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Medecine de La Douleur Pour Le Praticien
Medecine de La Douleur Pour Le Praticien
pour le praticien
Chez le même éditeur
Autres ouvrages :
Bien débuter – Prise en charge de la douleur, par C. Berlemont, S. Moncayo. 2018. 264 pages.
Douleurs – Soins palliatifs – Deuils – Éthique, par A. De Broca. 2e édition. 2018. 360 pages.
La douleur en ORL, par J.-M. Prades. 2014. 240 pages.
Douleurs thoraciques en urgence, par J.-L. Ducassé. 2005. 288 pages.
Guide pratique du traitement des douleurs, par T. Binoche, C. Martineau. 2e édition. 2005. 368 pages.
Le médecin, le malade et la douleur, par P. Queneau, G. Ostermann. 4e édition. 2004. 648 pages.
Interpréter et traiter les douleurs épigastriques, par M.-A. Bigard. 2003. 192 pages.
Collection Pour le praticien
Médecine
de la douleur
pour le praticien
Ouvrage collectif coordonné par
A. Serrie
MD, PhD. HDR, Professeur Associé des Universités, Spécialiste des hôpitaux, Praticien hospitalier, chef de service,
service de Médecine de la douleur et de Médecine palliative Hôpital Lariboisière, Hôpital Robert Debré Paris,
Rédacteur en chef de la revue spécialisée « Douleurs », membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine,
Président de l’ONG Douleurs Sans Frontières.
C. Delorme
Praticien hospitalier. Médecin généraliste. Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la douleur.
Responsable du CETD du CH de Bayeux, coordinatrice du réseau régional douleur Normandie et coordinatrice des
SOS du CLCC de Caen.
M.-L. Navez
Praticien hospitalier, Anesthésiste, Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la douleur,
Ex-responsable du CETD du CHU de Saint-Étienne. Enseignante Douleur Université Rhône Alpes Auvergne.
Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France
Médecine de la douleur pour le praticien, coordonné par Alain Serrie, Claire Delorme, Marie-Louise Navez.
© 2020, Elsevier Masson SAS
ISBN : 978-2-294-76067-9
e-ISBN : 978-2-294-76231-4
Campus : 978-2-294-76984-9
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Les praticiens et chercheurs doivent toujours se baser sur leur propre expérience et connaissances pour évaluer et utiliser toute
information, méthodes, composés ou expériences décrits ici. Du fait de l'avancement rapide des sciences médicales, en particulier,
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priété intellectuelle).
Légendes et crédits de la couverture (de gauche à droite et de haut en bas), Copyright © 2019 Adobe Stock :
1. Lombalgies
2. Examen clinique
3. Explorations à visée diagnostique
4. Céphalées
5. Thérapies pharmacologiques
6. Outils d'évaluation de l'intensité, Copyright © 2019 BSIP.
7. Infiltrations
8. Thérapies non pharmacologiques
9. Prise en charge globale
Les illustrations 1.01, 1.02, 4.02, 17.05, 18.11, 18.18, 18.19, 26.02b ont été réalisées par Carole Fumat.
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risation de photocopier doivent être adressées à l'éditeur ou au Centre français d'exploitation du droit de copie : 20, rue des
Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70.
Liste des collaborateurs
XV
XVI Liste des collaborateurs
Vianney Descroix, Professeur des universités, UFR Bernard Laurent, Professeur des universités. Praticien
d'Odontologie de l'Université de Paris. Praticien hospitalier. hospitalier. Neurologue. CETD de Saint- Étienne, INSERM
Consultation de la douleur chronique orofaciale et hypnose U 1028 neuropain.
médicale, Service d'Odontologie, GH APHP Sorbonne Soliman Le Bigot, Avocat au barreau de Paris. Droit de la
Université (Pitié-Salpêtrière). santé. Cabinet LBM Avocats.
Marie-Christine Djian, Anesthésiste-réanimateur. CETD. David L e Breton, Professeur de so ciologie et
Unité de neuromodulation. Hôpital Foch, Suresnes. d'anthropologie, Université de Strasbourg. Membre de
Anne Donnet, Praticien hospitalier. Neurologue. l'Institut Universitaire de France.
Responsable du CETD du CHU de Marseille. Nathalie Lecoules, Médecin urgentiste. Service des urgences
Denis Dupoiron, Praticien hospitalier. Anesthésiste- adultes, pôle médecine d'urgence, CHU de Toulouse.
réanimateur. Responsable du service d'Anesthésie-Douleur de Jean-Pascal Lefaucheur, Professeur des universités.
l'Institut de cancérologie de l'Ouest, site Paul Papin, Angers. Praticien hospitalier. Physiologie, CHU Henri Mondor.
Mathilde Duval, Médecin, équipe mobile de soins palliatifs. Romain Lefaucheur, Neurologue. Service de neurologie,
Service de médecine de la douleur et de médecine palliative CHU de Rouen.
de l'hôpital Lariboisière AP-HP. Célia Lloret Linares, MD, PhD. Ramsay Générale de Santé,
Xavier Emmanuelli, Médecin anesthésiste-réanimateur. Co Maladies nutritionnelles et métaboliques. Hôpital Privé
fondateur de Médecins sans frontières et fondateur du Samu Pays de Savoie.
Social. Caroline Maindet, Praticien hospitalier. Présidente du
Alain Eschalier, Professeur des universités. Président CLUD. Centre de la douleur. CHU de Grenoble-Alpes.
de l'Institut Analgesia. Faculté de médecine de Caroline Makowski, Praticien hospitalier. Service
Clermont-Ferrand. d'Hématologie. Pôle cancer et maladies du sang, CHU de
Isabelle Fayolle-Minon, Praticien hospitalier. Docteur en Grenoble-Alpes.
Médecine Physique et Réadaptation. Service MPR et CETD, Pierre Manoli, Praticien hospitalier. Ophtalmologiste. CHU
Pôle neuro ostéo loco-moteur. CHU de Saint-Étienne. de Saint-Etienne Hôpital Nord.
Denys Fontaine, Professeur des universités, université Fabien Marchand, Enseignant-chercheur. UMR Inserm-
Côte d'Azur. Praticien hospitalier. Département de UCA Neuro-dol - Faculté de médecine. Université
neurochirurgie du CHU de Nice. Clermont-Auvergne.
Jean-Michel Gautier, Infirmier anesthésiste PhDc. Cadre Nicolas Mathieu, Gastro-entérologue MICI. Département
de santé. CHU de Montpellier. d'hépato gastroentérologie et oncologie digestive, CHU de
Marie-Emmanuelle Géraud, Médecin de l'équipe mobile Grenoble.
de soins palliatifs à l'hôpital Paul Brousse AP-HP. Raphaël Minjard, Psychologue clinicien. Psychanalyste.
Pierric Giraud, Praticien hospitalier. Responsable du CETD Docteur en psychopathologie et psychologie clinique.
du CH Annecy Genevois. Maître de conférences. Enseignant-chercheur. Centre de
Morgane Guillou-Landréat, Maître de conférences des Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique
universités. Praticien hospitalier. Addictologie, CHRU de (CRPPC), Université de Lyon.
Brest. EA SPURBO 7479, Soins primaires, santé publique Xavier Moisset, Neurologue. Service de neurologie,
et registre des cancers de bretagne occidentale, faculté de NeuroDol U-1107. CHU de Clermont-Ferrand, Hôpital
médecine de Brest. Gabriel Montpied.
Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, M i c h e l Mo r e l Fat i o , Mé d e c i n s p é c i a l i s t e e n
Université Paris-Sud-Paris-Saclay. Médecine Physique Réadaptation et en Médecine de
Adrian Kastler, Maitre de conférences des universités, la Douleur. Enseignant en Médecine de la douleur et
praticien hospitalier. Neuroradiologue, algoradiologue. Médecine palliative, et au DU Thérapie cognitive et
Service de Neuroradiologie, CHU de Grenoble-Alpes. comportementale de la douleur chronique. Coordinateur
Bruno Kastler, Professeur des universités, université du CETD du Centre de Médecine Physique Réadaptation
Paris Descartes. Praticien hospitalier. Algoradiologue, Coubert. Consultant au CETD de l'Hôpital Saint Antoine
cardiologue. Radiologie adulte, Hôpital universitaire AP-HP.
Necker. Vianney Mourman, Praticien hospitalier. Responsable
Sophie Lacan, Psychologue clinicienne. Thérapeute de l'équipe mobile de soins palliatifs, Hôpital Lariboisière
EMDR. Centre d'Évaluation et de Traitement de la Douleur AP-HP. Enseignant-chercheur, Espace Éthique d'île de
chronique, Hôpital Privé Les Franciscaines. France.
Sophie Lalande, Médecin généraliste. Chef de clinique Isabelle Nègre, Chef du centre anti douleur de Bicêtre et de
des universités de médecine générale de Brest. Pôle Santé l'équipe mobile douleur du Groupe hospitalier Paris Sud.
Universitaire de Lanmeur. Julien Nizard, Professeur des universités, université de
Michel Lanteri-Minet, Praticien hospitalier. Neurologue. Nantes. HDR en Thérapeutique et Médecine de la Douleur.
Chef de service du CETD du CHU de Nice. Chef du Centre Fédératif Douleur Soins de Support, CHU de
Françoise Laroche, Praticien hospitalier. Professeur Nantes.
associé douleur. Rhumatologue. Responsable du Centre Michel Olivier, Anesthésiste-réanimateur. Algologue.
de la douleur. Présidente du Collège National des Co-Président du Comité de LUtte contre la Douleur
Enseignants de la Médecine de la Douleur. Hôpital Saint- (CLUD). Coordination Anesthésie-réanimation. Hôpital
Antoine, Paris. Pierre-Paul Riquet, CHU Purpan, Toulouse.
Liste des collaborateurs XVII
Nabilah Panchbhaya, Gynécologue-obstétricien. Chirurgie Xavier Roblin, Professeur associé gastro-entérologie. CHU
gynécologique et obstétrique. Hôpital Lariboisière AP-HP. de Saint-Étienne.
Roland Peyron, Professeur associé. Praticien hospitalier. Serena Santucci, Project Manager INOVPAIN. Fédération
Neurologue. Service de neurologie et CETD. CHU de Hospitalo-universitaire INOVPAIN, CHU de Nice.
Saint-Étienne. Éric Serra, Professeur de Médecine de la douleur associé des
Gisèle Pickering, Professeur des Universités, Praticien université, Université de Picardie Jules Verne, Amiens. Chef
Hospitalier. Chef du Service de Pharmacologie Clinique. de service du CETD et du Département Interdisciplinaire de
Médecin coordinateur du Centre d'Investigation Clinique Soins de Support pour le Patient en Oncologie (DISSPO),
Inserm 1405. Centre Hospitalier Universitaire et Faculté de CHU Amiens-Picardie.
Médecine de Clermont-Ferrand. Patrick Sichère, Rhumatologue. Service de rhumatologie,
Philippe Poulain, Praticien hospitalier. Anesthésiste- Hôpital Delafontaine.
réanimateur de formation. Unité de Soins palliatifs. Grégory Tosti, Médecin algologue et hypnothérapeute.
Polyclinique de l'Ormeau, Tarbes. Centre de la douleur, Hôpital Ambroise Paré.
Jean-Michel Prades, Professeur des universités. Chef de Barbara Tourniaire, Praticien hospitalier. Centre de
Service d'ORL. CHU de Saint-Étienne, Hôpital Bellevue. la douleur et de la migraine de l'enfant. CHU Hôpital
Responsable du Laboratoire d'Anatomie de la faculté de Trousseau.
Médecine. Erwan Treillet, Praticien hospitalier. Responsable de l'UF
Patrice Queneau, Membre de l'Académie nationale Douleur. Service médecine de la douleur et médecine
de médecine, Doyen honoraire de la faculté de palliative, Hôpital Lariboisière.
médecine de Clermont-Ferrand, Professeur émérite de Richard Trèves, Professeur des universités, Rhumatologue,
thérapeutiques. Membre correspondant de l'Académie nationale de
Sylvie Raoul, Praticien hospitalier. Neurochirurgien, CHU médecine. Service de rhumatologie, CHU de Limoges.
de Nantes. Pierre Volckmann, MD PhD. Médecin de Médecine
Thibault Riant, Anesthésiste-réanimateur. Médecin de la physique. Centre orthopédique Paul Santy (Lyon 8).
douleur. CETD M Bensignor hôpital privé du Confluent. Laboratoire P2S, faculté de médecine Lyon Est Université
Centre fédératif nantais de pelvipérinéologie. CHU de Nantes. Claude Bernard Lyon I.
Cécile Robert, Infirmière Anesthésiste Ressource Douleur Claire Vulser, Praticien hospitalier. Responsable du CETD,
en transversal au CLUD – CHUGA. Hôpital européen George Pompidou (HEGP).
Préface
Lorsque mon confrère et ami le Pr Alain Serrie m'a sollicité la cervicalgie à la douleur abdominale et cardiovasculaire,
pour cette tâche, je n'ai pas hésité longtemps, mais un peu ou encore la douleur cancérologique. La quatrième partie de
réfléchi, par la culture et mes racines de neuro-anatomiste et l'ouvrage, en onze chapitres, approche la variabilité « selon
neuroradiologue. Ce pour trois raisons. le patient », depuis le handicap jusqu'à l'addiction. La cin-
D'abord, première raison : l'objectif de cette œuvre col- quième partie, finement désignée « selon le contexte », affine
lective, aux quatre-vingt-neuf coauteurs rédacteurs, telle encore les situations d'exception, des soins palliatifs aux
que définie par son titre qui l'adresse au praticien. Soulager grands syndromes neurologiques. La sixième et dernière
la femme et l'homme, bébé ou vieillard, telle est la mission partie traite des aspects sociétaux, de la douleur chronique à
première du seul médecin, hier, des professions de santé la vulnérabilité, et se clôture par une approche socioprofes-
aujourd'hui. Qu'il s'agisse des chirurgiens, des pharmaciens, sionnelle, jusqu'à l'éthique.
des biologistes, des « accoucheurs » (chirurgiens et médecins Enfin, née avec la médecine, à ses sources hippocra-
de gynécologie-obstétrique, comme l'on dit aujourd'hui), tiques (donc égyptiennes, cumulées entre le delta du Nil et
des vétérinaires, des chercheurs scientifiques et sociolo- les pyramides), son observation du symptôme et son écoute
giques, des administratifs, tous concourent à cet objectif construisant le syndrome algique né de l'examen clinique
commun : soulager, attribuer ou supprimer ces sensations et paraclinique, puis son suivi thérapeutique, résument
de souffrance. Là est la raison d'être de l'Académie nationale l'engagement du médecin. Au service de son prochain, à
de médecine, depuis deux siècles. Mais combien plus pro- côté du progrès scientifique et technologique heureux, en
fonde (éternelle dans les genres humain et animal, végétal accélération continue depuis trois siècles, le praticien, sans
et minéral, etc.) elle est. Cette souffrance est maladie, en un quelconque « retour en arrière » dispose dans ce livre-
soi, qu'elle soit d'origine psychique, mentale ou d'origine outil, à l'inverse, d'une qualité de synthèse moderne. Syn-
organique. Du Rétable d'Issenheim (1515) au Cri du nor- thèse entre les âges et les progrès, elle actionne plusieurs
végien Edvard Munch (1893–1917), l'art s'est emparé de cet dizaines d'auteurs, ayant tous accepté qu'un seul d'entre eux
état de vie. De la Vénus à la Corne, avec ses vingt-quatre unisse les spécialités, les savoirs et les expériences sous une
entailles « lunaires » dans la grotte paléontologique d'il y a seule bannière, celle de ce mot universel qu'est la « dou-
vingt siècles, aux dieux égyptiens implorés, la situation est leur ». Il faut en saluer l'auteur, dont cette performance
semblable. « Où, quand, comment, pourquoi ? » interroge le n'est pas la moindre des qualités. Il est d'abord anesthésiste-
patient. « Comment choisir et trier dans notre arsenal pour réanimateur, la plus moderne, la plus complète, et, désor-
soulager, comment le dire et le résumer pour le patient ou mais (sauf erreur comptable), la plus « peuplée » de nos
la patiente ? » Loin de l'intelligence dite « artificielle » (IA), spécialités médicales, à travers ce qui est devenu l'« urgen-
qu'elle soit « télé » (à distance en grec) ou non, le « praticien » tologie ». Nommée seulement « réanimation », du temps de
évoqué dans le titre, est seul. l'auteur de ces lignes (qui la pratiqua en milieu hospitalo-
Ensuite, la construction du livre est un scanning (de universitaire de neurochirurgie aux urgences pendant plu-
l'anglais to scan, balayer) des situations de patients, venus sieurs années), elle est devenue première en cinquante ans,
consulter et résumant ainsi leur état : « j'ai mal ». Une pre- tant par son attractivité pour nos plus jeunes que par son
mière partie, du symptôme au syndrome, définit les mots efficacité. L'Académie nationale de médecine peut s'enor-
et situations. Le chapitre 1 résume les situations, de l'aigu gueillir de cet ouvrage, notamment grâce à la publication
au chronique, de l'enfant au patient âgé. Le chapitre sui- des Recommandations initiées par le doyen honoraire
vant schématise les actions du médecin, à propos de « cinq Patrice Queneau (CHU de Saint-Étienne), que vous trouve-
grands principes de prise en charge de la douleur, aux rez à la fin de cet ouvrage. Puisse cet ouvrage, ayant bénéfi-
auteurs complémentaires ». La deuxième partie aborde cié du talent éditorial d'Elsevier, être diffusé auprès du plus
immédiatement la thérapeutique, au fil de six chapitres, grand nombre.
depuis le médicament, en passant par la radiologie interven- Il s'agit des médecins praticiens, bien sûr, mais aussi de
tionnelle et la neurochirurgie fonctionnelle ou de stimula- toutes celles et tous ceux qui appartiennent aux « professions
tion, jusqu'à l'effet placebo. La troisième partie aborde les de santé », du plus ancien au plus jeune, encore étudiant.
situations pathologiques, locales ou générales, en approche Pr Emmanuel Alain Cabanis
croisée, topographique et étiologique, en treize chapitres, de Président de l'Académie nationale de médecine.
XVIII
Préface
En 1998, une enquête Baromètre Santé (Santé Publique Tous ces chiffres nous incitent à revenir aux fonda-
France) réalisée auprès de plus de 4 000 jeunes de moins de 20 mentaux et réfléchir à une meilleure prise en charge des
ans révélait que plus de 37 % d'entre eux avaient pris un médi- patients douloureux afin de combattre l'errance diag
cament contre la douleur sur les trente derniers jours. Vingt nostique, thérapeutique mais aussi le mésusage médica-
ans plus tard, le constat est inflationniste avec une prévalence menteux. Cet ouvrage essentiel, fort de ses 56 chapitres,
annuelle de la consommation en antalgiques sur ordonnance rassemble tout ce qu'il faut savoir sur les douleurs, leurs
passée de 56 % en 2004 à près de 65 % en 2017 (+ 16 %). Selon caractéristiques, les différentes stratégies thérapeutiques.
le livre blanc publié par la SFETD en 2017 (Société Française Il regroupe de très nombreux experts qui sont également
d'Étude et de Traitement de la Douleur), plus de 12 millions des acteurs de terrain, au plus près des patients. Cet
de Français souffrent de douleurs chroniques, soit un Français ouvrage princeps permettra sans aucun doute de mieux
sur cinq. D'après un rapport de 2011 de l'Académie nationale orienter les praticiens dans leurs choix thérapeutiques. Il
de médecine des États-Unis, la douleur chronique concerne est grand temps de considérer la douleur non pas comme
116 millions d'adultes soit plus d'un citoyen américain sur un symptôme mais comme une maladie et d'inscrire la
trois, avec un coût annuel estimé entre 560 et 635 milliards de prise en charge du patient douloureux dans un parcours
dollars. Dans notre pays, la douleur constitue le premier motif de santé plus adapté, plus fluide et centré autour du
de consultation, dans les services d'urgences et chez le méde- patient.
cin généraliste. Malgré cela, moins de 3% des patients dou- Pr Frédéric Aubrun
loureux chroniques bénéficient d'une prise en charge dans un Président de la SFETD
centre spécialisé (il y en a 243 en France en 2019).
XIX
Abréviations
XX
Abréviations XXI
PLAN DU CHAPITRE
Douleur aiguë . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Encéphale
Contrôles inhibiteurs
issus de l'encéphale
Tronc cérébral
Neurones sérotoninergiques
et noradrénergiques
Contrôles Inhibiteurs Descendants (C.I.D.)
Corne Dorsale
Faisceaux de la Moelle Épinière
spinaux (CDME)
ascendants
– Moelle épinière
NNPS
Ganglion de la
racine dorsale
Périphérie
Figure 1.1 Intégration du message nociceptif et contrôle modulateur. CDME : corne dorsale de la moelle épinière ; CID : contrôle inhibiteur
descendant ; NNPS : neurone nociceptif postsynaptique.
■ l'hypothalamus intervient dans le contrôle des réactions (figure 1.2) : les activités activatrices segmentaires péri-
végétatives de la douleur, mais aussi dans la libération phériques (véhiculées par les fibres nociceptives) et les
d'hormones jouant un rôle dans le contrôle du stress ; activités inhibitrices segmentaires périphériques (véhi-
■ le complexe amygdalien, structure du système limbique, culées par les fibres non nociceptives). Ce mécanisme de
intervient dans les réactions affectives et émotionnelles régulation spinale est lui-même soumis à des contrôles
de la douleur. descendants d'origine supraspinale ;
Les sites de projection corticaux sont multiples et les inte- ■ les contrôles inhibiteurs descendants, à l'origine de voies
ractions entre ces sites sont nombreuses. Tout d'abord, les descendantes dans la moelle épinière, issues de la subs-
neurones du thalamus VPL projettent leurs axones vers les tance grise périaqueducale (SGPA) et mésencéphalique,
aires somesthésiques S1 et S2 : les caractéristiques du mes- et de la médulla rostroventrale (RVM) sérotoninergique
sage nociceptif y sont décodées, ce qui permet la genèse de (noyau raphé magnus [NRM] et noyaux paragigantocel-
la perception de la sensation douloureuse (qualité, localisa- lulaire et gigantocellulaire). La stimulation de ces noyaux
tion, intensité et durée). Ensuite, différents noyaux de l'encé- est à l'origine d'une analgésie résultant de ces contrôles
phale impliqués dans la douleur projettent leurs axones vers inhibiteurs sur les neurones nociceptifs non spécifiques
les aires corticales préfrontales, le cortex insulaire et le cor- de la CDME. Les axones des neurones sérotoninergiques
tex cingulaire antérieur, impliquées dans les réactions émo- de la RVM se projettent sur tous les segments spinaux (du
tionnelles plus élaborées à la douleur. segment cervical au segment sacré), dans la CDME. On y
La douleur peut être modulée en fonction de de la situa- associe les systèmes de contrôles inhibiteurs descendants
tion psychologique du sujet, mais aussi en fonction de son noradrénergiques issus du locus cœruleus et du locus
environnement (affectif, socioculturel, religieux, géogra- subcœruleus, qui fonctionnent sur le même modèle ;
phique, etc.), mais aussi de sa situation psychologique. Cette ■ les contrôles facilitateurs descendants, issus du tronc
modulation résulte de la mise en jeu de contrôles inhibiteurs cérébral, exacerbent les stimulations nociceptives au
exercés par des structures spinales et supraspinales. On dis- niveau spinal. Une stimulation de la RVM à des intensi-
tingue cinq catégories de systèmes de contrôle : tés élevées déclenche des effets analgésiques (figure 1.2),
■ les contrôles segmentaires spinaux de la CDME, modé- mais, à des intensités plus faibles dans la même région,
lisés en 1965 par Melzack et Wall dans la « théorie du déclenche des effets facilitateurs pro-algiques, avec une
portillon » (« gate control theory »), qui reposent sur discrimination anatomique entre des sites inhibiteurs
l'équilibre d'une balance entre deux activités exercées sur antalgiques et d'autres facilitateurs pro-algiques. L'équi-
les neurones nociceptifs non spécifiques de la CDME [1] libre entre les deux systèmes descendants concurrents
Chapitre 1. De la douleur aiguë à la douleur chronique 7
Analgésie Douleur
– + Corne Dorsale de
I.I. : I.I. la Moelle Épinière
Interneurone (CDME)
Inhibiteur
– Encéphale
N.N.P.S. : NNPS
Neurone Nociceptif + +
Post-Synaptique
Figure 1.2 Contrôle médullaire de la douleur. CDME : corne dorsale de la moelle épinière ; II : interneurone inhibiteur ; NNPS : neurone noci-
ceptif postsynaptique.
déterminerait le degré d'excitabilité des neurones de la matoire sont à l'origine de l'abaissement du seuil de réponse
CDME, qui à son tour modulerait la transmission de des nocicepteurs et de la potentialisation de l'activité élec-
l'information douloureuse vers les structures centrales ; trique des fibres qui va être exacerbée.
■ les contrôles inhibiteurs diffus induits par une sti-
mulation nociceptive (CIDN) sont déclenchés depuis
tout territoire corporel distinct du champ excitateur des Sensibilisation centrale
neurones nociceptifs non spécifiques activés (stimula- Elle résulte de cette double propriété et s'exprime par une
tion hétérotopique), à condition que le stimulus hété- activation considérable des neurones nociceptifs de la
rotopique soit nociceptif. Ces CIDN constitueraient le CDME. La transmission glutamatergique y joue un rôle
support neurophysiologique de la contre-irritation, pro- important, par l'intermédiaire de l'un des récepteurs du glu-
cessus par lequel une douleur peut masquer une autre tamate (neurotransmetteur libéré par les fibres nociceptives
douleur ; périphériques activées), le récepteur NMDA (un récepteur
■ plus récemment, des contrôles issus de diverses struc- canal perméable aux cations), exprimé par les neurones
tures cérébrales, en particulier de différentes aires du nociceptifs de la CDME. Le BDNF (Brain-Derived Neuro-
cortex et du système limbique, ont été décrits. trophic Factor), stocké dans les terminaisons centrales des
fibres sensorielles nociceptives dans la CDME, jouerait
un rôle de neuromodulateur dans la douleur chronique. Il
Douleur chronique pourrait réguler l'excitabilité des neurones nociceptifs post-
Lorsqu'elle devient chronique, la douleur est à l'origine de synaptiques de la CDME.
mécanismes de sensibilisation, périphérique et centrale, qui
vont modifier l'activité des systèmes physiologiques de la Références
douleur aiguë décrits ci-dessus.
[1] Melzack R, Wall PD. Pain mechanisms : a new theory. Science 1965 ;
150 : 971–9.
[2] IASP https://www.iasp-pain.org/Education/Content.aspx ?Item
Sensibilisation périphérique Number=1698#Nociplasticpainhttps://w w w.iasp-pain.org/
Elle résulte du prolongement dans le temps des processus Education/Content.aspx ?ItemNumber=1698#Nociplasticpain ;
lésionnels périphériques. Les molécules de la soupe inflam- 2018.
Chapitre
2
De la physiologie
et la physiopathologie
de la douleur à la
pharmacologie des antalgiques
Alain Eschalier, Christine Courteix, Fabien Marchand, Denis Ardid
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 De la physiopathologie à la pharmacologie . . 11
De la physiologie à la pharmacologie . . . . . . . 9 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
L'action antinociceptive de ces molécules réside dans leur ce soit dans la CPME (zone extracéphalique) ou au niveau
capacité à moduler les mécanismes physiologiques et ainsi du noyau du trijumeau (région céphalique).
à réduire la perception nociceptive. La première cible est la Cette synapse est régulée, entre autres, par des opioïdes
détection/transduction du signal nociceptif qui permet au endogènes qui ont des cibles pré- et postsynaptiques, en par-
stimulus appliqué (thermique, mécanique, chimique) d'être ticulier les récepteurs µ. Ces cibles sont les cibles naturelles
transformé en influx nerveux puis conduit le long des fibres des opioïdes exogènes, qui ont donc un effet régulateur, en
afférentes primaires. La première étape met en jeu des sen- l'occurrence inhibiteur, de la transmission nociceptive sur
seurs qui, activés par les stimuli élémentaires, permettent la la voie de passage unique, ce qui explique leur efficacité.
genèse de l'influx nerveux via des mouvements ioniques. La Ainsi, au niveau présynaptique, les opioïdes inhibent la
conduction de l'influx est également due à des mouvements libération des neuromédiateurs en inhibant indirectement
ioniques transmembranaires dépolarisants (sodiques ou cal- les canaux calciques nécessaires au phénomène d'exocytose
ciques) et hyperpolarisants (potassiques) rendus possibles et, au niveau postsynaptique, ils induisent une hyperpolari-
grâce à une famille de protéines : les canaux ioniques. Une fois sation des neurones de projection, réduisant leur aptitude
véhiculé, l'influx est transmis au niveau de la corne postérieure à répondre à la stimulation des neuromédiateurs libérés
de la moelle épinière (CPME), ou du noyau du trijumeau, via dans la fente synaptique. Cet effet, initialement observé
la première synapse établie entre les terminaisons des fibres avec la morphine [3] et d'autres opioïdes (fentanyl, codéine,
afférentes et les neurones de projection. Ce dernier conduit codéthyline) [4] chez des animaux soumis à des stimuli
l'influx vers les structures supraspinales, où d'autres synapses nociceptifs ponctuels, et non dans des modèles de douleur
sont établies au sein de différents noyaux projetant l'influx persistante, traduit bien l'effet des opioïdes sur le processus
jusqu'aux structures d'intégration telles que les aires somesthé- nociceptif physiologique. Cela a été à l'origine de la prise
siques. Chacun de ces transferts synaptiques est soumis à des en charge de situations de douleurs aiguës par administra-
mécanismes neurochimiques qui assurent la transmission du tion péridurale, voire dans un contexte de rachianesthésie.
message et la régulation de celle-ci. À chacune de ces étapes, L'activation des récepteurs δ peut également moduler cette
les acteurs neurochimiques physiologiquement impliqués aux transmission, mais aucune molécule agissant spécifique-
niveaux neuronal (neuromédiateurs et récepteurs) ou glial ment sur ce récepteur n'est aujourd'hui commercialisée.
(médiateurs et récepteurs) peuvent être des cibles de médi- La répartition des récepteurs µ étant relativement ubiqui-
caments, activateurs ou inhibiteurs exogènes, susceptibles de taire dans le système nerveux, d'autres sites d'action, supras-
moduler in fine la perception du message nociceptif. pinaux, participent à l'effet antinociceptif des opioïdes. Leur
Trois types de médicaments, classiques, sont susceptibles action supraspinale a d'ailleurs été évoquée avant le site médul-
d'interférer avec ces mécanismes physiologiques : les anesthé- laire. Ainsi, la présence de récepteurs µ au niveau bulbaire,
siques locaux, les opioïdes et le paracétamol. Les anesthésiques thalamique, amygdalien et cortical et dans la SGPA sous-tend
locaux sont des bloqueurs de canaux sodiques, protéines l'action supraspinale des opioïdes non seulement sur la trans-
dépolarisantes qui participent à la conduction de l'influx ner- mission du message, mais également sur son intégration et sur
veux, en particulier le long des fibres afférentes primaires. Le les dimensions émotionnelles de la douleur [5, 6].
blocage de ces canaux réduit la conduction de l'influx nerveux, Le paracétamol s'inscrit également dans cette famille des
donc de différents stimuli parmi lesquels les stimuli nocicep- médicaments antinociceptifs. Même si son efficacité est
tifs. Ainsi, la lidocaïne (associée à la prilocaïne), bloqueur limitée, il augmente les seuils de réaction à des stimuli noci-
non spécifique des canaux sodiques, est utilisée sous forme ceptifs chez le sujet sain, rongeur [7] ou humain [8]. Actif
de crème pour prévenir les douleurs nociceptives induites par en dehors de tout phénomène inflammatoire, cet antalgique
les soins ou, comme d'autres anesthésiques locaux (ropiva- module les systèmes de contrôle de la nociception, avec un
caïne, bupivacaïne), dans l'anesthésie locorégionale. Parmi ces effet impliquant la SGPA puis les contrôles inhibiteurs des-
canaux, les canaux Nav1.7, très présents au niveau des fibres cendants bulbospinaux. Il exerce cet effet, via son métabolite
afférentes primaires, jouent un rôle important en physiologie actif, l'AM404, en mobilisant plusieurs systèmes de neuro-
et en physiopathologie de la douleur. Ainsi, une mutation par médiation au sein de la SGPA : le système endocannabinoïde
perte de fonction du gène codant ce canal est retrouvée chez (récepteurs TRPV1 et CB1), glutamatergique (libération de
des sujets congénitalement insensibles à la douleur, ce qui glutamate et récepteurs métabotropiques mGluR5), gabaer-
témoigne de son rôle physiologique [2]. gique (libération de GABA) et le système sérotoninergique
Poursuivant le cheminement de l'influx nociceptif dans bulbospinal [9]. Cet effet, qui se manifeste dans ces situa-
une perspective pharmacologique, nous arrivons à la pre- tions secondaires à des stimuli nociceptifs mais sans inflam-
mière synapse entre les fibres afférentes primaires et les mation est indépendant des cyclo-oxygénases.
neurones de projection, synapse mettant en jeu principa- On pourrait sans doute ajouter à la liste le néfopam dont
lement des acides aminés excitateurs (aspartate, glutamate) les études réalisées chez l'animal laissent à penser qu'il est
et des neuropeptides (substance P et CGRP [peptide relié capable de modifier des processus de contrôle physiologique
au gène calcitonine]), chacun agissant sur une cible récep- de la douleur [10].
torielle postsynaptique. L'application d'un stimulus noci- Ainsi ces différents médicaments disponibles sur le mar-
ceptif, fût-il aigu, induit, sous l'effet de la dépolarisation des ché ont-ils la capacité de moduler, à différents niveaux et
fibres afférentes primaires, la libération de ces médiateurs et, selon différents mécanismes, le message nociceptif induit
ainsi, la transmission du message nociceptif vers les centres par des stimulations brèves relevant plus de la physiologie
supérieurs. Il s'agit, en quelque sorte, de la voie de passage que de modifications physiopathologiques durables. Cela
unique par laquelle transitent tous les influx nociceptifs, que n'exclut pas que ces mêmes produits puissent être actifs
Chapitre 2. De la physiologie et la physiopathologie de la douleur à la pharmacologie 11
v is-à-vis de douleurs aiguës, accompagnées de modifica- fibres afférentes primaires provoquent un renforcement de
tions physiopathologiques plus ou moins maintenues ou la transmission synaptique dans le premier relais neuronal
de douleurs chroniques sous-tendues par des mécanismes spinal et trigéminal. Cela aboutit, entre autres, à l'activation
physiopathologiques installés. des récepteurs NMDA aux acides aminés excitateurs, source
d'hyperexcitabilité des neurones de projection et, donc, de
transmission majorée vers les centres supérieurs. Activation
De la physiopathologie NMDA et neuro-inflammation participent à la sensibili-
à la pharmacologie sation spinale qui fait le lit de la douleur chronique et sont
alors accompagnées de modifications d'expression protéique
La douleur source d'une souffrance qui relève d'un traite- (enzymes, canaux, récepteurs) qui entretiennent le phéno-
ment s'accompagne de modifications physiopathologiques mène. Phénomène également entretenu par l'impact que de
dont la nature, l'intensité et la durée varient en fonction des telles modifications peuvent induire au niveau des centres
contextes pathologiques. Ainsi, on distingue classiquement supérieurs impliqués dans la transmission et la modulation
les mécanismes physiopathologiques observés dans les dou- du message nociceptif et de ceux impliqués dans la dimension
leurs par excès de nociception, aiguës ou chroniques, même affectivo-émotionnelle. Ainsi la douleur chronique devient-
s'il est vraisemblable que plusieurs mécanismes peuvent être elle un syndrome multidimensionnel dont la prise en charge
en cause pour chacun de ces contextes, et ceux observés ne peut être que multimodale.
dans les douleurs neuropathiques chroniques. Nous décri- Dans ce contexte physiopathologique, plusieurs stades
rons ces mécanismes sans évoquer les mécanismes physio- d'intervention pharmacologique sont possibles vis-à-vis de
pathologiques de la migraine et ceux, plus hypothétiques, la dimension sensori-discriminative de la douleur inflam-
des douleurs nociplastiques. Douleurs par excès de noci- matoire. Ainsi, les médiateurs et leurs récepteurs situés sur
ception et douleurs neuropathiques peuvent être traitées par les nocicepteurs constituent des cibles potentielles pour
des médicaments de nature différente, dont l'utilisation et des médicaments antalgiques à action prioritairement
l'existence même sont plus souvent nées de l'empirisme cli- périphérique.
nique, voire du hasard, que d'une conception issue directe- Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), inhi-
ment des connaissances physiopathologiques. Néanmoins, il biteurs des cyclo-oxygénases, exercent un effet analgésique
est possible de rattacher telle ou telle famille de médicament périphérique en inhibant prioritairement la synthèse de pros-
antalgique aux mécanismes physiopathologiques avérés ou taglandines qui jouent un rôle d'activateur et de sensibilisateur
supposés de tel ou tel type de douleur. des nocicepteurs. Cet effet sur les nocicepteurs (qui n'est pas
exclusif) associé à l'effet anti-inflammatoire explique l'intérêt
des AINS pour maîtriser la douleur inflammatoire. À ce méca-
Douleurs par excès de nociception, nisme peut s'ajouter un effet central des AINS qui traversent
douleur inflammatoire la barrière hémato-encéphalique ; effet central dû également à
Comme évoqué dans le chapitre « Chemin de la douleur l'inhibition de cyclo-oxygénases spinales, à l'origine de la syn-
aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome », thèse de prostaglandines d'origine neuronale et/ou gliale.
la triade lésion-inflammation-douleur constitue le fondement Mais au-delà de l'exemple classique des AINS, d'autres
de nombreuses douleurs aiguës du quotidien (douleurs post- produits peuvent exercer une action périphérique bénéfique
traumatiques, postopératoires, musculaires, etc.), mais aussi dans ce type de douleur. C'est le cas des anticorps anti-NGF
de douleurs chroniques dans lesquelles la situation inflamma- (tanézumab, fasinumab, fulranumab), dont la commercialisa-
toire est plus ou moins persistante (arthrites, poussées d'ar- tion pourrait survenir dans un délai assez bref, qui empêchent
throse, etc.). La physiopathologie de ces douleurs implique la fixation de ce facteur de croissance neuronal sur son récep-
une activation et une sensibilisation des nocicepteurs qui teur TrkA et inhibent ainsi un des mécanismes d'activation et
aboutit, outre la douleur spontanée, à une diminution des de sensibilisation des nocicepteurs. L'efficacité de cette bio-
seuils de réaction à un stimulus nociceptif et une augmen- thérapie a été démontrée il y a plusieurs années dans diverses
tation des réponses à un stimulus supraliminaire (hyperal- situations de douleurs par excès de nociception chez l'animal
gésie). Les mécanismes à l'origine de ces changements sont [11, 12] et, plus récemment, chez l'humain, par exemple dans
fortement liés à la « soupe inflammatoire » induite par la les douleurs arthrosiques [13].
lésion tissulaire originelle. Ainsi, des médiateurs issus du Toujours à la périphérie, il est légitime d'évoquer la possibi-
plasma, de mastocytes, de neutrophiles, de macrophages ou lité d'activer les récepteurs opioïdes situés sur les nocicepteurs
du tissu lésé lui-même, voire des fibres afférentes via le réflexe et dont l'expression est augmentée en situation inflammatoire
d'axone, convergent vers le site lésionnel et activent leurs pour accueillir des opioïdes endogènes libérés par les cellules
récepteurs spécifiques localisés sur les nocicepteurs condui- immunocompétentes mobilisées dans cette situation. Une
sant à la genèse de l'influx nerveux. Cet afflux de médiateurs équipe allemande a conçu un fentanyl modifié, susceptible
et l'activation des nocicepteurs aboutissent à un excès d'influx d'agir uniquement à pH bas, ce qui est le cas d'un état inflam-
nociceptif à l'origine des douleurs ressenties. Les familles de matoire, et d'induire ainsi un effet antalgique [14].
médiateurs sont très variées : cytokines (TNF- α, IL-1β, etc.), Mais le site d'action périphérique n'est bien évidemment
bradykinine, histamine, sérotonine, lipides (prostaglandines, pas le seul site d'action possible pour réduire les douleurs
etc.), adénosine triphosphate (ATP), ions H +, nerve growth par excès de nociception, particulièrement les douleurs
factor (NGF), etc. L'activation importante des nocicepteurs inflammatoires. Les médicaments antinociceptifs (opioïdes,
et les nombreux potentiels d'action induits au niveau des paracétamol, néfopam) sont aptes à réduire, plus ou moins
12 Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome
efficacement, ce type de douleur en inhibant la transmission massive de calcium, à l'origine de phénomènes intracellu-
du message selon les mécanismes évoqués plus haut. Ils laires qui aboutissent à l'hyperexcitabilité de ces neurones.
deviennent donc antihyperalgésiques, s'opposant aux per- Cette hyperexcitabilité est renforcée par une levée des sys-
turbations observées dans la douleur inflammatoire, parmi tèmes inhibiteurs spinaux (interneurones gabaergiques, qui
lesquelles, justement, l'hyperalgésie, mais aussi, bien sûr, la peuvent aussi devenir source d'excitabilité !), ou bulbospi-
douleur spontanée. naux noradrénergiques. Des phénomènes d'origine gliale
D'autres produits, comme la kétamine, peuvent être (libération de cytokines TNF-α, IL-1β, BDNF) participent
qualifiés d'antihyperalgésiques. Antagoniste du récepteur aussi à cette hyperexcitabilité via la neuro-inflammation
NMDA, elle inhibe un élément clé de l'excès de nociception induite. Ainsi, dans ce contexte de sensibilisation centrale,
et de la sensibilisation centrale. Cela justifie son utilisation l'augmentation de l'activité des neurones de deuxième ordre
possible contre la douleur postopératoire, contexte qui conduit à une augmentation de leur réponse à différentes
bénéficie aussi de son effet anti-inflammatoire, qui relève modalités sensorielles (dont des stimuli mécaniques de faible
de plusieurs mécanismes [15]. Son action d'inhibition de intensité) et participe à étendre leur champ récepteur.
l'hyperalgésie aux opioïdes est aussi une raison de son utili- Ces phénomènes spinaux ont des effets sur les structures
sation dans ce contexte. supraspinales de la « pain matrix » (terme qui désigne un
Enfin, des produits moins classiques pour la douleur ensemble de structures cérébrales activées en réponse à un
inflammatoire pourraient, au moins selon des études chez stimulus nociceptif) qui participent ainsi non seulement au
l'animal, avoir également un intérêt dans ces douleurs. C'est phénomène douloureux mais également aux comorbidités
le cas, par exemple, des antiépileptiques : plusieurs études associées à cette douleur chronique.
menées dans des modèles animaux de douleur inflamma- Deux classes thérapeutiques sont les traitements de pre-
toire révèlent leur efficacité [16]. Les mécanismes suspectés, mière intention de ces douleurs : les antidépresseurs et les
variés et sans doute différents en fonction du type d'antié- antiépileptiques [17]. Les éléments physiopathologiques de
pileptique, peuvent s'exercer sur les fibres afférentes et/ou ces douleurs, tels que décrits ci-dessus, fournissent le subs-
dans la CPME (inhibition de la sous-unité α2δ des canaux tratum à leur mécanisme d'action sur la dimension senso-
calciques, blocage des récepteurs NMDA, activation de ridiscriminative, tel qu'admis aujourd'hui. Cela n'exclut
canaux potassiques, etc. [gabapentinoïdes] ; inhibition de pas que leurs effets psychotropes puissent aussi participer à
canaux sodiques [carbamazépine, oxcarbazépine]) ou sur l'amélioration générale des patients.
les contrôles descendants (activation des voies sérotoniner- Concernant les antidépresseurs, le premier constat est
giques ou noradrénergiques). que seuls les inhibiteurs mixtes de la recapture de la noradré-
naline et de la sérotonine (IRSNA) sont efficaces, alors que
les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine
Douleurs neuropathiques (ISRS) ne le sont pas. Ce constat, clairement confirmé par
Les douleurs neuropathiques sont des douleurs chroniques des études cliniques, exclut un mécanisme sérotoninergique
secondaires à une lésion ou une maladie du système ner- alors même que la sérotonine est un modulateur majeur du
veux somatosensoriel. Les altérations de ce système, qui message nociceptif. Il existerait donc une forme de résis-
peuvent être d'origine traumatique, métabolique, isché- tance des douleurs neuropathiques à l'effet antalgique de la
mique, neurodégénérative, tumorale, iatrogène, infectieuse, sérotonine, résistance qui mérite exploration. Quoi qu'il en
etc., conduisent à un déséquilibre entre les systèmes exci- soit, ces données montrent qu'il est nécessaire qu'une com-
tateurs (facilités) et inhibiteurs (réduits) de la transmission posante noradrénergique soit mobilisée pour que les anti-
nociceptive. Ce déséquilibre aboutit à une hyperexcitabilité dépresseurs (imipraminiques ou IRSNA) soient efficaces.
liée à des modifications anatomiques, électrophysiologiques, L'hypothèse privilégiée est que ces antidépresseurs inhibent
moléculaires, périphériques et/ou centrales. L'hyperexcita- la recapture de la noradrénaline libérée par les terminaisons
bilité sous-jacente dépend des capacités neuroplastiques du spinales des voies inhibitrices descendantes bulbospinales.
système nerveux, qui affectent les canaux ioniques, l'activité Par ce mécanisme, les antidépresseurs renforcent un sys-
des neurones de projection et les systèmes inhibiteurs et tème de contrôle inhibiteur dont l'activité est réduite dans
facilitateurs. les douleurs neuropathiques. Nombre d'entre eux sont des
Ainsi, on observe, dans les neuropathies périphériques, produits pharmacologiquement « sales », car ils agissent sur
une augmentation de l'expression et une modification de plusieurs cibles moléculaires : canaux ioniques ou récep-
la distribution et de la fonction de certains canaux ioniques teurs NMDA, α-adrénergiques ou encore histaminergiques,
dépolarisants tels que les canaux sodiques, calciques ou TRP etc. Ces effets, considérés comme annexes à l'inhibition de
(Transient Receptor Potential). L'ensemble de ces phéno- la recapture, peuvent néanmoins participer à l'action théra-
mènes conduit à une excitabilité accrue des fibres afférentes, peutique de ces molécules. En effet, certaines de ces cibles
à des décharges ectopiques, par exemple au niveau d'un sont impliquées dans la physiopathologie des douleurs neu-
névrome, à une libération accrue de neurotransmetteurs et, ropathiques. Ainsi, le blocage des canaux sodiques pourrait
donc, à une augmentation de la transmission synaptique spi- participer à l'effet des imipraminiques et de la venlafaxine.
nale vers les neurones de projection. On observe également Il convient d'évoquer ici le tramadol, antalgique opioïde qui
une diminution de l'expression de canaux hyperpolarisants possède aussi la capacité d'inhiber la recapture de séroto-
de type potassique. Ainsi, les récepteurs NMDA, localisés sur nine et de la noradrénaline, ce qui lui confère une certaine
les neurones de projection, sont activés à la suite de décharges légitimité dans la prise en charge des patients souffrant de
continues issues des fibres afférentes, ce qui permet l'entrée douleurs neuropathiques.
Chapitre 2. De la physiologie et la physiopathologie de la douleur à la pharmacologie 13
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Chapitre
3
Imagerie cérébrale
de la douleur
Roland Peyron
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Physiologie de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Solutions antalgiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Empathie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
patients atteints d'épilepsie rebelle préchirurgicale, des élec- puisque le sujet n'est pas lui-même soumis à la sensation
trodes enregistrant les crises sont implantées. Elles peuvent physique de douleur [6].
servir à stimuler le cerveau directement. Seuls 11 % de plus de
4 000 stimulations disséminées dans tout le cerveau ont déclen-
ché une sensation douloureuse sans équivoque, mais toutes ces Douleurs chroniques
stimulations étaient de localisation operculaire (S2) et/ou insu- Appliquer l'imagerie fonctionnelle aux douleurs chroniques,
laire postérieure [3]. Cela suggère que la capacité des aires oper- notamment neuropathiques vise à explorer des mécanismes
culo-insulaires à générer de la douleur est forte, à la différence physiopathologiques. Des réorganisations du thalamus, des
des autres aires cérébrales, y compris celles du gyrus cingulaire. aires insulaires, operculaires et du cortex préfrontal sont
Si l'on stimule la peau avec un laser, les électrodes enregistrant observées. Plus précisément, la tomographie par émission
des réponses proportionnelles à la perception douloureuse sont de positons (TEP) permet d'aborder les questions de la
essentiellement observées dans ces mêmes aires [2]. Les aires médiation chimique des informations nociceptives ou des
capables de générer de la douleur ont donc aussi une capacité réorganisations cérébrales qui font la pathologie, ou encore
discriminative leur permettant de distinguer une stimulation de la médiation de phénomènes antalgiques. Des anomalies
thermique indolore d'une stimulation douloureuse, alors que du système endorphinique ont ainsi été rapportées dans plu-
d'autres régions peuvent avoir d'autres fonctions, attentionnelle sieurs pathologies douloureuses chroniques.
(pariétal postérieur et préfrontal), émotionnelle (insula anté-
rieure et cortex orbitofrontal) ou motrice (système moteur).
Deux exemples en pathologie confirment ces données : l'épi- Solutions antalgiques
lepsie, modèle de décharge neuronale, peut produire des symp- Du point de vue du soignant, s'intéresser aux mécanismes
tômes douloureux si l'origine de la crise ou sa propagation est susceptibles d'apporter un soulagement est important. Des
operculaire ou insulaire [4]. À l'inverse, une lésion focale du études ont évalué les effets sur l'activité cérébrale d'un cer-
cerveau dans la région de S2 et de l'insula postérieure peut abo- tain nombre de solutions antalgiques : la diversion, l'hyp-
lir la fonction nociceptive, le patient se trouvant dans l'incapa- nose, les opiacés ou l'effet placebo, qui créent des activités
cité de percevoir une stimulation nocive de 50 °C ou la piqûre concentrées dans le cortex frontal médian, le cingulaire ros-
de l'infirmière en vue d'une prise de sang [5]. tral, et le cortex orbito-frontal. Il est admis que ces structures
puissent être à l'origine de contrôles inhibiteurs via la SGPA
et que cette région puisse être impliquée dans des méca-
Empathie nismes antalgiques physiologiques. La neurostimulation
Une partie de ce même réseau se trouve activée quand du cortex moteur, technique empirique, soulage la douleur
la douleur est générée à la vue de la souffrance d'au- des patients dans 60 % des cas sans que l'on en comprenne
trui (empathie). Logiquement, les aires perceptives ou les mécanismes. Les activités qu'induit ce neurostimulateur
discriminatives décrites plus haut ne sont pas recrutées, concernent les aires à distance, le thalamus, le cortex
Chapitre 3. Imagerie cérébrale de la douleur 17
c ingulaire rostral ou la SGPA. Dans ces deux dernières aires, [2] Frot M, Magnin M, Mauguiere F, Garcia-Larrea L. Human SII and
les activités sont corrélées à l'effet antalgique [7]. Cela nous posterior insula differently encode thermal laser stimuli. Cereb Cortex
rappelle que la neurostimulation de la SGPA a été développée, 2007 ; 17 : 610–20.
[3] Mazzola L, Isnard J, Peyron R, Mauguiere F. Stimulation of the human
de manière empirique elle aussi, avec certains succès théra-
cortex and the experience of pain : Wilder Penfield's observations revi-
peutiques, dans les années 1950, et que le cortex cingulaire sited. Brain 2012 ; 135 : 631–40.
rostral pouvait être considéré comme une cible potentielle [4] Isnard J, Guénot M, Ostrowsky K, Sindou M, Mauguière F. The role of the
pour la neurostimulation de ces patients, d'autant que ces insular cortex in temporal lobe epilepsy. Ann Neurol 2000 ; 48 : 614–23.
structures sont accessibles à l'imagerie de par leur richesse en [5] Garcia-Larrea L, Perchet C, Creac'h C, Convers P, Peyron R, Laurent B,
récepteurs opioïdes. et al. Operculo-insular pain (parasylvian pain) : a distinct central pain
syndrome. Brain 2010 ; 133 : 2528–39.
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Chapitre
4
Principes d'évaluation
des syndromes douloureux
chroniques de l'enfant
Barbara Tourniaire
PLAN DU CHAPITRE
Évaluer l'intensité de la douleur . . . . . . . . . . . 21 À qui, et quand adresser un enfant ou un
Une évaluation globale nécessaire adolescent en structure douleur ? . . . . . . . . . . 24
dans la douleur chronique de l'enfant. . . . . . . 23
leurs émotions, et leur visage n'est plus forcément le témoin peu la douleur, « envahi de douleur » apparaît parfois en
de leur douleur. Le rôle de l'éducation, de la famille et de quelques heures à quelques jours, par exemple lors de dou-
la culture est très important dans la façon dont l'expression leurs traumatologiques (fractures ou brûlures) ou de dou-
des émotions et, donc, de la douleur, est encouragée ou au leur postopératoire, mais aussi de gingivostomatite, dont le
contraire réfrénée. tableau doit donc être connu de tous les praticiens.
Des outils d'évaluation de la douleur, fondés sur l'obser- Plus récemment, l'échelle française EVENDOL (figure 4.1)
vation, ont été développés et validés chez l'enfant, en fonc- a été conçue et validée pour les enfants âgés de 0 à 7 ans dans
tion de l'âge et de la situation clinique : par exemple, des les situations de douleur aiguë ou prolongée. Elle contient des
échelles spécifiques ont été élaborées pour le nouveau-né, items de ces deux types de douleur, elle est simple et utilisable
pour l'enfant polyhandicapé, etc. Ces échelles sont toutes rapidement, ne nécessitant que quelques minutes d'appropria-
disponibles sur le site français de la douleur de l'enfant : tion ; les consignes figurent sur l'échelle. L'utilisateur observe
www.pediadol.org et dans le guide L'Essentiel de la douleur l'enfant quelques minutes avant de l'approcher ou de l'exami-
[2]. Il s'agit d'une hétéroévaluation. ner, puis lors de l'examen. Sont observés : ses plaintes (si l'en-
Depuis la fin des années 1980, la situation d'enfants « trop fant pleure, crie, gémit ou se plaint), son visage (front plissé,
calmes » a été décrite : un faciès pauvre, peu, voire pas de sourcils froncés, bouche crispée), ses mouvements (adopte une
plaintes, une immobilité ou des positions inhabituelles, très attitude inhabituelle, s'agite, se raidit, se crispe, cherche protec-
peu d'interactions avec l'entourage, etc. Ces symptômes qui tion), ses interactions (peut être consolé, échange avec autrui,
passaient et passent encore trop souvent inaperçus, sont les s'intéresse aux jeux, etc.). C'est actuellement cette échelle qu'il
signes d'une douleur prolongée de l'enfant. Des échelles spé- faut retenir en première intention.
cifiques ont été créées pour les enfants atteints de douleurs
du cancer, mais sont utilisables pour toute douleur intense
prolongée : Douleur Enfant Gustave-Roussy (DEGR) et Repères selon l'âge
Hétéroévaluation de la douleur de l'enfant (HEDEN). Dès les premières années de vie (environ l'âge de 2 ans), les
Mais dans les douleurs intenses, en particulier chez les enfants sont capables de désigner les zones douloureuses de
enfants petits, ce tableau d'enfant « trop calme », verbalisant leur corps et de faire comprendre à autrui qu'ils ont mal par
Echelle validée
de la naissance à 7 ans.
Score de 0 à 15,
seuil de traitement 4/15.
Notez tout ce que vous observez... même si vous pensez que les signes ne sont pas dus à la douleur, mais à la peur, à l'inconfort, à la fatigue ou à la gravité de la maladie.
Antalgique
Nom Signe Evaluations suivantes
Signe Evaluation à l'arrivée
Signe moyen Evaluations après antalgique3
Signe fort
faible ou environ
absent ou quasi au repos1 à l'examen2 ou
ou passager la moitié R R R R
permanent
du temps au calme (R) la mobilisation (M) M M M M
Expression vocale ou verbale
pleure et/ou crie et/ou gémit
0 1 2 3
et/ou dit qu'il a mal
Mimique
a le front plissé et/ou les sourcils froncés
0 1 2 3
et/ou la bouche crispée
Mouvements
Positions
a une attitude inhabituelle et/ou antalgique
0 1 2 3
et/ou se protège et/ou reste immobile
Relation avec l'environnement
peut être consolé et/ou s'intéresse aux jeux normale diminuée très diminuée absente
et/ou communique avec l'entourage 0 1 2 3
Remarques Score total /15
Date et heure
Initiales évaluateur
1
Au repos au calme (R) : observer l'enfant avant tout soin ou examen, dans les meilleures conditions possibles de confort et de confiance, par exemple à distance, avec ses parents, quand il joue...
2
A l'examen ou la mobilisation (M) : il s'agit de l'examen clinique ou de la mobilisation ou palpation de la zone douloureuse par l'infirmière ou le médecin.
3
Réévaluer régulièrement en particulier après antalgique, au moment du pic d'action : après 30 à 45 minutes si oral ou rectal, 5 à 10 minutes si IV. Préciser la situation, au repos (R) ou à la mobilisation (M).
Echelle validée pour mesurer la douleur (aiguë ou prolongée avec atonie), de 0 à 7 ans, en pédiatrie, aux urgences, au SAMU, en salle de réveil, en post-opératoire - Référence bibliographique : Archives de Pédiatrie 2006, 13,
922, P129–130. Archives de Pédiatrie 2012, 19, 922, P42–44. Journées Paris Pédiatrie 2009 : 265–276. Pain 2012, 153 : 1573–1582. Contact : elisabeth.fournier-charriere@bct.aphp.fr - © 2011 - Groupe EVENDOL
Figure 4.1 Échelle EVENDOL Copyright Groupe EVENDOL. Échelle reproduite avec l'autorisation des auteurs. Fournier-Charrière E,
Tourniaire B, Carbajal R, Cimerman P, Lassauge F, Ricard C, Reiter F, Turquin P, Lombart B, Letierce A, Falissard B. EVENDOL, a new beha-
vioral pain scale for children ages 0 to 7 years in the emergency department: design and validation. Pain 2012 Aug ; 153(8) : 1573–82.
Chapitre 4. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques de l'enfant 23
des mots simples ou des mimiques. Le plus souvent, l'entou- Localisation de la douleur
rage proche sera le plus à même de décrypter les signes de Les enfants pourront dès environ 6 ans, parfois avant, indi-
douleur des plus petits. Mais leurs capacités d'évaluation quer sur le schéma du bonhomme les zones de douleur ;
s'arrêteront souvent là, le reste de l'interrogatoire sera fait avec l'âge, ils pourront utiliser plusieurs couleurs selon les
avec les parents. intensités de douleur.
Pour obtenir une évaluation de la part d'un enfant, les
façons de l'approcher et de s'adresser à lui seront primor-
diales. Les enfants, jusqu'à l'âge de 4 ans, parfois même plus, Douleur neuropathique
pensent que les adultes devinent tout et ne comprennent pas Une échelle spécifique de la douleur neuropathique chez
spontanément l'importance qu'il y aurait à leur expliquer les enfants est en cours de publication : le DN4 pédiatrique,
ce qu'ils ressentent. Il doit leur être clairement dit que nous décrivant au moyen de dessins et de mots adaptés les carac-
pensons qu'il a mal, que nous aimerions qu'il nous montre téristiques des douleurs neuropathiques.
où, puis, selon l'âge, qu'il nous indique comment et « à Tous ces outils sont disponibles sur le site www.pediadol.
combien ». org, téléchargeables et imprimables, ainsi que les consignes
d'utilisation.
Avant l'âge de 4 à 5 ans
Avant 4 à 5 ans, l'observation par un tiers (hétéro Quelle valeur pour cette évaluation
évaluation) est donc la seule possibilité pour évaluer chiffrée ?
l'intensité d'une douleur. La note obtenue pour cette douleur donne une indication
du niveau de douleur et permet d'adapter d'emblée les antal-
À partir de 4 ou 5 ans giques. Cependant, les praticiens s'interrogent souvent sur sa
À partir de 4 ou 5 ans, l'enfant peut commencer à décrire valeur intrinsèque. Or, cette note sert surtout de langage com-
qualitativement et quantitativement sa douleur, mais il mun entre les soignants et entre le soignant et l'enfant, ainsi
faudra un interlocuteur patient et attentif, qui lui pose des qu'à vérifier la diminution de la douleur après antalgique.
questions simples. L'enfant de cet âge-là est persuadé que les L'intensité de la douleur doit être réévaluée au pic d'ac-
adultes devinent tout et devra être encouragé à expliquer ce tion de l'antalgique administré.
qu'il ressent.
Une évaluation globale nécessaire
À partir d'environ 5 ans dans la douleur chronique
À partir d'environ 5 ans, apparaissent les premières pos- de l'enfant
sibilités d'auto-évaluation de l'intensité de la douleur, et
l'échelle des six visages peut alors être utilisée. En cas de Tous ces outils évaluent une intensité de la douleur et un
doute sur la compréhension de l'enfant ou de discordance retentissement visible sur le corps. Ils sont insuffisants dans
avec l'observation, une hétéroévaluation sera réalisée la douleur chronique, car ils doivent alors être complétés par
(figure. 4.2). une évaluation plus globale du retentissement de la dou-
leur dans les différentes sphères de la vie de l'enfant et de
sa famille.
À partir de 6 ans Si, initialement, une durée allant de 3 à 6 mois a été rete-
À partir de 6 ans, l'autoévaluation avec l'échelle visuelle ana- nue pour définir une douleur chronique chez l'adulte, cette
logique (EVA) est possible, en utilisant une échelle verticale, durée a pu être rediscutée comme « supérieure à la durée
plus large en haut qu'en bas (figure. 4.3). attendue », mais aucune définition spécifique pour la pédia-
trie n'a été retenue.
À partir de 8 ans C'est en tout cas dans ces situations de douleur qui dure
À partir de 8 ans, une ENS (échelle numérique simple) peut et a un retentissement fort sur la vie que, comme chez
être demandée à l'enfant, avec une note entre 0 et 10, car il l'adulte, l'évaluation doit comporter non seulement l'inten-
sait non seulement compter, mais a compris la proportion- sité, la fréquence, la durée et la localisation, mais aussi l'im-
nalité des chiffres entre 0 et 10. pact fonctionnel, la qualité de vie, l'absentéisme scolaire, le
Figure 4.2 Échelle des six visages. Consigne : « ce sont des bonhommes qui ont mal, montre-moi le bonhomme qui a mal autant que toi »,
ou encore : « montre-moi comment tu as mal, comment tu te sens à l'intérieur, et non pas le visage que tu montres à l'extérieur ? ».
24 Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome
Très très mal plus d'un jour par mois du fait des douleurs, et que 22 %
10
avaient été absents 16 jours, voire plus.
9 Enfin, le sommeil et l'appétit font partie de l'évaluation
globale des enfants et adolescents. Des échelles de sommeil
8 existent, mais ne sont pas faciles à appliquer au quotidien.
Questionner les troubles de l'endormissement et demander
7 à l'enfant de noter son sommeil entre 0 et 10 est une pre-
mière approche simple.
6 Ainsi, des échelles ont été validées pour mesurer l'im-
pact fonctionnel de la douleur, mais elles ne remplacent
5 en rien une évaluation clinique globale par le médecin
ou une équipe : elles ne peuvent être qu'un complé-
4 ment. De même, des échelles mesurant la comorbidité
sur l'humeur et l'anxiété existent, mais ces items peuvent
3
être questionnés de manière plus simple au cours de la
consultation.
2
Le plus souvent, si un bon contact avec lui et sa famille
1 a été tissé, l'enfant répondra facilement aux questions
posées directement mais avec douceur. Il pourra même
0 se montrer soulagé à voir que le médecin questionne ces
Pas mal du tout éléments.
Figure 4.3 Échelle visuelle analogique. Parfois, les éléments émotionnels seront niés soit par
l'enfant, soit par sa famille, ne laissant de place qu'aux
plaintes somatiques. Dans ces situations, l'expérience de
l'équipe pour arriver à introduire petit à petit des élé-
retentissement familial et les éléments psychologiques indi- ments psychologiques sera primordiale pour dénouer
viduels et familiaux. la situation. Les méthodes psychologiques et, surtout,
Nous ne disposons pas de recommandations formelles psychocorporelles permettront de faire petit à petit des
relatives à l'évaluation de la douleur chronique chez l'enfant, liens, à travers les ressentis corporels, entre le soma et la
spécifiant quels outils utiliser. Mais les experts de la dou- psyché.
leur de l'enfant s'accordent pour nommer les champs de Un livre très accessible aux professionnels et aux
l'évaluation : l'intensité douloureuse, le jugement global et familles aborde de manière complète et didactique
la satisfaction de la prise en charge, les symptômes, l'impact l'ensemble des notions pour comprendre la douleur de
physique, l'impact émotionnel, l'impact social, le sommeil, l'enfant, l'évaluer et mettre en œuvre des moyens de la
les facteurs économiques, les relations avec les pairs, avec soulager. Il constitue un ouvrage de référence en français
l'école et avec la famille [3]. dans le domaine [5].
Très peu de questionnaires évaluant ces domaines ont
été validés en français. Le PedMIDAS [4] peut être utilisé
pour évaluer le retentissement des céphalées, le FDI (Func- À qui, et quand adresser
tional Disability Inventory), le retentissement fonctionnel un enfant ou un adolescent
des douleurs. Ces outils simples peuvent aussi être utilisés en structure douleur ?
comme un mode de communication avec les adolescents,
ainsi qu'un moyen de suivi de l'évolution après le traitement. Une évaluation globale par tous les praticiens pourra
Enfin, l'enfant vit dans sa famille et des éléments de la être faite dans la plupart des situations, grâce à des mots
dynamique familiale et de l'entente entre les membres de simples ; elle aura pour objectif la recherche de l'his-
la famille ou l'existence de douleurs chroniques ou de pro- toire des douleurs, leur intensité, leur retentissement en
blèmes de santé chez les parents et dans la fratrie doivent termes de jours d'absence scolaire, de relations avec les
être recherchés et font partie de l'évaluation globale de pairs et leur conséquences sur la vie de l'enfant et de sa
l'enfant. famille.
L'absentéisme scolaire doit être précisément recherché, Dans les situations plus complexes, comportant des
ainsi que le nombre de passages à l'infirmerie scolaire. intrications familiales, un retentissement lourd, des diffi-
Ce sont des indices majeurs de gravité de la situation, cultés thérapeutiques, un absentéisme scolaire, un impact
par l'isolement qu'il provoque, les risques de retard des important dans la vie ou encore des éléments psychoso-
acquisitions, et le cercle vicieux qu'ils peuvent amorcer. ciaux difficiles à explorer ou à moduler, une évaluation
Plusieurs études ont montré un retentissement impor- pluriprofessionnelle dans une structure douleur pédia-
tant des douleurs chroniques sur la présence à l'école. trique sera nécessaire. L'absence de prise de conscience des
En France, une enquête réalisée en 2013 dans les struc- intrications entre les éléments émotionnels et somatiques
tures douleur pédiatriques a mis en évidence que 41 % est aussi une bonne indication de recours à une structure
des enfants avaient, dans les six derniers mois, été absents spécialisée.
Chapitre 4. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques de l'enfant 25
Références sures for pediatric acute and chronic/recurrent pain clinical trials :
PedIMMPACT recommendations. J pain 2008 ; 9. 771–83.
[1] ANAES. Évaluation et stratégies de prise en charge de la douleur aiguë en [4] Amouroux R, Rousseau-Salvador C, Pillant M, Antonietti JP,
ambulatoire chez l'enfant de 1 mois à 15 ans. Paris : ANAES ; 2000. https:// Tourniaire B, Ericson L, et al. Validation française du PedMIDAS, une
www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/doulenf4.pdf. échelle d'évaluation de l'impact fonctionnel des migraines chez l'enfant
[2] Fournier-Charrière E. Tourniaire B, groupe Pediadol. Édition Pédiadol : et l'adolescent. Douleur et Analgésie 2017 ; 30 : 92–8.
Douleur de l'enfant. L'essentiel. Paris ; 2015. [5] Kuttner L. L'enfant et sa douleur. Identifier, comprendre, soulager.
[3] McGrath PJ1, Walco GA, Turk DC, Dworkin RH, Brown MT, Paris : éditions Dunod, 2011.
Davidson K, et al. PedIMMPACT. Core outcome domains and mea-
Chapitre
5
Principes d'évaluation
des syndromes douloureux
aigus chez l'adulte
Frédéric Aubrun
PLAN DU CHAPITRE
Évaluation de la douleur postopératoire : Comment ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
quand, comment, par qui et pourquoi ? . . . . . . . 27 Par qui ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Quand évaluer la douleur aiguë ?. . . . . . . . . . . 27 Pourquoi ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Évaluation quantitative de la douleur par l'EVA, l'EN ou, par défaut, l'EVS
Paracétamol 1 g i.v. en 15 minutes ou paliers II Morphine : titration i.v. par bolus de 2 à 3 mg i.v. directe**
± AINS i.v. en 15 minutes ± MEOPA
± MEOPA ± AINS i.v. en 15 minutes
± analgésie locale/locorégionale ± analgésie locale/locorégionale
* *
Arrêt de la morphine
Mesures symptômatiques si nécessaire****
Figure 5.1 Traitement antalgique en fonction de l'intensité douloureuse aux urgences. EN : échelle numérique ; EVA : échelle visuelle
analogique ; EVS : échelle verbale simple. Source : d'après Vivien B et al. 2010 [1].
de l'âge du patient ou des modalités de présentation de l'outil son taux d'échec est faible, de l'ordre de 5 % [1]. Pour
(urgence préhospitalière, salle de surveillance postinterven- les patients âgés, l'EVS (échelle verbale simplifiée), dotée
tionnelle), la représentation de la douleur pourra varier dans en général de 5 qualificatifs (douleur absente, faible,
le temps et aboutir à des résultats difficiles à interpréter. C'est modérée, forte et insupportable) semble l'outil préféré
par exemple le cas de l'EVA qui, présentée horizontalement ou tant des patients que des soignants. Elle est moins pré-
verticalement aux patients aux âges extrêmes de la vie, n'aura cise, mais est davantage compréhensible par les patients
pas la même signification. Enfin, la méthode doit bénéficier aux capacités d'abstraction altérées ou qui présentent
d'une adaptabilité aux spécificités liées à l'urgence ou à la une démence modérée [1, 3–4]. Quant aux patients qui
période postopératoire immédiate. présentent des troubles sévères de la communication,
Bien que l'EVA soit la méthode de référence l'échelle ALGOPLUS®, scientifiquement validée, permet
depuis 1974 pour évaluer notamment la douleur aux dans un délai court de cerner la souffrance et de délivrer
urgences et la douleur postopératoire, la SFAR recom- ainsi une analgésie adaptée (figure. 5.3) [5].
mande depuis 2016 l'échelle numérique (EN11 ou 101), Trois outils sont à retenir principalement chez l'adulte :
qui permet de quantifier avec une précision scientifi- l'EN pour la population générale, l'EVS chez les patients
quement acceptable l'intensité de la douleur et l'effica- âgés qui présentent des dysfonctions cognitives et des
cité thérapeutique. La corrélation de cette méthode avec troubles du comportement, et l'échelle ALGOPLUS® chez les
l'EVA est excellente, elle ne nécessite pas de support, et non-communicants.
Chapitre 5. Principes d'évaluation des syndromes douloureux aigus chez l'adulte 29
1. Évaluation de la douleur
Paracétamol Morphine
1 g i.v. lente titrée
1 mg/mL* i.v.
Sur 15 minutes
Et/ou
Premier bolus
de 0,05 mg/kg
Kétoprofène
Et/ou
En association
50–100 mg i.v. lente
avec des antalgiques
Sur 10 minutes non morphiniques
Voire
ALR
Morphine titrée
1 mg/mL* i.v.
Premier bolus de 1–4 mg Ou
ALR
Figure 5.2 Protocole de titration intraveineuse en morphine en salle de surveillance postinterventionnelle. Algorithme 1 : prise en charge
préhospitalière. FR : fréquence respiratoire ; ALR : anesthésie locorégionale. Source : B.Vivien et al. Ann Fr Anesth Reanim 2012 ; 31 : 391–404. Avec
la permission de l'Éditeur. Tous droits réservés pour tous pays.
Par qui ? il est évalué, car le combat contre la douleur nécessite une
L'évaluation de la douleur doit faire partie des fondamentaux prise en charge sans délai. La titration i.v. de morphine est la
de la prise en charge de la douleur. Le rôle de l'infirmier est technique d'analgésie la plus efficace, car la plus rapide pour
clairement affirmé. Il est prévu qu'il puisse, dans des condi- soulager les douleurs modérées à sévères. Elle ne peut être
tions d'urgence, mettre en œuvre un protocole de soins après implémentée que si le patient est correctement évalué afin
autorisation du médecin ayant identifié l'origine de la douleur de suivre la cinétique de la douleur et la décroissance de son
présentée par le malade [6]. Aux urgences, l'infirmière d'ac- intensité en fonction du nombre de bolus administrés.
cueil et d'orientation, puis celle qui va suivre le patient vont
utiliser une méthode simple d'autoévaluation. Cette méthode Pourquoi ?
doit toujours être la même. L'infirmière anesthésiste, au bloc Le choix d'un outil fiable d'évaluation de la douleur est crucial,
opératoire, quand elle accueille le patient, évalue sa douleur car c'est un des moyens d'établir un lien avec le patient et de le
et ainsi, le rassure. Dès que le patient quitte le bloc opéra- rassurer. Il s'agit d'un moyen précieux de langage et de commu-
toire et arrive en salle de surveillance postinterventionnelle, nication, y compris chez les patients mal ou non communicants.
30 Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome
Heure ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..…..
OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON
1 • Visage
Froncement des sourcils, grimaces, crispation,
mâchoires serrées, visage figé.
2 • Regard
Regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant,
pleurs, yeux fermés.
3 • Plaintess
« Aie », « Ouille », « J'ai mal », gémissements,
cris.
4 • Corps
Retrait ou protection d'une zone,
refus de mobilisation, attitudes figées.
5 • Comportements
Agitation ou agressivité, agrippement.
Total OUI /5 /5 /5 /5 /5 /5
Professionnel de santé ayant réalisé Médecin Médecin Médecin Médecin Médecin Médecin
l'évaluation IDE IDE IDE IDE IDE IDE
AS AS AS AS AS AS
Autre Autre Autre Autre Autre Autre
Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe
COPYRIGHT
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur chronique 33 Outils ou échelles d'évaluation . . . . . . . . . . . . 35
Drapeaux jaunes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Drapeaux rouges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Évaluation de la douleur chronique . . . . . . . . 34
voit pas, personne n'y croit, ça finit par retentir sur mon
POINTS ESSENTIELS moral, c'est un handicap, je ne peux plus faire ce que je
• Tout syndrome douloureux chronique est complexe veux, je ne comprends pas, les soignants sont impuissants,
au-delà de la simple notion de durée. Il comporte etc. » Effectivement, tout est dit par le patient. Une dou-
des mécanismes physiopathologiques souvent mixtes leur chronique est, selon la HAS, définie par une douleur
(nociceptifs et neuropathiques), et il est intriqué à évoluant depuis plus de trois mois, susceptible d'affecter
l'histoire biopsychosociale du sujet. de façon péjorative le comportement ou le bien-être du
• Tout syndrome douloureux chronique nécessite un patient, et qui persiste malgré un traitement étiologique
traitement complexe, mêlant traitements médicamenteux bien conduit [1, 2].
et non médicamenteux adaptés, qui impliquent le patient Ainsi, la sur venue d'une douleur dans certains
lui-même. contextes (notamment en fonction du vécu du sujet)
• Une évaluation des capacités cognitives, affectives
est d'emblée d'une complexité qui l'enracinera dans la
et comportementales du patient est nécessaire pour
durée.
l'accompagner au mieux et afin qu'il s'approprie la
La douleur chronique arrête le patient. En effet, au-
démarche thérapeutique.
delà de la douleur elle-même, de multiples facteurs
modulent sa perception, qu'ils soient en lien avec l'au-
• Devant toute douleur aiguë persistante (en dépit d'une
tobiographie du sujet, l'état psychique, le travail, la vie
étiologie claire et d'un traitement satisfaisant), il est
familiale ou les retentissements de la pathologie et ses
urgent de repérer les facteurs de chronicisation pour les
traitements.
prendre en charge rapidement.
L'évaluation d'un syndrome douloureux chronique
• Un syndrome douloureux chronique à l'opposé d'une
nécessite non seulement d'être certain de sa cause et de com-
douleur aiguë n'a aucune utilité protectrice, il est
prendre précisément les mécanismes physiopathologiques
destructeur.
à l'œuvre, mais aussi de reconnaître la place des différents
facteurs modulateurs intriqués à la plainte douloureuse au
commencement de la survenue de la douleur et au moment
Ce qu'il faut comprendre où nous voyons le patient (souvent à distance de l'événe-
ment initial).
de la douleur chronique La démarche thérapeutique qui sera proposée découlera
Lapalissade sans doute, mais une douleur chronique n'est de cette évaluation complexe : elle devra être explicitée,
pas une simple douleur aiguë qui se prolonge. D'ailleurs, comprise et acceptée par le patient qui devra s'en saisir. De
si l'on demande à une personne souffrant de douleur la même manière, toute démarche thérapeutique doit avoir
chronique (quelle qu'en soit l'étiologie) de définir sa des objectifs clairs, compris et acceptés par le patient (l'ob-
douleur, elle répondra : « C'est un enfermement, ça ne se jectif « douleur zéro » n'est jamais raisonnable).
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 33
34 Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome
Dans le cas contraire, la plainte et le syndrome doulou- des bilans complémentaires, si nécessaire. Il sera toujours
reux chronique perdurent avec des retentissements de plus à reconsidérer en cas de doute, en fonction de l'évolution.
en plus complexes (perte du travail, etc.). Les éléments essentiels à rechercher sont contenus dans
Cet accompagnement du médecin au cours d'une prise la grille d'entretien semi-structuré de la HAS [2].
en charge globale doit permettre au patient de mieux
comprendre comment faire face à sa douleur, afin qu'il se
Caractéristiques de la douleur
remette en mouvement et (re)trouve un sens à sa vie. Il faut
bien admettre qu'un traitement pharmacologique, jamais Au temps initial
suffisant seul, doit être prescrit, néanmoins avec justesse et Les caractéristiques de la douleur, au moment où elle sur-
subtilité ! vient pour la première fois, sont :
■ les conditions et circonstances de sa survenue (maladie,
traumatisme, accident de travail, etc.),
■ sa localisation, sa cause, les modalités de sa prise en
Drapeaux jaunes charge, le diagnostic initial, les traitements effectués et les
Devant une douleur persistante chez un patient, il importe explications données,
de repérer rapidement les facteurs de risque de chronici- ■ les événements de vie concomitants et précédant
sation. Les facteurs de chronicisation d'une douleur aiguë l'événement,
sont présents d'emblée chez les patients. Les repérer tôt et ■ son retentissement (anxiété, dépression, troubles du som-
les prendre en charge pourraient bloquer les processus de meil, incapacités fonctionnelle et professionnelle, etc.), selon
chronicisation de la douleur. l'échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale),
Un certain nombre de facteurs ont ainsi été mis en ■ le vécu par le patient de l'événement (sentiment d'injus-
évidence dans la douleur postopératoire, la lombalgie tice, de mauvaise prise en charge, de préjudice, etc.).
ou le zona, par exemple. Ces facteurs sont de quatre
ordres : Au stade chronique
■ la pathologie et le type de douleur : Il est important de déterminer :
– pathologie s'accompagnant d'une incapacité ■ comment s'est installée la douleur persistante à partir de
fonctionnelle, la douleur initiale, les modifications sémiologiques et
– douleur neuropathique (ou mixte), topographiques éventuelles dans le temps,
– intensité de la douleur ; ■ les caractéristiques précises de la douleur : sa topo-
■ les caractères propres au sujet : l'âge, la perception d'un graphie, ses caractéristiques sémiologiques (brûlure,
mauvais état de santé, un état émotionnel fragile, des décharges électriques, etc.), permettant de faire le dia-
troubles psychopathologiques (anxiété, dépression), un gnostic du mécanisme de la douleur (nociceptif, neuro-
stress familial ou encore l'adoption d'une stratégie ina- pathique, dysfonctionnel), ses facteurs d'aggravation et
daptée pour faire face (peur de bouger, catastrophisme, de soulagement [3].
incertitudes quant à l'avenir, stratégies de coping pas-
sives, etc.) ; Retentissements de la douleur
■ le travail : son type (port de charges lourdes, travail répé-
titif, source d'insatisfaction, etc.), un harcèlement, un Parmi les retentissements de la douleur, on compte l'anxiété, la
manque de reconnaissance, un accident du travail et un dépression, les troubles du sommeil, les incapacités fonction-
préjudice ou encore un sentiment d'injustice (compensa- nelles et professionnelles ou la désorganisation affective, etc.
tion financière) ;
■ facteurs liés à la prise en charge : une sous-estimation Traitements effectués et actuels
de la douleur, une non-prise en compte du mécanisme Il importe de tenir compte de la dose des traitements,
neurop athique ou une surmédicalisation sont, par de leur durée, de leurs effets bénéfiques et de leurs effets
exemple, des facteurs retrouvés dans la chronicisation de indésirables.
la lombalgie aiguë.
Antécédents et pathologies associées
Les antécédents et pathologies associées à relever peuvent
Évaluation de la douleur chronique être :
■ personnels (médicaux, chirurgicaux, et éventuelles expé-
Modalités générales riences douloureuses antérieures),
L'évaluation initiale doit permettre une description de ■ familiaux (notamment, ceux ayant entraîné le décès).
la douleur compréhensible par tous les acteurs de santé
présents autour du patient et par le patient lui-même. Elle Contextes
prend souvent du temps et peut nécessiter un déroule- Il s'agit du contexte familial, psychosocial, professionnel
ment sur plusieurs consultations. L'étiologie doit être (satisfaction, risques de licenciement, etc.) ou encore d'un
claire ; si ce n'est pas le cas, un bilan étiologique doit être éventuel contexte procédural (implication financière, procé-
effectué comportant un entretien, un examen clinique et dures en cours, etc.).
Chapitre 6. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques 35
Figure 6.1 Questionnaire DN4 : un outil simple pour rechercher les douleurs neuropathiques.
Source : Bouhassira D, Attal N, Alchaar H et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a
new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain. 2005, 114 : 29–36.
Chapitre 6. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques 37
HADS
Hospital Anxiety and Depressive Scale
Les médecins savent que les émotions jouent un rôle important dans la plupart des maladies. Si votre médecin est au
courant des émotions que vous éprouvez, il pourra mieux vous aider. Ce questionnaire a été conçu de façon à
permettre à votre médecin de se familiariser avec ce que vous éprouvez vous-même sur le plan émotif.
Ne faites pas attention aux chiffres et aux lettres imprimés à gauche du questionnaire.
Lisez chaque série de questions et soulignez la réponse qui exprime le mieux ce que vous avez éprouvé au cours de la
semaine qui vient de s'écouler.
Ne vous attardez pas sur la réponse à faire, votre réaction immédiate à chaque question fournira probablement une
meilleure indication de ce que vous éprouvez, qu'une réponse longuement méditée.
Figure 6.2 Hospital Anxiety and Depression Scale. Autoquestionnaire. Pour chaque sous-score (A : dimension anxieuse ou D : dimension
dépressive). Score allant de 0 à 7 : symptomatologie normale ; de 8 à 10 : symptomatologie douteuse ; > 11 : symptomatologie certaine. Source :
d’après Zigmund AS, Snaith RT. The Hospital Anxiety and Depression Scale. Acta Psychiatr. Scand. 1983; 67 :361–70. Traduction française :
J. F. Lépine.
PLAN DU CHAPITRE
Difficultés de l'évaluation Utilisation des échelles
de la douleur chez le sujet âgé . . . . . . . . . . . . 39 d'évaluation de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Encadré 7.1 Notice de l'échelle numérique Encadré 7.2 Notice de l'échelle verbale
simple
Quel type d'échelle ?
C'est une échelle d'autoévaluation. Quel type d'échelle ?
Il s'agit d'une échelle d'autoévaluation.
Pour quel patient ?
Pour tous les patients adultes. Pour quel patient ?
Pour tous les patients adultes, notamment ceux pour qui
Pour quelle douleur ?
l'utilisation d'autres échelles telles que l'échelle visuelle
Pour tout type de douleur. analogique ou l'échelle numérique n'est pas possible.
Comment l'utiliser ? Pour quelle douleur ?
Le soignant demande au patient d'évaluer l'intensité de la douleur Pour tout type de douleur.
au moment présent selon ces consignes ci-dessous. Il peut aussi
lui demander la douleur habituelle depuis les 8 derniers jours et Comment l'utiliser ?
la douleur la plus intense depuis les 8 derniers jours. Le soignant demande au patient d'évaluer l'intensité de la
Entourez-ci-dessous la note de 0 à 10 qui décrit le mieux douleur au moment présent selon ces consignes : pour préciser
l'importance de votre douleur pour chacun des 3 types de l'importance de votre douleur, répondez en entourant la
douleur. La note 0 correspond à « pas de douleur ». La note 10 réponse correcte pour chacun des 3 types de douleur [6, 7].
correspond à la « douleur maximal imaginable » [6, 7].
Source : www.sfetd-douleur.org.
Source : www.sfetd-douleur.org
DATES
NOM : Prénom :
Service :
Observation comportementale
RETENTISSEMENT SOMATIQUE
1• Plaintes • pas de plainte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0
somatiques • plaintes uniquement à la sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
• plaintes spontanées occasionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• plaintes spontanées continues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3
RETENTISSEMENT PSYCHOMOTEUR
6• Toilette • possibilités habituelles inchangées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0
et/ou • possibilités habituelles peu diminuées (précautionneux mais complet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
habillage • possibilités habituelles très diminuées, toilette et/ou habillage étant difficiles et partiels . . . . . . . . . 2 2 2 2
• toilette et/ou habillage impossibles, le malade exprimant son opposition à toute tentative . . . . . . . 3 3 3 3
• possibilités habituelles actives limitées (le malade évite certains mouvements, diminue son périmètre de marche) 1 1 1 1
• possibilités habituelles actives et passives limitées (même aidé, le malade diminue ses mouvements) 2 2 2 2
• mouvement impossible, toute mobilisation entraînant une opposition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3
RETENTISSEMENT PSYCHOSOCIAL
8• Communication • inchangée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 0 0
• intensifiée (la personne attire l'attention de manière inhabituelle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
• diminuée (la personne s'isole) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• absence ou refus de toute communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3
9• Vie sociale • participation habituelle aux différentes activités (repas, animations, ateliers thérapeutiques,…) . . . . 0 0 0 0
• participation aux différentes activités uniquement à la sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 1 1
• refus partiel de participation aux différentes activités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 2 2
• refus de toute vie sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 3 3
COPYRIGHT SCORE
Heure ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..….. ..…..h ..…..
OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON
1 • Visage
Froncement des sourcils, grimaces, crispation,
mâchoires serrées, visage figé.
2 • Regard
Regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant,
pleurs, yeux fermés.
3 • Plaintess
« Aie », « Ouille », « J'ai mal », gémissements,
cris.
4 • Corps
Retrait ou protection d'une zone,
refus de mobilisation, attitudes figées.
5 • Comportements
Agitation ou agressivité, agrippement.
Total OUI /5 /5 /5 /5 /5 /5
Professionnel de santé ayant réalisé Médecin Médecin Médecin Médecin Médecin Médecin
l'évaluation IDE IDE IDE IDE IDE IDE
AS AS AS AS AS AS
Autre Autre Autre Autre Autre Autre
Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe Paraphe
COPYRIGHT
Comment l'utiliser ?
L'échelle comporte dix items répartis en trois sous-groupes,
Encadré 7.4 Notice de l'échelle ALGOPLUS®
proportionnellement à la fréquence rencontrée (cinq items
somatiques, deux items psychomoteurs et trois items psychoso- Quel type d'échelle ?
ciaux). Chaque item est coté de 0 à 3 (cotation à quatre niveaux Il s'agit d'une échelle d'hétéroévaluation comportementale
exclusifs et progressifs), ce qui amène à un score global compris
entre 0 et 30. La douleur est clairement affirmée pour un score Pour quel patient ?
supérieur ou égal à 5 sur 30. La personne âgée présentant des troubles de la communication
Que ce soit en structure sanitaire, sociale ou à domicile, la cotation verbale.
par plusieurs soignants est préférable. À domicile, la famille et les
Pour quelle douleur ?
aidants peuvent être intégrés dans la démarche d'évaluation.
La cotation systématique à l'admission du patient servira La douleur aiguë, les accès douloureux transitoires, la douleur
procédurale.
Chapitre 7. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques : le sujet âgé 43
Comment l'utiliser ? items permet d'obtenir un score total sur cinq. Un score supérieur
L'échelle comporte cinq items (domaines d'observation). ou égal à deux permet de diagnostiquer la présence d'une douleur
La présence d'un seul comportement dans chacun des items avec une sensibilitté de 87 % et une spécificité de 80 % et, donc,
suffit pour coter « oui » l'item considéré. La simple observation d'instaurer de façon fiable une prise en charge thérapeutique et
d'un comportement doit impliquer sa cotation quelles que soient antalgique. Il est ensuite nécessaire de pratiquer régulièrement de
les interprétations étiologiques éventuelles de sa préexistence. nouvelles cotations. La prise en charge est satisfaisante quand le
En pratique, pour remplir la grille, observer dans l'ordre : les score reste strictement inférieur à deux [2, 10, 11].
expressions du visage, celles du regard, les plaintes émises, les Le score obtenu doit faire l'objet d'une traçabilité dans le
attitudes corporelles et, enfin, le comportement général. dossier patient (IPAQSS).
Chaque item coté « oui » est compté un point et la somme des Source : www.sfetd-douleur.org.
44 Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome
Source : www.sfetd-douleur.org.
Chapitre
8
Clinique de la douleur aiguë
et chronique (facteurs
de chronicisation
et mémoire de la douleur)
Bernard Laurent
PLAN DU CHAPITRE
Douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Facteurs de chronicisation
Douleur Aigüe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 et mémoire de la douleur. . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Chacun a expérimenté la douleur aiguë d'une brûlure, (zona, traumatisme, chirurgie) permet leur identification
d'une fracture ou d'une céphalée ; il connaît la réponse tout comme les caractères de la douleur spontanée (brûlure,
musculaire de retrait ou la contracture réflexe, l'émotion électricité) et la perte de sensibilité paradoxale de la zone
avec la réponse végétative (tachycardie, sudation, jusqu'à douloureuse : on a mal là où on ne sent plus… Cette sen-
la syncope, parfois) et l'hyperalgésie qui prolonge la dou- sibilisation par dépolarisation de la corne postérieure est
leur aiguë initiale. Cette réponse est périphérique au lieu liée aux récepteurs NMDA du glutamate et aux récepteurs
de la blessure, ce qui implique des mécanismes neuronaux NK-1 de la substance P et de la neurokinine A. L'activation
et biologiques locaux : libération au niveau du site lésion- de ces récepteurs permet une entrée massive de calcium
nel de substances biochimiques : K+, H+, prostaglandines, intracellulaire et stimule une cascade chimique, impliquant
bradykinine, et « soupe inflammatoire », avec l'activation notamment la protéine kinase C et la NO-synthétase, avec
des canaux ioniques des fibres nociceptives C et A δ, des production d'oxyde nitrique intracellulaire. Du fait de cette
nocicepteurs silencieux, lieu d'efficacité du paracétamol et sensibilisation, les champs récepteurs des neurones de la
des anti-inflammatoires. Mais cette réponse est aussi cen- moelle s'étendent au-delà du site lésionnel initial dans les
trale, ce qui explique cette diffusion de la douleur au-delà tissus adjacents non lésés. L'analgésie optimale doit bloquer
de la blessure, dans tout un territoire neurologique (nerf, l'influx douloureux au niveau périphérique du nocicepteur
racine), voire un membre entier, quand la réponse médul- (analgésiques AINS), de la conduction nerveuse (blocs
laire s'étend au-delà de la zone initialement stimulée (acti- anesthésiques) ou au niveau de la moelle (morphiniques ou
vation des récepteurs NMDA, et des seconds messagers, anti-NMDA) pour prévenir l'hyperalgésie secondaire, pré-
etc.), ce qui correspond à la transformation du système ner- lude de toute douleur chronique.
veux d'un état basal a un état sensibilisé. Cet état perdure
et constitue une forme primitive de mémoire douloureuse Douleur Chronique
supportée par des modifications géniques (les oncogènes
c-fos ou c-jun qui initient des modifications neuronales La douleur chronique, quel qu'en soit le mécanisme (inflam-
persistantes de la CPME, où convergent les fibres noci- matoire, cancer, neuropathique), s'oppose à la douleur aiguë
ceptives). Ces phénomènes de sensibilisation expliquent non seulement par sa durée (classiquement supérieure à
l'hyperalgésie mécanique et l'allodynie tactile que chacun a six mois), mais surtout par sa résistance aux médicaments
expérimenté lors du contact à la suite d'un coup de soleil ou et l'auto-entretien qui en font une maladie autonome. L'hy-
dans l'hypersensibilité du cuir chevelu après une migraine : peralgésie centrale, le maintien d'une activation des noci-
les mécanorécepteurs Aβ de bas seuil déclenchent la dou- cepteurs (nocicepteurs articulaires de l'arthrose, sollicités
leur. Cette caractéristique des douleurs neuropathiques par le mouvement ou compression d'un nerf par un cancer
Médecine de la douleur pour le praticien
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46 Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome
extensif, etc.) sont aggravés par la faillite des systèmes endo- atteignant un membre qui a été amputé, sont classiques ; plus
gènes de contrôle de la douleur : systèmes endorphinique, étranges sont celles qui reproduisent une situation de douleur
sérotoninergique, noradrénergique, cannabinoïde, etc. Ce aiguë ancienne : par exemple, dans le cas de l'accident, la der-
déficit de contrôle endogène est combattu par des molécules nière perception de la main crispée sur le guidon de moto, ou
qui tentent de le restaurer (antidépresseurs, antiépilep- encore le cas de ce patient qui ressentait dans son bras fantôme
tiques, neuromodulation, etc.). L'abus d'antalgiques, parti- amputé une écharde sous l'ongle du majeur et mit beaucoup de
culièrement des opioïdes (morphine et des dérivés opiacés temps à établir, grâce au récit maternel, le lien entre cette dou-
plus puissants, comme le fentanyl) après une analgésie leur et sa biographie : cette écharde avait existé douloureuse
puissante, déclenche une hyperalgésie d'autant plus grave ment quelques heures seulement à l'âge de 5 ans [1].
que la consommation est répétée. Cette prescription dans Depuis les années 1980, il est établi que les voies nocicep-
les situations de douleur chronique doit donc être contrô- tives du fœtus humain sont fonctionnelles dès 6 semaines de
lée afin d'éviter hyperalgésie, chronicité, mémorisation et grossesse. Les nouveau-nés hospitalisés en soins intensifs ou
addiction (actuellement plus fréquente que les prises à visée en réanimation néonatale sont exposés à différents types de
récréative aux États-Unis, où plus de 60 000 décès annuels stimuli douloureux (cathétérismes, aspirations trachéales,
en dépendent). etc.) et soumis à un stress prolongé (isolement affectif, sti-
muli acoustiques et lumineux, etc.), entraînant une combi-
naison de douleurs aiguës et chroniques. Ce stress périnatal
Douleur aigüe induit des perturbations à long terme du contrôle de la dou-
La mémoire d'une douleur aiguë est sans cesse interrogée leur qui ont été prouvées chez des adolescents anciens pré-
par le médecin pour son diagnostic alors qu'elle est particu- maturés étudiés par imagerie cérébrale. Chez l'humain
lièrement fragile, car on ne peut pas faire revivre le souvenir nouveau-né à terme, les naissances traumatiques (forceps),
corporel dans sa précision topographique ni son intensité : associées à un taux élevé de cortisol, ou la circoncision sans
on se rappellera la note de l'échelle, mais on retiendra diffi- anesthésie des premiers jours sont responsables d'un com-
cilement les caractéristiques topographiques et l'irradiation, portement douloureux important lors des vaccinations à 4
pourtant indispensables au médecin qui interroge. Cette et 6 mois [2].
mémoire est affectée par plusieurs facteurs et, par exemple, Il reste beaucoup d'inconnus sur l'inscription physiolo-
l'intensité de la douleur et l'état douloureux sont souvent gique d'une douleur et les sites anatomiques impliqués. Le
mieux mémorisés que la durée de la douleur. Pami ces fac- système nociceptif est probablement soumis à une « fina-
teurs, interviennent les conditions de l'amélioration par le lité » d'oubli de la douleur, mais tout stimulus douloureux
médicament : par exemple, le souvenir de l'intensité initiale entraîne des modifications neurochimiques et synaptiques
de la douleur s'efface si l'amélioration de l'état a été rapide. durables du système nerveux. Ce stockage mnésique de la
Les facteurs psychologiques et les notions de stress trauma- douleur, utile pour la reconnaître et mieux la combattre,
tique jouent également un rôle, d'où l'intérêt des interven- sera d'autant plus important que le stimulus nociceptif
tions psychologiques atténuant le contexte initial : hypnose, aura été intense et répété. Un frayage commun entre dou-
prescription d'un anxiolytique, etc. La prévention de cette leur somatique et souffrance psychique peut expliquer l'in-
mémorisation douloureuse passe donc par la réduction trication observée dans les douleurs chroniques poststress
maximale des influx nociceptifs (techniques chirurgicales, ou les douleurs psychogènes. La connaissance de ces phé-
analgésie efficace, anesthésie locorégionale), des facteurs nomènes a promu l'analgésie préventive en cas de lésions
d'hyperalgésie (anti-NMDA, comme la kétamine, etc.) et nerveuses après chirurgie ou dans la phase initiale du zona.
des éléments de contexte (anxiété, sommeil, anticipation Elle incite à analyser toute douleur en référence à la biogra-
négative, effet nocebo, etc.). La littérature anesthésiologique phie douloureuse ancienne. Le concept d'allostasie illustre
est riche dans ce domaine. cette idée selon laquelle chacun fait sa douleur actuelle en
fonction d'un passé douloureux et d'une expérience des
antalgiques qui ont façonné les systèmes de contrôle endo-
Facteurs de chronicisation gène. Ainsi, l'utilisation des antalgiques n'est jamais ano-
dine, surtout celle des opiacés. Les bonnes intentions (tel
et mémoire de la douleur « l'hôpital sans douleur », évalué selon sa consommation de
Quand on interroge à distance un patient sur une situation morphine, dans les années 1980) s'avèrent parfois nocives
douloureuse (accouchement, extraction dentaire, etc.), les à long terme [3].
rappels du contexte, de l'émotion, de l'échelle de cotation de la
douleur sont corrects, mais l'absence de reviviscence conduit
aux erreurs déjà citées qui peuvent aller jusqu'à celle du côté. Références
Paradoxalement, on reconnaît très bien une douleur aiguë
[1] Laurent B. Mémoire de la douleur. Douleur et Analgésie 2011. 24 ; S11 3.
déjà expérimentée, ce qui atteste de sa mémorisation dans [2] Taddio A, Katz J, Ilersich AL, Koren G. Effect of neonatal circumcision
le SNC : quiconque a connu la migraine, la colique néphré- on pain response during subsequent routine vaccination. Lancet 1997 ;
tique ou l'angine de poitrine fait vite son propre diagnostic. 349 : 599–603.
Donc la douleur physique est stockée, mais non ré-évocable [3] Simonnet G, Laurent B, Lebreton DL. Homme douloureux. Paris. Odile
comme peut l'être un souvenir visuel. Les douleurs fantômes, Jacob ; 2018.
Chapitre
9
Savoir expliquer
Isabelle Nègre
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Différence entre douleur aiguë Neurostimulation électrique
et douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 transcutanée (TENS) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Douleur postchirurgicale . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Ostéopathie ou chiropraxie . . . . . . . . . . . . . . . 51
Douleur neuropathique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Diminuer son anxiété sensible, voire se déclencher tout seul, sans aucune stimula-
selon sa personnalité tion… Tout le système est touché et devient hypersensible à
la moindre chose. Et cela touche tous les étages, y compris
Le patient cherche à diminuer son anxiété selon sa propre ceux de l'émotion. C'est pour ça que vous éprouvez peut-
personnalité, variant entre deux extrêmes [7] : les monitors être de la tristesse, de la fatigue, des moments de déprime…
essaient d'exercer un contrôle sur tout en obtenant le plus C'est pour ça qu'il faut du temps pour remettre tout en place,
d'informations possible alors que les blunters ignorent les pour que les choses s'apaisent… Et c'est pour ça que, parfois,
détails médicaux tout en cherchant à s'assurer que tout ira il faut se faire aider. »
bien. Mais tous désirent être à la fois informés et rassurés.
Les trames d'explication iront donc du technique (monitor)
au métaphorique (blunter). Douleur postchirurgicale
L'explication est donc bien différente d'un simple élé-
ment de langage : pour être comprise et intégrée, elle devra « Après une opération, ces douleurs sont fréquentes. Mais,
résulter d'une rencontre, avec écoute empathique, et non rassurez-vous, vous avez été bien opéré… Lorsque le
pas d'une nouvelle vérité assénée. Il est donc fondamental chirurgien incise la peau, il va forcément couper de petits
d'inviter le patient à raconter son histoire pour pouvoir nerfs, minuscules, qu'il est impossible de voir à l'œil nu.
ensuite procéder à l'explication en des termes compré- Lorsqu'il recoud la peau, les deux côtés ne sont pas for-
hensibles et adaptés, l'essentiel étant la compréhension de cément exactement en face. Les petits nerfs vont faire
l'approche et non l'exhaustivité neurophysiologique. La ce qu'ils peuvent pour cicatriser : ils forment parfois des
qualité de cette explication demande du temps, n'est pas petites boules qui sont très sensibles. Dès qu'on touche et
toujours innée et peut être améliorée grâce à un appren- qu'on bouge la zone, la petite boule va déclencher un signal
tissage [8]. puissant, non adapté. Comme un court-circuit électrique.
Quelques exemples suivent, illustrant les deux approches, Ou bien les petites fibres vont rester à vif et se déclencher
transcrites en langage oral. au moindre contact. Le problème, c'est que tout ce qui est
autour va ressentir ces impulsions et réagir : les muscles
se contractent et aggravent la douleur en augmentant la
Différence entre douleur aiguë stimulation du nerf. Forcément, on ne trouve jamais la
et douleur chronique bonne position pour éviter la douleur et, quoi qu'on fasse,
pour un geste quelconque, elle explose. Alors, on a peur du
« Pour la douleur aiguë, les choses sont assez simples : le moindre mouvement. »
système nerveux est comme un câblage électrique, et le
cerveau est comme un grand tableau électrique très sophis-
tiqué. Quand vous vous blessez, des récepteurs au niveau Douleur neuropathique
de la peau sont stimulés et codent le message : piqûre, trop
chaud, trop froid, écrasement. Le message est transmis « Ce que vous avez eu (chimiothérapie, zona, diabète, etc.)
dans le nerf, puis les nerfs se rejoignent pour former ce a abîmé l'extrémité de vos nerfs. Les nerfs sont comme un
qu'on appelle un plexus, et arrivent à la moelle épinière où câble électrique avec une gaine autour. Au bout, vers la peau,
les messages sont triés et codés pour être envoyés vers le il n'y a plus de gaine et le nerf devient comme une ficelle
cerveau. Au niveau du cerveau, il y a plusieurs étages, plus effilochée. Ce que vous avez eu a abîmé la gaine, le bout qui
ou moins sophistiqués : par exemple le premier étage vous fonctionne mal et envoie des messages inadaptés. Pour cal-
fait retirer la main de façon automatique, vous réveille, mer la douleur et permettre au nerf de cicatriser, il faut un
augmente votre attention et votre fréquence cardiaque. traitement spécial, qui va agir en diminuant sa réactivité. »
Les étages suivants vont localiser précisément la zone de la
douleur et interpréter le message comme brûlure, coupure,
chaleur ou écrasement. Plus haut dans les étages, le mes-
Traitement
sage va être analysé de plus en plus finement, désagréable « Le traitement a pour but de diminuer les impulsions de
ou terrifiant, par exemple, et mis en mémoire. Ce message ces petites zones nerveuses. On peut le faire grâce à deux
est envoyé partout et en même temps dans votre cerveau familles de médicaments : les antiépileptiques, même si vous
qui saura à présent de façon inconsciente, automatique, n'êtes pas épileptique, et certains antidépresseurs, même si
éviter les situations dangereuses ou vous faire ressentir vous n'êtes pas déprimé. Pour les antiépileptiques, les doses
un sentiment de malaise ou de peur quand vous verrez un seront normales. Pour les antidépresseurs, les doses seront
grand couteau ou, chez certaines personnes, quand elles très petites, 10 à 20 fois moins que pour la dépression. Donc,
viennent à l'hôpital ! ne lisez pas la notice qui ne correspond pas aux doses que
Pour la douleur chronique, c'est un peu plus compliqué. vous prendrez… Par contre, les deux mettent du temps à
En fait, les câbles et le tableau électriques sont vivants, car ils agir : il faudra prendre le traitement pendant 3 semaines à
se modifient si les messages durent. Quand la douleur per- 1 mois avant d'avoir un résultat. Et il va falloir trouver le
siste, ce qui est votre cas, les câbles, les nerfs, sont sollicités dosage qui vous convient. Je vais vous donner d'abord de
sans arrêt, la moelle épinière va être envahie de messages petites doses, donc, soyez très attentif : toute amélioration,
douloureux ainsi que le cerveau. L'ensemble du système va même minime est un signe positif et nous adapterons les
être en quelque sorte en surchauffe et devenir de plus en plus doses ensemble par la suite. »
Chapitre 9. Savoir expliquer 51
Neurostimulation électrique lit, une petite chute, etc. Je prends souvent l'exemple d'une
pile de tasses un peu de guingois dans le buffet. Ça tient,
transcutanée (TENS) mais pour un rien, une porte qui claque ou un éternuement,
« Cet appareil fonctionne par de petites stimulations élec- tout s'écroule. C'est pareil au niveau de la colonne. Du coup,
triques sur la peau. Il se fonde sur des fonctions de notre l'équilibre est rompu et les douleurs apparaissent au niveau
corps que vous connaissez sûrement. En réalité, on ne des zones de contrainte : les sacro-iliaques, les lombaires
ressent pas la douleur tout le temps de la même façon. Par parce qu'elles sont très mobiles, au milieu du dos (mais sou-
exemple si vous êtes sur un bateau au milieu d'une tem- vent on ne le sent pas à cause de la rigidité de la cage thora-
pête, votre corps va être stimulé par le vent, le froid, la pluie cique), et au niveau du cou, qui est très mobile. Les muscles
et toutes les choses à faire à ce moment-là pour la bonne sentent le danger et se contractent pour essayer de redresser
marche du bateau. Dans ces moments, si vous vous blessez, la situation et on a mal. Les manipulations faites par un bon
vous ne sentirez presque rien. Vous ressentirez la douleur professionnel ont pour but de vous restituer votre propre
quand vous retournerez au calme et là vous direz : ouh là là ! équilibre et de diminuer cette tension musculaire. »
mais je me suis fait très mal !
À l'inverse, si vous dormez et que vous n'avez aucune sti-
mulation extérieure : pas de vent, pas de pluie, vous êtes au Conclusion
chaud et c'est confortable, et qu'on vous pique, vous allez La qualité de l'information ne peut être jugée qu'a posteriori.
bondir et avoir très mal. Notre corps est donc très bien orga- Elle est un élément essentiel de la compliance et de l'obser-
nisé : il y a des filtres pour diminuer le message douloureux, vance du traitement et, au final, de l'autonomie du patient,
comme les stimulations non douloureuses. C'est pour ça objectif essentiel de la prise en charge du douloureux chro-
que lorsqu'on se fait mal, on a tendance à frotter la partie nique [1].
endolorie, et ça fait du bien. Cet appareil fonctionne sur
ce principe : il envoie de petites décharges électriques non
douloureuses qui vont masquer votre douleur. C'est un des Références
programmes de la TENS. Notre corps a d'autres filtres : il
[1] Fu Y, McNichol E, Marczewski K, Closs SJ. Exploring the Influence
produit, par exemple, de la morphine. Un programme de la
of Patient-Professional Partnerships on the Self-Management of
TENS va permettre d'augmenter cette production de mor- Chronic Back Pain : A Qualitative Study. Pain Manag Nurs 2016 ; 17 :
phine. Une infirmière vous expliquera le fonctionnement de 339–49.
l'appareil et vous aidera à choisir le bon programme pour [2] Butow P, Sharpe L. The impact of communication on adherence in
vous. Vous utiliserez l'appareil chez vous en le réglant vous- pain management. Pain 2013 ; 154 : S101–7. Suppl. 1.
même pour que les stimulations ne soient pas douloureuses, [3] Rees S, Williams A. Promoting and supporting self-management for
mais, au contraire apaisantes. » adults living in the community with physical chronic illness : A syste-
matic review of the effectiveness and meaningfulness of the patient-
practitioner encounter. JBI Libr Syst Rev 2009 ; 7(13) : 492–582.
Ostéopathie ou chiropraxie [4] Haverfield MC, Giannitrapani K, Timko C, Lorenz K. Patient-Centered
Pain Management Communication from the Patient Perspective. J Gen
« Notre corps est soutenu par la colonne vertébrale, comme Intern Med 2018 ; 33 : 1374–80.
la charpente d'une maison. Théoriquement, les deux jambes [5] Dang BN, Westbrook RA, Njue SM, Giordano TP. Building trust and
sont égales, le bassin est posé dessus comme une boîte dans rapport early in the new doctor-patient relationship : a longitudinal
laquelle est encastré le sacrum. Par-dessus, il y a les ver- qualitative study. BMC Med Educ 2017 ; 17 : 32.
tèbres et la tête. Tout autour, les muscles qui sont comme [6] Grupe DW, Nitschke JB. Uncertainty and anticipation in anxiety : an
des haubans de bateau. En fait, ça n'est jamais comme ça. integrated neurobiological and psychological perspective. Nat Rev
Les jambes ne sont jamais tout à fait égales. Le bassin est Neurosci 2013 ; 14 : 488–501.
[7] Zollo RA, Lurie SJ, Epstein R, Ward DS. Patterns of communication
donc un peu en biais. Si la colonne vertébrale était raide, la
during the preanesthesia visit. Anesthesiology 2009 ; 111 : 971–8.
tête serait penchée. Or, la mission de la colonne vertébrale [8] Delvaux N, Merckaert I, Marchal S, Libert Y, Conradt S, Boniver J,
est de garder la tête droite. La colonne fait un joli S et tout et al. Physicians' communication with a cancer patient and a relative :
va bien. Mais cet équilibre peut se rompre pour une raison a randomized study assessing the efficacy of consolidation works-
souvent anodine : une glissade, une nuit dans un mauvais hops. Cancer 2005 ; 103 : 2397–411.
Chapitre
10
Savoir communiquer
avec le patient douloureux
Julien Nizard, Éric Serra
PLAN DU CHAPITRE
Communication non verbale, Promouvoir l'autonomie du patient
attitude empathique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 et sa « responsabilité » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Communication verbale, réassurance . . . . . . . 54 Pratique de la relation thérapeutique :
Promouvoir l'alliance thérapeutique place des thérapies complémentaires . . . . . . . 55
et la définition d'un contrat d'objectifs . . . . . 54 Former les médecins et les professionnels
Favoriser la motivation et l'engagement de santé à la communication thérapeutique . 55
du patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Mots-clés : Communication verbale. Communication non ver- Savoir mieux communiquer avec le patient douloureux
bale. Empathie. Alliance thérapeutique. Motivation. Empower- constitue ainsi un élément essentiel de sa prise en charge, et
ment. Apprentissage. Médecine intégrative. en conditionne largement le succès.
Il s'agit d'aider le patient à dépasser les obstacles à l'amé-
lioration de ses douleurs et de l'inscrire dans une démarche
de changement des stratégies adoptées face à ses douleurs,
grâce à un investissement durable dans sa prise en charge.
POINTS CLÉS
• Adopter une attitude empathique, authentique et Communication non verbale,
prendre le temps d'écouter le patient. attitude empathique
• Donner des explications simples sur les causes de la
douleur, les examens complémentaires éventuels, La posture du médecin ou du soignant lorsqu'il commu-
nécessaires et suffisants, l'évolution habituelle nique avec le patient, évalue sa douleur et son retentisse-
des symptômes et les traitements disponibles, ment, est capitale : il s'agit d'abord d'écouter attentivement
médicamenteux et non médicamenteux. le patient, de le croire, de lui faire confiance. Ce premier
• Faire prendre conscience au patient de l'importance et de élément, qui paraît si évident, est pourtant relativement
la valeur du retentissement émotionnel de ses douleurs et rare, si l'on écoute les patients douloureux faire part de la
de son investissement dans la prise en charge. souffrance qu'ils ont ressentie lorsque les praticiens qui les
• Définir des objectifs de prise en charge précis et réalistes,
ont pris successivement en charge ne les ont pas (de leur
choisis par le patient.
point de vue), suffisamment écoutés ou pris en compte, les
interrompant (trop) rapidement, se tenant face à leur ordi-
• Valoriser ses efforts, mêmes modestes.
nateur, etc. Les silences sont utiles, lorsqu'il s'agit d'accueil-
• Encourager le patient à la pratique quotidienne d'activités
lir la souffrance du patient et de ses proches. On peut, par
physiques et d'approches psychocorporelles.
nos attitudes ou nos propos, inviter le patient à exprimer
ce qu'il ressent (émotions), ce qu'il pense (cognitions) et ce
qu'il craint.
La douleur étant subjective, le patient douloureux, particu- Prendre le temps et l'énergie nécessaires à l'établisse-
lièrement lorsqu'il s'agit de douleur chronique, s'adressera ment d'une relation de qualité, éviter l'impatience, voire
aux soignants dans un langage et au moyen d'un compor- un agacement, visible ou perçu [1], est donc une étape
tement empreints de son vécu douloureux, souvent marqué indispensable de la prise en charge : en centre de la dou-
par des incompréhensions (voire un rejet) par ses proches et leur, la première consultation avec un patient douloureux
par le corps médical, et par un parcours médical chaotique. chronique dure habituellement près d'une heure (voire
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 53
54 Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome
une heure et demie s'il s'agit d'un enfant ou d'un ado- soignants, qui doivent accepter la position basse de celui
lescent accompagné de ses parents). En médecine libérale, qui ne sait pas tout et ne pourra pas tout, qui ne sera donc
elle peut être répartie sur plusieurs consultations, avec pas le « sauveur » ou le « dernier espoir ».
au moins une consultation ciblée sur la définition d'un
contrat d'objectifs.
Favoriser la motivation
et l'engagement du patient [3]
Communication verbale,
Initialement, ce sont les facteurs d'entretien du syndrome dou-
réassurance loureux chronique qu'il convient de connaître et d'expliquer
Il est important d'expliquer de façon humaine, compré- au patient et à son entourage (et aussi de mieux faire connaître
hensible et attentive à un patient en souffrance, dans un aux médecins et soignants), afin qu'ils puissent se mobiliser
langage simple, volontiers positif, le diagnostic envisagé pour limiter tout ce qui contribue à l'entretien des douleurs.
et les différents traitements possibles. Le patient est placé La première étape consiste souvent à faire comprendre
au centre de sa prise en charge : en premier lieu, il réalise au patient que l'entretien de la douleur a divers facteurs :
lui-même l'évaluation de ses symptômes et de leur reten- mésusage des antalgiques et abus médicamenteux très fré-
tissement (autoévaluation, toujours préférable à l'hétéroé- quents ou, parfois, résistance à toute prise d'antalgique ;
valuation par un tiers). Ces explications simples peuvent déconditionnement à l'effort avec évitement des activités ;
« changer la donne », par exemple dans le cas d'une attentes thérapeutiques irréalistes ; pessimisme ou catas-
demande de nouvelle (et inutile) imagerie ou de nouvelle trophisme en partie injustifiés ; fausses croyances sur le
(et, parfois, iatrogène) chirurgie chez le patient atteint de rôle prétendument néfaste de l'activité physique ou du tra-
lombalgie chronique ; ou encore lorsqu'il s'agit d'expliquer vail (qui sont au contraire bénéfiques, à conditions d'être
à un patient porteur d'un syndrome douloureux régional adaptés) ; distorsions cognitives (« on me prend pour un
complexe (anciennement appelé algodystrophie) que, tire-au-flanc » ou encore « on me cache la vérité », etc.) ;
même si la symptomatologie est parfois intense, l'évolu- désocialisation et arrêt de travail prolongé. Le projet thé-
tion est le plus souvent favorable en quelques semaines, rapeutique proposé est ainsi souvent éloigné des attentes
à condition que le traitement soit bien conduit, et que le initiales du patient.
patient s'y investisse activement. L'alliance nécessaire et le partage d'objectifs thérapeutiques,
pragmatiques et personnalisés, centrés sur l'amélioration de
la qualité de vie au quotidien (et pas sur la seule douleur, dont
Promouvoir l'alliance l'amélioration sera souvent modérée), l'instauration d'appren-
thérapeutique et la définition tissages progressifs de comportements favorables à une bonne
santé et une hygiène de vie (levers et couchers à des heures
d'un contrat d'objectifs [2] régulières, alimentation variée et, si possible, repas en collec-
La médecine de la douleur repose sur la participation active tif, etc.) et la finalisation d'un échéancier rigoureux (date de
et centrale du patient à sa prise en charge : l'éducation thé- reprise d'activités socialisantes, planning en vue d'un retour
rapeutique (ETP), fondée sur les sciences de l'apprentis- au travail et adaptations professionnelles à prévoir) s'appa-
sage, lui permettra de mieux comprendre les enjeux de sa rentent à des entretiens motivationnels.
prise en charge et les moyens de l'optimiser. La définition Tout en combattant, si possible, tout ce qui aggrave
d'objectifs communs entre le patient et son thérapeute est manifestement la douleur, l'apprentissage valorise
capitale. Faute de tels objectifs partagés, l'errance diagnos- la recherche des comportements de bonne santé qui
tique et thérapeutique du patient risque de se transformer influencent favorablement la qualité de vie, tandis que
en cercle vicieux. En effet, le patient douloureux est sou- la pathologie d'origine demeure souvent chronique. Les
vent en attente d'une disparition complète, magique, de ses ressources du patient seront mobilisées (par exemple la
douleurs et d'un traitement qui lui permettra d'y parvenir. reprise de la musique chez un musicien ou des séances
Le thérapeute non averti risque de tomber dans ce piège de cinéma chez un cinéphile) : on cherchera avec lui les
en poursuivant à son tour cet objectif souvent inattei- solutions qu'il apportera lui-même pour avancer dans la
gnable dans la douleur chronique, ou, au contraire, en s'en prise en charge de ses douleurs, en promouvant une dyna-
désespérant. mique de changement grâce à laquelle le patient pourra
Le discours positif et renforçateur de l'alliance théra- « mieux vivre avec ses douleurs » plutôt que « vivre avec ses
peutique permet une approche à la fois réaliste et opti- douleurs ».
miste, qui fait évoluer l'espoir d'une guérison absolue vers Il est important de valoriser les efforts du patient dou-
celui d'une amélioration relative, en vue d'une qualité de loureux, dont l'estime de soi est souvent détériorée et qui
vie « acceptable ». L'offre thérapeutique, jamais résignée, recueille de son entourage, de ses collègues et des soignants
souvent inventive, « à petits pas », doit valoriser chaque et médecins qui le prennent en charge, des ressentis souvent
objectif, même modeste, atteint par le patient, et éloigner indifférents, voire franchement négatifs à son encontre. Le
celui-ci de l'assignation à la chronicité irrémédiable. Cette renforcement des réussites ou, au moins, des efforts est plus
stratégie est aidante pour le patient mais aussi pour ses efficace que la critique des échecs.
Chapitre 10. Savoir communiquer avec le patient douloureux 55
obstacles au changement, en avançant progressivement [2] Haute Autorité de santé. Évaluation et suivi de la douleur chronique
vers une vie meilleure (un "rétablissement", plus qu'une chez l'adulte en médecine ambulatoire ; 1999.
guérison), davantage au contact de lui-même et des autres. [3] Serra Eric. Les bases psychologiques de la douleur. Douleur en santé
mentale. Partie 1. Rev Prat 2013 ; 63 : 1159–63.
[4] Nizard J, et al. Pratique de la pluridisciplinarité dans un Centre de
Traitement de la Douleur. Douleur et Analgésie 2003 ; 3 : 137–97.
Références
[5] Nizard J., Kopferschmitt J., Collège Universitaire interdisciplinaire de
[1] Patrice Queneau, Gérard Ostermann. Soulager la douleur : écouter, Médecine Intégrative et Thérapies complémentaires. HEGEL 2017 ;
croire, prendre soin. Paris : Odile Jacob ; 1998. 7(4), https://cumic.net.
Chapitre
11
Savoir identifier la douleur
Olivier Bredeau
PLAN DU CHAPITRE
Identification « classique » de la douleur. . . . . 57 Identification des douleurs neuropathiques . . 58
Identification selon les mécanismes Identification de la douleur chronique . . . . . . 58
de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 En clinique quotidienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
de la douleur, facilite le choix thérapeutique et une typologie L'identification de ces douleurs va permettre de prioriser
des patients pour les études cliniques, pour améliorer l'effica- les traitements et de préciser le suivi clinique.
cité des traitements de la douleur. Cette nouvelle classification des douleurs est la base de
Entre le message douloureux enregistré à la périphérie et le l'utilisation des mécanismes de sensibilisation et de l'utilisa-
phénomène douloureux exprimé par le malade, il existe une tion de la nouvelle classification des antalgiques proposée en
cascade chimique et électrique qui se divise en quatre étapes : 2010 par Luissier et Beaulieu [8].
la transduction (aux niveaux des nocicepteurs), la transmis-
sion (des nocicepteurs à la corne dorsale de la moelle), la
modulation (au niveau spinale et tronc cérébral) et la percep- Identification des douleurs
tion douloureuse (projection au niveau centrale). Cependant, neuropathiques
la douleur viscérale avec la modification de la transduction et
de la transmission, et l'intégration du système nerveux auto- En ce qui concerne les douleurs neuropathiques, on a
nome (SNA) ne reproduit pas le même schéma ainsi que la constaté la faiblesse de la réponse thérapeutique, notam-
douleur orofaciale et le système trigéminal. Il y a, dans tous les ment à travers le number needed to treat (NNT) (nombre
cas de figure, des mécanismes excitateurs et des mécanismes de patients à traiter pour obtenir une réponse thérapeu-
inhibiteurs. La douleur est l'expression du déséquilibre entre tique positive). La reprise d'études cliniques, évaluant
les deux systèmes. Il s'agit d'une activation du système excita- cette fois les typologies de patients, a permis d'obtenir
teur, ou d'une modulation des voies inhibitrices. des résultats significatifs. On a pu ainsi mieux définir les
Ainsi les douleurs peuvent selon le mécanisme en cause différents types cliniques de douleurs neuropathiques à
être classées en : partir d'un questionnaire, le Neuropathic Pain Symptom
■ douleur nociceptive avec : Inventory (NPSI) [9]. Ce questionnaire est un autoques-
– douleur somatique : douleur superficielle ou pro- tionnaire élaboré en prolongement du DN4, fondé sur les
fonde, avec réflexe nociceptif et réponse autonomique. qualificatifs de la douleur neuropathique et la fréquence
Modulation de la douleur à partir d'une stimulation de des crises, répartis en quatre catégories : douleur spon-
nature mécanique, thermique ou chimique, tanée (superficielle et profonde), douleur paroxystique,
– viscérale : douleur constante ou crampiforme, mal douleur évoquée et paresthésie. Il y a dix questions, cha-
localisée et réponse autonomique, mettant en jeu la cune évaluée par une échelle numérique de 0 à 10. Il per-
distension des viscères, met de noter un score global de 0 à 100 et des sous-totaux
■ douleur inflammatoire : pour chaque catégorie et aussi de réévaluer le malade
– douleur spontanée (lourde, diffuse), hypersensibilité, après traitement.
hyperalgésie associée à une lésion tissulaire et de l'in- Ce type d'évaluation permet de suivre au plus près l'éva-
flammation. Il s'agit de phénomènes cliniques associés luation des symptômes de la douleur neuropathique en pra-
à une hypersensibilité primaire, tique quotidienne dans les structures douleurs. Lors d'étude
■ douleur neuropathique : clinique, il peut permettre de dégager un profil symptoma-
– douleur spontanée (choc électrique, coup de couteau), tique permettant une meilleure prédictivité de la réponse
hyperalgésie et allodynie associées à des lésions du thérapeutique.
SNC ou périphérique, Pour la recherche clinique, un examen complémentaire
■ douleur nociplastique : le Quantity Sentory Testing [10] permet de quantifier l'allo-
– douleur spontanée (diffuse, profonde), hyperalgésie, dynie mécanique et dynamique, l'allodynie à la température
ou allodynie associée à une hyperactivation ou à une au froid et au chaud, les douleurs provoquées à la vibration
perte de l'inhibition des voies nociceptives. et ainsi de préciser les caractéristiques des douleurs neu-
Notons que ce terme nociplastique est apparu lors de ropathiques. Chaque symptôme recherché est mesuré par
la révision de la taxonomie des douleurs [7] qui a abouti à une EVA. Cet outil, réservé à la recherche fondamentale,
une nouvelle nomenclature dans la Classification interna- présente un intérêt dans l'identification des douleurs neuro-
tionale des maladies 11e édition (mai 2019). Il remplace le pathiques en recherche clinique et peut être complété par le
terme fonctionnel. Il est précisé que le mécanisme mis en Thermotest®. La recherche de typologie clinique différente
jeu dans ces douleurs est une sensibilisation du système au dans la douleur neuropathique, répondant à des traitements
niveau central avec une diminution du contrôle inhibiteur spécifiques, permet de mieux orienter le praticien dans ses
descendant. choix thérapeutiques [11].
L'identification du mécanisme de la douleur peut être pré-
cisée dans la majorité des cas, mais il peut y avoir des dou-
leurs qui ont un mécanisme mixte. L'exemple le plus connu Identification de la douleur
est la douleur du cancer qui associe un mécanisme nociceptif
inflammatoire et un mécanisme neuropathique. Une autre
chronique
situation clinique est la possibilité pour le patient d'avoir plu- La douleur chronique est définie [7] par une douleur persis-
sieurs localisations de douleurs avec des mécanismes diffé- tante ou récurrente depuis au moins trois mois et associée à
rents ; dans ce cas, il faut démembrer la douleur comme dans une détresse émotionnelle significative ou à une incapacité
le cas de la lombosciatalgie où le patient décrit une douleur fonctionnelle (interférence avec les activités du quotidien et
nociceptive mécanique au niveau lombaire et une douleur la vie sociale : relations, travail, scolarisation, etc.) et ne pou-
neuropathique sur le trajet du nerf sciatique incriminé. vant s'expliquer par une autre condition chronique.
Chaptire 11. Savoir identifier la douleur 59
En parallèle de l'identification de la composante sen- place une véritable « carte d'identité clinique » de la dou-
sorielle, il faut évaluer la composante émotionnelle et/ou leur qui permettra de préciser le ou les mécanismes de cette
sociale et la composante comportementale associée. douleur.
Ces évaluations peuvent s'aider d'échelles de dépistage ; L'identification de la douleur permet un traitement per-
anxiété dépression (HAD, BECK), catastrophisme ; échelle sonnalisé du malade douloureux. Cette identification de la
de Sullivan, sommeil, addiction : tabac, alcool, café, etc.), douleur est indispensable pour le choix des traitements par
kinésiophobie, échelle fonctionnelle de handicap. le clinicien et la validation de leur efficacité. Elle est indis-
Ces évaluations sont pluridisciplinaires, dans la mesure pensable lors de mise en place de registres/patients pour des
du possible, en pratique quotidienne et obligatoire dans les études cliniques.
structures douleurs. Le praticien doit pouvoir aborder ces
questions avec son patient pour bien définir le caractère
chronique et les composantes de cette douleur.
Références
En clinique quotidienne [1] Haute Autorité de santé (HAS). Douleur chronique : reconnaître le
syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient.
Cette identification de la douleur est indispensable pour Consensus formalisé. Décembre ; 2008.
préciser les mécanismes nociceptifs qui sont en jeu, orien- [2] Bourreau F, Luu M, Doubrere JF, Gay C. Élaboration d'un q uestionnaire
tant ainsi le choix thérapeutique. d'auto-évaluation de la douleur par liste de qualificatifs : comparaison
Il est donc indispensable de connaître : avec le Mac Gill pain questionnaire de Melzack. Thérapie 1984 ; 39 :
■ la localisation de la douleur ; 119–29.
■ le mode de début : précis, progressive, post-chirurgicale, [3] Bouhassira D, Atta N, Alchaar H, Bourreau F, Brochet B, Bruxelle J,
traumatisme, accident du travail, ou événement associé ; et al. Comparaison of pain syndromes associated with nervous or
somatic lesions and developpement of a new neuropathic pain diag
■ la temporalité : continue, discontinue, accès douloureux
nostic questionnaire (DN4). Pain 2005 ; 114 : 29–36.
paroxystique spontanée (obligatoire si douleur et cancer) [4] Zigmund AS, Snaith RT. The Hospital Anxiety Depression scale. Acta
ou provoquée ; Psycho Scand 1983 ; 67 : 361–70.
■ le caractère de la douleur : spontanée ou provoquée ; [5] Le Bars JC, Willer. Physiologie de la Douleur. EMC (Elsevier Masson
■ la sensibilisation de la zone douloureuse (examen cli- SAS, Paris), Anesthésie-Réanimation, 36-020-A10 ; 2004.
nique) : hyperalgie, hyperpathie, allodynie (mécanique [6] Marchand S. The physiology of pain mechanisms : from the
ou dynamique), la sensibilité au froid et au chaud ; periphery to the brain. Rheum Dis Clin North Am 2008 ; 34 :
■ autoquestionnaire DN4 : aide au diagnostic de la douleur 285–309.
neuropathique ; [7] Smith BH, Fors EA, Korwisi B, Barke A, Cameron P, Colvin L, et al.
■ autoquestionnaire NPSI : aide au suivi du traitement de la The IASP classification of chronic pain for ICD-11 : applicability in
primary care. PAIN 2019 ; 160 : 83–7.
douleur neuropathique ;
[8] Lussier D, Beaulieu P. Toward a rational taxonomy of analgesic treat-
■ en douleur aiguë : les composantes émotionnelle et ments. IASP Press ; 2010. p. 27–40.
comportementale sont évaluées (dépister le stress post- [9] Bouhassira D, Attal N. Development and validation of Neuropathic
traumatique et le profil addictif) ; Pain Symptom Inventory. Pain 2004 ; 108 : 248–57.
■ en douleur chronique : le retentissement émotionnelle et [10] Gruener G, Dyck PJ. Quantitative sensory testing : methodology,
comportementale (relationnelle et sociale). applications, and future directions. J Clin Neurophysiol 1994 ; 11 :
La mesure de l'intensité est un bon outil de dépistage 568–75.
de la douleur mais elle ne doit pas être le seul critère de [11] Baron R, Binder A, Wasner G. Neuropathic pain diagnosis, patho-
description de la douleur. Il est indispensable de mettre en physiological mecanisms, and traitement. Lancet Neurol 2010 ; 9 :
870–919.
Chapitre
12
Savoir éduquer
Rodrigue Deleens
PLAN DU CHAPITRE
Processus d'éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 L'éducation, un enjeu multidisciplinaire
évolutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Concernant la thématique douleur, l'éducation a essentiel- Ensuite, la démarche éducative ne se fera ni en un seul
lement sa place dans les situations chroniques. Le praticien, temps, ni avec un seul « éducateur ». En effet, ce processus
confronté à une situation de douleurs rebelles atteignant un est progressif, évolutif et adaptable [1].
patient en demande de soulagement, se trouve souvent en Il est bien connu que les capacités d'apprentissage sont
difficulté dans la démarche d'apprentissage et d'éducation généralement limitées, et que des informations peuvent être
du patient. Dans ce contexte, on parle d'éducation à la com- assimilées puis mises en œuvre quand elles sont distillées
préhension de la maladie, de ce qu'est la douleur chronique de façon raisonnable et adaptée. Lors d'une consultation, le
et de sa gestion au quotidien. On entend par là la gestion des nombre de messages retenus par le patient est finalement
prises de médicaments et de l'utilisation des techniques non assez réduit, d'autant plus s'il est en état de stress, d'anxiété
médicamenteuse, mais également la gestion des activités ou de dépression, ou s'il est sidéré à la suite de l'annonce
physiques du quotidien, du travail, des relations aux autres d'une mauvaise nouvelle. Les messages transmis, utiles au
et des émotions [1]. processus éducatif, seront donc réfléchis en fonction de ces
Éduquer n'est pas simplement informer : en effet, si ces différents points et s'ingéreront dans un programme établi au
deux actions (éduquer et informer) peuvent être complé- préalable, prenant en compte les connaissances, les attentes,
mentaires, elles différent par leur objectif : celui de l'éduca- les besoins et les croyances du patient douloureux chronique.
tion est l'obtention de nouvelles compétences, acquises par Éduquer est donc un processus progressif (dans le temps),
l'apprentissage, ce qui suppose la participation du patient. mais il est aussi évolutif. En effet, au fil du temps et des expé-
L'efficacité de la prise en charge d'un patient douloureux riences vécues, le patient s'adapte, plus ou moins correcte-
chronique passe obligatoirement par l'étape du « savoir ment, et son état se modifie. Les messages, les conseils et les
éduquer » : celle-ci n'est possible qu'après une écoute, une informations nécessaires à son éducation seront eux aussi
analyse, une identification des douleurs et des symptômes modifiés en fonction de ces variations. Il y a donc toujours
associés, et du contexte affectif et socioprofessionnel, nécessité de réévaluer l'état des connaissances et le com-
comme il l'a été décrit précédemment. portement du patient, à chaque consultation. Cela signifie
donc également que le besoin d'adaptabilité est constant. La
démarche éducative n'est pas un processus figé, prédéfini
Processus d'éducation en fonction de telle ou telle pathologie douloureuse. Elle est
réellement bien un continuum, une approche en constante
Grâce à l'éducation, le patient douloureux chronique saura évolution, s'adaptant au patient situé au centre de ce pro-
mieux détecter les situations à risque, il saura mettre en cessus. Cela implique également que ce patient soit motivé
œuvre des actions adaptées à ses symptômes et pourra et acteur de cette démarche. Sans sa participation, il est très
modifier ses comportements de façon plus positive, favori- difficile d'espérer obtenir des résultats, des effets positifs, un
sant ainsi l'amélioration de sa qualité de vie [2]. Ce proces- changement de comportement permettant une amélioration
sus d'éducation commence lors de la consultation, dans le des symptômes.
cabinet du médecin généraliste ou spécialiste, en ville ou à
l'hôpital. Le recueil des informations jugées nécessaires est
fondé sur l'écoute et l'analyse de la situation et des besoins L'éducation, un enjeu
du patient : les informations seront ensuite sélectionnées et multidisciplinaire évolutif
transmises au patient. Une même pathologie douloureuse
chronique n'aura donc pas la même approche éducative chez L'éducation d'un patient n'est pas du seul ressort du méde-
différentes personnes, selon les compétences déjà acquises cin. Les soignants, paramédicaux et tout acteur de la prise
et celles restant à acquérir. en charge du patient douloureux chronique peut, et doit,
Médecine de la douleur pour le praticien
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62 Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome
avoir un rôle à jouer dans cette démarche [1]. Parmi les pro- et utiles au patient (jeux de cartes, méta-plan, différents sup-
fessionnels impliqués, on retrouve, en collaboration avec les ports qui seront redéfinis dans le chapitre sur l'ETP).
médecins, les infirmiers (libéraux, dans les services de soins, Éduquer, c'est donc transmettre des connaissances, plus
dans les structures médicosociales ou dans les services spé- qu'informer, mais c'est surtout transmettre les « bonnes
cialisés comme les centres d'évaluation et de traitement de la connaissances », c'est-à-dire celles dont a besoin le patient.
douleur), les kinésithérapeutes, les aides-soignants, les phar- Imaginer un moyen standardisé par pathologie (lombalgie
maciens, etc. La liste est loin d'être exhaustive. En dehors fibromyalgie, arthrose, etc.) serait voué à l'échec, le maître
des programmes spécifiques et de la démarche d'ETP des mot étant « adaptation », autant celle du patient (face à sa
patients, aucune formation obligatoire n'est nécessaire (les douleur, ses symptômes et ses changements de vie) que celle
spécificités de l'ETP seront décrites un peu plus loin) ; en du soignant [2, 3]. Il faut prendre en compte chaque spécifi-
revanche, la coordination, les échanges, le partage des infor- cité, liée à l'âge, à la pathologie, aux symptômes associés, aux
mations, des retours des consultations et des rencontres antécédents médicaux et chirurgicaux ou encore aux projets
entre le patient et le soignant sont indispensables. Il semble de vie (personnels, familiaux et professionnels) et au milieu
en effet logique de partager ce qu'apporte le patient lors de socio-économique, etc. Finalement, le mot « éduquer » n'est
ses passages, lors de ses différents rendez-vous, d'adapter peut-être pas le meilleur terme dans ce contexte, il véhicule
tous ensemble les objectifs d'éducation et de s'assurer des encore aujourd'hui beaucoup de raideur, d'autorité et de
bénéfices, de l'apprentissage et des modifications positives standardisation.
du comportement. Dans l'accompagnement du patient douloureux chro-
Éduquer un patient n'est donc pas un processus figé, ni nique, l'écoute, l'adaptabilité, la progression et l'élaboration
rigide dans sa forme. Différents moyens ou outils peuvent d'objectifs raisonnables constitueront l'essentiel. Enfin, il ne
être utilisés comme vecteurs d'apprentissage. Différents faut pas négliger l'importance de la prise en charge pluri-
temps de rencontres engendreront différentes formes d'édu- professionnelle et pluridisciplinaire, permettant d'aborder
cation. La première est la consultation : durant ce moment, l'éducation du patient sur les différentes composantes de la
en face-à-face, la relation singulière impose une certaine douleur.
intimité, propice aux échanges et au partage. Profiter de ce
moment permettra d'analyser et d'évaluer les différentes Références
composantes de la douleur (sensitive, émotionnelle, cogni-
tive et comportementale) et de détecter les points sur les- [1] HAS. Éducation thérapeutique du patient : définition, finalités et orga-
quels il faudra apporter des éclaircissements ou effectuer des nisation, juin 2007, https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1241714/
fr/education-therapeutique-du-patient-etp.
mises au point, des apports informatifs. Ensuite, selon les
[2] Ganji R, Pakniat A, Armat MR, Tabatabaeichehr M, Mortazavi H. The
besoins et les attentes du patient, des moments particuliers Effect of Self-Management Educational Program on Pain Intensity in
peuvent être mis en place : sous la forme de consultations, Elderly Patients with Knee Osteoarthritis : A Randomized Clinical
avec un médecin et/ou un autre professionnel de santé ; ou Trial. Open Access Maced J Med Sci 2018 ; 6 : 1062–6.
sous la forme d'ateliers, utilisant des outils, des jeux, vec- [3] Foltz V, Laroche F, Dupeyron A. Éducation thérapeutique et lombalgie
teurs d'échanges et surtout d'apport d'informations, adaptés chronique. Revue du rhumatisme monographies 2013 ; 80 : 174–8.
Chapitre
13
Savoir définir des objectifs
réalistes partagés selon
le contexte
Rodrigue Deleens
PLAN DU CHAPITRE
Fixer des objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Traitements, objectifs physiques et projets
professionels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Anti-inflammatoires non stéroïdiens . . . . . . . . 71
Antalgiques opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Molécules utilisées pour le traitement
Antalgiques non opioïdes dénués des douleurs neuropathiques . . . . . . . . . . . . . . 73
d'effet anti-inflammatoire . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
La morphine et les opioïdes sont traditionnellement La nalbuphine est un agoniste des récepteurs k (Kappa) et
reconnus comme des antalgiques d'action centrale. Les un antagoniste des récepteurs μ. L'association de ce produit
données actuelles reconnaissent un site d'action spinal et aux agonistes μ est donc illogique et contre-indiquée.
supraspinal, mais une action périphérique est également
évoquée. L'action spinale a été initialement montrée par Pharmacocinétique
l'unité Inserm 161, dirigée par Besson, à Paris [4]. La mor-
phine est un agoniste préférentiel des récepteurs opioïdes μ Les propriétés pharmacocinétiques des différents opioïdes
présents, avec les récepteurs δ (ou OP1) et k (Kappa) (ou ne peuvent pas être détaillées ici. Nous n'évoquerons que
OP2), dans les couches superficielles de la CPME. Ils sont quelques points. La morphine, dont la biodisponibilité orale
pour partie localisés sur les fibres afférentes primaires ; leur est de 20 à 40 %, est métabolisée au niveau hépatique selon
activation par la morphine aboutit alors à la diminution de trois voies. Sa demi-vie d'élimination plasmatique courte
la libération de neurotransmetteurs tels que la substance P (1,7 heures) explique sa brève durée d'action, qui a justifié
ou le CGRP. Au niveau postsynaptique, l'activation de ces le développement de formes à libération prolongée (LP).
récepteurs conduit à une hyperpolarisation des neurones de Codéine et tramadol subissent un métabolisme de phase 1
deuxième ordre spinaux. qui les expose au polymorphisme génétique des cyto-
La présence de récepteurs opioïdes dans différentes struc- chromes, sur lequel nous reviendrons.
tures supraspinales (chez l'animal mais aussi chez l'homme
[5]) suggère que la morphine puisse exercer une partie Pharmacovigilance
de son effet antalgique en agissant sur ces cibles. Ainsi, à Elle est très liée aux propriétés pharmacologiques et, prio-
la suite d'une administration dans la SGPA, la morphine ritairement, à l'activation des récepteurs μ. Il s'agit donc
exerce un effet antinociceptif. D'autres sites existent et des d'effets indésirables prévisibles.
structures telles que le thalamus, le cortex somesthésique, La constipation est un effet indésirable très fréquent,
le cortex cingulaire antérieur ou l'amygdale semblent être le puisque presque tous les sujets traités par opioïdes, pendant
substratum d'une influence potentielle de la morphine sur quelques jours, s'en plaignent. Un traitement correcteur doit
les composantes respectivement sensoridiscriminatives et être systématiquement envisagé. Des recommandations ont
émotionnelles de la douleur [6, 7]. été publiées par la SFAP [9].
Au-delà du SNC, les peptides opioïdes endogènes et leurs Les opioïdes induisent des nausées et des vomissements
récepteurs sont exprimés à la périphérie, dans les termi- lors d'une première administration chez environ un tiers à
naisons des fibres afférentes (nocicepteurs), dans les tissus deux tiers des patients. Secondaires à l'activation des récep-
neuro-endocrines et dans les cellules immunitaires. Aussi teurs μ de l'area postrema, ces effets sont, certes, réversibles
l'hypothèse d'une action périphérique de la morphine et des par la naloxone, mais peuvent être prévenus par des pro-
opioïdes a-t-elle été avancée. Des effets antalgiques périphé- duits antiémétiques.
riques ont été montrés avec des opioïdes dans des modèles Présente chez à peu près la moitié des patients, la sédation
animaux et, de façon plus ponctuelle, chez l'homme [8]. Des apparaît assez tôt, mais peut être spontanément résolutive.
travaux sont toujours en cours pour concevoir des antal- Un prurit, lié à l'effet histaminolibérateur de la morphine,
giques opioïdes à effet périphérique, mais la participation peut survenir.
périphérique à l'effet antalgique de la morphine ou d'autres En pratique clinique, la dépression respiratoire est bien
opioïdes administrés par voie systémique n'est pas acquise. connue des anesthésistes, auxquels elle ne pose pas de pro-
L'interaction des opioïdes avec le récepteur μ conduit à blème, dès l'instant où le patient est intubé ou ventilé. En cas
distinguer plusieurs sous-classes : les agonistes complets de dépression respiratoire avérée, le recours à la naloxone,
agissent tous de façon relativement spécifique sur le récep- antagoniste des récepteurs μ, permet de reverser cet effet délé-
teur μ et reproduisent ainsi, à quelques différences près, les tère, mais sa durée d'action est limitée, ce qui justifie de main-
effets de la morphine. Leurs différentes affinités pour ce tenir sa présence pour assurer la compétition, avec l'opioïde
récepteur participent à leur différence de puissance antal- en cause au niveau du récepteur µ. Dans le contexte de la dou-
gique et, donc, de doses thérapeutiques. Ainsi, le fentanyl leur chronique, l'augmentation progressive des posologies de
et ses dérivés possèdent une affinité pour les récepteurs μ morphine permet de prévenir ce risque de dépression respira-
bien supérieure à celle de la morphine ce qui explique que toire. Pour autant, la dépression respiratoire expose au risque
les doses utilisées soient bien inférieures. L'oxycodone a de décès en cas de prise de doses excessives.
une moindre affinité, comparativement à la morphine pour Le risque de pharmacodépendance est également lié à
les récepteurs μ, mais certains de ses métabolites (oxymor- l'action des opioïdes sur leurs récepteurs. Cette propriété
phone) sont plus affins et antalgiques. Ceci pourrait peut- intrinsèque a d'abord participé à freiner leur utilisation,
être participer à l'analgésie et expliquer, in fine, l'utilisation puis a été considérée comme ne conduisant que rarement à
de doses deux fois plus faibles d'oxycodone que de morphine. des risques dès lors que les opioïdes étaient essentiellement
La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs μ prescrits dans les douleurs nociceptives cancéreuses et les
et un antagoniste des récepteurs k (Kappa). Sa puissance est douleurs aiguës. Cependant, l'extension de l'utilisation des
25 à 30 fois plus élevée que celle de la morphine. Ses pro- opioïdes chez des patients atteints de douleurs chroniques
priétés d'agoniste partiel peuvent déclencher un syndrome non cancéreuses a modifié le contexte en termes de fré-
de sevrage chez les sujets présentant un état de dépendance quence d'utilisation et de nature des utilisateurs et a conduit
aux opioïdes. Elle peut également diminuer l'effet antalgique à l'apparition de trois risques aujourd'hui avérés et sources de
d'autres opioïdes associés. préoccupations : l'abus, la dépendance et l'usage détourné.
Chapitre 14. Traitements médicamenteux 69
pour une dose de 10 mg, et de 5 à 6 heures pour une dose Actualités, perspectives
de 30 mg. L'efficacité analgésique de 20 mg de néfopam (i.v.) S'il est difficile de parler d'actualités et de perspectives pour
est comparable à celle de 6 à 12 mg de morphine (i.v.), selon le néfopam, produit limité, dans son utilisation, au territoire
les conditions d'utilisation, les patients et le type de chirur- national, on doit néanmoins évoquer son quotidien. Il s'agit
gie. Il possède un effet d'épargne morphinique allant de 30 à de son utilisation, loin d'être négligeable, par voie orale après
50 %, avec une amélioration concomitante de la qualité de application de la solution injectable sur un sucre : par cette
l'analgésie. voie, le Tmax est de 2 à 3 heures, et le néfopam a alors une
Le néfopam est un antalgique central dont le site d'ac- faible biodisponibilité, d'environ 36 %, limitée par un effet
tion serait à la fois spinal et supraspinal. Son mécanisme de premier passage hépatique. Une étude des effets indési-
d'action n'est pas encore élucidé, mais il est distinct de ceux rables, à la suite de cette administration orale, a montré une
des opioïdes et des AINS. Il augmente l'influence des voies meilleure tolérance que par voie i.v.
descendantes sérotoninergique et noradrénergique en inhi-
bant la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine,
voire de la dopamine. Récemment, il a été démontré que
l'analgésie induite par le néfopam pouvait impliquer la voie Anti-inflammatoires
glutamatergique via la modulation des canaux calciques et non stéroïdiens
sodiques.
Pharmacologie
Pharmacocinétique Activité analgésique
Par i.v., le pic plasmatique s'établit en 15 à 20 minutes après Tous les AINS exhibent la même triade d'effets bénéfiques :
une perfusion lente de 30 minutes. Le néfopam subit un analgésique, anti-inflammatoire et antipyrétique, mais leurs
métabolisme hépatique intense en desméthyl-néfopam, pouvoirs thérapeutiques diffèrent.
néfopam-N-oxyde et en N-glucuronide-néfopam. Le des- Les indications des AINS sont les douleurs par excès
méthyl-néfopam semble contribuer en partie à l'effet antal- de nociception telles que les douleurs postopératoires ou
gique du néfopam. post-traumatiques, les douleurs d'origine ostéoarticulaire
La voie d'excrétion du néfopam est essentiellement (rhumatismes inflammatoires, arthrites microcristallines,
urinaire (87 %), accessoirement fécale (8 %), sous forme arthrose), dentaire, ORL, ainsi que les céphalées et les dys-
inchangée pour seulement 5 % de la dose administrée. Sa ménorrhées, voire les crises hyperalgiques (colique néphré-
demi-vie d'élimination est de 3 à 5 heures. tique, etc.). Enfin, les AINS et le paracétamol forment le
premier niveau de l'échelle de l'OMS dans le traitement
Pharmacovigilance des douleurs cancéreuses par excès de nociception. Les
AINS sont considérés comme plus efficaces que le paracé-
Les effets indésirables les plus fréquents sont à type de nau-
tamol dans des douleurs postopératoires ainsi que dans les
sées, sueurs et somnolence, et il y a quelques réactions de
arthroses sévères. En conclusion, les AINS ont une réelle
type atropinique : sécheresse buccale, tachycardie, réten-
efficacité antalgique, aidée en fonction des contextes par
tion d'urine, excitabilité ou irritabilité. Dans certains cas
une activité anti-inflammatoire.
très rares, ont été observés des vomissements, des cépha-
En 1971, John Vane montra que le mécanisme d'action
lées, des insomnies, un flou visuel ou des vertiges. De rares
de l'aspirine mettait en jeu une diminution de la synthèse de
cas d'effets indésirables considérés comme « sérieux » ont
prostaglandines. En termes d'analgésie, cela a pour consé-
été rapportés : il s'agit de complications neuropsychia-
quence de :
triques (hallucinations, convulsions, confusion et délire)
■ réduire au niveau local l'inflammation des sites lésés et
ou cardiovasculaires (hypotension artérielle, arrêt car-
enflammés et, également, la participation des prostaglan-
diaque) et de réactions d'hypersensibilité. Il n'entraîne pas
dines à la sensibilisation périphérique des nocicepteurs
de dépression respiratoire ni de ralentissement du transit
via des récepteurs spécifiques ;
intestinal.
■ réduire le phénomène de sensibilisation centrale du
fait de l'action inhibitrice périphérique, mais aussi
Contre-indications d'un éventuel effet central des AINS qui passent la
Le néfopam est contre-indiqué dans les cas d'hypersensibi- barrière hémato-méningée, via l'inhibition de cyclo-
lité à la molécule, de risque de rétention urinaire lié à des oxygénases médullaires. Ils inhibent également le fac-
troubles urétroprostatiques et de risque de glaucome par teur de transcription NF-KB, qui entretient la réaction
fermeture de l'angle, du fait de son effet atropininique. Il inflammatoire.
doit être utilisé avec prudence chez les malades aux anté- Le système endocannabinoïde semble aussi jouer un
cédents d'ischémie myocardique et de convulsions. Son rôle dans l'action des AINS. En effet, il a été démontré que
effet tachycardisant doit en restreindre l'utilisation chez les plusieurs AINS (ibuprofène, flurbiprofène) sont capables
patients présentant des problèmes cardiovasculaires. Il n'est d'inhiber l'hydrolyse de l'anandamide (endocannabinoïde).
pas recommandé chez les patients souffrant de troubles De plus, l'action antalgique des AINS est réduite lorsque des
rénaux, d'insuffisance hépatocellulaire sévère ou d'épilep- antagonistes du récepteur cannabinoïde CB1 sont coadmi-
sie. Il est déconseillé de l'utiliser chez l'enfant de moins de nistrés. D'autres hypothèses mécanistiques sont avancées,
15 ans, en cas de grossesse ou d'allaitement, et chez le sujet telles que l'implication des canaux ASIC et des systèmes
âgé, du fait de ses effets atropiniques. opioïdergiques et sérotoninergiques.
72 Partie 2. Traitements en pratique
est variable selon la classe (elle peut prendre quelques heures de l'angle et l'hypertrophie prostatique. Mais ils sont égale-
à quelques jours) et le patient. Leur excrétion est essen- ment contre-indiqués en cas d'infarctus du myocarde récent.
tiellement rénale. Les imipraminiques, amines tertiaires L'association de tout antidépresseur avec un IMAOA/B est
[R-N(CH3)2], sont métabolisés, au niveau du foie via le cyto- une contre-indication. Les autres antidépresseurs peuvent
chrome CYP450 (iso-enzymes 1A2 et 2D6, notamment), en avoir des contre-indications spécifiques qui ne sont pas
amines secondaires (R-NH-CH3) [tels l'amitriptyline et la détaillées ici.
nortriptyline], avec une évolution du spectre monoaminer- Chez les patients épileptiques ou ayant des antécédents
gique vers une inhibition du recaptage de la noradrénaline, d'épilepsie, la surveillance clinique doit être renforcée, lors
ce qui confère une action monoaminergique mixte (sérotoni- d'un traitement par tout antidépresseur. La survenue de
nergique et noradrénergique) à ces antidépresseurs. crises convulsives impose l'arrêt du traitement.
Les imipraminiques doivent être utilisés avec prudence chez
Pharmacovigilance les sujets âgés présentant une plus grande sensibilité à l'hypo-
Les antidépresseurs imipraminiques sont des produits pharma- tension orthostatique et à la sédation (action α1 bloquante), ou
cologiquement « sales », c'est-à-dire qu'ils agissent sur plusieurs une constipation chronique (propriété atropinique). La même
cibles, ce qui leur confère plusieurs effets, y compris indési- prudence est recommandée avec les autres antidépresseurs.
rables, centraux et périphériques. Ainsi, leur action antagoniste
des récepteurs α1 et H1 centraux conduit à une sédation. Leurs Actualités et perspectives
effets antimuscariniques centraux peuvent provoquer des états Une avancée qui peut ouvrir des perspectives intéressantes
confusionnels. Les imipraminiques peuvent également induire concernant l'utilisation des antidépresseurs est l'évolution
une baisse du seuil épileptogène (effet observé avec tous les actuelle vers une meilleure caractérisation des patients dou-
inhibiteurs de de la monoamine oxydase [IMAO]), une aug- loureux neuropathiques, dans la perspective d'identifier des
mentation de l'appétence aux sucres avec prise de poids, un critères de réponse à ces produits. Les résultats d'une étude
tremblement dose-dépendant et une dysarthrie. menée par Baron et al. ont été publiés, en 2017 : l'objectif
Les imipraminiques induisent aussi des effets indési- de l'étude était de stratifier les patients neuropathiques sur
rables périphériques : la base de leur réponse à 13 paramètres, suivant l'idée selon
■ effets atropiniques (sécheresse de la bouche, constipa- laquelle les sous-groupes identifiés, aux profils sensoriels dif-
tion, troubles de l'accommodation, tachycardie, sueur, férents, pourraient répondre différemment aux traitements
trouble de la miction, etc.) ; [35]. Ils ont identifié trois groupes différents susceptibles de
■ risque d'hypotension, majoré par l'orthostatisme, lié à correspondre à des mécanismes physiopathologiques parti-
l'action antagoniste des récepteurs α1 vasculaires ; culiers. L'efficacité de certains antidépresseurs et antiépilep-
■ troubles des rythmes auriculaire et ventriculaire et tiques dans tel ou tel groupe reste à démontrer.
troubles de la conduction, qui sont favorisés par l'exis- Une autre perspective, au-delà de la poursuite légitime
tence de cardiopathies préalables et de troubles ioniques des recherches sur le mécanisme de l'action analgésique des
(de la kaliémie). L'intoxication aiguë par les imiprami- antidépresseurs, qui mérite encore des travaux, est la com-
niques peut se révéler grave, du fait du risque cardiaque. préhension de l'inefficacité des antidépresseurs ISRS dont la
Les effets indésirables les plus fréquents des IRSNA tolérance globale est plutôt meilleure que celle des imiprami-
sont les nausées, les vomissements, la diarrhée, l'insom- niques. En effet, il y a un paradoxe entre ce constat et le rôle
nie, la somnolence, les vertiges et les céphalées mais aussi de la sérotonine dans la physiologie et, sans doute, la phy-
les hyponatrémies par sécrétion inappropriée d'hormone siopathologie de la douleur. Tout se passe comme s'il existait
antidiurétique (ADH). La venlafaxine, à posologie élevée une résistance des douleurs neuropathiques à la sérotonine.
(> 200 mg/j), peut induire des HTA dose-dépendantes ; ce Des travaux expérimentaux ont été réalisés sur ce sujet. Ils
risque hypertensif existe aussi avec la duloxétine. ont montré que la libération du récepteur 5-HT2A de ses
Toutes les classes d'antidépresseurs peuvent induire un liens protéiques intracellulaires, qui empêchent son adres-
syndrome sérotoninergique dès lors que les molécules sont sage membranaire et, donc, son activation potentielle par la
capables d'augmenter les taux de sérotonine. Celui-ci est sérotonine, révélait une action antihyperalgésique majeure
souvent secondaire à un surdosage médicamenteux ou à de la fluoxétine [36–38]. L'idée globale est que le démas-
certaines associations médicamenteuses (entre antidépres- quage réceptoriel puisse permettre de révéler les effets anal-
seurs, en particulier avec les IMAOA/B ou les ISRS, entre gésiques spinaux de la sérotonine tout en inhibant ses effets
antidépresseurs et tramadol ou triptans ou lithium, ou avec pro-algiques (liés à l'activation d'autres récepteurs), assurant
le millepertuis). La survenue d'un syndrome sérotoniner- ainsi une efficacité marquée des ISRS. La mise en évidence
gique justifie l'arrêt immédiat du traitement. d'une efficacité propre des agents de démasquage pourrait
Tous les antidépresseurs peuvent être impliqués dans la ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques.
survenue de troubles sexuels, qui sont en premier lieu une
diminution du désir et des troubles de l'orgasme. On consi-
dère qu'environ 30 % des sujets traités par imipraminiques Antiépileptiques
en sont atteints. Pharmacologie
Activité analgésique
Contre-indications Plusieurs études cliniques ont analysé l'efficacité des antiépi-
Les contre-indications habituelles des imipraminiques, liées leptiques dans des syndromes douloureux chroniques. Leur
à leur propriété atropinique sont le glaucome par fermeture degré d'efficacité est en général au moins égal à celui des
Chapitre 14. Traitements médicamenteux 75
antidépresseurs. Le NNT est situé entre 3 et 4. La carbamazé- ou fréquents tels la leucopénie, l'augmentation de l'appétit,
pine a l'AMM en France pour le traitement des névralgies du des vertiges ou une impuissance. La prégabaline peut éga-
trijumeau et du glossopharyngien et le traitement des dou- lement induire des étourdissements, une somnolence,une
leurs neuropathiques de l'adulte ; la phénytoïne, pour le trai- augmentation de l'appétit, une humeur euphorique, une
tement de la névralgie du trijumeau ; la gabapentine, pour le confusion, une irritabilité, une vision trouble, des vertiges
traitement des douleurs neuropathiques périphériques telles ou des troubles de l'érection. Le topiramate peut induire
que la neuropathie diabétique et la névralgie postzostérienne une rhinopharyngite, une dépression, une paresthésie, une
chez l'adulte ; la prégabaline dans le traitement des douleurs somnolence, une sensation vertigineuse, de la fatigue, des
neuropathiques périphériques et centrales chez l'adulte ; le nausées, une diarrhée et une diminution de poids.
topiramate pour le traitement prophylactique de la migraine.
Par analogie avec l'efficacité de la carbamazépine dans la Contre-indications
névralgie du trijumeau, on considérait que les antiépilep- Au-delà de l'hypersensibilité à chaque produit, les contre-
tiques possédaient une efficacité plus marquée pour les indications peuvent être résumées comme suit :
aspects « fulgurants » de la douleur neuropathique : cela n'est ■ pour la carbamazépine : un bloc auriculoventriculaire, un
pas obligatoirement retrouvé dans les études et on considère antécédent d'hypoplasie médullaire ou des antécédents
que les antiépileptiques peuvent être envisagés quelle que de porphyrie hépatique ;
soit la présentation de la douleur neuropathique. La préga- ■ le topiramate est contre-indiqué chez la femme enceinte
baline a obtenu l'AMM aux États-Unis pour la fibromyalgie. ou en âge de procréer n'utilisant pas de méthodes contra-
La pharmacologie des antiépileptiques est hétérogène, ceptives efficaces, du fait d'un risque tératogène.
mais nombre d'entre eux interfèrent avec des canaux ioniques Le risque d'interaction contre-indique la coprescription
(par exemple sodiques et calciques) dont l'expression varie de carbamazépine avec le télaprévir et voriconazole liée à un
dans un contexte de douleur neuropathique. Gabapentine et risque de perte d'efficacité de ces anti-infectieux.
prégabaline inhibent une sous-unité dite α2δ-1 de canaux
calciques voltage-dépendants ; carbamazépine et phénytoïne
inhibe des canaux sodiques. Ces inhibitions, péripéhriques Actualités et perspectives
ou centrales, induisent une diminution de la transmission Les perspectives ouvertes par la stratification des patients
de l'influx nerveux et/ou de l'excitabilité neuronale. Cela douloureux neuropathiques évoquée dans le paragraphe sur
n'exclut pas d'autres cibles, particulièrement au niveau de la les antidépresseurs sont applicables de la même façon aux
CPME où les antiépileptiques peuvent inhiber le récepteur antiépileptiques.
NMDA (topiramate) pour réduire la sensibilisation centrale. Par ailleurs, les nombreux travaux fondamentaux sur les
Une action pro-gabaergique est également évoquée comme canaux ioniques, cibles de plusieurs antiépileptiques, sont
mécanisme d'action de certains antiépileptiques. susceptibles d'ouvrir des perspectives intéressantes pour
le traitement des douleurs neuropathiques. Le nombre de
Pharmacocinétique canaux concernés est élevé et il est difficile ici de tous les
citer. On peut néanmoins évoquer les canaux calciques ;
La biodisponibilité orale des antiépileptiques est habituelle outre les canaux porteurs de la sous-unité α2δ, activés par
ment bonne, voire très bonne, avec des différences dans les gabapentinoïdes, les CAV3.2 sont l'objet d'études, et
la cinétique d'absorption digestive, qui peut être lente ou l'éthosuximide, qui se lie à ces canaux, est en cours d'évalua-
rapide. De nombreux antiépileptiques subissent un méta- tion clinique dans les douleurs neuropathiques. Les canaux
bolisme hépatique expliquant les nombreuses interactions Nav 1.7 sont aussi une cible d'intérêt, leur mutation géné-
médicamenteuses possibles. Ce risque d'interaction est tique ayant induit des perturbations dans la perception de la
majoré par le fait que les antiépileptiques peuvent modi- douleur : une insensibilité à la douleur [39] ou une douleur
fier eux-mêmes le métabolisme hépatique en l'activant ou [40]. D'autres exemples pourraient être donnés montrant
l'inhibant. La carbamazépine est auto-inducteur enzyma- que la recherche sur les canaux ioniques et la douleur est
tique, c'est-à-dire qu'elle active son propre métabolisme. active, par exemple orientée vers les neuropathies chimio-
La période nécessaire pour atteindre le plateau d'équilibre induites particulièrement résistantes aux thérapeutiques
est variable, mais peut être de plusieurs jours, ce qui est à analgésiques.
prendre en compte dans l'évaluation de l'efficacité d'un
traitement antiépileptique, lors de son instauration ou en
cas de changement posologique. La demi-vie plasmatique Conclusion
des antiépileptiques est variable. Selon les produits, l'élimi- À l'issue de cette présentation des antalgiques classiquement
nation est rénale, hépatique ou mixte. utilisés, il convient d'ajouter deux compléments.
Certains produits non évoqués ci-dessus ont participé à
Pharmacovigilance l'amélioration de la prise en charge de certains patients dou-
Les effets indésirables des antiépileptiques sont assez inho- loureux. C'est particulièrement le cas des triptans qui ont
mogènes et ne peuvent être détaillés ici. La carbamazépine est constitué un progrès singulier dans le traitement des crises
à l'origine de troubles digestifs, hématologiques ou cutanés, migraineuses.
qui peuvent être gênants. La gabapentine a des effets indési- C'est aussi le cas de présentations à base de lidocaïne
rables très fréquents, comme la somnolence, des étourdisse- ou de capsaïcine (voire de toxine botulique) utilisées dans
ments, l'ataxie, une infection virale, une fatigue, une fièvre, le traitement de certaines douleurs neuropathiques. Le
76 Partie 2. Traitements en pratique
z iconotide occupe une place particulière ; il est en effet le [10] Berterame S, Erthal J, Thomas J, Fellner S, Vosse B, Clare P, et al. Use
premier antalgique réellement issu d'une réflexion physio- of and barriers to access to opioid analgesics : A worldwide, regional,
pathologique montrant le rôle des canaux calciques Cav2.2 and national study. Lancet 2016 ; 387 : 1644–56.
[11] Guy Jr. GP, Zhang K, Bohm MK, Losby J, Lewis B, Young R, et al. Vital
(type N) qu'il inhibe. Son caractère peptidique limite son uti-
signs : Changes in opioid prescribing in the United States, 2006–2015.
lisation à la voie rachidienne pour le traitement des douleurs MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2017 ; 66 : 697–704.
chroniques intenses. Il convient également de noter qu'une [12] Compton WM, Jones CM, Baldwin GT. Relationship between non
évolution récente a été la mise sur le marché d'antagonistes medical prescription-opioid use and heroin use. N Engl J Med 2016 ;
des récepteurs μ de la paroi digestive qui ne diffusent pas, 374 : 154–63.
afin d'inhiber uniquement la constipation induite par les [13] European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addic-
opioïdes. Enfin, nous n'avons pas évoqué dans ce chapitre, tion. European Drug Report 2018 : Trends and Developments ;
consacré aux antalgiques les plus courants, la kétamine, pro- 2018. p. 96, http://www.emcdda.europa.eu/publications/edr/
duit ancien utilisé dans le contexte opératoire mais égale- trends-developments/2018_en.
ment étudié dans des indications de douleurs chroniques. [14] Chenaf C, Kaboré JL, Delorme J, Pereira B, Mulliez A, Zenut M, et al.
Prescription opioid analgesic use in France : Trends and impact on
L'ancienneté de la pharmacopée et le manque, en clinique,
morbidity-mortality. Eur J Pain 2019 ; 23 : 124–34.
de nouveaux concepts issus de la recherche, alors même que [15] Dowell D, Haegerich TM, Chou R. CDC Guideline for Prescribing
les connaissances fondamentales sur la douleur ont évo- Opioids for Chronic Pain--United States, 2016. JAMA 2016 ; 315 :
lué, posent la question de la pertinence des stratégies de 1624–45.
recherche. Certes, le phénomène douloureux est un phéno- [16] Moisset X, Trouvin AP, Tran VT, Authier N, Vergne-Salle P, Piano V.
mène complexe pluridimensionnel et les mécanismes phy- Utilisation des opioïdes forts dans la douleur chronique non cancé-
siopathologiques des douleurs chroniques le sont aussi, mais reuse chez l'adulte. Recommandations françaises de bonne pratique cli-
cela doit conduire à s'interroger sur la stratégie à adopter nique par consensus formalisé (SFETD). Presse Med 2016 ; 45 : 447–62.
pour progresser. Espérons que de bonnes stratégies puissent [17] Majumdar S, Grinnell S, Le Rouzic V, Burgman M, Polikar L,
ouvrir la voie à de nouvelles thérapeutiques. Le recours à des Ansonoff M, et al. Truncated G protein-coupled mu opioid receptor
MOR-1 splice variants are targets for highly potent opioid analgesics
biothérapies comme les anticorps anti-NGF pourrait en être
lacking side effects. Proc Natl Acad Sci U S A 2011 ; 108 : 19778–83.
une. C'est en tout cas l'espoir suscité par le tanézumab dans [18] Majumdar S, Devi LA. Strategy for making safer opioids bolstered.
le traitement des douleurs arthrosiques : après des retards Nature 2018 ; 553 : 286–8.
dans son développement, un ratio bénéfice-risque positif [19] Devilliers M, Busserolles J, Lolignier S, Deval E, Pereira V, Alloui A,
vient d'être rapporté dans une récente étude de phase III et al. Activation of TREK-1 by morphine results in analgesia without
(résultats annoncés par les industriels concernés, Pfizer et adverse side effects. Nat Commun 2013 ; 4 : 2941.
Eli Lilly). Des analogues suivent (fasinumab, fulranumab), [20] Vivier D, Soussia IB, Rodrigues N, Lolignier S, Devilliers M,
issus d'autres laboratoires, preuve de l'intérêt du concept. Chatelain FC, et al. Development of the First Two-Pore Domain Potas-
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Chapitre
15
Douleur et éducation
thérapeutique
Rodrigue Deleens
PLAN DU CHAPITRE
Comment se met en place un programme Patient expert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
d'ETP du patient ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Évaluation et labellisation des programmes . . . 81
Les différentes étapes de l'ETP du patient . . . 80 Quelles thématiques en douleur chronique ? . . . 81
La survenue d'une maladie chronique perturbe de nombreux La HAS définit l'ETP comme « un processus continu,
équilibres dans la vie des patients. La douleur chronique fait dont le but est d'aider les patients à acquérir ou maintenir les
partie de ces maladies, quelle que soit son étiologie. Cela compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur
implique donc l'obligation de vivre avec la douleur et nécessite vie avec une maladie chronique [2]. Elle fait partie intégrante
des recompositions. Des adaptations et l'acquisition de nou- et de façon permanente de la prise en charge du patient. »
veaux comportements, plus adaptés, pourront être nécessaires Selon les recommandations de l'HAS, un programme d'ETP
pour « mieux vivre avec la douleur chronique ». Ces notions fait partie intégrante des soins, sans s'y substituer ; il a pour
sont indispensables dans ce contexte, engageant la participation objectif de permettre au patient, mais aussi à son entourage,
active du patient et, donc, sa motivation [1]. Cette motivation de mieux connaître la maladie et les traitements et de gérer
au changement lui permettra de s'impliquer durablement, de au mieux le quotidien. Lors de ce processus éducatif spé-
prendre soin de lui-même et de trouver un nouvel équilibre. cifique, les informations et les connaissances transmises
Pour permettre aux patients, et parfois à son entourage, s'appuient sur des données scientifiques validées.
d'acquérir les connaissances, les capacités et la modification Dans la littérature, la définition et la terminologie utili-
de son comportement, il faut non seulement, comme cela a sées portent souvent à confusion et laissent parfois penser
été détaillé dans les chapitres précédents, expliquer, communi- qu'il y a plusieurs conceptions dans ce même domaine. Dans
quer, identifier, éduquer et fixer des objectifs, mais il faut que les publications anglophones, il y a une différence entre
cette démarche soit organisée autour du patient et avec lui. Les l'éducation (traditionnelle), n'apportant que des informa-
informations nécessaires à l'amélioration de la qualité de vie tions et le « self management », ou l'éducation à l'autogestion,
seront issues des connaissances scientifiques validées et adap- qui comprend en plus le développement de compétences de
tées aux besoins et aux attentes des patients. L'ETP répond résolution de problèmes dans la vie quotidienne, avec la
alors à ces critères, elle représente un champ de pratiques au maladie (sur les plans médical, social et émotionnel). C'est
carrefour de la médecine, du soin et de l'éducation. ce concept qui est utilisé et décliné dans la gestion des symp-
L'ETP du patient est une démarche active, centrée sur les tômes chez les patients douloureux chroniques.
besoins et les attentes de chaque patient, dans laquelle celui- L'accent est donc mis sur le renforcement du sentiment
ci a une place importante [2]. Ce n'est pas seulement une d'auto-efficacité et sur le choix des méthodes d'apprentissage,
démarche d'éducation, il ne s'agit pas de participer à des cours permettant la résolution de problèmes rencontrés dans la vie
et de prendre part à un processus descendant, unilatéral, de quotidienne du fait de l'existence des douleurs chroniques.
transfert de connaissances. C'est un processus plus complexe Il n'y a pas, comme précisé précédemment, d'enseignement
et plus actif, qui a pour but de faire collaborer soignants, soi- vertical mais réellement une collaboration entre les soignants
gnés et associations dans le cadre d'un objectif commun : faire (notions de multiprofessionnalisme et de pluridisciplinarité)
en sorte que le patient arrive à vivre mieux avec sa patholo- et les patients, en accordant l'expérience de chacun.
gie chronique par le biais de la connaissance de sa maladie Cette démarche d'ETP répond donc à un besoin de
et d'une meilleure gestion des traitements. Cette approche, prévention tertiaire, c'est-à-dire « l'ensemble des mesures
centrée sur le patient, part de ses connaissances et permet de visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des
l'orienter en lui transmettant des m essages spécifiques adap- maladies, des accidents et des handicaps » (selon l'OMS).
tés à sa situation et à ses besoins personnels. Concernant la douleur chronique, il s'agira de limiter les
Médecine de la douleur pour le praticien
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80 Partie 2. Traitements en pratique
Le choix des ateliers proposés dépendra des besoins par les équipes. Cette autoévaluation doit être réfléchie
é valués lors de la réalisation du diagnostic éducatif. C'est dès l'élaboration du programme ; on peut même dire
donc en quelque sorte un programme « à la carte », adapté qu'elle en fait partie. Le référentiel établi par les équipes
aux besoins réels du patient, avec son accord. Les ateliers permettra d 'analyser qualitativement et quantitative-
sont, selon la thématique, proposés en individuel ou en ment leurs pratiques, l'organisation et la coordination de
groupe. Ce dernier permet souvent des échanges plus leur programme. On y retrouve donc le nombre d'ate-
riches entre les patients, leur donnant des temps pour liers, leur durée, le nombre de patients y ayant parti-
exprimer leurs propres expériences, mettant en valeur cipé, ayant commencé et terminé chaque programme, le
les moyens positifs pour aller mieux, et toujours reposant nombre d'intervenants, l'évaluation de la satisfaction des
sur l'écoute et la validation du ou des professionnel(s) patients et des résultats d'outils d'évaluation de certains
formé(s) à l'ETP, rebondissant sur les recommandations critères, choisis et sélectionnés lors de l'instauration du
scientifiques validées et reconnues. Pour animer ces ate- programme.
liers, des outils sont utilisés, souvent ludiques, stimulant Bien entendu, cela permettra d'ajuster le contenu ou le
les échanges entre tous les participants, et sélectionnés déroulé du programme selon les observations, de détecter
en amont, lors de l'écriture du programme, en vue de les points faibles et forts et, ainsi, de faire aux patients une
leur adaptation aux objectifs éducatifs et aux thématiques offre de soins de qualité.
spécifiques. Une autre démarche d'évaluation doit être réalisée tous
les 4 ans, dans un objectif de reconnaissance, de labellisa-
Évaluation des compétences acquises tion du programme par l'Agence régionale de Santé, sur les
recommandations de la HAS [2].
et du déroulement du programme Lors de la mise en place du programme, une autorisa-
La dernière étape consiste en l'évaluation des compétences tion est délivrée par l'ARS selon des critères de référence,
acquises et du déroulement du programme. disponibles sur le site des ARS et de l'HAS et que nous
L'évaluation dans le déroulé du processus d'ETP n'est avons résumés précédemment. Cette autorisation n'est
pas un temps fixe en soi, mais il est également un proces- valable que quatre ans, échéance à laquelle une autoéva-
sus continu, organisé au sein des différentes étapes, per- luation du programme (bilan des trois années de mise
mettant ainsi une réorientation si cela est nécessaire, ainsi en œuvre) doit être réalisée : impact sur la pathologie et
que des ajouts ou des mises au point si certaines compé- sur les patients. Elle sera transmise à l'ARS, qui validera
tences n'ont pas été suffisamment acquises ou si d'autres le renouvellement d'autorisation. Cette évaluation a pour
semblent rester à acquérir. On évalue alors ici la transfor- caractéristiques d'être orientée à la fois sur les résultats
mation du patient. et effets attendus de l'ETP et sur les évolutions du pro-
gramme, et d'être réalisée par l'équipe et le coordonnateur.
À partir de ces rapports, les ARS prennent connaissance
Patient expert des dynamiques régionales dans le domaine de l'ETP en
Ces dernières années, le concept de « patient expert », par- douleur chronique et de l'offre territoriale. Elles analysent
fois appelé « patient ressource » s'est développé au sein des les progressions, les évolutions des différents programmes,
programmes d'ETP dans la prise en charge des douleurs leurs atouts et leurs forces, mais aussi leurs limites et dif-
chroniques. ficultés éventuelles ouvrant sur des possibilités d'aide et
Grâce à lui, un partage de connaissances concernant d'accompagnement.
la maladie s'opère avec les autres malades participant à
l'ETP. Des liens particuliers se créent grâce à ces points
communs que sont la maladie, son vécu, les traumatismes Quelles thématiques
éventuels qui y sont liés, et les traitements. Ce patient en douleur chronique ?
expert apporte alors un soutien moral, mais il joue aussi Selon les besoins et les spécificités de chaque structure
un véritable rôle éducatif, s'assurant de l'intégration des douleur chronique ou des services accueillant des patients
messages, de leur compréhension, de leur mise en appli- souffrant de douleurs chroniques, différents programmes
cation et de leur reformulation si nécessaire. Grâce à cela, d'ETP peuvent être mis en place. Ils seront orientés sur des
on observe une évolution positive des symptômes, un pathologies particulières : lombalgie, fibromyalgie, douleur
changement de gestion des activités, des émotions et de la du cancer, douleurs neuropathiques, céphalées, migraines,
qualité de vie, une meilleure observance des traitements ou ils seront moins spécifiques, comme des programmes
et, enfin, un rôle plus actif du patient dans sa prise en « douleur chronique », dans lesquels la déclinaison des
charge. ateliers pourra s'orienter selon les pathologies avec des
ateliers communs tels que « mieux comprendre la douleur
Évaluation et labellisation chronique », ou encore « bien gérer ses traitements médica-
des programmes menteux », « savoir utiliser des techniques non médicamen-
teuses », etc [5].
Outre l'évaluation de l'impact de l'ETP sur le patient Dans tous les cas, ces programmes et leurs ateliers
douloureux chronique et ses symptômes, une évaluation permettent, comme nous l'avons évoqué en début de
du programme lui-même doit être réalisée tous les ans chapitre, de rendre le patient plus autonome dans sa
82 Partie 2. Traitements en pratique
PLAN DU CHAPITRE
Fondements généraux et intérêt . . . . . . . . . . . 83 Autres approches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Les techniques de relaxation . . . . . . . . . . . . . . 83 Psychothérapies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
L'hypnose appliquée au champ Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Méditation de pleine conscience,
ou Mindfulness . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
Fondements généraux et intérêt Nous avons choisi d'aborder les approches les plus cou-
rantes en clinique de la douleur et celles qui font l'objet
Notre culture – presque par tradition – pense l'humain et d'un consensus concernant leur intérêt auprès des patients
sa santé en considérant deux plans de nature différente : douloureux.
le substrat corporel (soma) et l'immatériel (psyché). Pour
autant, l'existence d'un dialogue entre le corps et l'esprit1 est
une évidence pour tous, et ce depuis longtemps, y compris Les techniques de relaxation
pour Descartes, bien injustement décrié en la matière, qui
parlait de l'étroite union entre les deux, dont chacun, écri- Le terme de « relaxation » date du xiie siècle, et signifie
vait-il, faisait l'expérience dans son quotidien. Les approches « libération » (on parle d'ailleurs toujours de « relaxer un
psychocorporelles sont une réponse à ce dialogue : d'une prévenu »). Une séance de relaxation travaille en effet à ce
part, elles prennent acte de la perspective moniste (l'humain que quelque chose se libère, se détende, dans la continuité
est un tout, vivant et indivisible) et, d'autre part, pour amé- corps-esprit : relâcher les tensions musculaires à la fois pour
liorer les processus en santé, elles choisissent dans la pra- défaire le corps douloureux de ce qui le contracte, mais aussi
tique une porte d'entrée pour travailler ce « tout », porte qui pour dénouer les tensions psychiques en lien avec lesdites
est ici le corporel (perceptions, sensations, etc.). Cela, en douleurs. Si nous disons les choses autrement : le corps
contraste avec les approches psychothérapeutiques qui, elles, travaillé avec la relaxation « découvre » qu'il a une histoire,
choisissent la porte d'entrée offerte par l'activité psychique. qu'il est porteur de pulsions, d'émotions, de sentiments,
Redisons-le afin d'éviter toute mauvaise compréhension : les d'images, d'angoisse, d'une temporalité, etc. La « libération »
deux niveaux sont dans un dialogue dynamique et, donc, les recherchée mobilise l'ensemble. Les techniques de relaxa-
deux approches travaillent les deux plans, mais selon angles tion ne consistent pas uniquement en une action mécanique
différents, la plupart du temps complémentaires. pour apprendre à se détendre, mais constituent une propo-
Il est bien question dans ce chapitre d'approches, autrement sition de mobilisation via ce corps porteur d'un ensemble,
dit de méthodes de travail particulières, aux outils pratiques du matériel comme de l'immatériel. N. Baste propose une
définis. Ils prennent place dans une démarche thérapeutique définition claire de la relaxation : « une pratique psychos
qui doit être pensée, avoir des objectifs définis et survenir à omatique qui consiste à induire chez le sujet, par différents
la suite d'une évaluation rigoureuse. Le choix de l'intervenant procédés, un état de relâchement musculaire plus ou moins
(psychologue, infirmier, médecin, etc.) et le contexte de pra- important et une modification de l'état et du niveau de la
tique (libéral, institutionnel, etc.) dépend des conditions qui conscience plus ou moins profond dans un but thérapeu-
auront été choisies avec le patient, selon les objectifs poursui- tique, mais aussi prophylactique ou éducatif » [2].
vis et l'ensemble des éléments qui rendent un projet réaliste Plusieurs pratiques de relaxation se côtoient : training
ou non (temps, finances, coordination des intervenants, etc.). autogène, méthode Jacobson, etc. En clinique pédiatrique de
la douleur, la méthode Bergès est régulièrement employée
1
Pour reprendre le joli mot de Keller (2006) [1]. et, en pratique adulte, la sophrologie est courante.
Médecine de la douleur pour le praticien
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84 Partie 2. Traitements en pratique
La méthode Bergès (Jean Bergès) consiste à susciter un Compte tenu de ce qui précède, on comprend donc que
état de conscience modifié à l'aide d'images, puis à nommer l'hypnose est un processus dynamique, global, d'emblée du
les parties du corps que l'on va toucher pour travailler avec côté de l'expérience. Être en hypnose, c'est vivre d'une façon
elles (toucher, travail de suggestion et de métaphores). Le différente la réalité environnante et s'ouvrir à une possibilité
jeune patient est invité à explorer ses ressentis et ses asso- de la façonner autrement. Il s'agit, avec l'hypnose – nous dit
ciations au sein de la séance. Au commencement de chaque le psychologue et philosophe Thierry Melchior –, de « créer
séance, on reprend aussi ce qui a été fait la séance précé- le réel » [7], soit de façonner une réalité qui nous corres-
dente. L'approche est d'inspiration psychanalytique (mais il ponde et qui soit, de ce point de vue, individuelle et unique.
n'est pas nécessaire d'être psychanalyste pour la pratiquer) En situation de déséquilibre, comme en cas de pathologie
[3]. physique ou mentale, ce remodelage possible devient un
La sophrologie (Alfonso Caycedo) consiste en l'apprentis- puissant outil d'influence sur la santé, jouant sur des res-
sage structuré de niveaux de relaxation dynamiques qui sont sources qui nous appartiennent.
au total douze. Pour autant, Nathalie Baste rappelle que ce La pratique de l'hypnose consiste en un accompagne-
sont principalement les cinq premiers qui sont utilisées en ment qui suit globalement trois phases : l'induction d'un
pratique clinique courante, auprès notamment des patients état de conscience modifié (état hypnotique), un travail
douloureux chroniques [2]. La relaxation dynamique du thérapeutique (à l'aide de suggestions et d'un travail méta-
premier degré, par exemple, consiste à effectuer une série de phorique) et un retour à un état de conscience ordinaire.
gestes en harmonie avec la respiration (rythme, amplitude, La façon de pratiquer l'hypnose va dépendre du contexte
régularité, alternance des moments d'effort et de détente, (urgences, ambulatoire, etc.), du tableau douloureux pré-
etc.), mêlant concentration et pratiques méditatives pour res- senté (chronique, aiguë, provoqué par les soins) et des élé-
sentir le mouvement vivant en soi. La sophrologie reprend des ments humains (parmi lesquels la dynamique relationnelle
techniques d'hypnose (première pratique d'A. Caycedo) dans engagée). En fonction des objectifs thérapeutiques fixés, on
une conceptualisation d'inspiration orientale (yoga, zazen). fait appel à des professionnels différents : hypnothérapeutes
L'exploration des différents états sophroniques permet aux psychologues-psychothérapeutes et psychiatres pour un
patients de mieux explorer leurs états internes, en lien avec travail sur la psychopathologie de la douleur ; praticiens en
leurs manifestations corporelles, et de pouvoir les travailler, hypnose de profession médicale ou paramédicale pour un
accompagnés du praticien (terpnos logos), qui maintient et travail sur la perception douloureuse et sa gestion. Dans les
encourage le relâchement musculaire, notamment. deux situations, c'est l'expérience du patient au contact de sa
douleur qui va être travaillée avec l'hypnose, par l'emploi de
L'hypnose appliquée au champ métaphores et de suggestions. Et dans les deux cas, le patient
est invité à la pratique de l'autohypnose, autrement de la
de la douleur pratique par lui-même de l'hypnose qui occupe une place
L'hypnose se définit comme un « mode de fonctionnement centrale en médecine de la douleur et dans son efficacité [8].
psychologique par lequel un sujet, en relation avec un prati- Si plusieurs protocoles existent, la littérature scientifique
cien, fait l'expérience d'un champ de conscience élargi » [4]. s'entend sur la nécessité de 7 à 10 séances d'apprentissage
Elle fait partie des « nouveau modèles de soins » qui centrent de l'autohypnose pour une efficacité qui perdure au-delà de
leur pratique sur l'individu, sa subjectivité et ses valeurs [5]. 6 mois [9]. En particulier, ce qui est recherché est que les
Lorsqu'un sujet est en état d'hypnose, son état de conscience patients fassent l'expérience d'une forme de familiarité par
est dit modifié. Synthétiquement, cela se traduit par un fonc- rapport à l'expérience douloureuse, sans chercher à l'éviter,
tionnement cérébral qui active à la fois le circuit de l'atten- pour apprendre à la modeler autrement. Ils n'ont pas à l'ac-
tion et le circuit de la détente [6]. Cet état permet de jouer cepter (l'acceptation mobilisant des processus de contrôle
sur la façon dont un sujet perçoit sa réalité, peut la modifier, antinomiques avec la flexibilité psychologique recherchée),
jusqu'à en tirer des bénéfices sur le plan de la santé et dans mais à faire l'expérience d'un laisser-aller des perceptions,
d'autres champs (sportif, artistique, etc.). C'est toujours un y compris douloureuses, en confiance [10]. Ce travail étant
élément du contexte qui amène l'apparition de cet état : une particulièrement mobilisant, on comprend l'importance de
suggestion formulée par une personne, un événement qui l'accompagnement par un praticien, y compris lorsque l'on
survient brutalement et crée une sidération, un changement parle de l'apprentissage de l'autohypnose. Ce laisser-aller
de posture induit par la pratique de l'autohypnose, etc. permet de trouver une posture différente non seulement au
De quel « champ de conscience élargi » s'agit-il lorsque regard de la douleur, mais aussi de son rapport au vivant, à
l'on est en hypnose ? La conscience dont il est question ici est son existence. L'expérience douloureuse est alors transfor-
une conscience corporelle au sens qu'en donne la phénomé- mée en apprentissage : le patient apprend de ce qu'il rejetait
nologie, une conscience construite grâce à notre sensoria- jusque-là et grandit, se trouvant renforcé dans son identité
lité et qui nous permet de percevoir notre environnement, et ses valeurs [11].
nous-même et la relation entre nous et ce contexte dans L'hypnose, pratique ancienne datant du xviiie siècle, a
lequel nous nous trouvons. C'est pour cela qu'elle permet de donné naissance aux psychothérapies et aux principales
travailler le rapport au réel d'une personne : cette conscience méthodes psychocorporelles utilisant les transes, dont
corporelle devenue « modelable » par l'état hypnotique orga- les deux méthodes de relaxation que nous avons citées.
nise son ressenti et, de ce fait, influence la dynamique psy- On comprend donc qu'elle soit certainement la méthode
chologique, voire globale (incluant les données corporelles), psychocorporelle ayant fait l'objet du plus grand nombre
d'un sujet. d'écrits professionnels et scientifiques. Ses principales
Chapitre 16. Approches psychocorporelles et psychothérapies 85
composantes sont maintenant bien identifiées, ainsi que les pensées et le ressenti physique : la douleur se réveille
sa dynamique d'action dans les cadres thérapeutiques nettement lorsque la colère est présente. Il s'agit bien d'un
[11]. Particulièrement en clinique de la douleur, plus de apprentissage de la réalité de cette triade : sensations cor-
cinquante ans de travaux en psychologie et médecine porelles, pensées et émotions qui, sans cesse variable, induit
permettent d'affirmer son absolue pertinence pour les notre comportement. Il semble donc important d'en prendre
patients, dans le cadre d'une prise en charge adaptée [12]. conscience pour décider en toute liberté de notre vie, instant
Son usage lors des soins ou de situations aiguës est mainte- après instant [14].
nant une évidence. Dans le domaine du chronique, elle est Depuis près de 20 ans, des méta-analyses sont régulière
recommandée, notamment dans les tableaux douloureux ment réactualisées pour montrer l'efficacité de ces tech-
complexes (par exemple le syndrome de l'intestin irritable niques sur la douleur, mais aussi surtout sur l'amélioration
ou encore les migraines), et pour l'ensemble des patholo- de la qualité de vie et sur la diminution de l'anxiété et de la
gies persistantes pour lesquels les facteurs psychologiques dépression [15].
sont particulièrement mobilisés. L'hypnose joue en effet Comment la méditation de pleine conscience fonctionne-
particulièrement sur la composante affective de la douleur, t-elle ? Jon Kabat-Zinn la définit comme « une conscience
et aussi pour une certaine part sur la composante cogni- qui émerge en faisant attention délibérément, dans l'instant
tive, en donnant accès à une compréhension individuelle présent, et de façon non jugeante ». Cela requiert de nom-
différente de la douleur qui fait souffrance. breuses qualités à développer au cours de la pratique : être
ici et maintenant avec toute l'ouverture d'esprit nécessaire,
sans attente, sans jugement, avec patience et bienveillance
Méditation de pleine conscience, envers soi-même. Pour cela, aucun besoin de conditions
ou Mindfulness particulières, mais il faut s'autoriser à prendre du temps
pour soi, accepter une évolution lente, s'entraîner régulière-
Au sein des techniques psychocorporelles, la méditation ment, faire confiance en un changement, même inconnu. Il
de pleine conscience se développe de plus en plus pour la est effectivement juste question de rester présent, conscient
prise en charge de la douleur. Depuis 1982, Kabat-Zinn a à soi-même, à son environnement, à ses pensées et à ses
élaboré un programme spécifique inspiré des techniques émotions. Chaque séance est unique, ni bonne ni mauvaise :
cognitivo-comportementales et du bouddhisme [13]. Il existe la distraction de notre attention par la liste des courses à
de nombreuses manières de méditer depuis des millénaires. faire ou des personnes à appeler pendant un exercice centré
Méditer, c'est focaliser son attention très précisément sur sur la respiration est normale. Dans la méditation de pleine
un objet, une sensation, une pensée ou un concept. Mais ce conscience, l'important est notre propre conscience, sans
n'est pas rêver, se vider la tête de toute pensée ni effacer la chercher à la modifier.
douleur d'un coup de baguette magique. Ainsi, la méditation de pleine conscience permet un véri-
Alors, en quoi consiste la méditation de pleine table changement cognitif, une modification des schémas
conscience ? Il s'agit d'un programme parfaitement codifié, habituels de pensée, une présence à la réalité sans regret du
permettant des études scientifiques fiables, de 8 séances passé ni anticipation anxieuse du futur. Cette acceptation
hebdomadaires de 2 h 30, guidées par des instructeurs bienveillante de la variation des émotions ou des sensations
formés à cette technique, associées à des pratiques quoti- corporelles aide à relativiser ce qui survient, y compris les
diennes de 45 minutes. Cela constitue la MBSR : Mindful- difficultés. Ainsi, progressivement, le ressenti de la douleur
ness basée sur la réduction du stress. Celle-ci a été aménagée est transformé et peut laisser la place à d'autres expériences
en 1995 par les Drs Segal, Williams et Teasdale en MBCT : plus variées. Ces différents mécanismes d'action de la médi-
Mindfulness fondée sur la thérapie cognitive pour la dépres- tation de pleine conscience sont largement étudiés au niveau
sion. Ces programmes permettent un apprentissage d'exer- scientifique [16] : en neurobiologie, en neuro-imagerie, en
cices méditatifs très variés qui améliorent la qualité de vie épigénétique et, bien sûr, aux niveaux comportemental et
des douloureux chroniques, souvent anxieux ou dépressifs. cognitif. Il a ainsi été observé que la pratique régulière de
Les pratiquants s'entraînent à prendre conscience de leurs la méditation de pleine conscience entraîne des modifica-
sensations corporelles, de leurs sens, de leurs pensées et de tions sur la fonction immunitaire et les hormones du stress.
leurs émotions dans un esprit d'ouverture, de bienveillance De nombreuses études ont examiné, en IRM fonctionnelle,
et d'acceptation. le cerveau de méditants experts ou ayant juste effectué les
Souvent, les patients douloureux ne ressentent de leur 8 séances : des modifications structurelles sont observées
corps que la douleur : ils en oublient qu'une musique peut au niveau de l'amygdale, du CCA, du thalamus et du cortex
les apaiser ou que des étirements peuvent les soulager. Pro- dorsolatéral préfrontal. Ces zones cérébrales sont largement
gressivement, ils se réapproprient leur corps sans éviter impliquées dans la gestion des émotions, mais aussi de la
pour autant la douleur, comme dans l'exercice du « balayage douleur.
corporel ». Dans un deuxième temps, ils apprennent à se Faire l'apprentissage de la méditation de pleine
regarder penser et à faire le tri entre le pilotage automatique conscience permet aux patients douloureux chroniques de
ou les ruminations qui dirigent leur mental : consignes per- se réapproprier leur corps, leurs pensées et leurs émotions
sonnelles d'évitement, comme la kinésiophobie du lombal- et de se ré-inventer un nouveau mode de fonctionnement.
gique entraînant un isolement social. Puis, le programme Cette technique doit être enseignée par des soignants bien
s'intéresse au ressenti de diverses émotions, agréables ou formés, eux-mêmes pratiquants réguliers, afin que soit au
non. L'attention est portée avec curiosité sur le lien avec mieux incarnée la bienveillance requise.
86 Partie 2. Traitements en pratique
Il est essentiel d'être attentif à la manière dont le malade se velles pratiques virtuelles. Par ailleurs, les techniques à
représente la maladie : peut-il s'en sentir victime de manière court, moyen et long termes sont complémentaires et non
consciente ? comment peut-elle lui être utile de manière substitutives.
inconsciente, si ses comportements sont dommageables pour
sa santé (définie par l'OMS comme un état d'équilibre phy-
sique, psychique et social) ? comment les angoisses et, parfois, Psychothérapies analytiques :
la mort peuvent-elles interférer ? On cherche à saisir en quoi psychanalyse, psychothérapie
la douleur et la maladie qui touche le corps sont au prise avec psychanalytique, psychothérapie
la vie psychique et la vie relationnelle, comment s'est installée d'orientation analytique, psychothérapie
la chronicité et dans quel contexte psychologique et social.
Tout au long de sa vie, le sujet noue des « réactions corpo-
psychodynamique
relles à des représentations psychiques par l'intermédiaire En 1895, la cure psychanalytique est une méthode de
d'affects dont l'expression est double : physique et psychique. traitement des troubles névrotiques par l'exploration de
Il a constitué une trame d'étayages possibles sur l'autre dans l'inconscient. Il s'agit pour Freud (1895) de faire dispa-
les situations difficiles ou au contraire s'est fragilisé à travers raître des symptômes en permettant au sujet de trouver
des traumatismes à répétition. Ainsi se sont créées des lignes ses propres solutions aux conflits entre ses divers mouve-
de failles, des fixations, mais aussi des systèmes de défense » ments pulsionnels (amour et haine pour un même objet)
qui signent ses forces et ses faiblesses [29]. C'est bien sûr dans et entre son environnement pulsionnel et les exigences de
cette histoire et dans cette construction que vient s'inscrire la la société [31]. Par les règles de la cure (pratique de parole,
douleur lorsqu'elle paraît. association libre, neutralité de l'analyste, fréquence des
En clinique de la douleur, l'exercice du psychothérapeute séances et contexte du divan), le transfert peut s'opérer et
est un repérage de la place et de la fonction de la dou- donner accès à l'identification des pensées, affects et sou-
leur dans la vie actuelle du sujet ainsi que du sens qu'elles venirs refoulés pathogènes.
prennent dans son histoire. L'objectif est d'en minimiser les Les postfreudiens ont diversifié les approches, devenues
impacts, voire d'en contenir les atteintes les plus graves [29]. davantage centrées sur la guérison, et ces psychothérapies
Les problématiques dans lesquelles évoluent les patients se sont développées dans le cadre des institutions de soins
douloureux chroniques sont majoritairement du registre du et des prises en charge de familles, de couples et de groupes.
trauma, du deuil, de la carence et des atteintes narcissiques Quelles que soient ces variantes, la spécificité de la méthode
identitaires. Toutes ces problématiques sont bien connues relève d'une pratique de parole construite dans la rencontre
dans le champ de la psychologie clinique et de la psychopa- avec le sujet où la dimension relationnelle et subjective se
thologie et ne nécessitent pas de validation particulière dans situe au cœur même du processus thérapeutique. À par-
le champ de la douleur. La psychothérapie a largement fait tir de la demande du sujet, il s'agit de l'accompagner dans
ses preuves dans le domaine de la souffrance et de ces pro- l'élaboration de ses propres solutions, en tenant compte de
blématiques [30]. la place et des fonctions qu'occupe le symptôme dans son
économie psychique. L'approche psychanalytique vise avant
tout la souffrance psychique du sujet et doit lui permettre de
Pratiques psychothérapiques se construire comme sujet, de s'approprier ou de reprendre
En Europe, la psychothérapie a acquis une place manifeste le fil de son existence : accéder à un travail, qui ouvre la
dans les soins de santé́. Inversement, à la place que les acti- possibilité de relancer les processus de symbolisation, a un
vités psychothérapeutiques occupent sur le terrain, la régle- effet de soulagement de la souffrance et d'apaisement des
mentation de ces activités est peu développée et le patient, troubles somatiques.
peu informé quant aux professionnels habilités. La psychanalyse tente de rendre compte de l'intégra-
En France, l'article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 lité du fonctionnement psychique aussi bien normal que
modifiée, relative à la politique de santé publique, régle- pathologique [32]. Fondée sur la parole, faisant appel à
mente l'usage du titre de psychothérapeute et impose l'inconscient où la souffrance psychique doit être com-
l'inscription des professionnels au registre national des prise et soulagée, cette méthode prend en considération le
psychothérapeutes. Le décret du 20 mai 2010 relatif à patient douloureux dans son organisation psychique : « Elle
l'usage du titre de psychothérapeute, modifié par le décret interroge et identifie les fonctions et le retentissement de
du 7 mai 2012, en précise les modalités. L'exercice psycho- la douleur pour le patient. Par l'analyse du transfert, des
thérapeutique repose sur une évaluation psychologique et résistances et du désir, elle permet de mieux comprendre
psychopathologique experte et sur de très bonnes connais- les conflits internes, de leur donner un sens nouveau et
sances des modalités psychothérapeutiques et psychopatho- d'éviter qu'ils ne se répètent dans la vie actuelle sous forme
logiques. L'exercice psychothérapeutique est donc réservé de symptômes psychiques et/ou physiques » [26]. Les
aux professionnels habilités par leur formation à engager dernières études montrent l'efficacité de ces techniques
une démarche thérapeutique. à long terme chez les patients en souffrance [33]. Cette
Concernant le cadre conceptuel ou les orientations psy- approche développe des techniques ou des médiations tout
chothérapeutiques, il y a des différences nettes et chaque à fait indiquées en clinique de la douleur, qui permettent
courant a développé ses modalités psychothérapeutiques. de travailler en groupe : le photolangage, le psychodrame
Nous traiterons ici des principaux courants : analytique, analytique, le groupe de parole, les médiations corporelles
comportemental, humaniste, systémique et des nou- d'orientation analytique, etc.
88 Partie 2. Traitements en pratique
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Chapitre
17
Médecine physique
et réadaptative de la douleur
Pierre Volckmann
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Comment prescrire la rééducation ? . . . . . . . . 93
Qui sont les acteurs de la rééducation ? . . . . . 92 Les cures thermales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
Mobilisations articulaires
Les mobilisations articulaires permettent, de manière active
ou passive, un maintien ou un gain d'amplitude articulaire.
Elles nécessitent un positionnement parfait non algique.
Elles se fondent sur les postures manuelles ou instrumen-
tales (Kinétec® ). Exceptionnellement, certaines peuvent
s'effectuer sous anesthésie générale.
■ le contracter-relâcher : méthode qui utilise la propriété de relaxation dynamique, d'éducation gestuelle, d'expression
de relâchement musculaire en position étirée après une corporelle ou plastique, par des activités d'équilibration et de
contraction volontaire. coordination. Il travaille sur prescription médicale, essentiel-
lement avec les structures de psychiatrie, de douleur et de
Physiothérapie [2] rééducation fonctionnelle (adulte et enfant).
Balnéothérapie
La balnéothérapie limite les contraintes mécaniques articu- L'activité physique adaptée
laires (niveau de l'eau à l'ombilic : 50 % du poids du corps ; Le décret n° 2016-1990 du 30 décembre 2016 relatif aux
niveau de l'eau au sternum : 10 % du poids du corps). La conditions de dispensation de l'activité physique adaptée
balnéothérapie chaude (34 à 36 °C) est validée par la Société prescrite par le médecin traitant à des patients atteints d'une
française de rhumatologie pour améliorer les douleurs des affection de longue durée constitue une grande avancée
fibromyalgies. Il faut insister également sur l'intérêt de la dans le domaine de la prise en charge de la santé et de la
balnéothérapie pour la reconquête du schéma corporel et la douleur. Désormais, grâce à cet article de loi, des profes-
récupération des amplitudes articulaires, notamment en cas seur d'APA (activité physique adaptée), en complément des
de capsulite rétractile. rééducateurs, pourront faire pratiquer l'activité physique
aux patients en ALD (parmi lesquels les douloureux chro-
Neurostimulation électrique transcutanée niques, comme mentionné dans l'annexe 11-7-2 de la loi).
La TENS peut être essentiellement utilisée en deux modes : Ce traitement a pour objectif de rendre les patients plus
■ à très basse fréquence : stimulation endorphinique ; autonomes dans une démarche proactive salvatrice et, ainsi,
■ à moyenne fréquence : contre-stimulation en cas de dou- de limiter leur douleur.
leur neuropathique ;
Cryothérapie
Comment prescrire la rééducation
Elle est utilisée à titre antalgique et anti-inflammatoire.
[3] ?
Il s'agit d'une prescription médicale qui ne peut se justifier
Thermothérapie que sur un examen clinique précis et, ainsi, tenter d'apporter
Elle est utilisée à des fins myorelaxantes [8]. une réponse aux anomalies décelées.
C'est une thérapeutique et cela obéit donc aux mêmes
règles qu'une prescription classique. Le vecteur thérapeu-
L'ergothérapeute tique est ici un professionnel aux grandes compétences dont
Il prend en charge des patients présentant des déficiences phy- les remarques pertinentes sont souvent d'un grand secours.
siques ou mentales, en utilisant des techniques de mise en situa-
tion d'activité ou de travail. Il rééduque les déficits moteurs,
sensoriels et cognitifs par les postures et le geste finalisé. Il
La première des contre-indications
peut confectionner des orthèses pour limiter les déficits et les à la kinésithérapie est l'absence d'indication
douleurs, par exemple une orthèse pour limiter la contraction L'examen clinique s'attachera à vérifier les éléments pour
du deuxième radial dans les tennis-elbow (figure 17.3). Depuis lesquels la rééducation peut être proposée.
peu, les ergothérapeutes peuvent exercer en libéral.
Sur le plan orthopédique
Le psychomotricien Il importera alors de vérifier :
■ les amplitudes articulaires,
Il rééduque des patients dont les difficultés psychologiques ■ la force musculaire et les rétractions musculaires,
ou neuropsychologiques sont exprimées corporellement. Il ■ la présence de contractures musculaires ou de spasticité,
agit sur les fonctions psychomotrices au moyen de techniques ■ la cinétique du mouvement et la fluidité de la gestuelle
(par exemple la présence d'un décollement de l'omoplate
lors de l'élévation antérieure de l'épaule),
■ les anomalies locorégionales ayant mutuellement des effets
les unes sur les autres (par exemple l'épaule et les rachis ont
des effets sur le bassin et les hanches, et inversement).
■ les postures douloureuses et les postures antalgiques.
Cette prescription est ciblée sur l'anomalie, mais générale Le kinésithérapeute choisit ses techniques, écrit un bilan
dans sa rédaction, le thérapeute ayant libre choix de ses tech- au commencement, puis à l'issue des dix premières séances.
niques (il est important de préciser les contre-indications, Il contribue ainsi à améliorer le dialogue avec le médecin
y compris pour un aspect médicolégal (contre-indication à prescripteur et à optimiser la prise en charge en fonction de
une manipulation, par exemple). l'évolution et de la réponse aux thérapeutiques proposées.
locorégionale
sitive en agissant directement sur les fibres conductrices,
et, d'autre part, les analgésies axiales, intrathécales et péri
durales, dont la cible est le relais médullaire des voies de la
et intrathécale douleur.
Denis Dupoiron
Blocs régionaux
L'anesthésie locorégionale permet de bloquer temporaire et douleur chronique
ment la sensibilité et, donc, la douleur, dans une zone limitée
du corps, tout en gardant le patient conscient. Historique Les blocs régionaux reposent sur l'utilisation de médica
ment, le premier anesthésique local fut la cocaïne, synthéti ments susceptibles d'interrompre de façon transitoire ou
sée en 1859, utilisée la première fois pour une chirurgie de définitive les influx nociceptifs. Deux types de molécules
l'œil par Koller en 1884 [1] ; puis, en 1885, Corning réalisa permettent cette action. D'une part, les anesthésiques
la première analgésie périmédullaire [2]. Ensuite, l'analgésie locaux agissent en bloquant les canaux sodiques en se
locorégionale s'est largement développée pour la réalisa liant à des récepteurs spécifiques présents sur les fibres
tion d'actes chirurgicaux, mais il faudra attendre la fin des nerveuses. Ils empêchent ainsi l'entrée de sodium dans
années 1970, que les récepteurs opioïdes aient été mis en la cellule et diminuent la conduction de l'influx nerveux.
évidence [3], pour qu'elle se développe dans le traitement Cette action est non spécifique sur les fibres sensitives
des douleurs chroniques. et motrices. D'autre part, les molécules lytiques, le phé
On doit distinguer deux grandes catégories d'anesthé nol, l'alcool et le glycérol, entraînent une destruction des
sie locorégionale pour le traitement de la douleur : d'une structures nerveuses.
Médecine de la douleur pour le praticien
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98 Partie 2. Traitements en pratique
On distingue trois indications principales pour les blocs Cependant, ils ne sont que très rarement mis en œuvre
dans la douleur chronique : la première indication est le bloc en raison des risques d'effets indésirables élevés, allant
à visée diagnostique afin de préciser le mécanisme de la dou jusqu'à concerner 40 % des cas, comme les pertes de
leur ; la deuxième est le bloc à visée pronostique et, enfin, le sensibilité, les déficits moteurs et les méningites. Ils ont
bloc à visée thérapeutique soit transitoire, soit lytique. été supplantés par les méthodes d'analgésie spinale. Les
blocs lytiques périphériques restent utilisés, notamment
au niveau des ganglions stellaires et des plexus cœliaque
Blocs diagnostiques et hypogastrique, même si leur action est transitoire et le
Ils sont indiqués quand le mécanisme physiopathologique urniveau de preuve d'efficacité faible [9].
d'une douleur dans un territoire n'est pas clairement établi mal
gré une analyse précise de l'historique des symptômes, l'exa
men clinique, l'imagerie et les analyses électrophysiologiques. Analgésie spinale
Cependant, plusieurs facteurs limitent l'analyse de tels blocs.
Le principe de l'analgésie spinale repose sur l'administration
D'abord, la qualité du bloc est dépendante de l'expérience de
de substances antalgiques au plus près de la moelle épinière et
l'opérateur et de la précision de l'acte réalisé. De plus, le patient
des récepteurs nociceptifs présents au niveau de la CPME, afin
doit être capable de comprendre et d'interpréter la réponse
d'agir de façon très spécifique sur le signal nociceptif en utili
au bloc. Enfin, la molécule injectée et le volume de dilution
sant des doses très faibles et en limitant ainsi les effets indési
doivent être appropriés et rester au contact des structures ner
rables, grâce à l'absence de passage systémique significatif [10].
veuses cibles, sans interférer avec d'autres qui pourraient modi
Le principal avantage de cette technique est une diminution
fier l'interprétation du bloc. L'apport, ces dernières années, de
considérable des doses administrées, puisque le facteur de
l'échographie a permis de fiabiliser considérablement ces tech
conversion est de 1/300 de la dose orale pour la morphine.
niques. Finalement, ces blocs sont généralement peu fiables,
comme l'atteste l'étude menée par A.C. Schwarzer et al., qui
fait état d'un taux de faux positifs de 38 % et d'une sensibilité Historique
de 31 % pour les douleurs des articulations sacro-iliaques [4]. Le concept d'analgésie spinale est attribué à Corning
Le bloc diagnostique est recommandé dans les algies pelvipéri [2], un neurologue américain, qui injecta en 1885 de la
néales avec un faible niveau de preuve (grade II +) [5]. cocaïne à titre d'anesthésique local entre deux apophyses
épineuses dorsales, obtenant une perte de sensibilité des
Blocs pronostiques membres inférieurs du patient. Mais c'est Bier, en 1898,
qui publia les résultats relatifs à la première série de
Ils sont indiqués essentiellement dans les séquelles spas patients traités avec une injection intrathécale de cocaïne
tiques post-traumatiques ou les séquelles de maladies dégé [11]. Cependant, malgré la diffusion très large des tech
nératives et d'AVC. Ils sont généralement réalisés lorsqu'un niques d'anesthésie péridurale et intrathécale au début du
bloc lytique est envisagé. xxe siècle, il faudra attendre 1976 pour que soient publiés
les résultats de la première étude de l'analgésie spinale
Blocs thérapeutiques chez l'animal, menée par Yaksch et Rudy [12]. En 1979,
les premières études sur l'humain, menées par Wang et al.
Ils sont généralement réalisés avec des anesthésiques locaux.
en intrathécal [13] et par Behar en péridural [14], confir
La littérature sur ces blocs est extrêmement fournie, mais le
merons l'efficacité de faibles doses d'opioïdes administrés
niveau de preuves est faible [6]. En France, les blocs sympa
par cette voie sur les douleurs réfractaires cancéreuses.
thiques sont recommandés dans les cas de syndrome dou
Ensuite, le développement des pompes totalement
loureux régional complexe (SDRC) résistants au traitement
implantables (figure 18.1a), à partir des années 1980, per
classiques (grade II +) [5]. De même, les blocs continus
mettra un essor considérable de la technique [15].
périnerveux gardent une place, particulièrement dans la
rééducation fonctionnelle des patients.
Principes
L'analgésie spinale repose sur le contrôle médullaire des
Blocs lytiques voies de la nociception, à la suite de la publication de la théo
Le principe est l'administration d'agents neurolytiques rie du gate control élaborée par Melzack et Wall en 1965 [16],
au niveau des structures nerveuses afin de bloquer de de la découverte des récepteurs opioïdes au niveau du sys
façon segmentaire les influx nociceptifs sans atteindre tème nerveux par Perth et Snider en 1973 [3] et, enfin, de la
les fonctions motrices [7, 8]. Les agents utilisables sont mise en évidence de leur concentration élevée au niveau de
au nombre de trois : l'alcool (50 à100 %), dont l'injec la CPME [17]. Depuis, la connaissance de la modulation du
tion, douloureuse, doit être précédée d'une anesthésie message nociceptif au niveau médullaire s'est précisée et de
locale ; le phénol (5 à 15 %), dont l'injection est géné nombreux autres récepteurs et médiateurs ont été identifiés.
ralement moins douloureuse et, enfin, le glycérol, uni
quement utilisé pour les névralgies du trijumeau. On
distingue deux types de blocs, les blocs lytiques axiaux Diffusion des traitements
intrathécaux ou épiduraux qui peuvent conférer une La diffusion des traitements par voie spinale est soumise
analgésie durant jusqu'à quatre mois. Les blocs intrathé à plusieurs facteurs. Elle dépend d'abord du lieu d'admi
caux paraissent plus efficaces que les blocs périduraux. nistration et des différentes structures que l'antalgique
Chapitre 18. Traitements techniques 99
C B
Figure 18.1 Analgésie spinale. (A) Pompe implantable Synchromed II (Medtronic®) ; (B) Installation du patient ; (C) Contrôle catheter intrathecal
cervical. Source : D. Dupoiron.
commercialisé, c'est pourquoi on utilise plutôt la ropi céphalorachidien est effectuée au niveau lombaire par voie per
vacaïne, dont la concentration plus faible (10 mg/ml) cutanée et le cathéter mis en place sous contrôle radiologique, en
oblige à des remplissages plus fréquents. arrière de la moelle épinière, avec son extrémité située au niveau
des métamères impliqués dans la douleur (figure 18.1 C). Une fois
Ziconotide celui-ci positionné, une incision est effectuée de part et d'autre
Le ziconotide est un inhibiteur des canaux calciques voltages- de l'aiguille et une loge est réalisée en regard du ligament supra-
épineux. Le cathéter est alors fixé au plan musculaire grâce à un
dépendant de type N présents au niveau de la CPME. Ce petit
dispositif spécifique. Dans un deuxième temps, une loge sous-
peptide (2 500 daltons) a été isolé du venin d'un escargot marin
cutanée est réalisée au niveau de la paroi abdominale et le cathéter
(Conus magus). Son action antalgique est extrêmement puis
est tunnélisé depuis l'incision dorsale jusqu'à la loge abdominale.
sante (1 à 20 μg/j) surtout sur les douleurs neuropathiques [29].
Après connexion du cathéter à la pompe, celle-ci est fixée au plan
Il n'est pas rapporté de cas de tachyphylaxie avec lui, et il n'est
musculaire avant fermeture. Lorsque le cathéter est relié à une
utilisable que par voie intrathécale. Cependant son utilisation
chambre implantable pour être utilisé avec une pompe externe, la
est complexe, en raison du taux élevé d'effets indésirables, sur
chambre est généralement implantée en basi-thoracique antérieur,
tout neuropsychiques, décrits [30], qui exigent une introduc
afin de faciliter la ponction (figure 18.1 B et C).
tion à faible dose et une incrémentation lente. L'association
avec la morphine est synergique et permet de diminuer les Complications
doses et les effets indésirables de chacune des molécules [31].
Liées à la technique
Clonidine Comme tout acte technique, l'analgésie spinale comporte
une morbidité. Les complications les plus fréquentes sont les
La clonidine est un α2-adrénergique qui agit en stimulant
céphalées postponction du liquide cérébrospinal, qui sur
les récepteurs présents au niveau présynaptique sur les
viennent chez 20 à 30 % des patients [35]. Le risque de bles
neurones afférents de la moelle épinière [32]. Elle agit en
sure médullaire est faible. L'infection survient dans environ
diminuant la sécrétion de substance P. Ses effets indésirables
3 % des cas et une méningite est observée après l'opération
principaux sont l'hypotension et la sédation.
dans 1 % des cas [36]. Elle nécessite la plupart du temps
l'ablation du matériel. Les autres complications, comme la
Associations migration et les plicatures du cathéter, ainsi que le retourne
Les associations sont largement utilisées, car la modulation du ment de la pompe dans sa loge, sont plus rares.
signal nociceptif au niveau médullaire est multifactorielle. En
outre, certaines molécules sont plus actives sur la composante Liées au traitement
nociceptive alors que d'autres sont plus efficaces sur les dou Le surdosage d'opioïde est possible et peut être responsable de
leurs neuropathiques. Enfin, certaines associations ont prouvé nausées, vomissements, voire d'une détresse respiratoire [37].
leur efficacité, comme l'association morphine-ziconotide qui De plus, lors de l'utilisation prolongée de morphine intrathécale
permet de diminuer les doses de chacune des molécules et à haute concentration, un granulome peut se former à l'extré
limite ainsi les effets indésirables [33]. Cependant l'utilisation mité du cathéter [38, 39]. Des déficits sensitivomoteurs transi
de ces associations nécessite de bien connaître la compatibi toires, une rétention aiguë d'urine et des hypotensions peuvent
lité des mélanges ainsi que leur stabilité dans les pompes [34]. également être observés avec les anesthésiques locaux [40]. Des
De plus, la prescription et la fabrication de ces préparations troubles neuropsychiques sont la principale complication de
nécessite l'utilisation de logiciels spécifiques et des contrôles, surdosage en ziconotide ; ils régressent totalement [31].
uniquement disponibles dans des pharmacies spécialisées. Plu
sieurs conférences de consensus internationales ont défini des
référentiels pour la mise en œuvre de ces traitements [24–26]. Organisation de la filière de soins
Cette technique antalgique est recommandée [5],
Mise en œuvre particulièrement dans les douleurs cancéreuses réfractaires.
Cependant, peu de patients y ont accès malgré une incita
Sélection des patients tion des autorités sanitaires [41]. La principale raison est la
Les patients susceptibles de bénéficier de ces techniques pré mise en œuvre tardive, le faible nombre de centres capables
sentent des douleurs réfractaires malgré un traitement par voie d'assurer les implantations et une absence d'organisation de
systémique bien conduit. La sélection se fait après avis d'une la filière de soins qui reste à développer.
réunion multidisciplinaire et à la suite d'une évaluation psy
chologique, à l'exception des patients atteints de cancer, pour
lesquels il est admis que l'amélioration de la prise en charge Conclusion
de la douleur ne souffre pas de délai d'attente. Un test d'effi Les blocs anesthésiques sont un élément majeur du traite
cacité peut être réalisé par injection unique par voie lombaire. ment des douleurs réfractaires, particulièrement en
Cependant, ce type d'injection est controversé, car il ne reflète cancérologie. Les blocs axiaux de type analgésie spinale
pas le traitement dans la mesure où il n'est pas réalisé au niveau ont montré leur efficacité. Cependant, même s'ils sont
des métamères incriminés dans le processus douloureux. aujourd'hui recommandés, leur mise en œuvre nécessite
une expertise. C'est pourquoi la meilleure diffusion de la
Implantation technique doit reposer sur des centres de références aux
Elle est réalisée généralement sous anesthésie générale ; le patient quels seront associés des centres de proximité capables de
est en décubitus latéral (figure 18.1 B). La ponction du liquide réaliser le suivi des patients et le remplissage des pompes.
Chapitre 18. Traitements techniques 101
18.2 Traitement de la à distance à long terme, pour évaluer l'efficacité du geste. L'impli
cation par l'ensemble de l'équipe participe au « bien-être » et à
Figure 18.2 Infiltration épidurale par voie interlamaire gauche Figure 18.4 Alcoolisation du ganglion sphénopalatin (ptérygopa-
sous guidage scanner. Patient de 55 ans souffrant de douleur latin) sous guidage scanner. Patiente âgée de 57 ans présentant une
lombosciatique gauche (S1) réfractaire au traitement médical. Aiguille névralgie du V2. L'alcoolisation est réalisée en insérant une aiguille (tête de
(tête de flèche noire) en place au sein de l'espace épidural latéral flèche noire) dans la fosse ptérygopalatine pointe (tête de flèche blanche)
opacifié par le produit de contraste (tête de flèche blanche) atteignant au niveau de la fissure ptérygopalatine. Les algies vasculaires de la face
la racine qui est moulée par le produit de contraste (flèche noire). réfractaires peuvent également bénéficier de ce traitement.
Figure 18.3 Infiltration du nerf grand occipital sous guidage scanner. (a) Patient âgé de 55 ans, présentant une névralgie d'Arnold bilatérale.
Infiltration bilatérale sur le site intermédiaire dans l'espace graisseux où passe le nerf : en dedans, le muscle oblique caudal inférieur de la tête et,
en dehors, le muscle semi-épineux (tête de flèche). Ce traitement est également parfois proposé dans les névralgies du V2, les algies vasculaires
de la face et certaines céphalées réfractaires. (b) Patient âgé de 78 ans, présentant une névralgie d'Arnold sur une arthropathie C1-C2. Infiltration
unilatérale en deux sites : intermédiaire (tête de flèche noire), et au site profond, à l'origine du nerf au niveau C1-C2 (tête de flèche blanche).
■ neurolyses du ganglion sphénopalatin (algies vasculaires, splanchniques (traitement des douleurs solaires liées à des
névralgies du V2) (figure 18.4), tumeurs sus-mésocoliques envahissant ou irritant le plexus
■ blocs du ganglion stellaire (syndrome douloureux régio cœliaque, telles les tumeurs pancréatiques ou gastriques,
nal complexe de type I, algodystrophies) (figure 18.5), les adénopathies, etc.) (figure 18.8), et neurolyses du
■ infiltrations du nerf pudendal (névralgies pudendales) plexus sympathique interiliaque, des nerfs présacrés et du
(figure 18.6) et des nerfs ilio-inguinaux (névralgies ingui plexus hypogastrique et du ganglion impar (en cas d'enva
nales) (figure 18.7). hissement pelvien, de rectite radique ou d'endométrioses).
Ces infiltrations peuvent être complétées pour pro D'autres interventions, plus élaborées, nécessitent un
longer l'action antalgique par des neurolyses ciblées par apprentissage plus approfondi et, parfois, un appareillage
radiofréquence dite « sèche », à aiguille de petit calibre (20 dédié (radiofréquence, micro-ondes, cryoablation). Elles
ou 22 gauges) ou cryoneurolyse (dans les cas de névral concernent des douleurs d'origine cancéreuse très invali
gie d'Arnold, d'algodystrophies, de névralgies inguinales, dantes et rebelles aux antalgiques. Il s'agit :
etc.). Les neurolyses peuvent également être réalisées sur ■ des cimentoplasties et des vertébroplasties, introduites
des ganglions et plexus nerveux. Elles peuvent aussi être par Deramond et Gallibert en 1987, initialement pour
effectuées tout le long de la chaîne sympathique : blocs, le traitement des angiomes vertébraux et dont les indi
neurolyses du ganglion stellaire, sympatholyses thora cations se sont légitimement étendues aux douleurs
ciques et lombaires, neurolyses des ganglions cœliaques et malignes osseuses réfractaires, dont on connaît le
Chapitre 18. Traitements techniques 103
Figure 18.5 Bloc et RF du ganglion stellaire sous guidage scanner. Patiente âgée de 37 ans présentant un syndrome douloureux régional
complexe (SDRC) de type 1 (algodystrophie) post-traumatique (fracture du poignet). Le bloc est réalisé grâce à une aiguille de 22 gauge (têtes de
flèche noire) et du produit de contraste (têtes de flèche blanche) sur deux sites : (A) en regard de l'apophyse transverse de C7 ; (B) sur le contingent
principal du ganglion en regard de la tête de la première côte. Une radiofréquence peut être réalisée après deux bloc positifs pour prolonger l'effet
antalgique et sortir du SDRC (70 % de résultats positifs).
Figure 18.6 Infiltration du nerf pudendal aux deux sites. Femme âgée de 35 ans atteinte de névralgie pudendale gauche (post-traumatique
après exercice répété sur un de vélo d'appartement). Infiltration sur son trajet en deux sites : (A) site principal en regard de l'épine ischiatique, entre
les ligaments sacro-épineux et sacro-tubérositaire, et (B) site classique dans le canal pudendal sous l'aponévrose du muscle obturateur interne.
L'intérêt du scanner réside dans la précision du site d'infiltration avec injection de produit de contraste (têtes de flèche) au niveau des cibles
anatomiques définies.
Figure 18.8 Neurolyse cœliaque et splanchnique sous guidage scanner. Patient âgé de 55 ans ayant un néoplasme de la tête du pancréas
réfractaire à tout traitement, notamment morphinique. (A) Neurolyse splanchnique (têtes de flèches). (B) Neurolyse coeliaque (flèches), voie
transaortique pour ce site.
Figure 18.9 Vertébroplastie de C1 et C2 sous anesthésie locorégionale et bloc intravertébral, et avec un contrôle scanner exclusif (pour
la première fois, à l'hôpital européen Georges-Pompidou, en septembre 2018). Patient âgé de 69 ans présentant des lésions métastatiques
lytiques vertébrales en C1 et C2 (B), lui faisant encourir un risque majeur de tétraplégie. (A) Traitement par injection de ciment acrylique (en blanc).
Figure 18.10 Ablation thermique et cimentation fémorotibiale sous anesthésie locorégionale et bloc intraosseux, avec contrôle
scanner. Patient de 65 ans, atteint de mélanome malin métastatique, confiné au lit, pour lequel la position mise en charge est impossible. Lésions
à l'extrémité inférieure du fémur et du plateau tibia (IRM hyper signaux (A)). EVA à 7-8/10. Traitement palliatif par radiofréquence et cimentation
réalisant un traitement « chirurgical de consolidation percutanée » (B). EVA à 2-3/10 et patient debout le lendemain.
Les techniques d'ablation par micro-ondes ont l'avan double avantage d'être facilement réalisable sous anésthésie
tage de permettre de traiter plus rapidement des lésions locale car indolore et de permettre de voir le glaçon qui se
de grandes tailles. forme et donc bien cerner et prédire la zone d'ablation.
La cryoablation est une technique récente qui bien que Enfin, par voie endovasculaire, les embolisations à titre
faisant appel à un matériel plus encombrant présente le antalgique, effectuées à des fins de réduction préopératoire
Chapitre 18. Traitements techniques 105
ou avant une radiothérapie, sont efficaces, notamment dans nociceptives (cordotomie antérolatérale, tractotomie
le traitement des métastases osseuses. Les embolisations de pédonculaire, radicotomie, etc.). Elles sont surtout indi
dévascularisation peuvent également être recommandées quées pour le traitement des douleurs cancéreuses résis
dans un premier temps, avant un geste interventionnel percu tant à la morphine et, plus rarement, dans les douleurs
tané sur des métastases hypervascularisées. Il en est de même neuropathiques secondaires à l'avulsion du plexus bra
pour les embolisations d'agents sclérosants par voie percu chial (DREZotomie) ;
tanée (Ethibloc® ou Hexatrione®), qui sont indiquées dans ■ les techniques de neuromostimulation qui cherchent à
le traitement des tumeurs osseuses à composantes kystiques diminuer la douleur en renforçant les mécanismes inhibi
(kyste essentiel, kyste anévrysmal, etc.). teurs et en limitant les mécanismes activateurs. La stimula
Comme pour toute technique interventionnelle, l'ap tion électrique chronique du système nerveux (stimulation
prentissage se fait essentiellement par compagnonnage. Le nerveuse périphérique, stimulation médullaire, stimulation
recensement des centres pratiquant des techniques à visée du cortex moteur, etc.) est utilisée pour traiter les douleurs
antalgique est disponible. neuropathiques chroniques (dont la durée excède 6 mois) ;
Une séance de traitement interventionnel de la douleur ■ l'infusion intrathécale d'analgésiques (morphine, zicono
est organisée, une fois par an, aux Journées françaises de tide, etc.), à l'aide de pompes implantables, ce qui permet
radiologie depuis 1999. Il existe plusieurs sites Internet d'in d'augmenter leur efficacité en réduisant leurs effets indé
formations générales sur la radiologie interventionnelle et la sirables. Ces techniques peuvent améliorer, parfois de
douleur (taper ces deux mots-clés pour y accéder). manière spectaculaire, l'état de certains patients souffrant de
Les techniques de radiologie interventionnelle représentent douleurs sévères et chroniques, réfractaires à tous les autres
une thérapeutique antalgique extrêmement efficace et mal traitements. La qualité du résultat analgésique dépend prin
heureusement insuffisamment développée. Elles sont com cipalement de la pertinence des indications et de la compré
plémentaires aux traitements classiques, quand les patients y hension des mécanismes à l'origine de la douleur.
deviennent réfractaires, notamment dans les douleurs chro
niques. Elles permettent d'améliorer de façon significative le
confort, la durée de survie et l'autonomie des patients, notam Introduction
ment en cas de douleur maligne cancéreuse. Les indications
doivent être posées dans un contexte multidisciplinaire. Nous De nombreux patients présentent des douleurs qui résistent
avons introduit un grand nombre de ces interventions et intro à un traitement antalgique, même en utilisant de fortes
duit le guidage scanner obligatoire pour nombre d'entre eux et doses d'analgésiques puissants. Certains patients sélection
dont l'apprentissage est plus aisé pour les élèves et les internes. nés souffrant de douleur réfractaire peuvent être soulagés,
La maîtrise de ces procédures et l'implication croissante des parfois de manière spectaculaire, par des techniques neuro
radiologues dans ce domaine devraient légitimement rendre chirurgicales, lésionnelles ou par des techniques de neuro
accessibles ces nouvelles techniques à un plus grand nombre modulation, alors que les autres moyens thérapeutiques,
de patients. Bien qu'en évolution constante, elles mériteraient médicamenteux ou non, se sont révélés insuffisants.
toutefois d'être mieux connues dans le monde médical pour On distingue trois types de techniques neurochirurgi
une utilisation optimale au service des patients douloureux. cales qui peuvent être utilisées pour soulager une douleur
chronique pharmacorésistante :
■ les techniques lésionnelles, qui interrompent la trans
Bibliographie mission du message douloureux en sectionnant les
Kastler Bruno. Radiologie interventionnelle dans le traitement de la dou voies nociceptives (cordotomie antérolatérale, tracto
leur. Paris : Elsevier-Masson ; 2003. tomie pédonculaire, radicotomie, etc.) ou en détruisant
Kastler Bruno. Interventional Radiology in the treatment of pain. H
eidelberg : les présumés générateurs de douleur (DREZotomie,
Springer ; 2007. thalamotomie) ;
■ les techniques de neuromodulation, qui cherchent à
diminuer la douleur en renforçant les mécanismes phy
neurochirurgical
sont fondées sur la stimulation électrique chronique du
système nerveux (stimulation nerveuse périphérique,
stimulation médullaire, stimulation du cortex moteur,
de la douleur chronique etc.) et sont utilisées pour traiter les douleurs chroniques
(durée > 6 mois) neuropathiques ;
Denys Fontaine, Serena Santucci ■ l'analgésie intrathécale, qui consiste à délivrer des anal
gésiques (morphine, ziconotide, etc.) dans le liquide
cérébrospinal à l'aide de pompes ou de dispositifs implan
Résumé
tables, afin d'augmenter leur efficacité et de réduire leurs
Trois types de techniques neurochirurgicales peuvent être effets indésirables sont traitées dans le sous-chapitre 18.1,
utilisées pour soulager une douleur chronique résistant aux « Anesthésie locorégionale et intrathécale ».
traitements : Le choix de la technique chirurgicale sera fondé princi
■ les techniques lésionnelles pour interrompre la trans palement sur l'analyse du type de douleur (douleur neuro
mission des influx douloureux en lésant les voies pathique ou par excès de nociception), du mécanisme
106 Partie 2. Traitements en pratique
à l'origine de la douleur, de l'intégrité ou de l'altération la douleur viscérale, bilatérale ou médiane, elle est générale
fonctionnelle et anatomique du système nerveux et de la ment associée à un taux de complications beaucoup plus
localisation et de l'étendue de la douleur. élevé, en particulier des troubles respiratoires et urinaires.
La cordotomie n'est pas indiquée dans le traitement de la
douleur neuropathique.
Techniques lésionnelles
Les techniques lésionnelles ciblent de manière sélective les Technique
voies nociceptives (figure 18.11). Elles visent à interrompre La cordotomie peut être réalisée soit par une approche ouverte,
spécifiquement la transmission du message nociceptif dans soit par une technique percutanée, moins invasive mais néces
le cas de douleurs par excès de nociception ou à détruire sitant un opérateur expérimenté et limitée à la région cervi
les générateurs de douleur dans le cas de douleurs neuro cale. L'aiguille est introduite latéralement dans l'espace C1-C2
pathiques. Elles permettent de soulager certaines douleurs, sous guidage scanner, sous anesthésie locale [43]. Un produit
avec une topographie limitée, principalement des douleurs de contraste peut être injecté en intrathécal pour accentuer le
liées au cancer, mais également certains cas de douleurs contour de la moelle épinière. Une électrode est ensuite intro
neuropathiques non cancéreuses. duite dans le tractus spinothalamique. La position de l'élec
trode peut être confirmée par la surveillance des impédances
des électrodes et par stimulation peropératoire. Si le placement
Cordotomie est correct, la stimulation entraîne une sensation d'anesthé
Principe et indications sie du côté controlatéral. En cas de placement incorrect, la
La cordotomie consiste à réaliser une lésion du cordon stimulation peut entraîner des mouvements ipsilatéraux liés
antérolatéral de la moelle épinière pour interrompre le trac à la stimulation du faisceau pyramidal. L'électrode est retirée
tus spinothalamique et, par conséquent, la transmission de après réalisation d'une lésion par radiofréquence qui induit
la sensation de douleur (et de la température) dans la partie une analgésie immédiate [43]. La cordotomie microchirur
du corps controlatérale et inférieure à cette lésion. gicale ouverte nécessite une hémilaminectomie pour réaliser
La cordotomie a été décrite pour la première fois par une lésion chirurgicale dans le quadrant antérolatéral de la
Spiller en 1905, après étude d'un patient ayant perdu locale moelle épinière, juste en arrière de la racine antérieure.
ment les sensations de douleur et de température à la suite
d'un tuberculome impliquant le quadrant antérolatéral de Résultats
la moelle épinière. En 1912, Spiller convainc son collègue
Dans les séries historiques, l'efficacité à court terme de
Martin de recréer délibérément cette lésion afin de soulager
la cordotomie était de l'ordre de 54 à 89 %, et 50 % des
un patient souffrant de douleur chronique de la jambe, réa
patients bénéficiaient d'une disparition complète de la
lisant ainsi la toute première cordotomie.
douleur [42–44]. De meilleurs résultats ont été obtenus au
Bien que les premiers résultats aient été décevants, les ten
moyen d'une procédure percutanée guidée par scanner.
tatives ultérieures de cordotomie se sont révélées plus réussies.
Cependant, l'efficacité de la cordotomie diminue souvent
La technique moderne est désormais efficace, et cette procé
avec le temps (taux de succès d'environ 40 % après 5 ans)
dure reste une option importante dans la prise en charge de la
et l'analgésie peut être remplacée par une dysesthésie ou
douleur cancéreuse sévère réfractaire aux opiacés [42].
des douleurs neuropathiques. Pour cette raison, l'utilisation
Les meilleurs candidats à la cordotomie sont les patients
de la cordotomie est généralement réservée aux patients
présentant une douleur nociceptive, sous le dermatome C5,
atteints d'un cancer en phase terminale, et dont l'espérance
secondaire à cancer unilatéral avec, éventuellement, une
de vie est inférieure à 2 ans.
atteinte radiculaire ou plexique (Pancoast-Tobias). Bien que
la cordotomie bilatérale ait été décrite pour le traitement de
Complications
Le taux de complications de la cordotomie est difficile
à estimer, car la plupart des séries sont anciennes et réu
nissent des cas de patients cancéreux dont l'état de santé
général est mauvais. Des taux de mortalité de 6 % ont été
rapportés dans les études préliminaires, mais la mortalité
était inférieure à 1 % dans les procédures percutanées gui
Myélotomie dées par scanner [43]. Les complications les plus fréquem
DREZotomie ment rapportées sont un syndrome de Horner, une faiblesse
du membre inférieur (69 %) ou supérieur (18 %) ipsilatéral,
une rétention urinaire (20 %) et des déficits sensitifs épicri
Cordotomie
tiques (environ 30 %).
La survenue d'une nouvelle douleur controlatérale est
une autre complication fréquente de la cordotomie, pouvant
concerner jusqu'à 62 % des patients. Une telle douleur « en
Figure 18.11 Localisation anatomique des différentes techniques miroir » est souvent transitoire et généralement plus modé
lésionnelles ciblant la moelle épinière utilisées pour le traitement rée et facile à maîtriser que la douleur initiale, mais son
de la douleur. mécanisme exact n'est pas clair.
Chapitre 18. Traitements techniques 107
versus 4 % des patients traités par stimulation médullaire la stimulation médullaire, la stimulation corticale n'est pas
seule [52]. Dans une étude où elle était utilisée seule, la PNfS perçue par le patient (ne surviennent ni contractions ni
a diminué en moyenne l'intensité de la douleur lombaire de paresthésie).
3 points sur l'EVA [53].
Les applications à venir de la PNfS concerneront proba Aspects techniques
blement le traitement des douleurs thoraciques, inguinales Une ou deux électrodes extradurales sont implantées
et faciales post-traumatiques ou postchirurgicales. au niveau du gyrus précentral controlatéral aux dou
leurs et correspondant somatotopiquement à la région
Stimulation du ganglion de la racine douloureuse, et connectées à un générateur sous-cutané
(figure 18.12). Les paramètres de stimulation sont ensuite
dorsale optimisés (fréquence allant de 30 à 90 Hz, amplitude de
Le ganglion de la racine dorsale (dorsal root ganglion 80 % du seuil moteur) en fonction du soulagement de la
[DRG]) joue un rôle clé dans le développement et le main douleur et de la tolérance (en évitant les contractions et les
tien de la douleur neuropathique et des troubles sensitifs, convulsions).
et participe aux phénomènes de sensibilisation périphé
rique et centrale, ce qui en fait une cible intéressante pour Indications et résultats
la neurostimulation. La stimulation du DRG réduit l'activité
La stimulation corticale est indiquée pour les douleurs
anormale des neurones du DRG, diminuant ainsi la douleur
neuropathiques qui ne peuvent pas être traitées par sti
neuropathique.
mulation médullaire, comme les douleurs étendues tou
La technique consiste à implanter une ou plusieurs élec
chant tout un hémicorps (douleurs centrales post-AVC)
trodes percutanées dans l'espace épidural latéral proche du
ou les douleurs localisées au visage (neuropathie trigé
DRG ciblé, à des niveaux allant de T10 à S2 en fonction
minale douloureuse). Cette procédure peut être proposée
du dermatome correspondant à la zone douloureuse. La
dans d'autres indications, telles que les douleurs sous-
stimulation du DRG est principalement indiquée dans les
lésionnelles de la paraplégie, les douleurs secondaires
douleurs neuropathiques chroniques du membre inférieur
à une avulsion du plexus brachial et les douleurs du
ou du tronc, localisées dans quelques territoires radiculaires.
membre fantôme. Dans la littérature, les résultats de plu
La stimulation du DRG semble permettre de mieux soula
sieurs séries de cas (concernant environ 300 patients) ont
ger les zones douloureuses difficiles à traiter par la stimu
rapporté que l'état d'environ la moitié des patients traités
lation médullaire classique telles que les pieds ou la région
dans ces indications par stimulation corticale était amé
inguinale, en induisant des paresthésies dont l'intensité est
lioré de 40 à 50 % [57]. Une étude comparative limitée a
moins variable selon les positions du corps. Dans une étude
rapporté une amélioration modérée mais non significative
de non-infériorité récemment publiée, la stimulation du
de la douleur lorsque le stimulateur était allumé versus
DRG s'est révélée aussi sûre et efficace que la stimulation
éteint [58]. Bien que la stimulation corticale puisse réelle
médullaire pour traiter des douleurs des membres inférieurs
ment aider, parfois de manière spectaculaire, des patients
secondaires à un SDRC [54].
souffrant de douleur extrêmement sévère et pour lesquels
il n'existe pas d'autre solution, le problème principal reste
Stimulation nerveuse occipitale de définir des critères permettant de prédire le résultat
La stimulation périphérique des nerfs grands occipitaux, à l'échelon individuel. La rTMS non invasive du cortex
proposée dans les névralgies occipitales, la migraine chro moteur a été proposée pour sélectionner les patients éli
nique et l'AVF chronique, est abordée dans les chapitres 18.5 gibles à une SMC implantée.
et 26.2.
Stimulation corticale
Principes et mécanismes d'action
La stimulation du cortex moteur, ou stimulation du cortex
précentral, est une technique de neurostimulation qui, pro
posée depuis 1991 par Tsubokawa, se fonde sur les effets
inhibiteurs de la stimulation de la capsule interne sur l'hy
peractivité thalamique dans un modèle de douleur neuro
pathique chez le chat. Cependant, son mécanisme d'action
exact reste flou. Elle agit probablement en renforçant les
mécanismes supraspinaux de modulation de la douleur. Des
études de neuro-imagerie ont montré des modifications de
l'activité cérébrale dans le thalamus, le cingulum antérieur,
le cortex préfrontal et le tronc cérébral au cours de la sti
mulation corticale ou à la suite de son arrêt [55]. D'autres
études suggèrent que la stimulation corticale pourrait agir Figure 18.12 Radiographie latérale du crâne montrant deux
en libérant des opioïdes endogènes [56]. Contrairement à électrodes de stimulation du cortex précentral.
110 Partie 2. Traitements en pratique
ou la stimulation cérébrale profonde. De plus, si la propor nociceptives par le biais d'interneurones inhibiteurs de la
tion de répondeurs à la stimulation cérébrale profonde à substance gélatineuse de Rolando (« gate control theory »
long terme n'est pas très élevée, les quelques patients qui de Melzack et Wall). Il existerait également une inhibition
répondent effectivement peuvent présenter des améliora supraspinale [62], une action sur le métabolisme céré
tions substantielles à long terme, avec des réductions des bral et l'implication d'un mécanisme neuro-hormonal
scores VAS de l'ordre de 50 à 80 %. (libération de GABA et de sérotonine) [63, 64]. Enfin,
un effet sympatholytique justifie l'action vasomotrice de
Complications la stimulation avec une augmentation du débit sanguin
Dans la douleur, les complications chirurgicales de la stimu périphérique.
lation cérébrale profonde sont les mêmes que dans d'autres
indications : hémorragie intracrânienne (2 à 3 %), la plupart
du temps asymptomatique mais potentiellement létale, pro Indications
blèmes liés au matériel (5 %) ou infection (3 à 5 %) [59]. Elles sont actuellement bien codifiées (HAS, mars 2014)
chez des patients présentant des douleurs neuropathiques
Avancées récentes et perspectives chroniques invalidantes :
Dans les années 2000, la stimulation cérébrale profonde ■ syndrome douloureux chronique radiculaire postopéra
rétro-hypothalamique a été proposée pour traiter l'AVF toire persistant depuis au moins un an,
chronique réfractaire, sur la base de résultats de neuro- ■ syndrome douloureux chronique tronculaire (d'origine
imagerie suggérant que le générateur des crises d'AVF se diabétique, zostérienne, traumatique ou chirurgicale)
trouvait dans cette région. Environ 60 % des patients souf persistant depuis au moins un an,
frant d'AVF chronique réfractaire répondent à la stimulation ■ Syndrome régional douloureux complexe de type I (algo
cérébrale profonde (diminution de la fréquence des attaques dystrophie) et II (causalgie) persistant depuis au moins
supérieure à 50 %). six mois,
Très récemment, la stimulation cérébrale profonde du ■ douleur d'origine ischémique, mettant en échec les
CCA dorsal, impliqué dans l'intégration des composants alternatives thérapeutiques secondaires à la maladie de
affectifs et cognitifs de la douleur, a été proposée pour traiter Buerger.
la douleur réfractaire [60]. Quelques patients ainsi traités ont Globalement, l'efficacité analgésique en termes de bons
présenté une légère diminution de l'intensité de la douleur, et excellents résultats est estimée à 70 % à court terme dans
contrastant avec une amélioration significative de la qualité plus de 60 % des cas [65, 66]. Elle permet également une
de vie. Ces patients avaient tendance à rapporter une douleur réinsertion socioprofessionnelle dans de nombreux cas.
toujours présente, mais moins gênante. Cela suggère que la La stimulation médullaire conventionnelle a acquis un
stimulation cérébrale profonde du CCA pourrait moduler niveau de recommandation B (modéré) sur la base de ces
la composante affective de la douleur en réduisant davantage études.
la souffrance que la douleur elle-même. Des études ulté
rieures devront confirmer ces premières observations.
Bilan précédant une stimulation
Cette technique s'inscrit dans un projet thérapeutique
18.4 Stimulation planifié.
La consultation initiale permet de poser l'indication et
Implantation
Mécanisme d'action Le dispositif est composé de plusieurs éléments :
Il est encore mal connu. Initialement, la stimulation élec ■ une sonde de stimulation, ou électrode ;
trique des fibres afférentes myélinisées du système lem ■ le générateur d'impulsions, ou neurostimulateur ;
niscal inhibe la transmission par les fibres amyélinisées ■ une télécommande patient.
112 Partie 2. Traitements en pratique
Tout ou partie de ce matériel est compatible avec une Cette électrode sera reliée dans un premier temps au
IRM, en fonction du modèle utilisé (figure 18.13) L'élec boîtier externe temporaire. La stimulation délivrée va
trode est connectée à la source d'alimentation du système engendrer une sensation de fourmillements « agréables »,
(neurostimulateur). Ce boîtier est de deux types : externe superposables au territoire douloureux. L'amélioration des
(pour la phase de test) ou interne (définitif, implanté sous dispositifs actuellement disponibles permet des réglages « à
la peau). la carte » des paramètres de stimulation.
L'implantation de l'électrode se fait en salle d'opération Puis, le test de stimulation, durant d'une semaine à quinze
sous contrôle radioscopique, selon deux techniques dont le jours, est systématiquement réalisé à domicile.
choix est dicté par l'état de chaque patient (figures 18.14 et L'implantation du stimulateur définitif sera proposée si le
18.15) : test est considéré comme positif, c'est-à-dire si la douleur est
■ soit par voie percutanée, sous anesthésie locale ; suffisamment soulagée. Le patient dispose d'une télécommande
■ soit par voie chirurgicale, sous anesthésie générale. qui lui permet d'adapter lui-même l'intensité de la stimulation.
Figure 18.14 Électrode percutanéeW positionnée en T10-T11 pour douleur radiculaires postopératoires.
Chapitre 18. Traitements techniques 113
Sinon, le matériel implanté sera retiré dans son intégra gâchette à la palpation de l'émergence du nerf occipital est
lité, en conditions chirurgicales, la technique étant totale fréquemment observée. L'examen neurologique est nor
ment réversible. mal, en dehors des anomalies subjectives (dysesthésie ou
hypoesthésie affectant une partie du cuir chevelu). Entre
les crises, il existe parfois une persistance de maux de tête
Complications sourds aux caractéristiques variables.
En termes cliniques, il est donc souvent difficile de tran
Les complications sont rares mais doivent être reconnues cher entre une névralgie occipitale vieillie et une névralgie
précocement et traitées [66, 67] : cervicogénique. Le traitement par stimulation occipitale
■ les infections interviennent dans 5 à 12 % des cas, néces sera efficace dans les deux cas.
sitant la mise en œuvre d'une antibiothérapie adaptée et,
éventuellement, l'ablation du matériel ;
■ le déplacement de l'électrode intervient dans 15 à 30 % Anatomie et physiopathologie
des cas, révélé par la modification de la sensation perçue
par le patient. Il faut alors essayer une nouvelle program Anatomie
mation de l'électrode ou, en cas d'échec, un repositionne L'anatomie des nerfs occipitaux comprend trois nerfs : le nerf
ment de celle-ci ; grand occipital (nerf d'Arnold, émanant des racines C2 et
■ le dysfonctionnement du matériel, plus rare ; C3), le nerf petit occipital (émanant de la racine C2) et le troi
■ un hématome extradural, exceptionnel, qui impose une sième nerf occipital (à partir de la racine C3). Le trajet du nerf
reprise chirurgicale. occipital majeur est formé par le ramus dorsalis de la racine
nerveuse C2. D'abord profond, il devient superficiel après
avoir perforé l'aponévrose du muscle trapèze (figure 18.16).
Conclusion
Les techniques de neuromodulation deviennent prioritaires Physiopathologie
dans la prise en charge chirurgicale des patients douloureux
Il existe diverses causes possibles d'irritations du nerf occipi
chroniques. La stimulation médullaire a l'avantage d'être
tal (vasculaires, neurogènes, musculaires et ostéogéniques.)
peu agressive, totalement réversible et sans effet indésirable
L'étiologie varie selon les cas. La névralgie d'Arnold
à long terme. Mais les résultats escomptés sont étroitement
peut être secondaire : post-traumatique, compressive
liés à la qualité de l'évaluation et au soutien psychothérapeu
(arthrose C1-C2, inflammation dans un contexte de poly
tique qui peut être prolongé.
arthrite rhumatoïde ou spondylarthropathie, ligamen
tomusculaire, vasculaire ou tumorale), postchirurgicale
(traitement de la malformation de Chiari, chirurgie de la
colonne cervicale avec une approche postérieure, chirur
18.5 Stimulation gie de la fosse postérieure). Mais, parfois, aucune cause
n'est formellement mise en évidence et la névralgie occi
des nerfs occipitaux pitale est qualifiée d'idiopathique.
Sylvie Raoul
Introduction
La névralgie occipitale, également appelée névralgie
d'Arnold, est une pathologie qui survient chez 0,1 à 4,7 %
des patients atteints de céphalée [68]. Elle est définie par
l'International Headache Society (IHS) comme une douleur
paroxystique, durant de quelques secondes à minutes, com
mençant dans la région occipitale avant de rayonner sur
l'ensemble du nerf grand occipital (nerf d'Arnold, émanant
des racines C2 et C3), du nerf petit occipital (émanant de
la racine C2) ou du troisième nerf occipital (à partir de
la racine C3) [69]. Ces attaques sont parfois déclenchées
par le froid ou par des mouvements cervicaux. Une zone Figure 18.16 Anatomie des nerfs occipitaux.
114 Partie 2. Traitements en pratique
Évaluation de la maladie
Électrode chirurgicale plate versus
Les patients qui souffrent de névralgie occipitale réfrac
taire, selon les critères de l'IHS, seront candidats à une sti électrode ronde percutanée
mulation occipitale. C'est un critère majeur pour avoir des Les électrodes percutanées peuvent être insérées via une inci
études homogènes, mais ce n'est pas suffisant. Les névralgies sion rétromastoïdienne ou une approche sur la ligne médiane.
occipitales doivent être réfractaires au traitement médical L'approche rétromastoïdienne peut être utilisée pour une
(association de molécules neuropathiques tels que des antié approche uni- ou bilatérale. Plusieurs auteurs ont décrit
pileptiques, des antidépresseurs et des antalgiques comme une approche rétromastoïdienne de l'électrode : Weiner et
le paracétamol, le tramadol ou la morphine) et à la rhizo Reed [85], Melvin et al. [87], Slavin et al. [88], Oh et al. [89],
lyse par radiofréquence ou par infiltration de corticosté Kapural [90] et Johnstone et Sundaraj [91] ont décrit l'im
roïdes de C2. La névralgie doit être chronique (durée de la plantation de la sonde au moyen d'une approche médiane.
maladie supérieure à six mois). La douleur peut être uni- Slavin a utilisé les deux approches : latérale en cas de névral
ou bilatérale. Une IRM rachidienne et crânienne doit être gie occipitale unilatérale et médiane en cas de névralgie
réalisée pour éliminer une névralgie nécessitant un traite occipitale bilatérale.
ment chirurgical (tumeurs, anévrismes, instabilité de la Dans notre série, nous utilisons des sondes percutanées et
colonne vertébrale, etc.). L'indication doit être posée après chirurgicales, suivant les deux approches, comme Slavin [88].
une concertation multidisciplinaire (chirurgien, algologue, L'électrode plate chirurgicale, nous semblant mieux
psychiatre). fixée, plus stable, peut éviter certains effets indésirables
tels qu'une migration et une rupture de sonde ; mais l'in
convénient de cette électrode est la dissection des tissus
Évaluation clinique et psychosociale environnants. L'aiguille des électrodes percutanées est
préopératoire courbée pour épouser la forme de la région occipitale, mais
Cette évaluation est essentielle avant d'envisager toute pro ce procédé est imparfait, car la courbure de la région occi
cédure invasive pour le traitement de la douleur, afin de pitale n'est pas uniforme. C'est le défi majeur de la future
sélectionner les meilleurs candidats pour ces techniques, électrode : la flexibilité et l'adaptation à la région occipitale
d'informer le patient des éventuels bénéfices et de limiter ses (figure 18.17).
attentes à l'égard d'un traitement miracle. Cette évaluation doit
confirmer le caractère réfractaire de la douleur neuropathique,
identifier la présence de comorbidités physiques douloureuses. Anesthésie locale versus anesthésie
Enfin, la chirurgie fonctionnelle ne doit pas être envisagée si le générale
patient a une espérance de vie supérieure à six mois. Weiner et Reed ont décrit le placement des électrodes
Une évaluation psychologique ou psychiatrique appro sous anesthésie locale [85]. L'anesthésie locale a pour
fondie est très importante tout choix d'une technique avantage de pouvoir tester le positionnement correct
d'intervention. de l'électrode recouvrant le territoire douloureux par
Chapitre 18. Traitements techniques 115
A B C
Figure 18.17 Vision aux rayons X et scan 3D d'électrodes occipitales (A–C).
la paresthésie. Cependant, les médecins expérimen tion de la stimulation : elle est passée de 8,35 en préopératoire
tés effectuent maintenant la procédure sous anesthésie à 2,32 en postopératoire. La série d'Abhinav et al. est particu
générale [84, 88, 92, 93]. lièrement impressionnante, faisant état de nombreux patients
libres de douleur [95]. Les résultats semblent être maintenus à
long terme. L'étude de Weiner et Reed [85] a eu le suivi le plus
Fluoroscopie seule ou fluoroscopie important, durant en moyenne 2 ans, allant de 1,5 à 5,5 ans.
et échographie
Une étude rétrospective, portant sur 21 patients avec
53 électrodes, a été publiée à ce sujet [94]. Les patients Échecs de test
étaient atteints d'une névralgie occipitale réfractaire Certains patients n'ont pas pu recevoir d'électrodes, en
pour laquelle une indication de stimulation occipi raison de l'échec de la phase test : ils étaient 3 sur 14 dans
tale avait été retenue. L'objectif de cette étude était de l'étude menée par Melvin et al. [87], 4 sur 14 dans l'étude
comparer deux groupes : les patients avec stimulation menée par Slavin et al. [88], et 1 sur 8 dans l'étude menée
occipitale placée sous fluoroscopie, et les patients avec par Johnstone [91]. Nous n'avons pas ce problème car nous
stimulation occipitale placée avec échographie et fluo utilisons la TENS pour présélectionner les patients [97].
roscopie. Il n'y avait pas de différences statistiques entre Nous avons rasé le patient ou utilisé le kit Arnold afin d'ef
les deux groupes. Cependant, il pourrait être utile d'uti fectuer la TENS. À tous les patients qui ont une réduction de
liser l'échographie pour évaluer la profondeur de l'élec la douleur de plus de 30 % avec la TENS sera administrée une
trode. La stimulation sous-cutanée n'est efficace que stimulation occipitale en une seule étape (électrode et stimu
si elle est bien située, à la jonction derme-hypoderme ; lateur en un seul temps). Les patients avec TENS négative ont
sinon, il existe un risque de stimulation des muscles avec eu un essai avec une sonde percutanée Si le test était positif, le
des contractures et des sensations désagréables. La sti générateur était implanté ; sinon, l'électrode était retirée.
mulation ne doit pas être trop superficielle non plus car
l'électrode présente sinon un risque d'érosion cutanée
(figures 18.18, 18.19 et 18.20). Complications
Les complications comprenaient la migration de l'électrode,
l'infection, la réaction allergique et la douleur au cou ou sur
Résultats et complications le site du générateur d'impulsions. Le taux de complications
varie de 0 % [95] à 33 % [96].
Résultats (tableau 18.1) Le dysfonctionnement de l'électrode (électrode cassée ou
La stimulation occipitale est un traitement efficace contre déconnectée) est uniquement survenu (1 cas sur 136) dans
les névralgies occipitales réfractaires. Tous les articles et l'étude menée par Melvin et al. [87].
revues fournissent des preuves de niveau III. L'OMS fournit Une infection est retrouvée dans 5,3 % des cas. Selon les
de bons résultats dans les cas de névralgie occipitale et de séries, le taux d'infections se situe entre 0 et 29 %. Aucun
céphalée cervicogénique (environ 80 % des patients ont une consensus n'est formellement établi pour éviter les infections.
amélioration) [85–89, 91, 95, 96]. L'étude des procédures d'implantation de Bendel [99, 100],
Notre série est la plus grande série mondiale. L'EVA sur 2737 stimulations médullaires, a permis d'identifier toutes
moyenne a diminué de façon spectaculaire après l'implanta les procédures compliquées par une infection (2,45 %).
116 Partie 2. Traitements en pratique
Tens Électrode
2 6
5
7 8
3 4
Figure 18.18 Stimulation transcutanée pour le TENS, profonde dermique à proximité des nerfs pour l'électrode implantée. (1) Sens des
cheveux ; (2) sens du toucher ; (3) sens épicritique ; (4) sens de la pression ; (5) sens thermique ; (6) épaisseur ; (7) douleur ; (8) sens protopathique.
Épiderme
Derme
Nerfs et vaisseaux
sanguins
sous-cutanés
Conclusion
L'efficacité de la stimulation occipitale dans les névralgies
occipitales et cervicogènes semble indéniable, au vu des
résultats rapportés dans la littérature. C'est une technique
simple, réversible et peu invasive, avec peu de complica
tions. La majorité des complications est liée à la migra
tion des électrodes et à l'infection. Il peut être évité avec
un nouveau design d'électrodes cylindriques. Des études
prospectives sont nécessaires pour évaluer ces résultats.
Bibliographie
Oh M, Whiting D. Minimally invasive peripheral nerve stimulation for the
treatment of occipital neuralgia. Pain Section Newsletter : CNS Mee
ting ; October 1999.
Rodrigo-Royo MD, Azcona JM, Quero J, Lorente MC, Acín P, Azcona J.
Peripheral neurostimulation in the management of cervicogenic hea
Figure 18.20 Repérage échographique des nerfs occipitaux. dache : four case reports. Neuromodulation. 2005 Oct ; 8(4) : 241–8.
Chapitre 18. Traitements techniques 117
Tableau 18.1 Résumé des études portant sur des patients atteints de névralgie occipitale.
Étude Type Implantations Suivi Réduction de Paddle or Middle Année
d'étude (n) (mois) la douleur percutaneous lead or lateral
(% ou EVA) approach
Abhinav [95] ER 4 6–18 9à0 paddle midline 2013
Palmisani [96] ER 3 28–31 ≥ 50 % percutaneous Not none 2013
Magown [98] EP 7 2–30 96 % paddle midline 2009
Melvin[87] EP 11 3 67 % percutaneous both 2007
Johnstone [91] Aucun 8 6–47 ≥ 50 % paddle midline 2006
Slavin [88] ER 14 5–32 60 à 90 % percutaneous both 2006
Kapural [90] EP 6 3 8,66 à 2,5 paddle midline 2005
Oh [89] ER 10 6 ≥ 70 % paddle lateral 2004
Weiner [85] ER 13 18–66 ≥ 50 % percutaneous lateral 1999
Raoul, non publiée ER 60 3–72 8,35 à 2,32 Paddle and both Soumis pour
(72,2 %) percutaneous publication en 2018
ER : étude rétrospective ; EP : étude prospective.
de stimulation cérébrale
courant électrique selon le principe d'induction électro
magnétique de Faraday. La TMS réalise donc en fait une
stimulation électrique du cerveau, générant des poten
pour contrôler tiels d'action au niveau des circuits neuronaux activés
dans le champ de la stimulation. Ce champ devient prati
la douleur : rTMS quement nul au-delà, à quelques centimètres de distance
de la bobine. Cela présente l'avantage de pouvoir utiliser
Jean-Pascal Lefaucheur la TMS dans un environnement non contrôlé sur le plan
électromagnétique (contrairement à l'IRM). Mais l'incon
Les premières machines de stimulation magnétique trans vénient est que la TMS ne permet qu'une stimulation des
crânienne (transcranial magnetic stimulation [TMS]) des fibres les plus superficielles du cortex cérébral et non des
tinées à stimuler le cortex cérébral chez l'homme ont été structures sous-corticales ou cérébrales profondes.
mises au point au milieu des années 1980 par Barker, de
l'université de Sheffield [101]. La TMS est un outil de sti
mulation cérébrale non invasive, permettant l'exploration Protocoles de rTMS
diagnostique (technique des potentiels évoqués moteurs Dans les années 1990, ont été conçus les premiers appareils
évaluant les conductions sur les voies pyramidales) et des de rTMS, permettant de délivrer plusieurs stimulations par
études fonctionnelles de l'activité cérébrale (excitabilité et seconde, jusqu'à environ 50 Hz, actuellement. Il existe dif
cartographie des circuits moteurs corticaux). Enfin, grâce au férents protocoles de stimulation, les plus fréquents étant
développement de stimulateurs permettant de délivrer des une stimulation tonique à 1 Hz, dite « à basse fréquence »,
trains de stimulation à différentes fréquences, la voie a été censée plutôt inhiber l'activité cérébrale, et une stimulation
ouverte aux applications thérapeutiques de la stimulation par trains, quelques secondes à 10 ou 20 Hz, dite « à haute
magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) en neurologie fréquence », censée plutôt exciter l'activité cérébrale [102].
et en psychiatrie [102, 103]. Dans tous les cas, les séances de stimulation durent de 15
à 30 minutes maximum et, pour obtenir un effet théra
Quelques principes peutique, elles doivent être répétées tous les jours pendant
une à deux semaines (du lundi au vendredi). Ensuite, les
Le principe de la TMS est lié à la décharge d'un courant séances « d'entretien » peuvent être plus espacées, une fois
de très haute intensité (plusieurs milliers d'ampères) dans par semaine, puis toutes les deux semaines, puis tous les
un intervalle de temps très court (quelques dizaines de mois, en fonction de la persistance de l'amélioration cli
microsecondes) à travers une bobine de fil de cuivre, nique. En effet, tout l'intérêt de la rTMS est de produire des
générant de ce fait un champ magnétique de haute éner changements d'activité cérébrale qui perdurent bien au-delà
gie (2 à 2,5 teslas) et de brève durée (moins d'une mil du temps de la stimulation, grâce à l'induction du processus
liseconde). Si la bobine est posée sur le scalp, le champ de plasticité cérébrale. Aussi, si les patients répondent au
magnétique produit franchit la boîte crânienne et atteint traitement « d'induction » des premières semaines, il n'est
le cortex cérébral sans atténuation (contrairement aux sti besoin d'effectuer par la suite que des séances plus espacées
mulations électriques qui sont fortement atténuées par le pour maintenir l'effet clinique.
118 Partie 2. Traitements en pratique
Perspectives
Diverses avancées techniques pourraient améliorer l'effica
cité de la stimulation, comme l'utilisation d'un système de
« neuronavigation » intégrant les données d'IRM cérébrale
morphologique ou fonctionnelle des patients, ce qui per
met d'optimiser le repositionnement de la bobine sur une
même cible lors des séances successives [106] (figure 18.22).
Ensuite, d'autres cibles corticales (préfrontales, insulaires)
sont en cours d'évaluation, utilisant notamment de nou
velles bobines aux designs spécifiques, tout comme d'autres
techniques de stimulation corticale non invasive, telle la
stimulation électrique transcrânienne à courant continu
(transcranial direct current stimulation [tDCS]) [106]. Ces
deux méthodes, rTMS et tDCS, qui n'ont pas les mêmes
mécanismes d'action au niveau des fibres nerveuses (effets
Figure 18.21 Intérieur d'une bobine de stimulation et visualisation de stimulation et de polarisation, respectivement), pour
du champ induit au niveau cortical. raient toutefois avoir des effets antalgiques similaires.
Chapitre 18. Traitements techniques 119
Principes de la TENS
La TENS peut contrôler la douleur par une stimulation,
à travers la peau, à des intensités bien tolérées et auto-
administrée par le patient, ce qui inhibe la transmission du
message au niveau de la CPME (contrôle de porte). Elle peut
aussi renforcer le contrôle opioïde, ce qui explique l'effet
poststimulation et la possibilité d'une tolérance croisée si
les patients sont traités par opiacés. D'autres mécanismes
sont évoqués, comme la mise en action du contrôle inhibi
teur diffus (courants de haute intensité et haute fréquence),
une action plus périphérique ainsi que la participation du
système sympathique. Enfin, l'effet placebo participe égale
ment à l'effet antalgique [111].
Figure 18.22 Séance de rTMS utilisant un système de neurona-
vigation.
Composition de la TENS
La TENS est composé d'un générateur électrique,
autoalimenté par une pile ou une batterie rechargeable
Recommandations (figures 18.23 et 18.24), ce qui autorise la délivrance en
Le niveau de preuve apparaît suffisant pour pouvoir ambulatoire de courants à partir d'électrodes en élastomère
conclure à une efficacité antalgique de la rTMS à haute siliconé, conductrices, hypoallergiques, souples et de taille
fréquence du cortex moteur dans les douleurs neuropa variant de 1 cm2 à 160 cm2, fixées sur la peau du patient et
thiques localisées ou la fibromyalgie [103, 106]. Des études reliées au générateur par des câbles flexibles (figure 18.25).
multicentriques internationales portant sur de larges
populations restent nécessaires pour confirmer les modali
tés d'application thérapeutique de la rTMS dans la pratique
clinique et mieux définir les indications et les protocoles
de stimulation à utiliser chez les patients douloureux
chroniques.
18.7 Neurostimulation
transcutanée
Marie-Louise Navez, Valérie Beauvieux
La TENS est une méthode d'analgésie non médicamenteuse
par administration d'un courant électrique par voie transcu
tanée réalisée à l'aide d'un stimulateur relié à des électrodes
appliquées sur la peau.
L'effet thérapeutique pourrait être fondé sur plusieurs
mécanismes de contrôle de la douleur, dont deux principaux :
■ le premier, appelé contrôle de la porte (gate control),
décrit par Wall et Melzak en 1965, suggère une inhibi
tion de la transmission du message nociceptif par la sti
mulation des grosses fibres myélinisées du tact et de la
proprioception ;
■ le deuxième concerne le renforcement du contrôle
opioïde, avec le relargage de substances opioïdes endo
gènes (endorphines) lors de la stimulation en mode acu
punctural [111]. Figure 18.23 Appareil TENS.
120 Partie 2. Traitements en pratique
Paramètres de stimulation
Plusieurs paramètres de stimulation sont proposés et Impératifs de stimulation
varient en fonction de la fréquence des impulsions Certains impératifs de stimulation sont à respecter et condi
(1 Hz à 100 HZ), de l'intensité du courant électrique tionnent l'efficacité de la technique, comme la présence
(0–50 mA), de la largeur de l'impulsion (0,1 à 0,5 ms) d'un nombre suffisant de fibres myélinisées à stimuler, le
(figure 18.26). On peut globalement retenir deux modes fait de préférer les fibres superficielles, plus accessibles à
de stimulation. la stimulation, la présence, pour les courants hautes fré
quences, de paresthésies localisées et à des niveaux d'inten
Mode haute fréquence sité inférieurs au seuil douloureux. Aucune différence n'est
Le mode haute fréquence, ou TENS conventionnelle rapportée entre les courants de modulation fixe et les cou
(contrôle de porte ou C-TENS), associe une stimulation rants de modulation variable, même s'ils sont de pratique
continue en haute fréquence (80–100 Hz) avec des largeurs courante.
Chapitre 18. Traitements techniques 121
Tableau 18.2 Tableau de correspondance sécrétions d'endorphines), à la fois sur la douleur lombaire
entre TENS éco et CEFAR PRIMO PRO. et la douleur radiculaire. La TENS est très largement pres
crite dans ces situations. [112, 113].
Programme TENS ECO CEFAR PRIMO PRO
L'évaluation de la TENS dans la douleur neuropathique
Gate Control 100 Hz P1 P1 ou souffre de biais méthodologiques, cependant elle a été
programmation classée avec un niveau de preuve 2, grade B (présomption
Gate Control 80 Hz P2 P1 scientifique), sans qu'ait été précisé le mode de stimulation
Endorphinique 2 Hz P3 P2
le plus opérant [114].
De nombreuses autres indications, sans preuves for
Gate control modulé en Pas P3
melles, sont de pratique courante : cervicalgie, fibromyalgie,
largeur d'impulsion (70–180 d'équivalent
μs)
douleur neuropathique du cancer, SDRC, douleur aiguë
postopératoire (figure 18.27).
Gate control (canal 1 : 80 Hz) P4 P1 (canal 1)
Dans tous les cas, la TENS est proposée comme alter
Endorphinique (canal 2 : 2 Hz) P2 (canal2)
native ou en complément d'un traitement médicamenteux
TENS séquentiel : 10 min. P5 P1 (10 min.) + dont l'efficacité est réduite et qui est mal toléré (HAS, 2009).
Gate control 100 HZ + 20 min. P2 (20 min.) L'essai préalable avant prescription et la location per
endorphinique 2 Hz
mettent d'identifier les patients répondeurs et motivés pour
TENS zones sensibles (largeur Pas P4 une autoprise en charge. Elle peut, dans certains cas, être
d'impulsion 60 μs) d'équivalent envisagée dans l'attente d'une neurostimulation implantable.
Stimulation HAN : 100 Hz P6 P5 Des TENS adaptées à la céphalée sont proposées avec une
+ 2 Hz alterné toutes les efficacité modeste en prophylaxie. Des neurostimulateurs
3 secondes proposant une stimulation vagale à partir d'une électrode
Traitement des nausées : Pas P6 auriculaire sont en cours de validation pour les migraines et
10 Hz d'équivalent les douleurs coliques et pelviennes. Les TENS dites connec
TENS burst 2 Hz P7 P2 tées, qui se développent, ont l'avantage d'une meilleure fonc
TENS modulation 2 à 80 Hz P8 P5
tionnalité et autonomie. Elles permettent l'enregistrement
automatique des séances, avec une évaluation en continu,
Excito-moteur P9 Pas d'équivalent un contrôle on line du traitement et son adaptation par le
Gate control 80 Hz dynamic P10 P7 professionnel de santé.
lent (massage) Les conditions de prescription et d'utilisation (HAS,
Gate control 80 Hz dynamic P11 P7 2009) sont les suivantes : prescription par un médecin avec
rapide (frottements) une compétence universitaire douleur, essai pendant six
TENS haute fréquence P12 P1 mois avec un appareil loué, achat au-delà, si le test d'effica
cité est positif. Quatre paires d'électrodes sont remboursées
tous les mois.
Apprentissage
La période d'apprentissage est fondamentale pour mettre le
patient en confiance, trouver avec lui le mode de stimula
tion adéquat et lui permettre une participation active à son
traitement.
Contre-indications
Les contre-indications sont la stimulation sur peau lésée,
désensibilisée ou hyperalgésique, le pacemaker, du fait d'un
risque d'interférences, la stimulation au niveau des sinus
carotidiens. Les effets indésirables sont faibles, essentielle
ment des effets cutanés irritatifs ou allergiques. La prudence
est de mise chez les patients épileptiques, les électrophobes,
la femme enceinte (éviter l'abdomen et utiliser seulement les
programmes contrôle de porte).
Indications de la TENS
Les indications de la TENS sont très larges.
L'intérêt de la TENS dans la lombalgie et la lombosciatal
gie chronique a fait l'objet de nombreuses études dont une,
multicentrique et randomisée, versus placebo, a rapporté
l'efficacité de programmes mixtes (contrôle de porte et Figure 18.27 TENS et névralgie cervico-brachiale.
122 Partie 2. Traitements en pratique
Acupuncture [115] [14] Behar M, Magora F, Olshwang D, Davidson JT. Epidural morphine in
treatment of pain. Lancet 1979 ; 1 : 527–9.
L'acupuncture est utilisée depuis plus de 2 000 ans en Chine [15] Onofrio BM, Yaksh TL, Arnold PG. Continuous low-dose intrathecal
et n'a été introduite en Europe qu'au xviie siècle. Malgré les morphine administration in the treatment of chronic pain of mali
progrès de la science, il est actuellement toujours difficile d'en gnant origin. Mayo Clin Proc 1981 ; 56 : 516–20.
comprendre le mécanisme. Toutefois, l'IRM fonctionnelle [16] Melzack R, Wall PD. Pain mechanisms : a new theory. Science 1965 ;
150 : 971–9.
apporte quelques éléments de réponse en montrant une pro
[17] Atweh SF, Kuhar MJ. Autoradiographic localization of opiate receptors in
bable activation des aires cérébrales impliquées dans la régula rat brain. I. Spinal cord and lower medulla. Brain Res 1977 ; 124 : 53–67.
tion de la douleur. Chez le douloureux chronique, il existe une [18] Bernards CM. Understanding the physiology and pharmacology of
hyperactivation des zones cérébrales de la matrice douleur, et epidural and intrathecal opioids. Best Pract Res Clin Anaesthesiol
l'acupuncture aurait un rôle dans la modulation de la douleur et 2002 ; 16 : 489–505.
dans la restauration de la connectivité fonctionnelle cérébrale. [19] Tangen KM, Leval R, Mehta AI, Linninger AA. Computational and
En pratique, on retiendra la méta-analyse publiée dans In Vitro Experimental Investigation of Intrathecal Drug Distribution :
The Cochrane Database of Systematic Reviews en 2016, com Parametric Study of the Effect of Injection Volume, Cerebrospinal
parant l'acupuncture aux traitements occidentaux conven Fluid Pulsatility, and Drug Uptake. Anesth Analg 2017 ; 124 : 1686–96.
tionnels chez les migraineux, qui rapportait une efficacité [20] Hettiarachchi HD, Hsu Y, Harris Jr. TJ, Penn R, Linninger AA. The
effect of pulsatile flow on intrathecal drug delivery in the spinal canal.
comparable sur la diminution de la fréquence des crises de
Ann Biomed Eng 2011 ; 39 : 2592–602.
migraine et avec moins d'effets indésirables. [21] Stearns L, Boortz-Marx R, Du Pen S, Friehs G, Gordon M, Halyard M,
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656–65.
Chapitre
19
Effet placebo
Denis Baylot
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Données neurobiologiques . . . . . . . . . . . . . . . 128
Données cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Conséquences de l'effet placebo sur les études
L'effet du conditionnement cliniques et notre pratique . . . . . . . . . . . . . . . . 128
et de l'apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Conclusion : ce que le praticien retiendra . . . 129
retrouve de lien entre l'effet du placebo et l'anticipation, le La médiation opioïde est documentée par l'annulation de
conditionnement et la peur avant la stimulation. Il a aussi l'effet placebo lors de l'administration de naloxone (1978).
été montré que, après un conditionnement lumineux, on En utilisant une technique d'imagerie moléculaire, sur un
retrouve un effet du placebo après présentation infralimi- modèle de douleur expérimentale, Zubieta et al. démontrent
nale du même stimulus lumineux. On peut donc obtenir un une activation du système opioïde endogène à l'origine de
effet placebo sans interaction consciente, par un mécanisme la réponse placebo avec un effet graduel. Les régions céré-
de conditionnement « caché » distinct du conditionnement brales spécifiquement activées sont le cortex préfrontal, le
habituel. gyrus cingulaire antérieur, l'insula et le noyau accumbens.
Par ailleurs, après un conditionnement renforcé (modèle Une corrélation entre l'activation du gyrus cingulaire
de la crème antalgique), l'effet antalgique du placebo per- antérieur et la SGPA est montrée.
siste après la révélation au sujet du caractère neutre de la L'activation du système de récompense à médiation
crème. Le conditionnement persiste alors que la vraie nature dopaminergique renforce l'effet placebo lors de l'attente d'un
de la manipulation est révélée. effet favorable. Lors de l'analgésie placebo, on retrouve une
Conditionnement et anticipation d'un effet favorable augmentation de l'activité des récepteurs dopaminergiques
interviennent donc comme des éléments déterminants dans (associés avec des récepteurs ?) dans le noyau accumbens
l'effet placebo, mais ne l'expliquent pas isolément. Des élé- (diminution en cas de nocebo).
ments préconscients et des processus conceptuels en lien Durant la période d'attente d'un effet favorable, avant
avec des expériences antérieures attribuant un effet positif même sa survenue, on constate une sécrétion accrue de
plausible à une injonction thérapeutique interviennent très dopamine proportionnelle à l'importance de cet effet. En
probablement [2]. comparant l'activation du noyau accumbens en IRM fonc-
La relation sociale est aussi un facteur renforçant la tionnelle dans le cadre d'une récompense financière et la
réponse placebo. Expérimentalement, l'observation d'un réponse placebo sur un modèle de douleur expérimentale en
soulagement mimé par un comédien renforce l'efficacité du TEP-scan, on retrouve une corrélation graduelle entre l'acti-
placebo, appliqué ensuite au sujet observant. vation du système de la récompense et la réponse placebo.
La question du placebo ouvert (open placebo), cas où le L'analyse de la réponse dopaminergique et opioïdergique,
patient est averti du caractère inactif de la thérapeutique, par la technique de la TEP, montre que le placebo active le
interroge sur la nécessité ou non de dissimuler au patient la système opioïdergique dans le gyrus cingulaire antérieur, l'in-
nature exacte du produit pour avoir un effet placebo optimal. sula et le cortex orbitofrontal, le noyau accumbens, l'amyg-
Dans différents modèles cliniques (côlon irritable, rhinite dale et la SGPA, et que l'activation dopaminergique concerne
allergique et lombalgie chronique), l'administration d'un les noyaux ventraux de la base, dont le noyau accumbens. Les
placebo en ouvert a montré un effet favorable sur les dou- deux systèmes sont donc associés à la fois durant la période
leurs et les capacités fonctionnelles. La divulgation de l'effet d'anticipation et dans la phase effective du placebo [1].
inerte du médicament n'est donc pas indispensable pour la
réalisation de l'effet placebo.
Conséquences de l'effet placebo
Données neurobiologiques sur les études cliniques et notre
pratique
L'effet placebo ne peut pas être expliqué par un mécanisme
neuro- ou psychobiologique simple. La réponse placebo, où Dans les études cliniques, le produit testé est généralement
le SNC convertit la prise d'un médicament factice en une évalué contre un placebo reçu par un autre groupe de
modification physiologique dans le corps et le cerveau, patient. Il se peut que l'effet pharmacologique soit favorable
passe par la mise en jeu de l'activation de zones cérébrales pour le symptôme, mais que l'effet placebo masque cette
spécifiques et d'un système de neurotransmetteurs. efficacité. D'autres modèles sont peut-être à concevoir,
Les structures cérébrales impliquées lors de l'effet pla- comme l'évaluation de l'efficacité d'un antalgique sur la
cebo ont été mises en évidence par l'IRM fonctionnelle, le réponse en IRM fonctionnelle d'un signal cérébral de
TEP-scan et le marquage de récepteurs. Elles concernent structures connues pour être impliquées dans la douleur.
essentiellement le lobe préfrontal et témoignent de l'activité Dans notre pratique clinique, l'utilisation d'un placebo
de l'effet placebo sur le network de la douleur. Un fort effet peut poser des questions éthiques évidentes. La « mise
placebo entraîne une extinction du réseau neuronal gérant à l'épreuve » d'un patient avec un placebo est plus que
la douleur. condamnable. L'étiquette de « simulateur » facilement
Lorsqu'il y a une déconnexion entre le lobe frontal et le apposée à un patient répondeur au placebo trouve ici toute
reste du cerveau (réalisée par RTMs ou constatée dans la sa limite, et nous interroge quant à l'interrelation entre le
maladie d'Alzheimer), l'effet du placebo s'éteint. patient, le médecin et le cerveau.
Un lien existe également entre la commande frontale L'effet placebo est donc partie prenante dans tout effet
(gyrus cingulaire antérieur et cortex préfrontal dorsolatéral) et thérapeutique. La prédiction de la capacité d'un individu à
l'activation de la SGPA et les noyaux du tronc cérébral (bulbe moduler une réponse physiologique en lien avec une injonc-
rpstrp-ventromédial [RVM] et locus coeruleus) modulant tion thérapeutique est soumise à différents facteurs comme
l'activité de la CPME par les voies descendantes inhibitrices. la mobilisation de ressources internes liées au changement
La neuromédiation fait intervenir des mécanismes opioï- (sous-tendue par la neurobiologie). Le lien construit au cours
dergiques et dopaminergiques. du parcours du patient entre une injonction thérapeutique et
Chapitre 19. Effet placebo 129
l'attribution d'un effet favorable sur la santé est certainement gnant dans le but d'une véritable ETP (vécu, consignes don-
central dans l'efficacité du traitement. Cela nous questionne nées et comprises par le patient).
quant à ce qu'est réellement le médicament et, surtout, la Nous garderons toujours à l'esprit que le placebo pose des
façon de l'administrer. De multiples paramètres (éléments questions éthiques évidentes et que la réponse au placebo ne
historiques, mnésiques et émotionnels) interviennent. Ren- veut pas dire simulation.
forcer l'effet d'attente favorable du patient est certainement un
moyen de mieux soulager, avec moins de médicaments.
Références
Conclusion : ce que le praticien [1] Enck P, Benedetti F, Schedlowski M. New insights into the placebo
and nocebo responses. Neuron 2008 ; 59 : 195–206.
retiendra [2] Geuter S, Koban L, Wager TD. The Cognitive Neuroscience of Pla-
Contrairement à ce que l'on peut penser, le placebo est tout cebo Effects : Concepts, Predictions, and Physiology. Annu Rev Neu-
rosci 2017 ; 40 : 167–88.
sauf inerte : il est fait de mots, de rituels, de symboliques et
de significations positives.
Renforcer l'effet placebo, dans notre pratique de soins,
est essentiel, car il est un témoin de la qualité de la relation Bibliographie
thérapeutique entre le patient et le soignant. Cela passe par Benedetti F, Carlino E, Pollo A. How placebos change the patient's brain.
une écoute empathique, une incitation à l'attente d'un effet Neuropsychopharmacology 2011 ; 36 : 339–54.
favorable, la mise en perspective des expériences antérieures Wager TD, Atlas LY. The neuroscience of placebo effects : connecting context,
positives, un travail sur les instructions données par le soi- learning and health. Nat Rev Neurosci 2015 ; 16 : 403–18.
Chapitre
20
Douleurs neuropathiques
Grégory Tosti, Nadine Attal
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut retenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Classification des douleurs neuropathiques . . 135
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
Diagnostic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Sémiologie
Description
Les douleurs neuropathiques se distinguent de la
Définition majorité des douleurs dites « nociceptives inflamma-
La douleur neuropathique est une douleur résultant directe toires » mais aussi des douleurs dites « dysfonction-
ment d'une maladie ou d'une lésion du système soma- nelles » ou « nociplastiques », comme les douleurs de la
tosensoriel [2]. La référence au système somatosensoriel fibromyalgie.
Il n'existe pas de corrélation entre les symptômes neuro téristiques neuropathiques de la douleur, la seconde à iden-
pathiques et l'étiologie, soit le siège de la douleur. On tifier l'existence d'une lésion nerveuse responsable de la
retrouve en effet un ensemble de symptômes communs, douleur [7].
indépendants de la nature périphérique ou centrale de la Le questionnaire DN4 (figure 20.1) est l'outil de dépis-
douleur ou de son étiologie [4]. On a pu donc identifier des tage le plus utilisé en France et intervient lors de la première
caractéristiques cliniques communes à l'ensemble des étiolo- étape diagnostique [8, 9]. Il comporte différents symptômes
gies des douleurs neuropathiques : il peut s'agir de douleurs discriminants de la douleur neuropathique. Même si aucun
spontanées continues (brûlures, froid douloureux, sensation de ces symptômes n'est spécifique, leur combinaison oriente
d'étau, de compression ou de crampes), de douleurs spon- vers le diagnostic de douleur neuropathique. Le question-
tanées paroxystiques (décharges électriques, éclairs doulou- naire DN4 possède 7 items d'interrogatoire et 3 items d'exa-
reux, coup de couteau, élancement), de douleurs provoquées men clinique à la recherche de troubles de la sensibilité
par une stimulation mécanique ou thermique (par exemple (hypoesthésie tactile, à la piqûre, allodynie mécanique).
allodynie), de paresthésies ou de dysesthésies. Lorsque 4 items sur 10 sont validés, le DN4 identifie une
À l'examen, on recherche un déficit sensitif et moteur, douleur neuropathique avec une excellente sensibilité et
une allodynie ou une hyperalgésie et la possible présence de spécificité (figure 20.1).
signes vasomoteurs et sudoraux.
Nombre de ces symptômes sont discriminants et ont per-
mis l'élaboration de questionnaires de dépistage aidant au
diagnostic [5]. Intérêt clinique du DN4 et pièges à éviter
Le tableau 20.1 regroupe l'ensemble des symptômes S'il est possible d'utiliser le questionnaire DN4 sous forme
retrouvés dans le cadre d'une douleur neuropathique [6]. d'auto-diagnostic par le patient, il est préférable que le
praticien guide celui-ci afin de s'assurer de la bonne com-
préhension et de la pertinence des réponses. En outre,
Diagnostic les différents items doivent concerner une seule douleur
identifiée par le patient. Une erreur classique consiste à
Questionnaire de dépistage répondre aux items du DN4 en cumulant l'ensemble des
Diagnostiquer une douleur neuropathique implique deux douleurs du patient en cas de douleurs multiples ou dif-
étapes. La première étape consiste à reconnaître les carac- fuses (comme ce peut être le cas dans la fibromyalgie ou
une pathologie articulaire inflammatoire). Le DN4 doit au
contraire concerner une aire douloureuse précise, quitte à
Tableau 20.1 Douleur neuropathique : symptômes.
être appliqué successivement pour différentes aires dou-
Symptômes sensoriels positifs loureuses, afin de dépister celles qui ont des caractéris-
Douleur Sensation douloureuse ressentie en l'absence de
tiques neuropathiques [10].
spontanée stimulus Cet outil, appliqué de façon rigoureuse, permet égale-
ment de surmonter certains pièges diagnostiques. Ainsi,
Allodynie Douleur provoquée par un stimulus qui n'est pas
normalement douloureux (par exemple : allodynie
il peut éviter de porter le diagnostic par excès de douleur
au frottement) neurop athique en cas de douleur nociceptive présente
dans un territoire neurologique déficitaire : c'est le cas,
Hyperalgésie Réponse accrue à un stimulus normalement
douloureux
par exemple, des douleurs des membres inférieurs liées
à une arthrose des genoux et des chevilles chez un dia-
Paresthésie Sensation anormale, qu'elle soit spontanée ou bétique présentant une neuropathie sensitive non dou-
évoquée (par exemple fourmillement, picotement,
démangeaison, engourdissement)
loureuse, ou des douleurs de spasticité des membres
inférieurs chez un patient présentant une SEP avec défi-
Dysesthésie Sensation anormale, qu'elle soit spontanée ou cit sensitif des membres inférieurs. Dans tous les cas, ce
évoquée, de caractère franchement désagréable
questionnaire ne remplace jamais le bon sens clinique du
Symptômes sensoriels négatifs praticien.
Hypoesthésie Sensibilité moindre à une stimulation, à Il est important de rappeler que nombre de douleurs sont
l'exception des sensibilités spécifiques mixtes, c'est-à-dire qu'elles comportent à la fois une compo-
Anesthésie Perte totale de sensation sante neuropathique et nociceptive inflammatoire.
C'est le cas, par exemple, dans la lombosciatique ou
Hypoalgésie Douleur moindre en réponse à un stimulus
dans la névralgie cervicobrachiale, qui peut comprendre
normalement douloureux
à la fois la douleur neuropathique par lésion de la racine
Analgésie Absence de douleur en réponse à une stimulation nerveuse, mais aussi une composante inflammatoire
normalement douloureuse
discale [11].
Chapitre 20. Douleurs neuropathiques 135
Figure 20.1 Questionnaire DN4 : un outil simple pour rechercher les douleurs neuropathiques.
Source : Bouhassira D, Attal N, Alchaar H et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a
new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain. 2005, 114 : 29–36.
s usceptible de provoquer par lésion nerveuse des douleurs action sur la transmission du message douloureux au niveau
neuropathiques pouvant survenir plusieurs jours à plusieurs médullaire pour les antiépileptiques gabapentinoïdes).
semaines suivant l'acte chirurgical. Leur prévalence dépend La prise en charge médicamenteuse des douleurs neuro-
du type de chirurgie (3 % pour la hernie inguinale, plus de pathiques s'appuie sur des recommandations fondées sur les
30 % pour les douleurs post-thoracotomie). preuves. À ce jour, six classes thérapeutiques disponibles en
Enfin, citons les radiculopathies, le plus souvent d'ori- France ont démontré leur efficacité dans le traitement de la
gine discale (sciatique, névralgie cervicobrachiales), souvent douleur neuropathique : les gabapentinoïdes (gabapentine et
associées à des douleurs nociceptives. Ces douleurs sont prégabaline), les antidépresseurs tricycliques (amitriptyline,
probablement les douleurs neuropathiques les plus fré- clomipramine), les IRSNA (duloxétine, venlafaxine), la lido-
quentes dans la population générale. caïne topique (emplâtres de lidocaïne à 5 %), la capsaïcine
(patchs de haute concentration) et les opioïdes (sulfate de
Douleurs neuropathiques centrales morphine, oxycodone, tramadol) (tableau 20.3) [12]. Cepen-
ou douleurs centrales dant, seuls la prégabaline et les antidépresseurs tricycliques
ont une AMM pour l'ensemble des douleurs neuropathiques.
Elles résultent d'une lésion du SNC et peuvent être secondaires L'AMM de la gabapentine et des patchs de haute concentra-
à une SEP (la douleur survient souvent après une poussée), à tion de capsaïcine est limitée aux douleurs neuropathiques
des lésions médullaires (lésions traumatiques, vasculaires ou périphériques (à l'exclusion des neuropathies diabétiques,
tumorales, syringomyélie, myélopathie c ervico-arthrosique, pour la capsaïcine), celle de la duloxétine, aux douleurs neu-
etc.), ou encore à un AVC (ischémique ou hémorragique). ropathiques du diabétique, et celle des emplâtres de lidocaïne
aux douleurs neuropathiques postzostériennes. La venlafaxine
Traitement n'a pas d'AMM en analgésie. Les opiacés n'ont pas d'AMM
spécifique pour les douleurs neuropathiques, mais une AMM
Spécificité du traitement des douleurs pour les douleurs modérées à sévères (tramadol) ou pour les
neuropathiques douleurs sévères, en particulier d'origine cancéreuse (mor-
Les douleurs neuropathiques répondent mal aux antal- phine, oxycodone).
giques usuels. Contrairement aux douleurs nociceptives, le Dans le contexte des douleurs neuropathiques périphériques
choix du traitement ne dépend pas de l'intensité des dou- localisées, on peut utiliser, en première intention et en associa-
leurs neuropathiques : c'est plutôt la physiopathologie de tion avec les traitements médicamenteux, la TENS, du fait de son
ces douleurs, suggérée par des symptômes et signes parti- excellente sécurité d'emploi et du faible nombre de contre-indi-
culiers, qui oriente vers des traitements spécifiques. Ainsi, cations (existence d'un pacemaker, grossesse en cours) [13].
les médicaments ayant une efficacité sur les douleurs neuro-
pathiques peuvent agir sur le système périphérique (réduc-
tion de l'excitabilité nerveuse périphérique par la lidocaïne)
Recommandations thérapeutiques
ou sur le SNC (action sur les systèmes de modulation de la fondées sur les preuves
douleur par les antidépresseurs, le tramadol et les opioïdes, En pratique, en première intention, on prescrit (figure 20.2) :
Chapitre 20. Douleurs neuropathiques 137
Douleur neuropathique
(DN4 ≥ 4)
Emplâtre
Tramadol de lidocaïne5 Capsaïcine
Figure 20.2 Algorithme thérapeutique de première et seconde intention des douleurs neuropathiques.
■ un gabapentinoïde : prégabaline ou gabapentine ; contexte (personne âgée, insuffisance rénale, etc.), les emplâtres
■ ou un antidépresseur : tricyclique ou inhibiteur mixte de lidocaïne peuvent être prescrits en première intention.
de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, En troisième intention, on proposera un traitement par
tel Cymbalta®, en particulier en cas de douleur neuro opioïdes forts, avec toutes les précautions d'emplois relatives
pathique diabétique. à cette prescription. L'instauration d'un tel traitement ne peut
Le choix de la classe thérapeutique dépendra de l'éva- s'envisager qu'une fois effectuées une évaluation et une prise en
luation bénéfice-risque et des comorbidités : un patient charge psychologique, sociale et physique (réadaptation). Il est
anxieux pourra, par exemple, bénéficier d'un traitement par recommandé de faire appel à un avis spécialisé lorsque la douleur
gabapentinoïdes, alors qu'un patient déprimé bénéficiera ne répond pas à une dose d'équivalent morphinique de 120 mg.
d'un traitement par antidépresseur (tableau 20.3). Enfin, en cas de douleur neuropathique réfractaire à ces
En cas d'inefficacité du traitement (efficacité de moins de traitements, il est nécessaire d'orienter le patient vers une
30 % sur la douleur pour un traitement bien pris et à dose prise en charge spécifique pour envisager d'autres gestes
suffisante) ou en cas d'effets indésirables majeurs, on chan- thérapeutiques très spécialisées (injection de toxine botuli-
gera de classe médicamenteuse. nique, neurostimulation, etc.).
Si l'efficacité est insuffisante, on associera deux classes
(par exemple gabapentine et amitriptyline).
En seconde intention, on pourra proposer du tramadol.
Règles de bonne prescription
La prudence est de mise en cas d'association avec un IRSNA : (tableau 20.4)
il y a en effet un risque de syndrome sérotoninergique. L'ETP du patient est indispensable dès l'introduction du
Si la douleur est périphérique, la lidocaïne en patch (Ver- traitement.
satis®) ou les patchs de haute concentration de capsaïcine Il faut expliquer que la prescription repose avant tout
(Qutenza®) peuvent être proposés, en structure spécialisée sur les propriétés antalgiques neuropathiques de ces molé-
(hôpital de jour) pour ces derniers. En fonction du terrain ou du cules, indépendantes de leur effet thymoanaleptique ou
Tableau 20.3 Mécanismes d'actions, doses, AMM, précaution d'emploi et effets indésirables des traitements pharmacologiques en première,
Tableau 20.4 Règles de prescription fondées sur des preuves. Cette prise en charge s'accompagne
des médicaments dans la douleur neuropathique. nécessairement d'une ETP du patient quant aux possibili-
tés thérapeutiques, aux modalités d'utilisation des traite-
Instauration
ments et aux bénéfices attendus. Le traitement de la douleur
Instauration à de faibles doses, puis augmentation des posologies neuropathique doit être complété par la prise en charge des
par palier selon la tolérance et l'efficacité pour les traitements symptômes associés tels que les troubles de l'humeur ou les
systémiques (titration)
troubles du sommeil, fréquemment rencontrés dans ce type
Durée du traitement de douleur, mais aussi bien entendu d'un traitement étiolo-
– Traitement pendant plusieurs mois (> 6 mois) gique lorsque cela s'avère possible [16].
– Réévaluation de la tolérance et de l'efficacité à la fin de la
titration, puis de façon régulière
– Réduction progressive possible des posologies au bout de 6 à
8 mois d'un traitement efficace à dose stable
Références
[1] Bouhassira D, Lantéri-Minet M, Attal N, Laurent B, Touboul C. Pre-
Prise en charge des troubles associés
valence of chronic pain with neuropathic characteristics in the gene-
– Traitement spécifique de l'anxiété, de la dépression ou des ral population. Pain 2008 ; 136 : 380–7.
troubles du sommeil si le traitement des douleurs est insuffisant [2] Campbell JN, Cruccu G, Dostrovsky JO, Griffin JW, Treede RD, Jen-
ou si ces troubles associés sont jugés suffisamment intenses sen TS, et al. Neuropathic pain : redefinition and a grading system for
– Traitement des autres types de douleurs souvent associées aux clinical and research purposes. Neurology 2008 ; 70 : 1630–5.
douleurs neuropathiques, selon l'étiologie [3] Attal N, Lanteri-Minet M, Laurent B, Fermanian J, Bouhassira D.
Source : d'après [16]. The specific disease burden of neuropathic pain : results of a French
nationwide survey. Pain 2011 ; 152 : 2836–43.
[4] Attal N, Fermanian C, Fermanian J, Lanteri-Minet M, Alchaar H,
a ntiépileptique. On doit aussi expliquer qu'une titration est Bouhassira D. Neuropathic pain : are there distinct sub- types depen-
ding on the aetiology or anatomical lesion ? Pain 2008 ; 138 : 343–53.
indispensable (ainsi qu'une décroissance progressive en cas
[5] Attal N, Backonja MM, Baron R, Bennett MI, Bouhassira D, Freynhagen R,
d'arrêt du traitement), que les effets indésirables sont pour et al. Using screening tools to identify neuropathic pain. Pain 2007 ;
la plupart temporaires et ne doivent pas motiver un arrêt du 127 : 199–203.
traitement sans qu'il en ait été discuté avec le médecin. Enfin, [6] Bogduk N, Merskey H, editors. Classification of Chronic Pain Des-
il faut informer que l'effet antalgique n'apparaît qu'après criptions of Chronic Pain Syndromes and Definitions of Pain Term.
quelques semaines d'administration quotidienne, systéma- Seattle, Wash : IASP Press ; 1994.
tique et à bonne posologie pour les traitements par voie sys- [7] Attal N, Bouhassira D. Stratégies d'évaluation des douleurs neuro
témique, et que l'efficacité de ces traitements est partielle. pathiques. In : Neurologie. Paris : Elsevier Masson SAS ; 2010.
Pour accompagner la prise en charge, un suivi régulier 17-035-A-68.
du patient est nécessaire (à 1 mois, puis tous les 3 à 6 mois) [8] Alchaar H, Attal N, Bouhassira D, Boureau F, Brochet B, Bruxelle J,
et al. TO19 - Développement et validation d'un outil d'aide au diag
et doit se coordonner avec une prise en charge multimo-
nostic des douleurs neuropathiques. Pain 2004 ; 114 : 29–36.
dale associant des techniques non médicamenteuses (acu- [9] Cruccu G, Sommer C, Anand P, Attal N, Baron R, Garcia-Larrea L,
puncture, relaxation, hypnose, etc.) et, éventuellement, et al. EFNS guidelines on neuropathic pain assessment : revised 2009.
un accompagnement psychologique (TCC, verbalisation, Eur J Neurol 2010 ; 17 : 1010–8.
EMDR, etc.). [10] Haanpää M, Attal N, Backonja M, Baron R, Bennett M, Bouhassira D,
et al. NeuPSIG guidelines on neuropathic pain assessment. Pain 2011 ;
152 : 14–27.
Traitements non recommandés [11] Koltzenburg M, McMahon S, editors. Wall and Melzack's Textbook of
en médecine de ville Pain. Edimbourg : Churchill-Livingstone ; 2005.
[12] Finnerup NB, Attal N, Haroutounian S, McNicol E, Baron R, Dwor-
Le clonazépam (Rivotril®) n'a jamais fait la preuve de son kin RH, et al. Pharmacotherapy for neuropathic pain in adults : a sys-
efficacité et n'a pas d'indication dans le traitement de la dou- tematic review and meta-analysis. Lancet Neurol 2015 ; 14 : 162–73.
leur neuropathique. De nombreux autres antiépileptiques [13] Kılınç M, Livanelioğlu A, Yıldırım SA, Tan E. Effects of transcuta-
n'ont pas fait la preuve de leur efficacité ou ont des résultats neous electrical nerve stimulation in patients with peripheral and
discordants et ne sont pas recommandés à ce jour [14]. central neuropathic pain. J Rehabil Med 2014 ; 46 : 454–60.
[14] Cruccu G, Gronseth G, Alksne J, Argoff C, Brainin M, Burchiel K,
et al. AAN-EFNS guidelines on trigeminal neuralgia management.
Eur J Neurol 2008 ; 15 : 1013–28.
Conclusion [15] Attal N, Bouhassira D. Douleurs neuropathiques. Paris : Arnette ;
2011.
La douleur neuropathique, qui concerne un quart des
[16] Martinez V, Attal N, Bouhassira D, Lantéri-Minet M. pour la Société
patients souffrant de douleur chronique, présente des française d'étude et de traitement de la douleur. Les douleurs neuro-
spécificités diagnostiques (outil de dépistage) mais aussi pathiques chroniques : diagnostic, évaluation et traitement en méde-
thérapeutiques, que sa prise en charge exige de connaître cine ambulatoire, recommandations pour la pratique clinique de la
[15]. Nombre de ces traitements peuvent être instaurés en Société française d'étude et de traitement de la douleur. Douleurs :
médecine ambulatoire, en suivant les recommandations évaluation, diagnostic, traitement 2018 ; 11 : 3–21.
Chapitre
21
Douleurs rachidiennes :
de la cervicalgie
à la lombosciatalgie
Patrick Sichère
PLAN DU CHAPITRE
Cervicalgies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 Lombalgie et lombosciatalgie . . . . . . . . . . . . . 142
Dorsalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
Cervicalgies, dorsalgies et lombalgies ne sont que des Cervicalgies persistant à distance d'un coup
symptômes. Leur survenue oblige ainsi à rechercher de fouet cervical ou « coup du lapin » [3–5]
un diagnostic étiologique et nécessitent d'éliminer une
pathologie intercurrente, infectieuse, tumorale ou inflam- Le coup de fouet cervical, choc d'arrière en avant, déclenche
matoire. Cependant, nous retenons pour ce chapitre les des cervicalgies qui peuvent se chroniciser, et s'accompa-
rachialgies dites « communes » en partant du principe gner de céphalées dans plus 82 % des cas et de raideur cer-
qu'il s'agit en l'occurrence de décrire et d'évoquer le trai- vicale. Il s'agit d'un véritable transfert d'énergie sur le cou
tement des douleurs les plus fréquemment rencontrées en par un mécanisme d'accélération-décélération dû à un choc
pratique courante. en arrière ou latéral, lors d'un accident de la voie publique,
ou, plus souvent, de plongée. Les examens complémentaires
sont la plupart du temps sans anomalie notable et, de ce fait,
le patient se voit souvent étiqueté « syndrome subjectif ».
Cervicalgies
En préambule, rappelons quelques chiffres pour envisager Comment identifier la douleur ?
la cervicalgie à travers sa fréquence et son retentissement À distance du traumatisme et de la douleur initiale, s'installe
de façon générale. Pour une fréquence estimée à 0,6 % de une douleur cervicale étagée associée à des céphalées posté-
la population par an, les auteurs évaluent la guérison à rieures, irradiant vers la région frontale ou dorsale haute. La
36,6 %, l'amélioration des symptômes à 32,7 %, leurs per- douleur est une sensation de tension, de lancement, aggravée
sistances à 37,3 % et leur aggravation à 9,9 %. La même ou déclenchée par la mobilisation du cou, certaines positions
étude compte un épisode par an chez 17,9 % des adultes, et le stress. Elle s'accompagne d'une sensation de fatigue, peut
et à un moment de la vie chez 60 % de la population, avec avoir un retentissement sur le sommeil et modifier l'humeur.
un pic entre 30 et 45 ans [1]. A contrario, les examens d'imagerie sont rassurants.
Selon Fejer et al., cette pathologie douloureuse est une Dans le cas de whiplash-associated disorders (coup du
caractéristique féminine, puisque 9 femmes pour 1 homme lapin), si séquelles il y a, les retentissements, d'ordre psy-
seraient concernées [2]. Elles sont plus souvent victimes de chosocial, sont cliniques : il s'agit d'une limite de l'activité et
coup de fouet cervical, de cervicalgies liées au travail et de d'une perturbation de la qualité de vie. Ces mêmes auteurs
céphalées cervicogéniques, dans un contexte de fibromyal- relèvent comme symptômes principaux, du plus fréquent au
gie. D'un point de vue physiologique, la douleur musculaire plus rare : des céphalées, une raideur cervicale, une épaule
altérerait l'adaptation normale de l'activité du muscle tra- douloureuse, des lombalgies, une fatigabilité, des problèmes
pèze chez la femme, constatations qui ne sont pas retrou- de concentration, une sensation de malaise, des nausées et
vées chez l'homme. une douleur du membre supérieur.
Selon certains auteurs, il existe des facteurs pronostiques lisée, exquise à la pression, une faiblesse et une limitation de
précollision, qui sont l'intensité de la douleur, à l'origine la mobilité du muscle atteint, et des « bandes » palpables. L'in-
d'une sensibilisation centrale, et les problèmes psycholo- terrogatoire retrouve souvent des antécédents de surmenage
giques. Selon d'autres, il y a des facteurs de mauvais pro- local aigu ou de douleur localisée. La palpation, la pression
nostics en post-collision, comme le fait d'être une femme, de la zone gâchette et la manœuvre du palper-rouler repro-
un bas niveau d'éducation, une intensité élevée de la dou- duisent la douleur. Une infiltration locale d'anesthésique ou
leur initiale, un retentissement fonctionnel important, un une manipulation permettent une guérison locale et à dis-
niveau de somatisation tout aussi marqué et des troubles du tance. Des étirements, des exercices réguliers, la relaxation et
sommeil. l'ergonomie sont la meilleure prévention.
régulière, comme la marche nordique, sont des propositions connues comme telles, les benzodiazépines et les thiocol-
thérapeutiques aux effets bénéfiques tout à fait démontrés. chicosides, leur prescription n'est donc pas recommandée.
L'important étant de convaincre le patient de maintenir ces Quand bien même ils seraient proposés, leur prescription ne
solutions sur une longue durée. doit pas dépasser 15 jours.
L ' a ss o c i at i on ant a l g i qu e - ant i - i n f l am m atoi re -
Ergonomie myorelaxant n'a pas fait l'objet d'aucune étude rigoureuse et
En milieu professionnel, à la maison comme à l'école, reste donc hypothétique.
l'adaptation du mobilier de travail est indispensable. Il peut Même si, selon certains auteurs, 90 à 95 % des lombalgies
s'agir de tables et de sièges ergonomiques, qui ont en plus aiguës guérissent en moins de huit semaines, selon d'autres, la
fait la preuve d'un meilleur rendement quand ils étaient douleur persiste à six mois chez 76 % des patients atteints et à
proposés. N'oublions pas d'adapter aussi les activités, de les 12 mois pour 72 % d'entre eux. La lombalgie entraîne une inca-
fragmenter comme de les diversifier. Quant au cartable il est pacité fonctionnelle chez 14 % des malades à 6 mois et 12 mois.
conseillé qu'il ne dépasse pas 10 % du poids du corps. Mais il Les chiffres diffèrent donc selon que l'on s'intéresse à la douleur
a été démontré que des écoliers qui se rendaient à pied à leur ou à l'incapacité fonctionnelle. Cependant, les auteurs insistent
école souffraient moins du dos que ceux que l'on déposait sur l'importance d'un traitement correct et adapté dès le pre-
en voiture. Maintenir une activité physique régulière est une mier épisode, pour éviter notamment la récidive.
règle d'or, quel que soit l'âge.
En cas de lombalgie persistante [13–24]
Traitements médicamenteux par voie générale
Comme pour toute douleur chronique d'ordre rhumatolo-
Cette prescription doit tenir compte de l'âge, des antécédents gique le traitement fait appel en priorité aux traitements non
médicaux du patient, des données de l'examen clinique et médicamenteux. Les médicaments seront prescrits pour
du contexte social et professionnel. L'objectif est de traiter diminuer l'intensité de la douleur relevant du cercle vicieux
la douleur, l'inflammation et la contracture musculaire. On douleur-contracture-sédentarité, sinon kinésiophobie, afin
pourra donc s'aider en cas de lombalgie aiguë d'antalgiques de permettre à la prise en charge globale de type TCC d'être
et d'AINS. efficace. N'oublions pas qu'obtenir un sommeil réparateur
est une des clés de l'amélioration de l'état du patient.
Antalgiques
Priorité est donnée aux antalgiques non opioïdes. Il est ETP
important que le patient prenne son traitement à horaire Nous avons noté plus haut que plus la lombalgie persiste,
fixe, avec éventuellement une dose de secours. Selon l'inten- plus ses mécanismes sont multiples et, donc, relèvent de
sité de la douleur, il sera prescrit des antalgiques opioïdes traitements complémentaires, à prescrire souvent durant
faibles ou forts. L'évaluation de la douleur est donc un préa- une même période.
lable indispensable à une prescription adaptée. Ces thérapeutiques répondent donc au concept bio-
psychosocial évoqué plus haut et nécessitent, avant d'être
Anti-inflammatoires non stéroïdiens et stéroïdiens
proposées, une formation spécifique à dispenser aux soi-
Une lombalgie aiguë est souvent déclenchée par des méca- gnants qui s'intéressent à la prise en charge de la lombalgie,
nismes inflammatoires justifiant la prescription d'AINS à tant nous sommes encombrés de croyances et d'aprioris à ce
dose efficace pendant un temps suffisant, en respectant les sujet. Rappelons, par exemple, que si nous sommes dans un
précautions d'usage. Ce traitement ne doit pas être pour- contexte de douleur chronique, il n'y a pas urgence à se préci-
suivi au-delà d'une à deux semaines sans une réévaluation piter, ni à révéler dès la première consultation les différentes
clinique. cartes que nous connaissons pour gagner la partie. Un tel
excès de zèle risque de nous mettre en échec, le patient atten-
Que dire des myorelaxants ? dant toujours le traitement à suivre. En pratique, il est courant
Soyons clairs, à l'heure actuelle, aucun médicament étiqueté de répondre au patient qui demande les délais d'obtention
myorelaxant n'a apporté une preuve décontracturante. d'un résultat significatif : six mois, à condition qu'il participe
Qu'ils appartiennent à l'une ou l'autre des deux catégories pleinement à sa prise en charge. Ce délai permet notamment
Chapitre 21. Douleurs rachidiennes : de la cervicalgie à la lombosciatalgie 145
de faire une sorte d'état des lieux, ce qui témoigne de nou- Traitements médicamenteux par voie locale
veau de l'intérêt qu'a le rhumatologue à faire appel à d'autres Il s'agit de proposer une infiltration épidurale, ou dans les
praticiens complémentaires, comme l'ergothérapeute, le psy- articulaires postérieures ou encore dans une zone gâchette
chologue ou le psychiatre, tout en restant le praticien expert à l'origine d'une douleur ressentie à distance (douleur réfé-
auquel le patient reste fidèle pendant cette longue prise en rée). Ces traitements relèvent en général du spécialiste.
charge. Prend tout son sens ici la notion d'ETP. Cependant,
les évaluations de l'ETP sont encore souvent partielles ou en
cours de publications. Mais les résultats sont encourageants, Lombalgies et ostéoporose [25, 26]
qui témoignent d'un effet favorable sur la modification du Une fracture vertébrale (le mot « tassement » prête à confu-
comportement des patients et leur satisfaction. sion) peut être à l'origine d'une douleur intense, en moyenne
cotée à 80 sur 100 sur l'EVA. Cette intensité impose donc
Thérapies cognitivocomportementales un traitement morphinique adapté à l'âge du patient. Chez
Dans un supplément récent de La Revue du Rhumatisme, le patient âgé, l'objectif est de soulager rapidement afin
F. Laroche et L. Jammet rappellent l'intérêt des TCC d'obtenir une verticalisation rapide, car 30 % des décès sur-
dont l'efficacité est démontrée chez les patients atteints viennent dans l'année qui suit la fracture, en raison notam-
de lombalgie chronique. Ces techniques tiennent tant ment de la perte d'autonomie et de la kinésiophobie. Le port
compte des mécanismes classiques de la lombalgie que de de la ceinture lombaire est alors à conseiller.
la part psychosociale qui s'y ajoute, grâce à une prise en Les séquelles fonctionnelles surviennent chez un patient
charge multidisciplinaire. Des séances de relaxation ou sur trois. Il s'agit de lombalgies chroniques, de troubles pos-
d'hypnose complètent une prise en charge qui consiste à turaux ou de chutes. Les lombalgies ralentissent la vitesse
corriger les croyances, à modifier les comportements, à de déplacement et deviennent par elles-mêmes de véritables
dédramatiser les peurs qui conduisent à la kinésiopho- facteurs d'aggravation du risque ostéoporotique. Donc trai-
bie et à tenir compte des facteurs aggravants, comme ter les rachialgies équivaut à traiter l'ostéoporose.
la dépression, l'anxiété et le catastrophisme. On pourra
également s'aider de techniques dont l'évaluation est en La lombalgie comporte-elle
cours, mais qui sont de mieux en mieux connues, comme
le traitement par la pleine conscience, l'art-thérapie ou la une composante neuropathique ?
musicothérapie. Nous avons vu plus haut que la lombalgie de catégorie 2 se
caractérise par une irradiation atteignant les membres infé-
Programmes d'exercices, école du dos rieurs sans dépasser les genoux et sans signes neurologiques.
et programme de restauration fonctionnelle Cette irradiation pose la question de l'existence d'une com-
posante neuropathique, laquelle a été redéfinie récemment
Donskoff apporte quelques précisions quant à ces trois tech-
par l'IASP comme une douleur due à une lésion ou à une
niques. La première se résume en programmes d'exercices
pathologie du système somatosensoriel. Il est évidem-
favorisant le réentraînement et le développement corporel.
ment intéressant de confirmer cette composante, au moins
Mais les bienfaits sont difficiles à évaluer, les programmes
d'un point de vue thérapeutique. Elle expliquerait en effet
variant d'une équipe à l'autre, même si l'objectif commun
l'échec des anti-inflammatoires ou des antalgiques simples,
est de réduire l'intensité de la douleur et l'incapacité qui en
puisqu'elle fait appel à des mécanismes centraux. Quelles
résulte. L'école du dos, deuxième proposition thérapeu-
sont les données apportées par la littérature à propos de
tique, est l'école des programmes éducatifs pour encourager
cette composante neuropathique, laquelle s'ajouterait ou se
le patient à se prendre en charge. Y règne une importante
mêlerait à la composante nociceptive déjà connue ?
disparité quant aux modalités de prise en charge et de juge-
La présentation faite par l'équipe menée par N. Attal au
ment. On retiendra que l'efficacité est plus importante chez
congrès de l'IASP de Montréal en 2010, publiée en 2011,
les patients jeunes, ayant déjà une activité physique régu-
est donc la bienvenue [27] : elle reprend le classement des
lière. Quant à la troisième technique, proposée par l'équipe
lombalgies en 2 catégories mentionné ci-dessus, distin-
menée par Donskoff, elle repose sur la notion de restaura-
guant lombalgies et sciatiques, et analyse les plaintes de
tion fonctionnelle : il s'agit de favoriser le reconditionnement
132 patients ayant répondu au questionnaire DN4. La
physique en associant une réhabilitation sociale et profes-
conclusion est que la douleur des patients souffrant d'une
sionnelle. Quoi qu'il en soit, il faut toujours encourager les
irradiation émanant d'une lombalgie isolée (catégorie 2)
« activités physiques adaptées », termes préférables à ceux de
relève de mécanismes locaux n'impliquant pas un caractère
« reconditionnement à l'effort ».
neuropathique. Autrement dit, il faudrait qu'il y ait radicu-
Concernant d'autres traitements, plusieurs recomman-
lalgie pour envisager cette composante.
dations publiées permettent désormais de faire le tri parmi
certaines les méthodes. La kinésithérapie a démontré son
efficacité, mais aucune méthode n'est supérieure à une Conclusion
autre. Ainsi, l'échec d'une série de séances ne doit pas empê-
cher de tenter une autre série relevant d'une autre technique. La lombalgie est donc plus que jamais une pathologie en
A contrario, les tractions vertébrales ne sont plus reconnues évolution. Elle opère presque une sorte de synthèse des
comme efficaces dans le traitement de la lombalgie. L'acu- progrès dans la connaissance de la douleur en rhumatolo-
puncture et les manipulations, elles, demandent encore de gie, mêlant composante périphérique et centrale, nocicep-
plus amples études pour apporter la preuve de leur efficacité. tive et neuropathique et globalité de l'individu, aux soma et
146 Partie 3. Pathologies douloureuses
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Arthrite infectieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Généralité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Polyarthrite d'une maladie auto-immune . . . . 149
Arthrite microcristalline . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 Spondyloarthrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
L'association à des atteintes enthésopathiques comme Le traitement a pour objectif de soulager le patient
les talalgies, liées aux enthésopathies calcanéennes ou à au moyen d'un traitement par AINS et antalgiques, mais
l'aponévrosite plantaire, les sternalgies et les épicondy- aussi de réduire l'évolution structurale de la spondy-
lalgies sont des critères d'orientation diagnostique assez loarthrite, à chaque fois que cela est nécessaire, avec les
forts. biothérapies.
Habituellement il n'y a pas de signe ou que peu de signes
généraux, si ce n'est une asthénie.
Il existe des signes extra-articulaires très évocateurs,
Références
comme l'uvéite antérieure aiguë.
Le bilan biologique ne montre pas toujours de syn- [1] Walsh DA, McWilliams DF. Mechanisms, impact and management of
drome inflammatoire. L'association au groupage HLA- pain in rheumatoid arthritis. Nat Rev Rheumatol 2014 ; 10 : 581–92.
B27 est très étroite, retrouvée chez 90 % des patients alors [2] Rudwaleit M, Landewé R, van der Heijde D, Listing J, Brandt J,
que 8 % de la population non malade appartiennent à ce Braun J, et al. The development of Assessment of SpondyloArthritis
international Society classification criteria for axial spondyloarthritis
groupe HLA. L'atteinte radiologique est tardive, et c'est
(part I) : classification of paper patients by expert opinion including
donc l'IRM qui permet de faire le diagnostic précoce d'at- uncertainty appraisal. Ann Rheum Dis 2009 ; 68 : 770–6.
teinte inflammatoire soit des sacro-iliaques, soit du rachis. [3] Rudwaleit M, van der Heijde D, Landewé R, Listing J, Akkoc N,
Le diagnostic suspecté ou confirmé doit conduire à Brandt J, et al. The development of Assessment of SpondyloArthritis
adresser le patient pour avis spécialisé à un rhumatologue, international Society classification criteria for axial spondyloarthritis
afin d'adopter la meilleure stratégie thérapeutique dans les (part II) : validation and final selection. Ann Rheum Dis 2009 ; 68 :
meilleurs délais. 777–83.
Chapitre
23
Douleurs de l'appareil
locomoteur et troubles
musculosquelettiques
Philippe Bertin, Patrick Sichère
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 Douleurs articulaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
À noter qu'il n'existe pas de corrélation radioclinique sys- Il peut s'agir d'une arthrite infectieuse (à systématique-
tématique, notamment pour la douleur. Cela est essentiel, ment éliminer) le plus souvent monoarticulaire, d'une
car le patient a souvent tendance à assimiler une poussée arthrite microcristalline (la situation de loin la plus fré-
douloureuse à une poussée évolutive, ce qui n'est pas systé- quente), d'une arthrite inflammatoire (mono-, oligo-, ou
matiquement le cas. polyarticulaire) ou d'un rhumatisme inflammatoire (mala-
L'évolution clinique d'une arthrose est habituellement die auto-immune comme la polyarthrite rhumatoïde).
faite de poussées successives, conduisant à une aggravation L'examen clinique local montre les signes cardinaux de
progressive clinique et radiographique. L'évolution est en l'inflammation (rougeur, chaleur, douleur et œdème), un
fait très variable d'un patient à un autre, l'état de certains épanchement articulaire et une impotence fonctionnelle
patients restant stable pendant des années, d'autres patients souvent marquée.
voyant leur arthrose s'aggraver très rapidement, comme L'examen clinique général s'attache à rechercher des
dans le cas des arthroses destructrices rapides qui peuvent signes d'orientation étiologique :
aboutir à une destruction complète de l'articulation en 6 à ■ une fièvre, une infection à distance, une porte d'entrée
12 mois. L'observation radiographique donne une évalua- cutanée, un terrain favorisant les infections, pour l'étiolo-
tion objective de cette évolution. gie infectieuse ;
La douleur, habituellement mécanique au commence- ■ le terrain (syndrome métabolique/goutte, âge/chondro-
ment de l'arthrose, peut, lors des poussées fluxionnaires, calcinose), des épisodes antérieur et similaires et leurs
être inflammatoire et conduire par ailleurs à une hypersen- localisations (gros orteil pour la goutte) pour les arthrites
sibilisation centrale et/ou périphérique, comme cela a été microcristallines que sont la goutte, la chondrocalcinose,
démontré dans certaines études. le rhumatisme à hydroxyapatite ;
La prise en charge thérapeutique repose sur la prescrip- ■ les signes généraux d'accompagnement tels qu'un syn-
tion d'antalgiques et d'AINS (en respectant les règles d'uti- drome de Raynaud, un syndrome sec ou une atteinte
lisation de ces médicaments et en s'adaptant à l'évolution de cutanée ou viscérale, etc. pour les arthrites des rhuma-
la douleur), la correction éventuelle des facteurs favorisants tismes inflammatoires chroniques.
(perte de poids, correction d'un défaut d'axe par orthèse, Le diagnostic repose sur un faisceau d'arguments, mais
adaptation de l'activité physique), et les techniques phy- l'étape déterminante est l'analyse du liquide synovial par
siques telles que la kinésithérapie et les cures thermales. ponction articulaire à chaque fois que cela est possible : le
Concernant les antalgiques, le paracétamol est proposé liquide est riche en cellules (plus de 2000 éléments par mm3) ;
en première intention. Les opioïdes faibles sont souvent soit il est stérile, soit il contient un germe, soit il contient des
nécessaires pour passer les caps aigus. Les opioïdes forts microcristaux.
n'ont que très exceptionnellement leur place. Il est indispen- Les radiographies, normales au début, montrent ensuite
sable de cantonner les AINS à des cures courtes, pour éviter une diminution de l'interligne articulaire, une déminéralisa-
les effets indésirables à long terme. tion et des géodes sous-chondrales. Elles peuvent montrer les
En cas de poussée sévère (souvent avec épanchement liserés calciques propres à la chondrocalcinose ou les grosses
intra-articulaire), une ponction-infiltration d'un dérivé cor- calcifications d'hydroxyapatite périarticulaires. Les examens
ticoïde est habituellement très efficace. d'imagerie tels qu'IRM ou échographie sont souvent utiles.
Pour limiter l'évolution de la pathologie arthrosique, La biologie témoigne d'un syndrome inflammatoire,
il est souvent proposé de prescrire un traitement d'action d'une éventuelle hyperleucocytose ou d'une hyperuricémie.
lente, dit « de fond » (insaponifiable de soja et avocat, glu- Il faut rechercher un foyer infectieux en pratiquant un
cosamine, chondroïtine, etc.) ou de faire une visco-induc- ECBU, une radio du thorax ou un scanner thoraco-abdopel-
tion (injection intra-articulaire d'acide hyaluronique). Ces vien, etc., en fonction de la clinique.
thérapeutiques, dont les effets sont contestés, ne sont pas Le bilan immunologique orienté par les symptômes cli-
remboursées mais apportent souvent satisfaction au patient niques précise le type de maladie auto-immune.
en pratique courante. La prise en charge thérapeutique est symptomatique et
Lorsque la douleur est chronique, elle peut s'accompa- curative. L'immobilisation de l'articulation en cas d'arthrite
gner de symptômes associés classiques, nécessitant une septique, la cryothérapie, et les antalgiques sont utiles au
prise en charge thérapeutique globale. soulagement du patient. Si les douleurs sont intenses et
En cas d'échec des traitements médicaux et exclusive- ne répondent pas aux antalgiques usuels, le recours aux
ment dans les formes évoluées d'arthrose, une indication opioïdes forts est possible sur une période courte, pour pas-
de chirurgie prothétique peut être discutée en fonction de ser le cap aigu.
la localisation et du terrain (prothèse uni- ou tricomparti- Il existe des spécificités : la crise de goutte répond très
mentale du genou, prothèse de hanche et, plus rarement, bien à la colchicine (mais la colchicine traite uniquement la
prothèse d'épaule ou prothèse trapézométacarpienne). crise et non la goutte) ; la chondrocalcinose et le rhumatisme
à hydroxyapatite répondent aux AINS (ou aux infiltrations
de corticoïde).
Arthrite En cas d'arthrite septique, le recours aux antibiotiques,
La douleur typique est d'horaire inflammatoire, survient au une fois le germe mis en évidence, doit être adapté à l'anti-
repos, est maximale la nuit, entravant néanmoins la mobi- biogramme et de durée suffisamment prolongée (au moins
lisation de l'articulation, et elle s'accompagne d'un dérouil- six semaines). En cas d'insuffisance thérapeutique, le recours
lage articulaire matinal long de plus de 15 minutes. à la chirurgie de lavage articulaire doit être discuté.
Chapitre 23. Douleurs de l'appareil locomoteur et troubles musculosquelettiques 155
En cas de maladie auto-immune, des recommanda- Dans les formes sévères réfractaires au traitement médi-
tions sont formulées pour chaque type (recommandations cal, à la suite de 6 à 12 mois d'un traitement bien conduit, il
EULAR [European League Against Rheumatism] 2016 pour est alors possible de recourir à la chirurgie, même si celle-ci
la polyarthrite rhumatoïde, par exemple). reste controversée. La plupart des chirurgiens proposent un
peignage du tendon en plusieurs bandelettes longitudinales
Pathologies tendinomusculeuses puis, ensuite, une immobilisation prolongée.
et ligamentaires Aponévrosite plantaire
La plupart sont traumatiques ou post-traumatiques. L'aponévrosite, ou fasciite plantaire, est une pathologie fré-
L'anamnèse et l'examen clinique font suspecter le diagnos- quente. L'inflammation de l'aponévrose plantaire survient
tic et, en cas de doute, l'échographie et l'IRM confirment le en cas de tension excessive ou répétée, à son insertion posté-
diagnostic lésionnel. rieure et, surtout, postéro-interne, au niveau du calcanéum.
Le traitement, qui dépend de la localisation et de la Elle peut être favorisée par des troubles statiques architec-
sévérité, va de la légère immobilisation, la glace et les antal- turaux de l'arrière-pied et par des contraintes mécaniques
giques, à une éventuelle chirurgie réparatrice, comme dans importantes, comme le surpoids ou la manutention de
le cas d'une rupture du tendon d'Achille. charges lourdes.
Il peut s'agir de pathologies microtraumatiques dans le Le patient se plaint de douleurs de la face inférieure du
cadre d'une activité professionnelle ou de loisir. Le traite talon aggravées à l'appui et à la marche, souvent très handi-
ment symptomatique et la correction ou l'éviction du capantes. La pression directe de la face plantaire de la région
mouvement causal sont de règle. La reconnaissance en entéro-interne du talon réveille la douleur et oriente vers le
maladie professionnelle peut se justifier dans certain cas, diagnostic d'aponévrosite plantaire. La mise en dorsiflexion
lorsqu'il existe une exposition avérée aux risques d'origine de la cheville et du gros orteil déclenche la douleur.
professionnelle, lorsque la durée d'exposition est suffisam- La radiographie peut montrer un enthésophyte, témoin
ment longue et lorsque la pathologie fait partie de la liste des d'une chronicisation de la pathologie. L'échographie ou
tableaux des maladies professionnelles de la Caisse primaire l'IRM montre l'inflammation de l'aponévrose plantaire.
d'Assurance maladie. Le traitement est conservateur, avec adaptation du chaus-
Les pathologies musculaires peuvent être iatrogènes ou sage (chaussure amortissante), port d'une talonnette absor-
liées à des maladies auto-immunes ou encore ce peut être des bant les chocs, massages transverses profonds et étirements
pathologies intrinsèques des muscles (myopathies). Les traite- de l'aponévrose plantaire. Les infiltrations sont possibles.
ments sont orientés par l'étiologie. Quelques exemples suivent. Elles doivent se faire après une anesthésie du nerf tibial
Tendinites d'Achille postérieur. Les ondes de choc sont très utilisées, sans que la
preuve scientifique de leur efficacité ait été faite.
La tendinite d'Achille survient la plupart du temps au
décours d'hypersollicitations sportives ou professionnelles.
Elle génère une douleur handicapante et intense de Périarthrite scapulo-humérale
l'arrière-pied. Ce terme regroupe les pathologies de la coiffe des rotateurs.
L'examen clinique montre souvent une augmentation du La plus fréquente est la tendinopathie du sus-épineux. Les
volume du tendon d'Achille à la palpation, une douleur à la douleurs de l'épaule sont souvent intenses et handicapantes.
palpation de ce tendon et une douleur à la flexion plantaire L'examen clinique montre des signes de conflit sous-acromial
contrariée. et de tendinopathie du sus-épineux, ce qui est confirmé par
La palpation du tendon d'Achille peut montrer des les examens complémentaires (IRM ou arthroscanner).
nodules ou l'impression d'une collection liquidienne Le traitement est habituellement fondé sur les antal-
péritendineuse. giques, les anti-inflammatoires et la kinésithérapie de
Le diagnostic est confirmé par l'échographie ou l'IRM. décoaptation de l'épaule associée au renforcement muscu-
Dans les formes modérées, le traitement est médical, avec laire isométrique des muscles rotateurs et des muscles abais-
en premier lieu la réduction de la fréquence et de l'inten- seurs de la tête humérale. En cas d'échec, il est possible de
sité de l'activité sollicitant le tendon. Il est souvent proposé faire une infiltration du défilé sous-acromial et de continuer
de faire porter une talonnette de 10 mm d'épaisseur com- les séances de kinésithérapie. Si le traitement médical n'est
pressible à 50 % en charge, qui présente l'intérêt d'une part pas suffisamment efficace, et en fonction des données de
d'absorber les chocs et, d'autre part, de détendre le système l'imagerie complémentaire, il est possible d'envisager une
suro-achilléo-calcanéoplantaire. acromioplastie et une résection du ligament acromiocora-
Une infiltration péritendineuse, sous contrôle échogra- coïdien sous arthroscopie.
phique, peut être indiquée notamment lorsqu'il existe une Les pathologies tendineuses, musculaires et ligamen-
bursite associée. En aucun cas il ne faut faire d'infiltration taires peuvent avoir de multiples localisations et ne peuvent
intratendineuse, qui comporterait un risque de rupture ten- donc pas être détaillées. Globalement, leur prise en charge
dineuse secondaire. thérapeutique est toujours fondée sur le même principe de
Des techniques récentes, souvent utilisées mais qui n'ont réduction ou d'éviction de la cause, du traitement sympto-
pas fait la preuve de leur efficacité, sont à la mode, comme matique anti-inflammatoire et antalgique, de la rééducation,
les injections de plasma riche en plaquettes (PRP) ou les des infiltrations et, si nécessaire, en dernier recours, de la
ondes de choc. chirurgie.
156 Partie 3. Pathologies douloureuses
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur Fibromyalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
au cours de la fibromyalgie . . . . . . . . . . . . . . . 157 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
Douleurs myofasciales localisées . . . . . . . . . . . 157
Tableau 24.2 Critères diagnostiques 4. diagnostic de fibromyalgie n'excluant pas une pathologie
de la fibromyalgie, révision 2016. associée.
Au final, ces critères sont utiles mais insuffisants pour
(1) WPI: note the number of areas in wich the patient has faire le diagnostic qui nécessite, en outre, de connaître l'his-
pain over the last week. In how many areas has the patient
had pain? Score will be between 0 and 19 toire médicale complète, le parcours de vie et de faire un
examen clinique minutieux [7].
Left upper region Right upper region Axial region
(Region 1) (Region2) (Region 5)
Jaw, lefta Jaw, righta Neck Formes cliniques
Shoulder girdle, left Shoulder girdle, Upper back La fibromyalgie se présente sous des formes cliniques
right variées. Certaines fibromyalgies commencent très tôt, dès
l'enfance, d'autres plus tardivement, à la ménopause. Il existe
Upper Arm, left Upper arm, right Lower back
des formes à début progressif ou à début brutal à l'occasion
Lower arm, left Lower arm, right Chesta d'un stress psychologique, d'un accident, d'une chirurgie, au
Abdomena décours d'une maladie aiguë (infection) ou à la suite d'un
Left lower region Right lower region syndrome douloureux initialement localisé (rachialgies,
(Region 3) (region 4) syndromes myofasciaux régionaux, etc.) [5–8].
La fibromyalgie peut survenir sur un terrain prédispo-
Hip (buttock, Hip (buttock,
trochanter), left trochanter), right
sant (hormonal, génétique, psychologique, traumatique,
etc.), être favorisée par des facteurs précipitants (infec-
Upper leg, left Upper leg, right
tion, traumatisme, chirurgie, médicaments, etc.) et être
Lower leg, left Lower leg, right entretenue par des facteurs de maintien (persistance de la
(2) Symptom severity scale (SSS) score douleur, errance médicale, doute diagnostique, mauvaise
compréhension, comportements inappropriés, environ-
Fatigue
nement difficile, anxiété, hypervigilance, dépression,
Waking unfreshed catastrophisme lié à la douleur, sentiment d'injustice,
Cognitive symptoms etc.) [5–8].
For the each of the 3 symptoms above, indicate the level of
Environ deux tiers des patients souffrent de fibromyalgie
severity over the past week using the following scale: modérée à sévère. Le Questionnaire d'impact de la fibro-
0 = No problem myalgie (QIF), coté de 0 à 100, permet d'évaluer la sévérité
1 = Slight or mild problems, generally mild or intermittent de la fibromyalgie (un QIF inférieur à 39 correspond à une
2 = Moderate, considerable problems, often present and/or at a forme mineure, un QIF de 39 à 59 correspond à une forme
moderate level modérée et un QIF de 59 à 100 correspond à une forme
3 = Severe: pervasive, continuous, life-disturbing problems
sévère) [9] (figure 24.1).
The symptom severity scale (SSS) score: is the sum of the severity Ces sous-groupes de sévérité ont probablement des carac-
scores of the 3 symptoms (fatigue, waking unrefreshed, and téristiques physiopathologiques différentes, avec des réponses
cognitive symptoms) (0–9) plus the sum (0–3) of the number of
variables aux traitements. Il semble donc nécessaire de les
the following symptoms the patient has been bothered by that
occurred during the previous 6 months: identifier afin de proposer des prises en charge adaptées.
(1) Headaches (0–1)
(2) Pain or cramps in lower abdomen (0–1) Examens complémentaires
(3) And depression (0–1)
Toutes les recommandations des experts internationaux s'ac-
The final symptom severity score is between 0 and 12 cordent pour dire que les examens complémentaires doivent
a: Not included in general pain definition. être limités [7, 8]. Ils servent à rechercher des pathologies
Source: Wolfe F., Clauw D.J., Fitzcharles M.A., et al. 2016 Revisions to the associées ou à poser des diagnostics différentiels [7]. L'Ameri-
2010/2011fibromyalgia diagnostic criteria Semin Arthritis Rheum 2016; 46: can Pain Society (APS) et les recommandations canadiennes
319–329.
conseillent une analyse biologique minimale reposant sur
la NFS plaquettes, la VS, la CRP, la créatine phosphokinase
(CPK) et le dosage des hormones thyroïdiennes [6–8]. Cer-
un surdiagnostic chez les patients souffrant de douleurs tains ajoutent la parathormone (PTH) [7]. Les anticorps
régionales lorsque la distribution spatiale des sites doulou- antinucléaires, le facteur rhumatoïde (FR), le dosage du fer et
reux n'est pas spécifiée et en cas de dépression [6]. de la vitamine D dépendent de l'orientation clinique. L'ima-
La révision de 2016 spécifie bien qu'au moins quatre sur gerie est sans intérêt dans la fibromyalgie isolée.
cinq régions doivent être douloureuses [6]. Cette dernière
révision 2016 comporte les critères diagnostiques suivants :
1. douleurs diffuses touchant au moins quatre régions du Diagnostics différentiels
corps sur cinq ; De nombreuses pathologies peuvent mimer une fibro-
2. symptômes depuis au moins trois mois ; myalgie. Il peut s'agir de maladies rhumatismales, de
3. association : score de douleurs diffuses ≥ 7 et score de pathologies neurologiques, de troubles métaboliques,
sévérité ≥ 5 ou association : score de douleurs diffuses de etc. Il est important d'évoquer différents diagnostics dif-
quatre à six et score de sévérité ≥ 9 ; férentiels résumés dans le tableau 24.3 [7]. Il est parfois
160 Partie 3. Pathologies douloureuses
difficile de distinguer une spondyloarthrite enthésitique terme de syndrome d'hyperlaxité. Le diagnostic repose
non radiographique d'une fibromyalgie, d'autant qu'elles sur une hyperlaxité généralisée associée à des douleurs
peuvent être associées. Cependant, une survenue de la touchant au moins quatre articulations pendant au
maladie avant 45 ans, la douleur primant dans la seconde moins 3 mois sans autre cause expliquant les douleurs
partie de nuit et au petit matin, l'amélioration relative [7]. L'hyperlaxité peut expliquer la douleur, mais une
par l'exercice, la raideur matinale supérieure à une heure, hyperlaxité peut aussi être associée à une fibromyalgie.
l'association à un psoriasis cutané, à une uvéite ou à des Le syndrome d'Ehler-Danlos est une maladie génétique
symptômes digestifs évoquant une maladie inflammatoire caractérisée par une hyperlaxité, une peau extensible
intestinale peuvent orienter vers une spondyloarthrite et une fragilité tissulaire. Il existe plusieurs variants
[7]. Dans ces situations, les examens complémentaires dont le type hyperlaxe, sans génotype spécifique ou
ont toute leur place (IRM des sacro-iliaques et du rachis, le diagnostic est uniquement clinique. Il y a actuelle-
typage HLA-B27, CRP). ment débat en termes de classification et de diagnos-
L'hyperlaxité associée à des douleurs diffuses tic en ce qui concerne l'hyperlaxité et le syndrome
concerne environ 3 % des personnes. On utilise alors le d'Ehler-Danlos.
____________________________________________________________________________
Mettez une simple croix X dans la case qui correspond à votre choix
0 1 2 3 4 5 6 7
Mettez une simple croix X dans la case qui correspond à votre choix
0 1 2 3 4 5 6 7
• Les jours où vous avez travaillé, les douleurs ou d'autres problèmes liés à votre
fibromyalgie vous ont-ils gêné(e) dans votre travail ?
Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes
Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes
Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes
Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes
Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes
Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes
Indiquez d'un trait l'endroit où vous vous situez entre les deux positions extrêmes
Certains médicaments peuvent aussi entraîner des dou- Pathologies somatiques associées
leurs. Il s'agit notamment des statines (douleurs musculaires), Certains diagnostics différentiels constituent aussi des
des opioïdes (douleurs diffuses favorisées par leur utilisation diagnostics associés. La fibromyalgie peut accompagner
prolongée en rapport avec une hyperalgésie), des chimiothéra- des pathologies rhumatismales telles que le lupus (37 %),
pies (douleurs neuropathiques), des antiaromatases (arthralgies, la spondylarthrite ankylosante (21,4 %), la polyarthrite
douleurs diffuses) et des bisphosphonates (douleurs osseuses). rhumatoïde (21 %) et l'arthrose (17 %) [7]. Il est important
162 Partie 3. Pathologies douloureuses
d'identifier et de traiter ces pathologies associées, car elles douloureux (des anciens critères ACR 1990) n'est pas justi-
peuvent aggraver les symptômes. En outre, attribuer les fiée pour la confirmation du diagnostic.
symptômes actuels à l'étiologie responsable est difficile
mais nécessaire car les traitements diffèrent drastique-
ment entre une poussée de polyarthrite rhumatoïde et des On peut résumer la démarche
douleurs de fibromyalgie associée par exemple [6–8]. diagnostique en 6 étapes, comme
proposée par Haüser et al. en 2017 [7] :
évaluer la douleur et ses caractéristiques,
Pathologies psychiatriques associées
■
■
évaluer les symptômes associés (fatigue, réveil non reposé,
Les troubles anxieux sont associés à la fibromyalgie chez 35 autres organes symptomatiques, signes systémiques),
à 62 % des patients, la dépression chez 58 à 86 % d'entre eux, ■
interroger l'histoire personnelle (médicale et psychosociale),
les troubles bipolaires chez 11 %, et l'abus de substances chez ■
interroger l'histoire familiale (médicale et psychosociale),
12% [10, 11]. L'anxiété et la dépression sont très fréquemment ■
faire l'examen clinique,
associées aux douleurs chroniques (et donc à la fibromyalgie)
■
prescrire une biologie limitée.
et sont considérées comme des associations comorbides. Il
semble que l'anxiété soit plus souvent associée à la sévérité et
à l'ancienneté de la douleur, et la dépression, plutôt associée à Le médecin généraliste doit évoquer le diagnostic dès que
l'ancienneté de la douleur. Les troubles de l'humeur sont des possible, sans qu'il soit nécessaire d'avoir une confirmation
facteurs d'entretien des douleurs chroniques. par un spécialiste [7, 8].
Le syndrome de stress post-traumatique est observé au La recherche de diagnostics associés et ou différentiels –
cours de la fibromyalgie avec une fréquence, supérieure à somatiques ou psychologiques – doit être effectuée [7].
celle relevée dans la population générale, d'environ 57 % Le diagnostic doit être communiqué au patient [8, 16].
[12]. Les événements de vie traumatiques antérieurs sont Les recommandations EULAR 2016 stipulent même qu'une
potentiellement source de douleurs ultérieures [13]. information doit lui être délivrée sous forme de documen-
Parmi les patients souffrant de fibromyalgie, certains tation écrite (en ligne par exemple sur le site : reseau-lcd.
troubles émotionnels et traits de personnalité peuvent modi- org) [16]. En outre, donner le diagnostic diminue les coûts
fier la capacité à gérer la douleur et le stress [14, 15]. Les de santé. Cette recommandation peut être modulée chez
réponses à la douleur semblent donc facilitées lorsqu'existent l'enfant, où l'on préfère éviter de « coller » une étiquette
un catastrophisme lié à la douleur, un névrosisme (tendance diagnostique précoce, espérant un amendement des symp-
à expérimenter des émotions négatives), un sentiment d'in- tômes avec une prise en charge rapide, globale et adaptée.
justice et des stratégies d'ajustement peu flexibles [15]. En outre, toute nouvelle plainte ne doit pas être mise de
façon systématique sur le compte de la fibromyalgie [7, 8].
Les examens biologiques doivent se réduire au minimum,
Recommandations diagnostiques sauf en cas de nouveaux signes physiques ou symptômes [7,8].
pratiques L'envoi itératif à de multiples spécialistes doit être évité [7].
Les canadiens ont proposé, en 2012, des recommandations
diagnostiques [8]. Elles incluent la nécessité d'un examen Traitements
clinique, y compris neurologique, chez toute personne se Toutes les recommandations internationales s'accordent
plaignant de douleurs diffuses pouvant faire évoquer une sur la prise en charge, qui doit commencer par une infor-
fibromyalgie. L'examen est alors normal en dehors de la mation exhaustive et écrite. Elles sont toutes consensuelles
pression des zones douloureuses. La recherche des points pour recommander en première ligne les exercices aérobies,
Chapitre 24. Fibromyalgie et douleurs myofasciales 163
symptômes touchant l'ensemble des organes, le réveil [12] Häuser W. Posttraumatic stress disorder in fibromyalgia syndrome :
non reposé, les troubles cognitifs et la fatigue, quanti- prevalence, temporal relationship between posttraumatic stress and
fiés par un score de sévérité. Connaître les diagnostics fibromyalgia symptoms, and impact on clinical outcome. Pain 2013 ;
154 : 1216–23.
différentiels et associés est indispensable à une prise en
[13] Gupta A, Silman AJ, Ray D, Morriss R, Dickens C, MacFarlane GJ,
charge adaptée. et al. The role of psychosocial factors in predicting the onset of chro-
Différentes recommandations diagnostiques sont actuel- nic widespread pain : results from a prospective population based-
lement disponibles. Elles insistent sur le médecin généra- study. Rheumatology 2007 ; 46 : 666–71.
liste comme interlocuteur de première ligne, sachant que [14] Bucourt E, Martaillé V, Mulleman D, Goupille P, Joncker-Vannier I,
le rhumatologue peut faire le diagnostic chez des patients Hüttenberger B. Comparaison des cinq grands traits de personnalité
dont le cas est plus complexe et a une meilleure connais- dans la fibromyalgie et les autres maladies rhumatismales. Revue du
sance des traitements validés. Rhumatisme 2018 ; 85 : 188–94.
Sur le plan thérapeutique, la place des approches non [15] Laroche F, Guérin J, Azoulay D, Coste J, Perrot S. La fibromyalgie
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Enquête nationale auprès de 4 516 patients. Revue du Rhumatisme
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Chapitre
25
Céphalées : la migraine,
les céphalées quotidiennes
chroniques
Anne Donnet, Michel Lanteri-Minet
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la migraine : Explorations paracliniques chez un migraineux. . . 171
physiopathologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Traitements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Clinique de la migraine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Pistes d'avenir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
La migraine est une maladie neurologique fréquente, tou- sion corticale envahissante et entraînent probablement une
chant 20 % de la population adulte en France, et près d'un hyperexcitabilité corticale, avec excès de transmission gluta-
enfant sur dix [1]. Elle appartient au groupe des céphalées matergique [3]. Un quatrième gène code une protéine régu-
primaires, qui s'opposent aux céphalées secondaires [2], latrice associée au complexe d'exocytose.
et dont le diagnostic est établi par l'interrogatoire selon Dans les formes les plus communes de migraine, des fac-
des critères stricts, l'examen physique étant normal. Elle teurs génétiques complexes interagissent avec de nombreux
a un pic de prévalence entre 20 et 50 ans et un sex-ratio facteurs environnementaux, l'héritabilité étant proche de
de trois femmes pour un homme en population adulte. La 50 %. À ce jour, 42 loci impliqués dans le stress oxydatif,
migraine est classée par l'OMS parmi les vingt affections les l'homéostasie ionique et les pathologies vasculaires ont
plus invalidantes à l'échelle sociétale. Une fois la migraine été identifiés. Ces multiples gènes de susceptibilité sont en
reconnue, ce diagnostic impose une évaluation systéma- cours d'identification par des études d'association pangé-
tique, indispensable à la mise en place d'une stratégie thé- nomique [4] ; leurs mutations induiraient une hyperexci-
rapeutique ayant pour objectifs de contrôler les crises, mais tabilité de certaines populations neuronales, faisant le lit
également quand cela s'avère nécessaire, de réduire le han- des crises. L'aura migraineuse est sous-tendue par un phé-
dicap lié à la maladie. Cette prise en charge doit permettre nomène neuronal : la dépression corticale envahissante,
de redonner de la qualité de vie aux migraineux et d'empê- dysfonctionnement transitoire cortical à point de départ
cher la transformation d'une forme épisodique de migraine occipital, qui se propage lentement vers l'avant. La cépha-
en forme chronique, cette évolution étant souvent favorisée lée est liée à l'activation du système trigéminovasculaire,
par un mésusage médicamenteux aboutissant à un abus responsable d'une inflammation périvasculaire. La dou-
médicamenteux. leur est transmise par le nerf trijumeau au tronc cérébral
puis relayée vers le thalamus. Le déroulement des crises
fait également intervenir un « générateur » de la migraine
Ce qu'il faut comprendre localisé dans l'hypothalamus et responsable, entre autres,
de la migraine : physiopathologie des prodromes [5].
La maladie migraineuse est due à une excitabilité neuronale
anormale, sous-tendue par une prédisposition génétique Clinique de la migraine
complexe et modulée par des facteurs environnementaux
intrinsèques ou extrinsèques. La migraine hémiplégique En l'absence de marqueur biologique, le diagnostic de migraine
familiale est une variété rare et autosomique dominante repose sur l'interrogatoire. La migraine a deux expressions
de migraine avec aura. Les trois premiers gènes codent des cliniques différentes : la migraine sans aura, caractérisée par
transporteurs ioniques ; leurs mutations facilitent la dépres- des céphalées, qui a des caractéristiques spécifiques et des
symptômes associés, et la migraine avec aura, principale Les critères diagnostiques sont les suivants [2] :
ment caractérisée par des symptômes n eurologiques focaux A. au moins deux crises répondant aux critères B et C ;
transitoires, qui précèdent le plus souvent ou accompagnent B. au moins un symptôme entièrement réversible d'aura :
la céphalée. Certains patients présentent également une phase 1. visuel,
prodromique, survenant dans les 48 heures avant la céphalée 2. sensitif,
et, après la résolution de celle-ci, une phase postdromique. 3. relatif à la parole ou au langage,
Les prodromes comprennent divers symptômes : fatigue, 4. moteur,
difficultés à se concentrer, raideur de la nuque, bâillements, 5. tronc cérébral,
pâleur, etc. Des symptômes postdromiques, le plus souvent 6. rétinien ;
une fatigue et une modification de l'humeur, peuvent suivre la C. au moins trois des six caractéristiques suivantes :
résolution de la céphalée et persister plusieurs heures. 1. développement progressif d'au moins un symptôme
d'aura sur ≥ 5 minutes,
Formes cliniques 2. survenue successive de deux ou plusieurs symptômes
d'aura,
Migraine sans aura 3. durée de chaque symptôme d'aura allant de 5 à
Le diagnostic de migraine sans aura repose sur les critères 60 minutes,
établis par la classification internationale des céphalées qui 4. unilatéralité d'au moins un symptôme d'aura,
a été révisée en 2018 (ICHD-3) [2] : le patient décrit des 5. positivité d'au moins un symptôme d'aura,
céphalées récurrentes, se manifestant par des crises durant 6. aura accompagnée ou suivie dans les 60 minutes d'une
de 4 à 72 heures. Les caractéristiques typiques de la cépha- céphalée ;
lée sont la topographie unilatérale, la tonalité pulsatile, D. n'est pas mieux expliquée par un autre diagnostic de
l'intensité modérée ou sévère, l'aggravation par l'activité l'ICHD-3.
physique de routine et l'association de symptômes comme L'aura visuelle est le type d'aura le plus courant, surve-
la nausée ou la photophobie et la phonophobie. Lorsqu'il nant chez plus de 90 % des patients souffrant de migraine
s'agit d'une céphalée primaire, l'examen neurologique et avec aura. L'expression de l'aura est le plus souvent stric-
systémique doit être normal. tement visuelle [7]. Elle se présente sous forme d'une
Les critères diagnostiques sont les suivants [2] : expression positive (souvent décrite comme des phos-
A. au moins cinq crises répondant aux critères B à D ; phènes, taches angulaires ou arrondies, lignes brisées, halos
B. crises céphaliques durant 4 à 72 heures (non traitées ou lumineux) ou négative (flou visuel, hémianopsie latérale
traitées inefficacement) ; homonyme). Le scotome scintillant est classique, mais peu
C. céphalée ayant au moins deux des quatre caractéristiques fréquent : il se traduit par un point lumineux dans une par-
suivantes : tie du champ visuel des deux yeux, s'élargissant en ligne
1. topographie unilatérale, brisée et laissant place à un scotome central, lui-même de
2. tonalité pulsatile, régression progressive. Ces phénomènes commencent le
3. intensité douloureuse modérée ou sévère, plus souvent au centre du champ visuel, progressent len-
4. aggravée par ou entraînant l'évitement de l'activité tement pour gagner un hémichamp visuel ou les deux. Ils
physique de routine (marche ou montée des escaliers) ; sont de couleur noire, blanche, brillants plus que mats, et
D. durant la céphalée, au moins un des symptômes suivants : parfois complexes (vision kaléidoscopique, troubles de la
1. nausées et vomissements, perception visuelle, notamment métamorphopsies, voire
2. photophobie et phonophobie ; hallucinations visuelles élaborées).
E. N'est pas mieux expliquée par un autre diagnostic de L'aura sensitive comporte des phénomènes positifs à type
l'ICHD-3. de paresthésies commençant le plus souvent de façon dis-
La migraine sans aura chez les enfants est de traduction tale, au niveau du membre supérieur, et s'étendant jusqu'à
différente, se manifestant le plus souvent, par une céphalée la région péribuccale ou à l'hémiface du même côté, plus
bilatérale ; la douleur unilatérale apparaît généralement à la rarement à l'ensemble de l'hémicorps, selon une « marche
fin de l'adolescence ou au début de la vie adulte. La locali- migraineuse » évocatrice. Les troubles sensitifs négatifs,
sation de la céphalée est habituellement frontotemporale, et moins fréquents, comportent une hypoesthésie au tact, à la
la durée de la crise plus brève. L'autre caractéristique de la douleur.
migraine de l'enfant est de pouvoir avoir des manifestations L'aura aphasique est plus rare et se traduit essentielle-
non céphalalgiques, décrites sous le nom de syndromes épi- ment par des troubles de la dénomination.
sodiques rattachés à la migraine. Le syndrome des vomis- Lorsque les symptômes de l'aura sont multiples, ils se suc-
sements cycliques en est l'expression la plus classique, avec cèdent généralement selon la séquence suivante : visuelle,
une symptomatologie purement digestive [6]. puis sensitive, puis aphasique ; mais d'autres séquences sont
possibles. La durée acceptée pour la plupart des symptômes
Migraine avec aura de l'aura est d'une heure par symptôme (en dehors de l'aura
La migraine avec aura se traduit par des crises récurrentes, motrice qui est souvent plus longue).
caractérisées par des symptômes visuels, sensitifs ou d'autres De nombreux patients ayant des crises migraineuses avec
symptômes du SNC réversibles, qui se développent progres- aura souffrent également de crises sans aura.
sivement et qui sont habituellement, mais non systématique Les crises de migraine sans aura surviennent générale-
ment, suivies de céphalée. ment sans périodicité. La fréquence des crises de migraine
Chapitre 25. Céphalées : la migraine, les céphalées quotidiennes chroniques 169
avec aura est très variable : fréquemment, elles se produisent et la probabilité de développer une migraine chronique
en salves sur quelques jours, en alternance avec de longs qui n'est pas linéaire et un seuil de majoration du risque à
intervalles libres (parfois plusieurs années). partir de trois crises par mois), l'inefficacité du traitement
L'intensité de la céphalée peut varier au cours de la vie, de la crise, l'augmentation de l'indice de masse corporelle
voire être absente, réalisant alors une aura sans céphalée. De (IMC) et le syndrome métabolique chez la femme, l'abus
même, les auras peuvent se modifier au cours de la vie. médicamenteux de traitements de crise, l'abus de caféine, les
événements biographiques stressants et le ronflement noc-
Céphalées chroniques quotidiennes turne. D'autres facteurs de risque potentiels sont également
discutés : l'existence d'une allodynie cutanée, les comorbi-
Le diagnostic de CCQ, repose sur la survenue chez un patient
dités, comprenant un état pro-inflammatoire et l'existence
de céphalées plus de 15 jours par mois et plus de 4 heures
d'un autre syndrome douloureux chronique, notamment
par jour depuis au moins 3 mois. Cette pathologie atteint
d'origine musculosquelettique.
un patient présentant initialement une céphalée primaire
En pratique quotidienne, deux situations peuvent se ren-
(migraine mais aussi céphalée de tension) le plus souvent
contrer [8] :
épisodique, qui évolue vers une céphalée chronique sous l'in-
■ le plus souvent, le patient migraineux en CCQ se présente
fluence notamment d'un abus médicamenteux et de facteurs
un abus médicamenteux. Il existe un consensus (même
psychopathologiques. Les CCQ ne sont pas individualisées
s'il est débattu), qui fait de la réalisation du sevrage
en tant qu'entité nosographique dans les éditions successives
en antalgiques ou en antimigraineux spécifiques un
de la classification internationale des céphalées.
préalable incontournable à la prise en charge d'un patient
L'absence ou la mauvaise prise en charge de la migraine
migraineux en CCQ présentant un abus médicamenteux.
épisodique, expose le patient à une surconsommation
Ce sevrage permettra de déterminer le diagnostic final,
incontrôlée de traitements de crise. Tous les traitements de
à savoir : migraine chronique en cas de persistance de la
crise peuvent être en cause.
CCQ deux mois après le sevrage ou céphalée par abus
Pour porter le diagnostic de CCQ avec abus médicamen-
médicamenteux si la CCQ a disparu deux mois après le
teux, la prise médicamenteuse doit correspondre aux cri-
sevrage ;
tères suivants [8] :
■ de manière rare, le patient ne présente pas d'abus médi-
■ plus de 15 jours/mois pour les antalgiques non opioïdes
camenteux quand il arrive à la consultation ; il s'agit d'un
(paracétamol, aspirine, AINS) ;
patient présentant une migraine chronique si les critères
■ plus de 10 jours/mois pour les autres traitements de crise
diagnostiques sont présents.
(opioïdes, ergotés, triptans, spécialités antalgiques asso-
ciant plusieurs principes actifs).
La prévention de la CCQ repose sur la réalisation d'un Facteurs déclenchants la crise de migraine
agenda pour tout patient migraineux dès la première Les facteurs déclenchants la crise de migraine sont multiples
consultation, précisant la date de survenue des céphalées, et ont comme dénominateur commun un changement,
leur durée et les médicaments utilisés. Cet agenda, rapporté intrinsèque ou extrinsèque. Une crise de migraine peut égale-
lors de la consultation suivante au bout de trois mois, per- ment survenir spontanément. Outre les facteurs hormonaux
mettra d'estimer l'indication d'un traitement de fond. classiques chez la femme, voire une possible situation de
survenue exclusive, les modifications du rythme du sommeil
Migraine chronique (manque ou excès) ou des repas (saut d'un repas, jeûne, ou
repas plus riche) sont parmi les facteurs les plus fréquemment
À côté de la CCQ avec abus médicamenteux, le concept
retrouvés. Les crises de migraine déclenchées par les week-
de migraine chronique a été défini plus récemment. La
ends, le début des vacances, les voyages et les déménagements
migraine épisodique et la migraine chronique se différen-
intègre cette modification du rythme de vie. Les facteurs
cient donc par le nombre mensuel de jours de céphalée
psychologiques (émotions désagréables ou agréables, stress),
migraineuse par mois, la migraine épisodique comptant
les facteurs sensoriels (luminosité, parfums et odeurs), clima-
moins de 15 jours de migraine par mois, et la migraine
tiques et, enfin, alimentaires peuvent être aussi retenus chez
chronique, 15 jours ou plus sur cette même période. Elle
certains patients, surtout s'ils sont reproductibles.
est actuellement définie comme une céphalée survenant
au moins 15 jours par mois depuis plus de 3 mois et ayant
les caractéristiques d'une céphalée migraineuse au moins Évaluation du patient migraineux
8 jours par mois. La classification identifie la migraine chro-
L'agenda des crises
nique comme une entité à part entière, au même titre que la
migraine épisodique, et non pas comme une complication Les recommandations pour la prise en charge de la migraine
de la migraine, comme c'était le cas précédemment [2]. Des proposent la tenue d'un agenda des crises, précisant la date
facteurs de risque de la transformation d'une migraine épi- de survenue, la durée et l'intensité de la douleur, les facteurs
sodique en une migraine chronique sont décrits. Certains déclenchants et les médicaments utilisés à chaque crise
de ces facteurs sont non modifiables : le type caucasien, le migraineuse.
sexe féminin, l'âge, le faible niveau socio-économique, la
séparation conjugale et les antécédents de traumatismes Pourquoi utiliser un agenda dans la migraine ?
crâniens. D'autres sont modifiables : la fréquence des crises L'agenda est un moyen pour le médecin traitant d'éta-
migraineuses (avec une relation entre la fréquence des crises blir une communication avec son patient sur la maladie
170 Partie 3. Pathologies douloureuses
ment en cas de dissection des artères cervicales, de throm- rité dans les horaires de repas et de sommeil peut aider à
bophlébites cérébrales, processus expansifs, ou encore avoir moins de crises. Cependant, l'exclusion complète des
d'hypotension intracrânienne spontanée, etc.) [9]. facteurs déclenchants de crise est illusoire et une « cohabi-
Les auras migraineuses doivent être différenciées des tation » avec les facteurs déclenchants est le plus souvent
accidents ischémiques transitoires et des crises d'épilepsie expliquée. La consommation de caféine doit être modérée
partielle. La migraine avec aura peut être également sympto- et ne doit pas faire l'objet d'un sevrage brutal, a fortiori le
matiques de maladies systémiques. week-end. Il faut à la fois rassurer le patient (aucun exa-
Dans les accidents ischémiques transitoires, les déficits men complémentaire n'est nécessaire si le diagnostic est
neurologiques sont brutaux, maximaux d'emblée et durent confirmé par les critères de la classification) et expliquer
généralement moins de 30 minutes. Lors de crises d'épilepsie la maladie (affection bénigne, mais possiblement handica-
partielles, les symptômes ou signes neurologiques durent géné- pante pour une partie de la population migraineuse). Il est
ralement quelques secondes ou minutes, bien moins que lors important d'apprécier le retentissement social, profession-
d'une aura migraineuse. L'expression clinique est souvent plus nel et familial, d'évaluer la fréquence des crises sur les trois
colorée et peut s'accompagner de troubles de la conscience. derniers mois (agenda), ainsi que les traitements de crise et
Des migraines avec aura secondaires peuvent être symp- de fond déjà utilisés (type, durée et posologies).
tomatiques d'une lésion cérébrale telle qu'une malformation Le traitement repose sur deux volets. Le traitement de
vasculaire (malformation artérioveineuse, en particulier crise est proposé à tous les patients, dans le but de soulager
occipitale). Dans ce cas, l'aura affectera l'hémicorps ou l'hé- la céphalée migraineuse et les signes associés. Le traitement
michamp visuel opposé à la lésion et la céphalée touchera le de fond vise à diminuer la fréquence des crises, sera proposé
plus souvent l'hémicrâne ipsilatéral. D'autres maladies neu- aux patients ayant des crises fréquentes et pourra être médi-
rologiques ou générales, telles que le lupus, le syndrome des camenteux ou non médicamenteux.
antiphospholipides, les mitochondriopathies ou certaines
maladies des petites artères cérébrales (Cerebral Autosomal Traitements de crise [10]
Dominant Arteriopathy with Subcortical Infarcts and Leu-
coencephalopathy [CADASIL]) peuvent se manifester par des Quelles molécules ?
crises de migraine avec aura, parfois prolongées ou atypiques. Les molécules ayant une efficacité démontrée dans le traite-
ment de la céphalée migraineuse sont des traitements non
spécifiques (paracétamol, aspirine, AINS) et des traitements
Explorations paracliniques spécifiques, agonistes des récepteurs sérotoninergiques
chez un migraineux 5-HT1B/1D (triptans). Les dérivés de l'ergot de seigle sont
plus rarement utilisés.
Le diagnostic de migraine est purement clinique, et repose Il est recommandé d'éviter les opioïdes (codéine, opium,
sur les critères de l'ICHD-3 qui doivent être remplis [2]. tramadol, morphine et autres opioïdes forts), seuls ou en
L'imagerie cérébrale (scanner ou IRM) est inutile si le association, qui augmentent souvent les nausées et peuvent
diagnostic clinique est bien établi, et est normale chez un induire un abus médicamenteux, qui risque de chroniciser
patient migraineux [10]. L'IRM cérébrale peut cependant la migraine, ou une addiction.
montrer des hypersignaux non spécifiques de la substance Les triptans sont contre-indiqués en cas d'antécédent car-
blanche cérébrale. diovasculaire (AVC, accident ischémique transitoire, angor,
Dans la migraine sans aura, l'imagerie cérébrale est infarctus du myocarde [IDM] ou HTA mal contrôlée).
indiquée uniquement pour éliminer une pathologie autre, Des antiémétiques (métoclopramide) sont utiles en cas de
lorsque les céphalées se présentent selon une modalité inha- signes digestifs importants. Le métoclopramide a également
bituelle, s'accompagnent d'une anomalie à l'examen clinique une efficacité sur le traitement de la céphalée migraineuse.
ou commencent tardivement après l'âge de 50 ans [9]. Il est Le traitement de crise doit être pris le plus tôt possible (au
recommandé de pratiquer une IRM cérébrale avec injection stade de céphalée légère), à la dose efficace et par la bonne
de gadolinium et une angio-IRM artérielle et veineuse dans voie (suppositoire ou injection, en cas de vomissements).
un délai à apprécier en fonction du contexte (en urgence Deux AINS ont l'AMM dans le traitement de la crise
devant toute céphalée brutale ou rapidement progressive). de migraine : l'ibuprofène (400 mg) et le kétoprofène
Selon le contexte, des examens sanguins et une ponction (150 mg). D'autres AINS (en particulier le naproxène) sont
lombaire avec prise de pression seront indiqués. efficaces mais n'ont pas d'AMM dans la migraine. L'associa-
Dans la migraine avec aura, une IRM cérébrale est tion aspirine-métoclopramide bénéficie également d'une
recommandée devant toute aura atypique (basilaire ou AMM. Les triptans sont au nombre de sept, tous possédant
hémiplégique), à début brutal, prolongée au-delà d'une une AMM (almotriptan, eletriptan, frovatriptan, naratrip-
heure, survenant toujours du même côté ou sans symptômes tan, rizatriptan, sumatriptan, zolmitriptan). Ils sont tous
visuels, ou en cas d'anomalie à l'examen clinique. commercialisés sous forme administrable par voie orale
ou orodispersible (rizatriptan, zolmitriptan). Ils ont une
Traitements AMM pour la prise en charge de la céphalée migraineuse
entre 18 et 65 ans (sauf le sumatriptan qui possède égale-
La première étape du traitement est de confirmer le diag ment une voie nasale autorisée à partir de l'âge de 12 ans).
nostic par l'interrogatoire. Il est important d'identifier les La posologie des triptans est d'une unité en début de crise,
facteurs déclenchant des crises, d'expliquer qu'une régula- à renouveler en cas de r écurrence (m aximum 2 unités
172 Partie 3. Pathologies douloureuses
par jour). Les triptans sont des t raitements de la céphalée L'association triptan et AINS sera proposée en cas de crise
migraineuse et ne sont donc pas prescrits au moment de sévère partiellement traitée par une monothérapie, de crise
l'aura. nocturne ou de crise avec récurrences multiples, comme cela
est habituel au cours de la période des règles. En pratique,
quel que soit le traitement de crise prescrit, on demandera au
Quelle stratégie [10] ? patient de ne pas dépasser huit jours de prise par mois.
Le patient prendra d'abord l'AINS et gardera le triptan en
traitement de secours s'il n'est pas soulagé une à deuxheures Traitements de fond [10]
après la prise de l'AINS. Cette séquence thérapeutique sera Traitements de fond médicamenteux
évaluée après trois crises. Si l'AINS est efficace sur au moins
deux des trois crises et s'il est bien toléré, cette séquence thé- Quand commencer un traitement de fond ?
rapeutique sera reproduite. Si l'AINS est inefficace sur au Les traitements prophylactiques doivent être proposés aux
moins deux des trois crises ou s'il est mal toléré, le triptan sera patients qui ont des crises fréquentes d'intensité modérée
pris en première intention pour traiter les crises suivantes et à sévère, dont la qualité de vie est altérée par la maladie
le traitement sera réévalué à nouveau sur trois crises. migraineuse et qui sont par ailleurs compliants quant à
Si le triptan utilisé d'emblée est inefficace sur au moins l'administration quotidienne d'un traitement pendant plu-
deux des trois crises et bien toléré, il faudra successivement, sieurs mois. Ils doivent être également instaurés si le patient
dans un premier temps, vérifier que le triptan a été pris suf- consomme plus de huit jours de crise par mois, depuis plus
fisamment tôt (dans l'heure qui suit la survenue de la crise) de trois mois, même si le traitement de crise est efficace, et
et, si ce n'est pas le cas, recommander au patient d'essayer de ce afin d'éviter l'abus d'antalgiques.
nouveau ce triptan en prise précoce sur trois crises consécu-
tives. Si la prise précoce de ce triptan est inefficace ou s'il est Quelle molécule choisir ?
mal toléré, il faudra en changer et essayer le nouveau triptan Les traitements actuels sont tous non spécifiques (tableau
en prise précoce sur 3 crises consécutives. 25.2). Aucun antimigraineux de fond n'a fait la preuve d'une
supériorité d'efficacité par rapport à l'ensemble des molé- d'années, en tant que traitements spécifiques de la crise
cules disponibles. Le choix de la molécule repose sur les de migraine. Cependant, malgré cette spécificité, un cer-
éventuelles comorbidités, les traitements déjà essayés et le tain nombre de patients ne répondent pas aux triptans,
profil de tolérance du traitement à adapter à chaque patient. décrivent des effets indésirables invalidants ou ont une
Les recommandations reposent sur [10] : contre-indication à l'utilisation de cette classe de molé-
■ en première intention, les bêtabloquants (propranolol, cules. Deux autres classes de traitements spécifiques de
métoprolol), qui ont l'AMM dans cette indication, et en la crise sont en cours d'évaluation ; les gépants [11] et les
l'absence de contre-indications) ; ditans [12]. L'avantage de ces nouveaux traitements de
■ les autres traitements de fond étant prescrits en fonction crise serait leur efficacité (comparable à celle des triptans)
de la comorbidité et des effets indésirables possibles (en et une absence d'effet sur le système cardiovasculaire,
particulier du poids). faisant qu'ils pourraient être utilisés chez des patients
À ce jour, on ne peut plus prescrire le valproate de sodium présentant des antécédents vasculaires (et donc une
hors AMM chez les femmes en âge de procréer, du fait des contre-indication à l'utilisation des triptans).
risques encourus.
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Chapitre
26
Douleurs faciales
26.1 Névralgie faciale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 26.4 Douleurs ORL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 175 Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 Douleurs rhinosinusiennes . . . . . . . . . . . . . . . . 182
26.2 Algie vasculaire de la face . . . . . . . . . . . . . . 178 Douleurs pharyngées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 Otalgies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Caractéristiques cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 26.5 Douleurs orales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
Diagnostics différentiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 186
Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 Stomatodynie idiopathique . . . . . . . . . . . . . . . 187
26.3 Algies faciales de causes Douleurs dento-alvéolaires persistantes . . . . . 187
ophtalmologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180 Algies et dysfonctions de l'appareil
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 180 manducateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
Clinique et principes de traitement . . . . . . . . . 180 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
26.1 Névralgie faciale Elles sont dites essentielles, a priori sans cause décelable,
ce qui les distingue des neuropathies faciales par lésion des
nerfs.
Alain Serrie, Marie-Louise Navez Les caractéristiques cliniques sont évocatrices : décharges
électriques, unilatéralité dans une branche du trijumeau,
point gâchette et période réfractaire. L'examen clinique neu-
rologique et électrophysiologique est normal en dehors des
POINTS ESSENTIELS crises, ce qui la distingue des neuropathies faciales symp-
• Névralgie essentielle paroxystique (unilatérale, intervalle libre, tomatiques, se caractérisant par une douleur n europathique
topographie neurologique systématisée (branche du V)). continue et un déficit sensitif [2]. Son traitement en pre-
• Examen neurologique normal. mière intention est la carbamazépine.
• Névralgie symptomatique (fond douloureux continu,
déficit sensitif, cause tumorale à rechercher).
Clinique de la douleur
Forme classique
Ce qu'il faut comprendre La névralgie faciale essentielle (névralgie du trijumeau, tic
douloureux de Trousseau) est une affection du sujet âgé (les
de la douleur deux tiers des sujets atteints ont plus de 60 ans).
Les problèmes diagnostiques et thérapeutiques sont liés à la La clinique est caractéristique : douleur fulgurante
richesse de l'innervation sensitive de la face (nerfs trijumeau, (décharge électrique de quelques secondes), parfois suivie
glossopharyngien, etc.), à la densité de la vascularisation, d'une période réfractaire (quelques minutes pendant les-
siège de « désordres vasomoteurs » responsables d'algies quelles aucune stimulation ne peut déclencher un nouvel
trigéminovasculaires sévères et à la présence de nombreux accès douloureux) et déclenchée par le contact sur une zone
organes (nez, bouche, gorge, oreille et appareil oculaire.). La gâchette, ou trigger zone (commissure labiale, aile du nez,
face est une zone de convergence des douleurs et des « spé- dents), et pour des causes minimes (effleurement, parole,
cialités médicales » (figure 26.1). souffle d'air, mastication, brossage des dents, etc.) [3].
Parmi les névralgies crâniofaciales, la forme la plus fré- Dans 95 % des cas, la douleur est unilatérale, dans l'un
quente est la névralgie faciale essentielle (nerf trijumeau V) des territoires du nerf trijumeau : maxillaire inférieur (V3),
(figure 26.1), plus rarement les névralgies du nerf glosso- maxillaire supérieur (V2) et, plus rarement, zone orbitaire
pharyngien (IX) et celle du nerf intermédiaire de Wrisberg (V1). Les accès douloureux, au moins au début de l'évo-
(VII bis) [1]. lution, surviennent par périodes de quelques semaines à
Drapeaux rouges
Les névralgies faciales avec signes neurologiques défici-
taires dans le territoire du nerf trijumeau et d'autres paires
crâniennes, ou d'un syndrome cérébelleux ou pyramidal
évoquent une origine symptomatique. La clinique est sou-
vent différente : la douleur, plus ou moins continue, sans
déclenchement par des stimuli périphériques (aucune zone
gâchette), intéresse plusieurs branches du nerf trijumeau,
dont l'ophtalmique (V1), et peut survenir à tout âge (moins
de 50 ans). Les examens complémentaires recherchent une
Figure 26.1 Anatomie du nerf trijumeau.
lésion organique. Les étiologies sont diverses : traumatisme
Source : Alain Serrie.
ou lésion postchirurgicale d'un nerf, SEP, lésions tumorales
(neurinome des paires crâniennes, méningiome de la fosse
quelques mois, entrecoupées de périodes de rémission plus
postérieure, malformations vasculaires, etc.). L'imagerie
ou moins complètes et plus ou moins longues, mais l'évolu-
cérébrale, IRM et angio-IRM, peut permettre de visualiser le
tion se fait, le plus souvent, vers une aggravation et des crises
conflit entre l'une des branches du nerf trijumeau et un vais-
plus sévères et plus fréquentes.
seau artériel ou veineux, en général dans le trajet cisternal
L'examen neurologique est strictement normal en dehors
du nerf à la sortie du tronc cérébral avec l'artère cérébelleuse
des crises. Il n'y a aucun déficit dans le territoire trigéminé :
supérieure. Elle participe avec le scanner au diagnostic d'éli-
la constatation clinique d'anomalies récuse le diagnostic de
mination d'une éventuelle lésion responsable d'une névral-
névralgie faciale essentielle.
gie symptomatique.
Les tableaux de névralgies faciales avec altération de l'état
Comment l'évaluer dans ce contexte ? général, biologie inflammatoire perturbée évoquent une
Le diagnostic clinique est fondé sur l'interrogatoire du artérite temporale de Horton ; le diagnostic est réalisé et la
patient et sur l'examen clinique neurologique normal (sen- thérapeutique instaurée en urgence. Les douleurs faciales
sibilité, motricité des paires crâniennes, etc..). On évalue avec éruption vésiculeuse, ou cicatrices d'éruption, dans
l'intensité de la douleur et le nombre de crises. La carbama- un des territoires du nerf trijumeau (V1 le plus souvent)
zépine soulage le patient dans 95 % des cas et peut consti- évoquent les algies postzostériennes. Les antiviraux pres-
tuer un test diagnostique. crits rapidement réduisent le risque de douleur neuropa-
L'imagerie cérébrale, IRM et angio-IRM, est normale. thique postzostérienne.
La névralgie faciale au cours d'une maladie neurologique
démyélinisante peut être inaugurale. En ce qui concerne la
Formes frontières et diagnostics clinique, le jeune âge, un symptôme neurologique antérieur
différentiels plus ou moins régressif (amaurose transitoire, troubles de
Les formes cliniques des sujets de moins de 40 ans sont rares, l'équilibre, syndrome cérébelleux, paraparésie, etc.) et les
et doivent faire penser en premier lieu une cause symptoma- investigations (ponction lombaire, examen électrophoré-
tique, comme la SEP. tique du liquide cérébrospinal, potentiels évoqués visuels
Les formes évolutives sont variables : certaines, compor- et auditifs, IRM à la recherche de « plaques » au niveau du
tant des crises subintrantes, évoquent un état de mal névral- tronc cérébral ou dans la région périventriculaire) aideront
gique et constituent une urgence thérapeutique. le diagnostic.
Les formes bilatérales (5 % des cas) présentent des accès En pratique, les tableaux de névralgie faciale essentielle
unilatéraux alternant à chaque période. L'imagerie doit éli- et symptomatique peuvent présenter des similitudes, en
miner d'abord une lésion neurologique, comme la SEP. particulier au commencement de leur évolution. Il est donc
Les formes « vieillies » comportent des douleurs conti- de règle, au moindre doute et chez les sujets jeunes, d'entre-
nues à type de brûlure entre les accès ; la description initiale prendre des investigations neuroradiologiques : scanner
par le patient est caractéristique. avec et sans injection, IRM et angio-IRM.
Chapitre 26. Douleurs faciales 177
I
Cli
vu
II
s
Rocher
III
Trou ovale
A B
Figure 26.2 L'extrémité de la thermode est située à la jonction clivus-rocher, donc dans les fibres du V2 (A et B).
178 Partie 3. Pathologies douloureuses
séquelle définitive ; une hypoesthésie durable n'est pas rare L'objectif de ce chapitre est de rappeler les caractéris-
(en particulier dans le V3), ainsi qu'une diplopie transitoire. tiques cliniques et les principes thérapeutiques de cette
Si les résultats immédiats sont généralement bons, les réci- céphalée primaire invalidante.
dives précoces sont fréquentes.
La décompression « microvasculaire », développée par
Janetta, consiste à protéger le nerf par un téflon des boucles Caractéristiques cliniques
vasculaires retrouvées à l'intervention et situées juste à L'AVF est caractérisée par la survenue de crises doulou-
l'entrée du nerf dans la protubérance. Les résultats de cette reuse répondant à des critères diagnostiques spécifiques
neurochirurgie à ciel ouvert sont très satisfaisants, mais la (encadré 26.1). Le diagnostic est fondé sur les données de
mortalité et la morbidité ne sont pas nulles, une hypoes- l'anamnèse et la normalité de l'examen clinique en dehors
thésie faciale et surtout une hypoacousie ne sont pas rares. des crises.
La radiochirurgie stéréotaxique Gamma Knife décrite
par Leksell consiste à irradier, après un repérage minutieux
avec l'IRM et une mise en place d'un cadre stéréotaxique, Douleur et symptômes végétatifs
la région impliquée [6, 7]. Elle est atraumatique, quels que
soient l'âge et l'état du patient. Les effets indésirables sont au cours des crises
minimes : hypoesthésie dans moins de 10 % des cas, etc. L'AVF se manifeste par des douleurs intenses, souvent
L'efficacité est satisfaisante mais variable (60 à 90 %) et déca- décrites comme « un tison enfoncé dans l'œil, une sensation
lée dans le temps, nécessitant la poursuite de la carbamazé- d'arrachement ou de broiement du globe oculaire ». Elles
pine (trois semaines à trois mois). La durée de la rémission sont de localisation unilatérale, fronto-orbitaire et/ tempo-
se situe autour de cinq ans et une nouvelle irradiation est rale. La douleur peut irradier au niveau de l'hémiface et/
possible sans dépasser 160 Gy, avec un délai de quatre à six ou de l'hémicrâne ipsilatéral. L'alternance du côté des accès
mois. Il n'y a pas de contre-indications. douloureux est rare.
Les douleurs sont associées à une modification du
système végétatif au niveau de l'hémiface douloureuse :
injection conjonctivale, larmoiement, congestion nasale,
26.2 Algie vasculaire rhinorrhée, œdème palpébral, sudation du front ou de la
face, un myosis et/ou un ptôsis (encadré 26.1). Il existe éga-
de la face lement un comportement d'agitation motrice. Souvent, les
patients ne restent pas alités mais déambulent et peuvent
Geneviève Demarquay, Pierric Giraud manifester une agitation, voire une agressivité. Cette hype-
ractivité est un signe qu'il est important de rechercher et
s'oppose à l'alitement et la recherche d'un isolement senso-
riel décrits par les patients migraineux.
Résumé
L'AVF est une céphalée primaire trigémino-autonomique qui pré-
sente des caractéristiques cliniques, physiopathologiques et théra-
peutiques spécifiques. Elle se manifeste par la survenue de crises Encadré 26.1 Critères diagnostiques
douloureuses intenses de localisation orbitotemporale, associées de l'algie vasculaire de la face selon
à des symptômes végétatifs ipsilatéraux. Les crises durent de 15 la classification internationale des céphalées
à 180 minutes et surviennent en moyenne une à trois fois par
jour. Les mécanismes physiopathologiques impliquent le système A. Au moins cinq crises réunissant les critères B à D ;
trigéminovasculaire, le système végétatif à destinée céphalique B. douleur unilatérale sévère à très sévère, de localisation orbitaire,
et l'hypothalamus. La prise en charge thérapeutique repose sur supra-orbitaire et/ou temporale durant 15 à 180 minutes sans
la prescription de traitements de crise d'action rapide, comme le traitement ;
sumatriptan sous-cutané et l'oxygène au masque à fort débit, et de C. douleur associée à l'un des éléments suivants ou les deux :
traitements prophylactiques, comme le vérapamil avec, si besoin, 1. au moins un des signes survenant du côté de la douleur :
un traitement transitionnel par corticothérapie courte ou une infil- – injection conjonctivale et/ou larmoiement,
tration du nerf grand occipital. – congestion nasale et/ou rhinorrhée,
– œdème palpébral,
– sudation du front ou de la face,
Introduction – myosis et/ou ptôsis,
L'AVF représente la céphalée primaire trigémino- 2. sensation d'impatience ou agitation motrice ;
autonomique la plus fréquente dans la population générale. D. la fréquence des crises varie de 1 crise tous les deux jours à
Elle est caractérisée par des douleurs sévères, localisées huit crises par jour ;
principalement en regard de la région périorbitaire, asso- E. les symptômes ne sont pas attribuables à une autre
ciées à des symptômes sympathiques et parasympathiques pathologie.
ipsilatéraux. Malgré des caractéristiques cliniques spéci-
Source : Headache Classification Committee of the International Headache
fiques, l'AVF reste sous-estimée et associée à un possible Society, 2018 [8].
retard diagnostique.
Chapitre 26. Douleurs faciales 179
Évolution circadienne et circannuelle sont rapportées. Chez le sujet âgé, une douleur de localisa-
des crises tion frontotemporale doit toujours évoquer une maladie de
Horton.
Les crises durent entre 15 et 180 minutes et évoluent selon L'AVF doit également être distinguée des autres céphalées
un caractère circadien très évocateur de cette affection. Elles trigémino-autonomiques primaires, à savoir l'hémicrânie
sont souvent pluriquotidiennes, survenant entre 1 et 8 fois paroxystique, les douleurs faciales unilatérales névralgiformes
par jour (en moyenne, 1 à 3 épisodes par jour), le plus sou- avec crises de courte durée (SUNCT [Short-lasting Unilateral
vent à heures fixes. Un accès douloureux survenant au cours Neuralgiform headache attacks with Conjunctival injection
du sommeil est caractéristique de l'AVF. and Tearing] et SUNA [Short-Lasting Unilateral Neuralgi-
L'évolution des accès douloureux est classiquement form Headaches with Autonomic Symptoms]) et l'hémicrania
caractérisée par un caractère circannuel et saisonnier. La continua (tableau 26.1). Ces affections se manifestent par
période douloureuse active se manifeste par des crises des douleurs unilatérales fixes hémifaciales prédominant en
souvent pluriquotidiennes durant entre deux semaines à regard de la région périorbitaire et/ou temporale et associées
deux mois. Plus rarement, les patients présentent une AVF à des symptômes végétatifs ipsilatéraux. La durée et la fré-
chronique avec des périodes de rémission inférieures à quence des crises ainsi que la réponse à certains traitements
trois mois. permettent habituellement de les différencier.
Le diagnostic différentiel entre AVF et migraine peut se
Examen clinique discuter, car certaines crises de migraine s'associent par-
L'examen neurologique est strictement normal en dehors fois à des symptômes végétatifs périorbitaires. La durée et
des crises. La présence d'un signe de Claude-Bernard- l'évolution des crises ainsi que les symptômes associés aux
Horner en dehors des accès douloureux doit faire suspecter douleurs permettent habituellement de différencier les deux
une atteinte carotidienne et conduire à réaliser les examens pathologies.
d'imagerie appropriés en urgence. La névralgie trigéminale représente un diagnostic diffé-
rentiel de l'AVF lorsque des signes vasomoteurs sont consta-
tés au cours des épisodes d'intensité sévère et au cours des
Terrain formes « vieillies ». Toutefois, à la différence de l'AVF, les
Contrairement a la migraine, l'AVF affecte principalement les douleurs de la névralgie faciale sont brèves, classiquement
hommes, avec un age de survenue estimé entre 20 et 40 ans. à type de « décharge électrique » durant 3 à 20 secondes, et
Sa prevalence est estimee a 1 sur 1000 [9]. affectent dans la majorité des cas les branches V2 et V3 du
Une autre particularité épidémiologique de l'AVF est trijumeau. Elle touche également une population classique-
son association avec le tabagisme, observée dans plus de ment plus âgée.
85 % des cas [10], ainsi qu'une association significative avec
la consommation de cannabis. Les mécanismes physio
pathologiques à l'origine de ces associations ne sont pas Traitement
connus.
Traitement des crises
Diagnostics différentiels La durée des crises douloureuses (15 minutes à 180 minutes)
nécessite l'emploi de traitements à action rapide. Ils sont
En urgence, le diagnostic de dissection des vaisseaux du représentés par :
cou doit toujours être évoqué, puisque cette pathologie peut ■ le sumatriptan sous-cutané 6 mg (maximum de deux
également se manifester par une douleur hémifaciale et un injections par 24 heures), dont les contre-indications
syndrome de Claude-Bernard-Horner. Les autres diagnos- sont celles de tout triptan, notamment les complica-
tics à éliminer sont une sinusite sphénoïdale et les lésions de tions cardiovasculaires : hypertension non contrô-
la région hypophysaire, mais de nombreuses autres causes lée, IDM, p athologie vasculaire périphérique, AVC.
La prescription peut être réalisée par tous médecins, sur au moyen d'un examen ophtalmologique. Elle siège presque
ordonnance d'exception, après avoir vérifié l'absence de toujours au niveau du segment antérieur du globe.
contre-indication ; L'œil est innervé par le nerf ophtalmique, branche du
■ l'oxygénothérapie au masque à haute concentration est trijumeau (V1). Les tissus intra-oculaires les plus innervés
l'alternative en cas de contre-indication des triptans ou sont la cornée, l'iris, le corps ciliaire et la sclère.
de crises fréquentes. Il est recommandé de prescrire l'oxy- Trois mécanismes principaux mènent à une douleur ocu-
génothérapie à un débit de 12 à 15 litres par minute au laire : l'atteinte de la cornée, l'hypertonie et l'inflammation.
masque pendant 15 à 20 minutes [11]. La prescription ini- ■ Toute atteinte de la cornée (traumatique, infectieuse,
tiale est réservée au neurologue, à l'algologue, au pneumo- inflammatoire, liée à une sécheresse, etc.) donne une
logue ou à l'ORL et doit mentionner les forfaits 28 et 29. symptomatologie très douloureuse en raison de sa riche
innervation. La cornée est recouverte d'un épithélium
Prophylaxie transitionnelle sous lequel les terminaisons sensitives dessinent un très
dense plexus [12, 13]. En cas d'érosion, une douleur aiguë
Elle vise à réduire la fréquence des crises de manière rapide signale l'effraction épithéliale.
et repose sur l'emploi de corticoïdes per os sur une courte ■ L'hypertonie oculaire : la pression intra-oculaire (PIO)
durée afin d'éviter une pharmacodépendance et un phé- normale (15 ± 5 mmHg) est régulée par un équilibre entre
nomène de rebond, ou en injection sous-cutanée dans la la production d'humeur aqueuse par le corps ciliaire et sa
région du grand nerf occipital ipsilatérale à la douleur. résorption par le trabéculum dans l'angle iridocornéen.
En cas d'élévation brutale de la PIO, l'œil, de volume
Traitement préventif inextensible, est le siège d'une douleur violente, irra-
diant à l'orbite et à l'hémicrâne, souvent accompagnée de
Le traitement de référence est le vérapamil, un inhibiteur cal-
nausées et vomissements. L'hypertonie affecte plusieurs
cique qui n'a pas d'AMM dans cette indication. Il est recom-
éléments intra-oculaires (œdème de cornée, ischémie du
mandé de commencer à l'administrer à des posologies de
sphincter de l'iris et souffrance du nerf optique). Le pro-
240 mg par jour en utilisant la forme en 120 mg réparti en
nostic visuel est engagé en quelques heures.
deux prises, puis d'augmenter progressivement de 120 mg par
■ L'inflammation du segment antérieur du globe entraîne
jour tous les deux à sept jours [11]. La majorité des patients
une douleur oculaire d'intensité variable, selon la sévérité
souffrant d'AVF épisodique répondent à des posologies com-
de la réaction inflammatoire. Cette inflammation peut
prises entre 240 et 480 mg/j. Plus rarement, il est nécessaire
concerner la cornée (kératite), l'iris et le corps ciliaire
d'augmenter la posologie en l'absence de contre-indication et
(iridocyclite qui correspond à une uvéite antérieure) ou
d'effet indésirable. La prescription de vérapamil nécessite une
la sclère (sclérite). À l'inverse, une inflammation du seg-
surveillance de la tension artérielle, et un ECG doit être réalisé
ment postérieur est habituellement indolore et aboutit à
avant l'instauration du traitement puis, régulièrement, à chaque
une baisse visuelle ou à des myodésopsies.
augmentation de 120 mg. En cas de posologies élevées, un suivi
Outre ces trois mécanismes, une douleur oculaire peut être
cardiologique est proposé, d'autant que ces patients présentent
liée à une atteinte des tissus périoculaires : nerf optique, graisse
souvent des facteurs de risque cardiovasculaire associés.
orbitaire, muscles oculomoteurs, paupières, etc. La gêne
Le lithium représente l'alternative thérapeutique la plus clas-
fonctionnelle dépend de la structure atteinte : baisse visuelle
sique, notamment dans les formes d'AVF chroniques (absence
(névrite optique), diplopie (myosite, inflammation orbitaire,
d'AMM dans cette indication d'AVF). Cette prescription néces-
etc.). L'imagerie orbitaire (IRM ou TDM) oriente le diagnostic.
site un suivi clinique et biologique étroit et le respect des contre-
Une certaine douleur ou un inconfort peut être men-
indications et des possibles interactions médicamenteuses.
tionné en cas d'irritation conjonctivale chronique. Il
En cas d'AVF réfractaire, une alternative chirurgicale
convient de traiter la cause (allergie, rosacée, etc.) et la
peut être discutée en concertation en centre tertiaire. La
sécheresse souvent associée.
neurostimulation bilatérale du nerf grand occipital est habi-
Un excès d'accommodation peut entraîner des douleurs
tuellement le traitement proposé en première intention.
oculaires, des céphalées ou une fatigue visuelle. La gêne sera
améliorée par une correction optique adaptée.
Certains symptômes subjectifs fréquents : tiraillement,
26.3 Algies piquée, douleur rétro-oculaire, etc., ne reposent sur aucune
anomalie organique décelable.
faciales de causes
ophtalmologiques Clinique et principes de traitement
En cas de douleur oculaire aiguë, un examen clinique non
Pierre Manoli spécialisé peut identifier une étiologie (contexte trauma-
tique, antécédent d'uvéite, etc.). Au moindre doute, c'est
l'examen ophtalmologique avec lampe à fente (LAF) et
mesure de la PIO qui confirmera le diagnostic.
Ce qu'il faut comprendre Les symptômes communs aux 3 mécanismes évoqués
La douleur est un motif fréquent de consultation en ophtal- sont : douleur, photophobie et baisse visuelle. L'examen
mologie. Sa cause est habituellement rapidement identifiée physique retrouve une rougeur périkératique.
Chapitre 26. Douleurs faciales 181
Figure 26.3 Test à la fluorescéine positif, aspect dendritique de Figure 26.5 Hyperhémie conjonctivale et mydriase. L'hypertonie
l'ulcération typique d'une kératite herpétique. associée à une chambre antérieure étroite confirme le diagnos-
tic de glaucome aigu à angle fermé.
A B C
D E
Figure 26.7 TDM de polypose nasale avec mucoceles du sinus frontal bilatérales lysant les parois osseuses et syndrome méningé (A–E).
A B C
Figure 26.8 Céphalées droites avec exophtalmie et obstruction nasale epistaxis par métastase de carcinome peu différencié de la
glande thyroïde de la fosse infra-temporale droite (A–C)
Les angines non spécifiques sont d'origine virale dans herpétiforme) et l'angine ulcéreuse ou pseudomembra-
les deux tiers des cas. Les étiologies bactériennes (un tiers neuse (amygdale ulcérée, recouverte de fausses membranes
des cas) sont dues le plus souvent aux streptocoques du évoquant une angine de Vincent à germes anaérobies, une
groupe A (SGA) (dont Streptococcus pyogenes est le nom mononucléose infectieuse ou une diphtérie).
taxonomique et qui représente 30 % des angines en milieu L'aspect de l'oropharynx n'est pas prédictif de l'angine
scolaire), mais aussi Haemophilus influenzae ou Mycoplasma à streptocoques A, qui peut prendre une forme érythé-
pneumoniae. L'antibiothérapie ne doit être prescrite que mateuse, érythématopultacée, voire unilatérale ou érosive
dans ces cas. Une plus large utilisation du test de diagnostic (tableau 26.4).
rapide antigénique devrait permettre d'identifier les patients Le score de Mac-Isaac est proposé (positif lorsque le
susceptibles d'en bénéficier. résultat est supérieur à 2), qui prend en compte quatre items
à 1 point chacun et une cotation avec l'âge : la fièvre > 38 °C,
la présence d'un exsudat, les adénopathies cervicales dou-
Forme clinique classique loureuses, l'absence de toux, l'âge situé entre 15 et 45 ans
Dans les atteintes infectieuses de l'amygdale, la douleur est (0) ou supérieur à 45 ans (–1). Sa sensibilité́ est insuffisante
aggravée par la déglutition associée à une odynophagie et pour étayer une stratégie thérapeutique.
une otalgie homolatérale d'irradiation. Les tests de diagnostic rapide (TDR) permettent, à partir
D'autres symptômes, fonction de l'agent étiologique et de d'un prélèvement oropharyngé, de mettre en évidence les
l'âge du patient, peuvent l'accompagner, comme les douleurs antigènes de paroi (polysaccharide C) de S. pyogenes. Les
abdominales, l'éruption, les signes respiratoires (rhinorrhée, TDR sont simples et leur réalisation, au cabinet médical, est
toux, enrouement et gêne respiratoire) et une perte de poids. rapide. Leur spécificité est voisine de 95 %, leur sensibilité va
L'examen clinique de l'oropharynx permet de distinguer : de 80 à 98 %. Ils sont utilisés prioritairement aux techniques
l'angine érythémateuse , la plus fréquente (amygdale et pha- de culture classique (réservées aux cas de résistance selon les
rynx congestif) , l'angine érythématopultacée (amygdale données de l'antibiogramme).
congestive recouverte d'enduit purulent), l'angine vésicu- Le TDR est systématique chez l'enfant de plus de 3 ans,
leuse ou herpangine (pharynx inflammatoire et vésicules souvent inutile chez le nourrisson et l'enfant âgés de
dues à un entérovirus coxsackie ou à une gingivostomatite moins de 3 ans, les angines étant le plus souvent virales.
Chapitre 26. Douleurs faciales 185
Chez l'adulte, il est possible de décider de surseoir au test si angine qui ne guérit pas, du carcinome Herpès virus oncogène,
le score clinique de Mac-Isaac est inférieur à 2. Un test posi- du lymphome avec des adenopathies cervicales associées.
tif confirme l'étiologie à streptocoque β-hémolytique A et Les formes compliquées des angines sont l'abcès péri-
justifie la prescription d'antibiotiques. Un test négatif chez tonsillaire ou parapharyngé. La suppuration unilatérale
un sujet sans facteur de risque de rhumatisme articulaire autour de la capsule amygdalienne refoule le voile et le
aigu ne justifie pas de contrôle supplémentaire systématique streptocoque A est souvent en cause. La douleur est intense,
par culture, ni de traitement antibiotique. Seuls les traite- accompagnée de fièvre, d'un trismus, d'une déglutition dif-
ments antalgiques et antipyrétiques sont alors utiles. ficile et d'adénopathies.
Les otites barométriques décrites lors des voyages en avion insuffisance rénale et syndrome hémorragique). Parmi les
ou des plongées sous-marines, associent douleur et surdité. antalgiques de palier 2, la codéine ne doit plus être prescrite
L'otite moyenne aiguë est une affection de l'oreille chez l'enfant de moins de 12 ans (anomalie métabolique liée
moyenne et du tympan très fréquente chez l'enfant. Elle est au cytochrome P450 2D6) ; le tramadol peut être proposé
souvent d'origine virale (myringite bulleuse) ou, quelque- après 3 ans, mais l'administration doit être surveillée, car
fois, infectieuse (H. influenzae, etc.). Le diagnostic repose le profil métabolique suit les mêmes voies. Dans les formes
sur des signes à l'otoscopie (congestion et hypervasculari- sévères la morphine reste une possibilité.
sation du tympan) associés à un épanchement rétrotympa- L'antibiothérapie, sous forme d'amoxicilline (puis
nique, extériorisé (otorrhée), ou non extériorisé (opacité, amoxicilline-acide clavulanique), est recommandée chez
effacement des reliefs normaux ou bombement). l'enfant de moins de 2 ans. Après 2 ans, l'antibiothérapie n'est
pas systématique, sauf en cas de symptomatologie bruyante
Otalgies d'origine extra-auriculaire (fièvre élevée, otalgie intense). La paracentèse est recomman-
dée dans certains cas, après avis d'un ORL, dans les formes
Les otalgies reflexes en lien avec les territoires innervés par récidivantes et pour établir un diagnostic bactériologique.
le nerf trijumeau peuvent être d'origine dentaire (caries, C'est le traitement de la cause qui va soulager les otalgies
pulpites, granulome périapical, accidents d'éruption de dent réflexes (dentaires, névralgies, etc.) ; le traitement antalgique
de sagesse). Elles peuvent aussi correspondre à des gingivos- de première intention reste classique, associé au traitement
tomatites herpétiques ou intervenir lors de troubles de l'arti- spécifique (soins dentaires antiépileptiques, etc.). Dans les
culation temporomandibulaire (douleur de mobilisation localisations carcinologiques amygdaliennes, de la base de la
de la mâchoire, craquements, subluxation ou trismus). Les langue ou du crâne, on a recours aux opiacés.
douleurs d'origine tumorale (bord de langue, amygdales,
plancher de bouche, rhinopharynx) sont souvent sévères,
assorties d'une otite séreuse unilatérale. Bibliographie
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L'otalgie est intense, prenant la forme de brûlure. L'éruption Douleur et Analgésie ; 2010.
cutanée vésiculeuse est associée à une paralysie faciale péri-
phérique, des vertiges et une surdité de perception.
Les otalgies reflexes à point de départ du nerf glossopha-
ryngien sont le plus souvent d'origine infectieuse (angine, 26.5 Douleurs orales
aphte) ou tumorale (oropharynx), elles peuvent accompagner
le reflux gastro-œsophagien. La névralgie essentielle du nerf Vianney Descroix
glossopharyngien peut se manifester par une otalgie isolée. La cavité orale est composée de nombreux organes (dents,
Plus rarement, certaines otalgies reflexes sont d'origine parodonte, muqueuses, glandes salivaires, tissu osseux et
cervicale (adénopathies, parotide, tumeur parapharyngée), articulation) de natures très différentes et qui peuvent tous
mais le plus souvent le rachis cervical est incriminé à tort. être à l'origine de douleurs de natures très variées. Chaque
organe peut ainsi être à l'origine de douleur aiguë et chro-
Drapeaux rouges nique. La nature des douleurs est là aussi très variable,
Les otalgies révélatrices d'un carcinome pharyngolaryngé sont inflammatoire, infectieuse, traumatique, neuropathique ou
fréquentes et sévères, surtout dans les formes amygdaliennes dysfonctionnelle. Si les douleurs aiguës (pulpite, parodontite
et celle atteignant la base de la langue. Le diagnostic est porté apicale, maladies parodontales et péricoronarites) sont les
sur l'examen clinique, l'endoscopie et l'imagerie. Attention à plus fréquentes, elles sont aussi les plus évidentes à traiter,
l'otite externe rebelle du carcinome et de l'osteite du rocher de le plus souvent par une approche chirurgicale. Les douleurs
l'otite externe maligne avec paralysie faciale. Attention au car- chroniques de la cavité orale sont, elles, bien plus rares, très
cinome du naso-pharynx (virus Epstein Barr) du maghrébin mal connues et par conséquent peu prises en charge [14].
avec otite séreuse unilatérale, épistaxis, otalgie. Dans la très grande majorité des cas, les douleurs aiguës
Attention au diabète et aux immunosuppresseurs qui seront uniquement du ressort du spécialiste en médecine
augmentent le risque d'otite externe extensive. buccodentaire ou en chirurgie orale. Nous ne traiterons
donc dans ce sous-chapitre que des douleurs chroniques.
Traitements
Les otalgies d'origine auriculaire nécessitent des antalgiques Ce qu'il faut comprendre
adaptés à la sévérité de la douleur. En première intention, le
paracétamol à dose efficace (15 mg/kg toutes les six heures,
de la douleur
peut être associé aux anti-inflammatoires (ibuprofène aux Les douleurs orales chroniques intéressent le complexe
posologies de 20 à 30 mg/kg/j) par voie orale et pour une dento-alvéolaire, les muqueuses et les articulations tem-
durée courte (48 à 72 heures), en respectant les précau- poromandibulaires. La nature de la plupart de ces dou-
tions et contre-indications (varicelle, infection ORL ou leurs est très probablement d'origine neuropathique ;
pulmonaire sévère, infection bactérienne, déshydratation, elle est en partie inflammatoire pour les douleurs des
Chapitre 26. Douleurs faciales 187
Clinique de la douleur
Traitement
Douleur
La prise en charge des patients atteints de stomatodynie
La douleur est le signe cardinal de la stomatodynie. Elle idiopathique est difficile, et les résultats des traitements
est décrite comme une sensation de brûlure prolongée de administrés sont variables, souvent décevants, indui-
la muqueuse orale, similaire en intensité, mais différente en sant une frustration tant chez le patient que chez les
qualité d'une douleur dentaire. Cependant, des sensations praticiens.
de picotements et d'engourdissement sont également rap- L'application topique de clonazépam améliore la sympto-
portées. La douleur survient généralement spontanément, matologie douloureuse chez 66 % des patients atteints. Un
sans facteur déclenchant, même si certaines personnes asso- milligramme de clonazépam doit être sucé trois minutes
cient le début des douleurs avec des traitements dentaires ou sans déglutir puis recraché, et cela trois fois par jour.
d'autres maladies. L'intensité de la douleur varie de légère à
sévère, avec une intensité moyenne de 5 à 8 sur 10, sur une
EVA.
Les critères diagnostiques imposent une douleur conti-
Douleurs dento-alvéolaires
nue présente depuis 4 à 6 mois. persistantes
La douleur est presque toujours bilatérale et ressen- Les douleurs dento-alvéolaires persistantes appartiennent
tie principalement sur la langue (surtout la pointe ou les au groupe des douleurs persistantes idiopathiques de la face
deux tiers antérieurs), la lèvre inférieure et le palais dur. La (DFIP), qui relèvent du code IHS 13.12 [8].
muqueuse jugale et le plancher de la bouche sont rarement Dans ce groupe de douleurs, on retrouve l'odontalgie
concernés. atypique, définie comme une douleur au niveau d'une dent
dont l'état ne peut expliquer la symptomatologie, l'algie
Dysgueusie faciale atypique ou encore de douleur de dent fantôme, par
Environ 70 % des patients rapportent des dysgueusies per- analogie à la douleur de membre fantôme.
sistantes. L'altération du goût la plus fréquente est une per- Actuellement, la majorité des auteurs s'accordent à dire
ception amère ou métallique, ou les deux. qu'il s'agit d'une douleur neuropathique.
188 Partie 3. Pathologies douloureuses
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préhension physiopathologique encore balbutiante et des 2014 ; 41 : 2–23.
thérapeutiques qui manquent encore beaucoup de valida-
tion solide. Ces pathologies nécessitent le plus souvent une
approche pluriprofessionnelle faisant intervenir nécessaire-
ment un spécialiste de la médecine buccodentaire.
Chapitre
27
Douleur abdominale :
intestin irritable
Nicolas Mathieu, Xavier Roblin
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 191 Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Pour les mêmes raisons, la transplantation de microbiote yoga, stimulation auriculaire du nerf vague, massages abdo-
intestinale est une extraordinaire voie de recherche dans le minaux, etc.) sont proposées ou tentées par les patients de
SII, non recommandée en pratique clinique usuelle (néces- leur propre chef. Le niveau de preuve est modéré, voire faible.
sité d'essais contrôlés randomisés, impératifs réglementaires
et organisationnels).
Références
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En cas de prise en charge par hypnothérapie impossible, matory bowel disease. Aliment Pharmacol Ther 2015 ; 41 : 1104–15.
l'ostéopathie viscérale, dont l'effet est rapporté sur le court [10] Florance BM, Frin G, Dainese R, Nébot-Vivinus MH, Marine
terme dans deux études françaises [10], ou plusieurs autres Barjoan E, Marjoux S, et al. Osteopathy improves the severity of irri-
table bowel syndrome : a pilot randomized sham-controlled study.
thérapeutiques non médicales non évaluées (sophrologie,
Eur J Gastroenterol Hepatol 2012 ; 24 : 944–9.
Chapitre
28
Douleurs pelvipérinéales
et endométriose
PLAN DU CHAPITRE
28.1 Névralgies périnéales . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 28.2 Douleur et endométriose . . . . . . . . . . . . . . . 199
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 Symptomatologie et outils d'évaluation
Critères diagnostiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 de la douleur et de la qualité de vie . . . . . . . . 199
Signes associés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196 Démarche diagnostique et prise en charge
Drapeaux rouges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 initiale de l'endométriose . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Diagnostics différentiels principaux . . . . . . . . . 197 Recommandations pour la prise en charge
Épidémiologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 médicale et/ou chirurgicale . . . . . . . . . . . . . . . 200
Examens complémentaires . . . . . . . . . . . . . . . . 198
Stratégie thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
périnéales
C'est la connaissance de l'anatomie qui nous a permi de
déterminer pas à pas différents syndromes névralgiques
en confrontant sans cesse les descriptions des patients aux
Thibault Riant données du laboratoire, aux résultats des infiltrations et aux
constations chirurgicales [1].
Ce sous-chapitre est le fruit du travail d'une équipe réu-
nie dans les années 1980, qui associait initialement un algo-
Introduction logue, le Dr Bensignor, un neurologue, le Dr Labat et, enfin,
La douleur pelvipérinéale chronique continue ou non inté- un anatomiste neurochirurgien, le Pr Robert. Cette équipe a
resse entre 20 et 40 % de la population. Elle est variable en bien sûr bénéficié d'autres travaux, dont ceux, précurseurs,
mécanismes, intensité, impotences induites et les consé- du chirurgien et anatomiste Alcock et du Pr Amarenco qui
quences psychologiques, sociologiques, sexologiques et décrivit le premier « le syndrome du cycliste ».
comportementales peuvent être majeures. Les névralgies
périnéales représentent une part finalement faible de Critères diagnostiques [2]
l'ensemble de ces douleurs, mais par leur intensité et leur
localisation, elles génèrent des souffrances qui touchent Il s'agit de critères applicables à l'ensemble des névralgies
non seulement le patient mais aussi ses proches de façon périnéales, mais qui n'ont été validés que pour les névralgies
majeure. Le patient est souvent envahi d'une multitude de pudendales par syndrome canalaire.
symptômes pouvant être des signes d'alerte de pathologies Tous sont indispensables au diagnostic (tableau 28.1).
évolutives sous-jacentes.
Aider un patient souffrant du périné suppose de l'en-
Topographie douloureuse principale
tendre, de lui apprendre à dire et à partager ses douleurs et systématisée
ses plaintes. Les diagnostics proviennent essentiellement de Le caractère systématisé de la douleur principale est le fon-
la clinique et d'interrogatoires. Le recueil systématique des dement du diagnostic.
informations lors d'un interrogatoire semi-dirigé représente Cela est vrai pour l'ensemble des névralgies ici
l'étape indispensable au démembrement de la plainte, per- considérées.
Une douleur qui ne réveille pas le patient Cette infiltration doit donner lieu à une autoévaluation
(névralgie pudendale) écrite, qui sera analysée rétrospectivement.
Il est impératif :
Les deux items qui reviennent le plus spontanément dans ■ d'utiliser des anesthésiques locaux (sans lesquels point de
l'autodescription sont la brûlure et l'allodynie à la pression, test) ;
voire aux frottements. ■ de réaliser cette infiltration en période douloureuse et
donc, souvent, dans l'après-midi ;
Facteurs positionnels ■ d'avoir une imagerie de l'infiltration permettant son
La majoration en position assise reste un signe cardinal pour la interprétation a posteriori ; obligatoirement en amont de
névralgie pudendale (et clunéale), avec pour corollaires : l'ag- la lésion supposée (dans le cadre des névralgies puden-
gravation vespérale de la douleur, le caractère non insomniant, dales, au niveau du ligament sacro-épineux, en amont du
la disparition ou la diminution franche en position debout, trou obturé pour les névralgies obturatrices).
couchée, assis sur le siège des WC, ou lors de la marche.
Signes associés
Absence de déficit dans le cadre Les névralgies périnéales sont exceptionnellement « pures »
des névralgies par entrapment dans leur expression. La persistance de la douleur dans cette
zone entraîne des modifications sensibles du fonctionne-
Un déficit neurologique est un signe d'exclusion dans le
ment de l'ensemble de la région et de l'individu.
cadre de la névralgie pudendale par syndrome canalaire et,
Ces dysfonctions (vessie douloureuse, côlon irritable,
par extension, dans le cadre de la névralgie du cutané posté-
syndromes myofaciaux, trouble de la posture, trouble de
rieure de la cuisse et singulièrement des rameaux clunéaux.
l'humeur) sont à rechercher, car le traitement d'une dysfonc-
tion améliore l'ensemble de la symptomatologie.
Positivité du bloc test
Elle est un élément essentiel au diagnostic, car 20 % des Hypersensibilisation pelvienne et syndrome
patients répondant aux 4 autres critères ne répondent pas au douloureux pelvien complexe
test diagnostique. Ces patients ne seront pas, par définition, L'hypersensibilisation pelvienne a été définie par des critères
des candidats à la chirurgie publiés [3] : la présence d'au moins cinq critères sur dix est
Chapitre 28. Douleurs pelvipérinéales et endométriose 197
Conséquences psychologiques,
Diagnostics différentiels
sociologiques, sexologiques principaux
et comportementales Les principaux diagnostics différentiels sont mentionnés
Non propres aux douleurs pelviennes, les conséquences psy- dans le tableau 28.4.
chologiques, sociologiques, sexologiques, comportemen-
tales et sexuelles sont ici majeures et aggravent le pronostic. Épidémiologie
La non-validation de l'origine périphérique de la plainte
par le corps médical, la construction de raccourcis auda- Les données relatives à l'épidémiologie sont finalement peu
cieux (abus impliquant et, surtout, expliquant les douleurs), nombreuses, notamment sur la prévalence de ces névralgies.
la non-reformulation des objectifs, la colère et l'injustice en Les informations relatives à la névralgie pudendale sont
sont les principaux moteurs. données dans le tableau 28.5.
Concernant la névralgie pudendale, les résultats à 1 an vie des femmes (bien-être physique, mental et social). Les
sont les suivants : l'état d'environ 70 % des patients est amé- lésions d'endométriose n'expliquent pas à elles seules la
lioré (diminution de 50 % de la symptomatologie), l'état douleur ; leur localisation, leur degré d'infiltration ne sont
d'environ 28 % des patients est inchangé ; celui de 2 % des pas forcément corrélés à la sévérité des douleurs, ce qui rend
patients s'est aggravé. les profils des patientes hétérogènes et leur prise en charge
complexe.
Infiltrations thérapeutiques [6]
Effet thérapeutique de l'infiltration diagnostique
Symptomatologie et outils
Elle permet l'établissement du diagnostic et l'identifica-
tion du caractère périphérique de l'origine de la douleur. d'évaluation de la douleur
À ce titre, elle valide la plainte du patient, ainsi que la qua- et de la qualité de vie
lité de son écoute par le monde médical. Les chances de La symptomatologie, l'intensité des douleurs, le type et
succès à 3 mois (réduction de moitié de l'intensité doulou- la localisation des lésions et le retentissement social de la
reuse) sont estimées à 13 % [6]. symptomatologie sur la qualité de vie doivent être évalués
de façon précise pour un diagnostic et une prise en charge
Infiltrations thérapeutiques optimisés et adaptés.
La seule étude prospective, randomisée, en double aveugle Les principaux symptômes de l'endométriose sont bien
montre l'inutilité des corticoïdes dans ce contexte [6]. décrits (dysménorrhée : douleur pelvienne associée aux
Ces infiltrations peuvent intéresser soit le système soma- menstruations ; dyspareunie profonde : douleur lors des
tique (tronculaire ou radiculaire), soit le système végétatif rapports sexuels (pénétration profonde) ; douleur pelvienne
(ganglion impar, plexus hypogastrique supérieur et rameaux chronique : douleur pelvienne non cyclique, en dehors des
communicants en L2). règles, évoluant depuis plus de six mois [7]. D'autres symp-
Différentes techniques plus ou moins invasives, plus tômes cycliques peuvent aussi être présents : douleurs liées
ou moins définitives, ont été rapportées dans la littérature à la défécation, dyschésie, douleurs urinaires (brûlures, dou-
(répétition des infiltrations, radiofréquence pulsée, radiofré- leurs pelviennes associées à la miction), scapulalgies cata-
quence lésionnelle, toxine botulinique), avec des succès méniales, sciatalgies cataméniales, lombalgies ou irradiation
variables mais toujours sur des études non contrôlées. lombaire des dysménorrhées et irradiation au niveau des
membres inférieurs.
Neuromodulation Les échelles simples d'autoévaluation (EVS, EN ou EVA)
Là encore, les résultats de techniques variables ont fait l'objet de restent les outils les plus adaptés, les plus simples et les plus
nombreuses publications, mais sans études contrôlées. Notre fiables pour quantifier les douleurs [7].
préférence va actuellement aux stimulations du cône médul- Évaluer l'impact de l'endométriose sur la qualité de vie
laire, des racines sacrées et des ganglions rachidiens dorsaux. des patientes est aussi essentiel (retentissement social, par
exemple les arrêts de travail ou la fatigue physique et mental,
telle la dépression et l'anxiété, etc.) pour orienter leur prise
Conclusion en charge. Pour cela, l'échelle généraliste SF-36 (validée dans
l'endométriose) et l'échelle spécifique EHP-30 (développée
La douleur pelvipérinéale chronique est un modèle de dou- pour l'endométriose et validée en langue française) sont les
leur chronique. Elle impose un démembrement soigneux de plus utilisées dans cette pathologie [8, 9]. L'utilisation de ces
tableaux souvent polymorphes. deux échelles est parfois difficile en consultation ; la connais-
La transdisciplinarité est ici plus qu'un vain mot : elle est sance par le praticien des items de ces échelles permet néan-
indispensable au patient mais aussi aux soignants chargés de moins d'orienter l'interrogatoire de ces patientes et d'évaluer
ces patients. rapidement l'impact social et sociétal de la maladie.
Des solutions parfois très simples, non de guérison mais
d'amélioration, existent et soulagent effectivement les patients.
Démarche diagnostique et prise
en charge initiale de l'endométriose
28.2 Douleur La première étape pour un diagnostic adapté consiste donc
à rechercher les symptômes évocateurs de l'endométriose,
et endométriose à quantifier les douleurs et à évaluer le retentissement sur
la qualité de vie (échelles). Lorsque ces symptômes sont
Nicolas Bourdel, Aurélie Comptour présents, il est logique de rechercher des signes (cliniques
et radiologiques) évocateurs d'endométriose : les examens
L'endométriose est une pathologie gynécologique fréquente de première intention consistent en un examen clinique
affectant 5 à 10 % des femmes en âge de procréer. La dys- abdominal et pelvien orienté (recherche de diagnostic
ménorrhée (qui touche presque la moitié des femmes), la différentiels, notamment) et une échographie pelvienne
dyspareunie et les douleurs pelviennes chroniques consti- (en soin primaire, elle ne sera fiable que pour dépister les
tuent la « triade » douloureuse la plus fréquente. L'ensemble diagnostics différentiels et pour le diagnostic d'endomé-
de ces symptômes peut sévèrement affecter la qualité de triome). Les symptômes peuvent être les témoins d'une
200 Partie 3. Pathologies douloureuses
atteinte spécifique, notamment digestive, des lésions. La La prise en charge de l'endométriose est nécessairement
recherche des « symptômes localisateurs d'endométriose médicochirurgicale, selon un plan établi de traitement. Le
profonde » est donc essentielle. Ces symptômes peuvent être traitement, postopératoire notamment, diminue le taux de
associés à une endométriose profonde et nécessitant une récidives et doit être systématiquement proposé en l'absence
prise en charge en centre spécialisé. En cas de diagnostic de désir de grossesse. Les thérapeutiques « alternatives »
d'endométriome, d'infertilité, de signes localisateurs d'en- ont également prouvé leur efficacité. La douleur étant mul-
dométriose profonde, des examens spécialisés de deuxième tifactorielle, sa prise en charge doit être multidisciplinaire
intention doivent être envisagés (examen clinique orienté, (chirurgiens spécialisés, consultation en AMP, médecins
IRM pelvienne ou échographie endovaginale réalisées par spécialistes de la douleur, examens par des radiologues
des référents de la pathologie afin de cartographier l'exten- experts, association avec des soins de support [activité phy-
sion précise de l'endométriose). Ces examens permettront sique, notamment, kinésithérapie, etc.,] voire avec des prises
de prévoir la prise en charge spécialisée. Des examens plus en charge « alternatives » telles que méditation, hypnose ou
spécifiques, de troisième intention, peuvent être préconisés acupuncture), au risque sinon de n'être que partiellement
pour confirmer un diagnostic d'endométriose profonde efficace.
avec suspicion d'atteinte digestive (échographie pelvienne,
écho-endoscopie rectale ou colo-scanner) ou urinaire. La
cœlioscopie diagnostique doit être évitée et s'intégrer dans Références
une prise en charge globale chez des patientes dont la symp- [1] Labat JJ, Riant T, Delavierre D, Sibert L, Watier A, Rigaud J. Global
tomatologie est typique et les examens complémentaires approach to chronic pelvic and perineal pain : from the concept of
correctement réalisés négatifs [10]. organ pain to that of dysfunction of visceral pain regulation systems.
Prog Urol 2010 ; 20 : 1027–34.
[2] Labat JJ, Riant T, Robert R, Amarenco G, Lefaucheur JP, Rigaud J.
Recommandations pour la prise en Diagnostic criteria for pudendal neuralgia by pudendal nerve entrap-
charge médicale et/ou chirurgicale ment (Nantes criteria). Neurourol Urodyn 2008 ; 27 : 306–10.
[3] Levesque A, Riant T, Ploteau S, Rigaud J, Labat JJ, Network Conver-
Selon les recommandations 2018 du Collège national des gences PP. Clinical Criteria of Central Sensitization in Chronic Pelvic
gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et de and Perineal Pain (Convergences PP Criteria) : Elaboration of a Cli-
l'HAS, l'endométriose doit être prise en charge à partir du nical Evaluation Tool Based on Formal Expert Consensus. Pain Med
moment où elle a un retentissement fonctionnel (douleur, 2018 ; 19 : 2009–15.
[4] Ploteau S, Cardaillac C, Perrouin-Verbe MA, Riant T, Labat JJ. Puden-
infertilité) ou lorsqu'elle entraîne une altération du fonction-
dal Neuralgia Due to Pudendal Nerve Entrapment : Warning Signs
nement d'un organe. Les traitements médicaux (traitements Observed in Two Cases and Review of the Literature. Pain Physician
hormonaux associés à des antalgiques) constituent souvent 2016 ; 19(3) : E449–54.
la première ligne. L'objectif est de proposer un traitement [5] Robert R, Labat JJ, Bensignor M, Glemain P, Deschamps C, Raoul S,
bien toléré, dont les effets à long terme sont connus et dont Hamel O. Decompression and transposition of the pudendal nerve
le coût est faible. Une contraception estroprogestative (un in pudendal neuralgia : a randomized controlled trial and long-term
traitement en continu est souvent logique en cas de dys- evaluation. Eur Urol 2005 ; 47 : 403–8.
ménorrhée), un traitement continu par microprogestatifs [6] Labat JJ, Riant T, Lassaux A, Rioult B, Rabischong B, Khalfallah M,
(bonne tolérance, peu d'effets indésirables) ou un dispositif et al. Adding corticosteroids to the pudendal nerve block for puden-
intra-utérin au lévonorgestrel (bonne tolérance également) dal neuralgia : a randomised, double-blind, controlled trial. BJOG
2017 ; 124 : 251–60.
peuvent constituer la première ligne de traitement et être
[7] Bourdel N, Alves J, Pickering G, Ramilo I, Roman H, Canis M.
associés à des antalgiques de palier 1. Les macroprogesta- Systematic review of endometriosis pain assessment : how to choose a
tifs, notamment en traitement continu, en cas d'aménorrhée scale ? Hum Reprod Update 2015 ; 21 : 136–52.
peuvent être utilisés. [8] Bourdel N, Chauvet P, Billone V, Douridas G, Fauconnier A,
Dans le cas de certaines lésions, le traitement médical reste Gerbaud L, et al. Systematic review of quality of life measures in
inefficace ou peu efficace : le traitement hormonal ne peut patients with endometriosis. PLoS One 2019 ; 14. e0208464.
pas être utilisé chez toutes les patientes (refus, désir de gros- [9] Chauvet P, Auclair C, Mourgues C, Canis M, Gerbaud L, Bourdel N.
sesse, effets indésirables importants). Une prise en charge Psychometric properties of the French version of the Endometriosis
chirurgicale, par voie cœlioscopique, peut alors être envisa- Health Profile-30, a health-related quality of life instrument. J Gynecol
gée. Elle doit être obligatoirement réalisée par un chirurgien Obstet Hum Reprod 2017 ; 46 : 235–42.
[10] Bourdel N, Chauvet P, Canis M. Diagnostic strategies for endometrio-
référent en endométriose, après une réflexion pluridiscipli-
sis : CNGOF-HAS Endometriosis Guidelines, Gynecol Obstet Fertil
naire sur la prise en charge de la patiente. En cas d'infertilité, Senol 2018 ; 46 : 209–13.
une consultation en aide médicale à la procréation (AMP) [11] Comptour A, Chauvet P, Canis M, Gremeau AS, Pouly JL,
doit être proposée. La chirurgie par voie cœlioscopique a Rabischong B, et al. Patient quality of life and symptoms following
montré son efficacité en termes de douleurs et de qualité de surgical treatment for endometriosis. J Minim Invasive Gynecol
vie. Mais l'amélioration des douleurs et de la qualité de vie 2019 ; 26 : 717–26.
peut être très hétérogène en fonction des patientes [11]. La [12] Bourdel N, Comptour A, Bouchet P, Gremeau AS, Pouly JL, Slim K,
récidive de la maladie n'est pas rare et la récidive des dou- et al. Long-term evaluation of painful symptoms and fertility after
leurs est fréquente sans que cela soit pour autant associé à surgery for large recto-vaginal endometriosis nodule involving at
une récidive des lésions [12]. Il reste alors difficile de prédire least the serosa of the rectum : a retrospective study. Acta Obstet
Gynecol Scand 2018 ; 97 : 158–67.
parfaitement pour quelles patientes la chirurgie sera totale-
ment bénéfique en termes d'amélioration des douleurs.
Chapitre
29
Douleur en pathologie
cardiovasculaire
Jean-Gabriel Bechier, Sophie Lacan
PLAN DU CHAPITRE
Quels patients ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Quelles pathologies ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
Quelles pathologies ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
Quels traitements ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
En France, les maladies cardiovasculaires sont fréquentes, La contre-indication la plus fréquente est l'anticoagula-
touchent toutes les catégories sociales et mettent en cause tion préventive ou curative.
le pronostic vital. Les très importantes et constantes avan- Deux types d'anesthésie locorégionale sont proposés : les
cées thérapeutiques et la notion d'urgence font des traite- blocs périnerveux et les blocs périduraux.
ments étiologiques une priorité, parfois au détriment d'une Les blocs périnerveux sont en général sciatiques, dans le
synergie de prise en charge multifactorielle dont fait partie creux poplité. Leur objectif premier est analgésique, mais ils
le traitement de la douleur. sont efficaces sur la cicatrisation des lésions cutanées dys-
trophiques ou postchirurgicales et permettent des premiers
soins non algiques. La mise en place est simple, sous guidage
Quels patients ? échographique ou par électrostimulation avec un cathéter
tunnellisé au contact du tronc nerveux.
Le plus souvent, il s'agit d'hommes âgés, en mauvais état Les molécules utilisées sont les anesthésiques locaux à
général, atteints de désordres nutritionnels et métaboliques, effet prolongé (ropivacaïne ou lévobupivacaïne) associés à
épuisés par les troubles du sommeil et en altération psy- des adjuvants potentialisant l'activité analgésique, comme la
chique importante. Mais les patients peuvent aussi être plus clonidine ou, parfois, la morphine. L'adrénaline est contre-
jeunes, dans un contexte de cumul de facteurs favorisants ou indiquée pour ses effets vasoconstricteurs.
dans le cadre d'une artérite de Buerger. La population fémi- L'administration est réalisée le plus souvent, par bolus
nine est en constante augmentation. unique d'action prolongée de 12 à 24 heures ou par seringue
électrique sur deux à trois jours. Dans ce deuxième cas,
la technique impose une surveillance stricte du point de
Quelles pathologies ? ponction (risque d'infection) et de la position du cathéter
Les artériopathies périphériques, les douleurs postopéra- (migration). La mise en place d'une hospitalisation à domi-
toires, les douleurs en pathologie cardiaque et quelques cile assure cette surveillance en ambulatoire.
aspects de ces douleurs en phase terminale seront
évoqués. Antalgiques
Les antalgiques proposés respectent les prérequis, à savoir,
pour les antalgiques opiacés, les formes galéniques les
Quels traitements ? mieux tolérées, le choix des formes à LP ou à libération
Traitements médicamenteux immédiate ( le délai d'action court pour les soins ou les
accès par exemple, la durée d'action et l'intervalle entre deux
Techniques d'anesthésie locorégionale prises pour optimiser l'effet antidouleur et la tolérance des
Les techniques d'anesthésie locorégionale sont très souvent traitements) [1] La prévention systématique des effets indé-
proposées pour l'analgésie, dans l'attente de gestes de revas- sirables est indispensable.
cularisation, lors des soins douloureux d'ulcères et d'escarres Différents antalgiques sont prescrits :
ou encore pour une aide à la cicatrisation immédiatement ■ classe 1 : pas d'indication spécifique, l'automédication est
après un geste d'amputation distale. fréquente et à prendre en compte ;
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 201
202 Partie 3. Pathologies douloureuses
Insuffisance cardiaque terminale modifié. Elles ont une forte connotation vitale et sont une
Les patients à ce stade d'évolution connaissent des phases expérience traumatique dont il convient de reconnaître
de confort relatif, grâce aux traitements, et des phases de la spécificité [2]. Leurs conséquences physiques, doulou-
décompensation. Ces dernières, en plus des symptômes reuses et psychologiques méritent d'être appréhendées. La
de déficience cardiorespiratoire, génèrent une plainte pluridisciplinarité de la prise en charge est essentielle, dans
formulée en termes de douleur. Elles affectent les masses un contexte de réflexion commune dont le centre doit res-
musculaires, sont généralisées et variables. Le terme qui ter le patient.
reflète cet état pourrait être celui d'asthénie douloureuse
et anxieuse. Références
Le protocole thérapeutique propose des perfusions
[1] Bechier JG, Lacan S, Baiily I, Danoy P. Didacticiel opiacés AlgoED
i.v. d'une association d'hydroxyzine (100 à 200 mg) et de Douleurs 2012 ; 14(4) : 192–9.
morphine à faible posologie (10 à 15 mg) sur 24 heures en [2] Tarquinio C, Tarquinio PL'. EMDR : préserver la santé et prendre en
continu (seringue électrique), dans le contexte d'une prise charge la maladie. Paris : Elsevier Masson ; 2015.
en charge globale de soins de confort. [3] Vidal V, Bechier JG, Leclerc V. La stimulation épidurale dans l'isché-
Lors de la décision collégiale de mise en place d'une mie critique inopérable des membres inférieurs. À propos de 12 cas.
sédation vigile, il est important d'obtenir de l'équipe cardio- Douleurs 2014 ; 15 : 115–21.
logique une limitation thérapeutique et l'arrêt des médica- [4] Lauria C, Boyer JM. Douleurs et artériopathie des membres infé-
ments cardiotoniques. rieurs. Dans : In : Serrie A, Thurel C, editors. La Douleur en pratique
quotidienne. Paris : Arnette ; 2002.
Conclusion
Les maladies cardiovasculaires, du fait des progrès thé-
rapeutiques récents, ont vu leur pronostic radicalement
Chapitre
30
Douleur et drépanocytose
Caroline Maindet, Caroline Makowski, Cécile Robert, Pierre Albaladejo
PLAN DU CHAPITRE
Épidémiologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 Antalgie : vite et fort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
Physiopathologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 Titrer en morphine sans appréhension . . . . . . 207
Présentation clinique : douleurs plurielles . . . 205 Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Traitements spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Crise vaso-occlusive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
L'administration i.v. de morphine continue sur 24 heures n'est pas recommandée : inefficace et
génératrice de complications (hypoventilation et somnolence favorisent l'évolution vers le syndrome
thoracique aigu). Un débit de fond de 1 à 2 mg/heure est un maximum à ne pas dépasser. La titration
de morphine est l'attitude antalgique de référence en milieu hospitalier. (À noter : elle doit précéder
la pose d'une éventuelle PCA). Les doses totales de morphine i.v. nécessaires à la titration peuvent
sembler massives, en tout cas inhabituelles (douleur intense, clairance accélérée de la morphine).
Après titration, lorsqu'EVA = 0–1 : relais antalgique, à adapter au cas par cas au niveau de la
douleur
PCA (pompe à morphine) Morphine i.v. L simple
Si l'EVA remonte à 4 malgré le relais, reprise d'une titration et, selon le contexte, concertation
avec équipe référente et médecin anesthésiste réanimateur
Traitements associés
Traitement étiologique de la crise + poursuite du traitement de fond habituel du patient
Oxygénothérapie systématique à 2 à 3 L/min, quelle que soit la saturation
Hydratation i.v. : correction de la déshydratation initiale, puis 2 L de NaCl 0,9 %/24 heures
Contention veineuse + HBPM à dose préventive en l'absence de contre-indication
Kinésithérapie incitative pour recrutement alvéolaire (Respiflow®) en prévention d'un syndrome
thoracique aigu
Existe-t-il à ce stade une indication d'hémodilution (saignée) ou de prise en charge
transfusionnelle ?
Analgésie multimodale
Paracétamol (selon l'heure de la dernière prise)
Néfopam (Acupan®) 20 mg en i.v.L sur 45 minutes, puis 60 à 120 mg par 24 heures au PSE
AINS uniquement sur l'avis du médecin référent (néphroprotection)
MEOPA (Kalinox®) 20 min/8 heures en cas de besoin ; maximum 1 heure par jour, 15 jours
consécutifs
Avis de l'anesthésiste (ALR ? Kétamine ? + avis de l'équipe mobile du centre de la douleur (douleur
neuropathique surajoutée ?)
Traitement de l’anxiété
Hydroxyzine (Atarax®) 25 à 100 mg/24 heures (éviter les benzodiazépines)
Neuroleptiques sédatifs (type cyamémazine 25 à 50 mg par prise, maximum 300 mg/jour)
Hypnose
Figure 30.1 Crise vaso-occlusive : proposition de prise en charge antalgique. ALR : anesthésie locorégionale ; HBPM : héparine de bas poids
moléculaire. Source : d'après [4].
Une antalgie insuffisante peut aboutir à une conduite Ainsi, une partie des adultes atteints de SDM passe de la
pseudo-addictive. Les doses de morphine nécessaires douleur aiguë récurrente à la douleur chronique.
ne doivent pas faire, à tort, suspecter une addiction. Les Les thérapeutiques médicamenteuses seront prescrites
demandes abusives (recherche de morphiniques, tableaux en fonction de l'intensité douloureuse et du mécanisme.
psychiatriques) sont rares. Même en cas de doute, le délai Les opioïdes forts, proscrits à domicile pour la gestion de la
nécessaire au diagnostic de SDM ne permet pas de reporter CVO, peuvent être prescrits pour le traitement des compli-
les premières titrations. cations chroniques hyperalgiques.
Les antalgiques non opioïdes (paracétamol, néfopam) Les approches non médicamenteuses (hypnose, médita-
font partie de l'analgésie multimodale. L'usage des AINS tion, activité physique, etc.) sont à privilégier [20]. L'inser-
n'est pas systématique dans un souci de néphroprotection : tion professionnelle est une priorité, une approche sociale
il est à discuter au cas par cas avec le référent devant un est souvent nécessaire.
tableau réfractaire, en tenant compte du contexte infectieux.
L'utilisation du MEOPA doit rester limitée à 1 heure Conclusion
par jour et pour une durée maximale de 15 jours consé-
cutifs [18]. Les SDM sont des tableaux graves et douloureux. Leur
La dette de sommeil peut mimer une sédation quand le prise en charge présente des particularités qui doivent être
patient est soulagé. La surveillance en cas d'administration connues des équipes.
d'opioïdes doit respecter le sommeil (fréquence respiratoire, Le traitement antalgique prompt et efficace de chaque
saturation pulsée en oxygène [SpO2]). Une prescription épisode est fondamental en situation aiguë : il fait partie
d'hydroxyzine ou d'amitriptyline (ECG) peut aider, à des intégrante du traitement de la CVO, et est susceptible de
fins anxiolytiques ou hypnotiques. Les benzodiazépines sont réduire l'impact chronique de cette pathologie invalidante.
contre-indiquées, favorisant l'hypoventilation et l'évolution Le recours aux SSPI, aux USC et à la réanimation est parfois
vers le STA. Les neuroleptiques sédatifs (type cyamémazine) nécessaire, hors menace vitale, pour le mener à bien.
peuvent être nécessaires. En situation aiguë ou dans le cadre du suivi, la prise en
L'approche psychosociale peut aider à prendre en charge charge est multidisciplinaire et multiprofessionnelle.
l'anxiété : ces tableaux engendrent des situations complexes La formation des soignants et l'ETP sont à développer.
(garde d'enfant, arrêt de l'activité professionnelle, inadapta-
tion au poste de travail, etc.). Références
Le recours aux équipes d'anesthésie-réanimation est jus-
tifié, hors menace vitale : [1] Lanzkron S, Carroll CP, Haywood Jr. C. Mortality rates and age at
■ lorsque la titration ne peut être poursuivie en service death from sickle cell disease : U.S., 1979–2005. Public Health Rep
2013 ; 128 : 110–6.
conventionnel ;
[2] Gomes E, Castetbon K, Goulet V. Mortalité liée à la drépanocytose en
■ pour une analgésie multimodale (anesthésie loco- France : âge de décès et causes associées (1979–2010). Bulletin épidé-
régionale ; l'usage de la kétamine peut être discuté miologique hebdomadaire 2015 ; 8 : 142–50.
précocement) ; [3] Herrick JB. Peculiar elongated and sickle-shaped red blood corpuscles
■ en cas d'indication à des traitements spécifiques (hémo- in a case of severe anemia. 1910. Yale J Biol Med 2001 ; 74 : 179–84.
dilution, échange érythrocytaire manuel ou automatisé) ; [4] Habibi A, Arlet JB, Stankovic K, Gellen-Dautremer J, Ribeil JA,
■ en cas de difficulté dans l'abord veineux ; Bartolucci P, et al. centre de référence maladies rares « syndromes
■ la prise en charge doit être multiprofessionnelle et multi- drépanocytaires majeurs ». Recommandations françaises de prise en
disciplinaire. La coordination avec le spécialiste référent charge de la drépanocytose de l'adulte : actualisation 2015. Rev Med
[19], les biologistes d'immunohématologie (Établisse- Interne 2015 ; 36 : 5S3–5S84.
[5] Piel FB, Steinberg MH, Rees DC. Sickle Cell Disease. N Engl J Med
ment français du sang [EFS]) et les unités de soins conti-
2017 ; 376 : 1561–73.
nus est capitale pour une prise en charge efficace, quel [6] Taylor LE, Stotts NA, Humphreys J, Treadwell MJ, Miaskowski C. A
que soit le service d'accueil du patient. review of the literature on the multiple dimensions of chronic pain
in adults with sickle cell disease. J Pain Symptom Manage 2010 ; 40 :
416–35.
Douleurs chroniques [7] Berens JC, Jan S, Szalda D, Hanna CM. Young Adults With Chronic
Illness : How Can We Improve Transitions to Adult Care ? Pediatrics
Les douleurs chroniques font partie intégrante du SDM. Leur 2017 ; 139–0410.
prévalence est élevée chez ces patients dès l'enfance (10 %) [8] Arlet JB. Une nouvelle ère thérapeutique dans la drépanocytose. A
ou l'adolescence (15 %). Elles atteignent 50 % à 65 % des cas new therapeutic era in sickle cell disease Rev Med Interne 2017 ; 38 :
[6, 16] à l'âge adulte, avec un aspect multidimensionnel. Les 569–71.
douleurs chroniques sont plurifactorielles et plurielles. [9] Ribeil JA, Hacein-Bey-Abina S, Payen E, Magnani A, Semeraro M,
Elles peuvent être liées à des complications spécifiques Magrin E, et al. Gene Therapy in a Patient with Sickle Cell Disease.
de l'hémoglobinopathie (ostéonécrose aseptique, remanie- N Engl J Med 2017 ; 376 : 848–55.
[10] Steinberg MH, Barton F, Castro O, Pegelow CH, Ballas SK, Kutlar A,
ments rachidiens, ulcère de jambe, lésions neurologiques
et al. Effect of hydroxyurea on mortality and morbidity in adult sickle
centrales). cell anemia : risks and benefits up to 9 years of treatment. JAMA
La composante neuropathique (sensibilisation centrale, 2003 ; 289 : 1645–51.
hyperalgésie) reste sous-évaluée et sous-traitée. Une vaso- [11] Ballas SK, Barton FB, Waclawiw MA, Swerdlow P, Eckman JR,
occlusion a minima permanente peut conduire à un tableau Pegelow CH, et al. Hydroxyurea and sickle cell anemia : effect on qua-
de crise subintrante, participant à l'inconfort et à l'asthénie. lity of life. Health Qual Life Outcomes 2006 ; 4 : 59.
Chapitre 30. Douleur et drépanocytose 209
[12] Ataga KI, Kutlar A, Kanter J, Liles D, Cancado R, Friedrisch J, et al. [17] Lovett PB, Sule HP, Lopez BL. Sickle Cell Disease in the Emergency
Crizanlizumab in Sickle Cell Disease. N Engl J Med 2017 ; 376 : 429–39. Department. Hematol Oncol Clin North Am 2017 ; 31 : 1061–79.
[13] Niihara Y, Smith WR, Stark CW. A phase 3 trial of L-glutamine in [18] Compte rendu de séance ANSM 17/11/2016 CT022016053 :
sickle cell disease. N Engl J Med 2018 ; 379 : 226–35. Présentation des résultats du suivi national d'addictovigilance
[14] Mekontso Dessap A, Leon R, Habibi A, Nzouakou R, Roudot- des médicaments contenant du MEOPA (mélange équimolaire
Thoraval F, Adnot S, et al. Pulmonary hypertension and cor pul- protoxyde d'azote et oxygène), https://www.ansm.sante.fr/var/
monale during severe acute chest syndrome in sickle cell disease. ansm_site/storage/original/application/e0ad6a37715f9e67252b-
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[15] Cecchini J, Lionnet F, Djibré M, Parrot A, Stojanovic KS, Girot R, [19] Filière maladie rare : MCGRE (Maladies Constitutionnelles du
et al. Outcomes of adult patients with sickle cell disease admitted to Globule Rouge et de l'Érythropoïèse), http://filiere-mcgre.fr.
the ICU : a case series. Crit Care Med 2014 ; 42 : 1629–39. [20] Williams H, Tanabe P. Sickle Cell Disease : A Review of Nonphar-
[16] Dampier C, Palermo TM, Darbari DS, Hassell K, Smith W, macological Approaches for pain. J Pain Symptom Manage 2016 ; 51 :
Zempsky W. AAPT Diagnostic criteria for chronic sickle cell disease 163–77.
pain. J Pain 2017 ; 18 : 490–8.
Chapitre
31
Syndrome douloureux
régional complexe
Anne Bera-Louville, Véronique Barfety-Servignat
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 211 Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
En association avec le traitement réadaptatif, on peut Tableau 31.1 Dans quelles situations recourir
proposer un essai de thérapie par feedback visuel avec au psychologue ?
miroirs, ou par entraînement à la discrimination sensorielle,
Recours au Dans quelles situations ?
une thérapie d'exposition graduée aux activités perçues par psychologue
le patient comme dangereuses, lorsque ce dernier présente
un niveau élevé de peur et d'évitement. Conseillé Demande de soins exprimée semblant
inadéquate
Lors de la prise en charge d'un traumatisme ou d'une Existence d'un litige ou d'une procédure, d'une
douleur, l'immobilisation du membre doit être limitée recherche de compensation
autant que possible. Phobie du contact
Tout état thymique défavorable : trouble de
l'humeur (dont syndrome dépressif), anxiété,
détresse, etc.
Traitements médicamenteux Nécessaire État de stress post-traumatique et/ou vécu
Le traitement médicamenteux doit être adapté au type de corporel traumatique
symptômes douloureux : douleur mécanique, nociceptive, Retentissement majeur sur la qualité de vie :
neuropathique, diurne, nocturne, etc. Il doit accompagner désocialisation, désorganisation de la vie
et faciliter la réadaptation fonctionnelle, aider la gestion de affective, etc.
Présence de propos ou de comportements
la douleur et améliorer la qualité de vie. suicidaires
Les AINS, les corticoïdes et la calcitonine n'ont Suspicion de troubles factices
pas d'utilité. Les opioïdes majeurs ne doivent pas être Suspicion de pathologies psychiatriques
utilisés. Suspicion de somatisation d'un trouble
Le paracétamol et les opioïdes faibles peuvent être pro- psychique
posés dans les SDRC afin de faciliter la prise en charge
rééducative. Il est nécessaire de réévaluer régulièrement
l'efficacité, la tolérance et l'éventuel mésusage de ces mentaires telles que l'identification et la compréhension
traitements. du vécu psychologique intervenant dans le vécu de la
Les antidépresseurs tricycliques, les antiépileptiques, douleur (tableau 31.1).
les SRNI peuvent être prescrits quand il existe des troubles
sensitifs tels qu'une allodynie, une hyperalgésie, des signes
neurologiques négatifs ou positifs, afin de faciliter la prise Techniques analgésiques locorégionales
en charge rééducative. Il est possible de répéter un bloc sympathique ou de pra-
En l'absence d'une amélioration suffisante, en particulier tiquer des blocs sensitivomoteurs continus par cathéter.
pour faciliter la rééducation, quand le SDRC évolue depuis Ils doivent être associés à une rééducation fonctionnelle
moins de 1 an, si la scintigraphie osseuse est positive, ce qui adaptée.
prouve l'hyperactivité osseuse, on peut proposer une cure de
bisphosphonate i.v. (Pamidronate®).
Les patchs de lidocaïne (Versatis®) peuvent être appli-
Techniques de neurostimulation
qués, hors AMM, en cas d'allodynie au tact, sur la zone déli- Les techniques de neurostimulation peuvent être utilisées
mitée de l'allodynie. dans les SDRC pour le traitement de la composante neuro-
pathique de la douleur.
La neurostimulation transcutanée apparaît comme une
méthode thérapeutique simple, inoffensive et peu coûteuse.
Prise en charge psychologique Elle nécessite une application persévérante, un apprentis-
L'instauration d'un travail psychothérapeutique per- sage rigoureux, une bonne adhésion du patient et doit être
met un travail de réassurance, de mise en confiance, en intégrée à une prise en charge rééducative et psychologique.
particulier sur le plan corporel, et de considération de La stimulation médullaire chronique peut être pro-
l'anxiété défensive. Elle engage également la prise en posée en cas de SDRC évoluant depuis au moins 1 an,
compte de l'intrication possible entre douleur et événe- rebelle aux traitements conventionnels, au terme d'une
ments existentiels, entre douleur et problèmes médico- démarche diagnostique pluridisciplinaire, dans une
légaux en particulier. Il est donc important d'établir au structure spécialisée dans la douleur chronique, idéale
plus vite le diagnostic du SDRC, de manière à pouvoir ment dans le cadre d'une prise en charge rééducative
proposer des prises en charge alternatives et complé- globale et adaptée.
Chapitre
32
Douleur du cancer
PLAN DU CHAPITRE
32.1 La douleur du cancer, d'hier à aujourd'hui... 32.2 Douleur due au cancer . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Elle persiste ! mais pourquoi ? . . . . . . . . . . . . . . . 215 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Le cancer, source de douleur complexe, associe Syndromes douloureux et leurs caractéristiques . . . 219
parfois plusieurs mécanismes . . . . . . . . . . . . . . 215 Évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Épidémiologie : quelques chiffres . . . . . . . . . . 215 Douleurs aiguës . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
La fréquence de la douleur a-t-elle évolué ces Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
dernières décennies ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 Principes du traitement de la douleur
Pourquoi cette prévalence persiste-t-elle chronique due au cancer . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
de manière importante ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Elle persiste !
sons nerveuses libres Aδ et C. Ils sont présents dans différents
tissus : articulaires, viscéraux, musculaires et, surtout, cuta-
nés, dans l'épiderme. Ils sont stimulés mécaniquement par le
Mais pourquoi ? développement de la tumeur et chimiquement par la soupe
inflammatoire. Elle est générée par l'inflammation néopla-
Erwan Treillet sique (de la tumeur et des métastases, notamment osseuses),
mais aussi par les chirurgies, radiothérapies, etc. [3, 4].
La douleur neuropathique, elle, résulte d'une lésion ou d'une
Mot-clés : Douleur. Épidémiologie. Cancer. Douleur du cancer. anomalie de fonctionnement d'un nerf ou d'une structure
Paliers OMS. nerveuse. Dans le cancer, elle peut être due à la maladie par
compression ou infiltration des axes nerveux périphériques
ou plexiques ou de la moelle épinière. Elle peut aussi résulter
d'une complication du traitement : traumatisme chirurgical
La douleur est définie depuis plus de vingt ans par l'IASP avec lésion nerveuse, neurotoxicité des chimiothérapies, ou
comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désa- encore des blessures nerveuses par radiothérapie, etc. [5].
gréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou poten- Ainsi, souvent, il existe une association de ces deux types
tielle, ou décrite en termes d'une telle lésion » [1]. Le de douleurs.
cancer est cause de douleur, et la prise en charge de celle- Une composante musculaire est également possible mais
ci a été codifiée par l'Organisation mondiale de la Santé il peu documentée. L'expression des douleurs est d'ailleurs
y a plus de trente ans [2]… Pourtant, il demeure complexe parfois difficile à distinguer en pratique clinique [6, 7].
d'appréhender et de prendre en charge la douleur, notam-
ment au travers de ses composantes sensoridiscrimina-
tives, cognitives, émotionnelles ou comportementales. Les Épidémiologie : quelques chiffres
médecins, chercheurs et soignants continuent à rencon-
trer des patients non ou mal soulagés. Il est proposé dans Le cancer est fréquent
ce chapitre d'explorer la complexité de la douleur dans Dans le monde, 18,1 millions de nouveaux cas de can-
le cancer et sa persistance malgré les différentes actions cers ont été diagnostiqués en 2018 et 9,6 millions de
menées. personnes sont décédées d'un cancer d'après le Centre
hospitalisation à domicile, trouvera les repères scientifiques La qualification de la douleur (les mots choisis par le
et de c ommunication admis par tous. L'évaluation implique patient pour décrire sa douleur) suggère souvent le méca-
la participation du malade dans une relation réciproque de nisme physiopathologique qui la sous-tend. En géné-
confiance, digne d'une véritable alliance thérapeutique, ciblée ral, la douleur somatique est bien localisée et les mots
sur la douleur. Pour confirmer le diagnostic clinique, le méde- choisis pour la décrire orientent le diagnostic (intense,
cin peut prescrire des examens complémentaires qui permet- aiguë, pénétrante, transperçante, etc.). Quand il s'agit de
tront d'adapter le traitement approprié à chacun, avec un souci douleurs viscérales, la douleur est généralement décrite
constant du détail. Le suivi de ce traitement, quel que soit l'en- comme plus diffuse (coliques, torsion, etc.) alors que la
droit où est traité le malade, est un travail d'équipe, de tous les douleur neuropathique est en général décrite comme une
instants. Plus la maladie est longue, grave et évolutive, plus la brûlure, des décharges électriques, un froid douloureux,
douleur se complexifie, plus l'apport des soignants non méde- des fourmillements, des picotements, un engourdisse-
cins est indispensable au suivi et à la mise en œuvre des soins. ment, des démangeaisons, etc., comme le suggère le DN4,
La douleur liée au cancer, aiguë en début de parcours, peut outil d'aide au diagnostic [40]. La confirmation de la dou-
devenir chronique, surtout lorsque le cancer devient lui-même leur neuropathique se fait lors de l'examen clinique du
une maladie chronique qui continue d'évoluer lentement. Les patient, car elle est liée à l'existence de lésions nerveuses
épisodes aigus se succèdent dans le temps et peuvent conduire et, donc, source de troubles de la sensibilité retrouvés
à une chronicisation. Mais la douleur peut aussi régresser sous lors de cet examen (hypoesthésie, allodynie, dysesthésies,
l'effet des traitements spécifiques et disparaître ; il peut persis- anesthésie, etc.).
ter des séquelles liées aux traitements et aux dommages créés Les mécanismes combinant des douleurs neuropathiques
par la maladie elle-même. Ces séquelles peuvent être très et des douleurs par excès de stimulations nociceptives sont
douloureuses et, si elles restent négligées, laisser libre cours à très fréquents lors du parcours de soin, et doivent être repé-
l'évolution d'une douleur-maladie responsable de syndromes rés pour que le traitement combiné, soit le plus adapté pos-
anxieux et/ou dépressifs, d'asthénie, d'anorexie, de troubles du sible à chaque situation individuelle.
sommeil, de troubles affectifs et relationnels, d'une désinser- La composante cognitive et émotionnelle de la douleur
tion sociale, etc. Les ADP, de courte durée, brefs et sévères, est toujours très importante dans ces situations et doit être
doivent être repérés chez tout patient dont la situation s'est évaluée et prise en charge par des méthodes spécifiques
équilibrée car ils requièrent un traitement spécifique. appropriées à chaque situation individuelle.
Par ailleurs, la maladie cancéreuse demande souvent de
pratiquer des examens complémentaires qui peuvent être
douloureux, que ce soit durant la phase de diagnostic, de
surveillance ou de suivi de la maladie ; ces douleurs liées aux Évaluation
soins doivent systématiquement être prévenues. Elle se déroule en plusieurs étapes :
■ rappel de l'histoire clinique du patient et, notamment,
Syndromes douloureux du cancer avec ses différents traitements, puis du syn-
drome douloureux, des antalgiques utilisés, de leurs
et leurs caractéristiques effets, de leur tolérance et de l'apport des techniques non
Les syndromes douloureux présentés par les patients dif- médicamenteuses ;
fèrent en fonction des étiologies et de leur physiopatholo- ■ il est fréquent qu'il y ait plusieurs problèmes de douleur,
gie. Ils sont donc importants à caractériser pour en dégager et chacun doit être évalué séparément puis au travers de
les implications thérapeutiques. Ces syndromes peuvent se son interaction dans la souffrance globale du patient ;
révéler de manière aiguë ou évoluer sur un fond de chroni- ■ évaluation des conséquences de la douleur incluant
cité, tout en gardant à certains moments leur acuité. Nous ses répercussions sur l'activité, le sommeil, le moral, la
ne devons pas omettre de prévenir les douleurs aiguës infli- famille et les proches, et le travail ;
gées aux patients dans un but diagnostique ou dans le cadre ■ approche de l'état psychologique et de la représentation
d'une intervention thérapeutique (15 à 25 % des cas). Bien de la douleur pour le patient ;
que la tumeur soit souvent la cause directe de la douleur (par ■ l'examen clinique est un moment crucial de l'évaluation
infiltration, par diffusion loco-régionale ou par métastase), initiale, particulièrement l'examen neurologique (détec-
les cas où la douleur n'est pas directement consécutive à la tion d'une étiologie neuropathique) ;
maladie cancéreuse mais à ses traitements ne sont pas rares. ■ relecture des examens complémentaires précédents, à la
L'évaluation des caractéristiques de la douleur nous lumière des nouvelles constatations cliniques.
permet d'identifier le syndrome physiologique douloureux À l'issue de cette étape incontournable, le diagnostic clinique
motivant le choix du traitement antalgique. du syndrome douloureux est disponible et permet dans la
L'intensité de la douleur est une mesure incontournable majeure partie des cas de proposer une attitude thérapeutique
qui va induire le choix du traitement antalgique, de sa voie symptomatique quasi immédiate dans l'attente de résultats
d'administration et de la dose (titration). Attention, l'inten- d'examens complémentaires, si nécessaires (confirmation puis
sité de la douleur n'est pas un marqueur de l'évolution de la suggestion des thérapeutiques spécifiques). Certains examens
maladie. En effet, des tumeurs très agressives peuvent être complémentaires négatifs peuvent, lorsque l'impression clinique
totalement muettes alors que d'autres, à la limite de la détec- n'est pas confortée, indiquer la prescription d'examens plus pré-
tabilité, pourront être à l'origine de syndromes douloureux cis et plus performants qui en aucun cas ne doivent retarder le
particulièrement aigus et intenses. début du traitement symptomatique.
220 Partie 3. Pathologies douloureuses
Lorsque la douleur dure depuis longtemps, l'apport embolisations, sont souvent associées à des douleurs
d'autres expertises, comme la kinésithérapie, la psychologie, aiguës diffuses qui peuvent persister pendant plusieurs
le travail social, etc. peut être indispensable. jours, en raison du développement d'inflammation, d'ul-
À l'issue, l'impact de la douleur sur le malade dans son cérations ou d'érosions gastriques et de cholangite ;
environnement devrait être bien déterminé et permettre de ■ la chimiothérapie intrapéritonéale peut, dans 25 % des
proposer un plan de traitement adapté. Le soutien de profes- cas, provoquer des douleurs importantes nécessitant une
sionnels de santé, comme les infirmières ou des auxiliaires analgésie opioïde forte et/ou l'arrêt du traitement [41] ;
de vie permettra une évaluation et un suivi plus justes, ■ les injections de chimiothérapie ou l'immunothérapie
notamment à domicile. intravésicales peuvent entraîner une irritabilité récur-
La mesure de la douleur en routine (comme la mesure rente de la vessie, caractérisée par des mictions impé-
des constantes "vitales") est un point important de la prise rieuses et douloureuses ;
en charge du patient douloureux. Les échelles rapportent ■ l'injection d'une chimiothérapie intrathécale dans le traite
la douleur évaluée par le patient lui-même (autoévalua- ment des leucémies ou des méningites carcinomateuses
tion). Des échelles d'hétéroévaluation sont réservées aux peut se compliquer de douleurs dans les membres infé-
patients qui ont des difficultés à exprimer leur douleur, rieurs et la partie inférieure de l'abdomen, à type d'hype-
comme les jeunes enfants, les personnes avec des troubles ralgésie et des myoclonies douloureuses ne sont pas rares.
cognitifs ou les personnes âgées. On a alors recours à des Ces injections peuvent par ailleurs être responsables d'un
échelles d'hétéroévaluation comme l'ECPA®, DOLOPLUS® syndrome méningé associant douleurs et vomissements
ou l'échelle DEGR®. L'aspect pluridimensionnel de la dou- liés à une fuite de liquide cérébrospinal.
leur peut être évalué en utilisant le questionnaire concis sur Le problème des douleurs aiguës associées à la neuro-
les douleurs (Brief Pain Inventory). Le QDSA (Question- toxicité des chimiothérapies est majeur. Il s'agit de douleurs
naire Douleur Saint-Antoine) permet d'évaluer les dimen- mixtes dont la composante nociceptive est souvent au pre-
sions sensorielles affectives et évaluatives de la douleur. mier plan. La composante neuropathique, plus insidieuse et
discrète, se manifeste lorsque les traitements opioïdes forts
ont réduit la composante principale :
Douleurs aiguës ■ la cytarabine, la doxorubicine, l'étoposide, le 5-fluorouracil
Les syndromes douloureux aigus dans le cancer sont sur- (5-FU) et le méthotrexate sont les molécules entraînant
tout dus aux interventions thérapeutiques ou diagnostiques le plus de mucites, d'autant plus importantes qu'une
et posent en général peu de difficultés à l'évaluation. Bien hygiène buccale déficiente, une irradiation antérieure,
que certaines de ces douleurs liées à la tumeur aient une des lésions buccales spécifiques ou des infections myco-
durée relativement courte dans leur phase aiguë (par siques ou virales associées sont présentes et que le patient
exemple une fracture d'os long sur une métastase osseuse), était préalablement neutropénique ;
bon nombre d'entre elles peuvent persister malgré un trai- ■ la neuropathie périphérique chimio-induite est très fré-
tement spécifique efficace de la lésion causale, et évoluer quente. La vincristine en particulier, les sels de platine et
ensuite sur un mode chronique. les taxanes peuvent fréquemment se compliquer de dou-
Par exemple, la douleur postopératoire dure classique- leurs neuropathiques pures. Si l'administration est pour-
ment moins de 72 heures. Des recommandations pour suivie aux mêmes doses, certaines lésions neurologiques
sa prise en charge ont été édictées. Au-delà de 72 heures, seront à l'origine de douleurs sévères et persistantes. Il
lorsqu'elle persiste, il convient de faire une évaluation des peut s'y associer un syndrome moteur.
complications éventuelles de l'intervention elle-même. Les D'autres douleurs aiguës liées aux chimiothérapies peuvent
techniques antalgiques peuvent aussi être à l'origine de dou- être rencontrées ; parmi les plus fréquentes on peut remarquer :
leurs : par exemple l'injection sous-cutanée de morphine ■ des douleurs osseuses diffuses, après injection d'acide
est douloureuse en elle-même, et lorsqu'elle est effectuée transrétinoïque, peuvent notamment s'accompagner de
de manière répétitive, elle peut être particulièrement mal maux de tête ;
supportée au fil du temps… ou encore les injections ité- ■ des arthralgies et des myalgies peuvent être rencontrées
ratives intrathécales d'opioïdes ou de corticoïdes peuvent à la suite de l'injection de paclitaxel à des doses cumula-
se compliquer d'une hyperalgésie qui cède à l'arrêt de tives, chez environ 10 à 20 % des patients. Ces douleurs
l'administration. apparaissent dans les quatre premiers jours suivant l'ad-
La douleur aiguë liée à des perfusions de chimiothérapies ministration, et durent moins d'une semaine ;
peut être sévère : ■ le syndrome mains-pieds correspond un rash cutané
■ la douleur au site d'injection de cytotoxiques (spasme douloureux consécutif à l'injection continue de 5-FU. Il
veineux, phlébite, extravasation, etc.) est un problème se caractérise par une douleur à type de brûlures et de
fréquent et l'utilisation systématique de voies d'admi- fourmillements. Un traitement symptomatique approprié
nistration veineuses profondes (sites d'injection [PCA], peut permettre la poursuite de l'administration. Il a aussi
cathéter central par insertion périphérique [PICC-line], été décrit avec le paclitaxel.
etc.) a permis de réduire ce type de complication, au prix Les douleurs aiguës peuvent aussi être en rapport avec
d'une majoration des risques infectieux lorsque les injec- l'hormonothérapie :
tions sont faites à un patient immunodéprimé ; ■ l'instauration d'un traitement par facteur de libération
■ les injections intra-artérielles d'une chimiothérapie cyto- de l'hormone lutéinisante (LHRF) dans les cancers de la
toxique, notamment hépatique, mais aussi les chimio- prostate peut être à l'origine d'une poussée de douleurs
Chapitre 32. Douleur du cancer 221
osseuses exacerbée, accompagnée d'une rétention uri- l'origine de stomatite d'inflammation du pharynx, thorax
naire, entre autres. On ne l'observe que dans la première avec œsophagite, pelvis avec cystite postradique, derma-
semaine du traitement ; il y a des recrudescences dans tite postradique, ulcérations vaginales et brûlures pel-
le temps ; l'utilisation concomitante d'antiandrogènes viennes, etc.). La radiothérapie est aussi responsable de
durant l'instauration du traitement par LHRF pourrait syndromes douloureux chroniques à distance qui peuvent
prévenir ce phénomène ; se prolonger à long terme, notamment des plexopathies,
■ tout traitement hormonal initié dans un cancer métasta- mais aussi des myélopathies postradiques. Lors des trai-
tique du sein peut se compliquer de douleurs musculos- tements antalgiques sur des localisations secondaires
quelettiques dans les premières semaines du traitement (osseuses, en particulier), il peut y avoir une résurgence
[42] ; ces douleurs semblent être indépendantes du déve- temporaire importante des douleurs. Cela peut aussi être
loppement tumoral ; observé encore un ou deux jours suivant une radiothéra-
■ les arthralgies multifocales induites par les inhibiteurs pie métabolique (strontium, samarium, etc.).
de l'aromatase sont rencontrées dans 20 à 50 % des traite Les accidents vasculaires thrombotiques ou ischémiques
ments [43]. Elles peuvent considérablement réduire la ne sont pas exceptionnels lors de la maladie cancéreuse et
mobilité des patientes et il est essentiel de faire le dia- peuvent être à l'origine de douleurs aiguës qui devraient être
gnostic différentiel avec une poursuite évolutive osseuse prévenues pas un traitement anticoagulant adapté.
de la maladie. En présence de douleurs importantes avec Les mucites peuvent être très douloureuses et entraîner
retentissement majeur sur la qualité de vie, malgré une un inconfort majeur, une impossibilité d'avaler et, donc,
prise en charge médicamenteuse et non médicamen- de se nourrir, voire d'aller à la selle. Les surinfections bacté-
teuse, l'arrêt du traitement par antiaromatase se discutera riennes et fungiques sont très fréquentes et, outre le traite
et fera l'objet d'une décision établie en concertation entre ment qui leur est spécifique, le recours à des opioïdes avec
l'oncologue et le médecin de la douleur. des anesthésiques locaux est régulier. L'alimentation et l'hy-
Des douleurs aiguës peuvent être liées à une immuno- dratation doivent alors être pratiquées par voie parentérale.
thérapie : l'interféron induit fréquemment un syndrome Elles sont d'autant plus importantes qu'une radiothérapie est
pseudo-grippal (fièvre, myalgies, arthralgies, maux de concomitante.
tête et frissons) qui s'améliore à l'arrêt du traitement. Toutes les complications infectieuses, virales ou fun-
Le paracétamol est souvent efficace pour améliorer giques peuvent entraîner des douleurs liées à l'inflamma-
les symptômes. Avec l'utilisation croissante de nouvelles tion, des abcès et des lésions tissulaires susceptibles par la
molécules, les anticorps monoclonaux des polymyal- suite d'évoluer sur un mode chronique (névralgies posther-
gies ont fréquemment été décrites (dinolumab) [44]. pétiques par exemple).
Tous les nouveaux traitements immunothérapiques d'uti-
lisation récente peuvent être sources de douleurs très
importantes ; la composante neuropathique est souvent
au premier plan. Actuellement, des publications dans la
Douleurs chroniques
littérature spécialisée commencent à les décrire, mais il Les douleurs chroniques sont les douleurs évoluant depuis
est encore trop tôt pour avoir une notion très nette de ces plus de deux mois consécutifs.
complications algiques, notamment en ce qui concerne La plupart sont liées au développement du cancer, mais
leur physiopathologie. les douleurs séquellaires pures dues aux traitements ne sont
Les bisphosphonates, très utilisés il y a encore peu dans pas rares.
le traitement des douleurs et en prévention des métastases Les douleurs postchirurgicales sont bien connues, mais
osseuses, peuvent être à l'origine de douleurs osseuses et insuffisamment recherchées et prises en considération. Par
musculaires susceptibles d'être sévères dans les 24 heures exemple, la douleur liée à l'amputation d'un membre ou à
suivant la perfusion, et pour plusieurs jours. l'exérèse d'un organe n'est pas toujours traitée de manière
Les facteurs de croissance notamment le granulocyte optimale. La douleur chronique après chirurgie du sein
colony-stimulating factor (G-CSF) peuvent, dans 20 à 30 %, est très fréquente et souvent négligée. Considérée comme
des cas produire des douleurs osseuses accompagnées d'un « normale » par nombre de thérapeutes, elle altère dura-
syndrome pseudo-grippal. La douleur, dont l'intensité peut blement la qualité de vie des patientes qui s'étonnent de la
être sévère, peut être prévenue par l'administration conco- voir non seulement persister des mois après l'intervention,
mitante de corticoïdes. L'administration sous-c utanée mais encore s'aggraver, souvent à l'occasion d'un traitement
d'érythropoïétine α s'accompagne de douleurs sur le site néo-adjuvant ou d'une radiothérapie. Attention, toute réap-
d'injection, qui peuvent être prévenues par l'addition de parition d'une douleur après un intervalle libre de plusieurs
lidocaïne. mois, doit faire suspecter une récidive et redoubler de vigi-
La radiothérapie est aussi à l'origine de douleurs lance. La preuve de la non-récidive doit être recherchée par
aiguës. La douleur incidente lors du positionnement sur des examens complémentaires appropriés et répétés en cas
la table doit être prévenue par un traitement adéquat (en d'aggravation ou de persistance.
général opioïde à action immédiate ou fentanyl transmu- Les douleurs séquellaires dues à la radiothérapie sont
queux chez le patient déjà équilibré par opioïdes). Les bien décrites. Elles sont de moins en moins fréquentes
douleurs aiguës consécutives à la toxicité du syndrome en raison des progrès de la dosimétrie. Elles s'expri-
inflammatoire postradique, (ulcérations de la peau et des ment souvent sur un mode neuropathique et atteignent
muqueuses) dépendent du lieu de l'irradiation (ORL, à le plus souvent de gros troncs nerveux ou des plexus.
222 Partie 3. Pathologies douloureuses
La myélite postradique s'accompagne de dysfonctionne- d'organe creux ont aussi été décrites et sont à l'origine de
ments du système nerveux autonome : on retrouve une douleurs aiguës intenses, faisant discuter une intervention
symptomatologie neurologique, des douleurs neuropa- chirurgicale en urgence rarement réalisable dans le contexte
thiques et un syndrome de Brown-Séquard. Les douleurs ou une sédation profonde continue jusqu'au décès peut être
des entérocolites et rectopathies postradiques ainsi que les effectuée avec l'accord du patient.
vessies radiques sont très difficiles à traiter et sources d'une L'infiltration et l'occlusion des vaisseaux sanguins, les lym-
altération importante de la qualité de vie des malades. C'est phangites périvasculaires sont aussi à l'origine de douleurs
souvent dans ces circonstances que l'administration d'antal- diffuses, d'intensité progressive, et sont souvent responsables
giques par voie intrathécale peut être d'un secours important. de lymphœdèmes très handicapants, pouvant aller jusqu'à
Les douleurs osseuses sont une des causes les plus fré- une impotence fonctionnelle douloureuse quasi totale.
quentes de douleurs chroniques (cancers métastatiques L'appareil urinaire n'est pas non plus à l'abri de compli-
qui peuvent rester asymptomatiques un certain temps) et cations douloureuses. L'obstruction progressive des uretères
doivent être distinguées des douleurs dont l'origine est indé- peut être à l'origine d'une insuffisance rénale nécessitant, en
pendante du cancer (ostéoporose et ses complications, suites fonction des situations, une évacuation des urines par une
des traitements). Elles peuvent être localisées ou multifo- sonde (interne, JJ ou externe, pyélostomie). Généralement,
cales. En fonction du lieu d'atteinte, les conséquences théra- le geste de dérivation soulage en grande partie la douleur.
peutiques sont très différentes (métastase fragile d'un os long Le pronostic sera fondé sur l'importance de l'insuffisance
nécessitant une chirurgie prophylactique, métastase verté- rénale résiduelle après drainage.
brale risquant de créer une compression médullaire, etc.). La De nombreux syndromes paranéoplasiques sont aussi
compression médullaire et ses complications neurologiques sources de douleur, parmi lesquels le pemphigus cutané est
peuvent être très douloureuses lors de son installation et il source d'un inconfort majeur.
est très important de recourir à des techniques chirurgicales
spécifiques (orthopédie ou neurochirurgie) et à la radiolo-
gie interventionnelle (vertébroplasties, chimio-embolisation Principes du traitement
tumorale, etc.) dès la survenue des signes cliniques. de la douleur chronique
Les douleurs musculaires liées aux traitements et aux due au cancer
désordres métaboliques qu'ils ont induits sont très fré-
quentes. Elles peuvent aussi être en rapport avec un envahis- Ils suivent les « Standards, options et recommandations » de
sement des muscles pelviens par les tumeurs locales ou les la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer
ganglions métastatiques. (FNCLCC) [39]. Cependant, des travaux d'actualisation ont
La survenue de céphalées et de douleurs faciales projetées été réalisés depuis 2011 sous l'égide d'un groupe d'experts
peut être à l'origine de la découverte de tumeurs intracéré- issus de la SFETD, de l'AFSOS et de la SFAP. Les principes de
brales (liées à une hypertension intracrânienne) ou d'une traitement de la douleur nociceptive sont rappelés ci-dessous.
atteinte leptoméningée, comprenant la méningite carcinoma-
teuse (qui donne un tableau particulier de douleurs souvent à
prédominance neuropathique, fugaces et se projetant succes- La stratégie proposée par l'OMS pour la prise en
sivement comme une mosaïque sur l'ensemble ou une partie charge de la douleur cancéreuse par excès de noci-
des dermatomes cutanés). Les traitements symptomatiques ception, articulée autour de cinq principes essen-
doivent être prescrits en urgence (perfusions de mannitol, tiels, reste globalement pertinente :
corticothérapie à haute dose, opioïdes, antiépileptiques, etc.). ■ prescription par voie orale,
Le système nerveux autonome peut lui aussi être atteint ■ prescription à intervalles réguliers,
par la maladie, directement ou du fait de métastases souvent ■ prescription en respectant l'échelle de l'OMS à trois
ganglionnaires, à l'origine de compression (radiculopathie,
niveaux,
plexopathie, atteintes neurogènes diffuses, etc.). ■ prescription personnalisée,
L'atteinte viscérale abdominale diffuse ou localisée peut ■ prescription avec un constant souci du détail.
être à l'origine de syndromes algiques subocclusifs ou occlu-
sifs et nécessite, outre un traitement médical approprié, un
avis chirurgical pour une éventuelle intervention d'urgence.
La colostomie ou l'iléostomie de décharge est proposée pour Antalgiques non opioïdes
améliorer la douleur et la qualité de vie des patients en situa- Les antalgiques non opioïdes (premier niveau OMS)
tion d'occlusion ou de subocclusion ne répondant pas au doivent être utilisés pour les douleurs faibles à modérées,
traitement médical bien conduit. La distension de la capsule ils peuvent être associés aux antalgiques opioïdes (niveaux 2
hépatique par des localisations secondaires à la maladie est à et 3 OMS) :
l'origine de violentes douleurs de coliques hépatiques et d'un ■ le paracétamol est recommandé en première intention
ictère par obstacle sur la voie biliaire, pouvant nécessiter un dans les douleurs faibles à modérées, à la dose de 1 000 mg
drainage interne ou externe. La subocclusion digestive peut toutes les quatre à six heures. La dose maximale fixée par
aussi être consécutive à une ascite et une carcinose périto- l'AMM est de 4 g/j. Il y a des précautions d'emploi à res-
néale. En cas d'ascite, le drainage du liquide par ponction, pecter en cas d'insuffisance hépatique ;
associé à une corticothérapie et un traitement antalgique ■ l'utilisation des AINS est recommandée dans le traite
souvent opioïde (si l'intensité de la douleur le requiert) amé- ment des douleurs inflammatoires, notamment les
liore en général la qualité de vie des patients. Des ruptures douleurs osseuses. Avec les AINS, le risque particulier
Chapitre 32. Douleur du cancer 223
d'association avec les chimiothérapies néphrotoxiques administration i.v. chez les personnes âgées, il s'avère donc
(notamment le cisplatine) et cytopéniantes doit être important de commencer à demi-dose.
mesuré ; La morphine doit être prescrite sous forme orale, soit en
■ Le néfopam n'est pas indiqué en première intention dans comprimés ou gélules de sulfate de morphine à libération
les douleurs cancéreuses chroniques. normale dite immédiate (LI), soit en comprimés ou gélules
de sulfate de morphine à libération prolongée LP, soit en solu-
tion de chlorhydrate de morphine. Dans tous les cas, chez un
Antalgiques opioïdes malade traité auparavant par un autre opioïde fort, la dose de
On distingue les opioïdes dits « faibles » pour les douleurs départ de morphine doit être adaptée à la dose de l'opioïde
modérées (niveau 2 OMS) et les opioïdes dits « forts » pour précédent et à la dose que prenait le patient. Sur https://opio-
les douleurs modérées à fortes (niveau 3 OMS). Les opioïdes convert.fr/, une table de conversion donne une dose de chan-
sont classés en trois catégories, en fonction de leur action gement pour passer d'un produit à l'autre en toute sécurité.
sur les récepteurs : agonistes purs, agonistes partielements- Le recours à une forme LI est indispensable pour l'équi-
antagonistes ou agonistes-antagonistes. libration. On augmente la dose en fonction de l'effet antal-
Les antalgiques opioïdes faibles peuvent être utilisés seuls gique obtenu et des effets indésirables éventuels, par paliers
ou en association avec un antalgique de niveau 1 : de 30 à 50 %. Compte tenu du recours possible aux interdoses
■ les molécules suivantes peuvent être utilisées : codéine, (1/6 à 1/10 de la dose des 24 heures), il est toujours conseillé
dihydrocodéine, poudre d'opium et tramadol ; de privilégier la sécurité à la rapidité d'action. Lorsque l'ad-
■ il n'existe pas de critère absolu de choix entre les diffé- ministration par voie orale est impossible, l'administration
rents produits ; transcutanée (fentanyl) ou parentérale continue (morphine)
■ la codéine est souvent associée à du paracétamol. Elle est avec antalgie autocontrôlée est privilégiée par rapport aux
administrée toutes les 4 à 6 heures et se transforme pour autres voies plus invasives. Les autres voies d'administra-
10 % en morphine, ce qui est à l'origine de son pouvoir tion de la morphine et des opioïdes sont d'indications plus
antalgique. La dihydrocodéine, à LP, est active 12 heures à rares. Elles doivent être utilisées en tenant compte du ratio
la posologie de 60 mg par comprimé. La poudre d'opium bénéfice-risque mais aussi de la formation des personnels,
en association avec paracétamol et/ou la caféine est aussi de l'entourage et des contraintes du suivi, notamment à
une alternative ; domicile. Un traitement par opioïdes (notamment par la
■ le tramadol doit être utilisé avec précaution en cas de morphine orale) ne doit jamais être interrompu brutale-
risque d'épilepsie ; la dose maximale de l'AMM est de ment. Aucun protocole précis pour diminuer le traitement
400 mg/24 h ; n'a été validé. Une diminution progressive par paliers de
■ à l'exception de la constipation, qui est un effet premier des 30 à 50 % en une semaine environ, en se fondant sur la cli-
opioïdes et qui doit être systématiquement prévenue, les nique (réapparition de la douleur, survenue d'un syndrome
effets indésirables doivent être recherchés et traités ; ils sont de sevrage) est proposée pour arrêter la morphine.
moins fréquents et tendent à disparaître dans les premiers La buprénorphine (agoniste µ et partiellement antago-
jours du traitement (somnolence, nausées, vomissements, niste des récepteurs Δ) ne peut être recommandée depuis
tremblements fins, troubles cognitifs, cauchemars, etc.). la mise à disposition d'autres opioïdes ; elle est néanmoins
La morphine est l'opioïde fort commercialisé en France prescrite par des voies simples : sublinguale et patchs (pas
le plus fréquemment utilisé. Elle est parmi les opioïdes les encore commercialisés en France). Elle a un effet plafond
moins liposolubles, ce qui conditionne sa lente diffusion aux alentours de 5 à 10 mg/24 heures. Il n'est pas recom-
dans le SNC. Après administration orale, la morphine est mandé de l'associer à des agonistes purs.
rapidement absorbée et la concentration plasmatique maxi- Le fentanyl et le sufentanil, opioïdes très liposolubles,
male est atteinte en un délai allant d'environ 30 minutes à présentent un effet antalgique puissant, rapide et une courte
une heure. La biodisponibilité de la morphine orale varie durée d'action. L'utilisation des patchs de fentanyl à partir de
de 15 % à 64 % (en fonction de l'effet de premier passage 12,5 μg/h est une option thérapeutique dans l'instaura-
hépatique : variations interindividuelles). Son délai d'action tion d'un traitement opioïde en cas de douleurs stables,
est plus lent que celui des opioïdes les plus liposolubles, qui c'est-à-dire sans paroxysme fréquent, sans douleur intense
diffusent plus rapidement dans le SNC. La demi-vie d'élimi- justifiant une voie injectable. Le sufentanil et le fentanyl par voie
nation est variable, allant de deux à six heures. parentérale (i.v. ou sous-cutanée) peuvent être utilisés dans les
La morphine est métabolisée par le foie, surtout par douleurs rebelles, en cas d'échec ou d'intolérance aux opioïdes
glucuroconjugaison. La morphine-6-glucuronide (M6G) a oraux [45]. Fentanyl et sufentanil peuvent être utilisés en cas
une puissance d'action environ 50 fois supérieure à celle de d'insuffisance rénale (excrétion rénale prédominante essen-
la molécule mère. L'élimination des dérivés se fait essentiel- tiellement sous forme de métabolites inactifs). Le sufentanil
lement par voie urinaire : en situation d'insuffisance rénale, est 10 fois plus puissant que le fentanyl qui, lui-même, l'est de
une accumulation des dérivés favorise les effets indésirables. 50 à 100 fois plus que la morphine : 60 mg de morphine orale
En revanche, une altération la fonction hépatique semble par jour est équiantalgique à 600 μg de fentanyl ou à 60 μg de
avoir assez peu d'incidences sur la pharmacocinétique de la sufentanil injecté par jour en perfusion continue i.v. ou sous-
morphine, car les cytochromes n'interviennent pas dans le cutanée. L'existence d'un relargage du fentanyl à partir du tissu
métabolisme hépatique de la morphine (figure 32.1). adipeux fait préférer l'usage de sufentanil par voie parentérale.
On observe des concentrations plasmatiques de mor- Lors de l'administration par PCA, on commence par des bolus
phine 1,5 fois plus élevées deux à cinq minutes après équivalent à 1 fois la dose horaire, avec une période réfractaire
224 Partie 3. Pathologies douloureuses
Métabolisme de la morphine
morphine 3-6-diglucuronide
morphine-3-glucuronide morphine-6-glucuronide
normorphine-6-glucuronide normorphine-3-glucuronide
de 5 à 10 minutes en i.v. et de 20 à 30 minutes en sous-cutané. férée. Sa puissance antalgique est de 5 à 7 fois supérieure à
En cas d'efficacité insuffisante, la dose du bolus sera augmen- celle de la morphine.
tée et la dose de base réévaluée (conformément à un accord L'oxycodone est un opioïde qui peut être utilisé d'emblée
professionnel). Le traitement par fentanyl ou sufentanil doit pour traiter une douleur nociceptive due au cancer. Elle a
être instauré par une équipe hospitalière spécialisée dans la une meilleure biodisponibilité que la morphine. Elle est
prise en charge de la douleur ou des soins palliatifs et formée métabolisée dans le foie par les cytochromes P450 et 2D6, ce
à leur utilisation. Après stabilisation, le traitement peut être qui peut amener des surdosages ou une relative inefficacité
poursuivi à domicile. Le fentanyl absorbé par voie transmu- chez les métaboliseurs lents ou ultrarapides ; elle n'est pas
queuse est indiqué pour le traitement des ADP. Il ne doit pas contre-indiquée en cas d'insuffisance rénale. Elle est entre
être utilisé pour équilibrer une douleur et ne doit l'être que 1,2 à 2,3 plus puissante que la morphine [47].
lorsque la douleur est stabilisée par un traitement opioïde de La péthidine a perdu de son intérêt en tant qu'opioïde de
base [46]. niveau 3 OMS. Elle n'est disponible que par voie parenté-
L'hydromorphone est indiquée dans le traitement des rale ; son principal métabolite, la norpéthidine, est convulsi-
douleurs intenses d'origine cancéreuse en cas de résistance vant. Elle ne doit pas être donnée répétitivement.
ou d'intolérance à la morphine. Elle a moins d'inconvénients La méthadone peut être envisagée après une évalua-
que celle-ci en cas d'insuffisance rénale et peut lui être pré- tion effectuée par une équipe spécialisée (soins palliatifs
Chapitre 32. Douleur du cancer 225
ou d ouleur) [48, 49]. Elle peut être prescrite en deuxième implanteurs et des équipes douleur et soins palliatifs doit être
intension après échec ou effets indésirables majeurs avec très étroite. Le résultat est en général spectaculaire, redon-
un autre opioïde. La méthadone n'ayant pas de métabolites nant bien souvent au patient une autonomie importante.
actifs, elle peut être utilisée chez le patient insuffisant rénal
et le dialysé ou encore chez la personne âgée. Le manie- Autres antalgiques et coantalgiques
ment de cet opioïde, notamment la titration, est complexe
et nécessite une hospitalisation pour surveillance jusqu'à Les coantalgiques sont des moyens thérapeutiques,
une équilibration qui survient généralement en moins d'une essentiellement médicamenteux, dont la fonction pre-
semaine. Comme pour la morphine, il n'existe pas de doses mière n'est pas l'antalgie, mais la potentialisation de
maximales avec la méthadone. Seule la survenue d'effets l'action des antalgiques, ou l'amélioration du confort
indésirables conduit à cesser l'augmentation des doses. La en agissant électivement sur certains symptômes asso-
dose des 24 heures est en général proposée en deux prises à ciés. Ils sont directement antalgiques sur les douleurs
12 heures d'intervalle ; en cas d'ADP, des doses supplémen- neuropathiques.
taires allant du 1/06 à 1/10 de la dose peuvent être prescrites, Les antidépresseurs sont justifiés, car ils possèdent une
ou encore du fentanyl transmuqueux. action antalgique propre (essentiellement les imiprami-
Le tapentadol dispose d'une AMM mais n'est pas com- niques tricycliques, ou IRSNA, inhibiteurs de la recapture de
mercialisé à ce jour en France. la sérotonine et de la noradrénaline).
La rotation des opioïdes a été définie la première fois Les antiépileptiques le plus utilisés sont la gabapentine et
en 1995 par Bruera et al. [50]. Elle se définit par le chan- la prégabaline. Leur action antalgique propre dans la dou-
gement systématique d'un opioïde pour un autre en pré- leur neuropathique du cancer est cependant faible, compa-
vention de l'apparition d'une tolérance ; l'intérêt de cette rativement à celle des antidépresseurs et des opioïdes. Ils
procédure n'a pas été démontré par les études disponibles seraient cependant mieux tolérés.
à ce jour. Nous préférons employer la notion de change- Les myorelaxants auraient un effet antalgique propre
ment d'opioïde qui se justifie lorsqu'il survient des effets (études cliniques en nombre insuffisant) et supprimeraient
indésirables intolérables pour une efficacité antalgique la composante douloureuse en rapport avec une contracture
insuffisante pour le patient. En pratique, un changement musculaire réflexe. On distingue :
est proposé pour améliorer la douleur ou les effets indési- ■ les myorelaxants antispastiques (action centrale, système
rables des traitements. Il est possible de réaliser un chan- gabaergique) : le baclofène, par exemple, antispastique
gement d'opioïdes entre tous les agonistes purs opioïdes de référence, à l'action antalgique propre, se fixe sur les
disponibles en France : morphine [47, 51, 53], fentanyl, récepteurs GABA. Il est utilisé pour les douleurs dans les
hydromorphone [47], oxycodone [53], méthadone [49]. En spasticités neurologiques ; la posologie, progressive, va de
tenant compte de ses particularités, la buprénorphine peut 5 à 75 mg/jour ;
aussi être utilisée. Le changement d'opioïdes se fait selon le ■ les benzodiazépines, comme le diazépam, sont utili-
sens du changement et les produits utilisés. La dose utilisée sées dans les contractures musculaires, en particulier
du nouvel opioïde dépend de nombreux facteurs, en fonc- lorsqu'elles sont associées à des métastases osseuses.
tion de l'opioïde choisi, selon www.opioconvert.fr. Les cannabinoïdes sont toujours à l'étude. Ils n'auraient
Les voies d'administration parentérales peuvent être pas d'action antalgique propre, mais seraient, de par leurs
préférées chez un patient pour qui la voie orale ou trans- propriétés relaxantes, anxiolytiques et apaisantes, de très
cutanée n'est pas simple. Chez le patient atteint de cancer, bons ajduvants en association avec des opioïdes. Ils devraient
il est fréquent qu'un site d'injection veineux sous-cutané faire prochainement l'objet d'une AMM sous forme d'asso-
soit en place, ce qui est plus simple et plus sûr. La réalisa- ciation THC-cannabidiol. Les experts de L'ANSM ont
tion pratique du traitement par voie sous-cutanée continue conclu récemment qu'il serait pertinent d'autoriser l'usage
peut se faire grâce à l'utilisation d'un infuseur, d'un pousse- du cannabis à visée thérapeutique dans certaines situations
seringue ou d'une pompe (PCA, en particulier). La dose cliniques et en cas de soulagement insuffisant ou d'une mau-
initiale de morphine va de 0,5 mg à 1 mg/kg/24 heures. vaise tolérance des thérapeutiques existantes.
Une dose de charge est souvent nécessaire (0,2 mg/kg). Outre les prescriptions antalgiques classiques, on pourra
Chez un patient, qui a déjà un traitement morphinique par proposer, selon les cas :
voie orale, la posologie est calculée en divisant par deux ■ la TENS en cas de neuropathie localisée, voire une neu-
la dose orale de 24 heures en sous-cutané et par 2 à 3 par rostimulation médullaire dans les douleurs incontrô-
voie i.v. L'oxycodone injectable, le fentanyl et le sufentanil lables par des traitements médicamenteux ;
peuvent être préférés, si besoin. ■ la physiothérapie, la kinésithérapie, notamment dans les
L'administration de traitements antalgiques par voie douleurs postopératoires ou postradiques ;
intramédullaire se fait par la mise en place chirurgicale de ■ l'acupuncture, l'auriculothérapie, la cryothérapie ;
pompes pour l'injection d'opioïde (morphine, le plus souvent ■ les techniques de toucher-massage ;
associée à des anesthésiques locaux et éventuellement du ■ les techniques de blocs locorégionaux ;
ziconotide) [52]. L'indication doit être réservée aux douleurs ■ en dehors des thérapeutiques médicamenteuses, il faut
très intenses suffisamment tôt dans l'évolution de la mala- souligner que l'approche psychologique, les thérapies
die, surtout lorsque les opioïdes sont mal tolérée par voie cognitivo comportementales (TCC), la relaxation,
générale. Ce système nécessite une habitude des équipes et le biofeed-back et l'hypnose peuvent être intégrées dans
un haut niveau de technicité. La collaboration des centres une stratégie thérapeutique globale ;
226 Partie 3. Pathologies douloureuses
■ les traitements chirurgicaux (chirurgie de la douleur, neuro- [16] Ventafridda V. A retrospective study on the use of oral morphine in
chirurgie) ont des indications, qui deviennent exceptionnelles ; cancer pain. J Pain Symptom Manage 1987 ; 2 : 77–82.
■ les traitements à application locale en cas de douleur [17] Goisis A. Application of a WHO protocol on medical therapy for onco-
logic pain in an internal medicine hospital. Tumori 1989 ; 75 : 470–2.
neuropathique localisée, tels la capsaïcine ou les emplâtres
[18] Foley KM. Pain syndromes in patients with cancer. In : Advances in
d'anesthésiques locaux sont très utiles, notamment dans les pain research and therapy. Medical Clinics of Nord America Vol71 N2
douleurs localisées et dont la composante neuropathique Mars ; 1987. p. 169–73.
est importante. [19] Daut RL. The prevalence and severity of pain in cancer. Cancer 1982 ;
50 : 1913–8.
[20] Zech DFJ. Validation of World Health Organization guidelines for
Conclusion cancer relief : a 10-years prospective study. Pain 1995 ; 63 : 65–76.
[21] Cleeland CS. Pain and its treatment in outpatients with metastatic
Les douleurs du cancer relèvent de causes très variées qui cancer. N Engl J Med 1994 ; 330 : 592–6.
nécessitent chacune une évaluation minutieuse aboutissant [22] Haumann J. Pain prevalence in cancer patients : status quo or opportuni-
à des traitements spécifiques. ties for improvement ? Curr Opin Support Palliat Care 2017 ; 11 : 99–104.
Les douleurs du cancer restent sous-évaluées et sous- [23] Brasseur L. Pain prevalence, intensity, and treatment between cancer
traitées, même si les freins à l'utilisation des opioïdes ont été patients : a 12 years internal survey in France. 5th EFIC Congress. Eur
levés (bien que les débordements venant de leur utilisation J Pain 2006 ; 10. Suppl. 1) : S246.
larga manu pour tous types de douleurs outre-Atlantique [24] Breivik H. Cancer-related pain : a pan-European survey of prevalence,
remettent en question de manière inappropriée leur bienfait treatment, and patient attitudes. Ann Oncol 2009 ; 20 : 1420–33.
dans le traitement réfléchi de la douleur du cancer). [25] Kerckhove N. Neuropathies périphériques chimio-induites : sympto-
matologie et épidémiologie. Bull Cancer 2018 ; 105 : 1020–32.
D'autres approches, non médicamenteuses, ont été mise
[26] Roberto A. Prevalence of neuropathic pain in cancer patients : pooled
en exergue ces dernières années mais nécessitent encore estimates from a systematic review of published literature and results
d'être évaluées scientifiquement. from a survey conducted in 50 Italian palliative care centers. J Pain
Le soulagement des douleurs demeure un souci à domicile Symptom Manage 2016 ; 51 : 1091–102. e4.
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Chapitre
33
Douleurs et génétique
Célia Lloret-Linares
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 Variabilité génétique de la réponse
Variabilité génétique de la perception aux analgésiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233
la douleur au cours des 12 mois suivant une hernie discale Variabilité génétique de la réponse
[2]. Les femmes porteuses de l'allèle G sont 2,3 fois plus
douloureuses et présentent une récupération plus lente que
aux analgésiques
les hommes porteurs de l'allèle G. Généralités
Un autre exemple est une insensibilité au froid obser-
Outre des variations génétiques qui affectent la perception
vée chez des sujets porteurs d'un polymorphisme du gène
douloureuse, un certain nombre de variations vont porter
des récepteurs-canaux vanilloïdes TRPA1, un sous-type de
sur la réponse aux analgésiques. Il s'agit de modifications
récepteurs impliqué dans la sensibilité au chaud et au froid,
qui peuvent affecter l'élimination ou la bio-activation des
mais également dans la réponse à la capsaïcine [6].
médicaments – on parle de pharmacocinétique – et des
variations qui peuvent affecter la cible des médicaments-
Douleurs aiguës et génétique on parle de pharmacodynamie, mais la pharmacodynamie
Différentes études génétiques ont été réalisées dans un est elle-même sous l'influence des taux sériques des médi-
contexte postchirurgical. Dans le cadre de chirurgies pro- caments et donc de la pharmacocinétique. L'étude de la
grammées, la connaissance des facteurs de prédisposition variabilité génétique de la réponse thérapeutique s'appelle la
à la survenue de douleurs importantes permettrait en pharmacogénétique.
effet de cibler des sujets à risque de mauvaise évolution :
recours à de plus fortes doses d'opioïdes et conséquences Exemples de variation génétique
associées, soit difficultés de rééducation et survenue de des cibles des médicaments
douleurs chroniques. Leur contrôle permettrait a priori
d'éviter des prolongations d'hospitalisation en individua- Comme précédemment évoqué, les polymorphismes du
lisant la prise en charge. Ces études distinguent peu le rôle gène du récepteur de la morphine sont impliqués dans la
des facteurs qui font varier la sensibilité à la douleur aiguë, réponse aux opioïdes. Une moindre expression du gène est
des facteurs qui font varier les concentrations et l'effet des observée dans le tissu cérébral humain chez les sujets por-
médicaments utilisés (cf. chapitre 14, « Traitements médi- teurs de l'allèle 118G du gène OPRM1 et plaide en faveur
camenteux »). Il est attendu que les facteurs faisant varier d'un défaut de production et de contenu du récepteur [10].
la douleur aiguë soient assez semblables à ceux impli- Il est donc attendu une moindre réponse aux opioïdes chez
qués dans la nociception. Les polymorphismes du gène les porteurs. Dans des études expérimentales, en utilisant
de la COMT, par exemple, font varier la consommation la taille pupillaire (ou myosis) comme marqueur d'effet des
d'opioïdes en modulant la sensibilité et le vécu négatif opioïdes, des auteurs ont montré qu'il fallait administrer
de la douleur, tandis que les polymorphismes de OPRM1 quatre fois plus de métabolite actif de la morphine, le M6G, aux
sont impliqués dans la sensibilité à la douleur d'une part sujets porteurs de deux allèles G qu'aux sujets n'en ayant aucun,
et dans la liaison des opioïdes au récepteur μ d'autre part. et deux fois plus chez les sujets porteur d'un allèle G [11]. Les
sujets porteurs de deux allèles G nécessitent des concentra-
tions sanguines de fentanyl 10 à 12 fois plus élevées que les
Douleurs chroniques et génétique autres patients pour obtenir un même degré de dépression
Les études de familles et de jumeaux sont intéressantes pour respiratoire [12].
mieux connaître le risque génétique de douleurs chroniques. Cela a été confirmé en pratique clinique. Les sujets traités
Dans une cohorte de 2195 familles issues de toute l'Écosse et au long cours par morphine dans le cadre d'une pathologie
du Royaume-Uni (soit 7644 personnes), l'héritabilité de la cancéreuse et porteurs de deux allèles mutés requièrent des
« douleur chronique » et de la « douleur chronique sévère » doses de morphine 2,3 fois plus élevées que les sujets n'en
a été estimée à 16 et 30 % après ajustement sur différentes ayant pas. Des cas de sujets porteurs de l'allèle G à l'état
covariables, notamment sur les facteurs confondants [7]. homozygote, résistant à des doses élevées de morphine
En étudiant 3266 et 2256 jumelles souffrant de lombalgies (2 g/jour) ou tolérant la morphine malgré une insuffisance
chroniques ou de douleurs chroniques diffuses respecti- rénale ont été décrits. Cette diminution d'efficacité s'accom-
vement, il a été estimé que 70 et 39 % des douleurs étaient pagne aussi d'une diminution des effets indésirables.
attribuables à des facteurs génétiques communs [8].
Des facteurs génétiques prédisposant aux douleurs Exemple de variation génétique
chroniques postchirurgicales ont également été observés.
Par exemple, des variations des gènes des canaux potas- des enzymes impliquées dans le métabolisme
siques impliqués dans la transmission du signal douloureux des médicaments
seraient associées à des douleurs thoraciques postopéra- Différentes variations génétiques du CYP2D6 sont à
toires persistantes après chirurgie du cancer du sein [9]. Sept l'origine de 4 profils de métabolisme : les métaboliseurs
variations de 5 gènes différents ont été associées au risque de « lents », à l'activité absente, les « intermédiaires », à l'acti-
douleur légère chronique. Trois variations et un haplotype vité ralentie, les métaboliseurs normaux, « bons métabo-
(association de plusieurs variations sur des gènes différents) liseurs », et les « ultrarapides ». Chez les sujets d'origine
étaient associés au risque de douleur sévère. Des variations caucasienne, 5 à 20 % auront une activité ralentie et 1 à
génétiques de la COMT interviennent également dans le 10 %, une activité ultrarapide. Il existe une variabilité inte-
risque de douleurs chroniques à 6 mois d'une chirurgie de rethnique de la fréquence de ses profils, la fréquence d'UM
prothèse du genou. avec un gradient nord-sud atteint ainsi plus de 30 % dans
Chapitre 33. Douleurs et génétique 233
PLAN DU CHAPITRE
Des douleurs difficiles à détecter . . . . . . . . . . . 235 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
Traitements médicamenteux de la douleur
chez le sujet âgé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
Les projections démographiques font état d'une augmenta- Des douleurs difficiles à détecter
tion de 25 % du nombre de personnes âgées de plus de 75 ans
d'ici 2025 : 11 % des plus de 80 ans souffrent de dépendance, La prévention des douleurs induites et l'anticipation lors
et d'un nombre croissant de maladies neurodégénératives (en des actes courants de la vie quotidienne, comme la toi-
particulier démence et maladie de Parkinson). La littérature lette et les soins, doivent être privilégiées. La détection de
montre que la prévalence de la douleur chez la personne âgée la douleur, qu'elle soit aiguë ou chronique, nociceptive ou
est très élevée [1–4]. La douleur chronique touche environ neuropathique, est difficile en gériatrie et lors de maladies
50 % des personnes âgées vivant à domicile, 49 à 83 % de neurodégénératives. Le caractère iatrogène des douleurs lors
celles vivant en institution et 80 % des personnes âgées en des soins est aujourd'hui pris en considération [11] et des
fin de vie ; 30 % des urgences gériatriques sont des douleurs thérapies préventives sont proposées.
aiguës. Les études suggèrent que la douleur est la plus fré- Les outils d'évaluation de la douleur sont complétés par
quente au cours de la phase d'âge moyen tardif de la vie, et l'évaluation de son retentissement et le repérage de la souffrance
cela est vrai quel que soit le site anatomique ou la cause patho- psychique (évaluation gériatrique standardisée, pathologies
gène de la douleur. Les pathologies articulaires dégénératives chroniques préexistantes, sources d'incapacité, questionnaires).
comme l'arthrose montrent une augmentation exponentielle L'autoévaluation est le gold standard de l'évaluation de la dou-
au cours du vieillissement. À un âge avancé, la présentation leur, avec une préférence pour l'échelle verbale et l'EN. Le
de la douleur est souvent atypique, avec une réduction de la questionnaire douleur Saint-Antoine, dans sa forme abrégée,
plainte douloureuse et, quelquefois, de l'intensité des symp- et le DN4 ne sont pas validés en gériatrie, mais utiles pour les
tômes algiques, souvent dans un contexte de déficit cognitif. patients communiquants. Si l'autoévaluation est impossible, en
La prévalence de la douleur neuropathique chez le sujet particulier dans les cas de troubles de la communication et les
âgé [5] a été largement sous-estimée pendant très longtemps, maladies neurodégénératives, une échelle d'hétéroévaluation
est évaluée à plus de 20 % dans l'arthrose [6] et comme attei- doit systématiquement être utilisée afin d'éliminer formelle-
gnant jusqu'à 48 % de patients âgés vivant à domicile dans ment un phénomène douloureux, qui doit être attentivement
une étude finlandaise [7]. Cette identification est impor- recherché en cas de modification du comportement. Plusieurs
tante, car la douleur neuropathique est un facteur de déclin échelles fiables et validées existent en langue française, DOLO-
fonctionnel, souvent accompagné d'une perte d'autonomie PLUS®, ECPA®-2, ALGOPLUS® et PACSLAC®. Néanmoins, ces
et de dépendance [8–10]. En effet, la douleur est un facteur échelles restent aujourd'hui sous-utilisées dans les établisse-
d'amplification de la vulnérabilité physique et psycholo- ments de santé et en médecine générale. En ce qui concerne
gique, en particulier chez le patient âgé, mal communiquant l'évaluation de la douleur chez les patients âgés non commu-
et souffrant de pathologie cognitive et neurodégénérative. niquants, un algorithme a été proposé [12]. Il faut tenter sys-
Des répercussions en cascade sont souvent observées sur tématiquement d'obtenir une autoévaluation de la douleur,
l'accélération du déclin fonctionnel, le repli sur soi, l'anxiété, même si le patient semble présenter des troubles cognitifs. Si
la dépression, l'anorexie, la dénutrition ou les troubles du l'autoévaluation semble fiable (si une Mini-Mental State Exami-
sommeil, et également sur l'aggravation des handicaps et nation [MMSE] a pu être pratiquée), ce qui est en général le cas
la perte d'autonomie [10]. Les grands défis de la prise en lorsque le score est supérieur ou égal 18), il faut confirmer les
charge de la douleur dans ces populations vulnérables sont résultats par une hétéroévaluation avec une échelle brève (par
d'éviter la douleur par une démarche préventive, de la détec- exemple ALGOPLUS®), puis mettre éventuellement en place
ter, de l'évaluer et de la traiter efficacement. une thérapeutique antalgique en fonction des résultats obtenus.
Si l'autoévaluation est problématique, alors le recours à qu'avec des précautions d'emploi liées à leurs effets indési-
une hétéroévaluation avec ALGOPLUS® doit être systéma- rables. En ce qui concerne l'utilisation des opioïdes faibles,
tique. Si le score obtenu avec cette dernière est de 0 ou de leur prescription doit être rigoureuse et la posologie de
1point sur 5, il faudra recourir aux échelles plus complètes, l'opioïde spécifiée. Leur instauration à dose réduite et leur
comme DOLOPLUS®, ECPA® ou PACSLAC®, car une éva- augmentation progressive sont rendues possibles par cer-
luation négative avec ALGOPLUS® n'élimine pas l'exis- taines formes galéniques qui offrent des possibilités d'adap-
tence d'une douleur chronique. En effet, ALGOPLUS® est tation posologique, ce qui implique de rester vigilant sur les
recommandée pour l'évaluation de la douleur aiguë ; utilisée effets indésirables et les interactions médicamenteuses. Pour
dans un autre contexte, elle peut conduire à sous-estimer l'utilisation des opioïdes forts, il faut retenir les recomman-
la douleur chez 17 % des patients [13]. Une telle démarche dations suivantes :
augmente la sensibilité du dépistage et élimine le risque de ■ connaître les différentes galéniques afin de tenir compte
faux négatifs. Enfin, il faudra procéder systématiquement à des capacités de déglutition, et adapter les voies d'abord
des réévaluations après la mise en place du traitement antal- du malade ;
gique pour réadapter éventuellement la thérapeutique. ■ choisir la voie d'administration la moins invasive possible
En ce qui concerne la douleur neuropathique, un algo- et privilégier la voie orale ;
rithme décisionnel a été également publié afin de sensibiliser ■ introduire un seul antalgique ou une seule molécule à
à sa prise en charge chez le sujet avec troubles de la com- la fois pour pouvoir évaluer et attribuer précisément
munication [14]. Cet algorithme décrit quatre étapes essen- d'éventuels effets indésirables ;
tielles qui sont la détection en cas de suspicion de la douleur ■ la titration de la dose efficace se fait préférentiellement
neuropathique, son évaluation, son traitement et sa rééva- avec un opiacé d'action immédiate réparti toutes les
luation. Le dépistage rapide de la douleur chez le patient non quatre à six heures, afin d'ajuster au mieux la posologie
communiquant, chez qui les troubles comportementaux en tenant compte de l'efficacité et des effets indésirables.
et psychologiques peuvent être faussement attribués à des Toutefois, si le lieu de vie de la personne âgée ne le per-
troubles psychiatriques, doit être systématiquement effectué met pas, une forme LP efficace sur 12 heures pourra être
afin de limiter le recours inutile à des psychotropes, dont utilisée d'emblée ;
les neuroleptiques, qui amplifieront les déficits cognitifs, en ■ penser à prescrire du fentanyl transmuqueux (cancéro
particulier lors de maladie neurodégénérative. logie), quand le patient est bien équilibré, en cas d'ADP ;
■ il n'y a pas de dose maximale à ne pas dépasser du fait de
Traitements médicamenteux l'âge ;
■ le peu de données relatives aux propriétés pharmacociné-
de la douleur chez le sujet âgé tiques et pharmacodynamiques des opiacés chez les per-
Les traitements médicamenteux de la douleur du sujet sonnes âgées ne permet pas d'en recommander un plus
âgé ou souffrant de pathologie neurodégénérative sont les qu'un autre.
mêmes que ceux du patient plus jeune, mais les comorbidités Enfin, en ce qui concerne la douleur neuropathique, les
et la polymédication majorent le risque iatrogène, les effets recommandations suivantes ont été proposées :
indésirables et les interactions médicamenteuses, une majo- ■ le traitement des douleurs neuropathiques est un traite-
ration qui va croissant depuis les quinze dernières années ment prolongé de plusieurs mois, voire davantage ;
[15]. Les adaptations posologiques (poids, contexte clinique, ■ l'intervention d'une infirmière permettant d'encadrer
insuffisance rénale, comédications) sont recommandées la prise médicamenteuse et facilitant l'observance est
pour de nombreux antalgiques ; les formes topiques, à pri- indispensable ;
vilégier, sont encore peu nombreuses. L'impact cognitif et ■ les traitements topiques sont à privilégier dans les dou-
émotionnel de la douleur dans ces populations vulnérables leurs neuropathiques localisées ;
doit être systématiquement recherché (car souvent masqué), ■ l'instauration de ces traitements antalgiques nécessite
afin de freiner le déclin fonctionnel fréquemment observé une ascension posologique prudente en privilégiant une
lors d'une pathologie intercurrente ou l'installation d'une prise en charge multimodale ;
douleur chronique réfractaire aux traitements recomman- ■ les effets indésirables médicamenteux doivent être dépis-
dés. Les techniques non pharmacologiques sont conseillées tés le plus tôt possible afin de maîtriser les risques iatro-
en conjonction avec les médicaments antalgiques. gènes fréquents dans ces classes thérapeutiques chez la
Un consensus multidisciplinaire a été récemment publié personne âgée.
sur l'utilisation des traitements de la douleur chez la per- L'optimisation du développement de la médecine de la
sonne âgée et s'est intéressé aux antalgiques et aux « coan- douleur en gériatrie et dans les maladies neurodégénéra-
talgiques » [16]. En dépit des publications récentes, dont tives en France doit cibler tous les aspects de la pratique cli-
certaines ont des biais méthodologiques, le paracétamol nique, de la pédagogie et de la recherche. Il est primordial
demeure le médicament prescrit en première intention dans de favoriser l'adhésion et la collaboration des personnes
les douleurs faibles à modérées. Toutefois, un ajustement âgées, quel que soit leur statut cognitif. Aussi, prendre
posologique est recommandé dans un contexte de comor- le temps d'expliquer le choix du médicament, son effet
bidités et de coprescription de médicaments anticoagulants, attendu, son délai d'action, ses éventuels effets indésirables
à la posologie de 3 g par jour de paracétamol chez le patient et leur gestion, qui doit être anticipée, est essentiel. Associer
de plus de 65–70 ans, en fonction de son état de santé. En l'entourage à la démarche est pertinent et privilégier l'ETP
ce qui concerne les AINS, leur prescription n'est envisagée permet de favoriser l'observance et d'éviter le mésusage.
Chapitre 34. Douleur et gériatrie 237
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■ de promouvoir l'utilisation des échelles de la douleur comorbidity and multiple medications ? Results of the post hoc ana-
dans tous les milieux de vie des patients âgés ou atteints lysis of the 12-month longitudinal prospective observational ARI-
ZONA cohort study. BMJ Open 2016 ; 6 : e009689.
de maladie neurodégénérative ;
[11] http://www.douleur-rrdbn.org/boite-a-outils-du-reseau/les-
■ d'enrichir les recommandations de prise en charge de la differents-outils-elabores/douleur-personnes-agees/douleur-
douleur, en particulier lors de troubles de la communica- personnes-agees,1800,1744.html.
tion et de la verbalisation ; [12] Rat P, Bonin-Guillaume S, Pickering G, Leglise MS, Collectif DOLO-
■ de sensibiliser aux effets indésirables et aux interactions PLUS. Algorythme d'évaluation de la douleur chez les patients âgés.
médicamenteuses dans le contexte fréquent de polymédi- Douleurs 2014 ; 15 : 52–6.
cation, de comorbidités, de déficit cognitif et de fragilité ; [13] Martin E, Team DOLOPLUS Collective, Pereira B, Pickering G.
■ de cibler les conséquences de la douleur per se, ainsi que Concordance of Pain Detection Using the DOLOPLUS and ALGO-
des analgésiques sur les domaines cognitifs et émotion- PLUS Behavioral Scales. J Am Geriatr Soc 2016 ; 64 : e100–2.
nels de la douleur, et considérer les stratégies de coping [14] Pickering G, Marcoux M, Chapiro S, David L, Rat P, Michel M, et al.
An Algorithm for Neuropathic Pain Management in Older People.
qui peuvent être mises en place ;
Drugs Aging 2016 ; 33 : 575–83.
■ de prévenir la douleur, l'anticiper, la prendre en charge [15] Guthrie B, Makubate B, Hernandez-Santiago V, Dreischulte T. The
le plus vite possible, avec une balance bénéfice-risque rising tide of polypharmacy and drug-drug interactions : population
optimisée. database analysis 1995–2010. BMC Med 2015 ; 13 : 74.
[16] Capriz F, Chapiro S, David L, Floccia M, Guillaumé C, Morel V, et al.
Consensus multidisciplinaire d'experts en douleur et gériatrie : uti-
Conclusion lisation des antalgiques dans la prise en charge de la douleur de la
personne âgée (hors anesthésie). Douleurs : évaluation-diagnostic-
Prendre en charge la douleur est un défi éthique chez la per- traitement 2017 ; 18 : 234–47.
sonne âgée souvent vulnérable, pour favoriser une qualité de [17] Pickering G. Douleur en gériatrie, Livre blanc de la douleur, SFETD
vie préservée et optimisée. 2017 : 55, 99.
[18] Age Pickering G, In Aging. Eccleston C, Wells C. In : Manage-
ment European Pain, editor. Morlion B. Oxford : Oxford University
Références Press ; 2017.
[1] Helme RD, Gibson SJ. The epidemiology of pain in elderly people.
Clin Geriatr Med 2001 ; 17 : 417–31.
[2] Breivik H, Collett B, Ventafridda V, Cohen R, Gallacher D. Survey of
chronic pain in Europe : prevalence, impact on daily life, and treat-
ment. Eur J Pain 2006 ; 10 : 287–333.
Chapitre
35
Douleur chez l'enfant
et l'adolescent
Barbara Tourniaire
PLAN DU CHAPITRE
Les différents types de douleurs . . . . . . . . . . . 239 Douleurs chroniques les plus fréquentes
en pédiatrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
Dans ce chapitre seront abordés les grands principes de primordial et permet bien souvent de comprendre la situation
prise en charge des douleurs en pédiatrie et les principales familiale et personnelle dans laquelle l'adolescent se trouve.
douleurs chroniques de l'enfant et de l'adolescent. Dans la douleur chronique, les explications, les émotions
Plus l'enfant est petit, moins il a les capacités cognitives et l'ETP jouent un rôle majeur. Une place devra être identi-
pour comprendre ce qui lui arrive. La présence des parents fiée pour les parents dans ce processus.
à ses côtés chaque fois que la famille le souhaite est un atout
indispensable. Tous les moyens et toutes les explications
doivent être donnés à l'enfant et aux parents pour qu'ils Les différents types de douleurs
puissent au mieux aider leur enfant.
La communication avec l'enfant doit être adaptée à son Douleur aiguë
âge. Quelques règles simples sont utiles : observer d'abord Comme chez l'adulte, l'objectif du traitement est de ramener
l'enfant à distance, s'approcher doucement en vérifiant son l'intensité de la douleur à 3 ou à 4/10. Des recommandations
état émotionnel, ne pas le brusquer, utiliser le jeu pour obte- françaises concernant la douleur de l'enfant ont été publiées
nir son adhésion, y compris dans les explications pour les en 2000 par l'HAS, en 2009 par l'AFSSAPS, et à nouveau en
plus petits puis, une fois la confiance obtenue, s'adresser 2016 par l'HAS [1]. Elles regroupent l'ensemble des données
directement à lui. Dès 4 à 5 ans, l'enfant pourra répondre publiées dans les principales situations de douleur pour les-
à bon nombre de questions lui-même, au moins en partie, quelles nous disposons de littérature, précisent les indications et
surtout si elles lui sont posées dans un vocabulaire simple, les posologies.
l'une après l'autre, et assorties d'encouragements. Les recommandations les plus récentes publiées après
Avant ses 7 ans, l'enfant est très autocentré, a du mal à se l'alerte sur la codéine en pédiatrie rappellent que :
mettre à la place de l'autre et pense sa pensée transparente ■ les moyens non médicamenteux, tels que l'information
pour les adultes. Aussi faudra-t-il vraiment l'encourager à de l'enfant et de sa famille, la distraction, la relaxation,
partager ce qu'il ressent. De même à cet âge dispose-t-il de l'hypnose, etc., contribuent à la diminution de la douleur.
très peu de moyens propres pour se rassurer ; il n'a le plus La présence des parents est un facteur essentiel de soula-
souvent aucune référence pour savoir comment les soins gement et de sentiment de sécurité ;
ou les consultations vont se dérouler. Les médecins et tous ■ le paracétamol en première intention est à réser-
les professionnels de santé doivent donc expliquer à l'enfant ver aux douleurs faibles à modérées. La posologie
d'emblée le déroulement des soins et de la consultation. est de 15 mg/kg/prise, 4 fois par jour. La voie intra-
Quand l'enfant grandit, entre 8 et 11 ans, il devient un rectale ne doit plus être utilisée du fait de sa faible
partenaire de soins, a souvent très envie d'en savoir plus et biodisponibilité ;
collabore assez facilement avec les soignants. Les explica- ■ l'ibuprofène est l'AINS à recommander en première
tions claires lui seront très utiles. intention en pédiatrie dans la plupart des douleurs aiguës
À l'adolescence, un temps spécifique doit être proposé en modérées à intenses. Le rapport de l'OMS de 2012 pré-
consultation, sans les parents. Avec lui, il faudra convenir de cise qu'« aucun autre AINS n'a été suffisamment étudié
ce qui sera restitué aux parents. Cet accès aux soins seul est en pédiatrie, en termes d'efficacité et de sécurité, pour
être recommandé comme une alternative à l'ibuprofène » Enfin, tous les traitements antalgiques disponibles
et que l'ibuprofène a montré une efficacité supérieure à doivent être utilisés : allaitement, solutions sucrées et suc-
celle du paracétamol dans la douleur aiguë. Dans cer- cion non nutritive jusqu'à 4 à 6 mois, solutions hypersucrées
taines situations comme la traumatologie et certaines ensuite, crème anesthésiante, MEOPA, pour tous les soins
douleurs postopératoires, les AINS ont montré une effi- douloureux. Il n'y a aucune raison de ne pas les utiliser
cacité supérieure aux antalgiques de palier 2, voire de quand ils sont disponibles.
palier 3, contrairement à l'idée implicite induite par la Les études montrent bien la mémorisation de la douleur,
classification de l'OMS en paliers. Prescrit aux posologies y compris chez les nouveau-nés. Contrairement à ce qui
recommandées (20 à 30 mg/kg/j) par voie orale et pour était souvent dit : « il est petit, il oubliera », au contraire, le
une durée courte (48 à 72 heures), les effets indésirables risque est la mémorisation, l'anxiété, voire la phobie. Une
sont rares. En France, la peur de l'utilisation des AINS est attention toute particulière doit être portée aux premiers
importante et en grande partie infondée. Les précautions soins qui, s'ils se passent mal, vont souvent rendre les soins
d'emploi et contre-indications doivent être respectées. La suivants encore plus difficiles.
posologie est de 20 à 30 mg/kg/jour en 3 ou 4 prises ; L'information, l'installation de l'enfant et du soignant,
■ le tramadol, antalgique de palier 2, peut être recommandé la présence des parents et l'anticipation du soin sont néces-
en alternative à la codéine chez l'enfant de plus de 3 ans, saires au bon déroulement de celui-ci. En particulier, bien
dans certaines situations cliniques de prise en charge d'une sûr, dans les maladies chroniques ou dans les soins néces-
douleur intense d'emblée, ou en cas d'échec du paracéta- saires à répétition, des protocoles de soins doivent être réflé-
mol et de l'ibuprofène. Cependant, son métabolisme suit chis de manière pluriprofessionnelle.
en partie la même voie que la codéine, par le cytochrome Le site www.pediadol.org et le guide de poche L'essentiel,
P450 2D6, et des événements indésirables graves peuvent disponible sur ce même site précisent toutes les posologies
survenir. La posologie est de 1 à 2 mg/kg/prise, trois à et conduites à tenir en fonction des soins.
quatre fois par jour ;
■ la morphine orale est recommandée dans la prise en Douleur prolongée ou chronique
charge des douleurs intenses ou en cas d'échec des antal-
giques moins puissants. Elle est la molécule de choix Lorsque la douleur dure au-delà de quelques heures pour les
pour ce type de douleurs. La posologie de départ par plus petits, quelques semaines ou mois ensuite, les caracté-
voie orale pour la forme à libération dite immédiate est ristiques de la douleur chronique se précisent. L'évaluation
de 0,2 mg/kg/prise, quatre à six fois par jour. Elle sera ne doit plus concerner seulement la description des dou-
rapidement évaluée et adaptée. Pour des titrations ou des leurs, leur localisation et leur intensité ; elle doit aussi, voire
douleurs très intenses d'emblée, une dose de charge de surtout, s'intéresser au retentissement de la douleur sur la
0,4 à 0,5 mg/kg sera proposée. Chez l'enfant de moins de vie de l'enfant et de sa famille.
1 an, la posologie initiale sera réduite ; Nous ne disposons que de peu d'études épidémiologiques
■ la morphine par voie i.v. peut être utilisée dès la nais- sur la douleur récidivante ou chronique de l'enfant. La plu-
sance, à des posologies adaptées, par des équipes entraî- part sont fondées sur des enquêtes en milieu scolaire qui,
nées, et moyennant une surveillance adaptée. distinguant mal la sévérité et la fréquence des douleurs, font
Les recommandations de la HAS précisent les traitements état de chiffres extrêmement variables [3]. Il peut peut-être
préconisés dans chaque situation clinique de douleur aiguë. être avancé que 2 à 4 % des enfants présenteraient des dou-
Le guide « La douleur de l'enfant. L'essentiel » [2], dispo- leurs chroniques invalidantes.
nible aussi librement en e-book sur le site www.pediadol. En 2013, une étude réalisée dans les structures douleur
org, détaille les traitements et les situations cliniques les plus pédiatrique françaises a montré que les principaux motifs de
courantes. consultation sont les céphalées (55 %), les douleurs muscu-
losquelettiques (26 %), les douleurs diffuses concernant plus
de deux sites (12 %), les douleurs abdominales (6 %) et les
Douleur provoquée par les soins douleurs neuropathiques (1 %) [4].
Si l'adulte comprend très bien que les soins sont utiles pour La qualité de vie et l'absentéisme scolaire doivent être
le traitement, cela n'est pas le cas en pédiatrie : l'enfant évalués, ainsi que le maintien ou non des activités extras-
avant environ 6 ans comprendra difficilement qu'on lui colaires, les sorties, les relations amicales, les invitations, le
fasse du mal pour son bien. Le soignant devra expliquer le sport et la situation globale de l'enfant et da sa famille.
soin de manière à la fois adaptée à l'âge et précise mais non Parallèlement au bilan étiologique, les éléments psycholo-
anxiogène. giques seront abordés avec la famille, ainsi que la recherche
Le rôle de la cognition dans le contrôle de la douleur, bien de solutions pour sortir de la situation actuelle. Si le prati-
connu, est dépassé chez l'enfant petit. La douleur sera majo- cien attend la normalité de tout le bilan pour évoquer ces
rée. Tout doit donc être fait pour rassurer l'enfant, le dis- éléments émotionnels, la situation sera ressentie comme :
traire, l'aider, etc. Bien souvent, il sera dit à tort que l'enfant « on n'a rien trouvé, il n'a rien, c'est psy ». Avoir d'emblée
a plus peur que mal, alors qu'il a à la fois peur et mal. L'an- abordé les intrications et retentissements réciproques évite
xiété doit donc être prise en compte très spécifiquement. cet écueil.
L'accueil, la présence des parents, des explications adaptées, Lorsque la douleur résiste aux moyens habituels,
des équipes formées à la distraction et à l'hypno-analgésie lorsqu'elle paraît plus importante qu'attendue, lorsque
seront donc des points clés. le retentissement est lourd, que l'absentéisme scolaire de
Chapitre 35. Douleur chez l'enfant et l'adolescent 241
l'enfant est important ou qu'il y a arrêt des activités habi- Seul l'interrogatoire permet de diagnostiquer le type
tuellement réalisées à cet âge-là, lorsque la composante psy- de céphalée, interrogatoire centré sur l'enfant dès qu'il est
chologique n'est pas acceptée par la famille, l'enfant devra en âge de s'exprimer, interrogatoire composé de questions
être adressé en structure douleur ayant des compétences en simples. Les parents découvrent bien souvent des éléments
pédiatrie. qu'ils méconnaissaient. La façon de questionner l'enfant et
Les consultations douleur chronique de l'enfant et de sa famille est primordiale ; un déroulement simple des ques-
l'adolescent sont longues ; elles comportent un temps indi- tions leur permet de s'y retrouver.
vidualisé pour l'adolescent, et supposent une attention par-
ticulière pour obtenir l'alliance de chacun tout en respectant Rechercher l'existence de crises de migraines
chaque place. par des questions simples à l'enfant
Les recommandations HAS précisent l'absence d'indica- et à ses parents (tableau 35.1)
tion des morphiniques dans les douleurs chroniques non
Les deux seules différences par rapport aux migraines de
cancéreuses de l'enfant, en tous cas en dehors d'une prise
l'adulte sont des céphalées fréquemment bilatérales et une
en charge globale en structure spécialisée. Les risques d'abus
durée plus courte (deux heures au minimum au lieu de
existent dans ces situations de douleur chroniques, en parti-
quatre heures chez l'adulte).
culier en cas de troubles de l'humeur associés.
En pratique, tout enfant ayant présenté au moins cinq
Des documents d'information pourront être remis
fois dans sa vie des crises de céphalées intenses lors des-
aux familles, en fonction de la situation clinique. Un livre
quels il a arrêté spontanément ses activités, et eu soit des
d'information très utile aux familles peut leur être indi-
nausées-vomissements, soit une phonophotophobie, est
qué : Comprendre et vaincre la douleur chronique de votre
migraineux.
enfant [5]. Cet ouvrage est très intéressant aussi pour les
D'autres signes sont fréquemment associés aux migraines
professionnels.
de l'enfant, et doivent être recherchés, mais ne font pas par-
Une vidéo d'une dizaine de minutes réalisée par Zerni-
tie des critères diagnostiques au sens strict du terme : les
kow, spécialiste allemand de la douleur de l'enfant, explique
vertiges ou sensations vertigineuses, les douleurs abdomi-
aussi de manière très didactique aux adolescents et aux
nales et la pâleur.
parents ce qu'est la douleur chronique [6].
Enfin, des auras peuvent être présentes : visuelles, audi-
tives, sensitives, du langage ou motrice. Chez l'enfant, elles
Douleurs chroniques surviennent le plus souvent pendant la céphalée et non
avant, et sont le plus souvent à type de tâches colorées ou de
les plus fréquentes en pédiatrie flou visuel que de scotomes et autres auras de l'adulte.
Céphalées primaires de l'enfant Elles doivent être recherchées auprès de l'enfant,
directement, au moyen de questions simples : « quand tu
La migraine et la céphalée de tension sont de très loin les as très mal à la tête, cela t'arrive-t-il de voir des choses
céphalées récurrentes les plus fréquentes de l'enfant. La bizarres ? (aura visuelle), d'entendre des choses bizarres
névralgie du trijumeau et les AVF sont extrêmement rares (aura auditive), de sentir des choses bizarres sur le corps
en pédiatrie.
Migraine et céphalées de tension sont souvent associées
chez l'enfant et la recherche pour chaque enfant des deux Tableau 35.1 Critères de l'OCHD3. Quelles
entités doit être faite méticuleusement et de manière sépa- questions à poser aux enfants.
rée. Ainsi, la première question à poser à l'enfant est « as-tu
deux sortes de maux de tête : parfois des gros lors desquels Critères ICHD3 Questions à poser à l'enfant
tu dois arrêter tout ce que tu étais en train de faire, te cou- Au moins 5 crises
cher, etc. et parfois des petits, pendant lesquels tu peux Durée : de 2 à 72 heures
continuer à faire ce que tu veux ? ». Si l'enfant a les deux, il
Au moins 2 Quand tu as très mal à la tête :
sera questionné d'abord sur les plus intenses, probablement
caractéristiques : – peux-tu me montrer à quel endroit
de type migraineux puis sur l'autre. – localisation unilatérale de ta tête tu as mal ?
La classification ICHD3 (International Classification of ou bilatérale – peux-tu me dire comment est cette
Headache Disorders) détaille tous les critères et permet aux – pulsatile douleur ; est-ce que ça tape ?
cliniciens, dans sa version électronique www.ichd-3.org, un – modérée ou sévère – peux-tu donner une note entre 0 et
accès très facile non seulement aux critères diagnostiques – aggravation par 10 (ou sur une échelle des visages ou
mais à de nombreuses aides cliniques. l'activité physique sur une EVA) ?
– es-tu obligé de te coucher ou peux-tu
continuer tes activités ?
Migraine de l'enfant Au moins une Quand tu as très mal à la tête :
La migraine est la cause la plus fréquente des céphalées caractéristique : – as-tu envie de vomir ? vomis-tu
intenses récurrentes de l'enfant : dans la population géné- – nausées ou parfois ?
vomissements – es-tu gêné par le bruit, par la
rale, 5 % des enfants de 5 ans sont migraineux, 10 % à 10 ans – photophobie et lumière ?
et 15 % à l'adolescence. Tous ne consultent pas, car dans les phonophobie
formes les plus simples, des antalgiques de niveau 1 et le
Examen clinique normal
sommeil suffisent à arrêter la douleur.
242 Partie 4. Douleur selon le patient
Informer Traitement
Expliquer à l'enfant et sa famille que la migraine est une Traitement médicamenteux
maladie héréditaire, « de famille », que le cerveau est Des recommandations guident la thérapeutique [1].
« comme un peu trop sensible » et répond facilement Cependant le nombre d'études pédiatriques est limité. Sont
à des stimulations parfois banales, parfois moins, de recommandés les AINS en première intention, en parti-
la vie. Bien souvent, quand les crises se rapprochent, culier l'ibuprofène et, en cas d'échec, le sumatriptan, seul
les facteurs émotionnels sont devenus très présents et triptan ayant une AMM en pédiatrie à partir de l'âge de
évoquer cette intrication de manière simple permet aux 12 ans et d'un poids de 35 kg. En deçà, si l'ibuprofène est
familles de l'aborder plus facilement. Ces explications insuffisant, le paracétamol sera associé, environ une heure
sont la condition sine qua non d'un traitement bien plus tard.
conduit. Les formes inhabituelles ou résistantes aux traitements
Elles permettent aux familles de percevoir l'intrication seront adressées en consultation spécialisée.
entre le terrain héréditaire et les facteurs déclenchants sur Un exemple de prescription pour un enfant de plus de
lesquels ils vont pouvoir ou non jouer pour diminuer le 40 kg suit :
nombre de crises. ■ en tout début de crise de migraine, prendre rapidement
de l'ibuprofène 400 mg ;
■ en cas d'échec, 60 minutes plus tard, administrer une pul-
Céphalées de tension vérisation de sumatriptan 10 mg dans une narine.
La question est cette fois-ci : « as-tu parfois de petits maux Pour un enfant de 6 ans, pesant 20 kg, la prescription
de tête, pendant lesquels tu peux continuer tes activités, qui peut être la suivante :
passent tout seuls, sans médicaments ? » ■ en tout début de crise de migraine, prendre rapidement
Les critères diagnostiques sont les mêmes que chez de l'ibuprofène 200 mg ;
l'adulte : ■ en cas d'échec, 60 minutes plus tard, administrer du para-
■ avoir eu dix épisodes de crises typiques (ou deux crises cétamol 300 mg.
avec aura) ; Il est important de tenir un agenda mentionnant les fac-
■ céphalée modérée, non pulsatile ; teurs déclenchants et l'efficacité thérapeutique.
■ non aggravée par l'activité ; Il n'y a pas d'indication de traitement médicamenteux
■ sans nausée-vomissement ; pour les céphalées de tension, mais les méthodes psycho
■ phono- ou photophobie possible, mais non associée. logiques, telles que la relaxation et l'hypnose ont montré
La fréquence de ces céphalées de tension est recherchée. son efficacité, ainsi qu'en traitement de fond de la migraine.
Chapitre 35. Douleur chez l'enfant et l'adolescent 243
Méthodes psychocorporelles liales. Il est très rare de ne pas trouver d'élément de ce type.
Plus de vingt études randomisées ont montré l'efficacité La qualité de la relation avec l'adolescent en consultation,
de la relaxation, l'hypnose et les moyens psychologiques la confiance, mais aussi des échanges orientés et souples,
comme les TCC dans la douleur chronique de l'enfant, et en suivant les mouvements de l'adolescent, son histoire et le
particulier les céphalées. contexte dans lequel les douleurs se sont installées permet-
Chaque médecin recevant des enfants douloureux devra tront de comprendre la situation. Évoquer en douceur les
identifier des professionnels formés à ces méthodes, princi- difficultés que l'adolescent a eu à affronter sera très aidant.
palement des psychologues et psychomotriciens. Le questionner directement sur son anxiété et son humeur
est important.
Des supports d'information Les propositions thérapeutiques pourront alors être
adaptées, fondées principalement sur les méthodes
Délivrer un support d'information en consultation est une psychologiques.
aide majeure pour l'enfant, sa famille et le milieu scolaire Aucun traitement médicamenteux n'a montré son effi-
qui devra être informé et aider l'enfant à prendre son traite cacité dans le SDRC de l'enfant, du fait aussi d'un manque
ment quand nécessaire. Des livrets ont été réalisés et sont d'études suffisantes. Les molécules contre les douleurs neuro
disponibles : www.sparadrap.org, ainsi qu'un site www. pathiques pourront aider, comme l'amitriptyline ou la
migraine-enfant.org. gabapentine.
Pour en savoir plus, un ouvrage complet est disponible [7]. Les manœuvres locales n'ont pas montré leur efficacité et
sont souvent quasi impossibles du fait de la douleur. L'im-
Douleurs musculosquelettiques mobilisation n'est pas aidante, la douleur persiste sous plâtre
Devant des douleurs musculosquelettiques (DMS), un ou attelle. Une prise en charge précoce est nécessaire pour
interrogatoire et un bilan permettent d'évoquer ou d'élimi- éviter l'immobilisation trop longue d'un membre, une perte
ner les pathologies inflammatoires, tumorales, les maladies musculaire ou une raideur articulaire.
osseuses, etc. Le traitement étiologique sera instauré paral- Le rôle des explications, la confiance de la famille, la dis-
lèlement au traitement antalgique. Un recours à une consul- cussion sur les intrications de la maladie avec les éléments
tation douleur peut être nécessaire si la douleur résiste, est émotionnels, les soins psychologiques et psychocorpo-
invalidante et a un retentissement important sur la vie. Une rels doivent être au premier plan. Lorsque le lien entre les
prise en charge pluriprofessionelle sera alors proposée. émotions et la douleur a pu être fait par l'adolescent et sa
Nous évoquerons ici les deux types de DMS les plus fré- famille, l'amélioration est plus facile, voire rapide. Dans le
quemment observées en consultation douleur pédiatrique : cas inverse, il est parfois long d'arriver à démêler les choses.
le SDRC de type 1 (algodystrophie) et les DMS diffuses à Les échanges entre professionnels ou la prise en charge en
bilan normal. équipe pluriprofessionnelle (médecin, psychologue, kinési-
thérapeute, etc.) sont nécessaires.
Parfois, la situation est trop complexe, l'enfant est dés-
Le syndrome douloureux régional complexe colarisé et le milieu scolaire, impuissant ou dépassé. Une
de type 1 hospitalisation en centre médicalisé, avec scolarité intégrée,
Les hypothèses physiopathologiques et la description ne peut aider à sortir de cette impasse.
seront pas reprises en détail, elles l'ont été dans le chapitre Nous manquons de données épidémiologiques sur le
31, « Le syndrome douloureux régional complexe ». devenir de ces enfants, mais la pratique clinique montre une
Les spécificités pédiatriques sont une phase chaude souvent amélioration dans la plupart des situations, avec une prise
brève, voire absente, et rapidement, une phase froide, avec une en charge globale adaptée [8, 9].
atteinte prédominante des membres inférieurs, principalement
chez des jeunes filles prépubères ou adolescentes, à la suite, ou
non, d'un traumatisme bénin. La douleur est décrite dans des Douleurs musculosquelettiques diffuses
termes de douleur neuropathique, et le membre atteint est inexpliquées
très souvent intouchable, hyperesthésique. L'enfant arrivera Comme chez l'adulte, mais de manière beaucoup moins fré-
en consultation s'appuyant sur une béquille ou en fauteuil quente, certains adolescents décrivent des DMS diffuses. Les
roulant sans chaussure, ou le bras en écharpe, ou pendant, ou localisations sont variables. Après avoir éliminé les patho-
encore rétracté dans une position vicieuse. Le toucher, même logies possibles, la question du diagnostic à évoquer et des
léger et la moindre mobilisation seront très douloureux. La mots à utiliser se pose.
peau peut être marbrée ou sèche, pouvant prendre parfois un L'examen clinique peut montrer soit plusieurs zones
aspect impressionnant comme un membre violacé. L'atteinte douloureuses, soit une douleur diffuse. Le schéma du bon-
est « en chaussette » ou « en gant ». Ces signes de douleur neu- homme est alors intéressant.
ropathique s'étendent souvent, a minima, au-delà de la zone L'étiologie de ces douleurs reste inconnue.
douloureuse, parfois jusqu'à l'hémicorps. Parfois le diagnostic de fibromyalgie est énoncé soit par
Si la littérature peine à montrer l'existence de caracté- l'entourage, soit par un professionnel. Nous ne disposons
ristiques psychologiques particulières, dans la très grande actuellement pas d'études affirmant que cette entité existe
majorité des cas, le SDRC de l'enfant commence dans une chez l'adolescent. Le risque pourrait être de figer un diag
période de difficultés psychologiques individuelles ou fami- nostic, avec la lourdeur inhérente.
244 Partie 4. Douleur selon le patient
Le rôle des émotions, des éléments de vie, des histoires ment accessible, peut être une aide pour de nombreuses
familiales, etc. apparaît souvent important. familles, ainsi que la vidéo disponible sur le site Pediadol.
Certaines familles continuent, malgré la normalité des Les études réalisées montrent que la plupart des traite-
examens, à rechercher une étiologie. Cela peut conduire ments médicamenteux sont des échecs : antiacides, antidé-
à une escalade de bilans et, parfois, de traitements. Les presseurs. Les antispasmodiques n'ont pas fait l'objet d'études
échange de qualité entre professionnels et familles pourront de bonne qualité méthodologique, ni les antalgiques. Les
dans ce cas éviter un engrenage terrible. modifications du régime alimentaire sont souvent conseil-
Comme dans les SDRC, le retentissement est parfois tel lées par excès et malgré l'absence d'arguments scientifiques.
qu'un temps d'hospitalisation en centre médicalisé avec sco- Les probiotiques ont pu montrer une certaine efficacité.
larité intégrée et programme de soins est nécessaire. En revanche, les méthodes psychologiques ont montré
Le livret d'information intitulé Sur le chemin de la douleur des résultats positifs : TCC, relaxation et hypnose.
avec Sacha est très utile pour expliquer la douleur chronique
de ce type aux adolescents et leur famille [10]. Il apporte
une aide aux professionnels pendant les consultations pour
Douleurs neuropathiques
expliquer la douleur chronique et ses intrications. Les douleurs neuropathiques de l'enfant sont beaucoup plus
rares que celles de l'adulte, du fait à la fois de l'étiologie et de
la plasticité neuronale de l'enfant.
Douleurs abdominales récurrentes Elles doivent cependant être connues. Elles sont décrites
dans les mêmes termes que chez l'adulte, chez l'enfant à par-
Les douleurs abdominales récurrentes sont très fréquentes, tir d'environ 8 ans. Auparavant, il faudra l'évoquer dans le
puisqu'elles touchent 10 à 20 % des enfants et adolescents, cas d'un enfant ne se laissant pas toucher ou ayant des dou-
voire plus. Ces douleurs ont tendance à persister plusieurs leurs par pics brefs.
années plus tard, voire à l'âge adulte, dans un tiers des cas Elles doivent être recherchées à l'interrogatoire et à l'exa-
selon la plupart des études. Un des facteurs prédictifs est men clinique. La publication d'une version pédiatrique
d'avoir un parent atteint lui aussi. Si un bilan minimal s'im- du DN4, validée, est en cours. Des illustrations des mots
pose souvent pour éliminer une maladie digestive, parfois, les piqûre, brûlure, picotements, etc. aident les enfants à décrire
douleurs deviendront invalidantes et conduiront à de mul- leurs douleurs.
tiples bilans et avis spécialisés. La recherche effrénée d'une Nous ne disposons que de peu d'études pédiatriques dans
étiologie organique sans évoquer avec la famille l'existence ces douleurs.
de douleurs fonctionnelles risque de favoriser ces excès. Un article récent résume les données pédiatriques [11].
Comme pour les autres douleurs chroniques, une prise
en charge globale sera nécessaire, avec compréhension des
éléments de vie, des intrications scolaires, familiales et indivi- Références
duelles, de l'anxiété, de l'humeur et du retentissement scolaire.
[1] Recommandations HAS 2016. Prise en charge médicamenteuse de
Les études sur les éléments psychologiques ne sont pas
la douleur chez l'enfant : alternatives à la codéine. https://www.has-
concordantes et montrent pour certaines l'absence de psy- sante.fr/portail/jcms/c_2010340/fr/prise-en-charge-medicamenteuse-
chopathologie connue, pour d'autres une anxiété de l'enfant de-la-douleur-chez-l-enfant-alternatives-a-la-codeine.
ou de la famille, des conflits ou événements de vie, un stress, [2] Fournier-Charrière E, Tourniaire B. Groupe Pediadol. In : La douleur
une dépression. de l'enfant. L'essentiel ; 2015. Paris : édition Pediadol.
Pour le praticien, il s'agira de questionner l'enfant et sa [3] King S, Chambers CT, Huguet A, MacNevin RC, McGrath PJ,
famille, comme pour les autres douleurs chroniques, sur les Parker L, et al. The epidemiology of chronic pain in children and adoles
événements et d'évoquer si possible leur lien avec la douleur, cents revisited : A systematic review. Pain 2011 ; 152 : 2729–38.
d'aborder ouvertement leur rôle et d'exprimer le fait que [4] Tourniaire B. Gallo A. Douleur chronique des enfants et des adoles-
les émotions renforcent bien souvent la douleur et doivent cents : quoi de neuf ? [Internet]. Disponible sur 2013, http://www.
sfetd-douleur.org/sites/default/files/u3/docs/lettre-29-juin-2013_.
donc être prises en compte pour qu'il y ait une amélioration.
pdf.
Le fonctionnement de la famille, la place qu'y tient la [5] Zeltzer LK, Blackett S. Comprendre et vaincre la douleur chronique
douleur et, parfois le rôle qu'elle y joue seront explorés. de votre enfant. Paris : Savoirs pratiques éducation 2007.
Il a été montré que l'évolution était moins favorable dans [6] Zernikow B. Comprendre la douleur en 10 minutes. Version fran-
les familles où cette prise en compte globale de l'enfant et des çaise. https://www.youtube.com/watch?v=U5YUg45WFDM.
éléments de vie n'était pas acceptée et lorsque de nombreux [7] Annequin D, Tourniaire B, Amouroux R. Migraine, céphalées de
médecins étaient consultés. À l'inverse, elle était meilleure l'enfant et de l'adolescent. Paris : édition Springer 2014.
quand des soins psychologiques étaient acceptés. Il a été mon- [8] Tonelli A, Huet D. Adolescents douloureux chroniques déscolarisés :
tré qu'un excès d'attention porté aux douleurs par l'entourage expérience de l'hospitalisation à temps plein en soins/études. Dou-
avait un impact négatif sur l'enfant, de même que l'inatten- leurs : évaluation-diagnostic-traitement 2018 ; 4 : 182–91.
[9] Gallo A. les douleurs chroniques des adolescents persistent-elles
tion. En revanche, les mesures de distraction sont utiles.
à l'âge adulte. Suivi à long terme d'une cohorte de patients. Thèse
Alors que certaines familles associent assez facilement d'exercice de médecine. 2014. Chalon-sur-Saône.
douleurs abdominales et anxiété ou éléments émotionnels, [10] Sur le chemin de la douleur avec Sacha. Paris : éditions Dubourdon,
pour d'autres, ce lien sera beaucoup moins évident. Le rôle 2015.
de l'information sur les douleurs fonctionnelles abdominales [11] Fournier-Charrière E, Marec-Berard P, Schmitt C, Delmon P,
est important, sans que soit niée la réalité du ressenti dou- Ricard C, Rachieru P. Management of neuropathic pain in children :
loureux. Le film Le ventre, notre deuxième cerveau, facile guidelines for good clinical practice. Arch Pediatr 2011 ; 18 : 905–13.
Chapitre
36
Douleur et genre
Gisèle Pickering
PLAN DU CHAPITRE
L'analyse de la différence de l'expérience Au niveau épigénétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
douloureuse entre hommes et femmes . . . . . 245 Traitement de la douleur par
Les travaux expérimentaux, des approches médicamenteuses
chez l'animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 ou non médicamenteuses . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
Les facteurs biologiques, psychologiques Pharmacodynamie des antalgiques . . . . . . . . . 247
et sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247
Au niveau génétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
Il existe une surreprésentation des femmes dans la douleur le genre fait référence aux faits socioculturels, aux rôles
chronique [1, 2]. Certains symptômes douloureux sont pré- déterminés socialement, aux comportements, attributs, sté-
sents seulement chez la femme (endométriose, vulvodynie, réotypes, etc., tandis que le sexe relève de faits biologiques et
douleurs menstruelles) ; d'autres présents dans les deux physiologiques, avec un socle de génétique, d'épigénétique,
sexes sont prédominants chez la femme (fatigue chronique, d'imprégnation hormonale et d'évolution. La littérature
fibromyalgie, cystite interstitielle, douleur temporomandi- rapporte que, dès le plus jeune âge, garçons et filles sont
bulaire, céphalée, lombalgie ou arthrose [3]. socialisés selon des normes liées au genre pour répondre à
la douleur : les garçons visent à tolérer la douleur et à sup-
porter des expériences douloureuses, tandis que les femmes
L'analyse de la différence sont socialisées pour être plus sensibles et pour mieux ver-
de l'expérience douloureuse baliser un inconfort et une douleur [8]. Néanmoins, les parts
entre hommes et femmes respectives du genre et du sexe restent floues, et il semble
que ni le genre seul ni le sexe seul ne puisse expliquer les dif-
Divers biais ont été évoqués pour expliquer cette surre- férences entre hommes et femmes. De plus, il est difficile de
présentation : les femmes consultent plus que les hommes, dissocier genre et sexe – les différences biologiques, psycho-
répondent plus facilement aux enquêtes et sont plus souvent logiques et sociales entre hommes et femmes dans le cadre
incluses dans les études épidémiologiques. De plus, l'évalua- de la douleur –, car ces différences sont liées. De nombreux
tion peut être faussée par l'expérience de douleurs répétées exemples montrent que hommes et femmes peuvent être
liées au cycle menstruel au cours de la vie. Des différences soignés différemment pour les mêmes maladies, sans justifi-
entre les sexes comme la perception, la description et l'ex- cation médicale, dans de nombreux champs médicaux : cela
pression de la douleur, l'utilisation de stratégies de coping et inclut le psoriasis, les pathologies cardiaques, la polyphar-
le bénéfice de différents antalgiques [4, 5] ont été évoquées macie et la douleur chronique [8].
comme étant également secondaires à d'autres situations
ayant elle-même des différences de prévalence homme-
femme : anxiété, abus sexuel ou dépression. Il est aussi pos- Les travaux expérimentaux,
sible que les femmes aient une plus grande sensibilité ou une chez l'animal
plus faible tolérance à la douleur que les hommes, ce qui
pourrait avoir de nombreux facteurs incluant des différences En ce qui concerne les travaux expérimentaux, chez l'ani-
biologiques au niveau des faisceaux ascendants de la douleur mal, il existe des biais de sélection, puisque la majorité des
et/ou au niveau des faisceaux inhibiteurs descendants, et des études précliniques (79 %) ont été effectuées chez des ani-
phénomènes d'ordre psychologique. Enfin, des différences au maux mâles, d'où des résultats controversés. Chez le volon-
niveau des récepteurs comme les récepteurs opioïdes ont été taire sain, de nombreux travaux ont été publiés [3, 9–11],
évoquées, d'ordre pharmacocinétique, pharmacodynamique concluant, ce qui prête à controverse aussi, que les femmes
ou, simplement, de niveaux de douleur de base différents [3]. seraient plus sensibles à la douleur, mais de manière non
L'analyse de la différence de l'expérience douloureuse uniforme, selon différentes modalités expérimentales d'in-
entre hommes et femmes nécessite d'introduire la distinc- duction de la douleur (stimuli thermiques, mécaniques,
tion entre les deux concepts de sexe et genre [6, 7]. En effet, etc.), avec de nombreux biais de sélection et de mesure
Médecine de la douleur pour le praticien
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246 Partie 4. Douleur selon le patient
relevés. Plusieurs études, mais tout autant controversées, multiples parties du corps, douleurs qui sont souvent décrites
portant sur le volontaire sain, suggèrent que les différences comme plus sévères et plus fréquentes que chez les hommes
liées au sexe disparaîtraient une fois l'anxiété et les facteurs [8]. Des études de populations ont démontré la plus forte
biopsychosociaux contrôlés [9]. prévalence de douleur chronique chez la femme que chez
l'homme, incluant migraine, céphalée de tension, fibromyal-
gie, problème temporomandibulaire, polyarthrite rhuma-
Les facteurs biologiques, toïde et lombalgie chronique [3]. Les femmes douloureuses
psychologiques et sociaux ont aussi des seuils de douleur plus faibles et ressentent une
douleur de plus grande intensité dans de nombreuses condi-
Les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux ont été tions. Chez les femmes en période prémenstruelle et souf-
largement étudiés. En ce qui concerne les facteurs biolo- frant de migraine, de céphalée de tension, de fibromyalgie
giques, les réponses des femmes à la douleur sont affectées ou d'un problème temporomandibulaire, les publications
par le cycle menstruel et la grossesse, et les hormones sont suggèrent que l'intensité de la douleur est la plus forte quand
liées à la réponse à la douleur (estrogènes, androgènes et les taux d'estrogènes diminuent rapidement ou sont très bas.
cortisol) [12]. Les hormones gonadiques sont impliquées Chez les patientes prenant des contraceptifs oraux ou post-
dans une perception différente de la douleur ; les estrogènes ménopausées avec traitement hormonal de substitution, les
et les androgènes influencent les voies nociceptives via des résultats sont plus hétérogènes et aucune conclusion n'est
mécanismes au niveau des récepteurs et, indirectement, via tirée. Les androgènes semblent avoir une activité antinoci-
l'influence de l'action des neurotransmetteurs sur des voies ceptive chez les hommes et les femmes [12].
nociceptives spécifiques. Les facteurs génétiques et phy-
siologiques (régulation de la pression artérielle, fréquence
cardiaque, activité électrodermale) peuvent contribuer aux Au niveau génétique
différences de perception de la douleur, mais g lobalement,
les différences sont de faible amplitude, insuffisantes, Au niveau génétique, certains gènes ont été identifiés
variables, voire absentes. La sensibilisation centrale (allody- comme impliqués dans l'augmentation ou la diminution
nie, hyperalgésie) pourrait être plus prononcée, et l'efficacité de la douleur ou dans la modulation de l'activité analgé-
des faisceaux inhibiteurs descendants, moins bonne chez les sique. Dès la conception, 30 % des gènes des hommes et des
femmes que chez les hommes, mais cela ne s'applique pas à femmes s'expriment différemment dans tous leurs tissus et
toutes les modalités de douleur expérimentale. les femmes, par exemple, répondent mieux à la pentazocine
En ce qui concerne les facteurs psychologiques, il ne semble (via un effet & sur le récepteur MC1) [3].
pas que la dépression soit un médiateur tandis que le rôle de
l'anxiété est ambigu. En effet, la direction de l'association entre
anxiété et douleur est floue. En ce qui concerne les stratégies Au niveau épigénétique
de coping, le catastrophisme pourrait partiellement médier Au niveau épigénétique – étude des influences de l'environne-
les différences de perception de la douleur, et les femmes ont ment cellulaire ou physiologique sur l'expression des gènes –,
un meilleur coping quand elles utilisent des stratégies d'atten- une modulation de l'expression des gènes se fait en fonction
tion tandis que la distraction est plus efficace chez l'homme. du sexe. L'environnement intra-utérin, puis celui de l'enfant
De plus, les interactions interpersonnelles peuvent exercer et de l'adulte contribuent au formatage de l'épigénome, et
une influence positive plus large sur le coping et la tolérance l'exposition à un stress peut entraîner des modifications d'ex-
chez la femme et chez l'homme. Les attentes liées au genre pression des gènes, susceptibles de mener à une hypersensibi-
semblent aussi jouer un rôle et influencent la perception de lité [13]. De plus, épigénétique et hormones sont liées, et les
la douleur expérimentale. Le trait masculinité-féminité [6] (la estrogènes agissent sur la formation synaptique au niveau de
vulnérabilité émotionnelle) et l'identification perçue selon les l'hippocampe suivant une densité des épines dendritiques qui
stéréotypes homme-femme (volonté de rapporter la douleur) fluctue avec le cycle menstruel de la femme [14].
peut être impliqué. Aucune évidence n'émerge vraiment sur
le rôle central du sexe de l'expérimentateur pour expliquer
des différences homme-femme, mais il semble que la per- Traitement de la douleur par
formance de sujets sains soit meilleure si le test est fait par des approches médicamenteuses
un expérimentateur du sexe opposé. Enfin, il est suggéré que
l'histoire du patient (épisodes récents de douleur, modèle
ou non médicamenteuses
familial de douleur, maltraitance dans l'enfance) joue un rôle En ce qui concerne le traitement de la douleur par des
important, mais les résultats ne sont pas universels. approches médicamenteuses ou non médicamenteuses,
La recherche expérimentale a donc identifié quelques des différences liées au genre ont été décrites. La grande
facteurs explicatifs dans certaines études mais ces diffé- variabilité des réponses individuelles aux médicaments, en
rences sont faibles, les facteurs biopsychosociaux, variables, particulier aux opioïdes est bien connue, et la détection de
et les résultats hétérogènes peinent à retrouver la même différences liées au genre dans la réponse antalgique est un
expérience différentielle que celle que rapportent les études défi, si l'on considère la complexité des déterminants physio-
épidémiologiques chez les patients [9, 11]. logiques, génétiques et hormonaux. La réponse à un traite
Bien que les études portant sur les sujets sains ne donnent ment a de nombreux facteurs, incluant la taille, le poids, l'eau
pas des résultats univoques, en clinique, en revanche, il est corporelle totale, les compartiments liquidiens, autant de
bien documenté que les femmes rapportent une plus grande paramètres différant entre l'homme et la femme. En ce qui
diversité de douleurs récurrentes que les hommes, dans de concerne la pharmacocinétique, des différences sont connues
Chapitre 36. Douleur et genre 247
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249 Aspects cliniques : diagnostic
Ce qu'il faut comprendre de la douleur et évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
chez la personne en situation Prise en charge de la douleur . . . . . . . . . . . . . 251
de handicap : définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . 249 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251
d'affections évolutives. Le handicap va pouvoir concerner phasiques (versant expression et/ou compréhension),
des capacités sensorimotrices (déambulation, préhension), troubles de la communication (déficiences sensorielles),
sensorielles (audition, vision), viscérales (miction, exonéra- atteinte de la relation et réponse émotionnelle (trouble du
tion, déglutition), cognitives (parmi lesquelles la communi- spectre autistique, troubles psychotiques, etc.), déficience
cation-expression), relationnelles et comportementales, etc. mentale (polyhandicap, etc.), troubles de la vigilance
En France, la loi du 11 février 2005 définit ainsi le han- (état paucirelationnel, coma). Il est alors nécessaire de
dicap : « toute limitation d 'activité ou restriction de parti- rechercher une expression non verbale de cette douleur,
cipation à la vie en société subie dans son environnement ce qui nécessite une bonne connaissance du handicap
par une personne en raison d'une altération substantielle, et une certaine expérience de l'évaluation de la douleur
durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions phy- [6, 7] ;
siques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, ■ son identification clinique peut aussi être rendue difficile
d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant ». pour le praticien par la complexité de certains tableaux
J.M. Wirotius écrit : « Toute lésion corporelle, qui désorganise cliniques et du caractère spécialisé des prises en charge :
de façon directe et/ou par effet de cascades les fonctions, est à titre d'exemple : douleurs des membres inférieurs ou
un handicap » [3]. douleurs pelviennes face à une paraplégie complète, dou-
leurs de l'hémicorps dans une hémiplégie ou syndrome
épaule-main, douleurs rachidiennes chez le polyhandi-
Douleur capé avec scoliose neurologique, myélopathie cervicale
Le contexte de handicap ne modifie pas en soi les condi- de l'infirmité motrice cérébrale, douleurs des membres
tions physiopathologiques de la douleur, à savoir les causes fantômes chez les personnes amputées, etc.
des douleurs nociceptives ou neuropathiques, mais la dou- Cliniquement la douleur peut être l'expression :
leur est associée soit à la physiopathologie de l'affection ■ d'affections indépendantes du handicap : douleurs
(par exemple, les douleurs neuropathiques d'une atteinte dentaires, abdominales, syndromes infectieux ORL,
médullaire traumatique ou évolutive, comme dans la SEP) ; pulmonaires, urinaires, etc. dont l'expression peut être
douleurs nociceptives d'une atteinte ostéoarticulaire inva- habituelle, mais aussi différente dans certaines situations
lidante (traumatique, dégénérative ou inflammatoire), soit cliniques (douleur projetée) ou certaines atteintes neuro-
aux conséquences de cette affection, en particulier neuro- logiques (douleur rapportée ou douleur référée), ce qui
orthopédiques (douleurs neuro-orthopédiques de l'infir- rend l'examen clinique plus difficile ;
mité motrice cérébrale, du polyhandicapé, etc.) mais aussi ■ de conséquences de l'affection à l'origine du handicap :
viscérales. conséquences directes des lésions (spasmes et contrac-
Cependant, la définition de la douleur comme « expé- tures musculaires, tels l'infirmité motrice cérébrale, le
rience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une traumatisme cranien ou les lésions médullaires), dou-
lésion tissulaire existante ou potentielle ou décrite en termes leurs neuropathiques centrale ou médullaire, lésion-
d'une telle lésion » (IASP, 1979) semble peu adéquate pour nelles et sous-lésionnelles (AVC, lésions médullaires,
le jeune enfant en général ou pour une personne non com- neuropathies par compression, etc.), douleurs ostéoar-
municante. Il a longtemps été pensé que les personnes qui ticulaires d'attitudes vicieuses (équin, flexum, etc.)
n'exprimaient pas la douleur y étaient insensibles [4]. ou de postures prolongées, douleurs cutanées d'appui
Enfin, une place à part doit être faite face à la douleur (escarre), douleurs viscérales (constipation), mais
chronique, responsable d'une baisse des capacités fonc- aussi conséquences des traitements en lien avec l'affec-
tionnelles, sociales et professionnelles, source de handicap tion (orthèses, prothèses, etc.) ; l'examen clinique doit
(rachialgie chronique, fibromyalgie, SDRC, etc.), faisant s'attacher à faire la part de chacune des composantes
émerger une condition de « douleur handicap ». douloureuses ;
Ainsi, cette confrontation handicap et douleur, fréquente, ■ d'actes de soins ou d'actes thérapeutiques : la douleur
va se traduire par de nombreuses situations cliniques et lors des actes de soins, en particulier, dans le champ du
individuelles, pour lesquelles les aspects clinique, diagnos- handicap, des soins de rééducation-réadaptation, doit
tique et thérapeutique vont devoir faire appel, de la part du être prise en compte. Les actes de mobilisations (active
praticien, à une attention et une connaissance particulières et passive), de postures, d'injection (infiltration, ou injec-
et, parfois, à l'usage d'outils spécifiques et d'avis pluridisci- tion, par exemple de toxine botulique, bloc nerveux), de
plinaires et spécialisés [5]. soins spécifiques (trachéotomie, sonde de gastrostomie)
constituent des actes pouvant être douloureux. Il est
important de prendre en compte et d'anticiper ces dou-
Aspects cliniques : diagnostic leurs. De la même manière, l'installation du patient dans
et évaluation son lit ou son fauteuil pendant la journée ou la nuit peut
être source de douleurs, non contrôlables par la personne
Diagnostic elle-même, compte tenu des difficultés de mobilité ou de
Quel que soit le contexte, maladie aiguë ou chronique, la présence de mouvements anormaux, de spasmes ou de
situation de handicap, la douleur constitue un symptôme rigidité ostéoarticulaire ou spastique.
clinique. Cependant : La recherche de ces douleurs sera d'autant plus sys-
■ son expression, en particulier verbale, peut être rendue tématique s'il existe des troubles de l'expression ou de la
difficile ou impossible en raison du handicap : troubles communication.
Chapitre 37. Handicap et douleur : le handicap rend la douleur compliquée ... 251
Le diagnostic clinique va donc consister à identifier une Cette évaluation est nécessaire à des fins diagnostiques,
expression de la douleur, à identifier une étiologie à cette de mesure d'intensité et de typologie de la douleur mais
douleur et à rechercher d'éventuels facteurs associés. aussi à des fins de suivi thérapeutique.
Il est nécessaire dans toutes les situations d'analyser le
comportement induit par la douleur : changement de com-
portement avec perte d'activité, de participation, réaction Prise en charge de la douleur
psychologique, isolement, troubles du sommeil ou expres-
sion spécifique de la douleur (douleurs référées ou rappor- Traitement médicamenteux
tées) et, enfin, modifications de comportements lorsque Les traitements médicamenteux classiques de la douleur
l'expression verbale est difficile : agitation, mouvements peuvent être utilisés dans ce contexte de handicap. Cepen-
anormaux, cris, expression d'angoisse, opposition, agressi- dant, la pathologie et son retentissement doivent être pris en
vité, etc. compte du fait de l'importance de certains effets indésirables
Ces caractéristiques impliquent pour le praticien et pour (somnolence, épilepsie, troubles respiratoires, troubles
toute l'équipe prenant en charge de tels patients, en parti- digestifs et du transit, troubles urinaires, etc., eux-mêmes
culier selon les capacités ou non d'expression de la douleur, mal exprimés). Les modes d'administration devront aussi
de dépister systématiquement toutes les situations qui pour- être adaptés, selon notamment la présence de troubles de
raient faire évoquer une douleur, une équivalence sympto- la déglutition et, parfois, de gastrostomie. Enfin, bien sûr,
matique et/ou des causes irritatives cliniques [7, 8]. ces choix peuvent être conditionnés par des traitements
en cours pour l'affection considérée et par l'état général du
Quelques exemples patient.
Chez un patient présentant une atteinte médullaire, la dou-
leur neurologique par exemple ne doit pas nous faire oublier
la rougeur d'appui sur chaussage non adapté ou la présence
Traitements associés
d'un fécalome, facteurs irritatifs majorant la spasticité et, L'association de facteurs favorisant la survenue et l'entretien
donc, les douleurs sous-lésionnelles. de la douleur rend nécessaire leur contrôle : épines irritatives
Chez un patient présentant un trouble autistique, des liées aux conditions de vie (installation au fauteuil, préven-
modifications comportementales et relationnelles au sein tion des points d'appui, postures neuro-orthopédiques, etc.),
de son institution et de sa famille, doivent nous amener à et des soins spécifiques (soins cutanés, mobilisation, actes
rechercher une cause organique lésionnelle mais aussi une d'hygiène et actes de la vie quotidienne, comme l'habillage).
plainte douloureuse non verbalisée, comme une migraine.
Approche pluridisciplinaire
Évaluation Compte tenu des différentes dimensions et du retentisse-
L'évaluation de la douleur, aiguë ou chronique, est néces- ment fonctionnel et comportemental que peut entraîner
saire comme pour tous patients douloureux, et elle utilise la douleur, en particulier selon les possibilités d'expression
des outils d'autoévaluation ou d'hétéroévaluation, selon les verbale et comportementale de la personne, une prise en
capacités cognitives des personnes. charge pluridisciplinaire et un regard attentif de l'ensemble
Cette évaluation va faire appel : de l'équipe de soin sont absolument nécessaires. Au-delà du
■ aux échelles usuelles de la douleur (EVA, EN, EVS et diagnostic, cela permet une prise en charge personnalisée et
QDSA) qui permettent d'identifier l'intensité de la dou- un suivi des thérapeutiques. C'est aussi la possibilité de pro-
leur et de ses facteurs qualitatifs en cas de capacités poser des thérapeutiques non médicamenteuses à des fins
d'expression intactes ; l'évaluation doit aussi faire appel à sédatives, notamment des approches psychocorporelles ou
des échelles spécifiques, souvent comportementales, per- de la neurostimulation transcutanée.
mettant à l'ensemble des équipes de soin, et parfois à des
proches, de traduire la présence de la douleur et d'ana- Prévention et douleur induite
lyser son intensité, et rendant ainsi possible le suivi des
thérapeutiques [9]. Au-delà de l'évaluation de la douleur, Enfin, l'attention aux actes de soins (hygiène, rééducation,
tout autre mode de communication, souvent déjà mis en plaies, etc.) et aux actes de la vie quotidienne (installation,
place doit être utilisé : pictogramme, signes, etc. mobilisation, transfert, etc.) doit permettre une prise en
■ aux échelles du retentissement de la douleur : il est abso- charge anticipée et systématisée de la douleur : prise médi-
lument nécessaire de voir comment la douleur induit des camenteuse avant kinésithérapie, usage d'une technique
modifications fonctionnelles (diminution des capacités MEOPA lors d'injections, techniques de massage, de séda-
fonctionnelles et de participation, mais aussi de la qualité tion, de relaxation, etc.
de vie), et surtout, comportementales : troubles du som-
meil, de l'appétit, anxiété, agitation, agressivité, régression
psychique et motrice, mouvements anormaux, isolement
Conclusion
et repli sur soi. Il est important de considérer ces mani- Les douleurs sont très fréquentes chez la « personne han-
festations indirectes, car elles sont parfois les seuls modes dicapée », quelle que soit l'affection à l'origine de ce handi-
d'expression des douleurs et peuvent être rapportées par cap. Leurs composantes polyfactorielles et leur expression
les soignants, les aidants et les parents [10]. fréquemment multidimensionnelle rendent leur analyse
252 Partie 4. Douleur selon le patient
et leur prise en charge souvent complexes, obligeant sans [4] de la Vega R, Groenewald C, Bromberg MH, Beals-Erickson SE,
cesse à une remise en question diagnostique et à des Palermo TM. Chronic pain prevalence and associated factors in ado-
adaptations thérapeutiques. Une bonne connaissance à la lescents with and without physical disabilities. Dev Med Child Neurol
2018 ; 60 : 596–601.
fois de l'affection causale et de la situation de handicap
[5] Gallien P, Nicolas B, Dauvergne F, Pétrilli S, Houedakor J, Roy D, et al.
permet une expertise pertinente pour une approche thé- La douleur chez le sujet adulte infirme moteur cérébral. Ann Readapt
rapeutique la plus complète possible de ces douleurs qu'il Med Phys 2007 ; 50 : 558–63.
faut parfois « traquer » tant leurs modalités d'expression [6] Dubois A, Capdevila X, Bringuier S, Pry R. Pain expression in child-
peuvent varier. ren with an intellectual disability. Eur J Pain 2010 ; 14 : 654–60.
[7] Vincent B, Zabalia M. Spécificités de la prise en charge de la douleur
chez l'enfant handicapé. Médecine thérapeutique/Pédiatrie 2009 ; 12 :
270–83.
Références
[8] Calmels P, Mick G, Perrouin-Verbe B, Ventura M. SOFMER (French
[1] Guide ANESM. qualité de vie : handicap, les problèmes somatiques et Society for Physical Medicine and Rehabilitation). Neuropathic pain
les phénomènes douloureux. Paris : HAS, avril ; 2017. in spinal cord injury : identification, classification, evaluation. Ann
[2] World Health Organization. Classification internationale du fonc- Phys Rehabil Med 2009 ; 52 : 83–102.
tionnement, du handicap et de la santé. CIF. Genève : Organisation [9] Collignon P, Giusiano B. Validation of a pain evaluation scale for
mondiale de la Santé ; 2001. patients with severe cerebral palsy. Eur J Pain 2001 ; 5 : 433–42.
[3] Wirotius JM. Le handicap douloureux. Présentation du modèle du [10] Tervo RC, Symons F, Stout J, Novacheck T. Parental report of pain
handicap et de la réadaptation dans la douleur chronique. Douleurs : and associated limitations in ambulatory children with cerebral palsy.
évaluation-diagnostic-traitement 2016 ; 17 : 47–52. Arch Phys Med Rehabil 2006 ; 87 : 928–34.
Chapitre
38
Handicap et douleur : place
de la médecine physique
et de réadaptation
dans la douleur chronique bénigne
de l'appareil locomoteur
Michel Morel Fatio
PLAN DU CHAPITRE
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 Clinique de la douleur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
Mécanismes d'incapacité Conclusion et perspectives. . . . . . . . . . . . . . . . . 256
et douleur chronique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
exprimée en termes d'incapacité fonctionnelle. La grille bio- ■ périphériques : déficit moteur, déficit sensitif superficiel
psychosocial structure la consultation, en lui donnant un ou profond, allodynie-hyperalgésie ;
cadre de référence, où chacune des dimensions de la mala- ■ centrales : déficit moteur/sensitif/spasticité, dystonies,
die douloureuse est discutée avec le patient. hypertonie, etc.
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 Douleur, interruption volontaire de grossesse
Gestion des antalgiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 médicamenteuse, fausse couche précoce . . . . 260
Douleurs liées à la grossesse . . . . . . . . . . . . . . 258 Dyspareunies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
l'appui direct, l'utilisation d'antalgiques, de neurosédatifs, t errain anxieux. Le traitement comprend la réassurance
de massages des releveurs de l'anus, voire d'infiltrations de la patiente, les massages, la kinésithérapie, la physio-
locales du disque rudimentaire douloureux [3]. thérapie et, plus rarement, les antalgiques et les anxioly-
tiques [3].
Rhumatismes abarticulaires
Algodystrophie
Crampes
Elle survient principalement lors du trimestre de la
Elles concernent un tiers des patientes et sont rencontrées grossesse, mais, parfois, dès le premier trimestre. La
dans la deuxième moitié de la grossesse. Elles sont le plus hanche est l'articulation la plus fréquemment touchée.
souvent d'horaire nocturne et concernent surtout les mol- La douleur est mécanique, inguinale irradiant à la face
lets, mais aussi, parfois, les cuisses ou les pieds. Les carences antérieure de la cuisse et apparaît dès la mise en charge,
minérales sont rarement documentées mais la supplémenta- pouvant conduire à une impotence fonctionnelle. Le
tion par magnésium et, surtout, par calcium (1 à 2 g/jour per diagnostic se fait par IRM, et le traitement consiste en
os) est souvent efficace [3]. du repos, associé à du paracétamol au stade initial. L'uti-
lisation de cannes anglaises est nécessaire à la marche.
Méralgie paresthésique par compression du nerf La kinésithérapie est prescrite dès l'atténuation des dou-
fémorocutané leurs [3].
Elle survient vers le cinquième mois de grossesse et se carac-
térise par des dysesthésies et des hyperesthésies à la face Ostéonécrose aseptique de la tête fémorale
antéro-externe de la cuisse. Le traitement consiste en l'uti- Favorisée par une prise de poids excessive ou une grossesse
lisation de benzodiazépines, de tricycliques et d'infiltrations multiple, elle survient toujours après le quatrième mois. La
locales [3]. douleur siège à la face externe de la hanche, dans le pli de
l'aine ou au niveau de la fesse. Le diagnostic est obtenu par
Autres l'IRM. Le traitement comprend essentiellement une mise en
Le syndrome du canal carpien et la ténosyvite de De décharge totale (repos et utilisation de cannes anglaises) et
Quervain peuvent être rencontrés en fin de grossesse. Outre des antalgiques [3].
l'utilisation d'AINS qui est contre-indiquée, le traitement
est le même qu'en dehors de la grossesse. Reflux gastro-œsophagien
Les algies plantaires peuvent êtres soulagées par les antal- Il touche environ 50 % des femmes enceintes. Le traitement
giques simples et le port de semelles compensatrices [3]. consiste en l'application des règles hygiénodiététiques habi-
tuelles et l'administration d'un médicament. Les molécules
Douleurs rachidiennes et radiculaires suivantes peuvent être utilisées, quel que soit le terme :
■ les pansements gastro-intestinaux : diméticone
Lombalgies (Polysilane®),
Elles surviennent chez au moins la moitié des femmes et ■ les antiacides : alginate (Gaviscon®), sels d'aluminium et
sont favorisées par l'hyperlordose, l'hyperlaxité ligamentaire de magnésium (Maalox®, etc.),
et la prise de poids. Il s'agit le plus souvent de lombalgies ■ les IPP : oméprazole (Mopral®, Zoltum®), ésoméprazole
basses à caractère postural, d'intensité modérée, qui n'im- (Inexium®, Nexium control®), et lansoprazole (Lanzor®,
pose un arrêt de travail et un repos absolu que dans 10 % des Ogast®, Ogastoro®),
cas. Les sciatiques sont plus souvent S1 que L5 et sont habi- ■ les antihistaminiques H2 : ranitidine (Azantac®) et famo-
tuellement calmées par le décubitus. Le traitement consiste tidine [4].
en un repos simple, la limitation du port d'objets lourds et
des périodes journalières de repos en position couchée, le
dos à plat, les jambes surélevées. En cas de forme résistante, Douleur hémorroïdaire
l'utilisation d'un lombostat en coutil réglable peut améliorer Les hémorroïdes sont aggravées lors du troisième trimestre
la symptomatologie. Une ou deux infiltrations épidurales et en post-partum immédiat. La constipation, l'imprégna-
d'un corticoïde soluble sont habituellement très efficaces. La tion en progestérone et un facteur mécanique de compres-
sciatique hyperalgique gravidique et la sciatique paralysante sion en font une pathologie fréquemment rencontrée. Le
sont deux pathologies nécessitant un repos strict au lit, un traitement antalgique est d'abord local, puis associé à un
traitement antalgique par paracétamol et, éventuellement, traitement par voie générale, une régularisation du transit et
l'infiltration de corticoïdes. Une fois l'existence d'un conflit aux règles hygiénodiététiques habituelles.
discoradiculaire démontrée par une IRM, une intervention
chirurgicale doit être discutée [3]. Traitement local de la crise hémorroïdaire
Ce traitement peut être :
Dorsalgies ■ des spécialités contenant un anesthésique local sans
Plus fréquentes en début de grossesse, elles sont méca- corticoïde, tels Titanoréïne lidocaïne®, Tronothane® et
niques ou inflammatoires et souvent associées à un Rectoquotane® ;
260 Partie 4. Douleur selon le patient
■ Interpreting (interpréter) : avoir une vue d'ensemble, en die inflammatoire pelvienne, iatrogénie (raccourcis-
déterminant si la femme a élaboré des mécanismes de sement ou rétrécissement vaginal, postradiothérapie,
défense occultant une partie du problème (déni, régression, mutilations sexuelles féminines), dysfonction du plan-
détachement, dissociation pouvant évoquer un historique cher pelvien (mécanique, anatomique, rétroversion de
d'abus sexuels, etc.), si elle est anxieuse ou si elle a peur. l'utérus, prolapsus), congestion pelvienne (douleur post-
L'examen physique comprend, au minimum, la palpation coïtale), cause non gynécologique (syndrome de l'intestin
abdominale à la recherche d'un syndrome de masse abdomi- irritable, maladie inflammatoire chronique de l'intestin,
nale, l'inspection vaginale (érythème, fissures, ulcérations, infection urinaire) ou insuffisance veineuse pelvienne.
candidose, dermatite, suintements, cicatrice d'épisiotomie, Lorsqu'une cause est identifiée, le traitement de celle-ci
mutilation sexuelle, lichen scléreux vulvaire, atrophie vagi- est indispensable. Une approche multidisciplinaire (gynéco-
nale, etc.), l'examen au spéculum en prenant soin d'utiliser logue, dermatologue, psychologue, etc.) est recommandée
du lubrifiant, et le toucher vaginal. Les deux derniers per- en cas de vulvodynie.
mettant d'identifier des nodules d'endométriose (ligaments Le massage périnéal avec une huile inerte (comme l'huile
utéro-sacrés, etc.), des masses intra-abdominales (kystes de coco), peut de nouveau familiariser certaines femmes
ovariens, fibromes, etc.) et de repérer des malformations avec leur vulve et, en cas de vaginisme ou de vulvodynie,
utérovaginales. En cas de normalité de l'examen physique, soulager les douleurs.
les explorations doivent être poursuivies. L'utilisation de substances non inertes, allergisantes ou
Les examens complémentaires à effectuer vont dépendre irritantes (savon, gel douche, lingettes) pour l'hygiène intime
de l'examen clinique. Le dosage de la ferritine sanguine est déconseillée. Les protections en coton, non parfumées,
semble particulièrement important, puisque 5 % des non teintes et une lessive non parfumée sont à privilégier.
femmes avec une dermatite vulvaire ou un prurit sont asso- La douleur à la pénétration peut être réduite par l'utilisa-
ciés à un déficit en fer. Un prélèvement vaginal, une écho- tion d'un lubrifiant à base d'eau et diminuant la sensibilité
graphie, une IRM, une biopsie d'éventuelles lésions cutanées (menthol, lidocaïne).
ou une cœlioscopie exploratrice peuvent être nécessaires au Lorsque l'origine psychosexuelle est envisagée, un recours
diagnostic. à un spécialiste est nécessaire [9].
Les causes physiques de dyspareunie sont nombreuses et
peuvent varier selon l'âge de la patiente :
■ douleurs superficielles avant la ménopause : candidose
récidivante, herpès, vaginisme, dermatite vulvaire, cica- Références
trice périnéale (épisiotomie, déchirures postaccouche- [1] https://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=18.
ment, mutilation sexuelle, etc.), abcès ou kyste de la [2] Fibrome utérin : localisations, manifestations, diagnostic et traitements,
glande de Bartholin ; http://www.aly-abbara.com/livre_gyn_obs/termes/fibrome.html.
■ douleurs superficielles péri- ou postménopausiques : [3] Koeger AC. Rhumatologie et grossesse. Wwwem-Premiumcomdatatrai
atrophie vulvovaginale, dermatose (lichen), dermatite tesmgtm-19446
vulvaire ou vaginisme ; [4] https://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=1049.
[5] https://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=861.
■ douleurs superficielles plus rares : radiothérapie, causes
[6] http://lecrat.fr/articleSearch.php ?id_groupe=16.
neurologiques (douleur neuropathique, maladie neuro- [7] SFEMC. Migraine et grossesse, http://sfemc.fr/maux-de-tete/la-
logique), malformations vaginales, tumeurs vaginales ou migraine/32-migraine-et-grossesse.html.
vulvaires ; [8] http://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=455.
■ douleurs profondes : endométriose, pathologie des [9] Lee NMW, Jakes AD, Lloyd J, Frodsham LCG. Dyspareunia. BMJ
annexes ou du pelvis (kystes, fibromes, tumeurs), mala- 2018 ; 361 : k2341.
Chapitre
40
Insuffisance rénale
et hépatique
PLAN DU CHAPITRE
40.1 Médicaments opioïdes chez l'insuffisant Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
hépatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Paracétamol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Anti-inflammatoires non stéroïdiens . . . . . . . . 267
Modifications de la pharmacocinétique Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
des opioïdes chez l'insuffisant hépatique . . . . 263 40.3 Antalgiques et insuffisance renale . . . . . . . 268
Antalgiques de niveau II . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264 Ce qu'il faut comprendre avec l'insuffisance
Antalgiques de niveau III . . . . . . . . . . . . . . . . . 264 rénale chronique (IRC) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
Conclusion et recommandations . . . . . . . . . . . 265 Prescription d'antalgiques dans
40.2 Paracétamol et anti-inflammatoires le contexte de l'IRC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
non stéroïdiens chez l'insuffisant hépatique . . . . . 266
a ltérée chez les patients présentant une cirrhose avancée. La circulantes, surtout aux α- et β-globulines, la buprénor-
situation se complique souvent quand la cirrhose sévère se phine est partiellement métabolisée par le foie (CYP3A4),
double d'une insuffisance rénale, d'autant que les patients avec une oxydation conduisant à la norbuprénorphine avant
atteints de cirrhose du foie sont particulièrement sensibles que le médicament et son métabolite ne soient ensuite glu-
aux effets indésirables centraux des antalgiques opioïdes [5]. curonoconjugués [11]. La pharmacocinétique de la bupré-
norphine n'a pas été étudiée en cas d'insuffisance hépatique.
En théorie, l'administration sublinguale permet de court-
Antalgiques de niveau II circuiter le foie, mais une fraction du médicament est avalée,
ce qui peut expliquer la réduction et la variabilité de la biodis-
Codéine ponibilité (50 à 55 %). Si l'activité du CYP3A4 est diminuée,
La codéine est un antalgique de faible puissance, métabo- on peut observer une augmentation de la biodisponibilité et
lisé dans le foie la glucuronyl-6-codéine, la norcodéine et une diminution de la clairance de la buprénorphine, mais
10 % transformé en morphine [6]. La codéine a une faible ces phénomènes n'ont qu'une modeste traduction clinique.
affinité pour le récepteur opioïde μ et son activité antal- Des cas de toxicité hépatique ont été décrits avec la bupré-
gique est majoritairement dépendante de sa conversion en norphine, mais essentiellement lors d'une administration
morphine [7]. Le cytochrome CYP2D6 est l'enzyme impli- intraveineuse [12]. Des données contradictoires ont été
qué dans cette biotransformation. Cette réaction oxydative publiées au sujet de l'hépatotoxicité de la buprénorphine
est diminuée en cas d'insuffisance hépatique, ce qui réduit chez des patients présentant déjà une maladie hépatique
d'autant l'efficacité antalgique de la codéine. Même si une comme l'hépatite C et, lors d'un traitement au long cours, il
modeste efficacité est préservée, il ne semble pas possible de paraît pertinent de surveiller l'évolution des transaminases.
conseiller la prescription de codéine lors d'une altération de
la fonction hépatique.
Antalgiques de niveau III
Tramadol Les opiacés de niveau III sont largement utilisés dans les
Le tramadol agit par un double mécanisme d'action : d'une douleurs sévères. En cas d'utilisation chez des patients souf-
part la modulation d'une voie centrale monoaminergique frant d'insuffisance hépatique grave ou d'encéphalopathie
et, d'autre part, l'activation de récepteurs opioïdes μ. Plus de hépatique, on risque d'observer une rechute ou une aggra-
80 % du tramadol est métabolisé par le foie [8] en O-démé- vation de cette encéphalopathie [13]. Cette complication,
thyltramadol, grâce au CYP2D6. Si le tramadol lui-même est fréquente et de mauvais pronostic, est caractérisée par des
plutôt actif sur les voies monoaminergiques, son métabolite, troubles cognitifs pouvant aller jusqu'au coma. Une autre
l'O-déméthyltramadol a davantage d'affinité pour les récep- source de complications vient du fait que, chez les patients
teurs opioïde μ [9]. En cas de baisse d'activité du CYP2D6 atteints d'insuffisance hépatique, on observe une altération
(insuffisance hépatique), le tramadol agit donc préférentiel- de la barrière hémato-encéphalique (BHE) qui induit une
lement comme modulateur monoaminergique, ce qui pré- augmentation des concentrations cérébrales et, donc, une
serve une part de l'activité antalgique, par ailleurs réduite, toxicité accrue. C'est donc avec prudence qu'il convient de
car il n'est plus (ou n'est que moins) éligible à la part de son prescrire ces opiacés chez l'insuffisant hépatique, même si
action comme agoniste morphinique (on manque d'une l'objectif de suppression de la douleur doit rester prioritaire.
véritable démonstration expérimentale du phénomène). Quelques règles doivent alors être respectées [14].
Cette réduction de l'action pharmacologique est compensée
par les conséquences pharmacocinétiques de l'insuffisance
hépatique. En cas de cirrhose du foie, par exemple, l'aire
Morphine
sous la courbe du tramadol est multipliée par un facteur 3 La morphine, faiblement liée aux protéines plasmatiques,
à 4, et la demi-vie, par un facteur 2 à 3. On observe égale- subit un effet de premier passage significatif après admi-
ment ces modifications en cas de carcinome primitif du foie. nistration per os avec une biodisponibilité moyenne de 30
La biodisponibilité et l'aire sous la courbe du tramadol sont à 40 %. Le métabolisme de la morphine en glucuronyl-
également augmentées, mais dans une moindre mesure, en 6-morphine, actif, et en glucuronyl-3-morphine, neuro-
cas de métastases hépatiques d'un cancer à distance [10]. toxique, intervient très majoritairement dans le foie. La
Au total, l'insuffisance hépatique justifie un élargissement diminution possible de la clairance de la morphine chez les
de l'intervalle entre deux prises, afin de limiter les risques patients cirrhotiques serait essentiellement due à la dimi-
d'accumulation et, donc, de toxicité. nution du flux sanguin hépatique et, dans une moindre
mesure, à une perte de capacité métabolique intrinsèque
[15]. Si certaines études du métabolisme de la morphine
Buprénorphine en cas d'insuffisance hépatique ne notent pas d'altérations
La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs significatives de l'élimination et de la clairance plasma-
opioïdes μ qui subit un effet de premier passage si impor- tique en cas de cirrhose, d'autres, en revanche, observent
tant qu'il n'est pas possible de l'administrer par voie orale un impact négatif, avec une demi-vie terminale de la mor-
(en dehors de la buprénorphine haut dosage [BHD] dans phine, multipliée par 2, et une clairance divisée d'un tiers,
l'indication du sevrage aux opioïdes). Les voies, sublinguale chez les patients cirrhotiques, ce qui conduit les auteurs à
(biodisponibilité de 50 à 55 %), injectable et transdermique suggérer une augmentation de l'intervalle entre les admi-
sont donc incontournables. Largement liée aux protéines nistrations pour minimiser le risque d'accumulation [16].
Chapitre 40. Insuffisance rénale et hépatique 265
– comme en cas d'insuffisance rénale, les antalgiques de le paracétamol, lorsque des doses excessives conduisent à
demi-vie courte minimisant le risque d'accumulation une cytolyse aiguë [35]. Enfin, des cas de lésions hépatiques
sont privilégiés, morphine ou hydromorphone (voie ont été décrits chez des patients utilisant de l'aspirine ou des
orale) et fentanyl, sufentanil ou remifentanil (voies AINS [36]. Bien que rares, elles ne doivent pas être sous-
parentérales) sont les meilleurs choix chez les patients estimées en raison d'une large utilisation de ces médica-
insuffisants hépatiques, ments. Ces inconvénients sont trop souvent méconnus et
– toutefois en cas de syndrome hépatorénal, morphine l'utilisation extensive des antalgiques en automédication est
et hydromorphone doivent être prescrites avec pru- de nature à renforcer les risques encourus par les patients
dence, ce qui n'est pas le cas du fentanyl, du sufentanil (redondances de traitement, posologies mal respectées,
et du rémifentanil. interactions médicamenteuses non maîtrisées, etc.) [37].
■ Chez tous les patients présentant une insuffisance hépa- Il est donc indispensable d'analyser les caractéristiques de
tique, les signes éventuels de toxicité (sédation, hallu- sécurité de chaque médicament afin de les utiliser en mini-
cinations, myoclonies, etc.) doivent être reconnus et, si misant leurs risques potentiels.
possible, prévenus. Tout médicament administré par voie orale est conduit
vers la circulation porte à travers le tube digestif, ce qui
aboutit à l'étape hépatique, siège d'un phénomène connu
sous le nom d'effet de premier passage hépatique. Une cir-
40.2 Paracétamol rhose peut conduire au développement d'une circulation
collatérale qui détourne une fraction du flux sanguin théo-
et anti-inflammatoires riquement épuré par le foie, ce qui accroît la toxicité éven-
tuelle des médicaments [38] ; c'est aussi le cas d'une baisse
non stéroïdiens chez de la biosynthèse de protéines liant les médicaments telles
que l'albumine et la glycoprotéine α1-acide, ce qui conduit
l'insuffisant hépatique à une augmentation de la fraction libre de ces médicaments.
Souvent, la diminution de la capacité métabolique observée
en cas de maladie hépatique est contrebalancée par l'aug-
François Chast mentation de la fraction libre du médicament, ce qui peut
fausser les interprétations. D'autres facteurs interviennent
avec la progression d'une maladie du foie, notamment les
Introduction changements de composition corporelle comme l'augmen-
tation des compartiments extracellulaires (ascite, œdème)
Le foie joue un rôle prépondérant dans le métabolisme d'une et la diminution de la masse musculaire, ce qui modifie les
majorité de médicaments, ce qui explique l'impact que peut paramètres de distribution.
avoir une insuffisance hépatique sur l'élimination de cer-
tains d'entre eux [29]. Le dysfonctionnement du foie est sou-
vent progressif et la diminution de l'excrétion hépatique des
médicaments progresse avec l'histoire de la maladie, même Paracétamol
si, dans certains cas (hépatite chronique active ou cancer Le paracétamol est généralement recommandé comme
du foie sans cirrhose), l'élimination des médicaments n'est antalgique de première intention pour un grand nombre
que modestement modifiée [30, 31]. Malheureusement, de douleurs aiguës ou chroniques et reste l'un des antal-
il n'existe pas de biomarqueur de l'insuffisance hépatique giques les plus sûrs. Si son utilisation chez les patients
permettant d'établir un lien entre cette insuffisance fonc- atteints d'une maladie hépatique doit être, parfois, évitée,
tionnelle et la capacité du foie à éliminer un médicament, elle doit être toujours encadrée, en raison du lien entre le
même si certaines avancées voient le jour dans ce domaine surdosage du paracétamol et son hépatotoxicité. Le paracé-
[32] Toutefois, la classification de Child-Pugh permet de tamol est métabolisé principalement en glucurono- et sul-
retenir le « Model for End-stage Liver Disease » [MELD] ou foconjugués ; une petite proportion (< 5 %) est oxydée par
modèle d'évaluation de maladie terminale hépatique [33], un cytochrome P450 (CYP), la plupart du temps CYP2E1,
qui intègre trois variables biologiques (bilirubine sérique, en un intermédiaire hépatotoxique, la N-acétyl-p-benzo-
albumine et taux de prothrombine) et deux variables cli- quinone imine (NAPQI). Ce métabolite est détoxifié par
niques (présence, ou non, d'ascite et d'encéphalopathie). conjugaison avec le glutathion [39]. Or, les malades pré-
Si la FDA aux États-Unis et l'Agence européenne des sentant une insuffisance hépatique, d'origine alcoolique
médicaments encouragent la présentation d'études phar- ou non, voient leur réserve de glutathion diminuée [40] et
macocinétiques chez des patients insuffisants hépatiques, on admet qu'un risque toxique accru existe chez eux, qu'ils
on manque, en général, de préconisations d'ajustement de soient atteints d'hépatite C chronique, ou de cirrhose non
la posologie chez ces patients, notamment pour les médi- alcoolique. Cette toxicité hépatique du paracétamol est
caments les plus anciens, comme c'est le cas des antalgiques retrouvée chez les patients chez lesquels une maladie hépa-
couramment utilisés. tique préexistait. Elle induit une mortalité accrue en cas de
En cas de maladie du foie, le métabolisme d'une majo- surdosage [41].
rité d'antalgiques peut être altéré, ce qui renforce le risque La question de l'utilisation du paracétamol à doses thé-
d'effets indésirables [34]. En outre, on peut observer une rapeutiques chez l'insuffisant hépatique alcoolique est par-
aggravation de la dégradation de la fonction hépatique par fois controversée. Pourtant, on sait que chez ces patients
Chapitre 40. Insuffisance rénale et hépatique 267
les réserves de glutathion sont réduites, à l'instar de ce d'insuffisance hépatique. Les anomalies de l'hémostase
que l'on observe chez des patients à jeun [42]. De plus, le observées en cas d'insuffisance hépatique font de ces
CYP2E1, responsable de la formation de la NAPQI toxique, malades des sujets à risque hémorragique [52], en particu-
est induit par la consommation chronique d'alcool, et sa lier en raison de la synthèse réduite du thromboxane A2.
production est augmentée chez ces patients, ce qui rend, à Une rupture des varices œsophagiennes constitue alors une
l'évidence, les patients alcooliques, cirrhotique ou non, plus complication majeure de la prise d'AINS (risque multiplié
vulnérables au paracétamol [43]. Chez ces patients, on note par 3) chez les patients cirrhotiques [53, 54].
une augmentation significative des ALAT dès la quarante- L'hépatotoxicité inhérente aux AINS constituerait 10 %
huitième heure, après administration de 4 g de paracétamol de l'ensemble des causes d'accidents hépatiques médica-
par jour [44]. Bien que la signification clinique de ces ano- menteux [55]. Bien qu'il s'agisse d'une propriété « de classe »,
malies biologiques ne soit pas une démonstration absolue, il existe une variabilité de la toxicité selon les molécules.
il semble raisonnable de ne prescrire le paracétamol qu'avec Ainsi, bromfénac, ibufénac et bénoxaprofen ont été retirées
précaution dans cette population. La FDA demande, à ce du marché en raison de cette toxicité et le développement de
titre, aux fabricants de disposer une alerte sur le condition- bon nombre d'autres molécules a été arrêté avant même leur
nement du paracétamol indiquant une consommation à mise sur le marché. On considère aujourd'hui que l'aspirine,
risque si le patient ingère plus de deux unités d'alcool par le diclofénac et le sulindac confèrent le plus grand risque
jour. Les autorités françaises n'ont pas encore franchi ce [56], au point que leur emploi chez l'insuffisant hépatique
pas même si elles semblent y réfléchir [45]. Pour autant, devrait être proscrit. C'est sur les caractéristiques pharma-
si certains auteurs préconisent des nomogrammes d'éva- cocinétiques des AINS (éliminés par un mécanisme oxy-
luation préventive du risque toxique [46], ces dispositions datif, essentiellement CYP2C9-dépendant et des réactions
paraissent peu réalistes pour un médicament aussi large- de conjugaison) en cas d'insuffisance hépatique que repose
ment utilisé. En cas de cirrhose, les études pharmacociné- l'étiologie de cette toxicité.
tiques montrent une augmentation de la demi-vie (parfois
doublée) et de l'aire sous la courbe du paracétamol avec Aspirine
une clairance réduite [47]. En cas d'hépatite virale sans
cirrhose, la pharmacocinétique du paracétamol n'est pas Si les propriétés pharmacocinétiques de l'aspirine ne sont
significativement altérée. Cependant, la demi-vie et l'aire pas affectées chez le patient alcoolique, la fraction libre de
sous la courbe sont augmentées et la clairance plasmatique son métabolite hydrolysé, l'acide salicylique, est augmen-
diminuée à la phase aiguë d'une hépatite, ce que l'on ne tée en raison d'une baisse de la liaison aux protéines, ce
retrouve pas lors de la convalescence. C'est la raison pour qui accroît l'aire sous la courbe du salicylate libre [57], plus
laquelle on peut prendre des doses habituelles de paracéta- toxique que l'aspirine.
mol mais espacer les intervalles de prises à la période aiguë
de l'infection. Ibuprofène
Au total, chez les patients atteints de cirrhose non Les modifications pharmacocinétiques observées lors de
alcoolique, et même si on dispose de peu d'arguments
l'insuffisance hépatique ont un impact significatif pour
pour préconiser une diminution des doses, on préfère s'en la demi-vie (doublée) et l'augmentation de l'aire sous la
tenir à la prudence et limiter la posologie quotidienne chez courbe [58] ; pour autant les conséquences cliniques restent
l'adulte à 2 g par jour en veillant, d'une part, à surveiller modestes.
les paramètres biologiques pouvant alerter sur une aggra-
vation de la fonction hépatique et, d'autre part, à préve-
nir toute exposition excessive à l'alcool. Soulignons qu'un Naproxène
certain nombre de voix s'élèvent aujourd'hui pour obtenir On ne note pas de différence de clairance du naproxène
une modification du statut de « libre accès » du paracé- entre les patients cirrhotiques et les témoins sains, mais la
tamol, à l'origine de 500 morts et de 10 000 hospitalisa- fraction libre de l'anti-inflammatoire est singulièrement
tions chaque année aux États-Unis [48], et probablement augmentée (deux à quatre fois). Il convient donc de réduire
autant en Europe. Enfin, l'hépatotoxicité des médicaments la posologie d'au moins 50 % [59].
semble être devenue la principale cause de transplantation
hépatique [49].
Diclofénac
Il subit un métabolisme hépatique important et il est for-
Anti-inflammatoires tement lié aux protéines, d'où de réelles modifications
non stéroïdiens pharmacocinétiques, sauf lors de cures courtes chez des
patients atteints d'hépatite chronique [60]. En revanche, les
Les patients atteints d'insuffisance hépatique, notamment modifications observées en cas de cirrhose alcoolique [61]
avec cirrhose et ascite, sont des patients à risque, d'autant conduisent à adapter le traitement en fonction de la réponse
que les AINS provoquent, par ailleurs, une diminution du clinique.
flux sanguin rénal, autre facteur d'accumulation du médi-
cament [50, 51]. Cette insuffisance rénale avec diminu-
tion de la filtration glomérulaire, est observée lorsque l'on Célécoxib
administre de l'ibuprofène, de l'indométacine, de l'aspirine, Sa pharmacocinétique est très influencée par la maladie
du naproxène sodique et du sulindac à des patients atteints hépatique : + 20 à 25 % pour le pic plasmatique et + 40 %
268 Partie 4. Douleur selon le patient
responsable d'une diminution du débit sanguin rénal. nécessaire de commencer par des doses faibles, puis de pro-
Les patients souffrant d'IRC encourent donc un risque élevé céder à une titration progressive. Il ne faut pas commencer
de dégradation de la fonction rénale, d'HTA, d'hyperkalié- par une forme LP, mais plutôt favoriser les formes LI, afin de
mie et de surcharge hydrosodée. faciliter la maniabilité.
Les AINS peuvent aussi être responsables d'atteintes L'hydromorphone (Sophidone®) est une molécule de
directes glomérulaires ou tubulaires, aiguës ou chroniques. morphine modifiée. Elle a comme avantage de ne pas être
Pour ces différentes raisons, cette classe thérapeutique est métabolisée en morphine-6-glucoronide, qui est le princi-
à proscrire chez le patient atteint d'IRC, d'autant plus s'il est pal élément responsable de la dépression respiratoire lors de
à risque d'hypovolémie (fièvre, déshydratation, etc.) ou si l'utilisation de la morphine en cas d'IRC. Au vu des études
des traitements bloqueurs du système rénine-angiotensine de pharmacocinétique, l'hydromorphone ne nécessite pas
ou diurétiques sont associés. d'adaptation posologique lors de l'IRC. Dans le cadre d'une
Il faut leur préférer, dans le cas de douleurs inflammatoires étude portant sur 29 patients, il est fait état d'un rapport effi-
non soulagées par les antalgiques, les anti-inflammatoires cacité-tolérance amélioré dans 80 % des cas lors du rempla-
stéroïdiens n'ayant pas de conséquence rénale. cement de la morphine par de l'hydromorphone [70]. Cette
Si l'utilisation d'AINS est tout de même retenue, le traite- molécule semble donc bien adaptée en cas d'IRC, mais, mal-
ment doit être le plus bref possible, sans nécessité d'adapta- heureusement, elle n'existe pas sous la forme LI en France et
tion posologique, et requiert une surveillance des troubles ne peut être utilisée qu'en deuxième intention.
ioniques et de la fonction rénale. Le fentanyl (Durogesic®, Aqtic®) est métabolisé principa-
lement au niveau hépatique en composé inactif. Il s'accu-
Paracétamol mule peu lors de l'IRC, avec une demi-vie modérément
Le paracétamol est l'antalgique de loin le plus utilisé. Le allongée [67]. Ce traitement est donc intéressant chez les
métabolisme principal aboutit à des métabolites inactifs et patients présentant une insuffisance rénale. L'AMM du fen-
l'élimination du seul métabolite actif par le rein est faible. tanyl est normalement réservé à la douleur cancéreuse.
De ce fait, l'adaptation posologique lors de l'IRC est modé- La buprénorphine (Temgesic®) est un agoniste-antago-
rée. En pratique, il peut être prescrit à la dose de 3 g/jour. niste de la morphine et a une action sur les douleurs noci-
ceptives et neuropathiques. Le métabolisme est uniquement
Opioïdes hépatique, sans modification de la pharmacocinétique
Ancien antalgique de palier 2 lors de l'IRC [71]. Elle ne nécessite donc pas d'adaptation
La codéine a une action antalgique par sa transformation posologique et est très bien adaptée au cas du patient atteint
en dérivé morphinique. Sa demi-vie d'élimination est donc d'IRC.
augmentée en cas d'IRC (cf. paragraphe sur la morphine),
passant de 4 heures à 18 heures [66], avec un risque d'accu- Associations fixes
mulation et d'effets indésirables majorés. Elle n'est donc à Il est important de connaître les différentes molécules pré-
prescrire qu'en deuxième intention. sentes dans les associations fixes. Il est rare que les pharma-
Pour l'opium, nous n'avons pas assez de données phar- cocinétiques de deux molécules différentes soient modifiées
macocinétiques et de tolérances en cas d'IRC pour formuler de façon identique en cas d'IRC. Dans ce cas, la dose de
des recommandations. Par sécurité, ce médicament (Lama- médicament est limitée par son composant pharmaceu-
line®) est donc à éviter. tique, nécessitant la plus forte diminution de dose.
Antalgiques mixtes [16] Mazoit JX, Sandouk P, Zetlaoui P, Scherrmann JM. Pharmacokine-
tics of unchanged morphine in normal and cirrhotic subjects. Anesth
Le tramadol a une élimination urinaire de 30 % sous forme Analg 1987 ; 66 : 293–8.
inchangée et de 65 % sous forme de métabolite inactif. [17] Hasselström J, Eriksson S, Persson A, Rane A, Svensson JO, Säwe J.
L'augmentation de sa demi-vie d'élimination implique The metabolism and bioavailability of morphine in patients with
une adaptation posologique dès le stade d'IRC modérée severe liver cirrhosis. Br J Clin Pharmacol 1990 ; 29 : 289–97.
(DFG < 60 ml/min) [68] en espaçant les prises à toutes les [18] Kotb HI, el-Kabsh MY, Emara SE, Fouad EA. Pharmacokinetics of
12 heures sans dépasser une dose maximale de 200 mg/jour. controlled release morphine (MST) in patients with liver cirrhosis.
Il semble prudent d'éviter les formes LP en raison d'une Br J Anaesth 1997 ; 79 : 804–6.
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Perspectives d'avenir [21] Vallner JJ, Stewart JT, Kotzan JA, Kirsten EB, Honigberg IL. Pharma-
cokinetics and bioavailability of hydromorphone following intrave-
La méthadone serait intéressante chez le patient atteint nous and oral administration to human subjects. J Clin Pharmacol
d'IRC car l'élimination rénale sous forme inchangée est 1981 ; 21 : 152–6.
faible (20 %) avec peu de variations du profil pharmaco- [22] Paramanandam G, Prommer E, Schwenke DC. Adverse effects in
cinétique. En revanche, en cas d'administration répétée, la hospice patients with chronic kidney disease receiving hydromor-
demi-vie s'allonge de façon conséquente. En France, cette phone. J Palliat Med 2011 ; 14 : 1029–33.
molécule n'a pas l'AMM dans le traitement de la douleur et [23] Jin SJ, Jung JY, Noh MH, Lee SH, Lee EK, Choi BM, et al. The
n'est donc pas un traitement de première intention. population pharmacokinetics of fentanyl in patients undergoing
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Chapitre
41
Addiction
PLAN DU CHAPITRE
41.1 Mésusage des médicaments antalgiques Ce qu'il faut comprendre de la dépendance
opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 aux opiacés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 Clinique des douleurs aiguës chez les
Sémiologie des troubles de l'usage . . . . . . . . . 273 patients recevant un médicament
Addictovigilance des antalgiques opioïdes . . . 274 de substitution aux opiacés . . . . . . . . . . . . . . . 277
Prévenir et repérer le mésusage Évaluation d'une douleur aiguë chez
des antalgiques opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . 274 un patient prenant un médicament
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276 de substitution aux opiacés . . . . . . . . . . . . . . . 278
41.2 Prise en charge médicamenteuse Principes de prise en charge d'une douleur
de la douleur aiguë chez le patient traité par aiguë nociceptive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278
médicament de substitution aux opiacés . . . . . . 277 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279
des médicaments
rieures à celles prescrites, soit la recherche d'un effet non
antalgique, soit l'usage au long cours de formes destinées
à la douleur aiguë (morphine injectable). Plus rarement, il
antalgiques opioïdes se caractérise par l'usage d'une voie d'administration non
conventionnelle, comme l'administration i.v. de formes
Célian Bertin, Noémie Delage, Nicolas Authier orales. Un mésusage peut exister sans dépendance ou
addiction. Un mésusage prolongé peut évoluer vers une
dépendance ou une addiction. La littérature rapporte une
Introduction prévalence de 21 à 29 % de ce trouble chez les patients
Plus de 17 % de Français bénéficient au moins une fois dans douloureux chroniques [3]. Un mésusage isolé est un état
l'année du remboursement d'un médicament antalgique réversible.
opioïdes, dont 1 million pour des opioïdes forts. Depuis le
retrait du marché du dextropropoxyphène, on note une dimi-
nution globale (–9 %) du nombre de patients exposés à ces Dépendance (physique) aux antalgiques
médicaments, avec néanmoins un doublement des délivrances
Cette notion de dépendance peut s'installer en quelques
d'antalgiques opioïdes forts depuis 2004, essentiellement lié à
jours à quelques mois de traitement, selon les substances
des prescriptions plus fréquentes d'oxycodone. Il est par ailleurs
et les personnes. Elle se traduit par la nécessité d'aug-
observé en France, depuis 2000, une hausse significative des
menter les doses pour obtenir l'effet antalgique, ce qui
hospitalisations pour overdose (+167 %) mais aussi des décès
s'appelle la tolérance ou l'accoutumance. Elle est asso-
par overdoses (+146 %) [1]. D'autres signaux émergents sont
ciée, lors d'une diminution trop rapide, voire d'un arrêt
rapportés sur le plan international et par le réseau français d'ad-
brutal du traitement, à un syndrome de sevrage ou de
dictovigilance, notamment pour les gabapentinoïdes comme la
manque. Le syndrome de sevrage peut exister à doses
prégabaline qui font aussi le cas de comportements d'abus. Cela
thérapeutiques après un traitement au long cours. Il
justifie l'importance de sensibiliser les prescripteurs, les dispen-
se caractérise généralement par des signes physiques
sateurs et les usagers au bon usage de ces médicaments.
(myalgies, nausées, diarrhées, fièvre, piloérection, lar-
moiement, rhinorrhée, etc.) et psychiques (humeur
Sémiologie des troubles dysphorique, insomnie, anxiété). L'apparition de signes
de l'usage [2] de sevrage à posologie thérapeutique doit faire recher-
cher l'instauration d'une tolérance ou d'une mauvaise
Mésusage des antalgiques observance du traitement opioïde. La tolérance à un
En France, la notion de mésusage correspond à un usage antalgique opioïde est réversible à l'arrêt (progressif ) du
non approprié, régulier ou épisodique, avec un non- médicament.
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 273
274 Partie 4. Douleur selon le patient
Addiction aux antalgiques (> 400 mg/jour), le plus souvent par voie i.v. de formes
C'est un trouble de l'usage de ces substances caracté- orales, du sulfate de morphine comme substitut d'héroïne.
risé le plus souvent par un signe pathognomonique Par ailleurs, de plus en plus fréquemment, sont rapportés
qu'est le craving, ou envie irrépressible de consommer, des cas de patients de plus de 40 ans souffrant de douleur
indépendamment même de l'existence d'une douleur. chronique et présentant une dépendance primaire à leur
La sévérité de ce trouble peut être mesurée par les cri- traitement par morphine.
tères du DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Les signalements relatifs à l'oxycodone permettent d'iden-
Mental Disorders). Cela implique un comportement de tifier deux profils : une majorité de cas plutôt masculin, d'âge
mésusage et, le plus souvent, une dépendance physique moyen de 45 ans, et dont le tiers présente des comorbidités
associée. La littérature rapporte une prévalence de 10 à psychiatriques, et des des situations d'abus et de dépendance
12 % de ce trouble chez les patients douloureux chro- dans un cadre de douleurs chroniques non cancéreuses ; et
niques [3]. Une addiction à un antalgique opioïde peut des sujets plus jeunes, en grande partie de sexe masculin,
être considérée comme un trouble chronique, caractérisé mésusant de l'oxycodone à des fins récréatives.
par un risque de rechute dans le mésusage, même en cas Dans le cas des pharmacodépendances au fentanyl, on
de sevrage et nécessitant parfois l'instauration d'un trai- note celle aux formes transmuqueuses ou LI, dans trois
tement de substitution avec de la buprénorphine ou de la quarts des cas liées à un usage hors cancer ou hors traite-
méthadone. ment de fond par opioïde. Pour le fentanyl transcutané, on
retrouve majoritairement des cas de dépendance pour un
profil féminin avec des antécédents de troubles psychia-
triques ou addictifs (45 %) et des douleurs chroniques non
cancéreuses mal soulagées [5]. Un quart des cas, plutôt
Addictovigilance des antalgiques masculins et âgés de moins de 40 ans, avec une prévalence
opioïdes encore plus élevée des troubles psychiatriques et addictifs
Les données du réseau français d'addictovigilance rap- associés (87 %) présentent un mésusage, voire un usage
portent que ces comportements de mésusage, voire détourné, à la recherche d'effets autres qu'antalgiques.
d'addiction concernent tous les antalgiques opioïdes.
Les opioïdes « dits » faibles, 10 fois plus prescrits que les
forts, doivent ainsi faire l'objet d'une vigilance accrue. Prévenir et repérer le mésusage
Plus de 9 % des déclarations d'addictovigilance en 2015 des antalgiques opioïdes
concernaient des antalgiques opioïdes, au premier rang
desquels se trouvent la morphine, le tramadol puis l'oxy- La prévention et le repérage des situations de mésusage des
codone [4]. médicaments antalgiques opioïdes sont indispensables à
En ce qui concerne la codéine, les cas de trouble de leur bonne prescription et leur bon usage par le patient. Le
l'usage déclarés touchent une population plutôt féminine et repérage commence en effet avant la prescription, par l'iden-
d'âge moyen de 40 ans, majoritairement dans un contexte tification des facteurs de risque spécifiques de mésusage et
initial de traitement d'une douleur (ostéoarticulaire, puis par l'information du patient sur la possibilité de survenue de
céphalées), plus rarement à visée anxiodépressive voire ces comportements d'usage inapproprié et à risque. Parmi
récréative. les facteurs de risque de mésusage les plus fréquemment
Pour le tramadol, on n'observe pas de différence entre relevés, on retrouve : le jeune âge (< 45 ans), des antécédents
les genres ; l'âge moyen est légèrement inférieur à 40 ans, et de comorbidités psychiatriques, des antécédents d'usage
le motif d'usage initial est majoritairement en lien avec une problématique de substances, des antécédents familiaux de
douleur. On retrouve des usagers de tramadol pour migraines conduites addictives, une antalgie inadéquate et une pres-
ou céphalées, des dépendances physiques rendant impos- cription d'antalgiques opioïdes [6]. Pour cela, il est possible
sible l'arrêt du traitement, des sujets abuseurs présentant des d'utiliser l'échelle « Opioid Risk Tool », qui permet de mesu-
crises convulsives ou des overdoses ; sont également obser- rer rapidement l'intensité du risque en recherchant ces prin-
vés des usages à visée de conduites dopantes. Quarante pour cipaux facteurs (Figure 41.1) [7].
cent des cas correspondent à un usage non antalgique, dans Selon l'existence de facteurs de risque, qui ne contre-
des contextes de polytoxicomanie et de recherche d'un effet indiquent pas la prescription si elle s'avère pertinente pour
psychoactif. soulager la douleur, une prévention personnalisée devra
Les médicaments à base de poudre d'opium font aussi systématiquement être mise en œuvre en prenant en charge
l'objet de complications de pharmacodépendance, le plus les comorbidités psychiatriques et addictives, en rendant le
souvent chez des femmes (75 %) d'âge moyen de 51 ans. patient acteur de cette vigilance et en recherchant activement
Des antécédents psychiatriques sont associés dans un à chaque renouvellement d'ordonnances des comporte-
tiers des cas, le plus fréquemment des troubles anxiodépres- ments de mésusage. Pour cela, l'échelle « Prescription Opioid
sifs. Des antécédents d'abus d'autres psychotropes sont plus Misuse Index » permet très rapidement d'identifier une situa-
souvent associés à un usage récréatif. tion problématique en cours de traitement (Figure 41.2) [8].
La morphine fait l'objet de complications dans deux En complément, d'autres questions devront être posées pour
populations différentes. Majoritairement, il s'agit de sujets repérer des signes d'addictions, de dépendance physique
de moins de 40 ans dépendants aux opioïdes, le plus sou- avec syndrome de sevrage ou de soulagement insuffisant de
vent à l'héroïne, présentant un usage détourné, à forte dose la douleur (Figure 41.3) [9].
Chapitre 41. Addiction 275
Figure 41.1 Repérer avant traitement les patients à risque de troubles d'usage des opioïdes.
Source : Webster LR et al. 2005 [7], adapté par l'Observatoire français des médicaments antalgiques pour le RESPADD [9].
Figure 41.2 Repérer en cours de traitement les comportements de mésusage d'opioïdes — Prescription Opioid Misuse Index.
Source : Knisely et al. 2008 [8], adapté par l'Observatoire français des médicaments antalgiques pour le RESPADD [9].
276 Partie 4. Douleur selon le patient
Comme le mésusage peut aussi être le fait d'une mau- l'armoire à pharmacie familiale, qui pourraient favoriser
vaise prescription, des recommandations de bon usage ont soit une dépendance soit un comportement secondaire
été publiée en 2016 concernant les antalgiques opioïdes d'automédication.
forts dans la douleur non cancéreuse [10]. Elles préconisent
notamment de :
■ ne pas prescrire les opioïdes forts dans les douleurs noci- Conclusion
plastiques comme la fibromyalgie et les céphalées pri-
maires comme les migraines, La crise des opioïdes nord-américaine met en évidence la
■ ne pas poursuivre un traitement au-delà de trois mois nécessité de prévenir en France un tel phénomène pour main-
sans bénéfice avéré (sur la douleur ou la qualité de vie), tenir une disponibilité et une accessibilité satisfaisante des
■ ne pas dépasser 150 mg d'équivalent morphine sans avis antalgiques opioïdes, qui restent des médicaments très efficaces
spécialisé, dans leurs indications, notamment la douleur liée au cancer.
■ ne pas prescrire de traitement de fond avec des formes Cela place le prescripteur en responsabilité d'une juste pres-
injectables ou LI, et de privilégier les formes LP dans les cription de ces médicaments pour en optimiser le bénéfice-
douleurs chroniques. risque. Savoir les prescrire implique aussi de savoir et de penser
Dans le cas des douleurs aiguës et postopératoires à les déprescrire en cas d'inefficacité ou d'effets indésirables.
modérées à sévères, il est préférable d'éviter les pres- La prise en charge des usages problématiques de ces médica-
criptions de trop longue durée sans réévaluation médi- ments implique une interdisciplinarité entre les professionnels
cale, de prescrire des délivrances pour 7 à 14 jours au concernés, médecins généralistes, médecins de la douleur et
maximum et d'éviter les renouvellements automatiques addictologues. Enfin, la prévention de la mortalité par overdose
d'ordonnance, cela afin d'éviter la chronicisation inutile aux antalgiques opioïdes nécessitera la prescription de leur
d'un traitement par opioïde ou son accumulation dans antidote, la naloxone, auprès des patients les plus à risque.
Figure 41.3 Autres questions pratiques sur les motivations d'usage des antalgiques opioïdes.
Source : RESPADD [9].
Chapitre 41. Addiction 277
médicamenteuse
testables : diminution de la morbimortalité, améliora-
tion de l'accès aux soins et réduction des transmissions
virales, etc. [11].
de la douleur aiguë Les MSO ont pour objectif l'aide à l'arrêt des opiacés,
mais surtout le maintien de l'abstinence et la prévention des
chez le patient traité rechutes chez les patients dépendants aux opiacés. Il s'agit
de traitements au long cours, parfois à vie pour certains
par médicament de patients qui peuvent ne plus présenter de conduites addic-
tives mais garder le traitement pour prévenir la rechute. Il
substitution aux opiacés existe en France deux molécules prescrites contre la dépen-
dance aux opiacés : la buprénorphine et la méthadone
(tableau 41.1).
Morgane Guillou-Landreat, Sophie Lalande
Tableau 41.1 Deux molécules contre la dépendance aux opiacés : méthadone et buprénorphine.
Méthadone Buprénorphine
Mode d'action Agoniste pur des récepteurs opiacés Agoniste/antagoniste
Dangerosité – Risque de surdose mortelle Moindre risque de surdose sauf interactions
– Dose létale chez les patients naïfs : 1 mg/kg (avec les benzodiazépines)
Pharmacocinétique Variations interindividuelles importantes – Peu de variations d'un sujet à l'autre
Posologies très variables, moyenne de 60 à 100 mg/j – Effet plafond, posologies moyennes de 8 à 12 mg
– AMM : max 16 mg BHD et Subutex↓ et 24 mg pour
Suboxone↓
Galénique – Solution buvable, pour instauration jusqu'à stabilisation – Comprimés sublinguaux
(durée maximale de prescription : 14 jours), puis gélule chez buprénorphine/Subutex↓
les patients stabilisés (durée maximale de prescription : ou Suboxone↓ (BHD + naloxone, non injectable)
28 jours) – Prescription de 28 jours,
– Délivrance hebdomadaire à la pharmacie, sauf mention – Délivrance hebdomadaire à la pharmacie,
expresse sur ordonnance sauf mention expresse sur ordonnance
Interactions – Dépresseurs respiratoires – Dépresseurs respiratoires
et précautions – Contre-indiqué avec un antagoniste des opiacés – Contre-indiqué avec antagoniste des opiacés
d'emploi (naltrexone, nalméfène, naloxone) ou un agoniste/ (naltrexone, nalméfène, naloxone) ou agoniste :
antagoniste méthadone, analgésiques de paliers 3
– Contre-indiqué en cas d'insuffisance respiratoire sévère – Contre-indiqué en cas d'insuffisance respiratoire
– Associations fortement déconseillées avec des ou hépatique sévère
médicaments susceptibles de donner des torsades de pointes
et allongeant le QT
Réglementation – Classé stupéfiant – Classé liste 1, mais soumis à la réglementation
– Prescription initiale par un médecin de CSAPA des stupéfiants
ou d'établissement de santé – Instauration possible par tout médecin
– Relais de la prescription ensuite, possible par un médecin – Prescription sur ordonnance sécurisée avec
généraliste pharmacie indiquée
AMM : autorisation de mise sur le marché ; BHD : buprénorphine haut dosage ; CSAPA : Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie.
278 Partie 4. Douleur selon le patient
[15] Potter JS, Prather K, Weiss RD. Physical pain and associated clinical cha- [20] Tovar M, Le Nezet O, Bastianic T. Perceptions et opinions des Français
racteristics in treatment-seeking patients in four substance use disorder sur les drogues. Tendances 2013 ; 88.
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Predictors of attrition from a national sample of methadone mainte-
nance patients. Am J Drug Alcohol Abuse 2010 ; 36 : 155–60.
Chapitre
42
Santé mentale
Éric Serra
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 281 Organisation des soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
Clinique et traitement de la douleur en pratique. 281
insatisfaction, rejointe par celle du praticien, le tout expli- investissement par le professionnel de santé. Ce rejet trans-
quant la réputation d'échec prévisible ou de difficultés de paraît dans l'attitude ou les propos à l'évocation de certains
prise en charge. diagnostics de douleurs chroniques réputés de mécanisme
Il en découle un comportement d'évitement qui provoque psychogène prépondérant.
un déconditionnement à l'activité musculaire, articulaire,
sociale et psychologique. Cela crée un cercle vicieux à l'œuvre Patients non communicants
dans les maladies chroniques. Ce cercle vicieux entretient la L'évaluation et la prise en charge de la douleur chez les
douleur chronique. Il doit être repéré et combattu. patients souffrant de troubles psychiatriques et ayant des
Dans les maladies chroniques, les actions thérapeutiques altérations de la communication s'inspirent des autres popu-
s'inscrivent dans un ajustement du patient à sa situation lations vulnérables : les enfants et les personnes âgées à
sanitaire, avec l'aide de l'ensemble des accompagnants troubles de la communication.
sociaux et sanitaires et des proches (encadré 42.1). Cliniquement, la douleur se dissimule derrière différents
comportements.
Quelles sont les particularités cliniques Elle peut provoquer un repli de l'individu sur lui-même.
et thérapeutiques pour les populations Ce retrait, cette inhibition, certes commun avec d'autres
présentant des problématiques de santé problématiques de santé, doit systématiquement faire
rechercher une douleur.
mentale ? L'agitation peut être une autre conséquence de la dou-
Patients communicants leur. Toute agitation, comme tout repli, nécessite un examen
Nombre de patients souffrant de troubles mentaux ou de médical.
troubles du développement ou de polyhandicaps ne présentent L'utilisation de l'échelle ALGOPLUS®, développée pour
pas d'altération importante de la communication. Ces patients les personnes âgées ayant un trouble de la communication,
sont peu, voire ne sont pas pris en charge par des institutions constitue un test de dépistage.
spécialisées. Le médecin généraliste les rencontre au quotidien. L'hétéroévaluation utilise l'échelle EDAAP, ou Échelle
Il n'y a pas de particularité en termes d'évaluation ou de d'hétéroévaluation de l'expression de la douleur chez l'ado-
prise en charge chez ces patients communicants. lescent et l'adulte polyhandicapé (figure 42.1). On dispose
Concernant les outils d'autoévaluation, en santé mentale, maintenant de l'échelle EDD (Échelle d'hétéroévaluation
à côté de l'EN largement utilisée dans les établissements de de l'expression de la douleur chez des sujets dyscommuni-
santé, plus que l'échelle visuelle analogique, on prône aussi cants) (figure 42.2). Une autre échelle est en préparation,
l'utilisation de l'EVS. Elle impose l'utilisation d'une même l'ESDDA (Échelle simplifiée d'évaluation de la douleur chez
échelle par tous les intervenants. Cela n'est pas toujours réa- les personnes dyscommunicantes avec troubles du spectre
lisé. On cite l'échelle des six visages de la douleur dévelop- de l'autisme) (figure 42.3, encadré 42.2).
pée chez les enfants, puis proposée en autoévaluation chez
des personnes âgées puis en milieu psychiatrique pour des Traitement de la douleur en santé mentale
patients communicants. Dans ces populations vulnérables, la démarche est la même
Chez certains patients communicants, la douleur s'ex- que dans la population générale : identifier le problème de
prime avec des particularités. Elle peut s'inscrire dans une douleur, communiquer au patient les attentes, expliquer
dimension relationnelle. Elle est présentée avec emphase, les facteurs et les réponses thérapeutiques, définir avec le
réponse du patient à l'impression ou la réalité d'une absence patient des objectifs réalistes c'est-à-dire compréhensibles
de reconnaissance, une absence de repérage, une absence et, enfin, éduquer le patient et l'ensemble des acteurs de
de prise en considération de sa douleur par des proches ou santé à la prise en soins de la douleur qui comporte des
des intervenants. Cela crée en retour un rejet, un contre- actions de prévention et d'accompagnement en cas de dou-
leurs chroniques (encadré 42.3).
Figure 42.1 Questionnaire d'hétéroévaluation de la douleur : échelle d'hétéroévaluation de l'expression de la douleur chez l'ado-
lescent et l'adulte polyhandicapés (EDAAP).
Source : M.-A. Jutand, A. Gallois, J. Léger et al. Échelle EDAAP 2. Validation statistique d'une grille d'évaluation de l'expression de la douleur chez
les adultes ou adolescents polyhandicapés. Motricité cérébrale Volume 29 numéro 3 (2008) 93–100.
Figure 42.2 Questionnaire d'hétéroévaluation de la douleur : questionnaire évaluation de l'expression de la douleur chez des sujets
dyscommunicants (EDD).
rassurants et honnêtes, de techniques corporelles comme En ambulatoire, 77 % des patients dépressifs présentent
l'activité physique adaptée (APA), la kinésithérapie ou l'appli- des douleurs. Les douleurs les plus fréquentes sont les
cation de chaleur, et de techniques psychocorporelles comme douleurs musculaires, les douleurs cervicales, les cépha-
des exercices de respiration, de distraction, de relaxation. lées, les douleurs lombaires et les douleurs articulaires.
Lorsque l'anxiété est sévère, comme en cas de troubles Dans la douleur chronique, on retrouve toujours des
d'ajustement ou de troubles du coping avec la dramatisation éléments cliniques tels que la tristesse, des troubles du
ou le catastrophisme, les pensées répétitives, il ne peut pas caractère avec exaspération ou colère, ou les sautes d'hu-
y avoir de prise en charge efficace de la douleur sans prise meurs, une perte des intérêts, de la fatigabilité, une alté-
en charge simultanée des dimensions affectives, cognitives ration de l'attention ou une insomnie. Les symptômes du
et comportementales. syndrome douloureux chronique sont communs avec la
dépression.
Dépression Dans la population générale, 20 % des patients doulou-
Tristesse, anhédonie, agitation ou ralentissement, angoisses, reux chroniques souffrent de dépression. Ce pourcentage
idées suicidaires, symptômes somatiques avec insomnies et s'élève en consultation de la douleur à 64 %.
douleurs, constituent la symptomatologie de la dépression. Le risque suicidaire doit être recherché.
Chapitre 42. Santé mentale 285
ESDDA
Echelle Simplifiée d’Evaluation de la Douleur
Nom :
Prénom :
Date de naissance :
Mode d'emploi : Répondre à chaque item par OUI ou NON, un TOTAL
chez les personnes Dyscommunicantes
> 2 OUI fait suspecter une douleur avec troubles du spectre de l’Autisme
OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON OUI NON
1. Comportement
Modifié par rapport à l'habitude ?
4. Sommeil
Modifié par rapport à l'habitude ?
TOTAL DE OUI /6 /6 /6 /6 /6 /6 /6
Complétée par
Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale, Autisme, Polyhandicap et Handicap génétique rare - Document réalisé par le Dr Isabelle Mytych et le Dr Julie Renaud-Mierzejewski – Version du 31/01/2017
Figure 42.3 Questionnaire d'hétéroévaluation de la douleur : Échelle simplifiée d'évaluation de la douleur chez les personnes dys-
communicantes avec troubles du spectre de l'autisme (ESDDA).
Source : Établissement public de santé Barthélemy Durand Centre Regional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale, Autisme,
Polyhandicap et Handicap Génetique Rare. 69 Avenue du 8 mai 1945, 91152 ETAMPES Cedex, FRANCE, Tél : 01 82 26 81 09, Mail : secretariat.
douleur@eps-etampes.fr, Site web: http://www.eps-etampes.fr/.
PLAN DU CHAPITRE
Travail psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287 Facteurs extrasubjectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
Causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287 Douleur et rapport au traumatisme . . . . . . . . 289
Différentes subjectivités . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288 À l'écoute du vécu psychologique
Vécus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288 de la douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
Facteurs intrasubjectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
n'y comprend plus rien. » La logique fonctionne toujours : Pour autant, notre appareil psychique a besoin de
en cas d'impasse, il reste la chirurgie, la médication à haute trouver un équilibre suffisant pour fonctionner. Ainsi la
dose ou le psychologue. douleur ne saurait être qu'une médaille à une seule face.
Or si cette logique semble triviale ou simpliste, elle n'en L'autre face traiterait donc des « bénéfices » de la dou
reste pas moins opérante. Elle a d'ailleurs dans certains cas leur. Elle permet pour certains de « dire » ce qu'ils n'ont
toute raison d'être. Le problème de cette logique de pen jamais dit ; de s'autoriser ce qu'ils ne se sont jamais auto
sée est qu'elle n'inscrit le patient subjectivement dans son risés : c'est l'effet désinhibiteur de la douleur : « si cela ne
histoire douloureuse que sous l'angle d'une position de leur plaît pas ils n'ont qu'à prendre ma douleur ! ». Ce qui
victime qu'il faudra ensuite déconstruire. D'autres logiques peut paraître de maigres bénéfices aux yeux des uns sont
fonctionnent dans ce même sens et demandent à être inter d'immenses victoires pour les autres. La douleur permet
rogées car leur causalité apparente est le signe de modèles également de déplacer certains conflits qui ont meilleur
plus complexes ; ce sont par exemple les explications psy compte à être retournés sur soi plutôt qu'exprimés au
chologisantes de l'ordre de : « il y a eu un traumatisme dans bon destinataire. La douleur peut être ainsi considérée
votre enfance donc c'est pour cela que vous avez des dou comme une solution biologique pour traiter des conflits
leurs chroniques maintenant. » psychiques inexprimables. Bien sûr, tout cela serait simple
Sous ces discours « logiques » fréquemment entendus se s'il suffisait de mener l'enquête et de mettre à jour les trau
cachent des personnalités différentes. matismes de vie d'un sujet pour légitimer et annuler la
douleur qu'il porte.
Nous avons à considérer la place, le rôle et la fonction
Différentes subjectivités de la douleur dans l'économie du sujet. L'économie, c'est
la façon dont chaque sujet équilibre ses conflits internes.
La douleur atteint le sujet dans sa globalité psychique et C'est la façon consciente ou inconsciente par laquelle le sujet
corporelle par son intensité, sa récurrence, sa fréquence, sa trouve des moyens plus ou moins coûteux de supporter ce
chronicité et les sentiments d'impuissance et d'incompré qui fait tension en nous.
hension qui lui sont liés. Donc, lorsque l'on parle de l'impact psychologique
La douleur n'est pas perçue de la même manière selon de la douleur, il est nécessaire de prendre en compte les
la structure de personnalité prédominante du sujet. Un exa différentes subjectivités ; l'impact ne sera pas le même
men psychopathologique permet de mieux comprendre la selon les histoires de vie et les types d'organisation de
relation du sujet à sa douleur. N'oublions pas que la symp personnalité. La douleur joue sur la personnalité dans un
tomatologie n'est que la partie émergée du fonctionnement processus à long terme. La douleur transforme le sujet en
du sujet. Nous constatons fréquemment que la douleur rend profondeur.
aigri, agressif, irrite, effondre, empêche, replie, isole, décon
ditionne physiquement, entraîne des mécanismes de peur de
la douleur, des difficultés socioprofessionnelles, des troubles
du sommeil, des ruminations mentales, des perturbations Vécus
émotionnelles et cognitives, des troubles de la sexualité,
etc. Elle fait vivre au sujet le sentiment de ne plus être tout Ces tensions, conflits ou traces traumatiques, vont
à fait lui-même. Par exemple, un effondrement vécu par un prendre forme au travers de notre vécu. Le vécu traduit
patient dont le pôle d'organisation est la névrose n'aura pas ce qui appartient à l'expérience de vie. Chaque événe
le même effet qu'un effondrement vécu par un patient orga ment de notre vie, chaque décision, est l'intrication d'un
nisé selon des processus psychotiques. Penser le vécu du état affectif référé à ce qui se passe dans l'ici et main
patient, c'est penser avec son organisation psychique. tenant, mais également à l'histoire passée et à ce que le
La façon dont le sujet est impacté par la douleur varie sujet aspire à être, mais aussi la découverte d'un inconnu
également en fonction du moment de vie dans lequel la représenté par cet événement qui semble surgir de nulle
douleur arrive, le contexte de vulnérabilité dans lequel il se part.
trouve, sa conjoncture de vie. En ce sens, la douleur trans La douleur est un affect. À ce titre, c'est un signal
forme, parfois déforme, parfois encore sidère le rapport du qui signifie quelque chose pour soi et pour l'autre. En
sujet à lui-même et au monde. tant que signal, elle demande à être entendue, reconnue
Qu'elle soit aiguë ou chronique, la douleur traque le et interprétée. L'interprétation que le sujet va faire de
sujet dans ses retranchements, le poussant jusqu'à des sa douleur tient à plusieurs facteurs intrasubjectifs et
points de vacillement identitaires ; dans l'aigu, c'est l'in extrasubjectifs.
tensité qui va engendrer le trouble identitaire en faisant
trembler les assises narcissiques du sujet ; dans la chro
nicité, c'est l'émergence de comportements jusqu'alors
inconnus du sujet lui-même qui vont l'interroger sur ce
Facteurs intrasubjectifs
qu'il ne reconnaît pas de lui mais qui existe depuis que la Parmi les facteurs intrasubjectifs, il y a l'état interne du
douleur s'est installée. sujet au moment où il perçoit la douleur. Son état interne
La douleur pousse et/ou installe le sujet dans une position est la façon avec laquelle il est en lien avec son corps, avec
de fragilité quasi traumatique qui va modifier sa façon d'être lui-même, comment il se reconnaît, comment il s'estime ou
au monde. Les patients vont dire qu'ils ne se reconnaissent comment il se déteste, comment il est ou n'est pas en lien avec
pas, ou qu'ils ne pensaient pas avoir ces réactions en eux, etc. ses perceptions, la façon dont il se défend, etc. Ces facteurs
Chapitre 43. Douleur et psychologie : vécu psychologique de la douleur chronique 289
prennent place au sein de l'équipe pluriprofessionnelle Bondier M, Mathieu-Nicot F, Mariage A, Bioy A, Aubry R. L'impact psy
du CETD qui constitue une enveloppe autour du patient. chologique de la douleur en soins palliatifs. Annales médico-psycholo
Ce travail d'enveloppe permet de restaurer une partie des giques 2018 ; 176 : 157–62.
La douleur Chabert C. Toulouse. Erès ; 2015.
vécus souffrants des patients douloureux chroniques.
Castro de Souza L, Baudin M, Pheulpin M. Les éprouvés du corps et le
corps éprouvé de la fibromyalgie. Psychologie clinique et projective
2017 ; 23 : 267–84.
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malade : clinique, psychanalyse et médecine. Toulouse : Erès ; 2003. p. 47–54.
Barfety-Servignat V. Quelle réalité pour les patients douloureux. Transes Minjard R, Duplan B. Évaluer sa pratique de psychologue clinicien
2018 ; 2 : 78–85. auprès des patients douloureux chroniques. Douleur et Analgésie
Bioy A. La douleur physique, un handicap psychique ? In : Ancet P, 2016 ; 29–32.
Mazen NJ, editors. Éthique et handicap. Bordeaux : Les chemins de Porte JM. La douleur : concept limite de la psychanalyse. Revue française de
l'éthique ; 2011. p. 231–45. psychosomatique 1999 ; (1) : 149–66.
Chapitre
44
Douleur des soins
Jean-Michel Gautier
PLAN DU CHAPITRE
Ce qu'il faut comprendre Ce qu'il faut mettre en œuvre pour prévenir la
de la douleur liée aux soins . . . . . . . . . . . . . . . 293 douleur liée aux soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294
examens et actes de soins avec introduction ou retrait le décalage entre la rapidité du rythme soignant et la
de sondes et/ou de matériels, examens radiologiques, vacuité du temps de l'entre-soin chez le patient sont des
endoscopiques, kinésithérapie, etc.) mais aussi les facteurs de risque de majoration de la douleur.
douleurs liées aux soins de la vie quotidienne (nur- Les conséquences de l'absence de prise en considéra-
sing, toilette, habillage/déshabillage, manutention, tion de la douleur des soins peuvent être immédiates et/
transport, etc.). ou apparaître à long terme [3]. Les conséquences immé-
Les douleurs induites sont le plus souvent des douleurs diates peuvent être multiples : fatigue (lors d'un soin long
aiguës liées à un traumatisme, une inflammation tissulaire. et douloureux, ou réalisé chez un patient dont la douleur
Elles associent deux composantes physiopathologiques : la de fond est insuffisamment soulagée), agitation (en parti-
composante nociceptive, conséquence de la stimulation sur culier chez les patients présentant des troubles de la com-
le site de la lésion tissulaire dont l'intensité est au-dessus du munication, chez les patients les plus vulnérables), parfois
seuil nociceptif, et la composante hyperalgésique qui s'ins- des modifications physiologiques telles que des modifi-
talle rapidement et contribue à majorer la sensation doulou- cations du rythme cardiaque ou respiratoire, des varia-
reuse [2]. tions des chiffres tensionnels, voire un malaise. Le simple
Leur durée et leur intensité sont variables. Plusieurs fac- « mauvais souvenir », comme par exemple la vaccination
teurs peuvent influer sur cette douleur : dans l'enfance, peut être déterminant dans la relation de
■ les facteurs liés au soin lui-même : sa nature, inva- soin à l'âge adulte. La mémorisation peut engendrer de la
sive ou pas, nécessitant parfois du matériel intrusif peur, de l'anxiété, de l'angoisse, voire une phobie des soins.
(sonde, aiguille) et la zone du corps concernée, sa De même, si la douleur n'est pas correctement prévenue
durée et la répétition de l'acte peuvent influer sur lors d'un premier soin, l'anticipation de la douleur lors de
la douleur. Les expériences antérieures de douleur soins suivants requiert un besoin d'antalgiques et d'anxio-
mais aussi d'anxiété liée au soin, peuvent avoir une lytiques supérieurs [4]. Cet état de fait peut conduire à une
incidence directe sur la capacité du patient à faire dégradation de la qualité de vie, physique ou psychique, du
face ou non aux soins ultérieurs, amenant parfois à patient aboutissant à une souffrance globale [5].
un refus de soins ou de traitement [3] ; elles peuvent
induire des mécanismes de défenses chez la personne
douloureuse altérant la relation soignant-soigné et la Ce qu'il faut mettre en œuvre pour
confiance instaurée ; prévenir la douleur liée aux soins
■ les facteurs liés au patient : l'ancienneté de la maladie ou
du handicap et son évolution, l'âge et le degré de fatigue, La prévention de la douleur liée aux soins fait partie inté-
l'état psychologique (anxiété, agressivité, peur, phobie, grante des bonnes pratiques attendues, dans un souci de
etc.), la compréhension de la raison et la nécessité du qualité de prise en charge, en plus d'être une obligation
soin, les représentations de l'acte (par ce que le patient a légalement reconnue et une exigence éthique que ce soit
vu, lu, entendu ou raconté par d'autres patients, ou du fait au niveau d'un établissement de soin ou à domicile. La
de la vision du matériel préparé), ses représentations et responsabilité de chaque acteur de l'équipe interdiscipli-
croyances dans les thérapeutiques proposées, ses antécé- naire y est engagée. Cette démarche fait appel tant aux
dents de douleur (vécus par le patient ou son entourage), connaissances actualisées, au savoir-faire et au savoir-être
son état de douleur avant le geste, sont autant de facteurs des soignants qu'à la capacité d'auto-analyse individuelle
pouvant intervenir dans le ressenti de la douleur lors des et collective des équipes sur leurs pratiques de soins.
soins ; Dans les établissements de soins, le rôle des CLUD) est
■ les facteurs liés à l'environnement du patient : le primordial pour la mise en œuvre d'une politique ins-
cadre dans lequel se déroule le soin (environnement titutionnelle de prévention de la douleur liée aux soins.
calme, agité, bruyant, etc.), la connaissance de l'envi- Les réseaux douleur ou les inter-CLUD territoriaux faci-
ronnement (habituel, nouveau, etc.) ont une influence litent l'harmonisation et l'amélioration des pratiques des
directe sur la capacité du patient à faire face à la dou- professionnels des établissements d'hébergement pour
leur. L'environnement sonore peut majorer l'anxiété personnes âgées dépendantes (EHPAD) et des profes-
ou le stress, notamment chez les patients les plus sionnels de premier recours.
vulnérables ; La prévention de la douleur liée aux soins s'inscrit dans
■ les facteurs liés au soignant : la connaissance de l'acte, une réflexion sur les modalités d'organisation soignante
la maîtrise technique du geste (dextérité, sécurité ges- avant, pendant et après le soin. Cette approche d'antalgie
tuelle, assurance verbale), la disponibilité du soignant préventive implique d'anticiper le type, la durée et l'intensité
ont une influence sur la relation de confiance entre le de la douleur induite, indépendamment du traitement de
patient et le soignant nécessaire à la bonne réalisation fond. Elle implique également de bien connaître la pharma-
du geste. Une organisation inadaptée (défaut d'antici- cocinétique des médicaments à disposition afin de pouvoir
pation, incohérences interdisciplinaires, soignants mul- utiliser le bon antalgique au bon moment (figure 44.1). Les
tiples se succédant auprès d'un même patient, charge approches multimodales sont recommandées, associant
en soins élevée), la sous-utilisation des thérapeutiques des mesures pharmacologiques et non pharmacologiques.
et des matériels à disposition, une approche trop rapide L'évaluation de la douleur de tout soin doit être réalisée et
ou inadaptée du patient renforçant sa crispation cor- tracée (avant, pendant et après le soin) afin de prévoir la
porelle réactionnelle nuisant ainsi à sa coopération, prise en charge analgésique du prochain soin.
Chapitre 44. Douleur des soins 295
Paracétamol
Paracétamol + codéïne
Paracétamol + tramadol
Per os Tramadol
Orodispersible
Oxydocone à libération Immédiate
Gélules
Sous-cutanée Morphine
Paracétamol
Intraveineuse Tramadol
Morphine
Oxycodone
3' 5' 10' 15' 30' 45' 1h 2h 3h 4h 5h
Le médicament est à son efficacité maximale, le soin peut donc être effectué
Le médicament n'est pas/plus à son efficacité maximale
Le médicament n'est pas encore/n'est plus efficace, le soin ne peut donc pas être effectué
* Il est possible d'associer les voies locale et inhalée aux autres voies d’administration tout en respectant les précautions d'emploi
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Chapitre
45
Douleur postopératoire
et douleur aiguë traumatique
Frédéric Aubrun
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299 et infiltrations tissulaires : en alternative
Stratégies analgésiques par voie systémique . 299 ou en complément . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303
Anesthésie locorégionale Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304
Kétamine et néfopam sie multimodale. Ainsi, Kapfer et al. ont évalué d'intérêt de
L'hypersensibilité centrale induite par les morphiniques, avec la kétamine mais aussi du néfopam dans la prise en charge
pour conséquence directe l'apparition d'une hyperalgésie et postopératoire des patients opérés d'une chirurgie majeure
donc d'une tolérance aiguë, est apparue il y a quelques années [12]. Après une dose de 9 mg de morphine intraveineuse,
comme un écueil dans l'analgésie périopératoire. En effet, les les patients étaient séparés en trois groupes : le premier
conséquences de cet effet paradoxal sont multiples : il est désor- recevait du sérum salé, le second de la kétamine (10 mg
mais recommandé de limiter les morphiniques en prémédi- en intraveineuse) et le troisième du néfopam (20 mg i.v.).
cation aux patients les plus algiques ou à ceux qui bénéficient Les patients non soulagés recevaient une dose de morphine
en préopératoire d'un traitement comportant des opioïdes. « de secours ». Les auteurs ont pu constater que les patients
Réduire les doses de morphiniques peropératoires, en augmen- bénéficiant des deux antalgiques non morphiniques rece-
tant la concentration des gaz halogénés et du protoxyde d'azote, vaient une dose plus faible de morphine complémentaire sur
doit devenir une priorité. De même, il faut envisager une le groupe sérum salé. Il convient de signaler que les échecs
réduction des doses de morphine dès la période postopératoire de titration (hypoventilation) étaient plus fréquents dans
immédiate et éviter toute dose de charge avant la sortie du bloc le groupe sérum salé mais la titration n'était arrêtée que
opératoire. Bien que le taux d'échec d'une titration sans plafon- lorsque les patients étaient profondément sédatés (score de
nement de la dose soit limité, il paraît souhaitable d'inverser la sédation > 2, c'est-à-dire réponse à la stimulation nocicep-
tendance et d'associer la morphine avec d'autres antalgiques tive uniquement). Il faut noter que le néfopam semble avoir
non morphiniques ou agents antihyperalgésiques. À ce titre, la des effets sur la réduction de la sensibilité neuronale posto-
kétamine est le médicament de référence et ses modalités d'uti- pératoire, ce qui permet de le proposer, au même titre que
lisation per- et postopératoires sont désormais mieux connues. la kétamine pour l'analgésie périopératoire, en particulier à
Certaines équipes ont notamment observé que la kétamine, des patients à risque d'hyperalgésie.
administrée pendant et après un acte chirurgical, pouvait agir
jusqu'à sept jours après le geste opératoire, voire à distance de Propriétés antalgiques des agents
l'administration de l'agent. Ainsi, la perfusion de kétamine après anticonvulsivants
lombotomie pendant trois jours a permis de réduire significa-
tivement la zone d'hyperalgésie péricicatricielle postopératoire Gabapentine
[9]. Plus précisément, certains auteurs proposent d'administrer C'est un agent antiépileptique de l'adulte et de l'enfant à
cet antagoniste des récepteurs NMDA à la posologie suivante : partir de l'âge de 3 ans (sauf absence), dont la structure est
en cas de chirurgie à douleur sévère prédictive et/ou lorsque proche du GABA mais dont le mécanisme d'action central
le patient prend un traitement antalgique préopératoire majeur est spécifique et surtout différent de celui des autres antié-
(comportant par exemple des morphiniques), la kétamine peut pileptiques. Outre l'épilepsie, il est également utilisé pour
être administrée lentement avant l'induction ou l'incision, à la le traitement des douleurs neuropathiques de type post-
dose de 0,5 mg/kg. Une perfusion continue à la dose de 5 μg/ zostériennes ou périphériques (diabète, etc.) mais également
kg/min peut être également proposée pendant l'ensemble de la dans l'anxiété (hors AMM).
durée opératoire [10]. La SFAR s'est positionnée dans le cadre De nombreux travaux ont été publiés concernant l'utili-
d'un référentiel publié en 2016 et a proposé ce qui suit : « En sation de la gabapentine dans la période postopératoire. Les
peropératoire, l'administration de faible dose de kétamine chez propriétés anti-hyperalgésiques et anti-allodyniques de la
un patient sous anesthésie générale est recommandée dans les gabapentine favorisent son utilisation en périopératoire, et
deux situations suivantes : son action synergique avec la morphine permet une épargne
■ chirurgie à risque de douleur aiguë intense ou pour- morphinique et en effets indésirables morphiniques. Parfois
voyeuse de DCPC ; administré en prémédication, il réduit la douleur et la consom-
■ patients vulnérables à la douleur, en particulier patients mation de morphine postopératoire mais pas la DCPC [13].
sous opioïdes au long cours ou présentant une toxicoma-
nie aux opiacés (G1+, accord fort) [6]. Prégabaline
La kétamine est l'agent antihyperalgésique recommandé C'est un agent antiépileptique qui se fixe sur une des sous-
en première intention à la dose (maximale) de 0,5 mg/kg unités du canal calcique présynaptique (exacerbé au cours
après l'induction anesthésique (pour éviter les effets psy- d'une douleur neuropathique), permettant de réduire
chodysleptiques), en administration continue à la dose de l'entrée de calcium dans la cellule sans la bloquer, et la libé-
0,125 à 0,25 mg/kg/h. La perfusion sera arrêtée 30 minutes ration de neurotransmetteurs excitateurs tels que le gluta-
avant la fin de la chirurgie » [6]. Cet agent a donc un champ mate, la substance P et la noradrénaline. Comme pour la
d'action non négligeable mais ne doit pas être administré gabapentine, son efficacité a été démontrée sur les douleurs
à tous les patients. Certaines équipes préhospitalières ou neuropathiques périphériques et centrales dès la première
aux urgences proposent ce médicament dans le cadre de la semaine de traitement mais également dans l'anxiété. De
traumatologie avec un objectif clair d'épargne morphinique, plus, la prégabaline administrée en prémédication améliore
d'épargne en effets indésirables morphiniques mais aussi de les scores de douleur postopératoire sans réduire la consom-
prévention de l'hyperalgésie [6, 11]. mation de morphine après la chirurgie. D'autres auteurs
La grande variabilité dans les besoins en morphiniques retrouvent une réduction de la consommation de morphi-
postopératoires mais également dans l'incidence en effets niques postopératoires mais au prix d'une augmentation
indésirables « morphiniques » incite certains auteurs à des effets indésirables tels que les vertiges ou les céphalées
réduire les doses de morphine titrée au moyen d'une analgé- [14–16] (encadré 45.2).
302 Partie 5. Douleur selon le contexte
Oxycodone : la pharmacocinétique
comme principal atout Anesthésie locorégionale
L'oxycodone est un opioïde de palier 3 sans effet plafond à son et infiltrations tissulaires :
activité antalgique, synthétisé à partir de la thébaïne, alcaloïde en alternative ou en complément
extrait du pavot. Il a été découvert il y a une centaine d'années en
Allemagne, introduit sur le marché américain dès 1939, surtout Bloc nerveux périphérique
utilisé à partir des années 1990 et encore plus tard en France. Quel que soit le site, il offre une analgésie toujours plus
Son action antalgique est similaire qualitativement à celle de efficace que les opioïdes et doit être privilégiée à l'analgé-
la morphine. L'effet thérapeutique est principalement analgé- sie péridurale pour les membres inférieurs. La neurosti-
sique, anxiolytique, antitussif et sédatif. Il agit comme agoniste mulation et maintenant l'échographie favorisent encore la
des récepteurs μ et κ avec pour indication la prise en charge des diffusion de ces techniques. Les techniques d'anesthésies
douleurs chroniques d'origine cancéreuse intenses ou rebelles locorégionales se sont considérablement développées ces
aux antalgiques de niveau plus faible chez l'adulte. La première dernières années offrant avec l'abord échographique une
spécialité pharmaceutique à avoir obtenu une AMM en France amélioration de la précision, du confort et de la sécu-
est l'Oxycontin® en 2000 (sources Agence nationale de sécurité du rité du patient. Les doses administrées sont plus faibles
médicament et des produits de santé [ANSM]). Depuis cette date, et les risques, liés à une administration intraveineuse ou
d'autres galéniques ont été mises sur le marché : gélule, solution intraneurale, réduits. L'efficacité clinique s'associe à une
buvable, solution injectable, comprimé orodispersible ou, dans réduction des effets indésirables comme les nausées vomis-
certains pays, solution intranasale ou par voie péridurale. sements postopératoires. L'incidence des effets secondaires
Administré par voie orale, le pic du chlorhydrate d'oxy- graves comme l'injection intravasculaire ou la lésion neu-
codone est atteint à une heure (forme à libération immé- rologique lors de la ponction est faible. En cas d'injection
diate) et à trois heures (forme à LP) et la durée d'efficacité unique, le relais avec des techniques d'analgésie systémique
est de 12 heures en cas de forme LP. Sa biodisponibilité peut doit être anticipé pour éviter l'apparition retardée et brutale
atteindre 87 %. La demi-vie d'élimination est en moyenne d'une douleur intense. En cas de cathéter, l'autoadministra-
de 4,5 heures, et l'état d'équilibre est atteint en environ tion semble comme pour l'analgésie péridurale la meilleure
24 heures. Le rapport des doses équi-analgésiques de l'oxy- technique associée à une faible perfusion continue. La pose
codone avec la morphine doit être connu. Le ratio est de 2/1 d'un cathéter expose au risque d'infection du site d'injec-
entre la morphine et l'oxycodone orale : 10 mg de morphine tion, surtout après 48 heures, plus particulièrement sur le
orale égale 5 mg d'oxycodone par voie orale. La forme à LP site du creux inguinal. Un cathéter augmente aussi le risque
d'oxycodone est deux fois plus puissante avec une biodis- de lésion neurologique. En 2012, une enquête a été réalisée
ponibilité deux fois supérieure à celle de la morphine à LP. en préhospitalier concernant la pratique du bloc fémoral
Quant au ratio entre l'oxycodone orale et injectable, il est pour la traumatologie du membre inférieur. Les auteurs ont
de 2/1 : 10 mg d'oxycodone orale égale 5 mg d'oxycodone souligné le bénéfice indiscutable de cette technique avec,
intraveineuse ou sous-cutanée. L'oxycodone n'a pas l'AMM dans plus de la moitié des patients en bénéficiant, un sou-
pour le soulagement spécifique de la douleur postopératoire lagement total de la douleur à l'arrivée aux urgences [24].
mais la HAS s'est prononcée en faveur du remboursement Cette technique est d'ailleurs recommandée pour l'analgé-
de cet antalgique dans les cas de douleur aiguës sévères, sie postopératoire après chirurgie de la fracture de l'extré-
susceptibles donc d'intégrer les douleurs périopératoires mité supérieure du fémur [25].
ou les douleurs traumatiques (www.has-sante.fr). Il existe
de nombreuses publications soulignant les bénéfices de cet
opioïde dans cette indication. Un seul exemple, l'adminis-
Concernant les infiltrations
tration préopératoire et postopératoire d'oxycodone à LP par des anesthésiques locaux
(Oxy-LP), à raison de 20 mg toutes les 12 heures jusqu'à J2, Elles souvent réalisées en peropératoire par les chirurgiens
permet de réduire la consommation postopératoire de mor- ou aux urgences pour la traumatologie mineure. Ces tech-
phine sur les 24 premières heures et entre J1 et J2 après une niques ont permis d'améliorer le confort des patients dans
chirurgie lombaire de type discectomie. De plus, les scores les premières heures qui suivent l'intervention ou le trau-
de douleur au repos et la toux étaient améliorés pendant matisme. Les formes d'anesthésiques locaux à LP (ou forme
les 48 premières heures ainsi que l'incidence des nausées et liposomales) contribueront dans l'avenir à améliorer le
vomissements postopératoires mais aussi le délai de reprise confort des patients en prolongeant leur analgésie dans la
du transit intestinal [21–23] (encadré 45.3). durée [26] (encadré 45.4).
304 Partie 5. Douleur selon le contexte
Références
Encadré 45.4 Au total
[1] Fletcher D, Mardaye A, Fermanian C, Aegerter P. Comité Douleur
L'échographie a permis d'améliorer la qualité de l'analgésie ALR de la SFAR. Évaluation des pratiques sur l'analgésie postopé-
mais aussi la sécurité des patients. Les anesthésiques locaux du ratoire en France : enquête nationale avec analyse des différences
de pratique selon le type d'établissement. Ann Fr Anesth Reanim
présent mais aussi du futur ont et auront une cinétique de plus
2008 ; 27 : 700–8.
en plus précise, permettant d'anticiper et de gérer au mieux le
[2] Vivien B, Adnet F, Bounes V, Chéron G, Combes X, David JS, et al.
soulagement des patients. Sédation et analgésie en structure d'urgence. Réactualisation 2010 de
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Des progrès ont été réalisés grâce aux résultats des 317–26.
études et aux référentiels. Si l'antalgique de référence [4] Delage N, Maaliki H, Beloeil H, Benhamou D, Mazoit JX. Median
effective dose (ED50) of nefopam and ketoprofen in postoperative
reste la morphine, elle doit être impérativement asso-
patients : a study of interaction using sequential analysis and isobolo-
ciée à des antalgiques non morphiniques ou des agents graphic analysis. Anesthesiology 2005 ; 102 : 1211–6.
antihyperalgésiques. Dans le premier cas, les AINS sont [5] Expert panel guidelines. Postoperative pain management in adults
les médicaments les plus puissants. Dans le second cas, and children. SFAR Committees on Pain and Local Regional
la kétamine permet de réduire les risques de chronicisa- Anaesthesia and on Standards. SFAR Committees on Pain and Local
tion de la douleur. De manière générale, l'analgésie mul- Regional Anaesthesia and on Standards. Ann Fr Anesth Reanim
timodale, qui consiste à associer plusieurs antalgiques 2009 ; 28 : 403–9.
ou techniques d'analgésie, est la règle d'or figure 45.2). [6] Référentiel SFAR. Réactualisation de la recommandation sur la dou-
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± Anti-inflammatoire non stéroïdien IV en 15 min. ± MEOPA [12] Kapfer B, Alfonsi P, Guignard B, Sessler DI, Chauvin M. Nefopam and
± MEOPA
± Analgésie locale / locorégionale
± Anti-inflammatoire non stéroïdien IV en 15 min.
± Analgésie locale / locorégionale
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Et/ou Sédation excessive
Et/ou Bradypnée < 10 / min. [15] Jokela R, Ahonen J, Tallgren M, Haanpää M, Korttila K. Premedi-
Et/ou Désaturation
cation with pregabalin 75 or 150 mg with ibuprofen to control pain
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Stop morphine [16] Jokela R, Ahonen J, Tallgren M, Haanpää M, Korttila K. A rando-
Mesures symptomatiques si
nécessaire **** mized controlled trial of perioperative administration of pregabalin
for pain after laparoscopic hysterectomy. Pain 2008 ; 134 : 106–12.
* Respect des contre-indications respectives de chaque molécule et/ou technique.
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*** Délai de ré-évaluation de la douleur en fonction du type d'antalgique administré.
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**** Stimulation et/ou assistance ventilatoire et/ou Naloxone IV.
Am J Emerg Med 2008 ; 26 : 676–82.
Figure 45.2 Traitement antalgique en fonction de l'intensité [19] Bellissant E, Estèbe JP, Sébille V, Ecoffey C. Effect of preoperative oral
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Chapitre 45. Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique 305
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Chapitre
46
Douleur en pratique
ambulatoire
Frédéric Aubrun
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307 Identifier les carences dans la gestion
Quatre étapes de prise en charge . . . . . . . . . . 307 des douleurs à domicile . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309
Six processus de vérification . . . . . . . . . . . . . . . 307 Comment améliorer la relation
Sept recommandations SFAR (référentiel 2008). . 308 hôpital-ville ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309
Savoir anticiper et mieux gérer Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
l'analgésie postopératoire . . . . . . . . . . . . . . . . 308
il faut se poser la question de la légitimité de lui propo- ■ Il est recommandé que les ordonnances d'antalgiques
ser une prise en charge ambulatoire si celle-ci induit un soient remises au patient dès la consultation de chirurgie
déséquilibre de son traitement ou génère un inconfort. Le ou d'anesthésie. Ces ordonnances d'antalgiques doivent
patient et sa famille ont-ils compris les enjeux ? préciser les horaires de prise d'antalgiques systématique
■ 2. Quelles sont les modalités de l'information du patient ? et les conditions de recours aux antalgiques de niveau
À ce titre, il est dit que l'information doit être précoce, plus élevé si nécessaire.
réitérée à chaque étape de la prise en charge élaborée ■ Il est recommandé pour les patients bénéficiant d'une
et concertée entre les acteurs. Elle doit impérativement prise en charge de la douleur postopératoire à domicile
intégrer la notion de douleur et de gestion de cette der- par voie locorégionale que le médecin traitant en soit
nière en structure de soins puis à domicile. informé par avance et prévenu de la sortie du patient de
■ 3. Quels sont les éléments de choix de la technique la structure hospitalière.
d'anesthésie et d'analgésie ? L'anesthésiste doit modifier ■ Il est recommandé, lorsque l'indication opératoire s'y
ses pratiques en ayant toujours en mémoire que le choix prête, d'utiliser les infiltrations et les blocs périphé-
de la technique d'anesthésie et d'analgésie chirurgicale riques en injection unique pour la chirurgie ambula-
doit reposer sur l'analyse du rapport bénéfice/risque toire. La sortie du patient, malgré l'absence de levée du
pour le patient, de l'acte et de l'organisation. Le choix des bloc, est possible si une analgésie de secours, le port
techniques et des doses s'apparente à un titrage des doses d'attelles, une information écrite aux patients, une
et des agents en fonction des besoins : ni trop, ni trop peu assistance à domicile et des procédures précises d'appel
afin d'éviter de retarder la récupération des patients. C'est ont été prévus.
un changement de culture de l'exercice du métier. ■ Il est recommandé, lorsque des cathéters périnerveux
■ 4. Quelles sont les modalités de la prise en charge des sont envisagés pour traiter la douleur postopératoire à
suites opératoires ? Trois problèmes doivent faire l'objet domicile, que ces dispositifs soient réservés aux inter-
d'une attention particulière, la douleur postopératoire, ventions dont la douleur postopératoire est totalement,
les nausées-vomissements postopératoires et les événe- ou dans sa plus grande partie, couverte par le bloc
ments thromboemboliques. périnerveux.
■ 5. Quelles sont les modalités de la procédure de sortie ■ Il est recommandé lorsque des cathéters périphériques
des patients ? Il s'agit d'autoriser la sortie sans aucune sont utilisés pour traiter la douleur postopératoire à
concession à la sécurité mais aussi au confort du patient. domicile qu'un contact téléphonique quotidien soit réa-
Cette démarche constitue le moment clé de cette prise en lisé [2].
charge car il n'est pas acceptable qu'un patient souffrant
d'une douleur persistante après son geste, soit invité à
quitter la structure sous peine de le voir revenir dans les Savoir anticiper et mieux gérer
heures qui suivent. l'analgésie postopératoire
■ 6. Enfin, la coordination entre les acteurs et la continuité
des soins constituent le socle de toute cette organisation. L'anticipation consiste, outre l'information, à délivrer donc
Identifier, hiérarchiser et maîtriser les risques dans une aux patients une ordonnance d'antalgiques dès la consulta-
démarche globale d'amélioration de la qualité des soins tion d'anesthésie et la validation de sa prise en charge ambu-
doit être le dénominateur commun de l'ensemble des latoire. Cette disposition permet de sensibiliser les patients
acteurs de soins impliqués dans la chirurgie ambula- au risque de souffrance à domicile mais aussi d'acheter les
toire. Cette prise en charge intègre les acteurs de premier antalgiques avant l'intervention et de les avoir à disposition
recours (et le médecin traitant en particulier) qui doivent dès le retour à domicile. La prescription anticipée d'antal-
comprendre la stratégie analgésique pour prendre le giques morphiniques est parfois nécessaire pour certaines
relais des acteurs de soins en charge de l'ambulatoire. chirurgies et pose le problème de la validité de trois jours
de ces ordonnances et de la constitution de stocks de mor-
phiniques à domicile. Au-delà des médicaments, il s'agit
Sept recommandations SFAR d'une véritable démarche éducative avec les conseils adaptés
à chaque chirurgie comme le refroidissement par la glace
(référentiel 2008) après chirurgie du membre inférieur ou la manipulation des
■ Il est recommandé que les établissements ayant une acti- béquilles.
vité chirurgicale ambulatoire développent une stratégie Une des premières causes de réhospitalisation des
spécifique de l'évaluation et du traitement de la DPO à patients opérés en chirurgie ambulatoire est liée à la
domicile. Les protocoles de lutte contre la douleur pos- douleur [3, 4]. Parmi les autres facteurs, on note les nau-
topératoire doivent être évalués de manière régulière et sées et/ou vomissements postopératoires mais également
pluridisciplinaire. la somnolence excessive. En 2002, Coley et al. analysent
■ Il est recommandé, pour les patients devant subir une les causes d'admission non prévue et de réadmission
intervention en ambulatoire, que les éléments prédic- avec leurs coûts après chirurgie ambulatoire. Dans cette
tifs de la douleur postopératoire et de la tolérance aux étude, près de 6 % des patients sont réadmis dont 38 %
analgésiques prescrits à domicile soient appréciés et pour cause de douleur, soit la première cause relevée
que les modalités de l'analgésie orale soient expliquées [5]. En France, il existe peu de données en dehors de
dès la consultation spécialisée préopératoire (chirurgie, quelques travaux rétrospectifs et d'une enquête sur le
anesthésie). point de vue des médecins généralistes sur la gestion
Chapitre 46. Douleur en pratique ambulatoire 309
Conclusion Références
Le médecin anesthésiste réanimateur en charge de patients [1] Référentiel SFAR. Prise en charge anesthésiques des patients en hospi-
relevant de la chirurgie ambulatoire, est confronté à la talisation ambulatoire, www.sfar.org/référentiels ; 2009.
[2] Expert panel guidelines (2008). Postoperative pain management in
nécessité d'une analyse permanente de la balance bénéfices/
adults and children. SFAR Committees on Pain and Local Regional
risques, ceci à toutes les étapes de la gestion du patient. Cette Anaesthesia and on Standards. SFAR Committees on Pain and Local
démarche concerne en particulier la douleur. L'information Regional Anaesthesia and on Standards. Ann Fr Anesth Reanim
du patient, l'évaluation, l'organisation, la communication, la 2009 ; 28 : 403–9.
prévention sont des mots-clés qu'il faut appliquer pour une [3] Chung F, Mezei G. Factors contributing to a prolonged stay after ambu-
prise en charge rationnelle et sans risque du patient. Si la latory surgery. Anesth Analg 1999 ; 89 : 1352–9.
tendance est à l'augmentation du taux de chirurgies réali- [4] Chung F, Mezei G. Adverse outcomes in ambulatory anesthesia. Can J
sées en ambulatoire (pour atteindre 66 % dans les années Anaesth 1999 ; 46(5 Pt 2) : R18–34.
qui viennent), elle ne doit en rien sacrifier notre obsession [5] Coley KC, Williams BA, DaPos SV, Chen C, Smith RB. Retrospective
à tous, la sécurité et le confort des patients. Il est indispen- evaluation of unanticipated admissions and readmissions after same
day surgery and associated costs. J Clin Anesth 2002 ; 14 : 349–53.
sable de savoir « qui fait quoi » dans la gestion périopératoire
[6] Robaux S, Bouaziz H, Cornet C, Boivin JM, Lefèvre N, Laxenaire MC.
du patient, en particulier pour autoriser sa sortie et assurer Acute postoperative pain management at home after ambulatory sur-
une analgésie de qualité domicile. La communication reste gery : a French pilot survey of general practitioners' views. Anesth
le dénominateur commun et la traçabilité un moyen de se Analg 2002 ; 95 : 1258–62.
protéger. Parmi les risques à prévenir, celui de la douleur à [7] Beauregard L, Pomp A, Choinière M. Severity and impact of pain after
domicile est essentiel car il peut entraîner non seulement une day-surgery. Can J Anaesth 1998 ; 45 : 304–11.
insatisfaction mais également des conséquences plus clas- [8] Ausems ME, Hulsewé KW, Hooymans PM, Hoofwijk AG. Postoperative
siques d'une douleur postopératoire persistante : troubles analgesia requirements at home after inguinal hernia repair : effects
(ou aggravation de ces troubles) des fonctions supérieures, of wound infiltration on postoperative pain. Anaesthesia 2007 ; 62 :
complications cardiovasculaires ou encore chronicisation. 325–31.
Chapitre
47
Douleurs aiguës médicales
et urgences
Michel Olivier, Nathalie Lecoules
PLAN DU CHAPITRE
Douleurs thoraciques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311 Céphalées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314
Douleurs d'origine pariétale . . . . . . . . . . . . . . 313 Colique néphrétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Autres étiologies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313 Crise douloureuse drépanocytaire . . . . . . . . . . 315
Douleurs abdominales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313
En France, 7,6 millions de patients arrivent chaque année principes : traiter vite, bien et toutes les douleurs, quelle que
aux urgences avec des douleurs. La prévalence de la dou- soit leur composante (nociceptive, neuropathique, mixte,
leur aux urgences est évaluée entre 60 et 78 % dont 54 % de avec ou sans renforcement psychologique), ou leur localisa-
douleurs intenses. Les pathologies médicales représentent tion (abdominale en particulier), au repos et à la mobilisa-
environ 40 % de ces douleurs. La douleur est le symptôme tion (si possible).
principal dans 85 % des cas [1], sans oublier les soins, poten- L'analgésie sera multimodale (paracétamol, AINS,
tiellement inducteurs de douleur supplémentaire chez 47 % opioïdes, lidocaïne, etc.), symptomatique et/ou étiologique
des patients. et fera appel, selon les circonstances à la pharmacopée
En dépit de ce constat, 60 % des patients douloureux ne orale, transmuqueuse, transbuccale, injectable, inhalatoire
reçoivent pas d'analgésie ou sont traités après un délai non (MEOPA, méthoxyflurane), mais également aux techniques
acceptable. Ce retard d'analgésie est lié en particulier à la non médicamenteuses (froid, chaud, relaxation, hypnose,
taille des services d'urgence (nombre important d'entrées). etc.) [3]. La composante anti-hyperalgésique sera potentiel-
Il est plus fréquent chez les personnes âgées et chez les lement prise en compte (kétamine, néfopam).
patients présentant des douleurs modérées à l'entrée. Il n'est pas possible de traiter ici toutes les douleurs médi-
Si la douleur aiguë est un signal d'alerte d'une agression cales motivant un passage aux urgences, nous avons donc
utile, elle est rapidement délétère : consommation d'oxygène choisi de cibler les plus fréquentes.
augmentée, réduction de volumes ventilatoires, agitation
dangereuse ou, à l'inverse, réduction de mobilité favorisant
la thrombose, iléus paralytique, syndrome inflammatoire
Douleurs thoraciques
réactionnel local et systémique, déséquilibres endocriniens Les douleurs thoraciques, 5 % des consultations en urgence,
(hyperglycémie en particulier) et hydroélectrolytiques, ont une multitude d'étiologies et de symptomatologies qui
retentissement psychologique. La douleur aiguë persistante compliquent le diagnostic et le choix d'un traitement antal-
est, de plus, facteur d'hyperalgésie et sa mémorisation fait le gique adapté. Par exemple, 40 % des patients ayant un IDM
lit de la douleur chronique. Une analgésie efficace répondra ont une douleur atypique alors que 35 % des patients sans
donc autant à un réel besoin médical qu'à des motivations IDM ont une douleur typique [4].
humanitaires. Outre l'IDM, nous retrouvons les maladies œsopha-
La douleur qui amène le patient à consulter en urgence giennes (42 %), la maladie coronaire (31 %), les douleurs
a souvent un caractère brutal et inattendu et peut entraîner pariétales (28 %) et, plus rarement, les péricardites, les dou-
des réactions inappropriées (agressivité). La peur du dia- leurs pleuropulmonaires, l'embolie pulmonaire, le cancer du
gnostic, la perte d'autonomie et potentiellement de revenus poumon et l'anévrisme aortique (de 4 à 1 %). En présence
(arrêt de travail) y contribuent. L'équipe soignante, en dépit d'une douleur thoracique, le pronostic vital peut être engagé
d'une activité soutenue, doit faire preuve de beaucoup d'em- ou non et nécessiter un traitement urgent ou pas. Éliminer
pathie et de compréhension [2]. en première intention une étiologie coronarienne s'impose
Après une évaluation globale, quantitative et qualitative, en raison de la sévérité du pronostic et de l'urgence d'un
une prise en charge antalgique efficace s'appuiera sur trois traitement de revascularisation.
Médecine de la douleur pour le praticien
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312 Partie 5. Douleur selon le contexte
inférieur à deux heures) sera proposée aussi bien que la ■ Les douleurs musculaires : touchent les muscles inter-
fibrinolyse. Si le délai depuis le début des symptômes est costaux, pectoraux et de la ceinture scapulaire : myosite
compris entre 3 et 12 heures, l'angioplastie primaire est infectieuse, parasitaire ou immunologique.
privilégiée. Toute arythmie ou état de choc sera traité ■ Les douleurs d'origine neurologique : névralgie intercos-
parallèlement. Après fibrinolyse, le patient sera dirigé tale, syndrome de Cyriax (subluxation douloureuse de
vers un centre disposant d'une salle de coronarographie l'extrémité antérieure des 8e, 9e et 10e côtes qui comprime
diagnostique et interventionnelle. La prise en charge sera le nerf intercostal, exacerbée par la manœuvre de croche-
complétée par : tage3), névralgie phrénique augmentée par une pression
– double anti-agrégation plaquettaire : acide acétylsali- cervicale entre les chefs du sterno-cléido-mastoïdien, le
cylique et inhibiteur des P2Y12 ; froid, la déglutition et, parfois, associée à un hoquet.
– anticoagulation : énoxaparine ou héparine non Ces différentes pathologies douloureuses pariétales d'origine
fractionnée. mécanique ou inflammatoire répondent aux différents antal-
Traitement symptomatique : le traitement de choix est la giques et AINS, si besoin aux infiltrations associant lidocaïne et
morphine intraveineuse en titration. corticoïdes retard et, pour certaines, à des techniques manuelles.
■ les douleurs somatiques sont en revanche bien localisées, ■ l'infarctus mésentérique, survient chez un patient ayant
plus latéralisées et intenses. Elles résultent d'une stimu- des facteurs de risque cardiovasculaires et se traduit clas-
lation nociceptive du péritoine pariétal, des muscles ou siquement par une douleur abdominale très intense avec
de la peau, mais aussi provoquées par une inflammation initialement un abdomen souple ;
d'un organe intra-abdominal ; ■ des pathologies non urgentes responsables de douleurs
■ les douleurs projetées, provenant d'un organe extra- abdominales peuvent amener le patient à consulter :
abdominal peuvent être vives, intenses, localisées ou, au adénite mésentérique fréquente chez l'enfant et l'adulte
contraire, vagues. jeune accompagnée souvent d'infection virale des voies
Ces trois types de douleurs sont modifiés en fonction de aériennes supérieures, gastroentérite et iléite infectieuse
facteurs psychologiques ou environnementaux et certaines souvent accompagnées de diarrhées, douleur aiguë de
douleurs fonctionnelles peuvent être plus intenses que des milieu de cycle, kyste ovarien fonctionnel, coprostase,
douleurs organiques. Chez l'enfant, on peut toutefois retenir troubles fonctionnels intestinaux (dyspepsie, colopathie
que, plus la douleur est latéralisée, plus son étiologie orga- fonctionnelle).
nique est probable. Des affections extra-abdominales peuvent se manifester
Autant que l'intensité, le siège de la douleur abdominale par des douleurs abdominales et sont des pièges diagnos-
oriente le diagnostic [7] : tiques classiques :
■ épigastre : gastrite, ulcère gastrique ou duodénal, ■ thorax : SCA, dissection de l'aorte, pneumonie ;
pancréatite ; ■ rétropéritoine : affections urologiques (lithiase, infection,
■ hypochondre droit ou épigastre : douleur biliaire simple ou ischémie), anévrisme de l'aorte abdominale (douleur
cholécystite, migration de calcul ; lombaire) ;
■ région péri-ombilicale : pancréatite (lithiasique ou alcoo- ■ organes pelviens, scrotum : globe vésical, prostatite, tor-
lique), appendicite débutante ; sion testiculaire, épididymite ;
■ fosse iliaque droite : appendicite ; ■ paroi abdominale : zona, hématome pariétal (du muscle
■ région hypogastrique : pathologies gynécologiques ; grand droit chez le patient anticoagulé) ;
■ fosse iliaque gauche : diverticulite. ■ métabolique : décompensation diabétique acidocéto-
Quelques particularités toutefois : sique ;
■ bien que la vésicule soit située dans l'hypochondre droit, ■ crise drépanocytaire : développée par ailleurs ;
les douleurs siègent souvent dans l'épigastre ; ■ maladie rares, etc.
■ une cholécystite aiguë doit être suspectée si la douleur dure En matière d'analgésie, retenons quelques principes
plus de six heures, s'accompagne d'un état fébrile (voire forts :
d'un choc septique), du signe de Murphy (douleur référée ■ l'analgésie peut modifier l'examen clinique, mais ne
sur la ligne mamelonnaire droite, au niveau de la 8e côte) ; crée pas d'erreur de management chirurgical. En effet,
■ une irritation sous-diaphragmatique quelle qu'en soit après l'anamnèse, l'établissement du diagnostic s'appuie
la cause (rupture de rate, lésion hépatique, abcès sous- grandement sur l'imagerie (scanner, échographie) et la
phrénique, etc.) entraîne une douleur projetée à l'épaule biologie ;
homolatérale à la douleur scapulaire (signe de Kehr) ; ■ les antalgiques ne modifient pas l'histoire relatée par le
■ une douleur abdominale initialement péri-ombilicale et patient ;
migrant secondairement en fosse iliaque droite, associée ■ l'analgésie améliore le confort et facilite l'examen
à un état sub-fébrile est suspecte d'appendicite. Le clas- clinique ;
sique point de Mac Burney (douleur référée) est situé à ■ plus le traitement antalgique est rapide, plus il est efficace.
mi-distance entre l'épine iliaque antéro-supérieure et En conséquence, il faut utiliser l'arsenal analgésique
l'ombilic et se recherche par un piquer/toucher ou un médicamenteux (y compris les morphiniques) et non médi-
roulé cutané et non par appui profond sur la paroi abdo- camenteux (en particulier le froid dans les pathologies
minale qui, lui, révèle une irritation péritonéale ; inflammatoires) pour être rapidement efficace. L'accompa-
■ une occlusion mécanique du tube digestif (bride, tumeur) gnement psychologique est également important dans les
s'accompagne de douleur abdominale et souvent de douleurs abdominales particulièrement anxiogènes.
vomissements et d'iléus. L'examen des orifices herniaires Quelques restrictions d'emploi toutefois : le MEOPA est
recherche une hernie étranglée ; contre-indiqué dans les syndromes occlusifs (distension
■ une hémorragie intrapéritonéale (recherchée à la func- gazeuse), les AINS ne seront pas utilisés dans les patholo-
tional assessment screening tool [FAST] écho) avec état gies œsophagiennes, gastroduodénales, infectieuses et en
de choc et douleur abdominale doit faire évoquer la présence d'une insuffisance rénale et pendant les 1er et 3e tri-
rupture d'anévrisme de l'aorte abdominale ou une gros- mestres de la grossesse. Quant au phloroglucinol, largement
sesse extra-utérine, moins fréquemment un kyste ovarien utilisé, son mécanisme antispasmodique reste à démontrer.
hémorragique, la rupture de tumeur hépatique sous-
capsulaire ou rupture de rate en deux temps ;
■ douleur abdominale et choc septique évoquent une péri- Céphalées
tonite par perforation digestive. La douleur est souvent
de début brutal, de localisation assez précise puis évolue Les céphalées sont un motif fréquent de consultation aux
vers une péritonite localisée puis généralisée et s'accom- urgences. Le chapitre 25 de cet ouvrage traitant ce sujet, nous
pagne de contracture abdominale (ventre de bois), d'iléus n'insisterons que sur les principales étiologies de céphalées
et de douleur au moindre ébranlement ; récentes rencontrées aux urgences.
Chapitre 47. Douleurs aiguës médicales et urgences 315
Nous envisagerons donc uniquement la prise en charge ■ le diagnostic et la prise en charge médicamenteuse de
antalgique de la crise douloureuse aiguë. toute infection ;
La CVO, le STA, le priapisme et l'AVC sont des compli- ■ en présence d'anxiété majeure, les benzodiazépines
cations aiguës, constituent des urgences vitales ou fonction- seront discutées et l'hydroxyzine préférée ;
nelles et imposent l'hospitalisation. ■ la prise en charge des troubles du sommeil ;
Certains éléments favorisent l'apparition de la crise : ■ éviter absolument l'application de froid, la corticothéra-
infection, transfusion récente, déshydratation, exposition pie, les AINS si problème infectieux, pas de transfusion
au froid, apnée du sommeil, consommation de drogues sans avis spécialisé.
et d'alcool, altération et troubles du sommeil, stress. Par Parallèlement, dès l'arrivée, après évaluation de la dou-
ailleurs, les douleurs itératives réduisent notablement la leur (EN) et prise en charge psychologique, une analgésie
qualité de vie, en raison du retentissement social, familial multimodale associera :
(conflits), professionnel (travail précaire et parfois inadap- ■ MEOPA : débit adapté à la ventilation du patient, objectif
tation du poste de travail et absences répétées) ou scolaire double : prise en charge de la douleur et facilitation pour
(absences répétées, incompréhension des camarades de l'accès à l'abord veineux. Renouvelable 30 à 60 min trois à
classe et du système scolaire), dont la conséquence est un quatre fois par jour ;
plus grand nombre de crises. Chaque nouvelle crise est une ■ Paracétamol intraveineuse : 1 g/6 heures, sauf contre-
source d'anxiété majeure pouvant évoluer vers l'angoisse et indications (allergie, insuffisance hépatique) ;
la dépression. Des angoisses de mort liées à la fulgurance ■ kétoprofène intraveineuse : perfusion 100 mg/8 heures,
et l'intensité de la douleur physique et morale, à la sensa- sauf contre-indications (allergie, sepsis, insuffisance
tion d'abandon et à la possible perte d'un proche dans ce rénale, déshydratation, grossesse) ;
contexte de pathologie familiale peuvent survenir. ■ néfopam intraveineuse : perfusion 20 mg initialement,
La CVO, responsable de douleurs articulaires ou osseuses puis relais 120 mg/24 heures, sauf contre-indications
très intenses est la première cause d'hospitalisation en (allergie, épilepsie non contrôlée, prostate) ;
urgence. ■ si douleur supérieure à 6 : morphine (0,1 mg/kg ± 2 à
Les douleurs multiples touchent le plus souvent les os 3 mg/5 min) ou oxycodone en prenant en compte l'auto-
longs, le rachis, le bassin, le thorax et l'abdomen. La fré- médication antérieure du patient. Le relais sera pris par
quence des crises douloureuses abaisse le seuil de sensibilité PCA (bolus : 1 à 2 mg ; période réfractaire : cinq minutes ;
à la douleur avec des risques de plasticité neuronale pouvant pas de dose maximum quatre heures) ;
évoluer vers une chronicisation de la douleur. ■ kétamine : si les doses d'opioïdes sont supérieures à 20 mg
Une prise en charge efficace [10] s'appuie sur l'évalua- et patient non soulagé : 0,1 mg/kg en intraveineuse lente
tion fréquente de la douleur. Elle peut être rendue difficile ± réinjection 0,05 mg/kg/15 à 20 min après, sauf contre-
pour plusieurs raisons : doute sur la réalité de la douleur indications (allergie, maladie hypertensive décompensée,
liée à la représentation soignante erronée de cette mala- porphyrie) puis relais 50 mg/24 heures ;
die chronique, intensité de douleur importante sans lésion ■ amitriptyline intraveineuse si les traitements précédents
visible (ischémie), état d'hyperalgésie lié à la répétition de sont insuffisants : 25 mg en 30 minutes (surveiller inter-
la douleur depuis l'enfance, contexte anxieux induit par valle QT à l'ECG).
la douleur, la crainte du diagnostic et les conséquences Si le patient n'est pas suffisamment soulagé, les para-
socio-professionnelles. mètres de la PCA seront modifiés et un débit continu de 1 à
L'écoute, l'empathie et l'évaluation de l'anxiété sont donc 2 mg/heure sera ajouté.
primordiales. La prise en charge de cette anxiété permettra Si l'accès veineux est impossible : MEOPA et paracétamol
également d'éviter une majoration de la douleur. 1 g, kétoprofène LP 100 mg et néfopam 20 mg per os. Puis,
L'importance des douleurs impose une prise en charge en fonction de la douleur, associer morphine ou oxycodone
rapide et des traitements de court délai d'action. Un abord à action rapide (0,3 mg/kg) puis amitriptyline 25 mg.
veineux est donc indispensable. Du fait de la chronicité de la La surveillance sera clinique et régulière : efficacité anal-
pathologie justifiant des injections répétées, le réseau veineux gésique, échelle de sédation, fréquence respiratoire, tolé-
est souvent altéré, compliquant la prise en charge. Il est décon- rance des traitements (nausées, vomissements, prurit).
seillé de rechercher une voie veineuse au niveau des membres Face à une situation d'échec de l'analgésie, un traitement
inférieurs (risque spécifique de thrombophlébite et d'ulcère). médical plus lourd et une surveillance monitorée seront ins-
En conséquence, la pose d'une voie veineuse centrale peut taurés dans la salle d'accueil des urgences vitales.
être indispensable. La pose ultérieure d'un site implantable Les critères de gravité seront recherchés : signes respiratoires,
doit être envisagée. Si un site implantable est en place, il doit neurologiques avec altération de la conscience, fièvre supérieure
être utilisé d'emblée lors de la prise en charge du patient. à 39 °C, signes d'intolérance d'une anémie aigue, signes de
La CVO peut être aggravée par certains facteurs : froid, défaillance hémodynamique, défaillance viscérale [11].
déshydratation, hypoxie, infection et insomnie. La préven- La complication grave de la crise drépanocytaire qu'il
tion passe donc dès l'accueil par : faut savoir dépister est le STA qui associe toux, fièvre,
■ la non-exposition au froid (transferts intrahospitaliers), dyspnée aiguë, expectoration, douleur thoracique, res-
chauffage de la chambre, réchauffement du patient (cou- piration superficielle, difficulté à parler, fréquence supé-
vertures et application locale de chaud) ; rieure à 30 ou inférieure à 10/min, hypoxémie inférieure
■ l'hydratation (+++) par voie intraveineuse et orale ; à 60 mmHg en l'absence de surdosage médicamenteux,
■ l'oxygénothérapie systématique avec un objectif SpO2 troubles de la conscience. Le patient sera alors pris en
supérieur à 97 % ; charge en réanimation.
Chapitre 47. Douleurs aiguës médicales et urgences 317
En conclusion, nous retiendrons l'importance de la cli- [3] Motov S, Strayer R, Hayes BD, Reiter M, Rosenbaum S, Richman M,
nique et la connaissance de la physiopathologie dans l'élabo- et al. The Treatment of Acute Pain in the Emergency Department :
ration du diagnostic d'une douleur aux urgences. L'analgésie A White Paper Position Statement Prepared for the American Aca-
demy of Emergency Medicine. J Emerg Med 2018 ; 54 : 731–6.
sera d'abord symptomatique, multimodale, précoce, adaptée
[4] Raphaël M, Valeri ML. Prise en charge d'une douleur thoracique aux
à l'intensité douloureuse puis étiologique dès le diagnostic urgences. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine d'urgence,
établi. Elle fera appel aux thérapeutiques médicamenteuses 25-020-B-10.
mais également aux moyens non médicamenteux. La com- [5] Staeger P, Meier F, Fishman D, Grosgurin O. La douleur thoracique.
posante anxieuse de la douleur sera réduite par une attitude Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 997–1004.
empathique du personnel soignant. Le tri par une infirmière [6] Aurel M, Hue V, Martinot A. Douleurs abdominales aiguës non trau-
d'accueil et d'orientation facilitera une analgésie précoce. matiques de l'enfant. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine
Enfin, l'élaboration de protocoles antalgiques permettra d'urgence, 25-140-F-10.
une prise en charge adaptée et rapide dans un contexte d'ur- [7] Oulhaci de Saussure W, Andereggen E, Sarasin F. Quand référer aux
gences surpeuplées. urgences un patient présentant des douleurs abdominales ? Rev Med
Suisse 2010 ; 6 : 1546–9.
[8] Balssa L, Kleinclauss F. Prise en charge des coliques néphrétiques
aiguës. Progrès en Urologie 2010 ; 20 : 802–5.
Références
[9] Boubaker H, Boukef R, Claessens YE, Bouida W, Grissa MH,
[1] Tcherny-Lessenot S, Karwowski-Soulié F, Lamarche-Vadel A, B eltaief K, et al. Phloroglucinol as adjuvant analgesic to treat renal
Ginsburg C, Brunet F, Vidal-Trecan G. Management and relief of pain colic. J Emergency Med 2010 ; 28 : 720–3.
in an emergency department from the adult patients' perspective. [10] http://www.chu-toulouse.fr/-protocoles-et-procedures-pour-traiter-
J Pain Symptom Manage 2003 ; 25 : 539–46. la-douleur. [CLUD 56].
[2] Olivier M. De la douleur de l'urgence à l'urgence de la douleur ! [11] https : //www.has-sante.fr/portail/upload/.../ald_10_guide_
Médecine & Culture 2016 ; 14 : 21–32. drepanoadulte_web.pdf.
Chapitre
48
Douleurs aiguës
chez un douloureux chronique
Georges Daccache
PLAN DU CHAPITRE
Douloureux chronique : un patient Stratégie thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320
vulnérable à la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
PLAN DU CHAPITRE
Concept de médecine palliative . . . . . . . . . . . . 323 Aspect déontologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 326
Concept de douleur totale . . . . . . . . . . . . . . . . 324 Pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 328
La douleur en médecine palliative est fréquente. Sa compo- lui-même et son entourage et lui-même sont confrontés.
sante somatique n'est que la partie émergée de l'iceberg de Accepter les contingences, la réalité de ce que peuvent pro-
ce que le patient est amené à endurer au long de la maladie poser ces soins et arrêter de les investir d'objectifs inattei-
grave. Nous proposons dans ce chapitre d'éclairer le lecteur gnables permettraient sûrement de diminuer la frustration
sur la notion de médecine palliative et de définir ce qu'est et la déception de ceux qui seront acteurs ou témoins de
la douleur totale dans un contexte de soins palliatifs. Nous cette fin de vie perçue comme imparfaite. Trop souvent
aborderons aussi les aspects déontologiques spécifiques à la enfermés dans l'idée qui se résume à ce que disait Thérèse
douleur en fin de vie. Pour conclure, nous verrons comment Vannier : « C'est tout ce qui reste à faire quand il n'y a plus
la prise en charge du patient en fin de vie doit être intégrée rien à faire », les soins palliatifs visent plutôt à promouvoir
dans une approche globale de l'antalgie développée dans cet un bien-être pour le patient, sans nécessairement tenir
ouvrage. compte du stade d'évolution ou du pronostic de sa maladie.
Des soins palliatifs peuvent être envisagés tôt dans le
déroulement d'une maladie, sans pour autant être associés
Concept de médecine palliative à une notion de pronostic vital engagé à très court terme. Le
soin palliatif pourra alors être une étape dans le parcours du
Avant d'aborder la question même de la douleur, il nous malade qui ne sera pas pour autant exclu d'un éventuel pro-
parait nécessaire de mieux définir ce que sont les soins jet thérapeutique spécifique de sa maladie. On parle alors
palliatifs. Ils sont souvent perçus dans le monde soignant de soins palliatifs précoces. Il s'agit de proposer une aide au
comme le témoin d'un échec d'une médecine enseignée patient pour le décharger de ce qui le gêne au quotidien.
et pratiquée dans un paradigme du guérir. De nombreux Nous avons vu que les soins palliatifs ne se limitent pas à
préjugés entourent encore cette discipline, souvent pensée l'image d'Épinal d'un accompagnement du mourant. Dans
comme un soin compassionnel circonscrit à l'agonie immi- sa définition la plus récente, l'OMS [2] ouvre ainsi leurs
nente. Le soignant y accompagnerait alors le patient vers horizons à tous les patients atteints de pathologies potentiel-
une mort acceptée et apaisée. Si, bien sûr, cette issue est la lement mortelles. Développés initialement dans le contexte
fin à laquelle tous aspirent, elle ne reste pourtant, dans la de la cancérologie, les soins palliatifs peuvent s'envisager
majorité des cas, qu'un idéal. Dans la réalité mourir reste un précocement pour des patients atteints de maladies graves et
événement singulier, souvent triste, déchirant et symptoma- évolutives, pas nécessairement létales, qu'elles soient aiguës
tique (ne serait-ce que du fait de l'arrêt des fonctions vitales). ou chroniques. On peut ainsi citer les maladies neurodégé-
Certaines souffrances ne pourront être soulagées, quels que nératives, la polypathologie de la personne âgée, les insuffi-
soient les moyens mis en place. Il sera impossible pour bon sances d'organes et certaines maladies infectieuses comme
nombre de patients et leurs proches d'accepter cette fin. Le par exemple le VIH.
contraire ne serait-il d'ailleurs pas étonnant ou inquiétant ? S'appuyant sur une démarche diagnostique et thérapeu-
Malgré des soins prodigués avec attention et qualité, bon tique ayant comme objectif l'amélioration du confort du
nombre de familles et de soignants sont déçus lorsque le malade et de ses proches, les soins palliatifs dorénavant
décès survient : ils n'ont pas assisté à cette « mort heureuse » peuvent être caractérisés comme une discipline médicale
[1] qu'ils espéraient. Investis, à tort, de ces idéaux de mort à part entière : la médecine palliative. Celle-ci nécessite un
apaisée, souvent inaccessibles, les soins palliatifs n'ont pour- corpus de connaissances spécifiques et une réflexion origi-
tant pas vocation à rendre la mort acceptable ou heureuse. nale sur les tenants et aboutissants des actions proposées.
Ils ont surtout pour préoccupation d'améliorer la qualité de Visant un bien-être physique, psychique et social pour le
vie du patient et de lutter contre les souffrances auxquelles patient, elle s'inclut dans la définition OMS de la santé.
Concept de douleur totale avec l'évolution de la maladie peuvent cacher une souf-
france psychique (ou l'inverse). Par exemple, la perte de
Cicely Saunders, pionnière des soins palliatifs modernes, poids ou l'asthénie rentrent dans la sémiologie des deux
a, très tôt, défini la notion de douleur ou souffrance totale entités.
(Total pain). Au décours de la maladie grave, le patient (et Pour affiner le diagnostic de souffrance psychique et
par extension son entourage) fait les frais, simultanément, de mieux adapter les thérapeutiques, il faudra souvent s'ap-
souffrances somatiques, psychiques, sociales et spirituelles. puyer sur l'expertise de psychologues ou de psychiatres.
Certaines échelles d'auto- ou hétéroévaluation et de dépis-
Souffrance physique tage peuvent aussi être utiles.
Le traitement, d'une façon schématique, s'appuie sur un
Dans ce modèle pluridimensionnel, si la douleur physique
soutien et un accompagnement du patient et de ses proches
est un élément invalidant important à prendre en compte et
lorsque la réaction présentée est adaptée à la situation. Il
à soulager, nombre d'autres souffrances physiques doivent
sera complété par des traitements psychiatriques (médica-
être dépistées, évaluées et traitées. Ainsi le malade peut
menteux ou psychothérapies) si le versant psychopatholo-
souffrir d'autres symptômes qu'il n'évoquera pas toujours
gique est avéré.
spontanément. De façon non exhaustive, ces symptômes
peuvent être :
■ généraux (fièvre, asthénie, troubles nutritionnels, bouche
sèche ou abimée, etc.) ; Souffrance sociale
■ respiratoires (dyspnée, toux rebelle, encombrement, L'intrusion de la maladie grave dans le quotidien d'une
hémorragies, etc.) ; personne a des répercussions sociales, tant au niveau de ses
■ digestifs (nausées, vomissements, hoquet, constipation, relations, de son autonomie que sur le plan pécuniaire.
occlusion, diarrhées, etc.) ; La maladie modifie le rôle et la place de la personne
■ génito-urinaires (dysurie, incontinence, troubles sexuels, malade dans la société, au sein de sa famille, de son envi-
etc.) ; ronnement amical ou professionnel. On pourrait citer, par
■ locomoteurs (handicaps, fractures, etc.) ; exemple, ce chef de famille qui devient dépendant et perd
■ neurologiques (convulsions, déficits, troubles cognitifs, sa posture ou cet enfant qui devient décisionnaire pour son
troubles de la conscience, troubles du comportement, etc.) ; parent malade.
■ dermatologiques (escarres, modification de la peau et des L'isolement est une véritable menace au long de la
phanères, etc.) ; maladie. Pour certains patients, bien insérés, on assiste
Pour chacun de ces symptômes invalidants, il faut cher- généralement à un resserrement des liens dans les pre-
cher les moyens pour permettre au patient de trouver un miers temps de la maladie, mais souvent ces liens se
équilibre confortable. Cela nécessite souvent de sortir des délitent avec le temps du fait d'une sorte d'usure, de
schémas de soin habituels (qui sont souvent orientés vers fatigue, de lassitude ou de peur de la part de l'entourage.
un objectif de guérison). L'évaluation repose sur l'interro- Pour d'autres, d'emblée très isolés, il va être très diffi-
gatoire, l'observation et l'examen clinique. Le confort ne cile de garder ou de tisser des liens du fait de la maladie.
peut être mesuré par des examens paracliniques : il s'agit L'adage : « Les malades font fuir les biens portants » pour-
avant tout d'un ressenti du patient, totalement subjectif par rait résumer ce constat. L'inverse est sûrement vrai aussi,
définition. Kafka écrivait : « les biens portants font fuir les malades »
Les traitements visent à soulager les symptômes d'inconfort [3], façon d'énoncer que la maladie peut inciter certains
et à en réduire, si possible, la cause. Dans une balance béné- patients à s'exclure d'une société dans laquelle ils ne se
fice/risque, ils feront abstraction du traitement de l'étiologie si reconnaissent plus.
celui-ci devait produire trop d'inconfort pour le patient.
80 % des Français veulent mourir chez eux mais seul
un quart y arrive.
Souffrance psychique Margaux Baralon. La Croix, 10 juin 2015
Par-delà la souffrance physique, la confrontation à la mala- Les symptômes physiques et psychiques, que provoque la
die grave a bien sûr des répercussions psychiques : confronté maladie, entraînent souvent une diminution de l'autonomie
à des émotions en lien avec la perte (qui engendre la tris- du patient. Il se pose alors différentes questions :
tesse), ou la peur, le malade peut développer des réactions ■ quelles sont encore ses possibilités d'indépendance, de
psychiques pouvant aller du normal au pathologique : mouvement ?
■ de la peur à l'anxiété, l'angoisse, voire l'effroi ; ■ pourrait-t-il encore rester à son domicile ?
■ de la tristesse à la dépression, voire la mélancolie. ■ de quelles aides aurait-il besoin ?
Faire un diagnostic précis quant à cette souffrance psy- ■ une institutionnalisation est-elle inévitable ?
chique est délicat. S'il est adapté d'être triste et d'avoir peur ■ qui entoure ce patient ?
face à la maladie grave accompagnée d'un pronostic incer- ■ y a-t-il des aidants naturels dans son entourage ? (et sont-
tain, il est inadapté (pathologique) d'avoir, par exemple tous ils si naturels ?) ;
les symptômes qui caractérisent une dépression (Manuel ■ les aidants sont-ils en mesure de prendre cette place
diagnostique des troubles mentaux [DSM-IV]). quand on sait qu'à domicile, un certain nombre de soins
L'évaluation de la détresse psychique est complexi- leur sont sous-traités (en particulier la surveillance et les
fiée par le fait que des symptômes physiques en lien changes en dehors du passage des soignants).
Chapitre 49. Douleur en soins palliatifs 325
La maladie provoque aussi des pertes de revenus, voire de un besoin inextinguible de trouver une explication rationnelle
nouvelles dépenses. L'arrêt maladie induit des rentrées d'argent aux événements auxquels il est confronté. Bien sûr les soi-
moindres, particulièrement chez les travailleurs indépendants. gnants n'ont pas de réponse évidente à ces questions : la mala-
Même si les prestataires sociaux ou assurances compensent en die, bien qu'on en connaisse parfois des facteurs de risque, se
partie ces pertes de revenus et prennent en charge financiè- déclare pour des raisons et à un moment imprévisibles. La
rement la majorité des soins, la maladie a un coût : certains mort est une inconnue que personne n'est revenue raconter...
médicaments ou dispositifs médicaux ne sont pas forcément Quand bien même le professionnel de santé serait en capacité
entièrement pris en charge. Il en va de même pour certaines de trouver pour lui-même des réponses de l'ordre de l'intime
aides humaines que le patient pourrait nécessiter à son domi- à ces différentes questions, que pourrait-il en transmettre à
cile et qu'il devra financer en partie. Qu'en est-il pour ceux ne autrui ? À défaut de pouvoir apporter des réponses au patient,
bénéficiant pas de prestations sociales ou d'assurances ? être disponible auprès de lui, le laisser formuler ses préoccu-
Le patient dans une situation palliative est donc confronté pations spirituelles, permet certainement aide et soutien.
à de nombreuses difficultés sociales qu'il va être nécessaire Certains systèmes de soin à travers le monde développent
d'appréhender. Les professionnels de santé sont peu aguerris des concepts de travailleurs spirituels. Ils pourraient accom-
à l'évaluation de ces problématiques. Dans un climat de sol- pagner le patient au long de la maladie. Il existe quelques
licitude envers la personne vulnérable qu'est le patient, alors publications et interventions sur le sujet. Il faudra du temps
que le système de soin tend, pour des raisons économiques, à pour en évaluer la valeur et la pertinence dans l'assistance
faire sortir le malade rapidement du lieu de soin, il est néces- apportée aux patients et à leur entourage.
saire d'apprendre à dépister les fêlures sociales. Cela permet-
tra d'éviter exclusion, paupérisation ou institutionnalisation Souffrances physique + psychique +
abusives. Un recours à une évaluation sociale de qualité est sociale + spirituelle = souffrance
primordial au long de la maladie grave afin de mettre en place
tous les supports sociaux dont la personne pourrait avoir existentielle ?
besoin : rencontre de bénévoles, prestations complémen- Lorsque le patient souffre dans son corps, dans son humeur,
taires, aménagement et organisation du domicile entre autres. dans sa relation à l'autre, à la société et/ou dans son âme,
il peut ne plus trouver de sens à sa vie. C'est ce que l'on
Souffrance spirituelle pourrait appeler la souffrance existentielle, celle qui fait
que certains patients souhaitent mourir ou tout au moins
« L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; ne plus vivre cette vie (ou survie) qui n'est que mal-être. La
mais c'est un roseau pensant. » [4] écrivait Blaise Pascal. souffrance existentielle est le terreau de la demande d'eutha-
Courbé par la maladie et son cortège de souffrances phy- nasie, de suicide assisté ou encore de sédation profonde et
siques, psychiques et sociales, l'être humain, défini par sa continue maintenue jusqu'au décès (seule entité que la loi
capacité à penser, est atteint dans sa spiritualité. Sa patho- française autorise à ce jour).
logie, lui faisant perdre son fantasme d'immortalité, le Il n'est pas question ici de militer pour ou contre la légi-
confronte à sa finitude et sa fragilité. On assiste souvent, timation ou la légalisation d'un de ces dispositifs. Il s'agit
lors de situations palliatives, à des remises en question spi- surtout de proposer une réflexion autour de cette souffrance
rituelles importantes de la part des patients. Ils vont alors existentielle. Elle existe et des demandes de mort sont for-
souvent se tourner vers leur foi et, parfois, solliciter les soi- mulées par certains patients lorsqu'ils la subissent. La pre-
gnants en évoquant leurs réflexions ou questionnements. mière étape de la réflexion du soignant, à qui cette demande
Chaque religion propose une doctrine susceptible d'aider est adressée, doit reposer sur une analyse méticuleuse des
ses fidèles à trouver des réponses, un soutien ou un espoir souffrances que le patient subit et qui l'amènent à ne plus
face à l'inconnu de la maladie et de la mort. Dans ce cha- avoir envie de vivre. Il existe souvent des moyens pour, si
pitre, nous n'aborderons pas les questions d'ordre théo- ce n'est les abolir, au moins les atténuer. Il serait dommage
logique entourant la question de la maladie ou de la mort que le patient n'ait pu en bénéficier, le poussant dans cet
qui relèvent d'autres disciplines que de la médecine. En extrême. Ces moyens reposent sur une évaluation des dif-
pratique, il est utile de repérer au chevet du patient les élé- férents signes et symptômes d'inconfort ressentis par le
ments permettant d'orienter vers une pratique religieuse et patient et sur les traitements et soutiens qui peuvent lui être
de proposer l'intervention d'un représentant de son culte. Il proposés. Cela nécessite d'avoir des professionnels de santé
n'est bien sûr pas question de l'imposer ou de le solliciter formés et entraînés à cela, ce qui n'est pas le cas.
sans demander au préalable l'accord du malade. On peut
rappeler l'importance pour le professionnel de santé de ne
pas se substituer aux aumôniers des différents cultes pour Souffrance réfractaire
éviter la confusion des rôles. Cela lui permettra de préser- Parfois, malgré tous les moyens employés, rien ne peut
ver sa posture de soignant. Que comprendrait le patient s'il soulager le patient : sa souffrance sera alors qualifiée de
était confronté à un discours schizophrénique du soignant réfractaire.
mélangeant données scientifiques et interventions divines ? Si le patient en fait la demande, et sous réserve de cer-
En dehors des sollicitations d'ordre religieux, les soignants taines conditions qu'il devra remplir (maladie incurable,
sont régulièrement interpellés par les patients quant à leurs pronostic engagé à court terme, décision d'arrêt de traite-
interrogations sur le sens de la maladie, le sens de leur vie ou ment, souffrance réfractaire présente ou induite par un arrêt
encore sur ce qu'est la mort. Ces patients aimeraient trouver de traitement) et de la validation par une procédure collé-
des réponses : l'être de pensée, qu'ils persistent à être, garde giale, il pourra être rendu inconscient, ses traitements de
326 Partie 5. Douleur selon le contexte
maintien en vie arrêtés (y compris alimentation et nutrition) protègent les soignants en définissant un périmètre d'action
jusqu'à son décès. Il s'agit alors d'une sédation profonde et précis. Elles les autorisent, par exemple, à prendre certains
continue maintenue jusqu'au décès. risques pour mieux soulager la douleur (ou tout autre symp-
Ce dispositif peut répondre à une souffrance existen- tôme) d'un malade dans certaines conditions.
tielle réfractaire. Il n'est pas toujours souhaité par le patient,
même si bon nombre vont l'évoquer de façon anticipée Historique de la loi
pour se garantir qu'ils auront cette solution si la situation
leur devenait insupportable. Pensée comme un geste médi- En France, jusqu'à la fin des années 1990, il n'existait pas de
cal réalisé dans l'intention de soulager le patient et non pas législation concernant la fin de vie. La loi définissait la mort
pour donner la mort, cette sédation est lourde de sens et de (par arrêt cardiocirculatoire et encéphalique). Caricatura-
conséquences : le patient qui était conscient ne pourra plus lement, elle incitait le praticien, dans une pensée médicale
interagir jusqu'à son décès. Il faudra veiller à être sûr que toute puissante, à utiliser tous les moyens à disposition pour
cette sédation, si elle doit être engagée réponde bien à une que le patient survive. En plus d'être toute puissante, la pen-
souffrance réfractaire et non pas à une souffrance insuffi- sée médicale était aussi paternaliste : le patient n'avait pas ou
samment prise en charge. peu son mot à dire quant aux choix thérapeutiques, le méde-
cin décidant en « bon père de famille 4» ce qu'il considérait
être le mieux en termes de soins ou d'actions à réaliser. Il
En résumé, pour tenter de soulager une devait tout faire pour arriver à convaincre (contraindre) le
douleur (totale) en soins palliatifs patient à les accepter. Et celui-ci devait s'y soumettre. La
Nous avons vu que la douleur totale à laquelle est confronté souffrance que le malade pouvait endurer ou qui était pro-
le patient en soins palliatifs est une entité complexe. Pluri- voquée par les soins n'était pas au premier plan des priorités
factorielle, elle concerne des champs tant médicaux que psy- médicales. Limiter ou arrêter un traitement était alors consi-
chosociaux et spirituels. déré pénalement comme un homicide. Il en allait de même
La conduite à tenir face à cette souffrance globale consiste si un patient venait à décéder du fait de traitements mis en
à réaliser, dans un premier temps, une évaluation rigou- place pour le soulager.
reuse de la situation du patient : essayer de comprendre Bien sûr, les professionnels de santé savaient s'arrêter
ce qui peut le gêner, ses tourments et ses aspirations. Il ne lorsque les soins invasifs qu'ils pouvaient mettre en place
faudra pas hésiter à solliciter différents corps de métiers : ou prolonger n'apportaient plus qu'inconfort et ne permet-
psychiatres, psychologues, stomathérapeutes, diététiciens, taient qu'une survie sans vrai bénéfice pour les patients. De
ergothérapeutes, kinésithérapeutes, assistants sociaux, etc. leur propre chef, ils arrêtaient les traitements sans pouvoir
Ensuite, en s'appuyant sur les informations recueillies, une l'assumer ouvertement. Clandestines, ces décisions et leur
réflexion sur les avantages et inconvénients des différentes mise en pratique s'appuyaient sur leur propre subjectivité, ce
alternatives thérapeutiques possibles permettra d'aboutir à qui présentait un certain risque de dérive.
la définition d'un projet de soin le mieux adapté possible à À cette même époque, les médecins, confrontés aux souf-
ses besoins, attentes, désirs et envies. frances des mourants et se sentant impuissants à les soulager
Cette démarche d'évaluation et de proposition ne peut dans ces moments ultimes, ont imaginé une « potion » per-
s'appuyer que sur une logique d'interdisciplinarité : chaque mettant d'adoucir leurs fins de vie. Il s'agissait du fameux
professionnel, dans son domaine de compétence spécifique, Dolosal®, Largactil®, Phénergan® (DLP). Cette association
contribuera à l'évaluation la plus juste possible de ce que vit d'un opioïde, d'un neuroleptique et d'un barbiturique était
le patient. La mise en commun des informations collectées fortement sédative et permettait une mort plus apaisée. Insi-
et la discussion entre ces différents professionnels concer- dieusement, cette prescription s'est transformée en cocktail
nant la pertinence de chacun des actes envisageables aidera lytique, voué, lors de son utilisation, à accélérer la survenue
à définir au mieux les moyens à proposer au malade pour le du décès, sans que cela soit clairement évoqué. La clandesti-
soulager. Ce travail interdisciplinaire potentialise les exper- nité, là encore, régnait.
tises individuelles : chaque professionnel va enrichir et com- Une première loi relative à la fin de vie [5] a été votée
pléter la compétence de l'autre afin d'améliorer la prise en en 1999. Son texte en fait avant tout une loi d'intention : il
charge du patient. Cela permet également une valorisation introduit dans l'arsenal juridique français le droit pour tout
du travail de chacun et la diminution du risque d'épuise- patient dont l'état le requiert d'avoir accès à des soins pallia-
ment des soignants. tifs. Les soins palliatifs, qui jusqu'alors pouvaient être consi-
dérés comme accessoires et dépendaient de la motivation ou
de la bonne volonté des soignants, deviennent un impératif
Aspect déontologique dans la prise en charge du patient en fin de vie. Cette loi
va permettre de structurer l'organisation de cette discipline,
Pour les soignants, le « cadre déontologique » est souvent de faire rentrer leur enseignement dans le cursus de forma-
mal connu, voire pensé comme rébarbatif ou coercitif. tion des différents professionnels de santé et de définir clai-
Pourtant, les différentes lois promulguées concernant les rement le rôle des bénévoles d'accompagnement. Une des
soins palliatifs et la prise en charge de la douleur sont une conséquences de cette loi est la création ou le renforcement
aide précieuse pour les professionnels de santé. En première d'équipes, d'unités hospitalières et de réseaux ambulatoires
lecture, elles semblent contraindre les soignants en impo- de soins palliatifs, du fait de leur obligation devenue régle-
sant une obligation de moyen (pour soulager la souffrance
du patient). En y regardant de plus près, elles guident et 4
Code de déontologie médicale de 1947.
Chapitre 49. Douleur en soins palliatifs 327
mentaire dans les différents schémas régionaux de soin. La ■ une hiérarchisation dans le recueil des volontés du
« carotte » de l'accréditation (appelée aujourd'hui certifica- patient : les directives anticipées écrites sont prioritaires
tion) a ainsi incité un certain nombre d'institutions à la créa- sur le témoignage de la personne de confiance, ce témoi-
tion de telles structures. gnage étant lui-même prioritaire sur celui de la famille et
Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, fait voter des proches du patient ;
en 2002 une nouvelle loi [6] connue sous son nom, qui va ■ l'application de la théorie du « double effet [9] » dans le
modifier les fondements de la relation médecin-malade. soulagement de la souffrance.
En s'appuyant sur un principe d'autonomie, elle introduit Du fait d'un débat de société régulièrement relancé
la notion de consentement éclairé. Le médecin se voit désor- par d'autres affaires médiatisées (Chantal Sébire, Vincent
mais dans l'obligation d'informer le patient sur son état de Lambert, Docteur Bonnemaison, Marwa, etc.) et du fait
santé, sur l'évolution de sa pathologie et sur les avantages et d'un lobbying d'associations ou mouvements politiques
inconvénients des explorations et traitements qu'il peut lui souhaitant soit une légalisation de l'euthanasie ou du sui-
proposer. Le malade peut, une fois cette information loyale cide assisté, soit un retour en arrière sur les possibilités de
reçue, accepter ou non les soins qui lui sont préconisés. limitation ou d'arrêt de traitement, la loi a été remaniée en
La notion de personne de confiance apparaît dans cette 2016 [10]. Les principales modifications apportées par cette
loi. Ayant pris acte que les proches du patient ne sont pas nouvelle loi sont :
toujours en mesure de transmettre ses volontés, le législa- ■ l'obligation de moyen concernant le soulagement de la
teur a permis au patient de désigner une personne qui sera douleur (nous y reviendrons) ;
en mesure de faire connaître ses souhaits s'il n'était pas en ■ la caractérisation de l'alimentation et de l'hydratation
mesure de s'exprimer. Cette personne de confiance n'a pas artificielles comme des traitements qui peuvent être arrê-
vocation à parler en son nom propre ou encore à décider à tés ou ne pas être entrepris ;
la place du patient. ■ le caractère opposable des directives anticipées que le
Lors des débats ayant abouti à la ratification de la loi, le médecin est obligé de respecter, sauf urgence ou si elles
pouvoir de la famille et des proches du patient dans la prise ne s'avéraient pas adaptées à la situation présentée par
de décision a été discuté par les parlementaires. Il a été retenu le patient (sous réserve que leur caractère inadapté soit
de ne pas donner à l'entourage du malade la possibilité de confirmé par la réalisation d'une procédure collégiale) ;
décider afin qu'il ne porte ni culpabilité, ni responsabilité. ■ la disparition de la durée de validité des directives anti-
Suite à la très médiatisée « affaire Vincent Humbert », cipées (valables jusque-là trois ans) et de la désignation
jeune homme tétraplégique qui avait, dans une lettre adres- d'une personne de confiance (qui jusqu'alors n'était dési-
sée au président de la République, demandé à ce qu'on lui gnée que pour la durée d'une hospitalisation ou d'une
donne la mort, Jacques Chirac, constatant le vide juridique maladie) ;
entourant la fin de vie, a mandaté Jean Léonetti pour mettre ■ la possibilité de réaliser une sédation profonde et conti-
en place une commission de réflexion sur la fin de vie. Les nue maintenue jusqu'au décès à la demande du patient
propositions présentées dans le rapport de cette commission (déjà évoquée plus tôt dans ce chapitre).
vont être adoptées en 2005 à l'unanimité des deux chambres
et devenir ce qui est couramment appelé la « loi Léonetti » Éléments déontologiques à retenir
[7]. Cette loi introduit dans le droit français le principe du
« laisser mourir » : le praticien n'est plus obligé de tout faire concernant la prise en charge
pour maintenir le patient en vie lorsque sa situation est de la douleur en soins palliatifs
dépassée. Le préambule de la loi de 2016 affirme un droit à une fin de
Les principaux éléments introduits ou définis dans la loi vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible
sont alors : de la souffrance et insiste sur le fait que la souffrance doit
■ l'interdit de l'obstination déraisonnable qui consiste- être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte,
rait en des soins inutiles, disproportionnés ou n'ayant évaluée et traitée. La loi confirme ainsi une obligation de
comme effet que le seul maintien artificiel de la vie. La moyens pour aboutir à ce soulagement. Il s'agit bien d'une
loi ne pouvant déterminer dans chaque situation singu- obligation de moyens et non de résultat, le législateur ayant
lière où se situe la limite de l'obstination déraisonnable, bien conscience que la médecine du 100 % n'existe pas.
il sera nécessaire, pour chaque patient, de définir le seuil Assurer ce droit pour le patient à recevoir des traite-
à partir duquel le soin basculerait dans cette obstination ments et des soins visant à soulager la souffrance est un
déraisonnable [8] ; travail d'équipe. L'aide-soignante qui dépiste des allodynies
■ la possibilité pour le patient de refuser des traitements lors de la toilette ; l'infirmière, le kinésithérapeute et même
sous réserve qu'il dispose d'une information adaptée sur l'étudiant en médecine qui sont témoins ou évaluent les
les conséquences de son choix et d'un délai raisonnable douleurs ; ou encore le médecin qui évalue, prescrit ou réa-
pour réitérer sa décision, en toute connaissance de cause ; juste les traitements antalgiques : tous doivent être acteurs
■ les modalités de prise de décision pour le patient qui n'est de cette démarche de soulagement. Il s'agit, plus que d'une
pas en mesure de s'exprimer (procédure collégiale de responsabilité collective, d'un combat collectif. Beaucoup de
limitation ou d'arrêt de traitement) ; moyens simples peuvent permettre de soulager le patient,
■ les directives anticipées qui permettent au patient de encore faut-il faire une évaluation de qualité et avoir des
mettre par écrit ses volontés quant à d'éventuels arrêts ou connaissances thérapeutiques suffisantes : on évalue, traite
limitations de traitement ; et soigne bien que ce que l'on connaît.
328 Partie 5. Douleur selon le contexte
Il existe encore beaucoup de peurs et de résistances quant Il n'existe pas de différence dans la prise en charge des
à la mise en place et l'ajustement des traitements à visée douleurs somatiques entre les patients en soins palliatifs
symptomatiques. Les soignants hésitent à mettre en place et les autres. Ils présentent les mêmes mécanismes dou-
ces traitements, perçus comme secondaires car non cura- loureux. Les règles d'évaluation, les démarches diagnos-
tifs, par crainte qu'ils n'accélèrent la survenue du décès. Ils tiques et thérapeutiques développées dans cet ouvrage
préfèrent encore trop souvent laisser souffrir le patient que s'appliquent aussi bien à ces patients. Il faudra envisa-
de prendre ce risque. C'est pourquoi la loi de 2005 instaure ger la réflexion menant au traitement en y incluant une
le principe du double effet dans la prise en charge de la vision globale du patient tenant compte de la spécificité
souffrance en fin de vie. Le praticien peut mettre en place de sa pathologie. Il sera utile d'anticiper tant que possible
des traitements à visée antalgique (et sédative) même s'ils l'évolution prévisible de ses douleurs dont on sait qu'elles
peuvent avoir comme effet d'abréger la vie dans le but de vont se modifier du fait de l'évolution de la maladie cau-
répondre à la souffrance réfractaire. Le malade doit bien sûr sale. Il faudra aussi garder en tête de parfois s'autoriser
être informé des risques encourus. Avant leur mise en place, des risques plus importants, s'il n'y a pas d'autre moyen de
le soignant doit se questionner sur : soulager le patient.
■ l'intention de sa prescription : met-il en place ce trai-
tement pour soulager ? Dans ce cas, il est dans son bon
droit. Si son intention est de faire mourir le patient, alors, Références
il ne doit pas le faire ; [1] Camus A. La Mort heureuse. Paris : Gallimard ; 1971.
■ la proportionnalité de sa prescription : pour soulager [2] OMS. Soins palliatifs, https : //www.who.int/cancer/palliative/fr/.
le patient, existe-t-il un traitement qui pourrait avoir le [3] Ogien R. Mes mille et une nuits. In : La maladie comme drame et
même effet de soulagement avec un risque moindre ? comme comédie. Albin Michel ; 2017.
alors, il devrait choisir cet autre traitement. [4] Pascal B. Pensées. Fragment 347. Édition de Brunschvicg.
On imagine bien que cet article de loi a été pensé en [5] Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux
partie au regard des risques de dépression respiratoire sous soins palliatifs. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidText
e=JORFTEXT000000212121.
opioïdes (pourtant si rares quand ils sont bien utilisés) ou
[6] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et
d'une sédation. Son champ d'application est bien plus vaste. à la qualité du système de santé. https://www.legifrance.gouv.fr/
Ainsi le professionnel de santé sera amené à envisager des affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015.
traitements reconnus comme pouvant soulager le patient [7] Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la
mais présentant des risques importants. On peut citer par fin de vie. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JO
exemples les corticoïdes qui peuvent majorer un risque RFTEXT000000446240&categorieLien=id.
infectieux mais aussi lever une occlusion sur carcinose [8] Mourman V. De l'obstination déraisonnable. Fins de vie, éthique et
péritonéale, ou encore la noramidopyrine risquant de pro- société. Coordonné par Emmanuel Hirsch. ERES 2016 ; 788–95.
voquer une agranulocytose mais antalgique puissant sur les [9] D'Aquin Th. Somme théologique (II-II, q.64, a.7). 1273.
douleurs de cette même occlusion, etc. [10] Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur
des malades et des personnes en fin de vie. https://www.legifrance.
gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031970253&categori
eLien=id.
Pour conclure
La médecine palliative vise la meilleure qualité de vie
possible pour le patient atteint d'une maladie grave. Une Bibliography
évaluation rigoureuse médicale, psychologique, sociale et Baines M. Le concept de douleur globale, in Saunders, Dame Cicely. Soins
spirituelle est nécessaire pour proposer un projet de soin palliatifs, une approche pluridisciplinaire, sous la dir. de Cicely Saun-
adapté aux besoins du patient et de son entourage. La légis- ders. Paris, Éditions Lamarre « infirmière, société et avenir », 1994.
lation, mal connue, peu appliquée, est d'une grande utilité
dans la pratique palliative.
Chapitre
50
Douleurs des grands
syndromes neurologiques
PLAN DU CHAPITRE
50.1 Maladie de Parkinson . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329 50.2 Douleurs de la sclérose en plaques . . . . . . . 333
Ce qu'il faut comprendre de la douleur Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . 333
dans la maladie de Parkinson . . . . . . . . . . . . . 329 Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333
Principales formes cliniques de la douleur. . . . 330 Traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334
Traitements de la douleur dans la maladie
de Parkinson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
de Parkinson
même, en particulier chez les patients fluctuant lors de
blocages ou de dyskinésies ;
■ les douleurs neuropathiques centrales ayant les carac-
Romain Lefaucheur téristiques habituelles des douleurs neuropathiques,
à savoir des brûlures, des dysesthésies. Elles sont
parfois difficiles à identifier et leur topographie peut
Ce qu'il faut comprendre suivre ou non un trajet radiculaire ou tronculaire,
de la douleur dans la maladie le plus souvent sur l'hémicorps le plus atteint par la
maladie ;
de Parkinson ■ les douleurs en lien avec une akathisie, se caractérisant
La maladie de Parkinson a longtemps été décrite comme une par une difficulté à rester immobile et un besoin irrésis-
maladie affectant principalement la motricité et se caracté- tible et douloureux de bouger.
risant par la triade clinique associant tremblement de repos, Une autre classification de la douleur, plus physiopa-
akinésie et rigidité. De manière plus récente, les cliniciens thologique, peut également être utilisée et distingue deux
se sont intéressés aux autres signes cliniques non moteurs grands types de douleurs :
de cette maladie. Ainsi, des symptômes cognitivo-compor- ■ les douleurs de mécanisme périphérique pour lesquelles
tementaux, des troubles dysautonomiques, des troubles du les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson
sommeil et la douleur ont été plus largement étudiés. sont directement à l'origine des phénomènes doulou-
La douleur est présente à tous les stades de la maladie reux et sont la conséquence d'un excès de nociception.
de Parkinson, parfois même avant le diagnostic, et sa prise Ces douleurs de mécanisme périphérique regroupent
en charge est particulièrement difficile, dans la mesure où ainsi les douleurs musculosquelettiques, dystoniques et
les étiologies de ces douleurs peuvent êtres multiples et radiculaires ;
intriquées. ■ les douleurs de mécanisme central liées à un dysfonction-
La douleur est très fréquente chez les patients parkin- nement des mécanismes de transmission et d'intégration
soniens, pouvant atteindre jusqu'à deux tiers des patients de la nociception secondaire aux lésions des noyaux gris
selon les études. Ces douleurs peuvent être classifiées selon centraux de la maladie de Parkinson. Ce sont les douleurs
plusieurs modalités. Une première classification clinique, neuropathiques centrales décrites un peu plus haut.
la plus couramment utilisée, permet de distinguer quatre Il existe plusieurs explications physiopathologiques
grands types de douleurs [1] : aux douleurs dans la maladie de Parkinson. Pour résu-
■ les douleurs musculosquelettiques (raideurs, crampes, mer, la dénervation des noyaux gris centraux, à savoir de
myalgies) pouvant atteindre les articulations, les régions la voie nigro-striatale dans la maladie de Parkinson, et le
périarticulaires et les os et être la conséquence de patho- déficit dopaminergique qu'elle engendre, entraîne une
logies rhumatologiques sous-jacentes ; modification centrale de la perception douloureuse [2].
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 329
330 Partie 5. Douleur selon le contexte
Ainsi, plusieurs études ont démontré que les seuils noci- Autres formes de douleurs
ceptifs étaient diminués chez les patients parkinsoniens et En début de maladie, certains patients peuvent décrire des
que l'administration de lévodopa modifiait ces seuils en douleurs à type de paresthésies, de sensations de chaleur, de
les é levant, voire parfois en les normalisant. Des études véritables douleurs d'allure neuropathique. Chez les patients
d'imagerie fonctionnelle ont ainsi montré qu'il existait une débutant une maladie précocement avant 40 ans, il existe
hyperactivation de plusieurs aires cérébrales impliquées parfois des phénomènes dystoniques douloureux, affectant
dans la nociception chez des patients parkinsoniens non préférentiellement le membre inférieur en distalité, et pouvant
douloureux et que la lévodopa diminuait cette hyperacti- être responsables de douleurs à type de crampes ou de tension
vation dans ces mêmes aires [3]. Enfin, d'autres systèmes musculaire.
de neurotransmetteurs, à l'instar des systèmes noradréner-
giques, sérotoninergiques et opioïdes, altérés dans la maladie
de Parkinson, sont également impliqués dans la perception Douleurs au stade des fluctuations
douloureuse anormale des patients parkinsoniens. La maladie de Parkinson suit une évolution en plusieurs
stades. Ainsi, une fois le diagnostic posé, l'introduction
d'un traitement antiparkinsonien dopaminergique (ago-
Principales formes cliniques nistes dopaminergiques et/ou lévodopa) permet une
de la douleur amélioration de symptômes moteurs de la maladie et les
patients présentent alors une période de « lune de miel »
Comme indiqué en introduction, la sémiologie et la pendant laquelle le traitement permet un contrôle « quasi
recherche de l'étiologie de la douleur dans la maladie de parfait » des symptômes moteurs. Au bout de trois à cinq
Parkinson sont parfois difficiles en pratique courante. Il ans, la moitié des patients évolueront vers le stade des
convient donc de rester systématique et de ne pas retenir trop fluctuations motrices de la maladie, où les symptômes
rapidement la maladie de Parkinson comme responsable moteurs redeviennent invalidants, obligeant à une majo-
des douleurs présentées par les patients. Par exemple, une ration et/ou une fragmentation du traitement dopami-
douleur du membre inférieur chez un patient parkinsonien nergique. Les patients présentent alors des symptômes
fluctuant ne doit pas faire méconnaître une douleur en lien à type de fluctuations motrices de début et fin de dose
avec un phénomène arthrosique, une tendinopathie, une (autrement appelées périodes off) pendant lesquelles le
épine calcanéenne, etc. Il ne faut donc pas hésiter à recou- syndrome parkinsonien devient plus sévère ; ou des dys-
rir à des examens complémentaires avant de conclure trop kinésies de milieu de dose, sous forme de mouvements
rapidement à une douleur purement « parkinsonienne ». choréiques, lorsque les patient ne sont plus « bloqués »
Selon le stade de la maladie, nous pouvons décrire plu- (périodes on).
sieurs syndromes douloureux classiquement rencontrés À ce stade, les douleurs sont souvent en lien avec ces
dans la maladie de Parkinson. périodes de fluctuations motrices lors des périodes off.
Néanmoins, certaines fluctuations douloureuses peuvent
Douleurs en début de maladie parfois aussi être indépendantes des fluctuations motrices.
Un syndrome douloureux peut être inaugural de la maladie de Par-
kinson dans 10 à 20 % des cas, voire précéder les premiers signes Douleurs et mouvements anormaux
moteurs de la maladie de plusieurs mois, et même des années. L'apparition de fluctuations motrices dans la maladie
de Parkinson se traduit souvent sémiologiquement par
Douleur d'épaule pseudo-rhumatismale l'apparition de mouvements anormaux. Ces mouvements
anormaux sont pourvoyeurs de douleurs. Ainsi, des dou-
Il s'agit d'une douleur unilatérale de l'épaule, d'allure méca- leurs apparaissent lors de manifestations dystoniques qui
nique. Cliniquement, le tableau peut faire évoquer une cap- surviennent plutôt en début et fin de dose (c'est-à-dire
sulite rétractile et résiste aux antalgiques usuellement utilisés rapidement au décours d'une prise de traitement antipar-
dans une telle pathologie. Le syndrome parkinsonien, sou- kinsonien ou peu de temps avant de le reprendre), ou le
vent de forme akinéto-hypertonique latéralisée du côté de matin au réveil, au cours de la nuit, ou lors de périodes
l'épaule douloureuse, peut apparaître de manière concomi- off imprévisibles. Ces manifestations dystoniques se mani-
tante ou dans un délai d'un à deux ans [4]. Ce syndrome festent sous forme de torsions douloureuses des orteils et
douloureux est sensible au traitement antiparkinsonien du pied, plus rarement de la main, de la région cervicale
dopaminergique. Le diagnostic différentiel est celui d'autres ou du tronc. Classiquement, il existe une extension dou-
affections rhumatologiques, en particulier si les douleurs loureuse du premier orteil, une flexion des autres orteils,
sont bilatérales ou s'il existe un syndrome inflammatoire et, parfois, un pied en varus équin [5]. L'adaptation du
traitement dopaminergique permet souvent de soulager
Douleurs du rachis lombaire ou cervical les douleurs. Le recours à de l'apomorphine sous forme
Ces douleurs sont liées à des contractures musculaires paraver- d'injections sous-cutanées, de lévodopa sous forme dis-
tébrales. La mobilisation du rachis est indolore. Le traitement persible, ou à des injections de toxine botulique dans les
dopaminergique permet une amélioration de ces douleurs, qui ne muscles impliqués permettent de soulager les postures
doivent pas, par ailleurs, faire méconnaître une arthrose ou une dystoniques ainsi que les douleurs. La stimulation céré-
ostéoporose, pathologies atteignant de manière plus fréquente les brale profonde est également très efficace sur cette symp-
patients parkinsoniens comparativement à la population générale. tomatologie douloureuse.
Chapitre 50. Douleurs des grands syndromes neurologiques 331
A contrario, lorsque les patients sont en « on », ils peuvent L'ostéoporose et les pathologies musculosquelettiques
présenter des mouvements anormaux involontaires sous sont plus fréquentes chez les patients parkinsoniens que dans
forme de mouvements choréiques, également appelés dys- la population générale. Des douleurs articulaires peuvent
kinésies de pic de dose, affectant préférentiellement le côté ainsi être majorées par l'intensité et la sévérité du syndrome
où le syndrome parkinsonien est le plus sévère, mais aussi akinéto-rigide et, par conséquent, la moindre mobilisation
la région cervicale et le tronc. Les patients sont souvent de l'articulation atteinte. L'adaptation du traitement antipar-
partiellement anosognosiques de ces mouvements qui sont kinsonien, le recours aux antalgiques et à la kinésithérapie
généralement moins pourvoyeurs de douleurs, sauf lorsque peuvent alors permettre un soulagement de la douleur.
ces mouvements anormaux sont très intenses. En cas de
douleurs lors de dyskinésies de pic, la fragmentation du
traitement dopaminergique, l'instauration d'amantadine et Douleurs au stade de déclin
la stimulation cérébrale profonde sont des thérapeutiques À ce stade tardif de la maladie apparaissent des signes moteurs
efficaces. axiaux et des signes non moteurs de la maladie peu, voire non
sensibles au traitement dopaminergique classique. Ces signes
Douleurs et fluctuations associent une dysarthrie, des troubles de la déglutition, une
Les manifestations douloureuses peuvent être très poly- instabilité posturale, des troubles vésico-sphinctériens et des
morphes chez les patients parkinsoniens fluctuants. Ainsi, troubles cognitifs. À ce stade, les douleurs sont le plus souvent
des douleurs neuropathiques à type d'engourdissement, conséquentes des déformations articulaires et rachidiennes.
d'étau, de chaleur, de douleurs lancinantes sont décrites Ainsi, des postures dystoniques fixées au niveau des pieds
par les patients et peuvent affecter l'hémicorps le plus sévè- peuvent apparaître avec un pied en varus équin et des orteils en
rement touché par la maladie. Néanmoins, ces douleurs griffe. Des déformations au niveau des mains et poignets sont
peuvent être plus diffuses et n'évoluent pas forcément au également observables. Au niveau rachidien, des déformations
même rythme que les fluctuations motrices de la mala- peuvent apparaître avec des tableaux de cyphose dorsale, de
die [6]. Enfin, ces manifestations douloureuses peuvent déséquilibre lombaire dans le sens coronal autrement appelé
s'exprimer parfois de manière inattendue. Les patients « syndrome de la tour de Pise » ou une antéfléxion majeure
décrivent des douleurs abdominales intenses, rythmées ou du tronc dénommée camptocormie. L'ensemble de ces défor-
non par les prises médicamenteuses, des sensations d'op- mations sont sources de douleurs articulaires et musculos-
pression thoracique avec dyspnée, et même des douleurs quelettiques qu'il conviendra de traiter avec les antalgiques
génitales [7]. Ces fluctuations non motrices douloureuses habituellement utilisés dans ces indications. Néanmoins, des
sont parfois accompagnées de signes dysautonomiques précautions sont à prendre chez ces patients fragiles sur le plan
(sueurs, flushs) et peuvent mimer des douleurs viscé- cognitif et chez qui des antalgiques de pallier 2 ou 3 pourraient
rales. Il n'existe pas de recommandations spécifiques pour décompenser une fragilité cognitive avec l'apparition d'une
la prise en charge thérapeutique de ces fluctuations non confusion, d'une agitation ou d'hallucinations.
motrices douloureuses. L'ajustement du traitement dopa-
minergique est souvent réalisé mais d'efficacité incons-
tante. Le recours à des traitements symptomatiques tels Traitements de la douleur
que les tricycliques (amitriptyline), des antiépileptiques dans la maladie de Parkinson
(gabapentine, prégabaline) est parfois intéressant. La sti-
mulation cérébrale profonde semble en revanche une alter- Traitement médicamenteux
native thérapeutique très efficace sur les fluctuations non Comme vous avez pu le lire ci-dessus, l'optimisation du
motrices douloureuses. traitement dopaminergique antiparkinsonien est un élé-
ment fondamental pour soulager, tout du moins partielle-
Autres douleurs ment, les douleurs dans la maladie de Parkinson. Certains
aspects ont été traités dans les chapitres précédents.
Certains patients au stade des fluctuations souffrent d'aka-
Le traitement antiparkinsonien per os comprend essen-
thisie, qui correspond à un besoin permanent et désagréable
tiellement deux grands types de molécules.
de se mobiliser sans cesse. Ces symptômes sont proches
de ceux du syndrome des jambes sans repos qui affecte de
manière significativement plus élevée les patients parkin- Agonistes dopaminergiques (Réquip®, Sifrol®,
soniens traités comparativement à la population générale Neupro®, Trivastal®)
et aux patients parkinsoniens de novo naïfs de traitement. Disponibles sous forme LP pour le Réquip® et le Sifrol®, et
Le syndrome des jambes sans repos se caractérise par un sous forme de patch pour le Neupro®, ces traitements sont
besoin irrépressible de mobiliser les membres inferieurs utilisés chez les patients parkinsoniens pour contrôler les
en réponse à des paresthésies parfois douloureuses de ces symptômes moteurs. Ils permettent de retarder la survenue
mêmes membres ; ces symptômes survenant en décubitus de fluctuations motrices et sont utilisés classiquement chez les
ou en position assise prolongée. Ces sensations doulou- patients de moins de 70 ans. Ils sont particulièrement efficaces
reuses sont soulagées à l'orthostatisme et à la marche. Ces sur les symptômes du syndrome des jambes sans repos lorsque
symptômes sont pourvoyeurs d'insomnie. Les agonistes ceux-ci sont présents. L'ajustement de leur posologie peut per-
dopaminergiques permettent de bien soulager les patients. mettre de réduire les fluctuations motrices et non motrices de
L'ajout de lévodopa ou l'utilisation de prégabaline peuvent la maladie, et ainsi indirectement diminuer l'intensité des dou-
également être efficaces [8]. leurs chez le patient parkinsonien lorsque celles-ci sont en lien
332 Partie 5. Douleur selon le contexte
avec les fluctuations. Leurs principaux effets indésirables sont Traitements de seconde ligne
la constipation, les œdèmes des membres inférieurs, les nau- Chez les patients présentant des fluctuations persis-
sées, des hallucinations, l'hypotension artérielle, mais surtout tantes malgré un traitement médicamenteux optimal,
l'apparition de troubles du contrôle des impulsions se tradui- il est possible de proposer des traitements dits de « sti-
sant par des achats inconsidérés, des jeux pathologiques, des mulation dopaminergique continue ». Ainsi, la mise
troubles du comportement alimentaire et une hypersexualité. en place d'une pompe à apomorphine en sous-cutané
La diminution de la posologie, voire l'arrêt de ces traitements ou d'une pompe à Duodopa ® (lévovopa sous forme
permettent la disparition de ces effets indésirables. liquide), par l'intermédiaire d'une sonde de jéjunosto-
Parmi les agonistes dopaminergiques, l'apomorphine mie, permet de délivrer un traitement en continu et,
(Apokinon®) occupe une place à part. Cette molécule est un par conséquent, de diminuer drastiquement les fluctua-
agoniste dopaminergique utilisable uniquement en injec- tions de la maladie. Les études ont ainsi démontré une
tions sous-cutanée. Son utilisation sous forme de stylo injec- amélioration significative de la qualité de vie chez ces
table permet de lever rapidement les fluctuations motrices, patients, améliorations constatées aussi pour les items
et s'avère particulièrement utile pour les dystonies du petit concernant les douleurs.
matin, souvent douloureuses, ou les blocages imprévisibles. La stimulation cérébrale profonde des noyaux sous-
Les effets indésirables sont les mêmes que ceux des ago- thalamiques permet aussi de diminuer drastiquement les
nistes per os. L'apomorphine peut également être utilisée fluctuations de la maladie. La douleur a été particulièrement
sous forme de pompe sous-cutanée (cf. chapitre suivant). étudiée chez les patients opérés. Ainsi, certaines études ont
montré une amélioration des douleurs en lien avec les fluc-
Lévodopa (Modopar®, Sinemet®) tuations non motrices de l'ordre de 84 % comparativement
C'est le traitement le plus efficace sur les symptômes moteurs aux scores préopératoires [10]. La stimulation cérébrale
de la maladie de Parkinson. Il a été démontré qu'elle diminuait profonde est aussi particulièrement efficace sur l'amélio-
le seuil nociceptif chez les patients parkinsoniens. La lévodopa ration des dystonies, souvent source de douleurs [11]. En
est efficace sur les douleurs de l'épaule du patient parkinsonien revanche, d'autres études ont montré que certaines dou-
de novo, comme sur les douleurs en lien avec les fluctuations leurs d'ordre rhumatologique, en particulier arthrosiques,
chez les patients plus avancés dans la maladie. Les principaux pouvaient apparaître après l'intervention ou se manifester à
effets indésirables sont l'hypotension artérielle, la somnolence, nouveau [12].
les nausées (à l'introduction essentiellement). L'ajustement des
posologies ou le fractionnement des prises de lévodopa per- Traitements non médicamenteux
mettent d'améliorer les douleurs chez les patients fluctuants. Il
existe des formes dispersibles (Modopar® dispersible) permet- Une prise en charge en kinésithérapie est indispensable chez
tant, à l'image du stylo d'apomorphine, de lever rapidement les patients parkinsoniens. Les douleurs ostéoarticulaires
les dystonies douloureuses ou les fluctuations imprévisibles peuvent être prises en charge lors de séances spécifiques.
douloureuses. Les formes LP de lévodopa, en revanche, se L'efficacité de l'hypnose ou de la sophrologie reste à déter-
révèlent décevantes pour maîtriser les fluctuations de la mala- miner dans la prise en charge des patients parkinsoniens.
die. L'ajout d'un inhibiteur de la catéchol-O-méthyltransfé-
rase (COMT) (Comtan®, Stalévo®, Tasmar®) à chaque prise Conclusion
de lévodopa chez un patient fluctuant réduit les fluctuations
motrices de la maladie et peut ainsi permettre une diminution La prise en charge de la douleur dans la maladie de Par-
des douleurs en lien avec les fluctuations. kinson est complexe. Les douleurs varient et changent avec
Les douleurs neuropathiques de la maladie de Parkinson l'évolution de la maladie. L'optimisation du traitement
sont parfois difficiles à contrôler. La gabapentine (Neuron- antiparkinsonien est primordiale pour le contrôle de ces
tin®), la prégabaline (Lyrica®), l'amitriptyline (Laroxyl®) douleurs. Les traitements de seconde intention, lorsqu'ils
sont ainsi souvent utilisés, sans que des études spécifiques sont applicables, sont efficaces sur la prise en charge de la
chez des patients parkinsoniens douloureux n'aient été douleur.
menées. En revanche, l'administration de duloxétine (Cym-
balta®) permettrait de diminuer significativement les scores
cliniques de douleur chez les patients parkinsoniens [9]. Références
Les antalgiques de paliers 1, 2, voire 3, peuvent être uti- [1] Ford B. Pain in Parkinson's disease. Clin Neurosci 1998 ; 5 : 63–72.
lisés dans la prise en charge des douleurs chez les parkinso- [2] Chudler EH, Dong WK. The role of the basal ganglia in nociception
niens. Les indications sont les mêmes que dans la population and pain. Pain 1995 ; 60 : 3–38.
générale. Il faut toutefois veiller aux effets indésirables, en [3] Brefel-Courbon C, Payoux P, Thalamas C, Ory F, Quelven I, Chollet F,
particulier chez les patients fragiles sur le plan cognitif, avec et al. Effect of levodopa on pain threshold in Parkinson's disease : a
la survenue d'hallucinations ou d'une confusion. clinical and positron emission tomography study. Mov Disord 2005 ;
20 : 1557–63.
La toxine botulique trouve sa place dans la prise en
[4] Riley D, Lang AE, Blair RD, Birnbaum A, Reid B. Frozen shoulder and
charge de phénomènes dystoniques douloureux, en particu- other shoulder disturbances in Parkinson's disease. J Neurol Neuro-
lier aux membres inférieurs. Des injections dans l'extenseur surg Psychiatry 1989 ; 52 : 63–6.
propre du 1er orteil, du fléchisseur commun des orteils, voire [5] Vidailhet M, Bonnet AM, Marconi R, Gouider-Khouja N, Agid Y. Do
du tibial postérieur, permettent de soulager les douleurs en parkinsonian symptoms and levodopa-induced dyskinesias start in
complément de l'ajustement du traitement dopaminergique. the foot ? Neurology 1994 ; 44 : 1613–6.
Chapitre 50. Douleurs des grands syndromes neurologiques 333
[6] Brun L, Lefaucheur R, Fetter D, Derrey S, Borden A, Wallon D, et al. gnostiques actuels, fondés sur l'IRM et l'analyse du liquide
Non-motor fluctuations in Parkinson's disease: prevalence, characte- cérébrospinal, permettent de poser le diagnostic dès le pre-
ristics and management in a large cohort of parkinsonian outpatients. mier événement clinique [2].
Clin Neurol Neurosurg 2014 ; 127 : 93–6.
Parmi les nombreux signes et symptômes en rapport avec
[7] Lefaucheur R, Berthelot L, Senant J, Borden A, Maltete D. Acute geni-
tal pain during non-motor fluctuations improved by apomorphine.
la SEP, la douleur est très fréquente, puisqu'elle concerne deux
Mov Disord 2013 ; 28 : 687–8. tiers des patients [3, 4]. Les douleurs les plus fréquentes sont
[8] Winkelmann J, Allen RP, Hogl B, Inoue Y, Oertel W, Salminen AV, les céphalées, principalement migraineuses, qui concernent
et al. Treatment of restless legs syndrome: Evidence-based review and plus de 40 % des patients. Viennent ensuite les douleurs neu-
implications for clinical practice (Revised 2017) (section sign). Mov ropathiques continues des extrémités, présentes chez environ
Disord 33 : 1077–91. 30 % des patients. Enfin, les douleurs musculosquelettiques
[9] Djaldetti R, Yust-Katz S, Kolianov V, Melamed E, Dabby R. The effect concernent un quart des patients et les douleurs neuropa-
of duloxetine on primary pain symptoms in Parkinson disease. Clin thiques paroxystiques (signe de Lhermitte ou névralgie du
Neuropharmacol 2007 ; 30 : 201–5. trijumeau) seront ressenties par plus de 15 % des patients à
[10] Witjas T, Kaphan E, Regis J, Jouve E, Chérif AA, Péragut JC, et al.
un moment ou l'autre de l'évolution de leur maladie.
Effects of chronic subthalamic stimulation on nonmotor fluctuations
in Parkinson's disease. Mov Disord 2007 ; 22 : 1729–34.
Il est également connu que ces différentes douleurs
[11] Derrey S, Lefaucheur R, Chastan N, Gérardin E, Hannequin D, Des- peuvent être présentes très précocement dans l'évolution de
bordes M, et al. Alleviation of off-period dystonia in Parkinson disease la SEP, voire conduire au diagnostic de la maladie inflam-
by a microlesion following subthalamic implantation. J Neurosurg matoire. Toutes ces douleurs peuvent être associées chez un
2010 ; 112 : 1263–6. même patient, compliquant leur prise en charge et aggra-
[12] Genty S, Derrey S, Pouplin S, Lefaucheur R, Chastan N, Gérardin vant leur impact négatif.
E, et al. Pain due to osteoarthritis may impair the early outcome of
deep brain stimulation in Parkinson's disease. Clin Neurol Neurosurg
2011 ; 113 : 864–7. Clinique de la douleur
Douleurs neuropathiques centrales
Continues
50.2 Douleurs Les douleurs neuropathiques centrales continues sont proba-
de la sclérose en plaques
blement liées à une déafférentation thalamique ou corticale
en rapport avec les multiples lésions qui peuvent survenir
sur l'ensemble de la voie sensitive spino-thalamo-corticale.
Xavier Moisset Néanmoins, cette condition est sans doute nécessaire mais
probablement pas suffisante. En effet, si la présence de lésions
sur cette voie expliquait entièrement ce type de douleur, la
POINTS ESSENTIELS prévalence de ce symptôme devrait augmenter avec la durée
Douleurs fréquentes et multiples (neuropathiques continues d'évolution de la maladie, en rapport avec la probabilité de
ou paroxystiques, musculosquelettiques, migraines). Bien lésion sur la voie, ce qui n'est pas le cas. Toutes les lésions
interroger et examiner le patient pour identifier les douleurs avec séquelles sensitives, notamment les lésions médullaires,
et proposer un traitement adapté (pas de traitement peuvent aboutir à ce type de douleurs et les membres infé-
spécifique hormis les cannabinoïdes pour la spasticité, non rieurs sont fréquemment concernés. Il existe fréquemment
disponibles actuellement). une hypoesthésie, qui peut être associée à une allodynie et
à d'autres caractéristiques neuropathiques. Le questionnaire
sur les douleurs neuropathiques (DN4) peut contribuer à leur
dépistage.
Ce qu'il faut comprendre
de la douleur Paroxystiques
La sclérose en plaques (SEP) est une maladie neurologique Les douleurs neuropathiques paroxystiques sont dues à la
caractérisée par une inflammation ainsi que des lésions genèse de décharges ectopiques à haute fréquence. La locali-
dégénératives du SNC. Il n'existe pas de lésion du système sation du problème se situe au niveau des afférences trigémi-
nerveux périphérique et toutes les douleurs attribuables à nales pour la névralgie du trijumeau et au niveau des colonnes
la SEP proviennent donc d'anomalies au niveau encépha- dorsales médullaires pour le phénomène de Lhermitte.
lique ou médullaire. La prévalence de la SEP en France La douleur de névralgie du trijumeau est décrite dans
est estimée à 100 000 [1]. Elle constitue la maladie chro- un chapitre spécifique. La survenue de ce type de douleurs
nique la plus fréquemment responsable d'un handicap paroxystiques à type de décharge électrique dans le territoire
chez l'adulte jeune. Elle est à l'origine d'une très grande trigéminal nécessite la réalisation d'une IRM à la recherche
variété de symptômes, qui dépendent de la localisation d'une lésion du tronc cérébral et conduit parfois au diagnostic
des lésions. Les manifestations les plus fréquentes com- de SEP. Il peut exister un fond douloureux permanent ou un
prennent les atteintes sensitives et motrices, les atteintes déficit sensitif inter-critique dans le territoire douloureux qui
visuelles (névrite optique notamment), les troubles de augmentent la probabilité d'une cause secondaire, bien que le
l'équilibre et de la coordination, les atteintes uro-génitales tableau clinique puisse être identique à celui d'une névralgie
et plus tardivement les troubles cognitifs. Les critères dia- essentielle.
334 Partie 5. Douleur selon le contexte
Douleurs en lien avec une névrite optique [2] Thompson AJ, Banwell BL, Barkhof F, Carroll WM, Coetzee T,
Comi G, et al. Diagnosis of multiple sclerosis : 2017 revisions of the
En cas de névrite optique, le traitement par bolus de corti- McDonald criteria. Lancet Neurol 2018 ; 17 : 162–73.
coïdes (en général 1 g de solumédrol par jour pendant trois [3] Foley PL, Vesterinen HM, Laird BJ, Sena ES, Colvin LA, Chandran S,
jours) permet d'agir rapidement sur la douleur. et al. Prevalence and natural history of pain in adults with multiple scle-
rosis : Systematic review and meta-analysis. Pain 2013 ; 154 : 632–42.
[4] Moisset X, Ouchchane L, Guy N, Bayle DJ, Dallel R, Clavelou P.
Migraine headaches and pain with neuropathic characteristics :
comorbid conditions in patients with multiple sclerosis. Pain 2013 ;
Références
154 : 2691–9.
[1] Foulon S, Maura G, Dalichampt M, Alla F, Debouverie M, Moreau T, [5] Finnerup NB, Attal N, Haroutounian S, McNicol E, Baron R,
et al. Prevalence and mortality of patients with multiple sclerosis in D workin RH, et al. Pharmacotherapy for neuropathic pain in
France in 2012 : a study based on French health insurance data. J Neu- adults : a systematic review and meta-analysis. Lancet Neurol
rol 2017 ; 264 : 1185–92. 2015 ; 14 : 162–73.
Chapitre
51
Structures douleur chronique
et orientation du patient
douloureux chronique
Claire Delorme
PLAN DU CHAPITRE
Un peu d'histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339 Pour quels patients ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341
Structures douleur : missions activité . . . . . . . 339
Ainsi, il existe une couverture géographique de notre Tous doivent être tracés dans le dossier et le patient
territoire. Pour une meilleure accessibilité, les centres et (qui a donné son autorisation) ainsi que le médecin sont
consultations (figure 51.1) sont incités à créer des consulta- informés des conclusions et propositions de soins décidées
tions dites « avancées » sur les territoires ruraux, permettant collégialement.
ainsi à chaque citoyen de bénéficier d'une prise en charge de Au vu de la complexité de certaines douleurs exigeant
proximité [3, 4]. des expertises très spécifiques et des discussions collégiales
Une compétence douleur, capacité ou DESC, quelle que pluridisciplinaires, de plus en plus de RCP (en visio-confé-
soit la spécialité d'origine, et un temps minimum de 50 % rence) se sont développées sur les plans régional et national.
sont exigés pour le médecin coordinateur. Sur le plan régional, il s'agit d'apporter l'expertise néces-
Les missions et les organisations sont communes à ces saire, de garantir une égalité de traitement des cas complexes
structures, à savoir un temps cumulé minimal en personnel et de répondre à certaines recommandations pour des prises
médical et non médical, sachant que chaque structure peut de décision (exemple : avant implantation de pompe intra-
faire appel à des compétences ou métiers complémentaires, thécale). Sur le plan national, il s'agit d'apporter une exper-
tel qu'assistant social par exemple, que cela soit en intra- ou tise rare dans des domaines très spécifiques tels que, par
extrahospitalier. exemple, les douleurs pelvipérinéales.
La traçabilité de tous les actes est exigée.
Les locaux doivent être regroupés.
Une permanence téléphonique est exigée du lundi au
Activité clinique des structures « douleur »
vendredi. Consultation externe
La structure doit faire du lien avec l'extérieur, en s'adap- La principale activité est une activité clinique de consulta-
tant au mieux aux nouvelles organisations sur le territoire. tion externe, les patients présentant une douleur chronique
Les centres d'évaluation et de traitement de la douleur (douleur évoluant depuis plus de trois à six mois) sont
réunissent des disciplines indispensables telles que l'anesthé- adressés obligatoirement par un médecin, qu'il soit spécia-
sie, la rhumatologie, la neurologie, la psychiatrie, la réédu- liste au généraliste.
cation physique et fonctionnelle, la gériatrie, l'addictologie,
la pharmacologie, etc. Certaines structures spécialisées en Équipe mobile douleur
oncologie font appel à d'autres expertises telles que notam- Les structures douleur peuvent être sollicitées par les autres
ment la radiothérapie, la radiologie interventionnelle, etc. services hospitaliers de leur établissement pour des patients
Un des points communs des structures douleur est éga- complexes nécessitant une expertise dans le domaine de
lement le temps de partage de dossiers, que cela soit en staff l'évaluation et/ou du traitement et, pour certaines, par les
ou en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) . centres hospitaliers de proximité.
Les staff sont le plus souvent hebdomadaires, il s'agit d'un
temps d'échanges entre les membres de l'équipe, les RCP
sont mensuels et dédiés à la discussion des cas cliniques les Lits d'hospitalisation
plus complexes. Les CETD et un grand nombre de consultations douleur
bénéficient de lits d'hospitalisation (hospitalisations de
jour [HDJ] de semaine [HDS] ou complètes), le plus sou-
vent programmés à des fin d'évaluation pour des patients
très complexes, de mise en place de traitements spécifiques
médicamenteux ou techniques : PCA, pompes intra-thécale
(IT), stimulation médullaire, stimulation cérébrale, etc. ou
sevrages médicamenteux.
Quel que soit le geste et/ou l'objectif de cette hospitali-
sation, celle-ci donnera toujours lieu à une réévaluation et
prise en charge pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle.
Activité institutionnelle
Les structures douleur, très impliquées dans la politique
institutionnelle de lutte contre la douleur, sont en général
porteuses de la dynamique du CLUD et interviennent lar-
gement dans les formations des professionnels (médecin,
interne, infirmière, paramédicaux).
Elles sont le lieu d'accueil de stagiaires, qu'ils soient dans
le domaine médical ou paramédical et, sur leur territoire de
santé, interviennent régulièrement auprès de la médecine
ambulatoire.
Les centres de la douleur ont également une activité
importante d'enseignement universitaire, de recherche.
Figure 51.1 Centres ou consultations sont tous rattachés à un Les structures s'investissent de plus en plus dans l'éduca-
centre hospitalier, qu'il soit privé ou public. tion thérapeutique du patient douloureux chronique.
Chapitre 51. Structures douleur chronique et orientation du patient douloureux chronique 341
En fonction de leur expertise, des besoins du territoire, ou forts) ; la prise en charge plurimodale et l'éducation
certaines développent des actions spécifiques sur des thé- thérapeutique offre toute la légitimité aux structures « dou-
matiques telles que la douleur de la personne âgée, ou dans leur » dans ce contexte (encadré 51.1).
le domaine du polyhandicap.
Comment adresser un patient
Pour quels patients ? dans une SDC ?
La majorité des SDC ne prend en charge des patients que sur
Si la douleur est l'affaire de tous les professionnels de santé,
demande médicale écrite qui devrait être la plus explicite pos-
quels qu'ils soient, les patients pris en charge répondent à
sible. Quel que soit le médecin adresseur, le médecin géné-
des critères d'éligibilité particuliers et la pratique et l'enquête
raliste doit toujours être informé, impliqué, ce d'autant qu'il
de la Société française d'étude et traitement de la douleur
est en capacité d'apporter des informations complémentaires
(SFETD) [5] de 2011 prouvent que la grande majorité des
nécessaires à la bonne compréhension du parcours du patient.
patients adressés le sont à bon escient.
De nombreux centres, outre le courrier médical, font
La HAS a publié en 2008 des recommandations sur l'iden-
remplir au patient, avant proposition de rendez-vous, un
tification de la douleur chronique et les critères cliniques
questionnaire portant sur des données administratives (âge,
d'orientation des patients, qui se résument à des patients
situation familiale, professionnelle), médicales (traitements
nécessitant des évaluations répétées complexes, des traite-
suivis, médecins déjà consultés, examens complémentaires)
ments médicamenteux difficiles à équilibrer, un syndrome
et sur la douleur et son retentissement (schéma de la dou-
douloureux chronique sévère.
leur ± échelles d'évaluation qualitatives).
Les structures douleur chronique s'avèrent également très
Ces renseignements, qui parfois semblent fastidieux, per-
utiles, voire nécessaires chez des patients présentant des dou-
mettent de mieux orienter le patient et de juger du degré
leurs neuropathiques, qu'elles soient périphériques ou centrales,
d'urgence.
des douleurs liées aux effets indésirables des traitements, en
particulier en cancérologie, des traitements antalgiques opioïdes
mal gérés avec risque d'accoutumance, voire addiction avérée. Qu'est-ce qu'une consultation dite
La chronicisation de la douleur en rhumatologie avec des « d'orientation » ?
patients présentant des lombo-sciatalgies rebelles complexes, Le patient est la plupart du temps reçu par le médecin pour
pré- ou, le plus souvent, postopératoires est une indication une consultation dite « d'orientation » . Dans certains centres,
évidente au vu des évaluations pluridisciplinaires, pluripro- la consultation médicale est précédée par une consultation
fessionnelles qu'elles nécessitent mais aussi pour l'orientation infirmière et, dans d'autres, ces consultations peuvent être
adéquate de ces patients vers des techniques spécifiques, en en binôme médecin-infirmière ou médecin-psychologue.
particulier de chirurgie fonctionnelle mais aussi rééducative. L'objectif de cette consultation est de faire une analyse
Les céphalées, migraines, toutes les algies de la face, fine du syndrome douloureux chronique, selon le modèle
qu'elles soient typiques ou atypiques, sont également du pluridimensionnel, d'avoir une connaissance la plus exhaus-
recours des SDC.
tive possible du parcours de soins (le plus souvent chao-
Les autres syndromes douloureux tels que les douleurs tique) du patient et de son parcours personnel.
pelvi-périnéales, les douleurs dites « nociplastiques », fibro- Il s'agit d'un véritable « décodage » de la plainte doulou-
myalgie, etc. reuse, par le biais d'une approche combinée médicale, psy-
Quelle que soit l'étiologie du syndrome douloureux chro- chologique, sociale et anthropologique [4].
nique, force est de constater que ces derniers présentent On reprendra les antécédents médicaux, chirurgicaux,
souvent une composante anxieuse, dépressive, voire une
gynéco-obstétricaux, familiaux, les habitudes de vie mais
psychopathologie associées. Leur parcours de vie est sou- aussi l'histoire de la douleur, son contexte, le vécu personnel,
vent marqué par des traumatismes physiques, psychiques ou les interprétations, les conséquences.
sexuels, facteurs de chronicisation de la douleur Le traitement antalgique doit être détaillé, traitement
La place des psychologues, praticien des sciences humaines, antérieur, traitement actuel, tolérance, effets indésirables,
est indispensable dans la prise en charge de ces patients. observance et surtout efficacité de ces derniers, concernant
tant les molécules à libération immédiate que prolongée.
Pathologies le plus fréquemment Pour l'évaluation de la douleur et de son retentissement,
rencontrées le praticien s'aidera de questionnaires validés standardisés
reprenant principalement l'évaluation quantitative (EN, EVA,
La liste n'est pas exhaustive mais les pathologies le plus
fréquemment rencontrées sont : les rachialgies, douleurs
neuropathiques (centrale ou périphérique), les douleurs can-
céreuses (instables, rebelles, complexes ou séquellaires), les Encadré 51.1 Drapeaux rouges
céphalées, migraines, fibromyalgie et autres syndromes dou- ■
Le contexte de traumatisme physique et/ou psychique.
loureux du registre de la nociplastie, le syndrome doulou- ■
Douleurs rhumatologiques dans un contexte socio-
reux régional complexe, les douleurs abdomino-pelviennes. professionnel–familial complexe.
Si les céphalées par abus médicamenteux sont depuis de ■
Cancers potentiellement très algogènes et non contrôlables.
très longue date prise en charge, on voit apparaître égale- ■
Syndrome douloureux régional complexe.
ment un mésusage, voire de l'addiction aux opioïdes (faibles
342 Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux
BPI), qualitative (QDSA), le dépistage des douleurs neuropa- Les conclusions de cet entretien seront transmises au
thiques (DN4) et leur évaluation (NPSI), son retentissement médecin adresseur et au médecin traitant.
sur le plan thymique (HAD, échelle de catastrophisme). La prise en charge peut durer de quelques semaines à
Selon le contexte, on recherche des pathologies associées quelques mois ou quelques années, selon le contexte cli-
(syndrome d'apnée du sommeil, conduites addictives). nique et psychologique.
Une large part de cet entretien porte aussi sur l'aspect Les traitements proposés sont du registre, selon le contexte :
cognitif, comportemental et sur les attentes du patient. ■ techniques neurochirurgicales fonctionnelles, anesthé-
En 2009, la HAS a publié une grille d'entretien semi- siques (cf. chapitres correspondants) ;
structurée synthétisant les différents items nécessaires à ■ traitement médicamenteux ;
cette première consultation [4] (encadré 51.2). ■ neurostimulation, neuromodulation ;
L'examen clinique approfondi (en particulier neurolo- ■ techniques psychocorporelles ;
gique) est un temps essentiel de la consultation ainsi que la ■ éducation thérapeutique.
lecture attentive des différents examens complémentaires.
Au terme de cette première consultation, il est nécessaire
d'expliquer au patient les conclusions de cette analyse et Plus-value des structures douleur chronique
d'avoir ensemble un projet de soins, avec des objectifs parta- ■ Pluriprofessionnalité.
gés et des attentes réalistes et réalisables. ■ Pluridisciplinarité.
Le parcours de soins proposé doit lui être expliqué tant ■ Socle de connaissances théoriques communes.
en ce qui concerne une évaluation complémentaire parfois ■ Temps d'échanges : RCP, staff ++++.
nécessaire, avec plus ou moins examens complémentaires, ■ Des techniques spécifiques :
les traitements médicamenteux et les traitements non médi- – techniques telles rTMS, stimulation, techniques
camenteux toujours associés. neurochirurgicales, pompes intrathécales, etc. ;
L'évaluation psychologique est souvent indispensable. – traitements non médicamenteux systématiquement
Des expertises complémentaires peuvent être néces- associés ;
saires selon le contexte et enrichiront l'évaluation – traitements médicamenteux : kétamine, lidocaïne.
(neurologue, rééducateur, anesthésiste, rhumatologue, ■ Un projet de soins, un projet de vie (encadré 51.3).
psychiatre, oncologue, neurochirurgien, radiologue, etc.).
Dans ce cas, les propositions thérapeutiques et les
conclusions seront réexpliquées au patient à la consultation
suivante avec les conclusions de la RCP.
Encadré 51.2 Extraits des recommandations pour la pratique clinique, Anaes, 1999 [7]
Références
Encadré 51.3 Et l'avenir
[1] SFETD : Livre blanc de la douleur, http://www.sfetd-douleur.org/sites/
■
Les structures douleur chronique sont en danger comme en default/files/u3349/Livres/livre_blanc-2017-10-24.pdf ; 2017.
témoignent le rapport de l'Académie de médecine [6] et le [2] Instruction. n° DGOS/PF2/2016/160 du 23 mai. relative à l'appel à candida-
tures destiné au renouvellement du dispositif des structures labellisées pour
Livre blanc de la douleur. Et pourtant, leur rôle est primordial
la prise en charge de douleur chronique en 2017, et au relevé de leur activité
de par leur expertise et la prise en charge pluridisciplinaire.
2016, http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2016/05/cir_40951.pdf ; 2016.
Elles doivent s'adapter aux nouvelles organisations [3] Mick G, Moyenin C. L'évaluation initiale d'une plainte douloureuse
territoriales et régionales, tant hospitalières qu'ambulatoires. chronique : réflexions et propositions pour un guide pratique. Douleur
■
Elles sont un maillon indispensable de la prévention de la et analgésie 2016 ; 29 : 130–40.
désinsertion sociale, professionnelle et médicale. [4] HAS. Recommandations professionnelles. Douleur chronique : recon-
■
L'un des prochains défis, outre la démographie médicale, naître le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient.
sera de participer au parcours de soins en douleur, de Consensus formalisé, https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/appli-
définir des parcours de soins les plus efficients possibles cation/pdf/2009-01/douleur_chronique_recommandations.pdf ; 2008.
de la ville s'appuyant sur les nouvelles organisations en [5] SFETD. Les structures douleur chronique, http://www.sfetd-douleur.
org/les-structures-douleur-chronique.
médecine ambulatoire (pôle de santé, etc.), de travailler en
[6] Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une
collaboration avec les plateformes territoriales d'appui (PTA)
meilleure prise en charge des malades, http://www.academie-mede-
et tous les acteurs de terrain et de développer la télémédecine cine.fr/wp-content/uploads/2018/10/après-vote-Rapport-Douleurs-
et l'e-santé. chroniques-12-10-2018-2.pdf ; 2018.
■
Un autre défi à relever, non des moindres, est celui de tout le [7] Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. Évaluation et
champ du médico-social, avec développement des expertises suivi de la douleur chronique chez l'adulte en médecine ambulatoire.
spécifiques, de la formation, de l'information pour une Recommandations pour la pratique clinique. Paris : ANAES ; 1999.
meilleure prise en charge de ces patients vulnérables.
■
L'évolution de la cancérologie devenue « maladie chronique »,
l'impact des douleurs séquellaires des traitements sur
la qualité de vie, le nombre de patients traités ou en
rémission mais douloureux impose et imposera de repenser
l'organisation de la prise en charge de la douleur du cancer.
Chapitre
52
Approche sociologique
de la douleur
David Le Breton
PLAN DU CHAPITRE
Vivre avec la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345 Appréhension de la douleur à travers
des prismes sociologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 346
Vivre avec la douleur porelles, c'est-à-dire le fait d'être hissé avec des broches insé-
rées dans le corps, sans anesthésie, pour explorer les marges
La douleur ne se cantonne jamais seulement à un organe, un de la condition humaine hors de tout contexte religieux et
tissu abîmé ou une fonction altérée, elle absorbe toute l'exis- de vivre une intense expérience spirituelle. C'est également
tence. Le mal de dent ou de tête résonne dans la vie toute une douleur acceptée, et dont la souffrance est mineure,
entière, il bouleverse toutes les activités de l'individu. Ce que vivent les novices lors des rites de passage de sociétés
n'est pas le corps qui souffre, mais l'individu tout entier dans traditionnelles qui impliquent des actions sur le corps (sca-
le sens et la valeur de sa vie. Sa douleur est un embrasement rifications, tatouage, etc.). Une douleur choisie et maîtrisée
de souffrance. Quand elle dure, elle est un abîme qui dévore par une discipline personnelle dans un but de révélation
toute son énergie et ne laisse rien disponible pour la vie de soi ne contient qu'une parcelle dérisoire de souffrance,
courante [1]. Elle transforme l'individu, altère ses relations même si elle fait mal. Délibérément auto-infligée, elle est
conjugales et filiales, son rapport au travail ou à ses loisirs. paradoxalement un moyen de protéger l'individu d'une
Toute l'existence est ébranlée par la douleur, surtout quand menace de destruction de soi, la scarification délibérée est
elle devient chronique et impose une réorganisation totale ainsi un paravent contre une souffrance intolérable. Il s'agit
du sentiment de soi et de la vie quotidienne. Toute douleur, alors de se faire mal pour avoir moins mal. Dans toutes ces
surtout chronique, modifie le sentiment d'identité au point circonstances où l'individu décide de son action, la douleur
que certains douloureux chroniques ne se reconnaissent est investie d'une dimension morale qui en transforme le
plus et vivent avec un sentiment de mutilation intime. On sens et en élague la pénibilité, elle devient même un vecteur
distingue souvent sur un mode dualiste la douleur, affectant de l'expérimentation sur soi et elle est rattachée à l'immense
le corps, et la souffrance, touchant la psyché. Cette distinc- satisfaction pour l'individu de l'avoir surmonté. Elle est une
tion oppose le corps et la personne comme deux réalités de voie d'exploration de soi, de recherches des limites de sens
nature différente, faisant ainsi de l'individu le produit d'un qui donnent le sentiment de soi. L'expérience des marques
collage surréaliste entre une âme et un corps. La douleur corporelles ou des rites de suspension remet profondément
rompt l'évidence du rapport au monde, elle altère la relation en question le dualisme entre plaisir et douleur. La douleur
aux autres et à soi. Elle n'est jamais limitée au corps. aboutit même à l'orgasme dans le cadre d'un contrat sado-
Par ailleurs, la douleur est toujours contenue dans une masochiste. Son érotisation atteignant son point ultime [2].
souffrance. Celle-ci est la résonance intime d'une dou- Mais la souffrance déborde à l'infini la douleur, dans
leur, sa mesure subjective. Elle est ce que l'individu fait de le cas notamment de la torture, c'est-à-dire d'une dou-
sa douleur. Elle n'est jamais le simple prolongement d'une leur infligée par un autre sans pouvoir l'en empêcher. Une
altération organique, mais une activité de sens, une relation douleur infligée de manière traumatique laisse une trace
personnelle à sa peine. C'est le sens qu'elle revêt pour l'indi- de souffrance, même lorsque les séquelles sont apparem-
vidu qui alimente à son insu la souffrance qu'elle implique. ment guéries. Elle mutile une part du sentiment d'identité
Si l'individu choisit la douleur ou l'accepte, la souffrance de l'individu qui n'arrive jamais tout à fait à oublier. Si la
est insignifiante et amène alors à connaître des situations douleur est un mot au singulier pour celui qui l'éprouve, elle
limites mais propices au sentiment de soi comme dans le revêt une myriade de significations. S'il existe une pluralité
sport extrême ou le body art par exemple où nul ne rechigne de douleurs c'est d'abord parce qu'il existe une pluralité de
à « se faire mal », « à se rentrer dedans ». Les suspensions cor- souffrances. Et, bien entendu, s'agissant de la maladie grave
Médecine de la douleur pour le praticien
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346 Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux
ou des séquelles d'un accident, la douleur immerge dans une modulé par les ressources intimes de l'individu et les qualités
souffrance considérable. Mais même dans ces circonstances, relationnelles de son entourage. Si les conditions d'existence
elle demeure imprégnée de sens. L'individu dispose malgré modèlent les comportements jusqu'à un certain point, il ne
tout de recours pour amortir sa souffrance grâce justement faut pas les transformer en stéréotypes venant occulter la sin-
à des techniques de sens : hypnose, autohypnose, relaxation, gularité du malade. Les conditions sociales et culturelles ne
méditation, sophrologie, etc. Intervenir sur la signification sont qu'un indice, elles n'existent qu'à travers les hommes ou
de la douleur en transforme l'impact en termes d'intensité les femmes qui les vivent et les significations qu'ils donnent
de souffrance. à leur expérience. Ce n'est jamais la culture qui souffre mais
l'individu dans la singularité de son histoire, de son âge, de
Appréhension de la douleur à son genre, de sa condition sociale, de ses croyances, de sa
sensibilité. Le risque sur le plan clinique est de réduire l'indi-
travers des prismes sociologiques vidu à sa culture (une culture transformée en stéréotype), et
L'expérience intime de la douleur est modulée selon les de ne plus voir le patient qu'à travers un préjugé, sans lui lais-
conditions sociales et culturelles, l'âge, le genre, et le contexte ser sa chance. Dans ces circonstances, il est liquidé au profit
particulier d'apparition de la douleur. Elle mêle toutes ces d'une abstraction confortable. L'individu est toujours ce qu'il
nuances au sein d'un idiome culturel. Mais elle est toujours fait des influences qui pèsent sur lui.
d'abord l'expérience singulière d'un individu. Si les situations Les anciennes défenses culturelles, les manières col-
d'inconfort ou de douleur touchent toutes les populations, lectives de répondre à la douleur se sont profondément
elles ne sont pas toujours perçues par elles comme dignes transformées ces dernières décennies. Le fait de pouvoir la
d'intérêt, et elles n'appellent pas toujours la consultation diminuer, voire la supprimer grâce à des traitements faciles
du médecin ou du guérisseur local. Un processus sélectif d'accès, notamment par automédication, neutralise les
distingue à ce propos les personnes issues de différentes anciennes défenses culturelles relayées par des procédures
cultures. Des populations accoutumées à vivre durement techniques. Ces dernières disparaissent. L'endurance à la
sont indifférentes à des douleurs qui déchirent d'autres plus douleur diminue en même temps qu'apparaît le sentiment
habituées au confort et plus enclines à l'examen sur soi. La qu'elle peut être anéantie d'une simple prise de médicament
douleur est évaluée selon une mesure propre à la vie quoti- ou par une action médicale efficace. La douleur est deve-
dienne et à la sensibilité particulière d'un individu [1, 3, 7]. nue aux yeux des patients un anachronisme cruel à élimi-
Malgré des symptômes proches, des populations diffé- ner. De surcroît, un discours largement diffusé insiste sur
rentes révèlent des sensibilités distinctes. Le mal de dos, par le fait que la douleur est inutile, cruelle, et que la médecine
exemple, est perçu comme relativement banal, et hors de la dispose de suffisamment de ressources pour l'éliminer. On
juridiction du médecin s'il ne déborde pas un certain degré ne doit plus souffrir aujourd'hui est un cliché contredit par la
de douleur et d'invalidité pour des populations ouvrières ou difficulté pourtant de la clinique de la douleur. Ce discours
rurales, ou encore pour des personnes âgées ayant grandi et bien-pensant redouble la souffrance des patients quand la
vécu auprès de proches connaissant les mêmes symptômes et médecine tarde ou échoue à les soulager. Mais la médecine
les ayant assumé sans se plaindre en un temps où la médecine de la douleur est particulièrement difficile à mettre en œuvre.
était moins présente dans la vie quotidienne et les procédures Une autre influence pèse aussi sur la vulnérabilité à la
antalgiques moins performantes. Les milieux populaires sont douleur, ce sont les conditions affectives qui ont accompa-
souvent associés à une tolérance plus grande de la maladie gné l'enfance de l'individu. Particulièrement les traumas
ou de la douleur que les milieux de classe moyenne ou pri- vécus à ce moment (maltraitances, abus sexuels, inceste,
vilégiée. Un écran culturel et social, nuancé cependant par manque d'affection, perte d'un père ou d'une mère, etc.).
les singularités individuelles, amène à percevoir des troubles Toutes ces influences sociales, culturelles, relationnelles,
comme relevant de la banalité des jours et propres à être affectives, se mêlent dans la singularité d'une histoire de vie.
assumés par soi-même, et d'autres comme nécessitant la Les soignants doivent répondre à la plainte sans présumer
compétence du médecin. Ces derniers induisent plus d'an- de son intensité, sans projeter leurs valeurs et leurs compor-
xiété que les premiers sur lesquels l'attention glisse sans trop tements propres pour juger de l'attitude de leurs patients. De
s'arrêter. La perception d'un symptôme et le ressenti d'une nombreux travaux pointent à cet égard une fréquente sous-
douleur impliquent un caractère à la fois pénible et insolite évaluation de la douleur par les soignants. L'homme actif,
au regard des repères coutumiers. Le contexte social, et la en bonne santé, est mal placé pour juger de la souffrance
part qu'y prend l'individu, suscite l'attention ou l'indifférence de l'autre, il risque la projection de sa psychologie propre
selon un savoir profane fondé sur l'expérience cumulée des au détriment du patient. Les routines de soin aveuglent par-
générations. Le fait de savoir si un événement corporel est fois sur les souffrances spécifiques du patient. Chaque jour
normal ou pénible relève aussi d'un apprentissage culturel et d'innombrables patients sont confrontés à ces formes de
social et non d'une évidence naturelle, il implique une inter- maltraitances banalisées. Il convient de soigner la personne
prétation qui engage ou non une souffrance [1]. dans sa singularité et non pas en tant que pur organisme. La
Dans un groupe, chaque situation est associée à une qualité des soins ne saurait être diminuée sous prétexte que
marge diffuse de souffrance. Des attentes communes sont certaines catégories sociales seraient plus endurantes que
liées à des affections ou à des blessures qui alimentent le les autres. Nul n'est réductible à son appartenance sociale
degré d'attention envers l'individu atteint. Cependant, la et culturelle, sinon sous la forme du racisme ou du préjugé.
signification conférée à l'épreuve détermine son rapport à la Tous les usagers doivent bénéficier de la même attention, des
douleur. Toute douleur est d'abord du sens. Son ressenti est recours antalgiques appropriés, selon l'intensité et la nature
Chapitre 52. Approche sociologique de la douleur 347
de leurs maux. Le stéréotype culturel empêche d'entendre et valeur à ses yeux. D'où la rapidité et l'indifférence affective
de soulager la douleur. La tendance des soignants à sous-éva- de certaines consultations où le patient accompagne par
luer la douleur de leurs patients et à minorer les traitements force ses symptômes puisqu'ils lui font corps mais sans que
antalgiques s'appuie sur ces préjugés (le prétendu « syn- sa présence à lui soit réellement nécessaire [8–10].
drome méditerranéen » en est une attestation). Si les malades Si dans un premier temps le savoir médical détache son
intègrent leur expérience de la douleur dans leur vision du organisme du patient pour observer les arcanes d'une phy-
monde, les médecins ou les infirmières n'échappent pas siologie indifférente, dans un second temps la tâche de la
davantage à leur système de sens et de valeurs. Ils projettent clinique est justement de ressaisir l'unité de la personne
leurs valeurs, et souvent leurs préjugés, sur ce que vivent les en prenant en compte son témoignage et son histoire de
patients dont ils ont la charge. L'évaluation des symptômes vie. Elle mêle l'universel de l'organisme à la singularité du
et de l'intensité de la douleur, la compassion et les soins pro- patient car c'est lui qu'il s'agit de guérir. L'art de la clinique
digués s'enracinent dans des visions spécifiques qui doivent consiste justement à confronter les données segmentées
repousser les jugements de valeur sur les patients au profit recueillies par les examens ou l'imagerie à la singularité
d'une meilleure compréhension de leurs attitudes [1–7]. du patient, son histoire de vie, sa vision personnelle de ses
En donnant un statut scientifique à la maladie, la méde- troubles, afin d'élaborer une prise en charge elle-même sin-
cine l'a dépersonnalisée et détachée de l'expérience du gularisée. Il importe de soigner le malade et non la maladie,
malade pour en faire une biologie indifférente, relative à des prendre soin et ne pas seulement donner des soins.
normes anonymes. Mais l'altération organique ne dit rien de
l'intensité de la souffrance. Une même lésion aboutit à des
expériences radicalement différentes selon les situations et Références
la particularité des individus. En rester à cette vision pure-
[1] Le Breton D. Tenir. Douleur chronique et réinvention de soi. Paris :
ment neurophysiologique est une entrave à une meilleure
Métailié ; 2010.
compréhension de l'expérience du patient et à la résolution [2] Le Breton D. Expériences de la douleur. Entre destruction et renais-
de ses maux. Certes, cette approche probabiliste nourrit sance. Paris : Métailié ; 2010.
des protocoles de soin mais échoue à soigner ou à soulager [3] Delvecchio Good MJ, Brodwin P, Good BJ, Kleinman A. Pain as
nombre de patients, particulièrement s'agissant de la dou- human experience. An anthropological perspective. Berkeley : Uni-
leur chronique, il est nécessaire dans la clinique de s'ouvrir versity of California Press ; 1992.
à la parole d'un patient profondément affecté par sa peine. [4] Kotarba JA. Chronic pain. Its social dimension. Beverly Hills : Sage ;
Une médecine qui reste purement technicienne considère la 1983.
relation comme secondaire puisque la vérité du symptôme [5] Le Breton D. Anthropologie de la douleur. Paris : Métailié ; 2004
ne sortira pas de la bouche du patient mais des examens, (2014).
[6] Zborowski M. People in pain. San Francisco : Jossey Bass ; 1969.
elle vaut pour le recueil de quelques données factuelles mais
[7] Simonet G, Laurent B, Le Breton D. L'homme douloureux. Paris :
sans plus. Le patient est réduit à sa pathologie, ses propos, Odile Jacob ; 2018.
ses commentaires sur ses troubles, ses hypothèses sur leur [8] Morris DB. The culture of pain. Berkeley : University of California
origine sont perçues comme des obstacles ou du temps Press ; 1993.
perdu. Il est renvoyé à un rôle secondaire et passif, son expé- [9] Natoli S. L'esperienza del dolore. Le forme del patire nella cultura
rience n'apportant que des éléments anecdotiques pour le occidentale. Milano : Feltrinelli ; 1986.
jugement du médecin. Son interprétation profane est sans [10] Scarry E. The body in pain. Oxford : Oxford University Press ; 1985.
Chapitre
53
Prise en charge de la douleur
chronique : un problème
de société
Alain Serrie
PLAN DU CHAPITRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349 Allongement de l'espérance de vie, corollaire
Impact économique de la douleur chronique de douleurs, maladies, handicaps, etc. . . . . . . 351
et de sa prise en charge . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349 Défi des maladies chroniques : conséquences
Activité professionnelle, productivité du progrès médical et enjeux éthiques . . . . . . 352
et situations professionnelles . . . . . . . . . . . . . . 350 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352
Utilisation des systèmes de soins . . . . . . . . . . . 351
Scores de santé mentale et physique
du sf-12v2d . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 351
comme l'Adult Work Productivity and Activity Impairment sociétal et un retentissement économique importants
Scale (WPAI) [2], et la santé mentale et physique à l'aide du [5, 6]. En extrapolant sur la population totale, les calculs
Short Form (SF)-12V2D [3] (forme générique du SF-32 en ont montré qu'en comparant les deux groupes avec et sans
12 questions) qui a été élaborée pour permettre un recueil douleur, plus de 88 M de journées additionnelles par an
simplifié des donnés de qualité de vie [4]). seraient altérées par la douleur (48 M par l'absentéisme
Dans cette étude, les méthodes de calcul des extrapo- et 40 M par le présentéisme). Confirmant ces résultats,
lations à une population française adulte ont été réalisées les pertes de productivité et d'activité sont deux fois plus
sur la base de 50,1 millions (M) de français au moment de importantes dans le groupe avec douleur, pour concerner
l'enquête. Pour pouvoir évaluer l'impact spécifique de la environ 30 et 40 % respectivement des personnes. Dans le
douleur, le groupe des personnes sans douleur (41,5 M) a été groupe douleur sévère, ces pertes d'activité et de producti-
ramené à la taille de celui du groupe avec douleur, soit 8,6 M. vité touchent plus d'une personne sur deux.
Afin d'évaluer l'impact de l'absentéisme au travail (nombre Breivik et al. [7] ont montré qu'en France, les personnes
de journées perdues par semaine) et le présentéisme (calcul avec douleur ont signalé des pertes d'emploi (15 %), des
du nombre de journées impactées), les auteurs ont défini le modifications des responsabilités professionnelles (12 %), et
nombre de semaines au cours d'une année travaillée : 52 − (cinq des changements d'emploi (12 %). Cependant, cette étude
semaines de congés payés + une semaine de jours fériés + était limitée du fait de l'absence d'un groupe témoin per-
deux semaines de RTT) = 44. mettant d'évaluer l'impact réel de la douleur. Des résultats
Pour ce travail particulièrement intéressant, ces deux comparables ont été retrouvés dans d'autres études, avec en
paramètres ont été évalués de la façon suivante : Australie (23 M d'habitants) 9,9 M de journées perdues par
■ le calcul du nombre de journées perdues par semaine absentéisme, 36,5 M de journées altérées du fait de la dou-
(absentéisme) est défini de la façon suivante : (5 jours/ leur chronique, et une perte de productivité représentant un
semaine × 8,6 M de personnes × % de personnes ayant coût global annuel de 5,1 milliards de dollars australiens [8].
un emploi) × % absentéisme. L'absentéisme dû à la dou- Kronborg et al. [9] ont démontré sur une population souf-
leur est la différence des nombres de journées perdues frant de douleurs chroniques non malignes et consultant
entre les deux groupes avec ou sans douleur ; en centre de la douleur au Danemark que seuls 29 % dis-
■ le calcul du nombre de journées impactées (présen- posaient d'un emploi, que l'absentéisme concernait 19,4 %
téisme) est défini par : (5 jours/semaine × 8,6 M de per- du temps travaillé, et que la perte de productivité atteignait
sonnes × % de personnes ayant un emploi) − (nombre 51,1 % du temps travaillé, soit plus de 30 minutes par heure.
de journées d'absentéisme) × % de présentéisme. Le pré- Dans l'étude de la NHWS [1], il y a significativement plus
sentéisme dû à la douleur est la différence des nombres de personnes disposant d'un emploi à plein temps dans le
de journées perdues entre les deux groupes avec ou sans groupe sans douleur (51 %) par rapport à celui avec dou-
douleur. leur (48 %). Ce pourcentage est inversement proportionnel
à l'intensité de la douleur : douleur légère (59 %), douleur
modérée (48 %) et douleur sévère (41 %). Par rapport à un
Activité professionnelle, groupe sans douleur équivalent en nombre, il y aurait dans le
productivité et situations groupe avec douleur 258 000 personnes de plus sans emploi.
professionnelles Parmi les personnes avec emploi, un pourcentage significati-
vement plus important travaillant à plein temps est retrouvé
L'expérience de la douleur, notamment celle de la dou- dans le groupe sans douleur (40 versus 35 %). Cet impact
leur chronique sévère, réduit la qualité du travail et aug- sur l'emploi avait déjà été noté [7, 10] et peut s'expliquer
mente l'absentéisme et le présentéisme [1]. L'absentéisme partiellement par des données purement démographiques
a été significativement plus important dans le groupe avec telles que l'âge et le sexe. Les femmes sont significativement
douleur (10,7 versus 5,1 %). Ce pourcentage augmente plus nombreuses et plus âgées dans les groupes de patients
significativement avec l'intensité de la douleur pour douloureux [7, 1, 11]. La HAS avait évalué, dans un rapport
atteindre 27,5 % dans le groupe douleur sévère. Pour les en 2008 [12], que les « limitations d'activités professionnelles
personnes bénéficiant d'un emploi, la douleur entraîne- ou domestiques du fait de la douleur sont importantes chez
rait, par rapport à un groupe sans douleur ramené à 8,6 M 6 % des personnes de 25–64 ans, puis 15 % des 65–84 ans et,
de personnes, 1,1 M de journées perdues par semaine, enfin, 33 % des personnes de 85 ans et plus ». Les arrêts de
soit 48 M par an. Le présentéisme atteint 22,1 % dans le travail sont cinq fois plus fréquents que dans la population
groupe douleur versus 11,7 % dans le groupe sans douleur, générale et 45 % des patients sont concernés par des arrêts
et 34,6 % dans le groupe douleur sévère, soit un équiva- de travail dont la durée moyenne cumulée dépasse quatre
lent de 13 minutes par heure travaillée. Par rapport à un mois/an. Les patients souffrant d'une douleur chronique
groupe sans douleur, ramené à 8,6 M de personnes, il y sévère sont plus fréquemment hospitalisés (13,6 versus
aurait 910 000 journées supplémentaires concernées par 5,6 %). Et il y a significativement plus de personnes en arrêt
semaine et 40 M par an. Si le nombre de personnes bénéfi- maladie de longue durée dans le groupe avec douleur (5 %)
ciant d'un emploi est significativement plus faible dans le que dans celui sans douleur (1 %), soit un équivalent de
groupe des personnes avec douleur, la qualité profession- 344 000 personnes en plus. Cet impact de la douleur sur les
nelle et la productivité sont aussi également altérées. Ainsi, arrêts pour maladie avait déjà été retrouvé chez des patients
pour les personnes avec un emploi, la douleur associée à souffrant de pathologies rachidiennes et de spondylarthrite
une perte des capacités fonctionnelles va avoir un impact ankylosante [13].
Chapitre 53. Prise en charge de la douleur chronique : un problème de société 351
Utilisation des systèmes de soins par rapport au groupe sans douleur, ramené à 8,6 M de per-
sonnes, 516 000 personnes de plus qui se seraient présentées
Sur l'ensemble de la population interrogée (personnes avec aux urgences et 516 000 de plus auraient été hospitalisées.
ou sans douleur) dans l'étude de la NHWS, près de neuf
personnes sur dix (88 %) ont consulté au moins une fois
un professionnel de santé au cours des six mois ayant pré- Scores de santé mentale
cédé l'étude [1]. Ce pourcentage atteint 94 % dans le groupe et physique du SF-12V2D
avec douleur et 99 % dans le groupe douleur sévère. Dans le
groupe douleur, 688 000 personnes de plus auraient consulté Les relations entre âge, qualité de vie liée à la santé et uti-
un professionnel de santé par rapport à un groupe sans lisation des systèmes de soins ont été bien documentées et
douleur, ramené à 8,6 M de personnes. Les personnes ayant la douleur est l'élément le plus impactant [17]. Des publi-
présenté une douleur au cours du mois précédant l'étude ont cations récentes ont montré que les douleurs chroniques
consulté deux fois plus souvent les professionnels de santé altèrent toutes les composantes du SF-36 chez les personnes
que celles sans douleur (9,0 versus 4,8 consultations). Ce présentant une douleur chronique [9]. La plupart des acti-
nombre de consultations est trois fois plus important dans vités sont impactées totalement ou partiellement chez plus
le groupe douleur sévère (13,6 consultations) que dans le de 50 % des personnes concernées. Un quart des personnes
groupe douleur légère (5,3 consultations). Ainsi, dans le interrogées ne peuvent plus conduire, un tiers ne peuvent
groupe avec douleur, il y aurait 72,2 M de consultations plus travailler à l'extérieur. Confirmant ces données, la dou-
supplémentaires par an par rapport au groupe sans dou- leur paraît avoir un impact sur les scores de santé physique et
leur, ramené à 8,6 M de personnes. Sur la base minimale mentale du SF-12V2D. L'utilisation du SF-12V2D a permis
d'une consultation de médecin généraliste de 23 € dont non seulement d'évaluer l'impact de la douleur mais égale-
70 % (16,1 €) sont pris en charge par l'assurance maladie, le ment des pathologies et des comorbidités telles que l'anxiété,
groupe avec douleur présenterait un surcoût annuel lié aux la dépression et les troubles du sommeil associées [1].
seules consultations de 1,163 milliards d'euros.
Au cours de l'étude pan-européenne de Breivik et al. [6],
60 % des personnes ont consulté, entre deux et neuf fois en Allongement de l'espérance de vie,
six mois, leur médecin pour cause de douleur. Ces résultats corollaire de douleurs, maladies,
sont comparables à ceux d'Andersson et al. [14] qui ont mon- handicaps, etc.
tré qu'en Suède, sur une période de trois mois, 45,7 % des
personnes souffrant de douleur chronique avaient consulté La population vieillit du fait de la diminution régulière de
un médecin contre 29,8 % dans un groupe sans douleur, soit la fécondité que l'on observe depuis plusieurs années, mais
1,5 fois plus. En Norvège [15], chez des patients souffrant aussi en raison d'une forte réduction de la mortalité aux âges
de pathologies rhumatismales non inflammatoires, la cause avancés depuis 1985. L'espérance de vie à la naissance était
de la première consultation chez le médecin généraliste était de 66 ans en 1950 dans les pays développés et de 41 ans dans
la douleur. L'ensemble de ces données montre que la dou- les autres. En 1998, en France, elle atteint 74,6 ans pour les
leur est génératrice d'une augmentation très significative des hommes et 82,2 ans pour les femmes et continuera d'aug-
consultations médicales. menter encore dans les années à venir davantage pour les
Dans l'étude d'Elder et al. [16], un patient sur deux a hommes que pour les femmes.
recours aux médecines alternatives sans en informer son ■ D'après des projections fondées sur des hypothèses
médecin traitant. Ainsi 58 % de ces participants ont eu modérées, le nombre de personnes âgées de 65 ans et
recours à la chiropratique et/ou à l'acupuncture, 35 % des plus (7,8 millions en 1990), va dépasser les 13 millions
participants ont pratiqué l'acupuncture seule et 42 % la en 2020, soit un accroissement de deux tiers, sachant que
chiropratique seule. Les pathologies concernées sont les 16 % auront plus de 85 ans en 2020. Ce chiffre pourrait
douleurs articulaires et musculaires, l'arthrose, les cépha- atteindre 24 % en 2050. En 2000, on dénombrait 10 000
lées et les dorso-lombalgies. La très grande majorité de ces centenaires. La projection des données de l'INSEE estime
participants (6000 patients ; âge moyen : 61 ans ; 71 % de cette population à 150 000 en 2050 [18].
femmes) se déclare disposée à partager cette information ■ Nous gagnons chaque jour six heures, soit chaque année
avec un professionnel de santé. L'étude constate surtout que trois mois d'espérance de vie. L'espérance de vie devrait
les médecins n'évoquent pas cette possibilité ou ne sont pas donc s'allonger d'environ six ans pour les femmes et de
à l'écoute de ces traitements. Ces travaux mettent en évi- cinq ans pour les hommes d'ici 2050.
dence l'importance de ces recours qui traduisent le besoin à La prévalence de la douleur est très élevée chez les
combler par rapport aux prises en charge plus classiques des personnes âgées (25 à 30 % de celles vivant à leur domicile,
systèmes de santé. 50 à 93 % de celles vivant en institution). La douleur d'inten-
Les personnes avec douleur se sont également adressées sité sévère augmente de plus de 10 % entre 65 et 95 ans. Elle
significativement plus souvent aux urgences (13 versus 7 %) est surtout d'origine musculosquelettique ou cancéreuse,
et ce pourcentage augmente significativement avec l'inten- mais l'âge est aussi un facteur de risque pour certaines dou-
sité de la douleur : douleur légère (6 %), douleur modérée leurs neuropathiques (diabète, post-zona, etc.). Elle est très
(12 %) et douleur sévère (18 %) [1]. Enfin, 14 % des per- vite responsable dans cette population de limitations fonc-
sonnes avec douleur ont été hospitalisées et ce pourcentage a tionnelles et de situation de handicap, d'autant plus que s'y
atteint 24 % dans le groupe DS. Dans le groupe avec douleur associent polypathologie, polymédication ou isolement.
352 Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux
Ces éléments sont essentiels à considérer, ils sont un ginalisation et induire des processus d'exclusion, est alors
puissant moteur du changement social et doivent être pris possible. Cette réflexion est essentielle à mener en amont
en compte dans l'élaboration d'une politique de santé qui se des décisions qui pourraient être prises parfois dans la hâte
doit d'anticiper les grands problèmes de demain. ou de façon inappropriée. Car si ces questions ne sont pas
abordées, le risque est grand de la tentation de l'exclusion du
fait de la dépendance et des coûts liés à sa prise en charge.
Défi des maladies chroniques : Associée aux progrès exponentiels de la médecine intime-
conséquences du progrès médical ment liés aux financements de ces progrès, il pourrait y
avoir une certaine légitimité de l'exclusion et une tentation
et enjeux éthiques d'ostracisme [20, 21].
Les maladies infectieuses, aiguës ou subaiguës étaient un
des défis médicaux du siècle passé, la médecine de demain
sera celle de la gestion des conséquences de la survie avec Conclusion
des maladies chroniques. Lors d'une séance de l'Académie Les douleurs chroniques rebelles sont sources d'incapacités,
des sciences morales et politiques Dupâquier [19] pose le de handicaps, d'invalidités et d'altérations majeures de la
questionnement de l'allongement de l'espérance de vie et qualité de vie. Elles engendrent, outre leurs dégâts propres,
ses conséquences multiples : « La part des maladies infec- des réactions parfois violentes, d'autres fois plus nuancées,
tieuses dans la mortalité est tombée de 90 % au début du qui modifient durablement la perception du monde pour
XXe siècle à 1,9 % seulement dans la France d'aujourd'hui, celui qui est concerné mais également pour ceux qui sont
alors que celle des maladies chroniques est devenue pré- les collatéraux. Car la personne qui souffre n'est pas la seule
pondérante. Or les unes et les autres sont fonction de victime, l'entourage familial, professionnel, de voisinage
l'âge, mais en sens inverse : les maladies infectieuses fau- deviennent victimes. D'une certaine façon, ces souffrances
chaient prioritairement les jeunes enfants, alors que les ont été le facteur le plus puissant de changement des menta-
maladies dégénératives frappent exclusivement les per- lités dans l'organisation des systèmes sociaux.
sonnes âgées. D'où un renversement de la répartition des Les systèmes de santé doivent se soucier autant du
âges des décès ». malade que de la maladie. Il n'est plus admissible que l'on
■ L'amélioration des soins favorise le vieillissement des se préoccupe exclusivement de l'efficacité des moyens thé-
plus âgés et conduit naturellement à concentrer les décès rapeutiques mis en œuvre. L'introduction d'une « culture
dans cette population pour laquelle la prévalence des anti-douleur » au sein des pratiques et des exercices néces-
affections chroniques est la plus forte. Entre 1994 et 2004, site le changement des comportements de l'ensemble des
les ALD ont progressé de 75 %. Mais l'augmentation professionnels de santé, mais aussi celui des malades et de
de l'espérance de vie, en ce qu'elle n'est pas synonyme leurs proches. La qualité d'un système de santé est définie
d'espérance de vie sans incapacité, conduit assez logique- par la prise en compte de l'efficacité du traitement proposé
ment à poser la question de la qualité des années de vie mais aussi par le soulagement de la souffrance des patients.
ainsi gagnées [20]. Dès lors, l'amélioration de la prise en charge de la douleur
■ La cancérologie est un des domaines de la médecine qui doit être un de nos objectifs essentiels. Des considérations
a le plus progressé, on ralentit la progression du cancer éthiques et morales ne peuvent plus être écartées de l'éla-
mais parfois sans guérison. La survie peut s'accompagner boration et de la mise en application d'un projet de soins.
de douleurs très intenses entraînées par les traitements, La lutte contre la douleur est inséparable de l'évolution de
la qualité de vie peut être gravement diminuée avec des ces idées.
inconforts ou des handicaps.
« Si l'espérance de vie sans incapacité augmente à peu
près au même rythme que l'espérance de vie tout court, Références
c'est-à-dire de deux ou trois mois par an, il y a une exception
[1] Eschalier A, Mick M, Perrot S, Poulain P, Serrie A, Langley P, et al.
notable : les fonctions cognitives » [19]. Vivre avec la maladie
Prévalence et caractéristiques de la douleur et des patients doulou-
ou bien vivre plus vieux sont des réels problèmes de société, reux en France : résultats de l'étude épidémiologique National Health
car non seulement cela renforce la demande à ne plus souf- and Wellness Survey réalisée auprès de 15 000 personnes adultes.
frir, mais ces notions fondamentales sont indissociables de Douleurs 2013 ; 14 : 4–15.
la relation entre les avancées médicales et la qualité de vie [2] Zickuhr K, Madden M. Older adults and Internet use. In : Disponible
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soins palliatifs pour des pathologies qui ne mettent pas iné- [3] Zhang W, Bansback N, Boonen A, Young A, Singh A, Aslam N. Vali-
luctablement l'espérance de vie en jeu. dity of the work productivity and activity impairment questionnaire :
Des choix sont nécessaires, une réflexion en amont general health version in patients with rheumatoid arthritis. Arthritis
Res Ther 2010 ; 12 : R177.
s'impose, car ils doivent permettre la poursuite du progrès,
[4] Larson CO. Use of the SF-12 instrument for measuring the health of
l'accès pour tous à la santé qui est un droit et le maintien homeless persons. Health Serv Res 2002 ; 37 : 733–50.
de la solidarité nationale. Dans une société ou l'économie [5] Stömbeck B, Jacobsson LTH, Bremander A, Englund M, Heide A,
est contrainte, il faut se poser la question de la place du Turkiewicz A, et al. Patients with ankylosing spondylitis have
citoyen qui est dépendant et donc vulnérable. La cascade de increased sick-leave : a registry-based case-control study over 7 years.
situations, isolement pouvant entraîner une forme de mar- Rheumatology (Oxford) 2009 ; 48 : 289–92.
Chapitre 53. Prise en charge de la douleur chronique : un problème de société 353
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Chapitre
54
Vulnérabilité
Xavier Emmanuelli
PLAN DU CHAPITRE
Perceptions et rapport aux autres . . . . . . . . . . . . 355 Pouvoir dire « J'ai mal » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 355
Le terme « vulnérabilité » peut se concevoir comme une fragilité On existe dans le miroir des autres, dans le regard des
physique et psychique. Des personnalités vulnérables exposées autres et si l'autre ne vous regarde pas avec la déférence
à des agressions successives finissent par entamer l'image sub- minimale des échanges sociétaux, petit à petit, votre corps
jective qu'elles se font d'elles-mêmes. Cela a pour conséquence vous devient étranger et marque une dissociation en quelque
une perte d'estime de soi et une sorte de « quarantenisation » sorte « platonicienne » entre corps et esprit, une dissocia-
d'elle-même, en quelque sorte voulue, inconsciemment par tion, voire une négation de son corps, comme par exemple
le sujet. Le syndrome de dépression, de dépréciation décrit chez les prostitués, qui se mettent à distance de leur propre
par Alexandre Vexliard (« Le clochard », éditions Desclée de corps, objet, comme s'il n'était pas le leur. Le statut du corps
Brouwer) est alors le signe clinique de cette atteinte. n'ayant plus la même représentation pour les autres, si l'on
Cette quarantenisation voulue et subie par l'atteinte nar- accepte le concept des « neurones miroirs » de Rizolatti, il
cissique, s'autoentretient par le regard des autres qui, peu n'est plus vu comme étant une partie de soi et plus compris
à peu, se détourne. La personnalité se sent alors devenue comme étant une norme.
inintéressante et, sans doute plus grave, objetisée, en acqué- Le patient étant à la fois là comme une entité et absent
rant ainsi le statut générique « d'exclus » qu'il faut désormais comme corps, il est dans l'incompréhension du rapport aux
assister. autres, à l'environnement, à l'institution.
C'est la troisième atteinte, après les conséquences phy- Cet état est aggravé par la non-perception du temps,
siques et psychiques et la perte d'un statut social relevant puisque le temps n'est plus séquencé en rythme de travail,
d'échanges dignes et utiles. La vulnérabilité est devenue un de repas, de rencontres, il ne donne plus la sensation de
nouvel état, celui d'exclus. Cela s'inscrit bien d'ailleurs dans s'écouler et le malade est en somme, enchâssé dans un pré-
la définition de la santé de l'OMS (1949) « un état de com- sent répétitif.
plet bien-être physique, psychique (…) et social ». Ainsi, en Enfin, le corps définit l'espace, sa place dans l'environne-
cas de maladie, la personne devient en quelque sorte une ment et le monde et la personne atteinte reste extrêmement
« victime consentante ». « enchaînée » à son territoire, la chambre, le bout de trottoir,
l'institution où elle est accueillie.
Chacun sait que sortir de sa chambre habituelle pour une
Perceptions et rapport aux autres personne âgée, même si elle est encore autonome, équivaut
La perte des structures qui édifient la personne, faute d'être à hâter son décès.
stimulées, est alors atteinte. La douleur dans ces conditions est perçue et non com-
Ces éléments fondamentaux qui charpentent un psy- prise, comme chez l'enfant autiste, cette « psychose like »
chisme sont : qui n'est pas une psychose évidemment mais qui lui res-
■ la perception du corps ; semble comme une sorte de mélancolie sociale (syndrome
■ la perception du temps ; de Cotard).
■ la perception de l'espace ;
■ le rapport à l'autre. Pouvoir dire « J'ai mal »
Les codes traditionnels de la rencontre et de l'échange sont
transformés dans l'exclusion et, n'étant pas employés dans Le patient ne peut se décrire à lui-même la douleur, son
leur usage traditionnel, ils ne sont pas compris. Ainsi toutes sens et son intensité, et l'institution ne cherche pas à lui faire
les parades d'approche, de politesse ou de salutation, les « bon- caractériser. Il garde pour lui cette douleur qui ne sait ni ne
jours », le vouvoiement, ne sont plus utilisés normalement peut se dire, crée ainsi la dépression constitutionnelle d'un
pour s'adresser à la personne vulnérable, fragile ou exclue, par corps douloureux qui est devenu la norme. Dépréciation,
un réflexe de protection et de rejet ou de distanciation. dépression, le patient nie son propre corps et son propre état,
Médecine de la douleur pour le praticien
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356 Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux
d'autant qu'objectivement et subjectivement il ne demande finissent par rendre ces patients hors du monde et hors du
pas d'aide. (figures 54.1 à 54.5) regard. Il est vrai que pouvoir dire « j'ai mal » permet de dire
Bien entendu, ce processus d'aliénation est lent et n'est « je suis mal ». (figures 54.6 et 54.7)
certainement pas complet, mais la douleur n'étant pas iden-
tifiée et comprise, la vulnérabilité, la fragilité, l'exclusion
.
Figure 54.4 Nécrose de l'orteil lié au froid : omychomycose
.
Figure 54.5 Zona : syndrome hyper-algique. Anesthésie psy-
chique en l'absence d'écoute adaptée Figure 54.6 Cancer de la face : négligence des symptômes
.
d'alerte
.
Figure 54.7 Dénutrition sévère – avitaminose.
Chapitre
55
Aspects socioprofessionnels
de la douleur
Soliman Le Bigot, Cécile Delours
PLAN DU CHAPITRE
Respect de la volonté du patient douloureux. 360 Différentes douleurs à prendre en charge . . . 361
Interdiction de toute obstination déraisonnable Engagement de la responsabilité de l'hôpital
ou acharnement thérapeutique dans le but de ou du médecin : la conséquence directe du défaut
préserver la dignité du patient . . . . . . . . . . . . 360 de prise en charge de la douleur du patient . 362
Décision d'arrêt des traitements : entre Douleur ressentie par les soignants : un obstacle
collégialité et transparence . . . . . . . . . . . . . . . 361 à la bonne prise en charge de la douleur
Soins palliatifs visant à soulager la douleur de leurs patients ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362
du patient en fin de vie : le droit à une sédation Modes amiables de règlement des litiges . . . . 362
profonde et continue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361
Depuis la circulaire en date du 7 janvier 1994 [1], le droit est Mais ce projet n'a pas abouti, Madame Touraine,
venu encadrer la prise en charge de la douleur. Dès lors, « les ministre de la Santé, ayant finalement privilégié une prise
établissements de santé doivent mettre en œuvre les moyens en compte accrue de la lutte contre la douleur dans le
propres à prendre en charge la douleur des patients qu'ils Code de la Santé Publique dans le cadre de la loi Touraine
accueillent » [2], et ce quels que soient la nature du service de modernisation de notre système de santé, en 2016.
de santé, l'âge du patient ou encore son stade d'évolution. Certains articles du Code ont donc été modifiés [3–5]. Le
La France a été l'un des précurseurs dans l'amélioration Centre National de Ressource de lutte contre la Douleur
de la prise en charge de la douleur en ce qu'elle l'a intégrée (CNRD) » créé par le deuxième plan douleur voit ainsi
dans la grande loi Kouchner de 2002 mais aussi en ce qu'elle ses missions actualisées vers davantage d'information du
a lancé trois plans nationaux d'amélioration de la prise en public et des professionnels non spécialistes sur les dou-
charge de la douleur, de 1998 à 2010, faisant de la lutte contre leurs et leurs traitements.
la douleur une véritable priorité de santé publique. Il est par ailleurs rappelé que « tout établissement doit se
Un projet de 4e plan national majeur 2013–2017 dis- doter des moyens propres à organiser la prise en charge de la
tinguait les douleurs aiguës, les douleurs chroniques et les douleur des personnes qu'ils accueillent (…). Une attention
douleurs liées aux soins pour l'ensemble des patients très particulière doit être portée au soulagement de la douleur
douloureux. Trois axes avaient été alors proposés : des personnes en fin de vie » [6].
■ améliorer l'évaluation de la douleur et la prise en charge Avant toute chose, le médecin doit évaluer la douleur
des patients en sensibilisant les acteurs de premier du patient [7] par le biais d'échelles d'évaluation, et ce
recours ; en « toute circonstance » [8]. Les résultats de l'évaluation
■ garantir la prise en charge de la douleur lorsque le patient seront inscrits dans le dossier médical ; à défaut, un man-
est hospitalisé à domicile ; quement dans la prise en charge de la douleur pourrait être
■ aider les patients qui rencontrent des difficultés de reproché et entraîner l'engagement de la responsabilité
communication (nourrissons, personnes souffrant de de l'hôpital. La tendance actuelle est à la judiciarisation
troubles psychiatriques ou de troubles envahissants du mais aussi à l'appel à des modes alternatifs de résolution
développement, etc.) à mieux exprimer les douleurs res- des litiges. La médiation permet d'entrer dans une autre
senties afin d'améliorer leur soulagement. dimension qui prend en compte non plus seulement une
gestion factuelle et quantitative du litige mais qui intègre « Les directives anticipées s'imposent au médecin pour
aussi une approche des racines du conflit et du ressenti toute décision d'investigation, d'intervention ou de traite-
subjectif, ce qui est souvent essentiel pour apaiser le patient ment, sauf en cas :
victime [9]. ■ d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une éva-
luation complète de la situation et
■ lorsque les directives anticipées apparaissent manifes-
Respect de la volonté du patient tement inappropriées ou non conformes à la situation
douloureux médicale [17]. »
Le patient doit consentir aux soins médicaux et traite-
ments5 qui lui sont proposés, et ce avant tout acte médical Désignation d'une personne de confiance
[10], en vertu des lois Kouchner en date du 4 mars 2002 [11] Créée par la loi Kouchner en date du 4 mars 2002, qui est
et Léonetti [12]. À l'inverse, il a le droit de les refuser ou notamment à l'origine de l'article L.1111-6 du code de
de demander leur arrêt. S'il refuse, le médecin doit l'infor- la santé publique, la personne de confiance voit son rôle
mer des conséquences de son choix [13] et retranscrire la accentué grâce à la loi Léonetti du 22 avril 2005 [12].
décision du malade dans son dossier médical afin d'assurer À défaut de directives anticipées, le personnel soignant
une traçabilité de la décision. Ainsi, le personnel médical est doit consulter systématiquement la personne de confiance,
certain de ne pas engager sa responsabilité au titre du délit si elle a été désignée par le patient. Elle a un rôle de « porte-
de non-assistance à personne en danger puisque le patient a parole » du patient inconscient. Le praticien n'a toutefois
refusé les soins. pas l'obligation de suivre l'avis de la personne de confiance
Si le médecin ne recueille pas le consentement du qui n'a qu'un rôle consultatif et non décisionnel. Cepen-
patient, il risque d'engager sa responsabilité, à tout le dant, son avis prévaut sur tout autre avis non médical,
moins, concernant le préjudice moral que subirait le patient à l'exclusion des directives anticipées « dans les décisions
(et éventuellement ses proches) et, au plus, concernant aussi d'investigation, d'intervention ou de traitement prises par le
toutes les éventuelles conséquences dommageables qu'aurait médecin » [18]. Le rôle de la personne de confiance cesse
l'acte médical pratiqué sur le patient6. lorsque le patient la révoque ou lorsqu'il est décédé. Tout
comme les directives anticipées, le formulaire de désigna-
Exceptions au principe de consentement tion de la personne de confiance est placé dans le dossier
médical du patient.
du patient : l'urgence et l'obligation L'établissement de santé a l'obligation d'informer le
de soins patient qu'il a la possibilité de désigner une personne de
L'urgence (malade ou blessé en péril) et l'obligation confiance. S'il ne le fait pas, il pourrait voir sa responsabilité
de soins (particulièrement pour les toxicomanes [14] être engagée. Le patient, quant à lui, est libre de décider s'il
ou les personnes condamnées notamment pour infrac- veut désigner ou non une personne de confiance et, s'il en
tion sexuelle [15]) sont deux cas où, puisque la situation désigne une, il peut, tout comme pour les directives antici-
l'impose, le médecin n'a pas besoin du consentement du pées, la révoquer à tout moment, sans obligation de motiver
patient. son choix.
médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rap- doit mettre tous les moyens antalgiques qu'il a à sa disposi-
port au bénéfice escompté (…) » [8, 12, 16] mais aussi par rap- tion afin de soulager au mieux son patient, mais il n'est pas
port à la douleur et à la souffrance morale qu'ils génèreraient. tenu à une obligation de résultat qui viserait à faire dispa-
Une telle interdiction s'explique par une nécessité de raître les douleurs. Le soulagement de la douleur est un droit
conserver la dignité du patient qui ne doit pas voir se pro- fondamental de toute personne [11], visant à sauvegarder la
longer son agonie, ce qui amplifierait sa souffrance ainsi dignité du patient.
que celle de son entourage et qui constituerait une fin de vie « Toute personne malade dont l'état le requiert » [24] peut
contraire à toute éthique. bénéficier des soins palliatifs, et ce sur l'ensemble du terri-
toire français.
Le rapport public annuel de la Cour des comptes de
Décision d'arrêt des traitements : 2014 dénonce de nombreuses insuffisances avec une
prise en charge toujours incomplète. À titre d'exemple,
entre collégialité et transparence 7,5 % des patients hospitalisés aux urgences ont bénéficié
La décision d'arrêter les traitements ou du moins ne pas les de soins palliatifs alors que les deux tiers en auraient eu
entreprendre se fait afin de sauvegarder la dignité du patient. besoin.
Elle est très importante et lourde de conséquences, c'est Parce que toute personne a le droit à une fin de vie digne
pourquoi elle ne doit pas être prise par une seule personne et du meilleur apaisement possible de la douleur selon la loi
mais de manière collégiale [22]. Il faut alors distinguer si le Claeys-Léonetti, le patient a le droit à une sédation profonde
patient est conscient ou non. et continue jusqu'à son décès dans les conditions prévues
S'il est conscient, le médecin a l'obligation de l'informer par la loi.
de toutes les conséquences qu'aurait la décision d'arrêter (ou
de poursuivre) les traitements, et lui présenter les bénéfices
et les risques que sa décision engendrerait [13]. C'est ce que
l'on appelle l'obligation d'information. Cette dernière est Différentes douleurs à prendre
donc prise en pleine connaissance de cause [23] et elle devra en charge
être confirmée après l'écoulement d'un délai raisonnable
afin de s'assurer de sa stabilité, et elle sera inscrite dans le Alors que la douleur physique pourra être apaisée par
dossier médical du patient. Le consentement du patient peut la prise d'analgésiques, la souffrance morale du patient
être retiré à tout moment. pourra être soulagée grâce à l'intervention d'un psy-
Si les avis du médecin et du patient divergent, l'un d'entre chologue, voire d'une assistante sociale, ou encore une
eux peut solliciter l'avis d'un autre médecin. Si le désac- écoute attentive du patient, tant par l'équipe médicale
cord persiste, le médecin doit, quoi qu'il arrive, respecter la que par ses proches. La souffrance spirituelle ne doit
volonté du patient, et ce même s'il n'est pas d'accord avec son ni être mise à l'écart, ni être oubliée. Ainsi, la présence
choix. Au besoin, un médecin médiateur peut intervenir. d'un prêtre ou autre ministre de culte peut aider à
Si le patient est inconscient, le médecin doit vérifier s'il accompagner le patient dans sa douleur, voire le rassu-
existe des directives anticipées Et, le cas échéant, une per- rer spirituellement.
sonne de confiance. À défaut, il doit consulter l'avis de la Le patient n'est pas le seul à souffrir, sa famille et ses
famille du patient ou de ses proches, à la suite de quoi il proches ressentent naturellement et également avec lui une
devra prendre la décision qu'il estime être la meilleure souffrance morale et psychologique. L'intervention d'un
pour son patient. psychologue pourra ainsi leur être proposée.
Si l'équipe médicale décide d'arrêter les traitements, elle Aujourd'hui, la formation du personnel médical à la prise
doit insister auprès de la famille sur le fait que la décision en charge de la douleur est généralisée et non contestée.
d'arrêt des traitements se fait dans l'intérêt supérieur du Ainsi la loi du 2 février 2016 a instauré une obligation pour
patient et qu'il ne consiste en aucun cas en une sorte d'aban- les professionnels de la santé de suivre une formation spéci-
don du patient mais bien en une véritable prise en charge fique aux soins palliatifs.
du patient en ce que le corps médical, d'une part, soula- De nombreuses associations de patients ou d'intérêt
gera sa douleur grâce aux soins palliatifs et, d'autre part, général telles Hôpital 2000 font valoir que la douleur des
l'accompagnera, ainsi que sa famille, dans sa fin de vie. patients et de leurs proches n'est souvent pas suffisamment
apaisée et comprise, faute de temps et de moyens, particu-
lièrement dans le cadre de la fin de vie et alors même que
Soins palliatifs visant à soulager la médecine devient de plus en plus technique. Le Comité
la douleur du patient en fin consultatif national d'éthique (CCNE) relève que « seules
de vie : le droit à une sédation 20 % des personnes qui devraient bénéficier des soins
palliatifs y ont accès avec en outre de lourdes inégalités
profonde et continue territoriales qui existent en ce qui concernent les struc-
Le médecin est débiteur d'une obligation de moyens concer- tures palliatives comme le nombre de lits dédiés en milieu
nant le soulagement de la douleur [8, 21], c'est-à-dire qu'il hospitalier ».
362 Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux
PLAN DU CHAPITRE
L'humanité et l'intelligence d'un soin compétent. 365 Impossibilité même de la synthèse, le non-sens
Responsabilité de soigner avec prévenance. . . 366 par excellence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367
Une telle exigence d'insoumission ne peut cependant pas l'effraction de l'intégrité, une crise identitaire accentuée par
se satisfaire de résolutions formelles, de positions incanta- une perte d'estime de soi, un sentiment de culpabilité, en
toires, aussi généreuses soient-elles. Elle oblige au devoir de particulier à l'égard des proches, ce cumul de vulnérabilités
ne pas laisser souffrir, mais aussi de ne pas faire souffrir, et qui accentue le ressenti de la dépendance, et parfois la proxi-
fixerait ainsi quelques repères intangibles ainsi que des cri- mité d'un inéluctable qui peut être redouté.
tères indicatifs de l'effectivité d'une telle prévenance. Envisager la multiplicité de ces enjeux, c'est donc déve-
Les soignants doivent comprendre leur mission comme lopper l'intelligence d'une clinique de la douleur accessible
attachée au bien-être de l'autre, et ne pas consentir à des à la diversité des formes d'ouverture et de soutiens, com-
considérations opposées aux principes de bienveillance et de plémentaires aux protocoles antalgiques, dont la personne
non-maltraitance. Leur position ne peut donc pas se satis- devrait pouvoir bénéficier, notamment d'ordres moral,
faire à cet égard d'une neutralité ou d'une passivité indignes relationnel, psychologique et spirituel. Il convient de favo-
de la confiance qui leur est accordée. L'approche éthique riser des mobilisations autres que professionnelles alors que
de celui qui souffre relève d'un engagement profession- l'expérience de la souffrance entrave précisément la faculté
nel inconditionnel, et refuse toute concession à l'ancienne de « sortir de soi19 », de se penser encore dans le monde, en
rhétorique de « l'endurance du malade » tolérant l'insup- relation et en devenir. Comment maintenir une « présence
portable sans que sa souffrance soit même audible. Cet au monde », dès lors que les conditions mêmes de l'échange
attachement aux valeurs de dignité et de respect est l'affir- s'étiolent au point de se détourner de la parole et de renon-
mation de droits fondamentaux de la personne qu'aucune cer à l'usage des mots pour tenter de dire ce qui ne sera
justification ne saurait révoquer. Le souci témoigné à ce qui plus compris ? Comment, pour un proche, accepter, dans
l'éprouve et revendique un apaisement permet d'envisager l'impuissance à faire encore comprendre son amour et sa
la justesse d'une présence soignante aux moments les plus considération, l'incapacité d'épargner la personne de ce qui
marquants du parcours dans la maladie. La prise en soin de affecte son humanité même20 ?
la douleur anticipe et accompagne en effet ses différentes C'est là où doit être posée la distinction nécessaire entre
phases à travers l'identification des moments critiques, une souffrance et douleur. Même si l'apaisement physiologique
analyse ajustée aux circonstances ainsi qu'à leur évolutivité, de la douleur restaure une certaine qualité de bien-être,
une concertation préoccupée de ce qu'exprime la personne persiste parfois cette dimension plus ontologique et existen-
de son ressenti et de ses demandes. Il s'agit d'accueillir, tielle de la souffrance, « désespérance d'une angoisse21 » qui
de comprendre et de traiter ce qui, à un moment donné, ne saurait relever seulement du registre médical. Comment
semble le plus lui importer et risque de faire obstacle à son mieux comprendre l'intrication entre souffrance et douleur,
acceptation du projet médical, à sa volonté de mobiliser ses et dans une approche éthique quelles lignes d'action en
ressources personnelles pour lutter. Y compris lorsque trop tirer ?
affaiblie pour solliciter la moindre prévenance à son égard, Pour le philosophe Emmanuel Levinas « il est dif-
il ne saurait pour autant se concevoir de la laisser « à sa dou- ficile d'analyser la douleur. L'enfermement de toute
leur », de l'abandonner dans le huis clos de sa souffrance. Il souffrance ? Sans doute, son refus d'entrer dans aucune
ressort déjà de ces quelques observations que se soucier de synthèse. Elle est précisément la déchirure même,
la souffrance et de la douleur de l'autre, c'est concevoir la refusant la synthèse. Elle n'est pas l'indication du fait
responsabilité du soin jusque dans ses terrains les plus expo- que la synthèse n'est pas possible : c'est l'impossibilité
sés, là où le reconnaître dans ses vulnérabilités amplifie nos même de la synthèse, le non-sens par excellence vécu
obligations à son égard.
19
« Sortir de soi, c'est s'occuper de l'autre, et de sa souffrance et de sa
Impossibilité même de la synthèse, mort. Je ne dis pas du tout que cela se fait de gaieté de cœur, que
ce n'est rien, ni surtout que serait là une cure contre l'horreur ou
le non-sens par excellence la lassitude d'être ou contre l'effort d'être, une façon de se distraire
de soi. Je pense que c'est la découverte du fond de notre humanité,
L'approche médicale de la douleur relève d'une clinique à
la découverte même du bien dans la rencontre d'autrui – je n'ai
part entière et vise à la prévenir, à favoriser son contrôle, pas peur du mot « bien » ; la responsabilité pour l'autre est le bien.
voire à en maîtriser les effets dans le cadre d'une alliance Ce n'est pas agréable, c'est bien. », Poirié F. Emmanuel Levinas.
thérapeutique. Les souffrances existentielles relèvent toute- Besançon : La Manufacture ; 1992. p. 80.
fois d'expériences intimes toujours marquées par des par- 20
« Elle perdait toute sensation de son corps, se cognait aux rebords,
ticularités biographiques et culturelles et que ne parvient manquait les marches. Rire lui faisait mal, elle grimaçait seulement
pas à appréhender la seule technicité antalgique, y compris quelquefois. Le médecin disait qu'un nerf était probablement coincé.
Elle ne parlait qu'à voix basse, était si mal en point qu'elle ne pouvait
lorsque l'on pense avoir identifié la composante psycholo- plus gémir. Elle inclinait la tête sur son épaule mais la douleur l'y
gique afin d'en assurer un suivi spécifique. Viser à « la prise poursuivait : ''Je n'ai plus rien d'un être humain'' » Peter Handke, Le
en charge globale de la personne » procède d'une exigence malheur indifférent, Paris, Gallimard, 1984, p. 102.
certes respectable mais dont on constate les écueils et les 21
« J'ai appris la douleur dans mes livres mais on ne m'avait rien
limites, dès lors qu'elle viserait en quelque sorte à résorber dit de la souffrance, car la souffrance a une autre dimension
la totalité d'une souffrance alors que l'approche ne peut que la douleur. Elle conteste l'homme et lui montre sa fragilité.
Cette souffrance, je l'ai très souvent rencontrée. Désespérance
que se concevoir dans une humilité, une retenue, y compris d'une angoisse si difficile, voire impossible de faire partager par
dans son intentionnalité. En effet, la maladie au pronostic les autres. Elle ajoute, à la douleur physique, une dimension de
incertain ou péjoratif confronte à des souffrances multiples, solitude... ». Jasmin C. Médecine et éthique. Le devoir d'humanité.
provoquées notamment par des renoncements contraints, Paris : Cerf ; 1990. p. 323.
368 Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux
directement » [9]. « Je ne suis plus que souffrance » me france n'est pas la douleur » [11] éclaire alors notre propos :
confiait une personne ne trouvant plus d'issue à une « On s'accordera donc pour réserver le terme douleur à des
maladie qui « s'obstinait à l'emmurer en elle-même et à affects ressentis comme localisés dans des organes particu-
la trahir ». Il s'agit, pour reprendre les catégories déve- liers du corps ou dans le corps entier, et le terme souffrance
loppées par Emmanuel Levinas, d'un « enfermement » à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport
dont il convient de trouver une échappée en y rétablis- à soi, le rapport à autrui, le rapport au sens, au questionne-
sant une cohérence, une cohésion, un ordonnancement, ment […]. » L'éthique du soin de la douleur relève du souci
une possibilité de franchissement. L'alliance thérapeu- de préserver le sens du rapport entre la personne malade et
tique, en ces circonstances, tient à la capacité de réhabili- ce qui lui permet, d'une part, de maintenir son identité en
ter et de soutenir un réinvestissement de soi, une faculté lien avec le monde et, d'autre part, de soutenir une curio-
de reprendre l'initiative, ne serait-ce que par fidélité à sité et une envie de vie insoumises à ce qui risquerait de les
ce que l'on était avant. Cependant, comment conférer un entraver. Il me semble dès lors indispensable d'envisager les
sens renouvelé à une vie distordue par une douleur qui modalités d'une relation, d'un rapport à l'autre soucieux de
semble l'avoir déracinée de ses fondations ? Est-ce conce- son exigence d'intégrité, de délivrance, de liberté.
vable et à quelles conditions ? Car la douleur peut mener Est-il une éthique du soin de la douleur ? La question
la personne trop loin et ne plus permettre d'envisager un semblerait mieux formuler en des termes comme « quel
recours lorsqu'elle s'avère réfractaire à son traitement et soin consacrer à celle ou celui qui souffre ? » ou « que peut
nous livre à d'obscures pensées. Nos libertés menacent notre soin auprès de l'autre qui souffre ? », ou « que sont nos
d'être anéanties par l'émergence d'une « souffrance devoirs de soignants auprès l'autre qui souffre », ou encore
totale » envahissant l'espace relationnel. Souffrir au-delà « nos soins sont-ils capables d'apaiser la souffrance de
du possible, du pensable, du dicible, c'est d'une certaine l'autre ? » Ces interrogations doivent se partager et s'enrichir
manière avoir le sentiment d'être destitué d'une part de dans des approches qui ne peuvent être que personnelles et
son humanité. La sensibilité est ramenée à une sensation circonstanciées tant elles échappent à toute forme de sys-
insupportable, à ce qu'il n'est plus possible d'assumer. Il tématisation et peuvent bouleverser l'ordonnancement des
s'agirait déjà de la présence anticipée de la mort : mort à plus efficaces protocoles. Elles représentent un défi lancé à
soi, mort aux autres. « À quoi bon aller plus loin… Pour- la science biomédicale, à ses modalités de compréhension,
quoi lutter davantage ?... » Au sens propre du terme, tout d'analyse, d'évaluation et de décisions. Et pourtant, dans
devient insensé. un contexte qui se veut performant en dépit de multiples
En témoigne en des termes universels, Léon Tolstoï contraintes, la prise en soin de la douleur est susceptible
suggérait que la souffrance est plus insensée encore que la d'éveiller les pratiques à cette exigence d'humanité et de
mort : « Ivan Ilitch ne quittait déjà plus son divan, sur lequel dignité insoupçonnée ou négligée qui honore et élève la
il demeurait couché, ne voulant pas rester dans son lit. Et conscience éthique de soin. « La douleur dispense sa force
étendu presque toujours le visage tourné vers le mur, il souf- de question, là où celle-ci est la moins soupçonnée.» [12].
frait, seul, de ses souffrances insolubles, il se plongeait, seul,
dans ses pensées insolubles. « Qu'est-ce donc ? Est-ce vrai-
ment la mort ? » Et la voix intérieure répondait : « Oui, c'est Références
la mort. » – « Mais pourquoi ces souffrances ? » Et la voix
répondait : « Comme ça ! Pour rien. » [10]. Est-il éthique de [1] Lançon P. Le Lambeau. Paris : Gallimard ; 2018. p. 131.
[2] Guibert H. Cytomégalovirus. Paris : Le Seuil ; 1992. p. 68.
renoncer à évoquer l'absurdité des circonstances avec la per-
[3] Rey R. Histoire de la douleur. Paris : La Découverte ; 1993.
sonne qui tente, malgré tout, d'obtenir les quelques récon- [4] Le Breton D. Anthropologie de la douleur. Paris : Métalié ; 1998.
forts et explications indispensables pour recomposer un [5] Baszanger I. Douleur et médecine, la fin d'un oubli. Paris : Le Seuil ;
univers sensé, un espace habitable, vivable en dépit de ce qui 1995.
l'affecte si douloureusement ? Ou alors serait-il préférable de [6] Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Paris : Dunod ; 2004.
s'en tenir à un discours médico-scientifique, à la rationalité [7] Hirsch E. L'existence malade. Dignité d'un combat de vie. Paris : Cerf ;
de données objectivées dont il est acquis qu'elles n'allègeront 2010.
pas le tourment ? Une telle occultation de la signification [8] Article L. 1110-5-3 du code de la santé publique, https : //www.
existentielle de la souffrance lui retirerait la dimension énig- legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI000031
matique et si délicate à appréhender, parce que paradoxale : 971181&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204.
[9] Levinas E. In: Hirsch E. Médecine et éthique. Le devoir d'humanité.
celle d'une expérience humaine constitutive de qu'est notre
ibid. p. 44–5.
humanité. Il ne s'agit pas d'en revenir à une conception spi- [10] Tolstoï L. La mort d'Ivan Ilitch. Paris : Stock ; 1927. p. 111.
rituelle, mais de saisir en quoi la souffrance fait irruption [11] Ricoeur P. La souffrance n'est pas la douleur. Revue de psychiatrie
dans le soin et interpelle le soignant là où la technicité à française numéro spécial 1992. juin.
elle seule ne saurait satisfaire une autre exigence de bienfai- [12] Heidegger M. L'expérience de la pensée. In : Questions III. Paris :
sance et de consolation. L'article de Paul Ricœur « La souf- Gallimard ; 1966. p. 156.
Chapitre
57
Les douleurs chroniques
en France. Recommandations
de l'Académie nationale de
médecine pour une meilleure
prise en charge des malades22
Patrice Queneau23, Alain Serrie24, Richard Trèves24, Daniel Bontoux23, au nom d'un
groupe de travail rattaché à la Commission XV de l'ANM. Les douleurs chroniques en
France. Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une meilleure
prise en charge des malades. Bull Acad Natl Méd. 2018 ; 202(7) : 1355–70.
PLAN DU CHAPITRE
Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370
La douleur, maître symptôme de la médecine, est trop souvent ■ membre titulaire de l'Académie :
encore aujourd'hui négligée et mal traitée. La prise en charge des – Jean-Pierre Michel ;
maladies douloureuses chroniques pose souvent des problèmes ■ membres correspondants de l'Académie :
difficiles, malgré l'éventail actuel des ressources thérapeutiques, – Bernard Laurent,
médicamenteuses et non médicamenteuses, dont on dispose. – Yves de Prost,
Le caractère rebelle de la douleur peut conduire à solli- – Christian Roques ;
citer la contribution de médecins et de soignants qui, spé- ■ invités au groupe de travail
cialement formés, exercent dans une « structure spécialisée – Dr Justine Avez-Couturier, pédiatre, consultation
douleur chronique » (SDC). douleur-enfant, CHU de Lille,
– Dr Didier Bouhassira, neurologue, directeur de
recherche Inserm, ancien président de la SFETD,
Méthodologie CHU Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt,
– Dr Elisabeth Collin, médecin de la douleur, responsable
Un groupe de travail multidisciplinaire, comportant de nom- de la consultation d'évaluation et de traitement de la dou-
breux invités, fut mis en place en 2015. Treize réunions ont leur, hôpital Avicenne, GHU Paris - Seine-Saint-Denis,
permis les auditions et les débats nécessaires à la rédaction du – Dr Claire Delorme, praticien hospitalier, coordinateur du
présent rapport, auquel ont contribué les experts suivants : Réseau régional douleur, centre hospitalier de Bayeux,
– Pr Alain Eschalier, professeur de pharmacologie médi-
cale, UMR Inserm Neuro-dol, institut Analgesia, univer-
22
Rapport voté en séance plénière le 9 octobre 2018 par
l'Académie nationale de médecine, 16, rue Bonaparte, 75272 sité Clermont-Auvergne, CHU de Clermont-Ferrand,
Paris cedex 06 – Dr Laurent Grange, rhumatologue, CHU Grenoble-
23
Membres de l'Académie nationale de médecine Alpes, président de l'Association française de lutte
24
Membres correspondants de l'Académie nationale de médecine antirhumatismale (AFLAR), Paris,
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 369
370 Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux
– Dr Caroline Maindet, médecin de la douleur, CHU 7. améliorer les situations de prise en charge pour les popu-
Grenoble-Alpes, lations les plus vulnérables,
– Pr Julien Nizard, chef du Centre fédératif dou- 8. soutenir et reconnaître les personnes douloureuses et
leur, soins palliatifs et de support, éthique clinique, leurs proches,
responsable de l'unité de recherche clinique « Douleur 9. développer la recherche translationnelle en impliquant
et neurochirurgie », CHU de Nantes, tous les acteurs.
– Pr Serge Perrot, hôpital Cochin, Paris,
– Pr Roland Peyron, professeur associé, Centre stépha-
nois de la douleur, service de neurologie, unité Inserm Prise en charge de la douleur chronique
U879, CHU de Saint-Étienne, et rôle des structures spécialisées douleur
– Pr Gisèle Pickering, professeur de pharmacologie cli- chronique
nique, centre d'investigation clinique (CIC) Inserm Vingt-deux millions de patients (30 % de la population fran-
1405, université Clermont-Auvergne, CHU de çaise de plus de 18 ans) se plaignent de douleurs chroniques
Clermont-Ferrand, et prennent tous les jours au moins un antalgique depuis au
– Dr Éric Serra, psychiatre et médecin de la douleur, res- moins six mois selon l'étude STOPNEP (Study of Prevalence
ponsable centre douleur, CHU d'Amiens, of Neuropathic Pain), réalisée par entretiens téléphoniques
– Dr Pierre Tajfel, praticien hospitalier CETD-Versailles, de type SOFRES [3].
président de l'association La douleur et le patient dou- La grande majorité des malades douloureux chroniques
loureux (LDPD), est prise en charge par les médecins généralistes et les spé-
– Dr Florence Tiberghien, médecin de la douleur, centre cialistes concernés.
de la douleur d'Aix-les-Bains, Ce n'est donc que dans les cas de douleurs chroniques
– Dr Barbara Tourniaire, pédiatre, responsable du rebelles que certains patients sont dirigés vers les SDC, dont
Centre de la douleur et de la migraine de l'enfant, la mission est d'appréhender le douloureux chronique selon
CHU Trousseau, Paris. un modèle multidimensionnel, bio-psychosocial, reposant
sur une démarche évaluative puis sur un projet de traite-
Résultats ment personnalisé multimodal.
Actuellement, ces SDC, labellisées au niveau régional par
Définition d'une douleur chronique chaque Agence régionale de santé (ARS) sous la coordina-
L'une des définitions de référence de la douleur, parmi les tion de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS),
plus citées, est celle de l'International Association for the sont organisées en deux niveaux de « prise en charge pluri-
Study of Pain (IASP) : « expérience sensorielle et émotion- professionnelle en équipes » constituées de médecins, spécia-
nelle désagréable, liée à une lésion tissulaire existante ou listes de diverses disciplines (neurologues, rhumatologues,
potentielle, ou décrite en termes évoquant une telle lésion ». chirurgiens, psychiatres, etc.) et d'autres soignants (infir-
Reprenant cette définition de l'IASP, la Haute Autorité de mières, psychologues, physiothérapeutes, etc.) :
santé (HAS) définit la douleur chronique comme une dou- ■ les consultations, axées sur des démarches d'évaluation,
leur « évoluant depuis plus de 3 à 6 mois et/ou susceptible de diagnostic et de soins en cas de douleurs chroniques
d'affecter de façon péjorative le comportement ou le bien- rebelles et invalidantes,
être du patient » [1]. ■ les centres, qui assurent la prise en charge de malades plus
complexes et/ou requérant certains soins très spécialisés.
Enjeux de la douleur et défis à relever Les centres ont en outre des responsabilités d'enseigne
Ils sont explicités dans le Livre blanc de la douleur 2017 de la ment, d'expertise et de recherche.
SFETD, qui propose de mettre en place dès 2018 les mesures En 2018, il existe 273 SDC labellisées en France, dont
concrètes suivantes [2] : 67 centres de la douleur chronique [3,4]. L'activité clinique au
1. maintenir et consolider le rôle des SDC qui se sont déve- sein de ces SDC varie de 500 à plus de 5 000 patients par centre et
loppées au cours des vingt dernières années et ont fait la par an (données des ARS). Le délai d'attente moyen est de l'ordre
preuve de leur efficacité, de 3 mois, voire davantage pour certaines SDC très spécialisées.
2. renforcer la formation de tous les professionnels de santé Les SDC bénéficient de plusieurs sources de financement :
à la prise en charge de la douleur, des dotations nationales par les missions d'intérêt général et
3. impliquer davantage les acteurs des premiers recours, les d'aide à la contractualisation (MIGAC), au prorata du nombre
médecins généralistes et les pharmaciens, dans l'accom- de consultations externes ; mais également la T2A, pour ce qui
pagnement du patient douloureux, est des hospitalisations, avec l'inconvénient de privilégier les
4. améliorer la prise en charge de la douleur aux urgences actes techniques sur les approches cliniques pluridisciplinaires,
et en médecine ambulatoire, mais aussi l'accessibilité de ce qui pénalise injustement la prise en charge clinique des
cette prise en charge dans tout le territoire, en particulier patients.
au moyen des nouvelles technologies, Le nombre de demandes de consultations croît conti-
5. développer des campagnes de prévention de la douleur nuellement, alors que certaines SDC apparaissent mena-
au travail ou encore du fait d'une intervention chirurgi- cées en raison du prochain départ à la retraite des médecins
cale ou en lien avec des soins, qui les ont fondées et du risque que ceux-ci ne soient pas
6. développer la reconnaissance des approches non médica- remplacés faute de candidats formés à la médecine de la
menteuses de la douleur et de l'éducation thérapeutique douleur et/ou du fait de non-renouvellements de postes
du patient, médicaux.
Chapitre 57. Les douleurs chroniques en France. Recommandations... 371
Stade 1 : médecin généraliste Stade 2 : médecin spécialiste douleur Stade 3 : centre douleur pluridisciplinaire
ou spécialiste (SDC) (soins-enseignement-recherche... CHU)
Douleurs chroniques au cours du cancer impact médico-économique important, lié aux soins ainsi
Le nombre de malades en vie après un cancer augmente qu'à l'absentéisme des parents au travail [11].
régulièrement : il atteint 3 millions en France, en 2008, avec Actuellement en France, seules trente SDC bénéficient
la prévision de 18 millions en 2022. Leur réinsertion dans la d'une labellisation spécifique pour l'accueil des enfants, avec
« vie normale » dans ce contexte d'« après cancer » [7] néces- une grande disparité géographique. La spécificité d'experts
site une prise en charge psychosociale et familiale ainsi qu'un de la douleur de l'enfant est nécessaire pour une évaluation et
suivi oncologique incluant une bonne qualité d'alimentation, une prise en charge appropriées dans les cas les plus difficiles.
la pratique du sport, un soutien psychologique, mais aussi une
prise en charge des douleurs chroniques, souvent rebelles à Douleurs chroniques en gériatrie
de nombreux traitements. Celles-ci peuvent être induites par et dans les maladies neurodégénératives
le cancer, les actes diagnostiques et thérapeutiques (chirurgie, Les personnes âgées de plus de 65 ans représentent 17 % de
radiothérapie, chimiothérapie, utilisation de facteurs de crois- la population française. Les projections démographiques
sance ou d'antiaromatases, etc.) ou encore la dépression et le font état d'une augmentation de 25 % de personnes âgées de
stress (crainte d'une r écidive et de la mort). Dans ce contexte, plus de 75 ans d'ici 2025.
en interface étroite avec les oncologues, les SDC peuvent être Touchant 50 % des personnes âgées vivant à domicile,
utiles pour apaiser les douleurs les plus rebelles, notamment 70 % de celles vivant en institution et plus de 80 % de celles
neuropathiques ou articulaires, condition d'une reprise de l'ac- en phase terminale de vie, les douleurs chroniques réduisent
tivité physique et d'une lutte efficace contre la fatigue, l'anxiété la mobilité, favorisent l'isolement et produisent un état
et la dépression [8]. dépressif souvent inaugural de troubles du comportement
et de la cognition. Un nombre croissant de personnes âgées
Douleurs chroniques de l'enfant et de l'adolescent souffrent de douleurs parfois mal exprimées, sous-estimées
Fréquentes et parfois sous-évaluées, les douleurs chroniques et souvent importantes, notamment au cours de maladies
ont un retentissement global sur l'enfant et sa famille. Des neurodégénératives (démences, maladie de Parkinson, AVC,
études anglo-saxonnes montrent qu'il existerait des dou- troubles cognitifs, etc.). Les nouvelles techniques d'évalua-
leurs chroniques et/ou récurrentes chez 25 % des enfants et tion observationnelle du comportement (visage et attitude)
adolescents, avec une prédominance chez les filles [9, 10]. sont en l'occurrence précieuses.
Il s'agit essentiellement de céphalées et de migraines, de L'encadré 57.1 explicite dix objectifs de la prise en
douleurs musculosquelettiques, abdominales ou diffuses. À charge de la douleur en gériatrie et dans les maladies
l'origine d'un absentéisme scolaire important, elles ont un neurodégénératives [12, 13].
Chapitre 57. Les douleurs chroniques en France. Recommandations... 373
[7] Villet R, Degos L, Rouëssé J, Huriet C, Triboulet P. Retour à la « nor- [13] Pickering G, Pain Neuropathic. In : Lussier Cruciani, editor. Pain
male » après traitement d'un cancer. Bull Acad Natle Méd 2018 ; 202 : Management in the Elderly Patient : A Comprehensive Guide to
521–35. Diagnosis and Treatment. New York : Springer ; 2017.
[8] Welsch C, Delorme C, Larue F, Beauchet A, Krakowski I, Braseur L. [16] Michel JP, Beattie BL, Martin FC, Walston JD. Oxford Textbook of
Données épidémiologiques sur la douleur du cancer en France. Évolu- Geriatric Medicine. Oxford : Oxford University Press ; 2017.
tion sur deux décennies de la prévalence et de l'intensité de la douleur [14] Serrie A. La prise en charge de la douleur chronique : un problème de
chez les malades atteints de cancer. Douleur et Analgésie 2013 ; 26 : société. Bull Acad Natle Méd 2015 ; 199 : 555–65.
126–32. [15] Eschalier A, Mick G, Perrot S, Poulain P, Serrie A, Langley P,
[9] King S, Chambers CT, Huguet A, MacNevin RC, McGrath PJ, Par- Pomerantz D, Ganry H. Prevalence and characteristics of pain and
ker L, Mac Donald AJ. The epidemiology of chronic pain in child- patients suffering from pain in France : an epidemiological survey
ren and adolescents revisited : A systematic review. Pain 2011 ; 152 : National Health and Wellness Survey in 1500 adults. Douleurs 2013 ;
2729–38. 14 : 4–15.
[10] Huguet A, Miró J. The Severity of Chronic Pediatric Pain : an Epide- [17] Queneau P, Serrie A, Laurent B, Trèves R, Communiqué : À propos
miological Study. J Pain 2008 ; 9 : 226–36. de la disparition du DESC douleur. Une formation spécialisée trans-
[11] Gallo A, Tourniaire B, Chary-Tardy A-C. Que sont devenus les ado- versale de la douleur chronique est nécessaire. Bull Acad. Natle Méd
lescents douloureux chroniques ? Suivi d'une cohorte. Archives de 2016 ; 3 : 597–9.
pédiatrie 2012 ; 19(6) : H276–7. Supplément 1.
[12] Capriz F, Chapiro S, David L, Floccia M, Guillaumé C, Morelet V,
et al. Consensus multidisciplinaire de l'utilisation des antalgiques
chez la personne âgée. Douleurs 2017 ; 18 : 234–47.
Chapitre
58
Liste des recommandations
Alain Serrie, Claire Delorme, Marie-Louise Navez
PLAN DU CHAPITRE
Méthodologie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 Opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379
Cancer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 Enfant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 Sujet âgé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
Douleurs neuropathiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 Anesthésie locale et locorégionale . . . . . . . . . 380
Douleurs postopératoires . . . . . . . . . . . . . . . . . 378 Soins palliatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
Fibromyalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379 Handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
Migraine et céphalée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379
Les recommandations mises à jour par la SFETD seront pré- support)-SFAP (Société française d'accompagnement et de
sentées à l'occasion du 19e Congrès national de la SFETD du soins palliatifs)-SFETD, sont actuellement uniquement dispo-
27 au 29 novembre 2019 à Strasbourg et seront accessibles nibles dans la revue Douleur et Analgésie (2018 ; 31 : 109–19).
sur le site http://www.sfetd-douleur.org/.
La morphine dans le cadre
Méthodologie générale du changement d'opioïde ou de voie
Méthode « Recommandations d'administration, chez l'adulte avec
pour la pratique clinique » (2010) une douleur due au cancer (2017)
L'objectif de ces « Standards, options et recommandations »
Ce guide a pour objectif de décrire la méthode d'élaboration
(SOR) élaborés par le groupe d'experts AFSOS-SFAP-SFETD
de recommandations de bonne pratique selon la méthode
est de fixer les modalités d'administration de la morphine
« Recommandations pour la pratique clinique ». Il s'adresse
dans le cadre du changement d'opioïde ou de voie d'adminis-
aux professionnels qui souhaitent connaître la méthode uti-
tration, chez l'adulte avec une douleur due au cancer.
lisée par la HAS ou développer des recommandations de
https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/
bonne pratique selon cette méthode.
h t t p s : / / w w w. h a s - s a n t e . f r / j c m s / c _ 4 3 1 2 9 4 / f r /
recommandations-pour-la-pratique-clinique-rpc L'oxycodone dans le cadre
du changement d'opioïde en oncologie
Méthode « Recommandations (2016)
par consensus formalisé » (2010) L'objectif de ces « Standards, options et recommandations »
élaborés par le groupe d'experts AFSOS-SFAP-SFETD est de
Ce guide a pour objectif de décrire la méthode d'élabo-
fixer les modalités d'administration du nouvel opioïde dans
ration de recommandations de bonne pratique selon la
la prise en charge de la douleur due au cancer.
méthode « Recommandations par consensus formalisé ».
https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/
Il s'adresse aux professionnels qui souhaitent connaître la
méthode utilisée par la HAS ou développer des recomman-
dations de bonne pratique selon cette méthode. SOR pour la prise en charge des douleurs
h t t p s : / / w w w. h a s - s a n t e . f r / j c m s / c _ 2 7 2 5 0 5 / f r / provoquées lors des ponctions lombaires,
recommandations-par-consensus-formalise-rcf osseuses et sanguines chez les patients
atteints de cancer — adulte et enfants
Cancer (2005)
L'hydromorphone dans le cadre L'objectif de ces recommandations pour la pratique clinique
est de déterminer les règles de prise en charge des douleurs
du changement d'opioïde en oncologie provoquées lors des ponctions sanguines, lombaires ou
(2018) osseuses chez l'adulte et l'enfant atteints de cancer. Elles visent
Ces recommandations, émanant du groupe d'experts AFSOS à améliorer la qualité de la prise en charge des patients en
(Association francophone pour les soins oncologiques de fournissant aux praticiens une aide à la décision facilement
Médecine de la douleur pour le praticien
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 377
378 Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux
aspects identifiés comme prioritaires : la qualité, l'utilisation l'adulte et, lorsque la CCQ survient chez un migraineux,
des morphiniques, l'utilisation des antalgiques non morphi- la prise en charge des céphalées par abus médicamenteux
niques, l'intérêt des antihyperalgésiques, la prévention de ainsi que celle de la migraine chronique. La littérature sur
la douleur chronique postchirurgicale, les indications des les CCQ de l'enfant est plus pauvre. Le groupe de travail
infiltrations, la place de l'anesthésie locorégionale en post a cependant dégagé quelques particularités concernant la
opératoire et l'analgésie après chirurgie en ambulatoire. démarche diagnostique en cas de CCQ de l'enfant et de
ht t p s : / / s f a r. o r g / p r i s e - e n - c h a r g e - d e - l a - d o u l e u r- l'adolescent.
postoperatoire-chez-ladulte-et-lenfant-2/ https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
S0035378714000666?via%3Dihub
Prévention et traitement de la douleur
postopératoire en chirurgie buccale (2005) Prise en charge diagnostique
L'objectif de ces recommandations est d'assurer une meil- et thérapeutique de la migraine
leure prise en charge de la douleur postopératoire pour les chez l'adulte et chez l'enfant (2013)
patients hospitalisés ou en ambulatoire en cas de chirurgie Les recommandations concernent la prise en charge
buccale (hors chirurgie sous anesthésie générale et hors globale de la migraine : stratégie diagnostique et thé-
analgésie par protoxyde d'azote [50 %] et oxygène). rapeutique, aspects économiques de la maladie et de ses
https://www.has-sante.fr//portail/jcms/c_272499/ traitements, migraine cataméniale, migraine de la femme
prevention-et-traitement-de-la-douleur-postoperatoire-en- enceinte, migraine et contraception orale ou encore
chirurgie-buccale migraine et ménopause. Ces recommandations consti-
tuent les révisions des recommandations professionnelles
sur la « Prise en charge diagnostique et thérapeutique de
Fibromyalgie la migraine chez l'adulte et chez l'enfant : aspects cliniques
et économiques », publiées par l'Anaes (Agence nationale
Rapport d'orientation – Syndrome d'accréditation et d'évaluation en santé) en 2002 et révisées
fibromyalgique de l'adulte (2010) en 2012.
Rédigé par la HAS à la demande du ministère de la Santé, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
ce rapport d'orientation fait un état des lieux des données S0035378712010466
disponibles (hors sciences fondamentales) concernant le
syndrome fibromyalgique de l'adulte et propose des orienta- Recommandations pour le diagnostic et le
tions aux professionnels de santé pour prendre en charge les traitement de l'algie vasculaire de la face
personnes qui en souffrent.
Ces recommandations, élaborées par la SFEMC, concernent le
h t t p s : / / w w w. h a s - s a n t e . f r / j c m s / c _ 9 9 3 8 9 9 / f r /
diagnostic et la prise en charge de l'AVF chez le patient adulte.
syndrome-fibromyalgique-de-l-adulte
Elles sont destinées aux professionnels impliqués dans la
prise en charge des patients présentant une algie vasculaire
Migraine et céphalée de la face : médecins généralistes et spécialistes, pharma-
ciens d'officine.
Recommandations pour la prise en charge https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
d'une céphalée en urgence S1624568715000025
Les recommandations, élaborée par la Société française
d'étude des migraines et des céphalées (SFEMC) et la Opioïdes
Société française de neurologie (SFN), concernent la prise
en charge des céphalées en urgence : distinction des quatre Utilisation des opioïdes forts
tableaux cliniques, éléments clés de l'interrogatoire et de dans la douleur chronique non cancéreuse
l'examen physique, stratégie diagnostique et thérapeutique. chez l'adulte, recommandations de bonne
Les recommandations concernent l'adulte. pratique clinique par consensus formalisé
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ (janvier 2016)
S1624568718300015
Ces recommandations ont été élaborées par la SFETD.
https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/
Démarche diagnostique générale devant
une céphalée chronique quotidienne Mise au point sur l'utilisation du
(CCQ) – Prise en charge d'une CCQ fentanyl transmuqueux – chez le patient
chez le migraineux : céphalée par abus présentant des douleurs d'origine
médicamenteux et migraine chronique cancéreuse (2011)
Ces recommandations (élaborées par la SFEMC, l'Asso- Cette mise au point a été élaborée par un groupe d'experts
ciation des neurologues libéraux de langue française issus de l'AFSOS, de la SFAP et de la SFETD.
[ANLLF] et la SFETD, en 2014) concernent essentiellement https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
la démarche diagnostique générale devant une CCQ de S1624568711002769
380 Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux
Enfant https://sfar.org/techniques-analgesiques-locoregionales-et-
douleur-chronique/
Prise en charge médicamenteuse
de la douleur chez l'enfant : alternatives
à la codéine – Fiche mémo (2016) Soins palliatifs
Cette fiche mémo a pour objectif de proposer des alterna-
tives médicamenteuses à l'utilisation de la codéine dans la
Douleur rebelle en situation palliative
prise en charge de la douleur aiguë et prolongée chez l'en- avancée chez l'adulte (2010)
fant, dans les situations cliniques problématiques les plus Ces recommandations ont pour objectif d'apporter les infor-
fréquentes. Ces recommandations n'abordent pas l'évalua- mations à l'ensemble des prescripteurs sur les médicaments
tion de la douleur en pédiatrie, les thérapies non médica- utilisés dans la douleur en situation palliative avancée chez
menteuses et la prise en charge de la douleur du nouveau-né. l'adulte, que ce soit à l'hôpital ou à domicile.
https://www.has-sante.fr/jcms/c_2010340/fr/prise-en- Ces recommandations concernent des patients douloureux
charge-medicamenteuse-de-la-douleur-chez-l-enfant- en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incu-
alternatives-a-la-codeine rable. Il peut s'agir de douleurs rebelles ou réfractaires, lorsque
les patients ne sont pas soulagés de façon satisfaisante ou
Prise en charge médicamenteuse de la lorsque les effets indésirables limitent l'utilisation des produits.
http://www.sfap.org/rubrique/recommandations-ansm-sur-
douleur aiguë et chronique chez l'enfant la-douleur
(2009)
L'objectif de ces recommandations est d'assurer une meil-
leure prise en charge médicamenteuse de la douleur chez Recommandations pour l'indication
l'enfant en milieu hospitalier et dans certaines situations et l'utilisation de la PCA à l'hôpital
particulières en ville. et à domicile, pour l'administration
https://pediadol.org/afssaps-prise-en-charge-medicamen-
teuse-de-la-douleur-aigue-et-chronique-chez-lenfant- de morphine chez le patient atteint
recommandations-de-bonne-pratique/ de cancer et douloureux, en soins
palliatifs (2006)
Sujet âgé Ces recommandations ont pour objectif de faciliter l'anal-
gésie contrôlée par le patient (PCA) en soins palliatifs chez
Évaluation et prise en charge thérapeutique les patients atteints de cancer et douloureux, sa prescription
de la douleur chez les personnes âgées de au moment de sa mise en place et lors du retour à domi-
cile, ainsi que sa mise en place et sa surveillance par l'équipe
ayant des troubles de la communication infirmière.
verbale (2000) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/
Ces recommandations, concernant l'évaluation et le trai- S1636652207897376
tement de la douleur chez les personnes âgées ayant des
troubles de la communication verbale, sont destinées à tout
médecin amené à prendre en charge ces patients en établis- Handicap
sement de soins ou au domicile.
https://www.has-sante.fr//portail/jcms/c_272123/ Qualité de vie : handicap, les problèmes
evaluation-et-prise-en-charge-therapeutique-de-la- somatiques et les phénomènes
douleur-chez-les-personnes-agees-ayant-des-troubles-de-
la-communication-verbale
douloureux (2017), guide
L'objectif est de donner des éléments de compréhension aux
professionnels pour améliorer la prévention, le repérage et
Anesthésie locale et locorégionale la prise en compte des problèmes somatiques et des phéno-
mènes douloureux.
Techniques analgésiques locorégionales Ce guide est utile pour accompagner la réflexion des pro-
et douleur chronique (2013) fessionnels. Pour coordonner les actions de ces derniers, il
Les objectifs de ces RFE sont d'une part de valider l'intérêt se décline en quatre axes :
des techniques d'analgésie locorégionale dans le traitement ■ la personne, sa participation au volet soin de son projet
de la douleur chronique, en termes d'efficacité, de bénéfices personnalisé et les évaluations ;
et de risques pour le patient et, d'autre part, de préciser leur ■ le repérage des problèmes somatiques et des phénomènes
place au sein des autres propositions thérapeutiques déjà douloureux : l'évaluation et leurs traitements ;
validées et/ou admises à partir des données de la littérature ■ les proches et les acteurs de la coordination ;
ou de consensus d'experts. ■ la promotion et l'éducation pour la santé.
Ces recommandations ont fait l'objet d'une publication https://w w w.res e au-ma l adies-rares.f r/ac tu a lites/
dans les Cahiers de la SFETD. anesm-guide-des-problemes-somatiques