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N°5

LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 21 Septembre 2021 - Trimestriel

DOSSIER

Smart building :
le bâtiment
de demain ? p.25

Intelligence artificielle : INTERNATIONAL

Stop aux idées reçues L'IA en Belgique
p.52

DÉCRYPTAGE
Chaînes de Markov,
IA ultra low-power
p.39

ROBOTIQUE
Agriculture, dépollution,
incendie : comment la
robotique change la donne
p.45
ENTRETIEN
Jean-Louis Quéguiner
l'IA dans le cloud, L 11678 - 5 - F: 6,90 € - RD
les pieds sur terre
p.50
ÉDITORIAL
Chers lecteurs,
L’une des spécificités les plus caractéristiques des technologies émer-
gentes est leur nature exponentielle. Alors que nous avons le sentiment
de vivre dans un monde de nature linéaire, les nouvelles technologies ont
une capacité de prolifération, aussi bien verticalement qu’horizontale-
ment, à très grande vitesse, inconnue jusqu’alors.
Les solutions numériques sont désormais accessibles pour les acteurs
étatiques, mais également pour les acteurs non étatiques et les individus.
Dans nos smartphones, dans nos entreprises mais aussi dans la publi-
cité que nous regardons, sans parler de tout ce que nous ne voyons pas.
Et c’est souvent ce que nous ne voyons pas et/ou ne comprenons pas qui
intrigue, effraie et fait naître des préjugés.
Des idées reçues, des mythes issus du cinéma et de la littérature, et de
multiples théories du complot entourent l’IA. Ils projettent comme un
miroir concave une image déformée oscillant souvent entre dystopie et
partialité. Combien d’idées reçues pouvez-vous citer ? Combien en avez-
vous lu ou entendu autour de vous ? Dans ce numéro, le comité scienti-
fique d’ActuIA s’est penché sur le sujet à travers neuf de ces idées reçues
pour y apporter son éclairage.
L’IA n’est pas un outil magique et les chercheurs en IA ne sont pas des
magiciens mais de brillants professionnels, ce qui est bien mieux. Pour
l’illustrer, nous vous proposons plusieurs mises en lumière de secteurs
en évolution. Avec le smart building par exemple. Central pour la mise en
place de véritables smart cities, le bâtiment intelligent est crucial pour
relever les défis actuels, notamment en ce qui concerne le développement
durable. Autre enjeu fondamental pour nos sociétés : la santé. Nous avons
souhaité vous parler de l’utilisation de la réalité mixte dans la médecine
de demain, une application innovante et très instructive.
Autre outil à notre disposition, et à celle des décideurs, la robotique. La
robotique industrielle fait souvent parler d’elle mais elle est également
efficace dans d’autres secteurs comme l’agriculture, la gestion des incen-
dies et la lutte contre la déforestation. Qui dit systèmes d’IA pense aussi à
la sécurité, à la consommation énergétique et à l’éthique. Trois sujets que
nous allons aborder dans ce numéro.
Nous poursuivons également notre voyage autour du monde pour dé-
couvrir comment se développe l’écosystème IA et cette fois-ci nous nous
sommes rendus en Belgique. Et à Paris, nous avons souhaité vous parler
du laboratoire NukkAI. Ce magazine vous livre également d’autres exper-
tises, éclairages ainsi qu’une sélection de levées de fonds, d’actualités et
de lectures.
Enfin, vous l’aurez remarqué, tout comme le data scientist, nous avançons
par tâtonnements afin de parfaire le magazine qui inaugure une nouvelle
charte graphique qui, nous l’espérons, vous plaira. Nous serons volontiers
preneurs de vos retours.
Bonne lecture et rendez-vous au prochain numéro !
Johanna Diaz,
rédactrice en chef
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Remerciements :
Laurent Cervoni, Laurent Seyer, Luc Masseau,
Racha Friji, Souheil Hanoune, Juliette Mattioli,
Françoise Soulié, Milie Taing, Jacqueline Forien,
Joachim Massias, Aude Vinzerich, Philippe
Very, Emeline Lesmanne, Younès Bennani,
Thomas Grégory, Yannick Meneceur, Pierre-Alain
Moëllic, Valentin Gies, Axel Cypel, Thierry
Berthier, Céline Patissier, Jean-Luc Marini,
Catherine Cervoni, Jérôme Nicaise, Nathanaël
Ackerman, Mieke De Ketelaere, Nathalie Smuha,
Frederic Pivetta, Omar Mouhout, Thierry Dutoit,
Sophie Hue, Renaud Allioux, Isabelle Vincent,
Véronique Ventos, Jean-Baptiste Fantun,
Jérôme Béranger, Jérôme Ribeiro, Magalie
Ochs, Golnoosh Farnadi, Emilie Novales, Valérie
Sultan, Anne-Sophie Carrese, Hubert Beroche,
Jean-Michel Bernabotto, Adrian de la Fuente,
Lysiane Vassaux, José Diaz-Lison, Jean-Pierre
Boudios, Zach Tazrout, Téo Diaz, Audrey Zabou,
Emilie Zagozda, Sébastien Meunier, Sabine
Demey, Marie-Claude Benoit, Dilara Özlem
Güneren, Claire Guérin.
Orig. papier couv : Belgique - Lanaken - 291km
Tx fibres recyclées : 0% ; Eutrophisation : PToT de
0,031 kg/tonne
Orig. papier : Finlande - Kymijoki - 2.310km
Tx fibres recyclées : 0% ; Eutrophisation : PToT de
0,02 kg/tonne
Directeur de la publication : Stéphane Nachez,
Rédactrice en chef : Johanna Diaz
Assistant de rédaction : Zacharie Tazrout
PAO : Benjamin Cavrot
Secrétaire de rédaction : Isabelle Vincent,
ActuIA, est édité par Net Square Digital, SAS au
capital de 1000€
879 437 564 R.C.S. PARIS | 128 rue de la Boétie,
75008 Paris
CONTACTER LA RÉDACTION : redaction@actuia.com
PUBLICITÉ : publicite@actuia.com
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DISTRIBUTION : distribution@actuia.com
Diffusion : MLP | Trimestriel | Parution : 21/09/2021
Dépôt légal à parution
CPPAP : 0925 T 94294 | ISSN : 2682-1265 |
IMPRIMEUR : Mordacq (Aire-sur-la-Lys)
3
 ACTUIA N°5
N°N
Sommaire
5 Actualités 39 Comprendre et utiliser les
chaînes de Markov
9 Levées de fonds
42 L'intelligence artificielle ultra-low power
10 La part de l'éthique dans l'IA
45 Agriculture, dépollution, incendie
12 Régulation : Globalpolicy.AI Comment la robotique change la donne

13 L’intelligence artificielle : 49 OpenStudio développe un module

stop aux idées reçues de recommandation pour le
e-commerce Classic Ride
21 L’IA de défense à l’échelle industrielle
50 Entretien avec Jean-Louis Quéguiner :
22 La sécurité de l'IA : une surface L'IA dans le cloud, les pieds sur terre
d'attaque complexe
52 L'IA en Belgique
25 Smart building : le bâtiment de demain ?
58 Parole d'expert

62 Santé : Retour sur les « 24 hours

Holographic Surgery »

64 Startup : Prismo, le profiling RH

au service du capital humain

66 Livres

Smart building
page 25

Ce magazine est édité par ActuIA.com,

le portail de l’intelligence artificielle.

34 Sélection du comité scientifique Suivez-nous sur Twitter : @ActuIAfr

Vous appréciez ce numéro ?

36 Lumière sur NukkAI, un laboratoire Pour ne manquer aucun numéro d’ActuIA,

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Si vous l'avez manqué
DROIT ET ÉTHIQUE
Systèmes de reconnaissance
automatisée dans les espaces
publics : le CEPD et l’EDPB
demandent leur interdiction
Le 21 juin dernier, le Comité européen
de la protection des données (EDPB) a
annoncé l’adoption d’un avis conjoint
sur la réglementation sur l’intelligence
artificielle proposée par la Commission
européenne. L’EDPB et le CEPD de-
mandent l’interdiction de l’utilisation
de l’IA pour la reconnaissance automa-
tisée des caractéristiques humaines
dans les espaces accessibles au public.
Chine : une IA serait utilisée pour
évaluer les émotions des ouïghours
sous contrainte
Un ingénieur logiciel a affirmé avoir
installé des caméras dotées d’un sys-
tème de détection des émotions dans
les commissariats de police de la pro-
vince du Xinjiang, en Chine. Ce logiciel
serait utilisé sur le peuple ouïghour
comme détecteur de mensonges dans
une logique d’automatisation, laissant
craindre une nouvelle escalade dans la
persécution.
Systèmes d’armes létales
autonomes : le Comité d’éthique de
la défense remet son avis
Après la publication de ses travaux
sur le « soldat augmenté », le Comité
d’éthique de la défense a remis à Flo-
rence Parly et au ministère des Armées
son avis sur l’intégration de l’autono-
mie dans les systèmes d’armes létaux.
La Free Software Foundation pointe
du doigt GitHub Copilot qu’elle juge
inacceptable et injuste
En juillet 2021, GitHub annonçait le
lancement de son outil de génération
de code GitHub Copilot. Cette extension
de Visual Studio Code exploite l’IA pour
aider les développeurs à coder plus fa-
cilement. Récemment, la Free Software
Foundation (FSF) a exprimé son avis
autour de ce système qu’elle considère
comme « inacceptable et injuste » et
pointe du doigt l’équité, la légitimité et
la légalité de l’assistant de codage.
Le Parlement européen adopte une
résolution pour une meilleure
gouvernance et un meilleur partage
des données
En juillet 2021, l’hémicycle européen
a voté la mise en place de nouvelles
règles pour accélérer le partage des
données dans l’Union européenne et
proposer une meilleure gouvernance
de la data.
RECHERCHE
DeepMind et EMBL : une avancée
majeure dans l’analyse du protéome
humain grâce à l’intelligence
artificielle
DeepMind a annoncé sa collaboration
avec le laboratoire européen de biolo-
gie moléculaire (EMBL) dans l’objectif
de proposer une base de données la
plus complète et précise possible sur
les structures de protéines humaines.
AlphaFold, présentée en décembre
2020 (cf. ActuIA n°3), devrait permettre
la mise en place de projets de recherche
qui feront progresser la compréhen-
sion des éléments constitutifs de la vie.
Les ressources ont été mises en ligne
sur GitHub.
L’Observatoire national
d’astronomie du Japon (NAO) se
penche sur l’IA pour l’observation de
l’univers
Grâce à l’IA, les chercheurs de NAO ont
pu repérer dans l’univers de nouveaux
détails jusqu’alors imperceptibles. La
méthode utilisée par les chercheurs
permet d’éliminer les interférences
pouvant exister dans les informations
astronomiques observables et souvent
générées par le phénomène de lentille
gravitationnelle faible.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
ACTUALITÉS
Google I/O : annonce de la
technologie d’intelligence artificielle
MUM, plus puissante que BERT
MUM est un modèle de traitement
automatique du langage poussant
l’analyse encore plus loin que BERT. Il
aura pour objectif de traiter plus effica-
cement certaines requêtes.
Facebook AI Innovation Summit :
Habitat 2.0, un simulateur pour
aider les robots dans les tâches
domestiques
Crédits : Facebook AI
Facebook a présenté son projet Habitat
2.0 réalisé en collaboration avec Mat-
terport : un environnement de simu-
lation pour améliorer l’entraînement
des robots dans l’accomplissement de
tâches domestiques.
Canada : quatre nouveaux projets
d’intelligence artificielle soutenus
par le pôle Scale AI
D’un montant de 35 millions de dollars
canadiens (24 millions d’euros), ces
quatre nouveaux projets portent ainsi
le nombre total de projets annoncés
par le pôle Scale AI à plus de 150 et font
grimper les investissements à plus
de 200 millions de dollars canadiens,
soit 135 millions d’euros. Optimisation
du parcours de soins des patients, du
transport, planogramme d’optimisa-
tion et jumeaux numériques sont les
thématiques au cœur de ces quatre
projets.
Deepmind lance AndroidEnv,
une librairie d’apprentissage par
renforcement pour Android
DeepMind, la filiale spécialisée dans
l’intelligence artificielle de Google, a
annoncé le développement de son nou-
vel outil AndroidEnv. Il s’agit d’une
5
 ACTUALITÉS
plateforme open source d’appren-
tissage par renforcement (RL) pour
l’écosystème Android. Elle permet aux
modèles RL d’interagir avec les appli-
cations comme le ferait un utilisateur.
Un modèle d’intelligence artificielle
permet de réfuter certaines conjec-
tures mathématiques
Un post-doctorant de l’université de
Tel-Aviv, spécialisé dans le machine
learning (ML) et les mathématiques, et
une équipe de chercheurs, ont dévelop-
pé un modèle capable de chercher des
contre-exemples pouvant réfuter des
conjectures. Le système a déjà contre-
dit cinq conjectures dans le domaine
de l’analyse combinatoire et de la théo-
rie des graphes.
Eagle Eye, un modèle de machine
learning pour lutter contre les
féminicides
La plateforme Eagle Eye, présentée à
Saint-Domingue, utilise l’intelligence
artificielle pour analyser des données
et générer des scénarios prédictifs
pour éviter les féminicides en Répu-
blique dominicaine.
L’outil développé par Plan Interna-
tional et la société Asesoría Integral
a la Medida a Empresas (AIME), avec
la participation du Procureur de la
République local, espère faire baisser
le taux de féminicides dans le pays,
le cinquième plus élevé d’Amérique
latine.
CAMEO, un modèle de machine
learning capable de reconnaître les
types de matériaux
Dans le cadre de recherches sur les
matériaux, le National Institute of
Standards and Technology (NIST) a
élaboré un modèle d’IA. Cet algorithme
baptisé Closed-Loop Autonomous Sys-
tem for Materials Exploration (CAMEO)
aide les chercheurs à reconnaître des
matériaux.
Grâce à cet outil, ils ont pu identifier un
nouveau composant qui pourrait être
utilisé dans des dispositifs photo-
niques ou pour l’informatique neuro-
morphique.
6
SANTÉ
Un modèle de deep learning pour
repérer plus facilement les tumeurs
métastatiques complexes
Crédits : Design Cells
Une équipe de chercheurs du départe-
ment des pathologies du Brigham and
Women’s Hospital a conçu un modèle
d’intelligence artificielle capable de
trouver l’origine des métastases. Cet
outil pourrait générer un “diagnostic
différentiel” pour les patients atteints
de cancers dont l’origine n’est pas
connue des médecins.
Un modèle de machine learning
permet de mieux comprendre le
fonctionnement des lymphocytes
Des chercheurs de l’université Aalto
et de celle d’Helsinki en Finlande ont
développé un nouveau modèle d’IA
capable de relier les cellules immuni-
taires aux cibles qu’elles souhaitent
attaquer. Selon les chercheurs, le nou-
veau modèle permettra une meilleure
compréhension du système immu-
nitaire dans le cadre d’infections, de
maladies auto-immunes ou de cancer.
Des chercheurs écossais présentent
un système pour accélérer le
processus de diagnostic du
mésothéliome
Une équipe de scientifiques écossais de
l’université de Glasgow, du Canon Me-
dical Research Europe et du Data Lab,
le centre écossais sur l’innovation pour
la data et l’intelligence artificielle,
a développé un système d’imagerie
utilisant l’IA, efficace pour détecter les
mésothéliomes.
Cette forme rare de cancer affecte
les surfaces mésothéliales au niveau
des poumons, du cœur et de la cavité
abdominale. Ce prototype pourrait
potentiellement révolutionner la façon
dont les patients seront diagnostiqués
et traités à l’avenir.
La Haute Autorité de Santé dévoile
sa stratégie 2021-2024 sur l’usage
des données de santé
La feuille de route comprend quatre
axes principaux : mieux maîtriser
le patrimoine de données de la HAS,
mieux exploiter les données en santé
pour suivre les pratiques, outiller le
traitement des connaissances tex-
tuelles, s’intégrer à l’écosystème des
données en santé et en social.
Une avancée dans la compréhension
des mécanismes de réponse face
au danger grâce à l’intelligence
artificielle
Une équipe de chercheurs de l’Inserm
et de l’université de Bordeaux du Neu-
rocentre Magendie a étudié l’interdé-
pendance de deux régions du cerveau
: l’amygdale basolatérale et le cortex
préfrontal dorsomédial.
Ces deux zones seraient impliquées et
travailleraient ensemble dans la mise
en place du mécanisme cérébral exploi-
té dans la réponse face au danger. Les
travaux ont permis d’ouvrir de nou-
velles pistes pour traiter les patients
atteints de troubles de l’anxiété.
ENVIRONNEMENT
RADRFIRE : un outil interactif
utilisant satellites et IA pour aider
les pompiers à lutter contre les feux
de forêts
Crédits : Pict Rider
Le Pacific Northwest National Labora-
tory a développé un outil pour créer
des cartes détaillées des feux de forêt
afin de prévoir les incendies et y remé-
dier.

Le défi d’Airspace Intelligence :
préserver l’environnement et
optimiser le trafic aérien grâce au
machine learning
Crédits : Soonthorn
Dans le but de concevoir des avions
plus écologiques, la compagnie aé-
rienne américaine Alaska Airlines col-
labore avec la société Airspace Intelli-
gence. Ensemble, ces deux structures
travaillent sur une nouvelle méthode
exploitant l’IA et permettant d’obtenir
une meilleure gestion du trafic aérien.
Le projet pourrait réduire l’impact de
l’aviation sur l’environnement et le
réchauffement climatique.
Deep Fish, la plateforme de
l’université d’Alicante pour
préserver les espèces du bassin
méditerranéen
Dans le cadre d’un rapprochement
entre l’université d’Alicante et l’insti-
tut d’écologie du littoral espagnol (IEL),
une plateforme a été développée afin
d’apporter une solution au problème de
la surpêche, de la pollution et de l’ap-
pauvrissement des fonds marins. Deep
Fish utilise l’intelligence artificielle
pour identifier, mesurer et contrôler les
espèces aquatiques exploitées, voire
surexploitées, dans le bassin méditer-
ranéen.
Une solution innovante aide les villes
à mieux gérer leur réseau unitaire
d’assainissement
À Buffalo, aux États-Unis, le refoule-
ment d’égouts est une problématique
importante : près de 7,5 milliards de
litres d’eaux usées débordent chaque
année. Un volume conséquent qui
inquiète la municipalité qui a exigé un
décret pour améliorer son système de
collecte. La ville a décidé de collaborer
avec Xylem, une entreprise qui a conçu
la solution BLU-X et qui permet à la
ville d’économiser plusieurs dizaines
de millions de dollars.
BUSINESS
Lancement de SuccessfulAI,
première marketplace européenne
de solutions et services en IA et
transformation numérique
Successful
Marketplace innovante, Successful-
AI répond au besoin d’acculturation
et d’orientation des entreprises de
toutes tailles afin de leur permettre de
saisir les opportunités économiques et
stratégiques que représentent l’intel-
ligence artificielle et la transforma-
tion numérique. Les inscriptions des
prestataires de solutions et services
sont ouvertes.
Berger-Levrault et Inria signent un
partenariat stratégique
Les deux institutions ont signé un
contrat-cadre de collaboration dans
l’optique d’accélérer le développement
de solutions innovantes basées sur
l’usage renforcé de l’IA. Cela fait près
de quatre ans qu’Inria et Berger-Le-
vrault travaillent en étroite collabora-
tion.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
ACTUALITÉS
Le ministère des Armées accentue
son partenariat technologique avec
Preligens et son adoption de l’IA
Dans la continuité de l’avancement de
la feuille de route Intelligence arti-
ficielle du ministère, la direction du
renseignement militaire a souhaité
poursuivre sa collaboration avec la so-
ciété française Preligens. Une nouvelle
commande a été émise pour que l’ar-
mée puisse exploiter son outil d’aide à
la surveillance d’activités sur les sites
stratégiques.
John Deere, en collaboration avec
Intel, développe sa propre solution
de détection automatique
La société John Deere, spécialisée dans
la fabrication de matériel agricole,
pilote une solution qui utilise la vision
par ordinateur pour détecter automa-
tiquement les défauts du processus de
soudage automatisé dans la fabrication
de ses installations. Pour mettre au
point cette solution, la marque spé-
cialisée dans l’industrie mécanique
exploite la technologie d’IA développée
par Intel.
Atos lance Think AI, une solution
pour développer des applications
d’IA haute performance
ThinkAI, c’est le nom de la nouvelle
solution sécurisée de bout en bout
lancée par Atos à la fin du mois de juin.
Elle permet aux entreprises de conce-
voir, développer et fournir des applica-
tions d’IA haute performance. L’outil
s’adresse aux sociétés et autres insti-
tutions souhaitant passer du calcul à
haute performance à des simulations
plus rapides et précises grâce à l’utili-
sation d’applications d’IA.
7
 ACTUALITÉS
Teradata Vantage : une plateforme
de stockage de données pour aider
les entreprises à migrer vers le cloud
Dans le cadre d’un partenariat,
Deloitte et Teradata ont lancé une
initiative pour faire en sorte que leurs
clients puissent exploiter l’outil Tera-
data Vantage. L’objectif est de réussir
à faire migrer les environnements de
gestion des données analytiques des
entreprises qui se trouvent sur site
vers la plateforme de données mul-
ticloud. Les deux structures mettront à
profit leurs compétences pour mener à
bien leur mission.
ÉCOSYSTÈME
L’université Grenoble-Alpes et
Orange inaugurent leur laboratoire
commun dédié à l’IA en santé
Orange et l’université Grenoble-Alpes
inaugurent leur laboratoire commun
intitulé Telecom4Health (T4H). Lancé
officiellement le 29 juin 2021, le labora-
toire sera dédié à la santé et aura pour
objectif d’accélérer la recherche sur les
nouvelles technologies et solutions en
lien avec ce domaine. Avec ce labora-
toire, Orange souhaite apporter son
expertise en matière d’IA et de traite-
ment de la data.
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8
Google Cloud et NVIDIA collaborent
pour la création d’un laboratoire 5G
et intelligence artificielle
Dans le cadre d’un partenariat, Google
Cloud et NVIDIA vont créer un labora-
toire dédié à l’IA et à la 5G. Ce labora-
toire conjoint pour l’innovation aura
pour objectif d’aider les fournisseurs à
concevoir, tester, optimiser et valider
des applications d’IA liées à la 5G qui
seront déployées sur Google Cloud ou
sur site. Ces outils pourraient être
exploités pour accélérer la transition
numérique des entreprises ou pour la
conception de villes et d’usines intelli-
gentes.
Suisse : l’Idiap renforce sa stratégie
de recherche en intelligence
artificielle par la signature d’un
accord
Le Secrétariat d’État à la formation à la
recherche et à l’innovation suisse (SE-
FRI) et l’Institut de recherche Idiap ont
annoncé la signature d’un accord pour
une nouvelle stratégie de recherche
en Suisse. Une soixantaine d’emplois
dans le secteur de l’IA sera créée et
des groupes interdisciplinaires seront
formés dans une optique de transfert
technologique vers le tissu écono-
mique. Le budget se verra augmenter
d’environ 60 %.
L’ETS de l’université du Québec
accueille deux chaires autour de l’in-
telligence artificielle en santé
L’école de technologie supérieure (ETS),
constituante du réseau de l’université
du Québec, a annoncé l’arrivée pro-
chaine de deux nouvelles chaires de
recherche spécialisées en IA appliquée
à la santé. Le fonds de recherche du
Québec – santé (FRQS) subventionne
ces chaires à hauteur de 1,5 million
de dollars canadiens sur trois ans. Ce
programme de chaires vise à former
du personnel qualifié en matière d’IA
afin qu’ils puissent travailler dans un
domaine lié à la santé et à l’IA.
La commission européenne lance
onze partenariats pour répondre à la
transition écologique et numérique
La Commission européenne a annon-
cé le lancement d’onze partenariats
européens avec l’industrie. L’un de ces
partenariats concerne l’intelligence
artificielle, les données et la robotique.
L’institution européenne souhaite
faire de l’Europe la première économie
neutre pour le climat tout en respec-
tant le pacte vert pour l’Europe. En
prenant en compte les engagements de
financement des partenaires privés et
des États membres, le montant total de
ces investissements est de 22 milliards
d’euros.
 LÉVÉES DE FONDS

DataDome Shift Technology Contensquare

Levée de fonds de 35 millions de dollars pour DataDome,
spécialisée dans la cybersécurité avec sa solution SaaS qui
utilise l’IA pour protéger les données des entreprises victimes
de fraudes commises par des robots malveillants. Elephant
et son investisseur historique ISAI ont participé à cette levée
destinée à renforcer les équipes de DataDome.
Shift Technology est devenue une licorne avec sa levée de
fonds en Série D de 220 millions de dollars notamment auprès
d’Advent International, Accel, Bessemer Venture Partners,
General Catalyst, Iris Capital et BpiFrance. Un nouveau palier
pour la startup experte en développement de solutions
d’automatisation et d’optimisation des données dans le
secteur de l’assurance.
Contentsquare, licorne française spécialisée en Experience
Analytics, a annoncé en juillet une levée de 500 millions
de dollars en Série E et l’acquisition d’Upstride, deeptech
française centrée sur l’amélioration des performances d’outils
de machine learning de ses clients. Objectif : accélérer la
roadmap de l’entreprise en matière d’innovation dans l’IA.

Tractable EasyMile Kili Technology

Spécialisée dans les solutions de vision par ordinateur pour
les assurances, Tractable est devenue licorne après une
levée de 60 millions de dollars auprès d’Insight Partners et
Georgian. Cet investissement permettra à la firme d’accélérer
et de financer le développement de ses activités dans
l’achat/vente de voitures d’occasion et dans la gestion des
catastrophes naturelles.
Dans le secteur du véhicule autonome, EasyMile a bouclé
une belle levée de 55 millions d’euros auprès de Searchlight.
L’objectif pour la société toulousaine est de faire évoluer ses
solutions autonomes vers des offres commerciales concrètes.
Elle souhaite également exporter sa marque à l’international.
Six mois après un premier financement de 7 millions de
dollars, Kili Technology a bouclé une levée de 25 millions de
dollars auprès de Balderton Capital, de Serena Capital, de
Headline, d’Olivier Pailhes, Dimitri Sirota et de Chris Schagen.
La startup spécialisée dans la donnée d’apprentissage des
modèles d’IA compte déjà une centaine de clients dont
Michelin, Safran, le Crédit Agricole et EDF.

Younited Artur’In HarfangLab

Younited ambitionne de se positionner en leader du secteur du
paiement en Europe grâce à une levée de fonds de 70 millions
de dollars de Goldman Sachs Asset Management, Bridgepoint,
Eurazeo, Bpifrance via son fonds Large Venture et AG2R La
Mondiale. La FinTech séduit grâce à ses SaaS, ses offres B2B
et ses nouvelles offres B2C et a levé depuis sa création près
de 400 millions de dollars.
La solution Artur’In, basée sur l’IA et automatisant la
communication digitale des TPE et PME, a annoncé avoir
levé 42 millions d’euros auprès du fonds d’investissement
PSG Europe. Ce dernier est spécialisé dans les financements
accordés aux éditeurs de logiciels et aux sociétés BtoB. Grâce
à cette levée de fonds, la startup souhaite poursuivre sa
croissance humaine et technique.
HarfangLab, spécialisée dans la cybersécurité, a annoncé
avoir levé 5 millions d’euros, dont 3,5 millions auprès
d’Elaia. L’entreprise française a développé un logiciel de
type Endpoint Detection and Response (EDR) permettant de
bloquer les ransomwares, des cyberattaques assez régulières
en France, troisième pays le plus touché au monde avec une
augmentation de ces attaques de 255 % en 2020.

Le dernier trimestre a été très dynamique
en termes de dealflow en AI, que ce soit
en early stage ou en late stage.
Deux tendances récentes se confirment : (i) en
early stage, les secteurs du digital notamment
ceux liés à la santé et la cybersécurité bénéficient
de niveaux de valorisation de plus en plus avan-
tageux dès les premiers tours d’investissement et
(ii) les sociétés plus matures attirent les fonds de
Private Equity Américains.
La crise COVID et la pression des GAFAM ont
accéléré la digitalisation. Les solutions tech
digitales ayant (sur)performé leurs prévisions
sortent différenciées, avec des levées de fonds
très réussies et de nombreuses licornes. Le BtoB
tech est perçu comme stratégique, et accède
à des financements en bourse. Nous sommes
convaincus qu’investir tôt dans les startups avec
un différenciant deep tech, compétitif sur le
marché est clef pour construire un portefeuille
« prime » qui apportera de la performance
financière aux investisseurs. »
Anne-Sophie Carrese,
Partner chez Elaia Partners

LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 9

 TRIBUNE

La part de
l’éthique dans l’IA
Axel Cypel, auteur d’Au cœur de l’intelligence
artificielle (éd. De Boeck)

Des scientifiques reconnus à la technique complexe, si elle n’était

expliquent que l’on ne
devrait jamais sortir de son
domaine de compétence en
public. Conseil d’intégrité
et de prudence, qui relègue
tout l’intérêt qu’il y a à
croiser différents champs
de connaissance à l’arrière-
cuisine, à cacher, par
définition, d’une éventuelle
audience consommatrice.
réservée qu’aux seuls experts, il n’y
aurait pas grand monde pour en parler,
ce qui serait dommageable pour un
artefact vendant autant de rêve...
Ajoutez à cela que l’IA n’en étant plus
à ses débuts en matière de com’, ceux
qui veulent en parler doivent aussi
penser à se renouveler. Une méthode,
peu innovante, consiste alors à jumeler
le discours sur l’IA avec un discours
moral. Se donnent alors à entendre
force philosophes (après tout, ils sont
à leur affaire) qui voient la recette
concurrencée par des représentants de
sociétés, au risque de voir se froncer
quelques sourcils.

L’IA, discipline avant tout scientifique,
mêle mathématiques et informatique
pour produire des systèmes traitant
des problèmes complexes là où ceux-ci
requièrent usuellement de l’intelligence
lorsque nous cherchons à les résoudre.
Ainsi l’IA trouve à s’appliquer dans la
sphère réelle sans rester cantonnée
au monde abstrait et théorique dont
elle provient. Ces applications ont
des conséquences susceptibles d’être
largement discutées, et c’est ici
qu’interviennent les non scientifiques,
qui vont tenter de comprendre les
implications de cette technologie.
Objet de pouvoir, l’IA attire ainsi
maints commentateurs alertant des
dangers ou des prodiges dorénavant
réalisables grâce à elle. Commerciaux,
penseurs et hommes de droit se
partagent la tribune pour débattre
de mathématiques et d’informatique.
Pourquoi n’inverserions-nous pas la
situation – même si cela nous fait sortir
de notre champ de compétences – en
proposant qu’un ingénieur fasse de la
philosophie ?
1- L’IA éthique : l’opportunisme
est un humanisme ?
L’intelligence artificielle se place
durablement comme un sujet « hype »,
mais, comme c’est aussi une matière
Les prolégomènes sont connus : l’IA,
en autorisant, par exemple, la prise de
décision automatique, ou lorsqu’elle est
appliquée sans vergogne, peut conduire
à des erreurs impliquant une forme de
discrimination ou favorisant l’apparition
de risques pour les Droits de l’homme.
D’où l’appel à plus de transparence
qui, lorsque l’on souhaite montrer sa
capacité d’abstraction, prend la forme
d’une belle incantation à l’éthique. Cela
fait bien de parler d’éthique, cela vous
confère, sur le vendeur d’IA du coin, une
incontestable supériorité morale. Ce
qui est commode aussi, c’est qu’il n’est
guère besoin de s’appeler Spinoza pour
discourir d’éthique ! On le sent bien,
n’importe quel marketeur, n’importe
quel patron de l’Innovation pourra se
gargariser avec un peu d’éthique en
spray : aucune garantie à fournir.
Cette adjonction de l’éthique à
l’IA – autorisant la vente de « conseil
en éthique de l’IA » – véhicule
subrepticement l’idée que l’IA à « l’état
de nature » (faisons de la philosophie)
serait méchante, discriminatoire ou que
sais-je encore...? Bien entendu – mais
chut !, c’est un secret –, l’IA toute seule
ne conduit à rien, ce sont sa conception,
potentiellement entachée d’erreurs,
et son application, potentiellement
irréfléchie, qui sont sources de ces
maux. L’éthique de l’IA ne serait-elle
qu’un miroir aux alouettes ?
Les faiseurs d’IA, profils techniques,
ironisent parfois que ceux qui parlent
le plus de l’éthique en IA sont aussi
ceux qui n’ont qu’une connaissance
relative de l’IA. Comment leur donner
tort ? On a vu récemment fleurir, parmi
nos think tanks, nombre de réflexions
émanant de philosophes et de juristes
qui se sont emparés de l’IA, les uns
pour la questionner, les autres pour
engager une réflexion de régulation. Les
deux ont eu raison de le faire, mais une
question demeure : quelle est la part
d’opportunisme ?
2- Sciences : théorie, pratiques et
marchandages
Car, pour traiter de l’éthique, un
prérequis naturel ne serait-il pas
de comprendre le sous-jacent ?
Comprendre pour aller au-delà d’une
parole, potentiellement commuée en
actes au travers du corps législatif, qui
déguise l’absence – ou, plus vicieux,
la présence – d’une compréhension
véritable. Comprendre les sciences
reste une activité complexe qui requiert
beaucoup de connaissances – et de plus
en plus, car elles se spécialisent – pour
bien en appréhender les concepts.

10

Or, la complexité a un double problème :
elle demande de l’effort et du temps
(justement ce dont nous manquons, n’en
déplaise à Sénèque2).
Les médias et leurs publics focalisent
donc volontiers sur des pensées
modérément profondes, par là même
accessibles au plus grand nombre,
dussent-elles être un peu erronées. On
le voit bien avec la crise du Covid : faire
des cours de médecine au JT n’a rien
d’évident... Or sciences et démarche
scientifique sont avant tout observation
et questionnement. La recherche
scientifique s’accommode du doute, se
fait scepticisme, une attitude d’humilité
face à ses principaux moteurs, la
quête de la vérité, l’élargissement
des connaissances. La recherche de
réponses rapides et simples se retrouve
alors confrontée à cette composante
essentielle des sciences, ces deux
postures étant contradictoires.
Cette position – réclamer la
connaissance du sous-jacent avant
d’élaborer une thèse dessus – pourrait-
elle être qualifiée de sectaire ? Faut-il
nécessairement être médecin pour
parler d’éthique de la médecine ?
En tant que patient, certes pas,
mais la connaissance du praticien
est-elle dispensable à toute réflexion
approfondie sur sa discipline ? Elle me
paraît, au contraire, constituer une
garantie pour savoir de quoi l’on parle et
donc en bien parler. L’éthique médicale
ferait-elle moins recette que ce qui
touche à l’IA ?
Ainsi le grand public est-il abreuvé
d’idées préfabriquées prenant place au
sein d’un tranquille manichéisme : à l’IA
méchante, appliquée par des barbares,
s’oppose l’IA éthique, explicable – en un
mot : de confiance – de la vieille Europe
des Lumières. Mais la problématique
en éthique de l’IA ne serait-elle pas de
vérifier en quoi ce discours concourt
à masquer ou non la réalité de l’IA ?
Les entreprises qui développent des
« toolkits éthique/transparence » le
font généralement à grand renfort de
communication, indice qui nous éloigne
d’une Pensée pure et désintéressée...
3- L’éthique en IA
Maintenant, dans quels domaines
un code de conduite moral3 serait-il
nécessaire lors de la mise en place des
IA ? Je serais tenté de répondre : les
mêmes que si j’avais arrêté la question
au terme « nécessaire », à cela près
qu’il faut contrôler que l’outil IA n’ajoute
pas au problème. La question centrale
s’énonce ainsi : « Comment garantir
que la technologie (au sens large : IA,
médecine...) ne fait pas de mal aux
gens ? »
Une utilisation étendue de l’IA,
potentiellement irréfléchie dans sa
finalité, nous oblige à nous demander
quand celle-ci reste éthique pour la
raison qu’elle peut être utilisée pour
prendre des décisions automatiques
nous concernant. Si l’on écarte
temporairement la question de la
fin, celle sous-jacente aux moyens
est naturellement « pourquoi ? »,
« Pourquoi ce résultat me
concernant ? » On aura reconnu la
notion d’explicabilité4. Appliquer l’IA
avec éthique, c’est-à-dire en conscience,
ce serait pouvoir répondre à cette
question ou admettre que parfois ce
n’est pas possible et proposer alors
d’autres traitements (en particulier non
automatiques5).
Une décision, à l’évidence, n’est pas
éthique si elle s’accompagne de
l’intention de faire du mal. Or les
systèmes automatiques ne peuvent être
crédités d’intention. La terminologie
va peut-être nous aider : rappelons
que l’IA met en œuvre des techniques
mathématiques de distinction, de
discrimination (au sens littéral). Dès
lors, un système utilisant une IA qui
ne reconnaît pas tel ou tel type de
population, reproduit-il une intention de
nuire originelle, fruit de sa conception ?
Possible, mais pas obligatoire. Nous
retrouvons là la notion d’éthique by
design.
Au plan technique, l’IA procède de
la discrimination mathématique et,
si je veux garantir son éthique, je
m’assure que je n’ai pas d’intention
de nuire, ni à la conception ni à
l’usage. Mais à l’usage, comment
en être certain ? Puis le caractère
dolosif est rarement voulu – ou alors
il se cache derrière une mauvaise
foi ne pouvant prétendre à aucune
éthique –, et ne peut être constaté
qu’a posteriori. Cela nous ramène
à la notion d’explicabilité. Ajoutons
qu’il faut aussi considérer la finalité
d’utilisation de l’IA, indépendante de sa
technique. L’ensemble de ces remarques
indique une définition : une décision
automatique est éthique lorsqu’elle a
été conçue comme écartant le risque de
nuire et que son usage effectif ne nuit
à personne. On perçoit, dès lors, toute
la difficulté de la chose : par exemple
ce qui peut me nuire peut vous être
bénéfique.
LEMAGAZINE
LE MAGAZINEDE
DEL’INTELLIGENCE
L’INTELLIGENCEARTIFICIELLE
TRIBUNE
4- Quand la loi s’en mêle
Que les traitements exécutés par IA
restent dans la légalité, c’est la moindre
des exigences ! Qu’ils n’occasionnent pas
de dommage aux personnes concernées,
voici où réside l’éthique. Il est étonnant
de trouver autant d’hommes de loi, sans
doute animés des meilleures intentions,
se qualifiant d’experts en « éthique de
l’IA », quand on sait que droit et éthique
sont deux concepts bien différents. Mais
l’Europe poussant toujours pour plus de
régulations, y compris sur ce que serait
une IA éthique – une « IA de confiance »
–, le Droit vient fatalement lui emboîter
le pas, suivi par les entreprises qui
auront, à terme, de nouvelles obligations
à respecter.
Le Droit est-il un outil efficace pour
encadrer la conception et l’usage de
l’IA ? Dans les faits, les articles de loi
se traduisent par un formalisme aride
censé prémunir les citoyens des méfaits
potentiels de l’IA. L’approche par les
risques, retenue dans la proposition de
l’UE, est... intéressante – faute de mieux,
dans un contexte où l’on souhaite se
prononcer ex ante –, avec notamment
une position forte à l’égard des systèmes
d’IA qui permettraient le scoring
social. Mais se trouve-t-il un homme
politique que son populisme porte sur
les questions sécuritaires – au hasard –,
où sont nos loyaux « censeurs » de tous
bords ? Dans le boudoir, à philosopher
éthique. Et pendant ce temps-là,
insidieusement, certaines pratiques
se répandent. Face aux plaintes
d’associations, de juristes, d’usagers,
elles finissent par être contestées,
mais elles reviendront. Elles ont tout le
temps de mettre à l’épreuve le difficile
équilibre entre le Droit et les intérêts
commerciaux, entre la conduite morale
des peuples et leur conduite par des
tyrans.
Notes
1
Au stade où nous en sommes, il n’est pas encore moralisateur.
2
Eh oui, je fais de la philo !
3
J’évacue – sans doute au grand dam des philosophes qui
risquent de s’engouffrer dans la brèche – le double problème
d’une identification entre l’éthique et un code moral, ainsi
que celui voulant que l’éthique est probablement relative à
une culture donnée, et donc plurielle, invitant à parler plutôt
d’éthiques que d’une éthique.
4
Il est intéressant aussi de voir que le débat sur l’éthique a
focalisé les attentes sur cette propriété. Et pourtant, savez-vous
comment fonctionne votre calculatrice ?
5
Ce qui ne garantit pas que le traitement soit nécessairement
meilleur.
ARTIFICIELLE 11
 TRIBUNE
GLOBALPOLICY.AI :
enfin une vue globale sur les
politiques de régulation de
l’intelligence artificielle !
Yannick Meneceur, chercheur associé à l’IHEJ, auteur de
L’intelligence artificielle en procès, éd. Bruylant, 2020.
Depuis qu’il s’est lancé dans
la seconde moitié des années
2010, le train des régulateurs
de l’intelligence artificielle (IA)
donne le sentiment de frôler
le surbooking. Après une forte
mobilisation des acteurs privés,
de la société civile et des milieux
académiques pour développer
des politiques d’autorégulation
(dont une vaste gamme de prin-
cipes éthiques), c’est au tour des
régulateurs européens et inter-
nationaux de monter à bord..…
et pas sur un strapontin en 2de
classe. L’initiative de la Commis-
sion européenne d’avril 2021,
contraignante juridiquement, a
clairement montré que ce sont le
poste de conduite et les fonctions
de contrôle à bord qui les inté-
ressent.
12
Pour autant, une réelle impression
de flou persiste pour les profanes des
arcanes des institutions européennes
et internationales. Même en faisant
l’effort de décrypter régulièrement la
très informée newsletter de Politico
« AI:Decoded », la multiplicité des
acteurs, des rôles et des prétentions
donnerait le vertige, même à un
professionnel de l’escalade. Entre
l’Union européenne et ses différentes
institutions (dont la Commission), le
Conseil de l’Europe (distinct de l’Union,
avec ses 47 États membres), l’OCDE,
l’UNESCO et de manière plus large
les Nations Unies, les prétendants ne
manquent pas. Difficile donc pour de
jeunes (et moins jeunes) ingénieurs-
entrepreneurs de l’IA de se situer dans
les contraintes réglementaires déjà
existantes et de se préparer pour celles
à venir.
C’est pourquoi il faut saluer l’initiative
conjointe de huit organisations
intergouvernementales (et
probablement plus à venir) pour créer
un site internet commun et mettre
à disposition, de manière simplifiée,
leurs ressources. « Globalpolicy.ai » est
exemplaire dès sa naissance car, pour
qui connaît les contraintes de chacune
de ces organisations, parvenir à un
consensus sur le contenu d’un tel site,
en conservant les délicats équilibres
institutionnels, est déjà un succès.
Mais au-delà de l’aspect – vieillot, diront
certains – de portail, c’est la trajectoire
qui importe. Officiellement présenté
mi-septembre 2021 à l’occasion d’un
événement de la présidence slovène
du Conseil de l’Union européenne,
le site se présente comme le point
de convergence des organisations
intergouvernementales et un centre
de ressources pour favoriser le
développement de systèmes d’IA
conformes aux standards juridiques
présents et à venir. Cette convergence
démontre le soin que souhaitent
apporter ces organisations à bâtir des
standards concrets et compréhensibles
par tous les acteurs, mais également
à tirer profit de la complémentarité
de leurs mandats pour bâtir une
architecture mondiale de régulation de
l’IA et contribuer ainsi à la réalisation
des objectifs de développement durable
des Nations Unies.
Cette volonté, tout à fait louable,
risque toutefois de se frotter assez
vite à la rugosité du réel. Premier
obstacle : les ambitions et stratégies
respectives des États membres de ces
organisations, qui sont loin d’être tous
favorables à des cadres juridiques
supranationaux, spécialement
s’ils sont contraignants. Deuxième
obstacle : parvenir à démontrer que
cet assemblage de cadres juridiques
est effectif pour protéger les individus
et la société des dérives d’application
de l’IA. Dernier obstacle enfin : les
injonctions contradictoires pesant sur
tous les acteurs en présence, publics et
privés, en pleine ère de conjonction de
crises (sécuritaires, sanitaires, sociales,
environnementales).
Voilà les ingrédients réunis pour que
priment dans les politiques publiques
sur le numérique des décisions à court
terme, fondées sur la seule opportunité
du moment, moins qu’une réelle vision
du monde dans lequel nous souhaitons
vivre et que nous devrons léguer à nos
enfants.
 DOSSIER

Intelligence artificielle :
Stop aux idées reçues

« Intelligence artificielle ». Un terme qui frappe

les esprits depuis sa première mention lors
de la fameuse école d’été de 1956 organisée
par John McCarthy, Marvin Minsky, Nathaniel
Rochester et Claude Shannon au Dartmouth
College. Il visait au départ à définir une discipline
scientifique centrée sur la conjecture selon
laquelle les fonctions cognitives, du calcul à
la créativité artistique, de la mémorisation au
raisonnement, pouvaient être reproduites, ou
décrites, par un ordinateur programmé pour le
faire.
Cette idée a progressivement laissé penser que l’IA pouvait être une entité
artificielle, douée d’intelligence autonome, et capable de rivaliser ou de
dépasser les êtres humains. La culture, dont la science-fiction, s’en est
emparée avec brio tant elle renvoie à des mythes comme le Golem. Se sont
engouffrés dans cette hypothèse que les comportements humains pouvaient
être clonés à l’identique quelques transhumanistes et nouveaux gourous de
l’IA. La recherche de sensationnalisme, une amnésie opportuniste ou laxiste
et le besoin d’activer quelques peurs a conduit à des visions biaisées autour
de cette fameuse intelligence artificielle et à des annonces ou prédictions
totalement déconnectées de la réalité, y compris par de “grands” cabinets
de conseil ou en stratégie. Les dissonances cognitives et les mythes s’auto-
amplifient, le terme semblant plus que jamais galvaudé. L’IA fait naître
beaucoup d’émotions, dont la peur et la méfiance, tout comme les mythes et
préjugés qu’elle génère. Nous en avons recensé quelques-uns, il y en a tant
d’autres qu’ActuIA ne manquera pas d’y revenir pour apporter un éclairage
objectif et argumenté.

LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 13

 DOSSIER
L’IA détruit des emplois
(ou détruit plus d’emplois
qu’elle n’en crée)
Laurent Cervoni, docteur en sciences appliquées, directeur recherche Talan
Joachim Massias, directeur du MBA Management de l'Intelligence Artificielle, Institut Léonard de Vinci
Aude Vinzerich, directrice Stratégie de l'innovation Groupe EDF
L’émergence des nouvelles technologies
a, de tout temps, fait l’objet des peurs
les plus irrationnelles. Déjà, au XIXe
siècle, l’arrivée de la voiture et de
son industrialisation avait fait couler
beaucoup d’encre à propos de la
disparition des métiers du transport
à cheval. C’était sans compter sur les
millions d’emplois créés dans le secteur
automobile.
Des inquiétudes semblables avaient été
vécues lors de l’arrivée des métiers à
tisser ou encore de l’électricité qui allait
supprimer le métier de falotier. Dans
tous ces cas, la destruction créatrice
(terme de l’économiste Joseph Schum-
peter) a démontré que les emplois
détruits directement par une technolo-
gie étaient largement compensés par les
emplois créés.
Qu’en est-il aujourd’hui de
l’intelligence artificielle ?
Jusqu’en 2017, de célèbres cabinets
d’audit et d’analyse prédisaient que
cette technologie allait décimer
des pans entiers de la société par
l’automatisation complète de nombreux
métiers. Ainsi en 2013, une étude de
l’université d’Oxford1 estimait qu’environ
47 % d’emplois étaient susceptibles
d’être automatisés. Mettant à jour ces
estimations dans un rapport de 2015,
Forrester prévoyait alors la disparition
de 16 % d’emplois avant 2025 pour cause
d’automatisation et envisageait que
25 % des tâches cognitives pourraient
être remplacées par des logiciels. Plus
récemment, dans une étude publiée en
2019, l’OCDE tempérait ces analyses en
indiquant2 qu’au moins « 14 % d’emplois
étaient exposés à un risque élevé
d’automatisation ».
En miroir, le Word Economic Forum
prévoyait3 en 2018 la création nette de 58
millions d’emplois d’ici 2022. Autant dire
que les chiffres les plus contradictoires
14
ont été publiés… Mais comme le disait
Pierre Dac, « les prévisions sont
toujours difficiles surtout quand elles
concernent l’avenir. »
Cependant, l’IA présente une différence
avec les « autres technologies » :
elle peut être utilisée autant dans
des contextes de métiers manuels
qu’intellectuels.
Ainsi, dans certains métiers, tels ceux
de la finance, l’arrivée des algorithmes
d’IA a entraîné des suppressions
d’emplois. Il s’agissait, par exemple,
de passages d’ordres transformés
en plateformes traitant des masses
considérables d’opérations à la
seconde, ce type d’activité avec une
telle fréquence de traitement étant
impossible pour un humain. Mais cette
capacité de traitement de données
importantes est dans la continuité de
ce que fait l’informatique depuis plus de
60 ans ! L’IA n’en est qu’un exemple, une
évolution quasi inéluctable.
Ainsi, l’intelligence artificielle,
lorsqu’elle est utilisée pour automatiser
une tâche, n’est en réalité capable de
traiter qu’une infime partie du métier
d’un être humain. Comme cela a été
démontré dans des études faisant
référence comme celle de l’OFCE
sur l’automatisation dans le secteur
industriel, « une entreprise plus
automatisée est plus productive, ce
qui lui permet d’abaisser ses coûts de
revient, et donc ses prix de vente. Cela
crée une hausse de la demande, et donc
de l’emploi. » Ce gain a été chiffré à
+0,28 % d’emplois lorsqu’une industrie
s’automatise (étude effectuée sur
19448 établissements représentatifs de
l’industrie manufacturière française).
Ce résultat s’est également vérifié
en Allemagne. La confusion vient
souvent du fait que lorsqu’un secteur
d’activité a besoin de se restructurer
pour obtenir des gains de productivité
grâce aux avancées technologiques,
ces technologies sont désignées
1
comme étant les causes initiales du
problème. En effet, dans de nombreux
grands groupes français, le constat
montre souvent que l’utilisation de
l’IA (et de l’informatique en général)
vient en soutien aux collaborateurs
lors d’une restructuration pour les
aider à effectuer certaines tâches
répétitives ou fastidieuses, et ainsi
gagner en efficacité. Son utilisation
est également un moyen de conserver
en France des métiers de support qui
auraient été délocalisés, par exemple
les centres d’appel. Par ailleurs,
certaines craintes apparaissent aussi
quant à la disparition de métiers plus
qualifiés. Par exemple, l’IA pourrait
remplacer des médecins ou des avocats.
C’est mal connaître ces métiers que
de considérer que la seule capacité à
afficher un diagnostic de cancer à partir
de l’analyse des radiographies, ou à
effectuer une recherche dans des corpus
de documents, constitue la compétence
unique de ces praticiens. L’IA ne vient
pas remplacer, mais au contraire
augmenter la performance de l’humain.
Nous sommes là, bien souvent, dans
des jeux médiatiques qui ont pour effet
de créer du rêve là où il s’agit en réalité
d’aide au diagnostic. L’IA a par ailleurs
contribué à créer des dizaines de
milliers d’emplois, par exemple au sein
de startups technologiques, dans des
fonctions techniques ou de support.
L’analyse ne doit pas être effectuée
uniquement à travers le prisme un
peu désuet d’une technologie qui
remplacerait l’homme mais avec une
meilleure connaissance de ce qu’elle est
réellement en capacité de réaliser, avec
ses réussites formidables mais aussi
ses nombreuses limites, pour faciliter
le travail des humains et le faire évoluer
vers des tâches où l’intelligence réelle,
la créativité, l’intuition, les qualités
émotionnelles et relationnelles, ou
encore le savoir-faire humain, sont
indispensables.

L’IA consomme
excessivement d’énergie
2 (ou pollue excessivement)
Souheil Hanoune, Chief Scientific Officer, XXII
Juliette Mattioli, docteure en mathématiques appliquées, Senior Expert Thales
Les intelligences artificielles consom-
ment-elles vraiment trop d’énergie ? La
première réelle exploration de la ques-
tion date d’une étude du MIT en 20194,
analysant la consommation énergétique
d’un réseau de deep learning, ou ap-
prentissage profond, dédié au TAL (Trai-
tement automatique du langage). L’ana-
lyse est accablante : faire apprendre ce
modèle équivaut à l’empreinte carbone
de cinq voitures américaines… Pen-
chons-nous sur cette étude.
La comparaison portait sur un modèle
NAS Transformer comportant 213
millions de paramètres. En réalité, ce
modèle était le plus imposant et le plus
complexe à l’époque, ce qui revient à
comparer un modèle de la complexité
d’une navette spatiale à celui d’une
voiture. Par ailleurs, l’analyse pointait la
consommation pendant l’apprentissage.
Les modèles d’IA ont une phase
d’apprentissage énergivore que l’on
réalise un nombre limité de fois. Par la
suite, ils passent en mode utilisation
(déploiement effectif du modèle), la
consommation est alors diminuée de
plusieurs ordres de grandeur. Enfin, ce
modèle se construit en « autonomie »,
ce qui en fait un des modèles les moins
optimaux en temps d’apprentissage, et
donc en consommation.
Quelle est alors la réalité ? Elle est
que les IA consomment effectivement
beaucoup d’énergie en apprentissage,
surtout par rapport à un cerveau
humain. En effet, Julie Grollier (CNRS
Thales) compare la consommation
énergétique de réseaux de neurones
profonds au cerveau humain : « Le
cerveau ne dépense que 20 W pour
catégoriser, prédire et créer. En
revanche, il faut 1000 kWh pour
entraîner un modèle de traitement
automatique du langage naturel sur un
supercalculateur moderne (équivalent
de la consommation énergétique sur
six ans d’un cerveau humain, pour la
totalité de ses tâches) ».
Néanmoins, tous les modèles en IA ne
sont pas des modèles d’apprentissage
profond. La plus grande partie des
modèles utilisés ont un impact
extrêmement faible, de l’ordre de
l’utilisation de votre navigateur pendant
quelques heures. En ce qui concerne
les modèles profonds, les phases
d’apprentissage ne sont réalisées que
quelques fois par les laboratoires de
recherche ou par les géants des GAFAM
qui proposent généralement ces
modèles. En réalité, la majorité des IA
mises à disposition de la communauté
scientifique, de l’écosystème et des
entreprises, adaptent ces modèles à
leurs différents cas d’usage avec très
peu d’apprentissage. Là où un modèle de
deep learning peut prendre des milliers
d’heures de cartes graphiques (GPU)
pour l’apprendre depuis le début, affiner
3
L’IA, c’est
simplement du
machine learning
avec de la donnée
Laurent Cervoni, docteur en sciences appliquées, directeur recherche Talan
Philippe Very, Lead Data Scientist, Talan
Il arrive que, par le biais d’un raccourci
incorrect, certains articles assimilent
l’IA au machine learning avec des
données. Sur ce sujet, dans le numéro 3
d’ActuIA, nous abordions déjà ce sujet
en rappelant quelques-uns des algo-
rithmes de l’intelligence artificielle et
dans le numéro 4 nous présentions deux
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
DOSSIER
son apprentissage ne va demander que
quelques heures sur une simple GPU
dans un serveur.
Enfin, il est à noter que même si l’IA
fait couler beaucoup d’encre, un
nombre important de travaux portent
aujourd’hui sur l’optimisation de
ses IA pour qu’elles consomment
le moins d’énergie possible, lors de
l’apprentissage mais aussi en phase
d’utilisation, on parle même de « Green
AI ». De plus, embarquer de l’IA en
environnement contraint en taille, en
poids, en consommation et en haut
niveau de performance, nécessite de
concevoir de nouveaux composants d’IA
qui respectent des exigences de type
SWaP (Size, Weight and Power), travaux
menés en partie par la communauté
HPC (High Performance Computing).
grandes familles de l’IA : IA numérique
et IA symbolique.
Le machine learning (ou apprentissage
automatique) est, bien entendu, de
l’intelligence artificielle. Mais l’IA ne se
réduit pas à cet apprentissage (et encore
moins à l’apprentissage profond – deep
learning).
15
 DOSSIER
Dans le monde de l’IA, il existe de
nombreuses approches algorithmiques
pour que la machine clone plus ou
moins efficacement le comportement
humain.
Par exemple, les ontologies, les graphes
de connaissances, les systèmes à base
de règles sont des outils de l’IA qui
ne relèvent pas nécessairement de
l’apprentissage automatique. Il peut,
cependant, y avoir des chevauchements
entre les différentes techniques. En
effet, un système à base de règles
peut s’enrichir de nouvelles règles
en fonction de certains retours
de l’utilisateur et donc apprendre
progressivement aussi.
La confusion vient de ce que, au final,
ces algorithmes font en sorte de
modéliser la connaissance humaine.
Du fait que la machine se comporte
finalement, pour cette catégorie
d’algorithmes, quasiment comme un
humain, peut conduire à considérer
que l’IA consiste à apprendre à la
machine. Or, selon les algorithmes, cet
apprentissage n’est pas complètement
automatique.
L’autre élément à prendre en compte
dans « l’IA c’est du ML avec beaucoup
de données » est celui qui concerne le
volume de données.
Disposer d’une grande quantité
de données n’est pourtant pas une
nécessité absolue ! Tout dépend du
domaine à traiter. Il est probable
qu’en imagerie, il va être utile d’avoir
un volume de données permettant
de distinguer les différentes classes
4
L’IA va
dépasser
l’intelligence
humaine et pourra
prendre les décisions
à notre place
Souheil Hanoune, Chief Scientific Officer, XXII
16
d’objets ou de sujets à traiter, de
même pour réaliser un système en
langage naturel. Cette volumétrie
est intrinsèque à ces sujets où,
pour simuler le cerveau humain, il
faut être en mesure de fournir à la
machine suffisamment d’échantillons,
l’œil et le cerveau humain traitant
continuellement d’importantes
quantités de données.
Mais dans nombre d’autres cas,
il est parfaitement possible de
concevoir et de réaliser des systèmes
d’aide à la décision, des outils de
recommandations avec des quantités de
données « raisonnables ».
Notons enfin que parmi les algorithmes
récents les plus fascinants, AlphaGO
Zéro, conçu par DeepMind, une IA
utilisant du reinforcement learning
pour apprendre le jeu de Go (et avec
quel succès !), génère son propre jeu
d’entraînement et ne requiert donc
aucune donnée d’apprentissage ! C’était
d’ailleurs également le cas de son
ancêtre DeepBlue, dont l’IA utilisait un
moteur de calcul ne faisant pas appel au
ML. Le monde de la technologie est par
essence complexe et échappe vite aux
catégorisations hâtives.
Peu d’éléments de la proposition « l’IA
c’est du ML avec beaucoup de données »
sont donc pertinents. Nous serions
plutôt tentés d’écrire : « le ML c’est de
l’IA avec plus ou moins de données. »
La question est polémique : les IA vont-
elles devenir plus intelligentes que les
humains ? Et si oui, quand ? La notion
selon laquelle l’IA peut dépasser l’intelli-
gence humaine est intéressante car elle
permet de se poser plusieurs questions.
La plus directe et la plus simple
concerne l’interprétation directe de
la question : quand les IA seront-elles
aussi intelligentes que les humains et
prendront le pouvoir ?
Cette question fait référence aux IA
dites « fortes », les IA qui ont conscience
d’elles-mêmes et qui peuvent apprendre
et étendre leurs connaissances dans
plusieurs domaines, par opposition aux
IA « faibles », qui représentent 100 %
des IA qui existent actuellement.
La réalité est que nous n’avons
simplement aucune idée de comment
créer une IA forte, ni même d’une
définition claire de l’intelligence. Ainsi,
les prédictions que l’on peut croiser de
nos jours sur la « singularité » et les IA
fortes sont plus proches de la science-
fiction que d’une réelle estimation et
compréhension de la situation.
Les IA existantes aujourd’hui peuvent se
distinguer en deux catégories :
1- des IA sensorielles, qui nous
permettent d’extraire des informations
à partir de signaux : comme reconnaître
un humain sur une image ou une
personne par sa voix.
2- des IA décisionnelles, auxquelles
on donne la capacité de répondre à
des questions très simples : « Quelles
chansons recommander à un utilisateur
d’une plateforme de streaming ? », « En
fonction d’une image radio, quel est le
diagnostic le plus vraisemblable ? » etc.
Ces deux catégories ont la particularité
d’être hautement dépendantes
du domaine, là où un enfant peut
apprendre rapidement à analyser son
environnement, parler et comprendre
les autres, les IA restent centrées autour
d’une même tâche.
Reste la question :« Quand les IA seront-
elles plus intelligentes que les humains
(dans le sens de la performance) dans
certains domaines ? »
La question est toujours à l’étude,
notamment par une équipe des
universités de Berkeley et d’Oxford5.

Les chercheurs ont essayé de prédire
avec précision le moment où certaines
IA seront plus performantes que les
humains dans certains domaines,
et donc pourront surpasser
leurs performances. Dès lors, le
sujet concerne la question de la
réglementation en cours pour prendre
en compte ces avancées, la question des
emplois et de l’automatisation dans des
domaines comme le juridique, le retail,
les services de livraison et même dans
des métiers créatifs comme auteurs ou
designers.
Dès lors, nous comprenons que la
question ne concerne pas la perte de
contrôle de l’intelligence complète, mais
bien la place de l’IA dans la société et
l’emploi.
L’IA peut
fonctionner 5
sans aucune
intervention
humaine et/ou
les IA sont auto-
apprenantes
Emeline Lesmanne, Data Scientist, LittleBigCode
Les humains continuent d’intervenir
lors des différentes étapes de la vie
d’une IA. En premier lieu, ce sont eux
qui définissent le problème à résoudre.
Ce sont aussi eux qui collectent et
pré-traitent les données qui serviront à
l’entraînement de modèles de machine
learning, que ceux-ci soient supervisés
(c’est-à-dire que l’on fournit également
les labels à prédire, par exemple pour
de la classification d’images) ou non
supervisés.
L’entraînement en lui-même
peut nécessiter plus ou moins
d’intervention humaine. Il faut définir
les hyperparamètres, choisir les
algorithmes, choisir les réseaux de
neurones en deep learning...
Ce sont également les humains
qui déterminent les critères d’un
entraînement réussi.
L’IA n’est pas autonome non plus lors de
sa mise en production, ou du monitoring
de son fonctionnement : s’il est tout à
fait possible et même recommandé de
mettre en place des tests automatiques
qui alerteront en cas de déviation
par rapport au résultat attendu, il
reste nécessaire qu’un humain prête
attention au comportement d’une IA en
production. Pour avoir une IA utilisée
au maximum de son potentiel, il est
également souvent nécessaire de mener
un travail de conduite du changement
pour obtenir l’adhésion des utilisateurs
finaux.
Dans ce cas, pourquoi parle-t-on d’IA
auto-apprenante ?
Ce terme peut renvoyer à différents
modes de fonctionnement. En deep
learning par exemple, on fournit en
entrée à un réseau de neurones des
données et des résultats, et on le laisse
trouver « seul » des règles qui lui
permettront de prédire les résultats
à partir des données. Ces règles sont
difficilement explicables, ce qui est la
raison pour laquelle on parle parfois
de « boîte noire », et ce malgré des
efforts notables pour visualiser son
fonctionnement interne.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
DOSSIER
Il reste nécessaire de définir les
fonctions mathématiques de perte
et d’optimisation qui permettront au
réseau de neurones de se corriger
d’itération en itération, et de définir sa
structure.
En reinforcement learning, le
fonctionnement est différent : un agent
va apprendre à se comporter à force
d’essais, et va s’adapter à la réponse
fournie par son environnement. Là
encore, cet entraînement reste très
suivi, puisqu’un humain peut modifier
les paramètres d’itération en itération.
On notera qu’il est également possible
de combiner les deux pour obtenir du
deep reinforcement learning.
Le terme « auto-apprenant » ne
signifie donc pas que les humains
n’interviennent plus du tout, mais
simplement que les IA sont de plus
en plus autonomes dans la phase
d’entraînement, et ce grâce à toutes les
briques qui ont été développées depuis
des années… par des humains.
6
L’IA va
L’Europe
a perdu la
bataille de
l’IA
Françoise Soulié, conseiller scientifique du Hub France IA
Milie Taing, fondatrice et directrice générale de Lili.ai
17
 DOSSIER
L’Europe a été très active en IA depuis
les années 1980. Cependant son destin
en matière d’IA ne semble pas assuré
face aux ambitions des géants améri-
cains et chinois. Dans cette compétition
de titans, quelle est la place de l’Europe
et comment pourra-t-elle se créer une
stratégie gagnante ? L’enjeu est de taille
puisque les gagnants imposeront leurs
valeurs et leurs réglementations et
récolteront les bénéfices économiques
attendus de l’IA.
Le constat
L’Europe présente de nombreux atouts :
son système éducatif produit parmi
les meilleurs ingénieurs et chercheurs
en matière d’IA au monde. Mais
ceux-ci sont ensuite, trop souvent,
recrutés et employés par les plus
grands laboratoires et entreprises
du monde (notamment américains)
à cause d’un manque d’opportunités
dans les équivalents européens et
de packages très avantageux. Ainsi
quand l’Europe met 1€ (en recherche
ou investissements), les États-Unis en
mettent 10-100 et la Chine au moins
autant.
Par ailleurs, les données des citoyens
européens sont monopolisées par
les GAFAM : Google connaît mieux
les Français que l’État français, Waze
connaît mieux les bouchons parisiens
que la ville de Paris. Or le cercle
vertueux de la donnée fait que moins
on a de données, moins il sera possible
de construire des applications à forte
valeur ajoutée et moins on pourra faire
émerger des entreprises de grande
ampleur.
Il est donc urgent d’agir vite et
efficacement pour créer les conditions
propices à l’émergence de géants
européens de l’IA.
L’Europe peut encore gagner, tout est
une question de tactique
Dans l’IA, tout part des données. Aussi,
pour établir une stratégie gagnante
en IA, il faut d’abord cartographier les
données capturées par les processus
existants, en étudiant les sources de
données traditionnellement capturées
et disponibles en Europe vs le reste
du monde et celles qui sont moins
abondantes ou moins disponibles dans
le reste du monde.
Il existe des domaines où l’Europe est
18
dans une position difficile : dans la
plupart des domaines B2C, les données
des consommateurs sont largement
captées par les GAFAM.
On se doit néanmoins d’y investir encore
pour préserver notre indépendance
stratégique – comme la crise du Covid l’a
montré. Dans le B2B, certaines batailles
n’ont pas encore vraiment commencé
car les données ne sont pas aisément
disponibles à travers le monde :
comme dans la santé, la production,
l’éducation. Dans d’autres domaines,
les leaders mondiaux sont aussi
européens, dans l’édition logicielle pour
les administrations, la construction,
l’énergie, l’aéronautique, la défense, la
cybersécurité, la robotique, le transport,
le luxe, etc.
L’Europe, avec ses moyens financiers
limités, doit donc choisir avec soin
ses domaines d’intervention : B2B
certainement, certains secteurs
critiques pour notre souveraineté aussi.
Mais l’Europe doit également oser
investir massivement dans des batailles
encore en dormance ou au contraire
L’IA est une
technologie qui
manque de maturité,
toujours en phase
d’expérimentation
Jacqueline Forien, CEO & Founder of Machinelearning.fr
Milie Taing, fondatrice et directrice générale de Lili.ai
Laurent Cervoni, docteur en sciences appliquées, directeur recherche Talan
La « maturité » est définie dans le La-
rousse comme étant « la caractéristique
d’un écosystème ayant atteint un état
d’équilibre ».
Une maturité technique en constante
amélioration
Une large partie des algorithmes
d’intelligence artificielle est connue
depuis plus de 50 ans.
où les géants sont européens, tout en
préservant ses valeurs, en protégeant
son marché par des réglementations
s’appliquant à tout acteur actif sur le
marché européen, en favorisant les
actions de structuration d’écosystèmes
verticaux d’entreprises européennes
autour de plateformes de données
standardisées.
Dans cette bataille, l’Europe dispose non
seulement de sa puissance financière,
mais elle se doit aussi d’user avec
stratégie de sa puissance réglementaire
et prescriptive pour faire émerger les
géants de demain.
Si l’Europe doit gagner, ce ne sera
pas en copiant les autres, mais en se
connaissant elle-même, en respectant
ses valeurs et ses avantages existants,
et en fédérant ses acteurs autour de
standards de données. Le temps presse,
car l’IA est réglée par un cercle vertueux
de la donnée.
7
Cependant, ceux-ci s’améliorent
chaque jour grâce à des puissances
de calcul toujours plus importantes,
des masses de données croissantes
et une communauté open source de
plus en plus large et active. L’IA a donc
atteint, pour une partie de ses domaines
d’application, un équilibre certain au
point que de nombreux usages de l’IA
ont envahi notre quotidien.

L’IA face à des attentes déraisonnables
Cependant, cet équilibre n’est pas
absolu. D’une part, il s’avère fortement
corrélé aux attentes. Or, la vague
médiatique, portée par quelques
transhumanistes, suscite parfois peurs
et attentes irréalistes. L’intelligence
artificielle, évolution naturelle de
l’informatique, sait calculer, trier,
comparer, optimiser plus vite que
l’humain. Ainsi elle bat l’humain aux
échecs, peut trouver une réponse
pertinente dans une recherche sur le
web ou encore identifier en quelques
secondes la probabilité d’une image
tumorale. En revanche, elle ne peut
pas (et ne doit pas) décider à la place
de l’être humain, notamment dans les
situations critiques.
D’autre part, l’impression d’immaturité
peut découler de l’immensité du chemin
à parcourir pour égaler la capacité
du cerveau humain. Cette branche de
l’informatique a encore de nombreuses
approches à examiner, de combinaisons
algorithmiques à expérimenter et de
données à interpréter pour proposer des
solutions pertinentes, compréhensibles
et fiables.
L’IA limitée par la donnée
Ainsi, bien que de nombreux
algorithmes de l’IA soient matures
techniquement parlant, leur efficacité
reste grandement limitée par la
disponibilité de jeux de données
pertinents. L’IA a besoin de données
centralisées et standardisées. Il est donc
urgent pour ceux qui souhaitent avoir
des résultats pertinents de repenser
leurs collectes de données et l’éventuelle
expertise qui les accompagne.
Si l’attente est que l’IA sache faire tout
ce que sait faire l’humain, l’impression
d’immaturité perdurera car elle n’at-
teindra pas le niveau de conscience,
émotionnel ou de versatilité du cerveau
humain. En revanche, si on considère
que battre un être humain au jeu de Go
est un niveau de maturité satisfaisant,
alors celui-ci est atteint.
Cependant, plus qu’une bataille entre
les performances de l’humain et celle
de la machine, le réel objectif de l’IA est
d’aider l’humain à atteindre des perfor-
mances qu’il serait incapable d’atteindre
seul. Dans ce rôle-là, la technique est
plus mature que ne le sont les données
disponibles.
L’IA, quand ça
marche, on ne sait
pas comment.
Quand ça ne marche
pas, on ne sait pas
pourquoi.
Françoise Soulié, conseiller scientifique du Hub France IA
L’intelligence artificielle, c’est magique
De nombreux succès récents de l’IA nous
montrent qu’elle peut être « meilleure »,
ou au moins aussi efficace que l’être
humain6 : des programmes d’IA ont
battu les champions humains dans le
domaine des jeux (échecs, Jeopardy, Go,
StarCraft II, Rubik’s cube…), en médecine
(images radio), en reconnaissance
d’images, pour l’agriculture, l’évaluation
de textes juridiques, la parole (le
système d’IA GPT-3 est capable d'écrire
et de parler comme un humain),
le véhicule autonome (si 90 % des
véhicules étaient autonomes, le nombre
de morts sur les routes baisserait de
façon significative).
Ces résultats impressionnants donnent
l’impression que l’IA est magique, qu’il
« n’y a qu’à » fournir les données et le
système trouvera la solution, même si le
problème s’avère très complexe.
L’IA, ce n’est pas magique
En fait, bien sûr, il n’y a rien de magique
dans l’IA : il s’agit d’informatique
couplée à un important travail d’analyse
pour comprendre le problème, de
collecte et de préparation des données,
de conception de l’algorithme et
de la chaîne de traitement. Les
informaticiens (data scientists) qui
réalisent ces systèmes ont une bonne
compréhension de la façon dont
« marchent » les systèmes, même
si, vu la taille de certains réseaux
profonds par exemple, il est difficile
d’appréhender finement comment
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
DOSSIER
8
les différents éléments coopèrent à la
solution. Concevoir ces systèmes, si
ce n’est pas de la magie, reste encore
un travail d’experts : la difficulté vient
de ce que des compétences variées
sont nécessaires (compréhension du
métier, connaissances des algorithmes
et capacité à travailler les données).
Cependant, ces connaissances
commencent à se répandre et de plus
en plus de modèles pré-entraînés
deviennent disponibles, permettant de
construire rapidement des systèmes
efficaces simplement par raffinement
(fine-tuning) de ces modèles.
Peut-on expliquer ce qui ne marche
pas ?
L’IA, par exemple pour la reconnaissance
d’images (ImageNet), fonctionne
mieux qu’un humain7. Toutefois, de
même que nous ne savons parfois pas
vraiment « expliquer » pourquoi nous
ne reconnaissons pas une image, on ne
sait souvent pas pourquoi le système IA
échoue (curieusement, nous réussissons
parfois là où l’IA échoue et vice versa).
Des travaux de recherche sont en cours
pour « expliquer » l’IA et ses différences
de comportement avec l’humain8.
Mais nous avons encore beaucoup de
travail pour apprendre à améliorer les
performances des systèmes IA, qui
garderont donc encore quelque temps
leur « magie ».
19
 DOSSIER

9
Conclusion

Une vraie IA
L’intelligence artificielle,
probablement en raison de
l’association entre Intelligence

(générale) se
(caractéristique biologique)
et Artificielle (par nature
produit d’un être vivant), est

caractérise par sa
l’objet de fantasmes et parfois
d’incompréhensions. Quelle que
soit la puissance qu’un ordinateur

réussite au test de
puisse avoir, l’IA est, aujourd’hui,
de l’informatique manipulant des
données, des symboles ou des

Turing
concepts. Mais elle n’a aucune vie
propre, même si certains résultats
sont stupéfiants ou hors de portée
du cerveau humain.

Laurent Cervoni, docteur en sciences appliquées, directeur recherche Talan
Philippe Very, Lead Data Scientist, Talan
Soyons sérieux ! L’IA générale ou IA
forte, ça n’existe pas. L’IA actuelle ne
sait traiter que ce qu’elle a appris et n’a
aucune capacité à sortir de son domaine
d’entraînement.
Et le test de Turing ne va rien y changer !
Initialement le test de Turing consiste
à vérifier qu’une machine a la
capacité de s’exprimer sans que l’on
puisse la distinguer d’un humain. On
peut étendre ce test à tout type de
comportement (faire de la musique,
classer des objets, etc.).
Mais, même en créant ce test de Turing
étendu, la comparaison d’une IA et de
l’IA via ce prisme n’a pas de sens. Ce test
n’est utilisable que dans quelques cas.
Grâce à des moyens de plus en plus
performants (capacité mémoire,
vitesse de calcul, en particulier) et
à l’accès à des données de plus en
Par exemple, de très impressionnants plus larges et variées, l’IA est en
algorithmes d’IA sont en mesure de mesure de produire des analyses,
résoudre le problème de repliement des prédictions ou encore des
des protéines, problèmes totalement modèles particulièrement
hors de portée des capacités de calcul sophistiqués et, sans doute, de
moins en moins biaisés par des
humaines. Mais aucun test de Turing
n’est suffisamment pertinent pour éléments subjectifs.
comparer de tels algorithmes avec le
cerveau humain. Pour autant, le deep learning,
la logique floue, les ordinateurs
Ainsi chaque algorithme d’IA peut quantiques, les bouliers restent
parvenir à dépasser les capacités des outils à disposition des
d’un être humain sur certaines humains. À ce stade, et selon nos
tâches spécifiques (jouer aux échecs, connaissances, aucun cerveau
reconnaître un mélanome, etc.) mais ou ordinateur positronique n’a
il n’existe pas d’IA capable d’avoir la été conçu dans aucun pays et la
« versatilité » et la plasticité du cerveau route est ouverte pour tous les
humain. chercheurs. La seule réelle limite
est notre imagination !

Notes
1
https://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_Future_of_Employment.pdf
2
https://www.oecd.org/fr/emploi/Perspective-de-emploi-2019-Highlight-FR.pdf
3
http://www3.weforum.org/docs/WEF_Future_of_Jobs_2018.pdf
4
Strubell, Emma, Ananya Ganesh, and Andrew McCallum. Energy and policy considerations for deep learning in NLP. arXiv preprint arXiv:1906.02243 (2019).
5
Grace, Katja, et al. When will AI exceed human performance? Evidence from AI experts., Journal of Artificial Intelligence Research 62 (2018): 729-754.
6
11 Times AI Beat Humans at Games, Art, Law and Everything in Between. https://interestingengineering.com/11-times-ai-beat-humans-at-games-art-law-and-everything-in-between
7
https://aiimpacts.org/time-for-ai-to-cross-the-human-performance-range-in-imagenet-image-classification/
8
Samuel Dodge, Lina Karam. A study and comparison of human and deep learning recognition performance under visual distortions. In 2017 26th international conference on computer communication and
networks (ICCCN), pp. 1-7. IEEE, 2017. https://arxiv.org/pdf/1705.02498.pdf

20

L’IA de défense
à l’échelle
industrielle
Renaud Allioux, co-fondateur et CTO, Preligens
Produire de l’IA à l’échelle
industrielle demande des
capacités très poussées en
particulier dans le domaine
des données. Entraîner un
algorithme de deep ou de
machine learning demande un
volume de données sélectionnées
et étiquetées important pour
atteindre le dernier pourcentage
de performances nécessaires
à l’opérationnalisation de la
solution.
Dans le cadre d’applications pour la
défense, mais aussi dans d’autres
secteurs industriels (banque, santé,
etc.), les données clients peuvent se
retrouver classifiées, il devient alors
complexe de les rendre disponibles
en grande quantité pour un éditeur
de logiciel. De plus, même lorsque
ces données sont disponibles, les
contraintes de sécurité et de propriété
liées à leurs annotations peuvent être
importantes. Une solution est de créer
une base en interne en s’appuyant sur
des données commerciales proches ou
« proxys ». Ces « proxys » permettent
de profiter de la puissance et du
volume des approches non classifiées
pour créer des algorithmes qui seront
utilisés ensuite, soit tels quels, soit
raffinés sur des données classifiées ou
propriétaires de plus petites quantités.
Cependant, ces données doivent être
sélectionnées et annotées avec soin,
selon un cadre industriel normé (par
exemple les normes Stanag de l’OTAN
pour la défense) tout en permettant
la préservation des compétences,
de la propriété intellectuelle et de
la confidentialité des cas d’usages.
Il est donc indispensable de
s’entourer d’experts métiers.
Qu’ils soient photo-interprètes
confirmés pour les images
de télédétection, experts en
géopolitique multilingues pour
le traitement automatique du
langage ou radiologues si nous étendons
notre réflexion au cas d’usage de
l’imagerie médicale, ces experts ont
une place centrale dans les questions
de construction des bases des données.
La première erreur serait d’assigner
ces experts à l’annotation elle-même.
Cette approche, si elle semble faire
sens à première vue, oublie le caractère
industriel nécessaire au processus
d’annotation de données pour
l’intelligence artificielle.
De la même manière qu’en industrie,
les ingénieurs les plus pointus d’une
usine seront assignés à la définition
des processus et méthodes, et non pas
à la réalisation ; il faut voir les experts
métiers comme un effet multiplicateur
de la performance des algorithmes.
Ces compétences rares et précieuses
vont servir à former les annotateurs,
définir les processus de production et
de contrôle qualité et creuser les cas
les plus complexes. Comme pour tout
processus de production, les métriques
sont clés, il va être critique de suivre la
qualité de la production en temps réel
via différents contrôles qualité manuels
et automatiques que ces experts
pourront définir. Libérés de la charge
d’annotation, ces experts vont pouvoir
aussi se pencher sur la sélection et la
représentativité des données avec les
data scientists pour construire les bases
d’entraînements et de tests les plus
complètes possibles. L’utilisation de ces
experts comme effets multiplicateurs
permet d’agrandir les équipes
d’annotations à volonté avec un nombre
réduit d’experts, permettant un passage
à l’échelle aisé et rapide.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
TRIBUNE
Cependant, de par la nature
des applications citées, les
contraintes de souveraineté et
de sécurité restent au cœur des
enjeux, même sur des données
commerciales « proxys ». Si
elles sont complètement non
protégées au sens de la loi, les
informations de méthodes,
de performances ou de
processus restent sensibles
d’un point de vue commercial
et technologique. Pour assurer
la productivité tout en maintenant la
souveraineté sur les données (au sens
contrôle par l’organisation), un appui
sur les technologies de pointe offertes
par les progrès du cloud (qu’il soit
public ou privé), du chiffrement et de la
business intelligence est indispensable.
Plutôt qu’échanger des données
physiques ou des processus par mail
ou FTP, une organisation peut mettre
à disposition de plusieurs centaines
d’annotateurs, qu’ils soient en interne
ou en sous-traitance, à 10 ou 1000
km, les informations uniquement
nécessaires avec un contrôle total
des accès, sans que ces informations
quittent les serveurs de l’entreprise.
Dans le cadre des données satellites,
nous pouvons ainsi très aisément
masquer le pays associé à la donnée
à traiter et ne pas rendre disponible
la donnée source en écriture ou
téléchargement. De même, en utilisant
ces technologies, il est possible de
construire des plateformes permettant
de compartimenter l’information et
de transmettre différents niveaux de
complexité ou de sensibilité de données
à des annotateurs en fonction de leurs
compétences, localisation (territoire
national ou non) et rattachement
administratif (interne ou prestataire).
L’annotation pour la création d’IA
dans un cadre industriel, encore plus
de défense, requiert un savoir-faire
complexe et l’effet multiplicateur
des experts métiers et des nouvelles
technologies pour atteindre les
performances nécessaires aux
utilisateurs. Seule une maîtrise de
bout en bout de la chaîne de valeurs
de l’IA permet aujourd’hui d’apporter
au client un gain opérationnel au-delà
d’une phase d’expérimentation, si
elle est souvent négligée, la phase
d’étiquetage de la donnée est le premier
maillon à maîtriser d’une chaîne globale
complexe.
21
 RECHERCHE

L’histoire est connue :

il suffit d’un morceau
de ruban adhésif bien
placé pour qu’une voiture
autonome confonde un Stop
avec un 130. Ce scénario
catastrophe est le plus utilisé
pour illustrer les fameux

La sécurité de
adversarial examples,
sujet de prédilection de

l'IA : une surface

l’Adversarial Machine
Learning.

d'attaque complexe
disponibilité. Nulle exhaustivité ici, L’importance du « modèle de
tant la liste des attaques est vaste
menace »
(principalement concernant les
adversarial examples…)1. Par souci de
Préalable indispensable à toute analyse
Pierre-Alain Moëllic, concision, nous nous restreindrons à
un scénario d’apprentissage supervisé, de sécurité, l’élaboration d’un modèle
ingénieur de recherche au CEA LETI, où un réseau de neurones est entraîné de menace permet de définir avec
précision les objectifs (détaillés par
à une tâche de classification grâce
coordinateur du projet PICTURE. à un ensemble d’apprentissage la suite), connaissances et capacités
labellisé. Classiquement, la phase de l’attaquant. On parle d’un contexte
d’apprentissage et de validation est de boîte noire si aucune information
suivie du déploiement du modèle pour concernant le modèle (architecture,
Aussi évocatrice soit-elle, cette menace
son utilisation en inférence. paramètres, hyper-paramètres) n’est
est l’arbre qui cache la forêt : les failles
connue par l’attaquant, ce contexte
qui fragilisent la confidentialité,
l’intégrité et la disponibilité des modèles
sont aussi nombreuses que critiques.
Avec le déploiement massif des modèles
sur des plateformes matérielles
extrêmement variées, les modèles – en
devenant physiquement accessibles
– s’exposent à une surface d’attaque
étendue et complexe.

Dans cet article, nous décrivons les

grandes menaces qui pèsent sur
les modèles de Machine Learning Menaces sur le « Machine Learning Pipeline ». Un modèle est entraîné puis déployé sur une plateforme matérielle. L’instance
à travers les trois concepts de la embarquée et le modèle original n’ont pas la même notation, car leur équivalence n’est pas assurée (par exemple, en cas
sécurité : confidentialité, intégrité, d’utilisation de techniques de compression). Toutes les étapes du pipeline sont des cibles potentielles.

22 Un état de l’art plus complet est disponible sur le site du projet PICTURE..
1

pouvant être élargi aux données
d’apprentissage. À l’inverse, le
modèle boîte blanche implique une
connaissance parfaite du modèle
permettant une analyse fine de son
comportement. Pour réaliser son
attaque, un adversaire va disposer
de certaines capacités d’interaction
avec sa cible. Typiquement, il peut
effectuer un nombre limité ou
illimité de requêtes pour exploiter les
prédictions du modèle, elles-mêmes
sujettes à de possibles restrictions (par
exemple, un unique label sans score de
confiance). De la même manière, une
hypothèse classique fixe une limite
à une quelconque perturbation des
données (on parle alors de budget de
l’adversaire). Enfin, dans le cas d’un
modèle embarqué, un attaquant peut
avoir des capacités supplémentaires
d’analyses physiques passives ou
actives, comme par exemple une analyse
side-channel ou d’injection de fautes.
Confidentialité des données et
des modèles.
Analyse side-channel. Une sonde électromagnétique
positionnée au-dessus d’un processeur vient écouter l’exécution
d’un programme.
La notion de confidentialité concerne
autant les données d’apprentissage ou
d’inférence que le modèle lui-même
(par exemple, protéger la propriété
intellectuelle d’un modèle contre du
reverse engineering). Nicholas Carlini a
démontré que les réseaux de neurones
profonds ont une fâcheuse tendance à
mémoriser des données d’apprentissage
qu’un attaquant peut par la suite faire
« fuiter ». À ce titre, sa plus récente
étude sur le transformer GPT-2 [1]
est loin d’être rassurante… Autres
menaces sérieuses, les membership
inference attacks (MIA), qui permettent
de savoir si une donnée a été utilisée
pendant l’apprentissage, information
particulièrement critique pour certaines
2
L’attaque utilise environ 3 millions de requêtes.
applications (par exemple, l’étude de
Shokri porte sur des données de sorties
d’hôpital [2]). Les MIA sont efficaces dès
lors qu’un modèle possède un certain
niveau de generalization gap, ce qui est
effectivement vérifié dans beaucoup de
cas réels.
Objet d’une grande attention
aujourd’hui, l’extraction de modèles
s’apparente à du reverse engineering
pour retrouver l’architecture et les
paramètres d’un modèle en boîte noire.
Classiquement, il peut s’agir du vol d’une
propriété intellectuelle ou
Illustration d’un adversarial example.
d’une attaque préliminaire visant à
changer radicalement de contexte
(boîte noire vers boîte blanche) pour
opérer ultérieurement d’autres attaques
plus performantes. Jagielski et Carlini
ont remarquablement formalisé cette
menace [3] et démontré qu’à partir
de la seule connaissance de plusieurs
couples entrée/sortie et de techniques
de cryptanalyse reposant sur des
propriétés de la fonction d’activation
Rectified Linear Unit (ReLU), il était
possible de renverser les valeurs des 100
000 poids d’un multilayer perceptron
[4].
Concernant les menaces physiques,
l’analyse par canaux auxiliaires (side-
channel analysis, SCA) écoute certaines
grandeurs physiques (consommation,
rayonnement électromagnétique…)
pendant l’exécution d’un programme.
Les SCA sont redoutables pour retrouver
la clé de chiffrement d’un AES logiciel
ou matériel et font partie intégrante
des standards de certification de
sécurité (cf. Critères communs). Si leur
utilisation pour des réseaux de neurones
embarqués n’a pas encore la maturité
des techniques d’extraction vues
précédemment, le sujet est brûlant [5] et
les premières expériences menées par
Batina et al. sur des microcontrôleurs
[6] ne laissent que peu de doutes quant
à leur complémentarité avec l’état de
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
RECHERCHE
l’art et leur efficacité prochaine sur
des plateformes et des modèles plus
complexes.
Intégrité : de l’art de prendre un
chat pour une autruche.
Sujet phare de la sécurité de l’IA, les
menaces contre l’intégrité cherchent
à tromper un modèle dans l’exécution
de sa tâche. Plusieurs vecteurs
d’attaque sont possibles en fonction
de la capacité de l’attaquant à agir
pendant l’apprentissage ou l’inférence.
Les attaques pendant l’apprentissage
reposent sur des mécanismes
d’empoisonnement des données ou
de certains mécanismes intrinsèques
au processus d’apprentissage. Un
adversaire peut modifier les données
d’apprentissage existantes ou en
injecter de nouvelles. L’objectif est
soit de diminuer la précision globale
du modèle empoisonné, soit de
perturber le comportement du modèle
uniquement pour quelques données
ciblées [7]. À mi-chemin, les backdoor
attacks appliquent des triggers (par
exemple des patchs sur des images) qui,
lorsqu’ils sont reconnus en inférence,
conduisent à une mauvaise prédiction.
Récemment, Shumailov et al. [8] se sont
totalement affranchis des données et
ont démontré qu’en ciblant simplement
l’ordonnancement des mini-batches
(censé être aléatoire), on pouvait
détériorer la performance finale du
modèle et accroître sensiblement le
temps d’apprentissage (on passe alors
du côté des attaques en disponibilité).
Des résultats similaires sont obtenus
par Grosse et al. qui attaquent
l’initialisation des poids : en tirant profit
des particularités de la fonction ReLU,
ils désactivent en cascade plusieurs
neurones [9].
Les menaces pendant l’inférence
concentrent le plus gros effort de
recherche depuis la démonstration
concomitante des adversarial examples
23
 RECHERCHE
pour les réseaux de neurones par
Szegedy et Biggio [10, 11]. Utilisons
l’illustration de l’image d’un chat
parfaitement classée par un modèle.
Un adversarial example est une modi-
fication imperceptible de cette image
qui va néanmoins tromper le modèle.
En effet, la perturbation ajoutée suit
une direction qui va accroître l’erreur
de prédiction. Résultat : ce nouveau
chat sera reconnu comme étant une
autruche. L’imperceptibilité de l’attaque
est une notion complexe, la pertur-
bation pouvant être visible sans pour
autant être perçue comme une attaque
(tous les panneaux tagués ne sont pas
des physical adversarial examples
[12]). Si les attaques en boîte blanche
reposent sur le gradient de la Loss, il est
tout à fait possible – en boîte noire – de
trouver une perturbation efficace sans
gradient ou alors de l’estimer unique-
ment en connaissant la prédiction du
modèle. D’autre part, les adversarial
examples se transfèrent à merveille : un
adversarial example construit à partir
d’un modèle fonctionnera vraisembla-
blement aussi bien sur un autre modèle,
réalisant la même tâche, avec une toute
autre architecture.
Parmi les menaces physiques perti-
nentes contre l’intégrité d’un modèle
embarqué, les analyses par injection
de fautes (fault injection analysis, FIA)
perturbent l’exécution du programme
(des instructions ou des données) en
stressant la fréquence d’horloge ou
l’alimentation (clock ou voltage-glit-
ching) ou encore en injectant des
pulses électromagnétiques ou des tirs
laser. Comme pour les SCA, les FIA
appliquées aux réseaux de neurones
n’en sont encore qu’à leurs débuts [13],
mais ces techniques sont extrêmement
puissantes pour analyser les faiblesses
d’une implémentation car – dans le cas
d’injection laser – elles conduisent à des
fautes à la granularité du bit.
Disponibilité : modèle et sys-
tème.
Les menaces qui pèsent sur la dispo-
nibilité sont plus difficiles à définir et
nécessitent de considérer un modèle
comme une partie intégrante d’un
système soumis à plusieurs types de
spécifications. Notons par exemple des
exigences concernant des performances
systèmes (temps d’exécution, mémoire,
consommation énergétique…) ou
des exigences de qualité (confiance,
fiabilité). Ainsi, toutes les attaques de
24
type Deny of Service entrent dans le
périmètre de ces attaques. Certaines
menaces vues précédemment, qui
perturbent fortement le temps d’ap-
prentissage voire sa faisabilité, sont à la
frontière entre intégrité et disponibilité.
Les sponge examples de Shumailov et
al. [14] sont les premières attaques à
viser directement le temps d’inférence
(et la consommation énergétique) en
perturbant une donnée d’inférence de
telle sorte qu’elle active le maximum de
neurones (donc le maximum de calculs) :
l’impact sur des modèles de traitement
automatique de la langue est saisissant
(x20 en temps d’inférence).
Des défenses ?
Naturellement, la littérature s’intéresse
aussi aux protections. La Differential
Privacy est une référence pour la
confidentialité et repose sur l’injection
d’aléas afin de rendre une faille de
confidentialité inexploitable (au prix
d’un compromis avec la performance).
Pour les adversarial examples [15], si
l’efficacité des méthodes de détection
est discutable face à des adversaires
avancés, la référence incontestée
(mais imparfaite) reste l’Adversarial
Training qui cherche à accroître la
robustesse d’un modèle en injectant
des perturbations adverses pendant
l’apprentissage. Certes, à première
vue, cette course à l’armement paraît
déséquilibrée, tant d’attaques pour si
peu de défenses et de garanties… Mais la
recherche progresse à grands pas et si
quelques mois séparent généralement
la publication d’une défense de la
démonstration de son inefficacité,
c’est aussi que cette discipline a su se
doter de méthodologies d’évaluation
rigoureuse et continuellement
renforcée.
La sécurité des modèles, et
particulièrement des modèles
embarqués, n’est pas une option et doit
fédérer les expertises académiques et
industrielles de plusieurs communautés
(IA théorique, sécurité logicielle et
matérielle). Une crainte majeure
concerne l’utilisation combinée de
vecteurs d’attaque des deux mondes :
algorithmique et physique. Anticiper,
analyser ces attaques potentiellement
dévastatrices et proposer des
protections adaptées est un enjeu
crucial pour le déploiement à large
échelle de cette fameuse intelligence
artificielle de confiance.
Le projet PICTURE
Début 2021, le CEA LETI, les Mines Saint-
Étienne, IDEMIA et STMicroelectronics
collaborent au sein du projet PICTURE,
partiellement financé par l’ANR (AAPG
2020). Ce projet de 42 mois s’intéresse à
la sécurité intrinsèque et physique des
réseaux de neurones embarqués et a
pour objectifs de proposer et d’évaluer
des protections pour des modèles
(implémentation logicielle) contre des
attaques exploitant conjointement des
failles théoriques et physiques (attaques
par canaux auxiliaires et injections de
fautes). PICTURE profitera notamment des
équipements de pointe (bancs d’écoute,
lasers…) du Centre Microélectronique de
Provence Georges Charpak.
https://picture-anr.cea.fr
@AnrPicture
Références
[1] Carlini, Nicholas et al. Extracting Training Data from Large
Language Models. USENIX Security Symposium. 2021.
[2] Shokri, Reza et al. Membership inference attacks against
machine learning models. IEEE Symposium on Security and
Privacy. 2017.
[3] Jagielski, Matthew et al. High accuracy and high fidelity
extraction of neural networks. USENIX Security Symposium. 2020.
[4] Carlini, Nicholas, Matthew Jagielski and Ilya Mironov.
Cryptanalytic extraction of neural network models. Annual
International Cryptology Conference. Springer, Cham, 2020.
[5] Joud, Raphaël et al. A Review of Confidentiality Threats
Against Embedded Neural Network Models. IEEE World Forum on
IoT. 2021.
[6] Batina, Lejla et al. CSI-NN: Reverse Engineering of Neural
Network Architectures Through Electromagnetic Side Channel.
USENIX Security Symposium. 2019.
[7] Shafahi, Ali et al. Poison frogs! Targeted clean-label poisoning
attacks on neural networks. International Conference on Neural
Information Processing Systems. 2018.
[8] Shumailov, Ilia et al. Manipulating SGD with Data Ordering
Attacks. arXiv preprint. 2021.
[9] Grosse, Kathrin et al. On the security relevance of initial
weights in deep neural networks. International Conference on
Artificial Neural Networks. 2020.
[10] Szegedy, Christian et al. Intriguing properties of neural
networks. arXiv preprint. 2013.
[11] Biggio, Battista et al. Evasion attacks against machine
learning at test time. Joint European conference on machine
learning and knowledge discovery in databases. 2013.
[13] Dumont, Mathieu et al. An Overview of Laser Injection against
Embedded Neural Network Models. IEEE World Forum on IoT.
2021.
[14] Shumailov, Ilia et al. Sponge examples: Energy-latency
attacks on neural networks. arXiv preprint arXiv:2006.03463
(2020).
[15] Dong, Yinpeng et al. Benchmarking adversarial robustness on
image classification. IEEE/CVF Conference on Computer Vision and
Pattern Recognition. 2020.
 DOSSIER

Smart building :
le bâtiment de demain ?
Le BTP (Bâtiment et Travaux
Publics) est un secteur de poids
dans l’économie française. Il est
également en pleine mutation.
Attirer de jeunes talents,
répondre aux nouveaux besoins
des usagers avec plus d’efficacité,
de flexibilité et de durabilité font
partie des défis auxquels il est
aujourd’hui confronté. Le smart
building (ou bâtiment intelligent)
se présente comme une solution
pour l’urbanisation de demain : la
smart city.

Filière Industries pour la construction en France :

602 000 171

entreprises
milliards €
de chiffre d’affaires

95% 1 040 100 emplois (directs et indirects)

des entreprises
comprennent moins de 10 salariés

Source : Conseil national de l’industrie - CSF « Industries pour la Construction »

LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 25

 DOSSIER
En pleine expansion avant
la pandémie de covid-19, le
smart building poursuit son
développement que ce soit
pour des bâtiments tertiaire,
unités résidentielles, aéroports,
universités, commerces ou encore
hôpitaux.
Le nombre de fournisseurs de solutions
digitales pour la smart home et le
bâtiment est en forte augmentation.
L’écosystème se compose de nombreuses
entreprises de construction, de
matériaux mais aussi de fournisseurs
d’énergie et de fabricants de solutions.
Ces derniers, géants de la tech ou
startups accompagnées ou non par
des accélérateurs de croissance,
proposent des outils pour faire
bénéficier les bâtiments, les exploitants
et les occupants de la transformation
numérique.
70 % des
Qu’est-ce que le
smart building ?
entreprises de
Le smart building
consiste à rendre
un bâtiment
« intelligent » en le
construction
dotant de systèmes
de contrôle, d’analyse
consacrent
et d’automatisation,
d’immotique, de moins de 1 % de
leurs recettes
l’IA à la data en
passant par le BIM,
à des projets
les télécom, l’IoT ou
encore la technologie
numériques
des réseaux et les
outils de mobilité.
Longtemps cantonné
à une gestion
technique centralisée
innovants
(GTC) permettant
la supervision indépendante de chaque
installation technique via un réseau
de communication propre, le bâtiment
intelligent a évolué vers la gestion
technique des bâtiments (GTB), seule
ou avec l’IoT, pour une supervision de
l’ensemble des équipements puis vers
une gestion bien plus active.
La tendance actuelle vise à l’intégration
de services et de fonctionnalités dans
le but d’améliorer le bien-être des
occupants, de réduire la consommation
énergétique et l’impact environnemental
mais aussi d’assurer davantage de
sécurité et même de faciliter la vie des
personnes dépendantes. Cependant,
transformer un bâtiment en smart
building a bien évidemment un coût.
26
Deux bénéfices pour les acteurs
du bâtiment et des villes :
• Gain de performance, gestion Les défis du BTP
prévisionnelle des usages et lutte
contre l’obsolescence des systèmes • Pénurie de main d’oeuvre
• Réduction des coûts • Rentabilité
d’investissement et d’exploitation • Respect des délais et des
(CAPEX et OPEX)
budgets
Malgré les atouts indéniables du smart
• Industrialisation et hors
building et les nouvelles incitations site (pré-assemblage en
réglementaires, l’investissement usine)
dans ces solutions et leur adoption • Digitalisation
restent encore assez faibles au sein de • Développement durable
la filière. Dans son rapport d’octobre
2020 sur la rénovation, la Commission
européenne indique : « Actuellement,
2
70 % des entreprises de construction
consacrent moins de 1 % de leurs
recettes à des projets numériques
innovants et le recours à la modélisation
e
des informations de la construction
(BIM) reste particulièrement faible. Le secteur de la construction est le 2e
Les technologies secteur émetteur de CO2 après celui des
comme l’IDO, l’IA, les
transports routiers
robots et les jumeaux
numériques réduisent
7
le temps nécessaire aux
travaux physiques.​​»
S’il est désormais x
possible d’obtenir
un fonctionnement
Le secteur de la construction émet 7 fois
plus de déchets que les ménages
coordonné et
automatisé
46 %
pour contrôler
l’électroménager,
l’éclairage, l’air
conditionné/chauffage
ou même l’arrosage
du jardin via son L’immobilier tertiaire et résidentiel
smartphone, le smart constitue environ 46% de la consomma-
building est loin d’être
juste un gadget pour
tion d’énergie finale en France en 2019
les amateurs de tech.
Le smart building peut s’imposer comme
une véritable solution d’optimisation de
l’énergie et devenir un facteur clé de la
transition écologique.
Le bâtiment de demain devra être
Le décret de la loi Élan prévoit
intelligent afin de répondre aux une obligation de réduction
défis actuels, que ce soit au niveau d’au moins 40 % de la
environnemental, économique, consommation d’énergie d’ici
de la gestion des ressources, 2030 (vs 2010), puis de 50 %
de la densification des zones en 2040 et 60 % en 2050 pour
urbaines ou de la transformation les bâtiments tertiaires de
plus de 1000 m2.
digitale. Le smart building peut-il
nous faire entrer dans l’ère des
bâtiments zéro émission ?

Quatre défis globaux
auxquels le smart building
peut répondre :
Décarbonisation
Les bâtiments représentent près de
40 % de la consommation d’énergie
globale à l’échelle européenne et
produisent 36 % des gaz à effet
de serre, selon la Commission
européenne. L’UE appelle à réduire
les émissions des bâtiments de 90
% d’ici 2050, précise que l’efficacité
énergétique est un volet essentiel
de l’action et que les efforts dans le
secteur du bâtiment doivent être
intensifiés.
Énergie renouvelable
La question de l’énergie est centrale
et ne passe pas seulement par la
décarbonisation. Automatiser la
consommation à la source, dans
le cas du bâtiment, permet de
l’optimiser. Le smart building peut
également devenir producteur
d’énergies renouvelables.
Qualité de l'air
intérieur (QAI)
C’est l’un des défis majeurs du
bâtiment mais pas le plus connu
du grand public. Avec la crise du
Covid-19, l’intérêt pour ce segment
s’est nettement accentué avec,
selon Wavestone, 32 millions
d’euros levés ces dix dernières
années, dont 13 millions en 2020. À
noter : l’Observatoire de la qualité
de l’air intérieur relève que les
Français perdent en moyenne neuf
mois d’espérance de vie à cause de
la pollution de l’air intérieur, chiffre
pouvant atteindre 13 mois dans les
pays les plus pollués, selon l’OMS.
Renouveler le parc
immobilier
Face à des immeubles
vieillissants, dangereux et
inefficaces énergétiquement, le
smart building permet d’intégrer
des outils optimisés allant vers
le développement durable et
une réduction des coûts pour le
consommateur.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
DOSSIER
Pourquoi la rénovation est-elle
si importante ?
En France, le parc immobilier
tertiaire représente près d’un
milliard de mètres carrés, dont
30 % appartenant à l’État ou
aux organismes publics. Le plan
France Relance, voté en octobre
2020, dispose d’une enveloppe
de 4 milliards d’euros pour la
réduction de la facture énergétique
et de l’empreinte carbone de
l’État, au travers de la rénovation
subventionnée de 15 millions de
mètres carrés de surface.
« Plus de 220 millions d’unités
de bâtiment, soit 85 % du
parc immobilier de l’UE, ont
été construites avant 2001.
Parmi les bâtiments qui
existent aujourd’hui, 85 à
95 % existeront toujours en
2050. »
Le smart building est considéré
comme un levier d’économie
également dans la stratégie
« Renovation wave » de la
Commission européenne présentée
à l’automne 2020. Elle vise
notamment l’amélioration de la
performance énergétique, avec
pour objectif de doubler le nombre
de rénovations d’immeubles d’ici
2030 et de rénover 35 millions de
bâtiments. À la clé : la réduction des
émissions de gaz à effet de serre, le
développement de la digitalisation
et la création de 160 000 emplois
selon la CE.
27
 DOSSIER
Le secteur du
smartbuilding en 2021
Le chiffre d’affaires cumulé des spécialistes du smart 5 questions
building a doublé entre 2014 et 2019 selon l’étude
Xerfi. La crise du Covid-19 a eu un retentissement autour du smart
important sur le secteur mais l’essor du marché
à moyen terme reste certain avec une offre qui
building et de
s’améliore, des réglementations favorables, des l'industrie de la
besoins de bureaux flexibles ou encore un intérêt
pour la valeur verte des bâtiments allant croissant construction
chez les investisseurs. Dans son radar sorti fin 2020,
Wavestone indique que les investissements dans les
startups de l’écosystème sont en moyenne depuis
2018 de près de 41 millions d’euros par an et qu’entre
1La construction peut-elle être
2018 et 2020 le montant par levée de fonds a doublé. durable étant donné son impact
environnemental ?
L’efficacité énergétique est un segment qui attire les

2Quel futur pour ce marché en pleine

investisseurs car la tendance répond à la volonté de réduire
les factures énergétiques mais aussi à la prise de conscience
écologique actuelle. Les entreprises du secteur comptent
également sur la législation et les évolutions réglementaires
qui favorisent les investissements. transformation, qui plus est post-
pandémie ?
L’IA au service du bâtiment

Le bâtiment intelligent ne peut être totalement smart sans

IA. Si l’industrie et la construction n’étaient pas identifiées
3Le bureau du futur sera-t-il intelligent
parmi les cinq secteurs que l’IA allait révolutionner dans le
rapport Villani, la transformation est amorcée et tous les et jusqu’à quel point?
acteurs de la filière devraient être concernés. Que ce soit pour

4
les bâtiments résidentiels ou tertiaires, l’IA permet de traiter
un grand nombre de données et de fournir des informations à
forte valeur ajoutée avec des applications tout au long du cycle
de vie d’un bâtiment, pour tous les acteurs, du propriétaire à La valorisation du digital doit-elle
l’exploitant en passant bien évidemment par les occupants. passer par la labellisation ?

5Dans quelle mesure la flexibilité et le

Lesobjets connectés et les assistants vocaux sont la partie
émergée de l’iceberg en ce qui concerne l’utilisation de l’IA
dans le smart home et le bâtiment intelligent. Saviez-vous par
exemple que l’IA peut intervenir dans l’architecture 4.0. ? En
se fondant sur un système de modélisation et de prédiction serviciel peuvent-ils s’intégrer dans le
des phénomènes météorologiques, îlots de chaleur ou pics de bâtiment?
pollution, les professionnels peuvent optimiser l’emplacement
d’une nouvelle infrastructure et même l’espace intérieur pour
une meilleure auto-ventilation.

Où intervient l’IA dans le smart building ?

Conception Chantier Exploitation Interconnexion

modélisation, simulation des optimisation de la sécurité, amélioration des performances d’usage, services sur mesure, au quartier et à la ville
performances grâce au jumeau gestion des délais, des risques confort utilisateur, gestion optimisée, maintenance prédictive
numérique du bâtiment pendant la construction et préventive, efficacité énergétique, sécurité, continuité
d’exploitation

28

Des applications concrètes
Maintenance prédictive et
augmentée
Capteurs connectés, drones, robots, la gamme
de solutions pour une maintenance optimisée
est large. Il est désormais possible de connaître
la santé d’une infrastructure, d’établir des
scénarios et d’effectuer des inspections et
vérifications plus facilement et de façon plus
sûre tout en réduisant les coûts et les risques.
Les outils digitaux fournissent des données
en temps réel permettant d’augmenter la
productivité des équipes opérationnelles et
de renforcer leur sécurité. Ex : le personnel
de nettoyage d’un hôpital sait quel bloc
Covid nettoyer, avec une liste spécifique
d’instructions.
Sécurité
Depuis la pandémie, le contrôle des jauges
d’occupation a une importance accrue. Les
outils à disposition permettent de détecter
les entrées et sorties, d’assurer un contrôle
des accès et une communication optimisés
en temps réel. Le smart building permet de
garantir la sécurité des usagers et d’accroître
leur confiance et leur bien-être, à travers par
exemple le traitement plus rapide des dysfonc-
tionnements.
Gestion des riques
Les solutions numériques permettent une
meilleure prévention des risques. Incendies,
fumées ou encore pollution de l’air intérieur,
les données de tous les capteurs et systèmes
sont analysées pour fournir des indications
en temps réel. Le monitoring est facilité,
automatisé et permet de prévenir d’éventuels
dangers plus rapidement.
DOSSIER
Analyse des usages
Avec des capteurs connectés et un outil d’ana-
lyse vidéo, il est désormais possible d’optimiser
les systèmes de gestion des données dans la
gestion des espaces. En comprenant mieux
les usages des individus, les espaces peuvent
être optimisés, repensés (tant au niveau
architectural qu’en termes de design) pour
favoriser le bien-être, la productivité ou encore
l’attractivité et la rentabilité. Une gestion fine
et mesurée du taux d’occupation réel permet
de mettre en place des solutions de mutualisa-
tion, comme pour le smart parking (places de
parking mutualisées).
Gestion des ressources
Grâce à un modèle prédictif de comportement
énergétique d’un bâtiment, intégrant
notamment les prévisions météorologiques,
et à un système de contrôle à distance des
systèmes centralisés pour l’éclairage, la
gestion de la température, la ventilation,
le chauffage ou encore la climatisation et
la qualité de l’air, il est possible de mieux
gérer la consommation énergétique, le
gaspillage, donc de réduire les coûts et l’impact
environnemental.
Monitoring 24/7 de la
production d'énergie
La production et le stockage d’énergie
renouvelable sont également l’une des voies
privilégiées par le smart building. Grâce
au monitoring continu et à des capteurs
intelligents, il est possible d’adapter la gestion
de l’énergie aux habitudes des usagers, en
fonction des heures d’affluence pour réaliser
des économies substantielles d’énergie et
améliorer le confort de tous.

Pour une entreprise, le smart building a de nombreux avantages

Pour le propriétaire :
• Valorisation de l’actif immobilier
• Compréhension et optimisation
des usages
• Optimisation des espaces grâce
notamment aux données liées à
l’occupation réelle des locaux
• Anticipation des besoins et
meilleure satisfaction des
occupants
Pour l’occupant :
• Confort, bien-être et sécurité
• Satisfaction accrue de l’usager
(réservation d’espaces, meilleur
traitement des incidents et
dysfonctionnements par ex.) via
des services géolocalisés
• Cadre de travail plus agréable et
meilleure rétention des talents
Pour l’exploitant :
• Optimisation énergétique
• Efficacité de l’exploitation
• Optimisation de la maintenance
et augmentation de la
productivité des techniciens et
équipes opérationnelles

LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 29

 DOSSIER

Comment mettre en œuvre l'IA

dans le smart building ?
Il existe des solutions prêtes à
l’emploi, qu’on voit notamment
dans les smart homes, pour des
tâches spécifiques (gestion du 1 Intégrer l’enjeu de 4 Travailler à la
chauffage, éclairage intelligent, la digitalisation dans le connectivité des équipements,
etc.) mais la question phare
est celle de l’interconnexion bâtiment dès la conception via des infrastructures au sein du
des outils et de la gestion des par exemple le BIM et un jumeau bâtiment et en dehors, voire à
données collectées, notamment
par les nombreux capteurs IoT numérique leur mutualisation
(consommation, utilisation des
espaces, etc.).
2 Mettre en place une 5 Favoriser des outils
Ces données alimentent les outils
d’aide à la décision et participent à cyberstructure sécurisée avec numériques avec des interfaces
l’amélioration de la Gestion technique un système d’information du standardisées, interopérables
du bâtiment (GTB) de façon constante,
par le monitoring continu, permettant bâtiment (Building Information et sobres en énergie et en
notamment la mise en place d’une
maintenance prédictive. Car le bâtiment
System ou BIS) ressources

3 Fournir des données 6 Choisir un opérateur de

intelligent ne passe pas seulement
par le branchement d’applications
indépendantes les unes des autres
mais aussi par la mise en place d’un
système centralisé, unifiant les
propres, traitées, structurées, service fiable et garantissant la
fonctionnalités utilisées et à venir. Cela qualifiées, fiables et continuité de service
permet, dès la conception si possible,
encadrées selon les besoins et
de garantir la flexibilité, l’efficacité,
une transformation rapide, ou encore
l’adaptabilité à des usages futurs.
garantir leur accessibilité et leur7 Garantir la gouvernance
gouvernance des données et leur sécurité
L’interopérabilité et la gestion
des données, dans le respect des
règlementations en vigueur, sont
fondamentales pour un bâtiment
intelligent optimisé et durable.

Quid de la cybersécurité des bâtiments ? IA et automatisation de la conception du bâtiment

Dans une étude effectuée sur plus de 40 000 bâtiments
connectés de 2019, l’entreprise de cybersécurité Kaspersky
a révélé qu’en un semestre, 37,8 % avaient été ciblés par des
cyberattaques, dont 11 % par des spywares. Les attaques
provenaient pour plus des deux tiers du web, d’autres de
lecteurs amovibles ou logiciels de messagerie.
En 2020, une étude de Palo Alto Networks, entreprise
spécialisée en cyber sécurité, expliquait que 57 % des objets
connectés utilisés par les entreprises étaient vulnérables à
des attaques de gravité moyenne à élevée.
Le secteur appelle à une plus grande ségrégation des
réseaux, à l’utilisation de produits sécurisés respectant les
bonnes pratiques sécuritaires mais aussi à un pilotage cyber
sécuritaire pour le bâtiment intégré dans sa chaîne de valeur
et à une véritable législation sur le sujet, comme c’est le cas
en Californie qui a adopté en 2018 une loi relative aux objets
connectés.
La conception assistée par ordinateur d’un bâtiment a
permis une évolution des pratiques à travers les solutions
numériques traditionnelles existantes. L’automatisation ne
passe pas forcément par des technologies d’IA, et surtout le
tout-automatisé n’est pas un objectif en soi, tant l’expertise
métier reste incontournable dans l’organisation d’un
projet via un outil basé sur l’IA. Intégrée dans une réflexion
opérationnelle, l’IA est cependant très intéressante dans
plusieurs domaines (conception générative, intégration
de sources de données diverses, optimisation de projets
complexes…) et ouvre de nouveaux champs de logiques de
conception et d’applications.
Citons par exemple des solutions de gestion des espaces par
l’aménagement en temps réel dans un cahier des charges, ou
la conception de réseaux de sprinklers ou encore l’aide à la
conception répondant à des objectifs “énergie” spécifiques.

30

La question de la standardisation
et de la certification
La demande de structuration des
approches en termes de gestion des
données bâtimentaires s’est accélérée
depuis la crise du Covid-19. En France,
le label R2S-Ready2Services fait figure
de référence. Il a été mis en place par
Certivéa et la Smart Buildings Alliance
for Smart Cities (SBA) pour répondre
aux enjeux de la transition numérique
(connectivité, sécurité numérique…) et
accompagner le déploiement de services
numériques, dédiés notamment à la
performance énergétique, au sein des
bâtiments tertiaires.
Source – Certivéa
La mise à jour des systèmes de
certification pour intégrer l’intelligence
des bâtiments, l’interconnectivité
ainsi que la mesure et l’optimisation
de la performance énergétique lors
de l’exploitation des bâtiments sont
au programme de la Commission
européenne. Les grandes quantités
de données générées par les
infrastructures numériques des
bâtiments intelligents permettant une
meilleure gestion tout au long du cycle
de vie du bâtiment sont également au
centre des réflexions. La Commission
européenne a notamment mis en
avant l’utilité du Smart Readiness
Indicator (SRI), récemment introduit
par la directive 2018/844 permettant de
mesurer l’intelligence des bâtiments
tout en sensibilisant les utilisateurs
finaux, d’inclure les énergies
renouvelables dans les immeubles
et d’être capables de mesurer la
consommation d’énergie réelle pour
sensibiliser les utilisateurs finaux.
DOSSIER
La gestion des espaces de travail
La pandémie de Covid-19 a redéfini les L’IA s’intègre dans la transformation
usages de l’immobilier d’entreprise qui des lieux de travail sous différentes
connaissait déjà une mutation. formes et notamment dans les
solutions de visioconférence favorisant
Le smart building et ses services la collaboration en réduisant les
pour les entreprises s’inscrit dans la bruits parasites, détectant la prise de
stratégie de Responsabilité sociétale parole, les mauvaises connexions ou
des entreprises (RSE) et de leur Plan de interférences variées. Ex : Avec le smart
Mobilité, obligatoire depuis le 1er janvier building, une équipe de nettoyage
2018 pour les entreprises de plus de 100 sait où et quand nettoyer. En hôpital,
salariés et depuis 2019 pour celles de le personnel peut identifier les blocs
plus de 50 salariés. à nettoyer, les mesures spécifiques à
suivre. Un employé en flex office peut
Du bureau au flex office, les besoins réserver une place de flex parking dans
ont changé depuis mars 2020 et les l’immeuble avant même de quitter son
technologies smart building permettent domicile.
de créer des espaces de travail plus
agiles et plus intuitifs. Les
besoins d’accompagnement
de la transformation des
environnements de travail
expliquent la croissance de ce
En 2020,
segment.
les startups du sec-
Le flex office et les espaces
collaboratifs ont pris de teur ont levé plus de
l’ampleur et les entreprises
s’intéressent de plus en plus aux 11 millions d’euros,
selon Wavestone.
services digitaux (réservation
de bureaux, de places de
Cela représente une
parking, de salles de réunion,
conciergeries digitales, offres de
restauration, gestion intelligente
des services de nettoyage)
permettant également d’assurer
croissance
une traçabilité des usagers et
un respect des règles sanitaires. de 50 % sur les
Ces outils aident également
à simplifier la mobilité des 3 dernières années.
collaborateurs, favoriser
l’échange, le bien-être mais
aussi l’émulation collective et
ainsi renforcer l’attractivité des
bureaux et faciliter l’exploitation Qu’est-ce que le flex office ?
du bâtiment.
Le flex office répond à l’augmentation du
télétravail au sein des entreprises et leur permet
L’IA permet d’intégrer des outils
de faire des économies. Les salariés ont accès
d’optimisation des flux et de sécurité
à un espace de travail plus petit mais adapté au
prisés par les entreprises. La
nombre de personnes présentes. Les bureaux
transformation passe notamment par
sont aménagés pour améliorer la productivité,
l’assistance vocale comme assistant
fluidifier les échanges et offrent des espaces
de bureau, capable de contrôler la
selon les missions et humeurs : box fermé,
fréquentation des salles, mais aussi
espace collaboratif, etc. Le flex office est souvent
par les objets connectés contrôlés
associé à des solutions de flex parking comme
par smartphones ou assistance
Zenpark, Copark for work ou Parkki.
vocale pour gérer la température ou
l’éclairage et ainsi éviter les contacts.
LEMAGAZINE
LE MAGAZINEDE
DEL’INTELLIGENCE
L’INTELLIGENCEARTIFICIELLE
ARTIFICIELLE 31
 DOSSIER
La matrice « Construire le
bâtiment de demain » de Bpi
France
« Construire le bâtiment de demain
» a été lancée dans le cadre du projet
interne « Demain » portant sur les
grandes tendances de l’innovation. Elle
s’intéresse aux nouvelles manières de
vivre qui vont transformer le bâtiment
: co-living, co-working, nouvelles
mobilités, contraintes d’urbanisation.
Selon Bpi France, le secteur du bâtiment
doit se réinventer pour faire face aux
enjeux de développement durable, de
croissance de la population ou encore
de densification urbaine. Nous allons
vers des bâtiments modulables et
réversibles, avec des infrastructures
interopérables, interconnectées et
évolutives, alimentés par la smart home
et intégrés dans la smart city, pensés en
collaboration avec l’usager.
BIM, BOS et jumeau numérique
Dès la conception, une approche globale
du bâtiment doit être envisagée : c’est
l’objectif des modèles numériques dont
le Building Information Modeling (BIM).
Cette maquette numérique intelligente
permet une convergence des différentes
modélisations requises sur le chantier
et favorise une approche collaborative.
Les projets sous BIM s’imposent
progressivement accompagnés des
outils du Building Operating System
(BOS) ainsi que du jumeau numérique,
maquette digitale et interactive,
pouvant s’appuyer sur le BIM et le BOS,
permettant de simuler en temps réel le
fonctionnement ainsi que les incidents
structurels d’une construction. Grâce
à la synchronisation permanente des
données physiques et numériques
fournies par les objets connectés et
analysées par l’IA, le digital twin permet
d’agir de manière préventive.
32
Témoignage :
le cas de la
communauté
d'agglomération
de Blois
Jean-Michel Bernabotto
Directeur de cabinet - Agglopolys,
Communauté d’agglomération de Blois
La Communauté d’agglomération
de Blois compte 43 communes
pour une population de 110 000
habitants. Cet
Établissement
public de
coopération
La volonté
intercommunale politique ne
(EPCI) n’est pas
régi de la même suffit pas
manière qu’une
commune ou un département.
Certaines compétences, telles
que l’aménagement du territoire,
le développement économique,
le tourisme, le cycle de l’eau, les
mobilités, l’habitat et des compétences
optionnelles, lui ont été transférées et
il ne peut donc outrepasser ce cadre
légal. À ce titre, l’Agglomération de Blois
a pris en charge la compétence sociale,
la gestion des piscines et des écoles
d’art ainsi que la voirie. La Communauté
d’agglomération est présente dans
la vie quotidienne des gens, parfois
discrètement, parfois plus visiblement.
Évidemment, les données sont au
cœur de tous les métiers exercés dans
notre collectivité. Nous avons ouvert
récemment notre portail Open Data,
afin de mettre à disposition de tous
nos jeux de données. Nous sommes
maintenant à la croisée des chemins.
Certes, la problématique d’une smart
collectivité se pose depuis quelque
temps. Pour autant, la volonté politique
ne suffit pas. Il faut des femmes et des
hommes capables de porter ces projets,
qui peuvent indéniablement améliorer
la qualité du service public.
Par exemple, nous construisons notre
Plan Climat Air Energie Territoire
(PCAET) où sont recensées toutes
les actions qui vont nous aider à
respecter les normes des accords
européens en matière de lutte contre
le réchauffement climatique. Nous
construisons également notre Plan
local d’urbanisme intercommunal
habitat déplacement (PLUi HD). Ainsi,
nous menons différentes
actions pour diminuer
l’artificialisation des
zones agricoles – tout en
augmentant le nombre
d’habitations sur tout
le territoire – pour
améliorer l’habitat par
rapport aux dépenses
énergétiques, par la
mesure de la qualité de l’air, ou encore
par l’accompagnement des habitants
vers des modes de déplacements
alternatifs…
Construire une smart collectivité, c’est
tout d’abord faire preuve de beaucoup
d’humilité. Nous ne sommes pas des
« bêta-testeurs ». Il ne s’agit pas de
dépenser l’argent public inutilement,
mais bel et bien de trouver des
solutions, utilisant nos technologies
de la donnée, qui peuvent permettre
d’améliorer ici le transport quotidien
de centaines de personnes, là de
redensifier la ville sur elle-même, ici
de lutter contre le réchauffement
climatique, là d’optimiser une ressource
se raréfiant : l’eau.
Comme l’exprime Evgeny Morozov,
nous restons cependant vigilants face
à un optimisme béat qui prête aux
technologies numériques un caractère
uniquement positif, alors même que
celles-ci induisent des biais et des
déterminismes connus. Néanmoins,
nous ne nous empêchons pas. Aurélie
Jean le décrit dans son livre « De l’autre
côté de la machine », les biais sont
inhérents à l’être humain, faisons tout
simplement en sorte de ne pas l’ignorer
dans nos algorithmes !
 DOSSIER

L’avenir du secteur
En France et dans le
Les business models existants doivent se transformer pour
intégrer le contexte du marché actuel. Le développement
durable et le défi du numérique passent par des bâtiments
monde, la filière du plus écologiques, plus numérisés, plus résilients et plus
flexibles. Pour favoriser cette évolution des pratiques, des

bâtiment est en pleine besoins et du secteur, le développement de la culture digitale

et la formation sont indispensables pour que tous les acteurs,

mutation et s’engage privés et publics, à tous les échelons du territoire, puissent

y participer et anticiper les questions d’interopérabilité,

vers la digitalisation. de cybersécurité, de standardisation, de certification et de

respect des règlementations et normes.

La valorisation des De nouveaux segments naissent notamment en ce qui

concerne la sélection, le filtrage et la combinaison des
bâtiments passe de données remontées par les solutions et qui commencent à se
démocratiser. La recherche de la valeur et des bons services
plus en plus par la à proposer se trouvent autour de ces données (intégration,
data management ou encore BIM), ce qui fait forcément

qualité digitale et les naître des opportunités, comme on peut le constater avec
les compteurs intelligents. Structuration des offres, lisibilité,

capacités d’adaptabilité amélioration et interopérabilité des solutions vont être

décisives pour que le marché du smart building connaisse un

et d’évolutivité, et non
véritable essor. Cela nécessitera également une main d’œuvre
qualifiée et l’émergence de bonnes pratiques et compétences.

plus exclusivement par la

localisation du bien.
105,8
Marché des smart buildings
mds€

en 2024 selon MarketsandMarkets

2500 mds€

Marché des smart cities en 2025 selon PwC

crédits : Frank Boston LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 33

 PUBLICATIONS SCIENTIFIQUES
Sélection du comité
scientifique
Anonymisation avec des
intelligences artificielles qui
apprennent sur des données
cryptées
Souheil Hanoune
Chief Scientific Officer, XXII
« La donnée est l'or noir de
l'intelligence artificielle (IA) »
une notion encore et toujours
rappelée dans la percée actuelle
de l'IA dans tous les secteurs.
Néanmoins, la question de
la protection des données
personnelles est centrale dans le
développement d'IA.
Une solution envisagée depuis plusieurs
années est le chiffrement homomorphe.
Cette technique consiste à développer
des systèmes de chiffrement qui
cryptent l’information initiale, mais qui
permettent de réaliser des opérations
mathématiques sur les informations
importantes dans la donnée. Par
exemple, si on veut apprendre à
reconnaître des objets par un réseau de
neurones profond, l’image initiale n’est
pas importante à partir du moment où
le système d’apprentissage peut accéder
aux signatures visuelles (formes,
couleurs, textures...) qu’il apprend
à reconnaître, et s’il est possible
de réaliser les bonnes opérations
mathématiques sur un signal crypté, la
donnée initiale est protégée.
Cependant, la théorie du chiffrement
homomorphe reste complexe et ne
permettait pas de réaliser toutes les
opérations mathématiques nécessaires
à l’apprentissage d’une IA, notamment
car le chiffrage homomorphe a comme
effet d’accumuler des erreurs dans le
34
signal chiffré au fur et à mesure que l’on
réalise certaines opérations (comme des
multiplications). Le problème est que
l’apprentissage d’une IA demande des
milliards de multiplications, au bas mot.
Néanmoins, une équipe du laboratoire
de recherche de Google a proposé une
preuve de concept pour un transpileur
homomorphe. L’idée est qu’au lieu de
faire les opérations directement sur le
signal encodé, le système traduit
du code informatique de haut
niveau d’un langage classique
(comme le C++) vers un autre code
informatique ayant la capacité de
traiter le signal encodé.
Même si cela reste une preuve
de concept sur du transcodage
du code de programmation
informatique, le même principe
peut s’appliquer pour les
frameworks d’apprentissage
en intelligence artificielle, une
avancée importante dans l’IA et
dans la manipulation des données
sensibles.
Quel impact cela peut-il
avoir ?
Cette preuve de concept permet
de démontrer que des solutions
techniques pour rendre le chiffrement
homomorphe exploitable sont viables à
court et moyen terme.
L’approche via un transpileur permet
d’élargir les solutions possibles
pour des applications plus larges
que l’intelligence artificielle ;
en permettant à n’importe quel
programme informatique de pouvoir
traiter des informations chiffrées, ce
qui augmenterait instantanément
la sécurité de tous les programmes
se basant sur cette technique si une
solution open source gratuite est mise à
disposition de la communauté.
Domaine ou applications
possibles
Que ce soit pour protéger les données
sensibles ou personnelles, ou pour
améliorer la sécurité des algorithmes
d’IA mis en production et les rendres
moins sensibles aux attaques de
pirates, les avancées dans la théorie
du chiffrement homomorphe et des
outils permettant au grand public d’en
tirer profit apporteraient des solutions
viables à plusieurs problématiques
actuelles liées à l’exploitation des
données pour le développement d’IA.
Référence
Gorantala, S., Springer, R., Purser-Haskell, S., Lam, W.,
Wilson, R., Ali, A., Astor, E.P., Zukerman, I., Ruth, S.,
Dibak, C. and Schoppmann, P., 2021. A General Purpose
Transpiler for Fully Homomorphic Encryption.
arXiv preprint arXiv:2106.07893.,
https://arxiv.org/abs/2106.07893
Adaptation
de domaine et
généralisation des
apprentissages
sur de nouvelles
données
Laurent Cervoni
Docteur en informatique,
Directeur recherche Talan
L’être humain a une capacité
de généralisation et
d’adaptation qui lui permet

de reconnaître des données
même si elles sont « bruitées »
ou différentes de celles sur
lesquelles il a appris. On attend
de l’intelligence artificielle un
comportement similaire et
une sorte d’universalité dans
la résolution de la tâche pour
laquelle un programme d’IA a
été conçu. Cependant, cette
faculté n’est pas triviale.
Les algorithmes d’apprentissage
machine (machine learning) ont
démontré une certaine capacité de
généralisation dans le traitement
de grands corpus de données où ils
parviennent à extraire et corréler
des informations et, par conséquent,
à appliquer ces corrélations sur de
nouvelles données. Il faut néanmoins
garder à l’esprit qu’un grand nombre de
modèles d’apprentissage (notamment
les méthodes arborescentes) excellent
surtout dans les tâches d’interpolation,
c’est-à-dire au fond dans la capacité à
apporter des réponses à des questions
très proches de celles qui figurent dans
le jeu de données d’entraînement.
L’apprentissage profond (deep learning)
permet d’aller beaucoup plus loin.
L’empilement des couches neuronales
a précisément pour ambition de
dégager des concepts de plus en plus
abstraits, l’abstraction grandissant
au premier ordre avec la profondeur
de la topologie d’un réseau. Cette
capacité à « conceptualiser » permet
justement d’envisager plus sereinement
le problème de l’extrapolation,
c’est-à-dire la capacité à conserver la
pertinence d’un algorithme sur des
données relativement éloignées du
jeu d’apprentissage. Cette capacité à
extrapoler a notamment permis de
réaliser des progrès fulgurants dans le
traitement des données non structurées
(images notamment) dont la complexité
est telle que deux images, même
proches pour l’œil humain, sont en
réalité très éloignées pour un ordinateur
(on parle alors de fléau de la dimension).
L’apprentissage profond n’a pas
pour autant atteint cette fameuse
« universalité » que le terme
« intelligence artificielle » pourrait
laisser entendre. Le problème
fondamental réside essentiellement
dans la non représentativité des jeux de
données d’apprentissage. Si les données
PUBLICATIONS SCIENTIFIQUES
sur lesquelles un algorithme doit se
prononcer sont sémantiquement et
contextuellement différentes de celles
du jeu d’apprentissage (images de jour
vs image de nuit par exemple), un réseau
de neurones peut être pris en défaut.
L’adaptation de domaine décrit
précisément le champ académique
qui entend modéliser et intégrer
les différences sémantiques
(distributionnelles au sens de la théorie
des probabilités) entre le jeu de données
d’entraînement (pour lequel on dispose
de la réponse à la tâche que doit
résoudre l’algorithme) et des données
d’application (pour lequel cette réponse
est inconnue).
L’adaptation de domaine est une
problématique relativement ancienne
mais dont l’intérêt est renouvelé
aujourd’hui par les problèmes
rencontrés lors de l’application de
modèles d’apprentissage en production
dans de nombreux champs industriels.
Des biais constitués lors de la
constitution des jeux d’apprentissage,
résulte une faible capacité à généraliser
les apprentissages sur les données
applicatives.
Ce champ d’étude concerne ainsi une
partie notable de problématiques
concrètes de machine learning. Il est
fréquent d’être piégé en appliquant
un modèle de classification sur un
nouveau jeu avec un équilibre des
classes profondément perturbé. Les
compétitions Kaggle elles-mêmes
départagent les compétiteurs en
perturbant les jeux d’apprentissage et
d’évaluation.
La publication proposée a été présentée
à la conférence ECML-PKDD (Victor
Bouvier, Philippe Very et al.). Elle revisite
les fondements mêmes de la théorie
de l’adaptation de Domaine (initiée
par Shai Ben David) pour dégager de
nouveaux liens entre approches jusqu’ici
concurrentes et proposer de nouvelles
évolutions algorithmiques.
Quel impact cela peut avoir ?
Le papier, primé à cette conférence,
s’attache à démontrer que la capacité
à généraliser sur des données
sémantiquement différentes est liée
à un compromis entre les qualités
d’invariance d’un algorithme (sa
robustesse au changement sémantique)
et sa capacité d’adaptation (qui lui
permet d’être performant sur deux
domaines différents simultanément).
Cette tension n’est pas sans rappeler
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
le compromis biais-variance ou les
problèmes de sur- et sous-apprentissage
qui jalonnent la théorie du machine
learning classique.
L’article va plus loin en proposant
de réconcilier les approches qui
excellent dans l’adaptabilité (les
méthodes de pondération) et celles
qui se concentrent sur les bonnes
propriétés d’invariance ouvrant ainsi
la voie à de futurs perfectionnements
algorithmiques.
Il démontre également que la résolution
du compromis est fondamentalement
liée au « biais inductif », c’est-à-dire aux
connaissances à priori qui permettent
de contraindre et piloter les algorithmes
d’apprentissage (telles que les
différentes formes de régularisation, les
aprioris bayésiens …)
Ces concepts ouvrent enfin la voie à
des parallèles intéressants avec les
sciences cognitives. L’intelligence
humaine déterminée notamment par la
capacité d’adaptation est peut-être liée
aux acquis cognitifs (biais inductifs) qui
traversent les générations.
Domaine ou applications possibles
L’adaptation de domaine est par
construction liée aux problématiques
concrètes rencontrées par les data
scientists : adapter un outil de
traitement d’image à des photos prises
dans différents contextes, adapter
un outil de traitement linguistique
à différents domaines métiers ou
tout simplement rendre robuste un
algorithme aux biais potentiellement
rencontrés pendant la récolte du jeu de
données d’entraînement.
Ce papier et d’autres publiés récemment
vont contribuer à la dynamisation de ce
champ de recherche et son impact sur
les bonnes pratiques en apprentissage
statistique. Il propose finalement une
modélisation mathématique de ce
que sait faire, naturellement, un être
humain.
Référence
Bouvier, V., Very, P. et al., C. 2020. Robust Domain
Adaptation: Representations, Weights and Inductive
Bias. arXiv preprint arXiv:2006.13629 .
https://arxiv.org/abs/2006.13629
35
 LABORATOIRE

Dans une arrière-cour arborée

de la Butte-aux-Cailles (Paris,
13e) bourdonne depuis mai 2018
NukkAI, une ruche qui ne fait

Lumière sur
rien comme tout le monde dans
le domaine de l’intelligence

NukkAI, un
artificielle. Nous allons à la
rencontre des deux fondateurs
pour en apprendre un peu plus

laboratoire sur ce laboratoire privé d’IA qui

fait de plus en plus parler de lui

atypique centré sur la scène internationale.

sur le bridge
Véronique Ventos (President/Head of
Research) dénonce depuis plusieurs
années « la guéguerre entre les
différentes communautés de l’IA » et
milite activement pour la collaboration
entre approches numériques et
symboliques au sein d’une IA hybride
dite « de confiance », collaborant avec
l’humain sans chercher à le remplacer
totalement. Jean-Baptiste Fantun
(CEO) est quant à lui un polytechnicien
agrégé de mathématiques passé
successivement par l’audit financier,
l’enseignement, les cabinets ministériels
et le conseil aux startups.
Leur constat est commun : les
algorithmes d’IA « boîte noire » de
nombreuses approches à la mode
n’offrent aucun aperçu de la façon dont
les décisions ont été prises et rendent
les utilisateurs finaux, entreprises
et régulateurs, de plus en plus mal à
l’aise. À l’inverse, créer une IA digne de
confiance et collaborative apporterait
de la transparence dans les algorithmes,
faciliterait la conformité, améliorerait
les performances des modèles et
pourrait réduire les biais éthiques.
Le passage d’une recherche de pointe
en IA à des produits évolutifs, tel est
l’un des défis auquel se confronte
aujourd’hui NukkAI. L’approche originale
consiste ici à utiliser les challenges
liés au jeu de bridge pour développer
des outils génériques à base d’IA,
puis à valider l’impact de ces outils
dans différentes verticales business,
en s’appuyant sur des coopérations
avec de grands acteurs du domaine
concerné. Le secteur de l’industrie a
été le premier à être attiré par cette
approche pragmatique : dès janvier
2020, Thales a proposé à NukkAI un cas
d’usage de collaboration multi-senseurs
décentralisée. Ce premier contrat
s’est achevé sur un franc succès, deux
articles ont été publiés et un projet
d’envergure est en cours de négociation
avec le ministère des Armées.
« Même si nos outils sont encore en
cours de maturation, notre approche
n’est pas d’être une boîte de conseil en
IA, mais bien de créer des programmes
informatiques, nous intéressons des
acteurs importants dans les domaines
de l’industrie, de la défense, de la santé,
ou encore de la finance. Nous nous
familiarisons avec les problématiques
de chaque domaine, étudions les
opportunités de produit en aval, et tout
cela en étant financés ! » explique J.-B.
Fantun.
Le financement est évidemment un
enjeu de taille pour NukkAI qui recrute
des profils particulièrement recherchés
et dont l’équipe compte déjà 20 salariés
à plein temps. « Geeks » autodidactes
addicts au jeu, étudiants issus de
grandes écoles et de l’université,
champions de bridge collaborent
harmonieusement au sein des
nombreux projets menés par NukkAI.
S’y ajoutent deux thésards, bientôt trois,
respectivement co-encadrés par Bruno

36
 LABORATOIRE
Zanuttini (Caen), Céline Rouveirol (Paris
13) et Jérôme Sackur (ENS Paris). Côté
recherche, cette dream team est pilotée
par de grands noms de l’IA comme
Tristan Cazenave, Bruno Bouzy, Henry
Soldano ou encore Marie-Christine
Rousset qui préside le board scientifique
de NukkAI. En aval, pour construire
les roadmaps produits, NukkAI a fait
appel à deux profils de haut niveau :
Arnaud Sahuguet, PhD ex-Google,
ancien boss de l’incubateur CornellTech,
et Christian Miccio, ex-Google ayant
une vaste expérience produits dans
différents secteurs tech. Cette équipe
est renforcée par un flux de stagiaires
qui affluent pour passer six mois
dans un environnement aussi fertile :
citons Loïc, jeune polytechnicien qui
s’est découvert une passion pour l’IA
appliquée à la finance, ou Mathilde,
double cursus Centrale-ESCP, qui
s’implique dans les roadmaps et les
fées se penchent depuis le début de devant cette maison en bois cachée au
études de marché.
l’aventure sur le berceau de NukkAI : fond d’un jardin qui accueille réunions
l’inauguration des nouveaux locaux sérieuses ou barbecues d’équipe.
« Au-delà des revenus générés par
de la Butte-aux-Cailles en novembre Point de baby-foot mais un aquarium
des contrats exploratoires avec des
2018 a été présidée par Cédric Villani d’eau de mer et une atmosphère à
partenaires, nous
avons eu la chance la fois studieuse et
d’attirer des business chaleureuse. NukkAI a
même monté un projet
Plusieurs marchés
angels très impliqués
dans le développement prometteur avec un
de NukkAI et qui nous célèbre criminologue,
apportent un soutien
sans faille ; nous avons
s’ouvrent simultanément, Xavier Raufer, dont les
bureaux sont situés
bien entendu discuté
au début avec des fonds
c’est le moment de recruter à vingt mètres de là.
À partir de données

des collaborateurs qui vont

d’investissement, mais collectées par ce dernier,
notre projet était trop NukkAI a pu montrer

nous aider à développer

atypique pour eux… tant comment mettre l’IA au
mieux car nous n’avions service de la sécurité
des personnes, loin
les différentes verticales
pas besoin d’eux à ce
stade. Bizarrement, ils des lubies de police
prédictive du type

et nous avons de quoi les

nous recontactent tous
en ce moment pour PredPol et avec des
financer le déploiement garanties d’efficacité,
de produits dans les
différentes verticales... »,
motiver. de transparence et de
souveraineté qu’exige ce
sourit malicieusement domaine si sensible1.
en présence d’acteurs publics de l’IA
J.-B. Fantun.
comme Bernard Braunschweig, Julien Quel avenir pour NukkAI ? À court terme
Chiaroni ou Olivier Clatz. un tour de 1M€ quasiment bouclé qui,
Cette stratégie a été rendue possible
grâce au soutien massif de l’État conjugué à des contrats d’ampleur dans
Aujourd’hui, « nous avons l’immense différents domaines, va encore accélérer le
français comme l’indiquent les deux
chance d’être soutenus activement par développement de la ruche. Les outils conçus
fondateurs : « la BPI est depuis le
des personnes expérimentées de grande ici ouvrent des opportunités phénoménales.
début un interlocuteur à l’écoute,
valeur comme Didier Evrard, ancien « Plusieurs marchés s’ouvrent
réactif et efficace : nous avons été
directeur des projets d’Airbus, qui simultanément, c’est le moment de recruter
l’un des premiers lauréats de l’Aide
savent nous orienter dans les arcanes des collaborateurs qui vont nous aider à
au développement DeepTech (1M€).
des grands projets industriels », dit avec développer les différentes verticales et nous
Par ailleurs, le CNRS a mis à notre
reconnaissance J.-B. Fantun. avons de quoi les motiver », se réjouissent
disposition le supercalculateur Jean
Zay, ce qui a été décisif dans notre les deux fondateurs.
Chez NukkAI, même les locaux sont
poursuite du challenge scientifique lié
atypiques et inspirants : on s’extasie Présentations de ces travaux en septembre 2021 au CNAM
au bridge ». Il faut dire que de bonnes 1

LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 37

 LABORATOIRE
Entretien avec
Véronique Ventos
Présidente & Head of Research de NukkAI
Comment êtes-vous passée
d’une carrière académique IA
à la création de NukkAI ?
Ma passion pour l’IA est née lors d’un
cours de logique donné par Daniel
Kayser, un des grands pionniers de
l’IA. Au-delà du cadre théorique dont
j’appréciais la rigueur, Daniel nous
transmettait sa vision éclairée de
chercheur : une machine « intelligente »
doit être capable de manipuler des
concepts sémantiques pour, d’une part,
pouvoir raisonner à profondeur variable
comme le font les humains et d’autre
part pour dialoguer avec l’humain.
La logique est une sorte d’esperanto
machine-humain qui permet d’établir
ce dialogue pour à la fois bénéficier
de l’apport d’experts et en retour leur
fournir des explications. Ma thèse
encadrée par Daniel au Laboratoire
Informatique de Paris-Nord (LIPN)
et tous les travaux que j’ai réalisés
par la suite au sein du Laboratoire
de Recherche Informatique (LRI) de
l’université Paris-Saclay ont été guidés
par cette vision omniprésente dans les
méthodologies, programmes et outils
développés chez NukkAI.
38
Ma carrière
académique au LRI
les stratégies utilisées. Le bridge nous
semble être le domaine rêvé pour faire
a pris un tournant un pas vers une IA générale.
en 2016 quand
j’ai commencé
à collaborer avec
Pouvez-vous nous parler de
Olivier Teytaud vos objectifs de recherche
dans le domaine et des deux challenges que
IA des jeux. Mes
passions bridge et
NukkAI a lancés ?
recherche venaient Nos objectifs sont doubles : continuer
de converger. à construire de nouvelles méthodes en
Michèle Sebag, adressant de nouveaux défis sur d’autres
Marc Schoenauer et aspects du jeu de bridge, et moissonner
Yannis Manoussakis, le fruit de nos efforts en appliquant nos
alors directeur premières méthodes innovantes sur des
du LRI, ont mis problèmes similaires à ceux du bridge
tous les moyens dans des domaines applicatifs.
à ma disposition
pour que je puisse Quant aux deux challenges, le premier
développer sur le est relatif à la conception d’un
papier cette idée explainer symbolique fournissant
de développement automatiquement des analyses haut
de méthodes d’IA niveau à partir de parties de bridge
hybride en se jouées. Le second challenge est plus
servant du jeu de confidentiel : il vise à battre des
bridge. La mise en champions de bridge sur une phase de
œuvre concrète de jeu du bridge que je ne peux dévoiler.
ce projet fou a été J’insiste juste sur le fait qu’un des
rendue possible critères pour le choix et l’organisation
grâce à Jean- du challenge est le côté fair vis-à-vis des
Baptiste. NukkAI est humains.
le fruit de ces idées orientées recherche
et de la vision avant-gardiste de Jean-
Baptiste sur la partie business.
Nous ne voulons pas battre les humains
en choisissant des problèmes où la
différence se fera uniquement sur de la
Pourquoi avoir choisi force brute ou en donnant accès à notre
robot à plus d’informations que n’en ont
le bridge comme projet les joueurs humains. Malheureusement,
commun au sein de NukkAI ? ces précautions n’ont pas toujours
été prises dans le cadre de challenges
En dehors du fait d’être tous les deux des de jeux organisés par les GAFA, ce qui
passionnés de ce jeu (Jean-Baptiste a été relativise certaines annonces de succès
10e joueur français), il nous paraissait liées à des IA de jeux développées dans
judicieux de choisir un sport de l’esprit leurs laboratoires.
dont les aspects sont proches de ceux
des problèmes de la vie réelle.
Le bridge est un jeu à information
incomplète (chaque joueur n’a qu’une
vision partielle de l’état du jeu), à la
fois collaboratif et non-collaboratif, et
Le bridge nous
ses règles imposent un certain degré
d’explicabilité. Ces caractéristiques
semble être le
font que les techniques utilisées par les
différentes versions d’AlphaGo de Deep
domaine rêvé
Mind, par exemple, ne fonctionnent pas. pour faire un
AlphaGo dépasse les meilleurs joueurs pas vers une IA
de go, ce qui est un véritable exploit
mais ne peut absolument pas expliquer générale.
sa stratégie. Notre objectif sur le bridge
consiste à battre les humains mais
aussi à les aider en leur fournissant
 DÉCRYPTAGE

Comprendre
et utiliser les
chaînes de
Le lecteur pourrait s’interroger :
pourquoi évoquer les chaînes ou

Markov
processus de Markov dans une
revue consacrée à l’intelligence
artificielle qui se devrait de
décrire des algorithmes bien
(sans connaissances plus sophistiqués et récents ?
mathématiques – ou L'intérêt toujours croissant pour
les données non structurées
presque) a concentré l’intérêt des
chercheurs vers l’apprentissage
Laurent Cervoni, docteur en sciences appliquées, profond depuis plus d’une
directeur recherche Talan décennie.

Les processus markoviens représentent
toutefois une classe de modèles
particulièrement puissants et
interprétables pour modéliser les
phénomènes séquentiels de faible
dimension. Leur « lisibilité » devrait leur
conférer une « nouvelle modernité » à
l’heure où la capacité à communiquer
et à interpréter le comportement des
intelligences artificielles en production
devient une nécessité. Les chaînes de
Markov demeurent enfin des modèles
de référence dans bon nombre de
cadres applicatifs tels que la météo,
la musique (si ! si !), la maintenance,
l’auto-complétion de texte, etc.
Premiers pas
Observons une abeille à intervalles
réguliers (toutes les minutes par
exemple) :
t0 : elle est devant sa ruche (R)
t1 (t0+1min) : elle commence par butiner
un pommier (P)
t2 : elle butine une autre fleur de
pommier (P)
t3 : elle est à présent sur des
framboisiers (F) – nous supposerons que
les pommiers et les framboisiers sont en
fleur au même moment.
t4 : on la retrouve toujours sur un massif
de framboisiers (F)
t5 : où elle reste un certain temps pour
que nous la retrouvions plusieurs fois
durant notre temps d’observation (F)
t6 : puis on la retrouve l’intervalle
suivant sur un abricotier (A)
t7 : où elle reste – mais moins longtemps
que sur les framboisiers (A)
t8 : elle est de nouveau sur un
framboisier (F)
t9 : elle est devant sa ruche (R).
Le retour au point de départ est lié au
choix de notre modèle, mais ce n’est
évidemment pas nécessaire dans le cas
général de l’observation d’un processus.
On aurait donc la séquence suivante à
chaque minute observée :
R-P-P-F-F-F-A-A-F-R
Si plusieurs observations nous donnent
cette séquence, nous pouvons en
déduire qu’il s’agit d’un processus qu’il
est intéressant de modéliser. Il est ainsi
possible de le représenter sous forme de
graphe :
Le schéma nous permet d’établir le
trajet précis d’une abeille. Ainsi, par
exemple, une abeille ne semble jamais
aller du pommier à l’abricotier. À partir
de ce schéma, une table des probabilités
de transition d’un état à un autre peut
être établie.
P(R-P) = 1 (probabilité d’aller de la ruche
aux pommiers)
P(R-R) = 0 (probabilité d’aller de la ruche
à la ruche)
P(P-R) = 0 (probabilité d’aller des
pommiers à la ruche)
P(P-P) = ⅔ (probabilité d’aller des
pommiers aux pommiers car il y a 3
états sortants)
P(P-F) = ⅓ (pommiers vers framboisiers)
P(F-F) = 3/5 (framboisiers vers
framboisiers car elle pourrait aller vers
la ruche, vers les abricotiers ou vers les
framboisiers)
P(F-A) = 1/5
P(F-R) = 1/5
P(A-F) = ⅓
P(A-A) = ⅔
P(A-R) = 0
P(R-A) = 0
P(R-F) = 0

LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 39

 DÉCRYPTAGE
Le déplacement d’une abeille peut
donc être représenté par une matrice
de transition qui correspond à ce
Une chaîne de Markov est donc une suite
processus :
de variables aléatoires où la prédiction
des valeurs à l’étape n+1 ne dépend
que de l’étape n (les étapes antérieures
n’apportent pas d’informations
supplémentaires).
Un peu plus loin
Au-delà du cas simple évoqué
précédemment, d’autres applications
concrètes des processus de
Markov démontrent qu’ils restent
particulièrement efficaces pour
construire des modèles prédictifs.

En fait, le passé comme le futur sont Ainsi, une pièce musicale est constituée
indépendants. d’une suite de notes de musique dont
l’enchaînement peut s’avérer suivre un
processus de Markov. Hiller, Isaacson
et Pierre Barbaud ont proposé des
exemples de « musique algorithmique ».
On trouvera un exemple des chaînes de
Markov en musique pour imaginer la
Chaque élément de la matrice
La matrice de transition se suite d’un morceau et qui aborde cette
correspond à la probabilité de passer
présente sour la forme : problématique d’un ordre supérieur
d’un état à un autre.
sur les sites de musiquealgorithmique.
fr1, philippemanoury.com2 et
Il est intéressant de constater que
algorithmiccomposer.com3.
dans ce type de modélisation, le futur
est « déterminable » à partir de l’état
Dans un domaine plus « industriel », les
présent sans avoir besoin de connaître
processus de Markov permettent, par
tous les états antérieurs. Chaque état
exemple, de modéliser des files d’attente
est, en quelque sorte, un état initial d’où
ou d’effectuer des modèles prédictifs en
se déduit la situation à venir.
maintenance de matériel :
C’est un des préceptes de ce type de
Une caisse accepte les clients à
modélisation où l’information présente
intervalles réguliers, le nombre de
suffit pour prédire le futur. Il est
clients qui arrivent à un instant t est une
cependant possible voire nécessaire
variable aléatoire Nt.
de définir des modèles plus complexes
(on parle alors de chaîne d’ordre n
Xn est le nombre de clients dans la file
où les termes dépendent de n états
d’attente à la n-ième unité de temps ;
précédents).
Xn + 1 = Xn - 1 + Nn + 1 (le client
précédent est parti et N clients sont
Ainsi, prédire un mot dans une phrase
arrivés pendant cette unité de temps).
(avec une cohérence sémantique)
nécessite de disposer de beaucoup
(ie tous les termes sont positifs et la somme Le calcul du PageRank (valeur de
d’informations de contexte et donc de
de chaque ligne vaut 1) « crédibilité » ou de popularité d’une
plusieurs états antérieurs. Par exemple,
Une telle matrice est dite stochastique. page web) était initialement basé sur
« le garçon m’a apporté » peut être
un processus de Markov en partant du
suivi de « un jouet » ou « l’addition ».
constat que les liens entre les pages
Ces deux groupes nominaux sont Une matrice d’une chaîne de Markov est
(hyperliens) permettent d’établir un
équiprobables si nous n’avons que forcément stochastique et toute matrice graphe orienté. Ainsi le score d’une page
ce début de phrase dans la situation stochastique est une matrice d’une chaîne dépend des liens entrants et des scores
à analyser. Si nous disposons d’une de Markov. des pages pointant sur elle.
information précédente : « je suis allé
au restaurant hier » ou « nous étions à
En fait, les champs d’applications des
la plage avec mon neveu », la probabilité
processus de Markov sont multiples.
du jouet diminue substantiellement
Les prévisions météo constituent un
pour le cas 1 et celle de l’addition pour le
autre champ d’investigation où ces
cas 2.
champs peuvent être pertinents. Dans
L’état du « système » à l’instant T+1 cet article4, l’auteur propose ainsi un
En revanche, toujours en traitement
se détermine par l’état du système à exemple simple d’une prévision météo
du langage, les modèles markoviens
l’instant T multiplié par la matrice de à Londres. Dans un autre5, sur le même
sont fiables si l’objectif est de proposer
la chaîne de Markov. On obtient ainsi, thème, les chaînes de Markov sont
un mot syntaxiquement correct. Le
d’étape en étape, la probabilité de utilisées comme outil de prévisions des
principe décrit ci-dessus paraît assez
trouver notre abeille sur telle ou telle précipitations quotidiennes dans la ville
efficace : après un déterminant, il peut
plante à 5 min, 10 min, etc. de Bydgoszcz en Pologne.
y avoir un adjectif ou un nom, après
un pronom (je, tu, il...), la probabilité
de trouver un verbe conjugué est assez
forte, etc.

40

Et si les différents états ne
peuvent être observés
La situation décrite précédemment, où
différents états peuvent être observés,
n’est pas toujours possible. Dans de
nombreux cas réels, on ne dispose
pas de l’information directe à chaque
instant mais d’un signal ou d’une
donnée observable, qui ne donnent pas
la totalité de l’information sur l’étape
atteinte.
Par exemple, dans un processus
industriel, on pourrait disposer
de mesures venant de capteurs
(température, humidité, pression)
découlant de l’état atteint par le système
mais sans connaître exactement l’étape
correspondante comme c’était le cas
avec notre abeille. On parle ici de Chaîne
de Markov Cachée ou Modèle de Markov
Caché (MMC ou HMM pour Hidden
Markov Model).
Plusieurs algorithmes permettent
alors de déterminer la probabilité
d’être dans un état compte tenu des
variables observées (le lecteur qui
souhaite aller plus loin cherchera donc
les algorithmes forward-backward ou
Baum-Welch. Forward a pour objectif
d’estimer la probabilité d’être dans
un état spécifique et d’avoir pris en
compte toutes les observations passées.
Forward s’appuie donc sur le passé,
de façon récursive, pour établir une
probabilité sur l’état présent. De son
côté Backward exploite les observations
futures pour déterminer la probabilité
de l’état présent).
Tout ceci peut paraître complexe mais le
développeur habitué trouvera aisément
sur Github des exemples de mise en
œuvre comme, par exemple, hmmlearn,
modèle utilisant Scikitlearn.
Apprentissage par renforcement
et processus de Markov
Dans le cas de notre abeille décrit
plus haut, nous disposons à chaque
instant de la probabilité d’aller d’un
état à un état voisin. Si nous souhaitons
construire un robot se comportant
comme elle (l’être humain a l’immense
faculté d’utiliser la technologie pour
réparer ce qu’il détruit, donc quand
il n’y aura plus d’abeilles, il utilisera
des drones pour les remplacer), il
va falloir lui apprendre à optimiser
ses déplacements pour aller sur les
plantes les plus généreuses en pollen
pour qu’il puisse retourner à la ruche
suffisamment chargé.
On associe alors à la chaîne de Markov
une « fonction de récompense » afin
d’optimiser l’enchaînement des états.
L’introduction d’un vecteur de
récompense en lien avec la matrice
de transition permet alors de créer
un processus décisionnel de Markov
utilisable, par exemple, pour apprendre
à un robot à se déplacer dans un
espace parsemé d’obstacles. L’idée
est ainsi de chercher à modéliser les
interactions entre un agent (le robot)
et son environnement et à optimiser
une espérance mathématique en
procédant par essais-erreurs. Le
processus combine alors la probabilité
de se trouver dans une situation
géographique donnée avec une fonction
de gain (dont la valeur est négative si le
but recherché n’est pas atteint).
Ce mécanisme d’apprentissage par
renforcement est un peu plus complexe
dans la « vie réelle » car l’agent n’a
pas toujours une vision globale de son
environnement et de la position du but
à atteindre. Il est donc nécessaire de
calculer la distribution des probabilités
des différents états. Cette approche
est « théorisée » dans les Processus
de Markov Partiellement Observables
(PDMPO ou POMDP).
Conclusion
Les chaînes de Markov constituent un
outil déjà ancien mais éprouvé pour
modéliser un nombre significatif de
cas applicatifs d’intérêt (file d’attente,
robotique, traitement du langage
naturel, optimisation…)
La force de cet outil réside dans sa très
grande simplicité et par l’interprétation
directe du modèle qui peut être réalisée
par simple lecture de la matrice de
transition. À l’opposé, le traitement des
séquences par apprentissage profond
demandera au modélisateur des efforts
considérables pour comprendre, auditer
et éviter les erreurs grossières qui
ne manqueront pas de jalonner la vie
d’un projet d’intelligence artificielle.
Il conviendra ainsi d’utiliser les
chaînes de Markov comme un modèle
de référence incontournable pour
les problèmes dont la dimension
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
DÉCRYPTAGE
(celle de la matrice de transition)
reste relativement faible (la finance,
certains problèmes de NLP comme
l’analyse lexicale, la modélisation du
parcours d’un patient à l’hôpital, le
comportement d’un joueur dans un
jeu vidéo…). L’apprentissage profond
constituera une alternative de choix
pour éviter le fléau de la dimension sur
des problématiques plus complexes, qui,
si elles sont spectaculaires (traduction
automatique, problème de repliement
des protéines…), restent minoritaires
dans les applications pratiques de l’IA
et encore victimes de crises de jeunesse
(voir l’abandon progressif des réseaux
séquentiels au profit des architectures
transformers).
Signe des temps et d’un regain d’intérêt
pour ces techniques, Python regorge
désormais d’exemples de mise en œuvre
de chaînes de Markov7.
Remerciements
merci à Tonie Fares, docteure en mathématiques
fondamentales et Philippe Very, lead data scientist chez Talan
pour leur relecture, leurs suggestions d’exemples et leurs
améliorations pour rendre cet article didactique.
Pour en savoir encore plus
http://researchers.lille.inria.fr/~munos/papers/files/
bouquinPDMIA
Les Processus de Markov en :
Maîtrise d’une maladie animale : https://hal.archives-
ouvertes.fr/hal-00975865/document
Robotique : https://nlp.stanford.edu/pubs/
IS2006_HaveWeMet.pdf
https://www.sigdial.org/files/workshops/conference14/
proceedings/pdf/SIGDIAL36.pdf
Jeux vidéo : https://cedricbeaulac.github.io/files/HMM-
JeuxVideo.pdf
Finance : https://www.stat.berkeley.edu/~aldous/206-RWG/
RWGpapers/norberg.pdf
Notes
1
http://musiquealgorithmique.fr/chaines-de-markov-2/
2
http://www.philippemanoury.com/?p=5685
3
http://www.algorithmiccomposer.com/2010/05/algorithmic-
composition-tutorial-markov.html
4
https://iopscience.iop.org/arti
cle/10.1088/1742-6596/1848/1/012061/pdf
5
https://www.itm-conferences.org/articles/itmconf/
pdf/2018/08/itmconf_sam2018_00003.pdf
6
http://www.wisdom.weizmann.ac.il/~ethanf/MCMC/
stochastic%20optimization.pdf
7
https://pypi.org/project/marc/ ou https://pypi.org/project/
Markov/ par exemple.
41
 DÉCRYPTAGE
Intelligence
artificielle ultra-
low power
Valentin Gies
Maître de Conférences à l'Université de
Toulon - Responsable Scientifique de la
plateforme technologique SMIoT
L’intelligence artificielle a des
champs d’applications extrêmement
diversifiés, allant de la finance à
l’industrie en passant par le sport,
l’agriculture ou la surveillance de
l’environnement. Cette diversité se
retrouve dans les cahiers de charges
des solutions dédiées à chacune de
ces tâches. Certaines d’entre elles
telles que l’analyse de scène vidéo
font un usage intensif du cloud ou de
calculateurs dédiés tels que les GPU.
Elles utilisent le plus souvent des structures
neuronales plutôt gourmandes en ressources
hardware et en énergie telles que les Convolutional
Neural Networks (CNN), permettant d’apprendre
le modèle à partir des données (deep learning).
Ces technologies peuvent être implantées sur
des calculateurs embarqués ou sur des serveurs
distants (cloud), mais dans les deux cas, elles
entraînent une forte consommation énergétique
locale que ce soit pour effectuer les calculs ou
pour transmettre les données vers le cloud. Cette
intelligence artificielle, dite classique, conduit à
d’excellentes performances en termes de précision
de classification, mais le plus souvent au prix d’une
consommation énergétique trop importante pour
être utilisable sur un système embarqué pendant
une très longue période ou disposant d’une très
petite autonomie au niveau énergétique. Cela pose
donc une question de fond :
42
Comment implanter l’intelligence artificielle en
ultra-low power ?
Avant tout, il convient de définir ce qu’est un système
ultra-low power. Une bonne approche consiste à
regarder les performances qu’il est possible d’atteindre.
Une autonomie d’un an pour un système alimenté
par une pile bouton CR2032 (720 mWh) peut être
considérée comme ultra-low power, ce qui conduit à
une consommation moyenne de l’ordre de 100 μW. Sous
cette limite, un système implantant une IA peut être
considéré comme ultra-low power.
Les applications en IA classique ont une consommation
de l’ordre de 1 W au minimum. Cette valeur est très
limitée si on la rapporte à la consommation d’un CPU
classique (environ 100 W), mais elle conduit à une
autonomie de 40 minutes sur une pile CR2032. Il est
donc nécessaire de diviser cette consommation par un
facteur 10 000 pour atteindre le domaine de l’ultra-low
power et avoir une autonomie de l’ordre de l’année.
Cela suppose de repenser en profondeur l’intelligence
artificielle, ses objectifs, et la manière de l’implanter
dans les systèmes embarqués ultra-low power.
En effet, comme la présente la figure 1, la relation entre
consommation et puissance de calcul des architectures
classiques à base de processeurs numériques (des
microcontrôleurs low power aux GPU) est linéaire en
échelle logarithmique (droite en pointillés rouges).
L’enjeu de l’IA ultra-low power est donc de gagner
un ou plusieurs ordres de grandeur en termes de
consommation à puissance électrique consommée
égale. Pour ce faire, plusieurs solutions sont possibles.
La première est le recours aux architectures
neuromorphiques permettant d’implanter des Spiking
Neural Networks (SNN), qui permet de gagner deux
ordres de grandeurs pour des puissances de calculs
importantes (droite en pointillés bleus). Un exemple
d’application est le chip LOIHI d’Intel qui atteint le TFlop
pour une consommation énergétique de l’ordre du watt,
contre une centaine de watts avec un GPU. Toutefois,
chacun des neurones de cette architecture n’est pas
destiné à fonctionner dans le domaine de l’ultra-low
power, sa consommation unitaire étant trop importante.
Pour tendre vers l’ultra-low power, une piste semble
prometteuse : mixer analogique et digital. En effet, dans
certaines gammes de fréquences de signal, la puissance
de calcul équivalente d’un opérateur analogique est
100 fois supérieure à celle d’un opérateur digital, en
particulier pour des signaux ayant des fréquences
d’entrées relativement élevées (>10 kHz), ce qui est le cas

Figure 1 : Comparatif puissance de calcul - puissance consommée
du traitement de la parole, ou du son
plus généralement. Cette assertion
n’est en revanche pas vraie pour les
très basses fréquences (<10 Hz), où les
opérateurs digitaux ont de meilleures
performances. Ainsi, un couplage
intelligent des technologies analogiques
et numériques permet de tirer parti au
mieux de leurs avantages respectifs en
termes de consommation énergétique,
ce qui peut conduire à une réduction
d’un facteur 100 ou plus, permettant de
situer sur la même relation puissance de
calcul/ consommation que les SNN, mais
orienté ultra-low power.
Quelles applications peuvent
être concernées par l’IA ultra-low
power ?
S’il est devenu habituel et acceptable
de recharger son téléphone portable
chaque jour (ce qui n’était pas le
cas il y a quelques années…), il est
plus difficile de l’accepter pour les
périphériques de celui-ci ou pour des
objets du quotidien. En conséquence,
ces objets doivent être alimentés ou
être ultra-low power et entrer dans une
gamme de consommation énergétique
permettant une longue durée de vie
La performance en
terme de précision
de classification est-
elle le seul critère à
prendre en compte
dans l'évaluation
d'une solution en IA ?
sur batterie, voire une recharge en
continu par récupération d’énergie
(energy harvesting). La présence d’un fil
d’alimentation étant rédhibitoire dans
nombre d’applications domestiques
autant qu’industrielles, on imagine
donc aisément l’immensité du marché
qui sera ouvert par l’arrivée d’une
intelligence artificielle ultra-low power
permettant de s’affranchir de celui-ci
tout en conservant une autonomie
supérieure à une année. Celui-ci va des
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
DÉCRYPTAGE
applications domestiques, telles que
l’analyse de commandes vocales dans les
appareils du quotidien, aux applications
industrielles comme la surveillance
des installations critiques (nucléaires,
pétrochimiques, etc.) en continu de
manière à détecter ou anticiper les
pannes en particulier dans des zones
dangereuses pour l’homme ou à risque
(ATEX par exemple), en passant par les
applications environnementales telles
que la détection sur le long terme et en
temps réel d’animaux ou d’évènements
particuliers.
Toutes les applications en IA ne
pourront bien évidemment pas être
adaptées pour répondre au critère
ultra-low power. Certaines ont une
consommation intrinsèque trop
importante due à celle du capteur ou
des traitements associés. Typiquement,
les imageurs haute résolution rentrent
dans cette catégorie. Les signaux
temporels monodimensionnels et en
particulier le traitement de la parole
ou du son en général sont en revanche
des cas pouvant être adressés dans
le cadre d’une IA sous contrainte
ultra-low power. En revanche dans ces
applications, l’utilisation de méthodes
énergétiquement dispendieuses telles
que l’apprentissage profond pose une
question centrale : la performance en
terme de précision
de classification
est-elle le seul
critère à prendre
en compte dans
l’évaluation d’une
solution en IA ?
Ce qui conduit
inévitablement
à se demander si
l’apprentissage
profond nécessite
réellement d’être
profond.
À titre d’exemple,
citons une solution
de détection de
cétacés en ultra-low
power destinée à
émettre des alertes
à destination des pouvoirs publics afin
de limiter la vitesse des bateaux dans
une zone où les animaux sont présents
pour réduire les risques de collision
(projet inter-Reg Marittimo BOMBYX).
Dans ce projet, les performances d’une
IA ultra-low power embarquée basée sur
des règles expertes implantées grâce à
des machines à état ont été comparées à
celles d’un CNN embarqué effectuant la
même tâche de détection (A 30 μW
43
 DÉCRYPTAGE
Peut-on coupler précision de
détection et ultra-low power ?

Coupler précision de détection et ultra-

low power est le graal de l’intelligence
artificielle embarquée. C’est pourtant en
apparence contradictoire comme présenté
précédemment. Gagner quelques pour
cents d’amélioration dans la précision de
classification revient souvent à multiplier
la consommation énergétique par un
facteur très important, écartant la solution
du domaine de l’ultra-low power. Il n’est
donc par exemple pas envisageable de
faire tourner en tâche de fond et en
continu un CNN en embarqué. Pour autant,
il devient indispensable pour aller plus
loin dans la précision de classification.
La solution est donc de coupler une IA
ultra-low power à une IA plus classique de
type CNN, la première réveillant la seconde
quand cela est nécessaire pour confirmer
une pré-analyse. Afin de ne rater aucun
Figure 2 : Comparatif des puissances consommées par un filtre implanté en analogique et en numérique
évènement, le seuil de réveil de la couche
ultra-low power sera réglé de manière à ce
que la détection soit très sensible, quitte
à réveiller un peu plus souvent le CNN, au
Embedded Real-Time Cetacean Smart Detector, S. Marzetti, moins durant une phase de calibration du
V. Gies, P. Best, et al., publié dans MDPI Electronics en mars système, quitte à diminuer la sensibilité
2021). Sur la même base de référence, l’AUC (indicateur de du niveau de détection ultra-low power
performance de classification) passe de 85 % de précision de ensuite.
détection (en ultra-low power) à 92 % de précision de détection
(CNN), mais la consommation énergétique est multipliée par Conclusion
18 000 ! Cet exemple simple montre bien les enjeux : est-il
pertinent de multiplier la consommation par 18 000 pour
améliorer la performance de classification de 7 % ? La réponse L’implantation de l’IA en ultra-low power
dépend du contexte et des attentes vis-à-vis du système, les (<100 μW) est un enjeu très fort des années
importances accordées à la précision de détection et à l’énergie à venir qui permettra d’intégrer l’IA au
ne seront pas les mêmes selon les applications. cœur même d’objets fonctionnant sur
batterie pendant de longues durées. Des
voies permettant cette intégration existent
en laboratoire aujourd’hui, et feront très
certainement l’objet de développements
industriels prochainement. C’est un enjeu
particulièrement important, que l’on peut
considérer comme la prochaine révolution
C'est un enjeu de l’IA, celle qui permettra de donner plus
de capacités de traitements aux objets du

particulièrement important, quotidien pour les rendre « intelligents »,

c’est-à-dire capables d’effectuer finement

que l'on peut considérer une tâche de classification donnée dans un

contexte donné.

comme la prochaine
révolution de l'IA.

44
 ROBOTIQUE

Agriculture, dépollution,
incendie : comment la
robotique change la donne
Thierry Berthier
Pilote du groupe Sécurité Intelligence
Artificielle Robotique du Hub France IA

Les progrès récents de la robotique s’inscrivent dans

la continuité des grandes révolutions industrielles,
à l’intersection de la transition numérique et de la
mécanisation. La robotique se développe au centre de
plusieurs mécanismes de convergences technologiques qui
accélèrent le besoin de robots et les réponses efficaces des
constructeurs.

Tous les domaines d’activités humaines sont désormais concernés par la révolution
robotique avec des vitesses d’adoptions plus ou moins élevées en fonction des secteurs.
Les robots interviennent dans l’industrie, la logistique, les transports et la mobilité, la médecine, la sécurité,
la défense mais aussi de plus en plus souvent dans l’agriculture, la reforestation automatisée, l’écologie, la
dépollution automatique des grands espaces terrestres et maritimes, la prévention et détection des sinistres et des
catastrophes environnementales, la lutte automatisée contre les incendies, le suivi et la préservation des espèces
menacées. Au-delà du slogan, la robotique au service de l’environnement est une réalité dont l’impact global
surpasse toutes les approches « artisanales » mises en place depuis des décennies.

LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 45

 ROBOTIQUE
La révolution des drones dans
l’agriculture chinoise
Dès 2019, les experts chinois de
l’agriculture intensive s’appuyaient
sur les performances disruptives de
la robotique aérienne pour justifier
l’emploi du mot « révolution » dans
leur domaine d’activité. Concernant le
traitement des cultures par pesticides,
les ingénieurs chinois ont constaté
que l’emploi de drones aériens légers
pour la pulvérisation automatisée était
de 50 à 80 fois plus rapide et précis
que les méthodes traditionnelles non
robotisées. Cet important facteur
d’amélioration et d’accélération
explique l’emballement technologique
de l’industrie chinoise pour les drones
agricoles. Les progrès réalisés dans les
techniques de vols autonomes, l’usage
massif de l’apprentissage statistique et
de la vision artificielle embarqués dans
les drones permettent une montée en
puissance et un déploiement des robots
agricoles à l’échelle du pays tout entier.
Les industriels chinois concepteurs de
drones comme DJI, leader mondial des
drones aériens légers, ont massivement
investi dans les technologies de
navigation autonome en proposant des
produits compétitifs et très efficaces
sur des activités agricoles bien définies.
Ainsi, les drones agricoles de la société
XAG [2] basée à Guangzhou sont dédiés
aux petites exploitations, aux fermes
céréalières, aux producteurs de fruits
et légumes. Les drones aériens et les
robots terrestres XAG permettent aux
agriculteurs de fertiliser
et surveiller leurs
cultures, de répartir
et de distribuer les
Les drones font
semences de manière
optimale en utilisant
émerger une
moins de graines et
moins de produits
agriculture data
plus rentables et plus respectueux de entrons ainsi de plain-pied dans l’ère de
l’environnement. Les agriculteurs, qui l’agriculture intelligente dans laquelle
apprennent en seulement quinze jours l’agriculteur devient le chef d’orchestre
à piloter précisément leurs escadrilles de ses systèmes robotisés.
de drones, les utilisent pour fertiliser
et traiter les semis. La précision des
traitements par drones leur fait réduire
les volumes de produits d’épandage
et leur permet de ne plus s’exposer
directement aux produits toxiques
dans la zone de pulvérisation. D’une
manière générale, les drones éloignent
l’homme du risque. Avec la sortie de la
crise sanitaire, les agriculteurs chinois
ont été fortement encouragés par les
gouverneurs locaux à étendre leurs
zones de plantations et à augmenter
leurs productions [3]. La robotique
aéroterrestre disponible, très accessible
financièrement, leur a permis d’étendre
Source – image FP DRONE
leurs zones de cultures et d’augmenter
fortement leur productivité. La ville de
Xiangxiang a enregistré, en partie grâce
à l’automatisation, une récolte estivale Les robots pompiers en première
exceptionnelle de riz précoce en 2021. ligne face aux incendies
Les agriculteurs chinois deviennent
rapidement des pilotes confirmés Les premiers robots terrestres pompiers
sont apparus en France et en Chine
capables de concevoir des programmes
en 2016. Depuis, ils ont démontré
de vols et des altitudes optimales pour
leur redoutable efficacité dans la
une mission. L’intelligence artificielle
lutte contre les incendies en milieux
embarquée facilite la détermination
confinés ou d’accès difficile. L’incendie
des quantités de produits de traitement de la cathédrale Notre-Dame de Paris,
à employer et la répartition adaptée les 15 et 16 avril 2019, a été contenu
aux zones qui en ont le plus besoin. Les grâce à l’engagement de la Brigade des
drones font émerger une agriculture Sapeurs-Pompiers de Paris et du robot
avancée, data centrée, optimisée et pompier COLOSSUS [4] développé par
plus respectueuse de l’environnement. la société française SHARK Robotics.
Les nouvelles générations de drones Les images de Colossus positionné
au cœur de la nef durant plus de dix
offrent des fonctionnalités de vols
heures, à des températures dépassant
parfois les 800 degrés, ont fait le tour
du monde. Les flammes avaient fragilisé
le monument à un point tel qu’il n’était
plus envisageable d’engager la vie des
sapeurs-pompiers à l’intérieur de la
cathédrale.
Les risques d’effondrement de la

centrée, optimisée et
charpente et d’éléments de plomb
de traitements. La
en fusion ne leur permettaient plus
société XAG compte

plus respectueuse de
d’intervenir en sécurité dans le brasier.
plus de 50 000 drones Il a alors été décidé d’engager le robot
agricoles en activité Colossus au cœur de l’incendie.
permanente réalisant
plus de 1,2 millions
l'environnement Celui-ci a permis de faire baisser
la température de la nef tout en
de vols par jour sur préservant la vie des pompiers. Cette
autonomes et de vols collaboratifs situation se répète aujourd’hui chaque
le territoire chinois. D’après les
qui s’appliquent parfaitement aux semaine en France lors d’incendies
fédérations d’agriculteurs de la province
opérations agricoles. Chaque degré de parking souterrains. Les robots
du Hunan, les drones aériens légers
d’automatisme supplémentaire a un Colossus peuvent intervenir au
sont 10 fois plus efficaces que la main
impact direct sur les rendements et sur quatrième niveau d’un parking en feu
d’œuvre qualifiée, ils sont beaucoup
l’efficacité en espace et en temps. Nous à des températures extrêmes (effet

46

Source – images BSPP
de four), en visibilité quasi nulle en
raison des fumées hautement toxiques.
Seuls les robots téléopérés SHARK
Robotics sont capables de progresser
vers les voitures en feu, de détecter
la présence éventuelle de blessés,
d’éteindre l’incendie ou de sortir la
voiture en feu à l’aide de bras robotisés.
On notera que l’augmentation prévue
du parc des voitures électriques va
engendrer mécaniquement une hausse
des incendies de batteries électriques,
en particulier dans les voitures en
stationnement. Les robots-pompiers ne
vont donc pas manquer d’activités.
L’incendie de l’usine chimique Lubrizol
à Rouen le 26 septembre 2019 est un
accident industriel qui a provoqué
d’importantes pollutions de l’air, de
l’eau et des sols. Il est techniquement
possible de réduire le risque d’une
telle catastrophe dans un entrepôt ou
une usine en déployant des systèmes
robotisés mobiles incluant un robot-
pompier capable de détecter un départ
de feu dans les premières minutes de
l’incendie puis de se déplacer sur le
départ de feu pour l’éteindre avant qu’il
ne se propage au reste du site industriel.
La détection peut s’effectuer à partir
d’un micro-drone aérien équipé de
caméras et capteurs thermiques en
vol autonome qui communique avec
un robot-pompier terrestre de type
Colossus et qui prévient les secours.
L’intelligence artificielle embarquée
dans le système aéroterrestre et les
différents capteurs permettent de
mettre en place une architecture
autonome qui réduit fortement les
délais d’interventions des sapeurs-
pompiers.
La robotique de dépollution
Qu’il s’agisse de robots aspirateurs
des mers, des lacs et des rivières [5]
ou de robots terrestres collecteurs de
déchets et résidus polluant les plages,
les montagnes et les glaciers, les enjeux
et missions sont les mêmes : parcourir
de manière autonome une zone
géographique contenant des déchets
disséminés, détecter puis collecter ces
déchets. Ces derniers sont de natures
variées : résidus plastiques, métaux,
verre, hydrocarbures liquides ou pâteux
dans le contexte d’une marée noire.
Dans tous ces contextes d’emplois, le
système robotisé détecteur collecteur
remplace l’humain sur des tâches
répétitives à réaliser dans la durée sur
de très grands espaces. Lorsqu’une
escadrille de drones ou de robots est
engagée, l’efficacité du système permet
de faire vite à faibles coûts et à faible
empreinte carbone avec des robots
fonctionnant sur batteries électriques.
La Chine et les États-Unis travaillent
sur des essaims et meutes de drones
aéroterrestres dédiés à la dépollution
autonome sur de très grandes surfaces.
En surface et sous la mer, les résidus
plastiques mettent en péril la survie
de certaines espèces. Chaque année,
environ huit millions de tonnes de
plastique finissent dans la mer, et
d’ici 2050, la quantité de pollution
plastique dans les océans du monde
dépassera la masse globale de tous les
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
ROBOTIQUE
poissons qui y vivent [6]. Les restes d’un
cachalot retrouvés en Indonésie à la
mi-novembre 2020 montrent l’ampleur
du problème de la pollution plastique :
près de 6 kg de déchets plastiques ont
été retrouvés dans l’estomac de l’animal,
dont 115 gobelets. Du plastique a même
été trouvé dans l’estomac de poissons
d’eau douce du bassin amazonien. Des
poissons, dont la taille varie de 4 cm
à près de 30 cm, tels que le perroquet
pacu, le redhook silver et le piranha à
ventre rouge, qui ont tous consommé
des plastiques et des polymères.
Plusieurs programmes de recherche sur
des drones sous-marins dépollueurs
sont actuellement en phase de tests, y
compris à de très grandes profondeurs.
La robotique constitue ainsi la plus
efficace des réponses au défi de la
dépollution sous-marine.
Dans l’espace, à l’horizon 2030, des
constellations de mini-robots satellites
autonomes vont être déployées pour
« nettoyer » certaines orbites polluées.
Les déchets produits depuis le début
de l’histoire spatiale constituent
désormais des menaces pour les
futures missions. L’Agence spatiale
européenne (ESA) a conclu un accord
avec la société ClearSpace [7] pour
nettoyer les orbites des satellites grâce
à des engins robotisés équipés de
pinces conçues pour saisir les débris
spatiaux. Avec le lancement du tourisme
spatial et la multiplication des vols, la
question des déchets en orbite devient
centrale. Le plus petit satellite ou
morceau de satellite laissé à l’abandon
se déplaçant à des milliers de mètres
par seconde peut causer des dommages
catastrophiques s’il entre en collision
avec un autre satellite ou avec la station
spatiale internationale.
Source – Forum économique mondial 2020 [6]
47
 ROBOTIQUE
Source – robot autonome JELLYFISH – IADYS [7]
Dans certaines villes chinoises, la
pollution atmosphérique a atteint un
niveau tel qu’elle dépasse régulièrement
les plus hauts seuils de criticité à
l’origine de nombreuses pathologies
respiratoires. Pour répondre à cette
pollution explosive, des chercheurs
mènent depuis 2016 plusieurs expéri-
mentations.
Source – ESA & ClearSpace
Une tour de filtration robotisée [9] d’une
hauteur de cent mètres a été construite
en 2017 à Xian dans la province de
Shaanxi dans le centre de la Chine. Elle
fonctionne comme un immense filtre à
air s’appuyant à sa base sur des serres
végétales puis sur une succession de
48
couches de filtration qui retiennent
les microparticules présentes dans
l’air aspiré. Le principe physique est
simple : l’air extérieur est aspiré au
niveau des serres. Une fois réchauffé
dans les serres, il s’élève dans la tour en
traversant ses filtres puis est rejeté dans
l’atmosphère par le haut de la tour. Le
dispositif fonctionne à l’énergie solaire
avec un bilan carbone très faible. Le
rendement de la tour est encourageant :
elle purifie chaque jour plus de 10
millions de m3 d’air, ce qui induit une
diminution de 15 % de la pollution sur
une zone urbaine dépassant les 10 km2.
À partir de cette expérimentation, l’État
chinois souhaite installer des tours de
filtration de 500 mètres de hauteur avec
une surface de serre au sol démultipliée.
Des versions mobiles et robotisées sont
également à l’étude.
Perspectives
La robotique autonome de dépollution
se développe sous l’effet conjugué de
quatre mécanismes de convergences
technologiques : les convergences NBIC,
MI, DIADEH, CKTS:
• Le sigle NQBIC signifie convergence
des Nanotechnologies, des
technologies Quantiques, des
Biotechnologies, de l’Informatique
et des sciences Cognitives
• MI désigne la convergence de la
Matière et de l’Information pour
produire un espace ubiquitaire
(robotique, IoT, villes intelligentes,
industrie 4.0) ;
• IAEH est la convergence puis la
fusion de l’IA et de l’Expertise
Humaine pour produire une
expertise hybride ou augmentée
capable de résoudre des problèmes
complexes ;
• CKTS est la convergence des
connaissances et des technologies
au bénéfice de la société (Conver-
gence of Knowledge and Technology
for the benefit of Society).
La robotique incarne pleinement la
convergence MI grâce à des drones et
des robots qui agissent et modifient
l’espace physique à partir de calculs
(au sens de Turing) effectués dans le
cyberespace. La robotique de dépollu-
tion s’inscrit au cœur de la convergence
CKTS qui positionne la technologie
au bénéfice de la société en éloignant
l’homme du risque et en dépolluant son
environnement.
Les dynamiques des quatre conver-
gences s’accélèrent avec le flot
d’innovations technologiques et scien-
tifiques. Gageons que cette accélération
se poursuivra en produisant toujours
plus de robots dédiés, « corps et âmes »,
au bien-être de l’humanité et à la préser-
vation de son environnement.
Liens
[1] China’s Agriculture Drone Revolution
https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/publication/
documents/2020-10/china-agriculture-drones.pdf
http://www.dronefromchina.com/
[2] XAG UAV
https://www.xa.com/en
[3] DJI Agricol
https://www.youtube.com/watch?v=P2YPG8PO9JU
[4] Robot pompier Colossus SHARK Robotics
https://www.shark-robotics.com/shark-robots#colossus
[5] Robot aspirateur des ports et marinas – GENESEAS
https://thegeneseas.com/
https://chinadialogueocean.net/17153-twenty-plastic-busting-
inventions-to-clean-our-rivers-and-seas/
[6] Rapport The New Plastics Economy
http://www3.weforum.org/docs/WEF_The_New_Plastics_
Economy.pdf
[7] Robot autonome de dépollution maritime JELLYFISH IADYS
https://www.iadys.com/jellyfishbot/
[8] Satellites de dépollution CLEARSPACE
https://clearspace.today
[9] Tour de dépollution de l’air en Chine
https://www.neozone.org/ecologie-planete/
cette-gigantesque-tour-depolluante-aurait-reussi-a-ameliorer-
la-qualite-de-lair-dans-la-ville-de-xian-en-chine/
 SUR LE TERRAIN

OpenStudio En observant le comportement (acte

d’achat, navigation, etc.), l’algorithme
établit un profilage des utilisateurs.

développe un module Partant de cette segmentation, on peut

déterminer la « popularité » du produit

de recommandation
dans chaque famille. Ensuite, par un
calcul de similarité, on détermine la
distance avec l’utilisateur cible par

pour le e-commerce
rapport à la famille. Si l’utilisateur est
jugé comme appartenant à ce cluster,
l’algorithme peut lui recommander

Classic Ride
les produits selon les affinités de cette
famille.

La mise en place de solutions de

Aujourd’hui, l’agence
web accompagne
Classic Ride dans la mise
en place de briques
d’intelligence artificielle
basées sur le CMS
e-commerce thelia,
édité par OpenStudio.
La première étape est la
réalisation d’un module
de recommandation de
produit reposant sur
plusieurs méthodes
afin de garantir un
résultat pertinent pour
l’utilisateur.
On distingue deux grands paradigmes
de recommandation : l’Item based qui
se concentre sur les produits et leurs
similarités, et le User Based qui lui se
concentre sur les utilisateurs et leurs
comportements, dans les deux cas, il
s’agit de repérer des motifs récurrents.
Dans le cas de l’Item based, l’algorithme
cherche à déterminer la proximité entre
les produits, grâce à l’établissement d’une
distance entre les objets.
Entreprise familiale implantée au cœur
du Puy-de-Dôme, Classic Ride est un site
e- commerce pure player qui propose
une sélection d’équipements moto
résolument vintage, à l’attention des
bikers adeptes d’un look rétro.
OpenStudio développe le site de Classic
Ride depuis sa première mise en ligne en
2010.
Item Based
Proximité sémantique
Cette famille d’algorithmes compare
les descriptions de chaque produit et
identifie les récurrences de mots clés
ce qui permet d’établir la proximité
sémantique entre les produits. L’une des
méthodes utilisées pour le calcul de cette
distance est le TF IDF. L’algorithme peut
recommander ce produit à l’utilisateur en
se basant sur le lien établi.
Co-occurrence de produit
Une autre méthode consiste à déterminer
la co-occurrence de produit. Ici,
l’algorithme apprend les habitudes
d’achat des utilisateurs et observe si deux
produits se retrouvent fréquemment dans
le même panier d’achat. On établit alors
un lien de complémentarité entre les
deux produits et on peut recommander
le deuxième si le premier a été choisi par
l’utilisateur.
User Based
La méthode du User Based s’appuie sur
le plébiscite des produits par les autres
utilisateurs. Plutôt que de recommander
les meilleures ventes selon l’ensemble des
utilisateurs, l’algorithme va au préalable
déterminer des clusters (familles
d’utilisateurs).
recommandation doit toujours être
accompagnée d’une mesure de la
performance. En effet, l’analyse des
statistiques sur les recommandations
permet de gérer les fréquences
d’utilisations des différentes méthodes
sur le site afin de déterminer la
combinaison optimale.
Mesurer la performance de la
recommandation
En amont du pilotage, il convient
de définir l’objectif à atteindre.
Bien que le but soit d’augmenter le
chiffre d’affaires, un objectif précis
et des critères d’évaluation doivent
être décidés pour mettre en place
les bonnes recommandations : par
exemple « augmenter le panier moyen »
s’appuierait davantage sur de la vente
additionnelle via la recommandation
de produits complémentaires. Les
statistiques de chaque méthode sont
disponibles dans un tableau de bord afin
de jauger les résultats et d’adapter celles
qui ont les meilleures performances.
OpenStudio travaille pour que, à terme,
l’algorithme soit lui-même capable de
faire l’ajustement des combinaisons des
méthodes à employer afin d’atteindre
un objectif précis, via des méthodes
d’apprentissage par renforcement.
La force de la recommandation
réside dans le panachage des
méthodes exploitées et la juste
répartition de leur utilisation. Pour
Classic Ride, l’équipe d’OpenStudio
s’est donc reposée sur plusieurs
types de recommandation. C’est
ce juste équilibre qui crée une
meilleure expérience client.

LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 49

 ENTRETIEN
L'IA dans le
cloud, les pieds
sur terre
Entretien avec Jean-Louis Quéguiner,
Group VP & Fellow - Research & Innovation, OVHCloud
Quel parcours vous a mené
jusqu’à votre poste actuel ?
J’ai suivi une formation d’ingénieur
généraliste (Arts et Métiers ParisTech)
puis j’ai effectué un Master recherche
sur les systèmes experts au Canada
(École de Technologie Supérieure de
Montréal). Je suis depuis toujours
passionné par les modèles de données,
le big data et, de fil en aiguille, par
l’analyse de données. Dès le début de ma
carrière j’ai découvert que mon atout
se situait dans la capacité à croiser des
données qui n’étaient pas faites pour
se rencontrer afin d’en récupérer de la
valeur, que ce soit en gestion de projets,
en finance, en analyse de logs ou en bien
d’autres domaines. C’est un monde fas-
cinant et les derniers événements que
nous avons traversés, comme la crise du
COVID-19, nous ont montré l’importance
de la qualité des analyses faites sur les
données afin de prendre les meilleures
décisions au meilleur moment.
J’ai eu un jour une discussion avec
Octave (NDLR : Octave Klaba, fondateur
d’OVHcloud Président du conseil d’ad-
ministration d’OVHcloud) sur ce sujet
alors que je travaillais chez Auchan. Je
lui ai expliqué ma vision et mon souhait
de voir OVHcloud être un acteur dans ce
domaine. Il m’a alors dit : « Viens le faire
chez nous ». J’ai beaucoup d’admiration
pour Octave et la façon dont il gère
sa boîte, qui est l’une des plus belles
réussites françaises.
Vous avez obtenu votre diplôme
en 2011. Contrairement aux
générations précédentes, vous
avez donc toujours pu voir l’IA
comme un ensemble de technolo-
gies applicables à large échelle en
entreprise plutôt que comme un
50
domaine de recherche théorique.
Dans quelle mesure cela
influence-t-il votre vision de l’IA ?
Nous vivons dans un monde où chacun
reçoit 200 e-mails et 50 notifications
par jour, notre génération a développé
des réflexes, mais cette charge mentale
croissante nécessite l’implémentation
de filtres, tout simplement pour que
« notre cerveau n’explose pas ». Les
algorithmes sont devenus des éléments
nécessaires à la survie dans nos
sociétés, sans lesquels nous arriverions
rapidement à saturation. Pour moi
l’IA est un plus, une nouvelle manière
d’aborder les problèmes au sein des
entreprises car la science des données
est un domaine relativement ancien
mais qui n’était pas mis au centre de
la résolution des problématiques de
l’industrie.
Pourriez-vous développer ?
Si nous voulons conserver une appar-
tenance culturelle, nous devons utiliser
des algorithmes permettant à la culture
de continuer à se développer. De tout
temps, les cultures des civilisations qui
n’ont pas su évoluer se sont éteintes.
Si l’on veut faire survivre la culture, il
faut donc l’outiller pour lui permettre
de perdurer et de se développer dans le
contexte actuel.
Malheureusement, nous en sommes
encore loin. Par exemple, les outils
de reconnaissance vocale traitent
mieux l’anglais que le français, et sont
plus performants vis-à-vis de l’accent
parisien que de l’accent toulousain.
Un grand nombre d’entre nous sont
des oubliés de l’IA. Nous risquons
une uniformisation des cultures qui
équivaudrait à une perte de nos plus
grandes richesses. La capacité de l’IA à
généraliser doit-elle gommer nos diver-
sités ? Je ne pense pas. De même, les
réponses au « dilemme du tramway »
varient selon les cultures. Quelle est
la place du libre arbitre humain, est-il
le même en fonction des cultures ? Ce
sont des questions qui se posent depuis
longtemps dans nos sociétés, mais en
encodant une culture ou un système de
valeur dans les systèmes d’information
à travers les algorithmes de l’IA, nous
ne pouvons plus nous soustraire à ces
questions fondamentales.
La question est de savoir si l’on veut
vivre dans un monde où les valeurs
sont dictées par un petit groupe de
personnes dans des entreprises, dans un
état, ou de façon plus consensuelle ?
Entre la Chine, dont la vision est plutôt
dirigée par l’État, et les États-Unis
où le capital est plutôt le moteur
d’avancement, la vision européenne
est intéressante car elle essaie de
chercher un consensus. Mais cette
recherche d’alignement, extrêmement
positive, est peut-être également
l’une des causes du retard que nous
connaissons. Il est important que nous
ayons des role-models, comme Luc Julia,

Yann LeCun et Aurélie Jean, qui nous
guident dans la bonne direction. Nous
devons accélérer, mais nous devons le
faire intelligemment. Ma plus grande
inquiétude est liée à la course à la
puissance de calcul.
En tant qu’hébergeur,
n’avez-vous pas tout intérêt à
encourager cette course ?
Je pense au contraire que notre rôle est
de participer à la prise de conscience,
car nous avons une vision beaucoup
plus claire que la plupart des gens sur
la consommation de ressources. Le
recours à la puissance de calcul peut
bien sûr être légitime, mais à titre
personnel, je ne pense pas qu’il soit
nécessaire de consommer deux fois
plus de CO² pour obtenir une amélio-
ration de 0,001 % sur un algorithme de
recomman-
dation d’une
boutique de
vente en ligne.
Il me semble
Un utilisateur qui lance
important
pour tous que un entraînement sur
nous allions
vers une ratio- n'importe quel hébergeur
que ce soit n'a à ce jour
nalisation des
usages.
Un utilisateur
qui lance un
aucune idée de son
entraînement
sur quelque
impact écologique.
hébergeur
que ce soit
n’a à ce jour aucune idée de son impact
écologique. On ne peut pas lui en vouloir
de consommer des ressources. Mon
objectif est de permettre à nos clients de
faire leur choix en toute connaissance
de cause. Nous travaillons actuellement
à la mise en place d’indicateurs.
L’équation est complexe : consommation
électrique, matières premières, mode
d’extraction, durée de vie du serveur... et
force est de constater que peu de monde
s’y attarde.
Il faut savoir que les principaux impacts
de l’intelligence artificielle sont dus à
l’extraction de terres rares nécessaires
à la création de nouveaux serveurs.
Nous exploitons nos serveurs dans un
mode d’économie circulaire, car plus un
serveur peut être exploité longtemps,
plus son impact écologique pourra être
considéré comme faible. La question
est donc de savoir si tous les usages
requièrent forcément l’utilisation de
serveurs ou de cartes dernier cri ou s’il
peut être intéressant de se tourner vers
un serveur de génération précédente.
Cette course est encouragée par le
rythme effréné de parution de nouvelles
générations de cartes graphiques (GPU).
En somme : vaut-il mieux prendre 48
heures de calculs en plus sur une carte
GPU d’ancienne génération ayant une
consommation instantanée de 250W
mais coûtant à l’heure X % de moins
qu’une nouvelle génération ? Certes
vous consommez plus d’électricité mais
l’impact carbone ne se limite pas à la
consommation instantanée, c’est la
fabrication du serveur, très rarement
prise en compte, qui nécessite une
consommation bien plus importante.
C’est un problème extrêmement com-
plexe qui de plus dépend des régions et
des modes de production énergétique.
C’est, je pense, un facteur qui doit deve-
nir important dans la prise de décision
et que nous nous efforçons de mettre en
avant dans la plus grande transparence.
Il fait partie de nos engagements au
même titre que le watercooling, bien
plus efficient que le refroidissement par
climatisation. En tant que signataires du
Climate Neutral Data Centre Pact, nous
portons l’engagement de garantir une
neutralité climatique d’ici 2030.
Comment créer des modèles
toujours plus puissants sans
exploser la quantité de res-
sources nécessaires ?
Je pense que l’une des clefs repose
sur la spécialisation des modèles. Je
vois l’intelligence artificielle générale
comme un « animal de foire » sans
intérêt pour nos sociétés. Au contraire,
des IA extrêmement spécialisées
comme celles de Bodyguard, Recital.ai,
Kili Technology (via l’active learning),
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
ENTRETIEN
Owkin sont d’une grande utilité. Leurs
fondateurs ont pour point commun
de ne jamais avoir voulu remplacer
l’humain, mais de l’assister dans
des tâches bien précises. Au sein
d’OVHcloud, nous l’utilisons notamment
pour faire de la maintenance prédictive.
C’est un problème multidimensionnel
que l’humain ne pourrait analyser :
position du serveur, numéro de série du
disque dur, type de châssis, carte mère,
composants installés, type de RAM, type
de CPU, charge de travail... Là aussi, l’IA a
tout son sens.
À ce sujet, quelle spécialité vous
semble la plus intéressante ?
L’anti-fraude est un sujet que je trouve
passionnant car il relève énormément
de la psychologie humaine. Cela
nécessite de se mettre dans l’esprit des
fraudeurs et d’imaginer la chronologie
de leurs pensées et actions afin de
tenter de les devancer.
Quels conseils donneriez-vous à
une entreprise qui souhaiterait
implémenter de l’intelligence
artificielle ?
L’expertise métier doit passer avant
tout. Dans la plupart des entreprises, ce
qui compte, c’est le bon sens. Je pense
qu’il doit passer avant les diplômes. Je
conseille aux sociétés qui veulent implé-
menter de l’IA de s’asseoir face à leurs
experts. Les gens qui ont dix, quinze
ans d’expérience dans une société
ont une vision bien singulière, dont la
direction peut être parfois éloignée.
Les solutions basées sur l’intelligence
artificielle doivent s’appuyer sur leur
expérience. Cela ne veut pas dire qu’il
est inutile de faire appel à une société
externe. Des sociétés de conseil comme
Axionable ont fait de la qualité de leurs
interviews métier une vraie force.
Pour schématiser, je dirais que 60 %
de la solution découle des échanges
avec les experts, 30 % de la collecte de
données, et seulement les 10 % restants
dépendent du modèle d’IA. Le contact
social prime donc sur les diplômes. Il
vaut mieux faire appel à quelqu’un qui
fera de très bonnes interviews métier
que quelqu’un qui saura parfaitement
optimiser le modèle. La clef est ensuite
de ne pas avoir de complexe d’infériorité
et d’avancer, tout en ayant conscience
que toutes les entreprises ont leurs
problèmes spécifiques.
51
 INTERNATIONAL
L'IA en Belgique
Sur le tableau de bord européen de l’innovation,
publié en juin 2021, la Belgique se place en qua-
trième position des « champions de l’innovation
européenne », derrière la Suède, la Finlande et
le Danemark. Les belges déroulent une stratégie
ambitieuse fondée en partie sur le renforcement
de la cohésion et de la collaboration des régions
wallonne, flamande et Bruxelles-Capitale.
L’objectif est clair : faire entrer la Belgique dans le top 20
mondial du Global Index on AI en fin de législature. Et le
dynamisme actuel laisse penser que le pari sera remporté.
Entre 2019 et 2020, le « plat pays » est passé du 31e rang
au 24e et compte 439 startups et scale-ups actives dans
l’IA.
Une stratégie transversale
Consciente de ses performances à améliorer en matière
d’exportations de produits de haute technologie, d’emploi
dans les entreprises à croissance rapide des secteurs
innovants, de dépenses d'innovation hors R&D ou encore
d’entrepreneuriat axé sur les opportunités, la Belgique
a mis en place une stratégie nationale et des plans
d’actions au niveau de chacune de ses régions : le Plan
Flamand pour l’IA, DigitalWallonia4.ai et le Plan bruxellois
pour l’innovation. Au total, plus de 60 millions par an
additionnels consacrés à l’IA
Au cœur des réflexions sur les actions à mener en
matière d’IA, on retrouve AI4Belgium, coalition d’acteurs
en IA issus du monde universitaire, de l’industrie, des
organismes publics et de la société civile, avec le soutien
du Secrétaire d’Etat de l’Agenda Digital. Dès mars 2019, ce
groupe d’experts a proposé dans son rapport une stratégie
nationale. Parmi ses recommandations, celle de créer une
coalition (éponyme) bottom-up et au niveau national pour
fédérer l’écosystème.
1983
Création du premier laboratoire en
intelligence artificielle d’Europe
continentale à la Vrije Universiteit
Brussel (Prof. Luc Steels)
1983 2018 2019
2018
Création de Leuven.ai
52
Les axes stratégiques belges
La stratégie belge en matière d’IA est alignée avec l’esprit
du Plan coordonné sur le développement de l’IA de la
Commission européenne à savoir construire une IA
digne de confiance et favoriser la collaboration entre les
acteurs européens. Elle comprend six axes stratégiques,
répartis suivant les piliers du Plan coordonné européen
et détaillant les actions régionales dont la mise en place
d’une « data stratégie » responsable et d’« un service
optimal de la part du gouvernement grâce à l’IA » .
Focus sur les quatre autres points de la stratégie belge :
les compétences, la recherche, le secteur privé et la
nécessité d’un cadre éthique.
1- Les compétences
Parmi les transformations induites par l’IA, figure le
marché du travail. Soutenir cette transition passe par
la formation et le renforcement des compétences dès le
plus jeune âge. Les compétences sont une priorité pour
toutes les régions. Il n’y a pas, par exemple, de cours
obligatoires de compétences digitales en primaire et
secondaire. Le pays estime avoir besoin de 300 000 profils
NTIC d’ici 2030, dont 60 % devraient avoir des bases en
IA. La Belgique planche donc sur un new learning deal
mobilisant les autorités aux différents niveaux de pouvoir,
les universités, les écoles, les agences pour l’emploi
ou encore les centres de formation spécialisés ou non.
Tous les niveaux de l’enseignement obligatoire sont
concernés, mais aussi les formations alternatives, MOOC,
life long learning ou encore le perfectionnement pour les
enseignants.
18 mars 2019
• Lancement de la coalition
AI4Belgium
• Stratégie AI4Belgium approuvée
par le gouvernement fédéral
22 mars 2019 décembre 2019
Plan flamand pour l’IA (32 millions Lancement du Data & Society
d’€/an ; coordination : Imec) Knowledge CenterA
novembre 2019
Lancement DigitalWallonia4.ai par l’Agence
du Numérique et partenaires
 Le mot de
Mathieu Michel
Secrétaire d’Etat à la Digitalisation, chargé de la Simplification administrative, de la
Protection de la vie privée et de la Régie des bâtiments, adjoint au Premier ministre

La capacité d’innovation générée par l’utilisation de davantage

de start-up
l’intelligence artificielle à travers tous les pans de actives en la
notre société est une révolution comparable à celle matière qui
de l’avènement de l’électricité au temps de Thomas ambitionnent
Edison. et réussissent
de plus en plus
Tout comme l’électricité, l’intelligence artificielle n’est pas une rapidement
fin en soi mais doit être considérée bel et bien comme un outil leur
au service des femmes et des hommes. Pour en saisir toutes changement
les opportunités et réussir son déploiement technologique, la d’échelles
Belgique souhaite développer une ambition toute particulière pour devenir
dans le domaine de l’intelligence artificielle. les scale-up
de demain.
Notre stratégie nationale vise à générer un cadre éthique et Cette dynamique repose notamment sur l’excellence de nos
légal solide qui ne freine pas l’innovation et qui en garantit les universités, la productivité de nos chercheurs mais aussi sur
finalités. C’est à cette condition qu’elle quelques leaders mondiaux,
basés sur notre territoire,
génèrera la confiance indispensable
au déploiement de ces technologies Nous disposons comme, par exemple, l’Institut
de micro-électronique et
de tous les atouts
pour l’ensemble des acteurs privés et
publics mais aussi pour les citoyens. A composants (IMEC).
l’instar de l’Europe, la Belgique souffre
trop souvent d’un paysage fragmenté
y compris sur le plan numérique.
nécessaires pour Ce n’est donc pas un hasard si
en 2020, la Belgique a gagné
Le Plan IA, actuellement en cours
d’élaboration, vise un consensus large
écrire, à l’encre pas moins de sept places au
Global AI Index positionnant

belge, une partie de

en intégrant les plans régionaux, afin notre pays aux portes du top 20
d’assumer ensemble une ambition mondial. En s’appuyant sur nos

l’histoire de l’innova-
européenne basée sur les nombreux secteurs de pointe tels que l’e-
talents que compte notre pays. Il santé, les fintech, la logistique,
la mobilité ou encore le
tion européenne.
veut libérer la capacité d’innovation
des acteurs privés et publics tout manufacturing, nous disposons
en apportant les garanties éthiques de tous les atouts nécessaires
indispensables. pour écrire, à l’encre belge, une
partie de l’histoire de l’innovation européenne. Oser avoir une
Forte d’un écosystème dense en matière d’intelligence ambition à la hauteur de ses talents et œuvrer à l’atteindre
artificielle, dont beaucoup d’acteurs sont regroupés au sein de avec l’ensemble des acteurs (économiques, politiques,
la coalition AI4Belgium, la Belgique voit émerger chaque jour académiques, etc), c’est aussi cela une « SmartNation ».

septembre 2020
Lancement de TRAIL (Trusted mai 2021 En préparation
AI Lab) Lancement de la Vlaamse AI Academy Nouveau plan d’action
national pour l’IA
2020 2021
août 2021
mars 2021 Nouveau plan régional d’innovation
• Lancement de FARI - AI for the de la région bruxelloise
Common Good Institute à Bruxelles
• Première Belgian AI Week - AI4
Belgium
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 53

Qu’est-ce qu’AI4Belgium ?
AI4Belgium est une coalition qui réunit
les personnalités clés de l’IA et les
entités issues du monde académique,
du secteur privé, du secteur public et
de la société civile au niveau national.
Son objectif est d’accompagner les
organisations et les citoyens vers
les opportunités qu’offre l’IA, tout en
prêtant une attention particulière
aux questions éthiques et sociétales.
Elle a pour ambition de positionner
la Belgique au niveau européen, en
incluant toutes ses régions. Nous venons
en appui des initiatives régionales qui
disposent de nombreuses compétences
en la matière et nous favorisons les
collaborations entre les régions,
tout en activant les collaborations
internationales.
AI4Belgium comprenait au départ
six organisations : trois d’entre elles
au niveau national (le Service Public
Fédéral BOSA, Agoria, BNVKI-BAIAI) et
trois autres implantées dans chacune
des régions belges : Be Central (le plus
grand campus numérique d’Europe)
à Bruxelles, le Réseau IA en Wallonie
et The Beacon, en Flandre. 320
organisations et 1700 experts ont rejoint
l’initiative et leur nombre s’accroît de
jour en jour. Plus de 30 000 personnes
ont participé aux différentes activités
sur les 12 derniers mois.
AI4Belgium assure un rôle de veille
technico-économique sur l’IA en
Belgique, tout en suivant les initiatives à
l’international. Nous jouons également
le rôle de plateforme de consultation
nationale, notamment pour contribuer à
la définition de la position belge vis-à-
vis des organisations internationales,
apportons un soutien stratégique à
la définition de la politique nationale
54
AI4Belgium
Nathanaël Ackerman
AI4Belgium General Manager
AI & Innovation Expert @Service Public
Fédéral Stratégie & Appui (BOSA)
en matière d’IA, et parfois
régionale. AI4Belgium maintient
un agenda national des
événements IA pour assurer
une meilleure coordination
de la profusion d’initiatives.
Nous organisons également de
nombreux événements, tels que
le lancement du cours en ligne,
ElementsOfAI, accessible à tous les
citoyens, ou encore le hackathon AI4GOV
sur la transformation des services
publics.
52
Quelles sont les prochaines
étapes pour AI4Belgium ?
Les compétences et les plans régionaux
sont les fers de lance de la stratégie
belge. Un certain nombre d’actions sont
mises en place aux niveaux fédéral,
régional et au niveau des communautés
(qui ont pour vocation de s’occuper
de l’aspect culturel et éducatif). La
composition équilibrée des groupes de
travail et l’esprit d’innovation ouverte
qui animent AI4Belgium permettent
de réaliser un alignement des actions :
challenges sociétaux, mobilité, énergie,
santé, services publics, etc.
Une des prochaines étapes sera
l’organisation de la European AI Week
en mars 2022 qui s’annonce comme
un grand événement européen. Elle
fera suite à la La semaine belge de
l’IA organisée du 15 mars au 19 mars
2021 par AI4Belgium et l’ensemble de
l’écosystème vibrant de l’IA en Belgique,
avec le plein soutien des régions et du
niveau fédéral. Pendant une semaine,
une soixante événements (interventions
de personnalités internationales,
ateliers thématiques et participatifs,
débats citoyens, etc.) se sont succédés.
Au total, 222 intervenants, dont dix
ministres belges fédéraux et régionaux
ont participé activement à l’événement,
8000 inscrits, sans compter les visiteurs
sur les réseaux sociaux, soit 30 000
personnes à travers 60 pays dans le
monde. La visibilité de la Belgique
et de ses régions a connu un pic très
important à travers l’Europe.
2- La recherche
La stratégie belge d’IA met en place
plusieurs initiatives, notamment
politiques, pour stimuler à la fois la
recherche et l’innovation dans ce
domaine. Avec plus de 2300 chercheurs,
le pays a développé une expertise
certaine avec un nombre de publications
scientifiques bien supérieur à
la moyenne européenne, et une
% desquedevraient
Belges estiment
les pouvoirs publics
accorder une
priorité élevée au soutien
de la recherche et du
développement (R&D) et
de l’innovation dans le
domaine de l’IA.
La santé, l’industrie 4.0, l’énergie, la
logistique, l’éducation, l’éthique et la
réglementation mais aussi les industries
culturelle et créative figurent parmi les
domaines principaux sur lesquels la
recherche en IA se focalise, notamment
dans les universités qui peuvent
compter sur des chercheurs de niveau
international. Pour rappel, le laboratoire
d’intelligence artificielle de la VUB créé
en 1983 par Luc Steels fut le premier du
genre en Europe continentale. Citons
également la KU Leuven, et son Leuven.
AI Institute, qui se positionne dans
le top européen, l’université de Gand
et son UGent.AI, l’institut TRAIL (cf.
encart) mis en place dans l’écosystème
francophone intégrant, sur le modèle
du MILA, une masse critique pour
un positionnement international de
premier plan ou encore l’institut Imec
(cf. encart), acteur incontournable
de l’écosystème belge qui jouit d’une
reconnaissance mondiale, ainsi que
les centres de recherches appliquées
comme Flanders MAKE et le centre de
recherche collaboratif pour l’industrie
technologique belge (Sirris) qui se
positionnent sur l’industrie 4.0.

Flandre
(Vlaamse AI Academy, Imec, Data
& Society Knowledge Center)
Bruxelles-Capitale (FARI)
Wallonie (TRAIL)
Le programme de recherche
flamand par Sabine Demey
Le programme « Flanders AI Research »
a démarré en juillet 2019 en s’appuyant
sur la collaboration entre les cinq
universités flamandes : KU Leuven,
UGent, VUB, UAntwerpen en UHasselt
et cinq centres de recherche, imec (qui
coordonne le programme), Flanders
Make, VITO, VIB et Sirris. Financé
à hauteur de 12 millions par an et
rassemblant plus de 300 chercheurs
(dont 150 doctorants) en IA, son objectif
est de renforcer l’adoption de l’IA par les
acteurs concernés, afin de contribuer
à un futur digital, durable, centré sur
l’humain, pour soutenir la croissance
économique et l’innovation en Flandre.
Le programme se concentre sur des
défis génériques avec de nombreuses
applications dans la santé, l’industrie
4.0, la production et distribution
d’énergie, les services publics et
bénéfiques pour les citoyens. D’un
point de vue technique, quatre défis
principaux ont été définis :
• La science des données : hybride,
automatisée, explicable, fiable et
exploitable ;
• Le développement de l’ »edge-AI »:
une IA performante en temps réel et
économe en énergie;
• L’interaction autonome entre
entités décisionnelles : l’IA
collaborative multi-agents ;
• Une communication et
collaboration intuitive et
transparente avec les humains :
Human like AI.
INTERNATIONAL
3- Une économie Wallonie
solide et prospère
La région s’intéresse particulièrement
grâce à l’IA aux secteurs de la santé, de l’industrie
4.0, des médias et de la mobilité/
Passer à 75 % d’adoption logistique. Plusieurs programmes
des technologies cloud/ de DigitalWallonia4.ai tels que Start.
big data/IA pour 2030 IA, Tremplin.IA ou encore Cap.IA ont
dans le secteur privé, été lancés par l’Agence du numérique
tel est l’objectif (en wallonne pour dynamiser l’écosystème
ligne avec le Digital et mettre en place des stratégies de
Compass). En matière développement rapide d’adoption
d’investissement, de l’IA. Le SPW-EER lance également
un peu plus de 50 régulièrement des appels à projets de
millions d’euros par an R&D permettant la collaboration entre
proviennent des régions universités, hautes écoles, centres
pour accélérer l’adoption de recherche et entreprises dans des
de l’IA sur leur territoire secteurs stratégiques.
avec également des budgets considérés
comme additionnels et spécifiques à Flandre
l’IA, des bourses, projets et contrats de
recherche accordés à des chercheurs. Le Plan flamand consacre 15 millions
d’euros par an pour renforcer
Avec 25 % des entreprises belges l’utilisation de l’IA par le secteur
intégrant des solutions d’IA et 10 % des privé. Le pilotage de cette partie du
startups et scale-ups de l’écosystème programme est assuré par l’Agence
belge pouvant être classées comme pour l’Innovation et l’entrepreunariat
IA, comme l’indique Omar Mohout, (VLAIO). Pour répondre aux défis,
Partner & Head of digital chez Nova outre les investissements, la région
Reperta et membre de l’Advisory Board a lancé des initiatives comme la
d’AI4Belgium, l’écosystème local est en Sandbox Vlaanderen pour fournir
effet en pleine phase d’expansion : aux entreprises, notamment avec,
entre autres, des solutions IA, un
« L’IA est la technologie principale à environnement sûr pour tester, piloter
la croissance la plus rapide utilisée et valider de nouveaux produits et
par les startups et les scale-ups belges. technologies.
C’est le témoignage d’un avenir qui a
déjà commencé. Avec un vaste réseau Bruxelles-Capitale
de parties prenantes favorables
(éducation, gouvernement, instituts Bruxelles-Capitale a mis l’accent
de recherche, communautés, etc.), sur l’importance de la recherche
l’écosystème belge de l’IA est sur le point collaborative et l’innovation
de croître et de prospérer. » ouverte mais aussi sur le soutien
à l’entrepreneuriat féminin dans
Il est les domaines
intéressant de technologiques.
noter que sur 8 Les plus importantes levées de Le fond Innoviris
% des startups fonds 2020-2021 : participe
et scale-ups fortement avec
référencées par ses programmes
• Collibra : 103,500M € en 2020 (plus
AI4Belgium et de R&D dont le
grosse levée de fonds pour une
ses partenaires, Joint R&D Project,
entreprise IA en Belgique à ce jour)
28 % ont lequel, via la
#DataManagement
des filiales à collaboration
• Oqton : 40M € en 2021 (plus
l’étranger (8 entre le milieu
importante Series A pour une
% en France). académique
entreprise IA en Belgique à ce jour)
La situation et l’industrie,
#Manufacturing
géographique et portait en 2020
• OncoDNA : 19M € in 2020
linguistique de sur l’industrie de
#HealthTech
la Belgique, avec demain : verte,
trois langues humaine et
officielles, lui permet de prétendre à une smart. En plus des 7 à 8 millions par an
place centrale sur ce marché. investis par Innoviris, la région investi
15 millions additionnels jusqu’en 2025,
notamment pour FARI (cf. encart).
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 55
 3 questions à
Nathalie Smuha
Avocate et chercheuse (Droit & Éthique de l’IA/technologie) à KU Leuven, experte au
sein du Ad Hoc Committee on AI (CAHAI) du Conseil de l’Europe et co-Lead du groupe
de travail AI Ethics & Law d'AI4Belgium.
La nécessité d’un cadre éthique est l’un
des axes de travail défini par le Plan
coordonné européen. La Belgique a
intégré ce point dans sa stratégie sous
différents angles incluant également
le Droit et les enjeux sociétaux,
notamment celui du développement de
l’entrepreneuriat féminin, également
prioritaire. La question de l’IA de
confiance est au coeur des activités
du récemment créé institut FARI (cf.
encart) mais aussi du Data & Society
Knowledge Center (cf. encart). Au sein
d’AI4Belgium, le droit et l’éthique de
l’IA et de la technologie a fait partie des
recommandations pour la stratégie
nationale et le groupe Law & Ethics of AI
se focalise sur ces questions.
1. Qu’a réalisé le groupe de travail
depuis le lancement
d’AI4Belgium ?
Le travail du groupe AI Ethics & Law, que
je codirige avec Jelle Hoedemaekers
d’Agoria, comporte deux volets. D’une
part, nous informons les membres
d’AI4Belgium des initiatives éthiques
et juridiques en matière d’IA – par
exemple au niveau européen, la nouvelle
proposition de règlementation pour l’IA
de la Commission européenne. Nous
organisons des ateliers pour discuter
de ces initiatives, et pour sensibiliser
l’écosystème belge de l’IA et contribuer
à assurer que leurs systèmes d’IA sont
dignes de confiance. D’autre part, nous
veillons à ce que la vision belge puisse
être relayée par une plateforme au
niveau européen et international. Le
groupe fonctionne donc comme un
miroir entre l’écosystème belge de l’IA et
le reste du monde en ce qui concerne les
questions éthiques et juridiques autour
de l’IA.
56
2. Vous développez un AI
Ethics Assessment Tool. De
quoi s’agit-il ?
En 2019, le groupe d’experts
de haut niveau sur l’IA de
la Commission européenne (que
j’ai coordonné) a publié des lignes
directrices éthiques pour une IA digne
de confiance, qui ont ensuite inspiré
la proposition de la Commission pour
une première règlementation d’IA
que je viens de mentionner. Ces lignes
directrices contiennent une liste de
thèmes d’évaluation (Assessment List)
pour opérationnaliser des principes
éthiques dans le contexte de l’IA.
Avec le projet Assessment Tool, notre
objectif est de transformer cette liste
en un outil plus ergonomique, et de
l’adapter à différents domaines comme
les ressources humaines, les services
publics et la médecine – car certains
des risques éthiques soulevés par l’IA
diffèrent d’un contexte à l’autre – afin de
stimuler ces organisations afin d’assurer
que leurs systèmes se conforment à ces
lignes directrices. Pour ce faire, nous
impliquons toutes les parties prenantes
des domaines concernés. L’outil
fournira des questions et des conseils
qui peuvent aider les organisations
à prendre conscience des problèmes
éthiques (comme par exemple le biais ou
l’impact sur la vie privée) pour ensuite
mettre en place des mesures pour y faire
face.
3. Quelles sont les priorités du
groupe de travail pour l’avenir ?
La sensibilisation aux préoccupations
éthiques et juridiques soulevées par
l’IA reste une priorité. Nous souhaitons
mettre la Belgique sur la carte en
tant que pays à la fois motivé par
l’innovation et par un engagement à
garantir que l’IA respecte voire même
promeuve les droits de l’homme, la
démocratie et l’État de droit. En outre,
nous explorerons des projets comme
l’élaboration d’un serment pour l’IA (à
l’instar du serment d’Hippocrate) pour
les chercheurs et les développeurs
d’IA. Nous encourageons également
le gouvernement à créer un comité
consultatif d’éthique pour les projets IA
gouvernementaux, et à établir de bancs
de tests réglementaires pour l’IA.
4- Éthique, droit et société
La nécessité d’un cadre éthique est l’un
des axes de travail défini par le Plan
coordonné européen. La Belgique a
intégré ce point dans sa stratégie sous
différents angles incluant également
le Droit et les enjeux sociétaux,
notamment celui du développement de
l’entrepreneuriat féminin, également
prioritaire. La question de l’IA de
confiance est au coeur des activités
du récemment créé institut FARI (cf.
encart) mais aussi du Data & Society
Knowledge Center (cf. encart). Au sein
d’AI4Belgium, le droit et l’éthique de
l’IA et de la technologie a fait partie des
recommandations pour la stratégie
nationale et le groupe Law & Ethics of AI
se focalise sur ces questions.
Conclusion
Forte d’un écosystème dynamique et
consciente des enjeux, tant aux niveaux
régionaux que fédéral, la Belgique
s’est fixée des objectifs ambitieux. Si
les investissements en recherche, la
volonté d’augmenter l’adoption de
l’IA dans le secteur privé ou encore
la transformation digitale du secteur
public et la création d’une stratégie
de data responsible sont au coeur de
sa stratégie, il est intéressant de voir
comment le pays a placé également le
citoyen au centre de son développement.
Que ce soit avec la Semaine belge de l’IA
qui intégré le grand public, ou avec la
création du VUB AI experience center,
centre ouvert aux citoyens pour faire
des démonstrations de ce que l'IA peut
réaliser, il existe chez nos voisins une
volonté d’expliquer, d’acculturer et
d’intégrer le public à la révolution IA.

IMEC
L’Institut de micro-électronique et composants
(Imec) est un institut de recherche inter-
universitaire flamand spécialisé dans la
micro-électronique et les nanotechnologies. Basé
à Leuven, il emploie près de 3500 personnes et
se concentre sur la recherche correspondant aux
futurs besoins technologiques de l’industrie d’ici
trois à dix ans.
Mieke De Ketelaere, directrice du
programme IA à l’Imec, external
advisor to the AI4Belgium Board ;
Au sein de I’Imec, nous pensons que nous avons
atteint aujourd’hui un point de bascule impliquant
que certains défis ouverts doivent être résolus
au travers d’un débat multidisciplinaire et d’une
approche de recherche afin de créer un meilleur
avenir collectif. Notre programme d’IA se compose
de trois principaux défis :
• Réduction de la consommation d’énergie
grâce à la recherche (extrême) en
informatique de pointe en travaillant sur
différents composants de l’IA et étudie
des approches alternatives afin d’atteindre
l’objectif commun d’une « IA verte », en
ligne avec le Green Deal en Europe.
• Augmentation des fonctionnalités accrues
grâce à des algorithmes intra-dispositifs
et inter-dispositifs afin de s’assurer que
nos systèmes puissent communiquer et
collaborer de manière transparente avec
d’autres systèmes automatisés et avec des
humains.
• Créer une confiance accrue grâce à des
décisions explicables et à une approche
hybride de l’IA. »
6 entreprises à suivre
Lancée à Gent, Robovision
est devenue une startup de
référence, au sein du Benelux,
dans le domaine de l’IA, avec sa
plateforme industrielle évolutive
pour le deep learning à grande échelle. En intégrant dans
son outil hardware et software, elle permet aux entreprises
de s’adapter rapidement et de rester à la pointe de la
concurrence dans l’IA.
Société de service IT assortie d’un
centre de recherche et développement
privé et d’un incubateur de produits,
EuraNova travaille pour de grandes
entreprises européennes, des PME et plusieurs startups
en Belgique et en France. Ses domaines d’expertises sont
l’IA et les architectures centrées autour des données et le
développement de produits.
FARI
Lancé pendant la Semaine belge de l’IA par
l’Université libre de Bruxelles (ULB), la Vrije
Universiteit Brussel (VUB) et le gouvernement
de la Région de Bruxelles-Capitale, l’Institut
d’IA pour le bien commun baptisé FARI
rassemble plus de 300 chercheurs.
Encourageant la recherche sur une IA
transparente, explicable et fiable, il compte
également apporter des idées innovantes sur
des axes comme le développement durable, la
santé, la mobilité ou encore les consultations
civiques sur l’IA et les algorithmes, en impliquant
activement les citoyens. Divisé en trois pôles – un
pôle de recherche et d'innovation, un groupe
de réflexion sur l’IA, les données et la société,
et un pôle de test et d’expérience de l’IA – il
contribuera à créer des liens entre experts,
citoyens, organisations et associations locales et
entreprises, tout en sensibilisant et en renforçant
l’éducation sur l’IA et ses impacts dans la région.
Data & Society Knowledge Center
Le Data & Society Knowledge Center
(Kenniscentrum Data & Maatschappij) se
concentre sur l’interaction entre les données, l’IA
et la société.
Ce centre permet des mises en œuvre socialement
responsables, éthiques et juridiquement appropriées
de l’IA en Flandre. Il vise à permettre aux entreprises
flamandes, aux décideurs politiques, aux régulateurs
et aux citoyens d’obtenir de plus grands avantages
sociaux et/ou économiques issus de l’IA. Pour cela,
il réunira diverses organisations représentatives des
parties prenantes et facilitera la création d’outils, de
conseils et de recommandations.
La scaleup ML6 lancée par Nicolas
Deruytter s’est imposée comme
l’une des entreprises IA belge à la
croissance la plus rapide. Classée
16e sur le Deloitte’s Technology Fast 50, elle est spécialisée
dans l’IA et l’apprentissage automatique. ML6 permet à ses
clients de rattraper leur retard en termes de technologie et
d’innovation.
DataRoots est une
société de conseils en IA
spécialisé dans l’analyse
des données, l’apprentissage automatique, les modèles
prédictifs, l’optimisation des processus, la maintenance
prédictive, la modélisation des risques ou encore l’analyse
de texte.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
INTERNATIONAL
TRAIL
Lancé en Wallonie en septembre 2020 par
cinq universités, UCLouvain, ULiège, UNamur,
UMons, ULB et quatre centres de recherche,
Cenaero, Multitel, Cetic, et Sirris, avec l’appui
du Service public régional wallon de l’Agence
du numérique et AI4Belgium, TRAIL (TRusted AI
Labs) vise à mettre à disposition des entreprises
et des administrations publiques l’expertise et
les outils développés dans le domaine de l’IA
par ces différents organismes. Les grands défis
industriels lancés dans le cadre de TRAIL par
Thierry Dutoit, co-lead avec Benoît Macq du TRAIL
Institute
"Dans le cadre du projet
ARIAC-by-Digital Wallonia,
octroyé en 2021 par le
gouvernement wallon
au consortium TRAIL et
permettant l’engagement
de 50 thésards en IA entre 2021 et 2026, nous
lançons dès à présent 7 grands défis, sur des
sujets en lien avec des besoins sociétaux et
industriels :
• Hybridization of models and data towards
an augmented engineering (use case:
additive manufacturing)
• Physics-based models and monitoring data
with transfer learning for large systems
(use case: large-scale building energy
performance)
• Secure reliable privacy-preserving AI
• Assisting Operations Research on
Optimisation through Machine Learning
• Weakly-supervised Machine Learning –
Towards a more general AI
• Trustworthy AI for critical systems
• Towards a human centric AI powered
smart environment with machines, robots,
sensors and actuators in an Industry 5.0
perspective (zero-defect, accident, burnout
objectives)"
Spécialisée dans
la création de
produits et de plateformes numériques d’avenir à l’aide de
nouvelles technologies avancées, Raccoons développe des
actifs réutilisables et personnalisés pour un développement
à grande vitesse composés de logiciels, de matériel, de
données ou de ressources en personnel pour de nouveaux cas
d’utilisation.
La PME wallonne est devenue un
acteur de référence dans le domaine
de la Data Science et de l’IA.
Spécialiste du Small Data, B12 se focalise notamment sur les
PME et leur permet, malgré le peu de données disponibles,
accéder à la révolution numérique, que ce soit pour détecter
les fraudes et générer des recommandations par exemple
57
 PAROLE D'EXPERT
Magalie Ochs
Enseignante-chercheuse en
informatique, au Laboratoire
d’Informatique et des Systèmes (LIS) à
l’université d’Aix-Marseille
Elle a travaillé préalablement dans plusieurs
laboratoires dont le centre R&D d’Orange
(Orange Labs), le laboratoire d’informatique
de l’université Pierre-et-Marie-Curie de Paris
6, le National Institute of Informatics à Tokyo
au Japon et Télécom Paris.
Elle conduit depuis plusieurs années des
travaux visant à intégrer une intelligence
sociale et émotionnelle artificielle dans les
systèmes interactifs, tels que des robots ou
des personnages virtuels, en utilisant des
techniques d’intelligence artificielle.
La dimension sociale et émotion-
nelle des IA entre en action dans
bien des domaines d’application,
dont la formation des médecins.
Pourriez-vous nous en dire plus
sur ce sujet ?
Aujourd’hui, l’IA socio-émotionnelle
développe des modèles dont les règles
comportementales restent obscures
pour l’utilisateur. Nous cherchons
à concilier états émotionnels et
transparence des algorithmes.
Deux aspects se distinguent dans l’IA
socio-émotionnelle. D’abord, nous
58
La dimension
sociale et
émotionnelle
des IA
travaillons sur ce que l’on détecte sur les patients malades pour que les
l’utilisateur humain, en mesurant des médecins puissent s’entraîner. Puis
signaux (sourires, posture, intonations nous analysons les vidéos. Aujourd’hui,
etc.) dans une interaction simulée le prototype existe, mais nous avons
avec un personnage virtuel puis nous besoin d’ingénieurs pour transformer le
donnons un retour sur la tâche qu’il prototype en outil.
avait à mener et sur le type de posture
qu’il devait mettre en place. Des Quels sont vos autres projets en
algorithmes de machine learning vont
être utilisés pour relier une posture
cours ?
à une perception et le modèle de
Nous travaillons sur la lutte contre les
comportement socio-émotionnel va
discriminations ethniques et raciales.
être défini selon des modèles de règles
et de conditions. Par exemple, partons
L’idée est de former les utilisateurs,
témoins de scènes discriminatoires ou
du principe que si l’utilisateur échoue
de discrimination ordinaire sous un
dans l’exercice, il faudra qu’il éprouve
format « théâtre-forum ». Pour cela,
de la tristesse. Si dans certains cas, il
nous avons rassemblé des acteurs
peut exister une justification – « Je
et des ingénieurs en réalité virtuelle
suis triste, car j’ai raté mon exercice » –,
et développé un casque virtuel avec
souvent l’expression de ces émotions est
lequel l’utilisateur assiste à une scène
implicite, comme dans une interaction
de discrimination ordinaire. Leur
humain-humain.
comportement est bien sûr multimodal,
nous analysons autant les signaux
C’est quelque chose que nous utilisons
verbaux que non-verbaux. L’usager doit
dans notre projet de formation des
alors faire en sorte qu’un des individus,
médecins fondé sur une plateforme
ou les deux, prennent conscience de
de réalité virtuelle. Il répond à la
l’aspect discriminant de leurs propos.
préconisation de la Haute autorité de
L’idée est qu’en formant les témoins
santé sur la formation des médecins
de telles situations, il sera possible de
à l’annonce de mauvaises nouvelles
sensibiliser la population à intervenir
aux patients. D’une durée de trois
et apprendre à réagir de façon
ans, le projet a été financé par l’ANR
constructive.
en lien avec des médecins de l’institut
Paoli-Calmettes (IPC) de Marseille, du
CHU d’Angers et d’autres partenaires
Un autre projet sur lequel je travaille
universitaires. Le médecin, équipé
porte sur la prise de parole en public
ou dans le cadre d’un webinaire avec
d’un casque de réalité virtuelle, est
analyse du niveau de performance dans
plongé dans une salle de réveil avec un
la prise de parole en public et simulation
patient virtuel. Il doit lui annoncer une
de la prise de parole en public à l’aide
pathologie grave et qu’il doit se faire
de la réalité virtuelle qui génère
opérer en urgence. Une situation entre
virtuellement une audience ayant des
« la difficulté de l’acte » et « l’erreur
comportements plus ou moins engagés
médicale », avec interaction entre le
dans la présentation. Aujourd’hui, les
patient et le médecin. Par exemple, si le
lycéens ont « Le grand oral » en nouvelle
médecin omet certaines informations
épreuve de baccalauréat. Cela pourrait
sur la pathologie dont le patient virtuel
être intéressant de fournir, un jour, un
était atteint, ce dernier n’hésitera pas
outil pour les aider à s’entraîner.
à poser la question. Pour des questions
éthiques, des acteurs viennent jouer

Comment
concilier éthique
et intelligence
artificielle ?
Comment concilier éthique et
intelligence artificielle ?
Il est essentiel d’avoir une approche à
la fois systémique et structurée pour
intégrer et appliquer l’éthique dans l’IA.
Pour ce faire, une vision transversale et
non en silo du numérique doit prendre
en compte les données, l’algorithme,
l’architecture technologique
et fonctionnelle (systèmes),
l’environnement / le contexte, les
pratiques, et les décisions. Cette
démarche se fonde sur les concepts
de l’Ethics by Design et l’Ethics by
Evolution.
En d’autres termes, nous devons
intégrer des exigences et des
préconisations éthiques d’une part, dès
la conception des technologies jusqu’à
leurs utilisations, et d’autre part de
manière évolutive dans le temps pour
garantir leur contrôle et suivi.
Cela suppose d’être en mesure d’assurer
une vigilance éthique permanente
et organisée sur les créations
technologiques auxquelles les acteurs
publics et privés contribuent, ainsi que
sur les technologies d’IA déjà existantes,
dans une structure et un contexte
donnés. L’objectif est d’apporter du
sens, de la sécurité, de la transparence
et de la confiance autour de l’IA pour la
société.
En quoi consiste le label ADEL sur
l’IA responsable que votre société
ADELIAA propose ?
Notre labellisation ADEL sur l’évaluation
éthique pragmatique d’une IA s’effectue
en deux temps :
• dans un premier temps, une
évaluation éthique systémique sur
la conception, la mise en place, et
l’usage du projet digital relatif à l’IA
(cf. Ethics by Design).
• puis une évaluation algorithmique
des modèles d’IA et des données
utilisées en entrée et en sortie (cf.
Méthode d’évaluation AXIOETK et
Ethics by Evolution) pour évaluer
le niveau d’engagement éthique
des IA. Ces tests algorithmiques
sont effectués par nos équipes
de data scientists qui vont
vérifier des métriques clés de
fiabilité, interprétabilité, qualité /
robustesse, discrimination sociale
(notamment l’égalité des chances
et des opportunités mais aussi les
biais explicites et implicites) de
l’application intelligente.
Cette labellisation s’appuie sur une
plateforme d’évaluation en ligne, en
conformité avec le RGPD, ainsi qu’un
accompagnement humain pour intégrer
une acculturation éthique au sein des
entreprises.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
PAROLE D'EXPERT
Jérôme Béranger
Co-fondateur et CEO de la société ADELIAA
Docteur en éthique du numérique, Jérôme
Béranger est le co-fondateur et CEO de la
société ADELIAA spécialisée dans les projets de
data science, le développement d’algorithmes
traditionnels et d’IA (machine learning, deep
learning...), des méthodologies innovantes de
gouvernance et valorisation de la donnée et
surtout dans l’accompagnement et l’évaluation
éthique des projets digitaux.
Il est également chercheur (PhD) associé au
CERPOP - Inserm de l’université de Toulouse 3.
Ses recherches sont axées sur l’approche éthique
de la révolution digitale centrée sur le concept
de l’Ethics by Evolution. Ses deux derniers
livres sur ce sujet sont respectivement : Quand
l’Intelligence Artificielle s’éveillera, Le Passeur
Éditeur, sept. 2020, et La responsabilité sociétale
de l’Intelligence Artificielle, ISTE Éditions, fév.
2021.
Il siège dans plusieurs comités scientifiques
ou d’éthique au sein de structures privées et
publiques, notamment le Conseil du numérique
en santé. Enfin, il est membre du Conseil
d’administration de la Fondation Persée dédiée à
l’innovation dans la recherche en cancérologie sur
le territoire des Pays de la Loire.
59
 PAROLE D'EXPERT
Golnoosh Farnadi
Professeure adjointe à HEC Montréral
Golnoosh Farnadi est professeure adjointe à
HEC Montréal et membre de Mila, l’Institut
québécois d’intelligence artificielle (IA).
Elle développe de nouveaux modèles
d’apprentissage automatique et d’IA pour aborder
l’équité et l’éthique dans ces domaines. Ses
travaux récents ont principalement porté sur
la lutte contre les préjugés et la discrimination
algorithmique dans les modèles de prise de
décision.
Après avoir obtenu un doctorat en informatique
de la KU Leuven et de l’université de Gand
en 2017, Golnoosh Farnadi a été chercheuse
postdoctorale aux universités de Californie à
Santa Cruz et de Montréal, ainsi qu’à Mila. En
2021, elle a été nommée titulaire d’une chaire en
IA Canada-CIFAR.
Elle a notamment collaboré à des projets avec
Microsoft Research et les universités de Californie
à Los Angeles, de Washington et Tsinghua, dont
le succès s’est traduit par plus de 40 publications
dans des revues scientifiques. En plus d’avoir
reçu deux prix pour des articles, elle a organisé
des ateliers et de nombreuses conférences
internationales.
60
Définir l'équité
pour faire évoluer
les systèmes d'IA
Comment analyser la Comment voyez-vous l’évolution
discrimination de l’IA dans la des systèmes d’IA?
société et quelles sont les actions
Le spécialiste en apprentissage
à mettre en place ? automatique se trouve devant deux
choix. Premièrement, il peut faire
L’atténuation des biais dans les
systèmes d’IA est divisée en deux
abstraction des défis dans la définition
composantes : conceptuelle et
de l’équité, en supposant qu’ils
proviennent d’exigences légales ou de
technique.
politiques d’entreprise, et se concentrer
sur la partie technique. (Ceci peut
La première consiste à définir ce qu’est
avoir d’énormes implications, puisque
l’équité dans un projet, et cela doit
nous sommes très en retard dans la
être idéalement fait par une équipe
réglementation de l’IA.)
de spécialistes en IA, en collaboration
avec des avocats, décideurs et experts
Deuxièmement, il peut souligner
des sciences sociales. Lorsque cette
les moyens subtils par lesquels un
définition est claire pour tous, la tâche
traitement inéquitable peut se produire
devient technique : quels changements
en raison de la manière dont les
devons-nous apporter au processus de
algorithmes sont conçus, afin d’éviter
prise de décision pour que le résultat du
cela.
système réponde aux exigences dictées
par cette définition ?
L’un des principaux problèmes auxquels
nous sommes confrontés est que les
Par exemple, nous exploitons diverses
systèmes d’IA sont annoncés et déployés
notions d’équité dans nos projets, en
comme étant dignes de confiance,
fonction de la tâche.
alors que c’est loin d’être la réalité.
Les modèles d’IA et d’apprentissage
Pour l’un d’entre eux, nous développons
automatique sont des méthodes
un modèle d’IA qui examine un système
populaires pour prendre efficacement
automatisé de prise de décisions par
des décisions basées sur les données,
rapport à tous les scénarios potentiels
mais notre communauté de recherche
afin de fournir des garanties d’équité.
a fait part de ses préoccupations quant
Ici, nous avons supposé que deux
au fait que ces modèles ne sont pas
individus devraient recevoir la même
nécessairement équitables, sécuritaires
décision si seulement leurs attributs
ou robustes et que leur utilisation peut
protégés tels que leur sexe ou leur
causer en pratique de graves problèmes
race diffèrent. Dans un autre projet,
éthiques et sociétaux. Nous devons
nous modifions un algorithme de
sensibiliser les gens sur le fait que
correspondance d’échange de reins pour
les dommages survenus peuvent être
réduire la différence entre les chances
le résultat de leur utilisation accrue
des patients qui ont besoin d’une greffe.
dans différents domaines et que c’est
inévitable, compte tenu de l’état actuel
Ces méthodes techniques assurent
des technologies à notre disposition.
l’équité « par définition », mais posent le
défi tout aussi primordial de « comment
La sensibilisation du public et la mise
définir l’équité ». Puisqu’à mon avis nous
en place de réglementations sur l’IA
ne sommes pas en mesure d’obtenir
sont assurément des éléments clés à
une définition parfaite et unanime pour
favoriser.
tous, il est important d’envisager une
approche interactive entre toutes les
parties prenantes.

Sensibiliser et
former aux enjeux
de l'IA
Vous êtes spécialisé dans la
transition énergétique, qu’est-ce
qui vous a poussé vers l’IA et
quels parallèles faites-vous entre
ces deux domaines ?
J’ai constaté à travers mes recherches et
mes rencontres que beaucoup de données
dans ce domaine restaient non exploitées.
Essentiellement parce que les acteurs
travaillant sur le climat, l’économie circulaire
et la transition énergétique n’osent pas se
tourner vers l’IA par crainte de se trouver
hors du cadre législatif du RGPD. J’ai alors
eu la chance d’être contacté par Marco
Landi, qui m’a proposé de le rejoindre à
l’institut EuropIA. Ainsi, j’ai naturellement
pu faire le parallèle avec la gestion de ces
données, et ce dans un but précis : accélérer
la transition énergétique. Il y a urgence !
L’IA permet d’exploiter ces données afin de
faire les meilleurs choix et de proposer à un
plus grand nombre des solutions efficaces
et rapides, de simplifier les procédures et
d’amplifier les actions. L’IA est à mes yeux
indispensable dans cette démarche envers
l’humanité. Si l’on prend l’exemple de la
gestion de l’énergie dans un bâtiment, on se
rend compte que lorsqu’on connaît mieux
les habitudes des habitants, il devient alors
possible d’adapter le plus finement possible
l’utilisation de l’énergie, et de tendre alors
vers une réelle réduction des coûts.
Quels sont vos projets pour
l’institut EuropIA ?
L’institut EuropIA est une initiative
unique en Europe. Organisme à but non
lucratif, son objectif est de sensibiliser
et de former sur les enjeux de l’IA,
à travers une approche éthique, à
destination de quatre types de publics :
grand public, acteurs économiques,
collectivités et écoles d’études
supérieures, par le biais de cycles de
conférences. Nous avons noué des
partenariats avec de grandes écoles,
des business schools etc. et participons
à leurs programmes d’enseignement
en incluant l’IA. Nous souhaitons
PAROLE D'EXPERT
aider à créer un monde dans lequel l’IA
serait un outil éthique au service de
l’humain, que celui-ci comprendrait
et utiliserait au mieux pour relever
les défis des transitions écologique,
sociétale et économique. Il serait
accessible aux citoyens et collectivités
autour de ce développement appelé « AI Jérôme RIBEIRO
for Humanity ». Nous souhaitons ainsi Expert institut EuropIA pour la transition
favoriser l’innovation et la création d’un
écosystème pérenne capable de mieux Après une première expérience de management
embrasser les défis à venir. dans les télécoms et les SI, Jérôme Ribeiro
est aujourd’hui au service des territoires qu’il
Actuellement, nous nous développons
sensibilise sur la transition et la performance
dans tous les pays d’Europe, avec
énergétique, le bas carbone et l’économie
une répétition de notre modèle, et
circulaire. Il accompagne les acteurs de ces
sommes déjà opérationnels en Italie
et en Belgique, avec mise à disposition secteurs dans les démarches d’obtention de
d’un super calculateur au service des subventions.
startups et des entreprises hébergées.
Il est également vice-président du bureau et du CA
D’autre part, nous avons aussi pour de l’institut EuropIA, et président du collège BTP
ambition de développer des Maisons de & Économie Circulaire de l’OCCE, (Organisation
l’IA, avec parcours pédagogique, dans pour le climat et l’économie circulaire) dont
toutes les régions de France et d’Europe.
les objectifs sont de : présenter les défis pour
Il s’agira d’un espace public d’éducation
l’application du modèle circulaire : limiter les
et de dialogue consacré à l’IA et à ses
déchets, réduire la consommation d’énergie et de
applications. Parce que l’IA est présente
ressources ; créer et valoriser des matériaux de
dans tous les aspects de notre vie, sans
qu’on ne sache pas toujours en quoi construction durables ; promouvoir les bâtiments
elle consiste, ce lieu permettrait de et environnement intérieur durables ; considérer
mieux l’appréhender. Nous sommes les avantages et défis des smart cities.
en train de créer une de ces maisons
au Maroc, la première en Afrique, avec Ancien joueur de rugby, passionné par les
l’université Mohammed Premier à Oujda enjeux sociétaux, il s’engage sur ces sujets avec
qui organise depuis trois ans déjà les force, conviction et beaucoup d’humanisme afin
Journées Internationales Scientifiques
d’apporter sa pierre à l’édifice et être un véritable
sur l’Intelligence Artificielle.
« acteur du changement ». Il est consultant en
Par ailleurs, du 10 au 12 février 2022, transition énergétique auprès de grands groupes
le Palais des festivals et congrès de français et internationaux (Engie, Vinci, Groupe
Cannes accueillera la première édition Réalités, Enoé, Hynoé, Eurovia) qui ont déjà une
du WAICF (World A.I. Cannes Festival), maturité sur les enjeux de transition énergétique
festival mondial de l’IA ouvert aux et ont compris l’intérêt d’y participer activement
professionnels et au grand public. afin de s’inscrire véritablement et durablement
Cet événement est le résultat d’une dans les économies d’un futur responsable.
initiative de l’institut EuropIA et des
collectivités locales. L’institut EuropIA
reste ouvert à toutes les initiatives
nationales et internationales qui vont
dans le sens de sa mission : une IA pour
l’humanité.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 61
 SANTÉ

Retour sur les « 24 hours

Holographic Surgery »,
un tour du monde pour bâtir la
médecine de demain

En 2016 à LaMSN, La Maison des

Sciences Numériques, une
rencontre est née entre un
chirurgien de haut niveau,
le Pr. Thomas Grégory, impliqué
dans la médecine moderne, et un
informaticien de renom passionné
d’IA, le Pr. Younès Bennani,
œuvrant pour l’innovation et le
développement de l’intelligence
artificielle à travers sa vision
interdisciplinaire.

Younès BENNANI & Thomas GRÉGORY

Université Sorbonne Paris Nord
La Maison des Sciences Numériques - LaMSN
Hôpital Universitaire Avicenne AP-HP

62

Une rencontre utile pour la médecine de demain
Cette rencontre s’est concrétisée à travers la création
d’une équipe-projet Moveo au sein de LaMSN de l’université
Sorbonne Paris Nord. Il s’agit d’un centre de R&D qui, de
par sa vision interdisciplinaire, œuvre pour l’innovation et
le développement d’outils à base d’IA et de réalité mixte au
service de l’apprentissage et de la pratique de la chirurgie.
Il s’agit du premier centre de recherche mondial dédié
exclusivement à une toute nouvelle discipline prometteuse
visant à standardiser, optimiser et sécuriser l’acte
chirurgical au bénéfice des patients : la chirurgie assistée par
l’intelligence artificielle.
Cette vision interdisciplinaire permet d’appréhender la
complexité d’un sujet, en saisir tous les aspects et toutes les
dimensions, et résoudre des problèmes devant lesquels une
discipline seule serait impuissante. Une vision permettant
de lier différentes approches, différents savoirs qui ignorent
parfois leur complémentarité. Cette démarche développée
au sein de Moveo permet aussi d’enrichir un domaine par
le biais de questions d’un autre domaine. En réunissant en
un même lieu médecins et enseignants-chercheurs en IA, le
centre permettra la création rapide d’outils visant à utiliser
les technologies développées dans d’autres domaines que la
médecine, pour les besoins de la simulation en santé et du
soin.
Moveo a pour ambition de donner une visibilité
internationale à l’excellence française soutenue par des
exigences d’innovation portées par les représentants du
monde académique et du monde socio-économique qui
se rejoindront. À l’instar de la tour de contrôle aérienne,
le centre Moveo est conçu comme une « tour de contrôle
chirurgicale » permettant de récolter les masses de données
anonymisées des blocs opératoires afin d’alimenter les
algorithmes d’IA qui, en retour, permettront de standardiser
et ainsi de sécuriser les interventions chirurgicales en temps
réel.
Un chirurgien, pionnier de la médecin de demain
En 2017, le Pr. Thomas Grégory, chef du service de chirurgie
orthopédique et traumatologique à l’hôpital universitaire
Avicenne AP-HP et professeur de chirurgie orthopédique et
traumatologique à l’université Sorbonne Paris Nord, a conduit
une opération en réalité augmentée, grâce à l’utilisation d’un
casque HoloLens de Microsoft.
SANTÉ
Un tour du monde de chirurgies assistées en réalité
mixte
Trois ans après cette première intervention, un tour
du monde de chirurgies assistées en réalité mixte « 24
hours Holographic Surgery » s’est tenu les 9 et 10 février
2021 pour marquer une nouvelle étape dans l’innovation
médicale. Quinze chirurgiens issus de treize pays ont mené
des interventions en réalité mixte, assistées par HoloLens
2, pendant vingt-quatre heures. À l’occasion de cette
première mondiale, le Pr. Thomas Grégory a piloté avec son
équipe l’ensemble des treize chirurgies et assisté, grâce
aux technologies de réalité mixte, les chirurgiens depuis le
centre Moveo. Équipés de lunettes HoloLens 2, les chirurgiens
de chaque pays ont notamment pu au cours de leurs
interventions :
• visualiser en hologramme, manipuler et planifier le
déroulement du programme opératoire ;
• partager, en temps réel, leur champ de vision avec leurs
confrères à distance et bénéficier ainsi de leur expertise
sur les différents cas cliniques ;
• former à distance leurs confrères en leur apportant un
enrichissement aux pratiques chirurgicales.
Lors de ce tour du monde de chirurgie assistée par la réalité
mixte, les différents pays participants ont également partagé
la diversité et la richesse de leurs pratiques respectives.
Retransmis dans le monde entier pendant 24 heures
L’événement a, en complément, donné lieu à une quinzaine
de tables rondes et près de vingt-cinq entretiens pour
comprendre les apports de la technologie à la pratique
chirurgicale et dessiner les contours de la médecine du futur.
Quinze mille téléspectateurs de cent-trente pays ont participé
à cet événement unique en regardant douze opérations
chirurgicales holographiques, quinze tables rondes et des
interviews en direct avec vingt invités exclusifs. Plus de
soixante-dix spécialistes et experts du domaine de la santé
ont ainsi discuté des atouts de la réalité mixte, de l’IA et
plus globalement de l’innovation technologique dans leur
discipline.
Notes
1
Tous les contenus diffusés pendant l’événement sont accessibles sur le site dédié https://aka.
ms/24h.
2
Afrique du Sud, Allemagne, Belgique, Bolivie, Brésil, Émirats arabes unis, États-Unis, France,
Inde, Italie, Maroc, Mexique, Ukraine.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 63
 STARTUP

Fondée en 2017 par Thomas

Bonnefoy et Franck Monod,
PRISMO est une start-up savoyarde
spécialisée dans le développement
d’applications digitales pour
les marchés de la formation,

Prismo le profiling de l’emploi et des ressources

humaines.

RH au service du
capital humain
Entretien avec
Thomas Bonnefoy

La technologie des outils à des étudiants, des candidats et des

de profiling RH de PRISMO,
basée sur la théorie des
comportements et la science
des compétences, aide les
recruteurs à identifier le
bon candidat, les managers
à mieux comprendre leurs
équipes et les formateurs à
mieux accompagner leurs
apprenants.
En quoi votre solution se
distingue-t-elle des autres
solutions disponibles sur le
marché ?
Elle diffère premièrement par le contenu
de ce que l’on apporte. Notre solution
permet d’identifier les compétences, le
comportement et les motivations. On
croise l’analyse de la personnalité et de
la compétence technique, ce qui nous
permet de proposer une prédiction du
potentiel d’évolution professionnelle
des individus et des collectifs. Ensuite,
il y a une différence dans l’usage. Nous
essayons de rendre notre technologie la
plus accessible possible, et notamment
collaborateurs dans leurs premières
années de vie professionnelle. Il faut
savoir qu’en général, ces technologies
sont plutôt accessibles aux dirigeants
afin qu’ils aient accès à des bilans
assez avancés de compétences et de
motivation.
L’enjeu sur ces marchés n’est plus
simplement faire de l’analyse de
profils professionnels à un instant
T, en précisant qu’un profil a telle
compétence ou tel comportement, mais
de réussir à prédire, grâce à la data
collectée et grâce à une technologie
d’Intelligence Artificielle (IA), si un profil
individu est capable d’évoluer dans un
environnement particulier ou d’une
manière particulière.
En dehors des compétences
techniques, la réussite d’une
embauche dépend avant tout de
l’adéquation entre le candidat
et de l’entreprise, de sa capacité
à s’adapter à l’équipe déjà
existante. Est-ce que votre
solution tient compte de cet
aspect primordial ?
Exactement. On est capables de faire
« matcher » le profil d’un candidat avec
le profil d’une équipe en place, et de
voir les points de complémentarité et
les points de difficultés ou d’attention
qu’il pourrait exister. On arrive ainsi
à proposer un matching et un taux de
complémentarité entre une équipe,
un candidat et un environnement de
travail.
L’usage de cette technologie est
multiple. Par exemple, pour un
utilisateur étudiant qui fournit ses
datas, on est capables de commencer
à prédire vers quel domaine de
formation l’orienter. Notre technologie
est donc utilisable dès l’orientation
jusqu’aux premières années de la vie
professionnelle du collaborateur, en
passant par la phase de formation et
celle de l’insertion.
Plus généralement, quels sont
les critères qui font qu’une
embauche peut se conclure ou
non ?
En réalité, il y a tellement de critères
que la technologie ne pourra jamais
tout résoudre, mais notre objectif
reste d’apporter des nouveautés et

64

des données plus enrichies dans le
cadre du processus de recrutement
et d’intégration, essayer d’anticiper
et de donner quelques clés que ce soit
pour le recruteur, pour le manager ou
pour l’individu lui-même (candidat
ou collaborateur). Et puis, ce qui fait
que ça fonctionne, c’est justement
l’adéquation entre le profil candidat
recruté et l’équipe déjà en place. Il faut
bien connaître ses collaborateurs avant
d’aller recruter, tout simplement. Les
recruteurs ont souvent tendance à
essayer de trouver les solutions dans le
recrutement alors qu’elles peuvent être
trouvées dans la base collaborateurs.
C’est un travail de puzzle, on va essayer
de regarder quelles compétences,
quelles motivations il peut manquer
pour essayer de recruter de manière
concrète. Ce travail d’audit est, je pense,
trop rarement fait en amont d’un
recrutement.
Notre solution
Sur quel business
model repose le
service que vous
permet d'identifier
proposez aux
étudiants ?
les compétences, le
Notre business model
comportement et les
sur la formation repose
sur les marchés publics
motivations.
et sur des appels à
projets. On a aussi une logique de
déploiement de la marque et des outils
PRISMO avec un modèle freemium. Des
professionnels de l’accompagnement,
des coachs et des formateurs, peuvent
ensuite proposer nos outils pour
justement aider ces jeunes à mieux se
connaître, se comprendre et se projeter
professionnellement.
Votre approche repose sur la
science du comportement et
plus précisément sur le modèle
DISC. Avez-vous envisagé
d’adopter une approche de type
« moteur de recommandation »
collaboratif ou hybride, en vous
basant sur les parcours des uns
pour prédire la réussite des
autres ?
C’est une voie, une solution possible. Je
pense que certains la prendront. Il est
vrai qu’on peut essayer de trouver des
critères en commun, qu’il est possible
de déceler des patterns statistiques
par analogie. Mais il est sûr que nous
ne prendrons pas cette voie. Il y a une
différence entre le fait d’exploiter cette
méthode dans des secteurs tels que la
vidéo à la demande et les RH. Selon moi,
on ne peut pas réfléchir de manière
analogue puisque l’environnement
de travail varie énormément d’une
entreprise à l’autre et que les critères
sont très nombreux.
Il y a aussi des biais de désirabilité
qui ne pourront être levés par la
technologie seule. Le cadre éthique est
très complexe à mettre en place et nous
considérons qu’il faut individualiser
l’analyse et l’approche apportées
par la technologie : il faut partir de
l’environnement de travail de chaque
équipe ou entreprise pour laquelle on
recrute ou pour laquelle on souhaite
faire évoluer notre collaborateur, et à
partir de là, on peut définir un calcul
de matching pour aller chercher les
candidats qui correspondront le mieux
à nos besoins. Nous estimons que la
technologie et la data ne doivent pas
se substituer au travail d’analyse des
experts de la formation et des RH. Notre
technologie se met au service de ces
tiers de confiance : des encadrants, des
formateurs, des équipes pédagogiques,
des coachs, des recruteurs qui vérifient
si ces données sont intéressantes pour
confirmer ou infirmer une embauche,
une voie professionnelle à suivre, etc.
À l’heure actuelle, où en
êtes-vous et quelles sont vos
prochaines étapes ?
Notre société a quatre ans et a connu
une première phase de R&D pure qui
a duré deux ans et demi. Sur les deux
premières années, elle était concentrée
sur le développement de prototypes et
de la première version de l’application.
On a testé notre solution sur le marché
grand public qui a été notre premier
marché et pouvoir ainsi, affiner le
modèle.
LE MAGAZINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
STARTUP
La troisième année, il y a eu un grand
bond dans le nombre d’utilisateurs de
la plateforme. On est passés de 5 000 à
plus de 60 000 utilisateurs grand public.
En parallèle, on a développé notre
business model business-to-business, à
savoir un back-office d’outils d’analyse
de profils qui s’adresse aux experts de la
formation et des RH. Et puis, on a signé
nos premiers clients.
Nous sommes désormais dans la
quatrième année, on développe
encore la base utilisateurs et la base
clients. On est à un niveau régional
et progressivement, on se déploie
à un niveau national. On peut dire
qu’on est dans une phase d’amorçage,
de développement « pur », tout en
continuant d’investir continuellement
en R&D. Nous avons aussi une ambition
de développement en matière
d’expérience utilisateurs, car on a
récemment remporté un gros marché
public avec le ministère du Travail
et le Plan d’Investissement dans les
compétences dont nous sommes
lauréats. Nous allons outiller Pôle
Emploi au niveau régional, puis on
va travailler à déployer dans les trois
prochaines années à un niveau national.
L’objectif est que la technologie de
nos outils permette d’augmenter
l’employabilité du public visé par ce
marché en identifiant le potentiel
d’évolution professionnelle de jeunes
davantage éloignés de l’emploi et en les
accompagnant vers les domaines de
formation qui matchent avec leur profil.
Le marché que nous avons remporté
va étoffer la dimension prédictive
de nos outils. On est aujourd’hui
capables, à partir de l’évaluation du
comportement et des motivations et
par rapport à toutes les statistiques de
compétences que nous avons, de prédire
vers quels domaines de formation le
profil utilisateur pourrait s’orienter.
Deux doctorants des laboratoires du
CERAG (Université Grenoble Alpes) et du
LISTIC (Université Savoie Mont Blanc)
travaillent avec nous pour définir un
cadre éthique de l’usage de cette IA
prédictive et nous aident à étoffer la
science de nos outils.
Ainsi, nous pourrons outiller les agences
Pôle Emploi, ainsi que des partenaires
publics de la formation et de l’emploi,
pour qu’ils puissent mieux accompagner
les jeunes qui en ont besoin.
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 LIVRES
L'intelligence La fabuleuse histoire L’intelligence
artifielle. de l’intelligence artificielle et les
Triomphes et artificielle. Des mondes du travail.
déception automates aux robots Perspectives
Mélanie Mitchell humanoïdes sociojuridiques et
352 pages, éd Dunod Clifford A. Pickover enjeux éthiques
298 pages, éd Dunod Dir. par Jean Bernier
232 pages, Presses de l’Université
Laval

Melanie Mitchell présente les modèles dominants de l’IA
moderne, en décrivant les programmes de pointe, leurs
inventeurs et les courants de pensée qui sous-tendent les
réalisations récentes. Elle explore la profonde déconnexion
entre le battage publicitaire et les applications réelles, en
donnant une idée claire de ce que le domaine a accompli et
de ce qu’il reste à faire. Associant les recherches les plus
stimulantes du domaine, et ses observations personnelle, elle
aide à comprendre l’IA d’aujourd’hui, sa quête d’intelligence
« à l’échelle humaine » et son impact sur notre avenir.
Des premiers automates à la reconnaissance faciale et aux
robots humanoïdes, cette histoire mondiale vous présente
un fascinant panorama de l’intelligence artificielle. En
100 découvertes illustrées, Clifford Pickover explore tous
les domaines où l’IA intervient : médecine, informatique,
culture, philosophie... Il nous offre un regard sur les origines
de l’intelligence artificielle et sur son avenir, et ce qu’elle
signifie pour l’humanité.
Cet ouvrage s’intéresse à la place de l’IA, aux transformations
vers le numérique des modes de production des produits
et des services et à leurs principaux effets sur les mondes
du travail. Il met en lumière les enjeux que présentent ces
transformations sur les plans éthique, juridique, celui du
dialogue social et de la gestion des ressources humaines.

Automatisation Faire la morale Intelligence

intelligente. aux robots. Une artificielle : la
Bienvenue dans le introduction à réalité & le mythe.
monde de l’hyper- l’éthique des Ébauche d’une
automatisation algorithmes, théorie générale
Pascal Bornet, Ian Barkin et Martin Gibert de l’intelligence
Jochen Wirtz 168 pages, éd Flammarion artificielle
446 pages, MA éditions, Alain Bretto
126 pages, éd désiris

Accessible à tous, ce livre se penche sur la question de
l’automatisation intelligente ou hyper-automatisation.
Cette tendance relativement récente dans le domaine de
l’IA combine des méthodes et des technologies de pointe,
impliquant les personnes, les organisations, le machine
learning, les plateformes low-code, l’automatisation des
processus robotiques.
Dans cette introduction à l’éthique des algorithmes, Martin
Gibert, chercheur en éthique de l’IA, analyse nos différentes
intuitions, théories morales, biais et préjugés. Il propose dans
un style clair et émaillé de touches d’humour une distinction
fondamentale : comment faire la morale aux robots et
comment la société pense que cela devrait être fait.
Cet essai entre philosophie, histoire du calcul et sciences
propose d’aborder les fondations (donnée, information) et la
superstructure (le calcul algorithmique) de l’IA pour apporter
un éclairage sur ses réalités, mieux la comprendre et analyser
ses implications sociétales et dresse une théorie générale de
l’intelligence artificielle fondée sur la donnée et le calcul.

32 défis robotiques. Intelligence(s) La boîte translucide.

Repoussez les limites artificielle(s) et Un éclairage sur
de votre robot ! Vulnérabilité(s) : l’intelligence
Dominique Nibart kaléidoscope. Les artificielle
64 pages, éd Eyrolles contreforts de Pierre Jourlin
l’éthique et du droit 96 pages, Midi Sciences,
dir. par Marie-Christine Éditions Universitaires
Piatti et Mathieu Guillermin d’Avignon
182 pages, éd archives
contemporaines
Un ouvrage qui plaira aux amateurs de robotique, Quel est l’impact des technologies de l’IA sur la personne Enseignant-chercheur en informatique à Avignon Université,
d’électronique, aux makers et aux élèves et enseignants. âgée en perte d’autonomie ? C’est la question posée par les Pierre Jourlin apporte avec cet ouvrage sa contribution sur
Dominique Nibart propose dans ce livre d’approche chercheurs du programme « Intelligence(s) artificielle(s) & le concept si populaire d’IA, ses limites, son rapport avec
résolument pratique 32 défis robotiques et fournit des Vulnérabilité(s) » de l’université de Lyon. L’ouvrage, pratique le cerveau humain, avec pour objectif de présenter une
solutions applicables au mBot et aux robots conçus à partir et enraciné dans le concret, ne fournit pas une réponse introduction agile aux univers de l’informatique et de favoriser
d’une carte Arduino ou micro:bit, et facilement adaptables à unique et monochrome mais propose des éclairages différents la compréhension des enjeux actuels de la société numérique.
de nombreux autres modèles : Codey, LEGO Mindstorms EV3, et contrastés d’une même réalité.
Tello...

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