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l ike

9,90 e N°02/Automne 2020


REVUE Supplément
numérique
au N°02
La revue de www.touslesjourscurieux.fr
3 JOURS AVEC BERNARD PLOSSU
c Nathalie Mohodjer / worklog

- MOHAMED BOUROUISSA - ARNO BRIGNON - HORTENSE SOICHET - CÉCILE CUNY


- NATHALIE MOHADJER - GILBERTO GUIZA ROJAS - ANDREA EICHENBERGER
- MATTHIEU GAFSOU- LAURA LAFON - EVE KIILER

Vendredi 20 Novembre Samedi 21 Novembre Dimanche 22 Novembre


10h > 17h: lectures de portfolios 11h : rencontre critique / Hortense Soichet, 11h : brunch des éditions photographiques
Cécile Cuny et Nathalie Mohadjer, Michel Poivert
18h : rencontre critique / En relation avec les maisons d’édition locales,
Mohamed Bourouissa, Christian Caujolle 15h : rencontre critique / Andrea Eichenberger, les photographes-auteurs qui publient leurs
Audrey Hoareau
ouvrages, les libraires locaux.
19h : vernissage officiel 19h30 : festival Diapéro / soirée de projection
de films photographiques

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édito
Plossu, l’ours en peluche
Ils sont deux photographes à se partager le marché de l’édition
photo en France. À ma droite : Raymond Depardon, 74 livres
au compteur en 50 ans d’activité. À ma gauche, Bernard Plossu
même génération, parcours différent, notoriété égale, mais
palmarès incertain : 70 livres au compteur ? 75 ? Plus ? Nous avons
eu beau chercher encore et encore, le compte n’est jamais bon.
Il est probable que lui-même n’en connaisse pas le chiffre exact.
Les livres, il aime les imaginer et les construire, quelquefois
des années durant, avant de les laisser vivre leur vie, comme
des enfants qui volent un jour de leurs propres ailes. Il prend
de leurs nouvelles de temps à autre, les souvenirs sont intacts,
mais pour la comptabilité on repassera ! Cet homme tranquille
qui aime la conversation – qu’il ne confond pas avec le débat –
cultive le mouvement perpétuel. Sans cesse en alerte Bernard
Plossu fait partie de ces photographes qui ont tracé leur route,
seul au volant, roulant en ligne droite comme sur une highway
du Nouveau-Mexique. Les États-Unis justement. Ce pays a été
le terrain de jeu du jeune Plossu. Une chance que les hasards de
la vie lui ont offerte. Année 1970, freaks, 20 ans… Voilà le tiercé
gagnant qui l’éveille la photographie. Mais pas n’importe laquelle.
Ni pro, ni baroudeur, il est déjà à la recherche du sentiment que
peut produire une image sur les autres. Ce marcheur infatigable
sait ralentir son pas pour saisir à la volée une hirondelle ou
une figure féminine. Pas de visée, pas de cadrage, encore
mois d’instant décisif. C’est cette somme qui fait le style, cette
capacité d’évocation qui plaît tant aux auteurs, aux écrivains,
aux cinéastes, qui se reconnaissent immédiatement en lui et
qui deviennent, par la grâce d’une image, ses amis pour la vie.
Plossu regarde de temps à autre dans le rétroviseur avec un
petit pincement au cœur. De ce passé, il ne fait pas table rase. Au
contraire. Même quand il ne sera plus, d’autres livres prendront
vie. Ils sont déjà en devenir… Jean-Jacques Farré

Couverture : Bernard Plossu, Tirages Fresson Éditions Textuel

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l ike reportage

4
3 jours dans la vie
Plossu
Bernard
de

& Thierry Valletoux

« S’il y a une chose que la photo doit contenir, c’est l’humanité de l’instant. »
Robert Frank

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l ike reportage Bernard Plossu

L’été, pour débusquer le photographe livres ? Pourquoi les Mexicains, les In-
le plus prolifique de France, il faut affronter diens, plutôt que les Ricains ? Pourquoi
des autoroutes cuites par le soleil, braver les tant de grâce ? Bernard Plossu est un
embouteillages mi-plage mi-boxon autour de
la métropole marseillaise, affronter des colonies électron libre dont la pensée, pourtant
de ronds-points à la sortie des Calanques et pister linéaire, change de trajectoire en perma-
l’animal jusque chez lui, à La Ciotat. Au mitan du nence, à la vitesse et la fugacité d’une balle
mois d’août, la chaleur ici est fracassante. Une rebondissante. Alors, puisqu’il a accepté
fois le GPS éteint, à flanc d’une colline sagement de nous livrer les clés de son parcours,
à l’écart du front de mer, nous voici face à un
petit portail surmonté d’une inscription en fer on lui expose – en vrac – tous nos ques-
forgée, « Mon Kif ». À travers, on découvre une tionnements : pourquoi, pourquoi, pour-
grosse bâtisse ocre trônant au milieu d’un jardin quoi ? Accrochez-vous au trousseau, au
sec, inondé de lumière plus que de la moindre juke-box ou au flipper, ça risque de partir
goutte d’eau. Un corbillard sort du portail voisin.
On ravale la salive en espérant surtout ne pas direct en multi-billes.
s’être trompé de maison ! Déjà Plossu surgit, avec
un large sourire rafraîchissant et le regard hilare Livres
face à notre mine déconfite. « Mes voisins sont « Vas-y, j’aime bien le désordre ! Récem-
croque-morts. Sympas d’ailleurs, j’ai fait les photos
ment, on m’a demandé un curriculum
de leur mariage… » Et c’est parti ! Avec Bernard
Plossu, sacrée nature, aucune glace à rompre, le vitæ. Je n’y arrivais pas. Alors je me suis
temps d’engloutir un litre d’eau fraîche et une amusé à mettre quelques titres de mes
belle assiette tomates-fromage-huile d’olive que livres les uns à la suite des autres. Mais
la conversation nous a déjà transportés loin. Les pas dans l’ordre. Surtout pas d’ordre !
grillons étant déjà en place, on a juste le temps
d’enclencher l’enregistreur sonore. Moteur ! Donner les titres de mes livres, c’est déjà
un itinéraire. C’est dans les livres que je
montre les endroits où je suis, les endroits

B
que j’aime ou que je n’aime pas. Ce qui
m’arrive. Les sentiments aussi, la révolte,
la passion, la beauté. Tout y est… »
ernard Plossu cumule bien Le voyage mexicain/Nuage-Soleil
des atouts, il est intelligent, Col Treno/Avant l’aube
doux, talentueux, drôle et fort French cubism/Le jardin de poussière
sympathique. Accessoirement, il est éga- Le souvenir de la mer
lement l’un des plus grands photographes The African Desert/L’heure immobile
français en activité. Et l’auteur de la plus Attraverso Milano
incroyable et atypique production de L’abstraction invisible/8 super 8
livres photographiques : des classiques, Le pays des paysages/
des ovnis, des conceptuels, des épuisés, Le cinéma fixe ?/Chronique du retour
des maigrichons, des best-sellers, des New Mexico Revisited
ratés, des soldés, des pavés, etc. etc. dont L’hippocampe et le rétroviseur/À vélo
personne n’a jamais osé faire le compte. Forget me not
Si l’homme affiche 75 balais à l’état civil, on Western Colors/So long/La Frontera
se surprend à le trouver terriblement ju- Avant l’âge de raison
vénile au premier regard échangé. Aussi, Bernard déroule de mémoire cette belle
puisqu’il est encore dans la tranche d’âge et longue mélopée, on dirait du Dylan.
bénite « de 7 à 77 ans », les questions les C’est ainsi avec Plossu, au détour de la
plus enfantines, donc les plus légitimes, moindre phrase ou de la moindre formule,
nous assaillent : Pourquoi le noir et blanc ? l’humour, la tendresse et la poésie af-
Pourquoi le cinéma ? Pourquoi tant de fleurent, frappent ou se télescopent.

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Plossu a 25 ans. Extrait d’Autoportraits, 1963-2012. Editions Marval.

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l ike reportage Bernard Plossu

Toujours là où on s’y attend le moins. Du coq à l’âne. Ainsi fonctionne Bernard


Comme dans ses photographies. La Plossu. Grâce à ça, les vacheries des uns
conversation n’a pas atteint la minute le font rebondir – en avant toute – sur
trente que Bernard tient immédiatement l’amitié et la générosité des autres. Avec
à mettre les pieds dans le plat de livres. lui, chaque idée, chaque développement,
« J’ai eu droit parfois à des remarques chaque question, une fois cadrée, nous
pas particulièrement sympas de certains décale un peu plus. Pas forcément loin,
“amis”, du genre : “Arrête de faire trop de mais ailleurs. « Le pas de côté, comme
livres…” Je sais que je publie beaucoup. quand il photographie, c’est celui qui le
Mais comment arrêter ? Mes deux héros fait avancer », explique joliment l’éditeur
sont Balzac et Corot. Balzac a écrit des Guy Jungblut (Yellow Now), qui garde
livres jusqu’à la fin de sa vie. Heureuse- en mémoire l’image de sa première ren-
ment qu’il ne s’est pas arrêté d’écrire parce contre avec Plossu : « Un photographe
que certains pensaient : “Il y en a marre “mythique” vient vers moi et me dit :
de Balzac !” Comment imaginer que Corot “J’aime beaucoup ce que vous faites”. Et
puisse s’arrêter de peindre ? Balzac cesser moi donc ! C’était lors d’un vernissage au
d’écrire ! Ou Jimi Hendrix, tout le temps Centre d’art d’Herblay, au milieu des an-
avec sa guitare, de créer sans arrêt ! Je ne nées 1990. Notre premier livre Trains de
me compare à aucun d’eux, évidemment. Lumière, avec un texte d’Alain Reinaudo,
Mais me demander de m’arrêter de voir… sortira en 2000. Une quinzaine d’autres
Ce n’est pas la peine. » suivront… »
Un autre de mes peintres préférés ­– com- Le petit dernier est une magnifique his-
plètement sous estimé – est Honoré toire, improbable et émouvante, « à la
Daumier. Il est connu comme graveur et Plo ». Le photographe fredonne souvent
caricaturiste, alors que c’est un peintre une chanson « délicieusement imper-
considérable. À la fin de sa vie, Daumier tinente » entendue sur les ondes, Fly
crevait la dalle et Camille Corot – qui ad- Hollywood. Découvrant que son auteur,
mirait son travail – lui a offert une petite Garrett List, vit à Liège, il en parle à ses
maison à Valmondois, dans le Val d’Oise. copains belges. La rencontre s’organise,
C’est magnifique comme histoire d’ami- pour le plaisir. Entre eux, l’envie d’un
tié ! » Inspiration. Respiration. Verre d’eau. bouquin ne traîne pas. Mais sa mise en

« J’ai eu droit parfois à des remarques pas


particulièrement sympas de certains “amis”, du
genre : “Arrête de faire trop de livres” Je sais que
je publie beaucoup. Mais comment arrêter ? »
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œuvre un peu plus… « Le livre aurait dû des discussions de bout de gras ! J’essaye
se construire à deux. Hélas, Garrett s’est d’imposer, enfin plutôt de conseiller, telle
“occulté” – comme disent les Pataphysi- “double page qui va bien ensemble”…
ciens – fin 2019 et le livre s’est fait en son Lorsque c’est possible, j’aime bien tra-
absence », synthétise Jungblut. Évidem- vailler avec Dominique Mérigard, un
ment, ce précieux petit ouvrage s’intitule graphiste également photographe. Il a un
La rencontre. sens de l’élégance discrète. En revanche,
« Faire des livres, c’est ma manière de pour le livre espagnol L’heure immobile,
traduire ce que je vois. Et j’aime faire des le tout jeune graphiste, sachant que j’ai-
livres. Qu’est ce qui fait qu’un livre est mais amener un livre presque fait, m’a
justifié, et pas juste une suite d’images dit : “Allez, laissez-moi tenter ma chance,
pour montrer qu’on sait faire des photos ? laissez-moi essayer…” Alors pour une fois,
Ce qui justifie un livre, selon moi, c’est le j’ai délégué et il l’a fait tout seul. J’aime
temps qu’on y a mis. Mes bouquins, ils bien le résultat, c’est un beau livre blanc.
ne sont pas ficelés ; ils mettent dix, vingt,
trente, cinquante ans à éclore. Je sors La commande
des bouquins avec des archives qui ont On en arrive à l’interrogation suivante :
mûri pendant des dizaines d’années, ils qu’est-ce qu’un livre ? Quelque chose
sont la réunion de toutes ces années en d’élégamment discret ou – à l’inverse –
un ensemble… Il est très fréquent, dans quelque chose de tape-à-l’œil clinquant ?
le même livre, qu’une photo datant de Faut-il vendre ? Faut-il plaire ? En ce qui
1964 en côtoie une autre faite en 2014. Ce me concerne, en gros, il existe deux types
qui est intéressant pour un photographe, de livres : soit poétique, que tu fais pour
c’est de parvenir à ce que ce soit la même toi et tes copains, soit de commande. À
force, autant aujourd’hui qu’hier. Car bien ce sujet, il y a eu des conflits avec deux
souvent, les premières photos sont les ou trois critiques affirmant que les com-
meilleures. Il faut réussir à rester “inté- mandes sont – en substance – ce qui peut
ressant” sur la durée. À partir du moment arriver de pire au photographe. Je me suis
où tu sais ce que tu fais, le piège n’est pas permis de leur répondre : OK, mais com-
loin. Il faut arriver à ne pas s’accorder trop ment faire ? Comment vivre si on n’a pas
de confiance, ne pas croire que tout ce que de commande ? Alors, je me suis brico-
tu fais est bon, voilà le “piège du livre”. lé ma propre réponse : face à une com-
Bien évidemment, il n’existe pas un seul mande, si on veut en faire un livre, donc
de mes livres dans lequel je ne repère pas, une marque, une parution qu’on signe, il
après parution, une ou deux erreurs. Il faut arriver à être plus que bon. Je pense
y a toujours une ou des photos que l’on même que, lors d’une commande, il faut
n’aurait pas dû mettre. Donc, l’idée dans savoir se dépasser, être encore meilleur
un livre, ce n’est pas la quantité de pages, que soi-même. Parce qu’un livre de com-
c’est sa construction. Qu’est-ce qui va mande, s’il est flasque, s’il est mièvre, c’est
avec quoi ? Et tu as deux options pos- mort ! On a raté son sujet. Dans mon cas,
sibles. Soit des petits formats, des petits on voit bien que le livre sur Le Havre ou
livres de poche : en ce qui me concerne Les celui sur Giverny sont des commandes.
carnets, la collection aux éditions Yellow Mais malgré tout, il faut assurer ! Dans le
Now, ou les petits livres thématiques faits cadre de Giverny, comment faire des pho-
avec Philippe Schweyer chez Médiapop… tos sur Claude Monet sans faire de
Soit le “beau livre”. Alors là, c’est souvent l’impressionnisme ? [Long soupir] Je

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l ike reportage Bernard Plossu

te dis pas, c’est casse-gueule ! Grâce à qui m’ont le plus marqué dans mes ren-
Marc Donnadieu, j’ai pu rentrer plus contres. Géographique, voilà un mot que
tôt dans les lieux, en hiver, et ainsi, en l’ab- je revendique souvent. Ce qui m’a profon-
sence de fleurs, comprendre l’ossature du dément marqué dans le désert américain,
jardin. c’est le sol. Tu es vraiment en contact avec
Certaines commandes peuvent être su- le sol. Lorsque j’ai divorcé, j’ai changé de
blimes, comme celle que m’a passée Em- vie et dû quitter l’Amérique. Après de lon-
manuel Guigon, le directeur du Museo gues années, j’ai enfin retrouvé mon fils
Picasso de Barcelona, sur les lieux en qui était devenu grand. Un jour, ça m’a
Catalogne où Picasso, tout jeune, a vécu et démangé, je lui ai demandé : “La seule
peint. Ainsi, je suis allé dans “ses” lieux en chose que je voudrais que tu retrouves
montagne, à Gósol où il a peint les toiles à la maison, chez ta mère, ce sont mes
bleues et roses ! Et à Horta de San Juan chaussures.” En rigolant, il m’a répondu
où il a – carrément – inventé le cubisme ! un truc du genre : “Je ne peux pas, il y a
J’ai la chance d’avoir beaucoup d’amis in- des scorpions dans le garage !” »
téressants. Mais les deux qui m’ont tout C’est pour ça qu’au dos du livre Le Jardin
appris ne sont pas des intellectuels. Phi- de poussière il y a une photo de moi avec
lippe Bouysse est océanographe et Yveline mes chaussures, prise par un copain.
Poncet, géographe. Elle a vécu vingt-cinq Mais c’est la clé ! Je comprends très bien
ans au Niger, puis cinq ans au Mali, c’est Koudelka quand il fait un autoportrait
une grande spécialiste du Sahel. Ce sont de ses pompes… C’est exactement ce que
des gens de terrain, travaillant sans idées je ressens quand je vais marcher. La clé
préconçues, des gens qui ont la connais- de ma vie américaine, c’était mes chaus-
sance du sol et de comment les gens y sures. Et un chapeau. C’est un rêve qui se
vivent. Quand tu passes vingt-cinq ans au réalise quelque part. Ce qui est marrant,
Niger, ce n’est pas comme de romancer lorsque tu réalises un rêve, c’est que tu
le Niger. Donc, ces deux personnes – qui arrives à le dépasser. Tu arrives à ce que
sont évidemment des intellectuels mais ce soit encore mieux que ce que tu croyais.
ne se revendiquent pas comme tels – sont Petit à petit, pas à pas, ça peut vraiment
­géographiquement au fait de ce qu’est devenir un art de vie. Dans mon cas, je le
réellement le sol. Ce sont ces deux-là revendique parce que, après Le Jardin de

« Je comprends très bien Koudelka quand


il fait un autoportrait de ses pompes...
C’est exactement ce que je ressens quand
je vais marcher. La clé de ma vie américaine,
c’était mes chaussures. Et un chapeau... »
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poussière, je rentre en Europe. Tout d’un sons différentes. Françoise, elle vient du
coup, je me retrouve dans le métro : Den- corps. Elle vient du flamenco. Aujourd’hui,
fert-Rochereau, Châtelet… T’imagines ! elle est ceinture noire d’aïkido. Chez elle,
D’où le livre Chronique du retour, avec un tout est dans l’expression corporelle. Son
très beau texte de Régis Durand. Et là, il héros à elle, c’est le chanteur Camarón de
m’est venu une idée : comment aller loin la Isla. Et moi, je suis tout à fait dans une
tout en restant en Europe, avec la nou- autre poésie. D’ailleurs, elle fait beaucoup
velle femme que j’aime. Françoise et moi de photos verticales, et moi essentielle-
avons eu la même envie : les petites îles ment des horizontales.
italiennes, hors saison. Je crois être le seul Nous sommes mariés depuis 1986. Il y
– vraiment – à être allé dans TOUTES les a quelques années, on était ici avec un
petites îles d’Italie, de Lipari à Alicudi, en copain d’enfance qui lui demande “qui
passant par Linosa, Maretimmo… est ton photographe préféré ?” Elle, qui
Résultat : j’ai dans mes armoires trois pourtant est très pudique et réservée, a
boîtes pleines, environ six cents photos, répondu illico : “Mais c’est Bernard !” Sin-
qui ne concernent que ces petites îles cèrement, je ne le savais pas.… Moi j’adore
italiennes, hors saison. C’est là que je me ce qu’elle fait, ces photos sont si fortes,
suis rendu compte que si tu cherches des mais je ne savais que c’était réciproque.
endroits sauvages, tu peux les trouver, Chez nous les compliments sont plutôt
en Europe ou ailleurs. La clé, c’est le hors réservés, c’est très très discret !
saison. » On a un labo photo dans la maison, mais
Le boulot sur les îles italiennes, puis celui on ne tire jamais l’été, à cause de la cha-
sur les paysages d’Aragon, Le pays des pay- leur. Il redevient opérationnel en octobre.
sages, sont la suite du Jardin de poussière. Françoise tire la majorité de nos images
C’est pareil. Pour moi, ce sont des livres ici et Guillaume Geneste s’occupe géné-
de randonnées métaphysiques. Mais c’est ralement des commandes et des tirages
quand même de la vraie randonnée. Un grand format pour les collectionneurs,
pas devant l’autre. Évidemment, ce “luxe” dans son labo parisien La Chambre Noire.
du hors-saison, tu ne peux te l’offrir que Les deux tirent parfois les mêmes photos,
si tu n’as pas d’enfants à l’école. Au début, mais ça ne donne pas les mêmes tirages.
avec Françoise, on a voyagé ensemble. C’est marrant… Mais ils ont le même
Et puis après, lorsque les enfants ont été reproche. C’est-à-dire quand je fais des
scolarisés, on ne pouvait plus. Il a fallu photos très, très blanches, pleine de soleil,
trouver un statu-quo entre nous. Moi, je c’est très dur à tirer. Je viens d’ailleurs de
vais de temps en temps marcher une se- le lire dans le livre Le tirage à mains nues
maine en montagne et, elle, elle va passer (éd. Lamaindonne) que Guillaume vient
un mois ou deux mois en Andalousie, dans de sortir. Il parle de ça.
sa famille. Elle a besoin de l’Andalousie
pour vivre. Moi, j’ai besoin de la montagne. Enfance
Donc, durant les années où les enfants Invité par notre hôte, on pénètre à l’inté-
avaient besoin de nous pour la vie de tous rieur de la maison Plossu. Bernard, qui
les jours, nous nous sommes organisés jusqu’ici faisait de brefs allers-retours
comme ça. pour apporter la preuve de ses affirma-
Bien sûr, on a souvent voyagé ensemble. tions (livre, dvd, photo de famille jaunie
Le comble, c’est qu’on photographiait par- ou diverses amulettes) nous guide
fois les mêmes choses, mais pour des rai- à travers les différents rayonnages

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l ike reportage Bernard Plossu

qui tapissent au moins un mur de absolument aucun souvenir, ni aucun lien.


chacune des pièces principales de On m’a proposé d’y aller mais, je ne sais
la maison. Salon, couloir, séjour, bureau, pas pourquoi, j’ai une sorte de timidité.
chaque bibliothèque a sa thématique. Ar- Ce n’est pas parce que je suis né là-bas
rivés dans la grande pièce moderne (une que je dois forcément m’y rendre. J’ai tou-
extension récente) où sont stockées les jours entendu mes parents dire du bien
archives et la production éditoriale foi- des Vietnamiens, “les gens les plus intel-
sonnantes du couple de photographes, on ligents que j’ai rencontré de ma vie” répé-
tombe nez à nez avec un aïeul hirsute au tait souvent mon père. C’est intéressant
regard perçant, le portrait peint du grand- ce son de cloche, parce qu’il y a aussi des
père paternel. Français qui aimaient les Vietnamiens. Il
« Mon papi, Pierre Plossu, était issu d’une n’y a pas eu que des fachos. Qu’est-ce que
famille de Laissaud, entre Grenoble et je disais ! ? Ah oui, l’escalade.
Chambéry. Brillant à l’école, il est fina- Lorsque j’ai pu vraiment tenir sur mes
lement devenu prof de “sciences-nat” au pattes, mon père m’a emmené en mon-
lycée Champollion à Grenoble. Mais lui et tagne. Avec lui, j’ai fait de la montagne
sa femme sont morts jeunes et mon père en cordée, piolet, glacier, sérac, la vraie
s’est retrouvé orphelin à l’âge de 13 ans. On grimpe… Mais, à partir d’un
se souvient de lui nous disant que quand certain âge, j’ai développé des
il faisait des études de brasseur à Nancy, acouphènes, et j’ai chopé le ver-
il se levait à 4 heures du matin pour aller tige. Donc, la haute montagne
laver les cuves dans une grande brasserie c’est devenu impossible pour Trésor
afin de payer ses études et de connaître le moi. À cause des vertiges, je Frison-Roche
métier pour de vrai. À part ça, il ne parlait risquais de me casser la gueule skiant lors d’une
jamais de son travail, mais il parlait tou- à tout moment. La randonnée, expédition dans le
jours de sa passion pour la MONTAGNE ça va. D’ailleurs, alpinisme et Sahara, photo prise
et les grandes courses ; il partait avec ses randonnée, c’est très différent. par Albert Plossu,
copains à vélo en s’accrochant aux bus et Un montagnard a besoin d’ar- en 1937, le père
tramways très loin jusque dans les coins river au sommet. Tandis que de Bernard.
comme la Bérarde en Oisans ! Il était co- moi, lorsque je marche, mon
pain avec Frison-Roche avec qui il a fait but c’est de surtout pas avoir Bernard sous
plusieurs expéditions et de nombreuses de but ! Comme deux philoso- le regard tutélaire
ascensions. Puis il est parti travailler en phies opposées. de Pierre
Afrique, au Vietnam. C’est pour ça que je Môme, j’ai été très marqué « Papi » Plossu.
suis né là-bas. Disons, par hasard… par un très grave accident de
Le père de ma mère y avait créé les Pa- montagne à Chamonix. Tout
peteries d’Indochine. Il faisait des beaux le monde a essayé par tous
livres en papier bambou, qui apparem- les moyens de sauver deux grimpeurs en
ment ne rapportaient pas des cents et détresse, sans succès. C’est finalement un
des mille. Puis les ateliers de papeterie jeune beatnik américain, Gary Hemming,
ont brûlé. Et, très peu de temps après, la qui les a secourus. Le mec est parti, en
guerre a commencé dans le pays… J’ai beatnik, sans être guide de montagne, ni
donc quitté l’Indochine, par paquebot, à matériel particulier, et il les a ramenés
l’âge de six mois. Autant dire que, le Viet- dans la vallée. J’ai repensé à cette histoire
nam c’est le pays où je suis né, que mes il y a trois ans, en lisant un bouquin
parents aimaient, mais pour lequel je n’ai de Bernard Moitessier. Quel choc ! Tu

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l ike reportage Bernard Plossu

l’as lu Moitessier ? Le mec tient la tête tiraillement. Depuis peu, j’ai trouvé un
de la Course autour du Monde mais, à moyen de “vernir” plus agréablement :
quelques encablures de la ligne d’arrivée, désormais, après un vernissage, je pars
voyant tous les gens entassés sur le quai, seul et je vais dîner seul. Car après avoir
il vire de bord et repart aussi sec. C’est parlé à 50 personnes ou 200, j’ai besoin de
génial ! Exactement comme dans le film me retrouver tout seul. C’est comme ça
La solitude du coureur de fond. Au moment que je me défends. Je comprends très bien
de gagner, le mec décide de ne pas aller Sergio Larrain [photographe chilien, 1931-
au bout. Il est évident que tout ça, ça finit 2012, N.D.L.R.] qui a dit un jour : “Faites des
par former une époque. » rétrospectives, mais je ne viendrai pas !”
Une pensée en marche… L’expression est Et il n’est jamais venu. Mais lui a su créer
évidemment à prendre au pied de la lettre, un mythe, donc les gens y vont de toute
croquenots bien ficelés et sac au dos, fa- façon. Un bain de foule, c’est fatigant. Je
çon randonneurs philosophico-rustiques. ne sais pas comment font les acteurs pour
La marche, Plossu en a fait un outil de aller à Cannes. Bon, il paraît que ça aide
transmission puisque, pendant vingt ans, à vendre les livres… Mais je ne vais pas
il est intervenu pour parler de son métier en faire un fromage, non plus. Attends, je
lors de stages au cahier des charges bien fais le métier que j’aime ! »
précis : partir randonner, au minimum
quatre jours, toujours en montagne ! Cinéma cinéma
« Il y a quelque chose qui se crée en par- Avant de pouvoir partir sur la route et de
tant. Les gens oublient leurs habitudes, faire entrer le monde entier dans son petit
oublient leur portable, oublient leurs sou- rectangle photographique, le jeune Plossu
cis et on va se balader. Et ensuite le soir s’est évadé et a parcouru le monde par
on parle photo. Autrement, je tourne en grand écran interposé. Petit à petit, l’ado-
rond. Je ne suis pas fait pour enseigner. Je lescence a modifié son emploi du temps,
peux communiquer, mais pas enseigner. et les salles obscures ont remplacé pro-
Avec la randonnée, les gens deviennent gressivement les salles de cours…
disponibles. Beaucoup d’anciens “sta- « Pour moi, la clé du cinéma, c’est Bronco
giaires” m’en sont encore reconnaissants. Apache. Après la défaite de Géronimo, les
Aujourd’hui, j’ai arrêté les stages parce Apaches Chiricahuas sont emmenés de
que je suis fatigué. C’est l’âge. Mais je force en train vers l’Oklahoma. Massaï, le
continue de marcher, une semaine par- guerrier joué par Burt Lancaster réussit à
ci ou par-là, avec une bande d’une dou- s’échapper et traverse une partie du pays
zaine de copains. Ce que j’aimerai bien, à pied pour retourner sur les terres de ses
maintenant, c’est arrêter les vernissages. ancêtres. Aidé par des fermiers indiens,
Je ne sais pas comment expliquer aux il revient au pays et là – Paaam ! – appa-
gens qu’ils auront une meilleure soirée rait en énorme sur l’écran : sa montagne.
en voyant l’expo sans l’auteur, plutôt qu’en Rien qu’à évoquer cette scène-là, j’en ai
sa présence. Pour moi, c’est devenu pro- encore la chair de poule ! J’avais treize ou
blématique car lors d’un vernissage, il y a quatorze ans et l’identification à Bronco
tous les gens que tu dois voir, et il y a les Apache et aux indiens Chiricahuas, tu ne
amis présents avec qui tu n’as jamais le peux pas savoir… Ça a été un truc fonda-
temps de discuter. Donc, systématique- mental pour moi. Le cri de ma liberté !!! »
ment, je repars cruellement humilié de En un film, tous les ferments de la
ne pas avoir pu voir mes copains. Quel mythologie à venir de Bernard Plossu

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l ike reportage Bernard Plossu

se sont donc matérialisés : la soif de préféré. Après viennent Antonioni, ses


liberté, les grands espaces, la marche films anciens comme Le cri (1957) et Er-
en solitaire, la solidarité discrète, l’esprit manno Olmi l’auteur des Fiancés (1963), un
des lieux, la montagne sacrée… film réaliste peu connu qui m’a beaucoup
« Après Bronco Apache, il y a eu Veracruz marqué. Sans oublier Visconti ! Quand tu
également réalisé par le génial Robert vois mes photos des îles italiennes, des ar-
Aldrich. Le troisième western-choc sera rière-pays méditerranéens, on les croirait
Cable Hogue de Sam Peckinpah, qui met toutes sorties de son film La terre tremble
en scène un anti-cowboy. Un très très (1952). Je me demande combien de photo-
beau western, antihéros. Pour une fois, graphes ont appris la photo en regardant
pas un film macho… Ces trois films-là les films italiens en noir et blanc.
m’ont marqué à jamais. Ensuite, j’ai eu Paradoxalement, de tous ces cinéastes,
des années de cinéphilie intense passant je crois que je n’ai vu aucun de leurs films
des après-midi entiers à la Cinémathèque, en couleur. À part Le désert rouge (d’An-
parfois trois films par jour. Mes films clés tonioni, en 1964), c’est leur cinéma noir
sont alors devenus Le silence de Bergman, et blanc qui m’a frappé. Pourtant j’aime
Les contes de la lune vague après la pluie de la couleur. J’en fais beaucoup, mais je
Mizoguchi et Ordet de Carl Dreyer. Vi- n’ai pas été marqué par eux. Mes cou-
suellement, comme beaucoup de gens de leurs proviennent plutôt des westerns
ma génération, j’ai été très, très marqué hollywoodiens. Le cinéma que j’aimais
par le cinéma italien. C’est par là que j’ai était très vivant, très caméra à l’épaule.
appris l’image. Le cinéma japonais aus- Très comme doit être la photo. Une bonne
si, mais qui était moins couru. Et encore photo, c’est caméra à l’épaule. Pour sché-
moins connu, le cinéma indien. J’allais matiser, mes photos sont souvent plus
beaucoup au Delta, à Pigalle, un cinéma proches d’images de films que de photos
arabe diffusant exclusivement des films de photographes. Je pense que ma culture
indiens. Grâce aux dix dernières minutes de l’image provient directement du ciné-
de L’Éclipse d’Antonioni, avec l’encrier noir ma, et pas de la photographie. Personne
qui se renverse sur une feuille blanche, j’ai ne le croit, mais j’ai découvert Robert
compris l’impact d’une image. Parmi tous Frank tard, à presque 30 ans. Alors que je
les cinéastes italiens, Dino Risi reste mon connaissais tous les films de Cassavetes…

« La supériorité – ce n’est pas le mot exact –,


disons la magie des images de Robert Frank sur
celles de Cartier-Bresson, c’est que les photos
ratées de Frank sont réussies. »
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Aucun doute là-dessus, je suis vraiment essentiellement important parce que c’est
un enfant de la Nouvelle Vague. l’anti-tape-à-l’œil. La clé de la pensée, de
La Nouvelle Vague, c’est tellement vaste la vision, c’est ça. On en revient au livre…
comme sujet.… J’adore Truffaut, Godard, Les grands photographes, leur force, ça
je les admire tous. Avec une petite préfé- m’est apparu assez tard. Pour rigoler, je
rence pour Cassavetes. Peut-être parce dis parfois que mon Bresson à moi, c’est
que j’ai toujours été attiré par l’Amérique. Robert, pas Henri. C’est une blague mais
Mais si je devais n’en garder que deux. c’est comme ça, je me sens plus “bresso-
Numéro un c’est La vie à l’envers d’Alain nien” que “cartier-bressonien”.
Jessua (1964), film méconnu mais – à mes
yeux – chef d’œuvre absolu. Et l’autre, c’est Mauvais élève
Alphaville. Je ne suis pas un fou d’À bout Mais à l’époque, c’est vrai que je préférais
de souffle. Mais, niveau image, il y a tout mille fois voir un film avec Alain Delon que
dans Alphaville ! Un autre qui a beaucoup lire un livre de Sartre. Ce n’était pas mon
compté : La solitude du coureur de fond truc… J’ai jamais fait de bonnes études, je
de l’anglais Tony Richardson (1962) que n’avais pratiquement pas d’amis étudiants.
j’ai déjà évoqué. C’est le même message Je connaissais beaucoup de bringueurs,
que dans La vie à l’envers, le refus de la de fêtards, des “vitelloni” [littéralement
société, le refus de la routine. Des films “des grands veaux” en italien, référence
révoltés… Chez les acteurs, j’aimais bien au film de Fellini, sorti en 1953. NDLR]… La
Gérard Blain, le “James Dean français”, vie qui ne sert à rien mais qui est une sorte
l’étonnant Charles Denner et le beau Sami de clé du bonheur ! Pourquoi je suis parti
Frey. Encore des rebelles ! voyager ? J’étais très, très mauvais élève,
Au cinéma, je regrette toujours que les j’ai raté deux fois mon deuxième bac. Mes
noms des metteurs en scène soient en parents s’arrachaient les cheveux. Une
grand, le nom des acteurs en énorme, alors partie de ma famille avait quitté l’Indo-
que ceux des cameramans sont rarement chine pour s’installer au Mexique. Alors,
mis en valeur. Sans l’apport des grands sous prétexte de m’inscrire à l’université
opérateurs qu’il a embauché, les films de Mexico, je suis parti au Mexique. Inu-
d’Antonioni, par exemple, auraient-ils tile de préciser que je n’ai pas souvent
eu la même puissance, le même impact ? mis les pieds à la fac… J’étais en train
Lorsque de jeunes photographes m’inter- de vivre – et de photographier – ce qui
rogent, je conseille toujours la lecture du deviendra plus tard Le voyage mexicain !
Journal du regard de Bernard Noël, du Re- Puis, j’ai commencé à rencontrer tous
gard pensif de Régis Durand et de tout ce les beatniks sur le campus américain. Et
que Gilles Mora a écrit sur Walker Evans. là, ma vie a basculé, complètement. Pour
Et il faut lire et relire les Notes sur le ciné- moi, le plus grand changement dans la
matographe de Robert Bresson. C’est lui bascule, ce n’est pas la révolte, ce n’est pas
qui a le mieux parlé de l’attention au son. la défonce, même si on a beaucoup fumé,
Comment le son peut diriger la pensée, mais c’est que mes copains américains
et créer des émotions parasites qui sont n’étaient pas cyniques. En Europe, on est
comme en rajouter une couche ! Ça me encore cynique les uns envers les autres.
parle car j’ai souvent un problème avec la Les Américains sont parfois con-con, sou-
musique au cinéma. Dès que la bande-son vent naïfs, mais ils m’ont appris une sorte
est trop directrice, que la musique te dit d’amour universel. Ce qui n’empêche
quoi penser, le film est raté. Bresson, c’est pas qu’il y eût régulièrement des ba-

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l ike reportage Bernard Plossu

garres entre les “pour” et les “contre” Elvis, c’était sexuel. Okay, ensuite il est
la guerre au Vietnam. Il y avait cette devenu mauvais. Mais au départ, on en
espèce de bonheur de vivre de la géné- était tous dingues. Des chansons comme
ration beatnik, sans aucun jugement, I forgot to remember to forget her [J’ai oublié
aucun cynisme. Mes copains américains de me souvenir de l’oublier], ça ne vaut pas
étaient moins cultivés que mes copains un poème de Genet, ça ? Enfin, c’est ma-
français, mais ils étaient plus dans la vie. gnifique ! C’est la même chose, on parle
Un état d’esprit que j’ai retrouvé dans les de la grande beauté ! Il faut réécouter ces
textes de David Le Breton qui, pour moi, chansons [Bernard chante à tue-tête] : “Une
est le dernier hippie. Ou le nouveau hip- nuit d’amour avec toaaa, C’est tout ce que
pie ? En France, parfois, on en sait trop. je veeuuuux…” Whaaaou, t’en prends plein
On sait tout sur Kerouac, on sait tout sur la tronche. Elvis, c’est le premier hurleur
Bob Dylan. Et ce n’est pas essentiel ! On amoureux existentiel. “One night with
est trop basé sur la culture, la culture, la yooOUUUU…” »
culture… J’adore la culture, ce n’est pas Attiré par les miaulements rageurs et im-
le sujet, évidemment, on ne peut pas nier probables, un petit bonhomme accourt en
l’importance de la culture. Mais les Améri- poussant lui aussi des cris aigus et rigo-
cains que j’ai connus à 20 ans n’étaient pas lards. On fait la connaissance de Liam,
cultivés. Ils étaient… stones, quoi ! Et évi- deux grosses billes brunes intenses qui
demment, ils connaissaient la musique… » dévorent un visage radieux. Sortant de
la douche, le petit-fils franco-mexicain
Fixette Elvis de Bernard a les cheveux plaqués en ar-
« Dès le plus jeune âge, j’ai toujours écou- rière. Façon Elvis ? « Mais qu’est-ce que tu
té les trucs les plus divers : la musique es bien coiffé ! », s’extasie le grand-père.
indienne, la musique arabe, la musique Deux gamins… Difficile de ne pas voir que,
turque, j’adorais le “saz” [luth à long à soixante-dix ans d’écart, l’un a la même
manche utilisé en Turquie, Grèce, dans tête que l’autre. Et réciproquement.
les Balkans… NDLR]. En même temps, je « Voilà donc les idoles de ma jeunesse. De-
connais bien la musique américaine des lon. Dean. Presley. Autant dire c’est pas
années 50’s. J’adore le blues. Surtout les Mao ! Mao ne m’intéressait pas, alors que
anciens, ils sont tous bons. Big Boss Man j’adore Elvis ! En plus, jusqu’à preuve du
de Jimmy Reed ! Puis, quand j’avais 12-13- contraire, Elvis n’a jamais torturé ni tué
14-15 ans sont arrivés des gens comme personne. Je n’ai jamais été ni trotskiste,
Brenda Lee, Ricky Nelson, Bobby Darin. ni maoïste et je ne le regrette pas.
Aujourd’hui je les regarde sur YouTube ! J’aime toujours autant Bob Dylan (Like
C’est génial le rock’n’roll ! Jerry Lee Lewis, a rolling stone, I want you) ou Joan Baez
Eddie Cochrane, Gene Vincent… Et puis, (Black is the color of my true love’s hair, Silver
un cran au-dessus, il y a Elvis. Fixette El- dagger). En revanche, les Beatles j’aime
vis ! plus. Ça m’a fait planer, mais aujourd’hui
La clé de l’existentialisme, pour moi, c’est je trouve ça… blanc, fade, bof. Je suis plu-
Elvis hurlant One night with you! Quand tôt porté sur les guitaristes douze cordes,
Elvis chante ça, ils peuvent tous aller se des musiciens américains solo guitare
rhabiller. Personne n’a des “cojones” pa- pas très connus, Fred Neil ou Dave Van
reilles. Il hurle à la nana qu’il rêve de pas- Ronk. Parmi les plus connus, j’aime beau-
ser la nuit avec elle. Faut être un très bon coup J.J. Cale. J’ai aussi beaucoup
écrivain pour oser un tel un cri d’amour. écouté de jazz. Quand j’avais 18 ans,

18
Rayonnage. Œuvre originale de Salvador Albiñana à la gloire de son ami Plo.

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l ike reportage Bernard Plossu

je traînais beaucoup au Chat-qui- existe quelque part un vieux film tourné


pêche, une boîte de jazz où défilaient chez lui, où Moustaki joue de l’oud. Et
toutes les pointures, Thelonious Monk ou le mec derrière, au bongo, c’est moi ! À
des mecs comme ça. J’ai raté Coltrane. À l’époque j’avais la barbe jusqu’au nombril.
San Francisco, j’ai vu Elvin Jones, enfin je Au début des années 1970, Jean-Fran-
l’ai entendu jouer car la boîte était bondée, çois Revel a publié dans L’Express un
alors je l’ai écouté depuis l’extérieur, assis article sur le mouvement hippie et sur
sur le trottoir. moi. Comme j’avais plein de photos de
J’ai toujours eu des goûts très éclectiques, l’Ouest américain, quelqu’un a pensé
j’aime la musique, toutes les musiques. qu’il fallait absolument que je rencontre
Sauf la musique classique, je n’en ai pas un le cinéaste Sergio Leone. Un jour, je suis
seul disque. Disons que je n’ai pas l’oreille contacté par une attachée de presse qui
musicale classique ou, plus crument, que me convoque chez Mort Schumann, le
je déteste souvent ça ! Exception faite du compositeur américain installé à Paris.
piano flamenco classique, j’écoute encore Le jour dit, je me retrouve entre Sergio
parfois Amparo Iturbi jouant du Manuel Leone, Mort Schumann et Ennio Morri-
de Falla, ou Alicia de la Roccha jouant du cone. Pas fier. Évidemment, nous avons
Albeniz. Côté français, j’ai toujours ap- passé une après-midi géniale à parler de
précié Eddy Mitchell qui, lorsqu’il repre- l’Ouest américain.
nait une chanson de l’anglais, en faisait Après, Leone et moi sommes devenus
quelque chose d’encore meilleur ! Toujours amis, j’ai même travaillé pour lui en fai-
un coin qui me rappelle… sant des photos de repérage en Arizona
Il y a un photographe français qui touche pour son dernier film. Un jour, je vais à
sa bille à la guitare électrique, c’est Ber- Rome le voir dans ses bureaux. Il venait de
nard Descamps. Un côté Dylan qui est recevoir la Phantom, dernier modèle de
pas mal. Gilles Mora aussi est très bon Rolls-Royce et disait avec son accent : “Y’a
musicien. Lors d’une interview à la radio que Sinatra et moa qui en ont oune !” Puis
avec Laure Adler, j’ai dit comme ça que nous voilà partis déjeuner. À ma grande
j’aimerais bien photographier Pauline surprise, Leone m’emmène déjeuner chez
Croze, parce que j’aime sa musique. Un les routiers où – nouvelle surprise – tous
copain s’est arrangé pour qu’on rentre en les chauffeurs l’appellent pas son pré-
contact et elle est venue passer la journée nom. À peine assis, Leone commande un
à La Ciotat. J’ai fait plein de photos, c’était minestrone. Le pape du western-spaghet-
très sympa. ti face à son minestrone dans une gargote
J’ai beaucoup, beaucoup dansé, beau- populaire de la banlieue romaine, c’est
coup chanté. J’aime vraiment beaucoup inoubliable ! Alors, crois-le ou non, je ne
la musique. Je suis percussionniste. D’ail- l’ai jamais photographié ! Je n’y ai même
leurs, ça m’a beaucoup aidé en Afrique. pas pensé. Ça aussi, ça veut dire quelque
Dès que tu arrives dans un village, tu chose. Ça veut dire que je n’étais pas à
rencontres un griot avec son tambour. courir après des noms connus. J’avais
Si tu commences à jouer, tout le monde plaisir à les connaître, comme n’importe
déboule. Et après, tu fais les photos. Ça qui d’autre. Ce n’est que beaucoup plus
c’était agréable. Une dernière anecdote tard que je me suis rendu compte que je
musicale : pendant une période, j’ai été n’avais pris aucune photo ! Quel gag ! Il y
très copain avec Georges Moustaki, et on a les photos qu’on ne fait pas. Mais
a passé beaucoup de temps ensemble. Il j’aurais dû… au moins un portrait. »

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l ike reportage Bernard Plossu

Delon Forever choisie, prétextes à l’entretien. Liam gam-


« J’ai raté une photo ! J’étais très lié bade en pyjama à travers les pièces, ours
avec l’écrivain Jean-Claude Izzo. Durant en peluche d’une main, faisant main basse
quelque temps, il a habité à Ceyreste, la au passage sur toutes les clefs qui traînent
commune voisine, avant de retourner pour aller les ranger – véridique ! – dans la
vivre à Marseille. À cette époque, il a enga- boîte à clés du grand-père. Il est temps de
gé Delon pour jouer Fabio Montale, l’adap- prendre congé de notre intarissable mais
tation télé de sa trilogie marseillaise. passionnant interlocuteur. À sa manière,
Tout le milieu lui est tombé dessus car un drôle et émouvant frère Lumière.
Izzo était ultra-gauche, alors que Delon,
étiqueté franchement à droite. Soit. Mais Instants non décisifs
au résultat, Delon est excellent, c’est son Le lendemain, après la tournée générale
meilleur rôle. Un jour, je prends le TER des “Lumières de la ville”, nous voici à nou-
pour aller à Marseille. Comme j’y vais veau face-à-face pour éclairer quelques
régulièrement, je ne prends pas toujours nouvelles facettes de notre homme et
mon Nikkormat. Et là, qui je vois devant – qui sait ? – finaliser l’entretien. À peine
l’affiche des Frères Lumière ? Alain De- a-t-on enclenché le contact que Bernard
lon, en imperméable, tout seul sur le quai. embraye sur la question qu’on
Et je n’avais pas mon appareil… ! Le chef a failli poser. New ball !
de gare, Dominique qui est un copain, l’a « Tout le monde me le dit, il y
repéré aussi et a fait la photo. Lui a donc a dans mes photos un côté ar-
une photo d’Alain Delon attendant l’entrée rêt de film. Visuellement, c’est
du train en gare de La Ciotat, sur fond littéraire comme image. Ce
d’affiche des frères Lumière… Mais, moi, n’est pas du Cartier-Bresson.
je ne l’ai pas ! Ça, c’est la photo ratée par Alors, pour me marrer, j’avais Cinéma-
excellence, non ! ? !  » inventé la formule des “ins- tographe
tants non décisifs” pour parler La Ciotat,
Frères Lumière de mes images. Ce jeu de mots, l’autre ville
Demain à la fraîche, Bernard propose j’ai toujours eu peur que Car- (des frères)
d’aller à La Ciotat faire le tour des « pre- tier-Bresson le voit ou l’entende Lumière.
mières mondiales » de l’histoire du ciné- et me le reproche, car il pouvait
matographe qui ont eu lieu ici : le fameux être sévère. Avec Raymond [De-
quai de la gare où a été « photographié » pardon], on est de la même gé-
– la plaque l’atteste ! – l’un des premiers nération. Tout en faisant deux
plans de cinéma « au monde », l’Éden, œuvres très différentes, il y à
la première salle exclusivement cinéma ce point commun : on était les
« du monde », le Palais Lumière, l’ancienne deux à avoir essayé de mordre
usine Lumière, la plage Lumière… Toute là-dedans, rendre intéressants “les ins-
une ville sur laquelle les frères Lumière, tants non décisifs”. D’ailleurs, est-ce qu’un
industriels lyonnais qui venaient ici en instant doit être décisif ou pas ? Ce n’est
villégiature, ont projeté et expérimenté pas mon affaire. Mes photos à moi ne sont
leur fabuleuse invention qui allait boule- pas décisives du tout. En quoi ce n’est pas
verser le XXe siècle. D’ici là, le jour s’étire, décisif ? Ça, ça m’intéresse plus. Qu’est
la conversation s’étiole. Et nous n’avons ce qui fait que la photo reste dans la tête,
toujours pas abordé les rivages de l’édi- dans la mémoire, alors qu’elle n’a au-
tion photographiques et de la littérature cune importance ?

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l ike reportage Bernard Plossu

La supériorité – ce n’est pas le mot Moi, si j’avais à choisir une photo de Car-
exact –, disons la magie des images de tier-Bresson, ce serait une photo prise
Robert Frank sur celles de Cartier-Bres- près de Venise, un morceau de gondole
son, c’est que les photos ratées de Frank qui va passer sous un pont. On voit juste
sont réussies. Tu vois ? Les photos réus- la flèche de la gondole et un pont. Donc,
sies de Cartier-Bresson sont réussies, c’est rien, il ne se passe rien. J’adore cette
chefs-d’œuvre, grand photographe. Mais photo. Mais c’est cette petite magie qu’il y
il y a chez Frank cette petite dose de “raté” a en plus chez Robert Frank qui fait que
qui fait que c’est encore mieux ! ce n’est pas que la perfection… C’est peut-
Comment formuler ça, sans avoir l’air être ce que j’aime chez Soutine. Lui, il a
d’être un sale con qui se permet de dire carrément cassé la perfection. »
du mal de Cartier-Bresson ? En fait, ce En aparté, on a interrogé Guillaume Ge-
qui m’a longtemps gêné avec les photo- neste, qui manipule et tire régulièrement
graphies de Cartier-Bresson, c’est qu’on a les négatifs de Plossu, sur une possible
toujours montré les mêmes. Il a aussi de la définition de la photographie « plos-
magie chez lui, mais peut-être que depuis suenne ». Vaste programme. Geneste en
toujours, beaucoup de gens cartésiens ont parle comme d’une géographie, un pos-
montré son univers cartésien… Mais il y en sible point cardinal entre « l’émerveille-
a encore plein d’autres à découvrir. Quand ment d’Édouard Boubat, la vivacité de
des chercheurs s’y plongent, comme Che- Cartier-Bresson et la liberté de Robert
roux l’a fait pour organiser l’exposition à Frank. Bernard a aussi cette faculté de
Pompidou, ils trouvent toujours des iné- toujours inverser le point de vue… De-
dites. C’est passionnant, cette chasse aux puis trente ans que je le connais, j’adore
images méconnues. D’ailleurs, chez Frank marcher en ville avec lui. À chaque fois,
aussi on en retrouve des nouvelles. pendant les deux ou trois jours suivants,
Ce serait passionnant de poser sur une je vois toutes les images qu’il aurait faites.
table les milliers de photos qu’a faites Et puis ça s’estompe ! »
HCB, et de proposer à une vingtaine
d’élèves ne connaissant surtout rien à la Devenir photographe
photographie d’extraire celles qui leur « J’ai vécu une vingtaine d’années aux
plaisent le plus. États-Unis, avec des allers-retours, mais

« Je me suis farci vingt ans de “il est moins bon


que Cartier-Bresson !”, puis de nouveau vingt
ans de “il est moins bon que Robert Frank !” Ça a
donc pris quarante bonnes années pour pouvoir
affirmer : je suis effectivement leur élève et leur
“fan”, mais j’existe aussi ! »
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résident avec une carte verte. Là-bas, aux été classé, rangé parmi les humanistes
yeux des Américains, j’ai toujours été fran- au sens péjoratif, cul-cul-la-praline, de
çais. Le seul qui m’ait bien compris, c’est l’appellation. Avec Claude Nori, Gilles
Lewis Baltz qui a écrit que j’étais “le plus Mora et d’autres, on avait pigé ça très
français des photographes américains, et tôt… Quand on regarde ses photos, on
le plus américain des photographes fran- saisit que ce n’est pas juste mièvre. C’est
çais”. Pourtant, durant toutes ces années un photographe moderne, extrêmement
aux États-Unis, j’ai toujours dû parvenir important dans la vision. La composition
à exister malgré le fait qu’il y ait eu Car- est moderne. C’est Braque ! Aujourd’hui,
tier-Bresson avant moi ! Puis, en rentrant il est mis de côté. On ne ressort de lui
en France, je me suis coltiné pendant vingt que les photos les plus charmantes,
ans des comparaisons avec Robert Frank ! les anges, les gamins… Mais ça va bien
En résumé, je me suis farci vingt ans de au-delà. Édouard, c’est un magicien !
“il est moins bon que Cartier-Bresson…”, Stuart Alexander, spécialiste de l’œuvre
puis de nouveau vingt ans de “il est moins de Robert Frank, vient de m’envoyer par
bon que Robert Frank…” Ça a donc pris mail une photo de Mary Frank, la femme
quarante bonnes années pour pouvoir de Robert, photographiée par Édouard.
affirmer : je suis effectivement leur élève Personne ne le sait, mais Frank et Bou-
et leur “fan”, mais j’existe aussi ! Alors, au- bat étaient copains. Ils se voyaient ! Ce
jourd’hui, je me bats comme un fou dès qui est marrant c’est qu’Édouard Boubat
que j’entends quelqu’un dire qu’il existe n’a jamais été chez Magnum, ni rien… Il a
des “sous-Plossu” ou des “bébés Plossu”… toujours été un peu sauvage par rapport
Je déteste ça ! à ça. Un peu comme moi. Je n’ai jamais
Mais ils ont le droit de se chercher. Ils ont osé, même une seconde, penser à aller
le droit de faire du flou, merde ! Quelle in- me présenter chez Magnum. C’est trop
tolérance… On commence toujours par impressionnant. Jamais de Leica, non
copier quelqu’un. Si tu commences à les plus. Alors ça, « le mythe Leica », je n’y
casser, qu’est-ce qu’ils vont devenir. Dans crois pas une seconde. Penser qu’une
les stages, quand on me montrait vingt bonne photo, c’est avoir en main un bon
photos, j’essayais toujours d’en trouver appareil, c’est n’importe quoi. Je casse
une bonne. Toujours. Au moins une, ou le mythe, là. Volontairement. Avec n’im-
dix, ou vingt ! Mais je n’ai jamais cassé porte quelle merde d’appareil, tu peux
quelqu’un. De quel droit ? Je préfère leur faire des chefs-d’œuvre ! Ce qui compte,
dire, là, il y a une direction. Ce n’est pas c’est de voir et d’être intelligent.
forcément la bonne technique, parce qu’on Dityvon, encore un excellent photo-
peut aussi apprendre beaucoup d’une cri- graphe oublié. Mai 68 Par Claude Dity-
tique ! Mais moi j’encourage. von, c’est aussi fort que Les Américains de
Robert Frank. Mais il n’a pas cette gloire
Boubat mondiale. Faut dire qu’il était dur… Mai
« Mon modèle, c’est Boubat. Alors lui, c’est 68 a vu émerger plein de photographes
le maître, c’est Dieu. C’est le mec qui fai- intéressants, Gilles Caron en tête. Ca-
sait jamais la morale, qui savait regarder ron, c’est formidable, mais est-ce que tu
les femmes. Édouard, c’est le plus grand connais les photos d’Henri Huet ? Per-
français que j’ai rencontré, l’équivalent sonne ne le connaît… Un jour, je visitais
de Robert Frank. Le problème – l’erreur la MEP, il y avait des expos d’Hervé
disons – concernant Édouard, c’est qu’il a Guibert, de Marc Trivier, des poin-

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l ike reportage Bernard Plossu

tures. Et tout à coup, je tombe sur aussi, toute son œuvre sur le Moyen-
l’image d’un mec qui rampe dans la Orient. J’aime aussi Nicolas Comment,
boue. D’un seul coup, toutes ces images de qui est chanteur et photographe. J’aime
GI’s faites par Henri Huet m’ont assailli, ses photos, sa musique. J’aime bien le per-
j’étais bouleversé. Pour moi, il est le plus sonnage. Il est sympa. Sincère.
grand photographe de guerre français. En Max Pam c’est mon frère. Il est très sym-
plus, quand tu lis les témoignages, tous pa, très nature. C’est un mec très, très in-
disent à quel point il s’impliquait, lâchant telligent, fin et drôle. Ça m’a plu la longue
l’appareil pour porter les blessés. C’est interview que vous lui avez consacrée
un grand mec. Il est mort en 1971 dans le parce qu’il est un peu dans la boîte des
même hélicoptère que Larry Burrows et oubliés en ce moment [Voir N°01 LIKE].
deux autres photographes de presse. À Dans un autre style, Carole Bellaïche que
ma connaissance, c’est la seule expo qui j’apprécie vient de sortir un gros bouquin
lui a un peu rendu hommage ici. Les Amé- sur Isabelle Huppert, avec un texte de Ber-
ricains ne se sont pas trompés, il a eu tous gala. Page après page, c’est très très bien.
les prix chez eux. En France, rien, il est Mon préféré en France c’est Eric Dessert,
cité nulle part. (Henri Huet a notamment un excellent photographe, bizarrement
reçu, dès 1966, le Prix Robert Capa Gold rarement cité dans les anthologies. Et
Medal, pour son cliché de deux soldats aussi beaucoup en couleurs Thibaut Cuis-
américains blessés, paru en couverture set et Julie Ganzin. Et, au risque de me
de Life et de Time Magazine. À son sujet, répéter, ma photographe préférée c’est
il faut lire Henri Huet : J’étais photographe Françoise Nuñez, ma femme. C’est mer-
de guerre au Vietnam sorti en 2006, [éd. du veilleux ce qu’elle fait. Archi top !
Chêne]. Oh lui, son travail m’émeut. C’est Un jour, Françoise et moi avons fait un
peut-être ça la définition d’une bonne pho- échange de tirages avec Jean-Baptiste
to, non ? Une photo qui t’émeut. Huyngh, un artiste que j’aime énormé-
Dans les photographes du moment, il y ment. J’adore ses photos de femmes. Tout
en a un que j’aime particulièrement c’est ce qu’il fait sur les ethnies, le métissage,
Claude Iverné. Son Afrique est forte. En est magnifique. C’est très sobre, mais très
plus, il écrit très bien, c’est une œuvre beau. Il a bel œil, je n’ai pas dit un bon
intéressante. MariBlanche Hannequin œil : un bel œil ! J’ai choisi le magnifique

« Si j’aime tant le cinéma japonais, c’est parce que


les femmes y sont pudiques. L’érotisme pour moi,
c’est Les contes de la lune vague... de Mizokuchi.  »
26
portrait d’une Vietnamienne, désormais c’est elle partant. Il pleuvait, elle me faisait
encadrée dans mon bureau. Françoise, coucou. Elle me plaît beaucoup celle-là. Je
elle, regarde tout puis finit par désigner l’ai mise dans mon bouquin Paris (page 31,
le portrait d’un homme âgé. Jean-Baptiste in Paris, éd. Marval - Visconti, 2018), en
a été surpris ! “Personne n’a choisi cette face de Denis Roche et sa femme. Ils ne
photo. C’est mon père !” L’intuition de m’avaient pas vu, je suis arrivé sur eux :
Françoise est incroyable : elle a choisi la “Coucou, c’est moi !” Et clic. Un jour, la plus
photo qui touchait Jean-Baptiste le plus, petite galerie du monde m’a demandé une
le portrait de son papa. expo. C’est une simple vitrine accrochée
Il m’est arrivé le même genre d’histoire sur un mur d’une rue passante de Car-
avec Marc Trivier. Photographe très in- thagène, en Espagne. J’y ai exposé mes
telligent, précoce, Trivier a photographié planches contacts découpées d’Isabelle. »
tous les grands : Bacon, Beckett, Genet,
Frank. Lorsqu’il m’a proposé de choisir Les femmes
une photo, j’ai choisi celle d’un jeune « Une question revient souvent à propos
homme inconnu, au regard très profond de mes photos de femmes : d’où vient cette
mais absent ; Trivier m’a répondu que per- sensualité ? Je suis mal placé pour y ré-
sonne ne lui avait demandé cette photo-là, pondre, mais il me semble que ça vient
lui qui a photographié tant de célébrités. de la pudeur. Si j’aime tant le cinéma ja-
Je ne sais pas pourquoi un mec comme ponais, c’est parce que les femmes y sont
Trivier ou comme Boubat, sont très bons. pudiques. L’érotisme pour moi, c’est Les
Qu’est ce qui fait qu’on passe à cet espèce contes de la lune vague… de Mizokuchi.
de mystère de la “supra-photo” ? Je ne sais Une femme qui ne montre rien mais qui,
pas. J’ai l’impression que personne n’est dans les yeux, dit tout. J’ai un peu de mal
parvenu à définir ça… (Un long temps de à comprendre comment une actrice peut
réflexion) Si ! L’américain Peter Galassi accepter de se foutre à poil devant quinze
est parvenu à en parler dans son livre personnes en train d’enregistrer ? Je suis
Corot en Italie (paru en 1991 aux éditions assez prude, d’accord. Mais d’un point de
NRF). » vue féministe, je ne comprends pas…
Moi je suis Audrey Hepburn et Silvana
Isabelle Huppert Mangano. Ah ! Vacances romaines… c’est
« Ma rencontre avec Huppert est liée à con mais c’est bien ! Et la Mangano dans
Jean-Christophe Béchet, qui avait lancé Riz amer, quel souvenir. Ce sont des films
une mission “Isabelle Huppert vue par…” classiques mais elles sont si belles. La
dans Réponses Photo, avec sept ou huit plus belle apparition féminine de toute
photographes différents. Isabelle, je l’ai l’histoire du cinéma, c’est l’italienne An-
photographié au Lutetia, très naturelle. tonella Lualdi dans Les Garçons de Bo-
Je pense que les photos que j’ai fait d’elle lognini. L’histoire de jeunes qui font la
dans l’escalier sont marquées par une bringue, qui traînent. À un moment, elle
image que j’adore signée Duane Michals, se promène dans un champ avec Laurent
Jeanne Moreau assise dans un escalier. Il Terzieff. Ils passent sous des jets d’eau et
faut reconnaître ses influences. Après la se retrouvent trempés de la tête aux pieds.
prise de vue, nous avons bavardé. Isabelle Cette actrice, on l’a revu il y quelques an-
est très brillante et connaît très bien l’his- nées dans la série télévisée Les Cordier
toire de la photo. En fait, elle sait s’adapter juges et flics. Là-dedans, elle joue la
à chaque photographe. La dernière photo, femme du Pierre Mondy et n’arrête

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l ike reportage Bernard Plossu

pas de parler – avec un bel accent années 50, tandis que les hippies, ce sont
italien – de recettes italiennes, pré- des beatniks 70’s plus psychédéliques,
pare des dîners magnifiques… Ainsi la avec des vêtements plus dingues…
sublime Antonella a réapparu en une Moi, je suis juste entre les deux. Je suis
vieille dame charmante. C’est marrant ! “après” la Nouvelle Vague et entre le Beat
J’adore les anecdotes comme ça. Du coq et les Hip ! J’y étais évidemment, à Big Sur
à l’âne ! Ma vie pourrait s’appeler “du coq et ailleurs. C’est en Inde que ça a changé.
à l’âne”. C’est à un point chez moi… C’est J’étais à Goa et, là, c’est devenu dur. Les
pareil pour toi, non ? » trafiquants de drogue sont arrivés et ça
a commencé à mal tourner. Je me rends
Hip & Beat compte que les jeunes, aujourd’hui, sont
« Sur la génération de… ma génération, vachement intéressés par comprendre
j’ai fait deux livres. Le premier était une ce qu’étaient les hippies. Donc j’essaie de
compilation de textes dont j’étais un peu leur expliquer. Tout en me méfiant de ne
le maître d’œuvre, des points de vue poli- pas devenir le porte-parole de quoi que
tiques, religieux sur le phénomène hippie, ce soit, car on me demande un
intitulée Jetons nos montres. En couver- peu trop de porter le flambeau
ture, il y avait un Sâdhu en Inde avec une hippie en ce moment. Même si
barbe et tout. L’éditeur, un monsieur très ce mouvement était passion-
gentil, très vieille France, publiait Arnaud nant. » Des oiseaux
Desjardins, un auteur à succès très mar- Níjar, Andalousie,
qué par les moines tibétains. Pourtant, Interlude Espagne, 2008.
sans me prévenir, il a sorti le livre sous « Bouge pas, je reviens dans Extrait de Bernard
le titre Pourquoi n’êtes-vous pas hippie ? une seconde… » Plossu plonge Plossu, Des oiseaux.
écrit en typo fleur !!! Et dans un espèce sous la table, récupère une Éditions Xavier
de désordre qui n’est pas très intéressant. boîte en métal et, à pas de loup, Barral, 2018.
Donc, moi, j’en ai honte… Je l’ai toujours rejoint le jardin en roucoulant :
caché ! Mais il y a dedans une vingtaine « Roouh oouh ! Roouh oouh !
de photos de mes “copains”, enfin de ceux Ouh ! » Deux tourterelles ap-
que j’ai eu la chance de rencontrer à Big prochent. « Voilà… C’est de-
Sur : Joan Baez, Allen Ginsberg… venu notre rituel quo­tidien.
Ce qui m’avait plu aussi là-bas à l’époque, Depuis peu, des pigeons ont repéré que
c’est l’anonymat. Personne ne faisait ça je leur donne des graines, et se pointent
pour être connu. Ils faisaient ce qu’ils aussi. Tant qu’ils n’attaquent pas les
faisaient parce que c’était leur Karma ! tourterelles, je ne fais rien », lâche-t-il la
Aucun vedettariat. mâchoire serrée. Façon Bronco Apache ?
Récemment, j’ai retrouvé un de mes ma- À l’entendre roucouler, on comprend
nuscrits, 200 pages tapées à la machine, mieux comment ce photographe mi­
écrit en 71-72 sur toutes les années hip- grateur, toujours aux aguets, a pu pas-
pies… Un texte refusé partout à l’époque ! ser un été entier à filer le portrait de
L’autre livre est récent : Far Out, édité chez fur­tives hirondelles depuis la fenêtre
Médiapop, reprend deux articles que j’ai d’un grenier (Le magnifique Hirondelles
écrit dans les années des années 70 sur Andalouses, paru en 2008 chez Filigranes)
Goa, l’Inde et l’Amérique, parus à l’époque ou combler l’ornithologue Ghuilem Le-
dans Rock & Folk. Hip ! Beat ! C’est pareil. saffre de ses paysages zébrés de
Disons que les beatniks, c’est plus jazz, silhouettes dansantes, glanées de-

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l ike reportage Bernard Plossu

puis la terre, tout autour du globe Edward T. Hall. Il s’est pris d’amitié pour
(Des oiseaux, éditions Xavier Barral, moi et est devenu – en quelque sorte – mon
2018). Ne serait-ce que pour pouvoir y parrain spirituel américain. Dans son livre
nicher, en guise de vade-mecum, de pré- La dimension cachée, Edward consacre un
cieuses citations de son peintre favori : chapitre entier à la proxémie, c’est-à-dire
“Il ne faut pas chercher, mais attendre. la distance juste aux choses et aux gens.
Je travaille pour les petits oiseaux”. Ca- Et c’est exactement le 50 mm. Tu n’as pas
mille Corot (1796-1875). » de proxémie avec le grand-angle, ni avec le
téléobjectif. Le 50 restitue la vision pure,
Déclic sans effet. C’est comme l’œil. C’est donc
« Il y a eu un grand break dans ma vie pro- un objectif qui ne peut pas mentir. Je
fessionnelle lorsque je suis allé au Niger me revendique beaucoup de cette école.
photographier les nomades Peuls. J’avais Quand je parle des photographes que
encore mon grand-angle, le téléobjectif, le j’aime, comme Max Pam, je dis souvent
sac photo… Je me suis rendu compte très qu’ils ont le ton juste. C’est la nécessité,
vite que la vision de grand-angle, défor- la sincérité. Alors, en ce qui se concerne
mante, ce n’était finalement pas mon truc. mon travail, le ton juste c’est ça. On peut
Donc, j’arrête le grand-angle, les longues dire, Plossu, c’est tout et n’importe quoi :
focales et je ne photographie plus qu’au Le Jardin de poussière, Isabelle Huppert et
50 mm. À part les appareils jetables, les les rencontres d’écrivains. Quel est le rap-
petits trucs plastiques, je m’y suis tenu. port ? Le rapport, c’est la distance juste du
Je n’ai gardé qu’une seule série, au grand- 50 mm. La distance est juste. Il n’y a au-
angle : Le retour à Mexico, un reportage so- cune photo qui n’est pas dans cette poésie.
cial sur les quartiers durs de la banlieue De manière prétentieuse, j’appelle ça “à la
de Mexico, en 1970. Et quelques diapos Mizoguchi”. C’est vraiment le gris, quoi !
“Fresson”. Mais elles sont carrément Techniquement, le tirage couleur Fres-
classées à part, dans un classeur “grand- son est ce qui me permet d’obtenir le
angle”. Ce sont les seuls négatifs faits au même rendu qu’en noir et blanc. Du noir
grand-angle que je n’ai pas brûlé ! et blanc en couleurs ! C’est mat, il y a du
Parmi les chances de ma vie, il y a la ren- grain. Comme la bonne vieille pellicule
contre avec un très grand anthropologue, Tri-X quoi ! Ainsi, en ce qui me concerne,

« Ma propre unité de ton vient donc de l’utilisation


exclusive du 50mm. C’est l’hommage à Corot qui
est, pour moi, le maître absolu de la vision.
Je suis – comment dire – “Corotien ? Corossien ?”
Je ne sais pas. »
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il n’y a pas de différence de philosophie C’est du vécu, c’est pas pour plaire qu’il
entre les couleurs et le noir et blanc. Je a fait ça… Tiens, j’ai appris que Soutine
parle du tirage Fresson, lié à ce que je fais plaisait à Modigliani. Ça c’est génial. C’est
moi. C’est très compatible, ensemble, le pour ça qu’à Paris, j’aime bien prendre
mélange des deux. D’autant plus intéres- un café au Sélect. C’est mon café préféré.
sant qu’on perçoit que c’est la même pâte. On y est vachement bien, comme dans le
Autre particularité, dans mon travail Montparnasse dans les années trente. J’ai
photo, la frontière entre vie privée et tra- l’impression que Soutine et Modigliani
vail “public” n’existe pas. Là-dessus, mes sont encore là !
planches contacts sont claires, tu y vois Question d’époque : je me sentais très bien
une rue, l’enterrement de Coluche, un fau- au XXe siècle, et désormais très mal au
teuil, mon gamin qui se marre. C’est tout XXIe  ! L’autre jour, dans le bus, tous mes
mélangé. La seule unité, c’est le 50 mm. voisins regardaient leur téléphone. Lors-
C’est ma plume. Je revendique d’ailleurs qu’on a longé le Jardin du Luxembourg,
ce mélange. » personne n’a vu que le parc était magni-
fique. Je ne suis pas de cette époque-ci. Je
Corot vs Cézanne suis perdu dans le galimatias de petites
« Ma propre unité de ton vient donc de machines. Irrécupérable… Cette “passion”
l’utilisation exclusive du 50mm. C’est de passer son temps sur une machine va
l’hommage à Corot qui est, pour moi, le rendre les gens de plus en plus égoïstes,
maître absolu de la vision. Je suis – com- de plus en plus tournés vers eux, alors
ment dire – “Corotien ? Corossien ?” Je que la vie c’est être tourné vers les autres.
ne sais pas. Ce dont je suis sûr c’est que Ça craint, je trouve… Les jeunes sauront
je ne suis pas “Cézannien”. Cézanne ne quoi faire, ils sont toujours intéressants,
me touche pas autant que Corot, c’est à toute époque. Mais on leur tend plus de
marrant. En fait, je ne les compare pas. pièges qu’à l’époque de mes vingt ans.
Parce que, chez ces deux-là, c’est telle-
ment simple. J’aime les teintes brunes Lumière grise
de Corot, et je n’aime pas le bleu-vert de S’il faut choisir entre l’ombre et la lu-
Cézanne. Je n’aime pas beaucoup le ciel mière… Lumière ! Enfin, lumière grise.
de Provence. À la violence du bleu et du Moi, c’est le gris. L’ombre, les photos
vert je préfère les ciels belges de Permeke. d’ombres, ça ne m’intéresse pas du tout.
[Constant Permeke, artiste-peintre, 1886- J’en ai fait deux ou trois, des autoportraits.
1952, figure de proue de l’expressionnisme Mais ce n’est pas intéressant. Je préfère
flamand. NDLR] voir Peter Pan et les ombres de dessins
Quand tu arrives dans le Midi, comme animés. Je ne crois pas que le langage
moi je l’ai fait en 1991, on te dit Matisse, de la photo soit le langage de l’ombre. Au
Cézanne, point. Et bien non ! Le Midi, contraire, je pense que le langage de la
pour moi, c’est Bonnard, Derain et Sou- photo est le langage du gris. J’ai souvent
tine ! À mes yeux, Soutine c’est mille fois répété : “Le mauvais temps est le beau
plus important que Cézanne. Pourquoi ? temps des photographes.” Ça a du sens,
Je ne sais pas l’expliquer. Mais il y a un tout de même. Bon, ceci dit, dans le Midi…
truc chez Soutine qui sent la rébellion, qui Quand j’ai fait un bouquin sur la Sainte
fait tellement de bien, quoi ! Les rues de Victoire, je n’ai pas eu mauvais temps tous
Cannes cassées dans tous les sens, ça fait les jours ! Pour y arriver, j’ai décidé
du bien ! En plus, on sait que c’est sincère. de faire le pire, c’est-à-dire de n’aller

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l ike reportage Bernard Plossu

à la Sainte Victoire ni à l’aube, ni au vraiment le directeur de fac tel qu’on se le


coucher du soleil mais à midi, de midi représente en France) déclare en voyant
à trois heures. Quand c’est vraiment laid, mes photos : “C’est ça, l’Ouest !” Alors il
vraiment blanc, vraiment plat, vraiment décide de publier mes photos, contre l’avis
méchant. Et j’ai l’impression qu’en pho- des spécialistes de son propre établisse-
tographiant le Midi à midi [!], je montre ment qui lui certifient que ça n’a aucun
vraiment ce que c’est que le climat méri- intérêt. Il fait le livre. Le livre sort, et ça
dional. C’est méchant, c’est cruel. Le Midi, marche. Le magnifique musée de Palm
ce n’est pas que du tourisme. Soutine mis Springs me fait une grande expo sur le
à part, le seul qui a fait de belles images Nouveau Mexique. Le livre est vite épui-
du Midi, le seul qui vraiment l’a traduit, sé. Quelques années passent, coup de fil
c’est Bonnard. Il y a une anecdote savou- de l’éditeur, qui veut le rééditer. C’est ce
reuse, photographiquement, à propos de livre qui m’a fait connaître par Robert
Bonnard. C’est un peintre tellement im- Altman, puisque la photo de couverture
portant que lorsqu’Henri Cartier-Bresson lui a tant plu. Trois ans après, re-belotte,
l’a photographié, aucun de ses portraits le livre est publié à nouveau. mais cette
n’est merveilleusement composé comme fois-ci en version intégrale, sous le titre
il savait si bien le faire. On a l’impression Plossu’s New Mexico, 300 pages. Il a suffi
que, face à Bonnard, Cartier-Bresson est d’un homme… Quelquefois il suffit de la
resté… humble et modeste. Il l’a photo- volonté d’un homme, pour dire regarder
graphié très très bien. Sans effet. Sans ce travail. Sans ce type, je ne sais pas si
composition parfaite. C’est juste un petit j’aurais été un petit peu connu. Je dis bien
monsieur avec son petit chapeau dans un petit peu, car aujourd’hui aux États-
une petite maison du Midi. Des photos Unis, je suis complètement oublié. Eh, je
ultra-sobres. Cette philosophie-là m’a suis parti ! Les absents ont toujours tort.
peut-être marqué quand j’ai commencé Si tu as le temps, je te raconte la suite.
à photographier Giverny. Prochainement, Comme il m’avait à la bonne, Luther
je vais aller faire un tour dans la petite Wilson me présente à Max Evans, le
maison de Bonnard. J’aimerais également scénariste de Sam Peckinpah. Et voilà
visiter celle de Renoir. La Côte d’Azur, voi- que Max Evans se prend d’affection pour
là mon prochain gros cheval de bataille, mes photos ! Je te parle du mec qui a écrit
mon prochain projet d’envergure. On ver- tous les westerns de Sam Peckinpah… son
ra si ça marche. » meilleur ami ! On se voit tout le temps et…
encore un que je n’ai pas pris en photo,
Plowboy le troisième “célèbre” que je n’ai pas pho-
« À Albuquerque où je vivais, il y avait un tographié. C’est tout de même con ! En
très bon département photo à l’Univer- 74, j’étais devenu professionnel et à cette
sité New Mexico Press et une école de période, conscient du truc, je photogra-
photo. Là, ils m’aimaient bien. Mais mes phiais tous les maîtres de la photographie
photos, ils n’en avaient vraiment rien à ci- américaine : les frères Weston, Ansel
rer. Mais ils m’aimaient bien ! Un jour, le Adams, Wynn Bullock. Max Evans, cow-
directeur de l’université de New Mexico, boy immense, me disait tout le temps :
Luther Wilson, un mec moitié Cherokee “I love Balzac !” Et il a compris que dans
(grand, costaud, buveur, carabine, pick-up mes photos, il y avait ce que c’est d’être un
truck et qui m’a appris à tirer la Winches- Cowboy et un Indien. Et pas un intel-
ter dans le désert sur les cailloux… Pas lectuel new yorkais… Donc il a fait un

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Archives Courrier reçu (avec un tirage dédicacé !) de l’écrivain Nicolas Bouvier.

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l ike reportage Bernard Plossu

texte pour la deuxième édition de mon pas de doute … I forget to remember to forget
livre. En France, personne ne sait qui her. Que la photo déclenche des souvenirs,
c’est, jusqu’à ce que son best-seller Hi Lo c’est automatique. Mais je n’ai pas besoin
Country soit adapté au cinéma avec Pene- de Roland Barthes pour le savoir. Je n’ai
lope Cruz. À cette occasion, la collection pas besoin qu’on me mette les points sur
10/18 a sorti le livre, le seul et unique de les i, je suis assez grand pour savoir que
Max Evans actuellement traduit en fran- je photographie des souvenirs.
çais. Avec Max, on s’est beaucoup vu, on Moi je préfère Nicolas Bouvier. En écri-
a beaucoup parlé. Personne ne peut s’en vant L’usage du monde le récit de son
douter, mais je peux m’exprimer comme voyage en direction de l’Est, il n’a jamais
un cow-boy, avec l’accent des vachers pensé une seconde envoyer un message
texans. C’est marrant parce que je me ou apprendre quelque chose à quelqu’un.
débrouille en Mexicain, mais je parle très C’est ça que j’aime chez Bouvier et chez
mal espagnol. En anglais, je peux passer Boubat. Ce ne sont des mecs qui ont fait
pour un mec de l’Ouest américain, mais je des choses pour dire, pour signifier. Ils
ne comprends rien de rien face aux Briti- ne sont pas professoraux. C’est le hasard
sh ! C’est bizarre, dès que je suis dans les de la vie qui fait qu’ils ont eu des choses
langues exotiques, ça passe… partageables. Ils ne délivrent pas de mes-
sage, c’est mieux que ça. On s’égare… Mais
Le réel s’égare-t-on ?  »
« Moi, j’aime le réel. Je photographie le
réel, pas une interprétation du réel. Ce qui Les rencontres
m’intéresse le moins sur Terre, ce sont les « Lise Hoshour, une Bretonne mariée à un
rêves et Freud. Je n’en ai rien à cirer, le architecte très calé en Art déco, tenait une
rêve je déteste ça. Les psychanalyses, que galerie d’art contemporain à Albuquerque,
les rêves expliquent les trucs, je n’y crois Nouveau-Mexique. Elle m’a présenté à
pas une seconde. Encore une religion. l’écrivain Michel Butor qui venait souvent
Donc mes photos n’ont rien à voir avec le dans la région, lui a montré mes photos et
songe, rien du tout. Même si elles sont pla- nous a encouragé à monter un projet en-
nantes, elles sont dans le réel. En aucun semble. Lors d’un de mes allers-retours en
cas dans le songe. Des souvenirs ? Oui, France, je suis allé lui rendre visite chez

« je me suis interrogé sur pourquoi les écrivains


aiment mes photos. Je crois que c’est parce qu’il
n’y a aucun rapport de concurrence. C’est un autre
métier. Mais envisagé de la même manière ! »
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lui, Villa Amata à Nice. C’est là que j’ai fait courrier de sa part, je suis obligé d’ar-
ses premiers portraits. Quelques mois rêter ce que je suis en train de faire. Je
après, de retour au Nouveau-Mexique, on me retrouve avec deux monstres sacrés
a une conversation autour de nos villes de la littérature qui aiment mes photos.
préférées. Pour moi, c’est Rome. Rome, Alors, je me suis interrogé sur pourquoi
évidemment l’intéresse… même si lui est les écrivains aiment mes photos. Je crois
amoureux de Milan. Et la ville la moins que c’est parce qu’il n’y a aucun rapport
belle ? Sans hésiter, on tombe d’accord sur de concurrence. C’est un autre métier.
Albuquerque. C’est ainsi qu’est née l’idée Mais envisagé de la même manière ! Ce
d’un accrochage Rome-Albuquerque. On a sont des photos littéraires. Des arrêts de
fait un parallèle avec très peu d’images, films, et en même temps littéraires. De fil
dix photos seulement, cinq par ville. Lise en aiguille, des écrivains j’en ai rencontré
a préparé les passe-partout et Butor a beaucoup. J’appelle ça “des rencontres”
écrit directement dessus. Ensuite, nous parce que ce ne sont jamais des “séances
avons travaillé sur Rabelais. Puis on a si- de portrait” à proprement parler. C’est
gné ensemble la première Mission Trans- pratiquement toujours lié au hasard. Que
Manche pour la Mission Nord-Pas-de-Ca- je provoque parfois ! Dernièrement, j’ai
lais, créée par Pierre Devin, qui a donné contacté Jean-Paul Delfino, dont j’ai beau-
lieu à la publication de Paris-Londres-Pa- coup aimé Les pécheurs d’étoiles. Il habite à
ris. Butor, ce n’est pas que du “Nouveau Aix. Christian Garcin, l’auteur du Bon, la
roman”, c’est lisible ! La clé de ma photo brute et le renard, vit à Aubagne. Comme
“en passant” c’est La modification, un livre ils sont dans la région, c’était facile de se
fétiche pour moi sur le thème du voyage voir. Cette série est devenue énorme, plus
en train. Butor y décrit les paysages défi- d’une centaine d’auteurs. Ça sert à rien,
lant par la fenêtre comme des “paysages ça ne me rapporte rien, par contre il ne
intermédiaires”. D’où le titre de mon faut pas non plus que ça aille n’importe
expo au Centre Pompidou [Livre édité par où. C’est pour ça qu’il va falloir trouver
Contrejour, 1988. NDLR]. le bon endroit pour mes archives. Aussi
On s’est beaucoup vu, on s’est beaucoup bien pour y déposer mon travail, que les
écrit pendant de longues années, mais je merveilleux collages que m’envoyait Bu-
n’ai jamais pu lui dire “Comment vas-tu ?” tor ou les portraits rencontres d’écrivains.
Impossible… Michel Butor, c’est un maître, Revoilà la préoccupation avec la mort…
c’est un aîné. Je me suis rendu compte que
lors de toutes les rencontres, les festivals, Perec
j’étais le seul qui le vouvoyait, alors que Aujourd’hui, mes photos de Perec res-
tout le monde le tutoyait. De plus, il était sortent de tous les côtés. Couvertures de
toujours très très courtisé, c’est d’ailleurs livres, jaquettes de DVD… jusque dans
toujours drôle de voir le ballet autour Les Cahiers de l’Herne qui lui est consacré
des gens connus. Raison de plus pour où elles sont reproduites dans un cahier
le vouvoyer ! Ensuite, j’ai photographié intitulé Perec par Plossu. C’est dingue !
Bernard Noël, un des très grands poètes L’histoire est hallucinante car complè-
français. Avec lui aussi, la rencontre pho- tement banale. C’était en 1971, dans un
to a débouché sur une longue amitié et wagon de seconde d’un train pour Lyon
une cinquantaine de lettres échangées. ou Grenoble, je ne sais plus. J’avais la
Il dit des choses tellement belles sur mes maquette du livre Surbanalisme. Et
photos que, chaque fois que je reçois un lui était assis en face, en train de

N02 • Like, la revue de touslesjourscurieux.fr • automne 2020 35


l ike reportage Bernard Plossu

composer des mots croisés. “C’est zac est toujours du côté des femmes. Je
vous Perec ? – Oui, oui… – Je peux crois que le vrai féminisme, c’est ça. Pas
vous prendre en photo ? – Oui, oui…” Et de chercher à plaire, mais à être… sincère-
toc, c’est comme ça que j’ai fait toutes la ment. J’adore particulièrement La femme
série. Les gens pensent que nous étions de trente ans. Balzac est l’ami des femmes,
copains alors que je ne l’ai croisé qu’une c’est évident. Bon, il est l’ami de beaucoup
seule fois, dans un train ! de gens… Chez lui, il y a tout, La Comédie
La rencontre avec Jean-Christophe Bailly, humaine, c’est plus qu’un livre, c’est l’his-
encore un bel exemple de hasard. Nous toire du monde. Idem dans la peinture
voyagions en Inde, Françoise et moi. Un de Corot. Tu prends un portrait d’une
soir, lui s’embêtait tout seul dans un res- femme, un paysage en Italie, c’est pareil.
taurant, et nous, on se disait “tiens il a l’air Il y a l’universel.
sympa”. Dès le lendemain, on dînait en- Les trois écrivains qui me hantent sont
semble et on devenait copains. Depuis, on Balzac, Malcolm Lowry et l’italien Carlo
ne s’est pas quitté puisqu’on a fait, Fran- Emilio Gadda, dont il faut lire La connais-
çoise et moi, plus d’une dizaine de livres sance de la douleur. J’adore lire les auteurs
avec lui. Des rencontres, vraiment, car de italiens, tous, hommes et femmes. Mais
vrais portraits commandités, ça ne m’est il y a tant de bons livres… Les Somnam-
jamais arrivé en littérature. bules de l’Allemand Hermann Broch,
L’arrière-saison de l’autrichien Adalbert
Bibliothèque Stifter. L’écrivain que je peux lire et re-
Balzac est un génie. Parmi les grands clas- lire, c’est Andrea Camilleri. Ses bouquins,
siques français, je le préfère de loin à Flau- j’en ai pratiquement cent ! J’adore son côté
bert. Tellement bien écrit et redoutable- boulimique, de sortir un livre par mois.
ment intelligent. À tel point qu’ensuite, tu Comme moi, quoi ! ? ! Finalement ça me
as du mal à lire quelqu’un d’autre ! Autre fait marrer, plus on dit que j’en fais trop,
aspect que j’ai toujours aimé chez lui, Bal- plus je m’accepte comme auteur bou-
zac n’a pas attendu l’heure des modes et limique. C’est comme ça, je mourrais
du politically correct pour défendre les comme ça, et puis basta. En ce moment,
femmes. Dans ses livres, il y a toujours je me suis remis à lire Désert solitaire de
de très belles histoires d’amour, et Bal- Edward Abbey [écrivain et un militant éco-

« Les trois écrivains qui me hantent sont Balzac,


Malcolm Lowry et l’italien Carlo Emilio Gadda, dont
il faut lire La connaissance de la douleur. »
36
logiste radical américain, 1927-1989. NDLR] Les livres importants
parce que c’est exactement les lieux que
j’ai arpentés pour faire Le jardin de pous- •Avant l’âge de raison édité par Filigranes
en 2008.
sière. C’est le seul avec qui j’ai trouvé une « L’âge de raison, c’est sept ans… Moi, j’étais
fraternité, une affinité à propos de ces papa de mon petit Shane en Amérique,
coins où personne ne va. Là-bas, il n’y a jusqu’à ce que je perde sa garde lors de
que des crotales, aucun être humain. Pro- mon divorce, vers ses 7-8 ans. Et j’avais
fait des photos de lui tout le temps. J’avais
fitant de la vie américaine, y vivant, j’ai eu également noté toutes les jolies choses qu’il
besoin d’aller dans ces endroits très loin- disait “Papa, la lune marche avec nous”,
tains, très sauvages, où il n’y a pas un chat. “Papa, est-ce que Tarzan est chatouilleux ?…
Et là… tu sentais la mémoire de Cochise, Ensuite, quand j’ai refait ma vie avec
des peuples qui ont parcouru ces terres Françoise et que nous avons eu Joaquim
et Manuela, j’ai fait pareil. J’ai noté tout ce
arides.   qu’ils disaient et j’ai pris plein de photos.
Parmi les écrivains américains, je conti- Puis je me suis rendu compte que tout ceci
nue à bien aimer tous les Gary Snyder, était avant l’âge de sept ans, donc Avant
Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d’un l’âge de raison. De son côté, Bill L. Coleman,
mon meilleur ami américain qui m’a
nid de coucou. Ces gens-là, c’est du vrai… présenté tout le monde (Henry Miller, Joan
Très récemment, je me suis pris de pas- Baez, Allen Ginsberg…), avait un fils, Justin,
sion pour les livres de Jean Echenoz. C’est ultra brillant. Il a fait Sciences-Po ou un truc
très très bien écrit. Plein de détails visuels, comme ça en Amérique, et est devenu – très
jeune – un des bras droits de Clinton. Quand
un peu comme chez Lowry ou Gadda. Et il
Clinton a été démis, Justin a pris une année
m’est venu cette idée saugrenue qui va me sabbatique et est parti voyager. Il est mort
valoir la foudre de plein de gens : actuelle- sur une autoroute en Australie. Dilemme,
ment le plus grand photographe français, dans ces conditions, est-ce que je pouvais
c’est Jean Echenoz ! Il y a une telle intelli- demander à Bill qui est pédiatre d’écrire
sur l’enfance lorsqu’il vient de perdre son
gence de la vision et des détails… C’est ça, gamin ? J’ai hésité. Lui non. C’est douloureux.
la photographie ! Après, il y a la perfec- Il est donc vraiment co-auteur du livre avec
tion, le cadrage, l’émotion, plein de choses. moi. C’est pour ça que son nom apparaît
Mais, idée brut de décoffrage, un grand aussi en gros sur la couverture. Bill est mort
il n’y a pas longtemps. Perdre un fils c’est
écrivain ne peut être qu’un bon observa- humainement impossible, inacceptable.
teur photographique. Enfin, ça ne marche Il ne s’en est pas remis. Donc Avant l’âge
pas dans tous les sens. Par exemple, les de raison est né comme ça avec l’idée de
photos de Houellebecq ne me parlent pas. faire quelque chose avec Bill, autour de ce
Et vlam ! je dis une méchanceté, alors que
moment magique de l’enfance. Patrick Le
Bescond, l’éditeur de Filigranes a enclenché
j’ai horreur de ça ! En clair, je ne vois pas au quart de seconde… Ce livre a, pour moi,
ce qu’il voit. Alors que, en lisant Echenoz, la même force que Le voyage mexicain. Ce
je vois tout ce qu’il voit. n’est pas “regardez comme mes enfants sont
Plus important à mes yeux que les livres mignons”, non, ce sont de vraies photos sur
chaque page. Les textes sont magnifiques,
que je lis, il y a ceux que j’ai offerts à les phrases des enfants sont très surréalistes,
mes enfants. Je leur ai offert tellement c’est très beau. »
de bouquins… À Manuela, beaucoup de
livres d’art, de livres d’artistes et plein de •L’abstraction invisible, entretien avec
Christophe Berthoud, chez Textuel en 2013.
romans de l’italienne Rosetta Loy. Mon fils « On a passé des heures, des semaines, des
Joaquim, son truc c’est plutôt les romans années, à se connaître de mieux en mieux
d’aventures, comme Tijuana Straits de lui et moi : du coup ça a donné un livre de
Kem Nunn, un extraordinaire polar conversation au ton très juste. »

N02 • Like, la revue de touslesjourscurieux.fr • automne 2020 37


l ike reportage Bernard Plossu

dans l’univers du surf. Je sais qu’ils l’ours ne m’a pas tué ! ? Il s’est dit, tiens,
adorent Garcia Marquez, Cent ans de voilà un semblable. C’est un drôle de truc.
solitude, les auteurs mexicains aussi ou Il faudrait que je retrouve la photo pour te
le défenseur des indiens B. Traven, alle- la montrer… Je vais te la retrouver, c’est
mand libertaire qui a écrit Le trésor de une drôle d’image… » Instantanément, une
la Sierra Madre dont John Huston a fait rengaine d’Elvis vient frapper à l’oreille :
l’adaptation cinéma. Oh let me be… Your Teddy Bear !
En revanche, moi qui collectionne les
BD, notamment les parodies de Tintin, je Testament
ne leur ai pas du tout communiqué mon photographique
amour de la bande dessinée. Ce n’est pas « Je prépare mon testament photogra-
leur truc. phique. Deux gros projets de livre que j’ali-
mente depuis des années, qui sont réelle-
L’homme qui a vu … ment des testaments. Le premier consiste
Un jour d’été, Bernard Plossu – grand en quatre boîtes siglées “NN”, contenant
marcheur et photographe virtuose – a 400 tirages, uniquement des
franchi le rubicon du randonneur averti : il photos expérimentales, ja-
est parti, seul, marcher dans la montagne mais publiées. Donc ça dort
du Nouveau-Mexique. Alors, à deux mille et le jour où je mourrais, ma
mètres d’altitude, au beau milieu d’une femme en fera ce qu’elle veut,
clairière noyée de lumière, comme dans mais ça pourra faire un livre
les contes provençaux du père Daudet, un de rébellion photographique. Patronyme
animal l’a flairé. L’ours brun. La preuve, la Ça c’est “NN” : “Nouvelles Plossu
photo existe. Car avant même de penser Nouvelles”. L’autre série, éga- Quand “l’ours
prendre ses jambes à son cou et à sau- lement complètement inédite, en peluche”
ver sa peau pour « ne pas finir mangé », délirante, c’est Ma France. C’est rencontre l’ours
l’animal Plossu a eu le geste inconscient une très jolie France, au 50 mm, en vrai.
– mais reflex – de figer l’instant. Un instant en couleur Fresson ou en noir Tirage inédit.
qui aurait pu lui être… décisif. Lorsque et blanc. C’est une très jolie
Bernard Plossu raconte cette histoire France, de Vézelay à Nantes
« d’homme qui a vu l’ours », bien sûr au en passant par La Rochelle,
début on se roule par terre de rire. Puis, Aix-en-Provence, avec de beaux
peu à peu, le doute s’installe, on n’en croit paysages, de beaux châteaux,
plus nos oreilles puisque bourdonnent de belles cathédrales. Très
encore les considérations étymologiques classique et très élégant. C’est
dont il nous entretenait quelques minutes un livre motivé par le fait que j’ai quit-
auparavant… « J’ai appris assez tardive- té la France pendant toute ma vie pour
ment l’origine du patronyme Plossu. Avec aller parcourir l’Afrique, l’Amérique, le
ce U final, on se demandait toujours si Mexique et l’Inde… Et à chaque retour,
c’était yougoslave ou sarde ? ! ? En fait, je faisais toujours quelques photos, sans
c’est du patois. Ça veut dire “pelucheux” idée préconçue. Mais depuis quelques
(ou “pellochu”), c’est-à-dire qui se couvre années, c’est devenu une idée préconçue.
de peluche l’hiver. Et Bernard, ça vient Maintenant, je vais régulièrement dans
de “Bern”, l’ours en allemand. Donc mon des endroits précis pour agrandir le
nom, c’est l’ours en peluche. Voilà, c’est sujet. Cette année, par exemple, je
dit… J’assume ! C’est peut-être pour ça que prévois d’aller à Saint-Jean-de-Luz,

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N02 • Like, la revue de touslesjourscurieux.fr • automne 2020 39
l ike reportage Bernard Plossu

à Vichy et à Semur-en-Auxois. Il faut demment ça peut être beau… Je pousse


aussi que j’aille photographier l’atelier un peu le bouchon. Mais il faudrait aussi
du peintre Pascal Vinardel, dont un des penser aux ouvriers qui les ont apportés,
grands fans – comme moi –est l’écrivain aux camionneurs qui ont trimballé ces
Denis Grozdanovitch. C’est la France, roches vers les musées pour des salaires
avec des villages, des ruelles, très peu de de misère, aux constructeurs de chantier
gens. Pratiquement pas. Pas du tout un qui les manipulent en permanence. Per-
projet sur le monde paysan ou les Fran- sonne n’est dupe, le land art, ça peut être
çais moderne. Rien à voir avec la France très bien, comme ça peut être très bidon.
de Depardon. Ce sera vraiment classique, Attention, ce n’est pas parce que je me
au stade où on va se moquer de moi. “Pu- moque de l’accumulation des tas de
rée, mais il était ringard !” Mais j’assume cailloux dans les musées, que je ne com-
complètement. prends pas certaines œuvres. Quand je
Je pense que ce livre sera dédié aux bâ- vois une œuvre de Carl Andre, je com-
tisseurs de cathédrales… Euh, non ! Il sera prends et je peux expliquer pourquoi c’est
avant tout dédié à tous les gens qui ont bien. Il y a une force dans le travail de ce
construit les sentiers de montagne, avec sculpteur américain, une rigueur, on voit
les pierres. Je suis assez énervé dans les immédiatement que ce mec est un génie.
musées quand je vois un tas de cailloux, et En 2017, j’ai vu en même temps une expo
tous ces gens s’extasiant que c’est génial ! de lui et une de Cy Twombly. Il n’y avait
Attends les mecs qui ont fait des tas de pas photo ! Carl Andre, c’est mille fois plus
cailloux merveilleux, c’est tous les gens, fort, beaucoup moins beau, beaucoup
les cantonniers, les gardiens de parc na- moins décoratif, beaucoup moins connu,
turel qui ont construit des sentiers. Cer- beaucoup plus rude. Tu en prends plein la
tains sentiers sont des chefs-d’œuvre de tronche avec une ligne de brique ! D’autant
sculpture, dédiés aux plaisirs des autres. que la belle peinture moderne héritière
C’est un cadeau humain ! de Matisse, je n’aime pas. Les derniers
Les tas de cailloux dans les musées, évi- tableaux de Matisse, les vieilles dames

« Parfois, j’ai un souci lors de certaines de mes


expos. Croyant me faire plaisir des personnes
disent en regardant un tirage Fresson : “On dirait
un tableau...” Bing ! Immédiatement j’interviens
pour essayer de leur expliquer que c’est
exactement ce qu’il ne faut pas dire d’une photo. »
40
assises, je trouve ça mauvais. Pourtant, Le livre rêvé
c’est un peintre que j’ai beaucoup aimé.
Mais à la fin, c’est de la décoration. Et « Dis, au rayon livres, il en reste un qu’on n’a
pas encore évoqué… Quel est le livre que je
quand la peinture devient de la déco, il rêve de faire ? La réponse est claire : un
faut se méfier… livre sur Françoise. Toutes les photos
– enfin, un choix, j’en ai fait tellement ! –
Exposition, galerie, merveilleusement cinématographiques que
collection j’ai fait d’elle depuis 1980 ! Tu sais, je suis
tombé fou amoureux d’elle à la seconde ou
En dehors des grosses rétrospectives qui je l’ai vu ! J’ai su immédiatement qu’elle était
ont déjà régulièrement jalonné sa carrière la femme de ma vie… On a construit une
(MNAM Centre Pompidou, Paris en 1988 ; vie forte avec les enfants, et même mon fils
IVAM Valencia, Espagne en 1997 ; Rétros- américain l’adore, car avec elle il sait qu’il a
une vraie famille ! Et à 75 ans je suis encore
pective au Musée d’Art Moderne de Stras- comme un gamin ; elle est toujours la plus
bourg, en 2007), Bernard Plossu expose belle femme que j’ai jamais vu !
périodiquement ses œuvres dans les ga- Idéalement, ce livre se fera chez Filigranes.
leries Camera Obscura à Paris [prochaine Un livre qui comptera autant que Avant l’âge
de raison, dont tu sais à quel point je suis
exposition de Plossu à partir du 29/10/20. convaincu que c’est un livre clé.
NDLR] et Le Réverbère à Lyon. De vieilles
fidélités. Et évidemment, au gré des pa-
rutions et des propositions, il s’aventure
partout où il peut défendre intelligemment
son travail. Guillaume Geneste nous a
soufflé l’info : contrairement à la majorité
de ses confrères, Plo personnifie « l’anti-
best-off ». Ainsi, plutôt que de toujours
exposer les mêmes images les plus ico-
niques ­– comme on enfonce un clou dans la
mémoire visuelle de ses contemporains –,
l’ex-percussionniste barbu cherche systé-
matiquement à donner à voir autre chose. disent en regardant un tirage Fresson :
Par petites touches. Autrement. Le pas de “On dirait un tableau…” Bing ! Immédia-
côté, toujours délicat, même au bout de la tement j’interviens pour essayer de leur
cimaise. Les collectionneurs sont-ils au expliquer que c’est exactement ce qu’il ne
rendez-vous de cette curiosité insatiable ? faut pas dire d’une photo. Si on dit d’une
« Longtemps, ce sont pratiquement tou- photo que c’est un tableau, c’est qu’elle
jours les mêmes tirages qui se vendaient : est ratée ! C’est vrai que face aux tirages
La femme agenouillée avec le chat devant. La couleurs Fresson, avec son côté impres-
nappe blanche à la Coupole. Les deux petites sionniste, « petite tache », pointilliste, ça
vagues… Et les plus demandées en tirage peut prêter à confusion et on est tenté de
Fresson sont : Le balcon avec la mer, Le drap dire ça. Mais, très vite, j’essaye d’expliquer
rose à Mexico sur une terrasse. Aujourd’hui, que non. Ce n’est pas un tableau. Ce n’est
je ne peux que m’en réjouir, de plus en pas un sous-Monet ou un sous-Gauguin.
plus de gens s’intéressent et achètent C’est une photo. Je ne me révolte pas, mais
des images moins connues. Parfois, j’ai j’essaye d’expliquer aux gens que la com-
un souci lors de certaines de mes expos. paraison à ce qu’on connaît déjà n’est
Croyant me faire plaisir des personnes pas forcément la bonne approche.

N02 • Like, la revue de touslesjourscurieux.fr • automne 2020 41


l ike reportage Bernard Plossu

42
Transmission que je peux leur apprendre l’histoire de
« Ce qui est amusant pour moi, c’est de voir l’art, par mes bouquins et tout. J’aimerais
le comportement de nos enfants quand ils bien qu’il en sache un peu plus sur ma bi-
sont dans une de nos expos, ils sont très bliothèque. Il y a encore des trésors que
protecteurs. Si quelqu’un s’approche trop j’aimerais pouvoir partager avec eux.
près, ils interviennent. Ils savent que je Crois-le ou pas, les histoires de reconnais-
suis un peu connu d’un milieu spécialisé et, sance ou de réussite éventuelle, je ne suis
en même temps, ils savent que ça fait peur ; pas du tout conscient de ça… Et je ne veux
que “réussir/rater” ce n’est pas un truc fa- pas l’être. Je n’arrive pas à me placer dans
cile dans ma vie ; que c’est un métier où il cette perspective. Une amie a une formule
y a eu des périodes de vaches maigres ; et amusante : “il y a ceux qui viennent voir
paradoxalement, qu’on peut aussi payer le Bernard, et ceux qui viennent rencontrer
prix de quelque chose qui marche bien. À Plossu”. Après, si tu décortiques : connu =
leurs yeux, les deux parents sont des bons con nu. Céline l’a bien résumé : “Invoquer
photographes, sans distinction inutile. Ça sa postérité, c’est faire un discours aux
n’a aucune importance qu’il y en a un qui asticots !” Je n’ai pas peur de la mort.
soit un vieux connu ou pas. J’ai vécu, eh, j’ai vécu ! Par contre, de
Comme tous les jeunes, ils font des pho- temps en temps, je pleure. Il y a des nuits
tos de leurs copains, de leurs trucs… Mais où tous mes copains morts arrivent en
ça ne les intéresse pas tellement. Devenir même temps. Et là, il faut pleurer un bon
photographes ? Ça non. Ils en ont assez coup. Il faut pleurer, ça fait du bien. C’est
avec leurs deux parents. Moi, je fais ce inévitable. » Thierry Valletoux

Bernard La rencontre
Plossu, Garrett List &
Bernard Plossu,
Des années 1970 à nos jours, depuis les paysages
du grand Ouest américain jusqu’à la gare de La
Ciotat ou aux jardins de Giverny, Bernard Plossu Tirages Fresson
t i R Ag E S f R E S S O N

propose une vision intime et sensorielle du monde,

Ed. Yellow now


où l’homme et l’organique se juxtaposent. Cette
vision dirigée par la sensation, il la traduit grâce à
la technique de tirage Fresson. La texture particulière
et le rendu très subtil de ce procédé pigmentaire, Textes de
56 pages, 12 €.
inventé au dix-neuvième siècle par la famille du

Bernard Perrine
même nom basée désormais à Savigny-sur-Orge,
répondent à merveille à la focale sans esbroufe
du photographe, soucieux de mettre à distance le
spectaculaire et le grandiloquent. La longévité de la

et Jeanne
collaboration de Plossu avec la famille Fresson sur trois
générations est partie prenante de l’oeuvre elle-même.

B E R N A R D P LO S S U
Fouchet-Nahas
B E R N A R D P LO S S U

Ed. Textuel
100 pages,
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ISBN : 978-2-84597-842-3
49 eurOS

« P.S. C’est avec une immense tristesse que j’ai appris quelques jours après cet
entretien le décès de Michel Fresson, partenaire de mon travail depuis 1967. J’en
suis bouleversé, et tiens à dire à quel point le procédé Fresson est une des clés es-
sentielles de la photographie française. À son fils Jean François et à sa famille vont
toutes mes fidèles pensées. »

N02 • Like, la revue de touslesjourscurieux.fr • automne 2020 43


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Christian Caujolle • Éditeur à façon André


Frère • Virus/Survie Antoine d’Agata •

de la publication
Imprimer en France ? Clémentine de la
Féronnière et Renaud Caillat • 3 jours avec
Bernard Plossu • Le livre comme une œuvre

Tous les trimestres notre revue publie


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La revue de www.touslesjourscurieux.fr
Xavier Barral Porter haut le flambeau • Dites
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Roger Gay&Chloé Guidoux
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Ont collaboré
à ce numéro
par les photographes eux-mêmes. Gilles Courtinat, Christian
Caujolle, Patrick Artinian,
156 pages de plaisir. Thierry Valletoux,
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Thomas Laurenceau.

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