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Mon initiation
Il a tout à lui apprendre.
Dès son premier jour à Columbia, Margo est déterminée à profiter de la vie
étudiante. Les fêtes, les sororités avec sa meilleure amie, elle ne veut rien rater !
Et tant pis si Will, son grand frère trop protecteur, vit sur le campus, il ne
l’empêchera pas de s’amuser ! D’ailleurs, en lui rendant visite, Margo tombe nez
à nez avec son coloc…
Kay est sexy, moqueur, sensuel, le bad boy rebelle qu’elle devrait à tout prix
éviter… Mais auquel elle est incapable de résister !
Même s’il bouleverse complètement son équilibre et tout ce qu’elle croyait
savoir…
Touche-moi
Chris est sculpteur, ombrageux et renfermé. Il refuse de laisser qui que ce soit
entrer dans son univers. Et quand Iris doit photographier ses œuvres pour un
reportage, c’est le clash immédiat. Elle est curieuse et déterminée, lui est aussi
intrigant que désagréable… Iris va plonger dans un monde de mystères, de
mensonges et de secrets, où elle risque bien de se perdre…
PS : Oublie-moi !
Léonore est belle comme le jour, mais elle vit dans l’ombre pour cacher son plus
gros complexe et son plus douloureux secret. Pourtant, quand une agence de
mannequins atypiques s’intéresse à elle, elle y voit une chance de se
reconstruire. Mais ses espoirs se brisent lorsqu’elle découvre l’identité de son
nouveau boss : Wolf Larsson, le garçon qu’elle aimait et qui a bien failli la
détruire. Il fut son premier amour, son bourreau, son pire cauchemar… Huit ans
après le drame, elle est devenue une lionne prête à tout pour survivre. Lui a
gardé ses mots féroces et ses yeux de loup. Elle va devoir lui pardonner. Il va
devoir se racheter. Pour raviver la flamme qui brûle encore entre eux, malgré
tout.
Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. Un peu à cause du stress
occasionné par le déménagement (et parce que je n’ai plus aucune nouvelle des
déménageurs depuis hier soir !) mais surtout parce qu’aujourd’hui, je signe le
début de ma nouvelle vie.
Les déménageurs sont censés avoir roulé toute la nuit pour rallier Saint Cloud
dans le Minnesota à New York. J’ai opté de mon côté pour le confort de l’avion.
Mais depuis mon atterrissage, je n’ai aucune nouvelle de mes cartons. J’essaie de
ne pas trop paniquer, de me dire que tout va bien. C’est leur job. Je refuse que
mon arrivée soit ternie par ce problème matériel. Et surtout, je veux savourer
mon entrée dans Manhattan. Je tiens à ne voir que l’essentiel et laisser la place à
la joie qui m’envahit. Si je m’écoutais, je baisserais la vitre du taxi pour crier ! Je
suis enfin arrivée à New York, je vais démarrer une autre existence, oublier tout
le reste pour ne plus penser qu’à l’avenir. Pas question de faire machine arrière.
Pas question de reprendre la route en sens inverse. Je ne regrette rien de mon
choix, bien au contraire ! J’ai tellement hâte, tellement envie, de m’acclimater à
la vie new-yorkaise !
Sous les klaxons hurlants des New-Yorkais parce que le taxi vient de changer
brusquement de voie !
Après avoir évité les quartiers les plus encombrés, nous avoir fait passer par
des petites rues insoupçonnables, le taxi finit enfin par me déposer devant
l’immeuble de ma cousine.
Si cet appart avait été dans le Bronx, jamais ma mère ne m’aurait laissée
partir !
Une colocation dans l’Upper East Side, dans un quartier très sélect, et sûr
aussi, c’est une chance que je ne manque pas d’apprécier. Je n’ai pas encore eu
l’occasion de sincèrement remercier Liana de sa proposition de m’héberger. Elle
a refusé ma proposition de lui verser un loyer, mais il est hors de question que je
ne participe pas. Dès que possible, dès que je suis installée ici, je me cherche un
job.
Le déménageur me colle son papier dans les mains. J’avais déjà remarqué
qu’il n’était pas aimable, mais visiblement, le trajet ne l’a pas déridé.
Mais…
– Salut Liana, c’est Kirsten. Je suis en bas de l’immeuble avec mes affaires…
Les déménageurs m’ont plantée donc, si tu es là… J’ai besoin d’aide !
Peut-être qu’elle est loin de son téléphone, qu’elle est sous la douche, que son
téléphone est au fond de son sac ? Le mieux peut-être, c’est de sonner à la porte !
Elle m’avait assuré qu’elle serait là pour m’accueillir ! Parce que… Je n’ai pas
les clés non plus !
Pas de panique. Je refuse que mon arrivée ici ressemble à une lente descente
aux enfers.
Je laisse mes cartons sans surveillance et tape le code que j’ai mémorisé
depuis des semaines tellement il me tardait d’emménager. Quand j’entre dans le
hall de l’immeuble, j’ai la surprise de tomber sur un réceptionniste. Au regard
suspicieux qu’il me lance, je me sens obligée de lui rendre des comptes.
Haut les cœurs, je ne vais pas me laisser abattre ni y voir un mauvais signe !
Alors que j’enlève mon sweat, anticipant l’effort physique, je sens une
présence à mes côtés. Je sens surtout une odeur de parfum frais mais viril,
quelque chose de très agréable, de très… envoûtant. La source de cet enivrement
soudain ? Un homme, en tenue de sport, un joggeur certainement, brun… Il s’est
arrêté à côté de moi, le temps de faire quelques réglages sur sa montre. Le temps
pour moi de jeter un œil à son profil… et d’être transpercée par des yeux verts,
lumineux, indéchiffrables mais tellement… perçants !
Et pourquoi pas flirter un peu, comme toutes les filles de mon âge ?
Commencer à profiter de cet aspect de la vie aussi ? Je me suis tellement oubliée
entre les rumeurs, les plans de mes parents me concernant et… le reste !
Un petit plaisir n’arrivant jamais seul, le voisin sexy refait son apparition. Son
magnétisme n’a même pas souffert de l’effort physique. Ses cheveux bruns, un
peu humides, retombent sur son front. Il a un look un peu plus sauvage, un peu
plus animal. Quelque chose de très… perturbant ! Quand il se place devant les
portes de l’ascenseur, je croise à nouveau son regard. Je ne sais pas pourquoi, je
suis incapable de le soutenir, et je me retourne rapidement. Un peu trop sans
doute, il va sans doute comprendre qu’il m’intimide.
Il me fixe toujours… J’ai soudain très chaud, et ce n’est pas dû à mes allers et
retours avec mes affaires ! Je reste plantée là, à farfouiller dans les sacs et
cartons. Et puis soudain retentit le bruit de l’ascenseur et des portes qui
s’ouvrent.
J’ai tout juste le temps de me retourner pour le remercier, que les portes se
referment sur lui. Je pousse un profond soupir. J’ai envie de me laisser tomber
pour me remettre de mes émotions. Ce n’était peut-être rien pour lui, mais moi…
Jamais personne ne m’avait regardée avec autant d’intensité dans le regard. À
quoi est-ce qu’il pouvait bien penser en m’observant de cette façon ? Et si je
l’avais suivi dans l’ascenseur ? Lui et moi, coincés dans un espace clos…
Je suis tellement heureuse de commencer une nouvelle vie que je serais prête
à sauter dans les bras du premier venu ? Un regard un peu appuyé et mon
imagination s’affole ? On croirait que je suis en manque ! En manque de quoi,
puisque je n’ai jamais goûté à rien…
Hormis à la déception…
Je me secoue, mes cartons ne se porteront pas tout seuls et je n’ai pas très
envie de m’éterniser.
Et une bonne douche froide pourrait aussi me faire du bien ! C’est d’ailleurs
ce qu’est peut-être en train de prendre mon nouveau voisin ?
J’ignore le frisson que je ressens une nouvelle fois en imaginant cet inconnu,
seul à seul avec moi (sous une douche en plus), pour reprendre mon job de
déménageuse. Si je ne fais pas carrière dans la publicité, je pourrai penser à une
reconversion !
Je cumule les montées et les descentes, les chargements et je commence enfin
à en voir le bout ! La grande majorité de mes affaires se trouvent désormais en
haut ! Un nouvel élan de motivation à l’idée d’en avoir bientôt fini me fait
accélérer le rythme.
– Attention !
Dans le hall, un homme m’esquive. Enfin, nous esquive, mon carton et moi,
d’un bond très félin. Le voisin est de retour, en jean et sweat bleu marine cette
fois. Impossible de me contrôler. Je m’empourpre, confuse.
– Mais j’ai bientôt terminé, ajouté-je rapidement pour tenter de ne pas donner
l’image de la pauvre fille abandonnée par tous.
STOP !
C’est New York qui rend mon imagination incontrôlable ?! Il faut que je
retrouve le bouton d’arrêt d’urgence, et vite !
Le sort s’acharne !
À son air agacé, je comprends que mon cher voisin a dû apprendre une
mauvaise nouvelle depuis notre échange. Ou qu’il a perdu patience avec mes
voyages incessants. Avec mes cartons qui occupent les trois-quarts de
l’ascenseur, on ne peut pas dire que je lui laisse beaucoup d’espace vital. Par
contre, mon imagination s’en donne à cœur joie. J’ai pensé à cette scène déjà,
non ? Mais l’ambiance y était un peu moins glaciale…
Ma voix est un peu enrouée. Je ne suis pas très à l’aise à quelques centimètres
de lui. Si je n’avais pas eu toutes ces idées idiotes de douche et de massage, cette
proximité serait anodine ! Enfin, pas sûre, avec ce parfum agréablement entêtant.
Il ne faudrait pas que je me souvienne de la façon dont il m’a regardée pour…
Mon cœur s’emballe à nouveau, j’ai chaud avec mon simple débardeur, je
perds complètement la raison et…
Et puis le silence…
– Est-ce que ça va ? me demande doucement l’inconnu.
– Je crois que ça ira mieux quand on sera sortis d’ici, dis-je faiblement.
– Vous tremblez…
Je ne sais pas si c’est de peur ou parce qu’il continue de me serrer contre lui.
Ses yeux s’accrochent aux miens, ses lèvres sont à quelques centimètres des
miennes, mon corps est pressé contre le sien. Des images se bousculent : la
douche, la chute, les cartons, son torse nu, les massages, l’accident…
Je ne sais pas si c’est lui qui m’embrasse en premier ou si c’est moi. Si nous
répondons à une pulsion, à une attirance, ou au besoin de profiter de la vie avant
de connaître une seconde chute qui pourrait nous être fatale cette fois. Ce baiser
est une invitation à la survie, le sang n’a jamais autant pulsé dans mes veines,
mon ventre ne s’est jamais autant enflammé. Ses mains se crispent dans mon
dos, il fait un pas pour me plaquer contre mes cartons. Il me domine de toute sa
hauteur, de sa force et de ce magnétisme qui vrille complètement mes pensées.
Je m’accroche à lui comme une damnée, comme s’il était mon seul lien avec la
terre ferme, le seul capable de me sortir de là. Mes oreilles bourdonnent, mon
cœur tambourine dans ma poitrine. Et lui… Il m’apporte un autre vertige, me fait
défaillir encore plus… J’ai soudain envie qu’il me prenne, sur mes cartons, avec
sa force qu’il semble parfaitement maîtriser, qu’il laisse s’exprimer cette virilité
que je sens contre moi. Je ne suis plus dans l’ascenseur, je suis juste dans ses
bras, dans une dimension terriblement érotique où les seules images de moi,
totalement nue contre lui, mes jambes entourant sa taille, emportée par ses coups
de bassin, me font frémir encore plus qu’une chute dans le vide.
S’il savait que de mon côté c’est le meilleur baiser de toute ma vie !
Mon sang tambourine à mes tempes. Mon cœur est au bord de l’arrêt
cardiaque. Je perds pied. Cette chute et ce baiser ont eu complètement raison de
moi.
L’inconnu attrape un carton et, petit à petit, à nous deux, on vide cet ascenseur
de malheur.
Joshua…
« Désolée de m’être jeté sur toi mais j’ai eu peur. » « Alors ce baiser, tu l’as
trouvé comment ? »
– Vous êtes sûr que vous tenez à risquer une nouvelle fois votre vie dans cette
cabine capricieuse ? tenté-je de plaisanter pour le garder un peu plus longtemps.
– Il ne devrait plus y avoir de problèmes. À bientôt, Kirsten.
Je frissonne quand je ferme la porte derrière moi. Je crois qu’il est temps que
je me pose. Mes nerfs ont besoin de se détendre et mes folles idées de s’apaiser.
J’ai peut-être rêvé ce baiser… Dans la peur de mourir, j’ai peut-être
complètement fantasmé la situation ? Je ne sais pas ce qui serait le plus grave :
avoir imaginé tout ça ou avoir réellement embrassé un inconnu qui après a fait
comme si de rien n’était.
En tout cas, on peut dire que ma nouvelle vie commence de façon assez…
surprenante !
Étrange, même, comme si j’avais mis les pieds dans une autre dimension.
J’explore enfin mon nouveau chez moi. C’est moyennement grand, mais pour
deux, c’est suffisant. La cuisine ouverte sur le coin salon apporte un vrai
sentiment d’espace. Impossible de faire tenir une table ici, mais le bar est un îlot
qui prête aux échanges complices.
Une en cuisine, l’autre qui sirote son verre… Je nous y vois déjà !
Je fais un tour sur moi-même, m’appropriant mètre par mètre l’espace. Des
fenêtres, j’aperçois les escaliers de secours, typiquement new-yorkais… Nous ne
sommes pas assez haut pour avoir une jolie vue sur la ville en revanche. On
donne pile sur les voisins d’en face. Moi qui suis habituée à voir sur le jardin
chez mes parents, cette promiscuité citadine est un choc. Mais un choc plaisant.
Je suis au cœur de tout !
J’adore absolument tout. C’est cosy, en bazar, simple, mais exactement ce que
j’imaginais ! Et ma chambre se situe au bout d’un petit couloir, loin de celle de
Liana. Nous aurons chacune notre intimité.
Le voisin, peut-être ?
Je me laisse le week-end pour être émerveillée par tout ça. Mais dès lundi, je
serai une vraie New-Yorkaise !
Proches ou pas, elle n’a pas hésité à m’héberger quand mon oncle, son père,
lui a annoncé mon arrivée à New York. Depuis, on a échangé des milliers de
mails (OK, peut-être une centaine…) et une complicité s’est très vite installée
entre nous. Elle m’a proposé sa deuxième chambre sans aucune hésitation et
c’est en grande partie grâce à elle que j’ai pu m’enfuir de Saint Cloud aussi vite.
Mes parents étaient plus rassurés de me savoir avec elle, que seule perdue dans
cette ville inconnue !
Je lui dois un peu de cette renaissance dont j’avais besoin pour ma propre
survie.
***
Je passe ma première soirée seule devant la télé. Mais pas déprimée pour
autant ! J’ai commandé une pizza, je zappe en savourant ma première liberté. Si
ma mère me…
Ma mère !
– Je te l’ai déjà dit, maman, Liana habite dans l’un des quartiers les plus sûrs
de la ville. Il y a même un portier en bas !
– Ah, très bien. Et demain, tu as…
– Maman, je dois te laisser. Liana m’appelle pour un souci de… classement
de nos livres. Tu comprends, il faut qu’on s’organise maintenant qu’on vit
ensemble.
– Bien sûr, je comprends. Ton père t’embrasse. N’oublie pas ton déjeuner
demain avec Ross !
Je lève les yeux au ciel, surprise qu’elle puisse gober cette excuse bidon…
Mais depuis le temps que je prépare mon départ, elle a tout abordé.
Absolument tous les sujets utiles. Et les autres. Des dizaines de fois…
Moi qui ai toujours pensé que mon premier vrai baiser serait le
commencement d’une relation amoureuse…
Je l’ai tellement imaginé, j’ai même pensé m’entraîner… Et là, c’est… arrivé.
Spontanément, zéro préparation. Avec l’un des plus beaux mecs que j’aie
rencontré de toute ma vie ! Inimaginable. Juste parfait.
Et délicieux…
Une grosse frayeur qui pousse les gens à faire n’importe quoi…
Il faut que je me calme. Demain, j’irai lui rendre son pull et on retrouvera une
relation de voisinage normale. Bonjour, merci, au revoir dans le hall ou
l’ascenseur, et basta !
Sur mon matelas posé à même le sol, je n’arrête pas de me retourner. Joshua
ne quitte pas mes pensées. Je dois me faire violence pour mettre mon cerveau sur
off, et mon corps aussi, pour sombrer dans les bras de Morphée.
2. Vertige
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Et ce n’est pas à cause du bruit. Le quartier
est plutôt calme. Non, j’ai imaginé mille fois la scène où je rendrais le pull de
Joshua, et ça, à en perdre le sommeil. Ce matin je suis prête à me confronter à la
réalité, qui sera probablement bien plus « normale » que tous les scénarios
échafaudés cette nuit.
Quand enfin les portes s’ouvrent, que les battements de mon cœur
s’accélèrent encore un peu plus, je comprends que ce n’est pas du tout la cage
mécanique qui m’effrayait. Mais bien de retrouver Joshua.
Quand je me place devant la porte, je serre un peu plus le sweat bleu dans ma
main. Ou plutôt, je le broie. Je souffle. Je lui donne son pull, je le remercie et je
file ! Ce n’est pas si insurmontable !
Que j’entre…
J’obéis et mets le pied, non sans cette appréhension qui ne me quitte plus,
dans l’univers de Joshua. Dès mes premiers pas dans cet appartement
gigantesque, un loft, je suis happée par la vue imprenable sur New York, Central
Park et sur l’horizon…
– Un café ?
La voix de Joshua me ramène sur la terre ferme et me rappelle où je suis, et
avec qui.
– Oui, merci.
Il pose la tasse devant moi. Comme la veille, Je suis impressionnée par cette
force tranquille qui se dégage de lui. Il n’a pas besoin de beaucoup parler pour
séduire… Il lui suffit d’être là.
– Venez, me dit-il enfin en plongeant son regard dans le mien. J’ai cru
comprendre que la vue vous fascinait.
Je le suis, alors qu’il m’entraîne sur la terrasse. Dans son sillage, ce parfum…
C’est un souvenir olfactif qui va me replonger dans cet ascenseur, dans cette
chute, dans ce baiser…
Est-ce que je dois alimenter la discussion ? Est-ce ce que c’est ce qu’il attend
de moi ? Le silence s’installe entre nous, me rendant mal à l’aise. Et ma tasse est
vide. Que faire ? Partir ou rester ?
Je n’ai aucune raison de m’attarder. Joshua m’a poliment invitée pour un café,
mais il n’a pas l’air du genre bavard.
Cette fois, Joshua se tourne vers moi délaissant sa contemplation. C’est moi
maintenant qui suis au cœur de son attention et je me sens de nouveau très
gauche, très maladroite. Comme s’il envoyait des signaux pour brouiller les
connexions de mon cerveau.
Pardon ?
Mon Dieu, c’est une vraie torture que de ne pas trouver ses mots dans une
situation pareille, devant lui !
Mon cerveau ne répond plus quand Joshua me retire délicatement la tasse des
mains pour la poser sur le bras d’un fauteuil, à proximité. Ses gestes sont lents,
calculés, et pas un seul instant il ne me quitte des yeux. Son regard devient
convoitise, je suis devenue la proie sur laquelle il compte fondre… Mais en
prenant son temps.
J’ai peur mais pas de lui, de moi, de mon inexpérience. Il ne m’est jamais
arrivé un truc pareil.
Il-a-envie-de-moi.
J’ai du mal à y croire. Il faut que je dise quelque chose, que j’aie l’air plus
assurée.
Comme hier, nos deux corps se pressent déjà l’un contre l’autre, bassin contre
bassin. Comme hier, Joshua me serre contre lui… Ses lèvres s’entrouvrent, mon
cœur défaille, son visage s’approche et…
C’est moi la première qui lui saute dessus, c’est moi qui l’embrasse,
complètement envoûtée par l’aura sensuelle qu’il dégage. Nos langues se
trouvent, s’effleurent avant de partir dans une danse frénétique. Je sens qu’il me
presse un peu plus contre la rambarde, ses doigts m’enserrent un peu plus la
taille.
Mes mains s’enhardissent et se posent dans son dos alors que ses lèvres
descendent vers mon cou. Je rejette la tête en arrière. Je frissonne, mon corps
n’en peut plus, je ne le contrôle plus. Ce que je ressens est complètement
nouveau. C’est effrayant et délicieux à la fois.
Mais Joshua ne connaît pas toutes ces interrogations. Il sait ce qu’il veut, ne
se pose pas de question. C’est lui qui déboutonne ma chemise, me l’enlève, c’est
sa bouche qui descend sur ma gorge, ma poitrine, ses doigts qui glissent sur mon
ventre…
Je pousse un soupir, j’ai envie qu’il aille plus loin, qu’il me touche. Je me
sens gauche et maladroite avec mes mains, alors que les siennes sont déjà en
train de déboutonner mon jean…
Est-ce que je suis sûre de vouloir aller plus loin ? De continuer ? Que ce soit
lui le premier ?
OUI !
Mais il pose son doigt sur mes lèvres, m’imposant le silence. Comme s’il
avait lu dans mon regard.
Mais quoi, le stress de la première fois ou mon désir d’aller plus loin ?
Une petite voix me dit que je me mets en danger, que je suis folle et que je
dois tout arrêter. Une autre me murmure que ce n’est pas plus mal que je le fasse
avec un inconnu, que je n’aurai pas à le côtoyer au quotidien, juste à l’éviter
dans les couloirs, si c’est un fiasco. Et enfin mon corps me hurle que je suis en
sécurité et que je ne dois surtout pas arrêter là.
Joshua me serre contre lui quand il accentue ses caresses. Il ne m’en faut pas
plus pour ressentir quelque chose d’étrange. Cette vague de chaleur, ce plaisir
inconnu, qui ne ressemble à rien d’autre. Je m’accroche à lui, stoppe mon baiser
et ferme les yeux. Ce que je ressens à cet instant n’a rien à voir avec les
« papillons » dans le ventre dont toutes les filles parlent. C’est presque
douloureux tant le plaisir est intense et irradie tout mon corps, l’orgasme me
soulève, me bouleverse avant de me laisser, sans force, et un profond soupir sur
les lèvres… Joshua ne bouge plus, comme s’il me laissait apprécier ce moment.
Mais mon jean se met à vibrer au sol, rompant brusquement le charme de cet
instant. Joshua caresse mon ventre du bout des doigts jusqu’à ce qu’il tourne la
tête vers mon pantalon.
Nos yeux se croisent enfin. Son regard est toujours aussi impénétrable mais il
a le don de m’électriser à nouveau.
– Je…
– Tu devrais répondre, finit-il par me dire en se relevant.
Sûrement…
Je me redresse à mon tour alors que Joshua remet son tee-shirt en me tournant
le dos. Rapidement, je me rhabille. Le laisser me voir en sous-vêtements, alors
que nous ne sommes plus en train de… enfin, comme ça, me met mal à l’aise.
– Je dois y aller…
Il me tend son portable et je fais tout mon possible pour ne pas trembler. Aller
plus loin, se revoir… Il faut que je parte vite avant de défaillir complètement. Je
lui rends l’appareil et je croise le regard le plus profond, le plus intense de toute
ma vie.
Un quart de seconde, je m’imagine lui sauter dessus, lui dire que mon rendez-
vous n’a rien d’important et que c’est maintenant que je veux continuer. Avec
lui. Au lieu de ça, j’esquisse un faible sourire et ferme la porte derrière moi, le
cœur battant.
3. Au rapport !
Je me presse de faire un saut chez moi pour prendre mon sac, me recoiffer, et
je file attraper un taxi. Je n’ai même pas la présence d’esprit d’appeler Ross, de
le prévenir de mon retard, de mon arrivée, de m’excuser.
Une partie de mon cerveau essaie de communiquer avec moi. De me dire que
je ne connais pas Joshua, qu’il aurait pu m’arriver n’importe quoi, que j’ai appris
en cours de science que le préservatif n’était pas optionnel et je n’en avais pas
sur moi, que j’aurais pu avoir mal…
Mais je n’écoute pas cette petite voix intérieure. Je suis ailleurs. En dehors de
mon corps. Ou plutôt non, je suis bien dans mon corps. À écouter ce qu’il vient
de ressentir…
Il s’est aussi proposé de m’accueillir chez lui, à New York. Heureusement que
Liana m’a invitée rapidement à la rejoindre, sinon, mon séjour ici se serait
annoncé moins… plus… Sérieux ? Mais je lui en suis redevable. Dès que mes
parents lui ont parlé de mon projet de venir vivre ici, il m’a trouvé un stage dans
l’agence de pub où je commencerai lundi. Il en est un des gros clients, paraît-il.
C’est lui encore qui a proposé à mes parents de « s’occuper de moi ».
Comme un chaperon…
Ma mère a été plus rassurée. Et moi peu enthousiaste à l’idée d’avoir encore
quelqu’un sur mon dos. Comme si mes parents ne comprenaient vraiment pas
que je pouvais vivre seule et loin d’eux. Mais sans lui, sans sa présence, sans
cette idée « de sécurité » que sa proximité new-yorkaise lui confère, mon
déménagement n’aurait sans doute pas été aussi simple.
Il n’y a rien de tel pour retrouver ses esprits. Penser à ses parents !
– Prête pour ton premier jour lundi ? me demande Ross, toujours aussi
curieux de connaître mes états d’âme. Art & Com est une très bonne agence, je
ne suis pas déçu par les équipes avec lesquelles je travaille. Tu devrais beaucoup
apprendre là-bas.
– J’y compte bien, ce stage est important pour moi et qui sait… S’il peut
déboucher sur un emploi définitif…
– Tu aimerais rester à New York alors que tu viens d’arriver ? Laisse-toi un
peu de temps pour découvrir cette ville et ses travers. C’est tellement différent de
Saint Cloud, tu risques de regretter le calme et la sérénité de chez toi.
Je me retiens de lui dire que je n’ai aucune envie de remettre les pieds là-bas.
Ce « chez-moi » comme il l’appelle, que je ne considère pas du tout comme tel.
Ross me voit comme mes parents : fragile, influençable peut-être, jeune, naïve
aussi, sans doute. Je ne connais rien à la vie, je dois être accompagnée, guidée
pour prendre le bon chemin, une voie calme, paisible, normale…
Et moi, je ne veux pas tout ça ! Mais je sais que je dois faire ma révolution en
douceur. Imposer mes choix, petit à petit. L’éloignement a été une première
victoire et je compte sur la distance pour leur montrer que je suis capable de
vivre sans eux, loin de chez eux. Et surtout de prendre mes décisions sans avoir
droit à des discussions sans fin !
Mince…
Ross est pris de court et je sens que ce déjeuner éclair n’est pas pour lui
plaire. Mais il prend sur lui et se lève pour m’embrasser :
Pour que mes parents aient un rapport régulier de ce que je fais de ma vie ?
Je n’attends pas sa réponse, je suis déjà sur le trottoir pour héler un taxi. Je ne
sais pas où je vais, mais je veux m’éloigner d’ici. Et quand je m’installe plus
confortablement sur la banquette, c’est à nouveau Joshua qui s’impose dans mon
esprit.
***
Ce n’est pas Joshua qui fait vibrer mon téléphone ce soir-là. Mais bien ma
mère. Sans surprise, et sans envie, j’ouvre son message :
Je réfléchis un instant. Est-ce que je vais bien ? J’ai aimé mon après-midi
new-yorkaise, je me suis trouvé des palettes pour poser mon matelas et me
construire quelque chose de confortable, un peu de déco en chinant un peu, j’ai
aimé ce que j’ai vu, l’énergie de cette ville, cette facilité que l’on peut avoir à
paraître invisible, noyé dans la masse… Et puis il y a eu Joshua ce matin, mon
tout premier orgasme, mon corps qui s’est révélé, le désir que j’ai ressenti,
faisant de moi une autre femme… Est-ce que Joshua a senti ma maladresse ?
Est-ce qu’il va vraiment me rappeler ? Qu’est-ce qu’il peut bien me trouver ?
Est-ce que ma fuite l’a finalement refroidi ? Est-ce que j’ai envie de le revoir,
d’aller plus loin ? Me lancer dans une relation avec lui ? Est-ce que ça veut dire
que j’ai quelqu’un dans ma vie maintenant ? Ou est-ce que ce n’est pas comme
ça que ça marche…
Ma deuxième journée de liberté a été encore plus mouvementée que la
première. J’ai hâte de savoir ce que sera demain !
[Tout va bien.
Bonne nuit.]
***
Mais il faut que je me rende à l’évidence : toutes mes découvertes, je les fais
en compagnie de Joshua, indélogeable de mon esprit depuis hier. À chaque fois
que je reçois une notification sur mon téléphone, je pense à lui. J’ai tellement
envie de le rejoindre, mais j’ai aussi très peur de croiser son regard. D’aller plus
loin… Et ma raison me rappelle à l’ordre. Je me dis que je suis complètement
inconsciente de m’être laissé aller comme ça. Je ne connais absolument rien de
lui, je ne sais pas qui il est, ce qu’il fait dans la vie, la qualité de sa santé
mentale… Bref, c’est l’effervescence dans mon cerveau. Je cherche le bouton off
juste pour respirer un peu.
Liana ?!
Puis enfin je croise son regard, et un large sourire se dessine sur mon visage.
Elle me détaille, des pieds à la tête, gardant mes mains dans les siennes. J’en
fais autant. Liana me dépasse d’une tête, auréolée de cheveux blonds dont je ne
comprends pas si l’effet « coiffé-décoiffé » est naturel ou si c’est dû à l’énergie
qu’elle dégage. Jeans, top un peu loose, tatouage sur l’épaule, sourire radieux et
yeux qui pétillent, aucun doute : ma cousine va totalement ensoleiller mon séjour
ici.
Je peine à suivre ma cousine. Elle est partout, dans tous les coins de l’appart.
D’ailleurs, elle revient déjà avec deux verres de vin et se laisse tomber dans le
canapé.
– Ton boulot doit te faire rencontrer des gens différents, glissé-je en profitant
de sa concentration à ouvrir la bouteille. Mais ce n’est pas trop contraignant de
bosser le week-end ? C’était un gros événement ?
– Des gens sympas oui, mais seulement avant trois verres. Après, c’est plus
compliqué d’avoir une discussion, si tu vois ce que je veux dire…
– Oh… Même dans tes soirées ?!
– Euh… Oui… Dans mes soirées, et celles des autres aussi. Heureusement, je
ne suis pas la seule à récupérer les pires cas ! Trinquons ! À ton arrivée et à tes
premiers pas dans ta vie new-yorkaise !
Son sourire irradie et me fait complètement oublier toutes les questions qui
tournaient quelques minutes plus tôt dans ma tête. Elle est le souffle de fraîcheur
dont j’avais besoin et si la vie avec elle ressemble à ce début de soirée, je crois
que je vais adorer cette coloc !
– Merci ! lancé-je avant de porter mon verre à mes lèvres. Ton job doit être
sacrément intéressant quand même. Et c’est toi qui organises tout à chaque fois ?
Tu as une équipe ?
Je fronce des sourcils. Je sais que je ne connais rien à l’art, mais quand
même… Des écorces d’arbre ?
Nous rions toutes les deux. Je crois qu’elle n’a pas fini de me surprendre !
J’aime mes parents, mais leur côté strict et vieille école peut vraiment se
révéler pesant, surtout quand on ne partage pas les mêmes idées. Je trouve ça
tellement triste que mon oncle ait dû inventer une vie à leur fille pour que leur
relation reste sereine…
Liana me plaît. Vraiment. Tout a l’air simple avec elle. Elle est positive aussi
et ça…
– Par contre, moi je sais plus de choses sur toi, ajoute-t-elle en retrouvant son
sérieux. Je sais en partie pourquoi tu es là.
– Je me suis beaucoup confiée à ton père, c’est vrai, dis-je en baissant les
yeux sur mon verre.
– Je ne regrette pas de ne pas avoir fait d’études. C’est quand même dingue ce
qu’ils t’ont fait subir !
– J’étais une cible facile, soupiré-je. J’ai débarqué dans un monde d’étudiants
dont la majorité avait pris une autre voie avant de finir dans la pub. J’ai toujours
su ce que je voulais faire, j’ai optimisé mes options pour être hyper formée, on
m’a fait sauter une année, en plus des deux que j’avais prise en primaire et
collège… Mon zèle scolaire a joué contre moi !
J’essaie de tourner ce sujet sensible en dérision, mais Liana a des nuages dans
les yeux.
– Tu verras, ta vie va changer ici ! Je vais prendre soin de toi et j’ai hâte de te
présenter mon meilleur ami Deaky.
– Deaky ?
– Oui, Deaken Kinkle, le plus grand styliste new-yorkais. Vous allez bien
vous entendre, j’en suis sûre. Et puis, une fois que tu auras commencé à prendre
tes marques ici, on s’occupera de ton célibat ! Je vais te dévergonder Miss Lake !
Et tu ne voudras plus jamais partir d’ici !
Liana éclate de rire. Elle se lance dans un flot de paroles, que j’écoute,
emportée par son énergie. Sorties, projets, week-end, ma cousine est une source
inépuisable d’idées en tout genre. J’adore, j’adhère complètement. Nous ne nous
sommes pas croisées beaucoup avant, mais aujourd’hui, le courant passe
parfaitement. J’ai tellement envie de m’embarquer dans son tourbillon !
Je crois que cette fois, c’est bon : mes deux pieds sont bien installés à New
York !
4. Premier jour
Et j’y suis. En vingt minutes en métro. Au pied d’une tour vitrée, face à des
portes tournantes où déjà passent des dizaines de personnes. L’agence se trouve
au quarantième étage, je lève la tête à m’en faire craquer les cervicales !
Impressionnant !
Et je ne veux plus remettre les pieds à Saint Cloud. Juste pour la soutenance
du stage, le dernier oral, et c’est tout !
– Parfait, vous êtes tous là, nous lance gaiement une petite quadragénaire,
celle avec qui j’ai passé mon entretien. Je suis Abigail Coyle, l’une des chefs de
projets ici. Nous avons une réunion hebdomadaire, je vous emmène. Ensuite,
nous procéderons à vos affectations !
La réunion se tient dans une grande salle. Je me place au fond, dans un coin
avec les autres stagiaires. Abigail nous a quittés pour s’installer à la grande table.
Je regarde partout autour de moi. Les locaux ont l’air spacieux et lumineux. Mes
futurs collègues, une trentaine d’années en moyenne, discutent entre eux, et
semblent plutôt sympathiques à première vue. Je me demande quelle équipe je
vais rejoindre. Je sais que Art & Com s’occupe de groupes de médias,
d’industriels alimentaires, d’organismes publics… Je n’ai pas encore de
préférence, je compte sur mon expérience ici pour décider du chemin que
prendra ma prochaine carrière. Je suis curieuse de tout, j’ai envie de tout voir !
J’espère juste que l’ambiance dans une agence est différente de celle de la
fac !
– Bonjour à tous !
Cette voix me fait brusquement tourner la tête.
– J’espère que vous avez tous passé un bon week-end. La semaine s’annonce
chargée et nous avons énormément de points à régler avec les équipes ce matin.
Non…
Mon esprit me joue des tours. Il a été tellement marqué par Joshua qu’il me
fait délirer !
Je tends le cou, juste pour m’assurer que je me fais des idées, pour me
rassurer sur le fait que je n’ai besoin que d’une thérapie pour obsession et pas
d’une opération esthétique pour changer de visage.
Ou disparaître, complètement.
C’est Joshua…
Instinctivement, je me fais toute petite, je rentre la tête dans les épaules, tout
juste si je respire encore. Mon cœur s’est emballé, je me sens rougir, j’ai chaud,
je transpire… Je n’écoute même pas ce qu’il raconte tellement je suis
bouleversée. Est-ce qu’il sait que je suis là ? Est-ce qu’il m’a vue ? Et comment
est-ce qu’il va réagir quand il comprendra que je vais bosser pour lui ?
L’éviter un maximum.
Son sourire bienveillant ne réussit pas à me détendre. Je crois que tout mon
sang vient de quitter mon visage tellement j’ai froid d’un coup.
– Une réunion… Pour nous… répété-je d’une voix blanche.
– Oui, c’est la tradition, c’est votre moment de gloire. Le seul instant où vous
aurez sans doute l’occasion de croiser plus de cinq minutes Joshua, le créateur de
cette agence. Il est tellement demandé !
J’entre à nouveau dans la salle de réunion, regarde mes pieds, prends la place
la plus éloignée de celle de Joshua… J’ose un regard dans sa direction, mais il
est occupé à discuter avec Abigail. Je suis sur le point de défaillir, de perdre
complètement le contrôle. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Les six
autres stagiaires l’observent avec curiosité alors que je fais tout pour glisser sous
la table l’air de rien.
J’ose lever les yeux pour l’observer. Son ton est sans équivoque. Il impose
son autorité naturelle. Ce n’est pas un dictateur mais il faudra qu’on file droit. À
la façon dont Abigail le regarde, je crois comprendre qu’elle est en adoration
devant lui.
Quand Joshua nous laisse, je peux enfin respirer. Je ne suis pas très à l’aise,
j’ai même peur qu’il me convoque pour me dire que ma présence ici n’est plus
souhaitée… Mais Abigail et sa voix chantante nous entraînent déjà. Petit à petit,
elle sème dans l’agence tous les stagiaires. À la fin, il ne reste plus que moi.
– Il ne reste plus que nous deux, s’écrie-t-elle joyeusement. C’est avec moi
que tu vas travailler désormais. On a une multitude de campagnes sur
l’environnement à préparer, c’est la mode en ce moment ! Mais on commence à
épuiser les messages, je compte sur ta fraîcheur et ton regard neuf !
Elle m’entraîne dans son coin de l’open space, un pôle de trois bureaux où
nous serons côte à côte. Sur sa partie, je vois des plantes, des photos de chats,
des crayons de toutes les couleurs, des Post-it, partout sur son écran.
Elle rit. Je souris. S’il n’y avait pas cette histoire avec Joshua, je pourrais me
laisser aller, me détendre et me réjouir d’avoir hérité de la plus sympa de
l’agence. Ou la plus dingue ? Mais Abigail ne s’attarde pas. Je comprends
qu’elle croule sous les dossiers, que ma venue la soulage, qu’elle a apprécié
notre échange lors de l’entretien, que c’est même elle qui a souhaité m’avoir, que
je dois la tutoyer… Elle me montre les endroits clés de l’open space, la machine
à café, la cantine, le coin repos… Tout, mais au pas de course et en enchaînant
mille mots à la seconde.
Au moins.
Je la suis, tente de m’immerger, mais à chaque instant j’ai peur de tomber sur
Joshua. Je suis tétanisée. Encore plus quand je découvre que le coin d’Abigail
est à quelques pas de celui de mon désormais chef.
Je fais tomber ma souris sans fil quand je vois passer Joshua, manque de
renverser mon écran en me levant brusquement quand il revient. Pas une seule
fois, il n’a un coup d’œil dans ma direction. Pas une seule fois, nos regards ne se
croisent.
– J’espère que tu iras mieux demain, finit par me lâcher Abigail après m’avoir
expliqué trois fois comment sauvegarder un dossier sur le cloud de l’agence.
Parce que sinon…
– Je suis désolée, je suis nerveuse et stressée. Je suis prête. Demain, tu auras
une nouvelle Kirsten devant toi ! Une parfaite stagiaire ! tenté-je de la rassurer
en souriant.
Quand enfin, il est l’heure de partir, je pousse un soupir, soulagée. J’ai réussi
à faire mon travail correctement, je finis sur une note positive.
Je passe devant le bureau de Joshua dont la porte n’est pas fermée. Je ne sais
pas avec qui il est, mais nos regards se croisent. Un regard perturbant, pénétrant,
comme s’il avait lui aussi déconnecté de son rendez-vous un instant. Ça n’a beau
durer qu’un millième de seconde, je sors de l’agence complètement ébranlée.
Je balaie mon nœud au ventre et mes inquiétudes. S’il suffit que je reste pro,
que je fasse mon job, tout ira pour le mieux. De toute façon, il n’y a plus rien à
espérer de Joshua. C’est mon patron, je suis la stagiaire.
Dans les rues de Brooklyn, j’essaie de jouer la fille qui sait où elle va, alors
que j’ai mon téléphone allumé sur le GPS. Je n’ai jamais fait ça, sortir dans un
bar, retrouver quelqu’un… Alors dans une ville étrangère, un quartier dont le
nom me fait frissonner…
Liana s’installe derrière le bar et sert ses verres avec dextérité. J’envie son
assurance, son état d’esprit de jeune femme libre. Je suis tellement empêtrée
dans mes histoires, mon éducation, que je n’arrive pas à approcher ne serait-ce
qu’une once de sa belle confiance en elle. Mais je n’ai pas le temps de
m’apitoyer sur mon sort que Liana serre dans ses bras un nouvel arrivant, un
brun, très mince, au look soigné.
– Liana m’a raconté beaucoup de choses sur toi, me dit Deaken. J’avais hâte
de faire ta connaissance. Tu verras, on va t’aider à faire en sorte que New York
devienne ta deuxième maison !
– Liana m’a aussi parlé de toi hier soir. Tu bosses dans la mode ? Tu es
styliste, c’est ça ?
– Je suis dans la mode, oui, mais pas styliste, non, c’est elle qui t’a dit ça ?!
– Oui ! Que tu étais le meilleur styliste de New York !
– Elle est flatteuse, mais je n’ai rien d’un styliste, et je le regrette. Non, moi je
vends les fringues, dans une boutique luxueuse de la Cinquième. Mais je rêve
d’avoir la mienne !
– Et… Ce n’est pas possible ?
– Si j’avais assez d’argent… Et toi, dans la pub ?
– Oui, c’est ça. À toi au moins, on ne t’a pas menti !
– Liana adore faire ce genre de blagues, tu sais. Elle dit que ça aide à briser la
glace entre deux inconnus.
– Étrange méthode. Mais ça marche plutôt bien !
– Alors vous deux, ça y est, vous avez fait connaissance ? nous demande
Liana en nous rejoignant, posant deux verres devant Deaken et elle. Alors cette
première journée Kirsten ?
– Plutôt pas mal, me contenté-je de lui dire.
– Les premiers jours sont toujours stressants. Tiens d’ailleurs Deaken, tu ne
voudrais pas faire quelque chose pour son look ?
– Quoi mon look ? l’interrogé-je en me redressant.
– Tu es bien habillée, mais… Ne le prends pas mal, mais… c’est affreusement
classique ! Qui met des tailleurs, à 19 ans ?
Deaken secoue la tête, mais la relève aussitôt pour nous adresser un sourire
machiavélique.
Non. Ma mère.
Nouvelle vibration.
Nous partons tous les trois dans un énorme fou rire. Ce n’est pas méchant,
mais imaginer mes parents se filmer… La fin de la pause de Liana sonne celle de
notre soirée et Deaken et moi décidons de rentrer. Nous discutons librement, de
tout et de rien sur le trajet du retour, comme si nous nous connaissions depuis
toujours. Je découvre un garçon attachant et sincère.
Mais alors que nous attendons l’ascenseur, Joshua fait son apparition dans le
hall de l’immeuble. Quand il me voit, son regard passe sur Deaken, puis revient
sur moi. Il est froid et glacial. Dans ma tête, c’est la panique. Est-ce qu’il va
croire que nous sommes ensemble ? Est-ce qu’il faut que je dise quelque chose,
maintenant tout de suite ?
« Deaken, mon ami et uniquement ami, peux-tu appuyer sur le bouton » ? On
fait plus subtil…
Nous grimpons tous les trois dans un silence pesant. Je n’ose regarder
personne, je fixe un point devant moi, le cœur battant. J’ai la gorge nouée, je ne
pourrais rien dire de toute façon…
Quand enfin nous arrivons à mon étage, après une montée interminable, j’ose
à peine murmurer un « bonne soirée ». Je ne me retourne même pas. Je file vers
l’appartement, Deaken sur mes talons.
Je ne relève pas. À peine entrée que je m’éclipse dans la salle de bains pour
me calmer. Les deux mains posées sur le lavabo, je m’essaie à quelques
exercices de respiration.
Il va falloir que je m’habitue à le croiser. C’est mon boss, mon voisin et…
Mon téléphone, qui a décidé ce soir de me torturer un peu plus, vibre encore
une fois.
[Viens. J]
Je frôle la crise d’angoisse, mais j’arrive tant bien que mal à reprendre le
dessus. Il ne peut pas me virer comme ça… J’ai peut-être mon mot à dire, non ?
Est-ce que j’y vais maintenant ? Est-ce que je lui réponds que je dors ? Que
j’ai un invité ?
Non.
Je soupire. Ce SMS est un ordre qui me file des frissons de plaisir et d’effroi
en même temps. Tout dépend si je l’envisage comme un message de Joshua, le
voisin sexy, ou de Joshua, le patron distant.
Si j’avais jugé son accueil de l’autre fois un peu distant, ce n’est rien à côté de
celui de ce soir. Joshua n’est pas seulement distant, il est froid et ses sourcils
froncés n’engagent à rien de bon.
Aucun doute, j’ai mon boss en face de moi, pas mon voisin !
Quoi ?!
Je m’attendais à ce qu’il soit question de mon stage, mais pas de cette façon,
pas comme ça, pas aussi brutalement !
Sans discussion ?!
– Mais je…
Je me sens toute petite, balayée par cette décision. Je voulais travailler dans
cette agence, c’est ce que je voulais faire ! C’est là où je voulais apprendre ! Je
ne peux pas perdre ça sans…
Sans me battre ?
– Vous ne pouvez pas… dis-je d’une voix trop sourde avant de me reprendre
et de tenter de m’affirmer. Je… Je ne veux pas quitter votre agence ! J’ai passé
tous les entretiens, j’ai fait tout ce qu’il fallait pour venir ici !
– Je ne remets pas en question vos compétences, Kirsten. Il nous est juste
impossible de travailler ensemble désormais.
Il ne cille pas, j’ai un roc en face de moi. Comme un juge qui vient de délivrer
sa sentence. C’est indiscutable. Sauf que… je refuse ! Il a beau m’intimider, je
ne peux pas accepter ça. J’ai travaillé dur, je mérite ce stage, je mérite
d’apprendre avec les meilleurs ! Ce stage a été ma bouée de sauvetage pour tenir
ces derniers mois, je ne peux pas l’abandonner comme ça !
– Je ne quitterai pas mon stage dans votre agence, dis-je à nouveau, la voix
plus ferme cette fois. Ce qui s’est passé entre nous était… anecdotique. Si vous
craignez que j’en parle à qui que ce soit, rassurez-vous, je ne le ferai pas. Ça
pourrait me nuire, à moi plus qu’à vous…
– C’est dans votre agence que je souhaite apprendre mon métier, continué-je,
emportée par l’énergie du désespoir. Je suis professionnelle, je ferai mon travail,
je le ferai bien, vous ne serez pas déçu. Je peux balayer notre rencontre, rien
n’est plus important à mes yeux que ce stage !
– Flatteur, ironise-t-il.
– Ce n’est pas ce que je voulais dire, vous avez vu que je… enfin que je
n’étais pas indifférente l’autre fois… avec vous… mais je peux oublier tout ça !
Vous savez avec Abigail, nous n’avons travaillé qu’une seule journée, mais…
Nous avons déjà mis en place notre binôme, pris nos marques. J’ai fait tellement
d’efforts pour arriver jusqu’ici, vous ne pouvez pas me reprendre ça !
Joshua ne me répond pas tout de suite. Il m’observe, tente de lire en moi. Je
ne baisse pas les yeux, qu’il lise tout ce qu’il souhaite mais qu’il comprenne que
je ne vais pas crier sur les toits ce que nous avons fait !
Le petit rictus qui naît au coin de sa bouche est encore plus perturbant.
Quoi ?!
Il n’est pas en train de me dire qu’il faut tout arrêter, mais bien qu’il veut
continuer, sous le couvert de mon silence ? Est-ce que je suis prête à faire ça ?
Est-ce que ça veut dire que je dois coucher avec lui pour garder mon job ?
Mais agir avec moi comme il veut… Mon corps a frémi en l’entendant
prononcer ces mots… C’est tellement excitant…
Je perds pied, je n’arrive même plus à rassembler mes esprits pour tenter une
réponse cohérente, réfléchie. L’idée d’être à lui, le souvenir même de ce qu’il fait
de mon corps, le besoin de garder une reconnaissance purement professionnelle,
tout se mélange et se percute dans ma tête.
Oui à quoi ?!
J’essaie de réprimer le tremblement de mes mains. Joshua se lève, fait
quelques pas, avant de revenir me faire face. Je retiens ma respiration, essaie
d’effacer les images qui me reviennent de nous, sur ce canapé, évite de penser au
fait que cet homme a mon avenir entre ses mains…
– Compris.
Et dire que j’ai senti un petit frisson d’excitation quand il a appuyé sur le mot
profiter… C’est quoi, mon problème ?
Joshua ne connaît rien de moi. Je vais lui montrer qui je suis, comment je
travaille ! Et surtout, je vais lui montrer qu’il n’a aucun pouvoir sur moi ! Que ce
que nous avons fait ne compte absolument pas ! De toute façon, j’ai bien
compris qu’il pouvait briser ma vie en un claquement de doigts…
– Dis donc… Tu ne serais pas allée voir un mec par hasard ?! Vu le temps que
tu as mis, il ne doit pas habiter très loin…
– C’est qui ?!
Joshua qui me plaque contre le mur au beau milieu de l’agence, sa voix grave
qui me murmure qu’il me désire tellement fort qu’il ne me laissera pas partir, et
que si je parle il me punira, son doigt qui remonte sur mes cuisses, moi à sa
merci, son sexe bandé contre mes fesses, mon avenir entre ses mains…
Et quand je me réveille en sursaut, les larmes me montent aux yeux. J’ai
honte de l’excitation que je ressens, de mon sexe trempé, de mon envie
douloureuse de me soulager…
Encore une fois, qu’est ce qui ne tourne pas rond chez moi ?
7. Métamorphose
L’attention est adorable mais l’étole est… affreuse. Ma mère et ses goûts ! Ses
copines de bridge peuvent porter ça, mais pas moi !
***
Je n’ai pas le temps de riposter que Deaken s’est déjà installé dans un fauteuil
et ferme les yeux.
– Tu portes toujours ça d’habitude ? me demande la vendeuse en me détaillant
des pieds à la tête.
– Eh bien… Je me disais que pour aller bosser…
– Tu travailles dans quoi ?
– La pub.
– OK, je vois. Décontractée, mais pas négligée. On va arranger ça !
Je savais que j’allais me faire un peu relooker, mais pas que ça prendrait des
heures. Je multiplie les essayages. Slims, combinaisons, jupes longues, jupes
courtes, robes, blouses, chemises cintrées ou un peu loose, Ashley me fait
essayer plein de styles. Deaken s’ennuie à mourir, mais donne son avis à chaque
essayage. Pouce levé, pouce baissé, ça va ou ça ne va pas. Pratique ! Même moi,
je me sens un peu dépassée, mais j’aime ce que je vois. Sans les conseils
d’Ashley, je n’aurais jamais essayé certaines de ces tenues.
Mais Ashley ne nous laisse pas faire de pause. J’ai chaud, je suis décoiffée,
mais elle enchaîne sur les robes de cocktail, de soirée ou juste pour les rendez-
vous avec les clients.
– Pas trop sexy pour rester pro, mais assez féminine pour marquer les esprits !
Et elle a raison. Je dois bien avouer que j’adore ce que je vois dans le reflet du
miroir. Ma silhouette est mise en avant, une première pour moi qui ai toujours eu
l’habitude de la masquer un peu, histoire de passer inaperçue. C’est même assez
perturbant, mais Ashley a su me proposer des vêtements dans lesquels je me sens
bien. Pas des déguisements, mais biens des tenues qui me correspondent et que
je pourrai porter sans complexes.
Le résultat est convaincant : J’ai une coupe moderne, mes cheveux châtains
semblent plus brillants, plus doux aussi, et ma longueur a été préservée !
Je regarde Ashley, sans bouger. Mais comment fait-elle pour être à cent à
l’heure comme ça, tout le temps ?
– Stop ! m’écrié-je comme Deaken plus tôt. Je n’en peux plus. Merci,
vraiment, pour ce que tu as fait et pour tes conseils. Mais là, je ne peux plus
suivre !
– C’est vrai ? Je connais quelqu’un qui…
– Une autre fois ? Je crois que ma carte de crédit a besoin de repos elle aussi.
Laisse-moi le temps de renflouer mon compte !
– OK, je comprends. C’était sympa pour moi aussi. Tu vas voir, tu vas te
sentir bien, on a trouvé tout ce qu’il te fallait !
– Je sais où revenir maintenant !
Quand nous rentrons, nous sommes accueillis par une odeur de cuisine. Liana
s’accoude au bar, un appareil photo à la main.
– Qu’est-ce que tu fais ? lui demande Deaken en jetant un regard derrière elle.
– Tu prends des photos ? enchaîné-je.
– À manger, et oui ! nous répond-elle en sautant dans le canapé. Je vous
prépare des tacos ! Jolie coiffure ! Et ces fringues ?
– Tu te lances dans une nouvelle passion, Liana ? finit-il par lui demander en
nous servant des bières.
– J’ai envie d’essayer la photo, de trouver la lumière, d’immortaliser
l’invisible, de révéler le sublime…
– Quoi ?!
– Je veux être photographe ! nous apprend-elle. Un client m’a prêté son
appareil, je suis sûre que ça va me plaire.
– Deux semaines… me murmure Deaken au creux de l’oreille. Elle ne tiendra
pas plus, comme d’habitude !
Cette soirée est sans doute la plus belle depuis mon arrivée à New York. Je
me sens merveilleusement bien, bien entourée. Et je ne râle même pas quand
mes parents appellent. Je fais juste un signe rapide à Liana de baisser la musique
avant de répondre.
Je jette mon téléphone loin de moi pour me replonger aussitôt dans cette folle
ambiance.
Il n’est pas tout seul. Je n’ai encore jamais vu cet homme dans l’agence.
– Ah, je viens de recevoir un mail, entends-je Abigail dire un peu plus fort, ce
qui me ramène aussitôt à elle. « Réunion à dix heures. » Ça doit être important
pour que Joshua nous réunisse en dehors de notre rendez-vous hebdomadaire.
Cette réunion tombe assez bien pour lui montrer que je peux le regarder droit
dans les yeux sans ciller non ?
Quand Abigail se lève, j’attrape mon carnet et un stylo pour prendre des
notes.
La salle de réunion est pleine et Joshua est déjà là. Nos regards se croisent, je
frémis, mais le sien dévie aussi sec. À ses côtés se tient le même homme que j’ai
vu quelques minutes plus tôt.
– Je ne vais pas vous faire perdre votre temps, j’irai droit au but, commence
Joshua sans attendre. Nous venons de décrocher une campagne de pub qui risque
de propulser l’agence à un niveau que nous n’avons encore jamais atteint. Nous
avons décroché le contrat dont je vous parlais la dernière fois, c’est officiel. Je
peux désormais vous en dire plus. Notre ancienne université, à Tim et moi,
voudrait que nous réalisions une campagne contre le bizutage. Je tiens
particulièrement à ce que nous mettions tout notre savoir-faire au service de ce
dossier. C’est une ouverture sur le marché des institutions scolaires, voire
gouvernementales puisque le secrétaire à l’Éducation a d’ores et déjà annoncé
qu’il suivrait notre campagne de près. Vous l’aurez donc compris, il n’y a pas de
place pour l’erreur.
– Le bizutage est un problème récurrent que nous devons traiter avec soin.
C’est pourquoi, nous avons décidé de mettre les meilleurs de l’agence dessus.
Nous allons constituer une équipe, nous vous annoncerons sa composition dans
le courant de la matinée. Des questions ?
Tous les regards se tournent vers moi. Celui de Joshua est redoutable,
ironique, plein de défi. Mes joues se sont enflammées. Je suis la seule à
comprendre l’allusion, la seule à savoir de quoi il parle, mais si certains
devinaient ?
– Excusez-moi. Le bon temps passé sur mon canapé ne vaut pas mon travail
ici.
– Vous êtes sûre ?
– Certaine, ajouté-je soutenant cette fois son regard.
J’ai l’impression que cet échange entre nous dure des heures, que la
climatisation est en panne tellement il fait chaud soudain. Mais quand enfin
Joshua se retourne vers l’assemblée après un simple hochement de tête, je ne
peux pas m’empêcher de souffler de soulagement. Tous mes muscles se
détendent d’un coup, je baisse les yeux au sol pour reprendre le contrôle de moi-
même.
Quand je relève les yeux sur Joshua, je n’existe plus pour lui. Il a repris son
discours sur la campagne, prononce des mots que je n’entends même pas
tellement je suis troublée… À ses côtés, Tim m’observe et me sourit quand nos
yeux se croisent. J’essaie de prendre une contenance, de montrer que cet incident
m’a affectée juste ce qu’il faut et non mortifiée au point de vouloir fuir cette
pièce le plus vite possible.
– Vous savez tout. Nous vous tenons très vite informés de la suite des
événements.
Mon corps frissonne. Non, je ne peux pas penser à ça ici, penser à Joshua de
cette façon dans ce bureau. Mais je ne serais pas étonnée d’avoir à essuyer
quelques remarques de ce genre… Il est joueur, manipulateur de mes émotions.
À moi de ne pas perdre pied…
C’est comme si on avait tué sur place ma collègue. Elle se fige, se tourne
brusquement vers moi et je constate qu’elle a pâli d’un coup.
– C’est peut-être une bonne nouvelle ! lui glissé-je aussitôt pour lui éviter le
malaise.
– Il m’a convoquée ! D’habitude je reçois un mail. Ça ne se passe jamais
comme ça…
Je file à la fontaine, croisant les doigts pour que la porte du bureau de Joshua
soit fermée à mon retour. Mais elle ne l’est pas et Abigail me fait signe de rentrer
alors qu’ils sont déjà en pleine discussion.
– Excusez-moi…
J’arrive à déposer le verre devant Abigail sans trembler et, en repartant, mes
yeux se tournent vers Joshua. Je manque de me prendre une chaise dans les pieds
quand je constate qu’il a eu un regard, rapide, sur moi.
Je frissonne à l’idée que cette nouvelle moi pourrait encore le séduire, qu’il
pourrait même poser ses mains sur moi pour… Et à nouveau, ces images de lui
et moi, devant mes yeux, dans ma tête. Mon rêve érotique, le souvenir de ses
mains sur ma peau…
– Bonjour, je crois que nous n’avons pas eu l’occasion d’être présentés, fait
une voix masculine dans mon dos.
– Je… Je m’appelle Kirsten Lake, stagiaire d’Abigail, lui dis-je en lui tendant
la main.
– Et moi, Tim, l’associé et meilleur ami de Joshua. Vous avez commencé il y
a longtemps ? Vous vous plaisez, ici ?
C’est agréable que le patron en personne vienne saluer les stagiaires mais je
suis gênée par sa main moite. Quand il la retire de la mienne, je n’ose pas
m’essuyer sur mon jean et j’attrape mon gobelet de la main gauche.
– Oui, tout va bien. Abigail est une bonne responsable. J’ai beaucoup de
chance de l’avoir.
– Ou c’est nous qui avons la chance d’accueillir un talent comme vous. Si
vous avez la moindre question sur l’agence, ou si vous rencontrez le moindre
souci, venez me voir. Ma porte vous sera toujours ouverte !
– Merci, soufflé-je avant de rejoindre mon poste.
Déjà ? Mon nouvel ami n’a pas perdu de temps à me trouver quelqu’un. C’est
même un peu tôt pour moi. Trop rapide, trop soudain, je ne sais même pas avec
qui, si c’est quelqu’un de bien… Impossible, Deaken va beaucoup trop vite pour
moi !
– Alors ?!
– Joshua ne m’a pas du tout parlé de moi, souffle-t-elle en s’éventant à l’aide
d’une pochette en carton. Mais des stagiaires que je dois choisir.
– Oh… Ce serait une chance terrible de pouvoir travailler sur cette
campagne !
– Tu sais, je lui ai déjà parlé de toi, me glisse Abigail comme une confidence.
Ça m’embêterait de te perdre, mais tu es l’une des meilleures. Tu te souviens de
ton envie de proposer un challenge sur le dossier du gaspillage ? L’idée que tu as
eue de mettre au défi les citoyens, comme dans un jeu et d’atteindre des objectifs
plutôt que de leur faire la morale ? Joshua a adoré et a été assez surpris quand je
lui ai dit que ça venait de toi. Tu as marqué des points, c’était audacieux et bien
pensé et surtout original. Et Joshua aime cet état d’esprit !
– Merci… Il t’a répondu quelque chose ? demandé-je, curieuse.
– Qu’il verrait quand il aurait toutes mes propositions.
Abigail reprend ses dossiers en cours, je fais de même. Mais j’ai du mal à me
concentrer. Cette campagne sur le bizutage… J’aurais tellement aimé travailler
dessus. Non pas que je me sois fait bizuter, j’ai eu ma dose autrement… Mais je
sais ce que c’est d’essayer de paraître intouchable, que rien ne nous atteint,
malgré les rires des autres, les moqueries, alors qu’on est démoli de l’intérieur.
– Pas mal la nouvelle cuvée de stagiaires cette année, entends-je dire Tim. Tu
as repéré des talents ?
– Trop tôt pour le dire, se contente-t-il de répondre, comme s’il était occupé
ailleurs.
– J’en prendrais bien quelques-uns pour travailler avec moi. Puisque tu
comptes en prendre sur ta campagne, je pourrais aussi…
– OK Tim, l’interrompt Joshua. Donne-moi les noms de ceux qui tu aimerais
avoir. Je dois filer, j’ai un rendez-vous ce soir. On en reparle demain, d’accord ?
– Toi, un rendez-vous ? Je la connais ?
Je soupire.
S’il peut me faire oublier cette journée, ce sera déjà très bien !
9. Dérapage
J’ai écouté les conseils de Deaken en choisissant de porter une petite robe
noire, fluide et sans manches, au décolleté plutôt osé par rapport à ce que j’ai
l’habitude de mettre. Mais ce que j’ai vécu depuis mon arrivée à New York me
motive à dépasser mes limites. Je ne tiens pas absolument à partager ma nuit
avec mon rendez-vous, loin de là, mais au moins je vais me laisser une chance
de rencontrer quelqu’un d’intéressant.
Qu’est-ce qui m’a pris d’accepter ? Qu’est-ce que je vais lui dire ?
Je lève la tête pour croiser le regard pétillant d’un séduisant jeune homme.
Blond, mince, plutôt pas mal.
Il a les mêmes fossettes que Cary Agos dans la série The Good Wife !
Et décontractée.
– Deaken m’a envoyé une photo de toi, je n’ai pas eu de mal à te reconnaître.
Mais tu es beaucoup mieux en vrai !
– Je m’appelle Logan, ajoute-t-il, une fois que nous sommes seuls. Je ne sais
pas ce que Deaken a pu te dire sur moi.
– Absolument rien, avoué-je. Je n’ai eu droit qu’à l’adresse et l’heure du
rendez-vous.
– Ah, j’en sais donc plus que toi ! Je sais que tu travailles dans la pub et que
tu viens d’arriver à New York.
Logan me parle de la boutique de mon ami, des costumes dont il avait besoin
pour ses premières plaidoiries… Quand le silence s’installe, je rebondis et la
discussion ne tourne qu’autour de Deaken.
Peut-être qu’il faut plus d’un rendez-vous ? Logan a l’air d’être quelqu’un de
bien, plutôt pas mal qui plus est… Après un deuxième cocktail, par peur d’aller
plus loin, je refuse la proposition de l’avocat d’aller manger ailleurs, prétextant
une réunion matinale.
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire à Deaken ? Logan a tout pour lui !
– Tiens, je te laisse mon téléphone, dit-il en glissant une carte dans ma main.
Appelle-moi, ça me ferait plaisir de te revoir.
– Oui… Moi aussi, soufflé-je, incapable de lui dire que je préférerais en rester
là.
Au moment où il se penche pour m’embrasser sur la joue, Joshua sort d’un
taxi. Il nous a vus ! Je tourne la tête brusquement et mes lèvres rencontrent celles
de Logan. C’est certainement la pire chose qui pouvait se passer. Logan risque
de se faire des illusions !
Joshua !
– Bonne soirée ?
– Parfaite. Et la vôtre ?
Je pourrais lui demander en quoi ça l’intéresse. Mais c’est mon patron. Et puis
cette façon qu’il a de me dominer, de me transpercer avec ses yeux verts, fait que
je perds une fois de plus mes moyens. Pire, je cherche une histoire pour
expliquer ce baiser !
Je me fais violence pour lui poser la question, pour en savoir plus quant à sa
soirée à lui. Pourquoi ? Pour lui montrer qu’il n’est pas le seul à avoir le
monopole des interrogatoires.
N’oublie pas qu’il ne veut pas de toi et qu’il peut décider de ruiner ton avenir
Kirsten ! Tu ne devrais même pas t’intéresser à ce qu’il fait de sa vie !
Je n’ai pas retenu mes mots. Mes pensées ont dépassé mes lèvres bien malgré
moi. Je rougis… Je ne devrais pas éprouver cette satisfaction, encore moins la
montrer ! Joshua esquisse un sourire, s’approche un peu plus.
Sa main vient glisser le long de mon bras nu. Joshua ne me quitte pas des
yeux.
Je n’ai pas le temps de former une phrase correcte que Joshua vient me
plaquer contre la paroi de l’ascenseur, ses lèvres contre les miennes. Ce baiser
m’enflamme à la minute où nos lèvres se touchent. Ses doigts se crispent sur
mes hanches. Entre nous, l’attraction est intacte.
– Mais… Tu avais dit que…
– C’est moi qui fixe les règles. Je les change quand bon me semble…
Nous nous séparons, le temps d’entrer dans son appartement. Si je dois fuir,
c’est le moment. Il reste mon boss, moi sa stagiaire. Sauf qu’il a balayé tout ça.
De lui-même. Et je me suis engouffrée avec lui dans l’interdit. Et quand il
m’attire de nouveau à lui, je sais qu’il est trop tard pour faire machine arrière.
Le désir de Joshua est violent et je suis surprise par son impatience. Il voulait
aller plus loin avec moi, nous y sommes. La panique me revient, comme la
dernière fois. Même si j’en ai envie, je ne sais pas quoi faire, mes caresses sont
maladroites, je n’entreprends rien, je n’ose pas… Alors que ses mains sont déjà
sous ma jupe, enserrent mes fesses, que sa bouche me dévore le cou, je ne sais
que m’accrocher à lui. Et en même temps… Je n’ai aucune envie de tempérer sa
fougue, de l’interrompre, de lui avouer ce qui pourrait tout arrêter… Son désir
me flatte, me plaît…
Joshua attrape mes doigts et les fait remonter doucement jusqu’à son torse.
Est-ce qu’il est en train de tout arrêter ? Mais je ne veux pas ! Je veux au
contraire qu’il continue ! Pourquoi cette pause ?!
Il se penche doucement vers moi, reprend mes lèvres. Son baiser me rassure
sur son désir et sa langue qui vient chercher la mienne met mes inquiétudes sur
off.
– Je ne ferai rien que tu ne veuilles pas. Mais j’ai envie d’aller loin, très loin
avec toi Kirsten.
Aurait-il compris ?
Il me faut une seconde pour décider de mon destin. Un simple signe de tête.
Je veux qu’il continue.
Ses gestes sont fermes mais doux quand il prend le temps de m’attacher les
poignets à son lit avec des foulards en satin. J’éprouve un profond soulagement,
une vraie reconnaissance. En faisant ça, Joshua me permet de me libérer,
m’enlève ce poids des gestes maladroits, des questions. Je n’ai plus d’autre choix
que de me laisser faire à ses caresses et de me laisser aller.
C’est déroutant, plus qu’inattendu. Jamais, dans mes rêves les plus fous, les
plus intimes, je n’avais imaginé une telle première fois. Joshua m’embrasse, si sa
fougue s’est atténuée, je sens son désir toujours aussi impérieux. Il me désire, je
le sens, et je le vois aussi… Surtout quand son boxer n’est plus là, comme mon
soutien-gorge aussi, d’ailleurs.
À nouveau, je perds pied dans le flot de sentiments qui m’assaillent. J’ai hâte
de perdre ma virginité, j’ai peur, j’ai envie que ce soit avec Joshua, j’ai peur de
ne pas être à la hauteur. C’est compliqué et délicieux à la fois. Mais il sait. Je ne
comprends pas par quelle magie, par quel instinct, il arrive à me rassurer.
Chaque geste me comble, m’apaise, chasse les interrogations pour ne laisser que
le plaisir. Quand il me pénètre, doucement, me couvant de son corps tout entier,
c’est… Je n’ai pas de mot…
Nos corps ne font plus qu’un, jusque dans leur mouvement. Alors qu’il
s’enfonce profondément en moi, une vive douleur au niveau du bas-ventre me
fait grimacer. Mais je n’ai pas le temps de réagir que Joshua stoppe ses
mouvements et se met à m’embrasser passionnément. Je lui rends son baiser en
gémissant. Ses mains pressent mes seins, ses lèvres descendent dans mon cou,
sur ma poitrine… J’oublie tout.
Je tire contre mes liens, motivée par une furieuse envie de le toucher, de
m’accrocher à lui. Cette lutte inutile exacerbe mon excitation, je ne peux rien
faire d’autre que me laisser porter par ses caresses et submerger par le plaisir.
Tout mon corps vibre, je ferme les yeux et je souris. C’est beau… et bon. Mais
impressionnant aussi quand Joshua commence à accélérer ses coups de bassin.
J’observe tout, son visage, ses traits. J’écoute son souffle… Jusqu’à ce qu’il
explose en moi et que d’un coup, il pose sa tête au creux de mon cou.
Après ça.
Joshua se lève pour se rendre dans la pièce attenante à sa chambre. Une fois
seule, dans le silence dans la pièce, je peux enfin rassembler mes esprits et
profiter de cet après, de sourire, d’écouter ce que me renvoie mon corps dans le
moindre de ses frémissements.
Je n’ai donc plus aucune excuse. Si je dois perdre mon stage, je ne pourrai en
vouloir qu’à moi-même… Ma situation est extrêmement délicate… et elle ne
dépend que de Joshua.
Et je me vois mal expliquer à mes parents pourquoi j’ai raté mon année…
– Il doit y avoir des règles entre nous, dit-il, toujours aussi maître de lui. Cette
relation ne peut exister autrement.
Règles ? Relation ?
– D’accord… soufflé-je, pas certaine de comprendre de quoi il est question.
– Je veux te revoir mais je décide où et quand.
Il a deviné…
– Je vais faire de toi l’amante parfaite, faire en sorte que tu te libères pour que
tu découvres le vrai plaisir.
– Mais en aucun cas, ça ne fait de nous un couple. Il n’y aura que du sexe
entre nous, rien de plus. Cette relation ne te donnera droit à aucun traitement de
faveur au bureau. Là-bas, nous sommes deux étrangers l’un pour l’autre. Et
souviens-toi de ce que je t’ai dit l’autre jour : n’en parle à personne, ni au boulot
ni ailleurs, sinon je brise ta carrière.
Que veut-il ?
Je ne bouge pas et retiens mon souffle, alors qu’il se colle contre moi, dans
mon dos. Une de ses mains se pose sur mon sein et l’enserre brusquement dans
un geste possessif, l’autre vient se placer sur mon ventre. Joshua accentue sa
pression pour me maintenir contre lui. Je sens son souffle dans mon cou, mon
épiderme s’électrise. Ma respiration se fait plus saccadée, mon cœur tambourine
dans ma poitrine, quand je sens son sexe bandé contre mes fesses. Je ne peux
retenir un gémissement tellement j’ai de nouveau très envie qu’il aille plus loin.
Il me veut et ça me fait perdre la raison.
C’est un peu comme s’il me lançait un défi. Suis-je capable de lui faire
confiance en le connaissant aussi peu ? Mais comment réfléchir quand sa main
masse mon intimité, que mes fesses se tendent instinctivement vers son sexe
tendu à l’extrême ? Mon corps est prêt pour ce genre d’arrangement purement
sexuel, mais ma tête ? Et mon cœur ?
Trop jeune… On m’a toujours dit que j’étais trop jeune, trop naïve…
Il est temps de me prouver que je ne suis plus cette jeune étudiante trop
fragile.
– Qu’en penses-tu ? me lance-t-il alors qu’il me retourne pour que je sois face
lui.
Les deux mains de Joshua se posent sur mes fesses, il presse mon bassin
contre la bosse de son pantalon. Je manque de perdre la tête et de le supplier de
me prendre tout de suite sur la table de la cuisine. Mais instinctivement, je sens
qu’il n’y a pas que mon corps et mon innocence qui intéressent Joshua… Il aime
qu’on le défie, je peux le sentir.
– Je crois que je n’ai pas le droit de dire non, réponds-je en relevant la tête.
C’est bien la première fois qu’il avoue ouvertement qu’il apprécie quelque
chose chez moi, qu’il se laisse aller à un tel commentaire.
Et maintenant ?
Je dois écouter mon instinct. C’est Joshua qui est venu me chercher, c’est lui
qui veut continuer à ce qu’on se voie !
Je me dirige vers la porte, attrape mon sac resté sur le canapé au passage, tout
en priant pour ne pas me tromper. Je risque gros si j’ai mal compris ce qui se
jouait ce soir. Si je n’ai pas fait ce qu’il attendait de moi, ce qu’il désirait, je
perds mon job et ma vie new-yorkaise.
Dans l’ascenseur, je lève la tête pour respirer un grand coup et espérer peut-
être voir toutes les réponses à mes questions inscrites au plafond. Il n’y a bien
qu’une seule chose qui soit véritablement claire pour moi : Joshua m’attire, j’ai
encore envie de ses bras, je veux désespérément qu’il m’apprenne, comme il l’a
dit. De toute façon, je ne pourrais pas lui dire non, même si je le voulais – même
si je le devrais pour préserver ma vie ici. J’aime que Joshua me désire
violemment, je suis trempée à l’idée qu’il décide de tout et me plaque à nouveau
contre lui comme il vient de le faire.
Et, plus perturbant encore, j’ai l’impression de le comprendre sans qu’il ait
besoin de dire un mot, comme si j’avais saisi les règles du jeu sans même les
avoir lues.
Je feins un bâillement alors que les deux amis affichent une mine déçue. Je
file m’enfermer dans ma chambre. Une douche et au lit. J’ai vraiment besoin de
remettre de l’ordre dans mes idées.
Et surtout, je veux éteindre mon cerveau. Ne plus penser à rien. Ou juste peut-
être à cette mémorable première fois. C’est tellement dommage de ne pas
pouvoir échanger ça avec Liana, de discuter de ça entre filles.
– Vous avez eu tellement raison d’insister auprès d’eux pour que je m’installe
chez Liana, dis-je doucement. Merci ! Ça ne fait pas longtemps que je vis à New
York, mais je me sens tellement bien là-bas. J’ai l’impression de démarrer une
nouvelle vie.
– C’est bien que tu t’y plaises, me sourit ma tante en me prenant la main. Et
que tu oublies ce qui s’est passé ici. Ça n’est pas trop dur, d’ailleurs de revenir ?
– J’évite de trop y penser… Mais je n’ai aucune envie de remettre les pieds à
l’université.
– Et voilà ! Attention c’est chaud ! Alors Kirsten, raconte-nous tout !
Décidément, ses nouvelles lunettes lui donnent un air tellement strict ! J’ai
l’impression d’avoir en face de moi un conseiller d’orientation !
Je pose mes couverts. La colère est en train de monter en moi. Même à des
kilomètres, mes parents continuent d’agir pour moi, de choisir pour moi !
Mes parents se mettent à rire, croyant à une blague. Cette discussion est
perdue d’avance. Je ne sais pas ce qu’il leur faut, ni ce que je dois faire pour
qu’ils me prennent au sérieux…
– Kirsten a la tête sur les épaules, je suis sûr qu’elle trouvera le travail qu’il
lui faut, intervient mon oncle en me souriant, comprenant mon dépit. Et là où
elle se sentira le mieux.
Retrouver ma liberté !
Mais le pire est peut-être à venir quand je me retrouve dans les couloirs de la
fac. Ma gorge se serre, mon ventre se noue. Je lutte pour me détendre, pour ne
pas foncer tête baissée et repartir en courant avec ce dont j’ai besoin sous le bras.
Je ne veux pas que le passé me rattrape, je veux être plus forte que ça, dépasser
mes anciennes craintes.
Mais c’est trop faire confiance à la vie de croire qu’on peut tout oublier, tout
balayer, surtout quand le responsable de ses maux est là, à quelques mètres de là.
Je serre les dents, pressée d’en finir. Tout mon corps s’est tendu. J’ai envie de
lui hurler de me laisser tranquille, qu’il en a déjà assez fait…
À cause de lui…
C’est pourquoi je suis partie à New York. C’est pourquoi j’ai mis tant de
kilomètres entre ici et moi. Pour tourner la page de cette blessure qui a tant de
mal à se refermer.
– Kirsten, faisons la paix, venez discuter dans mon bureau. Ce qui s’est passé
entre nous n’est qu’un malentendu, nous avons besoin de revenir sur de bonnes
bases, vous et moi…
Je fais un pas de côté pour passer devant lui, sans attendre ni réponse ni
réaction de sa part. Mon cœur bat à mille à l’heure, je n’en reviens pas d’avoir
osé lui répondre ! Ce n’est pas grand-chose, j’aurais aimé lui sortir ses quatre
vérités mais il me fait toujours aussi peur.
Ça ne pansera pas les plaies, mais la jeune femme perdue dans ces couloirs de
la fac peut commencer à sécher ses larmes.
Le reste du week-end passe bien trop lentement à mon goût mais le vol de
retour s’annonce enfin dans les haut-parleurs de l’aéroport.
Je n’ai pas le temps de les convaincre de rester que je dois embarquer. Les
avoir à New York ? Non merci ! Pas avec en plus le secret de Liana !
***
J’entre non plus chez moi, mais dans une sorte de chantier… Plastiques de
protection au sol et sur le canapé, pots de terre dans les coins, outils sur la table,
masse informe d’argile sur une tournette en plein milieu de la pièce…
Je regarde autour de moi, dépitée. Et les premières créations sont loin d’être
prometteuses.
– Je vais prendre des cours, me rassure Liana comme si elle avait su lire dans
mes pensées. J’ai juste fait des tests pour le moment… Alors, ce week-end chez
tes parents ? Sur l’échelle de l’horrible, combien ?
– Sept…
– Outch… La prochaine fois, je t’accompagne. Je serai ton soutien ! Je
monopoliserai l’attention et tu pourras souffler ! Oh, j’oubliais, tu as reçu un
colis ! Je l’ai mis sur ton lit !
– J’espère que ce n’est pas encore un cadeau affreux de ma mère… Elle me
l’aurait donné sur place, mais avec elle, je peux m’attendre à tout !
– Top, siffle Liana dans mon dos. Ça, ça ne vient sûrement pas de ta mère…
Ton petit avocat ? Logan, c’est ça ? Eh beh… On peut dire que tu lui as fait de
l’effet ! Je peux te laisser l’appart si tu as besoin d’un peu d’intimité !
– Dans l’état où il est, je ne suis pas sûre que ce soit le lieu idéal pour un
rendez-vous romantique, riposté-je en grimaçant.
Je mets Liana dehors pour essayer ce cadeau. Mon corps frissonne, encore
plus quand je me découvre devant le miroir. Cette nuisette me va parfaitement et
fait de moi une autre femme. Plus audacieuse, plus sûre d’elle… Joshua tient à
révéler ma féminité. Je sens poindre l’excitation dans mon ventre, l’envie qu’il
me voie avec, qu’il me désire à nouveau…
J’ai fui un prof qui me désirait et là, je fantasme à l’idée d’être à nouveau
dans les bras d’un autre qui tient tout autant à avoir le contrôle sur moi. Je suis
complètement perdue… Avec Joshua, j’aime ça. J’ai envie de jouer, avec ses
règles. Qu’il prenne le contrôle, qu’il repousse mes limites.
Vingt minutes plus tard, j’enfile un pull pour finir par me rhabiller
complètement.
Mon désir s’est effacé au profit d’un profond agacement. Je m’en veux de me
sentir tellement dépendante de son bon vouloir. Il n’est pas si impatient que ça
de me voir avec son cadeau ! C’est lui qui dicte les règles, comment ai-je pu
l’oublier ? Dans mon bonheur de rentrer ici, j’ai oublié que ma relation avec lui
n’a rien de normal.
Et ce n’est même pas une vraie relation… Il est peut-être avec une autre ?
Après tout, il n’a pas parlé d’exclusivité de son côté. Je me suis enthousiasmée
trop vite, j’ai cru trop vite que nous allions nous revoir après tous ces jours
d’indifférence.
Mais non, pas encore. Et je dois apprendre à vivre avec ça. Je ne peux être
avec lui que de cette façon.
– Tant pis pour lui ! dis-je tout haut en rangeant soigneusement la nuisette.
Je ne réponds pas tout de suite. Est-ce que ce ne serait pas un signe du destin
de faire surgir Logan à ce moment précis ? Je pourrais avoir une vraie histoire
avec lui, des nuits ensemble, des réveils à deux, des sorties au grand jour… Il ne
serait pas question de se cacher ni de ne rien dire à personne…
Mais Joshua a énoncé ses règles clairement. Je ne dois pas aller voir ailleurs.
Est-ce que je serais capable de lui désobéir ? Est-ce que j’en ai seulement
envie…
Elle me perturbe et m’exalte à la fois, je me dis que c’est mal mais j’en
redemande à chaque nouveau corps à corps… Rien que d’y penser, je sens mon
corps s’animer.
Désolée Logan…
12. Et les nommés sont…
Il faut que cette discussion s’arrête. Abigail ne se rend pas compte à quel
point ses mots sont lourds de sens pour moi.
Je ne peux m’empêcher d’espérer quand même avoir une petite chance d’être
choisie et de m’en vouloir en même temps : à cause d’une pulsion dans un
ascenseur je me suis fermé une opportunité professionnelle en or. Et je
culpabilise encore plus quand je pense que si l’on me donnait le choix de tout
recommencer, je ne sais pas si je changerais quelque chose. J’ai perdu ma
virginité d’une façon exceptionnelle et, ça peut paraître dingue, mais je suis
vraiment soulagée d’avoir passé cette étape ainsi. J’ai pu avoir un rendez-vous
avec Logan sans trop paniquer, je n’ai plus peur du désir d’un homme : je sens
que je vais mieux.
Rien à voir avec l’excitation perverse que je ressens à l’idée que mon boss
désire me soumettre à son bon vouloir…
Je secoue la tête pour chasser cette dernière pensée avant d’entrer dans la salle
de réunion.
Il y règne une ambiance plus électrique que d’habitude. Tout le monde est
impatient de savoir s’il a été choisi ou non. Rejoindre cette équipe, c’est être
officiellement désigné comme l’un des meilleurs ici. Une belle consécration
publique en quelque sorte. J’aimerais toujours qu’Abigail en soit, mais ce serait
la perdre et risquer d’être rattachée à une autre équipe.
Très égoïstement, j’aimerais la garder pour moi, mais pour elle, ce serait
tellement mérité.
Joshua entre dans la pièce, le visage très fermé et le silence se fait sans qu’il
n’ait besoin de le demander. Il use les nerfs de tout le monde en décidant de
traiter les questions courantes, il fait durer le suspense en évitant soigneusement
le sujet qui est sur toutes les lèvres… Mais enfin, quand il y arrive, toute la salle
retient son souffle.
– J’ai choisi une équipe solide pour m’accompagner sur cette campagne. Pour
ceux qui n’ont pas été sélectionnés, sachez que d’autres opportunités se
présenteront à l’avenir et que je prendrai soin de mettre les compétences de
chacun en avant. Mais cette fois, mon bras droit sera Abigail Coyle.
Murmures dans la salle. Déception pour les uns, applaudissements pour les
autres. Je vois, à la tête de ma responsable, qu’elle ne réalise pas encore. Quand
nos regards se croisent, je lève le pouce et l’applaudis à mon tour pour la
féliciter.
– Abigail et moi serons épaulés par deux stagiaires. Que cette opportunité soit
pour eux une occasion d’apprendre mais aussi de prouver qu’ils ont toutes les
qualités pour faire ce métier. Brenton Croft et Kirsten Lake.
Que… Quoi ?
Pas une seule fois Joshua n’a un regard pour moi. Se rend-il compte de la
petite bombe qu’il vient de lancer ? De la situation dans laquelle il me met ?
Il se tourne vers moi pour me faire un simple signe de tête. Il ne trahit rien,
pas comme Tim qui le rattrape et lui lance quelques mots que nous n’entendons
pas. Mais à voir sa tête, il a l’air très, très mécontent.
– Je me demande si Tim ne lui fait pas une scène parce qu’il n’a pas eu les
stagiaires qu’il voulait, toi en l’occurrence. Il faut dire que tu es une vraie mine
d’idées, je n’ai jamais vu une stagiaire aussi proactive que toi, me confie
Abigail. Enfin, ce n’est plus notre problème puisque nous restons ensemble !
Je regarde Joshua rejoindre son bureau, perplexe. Pourquoi nous mettre dans
une situation aussi compliquée… Je pouvais me montrer indifférente en le
croisant une ou deux fois dans l’open space, mais en travaillant régulièrement
avec lui… ?
Je hoche la tête. Joshua est donc resté professionnel. J’ose enfin me réjouir et
un large sourire étire mes lèvres. Je vais travailler sur l’une des plus grosses
campagnes de l’agence ! Cette ligne de plus sur mon CV va m’ouvrir des
portes !
Bloc-notes, crayon et c’est parti. Brenton est déjà installé dans la salle et il
nous accueille avec un sourire. Je crois qu’il est arrivé un peu avant moi dans
l’entreprise, je ne l’ai jamais vraiment croisé, ou juste de loin.
– Abigail, j’espère que vous êtes contente de votre nouvelle équipe. Vous ne
serez pas uniquement mon bras droit dans ce dossier, je vous le confie dans son
intégralité. J’interviendrai juste pour superviser la campagne, mais je vous fais
complètement confiance. Et si Kirsten et Brenton ne répondent pas à vos
attentes, libre à vous de les renvoyer du dossier.
– Joshua, merci ! Je suis sûre que nos deux stagiaires feront parfaitement
l’affaire. Je les guiderai de mon mieux !
Ce que je fais sans trop de mal finalement quand il se met à nous rappeler
l’objet de la campagne, les problèmes de bizutage, les conséquences sur les
élèves et l’impact sur leurs études. Je fais le lien avec ma propre histoire. Je n’ai
pas été bizutée, mais mise de côté, j’ai été la cible de rumeurs et de harcèlement.
J’imagine à quel point les étudiants bizutés doivent craindre de subir les idées
loufoques et trop souvent dangereuses des anciens. Ce que vivent certains à ce
moment-là doit les poursuivre des années après. Quand je suis entrée à
l’université, j’avais 15 ans et je ne sais pas comment j’aurais fait pour survivre à
ce genre de rite de passage !
– Bien sûr !
– J’aimerais dans un premier temps que vous preniez contact avec les anciens
élèves de mon université pour récolter des témoignages. Il nous faudra un studio
pour tourner les vidéos, un synopsis pour définir le bon message que nous
devons diffuser. Il faut que cette campagne ait un vrai impact sur les mentalités.
Je ne m’attends pas à ce que nous changions le monde, mais je vise la prise de
conscience. C’est bon pour vous ? Vous trouverez dans le dossier les premiers
éléments sur lesquels j’ai déjà travaillé. N’hésitez pas à ajouter vos propres
idées. Je le rappelle, c’est un travail d’équipe, nous œuvrons tous ensemble pour
que cette campagne soit une réussite pour l’agence ! D’ailleurs, Brenton, vous
déménagez votre bureau pour rejoindre le pôle d’Abigail et Kirsten.
– Des questions ?
– Pas encore, répond Abigail. Nous allons nous répartir les rôles pour
commencer et si nous manquons d’informations, nous viendrons te le demander.
D’ailleurs, Joshua, comment souhaites-tu procéder ? Je centralise les questions
des stagiaires ou est-ce qu’ils peuvent venir te voir directement ?
Je sens le regard de Joshua se poser sur moi et j’ose relever la tête pour
entendre sa réponse. Venir lui poser des questions, à lui directement ? Dans son
bureau ?
L’image de moi en nuisette jaillit dans mon esprit sans que je ne puisse
contrôler quoi que ce soit, comme si mon cerveau s’était soudain mis en roue
libre ! Bien sûr, je rougis et baisse la tête rapidement pour que personne ne voie
mon trouble.
Si mon esprit se met à me jouer des tours comme ça, je crains de devoir lutter
dix fois plus contre moi-même.
– Tu es donc tout ce qu’on cherche à arrêter avec cette campagne, lui lâche-t-
elle fermement, mais en souriant quand même. Nous allons utiliser tes
compétences autrement, je suis sûr que tu en as d’autres, n’est-ce pas ? Charge-
toi de tout l’aspect technique de cette campagne. Et si as des idées lumineuses
n’hésite pas à les partager. Mais n’oublie pas, mets-toi à la place des victimes.
Pas des bourreaux ! Kirsten, tu t’occupes de la prise de contact.
Brenton lui lance un regard noir qu’elle soutient sans faillir. Je crois qu’il va
avoir du mal à se mettre au diapason. Mais, très vite, ce premier couac est vite
balayé par la motivation de réaliser une belle campagne et de prouver à Joshua
que nous sommes tous à la hauteur de son choix. Et si j’aspirais enfin à un peu
de tranquillité, Abigail se tourne vers moi.
Je lis la série de questions qu’elle a notées sur un de ses Post-it. Des questions
qu’elle aurait pu lui poser par mail… Mais ça aurait eu un côté moins réactif. On
est désormais dans l’action. Et l’acteur principal ne doit pas influencer mon
travail. En aucune façon.
– Je passe toujours au second plan avec toi, continue Tim. Tu trouves que mes
dossiers ne demandent pas les meilleurs ? Que je fais du travail de seconde
zone ?
Tim passe à côté de moi sans un regard et nous laisse seuls, Joshua et moi.
Seuls…
– Je vous écoute.
Bien sûr !
Je frémis, pas très sûre d’avoir bien entendu. Pourtant, il esquisse un petit
sourire, ses pupilles pétillent.
À quoi est-ce qu’il joue ? Parce qu’il joue avec mes nerfs, là ! Il enfreint une
de ses règles fondamentales, pas d’allusions à notre histoire au bureau ?! À
moins que les règles aient changé et qu’il se donne le droit de faire ce qu’il
veut ? Que les règles ne s’appliquent rien qu’à moi ?
Je me fais violence pour ne pas perdre le fil de ce que je suis venue chercher :
des réponses à mes questions. J’ignore complètement son allusion, j’essaie de
me montrer le plus indifférente possible. Et je l’interroge sur la campagne.
J’espère juste qu’il ne voit pas à quel point mes doigts serrent le bout de papier.
Joshua répond avec précision, prend le temps de la réflexion. Mais entre nous,
je ne sens plus la même distance que quand je suis en face de lui, dans son
appart. Et c’est assez déroutant parce que je ne sais pas vraiment comment me
comporter, comment être moi, simplement.
– J’ai tout ce qu’il me faut, finis-je par lui dire en me recentrant sur mes
notes.
– Parfait !
Je me lève et quitte son bureau, supportant le poids de son regard dans mon
dos. Je ne me réinstalle pas tout de suite derrière mon écran mais file plutôt
m’isoler dans les toilettes. Pour souffler et relâcher la pression. J’ai l’impression
d’avoir subi un examen de passage, un test ! Que je suis fière d’avoir relevé. Pas
une seule fois je ne me suis laissé aller à parler de ce qui se passe entre nous en
dehors du bureau. Je suis restée pro.
[Viens ce soir.
Avec ce que tu sais.]
Je file prendre une douche avant d’enfiler la nuisette en dentelle noire. Quand
je m’observe dans le miroir, encore une fois, je me sens terriblement sexy. Le
décolleté est particulièrement joli avec ce petit effet push-up. Joshua révèle ma
féminité.
Je passe une robe légère et pars, cœur battant. J’ai l’impression que mon cœur
va me lâcher. Je me laisse porter par mon corps, parce que ma tête, de son côté,
ne cesse le même flot de questions.
Est-ce que je ne devrais pas rester chez moi ? Arrêter tout vu l’état dans
lequel je suis au bureau ?
Mais Joshua n’est pas du genre à m’autoriser à arrêter. Est-ce que je suis folle
si j’aime me sentir obligée de lui dire oui ? J’ai envie de le rejoindre. Profiter de
l’instant, profiter de ce que je vis avec lui. Et ne plus penser au reste, ni aux
conséquences.
C’est dans cet état d’esprit que je sonne à sa porte, que je lui souris, toujours
aussi intimidée quand je le découvre chez lui, chemise entrouverte, beau comme
un dieu avec son regard vert qui roule sur moi comme une caresse.
Il fait un pas en arrière pour me laisser entrer. Je passe devant lui, très près de
lui. Je n’ai le temps que de faire deux pas avant qu’il ne pose une main sur ma
taille pour m’arrêter. Pas de mots échangés, juste des regards. Il m’attire contre
lui, non pas pour m’embrasser, mais pour que son doigt, sur ma poitrine, baisse
juste le tissu de ma robe pour qu’il puisse jeter un regard dessous.
Son sourire s’accentue, la pression de sa main sur ma taille aussi. Mes yeux
quittent les siens juste le temps de descendre vers ses lèvres. Il n’y a plus de
distance entre nous, ni d’ambiance glaciale. Au contraire. Il fait chaud…
Panique.
Une seconde, je pense à prendre mes jambes à mon cou et à quitter cet
appartement. Moi ? Prendre les choses en main ? Mais je ne suis pas prête pour
ça !
Est-ce que Joshua sent mon hésitation ? Est-ce que je tarde trop à réagir pour
lui ? Il m’attrape brusquement la main pour m’attirer à lui, et plaque ses lèvres
contre les miennes. Sa langue s’engouffre dans ma bouche pour venir trouver la
mienne. Je n’oppose aucune résistance, ne manifeste aucune hésitation. Son
autre main glisse sur ma cuisse, remonte ma robe, passe sur mes fesses pour les
presser sans douceur. Cette légère douleur, terriblement excitante, me fait gémir.
Derrière moi, ses mains sur ma taille, Joshua observe mon reflet. Il pousse
mes cheveux pour découvrir ma nuque et il m’embrasse. Ses doigts glissent sur
mon ventre. J’incline légèrement la tête ferme les yeux…
– Déshabille-toi…
Cette voix chaude, ces mots… Mes jambes se transforment en coton. Il est
séduit, il aime ce qu’il voit ! Je serais prête à sacrifier beaucoup de choses pour
vivre ce moment encore et encore. Ses pupilles vertes viennent de s’obscurcir. Il
a le même regard que la dernière fois, quand il était sur moi, quand il était en
moi. Joshua n’a visiblement aucune envie de quitter nos reflets. Ses mains
parcourent mon ventre, pour glisser sur mon pubis, puis sur mes cuisses. Son
étreinte est ferme, il me tient dans ses bras avec une force telle que je n’ai ni
envie de m’enfuir, ni envie qu’il me libère. Instinctivement, je me presse même
un peu plus contre lui tant il a réussi à former un cocon sécurisant autour de moi.
Je suis une fois de plus frappée par la confiance qu’il m’inspire. Avec lui, je
peux me laisser aller, me laisser guider.
Pas une seule fois, il ne me quitte des yeux alors que ses mains viennent se
placer sous les miennes. Voyant mon trouble, il commence doucement à
remonter vers mes seins.
Quand ses doigts effleurent mes tétons, mon corps réagit, indépendamment de
mon esprit. C’est Joshua qui mène la danse, ses mains guident les miennes, et
non l’inverse. Son doigt passe sur mes lèvres, descend sur ma gorge. Et je sens
soudain que je prends le contrôle. Je veux revivre ce même frémissement, voir si
ce frisson était bien réel… Je l’emmène vers mon sein et mon corps vibre à
nouveau. Je souris. Joshua a senti qu’il se passait quelque chose, et sa paume
presse un peu plus mon sein. Ce n’est plus un frisson, mais une vague complète
de décharges électriques. Je ferme les yeux et souris de plus belle. Je me suis
trouvé un point sensible… Alors, je m’enhardis. J’emmène son autre main vers
mon entrejambe et, avec une légère appréhension que je chasse aussitôt, je nous
glisse sous le tissu de ma nuisette.
Je regrette d’avoir mis un sous-vêtement. Mon tanga est une barrière dont je
me serais finalement bien passée !
Joshua me pénètre de ses doigts, joue avec mon clitoris, organe intrigant et si
mystérieux pour moi encore. Je me sens fléchir, perdre en force. Mes doigts
s’agrippent à mes mains, je tente de poser ma tête contre lui. Joshua comprend
que je suis en train de défaillir et qu’il en faut peu pour que je ne tombe dans ses
bras. Alors, brusquement, il lâche mes mains, se place devant moi et me soulève
pour me poser à quelques pas de là, sur la console de l’entrée, impatient d’aller
plus loin. Tant pis pour le confort, je préfère qu’il me prenne ici plutôt que de
risquer de perdre cette tension entre nous en allant plus loin… Même le canapé
du salon me semble trop loin. Son regard est tellement pénétrant, tellement
brûlant que j’écarte déjà un peu les jambes, oubliant qu’il n’est pas encore nu.
D’un geste rapide, il se défait de son pantalon et cette fois, sans me poser
aucune question, je l’aide à s’en libérer. J’ose même faire pareil avec son boxer,
le temps que Joshua déchire un préservatif, récupéré dans une poche.
Joshua m’embrasse les lèvres, une main dans mes cheveux avant de guider la
mienne sur son sexe. Il m’accompagne en douceur pour dérouler le latex sur son
membre. Je n’ai aucun mouvement de recul cette fois, je suis même plutôt
curieuse de le sentir vibrer entre mes doigts. J’ose le prendre dans ma main,
accentuer la pression, le souffle coupé, juste pour ressentir ce que cela provoque
chez lui… Mon désir est en éruption, incontrôlable, chaotique, ingérable. Je
gémis autant que lui quand je commence mon mouvement de va-et-vient. Ce
pouvoir de contrôler le plaisir de l’autre… Joshua m’offre un délicieux aperçu de
ce qu’il sait si bien faire.
Mais l’expérience est de courte durée, son impatience n’a pas disparu et il
m’attrape la main, pour se libérer et presse son bassin contre moi. Ses doigts
m’agrippent les fesses et il m’empale littéralement sur son sexe, les yeux dans
les yeux.
Joshua plonge alors son regard dans le mien, me mord la lèvre et frémit
brusquement, son front posé contre le mien. Tout son corps se tend, je retiens ma
respiration, jusqu’à ce que, dans un dernier mouvement de bassin, il pousse un
grognement animal, un souffle rauque qui me submerge d’émotion.
Je n’ai encore rien vu de plus beau qu’un homme jouir dans mes bras…
Il nous faut quelques instants pour retrouver un peu de calme. Joshua m’aide
à descendre, rassemble mes habits pour me les tendre. Son attitude est différente
cette fois. Il me sourit, m’enveloppe d’un regard chaud, ce regard qui vous fait
exister… Il passe la main dans ses cheveux, m’observe me rhabiller. C’est
étrange comme situation. Encore une fois, je ne sais pas s’il faut partir ou rester.
J’hésite. Mais à la fin je le suis. Nous prenons le café en silence, côte à côte,
sur la terrasse. Je comprends qu’il n’est pas toujours utile de parler… Ce
moment, je le savoure aussi, jusqu’à ce que je pose ma tasse pour quitter la
compagnie de Joshua. Sans regret. Avec juste l’impatience d’un prochain
rendez-vous.
14. Cueillie en plein vol
J’ai vécu cette journée la tête ailleurs, croisant Joshua à de rares occasions.
Est-ce que c’est ça désormais, mon quotidien ? Vivre des nuits folles et redevenir
sage le jour ? Je n’arrive pas encore à dompter mon rythme cardiaque quand je
sens Joshua se rapprocher de l’endroit où je me trouve, ni mes pensées quand je
croise le sillon de son parfum. Mais je me raccroche à la campagne et je fais
mon job.
Avec passion.
Deaken grimace. Je comprends aussitôt que ça ne s’est pas arrangé avec son
colocataire.
Il compose le numéro de son coloc et sort sur la terrasse du bar pour avoir
cette fameuse conversation qu’il reporte depuis des mois. Je croise les doigts
pour lui, je ne le connais pas depuis longtemps mais j’adore Deaken et je crois
bien que nous allons rester amis de longues années.
Nous restons quelques instants à discuter avant que Liana nous envoie un
texto pour qu’on la rejoigne au Rudolph Beer. Elle vient apparemment de
commencer son service.
***
– Hey, venez au bar, ce sera plus simple pour discuter ! nous crie-t-elle en
nous apercevant.
Ce que nous faisons. Mais à côté de nous, je reconnais Brenton qui attend sa
commande.
– Kirsten ?! Je ne savais pas que tu fréquentais ce genre de lieu, me lance-t-il,
ironique.
– Tout le monde fréquente cet endroit, si tu n’avais pas remarqué, répliqué-je
sans sourire.
– Tu caches bien ton jeu alors… C’est comme cette rumeur qui circule sur toi
au bureau !
Je n’ai pas le temps de répliquer qu’il est déjà parti rejoindre sa table. Je
tremble, j’ai des sueurs froides.
Pourquoi tout le monde a cette image de moi ? Je n’ai jamais prétendu être
une sainte !
– Oh, un collègue…
– Pas mal du tout dit donc… Tu me présentes ?
– Laisse tomber, il n’en vaut pas la peine, dis-je en secouant la tête,
totalement bouleversée.
– Laisse-moi en juger par moi-même, insiste Deaken en m’adressant un clin
d’œil.
– Je ne supporte pas ce mec, rien que de l’entendre parler, je ne…
– Ça tombe bien, parler n’est pas ma priorité.
J’abdique. Quand Brenton revient une heure plus tard pour commander une
autre tournée, je les présente, complètement indifférente. Je crains que Brenton
ne fasse une autre allusion à Joshua…
Je ne peux pas être au cœur d’une nouvelle rumeur, pas ici à New York ! Je ne
tiens pas à ce que tout recommence…
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. J’ai revécu chacune de nos rencontres ici
comme au bureau. Pas un instant je n’ai eu l’impression de faire un faux pas. Je
n’arrive pas à comprendre l’origine de cette rumeur, si rumeur il y a vraiment, et
c’est le cœur lourd que je passe la porte de l’agence ce matin. J’ai l’impression
que l’hôtesse d’accueil m’observe, que mes collègues me suivent du regard.
Mais je me fais des idées. Tout le monde est occupé dans son coin et je ne suis
pas le centre de l’attention.
Quand je vois que plusieurs stagiaires sont réunis autour de la machine à café,
je suis tentée de faire demi-tour. Mais je m’y refuse. Je me fais violence pour
affronter tout le monde.
– Kirsten ! Alors pas trop mal à la tête ce matin ? fait la voix amusée de
Brenton, que je n’avais pas vu jusqu’à présent.
– Je peux te demander la même chose, me contenté-je de répondre en me
concentrant sur la machine.
– On s’est rencontrés hier dans un bar, explique-t-il à sa cour. Elle m’a
présenté un mec, comment il s’appelait celui-là ? Deaken ! J’ai cru qu’il allait
me sauter dessus ! Tu devrais penser à sortir avec de vrais hommes Kirsten !
Sauf si tu fais partie de la même communauté…
Je ne réponds rien, attendant que mon café termine de couler dans le gobelet.
J’entends des rires étouffés.
Alors c’est vrai… La rumeur sur Joshua et moi circule bien ici…
– Vous n’avez pas de dossiers sur lesquels travailler ? fait une voix cinglante
derrière nous.
Joshua.
La réunion met nos nerfs à rudes épreuves. Même Brenton parade moins.
Abigail fait le point sur nos avancées de ces derniers jours, sur les questions qui
se posent au fil de notre progression. Je lui suis reconnaissante de prendre en
main cette réunion, nous empêchant ainsi d’intervenir. Pas une seule fois Joshua
ne se déride. Il n’a même pas un regard vers moi. Il écoute attentivement,
pianote sur son téléphone et donne ses directives avant de nous libérer.
Les toilettes sont le seul refuge un peu calme que je trouve. Est-ce que ce
message va sonner la fin de tout ? Je me fais violence pour l’ouvrir… L’angoisse
me vrille le ventre.
Me protéger…
Les doigts tremblants, je pianote une réponse sur mon téléphone. Je n’ai peut-
être pas besoin de lui dire, mais j’y tiens. Je veux qu’il sache que je n’ai jamais
parlé à personne. Ni ici, ni ailleurs.
– J’espère que ce qu’on raconte sur toi ne sont que des rumeurs ! Que tu n’es
pas ce genre de fille qui couche pour obtenir des faveurs !
– Non, Abigail ! Je ne ferais jamais ça ! m’exclamé-je, choquée par cette
accusation.
Car même si c’est vrai que je couche avec Joshua, ce n’est absolument pas
pour obtenir une promotion canapé !
– Très bien ! C’est tout ce que je veux savoir ! Je ne te voyais pas non plus
séduire un de tes chefs pour améliorer ton quotidien ici. C’est typiquement le
genre de comportement que je déteste !
Je me sens mal de lui mentir, mais je n’ai pas le choix. Même s’il y a une part
de vérité dans ce que je lui ai dit : jamais je ne coucherais pour obtenir des
avantages au travail. Je ne connaissais pas Joshua avant de craquer pour lui !
Et puis je vais lui dire qu’on arrête tout : c’est trop dangereux de se voir. Je
mets du cœur à l’ouvrage, j’essaie d’agir naturellement, de me montrer au-
dessus de ces bruits. De ne pas faire le jeu de celui ou celle qui en est à l’origine.
Je ne veux pas être abattue. Je veux passer au travers sans trop de dommages. Ni
pour Joshua, ni pour mon job.
En fin d’après-midi, alors que nous commençons tous à lever un peu le pied
en prévision de notre départ, l’open space s’anime. Joshua est parti ce midi, Tim
est en salle de réunion. L’ambiance est plus détendue et les allées et venues entre
les bureaux plus nombreuses.
Il ne lui faut pas deux minutes pour revenir vers moi, sourire aux lèvres.
– Pardon, Kirsten, j’ai été un peu brusque ce matin avec toi ! Je suis désolée
d’avoir douté de ton intégrité, mais les histoires avec les stagiaires…
– Ce n’est… rien, lui réponds-je sans comprendre ce changement d’attitude
soudain.
Je fais mine de me lever pour me servir un verre d’eau et j’en profite pour
jeter un œil à l’écran. Si je voulais me montrer discrète, c’est raté. Je me fige
devant les photos de Joshua. Je fais un pas pour lire le titre d’un article publié
sur un site People :
Je n’en lis pas plus, les photos parlent d’elles-mêmes. C’est bien lui, je le
reconnais, au bras de la plus jolie femme du monde. Au restaurant, sur un
bateau, dans une voiture… Les clichés, volés, ont été pris à différents endroits,
sûrement à des dates différentes vu les vêtements… Ce n’est pas le pire…
Est-ce que c’est sa méthode pour me protéger ? Sortir les photos de sa relation
avec cette fille ? Prouver à tout le monde qu’il vit une vraie aventure depuis des
jours, voire des semaines ? Accepter qu’elles soient publiées ?
J’avais oublié qu’il était un client de l’agence… Il a bien choisi son jour pour
venir ici !
Je prends sur moi, colle un sourire sur mon visage et me dirige vers lui.
Impossible de l’ignorer, Tim m’a montrée du doigt…
Ross et Tim échangent un regard complaisant. Qui a envie de voir ses parents
débarquer à l’improviste ?
Quand je rentre chez moi, je file directement dans mon lit pour retrouver
l’article.
Est-ce qu’en plus de coucher avec mon boss, je me suis aussi immiscée dans
sa vie de couple ?!
J’ai foncé tête baissée dans cette relation sans penser que ça pouvait aussi me
faire du mal !
– Kirsten !
– Vous avez une petite tête, relève-t-il en fronçant des sourcils. Quelque chose
ne va pas ?
– Si, si… Sans doute la fatigue. Rien de grave. Bonsoir !
– Attendez, je ne peux pas vous laisser partir comme ça ! Je ne voudrais pas
que Ross nous accuse de vous malmener ! Venez boire un verre avec moi pour
discuter. En tout bien tout honneur, bien sûr.
– Je suis vraiment fatiguée, je n’ai pas…
C’est tout juste s’il ne me prend pas le bras pour que je le suive. Je me sens
prise au piège, il ne m’a pas laissé le choix et je le suis jusqu’au café du coin où
nous nous installons en terrasse. Il se commande rapidement un gin et j’opte
pour un soda. Plus raisonnable.
Ce serait passer pour une petite arriviste prête à tout pour réussir.
Génial !
– J’ai entendu les rumeurs, vous savez, commence Tim en me regardant droit
dans les yeux. Je ne cautionne pas ça, tous ces gens qui racontent n’importe quoi
sur votre dos. Vous avez l’air assez sérieuse. Je suis sûr que celui ou celle qui a
fait ça doit être jaloux…
– Je n’y prête pas vraiment attention, me contenté-je de lui répondre, soulagée
qu’il ne me sermonne pas sur le sujet et ne m’en tienne pas rigueur.
– C’est peut-être quelqu’un qui considère que vous lui avez pris sa place.
Depuis ce matin, je m’interroge sur la façon de vous préserver de ça…
– Eh bien, restez travailler avec Joshua, puisque vous y tenez tant ! s’agace-t-
il. Vous finirez par découvrir sa vraie nature, son ambition démesurée, la façon
avec laquelle il maîtrise les autres. Je voulais vous protéger de ça, mais allez-y !
Il va trop exiger de vous, vous sortirez de cette campagne dégoûtée par le
métier ! Joshua a passé son temps à me marcher dessus, je sais de quoi je parle,
nous avons fait toutes nos années d’études ensemble ! Personne ne le voit,
personne ne le connaît aussi bien que moi. Je vous aurai prévenue !
Plus il vomit ses mots, plus je suis surprise de le voir se décharger autant. Moi
qui les pensais amis… Et il dépeint un portrait… méconnaissable.
– Joshua n’est pas comme ça… Il est attentif et patient ! lâché-je pour le
défendre.
– Ah oui ? Vous avez l’air de bien le connaître… relève Tim en plissant des
yeux.
Un profond silence s’installe entre nous. Est-ce qu’il va se mettre à avoir des
doutes ? À nous surveiller ? À observer mes moindres faits et gestes ? Bien que
je doute qu’il se passe encore quelque chose entre Joshua et moi… Mais Tim sur
mon dos, tout le temps ? Une pression supplémentaire sur mes épaules ?
Non !
Alors je dois faire l’effort de paraître détachée par rapport à cette histoire,
montrer que ça ne me touche pas.
Il croit quoi ? Que je vais lui répondre : oui bien sûr je viendrais avec Joshua
et vous ?
***
Est-ce que mon histoire avec Joshua vaut la peine de les perdre ? J’ai promis
de ne rien dire mais j’ai totalement confiance en eux…
Je leur explique ma rencontre avec Joshua, puis la découverte qu’il était mon
boss, nos rendez-vous sans trop entrer dans les détails, par pudeur et sans
évoquer les règles établies.
– Le voisin du dernier étage ?! s’exclame Liana. C’est vrai qu’il est plutôt pas
mal… Pour un premier, tu n’as pas mal choisi !
– Et du coup, vous vous ignorez au bureau et vous vous retrouvez chez lui ?
J’adore ! surenchérit Deaken.
– Oui… mais… On ne se voit pas si souvent, c’est… Comme ça… Et puis, je
ne sais pas si on va continuer longtemps. En plus, on commence à parler sur
notre dos. On va arrêter, ce n’était pas une bonne idée.
– Alors là, Kirsten, tu aurais quand même pu nous en parler, sourit Liana.
C’est dingue, cette histoire ! J’imagine vos deux têtes quand vous avez
découvert que vous bossiez ensemble !
– Et c’est dommage que ça se termine, ajoute Deaken… Ça doit être tellement
excitant de voir son amant toute la journée sans pouvoir le toucher !
Si tu savais…
– Désolée de ne vous avoir rien dit, m’excusé-je. Mais tout a été si rapide,
j’avoue que ça m’a un peu dépassée.
– Et ces rumeurs ? C’est grave ? m’interroge Liana avec sérieux. Ça te
rappelle de mauvais souvenirs ? Tu tiens le coup ?
– Quels souvenirs ? me demande Deaken.
J’hésite un instant puis décide de tout lui raconter. C’est la personne la plus
ouverte d’esprit que je connaisse, il ne m’accusera pas de l’avoir cherché, enfin
j’espère. Sous ses yeux écarquillés, je lui résume mes années de fac.
La soirée se termine sur une meilleure note. Je n’échappe pas aux questions, à
leur envie de tout savoir, mais Deaken calme l’enthousiasme de Liana en lui
rappelant qu’il est là.
– Vous parlerez de virginité, petite fleur et compagnie quand vous serez seules
toutes les deux, épargnez-moi ça !
J’ai bien fait d’écouter Liana pour mes vêtements. J’étais prête à partir dans
une tenue simple quand elle m’a arrêtée pour me demander où se tenait la soirée
et par qui elle était organisée. Avec toutes les informations en tête, elle m’a
traînée dans sa chambre et tendu une robe de cocktail, bordeaux, près du corps,
un décolleté vertigineux dans le dos. Elle a rassemblé mes cheveux dans un
chignon soigné, prêté des boucles d’oreilles tombantes, maquillée légèrement et
m’a regardée des pieds à la tête, satisfaite du résultat.
– Ce n’est pas une soirée bières pizzas entre collègues, Kirsten, m’avait-elle
dit alors que je commençais à riposter. Tu sors dans un des coins les plus classes
de la ville, le carton d’invitation est imprimé avec des lettres en relief doré !
C’est le signe que c’est une soirée classe. Et dans ces cas-là, on s’habille !
J’attrape une coupe de champagne et cherche une tête connue. Là-haut, sur la
terrasse, j’aperçois Tim en pleine discussion, une femme à ses côtés. La sienne
sans doute. J’essaie de m’éclipser mais trop tard, nos yeux se sont croisés et je le
vois aussitôt descendre rapidement les marches qui nous séparent.
– Je vais vous présenter à certains de nos clients importants. Vous serez peut-
être amenée à travailler avec eux un jour !
C’est ce que j’espère recevoir en voyant Joshua au loin, lui aussi en pleine
discussion. Mais il est tourné vers nous et il ne rate rien du spectacle que donne
son associé.
Je me retourne et me fige. La femme de Tim est là, devant moi, et ses yeux
clairs transpercent les miens. Il n’y a pas d’animosité dans son regard, mais une
profonde tristesse.
– Il fallait bien que ça arrive un jour, murmure-t-elle comme si elle se parlait à
elle-même. Vous êtes la maîtresse de mon mari ? Vous pouvez me l’avouer, je ne
suis pas du genre à faire une scène vous savez. Mais je veux entendre la vérité.
– Cette soirée est très réussie. Merci de nous accueillir aussi nombreux ! la
félicite-t-il en lui tendant une coupe de champagne.
Mais nos airs gênés, à elle comme à moi, ne lui échappent pas.
Une femme qui m’a prise pour la maîtresse de son mari à ma droite, un amant
perdu à ma gauche, il ne manquerait plus que Tim pour parfaire cette soirée !
– Annie, tu devrais surveiller Tim, je crois qu’il a un peu trop forcé sur
l’alcool ce soir, lui confie doucement Joshua.
– Je vais m’en occuper, sourit-elle. Tu le connais, il prend un verre avec tout
le monde et il ne sait plus qui il est en fin de soirée.
Joshua s’approche de moi, nos bras se frôlent. Je recule pour mettre une
distance raisonnable entre nous. Un geste qu’il comprend aussitôt.
– Ne t’inquiète pas, on peut discuter librement. Les rumeurs sur nous sont de
l’histoire ancienne maintenant.
Non !
Je reste sans voix. Il me faut un peu de temps pour percuter que Joshua est
libre et qu’en plus, il me désire toujours. Et qu’il me le dit, droit dans les yeux, à
quelques mètres des autres invités.
Mon cerveau s’active à mille à l’heure pour intégrer toutes ces données, pour
réveiller ce que j’avais déjà commencé à enfouir. Mon corps, lui, n’a pas besoin
d’autant de temps, surtout quand Joshua s’approche un peu plus près de moi et
pose sa main dans mon dos nu.
Et il me laisse.
Lui tranquille et serein alors que moi, je tremble légèrement.
J’espère qu’un autre couple n’aura pas eu la même idée que nous…
J’entre en prenant soin d’enlever mes talons. Tout est sombre ici. Un instant,
je doute que Joshua soit vraiment là tant tout est silencieux. Peut-être a-t-il été
retenu sur le chemin ? Rattrapé au vol par un client ?
Je suis prête à l’attendre s’il le faut… Mon corps serait incapable de me porter
hors d’ici, tant il n’attend que cette rencontre.
Une ombre jaillit soudain et s’abat sur moi. Je n’ai pas le temps de réagir que
les lèvres de Joshua se pressent contre moi. Le temps est compté, il ne peut pas
s’absenter très longtemps, et ici, à quelques mètres de la maison, la cachette
n’est pas des plus idéales. De la fenêtre, je vois au loin les invités…
S’ils savaient…
Si je n’avais pas ma robe, j’aimerais que sa bouche vienne s’écraser sur mes
seins, qu’il me morde les tétons ! Ce fantasme me pousse à aller encore plus vite,
plus loin aussi, à tel point que Joshua m’oblige à ralentir ma cadence.
Impossible. L’excitation est telle que l’orgasme me prend en premier et que je
m’effondre sur Joshua.
Joshua se redresse et, une fois debout, il me retourne… Alors que je proteste
de le voir s’éloigner, il me pousse légèrement en avant et… Je prends appui sur
le dossier du canapé, goûte à cette position inédite pour moi et je dois étouffer
mes cris quand il s’enfonce à nouveau en moi. Son rythme est rapide, ses mains
couvrent mes seins, se glissent sous ma robe toujours relevée à la taille pour
jouer avec les pointes tendues.
Ce soir, je ne sais pas ce qui m’arrive, mais toutes mes sensations sont
décuplées. J’en veux encore plus alors que j’en aurai moins que d’habitude. Le
plaisir que je ressens est complètement disproportionné ! Est-ce l’urgence, le
danger d’être découverts, le manque qui me transcendent totalement ? Derrière
moi, le souffle de Joshua devient rauque et je comprends, quand ses mains se
crispent sur ma taille, qu’il vient de jouir lui aussi.
– Ne mets jamais cette robe au bureau… À moins que tu ne veuilles toi aussi
jouer avec le feu et que ça ne se termine dans un placard …
– Vous sortez d’où tous les deux ? fait la voix alcoolisée de Tim. Je te
cherchais partout Josh. C’est pas bien de délaisser ses clients, tu le sais !
Je sens Joshua se crisper à mes côtés, son visage se fermer. Tim s’approche de
nous en titubant. Il fait peine à voir, vraiment.
– Dis donc, cette histoire avec Alya, tu ne m’en as jamais parlé, ajoute-t-il en
pointant son doigt sous le nez de Joshua. C’est pas la fille de tes amis ?
– Tu as trop bu, Tim, je vais te monter dans ta chambre. Tu ne peux plus
croiser personne dans cet état ! rétorque mon chef en l’attrapant par le bras.
– Laisse-moi… Je suis en parfait état de… Je vois bien votre petit jeu tous les
deux… Kirsten… Après notre verre, je croyais que vous étiez sincère, mais là…
Est-ce que c’est l’adrénaline qui coule encore dans mes veines ? Cette
assurance nouvelle dont il me reste encore un peu de souffle ? Ou la peur que
Joshua croie que quelque chose se joue entre Tim et moi ? J’explose :
Tim s’apprête à riposter quand il est retenu fermement pas son ami.
Il titube, mais nous laisse, non sans me jeter un regard noir. Il doit lui rester
encore une once de raison parce qu’il ne cherche pas à retourner dans les
salons… Mon cœur bat très fort, je ne regrette pas mes mots, mais j’ai peur de
leurs conséquences. J’ai tenu tête à Tim pour la deuxième fois.
Je ne ressens chez Joshua ni colère ni déception. Il est encore une fois dans le
contrôle et ses traits ne laissent rien transparaître.
J’entends dans mon dos une voiture arriver, puis ralentir. Le genre de chose
qui met mal à l’aise, surtout quand on est une femme seule dans une rue déserte.
Je tourne la tête, soulagée par cette voix familière et vois Joshua m’ouvrir la
porte de son SUV. Me retrouver de nouveau seule avec lui, c’est la promesse de
continuer ce que nous avons commencé, dans la maison d’amis…
Dans la seconde qui suit, je suis assise à ses côtés, dans l’obscurité du
véhicule.
– Ne t’inquiète pas pour Tim, me dit soudain Joshua, le regard fixé sur la
route. Il n’est pas méchant et ce n’est pas son genre de se mettre dans cet état.
Quelque chose ne va pas, je n’ai pas pris le temps de beaucoup discuter avec lui
ces dernières semaines… Je le ferai, avant qu’il ne te mette plus mal à l’aise que
ce soir.
– Si c’est possible…
Dur de me résister ? Mais… C’est moi qui ne résiste jamais, qui suis
complètement à sa merci. Lui, il se contrôle toujours ! Enfin, il a l’air…
À moins que je ne me fasse des idées et que ce soit un autre aspect de son jeu
avec moi !
18. Sentiments troubles
Une semaine a passé et la soirée a laissé des traces entre Joshua et Tim.
Beaucoup se moquent de l’attitude très alcoolisée de Tim, parlent du froid qui
règne entre les deux hommes. Je ne serais pas surprise qu’une mise au point ait
eu lieu entre eux aussi après tout ce que j’ai pu lui dire.
Au moins, on ne parle plus des rumeurs à mon sujet… Mais Tim a cessé
d’être aimable et souriant avec moi. Est-ce qu’il se souvient de la façon dont je
lui ai tenu tête ? Aucune idée. Mais à chaque fois que nous nous croisons, il reste
professionnel et me demande uniquement un rapport de notre avancée sur la
campagne.
Pour moi aussi, il y a un avant et un après cette soirée. Ce soir-là, j’ai senti
comme une libération, dans mes gestes, comme un lâcher-prise complet. Sans
interrogations, sans crainte.
Je replonge dans mes échanges avec les anciens étudiants pour une ultime
vérification, histoire de n’oublier personne. J’ouvre mes mails et je reste soudain
bloquée sur l’un d’entre eux. Je relis, pour être sûre de bien comprendre.
Eunice.
Je lève la tête pour le signaler à Abigail, qui balaie ce message avec une
parfaite indifférence.
Je rentre chez moi ce soir-là avec un seul objectif : profiter d’un peu de
tranquillité, d’une soirée normale, sans trop penser à Joshua, ni à ses mains,
encore moins à son sexe, encore moins à comment il sait si bien me faire jouir…
Rien de tout ça !
Je suis contente que Liana ne se soit pas découragée, même si je suis soulagée
qu’elle débarrasse le salon ! Ses premières créations ne me paraissaient pas très
réussies mais ma cousine s’est nettement améliorée depuis.
Je l’aide à emballer délicatement ces amas de terre cuite pour leur prochaine
vie. Notre appart reprend doucement son allure et je ne vais pas m’en plaindre !
On pourra enfin circuler librement, profiter du grand canapé…
– Mais je sens déjà monter la frustration en moi, ajoute-t-elle une fois que tout
est terminé. Je sens l’oppression, là dans ma poitrine.
– Tu veux qu’on ressorte tout ça ?!
J’espère que non… Mais j’ai l’impression que je dois m’attendre à tout, avec
Liana…
Liana saute sur place et fait voler ses cheveux blonds autour de son visage.
Nous sommes vendredi soir et Liana vient d’être frappée d’une nouvelle
lubie. D’habitude, on sort prendre un verre pour fêter le week-end, pas faire les
magasins !
Bingo !
Dix minutes plus tard, nous sortons du métro pour le retrouver dehors, sur le
trottoir.
– J’espère que c’était vraiment urgent, parce que tu viens de frustrer ma fibre
créative !
– Elle se lance dans quoi, cette fois ? me demande Deaken en se tournant vers
moi.
– La peinture…
– Outch… Si tu veux venir habiter à la maison, Kiki, n’hésite pas !
– Moquez-vous ! Alors c’est quoi ce truc que tu voulais nous montrer ?
– Tadam !
Deaken saute littéralement devant les vitrines d’un magasin fermé, bras
grands ouverts. Liana et moi échangeons un regard surpris, et notre ami soupire
devant notre manque de réaction.
Liana pose ses deux mains sur la vitre pour voir à l’intérieur.
Nous nous tombons dans les bras, tous les trois, en plein milieu du trottoir,
empêchant la bonne circulation des piétons. J’ai vraiment envie de l’aider à
réaliser son rêve !
Je lui décoche un coup de coude dans les côtes et, bras dessus, bras dessous,
j’entraîne mes amis avec la ferme intention de fêter ça autour d’un verre. Ce
vendredi soir sera festif !
Alors que notre soirée improvisée bat son plein, je reçois un message.
[Rendez-vous demain, 10 h.
Un taxi passera te prendre. J]
Le mystère de Joshua fait naître une boule d’anxiété dans mon ventre, mais
pas seulement. Puisqu’à chaque fois que nous nous voyons, le désir est au
rendez-vous. D’ailleurs, je le sens déjà poindre… C’est plus fort que moi.
Mes amis surprennent mon petit sourire et en moins d’une seconde, je suis le
centre de leur attention.
OK, avec ces deux-là, je n’ai rien à espérer. Aucun ne me sauvera de l’autre.
***
Il y a quelque chose de plus que d’habitude. Chez moi en tout cas. Un petit
pincement au cœur que je balaie rapidement.
– Où allons-nous ?
– Tu verras. Tu me fais confiance ?
Joshua me tend la main pour m’aider à grimper. Une main que j’attrape, sans
aucune hésitation.
Une fois que nous sommes installés et équipés de nos casques, le pilote nous
emporte loin du sol. Je suis incapable de contenir mon enthousiasme, j’ai le nez
collé à la fenêtre quand New York s’offre à nous. Et quand on approche de la
statue de la Liberté, que la vue devient imprenable, je suis obligée de me serrer
un peu contre Joshua pour regarder de son côté. Une proximité que je ne calcule
pas, elle est complètement spontanée. J’adore ce que je vois, ce sentiment de
voler, cette liberté… Je partage ma joie dans le micro et je vois bien que Joshua
est amusé.
– Tu te moques de moi ?
– Pas du tout ! s’exclame-t-il. Ça fait du bien de voir quelqu’un de passionné !
Moins dangereux
Joshua tourne son regard vers l’horizon, son petit sourire en coin toujours sur
les lèvres. Je retiens mes questions, décidant de me laisser porter, de profiter un
maximum de ce vol et de la présence de Joshua. De ce cadeau qu’il me fait, tout
simplement…
Une demi-heure plus tard, nous survolons les plages des Hamptons, l’océan.
Et nous nous posons sur une large pelouse, derrière une maison.
Je ne m’étais peut-être pas bien rendu compte du gouffre qu’il y avait entre
nous. Joshua est vraiment riche. Qu’est-ce qu’il peut bien faire avec moi ?
Joshua a gardé ma main, un détail que je relève non sans frissonner. Je suis en
train de rêver. Cette journée me paraît tellement irréelle ! Quand j’aperçois une
table, déjà dressée sur la terrasse en bois qui donne directement sur l’océan, je
marque un temps d’arrêt.
Joshua me lâche la main et attrape deux verres de vin pour m’en tendre un.
Son visage est devenu plus grave.
Il revient vers moi pour faire tinter son verre contre le mien. Quand il le porte
à ses lèvres, il ne me quitte pas des yeux, attendant sans doute une réaction de
ma part.
Forces… Plaisir…
Je m’assieds avec soulagement tant mes jambes sont en coton. Les paroles de
Joshua sont lourdes de sous-entendus et le déroulement de la journée qui se
profile m’électrise. Sous les cloches, une belle assiette finement dressée nous
attend.
J’observe ses traits, calmes et détendus. C’est vrai qu’il a l’air apaisé, comme
s’il ne portait plus sur lui le poids de ses responsabilités à l’agence. Qu’il laissait
de côté son costume de meneur et de commandant, pour respirer un peu. Je
ferme les yeux à mon tour pour m’imprégner de cette ambiance, respirer l’air
iodé qui nous parvient et tenter comme lui de faire le vide.
C’est peut-être facile pour lui, mais je n’arrive pas à me laisser aller. Ma
présence ici m’interpelle toujours. Je suis ravie et anxieuse à la fois, parce que je
ne sais pas ce qu’il attend véritablement de moi. Une douce compagnie ? Ou
partager avec moi une chose importante de sa vie…
Enfin, je crois…
– Je voulais te remercier pour ce que tu as fait, l’autre soir, avec Tim. J’ai été
très surpris que tu prennes aussi volontairement ma défense, finit-il par me dire
sans me quitter des yeux. Tu as pris des risques, c’était assez courageux de ta
part. Ton intervention m’a impressionné.
– Je… C’est vrai que j’ai eu peur d’être allée trop loin avec lui, mais… Je n’ai
pas compris son plaisir à te dénigrer alors que… qu’il a tort ! Je ne te trouve ni
arrogant ni méprisant, rien de ce qu’il a pu me dire ne me semblait vrai !
– Ah oui ? Et comment est-ce que tu me trouves Kirsten ?
Son regard se fait plus intense. Joshua a posé sa tête sur sa main et attend ma
réponse.
Il souhaite que je m’ouvre à lui ? Que je lui dévoile ce que je ressens ? Que je
me mette à nu ?!
– Avec moi… répété-je sans oser croiser ses yeux. Je… Je ne sais pas
vraiment… Enfin si, mais…
– Mais ?
– Que faisais-tu avant de venir ici, Kirsten ? Des amis, un petit ami dans le
Minnesota ? Pourquoi être partie si loin ? Je crois savoir qu’il y a de très bonnes
agences à Minneapolis.
– Pas vraiment d’amis, encore moins de petit ami, souris-je. J’ai fait mes
études avec trois ans d’avance, j’avais 15 ans quand je suis entrée à l’université,
alors autant dire que mes camarades de promo n’allaient pas s’intéresser à moi !
Et c’est normal ! Alors, comme je n’avais pas d’attaches, à part ma famille, j’ai
décidé d’aller voir ailleurs…
Oh…
Sauf que mon capitaine en a décidé autrement puisqu’il finit par couper le
moteur, et notre embarcation s’immobilise doucement. Autour de nous, l’océan,
à perte de vue. Nous sommes seuls au monde, bercés par la houle et c’est la
première fois que nous nous embrassons en plein jour. Si je commence déjà à
perdre la tête dans ses bras et si mon corps a décidé une fois de plus de lui
appartenir et de ne plus répondre qu’à ses caresses et aux ondes torrides que
dégage son corps à lui, Joshua, de son côté, maîtrise tout, une fois de plus.
Moi, le bateau, l’ancre qu’il jette, la sécurité. Il ne laisse rien au hasard avant
de m’entraîner dans la cale, sous le pont. La cabine est étroite, idéale pour que
nos corps ne se quittent pas une seule seconde.
– Laisse ton corps prendre le rythme des vagues. Ferme les yeux, ne pense
plus qu’à ça, me murmure-t-il en défaisant les boutons de mon jean.
Je m’exécute alors qu’il glisse sa main dans ma culotte déjà humide, que ses
doigts viennent me titiller, me forçant à m’agripper à lui alors que mes jambes se
dérobent presque. Et quand son doigt me pénètre, qu’il titille mon clitoris, je
gémis, rejetant la tête en arrière.
– Je vais… Je vais…
En me pénétrant.
Le sexe n’a pas à être brusque ou rapide, il peut être aussi calme et contrôlé…
Joshua me suit rapidement et après quelques instants, pose sa tête contre mon
ventre. Avant de plonger son regard dans le mien.
Il n’y a pas que le bateau que j’adore, il y a tout, les Hamptons, et surtout le
fait d’être loin de tout, juste avec lui.
Notre escapade ne perd pas en intensité quand nous retrouvons la terre ferme.
Une promenade sur la plage, une pause au soleil sur la terrasse de la maison,
nous discutons de tout et de rien de façon très naturelle. Il écoute plus qu’il se
livre, j’évite les sujets sensibles. Je ne regarde pas non plus le soleil qui décline,
signe que cette douce journée est en train de s’achever.
– Merci, lui glissé-je en admirant le coucher de soleil. Cette journée m’a fait
du bien.
– Que dirais-tu de rester ? me demande Joshua le plus sérieusement du
monde.
– Rester ? Cette nuit, mais je… n’ai rien pris avec moi…
– Il y a un sac dans la chambre d’amis. Tu devrais trouver ce dont tu as
besoin.
Comme s’il avait l’habitude, comme s’il emmenait toutes ses conquêtes ici…
Que je ne suis pas unique, que je ne suis peut-être qu’une parmi les autres.
Je m’en veux de penser ça. Cette relation est exactement comme Joshua a
annoncé qu’elle serait : pas de sentiments, juste du sexe. À prendre ou à laisser.
Est-ce que j’ai soudain des doutes ? Est-ce je veux tout arrêter ?
Non.
Le lendemain, après une courte nuit, Joshua me laisse pour faire son footing
sur la plage. J’en profite pour faire le tour de la maison et essayer d’en savoir
plus sur lui. Mais je ne trouve rien de très personnel dans cette maison. C’est une
résidence secondaire, à la décoration très masculine. Pas de photos aux murs,
quelques beaux livres de photographie, du designer new-yorkais Neil Caine, des
biographies de grands publicistes comme Bill Bernbach, une référence. Mais
rien, absolument rien, qui ne m’en apprenne plus sur lui, sur la famille qu’il
pourrait avoir, des amis…
Rien sur quoi mon esprit et mes sentiments pourraient s’accrocher. Et c’est
certainement mieux comme ça.
L’eau chaude coule sur nos corps, Nous sommes nus dans ce large espace, nos
lèvres sont scellées et nos doigts entrelacés. Je sens le sexe dur de Joshua sur
mon ventre, je sens la pression qu’il exerce et j’ai beaucoup de mal à ne pas
soulever ma jambe pour le laisser me pénétrer. Je brûle d’envie qu’il me
possède, sans préservatif, juste lui mais…
Une de ses mains lâche la mienne, glisse sur mon sein, joue avec mon téton
alors qu’il me mord les lèvres… Puis elle descend sur mon ventre et vient
s’arrêter sur mon sexe et se fraie un chemin entre mes jambes.
Ses doigts sont en moi mais pas pour longtemps. Joshua me quitte
brusquement pour se mettre à genoux devant moi et, cette fois, c’est sa langue
qui glisse en moi. Avec insistance, il me dévore. Avec quelle maîtrise arrive-t-il à
rendre cet organe aussi dur et puissant que l’est son membre viril ?
Mes doigts se glissent dans ses cheveux humides, mais quand l’orgasme
survient violemment, c’est à la barre de douche que je m’agrippe pour ne pas
flancher et risquer de tomber sur lui…
***
Et dans cette voiture qui nous ramène, c’est encore autre chose. La distance
s’est de nouveau installée entre nous, comme si New York nous imposait de nous
tenir à distance l’un de l’autre.
Je ne sais pas si c’est le manque de sommeil, l’envie de rester encore avec lui,
ce besoin de le sentir contre moi, complètement à moi, concentré sur moi, mais
je n’arrive pas à reprendre le contrôle. Je devrais accepter cette situation. Nous
avons passé un très bon week-end, retour à la réalité. Point.
Détachée.
Je lui explique brièvement les raisons pour lesquelles j’ai besoin d’un petit
revenu complémentaire : payer le loyer, me permettre des extras et si possible
aider financièrement Deaken. Parler de ce dernier, retrouver mes amis, compense
la séparation qui se profile à l’horizon. Le retour à la normale. Le retour à cette
vie où Joshua est insaisissable.
– Je n’aime pas cette idée, me lâche-t-il froidement. J’ai peur que tu perdes en
efficacité et que tu ne tiennes pas le rythme. Et ton ami ne peut pas se débrouiller
autrement ?
Joshua m’aura plus souvent sous la main pour assouvir ses désirs. Et les
miens par la même occasion…
Nous finissons par rentrer. Une distance naturelle s’impose une fois que nous
sortons de sa voiture. Notre parenthèse est officiellement refermée. Et elle me
laisse particulièrement songeuse.
Ce matin, un nom attire mon regard dans tous les messages que nous avons
reçus.
Mais qui est-elle pour juger notre travail ?! Et de quels dossiers dérangeants
parle-t-elle ? Je serais une langue de vipère, je me dirais que Brenton a fait des
siennes sur son campus, mais il a beau être méprisant, je ne le vois pas s’abaisser
à ça. Trop risqué pour son image !
Nous avons passé du temps sur cette campagne et les témoignages sont
vraiment poignants. Mes douze heures par jour que je donne à soigner cette
campagne ne ressemblent pas à de la fumisterie, il me semble ! Je ne devrais pas
me sentir touchée à ce point mais le ton de ces messages et leur caractère gratuit
m’énervent.
Tim sort rapidement du bureau sans finir sa phrase et passe devant Abigail et
moi en nous bousculant presque.
– Celui-là, alors ! je ne sais pas quelle mouche l’a piqué mais il est
insupportable, murmure ma collègue en levant les yeux au ciel.
Quand je signe mon contrat, j’ose demander une avance sur mon salaire à
l’assistante. Si la RH tique un peu, elle est en revanche surprise quand je lui
annonce que je souhaite commencer le jour même. La salle d’archive devient
mon nouvel abri passé dix-huit heures. Je prends le rythme, rentre tard le soir
mais je ne perds jamais vraiment ma motivation : je pense à l’indépendance
financière que je vais pouvoir prendre par rapport à mes parents et au projet de
Deaken. Le soir, parfois, je vois de la lumière dans le bureau de Joshua. L’idée
de le retrouver me traverse l’esprit, mais je me reprends vite. Il a un boulot
monstrueux en ce moment. Et je m’en tiens à nos habitudes.
Mais en ce vendredi soir, je n’attends qu’une chose : renter chez moi pour
aller me coucher et dormir au moins jusqu’à demain midi !
– Abigail s’inquiète pour ton état de fatigue, fait une voix derrière moi alors
que je m’active dans mon cagibi. Tu n’en fais pas trop ?
– Le week-end est dans quelques heures, ça ira mieux lundi. Je dois déposer
ces papiers dans ton bureau, je peux ?
– Oui, vas-y, dit-il en s’écartant pour me laisser passer.
Je suis lasse, tellement lasse, que je ne m’attarde pas sur sa présence derrière
moi ou notre solitude. Une première !
– Attends, me retient Joshua alors que je vais pour sortir de son bureau.
Assieds-toi. Tu as aussi le droit de prendre des pauses.
– J’ai surtout très envie de finir vite pour rentrer, dis-je en obtempérant
malgré tout.
Joshua pose ses mains sur ma nuque et commence à me masser les épaules.
Une fois passée la surprise de cette nouvelle attention, la première depuis les
Hamptons, je sens les tensions me quitter. Je ferme les yeux, détends mes
muscles…
– Je savais qu’il se passait quelque chose entre vous ! nous lance-t-il en nous
regardant tous les deux, un mauvais sourire sur les lèvres.
– Qu’est-ce que tu racontes encore, Tim… soupire Joshua, toujours
impeccable de contrôle.
– Tu crois que je n’ai pas vu que Kirsten restait tous les soirs plus tard ?!
Arrêtez de me prendre pour un idiot ! Je sais qu’il y a quelque chose entre vous,
et c’est nul, Joshua. C’est une stagiaire ! Je comprends maintenant pourquoi tu
voulais la garder pour toi ! Tu sais ce que les autres vont dire, ou penser quand
ils le découvriront ? Et toi, Kirsten, c’est comme ça que tu comptes commencer
ta carrière ?
– Mais je… travaille, répliqué-je en lui montrant mes dossiers entre les mains.
– Kirsten est en double poste, explique calmement Joshua en le toisant du
regard. Elle avait besoin d’argent, je lui ai proposé de s’occuper de notre
archivage. Si tu ne me crois pas, demande aux ressources humaines, elle a un
contrat tout ce qu’il y a de plus officiel.
– Je ne…
– Écoute, Tim, il est tard et on bosse tous comme des malades en ce moment.
Je crois qu’on n’a vraiment pas besoin de cette suspicion, complètement
injustifiée et injuste pour Kirsten qui non seulement s’occupe de l’une de nos
plus grosses campagnes, mais aussi de toute la paperasse dont nous avons tardé à
nous occuper.
– J’ai aussi quelques papiers pour vous, ajouté-je en lui tendant un dossier.
Tim me l’arrache presque des mains et vérifie ce que je lui tends. Puis, sans
un mot, il part comme il est arrivé.
– Est-ce que ça va ? me demande Joshua.
– Oui mais… Je peux rentrer ?
– Bien sûr. Ne fais pas attention à lui, je suis là, OK ? Tu fais du bon travail
Kirsten, ne te laisse pas influencer. Tim ne sait rien sur nous et il n’en saura
jamais rien.
Je sens une larme perler à mes cils. La fatigue me fait tout dramatiser, il est
temps que je souffle et que je prenne un peu de distance par rapport à l’agence.
Trop de travail, trop de Joshua, trop de frustration et maintenant de la déception
que je me refuse d’éprouver…
Joshua est surpris, insiste. Je ne veux pas risquer de le perdre, mais… Tout est
trop confus. Je finis par me laisser faire, par poser ma tête, pleine de questions,
sur son épaule. Je suis dans ses bras sans y être, perturbée, à fleur de peau, avec
ce besoin de recevoir bien plus qu’il ne semble vouloir me donner.
Son regard est doux, j’y lis même une pointe d’inquiétude. Je lui réponds par
un faible sourire, m’imaginant le pire entre nous. Mes pensées dérivent vers
l’orage qui est peut-être à venir. Si cette histoire commence à me faire souffrir, il
faudrait peut-être penser à l’interrompre avant que ça n’empire ? Mais que
m’arrivera-t-il si je repousse Joshua ? Je ne le crois pas capable de me faire du
mal mais si je me trompais ? Ou s’il prenait une décision en pensant agir pour
« mon bien » et qu’il me blessait ?
Quand j’entre dans l’appart, des discussions arrivent jusqu’à moi. Liana a dû
inviter des amis, organiser une soirée sans m’en parler. Et je ne rêve que de me
coucher. Mais ces voix attirent mon attention et, plus j’avance vers le salon plus
je me décompose.
Je n’ai pas consulté mon téléphone de toute la soirée, puisque je n’ai pas de
réseau dans la salle des archives. Effectivement, après vérification, Liana a tenté
de me joindre à plusieurs reprises.
Je reviens dans le salon et m’installe près d’eux. Je crains que mon irritabilité
du moment ne prenne le dessus. Alors j’affiche un sourire de circonstance et
essaie de trouver un ton enjoué.
– Ross ne t’a pas dit que nous avions l’intention de venir ? me demande mon
père derrière ses lunettes toujours trop strictes.
– Ross ?
Je soupire. Il est tard, je n’ai pas envie de me lancer dans un bras de fer avec
mes parents, encore moins de les mettre à la porte.
Mes parents se lèvent dans un même mouvement et, ravis de passer du temps
avec nous, prennent le temps de nous serrer dans leur bras, Liana et moi. Ma
cousine attend qu’ils aient quitté la pièce pour me sauter dessus.
– T’es dingue ?! Ils ne peuvent pas rester ici ! Ils vont se douter de quelque
chose en voyant mes horaires demain !
– Je suis trop fatiguée pour réfléchir ce soir, glissé-je à Liana en prenant le
chemin de sa chambre. Mais rassure-toi, ça ne me plaît pas non plus de les avoir
ici.
– S’ils restent, je m’installe chez Deaken !
– Chanceuse…
Je me couche sans trop demander mon reste. Liana, elle, est pleine d’énergie.
Il faut dire qu’avec ses horaires décalés, elle est habituée à se coucher bien plus
tard.
Je ferme les yeux et me laisse bercer par le bruit des dialogues. Et en effet, il
ne me faut pas beaucoup de temps pour sombrer dans un profond sommeil.
***
Le week-end avec mes parents n’a pas été de tout repos et Liana est partie
chez Deaken, prétextant un déplacement professionnel. Entre le tourisme, les
questions incessantes, les remarques sur mon poids et mes habits, j’ai
énormément pris sur moi alors que je n’avais rêvé que d’un week-end dans mon
lit.
Un week-end, est-ce que ce n’est pas amplement suffisant pour venir voir sa
fille ?!
Le seul avantage de la présence de mes parents ces deux derniers jours, c’est
qu’ils m’ont évité de penser à Joshua. Du moins, de trop y penser. Il a semé le
trouble dans ma tête. Avant, avec ses rendez-vous espacés, il maintenait une
certaine distance.
Maintenant, avec les Hamptons, cette façon de me prendre dans ses bras pour
me réconforter ou celle de s’occuper de moi, c’est un peu comme s’il avait
franchi la limite de ce qu’il avait imposé, mais sans que ce ne soit officiel. Je sais
qu’il ne veut pas s’investir, je l’ai bien compris… Mais je préférerais que les
choses soient claires entre nous. Là, je sombre de plus en plus vers des
sentiments qui, je sais, vont me poser problème. Et ce n’était pas le but premier
de cette relation. J’étais flattée du désir de Joshua, heureuse des sensations que je
ressentais et je voulais apprendre, découvrir le plaisir, pas tomber amoureuse !
Au bureau, tout est encore calme. Comme la campagne a été lancée sur les
réseaux, je m’attelle aux réactions, aux commentaires et aux statistiques de
visionnage pour faire un premier rapport lors de la réunion. Les retours et les
chiffres sont positifs, le message semble être assez bien perçu. Les commentaires
sur les réseaux sont même très encourageants !
De : eunice@gmail.com
À : Campagne Bizutage
Objet : Assumez !
Vous avez ignoré tous mes précédents messages ! Tant pis pour vous, il est
temps que la vérité éclate !
À ma tête, Abigail se lève brusquement pour venir lire derrière mon écran.
Je ne suis pas très convaincue. Cette Eunice en est déjà à son troisième
message, elle vient de mettre en place un blog pour parler de nous… Elle a
plutôt l’air extrêmement motivée à en découdre. Je pourrais au moins chercher
des infos sur elle ?
Je fouille dans tous les contacts, toutes les adresses mail, je vais même voir
les commentaires sur les réseaux pour vérifier si elle ne ressort pas. Cette Eunice
n’existe pas dans toutes les données que j’ai. Même son site Internet ne porte
aucune mention de son propriétaire.
Pourquoi est-ce que je mets autant de cœur à la trouver ? Parce qu’elle veut
saboter notre travail. On s’est donné du mal, je me suis donné du mal, Abigail a
travaillé comme une dingue sur cette première grosse campagne. Nous n’avons
rien à nous reprocher.
Je sais qui peut m’aider à obtenir des informations sur ce site. Ross possède
une boîte informatique où ses experts doivent certainement avoir les bons outils,
ou les logiciels, pour remonter sa trace. Mais si je l’appelle, c’est lui divulguer
que l’agence a un problème… Et lui en parler alors que Joshua n’est pas mis au
courant, c’est un peu déplacé…
Que ne ferais-je pas pour éviter qu’une autre rumeur s’abatte sur nous…
– Je n’ai pas vu l’heure tourner, leur dis-je en les rejoignant. J’ai tellement de
travail, je crois que je ne vais pas pouvoir venir avec vous !
– Nous sommes venus pour rien ! Dis, j’espère qu’il y a une autre Kirsten ici,
me lâche ma mère dont je remarque seulement la mauvaise humeur.
– Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?
– On a entendu deux jeunes femmes discuter en t’attendant ici. Il paraît que tu
travailles le soir pour rester plus longtemps avec un certain Joshua.
Quel cauchemar !
« Sinon quoi ? »
– Bon, écoutez, finis-je par dire en essayant de garder mon calme. Je ne fais
rien de répréhensible avec mon patron et tout va bien, sauf que je dois annuler ce
déjeuner avec vous. Désolée de vous avoir fait venir jusqu’ici, ceci dit, vous
auriez pu m’appeler pour que je vous rejoigne. Je ne suis plus une petite fille
qu’on vient chercher à l’école.
Quelle journée !
21. Se préparer au pire
Je rentre ce soir-là en traînant des pieds. Liana et Deaken m’ont envoyé des
messages de soutien, mais je suis seule pour affronter mes parents ce soir. Ça
plus le fait que je n’ai absolument rien trouvé d’autre sur cette Eunice, ma soirée
s’annonce particulièrement joyeuse.
Et même si je trouve quelque chose sur elle. Que faire après ? Je la contacte
en personne ? Abigail m’a demandé de ne rien faire…
Mes parents sont là, dans le salon, à m’attendre. Je fais le dos rond pour que
l’orage qui m’attend passe plus vite.
– Merci, mais je mange au bureau le soir. La journée a été bonne pour vous ?
– Très, répond mon père.
– Bon, Kirsten. Il est temps qu’on ait une discussion sérieuse tous les trois,
intervient ma mère en s’installant aux côtés de mon père dans le canapé. On
savait que ce n’était pas une bonne idée que tu viennes ici toute seule. Tu passes
trop de temps au travail, tu changes de look, il y a ces rumeurs sur toi, et ton
attitude envers nous… Quand je pense que tu as donné mon cadeau ! Ça me
faisait tellement plaisir de te l’envoyer ! Rien de tout ça ne te ressemble.
– Maman, c’est gentil, mais tu dois comprendre que je n’ai pas forcément les
mêmes goûts que toi ! Et vous vous inquiétez trop, aussi…
– C’est surtout cette vie new-yorkaise qui n’est pas bonne pour toi. Ton père a
appelé l’école, si tu veux, tu peux interrompre ton stage, en trouver un autre plus
près de la maison. Bon, il faudrait juste que tu redoubles ton année, mais avec
ton avance, ce n’est pas vraiment un problème…
– Mais arrêtez ! Je me plais dans mon stage, je n’ai pas l’intention de
changer ! Encore moins de refaire une année !
Je sens le ton monter et le regard condescendant qu’ils m’adressent tous les
deux est à deux doigts de me mettre hors de moi. Je les aime, j’ai eu une enfance
heureuse, je ne voudrais pas tout gâcher, mais je ne peux pas les laisser me
rendre malheureuse.
– Ross peut toujours te prendre dans son entreprise, il a même dit qu’il
pouvait te loger, continue mon père.
– Mais c’est pareil, je vis très bien avec Liana !
– Parlons-en de ta cousine ! Tu savais que cette boîte d’événementiel où elle
est censée travailler n’existe pas ?! Elle te ment peut-être à toi aussi… Qui sait
quelle activité trouble elle peut cacher…
Ma mère lâche ces derniers mots comme un missile, l’air pincé et terriblement
décidé. Je secoue la tête et pars m’enfermer dans la chambre de ma cousine.
Notre échange dure une bonne partie de la nuit. Liana tente de plaisanter
quant à la situation. Je n’en mène pas large et je m’endors, l’esprit malmené par
des images de mes parents débarquant à l’agence pour faire un scandale et de
Joshua qui apprend l’existence d’Eunice et ses messages.
Le chaos !
***
« Je ne vous apprends rien si je vous dis que c’est à l’université et sur les
campus que naissent toutes les formes du bizutage. Et c’est donc une université
qui a voulu traiter le mal par une campagne… Au lieu d’intervenir en interne, de
faire de la prévention, ou d’ouvrir un bureau d’écoute… la fac a alloué de gros
moyens financiers pour… faire des vidéos… Quelle BA pour obtenir la médaille
de l’université la plus impliquée des États-Unis ! Mais rassurez-vous, Joshua
Carlson sauvera les pauvres bizutés ! À condition que son passé ne le rattrape
pas trop vite… Il en connaît un rayon sur le sujet ! Je vous en dis plus demain ! »
Je suis pétrifiée par ce que je viens de lire, et à mes côtés Abigail a posé sa
main sur sa bouche, horrifiée.
Je ne relève pas mais Brenton commence à aller trop loin. C’est en partie à
cause de lui si mes parents pensent qu’ils doivent me « sauver ».
Je me mords les lèvres pour ne pas lui demander ce que signifie pour lui « ce
que nous vivons tous les deux » et « passer bien avant ».
– J’ai besoin de toi, Kirsten.
L’effet de mes paroles est immédiat. Joshua se jette sur moi, faisant basculer
la chaise sur laquelle je suis assise. Il me retient suffisamment pour que la chute
ne soit pas douloureuse sur le tapis en laine épaisse. Je pousse un cri étouffé,
surprise. Surprise par la chute, par sa réaction, par sa brusque perte de contrôle.
Il m’embrasse sauvagement.
Nos langues s’entremêlent, nos gestes sont brusques, le désir puissant. Très
vite, Joshua sort un portefeuille de la poche de sa veste, en extrait un préservatif
qu’il enfile sur son sexe. Son pantalon est à peine baissé, ma jupe à peine
remontée sur mes cuisses, qu’il entre en moi d’un vif coup de bassin.
Je ne sais pas ce que je ressens à cet instant précis. J’ai le sentiment de lui
avoir apporté la réponse dont il avait besoin, mais je sais qu’Abigail et Brenton
attendent mon retour, que sa secrétaire pourrait venir et…
Joshua se relève et me tend la main pour m’aider à me relever.
J’essaie de reprendre un air normal dans le reflet d’une vitre. Mes mains
tremblent quand je lisse ma jupe alors que Joshua remet la chaise sur ses quatre
pieds.
Il finit par s’approcher de moi, remettre une mèche derrière mes oreilles. Il
me fait un signe de tête pour me dire que tout est en ordre.
Alors que je m’apprête à partir, il me retient, pose son front contre le mien.
Quand je quitte son bureau, j’en veux à la terre entière. Enfin, surtout à mes
parents, à Brenton et à cette fille sortie de nulle part. Ma première cible : ma
mère. Je l’appelle sans perdre de temps.
Vide.
Mais ce n’est pas lui que j’y trouve, c’est Tim, en compagnie de quelques
membres de l’équipe. Je lui fais un signe de tête, ma présence n’interrompt en
rien sa discussion. Pire, je crois qu’il est même plutôt satisfait que j’y assiste !
– Il ne manquerait plus que Joshua ait bizuté des étudiants, et nous serions
vraiment la risée de tout le monde dans le milieu, ironise-t-il. Je savais qu’il ne
passait pas toutes ses soirées à la bibliothèque, mais jamais je n’aurai imaginé
qu’il torturait les petits nouveaux !
Franchement !
C’est le doute, cette vague sombre qui se propage dans mon esprit. Le doute
qui vient heurter les remparts de la confiance que j’ai en lui, naturellement. Et
j’espère très sincèrement que ce sont eux les plus solides.
On y est. J’espère qu’on ne sombre pas dans une lente descente aux enfers…
– Pour une fois que je m’occupais d’un gros dossier et que tout se passait
bien, on se tape un corbeau ! Il fallait que ça tombe sur moi ! soupire Abigail, de
plus en plus nerveuse.
– Ça va aller, on va surmonter ça, tenté-je de la rassurer.
– Tu ne te rends pas compte, Kirsten ! Si cette fille raconte n’importe quoi, ou
même la vérité, sur Joshua demain, tu imagines le nombre de clients que nous
risquons de perdre ? La perte de confiance que nous allons avoir ?
– Ça ne peut pas être si dramatique, soufflé-je.
– Les effets des rumeurs peuvent être terribles ! Les gens ne chercheront pas à
savoir si c’est vrai ou non, ils suivront le mouvement du plus grand nombre !
– Derrière ses airs de mec sûr de lui, je suis sûr qu’il a des fantômes dans son
placard, ajoute-t-il, insupportablement méprisant.
Toute la soirée, je multiplie les allers et retours entre les archives et les
bureaux sans croiser une seule fois Joshua. Quand j’ose enfin frapper à la porte
de son bureau et que j’entre, je comprends à l’obscurité qui y règne qu’il est
parti.
Je ne réponds pas tout de suite, touchée par la sincère inquiétude de mes amis,
mais bouleversée par la prise de conscience qui est en train de me submerger.
– Allez, on sera là, nous, me réconforte Liana en me prenant dans ses bras.
– Et si tu n’as pas aimé Logan, j’ai un carnet de contacts bien rempli !
plaisante Deaken en me caressant doucement le bras.
– Et vous, quoi de neuf ?
– Alors moi, commence Deaken, j’ai une super nouvelle pour la boutique. J’ai
un banquier dans mes clients et… on a discuté et… il a étudié mon dossier…
– Et ?!
– Il m’a décroché un prêt ! s’exclame Deaken en levant sa pinte. Je peux donc
signer le bail et… vous pouvez garder votre argent ! Kiki, offre-toi un week-end
ou des massages !
– Oui, j’y penserai… Mais félicitations !
– Moi aussi, j’ai quelque chose à vous annoncer ! intervient ma cousine. J’ai
rencontré un photographe et il a décidé de m’apprendre les techniques de prise
de vue ! Et on sort ensemble !
– C’est la soirée ! lui lance Deaken avant de se rattraper en me regardant. La
roue tourne, Kiki, ça viendra pour toi aussi.
Nous levons nos verres une deuxième fois. Depuis que je suis là, je n’ai
jamais vu ma cousine avec quelqu’un.
Mes parents dorment déjà, il n’y a pas un bruit à l’appart et j’essaie de ne pas
en faire non plus. Mais impossible de ne pas remarquer sur la table du salon
l’amoncellement de prospectus, des annonces immobilières sur lesquelles trône
un mot de ma mère.
***
La sonnette de la porte d’entrée se fait entendre alors que je suis dans la salle
de bains. Puis ce sont des coups de plus en plus impatients. Je me dépêche de
m’habiller, surprise de cette visite impromptue. Puis j’entends ma mère râler :
Ma mère le regarde des pieds à la tête. Je croise les doigts pour qu’elle ne dise
rien…
– Vous êtes dans une situation compliquée, vous avez prévu de réagir comme
il se doit ? Parce que je ne voudrais pas que ma fille commence sa carrière de
cette façon, vous devez être honnête avec elle, si votre agence doit couler, vous
devez au moins lui permettre de rebondir et…
– C’est bon, on peut y aller !
– Désolée…
– J’espère que je n’aurai pas à me séparer de toi, se contente de me glisser
Joshua en attendant l’ascenseur.
Pourquoi ? Parce qu’il a envie de me garder avec lui ou dans son agence ?
– Ne t’inquiète pas, c’est moi, me dit-il aussitôt devant mon regard inquiet.
Prenons le temps, tu veux ?
– Kirsten…
Son parfum m’enivre, sa voix m’hypnotise et ce sont mes lèvres qui trouvent
les siennes en premier. Comment résister à ses mains sur mon corps, comment
renoncer à ça ? Ma robe tombe à mes pieds, dézippée par ses doigts habiles. Je
m’attaque à son pantalon, ose l’attirer un peu plus fort contre moi. Je sors son
sexe de son boxer, alors que Joshua me porte sur la barre de l’ascenseur pour que
je sois à la bonne hauteur. Une main sous mes fesses, il déchire de l’autre
l’emballage d’un préservatif alors que j’accentue mes caresses.
Je vois, aux traits de son visage qui se crispe, qu’il aime ce que je lui fais.
Ensuite, tout va très vite. Il me pénètre, je m’accroche à lui, mes doigts posés
sur sa nuque. Debout devant moi, ses coups de bassin sont rapides, frénétiques et
puissants. Ma position manque de confort, mais n’empêche pas le plaisir de
m’envahir.
Je chavire complètement quand ses doigts viennent attraper mon sein pour le
malaxer sans douceur, qu’il me mord le menton, le cou. Je glisse mes mains sous
sa chemise pour le sentir vibrer lui aussi. Excitée par la puissance qu’il dégage et
par la force brutale de cette parenthèse, je jouis sans retenue.
Joshua gémit presque dans la douleur, comme si cette partie de sexe n’était
qu’un exutoire pour lui. Un moyen de décompresser.
Mais comme s’il avait compris le malaise soudain que je ressens, mon boss et
amant m’aide à reprendre pied, me rhabille doucement, plein d’attentions pour
moi, me troublant encore plus. Jusqu’à ce que la sonnerie de son téléphone
l’éloigne de moi.
– Joshua !
Qu’a pu écrire cette Eunice sur lui pour qu’il soit si inquiet…
« Soir de bizutage. »
Je recule d’un pas… Je croise les bras sur ma poitrine, choquée. Joshua ne
bouge pas, le temps est comme suspendu.
Joshua se tourne brusquement vers lui, le regard noir, poings serrés. Puis ses
yeux tombent sur moi. Je ne sais plus quoi penser, que dire. Ce récit m’a
complètement bouleversée. Est-ce que c’est vrai ? Et surtout, qu’entend Eunice
par « non… ça ne s’est pas arrêté là » ?
– Il faut absolument retrouver cette fille ! Et Flint ! Qu’il s’explique sur cette
histoire ! lance rageusement Joshua en partant vers son bureau.
Toute la journée, les journalistes nous sollicitent. Abigail passe les appels de
l’université, mais elle manque de s’évanouir quand le Département de
l’Éducation des États-Unis exige de parler à Joshua. Je la vois se décomposer au
fil des heures, mais elle fait front et je l’aide autant que je peux. Joshua n’est pas
sorti de son bureau, nous n’avons aucune directive. Aucun démenti n’a été
publié, Joshua doit vouloir attendre.
Il faudrait qu’il vienne, qu’il s’explique, se justifie. Qu’il nous dise si oui ou
non il a protégé un viol ! Et s’il l’a fait…
Il serait comme ceux que j’ai fuis à la fac, comme ceux que je déteste…
J’attaque mon archivage avec une motivation nulle. Dans son bureau, Joshua
s’est barricadé. Je l’entends parler, discuter. Il n’a pas eu un seul instant de répit.
– J’ai les clés de la boutique ! Viens, on est en train de faire une petite fête
improvisée !
– Oh… Je crois que je n’ai pas le cœur à ça, Deaky.
– Allez, viens ! Logan est là d’ailleurs… Tu ne peux pas rater ça !
– Ce n’est pas une bonne idée, je…
– Tu viens !
***
Quand j’arrive à la boutique, la fête bat déjà son plein. Deaken a installé un
petit buffet dans un coin où se mélangent tacos et pizzas. Original ! J’essaie
d’être heureuse, de partager sa joie, et vraiment, je suis contente pour lui. Quand
il me fait visiter, je réalise combien c’était le rêve de sa vie. Il me montre tout, se
projette dans les espaces : le coin essayage, le coin sur-mesure, le coin costume,
celui plus casual ou encore sportif, et, au fond, la réserve, une pièce sombre pour
le moment, qu’il arrive malgré tout à sublimer. Et je n’ai pas envie de lui gâcher
ce moment !
– Logan ! lance soudain Deaken en le voyant passer la porte d’entrée.
– Deaken, ça y est ?! s’exclame ce dernier en nous rejoignant, après avoir
traversé les espaces encore imaginaires du nouveau locataire. Préviens-moi
quand tu ouvres, je serai ton premier client ! Kirsten, ravi de te revoir…
Le ton du jeune avocat est moins enjoué que lors de notre première rencontre.
Mon silence a dû l’échauder un peu, il faut dire. Je fais un signe de tête à Deaken
pour qu’il nous laisse seuls et je rentre dans le vif du sujet sans perdre de temps.
Nous avons tous le regard tourné vers les écrans. Nous attendons
anxieusement la nouvelle publication d’Eunice. Nous gratifiera-t-elle d’une
avant-première comme hier ? J’actualise son blog et notre boîte de réception
toutes les cinq secondes à peu près… Et sur mon téléphone, je vérifie si je n’ai
pas eu de réponse de sa part.
J’ouvre le mail alors que du bruit me parvient dans mon dos. Abigail, Tim et
Joshua m’ont rejointe. Je n’ai pas un regard pour lui. Ce matin, il n’est pas passé
me prendre comme hier. Il a dû arriver tôt, ou passer la nuit ici, parce
qu’Abigail, qui arrive aux alentours de huit heures, m’a dit l’avoir trouvé dans
son bureau en arrivant.
– Alors, voyons voir ce que cette fille nous réserve comme révélation
aujourd’hui, ironise Tim.
« Il y a toujours un après. »
« C’est comme une nouvelle vie qui commence après un bizutage qui tourne
mal. Je n’en ai parlé à personne à l’époque, je me suis enfermée sur moi-même,
un peu honteuse. Tout le monde a dépassé cette soirée de bizutage, pas moi.
Parce que le pire est arrivé. Surprise ! Je suis tombée enceinte ! »
« Douce nouvelle, n’est-ce pas ? Bien sûr, à mon âge, en première année, dans
ces conditions, la décision a été vite prise. L’avortement était inévitable. Mais là
encore tout ne s’est pas bien passé. Il y a eu des complications au cours de
l’intervention et… Je vous passe les détails sordides, vécue seule, forcément…
Quand le médecin est venu m’annoncer ma désormais stérilité, j’ai sombré
encore un peu plus… »
« Il aurait fallu que je parle, sans doute. Que je trouve un soutien. Je me suis
enfermée dans ma douleur. Alors que Matthew et Joshua riaient sur le campus,
moi… Je portais mon fardeau. Jusque-là toujours brillante, j’ai vu mes résultats
chuter. Je n’avais plus goût à rien. Trop d’injustice vous dégoûte de tout… Je
n’ai pas réussi à reprendre pied. J’avais un avenir, il a été brisé en une soirée.
J’ai fini par tout laisser tomber pour, un soir… tenter de mettre fin à mes jours. »
« Combien de destins brisés errent dans les rues ? Combien sommes-nous à
haïr le plus férocement du monde une personne qui, par ses actes, ou ses non-
actes – n’est-ce pas Joshua – nous a rendu méprisable, transformé en loque,
réduit à néant… »
« Matthew et Joshua. Je vous déteste profondément. »
Je suis prise d’une soudaine nausée. Dans mon dos, personne ne parle et
personne ne me voit essuyer une larme qui vient de rouler sur ma joue.
J’ai connu cette solitude moi aussi, je sais ce que signifie de regarder les
autres vivre alors que vous êtes en dehors de tout… Et de vouloir penser au pire.
– Ce qu’a vécu cette fille est horrible ! lâche Joshua avec gravité. Il faut qu’on
la trouve, Tim ! J’ai déjà mis un détective sur Flint, j’attends de ses nouvelles. Je
n’ai rien trouvé sur lui sur Internet. Il faut qu’il paye. Mais notre priorité, c’est
de retrouver Eunice, et je mettrai tous les moyens qu’il faut pour ça !
– Et toi, Joshua, tu n’as pas de compte à rendre, de ton côté ? lui demande
Tim sans bouger d’un pouce.
Abigail et moi échangeons un regard. Tim s’est bien gardé d’évoquer ce point
de détail. C’est bien ce que je soupçonnais. S’il y était lui aussi, alors il a dû la
voir ! Pourquoi Eunice ne parle-t-elle pas de Tim alors ? Et est-ce que Joshua et
Tim ont souffert de leur bizutage ? Est-ce que Joshua ne me parle pas parce qu’il
cache quelque chose ? Après avoir été bizuté, il aurait trouvé normal de se
venger des première année…
Je n’en peux plus de cette histoire, ça remue trop de choses en moi. J’ai
besoin que Joshua me raconte sa version, en privé. J’ai juste besoin de lui,
proche de moi.
Je le suis jusque dans son bureau et je ferme la porte derrière moi. Enfin, je la
claque, tant je ne supporte plus son indifférence envers nous.
– Ça ne peut plus durer, lui lâché-je quand il se retourne vers moi, surpris. J’ai
besoin que tu me parles de cette histoire ! Que tu me parles vraiment et…
Je tremble comme une feuille, mes mots sortent en cascade. Mes nerfs
lâchent… mes sentiments et le stress des dernières heures se mélangent.
– Kirsten, tu…
– Dis-moi Joshua que tu n’es pas comme eux, l’interromps-je en le regardant
droit dans les yeux. S’il te plaît… Dis-moi que tu ne ferais jamais ça… Sinon…
Sinon, je partirai, je changerai de stage… Tu es tellement mystérieux, je n’arrive
pas à lire en toi… J’ai confiance mais l’instant d’après tu me fais douter car tu ne
me parles pas… Je n’en peux plus, Joshua, je n’en peux plus de cette
indifférence… Dis-moi, je t’en supplie dis-moi…
J’aimerais qu’il me console, qu’il me prenne dans ses bras et qu’il me souffle
de ne plus m’inquiéter.
Ces mots m’apaisent, je pourrais rester là des heures, bercée dans la sécurité
de ses bras. Mais il me repousse et me regarde. Un éclair de contrariété – ou de
tristesse, je ne sais pas – traverse ses yeux.
Mon cœur se brise dans ma poitrine et je dois me rattraper à son bureau pour
ne pas chanceler.
Joshua fait une pause et se lève, cette fois pour se mettre derrière la baie
vitrée.
Je n’ai jamais eu de raison de douter de lui dans l’intimité. Malgré ses airs
dominateurs, il a toujours eu les gestes, l’attention et ce profond respect pour
moi. Comment un homme comme lui aurait pu être complice d’un viol alors
qu’il a su si bien prendre soin de moi ? Comment ai-je pu douter ? Joshua revient
vers moi, m’attire doucement à lui. Mes défenses, ma colère, mes questions, tout
s’envole petit à petit.
– Je ne sais pas qui est cette fille, je n’ai aucun souvenir d’elle. Mais je te
promets de ne pas laisser cette affaire sans réponse. Elle mérite qu’on s’occupe
d’elle, même s’il est un peu tard, maintenant. J’ai besoin de ton soutien, Kirsten.
Tu m’as défendu, j’ai vu dans tes yeux à quel point tu m’estimais. Je ne veux pas
te décevoir, je veux que tu restes et que tu m’aides à affronter ça. Tu as cette
sensibilité, ce regard sur les autres… Ne me quitte pas, Kirsten…
Dans ma tête, c’est les montagnes russes. Dans mon cœur et dans mon ventre
aussi. Jamais il ne s’était autant ouvert à moi, jamais même je n’aurais pensé
qu’il avait peur que moi je le quitte !
– Monsieur, fait son assistante, les clients n’arrêtent pas d’appeler, on croule
sous les messages.
– Dites à tout le monde que je répondrai bientôt, lui dit-il. Mais j’ai une
urgence à régler.
J’acquiesce, le cœur battant. Joshua m’invite dans son combat, dans sa vie.
C’est une invitation à plonger dans son passé… Et à l’aider surtout. Ses mots me
font encore vibrer…
En moins de cinq minutes, nous sommes tous les quatre assis en face de
Joshua. Enfin, plutôt Abigail et moi, parce que Tim a tenu à s’installer plus loin,
sur le bras d’un fauteuil, l’air de ne pas trop vouloir se mêler à tout ça.
– Cette histoire nous concerne tous les deux, lui rappelle-t-il. Il n’y a que mon
nom qui est avancé, mais tu n’es pas à l’abri que le tien le soit aussi. Cette
agence, c’est nous deux. Si elle coule, ce ne sera pas uniquement ma faute, c’est
aussi parce que tu l’auras regardée couler. Si tu veux la sauver, sauver ta
réputation, ta famille qui risque aussi d’être éclaboussée, il est temps que tu
prennes tes responsabilités ! Que tu retrouves ton rôle d’ami, que tu as perdu ces
dernières semaines. Pour les autres : sachez que je n’ai jamais entendu parler
d’un viol ou d’une tentative de suicide.
– Tim, continue Joshua, tu te joins à nous, sinon, tu peux partir d’ici. Mais je
ne tolérerai plus tes réflexions inutiles. On doit se battre aujourd’hui et
ensemble !
Tim s’apprête à riposter mais ne trouve rien à dire. Après quelques secondes
de réflexion, il vient s’asseoir avec nous.
– Pour ce qui est du présent, on sait que cette Eunice a répondu à nos
échanges avec les anciens élèves. Elle devait être dans la boucle, mais je n’ai pas
ce prénom dans mon listing. J’ai… J’ai tenté de la contacter directement, mais…
– Tu as quoi ?! me demande brusquement Joshua.
– Je… Je voulais comprendre, dis-je en le regardant droit dans les yeux avant
de reprendre le fil. Le plus simple, à mon avis, serait de reprendre les agendas de
la fac, les annuaires, voir si une Eunice apparaît. Si elle était aussi brillante
qu’elle le dit, la chute de ses notes a dû être remarquée… Il y a encore d’anciens
de vos professeurs qui exercent là-bas ? On pourrait leur demander.
– Kirsten a raison, bondit Joshua de son fauteuil. Les réponses sont sans doute
dans les archives de la fac. Tim, allons-y. Abigail, si vous avez du nouveau ici,
vous n’hésitez pas à m’appeler. Kirsten, tu viens avec moi ! Je veux que tu
m’expliques tout ce que tu as fait pour essayer de remonter jusqu’à elle !
J’attrape mon sac, gagnée par une montée d’adrénaline. Nous traversons le
hall d’accueil, le pas décidé.
– Je passe prendre Annie, annonce Tim, on vous rejoint là-bas. Elle a une
mémoire des visages qui pourra nous aider.
– La femme de Tim ?
– Oui, c’est sur les bancs de la fac qu’ils se sont rencontrés.
– Comme quoi, il peut quand même s’y passer de jolies choses, soufflé-je
avant de m’engouffrer dans la voiture de Joshua.
J’entends un fond de crainte dans ses questions. Je vois une ombre dans ses
yeux. Il a besoin d’entendre lui aussi que je suis derrière lui.
À nouveau le silence. Et puis sa main qui se pose sur ma cuisse, la mienne qui
vient la recouvrir. Je crois que tout est dit, pour le moment.
24. Avis de recherche
– C’est inadmissible, Joshua ! Nous avons dépensé un très gros budget pour
cette campagne et voilà qu’elle vire au fiasco, s’emporte le doyen de la faculté.
Nous sommes introduits dans une spacieuse salle de réunion où nous nous
installons, précédant le chariot des annuaires qu’a bien voulu nous communiquer
l’administration de la fac.
Le doyen nous quitte, rouge de colère. S’il avait fait son travail à l’époque,
s’il avait interdit le bizutage et mieux surveillé ses élèves, on n’en serait pas là…
Il y a de très nombreux responsables dans cette histoire, non ?
Quand Tim et sa femme nous rejoignent enfin, Annie se précipite sur Joshua
pour lui prendre la main.
– Est-ce que tu vas bien ? C’est terrible, ce qu’il se passe… Tim m’a tout
expliqué dans la voiture, je vais t’aider du mieux que je peux, mais je n’ai aucun
souvenir d’une Eunice.
Quand elle se tourne enfin vers moi, je remarque son mouvement de surprise.
Joshua aussi.
J’essaie de ne pas rougir, j’ai bien conscience que les raisons de ma présence
ne sont pas évidentes. Même si Joshua et Abigail me considèrent comme une
employée plus que comme une stagiaire : je n’ai clairement rien à faire ici.
– Je vous laisse les annuaires, je m’attaque aux dossiers des étudiants sur
Internet, dis-je pour cacher mon malaise.
– Joshua ? Eh bien, il était brillant, très concentré sur ses études et la vie
associative. Il faisait aussi du sport, de l’aviron il me semble, je ne sais plus…
Ce n’est pas du tout l’homme que présente Eunice, jamais il n’aurait pu
participer de près ou de loin à un viol !
– C’est ce que je pense aussi…
– C’était un chouette garçon, mais je lui ai préféré Tim, finit-elle en riant.
– Bon, je dois prévenir Joshua… Pour les campagnes…
– Oh, Kirsten, m’arrête-t-elle. J’ai remarqué la façon dont Joshua vous couve
du regard. Il y avait déjà quelque chose entre vous au cours de la soirée, je l’ai
senti, mais là aujourd’hui, c’est différent…
– Vous vous trompez, Joshua est mon chef, commencé-je à bredouiller. Il n’y
a rien entre nous, je… Je ne suis que sa stagiaire !
– Vous n’êtes sûrement pas que ça, sinon, vous ne seriez pas là, à ses côtés,
dans ce moment difficile. Vous ne vous êtes pas demandé pourquoi vous étiez
là ? Vous ne pouvez pas nous aider à chercher ni à réveiller des souvenirs que
vous n’avez pas. Sans vous vexer, vous n’êtes pas vraiment utile… Mais votre
présence compte pour lui.
Je reste muette. Annie est perspicace, je ne me sens pas très utile… Joshua
s’occupe des dossiers, Tim et elle des annuaires. Je n’ai fait que répondre au
téléphone jusqu’à présent…
Je lui suis reconnaissante de ne pas en dire plus. Elle ne juge pas notre
relation et ça me fait du bien. Depuis le début, en plus des risques pour mon
avenir pro, j’ai peur du regard des autres, de ce qu’on pourrait penser de moi,
penser de nous.
Eunice !
– Comment est-ce que tu as su ? lui demande Joshua, maîtrisant tant bien que
mal sa colère.
– Je te connais, Joshua, depuis des années. Dès son arrivée, tu étais différent.
Ta façon de l’observer, les invitations que tu as refusées après ça… Et cette
histoire avec Miss Univers, pas à moi ! Je n’y ai pas cru une seconde. Tous les
deux vous avez essayé d’être discrets, mais toi, Joshua… Cette fille t’a marqué.
Tu aurais pu me dire qu’elle comptait pour toi, j’aurais pu t’aider à vivre cette
histoire… Mais je n’ai pas supporté que tu me méprises autant, que tu me
prennes tout ce qu’il y avait d’intéressant dans ton agence, juste parce que tu as
toujours été meilleur que moi.
– Je pouvais te pardonner la jalousie et ton manque de confiance en toi…
Mais tu lui as fait du mal à elle, tu t’es attaqué à elle, tu as joué avec sa
réputation, tu l’as isolée de ses collègues. Tu te rends compte des conséquences
que ça peut avoir ?! On nage en plein dedans ! Et elle ne le méritait pas.
– Joshua, j’ai deux nouvelles, dis-je d’une voix forte. Les spots de campagnes
ne sont plus diffusés et j’ai reçu un message de la part d’Eunice.
De : Eunice
À : Julia
Re : Contact
Je compatis à ton histoire aussi. Elle n’est peut-être pas aussi violente que la
mienne comme tu dis, mais elle a débouché sur beaucoup trop de
souffrance. Ne laisse pas tout ça sous silence, parle, libère-toi. Je découvre
avec retard le soulagement que cela peut apporter.
Si tu le souhaites, tu peux te confier à moi, si tu as besoin de parler.
Dis-toi que tu vaux beaucoup plus que ces pauvres êtres stupides !
– Garde le contact avec elle, me conseille doucement Joshua en relevant la
tête. Si on ne trouve rien ici sur son identité, c’est le seul lien que nous aurons
avec elle.
– D’accord…
Joshua se replonge dans ses dossiers et Tim ne bronche pas, plongé dans ses
annuaires. Annie revient dans une ambiance très studieuse.
– Je crois que j’ai quelque chose ! nous lance soudain Joshua. J’ai un profil
qui colle, un dossier d’entrée solide, puis des notes qui chutent au début de
l’hiver… Les profs ne comprennent pas son désinvestissement complet. Pas de
trace d’elle l’année suivante !
– Son prénom ? demandé-je pleine d’espoir.
– Olivia Cowen.
– Attends, intervient Annie en attrapant un annuaire. Je regarde !
Nous l’entourons tous les trois, quand son doigt finit par tomber sur une jeune
femme brune, sans sourire.
– Si Eunice est bien un pseudo, relève Joshua. C’est Olivia qu’il faut trouver
maintenant.
25. Confrontation
– C’est quand même dingue cette histoire autour de cette campagne, souffle
Liana derrière son bar. J’imagine que ton chef et toi vous n’avez plus trop la tête
à vous voir ?
– Il est assez pris et c’est assez compliqué pour lui. Il est en première ligne et
puis…
– Oui, mais et toi, Kirsten ? Comment tu vis tout ça ? OK, c’est dramatique,
mais du coup toi ? Il te met de côté, il pense un peu à toi ?
– Je… Je ne sais pas trop, il…
– Tu veux mon avis ?
– Ah, voilà Deaken, on va aussi avoir son avis de mec sur la situation !
Deaken, réunion !
Notre ami a à peine le temps de s’installer que Liana lui brosse un rapide topo
de ma relation avec Joshua.
– Et tu dis que son meilleur ami a vu qu’il était différent depuis qu’il te
connaît ? me demande-t-il. C’est pas mal, mais faudrait qu’il assume quand
même…
– Mais je suis sa stagiaire ! Et de toute façon, il a plus urgent à régler en ce
moment que cette histoire entre nous. Sa boîte et sa réputation sont en train de
s’écrouler. Je passe après, et c’est normal !
– Gardez votre relation secrète, c’est de toute façon ce qu’il y a de mieux à
faire… Si en plus, on apprend qu’il couche avec toi, il est fini ! C’est beaucoup
plus excitant, continue-t-il. Je peux quand même avoir une bière ?
– Le problème, c’est que tu l’as mal habitué, souffle Liana en posant un verre
devant Deaken. Tu as toujours répondu présente à tous ses appels !
– Oui mais…
– Fais-toi désirer ! Ce mec a besoin d’un électrochoc ! Il tient à toi, te
demande de l’aide, imagine déjà que tu seras toujours là pour lui. C’est trop
facile !
– Joshua n’est pas comme ça, il…
– On ne le connaît pas, on ne sait pas ce qu’il s’est vraiment passé entre vous
et on n’est pas dans sa tête non plus. Il a l’air de sincèrement tenir à toi, mais
cette relation ne te convient pas, n’est-ce pas, Kirsten ? souligne Liana. Toi, tu as
envie de plus, ton instinct te dit qu’il se passe un truc. Il faut juste peut-être
l’aider à se rendre compte qu’il faut passer un cap.
– Mais comment… Il n’a pas du tout la tête à ça en ce moment, je n’ai pas
envie de le…
– On ne te dit pas de le laisser tomber ! intervient Deaken. Tu ne le ferais pas
de toute façon. Et ça crève les yeux que tu es complètement dingue de lui ! Mais
ne lui obéis plus au doigt et à l’œil, crée le manque ! Tu verras…
J’esquisse une moue dubitative. Ne plus lui répondre, c’est aussi moins le
voir. Alors que je meurs d’envie d’être à ses côtés en ce moment même.
Ses mots me touchent. Et c’est sur cette note que je quitte mes amis. La
journée a été longue et j’ai besoin d’un bon bain et d’une nuit récupératrice. Je
ne sais pas à quel point mes amis ont raison dans leurs conseils, je ne sais même
pas s’ils s’adaptent à ma situation… Joshua a tout de même avoué notre relation
à Tim, Annie m’a dit qu’il était différent avec moi… Ce n’est pas anodin…
Mais j’aimerais tellement que Joshua me dise, à moi, si j’ai changé quelque
chose dans sa vie, pourquoi il a besoin de moi… Je veux des mots, j’ai besoin de
l’entendre dire que je compte pour lui. Et pas que physiquement. Parce que pour
le moment, j’ai juste l’impression d’être une relation passagère qui lui change
simplement le quotidien.
***
Un message matinal de mes parents me sort du lit beaucoup plus tôt que
prévu. Et ce n’est pas pour m’annoncer une bonne nouvelle. Ils commenceront
les visites d’appartements new-yorkais la semaine prochaine, mais « que je me
rassure » : ils iront dormir à l’hôtel.
Parfait !
J’arrive à l’agence aux aurores et trouve une fois encore Joshua dans son
bureau. Nous sommes seuls, c’est peut-être l’occasion de faire un point sur ce
qu’il se passe entre nous… L’occasion de lui demander ce qu’il en est vraiment ?
Que je sache si je dois être patiente avec lui ou si au contraire, je dois me
résigner.
Mais comment lui parler de ça alors que son agence traverse une crise ? J’ai
l’impression d’être un monstre d’égoïsme à ne penser qu’à moi alors que sa
réputation est en jeu. Ma culpabilité monte en flèche quand j’aperçois à quel
point il semble soucieux, derrière son bureau.
Le regard qu’il pose sur moi est sombre. Non, bien sûr que ça ne va pas.
– La majorité de nos clients ont gelé leurs projets en cours chez nous, quand
certains nous ont littéralement quittés, m’explique-t-il en se levant. C’est
injuste… Je comprends la détresse de cette femme, mais les conséquences sont
énormes pour nous.
– Est-ce que tu as trouvé des informations sur cette Olivia ? Et sur Flint ?
– Je n’ai pas vraiment eu le temps à notre retour hier. Il a fallu que je
m’occupe des messages qui m’attendaient et gérer le plus urgent. Il n’est pas
question pour moi de mettre la clé sous la porte !
Joshua n’est pas abattu, loin de là, mais je comprends qu’il mène deux
batailles de front. Et visiblement, son associé n’est pas là pour lui donner un
coup de main… En plus de propager des rumeurs et de blesser son meilleur ami,
il s’avère être un piètre collaborateur. Vraiment, je déteste ce type !
– J’ai une idée, pensé-je soudain tout haut. Je vais répondre à Eunice, ou
Olivia. Et lui proposer de boire un café avec elle en priant pour qu’elle habite à
New York. Ça ne devrait pas être trop compliqué à organiser… Sauf si elle ne
veut pas se montrer, bien sûr…
Qu’on parle.
Je recule, évitant de croiser son regard. Je ne sais pas si je pourrais lui résister
si l’envie lui venait de me prendre ici, dans son bureau, comme la dernière fois.
Je ne sais pas… Est-ce que je fais passer Joshua avant sa souffrance ? Mais il
veut l’aider, alors, je me dis que j’agis pour le bien de tous.
Il était temps !
Abigail hoche la tête, mon cœur se gonfle d’espoir. Tim est dubitatif, mais son
avis ne compte plus. Maintenant, il ne reste plus qu’à convaincre Eunice…
***
Stressée est un mot bien trop faible pour décrire mon état d’esprit du moment.
Assise à ma table, dans le café proposé par Eunice, je sens toute l’importance de
ce rendez-vous peser sur mes épaules. Joshua n’est pas loin, à quelques tables de
moi. Suffisamment loin pour ne pas qu’elle remarque sa présence en arrivant,
mais assez proche pour entendre notre discussion.
Je la reconnais dès qu’elle passe devant la baie vitrée du café. Brune comme
sur la photo, frêle comme un oiseau tombé du nid.
Quand mes yeux croisent les siens, je n’y lis pas de la colère ni de la haine.
Mais elle a le regard de ceux qui ne se font plus d’illusions, le regard grave et
profond, résigné même, de ceux qui n’attendent plus rien de la vie.
– Pour te cacher ? Tu crois que ton blog pourrait t’attirer des ennuis ? lui
demandé-je, feintant la surprise.
– Des ennuis ? Ce serait quand même gonflé de la part de ceux que je cite de
me traîner au tribunal. Je ne raconte pas n’importe quoi, j’ai des preuves de mon
avortement, de ma dépression… Même la fac doit avoir mon dossier scolaire
avec mes notes désastreuses… Non, c’est juste que je ne voulais pas que mon
maigre entourage sache tout ça. À part mes parents, personne ne sait dans ma
famille.
– Tes parents t’ont soutenue à l’époque ? Moi, les miens, je n’ai pas réussi à
leur dire ce que j’ai traversé. Il n’y a que mon oncle qui a su.
– Au début, j’étais comme toi, je n’avais pas envie de les impliquer… Ils
auraient fait quoi de toute façon ? Porté plainte ? À la fac, on m’aurait regardée
comme une bête curieuse… Franchement, j’avais déjà assez à faire avec mon
propre dégoût que d’assumer en plus celui des autres. Mais au bout du compte, il
a bien fallu que je leur explique la chute de mes notes… Et mon échec.
Je laisse le silence s’installer entre nous. Je lutte pour ne pas trop m’impliquer
personnellement, mais remuer son passé réveille aussi le mien et j’ai du mal à ne
pas me rappeler comment je jouais la comédie devant mes parents, trop heureux
de mes bons résultats, alors que j’évoluais dans une profonde solitude.
Olivia s’enflamme.
– Mais il n’y avait pas que Carlson ce soir-là… Pourquoi ne pas balancer les
autres noms ?
– Tu sais qui sont les Alphas aujourd’hui ? Avocats, procureurs, des gens bien
placés qui auraient tout étouffé. Carlson me rend un grand service en n’étant
« que » dans la pub. Je n’ai pas de preuves pour faire condamner ces pourritures,
encore moins mon violeur, je peux juste me raccrocher à l’idée qu’ils tremblent
un peu chez eux à l’idée que je puisse révéler leur nom. C’est tout ce que j’ai
pour me venger… C’est une piètre satisfaction, ça ne me fait même pas plaisir,
ça ne m’apporte aucune réjouissance. Mais au moins, une fois dans leur vie, ils
sauront ce à quoi ils ont participé. Je ne me fais aucune illusion, ils sauront
balayer ça d’un revers de la main.
– Mais c’est injuste pour Josh… Carlson. Il n’a peut-être pas fait ce dont tu
l’accuses !
– Je sais, c’est injuste, je n’ai pas de preuves pour ça non plus. J’écorche sa
réputation, et alors ? Moi c’est ma vie, mes rêves, que j’ai perdus. Il s’en
remettra, moi non, je ne me relève pas de ça. Je t’ai dit, il m’a donné l’occasion
de pouvoir m’apporter une petite vengeance, l’occasion de parler et de dire ce
qu’il peut arriver dans ces bizutages. Je regrette de ne pas avoir parlé à l’époque,
ça aurait sans doute changé tellement de choses… Je le fais avec beaucoup de
retard, mais quand je vois les réactions, les messages de soutien, ceux et celles
qui comme toi, viennent partager leur souffrance, je me dis que ce que je fais ne
sert pas à rien… Tant pis pour les dommages collatéraux.
Je comprends que je n’arriverai pas à lui faire entendre raison, et Joshua ne
serait pas impliqué comme il l’est, je la soutiendrais complètement. Notre
campagne n’a pas été assez loin.
– Vous avez raison, Olivia, fait une voix masculine dans mon dos.
Joshua fait le tour de notre table, sous son regard surpris. Mais très vite, la
colère la submerge et elle se lève violemment, faisant tomber sa chaise.
– On a eu tout faux sur cette campagne, vous avez raison, intervient Joshua
pour l’apaiser. Je veux tout refaire, et je voudrais qu’on le fasse avec vous. Et je
vous jure que je ne savais pas, pour ce qui vous est arrivé.
Une fois encore, j’admire son calme. Joshua a en face de lui celle qui l’a
traîné dans la boue, mais ce n’est pas ce qu’il retient en premier. Il n’est pas là
pour régler ses comptes, mais pour se mettre au service de sa souffrance.
Alors Joshua se met à lui expliquer la même chose qu’à nous ce matin, dans
son bureau : Il veut en effet tout refaire, changer de discours. Faire intervenir
ceux qui savent mais qui gardent le silence.
– Montrer des victimes pleurer sur leurs sorts, ça ne fera rien avancer,
continue-t-il. Je doute qu’on réussisse à avoir des témoignages de ceux qui ont
été acteurs des pires atrocités, mais il faut qu’on ait les témoignages des
« agresseurs » passifs. Ceux qui protègent les bourreaux. Les victimes n’ont pas
toujours le courage de parler. Il faut faire prendre conscience aux témoins de
l’importance de leur parole. Même si on a peur, car il n’y a pas que les victimes
malheureusement qui peuvent subir la pression des bourreaux, il y a toujours un
moyen d’aider ! Il faut dire les choses pour que rien ne reste impuni.
Joshua n’a pas besoin d’en faire trop pour se montrer persuasif. Il nous a
convaincus ce matin en nous faisant réaliser qu’effectivement notre campagne
n’avait fait qu’effleurer le problème de bizutage, qu’elle n’avait en rien traité le
problème en profondeur et que les dérives allaient bien plus loin que les déjà
douloureuses humiliations.
Je retiens mon souffle, je sais qu’il est arrivé au bout de ses arguments et qu’il
revient désormais à Olivia de nous dire ce qu’elle en pense.
Quand Olivia nous quitte, il est impossible de dire si cette entrevue aura un
impact, si nous la reverrons un jour ou pas.
C’est un peu comme repartir à zéro, avec une nouvelle motivation et dans
l’idée de partager un message plus puissant, plus fort encore que le précédent.
Non pas qu’il était mauvais, mais nous n’avions pas vu juste.
– J’y crois moi aussi. Mais fais attention, te mettre en avant comme ça, c’est
délicat, ça peut être mal perçu et…
– Tu t’inquiètes pour moi, Kirsten ? sourit-il.
– Bien sûr que je m’inquiète ! Tu as l’air épuisé, en plus !
– C’est vrai… Quand tout ira mieux, je ne serai pas contre un peu de repos.
Abigail et moi nous mettons à pied d’œuvre. Notre travail est plus intense,
d’autant plus que Brenton est aux abonnés absents depuis le début de la crise.
S’il savait qu’il rate le plus grand challenge de son stage ici, je suis sûre qu’il
reviendrait très vite. Juste pour raconter plus tard qu’il a sauvé l’agence !
26. Du changement dans l’air
[Essentielle…]
[De moi ?]
[Alors viens.]
[Les invités ?]
[Il y en a ?]
[Peut-être…]
Notre échange cesse. J’ai chaud, je suis en nage, excitée et frustrée, mais
assez fière de moi de ne pas avoir succombé tout de suite. Sauf que je brûle de
désir et que j’ai vraiment du mal à trouver une utilité à ce refus.
Est-ce que Joshua se montrera plus impliqué dans notre relation ? Il saura au
moins que je suis capable de refuser une invitation. Il se posera des questions et
peut-être que nous aurons une vraie discussion.
Tim a remplacé Brenton sur l’aspect technique et je dois bien admettre qu’il
est hyper efficace. Je ne pensais pas qu’il accepterait de faire le travail
initialement destiné à un stagiaire même si les missions ont pris une tout autre
dimension avec le virage à cent quatre-vingts degrés de la campagne. Ces
nouveaux tournages ont un coût supplémentaire au budget initial et c’est
l’agence qui doit le supporter. Alors, Tim essaie de parer à l’essentiel en trouvant
des astuces pour que cette histoire ne dérive pas en gouffre financier.
– J’ai une idée à vous soumettre, nous lance soudain Joshua en rejoignant le
pôle.
– Dis-moi que ça ne rajoutera pas une ligne de plus dans le plan financier,
l’implore Tim.
– Je crois que ce sera la ligne la plus coûteuse, sourit Joshua. Mais la plus
utile aussi.
– Dis-nous tout, soupire l’associé.
– Les campagnes que nous lançons sont censées pousser les gens à parler,
n’est-ce pas ? Mais on sait tous que ce n’est pas facile de se confier à nos
proches, ni même d’aller voir la police.
– Je vois où tu veux en venir, percuté-je. Un numéro !
– Exactement ! On lance les campagnes et un numéro de téléphone. On crée
un centre d’appels où on demandera à des psychologues d’intervenir, des
policiers, des personnes capables d’écouter et de conseiller. Tout ça de façon
anonyme. Qu’est-ce que vous en pensez ?
– Eh bien… C’est toute une logistique qui dépasse nos compétences,
commence Abigail. Mais on ira au bout de notre message, de la prise de
conscience et de la mise en place de moyen pour soutenir victimes, témoins,
même ceux qui pourraient culpabiliser de leurs actes.
– C’est tout à fait ça ! s’enthousiasme Joshua. Tim ?
– On ne peut pas dire qu’on n’aura pas fait les efforts nécessaires pour se
refaire une bonne réputation ! Nous avons toujours la trésorerie de secours en
cas de coup dur, on peut l’utiliser pour ça… En plus on pourrait mettre à
contribution un maximum de nos salariés pour éviter un chômage technique dans
les autres services.
– Très bonne idée, Tim ! Et toi, Kirsten, ton avis ?
Joshua se tourne enfin vers moi, attentif. Il sait que mon expérience
personnelle est essentielle.
Est-ce que j’aurais moi-même appelé des inconnus pour me faire aider ? J’ai
eu de la chance d’avoir mon oncle pour me soutenir et c’est peut-être ce qui m’a
sauvée finalement. Parler à quelqu’un.
Olivia. Eunice. Tout le monde ici la connaît sous sa véritable identité, Joshua
s’étant montré transparent quant à nos actions pour la retrouver et tenter
d’améliorer la situation. Je suis la première à me lever quand j’entends
l’assistante prononcer son nom.
Joshua l’accueille en tête à tête dans son bureau, non sans me jeter un regard
avant de fermer la porte. Concentré, déterminé.
Joshua hoche la tête. Qu’Olivia change de discours, et de ton surtout, sur son
site, est une victoire pour nous. Mais c’est ce que nous pouvions espérer de
mieux. Avec un peu de chance, les clients qui ont remis en question leur
collaboration avec l’agence reviendront sur leur décision.
Après les présentations avec Abigail et Tim, dont Olivia se souvenait très
bien, nous nous remettons au travail et l’informons de notre avancée sur cette
nouvelle campagne. Puis rendez-vous est pris avec elle pour son propre
tournage.
La situation s’améliore. Il faut croire que les choses continueront dans ce sens
et que d’ici quelques jours, nous serons en mesure de tourner définitivement la
page de ce triste épisode.
– J’espère que cette fois, ce sera la bonne, me souffle Abigail une fois seules.
Je crois que je ne suis pas près de redemander une campagne de cette
importance !
– Attends-toi plutôt à être sur tous les dossiers difficiles vu que tu as survécu
à celui-ci !
– Ma coloriste sera ravie avec tous les cheveux blancs que je vais me faire !
Pour la première fois depuis longtemps, nous rions. Signe que tout s’arrange,
non ?
Mon portable vibre sur mon bureau. C’est Liana… J’espère qu’elle ne
m’appelle pas pour me dire qu’elle organise une autre soirée, j’ai vraiment
besoin de dormir !
Et ça ne rate pas. Quand nous le retrouvons, allongé dans son lit, Deaken nous
accueille, sourcils froncés, très contrarié.
– Ce n’est pas ici que je vais avancer dans mes travaux, s’agace-t-il.
– Il fallait y penser avant de jouer au funambule, répond Liana en s’asseyant
sur son lit.
– C’est juste un bleu ! Je suis sûr que demain, je gambaderai à nouveau
comme un cabri.
– En attendant, repose-toi, interviens-je. Tu as besoin de quelque chose ? De
vêtements ? Tu sais combien de temps tu restes ici ?
– Trop longtemps à mon avis, soupire-t-il. Mais non, je ne sais pas. Le
médecin a dit qu’il repasserait dans la soirée. Tout ça pour me piquer les pieds
avec des aiguilles. Les radios sont bonnes, pourquoi me garder ?!
– Sois rassuré, avec ton humeur de chien, les infirmières vont vite te mettre à
la porte ! se moque ma cousine. Et puis vu qu’elles sont juste en face de toi, elles
entendront bien tes lamentations !
Deaken lève les yeux au ciel. Pour changer de sujet, je lui demande où en sont
ses travaux. Une distraction qui fonctionne puisqu’il se lance dans l’explication
de sa décoration, de ses problèmes avec les fournisseurs et avec ses pinceaux.
Trop gros, pas assez, la peinture pas adaptée… Tout y passe !
– Mais monsieur, puisqu’on vous dit qu’on ne la trouve pas ! fait la voix
d’une infirmière dans le couloir.
– Eh bien, pas besoin de télé, tu as l’animation du service en direct de ta
chambre, plaisante Liana en passant la tête dehors.
– On m’a dit qu’elle était ici, Kirsten Lake ! Vérifiez !
– Bah mince, c’est Joshua, glissé-je à mes amis avant de le rejoindre. Qu’est-
ce que tu fais là ?
– Kirsten ! Mais… Tu es debout ?
– Je crois que j’ai besoin de repos, me souffle-t-il en souriant à son tour. Mais
pourquoi tu es là ?
– Mon ami Deaken a fait une mauvaise chute. On a craint la paralysie, mais
tout va bien.
– Bonjour Joshua ! nous lance Liana d’un air très intéressé.
Ma cousine a tout entendu elle aussi et avec son petit sourire en coin, elle
profite de la situation pour faire la connaissance de Joshua. Impossible de
l’ignorer et j’entraîne Joshua vers la chambre.
Comme ça c’est clair, Joshua ne peut plus ignorer que je n’ai pas gardé le
secret de notre relation. Et je sais exactement où Deaken et ma cousine veulent
en venir. Joshua vient d’être pris au piège de ces deux-là. Ils vont chercher à lui
poser plein de questions…
Mon Dieu… Il ne sait pas dans quoi il vient de mettre les pieds.
Parce que je les vois, Liana et Deaken, sauter sur leur proie au moment où
Joshua baisse la garde !
– Ça va, à l’agence ? Vous vous en sortez avec ces rumeurs sur vous ?
– Kirsten nous a tout raconté, on l’a récupérée le soir complètement
dévastée…
– Deaken…
– On a traversé des moments difficiles, c’est vrai, répond tranquillement
Joshua. Kirsten est très impliquée, elle a été essentielle ces derniers jours.
– Elle est essentielle tout le temps, surenchérit Liana. La vie est plus belle
depuis qu’elle vit avec moi. Je suis sûre qu’elle a dû changer quelque chose chez
vous aussi ?
– Elle a bouleversé certaines choses oui… répond Joshua en me souriant.
– OK ! « Elle » est dans la pièce, je vous le rappelle ! Et on n’est pas là pour
moi, mais pour Deaken !
– Joshua, continue le faux paralysé. J’ouvre une boutique pour hommes. Votre
costume est impeccable, mais venez me voir, je suis sûr qu’on pourra trouver
mieux pour vous ! Enfin, venez d’abord à l’inauguration. Avec Kirsten, pourquoi
pas ?
Un ange passe…
– Je vais vous demander de sortir, intervient une infirmière qui me sauve sans
le savoir.
– Moi aussi ? ironise Deaken alors que nous quittons sa chambre.
– Je crois que Deaken ne se rend pas compte, souffle Liana. Mais il a pris du
retard dans ses travaux et jamais la boutique ne sera prête pour son inauguration.
– Pourquoi ne pas décaler la date ? demande Joshua.
– Vous voulez l’achever ?! Depuis le temps qu’il attend ça…
– Alors dans ce cas-là, il n’y a plus qu’à se retrousser les manches et lui
donner un coup de main. C’est samedi demain, c’est parfait !
– Tu veux… aider ?
– Oui, ton ami a besoin de nous, c’est sans hésitation.
– Oui, mais…
– OK ! m’interrompt Liana. Kirsten vous enverra l’adresse. On dit dix
heures ?
– Parfait ! Je dois retourner à l’agence, reste, me souffle-t-il en m’embrassant
sur la joue. On se voit demain.
Je regarde Joshua partir, toujours surprise par sa venue ici, son naturel face à
mes amis, sa non-réaction alors que je n’ai clairement pas respecté notre secret et
sa proposition spontanée de m’aider.
Je veux l’entendre de sa bouche. Il faut que ce soit lui qui me le dise. C’est
tout ce que j’attends pour me libérer.
Il est à tomber dans son jean et son tee-shirt. Il me rappelle les Hamptons. Ses
yeux pétillent, il est rasé de près et je sens son parfum frais tout autour de moi.
Je réprime une envie soudaine de me serrer contre lui et de l’embrasser, mais
Liana est déjà là, à nous toiser, à moitié hilare.
– Je vous mettrais bien dans la même équipe tous les deux, mais j’ai besoin de
tes muscles. On se tutoie, n’est-ce pas ? Viens, il faut abattre une cloison !
J’enrage intérieurement qu’elle me le vole sous mes yeux, mais c’est pour la
bonne cause et ça nous évite l’embarras de choisir la façon de nous dire bonjour.
L’embrasser ? Lui faire la bise ? Voir Joshua se sentir à l’aise avec mes amis, rire
avec ma cousine, me perturbe. Hier nous devions nous cacher et aujourd’hui, il
est là. Il y a eu un changement entre nous, qui s’est opéré naturellement, sans
heurts. Et c’est assez étrange quand on y pense. Parce que, très sincèrement, je
ne sais plus comment agir avec lui !
– Tout va bien ?
– Oui, souffle-t-il. Je disais donc…
– Que tu étais avec moi, continué-je sa phrase, le cœur battant d’entendre
enfin les mots tant désirés.
– Et que j’adore ça, ajoute-t-il. Je me rends compte que…
– J’ai un problème pour ouvrir mon pot de peinture, nous lance Liana du fond
de la boutique ! Josh !
– Je crois qu’on n’y arrivera pas, sourit-il.
– Non, pas ici !
Il a commencé à me parler…
Je mets du cœur à ma tâche, surprends ses regards, quand ce n’est pas ceux de
Liana qui lève les yeux au ciel. Et je souris, toute seule devant mon mur, gagnée
par une douce euphorie. J’adore moi aussi qu’il soit là…
Impossible de ne pas lui parler sèchement. Ma rancœur est encore vive à son
égard.
– Je ne sais pas comment rattraper ça, Kirsten. Je sais que je vous ai blessée,
que j’ai aussi blessé mon meilleur ami et que j’aurais pu faire n’importe quoi et
perdre tout ce que j’ai de plus précieux au monde : ma femme qui a cru que vous
étiez ma maîtresse, mon meilleur ami et l’agence. Cette histoire m’a fait
comprendre l’importance d’être entouré alors… Je suis vraiment désolé, Kirsten.
Joshua nous regarde, bras croisés. Tim a l’air sincère mais je ne peux pas
balayer aussi facilement ce qu’il a fait ou ce qu’il a dit. Qu’il fasse ses preuves
en tant qu’ami maintenant, qu’il se montre comme il est d’habitude. Après ça,
nous verrons…
– Tenez, finis-je par lui dire en lui tendant mon pinceau. Nous ne serons pas
trop de quatre ici. Moi aussi j’ai compris quelque chose, ces dernières semaines.
Je n’ai pas envie de vous en vouloir toute ma vie. Vous m’avez blessée, j’aurais
pu perdre beaucoup plus de choses que vous ne le pensez, pas seulement un
stage. Mais vous prenez vos responsabilités, c’est déjà un bon début.
À peine a-t-il fermé la porte qu’il se précipite sur moi pour m’embrasser,
m’entourant le visage de ses mains. Un baiser que je savoure tant il commençait
à se faire attendre… Mais quand ses doigts se font plus entreprenants, la
déception me gagne. Je ne suis donc que ça à ses yeux ?
Je fais un pas en arrière mais je m’accroche à ses bras. Ses mots, c’est plus
que ce que j’attendais. Je n’ai même jamais osé les imaginer… Joshua m’aime.
– Kirsten, ça va ?
– Oui… soufflé-je. Je ne m’attendais pas à ça, c’est tout…
– Laisse-moi te conquérir, me demande-t-il avec tant de ferveur dans les yeux
que mes doigts se crispent encore plus sur ses bras.
– Non…
– Non ?
– Je veux dire… Tu n’as pas besoin de faire ça, je suis déjà conquise,
murmuré-je. J’essaie de calmer mes sentiments pour toi depuis des semaines. Je
ne savais pas ce que tu voulais et…
Joshua noie ses vœux en plongeant son visage dans mes cheveux.
– On n’avancera pas très vite si vous vous cachez dans la remise tous les
deux ! crie soudain Liana derrière la porte.
Nous nous serrons l’un contre l’autre, en évitant de rire trop fort. C’est
difficile de nous séparer. Le regard de Joshua pétille, le mien aussi. Je crois qu’il
n’y a rien à ajouter. Même Liana n’a pas besoin d’explications quand elle nous
voit sortir.
J’évolue dans une bulle cotonneuse, sur un nuage. Je ne suis pas sûre de
réaliser vraiment, ni de comprendre ce que signifient très exactement les mots de
Joshua.
Enfin si… C’est pour ça que j’ai un sourire béat qui ne me quitte pas.
Mais c’est tellement… Je n’ai même pas de mot. Joshua et moi, officiel. Il
m’aime, je l’aime. Alors que tout avait l’air si compliqué avant, la situation est
devenue tellement simple ! Non vraiment, je ne réalise pas.
Nous nous retournons tous d’un seul mouvement pour apercevoir Deaken, sur
le pas de la porte.
– Ils t’ont laissé sortir ? lui demande aussitôt Liana. Tu avais dit que tu
appellerais pour que je vienne te chercher !
– J’ai appelé, Lia, tu n’as jamais répondu ! J’ai cru que tu m’avais
abandonné !
– Oups… J’ai laissé mon téléphone dans mon sac…
Deaken s’approche de nous alors que nous nous regroupons pour lui crier
« surprise » ! Son regard se pose sur nous, puis sur les murs, puis de nouveau sur
nous. Joshua s’est glissé derrière moi, m’entoure de ses bras. Mon sourire
s’élargit.
Deaken s’écarte et je jette un regard à Tim, pour voir sa réaction. Joshua lui
avait-il parlé de ce qu’il comptait m’annoncer ? Est-ce qu’il s’était confié à lui ?
En tout cas, il n’a pas l’air surpris.
Joshua m’attire vers lui pour m’embrasser. Cette fois, pas besoin de se
précipiter ou de craindre les regards. Nous sommes ensemble. Un point c’est
tout.
Deaken revient effectivement quelques minutes plus tard, les bras chargés de
nourriture en tout genre. Une rapide pause déjeuner et nous nous remettons tous
au travail. Très vite, la boutique commence à avoir de l’allure. Il faudra
certainement encore un gros week-end de travail ici pour que tout soit terminé.
Pour clore cette journée, mémorable, Joshua se propose de nous inviter chez
lui. Une invitation qu’acceptent aussitôt mes deux compères, trop heureux de
s’offrir une soirée avec vue sur New York, mais surtout de continuer à faire
connaissance avec lui. Le courant passe bien pour le moment. Je ne pouvais
sincèrement pas rêver mieux !
***
Je ferme la porte sur mes amis et nous nous retrouvons en tête à tête, Joshua
et moi.
Enfin seuls !
Il m’attire à lui pour m’entourer de ses bras et nous restons quelques instants
à profiter de ce retour au calme.
– Tu sais que je risque de ne plus te lâcher ? souffle-t-il à mon oreille.
– C’est un risque que j’accepte de courir…
– Alors, tu ne pars plus d’ici. Je te fais ma prisonnière.
– J’accepte. Jusqu’à demain soir, souris-je. Il faudra que je rentre pour me
changer avant de retourner à l’agence…
– Liana t’apportera une valise.
– Je ne rentre plus ?
– Non, je te garde… On a assez passé de temps à se voir en pointillé, je veux
que tu sois là, tout le temps !
Joshua pose ses lèvres sur les miennes et m’offre un baiser passionné, de ceux
qui vous font léviter au-dessus du sol tellement ils vous transportent.
Cette fois, c’est moi qui l’embrasse, qui me serre contre lui. Et qui l’entraîne
vers sa chambre, qui le pousse sur son lit. C’est moi encore qui prends
l’initiative de le déshabiller. D’abord son tee-shirt puis sa ceinture puis les
boutons de son pantalon, avant de le faire glisser complètement jusqu’à ses
chevilles.
– Je ne vais pas me laisser faire alors que tu n’es pas complètement nue toi
aussi ! Ne crois pas que ce que je viens de t’avouer change quoi que ce soit à
mon envie de te posséder.
Je fais mine de riposter, j’ai sincèrement envie de revenir sur lui, mais il est
facile pour lui de lutter contre mes assauts. En quelques minutes, je ne porte plus
rien. Même pas un sous-vêtement. Et je profite d’un relâchement de sa part pour
revenir sur lui, à califourchon.
– Laisse-moi faire…
Joshua baisse les armes et accepte de se livrer à moi. Je m’assieds sur lui, sens
son membre durcir dans son boxer et commence à bouger. Ses mains viennent se
poser d’abord sur mes hanches pour m’accompagner. J’adore le voir prendre du
plaisir, voir ses yeux s’assombrir par le désir. Quand il soupire, j’accentue le
rythme. Ses doigts viennent effleurer mes tétons durcis. Ma nouvelle assurance
fait grimper mon excitation en flèche et très vite, j’ai envie de le sentir bouger en
moi. De le chevaucher, de le faire frémir encore plus.
Je me décale un peu pour glisser mes doigts sous son boxer et lui enlever.
Prise d’une soudaine pulsion, j’embrasse son sexe. Je découvre cette peau si
fragile, ce membre puissant. Je le caresse, le lèche… Je veux tout savoir sur lui,
connaître les endroits où Joshua se cambre et ceux où il soupire. Je le prends tout
doucement dans ma bouche et l’aspire un peu… Au-dessus de moi, j’entends un
râle profond, ses doigts qui s’enfoncent dans mes cheveux… Je suis portée par le
désir de lui en donner un maximum, et ses réactions décuplent encore un peu
plus le mien.
Je me redresse, me mords les lèvres quand je croise son regard. Joshua m’a
faite femme et cette simple pensée me transcende complètement. Il comprend
mon impatience et tend sa main vers la table de nuit alors que je dévore son
corps, effleurant son sexe avec le mien…
– Kirsten, souffle-t-il pour attirer mon attention. Faisons un test, Il n’y a plus
que toi qui comptes, et ton plaisir. Je veux te faire jouir sans ce truc en latex.
Mon cœur s’emballe sous ces serments d’amour partagé. Je tremble même
quand je déroule sur son membre cette protection qui fera bientôt partie du
passé. Je suis troublée, et bouleversée, submergée par le bonheur. Si ma tête et
mon cœur vivent un vrai feu d’artifice, mon corps, lui, s’embrase de plus belle.
Faire l’amour avec un homme qu’on aime, l’expérience m’est connue. Mais
quand il vous aime en retour… Le septième ciel ne me semble pas assez haut ni
assez grand pour décrire ce nouvel élan qui me prend. Encore moins ce feu qui
m’anime soudain.
Le regard de Joshua est devenu plus sombre, plus lourd de sens. Aucun
mauvais présage à l’horizon, bien au contraire. Ce que je vois, ce que j’y lis,
c’est toute l’importance que j’ai désormais dans sa vie. Joshua a laissé tomber
ses barrières, a accepté le lâcher-prise.
Il a accepté de ne plus rien contrôler… C’est l’amour qui nous dicte ses
règles, pas l’inverse…
Ses mots nous embrasent tous les deux. Sans douceur et avec une force
presque animale, nous sautons l’un sur l’autre comme des bêtes assoiffées de
désir. Joshua me pénètre et me pilonne sauvagement, avec une rage nouvelle,
porté lui aussi par une nouvelle énergie. J’enroule mes jambes autour de son
bassin, m’accroche à lui, me cambre pour qu’il aille encore plus loin, plus fort.
J’aime cet homme, il m’aime… Moi aussi j’en veux plus et je le pousse à rouler
sur le côté. À califourchon sur lui, c’est moi qui mène le rythme, rapide et
vertigineux. Nous gémissons en écho, Joshua m’attrape le bout des seins, puis
mes fesses… Cette frénésie qui nous porte, très bestiale, décuple le plaisir.
Nous roulons encore, comme si rien ne pouvait plus nous arrêter. Ses lèvres
me dévorent, mes ongles se plantent dans son dos. J’aimerais que cette étreinte
ne s’arrête jamais, que ce feu, entre mes jambes, dans mon ventre, me consume
le plus longtemps possible. Que Joshua continue de faire courir sa langue sur
mes seins, sur ma peau…
Mon amant amoureux entre et sort, nous jouons de nos corps, de la frustration
de nous éloigner soudain l’un de l’autre, pour mieux nous retrouver. Nos corps
vibrent, nos regards restent accrochés. Ce lit est notre terrain de jeu, Joshua
guide mes mains, j’ose tout… Je me frotte à lui, contre son sexe. Comme une
envie de tout tester, tout ressentir, maintenant et tout de suite !
Mais dans un geste puissant, Joshua finit par m’attraper et pour que je ne
bouge plus, bloque mes mains au-dessus de ma tête. Alors il me pénètre, se met
à bouger en moi, à grogner… Et je jouis, je jouis dans l’extase la plus complète,
heureuse. Mon désir n’est pas complètement assouvi, mais je suis loin, là-haut,
quelque part, heureuse, conquise et… amoureuse.
Joshua me rejoint, son orgasme semble puissant, son râle est long et profond.
Quand il retombe à mes côtés, je sens son cœur battre à mille à l’heure. Un cœur
qui bat pour moi…
C’est donc ça, le bonheur…
Aujourd’hui, ce soir, nous venons de nous engager dans une toute nouvelle
relation.
28. L’aube d’une nouvelle vie
Si notre relation a changé, ni Joshua ni moi n’avons perdu de vue que nous
avons encore une campagne à mener à son terme. C’est pourquoi le jour du
tournage de la séquence d’Olivia, le lendemain de ce week-end riche en
révélations amoureuses, nous sommes tous les deux à nouveau concentrés sur
notre sujet.
D’autant plus que vu l’état de nerfs d’Olivia, je n’ai pas vraiment le temps de
penser à autre chose.
Impossible de retenir Joshua, il est déjà près d’une Olivia dont les pupilles
dilatées trahissent sa peur.
Ses doigts se crispent sur ses genoux. Je me rapproche d’elle pour la soutenir
au cas où elle flancherait.
– Il a fait une overdose fatale il y a cinq ans au cours d’une soirée, continue
Joshua en douceur.
– J’ai d’autant plus de raison de témoigner aujourd’hui, finit-elle par nous dire
en se redressant. J’ai trop attendu pour parler et maintenant, personne ne sera
puni pour ce qu’on m’a fait. Je ne le souhaite à personne…
– Notre chef est courageux quand même, me glisse Abigail quand elle me
rejoint dans l’ombre, alors que Joshua s’est installé à son tour devant la caméra.
– Très…
Et je retiens mon souffle. Mon regard oscille entre le retour caméra et son
visage. Il est beau, vraiment beau, et déterminé.
Joshua fait une pause, le regard plongé dans l’œil de la caméra. Je serre les
poings, plus tendue que jamais.
– Mon colocataire ne m’a jamais mis au courant de ses actes. Mais même
dans cette ignorance, aujourd’hui, je me sens coupable. Coupable de laisser
faire, coupable de me désintéresser du sort de mes camarades. Si un seul d’entre
nous avait levé une objection, une simple question, rien de tout ça ne serait peut-
être arrivé. Si l’un de nous… si j’avais osé dire tout haut, m’exprimer sur ce que
je pensais vraiment, en serions-nous là ? Par mon silence, je suis complice. Il est
temps de donner la parole au plus grand nombre. Les victimes, ce n’est pas
assez. Vous, les témoins, vous devez donner de la voix, apporter votre soutien à
ceux et celles qui en ont besoin. Parlez ! N’ayez pas peur !
Abigail renifle à mes côtés et j’efface rapidement les larmes qui coulent sur
mes joues. Les mots de Joshua sont graves, martelés avec force. Mais il lui en
coûte. Quand l’enregistrement s’arrête, je le vois baisser la tête. Plus personne ne
bouge et un silence respectueux s’impose. C’est Olivia la première qui vient
poser la main sur son épaule et lui murmure un « merci ». Joshua relève la tête et
lui sourit.
Nos regards se trouvent. Notre échange est rapide, mais j’espère qu’il a
compris toute mon admiration, tout l’amour que je lui porte. Comme je lis le sien
dans ses doux yeux verts.
Les autres tournages s’enchaînent et, sans perdre une minute, nous regardons
les rendus, organisons les témoignages, les coupes utiles à apporter. Le
réalisateur est un homme attentif et bienveillant et le courant passe parfaitement
entre lui et Joshua. Je souris en les regardant échanger leurs idées et je n’ai
aucun doute quant à la réussite de cette campagne.
Nous trouvons enfin un moment pour nous éclipser, plus tard dans la journée.
Je profite du fait d’être dans ses bras pour le féliciter, lui dire comme il a été
parfait.
Il dépose un baiser sur mes lèvres avant de me quitter. Je ne sais pas où il doit
partir aussi vite, mais autant dire qu’il me manque déjà.
***
Si Joshua est très occupé de son côté, Abigail et moi ne chômons pas non plus
ces derniers jours. Nous avançons tellement bien que nous en avons
complètement oublié l’absence de Brenton ! Je suis en pause-café quand mon
téléphone se met à sonner et le numéro qui s’affiche à l’écran risque bien de
jouer avec mes nerfs.
– Non, la vie est tout de même plus calme par ici. Mais nous n’avons pas dit
notre dernier mot ! Nous attendons la fin de ton stage et ton retour pour passer
ton examen ici pour discuter avec toi. Il est impensable que tu restes vivr…
– Oh, maman, excuse-moi, mais on m’appelle pour une réunion. Vous avez
raison, on reparlera de tout ça quand je reviendrai. Mais ne vous en faites pas,
tout va bien ! Bisous !
Je tiens à rester sur la note heureuse de cette bonne nouvelle plutôt que sur un
sermon où nous ne serons de toute façon pas d’accord. Quand Liana
l’apprendra… Nous avons une double raison de faire la fête ce soir !
***
La musique bat son plein quand je pose mes talons dans la nouvelle boutique
de Deaken. Tout est prêt pour l’ouverture, il y a même déjà quelques collections
pour que les invités puissent déjà faire des achats !
Mais alors, là où je suis le plus surprise, c’est bien de voir les œuvres de
Liana… Peintures, sculptures mais aussi des photos que je n’avais encore jamais
vues…
Quand je tourne la tête, je me rends compte que mon portrait est suspendu sur
un mur !
Avant j’aurais eu honte de voir ma tête en gros plan accroché aux murs !
– Je t’ai connue avec cette fraîcheur, souffle une voix familière à mon oreille.
Ne t’en sépare jamais, c’est comme ça que tu me plais !
– Cette photo…
– Est magnifique… Je l’achète si elle est à vendre !
– Je pense que Deaken préférerait que tu ne lui prennes quelques costumes…
– Je suis contente que tu sois là, lui confié-je en relevant la tête. Où étais-tu ?
– Et moi de pouvoir enfin m’occuper de toi et de ne plus penser qu’à nous…
Je réglais une affaire à l’autre bout du pays. Il est encore tôt pour en parler…
Nous restons accrochés l’un à l’autre, au milieu des invités, sans bouger.
Aucun de nous n’a envie de briser ces retrouvailles. Nous sommes seuls au
monde et plus rien n’a vraiment d’intérêt.
– C’est dingue l’effet que vous fait cette boutique, nous lance la voix excitée
de Liana. Vous êtes avec nous, ou on érige une zone rien que pour vous ?
– Désolé, rit Joshua. Je rentre tout juste, Kirsten me manquait et…
– OK, OK, mais venez boire une coupe avec nous quand même. Vous avez
toute la vie pour vous couper du monde, les amoureux !
Liana nous sépare d’un petit geste vif de la main et nous attrape chacun par un
bras pour nous mener au buffet.
– Je sais qu’il n’y a que Kirsten qui compte, s’exclame Deaken en tendant une
coupe à Joshua, mais il faudrait aussi que tu regardes ma collection !
– Mais vous êtes ligués contre nous, ce n’est pas possible ! leur reproché-je
gentiment.
– Vous avez raison, s’excuse Joshua. J’ai toute la vie pour Kirsten, je ne suis
pas sûr qu’il en sera de même pour ce costume sombre, là. Un conseil de pro ?
– Je peux même t’emmener en cabine pour les essayages !
Liana et moi trinquons ensemble, laissant les deux hommes discuter autour de
la coupe d’une veste.
Si ma bouche dit non, mon cœur en revanche dit oui, mille fois oui. Ce serait
peut-être un peu tôt mais…
Pourquoi pas !
***
– J’ai le nouveau spot à vous montrer, nous lance Joshua en entrant dans la
salle de réunion, suivi d’un Tim très souriant. Il a d’ores et déjà été validé par le
recteur de l’université et par le gouvernement. Il sera diffusé dès cet après-midi
en ligne. J’espère qu’il vous plaira !
Abigail et moi avons déjà eu la chance de le voir. Nos yeux ne se portent donc
pas sur l’écran, mais sur les réactions de nos collègues. Certains arrivent à ne
rien laisser transparaître, mais je note des larmes rouler sur certaines joues. Et
quand le spot se termine, le silence s’installe. Avant que les applaudissements
n’éclatent et que l’on vienne nous féliciter.
– Je profite de tous vous avoir sous la main pour vous annoncer quelques
nouvelles. Pour commencer, Tim nous quitte. Nous ouvrons une agence à Los
Angeles et il en prendra la responsabilité. Son poste étant désormais vacant ici à
New York, nous souhaiterions qu’Abigail le remplace et devienne la directrice
adjointe. Tu nous as montré que tu savais gérer les dossiers les plus critiques, ce
poste est fait pour toi !
– Mais, on ne commande pas des sentiments quand ils vous tombent dessus.
Donc oui, Kirsten et moi sommes bien ensemble. Certains d’entre vous jugeront
cette relation inappropriée, je peux le comprendre. Sachez quand même que nous
nous sommes rencontrés avant de savoir que nous devrions travailler ensemble.
Mais je ne renoncerai pas à Kirsten. Je l’aime, profondément et vivre sans elle
est impossible. J’ai pensé fermer l’agence pour vivre pleinement notre relation,
sans subir les rumeurs ou les jugements. J’ai aussi pensé à stopper le stage de
Kirsten ici. Mais sachez-le, Kirsten n’a pas besoin de traitement de faveur, ses
qualités professionnelles sont excellentes et je pense qu’Abigail me rejoindra sur
ce point puisqu’elle m’a demandé de l’embaucher à l’issue de son stage. Abigail,
j’espère que cette nouvelle ne te fera pas changer d’avis. Après cette réunion, Je
n’accepterai aucune rumeur, aucun sous-entendu. Kirsten est à la place qu’elle
mérite, par son travail. Et elle est plus que jamais à sa place dans ma vie.
– Maintenant que tout est dit, je vous laisse retourner à vos dossiers. Nos
anciens clients sont revenus, nous devons leur donner entière satisfaction. Je
diffuserai les premiers chiffres de la campagne ce soir. Croisons les doigts !
J’attends que le monde soit parti pour me glisser vers Joshua et Tim.
– Mais j’ai encore très envie de nos baisers volés. C’était aussi très excitant de
nous cacher… murmuré-je à son oreille pour que Tim ne m’entende pas.
– Qui a dit que c’était terminé… Je n’ai aucune envie de brider ton désir. Il y
a notre relation officielle et notre plaisir… plus discret.
Quand je rejoins mon bureau, Abigail m’attend. J’ai une petite appréhension
quant à sa réaction, mais elle est au bord de l’hystérie !
Oh !
Trop d’émotions !
Nous éclatons de rire avant de reprendre notre travail. Je n’ai pas encore
sérieusement pensé à ce que serait exactement ma vie après mon stage. Mais la
forme qu’elle commence à prendre me plaît bien ! Il me reste de toute façon
encore quelques semaines à terminer avant de penser à la fin.
Je pensais qu’il serait plus simple de revenir ici, que plus rien ne m’affecterait
désormais. Mais ce retour à Saint Cloud, pour mes derniers examens, me met
mal à l’aise. Rien n’a changé, ici. Je me suis mise un peu à l’écart, sur un banc
pour observer le spectacle des étudiants qui se retrouvent après la séparation du
stage et… Glove qui papillonne au milieu de toutes ses élèves. Le prof à
l’origine de tout mon mal-être me jette des regards ironiques.
J’ai gagné tellement, ces derniers mois. Je n’ai plus rien à prouver ici. Je
termine cette dernière épreuve et je rentre chez moi.
À New York.
Glove sera dans mon jury. Je me suis préparée à ne pas avoir de cadeau de sa
part. L’ultime vengeance pour ne pas avoir accepté ses avances… Pour moi,
c’est la dernière étape. Je sais que j’aurais dû le dénoncer, qu’un attouchement
est un crime, mais je n'en ai vraiment pas le courage.
Ce qui est ironique quand on pense que j’ai travaillé sur une campagne de
sensibilisation…
Mais si j’ai appris quelque chose, c’est bien que tout n’est pas toujours blanc
ou noir.
J’ai préparé cet oral à la perfection avec Abigail. Pas Joshua, parce qu’il sera
là aussi et nous avons décidé qu’il devait rester le plus impartial possible.
Deaken ?! Liana ?!
Quand je serre à son tour Deaken dans mes bras, j’aperçois Joshua quelques
mètres plus loin. Nous nous contentons d’un simple signe de tête. Ici, il est mon
boss et je suis sa stagiaire.
– Je suis vraiment contente de vous voir, leur dis-je en souriant. Cet endroit
prend un tout autre aspect avec vous !
– On apporte une touche plus fun, c’est sûr, sourit Deaken.
– Bon, je dois me rendre à ma salle d’exam. On peut se retrouver dans le seul
bar sympa de la ville ?
– Tu rigoles ? On t’accompagne jusqu’au bout !
Je fais donc mon entrée dans le bâtiment sous les regards amusés,
indifférents, parfois méprisants de mes camarades de promo. Si je voulais me
concentrer avant de me lancer, c’est raté. Mais la bonne humeur que m’apportent
mes deux amis suffit déjà à lever le stress. Je rentre dans ma salle en leur
adressant un signe de la main.
– Kiki ! « Merde » pour ton exam ! me lance Deaken, sans discrétion.
Dépêche-toi de boucler tes études pour qu’on te ramène à la maison !
Je m’installe à la table alors que mes camarades prennent place dans mon dos.
C’est comme ça que ça se passe, l’oral est public et chaque étudiant est invité à
écouter les autres pour profiter des expériences vécues. Une idée qui m’aurait
fait paniquer il y a quelques mois, mais aujourd’hui, je suis complètement
indifférente… et différente !
Devant moi, le jury. Joshua discute avec mes professeurs alors que je prépare
doucement mes notes. J’arrive vraiment à contrôler la pression, je maîtrise
parfaitement mes moyens. Il faut dire que j’ai un bon coach pour ça…
– Je suis heureux de constater que New York et sa jungle urbaine ne vous ont
pas dévorée, Kirsten ! Vous nous êtes revenue entière. Nous avons pourtant eu
peur, vous qui étiez si jeune, si… angélique…
Derrière moi, des rires. Je vois du coin de l’œil que Joshua se crispe. Il sait
qui est Glove. Et je crois que, sans lui en parler, il aurait pu le deviner.
Les questions, les vraies cette fois, me ramènent à mon travail, la campagne
notamment. Je vois l’admiration de certains de mes professeurs quand ils
comprennent le travail que nous avons effectué, et les résultats qui ont dépassé
nos attentes. Puis, c’est au tour de Joshua d’apporter son commentaire sur mon
stage. Il se lève, prend le temps.
– Kirsten s’est très vite adaptée à notre rythme et à la cadence qu’une agence
comme la nôtre demande. Je félicite ses capacités à se mettre en danger, en
quittant son univers familier pour venir se frotter à la « jungle urbaine » comme
vous le souligniez tout à l’heure, monsieur Glove. Elle ne se repose pas sur ses
acquis, elle a la hargne de ceux qui sont prêts à vivre. Et un professionnalisme
exemplaire dont on ne peut pas dire qu’il soit partagé pas tous ici. Je vous ai vu
caresser la joue d’une élève dans le couloir, dites-moi, vous intégrez ce geste
dans quel enseignement ?
Glove ne sait pas s’il doit réagir ou se taire. Devant quelqu’un comme Joshua,
il ne fait pas le poids. Tous les regards des membres du jury sont posés sur lui.
Durs. Très durs. Quelque chose n’est pas normal, je les observe tous, surprise.
Mais je n’ai pas le temps de m’interroger plus que Joshua reprend déjà la parole.
Glove est livide. Dans mon dos, certains élèves applaudissent, d’autres
poussent Glove à quitter les lieux. Moi ? Je tremble devant ce dénouement, mais
je jubile intérieurement. Enfin… Je suis libérée d’un poids, je me sens respirer,
soulagée. Surtout quand Glove disparaît. Grâce à Joshua…
Mais comment ?!
Je cours dans les couloirs, réellement heureuse, rejoindre ceux qui sont
essentiels à ma vie désormais : Deaken et Liana. Et Joshua, quand il sera libéré
de ses contraintes.
***
– C’est enfin fini ! crié-je presque en leur sautant dans les bras.
– Tu as réussi ? C’est bon ?! s’empresse de me demander Deaken.
– Verdict dans deux heures ! On va boire un verre, je paie la première
tournée !
J’envoie un message rapide à Joshua pour qu’il sache nous retrouver alors que
déjà nous levons nos pintes dans un tintement sonore et renversant.
J’ai réussi !
***
– Maintenant que ton stage est terminé et que tu ne rentres en poste que dans
un mois, qu’est-ce que tu comptes faire ? me demande-t-il d’une voix douce.
Joshua sourit et ses yeux pétillent. Je crois qu’il ne se rend pas compte de ce
qui l’attend demain. J’attrape son visage entre mes mains pour l’embrasser. Je
n’ai aucun doute sur l’endroit où je veux passer ma vie.
Quel cadeau ! Je n’ai jamais pris l’avion plus loin que pour aller à New
York !
– Merci, soufflé-je.
Joshua me dépose un baiser sur le front, caresse ma joue avec son pouce. Son
regard est chaud, enveloppant. Je frissonne malgré la température de l’eau.
J’aime cet homme, j’adore aimer. Et savoir que l’on est aimée aussi, c’est se
sentir pousser des ailes !
Mais Joshua recule aussitôt sa tête, un sourire malicieux sur les lèvres, le
regard pétillant.
Quoi ?! Il s’arrête là ?!
– Puisque tu es d’accord pour passer le mois prochain avec moi, alors peut-
être…
Dans l’alcôve, au-dessus de notre tête, Joshua attrape cette fois un écrin. Noir,
en velours. Je suis obligée de m’accrocher à la baignoire pour ne pas succomber
à un vertige soudain. Quand son regard se repose à nouveau sur moi, je manque
de crier « oui ! ».
– Peut-être que tu accepteras de passer tous les autres mois de ta vie avec
moi ? Kirsten, toi et moi dans le monde, mais toi et moi aussi à New York, chez
nous, tous les deux. Tu seras ma priorité, toute ma vie. Ma raison de vivre, de me
battre, de remporter d’autres challenges. Je te rendrais heureuse comme je sais
que tu me rendras fou de bonheur. Je veux ta douceur, ta sagesse, ta fraîcheur, tes
yeux qui pétillent, ton corps qui vibre, ta moue boudeuse aussi, ton air si
concentré. Je te veux tout entière, Kirsten. Accepte d’être ma femme, pour
l’éternité.
Une larme coule sur ma joue. Je baisse les yeux pour regarder cette
magnifique bague scintillante en or blanc, je prends le temps de respirer, de
profiter de cet instant, de ces mots qui résonnent encore dans mon esprit. Et puis,
je replonge mon regard dans le sien.
Je le laisse passer la bague en douceur à mon doigt, et je saute sur lui pour
l’embrasser, éclaboussant la pièce entière. J’ai cru ma vie se terminer à Saint
Cloud, c’est ici qu’une nouvelle commence. La plus belle, la plus magique !
FIN
Disponible :
Apprends-moi. My Stepbrother
Vic est orpheline, rebelle et blessée, seule au monde. Zach est motard, boxeur,
colérique, magnifique et irrésistible. Forcés de cohabiter sous le même toit, dans
la même famille, ils sont frère et sœur aux yeux de tous. Le seul problème ? Ils
sont irrésistiblement attirés l’un par l’autre ! Le plus beau des paris peut
entraîner la pire des chutes !
ZLYA_001
À Anaïs et Léa, les deux petites fées à l’origine d’une pétition qui a fait naître
ce spin-off, mais aussi toute une saga.
Prologue
Aaron
J’aurais dû me douter que ce serait une soirée pourrie. Pour commencer, j’ai
été réquisitionné, contre mon gré bien sûr, pour faire du baby-sitting. Je n’ai rien
contre les gosses normalement et je n’aurais pas été contre le fait de garder Sam
mais ce soir, c’est la Saint-Valentin et c’est le jour de l’année où les femmes
célibataires sont les plus désespérées. C’est ce soir qu’elles sont le plus dociles et
qu’elles cèdent le plus facilement. Le jeu de séduction est presque trop simple
mais c’est la soirée où les hommes célibataires repartent rarement seuls.
Cela fait presque deux heures qu’aucun de nous ne pipe mot. Ce silence me
stresse presque. Putain ! Je ne pensais pas qu’un bébé était aussi long à venir.
Dans les films, les gosses arrivent en quelques minutes, mais la réalité est bien
différente. Je souffle d’impatience. Je tue le temps en vérifiant mes e-mails, en
faisant une partie de poker en ligne où je perds un peu de fric.
Face à moi, Jason, mon ami, semble mal à l’aise et agite nerveusement sa
jambe, ce qui commence sérieusement à me mettre les nerfs. Quant à Luke, mon
frère aîné, il s’occupe sur son portable, un petit sourire aux coins des lèvres. Il
parle sûrement avec une fille. Probablement son plan cul du moment.
Amber et Hunter, nos amis, arrivent alors en trombe dans la petite salle
d’attente de la maternité avec un large sourire. Ils viennent de baiser, ça se voit à
des kilomètres et ça me fait rire, bien sûr. Ils ne sont pas discrets, c’est dingue.
Amber s’assoit près de Luke après nous avoir salués. Hunter, lui, me salue en
tapotant mon épaule et se laisse tomber près d’Amber. Depuis qu’il est avec elle,
il s’est transformé en parfait toutou. Un vrai canard. On peut dire qu’Amber le
tient par les couilles. En même temps, avec une meuf comme la sienne, je lui
déconseille de faire le con. Lui aussi s’assagit et j’ai conscience que je suis en
train de perdre mes partenaires un à un pour les soirées drague.
Je n’ai rien contre les filles. Je les adore même. Mais depuis qu’elles sont
arrivées dans nos vies, celles de mes meilleurs amis du moins, tout a changé.
Fini le 3G. Fini les soirées de folie. Fini l’insouciance. Pour eux du moins.
Je sors toujours avec Luke, mon frère, mais cet abruti s’évertue à me coller la
honte à chaque sortie. C’est son truc. Bon, c’est le mien aussi et on adore se
chamailler.
Je sors avec Jason aussi, mais il est plus rationnel et taciturne. Il ne parle
jamais, comme s’il n’avait jamais rien à dire. Enfin, rarement, et ça, même avec
les filles. Il n’a jamais besoin de sortir plus de trois phrases pour repartir avec
une meuf. C’est l’effet « Jason ». Une moto, des tatouages et des airs de bad boy
qu’il ne faut pas chercher suffisent pour enflammer les petites culottes. Si je
n’avais pas une peur panique des aiguilles, j’aurais déjà de l’encre partout sur le
corps. Alors ma technique, c’est l’humour et le rentre-dedans. Je suis cash avec
les filles et elles comprennent très vite mes intentions avec elles.
Pour Luke, c’est différent. Même s’il est mon aîné, il a un visage de gamin.
Alors il joue la carte de la finesse. C’est vrai qu’il est intelligent, sûrement bien
plus que nous autres. Avec sa belle gueule et ses yeux bleus, il lui suffit de
« montrer » son esprit pour emballer une fille.
Je relève ma tête. Hunter fixe Luke. Sa meuf ? Quoi ? Quelle meuf ? J’ai dû
louper un épisode.
Amber laisse échapper un petit rire. Elle se fout de ma gueule, je le vois très
bien, et semble d’accord avec Luke. Ce sont des sales traîtres ! Et d’ailleurs, je
ne suis pas lourd avec les filles !
– Non, c’est vrai que tu es tout sauf entreprenant avec les filles, dit-elle. Et tu
es un modèle de fidélité et de romantisme, ça se voit à des kilomètres.
– Mais je suis fidèle…
– Je crois que ton record de « fidélité » est de dix jours. Et encore, c’est parce
que tu avais chopé la grippe et que tu agonisais dans ton lit, lâche Luke.
– Pff ! Quel crétin, fait Amber.
Jason et Hunter semblent d’accord. Vraiment, ils sont vexants, je n’ai jamais
aucun soutien de leur part.
Bon, OK, on ne m’en a pas lancé un, mais il est hors de question que je les
laisse me ridiculiser.
– On ne joue pas avec toi, Aaron, dit Amber, lasse. Tu fais ce que tu veux.
Je plisse le front. OK, alors je m’autodéfie. Je vais leur prouver de quoi je suis
capable.
Sous leurs regards ébahis, je sors de la salle d’attente, sans un mot. Ils m’ont
gonflé et de toute façon, ça me soûle d’attendre, alors autant tuer le temps
comme on peut. Et cette chaise me faisait mal au cul.
Une petite blonde passe près de moi et je l’observe discrètement. Pas mal, la
fille. Un 7/10 au moins.
Mon regard balaie son corps. Petit cul sympa, visage bien agréable mais on
voit qu’elle a l’air sérieuse.
Mouais, je sens que cette fille n’est pas du genre à sucer. C’est mort. Il faut un
minimum syndical. Suivante !
Je pose mes yeux sur une brune. Malgré son visage un peu froid, elle vaut un
bon 7/10 aussi. Je la détaille sans ménagement. Ouais, elle a un cul carrément
bandant. Quand elle lève sa main jusqu’à sa nuque pour se gratter, je remarque
une bague à son annulaire. Et merde ! Elle est fiancée ou mariée, c’est bien ma
veine, putain ! Je me suis promis de ne plus toucher aux filles déjà prises, j’en ai
marre de me prendre des baffes par leurs mecs. Mais pour elle, je ferais bien une
petite entorse à cette stupide règle.
Je tourne mon visage et vois une petite brune, tenant un dossier dans sa main.
Elle me sourit, laissant entrevoir ses dents blanches. Elle est magnifique. Je la
lorgne de haut en bas. Putain, j’avais dit que j’arrêterais ça. Ça fait gros pervers.
Mais c’est la seule façon d’estimer la marchandise.
– Euh ? Pardon ?
– Je vois que vous regardez une information sur le don d’ovules ? Vous êtes
intéressé ?
Je pose les yeux sur le flyer rose et lis pour la première fois l’intitulé.
Putain, le don d’ovules ! Je suis plus du genre à faire don de mon sperme,
mais avec coup de reins en bonus. Je n’aurais pas pu prendre un dépliant sur les
augmentations de pénis, par exemple. Ça aurait été moins gênant, même si je
n’ai pas besoin, et loin de là, de ce type d’intervention. Ma queue est absolument
géniale.
Je repose le dépliant sur le présentoir, d’une main beaucoup trop tremblante et
qui trahit ma gêne. Putain ! Moi qui ai de l’assurance, pourquoi je réagis comme
ça ?
La petite infirmière se met à rire. Oh merde ! J’aime bien le son de son rire.
– Mouais, j’ai compris. C’est laquelle qui vous intéresse ? Je connais tout le
monde ici, je peux peut-être vous donner quelques informations.
C’est à mon tour de rire. Sérieusement, qui est cette créature envoûtante ? Ma
conscience me gifle. Elle va me prendre pour un débile à ne pas répondre à ses
questions.
– Elle est fiancée. Avec un chirurgien. Désolée, mais vous n’avez aucune
chance.
– Ah !
– Et la blonde ?
– Sandy ? C’est une pétasse. Elle est hautaine en plus. Je vous la déconseille.
Son ex a dû demander une mesure d’éloignement contre elle. Elle virait à la folle
psychopathe.
Elle !
Je détourne enfin mon visage du sien et regarde les autres infirmières qui
s’attellent à leurs tâches. Elles sont mignonnes mais elles sont bien fades à côté
de cette fille.
– Et vous ?
– Moi ?
Elle semble surprise, presque gênée. Elle m’offre un petit sourire timide alors
que je hoche la tête. Je crois que je ne laisse pas cette petite infirmière
indifférente mais ça tombe bien car elle me plaît.
Ses lèvres s’étirent poliment. Elle récupère son petit classeur vert pastel
qu’elle dépose sur son bras.
Contre toute attente, elle sort un stylo de la poche de sa blouse rose et saisit
ma main. La sienne est douce et chaude et son contact m’électrise. Je l’observe
alors qu’elle inscrit son numéro de téléphone sur ma paume. Elle finit par relever
son visage vers moi, me forçant à plonger dans les plus beaux yeux que j’ai vus
jusque-là.
– De toute façon, vous ne me supporterez pas plus d’un mois. À vous de voir,
maintenant.
Elle m’offre un petit sourire timide puis tourne les talons.
Deux défis dans une journée ! J’aime ça ! Et je sens que le deuxième sera bien
plus agréable à relever.
1
Aaron
Elle ne se fait pas prier. Sérieusement, se faire sucer, c’est génial, mais au
bureau, ça l’est encore plus. Ça rend le boulot bien plus agréable, bien que mon
métier le soit déjà.
Merde ! Ma mère !
– Maman ? fais-je, surpris de la voir ici, une petite hésitation dans la voix.
Jenny se crispe quand elle comprend que nous ne sommes plus seuls. Elle
libère ma queue de sa bouche et la rentre vite fait dans mon boxer. Ma main
appuie un peu plus sur sa tête. Si ma mère soupçonne ce que j’étais en train de
faire, du moins, ce que Jenny était en train de me faire, je suis bon pour deux
heures de leçons de vie. Ma mère est comme ça. Elle sait que j’ai une vie
sexuelle débridée. Elle espère juste que je change. Et le plus tôt sera le mieux
selon elle.
Ma mère lève la tête de son téléphone et porte son attention sur moi. Je lui
offre un petit sourire innocent. Sûrement pas assez crédible car son front se
plisse, laissant apparaître une petite ride. Ses yeux se déportent une brève
seconde vers mon bureau. Elle soupire d’agacement puis pose un poing sur sa
hanche en inclinant la tête. Et merde, elle vient de comprendre et je suis mal.
Derrière elle, Luke, mon grand frère, a tout de suite compris, lui. Je dois avoir
la tête du mec qui vient d’avoir un orgasme.
Je suis grillé alors autant que je subisse les remontrances de ma mère avec
mon frère pour seul témoin. Luke est habitué de toute façon et il est un très bon
allié contre notre mère. Elle a tendance à abuser, oubliant que je n’ai plus 21 ans
mais que j’en ai cinq de plus.
Comprenant qu’elle doit sortir de sa cachette, Jenny pose sa main sur mon
bureau et s’appuie dessus pour s’aider à se relever. Ma mère secoue la tête,
navrée.
Elle saisit un stylo sur mon bureau et le lève, pour parfaire son excuse bidon.
Elle n’est même pas crédible. Sérieusement, je devrais songer à me faire sucer
par des filles plus intelligentes, bien que cette qualité ne soit pas indispensable
pour cette activité plaisante.
Jenny étire ses lèvres, mal à l’aise, et s’incline presque. Elle s’approche de la
porte, sans oublier de porter son pouce et son auriculaire à l’oreille pour me faire
comprendre qu’il faut qu’on s’appelle.
Mais oui, compte là-dessus, chérie ! Avec ce que tu viens de me faire, je vais
t’appeler dès ce soir.
J’agrémente mon regard d’un petit clin d’œil. Luke pouffe de rire alors qu’il
se laisse tomber sur l’un des fauteuils face à mon bureau. Même ma mère ose un
sourire, ce qui me fait dire que je n’aurai sûrement pas le droit à sa leçon de
morale.
Ma mère fait partie des mères cool. On a toujours parlé de sexe à la maison,
sans tabou. La seule chose qu’elle nous oblige à faire, c’est nous protéger. Sauf
que j’oublie parfois ce petit détail, m’attirant quelques petits soucis de grossesses
surprises de temps en temps.
Ma mère s’assoit face à moi, pose son sac à main sur ses genoux et pince ses
lèvres.
– Tu ne peux pas te trouver une fille bien, dit-elle. Une fille avec qui tu
resterais un petit moment. Histoire de te poser un peu, de mûrir…
Je suis bien comme je suis. Pas de meufs, pas d’emmerdes. Je m’épargne les
bouquets de fleurs qui ne servent à rien, les conversations sur la vie de couple,
les prochaines vacances et les dîners chez belle-maman.
Bon, il est vrai que j’avais dit que j’essaierais, que je tenterais tous ces trucs
d’amoureux niais pendant un mois.
Je grimace légèrement. Elle en voit des vertes et des pas mûres avec mon
paternel. Elle est cocue depuis bien longtemps avec lui. Elle a des cornes si
larges qu’elle ne passerait pas sous l’Arc de triomphe. Mais elle n’arrive tout
simplement pas à le quitter. Elle l’aime, lui aussi, mais il ne peut pas s’empêcher
d’aller voir ailleurs. La femme de ménage, sa secrétaire, une hôtesse de l’air, la
psy de leur thérapie conjugale… Les bons gros clichés. La liste est longue et ma
mère encaisse et encaisse. Au début, c’était dur, mais maintenant, elle reste forte
en gardant le sourire, ne montrant pas sa peine et gardant sa dignité. Elle finit par
s’habituer, malheureusement. Ma mère ne mérite pas de s’habituer à ça. Même si
j’aime mon père, une part de moi ne peut m’empêcher de lui en vouloir de faire
subir tout ça à la meilleure mère du monde.
– Non, non, ce n’est pas ça, mens-je. C’est juste que j’étais à fond dans le
boulot et je n’ai pas vu le temps passer. Trop de travail.
– Trop de travail ? répète ma mère. Heureusement que la petite Jenny est
venue t’aider.
Luke rit encore. Lui, en ce moment, je ne sais pas ce qu’il a mais il rigole tout
le temps. À croire qu’il fume joint sur joint. À moins qu’il prenne plus dur, bien
que ça m’étonne de lui. Luke est trop droit pour ça. Et bien trop moralisateur.
C’est un Monsieur-je-sais-tout insupportable et étriqué. Mais j’aime mon frère.
Luke lève les yeux de son téléphone puis le pointe vers nous. Je souris quand
je vois la petite bouille souriante de Samy, tenant fermement Léana dans ses
bras. Il est fier d’être grand frère. C’est marrant à voir et il prend son rôle très au
sérieux.
Et merde ! Il a une meuf. Ça ne peut être que ça et c’est pour ça qu’il sourit
en permanence !
Il est amoureux. Je ne vois aucune autre explication. Putain, c’est d’un niais !
Mais c’est du Luke tout craché. Toujours à croire en l’amour, à vouloir fonder
une famille, à organiser des dîners en amoureux, à masser les pieds de sa meuf.
Je me penche aussitôt vers mon frère.
On dit tout à notre mère. Elle est un peu comme une copine même si nous
avons énormément de respect pour elle. Il faut dire qu’elle est tellement maligne
et obstinée qu’on préfère lui parler plutôt que de la laisser nous harceler pendant
des jours. Ava Davis est une femme tenace qui arrive toujours à ses fins.
Luke rit aux éclats, ce qui irrite encore plus mon ego. À croire que je viens de
dire une énorme connerie.
Je fronce les sourcils. Je déteste quand il fait ça. Quand il me dit « petit »,
qu’il fait son grand frère. Sérieusement, c’est quoi leur problème à tous vouloir
me rabaisser ?
Je plisse les yeux et retrousse une lèvre, ce qui le fait rire. Luke sait que je
suis soûlé et il s’amuse de la situation.
Ma mère se lève alors lentement. Ni Luke ni moi nous nous attendions à son
geste.
Elle nous souffle un baiser puis sort de mon bureau. Je déteste aussi quand
elle compare nos disputes de mecs à des chamailleries de collégiennes. C’est le
truc de ma mère, pour nous faire comprendre qu’on est débiles et immatures.
Même Luke n’aime pas ça.
– Quoi ? dit-il. Ce n’est pas comme si tu n’avais pas déjà essayé. Tu as tenu
combien de temps déjà ?
Son petit air suffisant me gonfle. Luke est le type de mec à se prendre la tête
pour tout et surtout pour rien. Et il se fait un malin plaisir à me rappeler mes
échecs et mes erreurs. Bon, sur ce point, je suis bien pire que lui.
– Huit jours ?
– Neuf, rectifié-je en serrant les dents.
Mais pour ma défense, cette meuf était conne. Elle ne me lâchait pas et j’en
pouvais plus de l’entendre me dire que je pouvais laisser ma brosse à dents dans
sa salle de bains et qu’elle voulait me libérer un tiroir. Elle ne faisait que de
parler, elle était pénible et collante.
J’ai voulu jouer avec la petite infirmière sexy mais quand je suis rentré de
l’hôpital, le soir de la naissance de Léana, j’ai pris une douche qui a quasi effacé
la moitié des chiffres de son numéro de téléphone. L’encre était devenue illisible.
Cette fille m’a obsédé pendant plusieurs jours et je me souviens très bien de la
réponse de la nana de l’hôpital à qui j’en ai fait la description.
« Des petites brunes sexy, y en a cent ici. Vous êtes sûr qu’elle est
infirmière ? »
J’ai eu envie de la baffer ce jour-là. Même si en fait, c’est moi que j’aurais dû
frapper pour avoir été si con. Pourquoi j’ai fait la connerie de ne pas noter son
numéro dans mon répertoire aussitôt qu’elle avait tourné les talons ? Et pourquoi
ne lui ai-je pas demandé son prénom aussi ?
Tout simplement car cette fille aux yeux bleus m’avait un peu déstabilisé. Je
me rappelle même avoir bafouillé comme un puceau.
– Bravo, frangin ! Neuf jours ! Sans rire, je devrais t’offrir une médaille. Quel
record !
– Allez, arrête de me faire chier. Tu sais très bien que Holly était un peu
conne. J’ai pris la première venue.
C’était histoire de faire taire mon frère qui m’a relancé sur ce pari, trois jours
après la naissance de Léana. Car s’il y a bien quelque chose que je ne supporte
pas, c’est perdre. Sauf que ça s’est soldé par un échec. Il faut dire qu’au boulot,
la tentation est quotidienne.
– Hum ! Je me souviens d’une Molly mais pas d’une Holly, fait Luke.
– Ouais, à une lettre près. Enfin bon, je vois que tu esquives le sujet principal.
C’est qui ta meuf ? Je la connais ? Elle est bonne ?
Il secoue la tête une nouvelle fois. J’ai l’impression de ne faire ressentir que
de la pitié à mon entourage parfois.
Une lueur anime son regard. Putain, oui, je la connais ! Je me demande bien
de qui il peut s’agir. Son assistante ? La prof de sport ? Luke a toujours eu le don
de tomber amoureux des filles qu’il ne fallait pas. Déjà à l’université, il était
tombé amoureux de sa prof de droit. Mon frère est maudit en amour.
Luke rit aux éclats. Plus d’un mec serait vexé de ma remarque ou voudrait me
foutre son poing en pleine gueule mais Luke est mon frère et surtout, il me
connaît. Il se lève alors de son fauteuil sans me quitter des yeux.
Mes lèvres s’étirent. Voilà ce qu’il me manquait avec Holly. Non, Molly. Un
enjeu ! Et savoir qui est la fille suffisamment folle pour supporter mon frère est
un enjeu de taille.
Mon frère rit. J’ai toujours aimé les défis et je suis le plus grand joueur sur
cette planète.
– Ça marche !
Il secoue la tête
– Tu vas perdre.
– On verra bien !
Luke rit une nouvelle fois puis tourne les talons. Il s’apprête à sortir mais se
ravise.
Il sort de mon bureau. S’il croit que je vais perdre, il se fourre le doigt dans
l’œil jusqu’au coude. Il devrait savoir que chez les Davis, on ne perd jamais et
que cette règle s’applique surtout à moi.
2
Aalya
Je marche jusqu’à la file d’attente et m’arrête derrière une petite brune dont
ses longs cheveux ondulés tombent en cascade jusqu’à mi-dos. Je tuerais pour
avoir ses cheveux. Ils sont brillants, ils ont l’air doux, trop doux. J’ai envie de
plonger mes doigts dedans pour vérifier mon hypothèse.
Une personne quitte le comptoir et j’avance d’un pas. Plus que quatre
personnes et c’est mon tour. Sauf que d’ici à ce que je me retrouve devant la
secrétaire, mes jambes auront trouvé trente occasions de filer et de sortir de ce
bâtiment.
Reprendre mes études ? À mon âge ? Mon Dieu, quelle idée ! Je n’aurais pas
pu faire comme toutes ces filles qui viennent de sortir d’une histoire d’amour
compliquée et qui se réconfortent en changeant leur garde-robe ou leur coupe de
cheveux ? Non, il a fallu que je voie grand : changer de carrière.
Bon, il faut dire que j’y songeais depuis des mois, quelques années même.
J’aime mon boulot d’infirmière mais avoir arrêté mes études sur un coup de tête
il y a quelques années a été l’erreur de ma vie. La plus grosse du moins. Et je ne
parle pas sentimentalement parlant. Sur ce point, je n’ai fait que des erreurs. À
26 ans, j’ai l’impression que ma vie est une succession de mauvais choix.
Aidée de ma sœur, j’ai fait une check-list de tout ce que j’ai regretté en
commençant bien sûr par mes relations amoureuses. Après un décompte plutôt
rapide, j’en suis venue au fait que les hommes, c’est fini ! Pour l’instant du
moins. Décision que j’ai prise après le malheureux constat que sur huit hommes,
six m’ont trompée. Aïe, le bilan fait mal rien que d’y penser.
Je dois arrêter de me reposer sur mes lauriers et ma vie doit être différente. Et
cette nouvelle vie doit commencer maintenant.
• Déménager au plus vite et de préférence le plus loin de celle qui est censée
être ma meilleure amie depuis toujours.
Voici mes cinq nouveaux principes. Fini la petite copine trop gentille qui dit
oui à tout ! Je suis une nouvelle femme, celle que tout le monde verra autrement
que comme une bonne poire qui prend toutes les gardes de ses collègues sans
avoir un merci en retour.
Sauf que tout ça, c’est plus facile à dire qu’à faire. Et que la témérité ne fait
pas partie de mes qualités premières.
Elle finit par étirer ses lèvres. Elle est sur le point de me rappeler où nous
nous sommes déjà croisées.
Bien sûr ! À l’hôpital ! En même temps, j’y passe plus de temps que dans
mon appartement. Surtout ces temps-ci.
Elle affiche un sourire digne d’une mère complètement gaga. Elle sort son
téléphone de son sac à main et elle le tend vers moi. Je m’attendris en voyant
deux adorables bambins.
Je rêve d’avoir des enfants. J’adore les gosses et la naissance d’un bébé est si
magique. J’ai déjà assisté à plusieurs accouchements et ce que je préfère le plus,
ce sont les visages des parents quand ils rencontrent leur enfant pour la toute
première fois. La surprise, la joie, l’amour. Parfois, on voit de la peur. Certains
ont la crainte de ne pas réussir mais dans ces cas-là, j’aime les rassurer. C’est le
rôle d’une sage-femme aussi.
Elle mime les guillemets avec ses doigts. Elle est marrante. Elle m’avait déjà
paru agréable pendant son séjour à l’hôpital, d’une douceur que chaque femme
devrait avoir.
– Et toi ? Ça ira pour toi de travailler et de suivre les cours en même temps ?
me demande-t-elle.
Je crois que c’est bien la première fois qu’on se soucie de moi et qu’on me
demande si ça va aller pour moi.
– Oui, ça va être dur mais je veux vraiment préparer mon diplôme de sage-
femme.
– C’est cool. Je suis sûre que tu y arriveras. Tu es faite pour ça. Tu avais été si
gentille avec moi.
Touchée, je souris en entendant son compliment. Entendre qu’on fait bien son
travail est appréciable.
Cette fille sait s’habiller et se mettre en valeur, il n’y a pas de doute. Je dois
ressembler à une fermière à ses côtés.
– Merci… Euh ?
– Aalya, dis-je.
J’aimerais être comme elle. Avoir son assurance. Je suis sûre que cette fille
n’a jamais manqué de rien et doit filer le parfait amour avec son Ben et sa petite
famille.
Je secoue la tête, culpabilisant de me faire une idée sur une personne alors que
je ne la connais pas du tout. Si ça se trouve, cette fille a galéré avant de trouver
son âme sœur. Peut-être a-t-elle été trompée elle aussi, à plusieurs reprises,
retirant petit à petit sa confiance aux hommes ?
– À bientôt, j’espère.
Découvrez la suite,
dans l'intégrale du roman.
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Juin 2019
ISBN 9791025746899
ZKIR_001