Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
2023
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/12/02/les-derniers-jours-de-jean-luc-godard_6152595_4500055.html 07:08:31 UTC
no hay ninguna otra instantánea de esta url
archivo de páginas web
Todas las instantáneas del host www.lemonde.fr
Página Captura de pantalla compartir descargar .zip reportar error o abuso Invítame un café
• CINÉMA
« J’espère que c’est pour une bonne et pas une mauvaise nouvelle,
s’inquiète, de l’autre côté du fil, Roland Tolmatcho!.
Il avait 8 ans quand sa mère, pour fuir les bolcheviques, l’a pris sous le
bras avec ses frères et sœurs en 1938 et s’est exilée en Suisse. « Je crois que
mon père, un pur Ukrainien opposé aux purges de Staline, écrivain
diplomate qui, par francophilie, m’a prénommé du nom de l’écrivain
Romain Rolland, a été dévoré par des loups après s’être échappé d’un
bagne des îles Solovki », dans la mer Blanche, raconte Tolmatcho!. Avec sa
longue barbe neige-argent et ses cheveux e"lochés, on croirait Gandalf
ou Saroumane, les magiciens du Seigneur des anneaux, de Tolkien.
Sur des photos de Richard Dumas, deux billets de cinéma sur lesquels Jean-Luc Godard déclare son
amour pour Anna Karina, conservés par son ami Roland Tolmatchoff, à Genève. MATTHIEU CROIZIER
POUR M LE MAGAZINE DU MONDE
Un an plus tard, en 1961, l’Ukrainien fut le témoin du mariage de Jean-Luc
Godard avec Anna Karina. Et encore, en 1967, pour celui avec la
comédienne et future écrivaine Anne Wiazemsky, petite-fille de François
Mauriac. En Suisse, les deux fois, à Begnins, bourg plutôt cossu posé dans
une campagne vaudoise verdoyante et proprette, avec vue dégagée sur le
Léman. A l’époque de sa première union, le réalisateur d’A bout de sou!e
a Paris Match à ses trousses, qui fait sa « une » sur les noces. « Le syndic
[le maire] avait pour bureau une pièce de l’auberge communale, bref, la
mairie faisait bistrot, raconte Tolmatcho!, c’est pour ça que Godard l’avait
choisie deux fois. Il voulait aussi épouser Marina Vlady [qui avait tourné
avec lui Deux ou trois choses que je sais d’elle en 1966], mais ça n’a pas
marché. » Un peu plus tard, Jean-Luc Godard dira : « Anna Karina, Anne
Wiazemsky (…) ont joué un rôle dans mes films, Anne-Marie Miéville a joué
un rôle dans ma vie. » Pas très élégant.
Le reclus de Rolle
Le réalisateur a passé son enfance entre le 16e arrondissement parisien et
ce coin du canton de Vaud où s’était un temps installé son père médecin.
Anne-Marie Miéville, elle, a vécu une enfance suisse dans une famille de
la petite bourgeoisie horlogère, avant d’épouser le publicitaire français
Philippe Michel. Elle est aussi venue à la photographie de plateau de
cinéma par militantisme : elle gérait la librairie Palestine à Paris et a
croisé Godard en 1972, signant avec lui Ici et ailleurs, réflexion sur le
trucage de l’information à partir du cas palestinien.
Pourquoi ce bourg ? « Parce que c’est nulle part », répondait Godard, qui
trouvait que, avec ses plans d’eau, ses villes, ses flancs de coteau, ses ciels
et ses montagnes, la Suisse était à elle seule un décor de cinéma idéal. A
20 kilomètres de là, Nyon la belle se visite : Tintin s’y est arrêté dans
L’A"aire Tournesol, Pablo Neruda y a caché ses amours, les festivaliers
amateurs de chanson s’y retrouvent l’été, Godard y a randonné avec les
éclaireurs et joué au foot enfant. Rolle, elle, se traverse sans s’arrêter,
comme ces trains directs de Genève à Lausanne qui fendent les quais de
la gare dans un si#ement strident avant de s’évanouir : « F"#ou"""… »
La maison endormie
Pour dénicher ce domicile, ne compter ni sur le voisinage ni sur les
retraités en goguette occupés à promener leurs chiens, comme naguère
Godard avec Loulou-tout-fou ou Roxy. « Rolle est encore plus discret que le
reste de la Suisse », résume un commerçant de la Grand-Rue. Pas grave, la
dernière demeure du cinéaste figure dans ses derniers films,
intérieur/extérieur, et même dans ceux de collègues descendus un jour
ou l’autre en Suisse pour converser ou quémander l’onction du grand
homme.
Rue des Petites-Buttes, les volets sont clos – ils l’étaient souvent, même
de son vivant. Des fans ont dessiné des haïkus sur les vitres d’une
véranda dont la peinture s’écaille : « JLG 4 ever », trois initiales rendues
fameuses par l’autoportrait du réalisateur, JLG/JLG, sorti en salle en 1995.
Un tournesol a été accroché à la butée des persiennes. Un bouquet de
plumes s’ennuie dans un mug décoré d’une mauvaise copie du Clovis
endormi de Paul Gauguin, posé sur la boîte aux lettres. En 1997, dans
Nous sommes tous encore ici, l’avant-dernier long-métrage d’Anne-Marie
Miéville, une femme jouée par Aurore Clément disait à son compagnon,
interprété par Godard : « J’aime l’homme que tu es, mais je ne te supporte
pas toujours. » L’épouse du cinéaste vivait à la fois tout près et ailleurs, à
350 mètres de là, mais devant chez lui, leurs noms restent accolés comme
dans un générique : « JL Godard/AM Miéville ».
suis venu le voir, en 2015, Bogart. Un autre jour, je l’ai pisté jusqu’au rez-de-
chaussée d’un studio du quai aux Fleurs, où il avait
Anne-Marie m’avait ses habitudes », près de Notre-Dame. Le cinéaste
remercié en disant : “Il est Eric Rohmer disait avoir retrouvé cette fois-là
très seul et il aime bien Godard baignant dans son sang après une histoire
encore par e-mail des ça. Ses provocations en 2014 pour expliquer que
rébus, énigmes et « François Hollande devrait nommer Marine Le Pen
premier ministre », ses saillies de militant de la
devinettes que Jean-Luc cause palestinienne sur les juifs, fatigantes pour
inventait chaque jour. » certains, antisémites pour d’autres, en avaient
L’historienne et éloigné plus d’un. « La dernière fois que je suis venu
L’obsession de sa fin
C’est en 2014-2015 que, tout à coup, Godard, à 80 ans passés, se prend à
évoquer la vieillesse. Voilà déjà cinq ans qu’il ne joue plus au tennis à
cause d’une douleur au genou. Devant Olivier Séguret en visite à Rolle,
l’ancien jeune homme qui marchait sur les mains pour épater ses
fiancées s’épanche à voix haute : « Les animaux, on les pique ; mais nous,
même si on demande, personne ne nous pique, même un ami médecin…
Bien sûr, je connais un ou deux endroits où je me dis parfois, quand je me
promène : tiens, je pourrais me jeter de cette falaise, ce serait une mort
certaine. Et en même temps je me dis aussi : ça fait peur, je vais avoir peur
de sauter… Peut-être que si j’étais de cette époque, j’irais au Moyen-Orient –
dans une ONG plutôt que chez les djihadistes –, mais en prenant des risques
et en espérant prendre une balle au bon endroit. »
volontaire pour échapper malade, avait un jour chargé Olivier Séguret (sans
succès) de lui « trouver de la digitaline », rapporte-
au malheur des jours. » t-il à Jean-Luc Godard. Moue de l’intéressé : « Le
Pierre Beck, l’ancien vice- poison, je n’aimerais pas. Je me méfierais du
président de l’association résultat », répond celui qui s’est pourtant « raté »
Dans les bois jouxtant le lac Léman. MATTHIEU CROIZIER POUR M LE MAGAZINE DU MONDE
enterré dans les bois, mais « fées » qui le raconteront. « Avant, je travaillais
dans le monde de la marionnette. Je ne suis pas un
pour cela il n’y aura pas parleur, sinon je ne ferais pas de cinéma », prévient
d’autorisation. Donc il Fabrice Aragno. On sait que la présence d’une
faudra jeter les cendres infirmière est requise et que l’usage est de recourir
Le mausolée de Milan
Le décès du génie fait le tour de la planète. Au Kiosque (le nom suisse des
tabacs) des Amis, Carmelo Conti, un carreleur du coin passé jouer au
tiercé, qui n’a jamais vu un film de Godard, montre la photo que son fils
Tony lui a envoyée de Los Angeles lorsque leur voisin de Rolle est mort :
« Repose en paix Jean-Luc Godard », a"chait en lettres rouges le Nuart
Theater, une institution de Santa Monica. « Tout le monde me connaît
mais personne n’a vu mes films », a résumé un jour le prince de la
Nouvelle Vague.
Contribuer
Contacter Le Monde
• Mentions légales • Charte du Groupe • Politique de confidentialité • Gestion des cookies • Conditions générales • Aide (FAQ)
Fils
SUIVEZ LE MONDE Facebook Youtube Twitter Instagram Snapchat
RSS