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SAINTE RITA DE CASCIA


La Rose de l’Ombrie

LA VIE ET LES LIEUX

Textes de Mario Polia


Traduction de l’italien par Marie Allain

ÉDITIONS DU PARVIS
1648 HAUTEVILLE / SUISSE
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SOMMAIRE
SAINTE RITA DE CASCIA – LA ROSE DE L’OMBRIE
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Chap. I. Chapitre IV. LA BASILIQUE


LA VILLE DE RITA, CASCIA 11 SAINTE-RITA 121

1. La voie des portiques 128


2. La grille en bronze 131
Chapitre II. LA VIE DE RITA 33 3. Les balustrades 132

1. Les parents 36 A. LA BASILIQUE SUPÉRIEURE 139


2. La naissance de Rita, le baptême, 1. Le portail d’entrée 139
le prodige des abeilles 37 2. L’abside d’entrée 139
3. La jeunesse 40 La vie de Jésus
4. Le mariage 41 3. L’abside de droite,
5. La mort du mari et des fils 46 ou chapelle de l’Assomption 148
6. L’entrée au couvent 48 La vie de Marie
7. La vie monacale 52 La Madone de la Ceinture
Le miracle du bois sec Les vitraux
La profession religieuse 4. L’abside centrale,
8. Le stigmate de l’épine 56 ou chapelle du Saint-Sacrement 155
9. Le pèlerinage à Rome 58 Le presbytère
10. La maladie et le miracle Les œuvres de Giacomo Manzù
de la rose et des figues 60 Les sièges
11. Le passage de Rita dans l’au-delà 62 Les vitraux
12. Rita la sainte de l’impossible 64 5. Le corps central et la coupole 167
Les inscriptions latines
6. L’abside de gauche
et la chapelle de Rita 173
Chapitre III. La chapelle intérieure
LE MONASTÈRE DE SAINTE RITA 83 Le sarcophage et le petit temple

1. Le couloir 86 B. LA PÉNITENCERIE 180


2. le cloître 89 1. «La Fontaine de la Vie» 183
3. Le chœur 93 2. La porte cochère 185
4. L’oratoire du crucifix 99 3. La salle d’accueil 185
5. La pièce du sarcophage provisoire 100 Statue du fils prodigue
La châsse du XVIIIe 4. Salle de préparation
Le panneau décoré aux confessions 187
L’anneau nuptial 5. La chapelle des célébrations
La couronne du rosaire et des confessions 189
6. La cellule et le cercueil solennel 102 6. Salle des confessions
La cellule individuelles 191
L’humble cercueil et la reconnaissance 7. Salle du remerciement 191
du corps 8. L’escalier hélicoïdal 193
Le cercueil solennel
Le tableau du Trépas C. LA BASILIQUE INFÉRIEURE
7. Les tableaux autour de la cellule 117 DITE DU SACRÉ-CŒUR 193
7

1. L’abside du transept droit et la chapelle


du bienheureux Simone Fidati 193
2. Le corps central de la basilique
inférieure 199
3. L’abside principale
et le maître-autel 200
4. L’abside du transept gauche
et la tombe de Mère Fasce 200

Chapitre V. ROCCAPORENA,
BOURG NATAL DE RITA 213

1. Le sanctuaire 227
Le manteau miraculeux
2. L’église Saint-Montano 234
3. La demeure de Rita 237
Quelle était la maison natale de Rita?
La maison conjugale
4. La Maladrerie 247
5. Le jardin de sainte Rita 250
6. Le Rocher 254
7. La Grotte d’Or 262

Chapitre VI.
LES SYMBOLES DE RITA 271

1. Les abeilles 273


L’abeille et la parole prophétique
L’abeille, le miel, l’axe du monde
et l’âge d’or
L’abeille et la virginité
Rita, abeille bâtisseuse
2. L’envol 279
3. Le bois desséché 284
4. La rose et le figuier:
l’hiver devient printemps 285

Cartes: La Valnerina 294


La ville de Cascia 296
Le bourg de Roccaporena 296

BIBLIOGRAPHIE 306
NOTES 308
Chapitre II. LA VIE DE RITA
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SAINTE RITA DE CASCIA


La Rose de l’Ombrie

LA VIE ET LES LIEUX

Textes de Mario Polia


Traduction de l’italien par Marie Allain

ÉDITIONS DU PARVIS
1648 HAUTEVILLE / SUISSE
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à travers des morceaux choisis et signi- société secouée par les conflits et les riva-
ficatifs, d’avoir une bonne approche de lités, cette société de Cascia des années
cette humble mais gigantesque figure de 1300, les parents de Rita avaient mérité
femme et de sainte. l’appellation de «porte-paix du Christ».
Dans la mesure où il sera possible de com- Ce rôle de «pacificateur», à cette époque,
prendre Rita, nous pourrons comprendre était reconnu par les autorités locales et
aussi les lieux où elle a vécu, les œuvres dûment certifié par des documents chez
d’art qui célèbrent sa sainteté, ainsi que le le notaire.
culte qui s’est déployé autour d’elle. C’est justement un document notarial, un
contrat de location daté du 10 avril 1445,
1. Les parents qui permet de dissiper tous les doutes
concernant l’identité du père de Rita.
Un des premiers biographes de Rita, En effet, avec les noms d’autres moniales
le Père Agostino Cavallucci de Foli- du couvent Sainte-Marie-Madeleine, ce
gno (1610), décrit les parents de Rita, document mentionne «Rita, fille d’Anto-
comme des personnes très honorables, nio Lotti». Le nom patronymique de Rita
qui vivaient saintement leur existence est donc Lotti. En ce qui concerne la mère,
conjugale, ils distribuaient le fruit de leur les traditions locales avancent le nom
travail aux pauvres et à l’église de leur d’Amata Ferri, originaire de Fogliano, un
bourgade natale, le château de Roccapo- des bourgs de Cascia.
rena, ne conservant pour eux-mêmes que Ce nom, jusqu’à présent n’a pas eu de
le strict nécessaire. En effet, le plus ardent références historiques. En ce qui concerne
désir des deux époux, était de satisfaire les origines de la mère, il semble toujours
la volonté de Jésus. Le thème central de plus probable qu’elle fut bien de Cascia,
leur méditation, et l’argument principal où, en revanche, l’on trouve une men-
de leur conversation était la Passion du tion d’une certaine dame Ferri, de bonne
Christ. condition.
Les anciennes traditions orales de Cascia
s’accordent à reconnaître aux parents de ... Epoque où peu après la naissance
Rita le rôle de médiateurs de paix; c’est-à- de Rita, advient le premier miracle:
dire des réconciliateurs en cas de litiges et celui des abeilles qui entrent
de disputes publiques. Lorsque leur par- dans la bouche de l’enfant endormie.
venait la nouvelle d’une discorde, écrit le
P. Cavallucci, ils cherchaient aussitôt à
pacifier les querelleurs, en recourant à la En ce qui concerne la position sociale de
persuasion, et s’il le fallait, aux menaces la famille de Rita, le peu d’informations
des peines de ce monde et de celles de fournies par Cavallucci nous laisse
l’au-delà, mais toujours en suggérant le entendre que la famille Lotti ne devait
souvenir de la Passion du Christ et de sa pas appartenir à la condition sociale la
terrible mort, que Lui accepta et endura plus modeste, dans la mesure où elle était
par amour des hommes. En remplissant à même de subvenir, par des dons et des
cette fonction, providentielle dans une offrandes, aux besoins des plus pauvres.
LA VIE DE RITA
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Le rôle de «pacificateurs» joué par les «la sainte femme naquit de parents pauvres
parents de Rita, en outre, permet de sup- mais très pieux». L’incongruité s’explique
poser qu’ils jouissaient d’un certain pres- du fait que les hagiographes du XVIIe
tige social et non seulement moral, ce siècle cherchaient à ajuster le plus pos-
qui confirme tout à fait l’honorabilité sible la vie des saints au modèle de la pau-
que leur premier biographe leur a attri- vreté évangélique, modèle proposé effica-
buée. D’ailleurs, ceux qui ne possédaient cement, justement en Ombrie, et sur une
rien – c’est-à-dire qui n’arrivaient pas à vaste échelle, depuis François d’Assise et
subvenir à leurs propres besoins – étaient les ordres franciscains.
en effet exclus de la fonction publique. La famille de Rita et Rita elle-même,
Et jusque dans les procès, leurs témoi- offrent un éloquent exemple de la façon
gnages n’étaient pas pris en considéra- dont des personnes pourvues d’un
tion. Des documents historiques attes- modeste bien-être, éclairées par la misé-
tent que la famille Lotti de Roccaporena ricorde divine, capables de frugalité et de
était propriétaire de terrains, certains discipline, peuvent devenir une bénédic-
d’entre eux offerts par Rita comme dot tion pour les autres.
couvent Sainte-Marie-Madeleine, lorsque En revenant sur le terme de la profonde
fut acceptée sa demande de se faire piété religieuse qui a inspiré les parents
moniale. Nous savons, d’autre part, que de Rita, les biographes ont mis en évi-
Rita fut propriétaire, jusqu’à la fin de sa dence le rôle que ceux-ci ont joué dans
vie, d’un petit verger non loin de Rocca- l’éducation de leur fille.
porena, devenu célèbre du fait des L’accent mis par le P. Cavallucci sur
miracles de la rose et des figues. la toute spéciale dévotion à la Passion
Pour conclure, la famille Lotti, même si du Christ, de la part des parents, n’est
elle n’appartenait pas à l’une des classes pas en effet un simple hasard: l’entière
sociales les plus élevées, comme les expérience religieuse de Rita fut pro-
grands propriétaires fonciers, appartenait fondément marquée par la méditation,
cependant à une condition aisée c’est- constante et très fervente, de la Passion et
à-dire qu’ils pouvaient «vivre de leurs sa foi fut signée du stigmate d’une épine
rentes». Ce relatif confort offrait une dis- jaillie de la couronne du Crucifié qui,
ponibilité pour un assidu et louable ser- pendant quinze ans, marqua son front.
vice social. En bons disciples de l’ensei-
gnement du Maître, les deux conjoints 2. La naissance de Rita, le baptême,
faisaient un usage économe de leurs le prodige des abeilles
propres biens, afin que d’autres puissent
aussi profiter des grâces que Dieu leur La date exacte de la naissance de Rita,
avait concédées. Après le P. Cavallucci, étant donné le silence des documents his-
les biographes prirent le parti de situer la toriques à ce propos, reste ignorée. Il y a
famille de Rita parmi les familles les plus bien quelques biographes pour indiquer
pauvres de Roccaporena, ainsi, on peut l’an 1381, si l’on accepte la tradition
lire dans la biographie de 1628, écrite et selon laquelle Rita serait morte à 76 ans,
attribuée à deux moniales du couvent: mais avec une mort survenue en 1447,
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elle serait plutôt née en 1371. Si, en Cavallucci introduit dans sa biographie,
revanche on accepte la date d’une mort la visite de l’ange qui rassure la femme en
en 1457, la naissance, alors, reste plus lui révélant que c’est la volonté de Dieu
probable en 1381. L’année exacte de la qui s’est accomplie ainsi, car Il désirait
mort de la sainte de Roccaporena – 1447 qu’ une enfant naisse d’elle, enfant desti-
ou 1457 – est aujourd’hui très débattue. née à accomplir de grandes choses.
Les traditions orales et écrites concordent Et même le nom que devait porter ce
toutes sur le fait que Rita naquit quand nouveau-né, aurait été suggéré «en vision»
ses parents étaient désormais arrivés à aux parents de Rita. Nous ne savons pas
un âge avancé. Le P. Cavallucci écrit à à quelle source le P. Cavallucci se réfère,
ce sujet: «Alors qu’ils étaient arrivés à une en livrant ces nouvelles, mais, peut-être,
grande vieillesse, le Seigneur a voulu leur s’agit-il d’un certain goût pour la légende
démontrer l’amour qu’il leur portait en leur dorée, de la part du biographe.
faisant avoir miraculeusement, en dehors En effet, il revient spontanément en
de l’âge de la procréation, une petite fille10.» mémoire, en considérant cette grossesse
La mère très âgée de Rita, en s’apercevant tardive de la mère de Rita, la grossesse
qu’elle était enceinte, s’émerveilla de cet tout aussi miraculeuse de sainte Elisa-
événement inattendu et déjà extraordi- beth, et enfin on ne peut s’empêcher de
naire en lui-même. Sur cet épisode, le P. faire aussi le parallèle entre la visite de
LA VIE DE RITA
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l’ange à la pieuse maman de Roccapo- avant de s’endormir, invoquent la protec-


rena, et l’Annonciation faite à Marie de tion de la sainte. En voici un exemple:
la part de l’archange Gabriel.
Pour expliquer le choix du nom de Rita «Je vais au lit
toutefois, il n’est pas nécessaire de déran- avec la Madone sur le cœur,
ger les anges, on peut avancer une autre avec sainte Marguerite,
hypothèse: que la mère ait atteint, voire que Dieu nous bénisse.»
dépassé les limites physiologiques où une
femme peut normalement accoucher. Ainsi le choix de ce nom de Marguerite
Cette hypothèse, eu égard à la quantité de pourrait simplement exprimer le remer-
témoignages, est à retenir parmi les plus ciement d’une mère pour son heureux
probables. Dans cette situation – où la accouchement. Mais, nous le répétons,
vie de la mère et de l’enfant étaient mises cela est seulement une hypothèse.
en péril – une femme dotée d’une solide A Roccaporena, à l’époque de Rita, les
foi, devait certainement se recommander fonts baptismaux n’existaient pas et ils
aux saints protecteurs de l’accouchement. n’existaient toujours pas à l’époque de
Dans le nombre, durant le Moyen Age, l’évêque Lascaris, lequel, pendant sa
à part sainte Anne – protectrice invo- visite en 1712, nota qu’en l’église Saint-
quée dans la campagne ombrienne par Montano: «On ne peut pas utiliser les
les futures mères – il y avait sainte Mar- fonts baptismaux, en raison d’un extrême
guerite, vierge et martyre, vers laquelle se inconfort, il vaut mieux se rendre à
tournait toute femme dans l’espoir d’un l’église de Cascia». Le baptême de la
bon accouchement. A Cascia, il y avait un petite Rita fut célébré, selon la tradition
couvent de bénédictines, dédié à sainte à Cascia, en l’église Sainte-Maria de la
Marguerite. Sa réputation de patronne Pieve, où encore aujourd’hui l’on montre
des naissances provenait d’une ancienne aux pèlerins les anciens fonts baptismaux
légende: alors qu’elle était en prison dans en pierre, mais nous ne savons pas avec
l’attente du martyre, le diable se présenta certitude à quel âge elle reçut ce bap-
à elle sous forme d’un énorme dragon et tême. Selon de récentes recherches,
l’engloutit. Dans le ventre du monstre, la cependant, Rita aurait été plutôt bapti-
vierge traça le signe de la croix, et étrei- sée en l’église augustinienne Saint-Jean-
gnit entre ses mains, la croix qu’elle por- Baptiste, située sur les collines de Cascia.
tait autour du cou et ainsi se retrouva Les historiens, se référant aux usages de
libre, saine et sauve. Son iconographie la l’époque et aux dispositions ecclésias-
représente avec le dragon tenu en laisse et tiques en la matière, avancent l’âge de
la palme du martyre. La dévotion à sainte douze ou treize ans. Si c’est bien ainsi
Marguerite commença à faiblir dans la que les choses se déroulèrent, le baptême
seconde partie du Cinquecento11, mais aurait donc eu lieu très peu d’années
dans le Trecento elle est toujours large- avant le mariage.
ment répandue. Encore aujourd’hui, des Peu de temps après la naissance de Rita,
fragments de ces prières, retrouvés dans advint ce que l’on a appelé le prodige des
la Valnerina, et qui doivent être récitées abeilles: celles-ci entraient et sortaient de
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la bouche de l’enfant endormie. Cette répondait que son destin était de servir
tradition du premier prodige est très Jésus crucifié et mort pour elle.
ancienne, car on peut admirer cette scène La courte note biographique écrite par
représentée sur la Tela Antiquissima12, la les sœurs14, raconte les nuits passées en
«Très Vieille Toile», peinte juste après la prières par la petite Rita et sa déception
mort de la sainte. Les juges du procès, lorsque le soleil, surgissant derrière les
malgré le mauvais état de conservation montagnes, inondait sa petite chambre,
du tableau13, purent reconnaître cinq et, avec le bruit des clochettes des pre-
abeilles qui entraient et sortaient de la miers troupeaux, la détournait de son
bouche de Rita endormie dans son ber- recueillement. Une haute figure de l’es-
ceau, en présence de ses parents. prit, père de tous les ermites chrétiens,
A ce prodige des abeilles, la tradition Antoine le Grand, mille ans avant Rita,
populaire associe le premier «miracle» avait pour habitude de s’en prendre au
réalisé grâce à Rita: un métayer, employé grand soleil rouge qui s’élevait au-dessus
à travailler dans les alentours, non loin du désert brûlé de l’Egypte, car la lumière
de l’enfant endormi, effrayé par ce péril solaire en déchirant le voile de la nuit,
qui, selon lui, menaçait le nourrisson, dissipait aussi le silence sacré.
accourut pour chasser les abeilles. Or, La tradition souligne, chez Rita, cette
il s’était blessé profondément la main vertu de l’obéissance et une docilité natu-
quelque temps auparavant, et lorsqu’il fit relle. Bien que la famille Lotti ne fût pas
le geste de disperser les abeilles, sa bles- des plus modestes, le travail était cepen-
sure se referma miraculeusement à l’ins- dant une nécessité quotidienne: le bio-
tant même. graphe a écrit à propos des parents de la
sainte, qu’ils se fatiguaient beaucoup dans
3. La jeunesse les affaires temporelles, autrement dit,
que ceux-ci travaillaient dur pour gagner
Dans l’ambiance familiale, profondé- leur pain quotidien et aider en cela les
ment religieuse, et en vivant au contact plus pauvres, secourus par eux. Le devoir
de parents qui se consacraient à la prière du travail, devait aussi incomber à Rita
et aux œuvres de charité, le naturel pen- depuis sa plus tendre jeunesse. Sa famille
chant de Rita vers les choses spirituelles, détenait ce qu’aujourd’hui nous quali-
fut favorisé, et sa vocation y trouva le ter- fierions comme une «exploitation fami-
reau favorable pour se développer. Son liale»; les occupations de Rita, devaient
premier biographe écrit que Rita, depuis probablement concerner le travail aux
son plus jeune âge, a été enflammée par champs et le soin donné aux troupeaux
l’amour de Dieu. Depuis toute petite, elle de brebis ou de chèvres, qui, après le tra-
montra un dégoût des choses du monde, vail de la terre, a constitué pendant des
renonçant au superflu et aux vanités. siècles la principale source de revenus
Quand ses parents ont cherché à la faire du paysan ombrien. Rita, d’autre part,
entrer dans la société de l’époque, parmi devait veiller aux soins qui incombaient
les gens de leur condition sociale – peut- aux gamins: ramasser les glands pour les
être aussi en vue d’un mariage – Rita cochons; surveiller le poulailler; transpor-
LA VIE DE RITA
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ter l’eau; laver le petit linge. Comme ces veuvage, encore jeune, et par la mort de
corvées étaient relativement faciles dans ses enfants à un âge tendre. Son biographe
la société rurale de l’époque, les enfants, écrit que ses parents, désormais vieux et
vers l’âge de 10 ans devaient aussi emme- malades, alors que la fillette avait environ
ner les brebis au pâturage. Dans le cas 12 ans, prirent la décision de l’orienter
de Rita, en outre, cette participation au vers le mariage. Rita, cependant, berçait
travail de ses parents, qui avaient atteint en son cœur un autre projet: celui de
un âge avancé, s’avérait indispensable. servir Dieu dans la vie religieuse. A ses
Dans le silence des montagnes, à l’ombre parents qui tentaient de la persuader de
des grands chênes ou des arbres noueux, devenir épouse et mère, Rita répondait
quelques-uns de ces petits bergers lais- vouloir devenir l’épouse de Jésus. Pour-
sèrent l’esprit de Dieu, en traversant leurstant, par considération des desiderata de
modestes habits, pénétrer dans leur âme, ses parents, toujours selon son biographe,
y suscitant la nostalgie de l’éternité. Parmi
Rita finit par consentir à prendre un mari
ces enfants, se trouve Rita. «Même si c’était contraire à sa volonté»15.
En ce qui concerne la culture de la jeune Afin de mieux comprendre la vie de Rita
Rita, son iconographie nous autorise à et, surtout le caractère spécifique de sa
sainteté, cette dernière expression mérite
supposer qu’elle savait lire et écrire, étant
donné qu’on la représente souvent avec un commentaire adéquat.
un livre de prières à la main, ou avec les Ses biographes, parmi lesquels le P.
Saintes Ecritures. Leur condition sociale Cavallucci, ainsi que la tradition popu-
imposait aux parents de prendre soin de laire, attribuaient aux parents de Rita
l’instruction de leur fille, de telle sorte une grande piété et un rôle déterminant
qu’elle fasse l’acquisition des bases fon- dans l’éducation spirituelle de leur fille;
damentales, voire, à travers la lecture et en effet, ils pratiquaient la vertu de la
l’écriture, d’une certaine éducation reli- charité, cultivée à un très haut point, en
gieuse. Il est vraisemblable que les pre- secourant toujours les malheureux; leur
miers instructeurs de Rita furent les pères engagement en cela et aussi leur travail
augustiniens, lesquels ont contribué à de pacification, prouvaient qu’ils sui-
orienter la vocation de la fillette vers le vaient l’exemple du Christ. Il faut avoir
choix de la Règle de l’évêque d’Ippone et, présente à l’esprit l’époque dans laquelle
bien avant l’entrée au couvent, ont semé ils vivaient, où la vocation d’un enfant
en elle la dévotion à saint Augustin et à était considérée comme une bénédiction
saint Nicolas de Tolentino, qui à l’époque de Dieu et un privilège pour la famille;
était déclaré bienheureux. Cette dévotion alors, comment auraient-ils pu s’oppo-
aurait accompagné Rita toute sa vie. ser à la vocation religieuse de leur fille
unique, vocation si ferme face au choix
4. Le mariage du mariage?
Durant toutes les années de son adoles-
Le chemin de Rita vers la sainteté, devait cence, Rita a démontré une disposition
passer à travers le mariage et l’expérience assidue à la prière et à la contemplation,
de la maternité. Il fut aussi marqué par le ainsi qu’un total désintérêt de la vie
SAINTE RITA DE CASCIA – LA ROSE DE L’OMBRIE
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mondaine, toujours dans les limites exi- côté, le décrit comme un homme «très
gées par sa condition sociale. Cette atti- cruel» qui, lorsqu’il prenait la parole, ins-
tude, constante au fil des années, aurait pirait la peur. Il ajoute, cependant, que les
dû parler éloquemment de sa vocation douces et sage conversations qu’il entre-
religieuse au cœur de ses parents, respec- tenait avec Rita, auraient fait fleurir en
tueux des valeurs chrétiennes. Un autre son cœur l’humilité et l’amour de Dieu.
biographe, le Père Nicolas Simonetti a Les religieuses, pour leur part, ont pu
même prêté à Rita un désir explicite de écrire: «Elle eut un mari au tempérament
devenir «sœur augustinienne, dans le cou- difficile, mais Rita avec sa douceur, réussit
vent Sainte-Marie-Madeleine de Cascia16». à changer le caractère de son mari, et ainsi,
Les moniales, plus simplement ont évo- pendant dix-huit ans, elle vécut avec lui en
qué, quant à elles, une «première étin- très bons termes et même dans une entente
celle de l’esprit, qui, dans sa jeunesse, avait qui faisait l’admiration de tous.»
appelée Rita à la vie religieuse17». Cette P. Simonetti, en ce qui concerne le carac-
étincelle ne se serait jamais éteinte. La tère du mari de Rita, le qualifie de «fier
souffrance, au lieu de l’éteindre, rendit lion». Il affirme que si cet homme était
plus fort le feu qui couvait dans ce «cœur craint c’est parce qu’il était enclin aux
si pur» et c’est ce feu d’amour qui poussa rixes, un vrai bagarreur, avec son parler
Rita, après la mort de son mari et de ses rude et son port altier.
enfants, à s’offrir elle-même à Dieu dans Il a expliqué l’insolite union de ces deux
la vie monastique. époux, en invoquant «les mystérieux et
Un biographe augustinien en 1628, le P. impénétrables jugements de Dieu» qui
Girolamo Ghetti, écrit sobrement à pro- avaient voulu, qu’à travers cette souf-
pos du mariage de Rita: «Consciente qu’elle france conjugale de la «très pure agnelle
devait obéir à son honorable père, plutôt Rita», livrée aux griffes de ce lion, la sain-
qu’à son divin seigneur Jésus, elle consentit teté de celle-ci, éclate encore plus prodi-
au mariage, et aux liens conjugaux. Dans gieusement.
la maison de sa belle-mère elle vécut tou- L’affirmation de «mauvais chrétien» pro-
jours comme dans une cellule monastique. venait aussi de l’appartenance politique
Elle offrit ses deux fils au Christ lorsque son du mari de Rita: celui-ci, en effet, militait
mari fut assassiné 18.» dans la faction gibeline envers laquelle
Cependant il existe un autre fait contra- les gens d’Eglise, en général, ne nour-
dictoire concernant les parents, qui, selon rissaient guère de sympathie. A la fin du
l’usage de l’époque, auraient choisi pour XIV e siècle, l’adjectif gibelin, avait une
leur fille un homme que les biographes connotation diverse de celle qu’il eut à
définissent «très cruel» ou «de mœurs l’époque des luttes entre le Pape et l’em-
difficiles», ou encore dans le meilleur des pire: à Cascia, au temps de Rita, ce terme
cas «coléreux»: «Présentant bien et de belle désignait l’appartenance au parti poli-
tournure, mais de caractère rigide, coléreux, tique opposé à l’ambition expansionniste
porté à la bagarre, à la sensualité, et qu’on de l’Eglise de Rome, donc en opposition
peut décrire, en brèves paroles, un très mau- aux guelfes qui, eux, soutenaient les aspi-
vais chrétien19». Le P. Cavallucci, de son rations du Pape au pouvoir temporel. Les
LA VIE DE RITA
43

deux termes, dans l’ambiance politique lisible qu’en 1925; cette lecture avait
de Cascia, étaient employés pour dési- posé problème même aux juges chargés
gner «une réciproque divergence». d’instruire le procès de béatification.
Par conséquent, si le futur mari avait En effet, à cette époque-là, les sources
réellement présenté toute la violence ont exagéré les défauts du mari jusqu’à le
d’un caractère répondant aux descrip- dépeindre comme un homme dangereux,
tions des sources ecclésiastiques, on peut presque un monstre à tenir à distance. Une
encore une fois se demander comment réponse nous est donnée par le P. Simo-
les parents de Rita auraient pu proposer netti, explication déjà évoquée précédem-
et même imposer ce mariage à leur fille. ment. Il fallait bien que soient exaltées la
Cependant, le bon sens nous porte à croire patience, l’humilité, la sainteté de Rita,
qu’il ne faut pas exagérer les aspects néga- de telle sorte qu’elle finisse par assumer le
tifs du caractère du gendre d’Antonio et rôle de l’agneau entre les pattes du loup,
Amata; le futur mari de Rita était certes ou du «lion», afin de correspondre à cette
porté sur les querelles, mais le contexte vieille imagerie. Déjà autrefois, selon les
politique de l’époque nous prouve qu’il sources ecclésiastiques, la position de Rita,
était loin d’être le seul à développer ce méfiante à la perspective d’un mariage,
genre d’inclination. En dépit de ce que aurait ressemblé à celle du petit pot de
prétendent les biographes, puisque le terre encerclé par deux pots de fer, c’est-à-
jeune homme allait finalement gagner le dire son père et sa mère.
cœur de la jeune fille Rita Lotti, il devait Si la première de ces deux exagérations
bien posséder quelques qualités pour lui pourrait bien finir par nuire à la mémoire
plaire, y compris aux yeux des parents de de son époux, jetant une ombre égale-
Rita. ment sur l’affection et la charité chré-
Ces derniers, peut-être, ont-ils pensé tienne des parents envers leur fille, la
que la dureté du caractère de leur gendre seconde exagération risque de déformer
aurait fini par être émoussée par l’amour jusqu’à l’image même de Rita. En effet,
et la douceur de la jeune fille, comme en si celle-ci avait vraiment accepté contre
effet cela arriva. sa volonté – ainsi que le prétendent les
La position sociale du futur mari, en biographes – ce mariage, non seulement
outre, devait être assez confortable, la validité de ce dernier pouvait être mise
en tout cas non inférieure à celle de la en question, mais encore le rôle de Rita
famille Lotti. «Le statut social et le patri- en tant qu’épouse et en tant que mère
moine devaient être égaux, autrement les en serait gravement compromis. Plus
deux familles n’auraient pas pu s’accor- grave encore, cela jetterait une ombre sur
der à travers ce mariage», écrit Giorgetti- cette prodigieuse spécificité de la sainteté
Sabattini, son biographe. de Rita, qui fut à la fois épouse et mère
Certains historiens de sainte Rita, avant d’être moniale.
retiennent que la légende du «cruel» Paolo La seule vérité pourrait être trouvée dans
de Fernando, provient d’une lecture erro- l’attitude toujours rigoureusement main-
née de l’épitaphe sur le cercueil solennel, tenue par Rita tout au long de sa vie,
qui ne fut dépoussiérée et totalement attitude qui se définit par l’obéissance
SAINTE RITA DE CASCIA – LA ROSE DE L’OMBRIE
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et la fidélité à son rôle, accepté et vécu Mais c’est justement dans cette souf-
intensément et en toute occasion, que ce france, dans cette «passion aussi cruelle»
soit dans la joie ou dans la douleur. La ainsi que la définit l’épitaphe tracée sur
fidélité de Rita révèle son adhésion lucide son cercueil solennel, que Rita trouva sa
pleinement consentie aux desseins de la joie et la répandit sur tous ceux qui se
Providence sur sa personne. tournaient vers elle et lui faisaient parta-
Rita, lorsqu’elle vivait encore auprès de ger leur propre chagrin, rallumant l’espé-
ses parents, avait donc rempli parfaite- rance que la vie avait blessée, ou réinven-
ment son rôle de fille. Une fois mariée, tant l’espérance, au-delà du désespoir.
elle devint une épouse exemplaire. Par la
suite, elle fut une mère aimante, et une En Christ, Rita aima les siens,
bonne éducatrice sur la voie du pardon. en Christ, elle aima son prochain,
Enfin, lorsqu’elle embrassa la vie mona- en Christ, elle aima tous ceux
cale, Rita accomplit tout aussi parfaite- qui se tournaient vers elle.
ment sa vocation d’épouse du Christ.
La loi à laquelle obéissait Rita fut toujours
et en tout lieu celle de l’amour: amour à Pour revenir à l’histoire, en ce qui
l’égard de ses parents; amour à l’égard de concerne le nom du mari de Rita, la tra-
son prochain; amour envers son propre dition rapporte celui de Paolo di Ferdi-
époux; amour envers ses enfants; amour nando et Paolo di Mancino, ou encore
de Dieu, vécu pendant quarante ans, en Mancini (dans sa forme latine en usage
communion avec Lui. Mais la liste peut jusqu’à la fin du XVIe siècle). Le nom le
être raisonnablement simplifiée: Rita plus probable devait être Paolo di Fer-
aima surtout et par-dessus tout le Christ. dinando di Mancini, puisque sa famille
Cet amour illumina toutes les autres était de Roccaporena.
expressions de sa personne, se manifes- Un document datant de la fin du Quat-
tant à travers les œuvres qu’ elle pouvait trocento, atteste que la famille Mancini
accomplir, dans sa vie et aussi dans les possédait un moulin sur les rives du
miracles qui jaillissaient de sa personne. fleuve Corno, précisément sur la route
En Christ, Rita aima les siens, en Christ, qui conduisait de Cascia à Roccaporena.
elle aima son prochain, en Christ, elle Le mariage qui fit de Rita une Mancini,
aima tous ceux qui se tournaient vers elle. serait advenu plus ou moins autour de
L’amour de Rita trouve sa contrepartie l’âge de 12 ans si l’on se fie au P. Caval-
dans la souffrance. Si l’on excepte les lucci, ou peut-être de 14 ans, si on
toutes premières années de sa vie, tout retient exacte la notice du P. Simonetti.
le reste de son existence fut un long par- Ces dates respectent toutes les deux la
cours douloureux. Et s’il est vrai que réalité historique de l’époque si l’on se
l’amour est inséparable de la souffrance, réfère aux Statuts de Cascia qui fixaient
que cette sorte d’amour renforce la vertu l’âge minimum pour contracter un
et le courage, dans le cas de Rita, cela se mariage à 14 ans, pour les garçons, et à
vérifie de façon toute spéciale, et avec 12 ans pour les filles. En quelle année
une extrême intensité. advint le mariage? Cela varie selon les
LA VIE DE RITA
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informations fournies par les biographes haine et de rivalités politiques qui empri-
mais, avant tout, cela dépend de l’année sonnait les hommes de l’époque20.» Peu à
dans laquelle on peut assurer la naissance peu, écrit le P. Cavallucci, Rita réussit à
de Rita. Si l’on fixe sa naissance à 1371, travers le dialogue et l’exemple, à adou-
le mariage a pu être célébré entre 1383 et cir le caractère impulsif de Paolo, lequel
1385, et si on la fixe à 1381, ce mariage trouva en lui-même la vertu d’humilité
aurait eu lieu vers 1393-1395. Rappe- et commença à suivre avec obéissance la
lons-nous cependant, que ni la première loi de Dieu. La relation matrimoniale
date de naissance, ni la seconde ne sont de Rita et Paolo fut caractérisée par
certaines et incontestables. Le mariage l’amour et la charité, non seulement en
fut célébré en l’église Saint-Montano, tant qu’échange réciproque à l’intérieur
ancien patron de Roccaporena; Parmi de leur couple, mais aussi en se met-
les reliques conservées au monastère, tant au service des pauvres, ou encore
nous trouvons l’anneau nuptial de Rita, mieux, au service de Dieu en la per-
orné avec le dessin de deux mains entre- sonne des pauvres. L’harmonie de cette
lacées. «Rita comprit immédiatement famille, continue le biographe, devint un
que derrière le caractère dur de son mari, exemple vivant dans tout Roccaporena,
se cachait un cœur bon et honnête. Elle petit bourg où les calomnies comme les
l’aima pour ce qu’il était, en l’aidant ainsi louanges se répandaient fort rapidement
à se corriger et à se libérer de la chape de à travers les ruelles.

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