue MICI. Département
de santé. CHU de Montpellier. d'hépato gastroentérologie et oncologie digestive, CHU de
Marie-Emmanuelle Géraud, Médecin de l'équipe mobile Grenoble.
de soins palliatifs à l'hôpital Paul Brousse AP-HP. Raphaël Minjard, Psychologue clinicien. Psychanalyste.
Pierric Giraud, Praticien hospitalier. Responsable du CETD Docteur en psychopathologie et psychologie clinique.
du CH Annecy Genevois. Maître de conférences. Enseignant-chercheur. Centre de
Morgane Guillou-Landréat, Maître de conférences des Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique
universités. Praticien hospitalier. Addictologie, CHRU de (CRPPC), Université de Lyon.
Brest. EA SPURBO 7479, Soins primaires, santé publique Xavier Moisset, Neurologue. Service de neurologie,
et registre des cancers de bretagne occidentale, faculté de NeuroDol U-1107. CHU de Clermont-Ferrand, Hôpital
médecine de Brest. Gabriel Montpied.
Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, M i c h e l Mo r e l Fat i o , Mé d e c i n s p é c i a l i s t e e n
Université Paris-Sud-Paris-Saclay. Médecine Physique Réadaptation et en Médecine de
Adrian Kastler, Maitre de conférences des universités, la Douleur. Enseignant en Médecine de la douleur et
praticien hospitalier. Neuroradiologue, algoradiologue. Médecine palliative, et au DU Thérapie cognitive et
Service de Neuroradiologie, CHU de Grenoble-Alpes. comportementale de la douleur chronique. Coordinateur
Bruno Kastler, Professeur des universités, université du CETD du Centre de Médecine Physique Réadaptation
Paris Descartes. Praticien hospitalier. Algoradiologue, Coubert. Consultant au CETD de l'Hôpital Saint Antoine
cardiologue. Radiologie adulte, Hôpital universitaire AP-HP.
Necker. Vianney Mourman, Praticien hospitalier. Responsable
Sophie Lacan, Psychologue clinicienne. Thérapeute de l'équipe mobile de soins palliatifs, Hôpital Lariboisière
EMDR. Centre d'Évaluation et de Traitement de la Douleur AP-HP. Enseignant-chercheur, Espace Éthique d'île de
chronique, Hôpital Privé Les Franciscaines. France.
Sophie Lalande, Médecin généraliste. Chef de clinique Isabelle Nègre, Chef du centre anti douleur de Bicêtre et de
des universités de médecine générale de Brest. Pôle Santé l'équipe mobile douleur du Groupe hospitalier Paris Sud.
Universitaire de Lanmeur. Julien Nizard, Professeur des universités, université de
Michel Lanteri-Minet, Praticien hospitalier. Neurologue. Nantes. HDR en Thérapeutique et Médecine de la Douleur.
Chef de service du CETD du CHU de Nice. Chef du Centre Fédératif Douleur Soins de Support, CHU de
Françoise Laroche, Praticien hospitalier. Professeur Nantes.
associé douleur. Rhumatologue. Responsable du Centre Michel Olivier, Anesthésiste-réanimateur. Algologue.
de la douleur. Présidente du Collège National des Co-Président du Comité de LUtte contre la Douleur
Enseignants de la Médecine de la Douleur. Hôpital Saint- (CLUD). Coordination Anesthésie-réanimation. Hôpital
Antoine, Paris. Pierre-Paul Riquet, CHU Purpan, Toulouse.
Liste des collaborateurs    XVII

Nabilah Panchbhaya, Gynécologue-obstétricien. Chirurgie Xavier Roblin, Professeur associé gastro-entérologie. CHU
gynécologique et obstétrique. Hôpital Lariboisière AP-HP. de Saint-Étienne.
Roland Peyron, Professeur associé. Praticien hospitalier. Serena Santucci, Project Manager INOVPAIN. Fédération
Neurologue. Service de neurologie et CETD. CHU de Hospitalo-universitaire INOVPAIN, CHU de Nice.
Saint-Étienne. Éric Serra, Professeur de Médecine de la douleur associé des
Gisèle Pickering, Professeur des Universités, Praticien université, Université de Picardie Jules Verne, Amiens. Chef
Hospitalier. Chef du Service de Pharmacologie Clinique. de service du CETD et du Département Interdisciplinaire de
Médecin coordinateur du Centre d'Investigation Clinique Soins de Support pour le Patient en Oncologie (DISSPO),
Inserm 1405. Centre Hospitalier Universitaire et Faculté de CHU Amiens-Picardie.
Médecine de Clermont-Ferrand. Patrick Sichère, Rhumatologue. Service de rhumatologie,
Philippe Poulain, Praticien hospitalier. Anesthésiste- Hôpital Delafontaine.
réanimateur de formation. Unité de Soins palliatifs. Grégory Tosti, Médecin algologue et hypnothérapeute.
Polyclinique de l'Ormeau, Tarbes. Centre de la douleur, Hôpital Ambroise Paré.
Jean-Michel Prades, Professeur des universités. Chef de Barbara Tourniaire, Praticien hospitalier. Centre de
Service d'ORL. CHU de Saint-Étienne, Hôpital Bellevue. la douleur et de la migraine de l'enfant. CHU Hôpital
Responsable du Laboratoire d'Anatomie de la faculté de Trousseau.
Médecine. Erwan Treillet, Praticien hospitalier. Responsable de l'UF
Patrice Queneau, Membre de l'Académie nationale Douleur. Service médecine de la douleur et médecine
de médecine, Doyen honoraire de la faculté de palliative, Hôpital Lariboisière.
médecine de Clermont-Ferrand, Professeur émérite de Richard Trèves, Professeur des universités, Rhumatologue,
thérapeutiques. Membre correspondant de l'Académie nationale de
Sylvie Raoul, Praticien hospitalier. Neurochirurgien, CHU médecine. Service de rhumatologie, CHU de Limoges.
de Nantes. Pierre Volckmann, MD PhD. Médecin de Médecine
Thibault Riant, Anesthésiste-réanimateur. Médecin de la physique. Centre orthopédique Paul Santy (Lyon 8).
douleur. CETD M Bensignor hôpital privé du Confluent. Laboratoire P2S, faculté de médecine Lyon Est Université
Centre fédératif nantais de pelvipérinéologie. CHU de Nantes. Claude Bernard Lyon I.
Cécile Robert, Infirmière Anesthésiste Ressource Douleur Claire Vulser, Praticien hospitalier. Responsable du CETD,
en transversal au CLUD – CHUGA. Hôpital européen George Pompidou (HEGP).
Préface

Lorsque mon confrère et ami le Pr Alain Serrie m'a sollicité la cervicalgie à la douleur abdominale et cardiovasculaire,
pour cette tâche, je n'ai pas hésité longtemps, mais un peu ou encore la douleur cancérologique. La quatrième partie de
réfléchi, par la culture et mes racines de neuro-anatomiste et l'ouvrage, en onze chapitres, approche la variabilité « selon
neuroradiologue. Ce pour trois raisons. le patient », depuis le handicap jusqu'à l'addiction. La cin-
D'abord, première raison : l'objectif de cette œuvre col- quième partie, finement désignée « selon le contexte », affine
lective, aux quatre-vingt-neuf coauteurs rédacteurs, telle encore les situations d'exception, des soins palliatifs aux
que définie par son titre qui l'adresse au praticien. Soulager grands syndromes neurologiques. La sixième et dernière
la femme et l'homme, bébé ou vieillard, telle est la mission partie traite des aspects sociétaux, de la douleur chronique à
première du seul médecin, hier, des professions de santé la vulnérabilité, et se clôture par une approche socioprofes-
aujourd'hui. Qu'il s'agisse des chirurgiens, des pharmaciens, sionnelle, jusqu'à l'éthique.
des biologistes, des « accoucheurs » (chirurgiens et médecins Enfin, née avec la médecine, à ses sources hippocra-
de gynécologie-obstétrique, comme l'on dit aujourd'hui), tiques (donc égyptiennes, cumulées entre le delta du Nil et
des vétérinaires, des chercheurs scientifiques et sociolo- les pyramides), son observation du symptôme et son écoute
giques, des administratifs, tous concourent à cet objectif construisant le syndrome algique né de l'examen clinique
commun : soulager, attribuer ou supprimer ces sensations et paraclinique, puis son suivi thérapeutique, résument
de souffrance. Là est la raison d'être de l'Académie nationale ­l'engagement du médecin. Au service de son prochain, à
de médecine, depuis deux siècles. Mais combien plus pro- côté du progrès scientifique et technologique heureux, en
fonde (éternelle dans les genres humain et animal, végétal accélération continue depuis trois siècles, le praticien, sans
et minéral, etc.) elle est. Cette souffrance est maladie, en un quelconque « retour en arrière » dispose dans ce livre-
soi, qu'elle soit d'origine psychique, mentale ou d'origine outil, à l'inverse, d'une qualité de synthèse moderne. Syn-
organique. Du Rétable d'Issenheim (1515) au Cri du nor- thèse entre les âges et les progrès, elle actionne plusieurs
végien Edvard Munch (1893–1917), l'art s'est emparé de cet dizaines d'auteurs, ayant tous accepté qu'un seul d'entre eux
état de vie. De la Vénus à la Corne, avec ses vingt-quatre unisse les spécialités, les savoirs et les expériences sous une
entailles « lunaires » dans la grotte paléontologique d'il y a seule bannière, celle de ce mot universel qu'est la « dou-
vingt siècles, aux dieux égyptiens implorés, la situation est leur ». Il faut en saluer l'auteur, dont cette performance
semblable. « Où, quand, comment, pourquoi ? » interroge le n'est pas la moindre des qualités. Il est d'abord anesthésiste-­
patient. « Comment choisir et trier dans notre arsenal pour réanimateur, la plus moderne, la plus complète, et, désor-
soulager, comment le dire et le résumer pour le patient ou mais (sauf erreur comptable), la plus « peuplée » de nos
la patiente ? » Loin de l'intelligence dite « artificielle » (IA), spécialités médicales, à travers ce qui est devenu l'« urgen-
qu'elle soit « télé » (à distance en grec) ou non, le « praticien » tologie ». Nommée seule­ment « réanimation », du temps de
évoqué dans le titre, est seul. l'auteur de ces lignes (qui la pratiqua en milieu hospitalo-­
Ensuite, la construction du livre est un scanning (de universitaire de neurochirurgie aux urgences pendant plu-
l'anglais to scan, balayer) des situations de patients, venus sieurs années), elle est devenue première en cinquante ans,
consulter et résumant ainsi leur état : « j'ai mal ». Une pre- tant par son attractivité pour nos plus jeunes que par son
mière partie, du symptôme au syndrome, définit les mots efficacité. L'Académie nationale de médecine peut s'enor-
et situations. Le chapitre 1 résume les situations, de l'aigu gueillir de cet ouvrage, notamment grâce à la publication
au chronique, de l'enfant au patient âgé. Le chapitre sui- des Recommandations initiées par le doyen honoraire
vant schématise les actions du médecin, à propos de « cinq Patrice Queneau (CHU de Saint-Étienne), que vous trouve-
grands principes de prise en charge de la douleur, aux rez à la fin de cet ouvrage. Puisse cet ouvrage, ayant bénéfi-
auteurs complémentaires ». La deuxième partie aborde cié du talent éditorial d'Elsevier, être diffusé auprès du plus
immédiatement la thérapeutique, au fil de six chapitres, grand nombre.
depuis le médicament, en passant par la radiologie interven- Il s'agit des médecins praticiens, bien sûr, mais aussi de
tionnelle et la neurochirurgie fonctionnelle ou de stimula- toutes celles et tous ceux qui appartiennent aux « professions
tion, jusqu'à l'effet placebo. La troisième partie aborde les de santé », du plus ancien au plus jeune, encore étudiant.
situations pathologiques, locales ou générales, en approche Pr Emmanuel Alain Cabanis
croisée, topographique et étiologique, en treize chapitres, de Président de l'Académie nationale de médecine.

XVIII
Préface

En 1998, une enquête Baromètre Santé (Santé Publique Tous ces chiffres nous incitent à revenir aux fonda-
France) réalisée auprès de plus de 4 000 jeunes de moins de 20 mentaux et réfléchir à une meilleure prise en charge des
ans révélait que plus de 37 % d'entre eux avaient pris un médi- patients douloureux afin de combattre l'errance diag­
cament contre la douleur sur les trente derniers jours. Vingt nostique, thérapeutique mais aussi le mésusage médica-
ans plus tard, le constat est inflationniste avec une prévalence menteux. Cet ouvrage essentiel, fort de ses 56 chapitres,
annuelle de la consommation en antalgiques sur ordonnance rassemble tout ce qu'il faut savoir sur les douleurs, leurs
passée de 56 % en 2004 à près de 65 % en 2017 (+ 16 %). Selon caractéristiques, les différentes stratégies thérapeutiques.
le livre blanc publié par la SFETD en 2017 (Société Française Il regroupe de très nombreux experts qui sont également
d'Étude et de Traitement de la Douleur), plus de 12 millions des acteurs de terrain, au plus près des patients. Cet
de Français souffrent de douleurs chroniques, soit un Français ouvrage princeps permettra sans aucun doute de mieux
sur cinq. D'après un rapport de 2011 de l'Académie nationale orienter les praticiens dans leurs choix thérapeutiques. Il
de médecine des États-Unis, la douleur chronique concerne est grand temps de considérer la douleur non pas comme
116 millions d'adultes soit plus d'un citoyen américain sur un symptôme mais comme une maladie et d'inscrire la
trois, avec un coût annuel estimé entre 560 et 635 milliards de prise en charge du patient douloureux dans un parcours
dollars. Dans notre pays, la douleur constitue le premier motif de santé plus adapté, plus fluide et centré autour du
de consultation, dans les services d'urgences et chez le méde- patient.
cin généraliste. Malgré cela, moins de 3% des patients dou- Pr Frédéric Aubrun
loureux chroniques bénéficient d'une prise en charge dans un Président de la SFETD
centre spécialisé (il y en a 243 en France en 2019).

XIX
Abréviations

ACPA anticorps antipeptides citrullinés CCQ céphalée chronique quotidienne


ACR American College of Rheumatology CGRP peptide relié au gène calcitonine
ACT thérapies de l'acceptation et de l'engagement CDME corne dorsale de la moelle épinière
ADAM algies et dysfonctions de l'appareil manducateur COX-2 inhibiteurs sélectifs de la cyclooxygénase 2
ADH hormone antidiurétique CPME corne postérieure de la moelle épinière
ADP accès douloureux paroxystique CETD centre d'évaluation et de traitement de la
ADT antidépresseur tricyclique douleur
Afssaps Agence française de sécurité sanitaire des CIC centre d'investigation clinique
produits de santé CID contrôle inhibiteur descendant
AFLAR Association française de lutte antirhumatismale CIDN contrôle inhibiteur diffus induit par une sti-
AFSOS Association francophone pour les soins onco- mulation nociceptive
logiques de support CIF classification internationale du fonctionne-
AINS anti-inflammatoire non stéroïdien ment
AINS-NS anti-inflammatoire non stéroïdien non CIRC Centre international de recherche sur le
spécifique cancer
CLUD Comité de lutte contre la douleur
ALAT alanine aminotransférase
CNRD Centre national de ressource de lutte contre la
ALD affection de longue durée
douleur
ALR analgésie locorégionale
CNU Conseil national des Universités
AMM autorisation de mise sur le marché
COMT catéchol-O-méthyltransférase
AMP aide médicale à la procréation CPK créatine phosphokinase
Anaes Agence nationale d'accréditation et d'évalua- CQC céphalée chronique quotidienne
tion en santé
CRAT Centre de référence sur les agents tératogènes
ANR Agence nationale de la recherche
CRP protéine C réactive
ANSM Agence nationale de sécurité du médicament
CSAPA centre de soins, d'accompagnement et de pré-
et des produits de santé
vention en addictologie
AOMI artériopathie obstructive des membres inférieurs
CVO crise vaso-occlusive
APA activité physique adaptée
DCPC douleur chronique postchirurgicale
APAIS Amsterdam Preoperative Anxiety and Infor- DES Diplôme d'études spéciales
mation Scale
DESC Diplôme d'études spécialisées complémentaires
APS American Pain Society
DFG débit de filtration glomérulaire
ARS Agence régionale de santé
DFIP douleur persistante idiopathique de la face
ATP adénosine triphosphate
DGOS Direction générale de l'offre de soins
ATU autorisation temporaire d'utilisation
DIM dérangement intervertébral mineur
AVC accident vasculaire cérébral DMS douleur musculosquelettique
AVF algie vasculaire de la face DREZ Dorsal Root Entry Zone
BDNF Brain-Derived Neurotrophic Factor DRG ganglion de la racine dorsale
βHCG β-human chorionic gonadotropin DU Diplôme d'université
BHE barrière hémato-encéphalique EBM evidence-based medicine
BHD buprénorphine haut dosage ECBU examen cytobactériologique des urines
BP blood pressure ECG électrocardiogramme
BPI Brief Pain Inventory ECPA évaluation comportementale de la douleur
CADASIL Cerebral Autosomal Dominant Arteriopathy with chez la personne âgée
Subcortical Infarcts and Leucoencephalo pathy EDAAP échelle d'hétéroévaluation de l'expression de la
CCA cortex cingulaire antérieur douleur chez l'adolescent et l'adulte polyhandicapé

XX
Abréviations   XXI

EDD évaluation de l'expression de la douleur chez ISRS inhibiteur spécifique de la recapture de la


des sujets dyscommunicants sérotonine
EDPM European Diploma of Pain Medicine i.v. par voie intraveineuse
EFIC European Federation of IASP Chapters LAF lampe à fente
EFS Établissement français du sang LDPD La douleur et le patient douloureux (association)
EHPAD établissements d'hébergement pour per- LFD latéro-flexion droite
sonnes âgées dépendantes LFG latéro-flexion grauche
EMDR eye movement desensitization and reprocessing LHRF facteur de libération de l'hormone lutéinisante
EN échelle numérique LI libération immédiate
ENMG électroneuromyogramme LP libération prolongée
ENS échelle numérique simple M6G morphine-6-glucuronide
EPO érythropoïétine MAP menace d'accouchement prématuré
EQM échelle de quantification des médicaments MBCT Mindfulness basée sur la thérapie cognitive
EULAR European League Against Rheumatism MBSR Mindfulness basée sur la réduction du stress
EVA échelle visuelle analogique MDPH Maison départementale des personnes
EVS échelle verbale simple handicapées
FAST functional assessment screening tool MEOPA mélange équimolaire d'oxygène et de pro-
FDA Food and Drug Administration toxyde d'azote
FDI Functional Disability Inventory MICI maladie inflammatoire chronique de l'intestin
FNCLCC Fédération nationale des centres de lutte MIGAC missions d'intérêt général et d'aide à la
contre le cancer contractualisation
FODMAP Fermentable: Oligosaccharides, Disaccharides, MMSE Mini-Mental State Examination
Monosaccharides and Polyols MPR médecine physique et de réadaptation
FR facteur rhumatoïde MSO médicament de substitution aux opiacés
FST formation spécialisée transversale NAPQI N-acétyl-para-benzoquinone imine
G-CSF granulocyte colony-stimulating factor NFCS Neonatal Facing Coding System
GRADE (Grading of Recommendations Assessment, NFS numération formule sanguine
Development and Evaluation) NGF Nerve Growth Factor
HAD Hospital Anxiety and Depression Scale NHWS National Health and Wellness Survey
HAS Haute Autorité de santé NMDA N-méthyl-D-aspartate
HDJ hospitalisations de jour NNPS neurone nociceptif postsynaptique
HIT Headache Impact Test NNT number needed to treat
HR heart rate NPSI Neuropathic Pain Symptom Inventory
HTA hypertension artérielle NRM noyau raphé magnus
IASP International association for the study of pain OARSI Osteoarthritis Research Society International
IDM infarctus du myocarde OMS Organisation mondiale de la santé
IEC inhibiteur de l'enzyme de conversion ORL oto-rhino-laryngologie
IgA immunoglobuline A PCA analgésie contrôlée par le patient
IHS International Headache Society PHRC Programmes hospitaliers de recherche
II interneurone inhibiteur clinique
IL-1 interleukine 1 PIO pression intra-oculaire
IMAO inhibiteur de la monoamine oxydase PLP plasma riche en plaquettes
IMC indice de masse corporelle PMP Pain Management Program
INCa Institut national du cancer PNfS stimulation du champ nerveux périphérique
INR International Normalized Ratio PRO patient outcome report
IPAQSS Indicateurs pour l'amélioration de la qualité PROTAU Programme de traitement antalgique en
et de la sécurité des soins. urgence
IPP inhibiteur de la pompe à protons PTA plateformes territoriales d'appui
IRC insuffisance rénale chronique PTH parathormone
IRM imagerie par résonance magnétique QCD Questionnaire concis de la douleur
IRSNA inhibiteur de la recapture de la sérotonine et QDSA Questionnaire douleur de Saint-Antoine
de la noradrénaline QST Quantitative Sensory Testing
ISCOX-2 inhibiteurs sélectifs des cyclo-oxygénase de RCH rectocolite hémorragique
type II RCP réunion de concertation pluridisciplinaire
XXII   Abréviations

RGO reflux gastro-œsophagien SNA système nerveux autonome


RQTH reconnaissance de la qualité de « travailleur SNC système nerveux central
handicapé » SRNI inhibiteur capture serotonine et noradrenaline
RR respiration rate SNP stimulation nerveuse périphérique
rTMS stimulation magnétique transcrânienne SOR Standards, options, recommandations
répétée SpO2 saturation pulsée en oxygène
tDCS stimulation transcrânienne à courant continu SSPI salle de surveillance postinterventionnelle
RFE Recommandations formalisées d'experts STA syndrome thoracique aigu
RVM médulla rostroventrale T2A tarification à l'activité
SAPHO synovite-acné-pustulose-hyperostose-ostéite TCC thérapie cognitivocomportementale
SCA syndrome coronarien aigu tDCS stimulation électrique transcrânienne à cou-
SDPC syndrome douloureux pelvien complexe rant continu
SDC structure spécialisée douleur chronique TDR test de diagnostic rapide
SDM syndrome drépanocytaire majeur TENS neurostimulation électrique transcutanée
SDRC syndrome douloureux régional complexe TEP tomographie par émission de positons
SF Short Form TMS stimulation magnétique transcrânienne
SFAP Société française d'accompagnement et de TNF Tumor Necrosis Factor
soins palliatifs TRP Transient Receptor Potential
SFAR Société française d'anesthésie et de réanima- TSH Thyréostimuline
tion UFR unité de formation et de recherche
SFEMC Société française d'étude des migraines et des UM ultra métaboliseur
céphalées
USC unité de soins continus
SFETD Société française d'étude et traitement de la
USP unité de soins palliatifs
douleur
VIH virus de l'immunodéficience humaine
SFMU Société française de médecine d'urgence
VPL ventro-postérolatéral
SFN Société française de neurologie
VS vitesse de sédimentation
SGPA substance grise périaqueducale
VZV virus varicelle-zona
SGPV substance grise périventriculaire
WPAI Adult Work Productivity and Activity Impair-
SII syndrome de l'intestin irritable
ment Scale
SII-PI syndrome de l'intestin irritable postinfectieux
Chapitre
1
De la douleur aiguë
à la douleur chronique
Bernard Calvino

PLAN DU CHAPITRE
Douleur aiguë . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Douleur aiguë pétentes activées, susceptibles de sensibiliser et d'activer les


nocicepteurs, du fait que leurs récepteurs sont exprimés par
C'est une expérience sensorielle et émotionnelle résul- les terminaisons nerveuses des fibres périphériques.
tant des stimulations « nociceptives » de haute intensité Les nocicepteurs ne répondent qu'à des stimulations noci-
qui déclenchent une cascade d'événements physiologiques ceptives (mécanonocicepteurs, thermonocicepteurs, répon-
conduisant à l'intégration des informations codant les diffé- dant au chaud et au froid, chémonocicepteurs qui répondent
rents aspects de la douleur [1]. aux molécules algogènes de la soupe inflammatoire ou encore
Le prolongement dans le temps de la douleur aiguë nocicepteurs polymodaux, qui répondent à plusieurs moda-
conduit au développement d'une douleur chronique. La lités de stimulations). Trois classes de neurones recevant des
douleur perd sa signification de signal d'alarme pour évo- afférences des fibres sensorielles dans la corne dorsale de la
luer vers un syndrome chronique. Les douleurs chroniques moelle épinière (CDME) ont été identifiées (figure 1.1) :
peuvent être soit des douleurs par excès de nociception ■ les neurones nociceptifs spécifiques, qui ne répondent
(inflammation, sensibilisation des nocicepteurs, etc.), soit qu'à des stimulations périphériques nociceptives,
des douleurs neuropathiques (neuropathies périphériques reçoivent des afférences des fibres Aδ et C ;
ou neuropathies centrales). Il y a aussi des douleurs mixtes, ■ les neurones nociceptifs non spécifiques, qui répondent
à la fois douleurs par excès de nociception et douleurs neu- à des stimulations périphériques de faible et de forte
ropathiques, par exemple dans le cas des douleurs cancé- intensité, reçoivent des afférences de fibres sensorielles
reuses. Enfin, ont été considérées plus récemment (2018) non nociceptives (fibres Aα, β) et nociceptives (fibres
par l'IASP les douleurs dites nociplastiques, qui résultent de Aδ, C) ;
la plasticité du système nerveux central (SNC) susceptible de ■ les neurones non nociceptifs spécifiques ne répondent qu'à
modifier les systèmes de contrôle de la douleur et d'engen- des stimulations périphériques de faible intensité et n'inter-
drer ainsi des douleurs sans cause apparente (par exemple la viennent pas dans l'intégration de l'information nociceptive.
fibromyalgie) [2]. La douleur peut être modulée en fonction Les axones des neurones nociceptifs de la CDME consti-
de la situation psychologique du sujet, mais aussi en fonc- tuent les faisceaux médullaires ascendants qui projettent
tion de son environnement (affectif, socioculturel, ethnolo- leur information à différents niveaux supraspinaux.
gique, religieux, etc.). Cette modulation résulte de la mise On distingue quatre sites supraspinaux de projection :
en œuvre de contrôles inhibiteurs exercés par les voies des- ■ les noyaux du thalamus ventro-postérolatéral (VPL),
cendantes, issus des structures corticales ou sous-corticales. noyaux spécifiques de la sensibilité tactile et de la noci-
La douleur aiguë résulte de la mise en jeu d'une triade : ception, à l'origine de la composante sensoridiscrimina-
lésion-inflammation-douleur. Les informations noci- tive de la douleur ;
ceptives à l'origine de la douleur aiguë sont générées à la ■ des sites de projection bulbaires (noyau gigantocellulaire) et
périphérie par la lésion qui va être à l'origine d'une inflam- mésencéphaliques (substance grise périaqueducale et noyau
mation : de nombreuses molécules, constituant la « soupe cunéiforme), structures relais pour l'information noci-
inflammatoire », sont synthétisées et libérées par les cellules ceptive véhiculée par le faisceau spino-­réticulothalamique
lésées des tissus périphériques et les cellules immunocom- jusqu'au thalamus médian non spécifique ;

Médecine de la douleur pour le praticien


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6   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Encéphale

Contrôles inhibiteurs
issus de l'encéphale

Tronc cérébral

Neurones sérotoninergiques
et noradrénergiques
Contrôles Inhibiteurs Descendants (C.I.D.)

Corne Dorsale
Faisceaux de la Moelle Épinière
spinaux (CDME)
ascendants
– Moelle épinière

NNPS
Ganglion de la
racine dorsale

Périphérie

Figure 1.1 Intégration du message nociceptif et contrôle modulateur. CDME : corne dorsale de la moelle épinière ; CID : contrôle inhibiteur
descendant ; NNPS : neurone nociceptif postsynaptique.

■ l'hypothalamus intervient dans le contrôle des réactions (figure 1.2) : les activités activatrices segmentaires péri-
végétatives de la douleur, mais aussi dans la libération phériques (véhiculées par les fibres nociceptives) et les
d'hormones jouant un rôle dans le contrôle du stress ; activités inhibitrices segmentaires périphériques (véhi-
■ le complexe amygdalien, structure du système limbique, culées par les fibres non nociceptives). Ce mécanisme de
intervient dans les réactions affectives et émotionnelles régulation spinale est lui-même soumis à des contrôles
de la douleur. descendants d'origine supraspinale ;
Les sites de projection corticaux sont multiples et les inte- ■ les contrôles inhibiteurs descendants, à l'origine de voies
ractions entre ces sites sont nombreuses. Tout d'abord, les descendantes dans la moelle épinière, issues de la subs-
neurones du thalamus VPL projettent leurs axones vers les tance grise périaqueducale (SGPA) et mésencéphalique,
aires somesthésiques S1 et S2 : les caractéristiques du mes- et de la médulla rostroventrale (RVM) sérotoninergique
sage nociceptif y sont décodées, ce qui permet la genèse de (noyau raphé magnus [NRM] et noyaux paragigantocel-
la perception de la sensation douloureuse (qualité, localisa- lulaire et gigantocellulaire). La stimulation de ces noyaux
tion, intensité et durée). Ensuite, différents noyaux de l'encé- est à l'origine d'une analgésie résultant de ces contrôles
phale impliqués dans la douleur projettent leurs axones vers inhibiteurs sur les neurones nociceptifs non spécifiques
les aires corticales préfrontales, le cortex insulaire et le cor- de la CDME. Les axones des neurones sérotoninergiques
tex cingulaire antérieur, impliquées dans les réactions émo- de la RVM se projettent sur tous les segments spinaux (du
tionnelles plus élaborées à la douleur. segment cervical au segment sacré), dans la CDME. On y
La douleur peut être modulée en fonction de de la situa- associe les systèmes de contrôles inhibiteurs descendants
tion psychologique du sujet, mais aussi en fonction de son noradrénergiques issus du locus cœruleus et du locus
environnement (affectif, socioculturel, religieux, géogra- subcœruleus, qui fonctionnent sur le même modèle ;
phique, etc.), mais aussi de sa situation psychologique. Cette ■ les contrôles facilitateurs descendants, issus du tronc
modulation résulte de la mise en jeu de contrôles inhibiteurs cérébral, exacerbent les stimulations nociceptives au
exercés par des structures spinales et supraspinales. On dis- niveau spinal. Une stimulation de la RVM à des intensi-
tingue cinq catégories de systèmes de contrôle : tés élevées déclenche des effets analgésiques (figure 1.2),
■ les contrôles segmentaires spinaux de la CDME, modé- mais, à des intensités plus faibles dans la même région,
lisés en 1965 par Melzack et Wall dans la « théorie du déclenche des effets facilitateurs pro-algiques, avec une
portillon » (« gate control theory »), qui reposent sur discrimination anatomique entre des sites inhibiteurs
l'équilibre d'une balance entre deux activités exercées sur antalgiques et d'autres facilitateurs pro-algiques. L'équi-
les neurones nociceptifs non spécifiques de la CDME [1] libre entre les deux systèmes descendants concurrents
Chapitre 1. De la douleur aiguë à la douleur chronique     7

Analgésie Douleur

Stimulation des fibres Stimulation des fibres fines


de gros diamètre Aα.β nociceptives Aδ.C

Fibres Aα.β Fibres Aδ.C


Périphérie

– + Corne Dorsale de
I.I. : I.I. la Moelle Épinière
Interneurone (CDME)
Inhibiteur
– Encéphale
N.N.P.S. : NNPS
Neurone Nociceptif + +
Post-Synaptique
Figure 1.2 Contrôle médullaire de la douleur. CDME : corne dorsale de la moelle épinière ; II : interneurone inhibiteur ; NNPS : neurone noci-
ceptif postsynaptique.

déterminerait le degré d'excitabilité des neurones de la matoire sont à l'origine de l'abaissement du seuil de réponse
CDME, qui à son tour modulerait la transmission de des nocicepteurs et de la potentialisation de l'activité élec-
l'information douloureuse vers les structures centrales ; trique des fibres qui va être exacerbée.
■ les contrôles inhibiteurs diffus induits par une sti-
mulation nociceptive (CIDN) sont déclenchés depuis
tout territoire corporel distinct du champ excitateur des Sensibilisation centrale
neurones nociceptifs non spécifiques activés (stimula- Elle résulte de cette double propriété et s'exprime par une
tion hétérotopique), à condition que le stimulus hété- activation considérable des neurones nociceptifs de la
rotopique soit nociceptif. Ces CIDN constitueraient le CDME. La transmission glutamatergique y joue un rôle
support neurophysiologique de la contre-irritation, pro- important, par l'intermédiaire de l'un des récepteurs du glu-
cessus par lequel une douleur peut masquer une autre tamate (neurotransmetteur libéré par les fibres nociceptives
douleur ; périphériques activées), le récepteur NMDA (un récepteur
■ plus récemment, des contrôles issus de diverses struc- canal perméable aux cations), exprimé par les neurones
tures cérébrales, en particulier de différentes aires du nociceptifs de la CDME. Le BDNF (Brain-Derived Neuro-
cortex et du système limbique, ont été décrits. trophic Factor), stocké dans les terminaisons centrales des
fibres sensorielles nociceptives dans la CDME, jouerait
un rôle de neuromodulateur dans la douleur chronique. Il
Douleur chronique pourrait réguler l'excitabilité des neurones nociceptifs post-
Lorsqu'elle devient chronique, la douleur est à l'origine de synaptiques de la CDME.
mécanismes de sensibilisation, périphérique et centrale, qui
vont modifier l'activité des systèmes physiologiques de la Références
douleur aiguë décrits ci-dessus.
[1] Melzack R, Wall PD. Pain mechanisms : a new theory. Science 1965 ;
150 : 971–9.
[2] IASP https://www.iasp-pain.org/Education/Content.aspx ?Item­
Sensibilisation périphérique Number=1698#Nociplasticpainhttps://w w w.iasp-pain.org/
Elle résulte du prolongement dans le temps des processus Education/Content.aspx ?ItemNumber=1698#Nociplasticpain ;
lésionnels périphériques. Les molécules de la soupe inflam- 2018.
Chapitre
2
De la physiologie
et la physiopathologie
de la douleur à la
pharmacologie des antalgiques
Alain Eschalier, Christine Courteix, Fabien Marchand, Denis Ardid

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 De la physiopathologie à la pharmacologie . . 11
De la physiologie à la pharmacologie . . . . . . . 9 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Introduction disponibles interfèrent de la périphérie aux centres avec la


genèse, la transmission, la modulation et l'intégration du
On peut, dans l'état actuel de la pharmacopée et des pers- message douloureux. Cette analyse, focalisée sur les impacts
pectives pharmacologiques, établir un continuum entre neurochimiques des médicaments, se propose d'établir
les connaissances physiologiques et physiopathologiques pour chaque classe un lien étroit avec les mécanismes phy-
de la douleur d'une part, et la pharmacologie des antal- siologiques ou les changements physiopathologiques et de
giques d'autre part. Ce continuum conduit à passer de la fournir ainsi au lecteur une vision mécanistique de la phar-
nociception, phénomène physiologique, aux modifica- macopée. Nous espérons qu'elle aidera le prescripteur à
tions, en particulier neurochimiques, qui font le lit de la mieux intégrer la logique du choix médicamenteux, même
douleur, puis aux impacts pharmacologiques sur les sys- si nous avons bien conscience que cette approche ne suffit
tèmes à l'origine des perturbations physiopathologiques. pas à assurer une médecine vraiment personnalisée.
Même si la complexité des phénomènes impliqués dans
chacune de ces situations est bien réelle, il est possible d'en
donner une vue, fatalement schématique, afin de conférer De la physiologie
une logique, au moins partielle, à la thérapeutique médi-
camenteuse. C'est une approche de ce type que proposent
à la pharmacologie
Lussier et Beaulieu [1]. Leur classification des antalgiques La physiologie de la nociception inclut l'ensemble des pro-
associe des classes identifiées pour les unes par leur cessus de codage des stimuli nociceptifs et la naissance de
impact physiologique (antinociceptifs) ou physiopatholo- l'influx au niveau des nocicepteurs, sa conduction le long
gique (agents modulant les phénomènes de sensibilisation des fibres afférentes primaires, sa transmission spinale ou
pour les douleurs neuropathiques) et, pour les autres, par trigéminale et son intégration centrale responsable de la
leur effet symptomatique (antihyperalgésiques) ou leur perception et qui permet la mise en œuvre de comporte-
cible neurophysiologique (contrôles descendants inhibi- ments d'évitement dans l'objectif du maintien de l'intégrité
teurs ou transmission). de l'organisme. Certaines molécules peuvent interférer avec
Ce chapitre qui se situe donc entre les données du cha- les mécanismes impliqués dans ce cheminement : on parle
pitre 1 « Chemin de la douleur aiguë à la douleur chro- de médicaments antinociceptifs. Dans une approche expé-
nique : du symptôme au syndrome » et celles du chapitre 14, rimentale, chez l'homme volontaire sain ou chez l'animal
« Traitements médicamenteux » est centré sur la présenta- sain, ces molécules sont capables de modifier les seuils de
tion du continuum existant entre physiologie, physiopatho- réaction à un stimulus nociceptif ou le niveau de la réponse
logie et pharmacologie : il montre comment les antalgiques à un stimulus supraliminaire.

Médecine de la douleur pour le praticien


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10   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

L'action antinociceptive de ces molécules réside dans leur ce soit dans la CPME (zone extracéphalique) ou au niveau
capacité à moduler les mécanismes physiologiques et ainsi du noyau du trijumeau (région céphalique).
à ré­duire la perception nociceptive. La première cible est la Cette synapse est régulée, entre autres, par des opioïdes
détection/transduction du signal nociceptif qui permet au endogènes qui ont des cibles pré- et postsynaptiques, en par-
stimulus appliqué (thermique, mécanique, chimique) d'être ticulier les récepteurs µ. Ces cibles sont les cibles naturelles
transformé en influx nerveux puis conduit le long des fibres des opioïdes exogènes, qui ont donc un effet régulateur, en
afférentes primaires. La première étape met en jeu des sen- l'occurrence inhibiteur, de la transmission nociceptive sur
seurs qui, activés par les stimuli élémentaires, permettent la la voie de passage unique, ce qui explique leur efficacité.
genèse de l'influx nerveux via des mouvements ioniques. La Ainsi, au niveau présynaptique, les opioïdes inhibent la
conduction de l'influx est également due à des mouvements libération des neuromédiateurs en inhibant indirectement
ioniques transmembranaires dépolarisants (sodiques ou cal- les canaux calciques nécessaires au phénomène d'exocytose
ciques) et hyperpolarisants (potassiques) rendus possibles et, au niveau postsynaptique, ils induisent une hyperpolari-
grâce à une famille de protéines : les canaux ioniques. Une fois sation des neurones de projection, réduisant leur aptitude
véhiculé, l'influx est transmis au niveau de la corne postérieure à répondre à la stimulation des neuromédiateurs libérés
de la moelle épinière (CPME), ou du noyau du trijumeau, via dans la fente synaptique. Cet effet, initialement observé
la première synapse établie entre les terminaisons des fibres avec la morphine [3] et d'autres opioïdes (fentanyl, codéine,
afférentes et les neurones de projection. Ce dernier conduit codéthyline) [4] chez des animaux soumis à des stimuli
l'influx vers les structures supraspinales, où d'autres synapses nociceptifs ponctuels, et non dans des modèles de douleur
sont établies au sein de différents noyaux projetant l'influx persistante, traduit bien l'effet des opioïdes sur le processus
jusqu'aux structures d'intégration telles que les aires somesthé- nociceptif physiologique. Cela a été à l'origine de la prise
siques. Chacun de ces transferts synaptiques est soumis à des en charge de situations de douleurs aiguës par administra-
mécanismes neurochimiques qui assurent la transmission du tion péridurale, voire dans un contexte de rachianesthésie.
message et la régulation de celle-ci. À chacune de ces étapes, L'activation des récepteurs δ peut également moduler cette
les acteurs neurochimiques physiologiquement impliqués aux transmission, mais aucune molécule agissant spécifique-
niveaux neuronal (neuromédiateurs et récepteurs) ou glial ment sur ce récepteur n'est aujourd'hui commercialisée.
(médiateurs et récepteurs) peuvent être des cibles de médi- La répartition des récepteurs µ étant relativement ubiqui-
caments, activateurs ou inhibiteurs exogènes, susceptibles de taire dans le système nerveux, d'autres sites d'action, supras-
moduler in fine la perception du message nociceptif. pinaux, participent à l'effet antinociceptif des opioïdes. Leur
Trois types de médicaments, classiques, sont susceptibles action supraspinale a d'ailleurs été évoquée avant le site médul-
d'interférer avec ces mécanismes physiologiques : les anesthé- laire. Ainsi, la présence de récepteurs µ au niveau bulbaire,
siques locaux, les opioïdes et le paracétamol. Les anesthésiques thalamique, amygdalien et cortical et dans la SGPA sous-tend
locaux sont des bloqueurs de canaux sodiques, protéines l'action supraspinale des opioïdes non seulement sur la trans-
dépolarisantes qui participent à la conduction de l'influx ner- mission du message, mais également sur son intégration et sur
veux, en particulier le long des fibres afférentes primaires. Le les dimensions émotionnelles de la douleur [5, 6].
blocage de ces canaux réduit la conduction de l'influx nerveux, Le paracétamol s'inscrit également dans cette famille des
donc de différents stimuli parmi lesquels les stimuli nocicep- médicaments antinociceptifs. Même si son efficacité est
tifs. Ainsi, la lidocaïne (associée à la prilocaïne), bloqueur limitée, il augmente les seuils de réaction à des stimuli noci-
non spécifique des canaux sodiques, est utilisée sous forme ceptifs chez le sujet sain, rongeur [7] ou humain [8]. Actif
de crème pour prévenir les douleurs nociceptives induites par en dehors de tout phénomène inflammatoire, cet antalgique
les soins ou, comme d'autres anesthésiques locaux (ropiva- module les systèmes de contrôle de la nociception, avec un
caïne, bupivacaïne), dans l'anesthésie locorégionale. Parmi ces effet impliquant la SGPA puis les contrôles inhibiteurs des-
canaux, les canaux Nav1.7, très présents au niveau des fibres cendants bulbospinaux. Il exerce cet effet, via son métabolite
afférentes primaires, jouent un rôle important en physiologie actif, l'AM404, en mobilisant plusieurs systèmes de neuro-
et en physiopathologie de la douleur. Ainsi, une mutation par médiation au sein de la SGPA : le système endocannabinoïde
perte de fonction du gène codant ce canal est retrouvée chez (récepteurs TRPV1 et CB1), glutamatergique (libération de
des sujets congénitalement insensibles à la douleur, ce qui glutamate et récepteurs métabotropiques mGluR5), gabaer-
témoigne de son rôle physiologique [2]. gique (libération de GABA) et le système sérotoninergique
Poursuivant le cheminement de l'influx nociceptif dans bulbospinal [9]. Cet effet, qui se manifeste dans ces situa-
une perspective pharmacologique, nous arrivons à la pre- tions secondaires à des stimuli nociceptifs mais sans inflam-
mière synapse entre les fibres afférentes primaires et les mation est indépendant des cyclo-oxygénases.
neurones de projection, synapse mettant en jeu principa- On pourrait sans doute ajouter à la liste le néfopam dont
lement des acides aminés excitateurs (aspartate, glutamate) les études réalisées chez l'animal laissent à penser qu'il est
et des neuropeptides (substance P et CGRP [peptide relié capable de modifier des processus de contrôle physiologique
au gène calcitonine]), chacun agissant sur une cible récep- de la douleur [10].
torielle postsynaptique. L'application d'un stimulus noci- Ainsi ces différents médicaments disponibles sur le mar-
ceptif, fût-il aigu, induit, sous l'effet de la dépolarisation des ché ont-ils la capacité de moduler, à différents niveaux et
fibres afférentes primaires, la libération de ces médiateurs et, selon différents mécanismes, le message nociceptif induit
ainsi, la transmission du message nociceptif vers les centres par des stimulations brèves relevant plus de la physiologie
supérieurs. Il s'agit, en quelque sorte, de la voie de passage que de modifications physiopathologiques durables. Cela
unique par laquelle transitent tous les influx nociceptifs, que n'exclut pas que ces mêmes produits puissent être actifs
Chapitre 2. De la physiologie et la physiopathologie de la douleur à la pharmacologie    11

v­ is-à-vis de douleurs aiguës, accompagnées de modifica- fibres afférentes primaires provoquent un renforcement de
tions physiopathologiques plus ou moins maintenues ou la transmission synaptique dans le premier relais neuronal
de douleurs chroniques sous-tendues par des mécanismes spinal et trigéminal. Cela aboutit, entre autres, à l'activation
physiopathologiques installés. des récepteurs NMDA aux acides aminés excitateurs, source
d'hyperexcitabilité des neurones de projection et, donc, de
transmission majorée vers les centres supérieurs. Activation
De la physiopathologie NMDA et neuro-­inflammation participent à la sensibili-
à la pharmacologie sation spinale qui fait le lit de la douleur chronique et sont
alors accompagnées de modifications d'expression protéique
La douleur source d'une souffrance qui relève d'un traite- (enzymes, canaux, récepteurs) qui entretiennent le phéno-
ment s'accompagne de modifications physiopathologiques mène. Phénomène également entretenu par l'impact que de
dont la nature, l'intensité et la durée varient en fonction des telles modifications peuvent induire au niveau des centres
contextes pathologiques. Ainsi, on distingue classiquement supérieurs impliqués dans la transmission et la modulation
les mécanismes physiopathologiques observés dans les dou- du message nociceptif et de ceux impliqués dans la dimension
leurs par excès de nociception, aiguës ou chroniques, même affectivo-émotionnelle. Ainsi la douleur chronique devient-
s'il est vraisemblable que plusieurs mécanismes peuvent être elle un syndrome multidimensionnel dont la prise en charge
en cause pour chacun de ces contextes, et ceux observés ne peut être que multimodale.
dans les douleurs neuropathiques chroniques. Nous décri- Dans ce contexte physiopathologique, plusieurs stades
rons ces mécanismes sans évoquer les mécanismes physio- d'intervention pharmacologique sont possibles vis-à-vis de
pathologiques de la migraine et ceux, plus hypothétiques, la dimension sensori-discriminative de la douleur inflam-
des douleurs nociplastiques. Douleurs par excès de noci- matoire. Ainsi, les médiateurs et leurs récepteurs situés sur
ception et douleurs neuropathiques peuvent être traitées par les nocicepteurs constituent des cibles potentielles pour
des médicaments de nature différente, dont l'utilisation et des médicaments antalgiques à action prioritairement
l'existence même sont plus souvent nées de l'empirisme cli- périphérique.
nique, voire du hasard, que d'une conception issue directe- Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), inhi-
ment des connaissances physiopathologiques. Néanmoins, il biteurs des cyclo-oxygénases, exercent un effet analgésique
est possible de rattacher telle ou telle famille de médicament périphérique en inhibant prioritairement la synthèse de pros-
antalgique aux mécanismes physiopathologiques avérés ou taglandines qui jouent un rôle d'activateur et de sensibilisateur
supposés de tel ou tel type de douleur. des nocicepteurs. Cet effet sur les nocicepteurs (qui n'est pas
exclusif) associé à l'effet anti-inflammatoire explique l'intérêt
des AINS pour maîtriser la douleur inflammatoire. À ce méca-
Douleurs par excès de nociception, nisme peut s'ajouter un effet central des AINS qui traversent
douleur inflammatoire la barrière hémato-encéphalique ; effet central dû également à
Comme évoqué dans le chapitre « Chemin de la douleur l'inhibition de cyclo-oxygénases spinales, à l'origine de la syn-
aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome », thèse de prostaglandines d'origine neuronale et/ou gliale.
la triade lésion-inflammation-douleur constitue le fondement Mais au-delà de l'exemple classique des AINS, d'autres
de nombreuses douleurs aiguës du quotidien (douleurs post- produits peuvent exercer une action périphérique bénéfique
traumatiques, postopératoires, musculaires, etc.), mais aussi dans ce type de douleur. C'est le cas des anticorps anti-NGF
de douleurs chroniques dans lesquelles la situation inflamma- (tanézumab, fasinumab, fulranumab), dont la commercialisa-
toire est plus ou moins persistante (arthrites, poussées d'ar- tion pourrait survenir dans un délai assez bref, qui empêchent
throse, etc.). La physiopathologie de ces douleurs implique la fixation de ce facteur de croissance neuronal sur son récep-
une activation et une sensibilisation des nocicepteurs qui teur TrkA et inhibent ainsi un des mécanismes d'activation et
aboutit, outre la douleur spontanée, à une diminution des de sensibilisation des nocicepteurs. L'efficacité de cette bio-
seuils de réaction à un stimulus nociceptif et une augmen- thérapie a été démontrée il y a plusieurs années dans diverses
tation des réponses à un stimulus supraliminaire (hyperal- situations de douleurs par excès de nociception chez l'animal
gésie). Les mécanismes à l'origine de ces changements sont [11, 12] et, plus récemment, chez l'humain, par exemple dans
fortement liés à la « soupe inflammatoire » induite par la les douleurs arthrosiques [13].
lésion tissulaire originelle. Ainsi, des médiateurs issus du Toujours à la périphérie, il est légitime d'évoquer la possibi-
plasma, de mastocytes, de neutrophiles, de macrophages ou lité d'activer les récepteurs opioïdes situés sur les nocicepteurs
du tissu lésé lui-même, voire des fibres afférentes via le réflexe et dont l'expression est augmentée en situation inflammatoire
d'axone, convergent vers le site lésionnel et activent leurs pour accueillir des opioïdes endogènes libérés par les cellules
récepteurs spécifiques localisés sur les nocicepteurs condui- immunocompétentes mobilisées dans cette situation. Une
sant à la genèse de l'influx nerveux. Cet afflux de médiateurs équipe allemande a conçu un fentanyl modifié, susceptible
et l'activation des nocicepteurs aboutissent à un excès d'influx d'agir uniquement à pH bas, ce qui est le cas d'un état inflam-
nociceptif à l'origine des douleurs ressenties. Les familles de matoire, et d'induire ainsi un effet antalgique [14].
médiateurs sont très variées : cytokines (TNF- α, IL-1β, etc.), Mais le site d'action périphérique n'est bien évidemment
bradykinine, histamine, sérotonine, lipides (prostaglandines, pas le seul site d'action possible pour réduire les douleurs
etc.), adénosine triphosphate (ATP), ions H +, nerve growth par excès de nociception, particulièrement les douleurs
factor (NGF), etc. L'activation importante des nocicepteurs inflammatoires. Les médicaments antinociceptifs (opioïdes,
et les nombreux potentiels d'action induits au niveau des paracétamol, néfopam) sont aptes à réduire, plus ou moins
12   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

efficacement, ce type de douleur en inhibant la transmission massive de calcium, à l'origine de phénomènes intracellu-
du message selon les mécanismes évoqués plus haut. Ils laires qui aboutissent à l'hyperexcitabilité de ces neurones.
deviennent donc antihyperalgésiques, s'opposant aux per- Cette hyperexcitabilité est renforcée par une levée des sys-
turbations observées dans la douleur inflammatoire, parmi tèmes inhibiteurs spinaux (interneurones gabaergiques, qui
lesquelles, justement, l'hyperalgésie, mais aussi, bien sûr, la peuvent aussi devenir source d'excitabilité !), ou bulbospi-
douleur spontanée. naux noradrénergiques. Des phénomènes d'origine gliale
D'autres produits, comme la kétamine, peuvent être (libération de cytokines TNF-α, IL-1β, BDNF) participent
qualifiés d'antihyperalgésiques. Antagoniste du récepteur aussi à cette hyperexcitabilité via la neuro-inflammation
NMDA, elle inhibe un élément clé de l'excès de nociception induite. Ainsi, dans ce contexte de sensibilisation centrale,
et de la sensibilisation centrale. Cela justifie son utilisation l'augmentation de l'activité des neurones de deuxième ordre
possible contre la douleur postopératoire, contexte qui conduit à une augmentation de leur réponse à différentes
bénéficie aussi de son effet anti-inflammatoire, qui relève modalités sensorielles (dont des stimuli mécaniques de faible
de plusieurs mécanismes [15]. Son action d'inhibition de intensité) et participe à étendre leur champ récepteur.
l'hyperalgésie aux opioïdes est aussi une raison de son utili- Ces phénomènes spinaux ont des effets sur les structures
sation dans ce contexte. supraspinales de la « pain matrix » (terme qui désigne un
Enfin, des produits moins classiques pour la douleur ensemble de structures cérébrales activées en réponse à un
inflammatoire pourraient, au moins selon des études chez stimulus nociceptif) qui participent ainsi non seulement au
l'animal, avoir également un intérêt dans ces douleurs. C'est phénomène douloureux mais également aux comorbidités
le cas, par exemple, des antiépileptiques : plusieurs études associées à cette douleur chronique.
menées dans des modèles animaux de douleur inflamma- Deux classes thérapeutiques sont les traitements de pre-
toire révèlent leur efficacité [16]. Les mécanismes suspectés, mière intention de ces douleurs : les antidépresseurs et les
variés et sans doute différents en fonction du type d'antié- antiépileptiques [17]. Les éléments physiopathologiques de
pileptique, peuvent s'exercer sur les fibres afférentes et/ou ces douleurs, tels que décrits ci-dessus, fournissent le subs-
dans la CPME (inhibition de la sous-unité α2δ des canaux tratum à leur mécanisme d'action sur la dimension senso-
calciques, blocage des récepteurs NMDA, activation de ridiscriminative, tel qu'admis aujourd'hui. Cela n'exclut
canaux potassiques, etc. [gabapentinoïdes] ; inhibition de pas que leurs effets psychotropes puissent aussi participer à
canaux sodiques [carbamazépine, oxcarbazépine]) ou sur l'amélioration générale des patients.
les contrôles descendants (activation des voies sérotoniner- Concernant les antidépresseurs, le premier constat est
giques ou noradrénergiques). que seuls les inhibiteurs mixtes de la recapture de la noradré-
naline et de la sérotonine (IRSNA) sont efficaces, alors que
les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine
Douleurs neuropathiques (ISRS) ne le sont pas. Ce constat, clairement confirmé par
Les douleurs neuropathiques sont des douleurs chroniques des études cliniques, exclut un mécanisme sérotoninergique
secondaires à une lésion ou une maladie du système ner- alors même que la sérotonine est un modulateur majeur du
veux somatosensoriel. Les altérations de ce système, qui message nociceptif. Il existerait donc une forme de résis-
peuvent être d'origine traumatique, métabolique, isché- tance des douleurs neuropathiques à l'effet antalgique de la
mique, neurodégénérative, tumorale, iatrogène, infectieuse, sérotonine, résistance qui mérite exploration. Quoi qu'il en
etc., conduisent à un déséquilibre entre les systèmes exci- soit, ces données montrent qu'il est nécessaire qu'une com-
tateurs (facilités) et inhibiteurs (réduits) de la transmission posante noradrénergique soit mobilisée pour que les anti-
nociceptive. Ce déséquilibre aboutit à une hyperexcitabilité dépresseurs (imipraminiques ou IRSNA) soient efficaces.
liée à des modifications anatomiques, électrophysiologiques, L'hypothèse privilégiée est que ces antidépresseurs inhibent
moléculaires, périphériques et/ou centrales. L'hyperexcita- la recapture de la noradrénaline libérée par les terminaisons
bilité sous-jacente dépend des capacités neuroplastiques du spinales des voies inhibitrices descendantes bulbospinales.
système nerveux, qui affectent les canaux ioniques, l'activité Par ce mécanisme, les antidépresseurs renforcent un sys-
des neurones de projection et les systèmes inhibiteurs et tème de contrôle inhibiteur dont l'activité est réduite dans
facilitateurs. les douleurs neuropathiques. Nombre d'entre eux sont des
Ainsi, on observe, dans les neuropathies périphériques, produits pharmacologiquement « sales », car ils agissent sur
une augmentation de l'expression et une modification de plusieurs cibles moléculaires : canaux ioniques ou récep-
la distribution et de la fonction de certains canaux ioniques teurs NMDA, α-adrénergiques ou encore histaminergiques,
dépolarisants tels que les canaux sodiques, calciques ou TRP etc. Ces effets, considérés comme annexes à l'inhibition de
(Transient Receptor Potential). L'ensemble de ces phéno- la recapture, peuvent néanmoins participer à l'action théra-
mènes conduit à une excitabilité accrue des fibres afférentes, peutique de ces molécules. En effet, certaines de ces cibles
à des décharges ectopiques, par exemple au niveau d'un sont impliquées dans la physiopathologie des douleurs neu-
névrome, à une libération accrue de neurotransmetteurs et, ropathiques. Ainsi, le blocage des canaux sodiques pourrait
donc, à une augmentation de la transmission synaptique spi- participer à l'effet des imipraminiques et de la venlafaxine.
nale vers les neurones de projection. On observe également Il convient d'évoquer ici le tramadol, antalgique opioïde qui
une diminution de l'expression de canaux hyperpolarisants possède aussi la capacité d'inhiber la recapture de séroto-
de type potassique. Ainsi, les récepteurs NMDA, localisés sur nine et de la noradrénaline, ce qui lui confère une certaine
les neurones de projection, sont activés à la suite de décharges légitimité dans la prise en charge des patients souffrant de
continues issues des fibres afférentes, ce qui permet l'entrée douleurs neuropathiques.
Chapitre 2. De la physiologie et la physiopathologie de la douleur à la pharmacologie    13

Les antiépileptiques sont conceptuellement des médi- Conclusion


caments qui s'opposent à l'hyperexcitabilité neuronale. Or
cet effet peut être obtenu soit en inhibant les effets et/ou Les mécanismes physiopathologiques résumés dans ce cha-
la libération de neuromédiateurs excitateurs (par exemple pitre – dont la connaissance provient très souvent, mais pas
les acides aminés excitateurs agissant sur le récepteur exclusivement, des résultats d'études précliniques in vivo,
NMDA), soit en inhibant les canaux ioniques dépolarisants ex vivo ou in vitro – fournissent un substratum pathogénique
(sodiques, calciques), soit en activant les systèmes neuro- aux douleurs par excès de nociception et aux douleurs neu-
naux inhibiteurs (par exemple le système gabaergique) ou ropathiques. L'évolution de ces connaissances de plus en plus
les canaux ioniques hyperpolarisants (potassiques). Ces nombreuses et sophistiquées, en particulier grâce aux progrès
différentes cibles protéiques sont impliquées dans la physio- technologiques aurait dû conduire à l'émergence de nouveaux
pathologie des douleurs neuropathiques (cf. ci-dessus). On concepts pharmacothérapeutiques. Hélas, la réalité de la phar-
comprend alors que les antiépileptiques puissent avoir une macopée, en voie de raréfaction et constituée de produits
place dans ce contexte pathologique. Les gabapentinoïdes dont le ratio bénéfice-risque est souvent insatisfaisant, est
(gabapentine et prégabaline) sont recommandés, comme aujourd'hui tout autre. Pourtant, les connaissances physiopa-
les antidépresseurs, en première intention pour le traite- thologiques permettent de mieux comprendre et souvent de
ment des douleurs neuropathiques [17]. Ces produits, nous justifier l'utilisation de tel ou tel antalgique dans la prise en
l'avons dit plus haut, sont des inhibiteurs de la sous-unité charge des syndromes douloureux mentionnés dans ce cha-
α2δ des canaux calciques 2.1 et 2.2, dont il a été montré pitre. L'objectif de ce dernier était d'illustrer ce lien, afin d'ai-
qu'elle était surexprimée au niveau des ganglions spinaux der le praticien dans sa démarche thérapeutique. Nous aurions
dans des modèles de neuropathie. Les canaux calcique 2.2 aimé pouvoir intégrer à ces réflexions les douleurs nociplas-
sont d'ailleurs la cible du ziconotide, Ω-conotoxine, indiqué tiques, mais les données physiopathologiques, en particulier
dans le traitement de certaines douleurs neuropathiques neurochimiques, sont telles qu'il n'est pas possible aujourd'hui
rebelles, mais produit administrable uniquement, hélas, d'en extraire des éléments consensuels susceptibles de justifier
par voie intrathécale, ce qui en limite l'emploi. Une autre l'utilisation de tel ou tel médicament, même si la prégabaline la
cible des antiépileptiques est représentée par les canaux duloxétine et le minalcipran ont une autorisation de mise sur
sodiques, dont la carbamazépine et l'oxcarbazépine sont le marché aux États-Unis pour la fibromyalgie.
inhibiteurs. Enfin, il convient de souligner que la carbama-
zépine, traitement de référence de la névralgie du trijumeau
interfère avec le système gabaergique. Elle renforce la trans- Références
mission gabaergique en activant le récepteur GabaA ; ainsi, [1] Lussier D, Beaulieu P. Toward a rational taxonomy of analgesic drugs.
en termes de douleur, elle renforce un système inhibiteur In : Pharmacology of pain. IASP Press ; 2010. p. 27–40.
antalgique. [2] Cox JJ, Reimann F, Nicholas AK, Thornton G, Roberts E, Springell K,
Au-delà de ces deux familles classiquement utilisées et al. An SCN9A channelopathy causes congenital inability to expe-
dans le traitement des douleurs neuropathiques d'autres rience pain. Nature 2006 ; 444(7121) : 894–8.
[3] Le Bars D, Menétrey D, Conseiller C, Besson JM. Depressive effects
produits sont utilisés en deuxième, voire troisième inten-
of morphine upon lamina V cells activities in the dorsal horn of the
tion [17]. Les données physiopathologiques évoquées plus spinal cat. Brain Res 1975 ; 261–77.
haut peuvent expliquer, au moins en partie, leur intérêt. Par [4] Yaksh TL, Rudy TA. Analgesia mediated by a direct spinal action of
exemple, la lidocaïne, anesthésique local, se justifie comme narcotics. Science 1976 ; 25 : 1357–8.
traitement (recommandé en deuxième intention) dans les [5] Wang JY, Huang J, Chang JY, Woodward DJ, Luo F. Morphine modu-
douleurs neuropathiques du fait de sa capacité à bloquer lation of pain processing in medial and lateral pain pathways. Mol
les canaux sodiques. La capsaïcine, également indiquée Pain 2009 ; 5 : 60.
en deuxième intention, est, elle, un agoniste des récep- [6] Oertel BG, Preibisch C, Wallenhorst T, Hummel T, Geisslinger G,
teurs canaux TRPV1 présents sur les nocicepteurs et (en Lanfermann H, Lötsch J. Differential opioid action on sensory and
moindre quantité) dans le SNC. Elle induit initialement, affective cerebral pain processing. Clin Pharmacol Ther 2008 ; 83 :
577–88.
lors de son application superficielle, chaleur, brûlure, sen-
[7] Mallet C, Daulhac L, Bonnefont J, Ledent C, Etienne M, Chapuy E,
sation de piqûre, démangeaison, puis, secondairement, une Libert F, Eschalier A. Endocannabinoid and serotonergic systems
sorte de « défonctionnalisation » des nocicepteurs par une are needed for acetaminophen-induced analgesia. Pain 2008 ; 139 :
activation massive des récepteurs TRPV1 qui conduit à un 190–200.
influx très important de calcium qui est toxique pour les [8] Pickering G, Estève V, Loriot MA, Eschalier A, Dubray C. Acetami-
fibres afférentes. L'administration intradermique ou sous- nophen reinforces descending inhibitory pain pathways. Clin Phar-
cutanée de toxine botulique A, recommandée en troisième macol Ther 2008 ; 84 : 47–51.
intention, s'est révélée efficace chez des patients atteints de [9] Mallet C, Eschalier A, Daulhac L. Paracetamol : Update on it's analge-
douleur neuropathique [18, 19]. Son effet est indépendant sic mechanism of action. In : Maldonado C, editor. Pain Relief -
de son action sur le tonus musculaire et pourrait relever From Analgesics to Alternative Therapies. InTechOpen : Londres ;
2007. p. 2017.
d'un effet neuro-immunologique central lié à une inter-
[10] Girard P, Pansart Y, Coppe MC, Gillardin JM. Nefopam reduces ther-
férence avec la microglie et la production de cytokines. mal hypersensitivity in acute and postoperative pain models in the
Il convient enfin de citer ici les opioïdes. Classiquement rat. Pharmacol Res 2001 ; 44 : 541–5.
considérés comme inefficaces dans les douleurs neuropa- [11] Koltzenburg M, Bennett DL, Shelton DL, McMahon SB. Neutraliza-
thiques, on admet aujourd'hui leur efficacité dans certains tion of endogenous NGF prevents the sensitization of nociceptors
sous-groupes de patients. supplying inflamed skin. Eur J Neurosci 1999 ; 11 : 1698–704.
14   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

[12] Denk F, Bennett DL, McMahon SB. Nerve Growth Factor and Pain [17] Finnerup NB, Attal N, Haroutounian S, McNicol E, Baron R,
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Chapitre
3
Imagerie cérébrale
de la douleur
Roland Peyron

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Physiologie de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Solutions antalgiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Empathie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Résumé pour inventorier une épilepsie rebelle. Ces techniques ont


ainsi permis d'identifier un nombre restreint de régions
L'imagerie fonctionnelle cérébrale appliquée à l'étude des phéno-
cérébrales dans lesquelles les neurones codent l'intensité
mènes douloureux chez l'homme a permis, au cours des vingt-cinq
de la stimulation douloureuse. Leur stimulation induit
dernières années, de préciser les aires cérébrales impliquées dans cette
une sensation douloureuse. Sans parler de spécificité, il est
fonction, mais aussi les aires permettant les modulations nocicep-
actuellement acquis que le cortex présente des réponses
tives, et, enfin, les zones impliquées dans les contrôles antalgiques.
nociceptives corticales (physiologiques).
Contre tous préjugés, ce sont les aires operculaires (aire somatosen-
sorielle secondaire [S2]) et insulaires qui sont le plus constamment
activées par une stimulation douloureuse en plus du thalamus, de Physiologie de la douleur
l'aire somatosensorielle primaire (S1) et du cortex cingulaire antérieur
(CCA). Des modulations peuvent intervenir sur ce circuit, mettant Les aires déjà impliquées dans la somesthésie (thalamus,
en jeu le cortex cingulaire et les aires pariétales. À la suite d'une sti- aire S1) étaient considérées comme susceptibles de générer
mulation nociceptive sévère, des contrôles antalgiques puissants de une réponse nociceptive. Dans les années 2000, il apparaît,
nature opioïdergiques se mettent en place et concernent le cortex à l'imagerie fonctionnelle, que ces aires, contre toute attente,
orbito-frontal, le cortex cingulaire péri- et sous-génual et la SGPA. ne procurent pas systématiquement une réponse nociceptive
(figure 3.1) [1]. Les opercules pariétaux et les insula s'activaient,
quant à eux, systématiquement dès lors que la stimulation
calorique devenait nocive. D'autres réponses moins constantes
Introduction et moins prévisibles surviennent en cas de stimulation dou-
Depuis 1991, les techniques d'imagerie fonctionnelle per- loureuse : cortex préfrontaux, cingulaires moyens (aire 24) et
mettent l'accès, in vivo, au fonctionnement du cerveau de pariétaux postérieurs (aire 40) sont activés en réponse à une
volontaires soumis à un stimulus douloureux [1]. Aupara- tâche attentionnelle dirigée vers l'espace corporel recevant la
vant, la connaissance des circuits de la douleur était fondée stimulation. Le réseau moteur est recruté si la douleur a été
sur l'expérimentation animale et sur les extrapolations à par- suffisamment intense pour générer un retrait ou si la consigne
tir de la somesthésie. Les études de physiologie douloureuse était de maintenir une immobilité stricte de la zone stimulée.
chez le volontaire sain se sont multipliées pour appréhender Ce réseau moteur implique l'aire motrice supplémentaire, le
les mécanismes qui composent cette sensation composite cortex moteur primaire et le cervelet ipsilatéral. Autrement dit,
caractéristique de la douleur physiologique. Les mêmes le cerveau est capable d'identifier qu'une stimulation calorique
techniques d'imagerie peuvent ensuite être déclinées pour atteint un niveau nociceptif dans des aires discriminantes.
étudier les douleurs chroniques (par exemple les douleurs C'est là la réponse minimale, mais il est capable en même
neuropathiques), à des fins de compréhension des méca- temps de conduire une réponse attentionnelle, de générer une
nismes physiopathologiques et des mécanismes antalgiques. réponse motrice, de localiser avec précision la zone agressée,
Ces techniques ont beaucoup bénéficié de l'apport de constituer une réponse émotionnelle, etc.
d'autres explorations, comme les enregistrements intracrâ- Les stimulations intracérébrales directes ont beaucoup aidé
niens [2] ou les stimulations intracrâniennes directes [3] à comprendre la signification fonctionnelle de chacune de ces
menés chez des patients ayant des électrodes implantées activations parallèles : lors des expertises ­préopératoires de
Médecine de la douleur pour le praticien
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16   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Figure 3.1 La douleur dans le cerveau ?

patients atteints d'épilepsie rebelle préchirurgicale, des élec- puisque le sujet n'est pas lui-même soumis à la sensation
trodes enregistrant les crises sont implantées. Elles peuvent physique de douleur [6].
servir à stimuler le cerveau directement. Seuls 11 % de plus de
4 000 stimulations disséminées dans tout le cerveau ont déclen-
ché une sensation douloureuse sans équivoque, mais toutes ces Douleurs chroniques
stimulations étaient de localisation operculaire (S2) et/ou insu- Appliquer l'imagerie fonctionnelle aux douleurs chroniques,
laire postérieure [3]. Cela suggère que la capacité des aires oper- notamment neuropathiques vise à explorer des mécanismes
culo-insulaires à générer de la douleur est forte, à la différence physiopathologiques. Des réorganisations du thalamus, des
des autres aires cérébrales, y compris celles du gyrus cingulaire. aires insulaires, operculaires et du cortex préfrontal sont
Si l'on stimule la peau avec un laser, les électrodes enregistrant observées. Plus précisément, la tomographie par émission
des réponses proportionnelles à la perception douloureuse sont de positons (TEP) permet d'aborder les questions de la
essentiellement observées dans ces mêmes aires [2]. Les aires médiation chimique des informations nociceptives ou des
capables de générer de la douleur ont donc aussi une capacité réorganisations cérébrales qui font la pathologie, ou encore
discriminative leur permettant de distinguer une stimulation de la médiation de phénomènes antalgiques. Des anomalies
thermique indolore d'une stimulation douloureuse, alors que du système endorphinique ont ainsi été rapportées dans plu-
d'autres régions peuvent avoir d'autres fonctions, attentionnelle sieurs pathologies douloureuses chroniques.
(pariétal postérieur et préfrontal), émotionnelle (insula anté-
rieure et cortex orbitofrontal) ou motrice (système moteur).
Deux exemples en pathologie confirment ces données : l'épi- Solutions antalgiques
lepsie, modèle de décharge neuronale, peut produire des symp- Du point de vue du soignant, s'intéresser aux mécanismes
tômes douloureux si l'origine de la crise ou sa propagation est susceptibles d'apporter un soulagement est important. Des
operculaire ou insulaire [4]. À l'inverse, une lésion focale du études ont évalué les effets sur l'activité cérébrale d'un cer-
cerveau dans la région de S2 et de l'insula postérieure peut abo- tain nombre de solutions antalgiques : la diversion, l'hyp-
lir la fonction nociceptive, le patient se trouvant dans l'incapa- nose, les opiacés ou l'effet placebo, qui créent des activités
cité de percevoir une stimulation nocive de 50 °C ou la piqûre concentrées dans le cortex frontal médian, le cingulaire ros-
de l'infirmière en vue d'une prise de sang [5]. tral, et le cortex orbito-frontal. Il est admis que ces structures
puissent être à l'origine de contrôles inhibiteurs via la SGPA
et que cette région puisse être impliquée dans des méca-
Empathie nismes antalgiques physiologiques. La neurostimulation
Une partie de ce même réseau se trouve activée quand du cortex moteur, technique empirique, soulage la douleur
la douleur est générée à la vue de la souffrance d'au- des patients dans 60 % des cas sans que l'on en comprenne
trui (empathie). Logiquement, les aires perceptives ou les mécanismes. Les activités qu'induit ce neuro­stimulateur
­discriminatives décrites plus haut ne sont pas recrutées, concernent les aires à distance, le thalamus, le cortex
Chapitre 3. Imagerie cérébrale de la douleur     17

c­ ingulaire rostral ou la SGPA. Dans ces deux dernières aires, [2] Frot M, Magnin M, Mauguiere F, Garcia-Larrea L. Human SII and
les activités sont corrélées à l'effet antalgique [7]. Cela nous posterior insula differently encode thermal laser stimuli. Cereb Cortex
rappelle que la neurostimulation de la SGPA a été développée, 2007 ; 17 : 610–20.
[3] Mazzola L, Isnard J, Peyron R, Mauguiere F. Stimulation of the human
de manière empirique elle aussi, avec certains succès théra-
cortex and the experience of pain : Wilder Penfield's observations revi-
peutiques, dans les années 1950, et que le cortex cingulaire sited. Brain 2012 ; 135 : 631–40.
rostral pouvait être considéré comme une cible potentielle [4] Isnard J, Guénot M, Ostrowsky K, Sindou M, Mauguière F. The role of the
pour la neurostimulation de ces patients, d'autant que ces insular cortex in temporal lobe epilepsy. Ann Neurol 2000 ; 48 : 614–23.
structures sont accessibles à l'imagerie de par leur richesse en [5] Garcia-Larrea L, Perchet C, Creac'h C, Convers P, Peyron R, Laurent B,
récepteurs opioïdes. et al. Operculo-insular pain (parasylvian pain) : a distinct central pain
syndrome. Brain 2010 ; 133 : 2528–39.
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[1] Peyron R, Laurent B, Garcia-Larrea L. Functional imaging of brain res- [7] Maarrawi J, Peyron R, Mertens P, Costes N, Magnin M, Sindou M, et al.
ponses to pain. A review and meta-analysis (2000). Neurophysiol Clin Brain opioid receptor density predicts motor cortex stimulation effi-
2000 ; 30 : 263–88. cacy for chronic pain. Pain 2013 ; 154 : 2563–8.
Chapitre
4
Principes d'évaluation
des syndromes douloureux
chroniques de l'enfant
Barbara Tourniaire

PLAN DU CHAPITRE
Évaluer l'intensité de la douleur . . . . . . . . . . . 21 À qui, et quand adresser un enfant ou un
Une évaluation globale nécessaire adolescent en structure douleur ? . . . . . . . . . . 24
dans la douleur chronique de l'enfant. . . . . . . 23

de santé (HAS) précise les données de l'évaluation dans la


POINTS ESSENTIELS douleur aiguë de l'enfant [1]. L'évaluation de la douleur de
L'évaluation de la douleur est possible à tous les âges avec l'enfant comme de l'adulte est aussi un critère exigible de la
des échelles validées. À partir d'environ 5 ans, les enfants certification. Nous ne disposons pas de recommandations
sont eux-mêmes capables d'évaluer leur propre douleur. spécifiques sur l'évaluation de la douleur chronique de l'en-
Avant cet âge, une hétéroévaluation est nécessaire, fondée fant, ni d'une définition spécifique de la douleur chronique
sur l'observation. Dans la douleur chronique, outre l'intensité en pédiatrie : en particulier, la même durée que chez l'adulte
de la douleur, son retentissement sur la vie de l'enfant et de doit-elle être retenue, surtout chez les enfants les plus petits ?
sa famille doit être évalué. Le développement psychomoteur de l'enfant et sa com-
préhension des événements détermineront la façon dont
le soignant entrera en contact avec l'enfant et évaluera la
Comme chez l'adulte, l'évaluation de la douleur est incon- douleur.
tournable pour la mise en place d'une stratégie thérapeu-
tique adaptée.
L'évaluation n'est pas un acte simple ni isolé. Il s'agit Évaluer l'intensité de la douleur
d'un processus complet et complexe qui ne se réduit pas à
l'intensité de la douleur. Évaluer consiste à comprendre au
De la douleur aiguë à la douleur
plus près ce que l'enfant éprouve. Comme chez l'adulte, prolongée
l'évaluation doit tenir compte des caractéristiques de la dou- Dans la douleur aiguë sont surtout présents des signes tels
leur, de sa description, son intensité, sa fréquence, sa durée, que les cris, les protestations, les pleurs ou l'évitement ; ces
sa localisation, mais aussi de son retentissement, en termes signes sont évidents, très sensibles, mais peu spécifiques car
d'impact fonctionnel, de qualité de vie, d'absentéisme sco- aussi parfois présents dans la colère ou la peur. Cependant,
laire et de retentissement familial. Tous ces éléments seront le travail d'équipes de recherche a mis en évidence, sur le
recueillis avec pertinence si le contact avec l'enfant et sa visage des nouveau-nés, des signes plus spécifiques de la
famille a été établi. Évaluer nécessite donc d'observer fine- douleur, ce qui permis le développement d'échelles fondées
ment et d'entrer en relation. sur l'observation du visage du nouveau-né (échelle Neonatal
La démarche d'évaluation ne se réduit donc jamais à l'uti- Facial Coding System [NFCS]).
lisation d'échelles, d'autant moins que la douleur sera pro- Jusqu'à l'âge d'environ 6 ou 7 ans, le visage des enfants
longée ou chronique. La douleur devra alors être replacée est très expressif, incapables de masquer les émotions. La
dans le contexte de vie de l'enfant, dans son histoire et celle douleur est assez facilement repérable à la lecture du visage
de sa famille. et du corps, selon l'expressivité de l'enfant, ce qui a permis
Les premières recommandations françaises sur la dou- le développement d'échelles d'hétéroévaluation, fondées sur
leur de l'enfant datent de 2000 : un texte de la Haute Autorité l'observation. Avec l'âge, les enfants apprennent à contenir
Médecine de la douleur pour le praticien
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22   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

leurs émotions, et leur visage n'est plus forcément le témoin peu la douleur, « envahi de douleur » apparaît parfois en
de leur douleur. Le rôle de l'éducation, de la famille et de quelques heures à quelques jours, par exemple lors de dou-
la culture est très important dans la façon dont l'expression leurs traumatologiques (fractures ou brûlures) ou de dou-
des émotions et, donc, de la douleur, est encouragée ou au leur postopératoire, mais aussi de gingivostomatite, dont le
contraire réfrénée. tableau doit donc être connu de tous les praticiens.
Des outils d'évaluation de la douleur, fondés sur l'obser- Plus récemment, l'échelle française EVENDOL (figure 4.1)
vation, ont été développés et validés chez l'enfant, en fonc- a été conçue et validée pour les enfants âgés de 0 à 7 ans dans
tion de l'âge et de la situation clinique : par exemple, des les situations de douleur aiguë ou prolongée. Elle contient des
échelles spécifiques ont été élaborées pour le nouveau-né, items de ces deux types de douleur, elle est simple et utilisable
pour l'enfant polyhandicapé, etc. Ces échelles sont toutes rapidement, ne nécessitant que quelques minutes d'appropria-
disponibles sur le site français de la douleur de l'enfant : tion ; les consignes figurent sur l'échelle. L'utilisateur observe
www.pediadol.org et dans le guide L'Essentiel de la douleur l'enfant quelques minutes avant de l'approcher ou de l'exami-
[2]. Il s'agit d'une hétéroévaluation. ner, puis lors de l'examen. Sont observés : ses plaintes (si l'en-
Depuis la fin des années 1980, la situation d'enfants « trop fant pleure, crie, gémit ou se plaint), son visage (front plissé,
calmes » a été décrite : un faciès pauvre, peu, voire pas de sourcils froncés, bouche crispée), ses mouvements (adopte une
plaintes, une immobilité ou des positions inhabituelles, très attitude inhabituelle, s'agite, se raidit, se crispe, cherche protec-
peu d'interactions avec l'entourage, etc. Ces symptômes qui tion), ses interactions (peut être consolé, échange avec autrui,
passaient et passent encore trop souvent inaperçus, sont les s'intéresse aux jeux, etc.). C'est actuellement cette échelle qu'il
signes d'une douleur prolongée de l'enfant. Des échelles spé- faut retenir en première intention.
cifiques ont été créées pour les enfants atteints de douleurs
du cancer, mais sont utilisables pour toute douleur intense
prolongée : Douleur Enfant Gustave-Roussy (DEGR) et Repères selon l'âge
Hétéro­évaluation de la douleur de l'enfant (HEDEN). Dès les premières années de vie (environ l'âge de 2 ans), les
Mais dans les douleurs intenses, en particulier chez les enfants sont capables de désigner les zones douloureuses de
enfants petits, ce tableau d'enfant « trop calme », verbalisant leur corps et de faire comprendre à autrui qu'ils ont mal par

Echelle validée
de la naissance à 7 ans.
Score de 0 à 15,
seuil de traitement 4/15.

Notez tout ce que vous observez... même si vous pensez que les signes ne sont pas dus à la douleur, mais à la peur, à l'inconfort, à la fatigue ou à la gravité de la maladie.

Antalgique
Nom Signe Evaluations suivantes
Signe Evaluation à l'arrivée
Signe moyen Evaluations après antalgique3
Signe fort
faible ou environ
absent ou quasi au repos1 à l'examen2 ou
ou passager la moitié R R R R
permanent
du temps au calme (R) la mobilisation (M) M M M M
Expression vocale ou verbale
pleure et/ou crie et/ou gémit
0 1 2 3
et/ou dit qu'il a mal
Mimique
a le front plissé et/ou les sourcils froncés
0 1 2 3
et/ou la bouche crispée
Mouvements

s'agite et/ou se raidit et/ou se crispe 0 1 2 3


Zid et Zen communication - 01 46 49 96 79 - 08/12

Positions
a une attitude inhabituelle et/ou antalgique
0 1 2 3
et/ou se protège et/ou reste immobile
Relation avec l'environnement
peut être consolé et/ou s'intéresse aux jeux normale diminuée très diminuée absente
et/ou communique avec l'entourage 0 1 2 3
Remarques Score total /15

Date et heure

Initiales évaluateur
1
Au repos au calme (R) : observer l'enfant avant tout soin ou examen, dans les meilleures conditions possibles de confort et de confiance, par exemple à distance, avec ses parents, quand il joue...
2
A l'examen ou la mobilisation (M) : il s'agit de l'examen clinique ou de la mobilisation ou palpation de la zone douloureuse par l'infirmière ou le médecin.
3
Réévaluer régulièrement en particulier après antalgique, au moment du pic d'action : après 30 à 45 minutes si oral ou rectal, 5 à 10 minutes si IV. Préciser la situation, au repos (R) ou à la mobilisation (M).
Echelle validée pour mesurer la douleur (aiguë ou prolongée avec atonie), de 0 à 7 ans, en pédiatrie, aux urgences, au SAMU, en salle de réveil, en post-opératoire - Référence bibliographique : Archives de Pédiatrie 2006, 13,
922, P129–130. Archives de Pédiatrie 2012, 19, 922, P42–44. Journées Paris Pédiatrie 2009 : 265–276. Pain 2012, 153 : 1573–1582. Contact : elisabeth.fournier-charriere@bct.aphp.fr - © 2011 - Groupe EVENDOL

Figure 4.1 Échelle EVENDOL Copyright Groupe EVENDOL. Échelle reproduite avec l'autorisation des auteurs. Fournier-Charrière E,
Tourniaire B, Carbajal R, Cimerman P, Lassauge F, Ricard C, Reiter F, Turquin P, Lombart B, Letierce A, Falissard B. EVENDOL, a new beha-
vioral pain scale for children ages 0 to 7 years in the emergency department: design and validation. Pain 2012 Aug ; 153(8) : 1573–82.
Chapitre 4. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques de l'enfant    23

des mots simples ou des mimiques. Le plus souvent, l'entou- Localisation de la douleur
rage proche sera le plus à même de décrypter les signes de Les enfants pourront dès environ 6 ans, parfois avant, indi-
douleur des plus petits. Mais leurs capacités d'évaluation quer sur le schéma du bonhomme les zones de douleur ;
s'arrêteront souvent là, le reste de l'interrogatoire sera fait avec l'âge, ils pourront utiliser plusieurs couleurs selon les
avec les parents. intensités de douleur.
Pour obtenir une évaluation de la part d'un enfant, les
façons de l'approcher et de s'adresser à lui seront primor-
diales. Les enfants, jusqu'à l'âge de 4 ans, parfois même plus, Douleur neuropathique
pensent que les adultes devinent tout et ne comprennent pas Une échelle spécifique de la douleur neuropathique chez
spontanément l'importance qu'il y aurait à leur expliquer les enfants est en cours de publication : le DN4 pédiatrique,
ce qu'ils ressentent. Il doit leur être clairement dit que nous décrivant au moyen de dessins et de mots adaptés les carac-
pensons qu'il a mal, que nous aimerions qu'il nous montre téristiques des douleurs neuropathiques.
où, puis, selon l'âge, qu'il nous indique comment et « à Tous ces outils sont disponibles sur le site www.pediadol.
combien ». org, téléchargeables et imprimables, ainsi que les consignes
d'utilisation.
Avant l'âge de 4 à 5 ans
Avant 4 à 5 ans, l'observation par un tiers (hétéro­ Quelle valeur pour cette évaluation
évaluation) est donc la seule possibilité pour évaluer chiffrée ?
l'intensité d'une douleur. La note obtenue pour cette douleur donne une indication
du niveau de douleur et permet d'adapter d'emblée les antal-
À partir de 4 ou 5 ans giques. Cependant, les praticiens s'interrogent souvent sur sa
À partir de 4 ou 5 ans, l'enfant peut commencer à décrire valeur intrinsèque. Or, cette note sert surtout de langage com-
qualitativement et quantitativement sa douleur, mais il mun entre les soignants et entre le soignant et l'enfant, ainsi
faudra un interlocuteur patient et attentif, qui lui pose des qu'à vérifier la diminution de la douleur après antalgique.
questions simples. L'enfant de cet âge-là est persuadé que les L'intensité de la douleur doit être réévaluée au pic d'ac-
adultes devinent tout et devra être encouragé à expliquer ce tion de l'antalgique administré.
qu'il ressent.
Une évaluation globale nécessaire
À partir d'environ 5 ans dans la douleur chronique
À partir d'environ 5 ans, apparaissent les premières pos- de l'enfant
sibilités d'auto­-évaluation de l'intensité de la douleur, et
l'échelle des six visages peut alors être utilisée. En cas de Tous ces outils évaluent une intensité de la douleur et un
doute sur la compréhension de l'enfant ou de discordance retentissement visible sur le corps. Ils sont insuffisants dans
avec l'observation, une hétéroévaluation sera réalisée la douleur chronique, car ils doivent alors être complétés par
(figure. 4.2). une évaluation plus globale du retentissement de la dou-
leur dans les différentes sphères de la vie de l'enfant et de
sa famille.
À partir de 6 ans Si, initialement, une durée allant de 3 à 6 mois a été rete-
À partir de 6 ans, l'autoévaluation avec l'échelle visuelle ana- nue pour définir une douleur chronique chez l'adulte, cette
logique (EVA) est possible, en utilisant une échelle verticale, durée a pu être rediscutée comme « supérieure à la durée
plus large en haut qu'en bas (figure. 4.3). attendue », mais aucune définition spécifique pour la pédia-
trie n'a été retenue.
À partir de 8 ans C'est en tout cas dans ces situations de douleur qui dure
À partir de 8 ans, une ENS (échelle numérique simple) peut et a un retentissement fort sur la vie que, comme chez
être demandée à l'enfant, avec une note entre 0 et 10, car il l'adulte, l'évaluation doit comporter non seulement l'inten-
sait non seulement compter, mais a compris la proportion- sité, la fréquence, la durée et la localisation, mais aussi l'im-
nalité des chiffres entre 0 et 10. pact fonctionnel, la qualité de vie, l'absentéisme scolaire, le

Figure 4.2 Échelle des six visages. Consigne : « ce sont des bonhommes qui ont mal, montre-moi le bonhomme qui a mal autant que toi »,
ou encore : « montre-moi comment tu as mal, comment tu te sens à l'intérieur, et non pas le visage que tu montres à l'extérieur ? ».
24   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Très très mal plus d'un jour par mois du fait des douleurs, et que 22 %
10
avaient été absents 16 jours, voire plus.
9 Enfin, le sommeil et l'appétit font partie de l'évaluation
globale des enfants et adolescents. Des échelles de sommeil
8 existent, mais ne sont pas faciles à appliquer au quotidien.
Questionner les troubles de l'endormissement et demander
7 à l'enfant de noter son sommeil entre 0 et 10 est une pre-
mière approche simple.
6 Ainsi, des échelles ont été validées pour mesurer l'im-
pact fonctionnel de la douleur, mais elles ne remplacent
5 en rien une évaluation clinique globale par le médecin
ou une équipe : elles ne peuvent être qu'un complé-
4 ment. De même, des échelles mesurant la comorbidité
sur l'humeur et l'anxiété existent, mais ces items peuvent
3
être questionnés de manière plus simple au cours de la
consultation.
2
Le plus souvent, si un bon contact avec lui et sa famille
1 a été tissé, l'enfant répondra facilement aux questions
posées directement mais avec douceur. Il pourra même
0 se montrer soulagé à voir que le médecin questionne ces
Pas mal du tout éléments.
Figure 4.3 Échelle visuelle analogique. Parfois, les éléments émotionnels seront niés soit par
l'enfant, soit par sa famille, ne laissant de place qu'aux
plaintes somatiques. Dans ces situations, l'expérience de
l'équipe pour arriver à introduire petit à petit des élé-
retentissement familial et les éléments psychologiques indi- ments psychologiques sera primordiale pour dénouer
viduels et familiaux. la situation. Les méthodes psychologiques et, surtout,
Nous ne disposons pas de recommandations formelles psychocorporelles permettront de faire petit à petit des
relatives à l'évaluation de la douleur chronique chez l'enfant, liens, à travers les ressentis corporels, entre le soma et la
spécifiant quels outils utiliser. Mais les experts de la dou- psyché.
leur de l'enfant s'accordent pour nommer les champs de Un livre très accessible aux professionnels et aux
l'évaluation : l'intensité douloureuse, le jugement global et familles aborde de manière complète et didactique
la satisfaction de la prise en charge, les symptômes, l'impact l'ensemble des notions pour comprendre la douleur de
physique, l'impact émotionnel, l'impact social, le sommeil, l'enfant, l'évaluer et mettre en œuvre des moyens de la
les facteurs économiques, les relations avec les pairs, avec soulager. Il constitue un ouvrage de référence en français
l'école et avec la famille [3]. dans le domaine [5].
Très peu de questionnaires évaluant ces domaines ont
été validés en français. Le PedMIDAS [4] peut être utilisé
pour évaluer le retentissement des céphalées, le FDI (Func- À qui, et quand adresser
tional Disability Inventory), le retentissement fonctionnel un enfant ou un adolescent
des douleurs. Ces outils simples peuvent aussi être utilisés en structure douleur ?
comme un mode de communication avec les adolescents,
ainsi qu'un moyen de suivi de l'évolution après le traitement. Une évaluation globale par tous les praticiens pourra
Enfin, l'enfant vit dans sa famille et des éléments de la être faite dans la plupart des situations, grâce à des mots
dynamique familiale et de l'entente entre les membres de simples ; elle aura pour objectif la recherche de l'his-
la famille ou l'existence de douleurs chroniques ou de pro- toire des douleurs, leur intensité, leur retentissement en
blèmes de santé chez les parents et dans la fratrie doivent termes de jours d'absence scolaire, de relations avec les
être recherchés et font partie de l'évaluation globale de pairs et leur conséquences sur la vie de l'enfant et de sa
l'enfant. famille.
L'absentéisme scolaire doit être précisément recherché, Dans les situations plus complexes, comportant des
ainsi que le nombre de passages à l'infirmerie scolaire. intrications familiales, un retentissement lourd, des diffi-
Ce sont des indices majeurs de gravité de la situation, cultés thérapeutiques, un absentéisme scolaire, un impact
par l­'isolement qu'il provoque, les risques de retard des important dans la vie ou encore des éléments psychoso-
acquisitions, et le cercle vicieux qu'ils peuvent amorcer. ciaux difficiles à explorer ou à moduler, une évaluation
Plusieurs études ont montré un retentissement impor- pluriprofessionnelle dans une structure douleur pédia-
tant des douleurs chroniques sur la présence à l'école. trique sera nécessaire. L'absence de prise de conscience des
En France, une enquête réalisée en 2013 dans les struc- intrications entre les éléments émotionnels et somatiques
tures douleur pédiatriques a mis en évidence que 41 % est aussi une bonne indication de recours à une structure
des enfants avaient, dans les six derniers mois, été absents spécialisée.
Chapitre 4. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques de l'enfant    25

Références sures for pediatric acute and chronic/recurrent pain clinical trials :
PedIMMPACT recommendations. J pain 2008 ; 9. 771–83.
[1] ANAES. Évaluation et stratégies de prise en charge de la douleur aiguë en [4] Amouroux R, Rousseau-Salvador C, Pillant M, Antonietti JP,
ambulatoire chez l'enfant de 1 mois à 15 ans. Paris : ANAES ; 2000. https:// Tourniaire B, Ericson L, et al. Validation française du PedMIDAS, une
www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/doulenf4.pdf. échelle d'évaluation de l'impact fonctionnel des migraines chez l'enfant
[2] Fournier-Charrière E. Tourniaire B, groupe Pediadol. Édition Pédiadol : et l'adolescent. Douleur et Analgésie 2017 ; 30 : 92–8.
Douleur de l'enfant. L'essentiel. Paris ; 2015. [5] Kuttner L. L'enfant et sa douleur. Identifier, comprendre, soulager.
[3] McGrath PJ1, Walco GA, Turk DC, Dworkin RH, Brown MT, Paris : éditions Dunod, 2011.
Davidson K, et al. PedIMMPACT. Core outcome domains and mea-
Chapitre
5
Principes d'évaluation
des syndromes douloureux
aigus chez l'adulte
Frédéric Aubrun

PLAN DU CHAPITRE
Évaluation de la douleur postopératoire : Comment ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
quand, comment, par qui et pourquoi ? . . . . . . . 27 Par qui ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Quand évaluer la douleur aiguë ?. . . . . . . . . . . 27 Pourquoi ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Évaluation de la douleur soulager le patient, en respectant bien sûr les contre-


indications des agents antalgiques. La SFAR et la SFMU
postopératoire : quand, comment, (Société française de médecine d'urgence) ont rédigé des
par qui et pourquoi ? recommandations formalisées d'experts sur la sédation et
La douleur aiguë est un signal d'alerte qui pourrait se résu- l'analgésie en structure d'urgence, précisant les modalités
mer en deux situations : « je souffre ou je ne souffre pas ». d'administration des antalgiques en fonction des scores
Cet aspect, excessivement binaire, ne permet pas aux de douleur (figure. 5.1) [1].
acteurs de soins d'évaluer au mieux le degré de souffrance Le constat est le même avant une intervention chirurgi-
du patient, ce qui a conduit de nombreux auteurs à détermi- cale ou en salle de surveillance postinterventionnelle, cas
ner des outils plus précis. Or, la douleur étant subjective, elle dans lesquels la douleur peut être sévère, voire incoercible
doit être évaluée en utilisant des méthodes tenant compte et, donc, nécessiter un traitement urgent. La titration intra-
de la propre plainte du patient. Les méthodes validées veineuse (i.v.) en morphine ne peut être réellement efficace
­scientifiquement sont des outils d'autoévaluation, qu'il faut que si la douleur est correctement évaluée au moyen d'outils
privilégier chaque fois que cela est possible. fiables et reproductibles (figure. 5.2) [2].

Quand évaluer la douleur aiguë ? Comment ?


Il faut évaluer la douleur chaque fois qu'un patient est Les caractéristiques d'une méthode d'évaluation idéale de la
pris en charge dans une structure de soins et qu'il est douleur sont connues. L'outil doit être simple à comprendre et
susceptible de subir un inconfort. De même, la douleur à utiliser tant par le patient que par l'évaluateur. Une méthode
doit être évaluée à chaque fois qu'elle dépasse un certain trop compliquée ou une enquête trop longue à compléter, sur-
seuil de tolérance et qu'elle nécessite donc un traitement tout pour évaluer une douleur aiguë, ne sera pas utilisée. La
antalgique. Par exemple, l'un des principaux motifs des méthode doit avoir une bonne sensibilité et une bonne spé-
passages aux urgences est la douleur. Pour mieux la cificité et offrir un large éventail de réponses, afin de détecter
prendre en charge, il faut pouvoir l'évaluer et appliquer le plus précisément possible l'intensité de la douleur tant au
un protocole antalgique dès l'arrivée du patient, avant repos qu'en condition dynamique. La méthode doit permettre
même que celui-ci ait consulté un médecin urgentiste. Ce également d'évaluer l'efficacité thérapeutique en se fixant
protocole est déclenché par l'infirmière d'orientation et pour objectif un seuil en dessous duquel les acteurs des soins
d'accueil et doit être validé, notamment par la direction doivent se concentrer. L'outil doit donc être rapide à utiliser
des soins infirmiers. Il permet de gagner du temps et de et reproductible dans sa présentation. En effet, en fonction

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 27
28   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Évaluation quantitative de la douleur par l'EVA, l'EN ou, par défaut, l'EVS

EVA < 60 ou EN < 6 ou EVS = 1−2 EVA ≥ 60 ou EN ≥ 6 ou EVS > 2

Paracétamol 1 g i.v. en 15 minutes ou paliers II Morphine : titration i.v. par bolus de 2 à 3 mg i.v. directe**
± AINS i.v. en 15 minutes ± MEOPA
± MEOPA ± AINS i.v. en 15 minutes
± analgésie locale/locorégionale ± analgésie locale/locorégionale
* *

Réévaluation de la douleur*** Réévaluation de la douleur toutes les 5 minutes

EVA > 30 ou EN > 3 ou EVS ≥ 2 EVA ≤ 30 ou E N ≤ 3 ou EVS < 2


et/ou sédation excessive
et/ou bradypnée < 10/min.
et/ou désaturation
*

Morphine en titration i.v. sans dose maximale : bolus de 2 à 3 mg


i.v. directe toutes les 5 minutes

Arrêt de la morphine
Mesures symptômatiques si nécessaire****

* Respect des contre-indications respectives de chaque molécule et/ou


technique.
** Dose de charge de morphine possible sous couvert d'une présence
médicale permanente et prolongée : bolus initial de 0,05 à 0,10 mg/kg i.v.
directe, à adapter selon l'âge et le terrain du patient.
*** Délai de réévaluation de la douleur en fonction du type d'antalgique
administré.
**** Stimulation et/ou assistance ventilatoire et/ou naloxone i.v.

Figure 5.1 Traitement antalgique en fonction de l'intensité douloureuse aux urgences. EN : échelle numérique ; EVA : échelle visuelle
analogique ; EVS : échelle verbale simple. Source : d'après Vivien B et al. 2010 [1].

de l'âge du patient ou des modalités de présentation de l'outil son taux d'échec est faible, de l'ordre de 5 % [1]. Pour
(urgence préhospitalière, salle de surveillance postinterven- les patients âgés, l'EVS (échelle verbale simplifiée), dotée
tionnelle), la représentation de la douleur pourra varier dans en général de 5 qualificatifs (douleur absente, faible,
le temps et aboutir à des résultats difficiles à interpréter. C'est modérée, forte et insupportable) semble l'outil préféré
par exemple le cas de l'EVA qui, présentée horizontalement ou tant des patients que des soignants. Elle est moins pré-
verticalement aux patients aux âges extrêmes de la vie, n'aura cise, mais est davantage compréhensible par les patients
pas la même signification. Enfin, la méthode doit bénéficier aux capacités d'abstraction altérées ou qui présentent
d'une ­adaptabilité aux spécificités liées à l'urgence ou à la une démence modérée [1, 3–4]. Quant aux patients qui
période postopératoire immédiate. présentent des troubles sévères de la communication,
Bien que l'EVA soit la méthode de référence l'échelle ALGOPLUS®, scientifiquement validée, permet
depuis 1974 pour évaluer notamment la douleur aux dans un délai court de cerner la souffrance et de délivrer
urgences et la douleur postopératoire, la SFAR recom- ainsi une analgésie adaptée (figure. 5.3) [5].
mande depuis 2016 l'échelle numérique (EN11 ou 101), Trois outils sont à retenir principalement chez l'adulte :
qui permet de quantifier avec une précision scientifi- l'EN pour la population générale, l'EVS chez les patients
quement acceptable l'intensité de la douleur et l'effica- âgés qui présentent des dysfonctions cognitives et des
cité thérapeutique. La corrélation de cette méthode avec troubles du comportement, et l'échelle ALGOPLUS® chez les
l'EVA est excellente, elle ne nécessite pas de support, et non-communicants.
Chapitre 5. Principes d'évaluation des syndromes douloureux aigus chez l'adulte     29

1. Évaluation de la douleur

30 < EVA < 60 EVA ≥ 60


EVS ≤ 2 EVS > 2

Paracétamol Morphine
1 g i.v. lente titrée
1 mg/mL* i.v.
Sur 15 minutes

Et/ou
Premier bolus
de 0,05 mg/kg
Kétoprofène

Et/ou
En association
50–100 mg i.v. lente
avec des antalgiques
Sur 10 minutes non morphiniques

Voire
ALR
Morphine titrée
1 mg/mL* i.v.
Premier bolus de 1–4 mg Ou

ALR

2. Réévaluation rapide de la douleur

EVA > 30 EVA ≤ 30


EVS < 2
RAMSAY > 2
FR < 10/min.
Morphine titrée
1 mg/mL* i.v.
Premier bolus de 1–4 mg
Toutes les 5–7 minutes
Arrêt du
morphinique

* En fonction des pathologies (par exemple infarctus du myocarde) ou de situations


douloureuses prévisibles (par exemple relevage d'un patient traumatisé).

Figure 5.2 Protocole de titration intraveineuse en morphine en salle de surveillance postinterventionnelle. Algorithme 1 : prise en charge
préhospitalière. FR : fréquence respiratoire ; ALR : anesthésie locorégionale. Source : B.Vivien et al. Ann Fr Anesth Reanim 2012 ; 31 : 391–404. Avec
la permission de l'Éditeur. Tous droits réservés pour tous pays.

Par qui ? il est évalué, car le combat contre la douleur nécessite une
L'évaluation de la douleur doit faire partie des fondamentaux prise en charge sans délai. La titration i.v. de morphine est la
de la prise en charge de la douleur. Le rôle de l'infirmier est technique d'analgésie la plus efficace, car la plus rapide pour
clairement affirmé. Il est prévu qu'il puisse, dans des condi- soulager les douleurs modérées à sévères. Elle ne peut être
tions d'urgence, mettre en œuvre un protocole de soins après implémentée que si le patient est correctement évalué afin
autorisation du médecin ayant identifié l'origine de la douleur de suivre la cinétique de la douleur et la décroissance de son
présentée par le malade [6]. Aux urgences, l'infirmière d'ac- intensité en fonction du nombre de bolus administrés.
cueil et d'orientation, puis celle qui va suivre le patient vont
utiliser une méthode simple d'autoévaluation. Cette méthode Pourquoi ?
doit toujours être la même. L'infirmière anesthésiste, au bloc Le choix d'un outil fiable d'évaluation de la douleur est crucial,
opératoire, quand elle accueille le patient, évalue sa douleur car c'est un des moyens d'établir un lien avec le patient et de le
et ainsi, le rassure. Dès que le patient quitte le bloc opéra- rassurer. Il s'agit d'un moyen précieux de langage et de commu-
toire et arrive en salle de surveillance ­postinterventionnelle, nication, y compris chez les patients mal ou non communicants.
30   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Evaluation de la douleur Identification du patient

Echelle d'évaluation comportementale


de la douleur aiguë chez la personne âgée
présentant des troubles
de la communication verbale

Date de l'évaluation de la douleur ..…./..…./..…. ..…./..…./..…. ..…./..…./..…. ..…./..…./..…. ..…./..…./..…. ..…./..…./..….

Heure ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..…..
OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON
1 • Visage
Froncement des sourcils, grimaces, crispation,
mâchoires serrées, visage figé.
2 • Regard
Regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant,
pleurs, yeux fermés.
3 • Plaintess
« Aie », « Ouille », « J'ai mal », gémissements,
cris.
4 • Corps
Retrait ou protection d'une zone,
refus de mobilisation, attitudes figées.
5 • Comportements
Agitation ou agressivité, agrippement.

Total OUI /5 /5 /5 /5 /5 /5
Professionnel de santé ayant réalisé Médecin Médecin Médecin Médecin Médecin Médecin
l'évaluation IDE IDE IDE IDE IDE IDE
AS AS AS AS AS AS
Autre Autre Autre Autre Autre Autre
Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe

COPYRIGHT

Consignes pour la passation Erreurs fréquemment


de la grille ALGOPLUS rencontrées

L'échelle ALGOPLUS a été spécifiquement développée Difficultés de repérage :


pour évaluer et permettre la prise en charge • Agrippement doit être coté « oui » quel que soit
des douleurs aiguës chez un patient âgé pour tous le support d'agrippement (patient lui même, soignant
les cas où une auto évaluation fiable n'est pas ou tout autre support).
praticable (troubles de la communication verbale).
Cotation en fonction d'une interprétation étiologique
L'utilisation d'ALGOPLUS est ainsi particulièrement du signe et non pas sur sa simple présence, par Echelle d'évaluation comportementale
recommandée pour le dépistage et l'évaluation des : exemple : de la douleur aiguë chez la personne âgée
• pathologies douloureuses aiguës (ex : fractures, zona, • l'item « plaintes » coté « non » parce que le cri
post-op, ischémie, lumbago, rétentions urinaires…), présentant des troubles
du patient est attribué à la démence ou parce
• accès douloureux transitoires (ex : névralgies que le patient crie depuis longtemps. de la communication verbale
faciales, poussées douloureuses sur cancer…), • l'item « comportements » coté « non » parce que
• douleurs provoquées par les soins ou les actes l'agrippement à la barrière de protection est attribué
FR/DLR/17/08/0122 - Novembre 2017 - Conception et réalisation : Zid et Zen communication : 01 46 49 96 79

médicaux diagnostiques. à la peur de tomber.

L'échelle comporte cinq items (domaines d'observation).


La présence d'un seul comportement dans chacun
des items suffit pour coter « oui » l'item considéré.
La simple observation d'un comportement doit
impliquer sa cotation quelles que soient les interpré-
tations étiologiques éventuelles de sa préexistence.
En pratique, pour remplir la grille, observer dans
l'ordre : les expressions du visage, celles du regard,
les plaintes émises, les attitudes corporelles et enfin
le comportement général. www.doloplus.com
Chaque item coté « oui » est compté un point et
la somme des items permet d'obtenir un score total
sur cinq. Un score supérieur ou égal à deux permet
de diagnostiquer la présence d'une douleur avec
une sensibilité de 87 % et une spécificité de 80 % et
donc d'instaurer de façon fiable une prise en charge
thérapeutique antalgique. Il est ensuite nécessaire
de pratiquer régulièrement de nouvelles cotations. TOUT CHANGEMENT DE COMPORTEMENT
La prise en charge est satisfaisante quand le score
CHEZ UNE PERSONNE ÂGÉE
reste strictement inférieur à deux.
DOIT FAIRE ÉVOQUER LA DOULEUR

Figure 5.3 Échelle ALGOPLUS®.


Source : Association DOLOPLUS. www.doloplus.com
Chapitre 5. Principes d'évaluation des syndromes douloureux aigus chez l'adulte     31

Références ­ anagement in adults and children. SFAR Committees on Pain and


m
Local Regional Anaesthesia and on Standards Ann Fr Anesth Reanim
[1] Vivien B, Adnet F, Bounes V, Chéron G, Combes X, David JS, et al. 2009 ; 28 : 403–9.
Sédation et analgésie en structure d'urgence. Réactualisation 2010 de la [4] Référentiel SFAR. Réactualisation de la recommandation sur la douleur
Conférence d'experts de la SFAR de 1999. Ann Fr Anesth Reanim 2012 ; postopératoire, www.sfar.org/referentiels ; 2016.
31 : 391–404. [5] Rat P, Jouve E, Pickering G, Donnarel L, Nguyen L, Michel M, et al.
[2] Aubrun F, Mazoit JX, Riou B. Postoperative intravenous morphine Validation of an acute pain-behavior scale for older persons with
titration. Br J Anaesth 2012 ; 108 : 193–201. inability to communicate verbally : ALGOPLUS. Eur J Pain 2011 ;
[3] SFAR Committees on Pain and Local Regional Anaesthesia and 15(2) : 198.e1–198.e10.
on Standards. Expert panel guidelines (2008). Postoperative pain [6] Circulaire DGS/SQ2/DH/DAS n° 99-84 du 11 février 1999.
Chapitre
6
Principes d'évaluation
des syndromes douloureux
chroniques
Élisabeth Collin

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur chronique 33 Outils ou échelles d'évaluation . . . . . . . . . . . . 35
Drapeaux jaunes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Drapeaux rouges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Évaluation de la douleur chronique . . . . . . . . 34

voit pas, personne n'y croit, ça finit par retentir sur mon
POINTS ESSENTIELS moral, c'est un handicap, je ne peux plus faire ce que je
• Tout syndrome douloureux chronique est complexe veux, je ne comprends pas, les soignants sont impuissants,
au-delà de la simple notion de durée. Il comporte etc. » Effectivement, tout est dit par le patient. Une dou-
des mécanismes physiopathologiques souvent mixtes leur chronique est, selon la HAS, définie par une douleur
(nociceptifs et neuropathiques), et il est intriqué à évoluant depuis plus de trois mois, susceptible d'affecter
l'histoire biopsychosociale du sujet. de façon péjorative le comportement ou le bien-être du
• Tout syndrome douloureux chronique nécessite un patient, et qui persiste malgré un traitement étiologique
traitement complexe, mêlant traitements médicamenteux bien conduit [1, 2].
et non médicamenteux adaptés, qui impliquent le patient Ainsi, la sur venue d'une douleur dans certains
lui-même. contextes (notamment en fonction du vécu du sujet)
• Une évaluation des capacités cognitives, affectives
est d'emblée d'une complexité qui l'enracinera dans la
et comportementales du patient est nécessaire pour
durée.
l'accompagner au mieux et afin qu'il s'approprie la
La douleur chronique arrête le patient. En effet, au-
démarche thérapeutique.
delà de la douleur elle-même, de multiples facteurs
modulent sa perception, qu'ils soient en lien avec l'au-
• Devant toute douleur aiguë persistante (en dépit d'une
tobiographie du sujet, l'état psychique, le travail, la vie
étiologie claire et d'un traitement satisfaisant), il est
familiale ou les retentissements de la pathologie et ses
urgent de repérer les facteurs de chronicisation pour les
traitements.
prendre en charge rapidement.
L'évaluation d'un syndrome douloureux chronique
• Un syndrome douloureux chronique à l'opposé d'une
nécessite non seulement d'être certain de sa cause et de com-
douleur aiguë n'a aucune utilité protectrice, il est
prendre précisément les mécanismes physiopathologiques
destructeur.
à l'œuvre, mais aussi de reconnaître la place des différents
facteurs modulateurs intriqués à la plainte douloureuse au
commencement de la survenue de la douleur et au moment
Ce qu'il faut comprendre où nous voyons le patient (souvent à distance de l'événe-
ment initial).
de la douleur chronique La démarche thérapeutique qui sera proposée découlera
Lapalissade sans doute, mais une douleur chronique n'est de cette évaluation complexe : elle devra être explicitée,
pas une simple douleur aiguë qui se prolonge. D'ailleurs, comprise et acceptée par le patient qui devra s'en saisir. De
si l'on demande à une personne souffrant de douleur la même manière, toute démarche thérapeutique doit avoir
chronique (quelle qu'en soit l'étiologie) de définir sa des objectifs clairs, compris et acceptés par le patient (l'ob-
douleur, elle répondra : « C'est un enfermement, ça ne se jectif « douleur zéro » n'est jamais raisonnable).
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 33
34   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Dans le cas contraire, la plainte et le syndrome doulou- des bilans complémentaires, si nécessaire. Il sera toujours
reux chronique perdurent avec des retentissements de plus à reconsidérer en cas de doute, en fonction de l'évolution.
en plus complexes (perte du travail, etc.). Les éléments essentiels à rechercher sont contenus dans
Cet accompagnement du médecin au cours d'une prise la grille d'entretien semi-structuré de la HAS [2].
en charge globale doit permettre au patient de mieux
comprendre comment faire face à sa douleur, afin qu'il se
Caractéristiques de la douleur
remette en mouvement et (re)trouve un sens à sa vie. Il faut
bien admettre qu'un traitement pharmacologique, jamais Au temps initial
suffisant seul, doit être prescrit, néanmoins avec justesse et Les caractéristiques de la douleur, au moment où elle sur-
subtilité ! vient pour la première fois, sont :
■ les conditions et circonstances de sa survenue (maladie,
traumatisme, accident de travail, etc.),
■ sa localisation, sa cause, les modalités de sa prise en
Drapeaux jaunes charge, le diagnostic initial, les traitements effectués et les
Devant une douleur persistante chez un patient, il importe explications données,
de repérer rapidement les facteurs de risque de chronici- ■ les événements de vie concomitants et précédant
sation. Les facteurs de chronicisation d'une douleur aiguë l'événement,
sont présents d'emblée chez les patients. Les repérer tôt et ■ son retentissement (anxiété, dépression, troubles du som-
les prendre en charge pourraient bloquer les processus de meil, incapacités fonctionnelle et professionnelle, etc.), selon
chronicisation de la douleur. l'échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale),
Un certain nombre de facteurs ont ainsi été mis en ■ le vécu par le patient de l'événement (sentiment d'injus-
évidence dans la douleur postopératoire, la lombalgie tice, de mauvaise prise en charge, de préjudice, etc.).
ou le zona, par exemple. Ces facteurs sont de quatre
ordres : Au stade chronique
■ la pathologie et le type de douleur : Il est important de déterminer :
– pathologie s'accompagnant d'une incapacité ■ comment s'est installée la douleur persistante à partir de
fonctionnelle, la douleur initiale, les modifications sémiologiques et
– douleur neuropathique (ou mixte), topographiques éventuelles dans le temps,
– intensité de la douleur ; ■ les caractéristiques précises de la douleur : sa topo-
■ les caractères propres au sujet : l'âge, la perception d'un graphie, ses caractéristiques sémiologiques (brûlure,
mauvais état de santé, un état émotionnel fragile, des décharges électriques, etc.), permettant de faire le dia-
troubles psychopathologiques (anxiété, dépression), un gnostic du mécanisme de la douleur (nociceptif, neuro-
stress familial ou encore l'adoption d'une stratégie ina- pathique, dysfonctionnel), ses facteurs d'aggravation et
daptée pour faire face (peur de bouger, catastrophisme, de soulagement [3].
incertitudes quant à l'avenir, stratégies de coping pas-
sives, etc.) ; Retentissements de la douleur
■ le travail : son type (port de charges lourdes, travail répé-
titif, source d'insatisfaction, etc.), un harcèlement, un Parmi les retentissements de la douleur, on compte l'anxiété, la
manque de reconnaissance, un accident du travail et un dépression, les troubles du sommeil, les incapacités fonction-
préjudice ou encore un sentiment d'injustice (compensa- nelles et professionnelles ou la désorganisation affective, etc.
tion financière) ;
■ facteurs liés à la prise en charge : une sous-estimation Traitements effectués et actuels
de la douleur, une non-prise en compte du mécanisme Il importe de tenir compte de la dose des traitements,
neuro­p athique ou une surmédicalisation sont, par de leur durée, de leurs effets bénéfiques et de leurs effets
exemple, des facteurs retrouvés dans la chronicisation de indésirables.
la lombalgie aiguë.
Antécédents et pathologies associées
Les antécédents et pathologies associées à relever peuvent
Évaluation de la douleur chronique être :
■ personnels (médicaux, chirurgicaux, et éventuelles expé-
Modalités générales riences douloureuses antérieures),
L'évaluation initiale doit permettre une description de ■ familiaux (notamment, ceux ayant entraîné le décès).
la douleur compréhensible par tous les acteurs de santé
présents autour du patient et par le patient lui-même. Elle Contextes
prend souvent du temps et peut nécessiter un déroule- Il s'agit du contexte familial, psychosocial, professionnel
ment sur plusieurs consultations. L'étiologie doit être (satisfaction, risques de licenciement, etc.) ou encore d'un
claire ; si ce n'est pas le cas, un bilan étiologique doit être éventuel contexte procédural (implication financière, procé-
effectué comportant un entretien, un examen clinique et dures en cours, etc.).
Chapitre 6. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques    35

Facteurs cognitifs nerveuse périphérique ou centrale. Selon la lésion, une


Comment le patient se représente-t-il la maladie, la hypoesthésie, voire un déficit moteur, peuvent être asso-
douleur, les événements vécus, les avis médicaux et les ciés. Les examens complémentaires sont inutiles pour faire
traitements ? le diagnostic.

Facteurs comportementaux Douleurs dysfonctionnelles/nociplastiques


Quelle est l'attitude du patient vis-à-vis de la maladie et Nous invitons le lecteur à se référer aux chapitres 24 à 28.
de la douleur ? Y a-t-il kinésiophobie, observance des
prescriptions ?
Outils ou échelles d'évaluation
Projets et demande
Quels sont les attentes et les objectifs du patient concernant Échelle de la dimension quantitative
la prise en charge ? L'autoévaluation de l'intensité globale de la douleur ressen-
tie par le patient peut être faite sur une EN allant de 0 à
Évaluer le mécanisme 10. En cas de difficulté, l'EVS en 4 ou 5 points peut être
physiopathologique de la douleur préférable.
Chez un patient âgé non communiquant, l'échelle
Le mécanisme physiopathologique de la douleur doit être DOLOPLUS® (cf. chapitre 7) permet l'évaluation du niveau
établi précisément car une partie du traitement médica- de douleur chronique.
menteux va en dépendre. Le mécanisme peut être nociceptif
(inflammatoire), neuropathique, mixte si ces deux méca-
nismes sont associés, ou dysfonctionnel. Outil de dépistage de la douleur
La douleur neuropathique est une douleur secondaire neuropathique
à une lésion ou une maladie du système somatosensoriel. Le DN4, d'utilisation rapide et simple, possède une excel-
Sept pour cent de la population en sont atteints [3]. Elle a lente sensibilité et une grande spécificité (figure 6.1).
plus de retentissements psychologiques que les douleurs
nociceptives et altèrent davantage la qualité de vie des
patients [3]. Ces douleurs sont souvent « inaperçues » Échelles multidimensionnelles
lorsqu'elles sont associées à une douleur nociceptive Ces échelles prennent en compte les différents aspects de la
(dans ce cas on parle de douleurs mixtes), ce qui conduit douleur chronique et leurs retentissements dans différentes
à des traitements inadaptés et à une chronicisation de la dimensions. Probablement difficilement utilisables dans la
douleur. pratique clinique courante, on peut y avoir recours pour cer-
tains patients complexes :
Caractère nociceptif d'une douleur ■ le retentissement de la douleur chronique sur le com-
(cf. section 1, chapitres 22, 23 et 32) portement quotidien peut être évalué par le Question-
Il est retenu lorsqu'il n'existe pas de caractéristiques neu- naire concis de la douleur (QCD), version française de la
ropathiques ni de systématisation neurologique de la dou- Brief Pain Inventory [BPI] est un auto-­questionnaire qui
leur. La douleur nociceptive est chronique en cas de lésion permet de faire évaluer par le patient le retentissement
persistante (mécanique ou inflammatoire). Ces douleurs de sa douleur sur son activité en général, son humeur,
sont induites par la stimulation des nocicepteurs périphé- sa capacité à marcher, son aptitude au travail habituel,
riques. Elles sont fréquemment associées à une composante ses relations avec les autres, son sommeil et son goût de
neuropathique. vivre ;
■ le retentissement de la douleur chronique sur l'anxiété
Diagnostic de la composante neuropathique et la dépression peut être évalué par HAD [4], un auto-
questionnaire qui permet d'évaluer la sévérité de la com-
(cf. chapitre 20) posante anxieuse et dépressive (figure 6.2).
Il repose sur un interrogatoire et un examen clinique bien
conduits, identifiant le contexte de la lésion (traumatique
ou chirurgicale) ou de la maladie neurologique et déter-
minant le caractère continu ou paroxystique de la douleur. Drapeaux rouges
Ces douleurs peuvent être provoquées par une stimulation Les patients douloureux chroniques nous incitent mal-
non douloureuse (allodynie). Les descripteurs de la dou- heureusement parfois à une certaine « lassitude ». Il est
leur neuropathique sont riches et le vocabulaire utilisé doit néanmoins impératif de rester vigilant devant toute
attirer notre attention : il s'agit de brûlures, de décharges modification de la douleur pouvant remettre en ques-
électriques, de froid douloureux, etc. Ces sensations dou- tion le diagnostic retenu ou témoigner de la survenue
loureuses sont accompagnées de sensations anormales d'une pathologie intercurrente. Particulièrement, chez un
souvent perçues comme douloureuses par les patients patient douloureux chronique dans les suites d'un can-
(picotements, fourmillements, démangeaisons ou engour- cer en rémission, la douleur est souvent le premier signe
dissements). Leur territoire est compatible avec une lésion d'une récidive.
36   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Figure 6.1 Questionnaire DN4 : un outil simple pour rechercher les douleurs neuropathiques.
Source : Bouhassira D, Attal N, Alchaar H et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a
new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain. 2005, 114 : 29–36.
Chapitre 6. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques    37

HADS
Hospital Anxiety and Depressive Scale

Les médecins savent que les émotions jouent un rôle important dans la plupart des maladies. Si votre médecin est au
courant des émotions que vous éprouvez, il pourra mieux vous aider. Ce questionnaire a été conçu de façon à
permettre à votre médecin de se familiariser avec ce que vous éprouvez vous-même sur le plan émotif.
Ne faites pas attention aux chiffres et aux lettres imprimés à gauche du questionnaire.
Lisez chaque série de questions et soulignez la réponse qui exprime le mieux ce que vous avez éprouvé au cours de la
semaine qui vient de s'écouler.
Ne vous attardez pas sur la réponse à faire, votre réaction immédiate à chaque question fournira probablement une
meilleure indication de ce que vous éprouvez, qu'une réponse longuement méditée.

Je me sens tendu ou énervé : Je prends plaisir aux mêmes choses qu'autrefois :


3 la plupart du temps 0 oui, tout autant
3 souvent 1 pas autant
1 de temps en temps 2 un peu seulement
0 jamais 3 presque plus

J'ai une sensation de peur comme si


quelque chose d'horrible allait Je ris facilement et vois le bon côté des choses :
m'arriver : 0 autant que par le passé
3 oui, très nettement 1 plus autant qu'avant
2 oui, mais ce n'est pas grave 2 vraiment moins qu'avant
1 un peu, mais cela ne m'inquiète pas 3 plus du tout
0 pas du tout
Je suis de bonne humeur :
Je me fais du souci : 3 jamais
3 très souvent 2 rarement
2 assez souvent 1 assez souvent
1 occasionnellement 0 la plupart du temps
0 très occasionnellement
J'ai I'impression de fonctionner au ralenti :
Je peux rester tranquillement assis à ne 3 presque toujours
rien faire et me sentir décontracté : 2 très souvent
0 oui, quoi qu'il arrive 1 parfois
1 oui, en général 0 jamais
2 rarement
Je ne m'intéresse plus à mon apparence :
3 jamais
3 plus du tout
J'éprouve des sensations de peur et j'ai 2 je n'y accorde pas autant d'attention que je le
I'estomac noué : devrais
0 jamais 1 il se peut que je n'y fasse plus autant
1 parfois attention
2 assez souvent 0 j'y prête autant d'attention que par le passé
3 très souvent
Je me réjouis d'avance à I'idée de faire certaines
J'ai la bougeotte et n'arrive pas à tenir choses :
en place : 0 autant qu'auparavant
3 oui, c'est tout à fait le cas 1 un peu moins qu'avant
2 un peu 2 bien moins qu'avant
1 pas tellement 3 presque jamais
0 pas du tout
Je peux prendre plaisir à un bon livre ou à une
J'éprouve des sensations soudaines de bonne émission radio ou de télévision :
panique : 0 souvent
3 vraiment très souvent 1 parfois
2 assez souvent 2 rarement
1 pas très souvent 3 très rarement
0 jamais

Figure 6.2 Hospital Anxiety and Depression Scale. Autoquestionnaire. Pour chaque sous-score (A : dimension anxieuse ou D : dimension
dépressive). Score allant de 0 à 7 : symptomatologie normale ; de 8 à 10 : symptomatologie douteuse ; > 11 : symptomatologie certaine. Source :
d’après Zigmund AS, Snaith RT. The Hospital Anxiety and Depression Scale. Acta Psychiatr. Scand. 1983; 67 :361–70. Traduction française :
J. F. Lépine.

Références [3] Bouhassira D, Lanteri-Minet M, Attal N, Laurent B, Touboul C. Pre-


valence of chronic pain with neuropathic characteristics in the gene-
[1] Haute Autorité de santé. Évaluation et suivi de la douleur chronique ral population. Pain 2008 ; 136 : 380–7.
chez l'adulte en médecine ambulatoire, 1999. [4] Wary B, Capriz F, Berthel M. Échelle DOLOPLUS échelle d'évalua-
[2] Haute Autorité de santé. Douleur chronique : reconnaître le syndrome tion comportementale de la douleur chez la personne âgée : de la sen-
douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient, 2008. sibilisation à la validation. Revue de gériatrie 1997 ; 22 : 22–5.
Chapitre
7
Principes d'évaluation
des syndromes douloureux
chroniques : le sujet âgé
Gisèle Pickering

PLAN DU CHAPITRE
Difficultés de l'évaluation Utilisation des échelles
de la douleur chez le sujet âgé . . . . . . . . . . . . 39 d'évaluation de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Difficultés de l'évaluation lorsqu'un état de douleur se prolonge chez un sujet âgé,


la situation peut devenir rapidement préoccupante en
de la douleur chez le sujet âgé raison des conséquences sur l'autonomie et du risque de
La population « âgée », correspondant aujourd'hui selon les déclin fonctionnel [1].
définitions, aux individus ayant plus de 75 ans, inclut une Chez le sujet âgé, l'évaluation de la douleur doit prendre
grande diversité de personnes tant en terme d'âge, de patho- en compte les déficits sensoriels (vue, ouïe) et veiller à
logie, de niveau cognitif qu'en terme d'autonomie et de lieu ce que la personne soit dans les conditions optimales de
de vie, et la personne âgée atteinte d'un syndrome doulou- confort. Même si elle peut discourir, il est important de
reux chronique présente souvent une situation clinique détecter tout stoïcisme (« il est normal d'avoir mal quand
extrêmement complexe à expertiser. La prise en charge d'un on vieillit »), toute exagération (quête de reconnaissance
syndrome douloureux va devoir s'adapter aux spécificités de ou d'attention), toute dépression masquée (apathie ou, au
la personne âgée, à partir d'un socle commun de dépistage contraire, agressivité). Une évaluation algogérontologique,
et d'évaluation vers un objectif de traitement médicamen- avec des outils adaptés à la gériatrie (c'est-à-dire une échelle
teux et/ou non médicamenteux puis de réévaluation. de dépression en gériatrie), doit être faite, en particulier
Ainsi, les changements liés à la sénescence (appau- chez les patients peu autonomes. Il est important d'évaluer
vrissement sémantique, vieillissement du système noci- les comorbidités, la polymédication et le contexte clinique
ceptif ), les handicaps sensoriels divers, les pathologies et social. La connaissance des traitements médicamenteux
multiples et intriquées et les troubles cognitifs, peuvent prescrits ou auto-administrés, en particulier ceux agissant
masquer ou au contraire exagérer l'expression de la sur le SNC, qui pourraient fausser l'évaluation de la douleur
douleur. Le dépistage et l'évaluation de syndromes dou- et/ou masquer l'expression de l'expérience douloureuse, ne
loureux chroniques n'en seront donc que plus difficiles. doit pas être négligée. De plus, dans la triade biopsycho-
L'écoute, l'attention et l'observation sont une première sociale de la douleur, le niveau de précarité et d'isolement
approche indispensable, mais des comportements inat- social doit aussi être évalué pour une démarche holistique.
tendus, pouvant être également en lien avec la douleur,
comme l'apathie, l'agitation, l'agressivité, la régression
ou la confusion, peuvent perturber l'évaluation, voire Utilisation des échelles
induire en erreur. En effet, ces troubles du comporte- d'évaluation de la douleur
ment se rencontrent aussi au cours d'autres pathologies
fréquentes chez le sujet âgé comme la démence, l'anxiété Chez le sujet âgé qui peut communiquer sa douleur, les outils
ou la dépression ou lors de la prise de médicaments d'évaluation sont les mêmes que chez le sujet plus jeune.
(antidépresseurs, neuroleptiques, etc). Des troubles Il est néanmoins recommandé de ne pas utiliser l'échelle
variables de la communication verbale risquent égale- visuelle analogique (EVA), car la notion de p
­ roportionnalité
ment de gêner l'autoévaluation. L'importance d'évaluer peut s'émousser avec l'âge, et de lui préférer une échelle
systématiquement la douleur a été bien soulignée, car numérique (EN) (0–10) (encadré 7.1, figure. 7.1) ou une
Médecine de la douleur pour le praticien
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40   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Encadré 7.1 Notice de l'échelle numérique Encadré 7.2 Notice de l'échelle verbale
simple
Quel type d'échelle ?
C'est une échelle d'autoévaluation. Quel type d'échelle ?
Il s'agit d'une échelle d'autoévaluation.
Pour quel patient ?
Pour tous les patients adultes. Pour quel patient ?
Pour tous les patients adultes, notamment ceux pour qui
Pour quelle douleur ?
l'utilisation d'autres échelles telles que l'échelle visuelle
Pour tout type de douleur. analogique ou l'échelle numérique n'est pas possible.
Comment l'utiliser ? Pour quelle douleur ?
Le soignant demande au patient d'évaluer l'intensité de la douleur Pour tout type de douleur.
au moment présent selon ces consignes ci-dessous. Il peut aussi
lui demander la douleur habituelle depuis les 8 derniers jours et Comment l'utiliser ?
la douleur la plus intense depuis les 8 derniers jours. Le soignant demande au patient d'évaluer l'intensité de la
Entourez-ci-dessous la note de 0 à 10 qui décrit le mieux douleur au moment présent selon ces consignes : pour préciser
l'importance de votre douleur pour chacun des 3 types de l'importance de votre douleur, répondez en entourant la
douleur. La note 0 correspond à « pas de douleur ». La note 10 réponse correcte pour chacun des 3 types de douleur [6, 7].
correspond à la « douleur maximal imaginable » [6, 7].
Source : www.sfetd-douleur.org.
Source : www.sfetd-douleur.org

Tableau 7.1 Échelle verbale simple.


DOULEUR Douleur 0 1 2 3 4
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
PAS DE MAXIMALE
DOULEUR IMAGINABLE au moment Absente Faible Modérée Intense Extrêmement
présent intense
Douleur 0 1 2 3 4
Figure 7.1 Échelle numérique. habituelle Absente Faible Modérée Intense Extrêmement
depuis les intense
échelle visuelle simple (EVS) (encadré 7.2, tableau 7.1). Le 8 derniers
caractère neuropathique de la douleur peut être évalué, jours
comme chez le sujet plus jeune, avec les questionnaires de Douleur la 0 1 2 3 4
douleur neuropathique (DN4 ou NPSI [Neuropathic Pain plus intense Absente Faible Modérée Intense Extrêmement
Symptom Inventory]). depuis les intense
Chez le patient âgé mal ou non communiquant, le 8 derniers
jours
risque majeur est de sous-estimer le phénomène doulou-
reux. Aussi l'autoévaluation doit-elle être toujours tentée
en première approche (EN, EV), même si le patient a tique clinique. De plus, les échelles doivent toujours être
des troubles cognitifs, voire démentiels. Dans un second utilisées dans le contexte et la population dans lesquels
temps, l'utilisation d'une échelle d'hétéroévaluation peut elles ont été validées. Par exemple, dans les syndromes
permettre d'identifier ou de confirmer l'existence d'une douloureux chroniques, l'échelle ALGOPLUS® n'est pas à
douleur. Des échelles d'hétéroévaluation ont été élaborées utiliser seule, sauf si le patient souffre d'une douleur aiguë
en France et au niveau international pour pallier les diffi- ­intercurrente. En effet, l'échelle ALGOPLUS® peut donner
cultés de dépistage et de prise en charge de la douleur du des faux négatifs en comparaison de ­D OLOPLUS® [3]. Le
sujet âgé. Ces échelles sont toutes fondées sur ­l'observation point essentiel est de régulièrement réévaluer la douleur,
par les soignants des modifications comportementales avec un outil validé comme ­D OLOPLUS®, et de revoir le
entraînées par la douleur chez les sujets âgés ayant des contexte clinique.
troubles de la communication verbale. Elles nécessitent L'évaluation de la douleur chez le patient âgé mal ou
une formation préalable et un entraînement, car elles font non communiquant comporte une première étape de
appel à l'observation, doivent rester objectives donc ne pas détection ou de suspicion de la douleur, en particulier
refléter le ressenti du soignant mais bien le comportement de la douleur neuropathique, puisque les questionnaires
du patient. En France, plusieurs échelles d'hétéroévalua- spécifiques seront difficiles à utiliser. Ce type de douleur,
tion sont validées scientifiquement et donc protégées : estimé à environ 10 % chez le sujet âgé, est probablement
DOLOPLUS® (score de seuil de présence de douleur ≥ 5) encore sous-évalué, mais des valeurs beaucoup plus éle-
(figure 7.2, encadré 7.3), ALGOPLUS® (douleur aiguë ; vées ont été retrouvées, en particulier si l'on cherche spé-
score de seuil de présence de douleur ≥ 2 (figure 7.3, cifiquement ce type de douleur chez le patient. Une telle
encadré 7.4) [2] ; ECPA® (douleur des soins) (figure 7.4, évaluation est absolument incontournable, mais souvent
encadré 7.5) et PACSLAC® (échelle d'origine canadienne), difficile. Un algorithme décisionnel a été proposé pour
mais elles sont encore insuffisamment utilisées en pra- sensibiliser à la détection de la douleur neuropathique
Chapitre 7. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques : le sujet âgé    41

Echelle d'évaluation comportementale de la douleur chronique chez


la personne âgée présentant des troubles de la communication verbale

DATES

NOM : Prénom :
Service :
Observation comportementale
RETENTISSEMENT SOMATIQUE
1• Plaintes • pas de plainte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0
somatiques • plaintes uniquement à la sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
• plaintes spontanées occasionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• plaintes spontanées continues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3

2• Positions • pas de position antalgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0


antalgiques • le sujet évite certaines positions de façon occasionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
au repos • position antalgique permanente et efficace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• position antalgique permanente inefficace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3

3• Protection • pas de protection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0


de zones • protection à la sollicitation n'empêchant pas la poursuite de l'examen ou des soins . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
douloureuses • protection à la sollicitation empêchant tout examen ou soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• protection au repos, en l'absence de toute sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3

4• Mimique • mimique habituelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0


• mimique semblant exprimer la douleur à la sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
• mimique semblant exprimer la douleur en l'absence de toute sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• mimique inexpressive en permanence et de manière inhabituelle (atone, figée, regard vide) . . . . . . 3 3 3 3

5• Sommeil • sommeil habituel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0


• difficultés d'endormissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
• réveils fréquents (agitation motrice) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• insomnie avec retentissement sur les phases d'éveil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3

RETENTISSEMENT PSYCHOMOTEUR
6• Toilette • possibilités habituelles inchangées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0
et/ou • possibilités habituelles peu diminuées (précautionneux mais complet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
habillage • possibilités habituelles très diminuées, toilette et/ou habillage étant difficiles et partiels . . . . . . . . . 2 2 2 2
• toilette et/ou habillage impossibles, le malade exprimant son opposition à toute tentative . . . . . . . 3 3 3 3

7• Mouvements • possibilités habituelles inchangées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0

• possibilités habituelles actives limitées (le malade évite certains mouvements, diminue son périmètre de marche) 1 1 1 1
• possibilités habituelles actives et passives limitées (même aidé, le malade diminue ses mouvements) 2 2 2 2
• mouvement impossible, toute mobilisation entraînant une opposition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3

RETENTISSEMENT PSYCHOSOCIAL
8• Communication • inchangée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0
• intensifiée (la personne attire l'attention de manière inhabituelle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
• diminuée (la personne s'isole) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• absence ou refus de toute communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3

9• Vie sociale • participation habituelle aux différentes activités (repas, animations, ateliers thérapeutiques,…) . . . . 0 0 0 0
• participation aux différentes activités uniquement à la sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
• refus partiel de participation aux différentes activités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• refus de toute vie sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3

10• Troubles du • comportement habituel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0


comportement • troubles du comportement à la sollicitation et itératif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
• troubles du comportement à la sollicitation et permanent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• troubles du comportement permanent (en dehors de toute sollicitation) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3

COPYRIGHT SCORE

Figure 7.2 Échelle DOLOPLUS®.


Source : Association DOLOPLUS. www.doloplus.com
42   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Evaluation de la douleur Identification du patient

Echelle d'évaluation comportementale


de la douleur aiguë chez la personne âgée
présentant des troubles
de la communication verbale

Date de l'évaluation de la douleur ..…./..…./..…. ..…./..…./..…. ..…./..…./..…. ..…./..…./..…. ..…./..…./..…. ..…./..…./..….

Heure ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..…..
OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON
1 • Visage
Froncement des sourcils, grimaces, crispation,
mâchoires serrées, visage figé.
2 • Regard
Regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant,
pleurs, yeux fermés.
3 • Plaintess
« Aie », « Ouille », « J'ai mal », gémissements,
cris.
4 • Corps
Retrait ou protection d'une zone,
refus de mobilisation, attitudes figées.
5 • Comportements
Agitation ou agressivité, agrippement.

Total OUI /5 /5 /5 /5 /5 /5
Professionnel de santé ayant réalisé Médecin Médecin Médecin Médecin Médecin Médecin
l'évaluation IDE IDE IDE IDE IDE IDE
AS AS AS AS AS AS
Autre Autre Autre Autre Autre Autre
Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe

COPYRIGHT

Figure 7.3 Échelle ALGOPLUS®.


Source : Association DOLOPLUS. www.doloplus.com

de base de référence. Il n'est pas toujours possible d'avoir


Encadré 7.3 Notice de l'échelle DOLOPLUS® d'emblée une réponse à chaque item, en particulier face à un
patient inconnu dont on n'a pas encore toutes les données,
Quel type d'échelle ? notamment sur le plan psychosocial. On cotera alors les items
possibles, la cotation pouvant s'enrichir cependant au fil du
C'est une échelle d'hétéroévaluation comportementale.
temps. La réévaluation sera quotidienne jusqu'à sédation des
Pour quel patient ? douleurs, puis s'espacera ensuite en fonction des situations.
Cette échelle est destinée à la personne âgée présentant des Le score obtenu doit faire l'objet d'une traçabilité dans le
troubles de la communication verbale. dossier patient (Indicateurs pour l'amélioration de la qualité et
de la sécurité des soins [IPAQSS]) [8, 9].
Pour quelle douleur ?
La douleur chronique. Source : www.sfetd-douleur.org.

Comment l'utiliser ?
L'échelle comporte dix items répartis en trois sous-groupes,
Encadré 7.4 Notice de l'échelle ALGOPLUS®
proportionnellement à la fréquence rencontrée (cinq items
somatiques, deux items psychomoteurs et trois items psychoso- Quel type d'échelle ?
ciaux). Chaque item est coté de 0 à 3 (cotation à quatre niveaux Il s'agit d'une échelle d'hétéroévaluation comportementale
exclusifs et progressifs), ce qui amène à un score global compris
entre 0 et 30. La douleur est clairement affirmée pour un score Pour quel patient ?
supérieur ou égal à 5 sur 30. La personne âgée présentant des troubles de la communication
Que ce soit en structure sanitaire, sociale ou à domicile, la cotation verbale.
par plusieurs soignants est préférable. À domicile, la famille et les
Pour quelle douleur ?
aidants peuvent être intégrés dans la démarche d'évaluation.
La cotation systématique à l'admission du patient servira La douleur aiguë, les accès douloureux transitoires, la douleur
procédurale.
Chapitre 7. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques : le sujet âgé    43

Figure 7.4 Échelle ECPA®.


Source : Morello R et Coll. Une échelle comportementale d'évaluation de la douleur (E.C.P.A.). Lettre Mensuelle de l'Année Gérontologique n°
100-Décembre 1999.

Comment l'utiliser ? items permet d'obtenir un score total sur cinq. Un score supérieur
L'échelle comporte cinq items (domaines d'observation). ou égal à deux permet de diagnostiquer la présence d'une douleur
La présence d'un seul comportement dans chacun des items avec une sensibilitté de 87 % et une spécificité de 80 % et, donc,
suffit pour coter « oui » l'item considéré. La simple observation d'instaurer de façon fiable une prise en charge thérapeutique et
d'un comportement doit impliquer sa cotation quelles que soient antalgique. Il est ensuite nécessaire de pratiquer régulièrement de
les interprétations étiologiques éventuelles de sa préexistence. nouvelles cotations. La prise en charge est satisfaisante quand le
En pratique, pour remplir la grille, observer dans l'ordre : les score reste strictement inférieur à deux [2, 10, 11].
expressions du visage, celles du regard, les plaintes émises, les Le score obtenu doit faire l'objet d'une traçabilité dans le
attitudes corporelles et, enfin, le comportement général. dossier patient (IPAQSS).
Chaque item coté « oui » est compté un point et la somme des Source : www.sfetd-douleur.org.
44   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

et à son dépistage via l'utilisation successive des échelles Références


d'hétéroévaluation habituelles, afin de ne pas négliger
[1] Pickering G, Gavazzi G, Gaillat J, Paccalin M, Bloch K,
l'existence d'une telle pathologie quelquefois cachée par ­B ouhassira D. Is herpes zoster an additional complication in old
une douleur nociceptive et difficile à prendre en charge age alongside comorbidity and multiple medications ? Results of
avec succès [4]. the post hoc analysis of the 12-month longitudinal prospective
Il est primordial pour les soignants d'être vigilants, de observational ARIZONA cohort study. BMJ Open 2016 ; 6(2).
renouveler l'évaluation, de se sensibiliser à la prise en charge [2] Rat P, Jouve E, Pickering G, Donnarel L, Nguyen L, Michel M, et al. Vali-
systématique et réflexe. Néanmoins, améliorer l'évaluation dation of an acute pain-behavior scale for older persons with inability to
de la douleur n'est pas toujours suivi d'une modification communicate verbally : ALGOPLUS. Eur J Pain 2011 ; 15 : 198.e1–198.e10.
­spectaculaire de la prise en charge médicamenteuse et de la [3] Martin E, Team DOLOPLUS Collective, Pereira B, Pickering G. Concor-
prescription d'antalgiques, mais souvent, à tout le moins, d'une dance of Pain Detection Using the DOLOPLUS and ALGOPLUS Beha-
vioral Scales. J Am Geriatr Soc 2016 ; 64 : e100–2.
utilisation plus judicieuse des antalgiques de référence [5].
[4] Pickering G, Marcoux M, Chapiro S, David L, Rat P, Michel M, et al.
Il est essentiel d'avoir le réflexe de penser qu'un patient An Algorithm for Neuropathic Pain Management in Older People.
avec un comportement anormal puisse avoir une douleur Drugs Aging 2016 ; 33 : 575–83.
non exprimée verbalement ou physiquement, de l'éva- [5] Moustafa F, Macian N, Giron F, Schmidt J, Pereira B, Pickering G.
luer systématiquement et de répéter cette évaluation. De Intervention Study with ALGOPLUS® : A Pain Behavioral Scale for
manière générale, il faut toujours intégrer l'évaluation de la Older Patients in the Emergency Department. Pain Pract 2017 ; 17 :
douleur dans une prise en charge gérontologique et géria- 655–62.
trique globale. [6] ANAES. Services des recommandations et références profession-
nelles. Évaluation et suivi de la douleur chronique chez l'adulte en
médecine ambulatoire. Février 1999.
Encadré 7.5 Notice de l'échelle Évalutation [7] Jensen MP, Karoly P. Self-report scales and procedures for assessing
comportementale de la douleur pain in adults. In : Turk DC, Melzack R, editors. Handbook of pain
chez la personne âgée (ECPA®) assessment. New York : The Guilford Press ; 1992. p. 135–51.
[8] Wary B, DOLOPLUS Serbouti S. validation d'une échelle d'évaluation
comportementale de la douleur chez la personne âgée. Douleurs 2001 ; 2 :
Quel type d'échelle ? 35–8.
Il s'agit d'une échelle d'hétéroévaluation comportementale. [9] Wary B, Capriz F, Berthel M. DOLOPLUS echelle d'évaluation com-
portementale de la douleur chez la personne âgée : de la sensibilisa-
Pour quel patient ? tion à la validation. Revue de gériatrie 1997 ; 22 : 22–5.
La personne âgée présentant des troubles de la communication [10] Rat P Jouve E, Bonin-Guillaume S, Donnarel L, Michel M, Capriz F,
verbale. et al. Présentation de l'échelle de la douleur aiguë pour personnes
âgées. ALGOPLUS. Douleurs 2007 ; 8 : 45–6.
Pour quelle douleur ? [11] Rat P, et al. Développement d'une echelle comportementale d'évaluta-
Douleur aiguë, douleur chronique, douleur procédurale. tion de la douleur aiguë du sujet âgé : ALGOPLUS. La Revue Cana-
dienne du vieillissement 2006 ; 25(S1) : 141.
Comment l'utiliser ?
[12] ANAES. Evaluation et prise en charge de la douleur chez les
L'échelle comporte huit items regroupés en 2 dimensions : ­p ersonnes âgées ayant des troubles de la communication verbal.
observation avant les soins (4 items), observation pendant les Octobre ; 2000.
soins (4 items). Chaque item comporte 5 degrés de gravité [13] Morello R, Jean A, Alix M, Sellin-Perez D, Fermanian J. A scale to
progressive croissante allant de 0 à 4. La cotation globale measure pain in non-verbally communicating older patients : the
va de 0 (pas de douleur) à 32 (douleur extrême). Un score ECPA-2. Study of its psychometrics properties. Pain 2007 ; 133 :
87–98.
supérieur à 6 est le signe d'une forte suspicion de douleur.
Le temps de cotation va de 1 à 5 minutes, cotation pouvant
être réalisée par une seule personne.
Il est indispensable de coter la dimension « avant les soins »
réellement avant les soins, et non pas de mémoire après
ceux-ci. Il y aurait alors influence de la deuxième étape sur la
première [12, 13].
Le score obtenu doit faire l'objet d'une traçabilité dans le
dossier patient (IPAQSS).

Source : www.sfetd-douleur.org.
Chapitre
8
Clinique de la douleur aiguë
et chronique (facteurs
de chronicisation
et mémoire de la douleur)
Bernard Laurent

PLAN DU CHAPITRE
Douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Facteurs de chronicisation
Douleur Aigüe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 et mémoire de la douleur. . . . . . . . . . . . . . . . . 46

Chacun a expérimenté la douleur aiguë d'une brûlure, (zona, traumatisme, chirurgie) permet leur identification
d'une fracture ou d'une céphalée ; il connaît la réponse tout comme les caractères de la douleur spontanée (brûlure,
musculaire de retrait ou la contracture réflexe, l'émotion électricité) et la perte de sensibilité paradoxale de la zone
avec la réponse végétative (tachycardie, sudation, jusqu'à douloureuse : on a mal là où on ne sent plus… Cette sen-
la syncope, parfois) et l'hyperalgésie qui prolonge la dou- sibilisation par dépolarisation de la corne postérieure est
leur aiguë initiale. Cette réponse est périphérique au lieu liée aux récepteurs NMDA du glutamate et aux récepteurs
de la blessure, ce qui implique des mécanismes neuronaux NK-1 de la substance P et de la neurokinine A. L'activation
et biologiques locaux : libération au niveau du site lésion- de ces récepteurs permet une entrée massive de calcium
nel de substances biochimiques : K+, H+, prostaglandines, intracellulaire et stimule une cascade chimique, impliquant
bradykinine, et « soupe inflammatoire », avec l'activation notamment la protéine kinase C et la NO-synthétase, avec
des canaux ioniques des fibres nociceptives C et A δ, des production d'oxyde nitrique intracellulaire. Du fait de cette
nocicepteurs silencieux, lieu d'efficacité du paracétamol et sensibilisation, les champs récepteurs des neurones de la
des anti-inflammatoires. Mais cette réponse est aussi cen- moelle s'étendent au-delà du site lésionnel initial dans les
trale, ce qui explique cette diffusion de la douleur au-delà tissus adjacents non lésés. L'analgésie optimale doit bloquer
de la blessure, dans tout un territoire neurologique (nerf, l'influx douloureux au niveau périphérique du nocicepteur
racine), voire un membre entier, quand la réponse médul- (analgésiques AINS), de la conduction nerveuse (blocs
laire s'étend au-delà de la zone initialement stimulée (acti- anesthésiques) ou au niveau de la moelle (morphiniques ou
vation des récepteurs NMDA, et des seconds messagers, anti-NMDA) pour prévenir l'hyperalgésie secondaire, pré-
etc.), ce qui correspond à la transformation du système ner- lude de toute douleur chronique.
veux d'un état basal a un état sensibilisé. Cet état perdure
et constitue une forme primitive de mémoire douloureuse Douleur Chronique
supportée par des modifications géniques (les oncogènes
c-fos ou c-jun qui initient des modifications neuronales La douleur chronique, quel qu'en soit le mécanisme (inflam-
persistantes de la CPME, où convergent les fibres noci- matoire, cancer, neuropathique), s'oppose à la douleur aiguë
ceptives). Ces phénomènes de sensibilisation expliquent non seulement par sa durée (classiquement supérieure à
l'hyperalgésie mécanique et l'allodynie tactile que chacun a six mois), mais surtout par sa résistance aux médicaments
expérimenté lors du contact à la suite d'un coup de soleil ou et l'auto-entretien qui en font une maladie autonome. L'hy-
dans l'hypersensibilité du cuir chevelu après une migraine : peralgésie centrale, le maintien d'une activation des noci-
les mécanorécepteurs Aβ de bas seuil déclenchent la dou- cepteurs (nocicepteurs articulaires de l'arthrose, sollicités
leur. Cette caractéristique des douleurs neuropathiques par le mouvement ou compression d'un nerf par un ­cancer
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 45
46   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

extensif, etc.) sont aggravés par la faillite des systèmes endo- atteignant un membre qui a été amputé, sont classiques ; plus
gènes de contrôle de la douleur : systèmes endorphinique, étranges sont celles qui reproduisent une situation de douleur
sérotoninergique, noradrénergique, cannabinoïde, etc. Ce aiguë ancienne : par exemple, dans le cas de l'accident, la der-
déficit de contrôle endogène est combattu par des molécules nière perception de la main crispée sur le guidon de moto, ou
qui tentent de le restaurer (antidépresseurs, antiépilep- encore le cas de ce patient qui ressentait dans son bras fantôme
tiques, neuromodulation, etc.). L'abus d'antalgiques, parti- amputé une écharde sous l'ongle du majeur et mit beaucoup de
culièrement des opioïdes (morphine et des dérivés opiacés temps à établir, grâce au récit maternel, le lien entre cette dou-
plus puissants, comme le fentanyl) après une analgésie leur et sa biographie : cette écharde avait existé douloureuse­
puissante, déclenche une hyperalgésie d'autant plus grave ment quelques heures seulement à l'âge de 5 ans [1].
que la consommation est répétée. Cette prescription dans Depuis les années 1980, il est établi que les voies nocicep-
les situations de douleur chronique doit donc être contrô- tives du fœtus humain sont fonctionnelles dès 6 semaines de
lée afin d'éviter hyperalgésie, chronicité, mémorisation et grossesse. Les nouveau-nés hospitalisés en soins intensifs ou
addiction (actuellement plus fréquente que les prises à visée en réanimation néonatale sont exposés à différents types de
récréative aux États-Unis, où plus de 60 000 décès annuels stimuli douloureux (cathétérismes, aspirations trachéales,
en dépendent). etc.) et soumis à un stress prolongé (isolement affectif, sti-
muli acoustiques et lumineux, etc.), entraînant une combi-
naison de douleurs aiguës et chroniques. Ce stress périnatal
Douleur aigüe induit des perturbations à long terme du contrôle de la dou-
La mémoire d'une douleur aiguë est sans cesse interrogée leur qui ont été prouvées chez des adolescents anciens pré-
par le médecin pour son diagnostic alors qu'elle est particu- maturés étudiés par imagerie cérébrale. Chez l'humain
lièrement fragile, car on ne peut pas faire revivre le souvenir nouveau-né à terme, les naissances traumatiques (forceps),
corporel dans sa précision topographique ni son intensité : associées à un taux élevé de cortisol, ou la circoncision sans
on se rappellera la note de l'échelle, mais on retiendra diffi- anesthésie des premiers jours sont responsables d'un com-
cilement les caractéristiques topographiques et l'irradiation, portement douloureux important lors des vaccinations à 4
pourtant indispensables au médecin qui interroge. Cette et 6 mois [2].
mémoire est affectée par plusieurs facteurs et, par exemple, Il reste beaucoup d'inconnus sur l'inscription physiolo-
l'intensité de la douleur et l'état douloureux sont souvent gique d'une douleur et les sites anatomiques impliqués. Le
mieux mémorisés que la durée de la douleur. Pami ces fac- système nociceptif est probablement soumis à une « fina-
teurs, interviennent les conditions de l'amélioration par le lité » d'oubli de la douleur, mais tout stimulus douloureux
médicament : par exemple, le souvenir de l'intensité initiale entraîne des modifications neurochimiques et synaptiques
de la douleur s'efface si l'amélioration de l'état a été rapide. durables du système nerveux. Ce stockage mnésique de la
Les facteurs psychologiques et les notions de stress trauma- douleur, utile pour la reconnaître et mieux la combattre,
tique jouent également un rôle, d'où l'intérêt des interven- sera d'autant plus important que le stimulus nociceptif
tions psychologiques atténuant le contexte initial : hypnose, aura été intense et répété. Un frayage commun entre dou-
prescription d'un anxiolytique, etc. La prévention de cette leur somatique et souffrance psychique peut expliquer l'in-
mémorisation douloureuse passe donc par la réduction trication observée dans les douleurs chroniques poststress
maximale des influx nociceptifs (techniques chirurgicales, ou les douleurs psychogènes. La connaissance de ces phé-
analgésie efficace, anesthésie locorégionale), des facteurs nomènes a promu l'analgésie préventive en cas de lésions
d'hyperalgésie (anti-NMDA, comme la kétamine, etc.) et nerveuses après chirurgie ou dans la phase initiale du zona.
des éléments de contexte (anxiété, sommeil, anticipation Elle incite à analyser toute douleur en référence à la biogra-
négative, effet nocebo, etc.). La littérature anesthésiologique phie douloureuse ancienne. Le concept d'allostasie illustre
est riche dans ce domaine. cette idée selon laquelle chacun fait sa douleur actuelle en
fonction d'un passé douloureux et d'une expérience des
antalgiques qui ont façonné les systèmes de contrôle endo-
Facteurs de chronicisation gène. Ainsi, l'utilisation des antalgiques n'est jamais ano-
dine, surtout celle des opiacés. Les bonnes intentions (tel
et mémoire de la douleur « l'hôpital sans douleur », évalué selon sa consommation de
Quand on interroge à distance un patient sur une situation morphine, dans les années 1980) s'avèrent parfois nocives
douloureuse (accouchement, extraction dentaire, etc.), les à long terme [3].
rappels du contexte, de l'émotion, de l'échelle de cotation de la
douleur sont corrects, mais l'absence de reviviscence conduit
aux erreurs déjà citées qui peuvent aller jusqu'à celle du côté. Références
Paradoxalement, on reconnaît très bien une douleur aiguë
[1] Laurent B. Mémoire de la douleur. Douleur et Analgésie 2011. 24 ; S11 3.
déjà expérimentée, ce qui atteste de sa mémorisation dans [2] Taddio A, Katz J, Ilersich AL, Koren G. Effect of neonatal circumcision
le SNC : quiconque a connu la migraine, la colique néphré- on pain response during subsequent routine vaccination. Lancet 1997 ;
tique ou l'angine de poitrine fait vite son propre diagnostic. 349 : 599–603.
Donc la douleur physique est stockée, mais non ré-évocable [3] Simonnet G, Laurent B, Lebreton DL. Homme douloureux. Paris. Odile
comme peut l'être un souvenir visuel. Les douleurs fantômes, Jacob ; 2018.
Chapitre
9
Savoir expliquer
Isabelle Nègre

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Différence entre douleur aiguë Neurostimulation électrique
et douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 transcutanée (TENS) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Douleur postchirurgicale . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Ostéopathie ou chiropraxie . . . . . . . . . . . . . . . 51
Douleur neuropathique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Introduction Des notions anatomiques


L'adhésion au traitement et à la démarche thérapeutique ou physiologiques parfois inattendues
repose sur la bonne compréhension du patient [1]. Une Le patient explique sa douleur selon des notions anatomiques
information pertinente bien comprise est donc primordiale ou physiologiques parfois inattendues. Il est important d'en
et contribue à une relation thérapeutique de qualité, évo- tenir compte dans les explications, non pour les contredire,
luant vers une alliance thérapeutique [2, 3]. ce qui serait contre-productif, mais pour, gentiment, les ajus-
La « bonne explication » nécessite, outre de maîtriser les ter, en s'aidant d'images proposées sur Internet, que le patient
principes de communication qui seront exposés dans le pourra revoir chez lui s'il le souhaite.
chapitre 10, de comprendre l'histoire du patient douloureux
chronique et la façon dont il voit et vit sa douleur [4]. « Vous
êtes mon dernier espoir... » : anxiété ou dépression réaction-
Une longue histoire
nelle sont fréquemment présentes, et l'explication reposera Les douloureux chroniques ont, par définition, une longue
sur une relation respectant quelques principes tels que ras- histoire, marquée par des consultations multiples de nom-
surer, encourager les questions, expliquer les examens com- breux spécialistes qui auront donné leur explication, plus ou
plémentaires, supprimer tout jugement de valeur et préciser moins convaincante, voire parfois traumatisante. Une nou-
les objectifs et préférences en matière de traitement [5]. velle explication contradictoire peut être facteur de confu-
Nous développons ci-dessous quelques éléments qui sont sion, amenant le patient à faire un choix selon sa préférence
presque toujours présents. ou sa meilleure compréhension de l'une ou de l'autre, choix
influencé par l'aura, la réputation, l'autorité et la conviction
de qui l'a énoncé. Partir de ce que le patient croit savoir sans
Le patient a une faible connaissance dénigrer les collègues est une attitude prudente et apaisante.
sémiologique
La douleur est comprise comme un tout, assez global et flou.
Le patient évoque sa douleur, et la première difficulté est
Une longue histoire
d'introduire, à partir des éléments descriptifs, des nuances écrite aussi par le patient
sémiologiques qui permettront de suivre une évolution. Le patient, en réfléchissant à sa douleur s'est donc construit
une histoire. Cette cohérence est une réaction humaine nor-
male dont l'utilité majeure est la préservation psychique et
Le patient reconnaît difficilement l'effet la diminution de l'anxiété. Mais la douleur persistante est
psychologique de sa douleur menaçante et pollue chaque moment de la vie : la menace
Le patient a une faible reconnaissance de l'effet psycholo- de sa survenue exacerbe son intensité, entraînant hypervigi-
gique de sa douleur. Si la souffrance est souvent évidente, lance, défaut d'apprentissage des états de détente, évitement
le chemin est parfois long pour qu'elle puisse s'exprimer comportemental et cognitif et hyperréactivité face à l'incer-
ouvertement, la demande étant le plus souvent somatique. titude, autant d'éléments interférant avec le fonctionnement
L'explication des conséquences de la douleur chronique aide cérébral et induisant un état émotionnel parfois régressif
à cette expression. [6]. L'explication doit donc rassurer, mais rester simple.

Médecine de la douleur pour le praticien


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50   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Diminuer son anxiété sensible, voire se déclencher tout seul, sans aucune stimula-
selon sa personnalité tion… Tout le système est touché et devient hypersensible à
la moindre chose. Et cela touche tous les étages, y compris
Le patient cherche à diminuer son anxiété selon sa propre ceux de l'émotion. C'est pour ça que vous éprouvez peut-
personnalité, variant entre deux extrêmes [7] : les monitors être de la tristesse, de la fatigue, des moments de déprime…
essaient d'exercer un contrôle sur tout en obtenant le plus C'est pour ça qu'il faut du temps pour remettre tout en place,
d'informations possible alors que les blunters ignorent les pour que les choses s'apaisent… Et c'est pour ça que, parfois,
détails médicaux tout en cherchant à s'assurer que tout ira il faut se faire aider. »
bien. Mais tous désirent être à la fois informés et rassurés.
Les trames d'explication iront donc du technique (monitor)
au métaphorique (blunter). Douleur postchirurgicale
L'explication est donc bien différente d'un simple élé-
ment de langage : pour être comprise et intégrée, elle devra « Après une opération, ces douleurs sont fréquentes. Mais,
résulter d'une rencontre, avec écoute empathique, et non rassurez-vous, vous avez été bien opéré… Lorsque le
pas d'une nouvelle vérité assénée. Il est donc fondamental chirurgien incise la peau, il va forcément couper de petits
d'inviter le patient à raconter son histoire pour pouvoir nerfs, minuscules, qu'il est impossible de voir à l'œil nu.
ensuite procéder à l'explication en des termes compré- Lorsqu'il recoud la peau, les deux côtés ne sont pas for-
hensibles et adaptés, l'essentiel étant la compréhension de cément exactement en face. Les petits nerfs vont faire
l'approche et non l'exhaustivité neurophysiologique. La ce qu'ils peuvent pour cicatriser : ils forment parfois des
qualité de cette explication demande du temps, n'est pas petites boules qui sont très sensibles. Dès qu'on touche et
toujours innée et peut être améliorée grâce à un appren- qu'on bouge la zone, la petite boule va déclencher un signal
tissage [8]. puissant, non adapté. Comme un court-circuit électrique.
Quelques exemples suivent, illustrant les deux approches, Ou bien les petites fibres vont rester à vif et se déclencher
transcrites en langage oral. au moindre contact. Le problème, c'est que tout ce qui est
autour va ressentir ces impulsions et réagir : les muscles
se contractent et aggravent la douleur en augmentant la
Différence entre douleur aiguë stimulation du nerf. Forcément, on ne trouve jamais la
et douleur chronique bonne position pour éviter la douleur et, quoi qu'on fasse,
pour un geste quelconque, elle explose. Alors, on a peur du
« Pour la douleur aiguë, les choses sont assez simples : le moindre mouvement. »
système nerveux est comme un câblage électrique, et le
cerveau est comme un grand tableau électrique très sophis-
tiqué. Quand vous vous blessez, des récepteurs au niveau Douleur neuropathique
de la peau sont stimulés et codent le message : piqûre, trop
chaud, trop froid, écrasement. Le message est transmis « Ce que vous avez eu (chimiothérapie, zona, diabète, etc.)
dans le nerf, puis les nerfs se rejoignent pour former ce a abîmé l'extrémité de vos nerfs. Les nerfs sont comme un
qu'on appelle un plexus, et arrivent à la moelle épinière où câble électrique avec une gaine autour. Au bout, vers la peau,
les messages sont triés et codés pour être envoyés vers le il n'y a plus de gaine et le nerf devient comme une ficelle
cerveau. Au niveau du cerveau, il y a plusieurs étages, plus effilochée. Ce que vous avez eu a abîmé la gaine, le bout qui
ou moins sophistiqués : par exemple le premier étage vous fonctionne mal et envoie des messages inadaptés. Pour cal-
fait retirer la main de façon automatique, vous réveille, mer la douleur et permettre au nerf de cicatriser, il faut un
augmente votre attention et votre fréquence cardiaque. traitement spécial, qui va agir en diminuant sa réactivité. »
Les étages suivants vont localiser précisément la zone de la
douleur et interpréter le message comme brûlure, coupure,
chaleur ou écrasement. Plus haut dans les étages, le mes-
Traitement
sage va être analysé de plus en plus finement, désagréable « Le traitement a pour but de diminuer les impulsions de
ou terrifiant, par exemple, et mis en mémoire. Ce message ces petites zones nerveuses. On peut le faire grâce à deux
est envoyé partout et en même temps dans votre cerveau familles de médicaments : les antiépileptiques, même si vous
qui saura à présent de façon inconsciente, automatique, n'êtes pas épileptique, et certains antidépresseurs, même si
éviter les situations dangereuses ou vous faire ressentir vous n'êtes pas déprimé. Pour les antiépileptiques, les doses
un sentiment de malaise ou de peur quand vous verrez un seront normales. Pour les antidépresseurs, les doses seront
grand couteau ou, chez certaines personnes, quand elles très petites, 10 à 20 fois moins que pour la dépression. Donc,
viennent à l'hôpital ! ne lisez pas la notice qui ne correspond pas aux doses que
Pour la douleur chronique, c'est un peu plus compliqué. vous prendrez… Par contre, les deux mettent du temps à
En fait, les câbles et le tableau électriques sont vivants, car ils agir : il faudra prendre le traitement pendant 3 semaines à
se modifient si les messages durent. Quand la douleur per- 1 mois avant d'avoir un résultat. Et il va falloir trouver le
siste, ce qui est votre cas, les câbles, les nerfs, sont sollicités dosage qui vous convient. Je vais vous donner d'abord de
sans arrêt, la moelle épinière va être envahie de messages petites doses, donc, soyez très attentif : toute amélioration,
douloureux ainsi que le cerveau. L'ensemble du système va même minime est un signe positif et nous adapterons les
être en quelque sorte en surchauffe et devenir de plus en plus doses ensemble par la suite. »
Chapitre 9. Savoir expliquer   51

Neurostimulation électrique lit, une petite chute, etc. Je prends souvent l'exemple d'une
pile de tasses un peu de guingois dans le buffet. Ça tient,
transcutanée (TENS) mais pour un rien, une porte qui claque ou un éternuement,
« Cet appareil fonctionne par de petites stimulations élec- tout s'écroule. C'est pareil au niveau de la colonne. Du coup,
triques sur la peau. Il se fonde sur des fonctions de notre l'équilibre est rompu et les douleurs apparaissent au niveau
corps que vous connaissez sûrement. En réalité, on ne des zones de contrainte : les sacro-iliaques, les lombaires
ressent pas la douleur tout le temps de la même façon. Par parce qu'elles sont très mobiles, au milieu du dos (mais sou-
exemple si vous êtes sur un bateau au milieu d'une tem- vent on ne le sent pas à cause de la rigidité de la cage thora-
pête, votre corps va être stimulé par le vent, le froid, la pluie cique), et au niveau du cou, qui est très mobile. Les muscles
et toutes les choses à faire à ce moment-là pour la bonne sentent le danger et se contractent pour essayer de redresser
marche du bateau. Dans ces moments, si vous vous blessez, la situation et on a mal. Les manipulations faites par un bon
vous ne sentirez presque rien. Vous ressentirez la douleur professionnel ont pour but de vous restituer votre propre
quand vous retournerez au calme et là vous direz : ouh là là ! équilibre et de diminuer cette tension musculaire. »
mais je me suis fait très mal !
À l'inverse, si vous dormez et que vous n'avez aucune sti-
mulation extérieure : pas de vent, pas de pluie, vous êtes au Conclusion
chaud et c'est confortable, et qu'on vous pique, vous allez La qualité de l'information ne peut être jugée qu'a posteriori.
bondir et avoir très mal. Notre corps est donc très bien orga- Elle est un élément essentiel de la compliance et de l'obser-
nisé : il y a des filtres pour diminuer le message douloureux, vance du traitement et, au final, de l'autonomie du patient,
comme les stimulations non douloureuses. C'est pour ça objectif essentiel de la prise en charge du douloureux chro-
que lorsqu'on se fait mal, on a tendance à frotter la partie nique [1].
endolorie, et ça fait du bien. Cet appareil fonctionne sur
ce principe : il envoie de petites décharges électriques non
douloureuses qui vont masquer votre douleur. C'est un des Références
programmes de la TENS. Notre corps a d'autres filtres : il
[1] Fu Y, McNichol E, Marczewski K, Closs SJ. Exploring the Influence
produit, par exemple, de la morphine. Un programme de la
of Patient-Professional Partnerships on the Self-Management of
TENS va permettre d'augmenter cette production de mor- Chronic Back Pain : A Qualitative Study. Pain Manag Nurs 2016 ; 17 :
phine. Une infirmière vous expliquera le fonctionnement de 339–49.
l'appareil et vous aidera à choisir le bon programme pour [2] Butow P, Sharpe L. The impact of communication on adherence in
vous. Vous utiliserez l'appareil chez vous en le réglant vous- pain management. Pain 2013 ; 154 : S101–7. Suppl. 1.
même pour que les stimulations ne soient pas douloureuses, [3] Rees S, Williams A. Promoting and supporting self-management for
mais, au contraire apaisantes. » adults living in the community with physical chronic illness : A syste-
matic review of the effectiveness and meaningfulness of the patient-
practitioner encounter. JBI Libr Syst Rev 2009 ; 7(13) : 492–582.
Ostéopathie ou chiropraxie [4] Haverfield MC, Giannitrapani K, Timko C, Lorenz K. Patient-Centered
Pain Management Communication from the Patient Perspective. J Gen
« Notre corps est soutenu par la colonne vertébrale, comme Intern Med 2018 ; 33 : 1374–80.
la charpente d'une maison. Théoriquement, les deux jambes [5] Dang BN, Westbrook RA, Njue SM, Giordano TP. Building trust and
sont égales, le bassin est posé dessus comme une boîte dans rapport early in the new doctor-patient relationship : a longitudinal
laquelle est encastré le sacrum. Par-dessus, il y a les ver- qualitative study. BMC Med Educ 2017 ; 17 : 32.
tèbres et la tête. Tout autour, les muscles qui sont comme [6] Grupe DW, Nitschke JB. Uncertainty and anticipation in anxiety : an
des haubans de bateau. En fait, ça n'est jamais comme ça. integrated neurobiological and psychological perspective. Nat Rev
Les jambes ne sont jamais tout à fait égales. Le bassin est Neurosci 2013 ; 14 : 488–501.
[7] Zollo RA, Lurie SJ, Epstein R, Ward DS. Patterns of communication
donc un peu en biais. Si la colonne vertébrale était raide, la
during the preanesthesia visit. Anesthesiology 2009 ; 111 : 971–8.
tête serait penchée. Or, la mission de la colonne vertébrale [8] Delvaux N, Merckaert I, Marchal S, Libert Y, Conradt S, Boniver J,
est de garder la tête droite. La colonne fait un joli S et tout et al. Physicians' communication with a cancer patient and a relative :
va bien. Mais cet équilibre peut se rompre pour une raison a randomized study assessing the efficacy of consolidation works-
souvent anodine : une glissade, une nuit dans un mauvais hops. Cancer 2005 ; 103 : 2397–411.
Chapitre
10
Savoir communiquer
avec le patient douloureux
Julien Nizard, Éric Serra

PLAN DU CHAPITRE
Communication non verbale, Promouvoir l'autonomie du patient
attitude empathique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 et sa « responsabilité » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Communication verbale, réassurance . . . . . . . 54 Pratique de la relation thérapeutique :
Promouvoir l'alliance thérapeutique place des thérapies complémentaires . . . . . . . 55
et la définition d'un contrat d'objectifs . . . . . 54 Former les médecins et les professionnels
Favoriser la motivation et l'engagement de santé à la communication thérapeutique . 55
du patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

Mots-clés : Communication verbale. Communication non ver- Savoir mieux communiquer avec le patient douloureux
bale. Empathie. Alliance thérapeutique. Motivation. Empower- constitue ainsi un élément essentiel de sa prise en charge, et
ment. Apprentissage. Médecine intégrative. en conditionne largement le succès.
Il s'agit d'aider le patient à dépasser les obstacles à l'amé-
lioration de ses douleurs et de l'inscrire dans une démarche
de changement des stratégies adoptées face à ses douleurs,
grâce à un investissement durable dans sa prise en charge.
POINTS CLÉS
• Adopter une attitude empathique, authentique et Communication non verbale,
prendre le temps d'écouter le patient. attitude empathique
• Donner des explications simples sur les causes de la
douleur, les examens complémentaires éventuels, La posture du médecin ou du soignant lorsqu'il commu-
nécessaires et suffisants, l'évolution habituelle nique avec le patient, évalue sa douleur et son retentisse-
des symptômes et les traitements disponibles, ment, est capitale : il s'agit d'abord d'écouter attentivement
médicamenteux et non médicamenteux. le patient, de le croire, de lui faire confiance. Ce premier
• Faire prendre conscience au patient de l'importance et de élément, qui paraît si évident, est pourtant relativement
la valeur du retentissement émotionnel de ses douleurs et rare, si l'on écoute les patients douloureux faire part de la
de son investissement dans la prise en charge. souffrance qu'ils ont ressentie lorsque les praticiens qui les
• Définir des objectifs de prise en charge précis et réalistes,
ont pris successivement en charge ne les ont pas (de leur
choisis par le patient.
point de vue), suffisamment écoutés ou pris en compte, les
interrompant (trop) rapidement, se tenant face à leur ordi-
• Valoriser ses efforts, mêmes modestes.
nateur, etc. Les silences sont utiles, lorsqu'il s'agit d'accueil-
• Encourager le patient à la pratique quotidienne d'activités
lir la souffrance du patient et de ses proches. On peut, par
physiques et d'approches psychocorporelles.
nos attitudes ou nos propos, inviter le patient à exprimer
ce qu'il ressent (émotions), ce qu'il pense (cognitions) et ce
qu'il craint.
La douleur étant subjective, le patient douloureux, particu- Prendre le temps et l'énergie nécessaires à l'établisse-
lièrement lorsqu'il s'agit de douleur chronique, s'adressera ment d'une relation de qualité, éviter l'impatience, voire
aux soignants dans un langage et au moyen d'un compor- un agacement, visible ou perçu [1], est donc une étape
tement empreints de son vécu douloureux, souvent marqué indispensable de la prise en charge : en centre de la dou-
par des incompréhensions (voire un rejet) par ses proches et leur, la première consultation avec un patient douloureux
par le corps médical, et par un parcours médical chaotique. chronique dure habituellement près d'une heure (voire
Médecine de la douleur pour le praticien
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54   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

une heure et demie s'il s'agit d'un enfant ou d'un ado- soignants, qui doivent accepter la position basse de celui
lescent accompagné de ses parents). En médecine libérale, qui ne sait pas tout et ne pourra pas tout, qui ne sera donc
elle peut être répartie sur plusieurs consultations, avec pas le « sauveur » ou le « dernier espoir ».
au moins une consultation ciblée sur la définition d'un
contrat d'objectifs.
Favoriser la motivation
et l'engagement du patient [3]
Communication verbale,
Initialement, ce sont les facteurs d'entretien du syndrome dou-
réassurance loureux chronique qu'il convient de connaître et d'expliquer
Il est important d'expliquer de façon humaine, compré- au patient et à son entourage (et aussi de mieux faire connaître
hensible et attentive à un patient en souffrance, dans un aux médecins et soignants), afin qu'ils puissent se mobiliser
langage simple, volontiers positif, le diagnostic envisagé pour limiter tout ce qui contribue à l'entretien des douleurs.
et les différents traitements possibles. Le patient est placé La première étape consiste souvent à faire comprendre
au centre de sa prise en charge : en premier lieu, il réalise au patient que l'entretien de la douleur a divers facteurs :
lui-même l'évaluation de ses symptômes et de leur reten- mésusage des antalgiques et abus médicamenteux très fré-
tissement (autoévaluation, toujours préférable à l'hétéroé- quents ou, parfois, résistance à toute prise d'antalgique ;
valuation par un tiers). Ces explications simples peuvent déconditionnement à l'effort avec évitement des activités ;
« changer la donne », par exemple dans le cas d'une attentes thérapeutiques irréalistes ; pessimisme ou catas-
demande de nouvelle (et inutile) imagerie ou de nouvelle trophisme en partie injustifiés ; fausses croyances sur le
(et, parfois, iatrogène) chirurgie chez le patient atteint de rôle prétendument néfaste de l'activité physique ou du tra-
lombalgie chronique ; ou encore lorsqu'il s'agit d'expliquer vail (qui sont au contraire bénéfiques, à conditions d'être
à un patient porteur d'un syndrome douloureux régional adaptés) ; distorsions cognitives (« on me prend pour un
complexe (anciennement appelé algodystrophie) que, tire-au-flanc » ou encore « on me cache la vérité », etc.) ;
même si la symptomatologie est parfois intense, l'évolu- désocialisation et arrêt de travail prolongé. Le projet thé-
tion est le plus souvent favorable en quelques semaines, rapeutique proposé est ainsi souvent éloigné des attentes
à condition que le traitement soit bien conduit, et que le initiales du patient.
patient s'y investisse activement. L'alliance nécessaire et le partage d'objectifs thérapeutiques,
pragmatiques et personnalisés, centrés sur l'amélioration de
la qualité de vie au quotidien (et pas sur la seule douleur, dont
Promouvoir l'alliance l'amélioration sera souvent modérée), l'instauration d'appren-
thérapeutique et la définition tissages progressifs de comportements favorables à une bonne
santé et une hygiène de vie (levers et couchers à des heures
d'un contrat d'objectifs [2] régulières, alimentation variée et, si possible, repas en collec-
La médecine de la douleur repose sur la participation active tif, etc.) et la finalisation d'un échéancier rigoureux (date de
et centrale du patient à sa prise en charge : l'éducation thé- reprise d'activités socialisantes, planning en vue d'un retour
rapeutique (ETP), fondée sur les sciences de l'apprentis- au travail et adaptations professionnelles à prévoir) s'appa-
sage, lui permettra de mieux comprendre les enjeux de sa rentent à des entretiens motivationnels.
prise en charge et les moyens de l'optimiser. La définition Tout en combattant, si possible, tout ce qui aggrave
d'objectifs communs entre le patient et son thérapeute est manifestement la douleur, l'apprentissage valorise
capitale. Faute de tels objectifs partagés, l'errance diagnos- la recherche des comportements de bonne santé qui
tique et thérapeutique du patient risque de se transformer influencent favorablement la qualité de vie, tandis que
en cercle vicieux. En effet, le patient douloureux est sou- la pathologie d'origine demeure souvent chronique. Les
vent en attente d'une disparition complète, magique, de ses ressources du patient seront mobilisées (par exemple la
douleurs et d'un traitement qui lui permettra d'y parvenir. reprise de la musique chez un musicien ou des séances
Le thérapeute non averti risque de tomber dans ce piège de cinéma chez un cinéphile) : on cherchera avec lui les
en poursuivant à son tour cet objectif souvent inattei- solutions qu'il apportera lui-même pour avancer dans la
gnable dans la douleur chronique, ou, au contraire, en s'en prise en charge de ses douleurs, en promouvant une dyna-
désespérant. mique de changement grâce à laquelle le patient pourra
Le discours positif et renforçateur de l'alliance théra- « mieux vivre avec ses douleurs » plutôt que « vivre avec ses
peutique permet une approche à la fois réaliste et opti- douleurs ».
miste, qui fait évoluer l'espoir d'une guérison absolue vers Il est important de valoriser les efforts du patient dou-
celui d'une amélioration relative, en vue d'une qualité de loureux, dont l'estime de soi est souvent détériorée et qui
vie « acceptable ». L'offre thérapeutique, jamais résignée, recueille de son entourage, de ses collègues et des soignants
souvent inventive, « à petits pas », doit valoriser chaque et médecins qui le prennent en charge, des ressentis souvent
objectif, même modeste, atteint par le patient, et éloigner indifférents, voire franchement négatifs à son encontre. Le
celui-ci de l'assignation à la chronicité irrémédiable. Cette renforcement des réussites ou, au moins, des efforts est plus
stratégie est aidante pour le patient mais aussi pour ses efficace que la critique des échecs.
Chapitre 10. Savoir communiquer avec le patient douloureux    55

Promouvoir l'autonomie Pratique de la relation


du patient et sa « responsabilité » thérapeutique : place des thérapies
Davantage que les médicaments ou les approches tech- complémentaires [5]
niques ou chirurgicales les plus pointues (en fait rarement Partie intégrante de la prise en charge du patient douloureux,
nécessaires), c'est la qualité de la relation thérapeutique et les interventions non médicamenteuses (au premier rang
des interventions thérapeutiques simples qui permettront desquelles l'activité physique adaptée) et les thérapies com-
au patient douloureux d'aller vers une vie meilleure et plémentaires (acupuncture, médecine manuelle-­ostéopathie,
moins centrée sur ses douleurs, de diminuer sa consom- méditation de pleine conscience, etc.) occupent une place
mation de certaines molécules responsables d'effets secon- de choix dans l'approche du patient douloureux chronique.
daires et de reprendre son travail et ses activités physiques Elles deviennent parfois le traitement principal de certains
et sociales. symptômes, justifiant l'appellation de « traitements non
Chaque thérapeutique, qu'elle soit corporelle, psycho- médicamenteux » dont le niveau de validation scientifique
corporelle, psychocomportementale ou socio-­é ducative, progresse, au sein de la médecine intégrative. Leur intérêt
a pour but d'autonomiser le patient qui s'approprie les réside notamment dans la qualité de la relation thérapeu-
différents traitements, et met en place une pratique tique qu'elles soutiennent auprès du patient, et dans le fait
régulière [4], avec, dans le meilleur des cas un « plan- qu'elles sont davantage centrées sur l'amélioration de la
ning de tâches » quotidiennes et hebdomadaires. C'est qualité de vie que sur la résolution des seules douleurs : elles
autant valable pour l'activité physique adaptée pluri- permettent souvent une amélioration des troubles du som-
hebdomadaire, précisément prescrite, qu'il pérennisera, meil, de l'anxiété et d'autres conséquences psychocompor-
que pour des séances d'autohypnose quotidienne ou tementales associées aux douleurs. Ces thérapies soulignent
pour des activités de loisir ou socialisantes. l'importance de la relation thérapeutique, de la relation du
Enfin la « responsabilisation » du patient (« empowerment » patient avec lui-même et son entourage et de l'auto-pratique
des Anglo-Saxons), qui reprend le pouvoir sur son devenir, par le patient, devenu acteur principal de sa santé.
en prend conscience et s'en réjouit, permet au patient (dans
le meilleur des cas, définitivement), de changer de stratégie
vis-à-vis de ses douleurs qui l'ont handicapé, et qu'il a désor- Former les médecins
mais appris à apprivoiser. Moins tenté par une dépendance et les professionnels de santé
aux soignants ou aux médicaments, voire aux substances, le
patient deviendra davantage libre de son devenir. à la communication thérapeutique
La formation initiale à la relation et à la communication thé-
Encadré 10.1 Exemple de contrat rapeutiques lors des études de santé (médecine, pharmacie,
d'objectifs odontologie ou encore études menées par les sages-femmes)
est encore limitée, mais se développe. L'apprentissage, grâce
Patiente fibromyalgique, aide-soignante en arrêt à la simulation en santé, en individuel ou en petits groupes,
de travail prolongé depuis neuf mois : échéancier permet d'entraîner l'étudiant ou le professionnel à dévelop-
à un mois. per une relation thérapeutique de qualité avec le patient et
ses proches, ou d'annoncer une maladie grave, en évitant les

Rationalisation du traitement médicamenteux : arrêt des pièges relationnels propres aux pathologies chroniques. Ce
AINS pris au long cours, sevrage progressif des opioïdes de peut être, par exemple, grâce à des consultations simulées avec
palier 3, du somnifère et des triptans pris de façon abusive. un comédien professionnel jouant le rôle d'un patient dou-

Reprise d'une activité physique : marche quotidienne, deux fois loureux, ou à des jeux de rôles. Cette formation aura avantage
15 minutes par jour, pour aller chercher mes enfants à l'école à être associée, pour ceux qui le peuvent, à un apprentissage

Passer moins de temps au lit dans la journée : 30 à 40 minutes plus spécifique au contact des praticiens algologues, lors de
en début d'après-midi (au lieu des 3 heures actuelles), consultations douleur, ou au sein d'unités d'hospitalisation
et optimiser ce temps par une séance de relaxation ou de douleur.
méditation.

Travailler mon hygiène de vie et de sommeil : lever à heure
fixe, à 7 h 30, coucher à 23 h 00, petits déjeuners et dîners Conclusion
en famille.
Pour la pratique de la médecine de la douleur, la relation est
Mettre en place une approche psychothérapeutique
essentielle et intervient à tous les stades de la prise en charge.

individuelle : contact pris avec le thérapeute et premier


La communication thérapeutique auprès du patient
rendez-vous programmé.
douloureux peut s'apprendre lors de la formation initiale,
Commencer une activité associative : aide aux devoirs de
tant d'un point de vue théorique que pratique, au contact

jeunes enfants en difficulté.


des médecins et des soignants qui prennent en charge ces
Avancer sur mon projet professionnel : reprise de contact
patients, mais aussi lors de la formation continue.

avec le cadre infirmier et visite de préreprise avec le médecin


Aidé et grandi par la qualité de la relation thérapeutique,
du travail.
le patient renonce à des objectifs irréalistes et dépasse les
56   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

obstacles au changement, en avançant progressivement [2] Haute Autorité de santé. Évaluation et suivi de la douleur chronique
vers une vie meilleure (un "rétablissement", plus qu'une chez l'adulte en médecine ambulatoire ; 1999.
guérison), davantage au contact de lui-même et des autres. [3] Serra Eric. Les bases psychologiques de la douleur. Douleur en santé
mentale. Partie 1. Rev Prat 2013 ; 63 : 1159–63.
[4] Nizard J, et al. Pratique de la pluridisciplinarité dans un Centre de
Traitement de la Douleur. Douleur et Analgésie 2003 ; 3 : 137–97.
Références
[5] Nizard J., Kopferschmitt J., Collège Universitaire interdisciplinaire de
[1] Patrice Queneau, Gérard Ostermann. Soulager la douleur : écouter, Médecine Intégrative et Thérapies complémentaires. HEGEL 2017 ;
croire, prendre soin. Paris : Odile Jacob ; 1998. 7(4), https://cumic.net.
Chapitre
11
Savoir identifier la douleur
Olivier Bredeau

PLAN DU CHAPITRE
Identification « classique » de la douleur. . . . . 57 Identification des douleurs neuropathiques . . 58
Identification selon les mécanismes Identification de la douleur chronique . . . . . . 58
de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 En clinique quotidienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

L'évaluation de la douleur est un temps clinique comme l'autoquestionnaire douleur de Saint-Antoine


­indispensable pour le traitement de la douleur. Elle ne peut (QDSA) [2]. C'est une évaluation qualitative et longue
pas se résumer à la mesure de son intensité ou de la durée : (50 questions !), peu efficiente en pratique courante.
aiguë, chronique. L'identification de la douleur devient Depuis, cette aide à l'identification de la douleur a été
indispensable pour mieux définir la douleur et ses méca- améliorée et simplifiée par la diffusion de questionnaire
nismes d'élaboration. Les connaissances physiologiques plus précis avec une évaluation de seuil de spécificité et
actuelles permettent de classer les douleurs selon les méca- de sensibilité :
nismes neurophysiologiques qui sont mis en jeu de la péri- ■ Le diagnostic de douleur neuropathique (DN4) [3] par
phérie au cerveau. ce questionnaire a permis un dépistage rapide de la
Nous ne parlerons plus seulement de la douleur mais douleur neuropathique et une qualification rapide de la
des douleurs. Et même si l'expérience de cette douleur est douleur neuropathique. Ce n'est pas un questionnaire
toujours subjective, nous avons la nécessité d'objectiver les qualitatif, c'est un score de probabilité d'une douleur
critères d'identification pour personnaliser le traitement en neuropathique ;
améliorant la réponse thérapeutique et créer des popula- ■ l'évaluation de la composante anxieuse ou dépressive par
tions homogènes pour les études cliniques. la version française validée de l'échelle Hospital Anxiety
and Depression Scale (HAD) [4].
Ces deux questionnaires sont maintenant de pratique
Identification « classique » courante et permettent de mieux préciser l'identité de cette
de la douleur douleur. Il est apparu de nombreuses limites à cette iden-
tification de la douleur. Cette classification n'est pas suffi-
Selon les recommandations de la HAS de 2008 [1], la samment précise pour les travaux de recherche clinique
douleur est identifiée et classée en trois catégories : noci- et, en clinique, pour le choix des traitements médicamen-
ceptive (mécanique ou inflammatoire) neuro­p athique teux et non médicamenteux de la douleur notamment
(périphériques ou centrales), les douleurs mixtes qui neuropathique.
associent les deux caractères ou dysfonctionnelles Elle est pourtant la seule référence donnée par la HAS qui
(mécanisme lésionnel non précisé). Le terme de psy- est la base reconnue pour la certification des structures dou-
chogène, source de confusion clinique souvent désignée leurs. L'actualisation des recommandations s'impose.
par le praticien au malade : « la douleur, c'est dans votre
tête », a été abandonné, pour laisser place aux facteurs de
chronicisation comme l'anxiété, la dépression, le catas- Identification selon les mécanismes
trophisme, etc.
Cette identification des douleurs se fait par l'examen
de la douleur
clinique : interrogatoire, schéma de la douleur et examen Les connaissances de la neurophysiologie de la nociception
physique. Cet examen de la douleur permettra de préci- [5] permettent de mieux préciser les mécanismes facilitateurs
ser : l'ancienneté de la douleur, son mode de début, sa ou inhibiteurs mis en jeu et préciser les différentes douleurs.
localisation (territoire neurologique ou non), son rythme Dès 2005, Marchand [6] publiait une nouvelle classification
(spontanée ou provoquée, calmée par le repos, augmentée des douleurs en précisant les différents mécanismes connus
lors des mouvements), évolution dans le temps. Pour les de sensibilisation du message douloureux. Cette classifica-
mots de la douleur, l'aide de questionnaire est nécessaire tion, permettant une identification du mécanisme principal

Médecine de la douleur pour le praticien


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58   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

de la douleur, facilite le choix thérapeutique et une typologie L'identification de ces douleurs va permettre de prioriser
des patients pour les études cliniques, pour améliorer l'effica- les traitements et de préciser le suivi clinique.
cité des traitements de la douleur. Cette nouvelle classification des douleurs est la base de
Entre le message douloureux enregistré à la périphérie et le l'utilisation des mécanismes de sensibilisation et de l'utilisa-
phénomène douloureux exprimé par le malade, il existe une tion de la nouvelle classification des antalgiques proposée en
cascade chimique et électrique qui se divise en quatre étapes : 2010 par Luissier et Beaulieu [8].
la transduction (aux niveaux des nocicepteurs), la transmis-
sion (des nocicepteurs à la corne dorsale de la moelle), la
modulation (au niveau spinale et tronc cérébral) et la percep- Identification des douleurs
tion douloureuse (projection au niveau centrale). Cependant, neuropathiques
la douleur viscérale avec la modification de la transduction et
de la transmission, et l'intégration du système nerveux auto- En ce qui concerne les douleurs neuropathiques, on a
nome (SNA) ne reproduit pas le même schéma ainsi que la constaté la faiblesse de la réponse thérapeutique, notam-
douleur orofaciale et le système trigéminal. Il y a, dans tous les ment à travers le number needed to treat (NNT) (nombre
cas de figure, des mécanismes excitateurs et des mécanismes de patients à traiter pour obtenir une réponse thérapeu-
inhibiteurs. La douleur est l'expression du déséquilibre entre tique positive). La reprise d'études cliniques, évaluant
les deux systèmes. Il s'agit d'une activation du système excita- cette fois les typologies de patients, a permis d'obtenir
teur, ou d'une modulation des voies inhibitrices. des résultats significatifs. On a pu ainsi mieux définir les
Ainsi les douleurs peuvent selon le mécanisme en cause différents types cliniques de douleurs neuropathiques à
être classées en : partir d'un questionnaire, le Neuropathic Pain Symptom
■ douleur nociceptive avec : Inventory (NPSI) [9]. Ce questionnaire est un autoques-
– douleur somatique : douleur superficielle ou pro- tionnaire élaboré en prolongement du DN4, fondé sur les
fonde, avec réflexe nociceptif et réponse autonomique. qualificatifs de la douleur neuropathique et la fréquence
Modulation de la douleur à partir d'une stimulation de des crises, répartis en quatre catégories : douleur spon-
nature mécanique, thermique ou chimique, tanée (superficielle et profonde), douleur paroxystique,
– viscérale : douleur constante ou crampiforme, mal douleur évoquée et paresthésie. Il y a dix questions, cha-
localisée et réponse autonomique, mettant en jeu la cune évaluée par une échelle numérique de 0 à 10. Il per-
distension des viscères, met de noter un score global de 0 à 100 et des sous-totaux
■ douleur inflammatoire : pour chaque catégorie et aussi de réévaluer le malade
– douleur spontanée (lourde, diffuse), hypersensibilité, après traitement.
hyperalgésie associée à une lésion tissulaire et de l'in- Ce type d'évaluation permet de suivre au plus près l'éva-
flammation. Il s'agit de phénomènes cliniques associés luation des symptômes de la douleur neuropathique en pra-
à une hypersensibilité primaire, tique quotidienne dans les structures douleurs. Lors d'étude
■ douleur neuropathique : clinique, il peut permettre de dégager un profil symptoma-
– douleur spontanée (choc électrique, coup de couteau), tique permettant une meilleure prédictivité de la réponse
hyperalgésie et allodynie associées à des lésions du thérapeutique.
SNC ou périphérique, Pour la recherche clinique, un examen complémentaire
■ douleur nociplastique : le Quantity Sentory Testing [10] permet de quantifier l'allo-
– douleur spontanée (diffuse, profonde), hyperalgésie, dynie mécanique et dynamique, l'allodynie à la température
ou allodynie associée à une hyperactivation ou à une au froid et au chaud, les douleurs provoquées à la vibration
perte de l'inhibition des voies nociceptives. et ainsi de préciser les caractéristiques des douleurs neu-
Notons que ce terme nociplastique est apparu lors de ropathiques. Chaque symptôme recherché est mesuré par
la révision de la taxonomie des douleurs [7] qui a abouti à une EVA. Cet outil, réservé à la recherche fondamentale,
une nouvelle nomenclature dans la Classification interna- présente un intérêt dans l'identification des douleurs neuro-
tionale des maladies 11e édition (mai 2019). Il remplace le pathiques en recherche clinique et peut être complété par le
terme fonctionnel. Il est précisé que le mécanisme mis en Thermotest®. La recherche de typologie clinique différente
jeu dans ces douleurs est une sensibilisation du système au dans la douleur neuropathique, répondant à des traitements
niveau central avec une diminution du contrôle inhibiteur spécifiques, permet de mieux orienter le praticien dans ses
descendant. choix thérapeutiques [11].
L'identification du mécanisme de la douleur peut être pré-
cisée dans la majorité des cas, mais il peut y avoir des dou-
leurs qui ont un mécanisme mixte. L'exemple le plus connu Identification de la douleur
est la douleur du cancer qui associe un mécanisme nociceptif
inflammatoire et un mécanisme neuropathique. Une autre
chronique
situation clinique est la possibilité pour le patient d'avoir plu- La douleur chronique est définie [7] par une douleur persis-
sieurs localisations de douleurs avec des mécanismes diffé- tante ou récurrente depuis au moins trois mois et associée à
rents ; dans ce cas, il faut démembrer la douleur comme dans une détresse émotionnelle significative ou à une incapacité
le cas de la lombosciatalgie où le patient décrit une douleur fonctionnelle (interférence avec les activités du quotidien et
nociceptive mécanique au niveau lombaire et une douleur la vie sociale : relations, travail, scolarisation, etc.) et ne pou-
neuropathique sur le trajet du nerf sciatique incriminé. vant s'expliquer par une autre condition chronique.
Chaptire 11. Savoir identifier la douleur    59

En parallèle de l'identification de la composante sen- place une véritable « carte d'identité clinique » de la dou-
sorielle, il faut évaluer la composante émotionnelle et/ou leur qui permettra de préciser le ou les mécanismes de cette
sociale et la composante comportementale associée. douleur.
Ces évaluations peuvent s'aider d'échelles de dépistage ; L'identification de la douleur permet un traitement per-
anxiété dépression (HAD, BECK), catastrophisme ; échelle sonnalisé du malade douloureux. Cette identification de la
de Sullivan, sommeil, addiction : tabac, alcool, café, etc.), douleur est indispensable pour le choix des traitements par
kinésiophobie, échelle fonctionnelle de handicap. le clinicien et la validation de leur efficacité. Elle est indis-
Ces évaluations sont pluridisciplinaires, dans la mesure pensable lors de mise en place de registres/patients pour des
du possible, en pratique quotidienne et obligatoire dans les études cliniques.
structures douleurs. Le praticien doit pouvoir aborder ces
questions avec son patient pour bien définir le caractère
chronique et les composantes de cette douleur.
Références
En clinique quotidienne [1] Haute Autorité de santé (HAS). Douleur chronique : reconnaître le
syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient.
Cette identification de la douleur est indispensable pour Consensus formalisé. Décembre ; 2008.
préciser les mécanismes nociceptifs qui sont en jeu, orien- [2] Bourreau F, Luu M, Doubrere JF, Gay C. Élaboration d'un q ­ uestionnaire
tant ainsi le choix thérapeutique. d'auto-évaluation de la douleur par liste de qualificatifs : comparaison
Il est donc indispensable de connaître : avec le Mac Gill pain questionnaire de Melzack. Thérapie 1984 ; 39 :
■ la localisation de la douleur ; 119–29.
■ le mode de début : précis, progressive, post-chirurgicale, [3] Bouhassira D, Atta N, Alchaar H, Bourreau F, Brochet B, Bruxelle J,
traumatisme, accident du travail, ou événement associé ; et al. Comparaison of pain syndromes associated with nervous or
somatic lesions and developpement of a new neuropathic pain diag­
■ la temporalité : continue, discontinue, accès douloureux
nostic questionnaire (DN4). Pain 2005 ; 114 : 29–36.
paroxystique spontanée (obligatoire si douleur et cancer) [4] Zigmund AS, Snaith RT. The Hospital Anxiety Depression scale. Acta
ou provoquée ; Psycho Scand 1983 ; 67 : 361–70.
■ le caractère de la douleur : spontanée ou provoquée ; [5] Le Bars JC, Willer. Physiologie de la Douleur. EMC (Elsevier Masson
■ la sensibilisation de la zone douloureuse (examen cli- SAS, Paris), Anesthésie-Réanimation, 36-020-A10 ; 2004.
nique) : hyperalgie, hyperpathie, allodynie (mécanique [6] Marchand S. The physiology of pain mechanisms : from the
ou dynamique), la sensibilité au froid et au chaud ; periphery to the brain. Rheum Dis Clin North Am 2008 ; 34 :
■ autoquestionnaire DN4 : aide au diagnostic de la douleur 285–309.
neuropathique ; [7] Smith BH, Fors EA, Korwisi B, Barke A, Cameron P, Colvin L, et al.
■ autoquestionnaire NPSI : aide au suivi du traitement de la The IASP classification of chronic pain for ICD-11 : applicability in
primary care. PAIN 2019 ; 160 : 83–7.
douleur neuropathique ;
[8] Lussier D, Beaulieu P. Toward a rational taxonomy of analgesic treat-
■ en douleur aiguë : les composantes émotionnelle et ments. IASP Press ; 2010. p. 27–40.
comportementale sont évaluées (dépister le stress post-­ [9] Bouhassira D, Attal N. Development and validation of Neuropathic
traumatique et le profil addictif) ; Pain Symptom Inventory. Pain 2004 ; 108 : 248–57.
■ en douleur chronique : le retentissement émotionnelle et [10] Gruener G, Dyck PJ. Quantitative sensory testing : methodology,
comportementale (relationnelle et sociale). applications, and future directions. J Clin Neurophysiol 1994 ; 11 :
La mesure de l'intensité est un bon outil de dépistage 568–75.
de la douleur mais elle ne doit pas être le seul critère de [11] Baron R, Binder A, Wasner G. Neuropathic pain diagnosis, patho-
description de la douleur. Il est indispensable de mettre en physiological mecanisms, and traitement. Lancet Neurol 2010 ; 9 :
870–919.
Chapitre
12
Savoir éduquer
Rodrigue Deleens

PLAN DU CHAPITRE
Processus d'éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 L'éducation, un enjeu multidisciplinaire
évolutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Concernant la thématique douleur, l'éducation a essentiel- Ensuite, la démarche éducative ne se fera ni en un seul
lement sa place dans les situations chroniques. Le praticien, temps, ni avec un seul « éducateur ». En effet, ce processus
confronté à une situation de douleurs rebelles atteignant un est progressif, évolutif et adaptable [1].
patient en demande de soulagement, se trouve souvent en Il est bien connu que les capacités d'apprentissage sont
difficulté dans la démarche d'apprentissage et d'éducation généralement limitées, et que des informations peuvent être
du patient. Dans ce contexte, on parle d'éducation à la com- assimilées puis mises en œuvre quand elles sont distillées
préhension de la maladie, de ce qu'est la douleur chronique de façon raisonnable et adaptée. Lors d'une consultation, le
et de sa gestion au quotidien. On entend par là la gestion des nombre de messages retenus par le patient est finalement
prises de médicaments et de l'utilisation des techniques non assez réduit, d'autant plus s'il est en état de stress, d'anxiété
médicamenteuse, mais également la gestion des activités ou de dépression, ou s'il est sidéré à la suite de l'annonce
physiques du quotidien, du travail, des relations aux autres d'une mauvaise nouvelle. Les messages transmis, utiles au
et des émotions [1]. processus éducatif, seront donc réfléchis en fonction de ces
Éduquer n'est pas simplement informer : en effet, si ces différents points et s'ingéreront dans un programme établi au
deux actions (éduquer et informer) peuvent être complé- préalable, prenant en compte les connaissances, les attentes,
mentaires, elles différent par leur objectif : celui de l'éduca- les besoins et les croyances du patient douloureux chronique.
tion est l'obtention de nouvelles compétences, acquises par Éduquer est donc un processus progressif (dans le temps),
l'apprentissage, ce qui suppose la participation du patient. mais il est aussi évolutif. En effet, au fil du temps et des expé-
L'efficacité de la prise en charge d'un patient douloureux riences vécues, le patient s'adapte, plus ou moins correcte-
chronique passe obligatoirement par l'étape du « savoir ment, et son état se modifie. Les messages, les conseils et les
éduquer » : celle-ci n'est possible qu'après une écoute, une informations nécessaires à son éducation seront eux aussi
analyse, une identification des douleurs et des symptômes modifiés en fonction de ces variations. Il y a donc toujours
associés, et du contexte affectif et socioprofessionnel, nécessité de réévaluer l'état des connaissances et le com-
comme il l'a été décrit précédemment. portement du patient, à chaque consultation. Cela signifie
donc également que le besoin d'adaptabilité est constant. La
démarche éducative n'est pas un processus figé, prédéfini
Processus d'éducation en fonction de telle ou telle pathologie douloureuse. Elle est
réellement bien un continuum, une approche en constante
Grâce à l'éducation, le patient douloureux chronique saura évolution, s'adaptant au patient situé au centre de ce pro-
mieux détecter les situations à risque, il saura mettre en cessus. Cela implique également que ce patient soit motivé
œuvre des actions adaptées à ses symptômes et pourra et acteur de cette démarche. Sans sa participation, il est très
modifier ses comportements de façon plus positive, favori- difficile d'espérer obtenir des résultats, des effets positifs, un
sant ainsi l'amélioration de sa qualité de vie [2]. Ce proces- changement de comportement permettant une amélioration
sus d'éducation commence lors de la consultation, dans le des symptômes.
cabinet du médecin généraliste ou spécialiste, en ville ou à
l'hôpital. Le recueil des informations jugées nécessaires est
fondé sur l'écoute et l'analyse de la situation et des besoins L'éducation, un enjeu
du patient : les informations seront ensuite sélectionnées et multidisciplinaire évolutif
transmises au patient. Une même pathologie douloureuse
chronique n'aura donc pas la même approche éducative chez L'éducation d'un patient n'est pas du seul ressort du méde-
différentes personnes, selon les compétences déjà acquises cin. Les soignants, paramédicaux et tout acteur de la prise
et celles restant à acquérir. en charge du patient douloureux chronique peut, et doit,
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 61
62   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

avoir un rôle à jouer dans cette démarche [1]. Parmi les pro- et utiles au patient (jeux de cartes, méta-plan, différents sup-
fessionnels impliqués, on retrouve, en collaboration avec les ports qui seront redéfinis dans le chapitre sur l'ETP).
médecins, les infirmiers (libéraux, dans les services de soins, Éduquer, c'est donc transmettre des connaissances, plus
dans les structures médicosociales ou dans les services spé- qu'informer, mais c'est surtout transmettre les « bonnes
cialisés comme les centres d'évaluation et de traitement de la connaissances », c'est-à-dire celles dont a besoin le patient.
douleur), les kinésithérapeutes, les aides-soignants, les phar- Imaginer un moyen standardisé par pathologie (­lombalgie
maciens, etc. La liste est loin d'être exhaustive. En dehors fibromyalgie, arthrose, etc.) serait voué à l'échec, le maître
des programmes spécifiques et de la démarche d'ETP des mot étant « adaptation », autant celle du patient (face à sa
patients, aucune formation obligatoire n'est nécessaire (les douleur, ses symptômes et ses changements de vie) que celle
spécificités de l'ETP seront décrites un peu plus loin) ; en du soignant [2, 3]. Il faut prendre en compte chaque spécifi-
revanche, la coordination, les échanges, le partage des infor- cité, liée à l'âge, à la pathologie, aux symptômes associés, aux
mations, des retours des consultations et des rencontres antécédents médicaux et chirurgicaux ou encore aux projets
entre le patient et le soignant sont indispensables. Il semble de vie (personnels, familiaux et professionnels) et au milieu
en effet logique de partager ce qu'apporte le patient lors de socio-économique, etc. Finalement, le mot « éduquer » n'est
ses passages, lors de ses différents rendez-vous, d'adapter peut-être pas le meilleur terme dans ce contexte, il véhicule
tous ensemble les objectifs d'éducation et de s'assurer des encore aujourd'hui beaucoup de raideur, d'autorité et de
bénéfices, de l'apprentissage et des modifications positives standardisation.
du comportement. Dans l'accompagnement du patient douloureux chro-
Éduquer un patient n'est donc pas un processus figé, ni nique, l'écoute, l'adaptabilité, la progression et l'élaboration
rigide dans sa forme. Différents moyens ou outils peuvent d'objectifs raisonnables constitueront l'essentiel. Enfin, il ne
être utilisés comme vecteurs d'apprentissage. Différents faut pas négliger l'importance de la prise en charge pluri-
temps de rencontres engendreront différentes formes d'édu- professionnelle et pluridisciplinaire, permettant d'aborder
cation. La première est la consultation : durant ce moment, l'éducation du patient sur les différentes composantes de la
en face-à-face, la relation singulière impose une certaine douleur.
intimité, propice aux échanges et au partage. Profiter de ce
moment permettra d'analyser et d'évaluer les différentes Références
composantes de la douleur (sensitive, émotionnelle, cogni-
tive et comportementale) et de détecter les points sur les- [1] HAS. Éducation thérapeutique du patient : définition, finalités et orga-
quels il faudra apporter des éclaircissements ou effectuer des nisation, juin 2007, https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1241714/
fr/education-therapeutique-du-patient-etp.
mises au point, des apports informatifs. Ensuite, selon les
[2] Ganji R, Pakniat A, Armat MR, Tabatabaeichehr M, Mortazavi H. The
besoins et les attentes du patient, des moments particuliers Effect of Self-Management Educational Program on Pain Intensity in
peuvent être mis en place : sous la forme de consultations, Elderly Patients with Knee Osteoarthritis : A Randomized Clinical
avec un médecin et/ou un autre professionnel de santé ; ou Trial. Open Access Maced J Med Sci 2018 ; 6 : 1062–6.
sous la forme d'ateliers, utilisant des outils, des jeux, vec- [3] Foltz V, Laroche F, Dupeyron A. Éducation thérapeutique et lombalgie
teurs d'échanges et surtout d'apport d'informations, adaptés chronique. Revue du rhumatisme monographies 2013 ; 80 : 174–8.
Chapitre
13
Savoir définir des objectifs
réalistes partagés selon
le contexte
Rodrigue Deleens

PLAN DU CHAPITRE
Fixer des objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Traitements, objectifs physiques et projets
professionels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

Fixer des objectifs


POINTS ESSENTIELS
• Les objectifs doivent être raisonnables et réalistes en Cela ne se résume pas à dire ou à expliquer au patient ce
termes de soulagement : le « zéro douleur » n'est souvent qu'il doit faire, comment il doit agir dans telle ou telle situa-
pas la finalité, on lui préfère le minimum de douleur, tion. Il s'agit réellement d'un contrat passé entre le patient et
pour une qualité de vie meilleure (et selon les choix du le médecin (ou, plus globalement, avec l'équipe soignante à
patient) : « mieux vivre avec… ». laquelle s'intègrent les infirmiers, les kinésithérapeutes, les
ergothérapeutes, les pharmaciens, le service social, la méde-
• Les objectifs concernant les activités physiques doivent
cine du travail, etc.). Ce contrat prend donc en compte les
aussi être raisonnables : on ne parle pas de sport, mais de
besoins spécifiques de chaque patient en fonction de chaque
mouvement.
type de douleur, selon le contexte : la pathologie, l'âge du
• La reprise du travail doit également être adaptée
patient, son exercice professionnel, les activités réalisées
et réfléchie (avec les services de santé au travail,
précédemment et ses envies.
notamment).
Cette démarche ne se fait pas en une seule fois, mais par
• Les objectifs seront aussi raisonnables dans les choix étapes. Il est nécessaire d'évaluer les capacités du patient et
thérapeutiques médicamenteux et non médicamenteux : de comprendre les objectifs qu'il se fixe. Il est alors indis-
les deux types de traitement sont souvent associés pour pensable d'adapter ces derniers au contexte, en un projet
limiter autant que possible la iatrogénie. partagé [1].
Une ou plusieurs consultations pourront être néces-
L'une des clés dans la réussite de l'accompagnement d'un saires, ce qui peut prendre du temps (parfois beaucoup),
patient douloureux réside dans l'échange entre les soignants durant lequel l'écoute, les échanges sont importants. Pour
et le soigné. En effet, il l'a été décrit précédemment, la com- chaque situation, les propositions différeront. La patho-
munication, les explications claires et adaptées selon le logie, l'âge du patient, ce qu'il était capable de faire avant
contexte, et la démarche d'éducation sont essentielles. Mais, et ses projets de vie (personnels, professionnels) vont
pour obtenir des résultats concrets sur une meilleure gestion influencer et orienter le travail collaboratif et l'élaboration
de la maladie et de la douleur chronique, pour obtenir une de ce contrat.
amélioration de la qualité de vie, il faut fixer des objectifs au Le maître mot dans ce contexte est « raisonnable ». Tout
patient. Ces objectifs doivent être partagés avec l'équipe soi- ce qui sera mis en place, organisé, planifié, travaillé et
gnante, mais adaptés à ses besoins spécifiques, à ses attentes réfléchi devra répondre à cette définition. Il faut que les
et à ses capacités. L'élaboration des objectifs est donc travail- propositions faites tant par le médecin que par le patient,
lée, élaborée selon l'évaluation qui a été faite au préalable. soient réalistes.

Médecine de la douleur pour le praticien


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64   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Traitements, objectifs physiques aussi du sommeil, de la fatigue et des aspects affectifs et


émotionnels.
et projets professionels Le dernier aspect des objectifs raisonnables concerne la
Plusieurs aspects de la prise en charge répondent à ces vie professionnelle, sachant que de nombreux patients pré-
objectifs, notamment les thérapeutiques, les objectifs phy- sentant des douleurs chroniques sont actifs, parfois, dans ce
siques et les projets professionnels. contexte de douleurs, arrêtés, et éprouvant des difficultés
Concernant les traitements, les médicaments arrivent pour reprendre leur poste, voire pour envisager une telle
souvent en première position dans la liste des attentes et des reprise. Une approche adaptée commence par l'analyse des
choix des patients : « ne plus en prendre » ou, au contraire, capacités du patient à reprendre ou pas son poste. L'inter-
« trouver le traitement qui fasse disparaître complètement vention des services de santé du travail est indispensable
les douleurs ». Aucun de ces deux choix ne paraît raison- (médecin du travail, infirmier, ergothérapeute, etc.). Elle
nable dans un contexte de chronicité. Il va falloir prendre permet d'évaluer les capacités du patient à reprendre son
le temps pour expliquer les aspects positifs et négatifs des travail. Le cas échéant, il est possible d'envisager une adap-
médicaments, leurs bénéfices, leurs risques et, surtout, fixer tation : ergonomie, changement de poste et adaptation des
des objectifs en termes de soulagement. Il faut savoir, par horaires ou du temps de travail. Ces aspects seront rendus
exemple, que, dans certains cas, une amélioration de 30 % de plus faciles si la qualité de « travailleur handicapé » est recon-
l'intensité douloureuse est tout à fait intéressante, dans des nue (RQTH), à la suite d'une demande auprès de la Maison
situations de douleurs neuropathiques rebelles, notamment. départementale des personnes handicapées (MDPH). Par-
Certains patients attendent aussi beaucoup des approches fois, l'état de santé ne permet pas d'envisager une reprise
non médicamenteuses qui, certes, sont largement proposées et une invalidité peut être reconnue par le médecin conseil
dans de multiples situations algiques aiguës ou chroniques. de la Sécurité sociale. Tous ces éléments administratifs
Mais une approche raisonnable reste l'association de diffé- permettent d'adapter de façon raisonnable et personnali-
rentes techniques (médicamenteuses ou non) et leur com- sée la reprise d'emploi, souvent perçue comme complexe
plémentarité. L'hypnose, la TENS, les approches physiques et insurmontable, l'accompagnement et la clarification des
et rééducatives, la méditation, le tai chi ou encore le qi gong démarches.
sont autant de moyens complémentaires intéressants, la liste
n'est évidemment pas exhaustive. Le choix de ces techniques
dépendra avant tout du patient, de ses préférences et de leur Conclusion
caractère adapté ou non à son état de santé et au type de
douleur. Une évaluation précise est donc toujours essen- Tous les aspects de l'accompagnement d'un patient doulou-
tielle, ainsi que l'analyse des besoins et attentes du patients reux chronique sont orientés sur ses besoins, ses attentes,
[2]. Il sera raisonnable de ne pas vouloir tout mettre en place mais aussi ses croyances [1]. Pour arriver à améliorer sa
en même temps. Cela n'est d'aucun intérêt ni bénéfice pour qualité de vie (diminuer l'intensité de la douleur, amélio-
le patient (alors même qu'il est souvent entendu en consulta- rer les capacités physiques, le travail, les loisirs, mais aussi
tion ces propos : « je suis prêt à tout essayer ! »). le moral et la motivation), il faut fixer avec lui des objectifs
Dans de nombreuses situations cliniques, il est forte- raisonnables et réalistes, et pas de façon unilatérale et des-
ment conseillé de reprendre des activités physiques, que cendante [2]. Il s'agit alors de créer un réel contrat entre soi-
ce soit dans un contexte de douleurs chroniques d'origine gnants et soigné, avec des étapes intermédiaires qui, une fois
rhumatologique, mais aussi cancéreuse ou neurologique, franchies, permettront des évaluations. Ces étapes dont les
etc. — la liste peut devenir très longue. La reprise de ces objectifs sont moins hauts auront pour résultat de renforcer
activités ne se fait pas n'importe comment. Les objectifs la confiance du patient en lui-même, de lui faire identifier
sont de nouveau raisonnables et, bien entendu, adaptés des retours positifs à son propre sujet et de lui prouver qu'il
aux capacités et à la pathologie. La mise en place d'une est « capable de faire » et d'agir. Il avancera progressivement,
activité physique est accompagnée, elle s'effectue de façon mais sûrement, acceptant cette rythmicité, par opposition à
progressive et, surtout, régulière. C'est cette régularité qui l'envie d'aller trop vite et trop fort, souvent source d'échec,
sera la base de l'amélioration des symptômes. Il apparaît de recrudescence douloureuse et, donc, d'un retour négatif
alors comme évident que la régularité passe par le plai- et d'un sentiment « d'incapacité ».
sir. Il n'y a souvent pas de « sport » ou d'approche phy-
sique conseillée pour telle ou telle type de douleur, mais
l'activité qui est préconisée est celle qui fait plaisir, car Références
dans ce cas, la régularité est plus aisée. Il ne faut pas fixer [1] HAS. Éducation thérapeutique du patient : définition, finalités et
pour objectif la performance, mais la persévérance, donc organisation, juin, https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1241714/
la motivation. Cette dernière est possible s'il est précisé- fr/education-therapeutique-du-patient-etp ; 2007.
ment expliqué pourquoi et comment l'activité physique [2] Foltz V, Laroche F, Dupeyron A. Éducation thérapeutique et lombal-
permet une amélioration de la douleur chronique, mais gie chronique. Revue du rhumatisme monographies 2013 ; 80 : 174–8.
Chapitre
14
Traitements médicamenteux
Alain Eschalier

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Anti-inflammatoires non stéroïdiens . . . . . . . . 71
Antalgiques opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Molécules utilisées pour le traitement
Antalgiques non opioïdes dénués des douleurs neuropathiques . . . . . . . . . . . . . . 73
d'effet anti-inflammatoire . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

Introduction fice-risque mis en cause. Ce constat justifie le fait que, à


la suite d'un rappel des données habituelles relatives aux
Les traitements médicamenteux de la douleur, médicaments traitements médicamenteux disponibles, une partie de ce
antalgiques, ont été classés selon plusieurs approches : chapitre soit consacrée à l'actualité des différentes classes
■ la classification historique des analgésiques périphé- et aux perspectives en termes d'innovation thérapeutique.
riques et centraux, désuète aujourd'hui, car certains pro-
duits peuvent avoir des sites d'action mixtes (par exemple
certains AINS, voire les opioïdes) ;
■ la classification (trop) souvent utilisée, fondée sur l'échelle Antalgiques opioïdes
de l'OMS proposée pour les douleurs cancéreuses par La morphine reste aujourd'hui la substance de référence,
excès de nociception, qui, dans cette seule indication dans la famille des opioïdes, mais d'autres dérivés opioïdes,
a plusieurs limites, et qui ne peut pas être extrapolée à suivant des formulations variées, sont commercialisés. Ils
d'autres contextes ; conservent les propriétés pharmacodynamiques générales
■ une classification proposée par Lussier et Beaulieu [1], qui de la morphine et partagent avec elle le fait que leur action
a le mérite d'intégrer les mécanismes d'action des molé- analgésique et leurs effets indésirables dépendent pour
cules. Mais ces mécanismes d'action sont très souvent l'essentiel d'un effet agoniste sur le même récepteur μ (ou
inspirés d'observations expérimentales (antinociceptifs, OP3).
antihyperalgésiques) ou d'hypothèses mécanistiques
(activité sur les contrôles descendants, modulateurs de la Pharmacologie
transmission ou sensibilisation des nocicepteurs) issues
d'études chez l'animal. Activité antalgique
Il nous paraît plus pratique de proposer une classification Si la morphine ne constitue pas l'antalgique universel,
thérapeutique plus spontanément utilisable par le praticien : elle est la référence dans les douleurs sévères par excès de
■ les analgésiques opioïdes regroupés parce qu'ils ont un pro- nociception, ce qui justifie son utilisation dans les douleurs
fil pharmacodynamique pour partie au moins commun ; postopératoires et les crises hyperalgiques et son posi-
■ les analgésiques utilisés dans les douleurs par excès de tionnement au palier III de l'échelle de l'OMS. Les libellés
nociception, dénués de propriété anti-inflammatoire d'AMM autorisent l'utilisation d'opioïdes (morphine, oxy-
(paracétamol et néfopam) ou possédant des propriétés codone ou fentanyl) dans la prise en charge de douleurs
anti-inflammatoires (AINS) ; chroniques non cancéreuses. Les opioïdes sont proposés
■ les traitements des douleurs neuropathiques (antidépres- en deuxième (tramadol) ou troisième ligne de traitement
seurs, antiépileptiques, anesthésiques locaux, capsaïcine). des douleurs neuropathiques [2]. Les douleurs lombaires
Cette classification peut accueillir d'autres antalgiques et sévères, après un diagnostic étiologique bien étayé, peuvent
évoluer si des traitements médicamenteux spécifiques appa- bénéficier des opioïdes en cas d'échec ou de contre-indi-
raissent pour les douleurs nociplastiques. cation d'autres traitements parmi lesquels les AINS, par
Mais, quelle que soit la classification, le constat actuel exemple [3]. Mais le recours aux opioïdes dans les douleurs
est que la pharmacopée des analgésiques est ancienne et chroniques non cancéreuses, développé sans doute de façon
limitée. Certains produits ont été retirés, des restrictions excessive depuis quelques années, a conduit à des abus qui
d'utilisation sont apparues, d'autres ont un ratio béné- alimentent l'actualité.

Médecine de la douleur pour le praticien


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68   Partie 2. Traitements en pratique

La morphine et les opioïdes sont traditionnellement La nalbuphine est un agoniste des récepteurs k (Kappa) et
reconnus comme des antalgiques d'action centrale. Les un antagoniste des récepteurs μ. L'association de ce produit
données actuelles reconnaissent un site d'action spinal et aux agonistes μ est donc illogique et contre-indiquée.
supraspinal, mais une action périphérique est également
évoquée. L'action spinale a été initialement montrée par Pharmacocinétique
l'unité Inserm 161, dirigée par Besson, à Paris [4]. La mor-
phine est un agoniste préférentiel des récepteurs opioïdes μ Les propriétés pharmacocinétiques des différents opioïdes
présents, avec les récepteurs δ (ou OP1) et k (Kappa) (ou ne peuvent pas être détaillées ici. Nous n'évoquerons que
OP2), dans les couches superficielles de la CPME. Ils sont quelques points. La morphine, dont la biodisponibilité orale
pour partie localisés sur les fibres afférentes primaires ; leur est de 20 à 40 %, est métabolisée au niveau hépatique selon
activation par la morphine aboutit alors à la diminution de trois voies. Sa demi-vie d'élimination plasmatique courte
la libération de neurotransmetteurs tels que la substance P (1,7 heures) explique sa brève durée d'action, qui a justifié
ou le CGRP. Au niveau postsynaptique, l'activation de ces le développement de formes à libération prolongée (LP).
récepteurs conduit à une hyperpolarisation des neurones de Codéine et tramadol subissent un métabolisme de phase 1
deuxième ordre spinaux. qui les expose au polymorphisme génétique des cyto-
La présence de récepteurs opioïdes dans différentes struc- chromes, sur lequel nous reviendrons.
tures supraspinales (chez l'animal mais aussi chez l'homme
[5]) suggère que la morphine puisse exercer une partie Pharmacovigilance
de son effet antalgique en agissant sur ces cibles. Ainsi, à Elle est très liée aux propriétés pharmacologiques et, prio-
la suite d'une administration dans la SGPA, la morphine ritairement, à l'activation des récepteurs μ. Il s'agit donc
exerce un effet antinociceptif. D'autres sites existent et des d'effets indésirables prévisibles.
structures telles que le thalamus, le cortex somesthésique, La constipation est un effet indésirable très fréquent,
le cortex cingulaire antérieur ou l'amygdale semblent être le puisque presque tous les sujets traités par opioïdes, pendant
substratum d'une influence potentielle de la morphine sur quelques jours, s'en plaignent. Un traitement correcteur doit
les composantes respectivement sensoridiscriminatives et être systématiquement envisagé. Des recommandations ont
émotionnelles de la douleur [6, 7]. été publiées par la SFAP [9].
Au-delà du SNC, les peptides opioïdes endogènes et leurs Les opioïdes induisent des nausées et des vomissements
récepteurs sont exprimés à la périphérie, dans les termi- lors d'une première administration chez environ un tiers à
naisons des fibres afférentes (nocicepteurs), dans les tissus deux tiers des patients. Secondaires à l'activation des récep-
neuro-endocrines et dans les cellules immunitaires. Aussi teurs μ de l'area postrema, ces effets sont, certes, réversibles
l'hypothèse d'une action périphérique de la morphine et des par la naloxone, mais peuvent être prévenus par des pro-
opioïdes a-t-elle été avancée. Des effets antalgiques périphé- duits antiémétiques.
riques ont été montrés avec des opioïdes dans des modèles Présente chez à peu près la moitié des patients, la sédation
animaux et, de façon plus ponctuelle, chez l'homme [8]. Des apparaît assez tôt, mais peut être spontanément résolutive.
travaux sont toujours en cours pour concevoir des antal- Un prurit, lié à l'effet histaminolibérateur de la morphine,
giques opioïdes à effet périphérique, mais la participation peut survenir.
périphérique à l'effet antalgique de la morphine ou d'autres En pratique clinique, la dépression respiratoire est bien
opioïdes administrés par voie systémique n'est pas acquise. connue des anesthésistes, auxquels elle ne pose pas de pro-
L'interaction des opioïdes avec le récepteur μ conduit à blème, dès l'instant où le patient est intubé ou ventilé. En cas
distinguer plusieurs sous-classes : les agonistes complets de dépression respiratoire avérée, le recours à la naloxone,
agissent tous de façon relativement spécifique sur le récep- antagoniste des récepteurs μ, permet de reverser cet effet délé-
teur μ et reproduisent ainsi, à quelques différences près, les tère, mais sa durée d'action est limitée, ce qui justifie de main-
effets de la morphine. Leurs différentes affinités pour ce tenir sa présence pour assurer la compétition, avec l'opioïde
récepteur participent à leur différence de puissance antal- en cause au niveau du récepteur µ. Dans le contexte de la dou-
gique et, donc, de doses thérapeutiques. Ainsi, le fentanyl leur chronique, l'augmentation progressive des poso­logies de
et ses dérivés possèdent une affinité pour les récepteurs μ morphine permet de prévenir ce risque de dépression respira-
bien supérieure à celle de la morphine ce qui explique que toire. Pour autant, la dépression respiratoire expose au risque
les doses utilisées soient bien inférieures. L'oxycodone a de décès en cas de prise de doses excessives.
une moindre affinité, comparativement à la morphine pour Le risque de pharmacodépendance est également lié à
les récepteurs μ, mais certains de ses métabolites (oxymor- l'action des opioïdes sur leurs récepteurs. Cette propriété
phone) sont plus affins et antalgiques. Ceci pourrait peut- intrinsèque a d'abord participé à freiner leur utilisation,
être participer à l'analgésie et expliquer, in fine, l'utilisation puis a été considérée comme ne conduisant que rarement à
de doses deux fois plus faibles d'oxycodone que de morphine. des risques dès lors que les opioïdes étaient essentiellement
La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs μ prescrits dans les douleurs nociceptives cancéreuses et les
et un antagoniste des récepteurs k (Kappa). Sa puissance est douleurs aiguës. Cependant, l'extension de l'utilisation des
25 à 30 fois plus élevée que celle de la morphine. Ses pro- opioïdes chez des patients atteints de douleurs chroniques
priétés d'agoniste partiel peuvent déclencher un syndrome non cancéreuses a modifié le contexte en termes de fré-
de sevrage chez les sujets présentant un état de dépendance quence d'utilisation et de nature des utilisateurs et a conduit
aux opioïdes. Elle peut également diminuer l'effet antalgique à l'apparition de trois risques aujourd'hui avérés et sources de
d'autres opioïdes associés. préoccupations : l'abus, la dépendance et l'usage détourné.
Chapitre 14. Traitements médicamenteux   69

Contre-indications ■ le développement de ligands de variants d'épissage du


Les contre-indications de la morphine et des opioïdes récepteur μ [17, 18] ;
peuvent être résumées comme suit : insuffisance respira- ■ la synthèse d'activateurs des canaux potassiques TREK1,
toire décompensée (en l'absence de ventilation artificielle), effecteurs des récepteurs μ [19, 20].
insuffisance hépatocellulaire sévère, épilepsie non contrôlée,
association avec les agonistes opioïdes partiels ou agonistes- Antalgiques non opioïdes dénués
antagonistes et avec l'alcool ; en aigu : traumatisme crânien
et hypertension intracrânienne en l'absence de ventilation d'effet anti-inflammatoire
contrôlée, ou enfin, allaitement. Paracétamol
Pharmacologie
Actualités et perspectives
Activité analgésique
L'actualité des opioïdes est dominée par l'« opioid crisis ». En
effet, la consommation mondiale des médicaments opioïdes Le paracétamol est l'antalgique le plus couramment utilisé
a plus que doublé entre 2001 et 2013 et, avec elle, l'usage dans le monde. En France, il était en 2013 la substance active
abusif de ces produits, plus particulièrement en Amérique la plus vendue en ville (en chiffre d'affaire et en nombre de
du Nord [10]. Aux États-Unis, la quantité de médicaments boîtes). Il est l'analgésique du quotidien, utilisé dans les dou-
opioïdes utilisée en 2015 était trois fois plus élevée qu'en leurs par excès de nociception d'intensité faible à modérée.
1999 [11], après avoir connu une baisse depuis 2012. La Administrable par voie orale ou parentérale, il est utilisé,
conséquence de cette situation est le risque de dépendance et par exemple, dans les céphalées, les douleurs post-trauma-
d'overdose. De 2000 à 2014, les décès dus à une overdose de tiques ou les douleurs articulaires parmi lesquelles la dou-
médicaments opioïdes ont quadruplé aux États-Unis, passant leur arthrosique ou les douleurs postopératoires, etc. Malgré
de 1,5 à 5,9 décès pour 100 000 personnes [12] et, en 2016, certaines remises en cause de son efficacité, il garde une part
plus de 42 000 décès liés aux opioïdes ont été signalés, alors très importante dans la consommation des analgésiques,
qu'en Europe 9 138 décès par surdose (78 % étant liés aux particulièrement dans l'automédication. La fréquence de
opioïdes dont l'héroïne) étaient enregistrés [13]. Un point son utilisation varie en fonction des pays, par exemple en
de la situation en France, établi à partir de bases nationales Europe. Le paracétamol offre une analgésie « renforcée »
exhaustives, vient d'être publié [14]. Il apparaît que l'utilisa- (avec un gain néanmoins modéré) lorsqu'il est associé avec
tion de médicaments opioïdes a plus que doublé de 2004 à les AINS, la codéine ou le tramadol.
2017, avec une augmentation particulièrement importante Le mécanisme d'action du paracétamol, longtemps consi-
d'oxycodone. Les décès dûs aux opioïdes ont augmenté de déré comme un antalgique périphérique, souvent assimilé
146 % entre 2000 et 2015, pour atteindre 3,2 décès pour aux AINS, a été l'objet d'une reconsidération. Ainsi, le para-
1 million d'habitants. Cette situation, qui justifie une sur- cétamol est aujourd'hui considéré comme un antalgique
veillance accrue, a légitimement conduit au renouvellement d'action centrale dont le mécanisme semble relativement
des recommandations de prescription des opioïdes, en parti- complexe. Il s'agirait d'un pro-médicament qui doit subir
culier dans les douleurs chroniques [15, 16]. un double métabolisme, hépatique et cérébral, pour aboutir
On ne peut passer ici sous silence l'impact du polymor- à son métabolite actif, l'AM404, dérivé lipidique. Celui-ci
phisme génétique sur l'efficacité et les risques de certains active, au sein de structures supraspinales, particulièrement
opioïdes métabolisés par les cytochromes hépatiques. au sein de la SGPA, les récepteurs vanilloïdes TRPV1 et can-
Codéine, oxycodone et tramadol sont particulièrement nabinoïdes CB1, ce qui conduit finalement à l'activation de
concernés. L'existence de métaboliseurs ultrarapides de voies bulbospinales sérotoninergiques qui freinent la trans-
la codéine expose à une transformation importante en mission médullaire de l'influx nociceptif [21].
morphine et à un risque de surdosage relatif potentielle- En plus de son effet antalgique, le paracétamol est aussi lar-
ment mortel. Ce risque, observé en particulièrement chez gement utilisé pour son effet antipyrétique. Cette action reste
des enfants, a justifié sa contre-indication chez les enfants considérée comme dépendante de sa capacité à inhiber la
âgés de moins de 12 ans. La transformation du tramadol synthèse des prostaglandines, avec pour cible l'hypothalamus.
en O-desméthyltramadol par le cytochrome 2D6 subit
aussi l'impact du polymorphisme, qui peut conduire à une Pharmacocinétique
baisse d'efficacité chez les métaboliseurs lents. L'oxycodone L'absorption intestinale du paracétamol est rapide. Elle est
se transforme en oxymorphone sous l'effet du 2D6, ce qui influencée par la vidange gastrique et la forme galénique :
conduit à une variation d'un facteur 10 du ratio oxymor- Tmax de 15 minutes en cas de comprimé effervescent,
phone/oxycodone en fonction du polymorphisme. et Tmax allant de 30 à 60 minutes pour les autres formes
Enfin, en perspectives, il est tenté de remplacer des antal- orales. La biodisponibilité à la suite d'une prise orale va de
giques opioïdes par de nouvelles molécules qui conserve- 63 à 89 %.
raient les propriétés analgésiques mais auraient moins, voire Administré par voie orale, le paracétamol est soumis à
n'auraient plus d'effets indésirables opioids-like. Au moins l'effet de premier passage hépatique. Seuls 2 à 5 % du para-
trois stratégies sont développées : cétamol sont éliminés sous forme inchangée dans les urines,
■ la conception d'agonistes biaisés (par exemple l'olicéridine), la majorité étant essentiellement métabolisée au niveau du
mais la FDA n'a pas donné l'autorisation de sa mise sur le foie : 90 % par deux voies majeures, la glycuroconjugaison
marché fin 2018, considérant qu'elle ne se démarquait pas et la sulfoconjugaison à laquelle on doit ajouter la déacéty-
suffisamment des opioïdes en terme d'effets indésirables ; lation, source du para-aminophénol qui sera transformé au
70   Partie 2. Traitements en pratique

niveau cérébral en AM404. En vingt-quatre heures, 90 % de Actualités et perspectives


la dose ingérée sont éliminés dans les urines, principalement L'actualité du paracétamol tient tout d'abord à l'analyse
sous forme glycuroconjuguée (60 à 80 %) et sulfoconju- de son ratio bénéfice-risque, évalué dans plusieurs études
guée (20 à 30 %). La demi-vie d'élimination est d'environ pharmaco-épidémiologiques. Pour résumer, les unes contri-
2 heures. Environ 4 % du paracétamol sont catabolisés par buent à remettre en cause son efficacité, par exemple dans
les cytochromes P450. Le cytochrome CYP 3A4 est mis en l'arthrose ou les lombalgies, les autres pointent des risques
jeu à doses thérapeutiques alors que les cytochromes CYP d'effets indésirables, par exemple chez les enfants nés de
2E1 puis 2D6 le sont à de fortes doses. Il y a formation mère ayant consommé du paracétamol pendant la grossesse,
d'un métabolite intermédiaire hépatotoxique, la NAPQI alors même qu'il est considéré comme l'analgésique de réfé-
(N-acétyl­-para-benzoquinone imine), qui est rapidement rence dans cette situation.
détoxifié par le glutathion et éliminé dans les urines. En cas Les recommandations de l'Osteoarthritis Research Society
de surdosage, sulfo- et glycuroconjugaison sont saturées, International (OARSI), publiées en 2014, conservaient le
produisant une accumulation massive de NAPQI supérieure paracétamol comme traitement de la douleur arthrosique
aux possibilités de réduction par le glutathion. dans les formes sans comorbidité [22]. Qu'en sera-t-il dans
Le paracétamol est rapidement et uniformément distri- les recommandations du Collège américain de rhumatolo-
bué dans les tissus. Sa diffusion, au travers de la barrière gie pour le traitement pharmacologique et non pharmaco-
hémato-encéphalique, est assez rapide, et les concentrations logique de l'arthrose de la main, de la hanche et du genou
retrouvées dans le liquide céphalorachidien sont compa- dont la publication finale est prévue en 2019 ? Il est légitime
rables aux concentrations plasmatiques. de s'interroger à la lecture de méta-analyses considérant
que, dans l'arthrose, l'amélioration des scores de douleur
Pharmacovigilance, toxicité n'est pas cliniquement significative, ou que le paracétamol
Le problème majeur du paracétamol est son hépatotoxicité n'a pas d'intérêt dans la lombalgie [23], opinions néanmoins
qui se manifeste, prioritairement, lorsqu'il y a un surdosage discutées [24, 25]. Une méta-analyse d'études observation-
et une saturation du processus de détoxification hépatique, nelles a remis en cause la bonne « tolérabilité » du paracéta-
la NAPQI provoquant une nécrose hépatique. Chez l'adulte, mol, considérant qu'il n'est pas aussi sûr que peut le croire
le surdosage survient lors d'une ingestion de plus de 8 à la communauté (risques cardiovasculaires et gastro-intesti-
10 g et de 125 mg/kg chez l'enfant en une prise. La N-acé- naux) [26]. L'ensemble de ces données méritent une analyse
tylcystéine est l'antidote. Elle agit en régénérant les stocks objective [27].
de glutathion et peut également réparer les dommages Plusieurs études pharmaco-épidémiologiques consi-
oxydatifs entraînés par la NAPQI. Il existe des situations à dèrent que les enfants nés de mères ayant consommé du
risque d'atteinte hépatique à doses thérapeutiques (alcoo- paracétamol pendant la grossesse peuvent présenter des
lisme chronique, hépatite chronique, traitement inducteur troubles, par exemple, une incidence accrue de cryptorchidie
enzymatique ou état de carence protéique, tels le jeûne ou [28], ou des troubles de l'attention avec hyperactivité [29].
la malnutrition), l'administration à un enfant ou à un sujet Ces études observationnelles rétrospectives ne montrent pas
âgé justifiant des adaptations posologiques. Des risques de de lien de causalité. Elles appellent néanmoins à la prudence,
réaction idiosyncrasique ne sont pas exclus. tant dans l'affirmation que la négligence du risque.
Il a été rapporté que le paracétamol, à des doses Le problème de l'hépatotoxicité est toujours d'actualité,
suprathéra­peutiques, pouvait entraîner de sévères nécroses dans la mesure où l'intoxication par le paracétamol est la
rénales chez l'homme et l'animal. Cette néphrotoxicité cause la plus fréquente d'insuffisance hépatique aiguë aux
pourrait impliquer la NAPQI, qui présenterait alors la même États-Unis et en Grande-Bretagne, et où le paracétamol est
action toxique que celle décrite précédemment au niveau le produit responsable du plus grand nombre d'appels aux
hépatique. Un autre mécanisme pourrait faire intervenir le centres antipoisons en Australie.
p-aminophénol issu de la déacétylation du paracétamol. Le mécanisme d'action du paracétamol fait également, de
De rares troubles des lignées sanguines (thrombocyto- façon plus optimiste, l'objet de travaux qui ont pour objectif
pénie ou agranulocytose), attribués au paracétamol, sont d'identifier des cibles d'intérêt susceptibles de permettre la
rapportés. Une interaction avec les antivitamines K a été conception de nouveaux antalgiques originaux plus effi-
décrite, avec un risque d'élévation de l'International Nor- caces et ayant une bonne tolérance [21 ; 30].
malized Ratio (INR) cliniquement significatif. Les réactions
allergiques sont rares avec le paracétamol, même si la surve-
nue de choc anaphylactique a été rapportée. Néfopam
Contre-indications Pharmacologie
Au-delà des sujets présentant une hypersensibilité au para- Activité analgésique
cétamol, ce dernier est contre-indiqué en cas d'insuffisance Initialement étudié pour ses effets antidépresseur et myo-
hépatocellulaire sévère. relaxant, il dispose d'une AMM en France (et dans d'autres
De façon plus générale, la crainte d'une atteinte hépa- pays européens) depuis 1981 pour le traitement symptoma-
tique, y compris à dose thérapeutique, en particulier à la tique des affections douloureuses aiguës, notamment des
suite d'une administration prolongée, conduit, actuellement, douleurs postopératoires. L'analgésie induite par le néfopam
les autorités à recommander une posologie quotidienne de administré par voie i.v. a une cinétique avec un pic d'effet
3 g/jour. de 15 à 60 minutes et une durée d'action de 3 à 4 heures
Chapitre 14. Traitements médicamenteux   71

pour une dose de 10 mg, et de 5 à 6 heures pour une dose Actualités, perspectives
de 30 mg. L'efficacité analgésique de 20 mg de néfopam (i.v.) S'il est difficile de parler d'actualités et de perspectives pour
est comparable à celle de 6 à 12 mg de morphine (i.v.), selon le néfopam, produit limité, dans son utilisation, au territoire
les conditions d'utilisation, les patients et le type de chirur- national, on doit néanmoins évoquer son quotidien. Il s'agit
gie. Il possède un effet d'épargne morphinique allant de 30 à de son utilisation, loin d'être négligeable, par voie orale après
50 %, avec une amélioration concomitante de la qualité de application de la solution injectable sur un sucre : par cette
l'analgésie. voie, le Tmax est de 2 à 3 heures, et le néfopam a alors une
Le néfopam est un antalgique central dont le site d'ac- faible biodisponibilité, d'environ 36 %, limitée par un effet
tion serait à la fois spinal et supraspinal. Son mécanisme de premier passage hépatique. Une étude des effets indési-
d'action n'est pas encore élucidé, mais il est distinct de ceux rables, à la suite de cette administration orale, a montré une
des opioïdes et des AINS. Il augmente l'influence des voies meilleure tolérance que par voie i.v.
descendantes sérotoninergique et noradrénergique en inhi-
bant la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine,
voire de la dopamine. Récemment, il a été démontré que
l'analgésie induite par le néfopam pouvait impliquer la voie Anti-inflammatoires
glutamatergique via la modulation des canaux calciques et non stéroïdiens
sodiques.
Pharmacologie
Pharmacocinétique Activité analgésique
Par i.v., le pic plasmatique s'établit en 15 à 20 minutes après Tous les AINS exhibent la même triade d'effets bénéfiques :
une perfusion lente de 30 minutes. Le néfopam subit un analgésique, anti-inflammatoire et antipyrétique, mais leurs
métabolisme hépatique intense en desméthyl-néfopam, pouvoirs thérapeutiques diffèrent.
néfopam-N-oxyde et en N-glucuronide-néfopam. Le des- Les indications des AINS sont les douleurs par excès
méthyl-néfopam semble contribuer en partie à l'effet antal- de nociception telles que les douleurs postopératoires ou
gique du néfopam. post-traumatiques, les douleurs d'origine ostéoarticulaire
La voie d'excrétion du néfopam est essentiellement (rhumatismes inflammatoires, arthrites microcristallines,
urinaire (87 %), accessoirement fécale (8 %), sous forme arthrose), dentaire, ORL, ainsi que les céphalées et les dys-
inchangée pour seulement 5 % de la dose administrée. Sa ménorrhées, voire les crises hyperalgiques (colique néphré-
demi-vie d'élimination est de 3 à 5 heures. tique, etc.). Enfin, les AINS et le paracétamol forment le
premier niveau de l'échelle de l'OMS dans le traitement
Pharmacovigilance des douleurs cancéreuses par excès de nociception. Les
AINS sont considérés comme plus efficaces que le paracé-
Les effets indésirables les plus fréquents sont à type de nau-
tamol dans des douleurs postopératoires ainsi que dans les
sées, sueurs et somnolence, et il y a quelques réactions de
arthroses sévères. En conclusion, les AINS ont une réelle
type atropinique : sécheresse buccale, tachycardie, réten-
efficacité antalgique, aidée en fonction des contextes par
tion d'urine, excitabilité ou irritabilité. Dans certains cas
une activité anti-inflammatoire.
très rares, ont été observés des vomissements, des cépha-
En 1971, John Vane montra que le mécanisme d'action
lées, des insomnies, un flou visuel ou des vertiges. De rares
de l'aspirine mettait en jeu une diminution de la synthèse de
cas d'effets indésirables considérés comme « sérieux » ont
prostaglandines. En termes d'analgésie, cela a pour consé-
été rapportés : il s'agit de complications neuropsychia-
quence de :
triques (hallucinations, convulsions, confusion et délire)
■ réduire au niveau local l'inflammation des sites lésés et
ou cardiovasculaires (hypotension artérielle, arrêt car-
enflammés et, également, la participation des prostaglan-
diaque) et de réactions d'hypersensibilité. Il n'entraîne pas
dines à la sensibilisation périphérique des nocicepteurs
de dépression respiratoire ni de ralentissement du transit
via des récepteurs spécifiques ;
intestinal.
■ réduire le phénomène de sensibilisation centrale du
fait de l'action inhibitrice périphérique, mais aussi
Contre-indications d'un éventuel effet central des AINS qui passent la
Le néfopam est contre-indiqué dans les cas d'hypersensibi- barrière hémato-méningée, via l'inhibition de cyclo-
lité à la molécule, de risque de rétention urinaire lié à des oxygénases médullaires. Ils inhibent également le fac-
troubles urétroprostatiques et de risque de glaucome par teur de transcription NF-KB, qui entretient la réaction
fermeture de l'angle, du fait de son effet atropininique. Il inflammatoire.
doit être utilisé avec prudence chez les malades aux anté- Le système endocannabinoïde semble aussi jouer un
cédents d'ischémie myocardique et de convulsions. Son rôle dans l'action des AINS. En effet, il a été démontré que
effet tachycardisant doit en restreindre l'utilisation chez les plusieurs AINS (ibuprofène, flurbiprofène) sont capables
patients présentant des problèmes cardiovasculaires. Il n'est d'inhiber l'hydrolyse de l'anandamide (endocannabinoïde).
pas recommandé chez les patients souffrant de troubles De plus, l'action antalgique des AINS est réduite lorsque des
rénaux, d'insuffisance hépatocellulaire sévère ou d'épilep- antagonistes du récepteur cannabinoïde CB1 sont coadmi-
sie. Il est déconseillé de l'utiliser chez l'enfant de moins de nistrés. D'autres hypothèses mécanistiques sont avancées,
15 ans, en cas de grossesse ou d'allaitement, et chez le sujet telles que l'implication des canaux ASIC et des systèmes
âgé, du fait de ses effets atropiniques. opioïdergiques et sérotoninergiques.
72   Partie 2. Traitements en pratique

Pharmacocinétique non, dans un délai bref, de une à deux semaines. L'ibupro-


Après administration orale, l'absorption digestive des AINS fène, l'indométacine et le naproxène peuvent augmenter la
est bonne (biodisponibilité de l'ordre de 70 à 80 %). En pression artérielle moyenne de 5 à 6 mmHg chez des sujets
général, la concentration plasmatique maximale est atteinte hypertendus, augmentation suffisante pour avoir une inci-
en 1 à 2 heures après administration orale. Certains AINS, dence. Une augmentation de 4 mmHg, chez des sujets âgés
tels que le kétoprofène, subissent une glucuroconjugaison. hypertendus traités, a, par exemple, conduit à une augmen-
D'autres, comme l'ibuprofène, le diclofénac, les oxicams et tation de 40 % d'événements cardiaques chez les sujets dont
le célécoxib sont d'abord oxydés par des cytochromes P450 l'hypertension était la moins bien contrôlée.
hépatiques, notamment le cytochrome CYP 2C9, avant
d'être conjugués. L'excrétion des AINS est majoritairement Troubles rénaux
rénale, à l'exception de quelques-uns d'entre eux (diclo- Les AINS exposent, du fait de l'inhibition de synthèse des
fénac, indométacine, piroxicam, etc.), qui subissent une prostaglandines régulatrices de la filtration glomérulaire,
excrétion biliaire avec un cycle entéro-hépatique. Les AINS au risque d'insuffisance rénale fonctionnelle. L'atteinte
sont retrouvés sous forme inactive pour un tiers dans les rénale peut également relever de mécanismes toxiques et
selles et pour deux tiers dans les urines. Même si l'action immuno-allergiques. Il convient donc d'être particulière-
pharmacologique des AINS dépend surtout de la durée de ment attentif chez le patient présentant une hypoperfusion
leur présence dans le tissu enflammé, ils peuvent être classés rénale (insuffisance cardiaque, déshydratation ou prise d'un
en fonction de leur demi-vie d'élimination : demi-vie courte diurétique, d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion [IEC]
(inférieure à 4 heures), intermédiaire (entre 4 et 12 heures) ou d'un antagoniste de l'angiotensine 2, etc.), notamment
et longue (supérieure à 12 heures). les sujets âgés.

Pharmacovigilance Troubles neurosensoriels


Les effets indésirables des AINS sont nombreux, mais leur Ils peuvent se manifester par des acouphènes, des cépha-
fréquence est variable d'un AINS à l'autre. L'avènement des lées, des vertiges, des méningites aseptiques, des confusions
coxibs a fait espérer des progrès sensibles. Si la réalité cli- et des hallucinations, notamment avec les dérivés arylacé-
nique a été moins rassurante, la mise sur le marché de cette tiques ou l'aspirine. Les AINS peuvent causer des céphalées
famille d'AINS a permis de mieux appréhender la pharma- en cas d'abus médicamenteux.
covigilance de toute la classe des AINS.
Troubles cutanés
Troubles gastro-intestinaux Des cas d'urticaire, de prurit, d'éruption maculopapuleuse et
Les effets digestifs bénins (épigastralgies, nausées, dou- des réactions de photosensibilité ont été constatés. Les AINS
leurs abdominales ou troubles du transit) sont fréquents. (qu'il s'agisse d'AINS conventionnels ou de coxibs) sont sus-
Les complications gastro-intestinales à type de perforation, ceptibles d'entraîner des réactions cutanées graves à type de
d'ulcère ou de saignement sont classiques. Le risque de sur- dermatite exfoliative, de syndromes de Stevens-Johnson et
venue d'effets indésirables gastro-intestinaux graves, liés de Lyell. Ces réactions apparaissent le plus souvent durant le
à l'inhibition de la COX-1, est significativement diminué premier mois de traitement.
(mais pas supprimé) avec les coxibs, en comparaison des
AINS classiques, en particulier lors de prises limitées dans Autres troubles
le temps. Des manifestations d'hypersensibilité (choc anaphylactique)
ont été bien décrites (par exemple avec l'aspirine), ainsi que
Troubles cardiovasculaires des troubles hépatiques (hépatite cytolytique ou cholesta-
Si l'inhibition de l'agrégation plaquettaire par les AINS tique) ou encore des néphrites interstitielles. Les troubles
(par exemple l'aspirine ou le naproxène) est à l'origine de pulmonaires (aggravations d'asthme ou de rhinite aller-
risques hémorragiques (digestifs ou autres) bien connus, gique) rencontrés à la suite d'un traitement avec les AINS
l'avènement des coxibs a révélé le risque d'accidents throm- classiques semblent absents avec les coxibs.
botiques tout en montrant une hétérogénéité au sein de cette
famille (le rofécoxib étant plus à risque que le célécoxib par Contre-indications
exemple). En effet, ce risque existe aussi avec des AINS clas- Il ne faut pas prescrire d'AINS classiques en cas d'antécé-
siques. L'ibuprofène ainsi que le diclofénac multiplient le dents de saignement digestif ou de perforation survenus au
risque de survenue par 3, environ. En termes de mortalité, cours d'un traitement par AINS, en cas d'hémorragie gas-
ce sont le diclofénac et l'étoricoxib qui présentent le risque tro-intestinale, d'hémorragie cérébrovasculaire ou d'une
le plus important, en comparaison d'un placebo : ces deux autre hémorragie en évolution,et enfin, dès le début du
molécules sont associées à une mortalité cardiovasculaire sixième mois de grossesse. Il convient de contre-indiquer
quatre fois plus élevée. les AINS classiques ou les coxibs en cas d'ulcère peptique
Les AINS sont également à l'origine d'une rétention évolutif ou de saignement gastro-intestinal, en cas d'in-
hydrosodée susceptible d'induire des œdèmes des membres suffisance cardiaque ou rénale et d'hypertension sévères,
inférieurs, une hypertension artérielle (HTA) ou une insuf- d'antécédents d'asthme et de réactions de type allergique
fisance cardiaque. Leur capacité à augmenter la pression déclenchés par la prise d'AINS. Les coxibs sont contre-
artérielle a été retrouvée chez des sujets hypertendus ou indiqués au cours de la grossesse et, chez les femmes en
Chapitre 14. Traitements médicamenteux   73

âge de procréer, au cours de l'allaitement. Les coxibs sont Molécules utilisées


contre-indiqués en cas de cardiopathie ischémique avé-
rée, d'artériopathie périphérique ou d'antécédent d'AVC
pour le traitement
(contre-indication partagée par le diclofénac) de maladie des douleurs neuropathiques
inflammatoire chronique des intestins. La sensibilité par-
ticulière des personnes âgées aux effets indésirables des
Antidépresseurs
AINS justifient une extrême prudence. Pharmacologie
Activité analgésique
Risques d'interactions médicamenteuses Les antidépresseurs imipraminiques démontrent une effi-
L'association de deux AINS, y compris les coxibs, n'est cacité significative, comparativement au placebo, dans les
pas légitime et peut conduire à une aggravation des effets douleurs des neuropathies périphériques, à l'exception de
indésirables. L'association avec des anticoagulants oraux, celles induites par le VIH ou par les chimiothérapies anti-
des héparines ou des antiagrégants plaquettaires expose cancéreuses, voire antirétrovirales. En effet, ils présentent
à un risque hémorragique accru. Les AINS diminuent la un NNT moyen un peu supérieur à 3 (2,5–4,5), ce qui signi-
clairance rénale de médicaments associés par réduction de fie qu'environ un tiers des patients traités avec ces molécules
la filtration glomérulaire (lithium, méthotrexate), ce qui présentent un soulage­ment d'au moins 50 % de leur douleur.
expose à des risques toxiques et justifie, en cas de main- L'amitriptyline, la clomipramine et l'imipramine ont l'AMM
tien de ces thérapeutiques, des adaptations posologiques et en France pour les douleurs neuropathiques de l'adulte.
une surveillance biologique et des taux plasmatiques. Une Concernant les IRSNA, on retrouve un NNT de 3,1 pour la
coprescription avec des diurétiques, des IEC ou des anta- venlafaxine et un NNT aux environs de 5 pour la duloxétine.
gonistes des récepteurs à l'angiotensine 2 peut favoriser une Ainsi, amitriptyline et IRSNA sont recommandés en pre-
insuffisance rénale aiguë. Elle expose à l'hyperkaliémie, mière ligne de traitement [2]. Les ISRS (fluoxétine, paroxé-
risque majoré en présence d'autres produits hyperkalié- tine, citalopram, etc.) sont peu, voire ne sont pas efficaces :
miants. L'association d'un AINS, y compris un coxib, avec leur NNT est d'environ 7 [34]. Deux antidépresseurs, la
une corticothérapie augmente le risque d'hémorragie et duloxétine et le minalcipran ont été approuvés par la FDA
d'ulcération digestive. pour le traitement des patients atteints de fibromyalgie.
L'amitriptyline fait partie des médicaments utilisés pour le
Actualités et perspectives traitement de fond de la migraine.
La classe des coxibs n'a pas répondu, dans sa globalité, aux L'inhibition de la recapture des monoamines, mécanisme
espoirs initiaux de la découverte des deux iso-enzymes neurochimique prioritaire des antidépresseurs, est clas-
des cyclo-oxygénases, dans la mesure où la réalité physio- siquement considérée comme le mécanisme à l'origine de
logique et physiopathologique a montré une implication leur effet analgésique. Exercée à la terminaison des fibres
plus complexe de ces enzymes. Cependant, comme évoqué bulbospinales, elle permet le renforcement des contrôles
ci-dessus, elle a conduit à revoir l'ensemble des AINS pour inhibiteurs de la transmission médullaire du message dou-
aboutir au constat d'une hétérogénéité de cette classe, que loureux. À côté de l'activation de ces contrôles inhibiteurs
ce soit pour les AINS classiques ou pour les coxibs. Deux descendants, d'autres mécanismes connus pour être impli-
essais cliniques récents traduisent cette évolution et pro- qués dans la modulation des voies de la douleur (tels que
posent de nouveaux positionnements : PRECISION [31] le blocage des canaux sodiques ou des récepteurs NMDA)
et CONCERN [32]. Ainsi, l'étude PRECISION, réalisée sont actuellement évoqués et étudiés pour expliquer les dif-
chez des patients à haut risque cardio-vasculaire, conclut férences d'efficacité entre les classes d'antidépresseurs. Le
que le celecoxib est non inférieur au naproxène ou à l'ibu- blocage des canaux sodiques a été rapporté pour les anti-
profène pour ce qui est de la sécurité cardiovasculaire et dépresseurs imipraminiques, ainsi que pour la venlafaxine.
qu'il est associé à moins de risques gastro-intestinaux et L'hypothèse de l'implication du blocage des récepteurs
rénaux. L'étude CONCERN était focalisée sur les acci- NMDA reste controversée. Enfin, des travaux réalisés chez
dents gastro-intestinaux et incluait des patients atteints l'animal ont démontré une implication du système opioïder-
d'arthrose et d'une pathologie cardiothrombotique, justi- gique, variable en fonction de l'antidépresseur.
fiant la prescription de faibles doses d'aspirine, qui avaient La comorbidité douleur chronique-dépression est rela-
des antécédents d'hémorragie digestive haute. Ils étaient tivement fréquente (30 à 54 %). Aussi, on ne peut exclure
traités par célécoxib ou par naproxène, en association chez certains patients, un bénéfice thérapeutique dû à l'effet
avec des IPP. Le nombre d'hémorragies gastro-intestinales thymo-analeptique des antidépresseurs.
hautes était plus de deux fois moindre dans le groupe
célécoxib ; il n'y avait pas de différence en termes d'évé-
nements graves cardiovasculaires. Ainsi, selon ces travaux Pharmacocinétique
dont les résultats ont été récemment analysés et adoptés Les antidépresseurs sont bien absorbés au travers de la paroi
par un groupe d'experts [33], le célécoxib semblerait avoir digestive (absorption complète rapide, en 2 à 4 heures). Ils
acquis une image d'AINS mieux toléré que ce qui était subissent un effet de premier passage hépatique variable selon
admis initialement. les molécules. La demi-vie d'élimination des antidépresseurs
74   Partie 2. Traitements en pratique

est variable selon la classe (elle peut prendre quelques heures de l'angle et l'hypertrophie prostatique. Mais ils sont égale-
à quelques jours) et le patient. Leur excrétion est essen- ment contre-indiqués en cas d'infarctus du myocarde récent.
tiellement rénale. Les imipraminiques, amines tertiaires L'association de tout antidépresseur avec un IMAOA/B est
[R-N(CH3)2], sont métabolisés, au niveau du foie via le cyto- une contre-indication. Les autres antidépresseurs peuvent
chrome CYP450 (iso-enzymes 1A2 et 2D6, notamment), en avoir des contre-indications spécifiques qui ne sont pas
amines secondaires (R-NH-CH3) [tels l'amitriptyline et la détaillées ici.
nortriptyline], avec une évolution du spectre monoaminer- Chez les patients épileptiques ou ayant des antécédents
gique vers une inhibition du recaptage de la noradrénaline, d'épilepsie, la surveillance clinique doit être renforcée, lors
ce qui confère une action monoaminergique mixte (sérotoni- d'un traitement par tout antidépresseur. La survenue de
nergique et noradrénergique) à ces antidépresseurs. crises convulsives impose l'arrêt du traitement.
Les imipraminiques doivent être utilisés avec prudence chez
Pharmacovigilance les sujets âgés présentant une plus grande sensibilité à l'hypo-
Les antidépresseurs imipraminiques sont des produits pharma- tension orthostatique et à la sédation (action α1 bloquante), ou
cologiquement « sales », c'est-à-dire qu'ils agissent sur plusieurs une constipation chronique (propriété atropinique). La même
cibles, ce qui leur confère plusieurs effets, y compris indési- prudence est recommandée avec les autres antidépresseurs.
rables, centraux et périphériques. Ainsi, leur action antagoniste
des récepteurs α1 et H1 centraux conduit à une sédation. Leurs Actualités et perspectives
effets antimuscariniques centraux peuvent provoquer des états Une avancée qui peut ouvrir des perspectives intéressantes
confusionnels. Les imipraminiques peuvent également induire concernant l'utilisation des antidépresseurs est l'évolution
une baisse du seuil épileptogène (effet observé avec tous les actuelle vers une meilleure caractérisation des patients dou-
inhibiteurs de de la monoamine oxydase [IMAO]), une aug- loureux neuropathiques, dans la perspective d'identifier des
mentation de l'appétence aux sucres avec prise de poids, un critères de réponse à ces produits. Les résultats d'une étude
tremblement dose-dépendant et une dysarthrie. menée par Baron et al. ont été publiés, en 2017 : l'objectif
Les imipraminiques induisent aussi des effets indési- de l'étude était de stratifier les patients neuropathiques sur
rables périphériques : la base de leur réponse à 13 paramètres, suivant l'idée selon
■ effets atropiniques (sécheresse de la bouche, constipa- laquelle les sous-groupes identifiés, aux profils sensoriels dif-
tion, troubles de l'accommodation, tachycardie, sueur, férents, pourraient répondre différemment aux traitements
trouble de la miction, etc.) ; [35]. Ils ont identifié trois groupes différents susceptibles de
■ risque d'hypotension, majoré par l'orthostatisme, lié à correspondre à des mécanismes physiopathologiques parti-
l'action antagoniste des récepteurs α1 vasculaires ; culiers. L'efficacité de certains antidépresseurs et antiépilep-
■ troubles des rythmes auriculaire et ventriculaire et tiques dans tel ou tel groupe reste à démontrer.
troubles de la conduction, qui sont favorisés par l'exis- Une autre perspective, au-delà de la poursuite légitime
tence de cardiopathies préalables et de troubles ioniques des recherches sur le mécanisme de l'action analgésique des
(de la kaliémie). L'intoxication aiguë par les imiprami- antidépresseurs, qui mérite encore des travaux, est la com-
niques peut se révéler grave, du fait du risque cardiaque. préhension de l'inefficacité des antidépresseurs ISRS dont la
Les effets indésirables les plus fréquents des IRSNA tolérance globale est plutôt meilleure que celle des imiprami-
sont les nausées, les vomissements, la diarrhée, l'insom- niques. En effet, il y a un paradoxe entre ce constat et le rôle
nie, la somnolence, les vertiges et les céphalées mais aussi de la sérotonine dans la physiologie et, sans doute, la phy-
les hyponatrémies par sécrétion inappropriée d'hormone siopathologie de la douleur. Tout se passe comme s'il existait
antidiurétique (ADH). La venlafaxine, à posologie élevée une résistance des douleurs neuropathiques à la sérotonine.
(> 200 mg/j), peut induire des HTA dose-dépendantes ; ce Des travaux expérimentaux ont été réalisés sur ce sujet. Ils
risque hypertensif existe aussi avec la duloxétine. ont montré que la libération du récepteur 5-HT2A de ses
Toutes les classes d'antidépresseurs peuvent induire un liens protéiques intracellulaires, qui empêchent son adres-
syndrome sérotoninergique dès lors que les molécules sont sage membranaire et, donc, son activation potentielle par la
capables d'augmenter les taux de sérotonine. Celui-ci est sérotonine, révélait une action antihyperalgésique majeure
souvent secondaire à un surdosage médicamenteux ou à de la fluoxétine [36–38]. L'idée globale est que le démas-
certaines associations médicamenteuses (entre antidépres- quage réceptoriel puisse permettre de révéler les effets anal-
seurs, en particulier avec les IMAOA/B ou les ISRS, entre gésiques spinaux de la sérotonine tout en inhibant ses effets
antidépresseurs et tramadol ou triptans ou lithium, ou avec pro-algiques (liés à l'activation d'autres récepteurs), assurant
le millepertuis). La survenue d'un syndrome sérotoniner- ainsi une efficacité marquée des ISRS. La mise en évidence
gique justifie l'arrêt immédiat du traitement. d'une efficacité propre des agents de démasquage pourrait
Tous les antidépresseurs peuvent être impliqués dans la ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques.
survenue de troubles sexuels, qui sont en premier lieu une
diminution du désir et des troubles de l'orgasme. On consi-
dère qu'environ 30 % des sujets traités par imipraminiques Antiépileptiques
en sont atteints. Pharmacologie
Activité analgésique
Contre-indications Plusieurs études cliniques ont analysé l'efficacité des antiépi-
Les contre-indications habituelles des imipraminiques, liées leptiques dans des syndromes douloureux chroniques. Leur
à leur propriété atropinique sont le glaucome par fermeture degré d'efficacité est en général au moins égal à celui des
Chapitre 14. Traitements médicamenteux   75

antidépresseurs. Le NNT est situé entre 3 et 4. La carbamazé- ou fréquents tels la leucopénie, l'augmentation de l'appétit,
pine a l'AMM en France pour le traitement des névralgies du des vertiges ou une impuissance. La prégabaline peut éga-
trijumeau et du glossopharyngien et le traitement des dou- lement induire des étourdissements, une somnolence,une
leurs neuropathiques de l'adulte ; la phénytoïne, pour le trai- augmentation de l'appétit, une humeur euphorique, une
tement de la névralgie du trijumeau ; la gabapentine, pour le confusion, une irritabilité, une vision trouble, des vertiges
traitement des douleurs neuropathiques périphériques telles ou des troubles de l'érection. Le topiramate peut induire
que la neuropathie diabétique et la névralgie postzostérienne une rhinopharyngite, une dépression, une paresthésie, une
chez l'adulte ; la prégabaline dans le traitement des douleurs somnolence, une sensation vertigineuse, de la fatigue, des
neuropathiques périphériques et centrales chez l'adulte ; le nausées, une diarrhée et une diminution de poids.
topiramate pour le traitement prophylactique de la migraine.
Par analogie avec l'efficacité de la carbamazépine dans la Contre-indications
névralgie du trijumeau, on considérait que les antiépilep- Au-delà de l'hypersensibilité à chaque produit, les contre-
tiques possédaient une efficacité plus marquée pour les indications peuvent être résumées comme suit :
aspects « fulgurants » de la douleur neuropathique : cela n'est ■ pour la carbamazépine : un bloc auriculoventriculaire, un
pas obligatoirement retrouvé dans les études et on considère antécédent d'hypoplasie médullaire ou des antécédents
que les antiépileptiques peuvent être envisagés quelle que de porphyrie hépatique ;
soit la présentation de la douleur neuropathique. La préga- ■ le topiramate est contre-indiqué chez la femme enceinte
baline a obtenu l'AMM aux États-Unis pour la fibromyalgie. ou en âge de procréer n'utilisant pas de méthodes contra-
La pharmacologie des antiépileptiques est hétérogène, ceptives efficaces, du fait d'un risque tératogène.
mais nombre d'entre eux interfèrent avec des canaux ioniques Le risque d'interaction contre-indique la coprescription
(par exemple sodiques et calciques) dont l'expression varie de carbamazépine avec le télaprévir et voriconazole liée à un
dans un contexte de douleur neuropathique. Gabapentine et risque de perte d'efficacité de ces anti-infectieux.
prégabaline inhibent une sous-unité dite α2δ-1 de canaux
calciques voltage-dépendants ; carbamazépine et phénytoïne
inhibe des canaux sodiques. Ces inhibitions, péripéhriques Actualités et perspectives
ou centrales, induisent une diminution de la transmission Les perspectives ouvertes par la stratification des patients
de l'influx nerveux et/ou de l'excitabilité neuronale. Cela douloureux neuropathiques évoquée dans le paragraphe sur
n'exclut pas d'autres cibles, particulièrement au niveau de la les antidépresseurs sont applicables de la même façon aux
CPME où les antiépileptiques peuvent inhiber le récepteur antiépileptiques.
NMDA (topiramate) pour réduire la sensibilisation centrale. Par ailleurs, les nombreux travaux fondamentaux sur les
Une action pro-gabaergique est également évoquée comme canaux ioniques, cibles de plusieurs antiépileptiques, sont
mécanisme d'action de certains antiépileptiques. susceptibles d'ouvrir des perspectives intéressantes pour
le traitement des douleurs neuropathiques. Le nombre de
Pharmacocinétique canaux concernés est élevé et il est difficile ici de tous les
citer. On peut néanmoins évoquer les canaux calciques ;
La biodisponibilité orale des antiépileptiques est habituelle­ outre les canaux porteurs de la sous-unité α2δ, activés par
ment bonne, voire très bonne, avec des différences dans les gabapentinoïdes, les CAV3.2 sont l'objet d'études, et
la cinétique d'absorption digestive, qui peut être lente ou l'éthosuximide, qui se lie à ces canaux, est en cours d'évalua-
rapide. De nombreux antiépileptiques subissent un méta- tion clinique dans les douleurs neuropathiques. Les canaux
bolisme hépatique expliquant les nombreuses interactions Nav 1.7 sont aussi une cible d'intérêt, leur mutation géné-
médicamenteuses possibles. Ce risque d'interaction est tique ayant induit des perturbations dans la perception de la
majoré par le fait que les antiépileptiques peuvent modi- douleur : une insensibilité à la douleur [39] ou une douleur
fier eux-mêmes le métabolisme hépatique en l'activant ou [40]. D'autres exemples pourraient être donnés montrant
l'inhibant. La carbamazépine est auto-inducteur enzyma- que la recherche sur les canaux ioniques et la douleur est
tique, c'est-à-dire qu'elle active son propre métabolisme. active, par exemple orientée vers les neuropathies chimio-
La période nécessaire pour atteindre le plateau d'équilibre induites particulièrement résistantes aux thérapeutiques
est variable, mais peut être de plusieurs jours, ce qui est à analgésiques.
prendre en compte dans l'évaluation de l'efficacité d'un
traite­ment antiépileptique, lors de son instauration ou en
cas de changement posologique. La demi-vie plasmatique Conclusion
des antiépileptiques est variable. Selon les produits, l'élimi- À l'issue de cette présentation des antalgiques classiquement
nation est rénale, hépatique ou mixte. utilisés, il convient d'ajouter deux compléments.
Certains produits non évoqués ci-dessus ont participé à
Pharmacovigilance l'amélioration de la prise en charge de certains patients dou-
Les effets indésirables des antiépileptiques sont assez inho- loureux. C'est particulièrement le cas des triptans qui ont
mogènes et ne peuvent être détaillés ici. La carbamazépine est constitué un progrès singulier dans le traitement des crises
à l'origine de troubles digestifs, hématologiques ou cutanés, migraineuses.
qui peuvent être gênants. La gabapentine a des effets indési- C'est aussi le cas de présentations à base de lidocaïne
rables très fréquents, comme la somnolence, des étourdisse- ou de capsaïcine (voire de toxine botulique) utilisées dans
ments, l'ataxie, une infection virale, une fatigue, une fièvre, le traitement de certaines douleurs neuropathiques. Le
76   Partie 2. Traitements en pratique

z­ iconotide occupe une place particulière ; il est en effet le [10] Berterame S, Erthal J, Thomas J, Fellner S, Vosse B, Clare P, et al. Use
premier antalgique réellement issu d'une réflexion physio- of and barriers to access to opioid analgesics : A worldwide, regional,
pathologique montrant le rôle des canaux calciques Cav2.2 and national study. Lancet 2016 ; 387 : 1644–56.
[11] Guy Jr. GP, Zhang K, Bohm MK, Losby J, Lewis B, Young R, et al. Vital
(type N) qu'il inhibe. Son caractère peptidique limite son uti-
signs : Changes in opioid prescribing in the United States, 2006–2015.
lisation à la voie rachidienne pour le traitement des douleurs MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2017 ; 66 : 697–704.
chroniques intenses. Il convient également de noter qu'une [12] Compton WM, Jones CM, Baldwin GT. Relationship between non
évolution récente a été la mise sur le marché d'antagonistes medical prescription-opioid use and heroin use. N Engl J Med 2016 ;
des récepteurs μ de la paroi digestive qui ne diffusent pas, 374 : 154–63.
afin d'inhiber uniquement la constipation induite par les [13] European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addic-
opioïdes. Enfin, nous n'avons pas évoqué dans ce chapitre, tion. European Drug Report 2018 : Trends and Developments ;
consacré aux antalgiques les plus courants, la kétamine, pro- 2018. p. 96, http://www.emcdda.europa.eu/publications/edr/
duit ancien utilisé dans le contexte opératoire mais égale- trends-developments/2018_en.
ment étudié dans des indications de douleurs chroniques. [14] Chenaf C, Kaboré JL, Delorme J, Pereira B, Mulliez A, Zenut M, et al.
Prescription opioid analgesic use in France : Trends and impact on
L'ancienneté de la pharmacopée et le manque, en clinique,
morbidity-mortality. Eur J Pain 2019 ; 23 : 124–34.
de nouveaux concepts issus de la recherche, alors même que [15] Dowell D, Haegerich TM, Chou R. CDC Guideline for Prescribing
les connaissances fondamentales sur la douleur ont évo- Opioids for Chronic Pain--United States, 2016. JAMA 2016 ; 315 :
lué, posent la question de la pertinence des stratégies de 1624–45.
recherche. Certes, le phénomène douloureux est un phéno- [16] Moisset X, Trouvin AP, Tran VT, Authier N, Vergne-Salle P, Piano V.
mène complexe pluridimensionnel et les mécanismes phy- Utilisation des opioïdes forts dans la douleur chronique non cancé-
siopathologiques des douleurs chroniques le sont aussi, mais reuse chez l'adulte. Recommandations françaises de bonne pratique cli-
cela doit conduire à s'interroger sur la stratégie à adopter nique par consensus formalisé (SFETD). Presse Med 2016 ; 45 : 447–62.
pour progresser. Espérons que de bonnes stratégies puissent [17] Majumdar S, Grinnell S, Le Rouzic V, Burgman M, Polikar L,
ouvrir la voie à de nouvelles thérapeutiques. Le recours à des ­Ansonoff M, et al. Truncated G protein-coupled mu opioid receptor
MOR-1 splice variants are targets for highly potent opioid analgesics
biothérapies comme les anticorps anti-NGF pourrait en être
lacking side effects. Proc Natl Acad Sci U S A 2011 ; 108 : 19778–83.
une. C'est en tout cas l'espoir suscité par le tanézumab dans [18] Majumdar S, Devi LA. Strategy for making safer opioids bolstered.
le traitement des douleurs arthrosiques : après des retards Nature 2018 ; 553 : 286–8.
dans son développement, un ratio bénéfice-risque positif [19] Devilliers M, Busserolles J, Lolignier S, Deval E, Pereira V, Alloui A,
vient d'être rapporté dans une récente étude de phase III et al. Activation of TREK-1 by morphine results in analgesia without
(résultats annoncés par les industriels concernés, Pfizer et adverse side effects. Nat Commun 2013 ; 4 : 2941.
Eli Lilly). Des analogues suivent (fasinumab, fulranumab), [20] Vivier D, Soussia IB, Rodrigues N, Lolignier S, Devilliers M,
issus d'autres laboratoires, preuve de l'intérêt du concept. ­Chatelain FC, et al. Development of the First Two-Pore Domain Potas-
sium Channel TWIK-Related K + Channel 1-Selective Agonist Posses-
sing in Vivo Antinociceptive Activity. J Med Chem 2017 ; 60 : 1076–88.
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Chapitre 14. Traitements médicamenteux   77

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Husni ME, et al. PRECISION Trial Investigators. Cardiovascular Mol Ther 2010 ; 18 : 1462–70.
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[36] Pichon X, Wattiez AS, Becamel C, Ehrlich I, Bockaert J, Eschalier A,
et al. Disrupting 5-HT(2A) receptor/PDZ protein interactions
Chapitre
15
Douleur et éducation
thérapeutique
Rodrigue Deleens

PLAN DU CHAPITRE
Comment se met en place un programme Patient expert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
d'ETP du patient ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Évaluation et labellisation des programmes . . . 81
Les différentes étapes de l'ETP du patient . . . 80 Quelles thématiques en douleur chronique ? . . . 81

La survenue d'une maladie chronique perturbe de nombreux La HAS définit l'ETP comme « un processus continu,
équilibres dans la vie des patients. La douleur chronique fait dont le but est d'aider les patients à acquérir ou maintenir les
partie de ces maladies, quelle que soit son étiologie. Cela compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur
implique donc l'obligation de vivre avec la douleur et nécessite vie avec une maladie chronique [2]. Elle fait partie intégrante
des recompositions. Des adaptations et l'acquisition de nou- et de façon permanente de la prise en charge du patient. »
veaux comportements, plus adaptés, pourront être nécessaires Selon les recommandations de l'HAS, un programme d'ETP
pour « mieux vivre avec la douleur chronique ». Ces notions fait partie intégrante des soins, sans s'y substituer ; il a pour
sont indispensables dans ce contexte, engageant la participation objectif de permettre au patient, mais aussi à son entourage,
active du patient et, donc, sa motivation [1]. Cette motivation de mieux connaître la maladie et les traitements et de gérer
au changement lui permettra de s'impliquer durablement, de au mieux le quotidien. Lors de ce processus éducatif spé-
prendre soin de lui-même et de trouver un nouvel équilibre. cifique, les informations et les connaissances transmises
Pour permettre aux patients, et parfois à son entourage, s'appuient sur des données scientifiques validées.
d'acquérir les connaissances, les capacités et la modification Dans la littérature, la définition et la terminologie utili-
de son comportement, il faut non seulement, comme cela a sées portent souvent à confusion et laissent parfois penser
été détaillé dans les chapitres précédents, expliquer, communi- qu'il y a plusieurs conceptions dans ce même domaine. Dans
quer, identifier, éduquer et fixer des objectifs, mais il faut que les publications anglophones, il y a une différence entre
cette démarche soit organisée autour du patient et avec lui. Les l'éducation (traditionnelle), n'apportant que des informa-
informations nécessaires à l'amélioration de la qualité de vie tions et le « self management », ou l'éducation à l'autogestion,
seront issues des connaissances scientifiques validées et adap- qui comprend en plus le développement de compétences de
tées aux besoins et aux attentes des patients. L'ETP répond résolution de problèmes dans la vie quotidienne, avec la
alors à ces critères, elle représente un champ de pratiques au maladie (sur les plans médical, social et émotionnel). C'est
carrefour de la médecine, du soin et de l'éducation. ce concept qui est utilisé et décliné dans la gestion des symp-
L'ETP du patient est une démarche active, centrée sur les tômes chez les patients douloureux chroniques.
besoins et les attentes de chaque patient, dans laquelle celui- L'accent est donc mis sur le renforcement du sentiment
ci a une place importante [2]. Ce n'est pas seulement une d'auto-efficacité et sur le choix des méthodes d'apprentissage,
démarche d'éducation, il ne s'agit pas de participer à des cours permettant la résolution de problèmes rencontrés dans la vie
et de prendre part à un processus descendant, unilatéral, de quotidienne du fait de l'existence des douleurs chroniques.
transfert de connaissances. C'est un processus plus complexe Il n'y a pas, comme précisé précédemment, d'enseignement
et plus actif, qui a pour but de faire collaborer soignants, soi- vertical mais réellement une collaboration entre les soignants
gnés et associations dans le cadre d'un objectif commun : faire (notions de multiprofessionnalisme et de pluridisciplinarité)
en sorte que le patient arrive à vivre mieux avec sa patholo- et les patients, en accordant l'expérience de chacun.
gie chronique par le biais de la connaissance de sa maladie Cette démarche d'ETP répond donc à un besoin de
et d'une meilleure gestion des traitements. Cette approche, prévention tertiaire, c'est-à-dire « l'ensemble des mesures
centrée sur le patient, part de ses connaissances et permet de visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des
l'orienter en lui transmettant des m ­ essages spécifiques adap- maladies, des accidents et des handicaps » (selon l'OMS).
tés à sa situation et à ses besoins personnels. Concernant la douleur chronique, il s'agira de limiter les
Médecine de la douleur pour le praticien
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80   Partie 2. Traitements en pratique

accès douloureux, de contrôler la douleur « de fond » et de Les différentes étapes


limiter les impacts sociaux, professionnels et émotionnels
en permettant aux patients de gagner en autonomie, de
de l'ETP du patient
comprendre leur maladie, ses symptômes, leurs traitements Diagnostic éducatif, ou bilan éducatif
et les moyens d'y faire face, et, ainsi, « de mieux vivre avec ». partagé
Au final, il est attendu, certes, une amélioration de la qua-
lité de vie, mais aussi une diminution des consommations La première étape est le diagnostic éducatif (ou bilan édu-
de médicaments, une diminution de leurs effets iatrogènes catif partagé). Durant ce moment, les besoins éducatifs du
éventuels et des recours aux consultations et aux hospitali- patient et leurs liens avec les nécessités des traitements et
sations. L'ETP répond donc aussi à une vision moderne de des soins sont identifiés. Cette étape permet d'accéder aux
santé publique. connaissances, aux représentations et au ressenti du patient,
En pratique, l'ETP permet au patient d'analyser le « savoir » cela permet d'analyser :
et le « savoir-être » et d'acquérir le « savoir-faire » et, ainsi, de : ■ ce qu'il sait et croit sur sa manière de gérer ses douleurs ;
■ mieux comprendre la maladie, les douleurs, et accepter la ■ ses connaissances sur sa maladie et ses douleurs : quelles
maladie ; en sont les causes, les mécanismes, leur évolution ?
■ connaître les bénéfices et les effets indésirables des ■ ses conditions de vie et de travail ;
traitements ; ■ son savoir-faire : comment se soigne-t-il, quelle gestion
■ connaître les mesures préventives à adopter : aménagement des médicaments adopte-t-il, ou a-t-il d'autres approches
de l'environnement, prise d'un traitement préventif, etc. ; thérapeutiques, comment bouge-t-il ?
■ reconnaître une aggravation et savoir réagir de manière Cette étape permet également d'évaluer sa manière de
adéquate ; réagir à face à certaines situations, et de prendre en compte
■ identifier les facteurs ou circonstances déclenchant des l'impact psychologique :
pics de résurgence pour mieux les éviter ; ■ quelles sont ses réactions comportementales (recherche
■ résoudre les difficultés du quotidien liées à la maladie d'informations, d'aide) ?
et aux douleurs (amélioration de la qualité de vie) : à la ■ quel est l'impact cognitif, émotionnel : catastrophisme,
maison, au travail, dans la vie privée ou dans l'environ- kinésiophobie, peur, colère, anxiété, etc. ?
nement social. ■ quelles sont les perceptions par le patient des facteurs
On passe donc à un nouveau paradigme ou le patient influençant les douleurs : le stress, la vulnérabilité ?
prend de l'autonomie. D'un comportement observant, où le En résumé, ce temps permet d'analyser la perception
patient « subit », où il est passif, peu autonome, on passe à par le patient de ses ressources (optimisme, auto-efficacité,
l'alliance, où le patient choisit son comportement, en com- etc.) ou des facteurs défavorables (dévalorisation, anxiété,
mun accord, contractuel, entre le médecin et les soignants. dépression, etc.), de comprendre ses besoins, ses attentes,
Le patient acquiert de l'autonomie. ses croyances et ses peurs.
En général, il est préconisé d'organiser cette étape dans
un lieu dédié, calme, en individuel, et de lui consacrer du
temps (une heure en moyenne), mais le diagnostic édu-
Comment se met en place catif peut aussi être fait en plusieurs fois et par plusieurs
un programme d'ETP du patient ? professionnels.

Un programme d'ETP doit tout d'abord répondre aux


besoins d'une population de patients, douloureux chro- Élaboration du contrat
niques dans le cas présent. La douleur chronique, quelle d'ETP entre soignants et patient
qu'elle soit, quelle que soient son origine et ses méca- La seconde étape consiste en l'élaboration du contrat d'ETP
nismes, est une situation de maladie chronique, ayant pour entre les soignants et le patient. Il contient les compétences
conséquences des retentissements globaux, avec des méca- à acquérir en tenant compte des besoins spécifiques et per-
nismes biopsychosociaux et une approche nécessairement sonnels du patient et des choix thérapeutiques.
pluriprofessionnelle. C'est à ce moment que le patient accepte et prend
Une fois le domaine d'action défini (lombalgie, fibro- conscience des points sur lesquels il lui faudra travailler et
myalgie, douleur du cancer, douleurs neuropathiques, réfléchir, des éléments de connaissance à acquérir et des
migraine ou, plus globalement, « la douleur chronique »), changements qu'il devra opérer. Ces points seront validés en
un travail de réflexion en équipe s'impose. La rédaction collaboration avec les soignants sous la forme d'un contrat
du programme prendra en compte les besoins des patients où ces objectifs à atteindre seront clairement explicités. Le
(en termes de connaissances sur la maladie, ses traite­ patient prend alors un rôle actif en les validant et en s'enga-
ments et les ressources à identifier et à valoriser, etc.) geant personnellement.
et les connaissances scientifiques validées qui doivent
leur être transmises pour leur permettre d'acquérir des
techniques d'auto-soins et, enfin, d'élaborer avec une ou Mise en place du programme personnalisé
des associations de patients le déroulement des ateliers La troisième étape est la mise en place du programme per-
qui composeront ce programme en laissant la place aux sonnalisé, sous une forme adaptée au patient : ateliers indi-
« patients experts » [3, 4]. viduels et/ou de groupe.
Chapitre 15. Douleur et éducation thérapeutique    81

Le choix des ateliers proposés dépendra des besoins par les équipes. Cette autoévaluation doit être réfléchie
é­ valués lors de la réalisation du diagnostic éducatif. C'est dès l'élaboration du programme ; on peut même dire
donc en quelque sorte un programme « à la carte », adapté qu'elle en fait partie. Le référentiel établi par les équipes
aux besoins réels du patient, avec son accord. Les ateliers permettra ­d 'analyser qualitativement et quantitative-
sont, selon la thématique, proposés en individuel ou en ment leurs pratiques, l'organisation et la coordination de
groupe. Ce dernier permet souvent des échanges plus leur programme. On y retrouve donc le nombre d'ate-
riches entre les patients, leur donnant des temps pour liers, leur durée, le nombre de patients y ayant parti-
exprimer leurs propres expériences, mettant en valeur cipé, ayant commencé et terminé chaque programme, le
les moyens positifs pour aller mieux, et toujours reposant nombre d'intervenants, l'évaluation de la satisfaction des
sur l'écoute et la validation du ou des professionnel(s) patients et des résultats d'outils d'évaluation de certains
formé(s) à l'ETP, rebondissant sur les recommandations critères, choisis et sélectionnés lors de l'instauration du
scientifiques validées et reconnues. Pour animer ces ate- programme.
liers, des outils sont utilisés, souvent ludiques, stimulant Bien entendu, cela permettra d'ajuster le contenu ou le
les échanges entre tous les participants, et sélectionnés déroulé du programme selon les observations, de détecter
en amont, lors de l'écriture du programme, en vue de les points faibles et forts et, ainsi, de faire aux patients une
leur adaptation aux objectifs éducatifs et aux thématiques offre de soins de qualité.
spécifiques. Une autre démarche d'évaluation doit être réalisée tous
les 4 ans, dans un objectif de reconnaissance, de labellisa-
Évaluation des compétences acquises tion du programme par l'Agence régionale de Santé, sur les
recommandations de la HAS [2].
et du déroulement du programme Lors de la mise en place du programme, une autorisa-
La dernière étape consiste en l'évaluation des compétences tion est délivrée par l'ARS selon des critères de référence,
acquises et du déroulement du programme. disponibles sur le site des ARS et de l'HAS et que nous
L'évaluation dans le déroulé du processus d'ETP n'est avons résumés précédemment. Cette autorisation n'est
pas un temps fixe en soi, mais il est également un proces- valable que quatre ans, échéance à laquelle une autoéva-
sus continu, organisé au sein des différentes étapes, per- luation du programme (bilan des trois années de mise
mettant ainsi une réorientation si cela est nécessaire, ainsi en œuvre) doit être réalisée : impact sur la pathologie et
que des ajouts ou des mises au point si certaines compé- sur les patients. Elle sera transmise à l'ARS, qui validera
tences n'ont pas été suffisamment acquises ou si d'autres le renouvellement d'autorisation. Cette évaluation a pour
semblent rester à acquérir. On évalue alors ici la transfor- caractéristiques d'être orientée à la fois sur les résultats
mation du patient. et effets attendus de l'ETP et sur les évolutions du pro-
gramme, et d'être réalisée par l'équipe et le coordonnateur.
À partir de ces rapports, les ARS prennent connaissance
Patient expert des dynamiques régionales dans le domaine de l'ETP en
Ces dernières années, le concept de « patient expert », par- douleur chronique et de l'offre territoriale. Elles analysent
fois appelé « patient ressource » s'est développé au sein des les progressions, les évolutions des différents programmes,
programmes d'ETP dans la prise en charge des douleurs leurs atouts et leurs forces, mais aussi leurs limites et dif-
chroniques. ficultés éventuelles ouvrant sur des possibilités d'aide et
Grâce à lui, un partage de connaissances concernant d'accompagnement.
la maladie s'opère avec les autres malades participant à
l'ETP. Des liens particuliers se créent grâce à ces points
communs que sont la maladie, son vécu, les traumatismes Quelles thématiques
éventuels qui y sont liés, et les traitements. Ce patient en douleur chronique ?
expert apporte alors un soutien moral, mais il joue aussi Selon les besoins et les spécificités de chaque structure
un véritable rôle éducatif, s'assurant de l'intégration des douleur chronique ou des services accueillant des patients
messages, de leur compréhension, de leur mise en appli- souffrant de douleurs chroniques, différents programmes
cation et de leur reformulation si nécessaire. Grâce à cela, d'ETP peuvent être mis en place. Ils seront orientés sur des
on observe une évolution positive des symptômes, un pathologies particulières : lombalgie, fibromyalgie, douleur
changement de gestion des activités, des émotions et de la du cancer, douleurs neuropathiques, céphalées, migraines,
qualité de vie, une meilleure observance des traitements ou ils seront moins spécifiques, comme des programmes
et, enfin, un rôle plus actif du patient dans sa prise en « douleur chronique », dans lesquels la déclinaison des
charge. ateliers pourra s'orienter selon les pathologies avec des
ateliers communs tels que « mieux comprendre la douleur
Évaluation et labellisation chronique », ou encore « bien gérer ses traitements médica-
des programmes menteux », « savoir utiliser des techniques non médicamen-
teuses », etc [5].
Outre l'évaluation de l'impact de l'ETP sur le patient Dans tous les cas, ces programmes et leurs ateliers
douloureux chronique et ses symptômes, une évaluation permettent, comme nous l'avons évoqué en début de
du programme lui-même doit être réalisée tous les ans chapitre, de rendre le patient plus autonome dans sa
82   Partie 2. Traitements en pratique

pathologie chronique, en lui permettant de comprendre Références


les mécanismes de sa ou de ses douleurs, de mieux gérer
[1] Naudin D, Gagnayre R, Marchand C, Reach C. Éducation thérapeu-
les symptômes à l'aide des traitements, médicamenteux tique du patient : une analyse du concept de motivation. Médecine des
ou non, d'analyser son comportement émotionnel, de Maladies Métaboliques 2018 ; 12 : 79–87.
savoir trouver les ressources adéquates pour les maîtri- [2] Recommandations HAS. https://www.has-sante.fr/portail/
ser, de bouger et garder des ­a ctivités adaptées et, enfin, jcms/c_1241714/fr/education-therapeutique-du-patient-etp.
d'analyser le retentissement social et professionnel pour [3] Foltz V, Laroche F, Dupeyron A. Éducation thérapeutique et lombalgie
mettre en œuvre des actions positives. chronique. Revue du rhumatisme, monographies 2013 ; 80 : 174–8.
En résumé, l'ETP est complémentaire aux soins et permet [4] Coudeyre E, Eschalier B. Éducation thérapeutique et arthrose des
une amélioration de la qualité de vie du patient douloureux, membres inférieurs. Revue du rhumatisme, monographies 2013 ; 80 :
en lui rendant une autonomie de compréhension et de ges- 162–5.
[5] Shin JC, Kim NY, Chang SH, Lee JJ, Park HK. Effect of Patient
tion, tout à fait intéressante et nécessaire dans ce contexte de
Education on Reducing Medication in Spinal Cord Injury Patients
chronicité. With Neuropathic Pain. Ann Rehabil Med 2017 ; 41 : 621–30.
Chapitre
16
Approches psychocorporelles
et psychothérapies
Antoine Bioy, Veronique Barfety-Servignat, Claire Vulser

PLAN DU CHAPITRE
Fondements généraux et intérêt . . . . . . . . . . . 83 Autres approches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Les techniques de relaxation . . . . . . . . . . . . . . 83 Psychothérapies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
L'hypnose appliquée au champ Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Méditation de pleine conscience,
ou Mindfulness . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

Fondements généraux et intérêt Nous avons choisi d'aborder les approches les plus cou-
rantes en clinique de la douleur et celles qui font l'objet
Notre culture – presque par tradition – pense l'humain et d'un consensus concernant leur intérêt auprès des patients
sa santé en considérant deux plans de nature différente : douloureux.
le substrat corporel (soma) et l'immatériel (psyché). Pour
autant, l'existence d'un dialogue entre le corps et l'esprit1 est
une évidence pour tous, et ce depuis longtemps, y compris Les techniques de relaxation
pour Descartes, bien injustement décrié en la matière, qui
parlait de l'étroite union entre les deux, dont chacun, écri- Le terme de « relaxation » date du xiie siècle, et signifie
vait-il, faisait l'expérience dans son quotidien. Les approches « libération » (on parle d'ailleurs toujours de « relaxer un
psychocorporelles sont une réponse à ce dialogue : d'une prévenu »). Une séance de relaxation travaille en effet à ce
part, elles prennent acte de la perspective moniste (l'humain que quelque chose se libère, se détende, dans la continuité
est un tout, vivant et indivisible) et, d'autre part, pour amé- corps-esprit : relâcher les tensions musculaires à la fois pour
liorer les processus en santé, elles choisissent dans la pra- défaire le corps douloureux de ce qui le contracte, mais aussi
tique une porte d'entrée pour travailler ce « tout », porte qui pour dénouer les tensions psychiques en lien avec lesdites
est ici le corporel (perceptions, sensations, etc.). Cela, en douleurs. Si nous disons les choses autrement : le corps
contraste avec les approches psychothérapeutiques qui, elles, travaillé avec la relaxation « découvre » qu'il a une histoire,
choisissent la porte d'entrée offerte par l'activité psychique. qu'il est porteur de pulsions, d'émotions, de sentiments,
Redisons-le afin d'éviter toute mauvaise compréhension : les d'images, d'angoisse, d'une temporalité, etc. La « libération »
deux niveaux sont dans un dialogue dynamique et, donc, les recherchée mobilise l'ensemble. Les techniques de relaxa-
deux approches travaillent les deux plans, mais selon angles tion ne consistent pas uniquement en une action mécanique
différents, la plupart du temps complémentaires. pour apprendre à se détendre, mais constituent une propo-
Il est bien question dans ce chapitre d'approches, autrement sition de mobilisation via ce corps porteur d'un ensemble,
dit de méthodes de travail particulières, aux outils pratiques du matériel comme de l'immatériel. N. Baste propose une
définis. Ils prennent place dans une démarche thérapeutique définition claire de la relaxation : « une pratique psychos­
qui doit être pensée, avoir des objectifs définis et survenir à omatique qui consiste à induire chez le sujet, par différents
la suite d'une évaluation rigoureuse. Le choix de l'intervenant procédés, un état de relâchement musculaire plus ou moins
(psychologue, infirmier, médecin, etc.) et le contexte de pra- important et une modification de l'état et du niveau de la
tique (libéral, institutionnel, etc.) dépend des conditions qui conscience plus ou moins profond dans un but thérapeu-
auront été choisies avec le patient, selon les objectifs poursui- tique, mais aussi prophylactique ou éducatif » [2].
vis et l'ensemble des éléments qui rendent un projet réaliste Plusieurs pratiques de relaxation se côtoient : training
ou non (temps, finances, coordination des intervenants, etc.). autogène, méthode Jacobson, etc. En clinique pédiatrique de
la douleur, la méthode Bergès est régulièrement employée
1
Pour reprendre le joli mot de Keller (2006) [1]. et, en pratique adulte, la sophrologie est courante.
Médecine de la douleur pour le praticien
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84   Partie 2. Traitements en pratique

La méthode Bergès (Jean Bergès) consiste à susciter un Compte tenu de ce qui précède, on comprend donc que
état de conscience modifié à l'aide d'images, puis à nommer l'hypnose est un processus dynamique, global, d'emblée du
les parties du corps que l'on va toucher pour travailler avec côté de l'expérience. Être en hypnose, c'est vivre d'une façon
elles (toucher, travail de suggestion et de métaphores). Le différente la réalité environnante et s'ouvrir à une possibilité
jeune patient est invité à explorer ses ressentis et ses asso- de la façonner autrement. Il s'agit, avec l'hypnose – nous dit
ciations au sein de la séance. Au commencement de chaque le psychologue et philosophe Thierry Melchior –, de « créer
séance, on reprend aussi ce qui a été fait la séance précé- le réel » [7], soit de façonner une réalité qui nous corres-
dente. L'approche est d'inspiration psychanalytique (mais il ponde et qui soit, de ce point de vue, individuelle et unique.
n'est pas nécessaire d'être psychanalyste pour la pratiquer) En situation de déséquilibre, comme en cas de pathologie
[3]. physique ou mentale, ce remodelage possible devient un
La sophrologie (Alfonso Caycedo) consiste en l'apprentis- puissant outil d'influence sur la santé, jouant sur des res-
sage structuré de niveaux de relaxation dynamiques qui sont sources qui nous appartiennent.
au total douze. Pour autant, Nathalie Baste rappelle que ce La pratique de l'hypnose consiste en un accompagne-
sont principalement les cinq premiers qui sont utilisées en ment qui suit globalement trois phases : l'induction d'un
pratique clinique courante, auprès notamment des patients état de conscience modifié (état hypnotique), un travail
douloureux chroniques [2]. La relaxation dynamique du thérapeutique (à l'aide de suggestions et d'un travail méta-
premier degré, par exemple, consiste à effectuer une série de phorique) et un retour à un état de conscience ordinaire.
gestes en harmonie avec la respiration (rythme, amplitude, La façon de pratiquer l'hypnose va dépendre du contexte
régularité, alternance des moments d'effort et de détente, (urgences, ambulatoire, etc.), du tableau douloureux pré-
etc.), mêlant concentration et pratiques méditatives pour res- senté (chronique, aiguë, provoqué par les soins) et des élé-
sentir le mouvement vivant en soi. La sophrologie reprend des ments humains (parmi lesquels la dynamique relationnelle
techniques d'hypnose (première pratique d'A. Caycedo) dans engagée). En fonction des objectifs thérapeutiques fixés, on
une conceptualisation d'inspiration orientale (yoga, zazen). fait appel à des professionnels différents : hypnothérapeutes
L'exploration des différents états sophroniques permet aux psychologues-psychothérapeutes et psychiatres pour un
patients de mieux explorer leurs états internes, en lien avec travail sur la psychopathologie de la douleur ; praticiens en
leurs manifestations corporelles, et de pouvoir les travailler, hypnose de profession médicale ou paramédicale pour un
accompagnés du praticien (terpnos logos), qui maintient et travail sur la perception douloureuse et sa gestion. Dans les
encourage le relâchement musculaire, notamment. deux situations, c'est l'expérience du patient au contact de sa
douleur qui va être travaillée avec l'hypnose, par l'emploi de
L'hypnose appliquée au champ métaphores et de suggestions. Et dans les deux cas, le patient
est invité à la pratique de l'autohypnose, autrement de la
de la douleur pratique par lui-même de l'hypnose qui occupe une place
L'hypnose se définit comme un « mode de fonctionnement centrale en médecine de la douleur et dans son efficacité [8].
psychologique par lequel un sujet, en relation avec un prati- Si plusieurs protocoles existent, la littérature scientifique
cien, fait l'expérience d'un champ de conscience élargi » [4]. s'entend sur la nécessité de 7 à 10 séances d'apprentissage
Elle fait partie des « nouveau modèles de soins » qui centrent de l'autohypnose pour une efficacité qui perdure au-delà de
leur pratique sur l'individu, sa subjectivité et ses valeurs [5]. 6 mois [9]. En particulier, ce qui est recherché est que les
Lorsqu'un sujet est en état d'hypnose, son état de conscience patients fassent l'expérience d'une forme de familiarité par
est dit modifié. Synthétiquement, cela se traduit par un fonc- rapport à l'expérience douloureuse, sans chercher à l'éviter,
tionnement cérébral qui active à la fois le circuit de l'atten- pour apprendre à la modeler autrement. Ils n'ont pas à l'ac-
tion et le circuit de la détente [6]. Cet état permet de jouer cepter (l'acceptation mobilisant des processus de contrôle
sur la façon dont un sujet perçoit sa réalité, peut la modifier, antinomiques avec la flexibilité psychologique recherchée),
jusqu'à en tirer des bénéfices sur le plan de la santé et dans mais à faire l'expérience d'un laisser-aller des perceptions,
d'autres champs (sportif, artistique, etc.). C'est toujours un y compris douloureuses, en confiance [10]. Ce travail étant
élément du contexte qui amène l'apparition de cet état : une particulièrement mobilisant, on comprend l'importance de
suggestion formulée par une personne, un événement qui l'accompagnement par un praticien, y compris lorsque l'on
survient brutalement et crée une sidération, un changement parle de l'apprentissage de l'autohypnose. Ce laisser-aller
de posture induit par la pratique de l'autohypnose, etc. permet de trouver une posture différente non seulement au
De quel « champ de conscience élargi » s'agit-il lorsque regard de la douleur, mais aussi de son rapport au vivant, à
l'on est en hypnose ? La conscience dont il est question ici est son existence. L'expérience douloureuse est alors transfor-
une conscience corporelle au sens qu'en donne la phénomé- mée en apprentissage : le patient apprend de ce qu'il rejetait
nologie, une conscience construite grâce à notre sensoria- jusque-là et grandit, se trouvant renforcé dans son identité
lité et qui nous permet de percevoir notre environnement, et ses valeurs [11].
nous-même et la relation entre nous et ce contexte dans L'hypnose, pratique ancienne datant du xviiie siècle, a
lequel nous nous trouvons. C'est pour cela qu'elle permet de donné naissance aux psychothérapies et aux principales
travailler le rapport au réel d'une personne : cette conscience méthodes psychocorporelles utilisant les transes, dont
corporelle devenue « modelable » par l'état hypnotique orga- les deux méthodes de relaxation que nous avons citées.
nise son ressenti et, de ce fait, influence la dynamique psy- On comprend donc qu'elle soit certainement la méthode
chologique, voire globale (incluant les données corporelles), psychocorporelle ayant fait l'objet du plus grand nombre
d'un sujet. d'écrits professionnels et scientifiques. Ses principales
Chapitre 16. Approches psychocorporelles et psychothérapies    85

composantes sont maintenant bien identifiées, ainsi que les pensées et le ressenti physique : la douleur se réveille
sa dynamique d'action dans les cadres thérapeutiques nettement lorsque la colère est présente. Il s'agit bien d'un
[11]. Particulièrement en clinique de la douleur, plus de apprentissage de la réalité de cette triade : sensations cor-
cinquante ans de travaux en psychologie et médecine porelles, pensées et émotions qui, sans cesse variable, induit
permettent d'affirmer son absolue pertinence pour les notre comportement. Il semble donc important d'en prendre
patients, dans le cadre d'une prise en charge adaptée [12]. conscience pour décider en toute liberté de notre vie, instant
Son usage lors des soins ou de situations aiguës est mainte- après instant [14].
nant une évidence. Dans le domaine du chronique, elle est Depuis près de 20 ans, des méta-analyses sont régulière­
recommandée, notamment dans les tableaux douloureux ment réactualisées pour montrer l'efficacité de ces tech-
complexes (par exemple le syndrome de l'intestin irritable niques sur la douleur, mais aussi surtout sur l'amélioration
ou encore les migraines), et pour l'ensemble des patholo- de la qualité de vie et sur la diminution de l'anxiété et de la
gies persistantes pour lesquels les facteurs psychologiques dépression [15].
sont particulièrement mobilisés. L'hypnose joue en effet Comment la méditation de pleine conscience fonctionne-
particulièrement sur la composante affective de la douleur, t-elle ? Jon Kabat-Zinn la définit comme « une conscience
et aussi pour une certaine part sur la composante cogni- qui émerge en faisant attention délibérément, dans l'instant
tive, en donnant accès à une compréhension individuelle présent, et de façon non jugeante ». Cela requiert de nom-
différente de la douleur qui fait souffrance. breuses qualités à développer au cours de la pratique : être
ici et maintenant avec toute l'ouverture d'esprit nécessaire,
sans attente, sans jugement, avec patience et bienveillance
Méditation de pleine conscience, envers soi-même. Pour cela, aucun besoin de conditions
ou Mindfulness particulières, mais il faut s'autoriser à prendre du temps
pour soi, accepter une évolution lente, s'entraîner régulière-
Au sein des techniques psychocorporelles, la méditation ment, faire confiance en un changement, même inconnu. Il
de pleine conscience se développe de plus en plus pour la est effectivement juste question de rester présent, conscient
prise en charge de la douleur. Depuis 1982, Kabat-Zinn a à soi-même, à son environnement, à ses pensées et à ses
élaboré un programme spécifique inspiré des techniques émotions. Chaque séance est unique, ni bonne ni mauvaise :
cognitivo­-comportementales et du bouddhisme [13]. Il existe la distraction de notre attention par la liste des courses à
de nombreuses manières de méditer depuis des millénaires. faire ou des personnes à appeler pendant un exercice centré
Méditer, c'est focaliser son attention très précisément sur sur la respiration est normale. Dans la méditation de pleine
un objet, une sensation, une pensée ou un concept. Mais ce conscience, l'important est notre propre conscience, sans
n'est pas rêver, se vider la tête de toute pensée ni effacer la chercher à la modifier.
douleur d'un coup de baguette magique. Ainsi, la méditation de pleine conscience permet un véri-
Alors, en quoi consiste la méditation de pleine table changement cognitif, une modification des schémas
conscience ? Il s'agit d'un programme parfaitement codifié, habituels de pensée, une présence à la réalité sans regret du
permettant des études scientifiques fiables, de 8 séances passé ni anticipation anxieuse du futur. Cette acceptation
hebdomadaires de 2 h 30, guidées par des instructeurs bienveillante de la variation des émotions ou des sensations
formés à cette technique, associées à des pratiques quoti- corporelles aide à relativiser ce qui survient, y compris les
diennes de 45 minutes. Cela constitue la MBSR : Mindful- difficultés. Ainsi, progressivement, le ressenti de la douleur
ness basée sur la réduction du stress. Celle-ci a été aménagée est transformé et peut laisser la place à d'autres expériences
en 1995 par les Drs Segal, Williams et Teasdale en MBCT : plus variées. Ces différents mécanismes d'action de la médi-
Mindfulness fondée sur la thérapie cognitive pour la dépres- tation de pleine conscience sont largement étudiés au niveau
sion. Ces programmes permettent un apprentissage d'exer- scientifique [16] : en neurobiologie, en neuro-imagerie, en
cices méditatifs très variés qui améliorent la qualité de vie épigénétique et, bien sûr, aux niveaux comportemental et
des douloureux chroniques, souvent anxieux ou dépressifs. cognitif. Il a ainsi été observé que la pratique régulière de
Les pratiquants s'entraînent à prendre conscience de leurs la méditation de pleine conscience entraîne des modifica-
sensations corporelles, de leurs sens, de leurs pensées et de tions sur la fonction immunitaire et les hormones du stress.
leurs émotions dans un esprit d'ouverture, de bienveillance De nombreuses études ont examiné, en IRM fonctionnelle,
et d'acceptation. le cerveau de méditants experts ou ayant juste effectué les
Souvent, les patients douloureux ne ressentent de leur 8 séances : des modifications structurelles sont observées
corps que la douleur : ils en oublient qu'une musique peut au niveau de l'amygdale, du CCA, du thalamus et du cortex
les apaiser ou que des étirements peuvent les soulager. Pro- dorsolatéral préfrontal. Ces zones cérébrales sont largement
gressivement, ils se réapproprient leur corps sans éviter impliquées dans la gestion des émotions, mais aussi de la
pour autant la douleur, comme dans l'exercice du « balayage douleur.
corporel ». Dans un deuxième temps, ils apprennent à se Faire l'apprentissage de la méditation de pleine
regarder penser et à faire le tri entre le pilotage automatique conscience permet aux patients douloureux chroniques de
ou les ruminations qui dirigent leur mental : consignes per- se réapproprier leur corps, leurs pensées et leurs émotions
sonnelles d'évitement, comme la kinésiophobie du lombal- et de se ré-inventer un nouveau mode de fonctionnement.
gique entraînant un isolement social. Puis, le programme Cette technique doit être enseignée par des soignants bien
s'intéresse au ressenti de diverses émotions, agréables ou formés, eux-mêmes pratiquants réguliers, afin que soit au
non. L'attention est portée avec curiosité sur le lien avec mieux incarnée la bienveillance requise.
86   Partie 2. Traitements en pratique

Autres approches Psychothérapies


Toute prise en soins demande à s'ajuster le mieux possible Fondements généraux
au patient, à ses besoins, à ses possibilités et à son désir. Les La psychothérapie peut paraître une pratique récente en
approches psychocorporelles ne sont pas des analogues réponse aux tourments et souffrances des sujets du monde
médicamenteux : il ne s'agit pas de méthodes universelles moderne dont les plaintes s'axent massivement sur les thé-
à appliquer coûte que coûte, qui auraient des indica- matiques de perte de sens. Toutefois, le soin des âmes est
tions et des contre-indications absolues, avec des durées une préoccupation présente dans l'Antiquité.
d'efficacité reproductibles, etc. Ces méthodes offrent des C'est à Tuke que l'on doit le terme de « psycho-therapeu-
approches pertinentes pour la plupart des patients dou- tics » construit à partir du grec, et que l'on retrouve dans son
loureux, mais restent à proposer et à adapter au sujet de article, traduit en français en 1886, « Le Corps et l'Esprit.
façon non dogmatique : certaines méthodes peuvent lui Action du moral et de l'imagination sur le physique » [22].
correspondre, d'autres moins, et il est essentiel de prendre Mais c'est Bernheim qui finalise le terme « psychothérapie »
ce facteur en compte pour construire une efficacité théra- dans son ouvrage Hypnotisme, suggestion, psychothérapie
peutique. Ainsi, ce n'est pas parce que telle méthode est en 1891 [23]. Comme Tuke, il lui attribue un double sens
particulièrement recommandée, par exemple, pour les en le rapprochant d'une suggestion. La définition contem-
patients lombalgiques qu'il faudra l'appliquer à tous « les poraine comme pratique thérapeutique concerne « les per-
lombalgiques ». Elle pourra être proposée, et le théra- sonnes souffrant de problèmes émotionnels mais aussi celles
peute psychocorporel qui recevra le patient devra évaluer qui voudraient élargir leurs possibilités d'actions sociale et
si, en effet, la méthode pressentie est à choisir ou bien si introspective » [24]. La psychothérapie s'ancre dans les cou-
une autre serait plus pertinente ou si le patient se sentirait rants philosophiques, dans la culture, dans les développe­
mieux en travaillant autrement. ments de la psychologie et du fonctionnement du cérébral
À l'inverse, la courte liste que nous proposons ici n'est [25]. Le xxe siècle a d'abord vu le développement de la psy-
pas exhaustive dans le champ de la clinique de la dou- chanalyse. Par la suite, ce sont les modèles s'appuyant sur
leur. D'autres pratiques peuvent tout à fait être pertinentes la suggestion hypnotique, les sensations et le corporel, les
(QiGong, toucher-massage®, etc.). Citons en particulier émotions et les processus cognitifs et comportementaux qui
le développement de pratiques actuelles en lien avec l'art-­ ont émergé. Ces derniers modèles, venant surtout du conti-
thérapie. Klein définit ainsi la méthode : « L'art-thérapie est nent nord-américain, concernent principalement des prises
un accompagnement de personnes en difficulté (psycholo- en charge brèves.
gique, physique, sociale ou existentielle) à travers leurs pro- Quelle que soit l'orientation conceptuelle, la psychothé-
ductions artistiques : œuvres plastiques, sonores, théâtrales, rapie convoque la place de l'autre autour de deux concepts
littéraires, corporelles et dansées » [17]. majeurs de la relation thérapeutique : l'empathie et l'inter-
Une méthode de musicothérapie est particulièrement subjectivité. Toute démarche psychothérapique s'acte dans
évaluée dans le champ de la douleur : « MusicCare » ; elle une histoire, un instant, une existence et, surtout, dans une
propose un mixage musical qui suit une évolution spé- clinique du détail [25].
cifique (« montage en U »), menant le patient à un état de
relaxation. Son emploi tant dans la douleur chronique que
lors des soins produit des effets thérapeutiques intéressants Principes
[18]. La psychothérapie est une pratique qui a pour objet le
Citons également l'EMDR (eye movement desensitiza- psychisme dans le cadre d'une relation interpersonnelle.
tion and reprocessing), dont la pratique est jusque-là sur- Elle permet sa mobilisation et active la mise au travail des
tout connue sur les tableaux de trauma psychique [19]. empêchements, des difficultés et des conflits. Elle vise leur
Cette pratique consiste en la stimulation sensorielle bila- élaboration en vue d'un soulagement de la souffrance psy-
térale (par exemple balayage d'un doigt devant les yeux du chique du sujet. Sa pratique s'effectue dans des conditions
patient, stimulation sonore gauche/droite), qui active un précises et implique nécessairement une connaissance de la
processus thérapeutique jouant sur les souvenirs trauma- psychopathologie, un savoir-faire clinique qui donne l'éclai-
tiques en travaillant à partir de protocoles validés scienti- rage indispensable à la conduite du traitement. Dans tous les
fiquement. Sa pratique semble pertinente dans la douleur : cas, le praticien se doit de posséder une technique complexe
l'on peut faire l'hypothèse que c'est parce que cette dimen- et de mettre en travail ses propres mouvements psychiques
sion du trauma est très associée à la douleur chronique que dans le cadre d'une supervision. Parfois, le travail se limite
l'EMDR peut revendiquer sa pertinence dans ce champ de à une thérapie de soutien dont l'objectif est d'apporter une
la douleur [20]. aide et un soulagement et non à mobiliser le psychisme en
Ces pratiques et leur importance dans le champ de la profondeur : il s'agit alors de soutenir les mécanismes de
prise en charge des pathologies somatiques suivent une réassurance narcissique [26]. Par ailleurs, la psychothérapie
clinique fondée sur les valeurs [21]. Autrement dit, elles n'est pas réductible à une technique. Le psychothérapeute
revendiquent une approche validée scientifiquement, dans soulage d'abord par ce qu'il est et par la qualité de la relation
ce que la science peut avoir d'écoute concernant la prise en mise en place : processus relationnels, personne et expertise
compte de l'individualité, de la subjectivité et de l'intersub- du psychothérapeute ont plus d'effet que les techniques uti-
jectivité à l'œuvre dans la rencontre entre un praticien et lisées [27, 28]. Lorsque la thérapie consiste en l'application
son patient. d'exercices isolés, elle n'est pas une psychothérapie.
Chapitre 16. Approches psychocorporelles et psychothérapies    87

Il est essentiel d'être attentif à la manière dont le malade se velles pratiques virtuelles. Par ailleurs, les techniques à
représente la maladie : peut-il s'en sentir victime de manière court, moyen et long termes sont complémentaires et non
consciente ? comment peut-elle lui être utile de manière substitutives.
inconsciente, si ses comportements sont dommageables pour
sa santé (définie par l'OMS comme un état d'équilibre phy-
sique, psychique et social) ? comment les angoisses et, parfois, Psychothérapies analytiques :
la mort peuvent-elles interférer ? On cherche à saisir en quoi psychanalyse, psychothérapie
la douleur et la maladie qui touche le corps sont au prise avec psychanalytique, psychothérapie
la vie psychique et la vie relationnelle, comment s'est installée d'orientation analytique, psychothérapie
la chronicité et dans quel contexte psychologique et social.
Tout au long de sa vie, le sujet noue des « réactions corpo-
psychodynamique
relles à des représentations psychiques par l'intermédiaire En 1895, la cure psychanalytique est une méthode de
d'affects dont l'expression est double : physique et psychique. traitement des troubles névrotiques par l'exploration de
Il a constitué une trame d'étayages possibles sur l'autre dans l'inconscient. Il s'agit pour Freud (1895) de faire dispa-
les situations difficiles ou au contraire s'est fragilisé à travers raître des symptômes en permettant au sujet de trouver
des traumatismes à répétition. Ainsi se sont créées des lignes ses propres solutions aux conflits entre ses divers mouve-
de failles, des fixations, mais aussi des systèmes de défense » ments pulsionnels (amour et haine pour un même objet)
qui signent ses forces et ses faiblesses [29]. C'est bien sûr dans et entre son environnement pulsionnel et les exigences de
cette histoire et dans cette construction que vient s'inscrire la la société [31]. Par les règles de la cure (pratique de parole,
douleur lorsqu'elle paraît. association libre, neutralité de l'analyste, fréquence des
En clinique de la douleur, l'exercice du psychothérapeute séances et contexte du divan), le transfert peut s'opérer et
est un repérage de la place et de la fonction de la dou- donner accès à l'identification des pensées, affects et sou-
leur dans la vie actuelle du sujet ainsi que du sens qu'elles venirs refoulés pathogènes.
prennent dans son histoire. L'objectif est d'en minimiser les Les postfreudiens ont diversifié les approches, devenues
impacts, voire d'en contenir les atteintes les plus graves [29]. davantage centrées sur la guérison, et ces psychothérapies
Les problématiques dans lesquelles évoluent les patients se sont développées dans le cadre des institutions de soins
douloureux chroniques sont majoritairement du registre du et des prises en charge de familles, de couples et de groupes.
trauma, du deuil, de la carence et des atteintes narcissiques Quelles que soient ces variantes, la spécificité de la méthode
identitaires. Toutes ces problématiques sont bien connues relève d'une pratique de parole construite dans la rencontre
dans le champ de la psychologie clinique et de la psychopa- avec le sujet où la dimension relationnelle et subjective se
thologie et ne nécessitent pas de validation particulière dans situe au cœur même du processus thérapeutique. À par-
le champ de la douleur. La psychothérapie a largement fait tir de la demande du sujet, il s'agit de l'accompagner dans
ses preuves dans le domaine de la souffrance et de ces pro- l'élaboration de ses propres solutions, en tenant compte de
blématiques [30]. la place et des fonctions qu'occupe le symptôme dans son
économie psychique. L'approche psychanalytique vise avant
tout la souffrance psychique du sujet et doit lui permettre de
Pratiques psychothérapiques se construire comme sujet, de s'approprier ou de reprendre
En Europe, la psychothérapie a acquis une place manifeste le fil de son existence : accéder à un travail, qui ouvre la
dans les soins de santé́. Inversement, à la place que les acti- possibilité de relancer les processus de symbolisation, a un
vités psychothérapeutiques occupent sur le terrain, la régle- effet de soulagement de la souffrance et d'apaisement des
mentation de ces activités est peu développée et le patient, troubles somatiques.
peu informé quant aux professionnels habilités. La psychanalyse tente de rendre compte de l'intégra-
En France, l'article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 lité du fonctionnement psychique aussi bien normal que
modifiée, relative à la politique de santé publique, régle- pathologique [32]. Fondée sur la parole, faisant appel à
mente l'usage du titre de psychothérapeute et impose l'inconscient où la souffrance psychique doit être com-
l'inscription des professionnels au registre national des prise et soulagée, cette méthode prend en considération le
psychothérapeutes. Le décret du 20 mai 2010 relatif à patient douloureux dans son organisation psychique : « Elle
l'usage du titre de psychothérapeute, modifié par le décret interroge et identifie les fonctions et le retentissement de
du 7 mai 2012, en précise les modalités. L'exercice psycho- la douleur pour le patient. Par l'analyse du transfert, des
thérapeutique repose sur une évaluation psychologique et résistances et du désir, elle permet de mieux comprendre
psychopathologique experte et sur de très bonnes connais- les conflits internes, de leur donner un sens nouveau et
sances des modalités psychothérapeutiques et psychopatho- d'éviter qu'ils ne se répètent dans la vie actuelle sous forme
logiques. L'exercice psychothérapeutique est donc réservé de symptômes psychiques et/ou physiques » [26]. Les
aux professionnels habilités par leur formation à engager dernières études montrent l'efficacité de ces techniques
une démarche thérapeutique. à long terme chez les patients en souffrance [33]. Cette
Concernant le cadre conceptuel ou les orientations psy- approche développe des techniques ou des médiations tout
chothérapeutiques, il y a des différences nettes et chaque à fait indiquées en clinique de la douleur, qui permettent
courant a développé ses modalités psychothérapeutiques. de travailler en groupe : le photolangage, le psychodrame
Nous traiterons ici des principaux courants : analytique, analytique, le groupe de parole, les médiations corporelles
comportemental, humaniste, systémique et des nou- d'orientation analytique, etc.
88   Partie 2. Traitements en pratique

Thérapies comportementales et cognitives En clinique de la douleur, « l'approche humaniste s'orga-


Les thérapies comportementales (première génération) et nise autour de l'importance des expériences de vie comme
les TCC (deuxième génération) sont des théories s'appuyant lieu des ressources et des apprentissages d'une personne, dont
sur l'apprentissage et sur le traitement de l'information. l'expérience douloureuse fait partie (aiguë et chronique) »
Elles reposent sur l'analyse fonctionnelle, qui rend possibles [11]. On s'intéresse à la façon dont les expériences sont
une compréhension de la problématique et une définition vécues. On repère la place des ressentis physiques et émo-
du cadre d'intervention [26]. Elles peuvent être réalisées tionnels dans cette traversée expérientielle. La psychologie
en individuel, en groupe ou être intégrées à une équipe humaniste se nourrit donc du courant phénoménologique.
pluriprofessionnelle formée. Les TCC abordent la douleur L'être humain répond ainsi à un principe d'actualisation : il
comme un comportement qui s'acquiert ou se maintient, apprend de ses expériences et avance dans ses apprentissages
dont les mécanismes sont analogues à ceux de l'apprentis- pour construire des compétences. Lorsque ce développement
sage [34]. L'identification des facteurs psychologiques et est empêché et lorsque l'expérience est bloquante – expé-
relationnels susceptibles d'avoir un effet sur le déclenche- rience qui peut être un vécu douloureux – il est nécessaire de
ment, l'aggravation ou l'atténuation de la douleur permet mettre en place une intervention psychothérapeutique. Plu-
une prise en charge de la douleur, de ses conséquences et des sieurs approches peuvent être utilisées telles que l'approche
comorbidités réactionnelles ou précédant la douleur. centrée sur la personne de Rogers [37], la logothérapie de
La première vague développe des stratégies thérapeu- Frankl [38] ou encore la Gestalt thérapie de Perls [39]. La
tiques centrées sur les notions de renforcement, d'appren- méthode humaniste s'articule particulièrement bien avec les
tissage, d'évitement comportemental et d'extinction : « L'une méthodes dites psychocorporelles au regard de la place don-
des limites majeures de ce modèle rapportées dans les études née au corporel et aux perceptions : « Concernant la façon
est principalement l'absence de prise en compte des émo- dont la psychologie humaniste comprend les dynamiques
tions et des cognitions relatives à la douleur » [35]. relationnelles, la notion d'alliance thérapeutique prend une
La deuxième vague propose des méthodes comportemen- place de choix. Il s'agit d'une approche "de l'ici et maintenant"
tales et cognitives favorisant l'adaptation par diminution qui n'exclut pas pour autant l'importance biographique du
du handicap et visant à réduire les émotions pénibles en sujet ni la façon dont le futur aperçu influence déjà le présent
lien avec la douleur. « Les psychothérapies s'intéressent au à l'œuvre » [26].
catastrophisme, aux croyances dysfonctionnelles, à l'atten-
tion, à la détresse émotionnelle, aux schémas d'évitement, à
l'auto-efficacité personnelle et au coping » [35]. Les proposi-
Psychothérapie systémique et familiale
tions thérapeutiques passent par la psychoéducation, l'auto-­ Née dans l'après-guerre, l'approche systémique emprunte
observation des crises douloureuses, la distraction de pensée, ses modèles aux sciences sociales, aux sciences naturelles
la relaxation, la restructuration cognitive ou le pacing. et aux mathématiques. Elle coupe avec la psychanalyse et
La thérapie cognitive fondée sur la méditation de pleine s'inscrit dans un nouveau paradigme dont l'école de Palo
conscience (Mindfulness) est plus proche de la première que Alto est l'emblème. La famille est envisagée comme étant
de la deuxième génération, à laquelle s'ajoutent des notions un système car c'est un ensemble d'éléments en interaction
nouvelles comme la conscience, l'acceptation, le moment qui échange de l'information avec l'extérieur [40]. Ainsi,
présent ou la compassion. En état de conscience modifiée, le le système familial est régi par des règles fondamentales,
sujet porte volontairement son attention avec bienveillance qui permettent de maintenir son fonctionnement en équi-
sur l'expérience douloureuse, sans jugement. libre : règle de l'homéostasie, principe de circularité, prin-
Enfin, la troisième vague est représentée par les thérapies cipe de la totalité, principe de non-sommativité et principe
contextuelles dont relèvent les thérapies de l'acceptation et d'équifinalité.
de l'engagement (ACT). Elles s'intéressent à la relation entre Dans cette dynamique, le symptôme a plusieurs fonc-
le patient et ses émotions et s'appuient sur des méthodes tions : régulation homéostatique de la famille, régulation de
d'exposition de l'expérience vécue par le patient. « Elle la distance, changement et résistance. Il provient du contexte
utilise des outils TCC mais également la méditation en dans lequel il se situe, plus particulièrement du contexte
"pleine ­conscience"(Mindfulness), les métaphores, ainsi que familial, et non comme étant simplement réductible à l'indi-
d'autres outils thérapeutiques amenés par un thérapeute se vidu qui le porte. En situation de crise, le fonctionnement
positionnant de façon singulière » [35]. peut être bouleversé.
Par son impact sur la sphère familiale, la douleur chro-
nique entraîne une rupture existentielle au sein du sys-
Psychothérapie humaniste tème familial : son fonctionnement est perturbé par les
Carl Rogers est le représentant le plus emblématique de ce contraintes et les nouvelles conditions de vie imposées par
paradigme développé dans les années 1960 aux États-Unis. la douleur. Les places et les rôles de chacun sont affectés.
Il décrit la relation thérapeutique comme constituant un Des remaniements relationnels se produisent alors au sein
contexte de sécurité dans lequel est possible un processus de la famille (modification de la distance interpersonnelle,
d'exploration axé sur l'expérience. La tonalité d'authenticité mouvement de regroupement protecteur ou tendance à
et de transparence du thérapeute place la relation thérapeu- l'isolation, redistribution des tâches familiales, etc.). Paral-
tique comme moyen de changement. La relation thérapeu- lèlement, lorsque les capacités adaptatives de la famille
tique se distingue comme un champ ouvert dans lequel les sont mises à mal, la douleur peut focaliser l'attention de
interactions du patient sont explicitement explorées [36]. chacun et remplir une fonction utile au maintien d'une
Chapitre 16. Approches psychocorporelles et psychothérapies    89

dysfonctionnalité durable. Il est alors nécessaire de pro- Conclusion


poser une prise en charge globale du patient douloureux
chronique, qui inclut son système familial [26]. Toutes ces méthodes sont actuellement efficaces en clinique
Les thérapies systémiques et familiales sont des « thérapies de la douleur [44]. En revanche, la disparité en termes
pertinentes dans la prise en charge des patients douloureux d'offre de soins nécessite d'adapter son niveau d'exigence
chroniques car elles interrogent la fonction du symptôme la disponibilité des soins proposés. Concernant les patients,
douloureux afin d'obtenir une vision globale de l'impact de la demande de psychothérapie et le choix du professionnel
celui-ci sur le patient et son environnement familial » [26]. et du type de pratique dépendent fréquemment de ce qui
Elles permettent d'améliorer les capacités d'adaptation fami- leur est appréhendable des théories sous-jacentes à l'offre de
liales, la qualité de vie du patient douloureux chronique et, soins [32]. En clinique de la douleur, la plainte s'adressant
par voie de conséquence, celle de sa famille. d'abord au professionnel médical, il est important de pou-
voir orienter le patient vers ce type de soin. Il s'agit alors
d'expliquer au patient les mécanismes de la douleur ainsi
Psychothérapies virtuelles : jeux vidéo que ses composantes. Il s'agit aussi de présenter la prise en
et avatars charge comme le produit d'une réflexion commune. Parler
La psychothérapie à médiation de jeux vidéo est récente et de psychothérapie à son patient implique que l'on considère
on peut en distinguer trois approches : la douleur chronique comme un phénomène complexe de
■ une approche centrée sur la médiation cognitive, dans nature bio-psycho-social qui entraîne une collaboration
laquelle le psychothérapeute recourt à la réalité virtuelle réciproque [45]. Il est essentiel de pouvoir éviter la remise
pour modifier des difficultés cognitives acquises ou en cause de l'authenticité de la plainte, puisque quel que
développementales ; soient les processus physiologiques et psychiques en jeu, la
■ une approche centrée sur des pratiques comportementa- souffrance est bien présente.
listes (traitement des phobies, par exemple) ;
■ une approche centrée sur l'utilisation d'un espace de réa-
lisation d'une intention [41]. Références
Dans cette troisième approche, « la technique de jeux [1] Keller PH. Le Dialogue du corps et de l'esprit. Paris : Odile Jacob ;
vidéo en psychothérapie consiste à appréhender le jeu 2006.
comme un espace d'expériences susceptibles d'opérer [2] Baste N. Aide-mémoire de sophrologie. Paris : Dunod ; 2014.
les conditions d'un changement de soi » [41]. Certains [3] Bergès J. La relaxation thérapeutique chez l'enfant. Paris : Masson ;
adultes plongés dans des représentations de la maladie et/ 1996.
ou de la douleur, retrouvent le plaisir de l'action dans les [4] Bioy A. Découvrir l'hypnose. Paris, InterÉditions ; 2007.
mondes virtuels. Par ailleurs, l'effet calmant du jeu vidéo [5] Plagnol A, Pachoud B, Granger B. Les nouveaux modèles de soins –
chez des sujets présentant des hyperactivités compensant une clinique au service de la personne. Paris : Doin ; 2018.
des affects dépressifs masqués est bien présent. Dans ces [6] Rainville P. Neurophénomènologie des états et des contenus de
conscience dans l'hypnose et l'analgésie hypnotique. Théologiques
jeux, le corps est mis à distance, réduit à une commande
2004 ; 12 : 15–38.
et, pour autant, ils engagent une expérience du corps. À [7] Melchior T. Créer le réel. Paris : Seuil ; 1998.
l'opposé de l'idée de l'absence du corps dans le jeu vidéo, [8] Servillat T. Découvrir l'autohypnose. Paris : InterÉditions ; 2017.
on observe une amélioration de l'organisation du mouve- [9] Cazard-Filiette C, Wood C, Bioy A. Vaincre la douleur par l'hypnose
ment et des postures chez des enfants et adultes doulou- et l'autohypnose. Paris : Vigot-Maloine ; 2016.
reux qui utilisent des jeux dans lesquels l'avatar présente [10] Roustang F. Jamais contre, d'abord. Paris. Paris : Odile Jacob ; 2016.
un corps entier capable de mouvements. La manipulation [11] L'hypnose Bioy A. Paris : PUF – Que sais-je ? ; 2018.
de mouvements virtuels a un effet positif sur l'organisation [12] Wood C, Bioy A. Hypnosis and pain in children. J Pain Symptom
des mouvements réels [41]. Manage 2008 ; 35 : 437–46.
Certains enfants et adultes utilisent les jeux vidéo [13] Kabat-Zinn J. An outpatient program in behavioral medicine for
chronic pain patients based on the pratice of mindfulness medita-
comme des supports projectifs de leurs fantasmes [42].
tion : theorical considerations and preliminary results. Gen Hosp
Dans certains jeux, le sujet peut créer une famille fictive. Psychiatry 1982 ; 4 : 33–47.
Il construit une maison, y dispose ses personnages et choi- [14] Kabat-Zinn J. Au cœur de la tourmente, la pleine conscience. Paris :
sit leurs interactions selon ses désirs. Spectateur, acteur, et De Boeck ; 2009.
metteur en scène, le joueur profite d'un espace projectif [15] Hilton L, Hempel S, Ewing BA, Apaydin E, Xenakis L, Newberry S,
pour l'expression de ses désirs, de ses conflits, de ses fan- et al. Mindfulness Meditation for Chronic Pain : Systematic Review
tasmes inconscients et de ses demandes transférentielles, and Meta-analysis. Ann Behav Med 2017 ; 51 : 199–213.
qui pourront se mettre au travail dans le cadre de la psy- [16] Adler-Neal A, Zeidan F. Mindfulness Meditation for fibromyalgia :
chothérapie [43]. Mechanistic and Clinical Considerations. Curr Rheumatol Rep 2017 ;
Enfin, la plupart des jeux vidéo mettent en scène une 19 : 59–73.
[17] Klein J. L'art-thérapie. Cahiers de Gestalt-thérapie 2007 ; 20 : 55–62.
quête : elle répond à la recherche de représentations de la
[18] Guétin S, Giniès P, Siou DK, Picot MC, Pommié C, Guldner E, et al.
transformation de soi et manifeste toujours l'expression The effects of music intervention in the management of chronic pain :
symbolique d'un désir de changement [41]. a single-blind, randomized, controlled trial. Clin J Pain 2012 ; 28 :
Les lunettes virtuelles, très à la mode aujourd'hui en cli- 329–37.
nique de la douleur ne relèvent pas de la psychothérapie, ce [19] Brennstuhl MJ. Prendre en charge la douleur avec les thérapies non
sont des épreuves distractives. médicamenteuses. Paris : Dunod ; 2018.
90   Partie 2. Traitements en pratique

[20] Defontaine-Catteau MC, Bioy A. Place du trauma psychique en cli- [33] Shedler J. The efficacy of psychodynamic psychotherapy. Am Psychol
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Chapitre
17
Médecine physique
et réadaptative de la douleur
Pierre Volckmann

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Comment prescrire la rééducation ? . . . . . . . . 93
Qui sont les acteurs de la rééducation ? . . . . . 92 Les cures thermales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

Introduction de pathologie complexe nécessitant une organisation


­rééducative ­multidisciplinaire, la place du médecin de MPR
La médecine physique [1, 2], essentiellement la kinésithéra- est essentielle. C'est un des éléments qui rapproche beau-
pie et l'ergothérapie, est un outil thérapeutique important en coup la médecine de la douleur de la médecine physique.
médecine de la douleur. Mais tout praticien médical ou chirurgical peut et doit
Cette science est confrontée à plusieurs écueils [3] : prescrire de la rééducation lorsque cela est utile et, surtout,
■ sa méconnaissance et, donc, son utilisation tardive ou par adapté au cas du patient traité.
défaut ; Par exemple, en cas de fibromyalgie, la prescription de
■ la surcharge professionnelle des différents acteurs ; massages n'est pas forcément adaptée, à l'inverse d'une bal-
■ la multiplicité des techniques plus ou moins validées et néothérapie chaude [8].
utilisées parfois de manière dogmatique. Il faut donc prescrire la rééducation comme une théra-
D'autres spécialités ou techniques sont indiquées dans la peutique, avec ses indications et ses contre-indications et,
prise en charge de la douleur. bien sûr, assortie de la surveillance médicale obligatoire à
Certaines sont enseignées, d'autres pas, ou peu : toute prescription.
■ la musicothérapie ;
■ l'art-thérapie.
Certaines sont fondées sur des connaissances empiriques :
■ la cryothérapie, F
■ la thermothérapie. LFG LFD
D'autres sont peu accessibles à des études scientifiques
classiques (étape placebo impossible) : l'ostéopathie, par
exemple, technique médicale apportée en France par Robert
Maigne, est fondée sur la notion de dysfonction segmen-
taire d'origine articulaire induisant des douleurs localisées
(contracture, cellulalgie, etc.) ou à distance (douleurs pro-
jetées) [4, 5]. Une des solutions thérapeutiques est alors la
manipulation vertébrale dans le sens de la non-douleur
(figure 17.1) et du sens libre.
Des théories proposées par d'autres auteurs avancent E
une dysfonction des différents fascias incluant les fascias
Schéma en étoile de Maigne
superficiels mais aussi viscéraux, ce qui expliquerait cer-
taines douleurs [6, 7].
La médecine physique et de réadaptation (MPR) est Figure 17.1 Schéma en étoile de Maigne. LFD : latéro-flexion droite ;
la spécialité médicale qui organise, en structure institu- LFG : latéro-flexion gauche ; F : flexion ; E : extension.
tionnelle ou en libéral, ce type de prise en charge. En cas Source : Maigne R, 1990 [4].

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 91
92   Partie 2. Traitements en pratique

Qui sont les acteurs ■ le renforcement isométrique sans déplacement,


■ le renforcement isotonique, ou dynamique, qui peut être
de la rééducation ? concentrique (raccourcissement des fibres) ou excen-
Le masseur kinésithérapeute [1] trique (frein à l'écartement des fibres). On utilise ces
techniques en fonction du rôle du groupe musculaire :
C'est le spécialiste des techniques de rééducation motrice
par exemple, le quadriceps, qui est plus un muscle freina-
et fonctionnelle prescrites par le médecin ou le chirurgien.
teur, est renforcé en excentrique,
L'objectif est de récupérer une fonction motrice par des
■ le renforcement isocinétique : ce travail s'effectue à
moyens et techniques spécifiques. Le deuxième objectif, en
vitesse angulaire constante et permet d'évaluer, au moyen
lien étroit avec le premier, est la lutte contre la douleur.
d'un appareillage mécanique associé à du matériel élec-
La prescription médicale doit faire l'objet, de la part du
tronique, la capacité de mise en œuvre du recrutement
kinésithérapeute, d'un bilan et d'un diagnostic kinésithéra-
musculaire, sa force et son maintien dans le temps.
pique qui évalue :
■ les déficiences (déformations, degrés de liberté articu- Techniques de facilitation neuromotrice
laire, etc.), Les techniques de facilitation neuromotrice comprennent :
■ la force musculaire, la douleur et la sensibilité, ■ la méthode Bobath, plutôt réservée aux cérébrolésés,
■ les incapacités fonctionnelles. maintient des postures antalgiques et facilitantes ;
Ce bilan aboutit aux choix des techniques et à l'objectif ■ la méthode de Kabat, technique en diagonale spirale, pro-
de soins et définit le protocole de soins. Une synthèse de ce pose une aide du groupe musculaire le plus fort vers le plus
bilan est adressée au médecin prescripteur. faible, dans un mouvement organisé en diagonale spirale
Le médecin doit préciser, s'il le décide, en fonction du (associant la conjugaison de travail agoniste- antagoniste) ;
diagnostic qu'il a établi, les contre-indications à certaines ■ la méthode McKenzie recherche la voie de la facilitation
techniques (la fibromyalgie ou la phlébite contre-indique les et la zone d'antalgie (recherche de la lordose dans le cas
massages ; la prothèse en métal contre-indique la TENS ; aucune d'une lombalgie, par exemple) ;
mobilisation n'est possible sur une fracture récente, etc.). Cette ■ la méthode de rééducation Perfetti est proposée aux
notion est essentielles, car certaines techniques sont parfois très patients présentant des lésions neurologiques centrales.
agressives et peuvent générer des douleurs incoercibles. Elle permet de réaliser un travail finalisé en partant de la
La règle de la non-douleur doit être toujours appliquée. périphérie pour se rapprocher du central (doigts, soit le
À l'issue des séances, le kinésithérapeute doit adresser un pouce et l'index, main, coude et épaule).
bilan de la rééducation.
Le kinésithérapeute peut utiliser de nombreuses tech- Méthodes d'étirements
niques et, éventuellement, les combiner entre elles pour Les méthodes d'étirements comprennent :
atteindre les objectifs qu'il s'est fixés. ■ la méthode Mézières est une technique d'étirements pos-
turaux liés à la respiration et recherchant un relâchement
Massages musculaire que Françoise Mézières a décrite dans les
Souvent marginalisé, le massage reste une technique essen- années 1950 ; initialement sur la chaîne musculaire posté-
tielle dans l'antalgie par le système du gate control, primor- rieure pour les lombalgiques (figure 17.2) ;
dial dans une stimulation extéroceptive redonnant sens au
schéma corporel souvent altéré. Enfin, c'est un moment de
relation privilégiée entre le thérapeute et le patient.
Les pressions glissées sont plutôt réservées au commen-
cement de la prise en charge et pour la proprioception. Les
pressions locales et le drainage lymphatique permettent de
lutter contre l'œdème. Les pétrissages lèvent les contractures
musculaires. Les frictions de Cyriax (massages transverses
profonds) luttent contre les tendinopathies mécaniques.

Mobilisations articulaires
Les mobilisations articulaires permettent, de manière active
ou passive, un maintien ou un gain d'amplitude articulaire.
Elles nécessitent un positionnement parfait non algique.
Elles se fondent sur les postures manuelles ou instrumen-
tales (Kinétec® ). Exceptionnellement, certaines peuvent
s'effectuer sous anesthésie générale.

Techniques de renforcement musculaire


Les techniques de renforcement musculaire ont pour objec-
tif de permettre au patient de retrouver sa capacité initiale. Figure 17.2 Étirements ischio-jambiers selon la méthode Mézières.
Cette force peut être restituée sans correspondance avec le Source : vidéo « Cuisse étirement chaine postérieure III P­ hysio » de la
volume musculaire. Il y a : Swiss orthic clinic.
Chapitre 17. Médecine physique et réadaptative de la douleur    93

■ le contracter-relâcher : méthode qui utilise la propriété de relaxation dynamique, d'éducation gestuelle, d'expression
de relâchement musculaire en position étirée après une corporelle ou plastique, par des activités d'équilibration et de
contraction volontaire. coordination. Il travaille sur prescription médicale, essentiel-
lement avec les structures de psychiatrie, de douleur et de
Physiothérapie [2] rééducation fonctionnelle (adulte et enfant).
Balnéothérapie
La balnéothérapie limite les contraintes mécaniques articu- L'activité physique adaptée
laires (niveau de l'eau à l'ombilic : 50 % du poids du corps ; Le décret n° 2016-1990 du 30 décembre 2016 relatif aux
niveau de l'eau au sternum : 10 % du poids du corps). La conditions de dispensation de l'activité physique adaptée
balnéothérapie chaude (34 à 36 °C) est validée par la Société prescrite par le médecin traitant à des patients atteints d'une
française de rhumatologie pour améliorer les douleurs des affection de longue durée constitue une grande avancée
fibromyalgies. Il faut insister également sur l'intérêt de la dans le domaine de la prise en charge de la santé et de la
balnéothérapie pour la reconquête du schéma corporel et la douleur. Désormais, grâce à cet article de loi, des profes-
récupération des amplitudes articulaires, notamment en cas seur d'APA (activité physique adaptée), en complément des
de capsulite rétractile. ­rééducateurs, pourront faire pratiquer l'activité physique
aux patients en ALD (parmi lesquels les douloureux chro-
Neurostimulation électrique transcutanée niques, comme mentionné dans l'annexe 11-7-2 de la loi).
La TENS peut être essentiellement utilisée en deux modes : Ce traitement a pour objectif de rendre les patients plus
■ à très basse fréquence : stimulation endorphinique ; autonomes dans une démarche proactive salvatrice et, ainsi,
■ à moyenne fréquence : contre-stimulation en cas de dou- de limiter leur douleur.
leur neuropathique ;

Cryothérapie
Comment prescrire la rééducation
Elle est utilisée à titre antalgique et anti-inflammatoire.
[3] ?
Il s'agit d'une prescription médicale qui ne peut se justifier
Thermothérapie que sur un examen clinique précis et, ainsi, tenter d'apporter
Elle est utilisée à des fins myorelaxantes [8]. une réponse aux anomalies décelées.
C'est une thérapeutique et cela obéit donc aux mêmes
règles qu'une prescription classique. Le vecteur thérapeu-
L'ergothérapeute tique est ici un professionnel aux grandes compétences dont
Il prend en charge des patients présentant des déficiences phy- les remarques pertinentes sont souvent d'un grand secours.
siques ou mentales, en utilisant des techniques de mise en situa-
tion d'activité ou de travail. Il rééduque les déficits moteurs,
sensoriels et cognitifs par les postures et le geste finalisé. Il
La première des contre-indications
peut confectionner des orthèses pour limiter les déficits et les à la kinésithérapie est l'absence d'indication
douleurs, par exemple une orthèse pour limiter la contraction L'examen clinique s'attachera à vérifier les éléments pour
du deuxième radial dans les tennis-elbow (figure 17.3). Depuis lesquels la rééducation peut être proposée.
peu, les ergothérapeutes peuvent exercer en libéral.
Sur le plan orthopédique
Le psychomotricien Il importera alors de vérifier :
■ les amplitudes articulaires,
Il rééduque des patients dont les difficultés psychologiques ■ la force musculaire et les rétractions musculaires,
ou neuropsychologiques sont exprimées corporellement. Il ■ la présence de contractures musculaires ou de spasticité,
agit sur les fonctions psychomotrices au moyen de techniques ■ la cinétique du mouvement et la fluidité de la gestuelle
(par exemple la présence d'un décollement de l'omoplate
lors de l'élévation antérieure de l'épaule),
■ les anomalies locorégionales ayant mutuellement des effets
les unes sur les autres (par exemple l'épaule et les rachis ont
des effets sur le bassin et les hanches, et inversement).
■ les postures douloureuses et les postures antalgiques.

Sur le plan neurologique


En dehors de l'examen classique, il importera de vérifier :
■ les éléments du questionnaire DN4,
■ les troubles du tonus et du mouvement (hypertonie plas-
tique et décompensation antérieure ou scoliose de la per-
sonne âgée, etc.).
La prescription peut ainsi s'effectuer en proposant une
Figure 17.3 Orthèse de repos du deuxième radial. gestion physique des éléments retrouvés à l'examen clinique.
94   Partie 2. Traitements en pratique

Cette prescription est ciblée sur l'anomalie, mais générale Le kinésithérapeute choisit ses techniques, écrit un bilan
dans sa rédaction, le thérapeute ayant libre choix de ses tech- au commencement, puis à l'issue des dix premières séances.
niques (il est important de préciser les contre-indications, Il contribue ainsi à améliorer le dialogue avec le médecin
y compris pour un aspect médicolégal (contre-indication à prescripteur et à optimiser la prise en charge en fonction de
une manipulation, par exemple). l'évolution et de la réponse aux thérapeutiques proposées.

Exemple du lombalgique par insuffisance Exemple de la fibromyalgie


discale Dans le cas d'une fibromyalgie :
Le patient décrit des douleurs récurrentes foudroyantes, ■ faire pratiquer par un masseur kinésithérapeute diplômé
calmées en décubitus, ce qui révèle une instabilité lombaire. d'État 10 séances de balnéothérapie chaude, avec auto-
L'examen clinique s'attache à rechercher l'absence de signes mobilisation douce dans le strict respect de la non-douleur,
neurologiques, une hypomobilité de la colonne dans le cadre ■ faire pratiquer par un psychomotricien 10 séances de res-
d'une kinésiophobie. Il vérifie enfin la qualité des haubans mus- tauration du schéma corporel avec apprentissage des posi-
culaires (abdominaux, iliopsoas, spinaux) et la raideur sous-­ tions antalgiques,
pelvienne : muscle ischio-jambier par l'angle poplité (figure 17.4), ■ faire pratiquer par un professeur d'APA 10 séances de tra-
et muscle droit antérieur par la distance talon-fesse (figure 17.5). vail musculaire doux et non algique en favorisant le travail
Dans ce cas, faire pratiquer par un masseur kinésithéra- des groupes musculaires permettant la marche, l'équilibre
peute diplômé d'État des séances de rééducation du rachis et la fonction. Ce travail doit s'effectuer dans une dépense
lombaire et des membres inférieurs : énergétique autour de 4 à 6 MET par heure. Les séances
■ renforcement des haubans musculaires : gainage, courtes sont à favoriser au début.
■ étirements sous-pelviens,
■ recherche des postures antalgiques et gainage en posture Exemple de la capsulite rétractile
lordosante,
C'est une réaction capsulaire secondaire à un traumatisme,
■ massages antalgiques,
une pathologie locorégionale inflammatoire ou une chirurgie.
■ TENS antalgique.
La douleur est souvent diurne et nocturne. Le décubitus laté-
ral est impossible du côté de la capsulite. Les amplitudes
passives (et actives) sont limitées (schéma ­c apsulaire :
RE < RI ; EA > EL). Toute agression mécanique locale réac-
tive la rétraction. Les examens complémentaires, échogra-
phie, arthroscanner et IRM, confirment l'impression clinique.
La prescription peut être :
faire pratiquer par un masseur kinésithérapeute diplômé
d'État 20 séances de rééducation du membre supérieur avec
une balnéothérapie chaude :
■ auto-mobilisation passive en élévation antérieure, éléva-
tion latérale en balnéothérapie,
■ auto-étirements indolores mains jointes.

Exemple de l'algodystrophie de la cheville


La prescription peut être la suivante :
Faire pratiquer par un masseur kinésithérapeute diplômé
Figure 17.4 Détermination de l'angle poplité (rétraction des d'État ou un ergothérapeute 10 séances de rééducation du
muscles ischio-jambiers). membre inférieur :

Figure 17.5 Détermination de l'épreuve talon-fesse par la rétraction du muscle droit


antérieur.
Chapitre 17. Médecine physique et réadaptative de la douleur    95

Cette médecine « alternative » est également mise en


exergue du fait des bénéfices qu'elle procure pour la dimi-
nution des effets indésirables de certains médicaments [10].
Enfin, on connaît l'effet bénéfique de la chaleur sur les
contractures musculaires, des bains chauds chez les patients
atteints de fibromyalgie, de la balnéothérapie en rééduca-
tion fonctionnelle (schéma corporel, apesanteur limitant les
contraintes mécaniques) [8].
Il est important de considérer aussi les multiples biais des
études : diagnostic, âge, fonctions rénales, poids, circons-
tances et fonction sociale de la cure [11].
Une des pistes scientifiques pour la détermination de l'ef-
Figure 17.6 Exemple de rééducation avec mirror box. ficacité des cures thermales est le choix de la « sonde » : que
mesure-t-on ? En allergologie, par exemple, on démontre
dans le cadre d'une étude en double aveugle une diminution
■ technique mirror box (figure 17.6), des processus inflammatoires dans le mucus rhinopharyngé
■ mouvements imaginés, des enfants [12].
■ bains écossais (si indolores),
■ techniques de désensitivation,
■ techniques de reconquête des amplitudes en restant stricte- Références
ment indolore. [1] Rode G, Handicap Volckmann P. médecine physique et réadaptation,
Après chaque prescription, le thérapeute rééducateur guide pratique. La Rochelle, éditions Xavier Montauban ; 2006.
doit évaluer sa pratique et le bénéfice obtenu ou non. Cette [2] Held JP, Dizien O. Traité de médecine physique et de réadaptation.
analyse doit être partagée avec le médecin prescripteur. Paris : Flammarion Médecine-Sciences ; 1998.
La poursuite d'une rééducation ne peut s'envisager que dans [3] Pelissier J, Viel E. Douleur et Médecine physique : problèmes posés en
médecine physique et réadaptation. Paris : Masson ; 2000.
le cadre de cet échange. Le bénéfice d'une séance de kinési-
[4] Maigne R. Diagnostic et traitement des douleurs communes d'origine
thérapie doit perdurer et ne doit pas s'éteindre en quelques rachidienne, une nouvelle approche. Paris : Expansion scientifique
minutes. française ; 1990.
La poursuite d'une rééducation sans bénéfice cristallise le [5] Verhaeghe N, Schepers J, Van Dun P, Annemans L. Osteopathic care
patient dans l'échec et fait perdre du temps à d'autres éven- for spinal complaints : A systematic literature review. PLoS One 2018 ;
tuelles solutions thérapeutiques. 13 (11) : e0206284.
La prescription de rééducation en médecine de la dou- [6] Richter D, Karst M, Buhck H, Fink MG. Efficacy of Fascial Distortion
leur doit être précise, adaptée et surveillée. C'est une théra- Model Treatment for Acute, Nonspecific Low-Back Pain in Primary
peutique avec ses indications et contre-indications. Elle est Care : A Prospective Controlled Trial. Altern Ther Health Med 2017.
étroitement liée à la médecine de la douleur car dépositaire epub ahead of print.
[7] Tamer S, Öz M, Ülger Ö. The effect of visceral osteopathic manual
de savoirs essentiels en termes de contre-stimulation, de
therapy applications on pain, quality of life and function in patients
schéma corporel et de thérapeutique en lien avec le corps et with chronic nonspecific low back pain. J Back Musculoskelet Rehabil
ses déficits. Toute la richesse de cette thérapeutique est liée 2017 ; 30 : 419–42.
au partage des connaissances et au travail en équipe pluri- [8] Freiwald J, Hoppe MW, Beermann W, Krajewski J, Baumgart C.
disciplinaire, si cher au monde de la douleur. Effects of supplemental heat therapy in multimodal treated chronic
low back pain patients on strength and flexibility. Clin Biomech (Bris-
tol, Avon) 2018 ; 57 : 107–13.
[9] Zwolińska J, Weres A, Wyszyńska J. One-Year Follow-Up of Spa Treat-
Les cures thermales ment in Older Patients with Osteoarthritis : A Prospective, Single
Souvent sujet à polémique, le thème des cures ther- Group Study. Biomed Res Int 2018 ; 7492106.
males se voit fréquemment évoqué. Si le spa était prôné [10] Perrot S. Management strategies for the treatment of non malignant chro-
nic pain in the elderly. Psychol Neuropsychiatr Vieil 2006 ; 4 : 163–70.
par nos ancêtres gallo-romains, les études scientifiques
[11] Santos I, Cantista P, Vasconcelos C. Balneotherapy in rheumatoid
confirmant l'efficacité des cures thermales sont peu arthritis : a systematic review. Int J Biometeorol 2016 ; 60 : 1287–301.
nombreuses. [12] Passariello A, Di Costanzo M, Terrin G, Iannotti A, Buono P, Bales-
Cependant, des études montrent l'efficacité de ce type de trieri U, et al. Crenotherapy modulates the expression of proinflam-
prise en charge sur les douleurs articulaires des personnes matory cytokines and immunoregulatiry peptides in nasal secretions
âgées [9]. L'amélioration se fait en termes de douleur mais of children with chronic rhinosinusitis. Am J Rhinol Allergy 2012 ;
également en termes de fonctionnalité et de qualité de vie. 26 : e15–9.
Chapitre
18
Traitements techniques
PLAN DU CHAPITRE
18.1 Anesthésie locorégionale et intrathécale . . . . . 97 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Blocs régionaux et douleur chronique . . . . . . 97 Anatomie et physiopathologie . . . . . . . . . . . . 113
Analgésie spinale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 Indications de la stimulation occipitale . . . . . . 114
18.2 Traitement de la douleur par radiologie Techniques chirurgicales . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
interventionnelle : l'algoradiologie . . . . . . . . . . 101 Résultats et complications . . . . . . . . . . . . . . . . 115
Réalisation du geste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
Indications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 18.6 Techniques de stimulation cérébrale
18.3 Traitement neurochirurgical pour contrôler la douleur : rtms . . . . . . . . . . . . . 117
de la douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Quelques principes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Protocoles de rtms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Techniques lésionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 Stimulation à haute fréquence du cortex moteur
Neurostimulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 pour traiter les douleurs chroniques . . . . . . . . 118
18.4 Stimulation médullaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 En pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Mécanisme d'action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Indications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Bilan précédant une stimulation . . . . . . . . . . . 111 Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Implantation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 18.7 Neurostimulation transcutanée . . . . . . . . . . 119
Complications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Principes de la TENS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Indications de la TENS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
18.5 Stimulation des nerfs occipitaux Acupuncture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
dans la névralgie d'arnold et les céphalées
cervicogéniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

18.1 Anesthésie part, les anesthésies tronculaires et périphériques qui per­


mettent de bloquer les influx nerveux d'une seule aire sen­

locorégionale
sitive en agissant directement sur les fibres conductrices,
et, d'autre part, les analgésies axiales, intrathécales et péri­
durales, dont la cible est le relais médullaire des voies de la
et intrathécale douleur.

Denis Dupoiron
Blocs régionaux
L'anesthésie locorégionale permet de bloquer temporaire­ et douleur chronique
ment la sensibilité et, donc, la douleur, dans une zone limitée
du corps, tout en gardant le patient conscient. Historique­ Les blocs régionaux reposent sur l'utilisation de médica­
ment, le premier anesthésique local fut la cocaïne, synthéti­ ments susceptibles d'interrompre de façon transitoire ou
sée en 1859, utilisée la première fois pour une chirurgie de définitive les influx nociceptifs. Deux types de molécules
l'œil par Koller en 1884 [1] ; puis, en 1885, Corning réalisa permettent cette action. D'une part, les anesthésiques
la première analgésie périmédullaire [2]. Ensuite, l'analgésie locaux agissent en bloquant les canaux sodiques en se
locorégionale s'est largement développée pour la réalisa­ liant à des récepteurs spécifiques présents sur les fibres
tion d'actes chirurgicaux, mais il faudra attendre la fin des nerveuses. Ils empêchent ainsi l'entrée de sodium dans
années 1970, que les récepteurs opioïdes aient été mis en la cellule et diminuent la conduction de l'influx nerveux.
évidence [3], pour qu'elle se développe dans le traitement Cette action est non spécifique sur les fibres sensitives
des douleurs chroniques. et motrices. D'autre part, les molécules lytiques, le phé­
On doit distinguer deux grandes catégories d'anesthé­ nol, l'alcool et le glycérol, entraînent une destruction des
sie locorégionale pour le traitement de la douleur : d'une structures nerveuses.
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 97
98   Partie 2. Traitements en pratique

On distingue trois indications principales pour les blocs Cependant, ils ne sont que très rarement mis en œuvre
dans la douleur chronique : la première indication est le bloc en raison des risques d'effets indésirables élevés, allant
à visée diagnostique afin de préciser le mécanisme de la dou­ jusqu'à concerner 40 % des cas, comme les pertes de
leur ; la deuxième est le bloc à visée pronostique et, enfin, le sensibilité, les déficits moteurs et les méningites. Ils ont
bloc à visée thérapeutique soit transitoire, soit lytique. été supplantés par les méthodes d'analgésie spinale. Les
blocs lytiques périphériques restent utilisés, notamment
au niveau des ­ganglions stellaires et des plexus cœliaque
Blocs diagnostiques et ­hypogastrique, même si leur action est transitoire et le
Ils sont indiqués quand le mécanisme physiopathologique urniveau de preuve d'efficacité faible [9].
d'une douleur dans un territoire n'est pas clairement établi mal­
gré une analyse précise de l'historique des symptômes, l'exa­
men clinique, l'imagerie et les analyses électrophysiologiques. Analgésie spinale
Cependant, plusieurs facteurs limitent l'analyse de tels blocs.
Le principe de l'analgésie spinale repose sur l'administration
D'abord, la qualité du bloc est dépendante de l'expérience de
de substances antalgiques au plus près de la moelle épinière et
l'opérateur et de la précision de l'acte réalisé. De plus, le patient
des récepteurs nociceptifs présents au niveau de la CPME, afin
doit être capable de comprendre et d'interpréter la réponse
d'agir de façon très spécifique sur le signal nociceptif en utili­
au bloc. Enfin, la molécule injectée et le volume de dilution
sant des doses très faibles et en limitant ainsi les effets indési­
doivent être appropriés et rester au contact des structures ner­
rables, grâce à l'absence de passage systémique significatif [10].
veuses cibles, sans interférer avec d'autres qui pourraient modi­
Le principal avantage de cette technique est une diminution
fier l'interprétation du bloc. L'apport, ces dernières années, de
considérable des doses administrées, puisque le facteur de
l'échographie a permis de fiabiliser considérablement ces tech­
conversion est de 1/300 de la dose orale pour la morphine.
niques. Finalement, ces blocs sont généralement peu fiables,
comme l'atteste l'étude menée par A.C. Schwarzer et al., qui
fait état d'un taux de faux positifs de 38 % et d'une sensibilité Historique
de 31 % pour les douleurs des articulations sacro-iliaques [4]. Le concept d'analgésie spinale est attribué à Corning
Le bloc diag­nostique est recommandé dans les algies pelvipéri­ [2], un neurologue américain, qui injecta en 1885 de la
néales avec un faible niveau de preuve (grade II +) [5]. cocaïne à titre d'anesthésique local entre deux apophyses
épineuses dorsales, obtenant une perte de sensibilité des
Blocs pronostiques membres inférieurs du patient. Mais c'est Bier, en 1898,
qui publia les résultats relatifs à la première série de
Ils sont indiqués essentiellement dans les séquelles spas­ patients traités avec une injection intrathécale de cocaïne
tiques post-traumatiques ou les séquelles de maladies dégé­ [11]. Cependant, malgré la diffusion très large des tech­
nératives et d'AVC. Ils sont généralement réalisés lorsqu'un niques d'anesthésie péridurale et intrathécale au début du
bloc lytique est envisagé. xxe siècle, il faudra attendre 1976 pour que soient publiés
les résultats de la première étude de l'analgésie spinale
Blocs thérapeutiques chez l'animal, menée par Yaksch et Rudy [12]. En 1979,
les premières études sur l'humain, menées par Wang et al.
Ils sont généralement réalisés avec des anesthésiques locaux.
en intrathécal [13] et par Behar en péridural [14], confir­
La littérature sur ces blocs est extrêmement fournie, mais le
merons l'efficacité de faibles doses d'opioïdes administrés
niveau de preuves est faible [6]. En France, les blocs sympa­
par cette voie sur les douleurs réfractaires cancéreuses.
thiques sont recommandés dans les cas de syndrome dou­
Ensuite, le développement des pompes totalement
loureux régional complexe (SDRC) résistants au traitement
implantables (figure 18.1a), à partir des années 1980, per­
classiques (grade II +) [5]. De même, les blocs continus
mettra un essor considérable de la technique [15].
périnerveux gardent une place, particulièrement dans la
rééducation fonctionnelle des patients.
Principes
L'analgésie spinale repose sur le contrôle médullaire des
Blocs lytiques voies de la nociception, à la suite de la publication de la théo­
Le principe est l'administration d'agents neurolytiques rie du gate control élaborée par Melzack et Wall en 1965 [16],
au niveau des structures nerveuses afin de bloquer de de la découverte des récepteurs opioïdes au niveau du sys­
façon segmentaire les influx nociceptifs sans atteindre tème nerveux par Perth et Snider en 1973 [3] et, enfin, de la
les fonctions motrices [7, 8]. Les agents utilisables sont mise en évidence de leur concentration élevée au niveau de
au nombre de trois : l'alcool (50 à100 %), dont l'injec­ la CPME [17]. Depuis, la connaissance de la modulation du
tion, douloureuse, doit être précédée d'une anesthésie message nociceptif au niveau médullaire s'est précisée et de
locale ; le phénol (5 à 15 %), dont l'injection est géné­ nombreux autres récepteurs et médiateurs ont été identifiés.
ralement moins douloureuse et, enfin, le glycérol, uni­
quement utilisé pour les névralgies du trijumeau. On
distingue deux types de blocs, les blocs lytiques axiaux Diffusion des traitements
intrathécaux ou épiduraux qui peuvent conférer une La diffusion des traitements par voie spinale est soumise
analgésie durant jusqu'à quatre mois. Les blocs intrathé­ à plusieurs facteurs. Elle dépend d'abord du lieu d'admi­
caux paraissent plus efficaces que les blocs périduraux. nistration et des différentes structures que l­'antalgique
Chapitre 18. Traitements techniques   99

C B
Figure 18.1 Analgésie spinale. (A) Pompe implantable Synchromed II (Medtronic®) ; (B) Installation du patient ; (C) Contrôle catheter intrathecal
cervical. Source : D. Dupoiron.

traverse avant d'atteindre les récepteurs médullaires. Traitements


En effet, la dure-mère est une structure lipophile,
comme la pie-mère et la substance blanche. Ces struc­
Opioïdes
tures sont largement vascularisées, alors que le liquide Les opioïdes sont les premières substances utilisées par cette
céphalorachidien est une substance très aqueuse. Ainsi, voie. Plusieurs conférences de consensus internationales ont
les substances très lipophiles agiront plus rapidement défini les modalités de cette utilisation [21–26]. La morphine
car elles atteindront plus vite leurs cibles, mais une part est la molécule de choix, en raison de son caractère très hydro­
importante sera réabsorbée dans la ­c irculation géné­ phile, de son absence de toxicité pour les structures nerveuses
rale, ce qui diminuera leur durée d'action. En revanche, et de sa stabilité dans les pompes. L'hydromorphone a des
les substances aqueuses auront un début d'action plus caractéristiques similaires, avec une plus grande puissance
lent, mais une durée d'action plus longue [18]. Le deu­ d'action, mais elle n'est pas disponible en France sous la forme
xième élément essentiel à la diffusion des traitements injectable. Le fentanyl et le sufentanil sont des molécules plus
administrés par cette voie est la compréhension de la lipophiles, d'action plus rapide mais de durée plus brève [27].
circulation du liquide céphalorachidien. Celle-ci est
uniquement passive : les études récentes, grâce notam­ Anesthésiques locaux
ment à l'IRM [19], ont montré que les mouvements du Les anesthésiques locaux agissent en bloquant les canaux
liquide cérébrospinal sont oscillatoires, et principale­ sodiques. Leur principal intérêt est d'agir à la fois sur les
ment générées par les différences de pression artérielle douleurs nociceptives et neuropathiques [28]. Les molé­
et par la respiration [20]. Au total, il est maintenant éta­ cules de choix pour le traitement de la douleur par voie
bli que la diffusion des traitements par voie intrathécale intrathécale sont la bupivacaïne et la ropivacaïne en rai­
dépend essentiellement de l'hydrophilie des molécules, son de leur longue durée d'action et de leur stabilité. La
de la vitesse d'administration et qu'elle est générale­ bupivacaïne est la plus largement utilisée en raison de sa
ment limitée à quelques centimètres de part et d'autre disponibilité à forte concentration (40 mg/ml), adaptée
de l'extrémité du cathéter. à cet usage. Cependant, en France, ce produit n'est pas
100   Partie 2. Traitements en pratique

commercialisé, c'est pourquoi on utilise plutôt la ropi­ céphalorachidien est effectuée au niveau lombaire par voie per­
vacaïne, dont la concentration plus faible (10 mg/ml) cutanée et le cathéter mis en place sous contrôle radiologique, en
oblige à des remplissages plus fréquents. arrière de la moelle épinière, avec son extrémité située au niveau
des métamères impliqués dans la douleur (figure 18.1 C). Une fois
Ziconotide celui-ci positionné, une incision est effectuée de part et d'autre
Le ziconotide est un inhibiteur des canaux calciques voltages- de l'aiguille et une loge est réalisée en regard du ligament supra-
épineux. Le cathéter est alors fixé au plan musculaire grâce à un
dépendant de type N présents au niveau de la CPME. Ce petit
dispositif spécifique. Dans un deuxième temps, une loge sous-
peptide (2 500 daltons) a été isolé du venin d'un escargot marin
cutanée est réalisée au niveau de la paroi abdominale et le cathéter
(Conus magus). Son action antalgique est extrêmement puis­
est tunnélisé depuis l'incision dorsale jusqu'à la loge abdominale.
sante (1 à 20 μg/j) surtout sur les douleurs neuropathiques [29].
Après connexion du cathéter à la pompe, celle-ci est fixée au plan
Il n'est pas rapporté de cas de ­tachyphylaxie avec lui, et il n'est
musculaire avant fermeture. Lorsque le cathéter est relié à une
utilisable que par voie intrathécale. Cependant son utilisation
chambre implantable pour être utilisé avec une pompe externe, la
est complexe, en raison du taux élevé d'effets indésirables, sur­
chambre est généralement implantée en basi-thoracique antérieur,
tout neuropsychiques, décrits [30], qui exigent une introduc­
afin de faciliter la ponction (figure 18.1 B et C).
tion à faible dose et une incrémentation lente. L'association
avec la morphine est synergique et permet de diminuer les Complications
doses et les effets indésirables de chacune des molécules [31].
Liées à la technique
Clonidine Comme tout acte technique, l'analgésie spinale comporte
une morbidité. Les complications les plus fréquentes sont les
La clonidine est un α2-adrénergique qui agit en stimulant
céphalées postponction du liquide cérébrospinal, qui sur­
les récepteurs présents au niveau présynaptique sur les
viennent chez 20 à 30 % des patients [35]. Le risque de bles­
neurones afférents de la moelle épinière [32]. Elle agit en
sure médullaire est faible. L'infection survient dans environ
diminuant la sécrétion de substance P. Ses effets indésirables
3 % des cas et une méningite est observée après l'opération
principaux sont l'hypotension et la sédation.
dans 1 % des cas [36]. Elle nécessite la plupart du temps
l'ablation du matériel. Les autres complications, comme la
Associations migration et les plicatures du cathéter, ainsi que le retourne­
Les associations sont largement utilisées, car la modulation du ment de la pompe dans sa loge, sont plus rares.
signal nociceptif au niveau médullaire est multifactorielle. En
outre, certaines molécules sont plus actives sur la composante Liées au traitement
nociceptive alors que d'autres sont plus efficaces sur les dou­ Le surdosage d'opioïde est possible et peut être responsable de
leurs neuropathiques. Enfin, certaines associations ont prouvé nausées, vomissements, voire d'une détresse respiratoire [37].
leur efficacité, comme l'association morphine-ziconotide qui De plus, lors de l'utilisation prolongée de morphine intrathécale
permet de diminuer les doses de chacune des molécules et à haute concentration, un granulome peut se former à l'extré­
limite ainsi les effets indésirables [33]. Cependant l'utilisation mité du cathéter [38, 39]. Des déficits sensitivomoteurs transi­
de ces associations nécessite de bien connaître la compatibi­ toires, une rétention aiguë d'urine et des hypotensions peuvent
lité des mélanges ainsi que leur stabilité dans les pompes [34]. également être observés avec les anesthésiques locaux [40]. Des
De plus, la prescription et la fabrication de ces préparations troubles neuropsychiques sont la principale complication de
nécessite l'utilisation de logiciels spécifiques et des contrôles, surdosage en ziconotide ; ils régressent totalement [31].
uniquement disponibles dans des pharmacies spécialisées. Plu­
sieurs conférences de consensus internationales ont défini des
référentiels pour la mise en œuvre de ces traitements [24–26]. Organisation de la filière de soins
Cette technique antalgique est recommandée [5],
Mise en œuvre particulière­ment dans les douleurs cancéreuses réfractaires.
Cependant, peu de patients y ont accès malgré une incita­
Sélection des patients tion des autorités sanitaires [41]. La principale raison est la
Les patients susceptibles de bénéficier de ces techniques pré­ mise en œuvre tardive, le faible nombre de centres capables
sentent des douleurs réfractaires malgré un traitement par voie d'assurer les implantations et une absence d'organisation de
systémique bien conduit. La sélection se fait après avis d'une la filière de soins qui reste à développer.
réunion multidisciplinaire et à la suite d'une évaluation psy­
chologique, à l'exception des patients atteints de cancer, pour
lesquels il est admis que l'amélioration de la prise en charge Conclusion
de la douleur ne souffre pas de délai d'attente. Un test d'effi­ Les blocs anesthésiques sont un élément majeur du traite­
cacité peut être réalisé par injection unique par voie lombaire. ment des douleurs réfractaires, particulièrement en
Cependant, ce type d'injection est controversé, car il ne reflète cancérologie. Les blocs axiaux de type analgésie spinale
pas le traitement dans la mesure où il n'est pas réalisé au niveau ont montré leur efficacité. Cependant, même s'ils sont
des métamères incriminés dans le processus douloureux. aujourd'hui recommandés, leur mise en œuvre nécessite
une expertise. C'est pourquoi la meilleure diffusion de la
Implantation technique doit reposer sur des centres de références aux­
Elle est réalisée généralement sous anesthésie générale ; le patient quels seront associés des centres de proximité capables de
est en décubitus latéral (figure 18.1 B). La ponction du liquide réaliser le suivi des patients et le remplissage des pompes.
Chapitre 18. Traitements techniques   101

18.2 Traitement de la à distance à long terme, pour évaluer l'efficacité du geste. L'impli­
cation par l'ensemble de l'équipe participe au « bien-être » et à

douleur par radiologie


la mise en confiance du patient et contribue au « transfert de
la relation de soin soignant-soigné » (effet placebo), optimise
la prise en charge du patient et améliore les résultats escomp­
interventionnelle : tés de l'intervention. Les précautions de crase sanguine sont les
mêmes que pour tout geste interventionnel. Certaines procé­
l'algoradiologie dures peuvent être réalisées sous guidage fluoroscopique, mais
notre préférence va clairement, pour des raisons de précision
Adrian Kastler, Bruno Kastler balistique mais aussi de rapidité d'apprentissage en compagnon­
nage, au guidage scanographique que nous utilisons exclusive­
Le traitement de la douleur, qu'elle soit aiguë ou chronique, ment depuis vingt-cinq ans et que certains souhaitent associer à
est devenu une priorité en France à l'hôpital lors de la mise la fluoroscopie pour bénéficier d'un guidage temps réel.
en place des structures de lutte contre la douleur. De nom­ L'idéal est d'être doté d'une salle scanner dédiée à l'in­
breuses douleurs demeurent cependant difficiles à traiter en terventionnel. Si ce n'est pas le cas, les gestes doivent être
faisant appel au seul arsenal thérapeutique classique, en par­ réalisés de préférence en début de matinée, après nettoyage
ticulier dans les pathologies malignes évoluées, mais égale­ et désinfection de la salle et du scanner. Les gestes doivent
ment dans de nombreuses pathologies bénignes réfractaires être réalisés dans des conditions d'asepsie stricte. La posi­
responsables de douleurs chroniques. tion du patient est un élément important dans la réussite du
Dans cette démarche, les anesthésistes ont été les pion­ geste : elle doit permettre un abord et un trajet optimal tout
niers, en premier lieu l'école anglo-saxonne qui s'est particu­ en offrant le plus de confort possible au patient. Une bonne
lièrement illustrée en proposant des techniques de blocs, de connaissance anatomique de la région d'intérêt et du dérou­
neurolyses et d'infiltrations qui ont largement ouvert la voie lement du geste est nécessaire pour choisir le point d'entrée
aux techniques interventionnelles antidouleurs. Les radio­ cutané, le trajet le plus court et le plus sûr. Le suivi, pas à pas,
logues interventionnels possédant une bonne maîtrise de de la progression de l'aiguille est effectué par le repérage de
nombreux gestes non vasculaires (biopsies, drainages, etc.) l'artéfact permettant d'observer avec précision la pointe des
ont pu directement appliquer ce savoir-faire aux traitements instruments introduits (aiguilles, trocarts, etc.).
antidouleurs. Grâce aux moyens de guidage auxquels ils ont La plupart des gestes peuvent être réalisés avec une anes­
accès au quotidien, telles au début, la fluoroscopie et, plus thésie locale et/ou un bloc, complétés dans les cas les plus dou­
récemment, les techniques d'imagerie en coupes modernes loureux (alcoolisations, radiofréquences, MO) ; nous ajoutons
comme l'échographie, le scanner et l'IRM, ils ont pu répondre parfois une ventilation au masque par MEOPA (Kalinox®).
présents. Ce guidage par l'image est en effet devenu incon­
tournable dans de nombreux gestes nécessitant un ciblage
et un contrôle de haute précision. Il leur a permis de déve­ Indications
lopper un arsenal thérapeutique antidouleur très efficace
et propre à leur discipline (alcoolisations, cimentoplasties, Un certain nombre de procédures de base sont d'apprentis­
radiofréquences, micro-ondes, cryothérapie, embolisations sage aisé. Elles concernent des pathologies bénignes, souvent
d'agents sclérosants par voie percutanée et embolisations par très invalidantes. Outre leur effet antalgique, elles permettent
voie endovasculaire). Ces nouveaux traitements ont l'avan­ de confirmer un diagnostic difficile (effet de bloc). Elles sont
tage d'être efficaces dans des délais courts (souvent sur la réalisées à l'aide d'aiguilles de type spinal de 20 à 22 gauges.
table d'examen) et sont pour la plupart réalisés en ambula­ Les infiltrations du rachis, périradiculaires, articulaires pos­
toire (à coût modeste). Ils peuvent agir en synergie et donc térieures et épidurales (figure 18.2) représentent très cer­
en complément avec les traitements habituels ou parfois être tainement les gestes les plus pratiqués aujourd'hui par les
amenés à jouer un rôle de premier plan. Leur apprentissage radiologues. En France, l'injection de corticoïdes dans le
et leur maîtrise impliquent un engagement et un investisse­ rachis est très encadrée, notamment du fait du risque, raris­
ment fort, en partenariat avec des imageurs dans le traite­ sime mais décrit, d'infarctus médullaire par emboles de parti­
ment de la douleur, radiologues interventionnels douleur, cules après cathétérisme d'une artère radiculomédullaire. De
ou « algoradiologues ». Ces derniers doivent alors prendre fait, depuis l'arrêt de production de l'Altim® (cortivazol), seul
une part active aux décisions et conduites thérapeutiques, l'Hydrocortancyl® (prednisolone) dispose de l'AMM pour :
au mieux dans un contexte multidisciplinaire associant algo­ ■ les injections épidurales et articulaires postérieures
logues, anesthésistes, chirurgiens, oncologues, neurologues, lombaires,
psychiatres, radiothérapeutes, rhumatologues... ■ les injections articulaires postérieures cervicales.
Cependant la Société française de radiologie a émis des
recommandations, publiées en octobre 2017, pour l'utilisa­
Réalisation du geste tion de la dexaméthasone pour les injections périforaminale
et épidurale (y compris cervicale). Ce produit n'est dispo­
Tout le parcours du patient dans le service d'algoradiologie doit nible qu'en milieu hospitalier, mais permet de poursuivre la
être centré sur le patient douloureux. Cela va de la prise de ren­ réalisation d'infiltrations dans toutes les conditions.
dez-vous à son accueil (via le secrétariat) en consultation préa­ Il existe de nombreuses autres indications à réaliser des
lable (idéalement quelques jours auparavant) durant laquelle une infiltrations radioguidées :
information claire et précise sur les risques et bénéfices attendus ■ infiltrations du nerf grand occipital (névralgie d'Arnold,
de l'intervention est donnée. Le patient devra également être suivi céphalées réfractaires) (figure 18.3),
102   Partie 2. Traitements en pratique

Figure 18.2 Infiltration épidurale par voie interlamaire gauche Figure 18.4 Alcoolisation du ganglion sphénopalatin (ptérygopa-
sous guidage scanner. Patient de 55 ans souffrant de douleur latin) sous guidage scanner. Patiente âgée de 57 ans présentant une
lombosciatique gauche (S1) réfractaire au traitement médical. Aiguille névralgie du V2. L'alcoolisation est réalisée en insérant une aiguille (tête de
(tête de flèche noire) en place au sein de l'espace épidural latéral flèche noire) dans la fosse ptérygopalatine pointe (tête de flèche blanche)
opacifié par le produit de contraste (tête de flèche blanche) atteignant au niveau de la fissure ptérygopalatine. Les algies vasculaires de la face
la racine qui est moulée par le produit de contraste (flèche noire). réfractaires peuvent également bénéficier de ce traitement.

Figure 18.3 Infiltration du nerf grand occipital sous guidage scanner. (a) Patient âgé de 55 ans, présentant une névralgie d'Arnold bilatérale.
Infiltration bilatérale sur le site intermédiaire dans l'espace graisseux où passe le nerf : en dedans, le muscle oblique caudal inférieur de la tête et,
en dehors, le muscle semi-épineux (tête de flèche). Ce traitement est également parfois proposé dans les névralgies du V2, les algies vasculaires
de la face et certaines céphalées réfractaires. (b) Patient âgé de 78 ans, présentant une névralgie d'Arnold sur une arthropathie C1-C2. Infiltration
unilatérale en deux sites : intermédiaire (tête de flèche noire), et au site profond, à l'origine du nerf au niveau C1-C2 (tête de flèche blanche).

■ neurolyses du ganglion sphénopalatin (algies vasculaires, splanchniques (traitement des douleurs solaires liées à des
névralgies du V2) (figure 18.4), tumeurs sus-mésocoliques envahissant ou irritant le plexus
■ blocs du ganglion stellaire (syndrome douloureux régio­ cœliaque, telles les tumeurs pancréatiques ou gastriques,
nal complexe de type I, algodystrophies) (figure 18.5), les adénopathies, etc.) (figure 18.8), et neurolyses du
■ infiltrations du nerf pudendal (névralgies pudendales) plexus sympathique interiliaque, des nerfs présacrés et du
(figure 18.6) et des nerfs ilio-inguinaux (névralgies ingui­ plexus hypogastrique et du ganglion impar (en cas d'enva­
nales) (figure 18.7). hissement pelvien, de rectite radique ou d'endométrioses).
Ces infiltrations peuvent être complétées pour pro­ D'autres interventions, plus élaborées, nécessitent un
longer l'action antalgique par des neurolyses ciblées par apprentissage plus approfondi et, parfois, un appareillage
radiofréquence dite « sèche », à aiguille de petit calibre (20 dédié (radiofréquence, micro-ondes, cryoablation). Elles
ou 22 gauges) ou cryoneurolyse (dans les cas de névral­ concernent des douleurs d'origine cancéreuse très invali­
gie d'Arnold, d'algodystrophies, de névralgies inguinales, dantes et rebelles aux antalgiques. Il s'agit :
etc.). Les neurolyses peuvent également être réalisées sur ■ des cimentoplasties et des vertébroplasties, introduites
des ganglions et plexus nerveux. Elles peuvent aussi être par Deramond et Gallibert en 1987, initialement pour
effectuées tout le long de la chaîne sympathique : blocs, le traitement des angiomes vertébraux et dont les indi­
neurolyses du ganglion stellaire, sympatholyses thora­ cations se sont légitimement étendues aux douleurs
ciques et lombaires, neurolyses des ganglions cœliaques et malignes osseuses réfractaires, dont on connaît le
Chapitre 18. Traitements techniques   103

Figure 18.5 Bloc et RF du ganglion stellaire sous guidage scanner. Patiente âgée de 37 ans présentant un syndrome douloureux régional
complexe (SDRC) de type 1 (algodystrophie) post-traumatique (fracture du poignet). Le bloc est réalisé grâce à une aiguille de 22 gauge (têtes de
flèche noire) et du produit de contraste (têtes de flèche blanche) sur deux sites : (A) en regard de l'apophyse transverse de C7 ; (B) sur le contingent
principal du ganglion en regard de la tête de la première côte. Une radiofréquence peut être réalisée après deux bloc positifs pour prolonger l'effet
antalgique et sortir du SDRC (70 % de résultats positifs).

Figure 18.6 Infiltration du nerf pudendal aux deux sites. Femme âgée de 35 ans atteinte de névralgie pudendale gauche (post-traumatique
après exercice répété sur un de vélo d'appartement). Infiltration sur son trajet en deux sites : (A) site principal en regard de l'épine ischiatique, entre
les ligaments sacro-épineux et sacro-tubérositaire, et (B) site classique dans le canal pudendal sous l'aponévrose du muscle obturateur interne.
L'intérêt du scanner réside dans la précision du site d'infiltration avec injection de produit de contraste (têtes de flèche) au niveau des cibles
anatomiques définies.

c­ aractère ­invalidant. L'injection de ciment permet, par


effet de consolidation, de prévenir le risque fracturaire
(figure 18.9) ;
■ des alcoolisations et/ou thermoablations par radiofré­
quences de tumeurs osseuses, avec ou sans composante
dans les parties molles et périosseuses ;
■ de l'ablation par radiofréquence, validée dans le traite­
ment de l'ostéome ostéoïde, étendu aux traitements des
tumeurs osseuses réfractaires au traitement médical. Sur
un os porteur ou une vertèbre, l'ablation par radiofré­
quence ou, plus récemment, par micro-ondes, peut être
complétée par une injection de ciment acrylique, réa­
lisée au cours de la même procédure (figure 18.10). À
l'ablation thermique par radiofréquence (RF) ou micro-
ondes (MO), l'injection de ciment ajoute la possibilité
Figure 18.7 Bloc et radiofréquence des nerfs ilio-inguinal et
d'une consolidation osseuse. À la cimentation, l'ablation
ilio-hypogastrique. Patient âgé de 45 ans et atteint de névralgie thermique ajoute une possibilité de stériliser la lésion
ilio-inguinale sévère survenue à la suite de la cure d'une hernie et de réduire par cautérisation les veines de drainage
inguinale (10 à 15 % des patients). L'infiltration est réalisée au site tumoral et, ainsi, le risque de dissémination lors de
superficiel en regard de l'épine iliaque antérosupérieure, entre les l'injection sous pression du ciment en phase pâteuse.
muscles transverse en dedans et oblique interne en dehors (tête de Cela est d'autant plus intéressant que l'on s'adresse à
flèche), où passent les deux nerfs. une localisation unique, alors potentiellement curable.
104   Partie 2. Traitements en pratique

Figure 18.8 Neurolyse cœliaque et splanchnique sous guidage scanner. Patient âgé de 55 ans ayant un néoplasme de la tête du pancréas
réfractaire à tout traitement, notamment morphinique. (A) Neurolyse splanchnique (têtes de flèches). (B) Neurolyse coeliaque (flèches), voie
transaortique pour ce site.

Figure 18.9 Vertébroplastie de C1 et C2 sous anesthésie locorégionale et bloc intravertébral, et avec un contrôle scanner exclusif (pour
la première fois, à l'hôpital européen Georges-Pompidou, en septembre 2018). Patient âgé de 69 ans présentant des lésions métastatiques
lytiques vertébrales en C1 et C2 (B), lui faisant encourir un risque majeur de tétraplégie. (A) Traitement par injection de ciment acrylique (en blanc).

Figure 18.10 Ablation thermique et cimentation fémorotibiale sous anesthésie locorégionale et bloc intraosseux, avec contrôle
scanner. Patient de 65 ans, atteint de mélanome malin métastatique, confiné au lit, pour lequel la position mise en charge est impossible. Lésions
à l'extrémité inférieure du fémur et du plateau tibia (IRM hyper signaux (A)). EVA à 7-8/10. Traitement palliatif par radiofréquence et cimentation
réalisant un traitement « chirurgical de consolidation percutanée » (B). EVA à 2-3/10 et patient debout le lendemain.

Les techniques d'ablation par micro-ondes ont l'avan­ double avantage d'être facilement réalisable sous anésthésie
tage de permettre de traiter plus rapidement des lésions locale car indolore et de permettre de voir le glaçon qui se
de grandes tailles. forme et donc bien cerner et prédire la zone d'ablation.
La cryoablation est une technique récente qui bien que Enfin, par voie endovasculaire, les embolisations à titre
faisant appel à un matériel plus encombrant présente le antalgique, effectuées à des fins de réduction ­préopératoire
Chapitre 18. Traitements techniques   105

ou avant une radiothérapie, sont efficaces, notamment dans nociceptives (cordotomie antérolatérale, tractotomie
le traitement des métastases osseuses. Les embolisations de pédonculaire, radicotomie, etc.). Elles sont surtout indi­
dévascularisation peuvent également être recommandées quées pour le traitement des douleurs cancéreuses résis­
dans un premier temps, avant un geste interventionnel percu­ tant à la morphine et, plus rarement, dans les douleurs
tané sur des métastases hypervascularisées. Il en est de même neuropathiques secondaires à l'avulsion du plexus bra­
pour les embolisations d'agents sclérosants par voie percu­ chial (DREZotomie) ;
tanée (Ethibloc® ou Hexatrione®), qui sont indiquées dans ■ les techniques de neuromostimulation qui cherchent à
le traitement des tumeurs osseuses à composantes kystiques diminuer la douleur en renforçant les mécanismes inhibi­
(kyste essentiel, kyste anévrysmal, etc.). teurs et en limitant les mécanismes activateurs. La stimula­
Comme pour toute technique interventionnelle, l'ap­ tion électrique chronique du système nerveux (stimulation
prentissage se fait essentiellement par compagnonnage. Le nerveuse périphérique, stimulation médullaire, stimulation
recensement des centres pratiquant des techniques à visée du cortex moteur, etc.) est utilisée pour traiter les douleurs
antalgique est disponible. neuropathiques chroniques (dont la durée excède 6 mois) ;
Une séance de traitement interventionnel de la douleur ■ l'infusion intrathécale d'analgésiques (morphine, zicono­
est organisée, une fois par an, aux Journées françaises de tide, etc.), à l'aide de pompes implantables, ce qui permet
radiologie depuis 1999. Il existe plusieurs sites Internet d'in­ d'augmenter leur efficacité en réduisant leurs effets indé­
formations générales sur la radiologie interventionnelle et la sirables. Ces techniques peuvent améliorer, parfois de
douleur (taper ces deux mots-clés pour y accéder). manière spectaculaire, l'état de certains patients souffrant de
Les techniques de radiologie interventionnelle représentent douleurs sévères et chroniques, réfractaires à tous les autres
une thérapeutique antalgique extrêmement efficace et mal­ traitements. La qualité du résultat analgésique dépend prin­
heureusement insuffisamment développée. Elles sont com­ cipalement de la pertinence des indications et de la compré­
plémentaires aux traitements classiques, quand les patients y hension des mécanismes à l'origine de la douleur.
deviennent réfractaires, notamment dans les douleurs chro­
niques. Elles permettent d'améliorer de façon significative le
confort, la durée de survie et l'autonomie des patients, notam­ Introduction
ment en cas de douleur maligne cancéreuse. Les indications
doivent être posées dans un contexte multidisciplinaire. Nous De nombreux patients présentent des douleurs qui résistent
avons introduit un grand nombre de ces interventions et intro­ à un traitement antalgique, même en utilisant de fortes
duit le guidage scanner obligatoire pour nombre d'entre eux et doses d'analgésiques puissants. Certains patients sélection­
dont l'apprentissage est plus aisé pour les élèves et les internes. nés souffrant de douleur réfractaire peuvent être soulagés,
La maîtrise de ces procédures et l'implication croissante des parfois de manière spectaculaire, par des techniques neuro­
radiologues dans ce domaine devraient légitimement rendre chirurgicales, lésionnelles ou par des techniques de neuro­
accessibles ces nouvelles techniques à un plus grand nombre modulation, alors que les autres moyens thérapeutiques,
de patients. Bien qu'en évolution constante, elles mériteraient médicamenteux ou non, se sont révélés insuffisants.
toutefois d'être mieux connues dans le monde médical pour On distingue trois types de techniques neurochirurgi­
une utilisation optimale au service des patients douloureux. cales qui peuvent être utilisées pour soulager une douleur
chronique pharmacorésistante :
■ les techniques lésionnelles, qui interrompent la trans­
Bibliographie mission du message douloureux en sectionnant les
Kastler Bruno. Radiologie interventionnelle dans le traitement de la dou­ voies nociceptives (cordotomie antérolatérale, tracto­
leur. Paris : Elsevier-Masson ; 2003. tomie pédonculaire, radicotomie, etc.) ou en détruisant
Kastler Bruno. Interventional Radiology in the treatment of pain. H
­ eidelberg : les présumés générateurs de douleur (DREZotomie,
Springer ; 2007. thalamotomie) ;
■ les techniques de neuromodulation, qui cherchent à
diminuer la douleur en renforçant les mécanismes phy­

18.3 Traitement siologiques inhibiteurs de la douleur et à limiter les méca­


nismes activateurs. Ces techniques de neuromodulation

neurochirurgical
sont fondées sur la stimulation électrique chronique du
système nerveux (stimulation nerveuse périphérique,
stimulation médullaire, stimulation du cortex moteur,
de la douleur chronique etc.) et sont utilisées pour traiter les douleurs chroniques
(durée > 6 mois) neuropathiques ;
Denys Fontaine, Serena Santucci ■ l'analgésie intrathécale, qui consiste à délivrer des anal­
gésiques (morphine, ziconotide, etc.) dans le liquide
cérébrospinal à l'aide de pompes ou de dispositifs implan­
Résumé
tables, afin d'augmenter leur efficacité et de réduire leurs
Trois types de techniques neurochirurgicales peuvent être effets indésirables sont traitées dans le sous-chapitre 18.1,
utilisées pour soulager une douleur chronique résistant aux « Anesthésie locorégionale et intrathécale ».
traitements : Le choix de la technique chirurgicale sera fondé princi­
■ les techniques lésionnelles pour interrompre la trans­ palement sur l'analyse du type de douleur (douleur neuro­
mission des influx douloureux en lésant les voies pathique ou par excès de nociception), du mécanisme
106   Partie 2. Traitements en pratique

à l'origine de la douleur, de l'intégrité ou de l'altération la douleur viscérale, bilatérale ou médiane, elle est générale­
fonctionnelle et anatomique du système nerveux et de la ment associée à un taux de complications beaucoup plus
localisation et de l'étendue de la douleur. élevé, en particulier des troubles respiratoires et urinaires.
La cordotomie n'est pas indiquée dans le traitement de la
douleur neuropathique.
Techniques lésionnelles
Les techniques lésionnelles ciblent de manière sélective les Technique
voies nociceptives (figure 18.11). Elles visent à interrompre La cordotomie peut être réalisée soit par une approche ouverte,
spécifiquement la transmission du message nociceptif dans soit par une technique percutanée, moins invasive mais néces­
le cas de douleurs par excès de nociception ou à détruire sitant un opérateur expérimenté et limitée à la région cervi­
les générateurs de douleur dans le cas de douleurs neuro­ cale. L'aiguille est introduite latéralement dans l'espace C1-C2
pathiques. Elles permettent de soulager certaines douleurs, sous guidage scanner, sous anesthésie locale [43]. Un produit
avec une topographie limitée, principalement des douleurs de contraste peut être injecté en intrathécal pour accentuer le
liées au cancer, mais également certains cas de douleurs contour de la moelle épinière. Une électrode est ensuite intro­
neuropathiques non cancéreuses. duite dans le tractus spinothalamique. La position de l'élec­
trode peut être confirmée par la surveillance des impédances
des électrodes et par stimulation peropératoire. Si le placement
Cordotomie est correct, la stimulation entraîne une sensation d'anesthé­
Principe et indications sie du côté controlatéral. En cas de placement incorrect, la
La cordotomie consiste à réaliser une lésion du cordon stimulation peut entraîner des mouvements ipsilatéraux liés
antéro­latéral de la moelle épinière pour interrompre le trac­ à la stimulation du faisceau pyramidal. L'électrode est retirée
tus spinothalamique et, par conséquent, la transmission de après réalisation d'une lésion par radiofréquence qui induit
la sensation de douleur (et de la température) dans la partie une analgésie immédiate [43]. La cordotomie microchirur­
du corps controlatérale et inférieure à cette lésion. gicale ouverte nécessite une hémilaminectomie pour réaliser
La cordotomie a été décrite pour la première fois par une lésion chirurgicale dans le quadrant antérolatéral de la
Spiller en 1905, après étude d'un patient ayant perdu locale­ moelle épinière, juste en arrière de la racine antérieure.
ment les sensations de douleur et de température à la suite
d'un tuberculome impliquant le quadrant antérolatéral de Résultats
la moelle épinière. En 1912, Spiller convainc son collègue
Dans les séries historiques, l'efficacité à court terme de
Martin de recréer délibérément cette lésion afin de soulager
la cordotomie était de l'ordre de 54 à 89 %, et 50 % des
un patient souffrant de douleur chronique de la jambe, réa­
patients bénéficiaient d'une disparition complète de la
lisant ainsi la toute première cordotomie.
douleur [42–44]. De meilleurs résultats ont été obtenus au
Bien que les premiers résultats aient été décevants, les ten­
moyen d'une procédure percutanée guidée par scanner.
tatives ultérieures de cordotomie se sont révélées plus réussies.
Cependant, l'efficacité de la cordotomie diminue souvent
La technique moderne est désormais efficace, et cette procé­
avec le temps (taux de succès d'environ 40 % après 5 ans)
dure reste une option importante dans la prise en charge de la
et l'analgésie peut être remplacée par une dysesthésie ou
douleur cancéreuse sévère réfractaire aux opiacés [42].
des douleurs neuropathiques. Pour cette raison, l'utilisation
Les meilleurs candidats à la cordotomie sont les patients
de la cordotomie est généralement réservée aux patients
présentant une douleur nociceptive, sous le dermatome C5,
atteints d'un cancer en phase terminale, et dont l'espérance
secondaire à cancer unilatéral avec, éventuellement, une
de vie est inférieure à 2 ans.
atteinte radiculaire ou plexique (Pancoast-Tobias). Bien que
la cordotomie bilatérale ait été décrite pour le traitement de
Complications
Le taux de complications de la cordotomie est difficile
à estimer, car la plupart des séries sont anciennes et réu­
nissent des cas de patients cancéreux dont l'état de santé
général est mauvais. Des taux de mortalité de 6 % ont été
rapportés dans les études préliminaires, mais la mortalité
était inférieure à 1 % dans les procédures percutanées gui­
Myélotomie dées par scanner [43]. Les complications les plus fréquem­
DREZotomie ment rapportées sont un syndrome de Horner, une faiblesse
du membre inférieur (69 %) ou supérieur (18 %) ipsilatéral,
une rétention urinaire (20 %) et des déficits sensitifs épicri­
Cordotomie
tiques (environ 30 %).
La survenue d'une nouvelle douleur controlatérale est
une autre complication fréquente de la cordotomie, pouvant
concerner jusqu'à 62 % des patients. Une telle douleur « en
Figure 18.11 Localisation anatomique des différentes techniques miroir » est souvent transitoire et généralement plus modé­
lésionnelles ciblant la moelle épinière utilisées pour le traitement rée et facile à maîtriser que la douleur initiale, mais son
de la douleur. mécanisme exact n'est pas clair.
Chapitre 18. Traitements techniques   107

Un autre risque de la cordotomie percutanée est l'insuf­ Complications


fisance respiratoire, liée à la lésion collatérale du tractus Les principales complications correspondent aux éven­
réticulospinal porteur de fibres respiratoires autonomes. tuels déficits neurologiques induits par une lésion médul­
Pour cette raison, la cordotomie est généralement contre-­ laire involontairement étendue au-delà de la DREZ et de la
indiquée en cas d'insuffisance respiratoire, de lésion pulmo­ corne dorsale : faiblesse du membre inférieur ipsilatéral due
naire controlatérale ou de paralysie de l'hémidiaphragme. à une lésion du faisceau corticospinal, déficit sensitif lié à
une lésion des cordons dorsaux, voire les deux. Ces déficits
DREZotomie neuro­logiques sont le plus souvent légers et s'améliorent
avec le temps. Parmi les autres complications signalées
Principe et indications figurent des fuites de liquide cérébrospinal, une inconti­
La lésion de la zone d'entrée de la racine dorsale (Dorsal nence transitoire et des spasmes vésicaux [45].
Root Entry Zone [DREZ]) est une procédure destructive
qui vise à effectuer une lésion de la face postérolatérale de Autres techniques lésionnelles
la moelle épinière, englobant idéalement la partie médiale
du tractus de Lissauer et les cinq premières couches lami­ Myélotomie
naires de Rexed, correspondant aux couches de la corne La myélotomie commissurale est une procédure destructive
dorsale où les premiers neurones nociceptifs font synapse qui sectionne les fibres nociceptives qui traversent la ligne
avec les neurones dont les axones forment le tractus médiane entre la corne dorsale et le faisceau spinothalamique
spinothalamique. contralatéral. Il a été supposé que la procédure interrompait
La procédure est classiquement indiquée pour traiter les également une voie ascendante située dans la partie médiane
douleurs neuropathiques résultant d'une avulsion du plexus des cordons dorsaux et impliquée dans la perception de la dou­
brachial [45], qui répondent mal aux autres traitements, à leur viscérale pelvienne [46]. La myélotomie commissurale a
l'exception de la stimulation du cortex moteur et de la sti­ été appliquée dans les années 1940 et au début des années 1950,
mulation cérébrale profonde (cf. ci-dessous). La DREZo­ mais n'a jamais été largement acceptée, contrairement aux
tomie a également été proposée pour traiter les douleurs autres interventions neurochirurgicales ablatives contre la dou­
secondaires à une lésion de la moelle épinière situées au leur. La technique de myélotomie nécessite l'abord de la moelle
niveau de la lésion (« douleurs lésionnelles »), mais aussi épinière par une laminectomie, puis une incision du septum
les douleurs du membre fantôme et les douleurs liées à une central de la moelle épinière dorsale jusqu'à une profondeur de
plexite radique. 6 mm [46]. Dans quelques séries limitées, les taux de réussite
de la myélotomie commissurale allaient de 60 à 70 %, mais
Technique les critères d'inclusion, la technique et les critères d'évaluation
variaient considérablement d'une étude à l'autre.
La procédure de DREZotomie nécessite une hémilaminec­
tomie et une exposition de la moelle épinière s'étendant sur Hypophysectomie
les niveaux d'avulsion radiculaire. À la suite de l'ouverture
durale, une électrode ou une pince bipolaire est insérée à Une lésion de l'hypophyse, ou hypophysectomie, a été pro­
une profondeur d'environ 2 mm dans corne dorsale. Plu­ posée pour traiter certaines douleurs cancéreuses réfrac­
sieurs lésions étagées sont réalisées à environ 1 à 2 mm taires, surtout liées à un cancer métastatique avec métastases
d'intervalle. osseuses multiples. Initialement réalisée par radiofréquence
sous guidage stéréotaxique ou par abord transsphénoïdal,
l'hypophysectomie n'est plus proposée que par radiochirur­
Résultats gie. Les mécanismes de l'effet analgésique de l'hypophysec­
La plupart des études évaluant l'efficacité de la DREZo­ tomie ne sont pas complètement compris et pourraient être
tomie étaient des séries rétrospectives rapportant un sou­ liés à des modifications de la libération de peptides de l'axe
lagement de la douleur supérieur à 50 % chez la majorité hypothalamohypophysaire dans le liquide cérébrospinal.
des patients, stable dans le temps [44]. Les meilleurs résul­ Dans les études historiques des années 1970 à 1980,
tats ont été rapportés dans la douleur liée à l'avulsion du l'hypophysectomie permettait de soulager de manière
plexus brachial traitée par DREZotomie cervicale. Sindou « satisfaisante » ou « excellente » la douleur chez 70 à 83 %
et al. ont rapporté que 95 % des patients d'une série de 55 des patients atteints d'un cancer métastatique. Les com­
avaient un excellent soulagement de la douleur en posto­ plications les plus fréquentes étaient l'hypopituitarisme,
pératoire immédiat. À 3 mois, 82 % des patients présen­ le diabète insipide et des troubles visuels. Dans des séries
taient un soulagement de la douleur excellent ou bon, et plus récentes de quelques patients souffrant de douleurs
66 % continuaient à signaler un soulagement de la douleur cancéreuses ou neuropathiques, l'hypophysectomie par
excellent ou bon lors du dernier suivi (à 29 mois) [45]. La radiochirurgie Gamma Knife® semblait avoir de meilleurs
DREZotomie était principalement efficace sur les douleurs résultats et induire moins de complications [47]. Un sou­
paroxystiques. Dans d'autres séries, l'état de 79 à 89 % des lagement significatif de la douleur était obtenu chez 53 %
patients avec une avulsion du plexus brachial a été amé­ des patients, respectivement 87 % des patients souffrant de
lioré de plus de 75 %. Le taux de succès de la DREZotomie douleur cancéreuse et 21 % de ceux avec douleur chronique
était plus variable et moins élevé dans d'autres syndromes non cancéreuse. Des événements indésirables étaient notés
douloureux, comme les névralgies postzostériennes et les chez 21 % des patients ; la majorité concernait des déficits
neuro­pathies périphériques [44]. hormonaux.
108   Partie 2. Traitements en pratique

Cingulotomie une technique de neurostimulation essentiellement utilisée


Le gyrus cingulaire est impliqué dans de nombreuses fonc­ pour traiter la douleur neuropathique post-traumatique
tions cognitives et émotionnelles, parmi lesquelles l'intégra­ ou postchirurgicale, limitée au territoire d'un nerf péri­
tion et la modulation des aspects cognitifs et affectifs de la phérique lésé. La SNP excite préférentiellement les grosses
douleur. Plusieurs études de neuro-imagerie fonctionnelle fibres myélinisées, et son effet pourrait s'expliquer par une
ont rappporté des modifications de l'activité cingulaire après combinaison de mécanismes centraux et périphériques :
le soulagement de la douleur et la réponse à divers traite­ modulation des nocicepteurs périphériques, blocage de
ments analgésiques, que ce soit des traitements médica­ l'entrée nociceptive afférente par stimulation continue,
menteux, une psychothérapie, un traitement placebo ou un modulation de la nociception dans la CDME [48]. Chez
traitement chirurgical. des volontaires sains, la SNP augmente les seuils nocicep­
Initialement, le principe de la cingulotomie (lésion focale tifs laser et les seuils de perception sensitifs mécaniques et
du gyrus cingulaire antérieur dorsal) avait été proposé à par­ diminue l'amplitude des potentiels évoqués laser [49]. La
tir d'observations rapportant l'amélioration de la douleur à la SNP induit généralement des paresthésies dans le territoire
suite d'une lobotomie frontale. En 1962, Foltz et White ont du nerf stimulé.
pratiqué une cingulotomie frontale bilatérale, avec un bon Depuis sa première description par Wall et Sweet en 1967,
résultat chez 12 patients sur 16 souffrant de douleur chronique l'efficacité de la SNP pour traiter la douleur neuropathique
intraitable, chez lesquels on pensait que des facteurs émotion­ chronique a été suggérée dans des séries de quelques cas
nels exacerbaient leur douleur. Bien qu'ils aient continué à rapportant des taux de patients répondeurs (amélioration de
percevoir leur douleur, plusieurs patients ont signalé qu'elle l'intensité de la douleur supérieure à 50 %) allant de 30 à
n'était « plus particulièrement gênante » ou « ne les inquiétait 70 %. Mais les données à long terme manquent.
plus ». Dans les séries ouvertes, 45 à 67 % des patients étaient De nombreuses techniques de SNP ont été proposées,
soulagés après une cingulotomie antérieure bilatérale [44]. incluant l'implantation chirurgicale d'électrodes plates ou
Dans les études les plus récentes, la technique chirurgi­ l'implantation percutanée d'électrodes cylindriques, pou­
cale consiste en une cingulotomie anterieure dorsale bila­ vant cibler soit des troncs nerveux périphériques, soit des
térale, stéréotaxique, par radiofréquence, guidée par IRM. racines du plexus bracchial [48], le nerf étant repéré par
Les fonctions cognitives sont généralement préservées après échographie ou par stimulation électrique. Le principal
une cingulotomie, bien que plusieurs études aient rapporté inconvénient provient des fils non extensibles reliant l'élec­
des changements cognitifs et comportementaux postopé­ trode au stimulateur, susceptibles de limiter les mouvements
ratoires, notamment des déficits de l'attention focalisée et des membres ou d'exposer au risque de déplacement de
soutenue ou une apathie. Malgré la sévérité de la douleur l'électrode [50]. Récemment, la sécurité et l'efficacité d'un
préexistante et la nature subtile des changements possibles, dispositif entièrement implantable, alimenté à distance et
la cingulotomie reste une procédure controversée. En effet, spécialement conçu pour la SNP tronculaire, ont été évaluées
le risque éventuel de modification des affects et de la per­ en conditions contrôlées [51]. L'état de trente-huit pour cent
sonnalité du patient limite l'acceptation de cette approche. des patients traités par stimulation active a été amélioré de
En raison du développement de l'utilisation d'opioïdes plus de 30 % versus 10 % dans le groupe contrôle traité par
et de l'analgésie intrathécale dans la douleur nociceptive, stimulation placebo.
la plupart de ces techniques lésionnelles ont été abandon­ Les principales complications de la SNP sont liées au
nées, à l'exception de la DREZotomie, qui continue d'être dispositif (migration, infection, rupture, déconnexion de
indiquée dans la douleur neuropathique liée à l'avulsion du l'électrode, etc.) et, très exceptionnellement, à une lésion
plexus brachial et à l'atteinte de la moelle épinière. Pour les nerveuse accidentelle lors de l'implantation. Certaines
autres syndromes de douleur neuropathique, les techniques lésions nerveuses peuvent ne pas répondre à la stimulation
de neuromodulation sont actuellement préférées car elles directe du nerf blessé et être traitées par stimulation de la
sont non destructives, réversibles et adaptables. moelle épinière. C'est le cas lorsque plusieurs nerfs sont
atteints ou lorsque la lésion nerveuse est très proximale.

Neurostimulation Stimulation du champ nerveux


périphérique
Stimulation médullaire
Une autre façon de délivrer une stimulation nerveuse péri­
La stimulation médullaire, largement utilisée pour traiter phérique chronique consiste à implanter des électrodes
les douleurs neuropathiques chroniques du tronc et des sous-cutanées afin de stimuler les petites fibres sensorielles,
membres secondaires à une atteinte nerveuse périphérique ce qui induit en général des paresthésies dans la zone stimu­
d'origine tronculaire ou radiculaire, fait l'objet d'un chapitre lée. Cette technique, appelée stimulation du champ nerveux
séparé. périphérique (« peripheral nerve field stimulation ») [PNfS],
s'adresse au traitement de douleurs localisées, la ou les élec­
Stimulation du système nerveux trodes étant implantées dans la zone douloureuse. La PNfS
a été proposée initialement en complément de la stimula­
périphérique tion médullaire, pour traiter les lombalgies insuffisamment
Le principe de la stimulation nerveuse périphérique (SNP) améliorées par la stimulation médullaire. Dans une étude
est de stimuler électriquement et de manière chronique un contrôlée, 43 % des patients souffrant de douleurs lombaires
nerf périphérique, via un dispositif implanté. La SNP est ont répondu à l'association PNfS-stimulation médullaire,
Chapitre 18. Traitements techniques   109

versus 4 % des patients traités par stimulation médullaire la stimulation médullaire, la stimulation corticale n'est pas
seule [52]. Dans une étude où elle était utilisée seule, la PNfS perçue par le patient (ne surviennent ni contractions ni
a diminué en moyenne l'intensité de la douleur lombaire de paresthésie).
3 points sur l'EVA [53].
Les applications à venir de la PNfS concerneront proba­ Aspects techniques
blement le traitement des douleurs thoraciques, inguinales Une ou deux électrodes extradurales sont implantées
et faciales post-traumatiques ou postchirurgicales. au niveau du gyrus précentral controlatéral aux dou­
leurs et correspondant somatotopiquement à la région
Stimulation du ganglion de la racine douloureuse, et connectées à un générateur sous-cutané
(figure 18.12). Les paramètres de stimulation sont ensuite
dorsale optimisés (fréquence allant de 30 à 90 Hz, amplitude de
Le ganglion de la racine dorsale (dorsal root ganglion 80 % du seuil moteur) en fonction du soulagement de la
[DRG]) joue un rôle clé dans le développement et le main­ douleur et de la tolérance (en évitant les contractions et les
tien de la douleur neuropathique et des troubles sensitifs, convulsions).
et participe aux phénomènes de sensibilisation périphé­
rique et centrale, ce qui en fait une cible intéressante pour Indications et résultats
la neurostimulation. La stimulation du DRG réduit l'activité
La stimulation corticale est indiquée pour les douleurs
anormale des neurones du DRG, diminuant ainsi la douleur
neuropathiques qui ne peuvent pas être traitées par sti­
neuropathique.
mulation médullaire, comme les douleurs étendues tou­
La technique consiste à implanter une ou plusieurs élec­
chant tout un hémicorps (douleurs centrales post-AVC)
trodes percutanées dans l'espace épidural latéral proche du
ou les douleurs localisées au visage (neuropathie trigé­
DRG ciblé, à des niveaux allant de T10 à S2 en fonction
minale douloureuse). Cette procédure peut être proposée
du dermatome correspondant à la zone douloureuse. La
dans d'autres indications, telles que les douleurs sous-­
stimulation du DRG est principalement indiquée dans les
lésionnelles de la paraplégie, les douleurs secondaires
douleurs neuropathiques chroniques du membre inférieur
à une avulsion du plexus brachial et les douleurs du
ou du tronc, localisées dans quelques territoires radiculaires.
membre fantôme. Dans la littérature, les résultats de plu­
La stimulation du DRG semble permettre de mieux soula­
sieurs séries de cas (concernant environ 300 patients) ont
ger les zones douloureuses difficiles à traiter par la stimu­
rapporté que l'état d'environ la moitié des patients traités
lation médullaire classique telles que les pieds ou la région
dans ces indications par stimulation corticale était amé­
inguinale, en induisant des paresthésies dont l'intensité est
lioré de 40 à 50 % [57]. Une étude comparative limitée a
moins variable selon les positions du corps. Dans une étude
rapporté une amélioration modérée mais non significative
de non-infériorité récemment publiée, la stimulation du
de la douleur lorsque le stimulateur était allumé versus
DRG s'est révélée aussi sûre et efficace que la stimulation
éteint [58]. Bien que la stimulation corticale puisse réelle­
médullaire pour traiter des douleurs des membres inférieurs
ment aider, parfois de manière spectaculaire, des patients
secondaires à un SDRC [54].
souffrant de douleur extrêmement sévère et pour lesquels
il n'existe pas d'autre solution, le problème principal reste
Stimulation nerveuse occipitale de définir des critères permettant de prédire le résultat
La stimulation périphérique des nerfs grands occipitaux, à l'échelon individuel. La rTMS non invasive du cortex
proposée dans les névralgies occipitales, la migraine chro­ moteur a été proposée pour sélectionner les patients éli­
nique et l'AVF chronique, est abordée dans les chapitres 18.5 gibles à une SMC implantée.
et 26.2.

Stimulation corticale
Principes et mécanismes d'action
La stimulation du cortex moteur, ou stimulation du cortex
précentral, est une technique de neurostimulation qui, pro­
posée depuis 1991 par Tsubokawa, se fonde sur les effets
inhibiteurs de la stimulation de la capsule interne sur l'hy­
peractivité thalamique dans un modèle de douleur neuro­
pathique chez le chat. Cependant, son mécanisme d'action
exact reste flou. Elle agit probablement en renforçant les
mécanismes supraspinaux de modulation de la douleur. Des
études de neuro-imagerie ont montré des modifications de
l'activité cérébrale dans le thalamus, le cingulum antérieur,
le cortex préfrontal et le tronc cérébral au cours de la sti­
mulation corticale ou à la suite de son arrêt [55]. D'autres
études suggèrent que la stimulation corticale pourrait agir Figure 18.12 Radiographie latérale du crâne montrant deux
en libérant des opioïdes endogènes [56]. Contrairement à électrodes de stimulation du cortex précentral.
110   Partie 2. Traitements en pratique

Complications et la technique dans les indications de douleur est similaire.


Les complications sont rares : infection du matériel (3 %), dys­ Les électrodes sont implantées de manière stéréotaxique
fonctionnement du matériel nécessitant sa révision chirurgicale dans les structures intracérébrales cibles, repérées sur une
et, très exceptionnellement, hémorragie intracrânienne. L'induc­ IRM 3D préopératoire, puis connectées à un stimulateur
tion de crises d'épilepsie est possible pendant la période post­ sous-cutané. Les électrodes thalamiques sont implantées
opératoire d'ajustement des paramètres de stimulation. Aucune dans la région somatosensorielle du thalamus contralatéral
épilepsie chronique induite par stimulation n'a été décrite. au côté de la douleur, en fonction de la somatotopie et de
l'emplacement de la douleur. La stimulation du thalamus
sensoriel provoque des paresthésies qui doivent couvrir
Stimulation cérébrale profonde la région douloureuse. À long terme, la stimulation thala­
La douleur a été la première application de la stimulation mique est souvent délivrée en utilisant des paramètres qui
cérébrale profonde dans les années 1970, développée par induisent des paresthésies agréables dans les régions dou­
Mazars. Dans les années 1970-1980, la stimulation cérébrale loureuses (fréquence autour de 30 à 40 Hz, amplitude de
profonde était couramment utilisée pour le traitement de la 2 à 5 V).
douleur chronique réfractaire. Deux cibles ont principale­ Les patients stimulés au niveau de la SGPA/SGPV rap­
ment été utilisées : le thalamus sensitif (noyaux ventral posté­ portent parfois une sensation controlatérale de chaleur
rieur médian et ventral postérieur latéral) et la SGPA/SGPV. induite par la stimulation. Ce sentiment est décrit comme
Cependant, au cours des dernières décennies, le nombre de relaxant et agréable. Les paramètres les plus courants pour la
patients douloureux chroniques traités par stimulation céré­ stimulation SGPA/SGPV sont 1 à 5 V et 10 à 25 Hz.
brale profonde a progressivement diminué. Cela est dû en
partie au développement d'alternatives moins invasives pour Indications et résultats
la prise en charge de la douleur nociceptive, notamment la Bien qu'aucune étude comparant les résultats de la stimu­
morphinothérapie intrathécale et l'arrivée de nouveaux agents lation cérébrale profonde dans les différentes cibles n'ait
pharmacologiques, et au développement de techniques alter­ été menée, il est généralement admis que la douleur neuro­
natives (stimulations médullaire et corticale) pour la douleur pathique est plus susceptible de répondre à la stimulation
neuropathique. Malgré tout, la stimulation cérébrale pro­ du thalamus sensitif, tandis que la douleur par excès de
fonde continue d'être proposée à certains patients souffrant nociception répond mieux à la stimulation SGPA/SGPV.
de douleur chronique réfractaire, bien qu'elle soit principale­ Les patients souffrant de douleurs mixtes peuvent être
ment mise en œuvre dans les pathologies du mouvement. implantés avec des électrodes dans les deux structures. Les
diagnostics étiologiques courants chez les patients souffrant
Mécanismes d'action de douleur neuropathique traités par stimulation cérébrale
profonde thalamique sont les suivants : douleur post-AVC
L'effet antinociceptif de la stimulation de la SGPA/SGPV (lésion n'impliquant pas le thalamus), neuropathie trigémi­
est probablement lié à l'activation du système opioïde endo­ nale douloureuse, lésion de la moelle épinière, sclérose en
gène. Le taux d'opioïdes endogènes dans le liquide cérébros­ plaques et douleur du membre fantôme. Par le passé, les
pinal des patients traités par stimulation cérébrale profonde patients traités par stimulation SGPA/SGPV présentaient le
de la SGPA/SGPV augmente, et l'analgésie induite par sti­ plus souvent des douleurs cancéreuses ou s'intégrant à un
mulation est reversée par la naloxone. En imagerie fonction­ syndrome d'échec de la chirurgie du rachis.
nelle, la stimulation SGPA/SGPV active la partie médiane Les résultats à long terme de la stimulation cérébrale
du thalamus et le CCA. profonde pour le traitement de la douleur neuropathique
La stimulation cérébrale profonde du thalamus sensitif agit chronique sont assez variables dans la littérature, rappor­
probablement en modulant les patterns de décharge neuro­ tant une réponse chez 20 à 70 % des patients traités. Dans
nale qui sont altérés dans le thalamus des patients atteints une méta-analyse portant sur 6 séries regroupant plus de
de douleurs neuropathiques. Lors des interventions chirur­ 400 patients, les taux de succès étaient respectivement
gicales de stimulation cérébrale profonde chez ces patients, de 63 % et 47 % chez les patients souffrant de douleur
les enregistrements par micro-électrodes intracérébrales ont nociceptive et neuropathique, et de 31 % et 51 % pour les
montré que les neurones sensoriels thalamiques répondent douleurs d'origines centrale et périphérique [59]. Les fac­
aux stimuli nociceptifs et que les patients souffrant de dou­ teurs prédictifs d'efficacité font défaut. Deux études indus­
leur chronique présentent une altération de l'organisation trielles multicentriques ouvertes ont été interrompues du
somatotopique des champs récepteurs sensoriels ainsi que des fait de l'insuffisance de résultats positifs lors des analyses
patterns d'activation neuronale anormaux dans le thalamus intermédiaires, et la compagnie a renoncé à demander
(en particulier une hyperactivité anarchique en bouffées). En l'approbation par la FDA de la stimulation cérébrale pro­
IRM fonctionnelle, la stimulation cérébrale profonde thala­ fonde dans le cadre du traitement de la douleur. En dépit
mique induit une activation des cortex somatosensoriels pri­ du manque de preuves de haut niveau, qui peut être expli­
maire et secondaire, du thalamus et de l'insula. qué par les nombreux biais méthodologiques de ces deux
études, le recours à la stimulation cérébrale profonde peut
Technique être considéré comme une option thérapeutique chez cer­
De nos jours, la stimulation cérébrale profonde est pratiquée tains patients souffrant de douleurs neuropathiques réfrac­
en routine dans la plupart des services de neurochirurgie taires faciales ou post-AVC qui n'ont finalement que deux
fonctionnelle pour traiter les pathologies du mouvement, possibilités chirurgicales : la stimulation du cortex moteur
Chapitre 18. Traitements techniques   111

ou la stimulation cérébrale profonde. De plus, si la propor­ nociceptives par le biais d'interneurones inhibiteurs de la
tion de répondeurs à la stimulation cérébrale profonde à substance gélatineuse de Rolando (« gate control theory »
long terme n'est pas très élevée, les quelques patients qui de Melzack et Wall). Il existerait également une inhibition
répondent effectivement peuvent présenter des améliora­ supraspinale [62], une action sur le métabolisme céré­
tions substantielles à long terme, avec des réductions des bral et l'implication d'un mécanisme neuro-hormonal
scores VAS de l'ordre de 50 à 80 %. (libération de GABA et de sérotonine) [63, 64]. Enfin,
un effet sympatholytique justifie l'action vasomotrice de
Complications la stimulation avec une augmentation du débit sanguin
Dans la douleur, les complications chirurgicales de la stimu­ périphérique.
lation cérébrale profonde sont les mêmes que dans d'autres
indications : hémorragie intracrânienne (2 à 3 %), la plupart
du temps asymptomatique mais potentiellement létale, pro­ Indications
blèmes liés au matériel (5 %) ou infection (3 à 5 %) [59]. Elles sont actuellement bien codifiées (HAS, mars 2014)
chez des patients présentant des douleurs neuropathiques
Avancées récentes et perspectives chroniques invalidantes :
Dans les années 2000, la stimulation cérébrale profonde ■ syndrome douloureux chronique radiculaire postopéra­
rétro-hypothalamique a été proposée pour traiter l'AVF toire persistant depuis au moins un an,
chronique réfractaire, sur la base de résultats de neuro-­ ■ syndrome douloureux chronique tronculaire (d'origine
imagerie suggérant que le générateur des crises d'AVF se diabétique, zostérienne, traumatique ou chirurgicale)
trouvait dans cette région. Environ 60 % des patients souf­ persistant depuis au moins un an,
frant d'AVF chronique réfractaire répondent à la stimulation ■ Syndrome régional douloureux complexe de type I (algo­
cérébrale profonde (diminution de la fréquence des attaques dystrophie) et II (causalgie) persistant depuis au moins
supérieure à 50 %). six mois,
Très récemment, la stimulation cérébrale profonde du ■ douleur d'origine ischémique, mettant en échec les
CCA dorsal, impliqué dans l'intégration des composants alternatives thérapeutiques secondaires à la maladie de
affectifs et cognitifs de la douleur, a été proposée pour traiter Buerger.
la douleur réfractaire [60]. Quelques patients ainsi traités ont Globalement, l'efficacité analgésique en termes de bons
présenté une légère diminution de l'intensité de la douleur, et excellents résultats est estimée à 70 % à court terme dans
contrastant avec une amélioration significative de la qualité plus de 60 % des cas [65, 66]. Elle permet également une
de vie. Ces patients avaient tendance à rapporter une douleur réinsertion socioprofessionnelle dans de nombreux cas.
toujours présente, mais moins gênante. Cela suggère que la La stimulation médullaire conventionnelle a acquis un
stimulation cérébrale profonde du CCA pourrait moduler niveau de recommandation B (modéré) sur la base de ces
la composante affective de la douleur en réduisant davantage études.
la souffrance que la douleur elle-même. Des études ulté­
rieures devront confirmer ces premières observations.
Bilan précédant une stimulation
Cette technique s'inscrit dans un projet thérapeutique
18.4 Stimulation planifié.
La consultation initiale permet de poser l'indication et

médullaire conduit à un bilan complémentaire :


■ les potentiels évoqués somesthésiques permettront de
rechercher l'existence d'une dégénérescence lemniscale.
Marie-Christine Djian Cet examen a une valeur prédictive de faisabilité, l'inté­
La douleur chronique est un problème sociétal majeur et grité des voies lemniscales étant indispensable ;
les douleurs neuropathiques sont connues pour être les ■ l'imagerie, dominée par l'IRM, éliminera une étiolo­
plus réfractaires aux thérapeutiques conventionnelles. La gie curable et permettra d'apprécier la taille de l'espace
stimulation médullaire chronique, utilisée depuis 1967 épidural.
dans le traitement de douleurs chroniques rebelles [61], Une évaluation psychologique, indispensable, permet de
est une technique totalement conservatrice et réversible, rechercher des contre-indications d'ordre psychologique.
de routine pour des centres spécialisés. Un recul à long Le projet thérapeutique est discuté en réunion multidis­
terme a permis de confirmer son absence totale d'effet ciplinaire et adapté à chaque patient.
neurotoxique.

Implantation
Mécanisme d'action Le dispositif est composé de plusieurs éléments :
Il est encore mal connu. Initialement, la stimulation élec­ ■ une sonde de stimulation, ou électrode ;
trique des fibres afférentes myélinisées du système lem­ ■ le générateur d'impulsions, ou neurostimulateur ;
niscal inhibe la transmission par les fibres amyélinisées ■ une télécommande patient.
112   Partie 2. Traitements en pratique

Tout ou partie de ce matériel est compatible avec une Cette électrode sera reliée dans un premier temps au
IRM, en fonction du modèle utilisé (figure 18.13) L'élec­ boîtier externe temporaire. La stimulation délivrée va
trode est connectée à la source d'alimentation du système engendrer une sensation de fourmillements « agréables »,
(neurostimulateur). Ce boîtier est de deux types : externe superposables au territoire douloureux. L'amélioration des
(pour la phase de test) ou interne (définitif, implanté sous dispositifs actuellement disponibles permet des réglages « à
la peau). la carte » des paramètres de stimulation.
L'implantation de l'électrode se fait en salle d'opération Puis, le test de stimulation, durant d'une semaine à quinze
sous contrôle radioscopique, selon deux techniques dont le jours, est systématiquement réalisé à domicile.
choix est dicté par l'état de chaque patient (figures 18.14 et L'implantation du stimulateur définitif sera proposée si le
18.15) : test est considéré comme positif, c'est-à-dire si la douleur est
■ soit par voie percutanée, sous anesthésie locale ; suffisamment soulagée. Le patient dispose d'une télécommande
■ soit par voie chirurgicale, sous anesthésie générale. qui lui permet d'adapter lui-même l'intensité de la stimulation.

Figure 18.15 Électrode chirurgicale positionnée en T9 pour


tabeau de lomboradiculalgies postopératoires.
Figure 18.13 IRM du rachis dorsal : implantation d'une électrode
positionnée en T7-T8 pour cause de douleur intercostale
post-traumatique.

Figure 18.14 Électrode percutanéeW positionnée en T10-T11 pour douleur radiculaires postopératoires.
Chapitre 18. Traitements techniques   113

Sinon, le matériel implanté sera retiré dans son intégra­ gâchette à la palpation de l'émergence du nerf occipital est
lité, en conditions chirurgicales, la technique étant totale­ fréquemment observée. L'examen neurologique est nor­
ment réversible. mal, en dehors des anomalies subjectives (dysesthésie ou
hypo­esthésie affectant une partie du cuir chevelu). Entre
les crises, il existe parfois une persistance de maux de tête
Complications sourds aux caractéristiques variables.
En termes cliniques, il est donc souvent difficile de tran­
Les complications sont rares mais doivent être reconnues cher entre une névralgie occipitale vieillie et une névralgie
précocement et traitées [66, 67] : cervicogénique. Le traitement par stimulation occipitale
■ les infections interviennent dans 5 à 12 % des cas, néces­ sera efficace dans les deux cas.
sitant la mise en œuvre d'une antibiothérapie adaptée et,
éventuellement, l'ablation du matériel ;
■ le déplacement de l'électrode intervient dans 15 à 30 % Anatomie et physiopathologie
des cas, révélé par la modification de la sensation perçue
par le patient. Il faut alors essayer une nouvelle program­ Anatomie
mation de l'électrode ou, en cas d'échec, un repositionne­ L'anatomie des nerfs occipitaux comprend trois nerfs : le nerf
ment de celle-ci ; grand occipital (nerf d'Arnold, émanant des racines C2 et
■ le dysfonctionnement du matériel, plus rare ; C3), le nerf petit occipital (émanant de la racine C2) et le troi­
■ un hématome extradural, exceptionnel, qui impose une sième nerf occipital (à partir de la racine C3). Le trajet du nerf
reprise chirurgicale. occipital majeur est formé par le ramus dorsalis de la racine
nerveuse C2. D'abord profond, il devient superficiel après
avoir perforé l'aponévrose du muscle trapèze (figure 18.16).
Conclusion
Les techniques de neuromodulation deviennent prioritaires Physiopathologie
dans la prise en charge chirurgicale des patients douloureux
Il existe diverses causes possibles d'irritations du nerf occipi­
chroniques. La stimulation médullaire a l'avantage d'être
tal (vasculaires, neurogènes, musculaires et ostéogéniques.)
peu agressive, totalement réversible et sans effet indésirable
L'étiologie varie selon les cas. La névralgie d'Arnold
à long terme. Mais les résultats escomptés sont étroitement
peut être secondaire : post-traumatique, compressive
liés à la qualité de l'évaluation et au soutien psychothérapeu­
(arthrose C1-C2, inflammation dans un contexte de poly­
tique qui peut être prolongé.
arthrite rhumatoïde ou spondylarthropathie, ligamen­
tomusculaire, vasculaire ou tumorale), postchirurgicale
(traitement de la malformation de Chiari, chirurgie de la
colonne cervicale avec une approche postérieure, chirur­
18.5 Stimulation gie de la fosse postérieure). Mais, parfois, aucune cause
n'est formellement mise en évidence et la névralgie occi­
des nerfs occipitaux pitale est qualifiée d'idiopathique.

dans la névralgie Traitement


d'Arnold et les céphalées Il existe une variété de traitements pour la névralgie occi­
pitale, allant du traitement médical à la chirurgie invasive.

cervicogéniques En cas d'échec, des traitements plus invasifs sont utilisés,

Sylvie Raoul

Introduction
La névralgie occipitale, également appelée névralgie
d'Arnold, est une pathologie qui survient chez 0,1 à 4,7 %
des patients atteints de céphalée [68]. Elle est définie par
l'International Headache Society (IHS) comme une ­douleur
paroxystique, durant de quelques secondes à minutes, com­
mençant dans la région occipitale avant de rayonner sur
l'ensemble du nerf grand occipital (nerf d'Arnold, émanant
des racines C2 et C3), du nerf petit occipital (émanant de
la racine C2) ou du troisième nerf occipital (à partir de
la racine C3) [69]. Ces attaques sont parfois déclenchées
par le froid ou par des mouvements cervicaux. Une zone Figure 18.16 Anatomie des nerfs occipitaux.
114   Partie 2. Traitements en pratique

tels que la radiofréquence pulsée, la neurolyse du nerf Techniques chirurgicales


occipital, la rhizotomie sélective en C1-C3 et la ganglio­
nectomie C2 [70–73]. Considérations générales
Les techniques de neuromodulation offrent une nou­ La stimulation du nerf occipital, réalisée pour la première
velle approche pour le traitement de la névralgie occipitale. fois par Weiner et Reed, est une technique simple pouvant
Ces techniques se sont déjà révélées efficaces pour les AVF être réalisée sous anesthésie locale ou générale. Elle consiste
[74–80]. en la mise en place sous-cutanée d'une électrode de stimu­
En 2011, K. Slavin [81] a retracé l'historique de la stimu­ lation plate (chirurgicale) ou cylindrique (percutanée), en
lation des nerfs périphériques. La stimulation des nerfs occi­ contact avec les nerfs occipitaux via une incision rétromas­
pitaux s'est révélée efficace dans les névralgies occipitales et toïdienne ou médiane [85]. L'électrode est alors connectée à
les céphalées cervicogéniques. un stimulateur placé en région abdominale.
Les mécanismes physiopathologiques sous-jacents Sweet et al. ont effectué une revue systématique de la
à l'efficacité de la stimulation occipitale ne sont tou­ stimulation du nerf occipital dans les névralgies occipi­
jours pas bien connus. La théorie du contrôle de Wall et tales réfractaires : neuf séries ont été analysées, cinq études
Melzack pourrait jouer un rôle dans l'action analgésique, rétrospectives, trois prospectives et 1 non définie [86].
mais il est peu probable qu'elle soit la seule explication. Nous pouvons ajouter notre étude rétrospective person­
Une implication du complexe trigéminocervical contri­ nelle, portant sur 60 patients atteints de névralgie occipitale
bue probablement à l'effet analgésique de la stimulation réfractaire traitée par SNP. La douleur, sa localisation, sa
occipitale, qu'il explique partiellement, dans les céphalées durée, son étiologie et le traitement antérieur ont été analy­
chroniques [82–84]. sés. Les évaluations comprenaient une EVA avant et 12 mois
après l'implantation du SNP, l'échelle de quantification des
médicaments (EQM) avant et 12 mois après l'implantation
Indications de la stimulation et lors du dernier suivi, échec du traitement médical et
occipitale approche multidisciplinaire de la douleur.

Évaluation de la maladie
Électrode chirurgicale plate versus
Les patients qui souffrent de névralgie occipitale réfrac­
taire, selon les critères de l'IHS, seront candidats à une sti­ électrode ronde percutanée
mulation occipitale. C'est un critère majeur pour avoir des Les électrodes percutanées peuvent être insérées via une inci­
études homogènes, mais ce n'est pas suffisant. Les névralgies sion rétromastoïdienne ou une approche sur la ligne médiane.
occipitales doivent être réfractaires au traitement médical L'approche rétromastoïdienne peut être utilisée pour une
(association de molécules neuropathiques tels que des antié­ approche uni- ou bilatérale. Plusieurs auteurs ont décrit
pileptiques, des antidépresseurs et des antalgiques comme une approche rétromastoïdienne de l'électrode : Weiner et
le paracétamol, le tramadol ou la morphine) et à la rhizo­ Reed [85], Melvin et al. [87], Slavin et al. [88], Oh et al. [89],
lyse par radiofréquence ou par infiltration de corticosté­ Kapural [90] et Johnstone et Sundaraj [91] ont décrit l'im­
roïdes de C2. La névralgie doit être chronique (durée de la plantation de la sonde au moyen d'une approche médiane.
maladie supérieure à six mois). La douleur peut être uni- Slavin a utilisé les deux approches : latérale en cas de névral­
ou bilatérale. Une IRM rachidienne et crânienne doit être gie occipitale unilatérale et médiane en cas de névralgie
réalisée pour éliminer une névralgie nécessitant un traite­ occipitale bilatérale.
ment chirurgical (tumeurs, anévrismes, instabilité de la Dans notre série, nous utilisons des sondes percutanées et
colonne vertébrale, etc.). L'indication doit être posée après chirurgicales, suivant les deux approches, comme Slavin [88].
une concertation multidisciplinaire (chirurgien, algologue, L'électrode plate chirurgicale, nous semblant mieux
psychiatre). fixée, plus stable, peut éviter certains effets indésirables
tels qu'une migration et une rupture de sonde ; mais l'in­
convénient de cette électrode est la dissection des tissus
Évaluation clinique et psychosociale environnants. L'aiguille des électrodes percutanées est
préopératoire courbée pour épouser la forme de la région occipitale, mais
Cette évaluation est essentielle avant d'envisager toute pro­ ce procédé est imparfait, car la courbure de la région occi­
cédure invasive pour le traitement de la douleur, afin de pitale n'est pas uniforme. C'est le défi majeur de la future
sélectionner les meilleurs candidats pour ces techniques, électrode : la flexibilité et l'adaptation à la région occipitale
d'informer le patient des éventuels bénéfices et de limiter ses (figure 18.17).
attentes à l'égard d'un traitement miracle. Cette évaluation doit
confirmer le caractère réfractaire de la douleur neuropathique,
identifier la présence de comorbidités physiques douloureuses. Anesthésie locale versus anesthésie
Enfin, la chirurgie fonctionnelle ne doit pas être envisagée si le générale
patient a une espérance de vie supérieure à six mois. Weiner et Reed ont décrit le placement des électrodes
Une évaluation psychologique ou psychiatrique appro­ sous anesthésie locale [85]. L'anesthésie locale a pour
fondie est très importante tout choix d'une technique avantage de pouvoir tester le positionnement correct
d'intervention. de l'électrode recouvrant le territoire douloureux par
Chapitre 18. Traitements techniques   115

A B C
Figure 18.17 Vision aux rayons X et scan 3D d'électrodes occipitales (A–C).

la paresthésie. Cependant, les médecins expérimen­ tion de la stimulation : elle est passée de 8,35 en préopératoire
tés effectuent maintenant la procédure sous anesthésie à 2,32 en postopératoire. La série d'Abhinav et al. est particu­
générale [84, 88, 92, 93]. lièrement impressionnante, faisant état de nombreux patients
libres de douleur [95]. Les résultats semblent être maintenus à
long terme. L'étude de Weiner et Reed [85] a eu le suivi le plus
Fluoroscopie seule ou fluoroscopie important, durant en moyenne 2 ans, allant de 1,5 à 5,5 ans.
et échographie
Une étude rétrospective, portant sur 21 patients avec
53 électrodes, a été publiée à ce sujet [94]. Les patients Échecs de test
étaient atteints d'une névralgie occipitale réfractaire Certains patients n'ont pas pu recevoir d'électrodes, en
pour laquelle une indication de stimulation occipi­ raison de l'échec de la phase test : ils étaient 3 sur 14 dans
tale avait été retenue. L'objectif de cette étude était de l'étude menée par Melvin et al. [87], 4 sur 14 dans l'étude
comparer deux groupes : les patients avec stimulation menée par Slavin et al. [88], et 1 sur 8 dans l'étude menée
occipitale placée sous fluoroscopie, et les patients avec par Johnstone [91]. Nous n'avons pas ce problème car nous
stimulation occipitale placée avec échographie et fluo­ utilisons la TENS pour présélectionner les patients [97].
roscopie. Il n'y avait pas de différences statistiques entre Nous avons rasé le patient ou utilisé le kit Arnold afin d'ef­
les deux groupes. Cependant, il pourrait être utile d'uti­ fectuer la TENS. À tous les patients qui ont une réduction de
liser l'échographie pour évaluer la profondeur de l'élec­ la douleur de plus de 30 % avec la TENS sera administrée une
trode. La stimulation sous-cutanée n'est efficace que stimulation occipitale en une seule étape (électrode et stimu­
si elle est bien située, à la jonction derme-hypoderme ; lateur en un seul temps). Les patients avec TENS négative ont
sinon, il existe un risque de stimulation des muscles avec eu un essai avec une sonde percutanée Si le test était positif, le
des contractures et des sensations désagréables. La sti­ générateur était implanté ; sinon, l'électrode était retirée.
mulation ne doit pas être trop superficielle non plus car
l'électrode présente sinon un risque d'érosion cutanée
(figures 18.18, 18.19 et 18.20). Complications
Les complications comprenaient la migration de l'électrode,
l'infection, la réaction allergique et la douleur au cou ou sur
Résultats et complications le site du générateur d'impulsions. Le taux de complications
varie de 0 % [95] à 33 % [96].
Résultats (tableau 18.1) Le dysfonctionnement de l'électrode (électrode cassée ou
La stimulation occipitale est un traitement efficace contre déconnectée) est uniquement survenu (1 cas sur 136) dans
les névralgies occipitales réfractaires. Tous les articles et l'étude menée par Melvin et al. [87].
revues fournissent des preuves de niveau III. L'OMS fournit Une infection est retrouvée dans 5,3 % des cas. Selon les
de bons résultats dans les cas de névralgie occipitale et de séries, le taux d'infections se situe entre 0 et 29 %. Aucun
céphalée cervicogénique (environ 80 % des patients ont une consensus n'est formellement établi pour éviter les infections.
amélioration) [85–89, 91, 95, 96]. L'étude des procédures d'implantation de Bendel [99, 100],
Notre série est la plus grande série mondiale. L'EVA sur 2737 stimulations médullaires, a permis d'identifier toutes
moyenne a diminué de façon spectaculaire après l'implanta­ les procédures compliquées par une infection (2,45 %).
116   Partie 2. Traitements en pratique

Tens Électrode

2 6

5
7 8

3 4

Figure 18.18 Stimulation transcutanée pour le TENS, profonde dermique à proximité des nerfs pour l'électrode implantée. (1) Sens des
cheveux ; (2) sens du toucher ; (3) sens épicritique ; (4) sens de la pression ; (5) sens thermique ; (6) épaisseur ; (7) douleur ; (8) sens protopathique.

Épiderme

Derme

Tissu sous-cutané Électrode

Nerfs et vaisseaux
sanguins
sous-cutanés

Figure 18.19 Profondeur de l'électrode.

Conclusion
L'efficacité de la stimulation occipitale dans les névralgies
occipitales et cervicogènes semble indéniable, au vu des
résultats rapportés dans la littérature. C'est une technique
simple, réversible et peu invasive, avec peu de complica­
tions. La majorité des complications est liée à la migra­
tion des électrodes et à l'infection. Il peut être évité avec
un nouveau design d'électrodes cylindriques. Des études
prospectives sont nécessaires pour évaluer ces résultats.

Bibliographie
Oh M, Whiting D. Minimally invasive peripheral nerve stimulation for the
treatment of occipital neuralgia. Pain Section Newsletter : CNS Mee­
ting ; October 1999.
Rodrigo-Royo MD, Azcona JM, Quero J, Lorente MC, Acín P, Azcona J.
Peripheral neurostimulation in the management of cervicogenic hea­
Figure 18.20 Repérage échographique des nerfs occipitaux. dache : four case reports. Neuromodulation. 2005 Oct ; 8(4) : 241–8.
Chapitre 18. Traitements techniques   117

Tableau 18.1 Résumé des études portant sur des patients atteints de névralgie occipitale.
Étude Type Implantations Suivi Réduction de Paddle or Middle Année
d'étude (n) (mois) la douleur percutaneous lead or lateral
(% ou EVA) approach
Abhinav [95] ER 4 6–18 9à0 paddle midline 2013
Palmisani [96] ER 3 28–31 ≥ 50 % percutaneous Not none 2013
Magown [98] EP 7 2–30 96 % paddle midline 2009
Melvin[87] EP 11 3 67 % percutaneous both 2007
Johnstone [91] Aucun 8 6–47 ≥ 50 % paddle midline 2006
Slavin [88] ER 14 5–32 60 à 90 % percutaneous both 2006
Kapural [90] EP 6 3 8,66 à 2,5 paddle midline 2005
Oh [89] ER 10 6 ≥ 70 % paddle lateral 2004
Weiner [85] ER 13 18–66 ≥ 50 % percutaneous lateral 1999
Raoul, non publiée ER 60 3–72 8,35 à 2,32 Paddle and both Soumis pour
(72,2 %) percutaneous publication en 2018
ER : étude rétrospective ; EP : étude prospective.

18.6 Techniques passage de l'os). Au niveau du cortex cérébral, qui est un


milieu conducteur, ce bref champ magnétique induit un

de stimulation cérébrale
courant électrique selon le principe d'induction électro­
magnétique de Faraday. La TMS réalise donc en fait une
stimulation électrique du cerveau, générant des poten­
pour contrôler tiels d'action au niveau des circuits neuronaux activés
dans le champ de la stimulation. Ce champ devient prati­
la douleur : rTMS quement nul au-delà, à quelques centimètres de distance
de la bobine. Cela présente l'avantage de pouvoir utiliser
Jean-Pascal Lefaucheur la TMS dans un environnement non contrôlé sur le plan
électromagnétique (contrairement à l'IRM). Mais l'incon­
Les premières machines de stimulation magnétique trans­ vénient est que la TMS ne permet qu'une stimulation des
crânienne (transcranial magnetic stimulation [TMS]) des­ fibres les plus superficielles du cortex cérébral et non des
tinées à stimuler le cortex cérébral chez l'homme ont été structures sous-corticales ou cérébrales profondes.
mises au point au milieu des années 1980 par Barker, de
l'université de Sheffield [101]. La TMS est un outil de sti­
mulation cérébrale non invasive, permettant l'exploration Protocoles de rTMS
diagnostique (technique des potentiels évoqués moteurs Dans les années 1990, ont été conçus les premiers appareils
évaluant les conductions sur les voies pyramidales) et des de rTMS, permettant de délivrer plusieurs stimulations par
études fonctionnelles de l'activité cérébrale (excitabilité et seconde, jusqu'à environ 50 Hz, actuellement. Il existe dif­
cartographie des circuits moteurs corticaux). Enfin, grâce au férents protocoles de stimulation, les plus fréquents étant
développement de stimulateurs permettant de délivrer des une stimulation tonique à 1 Hz, dite « à basse fréquence »,
trains de stimulation à différentes fréquences, la voie a été censée plutôt inhiber l'activité cérébrale, et une stimulation
ouverte aux applications thérapeutiques de la stimulation par trains, quelques secondes à 10 ou 20 Hz, dite « à haute
magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) en neuro­logie fréquence », censée plutôt exciter l'activité cérébrale [102].
et en psychiatrie [102, 103]. Dans tous les cas, les séances de stimulation durent de 15
à 30 minutes maximum et, pour obtenir un effet théra­
Quelques principes peutique, elles doivent être répétées tous les jours pendant
une à deux semaines (du lundi au vendredi). Ensuite, les
Le principe de la TMS est lié à la décharge d'un courant séances « d'entretien » peuvent être plus espacées, une fois
de très haute intensité (plusieurs milliers d'ampères) dans par semaine, puis toutes les deux semaines, puis tous les
un intervalle de temps très court (quelques dizaines de mois, en fonction de la persistance de l'amélioration cli­
microsecondes) à travers une bobine de fil de cuivre, nique. En effet, tout l'intérêt de la rTMS est de produire des
générant de ce fait un champ magnétique de haute éner­ changements d'activité cérébrale qui perdurent bien au-delà
gie (2 à 2,5 teslas) et de brève durée (moins d'une mil­ du temps de la stimulation, grâce à l'induction du processus
liseconde). Si la bobine est posée sur le scalp, le champ de plasticité cérébrale. Aussi, si les patients répondent au
magnétique produit franchit la boîte crânienne et atteint traitement « d'induction » des premières semaines, il n'est
le cortex cérébral sans atténuation (contrairement aux sti­ besoin d'effectuer par la suite que des séances plus espacées
mulations électriques qui sont fortement atténuées par le pour maintenir l'effet clinique.
118   Partie 2. Traitements en pratique

Stimulation à haute fréquence douleurs non neuropathiques diffuses, de type douleurs


myofasciales ou fibromyalgie, la stimulation est ciblée par
du cortex moteur pour traiter défaut sur le cortex moteur de la main au niveau de l'hémis­
les douleurs chroniques phère gauche, au moins chez les droitiers. Ensuite, la bobine
Les premières applications thérapeutiques de la rTMS ont de stimulation doit être orientée parallèlement à la ligne
concerné les pathologies psychiatriques, notamment la médiane interhémisphérique [107]. La séance de stimulation
dépression résistant aux médicaments. Dans cette condi­ est constituée par la répétition, toutes les 30 à 50 secondes,
tion clinique, la cible est le cortex préfrontal. Actuellement, de trains de chocs magnétiques délivrés à 10 ou 20 Hz, et
la rTMS est d'usage admis dans l'arsenal thérapeutique de chaque train dure une dizaine de secondes au maximum.
la dépression dans la plupart des pays du monde [104]. Chaque séance dure au total 15 à 30 minutes, comme indi­
L'application au traitement des syndromes douloureux qué précédemment, et comprend donc de 1500 à 3000 chocs.
chroniques, notamment neuropathiques, est la seconde La contre-indication absolue est la présence d'un maté­
indication de la rTMS en termes de niveau de preuves d'ef­ riel ferromagnétique au niveau de la tête (par exemple des
ficacité [103]. Depuis les premiers résultats publiés à la fin implants cochléaires). L'épilepsie, la grossesse ou la présence
des années 1990 [105], de nombreuses études ont confirmé d'un pacemaker cardiaque au niveau thoracique ne sont que
la valeur de la rTMS pour soulager divers types de douleur. des contre-indications relatives.
Seules les stimulations à haute fréquence (10 à 20 Hz) ont
un effet antalgique, la cible étant le cortex moteur primaire,
comme en cas de stimulation implantée chirurgicalement.
La rTMS active des circuits neuronaux qui « passent » au
Résultats
niveau du cortex moteur, notamment des contrôles descen­ La rTMS est déjà utilisée par plus d'une vingtaine de
dants ou des projections vers des structures limbiques. En centres en France dans la prise en charge des patients
agissant sur cette région corticale « carrefour », qui intègre douloureux. Des protocoles de 14 séances sur cinq mois
beaucoup d'informations pour la commande motrice, la chez des patients fibromyalgiques, de 19 séances sur six
rTMS peut moduler l'activité de diverses structures qui mois dans le cadre de douleurs faciales réfractaires, ou
contrôlent aussi les différentes composantes de la douleur de 15 séances sur 12 mois pour des douleurs neuropa­
[106] (figure 18.21). thiques centrales ont montré des taux de 40 à 50 % de
patients répondeurs [108–110]. Ces résultats sont très
encourageants et, dans l'ensemble, la rTMS à haute fré­
En pratique quence du cortex moteur serait susceptible de réduire
les scores de douleur de 20 à 45 % en moyenne chez 35
De façon pratique, la rTMS peut être indiquée pour traiter à 60 % des patients [106]. Cet effet antalgique n'est pas
des douleurs neuropathiques focales ou des douleurs non immédiat, mais se constitue dans les jours qui suivent
neuropathiques diffuses. En ce qui concerne les douleurs les séances et dure au-delà du temps de la stimulation.
neuropathiques focales, qu'elles soient d'origine périphé­ Pour obtenir une « couverture antalgique » durable et
rique ou centrale, la stimulation doit être ciblée sur le cor­ pertinente cliniquement, il est nécessaire de réaliser
tex moteur controlatéral à la zone douloureuse. Pour les des séances répétées. Cela impose une grande disponi­
bilité de l'équipe soignante formée à cette technique et,
aussi, des patients qui doivent revenir régulièrement aux
séances de stimulation.

Perspectives
Diverses avancées techniques pourraient améliorer l'effica­
cité de la stimulation, comme l'utilisation d'un système de
« neuronavigation » intégrant les données d'IRM cérébrale
morphologique ou fonctionnelle des patients, ce qui per­
met d'optimiser le repositionnement de la bobine sur une
même cible lors des séances successives [106] (figure 18.22).
Ensuite, d'autres cibles corticales (préfrontales, insulaires)
sont en cours d'évaluation, utilisant notamment de nou­
velles bobines aux designs spécifiques, tout comme d'autres
techniques de stimulation corticale non invasive, telle la
stimulation électrique transcrânienne à courant continu
(transcranial direct current stimulation [tDCS]) [106]. Ces
deux méthodes, rTMS et tDCS, qui n'ont pas les mêmes
mécanismes d'action au niveau des fibres nerveuses (effets
Figure 18.21 Intérieur d'une bobine de stimulation et visualisation de stimulation et de polarisation, respectivement), pour­
du champ induit au niveau cortical. raient toutefois avoir des effets antalgiques similaires.
Chapitre 18. Traitements techniques   119

Les indications de cette technique se sont élargies. Toutes


ne sont pas validées. Les plus courantes sont la douleur aiguë
(douleur postopératoire, dysménorrhée, angine de poitrine,
etc.) et la douleur chronique (arthrose, lombalgie, douleur
neuropathique, etc.).

Principes de la TENS
La TENS peut contrôler la douleur par une stimulation,
à travers la peau, à des intensités bien tolérées et auto-­
administrée par le patient, ce qui inhibe la transmission du
message au niveau de la CPME (contrôle de porte). Elle peut
aussi renforcer le contrôle opioïde, ce qui explique l'effet
poststimulation et la possibilité d'une tolérance croisée si
les patients sont traités par opiacés. D'autres mécanismes
sont évoqués, comme la mise en action du contrôle inhibi­
teur diffus (courants de haute intensité et haute fréquence),
une action plus périphérique ainsi que la participation du
système sympathique. Enfin, l'effet placebo participe égale­
ment à l'effet antalgique [111].
Figure 18.22 Séance de rTMS utilisant un système de neurona-
vigation.
Composition de la TENS
La TENS est composé d'un générateur électrique,
autoalimenté par une pile ou une batterie rechargeable
Recommandations (figures 18.23 et 18.24), ce qui autorise la délivrance en
Le niveau de preuve apparaît suffisant pour pouvoir ambulatoire de courants à partir d'électrodes en élastomère
conclure à une efficacité antalgique de la rTMS à haute siliconé, conductrices, hypoallergiques, souples et de taille
fréquence du cortex moteur dans les douleurs neuropa­ variant de 1 cm2 à 160 cm2, fixées sur la peau du patient et
thiques localisées ou la fibromyalgie [103, 106]. Des études reliées au générateur par des câbles flexibles (figure 18.25).
multicentriques internationales portant sur de larges
populations restent nécessaires pour confirmer les modali­
tés d'application thérapeutique de la rTMS dans la pratique
clinique et mieux définir les indications et les protocoles
de stimulation à utiliser chez les patients douloureux
chroniques.

18.7 Neurostimulation
transcutanée
Marie-Louise Navez, Valérie Beauvieux
La TENS est une méthode d'analgésie non médicamenteuse
par administration d'un courant électrique par voie transcu­
tanée réalisée à l'aide d'un stimulateur relié à des électrodes
appliquées sur la peau.
L'effet thérapeutique pourrait être fondé sur plusieurs
mécanismes de contrôle de la douleur, dont deux principaux :
■ le premier, appelé contrôle de la porte (gate control),
décrit par Wall et Melzak en 1965, suggère une inhibi­
tion de la transmission du message nociceptif par la sti­
mulation des grosses fibres myélinisées du tact et de la
proprioception ;
■ le deuxième concerne le renforcement du contrôle
opioïde, avec le relargage de substances opioïdes endo­
gènes (endorphines) lors de la stimulation en mode acu­
punctural [111]. Figure 18.23 Appareil TENS.
120   Partie 2. Traitements en pratique

P1 Gate control 100 Hz


P2 Gate control 80 Hz
P3 Endorphinique 2 Hz
P4 Gate control (canal 1 : 80 Hz)
+ endorphinique (canal 2 : 2 Hz)
P5 TENS séquentiel : 10 min Gate control
100 Hz + 20 min endorphinique 2 Hz
P6 Stimulation HAN : 100 Hz + 2 Hz
Alterné toutes les 3 secondes
P7 TENS Burst 2 Hz
P8 TENS Modulation 2 à 80 Hz
P9 Excito-moteur
P10 Gate control 80 Hz dynamic lent (massage)
P11 Gate control 80 Hz dynamic rapide (frottements)
P12 TENS haute fréquence

Figure 18.26 Différents courants proposés lors du TENS.

d'onde de 50 à 10 μs et de basses intensités. Il procure des


paresthésies non douloureuses dans le territoire stimulé. Les
Figure 18.24 Appareil TENS. électrodes sont positionnées dans le territoire douloureux
(distribution du nerf ou étage métamérique, territoire scia­
tique ou crural, etc.), avec une électrode proximale (racine
du membre) et une électrode distale. L'effet antalgique
apparaît rapidement pendant la stimulation (30 minutes
environ), mais cet effet ne persiste pas après la stimulation
(tableau 18.2).

Mode de stimulation discontinue, ou burst


Le mode de stimulation discontinue ou « burst », dit aussi
« acupuncture like » (AL-TENS), associe des courants de
basses fréquences, entre 1 et 4 Hz, des largeurs d'onde
entre 100 et 400 μs et de hautes intensités. Ce mode de cou­
rant est ressenti comme de faibles secousses musculaires.
Figure 18.25 Générateur câble souple électrodes. Les stimulations de basses fréquences et hautes intensités
sont réalisées pendant 45 minutes environ en territoire
extrasegmentaire (pararachidien dans la lombalgie) et
On assiste à une amélioration des matériels (générateur procurent une analgésie rapide qui augmente durant la
de courant, programme de stimulation, batterie, fiabilité stimulation et persiste après l'arrêt de celle-ci (posteffet).
des connectiques, système connecté) et des applications à Les électrodes sont placées en pararachidien, en regard du
d'autres indications (céphalées). segment lombaire douloureux et souvent de diamètre plus
important.

Paramètres de stimulation
Plusieurs paramètres de stimulation sont proposés et Impératifs de stimulation
varient en fonction de la fréquence des impulsions Certains impératifs de stimulation sont à respecter et condi­
(1 Hz à 100 HZ), de l'intensité du courant électrique tionnent l'efficacité de la technique, comme la présence
(0–50 mA), de la largeur de l'impulsion (0,1 à 0,5 ms) d'un nombre suffisant de fibres myélinisées à stimuler, le
(figure 18.26). On peut globalement retenir deux modes fait de préférer les fibres superficielles, plus accessibles à
de stimulation. la stimulation, la présence, pour les courants hautes fré­
quences, de paresthésies localisées et à des niveaux d'inten­
Mode haute fréquence sité inférieurs au seuil douloureux. Aucune différence n'est
Le mode haute fréquence, ou TENS conventionnelle rapportée entre les courants de modulation fixe et les cou­
(contrôle de porte ou C-TENS), associe une stimulation rants de modulation variable, même s'ils sont de pratique
continue en haute fréquence (80–100 Hz) avec des largeurs courante.
Chapitre 18. Traitements techniques   121

Tableau 18.2 Tableau de correspondance sécrétions d'endorphines), à la fois sur la douleur lombaire
entre TENS éco et CEFAR PRIMO PRO. et la douleur radiculaire. La TENS est très largement pres­
crite dans ces situations. [112, 113].
Programme TENS ECO CEFAR PRIMO PRO
L'évaluation de la TENS dans la douleur neuropathique
Gate Control 100 Hz P1 P1 ou souffre de biais méthodologiques, cependant elle a été
programmation c­lassée avec un niveau de preuve 2, grade B (présomption
Gate Control 80 Hz P2 P1 scientifique), sans qu'ait été précisé le mode de stimulation
Endorphinique 2 Hz P3 P2
le plus opérant [114].
De nombreuses autres indications, sans preuves for­
Gate control modulé en Pas P3
melles, sont de pratique courante : cervicalgie, fibromyalgie,
largeur d'impulsion (70–180 d'équivalent
μs)
douleur neuropathique du cancer, SDRC, douleur aiguë
postopératoire (figure 18.27).
Gate control (canal 1 : 80 Hz) P4 P1 (canal 1)
Dans tous les cas, la TENS est proposée comme alter­
Endorphinique (canal 2 : 2 Hz) P2 (canal2)
native ou en complément d'un traitement médicamenteux
TENS séquentiel : 10 min. P5 P1 (10 min.) + dont l'efficacité est réduite et qui est mal toléré (HAS, 2009).
Gate control 100 HZ + 20 min. P2 (20 min.) L'essai préalable avant prescription et la location per­
endorphinique 2 Hz
mettent d'identifier les patients répondeurs et motivés pour
TENS zones sensibles (largeur Pas P4 une autoprise en charge. Elle peut, dans certains cas, être
d'impulsion 60 μs) d'équivalent envisagée dans l'attente d'une neurostimulation implantable.
Stimulation HAN : 100 Hz P6 P5 Des TENS adaptées à la céphalée sont proposées avec une
+ 2 Hz alterné toutes les efficacité modeste en prophylaxie. Des neurostimulateurs
3 secondes proposant une stimulation vagale à partir d'une électrode
Traitement des nausées : Pas P6 auriculaire sont en cours de validation pour les migraines et
10 Hz d'équivalent les douleurs coliques et pelviennes. Les TENS dites connec­
TENS burst 2 Hz P7 P2 tées, qui se développent, ont l'avantage d'une meilleure fonc­
TENS modulation 2 à 80 Hz P8 P5
tionnalité et autonomie. Elles permettent l'enregistrement
automatique des séances, avec une évaluation en continu,
Excito-moteur P9 Pas d'équivalent un contrôle on line du traitement et son adaptation par le
Gate control 80 Hz dynamic P10 P7 professionnel de santé.
lent (massage) Les conditions de prescription et d'utilisation (HAS,
Gate control 80 Hz dynamic P11 P7 2009) sont les suivantes : prescription par un médecin avec
rapide (frottements) une compétence universitaire douleur, essai pendant six
TENS haute fréquence P12 P1 mois avec un appareil loué, achat au-delà, si le test d'effica­
cité est positif. Quatre paires d'électrodes sont remboursées
tous les mois.
Apprentissage
La période d'apprentissage est fondamentale pour mettre le
patient en confiance, trouver avec lui le mode de stimula­
tion adéquat et lui permettre une participation active à son
traitement.

Contre-indications
Les contre-indications sont la stimulation sur peau lésée,
désensibilisée ou hyperalgésique, le pacemaker, du fait d'un
risque d'interférences, la stimulation au niveau des sinus
carotidiens. Les effets indésirables sont faibles, essentielle­
ment des effets cutanés irritatifs ou allergiques. La prudence
est de mise chez les patients épileptiques, les électrophobes,
la femme enceinte (éviter l'abdomen et utiliser seulement les
programmes contrôle de porte).

Indications de la TENS
Les indications de la TENS sont très larges.
L'intérêt de la TENS dans la lombalgie et la lombosciatal­
gie chronique a fait l'objet de nombreuses études dont une,
multicentrique et randomisée, versus placebo, a rapporté
l'efficacité de programmes mixtes (contrôle de porte et Figure 18.27 TENS et névralgie cervico-brachiale.
122   Partie 2. Traitements en pratique

Acupuncture [115] [14] Behar M, Magora F, Olshwang D, Davidson JT. Epidural morphine in
treatment of pain. Lancet 1979 ; 1 : 527–9.
L'acupuncture est utilisée depuis plus de 2 000 ans en Chine [15] Onofrio BM, Yaksh TL, Arnold PG. Continuous low-dose intrathecal
et n'a été introduite en Europe qu'au xviie siècle. Malgré les morphine administration in the treatment of chronic pain of mali­
progrès de la science, il est actuellement toujours difficile d'en gnant origin. Mayo Clin Proc 1981 ; 56 : 516–20.
comprendre le mécanisme. Toutefois, l'IRM fonctionnelle [16] Melzack R, Wall PD. Pain mechanisms : a new theory. Science 1965 ;
150 : 971–9.
apporte quelques éléments de réponse en montrant une pro­
[17] Atweh SF, Kuhar MJ. Autoradiographic localization of opiate receptors in
bable activation des aires cérébrales impliquées dans la régula­ rat brain. I. Spinal cord and lower medulla. Brain Res 1977 ; 124 : 53–67.
tion de la douleur. Chez le douloureux chronique, il existe une [18] Bernards CM. Understanding the physiology and pharmacology of
hyperactivation des zones cérébrales de la matrice douleur, et epidural and intrathecal opioids. Best Pract Res Clin Anaesthesiol
l'acupuncture aurait un rôle dans la modulation de la douleur et 2002 ; 16 : 489–505.
dans la restauration de la connectivité fonctionnelle cérébrale. [19] Tangen KM, Leval R, Mehta AI, Linninger AA. Computational and
En pratique, on retiendra la méta-analyse publiée dans In Vitro Experimental Investigation of Intrathecal Drug Distribution :
The Cochrane Database of Systematic Reviews en 2016, com­ Parametric Study of the Effect of Injection Volume, Cerebrospinal
parant l'acupuncture aux traitements occidentaux conven­ Fluid Pulsatility, and Drug Uptake. Anesth Analg 2017 ; 124 : 1686–96.
tionnels chez les migraineux, qui rapportait une efficacité [20] Hettiarachchi HD, Hsu Y, Harris Jr. TJ, Penn R, Linninger AA. The
effect of pulsatile flow on intrathecal drug delivery in the spinal canal.
comparable sur la diminution de la fréquence des crises de
Ann Biomed Eng 2011 ; 39 : 2592–602.
migraine et avec moins d'effets indésirables. [21] Stearns L, Boortz-Marx R, Du Pen S, Friehs G, Gordon M, Halyard M,
Les indications sont largement étendues à tous types de et al. Intrathecal drug delivery for the management of cancer pain : a
douleur, et les contre-indications se limitent à la prise d'une multidisciplinary consensus of best clinical practices. J Support Oncol
anticoagulation à dose curative et à la phobie des aiguilles. 2005 ; 3 : 399–408.
L'acupuncture paraît être une thérapie complémentaire [22] Portenoy RK, Hassenbusch SJ. PolyAnalgesic consensus conference
intéressante à associer à la prise en charge habituelle. 2000. J Pain Symptom Manage 2000 ; 20 : S3.
[23] Hassenbusch SJ, Portenoy RK, Cousins M, Buchser E, Deer TR,
Du Pen SL, et al. Polyanalgesic Consensus Conference 2003 : an update
Références on the management of pain by intraspinal drug delivery-- report of an
expert panel. J Pain Symptom Manage 2004 ; 27 : 540–63.
[1] Goerig M, Bacon D, van Zundert A. Carl Koller, cocaine, and local [24] Deer T, Krames ES, Hassenbusch SJ, Burton A, Caraway D, Dupen S,
anesthesia : some less known and forgotten facts. Reg Anesth Pain et al. Polyanalgesic consensus conference 2007 : recommendations for
Med 2012 ; 37 : 318–24. the management of pain by intrathecal (intraspinal) drug delivery :
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Chapitre 18. Traitements techniques   125

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656–65.
Chapitre
19
Effet placebo
Denis Baylot

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Données neurobiologiques . . . . . . . . . . . . . . . 128
Données cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Conséquences de l'effet placebo sur les études
L'effet du conditionnement cliniques et notre pratique . . . . . . . . . . . . . . . . 128
et de l'apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Conclusion : ce que le praticien retiendra . . . 129

Ce qu'il faut comprendre ■ « on ne sait pas ce qu'il y a dans la perfusion : soit un


antalgique, soit un produit inerte »,
Le placebo (latin dont la traduction est : « je plairai ») est ■ « il n'y a pas d'antalgique dans la perfusion ».
une procédure thérapeutique factice simulant un traitement Parallèlement, on autorise les patients à prendre des doses
réel. L'effet du placebo est la réponse psychocorporelle à de secours antalgiques de buprénorphine laissées à dispo-
ce traitement. L'étude de l'effet d'un placebo s'attache à sition. Pour un même niveau de douleur, la consommation
analyser les mécanismes neurobiologiques qui, à partir de buprénorphine varie respectivement de 7,65, 9,15 et
d'un contexte environnemental, vont élaborer une réponse 11,55 mg, la différence étant liée au type d'injonction verbale,
comportementale dans le sens d'une amélioration de l'état évoquant un « effet antalgique » ou les médicaments actifs.
de santé.
Cet effet n'est pas spécifique à la douleur, il est constaté
dans divers champs de la médecine. Sa mise en évidence L'effet du conditionnement
expérimentale se fait en comparant un groupe d'évolution
naturelle d'une douleur avec un groupe recevant un médi-
et de l'apprentissage [1]
cament inerte. La différence mesurée entre les deux groupes L'effet du placebo est renforcé par l'expérience antérieure
est donc l'effet du placebo. d'un soulagement efficace, un bon exemple en étant les
Les études se sont surtout attachées à étudier les diffé- céphalées.
rents paramètres déterminant et influençant la réponse au Le conditionnement résulte du couplage entre un signal
placebo comme l'attente d'un effet favorable, les expériences et l'effet d'une thérapeutique active. Après une phase
antérieures, les instructions données par le soignant, l'envi- d'« entraînement », la simple application du signal procure
ronnement social, etc. l'effet clinique du traitement actif. Ainsi, l'effet du placebo
est renforcé après une phase de conditionnement où le sujet
expérimente un soulagement avec une substance active (ou
Données cliniques simulée active) avant d'être exposé à une molécule inerte.
L'effet contextuel peut être évalué, sur un modèle de L'exemple de l'effet antalgique d'une crème inerte sur une
douleur standardisé, par l'administration d'un traitement stimulation nociceptive cutanée localisée passe par une pre-
réel (morphine) administré à l'insu du patient, versus un mière étape, ou l'on suggère au sujet que la crème est anes-
placebo donné en ouvert, par un soignant « convainquant » thésiante, puis une deuxième étape de conditionnement où
quant à l'efficacité du traitement, pourtant factice. l'on simule une antalgie en diminuant l'intensité du stimu-
L'effet pharmacologique, isolé de toute intervention lus douloureux à l'insu du sujet. À la suite de la période de
humaine, ne dépasse l'effet contextuel sur la douleur (per- conditionnement, l'application de la crème inerte entraîne
fusion en présence humaine) qu'à partir de 12 mg, démon- un fort effet placebo antalgique sur le stimulus redevenu
trant par là même, la puissance de l'effet placebo. nociceptif. En outre, un effet somatotopique a été démontré.
L'impact des injonctions verbales a été étudié sur un Le conditionnement est efficace s'il déclenche l'attente
modèle de douleur postopératoire d'avulsion dentaire. L'effet d'un effet positif. Plus l'effet d'attente est renforcé et spéci-
antalgique d'un placebo donné en perfusion est évalué en fique, plus la réponse est importante.
fonction des trois types d'injonction verbale : Néanmoins, un conditionnement sans suggestion ver-
■ « on vous administre un super ''painkiller'' qui va vous bale explicite (simple appariement entre un signal lumineux
enlever la douleur », et une stimulation douloureuse) est efficace, sans que l'on
Médecine de la douleur pour le praticien
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128   Partie 2. Traitements en pratique

retrouve de lien entre l'effet du placebo et l'anticipation, le La médiation opioïde est documentée par l'annulation de
conditionnement et la peur avant la stimulation. Il a aussi l'effet placebo lors de l'administration de naloxone (1978).
été montré que, après un conditionnement lumineux, on En utilisant une technique d'imagerie moléculaire, sur un
retrouve un effet du placebo après présentation infralimi- modèle de douleur expérimentale, Zubieta et al. démontrent
nale du même stimulus lumineux. On peut donc obtenir un une activation du système opioïde endogène à l'origine de
effet placebo sans interaction consciente, par un mécanisme la réponse placebo avec un effet graduel. Les régions céré-
de conditionnement « caché » distinct du conditionnement brales spécifiquement activées sont le cortex préfrontal, le
habituel. gyrus cingulaire antérieur, l'insula et le noyau accumbens.
Par ailleurs, après un conditionnement renforcé (modèle Une corrélation entre l'activation du gyrus cingulaire
de la crème antalgique), l'effet antalgique du placebo per- antérieur et la SGPA est montrée.
siste après la révélation au sujet du caractère neutre de la L'activation du système de récompense à médiation
crème. Le conditionnement persiste alors que la vraie nature dopaminergique renforce l'effet placebo lors de l'attente d'un
de la manipulation est révélée. effet favorable. Lors de l'analgésie placebo, on retrouve une
Conditionnement et anticipation d'un effet favorable augmentation de l'activité des récepteurs dopaminergiques
interviennent donc comme des éléments déterminants dans (associés avec des récepteurs ?) dans le noyau accumbens
l'effet placebo, mais ne l'expliquent pas isolément. Des élé- (diminution en cas de nocebo).
ments préconscients et des processus conceptuels en lien Durant la période d'attente d'un effet favorable, avant
avec des expériences antérieures attribuant un effet positif même sa survenue, on constate une sécrétion accrue de
plausible à une injonction thérapeutique interviennent très dopamine proportionnelle à l'importance de cet effet. En
probablement [2]. comparant l'activation du noyau accumbens en IRM fonc-
La relation sociale est aussi un facteur renforçant la tionnelle dans le cadre d'une récompense financière et la
réponse placebo. Expérimentalement, l'observation d'un réponse placebo sur un modèle de douleur expérimentale en
soulagement mimé par un comédien renforce l'efficacité du TEP-scan, on retrouve une corrélation graduelle entre l'acti-
placebo, appliqué ensuite au sujet observant. vation du système de la récompense et la réponse placebo.
La question du placebo ouvert (open placebo), cas où le L'analyse de la réponse dopaminergique et opioïdergique,
patient est averti du caractère inactif de la thérapeutique, par la technique de la TEP, montre que le placebo active le
interroge sur la nécessité ou non de dissimuler au patient la système opioïdergique dans le gyrus cingulaire antérieur, l'in-
nature exacte du produit pour avoir un effet placebo optimal. sula et le cortex orbitofrontal, le noyau accumbens, l'amyg-
Dans différents modèles cliniques (côlon irritable, rhinite dale et la SGPA, et que l'activation dopaminergique concerne
allergique et lombalgie chronique), l'administration d'un les noyaux ventraux de la base, dont le noyau accumbens. Les
placebo en ouvert a montré un effet favorable sur les dou- deux systèmes sont donc associés à la fois durant la période
leurs et les capacités fonctionnelles. La divulgation de l'effet d'anticipation et dans la phase effective du placebo [1].
inerte du médicament n'est donc pas indispensable pour la
réalisation de l'effet placebo.
Conséquences de l'effet placebo
Données neurobiologiques sur les études cliniques et notre
pratique
L'effet placebo ne peut pas être expliqué par un mécanisme
neuro- ou psychobiologique simple. La réponse placebo, où Dans les études cliniques, le produit testé est généralement
le SNC convertit la prise d'un médicament factice en une évalué contre un placebo reçu par un autre groupe de
modification physiologique dans le corps et le cerveau, patient. Il se peut que l'effet pharmacologique soit favorable
passe par la mise en jeu de l'activation de zones cérébrales pour le symptôme, mais que l'effet placebo masque cette
spécifiques et d'un système de neurotransmetteurs. efficacité. D'autres modèles sont peut-être à concevoir,
Les structures cérébrales impliquées lors de l'effet pla- comme l'évaluation de l'efficacité d'un antalgique sur la
cebo ont été mises en évidence par l'IRM fonctionnelle, le réponse en IRM fonctionnelle d'un signal cérébral de
TEP-scan et le marquage de récepteurs. Elles concernent structures connues pour être impliquées dans la douleur.
essentiellement le lobe préfrontal et témoignent de l'activité Dans notre pratique clinique, l'utilisation d'un placebo
de l'effet placebo sur le network de la douleur. Un fort effet peut poser des questions éthiques évidentes. La « mise
placebo entraîne une extinction du réseau neuronal gérant à l'épreuve » d'un patient avec un placebo est plus que
la douleur. condamnable. L'étiquette de « simulateur » facilement
Lorsqu'il y a une déconnexion entre le lobe frontal et le apposée à un patient répondeur au placebo trouve ici toute
reste du cerveau (réalisée par RTMs ou constatée dans la sa limite, et nous interroge quant à l'interrelation entre le
maladie d'Alzheimer), l'effet du placebo s'éteint. patient, le médecin et le cerveau.
Un lien existe également entre la commande frontale L'effet placebo est donc partie prenante dans tout effet
(gyrus cingulaire antérieur et cortex préfrontal dorsolatéral) et thérapeutique. La prédiction de la capacité d'un individu à
l'activation de la SGPA et les noyaux du tronc cérébral (bulbe moduler une réponse physiologique en lien avec une injonc-
rpstrp-ventromédial [RVM] et locus coeruleus) modulant tion thérapeutique est soumise à différents facteurs comme
l'activité de la CPME par les voies descendantes inhibitrices. la mobilisation de ressources internes liées au changement
La neuromédiation fait intervenir des mécanismes opioï- (sous-tendue par la neurobiologie). Le lien construit au cours
dergiques et dopaminergiques. du parcours du patient entre une injonction thérapeutique et
Chapitre 19. Effet placebo   129

l'attribution d'un effet favorable sur la santé est certainement gnant dans le but d'une véritable ETP (vécu, consignes don-
central dans l'efficacité du traitement. Cela nous questionne nées et comprises par le patient).
quant à ce qu'est réellement le médicament et, surtout, la Nous garderons toujours à l'esprit que le placebo pose des
façon de l'administrer. De multiples paramètres (éléments questions éthiques évidentes et que la réponse au placebo ne
historiques, mnésiques et émotionnels) interviennent. Ren- veut pas dire simulation.
forcer l'effet d'attente favorable du patient est certainement un
moyen de mieux soulager, avec moins de médicaments.
Références
Conclusion : ce que le praticien [1] Enck P, Benedetti F, Schedlowski M. New insights into the placebo
and nocebo responses. Neuron 2008 ; 59 : 195–206.
retiendra [2] Geuter S, Koban L, Wager TD. The Cognitive Neuroscience of Pla-
Contrairement à ce que l'on peut penser, le placebo est tout cebo Effects : Concepts, Predictions, and Physiology. Annu Rev Neu-
rosci 2017 ; 40 : 167–88.
sauf inerte : il est fait de mots, de rituels, de symboliques et
de significations positives.
Renforcer l'effet placebo, dans notre pratique de soins,
est essentiel, car il est un témoin de la qualité de la relation Bibliographie
thérapeutique entre le patient et le soignant. Cela passe par Benedetti F, Carlino E, Pollo A. How placebos change the patient's brain.
une écoute empathique, une incitation à l'attente d'un effet Neuropsychopharmacology 2011 ; 36 : 339–54.
favorable, la mise en perspective des expériences antérieures Wager TD, Atlas LY. The neuroscience of placebo effects : connecting context,
positives, un travail sur les instructions données par le soi- learning and health. Nat Rev Neurosci 2015 ; 16 : 403–18.
Chapitre
20
Douleurs neuropathiques
Grégory Tosti, Nadine Attal

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut retenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Classification des douleurs neuropathiques . . 135
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
Diagnostic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140

Ce qu'il faut retenir vise à exclure de la définition certaines douleurs d'origine


­neurologique telles que les douleurs de spasticité par atteinte
La douleur neuropathique résulte d'une maladie ou d'une du système pyramidal. Selon la localisation de l'atteinte du
lésion du système somatosensoriel. Selon la localisation système somatosensoriel, on distingue la douleur neuropa-
de l'atteinte, on distingue la douleur neuropathique péri- thique périphérique et la douleur neuropathique centrale
phérique et la douleur neuropathique centrale. Diagnos- (cf. infra).
tiquer une douleur neuropathique implique deux étapes : La prévalence de la douleur neuropathique d'inten-
reconnaître les caractéristiques neuropathiques de la dou- sité modérée à sévère en France s'élève à 5 %. Ce chiffre
leur, puis identifier l'existence d'une lésion nerveuse res- varie peu, quels que soient les pays (par exemple il est
ponsable de la douleur. Le questionnaire DN4 est l'outil similaire au Japon, au Brésil et dans plusieurs pays
de dépistage le plus utilisé en France et intervient lors de d'Afrique) [1].
la première étape diagnostique. La prise en charge médi- La douleur neuropathique impacte bien davantage la
camenteuse des douleurs neuropathiques s'appuie sur des qualité de vie du patient (sommeil, anxiété, dépression,
recommandations fondées sur les preuves. Ont démontré etc.) que les autres douleurs, notamment nociceptives
leur efficacité dans le traitement de ces douleurs la pré- inflammatoires (par exemple les douleurs d'arthrose, la
gabaline, la gabapentine, les antidépresseurs tricycliques lombalgie chronique) probablement en raison du carac-
et inhibiteurs mixtes de la recapture des monoamines, les tère intolérable de certains symptômes et de la difficulté
topiques locaux (lidocaïne, capsaïcine) et les opioïdes. à les traiter [3].
En cas de douleur neuropathique réfractaire, une prise
en charge spécialisée est à envisager (toxine botulique,
neuro­stimulation, etc.). Description
Les douleurs neuropathiques possèdent des caractéristiques
qui leur sont propres :
Introduction ■ leur délai d'apparition est souvent retardé par rapport à la
lésion initiale (de quelques jours à quelques mois) ;
Les douleurs neuropathiques sont souvent sous-estimées
■ la douleur ne siège pas nécessairement à l'endroit
et sous-traitées. Elles concernent pourtant un quart de la
de la lésion, mais présente une distribution « neuro-­
population souffrant de douleur chronique [1]. Elles ne
anatomique ». L'exemple caractéristique est celui de la
sont pas l'exclusivité du neurologue et peuvent être diag­
douleur après un AVC, qui est hémicorporelle après
nostiquées et prises en charge dans un premier temps
lésion intracérébrale ;
en médecine ambulatoire, grâce à des outils de dépis-
■ l'intensité de la douleur n'est pas corrélée à la gravité de la
tage simples et à l'aide de recommandations de bonnes
lésion.
pratiques.

Sémiologie
Description
Les douleurs neuropathiques se distinguent de la
Définition majorité des douleurs dites « nociceptives inflamma-
La douleur neuropathique est une douleur résultant directe­ toires » mais aussi des douleurs dites « dysfonction-
ment d'une maladie ou d'une lésion du système soma- nelles » ou « nociplastiques », comme les douleurs de la
tosensoriel [2]. La référence au système somatosensoriel fibromyalgie.

Médecine de la douleur pour le praticien


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134   Partie 3. Pathologies douloureuses

Il n'existe pas de corrélation entre les symptômes neuro­ téristiques neuropathiques de la douleur, la seconde à iden-
pathiques et l'étiologie, soit le siège de la douleur. On tifier l'existence d'une lésion nerveuse responsable de la
retrouve en effet un ensemble de symptômes communs, douleur [7].
indépendants de la nature périphérique ou centrale de la Le questionnaire DN4 (figure 20.1) est l'outil de dépis-
douleur ou de son étiologie [4]. On a pu donc identifier des tage le plus utilisé en France et intervient lors de la première
caractéristiques cliniques communes à l'ensemble des étiolo- étape diagnostique [8, 9]. Il comporte différents symptômes
gies des douleurs neuropathiques : il peut s'agir de douleurs discriminants de la douleur neuropathique. Même si aucun
spontanées continues (brûlures, froid douloureux, sensation de ces symptômes n'est spécifique, leur combinaison oriente
d'étau, de compression ou de crampes), de douleurs spon- vers le diagnostic de douleur neuropathique. Le question-
tanées paroxystiques (décharges électriques, éclairs doulou- naire DN4 possède 7 items d'interrogatoire et 3 items d'exa-
reux, coup de couteau, élancement), de douleurs provoquées men clinique à la recherche de troubles de la sensibilité
par une stimulation mécanique ou thermique (par exemple (hypoesthésie tactile, à la piqûre, allodynie mécanique).
allodynie), de paresthésies ou de dysesthésies. Lorsque 4 items sur 10 sont validés, le DN4 identifie une
À l'examen, on recherche un déficit sensitif et moteur, douleur neuropathique avec une excellente sensibilité et
une allodynie ou une hyperalgésie et la possible présence de spécificité (figure 20.1).
signes vasomoteurs et sudoraux.
Nombre de ces symptômes sont discriminants et ont per-
mis l'élaboration de questionnaires de dépistage aidant au
diagnostic [5]. Intérêt clinique du DN4 et pièges à éviter
Le tableau 20.1 regroupe l'ensemble des symptômes S'il est possible d'utiliser le questionnaire DN4 sous forme
retrouvés dans le cadre d'une douleur neuropathique [6]. d'auto-diagnostic par le patient, il est préférable que le
praticien guide celui-ci afin de s'assurer de la bonne com-
préhension et de la pertinence des réponses. En outre,
Diagnostic les différents items doivent concerner une seule douleur
identifiée par le patient. Une erreur classique consiste à
Questionnaire de dépistage répondre aux items du DN4 en cumulant l'ensemble des
Diagnostiquer une douleur neuropathique implique deux douleurs du patient en cas de douleurs multiples ou dif-
étapes. La première étape consiste à reconnaître les carac- fuses (comme ce peut être le cas dans la fibromyalgie ou
une pathologie articulaire inflammatoire). Le DN4 doit au
contraire concerner une aire douloureuse précise, quitte à
Tableau 20.1 Douleur neuropathique : symptômes.
être appliqué successivement pour différentes aires dou-
Symptômes sensoriels positifs loureuses, afin de dépister celles qui ont des caractéris-
Douleur Sensation douloureuse ressentie en l'absence de
tiques neuropathiques [10].
spontanée stimulus Cet outil, appliqué de façon rigoureuse, permet égale-
ment de surmonter certains pièges diagnostiques. Ainsi,
Allodynie Douleur provoquée par un stimulus qui n'est pas
normalement douloureux (par exemple : allodynie
il peut éviter de porter le diagnostic par excès de douleur
au frottement) neuro­p athique en cas de douleur nociceptive présente
dans un territoire neurologique déficitaire : c'est le cas,
Hyperalgésie Réponse accrue à un stimulus normalement
douloureux
par exemple, des douleurs des membres inférieurs liées
à une arthrose des genoux et des chevilles chez un dia-
Paresthésie Sensation anormale, qu'elle soit spontanée ou bétique présentant une neuropathie sensitive non dou-
évoquée (par exemple fourmillement, picotement,
démangeaison, engourdissement)
loureuse, ou des douleurs de spasticité des membres
inférieurs chez un patient présentant une SEP avec défi-
Dysesthésie Sensation anormale, qu'elle soit spontanée ou cit sensitif des membres inférieurs. Dans tous les cas, ce
évoquée, de caractère franchement désagréable
questionnaire ne remplace jamais le bon sens clinique du
Symptômes sensoriels négatifs praticien.
Hypoesthésie Sensibilité moindre à une stimulation, à Il est important de rappeler que nombre de douleurs sont
l'exception des sensibilités spécifiques mixtes, c'est-à-dire qu'elles comportent à la fois une compo-
Anesthésie Perte totale de sensation sante neuropathique et nociceptive inflammatoire.
C'est le cas, par exemple, dans la lombosciatique ou
Hypoalgésie Douleur moindre en réponse à un stimulus
dans la névralgie cervicobrachiale, qui peut comprendre
normalement douloureux
à la fois la douleur neuropathique par lésion de la racine
Analgésie Absence de douleur en réponse à une stimulation nerveuse, mais aussi une composante inflammatoire
normalement douloureuse
­discale [11].
Chapitre 20. Douleurs neuropathiques   135

Figure 20.1 Questionnaire DN4 : un outil simple pour rechercher les douleurs neuropathiques.
Source : Bouhassira D, Attal N, Alchaar H et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a
new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain. 2005, 114 : 29–36.

Classification des douleurs ­ europathies iatrogènes, carentielles, endocriniennes


n
(hypothyroïdie), liées à un cancer, infectieuses et géné-
neuropathiques tiques. Dans nombre de cas, ces neuropathies n'ont pas
Selon la localisation de la lésion du système somatosenso- d'étiologie retrouvée et sont souvent qualifiées de « neuro­
riel, on distingue les douleurs neuropathiques périphériques pathies idiopathiques à petites fibres » du fait d'une atteinte
et centrales (tableau 20.2). prédominante des fibres nociceptives de calibre fin (Aδ et
C). Leur diagnostic nécessite des explorations spécifiques
(potentiels évoqués laser, biopsie cutanée, exploration des
Douleurs neuropathiques périphériques fibres nerveuses sympathiques par sudoscan, tests quanti-
Elles incluent les neuropathies douloureuses (polyneuro­ fiés sensoriels tels que le thermotest) dans la mesure où ces
pathies, mononeuropathies multiples, polyradiculoné- fibres fines ne sont pas explorables par l'électromyogramme.
vrites). Les plus fréquentes sont liées au diabète, mais Les mononeuropathies peuvent être infectieuses, comme
aussi à la lèpre dans les pays non occidentaux, responsable dans la douleur postzostérienne (par atteinte du ganglion
de mononévrites multiples. Nous citerons également les sensitif ) ou iatrogènes, notamment postchirurgicales.
neuropathies associées à des maladies de système, les Tout geste chirurgical, parfaitement réalisé, est en effet
136   Partie 3. Pathologies douloureuses

Tableau 20.2 Étiologies des douleurs neuropathiques.


Étiologies Périphériques Centrales
Fréquentes ou très fréquentes – Lésions radiculaires : hernie discale, canal lombaire étroit, – Accident Vasculaire Cérébral
chirurgie du rachis, etc. (ischémique ou hémorragique)
– Lésions nerveuses postchirurgicales ou post-traumatiques : – Lésion médullaire traumatique
douleurs post-thoracotomie, postmastectomie, douleurs – Sclérose en plaques
après chirurgie inguinale, après prothèse totale de genou,
etc.
– Syndromes canalaires : canal carpien, tunnel tarsien, etc.
– Neuropathies diabétiques
– Douleurs postzostériennes
– Plexite radique : radiothérapie pour cancer du sein, etc.
– Neuropathies chimio-induites : sels de platine, etc.
– Douleurs neuropathiques associées au cancer (par
compression ou envahissement nerveux)
– Neuropathie infectieuse : sida, syndrome de Guillain-
Barré, etc.
– Neuropathies alcooliques
Rares – Neuropathies dans le cadre des maladies de système ou – Syringomyélie
de pathologies endocrinniennes : syndrome de Gougerot- – Autre lésions médullaires (tumeurs,
Sjögren, hypothyroïdie, etc. lésions vasculaires, etc.)
– Carences vitaminiques : vitamine B1, B12, etc. – Lésions cérébrales (hors AVC)
– Neuropathie médicamenteuse : isoniazide, disulfiram,
amiodarone, etc.
– Neuropathie toxique : organophosphorés, etc.
– Maladies génétiques : maladie de Fabry, etc.

s­ usceptible de provoquer par lésion nerveuse des douleurs action sur la transmission du message douloureux au niveau
neuro­pathiques pouvant survenir plusieurs jours à plusieurs médullaire pour les antiépileptiques gabapentinoïdes).
semaines suivant l'acte chirurgical. Leur prévalence dépend La prise en charge médicamenteuse des douleurs neuro-
du type de chirurgie (3 % pour la hernie inguinale, plus de pathiques s'appuie sur des recommandations fondées sur les
30 % pour les douleurs post-thoracotomie). preuves. À ce jour, six classes thérapeutiques disponibles en
Enfin, citons les radiculopathies, le plus souvent d'ori- France ont démontré leur efficacité dans le traitement de la
gine discale (sciatique, névralgie cervicobrachiales), souvent douleur neuropathique : les gabapentinoïdes (gabapentine et
associées à des douleurs nociceptives. Ces douleurs sont prégabaline), les antidépresseurs tricycliques (amitriptyline,
probablement les douleurs neuropathiques les plus fré- clomipramine), les IRSNA (duloxétine, venlafaxine), la lido-
quentes dans la population générale. caïne topique (emplâtres de lidocaïne à 5 %), la capsaïcine
(patchs de haute concentration) et les opioïdes (sulfate de
Douleurs neuropathiques centrales morphine, oxycodone, tramadol) (tableau 20.3) [12]. Cepen-
ou douleurs centrales dant, seuls la prégabaline et les antidépresseurs tricycliques
ont une AMM pour l'ensemble des douleurs neuropathiques.
Elles résultent d'une lésion du SNC et peuvent être secondaires L'AMM de la gabapentine et des patchs de haute concentra-
à une SEP (la douleur survient souvent après une poussée), à tion de capsaïcine est limitée aux douleurs neuropathiques
des lésions médullaires (lésions traumatiques, vasculaires ou périphériques (à l'exclusion des neuropathies diabétiques,
tumorales, syringomyélie, myélopathie c­ ervico-arthrosique, pour la capsaïcine), celle de la duloxétine, aux douleurs neu-
etc.), ou encore à un AVC (ischémique ou hémorragique). ropathiques du diabétique, et celle des emplâtres de lidocaïne
aux douleurs neuropathiques postzostériennes. La venlafaxine
Traitement n'a pas d'AMM en analgésie. Les opiacés n'ont pas d'AMM
spécifique pour les douleurs neuropathiques, mais une AMM
Spécificité du traitement des douleurs pour les douleurs modérées à sévères (tramadol) ou pour les
neuropathiques douleurs sévères, en particulier d'origine cancéreuse (mor-
Les douleurs neuropathiques répondent mal aux antal- phine, oxycodone).
giques usuels. Contrairement aux douleurs nociceptives, le Dans le contexte des douleurs neuropathiques périphériques
choix du traitement ne dépend pas de l'intensité des dou- localisées, on peut utiliser, en première intention et en associa-
leurs neuropathiques : c'est plutôt la physiopathologie de tion avec les traitements médicamenteux, la TENS, du fait de son
ces douleurs, suggérée par des symptômes et signes parti- excellente sécurité d'emploi et du faible nombre de contre-indi-
culiers, qui oriente vers des traitements spécifiques. Ainsi, cations (existence d'un pacemaker, grossesse en cours) [13].
les médicaments ayant une efficacité sur les douleurs neuro-
pathiques peuvent agir sur le système périphérique (réduc-
tion de l'excitabilité nerveuse périphérique par la lidocaïne)
Recommandations thérapeutiques
ou sur le SNC (action sur les systèmes de modulation de la fondées sur les preuves
douleur par les antidépresseurs, le tramadol et les opioïdes, En pratique, en première intention, on prescrit (figure 20.2) :
Chapitre 20. Douleurs neuropathiques   137

Douleur neuropathique

(DN4 ≥ 4)

Antidépresseur tricyclique (25–150 mg/jour)1 Prégabaline (150–600 mg/jour)2


ou ou
IRSNA (duloxétine) (60–120 mg/jour) si DPNP2 gabapentine (1 200–3 600 mg/j)3

Effet indésirable, Efficacité partielle (30 à


Contre-indication 50 % de soulagement)
ou inefficacité

Traitement de second Association4


recours

Emplâtre
Tramadol de lidocaïne5 Capsaïcine

En cas de douleur neuropathique


périphérique postzostérienne

1. Prudence en cas de dysurie, de constipation, de pathologie cardiovasculaire ou de troubles cognitifs.


2. À privilégier en cas d'anxiété ou de troubles du sommeil associés à la douleur.
3. Médicament remboursé dans la seule indication de douleur postzostérienne.
4. Associations recommandées : tricycliques ou IRSNA et gabapentine ou prégabaline, antidépresseurs ou
antiépileptiques et emplâtres de lidocaïne.
Association non recommandée : gabapentine et prégabaline.
5. À privilégier en première intention si le sujet est âgé ou en cas d'intolérance aux traitements oraux
ou d'allodynie au frottement.

Figure 20.2 Algorithme thérapeutique de première et seconde intention des douleurs neuropathiques.

■ un gabapentinoïde : prégabaline ou gabapentine ; contexte (personne âgée, insuffisance rénale, etc.), les emplâtres
■ ou un antidépresseur : tricyclique ou inhibiteur mixte de lidocaïne peuvent être prescrits en première intention.
de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, En troisième intention, on proposera un traitement par
tel Cymbalta®, en particulier en cas de douleur neuro­ opioïdes forts, avec toutes les précautions d'emplois relatives
pathique diabétique. à cette prescription. L'instauration d'un tel traitement ne peut
Le choix de la classe thérapeutique dépendra de l'éva- s'envisager qu'une fois effectuées une évaluation et une prise en
luation bénéfice-risque et des comorbidités : un patient charge psychologique, sociale et physique (réadaptation). Il est
anxieux pourra, par exemple, bénéficier d'un traitement par recommandé de faire appel à un avis spécialisé lorsque la douleur
gabapentinoïdes, alors qu'un patient déprimé bénéficiera ne répond pas à une dose d'équivalent morphinique de 120 mg.
d'un traitement par antidépresseur (tableau 20.3). Enfin, en cas de douleur neuropathique réfractaire à ces
En cas d'inefficacité du traitement (efficacité de moins de traitements, il est nécessaire d'orienter le patient vers une
30 % sur la douleur pour un traitement bien pris et à dose prise en charge spécifique pour envisager d'autres gestes
suffisante) ou en cas d'effets indésirables majeurs, on chan- thérapeutiques très spécialisées (injection de toxine botuli-
gera de classe médicamenteuse. nique, neurostimulation, etc.).
Si l'efficacité est insuffisante, on associera deux classes
(par exemple gabapentine et amitriptyline).
En seconde intention, on pourra proposer du tramadol.
Règles de bonne prescription
La prudence est de mise en cas d'association avec un IRSNA : (tableau 20.4)
il y a en effet un risque de syndrome sérotoninergique. L'ETP du patient est indispensable dès l'introduction du
Si la douleur est périphérique, la lidocaïne en patch (Ver- traitement.
satis®) ou les patchs de haute concentration de capsaïcine Il faut expliquer que la prescription repose avant tout
(Qutenza®) peuvent être proposés, en structure spécialisée sur les propriétés antalgiques neuropathiques de ces molé-
(hôpital de jour) pour ces derniers. En fonction du terrain ou du cules, indépendantes de leur effet thymoanaleptique ou
Tableau 20.3 Mécanismes d'actions, doses, AMM, précaution d'emploi et effets indésirables des traitements pharmacologiques en première,

138   Partie 3. Pathologies douloureuses


deuxième ou troisième intention.
AMM Mécanismes Principaux effets Précaution Autres bénéfices Dose initiale Titration
principaux d'action indésirables d'emploi (dose maximale)
et dose
moyenne
Traitement de première intention
Antidépresseurs tricycliques
Amitriptyline Douleurs neuropa- Inhibition de la Somnolence, effets Pathologie – Amélioration de – 10–25 mg le Augmentation de 10–25 mg
(Laroxyl®, Elavil® thiques périphériques recapture des anticholinergiques, cardiaque (ECG), la dépression (doses soir (150 mg par tous les 3–7 jours jusqu'à
et génériques), de l'adulte monoamines, effets prise de poids, glaucome, minimales : 75 mg/j) jour) efficacité ou effets
clomipramine (amitriptyline), anticholinergiques, troubles de la adénome – Effet sédatif – Dose moyenne indésirables
(Anafranil® et douleurs blocage des canaux conduction, prostatique, (amitriptyline) efficace : 75 mg/j
génériques), neuropathiques de sodiques, action sur les confusion épilepsie, – Effet antipanique
imipramine l'adulte (clomipramine récepteurs β2 utilisation de (clomipramine)
(Tofranil®) et imipramine) tramadol
Antidépresseurs IRSNA
Duloxétine Traitement Inhibition de la Nausées, Pathologie Amélioration de la – 30 mg par Débuter à 30 mg par jour
(Cymbalta®) de la douleur recapture de la vomissements, hépatique, dépression et de jour (120 mg en et augmenter de 30 mg à
neuropathique sérotonine et de la sécheresse de la hypertension, l'anxiété généralisée, 2 prises) l'issue d'une semaine
diabétique norépinéphrine bouche utilisation de amélioration du – Dose moyenne
périphérique tramadol sommeil efficace : 60 mg/j
Agonistes α2δ
Gapabentine Traitement Action sur la sous- Somnolence, Réduire les Amélioration de – 100–300 mg x Augmentation de
(Neurontin® et des douleurs unité α2δ des canaux vertiges, œdèmes doses en cas l'anxiété généralisée 3/jour (1 200 mg x 100–300 mg x 3/jour tous les
génériques) neuropathiques calciques, effets sur la périphériques et prise d'insuffisance et du sommeil, 3/jour 3–7 jours, selon la tolérance
périphériques telles sensibilisation centrale de poids rénale aucune interaction – Dose moyenne
que la neuropathie médicamenteuse de 1 800 mg/jour
diabétique et la
névralgie post-
zostérienne chez
l'adulte
Prégabaline Traitement Action sur la sous- Somnolence, Réduire les Amélioration de – 25–75 mg par Augmentation de
(Lyrica®) des douleurs unité α2δ des canaux vertiges, œdèmes doses en cas l'anxiété généralisée jour (300 mg x 75 mg/jour tous les
neuropathiques calciques, effets sur la périphériques et prise d'insuffisance et du sommeil, 2/jour) 3–7 jours, selon la tolérance
centrales et sensibilisation centrale de poids rénale aucune interaction – Dose moyenne
périphériques de médicamenteuse de 300 mg/j
l'adulte
Traitements de deuxième intention
Tramadol LP Douleurs modérées à Effet opioïde par Vertige, nausées En cas Rapidité de l'effet, – 200–400 mg/j – 50 mg, une ou deux fois/j
(Zamudol®, sévères (en première fixation sur les et vomissements, d'association efficacité sur la en 2 à 4 prises – Paliers de 50 à 100 mg
Contramal®, intention en cas de récepteurs μ, effet constipation, avec IRS, IRSNA et douleur nociceptive/ – 300 mg/j après
Topalgic®, crise douloureuse monoaminergique somnolence, ADT, abaissement inflammatoire 75 ans
Monotramal®, ou de douleur central par inhibition céphalées, sécheresse du seuil
etc.), association inflammatoire du recapture de la de la bouche, dysurie, épileptogène
tramadol- prédominante) noradrénaline et de la clairance de la
paracétamol sérotonine créatinine < 30 ml/h
(Ixprim®, Zaldiar®,
etc.)
Emplâtres de Douleurs Blocage des canaux Effets locaux : prurit, À appliquer sur Pas d'effet systémique, 1 à 3 patchs/jour, 1 à 3 patchs/jour, 12 h/jour
lidocaïne neuropathiques sodiques irritation, rash, une peau effet possible sur selon
(Versatis®) postzostériennes (en allergie saine l'allodynie l'étendue de l'aire
première intention, douloureuse
notamment si le
patient âgé)
Patchs de haute Traitement Agoniste des Effets locaux : prurit, À appliquer sur Pas d'effet systémique 1 à 4 patchs, selon 1 application de 30 à 60 min
concentration des douleurs récepteurs TRPV1 sensation de brûlure, une peau l'étendue de l'aire tous les 3 mois, selon
de capsaïcine neuropathiques irritation, allergie saine douloureuse efficacité
(Qutenza®) périphériques
Traitements de troisième intention
Opiacés forts Douleurs persistantes Action périphérique, Nausées et Précautions Rapidité de l'effet, – 10 à 30 mg x – Augmentation de la
intenses ou spinale et supraspinale vomissements, d'emploi efficacité sur la 2/jour dose/48–72 h, de 30 à
rebelles aux autres par fixation sur anorexie, propres aux douleur nociceptive/ – (morphine 50 %. Un patch tous les

Chapitre 20. Douleurs neuropathiques   139


antalgiques, en les récepteurs constipation, flou morphiniques, inflammatoire retard) 3 mois.
particulier d'origine morphiniques (μ, k, δ) visuel, bouche sèche, pas en première – Titration avec – Titration individuelle
cancéreuse somnolence, fatigue, intention morphine
dysurie, rapide/4 h
prurit, troubles
cognitifs
ADT : antidépresseur tricyclique ; AMM : autorisation de mise sur le marché ; ECG : électrocardiogramme ; IRS : inhibiteur de la recapture de la sérotonine ; IRSNA : inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline.
Source : d'après [7], [15] ; [16] ; Baron et al. 2009.
140   Partie 3. Pathologies douloureuses

Tableau 20.4 Règles de prescription fondées sur des preuves. Cette prise en charge s'accompagne
des médicaments dans la douleur neuropathique. nécessairement d'une ETP du patient quant aux possibili-
tés thérapeutiques, aux modalités d'utilisation des traite-
Instauration
ments et aux bénéfices attendus. Le traitement de la douleur
Instauration à de faibles doses, puis augmentation des posologies neuro­pathique doit être complété par la prise en charge des
par palier selon la tolérance et l'efficacité pour les traitements symptômes associés tels que les troubles de l'humeur ou les
systémiques (titration)
troubles du sommeil, fréquemment rencontrés dans ce type
Durée du traitement de douleur, mais aussi bien entendu d'un traitement étiolo-
– Traitement pendant plusieurs mois (> 6 mois) gique lorsque cela s'avère possible [16].
– Réévaluation de la tolérance et de l'efficacité à la fin de la
titration, puis de façon régulière
– Réduction progressive possible des posologies au bout de 6 à
8 mois d'un traitement efficace à dose stable
Références
[1] Bouhassira D, Lantéri-Minet M, Attal N, Laurent B, Touboul C. Pre-
Prise en charge des troubles associés
valence of chronic pain with neuropathic characteristics in the gene-
– Traitement spécifique de l'anxiété, de la dépression ou des ral population. Pain 2008 ; 136 : 380–7.
troubles du sommeil si le traitement des douleurs est insuffisant [2] Campbell JN, Cruccu G, Dostrovsky JO, Griffin JW, Treede RD, Jen-
ou si ces troubles associés sont jugés suffisamment intenses sen TS, et al. Neuropathic pain : redefinition and a grading system for
– Traitement des autres types de douleurs souvent associées aux clinical and research purposes. Neurology 2008 ; 70 : 1630–5.
douleurs neuropathiques, selon l'étiologie [3] Attal N, Lanteri-Minet M, Laurent B, Fermanian J, Bouhassira D.
Source : d'après [16]. The specific disease burden of neuropathic pain : results of a French
nationwide survey. Pain 2011 ; 152 : 2836–43.
[4] Attal N, Fermanian C, Fermanian J, Lanteri-Minet M, Alchaar H,
a­ ntiépileptique. On doit aussi expliquer qu'une titration est Bouhassira D. Neuropathic pain : are there distinct sub- types depen-
ding on the aetiology or anatomical lesion ? Pain 2008 ; 138 : 343–53.
indispensable (ainsi qu'une décroissance progressive en cas
[5] Attal N, Backonja MM, Baron R, Bennett MI, Bouhassira D, Freynhagen R,
d'arrêt du traitement), que les effets indésirables sont pour et al. Using screening tools to identify neuropathic pain. Pain 2007 ;
la plupart temporaires et ne doivent pas motiver un arrêt du 127 : 199–203.
traitement sans qu'il en ait été discuté avec le médecin. Enfin, [6] Bogduk N, Merskey H, editors. Classification of Chronic Pain Des-
il faut informer que l'effet antalgique n'apparaît qu'après criptions of Chronic Pain Syndromes and Definitions of Pain Term.
quelques semaines d'administration quotidienne, systéma- Seattle, Wash : IASP Press ; 1994.
tique et à bonne posologie pour les traitements par voie sys- [7] Attal N, Bouhassira D. Stratégies d'évaluation des douleurs neuro­
témique, et que l'efficacité de ces traitements est partielle. pathiques. In : Neurologie. Paris : Elsevier Masson SAS ; 2010.
Pour accompagner la prise en charge, un suivi régulier 17-035-A-68.
du patient est nécessaire (à 1 mois, puis tous les 3 à 6 mois) [8] Alchaar H, Attal N, Bouhassira D, Boureau F, Brochet B, Bruxelle J,
et al. TO19 - Développement et validation d'un outil d'aide au diag­
et doit se coordonner avec une prise en charge multimo-
nostic des douleurs neuropathiques. Pain 2004 ; 114 : 29–36.
dale associant des techniques non médicamenteuses (acu- [9] Cruccu G, Sommer C, Anand P, Attal N, Baron R, Garcia-Larrea L,
puncture, relaxation, hypnose, etc.) et, éventuellement, et al. EFNS guidelines on neuropathic pain assessment : revised 2009.
un accompagnement psychologique (TCC, verbalisation, Eur J Neurol 2010 ; 17 : 1010–8.
EMDR, etc.). [10] Haanpää M, Attal N, Backonja M, Baron R, Bennett M, Bouhassira D,
et al. NeuPSIG guidelines on neuropathic pain assessment. Pain 2011 ;
152 : 14–27.
Traitements non recommandés [11] Koltzenburg M, McMahon S, editors. Wall and Melzack's Textbook of
en médecine de ville Pain. Edimbourg : Churchill-Livingstone ; 2005.
[12] Finnerup NB, Attal N, Haroutounian S, McNicol E, Baron R, Dwor-
Le clonazépam (Rivotril®) n'a jamais fait la preuve de son kin RH, et al. Pharmacotherapy for neuropathic pain in adults : a sys-
efficacité et n'a pas d'indication dans le traitement de la dou- tematic review and meta-analysis. Lancet Neurol 2015 ; 14 : 162–73.
leur neuropathique. De nombreux autres antiépileptiques [13] Kılınç M, Livanelioğlu A, Yıldırım SA, Tan E. Effects of transcuta-
n'ont pas fait la preuve de leur efficacité ou ont des résultats neous electrical nerve stimulation in patients with peripheral and
discordants et ne sont pas recommandés à ce jour [14]. central neuropathic pain. J Rehabil Med 2014 ; 46 : 454–60.
[14] Cruccu G, Gronseth G, Alksne J, Argoff C, Brainin M, Burchiel K,
et al. AAN-EFNS guidelines on trigeminal neuralgia management.
Eur J Neurol 2008 ; 15 : 1013–28.
Conclusion [15] Attal N, Bouhassira D. Douleurs neuropathiques. Paris : Arnette ;
2011.
La douleur neuropathique, qui concerne un quart des
[16] Martinez V, Attal N, Bouhassira D, Lantéri-Minet M. pour la Société
patients souffrant de douleur chronique, présente des française d'étude et de traitement de la douleur. Les douleurs neuro-
spécificités diagnostiques (outil de dépistage) mais aussi pathiques chroniques : diagnostic, évaluation et traitement en méde-
thérapeutiques, que sa prise en charge exige de connaître cine ambulatoire, recommandations pour la pratique clinique de la
[15]. Nombre de ces traitements peuvent être instaurés en Société française d'étude et de traitement de la douleur. Douleurs :
médecine ambulatoire, en suivant les recommandations évaluation, diagnostic, traitement 2018 ; 11 : 3–21.
Chapitre
21
Douleurs rachidiennes :
de la cervicalgie
à la lombosciatalgie
Patrick Sichère

PLAN DU CHAPITRE
Cervicalgies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 Lombalgie et lombosciatalgie . . . . . . . . . . . . . 142
Dorsalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

Cervicalgies, dorsalgies et lombalgies ne sont que des Cervicalgies persistant à distance d'un coup
symptômes. Leur survenue oblige ainsi à rechercher de fouet cervical ou « coup du lapin » [3–5]
un diagnostic étiologique et nécessitent d'éliminer une
pathologie intercurrente, infectieuse, tumorale ou inflam- Le coup de fouet cervical, choc d'arrière en avant, déclenche
matoire. Cependant, nous retenons pour ce chapitre les des cervicalgies qui peuvent se chroniciser, et s'accompa-
rachialgies dites « communes » en partant du principe gner de céphalées dans plus 82 % des cas et de raideur cer-
qu'il s'agit en l'occurrence de décrire et d'évoquer le trai- vicale. Il s'agit d'un véritable transfert d'énergie sur le cou
tement des douleurs les plus fréquemment rencontrées en par un mécanisme d'accélération-décélération dû à un choc
pratique courante. en arrière ou latéral, lors d'un accident de la voie publique,
ou, plus souvent, de plongée. Les examens complémentaires
sont la plupart du temps sans anomalie notable et, de ce fait,
le patient se voit souvent étiqueté « syndrome subjectif ».
Cervicalgies
En préambule, rappelons quelques chiffres pour envisager Comment identifier la douleur ?
la cervicalgie à travers sa fréquence et son retentissement À distance du traumatisme et de la douleur initiale, s'installe
de façon générale. Pour une fréquence estimée à 0,6 % de une douleur cervicale étagée associée à des céphalées posté-
la population par an, les auteurs évaluent la guérison à rieures, irradiant vers la région frontale ou dorsale haute. La
36,6 %, l'amélioration des symptômes à 32,7 %, leurs per- douleur est une sensation de tension, de lancement, aggravée
sistances à 37,3 % et leur aggravation à 9,9 %. La même ou déclenchée par la mobilisation du cou, certaines positions
étude compte un épisode par an chez 17,9 % des adultes, et le stress. Elle s'accompagne d'une sensation de fatigue, peut
et à un moment de la vie chez 60 % de la population, avec avoir un retentissement sur le sommeil et modifier l'humeur.
un pic entre 30 et 45 ans [1]. A contrario, les examens d'imagerie sont rassurants.
Selon Fejer et al., cette pathologie douloureuse est une Dans le cas de whiplash-associated disorders (coup du
caractéristique féminine, puisque 9 femmes pour 1 homme lapin), si séquelles il y a, les retentissements, d'ordre psy-
seraient concernées [2]. Elles sont plus souvent victimes de chosocial, sont cliniques : il s'agit d'une limite de l'activité et
coup de fouet cervical, de cervicalgies liées au travail et de d'une perturbation de la qualité de vie. Ces mêmes auteurs
céphalées cervicogéniques, dans un contexte de fibromyal- relèvent comme symptômes principaux, du plus fréquent au
gie. D'un point de vue physiologique, la douleur musculaire plus rare : des céphalées, une raideur cervicale, une épaule
altérerait l'adaptation normale de l'activité du muscle tra- douloureuse, des lombalgies, une fatigabilité, des problèmes
pèze chez la femme, constatations qui ne sont pas retrou- de concentration, une sensation de malaise, des nausées et
vées chez l'homme. une douleur du membre supérieur.

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 141
142   Partie 3. Pathologies douloureuses

Selon certains auteurs, il existe des facteurs pronostiques lisée, exquise à la pression, une faiblesse et une limitation de
précollision, qui sont l'intensité de la douleur, à l'origine la mobilité du muscle atteint, et des « bandes » palpables. L'in-
d'une sensibilisation centrale, et les problèmes psycholo- terrogatoire retrouve souvent des antécédents de surmenage
giques. Selon d'autres, il y a des facteurs de mauvais pro- local aigu ou de douleur localisée. La palpation, la pression
nostics en post-collision, comme le fait d'être une femme, de la zone gâchette et la manœuvre du palper-rouler repro-
un bas niveau d'éducation, une intensité élevée de la dou- duisent la douleur. Une infiltration locale d'anesthésique ou
leur initiale, un retentissement fonctionnel important, un une manipulation permettent une guérison locale et à dis-
niveau de somatisation tout aussi marqué et des troubles du tance. Des étirements, des exercices réguliers, la relaxation et
sommeil. l'ergonomie sont la meilleure prévention.

Quel est l'objectif du traitement ? Lombalgie et lombosciatalgie


Le traitement a pour objectifs de rassurer le patient sur le
bon pronostic, de lutter contre la sédentarité et la kiné- On dit qu'avoir mal au dos est la maladie du siècle. Cela
siophobie et de modifier les croyances. Notamment, il est signifie-t-il que c'est inévitable ? Non, évidemment, puisque
possible de préciser au patient que les examens complémen- nous connaissons désormais les facteurs de lombalgie,
taires peuvent être normaux et, donc, ne pas prouver un comme ceux qui risquent d'entraîner le patient vers la chro-
éventuel étirement du plexus brachial. Une fois la période nicité. Les reconnaître impose de les prévenir ; encore faut-il
aiguë passée, il est inutile de porter un collier cervical. Trai- les combattre dès que la lombalgie se présente. Cette lutte
ter la douleur est une priorité. Elle est médicamenteuse passe par l'interrogatoire, l'écoute du patient, l'évaluation
antalgique et coantalgique. Les coantalgiques sont les anti- de la douleur comme de son soulagement ou de la qualité de
dépresseurs ou les anticonvulsivants. S'y associent l'aide du vie. Puis viennent des propositions thérapeutiques d'ordre
kinésithérapeute, des séances de relaxation ou d'hypnose, non pharmacologique et pharmacologique.
une prise en charge globale, en milieu spécialisé, de type
cognitivo-­comportemental (TCC) en cas de résistance aux Lombalgie aiguë ou subaiguë
traitements, et il faut garder à l'esprit que la non-résolution (moins de 3 mois d'évolution)
du litige à propos de l'accident initial risque de mettre en
La lombalgie est la douleur la plus répandue. On considère que
échec toutes les thérapeutiques possibles. Rappelons que
75 % de la population souffrent, ont souffert ou souffriront du
des auteurs ont démontré qu'une heure d'exercices, dont
dos. Mais ce sont les 5 à 10 % de lombalgiques chroniques
30 minutes avec un kinésithérapeute, à faire à la maison était
qui seront les victimes du retentissement le plus important.
plus efficace que l'association collier et AINS.
L'objectif est donc de dépister les facteurs de risque et de les
traiter à bon escient afin d'éviter la récidive et la chronicité.
Dorsalgie Du point de vue topographique, rappelons que l'on dis-
tingue deux types de lombalgie [7] :
Même s'il n'est pas question de traiter ici du rhumatisme ■ dans la catégorie 1, les lombalgies ou dorsolombalgies
inflammatoire, rappelons que la survenue d'une dorsalgie sans irradiation au-delà du fessier et en l'absence de signe
chez un sujet jeune, le réveillant en deuxième partie de nuit, neurologique ;
doit conduire à éliminer le diagnostic de spondylarthropa- ■ dans la catégorie 2, les lombalgies avec irradiation aux
thie : dans ce contexte, la douleur dorsale peut s'associer à membres inférieurs qui ne dépasse toutefois pas les
une douleur thoracique. genoux, sans signes neurologiques.
Mais revenons à la dorsalgie dite commune. Une douleur Depuis la Paris Task Force, on peut distinguer les fac-
dorsale implique évidemment de rechercher s'il n'y a pas teurs de risque de la lombalgie comme ceux de la lombalgie
une pathologie cervicale à l'origine d'une douleur qui serait chronique (encadré 21.1) [8]. Cette distinction nous offre
projetée : en effet, une douleur projetée, ou rapportée, ou l'opportunité de mieux orienter nos traitements [9].
encore référée, correspond à une dissociation topographique
en raison d'influx douloureux générés sur le trajet des voies
sensitives ; la douleur est alors ressentie dans une partie du Facteurs de risque de lombalgie
champ périphérique drainé par les structures nerveuses. Outre l'âge, les facteurs de risque sont des images de dis-
copathies radiologiques sévères, le travail de force comme
le travail sédentaire, le tabagisme, l'alcoolisme et les soucis
Exemple de douleur référée : personnels. La taille du patient, les discopathies modérées et
le dérangement intervertébral mineur [6] la scoliose inférieure à 80° ne sont pas des facteurs de risque
Le dérangement intervertébral mineur, aussi appelé syn- de lombalgie. Sont encore objets de controverse le poids, les
drome cellulomyalgique, devrait être le premier diagnostic anomalies congénitales, le spondylolisthésis et une inégalité
évoqué devant une douleur musculaire ou aponévrotique de longueur inférieure à 2,5 cm.
d'origine vertébrale. En fait, il s'agit d'une lésion pouvant sié- Les facteurs de risque de chronicité sont l'âge supérieur
ger au niveau du segment mobile de Junghanns, constitué de à 45 ans, la longue durée de l'épisode actuel, des épisodes
la partie du rachis mobile, soit le disque, les articulations inte- antérieurs de lombalgie, des antécédents d'hospitalisation
rapophysaires, des ligaments et des muscles. On en rapproche ou d'arrêt de travail pour lombalgie, un grand handicap
le syndrome myofascial, reconnaissable par une douleur loca- ­initial ou une irradiation douloureuse initiale sous le genou.
Chapitre 21. Douleurs rachidiennes : de la cervicalgie à la lombosciatalgie    143

Imagerie du rachis lombaire [10]


Encadré 21.1 Lombalgie : résumé
des alertes pronostiques La découverte d'un nombre important d'anomalies verté-
brales, discales ou des articulaires postérieures chez des
sujets indemnes de lombalgie a permis de conclure que ces
Alertes jaunes (personne) images a priori pathologiques découvertes au cours des dou-

Pensées leurs lombaires pouvaient tout à fait être une coïncidence.
– catastrophisme Seuls des éléments de présomption pourront être avancés,
– fausses croyances sur l'état, la douleur et la nocivité tout en gardant à l'esprit l'extrême banalité des remanie-
– attentes négatives du futur ments dégénératifs du rachis lombaire qui restent somme

Sentiments toute souvent asymptomatiques. L'IRM a permis des avan-
– inquiétude, détresse, anxiété et dépression cées diagnostiques importantes. En effet, par sa capacité à
– peur du mouvement visualiser l'œdème osseux vertébral elle permet d'identifier
– incertitudes sur le futur les discopathies en poussée inflammatoire, fréquemment

Comportement responsables de lombalgies. Gardons à l'esprit qu'un des
– Description de symptômes extrêmes objectifs majeurs pour le radiologue est de tenter d'identifier
– Stratégies de coping passives une cause grave de lombalgie, qu'il s'agisse d'une pathologie
– Inefficacité répétée des traitements tumorale, infectieuse ou encore d'un tassement vertébral.
Alertes bleues (travail)

Charge physique de travail élevée Exemple des discopathies mécaniques

Incapacité de modifier le travail Les discopathies mécaniques sont souvent sources de lom-

Stress au travail balgies. Le débord discal est global et circonférentiel, avec,

Manque de support social parfois, un vide discal. En règle générale, une discopathie

Insatisfaction au travail dégénérative n'entraîne pas de conflit discoradiculaire, sauf

Faible espoir de retour au travail si le disque vient occuper les gouttières radiculaires, qui sont

Crainte d'une nouvelle blessure des espaces étroits et rigides, sans échappatoire possible
pour la racine nerveuse. Selon certains, la notion d'instabi-
Alertes noires (contexte)
lité joue un rôle important dans la souffrance lombaire [11].

Incompréhension entre les divers acteurs (patient, employeur, La classification établie par Pfirmann (tableau 21.1)
médecin) permet d'attribuer un grade, en IRM, à la dégénérescence

Compensation financière discale lombaire, sur les séquences sagittales pondérées en

Croyances de l'entourage T2. Le grade 1 correspond au disque normal et le grade 5 au

Isolement social collapsus discal [12].

Politique de l'entreprise inadaptée

Retard dans les processus
Traitements
Source : d'après Rozenberg et al. [8] Nous l'avons vu en préambule, ils relèvent de la prise en
charge non médicamenteuse comme médicamenteuse, les
deux options étant complémentaires et à proposer souvent
Anxiété et tendance à la somatisation relèvent de facteurs en même temps.
émotionnels auxquels s'ajoutent un comportement de peur
et d'évitement, une situation familiale difficile, une insatis- Le repos
faction au travail, un travail considéré comme stressant, un
niveau faible de qualifications, des revendications médicolé- En cas de lombalgie aiguë, le repos au lit ne doit pas être
gales et, enfin, une mauvaise forme physique. prescrit ; il peut être seulement autorisé si l'intensité des
La souffrance de la région lombaire relève de plusieurs douleurs le nécessite. Le repos doit être le plus court pos-
éléments anatomiques susceptibles de réagir en même sible, et ne pas dépasser cinq jours, un minimum d'activités
temps : le disque, avasculaire, acellulaire et riche en fibres devant être maintenu. Il a été démontré qu'un repos excé-
nociceptives en sa périphérie lorsqu'il est sain, l'ensemble dant huit jours non seulement n'était pas bénéfique, mais
qu'il forme avec la vertèbre constituée d'os sous-chondral, risquait d'entraîner une évolution vers la chronicité.
véritable articulation avec son appareil capsuloligamentaire
et ses ligaments entourés de muscles. Le tout est innervé Traitements non médicamenteux [10]
par des rameaux postérieurs qui se connectent les uns aux Ils sont nombreux et souvent complémentaires. L'échec
autres, d'un étage à l'autre, d'autant plus sensibles qu'une d'une technique de rééducation n'en contre-indique pas une
souffrance ressentie comme intense survient ou s'installe. autre. L'essentiel est de respecter la règle de la non-douleur
L'interrogatoire comme l'examen clinique restent les et l'adaptation du praticien au patient. Nous ne décrirons
éléments incontournables de la bonne compréhension des pas ici le détail des techniques dites TCC, qui ont leur place
symptômes, conduisant ainsi à une adaptation thérapeu- en cas de persistance des douleurs au-delà de trois mois.
tique correcte. Ils orientent les examens complémentaires, Elles sont traitées dans un autre chapitre. Cures thermales,
notamment pour éliminer un rhumatisme infectieux ou balnéothérapie, TENS, notamment en cas d'association avec
inflammatoire ou un processus tumoral. une douleur neuropathique, ou encore activité physique
144   Partie 3. Pathologies douloureuses

Tableau 21.1 Classification de Pfirrmann : la dégénérescence discale en IRM.


Grade Structure discale Distinction nucleus/ Signal en T2 Hauteur du disque
annulus
Grade 1 Homogène, blanc Nette Hyperintense Normale
Grade 2 Hétérogène ± bande grise Nette Hyperintense Normale
Grade 3 Hétérogène , gris Floue Intermédiaire Normale à peu diminuée
Grade 4 Hétérogène, gris à noir Absente Intermédiaire à Normale à modérément
hypo-intense diminuée
Grade 5 Homogène, noir Absente Hypo-intense Collapsus discal
Source : Pfirrmann et al. 2001 [12].

régulière, comme la marche nordique, sont des propositions connues comme telles, les benzodiazépines et les thiocol-
thérapeutiques aux effets bénéfiques tout à fait démontrés. chicosides, leur prescription n'est donc pas recommandée.
L'important étant de convaincre le patient de maintenir ces Quand bien même ils seraient proposés, leur prescription ne
solutions sur une longue durée. doit pas dépasser 15 jours.
L ' a ss o c i at i on ant a l g i qu e - ant i - i n f l am m atoi re -­
Ergonomie myorelaxant n'a pas fait l'objet d'aucune étude rigoureuse et
En milieu professionnel, à la maison comme à l'école, reste donc hypothétique.
l'adaptation du mobilier de travail est indispensable. Il peut Même si, selon certains auteurs, 90 à 95 % des lombalgies
s'agir de tables et de sièges ergonomiques, qui ont en plus aiguës guérissent en moins de huit semaines, selon d'autres, la
fait la preuve d'un meilleur rendement quand ils étaient douleur persiste à six mois chez 76 % des patients atteints et à
proposés. N'oublions pas d'adapter aussi les activités, de les 12 mois pour 72 % d'entre eux. La lombalgie entraîne une inca-
fragmenter comme de les diversifier. Quant au cartable il est pacité fonctionnelle chez 14 % des malades à 6 mois et 12 mois.
conseillé qu'il ne dépasse pas 10 % du poids du corps. Mais il Les chiffres diffèrent donc selon que l'on s'intéresse à la douleur
a été démontré que des écoliers qui se rendaient à pied à leur ou à l'incapacité fonctionnelle. Cependant, les auteurs insistent
école souffraient moins du dos que ceux que l'on déposait sur l'importance d'un traitement correct et adapté dès le pre-
en voiture. Maintenir une activité physique régulière est une mier épisode, pour éviter notamment la récidive.
règle d'or, quel que soit l'âge.
En cas de lombalgie persistante [13–24]
Traitements médicamenteux par voie générale
Comme pour toute douleur chronique d'ordre rhumatolo-
Cette prescription doit tenir compte de l'âge, des antécédents gique le traitement fait appel en priorité aux traitements non
médicaux du patient, des données de l'examen clinique et médicamenteux. Les médicaments seront prescrits pour
du contexte social et professionnel. L'objectif est de traiter diminuer l'intensité de la douleur relevant du cercle vicieux
la douleur, l'inflammation et la contracture musculaire. On douleur-contracture-sédentarité, sinon kinésiophobie, afin
pourra donc s'aider en cas de lombalgie aiguë d'antalgiques de permettre à la prise en charge globale de type TCC d'être
et d'AINS. efficace. N'oublions pas qu'obtenir un sommeil réparateur
est une des clés de l'amélioration de l'état du patient.
Antalgiques
Priorité est donnée aux antalgiques non opioïdes. Il est ETP
important que le patient prenne son traitement à horaire Nous avons noté plus haut que plus la lombalgie persiste,
fixe, avec éventuellement une dose de secours. Selon l'inten- plus ses mécanismes sont multiples et, donc, relèvent de
sité de la douleur, il sera prescrit des antalgiques opioïdes traitements complémentaires, à prescrire souvent durant
faibles ou forts. L'évaluation de la douleur est donc un préa- une même période.
lable indispensable à une prescription adaptée. Ces thérapeutiques répondent donc au concept bio-­
psychosocial évoqué plus haut et nécessitent, avant d'être
Anti-inflammatoires non stéroïdiens et stéroïdiens
proposées, une formation spécifique à dispenser aux soi-
Une lombalgie aiguë est souvent déclenchée par des méca- gnants qui s'intéressent à la prise en charge de la lombalgie,
nismes inflammatoires justifiant la prescription d'AINS à tant nous sommes encombrés de croyances et d'aprioris à ce
dose efficace pendant un temps suffisant, en respectant les sujet. Rappelons, par exemple, que si nous sommes dans un
précautions d'usage. Ce traitement ne doit pas être pour- contexte de douleur chronique, il n'y a pas urgence à se préci-
suivi au-delà d'une à deux semaines sans une réévaluation piter, ni à révéler dès la première consultation les différentes
clinique. cartes que nous connaissons pour gagner la partie. Un tel
excès de zèle risque de nous mettre en échec, le patient atten-
Que dire des myorelaxants ? dant toujours le traitement à suivre. En pratique, il est courant
Soyons clairs, à l'heure actuelle, aucun médicament étiqueté de répondre au patient qui demande les délais d'obtention
myorelaxant n'a apporté une preuve décontracturante. d'un résultat significatif : six mois, à condition qu'il participe
Qu'ils appartiennent à l'une ou l'autre des deux catégories pleinement à sa prise en charge. Ce délai permet notamment
Chapitre 21. Douleurs rachidiennes : de la cervicalgie à la lombosciatalgie    145

de faire une sorte d'état des lieux, ce qui témoigne de nou- Traitements médicamenteux par voie locale
veau de l'intérêt qu'a le rhumatologue à faire appel à d'autres Il s'agit de proposer une infiltration épidurale, ou dans les
praticiens complémentaires, comme l'ergothérapeute, le psy- articulaires postérieures ou encore dans une zone gâchette
chologue ou le psychiatre, tout en restant le praticien expert à l'origine d'une douleur ressentie à distance (douleur réfé-
auquel le patient reste fidèle pendant cette longue prise en rée). Ces traitements relèvent en général du spécialiste.
charge. Prend tout son sens ici la notion d'ETP. Cependant,
les évaluations de l'ETP sont encore souvent partielles ou en
cours de publications. Mais les résultats sont encourageants, Lombalgies et ostéoporose [25, 26]
qui témoignent d'un effet favorable sur la modification du Une fracture vertébrale (le mot « tassement » prête à confu-
comportement des patients et leur satisfaction. sion) peut être à l'origine d'une douleur intense, en moyenne
cotée à 80 sur 100 sur l'EVA. Cette intensité impose donc
Thérapies cognitivocomportementales un traitement morphinique adapté à l'âge du patient. Chez
Dans un supplément récent de La Revue du Rhumatisme, le patient âgé, l'objectif est de soulager rapidement afin
F. Laroche et L. Jammet rappellent l'intérêt des TCC d'obtenir une verticalisation rapide, car 30 % des décès sur-
dont l'efficacité est démontrée chez les patients atteints viennent dans l'année qui suit la fracture, en raison notam-
de lombalgie chronique. Ces techniques tiennent tant ment de la perte d'autonomie et de la kinésiophobie. Le port
compte des mécanismes classiques de la lombalgie que de de la ceinture lombaire est alors à conseiller.
la part psychosociale qui s'y ajoute, grâce à une prise en Les séquelles fonctionnelles surviennent chez un patient
charge multidisciplinaire. Des séances de relaxation ou sur trois. Il s'agit de lombalgies chroniques, de troubles pos-
d'hypnose complètent une prise en charge qui consiste à turaux ou de chutes. Les lombalgies ralentissent la vitesse
corriger les croyances, à modifier les comportements, à de déplacement et deviennent par elles-mêmes de véritables
dédramatiser les peurs qui conduisent à la kinésiopho- facteurs d'aggravation du risque ostéoporotique. Donc trai-
bie et à tenir compte des facteurs aggravants, comme ter les rachialgies équivaut à traiter l'ostéoporose.
la dépression, l'anxiété et le catastrophisme. On pourra
également s'aider de techniques dont l'évaluation est en La lombalgie comporte-elle
cours, mais qui sont de mieux en mieux connues, comme
le traitement par la pleine conscience, l'art-thérapie ou la une composante neuropathique ?
musicothérapie. Nous avons vu plus haut que la lombalgie de catégorie 2 se
caractérise par une irradiation atteignant les membres infé-
Programmes d'exercices, école du dos rieurs sans dépasser les genoux et sans signes neurologiques.
et programme de restauration fonctionnelle Cette irradiation pose la question de l'existence d'une com-
posante neuropathique, laquelle a été redéfinie récemment
Donskoff apporte quelques précisions quant à ces trois tech-
par l'IASP comme une douleur due à une lésion ou à une
niques. La première se résume en programmes d'exercices
pathologie du système somatosensoriel. Il est évidem-
favorisant le réentraînement et le développement corporel.
ment intéressant de confirmer cette composante, au moins
Mais les bienfaits sont difficiles à évaluer, les programmes
d'un point de vue thérapeutique. Elle expliquerait en effet
variant d'une équipe à l'autre, même si l'objectif commun
l'échec des anti-inflammatoires ou des antalgiques simples,
est de réduire l'intensité de la douleur et l'incapacité qui en
puisqu'elle fait appel à des mécanismes centraux. Quelles
résulte. L'école du dos, deuxième proposition thérapeu-
sont les données apportées par la littérature à propos de
tique, est l'école des programmes éducatifs pour encourager
cette composante neuropathique, laquelle s'ajouterait ou se
le patient à se prendre en charge. Y règne une importante
mêlerait à la composante nociceptive déjà connue ?
disparité quant aux modalités de prise en charge et de juge-
La présentation faite par l'équipe menée par N. Attal au
ment. On retiendra que l'efficacité est plus importante chez
congrès de l'IASP de Montréal en 2010, publiée en 2011,
les patients jeunes, ayant déjà une activité physique régu-
est donc la bienvenue [27] : elle reprend le classement des
lière. Quant à la troisième technique, proposée par l'équipe
lombalgies en 2 catégories mentionné ci-dessus, distin-
menée par Donskoff, elle repose sur la notion de restaura-
guant lombalgies et sciatiques, et analyse les plaintes de
tion fonctionnelle : il s'agit de favoriser le reconditionnement
132 patients ayant répondu au questionnaire DN4. La
physique en associant une réhabilitation sociale et profes-
conclusion est que la douleur des patients souffrant d'une
sionnelle. Quoi qu'il en soit, il faut toujours encourager les
irradiation émanant d'une lombalgie isolée (catégorie 2)
« activités physiques adaptées », termes préférables à ceux de
relève de mécanismes locaux n'impliquant pas un caractère
« reconditionnement à l'effort ».
neuropathique. Autrement dit, il faudrait qu'il y ait radicu-
Concernant d'autres traitements, plusieurs recomman-
lalgie pour envisager cette composante.
dations publiées permettent désormais de faire le tri parmi
certaines les méthodes. La kinésithérapie a démontré son
efficacité, mais aucune méthode n'est supérieure à une Conclusion
autre. Ainsi, l'échec d'une série de séances ne doit pas empê-
cher de tenter une autre série relevant d'une autre technique. La lombalgie est donc plus que jamais une pathologie en
A contrario, les tractions vertébrales ne sont plus reconnues évolution. Elle opère presque une sorte de synthèse des
comme efficaces dans le traitement de la lombalgie. L'acu- progrès dans la connaissance de la douleur en rhumatolo-
puncture et les manipulations, elles, demandent encore de gie, mêlant composante périphérique et centrale, nocicep-
plus amples études pour apporter la preuve de leur efficacité. tive et neuropathique et globalité de l'individu, aux soma et
146   Partie 3. Pathologies douloureuses

­ sychisme entremêlés. Cette évolution oblige soignants et


p [13] Hill JC, Whitehurst DG, Lewis M, Bryan S, Dunn KM, Foster NE,
soignés à stimuler leur faculté d'adaptation. et al. Comparison of stratified primary care management for low back
Reconnaître le rôle de la douleur de l'arthrose dans la pain with current best practice (STarT Back) : a randomised control-
led trial. Lancet 2011 ; 378 : 1560–71.
lombalgie, l'aspect bio-psychosocial et l'éventuelle compo-
[14] Wideman TH, Hill JC, Main CJ, Lewis M, Sullivan MJL, Hay EM.
sante neuropathique relève bien de l'interrogatoire complété Comparing the responsiveness of a brief, multidimensional risk scree-
par l'examen clinique ; cette reconnaissance appartient donc ning tool for back pain to its unidimensional reference standards : the
au préalable au domaine de la clinique. Même si l'imagerie whole is greater than the sum of its parts. Pain 2012 ; 153 : 2182–91.
nous conforte dans une direction, les choix thérapeutiques [15] Domenech J, Sanchez-Zumiaga D, Segura-Orti E, Espejo-Tort B, Lison JF.
n'en sont pas pour autant déduits. Quand on dit que la Impact of biomedical and biopsychosocial training sessions on the atti-
médecine est un art avant d'être une science, la douleur n'en tudes, beliefs, and recommandations of health care providers about low
est-elle pas la meilleure démonstration ? back pain. A randomised clinical trial. Pain 2011 ; 152 : 2557–63.
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Chapitre
22
Douleurs ostéoarticulaires
d'horaire inflammatoire
Philippe Bertin

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Arthrite infectieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Généralité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Polyarthrite d'une maladie auto-immune . . . . 149
Arthrite microcristalline . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 Spondyloarthrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150

Ce qu'il faut comprendre Grands cadres étiologiques face


Les douleurs articulaires inflammatoires peuvent relever de aux douleurs ostéoarticulaires d'horaire
multiples étiologies. inflammatoire
De ce fait, il est indispensable d'avoir une approche cli- Atteinte monoarticulaire
nique très approfondie permettant de cibler les examens Une douleur monoarticulaire d'horaire inflammatoire doit
complémentaires confirmant le diagnostic étiologique. Ce faire redouter une monoarthrite infectieuse du fait de la
d'autant qu'un diagnostic étiologique précoce conditionne sévérité de cette pathologie tant sur le plan fonctionnel que
le pronostic de la pathologie. général. Néanmoins, la plupart des monoarthrites sont des
monoarthrites microcristallines telles que la chondrocalci-
nose ou la goutte.
Généralité Il est donc nécessaire de rechercher les signes en faveur
d'une pathologie infectieuse : recherche d'une porte d'en-
Définitions [1] trée, d'un antécédent infectieux récent, d'une fièvre ou de
Les douleurs ostéoarticulaires d'horaire inflammatoire frissons, d'une altération de l'état général, d'une adénopathie
sont des douleurs touchant soit les articulations, soit le satellite ou d'un terrain favorisant les infections (diabète,
rachis, soit les deux : elles surviennent en deuxième partie immunodépression, etc.).
de nuit, réveillent le patient, sont maximales le matin, s'ac- À l'inverse, l'absence de ces signes, l'atteinte préférentielle
compagnant d'un enraidissement matinal qui nécessite un de certaines articulations, notamment au gros orteil, l'âge du
dérouillage de plus de 15 minutes ; elles s'améliorent lors de patient (les arthrites microcristallines sont très fréquentes
l'activité modérée. Ces douleurs s'accompagnent des signes chez les personnes âgées) sont autant d'arguments évoca-
cliniques de l'inflammation, à savoir une rougeur et une teurs d'une monoarthrite microcristalline.
chaleur locales et un épanchement articulaire. Dans tous les cas, au-delà d'un examen clinique minu-
Face à une symptomatologie de ce type, on se doit d'évo- tieux et exhaustif, le diagnostic reposera sur l'analyse des
quer comme diagnostic étiologique une pathologie inflam- résultats des examens complémentaires comprenant un bilan
matoire, une pathologie infectieuse ou une pathologie biologique (au minimum une NFS, les plaquettes, la VS, la
tumorale. CRP et une uricémie), un bilan radiographique de l'articu-
Il est donc, dans ce contexte, indispensable d'évaluer tous lation concernée et au moins de l'articulation controlatérale
les signes d'accompagnement locaux, régionaux ou géné- et, surtout, une ponction articulaire permettant l'analyse
raux tels que la fièvre, une altération de l'état général, une cytologique, bactériologique et la recherche de microcristaux
porte d'entrée cutanée, des adénopathies, etc. au sein du liquide synovial. C'est en effet l'analyse du liquide
Il est aussi essentiel de s'attacher à définir s'il s'agit d'une synovial qui permet de faire le diagnostic différentiel entre
atteinte mono-, oligo-, ou polyarticulaire, s'il s'agit d'un une arthrite infectieuse et une arthrite microcristalline.
atteinte exclusivement articulaire ou exclusivement rachi- À noter que, de façon exceptionnelle, une monoarthrite
dienne ou d'une atteinte associant des manifestations rachi- inflammatoire peut être la porte d'entrée dans une maladie
diennes et articulaires. auto-immune débutant par une seule articulation.
Médecine de la douleur pour le praticien
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148   Partie 3. Pathologies douloureuses

Atteinte oligoarticulaire une douleur inflammatoire très intense et une impotence


Une douleur oligoarticulaire d'horaire inflammatoire peut fonctionnelle majeure. Les articulations concernées sont
être l'expression d'une pathologie microcristalline, d'une surtout la métatarsophalangienne du gros orteil et les arti-
pathologie infectieuse sévère ou le début d'une maladie culations des membres inférieurs. Les petites articulations
auto-immune. des doigts peuvent aussi être touchées, le plus souvent chez
les femmes âgées hypertendues recevant des diurétiques.
Atteinte polyarticulaire Le diagnostic est essentiellement clinique. L'analyse du
liquide synovial lorsqu'il est possible permet de mettre en
Une douleur polyarticulaire d'horaire inflammatoire évoque évidence des cristaux d'urate de sodium. L'uricémie est le
avant tout une maladie auto-immune, la plus fréquente étant plus souvent élevée mais peut être normale au moment de
la polyarthrite rhumatoïde. Il peut s'agir aussi de manifes- la crise aiguë.
tations inflammatoires d'autres maladies auto-immunes L'excellente réponse à la colchicine et aux AINS fait par-
telles que le syndrome de Gougerot-Sjögren, le lupus, etc. tie des critères diagnostiques.
Le diagnostic est orienté par la recherche de signes cliniques Le traitement de la crise de goutte repose sur la colchi-
généraux évocateurs d'une pathologie auto-immune, et par cine : 1 mg à prendre le plus tôt possible suivi de 0,5 mg
l'analyse des examens complémentaires, avec une place quatre heures plus tard, puis 1 mg par jour jusqu'à une
prépondérante donnée au bilan immunologique et aux exa- semaine après la fin de la crise.
mens d'imagerie tels que les radiographies, les échographies À distance de la crise aiguë, il faut, dans la majorité des
et les IRM articulaires. cas, instaurer un traitement hypo-uricémiant sans omettre
de continuer à prévenir les crises de goutte avec 0,5 mg par
Atteinte rachidienne associée ou isolée jour de colchicine pendant les six premiers mois du traite-
Qu'il s'agisse de douleurs rachidiennes d'horaire inflam- ment hypo-uricémiant.
matoire isolées ou associées à des manifestations articu-
laires inflammatoires, l'hypothèse diagnostique la plus
probable est celle d'une spondyloarthrite : spondyloar- Chondrocalcinose
thrite axiale ou enthésitique, ou périphérique ; radiogra- La chondrocalcinose, ou rhumatisme à pyrophosphate de
phique ou non radiographique ; spondyloarthrite associée calcium, est liée à des dépôts de cristaux de pyrophosphate
à une maladie digestive inflammatoire de type rectoco- de calcium en intra- ou périarticulaire. Les manifestations
lite hémorragique (RCH) ou maladie de Crohn, ou à un cliniques sont assez variées, allant des typiques accès aigus
psoriasis cutané. Le diagnostic repose donc sur la symp- articulaires aux arthrites subaiguës ou chroniques et aux
tomatologie clinique associant des manifestations inflam- arthropathies chroniques dégénératives.
matoires rachidiennes ou articulaires ou enthésitiques L'accès douloureux aigu est le plus souvent monoar-
(les plus caricaturales étant les talalgies, les sternalgies, les ticulaire, et ressemble de très près à une crise de goutte.
épicondylites, etc.), des signes d'imagerie, notamment des La chondrocalcinose était d'ailleurs autrefois nommée
atteintes spécifiques au niveau rachidien ou sacro-iliaque, « pseudo-goutte ». Néanmoins la chondrocalcinose atteint
et le bilan biologique confirmant le syndrome inflamma- les gens plus âgés et touche plus la femme que l'homme.
toire (néanmoins inconstant) et l'appartenance éventuelle Par ailleurs, elle se localise le plus souvent aux grosses
au groupe HLA-B27. articulations et, enfin, répond mieux aux AINS qu'à la
colchicine.
Les formes oligo- ou polyarticulaires chroniques, souvent
Arthrite microcristalline symétriques et atteignant le plus fréquemment les poignets
et les doigts, sont quelquefois confondues avec la polyar-
Goutte thrite rhumatoïde. Néanmoins, l'aspect radiographique et le
La goutte est liée à une hyperuricémie chronique s'accom- bilan immunologique permettent de séparer habituellement
pagnant de dépôts de cristaux d'urate de sodium dans les ces deux affections.
articulations, les structures périarticulaires, les viscères et la Les formes très chroniques peuvent prendre l'aspect
peau. d'une arthrose oligo- ou polyarticulaire : les radiographies
La forme classique est la crise monoarticulaire aiguë, montrent alors des signes d'arthrose et des dépôts de pyro-
mais il peut aussi résulter de la goutte des poussées aiguës phosphate de calcium.
oligoarticulaires, voire exceptionnellement polyarticulaires. Le diagnostic est fait d'une part par la clinique et d'autre
La goutte peut aussi devenir chronique, et causer des accès part par l'analyse du liquide synovial qui met en évidence les
récidivants d'arthrite aiguë, faisant progressivement le lit cristaux de pyrophosphate de calcium et les radiographies,
d'arthropathies chroniques. montrant des signes assez caractéristiques de chondrocalci-
Il faut différencier les gouttes primitives des gouttes nose : un liseré opaque dans le cartilage hyalin, une opacité en
secondaires soit à une maladie identifiée, soit à certaines motte dans les fibrocartilages ou un liseré calcique dessinant
molécules tels que les diurétiques thiazidiques, le furosé- le contour d'un fibrocartilage. Il faut donc faire des radiogra-
mide, l'aspirine à faible dose, la ciclosporine, certains anti- phies des genoux, des poignets et du bassin, sur lesquelles il est
tuberculeux et certains cytolytiques. habituel de voir les signes de chondrocalcinose. Les calcifica-
Habituellement, la crise de goutte a un début brutal, le tions du ligament triangulaire du carpe au poignet sont, par
plus souvent nocturne, très rapidement progressif, générant exemple, une manifestation spécifique de la chondrocalcinose.
Chapitre 22. Douleurs ostéoarticulaires d'horaire inflammatoire    149

Le traitement des monoarthrites aiguës chondro- Polyarthrite d'une maladie


calcinosiques repose sur la prise d'AINS et, en cas de
contre-indication, de colchicine, voire, dans les formes
auto-immune
résistantes, sur une infiltration d'un dérivé corticoïde Les douleurs polyarticulaires d'horaire inflammatoire
intra-articulaire. sont très exceptionnellement d'origine microcristalline ou
infectieuse, et évoquent donc en premier lieu une polyar-
Rhumatisme à hydroxyapatite thrite dans le cadre d'une maladie systémique ou maladie
auto-immune, la plus fréquente étant la polyarthrite rhuma-
Les manifestations en sont le plus souvent périarticu- toïde. Néanmoins une polyarthrite peut révéler une mala-
laires et, plus rarement, articulaires, liées au dépôt d'hy- die de Behçet, un syndrome de Gougerot-Sjögren, un lupus
droxyapatite au sein des structures périarticulaires, voire érythémateux, un syndrome SAPHO, une sclérodermie, etc.
intra-articulaire. La forme la plus classique est celle de la C'est l'association de signes cliniques évocateurs et d'un
tendinopathie calcifiante de l'épaule, souvent nommée bilan biologique et immunologique compatibles, qui per-
épaule hyperalgique. met de faire le diagnostic de toutes ces maladies. L'uvéite est
Les symptômes et les signes cliniques sont ceux d'un par exemple assez évocatrice d'une spondyloarthrite, d'une
accès inflammatoire aigu d'origine microcristalline. La sarcoïdose, d'une RCH, d'une maladie de Crohn ou d'une
radiographie montre des signes spécifiques, avec une opa- maladie de Behçet.
cité de tonalité calcique bien arrondie et régulière. L'existence d'un érythème noueux oriente plutôt vers une
Le traitement est basé sur la prise d'AINS. arthrite réactionnelle, une sarcoïdose, une RCH, une mala-
die de Crohn ou une maladie de Behçet.
Arthrite infectieuse Ce chapitre n'a pas pour objectif d'être exhaustif quant
à cette problématique. De ce fait, seul les principales carac-
Des douleurs articulaires d'horaire inflammatoire doivent téristiques de la polyarthrite rhumatoïde sont détaillées
toujours faire craindre l'hypothèse d'une arthrite infectieuse, ci-dessous.
ce d'autant que la localisation est unique. La polyarthrite rhumatoïde est une maladie auto-
Les arthrites infectieuses sont le plus souvent à germe immune complexe, touchant cinq fois plus la femme que
pyogène, mais il peut aussi s'agir d'arthrites tuberculeuses l'homme. Sa prévalence en France est de l'ordre de 0,3 %.
ou gonococciques. Elle survient sur un terrain génétique de susceptibilité et est
La localisation la plus fréquente correspond aux membres probablement déclenchée par des facteurs environnemen-
inférieurs, et particulièrement aux genoux. taux (le rôle des infections et les facteurs hormonaux sont
Les formes monoarticulaires représentant 90 % des cas, discutés, le rôle du tabac est souvent mis en avant.
les formes polyarticulaires restent donc assez rares. Le tableau clinique de la polyarthrite rhumatoïde est celui
Les arthrites septiques surviennent souvent sur un ter- de douleurs d'horaire inflammatoire, polyarticulaires, fixes,
rain prédisposant (diabète, immunodépression, arthro- distales, et symétriques.
pathie mécanique sous-jacente, corticothérapie locale ou L'atteinte la plus classique est celle des mains et des pieds,
générale. respectant les articulations interphalangiennes distales, mais
Les arthrites infectieuses peuvent être iatrogènes, à la certaines formes sont à début rhizomélique ou asymétrique.
suite d'une chirurgie ou d'une infiltration intra-articulaire. Le diagnostic doit être fait le plus vite possible, car cela
Les manifestations cliniques sont celles d'une patholo- permet l'instauration rapide d'un traitement adapté, seul
gie articulaire d'horaire inflammatoire accompagnées de garant de l'évolution la plus favorable possible.
signes généraux tels qu'une fièvre (dans un cas sur deux Outre les symptômes cliniques, le diagnostic repose sur
seulement), une altération de l'état général, un amaigrisse- les signes radiographiques, surtout échographiques et IRM
ment, des sueurs, des frissons et la mise en évidence d'une (beaucoup plus précoces que les signes radiographiques),
porte d'entrée infectieuse cutanée ou d'un foyer infectieux à et sur la biologie, avec la mise en évidence d'un syndrome
distance. inflammatoire et la présence de facteurs rhumatoïdes et
Le bilan biologique montre un syndrome inflammatoire d'anticorps antipeptides citrullinés (ACPA).
et, la plupart du temps, une hyperleucocytose. Les critères diagnostiques de la polyarthrite rhumatoïde
Les radiographies sont normales au début, mais l'IRM ont été redéfinis en 2010 selon le tableau 22.1 : celui-ci ne
peut montrer des signes précoces évocateurs d'une arthrite peut être appliqué que si l'algorithme de la figure 22.1 est
septique. satisfait. Lorsque le diagnostic est suspecté et, a fortiori,
Le diagnostic positif est fait sur les prélèvements bacté- confirmé, il est indispensable d'avoir un avis spécialisé rhu-
riologiques avec hémocultures répétées et, surtout, sur une matologique, sachant qu'il est clairement scientifiquement
ponction articulaire permettant de mettre en évidence le démontré que la précocité du traitement conditionne le pro-
plus souvent plus de 20 000 éléments par millimètre cube, et nostic fonctionnel à moyen et long terme.
un germe à l'examen direct – et surtout en culture. C'est à partir d'une évaluation objective clinique, bio-
Le traitement doit intervenir le plus rapidement pos- logique et d'imagerie que les choix thérapeutiques seront
sible, associant immobilisation de l'articulation concernée, faits, avec pour objectifs d'améliorer la symptomatologie
traitement antalgique et traitement antibiotique adapté et douloureuse au plus vite et de réduire le risque de destruc-
suffisamment prolongé (au moins six semaines). La prise en tion articulaire pour maintenir un pronostic fonctionnel
charge nécessite un avis spécialisé. favorable.
150   Partie 3. Pathologies douloureuses

Tableau 22.1 Critères de classification de l'ACR/ Spondyloarthrite


EULAR 2010 pour la polyarthrite rhumatoïde.
Les spondyloarthrites (anciennement nommées spondy-
Atteinte articulaire (0–5) larthropathies) associent des manifestations douloureuses
1 grosse articulation 0 d'horaire inflammatoire du rachis et des articulations. Sous
2–10 grosses articulations 1
ce terme générique on retrouve les anciennes dénominations
de spondylarthrite ankylosante, de rhumatisme psoriasique,
1–3 petites articulations (grosses articulations non 2
d'arthrite réactionnelle, de manifestation articulaire des
comptées)
entéropathies inflammatoires chroniques, de SAPHO et de
4–10 petites articulations (grosses articulations non 3 spondyloarthrite indifférenciée.
comptées)
Actuellement, il est préférable de parler de spondyloar-
Plus de 10 articulations (au moins 1 petite articulation) 5 thrite périphérique ou de spondyloarthrite axiale, avec ou
Sérologie (0–3) sans signe radiographique.
Le diagnostic doit être évoqué en fonction de la localisa-
FR négatif ET ACPA négatif 0
tion des douleurs d'horaire inflammatoire, en cas de surve-
FR faiblement positif 2 nue des symptômes chez des sujets jeunes, âgés de moins de
ou 45 ans, et d'observation de tous les signes mentionnés dans
ACPA faiblement positif (1 à 3 fois la normale)
les critères de classification repris dans le tableau 22.2 et la
FR fortement positif (> 3 fois la normale) 3 figure 22.2.
ou La forme clinique classique est celle de douleurs inflam-
ACPA fortement positif (> 3 fois la normale)
matoires des régions fessières (traduisant l'atteinte sacro-
Durée des symptômes (0–1) iliaque) chez un homme jeune, s'accompagnant de douleurs
< 6 semaines 0 rachidiennes lombaires inflammatoires qui s'étendent
secondairement au rachis dorsal et cervical.
> 6 semaines 1
Biologie inflammatoire (0–1)
Tableau 22.2 Critères ASAS (Assessment of
CRP normale et VS normale 0
SpondyloArthritis international Society)
CRP anormale et VS anormale 1 de la spondyloarthrite périphérique.
PR = score > 6 Arthrite, enthésite ou dactylite

FR : facteur rhumatoïde ; ACPA : anticorps antipeptides citrullinés ; Plus


CRP : protéine C réactive ; VS : vitesse de sédimentation.
Au moins un, parmi Ou Au moins deux, parmi
Uvéite Arthrite
≥ 1 articulation
Psoriasis Enthésite
gonflée
MICI Dactylite
HLA-B27 Lombalgie inflammatoire

Non Oui Sacro-iliite IRM Antécédents familiaux


de spondyloarthrite

Ne peut être classé comme Mieux expliqué ⁎


Sujet de moins de 45 ans.
PR… pour l'instant par une autre
Sensibilité : 75 % ; spécificité : 82 %. MICI : maladie inflammatoire chronique
pathologie de l'intestin.
Source : Rudwaleit M, van der Heijde D, Landewé R et al. The Assessment
of SpondyloArthritis international Society classification criteria for peripheral
Non Oui spondyloarthritis and for spondyloarthritis in general. Annals of the Rheumatic
Diseases 2011.
Érosion Ne peut être classé
caractéristique comme PR
sur les radios standard
≥ 1 signe de SPA* HLA-B 27 +
ou au moins deux autres
+ sacro-iliite** signes de SPA*
Non Oui
* Signes de spondyloarthropathie : rachialgie inflammatoire,
arthrite, enthésite, uvéite, dactylite, psoriasis, maladie de
Utilisation PR Crohn, bonne réponse aux AINS, histoire familiale de
spondyloarthrite, HLA-B27 et CRP augmentée
des critères ** Inflammation hautement compatible avec une sacro-iliite
à l'IRM ou une sacro-iliite radiographique définie selon les
critères de New York modifiés.
Figure 22.1 Algorithme à suivre pour pouvoir appliquer les
nouveaux critères ACR/EULAR 2010 pour le diagnostic de poly- Figure 22.2 Critères de classification pour les spondyloarthrite
arthrite rhumatoïde. ACR : American College of Rheumatology ; axiales. Patients avec lombalgie ≥ à 3 mois et âge < 45 ans, lors de
EULAR : European League Against Rheumatism ; PR : polyarthrite la survenue de la maladie. Sensibilité : 82,9 % ; spécificité : 84,4 %.
rhumatoïde. Source : d'après Rudwaleit M et al. 2009 [2, 3].
Chapitre 22. Douleurs ostéoarticulaires d'horaire inflammatoire    151

L'association à des atteintes enthésopathiques comme Le traitement a pour objectif de soulager le patient
les talalgies, liées aux enthésopathies calcanéennes ou à au moyen d'un traitement par AINS et antalgiques, mais
l'aponévrosite plantaire, les sternalgies et les épicondy- aussi de réduire l'évolution structurale de la spondy-
lalgies sont des critères d'orientation diagnostique assez loarthrite, à chaque fois que cela est nécessaire, avec les
forts. biothérapies.
Habituellement il n'y a pas de signe ou que peu de signes
généraux, si ce n'est une asthénie.
Il existe des signes extra-articulaires très évocateurs,
Références
comme l'uvéite antérieure aiguë.
Le bilan biologique ne montre pas toujours de syn- [1] Walsh DA, McWilliams DF. Mechanisms, impact and management of
drome inflammatoire. L'association au groupage HLA- pain in rheumatoid arthritis. Nat Rev Rheumatol 2014 ; 10 : 581–92.
B27 est très étroite, retrouvée chez 90 % des patients alors [2] Rudwaleit M, Landewé R, van der Heijde D, Listing J, Brandt J,
que 8 % de la population non malade appartiennent à ce Braun J, et al. The development of Assessment of SpondyloArthritis
international Society classification criteria for axial spondyloarthritis
groupe HLA. L'atteinte radiologique est tardive, et c'est
(part I) : classification of paper patients by expert opinion including
donc l'IRM qui permet de faire le diagnostic précoce d'at- uncertainty appraisal. Ann Rheum Dis 2009 ; 68 : 770–6.
teinte inflammatoire soit des sacro-iliaques, soit du rachis. [3] Rudwaleit M, van der Heijde D, Landewé R, Listing J, Akkoc N,
Le diagnostic suspecté ou confirmé doit conduire à Brandt J, et al. The development of Assessment of SpondyloArthritis
adresser le patient pour avis spécialisé à un rhumatologue, international Society classification criteria for axial spondyloarthritis
afin d'adopter la meilleure stratégie thérapeutique dans les (part II) : validation and final selection. Ann Rheum Dis 2009 ; 68 :
meilleurs délais. 777–83.
Chapitre
23
Douleurs de l'appareil
locomoteur et troubles
musculosquelettiques
Philippe Bertin, Patrick Sichère

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 Douleurs articulaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153

Ce qu'il faut comprendre Douleurs articulaires [1–3]


Les douleurs de l'appareil locomoteur sont très fréquentes, Arthrose
ce qui peut conduire à les « banaliser ». Néanmoins, si les La douleur est spécifiquement d'horaire mécanique : elle
plus communes sont les douleurs mécaniques (arthrose, survient à l'effort, s'améliore au repos, et s'accompagne d'un
tendinopathies, rachialgies communes), il est indispensable dérouillage articulaire matinal bref de moins de 15 minutes.
de les différencier des douleurs inflammatoires, qui peuvent Néanmoins, certains patients arthrosiques souffrent aussi la
révéler une arthrite septique, une pathologie auto-immune nuit (poussée inflammatoire ou sensibilisation centrale).
ou une arthropathie microcristalline : en effet, ces patholo-
Elle touche une ou plusieurs articulations, le plus souvent
gies nécessitent un diagnostic rapide, déclenchant une prise les genoux, les hanches et les articulations des mains.
en charge spécifique qui conditionne le pronostic fonction- Elle survient dans un contexte post-traumatique (comme
nel, voire vital. une entorse grave du genou), ou microtraumatique répété
(surmenage articulaire professionnel ou sportif), dans un
Généralités contexte favorisant local (comme un genu varum ou val-
gum) ou général (obésité, hérédité ou sédentarité).
Les douleurs de l'appareil locomoteur sont les plus fré- L'examen clinique montre habituellement une douleur
quentes des douleurs, qu'elles soient aiguës ou chroniques. à la palpation de l'interligne articulaire, un éventuel épan-
Elles peuvent survenir à tout âge, mais leur fréquence aug- chement intra-articulaire, une fréquente limitation dou-
mente avec l'âge. Leurs mécanismes sont multiples : dou- loureuse des amplitudes articulaires et l'absence de signes
leurs articulaires, rachidiennes (Cf. chapitre 21, « Douleurs inflammatoires locaux.
rachidiennes : de la cervicalgie à la lombosciatalgie »), liga- Le diagnostic est avant tout clinique, mais il est habituel
mentaires, tendineuses, musculaires ; douleurs mécaniques de faire des radiographies comparatives (les deux côtés),
ou inflammatoires. Leurs étiologies sont très variées : infec- car même si elles peuvent être normales au début, elles
tieuses, auto-immunes, tumorales, iatrogènes, dégénératives montrent ensuite des signes caractéristiques (diminution
ou traumatiques. Pour toutes ces raisons, il est impossible de la hauteur de l'interligne articulaire, ostéocondensation
d'être exhaustif et notre propos est donc de ne parler que des sous-chondrale, ostéophytose marginale) et permettent
situations cliniques les plus rencontrées au quotidien. d'écarter certains diagnostics différentiels (calcifications
Même si leur fréquence a tendance à les « banaliser », les de la chondrocalcinose ou d'hydroxyapatite, ostéonécroses,
douleurs de l'appareil locomoteur sont souvent très intenses fractures de fatigue, arthrite, lyse osseuse, etc.).
et s'accompagnent d'un retentissement fonctionnel invali- Il n'est pas utile de faire des imageries coûteuses telle
dant. Au-delà de l'indispensable diagnostic étiologique, la qu'IRM, scanner ou scintigraphie osseuse, qui n'apportent
prise en charge thérapeutique doit être rapide, optimale et rien de plus au diagnostic d'arthrose dans l'immense majo-
adaptée à l'évaluation de la douleur et au contexte clinique. rité des cas.

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 153
154   Partie 3. Pathologies douloureuses

À noter qu'il n'existe pas de corrélation radioclinique sys- Il peut s'agir d'une arthrite infectieuse (à systématique-
tématique, notamment pour la douleur. Cela est essentiel, ment éliminer) le plus souvent monoarticulaire, d'une
car le patient a souvent tendance à assimiler une poussée arthrite microcristalline (la situation de loin la plus fré-
douloureuse à une poussée évolutive, ce qui n'est pas systé- quente), d'une arthrite inflammatoire (mono-, oligo-, ou
matiquement le cas. polyarticulaire) ou d'un rhumatisme inflammatoire (mala-
L'évolution clinique d'une arthrose est habituellement die auto-immune comme la polyarthrite rhumatoïde).
faite de poussées successives, conduisant à une aggravation L'examen clinique local montre les signes cardinaux de
progressive clinique et radiographique. L'évolution est en l'inflammation (rougeur, chaleur, douleur et œdème), un
fait très variable d'un patient à un autre, l'état de certains épanchement articulaire et une impotence fonctionnelle
patients restant stable pendant des années, d'autres patients souvent marquée.
voyant leur arthrose s'aggraver très rapidement, comme L'examen clinique général s'attache à rechercher des
dans le cas des arthroses destructrices rapides qui peuvent signes d'orientation étiologique :
aboutir à une destruction complète de l'articulation en 6 à ■ une fièvre, une infection à distance, une porte d'entrée
12 mois. L'observation radiographique donne une évalua- cutanée, un terrain favorisant les infections, pour l'étiolo-
tion objective de cette évolution. gie infectieuse ;
La douleur, habituellement mécanique au commence- ■ le terrain (syndrome métabolique/goutte, âge/chondro-
ment de l'arthrose, peut, lors des poussées fluxionnaires, calcinose), des épisodes antérieur et similaires et leurs
être inflammatoire et conduire par ailleurs à une hypersen- localisations (gros orteil pour la goutte) pour les arthrites
sibilisation centrale et/ou périphérique, comme cela a été microcristallines que sont la goutte, la chondrocalcinose,
démontré dans certaines études. le rhumatisme à hydroxyapatite ;
La prise en charge thérapeutique repose sur la prescrip- ■ les signes généraux d'accompagnement tels qu'un syn-
tion d'antalgiques et d'AINS (en respectant les règles d'uti- drome de Raynaud, un syndrome sec ou une atteinte
lisation de ces médicaments et en s'adaptant à l'évolution de cutanée ou viscérale, etc. pour les arthrites des rhuma-
la douleur), la correction éventuelle des facteurs favorisants tismes inflammatoires chroniques.
(perte de poids, correction d'un défaut d'axe par orthèse, Le diagnostic repose sur un faisceau d'arguments, mais
adaptation de l'activité physique), et les techniques phy- l'étape déterminante est l'analyse du liquide synovial par
siques telles que la kinésithérapie et les cures thermales. ponction articulaire à chaque fois que cela est possible : le
Concernant les antalgiques, le paracétamol est proposé liquide est riche en cellules (plus de 2000 éléments par mm3) ;
en première intention. Les opioïdes faibles sont souvent soit il est stérile, soit il contient un germe, soit il contient des
nécessaires pour passer les caps aigus. Les opioïdes forts microcristaux.
n'ont que très exceptionnellement leur place. Il est indispen- Les radiographies, normales au début, montrent ensuite
sable de cantonner les AINS à des cures courtes, pour éviter une diminution de l'interligne articulaire, une déminéralisa-
les effets indésirables à long terme. tion et des géodes sous-chondrales. Elles peuvent montrer les
En cas de poussée sévère (souvent avec épanchement liserés calciques propres à la chondrocalcinose ou les grosses
intra-articulaire), une ponction-infiltration d'un dérivé cor- calcifications d'hydroxyapatite périarticulaires. Les examens
ticoïde est habituellement très efficace. d'imagerie tels qu'IRM ou échographie sont souvent utiles.
Pour limiter l'évolution de la pathologie arthrosique, La biologie témoigne d'un syndrome inflammatoire,
il est souvent proposé de prescrire un traitement d'action d'une éventuelle hyperleucocytose ou d'une hyperuricémie.
lente, dit « de fond » (insaponifiable de soja et avocat, glu- Il faut rechercher un foyer infectieux en pratiquant un
cosamine, chondroïtine, etc.) ou de faire une visco-induc- ECBU, une radio du thorax ou un scanner thoraco-abdopel-
tion (injection intra-articulaire d'acide hyaluronique). Ces vien, etc., en fonction de la clinique.
thérapeutiques, dont les effets sont contestés, ne sont pas Le bilan immunologique orienté par les symptômes cli-
remboursées mais apportent souvent satisfaction au patient niques précise le type de maladie auto-immune.
en pratique courante. La prise en charge thérapeutique est symptomatique et
Lorsque la douleur est chronique, elle peut s'accompa- curative. L'immobilisation de l'articulation en cas d'arthrite
gner de symptômes associés classiques, nécessitant une septique, la cryothérapie, et les antalgiques sont utiles au
prise en charge thérapeutique globale. soulagement du patient. Si les douleurs sont intenses et
En cas d'échec des traitements médicaux et exclusive- ne répondent pas aux antalgiques usuels, le recours aux
ment dans les formes évoluées d'arthrose, une indication opioïdes forts est possible sur une période courte, pour pas-
de chirurgie prothétique peut être discutée en fonction de ser le cap aigu.
la localisation et du terrain (prothèse uni- ou tricomparti- Il existe des spécificités : la crise de goutte répond très
mentale du genou, prothèse de hanche et, plus rarement, bien à la colchicine (mais la colchicine traite uniquement la
prothèse d'épaule ou prothèse trapézométacarpienne). crise et non la goutte) ; la chondrocalcinose et le rhumatisme
à hydroxyapatite répondent aux AINS (ou aux infiltrations
de corticoïde).
Arthrite En cas d'arthrite septique, le recours aux antibiotiques,
La douleur typique est d'horaire inflammatoire, survient au une fois le germe mis en évidence, doit être adapté à l'anti-
repos, est maximale la nuit, entravant néanmoins la mobi- biogramme et de durée suffisamment prolongée (au moins
lisation de l'articulation, et elle s'accompagne d'un dérouil- six semaines). En cas d'insuffisance thérapeutique, le recours
lage articulaire matinal long de plus de 15 minutes. à la chirurgie de lavage articulaire doit être discuté.
Chapitre 23. Douleurs de l'appareil locomoteur et troubles musculosquelettiques    155

En cas de maladie auto-immune, des recommanda- Dans les formes sévères réfractaires au traitement médi-
tions sont formulées pour chaque type (recommandations cal, à la suite de 6 à 12 mois d'un traitement bien conduit, il
EULAR [European League Against Rheumatism] 2016 pour est alors possible de recourir à la chirurgie, même si celle-ci
la polyarthrite rhumatoïde, par exemple). reste controversée. La plupart des chirurgiens proposent un
peignage du tendon en plusieurs bandelettes longitudinales
Pathologies tendinomusculeuses puis, ensuite, une immobilisation prolongée.
et ligamentaires Aponévrosite plantaire
La plupart sont traumatiques ou post-traumatiques. L'aponévrosite, ou fasciite plantaire, est une pathologie fré-
L'anamnèse et l'examen clinique font suspecter le diagnos- quente. L'inflammation de l'aponévrose plantaire survient
tic et, en cas de doute, l'échographie et l'IRM confirment le en cas de tension excessive ou répétée, à son insertion posté-
diagnostic lésionnel. rieure et, surtout, postéro-interne, au niveau du calcanéum.
Le traitement, qui dépend de la localisation et de la Elle peut être favorisée par des troubles statiques architec-
sévérité, va de la légère immobilisation, la glace et les antal- turaux de l'arrière-pied et par des contraintes mécaniques
giques, à une éventuelle chirurgie réparatrice, comme dans importantes, comme le surpoids ou la manutention de
le cas d'une rupture du tendon d'Achille. charges lourdes.
Il peut s'agir de pathologies microtraumatiques dans le Le patient se plaint de douleurs de la face inférieure du
cadre d'une activité professionnelle ou de loisir. Le traite­ talon aggravées à l'appui et à la marche, souvent très handi-
ment symptomatique et la correction ou l'éviction du capantes. La pression directe de la face plantaire de la région
mouve­ment causal sont de règle. La reconnaissance en entéro-interne du talon réveille la douleur et oriente vers le
maladie professionnelle peut se justifier dans certain cas, diagnostic d'aponévrosite plantaire. La mise en dorsiflexion
lorsqu'il existe une exposition avérée aux risques d'origine de la cheville et du gros orteil déclenche la douleur.
professionnelle, lorsque la durée d'exposition est suffisam- La radiographie peut montrer un enthésophyte, témoin
ment longue et lorsque la pathologie fait partie de la liste des d'une chronicisation de la pathologie. L'échographie ou
tableaux des maladies professionnelles de la Caisse primaire l'IRM montre l'inflammation de l'aponévrose plantaire.
d'Assurance maladie. Le traitement est conservateur, avec adaptation du chaus-
Les pathologies musculaires peuvent être iatrogènes ou sage (chaussure amortissante), port d'une talonnette absor-
liées à des maladies auto-immunes ou encore ce peut être des bant les chocs, massages transverses profonds et étirements
pathologies intrinsèques des muscles (myopathies). Les traite- de l'aponévrose plantaire. Les infiltrations sont possibles.
ments sont orientés par l'étiologie. Quelques exemples suivent. Elles doivent se faire après une anesthésie du nerf tibial
Tendinites d'Achille postérieur. Les ondes de choc sont très utilisées, sans que la
preuve scientifique de leur efficacité ait été faite.
La tendinite d'Achille survient la plupart du temps au
décours d'hypersollicitations sportives ou professionnelles.
Elle génère une douleur handicapante et intense de Périarthrite scapulo-humérale
l'arrière-pied. Ce terme regroupe les pathologies de la coiffe des rotateurs.
L'examen clinique montre souvent une augmentation du La plus fréquente est la tendinopathie du sus-épineux. Les
volume du tendon d'Achille à la palpation, une douleur à la douleurs de l'épaule sont souvent intenses et handicapantes.
palpation de ce tendon et une douleur à la flexion plantaire L'examen clinique montre des signes de conflit sous-­acromial
contrariée. et de tendinopathie du sus-épineux, ce qui est confirmé par
La palpation du tendon d'Achille peut montrer des les examens complémentaires (IRM ou arthroscanner).
nodules ou l'impression d'une collection liquidienne Le traitement est habituellement fondé sur les antal-
péritendineuse. giques, les anti-inflammatoires et la kinésithérapie de
Le diagnostic est confirmé par l'échographie ou l'IRM. décoaptation de l'épaule associée au renforcement muscu-
Dans les formes modérées, le traitement est médical, avec laire isométrique des muscles rotateurs et des muscles abais-
en premier lieu la réduction de la fréquence et de l'inten- seurs de la tête humérale. En cas d'échec, il est possible de
sité de l'activité sollicitant le tendon. Il est souvent proposé faire une infiltration du défilé sous-acromial et de continuer
de faire porter une talonnette de 10 mm d'épaisseur com- les séances de kinésithérapie. Si le traitement médical n'est
pressible à 50 % en charge, qui présente l'intérêt d'une part pas suffisamment efficace, et en fonction des données de
d'absorber les chocs et, d'autre part, de détendre le système l'imagerie complémentaire, il est possible d'envisager une
suro-achilléo-calcanéoplantaire. acromioplastie et une résection du ligament acromiocora-
Une infiltration péritendineuse, sous contrôle échogra- coïdien sous arthroscopie.
phique, peut être indiquée notamment lorsqu'il existe une Les pathologies tendineuses, musculaires et ligamen-
bursite associée. En aucun cas il ne faut faire d'infiltration taires peuvent avoir de multiples localisations et ne peuvent
intratendineuse, qui comporterait un risque de rupture ten- donc pas être détaillées. Globalement, leur prise en charge
dineuse secondaire. thérapeutique est toujours fondée sur le même principe de
Des techniques récentes, souvent utilisées mais qui n'ont réduction ou d'éviction de la cause, du traitement sympto-
pas fait la preuve de leur efficacité, sont à la mode, comme matique anti-inflammatoire et antalgique, de la rééducation,
les injections de plasma riche en plaquettes (PRP) ou les des infiltrations et, si nécessaire, en dernier recours, de la
ondes de choc. chirurgie.
156   Partie 3. Pathologies douloureuses

Références [3] Perrot S, Cohen M, Barke A, Korwisi B, Rief W, Rolf-Detlef T. The


IASP classification of chronic pain for ICD-11 : chronic secondary
[1] Vergne-Salle P, Beaulieu P, Coutaux A, Sichère P, Perrot S, Ber- musculoskeletal pain. Pain 2019 ; 160 : 77–82.
tin P. Aspects physiopathologiques de la douleur en rhumatologie.
­EMC - Appareil locomoteur 2014 ; 9. (4) : 1–3 [Article 15-918-A-12].
[2] Vergne-Salle P, Beaulieu P, Coutaux A, Sichère P, Perrot S, Bertin P.
Traitements de la douleur en rhumatologie. EMC - Appareil locomo-
teur 2014 ; 9(4) : 1–18 [Article 15-918-A-14].
Chapitre
24
Fibromyalgie et douleurs
myofasciales
Françoise Laroche

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur Fibromyalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
au cours de la fibromyalgie . . . . . . . . . . . . . . . 157 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
Douleurs myofasciales localisées . . . . . . . . . . . 157

Ce qu'il faut comprendre professionnelles, posturales et sportives, favorisent ces dou-


leurs [1]. Lorsque la douleur devient chronique, le patient
de la douleur au cours décrit un handicap, d'autant plus important que le diagnos-
de la fibromyalgie tic n'est pas évoqué. En effet, ces douleurs sont facilement
■ Il s'agit d'une douleur par sensibilisation centrale (défaut anxiogènes car méconnues.
de modulation de la douleur) de type « nociplastique », Le traitement comprend l'information, la réassurance, les
selon la dernière classification de l'IASP – c'est une dou- antalgiques, les étirements, la fasciathérapie, les infiltrations
leur sans lésion. éventuellement. La suppression des facteurs de sollicitations
■ Son diagnostic est essentiellement clinique ; peu d'exa- et la prise en charge du terrain individuel sont indispen-
mens complémentaires sont nécessaires, et l'imagerie est sables. L'aide d'un kinésithérapeute expérimenté est très
non contributive. importante. La neurostimulation transcutanée de type mus-
■ Cette pathologie est souvent associée à des maladies culaire sur le cordon tendu est utile. Il faut utiliser un bon
somatiques (arthrose, rhumatismes inflammatoires, etc.) paramétrage ne favorisant pas les douleurs. Les ultrasons
■ Il y a des comorbidités émotionnelles et cognitives. sont aussi intéressants [2]
■ Les approches thérapeutiques sont essentiellement non
médicamenteuses (information très précise et exhaustive,
psychoéducation et exercices physiques adaptés). Fibromyalgie
Dix à 12 % de la population générale souffrent de douleurs
Douleurs myofasciales localisées chroniques diffuses. En France, la prévalence de la fibro-
myalgie est de 1,6 %, selon l'étude DEFI [3]. La fibromyalgie
Ce sont des douleurs très fréquentes que tout le monde a touche 7 à 10 fois plus les femmes que les hommes. Il s'agit
ressenties au moins une fois dans sa vie (par exemple, de la pathologie douloureuse chronique diffuse la plus fré-
« douleurs des trapèzes »). Elles sont dues à une souffrance quente. La dernière classification de l'IASP utilise le terme
musculaire localisée par hyperactivité neuromusculaire ou de « nociplastic pain » pour classer les douleurs sans lésion
tension des aponévroses (appelées aussi fascias). Les dou- mais en rapport avec un défaut de modulation de la douleur
leurs sont souvent spontanées, favorisées par l'étirement ou [4]. La fibromyalgie est considérée comme un trouble soma-
la contraction musculaire et s'accompagnent d'une sensation toforme ou fonctionnel. Les symptômes observés au cours
de faiblesse musculaire. À la palpation, il existe une corde de la fibromyalgie touchent essentiellement les aponévroses
musculaire souvent douloureuse, voire aussi des points (ou fascias). Les douleurs localisées au début peuvent diffu-
gâchettes myofasciaux (nodosités plus ou moins palpables à ser, faisant alors évoquer le diagnostic. On observe aussi des
la pression provoquant la douleur locale mais aussi une dou- patients souffrant de douleurs diffuses d'emblée. L'ensemble
leur référée). On les observe notamment chez les patients constitue un continuum entre les localisations, les symp-
souffrant d'un dérangement intervertébral mineur (DIM), tômes (touchant plusieurs organes) et leur intensité. Obtenir
au cours des radiculopathies ou des céphalées de tension. Le des critères diagnostiques robustes en oui/non est donc dif-
terrain neurotonique et les hypersollicitations, notamment ficile avec un modèle continu de ce type.

Médecine de la douleur pour le praticien


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158   Partie 3. Pathologies douloureuses

La fibromyalgie associe de nombreux symptômes. Ceux- Tableau 24.1 Questionnaire FiRST.


ci peuvent concerner tous les tissus (troubles fonctionnels
Oui Non
intestinaux, vessie irritable, douleurs de l'articulation tem-
poromandibulaire, céphalées, douleurs thoraciques, flou Mes douleurs sont localisées partout dans tout mon
visuel, œil sec, nausées, prurit, acouphènes, troubles de corps
concentration, etc.) et sont à rechercher systématiquement. Mes douleurs s'accompagnent d'une fatigue
La fibromyalgie est une pathologie dynamique. Les symp- générale permanente
tômes sont fluctuants, migrent d'un site à l'autre, d'un organe Mes douleurs sont comme des brûlures, des
à l'autre. Il existe aussi des comorbidités anxiodépressives et décharges électriques, ou des crampes
cognitives qui ne doivent pas égarer le diagnostic. Le délai Mes douleurs s'accompagnent d'autres sensations
diagnostique, estimé à cinq ans en 2011, est encore long. anormales, comme des fourmillements, des
Même si le type de douleurs décrit s'apparente à des dou- picotements ou des sensations d'engourdissement
leurs neuropathiques (brûlures, fourmillements, décharges dans tout mon corps
électriques, etc.) il n'y a pas de lésion nerveuse anatomique Mes douleurs s'accompagnent d'autres problèmes
identifiée. En effet, l'ensemble reflète un même trouble de de santé, comme des problèmes digestifs, des
la modulation de la douleur sans lésion anatomique. L'IASP problèmes urinaires, des maux de tête ou des
qualifie désormais ces douleurs de type « nociplastique » [4]. impatiences dans les jambes
Mes douleurs ont un retentissement important
dans ma vie : en particulier sur mon sommeil, ma
Dépistage clinique de la fibromyalgie capacité à ma concentrer, avec une impression de
En 2010, un outil pratique de dépistage de la fibromyalgie a fonctionner au ralenti
été validé par une équipe française : il s'agit du FiRST (Fibro- Sources : Burckhardt CS et al. 1993 [26] ; Perrot S et al. 2010 [5] ; Perrot S
myalgia Rapid Screening Tool) [5]. C'est un autoquestionnaire et al. 2003 [9].
simple, composé de 6 questions. La positivité de cinq items
sur six permet de dépister une fibromyalgie chez des patients
souffrant de douleurs diffuses articulaires, musculaires ou effet, ce sont avant tout des critères de classification pour
tendineuses, depuis plus de trois mois, avec une sensibilité et la recherche clinique et non pas des critères diagnostiques
une spécificité proches de 90 % (tableau 24.1). Cet autoques- utilisables individuellement. Ils ont été cependant large-
tionnaire peut être utilisé de façon très rapide en médecine ment utilisés pour faire le diagnostic de fibromyalgie, faute
générale, pour éviter les retards et errances diag­nostiques et d'autres critères à l'époque. Les erreurs de mesure, la diffi-
permettre de commencer une prise en charge. culté de définir cliniquement les points douloureux, la sub-
jectivité du médecin et du patient lors de l'examen clinique
réduisent leur validité et reproductibilité. En outre, la pré-
Diagnostic clinique de la fibromyalgie sence de ces points dépend du niveau de « stress » ressenti
Le diagnostic est avant tout clinique. À l'interrogatoire, les par les patients et leur nombre varie chez le même individu
patients souffrent de douleurs constantes, ressenties en d'un jour à l'autre. Ces critères restent utiles en recherche
général comme sévères, évoluant par intermittence. Elles afin de sélectionner des groupes homogènes de patients.
peuvent être fluctuantes de localisations variables et dans le
temps avec des périodes de crises douloureuses, ou être per-
manentes. Les patients rapportent aussi une asthénie, dans Critères diagnostiques ACR 2010 et 2016
80 % des cas, des troubles du sommeil (dans 75 % des cas), révisés
un dérouillage matinal (dans 80 % des cas), des migraines L'examen des points douloureux à la palpation est émi-
ou des céphalées de tension (dans la moitié des cas), des nemment subjectif, sujet à de nombreuses controverses, et
troubles digestifs fonctionnels (dans 30 % des cas), plus rare- ne doit pas être utilisé pour valider le diagnostic de fibro-
ment un syndrome de Raynaud, des paresthésies distales, myalgie [6]. En revanche, en cas de douleurs diffuses depuis
des acouphènes, des dysménorrhées, des troubles urinaires, plus de 3 mois, non expliquées par une autre pathologie, il
etc. Les symptômes sont variables d'un patient à l'autre. est important de quantifier les sites ou zones douloureux
L'examen physique (rhumatologique et neurologique) est rapportés par les patients. Le diagnostic est effectué à l'aide
normal, même s'il est parfois rendu difficile par une allody- d'un score global associant le nombre de sites douloureux
nie (douleur provoquée lors d'une stimulation normalement (0–19) et le score de sévérité (0–12) [6]. On appelle ces
indolore) diffuse. Il faut notamment rechercher l'absence scores : score de douleurs diffuses (Widespread Pain Index)
de lésion articulaire structurale, de déficit neurologique, de et score de sévérité (Symptom Severity Scale). Ce dernier
faiblesse musculaire ou d'élément évoquant une pathologie évalue les autres symptômes physiques, le réveil non reposé,
endocrinienne. les troubles cognitifs et la fatigue. Il est quantifié de 1 à 12,
En 1990, on parlait de fibromyalgie devant un : « syn- chacun des quatre items ci-dessus étant côté de 0 à 3 selon
drome douloureux diffus depuis plus de 3 mois, à prédo- son importance (tableau 24.2).
minance axiale, para-vertébrale, réparti au rachis cervical, Le diagnostic est porté s'il existe au moins sept sites dou-
dorsal et à la région lombo-fessière ». À l'examen, Wolfe loureux associés au score de sévérité ≥ 5 ou quatre à six sites
proposait la recherche d'au moins 11 points douloureux douloureux associés au score de sévérité ≥ 9.
à la pression sur 18 localisations. Les critères de 1990 ont Malheureusement, on a observé que les critères de
été beaucoup critiqués ces vingt dernières années. En ­l'American College of Rheumatology (ACR) 2010 favorisaient
Chapitre 24. Fibromyalgie et douleurs myofasciales    159

Tableau 24.2 Critères diagnostiques 4. diagnostic de fibromyalgie n'excluant pas une pathologie
de la fibromyalgie, révision 2016. associée.
Au final, ces critères sont utiles mais insuffisants pour
(1) WPI: note the number of areas in wich the patient has faire le diagnostic qui nécessite, en outre, de connaître l'his-
pain over the last week. In how many areas has the patient
had pain? Score will be between 0 and 19 toire médicale complète, le parcours de vie et de faire un
examen clinique minutieux [7].
Left upper region Right upper region Axial region
(Region 1) (Region2) (Region 5)
Jaw, lefta Jaw, righta Neck Formes cliniques
Shoulder girdle, left Shoulder girdle, Upper back La fibromyalgie se présente sous des formes cliniques
right variées. Certaines fibromyalgies commencent très tôt, dès
l'enfance, d'autres plus tardivement, à la ménopause. Il existe
Upper Arm, left Upper arm, right Lower back
des formes à début progressif ou à début brutal à l'occasion
Lower arm, left Lower arm, right Chesta d'un stress psychologique, d'un accident, d'une chirurgie, au
Abdomena décours d'une maladie aiguë (infection) ou à la suite d'un
Left lower region Right lower region syndrome douloureux initialement localisé (rachialgies,
(Region 3) (region 4) syndromes myofasciaux régionaux, etc.) [5–8].
La fibromyalgie peut survenir sur un terrain prédispo-
Hip (buttock, Hip (buttock,
trochanter), left trochanter), right
sant (hormonal, génétique, psychologique, traumatique,
etc.), être favorisée par des facteurs précipitants (infec-
Upper leg, left Upper leg, right
tion, traumatisme, chirurgie, médicaments, etc.) et être
Lower leg, left Lower leg, right entretenue par des facteurs de maintien (persistance de la
(2) Symptom severity scale (SSS) score douleur, errance médicale, doute diagnostique, mauvaise
compréhension, comportements inappropriés, environ-
Fatigue
nement difficile, anxiété, hypervigilance, dépression,
Waking unfreshed catastrophisme lié à la douleur, sentiment d'injustice,
Cognitive symptoms etc.) [5–8].
For the each of the 3 symptoms above, indicate the level of
Environ deux tiers des patients souffrent de fibromyalgie
severity over the past week using the following scale: modérée à sévère. Le Questionnaire d'impact de la fibro-
0 = No problem myalgie (QIF), coté de 0 à 100, permet d'évaluer la sévérité
1 = Slight or mild problems, generally mild or intermittent de la fibromyalgie (un QIF inférieur à 39 correspond à une
2 = Moderate, considerable problems, often present and/or at a forme mineure, un QIF de 39 à 59 correspond à une forme
moderate level modérée et un QIF de 59 à 100 correspond à une forme
3 = Severe: pervasive, continuous, life-disturbing problems
sévère) [9] (figure 24.1).
The symptom severity scale (SSS) score: is the sum of the severity Ces sous-groupes de sévérité ont probablement des carac-
scores of the 3 symptoms (fatigue, waking unrefreshed, and téristiques physiopathologiques différentes, avec des réponses
cognitive symptoms) (0–9) plus the sum (0–3) of the number of
variables aux traitements. Il semble donc nécessaire de les
the following symptoms the patient has been bothered by that
occurred during the previous 6 months: identifier afin de proposer des prises en charge adaptées.
(1) Headaches (0–1)
(2) Pain or cramps in lower abdomen (0–1) Examens complémentaires
(3) And depression (0–1)
Toutes les recommandations des experts internationaux s'ac-
The final symptom severity score is between 0 and 12 cordent pour dire que les examens complémentaires doivent
a: Not included in general pain definition. être limités [7, 8]. Ils servent à rechercher des pathologies
Source: Wolfe F., Clauw D.J., Fitzcharles M.A., et al. 2016 Revisions to the associées ou à poser des diagnostics différentiels [7]. L'Ameri-
2010/2011fibromyalgia diagnostic criteria Semin Arthritis Rheum 2016; 46: can Pain Society (APS) et les recommandations canadiennes
319–329.
conseillent une analyse biologique minimale reposant sur
la NFS plaquettes, la VS, la CRP, la créatine phosphokinase
(CPK) et le dosage des hormones thyroïdiennes [6–8]. Cer-
un surdiagnostic chez les patients souffrant de douleurs tains ajoutent la parathormone (PTH) [7]. Les anticorps
régionales lorsque la distribution spatiale des sites doulou- antinucléaires, le facteur rhumatoïde (FR), le dosage du fer et
reux n'est pas spécifiée et en cas de dépression [6]. de la vitamine D dépendent de l'orientation clinique. L'ima-
La révision de 2016 spécifie bien qu'au moins quatre sur gerie est sans intérêt dans la fibromyalgie isolée.
cinq régions doivent être douloureuses [6]. Cette dernière
révision 2016 comporte les critères diagnostiques suivants :
1. douleurs diffuses touchant au moins quatre régions du Diagnostics différentiels
corps sur cinq ; De nombreuses pathologies peuvent mimer une fibro-
2. symptômes depuis au moins trois mois ; myalgie. Il peut s'agir de maladies rhumatismales, de
3. association : score de douleurs diffuses ≥ 7 et score de pathologies neurologiques, de troubles métaboliques,
sévérité ≥ 5 ou association : score de douleurs diffuses de etc. Il est important d'évoquer différents diagnostics dif-
quatre à six et score de sévérité ≥ 9 ; férentiels résumés dans le tableau 24.3 [7]. Il est parfois
160   Partie 3. Pathologies douloureuses

difficile de distinguer une spondyloarthrite enthésitique terme de syndrome d'hyperlaxité. Le diagnostic repose
non radiographique d'une fibromyalgie, d'autant qu'elles sur une hyperlaxité généralisée associée à des douleurs
peuvent être associées. Cependant, une survenue de la touchant au moins quatre articulations pendant au
maladie avant 45 ans, la douleur primant dans la seconde moins 3 mois sans autre cause expliquant les douleurs
partie de nuit et au petit matin, l'amélioration relative [7]. L'hyperlaxité peut expliquer la douleur, mais une
par l'exercice, la raideur matinale supérieure à une heure, hyperlaxité peut aussi être associée à une fibromyalgie.
l'association à un psoriasis cutané, à une uvéite ou à des Le syndrome d'Ehler-Danlos est une maladie génétique
symptômes digestifs évoquant une maladie inflammatoire caractérisée par une hyperlaxité, une peau extensible
intestinale peuvent orienter vers une spondyloarthrite et une fragilité tissulaire. Il existe plusieurs variants
[7]. Dans ces situations, les examens complémentaires dont le type hyperlaxe, sans génotype spécifique ou
ont toute leur place (IRM des sacro-iliaques et du rachis, le diagnostic est uniquement clinique. Il y a actuelle-
typage HLA-B27, CRP). ment débat en termes de classification et de diagnos-
L'hyperlaxité associée à des douleurs diffuses tic en ce qui concerne l'hyperlaxité et le syndrome
concerne environ 3 % des personnes. On utilise alors le d'Ehler-Danlos.

Questionnaire impact de la fibromyalgie


Les questions qui suivent ont pour objectif de mesurer les conséquences de votre fibromyalgie sur
votre santé. Les réponses que vous fournirez à ce questionnaire nous permettront de mieux connaître
l'impact de cette maladie sur votre vie de tous les jours.

Merci de bien vouloir répondre à toutes les questions :


• soit en mettant une simple croix X dans la case correspondant à la réponse choisie. Si vous ne
savez pas très bien comment répondre, choisissez la réponse la plus proche de votre situation.
• soit en indiquant d'un trait l'endroit où vous vous situez entre deux positions extrêmes, comme
dans l'exemple ci-dessous :

____________________________________________________________________________

Aucune douleur Douleurs très importantes


1. Êtes-vous capable de :
Mettez une simple croix X dans la case qui correspond à votre choix (une par ligne)
Toujours La plupart De temps en temps Jamais
du temps
0 1 2 3
Faire les courses
Faire la lessive en machine
Faire à manger
Faire la vaisselle à la main
Passer l'aspirateur
Faire les lits
Marcher plusieurs centaines
de mètres
Aller voir des amis ou de la
famille
Faire du jardinage
Conduire une voiture

2. Au cours des 7 derniers jours

• Combien de jours vous êtes-vous senti(e) bien ?

Mettez une simple croix X dans la case qui correspond à votre choix

0 1 2 3 4 5 6 7

Si vous n'avez pas d'activité professionnelle, passez à la question 5

• Combien de journées de travail avez-vous manqué à cause de votre


fibromyalgie ?

Mettez une simple croix X dans la case qui correspond à votre choix

0 1 2 3 4 5 6 7

Figure 24.1 Questionnaire impact de la fibromyalgie.


Source : Laroche F. La fibromyalgie : diagnostic positif, diagnostics différentiels et diagnostics associés. Rev Rhum Monograph 2018 ; 85 : 287–94.
© 2018. Société Française de Rhumatologie. Avec l’autorisation de l’éditeur. ▶
Chapitre 24. Fibromyalgie et douleurs myofasciales    161

• Les jours où vous avez travaillé, les douleurs ou d'autres problèmes liés à votre
fibromyalgie vous ont-ils gêné(e) dans votre travail ?

Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes

Aucune gêne Gêne très importante

• Avez-vous eu des douleurs ?

Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes

Aucune douleur Douleurs très fortes

• Avez-vous été fatigué(e) ?

Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes

Pas du tout fatigué(e) Extrêmement fatigué(e)

• Comment vous êtes-vous senti(e) le matin au réveil ?

Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes

Tout à fait reposé(e) au réveil Extrêmement fatigué(e) au réveil

• Vous êtes-vous senti(e) raide ?

Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes

Pas du tout raide Extrêmement raide

• Vous êtes-vous senti(e) tendu(e) ou inquiet(e) ?

Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes

Pas du tout tendu(e) Extrêmement tendu(e)

• Vous êtes-vous senti(e) déprimé(e) ?

Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes

Pas du tout déprimé(e) Extrêmement déprimé(e)


Figure 24.1 suite.

Certains médicaments peuvent aussi entraîner des dou- Pathologies somatiques associées
leurs. Il s'agit notamment des statines (douleurs musculaires), Certains diagnostics différentiels constituent aussi des
des opioïdes (douleurs diffuses favorisées par leur utilisation diagnostics associés. La fibromyalgie peut accompagner
­prolongée en rapport avec une hyperalgésie), des chimiothéra- des pathologies rhumatismales telles que le lupus (37 %),
pies (douleurs neuropathiques), des antiaromatases (arthralgies, la spondylarthrite ankylosante (21,4 %), la polyarthrite
douleurs diffuses) et des bisphosphonates (douleurs osseuses). rhumatoïde (21 %) et l'arthrose (17 %) [7]. Il est ­important
162   Partie 3. Pathologies douloureuses

Tableau 24.3 Diagnostics différentiels de la fibromyalgie.


Rhumatologie, Neurologie Endocrinologie Maladies Infections Pathologie Médicaments
maladies de système psychiatriques tumorale
Polyarthrite rhumatoïde, Myosite Troubles Anxiété Hépatite C Statines : douleurs
syndrome de Gougerot- métaboliques (TSH, musculaires
Sjögren, lupus PTH, vitamine D, etc.)
Spondylarthropathie Myélopathie Dépression Opioïdes : hyperalgésie
Pseudo-arthrite Neuropathie Chmiothérapie : douleurs
rhizomélique, périphérique neuropathiques
hyperlaxité
Antiaromatases :
arthralgie et douleurs
diffuses
Bisphosphonates :
douleurs osseuses
TSH : thyréostimuline ; PTH : parathormone.
Source : adapté d'après Häuser W et al. 2017 [7].

d'identifier et de traiter ces pathologies associées, car elles douloureux (des anciens critères ACR 1990) n'est pas justi-
peuvent aggraver les symptômes. En outre, attribuer les fiée pour la confirmation du diagnostic.
symptômes actuels à l'étiologie responsable est difficile
mais nécessaire car les traitements diffèrent drastique-
ment entre une poussée de polyarthrite rhumatoïde et des On peut résumer la démarche
douleurs de fibromyalgie associée par exemple [6–8]. diagnostique en 6 étapes, comme
proposée par Haüser et al. en 2017 [7] :
évaluer la douleur et ses caractéristiques,
Pathologies psychiatriques associées


évaluer les symptômes associés (fatigue, réveil non reposé,
Les troubles anxieux sont associés à la fibromyalgie chez 35 autres organes symptomatiques, signes systémiques),
à 62 % des patients, la dépression chez 58 à 86 % d'entre eux, ■
interroger l'histoire personnelle (médicale et psychosociale),
les troubles bipolaires chez 11 %, et l'abus de substances chez ■
interroger l'histoire familiale (médicale et psychosociale),
12% [10, 11]. L'anxiété et la dépression sont très fréquemment ■
faire l'examen clinique,
associées aux douleurs chroniques (et donc à la fibromyalgie)

prescrire une biologie limitée.
et sont considérées comme des associations comorbides. Il
semble que l'anxiété soit plus souvent associée à la sévérité et
à l'ancienneté de la douleur, et la dépression, plutôt associée à Le médecin généraliste doit évoquer le diagnostic dès que
l'ancienneté de la douleur. Les troubles de l'humeur sont des possible, sans qu'il soit nécessaire d'avoir une confirmation
facteurs d'entretien des douleurs chroniques. par un spécialiste [7, 8].
Le syndrome de stress post-traumatique est observé au La recherche de diagnostics associés et ou différentiels –
cours de la fibromyalgie avec une fréquence, supérieure à somatiques ou psychologiques – doit être effectuée [7].
celle relevée dans la population générale, d'environ 57 % Le diagnostic doit être communiqué au patient [8, 16].
[12]. Les événements de vie traumatiques antérieurs sont Les recommandations EULAR 2016 stipulent même qu'une
potentiellement source de douleurs ultérieures [13]. information doit lui être délivrée sous forme de documen-
Parmi les patients souffrant de fibromyalgie, certains tation écrite (en ligne par exemple sur le site : reseau-lcd.
troubles émotionnels et traits de personnalité peuvent modi- org) [16]. En outre, donner le diagnostic diminue les coûts
fier la capacité à gérer la douleur et le stress [14, 15]. Les de santé. Cette recommandation peut être modulée chez
réponses à la douleur semblent donc facilitées lorsqu'existent l'enfant, où l'on préfère éviter de « coller » une étiquette
un catastrophisme lié à la douleur, un névrosisme (tendance diagnostique précoce, espérant un amendement des symp-
à expérimenter des émotions négatives), un sentiment d'in- tômes avec une prise en charge rapide, globale et adaptée.
justice et des stratégies d'ajustement peu flexibles [15]. En outre, toute nouvelle plainte ne doit pas être mise de
façon systématique sur le compte de la fibromyalgie [7, 8].
Les examens biologiques doivent se réduire au minimum,
Recommandations diagnostiques sauf en cas de nouveaux signes physiques ou symptômes [7,8].
pratiques L'envoi itératif à de multiples spécialistes doit être évité [7].
Les canadiens ont proposé, en 2012, des recommandations
diagnostiques [8]. Elles incluent la nécessité d'un examen Traitements
clinique, y compris neurologique, chez toute personne se Toutes les recommandations internationales s'accordent
plaignant de douleurs diffuses pouvant faire évoquer une sur la prise en charge, qui doit commencer par une infor-
fibromyalgie. L'examen est alors normal en dehors de la mation exhaustive et écrite. Elles sont toutes consensuelles
pression des zones douloureuses. La recherche des points pour recommander en première ligne les exercices aérobies,
Chapitre 24. Fibromyalgie et douleurs myofasciales    163

la psychoéducation de type cognitivo-­comportementale afin de renforcer l'efficacité personnelle. Les outils de la


(TCC), les approches m ­ ultidisciplinaires et l'amitriptyline [8, thérapie comportementale sont la réactivation physique
16–20]. Pour les autres approches, il est difficile de se pro- (pour limiter la kinésiophobie, les évitements et le décon-
noncer, compte tenu de l'hétérogénéité des études et de leurs ditionnement physique), l'apprentissage de la relaxation
interprétations divergentes (notamment pour l'hypnose, la (avec exposition), la gestion du stress et, enfin, l'exposition
méditation de pleine conscience et l'acupuncture) par les progressive graduée (aux situations redoutées et évitées)
auteurs des recommandations. Il faut se souvenir que l'effica- [19]. L'utilisation de stratégies individualisées adaptées
cité des traitements résulte de l'association d'une composante aux caractéristiques des patients semble améliorer nette-
spécifique (information, compréhension, travail de relâche- ment les résultats de ces thérapies [19].
ment musculaire, reprise d'activité physique fractionnée, Les traitements individualisés peuvent être proposés
etc.) et d'une composante non spécifique (encouragement, en cas d'échec ou d'insuffisance des autres approches non
amélioration de l'efficacité personnelle, etc.). médicamenteuses et, surtout, en fonction des besoins du
On observe que l'évaluation de l'intensité de la douleur se patient [16].
modifie peu avec les traitements [8, 16, 18, 19]. En revanche, Les recommandations sont de niveau variable pour la
les évaluations centrées sur les patients (plus sensibles aux méditation avec des mouvements – type taïchi, yoga et qi
changements de leur état de santé perçu) évoluent favora- gong (qui améliorent le sommeil, la fatigue et la qualité de
blement. Il s'agit des Patient-Reported Outcomes (PRO) qui vie) –, pour la méditation de pleine conscience (qui amé-
identifient la perception du changement, la satisfaction, les liore la douleur et la qualité de vie) et pour les thérapies
cognitions, les émotions, etc. Il est donc nécessaire de repen- corporelles comme l'acupuncture et l'hydrothérapie (qui
ser les questionnaires utilisés dans les essais cliniques et lors améliorent la douleur, la fatigue et la qualité de vie) ainsi
de la consultation, afin d'être plus proche des demandes et que pour la rTMS (stimulation magnétique transcrânienne
des besoins des patients. répétée) et l'EMDR (Eye Movement Desensitization and
La prise en charge recommandée a pour objectif d'amé- Reprocessing) [18].
liorer la qualité de vie et la fonction. En ce qui concerne l'hypnose, les discordances entre les
recommandations sont importantes [18, 21]. Pourtant, une
revue systématique de sept études randomisées contrôlées
Recommandations sur les traitements
(publiée en 2017) montre, parmi 387 sujets, des résul-
non médicamenteux tats favorables de la pratique de l'hypnose sur la douleur
Recommandations en faveur (≥ 50 % soulagement) et la détresse émotionnelle, versus
Les recommandations européennes EULAR 2016 donnent des groupes contrôles [21]. Dans cette analyse, deux études
un niveau de preuve fort en faveur des exercices phy- ont comparé l'hypnose et les TCC aux TCC seules chez
siques (accord 100 %) [16]. En effet, ils sont efficaces 95 sujets. Les résultats montrent que l'association est supé-
sur la douleur, la fonction et le sentiment de bien-être. rieure lorsque l'hypnose est ajoutée aux TCC, sur la détresse
Les recommandations ne peuvent cependant trancher émotionnelle.
entre renforcements et exercices aérobies. Les étirements Pour l'acupuncture, les recommandations EULAR 2016
ne semblent pas efficaces d'après les études évaluées. Les sont de niveau faible en faveur (accord à 93 %). Sur huit
autres recommandations internationales (canadiennes, revues incluant 16 études (n = 1081), une seule, de bonne
allemandes et israéliennes, notamment) vont dans le qualité méthodologique, incluant neuf essais (n = 395), a
même sens [8, 17, 18]. montré que l'acupuncture, en association avec des traite-
Les approches multidisciplinaires sont fortement conseil- ments standard, améliorait de 30 % (21–39 %) la douleur
lées, avec un bon niveau de preuves dans toutes les recom- [22]. L'électro-­acupuncture améliorait aussi la douleur de
mandations, sauf les recommandations EULAR 2016 (qui 22 % (4–41 %), la raideur (de 9 % ; 4–16 %) et la fatigue (de
leur sont aussi favorables, mais dans lesquelles le niveau de 11 % ; 2–20 %). Les effets indésirables, quand il y en avait,
force de la recommandation est le plus faible). étaient modestes. À ce jour, il est difficile de savoir par quel
En ce qui concerne les TCC, les recommandations sont mécanisme agit l'acupuncture et les preuves d'une efficacité
consensuelles pour la plupart, en donnant un bon niveau de l'acupuncture verum supérieure à l'acupuncture sham
d'évidence [8, 16–19]. Les TCC sont efficaces même si sont faibles.
elles apportent une modeste réduction à long terme de
la douleur et du handicap. Elles améliorent l'humeur. Non recommandés
Elles devraient être particulièrement envisagées pour les Certaines approchent sont non recommandées, faute de
patients souffrant de troubles de l'humeur ou de straté- preuves publiées à ce jour. Il s'agit du biofeedback, des mas-
gies de coping inadaptées [16]. En effet, les programmes sages, du laser et de la cryothérapie. La chiropraxie n'est pas
de TCC mettent l'accent sur le coping, c'est-à-dire la recommandée compte tenu des risques.
capacité à s'adapter, à s'ajuster et à faire face. Les patients
apprennent à gérer le fond douloureux et les crises en
identifiant les facteurs d'aggravation (aspects physiques, Les recommandations ne se prononcent pas faute
cognitifs et émotionnels). Les processus mis en œuvre au de données
cours d'une TCC sont l'éducation et l'information, la refor- Il n'existe pas de recommandations pour les régimes ali-
mulation des croyances sur la maladie et le rôle à adopter, mentaires, l'ostéopathie, les drainages lymphatiques, les
l'apprentissage des stratégies de coping et la réassurance ultrasons et la psychanalyse [18].
164   Partie 3. Pathologies douloureuses

Recommandations sur les traitements Non recommandés


médicamenteux Les auteurs de la plupart des recommandations ne préco-
Recommandés nisent pas les traitements suivants : AINS, benzodiazépines,
L'utilisation des traitements pharmacologiques est recom- opioïdes forts, corticostéroïdes, cannabinoïdes, antidépres-
mandée avec parcimonie et leur prescription ne devrait être seurs de type ISRS, homéopathie, capsaïcine, kétamine,
discutée que pour les patients souffrant de douleurs sévères agonistes dopaminergiques, inhibiteurs de la monoamine
(duloxétine, prégabaline, tramadol) ou en cas de troubles du oxydase (IMAO) et homéopathie [16, 18].
sommeil (amitriptyline, cyclobenzaprine – non disponible
en France – et prégabaline) [16, 18]. Les recommandations ne se prononcent pas faute
de données
Antalgiques classiques Il n'existe pas de recommandation pour la mélatonine.
Les antalgiques classiques sont en général peu efficaces. Les
recommandations EULAR 2016 sont de niveau faible pour
le tramadol (en accord avec les recommandations améri-
Pistes d'avenir
caines, mais non avec les recommandations canadiennes). Faire le diagnostic dès que possible chez le médecin généra-
liste et reconnaître la fibromyalgie sont les principes de base
Antidépresseurs à développer. En effet, les délais diagnostiques sont coûteux
Différentes recommandations internationales concluent en termes humains mais aussi financiers. De nombreux
à l'efficacité antalgique de certains antidépresseurs dans la articles publiés dans les revues de médecine générale vont
fibromyalgie. Les recommandations de l'EULAR et de l'APS dans ce sens.
et les recommandations allemandes rapportent une effica- Les nouvelles techniques de communication peuvent
cité sur la douleur, la fatigue, les troubles du sommeil, la intégrer la prise en charge des patients, notamment des
qualité de vie et, bien entendu, la dépression [16, 20, 23]. programmes d'information et d'éducation par téléphone
et, surtout, par Internet. Il s'agit notamment de faciliter les
Amitriptyline stratégies d'autogestion par le patient, de type « self manage-
Cinq revues et 13 études ont évalué cet antidépresseur tricy- ment » ou « self help » [18].
clique incluant 919 sujets. Les résultats montrent une amé- La méditation de pleine conscience (« mindfulness-based
lioration de la douleur de 30 % (RR = 1,60 ; IC95 : 1,15–2,24), stress reduction » [MBSR]) est en vogue actuellement, avec
avec un NNT de 3,54 (IC95 : 2,74–5,01). L'effet sur le sommeil des résultats prometteurs [18]. Cette technique de médita-
est modéré (–0,56 ; IC95 : –0,78 ; –0,4) et sur la fatigue (–0,44 ; tion est définie comme « un moment d'attention et de pleine
IC95 : –0.71 ; –0.16). L'efficacité serait meilleure à 25 mg/jour conscience sans jugement ». Un autre courant des TCC,
versus 50 mg/jour chez environ 40 % des patients, mais l'effet appelé Acceptance Commitment Therapy (ACT) se focalise
ne serait pas prolongé. Les recommandations EULAR 2016 sur l'amélioration du fonctionnement des patients en accord
sont de niveau faible pour les faibles doses d'amitriptyline avec leurs valeurs personnelles dans les situations de dou-
(accord 100 %) alors que les recommandations américaines leur et de stress. Ces approches favorisent une meilleure
et canadiennes sont de niveau plus fort [16, 20]. flexibilité psychologique des patients, une meilleure réponse
aux autres variables (retentissement, qualité de vie, dépres-
Inhibiteurs de la sérotonine et de la noradrénaline sion, efficacité personnelle et anxiété). Six revues rapportant
Le milnacipran (jusqu'à 200 mg par jour), la duloxétine 13 études (n = 1 209) ont été analysées dans les recom-
(60 mg par jour) et la venlafaxine ont montré leur efficacité, mandations européennes [16]. Une méta-analyse de bonne
au cours d'études de bonne qualité méthodologique, sur un qualité incluant 6 essais (n = 674) a montré que la MBSR
nombre important de patients. Ces antidépresseurs à action améliore faiblement la douleur et la qualité de vie à court
mixte, ont un effet antalgique indépendant de l'effet thymique terme versus le traitement usuel ou des contrôles actifs [16,
(probablement via leur action noradrénergique) et leur effet 18]. C'est pourquoi les évaluations doivent être plus larges
serait plus prolongé que les autres molécules [23]. Le NNT et inclure les patient outcome reports (PRO) qui ciblent les
pour obtenir un soulagement de 30 % est respectivement besoins des patients.
de 7,2 pour la duloxétine et de 19 pour le milnacipran. Les La rTMS est étudiée depuis plusieurs années avec des
recommandations EULAR 2016 sont de niveau faible (accord résultats prometteurs sur la douleur au cours de la fibro-
de100 %) pour la duloxétine et le milnacipran [16, 23]. myalgie ; ces résultats n'étant pas rémanents, elle nécessite
des séances à long terme [25].
Inhibiteurs sélectifs de la sérotonine
Les recommandations EULAR 2016 sont de niveau faible
(accord de 94 %) pour les ISRS, mais seule la fluoxétine a été Conclusion
vraiment évaluée [16, 18, 23]. La fibromyalgie correspond à une authentique pathologie
douloureuse chronique diffuse dont le mécanisme douloureux
Antiépileptiques est de type « nociplastique ». Ce mécanisme correspond à des
Les recommandations EULAR 2016 sont de niveau faible troubles de la modulation de la douleur, sans lésion tissulaire.
pour la prégabaline (accord de 94 %) et considèrent la Le diagnostic a fait l'objet d'évolutions depuis 1990.
gabapentine comme uniquement utile à la recherche (accord Les derniers critères diagnostiques, publiés en 2016,
de 100 %) [16, 24]. incluent le nombre de localisations douloureuses, les
Chapitre 24. Fibromyalgie et douleurs myofasciales    165

symptômes touchant l'ensemble des organes, le réveil [12] Häuser W. Posttraumatic stress disorder in fibromyalgia syndrome :
non reposé, les troubles cognitifs et la fatigue, quanti- prevalence, temporal relationship between posttraumatic stress and
fiés par un score de sévérité. Connaître les diagnostics fibromyalgia symptoms, and impact on clinical outcome. Pain 2013 ;
154 : 1216–23.
différentiels et associés est indispensable à une prise en
[13] Gupta A, Silman AJ, Ray D, Morriss R, Dickens C, MacFarlane GJ,
charge adaptée. et al. The role of psychosocial factors in predicting the onset of chro-
Différentes recommandations diagnostiques sont actuel- nic widespread pain : results from a prospective population based-
lement disponibles. Elles insistent sur le médecin généra- study. Rheumatology 2007 ; 46 : 666–71.
liste comme interlocuteur de première ligne, sachant que [14] Bucourt E, Martaillé V, Mulleman D, Goupille P, Joncker-Vannier I,
le rhumatologue peut faire le diagnostic chez des patients Hüttenberger B. Comparaison des cinq grands traits de personnalité
dont le cas est plus complexe et a une meilleure connais- dans la fibromyalgie et les autres maladies rhumatismales. Revue du
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Chapitre
25
Céphalées : la migraine,
les céphalées quotidiennes
chroniques
Anne Donnet, Michel Lanteri-Minet

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la migraine : Explorations paracliniques chez un migraineux. . . 171
physiopathologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Traitements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Clinique de la migraine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Pistes d'avenir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173

La migraine est une maladie neurologique fréquente, tou- sion corticale envahissante et entraînent probablement une
chant 20 % de la population adulte en France, et près d'un hyperexcitabilité corticale, avec excès de transmission gluta-
enfant sur dix [1]. Elle appartient au groupe des céphalées matergique [3]. Un quatrième gène code une protéine régu-
primaires, qui s'opposent aux céphalées secondaires [2], latrice associée au complexe d'exocytose.
et dont le diagnostic est établi par l'interrogatoire selon Dans les formes les plus communes de migraine, des fac-
des critères stricts, l'examen physique étant normal. Elle teurs génétiques complexes interagissent avec de nombreux
a un pic de prévalence entre 20 et 50 ans et un sex-ratio facteurs environnementaux, l'héritabilité étant proche de
de trois femmes pour un homme en population adulte. La 50 %. À ce jour, 42 loci impliqués dans le stress oxydatif,
migraine est classée par l'OMS parmi les vingt affections les l'homéostasie ionique et les pathologies vasculaires ont
plus invalidantes à l'échelle sociétale. Une fois la migraine été identifiés. Ces multiples gènes de susceptibilité sont en
reconnue, ce diag­nostic impose une évaluation systéma- cours d'identification par des études d'association pangé-
tique, indispensable à la mise en place d'une stratégie thé- nomique [4] ; leurs mutations induiraient une hyperexci-
rapeutique ayant pour objectifs de contrôler les crises, mais tabilité de certaines populations neuronales, faisant le lit
également quand cela s'avère nécessaire, de réduire le han- des crises. L'aura migraineuse est sous-tendue par un phé-
dicap lié à la maladie. Cette prise en charge doit permettre nomène neuronal : la dépression corticale envahissante,
de redonner de la qualité de vie aux migraineux et d'empê- dysfonctionnement transitoire cortical à point de départ
cher la transformation d'une forme épisodique de migraine occipital, qui se propage lentement vers l'avant. La cépha-
en forme chronique, cette évolution étant souvent favorisée lée est liée à l'activation du système trigéminovasculaire,
par un mésusage médicamenteux aboutissant à un abus responsable d'une inflammation périvasculaire. La dou-
médicamenteux. leur est transmise par le nerf trijumeau au tronc cérébral
puis relayée vers le thalamus. Le déroulement des crises
fait également intervenir un « générateur » de la migraine
Ce qu'il faut comprendre localisé dans l'hypothalamus et responsable, entre autres,
de la migraine : physiopathologie des prodromes [5].
La maladie migraineuse est due à une excitabilité neuronale
anormale, sous-tendue par une prédisposition génétique Clinique de la migraine
complexe et modulée par des facteurs environnementaux
intrinsèques ou extrinsèques. La migraine hémiplégique En l'absence de marqueur biologique, le diagnostic de migraine
familiale est une variété rare et autosomique dominante repose sur l'interrogatoire. La migraine a deux expressions
de migraine avec aura. Les trois premiers gènes codent des cliniques différentes : la migraine sans aura, caractérisée par
transporteurs ioniques ; leurs mutations facilitent la dépres- des céphalées, qui a des caractéristiques spécifiques et des

Médecine de la douleur pour le praticien


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168   Partie 3. Pathologies douloureuses

symptômes associés, et la migraine avec aura, principale­ Les critères diagnostiques sont les suivants [2] :
ment caractérisée par des symptômes n ­ eurologiques focaux A. au moins deux crises répondant aux critères B et C ;
­transitoires, qui précèdent le plus souvent ou accompagnent B. au moins un symptôme entièrement réversible d'aura :
la céphalée. Certains patients présentent également une phase 1. visuel,
prodromique, survenant dans les 48 heures avant la céphalée 2. sensitif,
et, après la résolution de celle-ci, une phase postdromique. 3. relatif à la parole ou au langage,
Les prodromes comprennent divers symptômes : fatigue, 4. moteur,
difficultés à se concentrer, raideur de la nuque, bâillements, 5. tronc cérébral,
pâleur, etc. Des symptômes postdromiques, le plus souvent 6. rétinien ;
une fatigue et une modification de l'humeur, peuvent suivre la C. au moins trois des six caractéristiques suivantes :
résolution de la céphalée et persister plusieurs heures. 1. développement progressif d'au moins un symptôme
d'aura sur ≥ 5 minutes,
Formes cliniques 2. survenue successive de deux ou plusieurs symptômes
d'aura,
Migraine sans aura 3. durée de chaque symptôme d'aura allant de 5 à
Le diagnostic de migraine sans aura repose sur les critères 60 minutes,
établis par la classification internationale des céphalées qui 4. unilatéralité d'au moins un symptôme d'aura,
a été révisée en 2018 (ICHD-3) [2] : le patient décrit des 5. positivité d'au moins un symptôme d'aura,
céphalées récurrentes, se manifestant par des crises durant 6. aura accompagnée ou suivie dans les 60 minutes d'une
de 4 à 72 heures. Les caractéristiques typiques de la cépha- céphalée ;
lée sont la topographie unilatérale, la tonalité pulsatile, D. n'est pas mieux expliquée par un autre diagnostic de
l'intensité modérée ou sévère, l'aggravation par l'activité l'ICHD-3.
physique de routine et l'association de symptômes comme L'aura visuelle est le type d'aura le plus courant, surve-
la nausée ou la photophobie et la phonophobie. Lorsqu'il nant chez plus de 90 % des patients souffrant de migraine
s'agit d'une céphalée primaire, l'examen neurologique et avec aura. L'expression de l'aura est le plus souvent stric-
­systémique doit être normal. tement visuelle [7]. Elle se présente sous forme d'une
Les critères diagnostiques sont les suivants [2] : expression positive (souvent décrite comme des phos-
A. au moins cinq crises répondant aux critères B à D ; phènes, taches angulaires ou arrondies, lignes brisées, halos
B. crises céphaliques durant 4 à 72 heures (non traitées ou lumineux) ou négative (flou visuel, hémianopsie latérale
traitées inefficacement) ; homonyme). Le scotome scintillant est classique, mais peu
C. céphalée ayant au moins deux des quatre caractéristiques fréquent : il se traduit par un point lumineux dans une par-
suivantes : tie du champ visuel des deux yeux, s'élargissant en ligne
1. topographie unilatérale, brisée et laissant place à un scotome central, lui-même de
2. tonalité pulsatile, régression progressive. Ces phénomènes commencent le
3. intensité douloureuse modérée ou sévère, plus souvent au centre du champ visuel, progressent len-
4. aggravée par ou entraînant l'évitement de l'activité tement pour gagner un hémichamp visuel ou les deux. Ils
physique de routine (marche ou montée des escaliers) ; sont de couleur noire, blanche, brillants plus que mats, et
D. durant la céphalée, au moins un des symptômes suivants : parfois complexes (vision kaléidoscopique, troubles de la
1. nausées et vomissements, perception visuelle, notamment métamorphopsies, voire
2. photophobie et phonophobie ; hallucinations visuelles élaborées).
E. N'est pas mieux expliquée par un autre diagnostic de L'aura sensitive comporte des phénomènes positifs à type
l'ICHD-3. de paresthésies commençant le plus souvent de façon dis-
La migraine sans aura chez les enfants est de traduction tale, au niveau du membre supérieur, et s'étendant jusqu'à
différente, se manifestant le plus souvent, par une céphalée la région péribuccale ou à l'hémiface du même côté, plus
bilatérale ; la douleur unilatérale apparaît généralement à la rarement à l'ensemble de l'hémicorps, selon une « marche
fin de l'adolescence ou au début de la vie adulte. La locali- migraineuse » évocatrice. Les troubles sensitifs négatifs,
sation de la céphalée est habituellement frontotemporale, et moins fréquents, comportent une hypoesthésie au tact, à la
la durée de la crise plus brève. L'autre caractéristique de la douleur.
migraine de l'enfant est de pouvoir avoir des manifestations L'aura aphasique est plus rare et se traduit essentielle-
non céphalalgiques, décrites sous le nom de syndromes épi- ment par des troubles de la dénomination.
sodiques rattachés à la migraine. Le syndrome des vomis- Lorsque les symptômes de l'aura sont multiples, ils se suc-
sements cycliques en est l'expression la plus classique, avec cèdent généralement selon la séquence suivante : visuelle,
une symptomatologie purement digestive [6]. puis sensitive, puis aphasique ; mais d'autres séquences sont
possibles. La durée acceptée pour la plupart des symptômes
Migraine avec aura de l'aura est d'une heure par symptôme (en dehors de l'aura
La migraine avec aura se traduit par des crises récurrentes, motrice qui est souvent plus longue).
caractérisées par des symptômes visuels, sensitifs ou d'autres De nombreux patients ayant des crises migraineuses avec
symptômes du SNC réversibles, qui se développent progres- aura souffrent également de crises sans aura.
sivement et qui sont habituellement, mais non systématique­ Les crises de migraine sans aura surviennent générale-
ment, suivies de céphalée. ment sans périodicité. La fréquence des crises de migraine
Chapitre 25. Céphalées : la migraine, les céphalées quotidiennes chroniques    169

avec aura est très variable : fréquemment, elles se produisent et la probabilité de développer une migraine chronique
en salves sur quelques jours, en alternance avec de longs qui n'est pas linéaire et un seuil de majoration du risque à
intervalles libres (parfois plusieurs années). partir de trois crises par mois), l'inefficacité du traitement
L'intensité de la céphalée peut varier au cours de la vie, de la crise, l'augmentation de l'indice de masse corporelle
voire être absente, réalisant alors une aura sans céphalée. De (IMC) et le syndrome métabolique chez la femme, l'abus
même, les auras peuvent se modifier au cours de la vie. médicamenteux de traitements de crise, l'abus de caféine, les
événements biographiques stressants et le ronflement noc-
Céphalées chroniques quotidiennes turne. D'autres facteurs de risque potentiels sont également
discutés : l'existence d'une allodynie cutanée, les comorbi-
Le diagnostic de CCQ, repose sur la survenue chez un patient
dités, comprenant un état pro-inflammatoire et l'existence
de céphalées plus de 15 jours par mois et plus de 4 heures
d'un autre syndrome douloureux chronique, notamment
par jour depuis au moins 3 mois. Cette pathologie atteint
d'origine musculosquelettique.
un patient présentant initialement une céphalée primaire
En pratique quotidienne, deux situations peuvent se ren-
(migraine mais aussi céphalée de tension) le plus souvent
contrer [8] :
épisodique, qui évolue vers une céphalée chronique sous l'in-
■ le plus souvent, le patient migraineux en CCQ se présente
fluence notamment d'un abus médicamenteux et de facteurs
un abus médicamenteux. Il existe un consensus (même
psychopathologiques. Les CCQ ne sont pas individualisées
s'il est débattu), qui fait de la réalisation du sevrage
en tant qu'entité nosographique dans les éditions successives
en antalgiques ou en antimigraineux spécifiques un
de la classification internationale des céphalées.
­préalable incontournable à la prise en charge d'un patient
L'absence ou la mauvaise prise en charge de la migraine
migraineux en CCQ présentant un abus médicamenteux.
épisodique, expose le patient à une surconsommation
Ce sevrage permettra de déterminer le diagnostic final,
incontrôlée de traitements de crise. Tous les traitements de
à savoir : migraine chronique en cas de persistance de la
crise peuvent être en cause.
CCQ deux mois après le sevrage ou céphalée par abus
Pour porter le diagnostic de CCQ avec abus médicamen-
médicamenteux si la CCQ a disparu deux mois après le
teux, la prise médicamenteuse doit correspondre aux cri-
sevrage ;
tères suivants [8] :
■ de manière rare, le patient ne présente pas d'abus médi-
■ plus de 15 jours/mois pour les antalgiques non opioïdes
camenteux quand il arrive à la consultation ; il s'agit d'un
(paracétamol, aspirine, AINS) ;
patient présentant une migraine chronique si les critères
■ plus de 10 jours/mois pour les autres traitements de crise
diagnostiques sont présents.
(opioïdes, ergotés, triptans, spécialités antalgiques asso-
ciant plusieurs principes actifs).
La prévention de la CCQ repose sur la réalisation d'un Facteurs déclenchants la crise de migraine
agenda pour tout patient migraineux dès la première Les facteurs déclenchants la crise de migraine sont multiples
consultation, précisant la date de survenue des céphalées, et ont comme dénominateur commun un changement,
leur durée et les médicaments utilisés. Cet agenda, rapporté intrinsèque ou extrinsèque. Une crise de migraine peut égale-
lors de la consultation suivante au bout de trois mois, per- ment survenir spontanément. Outre les facteurs hormonaux
mettra d'estimer l'indication d'un traitement de fond. classiques chez la femme, voire une possible situation de
survenue exclusive, les modifications du rythme du sommeil
Migraine chronique (manque ou excès) ou des repas (saut d'un repas, jeûne, ou
repas plus riche) sont parmi les facteurs les plus fréquemment
À côté de la CCQ avec abus médicamenteux, le concept
retrouvés. Les crises de migraine déclenchées par les week-
de migraine chronique a été défini plus récemment. La
ends, le début des vacances, les voyages et les déménagements
migraine épisodique et la migraine chronique se différen-
intègre cette modification du rythme de vie. Les facteurs
cient donc par le nombre mensuel de jours de céphalée
psychologiques (émotions désagréables ou agréables, stress),
migraineuse par mois, la migraine épisodique comptant
les facteurs sensoriels (luminosité, parfums et odeurs), clima-
moins de 15 jours de migraine par mois, et la migraine
tiques et, enfin, alimentaires peuvent être aussi retenus chez
chronique, 15 jours ou plus sur cette même période. Elle
certains patients, surtout s'ils sont reproductibles.
est actuellement définie comme une céphalée survenant
au moins 15 jours par mois depuis plus de 3 mois et ayant
les caractéristiques d'une céphalée migraineuse au moins Évaluation du patient migraineux
8 jours par mois. La classification identifie la migraine chro-
L'agenda des crises
nique comme une entité à part entière, au même titre que la
migraine épisodique, et non pas comme une complication Les recommandations pour la prise en charge de la migraine
de la migraine, comme c'était le cas précédemment [2]. Des proposent la tenue d'un agenda des crises, précisant la date
facteurs de risque de la transformation d'une migraine épi- de survenue, la durée et l'intensité de la douleur, les facteurs
sodique en une migraine chronique sont décrits. Certains déclenchants et les médicaments utilisés à chaque crise
de ces facteurs sont non modifiables : le type caucasien, le migraineuse.
sexe féminin, l'âge, le faible niveau socio-économique, la
séparation conjugale et les antécédents de traumatismes Pourquoi utiliser un agenda dans la migraine ?
crâniens. D'autres sont modifiables : la fréquence des crises L'agenda est un moyen pour le médecin traitant d'éta-
migraineuses (avec une relation entre la fréquence des crises blir une communication avec son patient sur la maladie
170   Partie 3. Pathologies douloureuses

­ igraineuse, d'évoquer avec lui la physiopathologie de la


m dont les caractéristiques sont décrites dans le tableau 25.1.
maladie (par exemple, la migraine cataméniale) et d'aborder La céphalée de tension est une céphalée assez banale. Le
la stratégie thérapeutique. siège des céphalées est typiquement bilatéral, antérieur
Cet outil devrait permettre : (barre frontale) ou postérieur (avec cervicalgies). La tona-
■ aux médecins : lité est variable, décrite comme un serrement, un étau,
– de mieux percevoir la sévérité de la migraine, une pression ou un fourmillement. L'intensité est légère à
– de tenir compte du retentissement de la maladie sur la modérée. Au contraire de la migraine, il n'y a pas de signes
vie quotidienne, digestifs (une anorexie est possible) ; on ne retrouve pas,
– de guider le choix thérapeutique et les modalités du comme dans la migraine, l'association d'une photophobie et
suivi ; d'une phonophobie [2]. La douleur n'est pas augmentée par
■ aux patients : l'effort physique. L'association chez un patient migraineux
– de préparer sa consultation auprès de son médecin de céphalées de tension intercritiques est fréquente, et le
traitant, patient devra apprendre à distinguer les différentes formes
– de suivre sa consommation médicamenteuse, de céphalée pour les traiter de manière adaptée.
– de rechercher d'éventuels facteurs déclenchants. Il est également nécessaire de ne pas laisser passer chez
un patient authentiquement migraineux une céphalée secon-
Comment utiliser un agenda dans la migraine ? daire. Les questions suivantes peuvent être utilisées pour
Demander au patient de remplir les items suivants : rechercher un critère en faveur d'une étiologie secondaire,
■ date et jour de survenue (cet élément permettra de voir si qui peut se révéler constituer une urgence médicale [9] :
les crises surviennent de manière régulière, en particulier 1. Quand la douleur a-t-elle commencé (caractère récent) ?
pendant le week-end) ; 2. En combien de temps la douleur a-t-elle été maximale
■ horaire de survenue (cet item est intéressant, surtout si (caractère brutal) ?
l'horaire est récurrent, soit pour rechercher un éventuel 3. Avez-vous déjà présenté le même type de douleur (carac-
facteur déclenchant, soit pour voir s'il s'agit d'une crise tère inhabituel) ?
nocturne, situation dans laquelle une prise en charge spé- 4. Que faisiez-vous quand la douleur a commencé (effort,
cifique de la crise peut être proposée) ; etc.) ?
■ intensité de la crise (elle est cotée : légère, moyenne, 5. Existe-t-il des symptômes associés : fièvre, photo- ou
sévère, ou bien de 1 à 10). Cependant, il faut préciser que phonophobie, vomissements, cervicalgie, déficit neuro-
toutes les crises sont à noter, quelle que soit leur inten- logique focal, ralentissement psychomoteur, douleurs des
sité (les patients notent en priorité les crises sévères et ceintures ?
négligent les crises d'intensité modérée) ; 6. Existe-t-il un contexte particulier : prise d'un nouveau
■ facteur déclenchant (en particulier pour les femmes, la médicament ou de toxiques, exposition au monoxyde de
précision systématique des règles sur l'agenda permettra, carbone, traumatisme, grossesse ou post-partum, cancer,
d'une part, de préciser un éventuel diagnostic de migraine maladies systémiques (dont VIH). Un geste avec effrac-
cataméniale [allant de J moins 2 à J plus 3], mais égale- tion durale ou risque d'effraction a-t-il été réalisé dans le
ment de voir quel est le positionnement de la crise par mois précédent (ponction lombaire, péridurale, infiltra-
rapport aux règles, afin de pouvoir discuter d'un éventuel tion de nerfs rachidiens) ?
traitement séquentiel de la crise cataméniale) ; 7. Existe-t-il un caractère positionnel (céphalées soulagées
■ durée : combien de temps la crise a-t-elle duré (nombre ou aggravées en décubitus) ?
d'heures dans la journée) ; Ces sept questions permettent de détecter chez un patient
■ prise de médicaments utilisés à chaque crise migrai- présentant une céphalée inhabituelle ou en coup de tonnerre
neuse : nombre et heure d'administration (bien préciser les arguments pour une exploration rapide, voire urgente en
au patient de noter tous les traitements de la crise, quelle imagerie ou pour une hospitalisation (en cas d'étiologies vas-
que soit leur nature ; les patients ont tendance à ne pas culaires dominées par une hémorragie sous-­arachnoïdienne,
noter les traitements qu'ils jugent banaux, car usuels ou ou de syndrome de vasoconstriction réversible, mais égale-
en vente libre comme le paracétamol ou l'ibuprofène) ;
■ noter à la fois les céphalées migraineuses et non migrai- Tableau 25.1 Comparaison des signes cliniques
neuses (un patient migraineux peut également présenter de la migraine et de la céphalée de tension.
des céphalées de tension).
Migraine Céphalée de tension
Autres échelles Durée Crise durant 4 à Épisodes continus de
72 heures 30 minutes tous les 7 jours
À côté de l'agenda, l'utilisation d'échelles qui évaluent l'impact
de la céphalée (échelle HIT [Headache Impact Test]) et le Topographie Unilatérale Bilatérale
retentissement émotionnel (échelle HAD) sont des outils qui Tonalité Pulsatile Étau
viennent compléter les autres afin d'optimiser la consultation. Intensité Modérée à sévère Mineure à modérée
Effort physique Aggravation Pas d'aggravation
Ce qui n'est pas de la migraine,
et les drapeaux rouges Phono- ou Les deux Pas plus d'une
photophobie
La céphalée migraineuse devra être distinguée des autres
Signes digestifs Oui Non
céphalées primaires, en particulier de la céphalée de ­tension,
Chapitre 25. Céphalées : la migraine, les céphalées quotidiennes chroniques    171

ment en cas de dissection des artères cervicales, de throm- rité dans les horaires de repas et de sommeil peut aider à
bophlébites cérébrales, processus expansifs, ou encore avoir moins de crises. Cependant, l'exclusion complète des
d'hypotension intracrânienne spontanée, etc.) [9]. facteurs déclenchants de crise est illusoire et une « cohabi-
Les auras migraineuses doivent être différenciées des tation » avec les facteurs déclenchants est le plus souvent
accidents ischémiques transitoires et des crises d'épilepsie expliquée. La consommation de caféine doit être modérée
partielle. La migraine avec aura peut être également sympto- et ne doit pas faire l'objet d'un sevrage brutal, a fortiori le
matiques de maladies systémiques. week-end. Il faut à la fois rassurer le patient (aucun exa-
Dans les accidents ischémiques transitoires, les déficits men complémentaire n'est nécessaire si le diagnostic est
neurologiques sont brutaux, maximaux d'emblée et durent confirmé par les critères de la classification) et expliquer
généralement moins de 30 minutes. Lors de crises d'épilepsie la maladie (affection bénigne, mais possiblement handica-
partielles, les symptômes ou signes neurologiques durent géné- pante pour une partie de la population migraineuse). Il est
ralement quelques secondes ou minutes, bien moins que lors important d'apprécier le retentissement social, profession-
d'une aura migraineuse. L'expression clinique est souvent plus nel et familial, d'évaluer la fréquence des crises sur les trois
colorée et peut s'accompagner de troubles de la conscience. derniers mois (agenda), ainsi que les traitements de crise et
Des migraines avec aura secondaires peuvent être symp- de fond déjà utilisés (type, durée et posologies).
tomatiques d'une lésion cérébrale telle qu'une malformation Le traitement repose sur deux volets. Le traitement de
vasculaire (malformation artérioveineuse, en particulier crise est proposé à tous les patients, dans le but de soulager
occipitale). Dans ce cas, l'aura affectera l'hémicorps ou l'hé- la céphalée migraineuse et les signes associés. Le traitement
michamp visuel opposé à la lésion et la céphalée touchera le de fond vise à diminuer la fréquence des crises, sera proposé
plus souvent l'hémicrâne ipsilatéral. D'autres maladies neu- aux patients ayant des crises fréquentes et pourra être médi-
rologiques ou générales, telles que le lupus, le syndrome des camenteux ou non médicamenteux.
antiphospholipides, les mitochondriopathies ou certaines
maladies des petites artères cérébrales (Cerebral Autosomal Traitements de crise [10]
Dominant Arteriopathy with Subcortical Infarcts and Leu-
coencephalopathy [CADASIL]) peuvent se manifester par des Quelles molécules ?
crises de migraine avec aura, parfois prolongées ou atypiques. Les molécules ayant une efficacité démontrée dans le traite-
ment de la céphalée migraineuse sont des traitements non
spécifiques (paracétamol, aspirine, AINS) et des traitements
Explorations paracliniques spécifiques, agonistes des récepteurs sérotoninergiques
chez un migraineux 5-HT1B/1D (triptans). Les dérivés de l'ergot de seigle sont
plus rarement utilisés.
Le diagnostic de migraine est purement clinique, et repose Il est recommandé d'éviter les opioïdes (codéine, opium,
sur les critères de l'ICHD-3 qui doivent être remplis [2]. tramadol, morphine et autres opioïdes forts), seuls ou en
L'imagerie cérébrale (scanner ou IRM) est inutile si le association, qui augmentent souvent les nausées et peuvent
diagnostic clinique est bien établi, et est normale chez un induire un abus médicamenteux, qui risque de chroniciser
patient migraineux [10]. L'IRM cérébrale peut cependant la migraine, ou une addiction.
montrer des hypersignaux non spécifiques de la substance Les triptans sont contre-indiqués en cas d'antécédent car-
blanche cérébrale. diovasculaire (AVC, accident ischémique transitoire, angor,
Dans la migraine sans aura, l'imagerie cérébrale est infarctus du myocarde [IDM] ou HTA mal contrôlée).
indiquée uniquement pour éliminer une pathologie autre, Des antiémétiques (métoclopramide) sont utiles en cas de
lorsque les céphalées se présentent selon une modalité inha- signes digestifs importants. Le métoclopramide a également
bituelle, s'accompagnent d'une anomalie à l'examen clinique une efficacité sur le traitement de la céphalée migraineuse.
ou commencent tardivement après l'âge de 50 ans [9]. Il est Le traitement de crise doit être pris le plus tôt possible (au
recommandé de pratiquer une IRM cérébrale avec injection stade de céphalée légère), à la dose efficace et par la bonne
de gadolinium et une angio-IRM artérielle et veineuse dans voie (suppositoire ou injection, en cas de vomissements).
un délai à apprécier en fonction du contexte (en urgence Deux AINS ont l'AMM dans le traitement de la crise
devant toute céphalée brutale ou rapidement progressive). de migraine : l'ibuprofène (400 mg) et le kétoprofène
Selon le contexte, des examens sanguins et une ponction (150 mg). D'autres AINS (en particulier le naproxène) sont
lombaire avec prise de pression seront indiqués. efficaces mais n'ont pas d'AMM dans la migraine. L'associa-
Dans la migraine avec aura, une IRM cérébrale est tion aspirine-métoclopramide bénéficie également d'une
recommandée devant toute aura atypique (basilaire ou AMM. Les triptans sont au nombre de sept, tous possédant
hémiplégique), à début brutal, prolongée au-delà d'une une AMM (almotriptan, eletriptan, frovatriptan, naratrip-
heure, survenant toujours du même côté ou sans symptômes tan, rizatriptan, sumatriptan, zolmitriptan). Ils sont tous
visuels, ou en cas d'anomalie à l'examen clinique. commercialisés sous forme administrable par voie orale
ou orodispersible (rizatriptan, zolmitriptan). Ils ont une
Traitements AMM pour la prise en charge de la céphalée migraineuse
entre 18 et 65 ans (sauf le sumatriptan qui possède égale-
La première étape du traitement est de confirmer le diag­ ment une voie nasale autorisée à partir de l'âge de 12 ans).
nostic par l'interrogatoire. Il est important d'identifier les La posologie des triptans est d'une unité en début de crise,
facteurs déclenchant des crises, d'expliquer qu'une régula- à renouveler en cas de r­ écurrence (­m aximum 2 unités
172   Partie 3. Pathologies douloureuses

par jour). Les triptans sont des t­ raitements de la céphalée L'association triptan et AINS sera proposée en cas de crise
migraineuse et ne sont donc pas prescrits au moment de sévère partiellement traitée par une monothérapie, de crise
l'aura. nocturne ou de crise avec récurrences multiples, comme cela
est habituel au cours de la période des règles. En pratique,
quel que soit le traitement de crise prescrit, on demandera au
Quelle stratégie [10] ? patient de ne pas dépasser huit jours de prise par mois.
Le patient prendra d'abord l'AINS et gardera le triptan en
traitement de secours s'il n'est pas soulagé une à deuxheures Traitements de fond [10]
après la prise de l'AINS. Cette séquence thérapeutique sera Traitements de fond médicamenteux
évaluée après trois crises. Si l'AINS est efficace sur au moins
deux des trois crises et s'il est bien toléré, cette séquence thé- Quand commencer un traitement de fond ?
rapeutique sera reproduite. Si l'AINS est inefficace sur au Les traitements prophylactiques doivent être proposés aux
moins deux des trois crises ou s'il est mal toléré, le triptan sera patients qui ont des crises fréquentes d'intensité modérée
pris en première intention pour traiter les crises suivantes et à sévère, dont la qualité de vie est altérée par la maladie
le traitement sera réévalué à nouveau sur trois crises. migraineuse et qui sont par ailleurs compliants quant à
Si le triptan utilisé d'emblée est inefficace sur au moins l'administration quotidienne d'un traitement pendant plu-
deux des trois crises et bien toléré, il faudra successivement, sieurs mois. Ils doivent être également instaurés si le patient
dans un premier temps, vérifier que le triptan a été pris suf- consomme plus de huit jours de crise par mois, depuis plus
fisamment tôt (dans l'heure qui suit la survenue de la crise) de trois mois, même si le traitement de crise est efficace, et
et, si ce n'est pas le cas, recommander au patient d'essayer de ce afin d'éviter l'abus d'antalgiques.
nouveau ce triptan en prise précoce sur trois crises consécu-
tives. Si la prise précoce de ce triptan est inefficace ou s'il est Quelle molécule choisir ?
mal toléré, il faudra en changer et essayer le nouveau triptan Les traitements actuels sont tous non spécifiques (tableau
en prise précoce sur 3 crises consécutives. 25.2). Aucun antimigraineux de fond n'a fait la preuve d'une

Tableau 25.2 Traitements de fond, effets indésirables et contre-indications.


Substances Principaux effets indésirables Principales contre-indications
Bêtabloquants
– Propranolol (AMM) – Asthénie, intolérance à l'effort, Asthme, insuffisance cardiaque, bloc
– Métoprolol (Lopressor®, Seloken®) [AMM] hypotension orthostatique auriculoventriculaire, bradycardie
– Rares : insomnie, cauchemars, dépression,
troubles de la libido et de l'érection
Antisérotoninergiques
Oxétorone (Nocertone®) [AMM] – Somnolence
– Rares : diarrhée, hyperprolactinémie
Pizotifène (Sanmigran®) [AMM] Somnolence, prise de poids Glaucome, troubles urétro-prostatiques
Antidépresseurs
Amitriptyline (Laroxyl®) Somnolence, prise de poids, troubles de la Glaucome, adénome prostatique
[hors AMM] libido et de l'érection
Venlafaxine (hors AMM) Nausées, vertiges, hypersudation, nervosité, – Hypersensibilité
somnolence, xérostomie, troubles de la libido – Association aux IAMO non sélectifs
et de l'érection – Galactosémie congénitale
– Allaitement
Anticalciques
Flunarizine (Sibelium®) [AMM] – Somnolence, prise de poids Syndrome dépressif, syndrome
– Arrêt au bout de 6 mois – Rares : dépression, syndrome parkinsonien extrapyramidal
Antiépileptiques
Topiramate (Epitomax®) – Paresthésies, troubles cognitifs, irritabilité,
[AMM] dépression, perte de poids
– Rares : calculs rénaux, myopie aiguë,
syndromes psychotiques
Valproate de sodium (hors AMM) – Nausées, prise de poids, somnolence, – Pathologies hépatiques
tremblement, alopécie, hépatite, tératogénie – Grossesse
Autres
Candésartan (hors AMM), 8 à 16 mg par jour Hypotension orthostatique, vertiges – Hypersensibilité
– Insuffisance hépatique et rénale sévère
Source : d'après [10].
Chapitre 25. Céphalées : la migraine, les céphalées quotidiennes chroniques    173

supériorité d'efficacité par rapport à l'ensemble des molé- d'années, en tant que traitements spécifiques de la crise
cules disponibles. Le choix de la molécule repose sur les de migraine. Cependant, malgré cette spécificité, un cer-
éventuelles comorbidités, les traitements déjà essayés et le tain nombre de patients ne répondent pas aux triptans,
profil de tolérance du traitement à adapter à chaque patient. décrivent des effets indésirables invalidants ou ont une
Les recommandations reposent sur [10] : contre-indication à l'utilisation de cette classe de molé-
■ en première intention, les bêtabloquants (propranolol, cules. Deux autres classes de traitements spécifiques de
métoprolol), qui ont l'AMM dans cette indication, et en la crise sont en cours d'évaluation ; les gépants [11] et les
l'absence de contre-indications) ; ditans [12]. L'avantage de ces nouveaux traitements de
■ les autres traitements de fond étant prescrits en fonction crise serait leur efficacité (comparable à celle des triptans)
de la comorbidité et des effets indésirables possibles (en et une absence d'effet sur le système cardiovasculaire,
particulier du poids). faisant qu'ils pourraient être utilisés chez des patients
À ce jour, on ne peut plus prescrire le valproate de sodium présentant des antécédents vasculaires (et donc une
hors AMM chez les femmes en âge de procréer, du fait des contre-indication à l'utilisation des triptans).
risques encourus.

Comment instaurer le traitement ? Futurs traitements de fond


Les traitements prophylactiques utilisés actuellement sont
Il est recommandé de commencer en monothérapie à faible
tous non spécifiques. Leur bénéfice est limité par une mau-
dose, progressivement croissante, en tenant compte des
vaise observance, entre autres liée à des effets indésirables
effets indésirables pour atteindre une posologie optimale.
fréquents, et à un effet thérapeutique jugé faible. Le déve-
Comment évaluer le traitement prophylactique? loppement clinique des anticorps monoclonaux ciblant le
CGRP (calcitonin gene-related peptide) constitue une pre-
Le traitement est jugé efficace lorsqu'il réduit la fréquence mière avancée dans le développement de traitements de
des crises d'au moins 50 %. Il est important de tenir compte fond spécifiques de la migraine [13]. Quatre anticorps sont
également de la diminution de la consommation des traite- actuellement en cours de développement ; trois ciblent le
ments de crise, de l'intensité et de la durée des crises. ligand ; le galcanézumab, l'eptinézumab, le frémanézumab ;
L'évaluation se fait au terme de trois mois. ces trois premiers anticorps sont partiellement humanisés.
En cas d'échec (absence d'efficacité ou intolérance), deux Un anticorps, l'érénumab, cible le récepteur du CGRP, et est
possibilités peuvent être envisagées : complétement humanisé. Les trois molécules disponibles
■ la posologie peut être augmentée, en l'absence d'effets par voie sous-cutanée ont obtenu un feu vert à la fois de la
indésirables ; FSA et de l'EMA. L'AMM a été accordée avec l'indication
■ un autre traitement de fond peut être proposé. suivante : « migraine de l'adulte ayant au moins 4 jours de
En cas d'échecs répétitifs, il faut évaluer l'observance du migraine par mois ». Les recommandations de la commis-
patient quant à son traitement ou dépister un éventuel pas- sion de transparence proposent une indication pour les
sage en abus médicamenteux. patients ayant une migraine sévère présentant au moins
8 jours de migraine par mois et étant en échec à au moins
Quand et comment arrêter le traitement deux traitements prophylactiques recommandés.
prophylactique ? Leur efficacité a été démontrée dans la migraine épiso-
En cas de succès, le traitement à dose efficace sera poursuivi dique, mais également dans la migraine chronique. À côté
pendant 6 à 12 mois, puis diminué très lentement avant du caractère spécifique de ces molécules, leur administra-
d'être arrêté. Le même traitement pourra être repris si la fré- tion se fait par voie injectable (sous-cutanée pour 3 et intra-­
quence des crises augmente de nouveau. veineuse pour un) tous les 28 jours. La tolérance à court
terme est satisfaisante. Ces résultats sont prometteurs mais
Autres traitements non médicamenteux une évaluation de la tolérance à long terme de ces nouveaux
La relaxation, le rétrocontrôle (biofeedback), la méditation et traitements (en particulier la tolérance cardio-vasculaire
les TCC de gestion du stress ont fait la preuve de leur effica- et la tératogénicité) s'avère indispensable. Des questionne-
cité (grade B), et peuvent être envisagés dans certains cas en ments persistent en effet en raison du caractère ubiquitaire
fonction du profil psychologique du patient. Une pratique du CGRP. Leur positionnement dans la hiérarchie des traite­
régulière de l'activité physique a été démontrée comme étant ments de fond devra être réfléchi en raison du caractère
efficace dans la prophylaxie de la migraine. récent des publications, de l'absence d'essais versus d'autres
traitements de fond et de leur coût.
Pistes d'avenir
Des nouveautés sont à venir, à la fois dans le traitement de Références
la crise, mais également dans le traitement de fond de la [1] Lanteri-Minet M, Géraud G. Epidemiology of migraine : French key
migraine. descriptive data. Rev Neurol (Paris) 2016 ; 172 : 56–8.
[2] Headache Classification Committee of the International Headache
Society (IHS). The International Classification of Headache Disor-
Futurs traitements de crise ders. In : Cephalalgia. 3rd ed., 38 ; 2018. p. 1–211.
La prise en charge de la crise de migraine a été révolu- [3] Ducros A. Familial hemiplegic migraine : a model for the genetic stu-
tionnée par l'émergence des triptans il y a une trentaine dies of migraine. Cephalalgia 2014 ; 34 : 1035–7.
174   Partie 3. Pathologies douloureuses

[4] Cevoli S. What have we learned from genetic of migraine ? Neurol Sci [9] Moisset X, Mawet J, Guegan-Massardier E, Bozzolo E, Gilard V,
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[5] Goadsby PJ, Holland PR, Martins-Oliveira M, Hoffmann J, Headaches. Rev Neurol (Paris) 2016 ; 172 : 350–60.
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[7] Queiroz LP, Friedman DI, Rapoport AM, Purdy RA. Characteris- gonists for Acute Migraine Therapy. Neurotherapeutics 2018 ; 15 :
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Douay X, et al. Management of chronic daily headache in migraine [13] Raffaelli B, Reuter U. The Biology of Monoclonal Antibodies : Focus
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­Association, French Pain Society). Rev Neurol (Paris) 2014 ; 170 : 162–76.
Chapitre
26
Douleurs faciales
26.1 Névralgie faciale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 26.4 Douleurs ORL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 175 Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 Douleurs rhinosinusiennes . . . . . . . . . . . . . . . . 182
26.2 Algie vasculaire de la face . . . . . . . . . . . . . . 178 Douleurs pharyngées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 Otalgies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Caractéristiques cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 26.5 Douleurs orales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
Diagnostics différentiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 186
Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 Stomatodynie idiopathique . . . . . . . . . . . . . . . 187
26.3 Algies faciales de causes Douleurs dento-alvéolaires persistantes . . . . . 187
ophtalmologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180 Algies et dysfonctions de l'appareil
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 180 manducateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
Clinique et principes de traitement . . . . . . . . . 180 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189

26.1 Névralgie faciale Elles sont dites essentielles, a priori sans cause décelable,
ce qui les distingue des neuropathies faciales par lésion des
nerfs.
Alain Serrie, Marie-Louise Navez Les caractéristiques cliniques sont évocatrices : décharges
électriques, unilatéralité dans une branche du trijumeau,
point gâchette et période réfractaire. L'examen clinique neu-
rologique et électrophysiologique est normal en dehors des
POINTS ESSENTIELS crises, ce qui la distingue des neuropathies faciales symp-
• Névralgie essentielle paroxystique (unilatérale, intervalle libre, tomatiques, se caractérisant par une douleur n ­ europathique
topographie neurologique systématisée (branche du V)). continue et un déficit sensitif [2]. Son traitement en pre-
• Examen neurologique normal. mière intention est la carbamazépine.
• Névralgie symptomatique (fond douloureux continu,
déficit sensitif, cause tumorale à rechercher).
Clinique de la douleur
Forme classique
Ce qu'il faut comprendre La névralgie faciale essentielle (névralgie du trijumeau, tic
douloureux de Trousseau) est une affection du sujet âgé (les
de la douleur deux tiers des sujets atteints ont plus de 60 ans).
Les problèmes diagnostiques et thérapeutiques sont liés à la La clinique est caractéristique : douleur fulgurante
richesse de l'innervation sensitive de la face (nerfs trijumeau, (décharge électrique de quelques secondes), parfois suivie
glossopharyngien, etc.), à la densité de la vascularisation, d'une période réfractaire (quelques minutes pendant les-
siège de « désordres vasomoteurs » responsables d'algies quelles aucune stimulation ne peut déclencher un nouvel
trigéminovasculaires sévères et à la présence de nombreux accès douloureux) et déclenchée par le contact sur une zone
organes (nez, bouche, gorge, oreille et appareil oculaire.). La gâchette, ou trigger zone (commissure labiale, aile du nez,
face est une zone de convergence des douleurs et des « spé- dents), et pour des causes minimes (effleurement, parole,
cialités médicales » (figure 26.1). souffle d'air, mastication, brossage des dents, etc.) [3].
Parmi les névralgies crâniofaciales, la forme la plus fré- Dans 95 % des cas, la douleur est unilatérale, dans l'un
quente est la névralgie faciale essentielle (nerf trijumeau V) des territoires du nerf trijumeau : maxillaire inférieur (V3),
(figure 26.1), plus rarement les névralgies du nerf glosso-­ maxillaire supérieur (V2) et, plus rarement, zone orbitaire
pharyngien (IX) et celle du nerf intermédiaire de Wrisberg (V1). Les accès douloureux, au moins au début de l'évo-
(VII bis) [1]. lution, surviennent par périodes de quelques semaines à

Médecine de la douleur pour le praticien


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176   Partie 3. Pathologies douloureuses

L'AVF est un diagnostic différentiel et se distingue par


une douleur unilatérale, certes, mais sans systématisation
trigéminale, à type de broiement, d'arrachement. Localisée
en périorbitaire, elle irradiant vers l'oreille, l'hémicrâne et
le cou, sans déclenchement à partir d'une zone trigger, avec
des signes vasomoteurs de la face (injection conjonctivale,
larmoiement, rhinorrhée, etc.). Les crises évoluent sur une
ou deux heures, selon un rythme périodique très particulier
nycthéméral et circannuel (cf. Chapitre 28.2, « Algie vascu-
laire de la face »). Les traitements de crise sont le sumatrip-
tan et l'oxygène.

Drapeaux rouges
Les névralgies faciales avec signes neurologiques défici-
taires dans le territoire du nerf trijumeau et d'autres paires
crâniennes, ou d'un syndrome cérébelleux ou pyramidal
évoquent une origine symptomatique. La clinique est sou-
vent différente : la douleur, plus ou moins continue, sans
déclenchement par des stimuli périphériques (aucune zone
gâchette), intéresse plusieurs branches du nerf trijumeau,
dont l'ophtalmique (V1), et peut survenir à tout âge (moins
de 50 ans). Les examens complémentaires recherchent une
Figure 26.1 Anatomie du nerf trijumeau.
lésion organique. Les étiologies sont diverses : traumatisme
Source : Alain Serrie.
ou lésion postchirurgicale d'un nerf, SEP, lésions tumorales
(neurinome des paires crâniennes, méningiome de la fosse
quelques mois, entrecoupées de périodes de rémission plus
postérieure, malformations vasculaires, etc.). L'imagerie
ou moins complètes et plus ou moins longues, mais l'évolu-
cérébrale, IRM et angio-IRM, peut permettre de visualiser le
tion se fait, le plus souvent, vers une aggravation et des crises
conflit entre l'une des branches du nerf trijumeau et un vais-
plus sévères et plus fréquentes.
seau artériel ou veineux, en général dans le trajet cisternal
L'examen neurologique est strictement normal en dehors
du nerf à la sortie du tronc cérébral avec l'artère cérébelleuse
des crises. Il n'y a aucun déficit dans le territoire trigéminé :
supérieure. Elle participe avec le scanner au diagnostic d'éli-
la constatation clinique d'anomalies récuse le diagnostic de
mination d'une éventuelle lésion responsable d'une névral-
névralgie faciale essentielle.
gie symptomatique.
Les tableaux de névralgies faciales avec altération de l'état
Comment l'évaluer dans ce contexte ? général, biologie inflammatoire perturbée évoquent une
Le diagnostic clinique est fondé sur l'interrogatoire du artérite temporale de Horton ; le diagnostic est réalisé et la
patient et sur l'examen clinique neurologique normal (sen- thérapeutique instaurée en urgence. Les douleurs faciales
sibilité, motricité des paires crâniennes, etc..). On évalue avec éruption vésiculeuse, ou cicatrices d'éruption, dans
l'intensité de la douleur et le nombre de crises. La carbama- un des territoires du nerf trijumeau (V1 le plus souvent)
zépine soulage le patient dans 95 % des cas et peut consti- évoquent les algies postzostériennes. Les antiviraux pres-
tuer un test diagnostique. crits rapidement réduisent le risque de douleur neuropa-
L'imagerie cérébrale, IRM et angio-IRM, est normale. thique postzostérienne.
La névralgie faciale au cours d'une maladie neurologique
démyélinisante peut être inaugurale. En ce qui concerne la
Formes frontières et diagnostics clinique, le jeune âge, un symptôme neurologique antérieur
différentiels plus ou moins régressif (amaurose transitoire, troubles de
Les formes cliniques des sujets de moins de 40 ans sont rares, l'équilibre, syndrome cérébelleux, paraparésie, etc.) et les
et doivent faire penser en premier lieu une cause symptoma- investigations (ponction lombaire, examen électrophoré-
tique, comme la SEP. tique du liquide cérébrospinal, potentiels évoqués visuels
Les formes évolutives sont variables : certaines, compor- et auditifs, IRM à la recherche de « plaques » au niveau du
tant des crises subintrantes, évoquent un état de mal névral- tronc cérébral ou dans la région périventriculaire) aideront
gique et constituent une urgence thérapeutique. le diagnostic.
Les formes bilatérales (5 % des cas) présentent des accès En pratique, les tableaux de névralgie faciale essentielle
unilatéraux alternant à chaque période. L'imagerie doit éli- et symptomatique peuvent présenter des similitudes, en
miner d'abord une lésion neurologique, comme la SEP. particulier au commencement de leur évolution. Il est donc
Les formes « vieillies » comportent des douleurs conti- de règle, au moindre doute et chez les sujets jeunes, d'entre-
nues à type de brûlure entre les accès ; la description initiale prendre des investigations neuroradiologiques : scanner
par le patient est caractéristique. avec et sans injection, IRM et angio-IRM.
Chapitre 26. Douleurs faciales   177

Traitement médical (­Neurontin®), la prégabaline (Lyrica®), le baclofène (Lio-


Carbamazépine résal®), la lamotrigine (Lamictal®) le valproate de sodium
(Dépakine®) et le clonazépam (Rivotril®). Le clonazépam
La carbamazépine (Tégrétol®) est le traitement de référence de a une place particulière : il est indiqué dans le traitement
la névralgie faciale. Elle doit être prescrite dès que le diagnos- des épilepsies généralisées ou partielles chez l'enfant (forme
tic clinique de névralgie faciale essentielle est envisagé [3]. buvable) ou chez l'adulte et l'enfant (forme comprimé). La
Les modalités de prescription doivent obéir à certaines forme injectable est proposée dans le traite­ment d'urgence
règles : l'introduction progressive limite les effets indésirables de l'état de mal épileptique de l'adulte et de l'enfant et, par
des premiers jours. La forme à libération immédiate est à extension, à celui de l'état de mal dans la névralgie faciale. La
privilégier en première intention : un quart de comprimé durée de la prescription est limitée à 12 semaines par arrêté
de 200 mg, 45 minutes avant les repas (la mastication est un du 12 octobre 2010 (Journal officiel du 19 octobre 2010,
facteur déclenchant). Il est classique d'augmenter la posolo- après avis du Comité national de Santé publique du
gie par quart de comprimé trois fois par jour chaque jour ou 18 février 2010 (2 juin 2010), les formes orales devant faire
tous les deux jours jusqu'à la disparition des accès névral- l'objet d'ordonnances dites « sécurisées » depuis le 7 sep-
giques. Ce résultat est en général obtenu pour une posologie tembre 2011. La prescription initiale des formes orales est
allant de 6 à 800 mg par jour. La posologie maximale est fixée réservée aux spécialistes en neurologie ou aux pédiatres qui
à 1200 mg en trois prises. La mise sur le marché de formes devront la renouveler chaque année. Les renouvellements
retard (LP 200 ou LP 400) et de formes buvables (une cuillère intermédiaires pourront être effectués par tout médecin.
mesure correspond à 100 mg) permet d'améliorer les moda- À savoir que les antalgiques périphériques ne sont d'au-
lités de prescription chez certains patients, mais les résultats cune utilité, que les opiacés ne sont pas indiqués, que les tri-
cliniques ne semblent pas supérieurs. Les taux plasmatiques cycliques et les neuroleptiques entraînent une sédation sans
efficaces vont de 5 à 10 mg/litre, et la posologie nécessaire pour autant prévenir la survenue des crises.
pour atteindre la fourchette thérapeutique varie selon les
patients. Il est plus réaliste d'adapter la posologie en fonction Traitements chirurgicaux
des résultats cliniques. Une surveillance clinique et biologique
est nécessaire : allergie cutanée, agranulocytose (numération Les traitements percutanés et chirurgicaux sont envisagés
formule sanguine, bilan hépatique) et natrémie. lorsque le traitement médical est inefficace, insuffisant ou
Le traitement est prescrit de principe pendant toute la mal supporté.
période douloureuse. Lorsque le patient n'a plus d'accès La thermocoagulation sélective du ganglion de Gasser
douloureux depuis une quinzaine de jours, il est logique (analgésie sans anesthésie) vise à détruire, grâce à une élec-
de diminuer progressivement la posologie d'un demi com- trode implantée qui augmente en température, les petites
primé tous les deux à trois jours pour déterminer la dose fibres amyéliniques (messages nociceptifs) avant les grosses
minimale nécessaire, ce qui aboutira, dans la mesure du fibres myélinisées (sensibilité tactile) (figure 26.2). Le pour-
possible, à l'arrêt complet de la thérapeutique durant les centage de guérisons immédiates dépasse 95 % ; la mortalité
périodes de rémission, fréquentes au début de l'évolution. est nulle, la morbidité se résume à une hypoesthésie du ter-
ritoire de la branche thermocoagulée, exceptionnellement
à l'origine de complications : douleurs de désafférentation
Autres traitements (anesthésie douloureuse de la face) ou anesthésie cornéenne
Les autres traitements sont proposés si la carbamazépine avec éventuellement kératite neuroparalytique [4–5].
est contre-indiquée ou se révèle avoir trop d'effets indési- La compression du nerf par un ballonnet gonflable au
rables : la diphénylhydantoïne (Di-Hydan®), la gabapentine niveau de la citerne trigéminale ne laisse a priori aucune

I
Cli
vu

II
s

Rocher

III
Trou ovale

A B
Figure 26.2 L'extrémité de la thermode est située à la jonction clivus-rocher, donc dans les fibres du V2 (A et B).
178   Partie 3. Pathologies douloureuses

séquelle définitive ; une hypoesthésie durable n'est pas rare L'objectif de ce chapitre est de rappeler les caractéris-
(en particulier dans le V3), ainsi qu'une diplopie transitoire. tiques cliniques et les principes thérapeutiques de cette
Si les résultats immédiats sont généralement bons, les réci- céphalée primaire invalidante.
dives précoces sont fréquentes.
La décompression « microvasculaire », développée par
Janetta, consiste à protéger le nerf par un téflon des boucles Caractéristiques cliniques
vasculaires retrouvées à l'intervention et situées juste à L'AVF est caractérisée par la survenue de crises doulou-
l'entrée du nerf dans la protubérance. Les résultats de cette reuse répondant à des critères diagnostiques spécifiques
neurochirurgie à ciel ouvert sont très satisfaisants, mais la (encadré 26.1). Le diagnostic est fondé sur les données de
mortalité et la morbidité ne sont pas nulles, une hypoes- l'anamnèse et la normalité de l'examen clinique en dehors
thésie faciale et surtout une hypoacousie ne sont pas rares. des crises.
La radiochirurgie stéréotaxique Gamma Knife décrite
par Leksell consiste à irradier, après un repérage minutieux
avec l'IRM et une mise en place d'un cadre stéréotaxique, Douleur et symptômes végétatifs
la région impliquée [6, 7]. Elle est atraumatique, quels que
soient l'âge et l'état du patient. Les effets indésirables sont au cours des crises
minimes : hypoesthésie dans moins de 10 % des cas, etc. L'AVF se manifeste par des douleurs intenses, souvent
L'efficacité est satisfaisante mais variable (60 à 90 %) et déca- décrites comme « un tison enfoncé dans l'œil, une sensation
lée dans le temps, nécessitant la poursuite de la carbamazé- d'arrachement ou de broiement du globe oculaire ». Elles
pine (trois semaines à trois mois). La durée de la rémission sont de localisation unilatérale, fronto-orbitaire et/ tempo-
se situe autour de cinq ans et une nouvelle irradiation est rale. La douleur peut irradier au niveau de l'hémiface et/
possible sans dépasser 160 Gy, avec un délai de quatre à six ou de l'hémicrâne ipsilatéral. L'alternance du côté des accès
mois. Il n'y a pas de contre-indications. douloureux est rare.
Les douleurs sont associées à une modification du
système végétatif au niveau de l'hémiface douloureuse :
injection conjonctivale, larmoiement, congestion nasale,
26.2 Algie vasculaire rhinorrhée, œdème palpébral, sudation du front ou de la
face, un myosis et/ou un ptôsis (encadré 26.1). Il existe éga-
de la face lement un comportement d'agitation motrice. Souvent, les
patients ne restent pas alités mais déambulent et peuvent
Geneviève Demarquay, Pierric Giraud manifester une agitation, voire une agressivité. Cette hype-
ractivité est un signe qu'il est important de rechercher et
s'oppose à l'alitement et la recherche d'un isolement senso-
riel décrits par les patients migraineux.
Résumé
L'AVF est une céphalée primaire trigémino-autonomique qui pré-
sente des caractéristiques cliniques, physiopathologiques et théra-
peutiques spécifiques. Elle se manifeste par la survenue de crises Encadré 26.1 Critères diagnostiques
douloureuses intenses de localisation orbitotemporale, associées de l'algie vasculaire de la face selon
à des symptômes végétatifs ipsilatéraux. Les crises durent de 15 la classification internationale des céphalées
à 180 minutes et surviennent en moyenne une à trois fois par
jour. Les mécanismes physiopathologiques impliquent le système A. Au moins cinq crises réunissant les critères B à D ;
trigéminovasculaire, le système végétatif à destinée céphalique B. douleur unilatérale sévère à très sévère, de localisation orbitaire,
et l'hypothalamus. La prise en charge thérapeutique repose sur supra-orbitaire et/ou temporale durant 15 à 180 minutes sans
la prescription de traitements de crise d'action rapide, comme le traitement ;
sumatriptan sous-cutané et l'oxygène au masque à fort débit, et de C. douleur associée à l'un des éléments suivants ou les deux :
traitements prophylactiques, comme le vérapamil avec, si besoin, 1. au moins un des signes survenant du côté de la douleur :
un traitement transitionnel par corticothérapie courte ou une infil- – injection conjonctivale et/ou larmoiement,
tration du nerf grand occipital. – congestion nasale et/ou rhinorrhée,
– œdème palpébral,
– sudation du front ou de la face,
Introduction – myosis et/ou ptôsis,
L'AVF représente la céphalée primaire trigémino-­ 2. sensation d'impatience ou agitation motrice ;
autonomique la plus fréquente dans la population générale. D. la fréquence des crises varie de 1 crise tous les deux jours à
Elle est caractérisée par des douleurs sévères, localisées huit crises par jour ;
principalement en regard de la région périorbitaire, asso- E. les symptômes ne sont pas attribuables à une autre
ciées à des symptômes sympathiques et parasympathiques pathologie.
ipsilatéraux. Malgré des caractéristiques cliniques spéci-
Source : Headache Classification Committee of the International Headache
fiques, l'AVF reste sous-estimée et associée à un possible Society, 2018 [8].
retard diagnostique.
Chapitre 26. Douleurs faciales   179

Évolution circadienne et circannuelle sont rapportées. Chez le sujet âgé, une douleur de localisa-
des crises tion frontotemporale doit toujours évoquer une maladie de
Horton.
Les crises durent entre 15 et 180 minutes et évoluent selon L'AVF doit également être distinguée des autres céphalées
un caractère circadien très évocateur de cette affection. Elles trigémino-autonomiques primaires, à savoir l'hémicrânie
sont souvent pluriquotidiennes, survenant entre 1 et 8 fois paroxystique, les douleurs faciales unilatérales névralgiformes
par jour (en moyenne, 1 à 3 épisodes par jour), le plus sou- avec crises de courte durée (SUNCT [Short-lasting Unilateral
vent à heures fixes. Un accès douloureux survenant au cours Neuralgiform headache attacks with Conjunctival injection
du sommeil est caractéristique de l'AVF. and Tearing] et SUNA [Short-Lasting Unilateral Neuralgi-
L'évolution des accès douloureux est classiquement form Headaches with Autonomic Symptoms]) et l'hémicrania
caractérisée par un caractère circannuel et saisonnier. La continua (tableau 26.1). Ces affections se manifestent par
période douloureuse active se manifeste par des crises des douleurs unilatérales fixes hémifaciales prédominant en
souvent pluriquotidiennes durant entre deux semaines à regard de la région périorbitaire et/ou temporale et associées
deux mois. Plus rarement, les patients présentent une AVF à des symptômes végétatifs ipsilatéraux. La durée et la fré-
chronique avec des périodes de rémission inférieures à quence des crises ainsi que la réponse à certains traitements
trois mois. permettent habituellement de les différencier.
Le diagnostic différentiel entre AVF et migraine peut se
Examen clinique discuter, car certaines crises de migraine s'associent par-
L'examen neurologique est strictement normal en dehors fois à des symptômes végétatifs périorbitaires. La durée et
des crises. La présence d'un signe de Claude-Bernard-­ l'évolution des crises ainsi que les symptômes associés aux
Horner en dehors des accès douloureux doit faire suspecter douleurs permettent habituellement de différencier les deux
une atteinte carotidienne et conduire à réaliser les examens pathologies.
d'imagerie appropriés en urgence. La névralgie trigéminale représente un diagnostic diffé-
rentiel de l'AVF lorsque des signes vasomoteurs sont consta-
tés au cours des épisodes d'intensité sévère et au cours des
Terrain formes « vieillies ». Toutefois, à la différence de l'AVF, les
Contrairement a la migraine, l'AVF affecte principalement les douleurs de la névralgie faciale sont brèves, classiquement
hommes, avec un age de survenue estimé entre 20 et 40 ans. à type de « décharge électrique » durant 3 à 20 secondes, et
Sa prevalence est estimee a 1 sur 1000 [9]. affectent dans la majorité des cas les branches V2 et V3 du
Une autre particularité épidémiologique de l'AVF est trijumeau. Elle touche également une population classique-
son association avec le tabagisme, observée dans plus de ment plus âgée.
85 % des cas [10], ainsi qu'une association ­significative avec
la consommation de cannabis. Les mécanismes physio­
pathologiques à l'origine de ces associations ne sont pas Traitement
connus.
Traitement des crises
Diagnostics différentiels La durée des crises douloureuses (15 minutes à 180 minutes)
nécessite l'emploi de traitements à action rapide. Ils sont
En urgence, le diagnostic de dissection des vaisseaux du représentés par :
cou doit toujours être évoqué, puisque cette pathologie peut ■ le sumatriptan sous-cutané 6 mg (maximum de deux
également se manifester par une douleur hémifaciale et un injections par 24 heures), dont les contre-­indications
syndrome de Claude-Bernard-Horner. Les autres diagnos- sont celles de tout triptan, notamment les complica-
tics à éliminer sont une sinusite sphénoïdale et les lésions de tions cardiovasculaires : hypertension non contrô-
la région hypophysaire, mais de nombreuses autres causes lée, IDM, p­ athologie vasculaire périphérique, AVC.

Tableau 26.1 Principaux diagnostics différentiels de l'AVF.


Type de céphalée AVF Hémicrânie SUNCT/SUNA Hemicrania Migraine Névralgie
Paroxystique continua du trijumeau
Sex-ratio (H,F) H >>F H=F H>F H=F H <<F H<F
Durée des crises 15 à 180 minutes 2 à 30 minutes 1 à 600 secondes Continue avec 4 à 72 heures 1 seconde à
paroxysmes 2 minutes
⁎ ⁎
Traitement de Crise : Indométacine Aucun traitement Indométacine Crise : Préventif :
référence sumatriptan et O2 validé AINS, triptan Carbamazépine
Préventif :⁎
vérapamil
AVF : algie vasculaire de la face ; SUNCT : short-lasting unilateral neuralgiform headache with conjonctival injection and tearing ; SUNA : short-lasting unilateral

neuralgiform headache attacks with cranial autonomic symptoms. hors AMM en France.
Source : d'après A. Donnet, G. Demarquay, A. Ducros et al. Recommandations pour le diagnostic et le traitement de l'algie vasculaire de la face. Rev Neurol 2014 ;
170 : 653–70.
180   Partie 3. Pathologies douloureuses

La ­prescription peut être réalisée par tous médecins, sur au moyen d'un examen ophtalmologique. Elle siège presque
ordonnance d'exception, après avoir vérifié l'absence de toujours au niveau du segment antérieur du globe.
contre-indication ; L'œil est innervé par le nerf ophtalmique, branche du
■ l'oxygénothérapie au masque à haute concentration est trijumeau (V1). Les tissus intra-oculaires les plus innervés
l'alternative en cas de contre-indication des triptans ou sont la cornée, l'iris, le corps ciliaire et la sclère.
de crises fréquentes. Il est recommandé de prescrire l'oxy- Trois mécanismes principaux mènent à une douleur ocu-
génothérapie à un débit de 12 à 15 litres par minute au laire : l'atteinte de la cornée, l'hypertonie et l'inflammation.
masque pendant 15 à 20 minutes [11]. La prescription ini- ■ Toute atteinte de la cornée (traumatique, infectieuse,
tiale est réservée au neurologue, à l'algologue, au pneumo- inflammatoire, liée à une sécheresse, etc.) donne une
logue ou à l'ORL et doit mentionner les forfaits 28 et 29. symptomatologie très douloureuse en raison de sa riche
innervation. La cornée est recouverte d'un épithélium
Prophylaxie transitionnelle sous lequel les terminaisons sensitives dessinent un très
dense plexus [12, 13]. En cas d'érosion, une douleur aiguë
Elle vise à réduire la fréquence des crises de manière rapide signale l'effraction épithéliale.
et repose sur l'emploi de corticoïdes per os sur une courte ■ L'hypertonie oculaire : la pression intra-oculaire (PIO)
durée afin d'éviter une pharmacodépendance et un phé- normale (15 ± 5 mmHg) est régulée par un équilibre entre
nomène de rebond, ou en injection sous-cutanée dans la la production d'humeur aqueuse par le corps ciliaire et sa
région du grand nerf occipital ipsilatérale à la douleur. résorption par le trabéculum dans l'angle irido­cornéen.
En cas d'élévation brutale de la PIO, l'œil, de volume
Traitement préventif inextensible, est le siège d'une douleur violente, irra-
diant à l'orbite et à l'hémicrâne, souvent accompagnée de
Le traitement de référence est le vérapamil, un inhibiteur cal-
nausées et vomissements. L'hypertonie affecte plusieurs
cique qui n'a pas d'AMM dans cette indication. Il est recom-
éléments intra-oculaires (œdème de cornée, ischémie du
mandé de commencer à l'administrer à des posologies de
sphincter de l'iris et souffrance du nerf optique). Le pro-
240 mg par jour en utilisant la forme en 120 mg réparti en
nostic visuel est engagé en quelques heures.
deux prises, puis d'augmenter progressivement de 120 mg par
■ L'inflammation du segment antérieur du globe entraîne
jour tous les deux à sept jours [11]. La majorité des patients
une douleur oculaire d'intensité variable, selon la sévérité
souffrant d'AVF épisodique répondent à des posologies com-
de la réaction inflammatoire. Cette inflammation peut
prises entre 240 et 480 mg/j. Plus rarement, il est nécessaire
concerner la cornée (kératite), l'iris et le corps ciliaire
d'augmenter la posologie en l'absence de contre-indication et
(iridocyclite qui correspond à une uvéite antérieure) ou
d'effet indésirable. La prescription de vérapamil nécessite une
la sclère (sclérite). À l'inverse, une inflammation du seg-
surveillance de la tension artérielle, et un ECG doit être réalisé
ment postérieur est habituellement indolore et aboutit à
avant l'instauration du traitement puis, régulièrement, à chaque
une baisse visuelle ou à des myodésopsies.
augmentation de 120 mg. En cas de posologies élevées, un suivi
Outre ces trois mécanismes, une douleur oculaire peut être
cardiologique est proposé, d'autant que ces patients présentent
liée à une atteinte des tissus périoculaires : nerf optique, graisse
souvent des facteurs de risque cardiovasculaire associés.
orbitaire, muscles oculomoteurs, paupières, etc. La gêne
Le lithium représente l'alternative thérapeutique la plus clas-
fonctionnelle dépend de la structure atteinte : baisse visuelle
sique, notamment dans les formes d'AVF chroniques (absence
(névrite optique), diplopie (myosite, inflammation orbitaire,
d'AMM dans cette indication d'AVF). Cette prescription néces-
etc.). L'imagerie orbitaire (IRM ou TDM) oriente le diagnostic.
site un suivi clinique et biologique étroit et le respect des contre-
Une certaine douleur ou un inconfort peut être men-
indications et des possibles interactions médicamenteuses.
tionné en cas d'irritation conjonctivale chronique. Il
En cas d'AVF réfractaire, une alternative chirurgicale
convient de traiter la cause (allergie, rosacée, etc.) et la
peut être discutée en concertation en centre tertiaire. La
sécheresse souvent associée.
neurostimulation bilatérale du nerf grand occipital est habi-
Un excès d'accommodation peut entraîner des douleurs
tuellement le traitement proposé en première intention.
oculaires, des céphalées ou une fatigue visuelle. La gêne sera
améliorée par une correction optique adaptée.
Certains symptômes subjectifs fréquents : tiraillement,
26.3 Algies piquée, douleur rétro-oculaire, etc., ne reposent sur aucune
anomalie organique décelable.

faciales de causes
ophtalmologiques Clinique et principes de traitement
En cas de douleur oculaire aiguë, un examen clinique non
Pierre Manoli spécialisé peut identifier une étiologie (contexte trauma-
tique, antécédent d'uvéite, etc.). Au moindre doute, c'est
l'examen ophtalmologique avec lampe à fente (LAF) et
mesure de la PIO qui confirmera le diagnostic.
Ce qu'il faut comprendre Les symptômes communs aux 3 mécanismes évoqués
La douleur est un motif fréquent de consultation en ophtal- sont : douleur, photophobie et baisse visuelle. L'examen
mologie. Sa cause est habituellement rapidement identifiée physique retrouve une rougeur périkératique.
Chapitre 26. Douleurs faciales   181

Atteinte cornéenne : la douleur de la fibrine et d'éventuelles synéchies irido-cristalliniennes


est particulièrement violente (figure 26.5). Le traitement est double : étiologique et symp-
tomatique (instillation locale de cortisone et de collyres
En cas de kératite épithéliale ou d'ulcère superficiel, le test à la dilatants).
fluorescéine en lumière bleue est positif (figure 26.3) Le traite- En cas de sclérite, la douleur est au premier plan et l'exa-
ment repose sur la prescription d'une pommade cicatrisante et men montre une rougeur très franche de la sclère, sans
d'un collyre antibiotique. En cas d'origine herpétique, l'usage baisse visuelle. Le traitement repose en première intention
de collyre à la cortisone est formellement contre-indiqué. sur les AINS.
En cas d'abcès de cornée, le test à la fluorescéine est positif,
et il y a une infiltration de l'ulcération (figure 26.4). Le traite-
ment nécessite l'usage d'une double antibiothérapie en collyre.
Lors d'une atteinte du stroma cornéen (plus profonde), le Hypertonie oculaire aiguë
test à la fluorescéine est négatif et l'examen avec LAF montre Sa forme typique est le glaucome aigu à angle fermé
une infiltration profonde de la cornée. Le traitement dépend (figure 26.6).
de l'étiologie et nécessite habituellement une corticothérapie La douleur est violente, irradie à l'hémicrâne, avec nau-
locale. sées/vomissements. Troubles digestifs et céphalées peuvent
être au premier plan et retarder le diagnostic.
On note un œdème de cornée, une semi-mydriase aré-
Uvéite antérieure : le test à la fluorescéine active. Le diagnostic est confirmé par une PIO très élevée
est négatif (> 40 mmHg). Il s'agit d'une urgence qui nécessite une per-
La LAF met en évidence une inflammation du segment fusion d'hypotonisant et un collyre myotique, puis une irido­
antérieur : des précipités rétrocornéens, un effet Tyndall, tomie bilatérale prévient toute récidive.

Figure 26.3 Test à la fluorescéine positif, aspect dendritique de Figure 26.5 Hyperhémie conjonctivale et mydriase. L'hypertonie
l'ulcération typique d'une kératite herpétique. associée à une chambre antérieure étroite confirme le diagnos-
tic de glaucome aigu à angle fermé.

Figure 26.4 Hyperhémie conjonctivale, test à la fluorescéine


positif, avec un aspect infiltré de l'ulcère confirmant le diagnos- Figure 26.6 L'inflammation antérieure (uvéite antérieure) est
tic d'abcès cornéen. révélée par la présence de fibrine en chambre antérieure.
182   Partie 3. Pathologies douloureuses

26.4 Douleurs ORL Formes frontières et diagnostic


différentiel
Marie-Louise Navez, Jean-Michel Prades Une sinusite unilatérale récidivante (plus de deux épisodes
de même localisation) doit faire rechercher une cause den-
taire dans la localisation maxillaire et, dans toutes les autres
localisations, une cause locorégionale (tumeur, infection
Ce qu'il faut comprendre fongique, anomalie anatomique), d'où l'intérêt de l'imagerie
La pathologie ORL est fréquente en soins primaires, par scanner, voire de l'IRM (figure 26.7).
chez l'adulte et l'enfant, le plus souvent en lien avec des Une forme se prolongeant au-delà de 12 semaines définit
infections virales, voire bactériennes, et s'accompagne une rhinosinusite chronique. Plusieurs causes, tels une poly-
souvent de douleur. Les plus fréquemment rencontrées pose nasosinusiennes de Fernand-Widal, une pathologie de
sont de localisation rhinosinusienne, oropharyngée, et contiguïté, une infection fongique , un diabète, un environne-
otologique. Chez le patient plus âgé avec une intoxication ment néfaste (tabac, poussières, menuisier) sont à rechercher.
alcoolotabagique, il faut évoquer une pathologie carcino- Les formes hyperalgiques (sinusite bloquée maxillaire
logique. Les douleurs projetées au niveau crâniofacial sont ou frontale) sont des indications chirurgicales d'urgence
très fréquentes à partir des structures voisines : l'articu- (méatotomie).
lation temporomandibulaire, le reflux gastro-œsophagien Les douleurs à la suite d'une chirurgie nasosinusienne
sur le pharyngolarynx, les névralgies du nerf glossopha- peuvent évoquer une récidive de sinusite : elles sont liées à des
ryngien sur l'oreille, les céphalées comme la migraine, sur lésions nerveuses du sinus opéré (DN4 +) et à un désordre
la face et les sinus. trigéminovasculaire, et répondent à un traitement spécifique.

Tableau 26.2 Critères diagnostiques d'affection


nasosinusienne.
Douleurs rhinosinusiennes
Critères majeurs Critères mineurs
La forme classique de la « sinusite » par affection virale ou
Pus dans les fosses nasales Céphalées posturales
bactérienne est limitée à un sinus ou se diffuse dans toute
la face. Ces douleurs ont des caractéristiques communes et Douleur faciale a la pression, Halitoses, cacosmie
variables selon le sinus atteint (tableaux 26.2 et 26.3). plénitude, congestion nasale (pulsatile,
accentuée par la position tête penchée
L'interrogatoire, l'exploration clinique, endoscopique en avant ou la pression sur les sinus)
et bactériologique et l'imagerie (TDM obligatoire) vont
conduire au diagnostic et guider l'attitude thérapeutique Obstruction nasale, rhinorrhée Fatigue asthénie
purulente
(prélèvement bactériologique en cas d'échec d'une première
antibiothérapie ou d'une sinusite rebelle qui ne guérit pas, Fièvre en cas de sinusite aiguë Douleur dentaire et otalgie
TDM des sinus si une complication est suspectée, IRM si la seulement
complication suspectée est neurologique). Hyposmie, anosmie Toux
Source : American Academy of Otolaryngology-Head and Neck Surgery.

Tableau 26.3 Douleur sinusienne en fonction du sinus pathologique.


Sinusite Douleur Signes associés Complications Conduite diagnostique
Frontale – Supra-orbitaire Larmoiement, Méningite, orbitaire « Sinusite – Imagerie
– Angle interne de l'œil photophobie bloquée » douleur, sinusite et – En cas de récidive,
pas d'écoulement nasal rechercher une malformation
anatomique, une pathologie
d'environnement (tabac,
poussière, lien avec profession,
allergie, diabète, déficit
immunitaire, etc.)
Maxillaire – Sous -orbitaire, – Pression Évolution possible vers la Imagerie
unilatérale, irradie les sous-orbitaire chronicité avec réchauffement
dents et orbites – Lésions dentaires lors des épisodes d'affection
– Augmente la nuit associées dentaire
Sphénoïdale – Violente, profonde, Troubles vasomoteurs, Complication intracrânienne Imagerie
postérieure, rhinorrhée, congestion à type de troubles oculaires :
rétro-orbitaire nasale, larmoiements, baisse de l'acuité visuelle,
– Front, nuque rougeur de l'hémiface amputation d'un champ visuel
et œdème du fond d'œil
Sinusite ethmoïdale Fronto-orbitaire vive, Œdème palpébral, Orbitaire : douleur et Imagerie
(enfant) +++ accentuée par la pression fièvre +++, prostration, mobilisation du globe oculaire
de l'angle interne de l'œil rhinorrhée purulente
Chapitre 26. Douleurs faciales   183

A B C

D E
Figure 26.7 TDM de polypose nasale avec mucoceles du sinus frontal bilatérales lysant les parois osseuses et syndrome méningé (A–E).

Drapeaux rouges L'antibiothérapie est adaptée et indiquée dans les formes


L'association d'une obstruction nasale unilatérale progres- bactériennes avérées (critères établis de sinusite aiguë
sive et de la douleur n'est pas forcément une sinusite et la maxillaire purulente, échec d'un traitement symptomatique
TDM est conseillée pour apprécier la guérison vraie. initial, complications, sinusite maxillaire unilatérale asso-
Les céphalées avec signes rhinologiques, fièvre et exten- ciée à une infection dentaire homolatérale de l'arc dentaire
sion locorégionale de l'infection comme les complications supérieur). Inutile dans la sinusite virale (coryza), elle peut
oculo-orbitaires (exophtalmie, troubles de la mobilité même y être le plus souvent néfaste, du fait de ses effets indé-
oculaire, cellulite palpébrale orbitaire) des ethmoïdites de sirables (allergie, diarrhée, résistance). L'antibiothérapie est
l'enfant et les complications cérébroméningées (abcès céré- indiquée sans réserve en cas de sinusite frontale, ethmoïdale
braux, méningites, thrombophlébite du sinus caverneux.) ou sphénoïdale.
imposent une expertise clinique et paraclinique (TDM, Le drainage chirurgical d'une sinusite bloquée ou l'avul-
antibiothérapie, voire chirurgie) (figure 26.8). sion dentaire lors d'une sinusite maxillaire sont parfois
Les rhinosinusites fongiques survenant chez des patients indiqués.
immunodéprimés (diabète, VIH, corticothérapie prolongée,
chimiothérapie ou hémopathie) sont très souvent graves.
Douleurs pharyngées
Traitement Ce qu'il faut comprendre
Les traitements symptomatiques associent les antalgiques Les douleurs pharyngées aiguës, pharyngite aiguë ou angine
et la désobstruction rhinopharyngée (lavage, décongestion- (infection ou inflammation de l'amygdale palatine ou
nants nasaux sur une durée maximale de cinq jours). tonsille) sont fréquentes en soins primaires.
184   Partie 3. Pathologies douloureuses

A B C
Figure 26.8 Céphalées droites avec exophtalmie et obstruction nasale epistaxis par métastase de carcinome peu différencié de la
glande thyroïde de la fosse infra-temporale droite (A–C)

Tableau 26.4 Principales caractéristiques cliniques et épidémiologiques des angines à streptocoque


du groupe A et des angines virales.
Angine à SGA Angine virale
Épidémiologie – Épidémie : hiver, début du printemps Début progressif
– Enfants 5–15 ans
Signes – Survenue brusque, intensité́ de la douleur – Dysphagie modérée ou absente
pharyngée – Toux, coryza, enrouement
– Odynophagie – Douleur abdominale, diarrhée
– Purpura du voile du palais
– Fièvre
Examen – Érythème pharyngé intense – Vésicules (herpangine des entérovirus coxsackie,
– Purpura du voile gingivostomatite)
– Exsudat – Éruption évoquant une maladie virale
– Adénopathies sensibles – Conjonctivite
– Éruption cutanée scarlatiforme
Source : R. Cohen. Recommandations de bonne pratique. Société de pathologie infectieuse de langue française, 2011.

Les angines non spécifiques sont d'origine virale dans herpétiforme) et l'angine ulcéreuse ou pseudomembra-
les deux tiers des cas. Les étiologies bactériennes (un tiers neuse (amygdale ulcérée, recouverte de fausses membranes
des cas) sont dues le plus souvent aux streptocoques du évoquant une angine de Vincent à germes anaérobies, une
groupe A (SGA) (dont Streptococcus pyogenes est le nom mononucléose infectieuse ou une diphtérie).
taxonomique et qui représente 30 % des angines en milieu L'aspect de l'oropharynx n'est pas prédictif de l'angine
scolaire), mais aussi Haemophilus influenzae ou Mycoplasma à streptocoques A, qui peut prendre une forme érythé-
pneumoniae. L'antibiothérapie ne doit être prescrite que mateuse, érythématopultacée, voire unilatérale ou érosive
dans ces cas. Une plus large utilisation du test de diagnostic (tableau 26.4).
rapide antigénique devrait permettre d'identifier les patients Le score de Mac-Isaac est proposé (positif lorsque le
susceptibles d'en bénéficier. résultat est supérieur à 2), qui prend en compte quatre items
à 1 point chacun et une cotation avec l'âge : la fièvre > 38 °C,
la présence d'un exsudat, les adénopathies cervicales dou-
Forme clinique classique loureuses, l'absence de toux, l'âge situé entre 15 et 45 ans
Dans les atteintes infectieuses de l'amygdale, la douleur est (0) ou supérieur à 45 ans (–1). Sa sensibilité́ est insuffisante
aggravée par la déglutition associée à une odynophagie et pour étayer une stratégie thérapeutique.
une otalgie homolatérale d'irradiation. Les tests de diagnostic rapide (TDR) permettent, à partir
D'autres symptômes, fonction de l'agent étiologique et de d'un prélèvement oropharyngé, de mettre en évidence les
l'âge du patient, peuvent l'accompagner, comme les douleurs antigènes de paroi (polysaccharide C) de S. pyogenes. Les
abdominales, l'éruption, les signes respiratoires (rhinorrhée, TDR sont simples et leur réalisation, au cabinet médical, est
toux, enrouement et gêne respiratoire) et une perte de poids. rapide. Leur spécificité est voisine de 95 %, leur sensibilité va
L'examen clinique de l'oropharynx permet de distinguer : de 80 à 98 %. Ils sont utilisés prioritairement aux techniques
l'angine érythémateuse , la plus fréquente (amygdale et pha- de culture classique (réservées aux cas de résistance selon les
rynx congestif) , l'angine érythématopultacée (amygdale données de l'antibiogramme).
congestive recouverte d'enduit purulent), l'angine vésicu- Le TDR est systématique chez l'enfant de plus de 3 ans,
leuse ou herpangine (pharynx inflammatoire et vésicules souvent inutile chez le nourrisson et l'enfant âgés de
dues à un entérovirus coxsackie ou à une gingivostomatite moins de 3 ans, les angines étant le plus souvent virales.
Chapitre 26. Douleurs faciales   185

Chez l'adulte, il est possible de décider de surseoir au test si angine qui ne guérit pas, du carcinome Herpès virus oncogène,
le score clinique de Mac-Isaac est inférieur à 2. Un test posi- du lymphome avec des adenopathies cervicales associées.
tif confirme l'étiologie à streptocoque β-hémolytique A et Les formes compliquées des angines sont l'abcès péri-
justifie la prescription d'antibiotiques. Un test négatif chez tonsillaire ou parapharyngé. La suppuration unilatérale
un sujet sans facteur de risque de rhumatisme articulaire autour de la capsule amygdalienne refoule le voile et le
aigu ne justifie pas de contrôle supplémentaire systématique streptocoque A est souvent en cause. La douleur est intense,
par culture, ni de traitement antibiotique. Seuls les traite- accompagnée de fièvre, d'un trismus, d'une déglutition dif-
ments antalgiques et antipyrétiques sont alors utiles. ficile et d'adénopathies.

Formes frontières et diagnostic Traitements


différentiel Les antalgiques de la douleur pharyngée sont le paracéta-
Le « globus pharyngeus » est une sensation de blocage pha- mol et les anti-inflammatoires, plus efficaces que le placebo.
ryngé vis-à-vis de la salive, moins souvent pour les aliments, D'autres possibilités sont proposées : les pastilles à sucer
et en rapport avec un spasme du muscle cricopharyngien aux propriétés analgésiques (efficacité de deux heures sur
secondaire à un reflux gastro-œsophagien, à un diverticule la douleur pharyngée et la déglutition difficile), les garga-
ou, surtout, au stress. rismes à l'eau salée, l'alimentation et les boissons douces,
Les formes hyperalgiques sont décrites dans l'angine de tièdes ou froides, voire glacées.
Vincent, au cours de la scarlatine, de la tularémie, la diphté- L'antibiothérapie, après un test diagnostique antigénique,
rie ou lors de pathologie maligne (lymphome non hodgki- est la solution plus rentable.
nien) ou d'une infection par le VIH. L'efficacité de la corticothérapie est plus mitigée. Elle
Les aphtoses, plutôt gingivobuccales, peuvent se localiser pourrait diminuer la douleur, mais son utilisation sans anti-
sur le voile et les piliers amygdaliens, causer des ulcérations biotique n'est pas évaluée et sa recommandation systéma-
à fond jaunâtre, très douloureuses. Elles peuvent entrer dans tique en soins primaires est discutée.
le cadre d'un syndrome de Behçet. L'amygdalectomie chirurgicale réduit les risques de pha-
Les pharyngites ou amygdalites chroniques sont ryngite chronique diffuse.
d'étiologies diverses, comme l'hyperplasie amygdalienne La suppression des foyers infectieux dentaires et sinu-
(rétention cryptique de débris épithéliaux surinfectés, siens et le traitement d'un reflux gastro-œsophagien docu-
caséum), les mycoses, une pharyngite sèche du syndrome menté, d'un dysmétabolisme, d'un terrain anxiodépressif et
de ­Gougerot-Sjögren ou secondaire aux traitements psy- cancérophobe doivent être associés.
chotropes, voire un carcinome muqueux. Chez l'enfant, Chez l'enfant, l'abcès rétropharyngé, secondaire à
elles peuvent être secondaires à une perturbation immu- une infection du tractus respiratoire supérieur, confirmé
nologique ou favorisées par une antibiothérapie abusive. (prélève­ments bactériologiques), est traité par le drainage
Les angines à répétition se succèdent, souvent blanches, chirurgical qui soulage rapidement les symptômes. Il est
prolongées, avec adénopathies importantes, asthénie, associé à l'antibiothérapie et aux antalgiques.
persistance d'un état inflammatoire biologique et des Les douleurs pharyngées du carcinome sont très intenses
amygdales. Elles entraînent une gêne au développement et nécessitent le plus souvent des opiacés forts associés à une
staturopondéral, un retard scolaire par absentéisme et des corticothérapie.
complications locorégionales (complications rhinosinu-
siennes, otite ou trachéobronchite) ou générales. L'anti- Otalgies
biothérapie est peu efficace.
Les douleurs buccopharyngées accompagnant les hémo- Ce qu'il faut comprendre
pathies (neutropénie, agranulocytose, leucose aiguë) sont le L'oreille est très richement innervée par plusieurs branches
plus souvent sévères. nerveuses : nerfs du trijumeau, nerf intermédiaire de Wrisberg
Le zona pharyngien, par atteinte du nerf glossopharyn- (VII bis), glossopharyngien (IX), vague (X), et plexus cervical
gien, est rare. L'éruption vésiculeuse est strictement unila- (C2-C3), ce qui explique les douleurs intenses accompagnant
térale, sur le voile, le tiers supérieur des piliers et le palais les affections de l'oreille. Les otalgies à point de départ extra-
osseux, respectant l'amygdale. auriculaire, irradiant vers l'oreille, sont d'ordre névralgique,
Les éruptions bulleuses sont des affections rares rencontrées pharyngolaryngé, musculo-articulaire ou postopératoire.
en dermatologie : pemphigus, maladie de Duhring-Brocq, etc.
Otalgies d'origine auriculaire
Drapeaux rouges Les otalgies affectant le pavillon de l'oreille sont d'ori-
L'association douleur pharyngée unilatérale et tabac-alcool gine traumatique (othématome) ou carcinologique
(ou, cannabis) évoque le carcinome. L'odynophagie est intense, (spinocellulaire).
unilatérale, sans signes infectieux. S'y associent un trismus, Les otites du conduit auditif externe sont d'inten-
des adénopathies, une déviation à la protraction linguale, sité modérée lors des simples otorrhées, sévères dans les
une dyspnée laryngée trachéale et une paralysie des nerfs furoncles ou les formes graves nécrotiques chez le patient
crâniens (X, XII, IX.). La laryngoscopie, la biopsie et l'image- âgé ou diabétique. Elles sont très souvent d'origine myco-
rie conduisent au diagnostic et au traitement carcinologique. sique, aggravée par les bains en piscine, le nettoyage intem-
Chez le sujet jeune sans addiction il faut se méfier de la pseudo pestif et le grattage.
186   Partie 3. Pathologies douloureuses

Les otites barométriques décrites lors des voyages en avion insuffisance rénale et syndrome hémorragique). Parmi les
ou des plongées sous-marines, associent douleur et surdité. antalgiques de palier 2, la codéine ne doit plus être prescrite
L'otite moyenne aiguë est une affection de l'oreille chez l'enfant de moins de 12 ans (anomalie métabolique liée
moyenne et du tympan très fréquente chez l'enfant. Elle est au cytochrome P450 2D6) ; le tramadol peut être proposé
souvent d'origine virale (myringite bulleuse) ou, quelque- après 3 ans, mais l'administration doit être surveillée, car
fois, infectieuse (H. influenzae, etc.). Le diagnostic repose le profil métabolique suit les mêmes voies. Dans les formes
sur des signes à l'otoscopie (congestion et hypervasculari- sévères la morphine reste une possibilité.
sation du tympan) associés à un épanchement rétrotympa- L'antibiothérapie, sous forme d'amoxicilline (puis
nique, extériorisé (otorrhée), ou non extériorisé (opacité, ­amoxicilline-acide clavulanique), est recommandée chez
effacement des reliefs normaux ou bombement). l'enfant de moins de 2 ans. Après 2 ans, l'antibiothérapie n'est
pas systématique, sauf en cas de symptomatologie bruyante
Otalgies d'origine extra-auriculaire (fièvre élevée, otalgie intense). La paracentèse est recomman-
dée dans certains cas, après avis d'un ORL, dans les formes
Les otalgies reflexes en lien avec les territoires innervés par récidivantes et pour établir un diagnostic bactériologique.
le nerf trijumeau peuvent être d'origine dentaire (caries, C'est le traitement de la cause qui va soulager les otalgies
pulpites, granulome périapical, accidents d'éruption de dent réflexes (dentaires, névralgies, etc.) ; le traitement antalgique
de sagesse). Elles peuvent aussi correspondre à des gingivos- de première intention reste classique, associé au traitement
tomatites herpétiques ou intervenir lors de troubles de l'arti- spécifique (soins dentaires antiépileptiques, etc.). Dans les
culation temporomandibulaire (douleur de mobilisation localisations carcinologiques amygdaliennes, de la base de la
de la mâchoire, craquements, subluxation ou trismus). Les langue ou du crâne, on a recours aux opiacés.
douleurs d'origine tumorale (bord de langue, amygdales,
plancher de bouche, rhinopharynx) sont souvent sévères,
assorties d'une otite séreuse unilatérale. Bibliographie
Les otalgies réflexes en lien avec l'innervation faciale (VII) Haute Autorité de santé. Rhino-pharyngite et angine de l'adulte ; 2016.
sont mastoïdiennes lors des paralysies a frigore, ou de la zone Haute Autorité de santé. Prise en charge médicamenteuse de la douleur
de Ramsay-Hunt lors du zona acousticofacial (récurrence du chez l'enfant : alternative à la codéine ; 2016.
virus varicelle-zona [VZV]) par atteinte du ganglion géniculé. Navez M, Prades JM. Douleurs oropharyngées à point de départ ORL.
L'otalgie est intense, prenant la forme de brûlure. L'éruption Douleur et Analgésie ; 2010.
cutanée vésiculeuse est associée à une paralysie faciale péri-
phérique, des vertiges et une surdité de perception.
Les otalgies reflexes à point de départ du nerf glossopha-
ryngien sont le plus souvent d'origine infectieuse (angine, 26.5 Douleurs orales
aphte) ou tumorale (oropharynx), elles peuvent accompagner
le reflux gastro-œsophagien. La névralgie essentielle du nerf Vianney Descroix
glossopharyngien peut se manifester par une otalgie isolée. La cavité orale est composée de nombreux organes (dents,
Plus rarement, certaines otalgies reflexes sont d'origine parodonte, muqueuses, glandes salivaires, tissu osseux et
cervicale (adénopathies, parotide, tumeur parapharyngée), articulation) de natures très différentes et qui peuvent tous
mais le plus souvent le rachis cervical est incriminé à tort. être à l'origine de douleurs de natures très variées. Chaque
organe peut ainsi être à l'origine de douleur aiguë et chro-
Drapeaux rouges nique. La nature des douleurs est là aussi très variable,
Les otalgies révélatrices d'un carcinome pharyngolaryngé sont inflammatoire, infectieuse, traumatique, neuropathique ou
fréquentes et sévères, surtout dans les formes amygdaliennes dysfonctionnelle. Si les douleurs aiguës (pulpite, parodontite
et celle atteignant la base de la langue. Le diagnostic est porté apicale, maladies parodontales et péricoronarites) sont les
sur l'examen clinique, l'endoscopie et l'imagerie. Attention à plus fréquentes, elles sont aussi les plus évidentes à traiter,
l'otite externe rebelle du carcinome et de l'osteite du rocher de le plus souvent par une approche chirurgicale. Les douleurs
l'otite externe maligne avec paralysie faciale. Attention au car- chroniques de la cavité orale sont, elles, bien plus rares, très
cinome du naso-pharynx (virus Epstein Barr) du maghrébin mal connues et par conséquent peu prises en charge [14].
avec otite séreuse unilatérale, épistaxis, otalgie. Dans la très grande majorité des cas, les douleurs aiguës
Attention au diabète et aux immunosuppresseurs qui seront uniquement du ressort du spécialiste en médecine
augmentent le risque d'otite externe extensive. buccodentaire ou en chirurgie orale. Nous ne traiterons
donc dans ce sous-chapitre que des douleurs chroniques.
Traitements
Les otalgies d'origine auriculaire nécessitent des antalgiques Ce qu'il faut comprendre
adaptés à la sévérité de la douleur. En première intention, le
paracétamol à dose efficace (15 mg/kg toutes les six heures,
de la douleur
peut être associé aux anti-inflammatoires (ibuprofène aux Les douleurs orales chroniques intéressent le complexe
posologies de 20 à 30 mg/kg/j) par voie orale et pour une dento-alvéolaire, les muqueuses et les articulations tem-
durée courte (48 à 72 heures), en respectant les précau- poromandibulaires. La nature de la plupart de ces dou-
tions et contre-indications (varicelle, infection ORL ou leurs est très probablement d'origine neuropathique ;
pulmonaire sévère, infection bactérienne, déshydratation, elle est en partie inflammatoire pour les douleurs des
Chapitre 26. Douleurs faciales   187

articulations temporomandibulaires. Les examens com- Xérostomie


plémentaires, essentiellement radiologiques, le plus sou- Environ 46 à 67 % des patients se plaignent de xérostomie. Il
vent négatifs, ne sont pas contributifs. Les traitements s'agit plus d'une sensation subjective que d'une dysfonction
sont ceux des douleurs neuropathiques, associant une salivaire objective.
approche pharmacologique, psychothérapeutique et psy-
chocorporelle. En 2018, il n'existait aucune recommanda- Troubles émotionnels
tion nationale ou internationale sur le traitement de ces
maladies. Les troubles anxieux et les troubles de l'humeur sont fré-
Nous décrirons ici les trois principales entités que sont quents, sont loin d'être présents dans tous les cas. Nombre
la stomatodynie idiopathique, les douleurs dento-alvéolaires des patients présentent par ailleurs une forte cancérophobie
persistantes et les troubles articulaires.
Il existe d'autres douleurs chroniques orales, les douleurs Diagnostics différentiels
chroniques postopératoires à la suite d'une intervention Les maladies à l'origine d'une stomatodynie secondaire sont
chirurgicale, notamment des dents de sagesses, de la pose principalement :
d'implant dentaire, de traitement endodontique ou d'anes- ■ le lichen plan et les réactions lichénoïdes,
thésie locorégionale. ■ les candidoses,
■ la langue géographique qui provoque des douleurs dans
10 % des cas,
Stomatodynie idiopathique ■ la glossite losangique médiane, principalement due à un
La stomatodynie idiopathique est caractérisée par une tic d'aspiration,
douleur de la muqueuse buccale, sans cause organique ■ les lymphangiomes (aspect en grains de framboises),
identifiable. Cette définition exclut toutes les douleurs ■ le carcinome épidermoïde (aspect érythroleucoplasique
des muqueuses linguales, et plus généralement orales, qui ou purement érythroplasique, aspect végétant ou encore
peuvent être expliquées par des états pathologiques locaux ulcéreux).
ou systémiques identifiés (notamment d'origine infectieuse) Des causes générales peuvent aussi entraîner des lésions
[15]. responsables de glossodynies : carence vitaminique (B12, B9,
En termes de prévalence, celle-ci est très variable d'une B6) ou carence en fer, responsables d'érythèmes, syndrome
étude à l'autre. Ce qui est constant est la forte prévalence sec avec atrophie linguale.
féminine. Les femmes sont plus fréquemment concernées Exceptionnellement, une neuropathie diabétique peut
que les hommes, la proportion étant de un homme pour être responsable d'une stomatodynie.
trois à 21 femmes. Il s'agit essentiellement de femmes en La prescription d'un bilan biologique systématique
cours de ménopause ou déjà ménopausées. n'est pas justifiée pour les formes cliniques typiques de
stomatodynie.

Clinique de la douleur
Traitement
Douleur
La prise en charge des patients atteints de stomatodynie
La douleur est le signe cardinal de la stomatodynie. Elle idiopathique est difficile, et les résultats des traitements
est décrite comme une sensation de brûlure prolongée de administrés sont variables, souvent décevants, indui-
la muqueuse orale, similaire en intensité, mais différente en sant une frustration tant chez le patient que chez les
qualité d'une douleur dentaire. Cependant, des sensations praticiens.
de picotements et d'engourdissement sont également rap- L'application topique de clonazépam améliore la sympto-
portées. La douleur survient généralement spontanément, matologie douloureuse chez 66 % des patients atteints. Un
sans facteur déclenchant, même si certaines personnes asso- milligramme de clonazépam doit être sucé trois minutes
cient le début des douleurs avec des traitements dentaires ou sans déglutir puis recraché, et cela trois fois par jour.
d'autres maladies. L'intensité de la douleur varie de légère à
sévère, avec une intensité moyenne de 5 à 8 sur 10, sur une
EVA.
Les critères diagnostiques imposent une douleur conti-
Douleurs dento-alvéolaires
nue présente depuis 4 à 6 mois. persistantes
La douleur est presque toujours bilatérale et ressen- Les douleurs dento-alvéolaires persistantes appartiennent
tie principalement sur la langue (surtout la pointe ou les au groupe des douleurs persistantes idiopathiques de la face
deux tiers antérieurs), la lèvre inférieure et le palais dur. La (DFIP), qui relèvent du code IHS 13.12 [8].
muqueuse jugale et le plancher de la bouche sont rarement Dans ce groupe de douleurs, on retrouve l'odontalgie
concernés. atypique, définie comme une douleur au niveau d'une dent
dont l'état ne peut expliquer la symptomatologie, l'algie
Dysgueusie faciale atypique ou encore de douleur de dent fantôme, par
Environ 70 % des patients rapportent des dysgueusies per- analogie à la douleur de membre fantôme.
sistantes. L'altération du goût la plus fréquente est une per- Actuellement, la majorité des auteurs s'accordent à dire
ception amère ou métallique, ou les deux. qu'il s'agit d'une douleur neuropathique.
188   Partie 3. Pathologies douloureuses

D'un point de vue épidémiologique, ces pathologies Algies et dysfonctions


touchent essentiellement les femmes après l'âge de 40 ans.
D'après l'IHS, les critères de diagnostic sont les suivants :
de l'appareil manducateur
A. douleur faciale et/ou orale remplissant les critères B et C ; Les algies et dysfonctions de l'appareil manducateur
B. survenant de manière journalière plus de deux heures par (ADAM) sont les principales causes de douleurs orofaciales
jour pendant plus de trois mois ; n'ayant pas une origine dentaire. La prévalence de ces affec-
C. douleur présentant les caractéristiques suivantes : tions dans la population générale est très variable, selon les
a. mal localisée, et ne suivant pas la distribution d'un études et les populations : elle varie de 4 à 88 %.
nerf périphérique, Il s'agit de symptômes très hétérogènes qui peuvent
b. douleur sourde et lancinante, atteindre l'appareil manducateur (encadré 26.2) [17].
c. examens cliniques et neurologiques normaux, L'acronyme « BAD » permet de les résumer :
d. cause dentaire exclue par les examens appropriés, ■ B pour bruit au niveau des articulations temporomandi-
e. ne pouvant être mieux incluse dans un des diagnostics bulaires (claquement, craquement ou crépitement) qui
décrit par la classification internationale de l'IHS. peut advenir au cours des mouvements mandibulaires,
Il faut retenir de ces critères que la DFIP, si elle est le ■ A pour algie faciale modulée par la fonction mandibulaire,
plus souvent localisée au commencement, peut se diffuser ■ D pour dyscinésie, ou anomalie de la cinématique mandi-
et devenir bilatérale, qu'il n'y a pas forcément d'étiologie bulaire (amplitude et/ou direction et/ou forme du trajet).
retrouvée mais qu'elle peut être déclenchée par une inter- Les ADAM algiques seraient de 3,9 % par an. Selon cette
vention ou un traumatisme et que l'examen neurologique même étude [17], la symptomatologie douloureuse est
(hypoesthésie notamment) est pauvre [16]. unique dans 12 % des cas, récurrente dans 65 % des cas et
La description de la douleur est généralement à type persistante dans seulement 19 % des cas.
de brûlure, d'élancement, de sensation de broiement ou Par ailleurs lorsque l'ADAM algique survient pour la pre-
d'étau, mais de nombreuses autres descriptions peuvent mière fois, dans 73 % des cas il s'agit d'une arthralgie asso-
être faites. ciée à une myalgie ; dans 23 % des cas, seule une myalgie
Les patients rapportent des descriptifs mécaniques, est présente et, dans 3,8 % des cas, seule une arthralgie est
comme des tiraillements, des serrements, des percements présente.
(« pointes enfoncées dans l'os ») ou encore de mouve-
ments dans l'os. La douleur de la DFIP est spontanée et ne
présente ni zone gâchette, ni épisode de douleur paroxys- Encadré 26.2 Classification taxonomique
tique de courte durée. Des troubles neurologiques à type des désordres temporomandibulaires
d'allodynie, de dysesthésie, de paresthésie, de picotement
ou d'engourdissement ont été décrits [14]. Les désordres soulignés sont les plus fréquents.
La douleur ne perturbe pas le sommeil, elle commence le
Désordres de l'articulation temporomandibulaire
plus souvent après le réveil. Différentes modifications soma-
tosensorielles peuvent être retrouvées, comme notamment 1. Douleur articulaire
une hyperesthésie au site de la douleur, une allodynie ou ■
Arthralgie
encore une hypersensibilité thermique. ■
Arthrite
2. Troubles de l'articulation temporomandibulaire

Troubles discaux
– Déplacement discal avec réduction
Traitement – Déplacement discal avec réduction et blocage intermittent
Le traitement consiste en premier lieu à reconnaître la dou- – Déplacement discal sans réduction et limitation d'ouverture
leur du patient. – Déplacement discal sans réduction et sans limitation
Les douleurs dento-alvéolaires persistantes font sans d'ouverture
doute partie des douleurs chroniques les plus difficiles ■
Troubles d'hypomobilité
et frustrantes à traiter. Bien que ces difficultés soient – Adhésion/adhérence
connues, la plupart des patients ont reçu de très nom- – Ankyloses (fibreuse ; osseuse)
breux traitements, au mieux inefficaces et au pire iatro- ■
Troubles d'hypermobilité
gènes ou aggravants, comme notamment des traitements – Dislocations (subluxation ; luxation)
chirurgicaux. 3. Pathologies de l'articulation temporomandibulaire
Ainsi, la prise en charge doit inclure à la fois la dimen- ■
Pathologies dégénératives de l'articulation temporoman-
sion somatique et psychologique par des spécialistes de la dibulaire
douleur chronique. Il est souvent utile d'avoir recours à une – Ostéoarthrose
prise en charge réadaptative. – Ostéoarthrite
Un traitement pharmacologique doit être instauré, ■
Arthrites systémiques
même si l'utilisation des médicaments s'apparente à de ■
Condylolyse/résorption condylienne idiopathique
l'empirisme, du fait de la pauvreté des études cliniques, ■
Ostéochondrite disséquante
bien conduites ou non, disponibles sur le sujet. Les ■
Ostéonécrose
antidépresseurs imipraminiques et, en premier lieu, ■
Néoplasme
l'amitriptyline représentent les traitements de première ■
Chondromatose synoviale
intention [14].
Chapitre 26. Douleurs faciales   189

4. Fractures Références
5. Troubles congénitaux [1] Serrie A, Mourmam V, Toussaint M, Thurel C. Algies crâniofaciales.

Aplasie EMC (Paris), Oto-Rhino-Laryngologie ; 2008. 20-940-A-10.

Hypoplasie [2] Navez M, Laurent B. Douleurs neuropathiques iatrogènes de la face.

Hyperplasie À propos de quelques formes trompeuses. Douleur et Analgésie 2002 ;
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Désordres des muscles masticateurs [3] Thurel C, Serrie A. Névralgie faciale essentielle. Névralgie du tri-
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Myalgie diagnostic-traitement 2009 ; 10 : 142–7.
[4] Sweet WH, Wepsic JG. Controlled thermocoagulation of trigemi-
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nal ganglion and rootlets for differential destruction of pain fibers.
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­J Neurosurgery 1974 ; 40 : 143.
– Douleur myofasciale référée [5] Thurel C. Traitement de la névralgie faciale essentielle par thermo-

Tendinite coagulation sélective du ganglion de Gasser. Rev Stomatol 1977 ; 5 :

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Spasme [6] Leguerinel C, Sindou M, Auque J, Blondet E, Brassier G, Chazal J,
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Dystonie oromandibulaire
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Nappi G. Illicit drug use in cluster headache patients and in the gene-
1. Céphalées attribuées à un désordre temporomandibulaire ral population : a comparative cross-sectional survey. Cephalalgia
2012 ; 32 : 1031–40.
Structures associées [11] Donnet A, Demarquay G, Ducros A, Geraud G, Giraud P, Guegan-
2. Hyperplasie coronoïdienne Massardier E, et al. French Headache Society. [French guidelines
for diagnosis and treatment of cluster headache (French Headache
Society)]. Rev Neurol 2014 ; 170 : 653–70.
Traitement [12] Schimmelpfennig B. Nerve structures in human central corneal epi-
thelium. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 1982 ; 218 : 14–20.
Les douleurs aiguës et transitoires ont de bons pronostics, [13] Rózsa AJ, Beuerman RW. Density and organization of free nerve
avec un traitement à la fois étiologique et symptomatique, endings in the corneal epithelium of the rabbit. Pain 1982 ; 14 :
toujours réversible et non invasif. 105–20.
Les douleurs chroniques requièrent une prise en charge [14] Descroix V. Douleurs orofaciales. Rueil-Malmaison : Arnette, CdP ;
non spécifique bio-psychosociale. 2013.
[15] Jääskeläinen SK, Woda A. Burning mouth syndrome. Cephalalgia
2017 ; 37 : 627–47.
Conclusion [16] Malacarne A, Spierings ELH, Lu C, Maloney GE. Persistent
­Dentoalveolar Pain Disorder : A Comprehensive Review. J Endod
La cavité orale est le lieu d'un très grand nombre d'affec- 2018 ; 44 : 206–11.
tions douloureuses, aiguës et chroniques. Leur diagnostic [17] Peck CC, Goulet JP, Lobbezoo F, Schiffman EL, Alstergren P,
positif et différentiel n'est jamais facile. Les douleurs orales ­Anderson GC, et al. Expanding the taxonomy of the Diagnostic Cri-
chroniques sont parmi les plus orphelines, avec une com- teria for Temporomandibular Disorders (DC/TMD). J Oral Rehabil
préhension physiopathologique encore balbutiante et des 2014 ; 41 : 2–23.
thérapeutiques qui manquent encore beaucoup de valida-
tion solide. Ces pathologies nécessitent le plus souvent une
approche pluriprofessionnelle faisant intervenir nécessaire-
ment un spécialiste de la médecine buccodentaire.
Chapitre
27
Douleur abdominale :
intestin irritable
Nicolas Mathieu, Xavier Roblin

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 191 Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191

microbienne par dysbiose, qui est une altération de la diversité


POINTS ESSENTIELS du microbiote). L'intrication de ces deux mécanismes s'ins-
• Définition stricte (selon la classification de Rome IV). crit dans une dérégulation bidirectionnelle de l'axe cerveau-­
• Penser aux douleurs pariétales méconnues. intestin-microbiote intestinal [2, 3].
• Stratégie de prise en charge bidirectionnelle de l'axe
cerveau-intestin-microbiote.
• Antalgie par prise en charge alimentaire en première Clinique de la douleur
ligne.
Forme classique
• Intérêt des méthodes alternatives dans les syndromes
de l'intestin irritable sévères : hypnose et ostéopathie La définition clinique très standardisée s'inscrit dans la clas-
viscérale. sification de Rome IV, qui associe des douleurs abdominales
chroniques et, un jour par semaine, dans les trois derniers
mois, un des trois points suivants : rapport avec la déféca-
Ce qu'il faut comprendre tion, modification de la fréquence et de l'aspect des selles et
de la douleur troubles du transit. Sa localisation en cadre (colique) est le
plus souvent diffuse et mal localisée. D'autres signes fonc-
Le syndrome de l'intestin irritable (SII), maladie chronique, tionnels digestifs, tels des ballonnements ou un inconfort
non grave, concerne plus de 10 % de la population européenne, digestif haut (dyspepsie) et des troubles de l'évacuation rec-
si l'on utilise des critères de définition stricts [1]. De prédomi- tale (dyschésie), peuvent coexister ou se superposer dans le
nance féminine, il est fait de symptômes récurrents dont l'ori- temps. Soixante pour cent des patients déclarent que leurs
gine est attribuée au tube digestif mais pour lesquels aucune symptômes sont en relation avec l'alimentation, et 50 %
anomalie (biologique ou morphologique) ne peut être mise identifient un aliment responsable [4]. Des comorbidités
en évidence lors des examens standard. Cela explique, encore extradigestives orientent aussi vers le SII : fibromyalgie, syn-
actuellement, une incompréhension majeure entre le médecin drome de fatigue chronique ou encore cystite interstitielle.
et son patient, dont le niveau de connaissance du SII est faible, Une souffrance morale majeure (une anxiété, une dépression
et les idées fausses, nombreuses. Le SII est cependant à l'origine ou un antécédents d'abus) est au centre de la plainte de plus
d'une importante altération des différentes sphères du vécu des d'un tiers des patients. Aucun des examens complémentaires
patients (retentissement sur l'activité sociale, physique, person- ne fait poser le diagnostic : ces examens sont réalisés pour
nelle et professionnelle) et de coûts, directs et indirects, impor- éliminer une pathologie organique (biologie standard, TSH,
tants (aux États-Unis, son poids économique est équivalent IgA, antitransglutaminases, calprotectine fécale) [3].
à celui de l'HTA). Il reste trop sous-diagnostiqué par le non- Le syndrome de l'intestin irritable postinfectieux (SII-
spécialiste, un grand nombre de douleurs abdominales étant PI) est dorénavant une forme classique de SII : le tableau
non étiquetées. Sa physiopathologie complexe multifactorielle est celui d'un SII avec diarrhée. À la suite d'une infection
associe mécanismes centraux (facteurs psychosociaux, trouble digestive, il faut parfois remonter à plusieurs années dans
de l'intégration de la douleur, hypersensibilité viscérale, dysau- l'anamnèse – surtout dans le cas d'une infection bactérienne
tonomie) et périphériques (troubles de la motricité intestinale (20 % des patients) ayant duré plus de cinq jours chez une
et, surtout, implication du microbiote intestinal par modifica- femme avec stress associé, l'identification de ce sous-type est
tion de la perméabilité intestinale, inflammation et pullulation important pour la thérapeutique [2].
Médecine de la douleur pour le praticien
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192   Partie 3. Pathologies douloureuses

Diagnostics différentiels génétiques, des typages HLA-DQ2 et DQ8, de grande valeur


Par définition, le clinicien doit s'acharner à éliminer une prédictive négative peuvent aider [2, 6].
cause organique viscérale, digestive ou non digestive (uro- Les intolérances aux FODMAP (Fermentable: Oligo-
logique, gynécologique) : l'âge, la notion de rectorragie, une saccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols),
modification récente des symptômes et l'altération de l'état comprenant notamment le lactose et le fructose consiste
général sont des drapeaux rouges, faisant poser l'indication en l'hyperfermentation colique des FODMAP par le micro-
d'une évaluation coloscopique (afin d'éliminer un cancer, biote, responsable de douleur par météorisme mais aussi de
une MICI ou une colite microscopique) ; une gastrosco- distension luminale par appel d'eau et spasmes coliques [6].
pie (avec biopsies gastriques et duodénales systématiques,
même en cas de normalité macroscopique) sera également Traitement médical de la douleur
effectuée en cas de dyspepsie ou de diarrhée surajoutée, à la chez les SII
recherche d'une allergie au gluten (maladie cœliaque) [3].
Le traitement de première intention sera décevant s'il est
Systématiquement, on cherchera une douleur non vis-
uniquement médicamenteux, car il faut prendre en charge la
cérale pariétale, entité trop méconnue quoique fréquente
totalité de l'axe-cerveau-intestin-microbiote [6].
(10 % des causes de douleurs chroniques reconnues se
révèlent in fine d'origine pariétale), suspectée sur le carac-
tère localisé (désigné du doigt) et positionnel de la douleur. Sur le plan périphérique
À l'examen, la zone algique est électivement exacerbée à la Les antispasmodiques seuls sont d'efficacité finalement
palpation de la paroi par la mise en flexion du patient en modérée. Seules trois molécules ont montré une effi-
décubitus (manœuvre de Carnett). Le piégeage du nerf cacité, le phloroglucinol, le pinavérium et l'association
cutané abdominal cheminant dans une bande fibreuse, siméticone-alvérine.
bord externe du muscle grand droit de l'abdomen (syn- La prise en charge alimentaire doit faire partie intégrante
drome « ACNES » [Anterior cutaneous nerve entrapment du traitement du SII. Une étude australienne a montré qu'un
syndrome]), la subluxation chondrocostale d'une cote infé- régime pauvre en FODMAP durant trois semaines amélio-
rieure avec embrochage du nerf intercostal correspondant rait significativement les douleurs des patients atteints de SII
(syndrome de Cyriax, correspondant à la perception d'un par comparaison avec les patients poursuivant une alimen-
mouvement de claquement dans l'hypocondre et au réveil tation standard. Une méta-analyse a confirmé l'efficacité
de la douleur en cas de manœuvre du crochet empaumant la à court terme de ce régime. L'aide d'une diététicienne est
région sous-costale, le dérangement intervertébral mineur déterminante, car ces régimes, suivis de façon trop stricte,
de la charnière dorsolombaire (syndrome de Maigne, avec peuvent induire des carences. En outre, leur effet à long
la manœuvre du pincer-rouler positive) sont les principales terme sur le microbiote est inconnu. Enfin, ils sont difficiles
causes à évoquer, tout comme les syndromes myofasciaux à appliquer pour les patients [6].
abdominaux des muscles grand oblique et psoas (contrac- Les antibiotiques sont théoriquement proposables dans
ture musculaire, points gâchettes avec identité parfaite entre le SII avec pullulation microbienne. La rifaximine, anti-
les douleurs alléguées et les données d'examen) [5]. biotique le plus étudié, a montré, dans cette situation, son
Plus rarement, on peut être piégé par des douleurs d'ori- efficacité symptomatique pour une dose de 550 mg x 3/jour,
gine non abdominale, d'origine métabolique ou génétique : durant 14 jours, notamment chez les patients avec ballonne-
c'est ici la forte dissociation entre l'intensité majeure des ment associé, mais elle est d'utilisation difficile en routine,
douleurs paroxystiques et la paucité des anomalies à l'exa- puisque obtenue par autorisation temporaire d'utilisation
men physique, voire la normalité de celui-ci, qui attire (ATU) [7]. De plus, les effets délétères d'une antibiothérapie
l'attention, associée à des manifestations extradigestives sur le microbiote impliquent une grande prudence quant à
(notamment l'acidocétose diabétique, des crampes chez l'in- cette approche à moyen et à long terme.
suffisant surrénalien, une fièvre et des douleurs articulaires Les probiotiques (micro-organismes, bactéries ou
pour la maladie périodique, un œdème sous-cutané et des levures, qui exercent après ingestion un effet bénéfique
antécédents familiaux en cas d'œdème angioneurotique, des sur la santé) à notre disposition modulent la dysbiose, ren-
signes neuropsychiatriques, parfois a minima, et une HTA forcent la perméabilité intestinale, modulent l'hypersensibi-
dans la porphyrie, un liseré gingival et une polynévrite des lité viscérale et comportementale, et certaines souches ont
membres supérieurs en cas de saturnisme). un rôle immunomodulateur. Leur efficacité, conceptuelle-
ment très intéressante pour le SII-PI, dépend de la souche
utilisée, de la dose, de la forme et de la durée du traitement.
Formes frontières Les études rapportent que deux souches, Bifidobacterium
La sensibilité au gluten non cœliaque se manifeste tel un infantis 35624 et Lactobacillus plantarum 299v, ont mon-
SII lors de l'ingestion de gluten. Elle concerne des femmes tré une efficacité. Des méta-analyses récentes montrent
jeunes effectuant un autodiagnostic (Internet, suspicion de que le bénéfice des probiotiques doit être confirmé par
maladie cœliaque) et entreprenant un régime sans gluten des essais à grande échelle. Nous ne bénéficions (pas
sans consulter. Toute la question est d'éliminer une vraie encore) de techniques permettant de sélectionner le pro-
maladie cœliaque : les tests sanguins et les données anato- biotique personnalisé, adapté aux patients avec SII selon
mopathologiques de biopsies perendoscopiques sont ici leur dysbiose, ou le malade souffrant de SII qui répondrait
rendus négatifs par le régime sans gluten du patient, refu- à tel probiotique. On ignore s'ils doivent être proposés
sant souvent un rechallenge au gluten : des tests sanguins en continu ou lors des seules poussées douloureuses [8].
Chapitre 27. Douleur abdominale : intestin irritable     193

Pour les mêmes ­raisons, la ­transplantation de microbiote yoga, stimulation auriculaire du nerf vague, massages abdo-
intestinale est une extraordinaire voie de recherche dans le minaux, etc.) sont proposées ou tentées par les patients de
SII, non recommandée en pratique clinique usuelle (néces- leur propre chef. Le niveau de preuve est modéré, voire faible.
sité d'essais contrôlés randomisés, impératifs réglementaires
et organisationnels).
Références
Sur le plan central [1] Hungin AP, Whorwell PJ, Tack J, Mearin F, et al. The prevalence, pat-
Le SII étant une pathologie bidirectionnelle, l'aspect psy- terns and impact of irritable bowel syndrome : an international survey
chosocial est à ne surtout pas négliger. Le SII est typique- of 40,000 subjects. Aliment Pharmacol Ther 2003 ; 17 : 643–50.
ment une pathologique chronique relevant de l'ETP. Une [2] Cani PD. Human gut microbiome : hopes, threats and promises. Gut
2018 ; 67 : 1716–25.
démarche d'ETP peut apporter du sens à ces malades jamais
[3] Lacy, et al. Bowel disorders. Gastroenterology. 2016 ; 150 : 1393. 407.
rassurés par la normalité de la coloscopie, souvent dans un [4] Hellström PM, Saito YA, Bytzer P, Tack J, Mueller-Lissner S, Chang L.
nomadisme médical non propice à l'apaisement. Comme Characteristics of acute pain attacks in patients with irritable bowel
pour toute maladie douloureuse chronique, l'alliance thé- syndrome meeting Rome III criteria. Am J Gastroenterol 2011 ; 106 :
rapeutique et l'empowerment qui s'ensuit sont des éléments 1299–307.
essentiels, socle du traitement. [5] Glissen Brown JR, Bernstein GR, Friedenberg FK, Ehrlich AC. Chro-
Les antidépresseurs cholinergiques, modulateurs centraux, nic Abdominal Wall Pain : An Under-Recognized Diagnosis Leading
comme l'amitriptyline, sont instaurés à faibles doses : 12,5 à to Unnecessary Testing. J Clin Gastroenterol 2016 ; 50 : 828–35.
25 mg/jour durant une semaine, puis augmentés par paliers [6] Camilleri M, Boeckxstaens G. Dietary and pharmacological treat-
de 12,5 mg à 25 mg toutes les semaines, selon la tolérance. ment of abdominal pain in IBS. Gut 2017 ; 66 : 966–74.
[7] Lembo AJ, Lacy BE, Zuckerman MJ, Schey R, Dove LS, Andrae DA,
La posologie, individuelle, varie de 50 à 150 mg par jour. La
et al. Eluxadoline for Irritable Bowel Syndrome with Diarrhea. N Engl
prégabaline reste un traitement de troisième ligne [6]. J Med 2016 ; 374 : 242–53.
L'hypnose dirigé sur le tube digestif fait partie du traite­ [8] P1 Ducrotté, Sawant P, Jayanthi V. Clinical trial : Lactobacillus plan-
ment des SII sévères, en troisième ligne, avec un effet antal- tarum 299v (DSM 9843) improves symptoms of irritable bowel syn-
gique à long terme démontré depuis plus de 30 ans, et une drome. World J Gastroenterol 2012 ; 18 : 4012–418.
action centrale bien documentée par les imageries cérébrales [9] Peters SL, Muir JG, Gibson PR. Review article : gut-directed hypno-
fonctionnelles [9]. therapy in the management of irritable bowel syndrome and inflam-
En cas de prise en charge par hypnothérapie impossible, matory bowel disease. Aliment Pharmacol Ther 2015 ; 41 : 1104–15.
l'ostéopathie viscérale, dont l'effet est rapporté sur le court [10] Florance BM, Frin G, Dainese R, Nébot-Vivinus MH, Marine
terme dans deux études françaises [10], ou plusieurs autres ­Barjoan E, Marjoux S, et al. Osteopathy improves the severity of irri-
table bowel syndrome : a pilot randomized sham-controlled study.
thérapeutiques non médicales non évaluées (sophrologie,
Eur J Gastroenterol Hepatol 2012 ; 24 : 944–9.
Chapitre
28
Douleurs pelvipérinéales
et endométriose
PLAN DU CHAPITRE
28.1 Névralgies périnéales . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 28.2 Douleur et endométriose . . . . . . . . . . . . . . . 199
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 Symptomatologie et outils d'évaluation
Critères diagnostiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 de la douleur et de la qualité de vie . . . . . . . . 199
Signes associés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196 Démarche diagnostique et prise en charge
Drapeaux rouges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 initiale de l'endométriose . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Diagnostics différentiels principaux . . . . . . . . . 197 Recommandations pour la prise en charge
Épidémiologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 médicale et/ou chirurgicale . . . . . . . . . . . . . . . 200
Examens complémentaires . . . . . . . . . . . . . . . . 198
Stratégie thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199

28.1 Névralgies mettant l'établissement de modèles physiopathologiques et


de stratégies thérapeutiques adaptés.

périnéales
C'est la connaissance de l'anatomie qui nous a permi de
déterminer pas à pas différents syndromes névralgiques
en confrontant sans cesse les descriptions des patients aux
Thibault Riant données du laboratoire, aux résultats des infiltrations et aux
constations chirurgicales [1].
Ce sous-chapitre est le fruit du travail d'une équipe réu-
nie dans les années 1980, qui associait initialement un algo-
Introduction logue, le Dr Bensignor, un neurologue, le Dr Labat et, enfin,
La douleur pelvipérinéale chronique continue ou non inté- un anatomiste neurochirurgien, le Pr Robert. Cette équipe a
resse entre 20 et 40 % de la population. Elle est variable en bien sûr bénéficié d'autres travaux, dont ceux, précurseurs,
mécanismes, intensité, impotences induites et les consé- du chirurgien et anatomiste Alcock et du Pr Amarenco qui
quences psychologiques, sociologiques, sexologiques et décrivit le premier « le syndrome du cycliste ».
comportementales peuvent être majeures. Les névralgies
périnéales représentent une part finalement faible de Critères diagnostiques [2]
l'ensemble de ces douleurs, mais par leur intensité et leur
localisation, elles génèrent des souffrances qui touchent Il s'agit de critères applicables à l'ensemble des névralgies
non seulement le patient mais aussi ses proches de façon périnéales, mais qui n'ont été validés que pour les névralgies
majeure. Le patient est souvent envahi d'une multitude de pudendales par syndrome canalaire.
symptômes pouvant être des signes d'alerte de pathologies Tous sont indispensables au diagnostic (tableau 28.1).
évolutives sous-jacentes.
Aider un patient souffrant du périné suppose de l'en-
Topographie douloureuse principale
tendre, de lui apprendre à dire et à partager ses douleurs et systématisée
ses plaintes. Les diagnostics proviennent essentiellement de Le caractère systématisé de la douleur principale est le fon-
la clinique et d'interrogatoires. Le recueil systématique des dement du diagnostic.
informations lors d'un interrogatoire semi-dirigé représente Cela est vrai pour l'ensemble des névralgies ici
l'étape indispensable au démembrement de la plainte, per- considérées.

Médecine de la douleur pour le praticien


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196   Partie 3. Pathologies douloureuses

Tableau 28.1 Caractéristiques des différentes névralgies pelvi-périnéales.


Névralgies Localisation Facteurs Bloc test Déficit Autres
de la douleur positionnels sensitif
aggravants
Pudendale (S3) par Périnéale : Position assise Nerf pudendal Jamais Sensation de corps
entrapment (nerf de l'anus au gland ou Siège mou Ligament sacro-épineux étranger intracavitaire
pudendal) au clitoris En avant Hypersensibilisation
pelvienne fréquente

Source : d'après Pain


Medicine, Volume 19,
Issue 10, October 2018,
Pages 2009–2015
Clunéale (S2) Partie latérale du Position assise Nerf clunéal Rare Souvent associée au
périnée Siège dur Ischion (bord fessier) nerf pudendal
(scrotum/grande lèvre) Parfois « pures »
Pli sous-fessier
Du cutané postérieur Partie latérale du Position assise Nerf cutané postérieur de Rare Idem
de la cuisse (S2) périnée Siège dur cuisse
Partie basse de la fesse Ligament sacro-épineux
Face postérieure de la
cuisse
Ilio-inguinale, ilio- Aine Rotation du tronc Aine sous échographie Possible Souvent
hypogastrique (T12/L1) Partie antérieure du Position assise postchirurgicale
périnée Ceinture
Genitocrurale (L1L2) Scrotum/grande lèvre Position assise Cordon/L1 Possible Souvent
Partie antérocéphalique Vêtements serrés postchirurgicale
de la cuisse
Obturatrice (L2L3) Face médiale de la Appui monopodal Nerf obturateur (voie Possible Souvent
cuisse Position assise postérieure ++) postchirurgicale
Esquive du pas L2
Trolard (S5) Pli interfessier Position assise arrière Sacrococcygienne au hiatus Rare Souvent post-traumatique

Une douleur qui ne réveille pas le patient Cette infiltration doit donner lieu à une autoévaluation
(névralgie pudendale) écrite, qui sera analysée rétrospectivement.
Il est impératif :
Les deux items qui reviennent le plus spontanément dans ■ d'utiliser des anesthésiques locaux (sans lesquels point de
l'autodescription sont la brûlure et l'allodynie à la pression, test) ;
voire aux frottements. ■ de réaliser cette infiltration en période douloureuse et
donc, souvent, dans l'après-midi ;
Facteurs positionnels ■ d'avoir une imagerie de l'infiltration permettant son
La majoration en position assise reste un signe cardinal pour la interprétation a posteriori ; obligatoirement en amont de
névralgie pudendale (et clunéale), avec pour corollaires : l'ag- la lésion supposée (dans le cadre des névralgies puden-
gravation vespérale de la douleur, le caractère non insomniant, dales, au niveau du ligament sacro-épineux, en amont du
la disparition ou la diminution franche en position debout, trou obturé pour les névralgies obturatrices).
couchée, assis sur le siège des WC, ou lors de la marche.
Signes associés
Absence de déficit dans le cadre Les névralgies périnéales sont exceptionnellement « pures »
des névralgies par entrapment dans leur expression. La persistance de la douleur dans cette
zone entraîne des modifications sensibles du fonctionne-
Un déficit neurologique est un signe d'exclusion dans le
ment de l'ensemble de la région et de l'individu.
cadre de la névralgie pudendale par syndrome canalaire et,
Ces dysfonctions (vessie douloureuse, côlon irritable,
par extension, dans le cadre de la névralgie du cutané posté-
syndromes myofaciaux, trouble de la posture, trouble de
rieure de la cuisse et singulièrement des rameaux clunéaux.
l'humeur) sont à rechercher, car le traitement d'une dysfonc-
tion améliore l'ensemble de la symptomatologie.
Positivité du bloc test
Elle est un élément essentiel au diagnostic, car 20 % des Hypersensibilisation pelvienne et syndrome
patients répondant aux 4 autres critères ne répondent pas au douloureux pelvien complexe
test diagnostique. Ces patients ne seront pas, par définition, L'hypersensibilisation pelvienne a été définie par des critères
des candidats à la chirurgie publiés [3] : la présence d'au moins cinq critères sur dix est
Chapitre 28. Douleurs pelvipérinéales et endométriose    197

requise chez un patient présentant une douleur pelvienne Antécédents d'abus


chronique et dont les bilans complémentaires excluent la et stress post-traumatique
présence d'une pathologie d'organe expliquant les symp-
tômes (tableau 28.2). Même s'il existe une corrélation entre douleurs pelviennes
et antécédents d'abus (surtout en cas de syndrome de stress
post-traumatique), cette corrélation n'a jamais été démon-
Troubles musculosquelettiques trée en ce qui concerne les douleurs périnéales. Il s'agit d'ail-
et de la posture leurs plus certainement de facteurs de vulnérabilité pour
développer ce type de pathologie que de causes véritables.
On retrouve fréquemment des troubles de la posture, des Cela implique néanmoins, peut-être plus d'ailleurs, de savoir
syndromes myofasciaux des muscles pelvitrochantériens proposer des thérapies spécifiques adaptées (TCC, EMDR).
(piriforme et obturateur interne) du levator ani, du psoas,
du droit fémoral, et des syndromes de Maigne de la char-
nière thoracolombaire. Drapeaux rouges [4]
Ces dysfonctions sont responsables de douleurs proje-
tées (syndrome de Maigne) et d'irradiations susceptibles de La présence de symptômes doit faire évoquer une lésion orga-
paraître non anatomique (association des territoires puden- nique (dermatologique, gynécologique, coloproctologique,
dal, obturateur et cutané postérieur de la cuisse par l'impli- urologique ou neurologique) sous-jacente et impose d'étendre
cation du muscle obturateur interne, par exemple). le bilan pour rechercher une explication (tableau 28.3).

Conséquences psychologiques,
Diagnostics différentiels
sociologiques, sexologiques principaux
et comportementales Les principaux diagnostics différentiels sont mentionnés
Non propres aux douleurs pelviennes, les conséquences psy- dans le tableau 28.4.
chologiques, sociologiques, sexologiques, comportemen-
tales et sexuelles sont ici majeures et aggravent le pronostic. Épidémiologie
La non-validation de l'origine périphérique de la plainte
par le corps médical, la construction de raccourcis auda- Les données relatives à l'épidémiologie sont finalement peu
cieux (abus impliquant et, surtout, expliquant les douleurs), nombreuses, notamment sur la prévalence de ces névralgies.
la non-reformulation des objectifs, la colère et l'injustice en Les informations relatives à la névralgie pudendale sont
sont les principaux moteurs. données dans le tableau 28.5.

Tableau 28.2 Hypersensibilisation pelvienne : liste des dix critères.


Sphère urologique Sphère digestive Sphère génitale Signes globaux
– Douleur au remplissage – Soulagement après évacuation – Dyspareunies – SADAM
– Soulagement postmictionnel – Majoration au remplissage – Douleur à l'excitation – Fibromyalgie
rectal – Migraines
– Intolérances multiples
– Allergie, etc.
Douleur postmictionnelle Douleur après évacuation Douleurs postcoïtales dont Allodynie au frottement
postéjaculatoires
Variabilité des symptômes
Présence de syndromes
myofasciaux
SADAM : syndrome algodysfonctionnel de l'appareil manducateur.
Source : d'après Levesque A et al. 2018 [3].

Tableau 28.3 Signes témoignant d'une éventuelle pathologie sous-jacente.


Signe Réveil fréquent « Trop » « Trop » Signes déficitaires Démangeaisons
inhabituel focal neuropathique Hypoesthésie
Décharge au premier Incontinence
plan
Engourdissement
Lésion Infection Trigger zone Tumeur, y compris Compression Lésion
Inflammation Névrome, etc. nerveuse Étirement dermatologique
Apnée du sommeil, Névrome, etc. Tumeur Hémorroïdes, etc.
etc. Syndrome de la
queue de cheval, etc.
198   Partie 3. Pathologies douloureuses

Tableau 28.4 Principaux diagnostics différentiels.


Coccygodynie Vestibulodynie provoquée
Douleur Coccyx Vulve (tout ou partie)
Peut être associée à une névralgie pudendale
Déclenchement Position assise et/ou relevée Contact de la vulve (allodynie)
Étiologie – Post-traumatique souvent Inconnue
– Autres (spicule, luxation, etc.)
– Inconnue
Bilan – IRM coccygienne – Bilan dermatologique, infectieux et gynécologique.
– Radio dynamique – Biopsie, éventuellement
– Place de l'échographie dynamique ?
Traitements Kinésithérapie et thérapie manuelle Kinésithérapie et thérapie manuelle
Infiltration Thérapie sexuelle et comportementale
Topique Antidépresseur
Chirurgie Topique
Infiltration loco dolenti et du ganglion impar

Tableau 28.5 Névralgie pudendale : épidémiologie.


Âge moyen F/H Strictement Circonstances de survenue Évolutivité
unilatérale
Entre 40 et 60 ans 3/1 40 % – Travail sédentaire assis – Parfois un seul épisode de quelques
– Position assise prolongée inhabituelle (long semaines
trajet). – Le plus souvent, ne s'améliore pas au cours
– Pratique du vélo. du temps
– Autres (toucher intracavitaire, cure
hémorroïdaire, infection)

Examens complémentaires « Petits moyens »


Systématiques en cas de drapeaux rouges. Il s'agit de l'IRM Parmi les « petits moyens », on compte la modification de
médullaire (thoracolombaire) et de l'IRM pelvienne. l'heure des selles, l'utilisation d'un coussin pour l'assise,
L'électroneuromyogramme (ENMG) n'a pas ou n'a que l'utilisation de la chaleur thoracolombaire, la limitation du
peu de place comme outil diagnostique dans les névralgies temps quotidien passé en position assise et l'adaptation du
périnéales poste de travail.

Stratégie thérapeutique Stimulation transcutanée


La stimulation transcutanée, rétrotibiale, à 80 Hz ou à
Communes à toutes les douleurs 14 Hz, n'est pas invasive, n'a que peu d'effets indésirables, et,
chroniques avant tout, elle peut être prescrite en dehors des CETD par
Avant d'être une douleur pelvipérinéale, il s'agit d'une douleur des urologues et des coloproctologues.
chronique, qui demande la même prise en charge, le même Parmi les traitements, il y a sans doute une place pour la
abord, fait d'empathie et de raison, que toute douleur chronique. stimulation vagale transauriculaire gauche.
La validation de la plainte et la reformulation des objec-
tifs du traitement sont ici fondamentales.
L'utilisation des morphiniques dans ce contexte est au La kinésithérapie, les thérapies manuelles,
mieux peu utile, au pire, le plus souvent, délétère. la posturologie
En première ligne de traitement, cette approche est et reste
un des socles du traitement.
Spécifiques
En dehors de la chirurgie (cf. infra), aucun traitement n'a
apporté de preuves fondées sur l'evidence-based medicine Chirurgie
(EBM) de son efficacité. Ils peuvent néanmoins être propo- La chirurgie est le seul traitement validé pour la névralgie
sés après discussion au sein d'une équipe transdisciplinaire, pudendale [5].
compte tenu de la pauvreté de notre arsenal et de l'impor- Elle consiste en une libération et une transposition du
tance de la souffrance. nerf pudendal. Des techniques similaires ont été proposées
La règle tacite est celle du « tentative treatment », en pour le nerf clunéal et le nerf obturateur, mais aussi pour les
allant du moins au plus invasif. nerfs d'origine thoracolombaire.
Chapitre 28. Douleurs pelvipérinéales et endométriose    199

Concernant la névralgie pudendale, les résultats à 1 an vie des femmes (bien-être physique, mental et social). Les
sont les suivants : l'état d'environ 70 % des patients est amé- lésions d'endométriose n'expliquent pas à elles seules la
lioré (diminution de 50 % de la symptomatologie), l'état douleur ; leur localisation, leur degré d'infiltration ne sont
d'environ 28 % des patients est inchangé ; celui de 2 % des pas forcément corrélés à la sévérité des douleurs, ce qui rend
patients s'est aggravé. les profils des patientes hétérogènes et leur prise en charge
complexe.
Infiltrations thérapeutiques [6]
Effet thérapeutique de l'infiltration diagnostique
Symptomatologie et outils
Elle permet l'établissement du diagnostic et l'identifica-
tion du caractère périphérique de l'origine de la douleur. d'évaluation de la douleur
À ce titre, elle valide la plainte du patient, ainsi que la qua- et de la qualité de vie
lité de son écoute par le monde médical. Les chances de La symptomatologie, l'intensité des douleurs, le type et
succès à 3 mois (réduction de moitié de l'intensité doulou- la localisation des lésions et le retentissement social de la
reuse) sont estimées à 13 % [6]. symptomatologie sur la qualité de vie doivent être évalués
de façon précise pour un diagnostic et une prise en charge
Infiltrations thérapeutiques optimisés et adaptés.
La seule étude prospective, randomisée, en double aveugle Les principaux symptômes de l'endométriose sont bien
montre l'inutilité des corticoïdes dans ce contexte [6]. décrits (dysménorrhée : douleur pelvienne associée aux
Ces infiltrations peuvent intéresser soit le système soma- menstruations ; dyspareunie profonde : douleur lors des
tique (tronculaire ou radiculaire), soit le système végétatif rapports sexuels (pénétration profonde) ; douleur pelvienne
(ganglion impar, plexus hypogastrique supérieur et rameaux chronique : douleur pelvienne non cyclique, en dehors des
communicants en L2). règles, évoluant depuis plus de six mois [7]. D'autres symp-
Différentes techniques plus ou moins invasives, plus tômes cycliques peuvent aussi être présents : douleurs liées
ou moins définitives, ont été rapportées dans la littérature à la défécation, dyschésie, douleurs urinaires (brûlures, dou-
(répétition des infiltrations, radiofréquence pulsée, radiofré- leurs pelviennes associées à la miction), scapulalgies cata-
quence lésionnelle, toxine botulinique), avec des succès méniales, sciatalgies cataméniales, lombalgies ou irradiation
variables mais toujours sur des études non contrôlées. lombaire des dysménorrhées et irradiation au niveau des
membres inférieurs.
Neuromodulation Les échelles simples d'autoévaluation (EVS, EN ou EVA)
Là encore, les résultats de techniques variables ont fait l'objet de restent les outils les plus adaptés, les plus simples et les plus
nombreuses publications, mais sans études contrôlées. Notre fiables pour quantifier les douleurs [7].
préférence va actuellement aux stimulations du cône médul- Évaluer l'impact de l'endométriose sur la qualité de vie
laire, des racines sacrées et des ganglions rachidiens dorsaux. des patientes est aussi essentiel (retentissement social, par
exemple les arrêts de travail ou la fatigue physique et mental,
telle la dépression et l'anxiété, etc.) pour orienter leur prise
Conclusion en charge. Pour cela, l'échelle généraliste SF-36 (validée dans
l'endométriose) et l'échelle spécifique EHP-30 (développée
La douleur pelvipérinéale chronique est un modèle de dou- pour l'endométriose et validée en langue française) sont les
leur chronique. Elle impose un démembrement soigneux de plus utilisées dans cette pathologie [8, 9]. L'utilisation de ces
tableaux souvent polymorphes. deux échelles est parfois difficile en consultation ; la connais-
La transdisciplinarité est ici plus qu'un vain mot : elle est sance par le praticien des items de ces échelles permet néan-
indispensable au patient mais aussi aux soignants chargés de moins d'orienter l'interrogatoire de ces patientes et d'évaluer
ces patients. rapidement l'impact social et sociétal de la maladie.
Des solutions parfois très simples, non de guérison mais
d'amélioration, existent et soulagent effectivement les patients.
Démarche diagnostique et prise
en charge initiale de l'endométriose
28.2 Douleur La première étape pour un diagnostic adapté consiste donc
à rechercher les symptômes évocateurs de l'endométriose,
et endométriose à quantifier les douleurs et à évaluer le retentissement sur
la qualité de vie (échelles). Lorsque ces symptômes sont
Nicolas Bourdel, Aurélie Comptour présents, il est logique de rechercher des signes (cliniques
et radiologiques) évocateurs d'endométriose : les examens
L'endométriose est une pathologie gynécologique fréquente de première intention consistent en un examen clinique
affectant 5 à 10 % des femmes en âge de procréer. La dys- abdominal et pelvien orienté (recherche de diagnostic
ménorrhée (qui touche presque la moitié des femmes), la différentiels, notamment) et une échographie pelvienne
dyspareunie et les douleurs pelviennes chroniques consti- (en soin primaire, elle ne sera fiable que pour dépister les
tuent la « triade » douloureuse la plus fréquente. L'ensemble diagnostics différentiels et pour le diagnostic d'endomé-
de ces symptômes peut sévèrement affecter la qualité de triome). Les symptômes peuvent être les témoins d'une
200   Partie 3. Pathologies douloureuses

atteinte spécifique, notamment digestive, des lésions. La La prise en charge de l'endométriose est nécessairement
recherche des « symptômes localisateurs d'endométriose médicochirurgicale, selon un plan établi de traitement. Le
profonde » est donc essentielle. Ces symptômes peuvent être traitement, postopératoire notamment, diminue le taux de
associés à une endométriose profonde et nécessitant une récidives et doit être systématiquement proposé en l'absence
prise en charge en centre spécialisé. En cas de diagnostic de désir de grossesse. Les thérapeutiques « alternatives »
d'endométriome, d'infertilité, de signes localisateurs d'en- ont également prouvé leur efficacité. La douleur étant mul-
dométriose profonde, des examens spécialisés de deuxième tifactorielle, sa prise en charge doit être multidisciplinaire
intention doivent être envisagés (examen clinique orienté, (chirurgiens spécialisés, consultation en AMP, médecins
IRM pelvienne ou échographie endovaginale réalisées par spécialistes de la douleur, examens par des radiologues
des référents de la pathologie afin de cartographier l'exten- experts, association avec des soins de support [activité phy-
sion précise de l'endométriose). Ces examens permettront sique, notamment, kinésithérapie, etc.,] voire avec des prises
de prévoir la prise en charge spécialisée. Des examens plus en charge « alternatives » telles que méditation, hypnose ou
spécifiques, de troisième intention, peuvent être préconisés acupuncture), au risque sinon de n'être que partiellement
pour confirmer un diagnostic d'endométriose profonde efficace.
avec suspicion d'atteinte digestive (échographie pelvienne,
écho-endoscopie rectale ou colo-scanner) ou urinaire. La
cœlioscopie diagnostique doit être évitée et s'intégrer dans Références
une prise en charge globale chez des patientes dont la symp- [1] Labat JJ, Riant T, Delavierre D, Sibert L, Watier A, Rigaud J. Global
tomatologie est typique et les examens complémentaires approach to chronic pelvic and perineal pain : from the concept of
correctement réalisés négatifs [10]. organ pain to that of dysfunction of visceral pain regulation systems.
Prog Urol 2010 ; 20 : 1027–34.
[2] Labat JJ, Riant T, Robert R, Amarenco G, Lefaucheur JP, Rigaud J.
Recommandations pour la prise en Diagnostic criteria for pudendal neuralgia by pudendal nerve entrap-
charge médicale et/ou chirurgicale ment (Nantes criteria). Neurourol Urodyn 2008 ; 27 : 306–10.
[3] Levesque A, Riant T, Ploteau S, Rigaud J, Labat JJ, Network Conver-
Selon les recommandations 2018 du Collège national des gences PP. Clinical Criteria of Central Sensitization in Chronic Pelvic
gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et de and Perineal Pain (Convergences PP Criteria) : Elaboration of a Cli-
l'HAS, l'endométriose doit être prise en charge à partir du nical Evaluation Tool Based on Formal Expert Consensus. Pain Med
moment où elle a un retentissement fonctionnel (douleur, 2018 ; 19 : 2009–15.
[4] Ploteau S, Cardaillac C, Perrouin-Verbe MA, Riant T, Labat JJ. Puden-
infertilité) ou lorsqu'elle entraîne une altération du fonction-
dal Neuralgia Due to Pudendal Nerve Entrapment : Warning Signs
nement d'un organe. Les traitements médicaux (traitements Observed in Two Cases and Review of the Literature. Pain Physician
hormonaux associés à des antalgiques) constituent souvent 2016 ; 19(3) : E449–54.
la première ligne. L'objectif est de proposer un traitement [5] Robert R, Labat JJ, Bensignor M, Glemain P, Deschamps C, Raoul S,
bien toléré, dont les effets à long terme sont connus et dont Hamel O. Decompression and transposition of the pudendal nerve
le coût est faible. Une contraception estroprogestative (un in pudendal neuralgia : a randomized controlled trial and long-term
traitement en continu est souvent logique en cas de dys- evaluation. Eur Urol 2005 ; 47 : 403–8.
ménorrhée), un traitement continu par microprogestatifs [6] Labat JJ, Riant T, Lassaux A, Rioult B, Rabischong B, Khalfallah M,
(bonne tolérance, peu d'effets indésirables) ou un dispositif et al. Adding corticosteroids to the pudendal nerve block for puden-
intra-utérin au lévonorgestrel (bonne tolérance également) dal neuralgia : a randomised, double-blind, controlled trial. BJOG
2017 ; 124 : 251–60.
peuvent constituer la première ligne de traitement et être
[7] Bourdel N, Alves J, Pickering G, Ramilo I, Roman H, Canis M.
associés à des antalgiques de palier 1. Les macroprogesta- ­Systematic review of endometriosis pain assessment : how to choose a
tifs, notamment en traitement continu, en cas d'aménorrhée scale ? Hum Reprod Update 2015 ; 21 : 136–52.
peuvent être utilisés. [8] Bourdel N, Chauvet P, Billone V, Douridas G, Fauconnier A,
Dans le cas de certaines lésions, le traitement médical reste ­Gerbaud L, et al. Systematic review of quality of life measures in
inefficace ou peu efficace : le traitement hormonal ne peut patients with endometriosis. PLoS One 2019 ; 14. e0208464.
pas être utilisé chez toutes les patientes (refus, désir de gros- [9] Chauvet P, Auclair C, Mourgues C, Canis M, Gerbaud L, Bourdel N.
sesse, effets indésirables importants). Une prise en charge Psychometric properties of the French version of the Endometriosis
chirurgicale, par voie cœlioscopique, peut alors être envisa- Health Profile-30, a health-related quality of life instrument. J Gynecol
gée. Elle doit être obligatoirement réalisée par un chirurgien Obstet Hum Reprod 2017 ; 46 : 235–42.
[10] Bourdel N, Chauvet P, Canis M. Diagnostic strategies for endometrio-
référent en endométriose, après une réflexion pluridiscipli-
sis : CNGOF-HAS Endometriosis Guidelines, Gynecol Obstet Fertil
naire sur la prise en charge de la patiente. En cas d'infertilité, Senol 2018 ; 46 : 209–13.
une consultation en aide médicale à la procréation (AMP) [11] Comptour A, Chauvet P, Canis M, Gremeau AS, Pouly JL,
doit être proposée. La chirurgie par voie cœlioscopique a Rabischong B, et al. Patient quality of life and symptoms following
montré son efficacité en termes de douleurs et de qualité de surgical treatment for endometriosis. J Minim Invasive Gynecol
vie. Mais l'amélioration des douleurs et de la qualité de vie 2019 ; 26 : 717–26.
peut être très hétérogène en fonction des patientes [11]. La [12] Bourdel N, Comptour A, Bouchet P, Gremeau AS, Pouly JL, Slim K,
récidive de la maladie n'est pas rare et la récidive des dou- et al. Long-term evaluation of painful symptoms and fertility after
leurs est fréquente sans que cela soit pour autant associé à surgery for large recto-vaginal endometriosis nodule involving at
une récidive des lésions [12]. Il reste alors difficile de prédire least the serosa of the rectum : a retrospective study. Acta Obstet
Gynecol Scand 2018 ; 97 : 158–67.
parfaitement pour quelles patientes la chirurgie sera totale-
ment bénéfique en termes d'amélioration des douleurs.
Chapitre
29
Douleur en pathologie
cardiovasculaire
Jean-Gabriel Bechier, Sophie Lacan

PLAN DU CHAPITRE
Quels patients ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Quelles pathologies ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
Quelles pathologies ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
Quels traitements ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201

En France, les maladies cardiovasculaires sont fréquentes, La contre-indication la plus fréquente est l'anticoagula-
touchent toutes les catégories sociales et mettent en cause tion préventive ou curative.
le pronostic vital. Les très importantes et constantes avan- Deux types d'anesthésie locorégionale sont proposés : les
cées thérapeutiques et la notion d'urgence font des traite- blocs périnerveux et les blocs périduraux.
ments étiologiques une priorité, parfois au détriment d'une Les blocs périnerveux sont en général sciatiques, dans le
synergie de prise en charge multifactorielle dont fait partie creux poplité. Leur objectif premier est analgésique, mais ils
le ­traitement de la douleur. sont efficaces sur la cicatrisation des lésions cutanées dys-
trophiques ou postchirurgicales et permettent des premiers
soins non algiques. La mise en place est simple, sous guidage
Quels patients ? échographique ou par électrostimulation avec un cathéter
tunnellisé au contact du tronc nerveux.
Le plus souvent, il s'agit d'hommes âgés, en mauvais état Les molécules utilisées sont les anesthésiques locaux à
général, atteints de désordres nutritionnels et métaboliques, effet prolongé (ropivacaïne ou lévobupivacaïne) associés à
épuisés par les troubles du sommeil et en altération psy- des adjuvants potentialisant l'activité analgésique, comme la
chique importante. Mais les patients peuvent aussi être plus clonidine ou, parfois, la morphine. L'adrénaline est contre-
jeunes, dans un contexte de cumul de facteurs favorisants ou indiquée pour ses effets vasoconstricteurs.
dans le cadre d'une artérite de Buerger. La population fémi- L'administration est réalisée le plus souvent, par bolus
nine est en constante augmentation. unique d'action prolongée de 12 à 24 heures ou par seringue
électrique sur deux à trois jours. Dans ce deuxième cas,
la technique impose une surveillance stricte du point de
Quelles pathologies ? ponction (risque d'infection) et de la position du cathéter
Les artériopathies périphériques, les douleurs postopéra- (migration). La mise en place d'une hospitalisation à domi-
toires, les douleurs en pathologie cardiaque et quelques cile assure cette surveillance en ambulatoire.
aspects de ces douleurs en phase terminale seront
évoqués. Antalgiques
Les antalgiques proposés respectent les prérequis, à savoir,
pour les antalgiques opiacés, les formes galéniques les
Quels traitements ? mieux tolérées, le choix des formes à LP ou à libération
Traitements médicamenteux immédiate ( le délai d'action court pour les soins ou les
accès par exemple, la durée d'action et l'intervalle entre deux
Techniques d'anesthésie locorégionale prises pour optimiser l'effet antidouleur et la tolérance des
Les techniques d'anesthésie locorégionale sont très souvent traitements) [1] La prévention systématique des effets indé-
proposées pour l'analgésie, dans l'attente de gestes de revas- sirables est indispensable.
cularisation, lors des soins douloureux d'ulcères et d'escarres Différents antalgiques sont prescrits :
ou encore pour une aide à la cicatrisation immédiatement ■ classe 1 : pas d'indication spécifique, l'automédication est
après un geste d'amputation distale. fréquente et à prendre en compte ;
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 201
202   Partie 3. Pathologies douloureuses

■ classe 2 : tramadol et codéine, avec une tolérance initiale Stimulation médullaire


souvent médiocre ; La stimulation médullaire est réservée actuellement à la
■ classe 3 : sulfate de morphine, oxycodone. prise en charge de l'artérite de Buerger, mais elle est aussi
Les voies orale et sous-cutanée sont usuelles. L'analgésie efficace dans toutes les formes d'artériopathie. La sélection
autocontrôlée (PCA) est réservée à la douleur postopéra- des patients, rigoureuse, est effectuée par une équipe plu-
toire. Les voies péridurale et intrathécale sont possibles en ridisciplinaire prenant en compte les différents critères. La
perfusion continue, associées ou non à des bolus, aussi bien technique, toujours réversible, utilise une électrode épidu-
à la phase aiguë que chronique. rale dorsale percutanée et un boitier sous-cutané. Elle est
Le néfopam peut être prescrit dans les douleurs aiguës efficace sur la douleur neuropathique ischémique et par
sous forme injectable. La voie orale n'a pas d'AMM en son effet sympatholytique. Elle facilite la marche, l'appari-
France mais elle est largement prescrite et admise. tion d'une néo-vascularisation et la cicatrisation des plaies
et escarres. Elle prévient les gestes d'amputation, si elle est
Modulateurs des contrôles de la douleur programmée rapidement, après l'échec des gestes de revas-
Les modulateurs des contrôles de la douleur sont associés cularisation [3].
aux antalgiques.
Les antihyperalgésiques tels que les gabapentinoïdes
(gabapentine et prégabaline) sont instaurés précocement, Quelles pathologies ?
car leur délai d'action est long. Les molécules anti-NMDA,
comme la kétamine, sont délivrées en hospitalisation, mais Artériopathies périphériques
les protocoles et l'efficacité restent à préciser (avis d'experts). Les artériopathies périphériques constituent une pathologie
Sont également proposés les modulateurs des contrôles plurielle, à la fois du contenant (la paroi artérielle est dotée
descendants, tels que les antidépresseurs tricycliques, de récepteurs à la douleur et l'inflammation est générée par
comme l'amitriptyline, dont les effets indésirables atropi- la maladie athéromateuse), des organes et des structures
niques sont gênants, surtout en association. Les antidépres- irrigués, et du contenu (les cellules sanguines : plaquettes,
seurs IRSNA, comme la duloxétine, sont mieux tolérés. leucocytes, érythrocytes génèrent des troubles de la coagu-
lation et la libération de substances algogènes comme les
Autres prostaglandines, le potassium, l'histamine, etc.).
D'autres thérapeutiques sont associées, comme les psycho- Elles sont responsables d'une douleur chronique, nécessi-
tropes, anxiolytiques à demi-vie courte, hydroxyzine, ou les tant une évaluation suivant des critères adaptés, même si les
neuroleptiques, selon le contexte. Le MEOPA est très adapté épisodes aigus sont les plus marquants.
aux soins douloureux, mais nécessite du personnel formé. Le syndrome ischémique est d'origine artérielle, avec
La capsaïcine, en application locale, dans les cas de douleurs la nécrose des tissus de recouvrement (ulcères et escarres)
neuropathiques cicatricielles avec allodynie, est réalisée, en [4]. Les douleurs sont majorées par les mouvements et les
milieu hospitalier, par du personnel formé. soins. Les lésions veineuses ou lymphatiques sont associées
à l'altération de la circulation de retour, ce qui est à l'origine
d'un œdème majoré par la position antalgique déclive des
Traitements non médicamenteux membres inférieurs qui aggrave encore le syndrome isché-
Kinésithérapie et rééducation vasculaire mique. Une neuropathie ischémique et postischémique
Kinésithérapie et rééducation vasculaire sont essentielles et survient, souvent négligée, avec une douleur diffuse, mal
comportent des massages décontracturants, une aide à la systématisée. Les fibres nerveuses souffrent, et on assiste
mobilisation, des drainages lymphatiques, une rééducation à une perte du contrôle des fibres Aα sur les fibres Aδ et
à la marche, une adaptation des prothèses. C de la douleur. Les réflexes sympathiques sont majorés et
entraînent une vasoconstriction artérielle.
Accompagnement psychologique
L'accompagnement psychologique est nécessaire, du fait de Quelles sont les conséquences indirectes ?
l'expérience traumatique vécue par les patients souffrant de Les plaies chirurgicales et d'amputation ouvertes nécessitent
maladies vasculaires. Les conséquences de la maladie sur le des reprises fréquentes. Les gestes sont les plus distaux pos-
plan psychique sont aggravées par le contexte particulier : des sibles, rapidement non algiques en dehors des soins longs et
accidents subis se sont répétés et leur survenue est toujours réitérés.
éventuelle [2]. L'impact psychologique de la maladie, l'his- Les traumatismes iatrogènes peuvent être des hématomes
toire de vie du patient et son fonctionnement psychique sont par lésions artérielles ou veineuses lors des prises de greffe
à considérer dans les réactions face à la maladie et peuvent (triangle de Scarpa) par exemple, des lésions des éléments
être des facteurs de risque. Le suivi psychologique peut per- lymphatiques (canal ou ganglion) ou des lésions de nerfs
mettre de prévenir ou de limiter l'installation de réponses périphérique (nerf saphène interne).
psychotraumatiques, d'opérer des changements tendant Les infections au niveau des troubles trophiques sont
vers des modes de vie plus adaptés. Les entretiens cliniques favorisées par le diabète, et peuvent s'étendre aux gaines ten-
peuvent être associés à d'autres dispositifs de mise en travail dineuses et aux articulations.
tels que l'EMDR (Eye Movement Desensitization and Repro- Des réactions algodystrophiques de mécanisme mal-
cessing), l'hypnose, la cohérence cardiaque. connu peuvent majorer le handicap à la mobilisation.
Chapitre 29. Douleur en pathologie cardiovasculaire    203

On assiste également à une réduction de la motricité Douleurs postchirurgicales


d'origine centrale. Des études en cours par IRM cérébrale Les douleurs des moignons d'amputation relèvent de dif-
fonctionnelle montrent dans des cas de douleurs chroniques férents mécanismes, comme lors de la phase subaiguë, une
une réaction d'atrophie du cortex moteur dans les aires atteinte nerveuse traumatique, une neuropathie postisché-
concernées par la douleur. Il est évoqué une possible action mique et une infection. Les complications comme l'appari-
de procytokines inflammatoires libérées par les cellules tion de névromes ou de troubles statiques peuvent être plus
musculaires dégénératives. De tels mécanismes ne peuvent tardives. Elles constituent un obstacle à la rééducation et à la
pas être exclus dans les artérites sévères quand on observe la mise en place de prothèses.
réduction motrice déjà bien justifiée par les lésions distales La prise en considération de la douleur physique et
ischémiques. psychique pré- et postopératoire favorise le pronostic
fonctionnel des patients amputés. Elle comporte différents
Tableaux cliniques et traitements volets : les antalgiques de classe et de posologie établies
L'ischémie aiguë se manifeste par une douleur brutale, après évaluation, les médicaments à visée neuropathique
atteignant les pieds et les loges musculaires. Les techniques formellement indiqués, le plus souvent en association. La
d'anesthésie locorégionale, de PCA et la revascularisation prévention de la douleur liée aux soins est indispensable
sont les meilleures indications réalisées en urgence. (MEOPA, opiacés de libération immédiate et la capsaïcine
L'ischémie critique est responsable de douleurs per- sur les séquelles allodyniques après cicatrisation. Dans le
manentes, aggravées lors de chaque poussée et majo- cas de névrome, les infiltrations d'anesthésiques locaux,
rées par la position déclive des membres inférieurs. Le l'alcoolisation ou la phénolisation peuvent être utiles, mais
traitement chirurgical nécessite des gestes de revascu- c'est souvent la reprise chirurgicale avec enfouissement dis-
larisation. La prise en charge de la douleur comporte tal du nerf qui prévaut.
des antalgiques de classe et de posologie établies après Les douleurs secondaires à la présence d'hématomes
évaluation et ETP, des gabapentinoïdes ou/et des antidé- d'origine artérielle ou veineuse répondent à une antalgie
presseurs (IRSNA). Les techniques d'ALR sont réservées adaptée.
aux phases aiguës douloureuses, mais leur intérêt dans Les douleurs au niveau des cicatrices postopératoires
les situations plus chroniques fait qu'elles peuvent être sont, en général, rapidement régressives, mais on note par-
proposées par certaines équipes. La kinésithérapie neu- fois la survenue secondaire de douleurs neuropathiques
rovasculaire est toujours associée sous forme de mobi- traduisant la lésion d'un rameau distal, en particulier dans
lisation et de drainage. La neuromodulation médullaire les suites d'une thoracotomie pour chirurgie cardiaque.
est réservée au tableau de neuropathie ischémique et à la Les thérapeutiques associent les antalgiques comme le tra-
maladie de Buerger. madol LP, les antinévralgiques et la capsaïcine.
L'artériopathie est souvent associée à des addictions, Enfin, la rééducation est cause de douleurs au sens large,
notamment tabagique et alcoolique, qui régulent les émotions à la fois lors des mobilisations, sur les cicatrices et les pro-
négatives de ces patients. Ces conduites ont pour effet d'anes- thèses, etc.
thésier le ressenti et les émotions (parmi lesquelles la dou-
leur), ce qui engendre des consultations tardives et un temps Douleurs et pathologies cardiaques
de latence de la plainte. Elles induisent, comme la maladie,
une altération importante du fonctionnement social et affec- Les douleurs angineuses sont liées à des lésions coro-
tif (isolement). Ces conduites pathologiques engendrent un naires et nécessitent rarement (voire jamais ?), depuis
stress supplémentaire et sont le signe d'une recherche du le développement des techniques endovasculaires ou
danger tant physique que psychique. On observe souvent chirurgicales d'angioplastie, de recours à une prise en
une négligence des soins et un défaut d'observance des thé- charge antalgique pure.
rapies par des patients qui n'envisagent pas d'eux-mêmes un Durant la phase postopératoire immédiate de la chirur-
sevrage et qui, plus généralement, manquent d'initiative. gie thoracique cardiaque, avec ou sans circulation extracor-
Leur style de vie est bien souvent inadapté à la patho- porelle, les patients sont adressés systématiquement dans
logie. Il apparaît central de s'en préoccuper, d'autant plus des services de soins intensifs, et les douleurs, très effica-
qu'ils restent hospitalisés longtemps et fréquemment. Un cement prises en charge par les médecins anesthésistes réa-
accompagnement par un programme d'ETP doit être mis en nimateurs. Un relais attentif doit être pris au sortir de ces
place : il faut susciter un changement profond du mode de unités de soins.
vie et limiter les facteurs de risque (mauvaise alimentation,
tabac, alcool, absence d'activité physique, douleur). Douleurs et soins palliatifs en médecine
L'ischémie d'effort entraîne une réduction du périmètre cardiovasculaire
de marche. Son diagnostic différentiel est parfois intriqué
avec ceux du canal lombaire étroit et de la compression Artériopathies
médullaire. Elle nécessite un traitement étiologique. La phase palliative de la prise en charge des patients artéri-
La pathologie veineuse et lymphatique se manifeste par tiques douloureux est souvent complexe. On observe parfois
des ulcères veineux et un œdème déclive. Les gestes de drai- une tolérance acquise aux antalgiques, aggravée par des anté-
nage permettent d'améliorer aussi le retour veinolympha- cédents d'addiction qui nécessitent le recours à des posologies
tique. On peut associer la mobilisation et les veinotoniques, inhabituelles. La composante psychique, une anxiété majeure
la contention doit être prudente. et une dépression parfois sévère, doit être prise compte.
204   Partie 3. Pathologies douloureuses

Insuffisance cardiaque terminale modifié. Elles ont une forte connotation vitale et sont une
Les patients à ce stade d'évolution connaissent des phases expérience traumatique dont il convient de reconnaître
de confort relatif, grâce aux traitements, et des phases de la spécificité [2]. Leurs conséquences physiques, doulou-
décompensation. Ces dernières, en plus des symptômes reuses et psychologiques méritent d'être appréhendées. La
de déficience cardiorespiratoire, génèrent une plainte pluridisciplinarité de la prise en charge est essentielle, dans
formulée en termes de douleur. Elles affectent les masses un contexte de réflexion commune dont le centre doit res-
musculaires, sont généralisées et variables. Le terme qui ter le patient.
reflète cet état pourrait être celui d'asthénie douloureuse
et anxieuse. Références
Le protocole thérapeutique propose des perfusions
[1] Bechier JG, Lacan S, Baiily I, Danoy P. Didacticiel opiacés AlgoED
i.v. d'une association d'hydroxyzine (100 à 200 mg) et de Douleurs 2012 ; 14(4) : 192–9.
morphine à faible posologie (10 à 15 mg) sur 24 heures en [2] Tarquinio C, Tarquinio PL'. EMDR : préserver la santé et prendre en
continu (seringue électrique), dans le contexte d'une prise charge la maladie. Paris : Elsevier Masson ; 2015.
en charge globale de soins de confort. [3] Vidal V, Bechier JG, Leclerc V. La stimulation épidurale dans l'isché-
Lors de la décision collégiale de mise en place d'une mie critique inopérable des membres inférieurs. À propos de 12 cas.
sédation vigile, il est important d'obtenir de l'équipe cardio- Douleurs 2014 ; 15 : 115–21.
logique une limitation thérapeutique et l'arrêt des médica- [4] Lauria C, Boyer JM. Douleurs et artériopathie des membres infé-
ments cardiotoniques. rieurs. Dans : In : Serrie A, Thurel C, editors. La Douleur en pratique
quotidienne. Paris : Arnette ; 2002.

Conclusion
Les maladies cardiovasculaires, du fait des progrès thé-
rapeutiques récents, ont vu leur pronostic radicalement
Chapitre
30
Douleur et drépanocytose
Caroline Maindet, Caroline Makowski, Cécile Robert, Pierre Albaladejo

PLAN DU CHAPITRE
Épidémiologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 Antalgie : vite et fort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
Physiopathologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 Titrer en morphine sans appréhension . . . . . . 207
Présentation clinique : douleurs plurielles . . . 205 Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Traitements spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Crise vaso-occlusive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206

Épidémiologie fier : l'absence de détection par le biologiste n'exclut pas


le diagnostic, surtout en horaires de garde. Le diagnostic
Les syndromes drépanocytaires majeurs (SDM) sont un phénotypique repose sur l'étude de l'hémoglobine.
ensemble de pathologies constitutionnelles de l'hémoglobine,
invalidantes et responsables d'une mortalité précoce [1, 2]. En
l'absence de registre, on estime qu'environ 20 000 personnes Présentation clinique :
seraient concernées actuellement en France, avec plus de douleurs plurielles
450 nouveau-nés atteints par an (dépistage ciblé). Si l'entité
a été identifiée en 1910 [3], sa prévalence est en hausse pro- La présentation aiguë vaso-occlusive associe douleur, parfois
gressive. Elle n'est plus restreinte à des foyers géographiques extrême, et éventuelle menace vitale. Des crises vaso-occlu-
spécifiques et n'est plus exceptionnelle en France, même si sives (CVO) se succèdent et aboutissent à une pathologie chro-
elle répond encore aux critères de « maladie rare ». nique douloureuse en elle-même. La récurrence des épisodes
aigus fait le lit de la présentation chronique dégénérative, qui
associe des dysfonctions d'organes évoluant à bas bruit pour
Physiopathologie leur propre compte et des douleurs chroniques multimodales
Les SDM résultent de la présence simultanée de deux chez l'adulte jeune [6]. Certaines complications spécifiques
mutations ponctuelles du gène de la β-globine, portées des SDM sont elles-mêmes hyperalgiques. Les SDM repré-
à l'état homozygote (SS, forme la plus connue) ou hété- sentent ainsi une pathologie macro- et microvasculaire systé-
rozygote composite (SC, Sβ, Sβ+, SLepore, SDPunjab, mique chronique invalidante, grave et douloureuse.
SOrab, SE, etc.). L'hémoglobine pathologique est caracté- Les patients doivent bénéficier d'un suivi au long cours
risée par son hyperviscosité et son aptitude à polymériser destiné à réduire la survenue des accidents aigus, et à pré-
sous forme désoxygénée dans certaines conditions (dés- venir et dépister les atteintes dégénératives. Si la mortalité
hydratation, fièvre, inflammation, infection, hypoxie, pédiatrique a considérablement régressé (dépistage, suivi
stress, conditions climatiques extrêmes, grossesse, etc.) précoce, mesures prophylactiques anti-infectieuses, etc.),
[4, 5]. La fragilité du globule rouge et sa falciformation l'évolution vers des dysfonctions d'organes survient à un âge
aboutissent à un tableau associant une hémolyse chro- jeune avec une mortalité encore significative (AVC isché-
nique permanente et des phénomènes chroniques d'hy- miques, hémorragiques, ischémie myocardique, défaillance
perviscosité et de vaso-occlusion, avec des accès aigus cardiaque, rénale, etc.) [1, 2, 4, 5] L'autonomisation du
à répétition (ischémie-reperfusion et inflammation). La patient est capitale pour sa sécurité : mesures antalgiques de
sévérité est très variable selon le phénotype, les individus première ligne à domicile, identification des critères d'hospi-
et les périodes de la vie : les patients peu symptomatiques talisation, carte d'urgence et de soins. La phase de transition
peuvent ignorer leur diagnostic jusqu'à l'âge adulte ou entre pédiatrie et secteur adulte est une période à risque [7].
leur première grossesse. L'anémie, inconstante, dépend
du phénotype. L'hémogramme montre toujours une
anisocytose. La présence de drépanocytes sur frottis san-
Traitements spécifiques
guins permet le diagnostic de SDM. Ils sont parfois rares, La seule option curatrice validée est actuellement l'allogreffe
même en situation de crise vaso-occlusive hyperalgique, de cellules souches hématopoïétiques, d'autant moins toxique
et leur présence reste parfois difficile et longue à identi- qu'elle est réalisée chez le sujet jeune présentant un minimum
Médecine de la douleur pour le praticien
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206   Partie 3. Pathologies douloureuses

de comorbidités [8]. Sa place dans la stratégie thérapeutique


dépend de la disponibilité d'un donneur HLA-compatible. Encadré 30.1 Crise vaso-occlusive, douleur
L'indication de greffe est discutée en confrontant les risques aiguë : drapeaux rouges
(morbidités, mortalité) à la gravité, immédiate et à long terme,
� Les douleurs vaso-occlusives sont souvent d'une intensité
de la maladie. L'allogreffe a ainsi longtemps été réservée aux
exceptionnelle. Leur évaluation est mise en défaut par les
situations pédiatriques, mais elle a désormais sa place chez
critères habituels chez des patients confrontés de façon
l'adulte. Des stratégies de thérapie génique sont actuellement en
chronique à des douleurs aiguës très intenses. L'autoévaluation
développement [9]. Leur efficacité à long terme n'est pas établie.
(EVA ou EVN) est à privilégier.
Les traitements de fond des SDM ont pour objectif de limi-
� Une douleur qui perdure entretient la crise : la sortie de crise
ter les épisodes aigus et la dégénérescence des organes et, ainsi,
dépend à la fois de la sédation de la douleur et du traitement
d'augmenter la survie. Pour certains phénotypes (SC, Sβ +), l'hé-
du facteur déclenchant.
modilution (anémie iatrogène par carence martiale) prévient
� La titration morphinique est la pierre angulaire de la prise en
très efficacement la vaso-occlusion moyennant des saignées
charge, indiquée dès que l'EVA est à 4 et plus.
au long cours. Un traitement de fond par hydroxycarbamide
� L'objectif est d'obtenir, puis de maintenir, une EVA entre 0 et 1.
per os est indiqué pour certaines formes sévères (SS, 0Sβ) [4, 5].
� L'objectif est EVA 1.
L'imprégnation quotidienne permet de réduire drastiquement
� Dans les présentations hyperalgiques, le patient est auto-
la gravité des tableaux vaso-­occlusifs et d'en atténuer la fré-
médiqué (dépassement possible des doses recommandées),
quence. Ce traitement a un impact positif sur la mortalité [10],
déshydraté et il présente une dette de sommeil ainsi qu'une
les douleurs et la qualité de vie [11], et peut permettre à certains
anxiété majeure avec angoisse de mort.
patients de prévenir toute manifestation vaso-occlusive clinique,
� Chez un patient atteint de SDM, toute douleur n'est pas
voire de reprendre une activité physique régulière.
nécessairement vaso-occlusive.
Récemment, l'inhibition de l'adhésion cellulaire via la
� Les soignants surévaluent le risque de mésusage d'opioïdes
P-sélectine par perfusions i.v. de crizanlizumab [12] et la
dans cette pathologie.
L-glutamine orale ont montré une efficacité préventive [13],
� Il faut parfois recourir aux soins continus en l'absence de
mais la place de ces molécules dans la stratégie thérapeu-
menace vitale.
tique reste à définir.
� La prise en charge doit être multiprofessionnelle et
La prise en charge transfusionnelle (transfusion simple
multidisciplinaire.
ou échange érythrocytaire, manuel ou automatisé) permet
� La sensibilisation des professionnels aux spécificités de la
la levée de tout phénomène vaso-occlusif, mais expose le
prise en charge est nécessaire.
patient à des complications immuno-hématologiques. En
curatif, elle est indiquée devant des CVO graves (menace
vitale, forme hyperalgique ou résistante à un traitement rement de nature vaso-occlusive : l'enquête étiologique
médical bien conduit). Chez les patients les plus sévèrement devra rester minutieuse. L'évaluation initiale, immédiate
atteints, ces échanges ou transfusions sont parfois réalisés de et rigoureuse (intensité, localisations, mécanisme, facteurs
façon régulière programmée [4, 5]. déclenchants et durée d'évolution), devra être répétée fré-
quemment pour évaluer l'efficacité de la prise en charge.
L'évaluation de l'intensité de la douleur à l'aide d'échelles
Crise vaso-occlusive validées (EVA, EN, échelles des visages) est indispensable :
La survenue d'une CVO impose la recherche de facteurs le faciès des patients et les stratégies de « coping » (adap-
déclenchants pour engager rapidement le traitement de la tation par diversion) prennent en défaut le jugement des
cause éventuelle. La CVO peut évoluer vers une complica- soignants et peuvent conduire à un traitement inapproprié.
tion grave, comme le STA pour 20 % des cas (7 % des STA L'administration de placebo n'a aucune place.
exposent à un risque vital) [14, 15]. Le patient en demande de soins connaît souvent parfaite-
La douleur aiguë de la CVO est liée à un mécanisme ment les mesures antalgiques de première ligne et se présente
­d'ischémie-reperfusion, avec une composante double, nocicep- déjà correctement auto-médiqué (repos, hydratation, para-
tive et inflammatoire (encadré 30.1). Elle associe plusieurs spé- cétamol, opioïdes faibles). La prescription d'opioïdes forts à
cificités déstabilisantes pour le patient et les équipes soignantes. domicile pour la gestion des CVO est contre-indiquée, car
Intensité et mode d'apparition des CVO sont très variables d'un elle retarde la médicalisation et favorise les tableaux sévères.
patient à l'autre et pour un même patient. Leur caractéristique
commune est d'interrompre brutalement, et de manière tou-
jours inattendue, le cours de la vie normale. Elle peut atteindre
Antalgie : vite et fort
des intensités exceptionnelles (EVA à 10). Sa durée spontanée La prise en charge hospitalière d'un patient atteint de SDM
varie de quelques heures à plus de dix jours. Elle peut intéres- pour douleur aiguë est une urgence, et répond à des référen-
ser un ou plusieurs sites, à prédominance osseuse, mais peut tiels publiés. Elle doit conduire à une évaluation rapide et
concerner des localisations musculaires et thoraciques pro- à la mise en œuvre, dans les 30 minutes après l'admission,
fondes. La répétition de tels tableaux dès l'enfance entraîne un du traitement antalgique efficace [17]. L'antalgie et le traite­
retentissement fonctionnel majeur et des répercussions psycho- ment d'un facteur déclenchant conditionnent la sortie de
logiques ; surtout si la douleur est sous-estimée par les soignants. crise. L'objectif est de parvenir rapidement à une EVA entre
La discrimination par le patient de la nature vaso-­ 0 et 1. Le traitement antalgique sera multimodal. Les autres
occlusive de ses douleurs est fiable [16], mais toute douleur mesures indispensables au traitement de la crise seront
aiguë chez un patient atteint de SDM n'est pas nécessai- mises en œuvre dans les plus brefs délais (figure 30.1).
Chapitre 30. Douleur et drépanocytose    207

Prise en charge à l'arrivée du patient Environnement calme et réchauffement,


communication thérapeutique
Hydratation orale (bouteille de 500 mL avant
pose de voie veineuse)
Oxygénothérapie systématique, 2–3 L/min
quelle que soit la saturation en air ambiant
Si EVA ≥ 4, administrer per os 10 mg
d'« équivalent morphine orale » : 10 mg
d'Oramorph®, 10 mg d'Oxynormoro®, 10 mg
d'Actiskénan®, etc.
Possibilité d'administrer du MEOPA en cas de
difficulté dans la pose de voie veineuse

L'administration i.v. de morphine continue sur 24 heures n'est pas recommandée : inefficace et
génératrice de complications (hypoventilation et somnolence favorisent l'évolution vers le syndrome
thoracique aigu). Un débit de fond de 1 à 2 mg/heure est un maximum à ne pas dépasser. La titration
de morphine est l'attitude antalgique de référence en milieu hospitalier. (À noter : elle doit précéder
la pose d'une éventuelle PCA). Les doses totales de morphine i.v. nécessaires à la titration peuvent
sembler massives, en tout cas inhabituelles (douleur intense, clairance accélérée de la morphine).

Titration morphinique si EVA > 3 et score sédation < 2

Après titration, lorsqu'EVA = 0–1 : relais antalgique, à adapter au cas par cas au niveau de la
douleur
PCA (pompe à morphine) Morphine i.v. L simple
Si l'EVA remonte à 4 malgré le relais, reprise d'une titration et, selon le contexte, concertation
avec équipe référente et médecin anesthésiste réanimateur
Traitements associés
Traitement étiologique de la crise + poursuite du traitement de fond habituel du patient
Oxygénothérapie systématique à 2 à 3 L/min, quelle que soit la saturation
Hydratation i.v. : correction de la déshydratation initiale, puis 2 L de NaCl 0,9 %/24 heures
Contention veineuse + HBPM à dose préventive en l'absence de contre-indication
Kinésithérapie incitative pour recrutement alvéolaire (Respiflow®) en prévention d'un syndrome
thoracique aigu
Existe-t-il à ce stade une indication d'hémodilution (saignée) ou de prise en charge
transfusionnelle ?
Analgésie multimodale
Paracétamol (selon l'heure de la dernière prise)
Néfopam (Acupan®) 20 mg en i.v.L sur 45 minutes, puis 60 à 120 mg par 24 heures au PSE
AINS uniquement sur l'avis du médecin référent (néphroprotection)
MEOPA (Kalinox®) 20 min/8 heures en cas de besoin ; maximum 1 heure par jour, 15 jours
consécutifs
Avis de l'anesthésiste (ALR ? Kétamine ? + avis de l'équipe mobile du centre de la douleur (douleur
neuropathique surajoutée ?)
Traitement de l’anxiété
Hydroxyzine (Atarax®) 25 à 100 mg/24 heures (éviter les benzodiazépines)
Neuroleptiques sédatifs (type cyamémazine 25 à 50 mg par prise, maximum 300 mg/jour)
Hypnose

Figure 30.1 Crise vaso-occlusive : proposition de prise en charge antalgique. ALR : anesthésie locorégionale ; HBPM : héparine de bas poids
moléculaire. Source : d'après [4].

Titrer en morphine antériorités du patient si elles sont connues. Il n'y a pas de


limite supérieure à cette titration si le score de sédation
sans appréhension le permet et si le patient est en environnement sécurisé
La titration morphinique i.v. constitue la prise en charge (salle de surveillance postinterventionnelle [SSPI], unité
antalgique de référence, à mettre en œuvre dès que l'EVA de soins continus [USC] ou réanimation). Dans certains
est supérieure ou égale à 4. Les doses totales de morphine cas, la posologie des bolus pourra être majorée. La perfu-
atteintes lors d'une titration efficace peuvent paraître sion continue d'opioïdes à posologie équivalente, selon les
massives, allant, d'après notre expérience, de 8 à 60 mg pratiques oncologiques usuelles, est inefficace et délétère.
de morphine, selon les patients pour les formes hype- En cas d'effets indésirables ou d'inefficacité de la mor-
ralgiques chez l'adulte : il est important de se référer aux phine, une titration avec de l'oxycodone pourra être réalisée.
208   Partie 3. Pathologies douloureuses

Une antalgie insuffisante peut aboutir à une conduite Ainsi, une partie des adultes atteints de SDM passe de la
pseudo-addictive. Les doses de morphine nécessaires douleur aiguë récurrente à la douleur chronique.
ne doivent pas faire, à tort, suspecter une addiction. Les Les thérapeutiques médicamenteuses seront prescrites
demandes abusives (recherche de morphiniques, tableaux en fonction de l'intensité douloureuse et du mécanisme.
psychiatriques) sont rares. Même en cas de doute, le délai Les opioïdes forts, proscrits à domicile pour la gestion de la
nécessaire au diagnostic de SDM ne permet pas de reporter CVO, peuvent être prescrits pour le traitement des compli-
les premières titrations. cations chroniques hyperalgiques.
Les antalgiques non opioïdes (paracétamol, néfopam) Les approches non médicamenteuses (hypnose, médita-
font partie de l'analgésie multimodale. L'usage des AINS tion, activité physique, etc.) sont à privilégier [20]. L'inser-
n'est pas systématique dans un souci de néphroprotection : tion professionnelle est une priorité, une approche sociale
il est à discuter au cas par cas avec le référent devant un est souvent nécessaire.
tableau réfractaire, en tenant compte du contexte infectieux.
L'utilisation du MEOPA doit rester limitée à 1 heure Conclusion
par jour et pour une durée maximale de 15 jours consé-
cutifs [18]. Les SDM sont des tableaux graves et douloureux. Leur
La dette de sommeil peut mimer une sédation quand le prise en charge présente des particularités qui doivent être
patient est soulagé. La surveillance en cas d'administration connues des équipes.
d'opioïdes doit respecter le sommeil (fréquence respiratoire, Le traitement antalgique prompt et efficace de chaque
saturation pulsée en oxygène [SpO2]). Une prescription épisode est fondamental en situation aiguë : il fait partie
d'hydroxyzine ou d'amitriptyline (ECG) peut aider, à des intégrante du traitement de la CVO, et est susceptible de
fins anxiolytiques ou hypnotiques. Les benzodiazépines sont réduire l'impact chronique de cette pathologie invalidante.
contre-indiquées, favorisant l'hypoventilation et l'évolution Le recours aux SSPI, aux USC et à la réanimation est parfois
vers le STA. Les neuroleptiques sédatifs (type cyamémazine) nécessaire, hors menace vitale, pour le mener à bien.
peuvent être nécessaires. En situation aiguë ou dans le cadre du suivi, la prise en
L'approche psychosociale peut aider à prendre en charge charge est multidisciplinaire et multiprofessionnelle.
l'anxiété : ces tableaux engendrent des situations complexes La formation des soignants et l'ETP sont à développer.
(garde d'enfant, arrêt de l'activité professionnelle, inadapta-
tion au poste de travail, etc.). Références
Le recours aux équipes d'anesthésie-réanimation est jus-
tifié, hors menace vitale : [1] Lanzkron S, Carroll CP, Haywood Jr. C. Mortality rates and age at
■ lorsque la titration ne peut être poursuivie en service death from sickle cell disease : U.S., 1979–2005. Public Health Rep
2013 ; 128 : 110–6.
conventionnel ;
[2] Gomes E, Castetbon K, Goulet V. Mortalité liée à la drépanocytose en
■ pour une analgésie multimodale (anesthésie loco- France : âge de décès et causes associées (1979–2010). Bulletin épidé-
régionale ; l'usage de la kétamine peut être discuté miologique hebdomadaire 2015 ; 8 : 142–50.
précocement) ; [3] Herrick JB. Peculiar elongated and sickle-shaped red blood corpuscles
■ en cas d'indication à des traitements spécifiques (hémo- in a case of severe anemia. 1910. Yale J Biol Med 2001 ; 74 : 179–84.
dilution, échange érythrocytaire manuel ou automatisé) ; [4] Habibi A, Arlet JB, Stankovic K, Gellen-Dautremer J, Ribeil JA,
■ en cas de difficulté dans l'abord veineux ; ­Bartolucci P, et al. centre de référence maladies rares « syndromes
■ la prise en charge doit être multiprofessionnelle et multi- drépanocytaires majeurs ». Recommandations françaises de prise en
disciplinaire. La coordination avec le spécialiste référent charge de la drépanocytose de l'adulte : actualisation 2015. Rev Med
[19], les biologistes d'immunohématologie (Établisse- Interne 2015 ; 36 : 5S3–5S84.
[5] Piel FB, Steinberg MH, Rees DC. Sickle Cell Disease. N Engl J Med
ment français du sang [EFS]) et les unités de soins conti-
2017 ; 376 : 1561–73.
nus est capitale pour une prise en charge efficace, quel [6] Taylor LE, Stotts NA, Humphreys J, Treadwell MJ, Miaskowski C. A
que soit le service d'accueil du patient. review of the literature on the multiple dimensions of chronic pain
in adults with sickle cell disease. J Pain Symptom Manage 2010 ; 40 :
416–35.
Douleurs chroniques [7] Berens JC, Jan S, Szalda D, Hanna CM. Young Adults With Chronic
Illness : How Can We Improve Transitions to Adult Care ? Pediatrics
Les douleurs chroniques font partie intégrante du SDM. Leur 2017 ; 139–0410.
prévalence est élevée chez ces patients dès l'enfance (10 %) [8] Arlet JB. Une nouvelle ère thérapeutique dans la drépanocytose. A
ou l'adolescence (15 %). Elles atteignent 50 % à 65 % des cas new therapeutic era in sickle cell disease Rev Med Interne 2017 ; 38 :
[6, 16] à l'âge adulte, avec un aspect multidimensionnel. Les 569–71.
douleurs chroniques sont plurifactorielles et plurielles. [9] Ribeil JA, Hacein-Bey-Abina S, Payen E, Magnani A, Semeraro M,
Elles peuvent être liées à des complications spécifiques Magrin E, et al. Gene Therapy in a Patient with Sickle Cell Disease.
de l'hémoglobinopathie (ostéonécrose aseptique, remanie- N Engl J Med 2017 ; 376 : 848–55.
[10] Steinberg MH, Barton F, Castro O, Pegelow CH, Ballas SK, Kutlar A,
ments rachidiens, ulcère de jambe, lésions neurologiques
et al. Effect of hydroxyurea on mortality and morbidity in adult sickle
centrales). cell anemia : risks and benefits up to 9 years of treatment. JAMA
La composante neuropathique (sensibilisation centrale, 2003 ; 289 : 1645–51.
hyperalgésie) reste sous-évaluée et sous-traitée. Une vaso- [11] Ballas SK, Barton FB, Waclawiw MA, Swerdlow P, Eckman JR,
occlusion a minima permanente peut conduire à un tableau ­Pegelow CH, et al. Hydroxyurea and sickle cell anemia : effect on qua-
de crise subintrante, participant à l'inconfort et à l'asthénie. lity of life. Health Qual Life Outcomes 2006 ; 4 : 59.
Chapitre 30. Douleur et drépanocytose    209

[12] Ataga KI, Kutlar A, Kanter J, Liles D, Cancado R, Friedrisch J, et al. [17] Lovett PB, Sule HP, Lopez BL. Sickle Cell Disease in the Emergency
­Crizanlizumab in Sickle Cell Disease. N Engl J Med 2017 ; 376 : 429–39. Department. Hematol Oncol Clin North Am 2017 ; 31 : 1061–79.
[13] Niihara Y, Smith WR, Stark CW. A phase 3 trial of L-glutamine in [18] Compte rendu de séance ANSM 17/11/2016 CT022016053 :
sickle cell disease. N Engl J Med 2018 ; 379 : 226–35. Présentation des résultats du suivi national d'addictovigilance
[14] Mekontso Dessap A, Leon R, Habibi A, Nzouakou R, Roudot-­ des médicaments contenant du MEOPA (mélange équimolaire
Thoraval F, Adnot S, et al. Pulmonary hypertension and cor pul- protoxyde d'azote et oxygène), https://www.ansm.sante.fr/var/
monale during severe acute chest syndrome in sickle cell disease. ansm_site/storage/­original/application/e0ad6a37715f9e67252b-
Am J Respir Crit Care 2008 ; 177 : 646–53. 49c91dd34fca.pdf.
[15] Cecchini J, Lionnet F, Djibré M, Parrot A, Stojanovic KS, Girot R, [19] Filière maladie rare : MCGRE (Maladies Constitutionnelles du
et al. Outcomes of adult patients with sickle cell disease admitted to ­Globule Rouge et de l'Érythropoïèse), http://filiere-mcgre.fr.
the ICU : a case series. Crit Care Med 2014 ; 42 : 1629–39. [20] Williams H, Tanabe P. Sickle Cell Disease : A Review of Nonphar-
[16] Dampier C, Palermo TM, Darbari DS, Hassell K, Smith W, macological Approaches for pain. J Pain Symptom Manage 2016 ; 51 :
Zempsky W. AAPT Diagnostic criteria for chronic sickle cell disease 163–77.
pain. J Pain 2017 ; 18 : 490–8.
Chapitre
31
Syndrome douloureux
régional complexe
Anne Bera-Louville, Véronique Barfety-Servignat

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 211 Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211

Ce qu'il faut comprendre Encadré 31.1 Critères de Budapest


de la douleur
1. Douleur continue, disproportionnée par rapport à n'importe
Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC) est un
quel élément déclenchant ;
syndrome douloureux polymorphe articulaire et périarticulaire
2. Présence, signalée par le patient, d'au moins un des
associé à des modifications variées de la sensibilité, des modifica-
symptômes dans au moins trois des quatre catégories
tions vasomotrices, sudoromotrices, musculaires et trophiques.
suivantes ;
Il apparaît, en général, après un traumatisme, parfois mineur.
a. troubles sensoriels : hyperalgésie et/ou allodynie,
La physiopathogénie, mal connue, suggère des modi-
b. troubles vasomoteurs : asymétrie thermique et/ou modi-
fications des systèmes somesthésiques, sympathiques et
fications de la couleur de la peau et/ou asymétrie de la
somatomoteurs.
coloration cutanée,
L'évolution n'est pas prévisible, souvent disproportionnée
c. troubles sudoromoteurs et œdème : œdème et/ou sudation
en temps et en intensité par rapport à l'éventuel traumatisme
modifié et/ou sudation asymétrique,
ou à la lésion déclenchante, la persistance des symptômes et
d. troubles moteurs et trophiques : diminution de la mobilité
de la douleur sont susceptibles d'avoir un impact important
et/ou troubles moteurs (faiblesse, tremblement, dystonie)
sur la fonction et la qualité de vie (20 à 30 % de douleurs
et/ou troubles trophiques portant sur les poils, les ongles
persistantes au-delà d'un an). Cela explique les difficultés
ou la peau ;
diagnostiques et thérapeutiques.
3. Présence, constatée à l'examen, au moment de l'évaluation,
Aujourd'hui, il existe un consensus pour utiliser les critères
d'au moins un signe dans deux ou plus des catégories
de Budapest pour le diagnostic de SDRC, ce qui permet d'uni-
suivantes :
formiser la pratique clinique quotidienne (encadré 31.1).
a. Troubles sensoriels : hyperalgie (à la piqûre) ou allodynie (à
Le SDRC est un diagnostic d'exclusion.
l'effleurement léger ou à la pression somatique profonde),
La prise en charge réadaptative est proposée systématique­
b. troubles vasomoteurs : asymétrie thermique et/ou chan-
ment et le plus tôt possible, avec pour objectif le maintien ou
gements de la coloration cutanée et/ou asymétrie de la
la restauration de la mobilité articulaire.
coloration cutanée,
Le traitement médicamenteux antalgique doit permettre
c. Troubles sudoromoteurs/œdème : œdème et/ou sudation
de faciliter la prise en charge réadaptative et doit être adapté
modifiée ou sudation asymétrique,
aux types de symptômes douloureux (douleur mécanique,
d. Troubles moteurs et trophiques : diminution de la mobilité́
nociceptive, neuropathique, etc.).
ou troubles moteurs (faiblesse, tremblement, dystonie), ou
encore troubles trophiques (cheveux, ongles, peau) ;
Clinique de la douleur 4. Les signes et symptômes ne sont pas expliqués par un autre
diagnostic
Forme classique
La cause la plus fréquente de SDRC est le traumatisme, du Source : d'après Harden RN, Bruel. S, Perez RDGM, et al. Validation of pro-
plus minime jusqu'à la fracture, avec un ratio femme/homme posed diag­nostic criteria (the “Budapest criteria”) for complex regional pain
syndrome. Pain. 2010 150 : 268–74.
de 4/1. Il peut survenir lors d'une hémiplégie après un AVC.

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 211
212   Partie 3. Pathologies douloureuses

Le pourcentage de SDRC idiopathiques, de 6 à 10 %, reste Les examens morphologiques (radiographies, scan-


très inférieur à celui de SDRC secondaires, en particulier, ner, IRM et scintigraphie osseuse) ne sont nécessaires ni
postfracturaires, mais ils semblent présenter des caractéris- pour le diagnostic, ni pour le suivi de l'évolution d'un
tiques cliniques identiques. SDRC. Ils peuvent être normaux. Leur principal intérêt
Les douleurs, critère indispensable au diagnostic, sont est de permettre d'éliminer les diagnostics différentiels.
souvent sévères et disproportionnées, favorisant la limitation Ils sont utiles dans l'exploration des formes atypiques
fonctionnelle. On retrouve des douleurs mécaniques, des (IRM).
douleurs spontanées, permanentes, ou paroxystiques, des
douleurs provoquées et des douleurs de type neuropathique.
Formes frontières et diagnostics
différentiels
Troubles sensoriels, sudoromoteurs, moteurs
et trophiques Les SDRC des membres supérieurs sont souvent appelés
syndrome épaule-main. L'atteinte scapulaire est souvent
Quatre catégories de troubles sont décrites : les troubles confondue avec la capsulite rétractile.
sensoriels sont variés (hypoesthésie thermique ou méca- Les SDRC des membres inférieurs au cours de la gros-
nique, allodynie, hyperalgésie ou hypoalgésie thermique, sesse, rares (moins de 200 cas dans la littérature), concernent
mécanique). essentiellement la hanche.
Les modifications de la température cutanée de plus ou Le SDRC I (algoneurodystrophie) et le SDCR II (causal-
de moins de 1 °C, les modifications de la couleur de la peau gie) sont différenciés par l'absence ou la mise en évidence
(érythrocyanose), les troubles sudoromoteurs et les œdèmes d'une lésion nerveuse.
sont fréquents. Anciennement, la description de trois phases, évoluant
Les troubles moteurs et trophiques participent aux limi- en fonction du temps, a été proposée : phase chaude, aiguë ;
tations fonctionnelles et à l'altération de la qualité de vie phase dystrophique, commençant entre trois et six mois ;
(faiblesse musculaire, limitation de l'amplitude du mouve- phase atrophique, chronique.
ment, bradykinésie, tremblements, diminution de la dexté- L'examen clinique, aidé si besoin par les examens complé-
rité, dystonies). mentaires, va s'attacher à ne pas méconnaître une étiologie
Ces catégories sont reprises dans les critères de Budapest. infectieuse, inflammatoire, fracturaire, dysimmunitaire, etc.
Le diagnostic clinique est posé si le patient signale au moins
un symptôme dans au moins trois des quatre catégories et
s'il est constaté à l'examen au moins un signe dans deux ou Drapeaux rouges
plus des catégories. La survenue d'un SDRC immédiatement après une opé-
Il faut rester attentif à certaines manifestations survenant ration, avec des signes vasomoteurs importants, doit faire
après des traumatismes souvent banals et entraînant un sur- éliminer une arthrite septique (syndrome inflammatoire,
diagnostic de SDRC (œdème, garrot, clenched fist-syndrome, érosions, pincement articulaire et abcès).
ulcérations ou hématomes inexpliqués), ce qui fait suspec- Un SDRC se bilatéralisant ou s'accompagnant d'une
ter un trouble factice motivant le recours à une évaluation atteinte polyarticulaire doit faire éliminer un rhumatisme
pluriprofessionnelle. inflammatoire débutant (syndrome inflammatoire, anti-
corps anti-CCP, érosions ou synovites).
Comment l'évaluer dans le contexte ?
L'évaluation d'un SDRC a pour objectif de recueillir la Traitement
plainte du patient le plus tôt possible, d'évaluer la dou-
leur, son intensité et son retentissement, d'en réaliser le Rééducation fonctionnelle
bilan étiologique et d'éliminer les diagnostics différen- Elle est l'élément essentiel du traitement des SDRC.
tiels afin d'établir un programme thérapeutique. L'exa- Elle doit être proposée systématiquement et le plus tôt
men clinique recherche les signes positifs ou négatifs possible chez tout patient souffrant de SDRC et pré-
de la sensibilité, les signes vasomoteurs (température sentant des limitations de mobilité articulaire et/ou
et coloration) et sudoromoteurs, l'œdème et les signes une diminution d'utilisation du membre. Il doit être
moteurs (amplitude articulaire, force motrice, tremble- réalisé des exercices analytiques et fonctionnels variés,
ments, etc.). dont l'intensité est ajustée afin d'éviter d'aggraver les
Il est nécessaire de prendre en compte tout facteur psy- symptômes.
chologique intervenant, au même titre que dans tout autre La réadaptation fonctionnelle peut être réalisée par un
syndrome douloureux chronique : les facteurs de vulnéra- kinésithérapeute de ville dans les situations où l'atteinte
bilité qui interviennent dans la survenue et la chronicisation est légère à modérée. Elle doit être réalisée par une équipe
d'une douleur chronique, ainsi que toute autre condition multidisciplinaire (centre de réadaptation ou centre de
psychologique (comme un trouble thymique) ou psycho- la douleur) dans les situations les plus sévères (douleur,
pathologique (trait de personnalité particulier intervenant limitations fonctionnelles, détresse élevée, dystonie) ou
dans la genèse ou l'entretien des symptômes douloureux). lorsque les symptômes s'aggravent avec le temps.
Le SDRC est un diagnostic clinique et un diagnostic Un traitement antalgique adapté peut être nécessaire
d'exclusion. pour permettre la mobilisation.
Chapitre 31. Syndrome douloureux régional complexe    213

En association avec le traitement réadaptatif, on peut Tableau 31.1 Dans quelles situations recourir
proposer un essai de thérapie par feedback visuel avec au psychologue ?
miroirs, ou par entraînement à la discrimination sensorielle,
Recours au Dans quelles situations ?
une thérapie d'exposition graduée aux activités perçues par psychologue
le patient comme dangereuses, lorsque ce dernier présente
un niveau élevé de peur et d'évitement. Conseillé Demande de soins exprimée semblant
inadéquate
Lors de la prise en charge d'un traumatisme ou d'une Existence d'un litige ou d'une procédure, d'une
douleur, l'immobilisation du membre doit être limitée recherche de compensation
autant que possible. Phobie du contact
Tout état thymique défavorable : trouble de
l'humeur (dont syndrome dépressif), anxiété,
détresse, etc.
Traitements médicamenteux Nécessaire État de stress post-traumatique et/ou vécu
Le traitement médicamenteux doit être adapté au type de corporel traumatique
symptômes douloureux : douleur mécanique, nociceptive, Retentissement majeur sur la qualité de vie :
neuropathique, diurne, nocturne, etc. Il doit accompagner désocialisation, désorganisation de la vie
et faciliter la réadaptation fonctionnelle, aider la gestion de affective, etc.
Présence de propos ou de comportements
la douleur et améliorer la qualité de vie. suicidaires
Les AINS, les corticoïdes et la calcitonine n'ont Suspicion de troubles factices
pas d'utilité. Les opioïdes majeurs ne doivent pas être Suspicion de pathologies psychiatriques
utilisés. Suspicion de somatisation d'un trouble
Le paracétamol et les opioïdes faibles peuvent être pro- psychique
posés dans les SDRC afin de faciliter la prise en charge
rééducative. Il est nécessaire de réévaluer régulièrement
l'efficacité, la tolérance et l'éventuel mésusage de ces mentaires telles que l'identification et la compréhension
traitements. du vécu psychologique intervenant dans le vécu de la
Les antidépresseurs tricycliques, les antiépileptiques, douleur (tableau 31.1).
les SRNI peuvent être prescrits quand il existe des troubles
sensitifs tels qu'une allodynie, une hyperalgésie, des signes
neurologiques négatifs ou positifs, afin de faciliter la prise Techniques analgésiques locorégionales
en charge rééducative. Il est possible de répéter un bloc sympathique ou de pra-
En l'absence d'une amélioration suffisante, en particulier tiquer des blocs sensitivomoteurs continus par cathéter.
pour faciliter la rééducation, quand le SDRC évolue depuis Ils doivent être associés à une rééducation fonctionnelle
moins de 1 an, si la scintigraphie osseuse est positive, ce qui adaptée.
prouve l'hyperactivité osseuse, on peut proposer une cure de
bisphosphonate i.v. (Pamidronate®).
Les patchs de lidocaïne (Versatis®) peuvent être appli-
Techniques de neurostimulation
qués, hors AMM, en cas d'allodynie au tact, sur la zone déli- Les techniques de neurostimulation peuvent être utilisées
mitée de l'allodynie. dans les SDRC pour le traitement de la composante neuro-
pathique de la douleur.
La neurostimulation transcutanée apparaît comme une
méthode thérapeutique simple, inoffensive et peu coûteuse.
Prise en charge psychologique Elle nécessite une application persévérante, un apprentis-
L'instauration d'un travail psychothérapeutique per- sage rigoureux, une bonne adhésion du patient et doit être
met un travail de réassurance, de mise en confiance, en intégrée à une prise en charge rééducative et psychologique.
particulier sur le plan corporel, et de considération de La stimulation médullaire chronique peut être pro-
l'anxiété défensive. Elle engage également la prise en posée en cas de SDRC évoluant depuis au moins 1 an,
compte de l'intrication possible entre douleur et événe- rebelle aux traitements conventionnels, au terme d'une
ments existentiels, entre douleur et problèmes médico- démarche diagnostique pluridisciplinaire, dans une
légaux en particulier. Il est donc important d'établir au structure spécialisée dans la douleur chronique, idéale­
plus vite le diagnostic du SDRC, de manière à pouvoir ment dans le cadre d'une prise en charge rééducative
proposer des prises en charge alternatives et complé- globale et adaptée.
Chapitre
32
Douleur du cancer
PLAN DU CHAPITRE
32.1 La douleur du cancer, d'hier à aujourd'hui... 32.2 Douleur due au cancer . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Elle persiste ! mais pourquoi ? . . . . . . . . . . . . . . . 215 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Le cancer, source de douleur complexe, associe Syndromes douloureux et leurs caractéristiques . . . 219
parfois plusieurs mécanismes . . . . . . . . . . . . . . 215 Évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Épidémiologie : quelques chiffres . . . . . . . . . . 215 Douleurs aiguës . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
La fréquence de la douleur a-t-elle évolué ces Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
dernières décennies ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 Principes du traitement de la douleur
Pourquoi cette prévalence persiste-t-elle chronique due au cancer . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
de manière importante ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218

32.1 La douleur Le cancer, source de douleur


complexe, associe parfois plusieurs
du cancer, d'hier mécanismes

à aujourd'hui... La douleur nociceptive, par excès de nociception ou inflam-


matoire est due à la stimulation des nocicepteurs des terminai-

Elle persiste !
sons nerveuses libres Aδ et C. Ils sont présents dans différents
tissus : articulaires, viscéraux, musculaires et, surtout, cuta-
nés, dans l'épiderme. Ils sont stimulés mécaniquement par le
Mais pourquoi ? développement de la tumeur et chimiquement par la soupe
inflammatoire. Elle est générée par l'inflammation néopla-
Erwan Treillet sique (de la tumeur et des métastases, notamment osseuses),
mais aussi par les chirurgies, radiothérapies, etc. [3, 4].
La douleur neuropathique, elle, résulte d'une lésion ou d'une
Mot-clés : Douleur. Épidémiologie. Cancer. Douleur du cancer. anomalie de fonctionnement d'un nerf ou d'une structure
Paliers OMS. nerveuse. Dans le cancer, elle peut être due à la maladie par
compression ou infiltration des axes nerveux périphériques
ou plexiques ou de la moelle épinière. Elle peut aussi résulter
d'une complication du traitement : traumatisme chirurgical
La douleur est définie depuis plus de vingt ans par l'IASP avec lésion nerveuse, neurotoxicité des chimiothérapies, ou
comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désa- encore des blessures nerveuses par radiothérapie, etc. [5].
gréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou poten- Ainsi, souvent, il existe une association de ces deux types
tielle, ou décrite en termes d'une telle lésion » [1]. Le de douleurs.
cancer est cause de douleur, et la prise en charge de celle- Une composante musculaire est également possible mais
ci a été codifiée par l'Organisation mondiale de la Santé il peu documentée. L'expression des douleurs est d'ailleurs
y a plus de trente ans [2]… Pourtant, il demeure complexe parfois difficile à distinguer en pratique clinique [6, 7].
d'appréhender et de prendre en charge la douleur, notam-
ment au travers de ses composantes sensoridiscrimina-
tives, cognitives, émotionnelles ou comportementales. Les Épidémiologie : quelques chiffres
médecins, chercheurs et soignants continuent à rencon-
trer des patients non ou mal soulagés. Il est proposé dans Le cancer est fréquent
ce chapitre d'explorer la complexité de la douleur dans Dans le monde, 18,1 millions de nouveaux cas de can-
le cancer et sa persistance malgré les différentes actions cers ont été diagnostiqués en 2018 et 9,6 millions de
menées. personnes sont décédées d'un cancer d'après le Centre

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 215
216   Partie 3. Pathologies douloureuses

international de recherche sur le cancer (CIRC). Une Après 1986


augmentation de 75 % des cas de cancers est à prévoir Une étude prospective américaine portant sur 10 ans
au cours des deux prochaines décennies [8]. En France, de validation des directives de l'OMS est présentée
selon l'Institut national du cancer (INCa), 400 000 nou- en 1995 par Zech et al. [20]. Vingt-neuf pour cent des
veaux cas de cancer ont été rapportés pour l'année 2017 2118 patients évalués sur 140 478 jours cumulé de trai-
en France métropolitaine : 214 000 chez l'homme et tements présentaient une association de traitements non
185 500 chez la femme [9]. La survie à cinq ans s'est glo- conformes aux recommandations et sans intérêt théra-
balement améliorée (avec de grandes disparités en fonc- peutique (palier II + III, ou I + II + III) ; 56 % des patients
tion du type de cancer), passant de 50 % en 1975 à 68 % recevaient des opioïdes (pendant 49 % du temps de suivi,
en 2013 [6]. soit 140 jours), 76 % des patients étaient bien soulagés.
Dans une autre étude, deux tiers des patients cancéreux
restent douloureux, selon une étude de 1994 et 42 % ne
La douleur chronique est fréquente recevaient pas d'antalgique adapté selon les recommanda-
D'un point de vue général, la douleur chronique concerne tions de l'OMS [21].
en Europe de 12 à 30 % de la population [10]. En France, Ainsi malgré la mise en place de recommandations inter-
une étude menée en 2007 rapporte que 31,7 % de la popu- nationales, la prévalence de la douleur dans le cancer reste
lation générale présentent des douleurs chroniques et que importante, et l'application de ces recommandations était
l'intensité en est modérée ou sévère pour 19,9 % [11]. partiellement suivie.
L'actualisation des recommandations OMS (1997) et le
développement des techniques antalgiques (2005) ont-ils
La douleur est fréquente dans le cancer fait évoluer les choses ?
La douleur dans le cancer est fréquente : en moyenne de 54 % Une revue de la littérature de 2017 s'intéresse à l'évo-
jusqu'à 77 %, selon les auteurs. Sa prévalence chez les patients lution de la prévalence douloureuse dans le cancer. Elle
recevant des traitements anticancéreux est plus faible : de 24 compare deux périodes : 1966 à 2005 et 2005 à 2014.
à 60 %, et beaucoup plus fréquente chez les patients atteints L'année 2005 a été retenue par les auteurs comme cut-off
d'un cancer en phase avancée : de 62 à 86 % [12]. pour le « peu de progrès dans le traitement de la douleur
En France, une étude portant sur 1 885 patients atteints du cancer » avant cette date. Sans discuter ce choix de
de cancer retrouve une prévalence globale de 28,2 % de dou- date qui n'est pas plus étayé, il est observé une stabilité
leur chronique [13]. de la prévalence douloureuse persistante entre ces deux
Jusqu'à 40 % des patients « survivants » rapportent une périodes.
douleur [6]. On constate des disparités chez ces survivants : Cela concerne tous les « stades » du cancer : traitement
les femmes et les patients afro-américains ont des douleurs achevé, en cours de traitement ou en phase avancée. De
plus fréquemment [14]. Il y a également une disparité géo- même, la douleur modérée à sévère reste identique, avant ou
graphique : quand il est déclaré que la douleur est sous-­traitée après 2005 (tableau 32.1) [22].
dans 39 % ou 40 % des cas en Europe ou aux États-Unis, res- Plus précisément, en France, une comparaison effectuée
pectivement, elle l'est dans 59 % des cas en Asie [15]. entre 1991 et 2006 retrouve une stabilité de la prévalence de
Pourtant, un soulagement est possible dans 70 à 90 % des la douleur (57 et 56 %, respectivement) et de l'évaluation de
cas par l'utilisation des paliers OMS [12, 16–17]. la douleur maximale (moyenne de 5,9 sur 10). En revanche,
la douleur moyenne est passée de 4,6 à 3,36 sur 10, et le sou-
lagement était plus fréquent en 2006 [23].
La fréquence de la douleur a-t-elle
évolué ces dernières décennies ? Tableau 32.1 Prévalence de la douleur : 1966–2005
et 2005–2014.
Grâce aux « paliers OMS » (1986)
Prévalence de la douleur 1966–2005 2005–2014
Avant 1986
Tous stades d'évolution 53 50,7
Foley et al., en 1979, recense des douleurs pour 45 à 85 % des confondus (%)
patients atteints de cancer. Cet écart fluctue en fonction des
Traitement spécifique terminé 33 39,3
types et des localisations du cancer [18]. Cette observation (%)
est également relevée par Daut et al. en 1982 dans le cadre
d'une étude portant sur sur 667 patients atteints de cancer : En cours de traitement (%) 59 55
14 à 40 % des patients sans atteinte métastatique déclarent En phase avancée ou 64 66,4
des douleurs. Cette prévalence augmente entre 47 à 75 % en métastatique (%)
cas de présence de métastases [19]. Source : d'après C. Welsch T. Delorme F. Larue E et al. Données
En 1986, l'OMS, pour améliorer la prise en charge de la dou- épidémiologiques sur la douleur du cancer en France. Évolution sur deux
leur du cancer et favoriser l'utilisation des opioïdes dans cette décennies de la prévalence et de l'intensité de la douleur chez les malades
indication, propose des recommandations relatives à l'adminis- atteints de cancer. Douleur et Analgésie. Septembre 2013, Volume 26,
Issue 3, pp 126–132 et J. Haumann, E. (Bert) A. Joosten, M. H.J. van den
tration d'antalgiques. Y sont décrites des étapes d'utilisation de Beuken-van Everdingen Pain prevalence in cancer patients: status quo
traitement, de palier 1 à 3, le palier 3 étant les opioïdes dits forts. or opportunities for improvement? Current Opinion in Supportive and
Rapidement, ces paliers ont été mis en œuvre en fonction de Palliative Care: June 2017 - Volume 11 - Issue 2 - p 99–104.
l'intensité douloureuse déclarée par le patient [2].
Chapitre 32. Douleur du cancer    217

EPIC : une étude européenne Accès douloureux paroxystiques


de grande ampleur [24] Les offres thérapeutiques des accès douloureux paroxys-
Dans cette étude multicentrique européenne regroupant tique (ADP), décrits depuis les années 1990 [27], se sont
11 pays, les cas de 5084 patients atteints de cancer ont été multipliées [28].
évalués : 56 % souffraient de douleur récurrente cotée ≥ 5/10 Dans l'étude EPIC [24], 63 % des patients recevant des
le mois précédent. Malgré une prescription fréquente d'un traitements antalgiques avaient des ADP. De titration spé-
antalgique (77 %) et d'un opioïde (41 %), 69 % des patients cifique et parfois nécessitant de nouvelles titrations, sans
rapportaient des difficultés liées à leur douleur. équivalence entre eux ou avec les interdoses classiques, leurs
usage et prescription peuvent s'avérer moins facile.
Défini comme une exacerbation transitoire de la douleur
cancéreuse, caractérisé par sa durée (« Le paroxysme est
Pourquoi cette prévalence persiste-t atteint en moins de trois minutes. Dans la moitié des cas,
-elle de manière importante ? la douleur dure plus de 30 minutes »), l'ADP peut englober
Plusieurs hypothèses peuvent être émises. de nombreuses entités cliniques de prise en charge variable
(sensation de décharge de douleur neuropathique, douleur
liée à des soins) et être ou non prévisible [29].
Un mauvais diagnostic du mécanisme ? En France, l'étude ADEPI a été menée dans 46 centres sur
Une douleur neuropathique ? 512 patients, et les ADP étaient présents pour 85,3 % d'entre
Une manifestation de composante anxieuse ? eux [30]. Lors d'un ADP, 33 % des patients ne prenaient
aucun traitement, 25,4 % prenaient du fentanyl (transmu-
Lorsqu'on aborde la douleur du cancer, il est accepté de queux dans 90,8 % des cas). Ainsi, la majorité des ADP
privilégier le mécanisme inflammatoire ou par excès de n'étaient pas traitée de manière adéquate. En outre, lors de la
nociception. Pourtant, avec l'allongement de la survie des prise de fentanyl transmuqueux, 60,9 % des patients étaient
patients [6], les douleurs changent. Les douleurs des patients bien ou totalement soulagés à 15 minutes ; 39,1 % étaient
« survivants » ne sont alors que rarement des douleurs par donc insuffisamment soulagés.
excès de nociception. Ils présentent plutôt des douleurs neu- Ainsi les ADP sont-ils vraisemblablement en partie res-
ropathiques séquellaires du traitement du cancer (chimio- ponsables de la persistance de la douleur, selon les études
thérapie, radiothérapie, chirurgie, acte invasif comme des épidémiologiques, surtout de par le manque de traitement
cathéters, etc.). Par exemple, l'incidence des neuropathies adapté, mais aussi, parfois, du fait de l'efficacité insuffisante
périphériques chimio-induites est de 30 à 40 % (elle peut des traitements.
aller jusqu'à 90 % en cas d'utilisation d'oxaliplatine®) [26].
Des atteintes neurologiques (compression médullaire, etc.)
sont également possibles en cas d'évolution du cancer.
Dans ces situations, l'utilisation des paliers de l'OMS perd Douleur sous-traitée ou traitée
son sens, car même si les opioïdes peuvent avoir un effet avec retard ?
antalgique dans les douleurs neuropathiques, ils sont moins De nombreux auteurs retrouvent une prise en charge antal-
performants que dans les cas de douleur par excès de noci- gique insuffisante pour près de 50 % des patients atteints de
ception. Ils sont même parfois sources d'un effet paradoxal cancer [31–33].
(hyperalgésie induit par les opioïdes). Ils ne sont d'ailleurs Malgré les efforts de diffusion de l'importance de la prise
pas recommandés en première intention pour la douleur en charge de la douleur dans le cancer, certaines croyances
neuropathique, même en cas de douleur intense. et comportements ont la peau dure. En effet, ce manque de
La proportion de douleurs neuropathiques est loin d'être prise en charge se révèle avoir plusieurs causes :
négligeable : ■ en premier lieu, le patient peut être réfractaire à cette
■ d'après une étude française, 28,2 % des patients atteints de prise en charge, pour plusieurs croyances ou, plutôt,
cancer ont des douleurs chroniques ; chez ces patients, 20,9 % fausses croyances, parmi lesquelles l'incurabilité des
ont des douleurs neuropathiques, avec une prévalence allant douleurs et le fatalisme (« finalement quand on a un can-
de 3 à 10 % en fonction de la tumeur primitive [13] ; cer, c'est normal d'avoir mal » [34]), la peur de ne pas
■ une autre étude rapporte que 31,4 % des patients avec sentir une aggravation ou la crainte que la douleur soit
douleurs cancéreuses ont des douleurs neuropathiques. un marqueur du cancer à ne pas perturber, le fait de pen-
Les douleurs mixtes sont fréquemment retrouvées, par- ser que la douleur ne puisse pas être contrôlée, ou bien
ticulièrement en phase avancée : 44,2 % de population de encore la peur de l'addiction ou des effets indésirables
patients sont concernés dans 50 unités de soins palliatifs [22], etc ;
(USP) en Italie [26]. ■ en second lieu, les médecins, eux aussi à l'origine de cette
La part d'anxiété ou la part comportementale peut être au insuffisance de traitement, principalement de par leur
premier plan dans l'expression de la douleur. Ainsi, « j'ai mal » réticence à l'utilisation d'opioïdes. Cette réticence est
devrait se traduire en « je suis mal ». Il est parfois plus facile rapportée à la peur de leurs effets indésirables, au risque
ou acceptable de parler de sa douleur que de sa souffrance. Et d'addiction, aux croyances erronées sur l'aspect législatif
quand l'une est soulagée, quelle place l'autre peut-elle prendre ? des prescriptions (« l'habilitation à prescrire ») [22, 35].
Ainsi, un ajustement du diagnostic du mécanisme doulou- L'insuffisante peut être due (et c'est finalement peut-être
reux est nécessaire en cas de résistance au traitement « paliers la raison la plus inquiétante) à une évaluation insuffisante
OMS », surtout en cas d'utilisation de fortes doses d'un opioïde. de la douleur, qui peut s'élever jusqu'à 64 % [36].
218   Partie 3. Pathologies douloureuses

Patient « résistant », douleurs réfractaires ? Toute douleur survenant ou réapparaissant dans le


Malgré un traitement bien conduit, de bonnes évaluations, contexte de la maladie cancéreuse impliquera de la part de
une technicité et une pharmacopée adaptée, il y a toujours des l'ensemble des soignants la recherche méticuleuse clinique et
patients atteints de douleurs qui nous poussent dans nos retran- paraclinique d'une récidive, d'un échappement thérapeutique
chements, dans nos savoirs et nos savoir-faire. Il arrive que, ou d'une complication liée au traitement spécifique. Cette
malgré nos efforts, nous n'arrivions pas à bout de cette douleur. recherche doit être étayée sur une écoute attentive et une éva-
luation appropriée, s'appuyant sur l'utilisation d'outils spéci-
fiques. Ne pas évaluer correctement la douleur d'un patient
Conclusion a pour conséquences un traitement antalgique inadéquat ou
insuffisant, voire mal toléré, donc mal suivi, ce qui entraîne
La douleur est et reste une problématique importante dans une pérennisation de la douleur, situation qui a pour consé-
le cancer. Malgré des traitements efficaces, des campagnes quence une véritable maladie douloureuse telle que décrite
de sensibilisation et des recommandations internationales, ce par les Anglo-Saxons dès le début des années 1970 (douleur
problème persiste. Une évaluation rigoureuse est nécessaire totale). La résultante en sera l'enfermement du patient dans
pour ne pas méconnaître des mécanismes neuropathiques ou sa maladie, avec une détresse physique et psychologique
une composante anxieuse qui ne répondront pas aux traite- majeure, responsable de son isolement relationnel et social.
ments « usuels ». La nécessité d'un prosélytisme pour diffuser Ces constatations impliquent que, en raison de la haute
l'importance de la prise en charge antalgique et lutter contre prévalence de la douleur chez les patients cancéreux, l'en-
les croyances erronées sur les antalgiques reste d'actualité. semble des soignants impliqués dans le traitement du cancer
Enfin, il est essentiel d'aller au bout de nos connaissances et soit parfaitement entraîné à évaluer une douleur, suivre le
savoir-faire pour aider ces patients qui, parfois, ont des dou- syndrome douloureux et les suites des traitements, tout au
leurs rebelles à nos traitements, à l'heure actuelle en tous cas. long de l'évolution de la maladie.
Mais il ne nous est pas interdit de viser le meilleur. Une mauvaise estimation de la douleur sera responsable
d'une fausse appréciation de la sévérité de la maladie, de

32.2 Douleur due


son évolution, de ses séquelles ou de sa récidive. Les études
menées il y a quelques années en France montrent qu'il
existe une différence d'appréciation importante entre, d'une
au cancer part, les soignants (les médecins, notamment) qui évaluent
la sévérité de la douleur et les patients eux-mêmes [38].
Philippe Poulain Pour le soignant, quelle que soit sa profession, prendre
en charge un patient atteint de cancer, c'est aussi se ques-
tionner constamment : « Et si cette personne, en face de
Généralités moi, était une personne douloureuse ? », ce d'autant que
ce patient est isolé, aux âges extrêmes de la vie, ou handi-
Le cancer est presque toujours responsable de douleurs : capé. Ce n'est qu'en étant attentif, en effectuant un examen
bien que moins d'un patient sur trois ressente des douleurs minutieux, en utilisant des outils d'évaluation adaptés et en
au commencement de la maladie (moins de 30 % des cas), confrontant son opinion à celle des autres soignants que l'on
près de 60 % des patients qui en sont atteints sont doulou- sera en droit de répondre : « Non, cette personne n'a pas de
reux durant la phase de traitement spécifique de la mala- douleurs ».
die et plus de 70 %, à un stade évolué ; 90 % des patients en Se préoccuper d'évaluer la douleur est un processus dyna-
phase terminale ont des douleurs [37]. mique qui implique d'écouter en premier lieu le patient, en
La douleur due au cancer est soit : étant attentif aux mots qu'il utilise pour décrire sa douleur. Pour
■ un signal d'alarme qui peut permettre : le médecin, c'est pratiquer un examen complet puis, à partir des
– de détecter une tumeur au début de son évolution constatations cliniques, déterminer quel en est le mécanisme
(bien que, le plus souvent, le développement du cancer physiopathologique dont le traitement est adapté. On voit donc
se fait à bas bruit et sans douleur), très bien que si la prescription d'antalgiques est du domaine
– de suspecter une récidive, un échappement thérapeu- purement médical, l'évaluation de la douleur et la surveillance
tique ou une intolérance aux traitements spécifiques ; des traitements puis l'adaptation des posologies est un phéno-
■ le résultat de l'évolution progressive de la maladie, en mène collégial qui requiert l'observation de l'ensemble des soi-
phase évolutive, avancée ou terminale de la maladie ; gnants, chacun dans son domaine de compétences.
■ Le résultat de séquelles liées aux thérapeutiques spéci- Pour évaluer, il convient donc d'avoir pour objectifs de
fiques (chirurgicales, radiothérapiques, chimiothéra- caractériser la douleur, de faire une évaluation de ses répercus-
piques, immunothérapiques, etc.) ; sions et d'en approcher les conséquences sur le comportement
Elle s'exprime sur un fond douloureux permanent, qui global et l'expression de la souffrance du patient. L'utilisa-
impose un traitement de fond adapté au mécanisme physio- tion des outils d'évaluation de la douleur, parmi lesquels se
pathologique qui l'a créée. trouvent, entre autres les outils de mesure de l'intensité de la
Les Accès Douloureux Paroxystiques (ADP) sont une exa- douleur (Échelle Visuelle Analogique (EVA), Échelle Numé-
cerbation transitoire et de courte durée de la douleur, d'inten- rique (EN), Échelle Verbale Simple (EVS), etc.) [39], est le
sité modérée à sévère. Ils surviennent sur une douleur de fond vecteur d'un langage commun dans lequel l'ensemble d'une
contrôlée par un traitement efficace. équipe, qu'elle soit au domicile, libérale, à l'hôpital ou en
Chapitre 32. Douleur du cancer    219

hospitalisation à ­domicile, trouvera les repères scientifiques La qualification de la douleur (les mots choisis par le
et de c­ ommunication admis par tous. L'évaluation implique patient pour décrire sa douleur) suggère souvent le méca-
la participation du malade dans une relation réciproque de nisme physiopathologique qui la sous-tend. En géné-
confiance, digne d'une véritable alliance thérapeutique, ciblée ral, la douleur somatique est bien localisée et les mots
sur la douleur. Pour confirmer le diagnostic clinique, le méde- choisis pour la décrire orientent le diagnostic (intense,
cin peut prescrire des examens complémentaires qui permet- aiguë, pénétrante, transperçante, etc.). Quand il s'agit de
tront d'adapter le traitement approprié à chacun, avec un souci douleurs viscérales, la douleur est généralement décrite
constant du détail. Le suivi de ce traitement, quel que soit l'en- comme plus diffuse (coliques, torsion, etc.) alors que la
droit où est traité le malade, est un travail d'équipe, de tous les douleur neuropathique est en général décrite comme une
instants. Plus la maladie est longue, grave et évolutive, plus la brûlure, des décharges électriques, un froid douloureux,
douleur se complexifie, plus l'apport des soignants non méde- des fourmillements, des picotements, un engourdisse-
cins est indispensable au suivi et à la mise en œuvre des soins. ment, des démangeaisons, etc., comme le suggère le DN4,
La douleur liée au cancer, aiguë en début de parcours, peut outil d'aide au diagnostic [40]. La confirmation de la dou-
devenir chronique, surtout lorsque le cancer devient lui-même leur neuropathique se fait lors de l'examen clinique du
une maladie chronique qui continue d'évoluer lentement. Les patient, car elle est liée à l'existence de lésions nerveuses
épisodes aigus se succèdent dans le temps et peuvent conduire et, donc, source de troubles de la sensibilité retrouvés
à une chronicisation. Mais la douleur peut aussi régresser sous lors de cet examen (hypoesthésie, allodynie, dysesthésies,
l'effet des traitements spécifiques et disparaître ; il peut persis- anesthésie, etc.).
ter des séquelles liées aux traitements et aux dommages créés Les mécanismes combinant des douleurs neuropathiques
par la maladie elle-même. Ces séquelles peuvent être très et des douleurs par excès de stimulations nociceptives sont
douloureuses et, si elles restent négligées, laisser libre cours à très fréquents lors du parcours de soin, et doivent être repé-
l'évolution d'une douleur-maladie responsable de syndromes rés pour que le traitement combiné, soit le plus adapté pos-
anxieux et/ou dépressifs, d'asthénie, d'anorexie, de troubles du sible à chaque situation individuelle.
sommeil, de troubles affectifs et relationnels, d'une désinser- La composante cognitive et émotionnelle de la douleur
tion sociale, etc. Les ADP, de courte durée, brefs et sévères, est toujours très importante dans ces situations et doit être
doivent être repérés chez tout patient dont la situation s'est évaluée et prise en charge par des méthodes spécifiques
équilibrée car ils requièrent un traitement spécifique. appropriées à chaque situation individuelle.
Par ailleurs, la maladie cancéreuse demande souvent de
pratiquer des examens complémentaires qui peuvent être
douloureux, que ce soit durant la phase de diagnostic, de
surveillance ou de suivi de la maladie ; ces douleurs liées aux Évaluation
soins doivent systématiquement être prévenues. Elle se déroule en plusieurs étapes :
■ rappel de l'histoire clinique du patient et, notamment,
Syndromes douloureux du cancer avec ses différents traitements, puis du syn-
drome douloureux, des antalgiques utilisés, de leurs
et leurs caractéristiques effets, de leur tolérance et de l'apport des techniques non
Les syndromes douloureux présentés par les patients dif- médicamenteuses ;
fèrent en fonction des étiologies et de leur physiopatholo- ■ il est fréquent qu'il y ait plusieurs problèmes de douleur,
gie. Ils sont donc importants à caractériser pour en dégager et chacun doit être évalué séparément puis au travers de
les implications thérapeutiques. Ces syndromes peuvent se son interaction dans la souffrance globale du patient ;
révéler de manière aiguë ou évoluer sur un fond de chroni- ■ évaluation des conséquences de la douleur incluant
cité, tout en gardant à certains moments leur acuité. Nous ses répercussions sur l'activité, le sommeil, le moral, la
ne devons pas omettre de prévenir les douleurs aiguës infli- famille et les proches, et le travail ;
gées aux patients dans un but diagnostique ou dans le cadre ■ approche de l'état psychologique et de la représentation
d'une intervention thérapeutique (15 à 25 % des cas). Bien de la douleur pour le patient ;
que la tumeur soit souvent la cause directe de la douleur (par ■ l'examen clinique est un moment crucial de l'évaluation
infiltration, par diffusion loco-régionale ou par métastase), initiale, particulièrement l'examen neurologique (détec-
les cas où la douleur n'est pas directement consécutive à la tion d'une étiologie neuropathique) ;
maladie cancéreuse mais à ses traitements ne sont pas rares. ■ relecture des examens complémentaires précédents, à la
L'évaluation des caractéristiques de la douleur nous lumière des nouvelles constatations cliniques.
permet d'identifier le syndrome physiologique douloureux À l'issue de cette étape incontournable, le diagnostic clinique
motivant le choix du traitement antalgique. du syndrome douloureux est disponible et permet dans la
L'intensité de la douleur est une mesure incontournable majeure partie des cas de proposer une attitude thérapeutique
qui va induire le choix du traitement antalgique, de sa voie symptomatique quasi immédiate dans l'attente de résultats
d'administration et de la dose (titration). Attention, l'inten- d'examens complémentaires, si nécessaires (confirmation puis
sité de la douleur n'est pas un marqueur de l'évolution de la suggestion des thérapeutiques spécifiques). Certains examens
maladie. En effet, des tumeurs très agressives peuvent être complémentaires négatifs peuvent, lorsque l'impression clinique
totalement muettes alors que d'autres, à la limite de la détec- n'est pas confortée, indiquer la prescription d'examens plus pré-
tabilité, pourront être à l'origine de syndromes douloureux cis et plus performants qui en aucun cas ne doivent retarder le
particulièrement aigus et intenses. début du traitement symptomatique.
220   Partie 3. Pathologies douloureuses

Lorsque la douleur dure depuis longtemps, l'apport embolisations, sont souvent associées à des douleurs
d'autres expertises, comme la kinésithérapie, la psychologie, aiguës diffuses qui peuvent persister pendant plusieurs
le travail social, etc. peut être indispensable. jours, en raison du développement d'inflammation, d'ul-
À l'issue, l'impact de la douleur sur le malade dans son cérations ou d'érosions gastriques et de cholangite ;
environnement devrait être bien déterminé et permettre de ■ la chimiothérapie intrapéritonéale peut, dans 25 % des
proposer un plan de traitement adapté. Le soutien de profes- cas, provoquer des douleurs importantes nécessitant une
sionnels de santé, comme les infirmières ou des auxiliaires analgésie opioïde forte et/ou l'arrêt du traitement [41] ;
de vie permettra une évaluation et un suivi plus justes, ■ les injections de chimiothérapie ou l'immunothérapie
notamment à domicile. intravésicales peuvent entraîner une irritabilité récur-
La mesure de la douleur en routine (comme la mesure rente de la vessie, caractérisée par des mictions impé-
des constantes "vitales") est un point important de la prise rieuses et douloureuses ;
en charge du patient douloureux. Les échelles rapportent ■ l'injection d'une chimiothérapie intrathécale dans le traite­
la douleur évaluée par le patient lui-même (autoévalua- ment des leucémies ou des méningites carcinomateuses
tion). Des échelles d'hétéroévaluation sont réservées aux peut se compliquer de douleurs dans les membres infé-
patients qui ont des difficultés à exprimer leur douleur, rieurs et la partie inférieure de l'abdomen, à type d'hype-
comme les jeunes enfants, les personnes avec des troubles ralgésie et des myoclonies douloureuses ne sont pas rares.
cognitifs ou les personnes âgées. On a alors recours à des Ces injections peuvent par ailleurs être responsables d'un
échelles d'hétéroévaluation comme l'ECPA®, DOLOPLUS® syndrome méningé associant douleurs et vomissements
ou l'échelle DEGR®. L'aspect pluridimensionnel de la dou- liés à une fuite de liquide cérébrospinal.
leur peut être évalué en utilisant le questionnaire concis sur Le problème des douleurs aiguës associées à la neuro-
les douleurs (Brief Pain Inventory). Le QDSA (Question- toxicité des chimiothérapies est majeur. Il s'agit de douleurs
naire Douleur Saint-Antoine) permet d'évaluer les dimen- mixtes dont la composante nociceptive est souvent au pre-
sions sensorielles affectives et évaluatives de la douleur. mier plan. La composante neuropathique, plus insidieuse et
discrète, se manifeste lorsque les traitements opioïdes forts
ont réduit la composante principale :
Douleurs aiguës ■ la cytarabine, la doxorubicine, l'étoposide, le 5-fluorouracil
Les syndromes douloureux aigus dans le cancer sont sur- (5-FU) et le méthotrexate sont les molécules entraînant
tout dus aux interventions thérapeutiques ou diagnostiques le plus de mucites, d'autant plus importantes qu'une
et posent en général peu de difficultés à l'évaluation. Bien hygiène buccale déficiente, une irradiation antérieure,
que certaines de ces douleurs liées à la tumeur aient une des lésions buccales spécifiques ou des infections myco-
durée relativement courte dans leur phase aiguë (par siques ou virales associées sont présentes et que le patient
exemple une fracture d'os long sur une métastase osseuse), était préalablement neutropénique ;
bon nombre d'entre elles peuvent persister malgré un trai- ■ la neuropathie périphérique chimio-induite est très fré-
tement spécifique efficace de la lésion causale, et évoluer quente. La vincristine en particulier, les sels de platine et
ensuite sur un mode chronique. les taxanes peuvent fréquemment se compliquer de dou-
Par exemple, la douleur postopératoire dure classique- leurs neuropathiques pures. Si l'administration est pour-
ment moins de 72 heures. Des recommandations pour suivie aux mêmes doses, certaines lésions neurologiques
sa prise en charge ont été édictées. Au-delà de 72 heures, seront à l'origine de douleurs sévères et persistantes. Il
lorsqu'elle persiste, il convient de faire une évaluation des peut s'y associer un syndrome moteur.
complications éventuelles de l'intervention elle-même. Les D'autres douleurs aiguës liées aux chimiothérapies peuvent
techniques antalgiques peuvent aussi être à l'origine de dou- être rencontrées ; parmi les plus fréquentes on peut remarquer :
leurs : par exemple l'injection sous-cutanée de morphine ■ des douleurs osseuses diffuses, après injection d'acide
est douloureuse en elle-même, et lorsqu'elle est effectuée transrétinoïque, peuvent notamment s'accompagner de
de manière répétitive, elle peut être particulièrement mal maux de tête ;
supportée au fil du temps… ou encore les injections ité- ■ des arthralgies et des myalgies peuvent être rencontrées
ratives intrathécales d'opioïdes ou de corticoïdes peuvent à la suite de l'injection de paclitaxel à des doses cumula-
se compliquer d'une hyperalgésie qui cède à l'arrêt de tives, chez environ 10 à 20 % des patients. Ces douleurs
l'administration. apparaissent dans les quatre premiers jours suivant l'ad-
La douleur aiguë liée à des perfusions de chimiothérapies ministration, et durent moins d'une semaine ;
peut être sévère : ■ le syndrome mains-pieds correspond un rash cutané
■ la douleur au site d'injection de cytotoxiques (spasme douloureux consécutif à l'injection continue de 5-FU. Il
veineux, phlébite, extravasation, etc.) est un problème se caractérise par une douleur à type de brûlures et de
fréquent et l'utilisation systématique de voies d'admi- fourmillements. Un traitement symptomatique approprié
nistration veineuses profondes (sites d'injection [PCA], peut permettre la poursuite de l'administration. Il a aussi
cathéter central par insertion périphérique [PICC-line], été décrit avec le paclitaxel.
etc.) a permis de réduire ce type de complication, au prix Les douleurs aiguës peuvent aussi être en rapport avec
d'une majoration des risques infectieux lorsque les injec- l'hormonothérapie :
tions sont faites à un patient immunodéprimé ; ■ l'instauration d'un traitement par facteur de libération
■ les injections intra-artérielles d'une chimiothérapie cyto- de l'hormone lutéinisante (LHRF) dans les cancers de la
toxique, notamment hépatique, mais aussi les chimio- prostate peut être à l'origine d'une poussée de douleurs
Chapitre 32. Douleur du cancer    221

osseuses exacerbée, accompagnée d'une rétention uri- l'origine de stomatite d'inflammation du pharynx, thorax
naire, entre autres. On ne l'observe que dans la première avec œsophagite, pelvis avec cystite postradique, derma-
semaine du traitement ; il y a des recrudescences dans tite postradique, ulcérations vaginales et brûlures pel-
le temps ; l'utilisation concomitante d'antiandrogènes viennes, etc.). La radiothérapie est aussi responsable de
durant l'instauration du traitement par LHRF pourrait syndromes douloureux chroniques à distance qui peuvent
prévenir ce phénomène ; se prolonger à long terme, notamment des plexopathies,
■ tout traitement hormonal initié dans un cancer métasta- mais aussi des myélopathies postradiques. Lors des trai-
tique du sein peut se compliquer de douleurs musculos- tements antalgiques sur des localisations secondaires
quelettiques dans les premières semaines du traitement (osseuses, en particulier), il peut y avoir une résurgence
[42] ; ces douleurs semblent être indépendantes du déve- temporaire importante des douleurs. Cela peut aussi être
loppement tumoral ; observé encore un ou deux jours suivant une radiothéra-
■ les arthralgies multifocales induites par les inhibiteurs pie métabolique (strontium, samarium, etc.).
de l'aromatase sont rencontrées dans 20 à 50 % des traite­ Les accidents vasculaires thrombotiques ou ischémiques
ments [43]. Elles peuvent considérablement réduire la ne sont pas exceptionnels lors de la maladie cancéreuse et
mobilité des patientes et il est essentiel de faire le dia- peuvent être à l'origine de douleurs aiguës qui devraient être
gnostic différentiel avec une poursuite évolutive osseuse prévenues pas un traitement anticoagulant adapté.
de la maladie. En présence de douleurs importantes avec Les mucites peuvent être très douloureuses et entraîner
retentissement majeur sur la qualité de vie, malgré une un inconfort majeur, une impossibilité d'avaler et, donc,
prise en charge médicamenteuse et non médicamen- de se nourrir, voire d'aller à la selle. Les surinfections bacté-
teuse, l'arrêt du traitement par antiaromatase se discutera riennes et fungiques sont très fréquentes et, outre le traite­
et fera l'objet d'une décision établie en concertation entre ment qui leur est spécifique, le recours à des opioïdes avec
l'oncologue et le médecin de la douleur. des anesthésiques locaux est régulier. L'alimentation et l'hy-
Des douleurs aiguës peuvent être liées à une immuno- dratation doivent alors être pratiquées par voie parentérale.
thérapie : l'interféron induit fréquemment un syndrome Elles sont d'autant plus importantes qu'une radiothérapie est
pseudo-grippal (fièvre, myalgies, arthralgies, maux de concomitante.
tête et frissons) qui s'améliore à l'arrêt du traitement. Toutes les complications infectieuses, virales ou fun-
Le paracétamol est souvent efficace pour améliorer giques peuvent entraîner des douleurs liées à l'inflamma-
les symptômes. Avec l'utilisation croissante de nouvelles tion, des abcès et des lésions tissulaires susceptibles par la
molécules, les anticorps monoclonaux des polymyal- suite d'évoluer sur un mode chronique (névralgies posther-
gies ont fréquemment été décrites (dinolumab) [44]. pétiques par exemple).
Tous les nouveaux traitements immunothérapiques d'uti-
lisation récente peuvent être sources de douleurs très
importantes ; la composante neuropathique est souvent
au premier plan. Actuellement, des publications dans la
Douleurs chroniques
littérature spécialisée commencent à les décrire, mais il Les douleurs chroniques sont les douleurs évoluant depuis
est encore trop tôt pour avoir une notion très nette de ces plus de deux mois consécutifs.
complications algiques, notamment en ce qui concerne La plupart sont liées au développement du cancer, mais
leur physiopathologie. les douleurs séquellaires pures dues aux traitements ne sont
Les bisphosphonates, très utilisés il y a encore peu dans pas rares.
le traitement des douleurs et en prévention des métastases Les douleurs postchirurgicales sont bien connues, mais
osseuses, peuvent être à l'origine de douleurs osseuses et insuffisamment recherchées et prises en considération. Par
musculaires susceptibles d'être sévères dans les 24 heures exemple, la douleur liée à l'amputation d'un membre ou à
suivant la perfusion, et pour plusieurs jours. l'exérèse d'un organe n'est pas toujours traitée de manière
Les facteurs de croissance notamment le granulocyte optimale. La douleur chronique après chirurgie du sein
colony-stimulating factor (G-CSF) peuvent, dans 20 à 30 %, est très fréquente et souvent négligée. Considérée comme
des cas produire des douleurs osseuses accompagnées d'un « normale » par nombre de thérapeutes, elle altère dura-
syndrome pseudo-grippal. La douleur, dont l'intensité peut blement la qualité de vie des patientes qui s'étonnent de la
être sévère, peut être prévenue par l'administration conco- voir non seulement persister des mois après l'intervention,
mitante de corticoïdes. L'administration sous-­c utanée mais encore s'aggraver, souvent à l'occasion d'un traitement
d'érythropoïétine α s'accompagne de douleurs sur le site néo-adjuvant ou d'une radiothérapie. Attention, toute réap-
d'injection, qui peuvent être prévenues par l'addition de parition d'une douleur après un intervalle libre de plusieurs
lidocaïne. mois, doit faire suspecter une récidive et redoubler de vigi-
La radiothérapie est aussi à l'origine de douleurs lance. La preuve de la non-récidive doit être recherchée par
aiguës. La douleur incidente lors du positionnement sur des examens complémentaires appropriés et répétés en cas
la table doit être prévenue par un traitement adéquat (en d'aggravation ou de persistance.
général opioïde à action immédiate ou fentanyl transmu- Les douleurs séquellaires dues à la radiothérapie sont
queux chez le patient déjà équilibré par opioïdes). Les bien décrites. Elles sont de moins en moins fréquentes
douleurs aiguës consécutives à la toxicité du syndrome en raison des progrès de la dosimétrie. Elles s'expri-
inflammatoire postradique, (ulcérations de la peau et des ment souvent sur un mode neuropathique et atteignent
muqueuses) dépendent du lieu de l'irradiation (ORL, à le plus souvent de gros troncs nerveux ou des plexus.
222   Partie 3. Pathologies douloureuses

La myélite postradique s'accompagne de dysfonctionne- d'organe creux ont aussi été décrites et sont à l'origine de
ments du système nerveux autonome : on retrouve une douleurs aiguës intenses, faisant discuter une intervention
symptomatologie neurologique, des douleurs neuropa- chirurgicale en urgence rarement réalisable dans le contexte
thiques et un syndrome de Brown-Séquard. Les douleurs ou une sédation profonde continue jusqu'au décès peut être
des entérocolites et rectopathies postradiques ainsi que les effectuée avec l'accord du patient.
vessies radiques sont très difficiles à traiter et sources d'une L'infiltration et l'occlusion des vaisseaux sanguins, les lym-
altération importante de la qualité de vie des malades. C'est phangites périvasculaires sont aussi à l'origine de douleurs
souvent dans ces circonstances que l'administration d'antal- diffuses, d'intensité progressive, et sont souvent responsables
giques par voie intrathécale peut être d'un secours important. de lymphœdèmes très handicapants, pouvant aller jusqu'à
Les douleurs osseuses sont une des causes les plus fré- une impotence fonctionnelle douloureuse quasi totale.
quentes de douleurs chroniques (cancers métastatiques L'appareil urinaire n'est pas non plus à l'abri de compli-
qui peuvent rester asymptomatiques un certain temps) et cations douloureuses. L'obstruction progressive des uretères
doivent être distinguées des douleurs dont l'origine est indé- peut être à l'origine d'une insuffisance rénale nécessitant, en
pendante du cancer (ostéoporose et ses complications, suites fonction des situations, une évacuation des urines par une
des traitements). Elles peuvent être localisées ou multifo- sonde (interne, JJ ou externe, pyélostomie). Généralement,
cales. En fonction du lieu d'atteinte, les conséquences théra- le geste de dérivation soulage en grande partie la douleur.
peutiques sont très différentes (métastase fragile d'un os long Le pronostic sera fondé sur l'importance de l'insuffisance
nécessitant une chirurgie prophylactique, métastase verté- rénale résiduelle après drainage.
brale risquant de créer une compression médullaire, etc.). La De nombreux syndromes paranéoplasiques sont aussi
compression médullaire et ses complications neurologiques sources de douleur, parmi lesquels le pemphigus cutané est
peuvent être très douloureuses lors de son installation et il source d'un inconfort majeur.
est très important de recourir à des techniques chirurgicales
spécifiques (orthopédie ou neurochirurgie) et à la radiolo-
gie interventionnelle (vertébroplasties, chimio-embolisation Principes du traitement
tumorale, etc.) dès la survenue des signes cliniques. de la douleur chronique
Les douleurs musculaires liées aux traitements et aux due au cancer
désordres métaboliques qu'ils ont induits sont très fré-
quentes. Elles peuvent aussi être en rapport avec un envahis- Ils suivent les « Standards, options et recommandations » de
sement des muscles pelviens par les tumeurs locales ou les la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer
ganglions métastatiques. (FNCLCC) [39]. Cependant, des travaux d'actualisation ont
La survenue de céphalées et de douleurs faciales projetées été réalisés depuis 2011 sous l'égide d'un groupe d'experts
peut être à l'origine de la découverte de tumeurs intracéré- issus de la SFETD, de l'AFSOS et de la SFAP. Les principes de
brales (liées à une hypertension intracrânienne) ou d'une traitement de la douleur nociceptive sont rappelés ci-dessous.
atteinte leptoméningée, comprenant la méningite carcinoma-
teuse (qui donne un tableau particulier de douleurs souvent à
prédominance neuropathique, fugaces et se projetant succes- La stratégie proposée par l'OMS pour la prise en
sivement comme une mosaïque sur l'ensemble ou une partie charge de la douleur cancéreuse par excès de noci-
des dermatomes cutanés). Les traitements symptomatiques ception, articulée autour de cinq principes essen-
doivent être prescrits en urgence (perfusions de mannitol, tiels, reste globalement pertinente :
corticothérapie à haute dose, opioïdes, antiépileptiques, etc.). ■ prescription par voie orale,
Le système nerveux autonome peut lui aussi être atteint ■ prescription à intervalles réguliers,
par la maladie, directe­ment ou du fait de métastases souvent ■ prescription en respectant l'échelle de l'OMS à trois
ganglionnaires, à l'origine de compression (radiculopathie,
niveaux,
plexopathie, atteintes neurogènes diffuses, etc.). ■ prescription personnalisée,
L'atteinte viscérale abdominale diffuse ou localisée peut ■ prescription avec un constant souci du détail.
être à l'origine de syndromes algiques subocclusifs ou occlu-
sifs et nécessite, outre un traitement médical approprié, un
avis chirurgical pour une éventuelle intervention d'urgence.
La colostomie ou l'iléostomie de décharge est proposée pour Antalgiques non opioïdes
améliorer la douleur et la qualité de vie des patients en situa- Les antalgiques non opioïdes (premier niveau OMS)
tion d'occlusion ou de subocclusion ne répondant pas au doivent être utilisés pour les douleurs faibles à modérées,
traitement médical bien conduit. La distension de la capsule ils peuvent être associés aux antalgiques opioïdes (niveaux 2
hépatique par des localisations secondaires à la maladie est à et 3 OMS) :
l'origine de violentes douleurs de coliques hépatiques et d'un ■ le paracétamol est recommandé en première intention
ictère par obstacle sur la voie biliaire, pouvant nécessiter un dans les douleurs faibles à modérées, à la dose de 1 000 mg
drainage interne ou externe. La subocclusion digestive peut toutes les quatre à six heures. La dose maximale fixée par
aussi être consécutive à une ascite et une carcinose périto- l'AMM est de 4 g/j. Il y a des précautions d'emploi à res-
néale. En cas d'ascite, le drainage du liquide par ponction, pecter en cas d'insuffisance hépatique ;
associé à une corticothérapie et un traitement antalgique ■ l'utilisation des AINS est recommandée dans le traite­
souvent opioïde (si l'intensité de la douleur le requiert) amé- ment des douleurs inflammatoires, notamment les
liore en général la qualité de vie des patients. Des ruptures douleurs osseuses. Avec les AINS, le risque particulier
Chapitre 32. Douleur du cancer    223

d'association avec les chimiothérapies néphrotoxiques administration i.v. chez les personnes âgées, il s'avère donc
(notamment le cisplatine) et cytopéniantes doit être important de commencer à demi-dose.
mesuré ; La morphine doit être prescrite sous forme orale, soit en
■ Le néfopam n'est pas indiqué en première intention dans comprimés ou gélules de sulfate de morphine à libération
les douleurs cancéreuses chroniques. normale dite immédiate (LI), soit en comprimés ou gélules
de sulfate de morphine à libération prolongée LP, soit en solu-
tion de chlorhydrate de morphine. Dans tous les cas, chez un
Antalgiques opioïdes malade traité auparavant par un autre opioïde fort, la dose de
On distingue les opioïdes dits « faibles » pour les douleurs départ de morphine doit être adaptée à la dose de l'opioïde
modérées (niveau 2 OMS) et les opioïdes dits « forts » pour précédent et à la dose que prenait le patient. Sur https://opio-
les douleurs modérées à fortes (niveau 3 OMS). Les opioïdes convert.fr/, une table de conversion donne une dose de chan-
sont classés en trois catégories, en fonction de leur action gement pour passer d'un produit à l'autre en toute sécurité.
sur les récepteurs : agonistes purs, agonistes partielements-­ Le recours à une forme LI est indispensable pour l'équi-
antagonistes ou agonistes-antagonistes. libration. On augmente la dose en fonction de l'effet antal-
Les antalgiques opioïdes faibles peuvent être utilisés seuls gique obtenu et des effets indésirables éventuels, par paliers
ou en association avec un antalgique de niveau 1 : de 30 à 50 %. Compte tenu du recours possible aux interdoses
■ les molécules suivantes peuvent être utilisées : codéine, (1/6 à 1/10 de la dose des 24 heures), il est toujours conseillé
dihydrocodéine, poudre d'opium et tramadol ; de privilégier la sécurité à la rapidité d'action. Lorsque l'ad-
■ il n'existe pas de critère absolu de choix entre les diffé- ministration par voie orale est impossible, l'administration
rents produits ; transcutanée (fentanyl) ou parentérale continue (morphine)
■ la codéine est souvent associée à du paracétamol. Elle est avec antalgie autocontrôlée est privilégiée par rapport aux
administrée toutes les 4 à 6 heures et se transforme pour autres voies plus invasives. Les autres voies d'administra-
10 % en morphine, ce qui est à l'origine de son pouvoir tion de la morphine et des opioïdes sont d'indications plus
antalgique. La dihydrocodéine, à LP, est active 12 heures à rares. Elles doivent être utilisées en tenant compte du ratio
la posologie de 60 mg par comprimé. La poudre d'opium ­bénéfice-risque mais aussi de la formation des personnels,
en association avec paracétamol et/ou la caféine est aussi de l'entourage et des contraintes du suivi, notamment à
une alternative ; domicile. Un traitement par opioïdes (notamment par la
■ le tramadol doit être utilisé avec précaution en cas de morphine orale) ne doit jamais être interrompu brutale-
risque d'épilepsie ; la dose maximale de l'AMM est de ment. Aucun protocole précis pour diminuer le traitement
400 mg/24 h ; n'a été validé. Une diminution progressive par paliers de
■ à l'exception de la constipation, qui est un effet premier des 30 à 50 % en une semaine environ, en se fondant sur la cli-
opioïdes et qui doit être systématiquement prévenue, les nique (réapparition de la douleur, survenue d'un syndrome
effets indésirables doivent être recherchés et traités ; ils sont de sevrage) est proposée pour arrêter la morphine.
moins fréquents et tendent à disparaître dans les premiers La buprénorphine (agoniste µ et partiellement antago-
jours du traitement (somnolence, nausées, vomissements, niste des récepteurs Δ) ne peut être recommandée depuis
tremblements fins, troubles cognitifs, cauchemars, etc.). la mise à disposition d'autres opioïdes ; elle est néanmoins
La morphine est l'opioïde fort commercialisé en France prescrite par des voies simples : sublinguale et patchs (pas
le plus fréquemment utilisé. Elle est parmi les opioïdes les encore commercialisés en France). Elle a un effet plafond
moins liposolubles, ce qui conditionne sa lente diffusion aux alentours de 5 à 10 mg/24 heures. Il n'est pas recom-
dans le SNC. Après administration orale, la morphine est mandé de l'associer à des agonistes purs.
rapidement absorbée et la concentration plasmatique maxi- Le fentanyl et le sufentanil, opioïdes très liposolubles,
male est atteinte en un délai allant d'environ 30 minutes à présentent un effet antalgique puissant, rapide et une courte
une heure. La biodisponibilité de la morphine orale varie durée d'action. L'utilisation des patchs de fentanyl à partir de
de 15 % à 64 % (en fonction de l'effet de premier passage 12,5 μg/h est une option thérapeutique dans l'instaura-
hépatique : variations interindividuelles). Son délai d'action tion d'un traitement opioïde en cas de douleurs stables,
est plus lent que celui des opioïdes les plus liposolubles, qui c'est-à-dire sans paroxysme fréquent, sans douleur intense
diffusent plus rapidement dans le SNC. La demi-vie d'élimi- justifiant une voie injectable. Le sufentanil et le fentanyl par voie
nation est variable, allant de deux à six heures. parentérale (i.v. ou sous-cutanée) peuvent être utilisés dans les
La morphine est métabolisée par le foie, surtout par douleurs rebelles, en cas d'échec ou d'intolérance aux opioïdes
glucuroconjugaison. La morphine-6-glucuronide (M6G) a oraux [45]. Fentanyl et sufentanil peuvent être utilisés en cas
une puissance d'action environ 50 fois supérieure à celle de d'insuffisance rénale (excrétion rénale prédominante essen-
la molécule mère. L'élimination des dérivés se fait essentiel- tiellement sous forme de métabolites inactifs). Le sufentanil
lement par voie urinaire : en situation d'insuffisance rénale, est 10 fois plus puissant que le fentanyl qui, lui-même, l'est de
une accumulation des dérivés favorise les effets indésirables. 50 à 100 fois plus que la morphine : 60 mg de morphine orale
En revanche, une altération la fonction hépatique semble par jour est équiantalgique à 600 μg de fentanyl ou à 60 μg de
avoir assez peu d'incidences sur la pharmacocinétique de la sufentanil injecté par jour en perfusion continue i.v. ou sous-
morphine, car les cytochromes n'interviennent pas dans le cutanée. L'existence d'un relargage du fentanyl à partir du tissu
métabolisme hépatique de la morphine (figure 32.1). adipeux fait préférer l'usage de sufentanil par voie parentérale.
On observe des concentrations plasmatiques de mor- Lors de l'administration par PCA, on commence par des bolus
phine 1,5 fois plus élevées deux à cinq minutes après ­équivalent à 1 fois la dose horaire, avec une période réfractaire
224   Partie 3. Pathologies douloureuses

Métabolisme de la morphine
morphine 3-6-diglucuronide

morphine-3-glucuronide morphine-6-glucuronide

morphine-3 sulfate Morphine normorphine

normorphine-6-glucuronide normorphine-3-glucuronide

Figure 32.1 Métabolisme de la morphine.


Source : N. Michenot, S. Rostaing, L. Baron et al. La Morphine dans le cadre du changement d'opioïdes ou de voie d'administration, chez l'adulte
avec une douleur due au cancer. Bull Cancer (2018) 105 : 1052–1073.

de 5 à 10 minutes en i.v. et de 20 à 30 minutes en sous-cutané. férée. Sa puissance antalgique est de 5 à 7 fois supérieure à
En cas d'efficacité insuffisante, la dose du bolus sera augmen- celle de la morphine.
tée et la dose de base réévaluée (conformément à un accord L'oxycodone est un opioïde qui peut être utilisé d'emblée
professionnel). Le traitement par fentanyl ou sufentanil doit pour traiter une douleur nociceptive due au cancer. Elle a
être instauré par une équipe hospitalière spécialisée dans la une meilleure biodisponibilité que la morphine. Elle est
prise en charge de la douleur ou des soins palliatifs et formée métabolisée dans le foie par les cytochromes P450 et 2D6, ce
à leur utilisation. Après stabilisation, le traitement peut être qui peut amener des surdosages ou une relative inefficacité
poursuivi à domicile. Le fentanyl absorbé par voie transmu- chez les métaboliseurs lents ou ultrarapides ; elle n'est pas
queuse est indiqué pour le traitement des ADP. Il ne doit pas contre-indiquée en cas d'insuffisance rénale. Elle est entre
être utilisé pour équilibrer une douleur et ne doit l'être que 1,2 à 2,3 plus puissante que la morphine [47].
lorsque la douleur est stabilisée par un traitement opioïde de La péthidine a perdu de son intérêt en tant qu'opioïde de
base [46]. niveau 3 OMS. Elle n'est disponible que par voie parenté-
L'hydromorphone est indiquée dans le traitement des rale ; son principal métabolite, la norpéthidine, est convulsi-
douleurs intenses d'origine cancéreuse en cas de résistance vant. Elle ne doit pas être donnée répétitivement.
ou d'intolérance à la morphine. Elle a moins ­d'inconvénients La méthadone peut être envisagée après une évalua-
que celle-ci en cas d'insuffisance rénale et peut lui être pré- tion effectuée par une équipe spécialisée (soins palliatifs
Chapitre 32. Douleur du cancer    225

ou d­ ouleur) [48, 49]. Elle peut être prescrite en deuxième implanteurs et des équipes douleur et soins palliatifs doit être
intension après échec ou effets indésirables majeurs avec très étroite. Le résultat est en général spectaculaire, redon-
un autre opioïde. La méthadone n'ayant pas de métabolites nant bien souvent au patient une autonomie importante.
actifs, elle peut être utilisée chez le patient insuffisant rénal
et le dialysé ou encore chez la personne âgée. Le manie- Autres antalgiques et coantalgiques
ment de cet opioïde, notamment la titration, est complexe
et nécessite une hospitalisation pour surveillance jusqu'à Les coantalgiques sont des moyens thérapeutiques,
une équilibration qui survient généralement en moins d'une essentiellement médicamenteux, dont la fonction pre-
semaine. Comme pour la morphine, il n'existe pas de doses mière n'est pas l'antalgie, mais la potentialisation de
maximales avec la méthadone. Seule la survenue d'effets l'action des antalgiques, ou l'amélioration du confort
indésirables conduit à cesser l'augmentation des doses. La en agissant électivement sur certains symptômes asso-
dose des 24 heures est en général proposée en deux prises à ciés. Ils sont directement antalgiques sur les douleurs
12 heures d'intervalle ; en cas d'ADP, des doses supplémen- neuropathiques.
taires allant du 1/06 à 1/10 de la dose peuvent être prescrites, Les antidépresseurs sont justifiés, car ils possèdent une
ou encore du fentanyl transmuqueux. action antalgique propre (essentiellement les imiprami-
Le tapentadol dispose d'une AMM mais n'est pas com- niques tricycliques, ou IRSNA, inhibiteurs de la recapture de
mercialisé à ce jour en France. la sérotonine et de la noradrénaline).
La rotation des opioïdes a été définie la première fois Les antiépileptiques le plus utilisés sont la gabapentine et
en 1995 par Bruera et al. [50]. Elle se définit par le chan- la prégabaline. Leur action antalgique propre dans la dou-
gement systématique d'un opioïde pour un autre en pré- leur neuropathique du cancer est cependant faible, compa-
vention de l'apparition d'une tolérance ; l'intérêt de cette rativement à celle des antidépresseurs et des opioïdes. Ils
procédure n'a pas été démontré par les études disponibles seraient cependant mieux tolérés.
à ce jour. Nous préférons employer la notion de change- Les myorelaxants auraient un effet antalgique propre
ment d'opioïde qui se justifie lorsqu'il survient des effets (études cliniques en nombre insuffisant) et supprimeraient
indésirables intolérables pour une efficacité antalgique la composante douloureuse en rapport avec une contracture
insuffisante pour le patient. En pratique, un changement musculaire réflexe. On distingue :
est proposé pour améliorer la douleur ou les effets indési- ■ les myorelaxants antispastiques (action centrale, système
rables des traitements. Il est possible de réaliser un chan- gabaergique) : le baclofène, par exemple, antispastique
gement d'opioïdes entre tous les agonistes purs opioïdes de référence, à l'action antalgique propre, se fixe sur les
disponibles en France : morphine [47, 51, 53], fentanyl, récepteurs GABA. Il est utilisé pour les douleurs dans les
hydromorphone [47], oxycodone [53], méthadone [49]. En spasticités neurologiques ; la posologie, progressive, va de
tenant compte de ses particularités, la buprénorphine peut 5 à 75 mg/jour ;
aussi être utilisée. Le changement d'opioïdes se fait selon le ■ les benzodiazépines, comme le diazépam, sont utili-
sens du changement et les produits utilisés. La dose utilisée sées dans les contractures musculaires, en particulier
du nouvel opioïde dépend de nombreux facteurs, en fonc- lorsqu'elles sont associées à des métastases osseuses.
tion de l'opioïde choisi, selon www.opioconvert.fr. Les cannabinoïdes sont toujours à l'étude. Ils n'auraient
Les voies d'administration parentérales peuvent être pas d'action antalgique propre, mais seraient, de par leurs
préférées chez un patient pour qui la voie orale ou trans- propriétés relaxantes, anxiolytiques et apaisantes, de très
cutanée n'est pas simple. Chez le patient atteint de cancer, bons ajduvants en association avec des opioïdes. Ils devraient
il est fréquent qu'un site d'injection veineux sous-cutané faire prochainement l'objet d'une AMM sous forme d'asso-
soit en place, ce qui est plus simple et plus sûr. La réalisa- ciation THC-cannabidiol. Les experts de L'ANSM ont
tion pratique du traitement par voie sous-cutanée continue conclu récemment qu'il serait pertinent d'autoriser l'usage
peut se faire grâce à l'utilisation d'un infuseur, d'un pousse- du cannabis à visée thérapeutique dans certaines situations
seringue ou d'une pompe (PCA, en particulier). La dose cliniques et en cas de soulagement insuffisant ou d'une mau-
initiale de morphine va de 0,5 mg à 1 mg/kg/24 heures. vaise tolérance des thérapeutiques existantes.
Une dose de charge est souvent nécessaire (0,2 mg/kg). Outre les prescriptions antalgiques classiques, on pourra
Chez un patient, qui a déjà un traitement morphinique par proposer, selon les cas :
voie orale, la posologie est calculée en divisant par deux ■ la TENS en cas de neuropathie localisée, voire une neu-
la dose orale de 24 heures en sous-cutané et par 2 à 3 par rostimulation médullaire dans les douleurs incontrô-
voie i.v. L'oxycodone injectable, le fentanyl et le sufentanil lables par des traitements médicamenteux ;
peuvent être préférés, si besoin. ■ la physiothérapie, la kinésithérapie, notamment dans les
L'administration de traitements antalgiques par voie douleurs postopératoires ou postradiques ;
intramédullaire se fait par la mise en place chirurgicale de ■ l'acupuncture, l'auriculothérapie, la cryothérapie ;
pompes pour l'injection d'opioïde (morphine, le plus souvent ■ les techniques de toucher-massage ;
associée à des anesthésiques locaux et éventuellement du ■ les techniques de blocs locorégionaux ;
ziconotide) [52]. L'indication doit être réservée aux douleurs ■ en dehors des thérapeutiques médicamenteuses, il faut
très intenses suffisamment tôt dans l'évolution de la mala- souligner que l'approche psychologique, les thérapies
die, surtout lorsque les opioïdes sont mal tolérée par voie cognitivo comportementales (TCC), la relaxation,
générale. Ce système nécessite une habitude des équipes et le biofeed-back et l'hypnose peuvent être intégrées dans
un haut niveau de technicité. La collaboration des centres une stratégie thérapeutique globale ;
226   Partie 3. Pathologies douloureuses

■ les traitements chirurgicaux (chirurgie de la douleur, neuro- [16] Ventafridda V. A retrospective study on the use of oral morphine in
chirurgie) ont des indications, qui deviennent exceptionnelles ; cancer pain. J Pain Symptom Manage 1987 ; 2 : 77–82.
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neuro­pathique localisée, tels la capsaïcine ou les emplâtres
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D'autres approches, non médicamenteuses, ont été mise
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d'être évaluées scientifiquement. from a survey conducted in 50 Italian palliative care centers. J Pain
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mais, grâce à une collaboration étroite avec le médecin trai- [27] Portenoy RK, Hagen NA. Breakthrough pain : definition, prevalence
tant, grâce à l'hospitalisation à domicile, aux centres d'onco- and characteristics. Pain 1990 ; 41 : 273–81.
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en réseaux doit permettre que, progressivement, il y ait moins An Update. Drugs 2017 ; 77 : 747–63.
de patients cancéreux douloureux pour une qualité de vie, tou- [29] HAS Bon Usage du Médicament, https://www.has-sante.fr/portail/
jours augmentée quelle que soit l'issue de la maladie. upload/docs/application/pdf/2011-09/acces_douloureux_paroxystiques_-_
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Chapitre
33
Douleurs et génétique
Célia Lloret-Linares

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 Variabilité génétique de la réponse
Variabilité génétique de la perception aux analgésiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233

Ce qu'il faut comprendre Il existe plusieurs gènes candidats de la douleur et de


la variabilité de son intensité. Prenons l'exemple du gène
La connaissance concernant les prédispositions génétiques de la catéchol-O-méthyltransférase (COMT), une enzyme
à la douleur ou à la réponse à son traitement a rapidement impliquée dans la dégradation des catécholamines. Des
progressé au cours des dernières années. La découverte de auteurs ont examiné l'influence d'une variation génétique
mutations génétiques responsables d'une insensibilité à la sur la modulation des réponses à la douleur prolongée chez
douleur, par exemple le syndrome de Lesch-Nyhan ou le l'homme au moyen d'imageries fonctionnelles [2]. Les indi-
syndrome de Riley-Day, a permis de suspecter le rôle de vidus porteurs de deux allèles met158 du polymorphisme de
la génétique dans la variabilité de la perception de la dou- la COMT (val158met) avaient une diminution des réponses
leur. Dès lors, des études d'association ont révolutionné la du système opioïde régional à la douleur par rapport aux
recherche biomédicale en permettant de faire des liens entre porteurs d'un seul allèle. Cet état était accompagné d'éva-
des variations génétiques et les douleurs ou la réponse au luations sensorielles et affectives plus élevées de la douleur
traitement, et de progresser dans la compréhension des et d'un état affectif interne plus négatif. Des effets opposés
mécanismes physiopathologiques de la douleur. ont été observés chez les porteurs de deux allèles val158.
Les données de ce chapitre permettent d'aborder la varia- Le polymorphisme de la COMT val158met influe donc sur
bilité interindividuelle et d'inciter les cliniciens à avoir un l'expérience humaine de la douleur et peut favoriser des dif-
objectif d'individualisation de prise en charge des sujets férences interindividuelles dans l'adaptation et les réponses
douloureux. La littérature étant désormais abondante, seuls à la douleur et à d'autres stimuli stressants.
certains exemples seront utilisés pour illustrer ces propos. Le récepteur μ, principal site de liaison des opioïdes,
intervient dans la perception de la douleur et dans la déter-
mination des effets des opioïdes. Il est codé par le gène
Variabilité génétique OPRM1. Approximativement 100 variants ont été identi-
de la perception de la douleur fiés. Le plus connu est le polymorphisme A118G, dont la
fréquence est variable dans la population selon l'origine
Nociception et génétique géographique (2 à 48 %). Le récepteur « muté » conduit à
La perception de la douleur est critique pour la survie face une affinité supérieure pour les β-endorphines (3,5 fois).
au danger environnemental, et elle a subi une pression évo- Le polymorphisme A118G influence la sensibilité à la dou-
lutive rigoureuse. L'étude de jumeaux montre que environ leur expérimentale. Les porteurs de l'allèle G ont des seuils
50 % de la sensibilité à la douleur sont héréditaires, et que de survenue de la douleur à la pression plus élevés que les
des différences dans la perception de la douleur aiguë et porteurs de l'allèle A et des réponses corticales moindres
chronique existent selon les origines ethniques [1]. Par aux stimuli douloureux expérimentaux [3, 4]. Toutefois,
exemple, les sujets d'origine africaine, les Américains et les les femmes porteuses de cet allèle souffrent davantage dans
hispaniques non caucasiens rapportent une sensibilité à la les 24 premières heures suivant une césarienne que celles
douleur plus importante que celle des types caucasiens [1]. qui ne le portent pas [5]. En effet, il existe une interaction
De la même façon, les femmes rapportent une plus grande significative entre le sexe et le polymorphisme A118G,
intensité du niveau douloureux que les hommes [1]. comme le suggèrent des travaux concernant l'évolution de

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 231
232   Partie 4. Douleur selon le patient

la douleur au cours des 12 mois suivant une hernie discale Variabilité génétique de la réponse
[2]. Les femmes porteuses de l'allèle G sont 2,3 fois plus
douloureuses et présentent une récupération plus lente que
aux analgésiques
les hommes porteurs de l'allèle G. Généralités
Un autre exemple est une insensibilité au froid obser-
Outre des variations génétiques qui affectent la perception
vée chez des sujets porteurs d'un polymorphisme du gène
douloureuse, un certain nombre de variations vont porter
des récepteurs-canaux vanilloïdes TRPA1, un sous-type de
sur la réponse aux analgésiques. Il s'agit de modifications
récepteurs impliqué dans la sensibilité au chaud et au froid,
qui peuvent affecter l'élimination ou la bio-activation des
mais également dans la réponse à la capsaïcine [6].
médicaments – on parle de pharmacocinétique – et des
variations qui peuvent affecter la cible des médicaments-
Douleurs aiguës et génétique on parle de pharmacodynamie, mais la pharmacodynamie
Différentes études génétiques ont été réalisées dans un est elle-même sous l'influence des taux sériques des médi-
contexte postchirurgical. Dans le cadre de chirurgies pro- caments et donc de la pharmacocinétique. L'étude de la
grammées, la connaissance des facteurs de prédisposition variabilité génétique de la réponse thérapeutique s'appelle la
à la survenue de douleurs importantes permettrait en pharmacogénétique.
effet de cibler des sujets à risque de mauvaise évolution :
recours à de plus fortes doses d'opioïdes et conséquences Exemples de variation génétique
associées, soit difficultés de rééducation et survenue de des cibles des médicaments
douleurs chroniques. Leur contrôle permettrait a priori
d'éviter des prolongations d'hospitalisation en individua- Comme précédemment évoqué, les polymorphismes du
lisant la prise en charge. Ces études distinguent peu le rôle gène du récepteur de la morphine sont impliqués dans la
des facteurs qui font varier la sensibilité à la douleur aiguë, réponse aux opioïdes. Une moindre expression du gène est
des facteurs qui font varier les concentrations et l'effet des observée dans le tissu cérébral humain chez les sujets por-
médicaments utilisés (cf. chapitre 14, « Traitements médi- teurs de l'allèle 118G du gène OPRM1 et plaide en faveur
camenteux »). Il est attendu que les facteurs faisant varier d'un défaut de production et de contenu du récepteur [10].
la douleur aiguë soient assez semblables à ceux impli- Il est donc attendu une moindre réponse aux opioïdes chez
qués dans la nociception. Les polymorphismes du gène les porteurs. Dans des études expérimentales, en utilisant
de la COMT, par exemple, font varier la consommation la taille pupillaire (ou myosis) comme marqueur d'effet des
d'opioïdes en modulant la sensibilité et le vécu négatif opioïdes, des auteurs ont montré qu'il fallait administrer
de la douleur, tandis que les polymorphismes de OPRM1 quatre fois plus de métabolite actif de la morphine, le M6G, aux
sont impliqués dans la sensibilité à la douleur d'une part sujets porteurs de deux allèles G qu'aux sujets n'en ayant aucun,
et dans la liaison des opioïdes au récepteur μ d'autre part. et deux fois plus chez les sujets porteur d'un allèle G [11]. Les
sujets porteurs de deux allèles G nécessitent des concentra-
tions sanguines de fentanyl 10 à 12 fois plus élevées que les
Douleurs chroniques et génétique autres patients pour obtenir un même degré de dépression
Les études de familles et de jumeaux sont intéressantes pour respiratoire [12].
mieux connaître le risque génétique de douleurs chroniques. Cela a été confirmé en pratique clinique. Les sujets traités
Dans une cohorte de 2195 familles issues de toute l'Écosse et au long cours par morphine dans le cadre d'une pathologie
du Royaume-Uni (soit 7644 personnes), l'héritabilité de la cancéreuse et porteurs de deux allèles mutés requièrent des
« douleur chronique » et de la « douleur chronique sévère » doses de morphine 2,3 fois plus élevées que les sujets n'en
a été estimée à 16 et 30 % après ajustement sur différentes ayant pas. Des cas de sujets porteurs de l'allèle G à l'état
covariables, notamment sur les facteurs confondants [7]. homozygote, résistant à des doses élevées de morphine
En étudiant 3266 et 2256 jumelles souffrant de lombalgies (2 g/jour) ou tolérant la morphine malgré une insuffisance
chroniques ou de douleurs chroniques diffuses respecti- rénale ont été décrits. Cette diminution d'efficacité s'accom-
vement, il a été estimé que 70 et 39 % des douleurs étaient pagne aussi d'une diminution des effets indésirables.
attribuables à des facteurs génétiques communs [8].
Des facteurs génétiques prédisposant aux douleurs Exemple de variation génétique
chroniques postchirurgicales ont également été observés.
Par exemple, des variations des gènes des canaux potas- des enzymes impliquées dans le métabolisme
siques impliqués dans la transmission du signal douloureux des médicaments
seraient associées à des douleurs thoraciques postopéra- Différentes variations génétiques du CYP2D6 sont à
toires persistantes après chirurgie du cancer du sein [9]. Sept l'origine de 4 profils de métabolisme : les métaboliseurs
variations de 5 gènes différents ont été associées au risque de « lents », à l'activité absente, les « intermédiaires », à l'acti-
douleur légère chronique. Trois variations et un haplotype vité ralentie, les métaboliseurs normaux, « bons métabo-
(association de plusieurs variations sur des gènes différents) liseurs », et les « ultrarapides ». Chez les sujets d'origine
étaient associés au risque de douleur sévère. Des variations caucasienne, 5 à 20 % auront une activité ralentie et 1 à
génétiques de la COMT interviennent également dans le 10 %, une activité ultrarapide. Il existe une variabilité inte-
risque de douleurs chroniques à 6 mois d'une chirurgie de rethnique de la fréquence de ses profils, la fréquence d'UM
prothèse du genou. avec un gradient nord-sud atteint ainsi plus de 30 % dans
Chapitre 33. Douleurs et génétique    233

certaines populations d'Afrique et du Moyen-Orient [13]. Références


Le profil d'efficacité-sécurité des opioïdes prodrogues,
[1] Khuong TM, Neely GG. Conserved systems and functional genomic
codéine, tramadol et oxycodone, dépend largement de assessment of nociception. FEBS J 2013 ; 280(21) : 5298–306.
l'activité du CYP2D6. [2] Zubieta JK, Heitzeg MM, Smith YR, Bueller JA, Xu K, Xu Y, et al.
La codéine, le tramadol et l'oxycodone sont des pro- Comt val158met genotype affects mu-opioid neurotransmitter res-
drogues qui nécessitent une bio-activation par le CYP2D6 ponses to a pain stressor. Science 2003 ; 299 : 1240–3.
en métabolites actifs afin d'exercer leur activité opioïde. [3] Lotsch J, Stuck B, Hummel T. The human mu-opioid receptor gene
Un sujet ultrarapide, par excès de formation de métabo- polymorphism 118a > g decreases cortical activation in response to
lites actifs, sera sensible au médicament administré, voire specific nociceptive stimulation. Behav Neurosci 2006 ; 120 : 1218–24.
présentera un risque d'intoxication, tandis qu'un métabo- [4] Sia AT, Lim Y, Lim EC, Goh RW, Law HY, Landau R, et al. A118g
liseur lent aura recours à des posologies plus importantes single nucleotide polymorphism of human mu-opioid receptor
gene influences pain perception and patient-controlled intravenous
pour être soulagé. Cette variabilité est à l'origine de la
morphine consumption after intrathecal morphine for postcesarean
contre-indication de la codéine chez l'enfant de moins de analgesia. Anesthesiology 2008 ; 109 : 520–6.
12 ans. [5] Olsen MB, Jacobsen LM, Schistad EI, Pedersen LM, Rygh LJ, Roe C,
D'autres variations génétiques des enzymes du méta- et al. Pain intensity the first year after lumbar disc herniation is asso-
bolisme peuvent avoir des conséquences. Par exemple, les ciated with the a118g polymorphism in the opioid receptor mu 1
anti-inflammatoires sont des substrats du CYP2C9. Il a gene : Evidence of a sex and genotype interaction. J Neurosci 2012 ;
été démontré que les sujets ayant une clairance réduite 32 : 9831–4.
à la suite d'une variation génétique du CYP2C9 présen- [6] Kim H, Mittal DP, Iadarola MJ, Dionne RA. Genetic predictors for
taient davantage de risque hémorragique que ceux n'en acute experimental cold and heat pain sensitivity in humans. J Med
étant pas porteurs. Les sujets ayant une variation géné- Genet 2006 ; 43 : e40.
[7] Hocking LJ, Generation S, Morris AD, Dominiczak AF, Porteous DJ,
tique du gène de l'enzyme UGT2B7 ont aussi un risque
Smith BH. Heritability of chronic pain in 2195 extended families. Eur
plus élevé d'hépatotoxicité du diclofénac que ceux ne J Pain 2012 ; 16 : 1053–63.
l'ayant pas [14]. [8] Malkin I, Williams FM, LaChance G, Spector T, MacGregor AJ,
Livshits G. Low back and common widespread pain share common
genetic determinants. Ann Hum Genet 2014 ; 78 : 357–66.
[9] Langford DJ, Paul SM, West CM, Dunn LB, Levine JD, Kober KM,
Conclusion et al. Variations in potassium channel genes are associated with dis-
tinct trajectories of persistent breast pain after breast cancer surgery.
À ce jour, la recherche de variations génétiques en rou-
Pain 2015 ; 156 : 371–80.
tine a peu de sens, dans la mesure où les analyses géné- [10] Huang P, Chen C, Mague SD, Blendy JA, Liu-Chen LY. A common
tiques ne sont souvent pas disponibles au moment de la single nucleotide polymorphism a118g of the mu opioid receptor alters
prise en charge. Il n'est pas concevable de retarder une its n-glycosylation and protein stability. Biochem J 2012 ; 441 : 379–86.
prescription d'analgésiques. Pourtant, des recommanda- [11] Lotsch J, Skarke C, Grosch S, Darimont J, Schmidt H, Geisslinger G.
tions de posologies en fonction du génotype et du phéno- The polymorphism a118g of the human mu-opioid receptor gene
type du CYP2D6 existent, et sont disponibles sur le site decreases the pupil constrictory effect of morphine-6-glucuronide
de The Pharmacogenomics Knowledgebase (https://www. but not that of morphine. Pharmacogenetics 2002 ; 12 : 3–9.
pharmgkb.org), et l'utilisation de ces recommandations [12] Oertel BG, Schmidt R, Schneider A, Geisslinger G, Lotsch J. The
pourrait s'envisager dans le cadre de chirurgies program- ­mu-opioid receptor gene polymorphism 118a > g depletes alfentanil-
induced analgesia and protects against respiratory depression in
mées, par exemple.
homozygous carriers. Pharmacogenet Genomics 2006 ; 16 : 625–36.
L'essentiel à retenir est qu'il existe une importante varia- [13] Rodieux F, Lloret-Linares C, Piguet V, Desmeules J. Opioids pres-
bilité d'un individu à l'autre aux stimuli et aux approches cription in the vulnerable populations : The children and the elderly.
thérapeutiques et qu'elle est en partie génétiquement déter- Practical guidelines. Rev Med Suisse 2018 ; 14 : 1268–78.
minée. Elle justifie une surveillance rapprochée de l'effica- [14] Rollason V, Samer C, Piguet V, Dayer P, Desmeules J. Pharmacoge-
cité et de la tolérance des médicaments pour une adaptation netics of analgesics : Toward the individualization of prescription.
rapide de la stratégie thérapeutique. Pharmacogenomics 2008 ; 9 : 905–33.
Chapitre
34
Douleur et gériatrie
Gisèle Pickering

PLAN DU CHAPITRE
Des douleurs difficiles à détecter . . . . . . . . . . . 235 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
Traitements médicamenteux de la douleur
chez le sujet âgé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236

Les projections démographiques font état d'une augmenta- Des douleurs difficiles à détecter
tion de 25 % du nombre de personnes âgées de plus de 75 ans
d'ici 2025 : 11 % des plus de 80 ans souffrent de dépendance, La prévention des douleurs induites et l'anticipation lors
et d'un nombre croissant de maladies neuro­dégénératives (en des actes courants de la vie quotidienne, comme la toi-
particulier démence et maladie de Parkinson). La littérature lette et les soins, doivent être privilégiées. La détection de
montre que la prévalence de la douleur chez la personne âgée la douleur, qu'elle soit aiguë ou chronique, nociceptive ou
est très élevée [1–4]. La douleur chronique touche environ neuropathique, est difficile en gériatrie et lors de maladies
50 % des personnes âgées vivant à domicile, 49 à 83 % de neurodégénératives. Le caractère iatrogène des douleurs lors
celles vivant en institution et 80 % des personnes âgées en des soins est aujourd'hui pris en considération [11] et des
fin de vie ; 30 % des urgences gériatriques sont des douleurs thérapies préventives sont proposées.
aiguës. Les études suggèrent que la douleur est la plus fré- Les outils d'évaluation de la douleur sont complétés par
quente au cours de la phase d'âge moyen tardif de la vie, et l'évaluation de son retentissement et le repérage de la souffrance
cela est vrai quel que soit le site anatomique ou la cause patho- psychique (évaluation gériatrique standardisée, pathologies
gène de la douleur. Les pathologies articulaires dégénératives chroniques préexistantes, sources d'incapacité, questionnaires).
comme l'arthrose montrent une augmentation exponentielle L'autoévaluation est le gold standard de l'évaluation de la dou-
au cours du vieillissement. À un âge avancé, la présentation leur, avec une préférence pour l'échelle verbale et l'EN. Le
de la douleur est souvent atypique, avec une réduction de la questionnaire douleur Saint-Antoine, dans sa forme abrégée,
plainte douloureuse et, quelquefois, de l'intensité des symp- et le DN4 ne sont pas validés en gériatrie, mais utiles pour les
tômes algiques, souvent dans un contexte de déficit cognitif. patients communiquants. Si l'autoévaluation est impossible, en
La prévalence de la douleur neuropathique chez le sujet particulier dans les cas de troubles de la communication et les
âgé [5] a été largement sous-estimée pendant très longtemps, maladies neurodégénératives, une échelle d'hétéroévaluation
est évaluée à plus de 20 % dans l'arthrose [6] et comme attei- doit systématiquement être utilisée afin d'éliminer formelle-
gnant jusqu'à 48 % de patients âgés vivant à domicile dans ment un phénomène douloureux, qui doit être attentivement
une étude finlandaise [7]. Cette identification est impor- recherché en cas de modification du comportement. Plusieurs
tante, car la douleur neuropathique est un facteur de déclin échelles fiables et validées existent en langue française, DOLO-
fonctionnel, souvent accompagné d'une perte d'autonomie PLUS®, ECPA®-2, ALGOPLUS® et PACSLAC®. Néanmoins, ces
et de dépendance [8–10]. En effet, la douleur est un facteur échelles restent aujourd'hui sous-utilisées dans les établisse-
d'amplification de la vulnérabilité physique et psycholo- ments de santé et en médecine générale. En ce qui concerne
gique, en particulier chez le patient âgé, mal communiquant l'évaluation de la douleur chez les patients âgés non commu-
et souffrant de pathologie cognitive et neurodégénérative. niquants, un algorithme a été proposé [12]. Il faut tenter sys-
Des répercussions en cascade sont souvent observées sur tématiquement d'obtenir une autoévaluation de la douleur,
l'accélération du déclin fonctionnel, le repli sur soi, l'anxiété, même si le patient semble présenter des troubles cognitifs. Si
la dépression, l'anorexie, la dénutrition ou les troubles du l'autoévaluation semble fiable (si une Mini-Mental State Exami-
sommeil, et également sur l'aggravation des handicaps et nation [MMSE] a pu être pratiquée), ce qui est en général le cas
la perte d'autonomie [10]. Les grands défis de la prise en lorsque le score est supérieur ou égal 18), il faut confirmer les
charge de la douleur dans ces populations vulnérables sont résultats par une hétéroévaluation avec une échelle brève (par
d'éviter la douleur par une démarche préventive, de la détec- exemple ALGOPLUS®), puis mettre éventuellement en place
ter, de l'évaluer et de la traiter efficacement. une thérapeutique antalgique en fonction des résultats obtenus.

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 235
236   Partie 4. Douleur selon le patient

Si l'autoévaluation est problématique, alors le recours à qu'avec des précautions d'emploi liées à leurs effets indési-
une hétéroévaluation avec ALGOPLUS® doit être systéma- rables. En ce qui concerne l'utilisation des opioïdes faibles,
tique. Si le score obtenu avec cette dernière est de 0 ou de leur prescription doit être rigoureuse et la posologie de
1point sur 5, il faudra recourir aux échelles plus complètes, l'opioïde spécifiée. Leur instauration à dose réduite et leur
comme DOLOPLUS®, ECPA® ou PACSLAC®, car une éva- augmentation progressive sont rendues possibles par cer-
luation négative avec ALGOPLUS® n'élimine pas l'exis- taines formes galéniques qui offrent des possibilités d'adap-
tence d'une douleur chronique. En effet, ALGOPLUS® est tation posologique, ce qui implique de rester vigilant sur les
recommandée pour l'évaluation de la douleur aiguë ; utilisée effets indésirables et les interactions médicamenteuses. Pour
dans un autre contexte, elle peut conduire à sous-estimer l'utilisation des opioïdes forts, il faut retenir les recomman-
la douleur chez 17 % des patients [13]. Une telle démarche dations suivantes :
augmente la sensibilité du dépistage et élimine le risque de ■ connaître les différentes galéniques afin de tenir compte
faux négatifs. Enfin, il faudra procéder systématiquement à des capacités de déglutition, et adapter les voies d'abord
des réévaluations après la mise en place du traitement antal- du malade ;
gique pour réadapter éventuellement la thérapeutique. ■ choisir la voie d'administration la moins invasive possible
En ce qui concerne la douleur neuropathique, un algo- et privilégier la voie orale ;
rithme décisionnel a été également publié afin de sensibiliser ■ introduire un seul antalgique ou une seule molécule à
à sa prise en charge chez le sujet avec troubles de la com- la fois pour pouvoir évaluer et attribuer précisément
munication [14]. Cet algorithme décrit quatre étapes essen- d'éventuels effets indésirables ;
tielles qui sont la détection en cas de suspicion de la douleur ■ la titration de la dose efficace se fait préférentiellement
neuropathique, son évaluation, son traitement et sa rééva- avec un opiacé d'action immédiate réparti toutes les
luation. Le dépistage rapide de la douleur chez le patient non quatre à six heures, afin d'ajuster au mieux la posologie
communiquant, chez qui les troubles comportementaux en tenant compte de l'efficacité et des effets indésirables.
et psychologiques peuvent être faussement attribués à des Toutefois, si le lieu de vie de la personne âgée ne le per-
troubles psychiatriques, doit être systématiquement effectué met pas, une forme LP efficace sur 12 heures pourra être
afin de limiter le recours inutile à des psychotropes, dont utilisée d'emblée ;
les neuroleptiques, qui amplifieront les déficits cognitifs, en ■ penser à prescrire du fentanyl transmuqueux (cancéro­
particulier lors de maladie neurodégénérative. logie), quand le patient est bien équilibré, en cas d'ADP ;
■ il n'y a pas de dose maximale à ne pas dépasser du fait de
Traitements médicamenteux l'âge ;
■ le peu de données relatives aux propriétés pharmacociné-
de la douleur chez le sujet âgé tiques et pharmacodynamiques des opiacés chez les per-
Les traitements médicamenteux de la douleur du sujet sonnes âgées ne permet pas d'en recommander un plus
âgé ou souffrant de pathologie neurodégénérative sont les qu'un autre.
mêmes que ceux du patient plus jeune, mais les comorbidités Enfin, en ce qui concerne la douleur neuropathique, les
et la polymédication majorent le risque iatrogène, les effets recommandations suivantes ont été proposées :
indésirables et les interactions médicamenteuses, une majo- ■ le traitement des douleurs neuropathiques est un traite-
ration qui va croissant depuis les quinze dernières années ment prolongé de plusieurs mois, voire davantage ;
[15]. Les adaptations posologiques (poids, contexte clinique, ■ l'intervention d'une infirmière permettant d'encadrer
insuffisance rénale, comédications) sont recommandées la prise médicamenteuse et facilitant l'observance est
pour de nombreux antalgiques ; les formes topiques, à pri- indispensable ;
vilégier, sont encore peu nombreuses. L'impact cognitif et ■ les traitements topiques sont à privilégier dans les dou-
émotionnel de la douleur dans ces populations vulnérables leurs neuropathiques localisées ;
doit être systématiquement recherché (car souvent masqué), ■ l'instauration de ces traitements antalgiques nécessite
afin de freiner le déclin fonctionnel fréquemment observé une ascension posologique prudente en privilégiant une
lors d'une pathologie intercurrente ou l'installation d'une prise en charge multimodale ;
douleur chronique réfractaire aux traitements recomman- ■ les effets indésirables médicamenteux doivent être dépis-
dés. Les techniques non pharmacologiques sont conseillées tés le plus tôt possible afin de maîtriser les risques iatro-
en conjonction avec les médicaments antalgiques. gènes fréquents dans ces classes thérapeutiques chez la
Un consensus multidisciplinaire a été récemment publié personne âgée.
sur l'utilisation des traitements de la douleur chez la per- L'optimisation du développement de la médecine de la
sonne âgée et s'est intéressé aux antalgiques et aux « coan- douleur en gériatrie et dans les maladies neurodégénéra-
talgiques » [16]. En dépit des publications récentes, dont tives en France doit cibler tous les aspects de la pratique cli-
certaines ont des biais méthodologiques, le paracétamol nique, de la pédagogie et de la recherche. Il est primordial
demeure le médicament prescrit en première intention dans de favoriser l'adhésion et la collaboration des personnes
les douleurs faibles à modérées. Toutefois, un ajustement âgées, quel que soit leur statut cognitif. Aussi, prendre
posologique est recommandé dans un contexte de comor- le temps d'expliquer le choix du médicament, son effet
bidités et de coprescription de médicaments anticoagulants, attendu, son délai d'action, ses éventuels effets indésirables
à la posologie de 3 g par jour de paracétamol chez le patient et leur gestion, qui doit être anticipée, est essentiel. Associer
de plus de 65–70 ans, en fonction de son état de santé. En l'entourage à la démarche est pertinent et privilégier l'ETP
ce qui concerne les AINS, leur prescription n'est envisagée permet de favoriser l'observance et d'éviter le mésusage.
Chapitre 34. Douleur et gériatrie    237

Un certain nombre de défis pour optimiser la prise en [3] Pickering G, Deteix A, Eschalier A, Dubray C. Impact of pain on
charge de la douleur chez la personne âgée ou souffrant de recreational activities of nursing home residents. Aging (Milano)
maladies neurodégénératives ont été proposés dans le livre 2001 ; 13 : 44–8.
[4] De Tommaso M, Arendt-Nielsen L, Defrin R, Kunz M, Pickering G,
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Valeriani M. Pain in Neurodegenerative Disease : Current Knowledge
En pédagogie, il est important de poursuivre la and Future Perspectives. Behav Neurol 2016 ; 2016 : 7576292.
construction au niveau national d'une force d'interven- [5] Pickering G, Capriz-Ribière F. Neuropathic pain in the elderly.
tion multidisciplinaire en médecine de la douleur en Psychol Neuropsychiatr Vieil 2008 ; 6 : 107–14.
gériatrie, en soins palliatifs et neurologie, etc. : les socié- [6] French HP, Smart KM, Doyle F. Prevalence of neuropathic pain in
tés savantes doivent collaborer activement afin de rendre knee or hip osteoarthritis : A systematic review and meta-analysis.
la douleur en gériatrie et dans les maladies neurodégéné- Semin Arthritis Rheum 2017 ; 47 : 1–8.
ratives attractive pour les professionnels de santé. [7] Rapo-Pylkkö S, Haanpää M, Liira H. Neuropathic Pain Among
En recherche, il existe un vrai besoin d'essais cliniques ­C ommunity-Dwelling Older People : A Clinical Study in Finland.
médicamenteux randomisés de bonne qualité, d'études Drugs Aging 2015 ; 32 : 737–42.
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et al. Herpes Zoster and Functional Decline Consortium. Functional
la synergie des techniques pharmacologiques et non decline and herpes zoster in older people : an interplay of multiple
pharmacologiques. factors. Aging Clin Exp Res 2015 ; 27 : 757–65.
En clinique, il s'agit : [9] Pickering G, Lussier D. A ‘Neuropathic Pain’ in Pain Management in
■ de poursuivre la diffusion de l'approche graduelle de the Elderly Patient : A Comprehensive Guide to Diagnosis and Treat-
détection, d'évaluation et de traitement pharmacologique ment. New York : Springer ; 2017.
et non pharmacologique de la douleur, et la réévaluation [10] Pickering G, Gavazzi G, Gaillat J, Paccalin M, Bloch K, Bouhassira D.
de celle-ci ; Is herpes zoster an additional complication in old age alongside
■ de promouvoir l'utilisation des échelles de la douleur comorbidity and multiple medications ? Results of the post hoc ana-
dans tous les milieux de vie des patients âgés ou atteints lysis of the 12-month longitudinal prospective observational ARI-
ZONA cohort study. BMJ Open 2016 ; 6 : e009689.
de maladie neurodégénérative ;
[11] http://www.douleur-rrdbn.org/boite-a-outils-du-reseau/les-­
■ d'enrichir les recommandations de prise en charge de la differents-outils-elabores/douleur-personnes-agees/douleur-­
douleur, en particulier lors de troubles de la communica- personnes-agees,1800,1744.html.
tion et de la verbalisation ; [12] Rat P, Bonin-Guillaume S, Pickering G, Leglise MS, Collectif DOLO-
■ de sensibiliser aux effets indésirables et aux interactions PLUS. Algorythme d'évaluation de la douleur chez les patients âgés.
médicamenteuses dans le contexte fréquent de polymédi- Douleurs 2014 ; 15 : 52–6.
cation, de comorbidités, de déficit cognitif et de fragilité ; [13] Martin E, Team DOLOPLUS Collective, Pereira B, Pickering G.
■ de cibler les conséquences de la douleur per se, ainsi que Concordance of Pain Detection Using the DOLOPLUS and ALGO-
des analgésiques sur les domaines cognitifs et émotion- PLUS Behavioral Scales. J Am Geriatr Soc 2016 ; 64 : e100–2.
nels de la douleur, et considérer les stratégies de coping [14] Pickering G, Marcoux M, Chapiro S, David L, Rat P, Michel M, et al.
An Algorithm for Neuropathic Pain Management in Older People.
qui peuvent être mises en place ;
Drugs Aging 2016 ; 33 : 575–83.
■ de prévenir la douleur, l'anticiper, la prendre en charge [15] Guthrie B, Makubate B, Hernandez-Santiago V, Dreischulte T. The
le plus vite possible, avec une balance bénéfice-risque rising tide of polypharmacy and drug-drug interactions : population
optimisée. database analysis 1995–2010. BMC Med 2015 ; 13 : 74.
[16] Capriz F, Chapiro S, David L, Floccia M, Guillaumé C, Morel V, et al.
Consensus multidisciplinaire d'experts en douleur et gériatrie : uti-
Conclusion lisation des antalgiques dans la prise en charge de la douleur de la
personne âgée (hors anesthésie). Douleurs : évaluation-diagnostic-
Prendre en charge la douleur est un défi éthique chez la per- traitement 2017 ; 18 : 234–47.
sonne âgée souvent vulnérable, pour favoriser une qualité de [17] Pickering G. Douleur en gériatrie, Livre blanc de la douleur, SFETD
vie préservée et optimisée. 2017 : 55, 99.
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Références Press ; 2017.
[1] Helme RD, Gibson SJ. The epidemiology of pain in elderly people.
Clin Geriatr Med 2001 ; 17 : 417–31.
[2] Breivik H, Collett B, Ventafridda V, Cohen R, Gallacher D. Survey of
chronic pain in Europe : prevalence, impact on daily life, and treat-
ment. Eur J Pain 2006 ; 10 : 287–333.
Chapitre
35
Douleur chez l'enfant
et l'adolescent
Barbara Tourniaire

PLAN DU CHAPITRE
Les différents types de douleurs . . . . . . . . . . . 239 Douleurs chroniques les plus fréquentes
en pédiatrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

Dans ce chapitre seront abordés les grands principes de primordial et permet bien souvent de comprendre la situation
prise en charge des douleurs en pédiatrie et les principales familiale et personnelle dans laquelle l'adolescent se trouve.
douleurs chroniques de l'enfant et de l'adolescent. Dans la douleur chronique, les explications, les émotions
Plus l'enfant est petit, moins il a les capacités cognitives et l'ETP jouent un rôle majeur. Une place devra être identi-
pour comprendre ce qui lui arrive. La présence des parents fiée pour les parents dans ce processus.
à ses côtés chaque fois que la famille le souhaite est un atout
indispensable. Tous les moyens et toutes les explications
doivent être donnés à l'enfant et aux parents pour qu'ils Les différents types de douleurs
puissent au mieux aider leur enfant.
La communication avec l'enfant doit être adaptée à son Douleur aiguë
âge. Quelques règles simples sont utiles : observer d'abord Comme chez l'adulte, l'objectif du traitement est de ramener
l'enfant à distance, s'approcher doucement en vérifiant son l'intensité de la douleur à 3 ou à 4/10. Des recommandations
état émotionnel, ne pas le brusquer, utiliser le jeu pour obte- françaises concernant la douleur de l'enfant ont été publiées
nir son adhésion, y compris dans les explications pour les en 2000 par l'HAS, en 2009 par l'AFSSAPS, et à nouveau en
plus petits puis, une fois la confiance obtenue, s'adresser 2016 par l'HAS [1]. Elles regroupent l'ensemble des données
directement à lui. Dès 4 à 5 ans, l'enfant pourra répondre publiées dans les principales situations de douleur pour les-
à bon nombre de questions lui-même, au moins en partie, quelles nous disposons de littérature, précisent les indications et
surtout si elles lui sont posées dans un vocabulaire simple, les posologies.
l'une après l'autre, et assorties d'encouragements. Les recommandations les plus récentes publiées après
Avant ses 7 ans, l'enfant est très autocentré, a du mal à se l'alerte sur la codéine en pédiatrie rappellent que :
mettre à la place de l'autre et pense sa pensée transparente ■ les moyens non médicamenteux, tels que l'information
pour les adultes. Aussi faudra-t-il vraiment l'encourager à de l'enfant et de sa famille, la distraction, la relaxation,
partager ce qu'il ressent. De même à cet âge dispose-t-il de l'hypnose, etc., contribuent à la diminution de la douleur.
très peu de moyens propres pour se rassurer ; il n'a le plus La présence des parents est un facteur essentiel de soula-
souvent aucune référence pour savoir comment les soins gement et de sentiment de sécurité ;
ou les consultations vont se dérouler. Les médecins et tous ■ le paracétamol en première intention est à réser-
les professionnels de santé doivent donc expliquer à l'enfant ver aux douleurs faibles à modérées. La posologie
d'emblée le déroulement des soins et de la consultation. est de 15 mg/kg/prise, 4 fois par jour. La voie intra-
Quand l'enfant grandit, entre 8 et 11 ans, il devient un rectale ne doit plus être utilisée du fait de sa faible
partenaire de soins, a souvent très envie d'en savoir plus et biodisponibilité ;
collabore assez facilement avec les soignants. Les explica- ■ l'ibuprofène est l'AINS à recommander en première
tions claires lui seront très utiles. intention en pédiatrie dans la plupart des douleurs aiguës
À l'adolescence, un temps spécifique doit être proposé en modérées à intenses. Le rapport de l'OMS de 2012 pré-
consultation, sans les parents. Avec lui, il faudra convenir de cise qu'« aucun autre AINS n'a été suffisamment étudié
ce qui sera restitué aux parents. Cet accès aux soins seul est en pédiatrie, en termes d'efficacité et de sécurité, pour

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 239
240   Partie 4. Douleur selon le patient

être recommandé comme une alternative à l'ibuprofène » Enfin, tous les traitements antalgiques disponibles
et que l'ibuprofène a montré une efficacité supérieure à doivent être utilisés : allaitement, solutions sucrées et suc-
celle du paracétamol dans la douleur aiguë. Dans cer- cion non nutritive jusqu'à 4 à 6 mois, solutions hypersucrées
taines situations comme la traumatologie et certaines ensuite, crème anesthésiante, MEOPA, pour tous les soins
douleurs postopératoires, les AINS ont montré une effi- douloureux. Il n'y a aucune raison de ne pas les utiliser
cacité supérieure aux antalgiques de palier 2, voire de quand ils sont disponibles.
palier 3, contrairement à l'idée implicite induite par la Les études montrent bien la mémorisation de la douleur,
classification de l'OMS en paliers. Prescrit aux posologies y compris chez les nouveau-nés. Contrairement à ce qui
recommandées (20 à 30 mg/kg/j) par voie orale et pour était souvent dit : « il est petit, il oubliera », au contraire, le
une durée courte (48 à 72 heures), les effets indésirables risque est la mémorisation, l'anxiété, voire la phobie. Une
sont rares. En France, la peur de l'utilisation des AINS est attention toute particulière doit être portée aux premiers
importante et en grande partie infondée. Les précautions soins qui, s'ils se passent mal, vont souvent rendre les soins
d'emploi et contre-indications doivent être respectées. La suivants encore plus difficiles.
posologie est de 20 à 30 mg/kg/jour en 3 ou 4 prises ; L'information, l'installation de l'enfant et du soignant,
■ le tramadol, antalgique de palier 2, peut être recommandé la présence des parents et l'anticipation du soin sont néces-
en alternative à la codéine chez l'enfant de plus de 3 ans, saires au bon déroulement de celui-ci. En particulier, bien
dans certaines situations cliniques de prise en charge d'une sûr, dans les maladies chroniques ou dans les soins néces-
douleur intense d'emblée, ou en cas d'échec du paracéta- saires à répétition, des protocoles de soins doivent être réflé-
mol et de l'ibuprofène. Cependant, son métabolisme suit chis de manière pluriprofessionnelle.
en partie la même voie que la codéine, par le cytochrome Le site www.pediadol.org et le guide de poche L'essentiel,
P450 2D6, et des événements indésirables graves peuvent disponible sur ce même site précisent toutes les posologies
survenir. La posologie est de 1 à 2 mg/kg/prise, trois à et conduites à tenir en fonction des soins.
quatre fois par jour ;
■ la morphine orale est recommandée dans la prise en Douleur prolongée ou chronique
charge des douleurs intenses ou en cas d'échec des antal-
giques moins puissants. Elle est la molécule de choix Lorsque la douleur dure au-delà de quelques heures pour les
pour ce type de douleurs. La posologie de départ par plus petits, quelques semaines ou mois ensuite, les caracté-
voie orale pour la forme à libération dite immédiate est ristiques de la douleur chronique se précisent. L'évaluation
de 0,2 mg/kg/prise, quatre à six fois par jour. Elle sera ne doit plus concerner seulement la description des dou-
rapidement évaluée et adaptée. Pour des titrations ou des leurs, leur localisation et leur intensité ; elle doit aussi, voire
douleurs très intenses d'emblée, une dose de charge de surtout, s'intéresser au retentissement de la douleur sur la
0,4 à 0,5 mg/kg sera proposée. Chez l'enfant de moins de vie de l'enfant et de sa famille.
1 an, la posologie initiale sera réduite ; Nous ne disposons que de peu d'études épidémiologiques
■ la morphine par voie i.v. peut être utilisée dès la nais- sur la douleur récidivante ou chronique de l'enfant. La plu-
sance, à des posologies adaptées, par des équipes entraî- part sont fondées sur des enquêtes en milieu scolaire qui,
nées, et moyennant une surveillance adaptée. distinguant mal la sévérité et la fréquence des douleurs, font
Les recommandations de la HAS précisent les traitements état de chiffres extrêmement variables [3]. Il peut peut-être
préconisés dans chaque situation clinique de douleur aiguë. être avancé que 2 à 4 % des enfants présenteraient des dou-
Le guide « La douleur de l'enfant. L'essentiel » [2], dispo- leurs chroniques invalidantes.
nible aussi librement en e-book sur le site www.pediadol. En 2013, une étude réalisée dans les structures douleur
org, détaille les traitements et les situations cliniques les plus pédiatrique françaises a montré que les principaux motifs de
courantes. consultation sont les céphalées (55 %), les douleurs muscu-
losquelettiques (26 %), les douleurs diffuses concernant plus
de deux sites (12 %), les douleurs abdominales (6 %) et les
Douleur provoquée par les soins douleurs neuropathiques (1 %) [4].
Si l'adulte comprend très bien que les soins sont utiles pour La qualité de vie et l'absentéisme scolaire doivent être
le traitement, cela n'est pas le cas en pédiatrie : l'enfant évalués, ainsi que le maintien ou non des activités extras-
avant environ 6 ans comprendra difficilement qu'on lui colaires, les sorties, les relations amicales, les invitations, le
fasse du mal pour son bien. Le soignant devra expliquer le sport et la situation globale de l'enfant et da sa famille.
soin de manière à la fois adaptée à l'âge et précise mais non Parallèlement au bilan étiologique, les éléments psycholo-
anxiogène. giques seront abordés avec la famille, ainsi que la recherche
Le rôle de la cognition dans le contrôle de la douleur, bien de solutions pour sortir de la situation actuelle. Si le prati-
connu, est dépassé chez l'enfant petit. La douleur sera majo- cien attend la normalité de tout le bilan pour évoquer ces
rée. Tout doit donc être fait pour rassurer l'enfant, le dis- éléments émotionnels, la situation sera ressentie comme :
traire, l'aider, etc. Bien souvent, il sera dit à tort que l'enfant « on n'a rien trouvé, il n'a rien, c'est psy ». Avoir d'emblée
a plus peur que mal, alors qu'il a à la fois peur et mal. L'an- abordé les intrications et retentissements réciproques évite
xiété doit donc être prise en compte très spécifiquement. cet écueil.
L'accueil, la présence des parents, des explications adaptées, Lorsque la douleur résiste aux moyens habituels,
des équipes formées à la distraction et à l'hypno-analgésie lorsqu'elle paraît plus importante qu'attendue, lorsque
seront donc des points clés. le retentissement est lourd, que l'absentéisme scolaire de
Chapitre 35. Douleur chez l'enfant et l'adolescent    241

l'enfant est important ou qu'il y a arrêt des activités habi- Seul l'interrogatoire permet de diagnostiquer le type
tuellement réalisées à cet âge-là, lorsque la composante psy- de céphalée, interrogatoire centré sur l'enfant dès qu'il est
chologique n'est pas acceptée par la famille, l'enfant devra en âge de s'exprimer, interrogatoire composé de questions
être adressé en structure douleur ayant des compétences en simples. Les parents découvrent bien souvent des éléments
pédiatrie. qu'ils méconnaissaient. La façon de questionner l'enfant et
Les consultations douleur chronique de l'enfant et de sa famille est primordiale ; un déroulement simple des ques-
l'adolescent sont longues ; elles comportent un temps indi- tions leur permet de s'y retrouver.
vidualisé pour l'adolescent, et supposent une attention par-
ticulière pour obtenir l'alliance de chacun tout en respectant Rechercher l'existence de crises de migraines
chaque place. par des questions simples à l'enfant
Les recommandations HAS précisent l'absence d'indica- et à ses parents (tableau 35.1)
tion des morphiniques dans les douleurs chroniques non
Les deux seules différences par rapport aux migraines de
cancéreuses de l'enfant, en tous cas en dehors d'une prise
l'adulte sont des céphalées fréquemment bilatérales et une
en charge globale en structure spécialisée. Les risques d'abus
durée plus courte (deux heures au minimum au lieu de
existent dans ces situations de douleur chroniques, en parti-
quatre heures chez l'adulte).
culier en cas de troubles de l'humeur associés.
En pratique, tout enfant ayant présenté au moins cinq
Des documents d'information pourront être remis
fois dans sa vie des crises de céphalées intenses lors des-
aux familles, en fonction de la situation clinique. Un livre
quels il a arrêté spontanément ses activités, et eu soit des
d'information très utile aux familles peut leur être indi-
nausées-vomissements, soit une phonophotophobie, est
qué : Comprendre et vaincre la douleur chronique de votre
migraineux.
enfant [5]. Cet ouvrage est très intéressant aussi pour les
D'autres signes sont fréquemment associés aux migraines
professionnels.
de l'enfant, et doivent être recherchés, mais ne font pas par-
Une vidéo d'une dizaine de minutes réalisée par Zerni-
tie des critères diagnostiques au sens strict du terme : les
kow, spécialiste allemand de la douleur de l'enfant, explique
vertiges ou sensations vertigineuses, les douleurs abdomi-
aussi de manière très didactique aux adolescents et aux
nales et la pâleur.
parents ce qu'est la douleur chronique [6].
Enfin, des auras peuvent être présentes : visuelles, audi-
tives, sensitives, du langage ou motrice. Chez l'enfant, elles
Douleurs chroniques surviennent le plus souvent pendant la céphalée et non
avant, et sont le plus souvent à type de tâches colorées ou de
les plus fréquentes en pédiatrie flou visuel que de scotomes et autres auras de l'adulte.
Céphalées primaires de l'enfant Elles doivent être recherchées auprès de l'enfant,
directement, au moyen de questions simples : « quand tu
La migraine et la céphalée de tension sont de très loin les as très mal à la tête, cela t'arrive-t-il de voir des choses
céphalées récurrentes les plus fréquentes de l'enfant. La bizarres ? (aura visuelle), d'entendre des choses bizarres
névralgie du trijumeau et les AVF sont extrêmement rares (aura auditive), de sentir des choses bizarres sur le corps
en pédiatrie.
Migraine et céphalées de tension sont souvent associées
chez l'enfant et la recherche pour chaque enfant des deux Tableau 35.1 Critères de l'OCHD3. Quelles
entités doit être faite méticuleusement et de manière sépa- questions à poser aux enfants.
rée. Ainsi, la première question à poser à l'enfant est « as-tu
deux sortes de maux de tête : parfois des gros lors desquels Critères ICHD3 Questions à poser à l'enfant
tu dois arrêter tout ce que tu étais en train de faire, te cou- Au moins 5 crises
cher, etc. et parfois des petits, pendant lesquels tu peux Durée : de 2 à 72 heures
continuer à faire ce que tu veux ? ». Si l'enfant a les deux, il
Au moins 2 Quand tu as très mal à la tête :
sera questionné d'abord sur les plus intenses, probablement
caractéristiques : – peux-tu me montrer à quel endroit
de type migraineux puis sur l'autre. – localisation unilatérale de ta tête tu as mal ?
La classification ICHD3 (International Classification of ou bilatérale – peux-tu me dire comment est cette
Headache Disorders) détaille tous les critères et permet aux – pulsatile douleur ; est-ce que ça tape ?
cliniciens, dans sa version électronique www.ichd-3.org, un – modérée ou sévère – peux-tu donner une note entre 0 et
accès très facile non seulement aux critères diagnostiques – aggravation par 10 (ou sur une échelle des visages ou
mais à de nombreuses aides cliniques. l'activité physique sur une EVA) ?
– es-tu obligé de te coucher ou peux-tu
continuer tes activités ?
Migraine de l'enfant Au moins une Quand tu as très mal à la tête :
La migraine est la cause la plus fréquente des céphalées caractéristique : – as-tu envie de vomir ? vomis-tu
intenses récurrentes de l'enfant : dans la population géné- – nausées ou parfois ?
vomissements – es-tu gêné par le bruit, par la
rale, 5 % des enfants de 5 ans sont migraineux, 10 % à 10 ans – photophobie et lumière ?
et 15 % à l'adolescence. Tous ne consultent pas, car dans les phonophobie
formes les plus simples, des antalgiques de niveau 1 et le
Examen clinique normal
sommeil suffisent à arrêter la douleur.
242   Partie 4. Douleur selon le patient

(aura sensitive), de ne plus arriver à bouger un bras ou Association migraines-céphalées


une jambe (aura motrice) ou de ne plus arriver à parler de tension très fréquente chez l'enfant
normalement (aura du langage) ? ».
La fréquence de ces migraines sera précisée. Environ deux tiers des enfants présentent à la fois des
migraines et des céphalées de tension. Cette associa-
tion doit être bien recherchée et nommée lors de la
Rechercher les facteurs déclenchants consultation.
Seulement ensuite, l'enfant sera interrogé sur les facteurs Il est intéressant de faire, avec la famille, un diagramme
déclenchants, et on le laissera citer d'abord spontanément pour illustrer cette situation et sur lequel le traitement peut
les situations qui peuvent déclencher des maux de tête. aussi être indiqué.
Puis une liste des facteurs les plus fréquents lui sera pro-
posée, en commençant par les facteurs extérieurs banals Céphalées chroniques
tels que la chaleur, la lumière, le bruit, le froid, la chaleur
(« quand il fait très chaud, cela peut-il te donner mal à la Le plus souvent, l'enfant présente d'abord une phase de
tête ? ») ; puis les activités physiques, le sport, l'agitation céphalées de tension et/ou de migraines puis, progressive­
pour les plus petits, les stimulations vestibulaires, les ment, des épisodes de plus en plus fréquents, puis une
chocs sur la tête ; le jeûne, les facteurs alimentaires (très ­céphalée chronique, définie comme présente plus de 15 jours
rares chez l'enfant), la fièvre ; puis les difficultés du som- par mois. Il pourra s'agir de céphalée de tension chronique
meil ou les nuits courtes, ce qui commence aussi à mobi- ou de migraine chronique (plus de 15 jours de céphalées
liser les éléments émotionnels ; puis le stress, l'inquiétude par mois, dont au moins 8 jours de migraines). Dans cette
(« quand tu es stressé, inquiet, que tu te fais du souci, cela dernière situation, le plus souvent un absentéisme scolaire
peut-il te donner mal à la tête ? »). Ces questions simples, important s'installe.
progressant des facteurs extérieurs aux facteurs émotion- Cette chronicisation apparaît principalement sous l'effet
nels, permettent à l'enfant et sa famille de bien identifier de facteurs émotionnels personnels ou familiaux. Lorsque
les facteurs déclenchants, et au professionnel, de voir les le stress scolaire est le premier en cause, les vacances amé-
résistances ou non à aborder certains d'entre eux, les asso- liorent souvent la situation.
ciations faites ou non. Plus rarement, une céphalée chronique s'installe de novo.

Informer Traitement
Expliquer à l'enfant et sa famille que la migraine est une Traitement médicamenteux
maladie héréditaire, « de famille », que le cerveau est Des recommandations guident la thérapeutique [1].
« comme un peu trop sensible » et répond facilement Cependant le nombre d'études pédiatriques est limité. Sont
à des stimulations parfois banales, parfois moins, de recommandés les AINS en première intention, en parti-
la vie. Bien souvent, quand les crises se rapprochent, culier l'ibuprofène et, en cas d'échec, le sumatriptan, seul
les facteurs émotionnels sont devenus très présents et triptan ayant une AMM en pédiatrie à partir de l'âge de
évoquer cette intrication de manière simple permet aux 12 ans et d'un poids de 35 kg. En deçà, si l'ibuprofène est
familles de l'aborder plus facilement. Ces explications insuffisant, le paracétamol sera associé, environ une heure
sont la condition sine qua non d'un traitement bien plus tard.
conduit. Les formes inhabituelles ou résistantes aux traitements
Elles permettent aux familles de percevoir l'intrication seront adressées en consultation spécialisée.
entre le terrain héréditaire et les facteurs déclenchants sur Un exemple de prescription pour un enfant de plus de
lesquels ils vont pouvoir ou non jouer pour diminuer le 40 kg suit :
nombre de crises. ■ en tout début de crise de migraine, prendre rapidement
de l'ibuprofène 400 mg ;
■ en cas d'échec, 60 minutes plus tard, administrer une pul-
Céphalées de tension vérisation de sumatriptan 10 mg dans une narine.
La question est cette fois-ci : « as-tu parfois de petits maux Pour un enfant de 6 ans, pesant 20 kg, la prescription
de tête, pendant lesquels tu peux continuer tes activités, qui peut être la suivante :
passent tout seuls, sans médicaments ? » ■ en tout début de crise de migraine, prendre rapidement
Les critères diagnostiques sont les mêmes que chez de l'ibuprofène 200 mg ;
l'adulte : ■ en cas d'échec, 60 minutes plus tard, administrer du para-
■ avoir eu dix épisodes de crises typiques (ou deux crises cétamol 300 mg.
avec aura) ; Il est important de tenir un agenda mentionnant les fac-
■ céphalée modérée, non pulsatile ; teurs déclenchants et l'efficacité thérapeutique.
■ non aggravée par l'activité ; Il n'y a pas d'indication de traitement médicamenteux
■ sans nausée-vomissement ; pour les céphalées de tension, mais les méthodes psycho­
■ phono- ou photophobie possible, mais non associée. logiques, telles que la relaxation et l'hypnose ont montré
La fréquence de ces céphalées de tension est recherchée. son efficacité, ainsi qu'en traitement de fond de la migraine.
Chapitre 35. Douleur chez l'enfant et l'adolescent    243

Méthodes psychocorporelles liales. Il est très rare de ne pas trouver d'élément de ce type.
Plus de vingt études randomisées ont montré l'efficacité La qualité de la relation avec l'adolescent en consultation,
de la relaxation, l'hypnose et les moyens psychologiques la confiance, mais aussi des échanges orientés et souples,
comme les TCC dans la douleur chronique de l'enfant, et en suivant les mouvements de l'adolescent, son histoire et le
particulier les céphalées. contexte dans lequel les douleurs se sont installées permet-
Chaque médecin recevant des enfants douloureux devra tront de comprendre la situation. Évoquer en douceur les
identifier des professionnels formés à ces méthodes, princi- difficultés que l'adolescent a eu à affronter sera très aidant.
palement des psychologues et psychomotriciens. Le questionner directement sur son anxiété et son humeur
est important.
Des supports d'information Les propositions thérapeutiques pourront alors être
adaptées, fondées principalement sur les méthodes
Délivrer un support d'information en consultation est une psychologiques.
aide majeure pour l'enfant, sa famille et le milieu scolaire Aucun traitement médicamenteux n'a montré son effi-
qui devra être informé et aider l'enfant à prendre son traite­ cacité dans le SDRC de l'enfant, du fait aussi d'un manque
ment quand nécessaire. Des livrets ont été réalisés et sont d'études suffisantes. Les molécules contre les douleurs neuro­
disponibles : www.sparadrap.org, ainsi qu'un site www. pathiques pourront aider, comme l'amitriptyline ou la
migraine-enfant.org. gabapentine.
Pour en savoir plus, un ouvrage complet est disponible [7]. Les manœuvres locales n'ont pas montré leur efficacité et
sont souvent quasi impossibles du fait de la douleur. L'im-
Douleurs musculosquelettiques mobilisation n'est pas aidante, la douleur persiste sous plâtre
Devant des douleurs musculosquelettiques (DMS), un ou attelle. Une prise en charge précoce est nécessaire pour
interrogatoire et un bilan permettent d'évoquer ou d'élimi- éviter l'immobilisation trop longue d'un membre, une perte
ner les pathologies inflammatoires, tumorales, les maladies musculaire ou une raideur articulaire.
osseuses, etc. Le traitement étiologique sera instauré paral- Le rôle des explications, la confiance de la famille, la dis-
lèlement au traitement antalgique. Un recours à une consul- cussion sur les intrications de la maladie avec les éléments
tation douleur peut être nécessaire si la douleur résiste, est émotionnels, les soins psychologiques et psychocorpo-
invalidante et a un retentissement important sur la vie. Une rels doivent être au premier plan. Lorsque le lien entre les
prise en charge pluriprofessionelle sera alors proposée. émotions et la douleur a pu être fait par l'adolescent et sa
Nous évoquerons ici les deux types de DMS les plus fré- famille, l'amélioration est plus facile, voire rapide. Dans le
quemment observées en consultation douleur pédiatrique : cas inverse, il est parfois long d'arriver à démêler les choses.
le SDRC de type 1 (algodystrophie) et les DMS diffuses à Les échanges entre professionnels ou la prise en charge en
bilan normal. équipe pluriprofessionnelle (médecin, psychologue, kinési-
thérapeute, etc.) sont nécessaires.
Parfois, la situation est trop complexe, l'enfant est dés-
Le syndrome douloureux régional complexe colarisé et le milieu scolaire, impuissant ou dépassé. Une
de type 1 hospitalisation en centre médicalisé, avec scolarité intégrée,
Les hypothèses physiopathologiques et la description ne peut aider à sortir de cette impasse.
seront pas reprises en détail, elles l'ont été dans le chapitre Nous manquons de données épidémiologiques sur le
31, « Le syndrome douloureux régional complexe ». devenir de ces enfants, mais la pratique clinique montre une
Les spécificités pédiatriques sont une phase chaude souvent amélioration dans la plupart des situations, avec une prise
brève, voire absente, et rapidement, une phase froide, avec une en charge globale adaptée [8, 9].
atteinte prédominante des membres inférieurs, principalement
chez des jeunes filles prépubères ou adolescentes, à la suite, ou
non, d'un traumatisme bénin. La douleur est décrite dans des Douleurs musculosquelettiques diffuses
termes de douleur neuropathique, et le membre atteint est inexpliquées
très souvent intouchable, hyperesthésique. L'enfant arrivera Comme chez l'adulte, mais de manière beaucoup moins fré-
en consultation s'appuyant sur une béquille ou en fauteuil quente, certains adolescents décrivent des DMS diffuses. Les
roulant sans chaussure, ou le bras en écharpe, ou pendant, ou localisations sont variables. Après avoir éliminé les patho-
encore rétracté dans une position vicieuse. Le toucher, même logies possibles, la question du diagnostic à évoquer et des
léger et la moindre mobilisation seront très douloureux. La mots à utiliser se pose.
peau peut être marbrée ou sèche, pouvant prendre parfois un L'examen clinique peut montrer soit plusieurs zones
aspect impressionnant comme un membre violacé. L'atteinte douloureuses, soit une douleur diffuse. Le schéma du bon-
est « en chaussette » ou « en gant ». Ces signes de douleur neu- homme est alors intéressant.
ropathique s'étendent souvent, a minima, au-delà de la zone L'étiologie de ces douleurs reste inconnue.
douloureuse, parfois jusqu'à l'hémicorps. Parfois le diagnostic de fibromyalgie est énoncé soit par
Si la littérature peine à montrer l'existence de caracté- l'entourage, soit par un professionnel. Nous ne disposons
ristiques psychologiques particulières, dans la très grande actuellement pas d'études affirmant que cette entité existe
majorité des cas, le SDRC de l'enfant commence dans une chez l'adolescent. Le risque pourrait être de figer un diag­
période de difficultés psychologiques individuelles ou fami- nostic, avec la lourdeur inhérente.
244   Partie 4. Douleur selon le patient

Le rôle des émotions, des éléments de vie, des histoires ment accessible, peut être une aide pour de nombreuses
familiales, etc. apparaît souvent important. familles, ainsi que la vidéo disponible sur le site Pediadol.
Certaines familles continuent, malgré la normalité des Les études réalisées montrent que la plupart des traite-
examens, à rechercher une étiologie. Cela peut conduire ments médicamenteux sont des échecs : antiacides, antidé-
à une escalade de bilans et, parfois, de traitements. Les presseurs. Les antispasmodiques n'ont pas fait l'objet d'études
échange de qualité entre professionnels et familles pourront de bonne qualité méthodologique, ni les antalgiques. Les
dans ce cas éviter un engrenage terrible. modifications du régime alimentaire sont souvent conseil-
Comme dans les SDRC, le retentissement est parfois tel lées par excès et malgré l'absence d'arguments scientifiques.
qu'un temps d'hospitalisation en centre médicalisé avec sco- Les probiotiques ont pu montrer une certaine efficacité.
larité intégrée et programme de soins est nécessaire. En revanche, les méthodes psychologiques ont montré
Le livret d'information intitulé Sur le chemin de la douleur des résultats positifs : TCC, relaxation et hypnose.
avec Sacha est très utile pour expliquer la douleur chronique
de ce type aux adolescents et leur famille [10]. Il apporte
une aide aux professionnels pendant les consultations pour
Douleurs neuropathiques
expliquer la douleur chronique et ses intrications. Les douleurs neuropathiques de l'enfant sont beaucoup plus
rares que celles de l'adulte, du fait à la fois de l'étiologie et de
la plasticité neuronale de l'enfant.
Douleurs abdominales récurrentes Elles doivent cependant être connues. Elles sont décrites
dans les mêmes termes que chez l'adulte, chez l'enfant à par-
Les douleurs abdominales récurrentes sont très fréquentes, tir d'environ 8 ans. Auparavant, il faudra l'évoquer dans le
puisqu'elles touchent 10 à 20 % des enfants et adolescents, cas d'un enfant ne se laissant pas toucher ou ayant des dou-
voire plus. Ces douleurs ont tendance à persister plusieurs leurs par pics brefs.
années plus tard, voire à l'âge adulte, dans un tiers des cas Elles doivent être recherchées à l'interrogatoire et à l'exa-
selon la plupart des études. Un des facteurs prédictifs est men clinique. La publication d'une version pédiatrique
d'avoir un parent atteint lui aussi. Si un bilan minimal s'im- du DN4, validée, est en cours. Des illustrations des mots
pose souvent pour éliminer une maladie digestive, parfois, les piqûre, brûlure, picotements, etc. aident les enfants à décrire
douleurs deviendront invalidantes et conduiront à de mul- leurs douleurs.
tiples bilans et avis spécialisés. La recherche effrénée d'une Nous ne disposons que de peu d'études pédiatriques dans
étiologie organique sans évoquer avec la famille l'existence ces douleurs.
de douleurs fonctionnelles risque de favoriser ces excès. Un article récent résume les données pédiatriques [11].
Comme pour les autres douleurs chroniques, une prise
en charge globale sera nécessaire, avec compréhension des
éléments de vie, des intrications scolaires, familiales et indivi- Références
duelles, de l'anxiété, de l'humeur et du retentissement scolaire.
[1] Recommandations HAS 2016. Prise en charge médicamenteuse de
Les études sur les éléments psychologiques ne sont pas
la douleur chez l'enfant : alternatives à la codéine. https://www.has-
concordantes et montrent pour certaines l'absence de psy- sante.fr/portail/jcms/c_2010340/fr/prise-en-charge-medicamenteuse-
chopathologie connue, pour d'autres une anxiété de l'enfant de-la-douleur-chez-l-enfant-alternatives-a-la-codeine.
ou de la famille, des conflits ou événements de vie, un stress, [2] Fournier-Charrière E, Tourniaire B. Groupe Pediadol. In : La douleur
une dépression. de l'enfant. L'essentiel ; 2015. Paris : édition Pediadol.
Pour le praticien, il s'agira de questionner l'enfant et sa [3] King S, Chambers CT, Huguet A, MacNevin RC, McGrath PJ,
famille, comme pour les autres douleurs chroniques, sur les ­Parker L, et al. The epidemiology of chronic pain in children and adoles­
événements et d'évoquer si possible leur lien avec la douleur, cents revisited : A systematic review. Pain 2011 ; 152 : 2729–38.
d'aborder ouvertement leur rôle et d'exprimer le fait que [4] Tourniaire B. Gallo A. Douleur chronique des enfants et des adoles-
les émotions renforcent bien souvent la douleur et doivent cents : quoi de neuf ? [Internet]. Disponible sur 2013, http://www.
sfetd-douleur.org/sites/default/files/u3/docs/lettre-29-juin-2013_.
donc être prises en compte pour qu'il y ait une amélioration.
pdf.
Le fonctionnement de la famille, la place qu'y tient la [5] Zeltzer LK, Blackett S. Comprendre et vaincre la douleur chronique
douleur et, parfois le rôle qu'elle y joue seront explorés. de votre enfant. Paris : Savoirs pratiques éducation 2007.
Il a été montré que l'évolution était moins favorable dans [6] Zernikow B. Comprendre la douleur en 10 minutes. Version fran-
les familles où cette prise en compte globale de l'enfant et des çaise. https://www.youtube.com/watch?v=U5YUg45WFDM.
éléments de vie n'était pas acceptée et lorsque de nombreux [7] Annequin D, Tourniaire B, Amouroux R. Migraine, céphalées de
médecins étaient consultés. À l'inverse, elle était meilleure l'enfant et de l'adolescent. Paris : édition Springer 2014.
quand des soins psychologiques étaient acceptés. Il a été mon- [8] Tonelli A, Huet D. Adolescents douloureux chroniques déscolarisés :
tré qu'un excès d'attention porté aux douleurs par l'entourage expérience de l'hospitalisation à temps plein en soins/études. Dou-
avait un impact négatif sur l'enfant, de même que l'inatten- leurs : évaluation-diagnostic-traitement 2018 ; 4 : 182–91.
[9] Gallo A. les douleurs chroniques des adolescents persistent-elles
tion. En revanche, les mesures de distraction sont utiles.
à l'âge adulte. Suivi à long terme d'une cohorte de patients. Thèse
Alors que certaines familles associent assez facilement d'exercice de médecine. 2014. Chalon-sur-Saône.
douleurs abdominales et anxiété ou éléments émotionnels, [10] Sur le chemin de la douleur avec Sacha. Paris : éditions Dubourdon,
pour d'autres, ce lien sera beaucoup moins évident. Le rôle 2015.
de l'information sur les douleurs fonctionnelles abdominales [11] Fournier-Charrière E, Marec-Berard P, Schmitt C, Delmon P,
est important, sans que soit niée la réalité du ressenti dou- Ricard C, Rachieru P. Management of neuropathic pain in children :
loureux. Le film Le ventre, notre deuxième cerveau, facile guidelines for good clinical practice. Arch Pediatr 2011 ; 18 : 905–13.
­
Chapitre
36
Douleur et genre
Gisèle Pickering

PLAN DU CHAPITRE
L'analyse de la différence de l'expérience Au niveau épigénétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
douloureuse entre hommes et femmes . . . . . 245 Traitement de la douleur par
Les travaux expérimentaux, des approches médicamenteuses
chez l'animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 ou non médicamenteuses . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
Les facteurs biologiques, psychologiques Pharmacodynamie des antalgiques . . . . . . . . . 247
et sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247
Au niveau génétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246

Il existe une surreprésentation des femmes dans la douleur le genre fait référence aux faits socioculturels, aux rôles
chronique [1, 2]. Certains symptômes douloureux sont pré- déterminés socialement, aux comportements, attributs, sté-
sents seulement chez la femme (endométriose, vulvodynie, réotypes, etc., tandis que le sexe relève de faits biologiques et
douleurs menstruelles) ; d'autres présents dans les deux physiologiques, avec un socle de génétique, d'épigénétique,
sexes sont prédominants chez la femme (fatigue chronique, d'imprégnation hormonale et d'évolution. La littérature
fibromyalgie, cystite interstitielle, douleur temporomandi- rapporte que, dès le plus jeune âge, garçons et filles sont
bulaire, céphalée, lombalgie ou arthrose [3]. socialisés selon des normes liées au genre pour répondre à
la douleur : les garçons visent à tolérer la douleur et à sup-
porter des expériences douloureuses, tandis que les femmes
L'analyse de la différence sont socialisées pour être plus sensibles et pour mieux ver-
de l'expérience douloureuse baliser un inconfort et une douleur [8]. Néanmoins, les parts
entre hommes et femmes respectives du genre et du sexe restent floues, et il semble
que ni le genre seul ni le sexe seul ne puisse expliquer les dif-
Divers biais ont été évoqués pour expliquer cette surre- férences entre hommes et femmes. De plus, il est difficile de
présentation : les femmes consultent plus que les hommes, dissocier genre et sexe – les différences biologiques, psycho-
répondent plus facilement aux enquêtes et sont plus souvent logiques et sociales entre hommes et femmes dans le cadre
incluses dans les études épidémiologiques. De plus, l'évalua- de la douleur –, car ces différences sont liées. De nombreux
tion peut être faussée par l'expérience de douleurs répétées exemples montrent que hommes et femmes peuvent être
liées au cycle menstruel au cours de la vie. Des différences soignés différemment pour les mêmes maladies, sans justifi-
entre les sexes comme la perception, la description et l'ex- cation médicale, dans de nombreux champs médicaux : cela
pression de la douleur, l'utilisation de stratégies de coping et inclut le psoriasis, les pathologies cardiaques, la polyphar-
le bénéfice de différents antalgiques [4, 5] ont été évoquées macie et la douleur chronique [8].
comme étant également secondaires à d'autres situations
ayant elle-même des différences de prévalence homme-
femme : anxiété, abus sexuel ou dépression. Il est aussi pos- Les travaux expérimentaux,
sible que les femmes aient une plus grande sensibilité ou une chez l'animal
plus faible tolérance à la douleur que les hommes, ce qui
pourrait avoir de nombreux facteurs incluant des différences En ce qui concerne les travaux expérimentaux, chez l'ani-
biologiques au niveau des faisceaux ascendants de la douleur mal, il existe des biais de sélection, puisque la majorité des
et/ou au niveau des faisceaux inhibiteurs descendants, et des études précliniques (79 %) ont été effectuées chez des ani-
phénomènes d'ordre psychologique. Enfin, des différences au maux mâles, d'où des résultats controversés. Chez le volon-
niveau des récepteurs comme les récepteurs opioïdes ont été taire sain, de nombreux travaux ont été publiés [3, 9–11],
évoquées, d'ordre pharmacocinétique, pharmacodynamique concluant, ce qui prête à controverse aussi, que les femmes
ou, simplement, de niveaux de douleur de base différents [3]. seraient plus sensibles à la douleur, mais de manière non
L'analyse de la différence de l'expérience douloureuse uniforme, selon différentes modalités expérimentales d'in-
entre hommes et femmes nécessite d'introduire la distinc- duction de la douleur (stimuli thermiques, mécaniques,
tion entre les deux concepts de sexe et genre [6, 7]. En effet, etc.), avec de nombreux biais de sélection et de mesure
Médecine de la douleur pour le praticien
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246   Partie 4. Douleur selon le patient

relevés. Plusieurs études, mais tout autant controversées, multiples parties du corps, douleurs qui sont souvent décrites
portant sur le volontaire sain, suggèrent que les différences comme plus sévères et plus fréquentes que chez les hommes
liées au sexe disparaîtraient une fois l'anxiété et les facteurs [8]. Des études de populations ont démontré la plus forte
biopsychosociaux contrôlés [9]. prévalence de douleur chronique chez la femme que chez
l'homme, incluant migraine, céphalée de tension, fibromyal-
gie, problème temporomandibulaire, polyarthrite rhuma-
Les facteurs biologiques, toïde et lombalgie chronique [3]. Les femmes douloureuses
psychologiques et sociaux ont aussi des seuils de douleur plus faibles et ressentent une
douleur de plus grande intensité dans de nombreuses condi-
Les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux ont été tions. Chez les femmes en période prémenstruelle et souf-
largement étudiés. En ce qui concerne les facteurs biolo- frant de migraine, de céphalée de tension, de fibromyalgie
giques, les réponses des femmes à la douleur sont affectées ou d'un problème temporomandibulaire, les publications
par le cycle menstruel et la grossesse, et les hormones sont suggèrent que l'intensité de la douleur est la plus forte quand
liées à la réponse à la douleur (estrogènes, androgènes et les taux d'estrogènes diminuent rapidement ou sont très bas.
cortisol) [12]. Les hormones gonadiques sont impliquées Chez les patientes prenant des contraceptifs oraux ou post-
dans une perception différente de la douleur ; les estrogènes ménopausées avec traitement hormonal de substitution, les
et les androgènes influencent les voies nociceptives via des résultats sont plus hétérogènes et aucune conclusion n'est
mécanismes au niveau des récepteurs et, indirectement, via tirée. Les androgènes semblent avoir une activité antinoci-
l'influence de l'action des neurotransmetteurs sur des voies ceptive chez les hommes et les femmes [12].
nociceptives spécifiques. Les facteurs génétiques et phy-
siologiques (régulation de la pression artérielle, fréquence
cardiaque, activité électrodermale) peuvent contribuer aux Au niveau génétique
différences de perception de la douleur, mais g­ lobalement,
les différences sont de faible amplitude, insuffisantes, Au niveau génétique, certains gènes ont été identifiés
variables, voire absentes. La sensibilisation centrale (allody- comme impliqués dans l'augmentation ou la diminution
nie, hyperalgésie) pourrait être plus prononcée, et l'efficacité de la douleur ou dans la modulation de l'activité analgé-
des faisceaux inhibiteurs descendants, moins bonne chez les sique. Dès la conception, 30 % des gènes des hommes et des
femmes que chez les hommes, mais cela ne s'applique pas à femmes s'expriment différemment dans tous leurs tissus et
toutes les modalités de douleur expérimentale. les femmes, par exemple, répondent mieux à la pentazocine
En ce qui concerne les facteurs psychologiques, il ne semble (via un effet & sur le récepteur MC1) [3].
pas que la dépression soit un médiateur tandis que le rôle de
l'anxiété est ambigu. En effet, la direction de l'association entre
anxiété et douleur est floue. En ce qui concerne les stratégies Au niveau épigénétique
de coping, le catastrophisme pourrait partiellement médier Au niveau épigénétique – étude des influences de l'environne-
les différences de perception de la douleur, et les femmes ont ment cellulaire ou physiologique sur l'expression des gènes –,
un meilleur coping quand elles utilisent des stratégies d'atten- une modulation de l'expression des gènes se fait en fonction
tion tandis que la distraction est plus efficace chez l'homme. du sexe. L'environnement intra-utérin, puis celui de l'enfant
De plus, les interactions interpersonnelles peuvent exercer et de l'adulte contribuent au formatage de l'épigénome, et
une influence positive plus large sur le coping et la tolérance l'exposition à un stress peut entraîner des modifications d'ex-
chez la femme et chez l'homme. Les attentes liées au genre pression des gènes, susceptibles de mener à une hypersensibi-
semblent aussi jouer un rôle et influencent la perception de lité [13]. De plus, épigénétique et hormones sont liées, et les
la douleur expérimentale. Le trait masculinité-féminité [6] (la estrogènes agissent sur la formation synaptique au niveau de
vulnérabilité émotionnelle) et l'identification perçue selon les l'hippocampe suivant une densité des épines dendritiques qui
stéréotypes homme-femme (volonté de rapporter la douleur) fluctue avec le cycle menstruel de la femme [14].
peut être impliqué. Aucune évidence n'émerge vraiment sur
le rôle central du sexe de l'expérimentateur pour expliquer
des différences homme-femme, mais il semble que la per- Traitement de la douleur par
formance de sujets sains soit meilleure si le test est fait par des approches médicamenteuses
un expérimentateur du sexe opposé. Enfin, il est suggéré que
l'histoire du patient (épisodes récents de douleur, modèle
ou non médicamenteuses
familial de douleur, maltraitance dans l'enfance) joue un rôle En ce qui concerne le traitement de la douleur par des
important, mais les résultats ne sont pas universels. approches médicamenteuses ou non médicamenteuses,
La recherche expérimentale a donc identifié quelques des différences liées au genre ont été décrites. La grande
facteurs explicatifs dans certaines études mais ces diffé- variabilité des réponses individuelles aux médicaments, en
rences sont faibles, les facteurs biopsychosociaux, variables, particulier aux opioïdes est bien connue, et la détection de
et les résultats hétérogènes peinent à retrouver la même différences liées au genre dans la réponse antalgique est un
expérience différentielle que celle que rapportent les études défi, si l'on considère la complexité des déterminants physio-
épidémiologiques chez les patients [9, 11]. logiques, génétiques et hormonaux. La réponse à un traite­
Bien que les études portant sur les sujets sains ne donnent ment a de nombreux facteurs, incluant la taille, le poids, l'eau
pas des résultats univoques, en clinique, en revanche, il est corporelle totale, les compartiments liquidiens, autant de
bien documenté que les femmes rapportent une plus grande paramètres différant entre l'homme et la femme. En ce qui
diversité de douleurs récurrentes que les hommes, dans de concerne la pharmacocinétique, des différences sont connues
Chapitre 36. Douleur et genre    247

entre hommes et femmes, avec un métabolisme hépatique Références


plus important chez les femmes par l'activité des cytochromes
[1] Fillingim RB, King CD, Ribeiro-Dasilva MC, Rahim-Williams B,
P450, CYP2D6 et CYP3A. Inversement, un métabolisme Riley JL. Sex, gender, and pain : a review of recent clinical and experi-
diminué par les cytochromes avec concentration sanguine mental finndings. J Pain 2009 ; 10 : 447–85.
plus élevée chez les femmes a été décrit pour les ISRS [15]. [2] Greenspan JD, Craft RM, LeResche L, Arendt-Nielsen L, Berkley KJ,
Fillingim RB, et al. Studying sex and gender differences in pain and
analgesia : a consensus report. Pain 2007 ; 132(1) : S26–45.
Pharmacodynamie des antalgiques [3] Mogil JS. Sex differences in pain and pain inhibition : multiple expla-
nations of a controversial phenomenon. Nat Rev Neurosci 2012 ; 13 :
Au niveau de la pharmacodynamie des antalgiques, et donc 859–66.
de leur effet antalgique, des différences de concentrations ou [4] Bernades SF, Keogh E, Lima ML. Bridging the gap between pain and gen-
de fonctionnement des neurotransmetteurs ou des récep- der research : a selective literature review. Eur J Pain 2008 ; 12 : 427–40.
teurs ont été étudiées, et des différences ont été retrouvées [5] Bartley EJ, Fillingim RB. Sex differences in pain : a brief review of
sur les récepteurs NMDA, MC1R et Toll Like 4 (TLR4) [3]. clinical and experimental findings. Br J Anaesth 2013 ; 111 : 52–8.
Des circuits différents dans l'analgésie et l'hyperalgésie aux [6] Keogh E. Men, masculinity, and pain. Pain 2015 ; 156 : 2408–12.
opiacés ont été identifiés chez les hommes et les femmes, [7] Hirsh AT, Hollingshead NA, Matthias MS, Bair MJ, Kroenke K. The
les hommes fonctionnant plus sur le circuit NMDA, et influence of patient sex, provider sex, and sexist attitudes on pain
les femmes davantage sur le circuit MCR1. De plus, un treatment decisions. J Pain 2014 ; 15 : 551–9.
[8] Samulowitz A, Gremyr I, Eriksson E, Hensing G. “Brave Men” and
dimorphisme sexuel de l'expression des récepteurs pourrait
“Emotional Women” : A Theory-Guided Literature Review on
expliquer la plus forte consommation de morphine chez la Gender Bias in Health Care and Gendered Norms towards Patients
femme à antalgie égale [16, 17] en postopératoire. En effet, with Chronic Pain. Pain Res Manag 2018 ; 6358624.
l'efficacité de la morphine est corrélée à la densité neuronale [9] Racine M, Tousignant-Laflamme Y, Kloda LA, Dion D, Dupuis G,
des récepteurs μ (MOR) ; or une moindre expression de ces Choinière M. A systematic literature review of 10 years of research on
récepteurs a été observée chez la femme. En outre, le degré sex/gender and experimental pain perception - part 1 : are there really
d'activation de la microglie prédit la quantité de morphine differences between women and men ? Pain 2012 ; 153 : 602–18.
nécessaire à l'obtention d'un effet antalgique et la micro- [10] Alabas OA, Tashani OA, Tabasam G, Johnson MI. Gender role affects
glie, riche en TLR4 est plus active chez la femme que chez experimental pain responses : a systematic review with meta-analysis.
l'homme [3]. Il manque encore des études avec les opioïdes Eur J Pain 2012 ; 16 : 1211–23.
[11] Fillingim RB, King CD, Ribeiro-Dasilva MC, Rahim-Williams B,
et les non-opioïdes pour identifier nettement les différences
Riley JL 3rd. Sex, gender, and pain: a review of recent clinical and
entre hommes et femmes afin d'améliorer la stratégie théra- experimental findings. J Pain 2009 ; 10:447-85.
peutique, mais les essais cliniques incluent aujourd'hui plus [12] Maurer AJ, Lissounov A, Knezevic I, Candido KD, Knezevic NN. Pain
de femmes que par le passé. and sex hormones : a review of current understanding. Pain Manag
Les femmes rapportent plus d'effets indésirables aux opia- 2016 ; 6 : 285–96.
cés que les hommes [18]. Cela peut être dû à un surdosage, [13] Hohmeister J, Kroll A, Wollgarten-Hadamek I, Zohsel K, Demi-
à une sensibilité accrue aux antalgiques ou aux interactions rakça S, Flor H, et al. Cerebral processing of pain in school-aged
médicamenteuses, les femmes recevant plus de médicaments children with neonatal nociceptive input : an exploratory fMRI study.
[15], en particulier agissant sur le SNC. Les femmes pro- Pain 2010 ; 150 : 257–67.
gressent plus rapidement de l'utilisation vers la dépendance, [14] Marrocco J, McEwen BS. Sex in the brain : hormones and sex diffe-
rences. Dialogues Clin Neurosci 2016 ; 18 : 373–83.
ont plus de conséquences physiques et émotionnelles et sont
[15] Soldin OP, Chung SH, Mattison DR. Sex differences in drug disposi-
finalement plus vulnérables aux médicaments, en particulier tion. J Biomed Biotechnol 2011 ; 2011 : 187103.
aux opiacés, d'autant plus que la durée de leur consomma- [16] Periasamy S, Poovathai R, Pondiyadanar S. Influences of gender on
tion en opiacés est souvent longue [19, 20]. Des différences postoperative morphine consumption. J Clin Diagn Res 2014 ; 8 :
homme-femme ont également été décrites dans le domaine GC04–7.
du stress et du système de la récompense et les femmes ont [17] Aubrun F, Salvi N, Coriat P, Riou B. Sex- and age-related differences
été particulièrement concernées par l'augmentation des décès in morphine requirements for postoperative pain relief. Anesthesio-
dus aux opiacés aux États-Unis [21]. Enfin, le facteur âge joue logy 2005 ; 103 : 156–60.
aussi un rôle central dans l'expérience douloureuse, et l'âge, [18] Fillingim RB, Ness TJ, Glover TL, Campbell CM, Hastie BA, Price DD,
de même que la douleur préopératoire, a été désigné comme et al. Morphine responses and experimental pain : sex differences in
side effects and cardiovascular responses but not analgesia. J Pain
l'un des facteurs confondants majeurs dans les différences
2005 ; 6 : 116–24.
hommes-femmes quant à la douleur postopératoire [22]. [19] Campbell C, Weisner C, Leresche L, Ray GT, Saunders K,
Sullivan MD, et al. Age and gender trends in long-term opioid analge-
sic use for noncancer pain. Am J Public Health 2010 ; 100 : 2541–7.
Conclusion [20] Parsells Kelly J, Cook SF, Kaufman DW, Anderson T, Rosenberg L,
La littérature suggère des différences entre hommes et Mitchell AA. Prevalence and characteristics of opioid use in the US
adult population. Pain 2008 ; 138 : 507–13.
femmes dans la perception, le vécu de la douleur et dans le
[21] Berterame S, Erthal J, Thomas J, Fellner S, Vosse B, Clare P, et al. Use
mécanisme antalgique des médicaments. La compréhen- of and barriers to access to opioid analgesics : a worldwide, regional,
sion des mécanismes sous-jacents et des interactions entre and national study. Lancet 2016 ; 387(10028) : 1644–56.
ces différents domaines peut permettre d'améliorer la prise [22] Zheng H, Schnabel A, Yahiaoui-Doktor M, Meissner W, Van Aken H,
en charge de la douleur, en proposant des pistes éducatives, Zahn P, et al. Age and preoperative pain are major confounders for
préventives et des traitements adaptés au genre et au sexe sex differences in postoperative pain outcome : A prospective data-
des patients. base analysis. PLoS One 2017 ; 12(6) : e0178659.
Chapitre
37
Handicap et douleur :
le handicap rend la douleur
compliquée ; la douleur
complique le handicap...
Paul Calmels, Isabelle Fayolle-Minon

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249 Aspects cliniques : diagnostic
Ce qu'il faut comprendre de la douleur et évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
chez la personne en situation Prise en charge de la douleur . . . . . . . . . . . . . 251
de handicap : définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . 249 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251

Introduction ■ douleurs en rapport direct avec l'affection chronique ou


le traumatisme invalidant, d'origine neurologique ou
Associer handicap et douleur s'inscrit dans une démarche ostéoarticulaire, ayant un retentissement supplémentaire
de reconnaissance de la douleur, de son évaluation et de sa au niveau fonctionnel, psychologique et social et sur la
prise en charge, pour tout individu, quel que soit son état qualité de vie (par exemple, douleurs d'épaule d'une per-
physique, psychologique ou cognitif, dans un contexte sonne hémiplégique) ;
d'affections chroniques invalidantes, innées ou acquises, ■ douleurs chroniques sévères, ayant d'importants reten-
et à tout âge. C'est en effet le plus souvent la question de tissements fonctionnels et psychosociaux, elles-mêmes
l'expression de la douleur, notamment dans sa modalité non sources d'un véritable handicap (par exemple une
verbale, qui pose des difficultés aux thérapeutes, mais ce fibromyalgie).
peut aussi être la détermination de l'étiologie et de la physio-
pathologie de la douleur ainsi que le choix de son traitement
dans ce contexte du handicap en général [1]. Ce qu'il faut comprendre
Or l'absence ou le retard de diagnostic peut être à l'ori-
gine de complications cliniques, avec un impact certain sur de la douleur chez la personne en
le handicap lui-même, voire sur la mortalité. De plus, la situation de handicap : définitions
chronicité de la douleur, de par ses conséquences en termes
de dépression, d'anxiété et de troubles du sommeil retentira Handicap
sur le handicap, pouvant le majorer, et sur la qualité de vie. La définition actuelle du « handicap » émane de la Classifi-
Ainsi, douleur et handicap peuvent s'associer selon cation internationale du fonctionnement (CIF), qui fait état
trois schémas : des notions de fonctions, de capacités et de participation [2].
■ douleurs survenant chez une personne présentant une Ainsi, pour un individu, présentant une affection chronique
affection chronique évolutive avec un handicap, mais ou des séquelles de traumatisme, pouvons-nous évoquer
dont l'origine est indépendante de cette affection ou de une, ou des situations de handicap, avec réduction des capa-
son retentissement ; ainsi comme pour toute douleur, cités dans un environnement social, culturel, architectural
l'objectif premier sera d'en faire le diagnostic étiologique donné et selon des habitudes de vie.
puis d'envisager sa prise en charge et de suivre son évo- Le handicap va donc résulter des conséquences de mala-
lution (par exemple une lombalgie chez une personne dies survenues dans la période périnatale ou acquises dans
amputée appareillée de la jambe) ; l'enfance et l'âge adulte, ou de séquelles de traumatismes ou
Médecine de la douleur pour le praticien
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250   Partie 4. Douleur selon le patient

d'affections évolutives. Le handicap va pouvoir concerner phasiques (versant expression et/ou compréhension),
des capacités sensorimotrices (déambulation, préhension), troubles de la communication (déficiences sensorielles),
sensorielles (audition, vision), viscérales (miction, exonéra- atteinte de la relation et réponse émotionnelle (trouble du
tion, déglutition), cognitives (parmi lesquelles la communi- spectre autistique, troubles psychotiques, etc.), déficience
cation-expression), relationnelles et comportementales, etc. mentale (polyhandicap, etc.), troubles de la vigilance
En France, la loi du 11 février 2005 définit ainsi le han- (état paucirelationnel, coma). Il est alors nécessaire de
dicap : « toute limitation d 'activité ou restriction de parti- rechercher une expression non verbale de cette douleur,
cipation à la vie en société subie dans son environnement ce qui nécessite une bonne connaissance du handicap
par une personne en raison d'une altération substantielle, et une certaine expérience de l'évaluation de la douleur
durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions phy- [6, 7] ;
siques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, ■ son identification clinique peut aussi être rendue difficile
d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant ». pour le praticien par la complexité de certains tableaux
J.M. Wirotius écrit : « Toute lésion corporelle, qui désorganise cliniques et du caractère spécialisé des prises en charge :
de façon directe et/ou par effet de cascades les fonctions, est à titre d'exemple : douleurs des membres inférieurs ou
un handicap » [3]. douleurs pelviennes face à une paraplégie complète, dou-
leurs de l'hémicorps dans une hémiplégie ou syndrome
épaule-main, douleurs rachidiennes chez le polyhandi-
Douleur capé avec scoliose neurologique, myélopathie cervicale
Le contexte de handicap ne modifie pas en soi les condi- de l'infirmité motrice cérébrale, douleurs des membres
tions physiopathologiques de la douleur, à savoir les causes fantômes chez les personnes amputées, etc.
des douleurs nociceptives ou neuropathiques, mais la dou- Cliniquement la douleur peut être l'expression :
leur est associée soit à la physiopathologie de l'affection ■ d'affections indépendantes du handicap : douleurs
(par exemple, les douleurs neuropathiques d'une atteinte dentaires, abdominales, syndromes infectieux ORL,
médullaire traumatique ou évolutive, comme dans la SEP) ; pulmonaires, urinaires, etc. dont l'expression peut être
douleurs nociceptives d'une atteinte ostéoarticulaire inva- habituelle, mais aussi différente dans certaines situations
lidante (traumatique, dégénérative ou inflammatoire), soit cliniques (douleur projetée) ou certaines atteintes neuro-
aux conséquences de cette affection, en particulier neuro- logiques (douleur rapportée ou douleur référée), ce qui
orthopédiques (douleurs neuro-orthopédiques de l'infir- rend l'examen clinique plus difficile ;
mité motrice cérébrale, du polyhandicapé, etc.) mais aussi ■ de conséquences de l'affection à l'origine du handicap :
viscérales. conséquences directes des lésions (spasmes et contrac-
Cependant, la définition de la douleur comme « expé- tures musculaires, tels l'infirmité motrice cérébrale, le
rience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une traumatisme cranien ou les lésions médullaires), dou-
lésion tissulaire existante ou potentielle ou décrite en termes leurs neuropathiques centrale ou médullaire, lésion-
d'une telle lésion » (IASP, 1979) semble peu adéquate pour nelles et sous-lésionnelles (AVC, lésions médullaires,
le jeune enfant en général ou pour une personne non com- neuropathies par compression, etc.), douleurs ostéoar-
municante. Il a longtemps été pensé que les personnes qui ticulaires d'attitudes vicieuses (équin, flexum, etc.)
n'exprimaient pas la douleur y étaient insensibles [4]. ou de postures prolongées, douleurs cutanées d'appui
Enfin, une place à part doit être faite face à la douleur (escarre), douleurs viscérales (constipation), mais
chronique, responsable d'une baisse des capacités fonc- aussi conséquences des traitements en lien avec l'affec-
tionnelles, sociales et professionnelles, source de handicap tion (orthèses, prothèses, etc.) ; l'examen clinique doit
(rachialgie chronique, fibromyalgie, SDRC, etc.), faisant s'attacher à faire la part de chacune des composantes
émerger une condition de « douleur handicap ». douloureuses ;
Ainsi, cette confrontation handicap et douleur, fréquente, ■ d'actes de soins ou d'actes thérapeutiques : la douleur
va se traduire par de nombreuses situations cliniques et lors des actes de soins, en particulier, dans le champ du
individuelles, pour lesquelles les aspects clinique, diagnos- handicap, des soins de rééducation-réadaptation, doit
tique et thérapeutique vont devoir faire appel, de la part du être prise en compte. Les actes de mobilisations (active
praticien, à une attention et une connaissance particulières et passive), de postures, d'injection (infiltration, ou injec-
et, parfois, à l'usage d'outils spécifiques et d'avis pluridisci- tion, par exemple de toxine botulique, bloc nerveux), de
plinaires et spécialisés [5]. soins spécifiques (trachéotomie, sonde de gastrostomie)
constituent des actes pouvant être douloureux. Il est
important de prendre en compte et d'anticiper ces dou-
Aspects cliniques : diagnostic leurs. De la même manière, l'installation du patient dans
et évaluation son lit ou son fauteuil pendant la journée ou la nuit peut
être source de douleurs, non contrôlables par la personne
Diagnostic elle-même, compte tenu des difficultés de mobilité ou de
Quel que soit le contexte, maladie aiguë ou chronique, la présence de mouvements anormaux, de spasmes ou de
situation de handicap, la douleur constitue un symptôme rigidité ostéoarticulaire ou spastique.
clinique. Cependant : La recherche de ces douleurs sera d'autant plus sys-
■ son expression, en particulier verbale, peut être rendue tématique s'il existe des troubles de l'expression ou de la
difficile ou impossible en raison du handicap : troubles communication.
Chapitre 37. Handicap et douleur : le handicap rend la douleur compliquée ...    251

Le diagnostic clinique va donc consister à identifier une Cette évaluation est nécessaire à des fins diagnostiques,
expression de la douleur, à identifier une étiologie à cette de mesure d'intensité et de typologie de la douleur mais
douleur et à rechercher d'éventuels facteurs associés. aussi à des fins de suivi thérapeutique.
Il est nécessaire dans toutes les situations d'analyser le
comportement induit par la douleur : changement de com-
portement avec perte d'activité, de participation, réaction Prise en charge de la douleur
psychologique, isolement, troubles du sommeil ou expres-
sion spécifique de la douleur (douleurs référées ou rappor- Traitement médicamenteux
tées) et, enfin, modifications de comportements lorsque Les traitements médicamenteux classiques de la douleur
l'expression verbale est difficile : agitation, mouvements peuvent être utilisés dans ce contexte de handicap. Cepen-
anormaux, cris, expression d'angoisse, opposition, agressi- dant, la pathologie et son retentissement doivent être pris en
vité, etc. compte du fait de l'importance de certains effets indésirables
Ces caractéristiques impliquent pour le praticien et pour (somnolence, épilepsie, troubles respiratoires, troubles
toute l'équipe prenant en charge de tels patients, en parti- digestifs et du transit, troubles urinaires, etc., eux-mêmes
culier selon les capacités ou non d'expression de la douleur, mal exprimés). Les modes d'administration devront aussi
de dépister systématiquement toutes les situations qui pour- être adaptés, selon notamment la présence de troubles de
raient faire évoquer une douleur, une équivalence sympto- la déglutition et, parfois, de gastrostomie. Enfin, bien sûr,
matique et/ou des causes irritatives cliniques [7, 8]. ces choix peuvent être conditionnés par des traitements
en cours pour l'affection considérée et par l'état général du
Quelques exemples patient.
Chez un patient présentant une atteinte médullaire, la dou-
leur neurologique par exemple ne doit pas nous faire oublier
la rougeur d'appui sur chaussage non adapté ou la présence
Traitements associés
d'un fécalome, facteurs irritatifs majorant la spasticité et, L'association de facteurs favorisant la survenue et l'entretien
donc, les douleurs sous-lésionnelles. de la douleur rend nécessaire leur contrôle : épines irritatives
Chez un patient présentant un trouble autistique, des liées aux conditions de vie (installation au fauteuil, préven-
modifications comportementales et relationnelles au sein tion des points d'appui, postures neuro-orthopédiques, etc.),
de son institution et de sa famille, doivent nous amener à et des soins spécifiques (soins cutanés, mobilisation, actes
rechercher une cause organique lésionnelle mais aussi une d'hygiène et actes de la vie quotidienne, comme l'habillage).
plainte douloureuse non verbalisée, comme une migraine.
Approche pluridisciplinaire
Évaluation Compte tenu des différentes dimensions et du retentisse-
L'évaluation de la douleur, aiguë ou chronique, est néces- ment fonctionnel et comportemental que peut entraîner
saire comme pour tous patients douloureux, et elle utilise la douleur, en particulier selon les possibilités d'expression
des outils d'autoévaluation ou d'hétéroévaluation, selon les verbale et comportementale de la personne, une prise en
capacités cognitives des personnes. charge pluridisciplinaire et un regard attentif de l'ensemble
Cette évaluation va faire appel : de l'équipe de soin sont absolument nécessaires. Au-delà du
■ aux échelles usuelles de la douleur (EVA, EN, EVS et diagnostic, cela permet une prise en charge personnalisée et
QDSA) qui permettent d'identifier l'intensité de la dou- un suivi des thérapeutiques. C'est aussi la possibilité de pro-
leur et de ses facteurs qualitatifs en cas de capacités poser des thérapeutiques non médicamenteuses à des fins
d'expression intactes ; l'évaluation doit aussi faire appel à sédatives, notamment des approches psychocorporelles ou
des échelles spécifiques, souvent comportementales, per- de la neurostimulation transcutanée.
mettant à l'ensemble des équipes de soin, et parfois à des
proches, de traduire la présence de la douleur et d'ana- Prévention et douleur induite
lyser son intensité, et rendant ainsi possible le suivi des
thérapeutiques [9]. Au-delà de l'évaluation de la douleur, Enfin, l'attention aux actes de soins (hygiène, rééducation,
tout autre mode de communication, souvent déjà mis en plaies, etc.) et aux actes de la vie quotidienne (installation,
place doit être utilisé : pictogramme, signes, etc. mobilisation, transfert, etc.) doit permettre une prise en
■ aux échelles du retentissement de la douleur : il est abso- charge anticipée et systématisée de la douleur : prise médi-
lument nécessaire de voir comment la douleur induit des camenteuse avant kinésithérapie, usage d'une technique
modifications fonctionnelles (diminution des capacités MEOPA lors d'injections, techniques de massage, de séda-
fonctionnelles et de participation, mais aussi de la qualité tion, de relaxation, etc.
de vie), et surtout, comportementales : troubles du som-
meil, de l'appétit, anxiété, agitation, agressivité, régression
psychique et motrice, mouvements anormaux, isolement
Conclusion
et repli sur soi. Il est important de considérer ces mani- Les douleurs sont très fréquentes chez la « personne han-
festations indirectes, car elles sont parfois les seuls modes dicapée », quelle que soit l'affection à l'origine de ce handi-
d'expression des douleurs et peuvent être rapportées par cap. Leurs composantes polyfactorielles et leur expression
les soignants, les aidants et les parents [10]. fréquemment multidimensionnelle rendent leur analyse
252   Partie 4. Douleur selon le patient

et leur prise en charge souvent complexes, obligeant sans [4] de la Vega R, Groenewald C, Bromberg MH, Beals-Erickson SE,
cesse à une remise en question diagnostique et à des Palermo TM. Chronic pain prevalence and associated factors in ado-
adaptations thérapeutiques. Une bonne connaissance à la lescents with and without physical disabilities. Dev Med Child Neurol
2018 ; 60 : 596–601.
fois de l'affection causale et de la situation de handicap
[5] Gallien P, Nicolas B, Dauvergne F, Pétrilli S, Houedakor J, Roy D, et al.
permet une expertise pertinente pour une approche thé- La douleur chez le sujet adulte infirme moteur cérébral. Ann Readapt
rapeutique la plus complète possible de ces douleurs qu'il Med Phys 2007 ; 50 : 558–63.
faut parfois « traquer » tant leurs modalités d'expression [6] Dubois A, Capdevila X, Bringuier S, Pry R. Pain expression in child-
peuvent varier. ren with an intellectual disability. Eur J Pain 2010 ; 14 : 654–60.
[7] Vincent B, Zabalia M. Spécificités de la prise en charge de la douleur
chez l'enfant handicapé. Médecine thérapeutique/Pédiatrie 2009 ; 12 :
270–83.
Références
[8] Calmels P, Mick G, Perrouin-Verbe B, Ventura M. SOFMER (French
[1] Guide ANESM. qualité de vie : handicap, les problèmes somatiques et Society for Physical Medicine and Rehabilitation). Neuropathic pain
les phénomènes douloureux. Paris : HAS, avril ; 2017. in spinal cord injury : identification, classification, evaluation. Ann
[2] World Health Organization. Classification internationale du fonc- Phys Rehabil Med 2009 ; 52 : 83–102.
tionnement, du handicap et de la santé. CIF. Genève : Organisation [9] Collignon P, Giusiano B. Validation of a pain evaluation scale for
mondiale de la Santé ; 2001. patients with severe cerebral palsy. Eur J Pain 2001 ; 5 : 433–42.
[3] Wirotius JM. Le handicap douloureux. Présentation du modèle du [10] Tervo RC, Symons F, Stout J, Novacheck T. Parental report of pain
handicap et de la réadaptation dans la douleur chronique. Douleurs : and associated limitations in ambulatory children with cerebral palsy.
évaluation-diagnostic-traitement 2016 ; 17 : 47–52. Arch Phys Med Rehabil 2006 ; 87 : 928–34.
Chapitre
38
Handicap et douleur : place
de la médecine physique
et de réadaptation
dans la douleur chronique bénigne
de l'appareil locomoteur
Michel Morel Fatio

PLAN DU CHAPITRE
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 Clinique de la douleur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
Mécanismes d'incapacité Conclusion et perspectives. . . . . . . . . . . . . . . . . 256
et douleur chronique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253

Introduction Mécanismes d'incapacité


La médecine physique et de réadaptation (MPR) est définie et douleur chronique
comme « une spécialité qui a pour rôle de coordonner et La douleur chronique bénigne (trois à six mois) est l'expression
d'assurer la mise en application de toutes les mesures visant d'un dysfonctionnement neuro-physiopsychologique de la dou-
à prévenir ou réduire au minimum inévitable les consé- leur dans sa fonction d'alerte aiguë. Son traitement vise à corri-
quences fonctionnelles, physiques, psychologiques, sociales ger les conséquences fonctionnelles consécutives aux déficiences
et économiques des déficiences et des incapacités ». sensoridiscriminatives, affectives et motivationnelles, cognitives
Elle s'articule autour de deux axes complémentaires dans et comportementales décrites par Melzack et Wall. [2].
le temps, qui vont donner à la douleur un sens sémiologique Il existe maintenant un large consensus pour reconnaître
différent : passant de la douleur symptôme d'une lésion à la que, dans les pathologies douloureuses chroniques bénignes
« maladie douloureuse chronique » témoin d'un état séquel- de l'appareil locomoteur, l'incapacité résulte à la fois d'une
laire, devenue une entité sémiologique propre : déficience mécanique musculo-ostéoarticulaire séquellaire
■ la rééducation, au stade lésionnel, « traite » la cicatrisation de la pathologie initiale (rhumatologique, neurologique,
des lésions de la pathologie causale par des techniques etc.), mais aussi d'un dysfonctionnement neurophysiopsy-
kinésithérapiques ; à ce stade, la douleur est le symptôme chologique de son système de modulation de la douleur [3].
qui accompagne et protège le processus de cicatrisation ; Cette nouvelle approche de la douleur chronique a sti-
■ la réadaptation « compense » par des programmes les mulé le développement de nombreuses études. Parmi celle-
déficiences persistant après cicatrisation de la patholo- ci, le modèle de la « peur et évitement de la douleur par peur
gie causale ; à ce stade, la douleur est l'expression de la de la lésion », développé par Vlaeyen [4] donne un cadre de
séquelle qui persiste après guérison, elle devient « mala- compréhension à la dynamique du handicap lié à la douleur.
die chronique ». Dans ce modèle, la douleur est une menace qui suscite la
La douleur chronique rejoint depuis 2016 la liste des peur et le comportement d'évitements responsables d'une
maladies chroniques de l'OMS et, depuis juin 2018, elle cascade de réactions, physiques, physiologiques, psycho-
possède son propre codage diagnostique de la Classification logiques, affectives, cognitives et comportementales qui
internationale des maladies (CIM 11) [1]. concourent à l'incapacité.
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 253
254   Partie 4. Douleur selon le patient

L'intrication de ces deux mécanismes implique une éva- Un programme


luation et un traitement spécifique de chacun. Selon Gatchel Le programme doit obligatoirement comporter les quatre
et al. (2007) [5], « Le modèle biopsychosocial de la douleur composantes suivantes :
chronique décrit la douleur et l'incapacité qui en résulte ■ un pilier médical, soit un médecin qui assure la gestion
comme le résultat d'une interaction complexe et dynamique médicale du patient, spécialisé dans la prise en charge de
entre des facteurs physiologiques, psychologiques et sociaux la douleur chronique et la pratique des TCC ;
qui perpétuent, et s'aggravent mutuellement ». C'est pour ■ un pilier techniques TCC : pratiques thérapeutiques des
agir sur cette cascade de réactions que les « pain manage- rééducateurs psychologues et non psychologues et inte-
ment programs » (PMP) intègrent les dimensions physiques ractions entre thérapeutes et patients ;
conjointement aux dimensions psychologiques, comporte- ■ un pilier reconditionnement physique : pratiques guidées
mentales et cognitives. Ces programmes ont fait l'objet d'une de reprise d'activité sur des bases TCC ;
validation scientifique (recommandations de la British Pain ■ un programme d'ETP : autonomisation vis-à-vis de la
Society et de l'American Pain Society) [6, 7] et d'une vali- maladie douloureuse.
dation médico-économique de deux agences d'évaluation
en santé publique américaines : l'Agency for Healthcare
Research and Quality [8] et l'Agency for Clinical Innovation Guide pratique d'utilisation
[9]. Ils ont fourni des critères de labellisation institution- de la grille biopsychosociale de la douleur
nels et un guide pratique pour les structures de réadapta- chronique ?
tion qui veulent développer ce type de programmes. Parmi Si la grille biopsychosociale des maladies chroniques est
leurs préconisations, ils soulignent le fait « qu'il existe un largement utilisée dans le diabète, l'asthme, etc., elle l'est
besoin urgent de cours théoriques et pratiques de qualité sur moins pour la « maladie douloureuse chronique », qui a du
l'application des thérapies cognitivo-comportementales aux mal à se distinguer de la douleur symptôme. Pourtant, elle
problèmes persistants de la douleur. » (www.iasp-pain.org). est l'outil qui, par une analyse systématisée des mécanismes
d'incapacité, permet de guider le clinicien. Ce n'est plus le
Clinique de la douleur traitement de la pathologie médicale qui est responsable de
la douleur, mais le traitement des mécanismes d'incapacité
Pain management programs qu'elle engendre.
Définition
Un PMP consiste en l'association d'une variété de méthodes Consultation médicale de réadaptation
destinées à produire directement et indirectement un change­ du patient douloureux chronique
ment de comportement, en s'appuyant sur TCC qui s'in- Cette première consultation est une consultation longue,
tègrent conjointement aux dimensions physiques [10]. qui ne peut se concevoir dans une atmosphère d'urgence.
Les PMP sont le traitement de référence de la maladie La relation peut être délicate du fait de l'agressivité induite
douloureuse chronique. par les frustrations, les échecs successifs et l'inquiétude sur
En novembre 2013, la British Pain Society publie le Guide le sens pronostique de cette douleur que les moyens médi-
pratique pour la mise en place d'un Pain Management Pro- caux ne parviennent plus à soulager. À la suite d'un parcours
gram : Recommandations de la British Pain Society : « An médical souvent chaotique, la première étape consiste pour
evidence-based review prepared on behalf of the British le médecin à rétablir une relation de confiance.
Pain Society » [6]. À cette occasion sont posées les bases
structurantes des PMP, dont l'objectif est la mise en œuvre Rappel : indications
d'un processus de restauration du potentiel physique, fonc-
Le PMP s'adresse aux patients dont la douleur de l'appareil
tionnel et émotionnel permettant de contribuer à réduire
locomoteur est considérée comme rebelle à tous les traite­
la dépendance des patients aux antalgiques et au système
ments et responsable d'un handicap. Cette douleur est
de soin. Actuellement, il existe un consensus général pour
liée à une pathologie identifiée par un diagnostic médical
considérer que ces programmes ne se limitent pas à un seul
comme non évolutive, persistant au-delà de trois à six mois
protocole de soins, mais que leurs efficacités thérapeutiques
d'évolution malgré la mise en œuvre de traitements curatifs
reposent sur le respect d'un cadre stricte qui est le suivant.
adaptés.
Une équipe
Son objectif
L'équipe met en œuvre un programme multimodal (agissant
conjointement sur les différentes dimensions biopsychoso- Il s'agit de définir si le patient vu en consultation est le bon
ciales) délivré par une équipe multidisciplinaire travaillant patient pour le bon programme au bon moment.
de façon interdisciplinaire :
■ chacune des disciplines travaille en étroite collaboration Évaluer les attentes du patient
au développement du plan de traitement à partir d'objec- Pour les patients adressés en vue de leur intégration dans un
tifs partagés ; PMP, il est important d'évaluer l'évolution de leurs attentes
■ elle inclut des médecins, des psychologues, des kinésithéra- entre le commencement et la fin de la consultation. C'est
peutes, des ergothérapeutes, des infirmières spécialisées, etc. l'une des difficultés de cette consultation qui consiste à faire
Tous les membres de l'équipe utilisent des principes de TCC. passer la douleur du statut de symptôme à celui de séquelle
Chapitre 38. Handicap et douleur : place de la médecine physique et de réadaptation    255

exprimée en termes d'incapacité fonctionnelle. La grille bio- ■ périphériques : déficit moteur, déficit sensitif superficiel
psychosocial structure la consultation, en lui donnant un ou profond, allodynie-hyperalgésie ;
cadre de référence, où chacune des dimensions de la mala- ■ centrales : déficit moteur/sensitif/spasticité, dystonies,
die douloureuse est discutée avec le patient. hypertonie, etc.

Quatre étapes de la consultation médicale Psycho : bilan des comorbidités


de réadaptation Les dysfonctions comportementales et cognitives font l'objet
Étape 1 : diagnostic médical pronostique d'évaluations cliniques ; ce sont :
■ des entretiens semi-structurés (grille d'entretien établie
Il s'agit de procéder à :
par Vlaeyen [4], soit un recueil d'informations sur les
■ l'analyse clinique du parcours médical, via un interroga-
aspects cognitifs, comportementaux et psychophysiolo-
toire détaillé, prenant en compte les antécédents médi-
giques de la plainte douloureuse ;
caux, chirurgicaux et traumatiques, à la recherche de
■ des questionnaires :
comorbidités ;
– questionnaire Survey of Pain Attitudes (SOPA) :
■ l'analyse de la plainte douloureuse dans ce qu'elle a de
mesure des attitudes vis-à-vis de la douleur et des
singulier : son mode de début, son allure évolutive et sa
répercussions fonctionnelles,
réponse aux traitements ;
– Fear Avoidance Belief Questionnaire (FABQ) : mesure
■ l'examen physique, réalisé avec soin, à la recherche d'in-
des croyances peur-évitement,
dices passés inaperçus tels une boiterie inexpliquée, des
– échelle de ctastrophisme vis-à-vis de la douleur,
douleurs provoquées déclenchant la douleur habituelle,
– échelle de Tampa de kinésiophobie significative, qui
des réactions de protection à la mobilisation, des points
évalue la peur de la douleur liée au mouvement.
gâchettes, des déficits sensitifs ou moteurs, une allody-
Les comorbidités psychiatriques font aussi l'objet de
nie, une maladie inflammatoires, des troubles vésicaux
questionnaires de dépistage systématique (questionnaire
sphinctériens, des anomalies à l'imagerie, une biologie en
HAD ou inventaire de dépression de Beck), ainsi que du
faveur d'une pathologie inflammatoire ;
« bilan de terrain » mené par le psychologue ou le psy-
■ l'analyse des bilans paracliniques : biologique, imagerie,
chiatre. Certaines comorbidités psychiatriques constituent
etc.
des critères d'exclusion pour la proposition de certaines
Cette étape est la clé permettant de franchir la première
thérapeutiques.
marche du processus de réadaptation, elle doit répondre à
4 questions, et permettre :
■ de confirmer le diagnostic médical de la pathologie à « Social »
l'origine de cette douleur chronique ; Un bilan des facteurs d'ajustement socioprofessionnel est
■ de confirmer que la douleur devenue chronique n'est pas établi.
le témoin d'une pathologie évolutive, mais une séquelle Les quatre dimensions suivantes sont évaluées :
de la pathologie d'origine ; ■ les soutiens : partenaire, famille, amis, collègues,
■ de confirmer qu'à ce stade il n'existe pas d'indication de ■ l'impact professionnel (perte de travail, précarisation,
traitement curatif permettant de guérir la douleur ; conflits, pertes de salaire, etc.),
■ de vérifier l'existence d'éventuels critères d'exclusion par ■ les pertes de rôles (conjugal, familial, professionnel,
inadaptation à un PMP : social, économique, etc.),
– l'absence de diagnostic médical, ■ le changement de statut socio-économique (endettement,
– l'absence d'adhésion à la logique du programme, etc.).
– l'incapacité à comprendre et à exécuter les instructions,
– des attentes irréalistes quant à ce qui peut être accom-
pli grâce au programme, Étape 3 : douleur et résistance aux traitements
– un handicap sévère qui dépasse la capacité actuelle Tout d'abord, il faut évaluer les caractéristiques de la
du patient à participer aux activités de base du douleur :
programme, ■ son intensité, via une EN (valeur minimale sur dix, valeur
– des omorbidités évolutives neurologiques, rhumatolo- maximale sur dix),
giques, vasculaires, cardiaques ou pulmonaires, etc., ■ son type : douleur neuropathiques ? Nociceptive ?
– des troubles psychologiques ou psychiatriques graves, Inflammatoire ?
– l'existence de procédures de reconnaissance du préju- ■ sa topographie, au moyen d'un schéma du « bonhomme ».
dice douloureux en cours. Ensuite, la question de la résistance aux traitements passe
par l'interrogation des points suivants :
Étape 2 : le diagnostic biopsychosocial ■ analyse des traitements prescrits en fonction de la nature
Bio : déficiences somatiques de la douleur,
Il s'agit de procéder aux évaluations cliniques des déficiences ■ la nature du traitement est-elle adaptée aux types de
mécaniques musculo-ostéoarticulaires, telles les raideurs, douleur ?
une laxité ou les déformations. ■ quelles sont les doses (maximale et minimale) ?
Il s'agit également de procéder aux évaluations cliniques ■ y a-t-il intolérance à une molécule ?
des déficiences neurologiques : ■ Quel est l'effet sur la douleur ?
256   Partie 4. Douleur selon le patient

Étape IV : impact fonctionnel de la douleur Étape 7 : engagement signé : médecin patient


Autoévaluation des performances fonctionnelles de base Conclusion et perspectives
Elle est possible à partir des sept items de base coté (NF),
pour non fonctionnelle, ou (F) pour fonctionnelle : votre En inscrivant en 2016 la douleur chronique bénigne sur la
douleur a-t-elle un impact sur : liste des maladies chroniques, l'Organisation mondiale de la
■ la marche ? santé (OMS) a contribué à lui donner une identité clinique
■ la position assise ? propre, ayant ses propres outils d'évaluation et de traitement.
■ le piétinement ? Son cadre de référence est le modèle Biopsychosocial utilisé
■ la possibilité de ramasser des objets au sol ? en pratique courante en médecine physique réadaptation
■ la position couchée et le sommeil ? pour l'évaluation et le traitement des handicaps. Son traite-
■ le fait de porter ou soulever des charges ? ment, comme celui de toutes les maladies chroniques n'est
■ l'utilisation des deux membres supérieurs dans les gestes plus curatif, mais « réadaptatif », les PMP en sont l'illustration.
quotidiens. La 11e révision de la Classification internationale des
maladies (CIM11) fourni à la maladie douloureuse chro-
Autoévaluation du retentissement sur les activités de la vie nique, l'outil de codage propre qui permet de documenter
quotidienne les diagnostics, d'analyser de façon plus précise les théra-
■ Activités de soins personnels, conjugales, familiales ou peutiques, et de valoriser financièrement les actes de réa-
sociales et de loisirs, etc. daptation. Cette évolution de la douleur chronique comme
■ Activité professionnelle : accident de travail, invalidité, maladie chronique la fait entrer dans les missions de la
perte d'emploi, etc. MPR, dont le rôle est « de coordonner et d'assurer la mise
en application de toutes les mesures visant à prévenir ou
Échelles d'autoévaluation fonctionnelle réduire au minimum inévitable les conséquences fonction-
Le questionnaire concis de la douleur évalue l'intensité, le nelles, physiques, psychologiques, sociales et économiques
soulagement, l'incapacité fonctionnelle, les retentissements des déficiences et des incapacités ». On va assister dans les
sur la vie sociale et sur la vie relationnelle, et la détresse années à venir à l'émergence d'une une nouvelle discipline
psychologique. de la MPR dédiée au « Handicap douloureux chronique »
centrée l'analyse et le traitement des processus d'incapacité
Étape 5 : construction du programme en deux liés à la douleur chronique.
temps
Premier temps Références
Ce premier temps comprend la synthèse du bilan discuté
avec le patient. [1] Treede RD1 W, Rief, Barke A, Aziz Q, Bennett MI, Benoliel R, et al. A
classification of chronic pain for ICD-11. Pain 2015 ; 156(6) : 1003–7.
[2] Melzack R, Wall PD. Pain mechanisms : a new theory. Science
Second temps 1965 ; 150(3699) : 971–9.
Il s'agit d'ébaucher le programme sur la base du bilan [3] Fordyce WE. Behavioural Methods for chronic pain and illness.
biopsychosocial. St Louis, MO : Mosby ; 1976.
Les deux objectifs principaux sont des gains fonctionnels [4] Vlaeyen JWS, Morley SJ, Linton SJ, Boersma K, Pain-Related Fear de
(non une disparition de la douleur) et des compensations Jong J. Exposure-Based Treatment of Chronic Pain : Exposure-Based
des incapacités mises en évidence (appareillage, etc.). Treatment. IASP ; 2012.
Le programme est composé : [5] Gatchel RJ, Okifuji A. Evidence-based scientific data documenting
the treatment and cost-effectiveness of comprehensive pain programs
■ d'un socle commun : le PMP ;
for chronic nonmalignant pain. J Pain 2006 ; 7 : 779–93.
■ de techniques adjuvantes : [6] Johnson J, Pain Management Network, Pain Management Programs –
– appareillage (orthèses, compressifs, chaussures ortho- Which Patient for Which Program? A guide for NSW Tier 3 and Tier
pédiques, etc.), 2 public health facilities providing pain programs Agency for Clinical
– techniques de neuromodulation (stimulations élec- Innovation 2013 Published: December 2013.
triques et magnétiques), [7] Gatchel RJ, Okifuji A. Executive summary of the aps task force on
– Mirror Therapy. comprehensive pain rehabilitation report. In : American Pain Society :
bulletin 2–6 ; 2006.
Étape 6 : « le consentement éclairé » [8] Moore J, Butler M, Stark A, Kane R. Agency for Healthcare Research
and Quality Department of Health and Human «Multidiscipli-
Le PMP est présenté sur la base des résultats du bilan bio- nary Pain Programs for Chronic Non cancer Pain». Minnesota
psychosocial (jeux de questions- réponses) : Evidence-based Practice Center Minneapolis ; 2011. MN AHRQ
■ descriptif des activités et de leurs objectifs, 11-EHC064-EF.
■ discussion sur le lien entre les résultats du bilan et les [9] Johnson J, Pain Management Network, Pain Management Programs –
réponses apportées dans le programme. Objectifs partagés, Which Patient for Which Program? A guide for NSW Tier 3 and Tier
■ une connaissance des éléments du programme et de leur 2 public health facilities providing pain programs Agency for Clinical
action Innovation, 2013.
[10] Sluka KA. Mechanisms and Management of Pain for the Physical
Exigences à respecter après le programme :
Therapist. IASP Press ; 2009.
■ Poursuite d'un entretien régulier à la sortie, etc.
■ Suivi tous les trois mois en consultation pendant un an.
Chapitre
39
Douleur et grossesse
Nabilah Panchbhaya

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 Douleur, interruption volontaire de grossesse
Gestion des antalgiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 médicamenteuse, fausse couche précoce . . . . 260
Douleurs liées à la grossesse . . . . . . . . . . . . . . 258 Dyspareunies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260

Introduction d'exploration d'une douleur, aucun examen d'imagerie médi-


cale standard n'est contre-indiqué durant la grossesse, quel
La douleur chez la femme enceinte est une situation fré- qu'en soit le terme [1].
quente, source d'inquiétude chez la mère mais également
chez le praticien qui doit savoir repérer une cause obstétri-
cale potentiellement sévère et qui peut se sentir limité dans Gestion des antalgiques
ses options thérapeutiques du fait de la tératogénicité et de
l'embryotoxicité. Cependant, le choix des antalgiques à dis- Les tableaux 39.1 et 39.2 résument les traitements antal-
position restant large, la prescription ne doit pas être res- giques à disposition, selon le Centre de référence sur les
treinte. L'approche du symptôme douloureux chez la femme agents tératogènes (Centre de référence sur les agents térato-
enceinte est la même qu'en dehors de la grossesse et, en cas gènes [CRAT]) [1].

Tableau 39.1 Antalgiques, douleur, inflammation et grossesse.


Type d'antalgique Molécule Terme Posologie (RCP)
Antalgiques non Paracétamol : préféré en première Tout au long de la grossesse 1 g toutes les 6 h
opiacés (palier 1) intention Maximum : 4 g/jour
Aspirine : De manière ponctuelle, mais Jusqu'à 24 SA
contre-indiquée après 24 SA, avec une
posologie > 500 mg/jour
L'utilisation ponctuelle ou chronique de tous les AINS (y compris l'aspirine junk 500 mg/j et les inhibiteurs sélectifs de
COX-2) est formellement contre-indiquée à partir du début du sixième mois de grossesse (24 SA), quelle que soit leur
voie d'administration. Avant 24 SA, on évitera si possible les traitements prolongés
Antalgiques Codéine : Tout au long de la grossesse 1 à 2 comprimés toutes les 4 à 6 heures ;
opioïdes faibles – paracétamol + codéine Maximum : 6 à 8 comprimés/jour
(palier 2) – Dafalgan codéiné®
– Efferalgan codéiné®
Tramadol Tout au long de la grossesse 50 ou 100 mg (1 ou 2 comprimés) toutes les
4–6 heures
Maximum : 400 mg/24 heures
Antalgiques On préférera la morphine Tout au long de la grossesse Débuter par 10 mg toutes les 4 heures
opioïdes mixtes ou – Morphine à libération immédiate Débuter par 30 mg toutes les 12 heures
forts (palier 3) per os
– (Actiskénan®,Sevredol®)
– Morphine à libération prolongée
per os
– (Skénan®, Moscontin®)
Corticoïdes Les corticoïdes peuvent être utilisés chez la femme enceinte quels que soient leurs voies d'administration, leurs
posologies et le terme de la grossesse
COX-2 : cyclo-oxygénase 2 ; SA : semaine d'aménorrhée.
Source : Le Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT) www.lecrat.fr, l'Hôpital Armand-Trousseau (AP-HP), sauf Posologie (RCP)

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 257
258   Partie 4. Douleur selon le patient

Tableau 39.2 Antalgiques, douleurs Fibromes utérins, nécrobiose aseptique


neuropathiques, algies rebelles et grossesse. de fibrome
Molécule Terme Posologie Les fibromes utérins sont responsables de douleurs chro-
Tout au long de la
®) À posologie niques tout au long de la grossesse. La nécrobiose aseptique
Amitriptyline (Laroxyl
Clomipramine (Anafranil®) grossesse (molécules efficace est un infarctus fibromateux qui se voit fréquemment pen-
les mieux connues) dant la grossesse et dans le post-partum immédiat [2]. Les
Tout au long de la À posologie
douleurs sont d'horaire et d'intensité variables. Elles sont
Duloxétine (Cymbalta®)
Gabapentine (Neurontin®) grossesse efficace précisément localisées par la patiente et exacerbées par la
Lidocaïne en emplâtre En deuxième palpation du fibrome. Elles s'accompagnent de fièvre infé-
(Versatis®) intention rieure à 38,5 °C et d'un syndrome inflammatoire biologique.
Prégabaline (Lyrica®) Le traitement repose sur les antalgiques de paliers 1 à 3,
En cas d'inefficacité de ces molécules, l'utilisation d'un autre après élimination d'une MAP associée.
traitement en cours de grossesse sera envisagée au cas par cas,
notamment la carbamazépine (Tégrétol®) Autres
TENS : neurostimulation électrique transcutanée envisageable quel que soit le En ce qui concerne les kystes ovariens, les vaginoses, l'her-
terme sauf sur l'abdomen.
pès génital, etc., à l'exception des AINS, la prise en charge de
Source : Le Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT)
www.lecrat.fr, l'Hôpital Armand-Trousseau (AP-HP)
la douleur est la même qu'en dehors de la grossesse.

Douleurs liées à la grossesse Douleurs de la région lombopelvienne


Syndrome douloureux ostéo-musculo-articulaire
Douleurs d'origines obstétricales (syndrome de Lacomme)
et gynécologiques Il concerne 10 à 50 % des femmes enceintes et apparaît
Contractions utérines lors du deuxième ou troisième trimestre de la grossesse.
Fréquentes, elles sont généralement de faible intensité, Les douleurs, d'intensité variable, sont responsables
ponctuelles et liées à l'activité physique, mais elles peuvent d'une impotence fonctionnelle plus ou moins sévère.
annoncer une fausse couche ou une menace d'accouchement Elles sont abdominales basses et/ou postérieures, et
prématuré (MAP) lorsque la douleur s'intensifie et qu'elles se peuvent irradier aux cuisses ou vers les dernières côtes
répètent. Elles peuvent également être symptomatiques d'une et les lombes. Le traitement repose sur l'explication claire
pathologie non obstétricale (infectieuse, fibrome, malforma- de la symptomatologie et de sa bénignité, le repos, la cor-
tions utérines, etc.). Le traitement antalgique des contractions rection d'une hypokaliémie ou d'une hypocalcémie et les
utérines de faible intensité en dehors du contexte de MAP, antalgiques. Les massages, la physiothérapie, les ceintures
repose sur le repos et le recours aux antalgiques de palier 1. de contention portées en position basse au niveau des
sacro-iliaques sont souvent efficaces. Une rééducation
Hématome rétroplacentaire dirigée est utile après l'accouchement. Les infiltrations
d'anesthésiques locaux ou de corticoïdes sont réservées
Il survient lors du deuxième ou du troisième trimestre de
aux formes résistantes. La kinésithérapie, l'ostéopathie,
la grossesse dans un contexte d'HTA gravidique ou de pré-
l'homéopathie, l'acupuncture peuvent améliorer la symp-
éclampsie, et se manifeste par une douleur abdominale
tomatologie [3].
intense, brutale, associée à une contracture utérine persis-
tante, une hauteur utérine augmentée et des métrorragies de
faible abondance. Il impose l'interruption immédiate de la Arthralgies des sacro-iliaques et ostéose iliaque
grossesse en milieu hospitalier. condensante
Elles sont d'origine mécanique, apparaissant essentiellement à
HELLP syndrome l'appui. Elles sont dues à la distension et la subluxation des articu-
Pathologie grave survenant lors du deuxième ou du troi- lations. Le traitement s'appuie sur le repos et les antalgiques [3].
sième trimestre de la grossesse dans un contexte de préé-
clampsie, il se traduit cliniquement par une douleur en barre Atteinte dégénérative de la symphyse pubienne
épigastrique persistante, des signes fonctionnels d'HTA, des
nausées, des vomissements et des œdèmes. L'interruption Plus fréquente chez les multipares, elle est liée à des rema-
immédiate de la grossesse est indiquée. niements de la symphyse pubienne, responsables parfois de
pubalgies. Elle est soulagée par la prescription d'antalgiques,
Rétroversion utérine la kinésithérapie junk infiltrations [3].
Quinze à 20 % des femmes ont un utérus rétroversé. La
réduction spontanée de cette particularité anatomique, Coccygodynie
généralement au cours du troisième mois, est indolore, mais Ces douleurs, apparaissant lors du troisième trimestre,
peut parfois s'accompagner de douleurs pelviennes et de sont déclenchées par la position assise, parfois la marche
troubles urinaires (rétention, dysurie, pollakiurie). ou la défécation. Le traitement consiste en l'abstention de
Chapitre 39. Douleur et grossesse    259

l'appui direct, l'utilisation d'antalgiques, de neurosédatifs, t­ errain anxieux. Le traitement comprend la réassurance
de massages des releveurs de l'anus, voire d'infiltrations de la patiente, les massages, la kinésithérapie, la physio-
locales du disque rudimentaire douloureux [3]. thérapie et, plus rarement, les antalgiques et les anxioly-
tiques [3].
Rhumatismes abarticulaires
Algodystrophie
Crampes
Elle survient principalement lors du trimestre de la
Elles concernent un tiers des patientes et sont rencontrées grossesse, mais, parfois, dès le premier trimestre. La
dans la deuxième moitié de la grossesse. Elles sont le plus hanche est l'articulation la plus fréquemment touchée.
souvent d'horaire nocturne et concernent surtout les mol- La douleur est mécanique, inguinale irradiant à la face
lets, mais aussi, parfois, les cuisses ou les pieds. Les carences antérieure de la cuisse et apparaît dès la mise en charge,
minérales sont rarement documentées mais la supplémenta- pouvant conduire à une impotence fonctionnelle. Le
tion par magnésium et, surtout, par calcium (1 à 2 g/jour per diagnostic se fait par IRM, et le traitement consiste en
os) est souvent efficace [3]. du repos, associé à du paracétamol au stade initial. L'uti-
lisation de cannes anglaises est nécessaire à la marche.
Méralgie paresthésique par compression du nerf La kinésithérapie est prescrite dès l'atténuation des dou-
fémorocutané leurs [3].
Elle survient vers le cinquième mois de grossesse et se carac-
térise par des dysesthésies et des hyperesthésies à la face Ostéonécrose aseptique de la tête fémorale
antéro-externe de la cuisse. Le traitement consiste en l'uti- Favorisée par une prise de poids excessive ou une grossesse
lisation de benzodiazépines, de tricycliques et d'infiltrations multiple, elle survient toujours après le quatrième mois. La
locales [3]. douleur siège à la face externe de la hanche, dans le pli de
l'aine ou au niveau de la fesse. Le diagnostic est obtenu par
Autres l'IRM. Le traitement comprend essentiellement une mise en
Le syndrome du canal carpien et la ténosyvite de De décharge totale (repos et utilisation de cannes anglaises) et
­Quervain peuvent être rencontrés en fin de grossesse. Outre des antalgiques [3].
l'utilisation d'AINS qui est contre-indiquée, le traitement
est le même qu'en dehors de la grossesse. Reflux gastro-œsophagien
Les algies plantaires peuvent êtres soulagées par les antal- Il touche environ 50 % des femmes enceintes. Le traitement
giques simples et le port de semelles compensatrices [3]. consiste en l'application des règles hygiénodiététiques habi-
tuelles et l'administration d'un médicament. Les molécules
Douleurs rachidiennes et radiculaires suivantes peuvent être utilisées, quel que soit le terme :
■ les pansements gastro-intestinaux : diméticone
Lombalgies (Polysilane®),
Elles surviennent chez au moins la moitié des femmes et ■ les antiacides : alginate (Gaviscon®), sels d'aluminium et
sont favorisées par l'hyperlordose, l'hyperlaxité ligamentaire de magnésium (Maalox®, etc.),
et la prise de poids. Il s'agit le plus souvent de lombalgies ■ les IPP : oméprazole (Mopral®, Zoltum®), ésoméprazole
basses à caractère postural, d'intensité modérée, qui n'im- (Inexium®, Nexium control®), et lansoprazole (Lanzor®,
pose un arrêt de travail et un repos absolu que dans 10 % des Ogast®, Ogastoro®),
cas. Les sciatiques sont plus souvent S1 que L5 et sont habi- ■ les antihistaminiques H2 : ranitidine (Azantac®) et famo-
tuellement calmées par le décubitus. Le traitement consiste tidine [4].
en un repos simple, la limitation du port d'objets lourds et
des périodes journalières de repos en position couchée, le
dos à plat, les jambes surélevées. En cas de forme résistante, Douleur hémorroïdaire
l'utilisation d'un lombostat en coutil réglable peut améliorer Les hémorroïdes sont aggravées lors du troisième trimestre
la symptomatologie. Une ou deux infiltrations épidurales et en post-partum immédiat. La constipation, l'imprégna-
d'un corticoïde soluble sont habituellement très efficaces. La tion en progestérone et un facteur mécanique de compres-
sciatique hyperalgique gravidique et la sciatique paralysante sion en font une pathologie fréquemment rencontrée. Le
sont deux pathologies nécessitant un repos strict au lit, un traitement antalgique est d'abord local, puis associé à un
traitement antalgique par paracétamol et, éventuellement, traitement par voie générale, une régularisation du transit et
l'infiltration de corticoïdes. Une fois l'existence d'un conflit aux règles hygiénodiététiques habituelles.
discoradiculaire démontrée par une IRM, une intervention
chirurgicale doit être discutée [3]. Traitement local de la crise hémorroïdaire
Ce traitement peut être :
Dorsalgies ■ des spécialités contenant un anesthésique local sans
Plus fréquentes en début de grossesse, elles sont méca- corticoïde, tels Titanoréïne lidocaïne®, Tronothane® et
niques ou inflammatoires et souvent associées à un Rectoquotane® ;
260   Partie 4. Douleur selon le patient

■ des spécialités contenant un anesthésique local avec Douleur, interruption volontaire


corticoïde : Deliproct®, Ultraproct®, Cirkan® à la
prednacinolone ;
de grossesse médicamenteuse,
■ Autres, tel Titanoréine®. fausse couche précoce
Interruption volontaire de grossesse
Traitement par voie générale
L'IVG est un acte qui peut être difficilement vécu par les
Il s'agit : femmes qui ont fait le choix d'interrompre leur grossesse.
■ de veinotoniques (quel que soit le terme de la grossesse) : La majorité des IVG se faisant en ambulatoire, la prise en
Diosmine®, Hespéridine®, la troxérutine ou la rutoside ; charge de la douleur est fondamentale et doit être antici-
■ d'antalgiques ; pée. Les molécules utilisées dans le cadre de l'IVG sont la
■ de corticoïdes. mifépristone et le misoprostol. Celles-ci provoquent une
La prise en charge chirurgicale est exceptionnelle et maturation cervicale associée à des contractions utérines,
consiste en l'incision d'une thrombose externe [5]. aboutissant à l'expulsion du sac gestationnel. Ce processus
est douloureux et doit être systématiquement accompagné
Constipation d'une prescription d'antalgiques type paracétamol et AINS.
En cas de contre-indication maternelle aux AINS, un antal-
Elle est aggravée par la grossesse ; les mesures hygiénodiété-
gique de palier 2 sera nécessaire.
tiques et un traitement laxatif permettent d'en soulager les
symptômes. Les associations de plusieurs principes actifs
sont à éviter. Fausse couche précoce
Sont préférés en cours de grossesse : Comme pour l'IVG, l'expulsion du sac gestationnel (spon-
■ Soit un laxatif de lest : tanée ou à la suite d'un traitement médicamenteux) est res-
– mucilage : sterculia (Normacol®), ispaghul (Spagulax®), ponsable de douleurs pouvant être intenses. Elle doit faire
psyllium (Psylia®) ou gomme guar ; l'objet d'une prescription d'antalgiques type paracétamol et
■ Soit un laxatif osmotique : AINS (palier 2 en cas de contre-indication maternelle aux
– polyéthylène glycol (PEG) [macrogol], tels Casenlax®, AINS) systématique.
Forlax®, Transipeg® ou Movicol® ;
– lactulose (Duphalac®, Laxaron®), lactitol (Importal®)
ou sorbitol (Sorbitol Delalande®). Dyspareunies
L'utilisation ponctuelle d'un laxatif lubrifiant est possible
(Lansoyl®, etc.). La dyspareunie est une douleur persistante ou récurrente
Si un laxatif stimulant doit être utilisé ponctuellement lors d'une tentative de rapport sexuel ou lors d'une pénétra-
pour une constipation opiniâtre, on préférera le séné en tion effective. Elle toucherait 7 à 10 % des femmes selon leur
cours de grossesse et d'allaitement [6]. âge. La douleur est souvent négligée et l'errance diagnos-
tique est fréquente. L'approche globale est à privilégier, les
causes physiques pouvant se mêler aux difficultés psycho-
Colique néphrétique logiques, « psychosexuelles », affectant la femme et/ou son
Relativement fréquentes lors des deuxième et troisième tri- partenaire.
mestres, les coliques néphrétiques sont liées à la compres- L'évaluation de la dyspareunie commence par la carac-
sion urétérale par l'utérus gravide et surviennent le plus térisation des symptômes. Il faut avoir une approche
souvent du côté droit. Le traitement repose sur les antal- empathique et commencer par clarifier le terme de « dou-
giques de paliers 1 à 3. La dérivation par sonde JJ est parfois leurs sexuelles » avec la patiente. Le mode d'apparition des
nécessaire. symptômes est primordial, puisque le début brutal évo-
quera plutôt une cause psychosexuelle déclenchée par un
événement récent alors qu'un début progressif orientera
Migraine davantage vers une cause physique. Il convient d'explo-
Durant la grossesse, l'augmentation de l'estrogénie conduit rer les sentiments ressentis vis-à-vis de cette douleur, le
à l'amélioration de la migraine dans 60 à 70 % des cas [7]. contexte psychologique et social ainsi que les antécédents
Le traitement de la crise repose sur les antalgiques de gynéco-obstétricaux.
palier 1. Le sumatriptan peut être utilisé quel que soit le L'approche LOFTI permet d'identifier une cause
terme de la grossesse. En cas d'échec, l'élétriptan, le rizatrip- psychosexuelle.
tan et le zolmitriptan peuvent être utilisés. Les dérivés de ■ listening (écouter) : chercher les non-dits et les silences ;
l'ergot de seigle (ergotamine et dihydroergotamine) sont à ■ observing (observer) : par exemple des rendez-vous
éviter. annulés, ou, à l'inverse une lettre d'un autre médecin très
Si l'instauration ou la poursuite d'un traitement de fond pressante ;
est nécessaire, l'amitriptyline, le propranolol ou le métopro- ■ feelings (sentiments) : faire attention à ses propres réac-
lol sont à prescrire en première intention. En cas d'échec, le tions face aux déclarations de la patiente ;
pizotifène ou l'oxétorone peuvent être prescrits au cas par ■ Thinking (réfléchir) : pourquoi cette femme a-t-elle
cas après avis auprès du CRAT. consulté maintenant ? Comment en est-elle arrivée à
La flunarizine et le topiramate sont à éviter [8]. consulter, qu'est-ce qui la motive ?
Chapitre 39. Douleur et grossesse    261

■ Interpreting (interpréter) : avoir une vue d'ensemble, en die inflammatoire pelvienne, iatrogénie (raccourcis-
déterminant si la femme a élaboré des mécanismes de sement ou rétrécissement vaginal, postradiothérapie,
défense occultant une partie du problème (déni, régression, mutilations sexuelles féminines), dysfonction du plan-
détachement, dissociation pouvant évoquer un historique cher pelvien (mécanique, anatomique, rétroversion de
d'abus sexuels, etc.), si elle est anxieuse ou si elle a peur. l'utérus, prolapsus), congestion pelvienne (douleur post-
L'examen physique comprend, au minimum, la palpation coïtale), cause non gynécologique (syndrome de l'intestin
abdominale à la recherche d'un syndrome de masse abdomi- irritable, maladie inflammatoire chronique de l'intestin,
nale, l'inspection vaginale (érythème, fissures, ulcérations, infection urinaire) ou insuffisance veineuse pelvienne.
candidose, dermatite, suintements, cicatrice d'épisiotomie, Lorsqu'une cause est identifiée, le traitement de celle-ci
mutilation sexuelle, lichen scléreux vulvaire, atrophie vagi- est indispensable. Une approche multidisciplinaire (gynéco-
nale, etc.), l'examen au spéculum en prenant soin d'utiliser logue, dermatologue, psychologue, etc.) est recommandée
du lubrifiant, et le toucher vaginal. Les deux derniers per- en cas de vulvodynie.
mettant d'identifier des nodules d'endométriose (ligaments Le massage périnéal avec une huile inerte (comme l'huile
utéro-sacrés, etc.), des masses intra-abdominales (kystes de coco), peut de nouveau familiariser certaines femmes
ovariens, fibromes, etc.) et de repérer des malformations avec leur vulve et, en cas de vaginisme ou de vulvodynie,
utérovaginales. En cas de normalité de l'examen physique, soulager les douleurs.
les explorations doivent être poursuivies. L'utilisation de substances non inertes, allergisantes ou
Les examens complémentaires à effectuer vont dépendre irritantes (savon, gel douche, lingettes) pour l'hygiène intime
de l'examen clinique. Le dosage de la ferritine sanguine est déconseillée. Les protections en coton, non parfumées,
semble particulièrement important, puisque 5 % des non teintes et une lessive non parfumée sont à privilégier.
femmes avec une dermatite vulvaire ou un prurit sont asso- La douleur à la pénétration peut être réduite par l'utilisa-
ciés à un déficit en fer. Un prélèvement vaginal, une écho- tion d'un lubrifiant à base d'eau et diminuant la sensibilité
graphie, une IRM, une biopsie d'éventuelles lésions cutanées (menthol, lidocaïne).
ou une cœlioscopie exploratrice peuvent être nécessaires au Lorsque l'origine psychosexuelle est envisagée, un recours
diagnostic. à un spécialiste est nécessaire [9].
Les causes physiques de dyspareunie sont nombreuses et
peuvent varier selon l'âge de la patiente :
■ douleurs superficielles avant la ménopause : candidose
récidivante, herpès, vaginisme, dermatite vulvaire, cica- Références
trice périnéale (épisiotomie, déchirures postaccouche- [1] https://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=18.
ment, mutilation sexuelle, etc.), abcès ou kyste de la [2] Fibrome utérin : localisations, manifestations, diagnostic et traitements,
glande de Bartholin ; http://www.aly-abbara.com/livre_gyn_obs/termes/fibrome.html.
■ douleurs superficielles péri- ou postménopausiques : [3] Koeger AC. Rhumatologie et grossesse. Wwwem-Premiumcomdatatrai
atrophie vulvovaginale, dermatose (lichen), dermatite tesmgtm-19446
vulvaire ou vaginisme ; [4] https://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=1049.
[5] https://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=861.
■ douleurs superficielles plus rares : radiothérapie, causes
[6] http://lecrat.fr/articleSearch.php ?id_groupe=16.
neurologiques (douleur neuropathique, maladie neuro- [7] SFEMC. Migraine et grossesse, http://sfemc.fr/maux-de-tete/la-
logique), malformations vaginales, tumeurs vaginales ou migraine/32-migraine-et-grossesse.html.
vulvaires ; [8] http://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=455.
■ douleurs profondes : endométriose, pathologie des [9] Lee NMW, Jakes AD, Lloyd J, Frodsham LCG. Dyspareunia. BMJ
annexes ou du pelvis (kystes, fibromes, tumeurs), mala- 2018 ; 361 : k2341.
Chapitre
40
Insuffisance rénale
et hépatique
PLAN DU CHAPITRE
40.1 Médicaments opioïdes chez l'insuffisant Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
hépatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Paracétamol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Anti-inflammatoires non stéroïdiens . . . . . . . . 267
Modifications de la pharmacocinétique Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
des opioïdes chez l'insuffisant hépatique . . . . 263 40.3 Antalgiques et insuffisance renale . . . . . . . 268
Antalgiques de niveau II . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264 Ce qu'il faut comprendre avec l'insuffisance
Antalgiques de niveau III . . . . . . . . . . . . . . . . . 264 rénale chronique (IRC) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
Conclusion et recommandations . . . . . . . . . . . 265 Prescription d'antalgiques dans
40.2 Paracétamol et anti-inflammatoires le contexte de l'IRC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
non stéroïdiens chez l'insuffisant hépatique . . . . . 266

40.1 Médicaments la clairance plasmatique des médicaments éliminés par le


métabolisme hépatique ou l'excrétion biliaire, mais il peut

opioïdes chez l'insuffisant


également affecter leur liaison aux protéines plasmatiques,
ce qui conduit, par un mécanisme en cascade, à en modifier
la distribution et l'élimination [1]. En cas de cirrhose hépa-
hépatique tique avancée avec perturbation de la circulation porte, on
note une baisse de l'effet de premier passage, dont les consé-
François Chast quences peuvent être sensibles lors d'une administration par
voie orale (augmentation significative de l'absorption).
Le métabolisme hépatique des opioïdes est caractérisé
par deux mécanismes essentiels :
Introduction ■ un processus d'oxydoréduction, où interviennent les
Si les maladies du foie sont, le plus souvent réversibles, les cytochromes P450 (CYP). Les isoformes des cyto-
cellules du foie pouvant se réparer et le foie retrouver son chromes sont affectées à des degrés variables en fonction
état normal, dans certains cas, des lésions, sévères ou répé- de la gravité de la maladie du foie [2, 3]. On observe une
tées conduisent à une cytolyse majeure ou à une fibrose forte diminution de l'activité métabolique du CYP2C19
correspondant à une destruction fonctionnelle du foie, avec chez les patients atteints d'une maladie hépatique légère,
un risque accru de troubles hémorragiques, d'hypertension alors que CYP1A2, CYP2D6 et CYP2E1 semblent relati-
portale, d'encéphalopathie hépatique, etc. Chez ces patients, vement préservés. Mais en cas d'atteinte sévère, l'activité
les effets indésirables des opioïdes peuvent être majorés, et métabolique des cytochromes est affectée quelle que soit
leur utilisation, qu'il s'agisse de situations aiguës (anesthésie, l'isoforme considérée ;
douleurs postopératoires) ou chroniques (douleurs sévères ■ un processus de conjugaison (glucurono-, sulfo-, etc.) où
de diverses origines), est alors compromise. sont mises en jeu des transférases. Les réactions de glucu-
ronidation, sont affectées dans une moindre mesure par
une insuffisance hépatique et ne sont altérées que chez les
Modifications de la patients atteints d'une maladie sévère [4].
pharmacocinétique des opioïdes Les maladies chroniques du foie sont associées à des
chez l'insuffisant hépatique réductions variables de l'activité métabolique portée par
le système enzymatique des cytochromes CYP450. Quant
À l'instar de nombreux médicaments, la pharmacocinétique à la glucuronidation, elle est moins affectée que les réac-
des opioïdes est largement influencée par la fonction hépa- tions médiées par le CYP450 dans les cas de cirrhose légère
tique. Un dysfonctionnement peut non seulement réduire à modérée, mais elle peut également être sensiblement
Médecine de la douleur pour le praticien
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264   Partie 4. Douleur selon le patient

a­ ltérée chez les patients présentant une cirrhose avancée. La circulantes, surtout aux α- et β-globulines, la buprénor-
situation se complique souvent quand la cirrhose sévère se phine est partiellement métabolisée par le foie (CYP3A4),
double d'une insuffisance rénale, d'autant que les patients avec une oxydation conduisant à la norbuprénorphine avant
atteints de cirrhose du foie sont particulièrement sensibles que le médicament et son métabolite ne soient ensuite glu-
aux effets indésirables centraux des antalgiques opioïdes [5]. curonoconjugués [11]. La pharmacocinétique de la bupré-
norphine n'a pas été étudiée en cas d'insuffisance hépatique.
En théorie, l'administration sublinguale permet de court-­
Antalgiques de niveau II circuiter le foie, mais une fraction du médicament est avalée,
ce qui peut expliquer la réduction et la variabilité de la biodis-
Codéine ponibilité (50 à 55 %). Si l'activité du CYP3A4 est diminuée,
La codéine est un antalgique de faible puissance, métabo- on peut observer une augmentation de la biodisponibilité et
lisé dans le foie la glucuronyl-6-codéine, la norcodéine et une diminution de la clairance de la buprénorphine, mais
10 % transformé en morphine [6]. La codéine a une faible ces phénomènes n'ont qu'une modeste traduction clinique.
affinité pour le récepteur opioïde μ et son activité antal- Des cas de toxicité hépatique ont été décrits avec la bupré-
gique est majoritairement dépendante de sa conversion en norphine, mais essentiellement lors d'une administration
morphine [7]. Le cytochrome CYP2D6 est l'enzyme impli- intraveineuse [12]. Des données contradictoires ont été
qué dans cette biotransformation. Cette réaction oxydative publiées au sujet de l'hépatotoxicité de la buprénorphine
est diminuée en cas d'insuffisance hépatique, ce qui réduit chez des patients présentant déjà une maladie hépatique
d'autant l'efficacité antalgique de la codéine. Même si une comme l'hépatite C et, lors d'un traitement au long cours, il
modeste efficacité est préservée, il ne semble pas possible de paraît pertinent de surveiller l'évolution des transaminases.
conseiller la prescription de codéine lors d'une altération de
la fonction hépatique.
Antalgiques de niveau III
Tramadol Les opiacés de niveau III sont largement utilisés dans les
Le tramadol agit par un double mécanisme d'action : d'une douleurs sévères. En cas d'utilisation chez des patients souf-
part la modulation d'une voie centrale monoaminergique frant d'insuffisance hépatique grave ou d'encéphalopathie
et, d'autre part, l'activation de récepteurs opioïdes μ. Plus de hépatique, on risque d'observer une rechute ou une aggra-
80 % du tramadol est métabolisé par le foie [8] en O-démé- vation de cette encéphalopathie [13]. Cette complication,
thyltramadol, grâce au CYP2D6. Si le tramadol lui-même est fréquente et de mauvais pronostic, est caractérisée par des
plutôt actif sur les voies monoaminergiques, son métabolite, troubles cognitifs pouvant aller jusqu'au coma. Une autre
l'O-déméthyltramadol a davantage d'affinité pour les récep- source de complications vient du fait que, chez les patients
teurs opioïde μ [9]. En cas de baisse d'activité du CYP2D6 atteints d'insuffisance hépatique, on observe une altération
(insuffisance hépatique), le tramadol agit donc préférentiel- de la barrière hémato-encéphalique (BHE) qui induit une
lement comme modulateur monoaminergique, ce qui pré- augmentation des concentrations cérébrales et, donc, une
serve une part de l'activité antalgique, par ailleurs réduite, toxicité accrue. C'est donc avec prudence qu'il convient de
car il n'est plus (ou n'est que moins) éligible à la part de son prescrire ces opiacés chez l'insuffisant hépatique, même si
action comme agoniste morphinique (on manque d'une l'objectif de suppression de la douleur doit rester prioritaire.
véritable démonstration expérimentale du phénomène). Quelques règles doivent alors être respectées [14].
Cette réduction de l'action pharmacologique est compensée
par les conséquences pharmacocinétiques de l'insuffisance
hépatique. En cas de cirrhose du foie, par exemple, l'aire
Morphine
sous la courbe du tramadol est multipliée par un facteur 3 La morphine, faiblement liée aux protéines plasmatiques,
à 4, et la demi-vie, par un facteur 2 à 3. On observe égale- subit un effet de premier passage significatif après admi-
ment ces modifications en cas de carcinome primitif du foie. nistration per os avec une biodisponibilité moyenne de 30
La biodisponibilité et l'aire sous la courbe du tramadol sont à 40 %. Le métabolisme de la morphine en glucuronyl-
également augmentées, mais dans une moindre mesure, en 6-morphine, actif, et en glucuronyl-3-morphine, neuro-
cas de métastases hépatiques d'un cancer à distance [10]. toxique, intervient très majoritairement dans le foie. La
Au total, l'insuffisance hépatique justifie un élargissement diminution possible de la clairance de la morphine chez les
de l'intervalle entre deux prises, afin de limiter les risques patients cirrhotiques serait essentiellement due à la dimi-
d'accumulation et, donc, de toxicité. nution du flux sanguin hépatique et, dans une moindre
mesure, à une perte de capacité métabolique intrinsèque
[15]. Si certaines études du métabolisme de la morphine
Buprénorphine en cas d'insuffisance hépatique ne notent pas d'altérations
La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs significatives de l'élimination et de la clairance plasma-
opioïdes μ qui subit un effet de premier passage si impor- tique en cas de cirrhose, d'autres, en revanche, observent
tant qu'il n'est pas possible de l'administrer par voie orale un impact négatif, avec une demi-vie terminale de la mor-
(en dehors de la buprénorphine haut dosage [BHD] dans phine, multipliée par 2, et une clairance divisée d'un tiers,
l'indication du sevrage aux opioïdes). Les voies, sublinguale chez les patients cirrhotiques, ce qui conduit les auteurs à
­(biodisponibilité de 50 à 55 %), injectable et transdermique suggérer une augmentation de l'intervalle entre les admi-
sont donc incontournables. Largement liée aux protéines nistrations pour minimiser le risque d'accumulation [16].
Chapitre 40. Insuffisance rénale et hépatique    265

En réalité, les différences d ­ 'appréciation, semblent être Fentanyl


fonction des différences de sévérité de la maladie. Le résul- Le fentanyl est un opioïde synthétique largement lié aux
tat de la baisse de l'effet de premier passage hépatique est protéines plasmatiques (85 %). Il est métabolisé dans le foie
une augmentation (voire un doublement) de la biodispo- par le CYP3A4 et sa demi-vie (de 3 à 4 heures) est prolon-
nibilité par voie orale [17]. Une étude réalisée chez des cir- gée lors d'une administration continue, dans la mesure où
rhotiques a montré une biodisponibilité de la morphine LP ­l'extraction hépatique est élevée (0,8), Sa clairance est davan-
de 27,7 % contre 16 % pour les contrôles avec augmentation tage affectée par des changements de flux sanguin hépatique
de la demi-vie d'élimination et diminution de la clairance que par une réduction de l'activité des enzymes hépatiques
[18], ce que l'on observe également en cas de carcinome ou de la liaison aux protéines plasmatiques [23]. La pharma-
primitif. Si, lors de l'administration par voie i.v. chez des cocinétique du fentanyl n'est pas altérée en cas de cirrhose
patients atteints de maladies hépatiques sévères, l'intervalle lorsque l'administration est parentérale, du moins chez les
entre deux injections doit être augmenté, lors d'une admi- patients ayant une perturbation modérée [24]. Lors d'une
nistration par voie orale, non seulement cet intervalle doit administration par voie transdermique, la pharmacociné­
être augmenté, mais en plus la posologie doit également tique est perturbée pour le pic de concentration (+35 %)
être diminuée. En revanche, en cas de double insuffisance, et l'aire sous la courbe (+73 %) [25]. Compte tenu, de sa
hépatique et rénale, la morphine doit être évitée en raison bonne tolérance en cas d'insuffisance rénale, le fentanyl est
de l'accumulation des métabolites, facteurs de toxicité l'antalgique de choix en cas de syndrome hépatorénal, mais
neuro­logique de la morphine. il est alors légitime de diminuer la posologie pour éviter tout
risque d'accumulation [26].
Oxycodone
L'oxycodone a une puissance intrinsèque voisine de celle de Conclusion et recommandations
la morphine, mais sa biodisponibilité est bien meilleure par
voie orale (60 à 90 %, contre 30 à 40 % pour la morphine). La peur d'aggraver une insuffisance hépatique préexistante
Le métabolisme de l'oxycodone dépend d'enzymes oxyda- conduit trop fréquemment à un sous-dosage des traitements
tives, en particulier les CYP3A4 et CYP2D6 – qui trans- antalgiques. Il est inapproprié de refuser à un patient un
forment l'oxycodone en noroxycodone et en un métabolite opioïde pour la prévention ou le traitement d'une douleur
actif déméthylé, l'oxymorphone [19]. Une perturbation du aiguë postopératoire. La gestion d'une douleur chronique
métabolisme hépatique de l'oxycodone peut conduire à une est toujours plus délicate, d'autant que l'antalgique est sou-
réduction de la biosynthèse de l'oxymorphone, diminuant vent administré conjointement à d'autres médicaments en
l'activité antalgique, situation identique à celles des méta- raison de comorbidités, en particulier chez le sujet âgé. Pour
boliseurs « lents » (chez lesquels l'activité du CYP2D6 est ces patients, comme chez la femme enceinte, on est sou-
peu actif). Chez l'insuffisant hépatique, la concentration vent confronté à de vraies difficultés. Les opioïdes doivent
maximale d'oxycodone est augmentée de 40 %, sa demi-vie être prescrits avec discernement et de la manière la plus­
est prolongée de 2 heures et l'aire sous la courbe est pra- « personnalisée » [27].
tiquement doublée. En revanche, on note une réduction Les interactions médicamenteuses doivent être sérieuse-
moyenne de 15 % du pic plasmatique du métabolite actif, ment prises en considération, comme les risques addictifs
l'oxymorphone, et de 50 % de son aire sous la courbe [20]. qui ont été probablement sous-estimés par le passé.
Comme toujours avec les opiacés, et encore plus en cas de Enfin, d'une manière générale, en cas d'insuffisance hépa-
dégradation de la fonction hépatique, « start low and go tique il faut éviter toute prise de médicament susceptible d'al-
slow » est une règle absolue. térer le fonctionnement du système des cytochromes, clé de
voûte du métabolisme hépatique des médicaments, et valider
l'absence d'interactions médicamenteuses significatives.
Hydromorphone Le choix d'un opioïde est guidé par la nature de la dou-
L'hydromorphone subit un important métabolisme de leur, mais il faut, bien sûr, tenir compte des problèmes que
premier passage dont la conséquence est une faible biodis- peut poser une insuffisance organique fonctionnelle (hépa-
ponibilité [21]. Elle est majoritairement métabolisée par tique, rénale, etc.) [28] :
glucuronoconjugaison en glucuronyl-3-hydromorphone. ■ les opioïdes ne doivent pas être associés à d'autres sédatifs
Chez des patients présentant une insuffisance hépatique ou à des anxiolytiques de type benzodiazépine afin de ne
modérée, les pics plasmatiques et l'aire sous la courbe pas précipiter une encéphalopathie hépatique ;
sont multipliés par 4 après une dose unique d'hydromor- ■ leur métabolisme, affecté par l'insuffisance hépatique et
phone LI. En revanche, la demi-vie d'élimination n'est pas l'activité de la codéine et, dans certains cas, du tramadol
modifiée, ce qui suggère une diminution de la posologie ou de l'oxycodone peut être altéré en raison de l'impact
d'hydromorphone en maintenant l'intervalle entre deux négatif de l'insuffisance hépatique sur la biotransforma-
prises. La baisse des capacités métaboliques des enzymes tion de ces précurseurs en molécules actives ;
de conjugaison lors de la progression de la maladie peut ■ ils doivent faire l'objet d'une prescription très précise
conduire à une augmentation de la demi-vie d'élimination (posologie et rythme des prises) ;
et, en cas d'insuffisance rénale associée, l'accumulation – pour la morphine ou l'hydromorphone, la dose ini-
du métabolite neurotoxique, la glucuronyl-3-hydromor- tiale doit être réduite en raison d'une biodisponibilité
phone, a été observée [22], ce qui doit conduire à éviter ce accrue. Plus que chez tout autre patient, une titration
médicament. individuelle prudente et graduée est indispensable,
266   Partie 4. Douleur selon le patient

– comme en cas d'insuffisance rénale, les antalgiques de le paracétamol, lorsque des doses excessives conduisent à
demi-vie courte minimisant le risque d'accumulation une cytolyse aiguë [35]. Enfin, des cas de lésions hépatiques
sont privilégiés, morphine ou hydromorphone (voie ont été décrits chez des patients utilisant de l'aspirine ou des
orale) et fentanyl, sufentanil ou remifentanil (voies AINS [36]. Bien que rares, elles ne doivent pas être sous-
parentérales) sont les meilleurs choix chez les patients estimées en raison d'une large utilisation de ces médica-
insuffisants hépatiques, ments. Ces inconvénients sont trop souvent méconnus et
– toutefois en cas de syndrome hépatorénal, morphine l'utilisation extensive des antalgiques en automédication est
et hydromorphone doivent être prescrites avec pru- de nature à renforcer les risques encourus par les patients
dence, ce qui n'est pas le cas du fentanyl, du sufentanil (redondances de traitement, posologies mal respectées,
et du rémifentanil. interactions médicamenteuses non maîtrisées, etc.) [37].
■ Chez tous les patients présentant une insuffisance hépa- Il est donc indispensable d'analyser les caractéristiques de
tique, les signes éventuels de toxicité (sédation, hallu- sécurité de chaque médicament afin de les utiliser en mini-
cinations, myoclonies, etc.) doivent être reconnus et, si misant leurs risques potentiels.
possible, prévenus. Tout médicament administré par voie orale est conduit
vers la circulation porte à travers le tube digestif, ce qui
aboutit à l'étape hépatique, siège d'un phénomène connu
sous le nom d'effet de premier passage hépatique. Une cir-
40.2 Paracétamol rhose peut conduire au développement d'une circulation
collatérale qui détourne une fraction du flux sanguin théo-
et anti-inflammatoires riquement épuré par le foie, ce qui accroît la toxicité éven-
tuelle des médicaments [38] ; c'est aussi le cas d'une baisse
non stéroïdiens chez de la biosynthèse de protéines liant les médicaments telles
que l'albumine et la glycoprotéine α1-acide, ce qui conduit
l'insuffisant hépatique à une augmentation de la fraction libre de ces médicaments.
Souvent, la diminution de la capacité métabolique observée
en cas de maladie hépatique est contrebalancée par l'aug-
François Chast mentation de la fraction libre du médicament, ce qui peut
fausser les interprétations. D'autres facteurs interviennent
avec la progression d'une maladie du foie, notamment les
Introduction changements de composition corporelle comme l'augmen-
tation des compartiments extracellulaires (ascite, œdème)
Le foie joue un rôle prépondérant dans le métabolisme d'une et la diminution de la masse musculaire, ce qui modifie les
majorité de médicaments, ce qui explique l'impact que peut paramètres de distribution.
avoir une insuffisance hépatique sur l'élimination de cer-
tains d'entre eux [29]. Le dysfonctionnement du foie est sou-
vent progressif et la diminution de l'excrétion hépatique des
médicaments progresse avec l'histoire de la maladie, même Paracétamol
si, dans certains cas (hépatite chronique active ou cancer Le paracétamol est généralement recommandé comme
du foie sans cirrhose), l'élimination des médicaments n'est antalgique de première intention pour un grand nombre
que modestement modifiée [30, 31]. Malheureusement, de douleurs aiguës ou chroniques et reste l'un des antal-
il n'existe pas de biomarqueur de l'insuffisance hépatique giques les plus sûrs. Si son utilisation chez les patients
permettant d'établir un lien entre cette insuffisance fonc- atteints d'une maladie hépatique doit être, parfois, évitée,
tionnelle et la capacité du foie à éliminer un médicament, elle doit être toujours encadrée, en raison du lien entre le
même si certaines avancées voient le jour dans ce domaine surdosage du paracétamol et son hépatotoxicité. Le paracé-
[32] Toutefois, la classification de Child-Pugh permet de tamol est métabolisé principalement en glucurono- et sul-
retenir le « Model for End-stage Liver Disease » [MELD] ou foconjugués ; une petite proportion (< 5 %) est oxydée par
modèle d'évaluation de maladie terminale hépatique [33], un cytochrome P450 (CYP), la plupart du temps CYP2E1,
qui intègre trois variables biologiques (bilirubine sérique, en un intermédiaire hépatotoxique, la N-acétyl-p-benzo-
albumine et taux de prothrombine) et deux variables cli- quinone imine (NAPQI). Ce métabolite est détoxifié par
niques (présence, ou non, d'ascite et d'encéphalopathie). conjugaison avec le glutathion [39]. Or, les malades pré-
Si la FDA aux États-Unis et l'Agence européenne des sentant une insuffisance hépatique, d'origine alcoolique
médicaments encouragent la présentation d'études phar- ou non, voient leur réserve de glutathion diminuée [40] et
macocinétiques chez des patients insuffisants hépatiques, on admet qu'un risque toxique accru existe chez eux, qu'ils
on manque, en général, de préconisations d'ajustement de soient atteints d'hépatite C chronique, ou de cirrhose non
la posologie chez ces patients, notamment pour les médi- alcoolique. Cette toxicité hépatique du paracétamol est
caments les plus anciens, comme c'est le cas des antalgiques retrouvée chez les patients chez lesquels une maladie hépa-
couramment utilisés. tique préexistait. Elle induit une mortalité accrue en cas de
En cas de maladie du foie, le métabolisme d'une majo- surdosage [41].
rité d'antalgiques peut être altéré, ce qui renforce le risque La question de l'utilisation du paracétamol à doses thé-
d'effets indésirables [34]. En outre, on peut observer une rapeutiques chez l'insuffisant hépatique alcoolique est par-
aggravation de la dégradation de la fonction hépatique par fois controversée. Pourtant, on sait que chez ces patients
Chapitre 40. Insuffisance rénale et hépatique    267

les réserves de glutathion sont réduites, à l'instar de ce d'insuffisance hépatique. Les anomalies de l'hémostase
que l'on observe chez des patients à jeun [42]. De plus, le observées en cas d'insuffisance hépatique font de ces
CYP2E1, responsable de la formation de la NAPQI toxique, malades des sujets à risque hémorragique [52], en particu-
est induit par la consommation chronique d'alcool, et sa lier en raison de la ­synthèse réduite du thromboxane A2.
production est augmentée chez ces patients, ce qui rend, à Une rupture des varices œsophagiennes constitue alors une
l'évidence, les patients alcooliques, cirrhotique ou non, plus complication majeure de la prise d'AINS (risque multiplié
vulnérables au paracétamol [43]. Chez ces patients, on note par 3) chez les patients cirrhotiques [53, 54].
une augmentation significative des ALAT dès la quarante-­ L'hépatotoxicité inhérente aux AINS constituerait 10 %
huitième heure, après administration de 4 g de paracétamol de l'ensemble des causes d'accidents hépatiques médica-
par jour [44]. Bien que la signification clinique de ces ano- menteux [55]. Bien qu'il s'agisse d'une propriété « de classe »,
malies biologiques ne soit pas une démonstration absolue, il existe une variabilité de la toxicité selon les molécules.
il semble raisonnable de ne prescrire le paracétamol qu'avec Ainsi, bromfénac, ibufénac et bénoxaprofen ont été retirées
précaution dans cette population. La FDA demande, à ce du marché en raison de cette toxicité et le développement de
titre, aux fabricants de disposer une alerte sur le condition- bon nombre d'autres molécules a été arrêté avant même leur
nement du paracétamol indiquant une consommation à mise sur le marché. On considère aujourd'hui que l'aspirine,
risque si le patient ingère plus de deux unités d'alcool par le diclofénac et le sulindac confèrent le plus grand risque
jour. Les autorités françaises n'ont pas encore franchi ce [56], au point que leur emploi chez l'insuffisant hépatique
pas même si elles semblent y réfléchir [45]. Pour autant, devrait être proscrit. C'est sur les caractéristiques pharma-
si certains auteurs préconisent des nomogrammes d'éva- cocinétiques des AINS (éliminés par un mécanisme oxy-
luation préventive du risque toxique [46], ces dispositions datif, essentiellement CYP2C9-dépendant et des réactions
paraissent peu réalistes pour un médicament aussi large- de conjugaison) en cas d'insuffisance hépatique que repose
ment utilisé. En cas de cirrhose, les études pharmacociné- l'étiologie de cette toxicité.
tiques montrent une augmentation de la demi-vie (parfois
doublée) et de l'aire sous la courbe du paracétamol avec Aspirine
une clairance réduite [47]. En cas d'hépatite virale sans
cirrhose, la pharmacocinétique du paracétamol n'est pas Si les propriétés pharmacocinétiques de l'aspirine ne sont
significativement altérée. Cependant, la demi-vie et l'aire pas affectées chez le patient alcoolique, la fraction libre de
sous la courbe sont augmentées et la clairance plasmatique son métabolite hydrolysé, l'acide salicylique, est augmen-
diminuée à la phase aiguë d'une hépatite, ce que l'on ne tée en raison d'une baisse de la liaison aux protéines, ce
retrouve pas lors de la convalescence. C'est la raison pour qui accroît l'aire sous la courbe du salicylate libre [57], plus
laquelle on peut prendre des doses habituelles de paracéta- toxique que l'aspirine.
mol mais espacer les intervalles de prises à la période aiguë
de l'infection. Ibuprofène
Au total, chez les patients atteints de cirrhose non Les modifications pharmacocinétiques observées lors de
alcoolique, et même si on dispose de peu d'arguments
l'insuffisance hépatique ont un impact significatif pour
pour préconiser une diminution des doses, on préfère s'en la demi-vie (doublée) et l'augmentation de l'aire sous la
tenir à la prudence et limiter la posologie quotidienne chez courbe [58] ; pour autant les conséquences cliniques restent
l'adulte à 2 g par jour en veillant, d'une part, à surveiller modestes.
les paramètres biologiques pouvant alerter sur une aggra-
vation de la fonction hépatique et, d'autre part, à préve-
nir toute exposition excessive à l'alcool. Soulignons qu'un Naproxène
certain nombre de voix s'élèvent aujourd'hui pour obtenir On ne note pas de différence de clairance du naproxène
une modification du statut de « libre accès » du paracé- entre les patients cirrhotiques et les témoins sains, mais la
tamol, à l'origine de 500 morts et de 10 000 hospitalisa- fraction libre de l'anti-inflammatoire est singulièrement
tions chaque année aux États-Unis [48], et probablement augmentée (deux à quatre fois). Il convient donc de réduire
autant en Europe. Enfin, l'hépatotoxicité des médicaments la posologie d'au moins 50 % [59].
semble être devenue la principale cause de transplantation
­hépatique [49].
Diclofénac
Il subit un métabolisme hépatique important et il est for-
Anti-inflammatoires tement lié aux protéines, d'où de réelles modifications
non stéroïdiens pharmacocinétiques, sauf lors de cures courtes chez des
patients atteints d'hépatite chronique [60]. En revanche, les
Les patients atteints d'insuffisance hépatique, notamment modifications observées en cas de cirrhose alcoolique [61]
avec cirrhose et ascite, sont des patients à risque, d'autant conduisent à adapter le traitement en fonction de la réponse
que les AINS provoquent, par ailleurs, une diminution du clinique.
flux sanguin rénal, autre facteur d'accumulation du médi-
cament [50, 51]. Cette insuffisance rénale avec diminu-
tion de la filtration glomérulaire, est observée lorsque l'on Célécoxib
administre de l'ibuprofène, de l'indométacine, de l'aspirine, Sa pharmacocinétique est très influencée par la maladie
du naproxène sodique et du sulindac à des patients atteints hépatique : + 20 à 25 % pour le pic plasmatique et + 40 %
268   Partie 4. Douleur selon le patient

pour l'aire sous la courbe, même si l'insuffisance hépatique


est modeste. Ces chiffres sont respectivement de 63 et 140 % 40.3 Antalgiques
et insuffisance rénale
lors de perturbations plus importantes [62]. Il faut donc au
moins diviser la posologie par deux en cas d'insuffisance
hépatique modérée et éviter de prescrire ce « COX-2 » en cas
de troubles hépatiques sévères. Thibault Besseliévre
Au total, compte tenu des risques induits, la prudence
voudrait qu'on limite l'usage des AINS lors d'une insuffisance
hépatique et qu'ils soient évités lors d'altérations sévères, à POINTS ESSENTIELS
l'exception peut-être de l'ibuprofène et du diclofénac. L'insuffisance rénale chronique (IRC) ne doit pas être
un prétexte pour ne pas traiter efficacement la douleur.
À l'exception des AINS, aucun traitement n'est contre-
Recommandations indiqué, il requiert simplement une adaptation de la
prescription (dose, nombre de prises, galénique, etc.) et une
La peur d'aggraver une insuffisance hépatique préexistante surveillance accrue. Il faut privilégier les traitements pour
conduit fréquemment à un sous-dosage des traitements lesquels il existe des données pharmacologiques. Pour les
antalgiques. Il est inapproprié de refuser à un patient en douleurs nécessitant l'utilisation d'antalgiques opioïdes, les
phase aiguë postopératoire un antalgique, car la durée du traitements par buprénorphine, fentanyl et hydromorphone
traitement est, alors, de courte durée et son impact sera semblent les plus adaptés en cas d'IRC.
limité. En revanche, la question du traitement chez un
patient souffrant de douleur chronique est toujours plus
délicate, d'autant que l'antalgique est souvent administré Ce qu'il faut comprendre avec
conjointement à d'autres médicaments en raison de comor-
bidités, en particulier chez le sujet âgé. Pour ces patients l'insuffisance rénale chronique (IRC)
comme chez la femme enceinte, on est souvent confronté Démographie de l'IRC
à de vraies difficultés. C'est la raison pour laquelle, comme
pour tout médicament, les antalgiques doivent être prescrits La prévalence de l'IRC est en augmentation du fait du
avec discernement, de la manière la plus « personnalisée » vieillissement de la population et de l'augmentation des
possible [63], en n'hésitant pas à réaliser un bilan après comorbidités comme l'hypertension et le diabète. L'IRC en
quelques jours de traitement. elle-même, non douloureuse, est souvent insidieuse.
Les interactions médicamenteuses doivent être sérieuse-
ment prises en considération. Ainsi, l'administration d'AINS Modifications de la pharmacocinétique
avec un autre médicament irritant pour le tube digestif ou des médicaments
des médicaments toxiques pour le rein doit être évitée dans L'insuffisance rénale complique la prescription médicamen-
ces populations fragiles. teuse en raison de modifications de la pharmacocinétique
Enfin, d'une manière générale, en cas d'insuffisance des traitements. Une bonne maîtrise des bases pharmacolo-
hépatique, il faut éviter toute prise de médicament pouvant giques des différents médicaments est nécessaire pour réali-
altérer le fonctionnement du système des cytochromes, clé ser une prescription adaptée et limiter les effets indésirables,
de voûte du métabolisme hépatique des médicaments. car les analgésiques et/ou leur(s) métabolite(s) peuvent s'ac-
Le choix d'un antalgique est d'abord guidé par la nature cumuler. Pour adapter au mieux la posologie, il est possible
de la douleur, mais il faut, bien sûr, tenir compte des pro- de se référer aux données du GPR (guide de prescription des
blèmes que peut poser une insuffisance organique fonction- médicaments chez le patient insuffisant rénal chronique)
nelle (hépatique, rénale, etc.) [64] : sur le site : www.sitegpr.com [65].
■ le paracétamol à faible dose (maximum 2 g/jour) et pour
une courte durée (moins de 15 jours) peut être utilisé Évaluation de la fonction rénale
chez un patient insuffisant hépatique pour le traitement
d'une douleur nociceptive d'intensité modérée. Cette La fonction rénale est évaluée par le débit de filtration
prescription doit être accompagnée d'une information ­glomérulaire (DFG), estimé à partir de la créatininémie
précise et concise sur : prenant en compte l'âge, le sexe, l'ethnie et quelques fois le
– la dose à respecter, poids. Selon les recommandations K/DOQI, les équations
– le fait que le paracétamol est présent dans de nom- les mieux adaptées sont la formule MDRD ou CKD-EPI.
breux médicaments d'automédication,
– le message selon lequel l'alcool ne fait pas bon ménage Prescription d'antalgiques
avec ce médicament ; dans le contexte de l'IRC
■ les AINS doivent être limités en raison de leur activité
antiplaquettaire, du risque d'irritation digestive (risque Antalgiques antinociceptifs
hémorragique), du risque conjoint d'insuffisance rénale
Non opioïdes (ancien antalgique de palier 1)
et de la menace que peut représenter une cytolyse fulmi-
nante avec certaines molécules comme le diclofénac. Ici AINS
encore, une mise en garde doit être faite sur les risques de Par l'inhibition de la cyclo-oxygénase, les AINS entraînent
l'automédication. une vasoconstriction de l'artère afférente du glomérule
Chapitre 40. Insuffisance rénale et hépatique    269

responsable d'une diminution du débit sanguin rénal. nécessaire de commencer par des doses faibles, puis de pro-
Les patients souffrant d'IRC encourent donc un risque élevé céder à une titration progressive. Il ne faut pas commencer
de dégradation de la fonction rénale, d'HTA, d'hyperkalié- par une forme LP, mais plutôt favoriser les formes LI, afin de
mie et de surcharge hydrosodée. faciliter la maniabilité.
Les AINS peuvent aussi être responsables d'atteintes L'hydromorphone (Sophidone®) est une molécule de
directes glomérulaires ou tubulaires, aiguës ou chroniques. morphine modifiée. Elle a comme avantage de ne pas être
Pour ces différentes raisons, cette classe thérapeutique est métabolisée en morphine-6-glucoronide, qui est le princi-
à proscrire chez le patient atteint d'IRC, d'autant plus s'il est pal élément responsable de la dépression respiratoire lors de
à risque d'hypovolémie (fièvre, déshydratation, etc.) ou si l'utilisation de la morphine en cas d'IRC. Au vu des études
des traitements bloqueurs du système rénine-angiotensine de pharmacocinétique, l'hydromorphone ne nécessite pas
ou diurétiques sont associés. d'adaptation posologique lors de l'IRC. Dans le cadre d'une
Il faut leur préférer, dans le cas de douleurs inflammatoires étude portant sur 29 patients, il est fait état d'un rapport effi-
non soulagées par les antalgiques, les anti-inflammatoires cacité-tolérance amélioré dans 80 % des cas lors du rempla-
­stéroïdiens n'ayant pas de conséquence rénale. cement de la morphine par de l'hydromorphone [70]. Cette
Si l'utilisation d'AINS est tout de même retenue, le traite- molécule semble donc bien adaptée en cas d'IRC, mais, mal-
ment doit être le plus bref possible, sans nécessité d'adapta- heureusement, elle n'existe pas sous la forme LI en France et
tion posologique, et requiert une surveillance des troubles ne peut être utilisée qu'en deuxième intention.
ioniques et de la fonction rénale. Le fentanyl (Durogesic®, Aqtic®) est métabolisé principa-
lement au niveau hépatique en composé inactif. Il s'accu-
Paracétamol mule peu lors de l'IRC, avec une demi-vie modérément
Le paracétamol est l'antalgique de loin le plus utilisé. Le allongée [67]. Ce traitement est donc intéressant chez les
métabolisme principal aboutit à des métabolites inactifs et patients présentant une insuffisance rénale. L'AMM du fen-
l'élimination du seul métabolite actif par le rein est faible. tanyl est normalement réservé à la douleur cancéreuse.
De ce fait, l'adaptation posologique lors de l'IRC est modé- La buprénorphine (Temgesic®) est un agoniste-antago-
rée. En pratique, il peut être prescrit à la dose de 3 g/jour. niste de la morphine et a une action sur les douleurs noci-
ceptives et neuropathiques. Le métabolisme est uniquement
Opioïdes hépatique, sans modification de la pharmacocinétique
Ancien antalgique de palier 2 lors de l'IRC [71]. Elle ne nécessite donc pas d'adaptation
La codéine a une action antalgique par sa transformation posologique et est très bien adaptée au cas du patient atteint
en dérivé morphinique. Sa demi-vie d'élimination est donc d'IRC.
augmentée en cas d'IRC (cf. paragraphe sur la morphine),
passant de 4 heures à 18 heures [66], avec un risque d'accu- Associations fixes
mulation et d'effets indésirables majorés. Elle n'est donc à Il est important de connaître les différentes molécules pré-
prescrire qu'en deuxième intention. sentes dans les associations fixes. Il est rare que les pharma-
Pour l'opium, nous n'avons pas assez de données phar- cocinétiques de deux molécules différentes soient modifiées
macocinétiques et de tolérances en cas d'IRC pour formuler de façon identique en cas d'IRC. Dans ce cas, la dose de
des recommandations. Par sécurité, ce médicament (Lama- médicament est limitée par son composant pharmaceu-
line®) est donc à éviter. tique, nécessitant la plus forte diminution de dose.

Ancien antalgique de palier 3 Traitements antihyperalgésiques


La morphine a un métabolisme hépatique se dégradant en La gabapentine et la prégabaline ont une demi-vie augmen-
3 métabolites qui sont tous éliminés par voie rénale. Il existe tée dès le stade d'IRC modérée (DFG < 60 ml/min) [72].
donc une accumulation des dérivés morphiniques en cas Une adaptation posologique est donc nécessaire, au risque
d'insuffisance rénale, favorisant les dépressions respiratoires de voir apparaître rapidement des signes d'encéphalopathie
[67]. Il faut donc être prudent lorsque le DFG est inférieur à métabolique. Il est nécessaire de commencer le traitement
30 ml/min [68]. Afin de faciliter la maniabilité, le traitement à faible dose, puis d'augmenter très progressivement la
initial sera constitué de formes à courte durée d'action et sera posologie.
instauré au quart de la dose habituelle. Une réévaluation pré- Le néfopam (Acupan®) est métabolisé au niveau hépatique
coce est nécessaire afin de détecter des signes de surdosage. en métabolite inactif. Aucune adaptation n'est nécessaire
La réadministration d'une nouvelle dose ou l'augmentation si le DFG est supérieur à 30 ml/min. Malgré ses caractéris­
de la dose sera réalisée avec prudence, en fonction de la tolé- tiques pharmacologiques, les paramètres pharmacocinétiques
rance et de l'efficacité clinique. L'objectif est d'utiliser la dose sont modifiés dans le cadre de l'IRC sévère (DFG < 30 ml/
minimale nécessaire. min) [73], ce qui exige, dans ce cas, de réduire la dose de 50 %.
L'oxycodone se comporte comme la morphine, avec
une élimination de ses métabolites actifs au niveau rénal. Il
n'existe pas de preuves évidentes permettant d'affirmer une Modulateurs du contrôle descendant
amélioration de sa tolérance comparativement à la morphine inhibiteur
[69]. De ce fait, la prudence doit être de mise et les règles de Les antidépresseurs doivent être associés, s'ils sont néces-
prescription doivent rester les mêmes que pour la morphine. saires, en commençant à dose modérée et en augmentant
En pratique, pour la morphine et l'oxycodone, il est progressivement la posologie selon la tolérance.
270   Partie 4. Douleur selon le patient

Antalgiques mixtes [16] Mazoit JX, Sandouk P, Zetlaoui P, Scherrmann JM. Pharmacokine-
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Le tramadol a une élimination urinaire de 30 % sous forme Analg 1987 ; 66 : 293–8.
inchangée et de 65 % sous forme de métabolite inactif. [17] Hasselström J, Eriksson S, Persson A, Rane A, Svensson JO, Säwe J.
L'augmentation de sa demi-vie d'élimination implique The metabolism and bioavailability of morphine in patients with
une adaptation posologique dès le stade d'IRC modérée severe liver cirrhosis. Br J Clin Pharmacol 1990 ; 29 : 289–97.
(DFG < 60 ml/min) [68] en espaçant les prises à toutes les [18] Kotb HI, el-Kabsh MY, Emara SE, Fouad EA. Pharmacokinetics of
12 heures sans dépasser une dose maximale de 200 mg/jour. controlled release morphine (MST) in patients with liver cirrhosis.
Il semble prudent d'éviter les formes LP en raison d'une Br J Anaesth 1997 ; 79 : 804–6.
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cokinetics and bioavailability of hydromorphone following intrave-
La méthadone serait intéressante chez le patient atteint nous and oral administration to human subjects. J Clin Pharmacol
d'IRC car l'élimination rénale sous forme inchangée est 1981 ; 21 : 152–6.
faible (20 %) avec peu de variations du profil pharmaco- [22] Paramanandam G, Prommer E, Schwenke DC. Adverse effects in
cinétique. En revanche, en cas d'administration répétée, la hospice patients with chronic kidney disease receiving hydromor-
demi-vie s'allonge de façon conséquente. En France, cette phone. J Palliat Med 2011 ; 14 : 1029–33.
molécule n'a pas l'AMM dans le traitement de la douleur et [23] Jin SJ, Jung JY, Noh MH, Lee SH, Lee EK, Choi BM, et al. The
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Chapitre
41
Addiction
PLAN DU CHAPITRE
41.1 Mésusage des médicaments antalgiques Ce qu'il faut comprendre de la dépendance
opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 aux opiacés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 Clinique des douleurs aiguës chez les
Sémiologie des troubles de l'usage . . . . . . . . . 273 patients recevant un médicament
Addictovigilance des antalgiques opioïdes . . . 274 de substitution aux opiacés . . . . . . . . . . . . . . . 277
Prévenir et repérer le mésusage Évaluation d'une douleur aiguë chez
des antalgiques opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . 274 un patient prenant un médicament
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276 de substitution aux opiacés . . . . . . . . . . . . . . . 278
41.2 Prise en charge médicamenteuse Principes de prise en charge d'une douleur
de la douleur aiguë chez le patient traité par aiguë nociceptive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278
médicament de substitution aux opiacés . . . . . . 277 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279

41.1 Mésusage respect des conditions de l'AMM du médicament. Les


mésusages les plus fréquents sont soit le fait de doses supé-

des médicaments
rieures à celles prescrites, soit la recherche d'un effet non
antalgique, soit l'usage au long cours de formes destinées
à la douleur aiguë (morphine injectable). Plus rarement, il
antalgiques opioïdes se caractérise par l'usage d'une voie d'administration non
conventionnelle, comme l'administration i.v. de formes
Célian Bertin, Noémie Delage, Nicolas Authier orales. Un mésusage peut exister sans dépendance ou
addiction. Un mésusage prolongé peut évoluer vers une
dépendance ou une addiction. La littérature rapporte une
Introduction prévalence de 21 à 29 % de ce trouble chez les patients
Plus de 17 % de Français bénéficient au moins une fois dans douloureux chroniques [3]. Un mésusage isolé est un état
l'année du remboursement d'un médicament antalgique réversible.
opioïdes, dont 1 million pour des opioïdes forts. Depuis le
retrait du marché du dextropropoxyphène, on note une dimi-
nution globale (–9 %) du nombre de patients exposés à ces Dépendance (physique) aux antalgiques
médicaments, avec néanmoins un doublement des délivrances
Cette notion de dépendance peut s'installer en quelques
d'antalgiques opioïdes forts depuis 2004, essentiellement lié à
jours à quelques mois de traitement, selon les substances
des prescriptions plus fréquentes d'oxycodone. Il est par ailleurs
et les personnes. Elle se traduit par la nécessité d'aug-
observé en France, depuis 2000, une hausse significative des
menter les doses pour obtenir l'effet antalgique, ce qui
hospitalisations pour overdose (+167 %) mais aussi des décès
s'appelle la tolérance ou l'accoutumance. Elle est asso-
par overdoses (+146 %) [1]. D'autres signaux émergents sont
ciée, lors d'une diminution trop rapide, voire d'un arrêt
rapportés sur le plan international et par le réseau français d'ad-
brutal du traitement, à un syndrome de sevrage ou de
dictovigilance, notamment pour les gabapentinoïdes comme la
manque. Le syndrome de sevrage peut exister à doses
prégabaline qui font aussi le cas de comportements d'abus. Cela
thérapeutiques après un traitement au long cours. Il
justifie l'importance de sensibiliser les prescripteurs, les dispen-
se caractérise généralement par des signes physiques
sateurs et les usagers au bon usage de ces médicaments.
(myalgies, nausées, diarrhées, fièvre, piloérection, lar-
moiement, rhinorrhée, etc.) et psychiques (humeur
Sémiologie des troubles dysphorique, insomnie, anxiété). L'apparition de signes
de l'usage [2] de sevrage à posologie thérapeutique doit faire recher-
cher l'instauration d'une tolérance ou d'une mauvaise
Mésusage des antalgiques observance du traitement opioïde. La tolérance à un
En France, la notion de mésusage correspond à un usage antalgique opioïde est réversible à l'arrêt (progressif ) du
non approprié, régulier ou épisodique, avec un non- médicament.
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 273
274   Partie 4. Douleur selon le patient

Addiction aux antalgiques (> 400 mg/jour), le plus souvent par voie i.v. de formes
C'est un trouble de l'usage de ces substances caracté- orales, du sulfate de morphine comme substitut d'héroïne.
risé le plus souvent par un signe pathognomonique Par ailleurs, de plus en plus fréquemment, sont rapportés
qu'est le craving, ou envie irrépressible de consommer, des cas de patients de plus de 40 ans souffrant de douleur
indépendamment même de l'existence d'une douleur. chronique et présentant une dépendance primaire à leur
La sévérité de ce trouble peut être mesurée par les cri- traitement par morphine.
tères du DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Les signalements relatifs à l'oxycodone permettent d'iden-
Mental Disorders). Cela implique un comportement de tifier deux profils : une majorité de cas plutôt masculin, d'âge
mésusage et, le plus souvent, une dépendance physique moyen de 45 ans, et dont le tiers présente des comorbidités
associée. La littérature rapporte une prévalence de 10 à psychiatriques, et des des situations d'abus et de dépendance
12 % de ce trouble chez les patients douloureux chro- dans un cadre de douleurs chroniques non cancéreuses ; et
niques [3]. Une addiction à un antalgique opioïde peut des sujets plus jeunes, en grande partie de sexe masculin,
être considérée comme un trouble chronique, caractérisé mésusant de l'oxycodone à des fins récréatives.
par un risque de rechute dans le mésusage, même en cas Dans le cas des pharmacodépendances au fentanyl, on
de sevrage et nécessitant parfois l'instauration d'un trai- note celle aux formes transmuqueuses ou LI, dans trois
tement de substitution avec de la buprénorphine ou de la quarts des cas liées à un usage hors cancer ou hors traite-
méthadone. ment de fond par opioïde. Pour le fentanyl transcutané, on
retrouve majoritairement des cas de dépendance pour un
profil féminin avec des antécédents de troubles psychia-
triques ou addictifs (45 %) et des douleurs chroniques non
cancéreuses mal soulagées [5]. Un quart des cas, plutôt
Addictovigilance des antalgiques masculins et âgés de moins de 40 ans, avec une prévalence
opioïdes encore plus élevée des troubles psychiatriques et addictifs
Les données du réseau français d'addictovigilance rap- associés (87 %) présentent un mésusage, voire un usage
portent que ces comportements de mésusage, voire détourné, à la recherche d'effets autres qu'antalgiques.
d'addiction concernent tous les antalgiques opioïdes.
Les opioïdes « dits » faibles, 10 fois plus prescrits que les
forts, doivent ainsi faire l'objet d'une vigilance accrue. Prévenir et repérer le mésusage
Plus de 9 % des déclarations d'addictovigilance en 2015 des antalgiques opioïdes
concernaient des antalgiques opioïdes, au premier rang
desquels se trouvent la morphine, le tramadol puis l'oxy- La prévention et le repérage des situations de mésusage des
codone [4]. médicaments antalgiques opioïdes sont indispensables à
En ce qui concerne la codéine, les cas de trouble de leur bonne prescription et leur bon usage par le patient. Le
l'usage déclarés touchent une population plutôt féminine et repérage commence en effet avant la prescription, par l'iden-
d'âge moyen de 40 ans, majoritairement dans un contexte tification des facteurs de risque spécifiques de mésusage et
initial de traitement d'une douleur (ostéoarticulaire, puis par l'information du patient sur la possibilité de survenue de
céphalées), plus rarement à visée anxiodépressive voire ces comportements d'usage inapproprié et à risque. Parmi
récréative. les facteurs de risque de mésusage les plus fréquemment
Pour le tramadol, on n'observe pas de différence entre relevés, on retrouve : le jeune âge (< 45 ans), des antécédents
les genres ; l'âge moyen est légèrement inférieur à 40 ans, et de comorbidités psychiatriques, des antécédents d'usage
le motif d'usage initial est majoritairement en lien avec une problématique de substances, des antécédents familiaux de
douleur. On retrouve des usagers de tramadol pour migraines conduites addictives, une antalgie inadéquate et une pres-
ou céphalées, des dépendances physiques rendant impos- cription d'antalgiques opioïdes [6]. Pour cela, il est possible
sible l'arrêt du traitement, des sujets abuseurs présentant des d'utiliser l'échelle « Opioid Risk Tool », qui permet de mesu-
crises convulsives ou des overdoses ; sont également obser- rer rapidement l'intensité du risque en recherchant ces prin-
vés des usages à visée de conduites dopantes. Quarante pour cipaux facteurs (Figure 41.1) [7].
cent des cas correspondent à un usage non antalgique, dans Selon l'existence de facteurs de risque, qui ne contre-
des contextes de polytoxicomanie et de recherche d'un effet indiquent pas la prescription si elle s'avère pertinente pour
psychoactif. soulager la douleur, une prévention personnalisée devra
Les médicaments à base de poudre d'opium font aussi systématiquement être mise en œuvre en prenant en charge
l'objet de complications de pharmacodépendance, le plus les comorbidités psychiatriques et addictives, en rendant le
souvent chez des femmes (75 %) d'âge moyen de 51 ans. patient acteur de cette vigilance et en recherchant activement
Des antécédents psychiatriques sont associés dans un à chaque renouvellement d'ordonnances des comporte-
tiers des cas, le plus fréquemment des troubles anxiodépres- ments de mésusage. Pour cela, l'échelle « Prescription Opioid
sifs. Des antécédents d'abus d'autres psychotropes sont plus Misuse Index » permet très rapidement d'identifier une situa-
souvent associés à un usage récréatif. tion problématique en cours de traitement (Figure 41.2) [8].
La morphine fait l'objet de complications dans deux En complément, d'autres questions devront être posées pour
populations différentes. Majoritairement, il s'agit de sujets repérer des signes d'addictions, de dépendance physique
de moins de 40 ans dépendants aux opioïdes, le plus sou- avec syndrome de sevrage ou de ­soulagement insuffisant de
vent à l'héroïne, présentant un usage détourné, à forte dose la douleur (Figure 41.3) [9].
Chapitre 41. Addiction   275

Figure 41.1 Repérer avant traitement les patients à risque de troubles d'usage des opioïdes.
Source : Webster LR et al. 2005 [7], adapté par l'Observatoire français des médicaments antalgiques pour le RESPADD [9].

Figure 41.2 Repérer en cours de traitement les comportements de mésusage d'opioïdes — Prescription Opioid Misuse Index.
Source : Knisely et al. 2008 [8], adapté par l'Observatoire français des médicaments antalgiques pour le RESPADD [9].
276   Partie 4. Douleur selon le patient

Comme le mésusage peut aussi être le fait d'une mau- l'armoire à pharmacie familiale, qui pourraient favoriser
vaise prescription, des recommandations de bon usage ont soit une dépendance soit un comportement secondaire
été publiée en 2016 concernant les antalgiques opioïdes d'automédication.
forts dans la douleur non cancéreuse [10]. Elles préconisent
notamment de :
■ ne pas prescrire les opioïdes forts dans les douleurs noci- Conclusion
plastiques comme la fibromyalgie et les céphalées pri-
maires comme les migraines, La crise des opioïdes nord-américaine met en évidence la
■ ne pas poursuivre un traitement au-delà de trois mois nécessité de prévenir en France un tel phénomène pour main-
sans bénéfice avéré (sur la douleur ou la qualité de vie), tenir une disponibilité et une accessibilité satisfaisante des
■ ne pas dépasser 150 mg d'équivalent morphine sans avis antalgiques opioïdes, qui restent des médicaments très efficaces
spécialisé, dans leurs indications, notamment la douleur liée au cancer.
■ ne pas prescrire de traitement de fond avec des formes Cela place le prescripteur en responsabilité d'une juste pres-
injectables ou LI, et de privilégier les formes LP dans les cription de ces médicaments pour en optimiser le bénéfice-
douleurs chroniques. risque. Savoir les prescrire implique aussi de savoir et de penser
Dans le cas des douleurs aiguës et postopératoires à les déprescrire en cas d'inefficacité ou d'effets indésirables.
modérées à sévères, il est préférable d'éviter les pres- La prise en charge des usages problématiques de ces médica-
criptions de trop longue durée sans réévaluation médi- ments implique une interdisciplinarité entre les professionnels
cale, de prescrire des délivrances pour 7 à 14 jours au concernés, médecins généralistes, médecins de la douleur et
maximum et d'éviter les renouvellements automatiques addictologues. Enfin, la prévention de la mortalité par overdose
d'ordonnance, cela afin d'éviter la chronicisation inutile aux antalgiques opioïdes nécessitera la prescription de leur
d'un traitement par opioïde ou son accumulation dans antidote, la naloxone, auprès des patients les plus à risque.

Figure 41.3 Autres questions pratiques sur les motivations d'usage des antalgiques opioïdes.
Source : RESPADD [9].
Chapitre 41. Addiction   277

41.2 Prise en charge bénéfices en termes de santé publique et d'amélioration


significative de la qualité de vie des patients sont incon-

médicamenteuse
testables : diminution de la morbimortalité, améliora-
tion de l'accès aux soins et réduction des transmissions
virales, etc. [11].
de la douleur aiguë Les MSO ont pour objectif l'aide à l'arrêt des opiacés,
mais surtout le maintien de l'abstinence et la prévention des
chez le patient traité rechutes chez les patients dépendants aux opiacés. Il s'agit
de traitements au long cours, parfois à vie pour certains
par médicament de patients qui peuvent ne plus présenter de conduites addic-
tives mais garder le traitement pour prévenir la rechute. Il

substitution aux opiacés existe en France deux molécules prescrites contre la dépen-
dance aux opiacés : la buprénorphine et la méthadone
(tableau 41.1).
Morgane Guillou-Landreat, Sophie Lalande

Ce qu'il faut comprendre Clinique des douleurs aiguës


de la dépendance aux opiacés chez les patients recevant
un médicament
La dépendance aux opiacés est définie selon les critères de substitution aux opiacés
du DSM-5. Un des symptômes centraux en est la perte de
contrôle des consommations d'opiacés associée à des consé- Les phénomènes douloureux sont deux à trois fois plus
quences négatives et à un craving (besoin irrépressible et fréquents chez les patients recevant un MSO que dans la
compulsif de consommer qui s'impose au sujet). Les opiacés population générale. Vingt-quatre à 39 % des patients pre-
en cause peuvent être des opiacés illicites (héroïne, prin- nant de la méthadone rapportent des douleurs modérés à
cipalement), mais également des opiacés médicamenteux sévères et 55 à 61 % rapportent des douleurs chroniques
(opioïdes forts, codéine, etc.). [12] alors que, comparativement, dans la population
Les médicaments de substitution aux opiacés (MSO) générale aux États-Unis, 31 % décrivent des douleurs
ont été mis sur le marché il y a plus de vingt ans et les chroniques[13]. Les patients dépendants aux opiacés

Tableau 41.1 Deux molécules contre la dépendance aux opiacés : méthadone et buprénorphine.
Méthadone Buprénorphine
Mode d'action Agoniste pur des récepteurs opiacés Agoniste/antagoniste
Dangerosité – Risque de surdose mortelle Moindre risque de surdose sauf interactions
– Dose létale chez les patients naïfs : 1 mg/kg (avec les benzodiazépines)
Pharmacocinétique Variations interindividuelles importantes – Peu de variations d'un sujet à l'autre
Posologies très variables, moyenne de 60 à 100 mg/j – Effet plafond, posologies moyennes de 8 à 12 mg
– AMM : max 16 mg BHD et Subutex↓ et 24 mg pour
Suboxone↓
Galénique – Solution buvable, pour instauration jusqu'à stabilisation – Comprimés sublinguaux
(durée maximale de prescription : 14 jours), puis gélule chez buprénorphine/Subutex↓
les patients stabilisés (durée maximale de prescription : ou Suboxone↓ (BHD + naloxone, non injectable)
28 jours) – Prescription de 28 jours,
– Délivrance hebdomadaire à la pharmacie, sauf mention – Délivrance hebdomadaire à la pharmacie,
expresse sur ordonnance sauf mention expresse sur ordonnance
Interactions – Dépresseurs respiratoires – Dépresseurs respiratoires
et précautions – Contre-indiqué avec un antagoniste des opiacés – Contre-indiqué avec antagoniste des opiacés
d'emploi (naltrexone, nalméfène, naloxone) ou un agoniste/ (naltrexone, nalméfène, naloxone) ou agoniste :
antagoniste méthadone, analgésiques de paliers 3
– Contre-indiqué en cas d'insuffisance respiratoire sévère – Contre-indiqué en cas d'insuffisance respiratoire
– Associations fortement déconseillées avec des ou hépatique sévère
médicaments susceptibles de donner des torsades de pointes
et allongeant le QT
Réglementation – Classé stupéfiant – Classé liste 1, mais soumis à la réglementation
– Prescription initiale par un médecin de CSAPA des stupéfiants
ou d'établissement de santé – Instauration possible par tout médecin
– Relais de la prescription ensuite, possible par un médecin – Prescription sur ordonnance sécurisée avec
généraliste pharmacie indiquée
AMM : autorisation de mise sur le marché ; BHD : buprénorphine haut dosage ; CSAPA : Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie.
278   Partie 4. Douleur selon le patient

­ résentent des comorbidités médicales, traumatiques et


p Risque d'inefficacité antalgique
psychiatriques associées à des phénomènes douloureux Il existe une tolérance pharmacologique aux effets analgé-
plus fréquents [14, 15]. siques des opioïdes. De plus, selon le MSO et l'antalgique
De plus, la dépendance aux opiacés induit des méca- prescrits, un des risques est l'inefficacité antalgique. En cas de
nismes de tolérance pouvant s'installer, avec un épuise- traitement par méthadone, par exemple, les paliers 2 seront
ment de l'effet à posologie égale. Enfin, des phénomènes totalement inefficaces, puisqu'il s'agit d'opioïdes faibles pres-
d'hyperalgésie aux opioïdes s'installent chez les patients qui crits chez des patients recevant un opioïde fort (méthadone).
prennent longtemps des opiacés, et se manifestent par une
hypersensibilité à la douleur et une résistance à l'efficacité
antalgique des opiacés [16, 17]. Le risque de déclencher un syndrome
de sevrage
Ce risque est principalement lié aux associations avec la
buprénorphine, qui a un effet agoniste/antagoniste. L'asso-
Évaluation d'une douleur aiguë ciation de paliers 2 ou 3 est contre-indiquée, en cas de traite-
chez un patient prenant ment par buprénorphine.
un médicament de substitution
aux opiacés Risque de surdose
Pharmacologiquement et physiologiquement, pour un
La survenue d'un épisode douloureux aigu chez un patient même phénomène douloureux, les patients sous MSO vont
bénéficiant d'un MSO va conduire à une vigilance vis-à-vis avoir besoin de posologies d'antalgiques plus élevées en
des cinq points suivants. comparaison des non-dépendants aux opiacés. Le risque
de surdose est moins élevé chez les patients dépendants aux
Déstabilisation des patients face opiacés déjà tolérants que chez des patients naïfs de toute
à des symptômes douloureux prise d'opioïdes.
Les patients dépendants aux opiacés sont plus sensibles à la
douleur physiologiquement, mais ont aussi un condition-
nement négatif associé aux stimuli douloureux. Ils ont vécu Principes de prise en charge
des syndromes de sevrage aux opiacés, très douloureux, d'une douleur aiguë nociceptive
associant douleurs abdominales, troubles digestifs, douleurs
musculaires, sueurs, etc. La douleur impacte significative- Principes généraux
ment la qualité de vie des patients sous MSO et est égale- Un MSO prescrit dans le cadre du traitement de la dépen-
ment un facteur pronostique péjoratif quant au devenir du dance aux opiacés n'aura pas d'action antalgique à la poso-
traitement par MSO [18, 19]. logie habituelle et suivant le mode de prise habituel. La
pharmacocinétique des MSO explique leur faible efficacité
analgésique : leur demi-vie est très longue, point essentiel
Représentation des patients dans l'objectif de traitement de la dépendance, mais l'effet
sous médicament de substitution aux opiacés analgésique de la méthadone et de la buprénorphine ne peut
Ils peuvent présenter des conduites addictives encore durer que quatre à huit heures. La période de relative anal-
récentes, mais, après vingt ans de prescription de MSO gésie chez les patients sous substitution est donc courte et
en France, beaucoup de patients ne prennent plus que suit immédiatement la prise.
leur traitement sans aucune consommation annexe Dans des situations de gestion de la douleur aiguë chez
d'opiacés. La représentation négative que les soignants les patients sous MSO, il faut être attentif à certains points :
peuvent parfois avoir, percevant les patients sous MSO 1. il faut toujours privilégier le maintien du traitement par
comme des « toxicomanes », est un frein majeur à une le MSO ;
relation thérapeutique de confiance. Les études récentes 2. les posologies d'antalgiques nécessaires chez les patients
menées dans la population générale montrent une dégra- dépendants aux opiacés sont plus élevées que chez les
dation de l'image des patients dépendants à l'héroïne sujets naïfs, compte tenu des phénomènes de tolérance et
[20], avec une culpabilisation importante de cette addic- d'hypersensibilité à la douleur ;
tion comparativement à d'autres conduites addictives, 3. il faut éviter les analgésiques morphiniques de palier 2
telles que l'alcool par exemple [21]. Dans la gestion de la (codéine, tramadol) de plus faible affinité pour le récep-
douleur aiguë de patients sous MSO, il est fondamental teur μ donc moins efficaces si le patient prend de la métha-
de se dégager de ce jugement moral, afin d'établir une done et contre-indiqués s'il est sous buprénorphine ;
relation de confiance avec les patients et de pouvoir 4. les opiacés aux propriétés agonistes/antagonistes μ (nal-
répondre de manière juste à leurs demandes concernant buphine) et les antagonistes des récepteurs μ (naloxone)
leurs douleurs. Karasz et al. ont montré que les patients peuvent précipiter un syndrome de sevrage aigu et sont
dépendants aux opiacés rapportent que se sentir écoutés donc formellement contre-indiqués chez ces patients
a un effet thérapeutique [22]. sous traitement oral substitutif ;
Chapitre 41. Addiction   279

5. il est recommandé de choisir la voie orale pour l'admi- Conclusion


nistration d'un opioïde fort dès que possible, mais si le
niveau de douleur impose le recours à la voie parentérale, Les patients dépendants aux opiacés présentent des comor-
celle-ci n'est pas contre-indiquée ; bidités médicales et des phénomènes douloureux beaucoup
6. l'efficacité du traitement est rapidement évaluée, et la plus fréquemment que la population générale. La question
décision thérapeutique est discutée en accord avec le de la gestion des douleurs aiguës des patients sous MSO est
patient : des craintes sont parfois liées aux augmenta- donc une question à laquelle de nombreux praticiens peuvent
tions de la posologie du MSO, mais dès que les douleurs être confrontés. Il est essentiel de considérer les patients sous
sont améliorées, le traitement reprend à la posologie MSO sans jugement et en entendant bien leurs douleurs et
initiale. d'avoir connaissance des grands principes de prise en charge.
Mais il est aussi important de pouvoir s'appuyer sur les struc-
tures d'addictologie et de collaborer avec elles (addictologie
En pratique de liaison, services hospitaliers, CSAPA, etc.), qui peuvent
intervenir et favoriser une prise en charge globale.
Patient bénéficiant d'un traitement
par méthadone
En cas de douleur faible à moyenne (jusqu'à 5/10 sur l'EVA), Références
la méthadone est maintenue, avec la possibilité de frac- [1] Chenaf C, Kaboré JL, Delorme J, Pereira B, Mulliez A, Zenut M, et al.
tionner et d'augmenter la méthadone pour obtenir un effet Prescription opioid analgesic use in France : Trends and impact on
analgésique [16]. Le patient reçoit aussi un traitement par morbidity-mortality. Eur J Pain 2019 ; 23 : 124–34.
analgésiques non opioïdes. [2] Rolland B, Bouhassira D, Authier N, Auriacombe M, Martinez V,
En cas de douleur intense (EVA au-delà de 6/10), le Polomeni P, et al. Misuse and dependence on prescription opioids :
traitement par méthadone est maintenu, et il est pos- Prevention, identification and treatment. Rev Med Intern 2017 ; 38 :
sible de le fractionner et d'en augmenter la posologie 539–46.
afin d'obtenir un effet analgésique [16]. Il est possible [3] Vowles KE, McEntee ML, Julnes PS, Frohe T, Ney JP, van der
de l'associer avec un traitement par antalgiques morphi- Goes DN. Rates of opioid misuse, abuse, and addiction in chronic
pain : a systematic review and data synthesis. Pain 2015 ; 156 : 569–76.
niques, en augmentant progressivement celui-ci. Il est
[4] Rapport sur l'état des lieux de la consommation des antalgiques
alors préférable : opioïdes et leurs usages problématiques. Agence nationale de sécurité
■ de privilégier les antalgiques de palier 3 à demi-vie courte des médicaments et des produits de santé. février, https://ansm.sante.
à visée analgésique, fr/ ; 2019.
■ de favoriser des schémas fixes d'administration. [5] Tournebize J, Gibaja V, Muszczak A, Kahn JP. Are Physicians Safely
Prescribing Opioids for Chronic Noncancer Pain ? A Systematic
Review of Current Evidence. Pain Pract 2016 ; 16 : 370–83.
Patient ne bénéficiant pas d'un traitement [6] Pergolizzi Jr JV, Gharibo C, Passik S, Labhsetwar S, Taylor Jr R,
par méthadone Pergolizzi JS, et al. Dynamic risk factors in the misuse of opioid
analgesics. J Psychosom Res 2012 ; 72 : 443–51.
En cas de douleur faible à moyenne (jusqu'à 5/10 sur l'EVA), [7] Webster LR, Webster RM. Predicting aberrant behaviors in opioid-
le traitement par buprénorphine est maintenu, avec la possi- treated patients : preliminary validation of the Opioid Risk Tool. Pain
bilité de fractionner et d'augmenter la buprénorphine pour Med 2005 ; 6 : 432–42.
obtenir un effet analgésique [16]. [8] Knisely JS, Wunsch MJ, Cropsey KL, Campbell ED. Prescription
En complément, un traitement par analgésiques non Opioid Misuse Index : a brief questionnaire to assess misuse. J Subst
opioïdes peut être prescrit. Abuse Treat 2008 ; 35 : 380–6.
En cas de douleur intense (EVA supérieure à 6/10), la [9] Médicaments antalgiques opioïdes : ce qu'il faut savoir, ce qu'il faut
buprénorphine est maintenue, avec la possibilité de frac- faire. Edition Respadd, octobre, www.respadd.org ; 2018.
[10] Moisset X, Trouvin AP, Tran VT, Authier N, Vergne-Salle P, Piano V,
tionner et d'augmenter la buprénorphine pour obtenir un
Martinez V. Use of strong opioids in chronic non-cancer pain in adults.
effet analgésique [16] ; son potentiel d'action est toutefois Evidence-based recommendations from the French Society for the
limité, du fait d'un effet-plafond. Study and Treatment of Pain. Presse Med 2016 ; 45(4) : 447–62. Pt 1.
Certains auteurs préconisent l'association d'antal- [11] Guillou Landreat M, Victorri-Vigneau C, Grall-Bronnec M, Sebille-
giques de palier 3 avec la buprénorphine [23]. Mais cette Rivain V, Venisse JL, Jolliet P. Impact des politiques de santé publique
association est pharmacologiquement contre-indiquée sur les consultations en addictologie à partir d'un suivi longitudinal
et peut déclencher un syndrome de sevrage chez les de 1998 à 2007. Ann Med Psy 2013 ; 171 : 367–71.
patients. [12] Eyler EC. Chronic and acute pain and pain management for patients
Il est aussi possible d'arrêter la buprénorphine et de la in methadone maintenance treatment. The American Journal on
remplacer par le sulfate de morphine : le traitement par Addictions/American Academy of Psychiatrists in Alcoholism and
Addictions 2013 ; 22 : 75–83.
morphine LI est instauré par titration, puis converti en mor-
[13] Johannes CB, Le TK, Zhou X, Johnston JA, Dworkin RH. The preva-
phine LP ou en fentanyl en patch. lence of chronic pain in United States adults : results of an Internet-
Une fois les douleurs améliorées, le retour à la buprénor- based survey. J Pain 2010 ; 11 : 1230–9.
phine est possible. Il faut alors attendre le wash-out de mor- [14] Barry DT, Beitel M, Garnet B, Joshi D, Rosenblum A, Schottenfeld RS.
phine et l'apparition des premiers signes de sevrage pour Relations among psychopathology, substance use, and physical pain
administrer la buprénorphine et ne pas risquer de précipiter experiences in methadone-maintained patients. J Clin Psychiatry
un syndrome de sevrage. 2009 ; 70 : 1213–8. https://doi.org/10.4088/JCP.08m04367.
280   Partie 4. Douleur selon le patient

[15] Potter JS, Prather K, Weiss RD. Physical pain and associated clinical cha- [20] Tovar M, Le Nezet O, Bastianic T. Perceptions et opinions des ­Français
racteristics in treatment-seeking patients in four substance use disorder sur les drogues. Tendances 2013 ; 88.
treatment modalities. The American Journal on Addictions / American [21] Guillou Landreat M. Représentation des traitements de substitution
Academy of Psychiatrists in Alcoholism and Addictions 2008 ; 17 : 121–5. aux opiacés et de leur arrêt. In : Regards croisés patients-médecins ;
[16] Courty P, Authier N. Pain in patients with opiates dependence. Presse 2013. p. 23–44.
Med 2012 ; 41 : 1221–5. [22] Karasz A, Zallman L, Berg K, Gourevitch M, Selwyn P, Arnsten JH.
[17] Lee M, Silverman SM, Hansen H, Patel VB, Manchikanti L. A com- The experience of chronic severe pain in patients undergoing metha-
prehensive review of opioid-induced hyperalgesia. Pain Physician done maintenance treatment. J Pain Symptom Manage 2004 ; 28 :
2011 ; 14 : 145–61. 517–25.
[18] Brewer DD, Catalano RF, Haggerty K, Gainey RR, Fleming CB. A [23] CLUD 39. Protocole de prise en charge des douleurs faibles à
meta-analysis of predictors of continued drug use during and after modérées et sévères des patients substitues par buprénorphine ou
treatment for opiate addiction. Addiction 1998 ; 93 : 73–92. méthadone pour une pharmacodépendance majeure aux opiacés ;
[19] Mancino M, Curran G, Han X, Allee E, Humphreys K, Booth BM. 2013.
Predictors of attrition from a national sample of methadone mainte-
nance patients. Am J Drug Alcohol Abuse 2010 ; 36 : 155–60.
Chapitre
42
Santé mentale
Éric Serra

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 281 Organisation des soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
Clinique et traitement de la douleur en pratique. 281

Qu'en est-il de l'évaluation et de la prise en charge de Clinique et traitement


la douleur en psychiatrie ou en situation de troubles
psychocomportementaux ?
de la douleur en pratique
Notre savoir médical en matière de douleur est-il appli- Le modèle biopsychosocial est-il une
cable dans le contexte de la santé mentale ? réponse pertinente ?
Expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, la
Ce qu'il faut comprendre douleur répond au modèle biopsychosocial, en particulier
de la douleur lorsqu'elle est chronique. Ce modèle préside à notre com-
préhension et notre prise en charge des maladies chroniques
Existe-t-il des populations plus difficiles à évaluer et à traiter ? et des souffrances humaines, donc également des troubles
Le praticien est confronté à des patients présentant des mentaux.
difficultés psychologiques, sociales et comportementales : Expérience sensorielle et émotionnelle, la douleur est
des individus ne disposant pas d'un accès à un langage constituée de quatre composantes : sensorielle, affective,
commun, tels les enfants, des personnes désocialisées, des cognitive et comportementale. En cas de troubles mentaux
étrangers, des personnes âgées ayant des troubles de la com- ou de troubles du développement, la composante sensoridis-
munication, des personnes souffrant de troubles mentaux criminative peut s'exprimer d'une façon plus difficilement
ou de troubles du développement. Le risque est d'être blo- compréhensible. Des patients psychotiques interprètent
qué par un a priori et de ne pas repérer, de ne pas évaluer, de leur sensation à partir de leur délire, par exemple en cas de
ne pas traiter la douleur suivant la méthode recommandée. douleurs neuropathiques. Patients psychotiques ou patients
Or, notre savoir en matière de douleur nous rend capable autistes peuvent sous-réagir à des stimulations nociceptives
d'évaluer et de traiter toute population. tandis qu'ils sur-réagissent à des stimulations non noci-
On parle de population vulnérable en cas de troubles ceptives. Cela est compris par les observateurs comme une
mentaux sévères, comme chez les patients psychotiques hypoalgésie, si ce n'est une analgésie. Ce qui entraîne un
chroniques déficitaires, ou en cas de troubles du développe- désintérêt clinique ou un retard d'évaluation et, donc, de
ment, comme dans l'autisme, de troubles neurodégénératifs prise en charge.
comme dans la maladie d'Alzheimer, ou de polyhandicap La composante affectivo-émotionnelle est marquée par
sévère, comme chez des infirmes moteurs cérébraux. Mor- l'anxiété qui amplifie l'expression et la perception de la dou-
bidité et mortalité chez les patients psychotiques chroniques leur. Être inquiet, anxieux et non pas serein, c'est souffrir
entraînent une perte d'espérance de vie par rapport à la encore plus. D'où l'intérêt de prévenir et traiter la douleur et
population générale allant de 10 à 20 ans. La douleur est un l'anxiété liées aux gestes ou aux situations douloureuses par
signal de repérage des troubles somatiques, des comorbidi- des prémédications ou des préparations via une information
tés altérant la qualité de vie, responsables de surmorbidité et et des interventions non médicamenteuses.
de surmortalité. Tristesse, pessimisme, voire dépression, constituent
Au-delà de cette population vulnérable, se profilent les une autre émotion fréquente et générée par les douleurs
troubles psychologiques et psychiatriques du quotidien. Dans chroniques.
ces situations, des patients expriment différemment leur dou- Lorsque les idées, les croyances des patients à l'égard de la
leur et présentent des particularités thérapeutiques. Il s'agit douleur sont pessimistes, négatives, marquées par l'inquié-
des patients souffrant d'anxiété ou de dépression, ou alléguant tude et la dramatisation, il ressent plus fortement la douleur.
des plaintes somatiques d'origine organique incertaine. Ce pessimisme lui fait anticiper l'échec, déterminant son

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 281
282   Partie 4. Douleur selon le patient

insatisfaction, rejointe par celle du praticien, le tout expli- investissement par le professionnel de santé. Ce rejet trans-
quant la réputation d'échec prévisible ou de difficultés de paraît dans l'attitude ou les propos à l'évocation de certains
prise en charge. diagnostics de douleurs chroniques réputés de mécanisme
Il en découle un comportement d'évitement qui provoque psychogène prépondérant.
un déconditionnement à l'activité musculaire, articulaire,
sociale et psychologique. Cela crée un cercle vicieux à l'œuvre Patients non communicants
dans les maladies chroniques. Ce cercle vicieux entretient la L'évaluation et la prise en charge de la douleur chez les
douleur chronique. Il doit être repéré et combattu. patients souffrant de troubles psychiatriques et ayant des
Dans les maladies chroniques, les actions thérapeutiques altérations de la communication s'inspirent des autres popu-
s'inscrivent dans un ajustement du patient à sa situation lations vulnérables : les enfants et les personnes âgées à
sanitaire, avec l'aide de l'ensemble des accompagnants troubles de la communication.
sociaux et sanitaires et des proches (encadré 42.1). Cliniquement, la douleur se dissimule derrière différents
comportements.
Quelles sont les particularités cliniques Elle peut provoquer un repli de l'individu sur lui-même.
et thérapeutiques pour les populations Ce retrait, cette inhibition, certes commun avec d'autres
présentant des problématiques de santé problématiques de santé, doit systématiquement faire
rechercher une douleur.
mentale ? L'agitation peut être une autre conséquence de la dou-
Patients communicants leur. Toute agitation, comme tout repli, nécessite un examen
Nombre de patients souffrant de troubles mentaux ou de médical.
troubles du développement ou de polyhandicaps ne présentent L'utilisation de l'échelle ALGOPLUS®, développée pour
pas d'altération importante de la communication. Ces patients les personnes âgées ayant un trouble de la communication,
sont peu, voire ne sont pas pris en charge par des institutions constitue un test de dépistage.
spécialisées. Le médecin généraliste les rencontre au quotidien. L'hétéroévaluation utilise l'échelle EDAAP, ou Échelle
Il n'y a pas de particularité en termes d'évaluation ou de d'hétéroévaluation de l'expression de la douleur chez l'ado-
prise en charge chez ces patients communicants. lescent et l'adulte polyhandicapé (figure 42.1). On dispose
Concernant les outils d'autoévaluation, en santé mentale, maintenant de l'échelle EDD (Échelle d'hétéroévaluation
à côté de l'EN largement utilisée dans les établissements de de l'expression de la douleur chez des sujets dyscommuni-
santé, plus que l'échelle visuelle analogique, on prône aussi cants) (figure 42.2). Une autre échelle est en préparation,
l'utilisation de l'EVS. Elle impose l'utilisation d'une même l'ESDDA (Échelle simplifiée d'évaluation de la douleur chez
échelle par tous les intervenants. Cela n'est pas toujours réa- les personnes dyscommunicantes avec troubles du spectre
lisé. On cite l'échelle des six visages de la douleur dévelop- de l'autisme) (figure 42.3, encadré 42.2).
pée chez les enfants, puis proposée en autoévaluation chez
des personnes âgées puis en milieu psychiatrique pour des Traitement de la douleur en santé mentale
patients communicants. Dans ces populations vulnérables, la démarche est la même
Chez certains patients communicants, la douleur s'ex- que dans la population générale : identifier le problème de
prime avec des particularités. Elle peut s'inscrire dans une douleur, communiquer au patient les attentes, expliquer
dimension relationnelle. Elle est présentée avec emphase, les facteurs et les réponses thérapeutiques, définir avec le
réponse du patient à l'impression ou la réalité d'une absence patient des objectifs réalistes c'est-à-dire compréhensibles
de reconnaissance, une absence de repérage, une absence et, enfin, éduquer le patient et l'ensemble des acteurs de
de prise en considération de sa douleur par des proches ou santé à la prise en soins de la douleur qui comporte des
des intervenants. Cela crée en retour un rejet, un contre-­ actions de prévention et d'accompagnement en cas de dou-
leurs chroniques (encadré 42.3).

Encadré 42.1 Quand adresser au psychiatre Principes thérapeutiques généraux


ou au psychologue un patient douloureux Les principes thérapeutiques sont connus. On traite la
chronique ? douleur en fonction de ses composantes sensoridiscri-
minatives, affectivo-émotionnelles, cognitives et com-
Troubles psychiatriques sévères
portementales. On traite la douleur en fonction de ses

Problèmes médicopsychologiques perturbant la relation


mécanismes : nociceptif, neuropathique, nociplastique

Techniques psychothérapiques non possédées par le soignant


ou dysfonctionnel, voire psychogène. Le mécanisme psy-

L'adresse au psychiatre ou au psychologue exige l'information


chogène est de plus en plus considéré à travers la dimen-

du patient, son accord, ainsi qu'une information au psychiatre


sion psychocomportementale, toujours présente chez les
ou au psychologue
patients douloureux chroniques. Parfois, cette dimension
On doit attendre du psychiatre ou du psychologue une
psychocomportementale prend une place importante. Elle

réponse claire aux questions clairement posées par le


n'est pas limitée aux seuls patients suivis en santé men-
praticien qui adresse le patient et par ce dernier.
tale. L'interrogation répétitive ou l'affirmation d'une cause
Chapitre 42. Santé mentale   283

Figure 42.1 Questionnaire d'hétéroévaluation de la douleur : échelle d'hétéroévaluation de l'expression de la douleur chez l'ado-
lescent et l'adulte polyhandicapés (EDAAP).
Source : M.-A. Jutand, A. Gallois, J. Léger et al. Échelle EDAAP 2. Validation statistique d'une grille d'évaluation de l'expression de la douleur chez
les adultes ou adolescents polyhandicapés. Motricité cérébrale Volume 29 numéro 3 (2008) 93–100.

psychologique peut provoquer un retard diagnostique ou traitements psychocomportementaux et les traitements


thérapeutique de la douleur. socio-éducatifs (encadré 42.4).
Les médicaments sont utilisés selon les mécanismes de la La validation de ces traitements reste insuffisante. Cer-
douleur. On considère leur impact psychotrope. Cet impact tains ne reposent sur aucune base scientifique et leur usage
est souhaité avec les biaminergiques comme les tricycliques doit être interrogé. Certains, validés ou pas, peuvent être
ou la duloxétine, médicaments antalgiques de référence de la détournés, avec un risque de dérive sociale, voire sectaire.
douleur par mécanisme neuropathique, également antidépres- Pour un usage optimal des traitements non médi-
seurs, ou avec la prégabaline, autre médicament de référence camenteux, les médecins doivent être formés à leurs
dans la douleur neuropathique, anxiolytique. Les antalgiques indications, à leur validation et à leurs modalités de pres-
classiques de palier 2 et de palier 3, possèdent un effet apaisant cription. La formation et la recherche se développent dans
d'un point de vue psychologique. Cela n'est pas a priori négatif. ce domaine.
Toutefois, l'impact psychique des médicaments favorise
leur mésusage. Il doit être prévenu, évalué et accompagné. Aspects spécifiques du traitement de la douleur
Mésusage et addiction font l'objet d'un chapitre spécifique en santé mentale
dans cet ouvrage (chapitre 41, « Addiction »). Anxiété
Les traitements non médicamenteux seront de plus en La plainte douloureuse est une expression physique de l'an-
plus utilisés dans les maladies chroniques, en particulier xiété. La présence d'une douleur, dans un contexte psychia-
dans la douleur chronique. Nombre de ces traitements sont trique, doit bénéficier d'un antalgique adapté au mécanisme,
largement disponibles dans le champ de la santé mentale. La le plus souvent nociceptif.
psychiatrie est d'ailleurs à l'origine de la plupart des traite- Toute douleur, aiguë ou chronique, s'accompagne
ments psychocorporels et psychothérapiques. d'anxiété. L'anxiété caractérisée nécessite un traitement
Les traitements non médicamenteux comportent les ­médicamenteux et non médicamenteux. Le traitement de
traitements corporels, les traitements psychocorporels, les première ligne est constitué d'une information, de propos
284   Partie 4. Douleur selon le patient

Figure 42.2 Questionnaire d'hétéroévaluation de la douleur : questionnaire évaluation de l'expression de la douleur chez des sujets
dyscommunicants (EDD).

rassurants et honnêtes, de techniques corporelles comme En ambulatoire, 77 % des patients dépressifs présentent
l'activité physique adaptée (APA), la kinésithérapie ou l'appli- des douleurs. Les douleurs les plus fréquentes sont les
cation de chaleur, et de techniques psychocorporelles comme douleurs musculaires, les douleurs cervicales, les cépha-
des exercices de respiration, de distraction, de relaxation. lées, les douleurs lombaires et les douleurs articulaires.
Lorsque l'anxiété est sévère, comme en cas de troubles Dans la douleur chronique, on retrouve toujours des
d'ajustement ou de troubles du coping avec la dramatisation éléments cliniques tels que la tristesse, des troubles du
ou le catastrophisme, les pensées répétitives, il ne peut pas caractère avec exaspération ou colère, ou les sautes d'hu-
y avoir de prise en charge efficace de la douleur sans prise meurs, une perte des intérêts, de la fatigabilité, une alté-
en charge simultanée des dimensions affectives, cognitives ration de l'attention ou une insomnie. Les symptômes du
et comportementales. syndrome douloureux chronique sont communs avec la
dépression.
Dépression Dans la population générale, 20 % des patients doulou-
Tristesse, anhédonie, agitation ou ralentissement, angoisses, reux chroniques souffrent de dépression. Ce pourcentage
idées suicidaires, symptômes somatiques avec insomnies et s'élève en consultation de la douleur à 64 %.
douleurs, constituent la symptomatologie de la dépression. Le risque suicidaire doit être recherché.
Chapitre 42. Santé mentale   285

IDENTIFICATION DE LA PERSONNE EVALUEE

ESDDA
Echelle Simplifiée d’Evaluation de la Douleur
Nom :
Prénom :

Date de naissance :
Mode d'emploi : Répondre à chaque item par OUI ou NON, un TOTAL
chez les personnes Dyscommunicantes
> 2 OUI fait suspecter une douleur avec troubles du spectre de l’Autisme

Date de l'évaluation .…/…./…. .…/…./…. .…/…./…. .…/…./…. .…/…./…. .…/…./…. .…/…./….

Heure … H ... … H ... … H ... … H ... … H ... … H ... … H ...

OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON

1. Comportement
Modifié par rapport à l'habitude ?

2. Mimiques et expressions du visage


Modifié par rapport à l'habitude ?

3. Plaintes (cris, gémissements…)


Modifié par rapport à l'habitude ?

4. Sommeil
Modifié par rapport à l'habitude ?

5. Opposition lors de soins

6. Zone douloureuse identifiée à l'examen

TOTAL DE OUI /6 /6 /6 /6 /6 /6 /6

Complétée par

Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale, Autisme, Polyhandicap et Handicap génétique rare - Document réalisé par le Dr Isabelle Mytych et le Dr Julie Renaud-Mierzejewski – Version du 31/01/2017

ESDDA Elle se base sur l'observation de la personne évaluée dans :


Echelle Simplifiée d'évaluation de la Douleur chez les personnes - 4 items concernant des modifications par rapport à l'habitude :
Dyscommunicantes avec troubles du spectre de l'Autisme ○ son comportement
○ ses mimiques et expressions du visage
Cette échelle a été réalisée par des professionnels de terrain et validée par l'équipe de recherche ○ ses plaintes (cris, gémissements...)
du Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale et Autisme de l'EPS ○ son sommeil,
Barthelemy Durand d'Etampes (91). Elle est la propriété de l'EPS Barthelemy Durand d'Etampes - 2 items concernant des situations particulières :
et peut être librement utilisée, à la condition de l'attribuer à son auteur en citant son nom ○ son éventuelle opposition lors de soins : ici considérés au sens large, soins médicaux ou
(Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale et Autisme - EPS Barthelemy para-médicaux mais aussi soins d'hygiène ou de confort comme des massages...
Durand - Etampes) et de ne pas en faire d'utilisation commerciale. Toute modification de cet outil ○ le repérage d'une zone douloureuse à l'examen : ici soit un examen médical soit analyse
est également interdite. faite par un tiers dans une situation donnée (ex : habillage, mise des chaussures...).
Elle a été spécifiquement développée pour l'hétéro-évaluation de la douleur aigüe chez Cotation / Notation :
les personnes présentant des troubles de la communication en lien avec l'autisme. Outil qui requiert une formation minimale à son utilisation.
Les résultats sont codifiés et interprétés en fonction d'un seuil correspondant à une alerte quant
Veuillez noter que les informations recueillies à l'aide de cet outil ne permettent pas à une potentielle douleur aigue d'origine somatique.
d'établir un diagnostic.
Des critères de notation permettent d'attribuer une note qui va de 0 à 1 pour chaque item :
Description :
- La note 0 est attribuée lorsqu'il n'y a pas de modification par rapport à l'habitude, l'absence
- Outil d'aide à l'objectivation d'une potentielle douleur aiguë d'origine somatique d'opposition lors de soins ou l'absence de zone douloureuse identifiée à l'examen.
- Outil spécifique aux personnes présentant des difficultés à l'autoévaluation - La note 1 est attribuée lorsqu'il y a modification par rapport à l'habitude, une opposition lors
de la douleur dans le cadre de l'autisme et des troubles apparentés de soins ou le repérage d'une zone douloureuse à l'examen.
Elaboration : Un résultat > 2 à l'ESDDA devrait toujours être complété par un avis médical pour rechercher
Dr Isabelle MYTYCH, Praticien Hospitalier, Spécialiste en Médecine Générale. une étiologie organique douloureuse.
Dr Julie RENAUD-MIERZEJEWSKI, Docteur en Neurosciences. Intérêt de l'outil :
Traduction / Adaptation : Première échelle simple d'utilisation pouvant être utilisée par des non professionnels de santé en
Cet outil est aujourd'hui disponible uniquement en version francophone. vue du repérage précoce d'une potentielle douleur aiguë d'origine somatique.
Population concernée : L'usage final de l'instrument dépend du jugement de son utilisateur.
Pour se procurer l'échelle :
Toute personne à partir de l'âge de 2 ans présentant une incapacité à l'auto-évaluation de la
douleur et présentant un Trouble du Spectre de l'Autisme ou troubles apparentés. - EPS Barthélemy Durand – Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale,
Autisme, Polyhandicap et Handicap génétique rare B.P.69 - Avenue du 8 mai 1945 - 91152
Description de l'outil :
Etampes Cedex
L'ESDDA est une grille simplifiée d'objectivation d'une potentielle douleur aigue d'origine somatique.
EPS Barthelemy Durand – B.P.69 – Avenue du 8 mai 1945 - 91152 Etampes Cedex - France EPS Barthelemy Durand – B.P.69 – Avenue du 8 mai 1945 - 91152 Etampes Cedex - France
Date de création de la fiche : 29/11/2016 Dernière mise à jour de la fiche : 08/09/2017 Date de création de la fiche : 29/11/2016 Dernière mise à jour de la fiche : 08/09/2017

Figure 42.3 Questionnaire d'hétéroévaluation de la douleur : Échelle simplifiée d'évaluation de la douleur chez les personnes dys-
communicantes avec troubles du spectre de l'autisme (ESDDA).
Source : Établissement public de santé Barthélemy Durand Centre Regional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale, Autisme,
Polyhandicap et Handicap Génetique Rare. 69 Avenue du 8 mai 1945, 91152 ETAMPES Cedex, FRANCE, Tél : 01 82 26 81 09, Mail : secretariat.
douleur@eps-etampes.fr, Site web: http://www.eps-etampes.fr/.

Encadré 42.2 Évaluation de la douleur Encadré 42.3 Traitement de la douleur


en santé mentale en santé mentale

Examen clinique ■
Mêmes principes que pour toute douleur :

Autoévaluation de la douleur toujours proposée – selon les composantes (affectives, cognitives, comporte­

Sinon, hétéroévaluation mentales et sensorielles),

Échelle d'hétéroévaluation : EDAAP (figure 42.1) ou EDD – selon les mécanismes (nociceptif, neuropathique, noci­
(figure 42.2) ou ESDDA (figure 42.3) plastique ou dysfonctionnel, psychogène) ;

Intérêt de l'évaluation avec les proches : parents et inter­ ■
nécessité des protocoles dans les établissements de santé ;
venants sociaux et sanitaires ■
possibilité d'un test thérapeutique antalgique transitoire.
286   Partie 4. Douleur selon le patient

d'inhibition, altère l'expression de la douleur. Le phénomène


Encadré 42.4 Traitements non médicamenteux de sensibilisation, normal chez tout individu, est diminué
chez les patients psychotiques chroniques.

Traitements corporels : kinésithérapie, appareillages,
L'action antalgique des neuroleptiques ou antipsycho-
massages et toucher, balnéothérapie, application de
tiques n'est pas prouvée.
chaud ou de froid, ostéopathie, ergothérapie, podologie,
Les principes d'évaluation et de traitement sont les
étirements, activité physique adaptée, électrothérapie (TENS
mêmes pour tous les citoyens, même s'ils se révèlent plus
et neurostimulation centrale), magnétothérapie (r-TMS),
délicats à appliquer en cas de trouble psychotique. Les traite-
acupuncture.
ments non médicamenteux sont plus facilement disponibles

Traitements psychocorporels : relaxation, hypnose, tou­
dans les établissements de santé spécialisés en psychiatrie.
cher relationnel, art-thérapie (musicothérapie, théâtres et
Enfin, il s'avère indispensable, pour l'évaluation et la prise
marionnettes, peinture), expression corporelle, gymnastique
en charge, de prendre en considération l'avis, l'évaluation et
chinoise, yoga.
la disponibilité des personnes proches : parents, éducateurs,

Traitements psychocomportementaux : alliance thérapeu­
personnels sociaux, soignants.
tique, réactivation physique et psychologique, apprentissage
des comportements de bonne santé, psychothérapies de
Autisme
soutien ou relation d'aide, TCC, psychanalyse et psychothé­
Dans les troubles neurodéveloppementaux comme l'au-
rapie brève.
tisme, les réactions face à la douleur peuvent être marquées

Traitements socio-éducatifs : selon les lois et réglementations,
par une indifférence, une insensibilité. On suppose la même
appuyés sur les associations scientifiques et leurs
altération sensoridiscriminative que chez les patients psy-
recommandations, ETP, groupes de patients, associations
chotiques chroniques, soit un probable manque de sensibili-
d'usagers reconnus par le ministère de la Santé, information
sation à la douleur. Nos connaissances restent à développer.
sanitaire du citoyen, Internet et réseaux sociaux, outils connectés.
Les principes évaluatifs et thérapeutiques sont ceux évoqués
Les traitements non médicamenteux doivent être pratiqués par
pour les troubles psychotiques.
des professionnels habilités et formés.
Il existe des risques en cas de formation insuffisante, de
Addiction et dépendance
techniques inappropriées, d'efficacité non démontrée, de coût
On se réfèrera au chapitre précédent du présent ouvrage.
excessif et de dérives non sanitaires.
Les traitements non médicamenteux s'inscrivent dans une
stratégie multimodale et interdisciplinaire, retrouvée dans la
médecine intégrative. Organisation des soins
En médecine de ville, en médecine quotidienne, l'organi-
Somatisation sation repose sur des recommandations : prévention de la
On désigne par somatisation l'expression de souffrance douleur, recherche systématique de celle-ci en cas d'altéra-
psychologique à travers des plaintes corporelles. Cette situa- tion du comportement, évaluation multidimensionnelle,
tion est commune en médecine, comme dans l'anxiété ou la application des protocoles thérapeutiques validés, médica-
dépression. On la décrit dans des préoccupations de santé menteux et non médicamenteux.
comme avec l'hypochondrie, ou crainte excessive d'avoir En institution, évaluation et prise en charge reposent sur
une maladie. Les personnes porteuses d'une maladie chro- une organisation obligatoire. Ce sont les Comités de lutte
nique ont tendance à centrer leur vie, leurs pensées et leurs contre la douleur (CLUD) qui symbolisent et coordonnent
discours autour de la maladie, dans un discours corporel cette organisation qui comporte : des protocoles, un suivi de
ou hypochondriaque proche du discours médical. Dans l'usage des thérapeutiques médicamenteuses et non médica-
d'autres cas, les patients utilisent leurs difficultés somatiques menteuses, des formations adaptées aux populations prises
dans leurs relations interpersonnelles. Certaines plaintes en charge dans l'établissement et une évaluation régulière
sont ou étaient qualifiées d'hystériques, c'est-à-dire en lien des pratiques à la recherche d'une amélioration.
avec une quête affective insatisfaite et une recherche de
reconnaissance. On rappellera que toute plainte doulou- Bibliographie
reuse nécessite une interrogation médicale, voire un exa-
men somatique. Sans que cela ne soit contradictoire avec Fonseca J, Sul N, Serra E. L'émotion-douleur : de l'intérêt de considérer la
l'affirmation précédente, la persistance ou la répétition à douleur comme une émotion. L'Encéphale 2017 ; 43 : 603–6.
l'identique d'une symptomatologie autorise le médecin à ne Marchand S, Saravane D, Beaumont I. Santé mentale et douleur. Heidelberg :
Springer Verlag éditeur 2013.
pas renouveler systématiquement l'examen somatique et lui
Serra E. Douleur en santé mentale, partie 1 : les bases psychologiques de la
permet d'éviter la répétition des examens paracliniques oné- douleur. La Revue du Praticien 2013a ; 63 : 1159–64.
reux et iatrogènes. Serra E. Douleur en santé mentale, partie 2 : diagnostic et traitement. La
Revue du Praticien 2013b ; 63 : 1311–7.
Schizophrénie Serra E, Saravane D, de Beauchamps I, Pascal JC, Peretti CS, Boccard E.
Modèle des troubles psychotiques, la schizophrénie en La douleur en santé mentale : enquête auprès des chefs de service en
phase productive ou délirante ou en phase déficitaire ou psychiatrie. Douleur et Analgésie 2007 ; 2 : 1–6.
Chapitre
43
Douleur et psychologie : vécu
psychologique de la douleur
chronique
Raphael Minjard

PLAN DU CHAPITRE
Travail psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287 Facteurs extrasubjectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
Causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287 Douleur et rapport au traumatisme . . . . . . . . 289
Différentes subjectivités . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288 À l'écoute du vécu psychologique
Vécus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288 de la douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
Facteurs intrasubjectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288

Travail psychique Le travail psychique est également l'ensemble des res­


sources mises en œuvre pour traverser un événement
Dans sa forme aiguë comme dans sa forme chronique, la intérieur et/ou extérieur à soi en cherchant à en com­
douleur, quelle qu'elle soit, implique le psychisme ; nous prendre le sens, non pas dans un mouvement de causalité
pouvons même dire que la douleur implique un travail linéaire, mais dans une perspective complexe mêlant l'his­
psychique. Pour autant, si ce mouvement est connu, il toire de vie du sujet dans son rapport à lui-même et à son
est souvent associé à une traduction réductrice du verbe environnement.
« impliquer ». Impliquer ne signifie pas en premier lieu
« engendrer », mais plutôt « engager », « mettre en cause »,
« mêler », etc. Ce premier point souligne la confusion que Causalité
l'on trouve souvent entre un modèle causaliste linéaire indi­
quant qu'une cause entraîne un effet, et un modèle dans Le mouvement causaliste, le plus connu et le plus docu­
lequel l'intrication psychique et somatique met en déroute menté, particulièrement dans une approche de type EBM
et complexifie la compréhension du vécu du sujet. En ce (Evidence Based Medecine), est dans un premier temps le
sens la douleur est une expérience désagréable faisant événe­ plus acceptable et le plus recherché par le patient. La dou­
ment et agissant de manière concomitante sur le soma et leur est la cause de son mal-être et cette cause, si elle ne se
sur le psychisme. voit pas toujours, se comprend au moins : « j'ai mal depuis
Le travail psychique est le processus par lequel nous cher­ si longtemps que j'en souffre et du coup, si je consulte un
chons à nous approprier les événements que nous vivons. psychologue ce n'est pas parce que je suis "fou", mais parce
L'une des fonctions de l'appareil psychique est de chercher que la douleur me "tape" sur les nerfs ou le système, etc. »
à ramener les tensions, ou conflits internes ou excitations Autrement dit, ce que me fait vivre la douleur au quotidien
à l'état d'équilibre ou de neutralité. Une part du travail psy­ depuis des années légitime le fait de rencontrer un spécia­
chique pousse le sujet à vouloir retourner à l'état antérieur liste du psychisme.
pour éviter d'avoir à vivre ce qu'il est en train de vivre de L'équation est simpliste mais logique : « j'ai mal donc je
désagréable. C'est le fameux « comme avant » tant désiré par souffre psychiquement ». Bien souvent s'ajoute à cette équa­
les patients douloureux chroniques. Ce retour à l'état anté­ tion une variable d'ajustement telle que « et vous docteur
rieur est néanmoins illusoire et le sujet va chercher à mettre vous ne trouvez pas la cause de mon mal, donc vous parti­
en œuvre toutes les solutions possibles pour amoindrir sa cipez à mon mal-être ». Ce que les psychologues entendent
souffrance. dans « le médecin m'adresse à vous parce que je crois qu'il

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 287
288   Partie 4. Douleur selon le patient

n'y comprend plus rien. » La logique fonctionne toujours : Pour autant, notre appareil psychique a besoin de
en cas d'impasse, il reste la chirurgie, la médication à haute trouver un équilibre suffisant pour fonctionner. Ainsi la
dose ou le psychologue. douleur ne saurait être qu'une médaille à une seule face.
Or si cette logique semble triviale ou simpliste, elle n'en L'autre face traiterait donc des « bénéfices » de la dou­
reste pas moins opérante. Elle a d'ailleurs dans certains cas leur. Elle permet pour certains de « dire » ce qu'ils n'ont
toute raison d'être. Le problème de cette logique de pen­ jamais dit ; de s'autoriser ce qu'ils ne se sont jamais auto­
sée est qu'elle n'inscrit le patient subjectivement dans son risés : c'est l'effet désinhibiteur de la douleur : « si cela ne
histoire douloureuse que sous l'angle d'une position de leur plaît pas ils n'ont qu'à prendre ma douleur ! ». Ce qui
victime qu'il faudra ensuite déconstruire. D'autres logiques peut paraître de maigres bénéfices aux yeux des uns sont
fonctionnent dans ce même sens et demandent à être inter­ d'immenses victoires pour les autres. La douleur permet
rogées car leur causalité apparente est le signe de modèles également de déplacer certains conflits qui ont meilleur
plus complexes ; ce sont par exemple les explications psy­ compte à être retournés sur soi plutôt qu'exprimés au
chologisantes de l'ordre de : « il y a eu un traumatisme dans bon destinataire. La douleur peut être ainsi considérée
votre enfance donc c'est pour cela que vous avez des dou­ comme une solution biologique pour traiter des conflits
leurs chroniques maintenant. » psychiques inexprimables. Bien sûr, tout cela serait simple
Sous ces discours « logiques » fréquemment entendus se s'il suffisait de mener l'enquête et de mettre à jour les trau­
cachent des personnalités différentes. matismes de vie d'un sujet pour légitimer et annuler la
douleur qu'il porte.
Nous avons à considérer la place, le rôle et la fonction
Différentes subjectivités de la douleur dans l'économie du sujet. L'économie, c'est
la façon dont chaque sujet équilibre ses conflits internes.
La douleur atteint le sujet dans sa globalité psychique et C'est la façon consciente ou inconsciente par laquelle le sujet
corporelle par son intensité, sa récurrence, sa fréquence, sa trouve des moyens plus ou moins coûteux de supporter ce
chronicité et les sentiments d'impuissance et d'incompré­ qui fait tension en nous.
hension qui lui sont liés. Donc, lorsque l'on parle de l'impact psychologique
La douleur n'est pas perçue de la même manière selon de la douleur, il est nécessaire de prendre en compte les
la structure de personnalité prédominante du sujet. Un exa­ différentes subjectivités ; l'impact ne sera pas le même
men psychopathologique permet de mieux comprendre la selon les histoires de vie et les types d'organisation de
relation du sujet à sa douleur. N'oublions pas que la symp­ personnalité. La douleur joue sur la personnalité dans un
tomatologie n'est que la partie émergée du fonctionnement processus à long terme. La douleur transforme le sujet en
du sujet. Nous constatons fréquemment que la douleur rend profondeur.
aigri, agressif, irrite, effondre, empêche, replie, isole, décon­
ditionne physiquement, entraîne des mécanismes de peur de
la douleur, des difficultés socioprofessionnelles, des troubles
du sommeil, des ruminations mentales, des perturbations Vécus
émotionnelles et cognitives, des troubles de la sexualité,
etc. Elle fait vivre au sujet le sentiment de ne plus être tout Ces tensions, conflits ou traces traumatiques, vont
à fait lui-même. Par exemple, un effondrement vécu par un prendre forme au travers de notre vécu. Le vécu traduit
patient dont le pôle d'organisation est la névrose n'aura pas ce qui appartient à l'expérience de vie. Chaque événe­
le même effet qu'un effondrement vécu par un patient orga­ ment de notre vie, chaque décision, est l'intrication d'un
nisé selon des processus psychotiques. Penser le vécu du état affectif référé à ce qui se passe dans l'ici et main­
patient, c'est penser avec son organisation psychique. tenant, mais également à l'histoire passée et à ce que le
La façon dont le sujet est impacté par la douleur varie sujet aspire à être, mais aussi la découverte d'un inconnu
également en fonction du moment de vie dans lequel la représenté par cet événement qui semble surgir de nulle
douleur arrive, le contexte de vulnérabilité dans lequel il se part.
trouve, sa conjoncture de vie. En ce sens, la douleur trans­ La douleur est un affect. À ce titre, c'est un signal
forme, parfois déforme, parfois encore sidère le rapport du qui signifie quelque chose pour soi et pour l'autre. En
sujet à lui-même et au monde. tant que signal, elle demande à être entendue, reconnue
Qu'elle soit aiguë ou chronique, la douleur traque le et interprétée. L'interprétation que le sujet va faire de
sujet dans ses retranchements, le poussant jusqu'à des sa douleur tient à plusieurs facteurs intrasubjectifs et
points de vacillement identitaires ; dans l'aigu, c'est l'in­ extrasubjectifs.
tensité qui va engendrer le trouble identitaire en faisant
trembler les assises narcissiques du sujet ; dans la chro­
nicité, c'est l'émergence de comportements jusqu'alors
inconnus du sujet lui-même qui vont l'interroger sur ce
Facteurs intrasubjectifs
qu'il ne reconnaît pas de lui mais qui existe depuis que la Parmi les facteurs intrasubjectifs, il y a l'état interne du
douleur s'est installée. sujet au moment où il perçoit la douleur. Son état interne
La douleur pousse et/ou installe le sujet dans une position est la façon avec laquelle il est en lien avec son corps, avec
de fragilité quasi traumatique qui va modifier sa façon d'être lui-même, comment il se reconnaît, comment il s'estime ou
au monde. Les patients vont dire qu'ils ne se reconnaissent comment il se déteste, comment il est ou n'est pas en lien avec
pas, ou qu'ils ne pensaient pas avoir ces réactions en eux, etc. ses perceptions, la façon dont il se défend, etc. Ces facteurs
Chapitre 43. Douleur et psychologie : vécu psychologique de la douleur chronique    289

intrasubjectifs traduisent la façon dont le sujet s'est construit Douleur et rapport


au fil de la vie en appui sur ses expériences précoces. Le rap­
port à soi est toujours empreint du rapport à l'autre dans les
au traumatisme
premiers moments de vie. C'est dans la rencontre avec l'autre Lors de sa survenue, la douleur envahit le sujet, elle
que nous apprenons à donner un sens à nos éprouvés. Une déborde ses capacités à faire face à ce qui lui arrive. À
partie de notre façon d'interpréter la douleur tient donc à ce moment, la douleur agit comme un traumatisme et
la façon dont nous avons intériorisé les messages de notre oblige à changer de registre d'écoute du sujet. Si le sujet
entourage lors de nos premières expériences douloureuses. est débordé face à sa douleur, nous ne pouvons plus consi­
D'autres facteurs intrasubjectifs sont à prendre en dérer que son mode de réaction, de compréhension est le
compte dans l'expression du vécu douloureux. Il s'agit du même que le mode habituel. Il a bougé, il a basculé du côté
moment de vie dans lequel apparaît la douleur. Chaque du modèle du traumatisme. Les mécanismes de défense
sujet traverse des périodes au cours de sa vie durant les­ du sujet ne sont plus les mêmes, ses capacités de réaction
quelles un travail psychique est nécessaire. Nous pou­ non plus, ses capacités d'intégration et de transformation
vons citer par exemple la prime enfance, la puberté, la ont également changé.
maternité, l'entrée dans l'âge adulte, la fin ou l'arrêt de Comme la psychologie nous l'indique, l'existence de
la vie professionnelle, le vieillissement, etc. Chacune l'être humain est indissociable d'une certaine souffrance.
de ces périodes de vie impose un travail psychique de Cette souffrance, signe de vie, se colore différemment
réorganisation. Ces réorganisations mettent le sujet en lorsque la capacité à donner du sens à ce qui nous arrive
position de vulnérabilité. Un événement traumatique est limitée. Les éléments sources de souffrance ne sont
ou l'émergence d'une douleur aiguë, ou la chronicisa­ pas seulement des éléments connus du sujet, mais sou­
tion de la douleur dans ce moment de vie peut avoir de vent des éléments en attente, en besoin de connaissance,
profondes répercutions sur l'organisation psychique du de reconnaissance, qui n'ont pas encore pu trouver de
sujet. Donc, dans l'expression du vécu douloureux du miroir, d'écho, d'écoute, de réceptacle, et qui restent en
patient, il n'y a pas seulement l'événement traumatique à errance jusqu'à trouver pour certains de ces éléments
rechercher, qui fait trauma pour le sujet, mais le moment souffrants un logement dans le corps, une solution par
de vie que le sujet était alors en train de traverser. Un le corps.
accident qui survient chez un sujet en cours de traver­ Douleur et traumatisme entretiennent donc des
sée de la « crise de la quarantaine » – marquée par un liens étroits dont l'un des points de raccordement est le
mouvement dépressif, la remise en cause de son histoire débordement. Ce débordement, qui intervient lorsque
familiale, de sa vie actuelle, de ses choix de vie – n'aura les capacités d'un sujet à comprendre ce qui lui arrive
pas le même impact sur son psychisme que si cet acci­ sont limitées, fait traumatisme et/ou effraction dans
dent était arrivé quelques années avant, lorsqu'il était l'enveloppe corporelle, mais également dans la vie du
pris d'un mouvement de grande confiance en lui, dans sujet.
une position entreprenante envers la vie, avec le sen­
timent que rien ne pouvait lui arriver. La vulnérabilité
psychique est donc à prendre en compte dans l'écoute du
vécu psychologique de la douleur. À l'écoute du vécu psychologique
de la douleur chronique
Il faut du temps pour déplier l'histoire de vie d'un sujet
et comprendre pourquoi l'organisation psychique du
Facteurs extrasubjectifs patient s'est mobilisée de telle manière plutôt que de
Parmi les facteurs extrasubjectifs, nous devons prendre telle autre face à un événement de vie, pour conserver
en compte tout ce qui ne touche pas le sujet directement un fonctionnement psychique minimal et salvateur.
mais qui va avoir une influence sur lui. Les facteurs sont L'écoute du vécu du patient douloureux demande de
ici sociaux, professionnels, conjugaux, familiaux, etc. Les se dégager d'une volonté première de tout comprendre
angoisses, les peurs et les craintes vont être plus intenses, du en faisant usage de notre fonctionnement intellectuel
fait du contexte dans lequel le sujet se trouve au moment et de nos expertises pour faire et refaire le chemin avec
de l'apparition de la douleur. Nous évoquons là les effets de le patient, au plus près d'une sensibilité partagée. En ce
la conjoncture traumatique. La douleur et son vécu sont à sens, pour comprendre le vécu du patient douloureux,
replacer dans un contexte, celui du sujet par rapport à lui- il est nécessaire de sentir et saisir la pertinence de se
même, ses idéaux, sa famille et la société. mettre face à lui pour le regarder ou de se mettre à côté
Ce qui rend le vécu douloureux si complexe, c'est que la de lui et regarder là où il regarde.
douleur fait énigme pour tous autant par son intensité que Le vécu psychologique de la douleur chronique demande
par son absence. Ce qui rend la compréhension du vécu un accompagnement adapté du fait de la chronicité de la
douloureux si complexe, c'est qu'il est en écho à la façon douleur et des traumatismes de vie toujours associés. Pour
dont le sujet s'est organisé psychiquement. Nous l'avons ce faire, les patients doivent bénéficier d'une évaluation
vu plus haut, la douleur aiguë ou chronique engendre psychopathologique par le psychologue et de propositions
une réorganisation du fonctionnement psychique du de traitements ou d'accompagnement adapté non seule­
sujet et, donc, une interprétation différente de son vécu ment à leur problématique somatique, mais également
douloureux. à leur organisation psychique. Ces accompagnements
290   Partie 4. Douleur selon le patient

prennent place au sein de l'équipe pluriprofessionnelle Bondier M, Mathieu-Nicot F, Mariage A, Bioy A, Aubry R. L'impact psy­
du CETD qui constitue une enveloppe autour du patient. chologique de la douleur en soins palliatifs. Annales médico-psycholo­
Ce travail d'enveloppe permet de restaurer une partie des giques 2018 ; 176 : 157–62.
La douleur Chabert C. Toulouse. Erès ; 2015.
vécus souffrants des patients douloureux chroniques.
Castro de Souza L, Baudin M, Pheulpin M. Les éprouvés du corps et le
corps éprouvé de la fibromyalgie. Psychologie clinique et projective
2017 ; 23 : 267–84.
Bibliographie Del Volgo ML. Instant de dire : éthique d'une pratique. In : La douleur du
malade : clinique, psychanalyse et médecine. Toulouse : Erès ; 2003. p. 47–54.
Barfety-Servignat V. Quelle réalité pour les patients douloureux. Transes Minjard R, Duplan B. Évaluer sa pratique de psychologue clinicien
2018 ; 2 : 78–85. auprès des patients douloureux chroniques. Douleur et Analgésie
Bioy A. La douleur physique, un handicap psychique ? In : Ancet P, 2016 ; 29–32.
Mazen NJ, editors. Éthique et handicap. Bordeaux : Les chemins de Porte JM. La douleur : concept limite de la psychanalyse. Revue française de
l'éthique ; 2011. p. 231–45. psychosomatique 1999 ; (1) : 149–66.
Chapitre
44
Douleur des soins
Jean-Michel Gautier

PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre Ce qu'il faut mettre en œuvre pour prévenir la
de la douleur liée aux soins . . . . . . . . . . . . . . . 293 douleur liée aux soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294

Toute personne a le droit de recevoir des soins visant


POINTS ESSENTIELS à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute
Il est de la responsabilité des soignants d'anticiper les circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et
gestes diagnostiques et thérapeutiques pouvant induire des traitée…
douleurs. Des progrès indéniables ont été réalisés en matière de
Les approches multimodales sont recommandées (mesures prévention des douleurs liées aux soins avec le développe-
pharmacologiques et non pharmacologiques). ment de moyens médicamenteux et non médicamenteux.
La prescription de l'antalgie doit être adaptée au type, à Ainsi, il est légitime en 2019 de reconnaître que certains
la durée du soin ainsi qu'à l'intensité de la douleur induite soins ou actes de diagnostic, mais également certains actes
attendue, indépendamment du traitement de fond. de la vie quotidienne sont potentiellement douloureux et/ou
L'antalgie doit être administrée en temps voulu avant le
majorent l'inconfort d'un patient. Il convient donc pour les
début de l'intervention, afin d'obtenir l'effet maximal du
professionnels de santé de s'interroger sur les douleurs qu'ils
médicament au moment du soin.
peuvent induire afin de pouvoir les prévenir.
Les mesures de prévention doivent être systématiquement
réévaluées et réajustées, si nécessaire afin d'anticiper le
prochain soin. Ce qu'il faut comprendre
Une information précise et adaptée à chaque personne est de la douleur liée aux soins
capitale pour permettre au patient d'anticiper et de diminuer
l'anxiété liée au geste.
La douleur liée aux soins, ou douleur procédurale selon le
terme usité dans les pays nord-américains, se catégorise
La technique du « geste » ainsi que le protocole pour la
selon trois terminologies [1] :
prévention de la douleur doivent être maîtrisés par le
■ La douleur provoquée est une douleur intention-
soignant.
nellement provoquée par le médecin ou un soignant
La prévention et la prise en charge de la douleur induite
dans le but d'apporter des informations utiles à la
s'inscrit dans une démarche collective (réflexion éthique,
compréhension de la douleur. L'expression « dou-
repérage et identification des soins potentiellement
leur provoquée » désigne les manœuvres volontaires
douloureux, organisation des soins et anticipation,
effectuées lors de l'examen clinique, dans un contexte
protocolisation, s'interroger sur les pratiques et la
pathologique ou physiologique, à la recherche de
pertinence des soins, etc.) et individuelle (posture soignante,
signes particuliers.
organisation des soins en adéquation avec les besoins et le
■ La douleur iatrogène est, quant à elle, une douleur
rythme du patient, environnement, etc.).
causée par le médecin ou le traitement médical de
façon non intentionnelle et n'ayant pas pu être réduite
La douleur, et plus particulièrement la douleur liée aux soins, par les mesures de prévention entreprises. Souvent
constitue depuis de nombreuses années une préoccupation associée à la notion de pathologie ou de complica-
des professionnels de santé comme des pouvoirs publics. tion thérapeutique, la douleur iatrogène est souvent
Depuis 20 ans, la prévention et la prise en charge de la dou- de fréquence aléatoire et sa prévention est difficile à
leur ont fait l'objet d'une politique nationale, à travers trois mettre en œuvre.
plans successifs (1998–2001, 2002–2005 et 2006–2010). ■ La douleur induite se définit comme une douleur,
Le deuxième plan (2002–2005) a porté une attention impor- de courte durée, causée par un soignant ou une thé-
tante à la douleur induite par les soins. La prévention et le rapeutique dans des circonstances de survenue prévi-
soulagement des douleurs induites font partie des obligations sibles et susceptibles d'être prévenues par des mesures
devenues réglementaires depuis la loi du 4 mars 2002 relative adaptées. Ce sont les douleurs liées aux soins tech-
aux droits des malades et à la qualité du système de santé. niques, invasifs (injections, ponctions, pansements,
Médecine de la douleur pour le praticien
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294   Partie 5. Douleur selon le contexte

examens et actes de soins avec introduction ou retrait le décalage entre la rapidité du rythme soignant et la
de sondes et/ou de matériels, examens radiologiques, vacuité du temps de l'entre-soin chez le patient sont des
endoscopiques, kinésithérapie, etc.) mais aussi les facteurs de risque de majoration de la douleur.
douleurs liées aux soins de la vie quotidienne (nur- Les conséquences de l'absence de prise en considéra-
sing, toilette, habillage/déshabillage, manutention, tion de la douleur des soins peuvent être immédiates et/
transport, etc.). ou apparaître à long terme [3]. Les conséquences immé-
Les douleurs induites sont le plus souvent des douleurs diates peuvent être multiples : fatigue (lors d'un soin long
aiguës liées à un traumatisme, une inflammation tissulaire. et douloureux, ou réalisé chez un patient dont la douleur
Elles associent deux composantes physiopathologiques : la de fond est insuffisamment soulagée), agitation (en parti-
composante nociceptive, conséquence de la stimulation sur culier chez les patients présentant des troubles de la com-
le site de la lésion tissulaire dont l'intensité est au-dessus du munication, chez les patients les plus vulnérables), parfois
seuil nociceptif, et la composante hyperalgésique qui s'ins- des modifications physiologiques telles que des modifi-
talle rapidement et contribue à majorer la sensation doulou- cations du rythme cardiaque ou respiratoire, des varia-
reuse [2]. tions des chiffres tensionnels, voire un malaise. Le simple
Leur durée et leur intensité sont variables. Plusieurs fac- « mauvais souvenir », comme par exemple la vaccination
teurs peuvent influer sur cette douleur : dans l'enfance, peut être déterminant dans la relation de
■ les facteurs liés au soin lui-même : sa nature, inva- soin à l'âge adulte. La mémorisation peut engendrer de la
sive ou pas, nécessitant parfois du matériel intrusif peur, de l'anxiété, de l'angoisse, voire une phobie des soins.
(sonde, aiguille) et la zone du corps concernée, sa De même, si la douleur n'est pas correctement prévenue
durée et la répétition de l'acte peuvent influer sur lors d'un premier soin, l'anticipation de la douleur lors de
la douleur. Les expériences antérieures de douleur soins suivants requiert un besoin d'antalgiques et d'anxio-
mais aussi d'anxiété liée au soin, peuvent avoir une lytiques supérieurs [4]. Cet état de fait peut conduire à une
incidence directe sur la capacité du patient à faire dégradation de la qualité de vie, physique ou psychique, du
face ou non aux soins ultérieurs, amenant parfois à patient aboutissant à une souffrance globale [5].
un refus de soins ou de traitement [3] ; elles peuvent
induire des mécanismes de défenses chez la personne
douloureuse altérant la relation soignant-soigné et la Ce qu'il faut mettre en œuvre pour
confiance instaurée ; prévenir la douleur liée aux soins
■ les facteurs liés au patient : l'ancienneté de la maladie ou
du handicap et son évolution, l'âge et le degré de fatigue, La prévention de la douleur liée aux soins fait partie inté-
l'état psychologique (anxiété, agressivité, peur, phobie, grante des bonnes pratiques attendues, dans un souci de
etc.), la compréhension de la raison et la nécessité du qualité de prise en charge, en plus d'être une obligation
soin, les représentations de l'acte (par ce que le patient a légalement reconnue et une exigence éthique que ce soit
vu, lu, entendu ou raconté par d'autres patients, ou du fait au niveau d'un établissement de soin ou à domicile. La
de la vision du matériel préparé), ses représentations et responsabilité de chaque acteur de l'équipe interdiscipli-
croyances dans les thérapeutiques proposées, ses antécé- naire y est engagée. Cette démarche fait appel tant aux
dents de douleur (vécus par le patient ou son entourage), connaissances actualisées, au savoir-faire et au savoir-être
son état de douleur avant le geste, sont autant de facteurs des soignants qu'à la capacité d'auto-analyse individuelle
pouvant intervenir dans le ressenti de la douleur lors des et collective des équipes sur leurs pratiques de soins.
soins ; Dans les établissements de soins, le rôle des CLUD) est
■ les facteurs liés à l'environnement du patient : le primordial pour la mise en œuvre d'une politique ins-
cadre dans lequel se déroule le soin (environnement titutionnelle de prévention de la douleur liée aux soins.
calme, agité, bruyant, etc.), la connaissance de l'envi- Les réseaux douleur ou les inter-CLUD territoriaux faci-
ronnement (habituel, nouveau, etc.) ont une influence litent l'harmonisation et l'amélioration des pratiques des
directe sur la capacité du patient à faire face à la dou- professionnels des établissements d'hébergement pour
leur. L'environnement sonore peut majorer l'anxiété personnes âgées dépendantes (EHPAD) et des profes-
ou le stress, notamment chez les patients les plus sionnels de premier recours.
vulnérables ; La prévention de la douleur liée aux soins s'inscrit dans
■ les facteurs liés au soignant : la connaissance de l'acte, une réflexion sur les modalités d'organisation soignante
la maîtrise technique du geste (dextérité, sécurité ges- avant, pendant et après le soin. Cette approche d'antalgie
tuelle, assurance verbale), la disponibilité du soignant préventive implique d'anticiper le type, la durée et l'intensité
ont une influence sur la relation de confiance entre le de la douleur induite, indépendamment du traitement de
patient et le soignant nécessaire à la bonne réalisation fond. Elle implique également de bien connaître la pharma-
du geste. Une organisation inadaptée (défaut d'antici- cocinétique des médicaments à disposition afin de pouvoir
pation, incohérences interdisciplinaires, soignants mul- utiliser le bon antalgique au bon moment (figure 44.1). Les
tiples se succédant auprès d'un même patient, charge approches multimodales sont recommandées, associant
en soins élevée), la sous-utilisation des thérapeutiques des mesures pharmacologiques et non pharmacologiques.
et des matériels à disposition, une approche trop rapide L'évaluation de la douleur de tout soin doit être réalisée et
ou inadaptée du patient renforçant sa crispation cor- tracée (avant, pendant et après le soin) afin de prévoir la
porelle réactionnelle nuisant ainsi à sa coopération, prise en charge analgésique du prochain soin.
Chapitre 44. Douleur des soins    295

Voies Minutes Heures


Dénominations communes internationales Précisions
d'administration 3' 5' 10' 15' 30' 45' 1h 2h 3h 4h 5h

Pour muqueuse génitale


Lidocaïne 2,5 % + prilocaïne 2,5 % crème Pour détersion longue et douloureuse
d'ulcère des jambes
Muqueuse buccale et voies aériennes
Lidocaïne* Lidocaïne 5 % nébuliseur
supérieures
Lidocaïne 2 % gel oral ou urétral

Lidocaïne injectable Infiltration

Inhalation* MEOPA Durée maximum d'utilisation : 1 heure

Paracétamol

Paracétamol + codéïne

Paracétamol + tramadol

Per os Tramadol

Morphine sulfate à libération Immédiate

Orodispersible
Oxydocone à libération Immédiate
Gélules

Sous-cutanée Morphine

Paracétamol

Néfopam Intraveineuse lente de 30 à 45 minutes

Intraveineuse Tramadol

Morphine

Oxycodone
3' 5' 10' 15' 30' 45' 1h 2h 3h 4h 5h

Le médicament est à son efficacité maximale, le soin peut donc être effectué
Le médicament n'est pas/plus à son efficacité maximale
Le médicament n'est pas encore/n'est plus efficace, le soin ne peut donc pas être effectué
* Il est possible d'associer les voies locale et inhalée aux autres voies d’administration tout en respectant les précautions d'emploi

Figure 44.1 Le bon antalgique au bon moment.

Mesures pharmacologiques réaction), pose de cathéter court périphérique ou de cathéter


central, certains actes de dermatologie superficielle (ablation
Anesthésiques locaux de molluscum contagiosum, exérèse de condylomes, etc.), en
Les anesthésiques locaux, mis au contact des muqueuses ou urologie/gynécologie (libération d'adhérences prépuciales,
de la peau, exercent un effet anesthésique local en se fixant décollement des petites lèvres). Elle est indiquée également
sur les terminaisons nerveuses et en bloquant de manière pour la détersion mécanique d'ulcère de jambe.
spécifique, totale et réversible la conduction nerveuse.
Lidocaïne
Crème analgésiante La lidocaïne est disponible sous différentes formes (spray,
Cette crème est un mélange eutectique équimolaire de gel, injectable).
lidocaïne 2,5 % et de prilocaïne 2,5 % agissant par diffu- La lidocaïne 5 % en spray est adaptée à une utilisation sur
sion transcutanée et induisant une anesthésie locale de la les muqueuses et entraîne une anesthésie de surface efficace,
peau saine de quelques millimètres (3 mm après une heure qui se prolonge pendant approximativement 10 à 15 minutes.
et 5 mm après deux heures d'application). Elle se présente L'anesthésie se produit généralement en une à trois minutes en
en tube de 5 g ou sous forme de patch (pansement adhésif fonction de la surface d'application. La lidocaïne en spray est
cutané prêt à l'emploi) contenant 1 g de crème et permet- indiquée chez les adultes et les enfants de plus de 6 ans pour
tant d'anesthésier une surface de 10 cm2. Elle est indiquée l'anesthésie locale des muqueuses buccopharyngées et/ou des
pour réaliser des gestes invasifs avec effraction cutanée sur voies aériennes supérieures, par pulvérisation afin de réaliser
peau saine : ponction (veineuse, artérielle, lombaire, biopsie, des gestes thérapeutiques ou diagnostiques douloureux (intuba-
myélogramme, fistule artérioveineuse, chambre implantable, tion, petite chirurgie en oto-rhino-laryngologie (ORL), examens
etc.), injection (sous-cutanée, intramusculaire, intradermo- endoscopiques en ORL, pneumologie, gastroentérologie).
296   Partie 5. Douleur selon le contexte

La lidocaïne à 2 % visqueuse en gel oral entraîne une anes- Antalgiques anti-nociceptifs


thésie de surface, qui se prolonge pendant approximative- Pour les douleurs attendues d'intensité légère à modérée, les
ment 20 à 30 minutes. L'anesthésie se produit généralement antalgiques non opioïdes (paracétamol, AINS) peuvent être
en cinq minutes. Elle peut être utilisée pour l'anesthésie de utilisés. Pour autant, aucune étude n'a démontré leur effet
la cavité bucco-pharyngo-laryngée (se méfier du risque de préventif en matière de douleur induite. L'administration du
fausse route en cas d'alimentation et/ou boisson pendant les paracétamol au décours d'un soin modérément douloureux
deux heures suivant l'anesthésie). En cas de sondage gas- peut suffire à ne pas laisser de douleur résiduelle pendant
trique, la lidocaïne visqueuse peut être directement posée les heures suivantes. Le paracétamol intraveineux est plus
sur la sonde. rapidement efficace que la forme per os. La durée d'antalgie
La lidocaïne à 2 % en gel urétral stérile se présente en maximale est semblable, soit environ deux heures.
seringue préremplie à usage unique dosée à 10 g de chlo- Pour les douleurs attendues d'intensité modérée à sévère,
rhydrate de lidocaïne. Elle entraîne une anesthésie locale de le recours à l'analgésie multimodale alliant un antalgique
contact de la muqueuse urétrale pour la pose d'une sonde non opioïde et un antalgique opioïde est recommandé.
urinaire ou pour exploration urologique. Il est recom- L'association de paracétamol plus codéine peut être utili-
mandé d'utiliser le gel urétral de lidocaïne dès la première sée pour les douleurs d'intensité modérée mais demeure
manœuvre afin d'éviter un passage sanguin trop important insuffisante pour contrer une douleur sévère induite par
de l'anesthésique à travers une muqueuse éraillée par des les soins. Les opioïdes de choix pour le traitement de la
tentatives infructueuses. L'anesthésie est à son efficacité douleur attendue d'intensité sévère est la morphine et l'oxy-
maximale à l'issue de cinq à dix minutes d'application. La codone (particulièrement indiqué en cas d'altération de la
durée d'action se prolonge 30 minutes. fonction rénale). Pour les formes orales de sulfate de mor-
La lidocaïne injectable (0,5, 1 ou 2 %) est utilisée pour phine à action immédiate (gélule, comprimé, sirop, solution
l'anesthésie par infiltration, en cas de suture, ponction, geste buvable), l'effet débute après 30 à 45 minutes et la durée
chirurgical ou dermatologique superficiel. Il est recom- d'action est de quatre heures. Le chlorhydrate de morphine
mandé d'utiliser des aiguilles très fines pour diminuer le peut être administré par voie sous-cutanée ou par voie intra-
désagrément lié à l'infiltration. Dans un premier temps, un veineuse. La voie intraveineuse permet d'administrer une
bouton intradermique sera réalisé puis l'anesthésie s'effec- dose de charge et une adaptation si nécessaire par titration.
tuera à travers ce bouton et, de proche en proche, à travers En intraveineuse, le délai d'action est plus rapide (moins de
la zone anesthésiée. L'adjonction de 2 ml de bicarbonate de dix minutes). L'oxycodone à libération immédiate a un délai
sodium semi-molaire à 42/1000 dans 10 ml de lidocaïne d'action de 30 minutes. Sa forme orodispersible a un délai
rend la solution moins douloureuse. L'infiltration doit s'ef- d'action plus rapide (cinq à dix minutes). Dans sa forme
fectuer lentement sur une zone non infectée. injectable, l'oxycodone débute son action après dix minutes
suivant son administration par voie intraveineuse.
MEOPA
Le MEOPA) est le produit de référence pour les actes et les Anti-hyperalgique
soins douloureux chez l'enfant dès 4 ans mais aussi chez Néfopam
l'adulte car il possède un ensemble de caractéristiques ori-
ginales : rapidité et réversibilité d'action, effet antalgique/ Le néfopam est un analgésique non opiacé d'action centrale
anxiolytique et un bon profil bénéfice/risque. Le MEOPA est qui agit par inhibition de la recapture des monoamines
un médicament qui se présente sous forme de gaz incolore, (noradrénaline, sérotonine, dopamine). L'administration
inodore, stable et proposé en bouteille prête à l'emploi per- du néfopam doit être réalisée en perfusion intraveineuse
mettant de diminuer, voire supprimer une douleur modérée lente de 30 à 45 minutes, le patient étant en décubitus, afin
induite par les soins de courte durée (moins d'une heure). d'éviter la survenue d'effets indésirables (nausées, vertiges,
Le MEOPA est notamment indiqué pour les ponctions vei- sueurs). Le néfopam peut être administré également par voie
neuses et artérielles, ponctions lombaires, myélogrammes, intramusculaire. Son délai d'action est alors de 45 minutes.
pansements, réductions de fractures simples et de luxations Il conviendra d'être particulièrement prudent en cas d'insuf-
périphériques, petites chirurgies superficielles, mais égale- fisance hépatique, d'insuffisance rénale, en raison du risque
ment pour les transports de patients douloureux, les soins d'accumulation et donc du risque augmenté d'effet indési-
dentaires chez les enfants, patients anxieux ou handicapés, rable, chez tous les patients avec pathologie cardiovasculaire
ou encore en obstétrique dans l'attente d'une analgésie péri- en raison de l'effet tachycardisant, chez le sujet âgé en raison
durale ou en cas de refus ou d'impossibilité de la réaliser. des effets anticholinergiques du néfopam.
Administré au moyen d'un masque transparent avec sys-
tème de réserve ou bien d'un masque muni d'une valve de Antalgiques à effets mixtes (analgésiques
non réinhalation et d'un ballon réservoir, son efficacité est anti-nociceptifs, modulateurs des contrôles
observée au bout de trois minutes et est stoppée dès l'arrêt inhibiteurs ou excitateurs descendants)
de l'administration du produit. L'administration doit être
faite dans des locaux adaptés, par du personnel médical ou Tramadol
paramédical spécifiquement formé et dont les connaissances Le tramadol est un antalgique central à double action :
sont périodiquement réévaluées. Le MEOPA peut être éga- une action opioïde et un effet monoaminergique par inhi-
lement utilisé à domicile dans le cadre d'une hospitalisation bition de la recapture neuronale de la sérotonine et de la
à domicile en raison de sa sortie de la réserve hospitalière. noradrénaline. Le tramadol peut être administré en per os
Chapitre 44. Douleur des soins    297

idéalement 45 minutes avant le début du soin ou en intra- Solution sucrée et succion


veineuse, 30 minutes avant le soin. Les deux formulations Chez le nouveau-né et le nourrisson âgé de moins de
apportent une antalgie maximale pendant environ deux 4 mois, l'administration de solution sucrée (saccharose
heures. L'utilisation de l'association tramadol plus paracé- entre 24 et 30 % ou glucose 30 %) déposée sur la langue
tamol est recommandée du fait de sa meilleure tolérance diminue ou fait disparaître la douleur induite par un geste
(moins d'effets indésirables). invasif mineur. L'effet analgésique apparaît dans les 60 à
120 secondes suivant l'administration de la solution sucrée
Mesures non pharmacologiques et dure environ cinq à sept minutes. L'utilisation de la
Le traitement médicamenteux ne constitue pas la seule solution sucrée doit s'effectuer en complément des autres
réponse à la prévention de la douleur liée aux soins. techniques de prévention de cette douleur (crème anesthé-
Les mesures non pharmacologiques existent. Il s'agit de siante, MEOPA, etc.). L'allaitement au sein a le même effet
traite­ments réalisés par des professionnels de santé for- antalgique.
més et qualifiés : moyens physiques ou physiologiques,
méthodes psychocorporelles ou comportementales.
L'utilisation de ces moyens non pharmacologiques a for- Méthodes cognitivo-comportementales
tement été recommandée par le 3e plan gouvernemental Hypnose
2006–2010.
L'hypnose est un mode de fonctionnement psychologique
dans lequel un sujet, grâce à l'intervention d'une autre per-
Moyens physiques et physiologiques sonne, parvient à faire abstraction de la réalité environnante,
Toucher tout en restant en relation avec l'accompagnateur [6].
Le toucher est une composante essentielle du soin. Moyen de L'hypno-analgésie est une technique hypnotique utilisée
communication non verbal, il est utilisé par les soignants comme pour soulager ou prévenir une douleur. Les études cliniques
vecteur de détente, de mieux-être et de prévention de la douleur et la pratique mettent en évidence le bénéfice de l'utilisation
chez le patient. Il est mis en œuvre en s'assurant de l'accord de de l'hypnose, chez l'adulte et chez l'enfant dans la prise en
la personne soignée et du respect de son intimité. On distingue charge de la douleur des soins [7].
différents types de toucher lors des soins parmi lesquels on Ces techniques ne sont pas des disciplines en soi, mais
retrouve : des méthodes complétant les approches propres à une pro-
■ le toucher technique, caractérisant les soins usuels (prises fession médicale, paramédicale ou psychologique dans le
de signes vitaux, pansements, prélèvements, etc.) ; champ de leurs compétences.
■ le toucher relationnel, effectué pendant un soin,
lorsque, en plus de la technicité, il implique le soignant
par son toucher et son attitude dans une relation avec le Distraction
patient ;
La distraction utilisée avec une visée antalgique se définit
■ le toucher thérapeutique ou Toucher-massage® , inten-
comme « l'action de détourner l'esprit d'une occupation ou
tion bienveillante qui prend forme grâce au toucher
d'une préoccupation ; une diversion » [3]. La distraction
sur toute ou partie du corps, et qui invite à détendre,
permet de faire face à l'événement de façon positive en
relaxer ou procurer un bien-être. Le Toucher-mas-
fonction des propres ressources du patient et de l'aide que
sage ® allie la compétence technique à une attitude
l'on peut lui proposer. La distraction contribue à la dimi-
empathique « être avec ». Cet outil thérapeutique
nution de la douleur induite par les soins, en agissant sur
présente un intérêt dans la prévention des douleurs
l'anxiété, le stress, la peur de la douleur. Cette méthode est
induites.
le plus souvent utilisée chez l'enfant, mais ses indications
peuvent très bien s'adapter à tous les âges de la vie [7, 8]. La
Froid
pratique de la distraction doit s'associer aux autres moyens
Le froid est utilisé pour ses propriétés antalgiques, antalgiques (MEOPA, crème anesthésiante, antalgique,
antiseptiques et anti-inflammatoires, à des tempéra- froid, toucher, etc.).
tures proches ou inférieures à 0 °C. Son action entraîne
une vasoconstriction, une diminution de l'inflamma-
tion et donc de l'œdème. Il a une action sur la vitesse
de conduction nerveuse et, donc, sur la conduction de Relaxation
message douloureux. Différentes modalités peuvent La relaxation est une technique qui, via la focalisation
être utilisées : compresses froides, vessie de glace, spray mentale centrée sur un paramètre physiologique (tonus
réfrigérant, pack de gel préalablement placé en haut du musculaire, tonus vasomoteur, respiration) qu'il s'agit de
réfrigérateur, etc. contrôler, permet d'agir ensuite sur les processus mentaux.
Le froid présente un intérêt dans la prévention de la dou- Concernant la douleur liée aux soins, deux techniques
leur par effraction cutanée. issues de la relaxation peuvent être utilisées : le travail res-
Il existe un nouveau matériel associant l'utilisation du piratoire et le relâchement musculaire. Ces pratiques sont
froid et la distraction (Buzzy®), recommandé chez l'enfant recommandées pour des gestes de courte durée, d'intensité
pour les prélèvements sanguins, la vaccination, les injec- douloureuse modérée, en association avec d'autres moyens
tions, etc. antalgiques.
298   Partie 5. Douleur selon le contexte

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Chapitre
45
Douleur postopératoire
et douleur aiguë traumatique
Frédéric Aubrun

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299 et infiltrations tissulaires : en alternative
Stratégies analgésiques par voie systémique . 299 ou en complément . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303
Anesthésie locorégionale Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304

Introduction utilisation raisonnable des techniques plus sophistiquées


telles que l'analgésie locorégionale, l'analgésie autocontrô-
La douleur postopératoire est très fréquente puisqu'elle lée ou les techniques d'anti-hyperalgésie. Le concept de
concerne près de 90 % des patients interrogés dans une l'analgésie multimodale s'est imposé, permettant notam-
enquête réalisée en 2008 [1]. Cette douleur est plus sou- ment d'anticiper la douleur peropératoire, grâce à une
vent continue qu'intermittente et survient plus fréquem- prémédication adaptée et à une titration en antalgiques
ment en condition dynamique qu'au repos. L'intensité chirurgicaux. La priorisation de la prise en charge de la
douloureuse est toutefois raisonnable avec une douleur douleur postopératoire immédiate a permis de réduire les
essentiellement faible à modérée dont la durée est limi- conséquences à plus long terme d'une souffrance inutile
tée dans le temps [1]. Il est classiquement admis qu'une et délétère. Quant au risque de douleur chronique post-
douleur postopératoire excède rarement 72 heures, chirurgicale (DCPC) ou à distance d'un traumatisme, il a
durée qui correspond d'ailleurs à la période de mise à été enfin estimé et les moyens de prévenir et de combattre
disposition d'une pompe d'analgésie autocontrôlée par ces DCPC implémentés. La douleur n'est donc pas (plus)
la morphine pour le soulagement des douleurs les plus une fatalité.
sévères.
La douleur des entorses, luxations et fractures est
constante et constitue le premier motif de recours avec Analgésie multimodale : un concept
impotence fonctionnelle. Selon le groupe Programme de ancien en voie de modernisation
traitement antalgique en urgence (PROTAU) (Institut UPSA
de la douleur), la douleur n'est corrélée ni à l'importance, ni Depuis les années 1990, l'analgésie multimodale s'est impo-
au pronostic de la lésion. Une des principales causes de dou- sée avec essentiellement deux objectifs : la réduction des
leur traumatique est représentée par la fracture de l'extré- scores de douleur et la réduction de la consommation en
mité supérieure du fémur qui survient chez près de 75 000 morphiniques. La première raison est simple : le confort
patients par an, le plus souvent âgés. Cette douleur trauma- doit devenir une priorité et donc la douleur postopératoire
tique doit être prise en charge dès le préhospitalier par une des patients doit être combattue. La seconde raison est plus
stratégie combinant souvent plusieurs techniques analgé- discutable. La réduction de la consommation en morphi-
siques, voire réalisation d'une anesthésie générale dans les niques postopératoires n'a de sens que si elle est associée à
situations extrêmes [2]. une réduction en effets indésirables liés à la morphine, dont
la plupart sont dose-dépendants. Il s'agit donc d'adminis-
trer des antalgiques non morphiniques à la bonne dose, de
Stratégies analgésiques par voie manière à réduire les nausées, la sédation, etc. mais égale-
systémique ment les scores de douleur.
Certains de ces agents ne sont pas des antalgiques
Après plusieurs années de difficultés, la prise en charge de stricto sensu, d'autres le sont mais ont d'autres propriétés
la douleur postopératoire et celle de la douleur traumatique encore plus intéressantes. Enfin, certains agents ont été
se sont sensiblement améliorées avec une utilisation rai- oubliés puis « réhabilités » avec une voie d'administration
sonnée des méthodes d'analgésie conventionnelles, et une originale.
Médecine de la douleur pour le praticien
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300   Partie 5. Douleur selon le contexte

Antalgiques non morphiniques : notion Association entre opioïdes faibles


de synergie d'action et d'additivité et paracétamol
L'association de plusieurs antalgiques utilisés par voie systé- D'autres antalgiques sont utilisables dans la période posto-
mique ou locorégionale peut être essentiellement additive ou pératoire. Le tramadol est un antalgique central de palier 2
supra-additive c'est-à-dire synergique. Dans ce dernier cas, qui répond, en lui-même, au concept de l'analgésie multimo-
l'association de deux agents est supérieure à la somme de l'effet dale. Il s'agit en effet de l'association d'un agoniste faible des
des produits utilisés isolément. L'effet additif simple caracté- récepteurs μ et d'un inhibiteur de la recapture de la noradré-
rise par exemple l'association morphine-clonidine ou encore naline et de la sérotonine. Cet antalgique est indiqué dans la
l'association morphine et paracétamol par voie systémique. prise en charge des douleurs modérées avec une réduction
L'effet synergique concerne l'association α2-agonistes avec les des scores de douleur de 45 à 60 %. L'association de trama-
morphiniques par voie périmédullaire, l'association anesthé- dol et de paracétamol à plus faibles doses (respectivement
siques locaux et morphiniques, et la combinaison entre les 37,5 mg au lieu de 50 mg et 325 mg au lieu de 500 mg) a été
antagonistes NMDA (kétamine) et la morphine. Des associa- proposée depuis plusieurs années. D'abord, cette association
tions synergiques sont donc recherchées (exemple : AINS et est plus efficace que lorsque le tramadol est utilisé seul, de
morphine ou néfopam et AINS) [3, 4], ce qui permet notam- surcroît à une dose plus élevée du fait d'une synergie d'ac-
ment de baisser les doses de chacun des antalgiques tout en tion. La combinaison entre le tramadol et le paracétamol
obtenant une efficacité clinique satisfaisante. semble, pour certains auteurs, plus efficace que l'association
entre la codéine et le paracétamol [7, 8]. Ce constat apparaît
également en cas d'association entre l'oxycodone et le para-
AINS : des acteurs précieux de l'analgésie cétamol. Une association de plusieurs agents antalgiques
Les AINS sont les antalgiques non morphiniques les plus efficace, moins dosée, et donc mieux tolérée (encadré 45.1).
puissants et, hormis leur action synergique avec les opioïdes
ou le néfopam, ils ont une efficacité majeure pour les chirur-
gies et les situations traumatiques et/ou inflammatoires. C'est Agents antihyperalgésiques :
le cas de l'orthopédie, les chirurgies ORL ou maxillo-faciale, une nouvelle approche incontournable
la chirurgie gynécologique ou la traumatologie légère. Selon de l'analgésie
la SFAR (référentiel de 2008), « Il est recommandé d'associer
Un traumatisme, une intervention chirurgicale ou même
un AINS à la morphine en l'absence de contre-indications »
l'administration d'opioïdes sont responsables de l'activation
[5]. Ces principales contre-indications concernent les
de récepteurs NMDA impliqués dans des phénomènes d'hy-
défaillances hépatiques, rénales (une clairance estimée de
peralgésie et d'allodynie. Ce concept est apparu il y a main-
la créatinine plasmatique inférieure à 50 ml/min est une
tenant de nombreuses années avec la prise de conscience
contre-indication aux AINS), ou cardiaques, les risques
qu'il fallait modifier nos pratiques afin de réduire le risque
hémorragiques, la pathologie ulcéreuse et la grossesse (cinq
de sensibilisation du SNC. Les conséquences de ces phéno-
mois révolus). La SFAR précise qu'il ne faut pas utiliser
les AINS ou les inhibiteurs sélectifs des cyclo-oxygénase mènes sont en effet d'augmenter les douleurs postopéra-
toires, voire de contribuer au développement des douleurs
de type II (ISCOX-2) dans les situations d'hypoperfusion
chroniques post-chirurgicales. Comment prévenir ou traiter
rénale. Il est également recommandé de prendre en compte
l'hyperalgésie ? Modifier d'abord les techniques chirurgi-
la majoration du risque hémorragique lors de la prescription
cales qui doivent être moins invasives (par exemple, cœlio-
d'AINS non sélectif. En cas de prescription d'ISCOX-2, il est
scopie versus laparotomie). Réduire les doses d'opioïdes
recommandé de prendre en compte les facteurs de risque
est également une nécessité, en s'appuyant notamment
athérothrombotique en respectant les contre-indications
sur une analgésie multimodale adaptée. D'autres médica-
et précautions d'emploi définies par l'Agence française de
ments ont également fait leur apparition, les agents « anti-­
sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) [5].
hyperalgésiques » comportant un agent anesthésique général
Huit ans plus tard, une actualisation de ce référentiel per-
et des agents anticonvulsivants.
met d'amplifier certains messages : « Il n'est pas recommandé
d'utiliser un ISCOX-2 chez les patients ayant des antécédents
athéro-thrombotiques artériels (AOMI, AVC, IDM), les AINS
non sélectifs ne sont probablement pas recommandés chez les
patients ayant des antécédents athéro-thrombotiques artériels Encadré 45.1 Au total
(artériopathie obstructive des membres inférieurs [AOMI],
La tendance actuelle n'est plus d'administrer des antalgiques à
AVC, IDM) au-delà de sept jours de traitement. Il n'est pas
fortes doses et donc pouvant entraîner des effets indésirables
recommandé d'associer des AINS non spécifiques (NS) à un
fréquents. Il s'agit d'administrer de façon raisonnée les
traitement anticoagulant à dose curative ».
antalgiques aux bonnes doses, en utilisant leur synergie
Les AINS-NS ou les ISCOX-2 associés à la morphine per-
d'action, de manière à réduire la consommation de morphine
mettent une amélioration des scores de douleur, une épargne
et donc les effets indésirables tout en améliorant le confort du
morphinique significative associée à une réduction des nausées
patient. Dans ce cas, les nouvelles associations prévalent sur
vomissements, de la sédation et de la durée de l'iléus postopéra-
les nouvelles molécules. La place des AINS reste importante de
toire. Ils nécessitent toutefois le respect des contre-indications et
par la puissance d'action, l'épargne morphinique et les effets
des précautions d'emploi, notamment en postopératoire : cinq
indésirables liés aux opioïdes.
jours de traitement dont 48 heures par voie intraveineuse [6].
Chapitre 45. Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique    301

Kétamine et néfopam sie multimodale. Ainsi, Kapfer et al. ont évalué d'intérêt de
L'hypersensibilité centrale induite par les morphiniques, avec la kétamine mais aussi du néfopam dans la prise en charge
pour conséquence directe l'apparition d'une hyperalgésie et postopératoire des patients opérés d'une chirurgie majeure
donc d'une tolérance aiguë, est apparue il y a quelques années [12]. Après une dose de 9 mg de morphine intraveineuse,
comme un écueil dans l'analgésie périopératoire. En effet, les les patients étaient séparés en trois groupes : le premier
conséquences de cet effet paradoxal sont multiples : il est désor- recevait du sérum salé, le second de la kétamine (10 mg
mais recommandé de limiter les morphiniques en prémédi- en intraveineuse) et le troisième du néfopam (20 mg i.v.).
cation aux patients les plus algiques ou à ceux qui bénéficient Les patients non soulagés recevaient une dose de morphine
en préopératoire d'un traitement comportant des opioïdes. « de secours ». Les auteurs ont pu constater que les patients
Réduire les doses de morphiniques peropératoires, en augmen- bénéficiant des deux antalgiques non morphiniques rece-
tant la concentration des gaz halogénés et du protoxyde d'azote, vaient une dose plus faible de morphine complémentaire sur
doit devenir une priorité. De même, il faut envisager une le groupe sérum salé. Il convient de signaler que les échecs
réduction des doses de morphine dès la période postopératoire de titration (hypoventilation) étaient plus fréquents dans
immédiate et éviter toute dose de charge avant la sortie du bloc le groupe sérum salé mais la titration n'était arrêtée que
opératoire. Bien que le taux d'échec d'une titration sans plafon- lorsque les patients étaient profondément sédatés (score de
nement de la dose soit limité, il paraît souhaitable d'inverser la sédation > 2, c'est-à-dire réponse à la stimulation nocicep-
tendance et d'associer la morphine avec d'autres antalgiques tive uniquement). Il faut noter que le néfopam semble avoir
non morphiniques ou agents antihyperalgésiques. À ce titre, la des effets sur la réduction de la sensibilité neuronale posto-
kétamine est le médicament de référence et ses modalités d'uti- pératoire, ce qui permet de le proposer, au même titre que
lisation per- et postopératoires sont désormais mieux connues. la kétamine pour l'analgésie périopératoire, en particulier à
Certaines équipes ont notamment observé que la kétamine, des patients à risque d'hyperalgésie.
administrée pendant et après un acte chirurgical, pouvait agir
jusqu'à sept jours après le geste opératoire, voire à distance de Propriétés antalgiques des agents
l'administration de l'agent. Ainsi, la perfusion de kétamine après anticonvulsivants
lombotomie pendant trois jours a permis de réduire significa-
tivement la zone d'hyperalgésie péricicatricielle postopératoire Gabapentine
[9]. Plus précisément, certains auteurs proposent d'administrer C'est un agent antiépileptique de l'adulte et de l'enfant à
cet antagoniste des récepteurs NMDA à la posologie suivante : partir de l'âge de 3 ans (sauf absence), dont la structure est
en cas de chirurgie à douleur sévère prédictive et/ou lorsque proche du GABA mais dont le mécanisme d'action central
le patient prend un traitement antalgique préopératoire majeur est spécifique et surtout différent de celui des autres antié-
(comportant par exemple des morphiniques), la kétamine peut pileptiques. Outre l'épilepsie, il est également utilisé pour
être administrée lentement avant l'induction ou l'incision, à la le traitement des douleurs neuropathiques de type post-­
dose de 0,5 mg/kg. Une perfusion continue à la dose de 5 μg/ zostériennes ou périphériques (diabète, etc.) mais également
kg/min peut être également proposée pendant l'ensemble de la dans l'anxiété (hors AMM).
durée opératoire [10]. La SFAR s'est positionnée dans le cadre De nombreux travaux ont été publiés concernant l'utili-
d'un référentiel publié en 2016 et a proposé ce qui suit : « En sation de la gabapentine dans la période postopératoire. Les
peropératoire, l'administration de faible dose de kétamine chez propriétés anti-hyperalgésiques et anti-allodyniques de la
un patient sous anesthésie générale est recommandée dans les gabapentine favorisent son utilisation en périopératoire, et
deux situations suivantes : son action synergique avec la morphine permet une épargne
■ chirurgie à risque de douleur aiguë intense ou pour- morphinique et en effets indésirables morphiniques. Parfois
voyeuse de DCPC ; administré en prémédication, il réduit la douleur et la consom-
■ patients vulnérables à la douleur, en particulier patients mation de morphine postopératoire mais pas la DCPC [13].
sous opioïdes au long cours ou présentant une toxicoma-
nie aux opiacés (G1+, accord fort) [6]. Prégabaline
La kétamine est l'agent antihyperalgésique recommandé C'est un agent antiépileptique qui se fixe sur une des sous-
en première intention à la dose (maximale) de 0,5 mg/kg unités du canal calcique présynaptique (exacerbé au cours
après l'induction anesthésique (pour éviter les effets psy- d'une douleur neuropathique), permettant de réduire
chodysleptiques), en administration continue à la dose de l'entrée de calcium dans la cellule sans la bloquer, et la libé-
0,125 à 0,25 mg/kg/h. La perfusion sera arrêtée 30 minutes ration de neurotransmetteurs excitateurs tels que le gluta-
avant la fin de la chirurgie » [6]. Cet agent a donc un champ mate, la substance P et la noradrénaline. Comme pour la
d'action non négligeable mais ne doit pas être administré gabapentine, son efficacité a été démontrée sur les douleurs
à tous les patients. Certaines équipes préhospitalières ou neuropathiques périphériques et centrales dès la première
aux urgences proposent ce médicament dans le cadre de la semaine de traitement mais également dans l'anxiété. De
traumatologie avec un objectif clair d'épargne morphinique, plus, la prégabaline administrée en prémédication améliore
d'épargne en effets indésirables morphiniques mais aussi de les scores de douleur postopératoire sans réduire la consom-
prévention de l'hyperalgésie [6, 11]. mation de morphine après la chirurgie. D'autres auteurs
La grande variabilité dans les besoins en morphiniques retrouvent une réduction de la consommation de morphi-
postopératoires mais également dans l'incidence en effets niques postopératoires mais au prix d'une augmentation
indésirables « morphiniques » incite certains auteurs à des effets indésirables tels que les vertiges ou les céphalées
réduire les doses de morphine titrée au moyen d'une analgé- [14–16] (encadré 45.2).
302   Partie 5. Douleur selon le contexte

Encadré 45.2 Au total


Certains agents antihyperalgésiques tels que la kétamine
mais aussi le néfopam, peuvent être associés à une analgésie
chirurgicale, à une analgésie postopératoire immédiate ou à
une efficacité dans le cadre de certaines douleurs aux urgences.
Il s'agit de réduire notamment les phénomènes d'hyperalgésie
chez certains patients ciblés. Concernant la gabapentine et
la prégabaline, ces deux médicaments peuvent améliorer la
prise en charge des patients opérés. Encore faut-il déterminer
la bonne dose et la bonne association et surtout évaluer le
bénéfice à moyen et long termes de ces antiépileptiques.

Titration intraveineuse de morphine


Figure 45.1 Principe de la titration intraveineuse en morphine :
ou comment soulager rapidement la douleur évaluation de l'intensité de la douleur (initial pain assessment)
en salle de surveillance post-interventionnelle et début de la titration dès que le seuil de la douleur dépasse
et aux urgences 30 (EVA ou EN). Réévaluation de la douleur après cinq minutes. Les
La douleur modérée ou sévère doit être rapidement prise critères d'arrêt de titration sont le soulagement, la sédation ou l'appa-
rition d'effets indésirables. Le monitorage de l'état de conscience, la
en charge dès le réveil du patient afin d'éviter que celle-
fréquence cardiaque (heart rate [HR]), de la fréquence respiratoire (res-
ci induise des conséquences délétères pour le patient et piration rate [RR]), de la pression artérielle (blood pressure [BP]) et de
s'inscrive dans la durée. Malgré les techniques d'analgésie l'oxymétrie pulsée est incontournable. Source : [17].
anticipée avec l'administration, dès la période opératoire,
d'antalgiques morphiniques et non morphiniques, des
patients décrivent des douleurs qui nécessitent un soulage­ postopératoire. Ainsi, une dose de 30 mg de sulfate de morphine
ment rapide et la morphine titrée constitue un moyen à LP, administrée deux heures avant une chirurgie rachidienne,
efficace pour y parvenir. Le principe est d'injecter par voie permet une réduction significative de la consommation de mor-
veineuse des bolus de 2 à 3 mg toutes les cinq minutes dès phine par PCA 12 et 24 heures après l'intervention chirurgicale
que le score de douleur dépasse un certain seuil (échelle [19]. Les effets indésirables liés aux opiacés constituent toutefois
numérique > 3/10) jusqu'au soulagement de la douleur. Il un premier facteur limitant : les morphiniques induisent notam-
n'existe pas de dose maximale mais, en pratique, les patients ment des nausées et des vomissements qui peuvent entraîner des
reçoivent en moyenne 10 mg de morphine pour être cor- conséquences délétères au moment de l'induction anesthésique
rectement soulagés [17]. Pour bénéficier d'une titration ou du réveil. De plus, Chauvin a rappelé la nécessité de limiter
intraveineuse en morphine, les patients doivent être sur- la prémédication comprenant des morphiniques aux patients les
veillés sur le plan clinique mais doivent également bénéfi- plus algiques ou à ceux dont le traitement préopératoire comporte
cier d'un monitorage hémodynamique, respiratoire et de déjà des morphiniques, du fait d'une augmentation du risque
leur intensité douloureuse. Aux urgences, cette méthode d'hyperalgésie et de tolérance induites par les morphiniques.
est également appliquée avec plusieurs niveaux de sécurité En effet, l'hyperalgésie et la tolérance sont des phénomènes qui
supplémentaires par rapport à la SSPI : après trois bolus, la apparaissent dès la période opératoire, en particulier lorsque les
poursuite de la titration doit être validée par un médecin et doses d'opioïdes sont fortes. Augmenter encore la dose de mor-
le patient ne peut pas quitter la structure avant la deuxième phiniques, risque d'augmenter les risques d'hyperalgésie et donc
heure qui suit la fin de la titration [18] (figure 45.1). d'accroître les scores de douleur postopératoire.
Il existe des limites à l'administration orale de morphine :
certains patients sont incapables d'avaler des comprimés dès la
Recours à la voie orale période postopératoire immédiate (nausées, vomissements, séda-
pour les opioïdes : deux exemples, tion, iléus, etc.) ou même aux urgences ; la seconde limite concerne
la morphine et l'oxycodone la pharmacocinétique et plus spécifiquement l'absorption et
la biodisponibilité qui ne dépasse pas 30 % avec la morphine à
Morphine orale : avantages et limites libération immédiate. Sur le plan clinique, il a été constaté qu'une
La morphine à LP a permis depuis 1986 d'améliorer consi- administration régulière de morphine orale après arthroplastie
dérablement la prise en charge des douleurs chroniques, en de hanche avait le double avantage d'être une technique fiable
particulier cancéreuses. Des interdoses par des morphiniques par rapport à une analgésie conventionnelle (efficacité supérieure
à libération immédiate ont également été proposées afin d'ajus- et effets indésirables identiques) et d'être économique (et moins
ter les traitements en réalisant une titration des besoins. Par la douloureuse). En revanche, d'autres équipes ont des résultats plus
suite, l'utilisation de morphiniques par voie orale, au moyen mitigés : dans une étude récente, des patients recevaient dans la
d'ampoules buvables à 10 ou 20 mg puis par des comprimés période postopératoire d'une arthroplastie de hanche, de la mor-
dosés de 5 à 30 mg a été suggérée pour améliorer la gestion des phine orale à libération immédiate. Des dosages plasmatiques de
douleurs postopératoires. Certains auteurs ont proposé d'admi- morphine et de ses métabolites étaient effectués toutes les quatre
nistrer par voie orale une forme d'opiacés à LP, de préférence en heures pendant 16 heures. Ces derniers étaient comparés aux
prémédication, afin d'obtenir une efficacité analgésique per- et résultats d'autres dosages réalisés chez des volontaires sains. Les
Chapitre 45. Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique    303

auteurs ont constaté qu'il existait un retard d'absorption marqué


par un délai très long d'apparition de concentrations plasmatiques Encadré 45.3 Au total
et d'une ascension lente et faible vers des concentrations constam-
ment inférieures aux concentrations minimales efficaces anal- Il semble donc que la morphine orale soit utilisable en
gésiques [20]. Les difficultés d'absorption de la morphine sont postopératoire mais à distance de la chirurgie afin d'éviter les
certainement responsables du profil pharmacocinétique perturbé risques de mauvaise absorption. Quant à l'oxycodone, elle a
du morphinique, ce qui conduit les auteurs à proposer cette voie une meilleure biodisponibilité que la morphine avec peut-être
d'administration à distance de l'intervention et/ou après une anes- une meilleure tolérance.
thésie locorégionale.

Oxycodone : la pharmacocinétique
comme principal atout Anesthésie locorégionale
L'oxycodone est un opioïde de palier 3 sans effet plafond à son et infiltrations tissulaires :
activité antalgique, synthétisé à partir de la thébaïne, alcaloïde en alternative ou en complément
extrait du pavot. Il a été découvert il y a une centaine d'années en
Allemagne, introduit sur le marché américain dès 1939, surtout Bloc nerveux périphérique
utilisé à partir des années 1990 et encore plus tard en France. Quel que soit le site, il offre une analgésie toujours plus
Son action antalgique est similaire qualitativement à celle de efficace que les opioïdes et doit être privilégiée à l'analgé-
la morphine. L'effet thérapeutique est principalement analgé- sie péridurale pour les membres inférieurs. La neurosti-
sique, anxiolytique, antitussif et sédatif. Il agit comme agoniste mulation et maintenant l'échographie favorisent encore la
des récepteurs μ et κ avec pour indication la prise en charge des diffusion de ces techniques. Les techniques d'anesthésies
douleurs chroniques d'origine cancéreuse intenses ou rebelles locorégionales se sont considérablement développées ces
aux antalgiques de niveau plus faible chez l'adulte. La première dernières années offrant avec l'abord échographique une
spécialité pharmaceutique à avoir obtenu une AMM en France amélioration de la précision, du confort et de la sécu-
est l'Oxycontin® en 2000 (sources Agence nationale de sécurité du rité du patient. Les doses administrées sont plus faibles
médicament et des produits de santé [ANSM]). Depuis cette date, et les risques, liés à une administration intraveineuse ou
d'autres galéniques ont été mises sur le marché : gélule, solution intraneurale, réduits. L'efficacité clinique s'associe à une
buvable, solution injectable, comprimé orodispersible ou, dans réduction des effets indésirables comme les nausées vomis-
certains pays, solution intranasale ou par voie péridurale. sements postopératoires. L'incidence des effets secondaires
Administré par voie orale, le pic du chlorhydrate d'oxy- graves comme l'injection intravasculaire ou la lésion neu-
codone est atteint à une heure (forme à libération immé- rologique lors de la ponction est faible. En cas d'injection
diate) et à trois heures (forme à LP) et la durée d'efficacité unique, le relais avec des techniques d'analgésie systémique
est de 12 heures en cas de forme LP. Sa biodisponibilité peut doit être anticipé pour éviter l'apparition retardée et brutale
atteindre 87 %. La demi-vie d'élimination est en moyenne d'une douleur intense. En cas de cathéter, l'autoadministra-
de 4,5 heures, et l'état d'équilibre est atteint en environ tion semble comme pour l'analgésie péridurale la meilleure
24 heures. Le rapport des doses équi-analgésiques de l'oxy- technique associée à une faible perfusion continue. La pose
codone avec la morphine doit être connu. Le ratio est de 2/1 d'un cathéter expose au risque d'infection du site d'injec-
entre la morphine et l'oxycodone orale : 10 mg de morphine tion, surtout après 48 heures, plus particulièrement sur le
orale égale 5 mg d'oxycodone par voie orale. La forme à LP site du creux inguinal. Un cathéter augmente aussi le risque
d'oxycodone est deux fois plus puissante avec une biodis- de lésion neurologique. En 2012, une enquête a été réalisée
ponibilité deux fois supérieure à celle de la morphine à LP. en préhospitalier concernant la pratique du bloc fémoral
Quant au ratio entre l'oxycodone orale et injectable, il est pour la traumatologie du membre inférieur. Les auteurs ont
de 2/1 : 10 mg d'oxycodone orale égale 5 mg d'oxycodone souligné le bénéfice indiscutable de cette technique avec,
intraveineuse ou sous-cutanée. L'oxycodone n'a pas l'AMM dans plus de la moitié des patients en bénéficiant, un sou-
pour le soulagement spécifique de la douleur postopératoire lagement total de la douleur à l'arrivée aux urgences [24].
mais la HAS s'est prononcée en faveur du remboursement Cette technique est d'ailleurs recommandée pour l'analgé-
de cet antalgique dans les cas de douleur aiguës sévères, sie postopératoire après chirurgie de la fracture de l'extré-
susceptibles donc d'intégrer les douleurs périopératoires mité supérieure du fémur [25].
ou les douleurs traumatiques (www.has-sante.fr). Il existe
de nombreuses publications soulignant les bénéfices de cet
opioïde dans cette indication. Un seul exemple, l'adminis-
Concernant les infiltrations
tration préopératoire et postopératoire d'oxycodone à LP par des anesthésiques locaux
(Oxy-LP), à raison de 20 mg toutes les 12 heures jusqu'à J2, Elles souvent réalisées en peropératoire par les chirurgiens
permet de réduire la consommation postopératoire de mor- ou aux urgences pour la traumatologie mineure. Ces tech-
phine sur les 24 premières heures et entre J1 et J2 après une niques ont permis d'améliorer le confort des patients dans
chirurgie lombaire de type discectomie. De plus, les scores les premières heures qui suivent l'intervention ou le trau-
de douleur au repos et la toux étaient améliorés pendant matisme. Les formes d'anesthésiques locaux à LP (ou forme
les 48 premières heures ainsi que l'incidence des nausées et liposomales) contribueront dans l'avenir à améliorer le
vomissements postopératoires mais aussi le délai de reprise confort des patients en prolongeant leur analgésie dans la
du transit intestinal [21–23] (encadré 45.3). durée [26] (encadré 45.4).
304   Partie 5. Douleur selon le contexte

Références
Encadré 45.4 Au total
[1] Fletcher D, Mardaye A, Fermanian C, Aegerter P. Comité Douleur
L'échographie a permis d'améliorer la qualité de l'analgésie ALR de la SFAR. Évaluation des pratiques sur l'analgésie postopé-
mais aussi la sécurité des patients. Les anesthésiques locaux du ratoire en France : enquête nationale avec analyse des différences
de pratique selon le type d'établissement. Ann Fr Anesth Reanim
présent mais aussi du futur ont et auront une cinétique de plus
2008 ; 27 : 700–8.
en plus précise, permettant d'anticiper et de gérer au mieux le
[2] Vivien B, Adnet F, Bounes V, Chéron G, Combes X, David JS, et al.
soulagement des patients. Sédation et analgésie en structure d'urgence. Réactualisation 2010 de
la Conférence d'experts de la SFAR de 1999. Ann Fr Anesth Reanim
2012 ; 31 : 391–404.
[3] Fletcher D, Benoist JM, Gautron M, Guilbaud G. Isobolographic ana-
lysis of interactions between intravenous morphine, propacetamol,
Conclusion and diclofenac in carrageenin-injected rats. Anesthesiology 1997 ; 87 :
Des progrès ont été réalisés grâce aux résultats des 317–26.
études et aux référentiels. Si l'antalgique de référence [4] Delage N, Maaliki H, Beloeil H, Benhamou D, Mazoit JX. Median
effective dose (ED50) of nefopam and ketoprofen in postoperative
reste la morphine, elle doit être impérativement asso-
patients : a study of interaction using sequential analysis and isobolo-
ciée à des antalgiques non morphiniques ou des agents graphic analysis. Anesthesiology 2005 ; 102 : 1211–6.
antihyperalgésiques. Dans le premier cas, les AINS sont [5] Expert panel guidelines. Postoperative pain management in adults
les médicaments les plus puissants. Dans le second cas, and children. SFAR Committees on Pain and Local Regional
la kétamine permet de réduire les risques de chronicisa- Anaesthesia and on Standards. SFAR Committees on Pain and Local
tion de la douleur. De manière générale, l'analgésie mul- Regional Anaesthesia and on Standards. Ann Fr Anesth Reanim
timodale, qui consiste à associer plusieurs antalgiques 2009 ; 28 : 403–9.
ou techniques d'analgésie, est la règle d'or figure 45.2). [6] Référentiel SFAR. Réactualisation de la recommandation sur la dou-
La titration des antalgiques, dont le principe est d'admi- leur, www.sfar.org/referentiels ; 2016.
nistrer juste ce dont le patient a besoin, en est une autre. [7] Fricke JR, Hewitt DJ, Jordan DM, Fisher A, Rosenthal NR. A double-
blind placebo-controlled comparison of tramadol/acetaminophen
Enfin, l'analgésie locorégionale ou l'infiltration sont
and tramadol in patients with postoperative dental pain. Pain 2004 ;
des techniques précieuses et efficaces dans l'épargne 109 : 250–7.
morphine et la rééducation. Ce constat général s'ap- [8] Filitz J, Ihmsen H, Günther W, Tröster A, Schwilden H, Schüttler J,
plique aux douleurs postopératoires et aux douleurs et al. Supra-additive effects of tramadol and acetaminophen in a
traumatiques. human pain model. Pain 2008 ; 136 : 262–70.
[9] Stubhaug A, Breivik H, Eide PK, Kreunen M, Foss A. Mapping of
Evaluation quantitative de ta douleur par l'EVA, l'EN ou par défaut l'EVS punctuate hyperalgesia around a surgical incision demonstrates that
ketamine is a powerful suppressor of central sensitization to pain fol-
lowing surgery. Acta Anaesthesiol Scand 1997 ; 41 : 1124–32.
[10] Richebé P, Janvier G, Simonnet G. Hypersensibilité postopératoire :
EVA ≥ 60 ou EN ≥ 6 ou EVS > 2
conséquences cliniques. Douleurs 2008 ; 9 : 73–7.
EVA < 60 ou EN < 6 ou EVS = 1−2
[11] Karlow N, Schlaepfer CH, Stoll CRT, Doering M, Carpenter CR,
­Colditz GA, et al. A Systematic Review and Meta-analysis of Ketamine
as an Alternative to Opioids for Acute Pain in the Emergency Depart-
Paracétamol : 1 gramme IV en 15 min. MORPHINE : titration intraveineuse par bolus de ment. Acad Emerg Med 2018 ; 25 : 1086–97.
ou Paliers Il 2 à 3 mg IVD **
± Anti-inflammatoire non stéroïdien IV en 15 min. ± MEOPA [12] Kapfer B, Alfonsi P, Guignard B, Sessler DI, Chauvin M. Nefopam and
± MEOPA
± Analgésie locale / locorégionale
± Anti-inflammatoire non stéroïdien IV en 15 min.
± Analgésie locale / locorégionale
ketamine comparably enhance postoperative analgesia. Anesth Analg
* *
2005 ; 100 : 169–74.
[13] Ho KY, Gan TJ, Habib AS. Gabapentin and postoperative pain. A
Ré-évaluation de la douleur*** Ré-évaluation de la douleur toutes les 5 min. systematic review of randomized controlled trials. Pain 2006 ; 126 :
91–101.
[14] Gajraj NM. Pregabalin : its pharmacology and use in pain manage-
EVA > 30 ou EN > 3 ou EVS ≥ 2 EVA £ 30 ou EN £ 3 ou EVS < 2 ment. Anesth Analg 2007 ; 105 : 1805–15.
Et/ou Sédation excessive
Et/ou Bradypnée < 10 / min. [15] Jokela R, Ahonen J, Tallgren M, Haanpää M, Korttila K. Premedi-
Et/ou Désaturation
cation with pregabalin 75 or 150 mg with ibuprofen to control pain
Morphine en titration IV sans dose maximale : after day-case gynaecological laparoscopic surgery. Br J Anaesthesia
bolus de 2 à 3 mg IVD toutes les 5 min. 2008 ; 100 : 834–40.
Stop morphine [16] Jokela R, Ahonen J, Tallgren M, Haanpää M, Korttila K. A rando-
Mesures symptomatiques si
nécessaire **** mized controlled trial of perioperative administration of pregabalin
for pain after laparoscopic hysterectomy. Pain 2008 ; 134 : 106–12.
* Respect des contre-indications respectives de chaque molécule et/ou technique.
[17] Aubrun F, Mazoit JX, Riou B. Postoperative intravenous morphine
** Dose de charge de morphine possible sous couvert d'une présence médicale permanente et titration. Br J Anaesth 2012 ; 108 : 193–201.
prolongée : bolus initial de 0,05 à 0,10 mg/kg IVD à adapter selon l'âge et le terrain du patient. [18] Lvovschi V, Aubrun F, Bonnet P, Bouchara A, Bendahou M, Humbert B,
*** Délai de ré-évaluation de la douleur en fonction du type d'antalgique administré.
et al. Intravenous morphine titration to treat severe pain in the ED.
**** Stimulation et/ou assistance ventilatoire et/ou Naloxone IV.
Am J Emerg Med 2008 ; 26 : 676–82.
Figure 45.2 Traitement antalgique en fonction de l'intensité [19] Bellissant E, Estèbe JP, Sébille V, Ecoffey C. Effect of preoperative oral
douloureuse aux urgences. sustained-release morphine sulfate on postoperative requirements in
Source : Vivien B et al. 2010 [2]. elective spine surgery. Fund Clin Pharm 2004 ; 18 : 709–14.
Chapitre 45. Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique    305

[20] Manoir BD, Bourget P, Langlois M, Szekely B, Fischler M, Chauvin M, [23] Ginsberg B, Sinatra RS, Adler LJ, Crews JC, Hord AH, Laurito CE, et al.
et al. Evaluation of the pharmacokinetic profile and analgesic effi- Conversion to oral controlled-release oxycodone from intravenous
cacy of oral morphine after total hip arthroplasty. Eur J Anaesthesiol opioid analgesic in the postoperative setting. Pain Med 2003 ; 4 : 31–8.
2006 ; 23 : 748–54. [24] Gros T, Viel E, Ripart J, Delire V, Eledjam JJ, Sebbane M. Bloc fémoral
[21] Kampe S, Warm M, Kaufmann J, Hundegger S, Mellinghoff H, en analgésie préhospitalière pour traumatisme du membre inférieur,
Kiencke P. Clinical efficacy of controlled-release oxycodone 20 mg enquête de pratique observationnelle sur 107 cas. Ann Fr Anesth Rea-
administered on a 12-h dosing schedule on the management of pos- nim 2012 ; 31 : 846–9.
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2004 ; 20 : 199–202. patient âgé. 2017. www.sfar.org/référentiels.
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release in postsurgical pain : a randomized clinical trial in knee the Published Evidence and Comparison With Novel, Alternative
arthroplasty. J Clin Pharmacol 2004 ; 44 : 767–76. Analgesic Modalities. Anesth Analg 2017 ; 124 : 308–35.
Chapitre
46
Douleur en pratique
ambulatoire
Frédéric Aubrun

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307 Identifier les carences dans la gestion
Quatre étapes de prise en charge . . . . . . . . . . 307 des douleurs à domicile . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309
Six processus de vérification . . . . . . . . . . . . . . . 307 Comment améliorer la relation
Sept recommandations SFAR (référentiel 2008). . 308 hôpital-ville ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309
Savoir anticiper et mieux gérer Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
l'analgésie postopératoire . . . . . . . . . . . . . . . . 308

Introduction le suivi des patients. La première étape consiste à sélection-


ner les patients éligibles à la chirurgie en ambulatoire. Des
Les bénéfices de la chirurgie ambulatoire ne sont plus à critères médicaux, chirurgicaux mais aussi psychosociaux et
démontrer et les chirurgiens ou les médecins anesthésistes environnementaux existent sans oublier les caractéristiques
qui s'opposent à cette organisation risquent d'avoir des dif- des suites opératoires prévisibles. La douleur et sa prise en
ficultés à trouver des arguments pour soutenir la nécessité charge sont des éléments incontournables de cette sélec-
absolue de garder hospitaliser un patient opéré d'un geste tion. Ainsi, une sélection appropriée des patients permet
simple tel qu'une arthroscopie. Sur le site du ministère, les de limiter le risque d'hospitalisation non programmée et de
principaux avantages signalés pour la chirurgie ambulatoire réadmission en urgence. Les recommandations formalisées
sont au nombre de cinq : la satisfaction du patient et de sa d'experts sur la prise en charge anesthésique des patients en
famille, la qualité et la sécurité avec une limitation de l'expo- chirurgie ambulatoire précisent en 2009 qu'« il est recom-
sition aux infections nosocomiales, la satisfaction des per- mandé que l'éligibilité à l'ambulatoire repose sur l'analyse du
sonnels, l'optimisation et l'efficience de l'organisation et des bénéfice/risque pour le patient, la prévisibilité de sa prise en
ressources et la réduction des coûts. Nous sommes concernés charge et de l'organisation mise en place, en particulier la
par l'ensemble de ces points avec toutefois une préférence permanence et la continuité des soins ». Il est dit également
pour les deux premiers. Si la satisfaction des patients est un qu'« il est recommandé que la sélection des actes réalisés
« leitmotiv », l'organisation de la chirurgie ambulatoire ne en ambulatoire soit fondée sur la maîtrise des risques, de la
doit souffrir d'aucun déséquilibre sur le plan de la sécurité. durée et de la suite de ces actes » (www.sfar.org). La prise
Le chirurgien ne doit opérer un patient en ambulatoire que en compte et la prise en charge de la douleur sont là encore
si la balance bénéfice/risque est favorable et l'anesthésiste ne omniprésentes et indissociables des préoccupations liées à
doit prendre en charge un patient regagnant son domicile la sécurité des patients. Des actes longs, prévus ou non par
que si les conditions de sécurité et de confort sont totale- l'opérateur, peuvent générer dans les suites opératoires un
ment réunies. Ces deux principaux acteurs ont l'obligation inconfort et l'installation d'une douleur dès la SSPI, douleur
de travailler en tandem, la décision de l'un de pouvant aller postopératoire qui peut s'inscrire dans la durée, retarder ou
en sens opposé de la décision de l'autre. La douleur est bien interdire la sortie du patient [1].
entendu au cœur de la réflexion.

Six processus de vérification


Quatre étapes de prise en charge Les acteurs impliqués dans la chirurgie ambulatoire doivent
La balance bénéfices/risques est omniprésente à chaque répondre à six questions :
étape de la prise en charge du patient : l'évaluation préopéra- ■ 1. Quels sont les critères d'éligibilité à l'hospitalisation
toire, la phase opératoire, la phase d'autorisation de sortie et ambulatoire ? Si le patient souffre de douleur chronique,

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 307
308   Partie 5. Douleur selon le contexte

il faut se poser la question de la légitimité de lui propo- ■ Il est recommandé que les ordonnances d'antalgiques
ser une prise en charge ambulatoire si celle-ci induit un soient remises au patient dès la consultation de chirurgie
déséquilibre de son traitement ou génère un inconfort. Le ou d'anesthésie. Ces ordonnances d'antalgiques doivent
patient et sa famille ont-ils compris les enjeux ? préciser les horaires de prise d'antalgiques systématique
■ 2. Quelles sont les modalités de l'information du patient ? et les conditions de recours aux antalgiques de niveau
À ce titre, il est dit que l'information doit être précoce, plus élevé si nécessaire.
réitérée à chaque étape de la prise en charge élaborée ■ Il est recommandé pour les patients bénéficiant d'une
et concertée entre les acteurs. Elle doit impérativement prise en charge de la douleur postopératoire à domicile
intégrer la notion de douleur et de gestion de cette der- par voie locorégionale que le médecin traitant en soit
nière en structure de soins puis à domicile. informé par avance et prévenu de la sortie du patient de
■ 3. Quels sont les éléments de choix de la technique la structure hospitalière.
d'anesthésie et d'analgésie ? L'anesthésiste doit modifier ■ Il est recommandé, lorsque l'indication opératoire s'y
ses pratiques en ayant toujours en mémoire que le choix prête, d'utiliser les infiltrations et les blocs périphé-
de la technique d'anesthésie et d'analgésie chirurgicale riques en injection unique pour la chirurgie ambula-
doit reposer sur l'analyse du rapport bénéfice/risque toire. La sortie du patient, malgré l'absence de levée du
pour le patient, de l'acte et de l'organisation. Le choix des bloc, est possible si une analgésie de secours, le port
techniques et des doses s'apparente à un titrage des doses d'attelles, une information écrite aux patients, une
et des agents en fonction des besoins : ni trop, ni trop peu assistance à domicile et des procédures précises d'appel
afin d'éviter de retarder la récupération des patients. C'est ont été prévus.
un changement de culture de l'exercice du métier. ■ Il est recommandé, lorsque des cathéters périnerveux
■ 4. Quelles sont les modalités de la prise en charge des sont envisagés pour traiter la douleur postopératoire à
suites opératoires ? Trois problèmes doivent faire l'objet domicile, que ces dispositifs soient réservés aux inter-
d'une attention particulière, la douleur postopératoire, ventions dont la douleur postopératoire est totalement,
les nausées-vomissements postopératoires et les événe- ou dans sa plus grande partie, couverte par le bloc
ments thromboemboliques. périnerveux.
■ 5. Quelles sont les modalités de la procédure de sortie ■ Il est recommandé lorsque des cathéters périphériques
des patients ? Il s'agit d'autoriser la sortie sans aucune sont utilisés pour traiter la douleur postopératoire à
concession à la sécurité mais aussi au confort du patient. domicile qu'un contact téléphonique quotidien soit réa-
Cette démarche constitue le moment clé de cette prise en lisé [2].
charge car il n'est pas acceptable qu'un patient souffrant
d'une douleur persistante après son geste, soit invité à
quitter la structure sous peine de le voir revenir dans les Savoir anticiper et mieux gérer
heures qui suivent. l'analgésie postopératoire
■ 6. Enfin, la coordination entre les acteurs et la continuité
des soins constituent le socle de toute cette organisation. L'anticipation consiste, outre l'information, à délivrer donc
Identifier, hiérarchiser et maîtriser les risques dans une aux patients une ordonnance d'antalgiques dès la consulta-
démarche globale d'amélioration de la qualité des soins tion d'anesthésie et la validation de sa prise en charge ambu-
doit être le dénominateur commun de l'ensemble des latoire. Cette disposition permet de sensibiliser les patients
acteurs de soins impliqués dans la chirurgie ambula- au risque de souffrance à domicile mais aussi d'acheter les
toire. Cette prise en charge intègre les acteurs de premier antalgiques avant l'intervention et de les avoir à disposition
recours (et le médecin traitant en particulier) qui doivent dès le retour à domicile. La prescription anticipée d'antal-
comprendre la stratégie analgésique pour prendre le giques morphiniques est parfois nécessaire pour certaines
relais des acteurs de soins en charge de l'ambulatoire. chirurgies et pose le problème de la validité de trois jours
de ces ordonnances et de la constitution de stocks de mor-
phiniques à domicile. Au-delà des médicaments, il s'agit
Sept recommandations SFAR d'une véritable démarche éducative avec les conseils adaptés
à chaque chirurgie comme le refroidissement par la glace
(référentiel 2008) après chirurgie du membre inférieur ou la manipulation des
■ Il est recommandé que les établissements ayant une acti- béquilles.
vité chirurgicale ambulatoire développent une stratégie Une des premières causes de réhospitalisation des
spécifique de l'évaluation et du traitement de la DPO à patients opérés en chirurgie ambulatoire est liée à la
domicile. Les protocoles de lutte contre la douleur pos- douleur [3, 4]. Parmi les autres facteurs, on note les nau-
topératoire doivent être évalués de manière régulière et sées et/ou vomissements postopératoires mais également
pluridisciplinaire. la somnolence excessive. En 2002, Coley et al. analysent
■ Il est recommandé, pour les patients devant subir une les causes d'admission non prévue et de réadmission
intervention en ambulatoire, que les éléments prédic- avec leurs coûts après chirurgie ambulatoire. Dans cette
tifs de la douleur postopératoire et de la tolérance aux étude, près de 6 % des patients sont réadmis dont 38 %
analgésiques prescrits à domicile soient appréciés et pour cause de douleur, soit la première cause relevée
que les modalités de l'analgésie orale soient expliquées [5]. En France, il existe peu de données en dehors de
dès la consultation spécialisée préopératoire (chirurgie, quelques travaux rétrospectifs et d'une enquête sur le
anesthésie). point de vue des médecins généralistes sur la gestion
Chapitre 46. Douleur en pratique ambulatoire    309

de la douleur postopératoire à domicile en chirurgie d'infiltration est la difficulté du relais analgésique. En


ambulatoire. Ainsi, il est retrouvé dans ce travail [6] qu'il effet, les anesthésiques locaux permettent de supprimer
existe une insatisfaction des médecins généralistes liée l'influx nociceptif mais ont une durée d'efficacité limi-
à l'inefficacité des protocoles d'analgésie, la communi- tée dans le temps et donc un relais par des antalgiques
cation limitée entre les médecins généralistes et l'équipe de complément doit être réalisé. La recherche se tourne
ambulatoire, la difficulté d'avoir un référent en ambula- vers deux types d'anesthésiques locaux : les premiers,
toire, l'absence de formation des médecins généralistes en partie disponibles sur le marché, permettent de
et le manque d'information des patients. Enfin, la dou- réduire la durée des blocs moteurs et sensitifs et sont
leur aiguë postopératoire peut faire le lit de la douleur par conséquent indiqués pour les actes chirurgicaux de
chronique post-chirurgicale rebelle, situation jusqu'alors courte durée, pratiqués par exemple en ambulatoire. Un
peu évaluée en pratique ambulatoire. exemple : l'arthroscopie de genou ne dure que quelques
Le décret n° 2012-969 du 20 août 2012 précise dans son dizaines de minutes et ne nécessitent donc pas une anes-
article 3 que, lors de la prise en charge (…), l'organisation, thésie périmédullaire trop longue, de manière à ce que
la préparation et la mise en œuvre optimale des proto- le patient soit rapidement mobilisable, permettant son
coles de soins intègrent la prise en charge de la douleur. retour précoce à domicile. La chloroprocaïne, adminis-
Concernant le bulletin de sortie : « ce bulletin, signé par tré à 40 mg, permet par exemple de limiter l'anesthésie
l'un des médecins de la structure, mentionne l'identité rachidienne pour un geste chirurgicale ne dépassant pas
des personnels médicaux ayant participé à l'intervention, 40 minutes.
les recommandations sur les conduites à tenir en matière L'autre piste consiste à encapsuler les agents anesthé-
de surveillance postopératoire ou anesthésique, concer- siques locaux dans des membranes lipidiques. Une fois
nant en particulier la prise en charge de la douleur et les administrés, les anesthésiques locaux sont libérés progres-
coordonnées des personnels de l'établissement de santé sivement, ce qui permet d'entretenir l'anesthésie, qu'elle soit
assurant la continuité des soins ». La notion de la prise en périmédullaire ou périnerveuse. L'anesthésie locorégionale
charge de la douleur en amont et en aval du geste est donc s'inscrit par conséquent dans la durée et assure un relais
nouvelle dans ce texte de loi modifié. Des recommanda- efficace à une anesthésie/analgésie chirurgicale. Le patient
tions proposées notamment par la SFAR existent déjà est confortable pendant plusieurs jours en toute sécurité.
depuis plus de trois ans à ce sujet. Malheureusement, cet agent n'existe que dans le cadre de
Il est ainsi fortement conseillé de mettre en place une la recherche non clinique mais devrait voir le jour dans les
stratégie multimodale de prise en charge de la douleur au années à venir.
lieu de résidence. L'évaluation des facteurs prédictifs de la
douleur postopératoire et de la tolérance aux analgésiques
prescrits à domicile est réalisée en amont. Les modalités Comment améliorer la relation
de prise des antalgiques par voie orale sont expliquées au hôpital-ville ?
patient dès la consultation de chirurgie ou d'anesthésie. Le
patient est invité à respecter les horaires de prise médica- Le développement de la chirurgie ambulatoire ne pourra
menteuse et les conditions de recours aux antalgiques de pas se faire sans la participation de tous les acteurs de
niveau plus élevé si c'est nécessaire. Ces informations ainsi soins, en structure hospitalière ou en clinique mais aussi
que l'ordonnance d'antalgiques sont intégrées au passe- en ville. Le constat des médecins généralistes dans l'étude
port ambulatoire qui constitue un recueil d'informations précédemment citée est sans appel et implique un chan-
diverses, utiles au patient au bon déroulement de son pas- gement profond de paradigme avec la communication
sage en établissement de soins. des protocoles d'analgésie à tous les intervenants. Les
médecins généralistes, les infirmiers, les kinésithéra-
peutes doivent savoir ce que le patient a subi et les risques
Identifier les carences dans de douleur, que ce soit au repos ou en condition dyna-
la gestion des douleurs à domicile mique. Le patient qui quitte la structure doit connaître sa
technique d'analgésie, surtout si celle-ci a été locorégio-
Outre les retours de médecins généralistes sur les défail- nale ou par infiltration. Il doit être informé sur les suites
lances dans la communication des protocoles d'analgésie opératoires et communiquer avec ses correspondants en
élaborés par les équipes hospitalières, de nombreux travaux ville, médicaux et paramédicaux ses plaintes éventuelles.
soulignent les carences dans la prise en charge des patients Cette démarche globale est grandement facilitée par la
après chirurgie ambulatoire. Ainsi, 62 % des patients opé- participation d'une infirmière de coordination, dont la
rés d'une hernie inguinale (chirurgie à douleur modérée mission est d'accompagner le patient dans les démarches
prédictive), 41 % de patients opérés d'une chirurgie ortho- mais aussi d'assurer la jonction avec les équipes extrahos-
pédique se plaignent de douleurs modérées à sévères à leur pitalières. Développer l'ambulatoire implique également
retour à domicile [7, 8]. Certaines équipent proposent donc d'améliorer les stratégies d'analgésie en ville, intégrant
l'administration de morphiniques de palier 3 à domicile, l'anesthésie locorégionale. Pour que celle-ci s'inscrive
dans le cadre d'une analgésie multimodale et en « traitement dans la durée à domicile, il faut banaliser le cathétérisme
de secours ». Peu de patients acceptent toutefois de prendre et assurer ainsi un lien avec les réseaux de soins infirmiers
ce traitement par peur probablement des effets indésirables. qui vont pouvoir poursuivre les injections d'anesthésiques
L'inconvénient parfois souligné par les patients béné- locaux dans les dispositifs élastomériques ou les pompes
ficiant des techniques d'anesthésie locorégionale ou d'analgésie autocontrôlée.
310   Partie 5. Douleur selon le contexte

Conclusion Références
Le médecin anesthésiste réanimateur en charge de patients [1] Référentiel SFAR. Prise en charge anesthésiques des patients en hospi-
relevant de la chirurgie ambulatoire, est confronté à la talisation ambulatoire, www.sfar.org/référentiels ; 2009.
[2] Expert panel guidelines (2008). Postoperative pain management in
nécessité d'une analyse permanente de la balance bénéfices/
adults and children. SFAR Committees on Pain and Local Regional
risques, ceci à toutes les étapes de la gestion du patient. Cette Anaesthesia and on Standards. SFAR Committees on Pain and Local
démarche concerne en particulier la douleur. L'information Regional Anaesthesia and on Standards. Ann Fr Anesth Reanim
du patient, l'évaluation, l'organisation, la communication, la 2009 ; 28 : 403–9.
prévention sont des mots-clés qu'il faut appliquer pour une [3] Chung F, Mezei G. Factors contributing to a prolonged stay after ambu-
prise en charge rationnelle et sans risque du patient. Si la latory surgery. Anesth Analg 1999 ; 89 : 1352–9.
tendance est à l'augmentation du taux de chirurgies réali- [4] Chung F, Mezei G. Adverse outcomes in ambulatory anesthesia. Can J
sées en ambulatoire (pour atteindre 66 % dans les années Anaesth 1999 ; 46(5 Pt 2) : R18–34.
qui viennent), elle ne doit en rien sacrifier notre obsession [5] Coley KC, Williams BA, DaPos SV, Chen C, Smith RB. Retrospective
à tous, la sécurité et le confort des patients. Il est indispen- evaluation of unanticipated admissions and readmissions after same
day surgery and associated costs. J Clin Anesth 2002 ; 14 : 349–53.
sable de savoir « qui fait quoi » dans la gestion périopératoire
[6] Robaux S, Bouaziz H, Cornet C, Boivin JM, Lefèvre N, Laxenaire MC.
du patient, en particulier pour autoriser sa sortie et assurer Acute postoperative pain management at home after ambulatory sur-
une analgésie de qualité domicile. La communication reste gery : a French pilot survey of general practitioners' views. Anesth
le dénominateur commun et la traçabilité un moyen de se Analg 2002 ; 95 : 1258–62.
protéger. Parmi les risques à prévenir, celui de la douleur à [7] Beauregard L, Pomp A, Choinière M. Severity and impact of pain after
domicile est essentiel car il peut entraîner non seulement une day-surgery. Can J Anaesth 1998 ; 45 : 304–11.
insatisfaction mais également des conséquences plus clas- [8] Ausems ME, Hulsewé KW, Hooymans PM, Hoofwijk AG. Postoperative
siques d'une douleur postopératoire persistante : troubles analgesia requirements at home after inguinal hernia repair : effects
(ou aggravation de ces troubles) des fonctions supérieures, of wound infiltration on postoperative pain. Anaesthesia 2007 ; 62 :
complications cardiovasculaires ou encore chronicisation. 325–31.
Chapitre
47
Douleurs aiguës médicales
et urgences
Michel Olivier, Nathalie Lecoules

PLAN DU CHAPITRE
Douleurs thoraciques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311 Céphalées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314
Douleurs d'origine pariétale . . . . . . . . . . . . . . 313 Colique néphrétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Autres étiologies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313 Crise douloureuse drépanocytaire . . . . . . . . . . 315
Douleurs abdominales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313

En France, 7,6 millions de patients arrivent chaque année principes : traiter vite, bien et toutes les douleurs, quelle que
aux urgences avec des douleurs. La prévalence de la dou- soit leur composante (nociceptive, neuropathique, mixte,
leur aux urgences est évaluée entre 60 et 78 % dont 54 % de avec ou sans renforcement psychologique), ou leur localisa-
douleurs intenses. Les pathologies médicales représentent tion (abdominale en particulier), au repos et à la mobilisa-
environ 40 % de ces douleurs. La douleur est le symptôme tion (si possible).
principal dans 85 % des cas [1], sans oublier les soins, poten- L'analgésie sera multimodale (paracétamol, AINS,
tiellement inducteurs de douleur supplémentaire chez 47 % opioïdes, lidocaïne, etc.), symptomatique et/ou étiologique
des patients. et fera appel, selon les circonstances à la pharmacopée
En dépit de ce constat, 60 % des patients douloureux ne orale, transmuqueuse, transbuccale, injectable, inhalatoire
reçoivent pas d'analgésie ou sont traités après un délai non (MEOPA, méthoxyflurane), mais également aux techniques
acceptable. Ce retard d'analgésie est lié en particulier à la non médicamenteuses (froid, chaud, relaxation, hypnose,
taille des services d'urgence (nombre important d'entrées). etc.) [3]. La composante anti-hyperalgésique sera potentiel-
Il est plus fréquent chez les personnes âgées et chez les lement prise en compte (kétamine, néfopam).
patients présentant des douleurs modérées à l'entrée. Il n'est pas possible de traiter ici toutes les douleurs médi-
Si la douleur aiguë est un signal d'alerte d'une agression cales motivant un passage aux urgences, nous avons donc
utile, elle est rapidement délétère : consommation d'oxygène choisi de cibler les plus fréquentes.
augmentée, réduction de volumes ventilatoires, agitation
dangereuse ou, à l'inverse, réduction de mobilité favorisant
la thrombose, iléus paralytique, syndrome inflammatoire
Douleurs thoraciques
réactionnel local et systémique, déséquilibres endocriniens Les douleurs thoraciques, 5 % des consultations en urgence,
(hyperglycémie en particulier) et hydroélectrolytiques, ont une multitude d'étiologies et de symptomatologies qui
retentissement psychologique. La douleur aiguë persistante compliquent le diagnostic et le choix d'un traitement antal-
est, de plus, facteur d'hyperalgésie et sa mémorisation fait le gique adapté. Par exemple, 40 % des patients ayant un IDM
lit de la douleur chronique. Une analgésie efficace répondra ont une douleur atypique alors que 35 % des patients sans
donc autant à un réel besoin médical qu'à des motivations IDM ont une douleur typique [4].
humanitaires. Outre l'IDM, nous retrouvons les maladies œsopha-
La douleur qui amène le patient à consulter en urgence giennes (42 %), la maladie coronaire (31 %), les douleurs
a souvent un caractère brutal et inattendu et peut entraîner pariétales (28 %) et, plus rarement, les péricardites, les dou-
des réactions inappropriées (agressivité). La peur du dia- leurs pleuropulmonaires, l'embolie pulmonaire, le cancer du
gnostic, la perte d'autonomie et potentiellement de revenus poumon et l'anévrisme aortique (de 4 à 1 %). En présence
(arrêt de travail) y contribuent. L'équipe soignante, en dépit d'une douleur thoracique, le pronostic vital peut être engagé
d'une activité soutenue, doit faire preuve de beaucoup d'em- ou non et nécessiter un traitement urgent ou pas. Éliminer
pathie et de compréhension [2]. en première intention une étiologie coronarienne s'impose
Après une évaluation globale, quantitative et qualitative, en raison de la sévérité du pronostic et de l'urgence d'un
une prise en charge antalgique efficace s'appuiera sur trois traitement de revascularisation.
Médecine de la douleur pour le praticien
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312   Partie 5. Douleur selon le contexte

Tous les plans anatomiques du thorax peuvent induire La localisation :


une douleur par excès de nociception ischémique ou inflam- ■ rétrosternale : élective des douleurs cardiaques et œso-
matoire, par stimulation mécanique suite à une fracture ou phagiennes, retrouvée dans 61 % des dissections aor-
par distension viscérale. Les fibres somatiques et viscérales tiques et seulement 4 à 12 % des embolies ;
produisent des douleurs différentes. Les fibres somatiques ■ précordiale : moins spécifique en dehors de la péricar-
de la paroi (derme, muscles, os et plèvre viscérale), en raison dite. Peut évoquer toutes les étiologies, à l'exception des
d'une organisation métamérique se projettent sur une zone pathologies œsophagiennes ;
correspondante du cortex et la douleur est localisée préci- ■ latérale : évoque un problème pleuropulmonaire ou
sément. À l'inverse, les fibres viscérales (cœur, vaisseaux, pariétal.
œsophage, poumon et plèvre viscérale) convergent vers la ■ dorsale : fréquente dans les dissections aortiques (53 %),
corne dorsale de la moelle, sur plusieurs étages, se croisant. peu spécifique, peut être d'origine pleuropulmonaire,
Elles rejoignent des fibres somatiques venant de plusieurs vasculaire ou pariétale.
niveaux (convergence viscéro-somatique), puis rejoignent L'irradiation :
les structures supraspinales et le cortex. En conséquence, ■ latérale, vers le bras gauche : est l'apanage d'une douleur
il n'existe pas de somatotopie topographique viscérale au cardiaque ;
niveau du cortex. Cela permet de comprendre qu'une dou- ■ cervicale : évoque une origine œsophagienne ou
leur coronarienne puisse être ressentie au niveau du cou, de péricardique ;
la mâchoire ou vers le ou les membres supérieurs (douleur ■ à l'épaule droite ou gauche : d'origine pleuropulmonaire
projetée ou référée) alors que la projection métamérique ou péricardique ;
médullaire du cœur est située de C8 à T5. ■ dorsale : d'origine œsophagienne, dissection aortique ou
La douleur pariétale médiée par les nerfs intercostaux est pancréatite.
souvent superficielle, précise, bien localisée à l'endroit de la La durée :
pathologie. ■ une douleur d'une à trois minutes évoque un angor. Si la
La douleur viscérale, régie par le système nerveux auto- douleur se prolonge plus de 20 à 30 minutes et persiste,
nome (nerf pneumogastrique ou vague) est beaucoup plus elle oriente vers un SCA. Dans l'IDM, la douleur persiste
complexe et parfois trompeuse. Elle est généralement dif- habituellement au-delà de 30 minutes. Une douleur lan-
fuse, profonde, mal localisée, pouvant irradier vers des cinante durant plusieurs heures évoque une origine œso-
territoires cutanés éloignés. Son intensité n'est pas toujours phagienne. Une douleur très brève ou persistant plusieurs
proportionnelle à la gravité de la pathologie. Lors d'un phé- jours sans évolution n'est a priori pas coronarienne.
nomène ischémique par exemple, les stimuli sont souvent Autres éléments spécifiques :
multiples (distension d'un organe creux, inflammation des ■ le lien à l'effort est en faveur d'une origine angineuse. En
séreuses en particulier, spasme, libération de substances revanche, le soulagement par le repos n'est pas pathogno-
algogènes). monique d'une origine coronaire ;
De plus, des facteurs extrinsèques d'ordre psychologique, ■ la trinitrine soulage 62 % des douleurs cardiaques et
culturel, pharmacologique ou physiologique peuvent modi- 56 % des douleurs œsophagiennes, parallèlement, un test
fier la perception et l'expression de la douleur. diagnostique aux antiacides améliore les symptômes des
Les caractéristiques de la douleur, leur localisation, leur pathologies cardiaques aussi bien qu'œsophagiennes ;
irradiation et leur durée permettent une orientation dia- ■ le caractère positionnel évoque une péricardite et surtout
gnostique [4] : un reflux gastro-œsophagien (RGO) ;
■ constrictive (oppression, serrement, étranglement, ■ la majorité des SCA surviennent entre 6 h 00 et midi et
poids) : en faveur d'une origine coronarienne. C'est une la probabilité qu'une douleur thoracique soit due à un
douleur profonde. Elle n'est pas pour autant spécifique et SCA est exponentiellement liée à l'âge : de 7 % entre 25 et
se retrouve dans la péricardite et les pathologies œsopha- 30 ans, 56 % entre 60 et 69 ans, à 71 % après 80 ans ;
giennes (pseudo-angineuse) ; ■ l'analgésie des douleurs thoraciques, quant à elle, s'appuie
■ pleurétique : latéralisée, souvent intense et brutale, blo- à la fois sur un traitement étiologique et sur une analgésie
quant la respiration, irradiant vers l'épaule homolatérale symptomatique [5] ;
et le cou. Elle évoque une origine pleuropulmonaire, une ■ il n'est pas dans notre propos de développer de manière
embolie pulmonaire ou une pneumopathie ; exhaustive la prise en charge diagnostique (électrocar-
■ pariétale : exacerbée à la toux, à l'inspiration profonde diogramme [ECG] en première intention) et thérapeu-
et par la palpation ostéoarticulaire. Elle a peu de valeur tique de toutes les douleurs thoraciques. Nous avons ciblé
chez la personne âgée car très fréquente et d'origines les plus fréquentes.
multiples. Ce type de douleur peut également se rencon-
trer dans le syndrome coronarien aigu (SCA) et l'embolie
pulmonaire ; SCA
■ atypique : à type de piqûres, pincements, écrasements, Traitement étiologique : il contribue grandement au sou-
coups de poignard, pointes, brûlures, douleur lancinante. lagement du patient, favorisant la reperfusion et réduisant
Peu spécifique, elle se rencontre toutefois dans 22 % des l'ischémie douloureuse.
SCA. Ainsi, 80 % des douleurs œsophagiennes sont lan- ■ Fibrinolyse ou angioplastie primaire : si le début des
cinantes, une brûlure est décrite dans la péricardite et un symptômes est inférieur à trois heures, l'angioplastie
coup de poignard peut évoquer une dissection aortique. primaire (si le patient peut en bénéficier dans un délai
Chapitre 47. Douleurs aiguës médicales et urgences    313

inférieur à deux heures) sera proposée aussi bien que la ■ Les douleurs musculaires : touchent les muscles inter-
fibrinolyse. Si le délai depuis le début des symptômes est costaux, pectoraux et de la ceinture scapulaire : myosite
compris entre 3 et 12 heures, l'angioplastie primaire est infectieuse, parasitaire ou immunologique.
privilégiée. Toute arythmie ou état de choc sera traité ■ Les douleurs d'origine neurologique : névralgie intercos-
parallèlement. Après fibrinolyse, le patient sera dirigé tale, syndrome de Cyriax (subluxation douloureuse de
vers un centre disposant d'une salle de coronarographie l'extrémité antérieure des 8e, 9e et 10e côtes qui comprime
diagnostique et interventionnelle. La prise en charge sera le nerf intercostal, exacerbée par la manœuvre de croche-
complétée par : tage3), névralgie phrénique augmentée par une pression
– double anti-agrégation plaquettaire : acide acétylsali- cervicale entre les chefs du sterno-cléido-mastoïdien, le
cylique et inhibiteur des P2Y12 ; froid, la déglutition et, parfois, associée à un hoquet.
– anticoagulation : énoxaparine ou héparine non Ces différentes pathologies douloureuses pariétales d'origine
fractionnée. mécanique ou inflammatoire répondent aux différents antal-
Traitement symptomatique : le traitement de choix est la giques et AINS, si besoin aux infiltrations associant lidocaïne et
morphine intraveineuse en titration. corticoïdes retard et, pour certaines, à des techniques manuelles.

Embolie pulmonaire Autres étiologies


Si la probabilité clinique est moyenne ou forte, les anticoa- ■ Dans la dissection aortique thoracique, urgence vitale, la
gulants injectables ou oraux sont recommandés. L'analgésie douleur est brutale, intense, rétrosternale, irradiant dans
sera symptomatique et adaptée à l'intensité de la douleur. le dos et la région lombaire (90 %), impose dans un pre-
mier temps une analgésie morphinique efficace associée
Pneumothorax au traitement de l'HTA.
■ La douleur œsophagienne de RGO bénéficie d'un IPP.
Un pneumothorax sous tension impose avant drainage, au ■ La douleur de rupture spontanée de l'œsophage (syndrome
plus vite, une exsufflation à l'aiguille insérée au niveau du de Boerhaave) est basithoracique gauche ou épigastrique,
2e espace intercostal antérieur sur la ligne médio-claviculaire. intense associée à des vomissements, une odynopha-
L'analgésie est symptomatique et adaptée à l'intensité de la gie et des signes de choc. Elle impose une analgésie
douleur. Le drainage thoracique est un geste douloureux morphinique.
et nécessite une analgésie multimodale s'appuyant sur les ■ Le traitement antalgique des pneumopathies est adapté à
opioïdes intraveineux. Si le MEOPA est contre-indiqué en l'intensité de la douleur.
phase diagnostique (risque d'aggravation de la pression ■ La névralgie intercostale du zona en phase aiguë est trai-
gazeuse), il peut être utilisé lors de la réalisation du geste. tée par une analgésie multimodale : paracétamol, AINS,
opioïdes faibles ou forts, considérer également les corti-
Péricardite coïdes per os et associer un traitement antiviral.
Le traitement antalgique est symptomatique, il peut s'ap- ■ Face à des troubles anxieux associés à la douleur, une
puyer sur les AINS. Un drainage péricardique peut être anxiolyse verbale et éventuellement médicamenteuse
indiqué et imposer une analgésie opioïde. peut être utile.
■ Le diagnostic de douleurs atypiques d'origine psycho-
logique n'est qu'un diagnostic d'élimination après une
Douleurs d'origine pariétale analyse étiologique poussée. La gestion des facteurs favo-
risants est indispensable.
Nous retrouvons de nombreuses étiologies :
■ Les douleurs osseuses d'origine médicale : fracture sponta-
née ostéoporotique, myélome, néoplasie secondaire. Douleurs abdominales
■ Les douleurs articulaires : l'entorse costale qui intéresse C'est un motif de recours fréquent aux urgences autant chez
principalement les articulations postérieures chez le sujet l'enfant que chez l'adulte (4 à 8 %).
jeune et répond à la manœuvre de la côte2, le syndrome On distingue trois types de douleurs abdominales [6] :
de Tietze (inflammation du cartilage costo-sternal des ■ les douleurs viscérales, liées à la pression, l'étirement ou l'is-
2e et 3e côtes, localisée à proximité du sternum), le syn- chémie d'un viscère, plutôt sourdes, persistantes, dans les
drome de synovite, acné, pustulose, hyperostose, ostéite régions médianes de l'abdomen ou imprécises en raison du
(SAPHO) avec tuméfactions douloureuses des articula- chevauchement des terminaisons nerveuses des organes
tions sternoclaviculaire, sternocostale, manubriosternale (bilatérales). Les douleurs du foie, du pancréas, des voies
mais aussi sacro-iliaque et rachidienne. biliaires, de l'estomac et du grêle proximal sont plutôt épi-
gastriques, celles du grêle distal, de l'appendice et du côlon
2
La manœuvre de la côte : le patient est assis, bras relevé du côté ascendant sont péri-ombilicales et celles du côlon gauche,
douloureux, main sur la tête. Le médecin, placé derrière lui, fait des voies urinaires et du pelvis sus-pubiennes.
faire une latéroflexion du tronc controlatérale à la douleur et
accroche, dans un premier temps, le bord supérieur de la côte
douloureuse en tirant vers le bas puis le bord inférieur, tirant vers 3
La manœuvre du crochetage : les doigts en crochets sous le rebord
le haut. L'un des deux mouvements est douloureux. Le mouvement costal exercent une pression vers le haut comprimant le nerf
s'accompagne souvent d'un ressaut ou d'un craquement à l'origine intercostal, reproduisant une douleur élective. En controlatéral, le
d'un soulagement immédiat [4]. test est négatif [4] ;
314   Partie 5. Douleur selon le contexte

■ les douleurs somatiques sont en revanche bien localisées, ■ l'infarctus mésentérique, survient chez un patient ayant
plus latéralisées et intenses. Elles résultent d'une stimu- des facteurs de risque cardiovasculaires et se traduit clas-
lation nociceptive du péritoine pariétal, des muscles ou siquement par une douleur abdominale très intense avec
de la peau, mais aussi provoquées par une inflammation initialement un abdomen souple ;
d'un organe intra-abdominal ; ■ des pathologies non urgentes responsables de douleurs
■ les douleurs projetées, provenant d'un organe extra- abdominales peuvent amener le patient à consulter :
abdominal peuvent être vives, intenses, localisées ou, au adénite mésentérique fréquente chez l'enfant et l'adulte
contraire, vagues. jeune accompagnée souvent d'infection virale des voies
Ces trois types de douleurs sont modifiés en fonction de aériennes supérieures, gastroentérite et iléite infectieuse
facteurs psychologiques ou environnementaux et certaines souvent accompagnées de diarrhées, douleur aiguë de
douleurs fonctionnelles peuvent être plus intenses que des milieu de cycle, kyste ovarien fonctionnel, coprostase,
douleurs organiques. Chez l'enfant, on peut toutefois retenir troubles fonctionnels intestinaux (dyspepsie, colopathie
que, plus la douleur est latéralisée, plus son étiologie orga- fonctionnelle).
nique est probable. Des affections extra-abdominales peuvent se manifester
Autant que l'intensité, le siège de la douleur abdominale par des douleurs abdominales et sont des pièges diagnos-
oriente le diagnostic [7] : tiques classiques :
■ épigastre : gastrite, ulcère gastrique ou duodénal, ■ thorax : SCA, dissection de l'aorte, pneumonie ;
pancréatite ; ■ rétropéritoine : affections urologiques (lithiase, infection,
■ hypochondre droit ou épigastre : douleur biliaire simple ou ischémie), anévrisme de l'aorte abdominale (douleur
cholécystite, migration de calcul ; lombaire) ;
■ région péri-ombilicale : pancréatite (lithiasique ou alcoo- ■ organes pelviens, scrotum : globe vésical, prostatite, tor-
lique), appendicite débutante ; sion testiculaire, épididymite ;
■ fosse iliaque droite : appendicite ; ■ paroi abdominale : zona, hématome pariétal (du muscle
■ région hypogastrique : pathologies gynécologiques ; grand droit chez le patient anticoagulé) ;
■ fosse iliaque gauche : diverticulite. ■ métabolique : décompensation diabétique acidocéto-
Quelques particularités toutefois : sique ;
■ bien que la vésicule soit située dans l'hypochondre droit, ■ crise drépanocytaire : développée par ailleurs ;
les douleurs siègent souvent dans l'épigastre ; ■ maladie rares, etc.
■ une cholécystite aiguë doit être suspectée si la douleur dure En matière d'analgésie, retenons quelques principes
plus de six heures, s'accompagne d'un état fébrile (voire forts :
d'un choc septique), du signe de Murphy (douleur référée ■ l'analgésie peut modifier l'examen clinique, mais ne
sur la ligne mamelonnaire droite, au niveau de la 8e côte) ; crée pas d'erreur de management chirurgical. En effet,
■ une irritation sous-diaphragmatique quelle qu'en soit après l'anamnèse, l'établissement du diagnostic s'appuie
la cause (rupture de rate, lésion hépatique, abcès sous- grandement sur l'imagerie (scanner, échographie) et la
phrénique, etc.) entraîne une douleur projetée à l'épaule biologie ;
homolatérale à la douleur scapulaire (signe de Kehr) ; ■ les antalgiques ne modifient pas l'histoire relatée par le
■ une douleur abdominale initialement péri-ombilicale et patient ;
migrant secondairement en fosse iliaque droite, associée ■ l'analgésie améliore le confort et facilite l'examen
à un état sub-fébrile est suspecte d'appendicite. Le clas- clinique ;
sique point de Mac Burney (douleur référée) est situé à ■ plus le traitement antalgique est rapide, plus il est efficace.
mi-distance entre l'épine iliaque antéro-supérieure et En conséquence, il faut utiliser l'arsenal analgésique
l'ombilic et se recherche par un piquer/toucher ou un médicamenteux (y compris les morphiniques) et non médi-
roulé cutané et non par appui profond sur la paroi abdo- camenteux (en particulier le froid dans les pathologies
minale qui, lui, révèle une irritation péritonéale ; inflammatoires) pour être rapidement efficace. L'accompa-
■ une occlusion mécanique du tube digestif (bride, tumeur) gnement psychologique est également important dans les
s'accompagne de douleur abdominale et souvent de douleurs abdominales particulièrement anxiogènes.
vomissements et d'iléus. L'examen des orifices herniaires Quelques restrictions d'emploi toutefois : le MEOPA est
recherche une hernie étranglée ; contre-indiqué dans les syndromes occlusifs (distension
■ une hémorragie intrapéritonéale (recherchée à la func- gazeuse), les AINS ne seront pas utilisés dans les patholo-
tional assessment screening tool [FAST] écho) avec état gies œsophagiennes, gastroduodénales, infectieuses et en
de choc et douleur abdominale doit faire évoquer la présence d'une insuffisance rénale et pendant les 1er et 3e tri-
rupture d'anévrisme de l'aorte abdominale ou une gros- mestres de la grossesse. Quant au phloroglucinol, largement
sesse extra-utérine, moins fréquemment un kyste ovarien utilisé, son mécanisme antispasmodique reste à démontrer.
hémorragique, la rupture de tumeur hépatique sous-­
capsulaire ou rupture de rate en deux temps ;
■ douleur abdominale et choc septique évoquent une péri- Céphalées
tonite par perforation digestive. La douleur est souvent
de début brutal, de localisation assez précise puis évolue Les céphalées sont un motif fréquent de consultation aux
vers une péritonite localisée puis généralisée et s'accom- urgences. Le chapitre 25 de cet ouvrage traitant ce sujet, nous
pagne de contracture abdominale (ventre de bois), d'iléus n'insisterons que sur les principales étiologies de céphalées
et de douleur au moindre ébranlement ; récentes rencontrées aux urgences.
Chapitre 47. Douleurs aiguës médicales et urgences    315

Céphalées brutales fièvre ni oligoanurie. L'examen clinique est relativement


■ Hémorragie sous-arachnoïdienne et autres causes vas- pauvre comparé à la symptomatologie bruyante (abdomen
culaires (hémorragies ou infarctus cérébraux ou céré- souple, fosse lombaire sensible à la palpation et douloureuse
belleux, dissection des artères cervicales et cérébrales, à la percussion, touchers pelviens normaux).
thrombose veineuse cérébrale, etc.).
■ Encéphalopathie hypertensive et éclampsie. Coliques néphrétiques compliquées
■ Glaucome aigu. Rares, elles surviennent sur un terrain particulier (grossesse,
insuffisance rénale chronique, rein unique ou transplanté,
Céphalées le plus souvent progressives uropathie connue). Elles présentent d'emblée ou secon-
■ Hypertension intracrânienne. dairement des signes de gravité : infection (pyélonéphrite
■ Méningo-encéphalite. aiguë), oligoanurie, douleur intense persistante malgré un
■ Hypotension du liquide cérébrospinal. traitement antalgique bien conduit.
■ Tumeur Une bandelette urinaire réalisée sans tarder pourra mon-
■ Rhinosinusite aiguë. trer une hématurie microscopique en faveur d'une lithiase,
Les caractéristiques des céphalées (début, caractère inha- une leucocyturie et la présence de nitrites signant une infec-
bituel ou positionnel, localisation, évolution) peuvent orien- tion et imposant la réalisation d'une cytobactériologie des
ter le diagnostic. L'examen clinique recherche des signes urines. Un pH acide inférieur à 6 est en faveur d'une lithiase
associés : une fièvre, une HTA, un trouble de la vigilance, un d'acide urique.
syndrome méningé, un œdème papillaire au fond d'œil, des Les examens complémentaires permettent d'éliminer une
signes neurologiques, etc. colique néphrétique compliquée : ionogramme sanguin et
La recherche étiologique est complétée, en fonction, par créatininémie (insuffisance rénale, troubles électrolytiques)
biologie, scanner et angioscanner, imagerie par résonance numération sanguine (infection), β-human chorionic gona-
magnétique (IRM), échodoppler et ponction lombaire (bio- dotropin (βHCG) chez la femme en âge de procréer. Une
chimie, cytologie, bactériologie). imagerie de l'arbre urinaire sera réalisée après l'instauration
Le traitement antalgique est symptomatique dans un pre- d'un traitement antalgique symptomatique et s'appuiera sur
mier temps et adapté à l'intensité douloureuse et à l'hypothèse le scanner sans injection de produit de contraste (grande
diagnostique (pas d'AINS en cas de suspicion d'infection). sensibilité) et l'échographie (examen de référence chez la
femme enceinte).
L'objectif principal du traitement en urgence est de sou-
Colique néphrétique lager rapidement le patient.
Les AINS seront utilisés en première intention (hors
La colique néphrétique est un syndrome douloureux aigu contre-indications : allergie, grossesse 1er et 3e trimestre,
lombo-abdominal. C'est une urgence médico-chirurgicale. ulcère gastroduodénal actif, insuffisance rénale chronique
En France, la colique néphrétique représente environ 1 à [IRC]). Ils réduisent la filtration glomérulaire par action sur
2 % des entrées dans les services d'urgence. Dans 75 à 80 % les prostaglandines, diminuent le tonus des fibres musculaires
des cas, elle est d'origine lithiasique. lisses de l'arbre urinaire et réduisent l'œdème inflammatoire
Le mécanisme essentiel de la colique néphrétique est une urétéral au niveau de l'obstacle. Le kétoprofène sera injecté
dilatation des voies excrétrices en amont d'un obstacle. En en perfusion intraveineuse (100 mg). Le paracétamol (1 g)
réponse, la médullaire rénale sécrète la prostaglandine E2 peut être associé, en revanche, le phloroglucinol est inefficace
qui augmente le flux sanguin rénal afin de maintenir le débit [9]. Les antalgiques morphiniques seront utiles d'emblée ou
de filtration glomérulaire, entretenant l'augmentation de la secondairement devant des douleurs intenses (exemple : mor-
pression intrarénale. La distension du haut appareil urinaire phine 0,1 mg/kg ± titrations 2 à 3 mg/cinq minutes). Pendant
va stimuler les fibres musculaires lisses urétérales respon- la grossesse ou en cas de contre-indications aux AINS, la
sables de la production d'acide lactique stimulant les fibres méthylprednisolone (0,05 mg/kg/j) associée au paracétamol
nociceptives. L'ensemble de ces mécanismes aboutit à une est une alternative thérapeutique. Chez l'IRC, paracétamol et
violente douleur [8]. morphiniques titrés seront utilisés d'emblée.
La clinique est variable selon que la colique néphrétique La restriction hydrique est inutile, en revanche, la bois-
est simple ou compliquée. son est conseillée.
Si une colique néphrétique simple peut être gérée en
Colique néphrétique simple ambulatoire, devant une colique néphrétique compliquée,
une hospitalisation et un avis urologique sont nécessaires et
La douleur est brutale, paroxystique, unilatérale lombaire
un drainage des voies excrétrices en amont de l'obstacle pos-
ou lombo-abdominale, avec irradiation antérieure descen-
sible. Une antibioprophylaxie probabiliste à large spectre sera
dante vers les organes génitaux externes (douleur projetée).
prescrite en urgence devant une colique néphrétique fébrile.
Il n'existe pas de position antalgique. Il peut cependant y
avoir des phases de rémission spontanée.
Des signes d'accompagnement sont fréquents : nausées, Crise douloureuse drépanocytaire
vomissements, iléus en raison d'une irritation péritonéale.
Des signes urinaires peuvent coexister : pollakiurie, douleur Les douleurs de la drépanocytose, maladie génétique
vésicale, hématurie le plus souvent microscopique (bande- chronique grave liée à une anomalie de structure de
lette urinaire). L'état général est conservé et il n'existe ni l'hémoglobine sont traitées au chapitre 30 de cet ouvrage.
316   Partie 5. Douleur selon le contexte

Nous envisagerons donc uniquement la prise en charge ■ le diagnostic et la prise en charge médicamenteuse de
antalgique de la crise douloureuse aiguë. toute infection ;
La CVO, le STA, le priapisme et l'AVC sont des compli- ■ en présence d'anxiété majeure, les benzodiazépines
cations aiguës, constituent des urgences vitales ou fonction- seront discutées et l'hydroxyzine préférée ;
nelles et imposent l'hospitalisation. ■ la prise en charge des troubles du sommeil ;
Certains éléments favorisent l'apparition de la crise : ■ éviter absolument l'application de froid, la corticothéra-
infection, transfusion récente, déshydratation, exposition pie, les AINS si problème infectieux, pas de transfusion
au froid, apnée du sommeil, consommation de drogues sans avis spécialisé.
et d'alcool, altération et troubles du sommeil, stress. Par Parallèlement, dès l'arrivée, après évaluation de la dou-
ailleurs, les douleurs itératives réduisent notablement la leur (EN) et prise en charge psychologique, une analgésie
qualité de vie, en raison du retentissement social, familial multimodale associera :
(conflits), professionnel (travail précaire et parfois inadap- ■ MEOPA : débit adapté à la ventilation du patient, objectif
tation du poste de travail et absences répétées) ou scolaire double : prise en charge de la douleur et facilitation pour
(absences répétées, incompréhension des camarades de l'accès à l'abord veineux. Renouvelable 30 à 60 min trois à
classe et du système scolaire), dont la conséquence est un quatre fois par jour ;
plus grand nombre de crises. Chaque nouvelle crise est une ■ Paracétamol intraveineuse : 1 g/6 heures, sauf contre-
source d'anxiété majeure pouvant évoluer vers l'angoisse et indications (allergie, insuffisance hépatique) ;
la dépression. Des angoisses de mort liées à la fulgurance ■ kétoprofène intraveineuse : perfusion 100 mg/8 heures,
et l'intensité de la douleur physique et morale, à la sensa- sauf contre-indications (allergie, sepsis, insuffisance
tion d'abandon et à la possible perte d'un proche dans ce rénale, déshydratation, grossesse) ;
contexte de pathologie familiale peuvent survenir. ■ néfopam intraveineuse : perfusion 20 mg initialement,
La CVO, responsable de douleurs articulaires ou osseuses puis relais 120 mg/24 heures, sauf contre-indications
très intenses est la première cause d'hospitalisation en (allergie, épilepsie non contrôlée, prostate) ;
urgence. ■ si douleur supérieure à 6 : morphine (0,1 mg/kg ± 2 à
Les douleurs multiples touchent le plus souvent les os 3 mg/5 min) ou oxycodone en prenant en compte l'auto-
longs, le rachis, le bassin, le thorax et l'abdomen. La fré- médication antérieure du patient. Le relais sera pris par
quence des crises douloureuses abaisse le seuil de sensibilité PCA (bolus : 1 à 2 mg ; période réfractaire : cinq minutes ;
à la douleur avec des risques de plasticité neuronale pouvant pas de dose maximum quatre heures) ;
évoluer vers une chronicisation de la douleur. ■ kétamine : si les doses d'opioïdes sont supérieures à 20 mg
Une prise en charge efficace [10] s'appuie sur l'évalua- et patient non soulagé : 0,1 mg/kg en intraveineuse lente
tion fréquente de la douleur. Elle peut être rendue difficile ± réinjection 0,05 mg/kg/15 à 20 min après, sauf contre-
pour plusieurs raisons : doute sur la réalité de la douleur indications (allergie, maladie hypertensive décompensée,
liée à la représentation soignante erronée de cette mala- porphyrie) puis relais 50 mg/24 heures ;
die chronique, intensité de douleur importante sans lésion ■ amitriptyline intraveineuse si les traitements précédents
visible (ischémie), état d'hyperalgésie lié à la répétition de sont insuffisants : 25 mg en 30 minutes (surveiller inter-
la douleur depuis l'enfance, contexte anxieux induit par valle QT à l'ECG).
la douleur, la crainte du diagnostic et les conséquences Si le patient n'est pas suffisamment soulagé, les para-
socio-professionnelles. mètres de la PCA seront modifiés et un débit continu de 1 à
L'écoute, l'empathie et l'évaluation de l'anxiété sont donc 2 mg/heure sera ajouté.
primordiales. La prise en charge de cette anxiété permettra Si l'accès veineux est impossible : MEOPA et paracétamol
également d'éviter une majoration de la douleur. 1 g, kétoprofène LP 100 mg et néfopam 20 mg per os. Puis,
L'importance des douleurs impose une prise en charge en fonction de la douleur, associer morphine ou oxycodone
rapide et des traitements de court délai d'action. Un abord à action rapide (0,3 mg/kg) puis amitriptyline 25 mg.
veineux est donc indispensable. Du fait de la chronicité de la La surveillance sera clinique et régulière : efficacité anal-
pathologie justifiant des injections répétées, le réseau veineux gésique, échelle de sédation, fréquence respiratoire, tolé-
est souvent altéré, compliquant la prise en charge. Il est décon- rance des traitements (nausées, vomissements, prurit).
seillé de rechercher une voie veineuse au niveau des membres Face à une situation d'échec de l'analgésie, un traitement
inférieurs (risque spécifique de thrombophlébite et d'ulcère). médical plus lourd et une surveillance monitorée seront ins-
En conséquence, la pose d'une voie veineuse centrale peut taurés dans la salle d'accueil des urgences vitales.
être indispensable. La pose ultérieure d'un site implantable Les critères de gravité seront recherchés : signes respiratoires,
doit être envisagée. Si un site implantable est en place, il doit neurologiques avec altération de la conscience, fièvre supérieure
être utilisé d'emblée lors de la prise en charge du patient. à 39 °C, signes d'intolérance d'une anémie aigue, signes de
La CVO peut être aggravée par certains facteurs : froid, défaillance hémodynamique, défaillance viscérale [11].
déshydratation, hypoxie, infection et insomnie. La préven- La complication grave de la crise drépanocytaire qu'il
tion passe donc dès l'accueil par : faut savoir dépister est le STA qui associe toux, fièvre,
■ la non-exposition au froid (transferts intrahospitaliers), dyspnée aiguë, expectoration, douleur thoracique, res-
chauffage de la chambre, réchauffement du patient (cou- piration superficielle, difficulté à parler, fréquence supé-
vertures et application locale de chaud) ; rieure à 30 ou inférieure à 10/min, hypoxémie inférieure
■ l'hydratation (+++) par voie intraveineuse et orale ; à 60 mmHg en l'absence de surdosage médicamenteux,
■ l'oxygénothérapie systématique avec un objectif SpO2 troubles de la conscience. Le patient sera alors pris en
supérieur à 97 % ; charge en réanimation.
Chapitre 47. Douleurs aiguës médicales et urgences    317

En conclusion, nous retiendrons l'importance de la cli- [3] Motov S, Strayer R, Hayes BD, Reiter M, Rosenbaum S, Richman M,
nique et la connaissance de la physiopathologie dans l'élabo- et al. The Treatment of Acute Pain in the Emergency Department :
ration du diagnostic d'une douleur aux urgences. L'analgésie A White Paper Position Statement Prepared for the American Aca-
demy of Emergency Medicine. J Emerg Med 2018 ; 54 : 731–6.
sera d'abord symptomatique, multimodale, précoce, adaptée
[4] Raphaël M, Valeri ML. Prise en charge d'une douleur thoracique aux
à l'intensité douloureuse puis étiologique dès le diagnostic urgences. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine d'urgence,
établi. Elle fera appel aux thérapeutiques médicamenteuses 25-020-B-10.
mais également aux moyens non médicamenteux. La com- [5] Staeger P, Meier F, Fishman D, Grosgurin O. La douleur thoracique.
posante anxieuse de la douleur sera réduite par une attitude Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 997–1004.
empathique du personnel soignant. Le tri par une infirmière [6] Aurel M, Hue V, Martinot A. Douleurs abdominales aiguës non trau-
d'accueil et d'orientation facilitera une analgésie précoce. matiques de l'enfant. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine
Enfin, l'élaboration de protocoles antalgiques permettra d'urgence, 25-140-F-10.
une prise en charge adaptée et rapide dans un contexte d'ur- [7] Oulhaci de Saussure W, Andereggen E, Sarasin F. Quand référer aux
gences surpeuplées. urgences un patient présentant des douleurs abdominales ? Rev Med
Suisse 2010 ; 6 : 1546–9.
[8] Balssa L, Kleinclauss F. Prise en charge des coliques néphrétiques
aiguës. Progrès en Urologie 2010 ; 20 : 802–5.
Références
[9] Boubaker H, Boukef R, Claessens YE, Bouida W, Grissa MH,
[1] Tcherny-Lessenot S, Karwowski-Soulié F, Lamarche-Vadel A, ­B eltaief K, et al. Phloroglucinol as adjuvant analgesic to treat renal
­Ginsburg C, Brunet F, Vidal-Trecan G. Management and relief of pain colic. J Emergency Med 2010 ; 28 : 720–3.
in an emergency department from the adult patients' perspective. [10] http://www.chu-toulouse.fr/-protocoles-et-procedures-pour-traiter-
J Pain Symptom Manage 2003 ; 25 : 539–46. la-douleur. [CLUD 56].
[2] Olivier M. De la douleur de l'urgence à l'urgence de la douleur ! [11] https : //www.has-sante.fr/portail/upload/.../ald_10_guide_­
­Médecine & Culture 2016 ; 14 : 21–32. drepanoadulte_web.pdf.
Chapitre
48
Douleurs aiguës
chez un douloureux chronique
Georges Daccache

PLAN DU CHAPITRE
Douloureux chronique : un patient Stratégie thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320
vulnérable à la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319

sont proposés, même ceux considérés comme les plus puis-


POINTS ESSENTIELS sants, à savoir les opioïdes. La persistance de la douleur en
Vulnérabilité à la douleur, prise en charge multidisciplinaire, fait une véritable maladie chronique qui s'accompagne d'un
analgésie multimodale de première intention précoce et cortège de symptômes comme les troubles de l'humeur, du
énergique, traitement opioïde de recours. sommeil et d'une fatigue [2]. Ces symptômes sont éminem-
ment modulés par les facteurs environnementaux, culturels,
cognitifs et sociaux et traduisent la fragilité psychologique
La prévalence de la douleur chronique dans la population du douloureux chronique. L'anxiété, la dépression, le catas-
générale (10 à 50 %) concerne un nombre considérable de trophisme et les troubles cognitifs sont très fréquents dans
personnes. Elle est un peu plus élevée chez la femme et ce contexte et constituent des facteurs de risque de douleur
augmente avec l'âge [1]. Cette définition épidémiologique aiguë plus intense et de chronicisation des douleurs post-
regroupe des entités extrêmement différentes sur le plan chirurgicales identifiés dans plusieurs études. [3].
physiopathologique et il est difficile de recommander une La prévalence de la dépression dans la douleur chronique
attitude univoque qui s'applique à toutes les situations. En est très supérieure à celle de la population générale et varie
effet, les mécanismes qui sous-tendent la douleur chronique selon les études de 30 à 100 %. Le lien de causalité entre
d'entités cliniques aussi variées que le cancer, les lombal- dépression et douleur n'est pas simple car la symptomato-
gies chroniques, la fibromyalgie, le syndrome douloureux logie douloureuse aussi est très fréquente chez les patients
complexe régional ou la douleur chronique post-chirurgi- dépressifs et décrite généralement comme plus intense et
cale sont multiples et nécessitent des approches différentes. plus longue.
Toutefois, des lignes générales peuvent être adoptées quant L'importance de la composante cognitivo-émotionnelle
à la conduite à tenir face à des situations de douleur aiguë dans la douleur chronique est illustrée aussi par les études
chez ces patients. Elles sont fondées sur les connaissances d'imagerie cérébrale qui montrent une plus grande implica-
actuelles des modifications physiopathologiques globales tion du cortex préfrontal par rapport aux zones impliquées
dans la douleur chronique et traitent des situations de dou- dans la sensori-discrimination et l'intensité douloureuse
leur aiguë intercurrente, ne faisant pas partie de l'évolution (cortex somesthésique, thalamus et cingulaire antérieur) [4].
paroxystique de la maladie sous-jacente (accès paroxystiques Face à l'agression physique et psychologique que repré-
du cancer, poussées de maladies inflammatoires chroniques, sente un épisode douloureux aigu (intervention chirur-
syndrome de l'intestin irritable, etc.) qui seront traitées dans gicale, traumatisme, acte diagnostique), le douloureux
les chapitres qui leur sont consacrés dans cet ouvrage. chronique est donc plus vulnérable. Cela veut dire qu'il
risque de développer une douleur plus intense et plus pro-
longée qu'un patient naïf de douleur, même si le trauma-
Douloureux chronique : un patient tisme siège à distance du site douloureux habituel, et ce quel
vulnérable à la douleur que soit le type de douleur chronique. Par exemple, chez des
patients fibromyalgiques, la douleur et la consommation de
Vulnérabilité psychologique morphine postopératoires étaient d'autant plus importantes
Le patient douloureux chronique est par définition insuf- qu'ils avaient un score élevé à l'échelle de diagnostic et de
fisamment soulagé par les traitements antalgiques qui lui sévérité de la fibromyalgie [5].
Médecine de la douleur pour le praticien
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320   Partie 5. Douleur selon le contexte

Vulnérabilité physique Identifier le douloureux chronique


Du fait de l'augmentation de la prévalence avec l'âge, plu- Cela doit se faire dès sa prise en charge dans la structure
sieurs études ont montré que les patients douloureux chro- hospitalière ou dès la consultation d'anesthésie mais aussi
niques avaient des comorbidités associées plus fréquentes. tout au long de son séjour. Cela fait partie des recommanda-
Dans une large étude néozélandaise récente, 25 % des tions actualisées de la SFAR [9]. Le médecin en charge doit
douloureux chroniques avaient plus de deux comorbidités rechercher la présence de douleurs chroniques, y compris
avec deux à cinq fois plus de risque d'atteinte cardiovascu- en dehors du site opératoire, identifier leurs caractéristiques
laire, respiratoire, de diabète ou d'insuffisance hépatique ou (type, intensité, localisation, durée), rechercher les facteurs
rénale [6]. Cela rend compte, d'une part, de l'impact de ces psychiques, associés notamment à l'anxiété qui doit être
comorbidités sur la condition physique et la qualité de vie et, évaluée par une échelle adaptée (Amsterdam Preoperative
d'autre part, de la difficulté de traiter la douleur du fait de la Anxiety and Information Scale [APAIS] ), la dépression
polymédication et des comorbidités associées. ou les conduites addictives, la prise de traitements antal-
Beaucoup de patients douloureux chroniques sont traités giques et co-antalgiques (antispasmodiques etc.), en parti-
par opioïdes au long cours. La prise prolongée d'opioïdes culier les opiacés. Celle-ci est de plus en plus fréquente en
est responsable de phénomènes de tolérance mais surtout préopératoire.
d'un abaissement du seuil douloureux qui se traduit, par
exemple lors d'une chirurgie, par une hyperalgésie pré- et Gestion du traitement préopératoire
postopératoire avec des scores de douleurs plus élevés et
plus prolongés et un risque plus élevé de développer des Il est recommandé de poursuivre le traitement antalgique
douleurs chroniques post-chirurgicales [7]. Cette hyperal- préopératoire jusqu'au matin de l'intervention sans modi-
gésie induite par les opioïdes est dose-dépendante et peut fication. L'interruption inadaptée peut conduire à des
apparaître dès les plus faibles doses. Dans ce cas, l'augmen- syndromes de sevrage. Si la voie orale est compromise, les
tation des doses d'opioïdes risque d'aggraver cette hyperal- opiacés seront remplacés par la dose équi-analgésique de
gésie. Le recours aux opioïdes ne doit pas être systématique morphine intraveineuse. Les gabapentinoïdes et les antidé-
mais réfléchi et contrôlé [8]. presseurs donnés pour des douleurs neuropathiques seront
poursuivis jusqu'au matin de l'intervention et repris le plus
tôt possible par voie orale. De même que les antispasmo-
Stratégie thérapeutique diques et les benzodiazépines.
La survenue ou la perspective d'un événement douloureux
aigu chez un douloureux chronique nécessite une interven- En per- et postopératoire : privilégier
tion rapide et énergique afin de ne pas déstabiliser une situa- l'analgésie multimodale
tion déjà fragile et d'installer durablement le patient dans Associant les anti-inflammatoires (AINS, anti-inhibiteurs
une situation encore plus grave. Pour cela, une coopération sélectifs de la cyclooxygénase 2 [COX-2], dexaméthasone),
étroite entre le médecin traitant et les différents acteurs de le paracétamol, les antihyperalgésiques comme le néfopam,
soins impliqués est indispensable. le protoxyde d'azote, et la kétamine à faible dose (antagoniste
L'analgésie doit être multimodale afin de n'avoir qu'un des récepteurs NMDA) qui a montré son intérêt à court et à
recours le plus limité possible aux opioïdes. Elle doit être long termes. Un traitement énergique sur les premiers jours
rapide pour ne pas laisser le temps à la douleur et son cortège postopératoires (ne dépassant pas cinq-sept jours, ce qui
émotionnel de s'installer durablement. Elle doit prendre en relativise les contre-indications) permettrait de bloquer le
compte tous les aspects de la douleur, y compris les aspects cercle vicieux de la douleur qui entretient la douleur.
psychosociaux (au premier plan ici) et la qualité de vie. En effet, les mécanismes de la douleur aiguë, y compris
Pour illustrer concrètement ces propos, nous allons chez le douloureux chronique, mettent jeu une hypersensi-
prendre le cas d'une intervention chirurgicale programmée bilisation périphérique des nocicepteurs, médiée avant tout
chez un patient douloureux chronique. par l'inflammation locale dans laquelle l'activation de la
COX-2 joue un rôle primordial. De plus, cette enzyme est
surexprimée aussi au niveau central (corne dorsale de la
Optimiser le traitement antalgique moelle) participant à la sensibilisation centrale (hyperalgésie
avant l'intervention à distance de la cicatrice et allodynie). La surexpression de
L'intensité de la douleur préopératoire est en soi un facteur la COX-2 convertit aussi les endocannabinoïdes en prosta-
de risque de douleur intense postopératoire et de chroni- noïdes, privant ainsi de leur effet analgésiant. Le paracétamol
cisation de la douleur. Avant d'envisager une intervention, de son côté rétablit en partie leur activité en bloquant leur
le traitement de la douleur chronique doit être optimisé en dégradation. L'activation du récepteur NMDA joue un rôle
s'aidant d'avis spécialisés afin d'avoir la douleur préopéra- majeur dans l'exacerbation de la douleur et dans sa pérenni-
toire la plus faible possible. Le moment de l'intervention sation. Cette activation se produit quand l'influx provenant
doit être retardé si besoin pour permettre aux symptômes de de la périphérie est intense ou lorsque l'inflammation cen-
s'amender (poussée inflammatoire, syndrome douloureux trale (médiée par l'activation des cellules gliales) sensibilise
régional complexe [SDRC] en voie de guérison, etc.). le récepteur NMDA en abaissant son seuil d'activation [10].
Chapitre 48. Douleurs aiguës chez un douloureux chronique     321

Un autre pilier de l'analgésie multimodale, à utiliser chaque Traitements non médicamenteux


fois que possible dans ce contexte, est représenté par l'analgé- Ils sont tout aussi importants que les médicaments. Les soins
sie locorégionale. Celle-ci consiste à injecter un anesthésique périopératoires chez ces patients vulnérables ne doivent pas
local de longue durée d'action (ropivacaïne, bupivacaïne ou se limiter aux traitements médicamenteux. L'accompagne-
lévobupivacaïne) directement ou via un cathéter (périnerveux, ment thérapeutique par des explications sur les soins et
péridural ou intracicatriciel) afin de bloquer les afférences leurs objectifs, le renforcement positif, la réhabilitation pré-
douloureuses périphériques intenses et limiter ainsi l'activation coce de l'alimentation et de la marche, le respect de l'inti-
des récepteurs NMDA et l'exacerbation de la sensibilisation mité, du confort et des cycles de veille-sommeil, la reprise
centrale qui s'ensuivrait. Les cathéters périnerveux peuvent rapide des traitements antidépresseurs et anxiolytiques ; tout
être laissés en place plusieurs jours ou même poursuivis à cela est important pour passer le cap de l'épisode aigu, sans
domicile jusqu'à diminution de l'inflammation périphérique. percevoir de dégradation dans l'état initial ni dans la qualité
D'autres thérapeutiques sont utilisées au quotidien et de vie.
ont montré une certaine efficacité sans que pour le moment
on puisse émettre des recommandations formelles quant à
leur utilisation. Il ne faut pas les négliger lors de difficul- Références
tés de traitement chez le douloureux chronique. Il s'agit de
[1] Harstall C. How Prevalent is Chronic Pain ? In : IASP Pain Clinical
la lidocaïne intraveineuse continue, en particulier lors de Updates ; 2003. p. 1–4. XI.
la chirurgie abdomino-gynécologique ou du rachis ou de [2] Miller LR, Cano A. Comorbid Chronic Pain and Depression : Who is
la dexmédétomidine (un alpha-2 agoniste) qui ont montré at Risk ? J Pain 2009 ; 10 : 619–27.
une certaine diminution des douleurs postopératoires ou un [3] Hinrichs-Rocker A, Schulz K, Järvinen I, Lefering R, Simanski C,
effet d'épargne morphinique [11]. Neugebauer EA. Psychosocial predictors and correlates for chronic
post-surgical pain (CPSP) – a systematic review. Eur J Pain 2009 ;
13(7) : 719–30.
Ne pas réveiller la douleur lors des soins [4] Apkarian VA, Bushnell MC, Treede R, Zubieta JK. Human brain
Une attention particulière doit être accordée aux soins postopé- mechanisms of pain perception and regulation in health and disease.
ratoires et tous les moyens qui permettent d'en limiter la douleur Eur J Pain 2005 ; 9 : 463–84.
doivent être soigneusement planifiés et utilisés. Qu'il s'agisse de [5] Janda AM, As-Sanie S, Rajala B, Tsodikov A, Moser SE, Clauw DJ,
l'anticipation des doses antalgiques, de l'utilisation d'un bolus et al. Fibromyalgia Survey Criteria Are Associated with Increased
Postoperative Opioid Consumption in Women Undergoing Hysterec-
d'anesthésique local ou du MEOPA, mais aussi de l'utilisation
tomy. Anesthesiology 2015 ; 122 : 1103–11.
de l'hypnose, tout doit être fait pour éviter qu'une douleur aiguë [6] Dominick CH, Blyth FM, Nicholas MK. Unpacking the burden :
ne conduise inutilement à l'escalade thérapeutique. Understanding the relationships between chronic pain and comorbi-
dity in the general population. Pain 2012 ; 153 : 293–304.
Traitement opioïde [7] Chapman CR, Davis J, Donaldson GW, Naylor J, Winchester D.
Posto­perative Pain Trajectories in Chronic Pain Patients Undergoing
Malgré les multiples possibilités offertes, il peut être néces- Surgery : The Effects of Chronic Opioid Pharmacotherapy on Acute
saire parfois de recourir à une instauration ou une augmen- Pain. J Pain 2011 ; 12(12) : 1240–6.
tation du traitement opioïde préexistant. Celle-ci doit être [8] Lee HJ, Yeomans DC. Opioid induced hyperalgesia in anesthetic set-
titrée, adaptée à la situation (soins, mobilisation) de manière tings. Korean J Anesthesiol 2014 ; 67 : 299–304.
à utiliser la dose efficace, la plus faible. L'augmentation de la [9] Aubrun F, Nouette-Gaulain K, Fletcher D, Belbachir A, Beloeil H,
dose journalière des opioïdes doit s'accompagner d'une Carles M, et al. Réactualisation de la recommandation sur la douleur
surveillance accrue des effets secondaires. En effet, la tolé- postopératoire. Anesth Reanim 2016 ; 2 : 421–30.
[10] Vocopoulos C, Lema A. When does acute pain become chronic ? Br J
rance aux effets des opioïdes est différentielle ; elle peut être
Anaesth 2010 ; i69–85. S1.
importante concernant leur effet analgésique mais faible [11] Turgut N, Turkmen A, Gökkaya S, Altan A, Hatiboglu MA. Dexme-
en ce qui concerne les effets respiratoires ou nauséeux. Un detomidine-based versus fentanyl-based total intravenous anesthesia
patient sous traitement opioïde chronique doit être consi- for lumbar laminectomy. Minerva Anesthesiol 2008 ; 74 : 469–74.
déré comme à risque accru de dépression respiratoire lors de [12] Hayhurst C, Durieux M. Differential Opioid Tolerance and Opioid-
l'augmentation des doses. L'oxygénothérapie et la surveil- induced Hyperalgesia. A Clinical Reality. Anesthesiology 2016 ; 124 :
lance de la fréquence respiratoire seront systématiques [12]. 483–8.
Chapitre
49
Douleur en soins palliatifs
Vianney Mourman, Mathilde Duval, Marie-Emmanuelle Géraud

PLAN DU CHAPITRE
Concept de médecine palliative . . . . . . . . . . . . 323 Aspect déontologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 326
Concept de douleur totale . . . . . . . . . . . . . . . . 324 Pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 328

La douleur en médecine palliative est fréquente. Sa compo- lui-même et son entourage et lui-même sont confrontés.
sante somatique n'est que la partie émergée de l'iceberg de Accepter les contingences, la réalité de ce que peuvent pro-
ce que le patient est amené à endurer au long de la maladie poser ces soins et arrêter de les investir d'objectifs inattei-
grave. Nous proposons dans ce chapitre d'éclairer le lecteur gnables permettraient sûrement de diminuer la frustration
sur la notion de médecine palliative et de définir ce qu'est et la déception de ceux qui seront acteurs ou témoins de
la douleur totale dans un contexte de soins palliatifs. Nous cette fin de vie perçue comme imparfaite. Trop souvent
aborderons aussi les aspects déontologiques spécifiques à la enfermés dans l'idée qui se résume à ce que disait Thérèse
douleur en fin de vie. Pour conclure, nous verrons comment Vannier : « C'est tout ce qui reste à faire quand il n'y a plus
la prise en charge du patient en fin de vie doit être intégrée rien à faire », les soins palliatifs visent plutôt à promouvoir
dans une approche globale de l'antalgie développée dans cet un bien-être pour le patient, sans nécessairement tenir
ouvrage. compte du stade d'évolution ou du pronostic de sa maladie.
Des soins palliatifs peuvent être envisagés tôt dans le
déroulement d'une maladie, sans pour autant être associés
Concept de médecine palliative à une notion de pronostic vital engagé à très court terme. Le
soin palliatif pourra alors être une étape dans le parcours du
Avant d'aborder la question même de la douleur, il nous malade qui ne sera pas pour autant exclu d'un éventuel pro-
parait nécessaire de mieux définir ce que sont les soins jet thérapeutique spécifique de sa maladie. On parle alors
palliatifs. Ils sont souvent perçus dans le monde soignant de soins palliatifs précoces. Il s'agit de proposer une aide au
comme le témoin d'un échec d'une médecine enseignée patient pour le décharger de ce qui le gêne au quotidien.
et pratiquée dans un paradigme du guérir. De nombreux Nous avons vu que les soins palliatifs ne se limitent pas à
préjugés entourent encore cette discipline, souvent pensée l'image d'Épinal d'un accompagnement du mourant. Dans
comme un soin compassionnel circonscrit à l'agonie immi- sa définition la plus récente, l'OMS [2] ouvre ainsi leurs
nente. Le soignant y accompagnerait alors le patient vers horizons à tous les patients atteints de pathologies potentiel-
une mort acceptée et apaisée. Si, bien sûr, cette issue est la lement mortelles. Développés initialement dans le contexte
fin à laquelle tous aspirent, elle ne reste pourtant, dans la de la cancérologie, les soins palliatifs peuvent s'envisager
majorité des cas, qu'un idéal. Dans la réalité mourir reste un précocement pour des patients atteints de maladies graves et
événement singulier, souvent triste, déchirant et symptoma- évolutives, pas nécessairement létales, qu'elles soient aiguës
tique (ne serait-ce que du fait de l'arrêt des fonctions vitales). ou chroniques. On peut ainsi citer les maladies neurodégé-
Certaines souffrances ne pourront être soulagées, quels que nératives, la polypathologie de la personne âgée, les insuffi-
soient les moyens mis en place. Il sera impossible pour bon sances d'organes et certaines maladies infectieuses comme
nombre de patients et leurs proches d'accepter cette fin. Le par exemple le VIH.
contraire ne serait-il d'ailleurs pas étonnant ou inquiétant ? S'appuyant sur une démarche diagnostique et thérapeu-
Malgré des soins prodigués avec attention et qualité, bon tique ayant comme objectif l'amélioration du confort du
nombre de familles et de soignants sont déçus lorsque le malade et de ses proches, les soins palliatifs dorénavant
décès survient : ils n'ont pas assisté à cette « mort heureuse » peuvent être caractérisés comme une discipline médicale
[1] qu'ils espéraient. Investis, à tort, de ces idéaux de mort à part entière : la médecine palliative. Celle-ci nécessite un
apaisée, souvent inaccessibles, les soins palliatifs n'ont pour- corpus de connaissances spécifiques et une réflexion origi-
tant pas vocation à rendre la mort acceptable ou heureuse. nale sur les tenants et aboutissants des actions proposées.
Ils ont surtout pour préoccupation d'améliorer la qualité de Visant un bien-être physique, psychique et social pour le
vie du patient et de lutter contre les souffrances auxquelles patient, elle s'inclut dans la définition OMS de la santé.

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 323
324   Partie 5. Douleur selon le contexte

Concept de douleur totale avec l'évolution de la maladie peuvent cacher une souf-
france psychique (ou l'inverse). Par exemple, la perte de
Cicely Saunders, pionnière des soins palliatifs modernes, poids ou l'asthénie rentrent dans la sémiologie des deux
a, très tôt, défini la notion de douleur ou souffrance totale entités.
(Total pain). Au décours de la maladie grave, le patient (et Pour affiner le diagnostic de souffrance psychique et
par extension son entourage) fait les frais, simultanément, de mieux adapter les thérapeutiques, il faudra souvent s'ap-
souffrances somatiques, psychiques, sociales et spirituelles. puyer sur l'expertise de psychologues ou de psychiatres.
Certaines échelles d'auto- ou hétéroévaluation et de dépis-
Souffrance physique tage peuvent aussi être utiles.
Le traitement, d'une façon schématique, s'appuie sur un
Dans ce modèle pluridimensionnel, si la douleur physique
soutien et un accompagnement du patient et de ses proches
est un élément invalidant important à prendre en compte et
lorsque la réaction présentée est adaptée à la situation. Il
à soulager, nombre d'autres souffrances physiques doivent
sera complété par des traitements psychiatriques (médica-
être dépistées, évaluées et traitées. Ainsi le malade peut
menteux ou psychothérapies) si le versant psychopatholo-
souffrir d'autres symptômes qu'il n'évoquera pas toujours
gique est avéré.
spontanément. De façon non exhaustive, ces symptômes
peuvent être :
■ généraux (fièvre, asthénie, troubles nutritionnels, bouche
sèche ou abimée, etc.) ; Souffrance sociale
■ respiratoires (dyspnée, toux rebelle, encombrement, L'intrusion de la maladie grave dans le quotidien d'une
hémorragies, etc.) ; personne a des répercussions sociales, tant au niveau de ses
■ digestifs (nausées, vomissements, hoquet, constipation, relations, de son autonomie que sur le plan pécuniaire.
occlusion, diarrhées, etc.) ; La maladie modifie le rôle et la place de la personne
■ génito-urinaires (dysurie, incontinence, troubles sexuels, malade dans la société, au sein de sa famille, de son envi-
etc.) ; ronnement amical ou professionnel. On pourrait citer, par
■ locomoteurs (handicaps, fractures, etc.) ; exemple, ce chef de famille qui devient dépendant et perd
■ neurologiques (convulsions, déficits, troubles cognitifs, sa posture ou cet enfant qui devient décisionnaire pour son
troubles de la conscience, troubles du comportement, etc.) ; parent malade.
■ dermatologiques (escarres, modification de la peau et des L'isolement est une véritable menace au long de la
phanères, etc.) ; maladie. Pour certains patients, bien insérés, on assiste
Pour chacun de ces symptômes invalidants, il faut cher- généralement à un resserrement des liens dans les pre-
cher les moyens pour permettre au patient de trouver un miers temps de la maladie, mais souvent ces liens se
équilibre confortable. Cela nécessite souvent de sortir des délitent avec le temps du fait d'une sorte d'usure, de
schémas de soin habituels (qui sont souvent orientés vers fatigue, de lassitude ou de peur de la part de l'entourage.
un objectif de guérison). L'évaluation repose sur l'interro- Pour d'autres, d'emblée très isolés, il va être très diffi-
gatoire, l'observation et l'examen clinique. Le confort ne cile de garder ou de tisser des liens du fait de la maladie.
peut être mesuré par des examens paracliniques : il s'agit L'adage : « Les malades font fuir les biens portants » pour-
avant tout d'un ressenti du patient, totalement subjectif par rait résumer ce constat. L'inverse est sûrement vrai aussi,
définition. Kafka écrivait : « les biens portants font fuir les malades »
Les traitements visent à soulager les symptômes d'inconfort [3], façon d'énoncer que la maladie peut inciter certains
et à en réduire, si possible, la cause. Dans une balance béné- patients à s'exclure d'une société dans laquelle ils ne se
fice/risque, ils feront abstraction du traitement de l'étiologie si reconnaissent plus.
celui-ci devait produire trop d'inconfort pour le patient.
80 % des Français veulent mourir chez eux mais seul
un quart y arrive.
Souffrance psychique Margaux Baralon. La Croix, 10 juin 2015

Par-delà la souffrance physique, la confrontation à la mala- Les symptômes physiques et psychiques, que provoque la
die grave a bien sûr des répercussions psychiques : confronté maladie, entraînent souvent une diminution de l'autonomie
à des émotions en lien avec la perte (qui engendre la tris- du patient. Il se pose alors différentes questions :
tesse), ou la peur, le malade peut développer des réactions ■ quelles sont encore ses possibilités d'indépendance, de
psychiques pouvant aller du normal au pathologique : mouvement ?
■ de la peur à l'anxiété, l'angoisse, voire l'effroi ; ■ pourrait-t-il encore rester à son domicile ?
■ de la tristesse à la dépression, voire la mélancolie. ■ de quelles aides aurait-il besoin ?
Faire un diagnostic précis quant à cette souffrance psy- ■ une institutionnalisation est-elle inévitable ?
chique est délicat. S'il est adapté d'être triste et d'avoir peur ■ qui entoure ce patient ?
face à la maladie grave accompagnée d'un pronostic incer- ■ y a-t-il des aidants naturels dans son entourage ? (et sont-
tain, il est inadapté (pathologique) d'avoir, par exemple tous ils si naturels ?) ;
les symptômes qui caractérisent une dépression (Manuel ■ les aidants sont-ils en mesure de prendre cette place
diagnostique des troubles mentaux [DSM-IV]). quand on sait qu'à domicile, un certain nombre de soins
L'évaluation de la détresse psychique est complexi- leur sont sous-traités (en particulier la surveillance et les
fiée par le fait que des symptômes physiques en lien changes en dehors du passage des soignants).
Chapitre 49. Douleur en soins palliatifs    325

La maladie provoque aussi des pertes de revenus, voire de un besoin inextinguible de trouver une explication rationnelle
nouvelles dépenses. L'arrêt maladie induit des rentrées d'argent aux événements auxquels il est confronté. Bien sûr les soi-
moindres, particulièrement chez les travailleurs indépendants. gnants n'ont pas de réponse évidente à ces questions : la mala-
Même si les prestataires sociaux ou assurances compensent en die, bien qu'on en connaisse parfois des facteurs de risque, se
partie ces pertes de revenus et prennent en charge financiè- déclare pour des raisons et à un moment imprévisibles. La
rement la majorité des soins, la maladie a un coût : certains mort est une inconnue que personne n'est revenue raconter...
médicaments ou dispositifs médicaux ne sont pas forcément Quand bien même le professionnel de santé serait en capacité
entièrement pris en charge. Il en va de même pour certaines de trouver pour lui-même des réponses de l'ordre de l'intime
aides humaines que le patient pourrait nécessiter à son domi- à ces différentes questions, que pourrait-il en transmettre à
cile et qu'il devra financer en partie. Qu'en est-il pour ceux ne autrui ? À défaut de pouvoir apporter des réponses au patient,
bénéficiant pas de prestations sociales ou d'assurances ? être disponible auprès de lui, le laisser formuler ses préoccu-
Le patient dans une situation palliative est donc confronté pations spirituelles, permet certainement aide et soutien.
à de nombreuses difficultés sociales qu'il va être nécessaire Certains systèmes de soin à travers le monde développent
d'appréhender. Les professionnels de santé sont peu aguerris des concepts de travailleurs spirituels. Ils pourraient accom-
à l'évaluation de ces problématiques. Dans un climat de sol- pagner le patient au long de la maladie. Il existe quelques
licitude envers la personne vulnérable qu'est le patient, alors publications et interventions sur le sujet. Il faudra du temps
que le système de soin tend, pour des raisons économiques, à pour en évaluer la valeur et la pertinence dans l'assistance
faire sortir le malade rapidement du lieu de soin, il est néces- apportée aux patients et à leur entourage.
saire d'apprendre à dépister les fêlures sociales. Cela permet-
tra d'éviter exclusion, paupérisation ou institutionnalisation Souffrances physique + psychique +
abusives. Un recours à une évaluation sociale de qualité est sociale + spirituelle = souffrance
primordial au long de la maladie grave afin de mettre en place
tous les supports sociaux dont la personne pourrait avoir existentielle ?
besoin : rencontre de bénévoles, prestations complémen- Lorsque le patient souffre dans son corps, dans son humeur,
taires, aménagement et organisation du domicile entre autres. dans sa relation à l'autre, à la société et/ou dans son âme,
il peut ne plus trouver de sens à sa vie. C'est ce que l'on
Souffrance spirituelle pourrait appeler la souffrance existentielle, celle qui fait
que certains patients souhaitent mourir ou tout au moins
« L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; ne plus vivre cette vie (ou survie) qui n'est que mal-être. La
mais c'est un roseau pensant. » [4] écrivait Blaise Pascal. souffrance existentielle est le terreau de la demande d'eutha-
Courbé par la maladie et son cortège de souffrances phy- nasie, de suicide assisté ou encore de sédation profonde et
siques, psychiques et sociales, l'être humain, défini par sa continue maintenue jusqu'au décès (seule entité que la loi
capacité à penser, est atteint dans sa spiritualité. Sa patho- française autorise à ce jour).
logie, lui faisant perdre son fantasme d'immortalité, le Il n'est pas question ici de militer pour ou contre la légi-
confronte à sa finitude et sa fragilité. On assiste souvent, timation ou la légalisation d'un de ces dispositifs. Il s'agit
lors de situations palliatives, à des remises en question spi- surtout de proposer une réflexion autour de cette souffrance
rituelles importantes de la part des patients. Ils vont alors existentielle. Elle existe et des demandes de mort sont for-
souvent se tourner vers leur foi et, parfois, solliciter les soi- mulées par certains patients lorsqu'ils la subissent. La pre-
gnants en évoquant leurs réflexions ou questionnements. mière étape de la réflexion du soignant, à qui cette demande
Chaque religion propose une doctrine susceptible d'aider est adressée, doit reposer sur une analyse méticuleuse des
ses fidèles à trouver des réponses, un soutien ou un espoir souffrances que le patient subit et qui l'amènent à ne plus
face à l'inconnu de la maladie et de la mort. Dans ce cha- avoir envie de vivre. Il existe souvent des moyens pour, si
pitre, nous n'aborderons pas les questions d'ordre théo- ce n'est les abolir, au moins les atténuer. Il serait dommage
logique entourant la question de la maladie ou de la mort que le patient n'ait pu en bénéficier, le poussant dans cet
qui relèvent d'autres disciplines que de la médecine. En extrême. Ces moyens reposent sur une évaluation des dif-
pratique, il est utile de repérer au chevet du patient les élé- férents signes et symptômes d'inconfort ressentis par le
ments permettant d'orienter vers une pratique religieuse et patient et sur les traitements et soutiens qui peuvent lui être
de proposer l'intervention d'un représentant de son culte. Il proposés. Cela nécessite d'avoir des professionnels de santé
n'est bien sûr pas question de l'imposer ou de le solliciter formés et entraînés à cela, ce qui n'est pas le cas.
sans demander au préalable l'accord du malade. On peut
rappeler l'importance pour le professionnel de santé de ne
pas se substituer aux aumôniers des différents cultes pour Souffrance réfractaire
éviter la confusion des rôles. Cela lui permettra de préser- Parfois, malgré tous les moyens employés, rien ne peut
ver sa posture de soignant. Que comprendrait le patient s'il soulager le patient : sa souffrance sera alors qualifiée de
était confronté à un discours schizophrénique du soignant réfractaire.
mélangeant données scientifiques et interventions divines ? Si le patient en fait la demande, et sous réserve de cer-
En dehors des sollicitations d'ordre religieux, les soignants taines conditions qu'il devra remplir (maladie incurable,
sont régulièrement interpellés par les patients quant à leurs pronostic engagé à court terme, décision d'arrêt de traite-
interrogations sur le sens de la maladie, le sens de leur vie ou ment, souffrance réfractaire présente ou induite par un arrêt
encore sur ce qu'est la mort. Ces patients aimeraient trouver de traitement) et de la validation par une procédure collé-
des réponses : l'être de pensée, qu'ils persistent à être, garde giale, il pourra être rendu inconscient, ses traitements de
326   Partie 5. Douleur selon le contexte

maintien en vie arrêtés (y compris alimentation et nutrition) protègent les soignants en définissant un périmètre d'action
jusqu'à son décès. Il s'agit alors d'une sédation profonde et précis. Elles les autorisent, par exemple, à prendre certains
continue maintenue jusqu'au décès. risques pour mieux soulager la douleur (ou tout autre symp-
Ce dispositif peut répondre à une souffrance existen- tôme) d'un malade dans certaines conditions.
tielle réfractaire. Il n'est pas toujours souhaité par le patient,
même si bon nombre vont l'évoquer de façon anticipée Historique de la loi
pour se garantir qu'ils auront cette solution si la situation
leur devenait insupportable. Pensée comme un geste médi- En France, jusqu'à la fin des années 1990, il n'existait pas de
cal réalisé dans l'intention de soulager le patient et non pas législation concernant la fin de vie. La loi définissait la mort
pour donner la mort, cette sédation est lourde de sens et de (par arrêt cardiocirculatoire et encéphalique). Caricatura-
conséquences : le patient qui était conscient ne pourra plus lement, elle incitait le praticien, dans une pensée médicale
interagir jusqu'à son décès. Il faudra veiller à être sûr que toute puissante, à utiliser tous les moyens à disposition pour
cette sédation, si elle doit être engagée réponde bien à une que le patient survive. En plus d'être toute puissante, la pen-
souffrance réfractaire et non pas à une souffrance insuffi- sée médicale était aussi paternaliste : le patient n'avait pas ou
samment prise en charge. peu son mot à dire quant aux choix thérapeutiques, le méde-
cin décidant en « bon père de famille 4» ce qu'il considérait
être le mieux en termes de soins ou d'actions à réaliser. Il
En résumé, pour tenter de soulager une devait tout faire pour arriver à convaincre (contraindre) le
douleur (totale) en soins palliatifs patient à les accepter. Et celui-ci devait s'y soumettre. La
Nous avons vu que la douleur totale à laquelle est confronté souffrance que le malade pouvait endurer ou qui était pro-
le patient en soins palliatifs est une entité complexe. Pluri- voquée par les soins n'était pas au premier plan des priorités
factorielle, elle concerne des champs tant médicaux que psy- médicales. Limiter ou arrêter un traitement était alors consi-
chosociaux et spirituels. déré pénalement comme un homicide. Il en allait de même
La conduite à tenir face à cette souffrance globale consiste si un patient venait à décéder du fait de traitements mis en
à réaliser, dans un premier temps, une évaluation rigou- place pour le soulager.
reuse de la situation du patient : essayer de comprendre Bien sûr, les professionnels de santé savaient s'arrêter
ce qui peut le gêner, ses tourments et ses aspirations. Il ne lorsque les soins invasifs qu'ils pouvaient mettre en place
faudra pas hésiter à solliciter différents corps de métiers : ou prolonger n'apportaient plus qu'inconfort et ne permet-
psychiatres, psychologues, stomathérapeutes, diététiciens, taient qu'une survie sans vrai bénéfice pour les patients. De
ergothérapeutes, kinésithérapeutes, assistants sociaux, etc. leur propre chef, ils arrêtaient les traitements sans pouvoir
Ensuite, en s'appuyant sur les informations recueillies, une l'assumer ouvertement. Clandestines, ces décisions et leur
réflexion sur les avantages et inconvénients des différentes mise en pratique s'appuyaient sur leur propre subjectivité, ce
alternatives thérapeutiques possibles permettra d'aboutir à qui présentait un certain risque de dérive.
la définition d'un projet de soin le mieux adapté possible à À cette même époque, les médecins, confrontés aux souf-
ses besoins, attentes, désirs et envies. frances des mourants et se sentant impuissants à les soulager
Cette démarche d'évaluation et de proposition ne peut dans ces moments ultimes, ont imaginé une « potion » per-
s'appuyer que sur une logique d'interdisciplinarité : chaque mettant d'adoucir leurs fins de vie. Il s'agissait du fameux
professionnel, dans son domaine de compétence spécifique, Dolosal®, Largactil®, Phénergan® (DLP). Cette association
contribuera à l'évaluation la plus juste possible de ce que vit d'un opioïde, d'un neuroleptique et d'un barbiturique était
le patient. La mise en commun des informations collectées fortement sédative et permettait une mort plus apaisée. Insi-
et la discussion entre ces différents professionnels concer- dieusement, cette prescription s'est transformée en cocktail
nant la pertinence de chacun des actes envisageables aidera lytique, voué, lors de son utilisation, à accélérer la survenue
à définir au mieux les moyens à proposer au malade pour le du décès, sans que cela soit clairement évoqué. La clandesti-
soulager. Ce travail interdisciplinaire potentialise les exper- nité, là encore, régnait.
tises individuelles : chaque professionnel va enrichir et com- Une première loi relative à la fin de vie [5] a été votée
pléter la compétence de l'autre afin d'améliorer la prise en en 1999. Son texte en fait avant tout une loi d'intention : il
charge du patient. Cela permet également une valorisation introduit dans l'arsenal juridique français le droit pour tout
du travail de chacun et la diminution du risque d'épuise- patient dont l'état le requiert d'avoir accès à des soins pallia-
ment des soignants. tifs. Les soins palliatifs, qui jusqu'alors pouvaient être consi-
dérés comme accessoires et dépendaient de la motivation ou
de la bonne volonté des soignants, deviennent un impératif
Aspect déontologique dans la prise en charge du patient en fin de vie. Cette loi
va permettre de structurer l'organisation de cette discipline,
Pour les soignants, le « cadre déontologique » est souvent de faire rentrer leur enseignement dans le cursus de forma-
mal connu, voire pensé comme rébarbatif ou coercitif. tion des différents professionnels de santé et de définir clai-
Pourtant, les différentes lois promulguées concernant les rement le rôle des bénévoles d'accompagnement. Une des
soins palliatifs et la prise en charge de la douleur sont une conséquences de cette loi est la création ou le renforcement
aide précieuse pour les professionnels de santé. En première d'équipes, d'unités hospitalières et de réseaux ambulatoires
lecture, elles semblent contraindre les soignants en impo- de soins palliatifs, du fait de leur obligation devenue régle-
sant une obligation de moyen (pour soulager la souffrance
du patient). En y regardant de plus près, elles guident et 4
Code de déontologie médicale de 1947.
Chapitre 49. Douleur en soins palliatifs    327

mentaire dans les différents schémas régionaux de soin. La ■ une hiérarchisation dans le recueil des volontés du
« carotte » de l'accréditation (appelée aujourd'hui certifica- patient : les directives anticipées écrites sont prioritaires
tion) a ainsi incité un certain nombre d'institutions à la créa- sur le témoignage de la personne de confiance, ce témoi-
tion de telles structures. gnage étant lui-même prioritaire sur celui de la famille et
Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, fait voter des proches du patient ;
en 2002 une nouvelle loi [6] connue sous son nom, qui va ■ l'application de la théorie du « double effet [9] » dans le
modifier les fondements de la relation médecin-malade. soulagement de la souffrance.
En s'appuyant sur un principe d'autonomie, elle introduit Du fait d'un débat de société régulièrement relancé
la notion de consentement éclairé. Le médecin se voit désor- par d'autres affaires médiatisées (Chantal Sébire, Vincent
mais dans l'obligation d'informer le patient sur son état de Lambert, Docteur Bonnemaison, Marwa, etc.) et du fait
santé, sur l'évolution de sa pathologie et sur les avantages et d'un lobbying d'associations ou mouvements politiques
inconvénients des explorations et traitements qu'il peut lui souhaitant soit une légalisation de l'euthanasie ou du sui-
proposer. Le malade peut, une fois cette information loyale cide assisté, soit un retour en arrière sur les possibilités de
reçue, accepter ou non les soins qui lui sont préconisés. limitation ou d'arrêt de traitement, la loi a été remaniée en
La notion de personne de confiance apparaît dans cette 2016 [10]. Les principales modifications apportées par cette
loi. Ayant pris acte que les proches du patient ne sont pas nouvelle loi sont :
toujours en mesure de transmettre ses volontés, le législa- ■ l'obligation de moyen concernant le soulagement de la
teur a permis au patient de désigner une personne qui sera douleur (nous y reviendrons) ;
en mesure de faire connaître ses souhaits s'il n'était pas en ■ la caractérisation de l'alimentation et de l'hydratation
mesure de s'exprimer. Cette personne de confiance n'a pas artificielles comme des traitements qui peuvent être arrê-
vocation à parler en son nom propre ou encore à décider à tés ou ne pas être entrepris ;
la place du patient. ■ le caractère opposable des directives anticipées que le
Lors des débats ayant abouti à la ratification de la loi, le médecin est obligé de respecter, sauf urgence ou si elles
pouvoir de la famille et des proches du patient dans la prise ne s'avéraient pas adaptées à la situation présentée par
de décision a été discuté par les parlementaires. Il a été retenu le patient (sous réserve que leur caractère inadapté soit
de ne pas donner à l'entourage du malade la possibilité de confirmé par la réalisation d'une procédure collégiale) ;
décider afin qu'il ne porte ni culpabilité, ni responsabilité. ■ la disparition de la durée de validité des directives anti-
Suite à la très médiatisée « affaire Vincent Humbert », cipées (valables jusque-là trois ans) et de la désignation
jeune homme tétraplégique qui avait, dans une lettre adres- d'une personne de confiance (qui jusqu'alors n'était dési-
sée au président de la République, demandé à ce qu'on lui gnée que pour la durée d'une hospitalisation ou d'une
donne la mort, Jacques Chirac, constatant le vide juridique maladie) ;
entourant la fin de vie, a mandaté Jean Léonetti pour mettre ■ la possibilité de réaliser une sédation profonde et conti-
en place une commission de réflexion sur la fin de vie. Les nue maintenue jusqu'au décès à la demande du patient
propositions présentées dans le rapport de cette commission (déjà évoquée plus tôt dans ce chapitre).
vont être adoptées en 2005 à l'unanimité des deux chambres
et devenir ce qui est couramment appelé la « loi Léonetti » Éléments déontologiques à retenir
[7]. Cette loi introduit dans le droit français le principe du
« laisser mourir » : le praticien n'est plus obligé de tout faire concernant la prise en charge
pour maintenir le patient en vie lorsque sa situation est de la douleur en soins palliatifs
dépassée. Le préambule de la loi de 2016 affirme un droit à une fin de
Les principaux éléments introduits ou définis dans la loi vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible
sont alors : de la souffrance et insiste sur le fait que la souffrance doit
■ l'interdit de l'obstination déraisonnable qui consiste- être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte,
rait en des soins inutiles, disproportionnés ou n'ayant évaluée et traitée. La loi confirme ainsi une obligation de
comme effet que le seul maintien artificiel de la vie. La moyens pour aboutir à ce soulagement. Il s'agit bien d'une
loi ne pouvant déterminer dans chaque situation singu- obligation de moyens et non de résultat, le législateur ayant
lière où se situe la limite de l'obstination déraisonnable, bien conscience que la médecine du 100 % n'existe pas.
il sera nécessaire, pour chaque patient, de définir le seuil Assurer ce droit pour le patient à recevoir des traite-
à partir duquel le soin basculerait dans cette obstination ments et des soins visant à soulager la souffrance est un
déraisonnable [8] ; travail d'équipe. L'aide-soignante qui dépiste des allodynies
■ la possibilité pour le patient de refuser des traitements lors de la toilette ; l'infirmière, le kinésithérapeute et même
sous réserve qu'il dispose d'une information adaptée sur l'étudiant en médecine qui sont témoins ou évaluent les
les conséquences de son choix et d'un délai raisonnable douleurs ; ou encore le médecin qui évalue, prescrit ou réa-
pour réitérer sa décision, en toute connaissance de cause ; juste les traitements antalgiques : tous doivent être acteurs
■ les modalités de prise de décision pour le patient qui n'est de cette démarche de soulagement. Il s'agit, plus que d'une
pas en mesure de s'exprimer (procédure collégiale de responsabilité collective, d'un combat collectif. Beaucoup de
limitation ou d'arrêt de traitement) ; moyens simples peuvent permettre de soulager le patient,
■ les directives anticipées qui permettent au patient de encore faut-il faire une évaluation de qualité et avoir des
mettre par écrit ses volontés quant à d'éventuels arrêts ou connaissances thérapeutiques suffisantes : on évalue, traite
limitations de traitement ; et soigne bien que ce que l'on connaît.
328   Partie 5. Douleur selon le contexte

Il existe encore beaucoup de peurs et de résistances quant Il n'existe pas de différence dans la prise en charge des
à la mise en place et l'ajustement des traitements à visée douleurs somatiques entre les patients en soins palliatifs
symptomatiques. Les soignants hésitent à mettre en place et les autres. Ils présentent les mêmes mécanismes dou-
ces traitements, perçus comme secondaires car non cura- loureux. Les règles d'évaluation, les démarches diagnos-
tifs, par crainte qu'ils n'accélèrent la survenue du décès. Ils tiques et thérapeutiques développées dans cet ouvrage
préfèrent encore trop souvent laisser souffrir le patient que s'appliquent aussi bien à ces patients. Il faudra envisa-
de prendre ce risque. C'est pourquoi la loi de 2005 instaure ger la réflexion menant au traitement en y incluant une
le principe du double effet dans la prise en charge de la vision globale du patient tenant compte de la spécificité
souffrance en fin de vie. Le praticien peut mettre en place de sa pathologie. Il sera utile d'anticiper tant que possible
des traitements à visée antalgique (et sédative) même s'ils l'évolution prévisible de ses douleurs dont on sait qu'elles
peuvent avoir comme effet d'abréger la vie dans le but de vont se modifier du fait de l'évolution de la maladie cau-
répondre à la souffrance réfractaire. Le malade doit bien sûr sale. Il faudra aussi garder en tête de parfois s'autoriser
être informé des risques encourus. Avant leur mise en place, des risques plus importants, s'il n'y a pas d'autre moyen de
le soignant doit se questionner sur : soulager le patient.
■ l'intention de sa prescription : met-il en place ce trai-
tement pour soulager ? Dans ce cas, il est dans son bon
droit. Si son intention est de faire mourir le patient, alors, Références
il ne doit pas le faire ; [1] Camus A. La Mort heureuse. Paris : Gallimard ; 1971.
■ la proportionnalité de sa prescription : pour soulager [2] OMS. Soins palliatifs, https : //www.who.int/cancer/palliative/fr/.
le patient, existe-t-il un traitement qui pourrait avoir le [3] Ogien R. Mes mille et une nuits. In : La maladie comme drame et
même effet de soulagement avec un risque moindre ? comme comédie. Albin Michel ; 2017.
alors, il devrait choisir cet autre traitement. [4] Pascal B. Pensées. Fragment 347. Édition de Brunschvicg.
On imagine bien que cet article de loi a été pensé en [5] Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux
partie au regard des risques de dépression respiratoire sous soins palliatifs. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidText
e=JORFTEXT000000212121.
opioïdes (pourtant si rares quand ils sont bien utilisés) ou
[6] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et
d'une sédation. Son champ d'application est bien plus vaste. à la qualité du système de santé. https://www.legifrance.gouv.fr/
Ainsi le professionnel de santé sera amené à envisager des affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015.
traitements reconnus comme pouvant soulager le patient [7] Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la
mais présentant des risques importants. On peut citer par fin de vie. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JO
exemples les corticoïdes qui peuvent majorer un risque RFTEXT000000446240&categorieLien=id.
infectieux mais aussi lever une occlusion sur carcinose [8] Mourman V. De l'obstination déraisonnable. Fins de vie, éthique et
péritonéale, ou encore la noramidopyrine risquant de pro- société. Coordonné par Emmanuel Hirsch. ERES 2016 ; 788–95.
voquer une agranulocytose mais antalgique puissant sur les [9] D'Aquin Th. Somme théologique (II-II, q.64, a.7). 1273.
douleurs de cette même occlusion, etc. [10] Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur
des malades et des personnes en fin de vie. https://www.legifrance.
gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031970253&categori
eLien=id.
Pour conclure
La médecine palliative vise la meilleure qualité de vie
possible pour le patient atteint d'une maladie grave. Une Bibliography
évaluation rigoureuse médicale, psychologique, sociale et Baines M. Le concept de douleur globale, in Saunders, Dame Cicely. Soins
spirituelle est nécessaire pour proposer un projet de soin palliatifs, une approche pluridisciplinaire, sous la dir. de Cicely Saun-
adapté aux besoins du patient et de son entourage. La légis- ders. Paris, Éditions Lamarre « infirmière, société et avenir », 1994.
lation, mal connue, peu appliquée, est d'une grande utilité
dans la pratique palliative.
Chapitre
50
Douleurs des grands
syndromes neurologiques
PLAN DU CHAPITRE
50.1 Maladie de Parkinson . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329 50.2 Douleurs de la sclérose en plaques . . . . . . . 333
Ce qu'il faut comprendre de la douleur Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 333
dans la maladie de Parkinson . . . . . . . . . . . . . 329 Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333
Principales formes cliniques de la douleur. . . . 330 Traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334
Traitements de la douleur dans la maladie
de Parkinson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332

50.1 Maladie ■ les douleurs dystoniques en lien avec les postures


­dystoniques induites par la maladie de Parkinson elle-

de Parkinson
même, en particulier chez les patients fluctuant lors de
blocages ou de dyskinésies ;
■ les douleurs neuropathiques centrales ayant les carac-
Romain Lefaucheur téristiques habituelles des douleurs neuropathiques,
à savoir des brûlures, des dysesthésies. Elles sont
parfois difficiles à identifier et leur topographie peut
Ce qu'il faut comprendre suivre ou non un trajet radiculaire ou tronculaire,
de la douleur dans la maladie le plus souvent sur l'hémicorps le plus atteint par la
maladie ;
de Parkinson ■ les douleurs en lien avec une akathisie, se caractérisant
La maladie de Parkinson a longtemps été décrite comme une par une difficulté à rester immobile et un besoin irrésis-
maladie affectant principalement la motricité et se caracté- tible et douloureux de bouger.
risant par la triade clinique associant tremblement de repos, Une autre classification de la douleur, plus physiopa-
akinésie et rigidité. De manière plus récente, les cliniciens thologique, peut également être utilisée et distingue deux
se sont intéressés aux autres signes cliniques non moteurs grands types de douleurs :
de cette maladie. Ainsi, des symptômes cognitivo-compor- ■ les douleurs de mécanisme périphérique pour lesquelles
tementaux, des troubles dysautonomiques, des troubles du les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson
sommeil et la douleur ont été plus largement étudiés. sont directement à l'origine des phénomènes doulou-
La douleur est présente à tous les stades de la maladie reux et sont la conséquence d'un excès de nociception.
de Parkinson, parfois même avant le diagnostic, et sa prise Ces douleurs de mécanisme périphérique regroupent
en charge est particulièrement difficile, dans la mesure où ainsi les douleurs musculosquelettiques, dystoniques et
les étiologies de ces douleurs peuvent êtres multiples et radiculaires ;
intriquées. ■ les douleurs de mécanisme central liées à un dysfonction-
La douleur est très fréquente chez les patients parkin- nement des mécanismes de transmission et d'intégration
soniens, pouvant atteindre jusqu'à deux tiers des patients de la nociception secondaire aux lésions des noyaux gris
selon les études. Ces douleurs peuvent être classifiées selon centraux de la maladie de Parkinson. Ce sont les douleurs
plusieurs modalités. Une première classification clinique, neuropathiques centrales décrites un peu plus haut.
la plus couramment utilisée, permet de distinguer quatre Il existe plusieurs explications physiopathologiques
grands types de douleurs [1] : aux douleurs dans la maladie de Parkinson. Pour résu-
■ les douleurs musculosquelettiques (raideurs, crampes, mer, la dénervation des noyaux gris centraux, à savoir de
myalgies) pouvant atteindre les articulations, les régions la voie nigro-striatale dans la maladie de Parkinson, et le
périarticulaires et les os et être la conséquence de patho- déficit dopaminergique qu'elle engendre, entraîne une
logies rhumatologiques sous-jacentes ; modification centrale de la perception douloureuse [2].
Médecine de la douleur pour le praticien
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330   Partie 5. Douleur selon le contexte

Ainsi, plusieurs études ont démontré que les seuils noci- Autres formes de douleurs
ceptifs étaient diminués chez les patients parkinsoniens et En début de maladie, certains patients peuvent décrire des
que l­'administration de lévodopa modifiait ces seuils en douleurs à type de paresthésies, de sensations de chaleur, de
les é­ levant, voire parfois en les normalisant. Des études véritables douleurs d'allure neuropathique. Chez les patients
d'imagerie fonctionnelle ont ainsi montré qu'il existait une débutant une maladie précocement avant 40 ans, il existe
­hyperactivation de plusieurs aires cérébrales impliquées parfois des phénomènes dystoniques douloureux, affectant
dans la nociception chez des patients parkinsoniens non préférentiellement le membre inférieur en distalité, et pouvant
douloureux et que la lévodopa diminuait cette hyperacti- être responsables de douleurs à type de crampes ou de tension
vation dans ces mêmes aires [3]. Enfin, d'autres systèmes musculaire.
de neurotransmetteurs, à l'instar des systèmes noradréner-
giques, sérotoninergiques et opioïdes, altérés dans la maladie
de Parkinson, sont également impliqués dans la perception Douleurs au stade des fluctuations
douloureuse anormale des patients parkinsoniens. La maladie de Parkinson suit une évolution en plusieurs
stades. Ainsi, une fois le diagnostic posé, l'introduction
d'un traitement antiparkinsonien dopaminergique (ago-
Principales formes cliniques nistes dopaminergiques et/ou lévodopa) permet une
de la douleur amélioration de symptômes moteurs de la maladie et les
patients présentent alors une période de « lune de miel »
Comme indiqué en introduction, la sémiologie et la pendant laquelle le traitement permet un contrôle « quasi
recherche de l'étiologie de la douleur dans la maladie de parfait » des symptômes moteurs. Au bout de trois à cinq
Parkinson sont parfois difficiles en pratique courante. Il ans, la moitié des patients évolueront vers le stade des
convient donc de rester systématique et de ne pas retenir trop fluctuations motrices de la maladie, où les symptômes
rapidement la maladie de Parkinson comme responsable moteurs redeviennent invalidants, obligeant à une majo-
des douleurs présentées par les patients. Par exemple, une ration et/ou une fragmentation du traitement dopami-
douleur du membre inférieur chez un patient parkinsonien nergique. Les patients présentent alors des symptômes
fluctuant ne doit pas faire méconnaître une douleur en lien à type de fluctuations motrices de début et fin de dose
avec un phénomène arthrosique, une tendinopathie, une (autrement appelées périodes off) pendant lesquelles le
épine calcanéenne, etc. Il ne faut donc pas hésiter à recou- syndrome parkinsonien devient plus sévère ; ou des dys-
rir à des examens complémentaires avant de conclure trop kinésies de milieu de dose, sous forme de mouvements
rapide­ment à une douleur purement « parkinsonienne ». choréiques, lorsque les patient ne sont plus « bloqués »
Selon le stade de la maladie, nous pouvons décrire plu- (périodes on).
sieurs syndromes douloureux classiquement rencontrés À ce stade, les douleurs sont souvent en lien avec ces
dans la maladie de Parkinson. périodes de fluctuations motrices lors des périodes off.
Néanmoins, certaines fluctuations douloureuses peuvent
Douleurs en début de maladie parfois aussi être indépendantes des fluctuations motrices.
Un syndrome douloureux peut être inaugural de la maladie de Par-
kinson dans 10 à 20 % des cas, voire précéder les premiers signes Douleurs et mouvements anormaux
moteurs de la maladie de plusieurs mois, et même des années. L'apparition de fluctuations motrices dans la maladie
de Parkinson se traduit souvent sémiologiquement par
Douleur d'épaule pseudo-rhumatismale l'apparition de mouvements anormaux. Ces mouvements
anormaux sont pourvoyeurs de douleurs. Ainsi, des dou-
Il s'agit d'une douleur unilatérale de l'épaule, d'allure méca- leurs apparaissent lors de manifestations dystoniques qui
nique. Cliniquement, le tableau peut faire évoquer une cap- surviennent plutôt en début et fin de dose (c'est-à-dire
sulite rétractile et résiste aux antalgiques usuellement utilisés rapidement au décours d'une prise de traitement antipar-
dans une telle pathologie. Le syndrome parkinsonien, sou- kinsonien ou peu de temps avant de le reprendre), ou le
vent de forme akinéto-hypertonique latéralisée du côté de matin au réveil, au cours de la nuit, ou lors de périodes
l'épaule douloureuse, peut apparaître de manière concomi- off imprévisibles. Ces manifestations dystoniques se mani-
tante ou dans un délai d'un à deux ans [4]. Ce syndrome festent sous forme de torsions douloureuses des orteils et
douloureux est sensible au traitement antiparkinsonien du pied, plus rarement de la main, de la région cervicale
dopaminergique. Le diagnostic différentiel est celui d'autres ou du tronc. Classiquement, il existe une extension dou-
affections rhumatologiques, en particulier si les douleurs loureuse du premier orteil, une flexion des autres orteils,
sont bilatérales ou s'il existe un syndrome inflammatoire et, parfois, un pied en varus équin [5]. L'adaptation du
traitement dopaminergique permet souvent de soulager
Douleurs du rachis lombaire ou cervical les douleurs. Le recours à de l'apomorphine sous forme
Ces douleurs sont liées à des contractures musculaires paraver- d'injections sous-cutanées, de lévodopa sous forme dis-
tébrales. La mobilisation du rachis est indolore. Le traitement persible, ou à des injections de toxine botulique dans les
dopaminergique permet une amélioration de ces douleurs, qui ne muscles impliqués permettent de soulager les postures
doivent pas, par ailleurs, faire méconnaître une arthrose ou une dystoniques ainsi que les douleurs. La stimulation céré-
ostéoporose, pathologies atteignant de manière plus fréquente les brale profonde est également très efficace sur cette symp-
patients parkinsoniens comparativement à la population générale. tomatologie douloureuse.
Chapitre 50. Douleurs des grands syndromes neurologiques    331

A contrario, lorsque les patients sont en « on », ils peuvent L'ostéoporose et les pathologies musculosquelettiques
présenter des mouvements anormaux involontaires sous sont plus fréquentes chez les patients parkinsoniens que dans
forme de mouvements choréiques, également appelés dys- la population générale. Des douleurs articulaires peuvent
kinésies de pic de dose, affectant préférentiellement le côté ainsi être majorées par l'intensité et la sévérité du syndrome
où le syndrome parkinsonien est le plus sévère, mais aussi akinéto-rigide et, par conséquent, la moindre mobilisation
la région cervicale et le tronc. Les patients sont souvent de l'articulation atteinte. L'adaptation du traitement antipar-
partiellement anosognosiques de ces mouvements qui sont kinsonien, le recours aux antalgiques et à la kinésithérapie
généralement moins pourvoyeurs de douleurs, sauf lorsque peuvent alors permettre un soulagement de la douleur.
ces mouvements anormaux sont très intenses. En cas de
douleurs lors de dyskinésies de pic, la fragmentation du
traitement dopaminergique, l'instauration d'amantadine et Douleurs au stade de déclin
la stimulation cérébrale profonde sont des thérapeutiques À ce stade tardif de la maladie apparaissent des signes moteurs
efficaces. axiaux et des signes non moteurs de la maladie peu, voire non
sensibles au traitement dopaminergique classique. Ces signes
Douleurs et fluctuations associent une dysarthrie, des troubles de la déglutition, une
Les manifestations douloureuses peuvent être très poly- instabilité posturale, des troubles vésico-sphinctériens et des
morphes chez les patients parkinsoniens fluctuants. Ainsi, troubles cognitifs. À ce stade, les douleurs sont le plus souvent
des douleurs neuropathiques à type d'engourdissement, conséquentes des déformations articulaires et rachidiennes.
d'étau, de chaleur, de douleurs lancinantes sont décrites Ainsi, des postures dystoniques fixées au niveau des pieds
par les patients et peuvent affecter l'hémicorps le plus sévè- peuvent apparaître avec un pied en varus équin et des orteils en
rement touché par la maladie. Néanmoins, ces douleurs griffe. Des déformations au niveau des mains et poignets sont
peuvent être plus diffuses et n'évoluent pas forcément au également observables. Au niveau rachidien, des déformations
même rythme que les fluctuations motrices de la mala- peuvent apparaître avec des tableaux de cyphose dorsale, de
die [6]. Enfin, ces manifestations douloureuses peuvent déséquilibre lombaire dans le sens coronal autrement appelé
s'exprimer parfois de manière inattendue. Les patients « syndrome de la tour de Pise » ou une antéfléxion majeure
décrivent des douleurs abdominales intenses, rythmées ou du tronc dénommée camptocormie. L'ensemble de ces défor-
non par les prises médicamenteuses, des sensations d'op- mations sont sources de douleurs articulaires et musculos-
pression thoracique avec dyspnée, et même des douleurs quelettiques qu'il conviendra de traiter avec les antalgiques
génitales [7]. Ces fluctuations non motrices douloureuses habituellement utilisés dans ces indications. Néanmoins, des
sont parfois accompagnées de signes dysautonomiques précautions sont à prendre chez ces patients fragiles sur le plan
(sueurs, flushs) et peuvent mimer des douleurs viscé- cognitif et chez qui des antalgiques de pallier 2 ou 3 pourraient
rales. Il n'existe pas de recommandations spécifiques pour décompenser une fragilité cognitive avec l'apparition d'une
la prise en charge thérapeutique de ces fluctuations non confusion, d'une agitation ou d'hallucinations.
motrices douloureuses. L'ajustement du traitement dopa-
minergique est souvent réalisé mais d'efficacité incons-
tante. Le recours à des traite­ments symptomatiques tels Traitements de la douleur
que les tricycliques (amitriptyline), des antiépileptiques dans la maladie de Parkinson
(gabapentine, prégabaline) est parfois intéressant. La sti-
mulation cérébrale profonde semble en revanche une alter- Traitement médicamenteux
native thérapeutique très efficace sur les fluctuations non Comme vous avez pu le lire ci-dessus, l'optimisation du
motrices douloureuses. traite­ment dopaminergique antiparkinsonien est un élé-
ment fondamental pour soulager, tout du moins partielle-
Autres douleurs ment, les douleurs dans la maladie de Parkinson. Certains
aspects ont été traités dans les chapitres précédents.
Certains patients au stade des fluctuations souffrent d'aka-
Le traitement antiparkinsonien per os comprend essen-
thisie, qui correspond à un besoin permanent et désagréable
tiellement deux grands types de molécules.
de se mobiliser sans cesse. Ces symptômes sont proches
de ceux du syndrome des jambes sans repos qui affecte de
manière significativement plus élevée les patients parkin- Agonistes dopaminergiques (Réquip®, Sifrol®,
soniens traités comparativement à la population générale Neupro®, Trivastal®)
et aux patients parkinsoniens de novo naïfs de traitement. Disponibles sous forme LP pour le Réquip® et le Sifrol®, et
Le syndrome des jambes sans repos se caractérise par un sous forme de patch pour le Neupro®, ces traitements sont
besoin irrépressible de mobiliser les membres inferieurs utilisés chez les patients parkinsoniens pour contrôler les
en réponse à des paresthésies parfois douloureuses de ces symptômes moteurs. Ils permettent de retarder la survenue
mêmes membres ; ces symptômes survenant en décubitus de fluctuations motrices et sont utilisés classiquement chez les
ou en position assise prolongée. Ces sensations doulou- patients de moins de 70 ans. Ils sont particulièrement efficaces
reuses sont soulagées à l'orthostatisme et à la marche. Ces sur les symptômes du syndrome des jambes sans repos lorsque
symptômes sont pourvoyeurs d'insomnie. Les agonistes ceux-ci sont présents. L'ajustement de leur posologie peut per-
dopaminergiques permettent de bien soulager les patients. mettre de réduire les fluctuations motrices et non motrices de
L'ajout de lévodopa ou l'utilisation de prégabaline peuvent la maladie, et ainsi indirectement diminuer l'intensité des dou-
également être efficaces [8]. leurs chez le patient parkinsonien lorsque celles-ci sont en lien
332   Partie 5. Douleur selon le contexte

avec les fluctuations. Leurs principaux effets indésirables sont Traitements de seconde ligne
la constipation, les œdèmes des membres inférieurs, les nau- Chez les patients présentant des fluctuations persis-
sées, des hallucinations, l'hypotension artérielle, mais surtout tantes malgré un traitement médicamenteux optimal,
l'apparition de troubles du contrôle des impulsions se tradui- il est possible de proposer des traitements dits de « sti-
sant par des achats inconsidérés, des jeux pathologiques, des mulation dopaminergique continue ». Ainsi, la mise
troubles du comportement alimentaire et une hypersexualité. en place d'une pompe à apomorphine en sous-cutané
La diminution de la posologie, voire l'arrêt de ces traitements ou d'une pompe à Duodopa ® (lévovopa sous forme
permettent la disparition de ces effets indésirables. liquide), par l'intermédiaire d'une sonde de jéjunosto-
Parmi les agonistes dopaminergiques, l'apomorphine mie, permet de délivrer un traitement en continu et,
(Apokinon®) occupe une place à part. Cette molécule est un par conséquent, de diminuer drastiquement les fluctua-
agoniste dopaminergique utilisable uniquement en injec- tions de la maladie. Les études ont ainsi démontré une
tions sous-cutanée. Son utilisation sous forme de stylo injec- amélioration significative de la qualité de vie chez ces
table permet de lever rapidement les fluctuations motrices, patients, améliorations constatées aussi pour les items
et s'avère particulièrement utile pour les dystonies du petit concernant les douleurs.
matin, souvent douloureuses, ou les blocages imprévisibles. La stimulation cérébrale profonde des noyaux sous-­
Les effets indésirables sont les mêmes que ceux des ago- thalamiques permet aussi de diminuer drastiquement les
nistes per os. L'apomorphine peut également être utilisée fluctuations de la maladie. La douleur a été particulièrement
sous forme de pompe sous-cutanée (cf. chapitre suivant). étudiée chez les patients opérés. Ainsi, certaines études ont
montré une amélioration des douleurs en lien avec les fluc-
Lévodopa (Modopar®, Sinemet®) tuations non motrices de l'ordre de 84 % comparativement
C'est le traitement le plus efficace sur les symptômes moteurs aux scores préopératoires [10]. La stimulation cérébrale
de la maladie de Parkinson. Il a été démontré qu'elle diminuait profonde est aussi particulièrement efficace sur l'amélio-
le seuil nociceptif chez les patients parkinsoniens. La lévodopa ration des dystonies, souvent source de douleurs [11]. En
est efficace sur les douleurs de l'épaule du patient parkinsonien revanche, d'autres études ont montré que certaines dou-
de novo, comme sur les douleurs en lien avec les fluctuations leurs d'ordre rhumatologique, en particulier arthrosiques,
chez les patients plus avancés dans la maladie. Les principaux pouvaient apparaître après l'intervention ou se manifester à
effets indésirables sont l'hypotension artérielle, la somnolence, nouveau [12].
les nausées (à l'introduction essentiellement). L'ajustement des
posologies ou le fractionnement des prises de lévodopa per- Traitements non médicamenteux
mettent d'améliorer les douleurs chez les patients fluctuants. Il
existe des formes dispersibles (Modopar® dispersible) permet- Une prise en charge en kinésithérapie est indispensable chez
tant, à l'image du stylo d'apomorphine, de lever rapidement les patients parkinsoniens. Les douleurs ostéoarticulaires
les dystonies douloureuses ou les fluctuations imprévisibles peuvent être prises en charge lors de séances spécifiques.
douloureuses. Les formes LP de lévodopa, en revanche, se L'efficacité de l'hypnose ou de la sophrologie reste à déter-
révèlent décevantes pour maîtriser les fluctuations de la mala- miner dans la prise en charge des patients parkinsoniens.
die. L'ajout d'un inhibiteur de la catéchol-O-méthyltransfé-
rase (COMT) (Comtan®, Stalévo®, Tasmar®) à chaque prise Conclusion
de lévodopa chez un patient fluctuant réduit les fluctuations
motrices de la maladie et peut ainsi permettre une diminution La prise en charge de la douleur dans la maladie de Par-
des douleurs en lien avec les fluctuations. kinson est complexe. Les douleurs varient et changent avec
Les douleurs neuropathiques de la maladie de Parkinson l'évolution de la maladie. L'optimisation du traitement
sont parfois difficiles à contrôler. La gabapentine (Neuron- antiparkinsonien est primordiale pour le contrôle de ces
tin®), la prégabaline (Lyrica®), l'amitriptyline (Laroxyl®) douleurs. Les traitements de seconde intention, lorsqu'ils
sont ainsi souvent utilisés, sans que des études spécifiques sont applicables, sont efficaces sur la prise en charge de la
chez des patients parkinsoniens douloureux n'aient été douleur.
menées. En revanche, l'administration de duloxétine (Cym-
balta®) permettrait de diminuer significativement les scores
cliniques de douleur chez les patients parkinsoniens [9]. Références
Les antalgiques de paliers 1, 2, voire 3, peuvent être uti- [1] Ford B. Pain in Parkinson's disease. Clin Neurosci 1998 ; 5 : 63–72.
lisés dans la prise en charge des douleurs chez les parkinso- [2] Chudler EH, Dong WK. The role of the basal ganglia in nociception
niens. Les indications sont les mêmes que dans la population and pain. Pain 1995 ; 60 : 3–38.
générale. Il faut toutefois veiller aux effets indésirables, en [3] Brefel-Courbon C, Payoux P, Thalamas C, Ory F, Quelven I, Chollet F,
particulier chez les patients fragiles sur le plan cognitif, avec et al. Effect of levodopa on pain threshold in Parkinson's disease : a
la survenue d'hallucinations ou d'une confusion. clinical and positron emission tomography study. Mov Disord 2005 ;
20 : 1557–63.
La toxine botulique trouve sa place dans la prise en
[4] Riley D, Lang AE, Blair RD, Birnbaum A, Reid B. Frozen shoulder and
charge de phénomènes dystoniques douloureux, en particu- other shoulder disturbances in Parkinson's disease. J Neurol Neuro-
lier aux membres inférieurs. Des injections dans l'extenseur surg Psychiatry 1989 ; 52 : 63–6.
propre du 1er orteil, du fléchisseur commun des orteils, voire [5] Vidailhet M, Bonnet AM, Marconi R, Gouider-Khouja N, Agid Y. Do
du tibial postérieur, permettent de soulager les douleurs en parkinsonian symptoms and levodopa-induced dyskinesias start in
complément de l'ajustement du traitement dopaminergique. the foot ? Neurology 1994 ; 44 : 1613–6.
Chapitre 50. Douleurs des grands syndromes neurologiques    333

[6] Brun L, Lefaucheur R, Fetter D, Derrey S, Borden A, Wallon D, et al. gnostiques actuels, fondés sur l'IRM et l'analyse du liquide
Non-motor fluctuations in Parkinson's disease: prevalence, characte- cérébrospinal, permettent de poser le diagnostic dès le pre-
ristics and management in a large cohort of parkinsonian outpatients. mier événement clinique [2].
Clin Neurol Neurosurg 2014 ; 127 : 93–6.
Parmi les nombreux signes et symptômes en rapport avec
[7] Lefaucheur R, Berthelot L, Senant J, Borden A, Maltete D. Acute geni-
tal pain during non-motor fluctuations improved by apomorphine.
la SEP, la douleur est très fréquente, puisqu'elle concerne deux
Mov Disord 2013 ; 28 : 687–8. tiers des patients [3, 4]. Les douleurs les plus fréquentes sont
[8] Winkelmann J, Allen RP, Hogl B, Inoue Y, Oertel W, Salminen AV, les céphalées, principalement migraineuses, qui concernent
et al. Treatment of restless legs syndrome: Evidence-based review and plus de 40 % des patients. Viennent ensuite les douleurs neu-
implications for clinical practice (Revised 2017) (section sign). Mov ropathiques continues des extrémités, présentes chez environ
Disord 33 : 1077–91. 30 % des patients. Enfin, les douleurs musculosquelettiques
[9] Djaldetti R, Yust-Katz S, Kolianov V, Melamed E, Dabby R. The effect concernent un quart des patients et les douleurs neuropa-
of duloxetine on primary pain symptoms in Parkinson disease. Clin thiques paroxystiques (signe de Lhermitte ou névralgie du
Neuropharmacol 2007 ; 30 : 201–5. trijumeau) seront ressenties par plus de 15 % des patients à
[10] Witjas T, Kaphan E, Regis J, Jouve E, Chérif AA, Péragut JC, et al.
un moment ou l'autre de l'évolution de leur maladie.
Effects of chronic subthalamic stimulation on nonmotor fluctuations
in Parkinson's disease. Mov Disord 2007 ; 22 : 1729–34.
Il est également connu que ces différentes douleurs
[11] Derrey S, Lefaucheur R, Chastan N, Gérardin E, Hannequin D, Des- peuvent être présentes très précocement dans l'évolution de
bordes M, et al. Alleviation of off-period dystonia in Parkinson disease la SEP, voire conduire au diagnostic de la maladie inflam-
by a microlesion following subthalamic implantation. J ­Neurosurg matoire. Toutes ces douleurs peuvent être associées chez un
2010 ; 112 : 1263–6. même patient, compliquant leur prise en charge et aggra-
[12] Genty S, Derrey S, Pouplin S, Lefaucheur R, Chastan N, Gérardin vant leur impact négatif.
E, et al. Pain due to osteoarthritis may impair the early outcome of
deep brain stimulation in Parkinson's disease. Clin Neurol Neurosurg
2011 ; 113 : 864–7. Clinique de la douleur
Douleurs neuropathiques centrales
Continues
50.2 Douleurs Les douleurs neuropathiques centrales continues sont proba-

de la sclérose en plaques
blement liées à une déafférentation thalamique ou corticale
en rapport avec les multiples lésions qui peuvent survenir
sur l'ensemble de la voie sensitive spino-­thalamo-corticale.
Xavier Moisset Néanmoins, cette condition est sans doute nécessaire mais
probablement pas suffisante. En effet, si la présence de lésions
sur cette voie expliquait entièrement ce type de douleur, la
POINTS ESSENTIELS prévalence de ce symptôme devrait augmenter avec la durée
Douleurs fréquentes et multiples (neuropathiques continues d'évolution de la maladie, en rapport avec la probabilité de
ou paroxystiques, musculosquelettiques, migraines). Bien lésion sur la voie, ce qui n'est pas le cas. Toutes les lésions
interroger et examiner le patient pour identifier les douleurs avec séquelles sensitives, notamment les lésions médullaires,
et proposer un traitement adapté (pas de traitement peuvent aboutir à ce type de douleurs et les membres infé-
spécifique hormis les cannabinoïdes pour la spasticité, non rieurs sont fréquemment concernés. Il existe fréquemment
disponibles actuellement). une hypoesthésie, qui peut être associée à une allodynie et
à d'autres caractéristiques neuropathiques. Le questionnaire
sur les douleurs neuropathiques (DN4) peut contribuer à leur
dépistage.
Ce qu'il faut comprendre
de la douleur Paroxystiques
La sclérose en plaques (SEP) est une maladie neurologique Les douleurs neuropathiques paroxystiques sont dues à la
caractérisée par une inflammation ainsi que des lésions genèse de décharges ectopiques à haute fréquence. La locali-
dégénératives du SNC. Il n'existe pas de lésion du système sation du problème se situe au niveau des afférences trigémi-
nerveux périphérique et toutes les douleurs attribuables à nales pour la névralgie du trijumeau et au niveau des colonnes
la SEP proviennent donc d'anomalies au niveau encépha- dorsales médullaires pour le phénomène de Lhermitte.
lique ou médullaire. La prévalence de la SEP en France La douleur de névralgie du trijumeau est décrite dans
est estimée à 100 000 [1]. Elle constitue la maladie chro- un chapitre spécifique. La survenue de ce type de douleurs
nique la plus fréquemment responsable d'un handicap paroxystiques à type de décharge électrique dans le territoire
chez l'adulte jeune. Elle est à l'origine d'une très grande trigéminal nécessite la réalisation d'une IRM à la recherche
variété de symptômes, qui dépendent de la localisation d'une lésion du tronc cérébral et conduit parfois au diagnostic
des lésions. Les manifestations les plus fréquentes com- de SEP. Il peut exister un fond douloureux permanent ou un
prennent les atteintes sensitives et motrices, les atteintes déficit sensitif inter-critique dans le ­territoire ­douloureux qui
visuelles (névrite optique notamment), les troubles de augmentent la probabilité d'une cause secondaire, bien que le
l'équilibre et de la coordination, les atteintes uro-génitales tableau clinique puisse être identique à celui d'une névralgie
et plus tardivement les troubles cognitifs. Les critères dia- essentielle.
334   Partie 5. Douleur selon le contexte

Le signe de Lhermitte correspond au déclenchement de Traitements


paresthésies ou de décharges électriques dans les membres
et le rachis, survenant électivement lors de l'antéflexion du Douleurs neuropathiques centrales
cou. Il suffit de demander au patient d'effectuer une flexion Continues
du cou pour reproduire le symptôme. Si la SEP n'est pas
connue, une IRM médullaire cervicale est indispensable Les traitements proposés dans les autres douleurs neuro-
en urgence pour ne pas méconnaître une compression pathiques peuvent être proposés [5]. On pourra essayer en
médullaire. première intention des antiépileptiques gabapentinoïdes ou
des antidépresseurs tricycliques ou inhibiteurs de recapture
de la sérotonine et de la noradrénaline. Le traitement doit
Douleurs musculosquelettiques être initié à très faibles doses et augmenté progressivement
pour optimiser la tolérance. Pour les antidépresseurs tri-
La spasticité correspond à l'exagération d'un réflexe tonique cycliques, il faut être particulièrement attentif au risque de
en rapport avec l'étirement musculaire. Cette contraction dysurie et de constipation, problématiques fréquentes dans
musculaire tonique, permanente ou favorisée par les efforts, la population de patients ayant une SEP.
peut engendrer des douleurs.
Les spasmes toniques douloureux correspondent à Paroxystiques
des contractions musculaires involontaires, stéréotypées,
Les antiépileptiques agissant sur les canaux sodiques, tels
uni- ou bilatérale et durant moins de deux minutes mais
que la carbamazépine, sont à utiliser en première intention,
pouvant se reproduire plusieurs fois par jour. Ces spasmes
qu'il s'agisse d'une névralgie faciale ou d'un signe de Lher-
se produisent en général pendant quelques semaines
mitte. Les posologies à utiliser sont les mêmes que pour la
ou mois, puis finissent par disparaître. Ils peuvent être
névralgie faciale essentielle. En cas de problème de tolé-
déclenchés par le tact, le mouvement, l'hyperventilation
rance, l'oxcarbazépine peut également être utilisée. Lorsqu'il
ou les émotions. Ils peuvent intéresser toutes les zones du
existe un fond douloureux permanent, on peut opter pour la
corps. Il est possible d'essayer de les déclencher lors de la
gabapentine ou la prégabaline.
consultation, pour affirmer le diagnostic, en demandant
Enfin, lorsque la névralgie du trijumeau est réfractaire
au patient de respirer vite et fort pendant une minute
au traitement médicamenteux, les techniques chirurgicales
(hyperventilation).
peuvent être envisagées.
Enfin, les patients présentant un déficit musculaire
ou une spasticité sont sujets à des positions anormales.
Ces dernières perturbent la répartition du poids du Douleurs musculosquelettiques
corps et induisent alors un effort excessif pour certains Les spasmes douloureux peuvent être pris en charge via
muscles, ligaments et articulations. Une simple réduc- l'utilisation de carbamazépine ou d'oxcarbazépine. Pour les
tion de mobilité va réduire l'élasticité des tendons et des douleurs liées à la spasticité, l'utilisation d'agents antispas-
ligaments et causer une limitation des amplitudes arti- tiques, notamment le baclofène, les benzodiazépines ou le
culaires. Des douleurs lombaires ainsi que des douleurs dantrolène, peut être proposée. Les cannabinoïdes peuvent
correspondant aux points d'appuis peuvent facilement se également être essayés dans cette indication. Le nabixi-
développer. mols (Sativex®) dispose d'une AMM en France depuis 2014
mais n'est toujours pas disponible, faute d'accord tarifaire.
Des injections de toxine botulique, voire l'utilisation d'une
Céphalées pompe de baclofène par voie intrathécale, peuvent être pro-
Les céphalées, en particulier les migraines, sont au posées dans de rares cas.
moins deux fois plus fréquentes dans la SEP qu'en popu- Le maintien d'une activité physique doit être encou-
lation générale. La phase inflammatoire de la maladie et ragé, avec réalisation si nécessaire de kinésithérapie pour
le contrôle insuffisant de l'inflammation semblent être l'entretien de la force, des amplitudes articulaires et la lutte
des facteurs favorisant les crises. Les caractéristiques contre les positions vicieuses. Les étirements doivent être
de la migraine sont similaires à celles retrouvées en réalisés au quotidien. Pour les personnes à mobilité réduite,
population générale. Les traitements de fond de la SEP une attention particulière doit être portée à l'installation
par interférons peuvent augmenter les céphalées et les et aux soins de nursing. Ces moyens non médicamenteux
migraines. apportent beaucoup pour le confort du patient. Les moyens
médicamenteux sont fondés sur l'utilisation des traitements
antalgiques classiques (paracétamol ± opioïdes).
Douleurs en lien avec une névrite optique
Une névrite optique peut survenir dans la SEP. L'inflamma- Céphalées
tion du nerf optique est responsable d'une baisse d'acuité La prise en charge des migraines n'est pas spécifique à la
visuelle et de douleurs rétro-orbitaires, majorées par les SEP. Elle fait appel à l'utilisation systématique d'un traite-
mobilisations du globe oculaire. Les signes visuels et dou- ment de crise et éventuellement d'un traitement de fond. En
loureux peuvent réapparaître en cas d'augmentation de première intention et en l'absence de contre-indication, on
la température corporelle, en lien avec l'activité physique utilise un AINS. Un triptan peut être prescrit en deuxième
notamment (phénomène d'Uhthoff). intention.
Chapitre 50. Douleurs des grands syndromes neurologiques    335

Douleurs en lien avec une névrite optique [2] Thompson AJ, Banwell BL, Barkhof F, Carroll WM, Coetzee T,
Comi G, et al. Diagnosis of multiple sclerosis : 2017 revisions of the
En cas de névrite optique, le traitement par bolus de corti- McDonald criteria. Lancet Neurol 2018 ; 17 : 162–73.
coïdes (en général 1 g de solumédrol par jour pendant trois [3] Foley PL, Vesterinen HM, Laird BJ, Sena ES, Colvin LA, Chandran S,
jours) permet d'agir rapidement sur la douleur. et al. Prevalence and natural history of pain in adults with multiple scle-
rosis : Systematic review and meta-analysis. Pain 2013 ; 154 : 632–42.
[4] Moisset X, Ouchchane L, Guy N, Bayle DJ, Dallel R, Clavelou P.
Migraine headaches and pain with neuropathic characteristics :
comorbid conditions in patients with multiple sclerosis. Pain 2013 ;
Références
154 : 2691–9.
[1] Foulon S, Maura G, Dalichampt M, Alla F, Debouverie M, Moreau T, [5] Finnerup NB, Attal N, Haroutounian S, McNicol E, Baron R,
et al. Prevalence and mortality of patients with multiple sclerosis in ­D workin RH, et al. Pharmacotherapy for neuropathic pain in
France in 2012 : a study based on French health insurance data. J Neu- adults : a systematic review and meta-analysis. Lancet Neurol
rol 2017 ; 264 : 1185–92. 2015 ; 14 : 162–73.
Chapitre
51
Structures douleur chronique
et orientation du patient
douloureux chronique
Claire Delorme

PLAN DU CHAPITRE
Un peu d'histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339 Pour quels patients ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341
Structures douleur : missions activité . . . . . . . 339

■ une certaine pression sociale (tant de la part des patients


POINTS ESSENTIELS que des professionnels de santé se sentant « impuissant »
Éligibilité des patients douloureux pour une SDC. à soulager la douleur).
Risque de chronicisation et complexité de la situation Et c'est ainsi qu'est né le modèle biopsychosocial de la
clinique. douleur et l'approche pluridisciplinaire.
Pluridisciplinarité, pluriprofessionnalité.
Relai sur le parcours de soin en complémentarité de la prise
en charge ambulatoire pour des patients présentant des
Structures douleur : missions
douleurs complexes quelle(s) qu'en soit (soient) la ou les activité
causes. Les premiers centres de la douleur ont été créés en France
Anticipation nécessaire pour éviter la chronicisation de la dans les années 1980, sous l'impulsion de pionniers, paral-
douleur. lèlement à la création de l'enseignement universitaire de
Réduction de l'errance diagnostique et thérapeutique. la douleur. On dénombre actuellement 245 SDC dont
96 centres et 149 consultations [1].
En 2001, un décret a établi des règles de fonctionnement
Un peu d'histoire de ces structures et, depuis, une succession de labellisation a
eu lieu, la dernière en date en 2017 [2].
Le concept de Pain clinic est né aux États-Unis après la Cette identification impose deux niveaux :
Seconde Guerre mondiale. Un anesthésiologiste, John ■ des consultations « douleur » fondées sur la pluriprofession-
Bonica, constatant que certains patients présentaient des nalité, plus ou moins pluridisciplinarité, associant médecin,
douleurs rebelles malgré des traitements bien conduits, infirmière, psychologue et secrétaire au minimum ;
eut l'idée de réunir des médecins de spécialités différentes ■ des centres d'évaluation et de traitement de la douleur,
autour du patient et pour ce symptôme douleur. associant pluriprofessionnalité, mais surtout pluridis-
De nombreuses autres raisons ont concouru à la création ciplinarité, avec accès à des plateaux techniques, des lits
des centres de la douleur : d'hospitalisation et exigeant des missions d'enseigne­
■ la meilleure compréhension des mécanismes neuro- ment universitaire, de recherche et un minimum de
physiopathologiques qui sous-tendent ce phénomène publications.
complexe ; Toutes ont en commun une polyvalence, c'est-à-dire la
■ les progrès en pharmacologie, techniques anesthésiques, capacité de prendre en charge tout patient douloureux chro-
neurochirurgie et radiologie interventionnelle ; nique, sachant que certains centres bénéficient d'expertises
■ la douleur, qui n'est pas qu'un simple symptôme, peut particulières (pédiatrie, cancérologie), recensées en tant que
devenir une maladie chronique à part entière ; telles et participant aux filières de soins.

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 339
340   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Ainsi, il existe une couverture géographique de notre Tous doivent être tracés dans le dossier et le patient
territoire. Pour une meilleure accessibilité, les centres et (qui a donné son autorisation) ainsi que le médecin sont
consultations (figure 51.1) sont incités à créer des consulta- informés des conclusions et propositions de soins décidées
tions dites « avancées » sur les territoires ruraux, permettant collégialement.
ainsi à chaque citoyen de bénéficier d'une prise en charge de Au vu de la complexité de certaines douleurs exigeant
proximité [3, 4]. des expertises très spécifiques et des discussions collégiales
Une compétence douleur, capacité ou DESC, quelle que pluridisciplinaires, de plus en plus de RCP (en visio-confé-
soit la spécialité d'origine, et un temps minimum de 50 % rence) se sont développées sur les plans régional et national.
sont exigés pour le médecin coordinateur. Sur le plan régional, il s'agit d'apporter l'expertise néces-
Les missions et les organisations sont communes à ces saire, de garantir une égalité de traitement des cas complexes
structures, à savoir un temps cumulé minimal en personnel et de répondre à certaines recommandations pour des prises
médical et non médical, sachant que chaque structure peut de décision (exemple : avant implantation de pompe intra-
faire appel à des compétences ou métiers complémentaires, thécale). Sur le plan national, il s'agit d'apporter une exper-
tel qu'assistant social par exemple, que cela soit en intra- ou tise rare dans des domaines très spécifiques tels que, par
extrahospitalier. exemple, les douleurs pelvipérinéales.
La traçabilité de tous les actes est exigée.
Les locaux doivent être regroupés.
Une permanence téléphonique est exigée du lundi au
Activité clinique des structures « douleur »
vendredi. Consultation externe
La structure doit faire du lien avec l'extérieur, en s'adap- La principale activité est une activité clinique de consulta-
tant au mieux aux nouvelles organisations sur le territoire. tion externe, les patients présentant une douleur chronique
Les centres d'évaluation et de traitement de la douleur (douleur évoluant depuis plus de trois à six mois) sont
réunissent des disciplines indispensables telles que l'anesthé- adressés obligatoirement par un médecin, qu'il soit spécia-
sie, la rhumatologie, la neurologie, la psychiatrie, la réédu- liste au généraliste.
cation physique et fonctionnelle, la gériatrie, l'addictologie,
la pharmacologie, etc. Certaines structures spécialisées en Équipe mobile douleur
oncologie font appel à d'autres expertises telles que notam- Les structures douleur peuvent être sollicitées par les autres
ment la radiothérapie, la radiologie interventionnelle, etc. services hospitaliers de leur établissement pour des patients
Un des points communs des structures douleur est éga- complexes nécessitant une expertise dans le domaine de
lement le temps de partage de dossiers, que cela soit en staff l'évaluation et/ou du traitement et, pour certaines, par les
ou en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) . centres hospitaliers de proximité.
Les staff sont le plus souvent hebdomadaires, il s'agit d'un
temps d'échanges entre les membres de l'équipe, les RCP
sont mensuels et dédiés à la discussion des cas cliniques les Lits d'hospitalisation
plus complexes. Les CETD et un grand nombre de consultations douleur
bénéficient de lits d'hospitalisation (hospitalisations de
jour [HDJ] de semaine [HDS] ou complètes), le plus sou-
vent programmés à des fin d'évaluation pour des patients
très complexes, de mise en place de traitements spécifiques
médicamenteux ou techniques : PCA, pompes intra-thécale
(IT), stimulation médullaire, stimulation cérébrale, etc. ou
sevrages médicamenteux.
Quel que soit le geste et/ou l'objectif de cette hospitali-
sation, celle-ci donnera toujours lieu à une réévaluation et
prise en charge pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle.

Activité institutionnelle
Les structures douleur, très impliquées dans la politique
institutionnelle de lutte contre la douleur, sont en général
porteuses de la dynamique du CLUD et interviennent lar-
gement dans les formations des professionnels (médecin,
interne, infirmière, paramédicaux).
Elles sont le lieu d'accueil de stagiaires, qu'ils soient dans
le domaine médical ou paramédical et, sur leur territoire de
santé, interviennent régulièrement auprès de la médecine
ambulatoire.
Les centres de la douleur ont également une activité
importante d'enseignement universitaire, de recherche.
Figure 51.1 Centres ou consultations sont tous rattachés à un Les structures s'investissent de plus en plus dans l'éduca-
centre hospitalier, qu'il soit privé ou public. tion thérapeutique du patient douloureux chronique.
Chapitre 51. Structures douleur chronique et orientation du patient douloureux chronique    341

En fonction de leur expertise, des besoins du territoire, ou forts) ; la prise en charge plurimodale et l'éducation
certaines développent des actions spécifiques sur des thé- théra­peutique offre toute la légitimité aux structures « dou-
matiques telles que la douleur de la personne âgée, ou dans leur » dans ce contexte (encadré 51.1).
le domaine du polyhandicap.
Comment adresser un patient
Pour quels patients ? dans une SDC ?
La majorité des SDC ne prend en charge des patients que sur
Si la douleur est l'affaire de tous les professionnels de santé,
demande médicale écrite qui devrait être la plus explicite pos-
quels qu'ils soient, les patients pris en charge répondent à
sible. Quel que soit le médecin adresseur, le médecin géné-
des critères d'éligibilité particuliers et la pratique et l'enquête
raliste doit toujours être informé, impliqué, ce d'autant qu'il
de la Société française d'étude et traitement de la douleur
est en capacité d'apporter des informations complémentaires
(SFETD) [5] de 2011 prouvent que la grande majorité des
nécessaires à la bonne compréhension du parcours du patient.
patients adressés le sont à bon escient.
De nombreux centres, outre le courrier médical, font
La HAS a publié en 2008 des recommandations sur l'iden-
remplir au patient, avant proposition de rendez-vous, un
tification de la douleur chronique et les critères cliniques
questionnaire portant sur des données administratives (âge,
d'orientation des patients, qui se résument à des patients
situation familiale, professionnelle), médicales (traitements
nécessitant des évaluations répétées complexes, des traite-
suivis, médecins déjà consultés, examens complémentaires)
ments médicamenteux difficiles à équilibrer, un syndrome
et sur la douleur et son retentissement (schéma de la dou-
douloureux chronique sévère.
leur ± échelles d'évaluation qualitatives).
Les structures douleur chronique s'avèrent également très
Ces renseignements, qui parfois semblent fastidieux, per-
utiles, voire nécessaires chez des patients présentant des dou-
mettent de mieux orienter le patient et de juger du degré
leurs neuropathiques, qu'elles soient périphériques ou centrales,
d'urgence.
des douleurs liées aux effets indésirables des traitements, en
particulier en cancérologie, des traitements antalgiques opioïdes
mal gérés avec risque d'accoutumance, voire addiction avérée. Qu'est-ce qu'une consultation dite
La chronicisation de la douleur en rhumatologie avec des « d'orientation » ?
patients présentant des lombo-sciatalgies rebelles complexes, Le patient est la plupart du temps reçu par le médecin pour
pré- ou, le plus souvent, postopératoires est une indication une consultation dite « d'orientation » . Dans certains centres,
évidente au vu des évaluations pluridisciplinaires, pluripro- la consultation médicale est précédée par une consultation
fessionnelles qu'elles nécessitent mais aussi pour l'orientation infirmière et, dans d'autres, ces consultations peuvent être
adéquate de ces patients vers des techniques spécifiques, en en binôme médecin-infirmière ou médecin-psychologue.
particulier de chirurgie fonctionnelle mais aussi rééducative. L'objectif de cette consultation est de faire une analyse
Les céphalées, migraines, toutes les algies de la face, fine du syndrome douloureux chronique, selon le modèle
qu'elles soient typiques ou atypiques, sont également du pluridimensionnel, d'avoir une connaissance la plus exhaus-
recours des SDC.
tive possible du parcours de soins (le plus souvent chao-
Les autres syndromes douloureux tels que les douleurs tique) du patient et de son parcours personnel.
pelvi-périnéales, les douleurs dites « nociplastiques », fibro- Il s'agit d'un véritable « décodage » de la plainte doulou-
myalgie, etc. reuse, par le biais d'une approche combinée médicale, psy-
Quelle que soit l'étiologie du syndrome douloureux chro- chologique, sociale et anthropologique [4].
nique, force est de constater que ces derniers présentent On reprendra les antécédents médicaux, chirurgicaux,
souvent une composante anxieuse, dépressive, voire une
gynéco-obstétricaux, familiaux, les habitudes de vie mais
psychopathologie associées. Leur parcours de vie est sou- aussi l'histoire de la douleur, son contexte, le vécu personnel,
vent marqué par des traumatismes physiques, psychiques ou les interprétations, les conséquences.
sexuels, facteurs de chronicisation de la douleur Le traitement antalgique doit être détaillé, traitement
La place des psychologues, praticien des sciences humaines, antérieur, traitement actuel, tolérance, effets indésirables,
est indispensable dans la prise en charge de ces patients. observance et surtout efficacité de ces derniers, concernant
tant les molécules à libération immédiate que prolongée.
Pathologies le plus fréquemment Pour l'évaluation de la douleur et de son retentissement,
rencontrées le praticien s'aidera de questionnaires validés standardisés
reprenant principalement l'évaluation quantitative (EN, EVA,
La liste n'est pas exhaustive mais les pathologies le plus
fréquemment rencontrées sont : les rachialgies, douleurs
neuropathiques (centrale ou périphérique), les douleurs can-
céreuses (instables, rebelles, complexes ou séquellaires), les Encadré 51.1 Drapeaux rouges
céphalées, migraines, fibromyalgie et autres syndromes dou- ■
Le contexte de traumatisme physique et/ou psychique.
loureux du registre de la nociplastie, le syndrome doulou- ■
Douleurs rhumatologiques dans un contexte socio-
reux régional complexe, les douleurs abdomino-pelviennes. professionnel–familial complexe.
Si les céphalées par abus médicamenteux sont depuis de ■
Cancers potentiellement très algogènes et non contrôlables.
très longue date prise en charge, on voit apparaître égale- ■
Syndrome douloureux régional complexe.
ment un mésusage, voire de l'addiction aux opioïdes (faibles
342   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

BPI), qualitative (QDSA), le dépistage des douleurs neuropa- Les conclusions de cet entretien seront transmises au
thiques (DN4) et leur évaluation (NPSI), son retentissement médecin adresseur et au médecin traitant.
sur le plan thymique (HAD, échelle de catastrophisme). La prise en charge peut durer de quelques semaines à
Selon le contexte, on recherche des pathologies associées quelques mois ou quelques années, selon le contexte cli-
(syndrome d'apnée du sommeil, conduites addictives). nique et psychologique.
Une large part de cet entretien porte aussi sur l'aspect Les traitements proposés sont du registre, selon le contexte :
cognitif, comportemental et sur les attentes du patient. ■ techniques neurochirurgicales fonctionnelles, anesthé-
En 2009, la HAS a publié une grille d'entretien semi- siques (cf. chapitres correspondants) ;
structurée synthétisant les différents items nécessaires à ■ traitement médicamenteux ;
cette première consultation [4] (encadré 51.2). ■ neurostimulation, neuromodulation ;
L'examen clinique approfondi (en particulier neurolo- ■ techniques psychocorporelles ;
gique) est un temps essentiel de la consultation ainsi que la ■ éducation thérapeutique.
lecture attentive des différents examens complémentaires.
Au terme de cette première consultation, il est nécessaire
d'expliquer au patient les conclusions de cette analyse et Plus-value des structures douleur chronique
d'avoir ensemble un projet de soins, avec des objectifs parta- ■ Pluriprofessionnalité.
gés et des attentes réalistes et réalisables. ■ Pluridisciplinarité.
Le parcours de soins proposé doit lui être expliqué tant ■ Socle de connaissances théoriques communes.
en ce qui concerne une évaluation complémentaire parfois ■ Temps d'échanges : RCP, staff ++++.
nécessaire, avec plus ou moins examens complémentaires, ■ Des techniques spécifiques :
les traitements médicamenteux et les traitements non médi- – techniques telles rTMS, stimulation, techniques
camenteux toujours associés. neuro­chirurgicales, pompes intrathécales, etc. ;
L'évaluation psychologique est souvent indispensable. – traitements non médicamenteux systématiquement
Des expertises complémentaires peuvent être néces- associés ;
saires selon le contexte et enrichiront l'évaluation – traitements médicamenteux : kétamine, lidocaïne.
(neurologue, rééducateur, anesthésiste, rhumatologue, ■ Un projet de soins, un projet de vie (encadré 51.3).
psychiatre, oncologue, neurochirurgien, radiologue, etc.).
Dans ce cas, les propositions thérapeutiques et les
conclusions seront réexpliquées au patient à la consultation
suivante avec les conclusions de la RCP.

Encadré 51.2 Extraits des recommandations pour la pratique clinique, Anaes, 1999 [7]

Grille d'entretien semi-structuré ■


Personnels (médicaux, obstétricaux, chirurgicaux et psychia­
Ancienneté de la douleur triques) et leur évolutivité.
Mode de début

Expériences douloureuses antérieures.

Circonstances exactes (maladie, traumatisme, accident de Description de la douleur actuelle
travail, etc.).

Topographie.

Description de la douleur initiale.

Type de sensation (brûlure, décharge électrique, etc.)

Modalités de prise en charge immédiate.

Intensité.

Événements de vie concomitants.

Retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil,

Diagnostic initial, explications données. incapacités fonctionnelle et professionnelle, etc.).

Retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil,

Facteurs d'aggravation et de soulagement de la douleur.
incapacités fonctionnelle et professionnelle, etc.). Contextes familial, psychosocial, médico-légal et incidences
Profil évolutif du syndrome douloureux

Situation familiale.

Comment s'est installé l'état douloureux persistant à partir de

Situation sociale.
la douleur initiale.

Statut professionnel et satisfaction au travail.

Profil évolutif : (douleur permanente, récurrente, intermittente,

Indemnisations perçues, attendues ; implications financières.
etc.).

Procédures.

Degré du retentissement (anxiété, dépression, troubles du Facteurs cognitifs
sommeil, incapacités fonctionnelle et professionnelle, etc.).

Représentation de la maladie (peur d'une maladie évolutive,
Traitements effectués et actuels etc.).

Traitements médicamenteux et non médicamenteux antérieurs,

Interprétation des avis médicaux.
actuels. Facteurs comportementaux

Modes d'administration des médicaments, doses, durées.

Attitude vis-à-vis de la maladie (passivité, etc.).

Effets bénéfiques partiels, effets indésirables, raisons

Modalités de prise des médicaments.
d'abandon.

Observance des prescriptions.

Attitudes vis-à-vis des traitements. Analyse de la demande
Antécédents et pathologies associées

Attentes du patient (faisabilité, reformulation).

Familiaux.

Objectifs partagés entre le patient et le médecin.
Chapitre 51. Structures douleur chronique et orientation du patient douloureux chronique    343

Références
Encadré 51.3 Et l'avenir
[1] SFETD : Livre blanc de la douleur, http://www.sfetd-douleur.org/sites/

Les structures douleur chronique sont en danger comme en default/files/u3349/Livres/livre_blanc-2017-10-24.pdf ; 2017.
témoignent le rapport de l'Académie de médecine [6] et le [2] Instruction. n° DGOS/PF2/2016/160 du 23 mai. relative à l'appel à candida-
tures destiné au renouvellement du dispositif des structures labellisées pour
Livre blanc de la douleur. Et pourtant, leur rôle est primordial
la prise en charge de douleur chronique en 2017, et au relevé de leur activité
de par leur expertise et la prise en charge pluridisciplinaire.
2016, http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2016/05/cir_40951.pdf ; 2016.
Elles doivent s'adapter aux nouvelles organisations [3] Mick G, Moyenin C. L'évaluation initiale d'une plainte douloureuse
territoriales et régionales, tant hospitalières qu'ambulatoires. chronique : réflexions et propositions pour un guide pratique. Douleur

Elles sont un maillon indispensable de la prévention de la et analgésie 2016 ; 29 : 130–40.
désinsertion sociale, professionnelle et médicale. [4] HAS. Recommandations professionnelles. Douleur chronique : recon-

L'un des prochains défis, outre la démographie médicale, naître le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient.
sera de participer au parcours de soins en douleur, de Consensus formalisé, https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/appli-
définir des parcours de soins les plus efficients possibles cation/pdf/2009-01/douleur_chronique_recommandations.pdf ; 2008.
de la ville s'appuyant sur les nouvelles organisations en [5] SFETD. Les structures douleur chronique, http://www.sfetd-douleur.
org/les-structures-douleur-chronique.
médecine ambulatoire (pôle de santé, etc.), de travailler en
[6] Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une
collaboration avec les plateformes territoriales d'appui (PTA)
meilleure prise en charge des malades, http://www.academie-mede-
et tous les acteurs de terrain et de développer la télémédecine cine.fr/wp-content/uploads/2018/10/après-vote-Rapport-Douleurs-­
et l'e-santé. chroniques-12-10-2018-2.pdf ; 2018.

Un autre défi à relever, non des moindres, est celui de tout le [7] Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. Évaluation et
champ du médico-social, avec développement des expertises suivi de la douleur chronique chez l'adulte en médecine ambulatoire.
spécifiques, de la formation, de l'information pour une Recommandations pour la pratique clinique. Paris : ANAES ; 1999.
meilleure prise en charge de ces patients vulnérables.

L'évolution de la cancérologie devenue « maladie chronique »,
l'impact des douleurs séquellaires des traitements sur
la qualité de vie, le nombre de patients traités ou en
rémission mais douloureux impose et imposera de repenser
l'organisation de la prise en charge de la douleur du cancer.
Chapitre
52
Approche sociologique
de la douleur
David Le Breton

PLAN DU CHAPITRE
Vivre avec la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345 Appréhension de la douleur à travers
des prismes sociologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 346

Vivre avec la douleur porelles, c'est-à-dire le fait d'être hissé avec des broches insé-
rées dans le corps, sans anesthésie, pour explorer les marges
La douleur ne se cantonne jamais seulement à un organe, un de la condition humaine hors de tout contexte religieux et
tissu abîmé ou une fonction altérée, elle absorbe toute l'exis- de vivre une intense expérience spirituelle. C'est également
tence. Le mal de dent ou de tête résonne dans la vie toute une douleur acceptée, et dont la souffrance est mineure,
entière, il bouleverse toutes les activités de l'individu. Ce que vivent les novices lors des rites de passage de sociétés
n'est pas le corps qui souffre, mais l'individu tout entier dans traditionnelles qui impliquent des actions sur le corps (sca-
le sens et la valeur de sa vie. Sa douleur est un embrasement rifications, tatouage, etc.). Une douleur choisie et maîtrisée
de souffrance. Quand elle dure, elle est un abîme qui dévore par une discipline personnelle dans un but de révélation
toute son énergie et ne laisse rien disponible pour la vie de soi ne contient qu'une parcelle dérisoire de souffrance,
courante [1]. Elle transforme l'individu, altère ses relations même si elle fait mal. Délibérément auto-infligée, elle est
conjugales et filiales, son rapport au travail ou à ses loisirs. paradoxalement un moyen de protéger l'individu d'une
Toute l'existence est ébranlée par la douleur, surtout quand menace de destruction de soi, la scarification délibérée est
elle devient chronique et impose une réorganisation totale ainsi un paravent contre une souffrance intolérable. Il s'agit
du sentiment de soi et de la vie quotidienne. Toute douleur, alors de se faire mal pour avoir moins mal. Dans toutes ces
surtout chronique, modifie le sentiment d'identité au point circonstances où l'individu décide de son action, la douleur
que certains douloureux chroniques ne se reconnaissent est investie d'une dimension morale qui en transforme le
plus et vivent avec un sentiment de mutilation intime. On sens et en élague la pénibilité, elle devient même un vecteur
distingue souvent sur un mode dualiste la douleur, affectant de l'expérimentation sur soi et elle est rattachée à l'immense
le corps, et la souffrance, touchant la psyché. Cette distinc- satisfaction pour l'individu de l'avoir surmonté. Elle est une
tion oppose le corps et la personne comme deux réalités de voie d'exploration de soi, de recherches des limites de sens
nature différente, faisant ainsi de l'individu le produit d'un qui donnent le sentiment de soi. L'expérience des marques
collage surréaliste entre une âme et un corps. La douleur corporelles ou des rites de suspension remet profondément
rompt l'évidence du rapport au monde, elle altère la relation en question le dualisme entre plaisir et douleur. La douleur
aux autres et à soi. Elle n'est jamais limitée au corps. aboutit même à l'orgasme dans le cadre d'un contrat sado-
Par ailleurs, la douleur est toujours contenue dans une masochiste. Son érotisation atteignant son point ultime [2].
souffrance. Celle-ci est la résonance intime d'une dou- Mais la souffrance déborde à l'infini la douleur, dans
leur, sa mesure subjective. Elle est ce que l'individu fait de le cas notamment de la torture, c'est-à-dire d'une dou-
sa douleur. Elle n'est jamais le simple prolongement d'une leur infligée par un autre sans pouvoir l'en empêcher. Une
altération organique, mais une activité de sens, une relation douleur infligée de manière traumatique laisse une trace
personnelle à sa peine. C'est le sens qu'elle revêt pour l'indi- de souffrance, même lorsque les séquelles sont apparem-
vidu qui alimente à son insu la souffrance qu'elle implique. ment guéries. Elle mutile une part du sentiment d'identité
Si l'individu choisit la douleur ou l'accepte, la souffrance de l'individu qui n'arrive jamais tout à fait à oublier. Si la
est insignifiante et amène alors à connaître des situations douleur est un mot au singulier pour celui qui l'éprouve, elle
limites mais propices au sentiment de soi comme dans le revêt une myriade de significations. S'il existe une pluralité
sport extrême ou le body art par exemple où nul ne rechigne de douleurs c'est d'abord parce qu'il existe une pluralité de
à « se faire mal », « à se rentrer dedans ». Les suspensions cor- souffrances. Et, bien entendu, s'agissant de la maladie grave
Médecine de la douleur pour le praticien
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346   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

ou des séquelles d'un accident, la douleur immerge dans une modulé par les ressources intimes de l'individu et les qualités
souffrance considérable. Mais même dans ces circonstances, relationnelles de son entourage. Si les conditions d'existence
elle demeure imprégnée de sens. L'individu dispose malgré modèlent les comportements jusqu'à un certain point, il ne
tout de recours pour amortir sa souffrance grâce justement faut pas les transformer en stéréotypes venant occulter la sin-
à des techniques de sens : hypnose, autohypnose, relaxation, gularité du malade. Les conditions sociales et culturelles ne
méditation, sophrologie, etc. Intervenir sur la signification sont qu'un indice, elles n'existent qu'à travers les hommes ou
de la douleur en transforme l'impact en termes d'intensité les femmes qui les vivent et les significations qu'ils donnent
de souffrance. à leur expérience. Ce n'est jamais la culture qui souffre mais
l'individu dans la singularité de son histoire, de son âge, de
Appréhension de la douleur à son genre, de sa condition sociale, de ses croyances, de sa
sensibilité. Le risque sur le plan clinique est de réduire l'indi-
travers des prismes sociologiques vidu à sa culture (une culture transformée en stéréotype), et
L'expérience intime de la douleur est modulée selon les de ne plus voir le patient qu'à travers un préjugé, sans lui lais-
conditions sociales et culturelles, l'âge, le genre, et le contexte ser sa chance. Dans ces circonstances, il est liquidé au profit
particulier d'apparition de la douleur. Elle mêle toutes ces d'une abstraction confortable. L'individu est toujours ce qu'il
nuances au sein d'un idiome culturel. Mais elle est toujours fait des influences qui pèsent sur lui.
d'abord l'expérience singulière d'un individu. Si les situations Les anciennes défenses culturelles, les manières col-
d'inconfort ou de douleur touchent toutes les populations, lectives de répondre à la douleur se sont profondément
elles ne sont pas toujours perçues par elles comme dignes transformées ces dernières décennies. Le fait de pouvoir la
d'intérêt, et elles n'appellent pas toujours la consultation diminuer, voire la supprimer grâce à des traitements faciles
du médecin ou du guérisseur local. Un processus sélectif d'accès, notamment par automédication, neutralise les
distingue à ce propos les personnes issues de différentes anciennes défenses culturelles relayées par des procédures
cultures. Des populations accoutumées à vivre durement techniques. Ces dernières disparaissent. L'endurance à la
sont indifférentes à des douleurs qui déchirent d'autres plus douleur diminue en même temps qu'apparaît le sentiment
habituées au confort et plus enclines à l'examen sur soi. La qu'elle peut être anéantie d'une simple prise de médicament
douleur est évaluée selon une mesure propre à la vie quoti- ou par une action médicale efficace. La douleur est deve-
dienne et à la sensibilité particulière d'un individu [1, 3, 7]. nue aux yeux des patients un anachronisme cruel à élimi-
Malgré des symptômes proches, des populations diffé- ner. De surcroît, un discours largement diffusé insiste sur
rentes révèlent des sensibilités distinctes. Le mal de dos, par le fait que la douleur est inutile, cruelle, et que la médecine
exemple, est perçu comme relativement banal, et hors de la dispose de suffisamment de ressources pour l'éliminer. On
juridiction du médecin s'il ne déborde pas un certain degré ne doit plus souffrir aujourd'hui est un cliché contredit par la
de douleur et d'invalidité pour des populations ouvrières ou difficulté pourtant de la clinique de la douleur. Ce discours
rurales, ou encore pour des personnes âgées ayant grandi et bien-­pensant redouble la souffrance des patients quand la
vécu auprès de proches connaissant les mêmes symptômes et médecine tarde ou échoue à les soulager. Mais la médecine
les ayant assumé sans se plaindre en un temps où la médecine de la douleur est particulièrement difficile à mettre en œuvre.
était moins présente dans la vie quotidienne et les procédures Une autre influence pèse aussi sur la vulnérabilité à la
antalgiques moins performantes. Les milieux populaires sont douleur, ce sont les conditions affectives qui ont accompa-
souvent associés à une tolérance plus grande de la maladie gné l'enfance de l'individu. Particulièrement les traumas
ou de la douleur que les milieux de classe moyenne ou pri- vécus à ce moment (maltraitances, abus sexuels, inceste,
vilégiée. Un écran culturel et social, nuancé cependant par manque d'affection, perte d'un père ou d'une mère, etc.).
les singularités individuelles, amène à percevoir des troubles Toutes ces influences sociales, culturelles, relationnelles,
comme relevant de la banalité des jours et propres à être affectives, se mêlent dans la singularité d'une histoire de vie.
assumés par soi-même, et d'autres comme nécessitant la Les soignants doivent répondre à la plainte sans présumer
compétence du médecin. Ces derniers induisent plus d'an- de son intensité, sans projeter leurs valeurs et leurs compor-
xiété que les premiers sur lesquels l'attention glisse sans trop tements propres pour juger de l'attitude de leurs patients. De
s'arrêter. La perception d'un symptôme et le ressenti d'une nombreux travaux pointent à cet égard une fréquente sous-
douleur impliquent un caractère à la fois pénible et insolite évaluation de la douleur par les soignants. L'homme actif,
au regard des repères coutumiers. Le contexte social, et la en bonne santé, est mal placé pour juger de la souffrance
part qu'y prend l'individu, suscite l'attention ou l'indifférence de l'autre, il risque la projection de sa psychologie propre
selon un savoir profane fondé sur l'expérience cumulée des au détriment du patient. Les routines de soin aveuglent par-
générations. Le fait de savoir si un événement corporel est fois sur les souffrances spécifiques du patient. Chaque jour
normal ou pénible relève aussi d'un apprentissage culturel et d'innombrables patients sont confrontés à ces formes de
social et non d'une évidence naturelle, il implique une inter- maltraitances banalisées. Il convient de soigner la personne
prétation qui engage ou non une souffrance [1]. dans sa singularité et non pas en tant que pur organisme. La
Dans un groupe, chaque situation est associée à une qualité des soins ne saurait être diminuée sous prétexte que
marge diffuse de souffrance. Des attentes communes sont certaines catégories sociales seraient plus endurantes que
liées à des affections ou à des blessures qui alimentent le les autres. Nul n'est réductible à son appartenance sociale
degré d'attention envers l'individu atteint. Cependant, la et culturelle, sinon sous la forme du racisme ou du préjugé.
signification conférée à l'épreuve détermine son rapport à la Tous les usagers doivent bénéficier de la même attention, des
douleur. Toute douleur est d'abord du sens. Son ressenti est recours antalgiques appropriés, selon l'intensité et la nature
Chapitre 52. Approche sociologique de la douleur     347

de leurs maux. Le stéréotype culturel empêche d'entendre et valeur à ses yeux. D'où la rapidité et l'indifférence affective
de soulager la douleur. La tendance des soignants à sous-éva- de certaines consultations où le patient accompagne par
luer la douleur de leurs patients et à minorer les traitements force ses symptômes puisqu'ils lui font corps mais sans que
antalgiques s'appuie sur ces préjugés (le prétendu « syn- sa présence à lui soit réellement nécessaire [8–10].
drome méditerranéen » en est une attestation). Si les malades Si dans un premier temps le savoir médical détache son
intègrent leur expérience de la douleur dans leur vision du organisme du patient pour observer les arcanes d'une phy-
monde, les médecins ou les infirmières n'échappent pas siologie indifférente, dans un second temps la tâche de la
davantage à leur système de sens et de valeurs. Ils projettent clinique est justement de ressaisir l'unité de la personne
leurs valeurs, et souvent leurs préjugés, sur ce que vivent les en prenant en compte son témoignage et son histoire de
patients dont ils ont la charge. L'évaluation des symptômes vie. Elle mêle l'universel de l'organisme à la singularité du
et de l'intensité de la douleur, la compassion et les soins pro- patient car c'est lui qu'il s'agit de guérir. L'art de la clinique
digués s'enracinent dans des visions spécifiques qui doivent consiste justement à confronter les données segmentées
repousser les jugements de valeur sur les patients au profit recueillies par les examens ou l'imagerie à la singularité
d'une meilleure compréhension de leurs attitudes [1–7]. du patient, son histoire de vie, sa vision personnelle de ses
En donnant un statut scientifique à la maladie, la méde- troubles, afin d'élaborer une prise en charge elle-même sin-
cine l'a dépersonnalisée et détachée de l'expérience du gularisée. Il importe de soigner le malade et non la maladie,
malade pour en faire une biologie indifférente, relative à des prendre soin et ne pas seulement donner des soins.
normes anonymes. Mais l'altération organique ne dit rien de
l'intensité de la souffrance. Une même lésion aboutit à des
expériences radicalement différentes selon les situations et Références
la particularité des individus. En rester à cette vision pure-
[1] Le Breton D. Tenir. Douleur chronique et réinvention de soi. Paris :
ment neurophysiologique est une entrave à une meilleure
Métailié ; 2010.
compréhension de l'expérience du patient et à la résolution [2] Le Breton D. Expériences de la douleur. Entre destruction et renais-
de ses maux. Certes, cette approche probabiliste nourrit sance. Paris : Métailié ; 2010.
des protocoles de soin mais échoue à soigner ou à soulager [3] Delvecchio Good MJ, Brodwin P, Good BJ, Kleinman A. Pain as
nombre de patients, particulièrement s'agissant de la dou- human experience. An anthropological perspective. Berkeley : Uni-
leur chronique, il est nécessaire dans la clinique de s'ouvrir versity of California Press ; 1992.
à la parole d'un patient profondément affecté par sa peine. [4] Kotarba JA. Chronic pain. Its social dimension. Beverly Hills : Sage ;
Une médecine qui reste purement technicienne considère la 1983.
relation comme secondaire puisque la vérité du symptôme [5] Le Breton D. Anthropologie de la douleur. Paris : Métailié ; 2004
ne sortira pas de la bouche du patient mais des examens, (2014).
[6] Zborowski M. People in pain. San Francisco : Jossey Bass ; 1969.
elle vaut pour le recueil de quelques données factuelles mais
[7] Simonet G, Laurent B, Le Breton D. L'homme douloureux. Paris :
sans plus. Le patient est réduit à sa pathologie, ses propos, Odile Jacob ; 2018.
ses commentaires sur ses troubles, ses hypothèses sur leur [8] Morris DB. The culture of pain. Berkeley : University of California
origine sont perçues comme des obstacles ou du temps Press ; 1993.
perdu. Il est renvoyé à un rôle secondaire et passif, son expé- [9] Natoli S. L'esperienza del dolore. Le forme del patire nella cultura
rience n'apportant que des éléments anecdotiques pour le occidentale. Milano : Feltrinelli ; 1986.
jugement du médecin. Son interprétation profane est sans [10] Scarry E. The body in pain. Oxford : Oxford University Press ; 1985.
Chapitre
53
Prise en charge de la douleur
chronique : un problème
de société
Alain Serrie

PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349 Allongement de l'espérance de vie, corollaire
Impact économique de la douleur chronique de douleurs, maladies, handicaps, etc. . . . . . . 351
et de sa prise en charge . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349 Défi des maladies chroniques : conséquences
Activité professionnelle, productivité du progrès médical et enjeux éthiques . . . . . . 352
et situations professionnelles . . . . . . . . . . . . . . 350 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352
Utilisation des systèmes de soins . . . . . . . . . . . 351
Scores de santé mentale et physique
du sf-12v2d . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 351

Introduction Japon, en Chine, au Brésil, en Russie, et dans cinq pays euro-


péens, dont la France. Elle évalue l'impact de la douleur et
Les douleurs chroniques sont à l'origine de handicaps, de son intensité sur des indicateurs sociétaux : situations
d'altérations majeures de la qualité de vie, d'incapacité des professionnelles, qualité de l'activité professionnelle et pro-
sujets à assumer leurs rôles familiaux et sociaux, induisant ductivité, mais aussi utilisation des systèmes de soins, santé
une consommation importante de soins, d'absentéisme au mentale et physique. Elle compare le groupe de personnes
travail, et d'arrêts de travail aboutissant à l'invalidité. Les ayant présenté une douleur au cours du mois précédant
répercussions sont importantes : la vie du patient va être l'étude à celui des personnes n'ayant pas présenté de dou-
transformée, pouvant entraîner chômage ou licenciement, leur, et étudie l'impact de l'intensité de la douleur – douleur
difficultés familiales (rejet, rupture, divorce ou, au contraire, légère, douleur modérée et douleur sévère – sur ces diffé-
maternage, infantilisme), ou psychologiques (anxiété, rents paramètres. Les douleurs d'origine dentaire, les cépha-
dépression), ou médico-légales (invalidité, procès). Les lées, les migraines et les dysménorrhées, lorsqu'elles étaient
études conduites dans le cadre du programme européen isolées, ont été exclues.
« Societal impact of pain » montrent qu'en France, la fré- Cependant, bien que les personnes interrogées dans cette
quence des comorbidités associées à la douleur sévère est au étude aient été sélectionnées pour être représentatives de
moins deux fois supérieure à celle retrouvée dans la popula- l'ensemble de la population française, le mode de recueil des
tion générale et comparable à celle retrouvée en Europe. Les données, via Internet, constitue un biais méthodologique
troubles du sommeil et anxieux sont particulièrement fré- potentiel compte tenu d'un accès non systématique et d'une
quents. Selon les publications, entre 25 et 50 % des patients utilisation d'Internet inversement proportionnelle à l'âge. La
voient leurs activités quotidiennes impactées par la douleur méthodologie utilisée est de type déclaratif, et les données
chronique. Les activités sociales et physiques quotidiennes recueillies ne peuvent pas faire l'objet d'une vérification.
sont altérées de façon significative. Par ailleurs, le fait d'interroger les personnes sur la pré-
sence d'une douleur au cours du mois ayant précédé l'étude
Impact économique de la douleur ne permet pas de faire la distinction entre douleur aiguë et
douleur chronique.
chronique et de sa prise en charge L'évaluation de la situation professionnelle, de l'utilisa-
La NHWS [1] est une étude particulièrement intéressante tion des systèmes de soins au cours des six mois écoulés et de
réalisée tous les deux ans via Internet aux États-Unis, au l'activité professionnelle a été réalisée avec des outils validés

Médecine de la douleur pour le praticien


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350   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

comme l'Adult Work Productivity and Activity Impairment sociétal et un retentissement économique importants
Scale (WPAI) [2], et la santé mentale et physique à l'aide du [5, 6]. En extrapolant sur la population totale, les calculs
Short Form (SF)-12V2D [3] (forme générique du SF-32 en ont montré qu'en comparant les deux groupes avec et sans
12 questions) qui a été élaborée pour permettre un recueil douleur, plus de 88 M de journées additionnelles par an
simplifié des donnés de qualité de vie [4]). seraient altérées par la douleur (48 M par l'absentéisme
Dans cette étude, les méthodes de calcul des extrapo- et 40 M par le présentéisme). Confirmant ces résultats,
lations à une population française adulte ont été réalisées les pertes de productivité et d'activité sont deux fois plus
sur la base de 50,1 millions (M) de français au moment de importantes dans le groupe avec douleur, pour concerner
l'enquête. Pour pouvoir évaluer l'impact spécifique de la environ 30 et 40 % respectivement des personnes. Dans le
douleur, le groupe des personnes sans douleur (41,5 M) a été groupe douleur sévère, ces pertes d'activité et de producti-
ramené à la taille de celui du groupe avec douleur, soit 8,6 M. vité touchent plus d'une personne sur deux.
Afin d'évaluer l'impact de l'absentéisme au travail (nombre Breivik et al. [7] ont montré qu'en France, les personnes
de journées perdues par semaine) et le présentéisme (calcul avec douleur ont signalé des pertes d'emploi (15 %), des
du nombre de journées impactées), les auteurs ont défini le modifications des responsabilités professionnelles (12 %), et
nombre de semaines au cours d'une année travaillée : 52 − (cinq des changements d'emploi (12 %). Cependant, cette étude
semaines de congés payés + une semaine de jours fériés + était limitée du fait de l'absence d'un groupe témoin per-
deux semaines de RTT) = 44. mettant d'évaluer l'impact réel de la douleur. Des résultats
Pour ce travail particulièrement intéressant, ces deux comparables ont été retrouvés dans d'autres études, avec en
paramètres ont été évalués de la façon suivante : Australie (23 M d'habitants) 9,9 M de journées perdues par
■ le calcul du nombre de journées perdues par semaine absentéisme, 36,5 M de journées altérées du fait de la dou-
(absentéisme) est défini de la façon suivante : (5 jours/ leur chronique, et une perte de productivité représentant un
semaine × 8,6 M de personnes × % de personnes ayant coût global annuel de 5,1 milliards de dollars australiens [8].
un emploi) × % absentéisme. L'absentéisme dû à la dou- Kronborg et al. [9] ont démontré sur une population souf-
leur est la différence des nombres de journées perdues frant de douleurs chroniques non malignes et consultant
entre les deux groupes avec ou sans douleur ; en centre de la douleur au Danemark que seuls 29 % dis-
■ le calcul du nombre de journées impactées (présen- posaient d'un emploi, que l'absentéisme concernait 19,4 %
téisme) est défini par : (5 jours/semaine × 8,6 M de per- du temps travaillé, et que la perte de productivité atteignait
sonnes × % de personnes ayant un emploi) − (nombre 51,1 % du temps travaillé, soit plus de 30 minutes par heure.
de journées d'absentéisme) × % de présentéisme. Le pré- Dans l'étude de la NHWS [1], il y a significativement plus
sentéisme dû à la douleur est la différence des nombres de personnes disposant d'un emploi à plein temps dans le
de journées perdues entre les deux groupes avec ou sans groupe sans douleur (51 %) par rapport à celui avec dou-
douleur. leur (48 %). Ce pourcentage est inversement proportionnel
à l'intensité de la douleur : douleur légère (59 %), douleur
modérée (48 %) et douleur sévère (41 %). Par rapport à un
Activité professionnelle, groupe sans douleur équivalent en nombre, il y aurait dans le
productivité et situations groupe avec douleur 258 000 personnes de plus sans emploi.
professionnelles Parmi les personnes avec emploi, un pourcentage significati-
vement plus important travaillant à plein temps est retrouvé
L'expérience de la douleur, notamment celle de la dou- dans le groupe sans douleur (40 versus 35 %). Cet impact
leur chronique sévère, réduit la qualité du travail et aug- sur l'emploi avait déjà été noté [7, 10] et peut s'expliquer
mente l'absentéisme et le présentéisme [1]. L'absentéisme partiellement par des données purement démographiques
a été significativement plus important dans le groupe avec telles que l'âge et le sexe. Les femmes sont significativement
douleur (10,7 versus 5,1 %). Ce pourcentage augmente plus nombreuses et plus âgées dans les groupes de patients
significativement avec l'intensité de la douleur pour douloureux [7, 1, 11]. La HAS avait évalué, dans un rapport
atteindre 27,5 % dans le groupe douleur sévère. Pour les en 2008 [12], que les « limitations d'activités professionnelles
personnes bénéficiant d'un emploi, la douleur entraîne- ou domestiques du fait de la douleur sont importantes chez
rait, par rapport à un groupe sans douleur ramené à 8,6 M 6 % des personnes de 25–64 ans, puis 15 % des 65–84 ans et,
de personnes, 1,1 M de journées perdues par semaine, enfin, 33 % des personnes de 85 ans et plus ». Les arrêts de
soit 48 M par an. Le présentéisme atteint 22,1 % dans le travail sont cinq fois plus fréquents que dans la population
groupe douleur versus 11,7 % dans le groupe sans douleur, générale et 45 % des patients sont concernés par des arrêts
et 34,6 % dans le groupe douleur sévère, soit un équiva- de travail dont la durée moyenne cumulée dépasse quatre
lent de 13 minutes par heure travaillée. Par rapport à un mois/an. Les patients souffrant d'une douleur chronique
groupe sans douleur, ramené à 8,6 M de personnes, il y sévère sont plus fréquemment hospitalisés (13,6 versus
aurait 910 000 journées supplémentaires concernées par 5,6 %). Et il y a significativement plus de personnes en arrêt
semaine et 40 M par an. Si le nombre de personnes bénéfi- maladie de longue durée dans le groupe avec douleur (5 %)
ciant d'un emploi est significativement plus faible dans le que dans celui sans douleur (1 %), soit un équivalent de
groupe des personnes avec douleur, la qualité profession- 344 000 personnes en plus. Cet impact de la douleur sur les
nelle et la productivité sont aussi également altérées. Ainsi, arrêts pour maladie avait déjà été retrouvé chez des patients
pour les personnes avec un emploi, la douleur associée à souffrant de pathologies rachidiennes et de spondylarthrite
une perte des capacités fonctionnelles va avoir un impact ankylosante [13].
Chapitre 53. Prise en charge de la douleur chronique : un problème de société    351

Utilisation des systèmes de soins par rapport au groupe sans douleur, ramené à 8,6 M de per-
sonnes, 516 000 personnes de plus qui se seraient présentées
Sur l'ensemble de la population interrogée (personnes avec aux urgences et 516 000 de plus auraient été hospitalisées.
ou sans douleur) dans l'étude de la NHWS, près de neuf
personnes sur dix (88 %) ont consulté au moins une fois
un professionnel de santé au cours des six mois ayant pré- Scores de santé mentale
cédé l'étude [1]. Ce pourcentage atteint 94 % dans le groupe et physique du SF-12V2D
avec douleur et 99 % dans le groupe douleur sévère. Dans le
groupe douleur, 688 000 personnes de plus auraient consulté Les relations entre âge, qualité de vie liée à la santé et uti-
un professionnel de santé par rapport à un groupe sans lisation des systèmes de soins ont été bien documentées et
douleur, ramené à 8,6 M de personnes. Les personnes ayant la douleur est l'élément le plus impactant [17]. Des publi-
présenté une douleur au cours du mois précédant l'étude ont cations récentes ont montré que les douleurs chroniques
consulté deux fois plus souvent les professionnels de santé altèrent toutes les composantes du SF-36 chez les personnes
que celles sans douleur (9,0 versus 4,8 consultations). Ce présentant une douleur chronique [9]. La plupart des acti-
nombre de consultations est trois fois plus important dans vités sont impactées totalement ou partiellement chez plus
le groupe douleur sévère (13,6 consultations) que dans le de 50 % des personnes concernées. Un quart des personnes
groupe douleur légère (5,3 consultations). Ainsi, dans le interrogées ne peuvent plus conduire, un tiers ne peuvent
groupe avec douleur, il y aurait 72,2 M de consultations plus travailler à l'extérieur. Confirmant ces données, la dou-
supplémentaires par an par rapport au groupe sans dou- leur paraît avoir un impact sur les scores de santé physique et
leur, ramené à 8,6 M de personnes. Sur la base minimale mentale du SF-12V2D. L'utilisation du SF-12V2D a permis
d'une consultation de médecin généraliste de 23 € dont non seulement d'évaluer l'impact de la douleur mais égale-
70 % (16,1 €) sont pris en charge par l'assurance maladie, le ment des pathologies et des comorbidités telles que l'anxiété,
groupe avec douleur présenterait un surcoût annuel lié aux la dépression et les troubles du sommeil associées [1].
seules consultations de 1,163 milliards d'euros.
Au cours de l'étude pan-européenne de Breivik et al. [6],
60 % des personnes ont consulté, entre deux et neuf fois en Allongement de l'espérance de vie,
six mois, leur médecin pour cause de douleur. Ces résultats corollaire de douleurs, maladies,
sont comparables à ceux d'Andersson et al. [14] qui ont mon- handicaps, etc.
tré qu'en Suède, sur une période de trois mois, 45,7 % des
personnes souffrant de douleur chronique avaient consulté La population vieillit du fait de la diminution régulière de
un médecin contre 29,8 % dans un groupe sans douleur, soit la fécondité que l'on observe depuis plusieurs années, mais
1,5 fois plus. En Norvège [15], chez des patients souffrant aussi en raison d'une forte réduction de la mortalité aux âges
de pathologies rhumatismales non inflammatoires, la cause avancés depuis 1985. L'espérance de vie à la naissance était
de la première consultation chez le médecin généraliste était de 66 ans en 1950 dans les pays développés et de 41 ans dans
la douleur. L'ensemble de ces données montre que la dou- les autres. En 1998, en France, elle atteint 74,6 ans pour les
leur est génératrice d'une augmentation très significative des hommes et 82,2 ans pour les femmes et continuera d'aug-
consultations médicales. menter encore dans les années à venir davantage pour les
Dans l'étude d'Elder et al. [16], un patient sur deux a hommes que pour les femmes.
recours aux médecines alternatives sans en informer son ■ D'après des projections fondées sur des hypothèses
médecin traitant. Ainsi 58 % de ces participants ont eu modérées, le nombre de personnes âgées de 65 ans et
recours à la chiropratique et/ou à l'acupuncture, 35 % des plus (7,8 millions en 1990), va dépasser les 13 millions
participants ont pratiqué l'acupuncture seule et 42 % la en 2020, soit un accroissement de deux tiers, sachant que
chiropratique seule. Les pathologies concernées sont les 16 % auront plus de 85 ans en 2020. Ce chiffre pourrait
douleurs articulaires et musculaires, l'arthrose, les cépha- atteindre 24 % en 2050. En 2000, on dénombrait 10 000
lées et les dorso-lombalgies. La très grande majorité de ces centenaires. La projection des données de l'INSEE estime
participants (6000 patients ; âge moyen : 61 ans ; 71 % de cette population à 150 000 en 2050 [18].
femmes) se déclare disposée à partager cette information ■ Nous gagnons chaque jour six heures, soit chaque année
avec un professionnel de santé. L'étude constate surtout que trois mois d'espérance de vie. L'espérance de vie devrait
les médecins n'évoquent pas cette possibilité ou ne sont pas donc s'allonger d'environ six ans pour les femmes et de
à l'écoute de ces traitements. Ces travaux mettent en évi- cinq ans pour les hommes d'ici 2050.
dence l'importance de ces recours qui traduisent le besoin à La prévalence de la douleur est très élevée chez les
combler par rapport aux prises en charge plus classiques des ­personnes âgées (25 à 30 % de celles vivant à leur domicile,
systèmes de santé. 50 à 93 % de celles vivant en institution). La douleur d'inten-
Les personnes avec douleur se sont également adressées sité sévère augmente de plus de 10 % entre 65 et 95 ans. Elle
significativement plus souvent aux urgences (13 versus 7 %) est surtout d'origine musculosquelettique ou cancéreuse,
et ce pourcentage augmente significativement avec l'inten- mais l'âge est aussi un facteur de risque pour certaines dou-
sité de la douleur : douleur légère (6 %), douleur modérée leurs neuropathiques (diabète, post-zona, etc.). Elle est très
(12 %) et douleur sévère (18 %) [1]. Enfin, 14 % des per- vite responsable dans cette population de limitations fonc-
sonnes avec douleur ont été hospitalisées et ce pourcentage a tionnelles et de situation de handicap, d'autant plus que s'y
atteint 24 % dans le groupe DS. Dans le groupe avec douleur associent polypathologie, polymédication ou isolement.
352   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Ces éléments sont essentiels à considérer, ils sont un ginalisation et induire des processus d'exclusion, est alors
puissant moteur du changement social et doivent être pris possible. Cette réflexion est essentielle à mener en amont
en compte dans l'élaboration d'une politique de santé qui se des décisions qui pourraient être prises parfois dans la hâte
doit d'anticiper les grands problèmes de demain. ou de façon inappropriée. Car si ces questions ne sont pas
abordées, le risque est grand de la tentation de l'exclusion du
fait de la dépendance et des coûts liés à sa prise en charge.
Défi des maladies chroniques : Associée aux progrès exponentiels de la médecine intime-
conséquences du progrès médical ment liés aux financements de ces progrès, il pourrait y
avoir une certaine légitimité de l'exclusion et une tentation
et enjeux éthiques d'ostracisme [20, 21].
Les maladies infectieuses, aiguës ou subaiguës étaient un
des défis médicaux du siècle passé, la médecine de demain
sera celle de la gestion des conséquences de la survie avec Conclusion
des maladies chroniques. Lors d'une séance de l'Académie Les douleurs chroniques rebelles sont sources d'incapacités,
des sciences morales et politiques ­Dupâquier [19] pose le de handicaps, d'invalidités et d'altérations majeures de la
questionnement de l'allongement de l'espérance de vie et qualité de vie. Elles engendrent, outre leurs dégâts propres,
ses conséquences multiples : « La part des maladies infec- des réactions parfois violentes, d'autres fois plus nuancées,
tieuses dans la mortalité est tombée de 90 % au début du qui modifient durablement la perception du monde pour
XXe siècle à 1,9 % seulement dans la France d'aujourd'hui, celui qui est concerné mais également pour ceux qui sont
alors que celle des maladies chroniques est devenue pré- les collatéraux. Car la personne qui souffre n'est pas la seule
pondérante. Or les unes et les autres sont fonction de victime, l'entourage familial, professionnel, de voisinage
l'âge, mais en sens inverse : les maladies infectieuses fau- deviennent victimes. D'une certaine façon, ces souffrances
chaient prioritairement les jeunes enfants, alors que les ont été le facteur le plus puissant de changement des menta-
maladies dégénératives frappent exclusivement les per- lités dans l'organisation des systèmes sociaux.
sonnes âgées. D'où un renversement de la répartition des Les systèmes de santé doivent se soucier autant du
âges des décès ». malade que de la maladie. Il n'est plus admissible que l'on
■ L'amélioration des soins favorise le vieillissement des se préoccupe exclusivement de l'efficacité des moyens thé-
plus âgés et conduit naturellement à concentrer les décès rapeutiques mis en œuvre. L'introduction d'une « culture
dans cette population pour laquelle la prévalence des anti-douleur » au sein des pratiques et des exercices néces-
affections chroniques est la plus forte. Entre 1994 et 2004, site le changement des comportements de l'ensemble des
les ALD ont progressé de 75 %. Mais l'augmentation professionnels de santé, mais aussi celui des malades et de
de l'espérance de vie, en ce qu'elle n'est pas synonyme leurs proches. La qualité d'un système de santé est définie
d'espérance de vie sans incapacité, conduit assez logique- par la prise en compte de l'efficacité du traitement proposé
ment à poser la question de la qualité des années de vie mais aussi par le soulagement de la souffrance des patients.
ainsi gagnées [20]. Dès lors, l'amélioration de la prise en charge de la douleur
■ La cancérologie est un des domaines de la médecine qui doit être un de nos objectifs essentiels. Des considérations
a le plus progressé, on ralentit la progression du cancer éthiques et morales ne peuvent plus être écartées de l'éla-
mais parfois sans guérison. La survie peut s'accompagner boration et de la mise en application d'un projet de soins.
de douleurs très intenses entraînées par les traitements, La lutte contre la douleur est inséparable de l'évolution de
la qualité de vie peut être gravement diminuée avec des ces idées.
inconforts ou des handicaps.
« Si l'espérance de vie sans incapacité augmente à peu
près au même rythme que l'espérance de vie tout court, Références
c'est-à-dire de deux ou trois mois par an, il y a une exception
[1] Eschalier A, Mick M, Perrot S, Poulain P, Serrie A, Langley P, et al.
notable : les fonctions cognitives » [19]. Vivre avec la maladie
Prévalence et caractéristiques de la douleur et des patients doulou-
ou bien vivre plus vieux sont des réels problèmes de société, reux en France : résultats de l'étude épidémiologique National Health
car non seulement cela renforce la demande à ne plus souf- and Wellness Survey réalisée auprès de 15 000 personnes adultes.
frir, mais ces notions fondamentales sont indissociables de Douleurs 2013 ; 14 : 4–15.
la relation entre les avancées médicales et la qualité de vie [2] Zickuhr K, Madden M. Older adults and Internet use. In : Disponible
et le sens même de la vie. Ce sont les enjeux éthiques du sur. 2012. http://www.pewinternet.org/Reports/2012/Older-adults-
progrès concernant la prise en charge de la douleur et des and-internet-use/Summary-of-findings.aspx.
soins palliatifs pour des pathologies qui ne mettent pas iné- [3] Zhang W, Bansback N, Boonen A, Young A, Singh A, Aslam N. Vali-
luctablement l'espérance de vie en jeu. dity of the work productivity and activity impairment questionnaire :
Des choix sont nécessaires, une réflexion en amont general health version in patients with rheumatoid arthritis. Arthritis
Res Ther 2010 ; 12 : R177.
s'impose, car ils doivent permettre la poursuite du progrès,
[4] Larson CO. Use of the SF-12 instrument for measuring the health of
l'accès pour tous à la santé qui est un droit et le maintien homeless persons. Health Serv Res 2002 ; 37 : 733–50.
de la solidarité nationale. Dans une société ou l'économie [5] Stömbeck B, Jacobsson LTH, Bremander A, Englund M, Heide A,
est contrainte, il faut se poser la question de la place du Turkiewicz A, et al. Patients with ankylosing spondylitis have
citoyen qui est dépendant et donc vulnérable. La cascade de increased sick-leave : a registry-based case-control study over 7 years.
situations, isolement pouvant entraîner une forme de mar- Rheumatology (Oxford) 2009 ; 48 : 289–92.
Chapitre 53. Prise en charge de la douleur chronique : un problème de société    353

[6] Smith BH, Hopton JL, Chambers WA. Chronic pain in primary care. a population-based Swedish study. J Epidemiol Community Health
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ment. Eur J Pain 2006 ; 10 : 287–333. inflammatory musculoskeletal pain. Ann Rheum Dis 2000 ; 59 :
[8] van Leeuwen MT, Blyth FM, March LM, Nicholas MK, Cousins MJ. 788–93.
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pain on health care seeking, self-care, and medication. Results from Med 2015 ; 199 : 555–65.
Chapitre
54
Vulnérabilité
Xavier Emmanuelli

PLAN DU CHAPITRE
Perceptions et rapport aux autres . . . . . . . . . . . . 355 Pouvoir dire « J'ai mal » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 355

Le terme « vulnérabilité » peut se concevoir comme une fragilité On existe dans le miroir des autres, dans le regard des
physique et psychique. Des personnalités vulnérables exposées autres et si l'autre ne vous regarde pas avec la déférence
à des agressions successives finissent par entamer l'image sub- minimale des échanges sociétaux, petit à petit, votre corps
jective qu'elles se font d'elles-mêmes. Cela a pour conséquence vous devient étranger et marque une dissociation en quelque
une perte d'estime de soi et une sorte de « quarantenisation » sorte « platonicienne » entre corps et esprit, une dissocia-
d'elle-même, en quelque sorte voulue, inconsciemment par tion, voire une négation de son corps, comme par exemple
le sujet. Le syndrome de dépression, de dépréciation décrit chez les prostitués, qui se mettent à distance de leur propre
par Alexandre Vexliard (« Le clochard », éditions Desclée de corps, objet, comme s'il n'était pas le leur. Le statut du corps
Brouwer) est alors le signe clinique de cette atteinte. n'ayant plus la même représentation pour les autres, si l'on
Cette quarantenisation voulue et subie par l'atteinte nar- accepte le concept des « neurones miroirs » de Rizolatti, il
cissique, s'autoentretient par le regard des autres qui, peu n'est plus vu comme étant une partie de soi et plus compris
à peu, se détourne. La personnalité se sent alors devenue comme étant une norme.
inintéressante et, sans doute plus grave, objetisée, en acqué- Le patient étant à la fois là comme une entité et absent
rant ainsi le statut générique « d'exclus » qu'il faut désormais comme corps, il est dans l'incompréhension du rapport aux
assister. autres, à l'environnement, à l'institution.
C'est la troisième atteinte, après les conséquences phy- Cet état est aggravé par la non-perception du temps,
siques et psychiques et la perte d'un statut social relevant puisque le temps n'est plus séquencé en rythme de travail,
d'échanges dignes et utiles. La vulnérabilité est devenue un de repas, de rencontres, il ne donne plus la sensation de
nouvel état, celui d'exclus. Cela s'inscrit bien d'ailleurs dans s'écouler et le malade est en somme, enchâssé dans un pré-
la définition de la santé de l'OMS (1949) « un état de com- sent répétitif.
plet bien-être physique, psychique (…) et social ». Ainsi, en Enfin, le corps définit l'espace, sa place dans l'environne-
cas de maladie, la personne devient en quelque sorte une ment et le monde et la personne atteinte reste extrêmement
« victime consentante ». « enchaînée » à son territoire, la chambre, le bout de trottoir,
l'institution où elle est accueillie.
Chacun sait que sortir de sa chambre habituelle pour une
Perceptions et rapport aux autres personne âgée, même si elle est encore autonome, équivaut
La perte des structures qui édifient la personne, faute d'être à hâter son décès.
stimulées, est alors atteinte. La douleur dans ces conditions est perçue et non com-
Ces éléments fondamentaux qui charpentent un psy- prise, comme chez l'enfant autiste, cette « psychose like »
chisme sont : qui n'est pas une psychose évidemment mais qui lui res-
■ la perception du corps ; semble comme une sorte de mélancolie sociale (syndrome
■ la perception du temps ; de Cotard).
■ la perception de l'espace ;
■ le rapport à l'autre. Pouvoir dire « J'ai mal »
Les codes traditionnels de la rencontre et de l'échange sont
transformés dans l'exclusion et, n'étant pas employés dans Le patient ne peut se décrire à lui-même la douleur, son
leur usage traditionnel, ils ne sont pas compris. Ainsi toutes sens et son intensité, et l'institution ne cherche pas à lui faire
les parades d'approche, de politesse ou de salutation, les « bon- caractériser. Il garde pour lui cette douleur qui ne sait ni ne
jours », le vouvoiement, ne sont plus utilisés normalement peut se dire, crée ainsi la dépression constitutionnelle d'un
pour s'adresser à la personne vulnérable, fragile ou exclue, par corps douloureux qui est devenu la norme. Dépréciation,
un réflexe de protection et de rejet ou de distanciation. dépression, le patient nie son propre corps et son propre état,
Médecine de la douleur pour le praticien
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356   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

d'autant qu'objectivement et subjectivement il ne demande finissent par rendre ces patients hors du monde et hors du
pas d'aide. (figures 54.1 à 54.5) regard. Il est vrai que pouvoir dire « j'ai mal » permet de dire
Bien entendu, ce processus d'aliénation est lent et n'est « je suis mal ». (figures 54.6 et 54.7)
certainement pas complet, mais la douleur n'étant pas iden-
tifiée et comprise, la vulnérabilité, la fragilité, l'exclusion

Figure 54.1 Pieds négligés (A, B)


.
Figure 54.2 Syndrôme de la chaussette (A, B)
.
Chapitre 54. Vulnérabilité   357

Figure 54.3 Plâtre oublié par la non perception du temps

.
Figure 54.4 Nécrose de l'orteil lié au froid : omychomycose

.
Figure 54.5 Zona : syndrome hyper-algique. Anesthésie psy-
chique en l'absence d'écoute adaptée Figure 54.6 Cancer de la face : négligence des symptômes
.
d'alerte
.
Figure 54.7 Dénutrition sévère – avitaminose.
Chapitre
55
Aspects socioprofessionnels
de la douleur
Soliman Le Bigot, Cécile Delours

« L'étude de la douleur conduit à une médecine humaine en tous ses gestes »


René Leriche (1879–1955)

PLAN DU CHAPITRE
Respect de la volonté du patient douloureux. 360 Différentes douleurs à prendre en charge . . . 361
Interdiction de toute obstination déraisonnable Engagement de la responsabilité de l'hôpital
ou acharnement thérapeutique dans le but de ou du médecin : la conséquence directe du défaut
préserver la dignité du patient . . . . . . . . . . . . 360 de prise en charge de la douleur du patient . 362
Décision d'arrêt des traitements : entre Douleur ressentie par les soignants : un obstacle
collégialité et transparence . . . . . . . . . . . . . . . 361 à la bonne prise en charge de la douleur
Soins palliatifs visant à soulager la douleur de leurs patients ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362
du patient en fin de vie : le droit à une sédation Modes amiables de règlement des litiges . . . . 362
profonde et continue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361

Depuis la circulaire en date du 7 janvier 1994 [1], le droit est Mais ce projet n'a pas abouti, Madame Touraine,
venu encadrer la prise en charge de la douleur. Dès lors, « les ministre de la Santé, ayant finalement privilégié une prise
établissements de santé doivent mettre en œuvre les moyens en compte accrue de la lutte contre la douleur dans le
propres à prendre en charge la douleur des patients qu'ils Code de la Santé Publique dans le cadre de la loi Touraine
accueillent » [2], et ce quels que soient la nature du service de modernisation de notre système de santé, en 2016.
de santé, l'âge du patient ou encore son stade d'évolution. Certains articles du Code ont donc été modifiés [3–5]. Le
La France a été l'un des précurseurs dans l'amélioration Centre National de Ressource de lutte contre la Douleur
de la prise en charge de la douleur en ce qu'elle l'a intégrée (CNRD) » créé par le deuxième plan douleur voit ainsi
dans la grande loi Kouchner de 2002 mais aussi en ce qu'elle ses missions actualisées vers davantage d'information du
a lancé trois plans nationaux d'amélioration de la prise en public et des professionnels non spécialistes sur les dou-
charge de la douleur, de 1998 à 2010, faisant de la lutte contre leurs et leurs traitements.
la douleur une véritable priorité de santé publique. Il est par ailleurs rappelé que « tout établissement doit se
Un projet de 4e plan national majeur 2013–2017 dis- doter des moyens propres à organiser la prise en charge de la
tinguait les douleurs aiguës, les douleurs chroniques et les douleur des personnes qu'ils accueillent (…). Une attention
douleurs liées aux soins pour l'ensemble des patients très particulière doit être portée au soulagement de la douleur
douloureux. Trois axes avaient été alors proposés : des personnes en fin de vie » [6].
■ améliorer l'évaluation de la douleur et la prise en charge Avant toute chose, le médecin doit évaluer la douleur
des patients en sensibilisant les acteurs de premier du patient [7] par le biais d'échelles d'évaluation, et ce
recours ; en « toute circonstance » [8]. Les résultats de l'évaluation
■ garantir la prise en charge de la douleur lorsque le patient seront inscrits dans le dossier médical ; à défaut, un man-
est hospitalisé à domicile ; quement dans la prise en charge de la douleur pourrait être
■ aider les patients qui rencontrent des difficultés de reproché et entraîner l'engagement de la responsabilité
communication (nourrissons, personnes souffrant de de l'hôpital. La tendance actuelle est à la judiciarisation
troubles psychiatriques ou de troubles envahissants du mais aussi à l'appel à des modes alternatifs de résolution
développement, etc.) à mieux exprimer les douleurs res- des litiges. La médiation permet d'entrer dans une autre
senties afin d'améliorer leur soulagement. dimension qui prend en compte non plus seulement une

Médecine de la douleur pour le praticien


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360   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

gestion factuelle et ­quantitative du litige mais qui intègre « Les directives anticipées s'imposent au médecin pour
aussi une approche des racines du conflit et du ressenti toute décision d'investigation, d'intervention ou de traite-
subjectif, ce qui est souvent essentiel pour apaiser le patient ment, sauf en cas :
victime [9]. ■ d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une éva-
luation complète de la situation et
■ lorsque les directives anticipées apparaissent manifes-
Respect de la volonté du patient tement inappropriées ou non conformes à la situation
douloureux médicale [17]. »
Le patient doit consentir aux soins médicaux et traite-
ments5 qui lui sont proposés, et ce avant tout acte médical Désignation d'une personne de confiance
[10], en vertu des lois Kouchner en date du 4 mars 2002 [11] Créée par la loi Kouchner en date du 4 mars 2002, qui est
et Léonetti [12]. À l'inverse, il a le droit de les refuser ou notamment à l'origine de l'article L.1111-6 du code de
de demander leur arrêt. S'il refuse, le médecin doit l'infor- la santé publique, la personne de confiance voit son rôle
mer des conséquences de son choix [13] et retranscrire la accentué grâce à la loi Léonetti du 22 avril 2005 [12].
décision du malade dans son dossier médical afin d'assurer À défaut de directives anticipées, le personnel soignant
une traçabilité de la décision. Ainsi, le personnel médical est doit consulter systématiquement la personne de confiance,
certain de ne pas engager sa responsabilité au titre du délit si elle a été désignée par le patient. Elle a un rôle de « porte-
de non-assistance à personne en danger puisque le patient a parole » du patient inconscient. Le praticien n'a toutefois
refusé les soins. pas l'obligation de suivre l'avis de la personne de confiance
Si le médecin ne recueille pas le consentement du qui n'a qu'un rôle consultatif et non décisionnel. Cepen-
patient, il risque d'engager sa responsabilité, à tout le dant, son avis prévaut sur tout autre avis non médical,
moins, concernant le préjudice moral que subirait le patient à l'exclusion des directives anticipées « dans les décisions
(et éventuellement ses proches) et, au plus, concernant aussi d'investigation, d'intervention ou de traitement prises par le
toutes les éventuelles conséquences dommageables qu'aurait médecin » [18]. Le rôle de la personne de confiance cesse
l'acte médical pratiqué sur le patient6. lorsque le patient la révoque ou lorsqu'il est décédé. Tout
comme les directives anticipées, le formulaire de désigna-
Exceptions au principe de consentement tion de la personne de confiance est placé dans le dossier
médical du patient.
du patient : l'urgence et l'obligation L'établissement de santé a l'obligation d'informer le
de soins patient qu'il a la possibilité de désigner une personne de
L'urgence (malade ou blessé en péril) et l'obligation confiance. S'il ne le fait pas, il pourrait voir sa responsabilité
de soins (particulièrement pour les toxicomanes [14] être engagée. Le patient, quant à lui, est libre de décider s'il
ou les personnes condamnées notamment pour infrac- veut désigner ou non une personne de confiance et, s'il en
tion sexuelle [15]) sont deux cas où, puisque la situation désigne une, il peut, tout comme pour les directives antici-
l'impose, le médecin n'a pas besoin du consentement du pées, la révoquer à tout moment, sans obligation de motiver
patient. son choix.

Cas d'un patient inconscient ou hors d'état


d'exprimer sa volonté Interdiction de toute obstination
Lorsqu'un patient est inconscient, la première chose à faire déraisonnable ou acharnement
est de rechercher s'il a rédigé des directives anticipées thérapeutique dans le but
[12, 16] (valables pendant trois ans après leur rédac-
tion). Le patient y aura inscrit les traitements et soins qu'il
de préserver la dignité du patient
entend accepter ou refuser (sédation profonde et continue Les médecins ont une obligation de soins [19] à l'égard de
associée à un traitement de la douleur, assistance respi- leurs patients, et ils ne doivent pas se rendre coupable du
ratoire, etc.) après avoir éventuellement échangé au préa- délit de non-assistance à personne en danger [20].
lable avec des professionnels de la santé et du droit pour le Cependant, le médecin ne doit pas non plus tomber
conseiller. dans l'écueil de l'obstination déraisonnable [21], syno-
Les directives anticipées sont inscrites dans la loi et ont nyme d'acharnement thérapeutique, qui est contraire à la
un caractère obligatoire sauf dans certains cas : déontologie médicale. En effet, une fois qu'il a conscience
que le patient n'a aucune chance de s'en sortir, le médecin
ne doit pas entreprendre des soins disproportionnés par
5
NB : les traitements concernent les soins médicaux prodigués au rapport à son état de santé et vouloir le sauver coûte que
patient ainsi que la nutrition et l'hydratation artificielle, selon la coûte alors qu'il est voué à mourir.
décision du conseil d'État en date du 24 juin 2014. « (…) Les actes de prévention, d'investigation ou de traite-
6
Tel fut le cas lors d'un arrêt en date du 24 septembre 2012 rendu par
le conseil d'État.
ments et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances
Chapitre 55. Aspects socioprofessionnels de la douleur    361

médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rap- doit mettre tous les moyens antalgiques qu'il a à sa disposi-
port au bénéfice escompté (…) » [8, 12, 16] mais aussi par rap- tion afin de soulager au mieux son patient, mais il n'est pas
port à la douleur et à la souffrance morale qu'ils génèreraient. tenu à une obligation de résultat qui viserait à faire dispa-
Une telle interdiction s'explique par une nécessité de raître les douleurs. Le soulagement de la douleur est un droit
conserver la dignité du patient qui ne doit pas voir se pro- fondamental de toute personne [11], visant à sauvegarder la
longer son agonie, ce qui amplifierait sa souffrance ainsi dignité du patient.
que celle de son entourage et qui constituerait une fin de vie « Toute personne malade dont l'état le requiert » [24] peut
contraire à toute éthique. bénéficier des soins palliatifs, et ce sur l'ensemble du terri-
toire français.
Le rapport public annuel de la Cour des comptes de
Décision d'arrêt des traitements : 2014 dénonce de nombreuses insuffisances avec une
prise en charge toujours incomplète. À titre d'exemple,
entre collégialité et transparence 7,5 % des patients hospitalisés aux urgences ont bénéficié
La décision d'arrêter les traitements ou du moins ne pas les de soins palliatifs alors que les deux tiers en auraient eu
entreprendre se fait afin de sauvegarder la dignité du patient. besoin.
Elle est très importante et lourde de conséquences, c'est Parce que toute personne a le droit à une fin de vie digne
pourquoi elle ne doit pas être prise par une seule personne et du meilleur apaisement possible de la douleur selon la loi
mais de manière collégiale [22]. Il faut alors distinguer si le Claeys-Léonetti, le patient a le droit à une sédation profonde
patient est conscient ou non. et continue jusqu'à son décès dans les conditions prévues
S'il est conscient, le médecin a l'obligation de l'informer par la loi.
de toutes les conséquences qu'aurait la décision d'arrêter (ou
de poursuivre) les traitements, et lui présenter les bénéfices
et les risques que sa décision engendrerait [13]. C'est ce que
l'on appelle l'obligation d'information. Cette dernière est Différentes douleurs à prendre
donc prise en pleine connaissance de cause [23] et elle devra en charge
être confirmée après l'écoulement d'un délai raisonnable
afin de s'assurer de sa stabilité, et elle sera inscrite dans le Alors que la douleur physique pourra être apaisée par
dossier médical du patient. Le consentement du patient peut la prise d'analgésiques, la souffrance morale du patient
être retiré à tout moment. pourra être soulagée grâce à l'intervention d'un psy-
Si les avis du médecin et du patient divergent, l'un d'entre chologue, voire d'une assistante sociale, ou encore une
eux peut solliciter l'avis d'un autre médecin. Si le désac- écoute attentive du patient, tant par l'équipe médicale
cord persiste, le médecin doit, quoi qu'il arrive, respecter la que par ses proches. La souffrance spirituelle ne doit
volonté du patient, et ce même s'il n'est pas d'accord avec son ni être mise à l'écart, ni être oubliée. Ainsi, la présence
choix. Au besoin, un médecin médiateur peut intervenir. d'un prêtre ou autre ministre de culte peut aider à
Si le patient est inconscient, le médecin doit vérifier s'il accompagner le patient dans sa douleur, voire le rassu-
existe des directives anticipées Et, le cas échéant, une per- rer spirituellement.
sonne de confiance. À défaut, il doit consulter l'avis de la Le patient n'est pas le seul à souffrir, sa famille et ses
famille du patient ou de ses proches, à la suite de quoi il proches ressentent naturellement et également avec lui une
devra prendre la décision qu'il estime être la meilleure souffrance morale et psychologique. L'intervention d'un
pour son patient. psychologue pourra ainsi leur être proposée.
Si l'équipe médicale décide d'arrêter les traitements, elle Aujourd'hui, la formation du personnel médical à la prise
doit insister auprès de la famille sur le fait que la décision en charge de la douleur est généralisée et non contestée.
d'arrêt des traitements se fait dans l'intérêt supérieur du Ainsi la loi du 2 février 2016 a instauré une obligation pour
patient et qu'il ne consiste en aucun cas en une sorte d'aban- les professionnels de la santé de suivre une formation spéci-
don du patient mais bien en une véritable prise en charge fique aux soins palliatifs.
du patient en ce que le corps médical, d'une part, soula- De nombreuses associations de patients ou d'intérêt
gera sa douleur grâce aux soins palliatifs et, d'autre part, général telles Hôpital 2000 font valoir que la douleur des
l'accompagnera, ainsi que sa famille, dans sa fin de vie. patients et de leurs proches n'est souvent pas suffisamment
apaisée et comprise, faute de temps et de moyens, particu-
lièrement dans le cadre de la fin de vie et alors même que
Soins palliatifs visant à soulager la médecine devient de plus en plus technique. Le Comité
la douleur du patient en fin consultatif national d'éthique (CCNE) relève que « seules
de vie : le droit à une sédation 20 % des personnes qui devraient bénéficier des soins
palliatifs y ont accès avec en outre de lourdes inégalités
profonde et continue territoriales qui existent en ce qui concernent les struc-
Le médecin est débiteur d'une obligation de moyens concer- tures palliatives comme le nombre de lits dédiés en milieu
nant le soulagement de la douleur [8, 21], c'est-à-dire qu'il hospitalier ».
362   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Engagement de la responsabilité expert, ce qui est intéressant économiquement parce qu'il


permet non seulement de résoudre le conflit à moindre coût
de l'hôpital ou du médecin : mais aussi de comprendre les racines profondes du conflit, ce
la conséquence directe du défaut qui peut être plus pertinent en termes de politique de gestion
de prise en charge de la douleur des risques à l'hôpital [26]. Ainsi, il y a lieu de veiller à ins-
du patient taurer des procédures indépendantes et des acteurs indépen-
dants et bien formés qui n'ont pas de lien hiérarchique avec
La prise en charge de la douleur est primordiale. Si le patient l'Institution (http://www.mediateurseuropeens.org/).
ou ses ayant-droits estiment qu'elle n'a pas été entreprise, ils Les procédures amiables de médiation peuvent avoir lieu
doivent prouver une faute, le préjudice qu'elle a engendré et devant les juridictions administratives, judiciaires ou encore
qu'ils établissent le lien de causalité entre cette faute et ce devant les Commissions de Conciliation et d'Indemnisation
préjudice pour engager la responsabilité de l'hôpital, voire des accidents médicaux (CCI) ou peuvent faire l'objet d'un
du médecin si ce dernier a commis une faute personnelle, accord entre les parties et, dans ce cas, il s'agira de média-
détachable de ses fonctions qui doit être très grave (infir- tions conventionnelles [9].
mité, décès, etc.), ou n'avoir aucun rapport avec ses fonc- Par ailleurs, l'action de certaines associations telles que
tions, ou être intentionnelle. Hôpital 2000 pour vaincre la douleur en France et pro-
Ainsi, un hôpital a vu sa responsabilité engagée7 pour mouvoir une philosophie positive « bien être pour bien soi-
avoir manqué à son obligation de prise en charge de la dou- gner » nous paraît aller dans le bon sens de la collaboration
leur physique et morale d'une patiente par le biais de traite- nécessaire entre le médecin et son patient, dans le cadre du
ments visant à atténuer ses douleurs. service public de santé, ou du contrat qui les lie. Les souf-
Dans une autre affaire8, la responsabilité administrative frances au travail ressenties par le soignant ne doivent pas
pour faute d'un hôpital avait été recherchée car le défunt être négligées et le contexte dans lequel il travaille doit faire
patient n'avait bénéficié d'aucune prise en charge de sa dou- aussi l'objet de toutes les attentions.
leur. Il aurait fallu qu'il démontre une impossibilité ou une Un des défis de la rentrée sera la réforme sociale atten-
contre-indication d'administrer des antalgiques au patient due mais aussi hospitalière pour un traitement accru de la
pour pouvoir être exonéré de toute responsabilité fautive. dépendance. Mercredi 24 juillet dernier, le Président de la
République a promulgué la loi relative à l'organisation et à la
transformation du système de santé. Cette nouvelle loi Santé
Douleur ressentie par les « vise à faire émerger un système de santé mieux organisé
soignants : un obstacle à la bonne dans les territoires, renforçant l'accès aux soins. Il favorise
prise en charge de la douleur les coopérations entre les acteurs et les métiers de la santé, et
assure à chaque Français la qualité et la sécurité des soins. »
de leurs patients ? selon le Gouvernement. C'est aussi une véritable culture de
La douleur que peuvent ressentir les soignants (burn out, médiation et d'attention au plus faible qui doit en ressortir
syndrome d'épuisement professionnel des soignants [SEPS], tant le droit doit avoir à coeur de ne pas perdre de vue de
etc.) ne doit pas être négligée en ce qu'elle peut nuire indi- tendre à l'art du juste et du bon.
rectement à une bonne prise en charge de la douleur de
leurs patients (oublis, erreurs médicales, etc.) [25].
En théorie, la durée quotidienne du travail ne peut pas Références
dépasser neuf heures pour les équipes de jour et dix heures [1] Circulaire. DGS/DH n° 94-3 du 7 janvier. relative à l'organisa-
pour les équipes de nuit. Cependant, si la continuité du ser- tion des soins et la prise en charge des douleurs chroniques, http://
vice l'exige, le chef d'établissement peut imposer une durée affairesjuridiques.aphp.fr/textes/circulaire-dgsdh-n-94-3-du-7-­
de travail supérieure, mais il doit au préalable consulter l'avis janvier-1994-relative-a-lorganisation-des-soins-et-la-prise-en-
du comité technique, sans pour autant dépasser 12 heures charge-des-douleurs-chroniques/ ; 1994.
par jour. Le personnel soignant bénéficie d'une pause de [2] Article L.710-3-1 du code de la santé publique, https : //www.legi-
vingt minutes qui peut lui être accordée si le temps de travail france.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?cidTexte=LEGITEXT00000607
2665&idArticle=LEGIARTI000006694589.
quotidien est supérieur à six heures consécutives.
[3] Articles L 4111-1 du code de la santé publique, https : //www.legi-
france.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003397
5530&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20170129.
Modes amiables de règlement [4] Articles L4130-1 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.
des litiges gouv.fr/affichCodeArticle.do ?cidTexte=LEGITEXT000006072665&id
Article=LEGIARTI000020885673&dateTexte=&categorieLien=cid.
Ce sont des modes non juridictionnels de règlement des [5] Articles L 1110-12 du code de la santé publique, https : //www.legi-
litiges. En effet, il est possible, avant d'entreprendre des pour- france.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003191
suites judiciaires, de tenter de résoudre le litige à l'amiable, 9050&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160128.
notamment par le biais d'un médiateur et d'un éventuel [6] Circulaire. n°2006-90 du 2 mars 2006 relative aux droits des per-
sonnes hospitalisées, http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2009/04/
cir_10571.pdf.
7
Arrêt rendu par le Tribunal administratif de Cergy Pontoise, en date
[7] Article R. 4311-2 cinquièmement du Code de la santé publique,
du 3 avril 2008 n° 0506 992.
https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do ?idSectionTA=LEGIS
8
Arrêt rendu par la Cour administrative d'appel de Bordeaux, en date
du 13 juin 2006. CTA000006190610&cidTexte=LEGITEXT000006072665.
Chapitre 55. Aspects socioprofessionnels de la douleur    363

[8] Article L.1110-5 du code de la santé publique, https : //www.legi- affichTexte.do;jsessionid=AF32750AF05ED3FD75190D7614A


france.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003197 C4C41.tplgfr37s_1?cidTexte=JORFTEXT000031970253&dateTe
2245&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204. xte=20191016.
[9] Truelle JL, Azoux-Bacrie L, Meralli-Ballou Monnot S, Cohen Solal H. [18] Article L. 1111-12 du code de la santé publique, https : //www.
Médiation & Santé : un nouveau droit de l'homme. Médias & Média- legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIART
tions ; 2018. I000031972320&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTe
[10] Article 16-3 du code civil, alinéa 2, https : //www.legifrance.gouv.fr/ xte=20160815.
affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI000006419297&cidTexte [19] Article 47 du code de déontologie médicale et l'article R.4127-47 du
=LEGITEXT000006070721&dateTexte=20040807. code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCo-
[11] Loi Kouchner. en date du 4 mars 2002, n° 2002-303 relative aux droits deArticle.do ?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGI
des malades et à la qualité du système de santé, https : //www.legi- ARTI000006912913&dateTexte=&categorieLien=cid.
france.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=JORFTEXT000000227015&c [20] Article 223-6 du code pénal, https : //www.legifrance.gouv.fr/affich-
ategorieLien=id. CodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI000037289588&cidTexte=LEG
[12] Loi Léonetti. en date du 22 avril 2005, n° 2005-370 relative aux droits ITEXT000006070719&dateTexte=20180806.
des patients en fin de vie, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichTexte. [21] Article 37 du code de déontologie médicale, retranscrit à l'article
do ?cidTexte=JORFTEXT000000446240&categorieLien=id. R.4127-37 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.
[13] Article L. 1111-10 du code de la santé publique, https : //www.legi- fr/affichCodeArticle.do ?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArti
france.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00000668 cle=LEGIARTI000021773765.
5790&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20050423. [22] Article L.1110-5-1 du code de la santé publique, https : //www.legi-
[14] Article L.3423-1 du code de la santé publique, https : //www.legi- france.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003197
france.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00000668 1164&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204.
8187&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20100101. [23] Article L. 1111-4 du code de la santé publique, https : //www.legi-
[15] Article 131-36-1 du code pénal, https : //www.legifrance.gouv.fr/affi- france.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003197
chCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI000006417315&cidTexte=L 2276&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204.
EGITEXT000006070719&dateTexte=20040310. [24] Loi. Claeys-Léonetti n° 2016-87 en date du 2 février, https : //www.
[16] Décret. n° 2006-119 du 6 février 2006 relatif aux directives anticipées legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=JORFTEXT00003197025
prévues par la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des 3&categorieLien=id ; 2016.
malades et à la fin de vie et modifiant le code de la santé publique (dis- [25] Hôpital 2000. Bien-être pour bien soigner. Conférence débat sur la
positions réglementaires), https : //www.legifrance.gouv.fr/affichTexte. souffrance des soignants. In : Faculté de médecine et de maïeutique
do ?cidTexte=JORFTEXT000000456203&categorieLien=id. Lyon Sud-Charles Mérieux ; 2015. Mars.
[17] Article L. 1111-11 du Code de la santé publique LOI n° 2016-87 [26] Qualité et sécurité en établissement de santé. Panorama de la gestion
du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades des risques en France – 2017. Sous la direction d'Éric Bertrand et Joël
et des personnes en fin de vie. http://www.legifrance.gouv.fr/ Schlatter. In : Panorama LEH édition ; 2017.
Chapitre
56
Est-il une éthique du soin
de la douleur ?
Emmanuel Hirsch

PLAN DU CHAPITRE
L'humanité et l'intelligence d'un soin compétent. 365 Impossibilité même de la synthèse, le non-sens
Responsabilité de soigner avec prévenance. . . 366 par excellence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367

L'humanité et l'intelligence ler ? Qu'en est-il de ce qu'on nomme uniformément


maltraitance et qui est souvent négligence11, maladresse,
d'un soin compétent indifférence et révèle peut-être notre peur face à l'autre
« Tandis qu'on me déplaçait la douleur est arrivée, la vraie, ainsi éprouvé dans son humanité, dans sa chair, dans ce
et avec elle, un instant, comme une lumière rouge à travers qui lui est constitutif ? La cohérence, la rationalité des
une persienne, la perception du combat que j'allais devoir protocoles et des procédures ne sont-elles pas défiées, là
mener » [1]. Quelle est la vérité d'une douleur, la connais- où il convient d'accepter une certaine vulnérabilité par-
sance qui avec elle fait irruption en nous ? Comment lui tagée, une parenthèse ou un autrement dans l'agir, voire
donner l'hospitalité, la recueillir et la comprendre dans ses une perte de maîtrise, ces détours obligés pour parvenir à
significations intimes, parfois ultimes ? Que nous révèle- réhabiliter la relation ? Est-il en fait une « éthique du soin
t-elle d'une demande et d'une attente adressées par celle de la douleur » qui permettrait d'énoncer quelques repères
ou celui qui souffre, parfois même lorsqu'il ne trouve plus assurés en termes de juste présence et de bonnes pratiques,
la force d'exprimer la moindre parole ? Ce dont témoigne d'ériger des principes transposables à des attitudes et à des
la personne malade dans l'expression de sa douleur, c'est gestes respectueux de la personne assujettie à une douleur
d'un besoin d'écoute9, de réceptivité, d'apaisement et de souvent intense comme une « lumière rouge », violente
sollicitude. Il convient de donner audience à cette parole, comme un « combat » parfois insensé à mains nues ? Je
voire à cette plainte : la « prendre au sérieux » nous dit- n'en suis pas certain, tant il s'avère déjà hasardeux de défi-
on, et comprendre l'appel comme un message qui nous est nir, de repérer et de circonscrire ces territoires étranges et
adressé10. obscurs dans la cartographie du soin.
En quoi sommes-nous en responsabilité d'une souf- Respecter la personne qui souffre, c'est assumer ce
france existentielle – acmé des douleurs incoercibles – moment douloureux pour l'un comme pour l'autre,
dont on comprend que dans son amplitude même elle caractérisé par les sentiments d'impuissance, de dépen-
excède la capacité soignante à l'atténuer et à la conso- dance, d'incommunicabilité et de fragilité. Il convient
d'envisager en des circonstances toujours personnelles, le
sens d'une attention, d'une inquiétude ainsi que le champ
9
« Le médecin est celui qui entend ces plaintes. Par conséquent, des compétences à mobiliser. Cela peut se comprendre
dans ce secours à l'autre, à ce premier appel à l'autre, comme un devoir de non-abandon, interprété par chacun
la première réponse est peut-être une réponse de médecin. selon la partition inspirée par ses propres valeurs de vie
Je ne dis pas que tout le monde est médecin par rapport et, pour le soignant, le regard qu'il porte sur son engage-
à tout autre mais, très certainement, cette attente médicale
de l'autre constitue une des racines très profondes de la relation
interhumaine. » Emmanuel Levinas, in: Médecine et éthique.
Le devoir d'humanité, ibid, p. 42–3. 11
« La douleur, maître symptôme de la médecine, est trop souvent
10
Témoignage : Ma souffrance aujourd'hui, elle est diffuse, elle englobe encore aujourd'hui négligée et mal traitée. » « Les douleurs
tellement de choses, de l'incompréhension des autres, au manque de chroniques en France. Recommandations de l'Académie nationale
soutien des proches, en passant par la solitude, je voudrais juste être de médecine pour une meilleure prise en charge des malades », 9
une jeune femme, maman, compagne comme les autres. » octobre 2018, p. 3.

Médecine de la douleur pour le praticien


© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 365
366   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

ment. La relation de soin, singulière, parfois énigmatique Responsabilité de soigner


risque de déporter aux confins des savoirs, des certitudes
ou des convictions, y compris dans sa confrontation à la
avec prévenance
demande d'une sédation profonde et continue12. « Bienheureux ceux qui souffrent », affirme l'évangéliste
La notion de « mal » où se forgent les termes malade et Matthieu (5, 3–12). Irrecevable aujourd'hui, cette considé-
maladie trouve ici une signification autre que théologique, ration justifierait une affirmation profondément différente :
morale ou philosophique : celle de souffrance et de dou- « Bienheureux ceux qui ne négligent pas l'autre dans sa
leur. Le mal prend ici la forme d'une force naturelle arbi- demande et son droit de ne pas souffrir, ceux qui consacrent
traire, destructrice et insubmersible, bien décrite ici : « Tout sollicitude et compétence afin de l'apaiser.15 » Trop souvent
d'abord, tout semble pouvoir être atteint. La souffrance encore, une indifférence aux aspects douloureux de la mala-
frappe là où elle veut, généralement dans la partie du corps la die y ajoute le fardeau d'une « seconde peine »16 que l'on sait
plus faible, donc là où elle aura le plus de chance d'effectuer pourtant atténuer, pour autant que soit reconnue et assumée
des ravages. »13 La douleur en appelle ici à l'urgence d'une cette part sensible, délicate et complexe qu'est l'humanité
réponse antalgique davantage qu'aux controverses savantes. d'un soin.
Il est néanmoins une expérience de l'ordre du spirituel et Notre relation à la souffrance et à la douleur a évolué,
même du sacré (« Il se crée, au moment de la souffrance pour parvenir désormais au concept politique de « droit de
intense exercée par le médecin sur le malade, curieusement, ne pas souffrir » (« Toute personne a le droit de recevoir des
un sentiment d'amour et de respect que je crois réciproque. soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toutes
La souffrance a quelque chose de sacré. Le médecin qui a circonstances prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.
fait souffrir et le malade qui a souffert deviennent des sortes […] » [8]. Après avoir mis à bas l'idéalisation du dolorisme
d'amis, de complices, mais il y a la pudeur. » [2]) qui, même et de la catharsis, la souffrance a été médicalisée, sécularisée
si elle surprend, dérange et inquiète, ne peut être évitée. pour ne pas dire « laïcisée ». Elle se conçoit en des termes
Notre rapport ambivalent et peu satisfaisant à la souffrance de sciences biomédicales ainsi que de sciences humaines et
et à la douleur dans un contexte biomédical, ne se limite sociales. Les protocoles et les bonnes pratiques profession-
donc pas à la technicité d'une « médecine de la douleur ». nelles se sont substitués aux conceptions d'un passé parfois
Il lui faut une ouverture sur une culture, une pensée, voire caricaturé (« Laurent, serrez ma haire, avec ma discipline. »,
une spiritualité adossées aux champs disciplinaires, notam- Molière, Le Tartuffe, III, 2). Mais une fois posé le principe
ment de l'histoire [3], de l'anthropologie [4], de la sociolo- d'une démarche éthique faite de retenue et de vigilance dans
gie [5], de la psychologie [6] et de la philosophie [7]. S'il est l'exercice professionnel, ne convient-il pas de mieux identifier
une « éthique du soin de la douleur », elle doit ainsi s'ins- ce qu'il en est et en quoi elle engage ? D'autre part, n'a-t-on
crire dans l'histoire des conquêtes de nouveaux territoires pas à distinguer le concept de souffrance de celui de douleur ?
de responsabilité et de dignité, là où la condition humaine L'approche de la souffrance et de la douleur relève du
nous confrontait par le passé au caractère insupportable de souci de préserver une attention éthique17 opposée à toute
douleurs incontrôlables et inapaisables14. Cette éthique doit forme de négligence, de banalisation, de violence, voire
s'inventer, s'imposer et se conjuguer dans le quotidien d'une d'inhumanité. Cette conscience morale de ce qu'incarne et
relation interindividuelle en affirmant la sollicitude, l'huma- justifie la responsabilité de soigner peut s'inscrire dans la
nité et l'intelligence d'un soin digne, respectueux et com- filiation de la Déclaration universelle des droits de l'homme.18
pétent. En quoi la personne souffrante nous touche-t-elle ?
De quelle manière nous affecte-t-elle pour nous situer à son
égard dans une proximité, une intimité à ce point énigma-
tique qu'on hésite à s'y exposer ?
15
« Lettre de Bernard Kouchner, secrétaire d'État à la Santé et à
l'Action sociale, jointe à la lettre circulaire HH-EO 4 n° 052777
du 3 décembre 1998 relative au plan de lutte contre la douleur » :
« Pendant longtemps, la douleur a été vécue comme une fatalité.
12
« À la demande du patient d'éviter toute souffrance et de ne pas L'évolution des connaissances nous donne aujourd'hui des
subir d'obstination déraisonnable, une sédation profonde et moyens importants permettant de réduire, dans des proportions
continue provoquant une altération de la conscience maintenue considérables, la douleur des patients. »
jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble 16
« Véritable « douleur maladie », la douleur chronique doit être
des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas considérée comme une authentique « deuxième maladie évoluant
suivants : « 1. Lorsque le patient atteint d'une affection grave et souvent pour son propre compte. » « Les douleurs chroniques en
incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente France. Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour
une souffrance réfractaire aux traitements. 2. Lorsque la décision une meilleure prise en charge des malades », 9 octobre 2018. p. 5.
du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un 17
Témoignage de T. D., infirmière : « Les niveaux de douleur sont
traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible multiples. Elle peut être totalement envahissante et transformer
d'entraîner une souffrance insupportable. (...) », code de la santé l'homme en quelque chose qui n'a plus de parole, qui n'est plus tout
publique, article L. 1110-5-2. à fait humain. Le malade semble perdre son corps, il ne sait même
13
Témoignage de Jean-Paul Wagner. plus où il a mal. Laisser un malade à “sa” douleur, c'est le comble
14
« Bien que la douleur ne soit que partiellement responsable de de l'incompréhension du soignant. La parole compte, mais elle
la souffrance du patient, les effets qu'elle peut avoir sur la vie de est délicate, il faut apporter des explications qui n'amplifient pas
ce dernier peuvent aller du malaise supportable au sentiment l'angoisse… Et puis aussi, il faut savoir recevoir des questions qui
d'épuisement et de défaite écrasante. » Déclaration de principe sur sont de vraies énigmes. »
la prestation de soins aux patients souffrant de douleurs chroniques 18
« Nul ne sera soumis à la torture ni a des peines ou traitements
violentes en phase terminale de maladie. Association médicale cruels, inhumains ou dégradants. », Déclaration universelle des
mondiale (AMM) ; 1983. droits de l'Homme, ONU, 10 décembre 1948, art. 5.
Chapitre 56. Est-il une éthique du soin de la douleur ?    367

Une telle exigence d'insoumission ne peut cependant pas l'effraction de l'intégrité, une crise identitaire accentuée par
se satisfaire de résolutions formelles, de positions incanta- une perte d'estime de soi, un sentiment de culpabilité, en
toires, aussi généreuses soient-elles. Elle oblige au devoir de particulier à l'égard des proches, ce cumul de vulnérabilités
ne pas laisser souffrir, mais aussi de ne pas faire souffrir, et qui accentue le ressenti de la dépendance, et parfois la proxi-
fixerait ainsi quelques repères intangibles ainsi que des cri- mité d'un inéluctable qui peut être redouté.
tères indicatifs de l'effectivité d'une telle prévenance. Envisager la multiplicité de ces enjeux, c'est donc déve-
Les soignants doivent comprendre leur mission comme lopper l'intelligence d'une clinique de la douleur accessible
attachée au bien-être de l'autre, et ne pas consentir à des à la diversité des formes d'ouverture et de soutiens, com-
considérations opposées aux principes de bienveillance et de plémentaires aux protocoles antalgiques, dont la personne
non-maltraitance. Leur position ne peut donc pas se satis- devrait pouvoir bénéficier, notamment d'ordres moral,
faire à cet égard d'une neutralité ou d'une passivité indignes relationnel, psychologique et spirituel. Il convient de favo-
de la confiance qui leur est accordée. L'approche éthique riser des mobilisations autres que professionnelles alors que
de celui qui souffre relève d'un engagement profession- l'expérience de la souffrance entrave précisément la faculté
nel inconditionnel, et refuse toute concession à l'ancienne de « sortir de soi19 », de se penser encore dans le monde, en
rhétorique de « l'endurance du malade » tolérant l'insup- relation et en devenir. Comment maintenir une « présence
portable sans que sa souffrance soit même audible. Cet au monde », dès lors que les conditions mêmes de l'échange
attachement aux valeurs de dignité et de respect est l'affir- s'étiolent au point de se détourner de la parole et de renon-
mation de droits fondamentaux de la personne qu'aucune cer à l'usage des mots pour tenter de dire ce qui ne sera
justification ne saurait révoquer. Le souci témoigné à ce qui plus compris ? Comment, pour un proche, accepter, dans
l'éprouve et revendique un apaisement permet d'envisager l'impuissance à faire encore comprendre son amour et sa
la justesse d'une présence soignante aux moments les plus considération, l'incapacité d'épargner la personne de ce qui
marquants du parcours dans la maladie. La prise en soin de affecte son humanité même20 ?
la douleur anticipe et accompagne en effet ses différentes C'est là où doit être posée la distinction nécessaire entre
phases à travers l'identification des moments critiques, une souffrance et douleur. Même si l'apaisement physiologique
analyse ajustée aux circonstances ainsi qu'à leur évolutivité, de la douleur restaure une certaine qualité de bien-être,
une concertation préoccupée de ce qu'exprime la personne persiste parfois cette dimension plus ontologique et existen-
de son ressenti et de ses demandes. Il s'agit d'accueillir, tielle de la souffrance, « désespérance d'une angoisse21 » qui
de comprendre et de traiter ce qui, à un moment donné, ne saurait relever seulement du registre médical. Comment
semble le plus lui importer et risque de faire obstacle à son mieux comprendre l'intrication entre souffrance et douleur,
acceptation du projet médical, à sa volonté de mobiliser ses et dans une approche éthique quelles lignes d'action en
ressources personnelles pour lutter. Y compris lorsque trop tirer ?
affaiblie pour solliciter la moindre prévenance à son égard, Pour le philosophe Emmanuel Levinas « il est dif-
il ne saurait pour autant se concevoir de la laisser « à sa dou- ficile d'analyser la douleur. L'enfermement de toute
leur », de l'abandonner dans le huis clos de sa souffrance. Il souffrance ? Sans doute, son refus d'entrer dans aucune
ressort déjà de ces quelques observations que se soucier de synthèse. Elle est précisément la déchirure même,
la souffrance et de la douleur de l'autre, c'est concevoir la refusant la synthèse. Elle n'est pas l'indication du fait
responsabilité du soin jusque dans ses terrains les plus expo- que la synthèse n'est pas possible : c'est l'impossibilité
sés, là où le reconnaître dans ses vulnérabilités amplifie nos même de la synthèse, le non-sens par excellence vécu
obligations à son égard.
19
« Sortir de soi, c'est s'occuper de l'autre, et de sa souffrance et de sa
Impossibilité même de la synthèse, mort. Je ne dis pas du tout que cela se fait de gaieté de cœur, que
ce n'est rien, ni surtout que serait là une cure contre l'horreur ou
le non-sens par excellence la lassitude d'être ou contre l'effort d'être, une façon de se distraire
de soi. Je pense que c'est la découverte du fond de notre humanité,
L'approche médicale de la douleur relève d'une clinique à
la découverte même du bien dans la rencontre d'autrui – je n'ai
part entière et vise à la prévenir, à favoriser son contrôle, pas peur du mot « bien » ; la responsabilité pour l'autre est le bien.
voire à en maîtriser les effets dans le cadre d'une alliance Ce n'est pas agréable, c'est bien. », Poirié F. Emmanuel Levinas.
thérapeutique. Les souffrances existentielles relèvent toute- Besançon : La Manufacture ; 1992. p. 80.
fois d'expériences intimes toujours marquées par des par- 20
« Elle perdait toute sensation de son corps, se cognait aux rebords,
ticularités biographiques et culturelles et que ne parvient manquait les marches. Rire lui faisait mal, elle grimaçait seulement
pas à appréhender la seule technicité antalgique, y compris quelquefois. Le médecin disait qu'un nerf était probablement coincé.
Elle ne parlait qu'à voix basse, était si mal en point qu'elle ne pouvait
lorsque l'on pense avoir identifié la composante psycholo- plus gémir. Elle inclinait la tête sur son épaule mais la douleur l'y
gique afin d'en assurer un suivi spécifique. Viser à « la prise poursuivait : ''Je n'ai plus rien d'un être humain'' » Peter Handke, Le
en charge globale de la personne » procède d'une exigence malheur indifférent, Paris, Gallimard, 1984, p. 102.
certes respectable mais dont on constate les écueils et les 21
« J'ai appris la douleur dans mes livres mais on ne m'avait rien
limites, dès lors qu'elle viserait en quelque sorte à résorber dit de la souffrance, car la souffrance a une autre dimension
la totalité d'une souffrance alors que l'approche ne peut que la douleur. Elle conteste l'homme et lui montre sa fragilité.
Cette souffrance, je l'ai très souvent rencontrée. Désespérance
que se concevoir dans une humilité, une retenue, y compris d'une angoisse si difficile, voire impossible de faire partager par
dans son intentionnalité. En effet, la maladie au pronostic les autres. Elle ajoute, à la douleur physique, une dimension de
incertain ou péjoratif confronte à des souffrances multiples, solitude... ». Jasmin C. Médecine et éthique. Le devoir d'humanité.
provoquées notamment par des renoncements contraints, Paris : Cerf ; 1990. p. 323.
368   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

­directement » [9]. « Je ne suis plus que souffrance » me france n'est pas la douleur » [11] éclaire alors notre propos :
confiait une personne ne trouvant plus d'issue à une « On s'accordera donc pour réserver le terme douleur à des
maladie qui « s'obstinait à l'emmurer en elle-même et à affects ressentis comme localisés dans des organes particu-
la trahir ». Il s'agit, pour reprendre les catégories déve- liers du corps ou dans le corps entier, et le terme souffrance
loppées par Emmanuel Levinas, d'un « enfermement » à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport
dont il convient de trouver une échappée en y rétablis- à soi, le rapport à autrui, le rapport au sens, au questionne-
sant une cohérence, une cohésion, un ordonnancement, ment […]. » L'éthique du soin de la douleur relève du souci
une possibilité de franchissement. L'alliance thérapeu- de préserver le sens du rapport entre la personne malade et
tique, en ces circonstances, tient à la capacité de réhabili- ce qui lui permet, d'une part, de maintenir son identité en
ter et de soutenir un réinvestissement de soi, une faculté lien avec le monde et, d'autre part, de soutenir une curio-
de reprendre l'initiative, ne serait-ce que par fidélité à sité et une envie de vie insoumises à ce qui risquerait de les
ce que l'on était avant. Cependant, comment conférer un entraver. Il me semble dès lors indispensable d'envisager les
sens renouvelé à une vie distordue par une douleur qui modalités d'une relation, d'un rapport à l'autre soucieux de
semble l'avoir déracinée de ses fondations ? Est-ce conce- son exigence d'intégrité, de délivrance, de liberté.
vable et à quelles conditions ? Car la douleur peut mener Est-il une éthique du soin de la douleur ? La question
la personne trop loin et ne plus permettre d'envisager un semblerait mieux formuler en des termes comme « quel
recours lorsqu'elle s'avère réfractaire à son traitement et soin consacrer à celle ou celui qui souffre ? » ou « que peut
nous livre à d'obscures pensées. Nos libertés menacent notre soin auprès de l'autre qui souffre ? », ou « que sont nos
d'être anéanties par l'émergence d'une « souffrance devoirs de soignants auprès l'autre qui souffre », ou encore
totale » envahissant l'espace relationnel. Souffrir au-delà « nos soins sont-ils capables d'apaiser la souffrance de
du possible, du pensable, du dicible, c'est d'une certaine l'autre ? » Ces interrogations doivent se partager et s'enrichir
manière avoir le sentiment d'être destitué d'une part de dans des approches qui ne peuvent être que personnelles et
son humanité. La sensibilité est ramenée à une sensation circonstanciées tant elles échappent à toute forme de sys-
insupportable, à ce qu'il n'est plus possible d'assumer. Il tématisation et peuvent bouleverser l'ordonnancement des
s'agirait déjà de la présence anticipée de la mort : mort à plus efficaces protocoles. Elles représentent un défi lancé à
soi, mort aux autres. « À quoi bon aller plus loin… Pour- la science biomédicale, à ses modalités de compréhension,
quoi lutter davantage ?... » Au sens propre du terme, tout d'analyse, d'évaluation et de décisions. Et pourtant, dans
devient insensé. un contexte qui se veut performant en dépit de multiples
En témoigne en des termes universels, Léon Tolstoï contraintes, la prise en soin de la douleur est susceptible
suggérait que la souffrance est plus insensée encore que la d'éveiller les pratiques à cette exigence d'humanité et de
mort : « Ivan Ilitch ne quittait déjà plus son divan, sur lequel dignité insoupçonnée ou négligée qui honore et élève la
il demeurait couché, ne voulant pas rester dans son lit. Et conscience éthique de soin. « La douleur dispense sa force
étendu presque toujours le visage tourné vers le mur, il souf- de question, là où celle-ci est la moins soupçonnée.» [12].
frait, seul, de ses souffrances insolubles, il se plongeait, seul,
dans ses pensées insolubles. « Qu'est-ce donc ? Est-ce vrai-
ment la mort ? » Et la voix intérieure répondait : « Oui, c'est Références
la mort. » – « Mais pourquoi ces souffrances ? » Et la voix
répondait : « Comme ça ! Pour rien. » [10]. Est-il éthique de [1] Lançon P. Le Lambeau. Paris : Gallimard ; 2018. p. 131.
[2] Guibert H. Cytomégalovirus. Paris : Le Seuil ; 1992. p. 68.
renoncer à évoquer l'absurdité des circonstances avec la per-
[3] Rey R. Histoire de la douleur. Paris : La Découverte ; 1993.
sonne qui tente, malgré tout, d'obtenir les quelques récon- [4] Le Breton D. Anthropologie de la douleur. Paris : Métalié ; 1998.
forts et explications indispensables pour recomposer un [5] Baszanger I. Douleur et médecine, la fin d'un oubli. Paris : Le Seuil ;
univers sensé, un espace habitable, vivable en dépit de ce qui 1995.
l'affecte si douloureusement ? Ou alors serait-il préférable de [6] Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Paris : Dunod ; 2004.
s'en tenir à un discours médico-scientifique, à la rationalité [7] Hirsch E. L'existence malade. Dignité d'un combat de vie. Paris : Cerf ;
de données objectivées dont il est acquis qu'elles n'allègeront 2010.
pas le tourment ? Une telle occultation de la signification [8] Article L. 1110-5-3 du code de la santé publique, https : //www.­
existentielle de la souffrance lui retirerait la dimension énig- legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI000031
matique et si délicate à appréhender, parce que paradoxale : 971181&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204.
[9] Levinas E. In: Hirsch E. Médecine et éthique. Le devoir d'humanité.
celle d'une expérience humaine constitutive de qu'est notre
ibid. p. 44–5.
humanité. Il ne s'agit pas d'en revenir à une conception spi- [10] Tolstoï L. La mort d'Ivan Ilitch. Paris : Stock ; 1927. p. 111.
rituelle, mais de saisir en quoi la souffrance fait irruption [11] Ricoeur P. La souffrance n'est pas la douleur. Revue de psychiatrie
dans le soin et interpelle le soignant là où la technicité à française numéro spécial 1992. juin.
elle seule ne saurait satisfaire une autre exigence de bienfai- [12] Heidegger M. L'expérience de la pensée. In : Questions III. Paris :
sance et de consolation. L'article de Paul Ricœur « La souf- ­Gallimard ; 1966. p. 156.
Chapitre
57
Les douleurs chroniques
en France. Recommandations
de l'Académie nationale de
médecine pour une meilleure
prise en charge des malades22

Patrice Queneau23, Alain Serrie24, Richard Trèves24, Daniel Bontoux23, au nom d'un
groupe de travail rattaché à la Commission XV de l'ANM. Les douleurs chroniques en
France. Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une meilleure
prise en charge des malades. Bull Acad Natl Méd. 2018 ; 202(7) : 1355–70.

PLAN DU CHAPITRE
Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370

La douleur, maître symptôme de la médecine, est trop souvent ■ membre titulaire de l'Académie :
encore aujourd'hui négligée et mal traitée. La prise en charge des – Jean-Pierre Michel ;
maladies douloureuses chroniques pose souvent des problèmes ■ membres correspondants de l'Académie :
difficiles, malgré l'éventail actuel des ressources thérapeutiques, – Bernard Laurent,
médicamenteuses et non médicamenteuses, dont on dispose. – Yves de Prost,
Le caractère rebelle de la douleur peut conduire à solli- – Christian Roques ;
citer la contribution de médecins et de soignants qui, spé- ■ invités au groupe de travail
cialement formés, exercent dans une « structure spécialisée – Dr Justine Avez-Couturier, pédiatre, consultation
douleur chronique » (SDC). douleur-enfant, CHU de Lille,
– Dr Didier Bouhassira, neurologue, directeur de
recherche Inserm, ancien président de la SFETD,
Méthodologie CHU Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt,
– Dr Elisabeth Collin, médecin de la douleur, responsable
Un groupe de travail multidisciplinaire, comportant de nom- de la consultation d'évaluation et de traitement de la dou-
breux invités, fut mis en place en 2015. Treize réunions ont leur, hôpital Avicenne, GHU Paris - Seine-Saint-Denis,
permis les auditions et les débats nécessaires à la rédaction du – Dr Claire Delorme, praticien hospitalier, coordinateur du
présent rapport, auquel ont contribué les experts suivants : Réseau régional douleur, centre hospitalier de Bayeux,
– Pr Alain Eschalier, professeur de pharmacologie médi-
cale, UMR Inserm Neuro-dol, institut Analgesia, univer-
22
Rapport voté en séance plénière le 9 octobre 2018 par
l'Académie nationale de médecine, 16, rue Bonaparte, 75272 sité Clermont-Auvergne, CHU de Clermont-Ferrand,
Paris cedex 06 – Dr Laurent Grange, rhumatologue, CHU Grenoble-
23
Membres de l'Académie nationale de médecine Alpes, président de l'Association française de lutte
24
Membres correspondants de l'Académie nationale de médecine antirhumatismale (AFLAR), Paris,
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 369
370   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

– Dr Caroline Maindet, médecin de la douleur, CHU 7. améliorer les situations de prise en charge pour les popu-
Grenoble-Alpes, lations les plus vulnérables,
– Pr Julien Nizard, chef du Centre fédératif dou- 8. soutenir et reconnaître les personnes douloureuses et
leur, soins palliatifs et de support, éthique clinique, leurs proches,
­responsable de l'unité de recherche clinique « Douleur 9. développer la recherche translationnelle en impliquant
et neurochirurgie », CHU de Nantes, tous les acteurs.
– Pr Serge Perrot, hôpital Cochin, Paris,
– Pr Roland Peyron, professeur associé, Centre stépha-
nois de la douleur, service de neurologie, unité Inserm Prise en charge de la douleur chronique
U879, CHU de Saint-Étienne, et rôle des structures spécialisées douleur
– Pr Gisèle Pickering, professeur de pharmacologie cli- chronique
nique, centre d'investigation clinique (CIC) Inserm Vingt-deux millions de patients (30 % de la population fran-
1405, université Clermont-Auvergne, CHU de çaise de plus de 18 ans) se plaignent de douleurs chroniques
Clermont-Ferrand, et prennent tous les jours au moins un antalgique depuis au
– Dr Éric Serra, psychiatre et médecin de la douleur, res- moins six mois selon l'étude STOPNEP (Study of Prevalence
ponsable centre douleur, CHU d'Amiens, of Neuropathic Pain), réalisée par entretiens téléphoniques
– Dr Pierre Tajfel, praticien hospitalier CETD-Versailles, de type SOFRES [3].
président de l'association La douleur et le patient dou- La grande majorité des malades douloureux chroniques
loureux (LDPD), est prise en charge par les médecins généralistes et les spé-
– Dr Florence Tiberghien, médecin de la douleur, centre cialistes concernés.
de la douleur d'Aix-les-Bains, Ce n'est donc que dans les cas de douleurs chroniques
– Dr Barbara Tourniaire, pédiatre, responsable du rebelles que certains patients sont dirigés vers les SDC, dont
Centre de la douleur et de la migraine de l'enfant, la mission est d'appréhender le douloureux chronique selon
CHU Trousseau, Paris. un modèle multidimensionnel, bio-psychosocial, reposant
sur une démarche évaluative puis sur un projet de traite-
Résultats ment personnalisé multimodal.
Actuellement, ces SDC, labellisées au niveau régional par
Définition d'une douleur chronique chaque Agence régionale de santé (ARS) sous la coordina-
L'une des définitions de référence de la douleur, parmi les tion de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS),
plus citées, est celle de l'International Association for the sont organisées en deux niveaux de « prise en charge pluri-
Study of Pain (IASP) : « expérience sensorielle et émotion- professionnelle en équipes » constituées de médecins, spécia-
nelle désagréable, liée à une lésion tissulaire existante ou listes de diverses disciplines (neurologues, rhumatologues,
potentielle, ou décrite en termes évoquant une telle lésion ». chirurgiens, psychiatres, etc.) et d'autres soignants (infir-
Reprenant cette définition de l'IASP, la Haute Autorité de mières, psychologues, physiothérapeutes, etc.) :
santé (HAS) définit la douleur chronique comme une dou- ■ les consultations, axées sur des démarches d'évaluation,
leur « évoluant depuis plus de 3 à 6 mois et/ou susceptible de diagnostic et de soins en cas de douleurs chroniques
d'affecter de façon péjorative le comportement ou le bien- rebelles et invalidantes,
être du patient » [1]. ■ les centres, qui assurent la prise en charge de malades plus
complexes et/ou requérant certains soins très spécialisés.
Enjeux de la douleur et défis à relever Les centres ont en outre des responsabilités d'enseigne­
Ils sont explicités dans le Livre blanc de la douleur 2017 de la ment, d'expertise et de recherche.
SFETD, qui propose de mettre en place dès 2018 les mesures En 2018, il existe 273 SDC labellisées en France, dont
concrètes suivantes [2] : 67 centres de la douleur chronique [3,4]. L'activité clinique au
1. maintenir et consolider le rôle des SDC qui se sont déve- sein de ces SDC varie de 500 à plus de 5 000 patients par centre et
loppées au cours des vingt dernières années et ont fait la par an (données des ARS). Le délai d'attente moyen est de l'ordre
preuve de leur efficacité, de 3 mois, voire davantage pour certaines SDC très spécialisées.
2. renforcer la formation de tous les professionnels de santé Les SDC bénéficient de plusieurs sources de financement :
à la prise en charge de la douleur, des dotations nationales par les missions d'intérêt général et
3. impliquer davantage les acteurs des premiers recours, les d'aide à la contractualisation (MIGAC), au prorata du nombre
médecins généralistes et les pharmaciens, dans l'accom- de consultations externes ; mais également la T2A, pour ce qui
pagnement du patient douloureux, est des hospitalisations, avec l'inconvénient de privilégier les
4. améliorer la prise en charge de la douleur aux urgences actes techniques sur les approches cliniques pluridisciplinaires,
et en médecine ambulatoire, mais aussi l'accessibilité de ce qui pénalise injustement la prise en charge clinique des
cette prise en charge dans tout le territoire, en particulier patients.
au moyen des nouvelles technologies, Le nombre de demandes de consultations croît conti-
5. développer des campagnes de prévention de la douleur nuellement, alors que certaines SDC apparaissent mena-
au travail ou encore du fait d'une intervention chirurgi- cées en raison du prochain départ à la retraite des médecins
cale ou en lien avec des soins, qui les ont fondées et du risque que ceux-ci ne soient pas
6. développer la reconnaissance des approches non médica- remplacés faute de candidats formés à la médecine de la
menteuses de la douleur et de l'éducation thérapeutique douleur et/ou du fait de non-renouvellements de postes
du patient, médicaux.
Chapitre 57. Les douleurs chroniques en France. Recommandations...    371

Quand recourir aux structures spécialisées Exemples d'indications d'envoi


en douleur chronique ? en structure spécialisée en douleur chronique
La HAS a publié en 2008 des recommandations sur l'identi- selon la spécialité
fication de la douleur chronique et sur les critères cliniques Douleurs chroniques en médecine générale
d'orientation des patients vers les structures spécialisées Qu'elle soit aiguë ou chronique, la douleur est le premier
pour les situations suivantes [1] : motif de consultation du médecin. Elle reste l'apanage, en
■ diagnostic nécessitant des évaluations répétées, premier recours, du médecin généraliste.
■ traitement médicamenteux difficile à équilibrer, Du fait des progrès thérapeutiques permettant des survies
■ syndrome douloureux chronique sévère et complexe, plus longues (notamment aux patients atteints de cancers)
■ lorsque le patient ne perçoit pas le caractère plurifactoriel et du vieillissement de la population générale, de nombreux
de sa douleur chronique, patients souffrant de diverses douleurs chroniques sont
■ difficultés de mise en œuvre du projet thérapeutique amenés à être suivis au long cours en médecine générale [5].
ambulatoire, L'enquête de la HAS sur la population adressée par les
■ retentissement scolaire ou conséquences socioprofes- médecins généralistes et les spécialistes aux SDC a montré,
sionnelles, en 2008, que les recours étaient « justifiés » pour la majorité
■ au cas par cas, en cas de demande expresse du patient, des patients (93 %).
■ motif particulier : social, professionnel, etc.
■ traitements ou modes de prise en charge qui ne peuvent Douleurs rhumatologiques chroniques
être assurés ailleurs,
En ce domaine, les SDC sont principalement sollicitées pour :
■ non-remboursement de certains actes indispensables,
■ des rachialgies, surtout des lombalgies et des sciatal-
■ dossiers complexes nécessitant une discussion interdisci-
gies chroniques rebelles (plus d'un million de Français
plinaire,
sur dix millions sont lombalgiques), par discarthrose,
■ souhait du patient de participer à un programme de
troubles statiques ou encore maladies professionnelles ou
recherche.
postchirurgicales ;
■ des fibromyalgies (3 à 7 % de la population, dont 80 %
Ces recommandations restent d'actualité. De plus, les
de femmes) à expression algique prédominante, sévère et
SDC peuvent se révéler utiles en cas :
rebelle, dans le cas desquelles un diagnostic posé par un
■ de douleurs neuropathiques, de traitement souvent
SDC et une prise en charge par des approches complé-
difficile,
mentaires évitent des errances médicales délétères.
■ d'effets indésirables préoccupants de traitements en cours,
■ de traitements antalgiques de palier 3 non justifiés, dont on
connaît le risque d'accoutumance, d'addiction et d'over- Douleurs chroniques rebelles en neurologie
dose (fréquente dans certains pays tels les États-Unis). Selon l'étude STOPNEP, 7 % de la population générale
■ de prise en charge des malades vulnérables : enfants, handi- souffrent de douleurs neuropathiques liées à [3] :
capés, personnes souffrant de troubles psychologiques ou ■ des maladies neurologiques telles la sclérose en plaques
mentaux importants ou de difficultés de communication. (SEP), la maladie de Parkinson, des séquelles d'accident
vasculaire cérébral (AVC), une paraplégie, etc. ;
Quels malades consultent les structures ■ des lésions des nerfs périphériques du fait d'un cancer,
spécialisées en douleur chronique ? d'un diabète, de séquelles chirurgicales, etc. ;
■ certains traitements (par exemple une chimiothérapie
Dans le rapport de l'HAS, la répartition des patients selon
anticancéreuse).
leur type de douleurs est la suivante [1] :
Il faut y ajouter :
■ lombalgies et sciatalgies : 26 %,
■ la migraine (16 % de la population française sont concer-
■ douleurs neuropathiques : 19 %,
nés, dont deux tiers de femmes) et les céphalées chro-
■ douleurs cancéreuses : 17 %,
niques quotidiennes (CCQ) « de tension » ou induites par
■ céphalées et migraines : 12 %,
des mésusages et des abus médicamenteux ;
■ fibromyalgie et autres symptômes douloureux idio­
■ les douleurs orofaciales (névralgies faciales, algies vas-
pathiques : 10 %,
culaires de la face [AVF], maladie de Horton, etc.),
■ syndromes douloureux régionaux complexes : 8 %,
souvent rebelles, qui induisent un handicap dont l'im-
■ autres douleurs : 7 %,
portance est parfois sous-estimée, peuvent devenir des
indications de recours aux SDC, en vue de mener des
Qui adresse les malades en structure spécialisée stratégies de traite­ment alliant médicaments, prise en
en douleur chronique ? charge psychologique (thérapies comportementales et
Une fois sur deux, c'est le médecin généraliste, notamment cognitives [TCC], par exemple) et/ou des interventions
dans des cas de fibromyalgie, de céphalées ou de lombalgies. techniques spécifiques [6].
Quarante pour cent des patients sont orientés par un méde- Plus généralement, les traitements médicamenteux des
cin spécialiste (douleurs neurologiques ou cancéreuses, syn- douleurs neuropathiques sont souvent peu efficaces, ce qui
drome douloureux régional complexe, etc.). conduit à recourir à des techniques de stimulation ou d'in-
À noter que le pourcentage des recours justifiés aux SDC terruption des voies de la nociception.
était évalué comme situé entre 83,6 % à 97,1 % par l'HAS en Les stratégies de prises en charge identifient volontiers les
2008 [1]. trois niveaux ci-dessous (figure 57.1).
372   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Niveau de difficultés de prise en charge


Niveau de compétences des spécialistes
Niveau des coûts de santé

Douleurs très résistantes...

Céphalées réfractaires Algie vasculaire de la face,


(quotidienne, abus névralgies faciales et
médicamenteux, algie céphalées sévères...
vasculaire de la face...)
Douleurs fonctionnelles graves
Fibromyalgie, lombalgies
Zona diabète alcool... chroniques résistantes Douleurs du cancer résistantes
Céphalées : céphalées de * aux opiacés
tension, migraines, AVF, *
Douleurs fonctionnelles Consultation antidouleur
Présence de psychiatre Neurochirurgie de la douleur
Fibromyalgie...
(implantation, stimulation du
* TTT spécifiques : patch cortex ou de la moelle)
Médecin formé à la douleur capsaicine, kétamine,
Antidépresseurs et nouveaux antiépileptiques... Pose de cathéters intrathécaux
antiépileptiques ou intra ventriculaires
Antimigraineux Techniques non
Techniques non médicamenteuses : TENS, Prise en charge en groupes,
Médicamenteuses hypnose, sevrage... éducation thérapeutique

Stade 1 : médecin généraliste Stade 2 : médecin spécialiste douleur Stade 3 : centre douleur pluridisciplinaire
ou spécialiste (SDC) (soins-enseignement-recherche... CHU)

Figure 57.1 Douleurs neuropathiques chroniques (B. Laurent et R. Peyron).

Douleurs chroniques au cours du cancer impact médico-économique important, lié aux soins ainsi
Le nombre de malades en vie après un cancer augmente qu'à l'absentéisme des parents au travail [11].
régulièrement : il atteint 3 millions en France, en 2008, avec Actuellement en France, seules trente SDC bénéficient
la prévision de 18 millions en 2022. Leur réinsertion dans la d'une labellisation spécifique pour l'accueil des enfants, avec
« vie normale » dans ce contexte d'« après cancer » [7] néces- une grande disparité géographique. La spécificité d'experts
site une prise en charge psychosociale et familiale ainsi qu'un de la douleur de l'enfant est nécessaire pour une évaluation et
suivi oncologique incluant une bonne qualité d'alimentation, une prise en charge appropriées dans les cas les plus difficiles.
la pratique du sport, un soutien psychologique, mais aussi une
prise en charge des douleurs chroniques, souvent rebelles à Douleurs chroniques en gériatrie
de nombreux traitements. Celles-ci peuvent être induites par et dans les maladies neurodégénératives
le cancer, les actes diagnostiques et t­hérapeutiques (chirurgie, Les personnes âgées de plus de 65 ans représentent 17 % de
radiothérapie, chimiothérapie, utilisation de facteurs de crois- la population française. Les projections démographiques
sance ou d'antiaromatases, etc.) ou encore la dépression et le font état d'une augmentation de 25 % de personnes âgées de
stress (crainte d'une r­ écidive et de la mort). Dans ce contexte, plus de 75 ans d'ici 2025.
en interface étroite avec les oncologues, les SDC peuvent être Touchant 50 % des personnes âgées vivant à domicile,
utiles pour apaiser les douleurs les plus rebelles, notamment 70 % de celles vivant en institution et plus de 80 % de celles
neuropathiques ou articulaires, condition d'une reprise de l'ac- en phase terminale de vie, les douleurs chroniques réduisent
tivité physique et d'une lutte efficace contre la fatigue, l'anxiété la mobilité, favorisent l'isolement et produisent un état
et la dépression [8]. dépressif souvent inaugural de troubles du comportement
et de la cognition. Un nombre croissant de personnes âgées
Douleurs chroniques de l'enfant et de l'adolescent souffrent de douleurs parfois mal exprimées, sous-estimées
Fréquentes et parfois sous-évaluées, les douleurs chroniques et souvent importantes, notamment au cours de maladies
ont un retentissement global sur l'enfant et sa famille. Des neurodégénératives (démences, maladie de Parkinson, AVC,
études anglo-saxonnes montrent qu'il existerait des dou- troubles cognitifs, etc.). Les nouvelles techniques d'évalua-
leurs chroniques et/ou récurrentes chez 25 % des enfants et tion observationnelle du comportement (visage et attitude)
adolescents, avec une prédominance chez les filles [9, 10]. sont en l'occurrence précieuses.
Il s'agit essentiellement de céphalées et de migraines, de L'encadré 57.1 explicite dix objectifs de la prise en
douleurs musculosquelettiques, abdominales ou diffuses. À charge de la douleur en gériatrie et dans les maladies
l'origine d'un absentéisme scolaire important, elles ont un ­neurodégénératives [12, 13].
Chapitre 57. Les douleurs chroniques en France. Recommandations...    373

impactées par la douleur (48 millions par l'absentéisme et


Encadré 57.1 Les dix objectifs de la prise 40 millions par le présentéisme avec douleur) [15] :
en charge de la douleur en gériatrie et dans ■ la prévalence des personnes en arrêt maladie de longue
les maladies neurodégénératives durée est de 5 % en cas de douleur, versus 1 % dans le
1. Poursuivre la diffusion de l'approche graduelle et optimiser groupe sans douleur ;
l'évaluation des traitements antalgiques, médicamenteux et ■ les patients ayant déclaré une douleur ont consulté envi-
non médicamenteux. ron deux fois plus souvent que les autres (9 consultations
2. Promouvoir l'utilisation des échelles de la douleur dans versus 4,8), ce qui représente 72,2 millions de consul-
tous les milieux de vie des patients âgés atteints de troubles tations supplémentaires par an. À partir du tarif d'une
neurodégénératifs ; en enseigner les spécificités et les limites. consultation chez un médecin généraliste (23 euros)
3. Enrichir les recommandations de prise en charge de la douleur, et du taux de remboursement par l'Assurance maladie
en particulier chez la personne âgée mal-communicante. (70 %), cela correspond à un surcoût annuel d'environ
4. Sensibiliser aux effets indésirables et aux interactions médi- 1,163 milliard d'euros.
camenteuses dans le contexte gériatrique de polymédica- Quelques chiffres de coûts annuels de santé liés à des
tion, de comorbidités, de déficit cognitif et de fragilité. pathologies précises en France suivent :
5. Cibler les conséquences de la douleur per se et des ■ la migraine coûte 1 milliard, pour une prévalence de 17 %
analgésiques sur les domaines cognitifs et émotionnels et de la population [16] ;
envisager des stratégies de coping. ■ les céphalées chroniques coûtent 2 milliards, pour une
6. Conduire des essais cliniques randomisés de bonne qualité prévalence de 3 % de la population ;
et des études observationnelles larges afin d'évaluer le ■ les lombalgies coûtent 6 000 euros par personne atteinte ;
rapport bénéfice-risque des molécules dans la vraie vie ■ la fibromyalgie coûte 6 000 euros par personne atteinte.
des personnes âgées, en particulier en cas de maladie
neurodégénérative. Formation initiale et continue
7. Conduire des études sur la synergie des techniques
pharmacologiques et non pharmacologiques chez les
La formation de tous les soignants
patients âgés et très âgés. Concernant les médecins, cette formation doit commencer
8. Poursuivre la construction au niveau national d'une force dès le premier cycle (en sciences humaines et sociales, notam-
multidisciplinaire en médecine de la douleur en gériatrie, ment), puis tout au long des deuxième et troisième cycles des
par une collaboration entre les sociétés savantes. études médicales. Elle devra faire l'objet de validations spéci-
9. Rendre la gériatrie et la douleur en gériatrie attractives aux fiques et se poursuivre dans le cadre de la formation continue.
professionnels de santé : cela est lié à un enseignement
adapté et à des opportunités d'emplois à la clé.
10. 
Prévenir la douleur induite, l'anticiper et la prendre en La formation à la médecine de la douleur
charge le plus tôt possible, avec une balance bénéfice- Cette formation obéissait ces dernières années à un
risque optimisée, ce qui constitue un défi éthique chez le Diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC)
sujet âgé pour une qualité de vie préservée. de quatre semestres, intitulé « Médecine de la douleur et
médecine palliative », qui donnait satisfaction. Ce DESC est
Source : Capriz F et al., 2017 [12], Pickering G, 2017 [13]. aujourd'hui remplacé par une formation spécialisée trans-
versale (FST) d'une durée de deux semestres consécutifs,
durée que ­l'Académie nationale de médecine avait regrettée
La prise en charge de la douleur en 2016 [17].
chronique : un problème de société Cette FST « Médecine de la douleur » doit conduire à
former, en complément de leur Diplôme d'études spéciales
La douleur a un coût (DES) d'origine, les médecins de la douleur dont la France
Les répercussions des douleurs chroniques sont impor- a besoin (30 à 35 par an selon le Collège national des ensei-
tantes : la vie du patient (QALYS) va être transformée, ce qui gnants de la douleur), afin de permettre le renouvellement
peut entraîner chômage ou licenciement, difficultés fami- des effectifs nécessaires à la pérennisation des 273 SDC
liales (rejet, rupture, divorce ou, au contraire, maternage existantes.
et infantilisation), psychologiques (anxiété, dépression) ou L'organisation de cette FST sera coordonnée dans chaque
médicolégales (invalidité, procès) [14]. région par des « pilotes », universitaires ou praticiens hospi-
taliers, provenant de disciplines diverses. Cette FST ne créée
pas de nouvelle spécialité : elle figurera comme mention
Activité professionnelle, productivité associée au diplôme du DES d'origine, témoignant de l'acqui-
et situations professionnelles sition d'une compétence complémentaire. Cette compétence
La National Health and Wellness Survey (NHWS), réalisée s'exercera dans le cadre de l'exercice de la spécialité d'origine.
en France en 2013, portant sur 15 000 personnes, permet Dans le cadre de la réforme, prochaine, du quatrième
d'estimer le poids socio-économique de la douleur. On cycle, un autre objectif serait d'intégrer la formation conti-
estime (en extrapolant à la population française en 2013) nue et de permettre les vocations tardives de « médecin de
que la douleur a des conséquences sur le travail de deux tiers la douleur », comme le permettait auparavant l'acquisition
des personnes en souffrant : 88 millions de journées sont d'une Capacité douleur.
374   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Quels enseignants ? Des choix stratégiques, organisationnels et politiques,


L'importance de ces enseignements « exige une filière spé- sont nécessaires pour soutenir une recherche transla-
cifique dans chaque UFR avec un coordinateur univer- tionnelle en un temps où la pharmacopée, ancienne, est
sitaire “douleur” pour organiser les enseignements et la ­a ssortie d'un ratio bénéfice-risque insatisfaisant pour
recherche » [17]. lutter avec efficacité contre les douleurs chroniques, très
Ce coordinateur universitaire “douleur” doit être un handicapantes pour les patients et très coûteuses pour la
PU-PH ou un professeur associé « médecin de la douleur » société.
nommé :
■ soit dans l'option « thérapeutique-médecine de la dou- Recommandations
leur », récemment créée au sein de la quatrième sous-sec- À partir du rapport établi, l'Académie nationale de méde-
tion de la quarante-huitième section du Conseil national cine émet les recommandations pratiques suivantes :
des Universités (CNU), désormais libellée : « Thérapeu- 1. Consolider les 273 « structures spécialisées douleur chro-
tique-médecine de la douleur ; addictologie (2 options) » nique » (SDC) pour les années à venir, alors que certaines
(suivant l'arrêté du 16 février 2018, Journal officiel du 6 d'entre elles se trouvent menacées par les prochains
mars 2018), départs à la retraite de médecins de la douleur.
■ soit dans une des grandes spécialités universitaire concer- 2. Désigner dans chaque UFR un « coordinateur universi-
nant la douleur. taire douleur », rattaché à la sous-section « Thérapeu-
tique-médecine de la douleur » du CNU ou à une des
Données internationales sur la formation grandes disciplines universitaires concernant la douleur.
à la douleur 3. Veiller au renouvellement des équipes des SDC par :
Au sein de la formation initiale – des médecins ayant bénéficié d'une FST « Médecine de
Au sein de la formation initiale, l'enseignement sur la la douleur », outre leur DES d'origine,
douleur est peu développé en Europe, à l'exception de – d'autres soignants (infirmières, physiothérapeutes,
deux pays, l'Allemagne et la France, avec un contenu psychologues, etc.) ayant bénéficié d'une formation
pédagogique et un volume horaire standardisés. Il faut « douleur ».
rappeler que c'est en France, en 1985, que le premier 4. Outre l'indispensable formation initiale de tous les méde-
enseignement au monde a vu le jour, sous la forme d'une cins et soignants à la spécificité de la douleur chronique,
attestation d'études supérieures, puis d'un Diplôme faciliter l'accès à des formations complémentaires sur les
d'université (DU) délivrée par la faculté de médecine nouvelles approches non médicamenteuses, technolo-
Lariboisière (Paris VII). giques et psychosociales.
5. Développer la recherche clinique et fondamentale trans-
lationnelle par la mise en place de choix stratégiques,
Quel enseignement européen pour les médecins politiques et organisationnels.
de la douleur ?
Récemment, l'European Federation of IASP Chapters
(EFIC) a souhaité définir un curriculum de qualification Références
en médecine de la douleur : le European Diploma of Pain
Medicine (EDPM), décrit en détail sur le site : https:// [1] Recommandations professionnelles - ­Douleur chronique : reconnaître
www.europeanpainfederation.eu/core-curriculum/ le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient.
Recommandations sur l'identification de la douleur chronique et sur
diploma-in-pain-medicine/.
les critères cliniques d'orientation des patients vers les structures spé-
cialisées. Décembre, https : //www.has-sante.fr/portail/upload/docs/
La recherche application/pdf/2009-01/douleur_chronique_recommandations.pdf ;
2008.
La recherche sur la douleur est une nécessité absolue pour
[2] SFETD. Livre blanc de la douleur 2017 - État des lieux et propositions
des raisons épidémiologiques, diagnostiques, thérapeu- pour un système de santé éthique, moderne et citoyen. Paris : Med-
tiques, sociétales, économiques et éthiques. Line ; 2017.
La recherche fondamentale et clinique française [3] Bouhassira D, Lantéri-Minet M, Attal N, Laurent B, Touboul C. Pre-
(incluant les thérapeutiques non médicamenteuses insuf- valence of chronic pain with neuropathic characteristics in the gene-
fisamment validées) a acquis un positionnement apprécié ral population. Pain 2008 ; 136 : 380–7.
en Europe. Mais elle doit accroître sa visibilité internatio- [4] Actualisation de l'annuaire national des structures d'étude et de
nale. Conduite par des équipes rattachées à l'Inserm, au traitement de la douleur chronique et au recueil de leurs données
CNRS (24 équipes) ainsi qu'aux universités et aux CHU, de file active et d'activité 2017. Bulletin officiel Santé-Protection
en interface avec les SDC, elle est financée prioritairement sociale-Solidarité 2017/11, 15 décembre 2017. http://solidarites-sante.
gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/douleur/
(69 %) par des budgets issus d'appels à projets, avec cepen-
les-structures-specialisees-douleur-chronique.
dant des financements limités en provenance de l'Agence [5] Tajfel P, Gerche S, Huas D. La douleur en médecine générale. Douleur
nationale de la recherche (ANR) et de Programmes hos- et Analgésie 2002 ; 15 : 71–9.
pitaliers de recherche clinique (PHRC) : 0,76 % des pro- [6] Serrie A, Navez M. In : Guillevin L, Mouthon L, Levesque H, editors.
jets biologie-santé financés par l'ANR et 1,5 % des projets Les douleurs oro-faciales. Traité de médecine. Paris : TDM éditions ;
financés par les PHRC concernent la douleur. 2018.
Chapitre 57. Les douleurs chroniques en France. Recommandations...    375

[7] Villet R, Degos L, Rouëssé J, Huriet C, Triboulet P. Retour à la « nor- [13] Pickering G, Pain Neuropathic. In : Lussier Cruciani, editor. Pain
male » après traitement d'un cancer. Bull Acad Natle Méd 2018 ; 202 : Management in the Elderly Patient : A Comprehensive Guide to
521–35. Diag­nosis and Treatment. New York : Springer ; 2017.
[8] Welsch C, Delorme C, Larue F, Beauchet A, Krakowski I, Braseur L. [16] Michel JP, Beattie BL, Martin FC, Walston JD. Oxford Textbook of
­Données épidémiologiques sur la douleur du cancer en France. Évolu- Geriatric Medicine. Oxford : Oxford University Press ; 2017.
tion sur deux décennies de la prévalence et de l'intensité de la douleur [14] Serrie A. La prise en charge de la douleur chronique : un problème de
chez les malades atteints de cancer. Douleur et Analgésie 2013 ; 26 : société. Bull Acad Natle Méd 2015 ; 199 : 555–65.
126–32. [15] Eschalier A, Mick G, Perrot S, Poulain P, Serrie A, Langley P,
[9] King S, Chambers CT, Huguet A, MacNevin RC, McGrath PJ, Par- ­Pomerantz D, Ganry H. Prevalence and characteristics of pain and
ker L, Mac Donald AJ. The epidemiology of chronic pain in child- patients suffering from pain in France : an epidemiological survey
ren and adolescents revisited : A systematic review. Pain 2011 ; 152 : National Health and Wellness Survey in 1500 adults. Douleurs 2013 ;
2729–38. 14 : 4–15.
[10] Huguet A, Miró J. The Severity of Chronic Pediatric Pain : an Epide- [17] Queneau P, Serrie A, Laurent B, Trèves R, Communiqué : À propos
miological Study. J Pain 2008 ; 9 : 226–36. de la disparition du DESC douleur. Une formation spécialisée trans-
[11] Gallo A, Tourniaire B, Chary-Tardy A-C. Que sont devenus les ado- versale de la douleur chronique est nécessaire. Bull Acad. Natle Méd
lescents douloureux chroniques ? Suivi d'une cohorte. Archives de 2016 ; 3 : 597–9.
pédiatrie 2012 ; 19(6) : H276–7. Supplément 1.
[12] Capriz F, Chapiro S, David L, Floccia M, Guillaumé C, Morelet V,
et al. Consensus multidisciplinaire de l'utilisation des antalgiques
chez la personne âgée. Douleurs 2017 ; 18 : 234–47.
Chapitre
58
Liste des recommandations
Alain Serrie, Claire Delorme, Marie-Louise Navez

PLAN DU CHAPITRE
Méthodologie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 Opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379
Cancer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 Enfant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 Sujet âgé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
Douleurs neuropathiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 Anesthésie locale et locorégionale . . . . . . . . . 380
Douleurs postopératoires . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 Soins palliatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
Fibromyalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379 Handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
Migraine et céphalée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379

Les recommandations mises à jour par la SFETD seront pré- support)-SFAP (Société française d'accompagnement et de
sentées à l'occasion du 19e Congrès national de la SFETD du soins palliatifs)-SFETD, sont actuellement uniquement dispo-
27 au 29 novembre 2019 à Strasbourg et seront accessibles nibles dans la revue Douleur et Analgésie (2018 ; 31 : 109–19).
sur le site http://www.sfetd-douleur.org/.
La morphine dans le cadre
Méthodologie générale du changement d'opioïde ou de voie
Méthode « Recommandations d'administration, chez l'adulte avec
pour la pratique clinique » (2010) une douleur due au cancer (2017)
L'objectif de ces « Standards, options et recommandations »
Ce guide a pour objectif de décrire la méthode d'élaboration
(SOR) élaborés par le groupe d'experts AFSOS-SFAP-SFETD
de recommandations de bonne pratique selon la méthode
est de fixer les modalités d'administration de la morphine
« Recommandations pour la pratique clinique ». Il s'adresse
dans le cadre du changement d'opioïde ou de voie d'adminis-
aux professionnels qui souhaitent connaître la méthode uti-
tration, chez l'adulte avec une douleur due au cancer.
lisée par la HAS ou développer des recommandations de
https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/
bonne pratique selon cette méthode.
h t t p s : / / w w w. h a s - s a n t e . f r / j c m s / c _ 4 3 1 2 9 4 / f r /
recommandations-pour-la-pratique-clinique-rpc L'oxycodone dans le cadre
du changement d'opioïde en oncologie
Méthode « Recommandations (2016)
par consensus formalisé » (2010) L'objectif de ces « Standards, options et recommandations »
élaborés par le groupe d'experts AFSOS-SFAP-SFETD est de
Ce guide a pour objectif de décrire la méthode d'élabo-
fixer les modalités d'administration du nouvel opioïde dans
ration de recommandations de bonne pratique selon la
la prise en charge de la douleur due au cancer.
méthode « Recommandations par consensus formalisé ».
https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/
Il s'adresse aux professionnels qui souhaitent connaître la
méthode utilisée par la HAS ou développer des recomman-
dations de bonne pratique selon cette méthode. SOR pour la prise en charge des douleurs
h t t p s : / / w w w. h a s - s a n t e . f r / j c m s / c _ 2 7 2 5 0 5 / f r / provoquées lors des ponctions lombaires,
recommandations-par-consensus-formalise-rcf osseuses et sanguines chez les patients
atteints de cancer — adulte et enfants
Cancer (2005)
L'hydromorphone dans le cadre L'objectif de ces recommandations pour la pratique clinique
est de déterminer les règles de prise en charge des douleurs
du changement d'opioïde en oncologie provoquées lors des ponctions sanguines, lombaires ou
(2018) osseuses chez l'adulte et l'enfant atteints de cancer. Elles visent
Ces recommandations, émanant du groupe d'experts AFSOS à améliorer la qualité de la prise en charge des patients en
(Association francophone pour les soins onco­logiques de fournissant aux praticiens une aide à la décision facilement
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 377
378   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

­ tilisable et actualisée. Cette brochure présente c­ onjointement


u https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_732257/douleur-
les recommandations issues des « Standards, options et chronique-reconnaitre-le-syndrome-douloureux-­
recommandations pour la prise en charge des douleurs pro- chronique-l-evaluer-et-orienter-le-patient
voquées lors des ponctions lombaires, osseuses et sanguines
chez l'adulte » et « Standards, options et recommandations
pour la prise en charge des douleurs provoquées lors des Douleurs neuropathiques
ponctions lombaires, osseuses et sanguines chez l'enfant ».
https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/
Les douleurs neuropathiques chroniques :
diagnostic, évaluation et traitement en
médecine ambulatoire (2010)
Mise au point sur l'utilisation pratique La SFETD a élaboré des recommandations professionnelles
de la méthadone concernant les douleurs neuropathiques chroniques (de
Trois sociétés savantes, l'AFSOS, la SFAP et la SFETD, dans le durée au moins égale à trois mois) de l'adulte et de l'enfant.
cadre de la réactualisation des Standards, options et recom- Ces recommandations sont destinées à l'ensemble des pro-
mandations pour la prise en charge de la douleur due au can- fessionnels de santé confrontés aux douleurs neuropathiques
cer, ont proposé à un groupe de travail composé d'experts issus en ambulatoire : généralistes, neurologues, rhumatologues,
de ces sociétés d'établir ces recommandations qui concernent gériatres, odontologistes, kinésithérapeutes et infirmiers. Ces
l'utilisation de la méthadone dans les douleurs du cancer. recommandations ont été actualisées en novembre 2019.
https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/ https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/

Neuropathic pain – pharmacological


Douleurs chroniques management : the pharmacological
Douleur chronique : les aspects management of neuropathic pain in adults
organisationnels – Le point de vue in non specialist settings (mise à jour 2013)
des structures spécialisées (2009) Le National Institute for Health and Care Excellence (NICE),
Cet état des lieux a pour principaux objectifs d'analyser : équivalent de la HAS au Royaume-Uni, a publié des recom-
■ les caractéristiques de la population se rendant dans les mandations pour la prise en charge pharmacologique des
structures spécialisées ; douleurs neuropathiques de l'adulte.
■ l'adéquation « ressentie » entre l'offre proposée par les https://www.nice.org.uk/guidance/cg173
structures d'évaluation et de traitement de la douleur
chronique actuellement implantées dans les établisse- Douleurs postopératoires
ments de soins et les besoins des patients qui consultent ;
■ la pertinence d'une organisation en trois types de struc- Réactualisation de la recommandation sur
tures spécialisées de lutte contre la douleur chronique la douleur postopératoire, par la Société
(consultation, unité, centre) ;
■ le rôle et la place des professionnels médicaux et non française d'anesthésie et de réanimation
médicaux (infirmier, masseur kinésithérapeute, psycho- (2016)
logue, etc.) dans le traitement et le suivi de la douleur Depuis la Conférence de consensus sur la douleur postopé-
chronique ; ratoire de 1997 et les Recommandations formalisées d'ex-
■ les articulations existantes et souhaitables entre les struc- pert (RFE) de 2008, il était nécessaire de compléter ou de
tures spécialisées et les structures de soins palliatifs. modifier les recommandations déjà existantes. Un groupe
https://www.has-sante.fr//portail/jcms/c_813396/en/­ de 14 experts a travaillé sur des questions non traitées dans
douleur-chronique-les-aspects-organisationnels?xtmc=&x les référentiels précédents ou sur des recommandations
tcr=4 déjà publiées mais modifiées à la suite de la publication de
nouvelles données dans la littérature. La méthode utilisée
est invariablement la méthode GRADE (Grading of Recom-
Douleur chronique : reconnaître mendations Assessment, Development and Evaluation), qui
le syndrome douloureux chronique, garantit la rigueur du travail fourni.
l'évaluer et orienter le patient (2008) https://sfar.org/reactualisation-de-la-recommandation-sur-
la-douleur-postoperatoire/
L'objectif de ces recommandations est de favoriser la mise
en œuvre de parcours de soins adaptés aux patients expri-
mant une douleur chronique et les échanges entre les
professionnels des structures spécialisées et ceux qui leur
Prise en charge de la douleur postopératoire
adressent des patients. L'enjeu de ces recommandations, qui chez l'adulte et l'enfant (2008)
se fondent sur le principe selon lequel toute douleur expri- Ces recommandations professionnelles, élaborées selon
mée doit être entendue et suivie d'un traitement adapté, est la méthodologie des RFE par le comité douleur-ALR de
d'améliorer la qualité de vie des patients présentant une la SFAR, réactualisent la conférence de consensus de 1997
douleur chronique. sur la prise en charge de la douleur postopératoire sur huit
Chapitre 58. Liste des recommandations    379

aspects identifiés comme prioritaires : la qualité, l'utilisation l'adulte et, lorsque la CCQ survient chez un migraineux,
des morphiniques, l'utilisation des antalgiques non morphi- la prise en charge des céphalées par abus médicamenteux
niques, l'intérêt des antihyperalgésiques, la prévention de ainsi que celle de la migraine chronique. La littérature sur
la douleur chronique postchirurgicale, les indications des les CCQ de l'enfant est plus pauvre. Le groupe de travail
infiltrations, la place de l'anesthésie locorégionale en post­ a cependant dégagé quelques particularités concernant la
opératoire et l'analgésie après chirurgie en ambulatoire. démarche diag­nostique en cas de CCQ de l'enfant et de
ht t p s : / / s f a r. o r g / p r i s e - e n - c h a r g e - d e - l a - d o u l e u r-­ l'adolescent.
postoperatoire-chez-ladulte-et-lenfant-2/ https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
S0035378714000666?via%3Dihub
Prévention et traitement de la douleur
postopératoire en chirurgie buccale (2005) Prise en charge diagnostique
L'objectif de ces recommandations est d'assurer une meil- et thérapeutique de la migraine
leure prise en charge de la douleur postopératoire pour les chez l'adulte et chez l'enfant (2013)
patients hospitalisés ou en ambulatoire en cas de chirurgie Les recommandations concernent la prise en charge
buccale (hors chirurgie sous anesthésie générale et hors globale de la migraine : stratégie diagnostique et thé-
analgésie par protoxyde d'azote [50 %] et oxygène). rapeutique, aspects économiques de la maladie et de ses
https://www.has-sante.fr//portail/jcms/c_272499/ traitements, migraine cataméniale, migraine de la femme
prevention-et-traitement-de-la-douleur-postoperatoire-en- enceinte, migraine et contraception orale ou encore
chirurgie-buccale migraine et ménopause. Ces recommandations consti-
tuent les révisions des recommandations professionnelles
sur la « Prise en charge diagnostique et thérapeutique de
Fibromyalgie la migraine chez l'adulte et chez l'enfant : aspects cliniques
et économiques », publiées par l'Anaes (Agence nationale
Rapport d'orientation – Syndrome d'accréditation et d'évaluation en santé) en 2002 et révisées
fibromyalgique de l'adulte (2010) en 2012.
Rédigé par la HAS à la demande du ministère de la Santé, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
ce rapport d'orientation fait un état des lieux des données S0035378712010466
disponibles (hors sciences fondamentales) concernant le
syndrome fibromyalgique de l'adulte et propose des orienta- Recommandations pour le diagnostic et le
tions aux professionnels de santé pour prendre en charge les traitement de l'algie vasculaire de la face
personnes qui en souffrent.
Ces recommandations, élaborées par la SFEMC, concernent le
h t t p s : / / w w w. h a s - s a n t e . f r / j c m s / c _ 9 9 3 8 9 9 / f r /
diagnostic et la prise en charge de l'AVF chez le patient adulte.
syndrome-fibromyalgique-de-l-adulte
Elles sont destinées aux professionnels impliqués dans la
prise en charge des patients présentant une algie vasculaire
Migraine et céphalée de la face : médecins généralistes et spécialistes, pharma-
ciens d'officine.
Recommandations pour la prise en charge https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
d'une céphalée en urgence S1624568715000025
Les recommandations, élaborée par la Société française
d'étude des migraines et des céphalées (SFEMC) et la Opioïdes
Société française de neurologie (SFN), concernent la prise
en charge des céphalées en urgence : distinction des quatre Utilisation des opioïdes forts
tableaux cliniques, éléments clés de l'interrogatoire et de dans la douleur chronique non cancéreuse
l'examen physique, stratégie diagnostique et thérapeutique. chez l'adulte, recommandations de bonne
Les recommandations concernent l'adulte. pratique clinique par consensus formalisé
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ (janvier 2016)
S1624568718300015
Ces recommandations ont été élaborées par la SFETD.
https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/
Démarche diagnostique générale devant
une céphalée chronique quotidienne Mise au point sur l'utilisation du
(CCQ) – Prise en charge d'une CCQ fentanyl transmuqueux – chez le patient
chez le migraineux : céphalée par abus présentant des douleurs d'origine
médicamenteux et migraine chronique cancéreuse (2011)
Ces recommandations (élaborées par la SFEMC, l'Asso- Cette mise au point a été élaborée par un groupe d'experts
ciation des neurologues libéraux de langue française issus de l'AFSOS, de la SFAP et de la SFETD.
[ANLLF] et la SFETD, en 2014) concernent essentiellement https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
la démarche diagnostique générale devant une CCQ de S1624568711002769
380   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Enfant https://sfar.org/techniques-analgesiques-locoregionales-et-
douleur-chronique/
Prise en charge médicamenteuse
de la douleur chez l'enfant : alternatives
à la codéine – Fiche mémo (2016) Soins palliatifs
Cette fiche mémo a pour objectif de proposer des alterna-
tives médicamenteuses à l'utilisation de la codéine dans la
Douleur rebelle en situation palliative
prise en charge de la douleur aiguë et prolongée chez l'en- avancée chez l'adulte (2010)
fant, dans les situations cliniques problématiques les plus Ces recommandations ont pour objectif d'apporter les infor-
fréquentes. Ces recommandations n'abordent pas l'évalua- mations à l'ensemble des prescripteurs sur les médicaments
tion de la douleur en pédiatrie, les thérapies non médica- utilisés dans la douleur en situation palliative avancée chez
menteuses et la prise en charge de la douleur du nouveau-né. l'adulte, que ce soit à l'hôpital ou à domicile.
https://www.has-sante.fr/jcms/c_2010340/fr/prise-en- Ces recommandations concernent des patients douloureux
charge-medicamenteuse-de-la-douleur-chez-l-enfant-­ en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incu-
alternatives-a-la-codeine rable. Il peut s'agir de douleurs rebelles ou réfractaires, lorsque
les patients ne sont pas soulagés de façon satisfaisante ou
Prise en charge médicamenteuse de la lorsque les effets indésirables limitent l'utilisation des produits.
http://www.sfap.org/rubrique/recommandations-ansm-sur-
douleur aiguë et chronique chez l'enfant la-douleur
(2009)
L'objectif de ces recommandations est d'assurer une meil-
leure prise en charge médicamenteuse de la douleur chez Recommandations pour l'indication
l'enfant en milieu hospitalier et dans certaines situations et l'utilisation de la PCA à l'hôpital
particulières en ville. et à domicile, pour l'administration
https://pediadol.org/afssaps-prise-en-charge-medicamen-
teuse-de-la-douleur-aigue-et-chronique-chez-lenfant- de morphine chez le patient atteint
recommandations-de-bonne-pratique/ de cancer et douloureux, en soins
palliatifs (2006)
Sujet âgé Ces recommandations ont pour objectif de faciliter l'anal-
gésie contrôlée par le patient (PCA) en soins palliatifs chez
Évaluation et prise en charge thérapeutique les patients atteints de cancer et douloureux, sa prescription
de la douleur chez les personnes âgées de au moment de sa mise en place et lors du retour à domi-
cile, ainsi que sa mise en place et sa surveillance par l'équipe
ayant des troubles de la communication infirmière.
verbale (2000) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
Ces recommandations, concernant l'évaluation et le trai- S1636652207897376
tement de la douleur chez les personnes âgées ayant des
troubles de la communication verbale, sont destinées à tout
médecin amené à prendre en charge ces patients en établis- Handicap
sement de soins ou au domicile.
https://www.has-sante.fr//portail/jcms/c_272123/ Qualité de vie : handicap, les problèmes
evaluation-et-prise-en-charge-therapeutique-de-la- somatiques et les phénomènes
douleur-chez-les-personnes-agees-ayant-des-troubles-de-
la-communication-verbale
douloureux (2017), guide
L'objectif est de donner des éléments de compréhension aux
professionnels pour améliorer la prévention, le repérage et
Anesthésie locale et locorégionale la prise en compte des problèmes somatiques et des phéno-
mènes douloureux.
Techniques analgésiques locorégionales Ce guide est utile pour accompagner la réflexion des pro-
et douleur chronique (2013) fessionnels. Pour coordonner les actions de ces derniers, il
Les objectifs de ces RFE sont d'une part de valider l'intérêt se décline en quatre axes :
des techniques d'analgésie locorégionale dans le traitement ■ la personne, sa participation au volet soin de son projet
de la douleur chronique, en termes d'efficacité, de bénéfices personnalisé et les évaluations ;
et de risques pour le patient et, d'autre part, de préciser leur ■ le repérage des problèmes somatiques et des phénomènes
place au sein des autres propositions thérapeutiques déjà douloureux : l'évaluation et leurs traitements ;
validées et/ou admises à partir des données de la littérature ■ les proches et les acteurs de la coordination ;
ou de consensus d'experts. ■ la promotion et l'éducation pour la santé.
Ces recommandations ont fait l'objet d'une publication https://w w w.res e au-ma l adies-rares.f r/ac tu a lites/
dans les Cahiers de la SFETD. anesm-guide-des-problemes-somatiques

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