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Vérité
La vérité est très peu mentionnée,
- quand elle l’est, elle est liée au sacré et relève de l’illusion
- ou elle est présentée comme insaisissable et profondément ambivalente, protéiforme
(tout est vrai et faux à la fois. Réactivation des vertiges baroques)
- le terme est surtout utilisé dans l’expression toute faite « en vérité », utilisée de façon
banale et vide de sens et qui parodie Jean 5, 24-27.
I,1, Maffio : « par ce qu’il y a de vrai et de sacré au monde »
I,6 : Marie À propos de Lorenzo : « un saint amour de la vérité brillait sur ses lèvres et dans
ses yeux noirs. »
II,2, Lorenzo : « ce que vous dites là est parfaitement vrai et parfaitement faux, comme tout
au monde. »
IV, 4, le cardinal à la marquise : « mais, en vérité, vous prenez tout au sérieux »
V, 5, l'orfèvre au Marchand « non, en vérité, je ne vois pas ce qu'il en résulte »
Mensonges, dissimulations :
L’écolier observe les costumes pour faire croire à ses camarades qu’il a participé à la fête : «
on observe bien tous les costumes, et le soir on dit à l'atelier (…) et on ne ment pas. »
Les mensonges de Salviati : I,2, il harcèle Louise, I,5 il plaisante et diffame l’une des dames
de la scène en prétendant l’avoir vue dans son propre lit. Il prétend ensuite que Louise lui a
fait des avances. II,7, il meurt en dénonçant Pierre au duc, et prétend avoir été assassiné pour
avoir dit que Louise était amoureuse du duc.
I,6 : Marie : « il n'en est pas un parmi tous ces pères de famille chassés de leur patrie, que
mon fils n’ait trahi. »
II,2, Lorenzo : « ce que vous dites là est parfaitement vrai et parfaitement faux, comme tout
au monde. »
II, 4 : Bindo à Lorenzo : « Vous nous avez dit quelquefois que cette confiance extrême que le
duc vous témoigne n'était qu'un piège de votre part. Cela est-il vrai ou faux ? Êtes-vous des
nôtres, où n’en êtes-vous pas ? Voilà ce qu'il nous faut savoir. » Lorenzo répond plus loin :
« n'en doutez pas un seul instant ; l'amour de la patrie respire dans mes vêtements les plus
cachés. »
II, 4 : Lorenzo au duc à propos de Philippe Strozzi (mais discours à double entente, le butor
est en fait le duc lui-même !) : « si vous saviez comme cela est aisé de mentir impudemment
au nez d’un butor ! »
III,2, Philippe à propos des Pazzi : « ils invitent leurs amis à venir conspirer comme on invite
à jouer aux dés, et leurs amis, en entrant dans leur cour, glissent dans le sang de leurs grands-
pères. »
Le plus fourbe des personnages, le cardinal : rare personnage qui n’utilise pas la parole
manipulatrice de façon directe, mais tire les ficelles à distance.
II,3 : le cardinal : « oui, je suivrai tes ordres, Farnèse ! que ton commissaire apostolique
s’enferme avec sa probité dans le cercle étroit de son office, je remuerai d'une main ferme la
terre glissante sur laquelle il n’ose marcher. Tu attends cela de moi, je l'ai compris, et j'agirai
sans parler, comme tu as commandé. (…) c'est d'un autre qu'il se défiera, en m'obéissant à
son insu. Qu'il épuise sa force contre des ombres d'hommes gonflés d’une ombre de
puissance, je serai l'anneau invisible qui l’attachera, pieds et poings liés, à la chaîne de fer
dont Rome et César tiennent les deux bouts. Si mes yeux ne me trompent pas, c'est dans cette
maison qu’est le marteau donc je me servirai.» À propos de la marquise : « laisse seulement
tomber ton secret dans l'oreille du prêtre ; le courtisan pourra bien en profiter, mais, en
conscience, il n'en dira rien. »
Le cardinal à la Marquise : « un secret d'importance entre des mains expérimentées peut
devenir une source de biens abondante »
Conflit entre la marquise qui veut une stratégie à visage découvert, et les plans secrets du
cardinal
La Marquise seule à propos du Cardinal : « qu'il voulût pénétrer mon secret pour en informer
mon mari, je le conçois ; mais, si ce n'est pas là son but, que veut-il donc faire de moi ? La
maîtresse du duc ? Tout savoir, dit-il et tout diriger ! (…) il faut qu'il ait quelque sourde
pensée, plus vaste que cela et plus profonde. »
IV,4 : le cardinal à la marquise « il y a des secrets qu'une femme ne doit pas savoir, mais
qu'elle peut faire prospérer en en sachant les éléments », « je ne puis parler qu’en termes
couverts » « vous ne désespérez pas de vous laisser convaincre » « agissez d'abord je parlerai
après »
la marquise : « parlez-moi franchement », « j'aurai à lire le livre secret de vos pensées »
Le pouvoir du langage :
Susciter des émotions fortes : I,5, Le Prieur (Léon Strozzi) : « j'ai prêché quelquefois, et je n'ai
jamais tiré grande gloire du tremblement des vitres. Mais une petite larme sur la joue d'un
brave homme m'a toujours été d'un grand prix. »
II,4 : Venturi à Lorenzo : « seigneur, je pense de même et je n'ai pas un mot à ajouter. »
Lorenzo : « pas un mot ? pas un petit mot bien sonore ? Vous ne connaissez pas la véritable
éloquence. On tourne une grande période autour d'un beau petit mot, pas trop court ni trop
long, et rond comme une toupie. »
V,3, L à Ph : « toutes ces paroles me font mal »
Susciter des soulèvements : II,1 : Philippe Strozzi : « la république, il nous faut ce mot-là. Et
quand ce ne serait qu'un mot, c'est quelque chose, puisque les peuples se lèvent quand il
traverse l'air… »
III,2, Pierre à son père : « ceux qui passent les nuits sans dormir ne meurent pas silencieux. »
III,3, Philippe à L, à propos de son intervention chez les Pazzi « je leur parlerai noblement,
comme un Strozzi, comme un père, et ils m'entendront. »
L à Ph : « prends-y garde, c'est un démon plus beau que Gabriel. La liberté, la patrie, le
bonheur des hommes, tous ces mots résonnent à son approche comme les cordes d'une lyre
(…) ses paroles épurent l'air autour de ses lèvres »
III,6, la marquise au duc : « quel mot que celui-là : je peux si je veux ! (…) devant ce mot les
mains des peuples se joignent dans une prière craintive, et le pâle troupeau des hommes
retient son haleine pour écouter »
Attiser les vengeances : II,1 : Pierre Strozzi : « tu me vois hors de moi d'impatience, et tu
cherches tes mots ! Dis les choses comme elles sont, parbleu ! Un mot est un mot ! » Le
Prieur : « il a dit qu’il coucherait avec elle, voilà son mot »
II,5 Philippe Strozzi : « que de haines inextinguibles, implacables, n'ont pas commencé
autrement ! Un propos ! La fumée d'un repas jasant sur les lèvres épaisses d’un débauché !
voilà les guerres de famille, voilà comme les couteaux se tirent. On est insulté, et on tue ; on a
tué et on est tué. Bientôt les haines s’enracinent. » (…) « la vertu d’une Strozzi ne peut-elle
oublier un mot d’un Salviati ? »
III,1, Scoronconcolo à L : « n'ai-je pas entendu raisonner distinctement un petit mot bien net :
la vengeance ?»
III,3, Philippe : « j'ai parlé il n'y a pas un quart d'heure, contre les idées de révolte, et voilà le
pain qu'on me donne à manger, avec mes paroles de paix sur les lèvres ! »
Entraîner la dépravation :
IV,4 : La Marquise au cardinal « ô ciel ! J'ai entendu murmurer des mots comme cela à de
hideuses vieilles qui grelottent sur le marché neuf »
IV, sc 5, « le vice comme la robe de Déjanire s'est-il si profondément incorporé à mes fibres
que je ne puisse plus répondre de ma langue, et que l’air qui sort de mes lèvres se fasse ruffian
malgré moi ? J'allais corrompre Catherine- Je crois que je corromprais ma mère si mon
cerveau le prenait à tâche (…) Catherine n'est-elle pas vertueuse, irréprochable ? Combien
faudrait-il pourtant de paroles, pour faire de cette colombe ignorante la proie de ce gladiateur
aux poils roux ? Quand je pense que j'ai failli parler ! »
Le nom honni :
II,3 : la marquise au cardinal : « lire une lettre peut être un péché, mais non pâlir une
signature. Qu’importe le nom à la chose ? »
(Le mot et la chose : ici il s’agit du nom propre du duc, mais difficile de ne pas y voir aussi
une allusion au célèbre poème grivois du XVIIIème « le mot et la chose » de l’abbé de
Lattaignant )
III,1, L à Scoronconcolo : « (l’épée) qui le tuera n’aura ici-bas qu'un baptême ; Elle gardera
son nom. » Sc à L : « quel est le nom de l'homme ? » L : « qu’importe ? »
III,3, Philippe à L : « tu es un Médicis toi-même, mais seulement par ton nom. »
Valeurs morales :
Dangers de l’hybris :
III,3, L à Ph : « prends-y garde, c'est un démon plus beau que Gabriel. La liberté, la patrie, le
bonheur des hommes, tous ces mots résonnent à son approche comme les cordes d'une lyre
(…) ses paroles épurent l'air autour de ses lèvres »
« les hommes ne m'avait fait ni bien ni mal, mais j'étais bon, et pour mon malheur éternel, j'ai
voulu être grand. » « l'orgueil m’y a poussé aussi » Ph : « l'orgueil de la vertu est un noble
orgueil. Pourquoi t'en défendrais-tu ? » L : « je travaillais pour l'humanité ; mais mon orgueil
rester solitaire au milieu de tous mes rêves philanthropiques »
L : « je jette la nature humaine à pile ou face sur la tombe d'Alexandre, dans deux jours, les
hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté. »
III,7, Ph : « je ne suis poussé par aucun motif d'ambition, ni intérêt, ni d'orgueil »
« Dieu de justice ! Dieu de justice ! que t’ai-je fait ? »
Figures de la corruption :
Etres vils :
I,4 : Sire Maurice à Lorenzo : « votre esprit est une épée acérée, mais flexible. C'est une arme
trop vile ; chacun fait usage des siennes. »
I,6 : Catherine à propose de Lorenzo : « son cœur n'est peut-être pas celui d'un Médicis ; mais,
hélas ! C'est encore moins celui d'un honnête homme. » Marie : « la souillure de son cœur lui
est montée au visage. »
II, 4 : Bindo à Lorenzo : « cela ne m'étonnerait pas que tu devinsses plus vil qu'un chien, au
métier que tu fais ici »
III,3, L à Ph : , L à Ph : « je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres
seul le portaient au front »
Ph : « toutes les maladies se guérissent, et le vice aussi est une maladie »
L : « il est trop tard, je me suis fait à mon métier. Le vice a été pour moi un vêtement,
maintenant il est collé à ma peau »
Ph « tu me fais horreur. Comment le cœur peut-il rester grand, avec des mains comme les
tiennes ? »
L : « si je pouvais revenir à la vertu, si mon apprentissage du vice pouvait s'évanouir,
j'épargneraient peut-être ce conducteur de bœufs, mais j'aime le vin le jeu et les filles,
comprends-tu cela ? »
Débauche
I, 3 : La marquise Cibo :
« (cela vous est égal à vous) que la débauche serve d’entremetteuse à l'esclavage, et secoue
ses grelots sur les sanglots du peuple ? »
Déshonneur :
I,4, Le Duc : « vous figurez-vous qu'un Médicis se déshonore publiquement, par partie de
plaisir ? »
I,5 : l’orfèvre à propos de Salviati : « Marié comme il est à une femme déshonorée partout ! Il
voudrait qu'on dît de toutes les femmes ce qu'on dit de la sienne. »
II,1 : Philippe Strozzi « le petit Maffio banni, sa sœur corrompue, devenue une fille publique
en une nuit ! »(…) « la corruption est-elle donc une loi de nature ? Ce qu'on appelle la vertu,
est-ce donc l'habit du dimanche qu'on met pour aller à la messe ? » « et nous autres vieux
rêveurs, quelle tache originelle avons-nous lavé sur la face humaine depuis quatre ou cinq
mille ans que nous unissons avec nos livres ? »
II,3 : le cardinal (imaginant le raisonnement de la marquise) : « un si doux péché pour une si
belle cause, cela est tentant n'est-il pas vrai, Ricciarda ? (…) faire jaillir d'un rocher l'étincelle
sacrée, cela valait bien le petit sacrifice de l'honneur conjugal, et de quelques autres
bagatelles. » analogie avec la figure de Lucrèce évoquée par Lorenzo II,4 : « Elle s'est donné
le plaisir du péché et la gloire du trépas »
II,5, Pierre à son père : « depuis quand se cache-t-on pour avoir mangé son honneur ? »
III,3, Philippe : « l'honneur des Strozzi souffleté en place publique, et un tribunal répondant
des quolibets d'un rustre ! »
Ph à L : « j'ai laissé l'ombre de ta mauvaise réputation passer sur mon honneur, et mes enfants
ont douté de moi en trouvant sur ma main la trace hideuse du contact de la tienne »
III,6, la marquise au duc : « sacrifier le repos de ces jours, la Sainte chasteté de l’honneur (…)
et cela n'en vaut pas la peine! » « ô mon Laurent ! J'ai perdu le trésor de ton honneur »
Justice/Injustice :
III,3, Philippe (seul- : « où en sommes-nous donc si une vengeance aussi juste que le ciel que
voilà est clair, est punie comme un crime ? » (…) « si le Saint appareil des exécutions
judiciaires devient la cuirasse des ruffians et des ivrognes, que la hâche et le poignard, cette
arme des assassins, protègent l'homme de bien. » « la justice devenue une entremetteuse ! »
Puis à L : « je demande l'aumône à la justice des hommes ; je suis un mendiant affamé de
justice, et mon honneur est en haillons. »
L : « je jette la nature humaine à pile ou face sur la tombe d'Alexandre, dans deux jours, les
hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté. »
III,7, Ph : « c'est une juste vengeance qui me pousse à la révolte »
« Dieu de justice ! Dieu de justice ! que t’ai-je fait ? »
Illusions de la transcendance ?
La religion ?
plaisir des sens pour faire croire :
II,2, Valori : quelle satisfaction pour un chrétien que ces pompes magnifiques de l'Eglise
romaine ! Quel homme pourrait y être insensible ? » (il évoque divers plaisirs des sens :
plaisir de la vue de l’odorat et de l’ouïe) « tout cela peut choquer, par son ensemble mondain,
le moindre sévère et demie du plaisir. Mais rien n'est plus beau, selon moi, qu'une religion qui
se fait aimer part de pareils moyens »
Impasse de la religion, ds le double sens de la phrase du cardinal :
IV, 10, le cardinal au duc : « Me faire croire est peut-être impossible »