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L'oranger et l'abeille , conte ;

suivi de Florine, reine de l'isle


des fleurs, conte, par
Madame de ***

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèques de Marseille


Aulnoy, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville baronne d' (1650-
1705). Auteur du texte. L'oranger et l'abeille , conte ; suivi de
Florine, reine de l'isle des fleurs, conte, par Madame de ***.
1743-1785.

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L'O RAN GER
P.
ET
L'ABEILLE,
CONTE ;
SUIVI
DE FLORINE,
REINE DE L'ISLE DES FLEURS,
CON TEj

Libraire rue Froide-rue.


L'OR A N G E R
ET
-1- L'ABEILLE,

9
-1
-

..
CONTE.
i'L étoit une fois un roi & une reine aux- •

quels il ne manquoit rien pour être heu-


reux , que d'avoir des enfans. La
ét'oit déjà vieille; elle n'en espéroit plus,
reine

quand elle devint grosse & qu'elle mit au


,
monde- la plus belle petite fille qu'on ait
jamais vue. La joie fut extrême dans la
maison royale. Chacun s'empressa de cher-
cher un nom à la princesse qui expri-
,
mât ce qu'on sentoit déjà pour elle. Enfin on
l'appella Aimée. La reine fit graver sur un
cœur de turquoise le nom d'Aimée, fille du
roi de l'Isle Heureuse. Elle l'attacha au cou
de la princesse croyant que la turquoise
,
lui porteroit bonheur ; mais la règle là-
dessus se démentit beaucoup un jour
, car
que pour divertir la nourrice on l'a voit
,
menée sur la mer par le plus beau temps
,
de l'été, il survint tout d'un coup une si
épouvantable temple qu'il fut impossible
,
; &. comme elle
de la descendre à terre
etoit dans un petit vaisseau qui Re'servoit
qu a se promener le long du rivage il fut
bientôt brisé en pieces. La nourrice ,&
tous
les matelots périrent. La petite princesse
qui
dormoit dans son berceau demeura flot-
,
tante sur l'eau, &: enfin la mer .la jetta dans
un pays assez agréable mais qui n'étoit
,
presque plus habité depuis que l'ogre Rava-
gio & 'sa femme Tourmtntine
y étoient
venus demeurer ; ils mangeoient tout le
monde. Les ogres sont de terribles
gens ;
quand une fois ils ont croqué de la chair
fraîche, ( c'est ainsi qu'ils appellent les hom-
mes , ) ils ne sauroient presque plus man-
ger autre chose; & Tourmentine trouvoit
toujours le secret d'en faire venir quelqu'un,
car elle étoit demi-Fée.
Elle sentit d'une lieue la pauvre petite
princesse ; elle accourut sur le rivage
pour
la chercher avant que Ravagio l'eût
, trou-
vée. il- toient aussi goulus t'unque l'au-
tre , & jamais il n'y eut de plus hideuses
figures avec leur œil louche au milieu
, ,
front leur bouche grande comme
, uti
fo k-ur nez large & plat leurs Ion-,
::!-
, ,
g::çs oreilles d'âne, leurs cheveu? hérisser,
&c leur bosse devant & derrière.
Cependant lorsqu'elle vit Aimée dans
, enveloppée de langes
son riche berceau
, jouoit
de brocard d'or, qui avec ses menotes ,
dent les joues étoient semblables à des roses
blanches mêlées d'incarnat, &. sa petite bou-
che vermeille & riante demi ouverte qui
, ,
sembloit sourire à ce vilain monstre qui ve-
noit pour la dévorer , Tourmentine touchée
d'une pitié dont elle n'avoit jamais été ca-
pable résolut de la nourrir , & si dit: avoit
,
à la manger, de ne la pas manger sitôt.
Elle la prit entre ses bras ; elle lia le
berceau sur son dos, & en cet équipage
elle revint dans sa caverne. Tiens , Raya-
gio, dit-elle à son mari, voici de la chair
tranche bien grflssctte bien douillette ,
, ,.
mais par mon chef, tu n'en croqueras que
d'une dent ; c'est une belle petite fille ; je
veux la nourrir ; nous la marierons avec notre
ogrelet ils feront des ogrichons d'une figure
,
extraordinaire ; cela nous réjouira dans notre
vieillesse. Cest bien dit, répliqua Ravagio ;
tu as plus d'esprit que tu n'es grosse. Laisse-
moi regarder cet enfant ; il me semble beau a
merveille. Ne vas pas le manger, lui dit Tour-
mentine en mettant la petite entre ses grandes
,
£riff;s.Non, non dit-il, je mourrois plutôt de
faim. Voilà donc Ravagio Tourmentine &
,
l'Ogrelet à caresser Aimée d'une manière si
humaine, que c'étoit un espèce de miracle.
Mais la pauvre enfant, qui ne voyoit que
ces difformes magots autour d'elle,& qui n'ap-
perçoit pas le teton de sa nourrice, commen-
ça de faire une petite mine & puis elle cria
,
de toute sa force ; la caverne de Ravagio en
" retentissoit. Tourmentine craignant que cela
, bois,
ne le fâchât, la prit la porta dans le
où les ogrelets la suivirent ; elle en avoit six
plus affreux les uns que les autres.
Elle étoit demi-Fée, comme je l'ai déjà
dit : son savoir consistoit à tenir la baguette
d'ivoire & à souhaiter quelque chose. Elle
prit donc la baguette & dit : je souhaite au
,
nom de la roya!e?ee Trusio,qu'il vienne tout-
à-t'heure la plus belle biche de nos forêts ,
douce & paisible, qui laisse son faon & nour-
risse cette mignone créature que la lune m'a
donnée. En même temps la biche paroît; les
ogrelets lui font fête. Elle s'approche & se
laisse teter par la princesse \ puis Tourmentine
la rapporte dans sa grotte ; la biche court
après, saute & gambade ; l'enfant la regarde
& la caresse. Quand elle est dans son ber-
ceau , qu'elle pleure la biche a du lait
,
tout prêt, & les ogrichons la bercent.
C'est ainsi que la fille du roi fut élevée
,
pendant qu'on la pleuroit nuit et jour. &
la croyant abîmée a*lx fond des eanx,
que héritier. Il a
il songeait à choisir un en pal1:1
la reine qui lui dit de faire ce qu'il jugerait a
, chère Aimée ét,,,it morte,
propos ; que sa d'enfars il avon
qu'elle n'espéroit plus : qu
attendu, & que depuis quinze ans qu eiis
assez ,
le malheur de la perdre il y auroit
a voit eu ,
de la revoir.
de l'extravagance se à promettre
Le roi délibéra donc dt mander à son frere
qu'il choisît fils celui qu'il croyoit
entre ses
le plus digne de régner,& de le lui envoyer en
diligence. Les ambassadeurs ayant recti leur
les instructions néces-
dépêche & toutes
saires partirent. Il y avoit bien loin; on les
,
fit embarquer sur de bons vaisseaux, le vent
leur fut favorable; ils arrivèrent en oeu de
chez le frere du roi, qui possédoit un
temps
grand royaume. Il les reçut fort bien
,
&
quand ils lui demandèrent de
un ses fils pour
l'amener avec eux , afin de succéder au roi
prit à pleurer de joie & leur
leur maître, il se ,
dit, que puisque frere lui en laissoit le
son
choix, il lui enverroit celui qu'il auroit pris
lui-même qui étoit le second de ses
pour , répondoient bien
fils dont les inclinations si
la*, grandeur de qu'il n'avoit
à sa naissance ,
jamais rien souhaité en lui qu'il ne IVeût
trouvé clans la derniere perfection.
L'on alla quérir le prince Aimé, (c'est•
ainsi qu'on Je nommoit ; ( & quelque préve-
nus que fussent les ambassadeurs quand ils
le virent, ils en resterent surpris. Il, avoit dix-
huit ans. Amour, le tendre moins
amour a
de k*uté ; mais eus n'étoit point beauté
une
qui diminuât rien de cet air noble &c martial
qui inspire, du respect & de la tendresse. Il
sut l'empressement du roi son oncle de l'avoir
auprès de lui, & rintention du
roi son pere
de le faire partir en toute diligence. On pré-,
para son équipage ; il fit ses adieux, s'embar-
qua & cingla en pleine mer.
Laissons-le alltr. Que la fortune le guide.
Retournons chez Ravagio voir à quoi s'oc-
,
cupe notre jeune princesse. Elle croît en
beauté comme en âge, & c'est bien d'elle
qu 'on peut dire; que l'amour les graces &
,
toutes les déesses rassemblées n'ont jamais eu
J
tant ot charmes. Ilsembloit quand elleétoit
dans <ette profonde caverne avec Ravagio,
Tourmentine& les ogrelets, que le soleil, les
étoiles, les cieux y étoiewt descendus. La
cru-
auté qu'elle voyoit à ces monstres, la rendoit
plus douce, & depuis qu'elle connut leur
ter-
rible inclination pour la chair fraîche elle
,
il etoit occupée qu'à sauver les malheureux
qui tomboient entre leurs mains de sorte
: que,
pour les garantir elle s'exposoit souvent à
a toutes leurs fureurs. Elle les auroit éprouvées
à la fin , si l 'ogreiet ne l'a voit pas chérie com-
.
me son œil. Hé ! que ne peut pas une forte
passion I car ce petit monstre avoit pris
un
caractère de douceur en voyant & en ai-
,
mant la belle princesse.
Mais, hélas ! quelle étoit douleur, quand
sa
e>ie
^
pensoit qu'il falloit épouser ce détestable
ainiint; quoiqu'elle ne sût rien de sa naissance,
elle avoit b en jugé la richesse de ses
, par
langes, la chaîne d'or & la turquoise, qu'elle
venoit de bon lieu ; elle en jugeoit encore
mieux par les sentirrens de son cœur. Elle ne
savoit ni lire ni écrire, ni aucune langue; elle
parloit le jargon d'ogresse elle vivoit dans
;
une parfaite ignorance de toutes les choses du
monde j elle ne laissoit
pas d'avoir d'aussi
bons principes de vertu de douceurs: de
,
naturel que si elle avoit été élevée dans la
,
cour de 1 univers la mieux polie.
Elle s 'étoit fait un habit de
peau de
tigre ; ses bras étoient demi nus : elle
portoit un carquois & des fléchés sur -
son
épaule un arc à sa ceinture. Ses che-
,
veux blonds n'étaient attachés qu'avec un
cordon de jonc marin & flottoient au gré
,
du vent sur sa gorge & sur son dos ; elle
avoit aussi des brodequins du même jonc.
En cet iquipage elle traversoit les bois
, &
comme une seconde Diane : elle n 'au-
ront point su qu'elle étoit belle si le crys-
,
tLll des fontaines ne lui avoit offert d'in-
miroirs où yeux s'attachoient
nocens , ses ,
sans la rendre ni plus vaine ni plus pré-
, faisoit
venue en sa faveur. Le soleil sur
teint l'effet qu'il produit sur la cire
son ,le
il le blanchissoit 6c l'air de la mer ne
,
pouvoit noircir. Eile ne mangeoit jamais
que ce qu'elle prtnoit à la chasse a la
,
pêche ; & sur ce prétexte , clle s'éloignoit
, s'ô-
souvent de la terrible caverne , pour
ter la vue des ph:s difformes objets qui
fussent dans !a nature. Ciel, disoit-elle, en ver-
sant des larmes, que t'ai-je fait pour m'avoir
destinée à ce cruel ogrelet ? que ne me lais-
sois-tu périr dans la mer ! Pourquoi m 'as-tu
conservé une vie que je dois passer d'une ma-
nière si déplorable ?N'puras-tu pas quelque
compassion de ma douleur ? Elle s'adressoit
ainsi awx dieux, & leur demandoit du secours.
Lorsque le temps étoit rude, &: qu'elle pou-
voit croire que la mer avoir ietté des malheu-
reux sur le rivage, elle s'y rendoit soigneuse-?
ment pour les secourir, & pour faire ensorte
qu'ils n'avançassent point jusqu'à la caverne
des ogres. Ilavoit fait toute la nuit un vent
épouvantable ; elle se leva dès qu'il fit jour,
& courut vers, la mer : elle apperçutun hom-
qui tenoit une planche entre ses bras, &
me
qui essayoit de gagner le rivage , malgré la
violence des vagues qui le repoussoient. La
princesse auroit bien voulu lui aider ; elle lui
faisoit des signes pour lui marquer les endroits
les plus aisés, mais il ne la voyoit ni ne l'en-
tendoit : il venoit quelquefois si près, qu'il
semblait n'avoir qu'un pas a faire , puis
lame d'eau le couvrait, Se il ne parois-
une
soit pins. Enfin il fut poussé sur le sable,
,
& il y demeura étendu sans aucun mou-
vement. Aimée s'en approcha r oc. malgré
la pâleur qui lui faisoit cra'md e sa mort ,
elle kit donna tout le secours qu'elle put;tJ!e
portoit toujours de certaines herbes dont l'o-
deur étoit si forte qu'el!e faisoit revenir des plus
longs évanouissemens : elle les pressa dans
ses mains elle lui en frotta es levres & les
, & ^demeura
tempes. Il ouvrit les yeux si su:-
pris de la beauté de l'habillement de la
princesse qu'il ne pouvoit presque détermi-
, réalité. Il lui
ner si c'étoit un songe ou une
parla le premier : elle lui parla à son tour : ils
s'entendoient aussi peu l'un que l'autre, & se
regardoient avec une attention mêlée d'éton-
nement & de plaisir.La princesse n'a voit vu que
quelques pauvres pêcheurs que les ogres a-
voient attrapés, & qu'elle avoit fait sauver
,
comme je l'ai déjà dit. Que put-elle donc
penser quand elle vit l'homme du monde le
mieux fait, & le plus magnifiquement vêtu ?
Car enfin, c'étoit le prince Aimé, son cousin
germain dont la flotte battue d'une furieuse
, s'étoit
tempête brisée contre des écueils &
,
chacun poussé au gré des vents, avoit péri ou ,
à
étoitarrivé quelques plages pour la plupart
,
inconnues.
Le jeune prince de son côté admirQitque
sous des habits si sauvages, & dans un pays
qui paroissoit désert, il s'y pût trouver une si
merveilleuse personne : &. l'idée récente des
princes & des dames qu'il avoit vues ; ne ser-
voit qu'à lui persuader que celle qu'il voyoit
alors, ne pouvoit être égalée par aucune autre.
Dans cette mutuelle surprise ,iis continuèrent
de se parler sans s'entendre ; leurs yeux Se quel-
ques gestes servoient d'interprètes à leurs pen-
sées. La princesse passa ainsi plusieurs momens;
mais faisant tout-d'un-coup réflexion au péril
où cet étranger alloit être exposé elle tomba
,
dans une mélancolie & dans un abattement qui
parurent aussi tôt sur son visage. Le prince crai-
gnant qu'elle ne se trouvât mal, s'empressoit

pou voit, qu'il


,
auprès d'elle, & vouloit lui prendre les mains,
elle le repoussoit & lui montrait comme elle
s'en allât. Elle se mettoit à cou-
rir devant lui, elle revenoit sur ses pas, elle lui
faisoit signe d'en faire autant, il fuyoit & reve-
noit. Quand il revenoit, elle se fâchoit; elle
,prenait ses fleches elle les portoit sur son
,
cœur , pour lui signifier qu'on le tueroit.
Il croyait qu'elle vouloit le tuer il met-
,
toit un genoux en terre & il attendoit le
coup ; quand elle voyoit cela elle ne savoit
plus que faire, ni comment s'exprimer, &le
regardant tendrement quoi, disoit-el!e tu
, ,
hôtes
seras donc la victime de mes affreux !

quoi ! des mêmes yeux dont j'ai le plaisir de te


regarder, je te verrai déchirer en morceaux &
dévorer sans miséricorde ? Elle pleuroit, & le
prince interdit, ne pouvoit rien comprendre
à tout ce qu'elle faisoit.
Cependant elle réussit à lui faire entendre
qu'elle ne veu!oifpa<s qu'il la suivit : elle le prit
par la main, elle le mena dans un rocher dont
l'ouverture donnoit du côté de la mer, il étoit
très-profond ; elle y alloit souvent pleurer ses
disgrâces; elle y dormoit quelquefois quand le
soleil étoit trop ardent pour retourner à laça-
verne; & comme elle avoit beaucoup de pro
preté & d'adresse , elle l'avoit meublé d'un
tissu d ailes de papillons de plusieurs couleurs
& sur des cannes pliées & passées les unes dans
les autres qui fOImoient une espèce de lit ée
,
repos, elle y avoit étendu un rapis de jonc ma-
rin; elle dans de grandes Se profondes
coquilles des branches de fleurs ceia faisoit
,
comme des vases , qu'elle remplissoit d'eau
pour conserver les bouquets : il y avoit mille
gentillesses qu'elle travailloit, tantôt avec des
arrêtesde poisson & des coquilles, tantôt avec
le jonc marin & les cannes ; ôc ces petits ouvra-
ges, malgré leur simplicité , avoient quelque
chose de si délicat, qu'il étoit aisé de juger par
eux du bon goût & de l'adresse de la princesse.
Le prince demeura surpris de tant de pro-
preté, il crut que c'étoit en ce lieu qu'elle se
retiroit ; il étoit ravi de s'y trouver avec elle ;
quoiqu'il ne fut pas assez heureux pour
lui faire entendre les sent:mens d'admiration
qu elle lui inspiroit, il sembloit déjà qu'il pré-1
féroit de la voir & c!e vivre auprès d'elle, à
toutes les couronnes où sa naissance & la vo-
lonté de ses proches J'appelloient.
Elle l'obligea de s'asseoir ; & pour lui mar-
quer qu'elle souhaitoit qu'il restât-là , jusqu'à
ce qu'elle lui eût porté à manger , elle défit
le cordon qui tendit une partie de ses che:"
veux, elle l'attacha au bras du prince & le
lia aux pieds du lit, 6c puis elle s'en alla : il
mourroit d'envie dela suivre, mais il craignoit
de lui déplaire, & il commença de s'abandon-
ner à des réflexions dont la présence de la
princesse l'avoit distrait. Où suis'je, disoit-il ?
En quel pays la fortune m'a-t-elle conduit ?
Mes vaisseaux sont péris, mes gens sent noyés,
tout me manque ; je trouve au lieu de la cou-
ronne qui m'étoit offerte, un triste rocher où
je cherche une retraite ! que dois-je devenir
ici ? Quel peuple y trouverai-je ? Si j'en juge
la
par personne qui m'a secourue, ce sont des
divinités ; mais la crainte qu'elle avoit que je
ne la suivie, ce langage dur 6c barbare qui
sonne si mai dans sa belle bouche, me laisse
craindre quelqu'aventure encore plus funeste
celle qui m'est déjà arrivée ! Ensuite il
que
mettoit toute son application à repasser dans
son esprit les beautés incomparables de h jeune
sauvage : son cœur s"éciiauffoit ; il s'impatien-
toit de ne la voir point revenir, & son absence
lui sembloit le plus grand de tous les maux.
Elle revint avec tout l'empressement pos-
sible, elle n'avoit pas cessé de songer au prince,
& elle étoit si nouvelle sur les tendres senti-
mens, qu'elle n'étoit point en garde contre
qu'il lui inspiroit ; elle remercioit le ciel
ceux
de l'avoir sauvé du péril de la mer ; elle le con-
juroit de le préserver de celui qu'il couroit si
proche des ogres. Elle étoit si chargée, & eUe
avoit marché si vîte, qu'en arrivant elle se
mal sous la grosse peau de
trouva un peu s'assit,
tiere qui lui servoit de manteau. Elle
le prince se mit à ses pieds , fort ému de ce
qu'elle souffrait ; il étoit assurément plus .ma-
lade qu'elle enfin elle revint de sa foiblesse,
;
lui montra tous les petits ragoûts qu'elle lui
avoit apportés, entr'autres quatre perroquets
6e six écureuils cuits au soleil des fraises, des
, fruits les
cerises, des franboises, & d'autres ,
étoient de bois de cedre & de canarrt-
assiettes
bour ; le couteau de pierre, les serviettes de
grandes feuilles d 'arbres fort douces & mania-
bles une
,
dans une autre..
coquille pour boire
, &

Le prince lui témoignoit s-.x reconnoissance


de belle eau

tous les signes de tètes & de mains qu 'Il


par
pouvoit lui.fa ire, Sî elle, avec un -doux so.i-
connaître tdu't ce qu il
rire, lui -lâisrtfeit que
faisoit lui étoit agréable. Mais.1 cure de se sé-
étant elle lui fit bien entendre
parer venue,
qu'elle s'en alloit, qu'ils se prirent tous deux
à soupirer Se se cachèrent leurs larmes l'un
à l'autre y ,
chacun pleuroit tendrement. Elle
e leva & voulut sortir ; le prince fit un grand
ri se jetta à ses pieds, la priant de rester :
lie voyoit bien ce qu'il souhaitoit, mais elle
; repoussa , prenant un petit air sévere : il
ennui qu'il falloit s'accoutumer de bonne
leure à lui obéir.
Il faut dire la vérité, il passa une terrible
mit, celle ce la princesse n'eut rien de moins
riste.Quand elle arriva à la caverne, qu'elle
t trouva au milieu des ogres Se des ogrichons
,
u'elle regardoit l'affreux ogrelet comme le
lonstre quiseroit son mari, &c qu'elle pensoit
ux charmes de l'étranger qu'elle v<noit de
uitter, elle étoit sur le point de s'aller jetter
i tête la premiere dans la mer. Il faut ajouter
cela la crainte que Ravagio ou Tourmentine
e sentissent la chair fraîche, & qu'ils n'allas-
snt droit au rocher, dévorer le prince Aimé.
-
Ces différentes allarmes la tinrent éveillée
uute la nLlit : elle se leva avec le jour, & prit
; chemin du rivage, elle y courut, elle y vola
hargée de perroquets, de singes & d'une ou-
irde, de fruits, de lait, & de tout ce qu'elle
voit pu croire de meilleur. Le prince ne s'éteit
oint déshabillé; il avoit souffert tant de fati-
ues sur la mer , & il avoit si peu dormi, que
ers le jour, il fit un léger somffie.
Comment, dit-elle en le réveillant, j'ai
,
pensé toujours à vous depuis que je vous a
quitte, & je n 'ai pas même fermé les yeux,
& vous êtes capable de dormir?Le prince h
regardoÍt & l'écoutoit sans l'entendre: il lu
parla a son tour. Quelle joie, ma chere enfant
lui disoit-il, en baisant ses mains; quelle jo.
de vous revoir ! Il me Amble qu'il avoit
y ur
siècle que vous étiez partie de rocher. Il lu
ce
parla long-temps sans réfléchir qti'elle
ne l'en-
tendoit point ; lorsqu'il s'en souvint, il soupir
tendrement & se tut. Elle prit la parole, &
lui dit qu'elle avoit de cruelles inquiétudes
que
Ravagio & Tourmentine le découvrissent
qu'elle n'osoit espérer qu'il fût long-temps
en
sûreté dans ce rocher, que son éloignement la
feroit mourir ; mais qu'elle yconsentoit plutô
que de l'exposer à erre dévoré; qu'elle le con
jurait de s'enfuir. En cet endroit ses
yeux se
couvrirent de larmes ; elle joignit les maint
devant lui d'une maniere suppliante il
: ne
comprit point ce qu'elle vouloit. il en étoit
au désespoir, & se jetta à ses pieds. Enfin elle
lui montra si souvent le chemin, qu'il entendit
une partie de ses signes, & lui fit entendre à
son tour, qu'il mourroit plutôt que de l'aban
donner. Elle sentit si vivement ce témoignage
de l'amitié du prince, que pour lui marquer
quel point elle en étoit touchée, elle détacha
e son bras la chaîne d'or &c le cœur de Tur-
uoise que la reine sa mere lui avoit attaché
u cou, & elle l'attacha au bras du prince de
maniéré du monde la plus gracieuse. Quel-
ue transporté qu'il fut de cette faveur, il ne
issa pas d'appercevoir les caracteres qui
:oient gravés sur la Turquoise, il les regarda
vec attention, & lut:
Aimée fille du Roi de CIsle-Heureuse.
,
Il n'a jamais été un étonnement semblable
u sien; il savoit que la petite princesse qui
yoitpéri,se nommoit Aimée; il ne doutoit
oint que ce coeur n'eût été à elle, mais il igno-
)it encore si la belle sauvage étoit la princesse,
1I si la mer avoit jetté ce bijou sur le sable. Il
:gardoit Aimée avec une attention extraordi-
aire ; Se plus il la regardoit, plus il lui sembloit
écouyrir un certain air de famille &C de cer-
lins traits, & particulierement des mouve-
îents de tendresse dans son ame qui l'assu-
ment que la sauvage étoit sa cousine. ,
Elle examinait avec surprise les actions qu'il
lisoit, levant les yeux au ciel, comme pour
ji rendre grâces, la regardant & pleurant,
1Ï prenant les mains 6c les baisant de
tout son
œur ; il la remercia de la libéralité qu'elle
enoit de lui faire; & lui remettant au bras,
lui fit connoître qu'il aimoit mreux un de ses
cheveux qu'il lui demanda & qu'il eut bi
de la peine à obtenir. ,
Quatre jours se passèrent ainsi : la princes
portoit dès le mate tout ce qu'il lui falloit poi
-sa nourriture; elle demeuiow avec lui le pli
long-temps qu'elle ppuvoit, & les heures s"<
coulaient aussi bien vîte, quoiqu'ils n'eusseï
pas le plaisir de s'entretenir.-
Un jour qu'elle revint assez tard, & qu'ell
craignoit d être grondée par la terrible Tour
mentine, elle fut très-surprise d'en recevoir u
accueil favorable, & de' trouver une tabi
toute chargée de fruits, elle demanda la per
mission d'en prendre quelques-uns. Ravagit
lui dit, qu'ils étoient-là pour elle; que soi
ogrelet les étoit aIlé chtrcher,&qu'e!1fin il étei
temps de le rendre heureux ; qu'il vouloit dan
trois jours qu'elle l'épousât. Quelles nouvelles
S'en peut-il au monde de plus funestes pont
cette aimable princesse ? Elle en pensa mouiii
d'effroi &: de douleur ; mais cachant son afflic-
tion , elle répondit qu'elle leur obéiroit sans ré-
pugnance , pourvu qu'ils voulussent prolonger
lin peu le temps prescrit. Ravagio se fâcha 6i
s'écria : A quoi tient-il que je ne te mange ?La
pauvre princesse tomba évanouie de peur en-
tre les griffes de Tourmentine & de l'ogrelet,
qui l'aimoit fort, & qui prierent tant Ravâgio,
qu'il s'appaisa.
*
Aimée ne dormit moment ; elle at-
pas un
I1doit le jour impaTience dès qu'il pa-
avec :
fut rocher, & quand elle vit le
t, elle au
des douloureux &
ince, elle poussa cris versa
Il demeura presqu'im:]
torrent de larmes.
1

obile ; sa passion pour la belle Aimée avoit


plus de progrès en quatre jours, que lei
Lt

issions ordinaires n'en font en quàtreans :


tuoit de lui demander ce qu'elle avoit ;
se
le comprenoit bien qu'il ne la comprenoit
)int, elle ne savoit comment se faire entendre:
fin elle abattit ses longs cheveux; elle mit
de fleurs sur sa tête & touchant
le couronne auquel
,
faisoit si-
main celle d'Aimé, elle
:sa il
le qu'elle en useroit ainsi avec un autre ,
malheur dont il étoit menacé, &
)mprit le
a 1on alloit la marier.
Il fut sur le point d'expirer à ses pieds ; il
savoit ni les routes, ni les moyens de se sau-
2
elle le savoit pas non plus; ils pleu-
pr, ne
tient, ils se regardaient & se marquoient
utuellement qu'il valoit mieux mourir en-
mble que de se séparer. Elle demeura avec
i jusqu'au soir ; mais comme la nuit étoit
plutôt qu'ils ne l'attendoient, & que,
;nue garde
iute pensive elle ne prenoit pas aux
, s'avança dans
Ptiers qu'elle suivoit, elle une
du bois fréquentée, 0\1 il lui entra
\.lte peu
dans le pied une longue épine qui le
perça c
part-en-part. Heureusement pour elle il n*
,
avoit pas loin delà jusqu'à la caverne; elle
ei
beaucoup de peine à s'y rendre pie
, son
etoit tout en sang. Ravagio, Tourmentine
les ogrichons la secoururent elle souffrit d
;
grandes douleurs quand il fallut arrache
,
cette épine ; ils pillerent des herbes, ils les mi
rent sur son pied, & elle se coucha avec l'in-
quiétude que l'on peut s'imaginer pour
soi
cher prince. Hé!asJ disait-elle, je ne pourra
marcher demain, que pensera-t-il de ne me pa
voir ? je lui ai fait entendre que l'on va mc
marier ; il croira que je n'ai pu m'en défen-
dre ; qui Je nourrira r de quelque maniere qu~
ce soit, il va mourir : s'il vient me chercher,
il est perdu ; si j'envoie un ogrelet
vers lui,
,
Ravagio en sera informé. Elle fondoit en lar-
mes , elle soupiroit & voulut se lever de bon
matin mais il lui fut impossible de marcher ;
,
sa blessure étoit trop grande ; &r Tourmen-
tine qui l'apperçut sortir, l'arréta & lui dit
,
que si elle foisoit un pas, elle alloit la manger.
Cependant le prince qui voyoit passer
l'heure où elle avoit accoutumé de venir,
commença de s'îffliger & de craindre; plus
le temps s'avançoit, plus ses allarmes s'aug-
mentoient ; tous les supplices du monde lui
mroient paru moins terribles que les inquic-
udes auxquelles son amour se livroit ; il se
aisoit la derniere violence pour attendre;
)lus il attendoit, moins il espéroit. Enfin il se
lévoua à la mort, &c sortit, résolu d'aller
:hercher son aimable princesse.
Il marchoit sans savoir où ilalloit : il stli-
vit un sentier battu qu'il trouva à l'entrée du
)ois ; après avoir marché une heure, il enten-
lit quelque bruit, & il apperçut la caverne
l'où il sortoit une épaisse fumée; il se promit
l'apprendre là quelques nouvelles ; il entra
k il n'eut guere avancé, qu'il vit Ravagio,,
lui, le saisissant tout d'un coup d'une force*
Épouvantable alloit le dévorer, si les cris
,
p'il faisoit en se débattant, n'eussent frappé
es oreilles de sa chere amante. A cette voix
!]le ne ressentit plus rien qui pût l'arrêter: ,
!Ile sortit de son trou, elle entra dans celui où
Ravagio tenoit le pauvre prince; elle étoit
)âle Se tremblante comme s'il eût voulu la
nanger elle-même , elle se jetta à genoux de-
vant lui, & le conjura de garder cette chair
'raiche pour le jour de ses noces avec l'ogre-
!et, & qu'elle lui promettoit d'en
manger. A
:es mots, Ravagio fut si content de penser
que la princesse vouloit prendre ses coutu-
mes, qu'il lâcha le prince & l'enferma 41ans
le trou ou les ogrichons couchaient.
Aimée demanda permission de le bie
nourrir, afin qu'il ne maigrît point, & qu
fit honneur au repas ; l'ogre y consenti
Elle porta au prince toutce qu'elle put trot
ver de meilleur. Quand il la vit entrer
il en eut une joie qui diminua
son déplaisir
mais lorsqu'elle lui montra la blessure
c
son pied , sa douleur prit de nouvelles force
Ils pleurerent long-temps; le prince ne poi
voit manger & sa chere maîtresse coupo
,
de ses mains délicates de petits morceau
^qu'elle lui présentoit de si bonne grace qu'
ne lui étoit pas possible de les refuser.
Elle fit apporter par les ogrichons de I,
mousse fraîche , qu'elle ccuvrit d'un tapi
de plumes d'oiseaux & elle fit entendn
,
au prince que c'étolt-Jà son lit. Tourmen
tine l'appelia elle ne put lui faire d'autr
,
adieu que de lui tendre la main; il la baisa
avec des transports de tendresse qu'on ne
sauroit redire. Llie iais^ à ses yeux le soin
de lui exprimer ce qu\ i'e pensoit.
Ravagio, Tourment:ne & la princesse
couchoient dans une des concavités de 1$
caverne ; l'ogrelet & cinq ogrichonnau
couchaient dans une autre où 'e prince
coucha aussi. Or ,
'
c'est la coutume erç
a
ogrichonnerie|
ogrichonerie que tous les soirs l'ogre,
, ,
l'ogresse & les ogrichons, mettent sur leur
tête une belle couronne d'or avec la-
,
queUe Ils dorment : voilà leur seule magni-
ficence, mais ils aimeroient mieux être pen-
dus & étranglés que d'y avoir manqué.
LOIsque tout le monde fut endormi, la
princesse qui pensoit à son aimable amant,
fit réflexion que malgré la parole que Ra-
vagio & Tourmentine lui avoient donnée de
ne le pas manger , s'ils avoient faim pen-
dant la nuit ( ce qui leur arrivoit presque
toujours quand ils avoient de la chair fraî.
,clle ) c'étoit fait de lui &: l'inquiétude
,
qu'elle en eut commença de lui livrer de
,
si rudes assauts, qu'elle en pensa mourir
d'effroi. Après avoir rêvé quelque temps
elle se leva se couvrit à la hâte de sa ,
,
peau de tigre , & tâtonnant sans faire de
bruit, elle alla dans la caverne où les ogri-
chons dormoient : elle prit la couronne du
premier qu'elle trouva & la posa sur la
,
tête du prince qui étoit bitn éveillé ÔC qui
n'osa en faire semblant ne sachant pas
,
qui lui faisoit cette cérémonie ; ensuite la
princesse retourna dans son petit lit.
Elle s'y étoit à peine fourrée, que Ra-
vagio, songeant au bon repas qu'il auroit
fait du prince, & son appétit augmentant à
mesure qu'il y pensoit, il se leva à son tour
& fut dans le trou où les ogrichons dormoient.
Comme il n'y voyoit point clair, crainte de
s'y méprendre il tâta avec la main & se
, ,
jettant sur celui qui n'avoit point de couronne,
il le croqua comme un poulet. La pauvre prin-
cesse qui entendoit le bruit des os du malheu-
reux qu'il mangeoit , pâmoit , mourroit de
peur que ce ne fût son amant ; & le prince
de son côté, qui en étoit encore plus proche,
ressentoit toutes les allarmes qu'on peut avoir
en pareille occasion.
Le jour tira la princesse d'une terrible peine,
elle se hâta d'aller chercher le prince, & lui
fit assez connoître par ses signes, ses craintes
son impatience, de le voir à couvert des
dents meurtrieres de ces monstres: elle lui fit
des amitiés, & il lui en auroit fait mille à son
tour, sans l'ogresse qui étoit venue pourvoir;
ses enfans, elle appercut le sans; dont la ca-
verne étoit pleine, &: trouva qu'il lui man-
quoit son plus petit ogrichon. Elle poussa
des cris affreux. Ravagio comprit assez le beau
coup qu'il avoit fait, mais le mal étoit sans
remede. Il lui dit à l'oreille, qu'ayant eu faim,
il s'étoit mépris aux çbQix & qu'il avoit;
,
cru manger de la chair fraîche. Tourmentine
feignit de s'appaiser car Ravagio étoit cruel,
,
& si elle n'avoit pas pris ses excuses en bonne
part, il l'auroit peut-être mangée elle-mê-
me.
Mais hélas ! que la belle princesse souf-
froit d'étranges inquiétudes ! elle ne cessoit
point de rêver aux moyens de sauver le
prince. Et que ne pensoit-il pas de son côté de
l'endroit affreux où vivoit cette aimable fille ?
Il ne pouvoitse résoudre de s'en éloigner tant
qu'elle y seroit ; la mort lui auroit paru plus
douce que cette séparation ; Il lé lui faisoit en-
tendre lorsque par des signes réitérés , elle le
,
conjuroit de fuir & de mettre sa vie en sûreté ;
ils pleuroient ensemble ils se prenoient les
,
mains, chacun en sa langue se juroit une foi
réciproque & un amour éternel. Elle ne
put s'empêcher de lui montrer les langes qu'elle
avoit quand Tourmentine la trouva , & le
berceau dans lequel elle étoit. Le prince y
reconnut les armes & la devise du soi de l'isle
heureuse. Cette vue le ravit, il marquoit des
transports de joie à la princesse, qui lui firent
juger qu'il s'instruiroit de quelque chose d'im-
portant par la vue de ce berceau. Elle mour-
roit d'envie d'en être informée; mais quel-
que peine qu'il y prit comment lui faire com-
prendre de qui elle étoit fille & la proxi-
,
mité qui étoit entr'eux ? Tout ce qu'elle pé-
nétroit c'est qu'elle avoit sujet d'en être bien
,
aise. L'heure vint de se retirer, &: l'on se cou-
cha comme l'on avoit fait la nuit précédente.
La princesse saisie des mêmes inquiétudes se
releva sans bruit, entre dans la caverne où ,
éto:t le prince prit doucement lia couronne
,
d'une ogrelette et la mit sur la tête de son
,
amant , qui n'osa l'arrêter , quelque désir
qu'il en eût ; mais le respect qu'il avoit pour
elle, & la crainte de lui déplaire J'en empê-
cherent.
La princesse n'avoit jamais été mieux ins-
pirée que d'aller mettre la couronne sur la tête
d'Aimé. Sans cette précaution c'étoit fait de
,
lui ; la barbare Tourmentine se reveilla en sur-
saut , & rêvant au prince qu'elle avoit trouvé
beau comme le jour, & tort appétissant, il lui
prit une si grande peur que Ravagio ne l'allât
manger tout seul, qu'elle crut que le meilleur
étoit de le prévenir. Elle se glissa sans dire mot
dans le trou des ogrichons, elle toucha dou-
cernent ceux qui avoient des couronnes, ( le
prince étoit de ce nombre) & une des ogre-
lettes passa le pas en trois bouchéts. Aimé &
sa maîtresse entendoient tout & trembloient
de peur; mais Tourmentine ayant fait cette
expédition, ne demandoit plus qu'à dormir,
ils furent en sûreté le reste de la nuit.
Ciel disoit la princesse, secourez-nous 1
,
inspirez-moi ce que nous devons faire dans une
extrémité si pressante. Le prince ne prioit pas
avec moins d'ardeur , & quelquefois il avoit
envie d'attaquer ces deux monstres & de les
combattre ; mais quel moyen d'espérer quel-
que avantage sur eux ? Ils étoient hauts com-
me des géants ; & leur peau était à l'épreuve
du pistolet ; de sorte qu'il pensùit fort prudem-
ment, qu'il n'y avoit que l'adresse qui pût
les tirer de cet affreux endroit.
Dès qu'il fit jour & que Tourmentine eut
trouvé les es de son cgre!ette, elle remplit l'air
d.'hurlemensépou\'antaUes.Ravagio ne partit
pas moins désespéré, iis-turenteentrois prêts de
se jetter sur le prince & sur Ir.. princesse, & de
les égorger sans miséricorde; ils étoient cachés
dans un petit coin obscur ; mais les mangeurs.
(If chair fraîche ne savoient que trop où ils
étoient, de tous les périls qu'ils aVOlcnt
courus, celui-là paroissoit le plus évident.
Aimée rêvant &se creusant la tête vint tout-
tl'un-coup à se souvenir que la baguette d'i-
voire dont Tourmentine se servoit, taisoit des
espèces de, prodiges, -& qu'elle-même n'en
IpouYoit dire la raison, $i malgré son ignorance,
disoit-elle, il ne laisse pas d'arriver des choses
si surprenantes pourquoi mes paroles n'au-
,
rojent-elles pas autant de vertu ? Remplie de
cette idée , elle courut dans la caverne où
Tourmentine couchoit, elle chercha la ba-
guette qui étoit dans le fond d'un trou ; Se lors-
qu eile la tint, elle s écria : je souhaite au nom
de la royale Fée Trusio, de parler le langage que
parle celui que j'aime. E!ie auroit fait bien
d'autres souhaits ; mais Ravagio entra, la prin-
cesse se tut, & remettant sa baguette, elle vint
tout doucement auprès du prince. Cher étran-
ger , lui dit-elle, vos peines me touchent plus
sensiblement que les miennes propres. A ces
mots le prince demeura étonné & confus. Je
vous entends, adorable princesse, dit-il ; vous
parlez ma langue, je puis espérer que vous en-
tendez à votre tour que le souffre moins pour
moi que pour vous, que vous m'êtes plus'chere
que ma vie, que la lumière Se que tout ce qu'il
y a de plus aimable dans la nature. Mes ex-
pressions sont plus simples, répliqua la prin-
cesse , mais elles ne seront pas moins sinceres.
Je sens que je donnerois tout ce que j'ai dans
le rocher de la mer mes moutons, mes a-
,
gneaux , enfin ce que je possédé, pour le seul
plaisir de vous voir. Le prince lui rendit mille
graces de ses bontés, & la conjura de lui ap-
prendre qui lui avoit enseigné en si peu de
& toutes les délica-
temps , tous les termes
tesses d'une langue qui lui avoit été inconnue
jusqu'alors ? Elle lui raconta le pouvoir de la
baguette enchantée , & il l'informa de sa nais-
& de leur parenté. La princesse se sen-
sance
toit transportée de joie ; comme elle avoit na-
turellement un esprit merveilleux elle disoit
,
des choses si fines si bien touwiées, que le
prince sentit un violent accroissement à sa
passion.
Ils n'avoient pas de temps a perdre pour
régler leurs affaires; il étoit question de fuir
des monstres irrités & de chercher promp-
, Ils
tement un asile à leurs innocentes amours.
promirent de s'aimer éternellement & d unir
leurs destinées, des qu'ils seroient en état de
s'épouser. La princesse dit a son amant, que
lorsqu'elle verroit Ravagio & Tourmentme
endormis elle iroit leur grand chameau
, querir ,
Se qu'ils monteroient dessus pour s 'en aller où
Ilplairait au c lel de les conduire: le prince étoit
si aise qu'il ne pouvoit à peine contenir sa joie ,
,
&C quelque sujet qu'il eîlt d'avoir encore beau-

charmantes idées de l 'a-


coup de frayeur , les
venir effaçoient une partie des maux presecs.
Cette nuit si désirée arriva : la princesse prit
jde la farine & pétrit de ses mains blanches un
gâteau ou elle mit une lève puis elle dit, en
,
tenant la baguette d'yvoire : 0 féve petite
fêve je souhaite au de ,
la royale Fée
, nom
Trusio que tu parles, 'il le faut, jusqu'à
, s ce
que tu sois cuite. EIIQ mit ce gâteau sous les
cendres chaudes & fut prendre le prince qui
,
l'attendoit bien impatiemment dans le vilain
gîte des ogrichons. Partons, lui dit-elle, le
chameau est lié dans le bois. Que l'amour &
la fortune nous conduisent, répondit
tout bas
le jeune prince: Allons allons, Aimée,
, mon
allons chercher un séjour heureux 6c
tran-
quille. Il faisoit clair de lune ; elle Setoit saisie
de la secourable baguette d'ivoire, Ils
trou-
vèrent le chameau & se mirent en chemin
sans savoir où ils alloient. ,
Cependant Tourmentine qui avoit la tête-
remplie de chagrin se tournoit & retournoit
,
sans pouvoir dormir; elle allongea le bras pour
sentir si la princesse étoit déjà dans le petit
lit, & ne la trouvant pas elle s'écria d'une
,
voix de tonnerre : où es-tu donc fille ? Me
,
voici auprès du feu, répondit la fève; vien-
dtas-tu te coucher, dit Tourmentine ? Tout-
à-l'heure, répondit la fève, dormez, dormez.,
Tourmentine ayant peur de réveiller
son Ra-
vagio, ne parla plus; mais à deux heures de-
là, elle tâta encore dans !e petit lit d'Aimée
£ écria Quoi, petite pendarde ! tu
ne veux
:
te coucher? Je me chauffe tant que
onc pas
répond la fève. Je voudrois que tu
; peux,
lisses au milieu du feu pour ta peine , ajouta
ogresse. J'y suis aussi, dit la fève.. & l 'on ne

'est jamais chauffé de plus près. Elles firent


beaucoup d'autres discours, que la fé-
;ncore
soutint en fève très-habile. Conclusion :
'e
le jour, Tourmentine appelle encore la
'ers
princesse ; mais la fève , qui étoit cuite , ne
epuqua rien, Ce silence 1 inquiété elle se
fort émue regarde parle s'alarme &
eve , Point de, ,
:herche par-tout. princesse, plus de
grince, ni de petite baguetre. Elle s écrie d une
:elle force, que les bois les vallons en reten-
issoient. Réveille-toi, mon poupart ; réveille-
oi, beau Ravagio , ta Tourmentine est trahie,
ios chairs fraîch» ont prit la fuite.
Ravagio ouvre son œil, ssute aa milieu de
comme un lion ; il rugit-, Il beugle,
Î caverne
hurle il écume. Allons ; allons dit-il, mes
i
, je poursuive
>ottes de sept lieues que
, curée & nos
Uyards; ; j'en ferai bonne gorge chau-
,
ie
avant qu'il soit peu. Il met ses bottes avec
,
esquelles une de ses jambes l'avançoit de sept
ieues. Hélas ! quel moyen d'aller assez vîte
garantir d'un tel ! On s 'éton-
K>ur se courier
qu'avtîc la baguette d'ivoire, ils n al-
jera
loienf pas plus vîte que lui : mais la belle prin
cesse étoit bien neuve dans l'art de féerie
elle ne savoitpas tout ce qu'elle pouvoit faire
avec une telle baguette , & il n'y a voit que
les grandes extrémités qui pussent lui donner
des lumieres tout d'un coup i
Flattés du plaisir d'être ensemble, de celui
de s'entendre, & l'espoir de 'être point
n pour-
suivis, ils avançoient leur chemin, lorsque la
princesse, qui apperçut la premiere, le terrible
Ravagio, s'écria prince nous sommes
, , per-
dus' voyez cet affreux monstre qui vient
vers
nous comme un tonnerre ? Qu'allons - nous
faire qu'allons-nous devenir ? Ah, si j'étois
,
Seul je ne regretterois point
, ma vie ; mais
la vôtre, ma chere maîtresse, est exposée.
Je suis sans consolation, si la baguette
ne
nous garantit pas, a joute Aimée, en pleurant,
il fiut noio résoudre à la mort. Je souhaite,
,
d;t elle au nom de la royale Fée Trusio,
<pt' notre chameau devienne un étang, que
le prince soit un bateau & moi vieille
, une
bydière qui le conduirai. En même-temps
1
et.mg, le bateau lX la batelière se forment,
& Ravagio arriva sur le bord. Il crie :Hoia \
ho vieille mere éternelle ! n'avez-vous
, pas vu
passer un chameau, un jeune homme & une
fille ? La batelière, qui tenoit
se au milieu de
'étang, mit ses lunettes sur son nez Se re-
,
gardant Ravagio, elle lui fit signe qu'elle les
avoit vus, & qu'ils étoient passés dans la
prairie. L'ogre la crut ; il prit la gauche. La
princesse souhaita de reprendre sa forme natu-
relle ; elle toucha trois fois avec sa baguette ;
elle en frappa le bateau Sel étang; elle rede-
vint belle 6c jeune, ai^ii que le prince. ILs
montèrent sur le chameau, & tournerent à
droite pour ne pas rencontrer leur ennemi.
Pendant qN'ils s'avançoient diligemment Se
qu'ils souhaitoient de trouver quelqu'un à qui
demander le chemin de l'Isle-Heureuse ils
,
vivoient des fruits de la campagne, ils bu voient
de l'eau des fontaines, ils couchoient sous les
arbres, bien inquiets que les bâtes sauvages ne
vinssent pour les dévorer. Mais la princesse
avoit son arc & des fléchés, dont elle auroit
essayé de se défendre. Le péril ne les effrayoit
si fort, qu'ils ne ressentissent vivement le
pas
plaisir d'être échappés de la caverne, & de se
trouver ensemble. Depuis qu'ils
ils se disaient les plus jolies choses du monde ;
,
s'entendaient

l'amour donne ordinairement de l'esprit. A


leur égard, ils n'avoient pas besoin de ce
secours, ayant mil'e agrémens naturels, Sç
des pensées toujours nouvelles.
Le prince témoignoit à sa princesse l'extrême
impatience qu'il avoit d'arriver bientôt ché:
le roi son pere, où chez le sien puisqu'elle
,
lui avoit promis qu'avec leur consentement
elle le recevroit pour époux. Ce qu'orf ne
croira peut-être pas sans peine,.c'est qu'en
attendant cet heureux jour, il vivoit avec elle
dans les bois, dans la solitude, & maître de
lui proposer tout ce qu'il auroit voulu, d'une
manière si respectueuse & si sage, qu'il ne
s'est jamais trouvé tant de passion & tant de
vertu ensemble.
Après que Ravagio eut parcouru les monts',
les forêts & !.cs plaines il retourna à sa
,
caverne , où Tourmentine & les ogrichons
l'attendoient impatiemment. Il étoit chargé
de cinq ou six personnes, qui étoient tombées
malheureusement sous ses griffes. Hé bien !
lui cria Tourmentine les as-tu trouvés &
,
mangés, ces fuyards ces voleurs, ces chairs
.
fraîches ? ne m'en as tu gardé ni pieds ni pattes?
Je crois qu'ils sont envolés, répondit Ravagio,
j'ai couru comme un loup de tous côtés sans
les rencontrer & j'ai vu seulement une
,
vieille dans un bateau sur un étang, qui m'en
a dit des nouvelles Er que t'en a-t-elle dit,
répliqua l'impatiente Tourmentine ? Qu'ils
? voient tourne à gauche , ajouta Ravagio.
Par mon chef, dit-elle, tu en es la dupe I j'ai
dans
ans ma tête que tu partais à eux-mêmes.
etournes : <k si tu les attrapes, ne leur fais
as quartier d'un moment.
Ravagio graissa les bottes de sept lieues,
: partit comme un désespéré. Nos jeunes

,
nans sortaient d'un bois où ils a voient passé
nuit. Quand ils l'apperçurent ils s'effraye-
nt également. Mon Aimée, dit le prince,
>ici notre ennemi, je me sens
assez de cou-
ge pour le combattre, n'en aurez - vous pas
sez pour fuir toute seule ? Non , s'écria-t-
IIe ie ne vous abandonnerai point; crue)!
)utez-vous ainsi de ma tendresse ? Mais ne
rdonspas un moment, ia baguette nous sera
ut-être d'un grand secours. Je souhaite,
t-elleau nom de la royale Fée Trusio
le le prince soit métamorphosé en portrait,
chameau en pilier, & moi en nain. Le
angement se fit, &: le nain se mit à sonner
cor. Ravagio qui s'avançait à grands pas,
dit : apprends-moi petit avorton de la
,
turc , si tu n'as point vu passer un beau gar-
n , une jeune fille & un chameau ? Ors
us le dirai; répondit le nain : Jaçoient que
'lez en quête d'un gentil damoisel, d'une
lerveillable dame & de leur monture, je les
isai hier à cet ère, qui se pavanaient
pent & réjouis;icel gentil chevalier reçus
t
tou
le les & guerdon des joutes & tournoiemen
qui se firent à l'honneur de Merlusine, quille,
dépeinte en sa vive ressemblance ; mou]
voyez
hauts prudhommes & bons chevaliers y dé
rompirent lances, hauberts, salades & pavois
le conflict fut rude & le guerdon un moul
,
beau fermeillet d'or , acoutré de perles 6
diamans. Au départir, la dame inconnue ml
dit: Nain, mon ami, sans plus longs parle
mens, je te requiers un don au nom de t.
,
plus douce amie; (si n'en serez éconduite
luidis-je, & vous l'octroye à celle conditiol
qu'il soit en mon pouvoir ) ; au cas, dit-elle
qu'aviser tu puisse le grand & décommuna
géant, qui œil porte droit par le milieu d
tront, prie-le moult accortement qu'il vois
tn paix, & nous y laisse; puis elle chassa 50
palefroy & ils s'éloignerent. Par où , di
,
Ravagio ? Jus cette verdoyante prairie,
l'orée du bois, dit le nain. Si tu mens, repli
qua l'ogre sois assuré, petit crasseux, que j
, toi, portrait d
te manderai, ton pilier ton
Merluche. Oncque vilenie ni ia'face n'y eu
en moi, dit le nain ; ma bouche n'est mi
mensongère ; homme vivant ne me peu
trouver en fraude: mais allez vîte, si quére
les occire avant seleil couché. L'ogre s'e!gj
gna ; le nain reprit sa figure, 6c toucha il
portrait oc le pilier, qui devinrent ce qu'ils
devoient être.
Quelle joie pour l'amant & pour la maî-
tresse ! Non, disoit le prince, iti n'ai jamais,
ressenti de si vives allarmes, ma chere Aimée.
Comme ma passion pour vous prend à tous
ttiomens de nouvelles forces, mes inquiétudes
augmentent quand vous êtes en péril, Et
moi, lui dit-elle, il me semble que je n'avois
point de peur, parce que Ravagiô ne mange
pas les tableaux ; que j'étois seule exposée à
sa fureur, que ma figure étoit peu appétis-
sante, qu'enfin je donnerois ma vie pour
conserver la vôtre.
Ravagio courut inutilement ; il ne trouva
ni amant ni la maîtresse : il étoit las comme
1

un chien; il reprit le chemin de sa caverne.


Quoi ? tu reviens sans nos prisonniers s'écria
,
Tourmentine, en arrachant ses crins héris'sés?
Ne m'approche pas, ou je t'étrangle. Je n'ai

,
rencontré, dit-il, qu'un nain, un pilier 6c un
tableau. Par mon chef, cQ)ntimola-.t-elle
ce
les étoit. Je suis bien folle de te confier le
soin de ma vengeance,comme si j'étois trop
petite pour le prendre moi-même! ça,
j'y vas; je veux me botter à mon tour, & je ça,
n'irai pas avec moins de diligence que toi.
.jlUe mit les bottes de sept lieues, 6: paiîit.
Quel moyen que le prince & la princesse
allassent ass^z vite pour s'echapper de
ces
monstres, avec leurs maudites bottes de sept
lieues? Ils virent venir Tourmentine, vêtue
de peau de serpent, dont les couleurs bigar-
rées surprenoient. Elle portoit
sur son épaule
une massue de fer d'une terrible pesanteur ;
& comme elle regardoit soigneusement de
tous côtes, elle auroit apperçu le prince &
la princesse sans qu'ils étoient dans le fond
d'un bois. ,
L'affaire est sans retour, dit Aimée
pleurant ; voici la cruelle Tourmentine, donten
l aspect me glace le sang elle
; est plus adroite
que Ravagio. Si l'un de nous deux lui parle,
elle nous reconnoîtra & commencera
,
procès par nous manger; il finira bientôt,
notre
comme vous le pouvez croire. A mour, amour,
s écria le prince ne nous abandonne point :
,
est-il sous ton empire des cœurs plus tendres
& des feux plus purs que tes nôtres ? Ah
ma chere Aimée, contmua-t-il, en prenant ,
ses mains & les baisant avec ardeur, êtes-
vous destinée à périr d'une maniéré si barbare?
Non dit-elle, non je sens de certains
,
de , mou-
vemens courage E.x de fermeté qui me ras-
surent : a!lons , petite hag; et te fais ton
.devoir. Je souhaite au no.nde la royale
,
Féq
,
Trusio, ,que.Je chameau soit- une caisse que
y
mail cher prince, soit un bel oranger, & que
métamorphosée en Abeille je vole autour
,
de-lui, Elle frappa à son ordinaire les trois
coups sur chacun d'eux, & le changement
fut assez tôt fait, pour Tourmentine,
que
qui arriva erç ce lieu ne s'en apperçut point.
,
L'affreuse mégère étoit essoufflée, elle s'as-
sit sons iFOr;,¡nger.. La princesse Abeille se
donna le plaisir de la piquer en mille endroits ;
quelque dure que fut sa peau elle la dardoit
& la faisoir crier. Il semblait à, la. voir se rou-
ler & se débattre sur l'herbe un taureau ou
,
un jeiane lion assailli par les mouches ; car.
celle-ci en valoit cent. Le prince Oranger
mouroit de peur qu'dIe.ne se laissât attraper,
&-qu*eMe ne la tuât. Enfin ,Tourmentine tout
en sang s'éloigna , &-!la princesse alloit re-
prendre sa prémiere forme quand malheu-
,
reusement des voyageurs passèrent par le bois :
ayant apptrçu la baguette d'y voire, qui était
fort propre, ils la ramassèrent & l'em porte-
tent. Il n'y a guere de cont.re-temps pUis fâ-
cheux que celui-là. Le. prince & la princesse'
,
K'avoientpas perdu l'usage de la parole : mais
que c'étoit un foible .secours en l'état où ils se
voyoient ! Le prince, accablé de douleur,
poussoit des regrets qui augmentaient sensi-
blement le déplaisir de sa chere Aimée, il s'é»
crioit quelquefois :
Je touchois au moment où ma belle princesse
Devoit couronner ma tendresse ;
Ce doux t'spoir enchantoit tous mes sens.
Amour, qui fais tant de merveilles,
Et dont les traits sont si puissans
Conserve-moi ina chere Abeille ,
,
Fais que son cœur ne change pas ;
Et malgré la métamorphose
Que notre infortune nous cause
Qu'elle m'aime jusqu'au trépas. ,
Que je suis malheureux, continuoit-il, je
me trouve resserré sous l'écorce d'un arbre :
me voilà oranger, n'ai aucun mouvement,
je
que deviendrai-je si vous m'abandonnez,
ma chere petite Abeille ! Mais ajoutoit-il,
pourquoi vous éloigneriez-vous de moi ? Vous
trouverez sur mes fleurs une agréable rosée ,
& une liqueur plus douce que le miel : vous
pourrez vous en nourrir. Mes feuilles vous
serviront de lit de repos, olt vous n'aurez rien
à craindre, de la malice des araignées. Dès
que l'Oranger finissoit ses plaintes, l'Abeille
lui répondoit ainsi :
Prince , ne craignez pas que jamais je TOUS
quitte ,
Rien ne peut ébranler mon coeur j
Faites que rien ne vous agite,
Que le doux souvenir d'en être le vainqueur.
Elle ajoutoit à cela n'appréhendez pas que
, jasmins,
; vous
laisse jamais, ni les lys, ni les
i les roses, ni toutes les fleurs des plus char-
pourroient faire com-
lans parterres, ne me
lettre une telle infidélité vous me verrez
, Se
ms cesse voltiger autour de vous, vous
onnoîtrez que l'oranger n'est pas moins cher
l'abeille que le prince Aimé l étoit à la
,
Irincesse Aimée, En effet, elle s'enferma dans
des plus fleurs dans un
me
; grosses , comme
)alais & la véritable tendresse qui trouve des
laissoit d'avoir la
essources par-tout, ne pas
ienne dans cette union.
Le bois où l'oranger étoit, servoit de pro-
nenade à une princesse qui demeuroit dans
.m palais magnifique ; elle avoit de la jeunesse,
de la beauté, de l'esprit ; on l'appelloit Linda.
Elle ne vouloit point se marier, parce qu'elle
craignoit de n'être pas toujours aimée de celui
qu'elle choisiroit pour époux. Et comme elle
avoit de grands biens, elle fit bâtir un château
somptueux, & elle n'y recevoit que des dames
et des vieillards, plus philosophes que galans,
sans permettre qu'aucuns autres cavaliers en
approchassent. La chaleur du jour l'ayant ar-
rêtée dans son appartement plus long-temps
Qu'elle n'auroit voulu elle sortit sur le soir
,
avec toutes ses dames, & vint se promene
dans le bois. L'odeur de l'oranger la surprit
elle n'en n'avoit jamais vu, & elle resta chat'
inée de l'avoir trouvé. On ne comprenoit point
par quel haz^rd il se rencontroit dans un lie
comme celui-là; il fut bien vite cntouré de
toute cette grande compagnie. Linda défendit
qu'on en cueillît une seule fleur & le porta
,
t-lans son jardm où la fidelle abeille le suivit.
,
.Lin(la ravie de son excellente odeur, s'assit
,
dessous ; & sur le point de rentrer dans son
palais, elle alloit prendre quelques fleurs, lors..
que la vigilante abeille sortit , bourdonnant
dessous les feuilles où elle se tenoit en senti-
net'e, & piqua la princesse d'une telle force
qu'elle pensa s'évanouir. Il ne fut plus question,
de dépouiller l'oranger de ses fleurs. Linda re-
vint chez elle toute malade.
Quand le prince put parler en liberté à
Aimée: Quel chagrin vous a pris, ma chere
Abeille lui dit-il contre la jeune Linda ?
, ,
Vous l'avez cruellement piquée. Pouvez-vous
nie faire une telle question , répondit-elle ?
n'êtes-vous pas assez délicat pour comprendre
que vous ne devez avoir de douceurs que pour
moi; que tout ce qui est vous m'appartient,
je
que détends mon bien quand je défends
vos fleurs ? Mais, lui dit-il vous en voyez
,
tomber sans peine; ne vous seroit-il pas égal
que la princesse s'en fûr parée, qu'elle les eût
passées dans ses cheveux ou mises sur son sein.
Non, lui dit l'abeille, d'un ton assez aigre, la
chose ne m'est pas égale; je connaiS, ingrat,
que vous êtes plus touché pour elle que pour
moi ! Il y a aussi une grande différence entre
une personne poile , richement vétu« , qui
tient un rang considérable, ou une princesse
infortunée, que vous avez vue couverte d'une
peau de tigre, au milieu de plusieurs monstres,
qui ne lui ont donné que des manières dures &C
barbares, dont la beauté est trop médiocre
pour vous arrêter. Elle pleura en cet endroit,,
autant qu'une abeille est capable de pleurer ;
quelques fleurs de l'amoureux oranger en fu-
rent mouillées, & son déplaisir d'avoir cha-
griné sa princesse alla si loin que toutes ses
,
feuilles jaunirent, plusieurs branches séche-
rent, & il en pensa mourir. Qu'ai-je donc fait,
s'écria-t-'! belle abeille ? Qu'ai-je fait pour
,
m'attirer votre courroux, Ah ! vous voulez sans
doute m'abaiidoni,ler ; vous êtes déjà !asse de
vous être attachée à un malheureux comme
moi ! la nuit se passa en reproches ; mais au
point du jour, un zéphir obligeant qui les
,
avoit écoutés, lesobhjea Ht-" se racommocler : il
ne pouvoit leur rendre un service lus-.,iré ible
Cependant Linda qui mouroit d'envie
,
d'avoir un bouquet de fleurs d'oranges, se leva
fort matin ; elle descendit dans son parterre,
& fut pour en cueillir. Mais comme elle avan-
çoit la main elle se sentit piquer si violemment
,
par la jalouse abeille que le cœur lui en man-
,
qua. Elle rentra dans sa chambre de fort mau-
vaise humeur : je ne comprends point, dit-elle,
ce que c'est que l'arbre que nous avons trouvé:
mais aussi-tôt que je veux en prendre le plus
petit bouton , des mouches qui le gardent,
me pénetrent de leurs piqûres.
Une de ses filles, qui avoit de l'esprit &
,
qui étoit fort gaie lui dit en riant : Je suis d'a-
,
vis madame, que vous vous armiez comme
,
une amazone ; & qu'à l'exemple de Jason, lors-
qu'il fut conquérir la Toison d'Or, vous alliez
courageusement prendre les plus belles fleurs
de ce joli arbre. Linda trouva quelque chose
de plaisant dans cette idée ; & sur le-champ
elle se fit faire un casque couvert déplumes, ,
une légere cuirasse , des gantelets ; & au son
des trompettes, des timbales, des fifres & des
hautbois, elle entra dans son jardin suivie
de toutes ses dames qui s'étoient armées à,
y
son exemple, & qui appelaient cette fête la
guerre des mouches & des amazones. Linda
tira son épée de fort 1.onne grâce, Fuis frap-
pant sur la plus belle branche de l'oranger :
Paroissez, terribles abeilles, s'écria-t-elle, pa-
roissez je viens vous défier ; serez-vous assez
,
vaillantes pour défendre ce que vous aimez î
Mais que devint Linda & toutes celles
,
qui l'accompagnoient lorsqu'elles entendi-
, hélas pi-
rent sortir du tronc de l'oranger un
;toyable suivi d'un profond soupir & qu'eT-
, ,
les virent couler du sang de la branche
coupée ? Ciel ! s'écrra-t-elle qu'ai-je fait ?
,
Quel prodige ! Elle prit la branche ensanglan-
tée elle la rapprocha inutilement pour la
rejoindre ; elle se sentit saisir d'une frayeur &
9

d'une inquiétude épouvantable.


La pauvre petite abeille désespérée de l'a-
vanture funeste de son cher oranger, pensa
paroître pour chercher la mort dans la pointe
de cette fatale épée, voulant venger son cher
prince mais elle aima mieux vivre pour lui;
,
&, songeant au remède dont il avoit besoin ,
elle le conjura de vouloir bien qu'elle volât en
Arabie pour lui rapporter du baume. En
,
effet, après qu'il y eut consenti, & qu'ils se
,
furent dit un adieu tendre & touchant, elle
s'achemina dans cette partie du monde, où
son seul instinct la guidoit. Mais pour parler
plus juste, l'amour l'y mena; comme il
va plus vite que les plus diligentes mouches,
il lui fournit le moyen de faire promptement
ce grand voyage. Elle rapporta du baume
merveilleux sur ses aîles & au bout de ses pe-
tits pieds, dont elle guérit
son prince. Il est
vrai que ce fut bien moins par l'excellence du
baume que par le plaisir qu'il eut de voir
,
l a princesse abeille prendre
tant de soin de
son mal. Elle y mettait tous les jours de son
baume, & il en avoit besoin, car la branche
coupée étoit un de ses doigts ; de sorte que,
pour ppu qu'on l'eût maltraité , comme avoit
fait Linda il ne lui seroit demeuré ni bras ni
,
jambes. Oh que l'abeille ressentoit vivement
les souffrances de l'oranger! elle reprochoir
se
d '>en êt.e la cause par l'empressement qu'elle
avoit eu de défendre ses fleurs !
L,Inda épouvantée de ce qu'elle avoit
, vu,
ne dormait & ne mangeoit plus. Enfin elle
résolut d'envoyer chercher des Fées,
pour
tâcher d'erré éclaircie sur une chose qui lui
paroissoit si extraordinaire. Elle dépêcha des
ambassadeurs, & les chargea de grands pré-
sens , pour les convier de venir à sa cour.
Entre celles qui arrivèrent chez Linda la
reine Trusio vint une des premieres. Il n'a
jamiis été une personne plus savante dans
l'art de féerie. Elle examina la branche & l'o-
rar ger ; elle en sentit les fleurs, & démêla
odeur humaine qui la surprit. Elle ne
me
légligea aucunes conjurations, & elle en fit
le si tortes que tout-d'un-coup l'oranger
,
lisparoissant, on appecçut le prince plus beau
k mieux fait qu'aucun autre. A cette vue,
..inda demeura immobile ; elle se sentit frap-
)ée d'admiration, & de quelque chose de si
)articulier pour lui, qu'elle avoit déjà perdu
a premiere indifférence lorsque le jeune
,
>rince, occupé de son aimable abeille , se
etta aux pieds de Trusio. Grande reine, lui
Et-il, je te dois infiniment ; tu me rends 1 u -
âge de la vie , en me rendant ma premiere
mais s-i tu veux que je te doive mon
orme ;
epos , ma joie enfin plus que le jour auqud
, rends-moi princesse. En
u me rapelles, ma
lchevant ces paroles , il prit la petite abeille ,
laquelle il avoit toujours les yeux. Tu seras
;ur
:ontent, répondit la généreuse Trusio. Elle
"ecommença ses cérémonies, & la princesse
Aimée parut avec tant de charmes, qu'il n y
L-t pas une des dames qui ne lui portât eiivie.
Linda hésitoitdans son cœur , si elle devoir
ivoir de la joie ou du chagrin d'uneaventure si
extraordinaire particulièrement delà méta-
,
morphose de l'abeille. Enfin la raison l'emporta
sur la passion qui n'étoit encore que nais-
, à Aimée, & Tru-
sante ; elle fit milles caresses
sio la pria de lui conter ses aventures. Elle li
avoit trop d obligation pour différer ce qu'ell

,
souhaitoit d 'elle. La grâce &: le bon air don
elle parloit intéressa toute l'assemblée £
lorsqu elle dit a Trusio qu'elle avoit fait ,
tan
de merveilles par la vertu de
son nom & d
sa baguette, il s'éleva un cri de joie dans 1
saI!e & chacune pria la Fée d'achever
, c
grand ouvrage.
Trusio, de son côté, ressentoit
un p!aisi
extrême de tout ce qu 'elle entendoit ; elle serr
étroitement la princesse entre ses bras. Puisqu
je vous ai été si utile sans
vous connoitre , IL
dit-elle, jugez, charmante Aimée à présen
,
que je vous coonoÍs, de ce que je veux fair
pour votre service. Je su:s amie du roi votr
pere & de la reine votre mere. Allons promp
tement, dans mon char volant, à I'Is!e-Heu
reuse, où vous serez reçus comme vous lj
méritez l'un & l'autre.
Linda les pria de rester un jour chez elle
pendant lequel elle leur fit de riches présent
& la princesse Aimée quitta sa
peau de tigr
pour prendre des habits d'une beauté incom
parable. Que l'on comprenne à présent la joi
de nos tendres amans : oui qu'on la
, corn
prenne si 'on peut ; mais il faudroitpour ce.!
1

s etre trouvé dans les mêmes malheurs j avoi


été parmi les ogres, & s'être métamorphosé
tant de fois. Enfin, ils partirent. Trusio les
conduisit au travers de l'air dans l'Isle-Heu-
reuse. Ils furent reçus du roi &: de la reine
comme les personnes du monde qu'ils espé-
roient le moins de revoir, qu'ils revoyoient
avec la pluç grande satisfaction. La beauté &
la sagesse d'Aimée, jointe à son esprit, la ren-
dirent l'admiration de son siecle. Sa chere
mere l'aimoit éperduement. Les grandes quali-
tés du prince Aimé ne charmoient pas moins
que sa bonne mine. Leur mariage se fit. Rien
n'a jamais été si pompeux; les grâces y vin-
rent en habit de fêtes, les amours s'y trouvè-
rent sans même en avoir été priés ; & par un
ordre exprès de leur part, on nomma le fils
aîné du prince & de la princesse, amour fidde.
L'on ajouta depuis beaucoup de titres à celui-
ci ; &, sous tous ces différens titres, l'on a bien
de la peine à le retrouver tel qu'il est né de ce
charmant mariage. Heureux qui le rencontre
sans s'y méprendre.
Avec un tendre amant, seule au milieu des
bois
,
Aimée eut en tout tems une extrême sagesse :
Toujours de la raison elle écouta la voix
,
Et sut de son amant conserver Li, tendresse.
Beautés , ne croyrz ras, pour captiver les
tueurs,
Que les plaisirs soient nécessaires ;
L'amour souvent s'éteint au milieu des dou-
cents.
Soyez fideles soyez sévères,
,
Et VljUS inspirerez d'éternelles ardeurs.

FIN;
FLOR1NE ?

IEINE DE L'ISLE DES FLEURS,

CONTE.

[L
v avoit autrefois, dans le royaume de
Isie des Fleurs, une reine qui perdit dans
,
ne grande jeunesse, le roi son mari qu'elle
imoit tendrement, & de qui elle étoit aimée
e même ; cette tendresse réciproque avoit
onné la vie à deux princesses parfaitement
elles, que la reine leur mere faisoit élever avec
3us les soins possibles, & elle avoit le plaisir
e voir tous les jours augmenter leurs agré-
tens. L'aînée, nommée Florine, étoit à l'âge
e quatorze ans, devenue incomparable en
eauté, ce qui causa quelque inquiétude à la
eine parce qu'elle savoit que la reine des
,
îles en auroit de la jalousie.
La reine des Isles, qui croyoit être la plus
telle personne du monde, exigeoit de toutes
ps belles personnes, une reconnoissance de la
upériorité de sa beauté. Etant poussée par
ette vanité, elle avoit obligé le roi son mari
à conquérir toutes les isles qui étoient
ai
voisinage de la sienne, & le roi qtfi étoit «qui
table & qui n avoit fait cette entreprise
qu<
pour satisfaire la reine, ne songeant encore
après sa conquête, qu'à ce qui pouvoit lu
faire plaisir, n imposa
pour loi à tous les prin
ces qu 'il avoit soumis, que l'obligation d'en-
voyer ^toutes les princesses de leur san<*,
aussi-tôt qu'elles seroient à l'âge de quinze
ans, faire hommage à la beauté de la reine s;
femme.
La reine de l'Isle des Fleurs, qui savoi
cette obligation songea aussi-tôt que sa fille
,
aînée eut quinze ans, a la conduire aux pied'
du trône de la superbe
reine. La beauté de la
jeune princesse avoit déjà
tant fait de bruit
qu'il s'étoit répandu par-tout, &
que la reine
des^ Isles qui beaucoup entendu
, en avoit
paner , l 'attendoit avec une inquiétude qui
étoit le présage de la jalousie dont elle
, se
trouva saisie dans la suite ; elle fut véritable
ment éblouie d'une beauté si éclatante, & n
put s'empêcher de demeurer d'accord qu'elle
n avoit jamais rien vu de si beau ; s'entend
qu'elle jugeoit que c'étoit après elle l'a-.
-
mour propre qui la possédoit absolument,
, car
l'empêchoit de croiFe la princesse plus belle
qu elle \ elle la traitoit même assez civilementÀ
dans la pensée qn'dle ne lui ôteroit pas la
supériorité. M.I s les acclamations
que tous
les hommes & toutes les femmes de
sa cour
donnoient a la beauté de la princesse causè-
rent un si grand dépit à la reine, qu'elle en
perdit toute contenance ; elle se retira dans son
cabinet faisant la malade pour n'être plus
,
si,
témoin des triomphes d'une aimable rivale,
& elle fit dire à la reine de l'Isle des Fleurs,
qu elle ne la pourront plus voir à cause
de l incommodité qui lui étoit survenue ,
:
qu'elle lui consei'loit de plus de se retirer dans
ses états , & d'y ramener la princ?s;e sa fille.
La reine des Fleurs qui avoit autrefois fait
,
un assez long c:éÍ('ur en cette cour, y avoit fait
amitié avec la dame d'honneur de la reine
laquelle lui conseilla canfidemment de ,
ne pas
demander à prendre congé de la reine & de
,
songer a sortir de ses états, le plus prompte-
ment qu'il lui seroit possible.
La dame d'honneur qui étoit bonne
per-
sonne , & qui avoit promis amitié à la reine
de Isle des Fleurs étoit embarrassée entre
1

,
les devoirs de l'amitié & la fidélité qu'elle
,
devoit a la reine \ elle crut prendre
un juste
tempéramment, en avertissant seulement la
reine son amie , que la reine sa maître'se avoit
quelque mécontentement qu'elle ne pouvoit
lui dire ; elle crut pouvoir seulement
lui conseiller de se retirer dans ses états
sans perdre aucun temps ; &c quand elle y
seroit d'empêcher durant six mois la princesse
sa fille de sortir de son palais , pour quelque
cause que ce fut; elle lui promit de plus, d'em-
ployer pendant ce temps-là tout son crédit &
toute son industrie pour adoucir l'esprit de la
reine sa maîtresse.
La reine de l'Isle des Fleurs, qui avoit com-
pris par les discours mystérieux de son amie,
que la princesse sa fille avoit beaucoup à crain-
dre de la vengeance de la reine, & que c'étoit
parce qu'elle se sentoit fort offensée du grand
bruit que la beauté de cette charmante prin-
cesse avoit fait à sa cour , la ramena dans ses
états, & la conduisit dans son palais en toute
diligence. 1

Comme elle n'ignoroit pas jusqu'où s'é-


tendoit le pouvoir que les secrets de féerie
donnoient à la reine irritée elle avertit la
,
princesse sa fille qu'elle étoit menacée d'un
grand danger si elle sortoit du palais lui
, ,
recommandant par toute l'autorité, & par
toute la tendresse de mere, de ne pas l'en-
treprendre sans sa permission, pour quelque
raison que ce fût. La reine n'oublioit rien,
pour divertir la princesse sa fille ne, sortoit
,
même que rarement, pour lui rendre ce long
séjour plus supportable, en lui faisant com-
pagnie.
Les six mois étant près d'expirer, il se fai-
soit précisément au dernier jour une fête de
grande réjouissance dans une prairie char-
qui étoit bout de l'avenue du pa-
mante , au
lais de sorte que la princesse en ayant vil
,
les préparatifs par la fenêtre de son apparte-
& étant très-ennuyée d'avoir été pen-
ment,
dant un si long-temps privée du plaisir de la
promenade dans un pays qui étoit par-tout
, elle supplia la reine de lui
couvert de fleurs,
d'aller faire un tour dans la prairie \
permettre
la reine, qui crut que le péril étoit passé, y
consentit : elle y voulut même aller avec elle,
la étoit charmée de
suivie de toute cour, qui
qui faisoit ses délices, en
voir une princesse
liberté, après une détention d six mois , dont
*

la reine n'avoit p ,ts dit la cause. La princesse


de joie de marcher dans un chemin par-
ravie
semé de toutes sortes de fleurs, après en avoir
été privée si long-temps, devançoit la reine sa
mere de quelqus pas: ( quel cruel spectacle! )
la terre s'ouvrit sous les pieds de la charma ite
princesse & se referma après l'avoir en-
,
gloutie. La reine tomba évanouie de douleur;
ia jeune princesse répandit des larmes, Se ne
pouvoit quitter le lieu où elle avoit
disparoître sa sœur. Cet accident mit toute tif
cour d tns une si grande consternation qu'oti
n'en a jamais vu de pareille. ,
Les médecins furent appelés pour secourir
la reine, qui, étant revenue de son évanouis-
sement par leurs remèdes , fit percer la terre
jusqu'aux abîmes ; & ce qu'il y eut de plus,
surprenant, c'est qu'on ne trouva aucun ves-
tige du passage de la princesse ; elle avoit fort
promptement traversé l'épaisseur de la terre,
& s'éroit trouvée dans un désert, où elle
ne
voyoit que des rochers & des bois; sans pou-
voir appercevoir la moindre trace de pas
d'liomm-,s ; elle y rencontra seulement
un
petit chien d'une beauté merveilleuse qui
,
courut à elle aussi-tôt qw'elle parut & lui
,
faisoit mille caresses. To ute étonnée qu'elle
étoit d'une aventure si terrible, elle ne laissa
pas de prendre entre ses bras ce petit chien
qu'elle trouvoit si joli & si carressant : après,
l'avo;r tenu quelques momcns, elle le mit à
terre , & incertaine de quel côté elle devoit:
conduire s-s pas, elle vit marcher le" petit
chien, qui tournant à tous momens la tête,
semblait la convier de le suivre. Elle se laissa
ainsi conduire sans savoir oÙ ; die n'eut
pas
marché long - temps qu'elle trouva
, suf.
une petite éminence, d'où elle découvrit un
vallon chargé d'arbres fruitiers qui portaient
,
des fleurs & des fruits en même-temps : elle
apperçut même que la terre , aux pie \s des
arbres, étoit couveite de fleurs & de fruits
,
elle vit dans le milieu d'un si beau parterre,
une fontaine bordée de gazon ; elle s'en ap-
)rocha & trouva que l'eau en étoit claire : elle
.'assit sur ce gazon 011 accablée d'un mal-
, ,
heur qu'elle ne pouvoit regarder sans horreur,
elle fondoiten larmes, voyant tout à craindre,
Se ne pouvant prévoir d'où lui pourroit venir

,
le moindre secours. Elle voyoit bien quelque
remède contre la faim la soif elle prit des
truits ; elle se servit de sa blanche main pour
prendre de l'eau & en boire. Mais quel se-
ours pouvoit - elle se promettre contre les
bêtes sauvages? elle ne pouvoit s'ôter de la
pensée qu'elle étoit en danger d'en être dé-
vorée. *
<

S'étant enfin résolue à tous les maux qu 'e lie


ne pouvoit éviter , elle cherchoit i't étourdir sà:
douleur, en carressant son petit chien; elle
passa ainsi le jour sur le bord de cette fon-

taine ; mais la nuit s'approchent, ses embarras


redoublerent & elle ne savoit quel parti'
,
prendre, quand elle s'apperçut que son petit
chien la tiroit par la robe. Elle n'y fit pas au
commencement grande attention, mais voyar
qu'il s'opiniâtroit, & qu'après l'avoir pris
par la robe, il marchoit trois pas, & toujour
du même côté, & revenoit un moment aprè
la reprendre de même, paroissant visiblemen
lui vouloir faire suivre ce chemin-là elle s')
,
laissa enfin conduire & se trouvant au pie(
,
d'un rocber elle y vit une ouvertuce spa-
,
cieuse oll il lui sembla encore que son petil
,
chien la convioit d'entrer.
La princesse surprise en entrant dans le
,
rocher, d'y découvrir une caverne agréable,
éclairée par l'éclat des pierres qui la compo-
soient, comme elle l'eût été par la lumiere du
soleil, y apperçut, dans l'endroit le plus re-
culé un petit lit couvert de mousse;elle s'y
,
alla reposer & son petit chien se mit incon-
,
tinent à ses pieds. Elle étoit toujours dans un
nouvel étonnement, de voir des choses qu 'elle
connoissoit si peu : les réflexions qu'elle fai-
soit, & le travail de la journée l'ayant acca-
blée, le sommeil la saisit, & elle s'endormit.
Le jour étant venu, elle fut éveillée par le
chant des oiseaux qui couvroient toutes It:s
branches de quelques arbres qui étoient au-
îot.r du rocher. Dans une autre conjoncture,
elle en eût été charmée, car jamais ramage ne
{tH si diversifié, ni si mélodieux. Le petit chien
s'étant
s'étant éveillé comme elle, s'approcha de ses
pieds avec de petites maniérés carressantes il,
svinbloit qu'il les lui voulût baiser ; elle se leva
& sortit pour respirer l'air le plus doux qu'elle
eût pu désirer, n'y ayant pas sous le ciel un
plus aimable ciimat ; le petit chien se mit à
marcher devant elle, & revenoit comme il
avoit déjà fait, la prendre par la robe ; elle se
laissa guider, & il la ramena dans cet agréable
parterre, & au bord de la fontame , où elle
avoit passé une partie du dernier jour ; elle y
mangea des fruits & but c!e l'eau, dont elle se
trouva satisfate , comme d'un bon repas:
voilà comme elle passa plusieurs mois. Ne se
,voyanr lucun ennemi à craindre , sa doulenr
s appaisa peu-à-peu , & sa solitude lui deviut
plus supportable. Son petit chien si joli & si
,
carrrssant, y avoit beaucoup contribué. Un
jovr qu'elle le v t fort triste & qu'il la
, ne
carressoit pas, elle eut peur qu'il ne fû-t ma-
lade ; elle le mena dans un lieu où elle lui
avoit vu manger d'une herbe qu'elle espéra
qui le soulageroit, mais il ne fut pas possible
de lui en faire prendre : sa tristesse dura tout
le jour & toute la nuit, qu'il
passa faisant
r
de grandes plaintes.
La princesse s étant endormie & à
, son
réveil son premier soin fut de chercher
son
petit chien ; mais ne le trouvant plus a s<
pieds, elle se leva avec grand empressement
pour voir ce qu'il seroit devenu. En sortir
du rocher,elle entendit la voix d'un horm
qui s'enfuit si promptement, qu'elle le perd
de vue en un moment. Voilà line nouvel
surprise pour elle: un homme, dans un lie
où il n'en avoit paru aucun depuis plusieu
mois, & la perte de son petit chien , la sur
prenoit autant qu'aucune autre chose. Comm
il lui avoit été si fidèle depuis le premier jou
de sa disgrace, elle ne savoit si ce vieillard ri
seroit point venu te lui enlever. Elle erroitau
tour de son rocher, avec cent pensées diffé
rentes, quand tout-d'un-coup elle se vit envç
loppée d'une épaisse nue, & transporter dar
les airs : elle ne fit pas de résistance ; & s'étar
laissée conduire, elle se vit avant la fin du jout
ne s?chant par où elle croit passée, dans un
des avenues du palais où elle étoit née, 1

nue avoit-disparu. Mais elle vit en approchar


du palais, un triste spectacle : tous les homme
qu'elle rencontrait étoient vêtus de deuil, c
qui lui fit appréhender d'avoir perdu la reine s
me.'e , ou la princesse sa sœur. Quand ell
fut plus près du palais elle fut reconnue
& elle entendit retentir l'air de cris de joie
La reine avertie par la voix publique
9
:ourut au-devant de sa soeur , & l'embras-
int tendrement, lui dit qu'elle lui remet-
oit sa couronne que les peuples l'avoient
,
obligée de prendre après la mort de la reine
eur i,.iere arrivée quelques jours après le fatal
accidentqui l'avoit fait disparoître. Il y eut
tnrre les deux princesses une noble contesta-
ion, se voulant céder toutes la couronne ; &
nfin l'aînée accepta , mais à condition de
)artager son autorité avec la princesse qui la
ui cédoit, & qui déclara qu'elle n'y accep-
eroit aucune part, étant très-satisfaite dela
gloire d'obéir à une si charmante reine.
La princesse ayant donc pris la couronne,
jui étoit son droit, songea à rendre les der-
liers devoirs à la mémoire de la reine sa mère,
k à donner à la princesse sa sœur, mille mar-
ques de recomacissance , de la générosité
qu'elle avoit eue de lui céder une couronne
iont elle étoit en possession ; & ensuite,
:tant sensiblement touchée de la perte d'un
3etit chien qui lui avoit été si long-temps
Mêle dans sa solitude, elle ordonna qu'en le
cherchât dans toutes les parties du monde
qui lui étoient connues ; & ceux qu'elle y
avoit employéet>e lui ayant rien appris, elle
en fut si affligée, que sa douleur la porta à
dire,qu'elle donneroit la moitié de ses états à
celui qui le lui remettroit entre ses mains. ;
La princesse sa sœur étant très-surprise d'une
résolution si extraordinaire pour ne pas dire
,
extravagante, employa inutilement mille rai-
sons pour la combattre.
Les seigneurs de la cour, touchés d'une si
belle récompense, partirent chacun de son cô-
té & revinrent comme les premiers n'ayant
, ,
aucune nouvelle agréable, à dire à la reine;
elle en tomba dans une affliction si exces-
sive qu'elle se porta à faire publier qu'elle
,
épouseroit celui qui lui apporterait son petit
chien sans ltq uel elle sentoit, disait-elle j
,
pour s'excuser, qu'il ne lui ét ,)it pas possible
de vivre. L'espérance d'un prix si peu atten-
du rendit la cour déserte. Pendant que cha-
, côté, jour
cun cherchoit de son ont vint un
avertir la reine qui étoit dans son cabinet
,
avec la princesse sa sœur, qu'il y avoit un
homme de fort mauvaise mine, qui deman-
doit à lui parler; elle lui ordonna qu'on le fit
entrer : il entra, & dit à la reine , qu'il venoit
lui offrir de lui rendre son petit chien, pourvu,
qu'elle tint sa parole. Li princesse parla la.
premiere, & soutint que la reine
prendre la résolution de se marier sans le con-
ne
pou '
voit

sentement de ses sujets, & qu'il étoit néces- l


saire d'assembler le conseil, dans une occa-j
ion si importante. La reine n'ayant rien à
épondre contre les raisons de la princesse,
lonna un appartement dans Je palais à un
,
10mme qui avoit une si haute prétention ,
$£ consentit de
se soumettre aux délibérations
le son conseil qu'elle fit assembler dès le len-
lemain. Quand la princesse fut seule avec

,
a reine , elle lui représenta si fortement le
ort qu'elle se faisoit en proposant une pa-
eille récompense pour un petit chien, qu'elle
a fit résoudre de renoncer à un dessein il
îizarre.
La reine ne fut peut-être pas fâchée qu'on
ui eût fourni un prétexte pour
manquer
Je parole à un homme de si mauvaise mine.
Le conseil étant assemblé la princesse y fit
,
résoudre qu'on offriroit à cette homme si laid
de grandes richesses pour le prix du petit ,
,
Ichien ; & que s'il les refusoit, on le feroit
(sortir du
royaume , sans qu'il parlât davan- ...
tage à la r,ine : cet homme refusa les
richesses & se retira. La princesse rendit
compte à la reine de la résolution du conseil,
& de celle de cet homme qui s'éto t retiré
,
après avoir refusé les richesses qu'on lui
avoit certes. La reine dit que tout cela
s'étoit passé dans l'ordre ; mais que, comme
elle étoit maîtresse de sa personne, elle
par-
tire it le lendemain après lui avoir remis la
,
couronne, & iroit errer par le monde jus-
, La
qu'à qu'elle eût trouvé son petit chien.
princesse effrayée de la résolution de la rei-
ne , qu'elle aimoit véritablement n'oublia
,
r:enpO'Jr la faire changer; elle l'assura avec
une gé.iérosité sans égale qu'elle n'accep-
,
teroit jamais la couronne. Dans le temps
qu'elles étoient dans une conversation si triste,
un dts principaux officiers de la maison de la
reine se présenta à la porte de son cabinet,
pour l'avertir que la mer étoit couverte de
vaisseaux : les deux princesses se mirent sur
un balcon & virent une armée qui s'appro-
,
choit du port à toutes voiles ; & l'ayant
considérée, elles jugèrentpar sa magnificence,
qu'elle ne venoit pas pour faire la guerre :
elles voyoient tous les vaisseaux couverts de
mille marques de galanterie; ce n'étoit que
pavillons, enseignes banderolles & flammes
,
de soie de toutes couleurs : elles furent con-
firmées dans celte pensée quand eiles virent
, vaisseaux qui
avancer un des plus petits por-
toit des enseignes blanches en signe de paix.
La reine avoit ordonné qu'on courût au port,
qu'on allât au-devant de cette armée pour
savoir d'où elle éteit ; & elle fut bientôt aver-
tire que c'étoit le prince de l'Isle des Emerau-
es, qui demandoit la liberté de descendre
ans ses états , & de lui venir offrir ses très-
umbles respects. La reine envoya ces prin-
ipaux officiers jusqu'au vaisseau du prince
our lui faire ses complimens, & l'assurer
u'il étoit très-bien venu. Elle l'attencloit
ssise sur son trône qu'elle quitta quand
,
lie le vit paroître ; elle alla même quel-
ues pas au-devant de lui. Cette entrevue
e fit avec une grande civilité de part et d'au-
re, & la conversation fut fort spirituelle.
La reine fit conduire le prince dans un
ppartement magnifique : il demanda une
udience particulière & elle lui fut accor-
,
ée pour le lendemain. L'heure de l'audien-
:e étant venue , le prince fut introduit dans
e cabinet de la reine , qui n'avoit que la
)rincesse sa sœur auprès d'elle ; il dit à la
einc, en l'abordant qu'il avoit des cho-
,
es à lui dire , qui eussent pu surprendre
oute autre personne ; mais qu'elle en re-
onnoitroit facilement la vérité par des cir-
,
:onstances qui n'étoient sues que d'elle. Je
uis continua t-il à dire, voisin des états
-
le la reine des Istes ; les miens sont
une
)éninsule, qui a un passage dans son royau-
ne. Un jour étant animé par la passion que
a vois pour la chasse je suivis un cerf jus-
ques dans une de ses forêts ; j'eus le malheu
de la rencontrer & ne l'ayant pas crue h
,
reine parce qu'elle n'avoit pas grande suite
,
je ne m'arrêtai pas pour lui rendre ce qu
lui étoit dû. Vous savez mieux que person
ne , dit-il encore, qu'elle est très vindica-
tive & qu'elle a une puissance de féerie ad
,
mirahle ; ]e l'éprouvai sur l'heure la terc
,
s'ouvrit sw'is mes pieds &C j ; me trouva
,
dans une région éloignée transformé er
,
petit chien, & c'est où j'ai eu l'honneur d<
vous voir. Six mois étant expirés, la ven-
geance de la reme n'étant pas encore com-
plette elle me métamorphosa en hideux
, &
vieil!ard en cet état j'eus tant de peui
,
de vous être désagréable que j'allai m'en-
,
foncer dans J'endroit le plus épais d'un bois ,
où j'ai encore passé trois mois; mais j'ai été
assez heureux pour y rencontrer une fée se-
conrab!e qui m'a délivré de la puissance
,
de la superbe reine des Isles & m'a ayerti
,
de tout ce qui vous étoit arrivé & du lieu
,
où je pourrois vous rencontrer. J'y viens
pour vous offrir les hommages d'un coeur
qui ne connoît pas d'autre puissance qiîe la
vôtre , madame , depuis le premier jour
je
que vous ai rencontrée dans le désert.
' Après ce discours le prince continua à
,
ire à la reine ; que les Fées onses du
mauvais usage que la reine des Isles a voit
ait de ses dons de féeries , les lui avoient
6tés. Le prince eut ensuite, avec la reine ,
plusieurs autres conversations , où ils con...
vinrent ensemble de se her de nœuds éter-
nels ; & cette résolution ayant été rendue
publique fut reçue avec dts applaudisse-
,
mens universels. Ce n'éto't pas sans raison ;
car jamais sujets n'ont vécu sous une domi-
nation si douce ; ils en jouirent même près
d'un siècle. Le roi & la reine les ayant gou-
vernés ensemble & vécu dans une par-
,
faite sécurité jusqu'à une extrême vieillesse..
FIN.
TOURS DE FILOUS.
UN jeune provincial étant à Paris et ayant
entendu parler des mouchoirs de Perse,
commedemouchoirsfortàlamode, s'informait
dans les maisons où il alloit, si on pourroit lui en
faire avoir. Une fille qui, par différens stra-
tagèmes faisoit souvent d. 5 dupes, ayant su
,
le goût de notre provincial, se présenta à
i lui comme il passoit dans la rue : Monsieur

ne voudroit-il point, dit-elle, des mouchoirs


de Perse ? J'en ai des plus beaux. Volontiers
9
dit le provincial, charmé de cette rencontre!
montrez-les-moi. Je ne puis, Monsieur, vous
les faire voir ici parce qu'on me les saisi-
,.
rait ; ir"a:s donnez-vous dit-elle la peine
, ,
d entrer dans cette maison où est mon ma-
,
gasin et vous les choisirez à loisir. Notre
,
homme trop crédule suivit la prétendue
, ,
marchande mais à peine fut-il entré dans
le magasin que la porte se' ferma et au
,
lieu de mouchoirs de Perse il trouva dçs ,
,
catinsqui le ba!oterent de leur mieux. Notre
provincial pour se tirer d'embarras tira
, ,
deux.écus de sa poche et les leur présenta.
,
Deux écus, dirent-elles d'un ton fort élevé,
c'est nous faire affront ! Les commis du ma-
gasin parurent à ce bruit : c'étoient trois
compagnons de la donzelle. Comment osez-
vous , dirent-ils, dans un lieu comme celui-
ci., présenter deux écus? Aux deux écus il
èn joignit deux autres ; mais de gré ou de
force il fallut y joindre le tout puis sa
, ,
n)ontre,et quelques bijoux, auquel prix on
le renvoya en lui recommandant de mieux
,
garnir sa bourse, lorsqu'il viendroit à ce logis
faire emplette. Notre provincial, échappé de
ce lieu , non sans bourse délier alla chercher
ma:n-(orte; mais ces marchandes ne louaient
qu'à l'heure, et elles étoient déjà délogées
lorsqu'on vint pour les saisir.
filou se mit à genoux dans une église,
-U-h
auprès d'un financier. Il s'étoit attaché deux
mains de cire qui sortant de dessous son
,
manteau et se joignant ensemble, étoientéle-
vées vers le ciel. Il rouloit les yeux dévotement,
et semblait prier Dieu avec beaucoup de fer-
veur : pendancce temps-là une de ses mains
travaillait dans la poche de son voisin. Mais
quelque délicate que fût cette opération 'lè
financier s'en apperçut, et ayant jeté les yeux,
sur le filou lui demanda Monsieur, dites-
, :
moi, je vous prie où est la main qui dérobe ?
,
Un chevalier d'industrie retournant dans sa
province portait sur lui pour tout bien un
, honnête qu'on
habit assez pouvait appeler
,
habit de caution, et peu d'argent. Ayant fait
rencontre en-chemin d'un verrier, qui, après
avoir vendu ses verres à Paris s'en retour-
,
nait à quelques lieues de distance de l'endroit
où il allait ils, convinrent ensemble d'aljej
,
souper dans la meilleure auberge sans bourse
délier ; et pour la réussite de cette, entreprise
ils prirent bien leurs mesures, Le cheValier
entra le premier dans l'auberge, où il demanda
u ne chambre à deux lits, et fit préparer un bon
souper, disant qu'il venait de.quitter un pav
vie veirier qui lui avait paru honnête homme l>
etqu il croyait ne pas manquerdtappétit:fuites-
le monter, ajouta-t-il, quand il sera arrivé, et
laissez-le partir demain matin à l'neure qu'il
,
voudra, sans prendre de son argent ; jeme char-
ge de toute la dépense. Pour moi, commé je
suis fatigué, je ne me levrai pas si matin ; ainsi
qu'on ne m'éveille que sur les dix heures. Le
verrier étant arrivé, on le fit montera la cham-
bre du chevalier : ils firent bonne chère
; et le
lendemain de bon matin le verrier fait;
ayant
entrer le chevalier dans sa malle, qui était fort
élevée, l emporta sur ses épaulés, sans qu'on
soupçonnât rien. Ils étaient déjà bien loin, lors-
que dix heures sonnèrent : comme le cheva-.
lier avaflr,dit qu'on l'éveillât à cette heure,f
le maître monta à sa chambre et fit du bruit à la
porte; l'autre ne répondant point, le maître
ouvrit la porte avec sa double clef; et fut fort
surpris de ne pas le trouver dans
son lit. Il des-
cendit en proférant mille malédictions
contre
son chevalier qui l'inquiétoit fort, et sur le re-
tour duquel il ne comptait que légèrement.'A
peine finissait-il de crier,qu'un homme
entra, -

et lui dit : J'ai vu sortir un homme de la malle


d 'un verrier ' ah ! la plaisanre chose,
je ne puis
m'empêcher d'en rire. A ce récit, le maître dé-
se-,perant alors du retour de son homme, n eut
point envie de rire, et il s'ipocrçut à n'en
,
pouvoir doutera qu'il a voit été bien dupe.
1

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