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et plein d’autres surprises !
Disponible :

Sexy Summer – Mon coloc et moi


Avery vit avec son père et Sienna, sa belle-mère, dans l’immense demeure
familiale. Et cela lui convient très bien : elle a son indépendance mais profite des
avantages de la maison. Alors quand Julian, le frère de Sienna, est invité pour
passer les deux mois d’été avec eux, Avery n’y voit pas d’inconvénient. Son
oncle par alliance ne devrait pas trop bouleverser ses habitudes. Sauf que quand
Julian débarque, il n’a rien du vieil oncle qu’Avery imaginait : il est jeune, sexy
et insolent au possible. Insolemment sexy, même. Avery et Julian vont devoir
cohabiter pendant deux mois : deux mois pour se détester, deux mois pour se
séduire… deux mois pour faire voler en éclats leur vie ?

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Disponible :

The Horsemen Ride – Conquest


Conquest n’a peur de rien ni de personne. Membre du redouté gang des
Horsemen of the Apocalypse, il en est même l’un des leaders. Il dirige ses
hommes d’une main de fer, sans jamais reculer face au danger ni se laisser
déstabiliser. Alors menacer et torturer Selena pour obtenir des réponses sur la
disparition de l’un des siens, ça devrait être facile. Mais la jeune femme change
les règles, qu’il le veuille ou non. Même séquestrée, désorientée et angoissée,
elle le trouble autant que lors de la nuit torride qu’ils ont partagée quelques
semaines avant son enlèvement… Et si Conquest baisse la garde, il risque sa vie
et celle de tous les siens…

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Disponible :

Mon initiation
Il a tout à lui apprendre.
Dès son premier jour à Columbia, Margo est déterminée à profiter de la vie
étudiante. Les fêtes, les sororités avec sa meilleure amie, elle ne veut rien rater !
Et tant pis si Will, son grand frère trop protecteur, vit sur le campus, il ne
l’empêchera pas de s’amuser ! D’ailleurs, en lui rendant visite, Margo tombe nez
à nez avec son coloc…
Kay est sexy, moqueur, sensuel, le bad boy rebelle qu’elle devrait à tout prix
éviter… Mais auquel elle est incapable de résister !
Même s’il bouleverse complètement son équilibre et tout ce qu’elle croyait
savoir…

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Disponible :

Touche-moi
Chris est sculpteur, ombrageux et renfermé. Il refuse de laisser qui que ce soit
entrer dans son univers. Et quand Iris doit photographier ses œuvres pour un
reportage, c’est le clash immédiat. Elle est curieuse et déterminée, lui est aussi
intrigant que désagréable… Iris va plonger dans un monde de mystères, de
mensonges et de secrets, où elle risque bien de se perdre…

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Disponible :

PS : Oublie-moi !
Léonore est belle comme le jour, mais elle vit dans l’ombre pour cacher son plus
gros complexe et son plus douloureux secret. Pourtant, quand une agence de
mannequins atypiques s’intéresse à elle, elle y voit une chance de se
reconstruire. Mais ses espoirs se brisent lorsqu’elle découvre l’identité de son
nouveau boss : Wolf Larsson, le garçon qu’elle aimait et qui a bien failli la
détruire. Il fut son premier amour, son bourreau, son pire cauchemar… Huit ans
après le drame, elle est devenue une lionne prête à tout pour survivre. Lui a
gardé ses mots féroces et ses yeux de loup. Elle va devoir lui pardonner. Il va
devoir se racheter. Pour raviver la flamme qui brûle encore entre eux, malgré
tout.

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Megan Harold
INITIATION
WITH MY BOSS
1. Emménagement chaotique

Ça y est, j’y suis !

Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. Un peu à cause du stress
occasionné par le déménagement (et parce que je n’ai plus aucune nouvelle des
déménageurs depuis hier soir !) mais surtout parce qu’aujourd’hui, je signe le
début de ma nouvelle vie.

Dès que j’aurai remis la main sur mes affaires…

Les déménageurs sont censés avoir roulé toute la nuit pour rallier Saint Cloud
dans le Minnesota à New York. J’ai opté de mon côté pour le confort de l’avion.
Mais depuis mon atterrissage, je n’ai aucune nouvelle de mes cartons. J’essaie de
ne pas trop paniquer, de me dire que tout va bien. C’est leur job. Je refuse que
mon arrivée soit ternie par ce problème matériel. Et surtout, je veux savourer
mon entrée dans Manhattan. Je tiens à ne voir que l’essentiel et laisser la place à
la joie qui m’envahit. Si je m’écoutais, je baisserais la vitre du taxi pour crier ! Je
suis enfin arrivée à New York, je vais démarrer une autre existence, oublier tout
le reste pour ne plus penser qu’à l’avenir. Pas question de faire machine arrière.
Pas question de reprendre la route en sens inverse. Je ne regrette rien de mon
choix, bien au contraire ! J’ai tellement hâte, tellement envie, de m’acclimater à
la vie new-yorkaise !

Sous les klaxons hurlants des New-Yorkais parce que le taxi vient de changer
brusquement de voie !

Vivement que je ne prenne plus que le métro !

Après avoir évité les quartiers les plus encombrés, nous avoir fait passer par
des petites rues insoupçonnables, le taxi finit enfin par me déposer devant
l’immeuble de ma cousine.

Mon immeuble, désormais.


L’endroit où je vais partager une colocation avec elle, dans un appartement
sublime qu’elle a hérité de sa grand-mère maternelle.

Si cet appart avait été dans le Bronx, jamais ma mère ne m’aurait laissée
partir !

Une colocation dans l’Upper East Side, dans un quartier très sélect, et sûr
aussi, c’est une chance que je ne manque pas d’apprécier. Je n’ai pas encore eu
l’occasion de sincèrement remercier Liana de sa proposition de m’héberger. Elle
a refusé ma proposition de lui verser un loyer, mais il est hors de question que je
ne participe pas. Dès que possible, dès que je suis installée ici, je me cherche un
job.

Et à mon grand soulagement, le camion de déménagement est là. Sur le


trottoir s’entassent déjà mes cartons et le peu de meubles que j’ai emportés avec
moi.

– Désolée de vous avoir fait attendre, m’excusé-je auprès du chef de l’équipe.


J’ai eu un problème à l’aéroport et…
– Tenez, voilà le bon de livraison, il faut qu’on parte, nous !

Le déménageur me colle son papier dans les mains. J’avais déjà remarqué
qu’il n’était pas aimable, mais visiblement, le trajet ne l’a pas déridé.

Mais…

– Vous n’allez pas laisser tout ça en vrac dans la rue ?

J’essaie de prendre une voix assurée, mais je sens la panique monter. Il ne va


quand même pas me planter comme ça !

– Vous n’avez pas pris l’option installation, se contente-t-il de me répondre,


complètement indifférent à mon sort.
– Mais quelle option ?! Vous devez me monter mes cartons, je ne peux pas le
faire toute seule !
– Désolé, mademoiselle, mais sans l’option, on ne s’engage pas plus loin ! On
a déjà perdu assez de temps comme ça à vous attendre !
– Mais enfin ! Vous ne…
Je riposte mais l’homme est déjà dans son camion.

– Je fais quoi moi maintenant ? lui crié-je par la vitre.


– Eh bien… Vous portez vos cartons toute seule !

Je m’écarte du camion et le regarde s’éloigner, abasourdie, avant de me


retourner vers mes affaires qui encombrent le trottoir. Dans un tel quartier, je
dénote complètement et je le ressens aux regards noirs que les passants me
lancent.

OK, ce n’est pas si grave. Je vais trouver une solution !

Ma cousine ! Elle pourra me donner un coup de main, appeler quelques-uns


de ses amis, et voilà !

Je me félicite d’avoir conservé suffisamment de batterie pour la joindre. Sauf


que ma poisse du jour semble bien installée et je tombe sur son répondeur.

– Salut Liana, c’est Kirsten. Je suis en bas de l’immeuble avec mes affaires…
Les déménageurs m’ont plantée donc, si tu es là… J’ai besoin d’aide !

Peut-être qu’elle est loin de son téléphone, qu’elle est sous la douche, que son
téléphone est au fond de son sac ? Le mieux peut-être, c’est de sonner à la porte !
Elle m’avait assuré qu’elle serait là pour m’accueillir ! Parce que… Je n’ai pas
les clés non plus !

Pas de panique. Je refuse que mon arrivée ici ressemble à une lente descente
aux enfers.

Je laisse mes cartons sans surveillance et tape le code que j’ai mémorisé
depuis des semaines tellement il me tardait d’emménager. Quand j’entre dans le
hall de l’immeuble, j’ai la surprise de tomber sur un réceptionniste. Au regard
suspicieux qu’il me lance, je me sens obligée de lui rendre des comptes.

– Bonjour, lui dis-je gaiement. Je suis Kirsten Lake, j’emménage dans


l’appartement de Liana Sinclair et je…
– Ah oui, Mlle Lake ! Melle Sinclair m’a justement demandé de vous laisser un
trousseau de clé. C’est au…
– Dixième étage ! l’interromps-je.
Cette information-là aussi, je l’ai apprise par cœur !

Mon enthousiasme est éphémère. Je saisis soudain pourquoi il me tend une


paire de clés.

Ce n’est pas possible…

– Vous voulez dire que…

Le poids de ce début de journée commence à peser lourd sur mes épaules.


Liana n’est pas là, je suis seule avec mes affaires…

– Bien, merci, soufflé-je en lui adressant un triste sourire.

Je ressors de l’immeuble, regarde mes cartons et soupire. Je n’ai plus le choix,


il va falloir que je m’y colle moi-même.

Haut les cœurs, je ne vais pas me laisser abattre ni y voir un mauvais signe !

Alors que j’enlève mon sweat, anticipant l’effort physique, je sens une
présence à mes côtés. Je sens surtout une odeur de parfum frais mais viril,
quelque chose de très agréable, de très… envoûtant. La source de cet enivrement
soudain ? Un homme, en tenue de sport, un joggeur certainement, brun… Il s’est
arrêté à côté de moi, le temps de faire quelques réglages sur sa montre. Le temps
pour moi de jeter un œil à son profil… et d’être transpercée par des yeux verts,
lumineux, indéchiffrables mais tellement… perçants !

L’inconnu se contente de me faire un signe de la tête et part en petite foulée.


Je reste plantée sur ce trottoir à le regarder. Si tous mes nouveaux voisins sont
comme lui, je vais adorer vivre ici !

Je prends cette rencontre comme un signe du destin. Revigorée par cette


apparition, je noue mon pull autour de mes hanches et commence mes nombreux
allers et retours, sous le regard apitoyé du réceptionniste. Mais je sifflote, je
chantonne, les muscles de mes bras me tirent un peu au bout du cinquième
voyage… Mais petit à petit, je débarrasse le trottoir new-yorkais.

Pour déplacer mon problème dans le hall de l’immeuble.


Perdue dans mes pensées, j’oublie complètement la douleur et les regards
agacés des voisins que je croise, moins agréables que celui entraperçu il y a une
heure. Je ne pense qu’à cet emménagement, à mon émancipation. Je n’ai plus
mes parents sur le dos, je démarre mon stage lundi, ma nouvelle vie m’attend.
J’ai tellement hâte d’écrire cette nouvelle page, de m’épanouir enfin, de sortir de
mon cocon. Je n’ai plus envie d’être la petite étudiante aux trois années
d’avance, le bébé de la promo, le bébé de ses parents. J’ai envie d’être moi,
d’être la femme que j’ai dû étouffer ces derniers mois. De mûrir, de faire des
rencontres, découvrir de nouveaux amis.

Enfin… Quand je dis nouveaux… Des amis tout court…

Et pourquoi pas flirter un peu, comme toutes les filles de mon âge ?
Commencer à profiter de cet aspect de la vie aussi ? Je me suis tellement oubliée
entre les rumeurs, les plans de mes parents me concernant et… le reste !

Quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent et que je m’envole avec mes


premiers cartons dans mon nouveau chez moi, je manque encore une fois de
laisser exploser ma joie.

Nouvelle ville, nouvelle Kirsten !

Je ne prends même pas le temps de visiter l’appart. Il faut absolument que je


désencombre le hall.

Un petit plaisir n’arrivant jamais seul, le voisin sexy refait son apparition. Son
magnétisme n’a même pas souffert de l’effort physique. Ses cheveux bruns, un
peu humides, retombent sur son front. Il a un look un peu plus sauvage, un peu
plus animal. Quelque chose de très… perturbant ! Quand il se place devant les
portes de l’ascenseur, je croise à nouveau son regard. Je ne sais pas pourquoi, je
suis incapable de le soutenir, et je me retourne rapidement. Un peu trop sans
doute, il va sans doute comprendre qu’il m’intimide.

Je jette un regard dans le miroir, celui derrière le comptoir du réceptionniste.


Si je pensais être discrète, c’est raté. Je baisse les yeux quand je m’aperçois que
mon voisin m’observe aussi. Mon cœur se met à tambouriner dans ma poitrine,
je me sens rougir. J’essaie de ne pas être maladroite et d’agir normalement. Si
j’étais un peu plus sûre de moi, je me redresserais et je plongerais mon regard
dans le sien !

Sauf que je ne le suis pas. Pas du tout, même.

J’ose à peine jeter un nouveau coup d’œil à son reflet.

Il me fixe toujours… J’ai soudain très chaud, et ce n’est pas dû à mes allers et
retours avec mes affaires ! Je reste plantée là, à farfouiller dans les sacs et
cartons. Et puis soudain retentit le bruit de l’ascenseur et des portes qui
s’ouvrent.

– Bon courage, me lance-t-il d’une voix claire.

J’ai tout juste le temps de me retourner pour le remercier, que les portes se
referment sur lui. Je pousse un profond soupir. J’ai envie de me laisser tomber
pour me remettre de mes émotions. Ce n’était peut-être rien pour lui, mais moi…
Jamais personne ne m’avait regardée avec autant d’intensité dans le regard. À
quoi est-ce qu’il pouvait bien penser en m’observant de cette façon ? Et si je
l’avais suivi dans l’ascenseur ? Lui et moi, coincés dans un espace clos…

Nouvelle bouffée de chaleur.

Je suis tellement heureuse de commencer une nouvelle vie que je serais prête
à sauter dans les bras du premier venu ? Un regard un peu appuyé et mon
imagination s’affole ? On croirait que je suis en manque ! En manque de quoi,
puisque je n’ai jamais goûté à rien…

Hormis à la déception…

Je me secoue, mes cartons ne se porteront pas tout seuls et je n’ai pas très
envie de m’éterniser.

Et une bonne douche froide pourrait aussi me faire du bien ! C’est d’ailleurs
ce qu’est peut-être en train de prendre mon nouveau voisin ?

J’ignore le frisson que je ressens une nouvelle fois en imaginant cet inconnu,
seul à seul avec moi (sous une douche en plus), pour reprendre mon job de
déménageuse. Si je ne fais pas carrière dans la publicité, je pourrai penser à une
reconversion !
Je cumule les montées et les descentes, les chargements et je commence enfin
à en voir le bout ! La grande majorité de mes affaires se trouvent désormais en
haut ! Un nouvel élan de motivation à l’idée d’en avoir bientôt fini me fait
accélérer le rythme.

– Attention !

Dans le hall, un homme m’esquive. Enfin, nous esquive, mon carton et moi,
d’un bond très félin. Le voisin est de retour, en jean et sweat bleu marine cette
fois. Impossible de me contrôler. Je m’empourpre, confuse.

– Oh, pardon ! Je suis désolée, j’ai failli…


– Vous n’avez personne pour vous aider ? me demande-t-il, sans faire
attention à mon trouble.
– Eh non…

J’essaie de sourire, de donner le change, mais cette discussion transforme mes


jambes en coton.

– Mais j’ai bientôt terminé, ajouté-je rapidement pour tenter de ne pas donner
l’image de la pauvre fille abandonnée par tous.

Il se contente de hocher la tête et m’adresse un rapide sourire avant de se


diriger vers la sortie de l’immeuble. C’est son habitude de multiplier les allées et
venues ?

Non, voyons, il ne fait ça que pour essayer de me croiser le plus possible, de


savoir où j’emménage, d’en savoir plus sur moi et il finira pas m’inviter à
prendre un verre chez lui pour fêter mon arrivée à New York, et il me proposera
de prendre une douche, me fera un massage pour détendre mes muscles et après
ça, nous…

STOP !

C’est New York qui rend mon imagination incontrôlable ?! Il faut que je
retrouve le bouton d’arrêt d’urgence, et vite !

Je sens la fatigue me tomber dessus. Mes muscles sont endoloris, je peine à


faire le dernier voyage. J’en suis à un stade où je ne peux plus que faire glisser
mes affaires sur le sol. Et on dirait que les sacs les plus lourds se sont donné le
mot pour n’apparaître qu’à la fin !

Quand enfin je me redresse dans l’ascenseur, essoufflée, pour appuyer sur le


bouton du dixième étage, un profond soulagement m’envahit. Mais au moment
où les portes se ferment, une main se faufile entre les battants pour les en
empêcher. Je me redresse d’un coup, jusqu’à ce que…

Le sort s’acharne !

À son air agacé, je comprends que mon cher voisin a dû apprendre une
mauvaise nouvelle depuis notre échange. Ou qu’il a perdu patience avec mes
voyages incessants. Avec mes cartons qui occupent les trois-quarts de
l’ascenseur, on ne peut pas dire que je lui laisse beaucoup d’espace vital. Par
contre, mon imagination s’en donne à cœur joie. J’ai pensé à cette scène déjà,
non ? Mais l’ambiance y était un peu moins glaciale…

– Vous avez terminé ? finit-il par me demander sans un sourire, en appuyant


sur le bouton du dernier étage.
– Oui, c’est… fini.

Ma voix est un peu enrouée. Je ne suis pas très à l’aise à quelques centimètres
de lui. Si je n’avais pas eu toutes ces idées idiotes de douche et de massage, cette
proximité serait anodine ! Enfin, pas sûre, avec ce parfum agréablement entêtant.
Il ne faudrait pas que je me souvienne de la façon dont il m’a regardée pour…

Trop tard. Ses yeux sur moi. De la tête aux pieds.

Mon cœur s’emballe à nouveau, j’ai chaud avec mon simple débardeur, je
perds complètement la raison et…

Je chute. Littéralement. Pour de vrai. Après un arrêt brutal, l’ascenseur tombe


brusquement comme s’il n’était plus retenu. Nous sommes plongés dans le noir,
je crie, je ne veux pas mourir, pas maintenant, pas alors que je viens tout juste
d’arriver. Une main m’agrippe avant que l’ascenseur n’arrête violemment sa
chute et que les lumières de secours se rallument.

Et puis le silence…
– Est-ce que ça va ? me demande doucement l’inconnu.

Il me faut du temps pour retrouver mon calme et mes esprits. Je me rends


compte que je me suis blottie contre lui, qu’un de ses bras m’entoure et l’autre…
L’autre retient des cartons dans mon dos pour qu’ils ne tombent pas sur moi.

– Je crois que ça ira mieux quand on sera sortis d’ici, dis-je faiblement.
– Vous tremblez…

Je ne sais pas si c’est de peur ou parce qu’il continue de me serrer contre lui.
Ses yeux s’accrochent aux miens, ses lèvres sont à quelques centimètres des
miennes, mon corps est pressé contre le sien. Des images se bousculent : la
douche, la chute, les cartons, son torse nu, les massages, l’accident…

Je ne sais pas si c’est lui qui m’embrasse en premier ou si c’est moi. Si nous
répondons à une pulsion, à une attirance, ou au besoin de profiter de la vie avant
de connaître une seconde chute qui pourrait nous être fatale cette fois. Ce baiser
est une invitation à la survie, le sang n’a jamais autant pulsé dans mes veines,
mon ventre ne s’est jamais autant enflammé. Ses mains se crispent dans mon
dos, il fait un pas pour me plaquer contre mes cartons. Il me domine de toute sa
hauteur, de sa force et de ce magnétisme qui vrille complètement mes pensées.
Je m’accroche à lui comme une damnée, comme s’il était mon seul lien avec la
terre ferme, le seul capable de me sortir de là. Mes oreilles bourdonnent, mon
cœur tambourine dans ma poitrine. Et lui… Il m’apporte un autre vertige, me fait
défaillir encore plus… J’ai soudain envie qu’il me prenne, sur mes cartons, avec
sa force qu’il semble parfaitement maîtriser, qu’il laisse s’exprimer cette virilité
que je sens contre moi. Je ne suis plus dans l’ascenseur, je suis juste dans ses
bras, dans une dimension terriblement érotique où les seules images de moi,
totalement nue contre lui, mes jambes entourant sa taille, emportée par ses coups
de bassin, me font frémir encore plus qu’une chute dans le vide.

Les lumières se rallument. L’ascenseur est pris d’une soudaine impulsion et


remonte, cette fois-ci plus doucement. Mais ça ne m’intéresse pas autant que ça
le devrait. Je suis dans les bras de mon voisin sexy, il m’offre un baiser
volcanique et je ne souhaite plus qu’une seule chose : que ça dure le plus
longtemps possible.

Sauf que la bulle explose au moment où retentit la sonnette de l’ascenseur,


annonçant l’arrivée à l’étage et l’ouverture des portes. D’un pas vif, mon voisin
se recule. J’ai un millième de seconde pour revenir à la vie, reprendre le dessus
sur un flot de sentiments qui m’assaillent. J’ai besoin de bondir hors de cet
endroit.

– Je suis arrivée, murmuré-je en me tournant vers mes cartons.

Je croise son regard. Si je suis complètement perdue, il a l’air complètement


maître de lui-même. Il ne s’excuse pas, ne dit pas un mot. Il se contente de me
regarder.

Est-ce qu’il est en train de penser à ce qu’on vient de faire ?

Est-ce que j’embrasse si mal ?

S’il savait que de mon côté c’est le meilleur baiser de toute ma vie !

Je suis à la fois consternée, mortifiée, honteuse, confuse… et choquée par la


réaction plus qu’enthousiaste de mon corps et par mes idées plus qu’audacieuses.
Franchement qu’est-ce qui m’a pris de me jeter sur lui ? De me laisser embrasser
comme ça ? Personne ne fait ça. Jamais ! Et lui ? Il se rend compte que c’est
bizarre ? C’est peut-être un psychopathe qui erre dans les immeubles à la
recherche de jeunes filles à embrasser ?

Arrête, Kirsten… Arrête !

C’était le choc. Maintenant tout va bien, on reprend nos vies.

– Je… je me dépêche, dis-je finalement à son attention. Je crois que


l’ascenseur n’a pas aimé être considéré comme un monte-charge. Je vous libère
et… enfin, je libère l’ascenseur.

Mon sang tambourine à mes tempes. Mon cœur est au bord de l’arrêt
cardiaque. Je perds pied. Cette chute et ce baiser ont eu complètement raison de
moi.

– Je vais vous aider.

L’inconnu attrape un carton et, petit à petit, à nous deux, on vide cet ascenseur
de malheur.

Enfin, « de malheur »… S’il n’était pas tombé…

– Merci, soufflé-je. Je m’appelle Kirsten.


– Joshua, se contente-t-il de me répondre.

Joshua…

J’admire sa capacité à se remettre de ses émotions. Même si c’est un peu


flippant aussi. L’incident a l’air de ne lui avoir fait ni chaud ni froid, pareil pour
notre baiser passionné. Et je me vois mal remettre ça sur le tapis.

« Désolée de m’être jeté sur toi mais j’ai eu peur. » « Alors ce baiser, tu l’as
trouvé comment ? »

Je serais rouge de honte avant d’avoir fini ma phrase !

À son tour d’enlever son sweat et de se retrouver en tee-shirt. J’essaie de ne


pas trop l’observer, mais je ne peux que constater qu’il a de très beaux muscles
très bien dessinés. Je comprends pourquoi je me suis sentie autant en sécurité ! Il
dégage une telle force. Mais une force tranquille, pas celle du mec qui passe son
temps en salle de sport pour augmenter le diamètre de ses biceps. Je devrais
peut-être avoir peur de lui mais je n’y arrive pas.

– C’est vraiment sympa de m’aider, merci beaucoup !

J’essaie de rompre le silence, de lui soutirer un sourire, mais c’est un échec.


Joshua est impassible. Impossible de deviner ce qu’il pense. Et plus les cartons
s’entassent dans l’entrée de mon appart, plus je sens que la fin de cette rencontre
est proche. Il faut que j’en sache plus sur lui ! Au moins pour le remercier, je ne
sais pas…

Pour éviter de le recroiser, pour ne pas repenser à ce baiser, rougir de honte


devant lui, peut-être aussi.

– Eh bien, bienvenue dans l’immeuble, finit-il par me dire, en regardant


autour de lui pour s’assurer que rien ne traîne.
Déjà il est aux portes de l’ascenseur.

– Vous êtes sûr que vous tenez à risquer une nouvelle fois votre vie dans cette
cabine capricieuse ? tenté-je de plaisanter pour le garder un peu plus longtemps.
– Il ne devrait plus y avoir de problèmes. À bientôt, Kirsten.

Et Joshua s’évapore. Enfin, façon de parler, il ne disparaît pas vraiment. Mais


son dernier regard, sa façon de prononcer mon prénom, et ce « à bientôt »,
promesse d’une prochaine rencontre, vient de me faire perdre pied quelques
secondes.

Je frissonne quand je ferme la porte derrière moi. Je crois qu’il est temps que
je me pose. Mes nerfs ont besoin de se détendre et mes folles idées de s’apaiser.
J’ai peut-être rêvé ce baiser… Dans la peur de mourir, j’ai peut-être
complètement fantasmé la situation ? Je ne sais pas ce qui serait le plus grave :
avoir imaginé tout ça ou avoir réellement embrassé un inconnu qui après a fait
comme si de rien n’était.

En tout cas, on peut dire que ma nouvelle vie commence de façon assez…
surprenante !

Étrange, même, comme si j’avais mis les pieds dans une autre dimension.

Mais tout est bien qui finit bien… pour l’instant.

J’explore enfin mon nouveau chez moi. C’est moyennement grand, mais pour
deux, c’est suffisant. La cuisine ouverte sur le coin salon apporte un vrai
sentiment d’espace. Impossible de faire tenir une table ici, mais le bar est un îlot
qui prête aux échanges complices.

Une en cuisine, l’autre qui sirote son verre… Je nous y vois déjà !

Je fais un tour sur moi-même, m’appropriant mètre par mètre l’espace. Des
fenêtres, j’aperçois les escaliers de secours, typiquement new-yorkais… Nous ne
sommes pas assez haut pour avoir une jolie vue sur la ville en revanche. On
donne pile sur les voisins d’en face. Moi qui suis habituée à voir sur le jardin
chez mes parents, cette promiscuité citadine est un choc. Mais un choc plaisant.
Je suis au cœur de tout !
J’adore absolument tout. C’est cosy, en bazar, simple, mais exactement ce que
j’imaginais ! Et ma chambre se situe au bout d’un petit couloir, loin de celle de
Liana. Nous aurons chacune notre intimité.

C’est génial… Un appart, ma première indépendance… L’idée d’inviter qui


on veut…

Le voisin, peut-être ?

Je me fais l’effet d’une gamine découvrant Disney pour la première fois…

Je me laisse le week-end pour être émerveillée par tout ça. Mais dès lundi, je
serai une vraie New-Yorkaise !

Je finis dans la cuisine à la recherche d’une bouteille d’eau. Mes émotions


m’ont donné soif ! Sur le frigo, un mot est accroché à mon attention.

Désolée Kirsten, je ne peux pas être là pour t’accueillir.


Surtout fais comme chez toi ! Tu es chez toi, d’ailleurs !
De retour dimanche soir, ou lundi, je ne sais pas encore.
Au fait, j’ai perdu ton numéro, n’hésite pas à m’envoyer un SMS !

Je souris. Cette colocation va me dépayser du côté rangé et organisé qu’a


imposé ma mère à la maison. Je ne suis pas contre un peu de folie, de bonne
humeur et de spontanéité ! Même si je suis déçue de ne pas voir Liana. Elle doit
être retenue par son job sans doute, elle travaille dans l’événementiel et c’est
assez accaparant comme milieu. J’avais imaginé que nous sortirions ce soir,
qu’elle me ferait découvrir un des bars qu’elle doit fréquenter, histoire de faire
connaissance. Nous sommes cousines, mais je l’ai très peu croisée dans ma vie
finalement. Ma mère a toujours du mal avec la famille de son frère, plus souple,
moins bourrée de principes que mes parents. J’ai dû voir Liana pour la dernière
fois au Noël de mes 10 ans. Elle en avait 15 et je crois me souvenir qu’elle ne
raffolait pas non plus des réunions familiales. La preuve, je ne l’ai plus jamais
revue chez moi ! Elle s’est très vite installée ici pour faire des études, après le
lycée. Mon oncle m’a toujours dit qu’elle n’attendait que ça : partir en ville.

Proches ou pas, elle n’a pas hésité à m’héberger quand mon oncle, son père,
lui a annoncé mon arrivée à New York. Depuis, on a échangé des milliers de
mails (OK, peut-être une centaine…) et une complicité s’est très vite installée
entre nous. Elle m’a proposé sa deuxième chambre sans aucune hésitation et
c’est en grande partie grâce à elle que j’ai pu m’enfuir de Saint Cloud aussi vite.
Mes parents étaient plus rassurés de me savoir avec elle, que seule perdue dans
cette ville inconnue !

Je lui dois un peu de cette renaissance dont j’avais besoin pour ma propre
survie.

***

Je passe ma première soirée seule devant la télé. Mais pas déprimée pour
autant ! J’ai commandé une pizza, je zappe en savourant ma première liberté. Si
ma mère me…

Ma mère !

Je file dans ma chambre récupérer mon téléphone toujours en charge. J’ai


quatorze appels en absence, autant de messages sur mon répondeur. J’ai
complètement oublié de les prévenir que j’étais bien arrivée ! Si je ne rappelle
pas, ils sont capables de débarquer dans la nuit !

– Kirsten, enfin c’est toi ! Tu imagines l’inquiétude que tu nous as donnée, à


ton père et à moi ! Je le savais, tu n’as que 19 ans, tu n’es pas prête pour…
– Bonsoir maman. Désolée, je n’avais plus de batterie et le temps que je
m’installe, je…
– Tout va bien ? Liana t’a aidée pour ton emménagement ? Et ce soir ? Vous
dînez correctement j’espère. Après une journée comme la tienne, tu as besoin de
reprendre des forces !

Je retourne m’installer dans le canapé, souriant devant ma pizza, écoutant


d’une oreille le monologue de ma mère.

– Et le voisinage ? Pas trop bruyant ?

Bruyant, non. Sexy par contre…

– Je te l’ai déjà dit, maman, Liana habite dans l’un des quartiers les plus sûrs
de la ville. Il y a même un portier en bas !
– Ah, très bien. Et demain, tu as…
– Maman, je dois te laisser. Liana m’appelle pour un souci de… classement
de nos livres. Tu comprends, il faut qu’on s’organise maintenant qu’on vit
ensemble.
– Bien sûr, je comprends. Ton père t’embrasse. N’oublie pas ton déjeuner
demain avec Ross !

Je lève les yeux au ciel, surprise qu’elle puisse gober cette excuse bidon…

– Non maman, bonne nuit maman !

Raccrocher au nez de sa mère, c’est mal, je sais. Mais je la connais, elle a


certainement une liste de conseils à me donner, des choses qu’elle doit penser
avoir oublié de me dire.

Mais depuis le temps que je prépare mon départ, elle a tout abordé.
Absolument tous les sujets utiles. Et les autres. Des dizaines de fois…

Je ne sais pas si c’est l’excitation de mon emménagement, la fatigue, ou


Joshua qui occupe toutes mes pensées, mais je peine à m’apaiser. Ce baiser me
remue vraiment. Il n’a rien d’anecdotique pour moi… Enfin j’imagine qu’il ne le
serait pour personne aux vues des circonstances. Mais il a d’autant plus
d’importance pour moi que c’est le premier. Pas vraiment le « premier,
premier », il y a bien eu un rapide bisou échangé un jour au lycée… Mais rien de
comparable à celui-ci. Rien d’aussi passionné, brutal, intense… Rien qui ne
m’ait embrasée de cette façon. Rien d’aussi chaud et vivant, d’aussi
bouleversant.

Moi qui ai toujours pensé que mon premier vrai baiser serait le
commencement d’une relation amoureuse…

Je l’ai tellement imaginé, j’ai même pensé m’entraîner… Et là, c’est… arrivé.
Spontanément, zéro préparation. Avec l’un des plus beaux mecs que j’aie
rencontré de toute ma vie ! Inimaginable. Juste parfait.

Et délicieux…

Incapable de fermer l’œil, je continue de ranger mes affaires dans les


quelques meubles existants dans ma chambre. Au moment d’ouvrir un carton, un
sweat bleu marine attire mon regard.
Non… Est-ce que c’est…

Celui de Joshua ! Aucun doute. Des effluves de son parfum me parviennent et


je me fais violence pour ne pas aspirer une grande bouffée, le nez plongé dans le
tissu. New York ou pas, embrasser une inconnue n’arrive pas tous les jours. Pas
comme ça, pas de cette façon… On a été surpris tous les deux, poussés dans les
bras l’un de l’autre par une…

Une grosse frayeur qui pousse les gens à faire n’importe quoi…

Il faut que je me calme. Demain, j’irai lui rendre son pull et on retrouvera une
relation de voisinage normale. Bonjour, merci, au revoir dans le hall ou
l’ascenseur, et basta !

Sur mon matelas posé à même le sol, je n’arrête pas de me retourner. Joshua
ne quitte pas mes pensées. Je dois me faire violence pour mettre mon cerveau sur
off, et mon corps aussi, pour sombrer dans les bras de Morphée.
2. Vertige

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Et ce n’est pas à cause du bruit. Le quartier
est plutôt calme. Non, j’ai imaginé mille fois la scène où je rendrais le pull de
Joshua, et ça, à en perdre le sommeil. Ce matin je suis prête à me confronter à la
réalité, qui sera probablement bien plus « normale » que tous les scénarios
échafaudés cette nuit.

C’est le cœur battant que j’appuie sur le bouton du dernier étage de


l’immeuble. Alors qu’il y a encore quelques minutes j’étais sûre de moi, je sens
que je suis en train de perdre le contrôle. Pourquoi m’inquiéter ? Je ne suis là
que pour lui rendre son pull, non ? Ou alors, c’est de reprendre l’ascenseur qui
me stresse ?

L’affiche collée dans la cabine devrait pourtant me rassurer… Signée par le


réceptionniste, elle nous apprend la vérification du moteur et de l’ensemble de la
machinerie survenue hier soir.

Tout est désormais en ordre…

Tout sauf mes idées !

Quand enfin les portes s’ouvrent, que les battements de mon cœur
s’accélèrent encore un peu plus, je comprends que ce n’est pas du tout la cage
mécanique qui m’effrayait. Mais bien de retrouver Joshua.

À ma grande surprise, je n’ai pas besoin de chercher son appartement, tout


simplement parce qu’il n’y en a qu’un.

Quand je me place devant la porte, je serre un peu plus le sweat bleu dans ma
main. Ou plutôt, je le broie. Je souffle. Je lui donne son pull, je le remercie et je
file ! Ce n’est pas si insurmontable !

Je sonne, sans réfléchir davantage. Si je me mets à trop penser, je vais perdre


tous mes moyens.

Quand la porte s’ouvre à la volée, que Joshua se matérialise devant moi, je


sais que mes moyens ne sont même pas montés dans l’ascenseur avec moi. Ils ne
se sont pas perdus, ils n’ont même pas pris la peine de m’accompagner !

Fin pantalon en toile, tee-shirt blanc immaculé, je comprends qu’il sort de la


douche aux quelques gouttelettes tombées de ses cheveux qui sèchent
délicatement sur son cou.

Je manque complètement de lucidité mais j’arrive à voir ce petit détail ?!

Tous mes sens sont en vrac !

– Un problème d’ascenseur ? Il ne s’est pas arrêté à votre étage cette fois ? me


demande-t-il, un brin ironique.
– Je… Je suis venue vous rendre votre pull, vous l’avez oublié hier chez moi.

Je lui tends la raison de ma présence ici et, en échange, Joshua m’adresse un


petit sourire.

– Entrez, finit-il par me dire en s’effaçant devant moi.

Que j’entre…

J’obéis et mets le pied, non sans cette appréhension qui ne me quitte plus,
dans l’univers de Joshua. Dès mes premiers pas dans cet appartement
gigantesque, un loft, je suis happée par la vue imprenable sur New York, Central
Park et sur l’horizon…

– C’est… C’est magnifique, murmuré-je.

Je m’approche de la baie vitrée, constate que Joshua possède en plus une


immense terrasse. Je suis hypnotisée par le spectacle. Pour moi qui viens tout
juste de débarquer, cette vue est tout simplement vertigineuse ! Hypnotique,
même !

– Un café ?
La voix de Joshua me ramène sur la terre ferme et me rappelle où je suis, et
avec qui.

– Oui, merci.

Je le rejoins et l’observe alors qu’il est concentré sur la machine à café. Il a


l’air si calme, si maître de lui. Je devrais faire pareil, me détendre, apprécier ce
rapport de bon voisinage. Et vu son attitude, il a l’air d’avoir oublié le baiser de
la veille. Je n’ai pas relevé le moindre indice qui trahirait son envie de
recommencer.

Ni même le plaisir de me voir débarquer chez lui…

Il pose la tasse devant moi. Comme la veille, Je suis impressionnée par cette
force tranquille qui se dégage de lui. Il n’a pas besoin de beaucoup parler pour
séduire… Il lui suffit d’être là.

– Venez, me dit-il enfin en plongeant son regard dans le mien. J’ai cru
comprendre que la vue vous fascinait.

Je le suis, alors qu’il m’entraîne sur la terrasse. Dans son sillage, ce parfum…

Cette odeur va me poursuivre toute ma vie.

C’est un souvenir olfactif qui va me replonger dans cet ascenseur, dans cette
chute, dans ce baiser…

Je m’installe à ses côtés, contre la balustrade. Nos bras se frôlent. Un instant,


je pense faire un pas de côté, mais ce contact éveille en moi un brin de folie et
d’audace. J’adore ce que cela provoque chez moi, ces frissons, cette envie de
voir si l’attirance est toujours là… Je crois de toute façon que je suis incapable
de bouger.

Et lui ne bouge pas non plus…

– Vous comptez rester longtemps à New York ? me demande-t-il, le regard


perdu sur l’horizon.
– J’aimerais assez, réponds-je en l’imitant. Vous vivez ici depuis longtemps ?
– Oui.
Je n’en saurai pas plus. Joshua est impénétrable. Il est avec moi, à mes côtés,
son corps est bien présent, ce n’est pas un hologramme puisque son bras effleure
le mien, mais son esprit, sa tête semblent ailleurs.

Est-ce que je dois alimenter la discussion ? Est-ce ce que c’est ce qu’il attend
de moi ? Le silence s’installe entre nous, me rendant mal à l’aise. Et ma tasse est
vide. Que faire ? Partir ou rester ?

Je n’ai aucune raison de m’attarder. Joshua m’a poliment invitée pour un café,
mais il n’a pas l’air du genre bavard.

– Merci pour le café, je vais vous laisser.


– Vraiment ?

Cette fois, Joshua se tourne vers moi délaissant sa contemplation. C’est moi
maintenant qui suis au cœur de son attention et je me sens de nouveau très
gauche, très maladroite. Comme s’il envoyait des signaux pour brouiller les
connexions de mon cerveau.

– Euh oui… Vraiment.


– Je pensais que vous étiez venue pour continuer ce que nous avions
commencé dans l’ascenseur, dit-il posément.

Pardon ?

Je manque de faire tomber ma tasse, ma main sur la balustrade se crispe pour


m’empêcher de tomber à la renverse.

– À moins que vous ne regrettiez…

Qui ? Regretter ? Moi ?

– Non, bien sûr que non ! m’écrié-je spontanément. Mais je pensais… Il me


semblait que vous…

Mon Dieu, c’est une vraie torture que de ne pas trouver ses mots dans une
situation pareille, devant lui !

– Alors, vous êtes venue pour quoi, Kirsten ?


Est-ce qu’il pense vraiment que je suis venue pour qu’on… on… qu’on
couche ensemble ?

Et il ne dirait pas non ?

Mon cerveau ne répond plus quand Joshua me retire délicatement la tasse des
mains pour la poser sur le bras d’un fauteuil, à proximité. Ses gestes sont lents,
calculés, et pas un seul instant il ne me quitte des yeux. Son regard devient
convoitise, je suis devenue la proie sur laquelle il compte fondre… Mais en
prenant son temps.

J’ai peur mais pas de lui, de moi, de mon inexpérience. Il ne m’est jamais
arrivé un truc pareil.

Il-a-envie-de-moi.

J’ai du mal à y croire. Il faut que je dise quelque chose, que j’aie l’air plus
assurée.

– Je suis venue… pour vous revoir, arrivé-je à dire, la voix enrouée.


– Ce baiser vous a plu, continue-t-il en posant une main sur ma taille avant de
m’attirer vers lui.
– Oui…

Comme hier, nos deux corps se pressent déjà l’un contre l’autre, bassin contre
bassin. Comme hier, Joshua me serre contre lui… Ses lèvres s’entrouvrent, mon
cœur défaille, son visage s’approche et…

C’est moi la première qui lui saute dessus, c’est moi qui l’embrasse,
complètement envoûtée par l’aura sensuelle qu’il dégage. Nos langues se
trouvent, s’effleurent avant de partir dans une danse frénétique. Je sens qu’il me
presse un peu plus contre la rambarde, ses doigts m’enserrent un peu plus la
taille.

C’est un peu comme si j’étais prise au piège sans aucune envie de me


débattre.

Mes mains s’enhardissent et se posent dans son dos alors que ses lèvres
descendent vers mon cou. Je rejette la tête en arrière. Je frissonne, mon corps
n’en peut plus, je ne le contrôle plus. Ce que je ressens est complètement
nouveau. C’est effrayant et délicieux à la fois.

Quand soudain Joshua me soulève pour m’entraîner à l’intérieur et m’allonger


sur le canapé, je ne cède pas tout de suite à la panique. Il prend le temps
d’enlever son tee-shirt avant que nos bouches se retrouvent encore une fois. Son
regard a changé, je crois y lire du désir… Je ne sais plus où je dois poser les
yeux. Dans les siens pour tenter de le décrypter, sur ce torse musclé pour
l’admirer ? Les fermer pour ne pas avoir à choisir ?

Qu’est-ce que je dois faire ? Me déshabiller moi aussi ? Le déshabiller


d’abord ?

Je me contente de l’embrasser, c’est encore ce que je maîtrise le mieux. Mon


corps me fait mal, lui aussi semble attendre quelque chose de moi, mais quoi ? Je
me sens empêtrée dans mon inexpérience, je ne sais pas quoi faire, je suis
terrorisée à l’idée de faire un geste malheureux.

Ou pire. Qu’il comprenne que je suis vierge et qu’il arrête tout !

Mais Joshua ne connaît pas toutes ces interrogations. Il sait ce qu’il veut, ne
se pose pas de question. C’est lui qui déboutonne ma chemise, me l’enlève, c’est
sa bouche qui descend sur ma gorge, ma poitrine, ses doigts qui glissent sur mon
ventre…

Je pousse un soupir, j’ai envie qu’il aille plus loin, qu’il me touche. Je me
sens gauche et maladroite avec mes mains, alors que les siennes sont déjà en
train de déboutonner mon jean…

Il est vraiment en train de se passer… ce qu’il est en train de se passer ?

Est-ce que je suis sûre de vouloir aller plus loin ? De continuer ? Que ce soit
lui le premier ?

OUI !

Mon corps le veut, je le veux, complètement, totalement. C’est encore bien


loin de ce que j’avais imaginé, mais je prends conscience que ma raison n’est
pas décisionnaire. Mon corps, mes sentiments, mon instinct sont mes guides.
C’est bien plus transcendant que tous les scénarios que j’ai envisagés !
Déroutant, passionnant, vibrant… Et tellement excitant que je n’ai aucune envie
d’arrêter.

Ses gestes sont assurés mais bourrés d’attention… Et ce regard qu’il me


lance, ce long regard que nous échangeons… Je dois lui dire, je dois lui
expliquer, qu’il sache que je…

Mais il pose son doigt sur mes lèvres, m’imposant le silence. Comme s’il
avait lu dans mon regard.

Mais quoi, le stress de la première fois ou mon désir d’aller plus loin ?

Une petite voix me dit que je me mets en danger, que je suis folle et que je
dois tout arrêter. Une autre me murmure que ce n’est pas plus mal que je le fasse
avec un inconnu, que je n’aurai pas à le côtoyer au quotidien, juste à l’éviter
dans les couloirs, si c’est un fiasco. Et enfin mon corps me hurle que je suis en
sécurité et que je ne dois surtout pas arrêter là.

Je crois comprendre aux gestes fermes de Joshua qu’il souhaite que je me


laisse faire, que je me laisse aller… Ce que je fais, essayant de mettre mon
cerveau sur off, d’éteindre mon anxiété et de libérer un désir totalement inédit et
incontrôlable. Joshua m’allonge, fait descendre mon pantalon jusqu’à mes
chevilles. J’éprouve un frisson à me retrouver devant un homme comme lui, en
sous-vêtements. Quand il revient pour m’embrasser, nos dents s’entrechoquent.
Je suis maladroite, un peu trop impatiente sans doute, mais je m’embrase de
désir. Je sens que mon appréhension me quitte, l’excitation me vrille le ventre. Je
suis affamée de ce corps à corps sans jamais n’y avoir goûté pourtant. Nos
regards s’accrochent, mais je n’arrive pas à soutenir le sien, trop intense, trop
fort, trop… Impressionnant ! Son corps, ses lèvres, ses épaules, sont un spectacle
moins redoutable et tout aussi captivant.

Joshua se glisse à mes côtés, me domine complètement. La peau nue de son


torse frôle la mienne. Nos lèvres ne se quittent plus alors que sa main se glisse
sous le tissu de ma culotte. Je gémis quand ses doigts me touchent, là, juste entre
mes jambes. Mon corps se cambre, mes ongles se plantent dans son dos. Je ne
contrôle plus rien, je plonge dans l’inconnu le plus complet, dans des sensations
complètement nouvelles.
C’est totalement différent de ce que j’ai pu imaginer !

Joshua me serre contre lui quand il accentue ses caresses. Il ne m’en faut pas
plus pour ressentir quelque chose d’étrange. Cette vague de chaleur, ce plaisir
inconnu, qui ne ressemble à rien d’autre. Je m’accroche à lui, stoppe mon baiser
et ferme les yeux. Ce que je ressens à cet instant n’a rien à voir avec les
« papillons » dans le ventre dont toutes les filles parlent. C’est presque
douloureux tant le plaisir est intense et irradie tout mon corps, l’orgasme me
soulève, me bouleverse avant de me laisser, sans force, et un profond soupir sur
les lèvres… Joshua ne bouge plus, comme s’il me laissait apprécier ce moment.

Quand mon cœur s’apaise, je n’ose plus bouger. Au creux de l’épaule de


Joshua, je me sens… bien. Apaisée. Je suis tellement bouleversée par ce qu’il
vient de se passer que je sens une petite larme se former au coin de l’œil. Je
n’ose toujours pas le regarder, mon regard fuit le sien, pour y revenir, et le fuir à
nouveau… Je crois que j’en veux encore. Je veux aller plus loin. Je veux qu’il
aille plus loin… Et que rien ne s’arrête… Surtout quand il attrape mon menton
pour me forcer à plonger mes yeux dans les siens. Ce regard… Il est encore plus
vertigineux que mon premier orgasme. Ce qui se passe à cet instant précis entre
nous ? Je n’en ai pas la moindre idée. Mais il scelle quelque chose pour toujours.
Peut-être que les sentiments exacerbés de cette première fois me font imaginer
n’importe quoi mais… Je le sens prêt à m’emporter à nouveau et moi… À le
suivre là où il veut m’emmener !

Mais mon jean se met à vibrer au sol, rompant brusquement le charme de cet
instant. Joshua caresse mon ventre du bout des doigts jusqu’à ce qu’il tourne la
tête vers mon pantalon.

– Ton téléphone n’arrête pas de sonner depuis tout à l’heure.

Depuis tout à l’heure ?

– C’est vrai ? Je n’ai rien entendu…


– J’ai vu ça… Tu étais trop… Ailleurs, ajoute-t-il, un sourire sur ses lèvres.

Nos yeux se croisent enfin. Son regard est toujours aussi impénétrable mais il
a le don de m’électriser à nouveau.
– Je…
– Tu devrais répondre, finit-il par me dire en se relevant.

Le charme est définitivement rompu. Si j’avais été plus expérimentée, est-ce


que je l’aurais retenu ? Demandé de continuer, de ne pas faire attention ?

Sûrement…

Je me redresse à mon tour alors que Joshua remet son tee-shirt en me tournant
le dos. Rapidement, je me rhabille. Le laisser me voir en sous-vêtements, alors
que nous ne sommes plus en train de… enfin, comme ça, me met mal à l’aise.

Quand j’attrape mon téléphone, cinq appels en absence m’attendent. Je pense


d’abord à ma mère, avant de découvrir que c’est Ross, l’ami de mes parents avec
qui je devais déjeuner ce midi.

Et il est déjà treize heures !

Ce rendez-vous manqué me donne une parfaite excuse pour m’éclipser, pour


remettre mes idées en place. Pour m’éloigner de Joshua, de son regard qui me
remue définitivement.

Qu’est-ce qu’on est censé dire après ça ?

– Je dois y aller…

Je me dirige vers la porte d’entrée quand je sens une main me retenir.

– Attends, murmure presque Joshua, à nouveau quelques pas de moi,


m’enveloppant à nouveau de son magnétisme. Laisse-moi ton numéro. Ce serait
dommage d’en rester là…

Il me tend son portable et je fais tout mon possible pour ne pas trembler. Aller
plus loin, se revoir… Il faut que je parte vite avant de défaillir complètement. Je
lui rends l’appareil et je croise le regard le plus profond, le plus intense de toute
ma vie.

Un quart de seconde, je m’imagine lui sauter dessus, lui dire que mon rendez-
vous n’a rien d’important et que c’est maintenant que je veux continuer. Avec
lui. Au lieu de ça, j’esquisse un faible sourire et ferme la porte derrière moi, le
cœur battant.
3. Au rapport !

Je me presse de faire un saut chez moi pour prendre mon sac, me recoiffer, et
je file attraper un taxi. Je n’ai même pas la présence d’esprit d’appeler Ross, de
le prévenir de mon retard, de mon arrivée, de m’excuser.

Je ne pense même pas à annuler.

Une partie de mon cerveau essaie de communiquer avec moi. De me dire que
je ne connais pas Joshua, qu’il aurait pu m’arriver n’importe quoi, que j’ai appris
en cours de science que le préservatif n’était pas optionnel et je n’en avais pas
sur moi, que j’aurais pu avoir mal…

Mais je n’écoute pas cette petite voix intérieure. Je suis ailleurs. En dehors de
mon corps. Ou plutôt non, je suis bien dans mon corps. À écouter ce qu’il vient
de ressentir…

Mais apercevoir Ross Walker derrière la vitre du restaurant, visiblement


contrarié, me remet les deux pieds sur terre. Ross Walker est un ami très proche
de mes parents, la cinquantaine athlétique. Il est à la tête d’une grande maison
d’édition qui ne jure que par les biographies, essais et autres textes ennuyeux.
C’est mon référent officiel ici. Il est impeccable dans son costume (même le
week-end ?!), et j’hésite un instant à entrer. Je le connais peu. Mais il entretient
avec mes parents, depuis qu’ils se sont connus à la faculté dans le Minnesota,
une vraie amitié malgré la distance. Nous avons dû partir deux ou trois fois en
vacances ensemble, mais, sans enfants, il ne m’a jamais vraiment intéressée.

Il s’est aussi proposé de m’accueillir chez lui, à New York. Heureusement que
Liana m’a invitée rapidement à la rejoindre, sinon, mon séjour ici se serait
annoncé moins… plus… Sérieux ? Mais je lui en suis redevable. Dès que mes
parents lui ont parlé de mon projet de venir vivre ici, il m’a trouvé un stage dans
l’agence de pub où je commencerai lundi. Il en est un des gros clients, paraît-il.
C’est lui encore qui a proposé à mes parents de « s’occuper de moi ».
Comme un chaperon…

Ma mère a été plus rassurée. Et moi peu enthousiaste à l’idée d’avoir encore
quelqu’un sur mon dos. Comme si mes parents ne comprenaient vraiment pas
que je pouvais vivre seule et loin d’eux. Mais sans lui, sans sa présence, sans
cette idée « de sécurité » que sa proximité new-yorkaise lui confère, mon
déménagement n’aurait sans doute pas été aussi simple.

Il n’y a rien de tel pour retrouver ses esprits. Penser à ses parents !

– Désolée Ross, dis-je en le rejoignant. Je me suis perdue en route, j’ai encore


un peu de mal à m’y retrouver dans le métro !

Je mens honteusement, je souris et m’installe en attrapant la carte devant moi.


Je sens qu’il me scrute du regard. J’essaie au maximum de donner le change,
d’enfouir au plus profond de moi tout ce que je viens de vivre.

Pour le préserver aussi, ce n’est qu’à moi…

– J’ai failli partir, se contente-t-il de me dire un peu sèchement. J’ai horreur


de manger seul, tu sais !
– Toutes mes excuses, vraiment. Mais ne m’en veuille pas, c’est mon premier
vrai jour ici, j’ai besoin de prendre encore mes marques ! m’exclamé-je avec un
enthousiasme exagéré.
– Tu es sûre que ça va ? Tu as l’air… bouleversée. C’est New York qui
t’inquiète ? Ta colocation se passe bien ?

Je regarde Ross, puis la carte, et à nouveau Ross. Si jamais il s’inquiète pour


moi, je sais qu’il en parlera à mes parents. Je ne suis pas dupe. Je sais que ma
mère attend le rapport de ce déjeuner à la minute où nous nous serons quittés.

– Oh non, tout va bien, c’est même parfait ! tenté-je de le rassurer.

L’arrivée du serveur me sauve et nous passons commande.

– Prête pour ton premier jour lundi ? me demande Ross, toujours aussi
curieux de connaître mes états d’âme. Art & Com est une très bonne agence, je
ne suis pas déçu par les équipes avec lesquelles je travaille. Tu devrais beaucoup
apprendre là-bas.
– J’y compte bien, ce stage est important pour moi et qui sait… S’il peut
déboucher sur un emploi définitif…
– Tu aimerais rester à New York alors que tu viens d’arriver ? Laisse-toi un
peu de temps pour découvrir cette ville et ses travers. C’est tellement différent de
Saint Cloud, tu risques de regretter le calme et la sérénité de chez toi.

Je me retiens de lui dire que je n’ai aucune envie de remettre les pieds là-bas.
Ce « chez-moi » comme il l’appelle, que je ne considère pas du tout comme tel.
Ross me voit comme mes parents : fragile, influençable peut-être, jeune, naïve
aussi, sans doute. Je ne connais rien à la vie, je dois être accompagnée, guidée
pour prendre le bon chemin, une voie calme, paisible, normale…

Et moi, je ne veux pas tout ça ! Mais je sais que je dois faire ma révolution en
douceur. Imposer mes choix, petit à petit. L’éloignement a été une première
victoire et je compte sur la distance pour leur montrer que je suis capable de
vivre sans eux, loin de chez eux. Et surtout de prendre mes décisions sans avoir
droit à des discussions sans fin !

Je botte donc en touche, parle du temps, du restaurant, de mon prochain stage.


Je fais exactement ce que mes parents attendent de moi. Je suis rassurante. Au
maximum. Car quand les silences s’installent entre deux fourchettes, mon esprit
vagabonde aussitôt du côté de Joshua. Plusieurs fois, Ross se répète, me
demande à quoi je pense, si je suis sûre que ça va.

– Mais oui, Ross, tout va bien ! Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?


– Parce que cela fait trois fois que tu portes ton verre d’eau vide à ta bouche.
– Oh…

Mince…

– Je vais devoir te laisser, dis-je brusquement. Je viens de me rappeler que j’ai


quelques courses à faire pour lundi, pour l’appart…
– Mais… Tu n’as pas le temps pour un dessert ?
– Non… Et puis tu sais bien, toutes les filles de mon âge font attention à leur
ligne !
– Comme tu veux…

Ross est pris de court et je sens que ce déjeuner éclair n’est pas pour lui
plaire. Mais il prend sur lui et se lève pour m’embrasser :

– Il faudrait remettre ça, je n’ai pas eu l’impression de beaucoup te parler. Et


si nous instaurions un rendez-vous hebdomadaire. Tous les dimanches par
exemple ?

Pour que mes parents aient un rapport régulier de ce que je fais de ma vie ?

– Disons dimanche prochain pour commencer et ensuite on verra, lui lancé-je


en m’éloignant.

Je n’attends pas sa réponse, je suis déjà sur le trottoir pour héler un taxi. Je ne
sais pas où je vais, mais je veux m’éloigner d’ici. Et quand je m’installe plus
confortablement sur la banquette, c’est à nouveau Joshua qui s’impose dans mon
esprit.

Est-ce qu’il va m’appeler ?

***

Ce n’est pas Joshua qui fait vibrer mon téléphone ce soir-là. Mais bien ma
mère. Sans surprise, et sans envie, j’ouvre son message :

[Ross a trouvé que tu avais l’air perdue.


Tu es sûre que ça va ?]

Je réfléchis un instant. Est-ce que je vais bien ? J’ai aimé mon après-midi
new-yorkaise, je me suis trouvé des palettes pour poser mon matelas et me
construire quelque chose de confortable, un peu de déco en chinant un peu, j’ai
aimé ce que j’ai vu, l’énergie de cette ville, cette facilité que l’on peut avoir à
paraître invisible, noyé dans la masse… Et puis il y a eu Joshua ce matin, mon
tout premier orgasme, mon corps qui s’est révélé, le désir que j’ai ressenti,
faisant de moi une autre femme… Est-ce que Joshua a senti ma maladresse ?
Est-ce qu’il va vraiment me rappeler ? Qu’est-ce qu’il peut bien me trouver ?
Est-ce que ma fuite l’a finalement refroidi ? Est-ce que j’ai envie de le revoir,
d’aller plus loin ? Me lancer dans une relation avec lui ? Est-ce que ça veut dire
que j’ai quelqu’un dans ma vie maintenant ? Ou est-ce que ce n’est pas comme
ça que ça marche…
Ma deuxième journée de liberté a été encore plus mouvementée que la
première. J’ai hâte de savoir ce que sera demain !

[Tout va bien.
Bonne nuit.]

***

Je passe tout mon dimanche à continuer ma visite de la ville et je m’offre


même un spectacle à Broadway. Les affiches me font rêver, les grandes
comédies musicales sont réputées exceptionnelles, ici. Mes yeux sont sûrement
en train de briller, je dois faire l’effet d’une enfant émerveillée, à lever la tête
comme ça et à regarder partout !

Mais il faut que je me rende à l’évidence : toutes mes découvertes, je les fais
en compagnie de Joshua, indélogeable de mon esprit depuis hier. À chaque fois
que je reçois une notification sur mon téléphone, je pense à lui. J’ai tellement
envie de le rejoindre, mais j’ai aussi très peur de croiser son regard. D’aller plus
loin… Et ma raison me rappelle à l’ordre. Je me dis que je suis complètement
inconsciente de m’être laissé aller comme ça. Je ne connais absolument rien de
lui, je ne sais pas qui il est, ce qu’il fait dans la vie, la qualité de sa santé
mentale… Bref, c’est l’effervescence dans mon cerveau. Je cherche le bouton off
juste pour respirer un peu.

Ça plus le stress de ma première journée de stage demain… Je pense à


m’assommer pour être sûre de m’endormir ce soir !

Je termine d’installer ma chambre, de monter mon lit et de vider mes derniers


cartons quand j’entends un bruit de clé dans la serrure.

Liana ?!

Je me précipite dans le salon, impatience et heureuse de retrouver ma cousine


après toutes ces années. Ce que je vois en premier ? Une tornade. Ce que
j’entends d’elle en premier ? Une porte qui claque.

Puis enfin je croise son regard, et un large sourire se dessine sur mon visage.

Et la tornade blonde fond sur moi.


– Kirsten ! crie-t-elle en me serrant dans ses bras. Je suis tellement contente
que tu sois arrivée ! Bon, pardon pour l’accueil manqué, mais promis, je me
rattraperai !

Elle me détaille, des pieds à la tête, gardant mes mains dans les siennes. J’en
fais autant. Liana me dépasse d’une tête, auréolée de cheveux blonds dont je ne
comprends pas si l’effet « coiffé-décoiffé » est naturel ou si c’est dû à l’énergie
qu’elle dégage. Jeans, top un peu loose, tatouage sur l’épaule, sourire radieux et
yeux qui pétillent, aucun doute : ma cousine va totalement ensoleiller mon séjour
ici.

– Tu es devenue carrément canon, me fait-elle remarquer dans un clin d’œil.


On s’est vues il y a tellement longtemps !
– C’est vrai, arrivé-je à placer alors qu’elle se retourne vers ses sacs, à la
recherche de quelque chose. Bon week-end ?
– Excellent ! me lance-t-elle toujours occupée à sa fouille, jetant des habits
partout. J’ai rencontré des gens exceptionnels. Nous partagions tous le même
sentiment créatif, c’était vraiment sympa ! Je crois que je suis rentrée avec de
nouvelles sources d’inspiration. Ah ! Voilà ! Et avec ça !

Liana brandit une bouteille de vin blanc, victorieuse.

– Un Californien nous a apporté des bouteilles. J’ai pensé à ton arrivée, je me


suis dit que ce serait parfait pour notre première soirée. Un chardonnay 2015,
ajoute-t-elle en lisant l’étiquette. Je ne sais pas ce que ça vaut, mais tout le
monde avait l’air de s’extasier…

Je peine à suivre ma cousine. Elle est partout, dans tous les coins de l’appart.
D’ailleurs, elle revient déjà avec deux verres de vin et se laisse tomber dans le
canapé.

– Ton boulot doit te faire rencontrer des gens différents, glissé-je en profitant
de sa concentration à ouvrir la bouteille. Mais ce n’est pas trop contraignant de
bosser le week-end ? C’était un gros événement ?
– Des gens sympas oui, mais seulement avant trois verres. Après, c’est plus
compliqué d’avoir une discussion, si tu vois ce que je veux dire…
– Oh… Même dans tes soirées ?!
– Euh… Oui… Dans mes soirées, et celles des autres aussi. Heureusement, je
ne suis pas la seule à récupérer les pires cas ! Trinquons ! À ton arrivée et à tes
premiers pas dans ta vie new-yorkaise !

Son sourire irradie et me fait complètement oublier toutes les questions qui
tournaient quelques minutes plus tôt dans ma tête. Elle est le souffle de fraîcheur
dont j’avais besoin et si la vie avec elle ressemble à ce début de soirée, je crois
que je vais adorer cette coloc !

– Merci ! lancé-je avant de porter mon verre à mes lèvres. Ton job doit être
sacrément intéressant quand même. Et c’est toi qui organises tout à chaque fois ?
Tu as une équipe ?

Le sourire de Liana s’efface, laissant la place à la perplexité. Ma cousine


plisse des yeux et, une seconde, j’ai peur d’avoir dit quelque chose qu’il ne
fallait pas.

– Attends… Mes parents ne t’ont pas parlé avant que tu viennes ?


– Non…

Son éclat de rire me plonge à mon tour dans le doute.

J’ai loupé un truc ?

– Bon, il est temps de révéler mon grand secret, me souffle-t-elle, le regard


pétillant. Mais attention, pas un mot à tes parents ! Sinon, j’ai peur qu’ils ne
débarquent ici pour te récupérer très, très vite.
– Mais de quoi tu parles ?!
– Je n’ai jamais bossé dans l’événementiel, Kirsten. C’est ce que mes parents
ont trouvé pour que les tiens les laissent tranquilles. Tu connais ta mère ! Je suis
serveuse dans un bar, c’est mon job alimentaire, et je suis aussi un peu artiste,
mais je cherche encore ma voie en ce moment…
– Tu n’as… Tu n’as pas d’agence ?
– Non… Aucune ! Mon père a trouvé cette idée parfaite pour que ma tante, ta
mère donc, ne passe pas son temps à lui prendre la tête avec ses principes de vie
parfaite, de réussite sociale… Tu la connais…
– Oh oui… Si elle avait su, jamais elle n’aurait accepté mon emménagement
ici !
– Voilà ! Tu partages désormais le secret des Sinclair. Mes parents sont plus
ouverts que les tiens, mais mon père n’a pas envie de se fâcher avec sa sœur.
Alors ce petit mensonge arrange tout le monde !
– Mais… Tu étais où, du coup, ce week-end ? lui demandé-je, piqué par la
curiosité.
– Oh, un stage d’initiation à la peinture sur des écorces d’arbre.

Je fronce des sourcils. Je sais que je ne connais rien à l’art, mais quand
même… Des écorces d’arbre ?

– Oui, c’est chouette, enchaîne Liana devant mon regard perplexe. Si tu


arrives à avoir une belle et grande écorce, tu peins avec une peinture spéciale et
tu obtiens un résultat très naturel. Proche des premiers hommes qui ont
commencé à peindre les grottes en Europe, tu vois…

Je vois les grottes, oui… Mais toujours pas l’écorce d’arbre…

– Je te montrerai un jour, ce sera plus simple pour te faire une idée !

Nous rions toutes les deux. Je crois qu’elle n’a pas fini de me surprendre !

Et je comprends d’autant plus pourquoi mon oncle et ma tante mentent depuis


quelques années au sujet de Liana. Connaissant ma mère, je suis sûre qu’elle
aurait été capable de couper tout contact avec eux. Parce que serveuse, ce n’est
pas assez bien, pas assez sérieux, c’est limite dégradant… Ma mère en aurait
voulu à son frère de ne pas avoir poussé Liana à faire de vraies études. Elle lui
aurait dit qu’il était trop laxiste, qu’il le regretterait un jour. Et moi, elle m’aurait
interdit de la voir !

Trop de mauvaise influence…

J’aime mes parents, mais leur côté strict et vieille école peut vraiment se
révéler pesant, surtout quand on ne partage pas les mêmes idées. Je trouve ça
tellement triste que mon oncle ait dû inventer une vie à leur fille pour que leur
relation reste sereine…

– Je suis désolée… soufflé-je.


– Désolée pour quoi ? Pour ta mère ? Tu n’es pas responsable et puis si tu
étais comme elle, tu ne serais pas venue à New York toute seule, rit-elle. Mais
plus sérieusement, je n’ai jamais été très famille, c’est surtout pour mon père que
j’accepte ce petit jeu. J’assume complètement ma condition !

Liana me plaît. Vraiment. Tout a l’air simple avec elle. Elle est positive aussi
et ça…

– Par contre, moi je sais plus de choses sur toi, ajoute-t-elle en retrouvant son
sérieux. Je sais en partie pourquoi tu es là.
– Je me suis beaucoup confiée à ton père, c’est vrai, dis-je en baissant les
yeux sur mon verre.
– Je ne regrette pas de ne pas avoir fait d’études. C’est quand même dingue ce
qu’ils t’ont fait subir !
– J’étais une cible facile, soupiré-je. J’ai débarqué dans un monde d’étudiants
dont la majorité avait pris une autre voie avant de finir dans la pub. J’ai toujours
su ce que je voulais faire, j’ai optimisé mes options pour être hyper formée, on
m’a fait sauter une année, en plus des deux que j’avais prise en primaire et
collège… Mon zèle scolaire a joué contre moi !

J’essaie de tourner ce sujet sensible en dérision, mais Liana a des nuages dans
les yeux.

– Ça aurait dû t’aider justement, tous ces efforts. Pas te pénaliser autant !


– J’étais la plus jeune, et de loin… Difficile dans ces cas-là de se lier d’amitié
avec des gens qui te considèrent comme un être trop inintéressant. Mais tout ça
est derrière moi maintenant !

J’essaie de balayer mes souvenirs avec un sourire, d’aborder tout ça avec de


la légèreté. Je ne préfère pas repenser à ces derniers mois d’études. Ni aux
dernières années de mon cursus. J’ai besoin d’autre chose.

– Ne t’en fais pas, ici ce ne sera pas du tout comme ça ! Tu as un mec ? Si tu


as besoin de le faire venir ici, pas de souci !
– Tu penses bien que les mecs de ma promo m’ont toujours tenue à distance,
souris-je. Personne ne voulait sortir avec le « bébé ».
– Quelle bande de cons… Mais attends. Ça veut dire que…
– Eh oui…

Liana me regarde avec de grands yeux. Ma virginité a l’air de la surprendre.


Je pourrais lui parler du voisin, lui dire que je ne suis plus complètement
« innocente » … Mais pas maintenant. Pas alors que nous commençons
seulement à faire connaissance.

Nous aurons tout le temps pour en parler !

En plus, elle le connaît peut-être ?

Et puis je lui dirais quoi ? « Je suis tellement vierge et désespérée de l’être


que j’ai embrassé un voisin alors que l’ascenseur était en panne, avant de le
laisser faire ce qu’il avait envie avec mon corps le lendemain ? »

– Tu verras, ta vie va changer ici ! Je vais prendre soin de toi et j’ai hâte de te
présenter mon meilleur ami Deaky.
– Deaky ?
– Oui, Deaken Kinkle, le plus grand styliste new-yorkais. Vous allez bien
vous entendre, j’en suis sûre. Et puis, une fois que tu auras commencé à prendre
tes marques ici, on s’occupera de ton célibat ! Je vais te dévergonder Miss Lake !
Et tu ne voudras plus jamais partir d’ici !

Liana éclate de rire. Elle se lance dans un flot de paroles, que j’écoute,
emportée par son énergie. Sorties, projets, week-end, ma cousine est une source
inépuisable d’idées en tout genre. J’adore, j’adhère complètement. Nous ne nous
sommes pas croisées beaucoup avant, mais aujourd’hui, le courant passe
parfaitement. J’ai tellement envie de m’embarquer dans son tourbillon !

Je crois que cette fois, c’est bon : mes deux pieds sont bien installés à New
York !
4. Premier jour

J’ai longtemps rêvé de ce premier jour. Prendre le métro, m’acheter un café à


un comptoir ambulant, me fondre dans la foule pressée… Et c’est ce que je fais !
La nuit a été courte, pas seulement parce que nous avons refait le monde avec
Liana, ni parce que Joshua n’était pas très loin dans ma tête, mais parce que j’ai
beaucoup attendu ce moment et j’ai eu du mal à dormir.

Et ça y est, dans quelques instants, je vais passer la porte de l’agence de


publicité la plus en vogue du moment, l’agence Art & Com, et m’y installer pour
les six prochains mois. Je savoure chaque pas en me souvenant du stress qui m’a
vrillé le ventre juste avant mon entretien par Skype. Et après. Le temps de
recevoir la réponse.

Le plaisir remplace la panique. Jamais je ne m’étais autant battue pour


quelque chose. La perspective de mettre des kilomètres entre ma fac et moi a
aussi été une source de motivation énorme.

Et j’y suis. En vingt minutes en métro. Au pied d’une tour vitrée, face à des
portes tournantes où déjà passent des dizaines de personnes. L’agence se trouve
au quarantième étage, je lève la tête à m’en faire craquer les cervicales !

Impressionnant !

Je me retiens de courir, de passer les portes et de m’envoler vers les cieux. Je


savoure l’instant. Dans ma tête, c’est la danse de la joie. Je souris, tellement je
suis heureuse, impatiente, stressée. Et surtout pressée de me lancer dans un vrai
job, de sortir de la théorie des cours, de m’occuper de cas concrets, d’observer
des pros de la pub. Je veux réussir, faire ma place ici.

Et je ne veux plus remettre les pieds à Saint Cloud. Juste pour la soutenance
du stage, le dernier oral, et c’est tout !

Je me lance. D’abord le hall. Puis les ascenseurs immenses ! Et enfin…


J’entre dans l’agence en essayant d’être le plus assurée possible. J’ai mis un
petit tailleur noir offert par ma mère. Je me sens un peu étriquée dedans, mais
pour un premier jour, j’étais assez d’accord sur le fait que je devais faire bonne
impression… À l’accueil, une jeune femme me demande de patienter dans le
petit salon des visiteurs, où je retrouve quelques stagiaires comme moi. Je savais
que je ne serai pas seule, on m’avait prévenue lors de mon entretien mais dans
mon euphorie du déménagement, j’ai complètement zappé ce détail.
Instinctivement, je me mets un peu en retrait. Ils me rappellent les étudiants que
j’ai quittés. Je suis sans doute encore la plus jeune et peut-être qu’ils seront…
comme les autres ?

– Parfait, vous êtes tous là, nous lance gaiement une petite quadragénaire,
celle avec qui j’ai passé mon entretien. Je suis Abigail Coyle, l’une des chefs de
projets ici. Nous avons une réunion hebdomadaire, je vous emmène. Ensuite,
nous procéderons à vos affectations !

Je suis le mouvement, comme tout le monde. Je me souviens d’Abigail, elle


avait été très précise dans ses questions, très professionnelle. Et c’est elle-même
qui m’avait appelée quelques jours plus tard pour m’apprendre que j’étais prise.

La réunion se tient dans une grande salle. Je me place au fond, dans un coin
avec les autres stagiaires. Abigail nous a quittés pour s’installer à la grande table.
Je regarde partout autour de moi. Les locaux ont l’air spacieux et lumineux. Mes
futurs collègues, une trentaine d’années en moyenne, discutent entre eux, et
semblent plutôt sympathiques à première vue. Je me demande quelle équipe je
vais rejoindre. Je sais que Art & Com s’occupe de groupes de médias,
d’industriels alimentaires, d’organismes publics… Je n’ai pas encore de
préférence, je compte sur mon expérience ici pour décider du chemin que
prendra ma prochaine carrière. Je suis curieuse de tout, j’ai envie de tout voir !

J’espère juste que l’ambiance dans une agence est différente de celle de la
fac !

Soudain, le silence se fait et l’attention générale se porte de l’autre côté de la


salle.

– Bonjour à tous !
Cette voix me fait brusquement tourner la tête.

– J’espère que vous avez tous passé un bon week-end. La semaine s’annonce
chargée et nous avons énormément de points à régler avec les équipes ce matin.

Non…

Non, non, non…

Mon esprit me joue des tours. Il a été tellement marqué par Joshua qu’il me
fait délirer !

Je tends le cou, juste pour m’assurer que je me fais des idées, pour me
rassurer sur le fait que je n’ai besoin que d’une thérapie pour obsession et pas
d’une opération esthétique pour changer de visage.

Ou disparaître, complètement.

Parce que l’homme que tout le monde regarde, le boss de l’agence…

C’est Joshua…

Instinctivement, je me fais toute petite, je rentre la tête dans les épaules, tout
juste si je respire encore. Mon cœur s’est emballé, je me sens rougir, j’ai chaud,
je transpire… Je n’écoute même pas ce qu’il raconte tellement je suis
bouleversée. Est-ce qu’il sait que je suis là ? Est-ce qu’il m’a vue ? Et comment
est-ce qu’il va réagir quand il comprendra que je vais bosser pour lui ?

Soudain, tout le monde se met en mouvement pour sortir. J’essaie de me


glisser parmi les premiers à s’éloigner de cette salle au plus vite.

L’éviter un maximum.

– Kirsten, où vas-tu comme ça ? me retient Abigail. La réunion d’équipe est


terminée mais vous avez droit à la vôtre, maintenant !

Son sourire bienveillant ne réussit pas à me détendre. Je crois que tout mon
sang vient de quitter mon visage tellement j’ai froid d’un coup.
– Une réunion… Pour nous… répété-je d’une voix blanche.
– Oui, c’est la tradition, c’est votre moment de gloire. Le seul instant où vous
aurez sans doute l’occasion de croiser plus de cinq minutes Joshua, le créateur de
cette agence. Il est tellement demandé !

Joshua. Créateur d’agence de pub et de mes soupirs les plus intimes…


Horrible coïncidence !

J’entre à nouveau dans la salle de réunion, regarde mes pieds, prends la place
la plus éloignée de celle de Joshua… J’ose un regard dans sa direction, mais il
est occupé à discuter avec Abigail. Je suis sur le point de défaillir, de perdre
complètement le contrôle. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Les six
autres stagiaires l’observent avec curiosité alors que je fais tout pour glisser sous
la table l’air de rien.

– Bien, commence-t-il d’une voix forte et claire en se plaçant en bout de


table. Bienvenue chez Art & Com. Je ne perdrai pas mon temps dans une
réunion interminable donc je vous demanderai d’écouter attentivement. Vous
êtes stagiaires ici, pas touristes. Vous serez affectés à un chef de projet chacun,
qu’Abigail vous présentera plus tard. Vous serez amenés à travailler sur des
campagnes, j’attends donc de vous une vraie motivation et une complète
dévotion à vos projets.

J’ose lever les yeux pour l’observer. Son ton est sans équivoque. Il impose
son autorité naturelle. Ce n’est pas un dictateur mais il faudra qu’on file droit. À
la façon dont Abigail le regarde, je crois comprendre qu’elle est en adoration
devant lui.

– Vous m’avez entendu parler il y a quelques minutes d’un énorme dossier


pour l’agence, continue-t-il en nous dévisageant les uns après les autres. Cette
campagne peut être un tremplin pour vous, une occasion incommensurable
d’apprendre. C’est pourquoi je demanderai à Abigail, d’ici quelques jours, de
choisir parmi vous qui nous rejoindra.

J’entends des murmures d’enthousiasme à mes côtés. Moi, je ne bouge plus.


Mon cœur s’est finalement arrêté de battre. Joshua m’a vue. Pendant une fraction
de seconde, un éclair de surprise est passé dans ses yeux, mais il ne s’est pas
trahi dans ses mots. Il est passé à quelqu’un d’autre, balayant ma présence.
Ça ne lui a fait ni chaud ni froid ?!

– Si vous avez la moindre question, Abigail est votre interlocutrice


privilégiée. Et surtout, n’oubliez pas, nous avons choisi les meilleurs, j’attends
de vous désormais que vous le prouviez. Soyez professionnels !

Pourquoi me regarde-t-il quand il prononce ces derniers mots ? Est-ce qu’il


s’attend à ce que je crie à tout le monde « Hey, j’ai presque couché avec le
boss ! » ?

Sûrement pas… C’est même la pire chose qui pouvait m’arriver…

Quand Joshua nous laisse, je peux enfin respirer. Je ne suis pas très à l’aise,
j’ai même peur qu’il me convoque pour me dire que ma présence ici n’est plus
souhaitée… Mais Abigail et sa voix chantante nous entraînent déjà. Petit à petit,
elle sème dans l’agence tous les stagiaires. À la fin, il ne reste plus que moi.

Est-ce que Joshua lui a déjà donné des consignes ?

Est-ce qu’elle va me reconduire à la porte ?

– Il ne reste plus que nous deux, s’écrie-t-elle joyeusement. C’est avec moi
que tu vas travailler désormais. On a une multitude de campagnes sur
l’environnement à préparer, c’est la mode en ce moment ! Mais on commence à
épuiser les messages, je compte sur ta fraîcheur et ton regard neuf !

Elle m’entraîne dans son coin de l’open space, un pôle de trois bureaux où
nous serons côte à côte. Sur sa partie, je vois des plantes, des photos de chats,
des crayons de toutes les couleurs, des Post-it, partout sur son écran.

– J’aime bien le bazar, s’excuse-t-elle. Mais je m’y retrouve toujours ! Tu


peux faire pareil, si tu veux, je ne t’embêterai pas sur ce point.

Elle rit. Je souris. S’il n’y avait pas cette histoire avec Joshua, je pourrais me
laisser aller, me détendre et me réjouir d’avoir hérité de la plus sympa de
l’agence. Ou la plus dingue ? Mais Abigail ne s’attarde pas. Je comprends
qu’elle croule sous les dossiers, que ma venue la soulage, qu’elle a apprécié
notre échange lors de l’entretien, que c’est même elle qui a souhaité m’avoir, que
je dois la tutoyer… Elle me montre les endroits clés de l’open space, la machine
à café, la cantine, le coin repos… Tout, mais au pas de course et en enchaînant
mille mots à la seconde.

Au moins.

Je la suis, tente de m’immerger, mais à chaque instant j’ai peur de tomber sur
Joshua. Je suis tétanisée. Encore plus quand je découvre que le coin d’Abigail
est à quelques pas de celui de mon désormais chef.

– Abigail, je n’arrive pas à entrer dans l’ordinateur… lui glissé-je en essayant


pour la dixième fois de taper le mot de passe.
– Étrange, j’ai réussi ce matin et… Mais oui ! Tu as verrouillé les
majuscules…

Je m’apprête à plaisanter pour cacher ma honte, mais je comprends au regard


perplexe d’Abigail qu’il vaut mieux que je passe rapidement à autre chose. Une
stagiaire qui ne sait pas se servir d’un clavier… Je serais effarée à sa place !

Je fais tomber ma souris sans fil quand je vois passer Joshua, manque de
renverser mon écran en me levant brusquement quand il revient. Pas une seule
fois, il n’a un coup d’œil dans ma direction. Pas une seule fois, nos regards ne se
croisent.

Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me maîtriser comme lui ?!

– J’espère que tu iras mieux demain, finit par me lâcher Abigail après m’avoir
expliqué trois fois comment sauvegarder un dossier sur le cloud de l’agence.
Parce que sinon…
– Je suis désolée, je suis nerveuse et stressée. Je suis prête. Demain, tu auras
une nouvelle Kirsten devant toi ! Une parfaite stagiaire ! tenté-je de la rassurer
en souriant.

J’essaie de la convaincre autant que moi-même. J’ai une nuit pour me


remettre de mes émotions et accepter l’idée que Joshua soit mon boss.

Il ne se passera plus rien entre nous… et je garderai mon travail !

Je me consacre à la tâche que m’a donnée Abigail : Classer les différentes


campagnes par thématiques et récolter des informations sur chacun des sujets :
alimentation, énergie… Abigail avait raison, l’agence a des valeurs quant à la
préservation de la planète et elle choisit ses clients en conséquence !

Un, en particulier, attire mon attention. Le Département américain de


l’Agriculture veut mobiliser les esprits sur le gaspillage alimentaire. Elle m’a
déjà dit que je pourrais glisser mes idées. Et j’ai bien envie de réfléchir
particulièrement sur celui-là… Je pense déjà à quelque chose, d’ailleurs…

Il faut que je cherche si ça n’a pas déjà été fait !

Quand enfin, il est l’heure de partir, je pousse un soupir, soulagée. J’ai réussi
à faire mon travail correctement, je finis sur une note positive.

– Tu peux partir, Kirsten, m’indique ma chef. Et je suis rassurée, tu as l’air de


t’être reprise. Demain on attaque les choses sérieuses, sois en forme !
– Oui, pas de problème ! Et encore désolée pour le coup de stress de ce matin,
merci pour cette première journée.

Je passe devant le bureau de Joshua dont la porte n’est pas fermée. Je ne sais
pas avec qui il est, mais nos regards se croisent. Un regard perturbant, pénétrant,
comme s’il avait lui aussi déconnecté de son rendez-vous un instant. Ça n’a beau
durer qu’un millième de seconde, je sors de l’agence complètement ébranlée.

Mon stage s’annonce vraiment compliqué…


5. Le trio de Brooklyn

Liana m’a proposé de la retrouver au bar où elle travaille juste après ma


journée de boulot. Je m’engouffre dans le métro, perdue. Des milliards de
questions m’assaillent sur Joshua et moi, sur mon stage, sur mes collègues…
Que se passerait-il s’ils venaient à apprendre que lui et moi…

Comme à la fac… Le retour des rumeurs…

Je balaie mon nœud au ventre et mes inquiétudes. S’il suffit que je reste pro,
que je fasse mon job, tout ira pour le mieux. De toute façon, il n’y a plus rien à
espérer de Joshua. C’est mon patron, je suis la stagiaire.

C’est tout. Le reste n’existe plus. Terminé ! Oublié !

Dans les rues de Brooklyn, j’essaie de jouer la fille qui sait où elle va, alors
que j’ai mon téléphone allumé sur le GPS. Je n’ai jamais fait ça, sortir dans un
bar, retrouver quelqu’un… Alors dans une ville étrangère, un quartier dont le
nom me fait frissonner…

Mais c’est terriblement excitant !

Et vu ce que je viens de découvrir au boulot, j’ai bien mérité de trouver du


plaisir ailleurs !

Le bar où travaille Liana, le Rudolph Beer, est un lieu d’habitués à ce que je


crois comprendre en ouvrant la porte. Tout le monde s’appelle par son prénom,
s’apostrophe de loin, dans une musique un peu jazzy. Je ne vois pas tout de suite
Liana, tout est si sombre… Alors je m’approche, comme si j’avais fait ça toute
ma vie, jusqu’au bar où je m’installe.

– Hey, tu es là ! me lance ma cousine, un plateau sur la main. Qu’est-ce que je


te sers ? Le premier est pour moi !
– Une bière, dis-je rapidement en jetant un œil rapide à ce que boivent mes
voisins de bar.
– OK, j’arrive ! C’est bientôt ma pause !

Liana s’installe derrière le bar et sert ses verres avec dextérité. J’envie son
assurance, son état d’esprit de jeune femme libre. Je suis tellement empêtrée
dans mes histoires, mon éducation, que je n’arrive pas à approcher ne serait-ce
qu’une once de sa belle confiance en elle. Mais je n’ai pas le temps de
m’apitoyer sur mon sort que Liana serre dans ses bras un nouvel arrivant, un
brun, très mince, au look soigné.

– Ah, Deaky ! dit-elle avant de se tourner vers moi. Je te présente ma cousine,


Kirsten !
« Deaky » se tourne vers moi et me détaille des pieds à la tête avant de
m’offrir un sourire.
– Bienvenue à New York ! me lance-t-il. Pas trop perdue dans la grande
ville ?
– Merci ! Un peu, mais j’adore.
– Installez-vous à la table qui vient de se libérer au fond ! nous interrompt
Liana. Je vous rejoins pour prendre ma pause avec vous. Deaky, comme
d’habitude ?!

Deaky hoche la tête et nous partons nous installer sur la banquette


fraîchement libérée.

– Liana m’a raconté beaucoup de choses sur toi, me dit Deaken. J’avais hâte
de faire ta connaissance. Tu verras, on va t’aider à faire en sorte que New York
devienne ta deuxième maison !

Je suis surprise par tant de bienveillance et de gentillesse.

C’est aussi simple que ça, de se faire des amis ?

– Liana m’a aussi parlé de toi hier soir. Tu bosses dans la mode ? Tu es
styliste, c’est ça ?
– Je suis dans la mode, oui, mais pas styliste, non, c’est elle qui t’a dit ça ?!
– Oui ! Que tu étais le meilleur styliste de New York !
– Elle est flatteuse, mais je n’ai rien d’un styliste, et je le regrette. Non, moi je
vends les fringues, dans une boutique luxueuse de la Cinquième. Mais je rêve
d’avoir la mienne !
– Et… Ce n’est pas possible ?
– Si j’avais assez d’argent… Et toi, dans la pub ?
– Oui, c’est ça. À toi au moins, on ne t’a pas menti !
– Liana adore faire ce genre de blagues, tu sais. Elle dit que ça aide à briser la
glace entre deux inconnus.
– Étrange méthode. Mais ça marche plutôt bien !
– Alors vous deux, ça y est, vous avez fait connaissance ? nous demande
Liana en nous rejoignant, posant deux verres devant Deaken et elle. Alors cette
première journée Kirsten ?
– Plutôt pas mal, me contenté-je de lui dire.
– Les premiers jours sont toujours stressants. Tiens d’ailleurs Deaken, tu ne
voudrais pas faire quelque chose pour son look ?
– Quoi mon look ? l’interrogé-je en me redressant.
– Tu es bien habillée, mais… Ne le prends pas mal, mais… c’est affreusement
classique ! Qui met des tailleurs, à 19 ans ?

Je me tourne vers Deaken, qui acquiesce.

– Mais… Je n’ai que ça…


– C’est pour ça que Deaken est là, s’écrie-t-elle en le montrant du doigt.
– Oh, je te rappelle que j’habille les hommes et ce n’est pas parce que je suis
gay que je vais me transformer en copine de boutique ! C’est à toi de faire ça !
– J’ai peut-être mon mot à dire, non ? rigolé-je.
– Écoute Kirsten, il faut que tu mettes un peu de folie, un peu plus de…
modernité dans tout ça ! Il faut que tu fasses un peu plus new-yorkaise ! Allez
Deaken, emmène-la ! Je bosse toute la semaine !

Deaken secoue la tête, mais la relève aussitôt pour nous adresser un sourire
machiavélique.

– OK, je le fais, mais en échange, vous m’hébergez ce soir !


– Oh, toi… Toujours des problèmes avec ton colocataire ? relève Liana en
faisant la moue.
– Ne m’en parle pas… Je regrette tellement le jour où je l’ai accepté !
– Qu’est-ce qui se passe avec lui ? l’interrogé-je à mon tour pour comprendre
pourquoi toute la bonne humeur s’est soudainement envolée.
– Eh bien… commence Deaken en soupirant. Je vis avec un colocataire, très
négatif. Il voit tout en noir, rien ne va jamais. C’est mon exact opposé, j’aime la
vie, je positive à fond ! C’est vrai qu’il cumule un peu les mauvais plans, les
mauvais jobs… Les mauvaises copines aussi…
– Ce que tu ne dis pas, l’interrompt sèchement Liana, c’est que ce garçon ne
fait pas le moindre effort pour trouver un job sérieux. Il te doit combien de
loyers déjà ? Quatre ? Cinq ?
– Mais pourquoi est-ce que tu ne lui demandes pas de partir ? lui demandé-je,
étonnée.
– C’est exactement ce que je le pousse à faire, répond ma cousine à sa place.
Mais non, Deaken est trop gentil pour ça !
– Je ne suis pas trop gentil, riposte-t-il. Ce mec n’a vraiment pas de chance, je
t’assure. Quelqu’un a dû se pencher au-dessus de son berceau à sa naissance et
lui filer toute la poisse du monde. Si je lui demande de partir, il risque de finir
dans les rues, tel que je le connais… Je ne peux pas faire ça !
– Tu vois, trop gentil, me souffle Liana en me lançant un regard complice. Du
coup, non seulement Deaken ne le vire pas, mais c’est lui qui ne vit plus chez
lui. Le monde à l’envers !
– Maintenant que tu es arrivée Kirsten, je vais moins m’imposer, je vais
changer mes habitudes, me dit Deaken.
– Non, surtout pas ! Ne change rien pour moi ! m’exclamé-je.
– Super ! Alors je mets une option sur votre canapé, dès ce soir ! Et OK pour
les boutiques, Kiki, quand tu veux.

Je manque subitement de m’étouffer quand j’entends le surnom qu’il vient de


me donner.

– « Kiki » ? rigole Liana. Un surnom, dès le premier soir ?


– Et pourquoi pas ? Kirsten n’a pas prévu de repartir demain, si ?
– Non, interviens-je en souriant. Je reste au moins pour les six prochains
mois. Et si tout se passe bien…

Nous trinquons à nouveau pour célébrer cette complicité naissante. Liana et


Deaken viennent de m’intégrer à leur duo et je leur en suis très reconnaissante.
Et moi je viens de faire un bond dans mes relations amicales et je dois admettre
que ça fait du bien, après tout le passif que je me traîne…

Je sursaute quand mon téléphone se met à vibrer sur la table.


Joshua ?

Non. Ma mère.

[Comment s’est passée


cette première journée ?
N’hésite pas à nous raconter !]

– Ne me dis pas ! Tes parents ? me demande Liana en plissant des yeux.


– Exact ! Ma mère attend mon rapport de la journée.
– Fais-lui un selfie avec ta bière, elle comprendra que tout va bien !
– Elle serait capable de nous faire une crise cardiaque !
– Une minute, intervient Deaken. Vous m’expliquez ?

Je laisse Liana brosser un portrait de ma mère, très proche de la réalité alors


que mon téléphone s’agite à nouveau. Mon père n’échappe pas à sa verve non
plus.

– Après le SMS, j’ai droit au mail !


– Tu ne réponds pas assez vite, cousine, elle s’inquiète !
– Tu es sûre qu’elle n’a pas glissé une petite caméra dans ton téléphone ? Ou
un micro ? Pour te surveiller, tout le temps…

Nouvelle vibration.

– WhatsApp… soupiré-je en posant mon téléphone.


– Si ta mère fait une story Instagram, je veux absolument voir ça !

Nous partons tous les trois dans un énorme fou rire. Ce n’est pas méchant,
mais imaginer mes parents se filmer… La fin de la pause de Liana sonne celle de
notre soirée et Deaken et moi décidons de rentrer. Nous discutons librement, de
tout et de rien sur le trajet du retour, comme si nous nous connaissions depuis
toujours. Je découvre un garçon attachant et sincère.

Mais alors que nous attendons l’ascenseur, Joshua fait son apparition dans le
hall de l’immeuble. Quand il me voit, son regard passe sur Deaken, puis revient
sur moi. Il est froid et glacial. Dans ma tête, c’est la panique. Est-ce qu’il va
croire que nous sommes ensemble ? Est-ce qu’il faut que je dise quelque chose,
maintenant tout de suite ?
« Deaken, mon ami et uniquement ami, peux-tu appuyer sur le bouton » ? On
fait plus subtil…

Je reste muette, incapable de reprendre le contrôle des battements de mon


cœur. L’odeur de son parfum s’est distillée dans toute la cabine, et dans tout mon
corps en même temps. J’ai la tête qui tourne, la respiration trop saccadée. Dans
cet ascenseur, il y a quelques jours…

– Décidément… lâche-t-il en se plaçant à mes côtés.

Nous grimpons tous les trois dans un silence pesant. Je n’ose regarder
personne, je fixe un point devant moi, le cœur battant. J’ai la gorge nouée, je ne
pourrais rien dire de toute façon…

Quand enfin nous arrivons à mon étage, après une montée interminable, j’ose
à peine murmurer un « bonne soirée ». Je ne me retourne même pas. Je file vers
l’appartement, Deaken sur mes talons.

– Eh bien… Ce voisin respire la joie de vivre ! ironise-t-il. Pas mal, mais


désagréable !

Je ne relève pas. À peine entrée que je m’éclipse dans la salle de bains pour
me calmer. Les deux mains posées sur le lavabo, je m’essaie à quelques
exercices de respiration.

Il va falloir que je m’habitue à le croiser. C’est mon boss, mon voisin et…

Mon presque amant ? C’est ce qu’on dit quand on a presque couché


ensemble ?

Mon téléphone, qui a décidé ce soir de me torturer un peu plus, vibre encore
une fois.

Si c’est encore ma mère…

[Viens. J]

Je suis submergée par une soudaine vague de chaleur. Un coup d’œil au


miroir me montre que j’ai viré cramoisi. Qu’est-ce qu’il me veut ? Me parler ?
Me dire qu’on ne peut plus travailler ensemble après ce qu’il s’est passé entre
nous ?

Je risque sérieusement de perdre mon stage ?

Et donc de quitter New York !

Je frôle la crise d’angoisse, mais j’arrive tant bien que mal à reprendre le
dessus. Il ne peut pas me virer comme ça… J’ai peut-être mon mot à dire, non ?

Avec Joshua, je ne suis pas sûre.

Est-ce que j’y vais maintenant ? Est-ce que je lui réponds que je dors ? Que
j’ai un invité ?

Non.

Je soupire. Ce SMS est un ordre qui me file des frissons de plaisir et d’effroi
en même temps. Tout dépend si je l’envisage comme un message de Joshua, le
voisin sexy, ou de Joshua, le patron distant.

Je vais y aller. Maintenant. Autant savoir tout de suite ce qu’il me veut.

– Je dois faire une course, lancé-je à Deaken, installé dans le canapé, en


sortant de la salle de bains. J’ai oublié un… Je n’ai pas de… Enfin, un truc de
nana quoi ! Je reviens !

J’évite soigneusement de croiser le regard de mon nouvel ami et je me sauve


aussi vite que possible pour éviter toute question.

Mais quand je referme la porte et que j’appelle l’ascenseur, je ne sais pas si je


monte vers le paradis ou si l’enfer a déménagé. J’ai peur que ce soit la deuxième
option !
6. Affrontement

Si j’avais jugé son accueil de l’autre fois un peu distant, ce n’est rien à côté de
celui de ce soir. Joshua n’est pas seulement distant, il est froid et ses sourcils
froncés n’engagent à rien de bon.

Je le suis dans le salon où il me montre du doigt un fauteuil.

Disons qu’il m’impose plutôt de m’asseoir dans ce fauteuil !

Je ne dis rien, attendant la suite. Un poids m’oppresse la poitrine et je serre les


poings sur mes genoux.

Je remarque qu’il a pris juste le temps de défaire quelques boutons de sa


chemise et d’en relever les manches jusqu’aux coudes. Une petite décontraction
qui tranche avec sa stature très autoritaire.

Aucun doute, j’ai mon boss en face de moi, pas mon voisin !

– Vous savez pourquoi je vous ai fait monter, me lâche-t-il de sa voix grave en


attrapant son verre de whisky.
– J’ai une petite idée, dis-je faiblement, remarquant le brutal vouvoiement
entre nous.
– Je vous ai trouvé un stage ailleurs, votre départ sera rapide et vous n’aurez
pas à vous occuper des papiers pour votre école.

Quoi ?!

Je m’attendais à ce qu’il soit question de mon stage, mais pas de cette façon,
pas comme ça, pas aussi brutalement !

Sans discussion ?!

– Mais je…
Je me sens toute petite, balayée par cette décision. Je voulais travailler dans
cette agence, c’est ce que je voulais faire ! C’est là où je voulais apprendre ! Je
ne peux pas perdre ça sans…

Sans me battre ?

– Vous ne pouvez pas… dis-je d’une voix trop sourde avant de me reprendre
et de tenter de m’affirmer. Je… Je ne veux pas quitter votre agence ! J’ai passé
tous les entretiens, j’ai fait tout ce qu’il fallait pour venir ici !
– Je ne remets pas en question vos compétences, Kirsten. Il nous est juste
impossible de travailler ensemble désormais.

Il ne cille pas, j’ai un roc en face de moi. Comme un juge qui vient de délivrer
sa sentence. C’est indiscutable. Sauf que… je refuse ! Il a beau m’intimider, je
ne peux pas accepter ça. J’ai travaillé dur, je mérite ce stage, je mérite
d’apprendre avec les meilleurs ! Ce stage a été ma bouée de sauvetage pour tenir
ces derniers mois, je ne peux pas l’abandonner comme ça !

– Je ne quitterai pas mon stage dans votre agence, dis-je à nouveau, la voix
plus ferme cette fois. Ce qui s’est passé entre nous était… anecdotique. Si vous
craignez que j’en parle à qui que ce soit, rassurez-vous, je ne le ferai pas. Ça
pourrait me nuire, à moi plus qu’à vous…

Je reprends mon souffle. J’ai vu la mâchoire Joshua se crisper, peut-être est-ce


qu’il n’aime pas qu’on lui tienne tête.

Mais je n’ai plus grand-chose à perdre de toute façon…

– C’est dans votre agence que je souhaite apprendre mon métier, continué-je,
emportée par l’énergie du désespoir. Je suis professionnelle, je ferai mon travail,
je le ferai bien, vous ne serez pas déçu. Je peux balayer notre rencontre, rien
n’est plus important à mes yeux que ce stage !
– Flatteur, ironise-t-il.
– Ce n’est pas ce que je voulais dire, vous avez vu que je… enfin que je
n’étais pas indifférente l’autre fois… avec vous… mais je peux oublier tout ça !
Vous savez avec Abigail, nous n’avons travaillé qu’une seule journée, mais…
Nous avons déjà mis en place notre binôme, pris nos marques. J’ai fait tellement
d’efforts pour arriver jusqu’ici, vous ne pouvez pas me reprendre ça !
Joshua ne me répond pas tout de suite. Il m’observe, tente de lire en moi. Je
ne baisse pas les yeux, qu’il lise tout ce qu’il souhaite mais qu’il comprenne que
je ne vais pas crier sur les toits ce que nous avons fait !

– Vous savez ce que je risque si on apprend que vous et moi…


– Je ne dirai rien ! Je suis une tombe, l’interromps-je. Vous n’aurez aucun
ennui avec moi.

Le petit rictus qui naît au coin de sa bouche est encore plus perturbant.

– Ce vœu de silence est très intéressant… Je pourrais profiter de vous,


continuer de vous donner rendez-vous où je veux, quand je veux… Puisque vous
ne direz jamais rien, je peux donc agir à ma guise avec vous.

Quoi ?!

Il n’est pas en train de me dire qu’il faut tout arrêter, mais bien qu’il veut
continuer, sous le couvert de mon silence ? Est-ce que je suis prête à faire ça ?
Est-ce que ça veut dire que je dois coucher avec lui pour garder mon job ?

Je ne sais absolument pas quoi répondre, je ne m’attendais pas du tout à ça…


Coucher avec lui, j’en ai envie, mais que ça relève du chantage, c’est
complètement immoral ! Abject !

Mais agir avec moi comme il veut… Mon corps a frémi en l’entendant
prononcer ces mots… C’est tellement excitant…

– Alors Kirsten, toujours prête à me suivre ? Toujours motivée à garder votre


poste ? Avec tout ce que cela signifie désormais pour vous… et moi ?

Je perds pied, je n’arrive même plus à rassembler mes esprits pour tenter une
réponse cohérente, réfléchie. L’idée d’être à lui, le souvenir même de ce qu’il fait
de mon corps, le besoin de garder une reconnaissance purement professionnelle,
tout se mélange et se percute dans ma tête.

– Très bien, je prends ça pour un oui.

Oui à quoi ?!
J’essaie de réprimer le tremblement de mes mains. Joshua se lève, fait
quelques pas, avant de revenir me faire face. Je retiens ma respiration, essaie
d’effacer les images qui me reviennent de nous, sur ce canapé, évite de penser au
fait que cet homme a mon avenir entre ses mains…

– Je suis professionnelle, soufflé-je assez fort, réussissant à peine à remettre


un peu de raison dans ma tête. Je suis là pour travailler et…
– Ce sera à moi d’en juger Kirsten. Pour ça et pour le reste. Et n’oubliez pas
votre promesse de silence : à la première rumeur, je vous mets à la porte et je
m’arrangerai pour que vous ne trouviez aucun autre stage ici, à New York. C’est
compris ?

Je retiens un soupir de soulagement et je me contente de me lever. J’ai


l’impression d’avoir signé un contrat, d’avoir réglé une affaire. C’est un peu ça,
quelque part, non ?

– Compris.

Je ne m’attarde pas et Joshua me laisse prendre le chemin de la sortie sans


rien ajouter. Son regard dans mon dos est pesant. J’attends d’avoir fermé la porte
derrière moi pour prendre appui dessus et souffler un grand coup. J’ai frôlé le
pire, mais j’ai tenu bon. Plus je me remets de mes émotions et plus la colère
remplace la panique.

Pour qui se prend-il à décider comme ça de la vie des autres ?!

Et pour qui me prend-il ? Pour la petite stagiaire prête à le faire chanter, à


raconter à tout le monde que je me suis tapé le boss ?!

Mais surtout je me demande ce qu’il cherchait en insinuant qu’il pourrait


coucher avec moi sans que je ne puisse rien dire. J’en ai marre de me mettre
dans ce genre de situation.

Et dire que j’ai senti un petit frisson d’excitation quand il a appuyé sur le mot
profiter… C’est quoi, mon problème ?

Joshua ne connaît rien de moi. Je vais lui montrer qui je suis, comment je
travaille ! Et surtout, je vais lui montrer qu’il n’a aucun pouvoir sur moi ! Que ce
que nous avons fait ne compte absolument pas ! De toute façon, j’ai bien
compris qu’il pouvait briser ma vie en un claquement de doigts…

Quand je retourne à l’appartement, j’ai complètement oublié de faire un saut à


l’épicerie du quartier, ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce que ne
manque pas de remarquer Deaken.

– Tu reviens les mains vides ? me demande-t-il suspicieux.


– Tu as l’air toute bouleversée, souligne Liana qui vient de rentrer.
– Non, tout va bien… Je n’ai pas trouvé… Ce que je cherchais, lâché-je avec
désinvolture.

Deaken et Liana échangent un regard.

– Dis donc… Tu ne serais pas allée voir un mec par hasard ?! Vu le temps que
tu as mis, il ne doit pas habiter très loin…
– C’est qui ?!

Je n’avais pas vraiment besoin d’un interrogatoire… Je me sens à fleur de


peau, à deux doigts de craquer après cet affrontement glacial. Mais au lieu de me
réfugier dans ma chambre, je m’assieds dans le canapé. Les deux compères sont
suspendus à mes lèvres, je le sens. Je pose ma tête contre le dossier, regarde le
plafond.

– Personne. D’ailleurs… Vous n’auriez pas quelqu’un à me présenter ?

Ma question fait l’effet d’une petite bombe. Deaken et Liana se regardent et


se mettent aussitôt à citer des noms. Je les laisse faire, indifférente. Joshua m’a
fait goûter au plaisir et à la peur de tout perdre. Je ne vois pas ce que je
risquerais de plus avec un autre.

Alors… Autant aller voir ailleurs.

Mais cette nuit-là mon inconscient décide de se livrer à des fantasmes


délirants, non pas avec un gentil garçon mais avec mon boss.

Joshua qui me plaque contre le mur au beau milieu de l’agence, sa voix grave
qui me murmure qu’il me désire tellement fort qu’il ne me laissera pas partir, et
que si je parle il me punira, son doigt qui remonte sur mes cuisses, moi à sa
merci, son sexe bandé contre mes fesses, mon avenir entre ses mains…
Et quand je me réveille en sursaut, les larmes me montent aux yeux. J’ai
honte de l’excitation que je ressens, de mon sexe trempé, de mon envie
douloureuse de me soulager…

Pourquoi ce contre quoi j’ai lutté à la fac, me procure du plaisir quand


j’imagine le vivre avec Joshua ?

Encore une fois, qu’est ce qui ne tourne pas rond chez moi ?
7. Métamorphose

Je ne regrette pas de m’être battue l’autre soir. Si je ne suis pas certaine


d’avoir gagné quoi que ce soit, j’ai au moins sauvé ma place. Mais à quel prix ?
Joshua m’a laissée tranquille ces derniers jours, mais j’ai comme l’impression
qu’il me guette, comme un prédateur qui attend le bon moment pour sauter sur
sa proie.

Il a bien dit « à sa guise », non ?

Une poignée de jours vient de s’écouler à l’agence et je me sens


complètement à ma place. Abigail et moi formons un vrai et bon binôme. Elle
m’apprend énormément, passionnée par son travail. Je m’épanouis, prends des
initiatives, lance des idées pour les publicités de ses clients. Je me sens même en
adéquation avec les messages de santé publique d’un client spécialisé dans la
street food bio, beaucoup plus que je ne le pensais. Ma chef semble apprécier.

Je suis exactement là où je dois être.

L’absence de Joshua m’aide aussi beaucoup à me lâcher et à ne plus trop


penser à lui. Je sursaute parfois quand je crois l’apercevoir dans son bureau,
mais j’ai appris qu’il était en déplacement. Une situation idéale pour prendre
mes marques, sans lui dans les parages.

– Kirsten, un colis à l’accueil, m’informe la standardiste au téléphone.

Surprise, je file chercher un petit carton que je ramène rapidement à mon


bureau.

– Tu n’as pas encore ouvert ? m’interroge aussitôt Abigail, curieuse. Tu sais


qui te l’envoie ? Un amoureux ?
– Oh non, pas possible, je n’ai personne. Mais je crois que j’ai ma petite idée,
dis-je en regardant le cachet de la poste.
Minnesota…

Je libère de son emballage une étole fleurie et un petit mot.

Pour les soirées fraîches de New York.


Bisous, maman.

L’attention est adorable mais l’étole est… affreuse. Ma mère et ses goûts ! Ses
copines de bridge peuvent porter ça, mais pas moi !

– Elle est magnifique ! me lance Abigail en me la prenant des mains. Et


douce ! Ta mère est vraiment gentille de t’envoyer ce petit colis !
– Oui… Mais… Tu la veux ? lui demandé-je brusquement. Ma mère et moi
ne partageons pas les mêmes goûts…
– Je ne peux pas Kirsten, c’est un cadeau…
– J’insiste, ça me fait plaisir ! Et elle irait tellement bien avec le… la tenue de
l’autre jour, tu sais…
– Mon tailleur framboise ?! Tout à fait !

Abigail se réjouit et je souris devant tant d’enthousiasme. Ma mère a tout de


même fait une heureuse !

Je m’empresse d’envoyer un message de remerciement à ma mère, en me


gardant bien de lui dire comment vient de finir son cadeau. Je jette un œil à ma
jupe droite, noire, trop sérieuse. Ce soir, j’ai rendez-vous avec Deaken, qui a
tenu parole et m’a proposé de le retrouver dans un centre commercial de
Manhattan où il connaît quelques vendeuses.

Je suis curieuse de savoir à quel point des fringues pourront me changer !

***

– Kirsten, je te présente Ashley, tu ne trouveras pas mieux à New York pour


des conseils de mode. Pour les femmes, bien sûr, sourit Deaken quand nous
entrons dans une immense boutique. Ash, je te laisse ma copine ! Comme tu
peux le voir… Il faut tout changer !

Je n’ai pas le temps de riposter que Deaken s’est déjà installé dans un fauteuil
et ferme les yeux.
– Tu portes toujours ça d’habitude ? me demande la vendeuse en me détaillant
des pieds à la tête.
– Eh bien… Je me disais que pour aller bosser…
– Tu travailles dans quoi ?
– La pub.
– OK, je vois. Décontractée, mais pas négligée. On va arranger ça !

Je savais que j’allais me faire un peu relooker, mais pas que ça prendrait des
heures. Je multiplie les essayages. Slims, combinaisons, jupes longues, jupes
courtes, robes, blouses, chemises cintrées ou un peu loose, Ashley me fait
essayer plein de styles. Deaken s’ennuie à mourir, mais donne son avis à chaque
essayage. Pouce levé, pouce baissé, ça va ou ça ne va pas. Pratique ! Même moi,
je me sens un peu dépassée, mais j’aime ce que je vois. Sans les conseils
d’Ashley, je n’aurais jamais essayé certaines de ces tenues.

– C’est mieux, me souffle-t-il entre deux essayages. On voit maintenant que


tu bosses dans la pub et plus aux impôts !

Mais Ashley ne nous laisse pas faire de pause. J’ai chaud, je suis décoiffée,
mais elle enchaîne sur les robes de cocktail, de soirée ou juste pour les rendez-
vous avec les clients.

– Pas trop sexy pour rester pro, mais assez féminine pour marquer les esprits !

Et elle a raison. Je dois bien avouer que j’adore ce que je vois dans le reflet du
miroir. Ma silhouette est mise en avant, une première pour moi qui ai toujours eu
l’habitude de la masquer un peu, histoire de passer inaperçue. C’est même assez
perturbant, mais Ashley a su me proposer des vêtements dans lesquels je me sens
bien. Pas des déguisements, mais biens des tenues qui me correspondent et que
je pourrai porter sans complexes.

De la nouveauté raisonnée ! Du changement subtil en quelque sorte.

Et on est loin de l’étole fleurie de ce matin !

Enfin je passe à la caisse avec ma garde-robe toute neuve.

Merci mes économies, mes longues heures dans le bureau de ma mère à


répondre au téléphone pour caler ses visites. Ces longues heures d’ennui
trouvent enfin leur finalité !

Deaken semble revenir à la vie. Mais Ashley l’assassine aussitôt :

– Et tes cheveux, Kirsten ? Ils mériteraient aussi qu’on s’occupe d’eux !


– Non ! s’écrie mon ami. Ça fait deux heures que j’attends, je n’en passerai
pas plus à regarder ta révolution capillaire. Ne m’en veuille pas, Kirsten mais…
je n’en peux plus !
– Non, tu m’as déjà beaucoup aidée ! C’était une première de faire les
boutiques avec quelqu’un, à part ma mère. Merci Deaken !
– J’aime les premières fois avec les filles, rit-il. Je vais à la librairie, rejoins-
moi quand on t’aura libérée !

Ashley n’a pas l’intention de me libérer de sitôt. Elle m’entraîne chez le


coiffeur voisin. Après un long conciliabule au-dessus de ma tête en étudiant mes
mèches, je file au bac avant que les ciseaux ne s’agitent autour de mes oreilles.

Le résultat est convaincant : J’ai une coupe moderne, mes cheveux châtains
semblent plus brillants, plus doux aussi, et ma longueur a été préservée !

Le seul souhait que j’ai pu placer !

– Bon, maquillage maintenant ?

Je regarde Ashley, sans bouger. Mais comment fait-elle pour être à cent à
l’heure comme ça, tout le temps ?

– Stop ! m’écrié-je comme Deaken plus tôt. Je n’en peux plus. Merci,
vraiment, pour ce que tu as fait et pour tes conseils. Mais là, je ne peux plus
suivre !
– C’est vrai ? Je connais quelqu’un qui…
– Une autre fois ? Je crois que ma carte de crédit a besoin de repos elle aussi.
Laisse-moi le temps de renflouer mon compte !
– OK, je comprends. C’était sympa pour moi aussi. Tu vas voir, tu vas te
sentir bien, on a trouvé tout ce qu’il te fallait !
– Je sais où revenir maintenant !

J’attrape mes nombreux sacs, remercie encore chaleureusement Ashley pour


son aide. Ce fut éprouvant, mais je ressors de là avec le sourire. Jamais je n’avais
fait attention à ce que je portais, je suis toujours allée au plus simple et au plus
pratique. Et à la fac je n’avais pas vraiment l’occasion de sortir, je n’avais donc
pas besoin de grand-chose… Mais là…

Dès ce soir, mes anciennes fringues retourneront dans leur carton !

Je rejoins Deaken, sourire aux lèvres, épuisée mais heureuse.

– On rentre ? On va fêter la nouvelle Kirsten ce soir ! Et on brûlera tes habits


de nonne.

Deaken a la gentillesse de me prêter main-forte dans le métro avec mes sacs,


qui nous vaut plusieurs fous rires, surtout quand une de mes nouvelles paires de
chaussures décide de nous quitter brutalement. Heureusement que Deaken a le
réflexe de la récupérer avant que les portes ne se referment !

Quand nous rentrons, nous sommes accueillis par une odeur de cuisine. Liana
s’accoude au bar, un appareil photo à la main.

– Qu’est-ce que tu fais ? lui demande Deaken en jetant un regard derrière elle.
– Tu prends des photos ? enchaîné-je.
– À manger, et oui ! nous répond-elle en sautant dans le canapé. Je vous
prépare des tacos ! Jolie coiffure ! Et ces fringues ?

Liana me mitraille et, dans la bonne humeur générale, je me laisse vite


prendre au jeu des poses. Deaken me rejoint et l’appareil photo tourne entre nos
mains.

– Tu te lances dans une nouvelle passion, Liana ? finit-il par lui demander en
nous servant des bières.
– J’ai envie d’essayer la photo, de trouver la lumière, d’immortaliser
l’invisible, de révéler le sublime…
– Quoi ?!
– Je veux être photographe ! nous apprend-elle. Un client m’a prêté son
appareil, je suis sûre que ça va me plaire.
– Deux semaines… me murmure Deaken au creux de l’oreille. Elle ne tiendra
pas plus, comme d’habitude !

Cette soirée est sans doute la plus belle depuis mon arrivée à New York. Je
me sens merveilleusement bien, bien entourée. Et je ne râle même pas quand
mes parents appellent. Je fais juste un signe rapide à Liana de baisser la musique
avant de répondre.

– Bonjour papa, bonjour maman ! leur lancé-je joyeusement.


– Ça va Kirsten ? Tu as l’air bizarre ! répond aussitôt ma mère.
– Non, tout va bien. On fait une petite fête avec Liana ce soir.
– Ah oui ? Et vous fêtez quoi ?

Bonne question… Les amis ? Ma coupe de cheveux ? Mon bonheur de me


sentir enfin heureuse ?

– Liana a décroché un nouveau contrat… Pour un client photographe, trouvé-


je à dire, sous le regard amusé de la principale intéressée.
– Oh, c’est bien ! Vous avez deux belles carrières, toutes les deux. Elle doit
travailler beaucoup, non ?
– Oui… Elle est très prise… Le soir, le week-end aussi… Et vous, tout va
bien à la maison ?

J’essaie de garder mon calme et de tenir la discussion avec ma mère. Mais il


m’est difficile de donner mon avis sur les prochaines réunions qu’elle aimerait
organiser avec ses amies, sans céder au rire contagieux des deux zouaves hilares
devant moi. J’écourte, prétextant que nous allons dîner, et promets, comme
d’habitude, de rappeler bientôt.

Je jette mon téléphone loin de moi pour me replonger aussitôt dans cette folle
ambiance.

Pourvu que ma vie à New York ressemble toujours à ça.


8. Message reçu

Le lendemain, je pioche dans ma nouvelle garde-robe. Slim sombre, baskets


blanches, top blanc et petite veste, j’attaque cette journée sur une note inédite.
Ce que ne manque pas de remarquer Abigail en arrivant un peu plus tard que
moi.

– Eh bien, il y a du changement dans l’air, me glisse-t-elle le regard pétillant.


Est-ce que tu aurais fini par rencontrer quelqu’un ?
– Non, toujours pas, souris-je. J’avais juste envie de… m’occuper de moi !
– Tu as bien raison ! Tu sais ce que je fais ? Une fois par mois, je m’octroie
un samedi entier où je ne fais que des choses pour moi ! Je ne prends pas de…

Je décroche complètement de la discussion quand je vois la silhouette de


Joshua se détacher dans son bureau. Voilà quelques jours que je ne l’avais pas
vu…

Je me sens troublée, mon rythme cardiaque s’est accéléré. J’essaie de me


reprendre, de me ressaisir, de me concentrer sur la discussion avec Abigail, mais
rien n’y fait. Je n’ai plus que Joshua en tête.

Et un mélange assez flou de sentiments à son égard.

Un peu de colère, de l’anxiété à l’idée d’être de nouveau confrontée à lui, de


la déception quand je pense qu’il m’a complément oubliée comme un vague
désagrément passé, mais aussi l’envie de lui prouver que je suis une
professionnelle, de lui montrer que sa présence ne me fait ni chaud ni froid…

Pas tant que ça finalement.

Il n’est pas tout seul. Je n’ai encore jamais vu cet homme dans l’agence.

– Ah, je viens de recevoir un mail, entends-je Abigail dire un peu plus fort, ce
qui me ramène aussitôt à elle. « Réunion à dix heures. » Ça doit être important
pour que Joshua nous réunisse en dehors de notre rendez-vous hebdomadaire.

Abigail me regarde avec étonnement, comme si je connaissais la cause de


cette convocation générale. Je me contente de hausser les épaules et de jeter un
œil du côté du bureau de Joshua… Où il n’y a plus personne.

Cette réunion tombe assez bien pour lui montrer que je peux le regarder droit
dans les yeux sans ciller non ?

Quand Abigail se lève, j’attrape mon carnet et un stylo pour prendre des
notes.

Surtout pour me donner une contenance et occuper mes mains.

La salle de réunion est pleine et Joshua est déjà là. Nos regards se croisent, je
frémis, mais le sien dévie aussi sec. À ses côtés se tient le même homme que j’ai
vu quelques minutes plus tôt.

L’objectif du prochain échange : ne rien ressentir du tout. Je peux le faire !

– Je ne vais pas vous faire perdre votre temps, j’irai droit au but, commence
Joshua sans attendre. Nous venons de décrocher une campagne de pub qui risque
de propulser l’agence à un niveau que nous n’avons encore jamais atteint. Nous
avons décroché le contrat dont je vous parlais la dernière fois, c’est officiel. Je
peux désormais vous en dire plus. Notre ancienne université, à Tim et moi,
voudrait que nous réalisions une campagne contre le bizutage. Je tiens
particulièrement à ce que nous mettions tout notre savoir-faire au service de ce
dossier. C’est une ouverture sur le marché des institutions scolaires, voire
gouvernementales puisque le secrétaire à l’Éducation a d’ores et déjà annoncé
qu’il suivrait notre campagne de près. Vous l’aurez donc compris, il n’y a pas de
place pour l’erreur.

Il règne dans la salle de réunion un silence presque religieux. Le projet a l’air


très ambitieux, le genre de dossier qui peut mettre en orbite une agence, et
contribuer à la réputation professionnelle de tous ceux qui travailleront dessus.
Bref, le genre de projet rêvé pour une stagiaire comme moi, en plein
apprentissage, en recherche d’expériences ambitieuses. À un seul détail près : le
thème même de cette campagne… Comme si, quoi que je fasse, quoi que
j’entreprenne, le destin jouait à me rappeler sans cesse mon passé.

– Le bizutage est un problème récurrent que nous devons traiter avec soin.
C’est pourquoi, nous avons décidé de mettre les meilleurs de l’agence dessus.
Nous allons constituer une équipe, nous vous annoncerons sa composition dans
le courant de la matinée. Des questions ?

Joshua dégage une autorité naturelle et je suis impressionnée de voir à quel


point il capte l’attention de son public, à quel point il a hypnotisé tout le monde,
juste en entrant dans la salle de réunion. On ne peut pas en dire autant de la
personne qui se tient à côté de lui. Alors que Joshua est droit, comme planté dans
le sol, son acolyte ne cesse de bouger.

– Abigail, murmuré-je. Qui est l’homme à côté de Joshua ?


– Oh lui, c’est Tim Harrison, son associé. Ils étaient à la fac ensemble et ils
ont décidé de monter cette boîte à deux. Les bruits courent que c’est surtout
Joshua qui a fait tout le boulot, Tim a préféré se marier et prendre le train en
marche. Tu verras, il est un peu moins impliqué, mais c’est notre autre chef,
alors attention !
– Et il est…
– Mademoiselle Lake, claque soudain la voix grave de Joshua. Cette
campagne ne vous intéresse pas ? Vous préféreriez être ailleurs ? Sur un canapé,
à prendre du bon temps ?

Tous les regards se tournent vers moi. Celui de Joshua est redoutable,
ironique, plein de défi. Mes joues se sont enflammées. Je suis la seule à
comprendre l’allusion, la seule à savoir de quoi il parle, mais si certains
devinaient ?

Il me teste. Devant tout le monde…

– Excusez-moi. Le bon temps passé sur mon canapé ne vaut pas mon travail
ici.
– Vous êtes sûre ?
– Certaine, ajouté-je soutenant cette fois son regard.

J’ai l’impression que cet échange entre nous dure des heures, que la
climatisation est en panne tellement il fait chaud soudain. Mais quand enfin
Joshua se retourne vers l’assemblée après un simple hochement de tête, je ne
peux pas m’empêcher de souffler de soulagement. Tous mes muscles se
détendent d’un coup, je baisse les yeux au sol pour reprendre le contrôle de moi-
même.

– Évite de te mettre à dos Joshua, murmure Abigail.

Je crois que c’est déjà trop tard…

Quand je relève les yeux sur Joshua, je n’existe plus pour lui. Il a repris son
discours sur la campagne, prononce des mots que je n’entends même pas
tellement je suis troublée… À ses côtés, Tim m’observe et me sourit quand nos
yeux se croisent. J’essaie de prendre une contenance, de montrer que cet incident
m’a affectée juste ce qu’il faut et non mortifiée au point de vouloir fuir cette
pièce le plus vite possible.

– Vous savez tout. Nous vous tenons très vite informés de la suite des
événements.

Joshua conclut la réunion en quittant la salle, visiblement pressé. Je n’ai eu


droit à aucune autre attention.

Qu’a-t-il cherché à faire en m’interpellant comme ça, devant tout le monde ?


À me déstabiliser ? À tester ma résistance, ma capacité à assumer notre « bon
temps » passé ensemble ?

Ou était-ce une invitation ?

Mon corps frissonne. Non, je ne peux pas penser à ça ici, penser à Joshua de
cette façon dans ce bureau. Mais je ne serais pas étonnée d’avoir à essuyer
quelques remarques de ce genre… Il est joueur, manipulateur de mes émotions.
À moi de ne pas perdre pied…

Ou pas devant lui en tout cas…

– Ce dossier est une telle aubaine ! s’exclame Abigail devant moi, me


ramenant aussitôt dans mon rôle de stagiaire. J’adore ce genre de challenge,
quand tu dois produire une campagne et que tout le monde attend de toi le
meilleur ! Quelle pression motivante !
– Peut-être que tu feras partie de cette équipe ?! relevé-je en courant presque
derrière elle pour la rejoindre.
– Oh moi ? Il y a très peu de chances. Je n’ai jamais eu à travailler sur des
projets de cet ordre. Non, ce que j’espère, c’est hériter des dossiers de ceux qui
seront choisis ! Comme ça, je montrerai à Joshua à quel point je sais m’adapter
et reprendre en main ce qu’on me confie ! Il aura complètement confiance en
moi après ça !
– Je t’aiderai ! dis-je, touchée par l’humilité de ma responsable de stage.
– Abigail, lance soudain Joshua de son bureau. Vous pouvez nous rejoindre
s’il vous plaît ?

C’est comme si on avait tué sur place ma collègue. Elle se fige, se tourne
brusquement vers moi et je constate qu’elle a pâli d’un coup.

– C’est peut-être une bonne nouvelle ! lui glissé-je aussitôt pour lui éviter le
malaise.
– Il m’a convoquée ! D’habitude je reçois un mail. Ça ne se passe jamais
comme ça…

Abigail a posé sa main sur mon bras.

– Viens avec moi, me souffle-t-elle.


– Moi ? Mais non, c’est toi… Il…

Je n’ai aucune envie de me retrouver en face de Joshua, ça ne me regarde


absolument pas, il va croire que je m’impose pour le voir et… Abigail
m’entraîne. Je ne l’avais jamais vue aussi stressée, aussi paniquée. Je crois
qu’elle n’aime pas l’imprévu.

– Tu peux aller me chercher un verre d’eau ? me demande-t-elle en essayant


de souffler un bon coup.

Je file à la fontaine, croisant les doigts pour que la porte du bureau de Joshua
soit fermée à mon retour. Mais elle ne l’est pas et Abigail me fait signe de rentrer
alors qu’ils sont déjà en pleine discussion.

– Excusez-moi…

J’arrive à déposer le verre devant Abigail sans trembler et, en repartant, mes
yeux se tournent vers Joshua. Je manque de me prendre une chaise dans les pieds
quand je constate qu’il a eu un regard, rapide, sur moi.

Est-ce que mon nouveau look lui plaît ?

Je frissonne à l’idée que cette nouvelle moi pourrait encore le séduire, qu’il
pourrait même poser ses mains sur moi pour… Et à nouveau, ces images de lui
et moi, devant mes yeux, dans ma tête. Mon rêve érotique, le souvenir de ses
mains sur ma peau…

Je détourne la tête pour les quitter rapidement. Si Joshua s’aperçoit que je


rougis en sa présence, je ne sais pas ce qu’il pourrait penser. Je file masquer mon
trouble à la machine à café. La douceur d’un cappuccino devrait m’apaiser.

– Bonjour, je crois que nous n’avons pas eu l’occasion d’être présentés, fait
une voix masculine dans mon dos.

Quand je me retourne, je tombe nez à nez avec Tim Harrison.

– Je… Je m’appelle Kirsten Lake, stagiaire d’Abigail, lui dis-je en lui tendant
la main.
– Et moi, Tim, l’associé et meilleur ami de Joshua. Vous avez commencé il y
a longtemps ? Vous vous plaisez, ici ?

C’est agréable que le patron en personne vienne saluer les stagiaires mais je
suis gênée par sa main moite. Quand il la retire de la mienne, je n’ose pas
m’essuyer sur mon jean et j’attrape mon gobelet de la main gauche.

– Oui, tout va bien. Abigail est une bonne responsable. J’ai beaucoup de
chance de l’avoir.
– Ou c’est nous qui avons la chance d’accueillir un talent comme vous. Si
vous avez la moindre question sur l’agence, ou si vous rencontrez le moindre
souci, venez me voir. Ma porte vous sera toujours ouverte !
– Merci, soufflé-je avant de rejoindre mon poste.

Abigail tarde à revenir et j’espère très sincèrement que ce tête-à-tête se passe


bien pour elle. Je ne travaille avec elle que depuis quelques jours, mais j’ai vu à
quel point elle était dévouée à cette agence, à quel point elle ne comptait pas ses
heures et combien elle aime très sincèrement ce qu’elle fait.
Mon téléphone vibre et je profite de son absence pour m’octroyer une petite
pause, cappuccino à la main (débarrassée de la trace de Tim grâce au gel
nettoyant), téléphone dans l’autre.

[Tu as un date ce soir !


Robe noire, 19 h au 55 Bar ;)
Deaken]

Déjà ? Mon nouvel ami n’a pas perdu de temps à me trouver quelqu’un. C’est
même un peu tôt pour moi. Trop rapide, trop soudain, je ne sais même pas avec
qui, si c’est quelqu’un de bien… Impossible, Deaken va beaucoup trop vite pour
moi !

[Je ne suis pas prête !


Je préfère ne pas y aller.
Désolée :/ ]

Quand je vois Abigail revenir, je me redresse et attends qu’elle soit installée


pour lui sauter dessus.

– Alors ?!
– Joshua ne m’a pas du tout parlé de moi, souffle-t-elle en s’éventant à l’aide
d’une pochette en carton. Mais des stagiaires que je dois choisir.
– Oh… Ce serait une chance terrible de pouvoir travailler sur cette
campagne !

Je m’enthousiasme, pour me calmer aussitôt.

Je pense vraiment que Joshua pourrait me choisir ? Il ne voulait plus que je


travaille ici, alors me confier un rôle dans cette campagne. Je pourrais croire
qu’il me fait un traitement de faveur…

– Tu sais, je lui ai déjà parlé de toi, me glisse Abigail comme une confidence.
Ça m’embêterait de te perdre, mais tu es l’une des meilleures. Tu te souviens de
ton envie de proposer un challenge sur le dossier du gaspillage ? L’idée que tu as
eue de mettre au défi les citoyens, comme dans un jeu et d’atteindre des objectifs
plutôt que de leur faire la morale ? Joshua a adoré et a été assez surpris quand je
lui ai dit que ça venait de toi. Tu as marqué des points, c’était audacieux et bien
pensé et surtout original. Et Joshua aime cet état d’esprit !
– Merci… Il t’a répondu quelque chose ? demandé-je, curieuse.
– Qu’il verrait quand il aurait toutes mes propositions.

Aucun intérêt supplémentaire, aucune question… C’est la preuve que je ne


dois pas me faire d’illusion ! Je ne serai pas choisie…

Abigail reprend ses dossiers en cours, je fais de même. Mais j’ai du mal à me
concentrer. Cette campagne sur le bizutage… J’aurais tellement aimé travailler
dessus. Non pas que je me sois fait bizuter, j’ai eu ma dose autrement… Mais je
sais ce que c’est d’essayer de paraître intouchable, que rien ne nous atteint,
malgré les rires des autres, les moqueries, alors qu’on est démoli de l’intérieur.

Est-ce que ça n’aurait pas réveillé tout ce que je tiens à oublier ?

L’après-midi passe et Abigail me demande de faire de nombreux allers et


retours entre nous et le pôle graphique pour valider les détails sur la composition
visuelle des affiches pour un client. Des allées et venues qui me font passer
devant le bureau de Joshua…

– Pas mal la nouvelle cuvée de stagiaires cette année, entends-je dire Tim. Tu
as repéré des talents ?

La curiosité me pousse à écouter la suite et je fais mine de refaire mon lacet


pour écouter la réponse de Joshua.

– Trop tôt pour le dire, se contente-t-il de répondre, comme s’il était occupé
ailleurs.
– J’en prendrais bien quelques-uns pour travailler avec moi. Puisque tu
comptes en prendre sur ta campagne, je pourrais aussi…
– OK Tim, l’interrompt Joshua. Donne-moi les noms de ceux qui tu aimerais
avoir. Je dois filer, j’ai un rendez-vous ce soir. On en reparle demain, d’accord ?
– Toi, un rendez-vous ? Je la connais ?

Je me presse de me lever et de partir d’ici quand je comprends que Joshua


s’apprête à sortir de son bureau. J’éprouve comme un mauvais pressentiment :
j’ai peur que Tim me demande d’être dans son équipe. Même si travailler avec
l’un des boss serait super, je me sens plus à l’aise avec Abigail, j’ai de
l’admiration pour elle et elle a vite compris comment me challenger. Et chose la
plus importante à mes yeux : elle ne profite pas de son autorité pour obtenir
quelque chose de moi.

Et pour couronner le tout, Joshua a un rendez-vous Il est donc bien le genre à


enchaîner les conquêtes. Le mince espoir que j’avais à l’idée de lui avoir tapé
dans l’œil et d’être devenue l’objet de ses fantasmes s’est envolé. Je n’aime pas
le sentiment de déception que je ressens. Je le balaie en attrapant mon téléphone
dans ma poche arrière.

[OK pour le verre ce soir.


Toujours possible ?]

[Je n’avais pas annulé !


Tu verras, il est charmant !]

Je soupire.

S’il peut me faire oublier cette journée, ce sera déjà très bien !
9. Dérapage

J’ai écouté les conseils de Deaken en choisissant de porter une petite robe
noire, fluide et sans manches, au décolleté plutôt osé par rapport à ce que j’ai
l’habitude de mettre. Mais ce que j’ai vécu depuis mon arrivée à New York me
motive à dépasser mes limites. Je ne tiens pas absolument à partager ma nuit
avec mon rendez-vous, loin de là, mais au moins je vais me laisser une chance
de rencontrer quelqu’un d’intéressant.

Un homme pour en chasser un autre de mes pensées. Ça aussi, c’est une


première…

Le 55 Bar est un endroit assez cosy. Je comprends pourquoi Deaken l’a


choisi. Grands fauteuils, petites tables, lumière tamisée, c’est le bar où il est
possible de discuter en silence sans avoir à crier pour couvrir la musique ni à
supporter la discussion de son voisin. Trop occupée à penser à Joshua, je ne me
suis pas du tout projetée dans ce rendez-vous. Ce n’est qu’une fois assise dans
un des fauteuils que je commence à prendre conscience de la situation. J’ai un
rendez-vous avec un homme. J’ai harcelé Deaken pour avoir des infos sur lui, au
moins pour pouvoir le reconnaître, mais il a refusé, prétextant le fait de vouloir
me garder la surprise jusqu’au bout. Lui sait qui je suis… Cet inconnu a donc
une longueur d’avance sur moi.

Qu’est-ce qui m’a pris d’accepter ? Qu’est-ce que je vais lui dire ?

Je sens une petite angoisse commencer à me serrer le ventre. Mes mains


deviennent moites quand j’attrape mon téléphone. J’espère y lire un message qui
m’apprendrait que ce verre est annulé !

Mais rien… Je me demande avec quel genre de garçon Deaken me voit. Je ne


lui ai pas parlé de mes goûts, de mes préférences. Mais est-ce que j’en ai
seulement ?

Aucune idée… Enfin… Un peu comme Joshua sans doute…


– Kirsten ?

Je lève la tête pour croiser le regard pétillant d’un séduisant jeune homme.
Blond, mince, plutôt pas mal.

Il a les mêmes fossettes que Cary Agos dans la série The Good Wife !

– C’est moi, dis-je en tentant de rester naturelle.

Et décontractée.

– Deaken m’a envoyé une photo de toi, je n’ai pas eu de mal à te reconnaître.
Mais tu es beaucoup mieux en vrai !

Il s’assied en face de moi et fait un signe de la main au serveur. Je commande


un cocktail, j’ai besoin de me détendre…

– Je m’appelle Logan, ajoute-t-il, une fois que nous sommes seuls. Je ne sais
pas ce que Deaken a pu te dire sur moi.
– Absolument rien, avoué-je. Je n’ai eu droit qu’à l’adresse et l’heure du
rendez-vous.
– Ah, j’en sais donc plus que toi ! Je sais que tu travailles dans la pub et que
tu viens d’arriver à New York.

Logan, contrairement à moi, a l’air parfaitement à l’aise.

Un habitué des rendez-vous arrangés ?

– C’est ça. Et toi ? Qu’est-ce que tu fais ?


– Je suis avocat, je viens de réussir mon examen et un cabinet d’affaires m’a
recruté pour défendre quelques petites affaires. Pour commencer.

Le serveur nous apporte notre commande, ce qui n’interrompt pas Logan.


Tout en remuant mon cocktail, Je l’écoute me raconter ses études, son cabinet,
son appart aussi. Je comprends vite que le silence le stresse ou alors il aime
vraiment parler de lui. Je ne sais pas comment participer à la conversation, mais
je dois avouer que son monologue m’évite de trop m’investir dans ce rendez-
vous.
– Mais je parle trop quand je suis nerveux. Je suis désolé, n’hésite pas à
m’arrêter.
– Pas de souci… Et Deaken ? Tu l’as rencontré comment ?

Logan me parle de la boutique de mon ami, des costumes dont il avait besoin
pour ses premières plaidoiries… Quand le silence s’installe, je rebondis et la
discussion ne tourne qu’autour de Deaken.

Peut-être qu’il faut plus d’un rendez-vous ? Logan a l’air d’être quelqu’un de
bien, plutôt pas mal qui plus est… Après un deuxième cocktail, par peur d’aller
plus loin, je refuse la proposition de l’avocat d’aller manger ailleurs, prétextant
une réunion matinale.

– Alors laisse-moi te raccompagner.


– Euh, d’accord, dis-je un peu mal à l’aise ne sachant pas ce qu’il attend de
cette fin de soirée.

Très galant, Logan m’ouvre la portière de sa voiture, un coupé, et vient


rapidement s’asseoir derrière le volant. Quand je tourne la tête pour lui donner
mon adresse, il ne s’est toujours pas défait de son sourire. Ni de ses fossettes, du
coup. Et je n’arrive pas à m’imaginer avec lui.

Je suis vraiment difficile !

Et si Joshua avait déjà tout brouillé ?

Je fixe mon regard sur la route et Logan se concentre sur la circulation. De


temps en temps, il me confie quelques anecdotes sur sa vie à New York.

Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire à Deaken ? Logan a tout pour lui !

D’ailleurs, il décide de me raccompagner, jusqu’à la porte de l’immeuble,


sans insister pour prendre un dernier verre chez moi. Il est juste là, poli et
attentif, soucieux de m’être le plus agréable possible.

– Tiens, je te laisse mon téléphone, dit-il en glissant une carte dans ma main.
Appelle-moi, ça me ferait plaisir de te revoir.
– Oui… Moi aussi, soufflé-je, incapable de lui dire que je préférerais en rester
là.
Au moment où il se penche pour m’embrasser sur la joue, Joshua sort d’un
taxi. Il nous a vus ! Je tourne la tête brusquement et mes lèvres rencontrent celles
de Logan. C’est certainement la pire chose qui pouvait se passer. Logan risque
de se faire des illusions !

Je fais un pas en arrière, un peu confuse. La porte de l’immeuble claque dans


mon dos : Joshua vient de rentrer. Logan, lui, me regarde avec surprise, mais très
vite, un nouveau sourire se dessine sur son visage.

– À bientôt alors ! dit-il avant de me quitter.

Ce rendez-vous est une catastrophe. Je ne suis pas tombée sous le charme, ce


baiser n’a rien provoqué, et en plus, je viens de l’induire en erreur… Autant dire
que je ne suis pas fière de moi !

Et tout ça à cause de qui ?

Joshua !

Je salue le portier et file à l’ascenseur. Comme si ma confusion n’était pas


suffisante, Joshua est là. Nous n’échangeons aucun mot, aucun regard. Après la
chaleur et la bonne humeur de Logan, me voilà confrontée à l’attitude glaciale et
distante de mon boss quand nous entrons dans la cabine.

Jusqu’à ce qu’il se tourne brusquement vers moi et que nos corps se


retrouvent à quelques centimètres l’un de l’autre. Le flash-back du baiser, ici au
même endroit, me revient comme une claque.

Ressaisis-toi ! C’est du passé tout ça !

– Bonne soirée ?
– Parfaite. Et la vôtre ?

J’arrive à garder le contrôle de ma voix. À question succincte, réponse


succincte.

– Moins sympa que la vôtre apparemment. Qui est cet homme ?

Je pourrais lui demander en quoi ça l’intéresse. Mais c’est mon patron. Et puis
cette façon qu’il a de me dominer, de me transpercer avec ses yeux verts, fait que
je perds une fois de plus mes moyens. Pire, je cherche une histoire pour
expliquer ce baiser !

– Une rencontre. Rien de concluant, finis-je par avouer. Votre rendez-vous ne


l’était pas non plus ?

Je me fais violence pour lui poser la question, pour en savoir plus quant à sa
soirée à lui. Pourquoi ? Pour lui montrer qu’il n’est pas le seul à avoir le
monopole des interrogatoires.

Et parce que je veux savoir si la femme qu’il a vue l’a séduit…

N’oublie pas qu’il ne veut pas de toi et qu’il peut décider de ruiner ton avenir
Kirsten ! Tu ne devrais même pas t’intéresser à ce qu’il fait de sa vie !

– Un client récalcitrant, se contente-t-il de me dire, le ton nettement moins


froid qu’il y a quelques secondes.
– Oh ! Ce n’était pas avec une femme !

Je n’ai pas retenu mes mots. Mes pensées ont dépassé mes lèvres bien malgré
moi. Je rougis… Je ne devrais pas éprouver cette satisfaction, encore moins la
montrer ! Joshua esquisse un sourire, s’approche un peu plus.

– On dirait que ça vous soulage…


– Non… Absolument pas, vous faites… ce que vous voulez. Moi aussi,
d’ailleurs…

Sa main vient glisser le long de mon bras nu. Joshua ne me quitte pas des
yeux.

– Tu comptes revoir cet homme ?


– Je… Peut-être. Il…

Je n’ai pas le temps de former une phrase correcte que Joshua vient me
plaquer contre la paroi de l’ascenseur, ses lèvres contre les miennes. Ce baiser
m’enflamme à la minute où nos lèvres se touchent. Ses doigts se crispent sur
mes hanches. Entre nous, l’attraction est intacte.
– Mais… Tu avais dit que…
– C’est moi qui fixe les règles. Je les change quand bon me semble…

Je ne résiste pas. Le désir est là, il a jailli de la boîte où je l’avais enfermé. Je


ne vais certainement pas aller contre ce changement alors que tout mon être se
tend vers lui, de façon presque impudique. Nous nous embrassons encore.
L’ascenseur s’arrête à mon étage. Aucun de nous ne bouge. Ou presque. La main
de Joshua glisse sur ma jambe pour l’attraper et l’enrouler autour de sa taille.
Bassin contre bassin, je manque déjà de défaillir. L’ascenseur repart.

Et si on nous voit ? Si on nous surprend comme ça ?

Sa langue contre la mienne éteint mes inquiétudes. Nos souffles se mêlent et


rien, absolument rien, ne pourrait m’empêcher d’être avec lui de cette façon.

Nous nous séparons, le temps d’entrer dans son appartement. Si je dois fuir,
c’est le moment. Il reste mon boss, moi sa stagiaire. Sauf qu’il a balayé tout ça.
De lui-même. Et je me suis engouffrée avec lui dans l’interdit. Et quand il
m’attire de nouveau à lui, je sais qu’il est trop tard pour faire machine arrière.

Je n’en avais aucune envie de toute façon…

Le désir de Joshua est violent et je suis surprise par son impatience. Il voulait
aller plus loin avec moi, nous y sommes. La panique me revient, comme la
dernière fois. Même si j’en ai envie, je ne sais pas quoi faire, mes caresses sont
maladroites, je n’entreprends rien, je n’ose pas… Alors que ses mains sont déjà
sous ma jupe, enserrent mes fesses, que sa bouche me dévore le cou, je ne sais
que m’accrocher à lui. Et en même temps… Je n’ai aucune envie de tempérer sa
fougue, de l’interrompre, de lui avouer ce qui pourrait tout arrêter… Son désir
me flatte, me plaît…

Du milieu du salon, Joshua m’entraîne vers sa chambre. Il fait glisser la


fermeture Éclair et ma robe tombe à mes pieds. Son regard est enfiévré, sa
bouche légèrement entrouverte quand il me bascule sur son lit, qu’il me dévore
des yeux. Je frémis, mon ventre se crispe, j’ai terriblement envie de lui.

Mais je manque aussi terriblement de confiance en moi et je suis presque nue


alors qu’il est là, à m’observer. Je me redresse pour l’attraper à mon tour,
l’inviter à me rejoindre, je l’embrasse pour que son regard quitte mon corps.
Mais Joshua ne l’entend pas comme ça. Il est descendu plus bas pour embrasser
mes seins, mon ventre. Sa langue parcourt ma peau alors que ses doigts font
rouler ma culotte sur mes cuisses.

Est-ce que ça va se passer comme ça ? Aussi vite ?!

Joshua se redresse, enlève sa chemise d’un geste brusque au risque d’en


arracher les boutons. Il cherche mon regard, le trouve, attrape ma main et la pose
sur son ventre. Je me mords les lèvres… Qu’attend-il de moi ? Qu’est-ce que je
dois faire ?

J’ai l’impression qu’il s’impatiente, je suis à deux doigts de céder à la


panique, surtout quand il fait descendre ma paume sur son entrejambe.
Instinctivement, ma main se recule. Joshua l’a vu et ses yeux m’observent plus
intensément.

Non, non, non… S’il a compris…

Je pose ma main à nouveau sur son ventre, commence à descendre… Ma


gorge se serre, je crois que je tremble un peu…

Joshua attrape mes doigts et les fait remonter doucement jusqu’à son torse.
Est-ce qu’il est en train de tout arrêter ? Mais je ne veux pas ! Je veux au
contraire qu’il continue ! Pourquoi cette pause ?!

Il se penche doucement vers moi, reprend mes lèvres. Son baiser me rassure
sur son désir et sa langue qui vient chercher la mienne met mes inquiétudes sur
off.

– Je ne ferai rien que tu ne veuilles pas. Mais j’ai envie d’aller loin, très loin
avec toi Kirsten.

Ses mots me transpercent. Il se redresse, m’interroge du regard. C’est à moi


de décider si je veux qu’il continue ou qu’il arrête.

Aurait-il compris ?

Il me faut une seconde pour décider de mon destin. Un simple signe de tête.
Je veux qu’il continue.

Alors que notre corps à corps s’annonçait brutal il y a quelques minutes,


Joshua s’éloigne de moi pour s’approcher de sa table de nuit. Pas un instant, je
ne le quitte des yeux. Et quand il revient vers moi, il lance à mes côtés ce que je
devine être deux bandes de tissu. Joshua prend soudainement son temps. Avant
de me rejoindre, il se débarrasse de son pantalon, sans jamais me perdre du
regard.

Je le laisse faire, attentive au moindre de ses gestes. Ma respiration est


saccadée, j’oscille entre l’angoisse et l’envie, la crainte et le plaisir. Mais ses
paroles m’ont rassurée, son attitude aussi. Je ne sais pas pourquoi, je ne saurai
pas l’expliquer rationnellement, mais tout me pousse à lui faire confiance. À me
laisser aller, à déconnecter mon esprit.

– Je vais t’attacher et si tu ne veux pas, c’est le moment de le dire…

Je lui tends les bras en signe d’assentiment.

Ses gestes sont fermes mais doux quand il prend le temps de m’attacher les
poignets à son lit avec des foulards en satin. J’éprouve un profond soulagement,
une vraie reconnaissance. En faisant ça, Joshua me permet de me libérer,
m’enlève ce poids des gestes maladroits, des questions. Je n’ai plus d’autre choix
que de me laisser faire à ses caresses et de me laisser aller.

Juste d’écouter mon corps… et de profiter…

C’est déroutant, plus qu’inattendu. Jamais, dans mes rêves les plus fous, les
plus intimes, je n’avais imaginé une telle première fois. Joshua m’embrasse, si sa
fougue s’est atténuée, je sens son désir toujours aussi impérieux. Il me désire, je
le sens, et je le vois aussi… Surtout quand son boxer n’est plus là, comme mon
soutien-gorge aussi, d’ailleurs.

J’admire et j’envie sa dextérité, son expérience. Ses baisers, sa langue sur


mon ventre, sur mes tétons. Mon corps se cambre, je ne suis plus qu’une vague
de sensations changeantes. Chaud, froid, frissons… J’oscille entre l’envie qu’il
prenne son temps et qu’il me prenne enfin pour me délivrer de ce désir qui me
fait si mal. Joshua me dévore et m’effleure en même temps. Ses yeux plongent
souvent dans les miens, comme s’il voulait s’assurer que je le suis toujours.
Surtout quand il glisse le préservatif sur son sexe bandé.

À nouveau, je perds pied dans le flot de sentiments qui m’assaillent. J’ai hâte
de perdre ma virginité, j’ai peur, j’ai envie que ce soit avec Joshua, j’ai peur de
ne pas être à la hauteur. C’est compliqué et délicieux à la fois. Mais il sait. Je ne
comprends pas par quelle magie, par quel instinct, il arrive à me rassurer.
Chaque geste me comble, m’apaise, chasse les interrogations pour ne laisser que
le plaisir. Quand il me pénètre, doucement, me couvant de son corps tout entier,
c’est… Je n’ai pas de mot…

Nos corps ne font plus qu’un, jusque dans leur mouvement. Alors qu’il
s’enfonce profondément en moi, une vive douleur au niveau du bas-ventre me
fait grimacer. Mais je n’ai pas le temps de réagir que Joshua stoppe ses
mouvements et se met à m’embrasser passionnément. Je lui rends son baiser en
gémissant. Ses mains pressent mes seins, ses lèvres descendent dans mon cou,
sur ma poitrine… J’oublie tout.

Je découvre des milliers de nouvelles sensations, retrouve celles trop vite


goûtées de mon orgasme de la dernière fois. Parce qu’il est là, à nouveau. Qu’il
surgit alors que je presse instinctivement mon bassin contre Joshua qui accélère
le rythme, une main sous mes fesses, l’autre sous mon cou. Ses soupirs, ses
gémissements rauques, le voir prendre du plaisir quand je me cambre, c’est
magique.

Je tire contre mes liens, motivée par une furieuse envie de le toucher, de
m’accrocher à lui. Cette lutte inutile exacerbe mon excitation, je ne peux rien
faire d’autre que me laisser porter par ses caresses et submerger par le plaisir.
Tout mon corps vibre, je ferme les yeux et je souris. C’est beau… et bon. Mais
impressionnant aussi quand Joshua commence à accélérer ses coups de bassin.
J’observe tout, son visage, ses traits. J’écoute son souffle… Jusqu’à ce qu’il
explose en moi et que d’un coup, il pose sa tête au creux de mon cou.

Je ne bouge plus, bouleversée encore par ce qu’il vient de se passer. D’abord


entre nous, mais aussi pour moi… Joshua se redresse et me détache
délicatement. Ma lutte a laissé quelques traces rouges au creux de mes poignets,
mais rien de bien douloureux. Ses doigts caressent ma joue, mon sein et mon
ventre pour aller chercher une couverture plus loin sur le lit et m’en recouvrir. Je
ne sais pas déchiffrer son regard, le mien doit être encore curieux, avide de
savoir ce qu’il se passe maintenant.

Après ça.

– Redoutable, mademoiselle Lake…

Moi ? Redoutable ? En quoi ? Surtout face à lui…

Joshua me dévisage longuement, plongeant un regard très mystérieux dans le


mien, suscitant encore un peu le chaos dans mon esprit.

Que veut-il dire par là ?

– Rejoins-moi quand tu seras prête.

Joshua se lève pour se rendre dans la pièce attenante à sa chambre. Une fois
seule, dans le silence dans la pièce, je peux enfin rassembler mes esprits et
profiter de cet après, de sourire, d’écouter ce que me renvoie mon corps dans le
moindre de ses frémissements.

Je ne suis plus vierge et ma première fois a été… magique, dépassant tous


mes a priori, mes espérances, mes craintes et mes envies. Il a fait exactement ce
dont j’avais besoin.

Joshua vient de se graver à jamais dans ma mémoire.


10. Règles imposées

Une fois la douce euphorie retombée, je me rhabille rapidement. J’évite de


trop penser et j’essaie de garder à distance un autre flot de questions que je sens
venir sur cet « après ».

Ou plutôt, un vent de panique !

J’ai consciemment couché avec mon boss ! Il n’est plus question de


malentendu, je l’ai fait en sachant qui il était. Pareil pour lui.

Je n’ai donc plus aucune excuse. Si je dois perdre mon stage, je ne pourrai en
vouloir qu’à moi-même… Ma situation est extrêmement délicate… et elle ne
dépend que de Joshua.

Et je me vois mal expliquer à mes parents pourquoi j’ai raté mon année…

Attirée par du bruit dans la cuisine, je le retrouve devant un verre de whisky.


Je remarque tout de suite qu’il n’y a qu’un seul verre sur la table et qu’il ne me
fait aucune proposition de l’accompagner quand il me voit. Son visage n’a plus
la même lumière, ses traits se sont durcis.

Je comprends aussitôt que Joshua a remis de la distance entre nous. Et je ne


peux pas m’empêcher d’éprouver un pincement au cœur en en prenant
conscience.

Il n’y a aura pas « d’après » complice. Plutôt un « au revoir » glacial.

Tant que ce n’est pas un « Adieu, tu es virée »…

– Il doit y avoir des règles entre nous, dit-il, toujours aussi maître de lui. Cette
relation ne peut exister autrement.

Règles ? Relation ?
– D’accord… soufflé-je, pas certaine de comprendre de quoi il est question.
– Je veux te revoir mais je décide où et quand.

Je suis complètement déroutée. Les mots de Joshua signifient qu’il souhaite


qu’on continue à se voir, mais son attitude glaciale me laisse plutôt croire le
contraire.

– Je veux continuer à… t’apprendre, continue Joshua.

Il a deviné…

– Je vais faire de toi l’amante parfaite, faire en sorte que tu te libères pour que
tu découvres le vrai plaisir.

Ce n’est pas une question.

– Mais en aucun cas, ça ne fait de nous un couple. Il n’y aura que du sexe
entre nous, rien de plus. Cette relation ne te donnera droit à aucun traitement de
faveur au bureau. Là-bas, nous sommes deux étrangers l’un pour l’autre. Et
souviens-toi de ce que je t’ai dit l’autre jour : n’en parle à personne, ni au boulot
ni ailleurs, sinon je brise ta carrière.

J’ai beaucoup de mal à soutenir son regard. Le silence s’installe un instant, je


crois que je rougis. Soudain Joshua contourne la table de la cuisine pour se
placer derrière moi.

Que veut-il ?

Je ne bouge pas et retiens mon souffle, alors qu’il se colle contre moi, dans
mon dos. Une de ses mains se pose sur mon sein et l’enserre brusquement dans
un geste possessif, l’autre vient se placer sur mon ventre. Joshua accentue sa
pression pour me maintenir contre lui. Je sens son souffle dans mon cou, mon
épiderme s’électrise. Ma respiration se fait plus saccadée, mon cœur tambourine
dans ma poitrine, quand je sens son sexe bandé contre mes fesses. Je ne peux
retenir un gémissement tellement j’ai de nouveau très envie qu’il aille plus loin.
Il me veut et ça me fait perdre la raison.

Ça me rend dingue, oui !


– Dernière chose, ajoute-t-il dans mon dos, alors que sa paume se referme sur
mon sexe déjà trempé. Tu ne vas pas voir ailleurs. Tu ne me dis jamais non. Tu
dois avoir totalement confiance en moi.

C’est un peu comme s’il me lançait un défi. Suis-je capable de lui faire
confiance en le connaissant aussi peu ? Mais comment réfléchir quand sa main
masse mon intimité, que mes fesses se tendent instinctivement vers son sexe
tendu à l’extrême ? Mon corps est prêt pour ce genre d’arrangement purement
sexuel, mais ma tête ? Et mon cœur ?

Joshua ne me croit-il pas capable de me lancer dans ce genre de relation ?


Trop jeune ou trop fleur bleue pour me dégager de tout sentiment ?

Trop jeune… On m’a toujours dit que j’étais trop jeune, trop naïve…

Il est temps de me prouver que je ne suis plus cette jeune étudiante trop
fragile.

– Qu’en penses-tu ? me lance-t-il alors qu’il me retourne pour que je sois face
lui.

Les deux mains de Joshua se posent sur mes fesses, il presse mon bassin
contre la bosse de son pantalon. Je manque de perdre la tête et de le supplier de
me prendre tout de suite sur la table de la cuisine. Mais instinctivement, je sens
qu’il n’y a pas que mon corps et mon innocence qui intéressent Joshua… Il aime
qu’on le défie, je peux le sentir.

– Je crois que je n’ai pas le droit de dire non, réponds-je en relevant la tête.

Joshua semble surpris puis il esquisse un sourire.

– Tu as du cran, finit-il par dire. Et ça me plaît.

C’est bien la première fois qu’il avoue ouvertement qu’il apprécie quelque
chose chez moi, qu’il se laisse aller à un tel commentaire.

Et maintenant ?

La proximité de nos deux corps est insupportable. Joshua doit ressentir la


même chose car il fond sur mes lèvres et m’embrasse si intensément que je me
colle contre lui. Je ne peux pas me retenir de poser ma main sur son jean pour
sentir l’intensité de son désir. Il grogne mais me repousse brusquement.

– Tu devrais y aller, dit-il simplement, son regard voilé d’excitation.

Je ne comprends plus rien. Il a clairement envie de moi, contrôler son désir a


l’air douloureux et j’ai plus ou moins accepté ses règles, alors quoi ? Je cherche
une réponse dans ses yeux et n’y trouve que provocation.

Et soudain, je crois saisir : c’est un test !

Il s’imagine que je vais craquer, le supplier ?

Il rêve ! Je suis peut-être inexpérimentée et naïve mais il m’en a déjà appris


beaucoup. Moi aussi, je sais me contrôler. Moi aussi je sais dompter mon corps,
même si la frustration est cruelle.

Je dois écouter mon instinct. C’est Joshua qui est venu me chercher, c’est lui
qui veut continuer à ce qu’on se voie !

Moi aussi, je sais jouer…

– Bonsoir Joshua, soufflé-je en battant en retraite.

Je me dirige vers la porte, attrape mon sac resté sur le canapé au passage, tout
en priant pour ne pas me tromper. Je risque gros si j’ai mal compris ce qui se
jouait ce soir. Si je n’ai pas fait ce qu’il attendait de moi, ce qu’il désirait, je
perds mon job et ma vie new-yorkaise.

Retour à la case départ, sans plus passer par la case plaisir…

Je me retourne brièvement avant de franchir le pas de la porte. Et ce que je


vois me soulage un peu : Joshua a un sourire en coin et toujours ce regard
intense qui me fixe. Je n’ai pas rêvé, je suis dans le vrai. C’est un jeu perpétuel,
pour lui.

Je quitte l’appartement, portée par une dizaine de sentiments différents. Qui


est cet homme ? Qui est-il entre l’amant attentif et le boss distant ? Et où suis-je
entre le plaisir vertigineux et le rapport professionnel ? Est-ce que j’ai raison de
lui faire confiance ? Et où tout ça va me mener ?

Dans l’ascenseur, je lève la tête pour respirer un grand coup et espérer peut-
être voir toutes les réponses à mes questions inscrites au plafond. Il n’y a bien
qu’une seule chose qui soit véritablement claire pour moi : Joshua m’attire, j’ai
encore envie de ses bras, je veux désespérément qu’il m’apprenne, comme il l’a
dit. De toute façon, je ne pourrais pas lui dire non, même si je le voulais – même
si je le devrais pour préserver ma vie ici. J’aime que Joshua me désire
violemment, je suis trempée à l’idée qu’il décide de tout et me plaque à nouveau
contre lui comme il vient de le faire.

Et, plus perturbant encore, j’ai l’impression de le comprendre sans qu’il ait
besoin de dire un mot, comme si j’avais saisi les règles du jeu sans même les
avoir lues.

Je n’ai donc plus qu’à arrêter de me poser tant de questions ! Et à me laisser


porter. Mais ça, est-ce que je sais seulement le faire ?

L’accueil de Deaken et Liana me sort du cercle infernal de mes pensées.


J’aimerais tellement pouvoir me confier, leur parler, leur demander des conseils,
leur avis même ! Mais Joshua m’a imposé de ne rien dire à personne…

Et qu’est-ce qu’il se passerait vraiment si j’enfreignais une des règles ?

– Alors, ce rendez-vous ? me demande Deaken, les yeux pétillants de


curiosité. Tu rentres un peu tard, pour un verre.
– Est-ce que tu serais allée plus loin avec lui ? surenchérit Liana.

Logan, je l’avais complètement oublié…

– Non, on a juste bu un verre et on a beaucoup discuté sans voir l’heure


passer, dis-je rapidement. C’était très sympa.

Je tente de m’éclipser en partant en direction de ma chambre. Mais les


questions continuent de pleuvoir.

– Vous allez vous revoir ? Il te plaît ? J’ai bien choisi ou pas ?!


– Oui, sans doute… Logan est quelqu’un de… très gentil. On doit se rappeler.
Vous m’excusez, mais je vais me coucher. Le stage, ce rendez-vous, la vie new-
yorkaise, je suis fatiguée !

Je feins un bâillement alors que les deux amis affichent une mine déçue. Je
file m’enfermer dans ma chambre. Une douche et au lit. J’ai vraiment besoin de
remettre de l’ordre dans mes idées.

Demain, à tête reposée, je reprends tout ce que je viens de vivre.

Et surtout, je veux éteindre mon cerveau. Ne plus penser à rien. Ou juste peut-
être à cette mémorable première fois. C’est tellement dommage de ne pas
pouvoir échanger ça avec Liana, de discuter de ça entre filles.

Le silence contre la promesse de nuits vertigineuses. Je crois que ça en vaut la


peine.

Pour le moment. Mais après ?


11. Prison du week-end

Le week-end que j’appréhendais le plus est arrivé. Après quelques jours à


tenter d’ignorer Joshua au bureau et à répondre très strictement aux règles
imposées (règles que mon corps n’a pas intégrées, au vu des signaux qu’il me
lance à chaque apparition de Joshua), me voilà de retour à Saint Cloud, chez mes
parents.

Je leur ai promis de revenir, de tout leur raconter de ma nouvelle vie. Je tiens


parole mais sans grande joie de remettre les pieds dans cet endroit. Encore moins
à la fac où je dois récupérer quelques livres pour mon mémoire de fin d’études
qu’un de mes anciens professeurs a refusé de m’envoyer par la poste. « Trop
précieux » m’a-t-il dit.

– Mais qu’est-ce que c’est ce que haut ? Il est transparent non ?


– Bonjour maman. Mais non, il a une doublure…

Ma mère annonce la couleur à peine ai-je passé la porte d’entrée. Elle va me


passer au peigne fin pour voir ce qui a changé chez moi. À commencer par mes
fringues. Heureusement, j’ai la bonne surprise de voir mon oncle et ma tante, les
parents de Liana, installés dans le salon.

– Vous êtes là ? leur demandé-je, surprise.


– Nous n’allions pas manquer le retour de l’enfant prodige, me sourit mon
oncle en m’embrassant affectueusement.
– Nous avions invité Liana, mais elle est encore occupée, intervient mon père,
derrière ses petites lunettes qui lui donnent un air tellement sérieux.
– Elle travaille beaucoup, tu sais, c’est très prenant, l’événementiel.

Discrètement, je lance un clin d’œil à Renée et David, bien sûr au courant du


refus de Liana de venir avec moi. Entre la perspective d’un repas de famille (ce
qu’elle a toujours évité depuis des années), et un gros week-end de pourboire au
bar, son choix a été vite fait. Et impossible pour moi de lui en vouloir !
– Alan, viens m’aider à ramener les petits fours, ils vont refroidir ! lance ma
mère de la cuisine.

Je profite de l’absence de mes parents pour me laisser aller à la confidence


auprès de mon oncle et de ma tante. Leur dire ce que je ne pourrais pas avouer à
mes parents.

– Vous avez eu tellement raison d’insister auprès d’eux pour que je m’installe
chez Liana, dis-je doucement. Merci ! Ça ne fait pas longtemps que je vis à New
York, mais je me sens tellement bien là-bas. J’ai l’impression de démarrer une
nouvelle vie.
– C’est bien que tu t’y plaises, me sourit ma tante en me prenant la main. Et
que tu oublies ce qui s’est passé ici. Ça n’est pas trop dur, d’ailleurs de revenir ?
– J’évite de trop y penser… Mais je n’ai aucune envie de remettre les pieds à
l’université.
– Et voilà ! Attention c’est chaud ! Alors Kirsten, raconte-nous tout !

Ma mère prend place en face de moi et m’offre un véritable interrogatoire.


Tout y passe : le stage, l’agence, mes collègues, les projets, l’appartement, le
métro, la circulation, le temps, les New-Yorkais, la drogue…

Je réponds docilement et avec patience. Je me suis fait une raison dans


l’avion. Et si je rassure mes parents sur la qualité de la vie à New York, peut-être
arrêteront-ils de m’appeler aussi souvent ?

– Et tu n’as pas besoin que je te donne un peu d’argent ? me demande mon


père entre le fromage et le dessert. Tu as assez pour vivre ?
– Je réfléchis de plus en plus au fait de me trouver un petit job à côté, lui
réponds-je. Mon salaire de stagiaire est insuffisant et…
– Hors de question, s’exclame ma mère. Tu dois te concentrer sur ton stage.
Et tu voudrais faire quoi ? Serveuse dans un bar ? Non, on te donnera un peu
d’argent tous les mois, mais je refuse que ma fille traîne le soir dans les rues de
New York.
– Maman, tout le monde le fait et ça se passe très bien…
– Peut-être. Mais tu seras fatiguée, tu commenceras à être moins concentrée
au travail et tu seras moins bien notée ! Tu as toujours été excellente, ce n’est pas
le moment de flancher, Kirsten !
– D’ailleurs, en parlant de travail, est-ce que tu as commencé à en chercher un
par ici ? m’interroge mon père.

Décidément, ses nouvelles lunettes lui donnent un air tellement strict ! J’ai
l’impression d’avoir en face de moi un conseiller d’orientation !

Je ne réponds pas tout de suite. Ma mère vient de m’interdire de gagner de


l’argent par mes propres moyens et mon père croit encore que je vais rentrer ici
pour faire ma vie. Je croise le regard de mon oncle qui m’adresse un sourire
encourageant.

– Dis-lui Alan ! s’exclame ma mère en poussant mon père du coude.

Oh… Je n’aime pas ça !

– J’ai croisé le responsable de l’agence McFoy, un certain Cole Trale. Il


attend ton appel, je pense qu’il a quelque chose à te proposer.
– Tu as parlé de moi à…
– On a du temps, tu es loin, c’est plus simple pour nous de commencer à
préparer le terrain pour ton retour !

Je pose mes couverts. La colère est en train de monter en moi. Même à des
kilomètres, mes parents continuent d’agir pour moi, de choisir pour moi !

– Et si je n’avais pas envie de revenir ici ? Si je voulais rester à New York ?


– Dans ce cas, on pourrait demander à Ross pour qu’il te prenne avec lui… Si
tu tiens à rester là-bas.
– C’est bien, vous avez déjà prévu mon plan de carrière, ironisé-je, amère. Et
mon futur mari, vous l’avez trouvé aussi ? Je le rencontre quand ? Ce soir ?

Mes parents se mettent à rire, croyant à une blague. Cette discussion est
perdue d’avance. Je ne sais pas ce qu’il leur faut, ni ce que je dois faire pour
qu’ils me prennent au sérieux…

– Kirsten a la tête sur les épaules, je suis sûr qu’elle trouvera le travail qu’il
lui faut, intervient mon oncle en me souriant, comprenant mon dépit. Et là où
elle se sentira le mieux.

Le déjeuner se termine et je vois à regret mon oncle et ma tante partir. Si je


pouvais faire pareil, rentrer à New York, avoir des nouvelles de Joshua…
M’éloigner de cette ambiance étouffante.

Retrouver ma liberté !

Mais le pire est peut-être à venir quand je me retrouve dans les couloirs de la
fac. Ma gorge se serre, mon ventre se noue. Je lutte pour me détendre, pour ne
pas foncer tête baissée et repartir en courant avec ce dont j’ai besoin sous le bras.
Je ne veux pas que le passé me rattrape, je veux être plus forte que ça, dépasser
mes anciennes craintes.

Mais c’est trop faire confiance à la vie de croire qu’on peut tout oublier, tout
balayer, surtout quand le responsable de ses maux est là, à quelques mètres de là.

– Kirsten Lake, de retour à Saint Cloud !

Cette voix, ce sourire ironique… J’en frissonne de dégoût.

– Monsieur Glove, dis-je simplement pour le saluer.


– La vie à New York semble vous faire du bien, vous avez l’air plus…
épanouie. Votre stage à l’agence se passe bien ?

Impossible de l’éviter. Et je dois faire attention, il reste encore mon


professeur…

– Très bien. Merci.


– Vous n’auriez pas cinq minutes pour en discuter ? Vous pourriez avoir des
questions…
– Non, je n’ai aucune question, merci.

Je serre les dents, pressée d’en finir. Tout mon corps s’est tendu. J’ai envie de
lui hurler de me laisser tranquille, qu’il en a déjà assez fait…

À cause de lui…

Ce prof a tenté de me séduire, m’a attirée dans son bureau, à plusieurs


reprises. J’étais mineure, j’étais trop jeune pour me rendre compte que quelque
chose n’allait pas. Au début, j’ai sincèrement cru qu’il allait me prodiguer des
conseils pour que je sois encore meilleure dans mes stratégies de pub… Mais il a
eu des gestes déplacés, j’ai refusé ses avances. On m’a vue sortir de son bureau,
rouge, mais de honte, quelques boutons de mon chemisier défait. Il n’en a pas
fallu plus pour que des rumeurs se propagent peu de temps après, des bruits ont
couru. J’étais déjà très mal vue à cause de mes années d’avance. J’étais devenue
la petite intello qui se tapait son prof. Pas étonnant que j’aie des super notes !
J’ai été méprisée, montrée du doigt. J’ai tenté de me défendre, personne ne m’a
crue. Je suis même allée chercher de l’aide auprès de Glove, c’est dire si mon
calvaire me mettait au bord du désespoir. Mais il n’allait pas se mettre en danger
pour de simples rumeurs d’étudiants… Je n’ai trouvé d’aide nulle part.

C’est pourquoi je suis partie à New York. C’est pourquoi j’ai mis tant de
kilomètres entre ici et moi. Pour tourner la page de cette blessure qui a tant de
mal à se refermer.

– Alors, peut-être pourrions-nous parler du plan de votre rapport de stage ?

Glove a le malheur de se rapprocher de moi. Je recule d’un pas. Il n’y a


personne autour de nous. C’est entre lui et moi que ça se joue.

– Kirsten, faisons la paix, venez discuter dans mon bureau. Ce qui s’est passé
entre nous n’est qu’un malentendu, nous avons besoin de revenir sur de bonnes
bases, vous et moi…

Un autre pas en arrière.

– Je dois passer au bureau de…


– Je viens de comprendre ce qui a changé en vous : nouvelle coupe de
cheveux n’est-ce pas ? Vous ne faites plus du tout petite fille, vous devenez une
très belle femme Kirsten.

Petite fille… Je me revois soudain, seule sur le campus, blessée.

– Excusez-moi, mais j’ai des livres à récupérer et un avion à prendre. J’ai


rencontré des personnes compétentes pour m’apprendre mon métier !

Je fais un pas de côté pour passer devant lui, sans attendre ni réponse ni
réaction de sa part. Mon cœur bat à mille à l’heure, je n’en reviens pas d’avoir
osé lui répondre ! Ce n’est pas grand-chose, j’aurais aimé lui sortir ses quatre
vérités mais il me fait toujours aussi peur.
Ça ne pansera pas les plaies, mais la jeune femme perdue dans ces couloirs de
la fac peut commencer à sécher ses larmes.

Le reste du week-end passe bien trop lentement à mon goût mais le vol de
retour s’annonce enfin dans les haut-parleurs de l’aéroport.

– Nous viendrons bientôt te voir à New York, m’annonce ma mère en me


serrant contre elle.
– Je vais avoir beaucoup de travail et Liana est très occupée elle aussi. C’est
moi qui reviendrai la prochaine fois, d’accord ?

Je n’ai pas le temps de les convaincre de rester que je dois embarquer. Les
avoir à New York ? Non merci ! Pas avec en plus le secret de Liana !

***

– Liana ? Mais… Qu’est-ce que tu as fait de l’appart ?

J’entre non plus chez moi, mais dans une sorte de chantier… Plastiques de
protection au sol et sur le canapé, pots de terre dans les coins, outils sur la table,
masse informe d’argile sur une tournette en plein milieu de la pièce…

Qu’est-ce qui s’est passé ?!

– Je tente la sculpture, me lance ma cousine, de la terre dans ses cheveux


blonds.
– La sculpture ? Mais… Tu voulais faire de la photo !
– Oh, j’ai changé d’avis… Et mon client a voulu récupérer son appareil ! Je
suis sûre que je vais réussir à faire quelque chose avec ça. Tu n’imagines même
pas les sensations que ça procure de travailler cette matière !

Je regarde autour de moi, dépitée. Et les premières créations sont loin d’être
prometteuses.

– Je vais prendre des cours, me rassure Liana comme si elle avait su lire dans
mes pensées. J’ai juste fait des tests pour le moment… Alors, ce week-end chez
tes parents ? Sur l’échelle de l’horrible, combien ?
– Sept…
– Outch… La prochaine fois, je t’accompagne. Je serai ton soutien ! Je
monopoliserai l’attention et tu pourras souffler ! Oh, j’oubliais, tu as reçu un
colis ! Je l’ai mis sur ton lit !
– J’espère que ce n’est pas encore un cadeau affreux de ma mère… Elle me
l’aurait donné sur place, mais avec elle, je peux m’attendre à tout !

Heureusement, ma chambre a été épargnée par la nouvelle lubie de Liana.


Une boîte en carton m’attend et aucun nom ne m’informe de l’identité de
l’expéditeur.

Je m’empresse de l’ouvrir et découvre… Une nuisette en dentelles, très sexy.


Avec un mot.

Pour notre prochain tête-à-tête. J.

– Top, siffle Liana dans mon dos. Ça, ça ne vient sûrement pas de ta mère…
Ton petit avocat ? Logan, c’est ça ? Eh beh… On peut dire que tu lui as fait de
l’effet ! Je peux te laisser l’appart si tu as besoin d’un peu d’intimité !
– Dans l’état où il est, je ne suis pas sûre que ce soit le lieu idéal pour un
rendez-vous romantique, riposté-je en grimaçant.

Je mets Liana dehors pour essayer ce cadeau. Mon corps frissonne, encore
plus quand je me découvre devant le miroir. Cette nuisette me va parfaitement et
fait de moi une autre femme. Plus audacieuse, plus sûre d’elle… Joshua tient à
révéler ma féminité. Je sens poindre l’excitation dans mon ventre, l’envie qu’il
me voie avec, qu’il me désire à nouveau…

J’ai fui un prof qui me désirait et là, je fantasme à l’idée d’être à nouveau
dans les bras d’un autre qui tient tout autant à avoir le contrôle sur moi. Je suis
complètement perdue… Avec Joshua, j’aime ça. J’ai envie de jouer, avec ses
règles. Qu’il prenne le contrôle, qu’il repousse mes limites.

Qu’il me fasse repousser mes limites.

J’attrape mon téléphone. Je ne réfléchis pas. Comme la dernière fois, c’est


l’instinct qui parle :

[Elle me va comme une seconde peau.]

Mon cœur s’affole, j’attends sa réponse, son invitation à voir le résultat, à


monter le rejoindre. Mais dix minutes plus tard, je n’ai rien. Et je commence à
avoir froid.

Vingt minutes plus tard, j’enfile un pull pour finir par me rhabiller
complètement.

Toute la soirée, j’attends de ses nouvelles, mais rien ne vient.

Mon désir s’est effacé au profit d’un profond agacement. Je m’en veux de me
sentir tellement dépendante de son bon vouloir. Il n’est pas si impatient que ça
de me voir avec son cadeau ! C’est lui qui dicte les règles, comment ai-je pu
l’oublier ? Dans mon bonheur de rentrer ici, j’ai oublié que ma relation avec lui
n’a rien de normal.

Et ce n’est même pas une vraie relation… Il est peut-être avec une autre ?
Après tout, il n’a pas parlé d’exclusivité de son côté. Je me suis enthousiasmée
trop vite, j’ai cru trop vite que nous allions nous revoir après tous ces jours
d’indifférence.

Mais non, pas encore. Et je dois apprendre à vivre avec ça. Je ne peux être
avec lui que de cette façon.

J’ai accepté, après tout, non ?

– Tant pis pour lui ! dis-je tout haut en rangeant soigneusement la nuisette.

Je rejoins Liana, concentrée sur sa boule d’argile. Quand mon téléphone


sonne, je crois un instant au miracle. Mais ce n’est « que » Logan.

[Envie d’un deuxième rendez-vous.


Et toi ?]

Je ne réponds pas tout de suite. Est-ce que ce ne serait pas un signe du destin
de faire surgir Logan à ce moment précis ? Je pourrais avoir une vraie histoire
avec lui, des nuits ensemble, des réveils à deux, des sorties au grand jour… Il ne
serait pas question de se cacher ni de ne rien dire à personne…

Mais Joshua a énoncé ses règles clairement. Je ne dois pas aller voir ailleurs.
Est-ce que je serais capable de lui désobéir ? Est-ce que j’en ai seulement
envie…

Mais dans quel genre de relation je me suis engagée ?!

Elle me perturbe et m’exalte à la fois, je me dis que c’est mal mais j’en
redemande à chaque nouveau corps à corps… Rien que d’y penser, je sens mon
corps s’animer.

Je n’ai envie que de Joshua !

[Très occupée en ce moment.


Je t’appelle.]

Désolée Logan…
12. Et les nommés sont…

Retour au bureau et pas une réponse à mon message de la part de Joshua. Et


maintenant, je vais devoir savoir faire la part des choses. Oublier ce cadeau,
oublier la dernière nuit torride que nous avons passée ensemble et me mettre en
mode « stagiaire exemplaire ».

Cette relation-qui-n’en-est-pas-une ressemble à du Docteur Jekyll et Mister


Hyde !

Mais je n’ai pas vraiment à me poser de question quand je retrouve Abigail,


en pleine discussion avec Tim. L’associé de Joshua m’accueille avec un sourire
plus que chaleureux.

– Je vous laisse partager la nouvelle, Abigail. Le travail m’appelle. Bonne


journée Kirsten !
– Quelle bonne nouvelle ? demandé-je à ma chef quand il s’est éloigné.
– Tous les ans, nous fêtons l’anniversaire de l’agence chez Tim et sa femme,
m’explique-t-elle en m’entraînant vers la machine à café. Les stagiaires ne sont
pas conviés, sauf cette année !
– Je ne sais pas si je pourrai venir mais c’est super.
– Ce serait bien que tu viennes ! On bosse assez pour profiter de ces moments
sympas entre collègues !

Il faut que cette discussion s’arrête. Abigail ne se rend pas compte à quel
point ses mots sont lourds de sens pour moi.

– Je vais réfléchir… En attendant de faire la fête, on a quelques dossiers à


peaufiner, non ?
– Tu as raison ! Oh et avec tout ça, j’ai oublié de te dire. Joshua nous a
envoyé un message, l’équipe pour sa campagne a été désignée, elle sera
annoncée au cours de la réunion. Avec les noms des stagiaires choisis !

Le moment de vérité ! Je ne me fais pas d’illusions, il est impensable qu’il


m’ait choisie pour travailler avec lui. C’est impossible, ce serait nous mettre en
difficulté. Enfin moi surtout, lui et son contrôle en toute situation, il saurait gérer.

Enfin, à sa place, je ne me prendrais pas du tout ! Trop risqué !

Je ne peux m’empêcher d’espérer quand même avoir une petite chance d’être
choisie et de m’en vouloir en même temps : à cause d’une pulsion dans un
ascenseur je me suis fermé une opportunité professionnelle en or. Et je
culpabilise encore plus quand je pense que si l’on me donnait le choix de tout
recommencer, je ne sais pas si je changerais quelque chose. J’ai perdu ma
virginité d’une façon exceptionnelle et, ça peut paraître dingue, mais je suis
vraiment soulagée d’avoir passé cette étape ainsi. J’ai pu avoir un rendez-vous
avec Logan sans trop paniquer, je n’ai plus peur du désir d’un homme : je sens
que je vais mieux.

Rien à voir avec l’excitation perverse que je ressens à l’idée que mon boss
désire me soumettre à son bon vouloir…

Je secoue la tête pour chasser cette dernière pensée avant d’entrer dans la salle
de réunion.

Il y règne une ambiance plus électrique que d’habitude. Tout le monde est
impatient de savoir s’il a été choisi ou non. Rejoindre cette équipe, c’est être
officiellement désigné comme l’un des meilleurs ici. Une belle consécration
publique en quelque sorte. J’aimerais toujours qu’Abigail en soit, mais ce serait
la perdre et risquer d’être rattachée à une autre équipe.

Très égoïstement, j’aimerais la garder pour moi, mais pour elle, ce serait
tellement mérité.

Joshua entre dans la pièce, le visage très fermé et le silence se fait sans qu’il
n’ait besoin de le demander. Il use les nerfs de tout le monde en décidant de
traiter les questions courantes, il fait durer le suspense en évitant soigneusement
le sujet qui est sur toutes les lèvres… Mais enfin, quand il y arrive, toute la salle
retient son souffle.

– J’ai choisi une équipe solide pour m’accompagner sur cette campagne. Pour
ceux qui n’ont pas été sélectionnés, sachez que d’autres opportunités se
présenteront à l’avenir et que je prendrai soin de mettre les compétences de
chacun en avant. Mais cette fois, mon bras droit sera Abigail Coyle.

Murmures dans la salle. Déception pour les uns, applaudissements pour les
autres. Je vois, à la tête de ma responsable, qu’elle ne réalise pas encore. Quand
nos regards se croisent, je lève le pouce et l’applaudis à mon tour pour la
féliciter.

– Abigail et moi serons épaulés par deux stagiaires. Que cette opportunité soit
pour eux une occasion d’apprendre mais aussi de prouver qu’ils ont toutes les
qualités pour faire ce métier. Brenton Croft et Kirsten Lake.

Que… Quoi ?

Pas une seule fois Joshua n’a un regard pour moi. Se rend-il compte de la
petite bombe qu’il vient de lancer ? De la situation dans laquelle il me met ?

C’est génial !!!

Mais il est dingue ?!

Abigail saute de sa chaise pour venir me rejoindre et m’attraper les mains.


Elle se retient mais je sens bien qu’elle est à deux doigts de sauter sur place.

– On va faire des étincelles toutes les deux ! me lance joyeusement Abigail.


– Oui…
– Abigail, dit Joshua en nous rejoignant. Faisons le point avec l’équipe dans
l’après-midi.
– Pas de problème ! Encore merci Joshua de m’avoir choisie. Vous verrez,
vous ne serez pas déçu ! Avec Kirsten, nous donnerons le meilleur.
– Je n’en attends pas moins de vous, lui sourit-il.

Il se tourne vers moi pour me faire un simple signe de tête. Il ne trahit rien,
pas comme Tim qui le rattrape et lui lance quelques mots que nous n’entendons
pas. Mais à voir sa tête, il a l’air très, très mécontent.

– Je me demande si Tim ne lui fait pas une scène parce qu’il n’a pas eu les
stagiaires qu’il voulait, toi en l’occurrence. Il faut dire que tu es une vraie mine
d’idées, je n’ai jamais vu une stagiaire aussi proactive que toi, me confie
Abigail. Enfin, ce n’est plus notre problème puisque nous restons ensemble !

Proactive… C’est peut-être parce que ça m’évite de penser à mes fantasmes


délirants avec mon boss…

Je regarde Joshua rejoindre son bureau, perplexe. Pourquoi nous mettre dans
une situation aussi compliquée… Je pouvais me montrer indifférente en le
croisant une ou deux fois dans l’open space, mais en travaillant régulièrement
avec lui… ?

Et surtout pour quelles raisons m’a-t-il choisie ?

J’ai peur de la réponse à cette question…

– Ça va Kirsten ? s’inquiète Abigail.


– Oui, oui, je me demandais juste pourquoi Joshua m’avait choisie, avoué-je.
– Vraiment ?! Tu ne devines pas ? me demande-t-elle en souriant. Tu sais j’ai
beaucoup parlé de toi aux boss. Ton travail est excellent. Joshua avait l’air un
peu réticent quand je lui disais que tu étais mon premier choix… Peut-être que
Tim te voulait vraiment dans son équipe. Ou parce que tu es plus jeune que les
autres. Mais il m’a assuré qu’il entendait mon avis et choisirait en toute
objectivité. J’étais donc sûre qu’il te prendrait !

Je hoche la tête. Joshua est donc resté professionnel. J’ose enfin me réjouir et
un large sourire étire mes lèvres. Je vais travailler sur l’une des plus grosses
campagnes de l’agence ! Cette ligne de plus sur mon CV va m’ouvrir des
portes !

La matinée file à la vitesse de la lumière, le début d’après-midi aussi. Mais


plus l’heure fatidique de la réunion avec Joshua approche, plus une boule se
forme dans mon ventre. J’essaie de me concentrer un maximum sur mon travail.
Puisque nous passons à plein temps sur cette campagne, il faut qu’Abigail
délègue ses propres dossiers. Et professionnelle comme elle est, elle tient à ce
que tout soit précis et détaillé pour éviter la moindre perte de temps. Quand elle
donne le signal, je sens déjà que mes mains deviennent moites.

Bloc-notes, crayon et c’est parti. Brenton est déjà installé dans la salle et il
nous accueille avec un sourire. Je crois qu’il est arrivé un peu avant moi dans
l’entreprise, je ne l’ai jamais vraiment croisé, ou juste de loin.

– Bienvenue dans l’équipe, lui lance chaleureusement Abigail.


– Merci ! Je savais que je serais nommé sur ce dossier, je suis le meilleur de
ma promo et je suis sûr que mon responsable a dû vous dire combien j’étais
bon !

Arrogant et prétentieux, super…

– Kirsten ? me demande-t-il en se tournant vers moi. Je ferai tout mon


possible pour ne pas trop t’éclipser !

Il se met doucement à rire. Notre collaboration s’annonce charmante ! Je ne


veux pas me laisser faire et cherche quelque chose à répliquer. Pourquoi c’est si
dur de s’opposer aux gens comme lui ?

– Ce dossier n’est pas une compétition, mais un travail d’équipe, tenté-je de


me défendre tout en sentant que je rougis, on apprend ça en deuxième année il
me semble…
– La théorie enseignée par vos écoles ne m’intéresse pas, fait une voix dans
mon dos. Ici, on est sur le terrain, c’est là que vous montrerez ce que vous valez
vraiment et croyez-moi, les meilleurs sur les bancs de la fac ne le sont pas
forcément devant un vrai projet.

Joshua vient de nous rejoindre et jette sur Brenton et moi un regard


particulièrement froid, avant de se tourner vers Abigail et de changer
radicalement d’attitude.

– Abigail, j’espère que vous êtes contente de votre nouvelle équipe. Vous ne
serez pas uniquement mon bras droit dans ce dossier, je vous le confie dans son
intégralité. J’interviendrai juste pour superviser la campagne, mais je vous fais
complètement confiance. Et si Kirsten et Brenton ne répondent pas à vos
attentes, libre à vous de les renvoyer du dossier.
– Joshua, merci ! Je suis sûre que nos deux stagiaires feront parfaitement
l’affaire. Je les guiderai de mon mieux !

Je suis frappée par le ton adouci qu’il prend quand il s’adresse à ma


responsable. Joshua n’est pas dans le rapport de force, mais bien dans la
confiance. Je prends conscience que j’ai encore tout à prouver ici et cette
campagne est l’occasion de lui montrer ce que je vaux.

Et je n’ai pas envie de le décevoir. J’ai même envie de tout donner !

Mais pour ça, il faut savoir oublier le reste…

Ce que je fais sans trop de mal finalement quand il se met à nous rappeler
l’objet de la campagne, les problèmes de bizutage, les conséquences sur les
élèves et l’impact sur leurs études. Je fais le lien avec ma propre histoire. Je n’ai
pas été bizutée, mais mise de côté, j’ai été la cible de rumeurs et de harcèlement.
J’imagine à quel point les étudiants bizutés doivent craindre de subir les idées
loufoques et trop souvent dangereuses des anciens. Ce que vivent certains à ce
moment-là doit les poursuivre des années après. Quand je suis entrée à
l’université, j’avais 15 ans et je ne sais pas comment j’aurais fait pour survivre à
ce genre de rite de passage !

– Kirsten, vous êtes avec nous ?

Joshua m’observe, Abigail me lance un regard de reproches alors que Brenton


affiche un sourire narquois.

– Bien sûr !
– J’aimerais dans un premier temps que vous preniez contact avec les anciens
élèves de mon université pour récolter des témoignages. Il nous faudra un studio
pour tourner les vidéos, un synopsis pour définir le bon message que nous
devons diffuser. Il faut que cette campagne ait un vrai impact sur les mentalités.
Je ne m’attends pas à ce que nous changions le monde, mais je vise la prise de
conscience. C’est bon pour vous ? Vous trouverez dans le dossier les premiers
éléments sur lesquels j’ai déjà travaillé. N’hésitez pas à ajouter vos propres
idées. Je le rappelle, c’est un travail d’équipe, nous œuvrons tous ensemble pour
que cette campagne soit une réussite pour l’agence ! D’ailleurs, Brenton, vous
déménagez votre bureau pour rejoindre le pôle d’Abigail et Kirsten.

Notre duo se transforme en trio… J’espère qu’il ne viendra pas briser la


bonne harmonie que nous avons Abigail et moi.

– Des questions ?
– Pas encore, répond Abigail. Nous allons nous répartir les rôles pour
commencer et si nous manquons d’informations, nous viendrons te le demander.
D’ailleurs, Joshua, comment souhaites-tu procéder ? Je centralise les questions
des stagiaires ou est-ce qu’ils peuvent venir te voir directement ?

Je sens le regard de Joshua se poser sur moi et j’ose relever la tête pour
entendre sa réponse. Venir lui poser des questions, à lui directement ? Dans son
bureau ?

L’image de moi en nuisette jaillit dans mon esprit sans que je ne puisse
contrôler quoi que ce soit, comme si mon cerveau s’était soudain mis en roue
libre ! Bien sûr, je rougis et baisse la tête rapidement pour que personne ne voie
mon trouble.

Si mon esprit se met à me jouer des tours comme ça, je crains de devoir lutter
dix fois plus contre moi-même.

Ce sera une concentration de tous les instants !

– Qu’ils viennent… dit-il sans me quitter des yeux.

OK… Il veut me tuer…

– Parfait ! Mettons-nous au travail !

Si j’étais la dernière à entrer dans cette salle de réunion, je suis la première à


la quitter. J’ai besoin de prendre un grand bol d’air frais. De m’éclipser pour
remettre mes idées en place. Mais Abigail ne me laisse pas de répit et nous nous
retrouvons rapidement, autour de notre pôle de trois, à définir les rôles et un
premier planning.

– Je vais m’occuper de récolter les témoignages, s’impose aussitôt Brenton.


J’ai une bonne expérience dans le bizutage, j’étais membre d’une confrérie et
nous avons organisé quelques événements pour accueillir les première année.
C’était sympa.

Je lance un coup d’œil vers Abigail, qui le regarde, abasourdie. Je souris


discrètement, sentant venir l’orage. Je commence à bien la connaître et, si elle a
un petit côté dispersé et naïf, il ne faut surtout pas s’arrêter à cette première
impression. Et Brenton a tort de la sous-estimer !

– Tu es donc tout ce qu’on cherche à arrêter avec cette campagne, lui lâche-t-
elle fermement, mais en souriant quand même. Nous allons utiliser tes
compétences autrement, je suis sûr que tu en as d’autres, n’est-ce pas ? Charge-
toi de tout l’aspect technique de cette campagne. Et si as des idées lumineuses
n’hésite pas à les partager. Mais n’oublie pas, mets-toi à la place des victimes.
Pas des bourreaux ! Kirsten, tu t’occupes de la prise de contact.

Brenton lui lance un regard noir qu’elle soutient sans faillir. Je crois qu’il va
avoir du mal à se mettre au diapason. Mais, très vite, ce premier couac est vite
balayé par la motivation de réaliser une belle campagne et de prouver à Joshua
que nous sommes tous à la hauteur de son choix. Et si j’aspirais enfin à un peu
de tranquillité, Abigail se tourne vers moi.

– Je dois voir la compta pour fixer le budget de cette campagne, me dit-elle.


Voilà une liste de questions qu’il faudrait poser à Joshua. Tu peux t’en charger ?
– Mais, je…

Je me tourne vers Brenton, en pleine discussion téléphonique.

OK, aucune aide à attendre ce côté-là.

– OK, j’y vais…


– Bien !

Il faut que je fasse attention. Quand Abigail me demande quelque chose, je


dois bondir, pas traîner des pieds ! C’est en faisant l’inverse qu’elle commencera
à se poser des questions !

Je dois être pro !

Je lis la série de questions qu’elle a notées sur un de ses Post-it. Des questions
qu’elle aurait pu lui poser par mail… Mais ça aurait eu un côté moins réactif. On
est désormais dans l’action. Et l’acteur principal ne doit pas influencer mon
travail. En aucune façon.

– Tu te gardes toujours les meilleurs !


Quand j’approche du bureau de Joshua, dont la porte est ouverte, je surprends
une discussion houleuse entre Tim et lui. L’associé n’a vraiment pas l’air de
digérer la nomination de l’équipe.

– Je passe toujours au second plan avec toi, continue Tim. Tu trouves que mes
dossiers ne demandent pas les meilleurs ? Que je fais du travail de seconde
zone ?

Il ne me voit pas arriver puisqu’il me tourne le dos. En revanche, Joshua


s’aperçoit de ma présence et lève la tête vers moi. Je jurerais qu’il a l’air content
que je le sauve de cette discussion.

– J’ai quelques questions à propos de la campagne, dis-je en essayant de


garder une voix claire et assurée.
– Je vous laisse, mais je n’oublie pas le coup que tu viens de me faire Josh.
N’oublie pas que je suis ton associé !

Tim passe à côté de moi sans un regard et nous laisse seuls, Joshua et moi.

Seuls…

– Je vous écoute.

C’est la première fois que nous avons un échange strictement professionnel et


j’essaie de garder ça en tête. Ses yeux verts sont posés sur moi, il attend que je
commence, mais j’ai l’impression aussi qu’il m’étudie. Est-ce qu’il se demande
si je vais tenir le coup ?

Bien sûr !

– J’espère voir cette seconde peau très rapidement…

Je frémis, pas très sûre d’avoir bien entendu. Pourtant, il esquisse un petit
sourire, ses pupilles pétillent.

À quoi est-ce qu’il joue ? Parce qu’il joue avec mes nerfs, là ! Il enfreint une
de ses règles fondamentales, pas d’allusions à notre histoire au bureau ?! À
moins que les règles aient changé et qu’il se donne le droit de faire ce qu’il
veut ? Que les règles ne s’appliquent rien qu’à moi ?
Je me fais violence pour ne pas perdre le fil de ce que je suis venue chercher :
des réponses à mes questions. J’ignore complètement son allusion, j’essaie de
me montrer le plus indifférente possible. Et je l’interroge sur la campagne.
J’espère juste qu’il ne voit pas à quel point mes doigts serrent le bout de papier.

Ma bouée, ma minuscule bouée de sauvetage qui me retient à la raison.

Joshua répond avec précision, prend le temps de la réflexion. Mais entre nous,
je ne sens plus la même distance que quand je suis en face de lui, dans son
appart. Et c’est assez déroutant parce que je ne sais pas vraiment comment me
comporter, comment être moi, simplement.

– Et qui s’occupe de contacter les victimes ? me demande-t-il à son tour.


– C’est moi. Abigail m’a donné cette mission, Brenton se charge de la partie
technique et…
– Très bonne idée. Vous aurez une meilleure approche avec votre sensibilité.
Mais c’est peut-être la mission la plus compliquée. Faire parler ces personnes,
accepter qu’elles témoignent, qu’elles s’investissent… Heureusement que vous
avez un gros pouvoir de persuasion.
– J’ai un pouvoir de persuasion ?
– Vous travaillez toujours ici… Vous avez oublié ?

Oublié qu’il a essayé de me virer et que je l’ai convaincu de me garder ? Non,


je n’ai pas oublié…

C’est quand même la deuxième allusion à notre « relation » qu’il fait en


moins de dix minutes… Je ne dois pas tomber dans le piège.

Si c’est un piège… À moins que ce ne soit de la confiance ? Comment savoir


avec lui…

– J’ai tout ce qu’il me faut, finis-je par lui dire en me recentrant sur mes
notes.
– Parfait !

Je me lève et quitte son bureau, supportant le poids de son regard dans mon
dos. Je ne me réinstalle pas tout de suite derrière mon écran mais file plutôt
m’isoler dans les toilettes. Pour souffler et relâcher la pression. J’ai l’impression
d’avoir subi un examen de passage, un test ! Que je suis fière d’avoir relevé. Pas
une seule fois je ne me suis laissé aller à parler de ce qui se passe entre nous en
dehors du bureau. Je suis restée pro.

Mais à quel prix !


13. Balbutiements d’un corps vibrant

[Viens ce soir.
Avec ce que tu sais.]

Je manque de faire tomber une sculpture de Liana en lisant le message de


Joshua. Après cette journée, je ne m’attendais pas à ce qu’il me demande de le
rejoindre aussi vite. Pas après cette nouvelle proximité au bureau, maintenant
que nous travaillons sur le même projet !

Tout y passe : le chaud, le froid, la joie, la panique, l’excitation, l’angoisse.

Il veut donc qu’on continue ce qu’on a commencé…

Je ne peux m’empêcher d’être soulagée même si la transition entre ces deux


mondes est assez brutale. J’admire sa capacité à faire la part des choses et à
pouvoir jongler entre le jour et la nuit… J’ai un peu plus de mal. Mais pas une
seule seconde je n’hésite à le rejoindre. Il hante mes rêves et je n’attends qu’une
chose : sentir à nouveau le désir qu’il a pour moi, qu’il me plaque contre un mur
et me possède.

Je file prendre une douche avant d’enfiler la nuisette en dentelle noire. Quand
je m’observe dans le miroir, encore une fois, je me sens terriblement sexy. Le
décolleté est particulièrement joli avec ce petit effet push-up. Joshua révèle ma
féminité.

Je repousse les pensées qui me viennent soudain. Il a l’air d’avoir tellement


l’habitude de faire ça. Et quel homme sait choisir la taille parfaite ? Surtout après
m’avoir vu nue que peu de fois ? J’imagine tellement les hommes demander de
l’aide dans les boutiques alors que Joshua… il sait exactement ce qu’il veut.

Et il me veut moi, ce soir.

J’en frissonne d’avance !


J’hésite à n’enfiler qu’un trench par-dessus, mais je ne me sens pas prête pour
ça. Mais je me surprends à avoir envie d’oser un jour ce genre de chose, de
séduire. De devenir une amante plus expérimentée, moins maladroite dans mes
gestes.

Je passe une robe légère et pars, cœur battant. J’ai l’impression que mon cœur
va me lâcher. Je me laisse porter par mon corps, parce que ma tête, de son côté,
ne cesse le même flot de questions.

Est-ce que je ne devrais pas rester chez moi ? Arrêter tout vu l’état dans
lequel je suis au bureau ?

Mais Joshua n’est pas du genre à m’autoriser à arrêter. Est-ce que je suis folle
si j’aime me sentir obligée de lui dire oui ? J’ai envie de le rejoindre. Profiter de
l’instant, profiter de ce que je vis avec lui. Et ne plus penser au reste, ni aux
conséquences.

C’est dans cet état d’esprit que je sonne à sa porte, que je lui souris, toujours
aussi intimidée quand je le découvre chez lui, chemise entrouverte, beau comme
un dieu avec son regard vert qui roule sur moi comme une caresse.

Il fait un pas en arrière pour me laisser entrer. Je passe devant lui, très près de
lui. Je n’ai le temps que de faire deux pas avant qu’il ne pose une main sur ma
taille pour m’arrêter. Pas de mots échangés, juste des regards. Il m’attire contre
lui, non pas pour m’embrasser, mais pour que son doigt, sur ma poitrine, baisse
juste le tissu de ma robe pour qu’il puisse jeter un regard dessous.

Son sourire s’accentue, la pression de sa main sur ma taille aussi. Mes yeux
quittent les siens juste le temps de descendre vers ses lèvres. Il n’y a plus de
distance entre nous, ni d’ambiance glaciale. Au contraire. Il fait chaud…

– Tu me montres ? me demande-t-il en effleurant ma bouche de la sienne.

Panique.

Il me demande de me déshabiller devant lui ? Je le voyais plus s’occuper de


tout !

Une seconde, je pense à prendre mes jambes à mon cou et à quitter cet
appartement. Moi ? Prendre les choses en main ? Mais je ne suis pas prête pour
ça !

Est-ce que Joshua sent mon hésitation ? Est-ce que je tarde trop à réagir pour
lui ? Il m’attrape brusquement la main pour m’attirer à lui, et plaque ses lèvres
contre les miennes. Sa langue s’engouffre dans ma bouche pour venir trouver la
mienne. Je n’oppose aucune résistance, ne manifeste aucune hésitation. Son
autre main glisse sur ma cuisse, remonte ma robe, passe sur mes fesses pour les
presser sans douceur. Cette légère douleur, terriblement excitante, me fait gémir.

Encore une fois, Joshua a su balayer mes hésitations, ma pudeur, il me tient à


sa merci, il a su me faire perdre la tête, laissant mon corps dans l’attente de ses
prochaines caresses. Impatient. Ferré, complètement à lui. Et il le sait quand il
me retourne d’un geste pour faire face au miroir de cette entrée.

Derrière moi, ses mains sur ma taille, Joshua observe mon reflet. Il pousse
mes cheveux pour découvrir ma nuque et il m’embrasse. Ses doigts glissent sur
mon ventre. J’incline légèrement la tête ferme les yeux…

– Déshabille-toi…

La question s’est transformée en un ordre qui me fait frémir. Alors,


doucement, j’enlève les bretelles et ma robe tombe à mes pieds en quelques
secondes. J’attends sa réaction, je voudrais qu’il me trouve belle et désirable, le
lire dans ses yeux pour me donner du courage. Je suis à deux doigts de me
mettre à trembler comme une feuille tellement la pression est forte pour moi.

Je m’expose complètement et son avis a tellement d’importance !

Mais il sourit, encore une fois.

– Tu es magnifique. Regarde-toi Kirsten. Tu es magnétique, désirable.


Prends-en conscience.

Cette voix chaude, ces mots… Mes jambes se transforment en coton. Il est
séduit, il aime ce qu’il voit ! Je serais prête à sacrifier beaucoup de choses pour
vivre ce moment encore et encore. Ses pupilles vertes viennent de s’obscurcir. Il
a le même regard que la dernière fois, quand il était sur moi, quand il était en
moi. Joshua n’a visiblement aucune envie de quitter nos reflets. Ses mains
parcourent mon ventre, pour glisser sur mon pubis, puis sur mes cuisses. Son
étreinte est ferme, il me tient dans ses bras avec une force telle que je n’ai ni
envie de m’enfuir, ni envie qu’il me libère. Instinctivement, je me presse même
un peu plus contre lui tant il a réussi à former un cocon sécurisant autour de moi.

Je suis une fois de plus frappée par la confiance qu’il m’inspire. Avec lui, je
peux me laisser aller, me laisser guider.

– Montre-moi ce que tu aimes…

Je le regarde avec surprise, prise au dépourvu. Une vague de panique me


submerge à nouveau. Il me laisse l’initiative ? Mais comment ?

– Guide mes mains, montre-moi ce que tu préfères… Ou ce que tu n’aimes


pas. Fais-toi confiance, écoute-toi.

Pas une seule fois, il ne me quitte des yeux alors que ses mains viennent se
placer sous les miennes. Voyant mon trouble, il commence doucement à
remonter vers mes seins.

Ce que j’aime ? Mais je ne sais pas…

Quand ses doigts effleurent mes tétons, mon corps réagit, indépendamment de
mon esprit. C’est Joshua qui mène la danse, ses mains guident les miennes, et
non l’inverse. Son doigt passe sur mes lèvres, descend sur ma gorge. Et je sens
soudain que je prends le contrôle. Je veux revivre ce même frémissement, voir si
ce frisson était bien réel… Je l’emmène vers mon sein et mon corps vibre à
nouveau. Je souris. Joshua a senti qu’il se passait quelque chose, et sa paume
presse un peu plus mon sein. Ce n’est plus un frisson, mais une vague complète
de décharges électriques. Je ferme les yeux et souris de plus belle. Je me suis
trouvé un point sensible… Alors, je m’enhardis. J’emmène son autre main vers
mon entrejambe et, avec une légère appréhension que je chasse aussitôt, je nous
glisse sous le tissu de ma nuisette.

Je regrette d’avoir mis un sous-vêtement. Mon tanga est une barrière dont je
me serais finalement bien passée !

Mais ce n’est pas un problème pour Joshua et je pousse un gémissement


quand il s’immisce jusqu'à mon sexe, que je sens humide. Je ne pense plus à
rien, je n’écoute plus que mon corps et toutes les sensations que ses caresses
provoquent. Sa bouche me dévore le cou, la nuque, les épaules…

– Attends, murmuré-je. Reviens, sur ma nuque… s’il te plaît…

À la naissance de mes cheveux, ma peau s’électrise sous ses morsures. Toutes


mes sensations sont décuplées quand il m’embrasse, juste là. Je suis même
submergée par un flot de désir, j’ai l’impression que tout me parvient à la fin,
que tout mon corps est balayé de frissons…

– Je… C’est trop !


– Ce n’est jamais assez…

Joshua me pénètre de ses doigts, joue avec mon clitoris, organe intrigant et si
mystérieux pour moi encore. Je me sens fléchir, perdre en force. Mes doigts
s’agrippent à mes mains, je tente de poser ma tête contre lui. Joshua comprend
que je suis en train de défaillir et qu’il en faut peu pour que je ne tombe dans ses
bras. Alors, brusquement, il lâche mes mains, se place devant moi et me soulève
pour me poser à quelques pas de là, sur la console de l’entrée, impatient d’aller
plus loin. Tant pis pour le confort, je préfère qu’il me prenne ici plutôt que de
risquer de perdre cette tension entre nous en allant plus loin… Même le canapé
du salon me semble trop loin. Son regard est tellement pénétrant, tellement
brûlant que j’écarte déjà un peu les jambes, oubliant qu’il n’est pas encore nu.

D’un geste rapide, il se défait de son pantalon et cette fois, sans me poser
aucune question, je l’aide à s’en libérer. J’ose même faire pareil avec son boxer,
le temps que Joshua déchire un préservatif, récupéré dans une poche.

Joshua m’embrasse les lèvres, une main dans mes cheveux avant de guider la
mienne sur son sexe. Il m’accompagne en douceur pour dérouler le latex sur son
membre. Je n’ai aucun mouvement de recul cette fois, je suis même plutôt
curieuse de le sentir vibrer entre mes doigts. J’ose le prendre dans ma main,
accentuer la pression, le souffle coupé, juste pour ressentir ce que cela provoque
chez lui… Mon désir est en éruption, incontrôlable, chaotique, ingérable. Je
gémis autant que lui quand je commence mon mouvement de va-et-vient. Ce
pouvoir de contrôler le plaisir de l’autre… Joshua m’offre un délicieux aperçu de
ce qu’il sait si bien faire.
Mais l’expérience est de courte durée, son impatience n’a pas disparu et il
m’attrape la main, pour se libérer et presse son bassin contre moi. Ses doigts
m’agrippent les fesses et il m’empale littéralement sur son sexe, les yeux dans
les yeux.

Contrairement à la première fois, je ne ressens aucune douleur. Alors,


j’enroule mes jambes autour de sa taille, il commence à bouger. Nos langues se
trouvent, il tire légèrement sur mes cheveux pour que je renverse ma tête en
arrière… Nos souffles se mêlent, je m’agrippe à lui quand il accélère le rythme,
laisse glisser ma main dans son dos, jusqu’à la naissance de ses fesses, que
j’effleure, très, très rapidement.

Le plaisir me donne le vertige, l’envie de crier, l’envie de continuer encore et


encore, que tout ça dure le plus longtemps possible tellement je suis transportée !
Dans mes bras, je sens le corps puissant de Joshua, je sens sa chaleur, son odeur,
sa peau se couvrir d’une légère moiteur. Je sens et désire encore plus ce corps
d’homme.

Mais l’orgasme me prend. Il arrive, je le reconnais et je le laisse


m’envelopper, prendre son ampleur pour exploser dans un profond soupir.

– Encore… J’en veux encore… m’entends-je murmurer.

Joshua plonge alors son regard dans le mien, me mord la lèvre et frémit
brusquement, son front posé contre le mien. Tout son corps se tend, je retiens ma
respiration, jusqu’à ce que, dans un dernier mouvement de bassin, il pousse un
grognement animal, un souffle rauque qui me submerge d’émotion.

Je n’ai encore rien vu de plus beau qu’un homme jouir dans mes bras…

Il nous faut quelques instants pour retrouver un peu de calme. Joshua m’aide
à descendre, rassemble mes habits pour me les tendre. Son attitude est différente
cette fois. Il me sourit, m’enveloppe d’un regard chaud, ce regard qui vous fait
exister… Il passe la main dans ses cheveux, m’observe me rhabiller. C’est
étrange comme situation. Encore une fois, je ne sais pas s’il faut partir ou rester.

– Tu veux un café ? finit-il par me proposer.

J’hésite. Mais à la fin je le suis. Nous prenons le café en silence, côte à côte,
sur la terrasse. Je comprends qu’il n’est pas toujours utile de parler… Ce
moment, je le savoure aussi, jusqu’à ce que je pose ma tasse pour quitter la
compagnie de Joshua. Sans regret. Avec juste l’impatience d’un prochain
rendez-vous.
14. Cueillie en plein vol

J’ai vécu cette journée la tête ailleurs, croisant Joshua à de rares occasions.
Est-ce que c’est ça désormais, mon quotidien ? Vivre des nuits folles et redevenir
sage le jour ? Je n’arrive pas encore à dompter mon rythme cardiaque quand je
sens Joshua se rapprocher de l’endroit où je me trouve, ni mes pensées quand je
croise le sillon de son parfum. Mais je me raccroche à la campagne et je fais
mon job.

Avec passion.

Et heureusement que j’ai Deaken et Liana pour me changer les idées et


m’empêcher de jeter sans cesse un œil à mon téléphone dans l’espoir de voir un
nouveau message d’invitation… Je n’arrive pas à leur parler de Joshua, je sais
qu’aucun d’eux ne trahirait mon secret, mais j’ai peur de ce qu’ils pourraient
penser. Ma cousine sait que j’ai été harcelée par mon prof qui profitait de sa
position de supériorité pour me faire des avances. Que me dirait-elle si je lui
avouais qu’avec mon boss j’adore ça ? J’ai moi-même du mal à comprendre. Et
surtout je ne veux pas qu’ils me conseillent de le quitter.

D’ailleurs, c’est Deaken que je rejoins ce soir, dans un bar de Manhattan.


Liana ne pouvait pas venir, retenue par un mystérieux rendez-vous.

Impossible de m’ennuyer en l’attendant. Je réponds aux dernières questions


de mes parents. À force, je ne sais même plus quoi leur dire ! En dehors de mon
job, de ce qu’il se passe avec Joshua, que je dois taire, des lubies artistiques de
Liana et de nos soirées, dont je ne peux pas tout dire non plus, il ne me reste plus
grand-chose à leur confier !

– Tu es déjà là ?! Tu n’as vraiment pas hérité des mêmes gènes que ta


cousine, plaisante Deaken en s’installant en face de moi. Toujours en retard !
Quand elle n’oublie pas !
– C’est parce qu’elle est souvent perdue dans ses moments créatifs, dis-je en
souriant.
– C’est vrai ! Toujours dans ses sculptures ?
– Toujours !
– Moi qui aurais bien besoin de votre canapé en ce moment…

Deaken grimace. Je comprends aussitôt que ça ne s’est pas arrangé avec son
colocataire.

– Toujours des problèmes ? lui demandé-je doucement.


– Je n’en peux plus, je ne sais plus quoi faire.
– Dis-lui simplement ce que tu ressens. Si j’ai bien compris : il se laisse aller,
il est négatif et il est en train de s’endetter. Tente de lui dire gentiment sans lui
mettre la tête sous l’eau que tu t’inquiètes pour lui à cause de tout ça. Et puis
enchaîne sur un argument plus objectif en lui disant que tu ne vas plus pouvoir
payer le loyer seul… Il s’entend bien avec ses parents ?
– Euh oui, il est très proche d’eux, pourquoi ?
– Il pourrait retourner chez eux le temps de renflouer ses comptes et trouver
une solution, non ?
– Tu as raison ! Il le prendra mieux si je lui propose un plan !
– Appelle-le maintenant, lui conseillé-je. Je te connais, Deaken, tu vas te
laisser apitoyer, sinon !
– Ma chère Kiki, tu es bien trop sage pour tes 19 ans ! Je te soupçonne de
mentir sur ton âge, rit-il. Mais encore une fois tu as raison.

Il compose le numéro de son coloc et sort sur la terrasse du bar pour avoir
cette fameuse conversation qu’il reporte depuis des mois. Je croise les doigts
pour lui, je ne le connais pas depuis longtemps mais j’adore Deaken et je crois
bien que nous allons rester amis de longues années.

Si mes parents ne me rapatrient pas de force.

Si Joshua ne me vire pas.

Je n’ai pas le temps de continuer ma liste des « si » que Deaken revient un


grand sourire aux lèvres.

– Il faut fêter ça ! s’exclame-t-il en me tendant une bière. Merci Kirsten, ça t’a


pris juste dix minutes de me conseiller et de me motiver alors que ça fait six
mois que je ne sais pas quoi faire ! Matt va retourner chez ses parents, il m’a
avoué qu’il y avait pensé mais qu’il ne voulait pas me laisser seul ! Il ne se
rendait vraiment pas compte de la situation…
– Je suis contente pour toi ! Et la prochaine fois essaie de mieux choisir ton
coloc !
– Oh, je crois que j’ai déjà ma petite idée sur la question, me glisse-t-il les
yeux brillants.
– Qui ?!
– Je ne dirai rien tant que rien n’est fait !
– Pas de mystère entre nous ! Je viens quand même de te libérer, je mérite
d’en savoir plus !
– N’oublie pas que tu m’as traîné dans tes essayages ! On est quitte, Kiki !
Mais en parlant de mystère… J’ai croisé Logan cette semaine, il n’a aucune
nouvelle de toi.
– Oh… J’ai eu pas mal de boulot avec la nouvelle campagne à l’agence et je
ne…
– Pas besoin de te justifier, c’est bien de se faire désirer un peu, me rassure
Deaken. Mais ne traîne pas trop quand même, il avait l’air assez accro !

Je souris, mais à l’intérieur, c’est plutôt la grimace. Je savais qu’embrasser


Logan n’était pas l’idée du siècle. Il faudrait que je prenne le temps de l’appeler
pour éviter qu’il se fasse trop d’illusions.

Nous restons quelques instants à discuter avant que Liana nous envoie un
texto pour qu’on la rejoigne au Rudolph Beer. Elle vient apparemment de
commencer son service.

***

À cette heure de la soirée, le bar est bondé d’étudiants et de jeunes actifs.


L’endroit est réputé pour les afterworks et c’est dans ces moments-là que Liana
se fait le plus de pourboires.

– Hey, venez au bar, ce sera plus simple pour discuter ! nous crie-t-elle en
nous apercevant.

Ce que nous faisons. Mais à côté de nous, je reconnais Brenton qui attend sa
commande.
– Kirsten ?! Je ne savais pas que tu fréquentais ce genre de lieu, me lance-t-il,
ironique.
– Tout le monde fréquente cet endroit, si tu n’avais pas remarqué, répliqué-je
sans sourire.
– Tu caches bien ton jeu alors… C’est comme cette rumeur qui circule sur toi
au bureau !

Au mot « rumeur », mon corps se crispe.

– Quelle rumeur ? lui demandé-je en gardant mon calme.


– Il paraît que tu as été prise sur la campagne parce que le boss et toi… Tu
vois l’idée, je ne te fais pas de dessin !
– N’importe quoi ! J’ai été prise pour mes compétences, comme toi et je ne
vois pas pourquoi…
– Hey calme-toi Kirsten, ce ne sont que des rumeurs, m’interrompt-il, un peu
trop narquois à mon goût. Je suis sûr que la sainte Kirsten ne ferait pas ça, n’est-
ce pas ?

Je n’ai pas le temps de répliquer qu’il est déjà parti rejoindre sa table. Je
tremble, j’ai des sueurs froides.

Des rumeurs ? Sur Joshua et moi ?

Pourquoi tout le monde a cette image de moi ? Je n’ai jamais prétendu être
une sainte !

Il me fait marcher. C’est impossible autrement. Il cherche à me déstabiliser,


c’est tout…

– C’était qui, ce mec ?

Deaken m’arrache à mon angoisse.

– Oh, un collègue…
– Pas mal du tout dit donc… Tu me présentes ?
– Laisse tomber, il n’en vaut pas la peine, dis-je en secouant la tête,
totalement bouleversée.
– Laisse-moi en juger par moi-même, insiste Deaken en m’adressant un clin
d’œil.
– Je ne supporte pas ce mec, rien que de l’entendre parler, je ne…
– Ça tombe bien, parler n’est pas ma priorité.

J’abdique. Quand Brenton revient une heure plus tard pour commander une
autre tournée, je les présente, complètement indifférente. Je crains que Brenton
ne fasse une autre allusion à Joshua…

Mais d’où pourrait venir cette rumeur ? Si Joshua l’apprend, il va peut-être


croire que c’est moi qui ai parlé ! On a toujours été discrets, on ne s’est jamais
montrés en public…

C’est impossible. Impossible !

Je ne peux pas être au cœur d’une nouvelle rumeur, pas ici à New York ! Je ne
tiens pas à ce que tout recommence…

Il fallait peut-être y penser avant, Kirsten, me chuchote sans pitié ma petite


voix intérieure.
15. Pris sur le fait !

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. J’ai revécu chacune de nos rencontres ici
comme au bureau. Pas un instant je n’ai eu l’impression de faire un faux pas. Je
n’arrive pas à comprendre l’origine de cette rumeur, si rumeur il y a vraiment, et
c’est le cœur lourd que je passe la porte de l’agence ce matin. J’ai l’impression
que l’hôtesse d’accueil m’observe, que mes collègues me suivent du regard.
Mais je me fais des idées. Tout le monde est occupé dans son coin et je ne suis
pas le centre de l’attention.

Quand je vois que plusieurs stagiaires sont réunis autour de la machine à café,
je suis tentée de faire demi-tour. Mais je m’y refuse. Je me fais violence pour
affronter tout le monde.

Ne rien changer à mon comportement. Cette rumeur n’existe peut-être même


pas !

– Kirsten ! Alors pas trop mal à la tête ce matin ? fait la voix amusée de
Brenton, que je n’avais pas vu jusqu’à présent.
– Je peux te demander la même chose, me contenté-je de répondre en me
concentrant sur la machine.
– On s’est rencontrés hier dans un bar, explique-t-il à sa cour. Elle m’a
présenté un mec, comment il s’appelait celui-là ? Deaken ! J’ai cru qu’il allait
me sauter dessus ! Tu devrais penser à sortir avec de vrais hommes Kirsten !
Sauf si tu fais partie de la même communauté…

Je ne réponds rien, attendant que mon café termine de couler dans le gobelet.
J’entends des rires étouffés.

– Tes remarques homophobes tu peux te les garder ! finis-je par dire en me


tournant vers lui.
– Ou alors, tu es bi… renchérit-il comme si je ne l’avais pas interrompu.

Mais quel connard !


– Parce que si l’on écoute ce qu’il se raconte ici, tu penches aussi pour les
mecs… Alors, une préférence, Kirsten ?

Ma mâchoire se crispe. De nouveau, il remet sur le tapis cette rumeur et


devant tout le monde en plus. Le pire ? C’est que pour une fois la rumeur dit
vrai. J’ai envie de me défendre, mais en ai-je vraiment le droit ? Je me suis mise
dans cette situation. Même si je le voulais, je ne saurais pas comment me
défendre… quoi dire. J’ai peur de bafouiller, de faire pire que mieux. Et encore
une fois, je suis rattrapée par mes vieux démons. Je n’ai pas la repartie, je ne sais
pas lutter. Je me contente de lui jeter un regard noir et de filer.

Alors c’est vrai… La rumeur sur Joshua et moi circule bien ici…

– Vous n’avez pas de dossiers sur lesquels travailler ? fait une voix cinglante
derrière nous.

Joshua.

L’atmosphère se glace. On comprend tous qu’il est en proie à une colère


sourde. Ses yeux ont pris une teinte très sombre, sa mâchoire est crispée. Tout le
monde se pousse pour le laisser accéder à la machine à café, suivi de près par
Tim. Nos regards se croisent et je baisse aussitôt le mien. Est-ce qu’ils ont tout
entendu ? Est-ce qu’ils ont compris, pour la rumeur ? Est-ce que c’est pour ça
que Joshua est en colère ?

Mais je n’ai rien fait ! Je suis toujours restée pro, ici !

– Kirsten, prévenez Abigail, je veux une réunion avec l’équipe. Maintenant !


m’ordonne Joshua.
– D’accord !

Je file retrouver Abigail pour la prévenir alors que Brenton, soudain


silencieux, nous suit.

J’espère que cette réunion ne me concerne pas.

J’espère qu’il ne va pas me virer devant tout le monde.

La réunion met nos nerfs à rudes épreuves. Même Brenton parade moins.
Abigail fait le point sur nos avancées de ces derniers jours, sur les questions qui
se posent au fil de notre progression. Je lui suis reconnaissante de prendre en
main cette réunion, nous empêchant ainsi d’intervenir. Pas une seule fois Joshua
ne se déride. Il n’a même pas un regard vers moi. Il écoute attentivement,
pianote sur son téléphone et donne ses directives avant de nous libérer.

Comment me concentrer après ça ? J’ai l’impression de vivre la pire journée


de ma vie. La mauvaise humeur de Joshua a contaminé Abigail, qui n’hésite pas
à rabrouer Brenton sur ses notes illisibles.

Est-ce que je dois m’inquiéter ?

Mon téléphone clignote, j’ai reçu un texto en absence. Je manque de pousser


un cri de surprise quand je reconnais le numéro. Impossible de lire le message de
Joshua ici. Il faut que je me mette à l’écart.

Les toilettes sont le seul refuge un peu calme que je trouve. Est-ce que ce
message va sonner la fin de tout ? Je me fais violence pour l’ouvrir… L’angoisse
me vrille le ventre.

[Je ne sais pas d’où viennent ces rumeurs,


mais je vais trouver la source.
En attendant, je vais préserver ta réputation
et mettre un terme à tout ça.]

Je lis et relis ses mots, je ne suis pas sûre de comprendre…

Joshua ne me renvoie pas ? Il ne me soupçonne pas ?

Au contraire, il veut me protéger… La tête me tourne soudain, je suis obligée


de prendre appui sur le mur.

Me protéger…

Les doigts tremblants, je pianote une réponse sur mon téléphone. Je n’ai peut-
être pas besoin de lui dire, mais j’y tiens. Je veux qu’il sache que je n’ai jamais
parlé à personne. Ni ici, ni ailleurs.

La réaction de Joshua me dépasse. Je pensais qu’il me renverrait, qu’il


lâcherait sa colère sur moi. Mais rien de tout ça. Il veut trouver le coupable, il
me place d’emblée au-dessus de tout soupçon.

Il me fait donc confiance ?

Un coupable… Qui pourrait être à l’origine de cette rumeur ? Qui aurait pu


lancer ça ? Brenton ? Ça ne m’étonnerait pas, mais il est bien trop égocentrique
pour avoir remarqué quoi que ce soit. Il aurait pu inventer cette histoire pour
m’écarter du dossier, pour être le seul stagiaire sur la campagne et s’attribuer
ainsi tous les honneurs en cas de réussite ?

Ou Abigail ? Impossible, elle ne sèmerait pas le trouble dans les esprits au


risque de perdre la seule campagne que Joshua lui ait jamais confiée. Le temps
file et il faut que je sorte de ma cachette. Abigail ne lève même pas les yeux
quand je reviens. Tout juste si elle m’adresse un mot de la matinée. Sauf quand
nous nous retrouvons seules toutes les deux dans les toilettes pour femmes.

– J’espère que ce qu’on raconte sur toi ne sont que des rumeurs ! Que tu n’es
pas ce genre de fille qui couche pour obtenir des faveurs !
– Non, Abigail ! Je ne ferais jamais ça ! m’exclamé-je, choquée par cette
accusation.

Car même si c’est vrai que je couche avec Joshua, ce n’est absolument pas
pour obtenir une promotion canapé !

– Très bien ! C’est tout ce que je veux savoir ! Je ne te voyais pas non plus
séduire un de tes chefs pour améliorer ton quotidien ici. C’est typiquement le
genre de comportement que je déteste !

Je me sens mal de lui mentir, mais je n’ai pas le choix. Même s’il y a une part
de vérité dans ce que je lui ai dit : jamais je ne coucherais pour obtenir des
avantages au travail. Je ne connaissais pas Joshua avant de craquer pour lui !

Je la trahis et je n’ose imaginer le jour où…

Le jour où rien. Jamais personne ne saura rien de Joshua et moi !

Et puis je vais lui dire qu’on arrête tout : c’est trop dangereux de se voir. Je
mets du cœur à l’ouvrage, j’essaie d’agir naturellement, de me montrer au-
dessus de ces bruits. De ne pas faire le jeu de celui ou celle qui en est à l’origine.
Je ne veux pas être abattue. Je veux passer au travers sans trop de dommages. Ni
pour Joshua, ni pour mon job.

En fin d’après-midi, alors que nous commençons tous à lever un peu le pied
en prévision de notre départ, l’open space s’anime. Joshua est parti ce midi, Tim
est en salle de réunion. L’ambiance est plus détendue et les allées et venues entre
les bureaux plus nombreuses.

– Qu’est-ce qu’il se passe encore, souffle Abigail en se levant pour rejoindre


un groupe qui s’est formé derrière un écran.

Il ne lui faut pas deux minutes pour revenir vers moi, sourire aux lèvres.

– Pardon, Kirsten, j’ai été un peu brusque ce matin avec toi ! Je suis désolée
d’avoir douté de ton intégrité, mais les histoires avec les stagiaires…
– Ce n’est… rien, lui réponds-je sans comprendre ce changement d’attitude
soudain.

Je fais mine de me lever pour me servir un verre d’eau et j’en profite pour
jeter un œil à l’écran. Si je voulais me montrer discrète, c’est raté. Je me fige
devant les photos de Joshua. Je fais un pas pour lire le titre d’un article publié
sur un site People :

« Miss Univers en couple ! Avec Joshua Carlson, c’est l’idylle romantique du


moment ! »

Je n’en lis pas plus, les photos parlent d’elles-mêmes. C’est bien lui, je le
reconnais, au bras de la plus jolie femme du monde. Au restaurant, sur un
bateau, dans une voiture… Les clichés, volés, ont été pris à différents endroits,
sûrement à des dates différentes vu les vêtements… Ce n’est pas le pire…

C’est l’expression de Joshua. Détendu, si épris quand il la regarde…

– Eh ben… « Miss Univers » ! Notre chef a du goût ! Mais impossible de


lutter maintenant, glisse une de mes collègues à une autre.

Est-ce que c’est sa méthode pour me protéger ? Sortir les photos de sa relation
avec cette fille ? Prouver à tout le monde qu’il vit une vraie aventure depuis des
jours, voire des semaines ? Accepter qu’elles soient publiées ?

Accepter de dévoiler sa vie privée pour sauver la mienne.

C’est réussi. Je devrais me sentir soulagée mais je ne retiens qu’une seule


chose… Ce regard si doux qu’il pose sur elle…

J’étais quoi, moi ? Un passe-temps quand elle est en voyage ? Un jouet ?

La récréation se termine brusquement quand Tim sort de son rendez-vous


avec… Ross !

J’avais oublié qu’il était un client de l’agence… Il a bien choisi son jour pour
venir ici !

Je prends sur moi, colle un sourire sur mon visage et me dirige vers lui.
Impossible de l’ignorer, Tim m’a montrée du doigt…

– Ross, comment vas-tu ? lui demandé-je aimablement en l’embrassant.


– Je viens voir où en sont mes affaires. Et toi, tout se passe bien ?
– Oh, Kirsten est une stagiaire exemplaire ! répond Tim à ma place. Très
compétente, toujours motivée, un exemple pour les autres !
– Voilà qui plaira à tes parents quand je leur dirai ! relève mon chaperon,
satisfait de tant d’éloges sur mon compte. Ils m’ont partagé leur envie de venir à
New York. Je leur ai proposé de les accueillir, tu n’as peut-être pas envie de les
voir débarquer chez toi !

Ross et Tim échangent un regard complaisant. Qui a envie de voir ses parents
débarquer à l’improviste ?

Surtout pas moi, et surtout pas en ce moment !

– J’ai beaucoup de travail avec la campagne, dis-je en cherchant du soutien


auprès de Tim. Je les ai déjà prévenus que je ne pourrais pas être là pour eux !
Mais si tu veux les accueillir et leur servir de guide, vas-y !
– Je m’organiserai avec eux. On se voit toujours pour notre déjeuner ?
Dimanche ? Qu’en penses-tu ?
– Je t’appelle, il faut que je rejoigne ma responsable. À bientôt !
Je coupe court à la discussion dont Tim n’a pas manqué un seul mot. Mais ce
n’est pas ça le plus important ce soir.

Quand je rentre chez moi, je file directement dans mon lit pour retrouver
l’article.

Est-ce qu’en plus de coucher avec mon boss, je me suis aussi immiscée dans
sa vie de couple ?!

Je ne veux être la maîtresse de personne…

Amante, maîtresse, menteuse… Que suis-je en train de devenir ?


16. Journée noire

Le lendemain, c’est le cœur lourd que je quitte enfin ce bureau où tout le


monde ne parle plus que de Joshua et sa Miss Univers. Il a effectivement réussi à
détourner l’attention sur nous. Mais il a mis un terme à notre « aventure » par la
même occasion. Et il faut avouer que j’en éprouve un petit pincement au cœur.

J’ai foncé tête baissée dans cette relation sans penser que ça pouvait aussi me
faire du mal !

Ou sans vouloir y faire attention…, ironise ma petite voix intérieure.

– Kirsten !

Je me retourne comme un robot et tombe nez à nez sur Tim.

– Vous avez une petite tête, relève-t-il en fronçant des sourcils. Quelque chose
ne va pas ?
– Si, si… Sans doute la fatigue. Rien de grave. Bonsoir !
– Attendez, je ne peux pas vous laisser partir comme ça ! Je ne voudrais pas
que Ross nous accuse de vous malmener ! Venez boire un verre avec moi pour
discuter. En tout bien tout honneur, bien sûr.
– Je suis vraiment fatiguée, je n’ai pas…

… envie de venir avec vous…

– Allez, j’insiste. Ce sera l’occasion de faire connaissance. Après tout, mon


associé vous a choisie pour travailler sur une campagne importante et je n’ai
même pas encore eu la chance d’échanger plus de trois mots avec vous ! Promis,
je vous libère rapidement !

C’est tout juste s’il ne me prend pas le bras pour que je le suive. Je me sens
prise au piège, il ne m’a pas laissé le choix et je le suis jusqu’au café du coin où
nous nous installons en terrasse. Il se commande rapidement un gin et j’opte
pour un soda. Plus raisonnable.

Et si on nous voit ensemble ? Est-ce qu’on ne va pas croire que je me rabats


sur l’associé après ce que nous venons d’apprendre sur Joshua ?

Ce serait passer pour une petite arriviste prête à tout pour réussir.

Génial !

– J’ai entendu les rumeurs, vous savez, commence Tim en me regardant droit
dans les yeux. Je ne cautionne pas ça, tous ces gens qui racontent n’importe quoi
sur votre dos. Vous avez l’air assez sérieuse. Je suis sûr que celui ou celle qui a
fait ça doit être jaloux…
– Je n’y prête pas vraiment attention, me contenté-je de lui répondre, soulagée
qu’il ne me sermonne pas sur le sujet et ne m’en tienne pas rigueur.
– C’est peut-être quelqu’un qui considère que vous lui avez pris sa place.
Depuis ce matin, je m’interroge sur la façon de vous préserver de ça…

Comment ça, me préserver ? Le ton protecteur que Tim commence à prendre


m’inquiète, comme s’il souhaitait s’occuper de moi. Je devrais être
reconnaissante, soulagée qu’il n’y croie pas, mais je ne peux m’empêcher
d’avoir peur. Je n’ai aucune envie d’être au cœur de ses arrière-pensées ! Le
dernier à avoir prétendu vouloir me protéger était M. Groove…

Joshua, lui, ne m’a jamais épargnée et quand il a fallu me défendre, il l’a


réellement fait.

– Merci mais, ça ira. Je pense que la rumeur va s’estomper rapidement,


maintenant que…
– Ne soyez sûre de rien… Le doute est dans toutes les têtes désormais, vous
allez être regardée différemment.
– Je vous le répète, je n’ai pas à m’inquiéter puisqu’il n’y a rien entre Joshua
et moi ! C’est mon patron, mon chef, c’est comme vous et moi, il n’y a rien, il
n’y aura jamais rien ! crié-je presque alors que ma voix monte de façon
incontrôlable dans les aigus. Je suis là pour travailler pas pour séduire qui que ce
soit !

Merde, j’ai paniqué !


Est-ce qu’il va mal le prendre ?

– Je ne doute pas de vous, affirme-t-il calmement, mais peut-être qu’il


vaudrait mieux vous retirer de cette campagne. Je peux en parler à Joshua, lui
dire que j’ai beaucoup de travail à gérer sur mes dossiers et que j’ai besoin de
vous.

Je le regarde, interdite. Mais non ! Il a peut-être de bonnes intentions mais je


ne supporte plus qu’on me pense aussi fragile ! Je déteste l’air paternaliste de
Tim, je déteste les larmes qui me montent aux yeux et je me déteste de m’être
mise dans cette situation ! J’inspire pour me calmer et me donner du courage.

– Je tiens à cette campagne, dis-je fermement, décidée à ce que les choses


soient claires une bonne fois pour toutes. J’ai particulièrement bien avancé sur la
prise de contacts, et travailler aux côtés d’Abigail est une vraie chance. Je ne
quitterai pas ce dossier parce que des rumeurs circulent sur mon compte. Ce
serait injuste et injustifié. Je n’ai rien à me reprocher, je veux juste faire mon
travail.

Le sourire de Tim s’efface. Visiblement, il n’apprécie pas que je refuse son


aide. Est-ce que j’ai eu tort ? Pour la première fois de ma vie, j’ose m’opposer à
quelqu’un de pouvoir, mais je ne sais pas si c’est la bonne solution. Je viens
peut-être de me faire un ennemi. Après les rumeurs, c’est tout ce dont j’avais
besoin…

Pourvu que cette journée se termine vite !

– Eh bien, restez travailler avec Joshua, puisque vous y tenez tant ! s’agace-t-
il. Vous finirez par découvrir sa vraie nature, son ambition démesurée, la façon
avec laquelle il maîtrise les autres. Je voulais vous protéger de ça, mais allez-y !
Il va trop exiger de vous, vous sortirez de cette campagne dégoûtée par le
métier ! Joshua a passé son temps à me marcher dessus, je sais de quoi je parle,
nous avons fait toutes nos années d’études ensemble ! Personne ne le voit,
personne ne le connaît aussi bien que moi. Je vous aurai prévenue !

Plus il vomit ses mots, plus je suis surprise de le voir se décharger autant. Moi
qui les pensais amis… Et il dépeint un portrait… méconnaissable.
– Joshua n’est pas comme ça… Il est attentif et patient ! lâché-je pour le
défendre.
– Ah oui ? Vous avez l’air de bien le connaître… relève Tim en plissant des
yeux.

Attention… Terrain glissant. Je sens le danger. Je viens de refuser son aide, il


peut vouloir se venger.

J’ai le sentiment amer que l’histoire se répète…

– Non… C’est le portrait que m’en a fait Abigail, répliqué-je rapidement en


priant pour ne pas porter préjudice à ma chef. Elle l’apprécie et vous ne partagez
pas le même avis sur lui. C’est tout ce que je voulais dire.

Un profond silence s’installe entre nous. Est-ce qu’il va se mettre à avoir des
doutes ? À nous surveiller ? À observer mes moindres faits et gestes ? Bien que
je doute qu’il se passe encore quelque chose entre Joshua et moi… Mais Tim sur
mon dos, tout le temps ? Une pression supplémentaire sur mes épaules ?

Non !

Alors je dois faire l’effort de paraître détachée par rapport à cette histoire,
montrer que ça ne me touche pas.

– J’ai entendu parler de votre soirée, enchaîné-je rapidement pour détendre


l’atmosphère et rompre le bras de fer. Abigail m’a dit que vous n’invitiez jamais
les stagiaires les années précédentes. C’est très gentil de le faire cette année.

Je lui souris, le plus naturellement du monde, balayant ce qui pourrait jouer


contre moi. Ses traits se détendent, j’ai fait mouche en le recentrant au cœur de
cette discussion.

– Je trouvais ça injuste de vous mettre de côté alors que la majorité d’entre


vous donnent beaucoup à l’agence. J’espère que vous viendrez, Kirsten !
– Oui… Je serai là.

Je feins l’enthousiasme et joue la comédie. Je n’aime pas ce que je fais, j’ai


l’impression d’être fausse, de jouer la carte de la manipulation. Mais en faisant
ça, je me protège aussi un peu.
Enfin, je ne sais plus… Tim, Joshua, les rumeurs, Brenton… Je suis venue à
New York pour travailler dans une bonne agence, mais rien n’est vraiment
comme je l’attendais. Ça devient si compliqué !

– Et vous viendrez accompagnée ?

Mais c’est quoi cette question ?

Il croit quoi ? Que je vais lui répondre : oui bien sûr je viendrais avec Joshua
et vous ?

– Je ne sais pas encore, lui dis-je simplement.

Si je pouvais débarquer à cette soirée avec Logan… Mais ce serait encore


l’utiliser, et ça, je me l’interdis.

Je relance la discussion sur des sujets moins personnels : les dernières


campagnes, le monde de la publicité, les enjeux du numérique… Je tiens le coup
encore quelques minutes, le temps de finir mon soda. J’attends patiemment le
moment opportun pour le quitter, qu’il n’ait ni la sensation que je le fuis (et
pourtant) ni l’occasion de croire que je tiens à prolonger ce moment.

***

Quand je rentre chez moi, à quelques mètres de ma chambre, de ce havre de


paix tant espéré, Liana et Deaken m’arrêtent.

– Un problème ? leur demandé-je en les rejoignant. Ton coloc a décidé de ne


plus partir, Deaken ?
– Ça n’a rien à voir avec moi, se contente-t-il de me répondre en croisant les
bras.
– Kirsten, c’est toi, le problème, intervient Liana les sourcils froncés. On
pensait qu’on pouvait tout se dire, qu’on avait réussi à créer un noyau fort tous
les trois. Mais tu nous mens !
– Ou tu ne nous dis pas tout, tente de l’adoucir Deaken. Logan m’a dit que tu
ne l’as jamais rappelé, pas de nouvelles, rien.
– Et si ce n’est pas lui qui t’a offert la nuisette sexy, c’est qui ? Tu as un autre
mec ?
Deaken m’avait parlé du manque de diplomatie de Liana, j’en prends
conscience de plein fouet. Cette confrontation est la goutte d’eau de cette
journée calamiteuse. Je me laisse tomber dans le canapé et les regarde à tour de
rôle.

Est-ce que mon histoire avec Joshua vaut la peine de les perdre ? J’ai promis
de ne rien dire mais j’ai totalement confiance en eux…

Et au point où j’en suis !

– Oui… Il y a eu quelqu’un, soufflé-je, soulagée aussi de pouvoir me


décharger de ce fardeau. Essayez de ne pas me juger et ça reste entre nous, OK ?

Je leur explique ma rencontre avec Joshua, puis la découverte qu’il était mon
boss, nos rendez-vous sans trop entrer dans les détails, par pudeur et sans
évoquer les règles établies.

– Le voisin du dernier étage ?! s’exclame Liana. C’est vrai qu’il est plutôt pas
mal… Pour un premier, tu n’as pas mal choisi !
– Et du coup, vous vous ignorez au bureau et vous vous retrouvez chez lui ?
J’adore ! surenchérit Deaken.
– Oui… mais… On ne se voit pas si souvent, c’est… Comme ça… Et puis, je
ne sais pas si on va continuer longtemps. En plus, on commence à parler sur
notre dos. On va arrêter, ce n’était pas une bonne idée.

Je ne parle pas de la découverte de cette après-midi. Si je me montre assez


détachée, Liana et Deaken prendront cette relation à la légère et passeront vite
dessus. Et c’est ce qu’il me faut !

– Alors là, Kirsten, tu aurais quand même pu nous en parler, sourit Liana.
C’est dingue, cette histoire ! J’imagine vos deux têtes quand vous avez
découvert que vous bossiez ensemble !
– Et c’est dommage que ça se termine, ajoute Deaken… Ça doit être tellement
excitant de voir son amant toute la journée sans pouvoir le toucher !

Si tu savais…

– Désolée de ne vous avoir rien dit, m’excusé-je. Mais tout a été si rapide,
j’avoue que ça m’a un peu dépassée.
– Et ces rumeurs ? C’est grave ? m’interroge Liana avec sérieux. Ça te
rappelle de mauvais souvenirs ? Tu tiens le coup ?
– Quels souvenirs ? me demande Deaken.

J’hésite un instant puis décide de tout lui raconter. C’est la personne la plus
ouverte d’esprit que je connaisse, il ne m’accusera pas de l’avoir cherché, enfin
j’espère. Sous ses yeux écarquillés, je lui résume mes années de fac.

– Eh beh, Kiki ! Pas marrants, les étudiants de Saint Cloud ! Je t’admire. Et


du coup, tu n’as pas répondu à Liana : ça va, tu tiens le choc ?
– Oui, je me concentre sur mon job, ça va, les rassuré-je en souriant.
– Et Logan ?
– Je l’appellerai, je ne peux pas le laisser comme ça…
– Pourquoi ? Si tu es seule à nouveau, tu peux toujours te tourner vers lui… À
moins que tu n’attendes encore quelque chose de ce Joshua ?

La question de Deaken est pertinente. Non, je n’attends plus rien de lui. Il a


quelqu’un dans sa vie, c’est donc terminé. C’est sans appel !

– Oh, je crois que je vais profiter un peu de ma tranquillité !


– Et si on allait se manger une pizza chez Marco ? Kirsten a franchi un cap
dans sa vie de femme, ce n’est quand même pas rien ! nous lance Liana en se
levant, manquant de faire basculer une de ses œuvres. Et j’ai faim !

La soirée se termine sur une meilleure note. Je n’échappe pas aux questions, à
leur envie de tout savoir, mais Deaken calme l’enthousiasme de Liana en lui
rappelant qu’il est là.

– Vous parlerez de virginité, petite fleur et compagnie quand vous serez seules
toutes les deux, épargnez-moi ça !

Je respire un peu mieux en me couchant ce soir. J’ai conservé l’essentiel de


ma vie en ce moment : la complicité qui me lie à Deaken et Liana. Leur soutien
m’est d’un grand secours, j’ai besoin d’eux. Ils sont ma force et mon réconfort.

Les seules personnes qui comptent vraiment ici.


17. Jouer avec le feu

Je débarque en taxi devant la maison de Tim et de sa femme, une demeure


assez cosy qui semble déjà bien animée. Je fais le tour pour me retrouver dans un
grand jardin où des lampions suspendus côtoient des lampes plantées dans le sol.
C’est magique, magnifiquement décoré. Nos hôtes nous offrent une vraie
réception, avec serveurs, petits fours, musique à l’intérieur… Je comprends très
vite que nous ne sommes pas les seuls de l’agence à être conviés puisque je
croise aussi quelques clients.

J’ai bien fait d’écouter Liana pour mes vêtements. J’étais prête à partir dans
une tenue simple quand elle m’a arrêtée pour me demander où se tenait la soirée
et par qui elle était organisée. Avec toutes les informations en tête, elle m’a
traînée dans sa chambre et tendu une robe de cocktail, bordeaux, près du corps,
un décolleté vertigineux dans le dos. Elle a rassemblé mes cheveux dans un
chignon soigné, prêté des boucles d’oreilles tombantes, maquillée légèrement et
m’a regardée des pieds à la tête, satisfaite du résultat.

– Ce n’est pas une soirée bières pizzas entre collègues, Kirsten, m’avait-elle
dit alors que je commençais à riposter. Tu sors dans un des coins les plus classes
de la ville, le carton d’invitation est imprimé avec des lettres en relief doré !
C’est le signe que c’est une soirée classe. Et dans ces cas-là, on s’habille !

Je prends le temps de lui envoyer un message pour la remercier d’avoir


insisté. La tenue que j’avais choisie, jupe et top crème, n’aurait pas été
suffisante. Même les serveuses auraient été mieux habillées que moi !

J’attrape une coupe de champagne et cherche une tête connue. Là-haut, sur la
terrasse, j’aperçois Tim en pleine discussion, une femme à ses côtés. La sienne
sans doute. J’essaie de m’éclipser mais trop tard, nos yeux se sont croisés et je le
vois aussitôt descendre rapidement les marches qui nous séparent.

– Kirsten, vous êtes venue ! Et seule ?


Tim m’embrasse, un geste un peu trop familier, alors que sa femme nous
rejoint au même moment. Il n’a pas un mot pour elle, il ne nous présente même
pas… Mal à l’aise, je cherche vraiment quelqu’un, une tête familière, mais Tim
engage la conversation :

– Je vais vous présenter à certains de nos clients importants. Vous serez peut-
être amenée à travailler avec eux un jour !

Donc tout est pardonné ?

Et le voilà qui m’entraîne par le bras, délaissant sa femme qui retrouve le


sourire auprès d’un groupe d’invités. Il enchaîne les verres de whisky, parle de
plus en plus fort. Ça devient non seulement gênant, mais je sens que les regards
sur lui changent et, par extension, sur moi aussi… Et je n’arrive pas à m’éclipser
poliment.

De l’aide… Il me faut de l’aide…

C’est ce que j’espère recevoir en voyant Joshua au loin, lui aussi en pleine
discussion. Mais il est tourné vers nous et il ne rate rien du spectacle que donne
son associé.

– Monsieur, nous avons un souci en cuisine, vient lui souffler un maître


d’hôtel.
– Demandez à ma femme, c’est elle qui…

Je n’entends pas le reste de sa phrase. Je saute sur ce moment d’inattention


pour filer à l’anglaise. Je remonte vers la terrasse de la maison, où je peux enfin
souffler. Seule.

Je n’ai même pas eu l’occasion de rentrer à l’intérieur de la maison. J’aurais


eu plus de chance de tomber sur Abigail. Ou même Brenton ! N’importe qui sauf
Tim !

– Il fait bon, ce soir, fait une voix douce à mes côtés.

Je me retourne et me fige. La femme de Tim est là, devant moi, et ses yeux
clairs transpercent les miens. Il n’y a pas d’animosité dans son regard, mais une
profonde tristesse.
– Il fallait bien que ça arrive un jour, murmure-t-elle comme si elle se parlait à
elle-même. Vous êtes la maîtresse de mon mari ? Vous pouvez me l’avouer, je ne
suis pas du genre à faire une scène vous savez. Mais je veux entendre la vérité.

Je manque de m’étouffer avec une gorgée de champagne.

– Non ! répliqué-je aussitôt. Sûrement pas, je ne suis pas la maîtresse de votre


mari !

Je suis horrifiée par ce qu’elle est en train de s’imaginer. Et j’en veux


terriblement à Tim de lui laisser croire le pire.

– Pardonnez-moi, finit-elle par me dire. Oubliez ma question, je sens mon


mari tellement préoccupé en ce moment. J’ai cru qu’il y avait une autre
femme… C’était indélicat de ma part de vous accoster de cette façon.
– Je… Ce n’est rien…

Que lui dire ? Que je la comprends complètement vu l’attitude de son mari !

– Annie, je te trouve enfin !

Au tour de Joshua d’apparaître à nos côtés. Et à son tour de me sonder du


regard avant d’embrasser la femme de Tim sur la joue.

– Cette soirée est très réussie. Merci de nous accueillir aussi nombreux ! la
félicite-t-il en lui tendant une coupe de champagne.

Mais nos airs gênés, à elle comme à moi, ne lui échappent pas.

– Quelque chose ne va pas ? demande-t-il, sourcils froncés.


– Tout va bien, s’empresse de répondre Annie. Je faisais connaissance avec
cette charmante personne.
– Kirsten vient d’arriver à l’agence, elle travaille avec moi sur la campagne
dont je t’ai parlé.
– Oh ! C’est vous ! s’exclame-t-elle en me regardant d’un œil neuf. J’ai croisé
Abigail qui me parlait justement de son plaisir de travailler avec vous !
– Merci… soufflé-je, toujours aussi mal à l’aise.

Une femme qui m’a prise pour la maîtresse de son mari à ma droite, un amant
perdu à ma gauche, il ne manquerait plus que Tim pour parfaire cette soirée !

– Annie, tu devrais surveiller Tim, je crois qu’il a un peu trop forcé sur
l’alcool ce soir, lui confie doucement Joshua.
– Je vais m’en occuper, sourit-elle. Tu le connais, il prend un verre avec tout
le monde et il ne sait plus qui il est en fin de soirée.

Annie me fait un signe de tête avant de s’évanouir dans la maison. Je me


tourne vers le jardin, prête à partir moi aussi pour m’éviter un autre tête-à-tête
désagréable. Mais Joshua me retient par la main et m’invite doucement à le
rejoindre.

Aussitôt, mes sens sont en alerte et je tais le frémissement de mon corps.


Nous sommes entourés de nos collègues, n’importe qui aurait pu voir son geste.
Après ce qu’il vient de se passer avec Tim, je n’ai pas envie de susciter un autre
malentendu désagréable.

– Abigail a raison, commence-t-il d’une voix enveloppante. Tu fais un très


bon travail sur la campagne, j’ai vu tes échanges avec les anciens étudiants. Si je
t’avais renvoyée comme je le souhaitais au début, je l’aurais certainement
regretté.

Joshua s’approche de moi, nos bras se frôlent. Je recule pour mettre une
distance raisonnable entre nous. Un geste qu’il comprend aussitôt.

– Ne t’inquiète pas, on peut discuter librement. Les rumeurs sur nous sont de
l’histoire ancienne maintenant.

Il se tourne vers la maison, prend appui contre la rambarde de la terrasse et


porte son verre à ses lèvres. Il est d’un calme olympien, d’une assurance sans
faille. Je lui en veux, à ce moment précis, d’être totalement indifférent à ce que
je ressens. Se soucie-t-il de mon avis sur sa relation fraîchement officialisée ? Ne
s’en rend-il pas compte ? Croit-il que je vais continuer comme si de rien n’était ?

Non !

– De l’histoire ancienne… Tout comme notre… nos rencontres, arrivé-je à


dire la gorge serrée. Je vous souhaite plein de bonheur avec Miss Univers.
Alors que j’ai la ferme intention de le planter là et de vraiment partir cette
fois, en finir pour de bon avec cette soirée, Joshua me retient une nouvelle fois
par la main.

– Je t’ai dit que je m’occuperais des rumeurs, me glisse-t-il sur un ton


complice, sourire aux lèvres. Je ne sais pas encore qui les a lancées, mais je
trouverai. En attendant, une rumeur chasse l’autre.

Comment ça, une rumeur chasse l’autre ?

– Ce n’est pas vrai ? ajouté-je tout haut.


– Non ! s’exclame Joshua en souriant. Tout ça n’est qu’un montage et le fruit
du talent d’un très bon photographe. Je connais Miss Univers, c’est une amie,
elle a accepté de me donner un petit coup de pouce. Demain, elle sera dans les
bras d’un autre, ce sera à mon tour de revenir dans l’ombre. Tout passe… Sauf
mon attirance pour toi. Cette robe…

Je reste sans voix. Il me faut un peu de temps pour percuter que Joshua est
libre et qu’en plus, il me désire toujours. Et qu’il me le dit, droit dans les yeux, à
quelques mètres des autres invités.

C’est tellement… grisant !

Mon cerveau s’active à mille à l’heure pour intégrer toutes ces données, pour
réveiller ce que j’avais déjà commencé à enfouir. Mon corps, lui, n’a pas besoin
d’autant de temps, surtout quand Joshua s’approche un peu plus près de moi et
pose sa main dans mon dos nu.

– Je connais un endroit ici où nous pourrions être tranquilles, souffle-t-il près


de mon oreille, si près que je peux sentir la chaleur émaner de son corps.

Un petit sourire naît sur mes lèvres, trahissant mon plaisir.

– J’aime jouer avec le feu, mais je ne tiens pas à te compromettre. À toi de


voir si tu veux continuer ton initiation avec moi. Rejoins-moi dans la maison
d’amis, au fond du jardin, dans cinq minutes. Je ne t’attendrai pas longtemps,
décide-toi vite.

Et il me laisse.
Lui tranquille et serein alors que moi, je tremble légèrement.

Ici, au milieu des collègues ? Et si on nous voit ?

Qu’est-ce que je fais ?

Je me pose la question, juste pour la forme. J’ai envie de le rejoindre et de me


laisser porter par cette excitation. Celle de l’interdit. Et celle surtout de me
fondre dans ses bras…

Envolées, mes peurs et mes bonnes résolutions.

Je le regretterai sûrement mais je n’ai pas la force de résister. J’attends une


minute, que Joshua disparaisse de mon champ de vision puis, à mon tour, je
redescends vers le jardin. J’évite de croiser des regards et je me dirige, comme si
je me promenais, vers l’obscurité, là où les lumières n’ont pas été installées.

La maison d’amis est moins loin que ce que je pensais.

J’espère qu’un autre couple n’aura pas eu la même idée que nous…

J’entre en prenant soin d’enlever mes talons. Tout est sombre ici. Un instant,
je doute que Joshua soit vraiment là tant tout est silencieux. Peut-être a-t-il été
retenu sur le chemin ? Rattrapé au vol par un client ?

Je suis prête à l’attendre s’il le faut… Mon corps serait incapable de me porter
hors d’ici, tant il n’attend que cette rencontre.

Une ombre jaillit soudain et s’abat sur moi. Je n’ai pas le temps de réagir que
les lèvres de Joshua se pressent contre moi. Le temps est compté, il ne peut pas
s’absenter très longtemps, et ici, à quelques mètres de la maison, la cachette
n’est pas des plus idéales. De la fenêtre, je vois au loin les invités…

S’ils savaient…

Joshua me pousse à prendre appui sur le dossier d’un canapé et remonte ma


robe jusqu’à la taille. Très vite, je défais sa ceinture, déboutonne son pantalon.
L’urgence du moment m’évite de me poser des questions. Je sais ce que je veux,
ce que nous voulons lui et moi. Assouvir notre désir, même si ça doit être rapide.
J’entends un bruit de plastique déchiré, j’en profite, portée par une soudaine
désinhibition, pour jeter ma culotte au sol avant de descendre son boxer pour
prendre son sexe chaud dans ma main. Je le sens frémir… Et une brusque vague
d’excitation me soulève encore un peu plus. Je veux le sentir bouger en moi. Je
veux m’accrocher à lui…

Joshua m’entraîne dans le canapé, s’assied en premier et me pousse à venir


sur lui. Je ne sais pas ce qui me prend, ce qui coule dans mes veines à ce
moment-là, cette adrénaline qui me fait perdre toute hésitation. Je m’empale sur
lui en le regardant droit dans les yeux, et commence à bouger, jusqu’à trouver le
rythme qui nous fait gémir tous les deux. Joshua attrape mes fesses, les malaxe
entre ses mains…

Si je n’avais pas ma robe, j’aimerais que sa bouche vienne s’écraser sur mes
seins, qu’il me morde les tétons ! Ce fantasme me pousse à aller encore plus vite,
plus loin aussi, à tel point que Joshua m’oblige à ralentir ma cadence.
Impossible. L’excitation est telle que l’orgasme me prend en premier et que je
m’effondre sur Joshua.

– J’en veux encore… arrivé-je à dire à bout de souffle.


– Compte sur moi !

Joshua se redresse et, une fois debout, il me retourne… Alors que je proteste
de le voir s’éloigner, il me pousse légèrement en avant et… Je prends appui sur
le dossier du canapé, goûte à cette position inédite pour moi et je dois étouffer
mes cris quand il s’enfonce à nouveau en moi. Son rythme est rapide, ses mains
couvrent mes seins, se glissent sous ma robe toujours relevée à la taille pour
jouer avec les pointes tendues.

Ce soir, je ne sais pas ce qui m’arrive, mais toutes mes sensations sont
décuplées. J’en veux encore plus alors que j’en aurai moins que d’habitude. Le
plaisir que je ressens est complètement disproportionné ! Est-ce l’urgence, le
danger d’être découverts, le manque qui me transcendent totalement ? Derrière
moi, le souffle de Joshua devient rauque et je comprends, quand ses mains se
crispent sur ma taille, qu’il vient de jouir lui aussi.

Il m’aide à me redresser, retrouve ma culotte au pied du canapé et me la tend.


Je tente de me rhabiller mais il est là, derrière moi, et il commence à me
mordiller la nuque.

– Ne mets jamais cette robe au bureau… À moins que tu ne veuilles toi aussi
jouer avec le feu et que ça ne se termine dans un placard …

L’idée me plaît, surtout si elle doit provoquer la même montée d’adrénaline


que maintenant. Et le même happy end.

– Prête ? me demande-t-il sur le pas de la porte.


– Parce que tu veux qu’on y aille, ensemble ?
– On va passer par l’accès à l’arrière de la maison et on se séparera dans les
couloirs, m’apprend-il amusé. Fais-moi confiance, je ne te ferais pas courir de
risques inutiles. Les gens se poseront des questions s’ils te voient sortir de ce
coin du jardin.

Il a raison. Alors que dans la maison, je pourrai prétexter un retour des


toilettes… Je vérifie rapidement mon chignon, lisse ma robe et je suis Joshua en
silence, toujours portée par ce délicieux plaisir que je viens d’éprouver. J’ai peut-
être les joues un peu rouges ? Les yeux qui brillent ? Un sourire idiot sur les
lèvres ? Je pourrais dire que ça m’est égal… Mais ici, je dois rester prudente.

Le temps de trouver un taxi et de filer chez moi !

Je pousse un soupir de soulagement quand nous entrons dans la maison sans


avoir croisé personne et sursaute quand nous nous trouvons face à Tim.

– Vous sortez d’où tous les deux ? fait la voix alcoolisée de Tim. Je te
cherchais partout Josh. C’est pas bien de délaisser ses clients, tu le sais !

Je sens Joshua se crisper à mes côtés, son visage se fermer. Tim s’approche de
nous en titubant. Il fait peine à voir, vraiment.

Mais avec un peu de chance, il a tellement bu qu’il aura peut-être oublié


demain qu’il nous a croisés !

– Dis donc, cette histoire avec Alya, tu ne m’en as jamais parlé, ajoute-t-il en
pointant son doigt sous le nez de Joshua. C’est pas la fille de tes amis ?
– Tu as trop bu, Tim, je vais te monter dans ta chambre. Tu ne peux plus
croiser personne dans cet état ! rétorque mon chef en l’attrapant par le bras.
– Laisse-moi… Je suis en parfait état de… Je vois bien votre petit jeu tous les
deux… Kirsten… Après notre verre, je croyais que vous étiez sincère, mais là…

Est-ce que c’est l’adrénaline qui coule encore dans mes veines ? Cette
assurance nouvelle dont il me reste encore un peu de souffle ? Ou la peur que
Joshua croie que quelque chose se joue entre Tim et moi ? J’explose :

– Arrêtez de me prendre à partie, de vouloir me protéger, arrêtez de raconter à


qui veut l’entendre que votre ami est un type méprisant et arrogant alors qu’il en
est l’extrême opposé ! Si quelqu’un doit se reprocher quelque chose ici, c’est
vous. Pas moi ! Ni Joshua !

Tim s’apprête à riposter quand il est retenu fermement pas son ami.

– Tim, ça suffit ! intervient froidement Joshua. Va te coucher ! La soirée est


terminée pour toi !
– Je fais ce que je veux ! lâche l’alcoolisé en se libérant de l’emprise de son
associé.

Il titube, mais nous laisse, non sans me jeter un regard noir. Il doit lui rester
encore une once de raison parce qu’il ne cherche pas à retourner dans les
salons… Mon cœur bat très fort, je ne regrette pas mes mots, mais j’ai peur de
leurs conséquences. J’ai tenu tête à Tim pour la deuxième fois.

– Quel verre ? me demande Joshua visiblement contrarié.

Encore glacée par l’échange, je raconte ce rendez-vous imposé par Tim, ce


qu’il a raconté à son sujet, sur sa proposition de travailler avec lui pour
m’épargner la soi-disant pression que Joshua mettait sur ses employés.

– Hum, je vois… Je comprends mieux ta réaction. Je m’occuperai de lui.

Je ne ressens chez Joshua ni colère ni déception. Il est encore une fois dans le
contrôle et ses traits ne laissent rien transparaître.

– Je vais rentrer, finis-je par dire, soudain lasse.


– Je vais faire pareil, mais pars la première cette fois.

Je ne me le fais pas dire deux fois et me retrouve rapidement dans la rue. La


maison de Tim et Annie se trouve dans un endroit assez calme, peu passant, et je
dois marcher pour trouver une artère un peu vivante où espérer trouver un taxi.

J’entends dans mon dos une voiture arriver, puis ralentir. Le genre de chose
qui met mal à l’aise, surtout quand on est une femme seule dans une rue déserte.

– Kirsten, monte ! entends-je crier. Je te raccompagne ! Hors de question que


tu te promènes seule dans cette tenue !

Je tourne la tête, soulagée par cette voix familière et vois Joshua m’ouvrir la
porte de son SUV. Me retrouver de nouveau seule avec lui, c’est la promesse de
continuer ce que nous avons commencé, dans la maison d’amis…

Dans la seconde qui suit, je suis assise à ses côtés, dans l’obscurité du
véhicule.

– Ne t’inquiète pas pour Tim, me dit soudain Joshua, le regard fixé sur la
route. Il n’est pas méchant et ce n’est pas son genre de se mettre dans cet état.
Quelque chose ne va pas, je n’ai pas pris le temps de beaucoup discuter avec lui
ces dernières semaines… Je le ferai, avant qu’il ne te mette plus mal à l’aise que
ce soir.
– Si c’est possible…

Joshua esquisse un sourire et le silence nous enveloppe à nouveau.

Quand nous arrivons en bas de notre immeuble, il se contente de me déposer.


Au moment où j’ouvre la porte, il pose une main sur ma cuisse.

– Rentre et repose-toi. J’ai besoin que tu sois en forme, pour l’agence et


pour… le reste, me dit-il en se penchant vers moi, comme s’il allait
m’embrasser.

Mais il ne le fait pas. Il s’arrête à quelques centimètres de mes lèvres, son


regard plongé dans le mien.

Quoi ? Pourquoi est-ce qu’il s’arrête ?

– C’est très dur de te résister Kirsten…


Son ton est grave, son regard profond. On dirait une confession de sa part, un
aveu. Qui me laisse sans voix. Puis il se recule et tourne la tête vers la route en
silence. Je comprends que c’en est terminé pour ce soir. Je sors de sa voiture,
comme un robot.

Dur de me résister ? Mais… C’est moi qui ne résiste jamais, qui suis
complètement à sa merci. Lui, il se contrôle toujours ! Enfin, il a l’air…

Joshua est un mystère. Il jongle avec les situations à la perfection, met en


toute occasion le masque qu’il faut. Je ne sais même pas qui il est vraiment, il
brouille sans cesse les pistes. Un jour distant, un jour joueur, un autre amant, et
là maintenant, ce demi-aveu, cette confidence, qui me laisse croire qu’il m’ouvre
une porte plus personnelle, plus intime.

À moins que je ne me fasse des idées et que ce soit un autre aspect de son jeu
avec moi !
18. Sentiments troubles

Une semaine a passé et la soirée a laissé des traces entre Joshua et Tim.
Beaucoup se moquent de l’attitude très alcoolisée de Tim, parlent du froid qui
règne entre les deux hommes. Je ne serais pas surprise qu’une mise au point ait
eu lieu entre eux aussi après tout ce que j’ai pu lui dire.

Au moins, on ne parle plus des rumeurs à mon sujet… Mais Tim a cessé
d’être aimable et souriant avec moi. Est-ce qu’il se souvient de la façon dont je
lui ai tenu tête ? Aucune idée. Mais à chaque fois que nous nous croisons, il reste
professionnel et me demande uniquement un rapport de notre avancée sur la
campagne.

– Vous avez commencé les tournages ?


– Non pas encore, il faut que…
– Il y a beaucoup d’intervenants ? Méfiez-vous de ceux qui acceptent trop
vite ! Et vous êtes sûre que tout le monde raconte bien la vérité ? Qu’on ne nous
colle pas de procès pour diffamation !
– Oui, je…
– Joshua valide bien toutes les étapes, n’est-ce pas ?

Même Abigail a droit à ces interrogatoires. Mais je ne sais pas ce qu’il y a de


pire. La pression de Tim ou la présence de Joshua. Depuis qu’il m’a glissé avoir
du mal à me résister, j’y pense à chaque réunion, à chaque regard. Je me
demande toujours s’il repense à la soirée, à cette idée de placard, à la possibilité
de se laisser aller aussi vite et avoir autant de plaisir…

Non, ça, c’est plutôt moi qui y pense tout le temps !

Pour moi aussi, il y a un avant et un après cette soirée. Ce soir-là, j’ai senti
comme une libération, dans mes gestes, comme un lâcher-prise complet. Sans
interrogations, sans crainte.

Parce que du côté de Joshua, quelque chose aussi a changé. C’est


indescriptible, mais je le sens moins distant. L’attraction est toujours palpable
entre nous. Il suffit d’une réunion en petit comité, d’un effleurement à la
machine à café, de regards lourds de sous-entendus, pour que mon corps
s’embrase. Je fais tout pour que rien ne transparaisse, pour que ce trouble
désormais incessant n’impacte en rien mon travail.

Joshua, lui, se contrôle toujours à la perfection. Il s’adapte juste et je peux


vibrer une journée complète ou au contraire rester à mon poste, sans un seul
signe de sa part.

– Allez, Kirsten, un dernier effort et c’est le week-end ! me lance Abigail avec


son éternelle bonne humeur. Tu me prépares un planning de tous les
intervenants ?
– Je te fais ça, lui lancé-je en sortant de ma douce torpeur. J’avais déjà
commencé, ça ne devrait pas me prendre trop de temps.

Je replonge dans mes échanges avec les anciens étudiants pour une ultime
vérification, histoire de n’oublier personne. J’ouvre mes mails et je reste soudain
bloquée sur l’un d’entre eux. Je relis, pour être sûre de bien comprendre.

« Cette idée de campagne est complètement stupide. On nage dans


l’hypocrisie, surtout quand on connaît les créateurs ! »

Je n’ai qu’un simple prénom en guise d’expéditeur.

Eunice.

Je lève la tête pour le signaler à Abigail, qui balaie ce message avec une
parfaite indifférence.

– Il y aura toujours des mécontents. Je m’étonne d’ailleurs que nous n’en


ayons pas eu plus !

Elle a raison. Je supprime le message et m’attelle à ma dernière tâche avant le


week-end. Autant dire que je l’attends beaucoup, celui-là, juste pour pouvoir
souffler, m’offrir une grasse matinée demain et pourquoi pas… traîner un peu.

Et peut-être recevoir une invitation ?


***

Je rentre chez moi ce soir-là avec un seul objectif : profiter d’un peu de
tranquillité, d’une soirée normale, sans trop penser à Joshua, ni à ses mains,
encore moins à son sexe, encore moins à comment il sait si bien me faire jouir…
Rien de tout ça !

Mais pour la tranquillité, c’est râpé !

– Tu ranges ? demandé-je, surprise, quand j’aperçois Liana mettre en carton


ses œuvres.
– J’ai peur qu’elles tombent ici… Je vais leur trouver un meilleur endroit, les
exposer peut-être, mais il faut que je trouve le local, que je fasse ma
promotion…

À moins que je ne comprenne rien à l’art…

Je suis contente que Liana ne se soit pas découragée, même si je suis soulagée
qu’elle débarrasse le salon ! Ses premières créations ne me paraissaient pas très
réussies mais ma cousine s’est nettement améliorée depuis.

Je l’aide à emballer délicatement ces amas de terre cuite pour leur prochaine
vie. Notre appart reprend doucement son allure et je ne vais pas m’en plaindre !
On pourra enfin circuler librement, profiter du grand canapé…

– Mais je sens déjà monter la frustration en moi, ajoute-t-elle une fois que tout
est terminé. Je sens l’oppression, là dans ma poitrine.
– Tu veux qu’on ressorte tout ça ?!

J’espère que non… Mais j’ai l’impression que je dois m’attendre à tout, avec
Liana…

– Il faut que je crée à nouveau, me lâche-t-elle soudain en commençant à faire


les cent pas dans le salon. Que je trouve une nouvelle forme d’expression. Tu
vois ? Plus j’aurai de choses à exposer, plus les gens comprendront à quel point
l’art est vital pour moi !
– OK… avancé-je prudemment.

Adieu salon bien rangé…


– De la peinture ! Je vais me lancer dans les toiles ! Aquarelle, gouache… Et
pourquoi pas de la peinture en bombe ! Je vais tout essayer !

Liana saute sur place et fait voler ses cheveux blonds autour de son visage.

– Tu comptes faire ça… dans ta chambre ? tenté-je naïvement.


– Bien sûr que non, je n’ai pas assez de place. On va réorganiser le salon, j’ai
besoin d’un coin à moi… Tu viens ?
– Où ?
– Acheter de la peinture, des toiles, un chevalet, tout ce qu’on trouvera !

Nous sommes vendredi soir et Liana vient d’être frappée d’une nouvelle
lubie. D’habitude, on sort prendre un verre pour fêter le week-end, pas faire les
magasins !

En bas de l’immeuble, quand Liana s’arrête pour prendre un appel, qu’elle me


glisse que c’est Deaken, un petit espoir renaît. Avec un peu de chance, il nous
invite à le rejoindre ? Liana n’achètera rien sur un coup de tête et demain, son
idée lui sera passée ?

– Il veut qu’on le rejoigne, m’apprend-elle. Un truc à nous montrer, ça a l’air


urgent.

Bingo !

– Eh bien allons-y ! dis-je sans attendre. Il est où ?

L’enthousiasme de Liana vient de retomber comme un soufflé raté, mais je la


rassure : elle aura tout le temps ce week-end d’aller chercher du matériel, et elle
retrouve vite le sourire.

Dix minutes plus tard, nous sortons du métro pour le retrouver dehors, sur le
trottoir.

– J’espère que c’était vraiment urgent, parce que tu viens de frustrer ma fibre
créative !
– Elle se lance dans quoi, cette fois ? me demande Deaken en se tournant vers
moi.
– La peinture…
– Outch… Si tu veux venir habiter à la maison, Kiki, n’hésite pas !
– Moquez-vous ! Alors c’est quoi ce truc que tu voulais nous montrer ?
– Tadam !

Deaken saute littéralement devant les vitrines d’un magasin fermé, bras
grands ouverts. Liana et moi échangeons un regard surpris, et notre ami soupire
devant notre manque de réaction.

– Voilà ma prochaine boutique ! s’exclame-t-il. Mon prochain lieu de travail


où je serai l’unique responsable. Mon monde, mon univers, mes choix ! Ma ligne
de vêtements pour hommes, les créateurs que j’aime, les styles que je préfère,
des costumes, du casual, tout ce que je veux vendre !
– Oh, Deaken ! C’est génial ! s’écrie Liana en lui attrapant les mains, gagnée
par l’excitation.
– Oui ! Il y a tout ici, tout l’espace dont je vais avoir besoin ! Le coin
magasin, le petit salon pour les prises de mesures, une immense réserve pour les
stocks… Il y a aussi plein de travaux à prévoir, mais je crois que j’ai enfin trouvé
mon lieu idéal !

Liana pose ses deux mains sur la vitre pour voir à l’intérieur.

– Tu ouvres quand ? lui demande Liana, excitée comme une puce.


– Il y a un point noir… Il me manque cinq mille dollars pour avoir les clés,
grimace-t-il.
– Cinq mille ?! répété-je.
– Allez, ça va se trouver ! Je vais faire des heures sup et gagner un peu plus
de pourboires… On peut faire un vide-dressing, hein Kirsten !
– Oui, on trouvera une solution, ajouté-je. Je veux t’aider moi aussi, vous
m’avez accueillie dans votre groupe sans me juger, vous avez été patients… Je
veux en être, Deaken, je pourrai t’aider pour la publicité et t’avancer de l’argent.
Je pensais me trouver un petit job, ça me motive encore plus à le faire ! On va se
serrer les coudes et tu l’auras, ta boutique !
– Je n’aurais pas mieux dit, me glisse Liana.
– Vous êtes les meilleures ! Je vais tout faire pour trouver un autre moyen
d’obtenir un prêt mais c’est bon de savoir que je peux compter sur vous !

Nous nous tombons dans les bras, tous les trois, en plein milieu du trottoir,
empêchant la bonne circulation des piétons. J’ai vraiment envie de l’aider à
réaliser son rêve !

– Si tu veux vendre tes anciennes fringues Kiki, je connais un endroit parfait


pour ça, plaisante-t-il pour masquer son émotion.
– Ah oui ?
– À l’église !

Je lui décoche un coup de coude dans les côtes et, bras dessus, bras dessous,
j’entraîne mes amis avec la ferme intention de fêter ça autour d’un verre. Ce
vendredi soir sera festif !

Alors que notre soirée improvisée bat son plein, je reçois un message.

[Rendez-vous demain, 10 h.
Un taxi passera te prendre. J]

Un rendez-vous en journée ? Quelle idée a encore traversé la tête de Joshua ?

En même temps, s’il m’avait proposé un rendez-vous ce soir, j’aurais dû


choisir entre lui et mes amis… Et qu’est-ce que j’aurais fait ? J’aurais planté mes
amis pour ne pas risquer de contrarier Joshua ? Après la nouvelle de Deaken, il
l’aurait certainement mal pris si je ne participais pas à ce moment de joie pour
lui, alors qu’ils m’ont tellement bien intégré dans leur vie à eux…

Heureusement, je n’ai pas à choisir. Je n’ai pas à me poser de questions sur


ça. Je peux me concentrer sur mes amis et sur mon rendez-vous de demain. Dix
heures… Où allons-nous aller ? Qu’allons-nous faire ? Comment je m’habille ?

Le mystère de Joshua fait naître une boule d’anxiété dans mon ventre, mais
pas seulement. Puisqu’à chaque fois que nous nous voyons, le désir est au
rendez-vous. D’ailleurs, je le sens déjà poindre… C’est plus fort que moi.

Je vais retrouver Joshua et… tout le reste…

Mes amis surprennent mon petit sourire et en moins d’une seconde, je suis le
centre de leur attention.

– C’était qui ? me demandent-ils en chœur.


– Quelqu’un…
– Kirsten. Tu nous dis tout, sinon… j’installe mon chevalet dans ta chambre !
– Et elle viendra peindre la nuit ! surenchérit Deaken. C’est vers une heure du
matin que tu as le plus d’inspiration, n’est-ce pas ?
– Tout à fait !

OK, avec ces deux-là, je n’ai rien à espérer. Aucun ne me sauvera de l’autre.

– C’est… Le voisin. Il me donne rendez-vous demain, à dix heures…


– Vous continuez de vous voir ?!

J’explique à Liana et Deaken la stratégie de Joshua pour me protéger des


rumeurs, sa fausse relation avec Miss Univers, l’attention de nos collègues
détournées, qui nous permet de continuer à nous voir, mais toujours en secret.

– Eh beh… lâche ma cousine ébahie. Ce mec ne veut peut-être pas s’investir


dans une vraie relation avec toi, mais on peut dire qu’il prend soin de toi et se
démène pour que vous soyez ensemble !

La remarque de Liana me va droit au cœur. Je me sens un peu moins coupable


d’accepter cette relation déséquilibrée : je suis complètement sous la domination
de Joshua mais il est moins distant qu’il ne voudrait bien le dire.

Ou alors c’est ce que j’aimerais croire…

***

Le taxi me dépose à l’héliport, à ma grande surprise. Je ne vois pas Joshua


tout de suite, c’est même tout juste si je le reconnais dans le contre-jour. Il
m’apparaît auréolé de soleil, décontracté, en jean et tee-shirt gris. Ses beaux
yeux verts scintillent et un court instant, je me sens prise au dépourvu. J’ai un
autre Joshua devant moi. J’ai l’impression que l’on se retrouve sur un pied
d’égalité. Pas de hiérarchie, c’est très… naturel.

Il y a quelque chose de plus que d’habitude. Chez moi en tout cas. Un petit
pincement au cœur que je balaie rapidement.

– Je croyais que nous ne devions pas avoir de rendez-vous dans un lieu


public, lui glissé-je, curieuse de connaître les raisons de ma présence ici.
– Nous serons tranquilles dans les airs…
Joshua m’invite à le suivre avec un petit sourire très mystérieux. Nous filons
sur le tarmac et je comprends qu’un hélicoptère nous attend. Je n’ai jamais pris
ce genre d’engin et l’adrénaline fait pulser mon cœur. J’aime les sensations
fortes, et un tour en hélicoptère, c’est magique !

– Où allons-nous ?
– Tu verras. Tu me fais confiance ?

Joshua me tend la main pour m’aider à grimper. Une main que j’attrape, sans
aucune hésitation.

– Toujours, dis-je dans un souffle.

Une fois que nous sommes installés et équipés de nos casques, le pilote nous
emporte loin du sol. Je suis incapable de contenir mon enthousiasme, j’ai le nez
collé à la fenêtre quand New York s’offre à nous. Et quand on approche de la
statue de la Liberté, que la vue devient imprenable, je suis obligée de me serrer
un peu contre Joshua pour regarder de son côté. Une proximité que je ne calcule
pas, elle est complètement spontanée. J’adore ce que je vois, ce sentiment de
voler, cette liberté… Je partage ma joie dans le micro et je vois bien que Joshua
est amusé.

– Tu te moques de moi ?
– Pas du tout ! s’exclame-t-il. Ça fait du bien de voir quelqu’un de passionné !

Je rougis sous l’intensité de son regard et préfère me concentrer sur ce que je


vois dehors.

Moins dangereux

– C’était magnifique, lui dis-je, alors que nous nous éloignons.


– Ce n’est pas fini…
– Quoi ?!

Joshua tourne son regard vers l’horizon, son petit sourire en coin toujours sur
les lèvres. Je retiens mes questions, décidant de me laisser porter, de profiter un
maximum de ce vol et de la présence de Joshua. De ce cadeau qu’il me fait, tout
simplement…
Une demi-heure plus tard, nous survolons les plages des Hamptons, l’océan.
Et nous nous posons sur une large pelouse, derrière une maison.

– Bienvenue chez moi, me lance Joshua en me tendant une nouvelle fois la


main.
– Chez toi ?!
– J’ai une maison ici, au bord de la plage. C’est ici que je viens me ressourcer
quand j’ai besoin de souffler.

Je ne m’étais peut-être pas bien rendu compte du gouffre qu’il y avait entre
nous. Joshua est vraiment riche. Qu’est-ce qu’il peut bien faire avec moi ?

– Viens, il est l’heure de déjeuner, m’invite-t-il inconscient de ce qui se joue


en moi.

Joshua a gardé ma main, un détail que je relève non sans frissonner. Je suis en
train de rêver. Cette journée me paraît tellement irréelle ! Quand j’aperçois une
table, déjà dressée sur la terrasse en bois qui donne directement sur l’océan, je
marque un temps d’arrêt.

– Mais… Pourquoi… murmuré-je.

Joshua me lâche la main et attrape deux verres de vin pour m’en tendre un.
Son visage est devenu plus grave.

– J’avais besoin de prendre l’air, m’explique-t-il en regardant l’océan. Et toi


aussi. La campagne sur laquelle nous travaillons est essentielle. Je tiens à ce que
tu prennes soin de toi pour que tu donnes le meilleur. Au bureau et… entre nous.

Il revient vers moi pour faire tinter son verre contre le mien. Quand il le porte
à ses lèvres, il ne me quitte pas des yeux, attendant sans doute une réaction de
ma part.

Ma réaction… Elle est intérieure, surtout… Un volcan en éruption. Je suis un


peu perdue mais aussi flattée de partager ça avec lui. Et troublée. Extrêmement
troublée.

Les mots de Liana me reviennent : « Il prend soin de toi quand même ! »


– C’est un peu un traitement de faveur, plaisanté-je pour tenter de garder le
contrôle sur mes émotions.
– Je m’octroie moi aussi un moment de plaisir en te faisant venir ici. Prenons
des forces.

Forces… Plaisir…

Je m’assieds avec soulagement tant mes jambes sont en coton. Les paroles de
Joshua sont lourdes de sous-entendus et le déroulement de la journée qui se
profile m’électrise. Sous les cloches, une belle assiette finement dressée nous
attend.

– J’adore écouter le ressac de l’océan, me confie Joshua en fermant les yeux.


J’ai toujours l’impression que ça m’enlève de l’esprit toutes les futilités
accumulées de la vie new-yorkaise pour laisser l’essentiel.

J’observe ses traits, calmes et détendus. C’est vrai qu’il a l’air apaisé, comme
s’il ne portait plus sur lui le poids de ses responsabilités à l’agence. Qu’il laissait
de côté son costume de meneur et de commandant, pour respirer un peu. Je
ferme les yeux à mon tour pour m’imprégner de cette ambiance, respirer l’air
iodé qui nous parvient et tenter comme lui de faire le vide.

C’est peut-être facile pour lui, mais je n’arrive pas à me laisser aller. Ma
présence ici m’interpelle toujours. Je suis ravie et anxieuse à la fois, parce que je
ne sais pas ce qu’il attend véritablement de moi. Une douce compagnie ? Ou
partager avec moi une chose importante de sa vie…

J’opte pour la première option. La seconde pourrait me bercer d’illusions et je


me rends compte que, de plus en plus, je pourrais avoir des sentiments pour lui.
Je préfère me montrer prudente, Joshua n’a fait aucune promesse et son attitude
au quotidien me montre sans cesse que je ne dois rien attendre en particulier.
Tout se fait au jour le jour, selon les occasions et les circonstances.

Et ça me va. Rien ne doit changer, j’aime le laisser mener la danse. Ce sont


les règles du jeu. Ne rien attendre de plus de Joshua que des parties de sexe
riches en émotion, torrides, magiques… Délicieuses. C’est tout ce que je veux.
Pas plus. Pas de sentiments. Du sexe, juste du sexe.
Aucun sentiment, sinon je le perds. Je suis persuadée que je le perds si je me
comporte en nana complètement mordue.

Enfin, je crois…

Quand j’ouvre les yeux, je le surprends à m’observer :

– Je voulais te remercier pour ce que tu as fait, l’autre soir, avec Tim. J’ai été
très surpris que tu prennes aussi volontairement ma défense, finit-il par me dire
sans me quitter des yeux. Tu as pris des risques, c’était assez courageux de ta
part. Ton intervention m’a impressionné.
– Je… C’est vrai que j’ai eu peur d’être allée trop loin avec lui, mais… Je n’ai
pas compris son plaisir à te dénigrer alors que… qu’il a tort ! Je ne te trouve ni
arrogant ni méprisant, rien de ce qu’il a pu me dire ne me semblait vrai !
– Ah oui ? Et comment est-ce que tu me trouves Kirsten ?

Son regard se fait plus intense. Joshua a posé sa tête sur sa main et attend ma
réponse.

Beau, intéressant, passionnant… Je commence par quoi ?

– Eh bien, commencé-je à dire en jouant avec mes légumes du bout de ma


fourchette. Je trouve que tu es… patient avec beaucoup d’entre nous à l’agence,
tu aimes transmettre, tu nous as laissé une chance de prouver ce qu’on valait et
de…
– Non, Kirsten, je ne veux pas savoir ce que tu penses de moi avec les autres.
Je veux savoir ce que je suis pour toi !

Il souhaite que je m’ouvre à lui ? Que je lui dévoile ce que je ressens ? Que je
me mette à nu ?!

– Avec moi… répété-je sans oser croiser ses yeux. Je… Je ne sais pas
vraiment… Enfin si, mais…
– Mais ?

J’ai l’impression de perdre pied. Pourquoi cette question ? Pourquoi cette


envie de savoir ce que je pense de lui… Répondre toujours présente à ses
rendez-vous devrait lui suffire pour comprendre au moins que j’aime ce qu’il
m’apporte ? Est-ce que c’est un test ? Un piège ?
– Ne t’oblige pas à me répondre, finit-il par me dire en se redressant. C’est
une question que je me pose parfois. Mais changeons de sujet.

Sauf qu’aucun autre sujet ne vient et qu’un silence particulièrement lourd


s’installe entre nous.

– Que faisais-tu avant de venir ici, Kirsten ? Des amis, un petit ami dans le
Minnesota ? Pourquoi être partie si loin ? Je crois savoir qu’il y a de très bonnes
agences à Minneapolis.

Répondre à cette question me pose moins de difficultés et je saute sur


l’occasion pour échapper à ce malaise. Même si ça me demande de m’ouvrir un
peu à lui mais sans tout dire.

– Pas vraiment d’amis, encore moins de petit ami, souris-je. J’ai fait mes
études avec trois ans d’avance, j’avais 15 ans quand je suis entrée à l’université,
alors autant dire que mes camarades de promo n’allaient pas s’intéresser à moi !
Et c’est normal ! Alors, comme je n’avais pas d’attaches, à part ma famille, j’ai
décidé d’aller voir ailleurs…

Je plaisante et évite soigneusement de dévoiler mes déboires chaotiques.

– Cette solitude n’a pas été trop pesante ?


– J’imagine que ce n’est pas ce à quoi on s’attend quand on entre à la fac. On
pense aux fêtes sur le campus, aux sorties… Mais ça m’a permis de me
consacrer à mes études et si je n’avais pas eu un bon niveau, je ne serais sans
doute pas là aujourd’hui… Je suis gagnante quand même ! Et toi, avant
l’agence ?

Puisqu’on en est aux questions personnelles, autant tenter ma chance pour en


savoir plus !

– Tu le sais déjà, tu connais la fac où j’ai étudié, tu connais mon meilleur


ami… Je n’ai pas grand-chose à t’apprendre sur ce pan de ma vie…

Si, bien au contraire… Quel genre d’étudiant était-il ? Brillant certainement.


Et avec les filles ?
– Bon, si tu as terminé, je t’emmène ailleurs.
– Encore une surprise ?! m’exclamé-je.
– Je ne me lasse pas de voir tes yeux pétiller.

Oh…

Ce qui m’attend après le déjeuner, c’est une balade en bateau. Aux


commandes, Joshua. Je me laisse griser par la vitesse et, quand il me pousse à
tenir le volant à mon tour, je sens une nouvelle fois l’adrénaline me donner des
ailes. Je n’ai aucune crainte, Joshua se tient derrière moi, dans mon dos, et guide
mes mains sur les commandes du bateau. Quand il m’embrasse le cou, je perds
en concentration. Mais pour rien au monde je ne bougerai de ma place.

Sauf que mon capitaine en a décidé autrement puisqu’il finit par couper le
moteur, et notre embarcation s’immobilise doucement. Autour de nous, l’océan,
à perte de vue. Nous sommes seuls au monde, bercés par la houle et c’est la
première fois que nous nous embrassons en plein jour. Si je commence déjà à
perdre la tête dans ses bras et si mon corps a décidé une fois de plus de lui
appartenir et de ne plus répondre qu’à ses caresses et aux ondes torrides que
dégage son corps à lui, Joshua, de son côté, maîtrise tout, une fois de plus.

Moi, le bateau, l’ancre qu’il jette, la sécurité. Il ne laisse rien au hasard avant
de m’entraîner dans la cale, sous le pont. La cabine est étroite, idéale pour que
nos corps ne se quittent pas une seule seconde.

– Laisse ton corps prendre le rythme des vagues. Ferme les yeux, ne pense
plus qu’à ça, me murmure-t-il en défaisant les boutons de mon jean.

Je m’exécute alors qu’il glisse sa main dans ma culotte déjà humide, que ses
doigts viennent me titiller, me forçant à m’agripper à lui alors que mes jambes se
dérobent presque. Et quand son doigt me pénètre, qu’il titille mon clitoris, je
gémis, rejetant la tête en arrière.

– Je vais… Je vais…

Impossible de finir ma phrase, mais Joshua m’a comprise. Il m’étend sur la


petite couchette et, comme le plafond est bas, il s’agenouille devant moi, au bord
du lit. Il m’embrasse l’intérieur des cuisses, lèche d’un coup mon sexe, ce qui a
le don de me faire crier tant ma sensibilité est exacerbée à cet endroit-là.

Quand je tente de me redresser pour le voir, Joshua pose sa main sur ma


poitrine.

– Reste comme ça, ferme les yeux…

J’obéis une fois de plus, avide de découvrir ce qu’il cherche à me montrer.


J’essaie de ne plus faire qu’un avec le bateau, avec son rythme, à ne plus penser
qu’à ça. Mais je l’entends, je sais ce qu’il fait. Cette boucle de ceinture qui tinte,
le plastique déchiré… Mon corps se cambre immédiatement, prêt à le recevoir.

– Impatiente… dit-il, la voix rauque.

En me pénétrant.

Je crie presque, mes mains se cramponnent aux bords de la couchette. Ses


mains à lui se glissent sur ma taille et… il ne bouge pas. Je ne sais comment il
fait ça, comment il sait rendre ce moment complètement dingue, mais c’est bien
la houle des vagues qui rythme ce va-et-vient entre nous. J’ai complètement
éteint mon cerveau pour me concentrer uniquement sur ces sensations, comme si
j’étais dans une phase de méditation purement sexuelle. Je me sens détachée
mais électrisée : ces sensations sont nouvelles. Pas question d’assaut violent
comme nous en avons l’habitude, mais du calme, de la douceur. Et ce que je
ressens entre mes jambes est tout aussi délectable.

Et puis Joshua se met à bouger, tranquillement mais en pleine conscience de


ses gestes et de ce qu’ils provoquent chez moi. L’orgasme monte, il vient de loin
et cette fois je peux prendre le temps de l’apprécier, de le laisser se propager
partout en moi. Je gémis, bouleversée par cette nouvelle expérience.

Le sexe n’a pas à être brusque ou rapide, il peut être aussi calme et contrôlé…

Joshua me suit rapidement et après quelques instants, pose sa tête contre mon
ventre. Avant de plonger son regard dans le mien.

– Je crois que j’adore le bateau, avoué-je sans pudeur.


– Alors viens, je vais continuer à t’apprendre…
Joshua me tend la main pour me redresser et deux minutes plus tard, j’offre
mon visage et mon sourire au soleil.

Il n’y a pas que le bateau que j’adore, il y a tout, les Hamptons, et surtout le
fait d’être loin de tout, juste avec lui.

Notre escapade ne perd pas en intensité quand nous retrouvons la terre ferme.
Une promenade sur la plage, une pause au soleil sur la terrasse de la maison,
nous discutons de tout et de rien de façon très naturelle. Il écoute plus qu’il se
livre, j’évite les sujets sensibles. Je ne regarde pas non plus le soleil qui décline,
signe que cette douce journée est en train de s’achever.

– Merci, lui glissé-je en admirant le coucher de soleil. Cette journée m’a fait
du bien.
– Que dirais-tu de rester ? me demande Joshua le plus sérieusement du
monde.
– Rester ? Cette nuit, mais je… n’ai rien pris avec moi…
– Il y a un sac dans la chambre d’amis. Tu devrais trouver ce dont tu as
besoin.

Un sac… avec des habits féminins dedans.

Comme s’il avait l’habitude, comme s’il emmenait toutes ses conquêtes ici…

Je chasse le malaise qui s’instille en moi, cette déception de comprendre que


finalement cette escapade n’est pas si unique, du moins à ses yeux.

Que je ne suis pas unique, que je ne suis peut-être qu’une parmi les autres.

Je m’en veux de penser ça. Cette relation est exactement comme Joshua a
annoncé qu’elle serait : pas de sentiments, juste du sexe. À prendre ou à laisser.
Est-ce que j’ai soudain des doutes ? Est-ce je veux tout arrêter ?

Non.

– Alors ? Tu acceptes de prolonger ton séjour ici ?


– Oui !

Je n’ai pas besoin de réfléchir, ma réponse coule de source. Le lieu est


magique, quant à mon hôte… Ses lèvres trouvent les miennes et je me laisse
porter dans ses bras. Je ne comprends pas tout, je n’ai pas tous les codes de ce
genre de relation. Mais je ne doute pas de mon envie de profiter de l’instant et de
ces moments passés avec lui.

Pas d’illusions, pas d’espoirs, je prends ce qu’il me donne. Rien de plus. Je


dois m’accrocher à ça. Et à ses larges épaules…

Le lendemain, après une courte nuit, Joshua me laisse pour faire son footing
sur la plage. J’en profite pour faire le tour de la maison et essayer d’en savoir
plus sur lui. Mais je ne trouve rien de très personnel dans cette maison. C’est une
résidence secondaire, à la décoration très masculine. Pas de photos aux murs,
quelques beaux livres de photographie, du designer new-yorkais Neil Caine, des
biographies de grands publicistes comme Bill Bernbach, une référence. Mais
rien, absolument rien, qui ne m’en apprenne plus sur lui, sur la famille qu’il
pourrait avoir, des amis…

Rien sur quoi mon esprit et mes sentiments pourraient s’accrocher. Et c’est
certainement mieux comme ça.

Ça doit rester comme ça ! Pas de sentiments.

Quand Joshua rentre de son jogging, je me rappelle immédiatement notre


première rencontre.

– Pourquoi tu souris ? me demande-t-il en s’essuyant le cou de sa serviette.


– Je me rappelle… mon emménagement. Tu ne t’en souviens peut-être pas
mais, tu es sorti courir ce jour-là.
– Je m’en souviens parfaitement, ajoute-t-il en me rejoignant, le pas félin et le
regard carnassier. Tu avais l’air perdue mais si déterminée. J’ai hésité à venir
t’aider à ce moment-là.
– Pourquoi est-ce que tu ne l’as pas fait ?
– Parce que ce n’était pas le bon moment…

Joshua m’attire brusquement à lui pour m’embrasser. J’aime tellement son


assurance. Cette façon qu’il a d’assumer totalement ce qu’il veut, de ne jamais
hésiter.
De me montrer qu’il me veut…

– Besoin d’une douche, tu viens.

Ce n’est pas une question. Je n’ai donc pas à réfléchir à ma réponse, à


réfléchir tout court.

Moi aussi, j’ai besoin d’une douche, c’est une évidence.

L’eau chaude coule sur nos corps, Nous sommes nus dans ce large espace, nos
lèvres sont scellées et nos doigts entrelacés. Je sens le sexe dur de Joshua sur
mon ventre, je sens la pression qu’il exerce et j’ai beaucoup de mal à ne pas
soulever ma jambe pour le laisser me pénétrer. Je brûle d’envie qu’il me
possède, sans préservatif, juste lui mais…

Impossible. Joshua m’a demandé l’exclusivité, mais il n’a pas mentionné la


sienne…

La frustration est douloureuse mais j’oublie un instant que je peux faire


confiance à Joshua pour ne pas me laisser dans cet état. Du moins pas trop
longtemps…

Une de ses mains lâche la mienne, glisse sur mon sein, joue avec mon téton
alors qu’il me mord les lèvres… Puis elle descend sur mon ventre et vient
s’arrêter sur mon sexe et se fraie un chemin entre mes jambes.

– Je ne me lasse pas de cette envie de te faire jouir, murmure-t-il, sa voix


couvrant à peine le bruit de l’eau.

Ses doigts sont en moi mais pas pour longtemps. Joshua me quitte
brusquement pour se mettre à genoux devant moi et, cette fois, c’est sa langue
qui glisse en moi. Avec insistance, il me dévore. Avec quelle maîtrise arrive-t-il à
rendre cet organe aussi dur et puissant que l’est son membre viril ?

Il me prend à pleine bouche, je découvre ce plaisir pour la première fois.

C’est donc ça, un cunni ?!

Mes doigts se glissent dans ses cheveux humides, mais quand l’orgasme
survient violemment, c’est à la barre de douche que je m’agrippe pour ne pas
flancher et risquer de tomber sur lui…

Joshua coupe l’eau, m’entraîne hors de la douche, me couvre de mon


peignoir, le regard brûlant…

– On ne va pas en rester là…

Je le suis et me jette sur le lit à ses côtés, encore vibrante.

J’espère bien que non !

***

Je sens déjà la mélancolie me prendre quand Joshua nous reconduit à notre


immeuble. La journée du dimanche est passée beaucoup trop vite et surtout, ce
week-end à deux me laisse encore plus perplexe sur le comportement de Joshua.
Nous avons passé du temps ensemble, sur la plage, hier soir, cette nuit aussi,
dans son lit, à faire l’amour autant que nos forces nous le permettaient, sans
dormir. Cette proximité, cette envie de nous nourrir l’un de l’autre, de ne pas
nous quitter. Je suis perturbée, perplexe. Il est resté le dominateur, toujours dans
la maîtrise, mais j’ai entraperçu un côté plus attentionné à mon égard, plus « à
prendre son temps » dans ce qu’il souhaitait me montrer ou m’apprendre.

Et dans cette voiture qui nous ramène, c’est encore autre chose. La distance
s’est de nouveau installée entre nous, comme si New York nous imposait de nous
tenir à distance l’un de l’autre.

Je ne sais pas si c’est le manque de sommeil, l’envie de rester encore avec lui,
ce besoin de le sentir contre moi, complètement à moi, concentré sur moi, mais
je n’arrive pas à reprendre le contrôle. Je devrais accepter cette situation. Nous
avons passé un très bon week-end, retour à la réalité. Point.

Mais il m’a fait goûter à quelque chose de tellement différent… Le Joshua de


ce week-end avait ce côté irréel que j’aurais pu… Non. Pas de sentiment !

Et son comportement ce soir me rappelle combien il ne veut pas s’investir.


Comment il est capable de tourner la page sans état d’âme. Avec une facilité
déconcertante.
Douloureuse.

Il faut que je sois comme lui. Je dois être comme lui.

Détachée.

– Mes batteries sont rechargées, je me sens d’attaque pour reprendre la


semaine et me trouver un petit boulot, badiné-je pour chasser cette mélancolie.
Ce traitement à l’air marin est très efficace !
– Quel petit boulot ? me demande Joshua. Tu veux travailler en plus de ton
stage à l’agence ?

Je lui explique brièvement les raisons pour lesquelles j’ai besoin d’un petit
revenu complémentaire : payer le loyer, me permettre des extras et si possible
aider financièrement Deaken. Parler de ce dernier, retrouver mes amis, compense
la séparation qui se profile à l’horizon. Le retour à la normale. Le retour à cette
vie où Joshua est insaisissable.

– Je n’aime pas cette idée, me lâche-t-il froidement. J’ai peur que tu perdes en
efficacité et que tu ne tiennes pas le rythme. Et ton ami ne peut pas se débrouiller
autrement ?

Sa réaction rompt définitivement le charme de ce week-end. Joshua peut


décider de nos rendez-vous, mais il n’a pas le contrôle sur toute ma vie. Encore
moins quand je ressens le besoin et l’envie d’aider un ami.

Autant dire que ça ne le regarde pas !

– Je tiens à l’aider, riposté-je, glaciale à mon tour. Et ça n’impactera pas la


campagne. C’est mon problème, c’est à moi de gérer.

Joshua me lance un regard surpris avant de se concentrer à nouveau sur la


route.

– Le mieux serait que tu restes à l’agence, réfléchit-il tout haut. Ça t’éviterait


de perdre du temps dans les transports et de subir une fatigue inutile… Il y a un
poste vacant en ce moment, on comptait prendre un intérimaire mais…
– Quel poste ?
– De l’archivage, du classement… On a changé de logiciel depuis la création
de l’agence, et il faudrait numériser tous les papiers administratifs puis les
ranger… Rien de bien passionnant.
– Je prends ! m’écrié-je aussitôt. C’est idéal ! Je resterai le soir pour assurer
ce nouveau job !
– J’en parlerai demain. Je pense aussi que c’est ce qu’il y a de mieux si tu
dois cumuler deux activités. Et nous nous croiserons plus souvent dans une
agence vidée de son activité.

Je frissonne à cette idée. Cette proposition est arrangeante à bien des


niveaux…

Ou complètement folle, dangereuse et irresponsable…

Joshua m’aura plus souvent sous la main pour assouvir ses désirs. Et les
miens par la même occasion…

Complètement irresponsable. Jouer encore avec le feu, j’en frissonne déjà.

Nous finissons par rentrer. Une distance naturelle s’impose une fois que nous
sortons de sa voiture. Notre parenthèse est officiellement refermée. Et elle me
laisse particulièrement songeuse.

Je commence à sentir les limites de cette relation carpe diem, je crains de ne


pas réussir à supporter longtemps ce détachement. Et si je voulais plus ? C’est
inenvisageable. Il est mon boss, je suis la stagiaire.

Alors peut-être qu’il vaudrait mieux se contenter à l’avenir de nos simples


rendez-vous. Pas ce genre de week-end où tout paraît différent.

Mais aurai-je le courage de lui imposer mes limites ?


19. Surprise !

Inévitablement, le contrecoup de ce week-end a été difficile à surmonter. Si


Joshua a su reprendre le quotidien comme si de rien n’était, j’ai eu plus de mal à
oublier ces moments à deux. Heureusement pour moi, la campagne bat son plein.
Les premiers spots ont été tournés et envoyés à tous les intervenants. Nous
procédons désormais à quelques retouches et modifications d’après les premiers
retours.

Ce matin, un nom attire mon regard dans tous les messages que nous avons
reçus.

Eunice. Celle qui avait envoyé un premier message de mécontentement


semble encore plus remontée par notre travail :

« Ces spots sont une véritable aberration ! Vous ne convaincrez personne,


c’est une fumisterie ! Comment osez-vous parler des victimes ! De quel droit en
êtes-vous les porte-parole ? Faut-il rouvrir des dossiers dérangeants pour que
vous arrêtiez tout ?! »

Mais qui est-elle pour juger notre travail ?! Et de quels dossiers dérangeants
parle-t-elle ? Je serais une langue de vipère, je me dirais que Brenton a fait des
siennes sur son campus, mais il a beau être méprisant, je ne le vois pas s’abaisser
à ça. Trop risqué pour son image !

Nous avons passé du temps sur cette campagne et les témoignages sont
vraiment poignants. Mes douze heures par jour que je donne à soigner cette
campagne ne ressemblent pas à de la fumisterie, il me semble ! Je ne devrais pas
me sentir touchée à ce point mais le ton de ces messages et leur caractère gratuit
m’énervent.

Contrariée, j’éteins la boîte de réception avant d’assister à la réunion. Si elle


voulait me mettre de mauvaise humeur, c’est réussi ! Et je ne suis pas la seule à
être en proie aux idées sombres. Tim est encore en train de pester dans le bureau
de Joshua…

– Tu étais où le week-end dernier ? Je croyais que tu avais rendez-vous avec


notre client à San Francisco mais personne ne t’a vu là-bas !
– Tu as appelé Tommy pour savoir si j’étais allé le voir ? rugit Joshua,
empreint d’une sourde colère.
– Parfaitement, je tenais à savoir où nous en étions avec lui. Je te rappelle
qu’avec ta campagne, tu n’es plus disponible pour le reste ! Je suis bien obligé
de me renseigner par moi-même si on veut faire tourner cette agence
correctement !
– Et depuis quand est-ce que tu doutes de mon implication pour cette agence !
Tu sais qu’elle compte plus que tout ! Et tu ne m’as jamais demandé de faire un
point sur ce client !
– Je ne suis plus vraiment sûr que tu aies la tête suffisamment froide pour
mener à bien les projets ici ! Tu as l’air si ailleurs ! Si absent parfois ! Il faut te
ressaisir, Josh, sinon…
– Sinon quoi, Tim ?!

Tim sort rapidement du bureau sans finir sa phrase et passe devant Abigail et
moi en nous bousculant presque.

– Celui-là, alors ! je ne sais pas quelle mouche l’a piqué mais il est
insupportable, murmure ma collègue en levant les yeux au ciel.

Je ne peux pas m’empêcher de me sentir mal. Est-ce de ma faute si Joshua et


Tim ne s’entendent pas ? À cause des confidences de Tim que je suis allée
répéter à Joshua ? À cause de l’attitude de Tim à mon égard pendant la soirée ?

La réunion se tient dans une ambiance tendue, Joshua se montrant


extrêmement contrarié par ce heurt avec son associé. Je comprends aussi son état
de nerfs quand il nous annonce que les spots ont été validés et que nous passons
désormais au stade de la diffusion au grand public. Le moment est crucial pour
nous. Abigail nous pousse à être irréprochables et à ne surtout pas faire de
vagues. Si Brenton se montre insensible, voire pas concerné du tout, sûr de lui
quant à la qualité de son travail, je suis moins sereine. Je n’aime pas voir Joshua
dans cet état.

Sur ma messagerie personnelle, je reçois un mail des ressources humaines qui


me redonne un peu de baume au cœur. Enfin, il est question de mon job
d’archiviste. Joshua a trouvé le temps d’en discuter malgré la tension de la
campagne…

Quand je signe mon contrat, j’ose demander une avance sur mon salaire à
l’assistante. Si la RH tique un peu, elle est en revanche surprise quand je lui
annonce que je souhaite commencer le jour même. La salle d’archive devient
mon nouvel abri passé dix-huit heures. Je prends le rythme, rentre tard le soir
mais je ne perds jamais vraiment ma motivation : je pense à l’indépendance
financière que je vais pouvoir prendre par rapport à mes parents et au projet de
Deaken. Le soir, parfois, je vois de la lumière dans le bureau de Joshua. L’idée
de le retrouver me traverse l’esprit, mais je me reprends vite. Il a un boulot
monstrueux en ce moment. Et je m’en tiens à nos habitudes.

C’est lui qui décide.

En fin de semaine j’accuse le coup. Je suis fatiguée, un peu irritable. Brenton


est le premier à subir mon manque de patience et Abigail m’imposerait presque
de m’enfermer chez moi pour que je dorme. Je marche à la caféine faute de
longues nuits reposantes.

Mais en ce vendredi soir, je n’attends qu’une chose : renter chez moi pour
aller me coucher et dormir au moins jusqu’à demain midi !

Enfin ça, ça sera après mon second job.

– Abigail s’inquiète pour ton état de fatigue, fait une voix derrière moi alors
que je m’active dans mon cagibi. Tu n’en fais pas trop ?

Je me retourne pour voir Joshua, bras croisés, appuyé au montant de la porte.

– Le week-end est dans quelques heures, ça ira mieux lundi. Je dois déposer
ces papiers dans ton bureau, je peux ?
– Oui, vas-y, dit-il en s’écartant pour me laisser passer.

Je suis lasse, tellement lasse, que je ne m’attarde pas sur sa présence derrière
moi ou notre solitude. Une première !

– Attends, me retient Joshua alors que je vais pour sortir de son bureau.
Assieds-toi. Tu as aussi le droit de prendre des pauses.
– J’ai surtout très envie de finir vite pour rentrer, dis-je en obtempérant
malgré tout.

Joshua pose ses mains sur ma nuque et commence à me masser les épaules.
Une fois passée la surprise de cette nouvelle attention, la première depuis les
Hamptons, je sens les tensions me quitter. Je ferme les yeux, détends mes
muscles…

Quand nous entendons un bruit. En une fraction de seconde, je bondis de mon


siège, mettant une distance respectable entre Joshua et moi. Et je regarde, le
cœur battant, Tim passer sa tête dans le bureau.

– Je savais qu’il se passait quelque chose entre vous ! nous lance-t-il en nous
regardant tous les deux, un mauvais sourire sur les lèvres.
– Qu’est-ce que tu racontes encore, Tim… soupire Joshua, toujours
impeccable de contrôle.
– Tu crois que je n’ai pas vu que Kirsten restait tous les soirs plus tard ?!
Arrêtez de me prendre pour un idiot ! Je sais qu’il y a quelque chose entre vous,
et c’est nul, Joshua. C’est une stagiaire ! Je comprends maintenant pourquoi tu
voulais la garder pour toi ! Tu sais ce que les autres vont dire, ou penser quand
ils le découvriront ? Et toi, Kirsten, c’est comme ça que tu comptes commencer
ta carrière ?
– Mais je… travaille, répliqué-je en lui montrant mes dossiers entre les mains.
– Kirsten est en double poste, explique calmement Joshua en le toisant du
regard. Elle avait besoin d’argent, je lui ai proposé de s’occuper de notre
archivage. Si tu ne me crois pas, demande aux ressources humaines, elle a un
contrat tout ce qu’il y a de plus officiel.
– Je ne…
– Écoute, Tim, il est tard et on bosse tous comme des malades en ce moment.
Je crois qu’on n’a vraiment pas besoin de cette suspicion, complètement
injustifiée et injuste pour Kirsten qui non seulement s’occupe de l’une de nos
plus grosses campagnes, mais aussi de toute la paperasse dont nous avons tardé à
nous occuper.
– J’ai aussi quelques papiers pour vous, ajouté-je en lui tendant un dossier.

Tim me l’arrache presque des mains et vérifie ce que je lui tends. Puis, sans
un mot, il part comme il est arrivé.
– Est-ce que ça va ? me demande Joshua.
– Oui mais… Je peux rentrer ?
– Bien sûr. Ne fais pas attention à lui, je suis là, OK ? Tu fais du bon travail
Kirsten, ne te laisse pas influencer. Tim ne sait rien sur nous et il n’en saura
jamais rien.

Joshua ne se rend pas compte de la violence des mots qu’il vient de


prononcer, des mots qui m’affectent particulièrement. Ne jamais lui dire, ne
jamais parler à son meilleur ami, c’est comme avouer que notre relation ne sera
jamais assez importante et sérieuse pour être officialisée.

Je sens une larme perler à mes cils. La fatigue me fait tout dramatiser, il est
temps que je souffle et que je prenne un peu de distance par rapport à l’agence.
Trop de travail, trop de Joshua, trop de frustration et maintenant de la déception
que je me refuse d’éprouver…

Dormir ! Il faut que je dorme !

Joshua et moi quittons l’agence à quelques minutes d’intervalles et sa voiture


suit de près mon taxi. Nous n’échangeons pas un mot quand nous entrons dans
l’immeuble, encore moins quand nous pénétrons dans l’ascenseur. Sa présence
est douloureuse pour moi ce soir. J’ai les nerfs à vif et j’ai conscience que ça
influence beaucoup mon état d’esprit. Est-ce que Joshua le sent ? Aucune idée,
mais, une fois les portes refermées, il m’attire à lui.

Pour la première fois de notre « relation », je lui résiste. Ce contact, ce


réconfort qu’il veut m’apporter, c’est comme s’il passait du papier de verre sur
une plaie. Aujourd’hui, il est là. Mais demain ? Et que vaut ce réconfort s’il n’y
a rien derrière ?

Joshua est surpris, insiste. Je ne veux pas risquer de le perdre, mais… Tout est
trop confus. Je finis par me laisser faire, par poser ma tête, pleine de questions,
sur son épaule. Je suis dans ses bras sans y être, perturbée, à fleur de peau, avec
ce besoin de recevoir bien plus qu’il ne semble vouloir me donner.

Nous restons là, le temps de la montée. Ce réconfort qu’il m’apporte, ce geste


qui me montre qu’il se préoccupe de moi…
Mais j’en ai assez des gestes. Je voudrais savoir, avoir des mots sur ce qu’il
ressent. Savoir ce que tout ça signifie pour lui.

– Repose-toi, me souffle-t-il en déposant un baiser léger sur mes lèvres avant


que je ne quitte l’ascenseur.

Son regard est doux, j’y lis même une pointe d’inquiétude. Je lui réponds par
un faible sourire, m’imaginant le pire entre nous. Mes pensées dérivent vers
l’orage qui est peut-être à venir. Si cette histoire commence à me faire souffrir, il
faudrait peut-être penser à l’interrompre avant que ça n’empire ? Mais que
m’arrivera-t-il si je repousse Joshua ? Je ne le crois pas capable de me faire du
mal mais si je me trompais ? Ou s’il prenait une décision en pensant agir pour
« mon bien » et qu’il me blessait ?

Quand j’entre dans l’appart, des discussions arrivent jusqu’à moi. Liana a dû
inviter des amis, organiser une soirée sans m’en parler. Et je ne rêve que de me
coucher. Mais ces voix attirent mon attention et, plus j’avance vers le salon plus
je me décompose.

Ce n’est pas possible…

– Papa ? Maman ? Qu’est-ce que vous faites là ?!


20. Début de tempête

Liana me décoche un regard noir. Le temps d’embrasser mes parents et elle


m’entraîne dans la cuisine.

– Tu ne réponds jamais quand on t’appelle ?! Tes parents ont débarqué, ils


m’ont posé plein de questions ! Tu savais qu’ils venaient ?
– Non, absolument pas !

Je n’ai pas consulté mon téléphone de toute la soirée, puisque je n’ai pas de
réseau dans la salle des archives. Effectivement, après vérification, Liana a tenté
de me joindre à plusieurs reprises.

– Il ne manquait plus qu’eux, soupiré-je. Ils sont là depuis longtemps ? Ils


t’ont posé des questions sur ton job ?
– Oui, mais j’ai pu esquiver… Par contre, j’ai l’impression qu’ils veulent
rester…
– Non ! Je vais leur dire que ce n’est pas possible !

Je reviens dans le salon et m’installe près d’eux. Je crains que mon irritabilité
du moment ne prenne le dessus. Alors j’affiche un sourire de circonstance et
essaie de trouver un ton enjoué.

– Tu rentres tard, commence ma mère. Et tu as une petite mine, tout va bien ?


– Oui, oui, je vais bien… Mais ça ne me dit pas ce que vous faites ici ! Vous
auriez pu me prévenir de votre arrivée… pour vous accueillir.

Ou pour les convaincre de ne pas venir…

– Ross ne t’a pas dit que nous avions l’intention de venir ? me demande mon
père derrière ses lunettes toujours trop strictes.
– Ross ?

Si… Mais j’ai complètement oublié !


– Oui, mais il m’avait dit aussi qu’il s’occupait de vous héberger !
– On préférait venir ici… Enfin, heureusement que Liana nous a ouvert parce
que sinon… me reproche ma mère. Tu ne donnes plus de nouvelles ces derniers
temps et vu ta tête, je suis contente de venir passer un peu de temps avec toi !
– Mais… Vous comptez dormir ici ?!
– Bien sûr ! On ne va tout de même pas aller à l’hôtel !

Liana et moi échangeons un regard désespéré.

– Enfin, rassure-toi Liana, nous ne gênerons pas. Il faut que tu t’occupes de


ton artiste et de son exposition. Nous serons heureux de venir voir ça, si c’est
possible, bien sûr.

Artiste ? Exposition ? Qu’est-ce qu’elle a raconté à mes parents en mon


absence ?

Si nous n’avions pas rangé le salon, j’aurais pu prétexter un problème de


place mais même pas ! Pour une fois tout est à peu près en ordre !

Je soupire. Il est tard, je n’ai pas envie de me lancer dans un bras de fer avec
mes parents, encore moins de les mettre à la porte.

– Bon, vous n’avez qu’à prendre ma chambre. On reparlera de tout ça demain,


vous devez être fatigués.
– On s’est déjà permis de poser nos valises, m’apprend ma mère. Tu as raison,
le voyage a été fatigant pour nous et j’ai très envie de visiter New York demain !
– Super !

Mes parents se lèvent dans un même mouvement et, ravis de passer du temps
avec nous, prennent le temps de nous serrer dans leur bras, Liana et moi. Ma
cousine attend qu’ils aient quitté la pièce pour me sauter dessus.

– T’es dingue ?! Ils ne peuvent pas rester ici ! Ils vont se douter de quelque
chose en voyant mes horaires demain !
– Je suis trop fatiguée pour réfléchir ce soir, glissé-je à Liana en prenant le
chemin de sa chambre. Mais rassure-toi, ça ne me plaît pas non plus de les avoir
ici.
– S’ils restent, je m’installe chez Deaken !
– Chanceuse…

Je me couche sans trop demander mon reste. Liana, elle, est pleine d’énergie.
Il faut dire qu’avec ses horaires décalés, elle est habituée à se coucher bien plus
tard.

– Ça ne te gêne pas si je regarde Netflix ? dit-elle en se glissant à mes côtés,


son portable sur les cuisses.
– Non vas-y. Je crois que je vais sombrer très vite…
– C’est Joshua qui te fatigue autant ? plaisante-t-elle.
– Même pas… Je ne l’ai pas beaucoup croisé ces derniers jours… Mais on
parlera de ça plus tard, OK ?

Je ferme les yeux et me laisse bercer par le bruit des dialogues. Et en effet, il
ne me faut pas beaucoup de temps pour sombrer dans un profond sommeil.

***

Le week-end avec mes parents n’a pas été de tout repos et Liana est partie
chez Deaken, prétextant un déplacement professionnel. Entre le tourisme, les
questions incessantes, les remarques sur mon poids et mes habits, j’ai
énormément pris sur moi alors que je n’avais rêvé que d’un week-end dans mon
lit.

Le lundi matin, quand il est enfin temps de reprendre le chemin de l’agence,


c’est tout juste si je ne pars pas avec une heure d’avance.

– On déjeune avec Ross ce midi, on passera te chercher à ton travail,


d’accord ?! me lance ma mère au moment où je passe la porte.
– Oui, oui, lui lancé-je en revenant sur mes pas. Et n’oubliez pas de regarder
pour un hôtel, vous serez mieux qu’ici quand même, non ? Et avec mes horaires,
on ne va plus se voir beaucoup. Vous partez quand, d’ailleurs ?
– Oh, on ne sait pas encore… On dirait que tu nous chasses. On est bien, ici,
surtout depuis que Liana est en déplacement. Ça tombe assez bien finalement, on
peut profiter un peu plus de toi !
– C’est sûr… soupiré-je, au bord du désespoir.
– À tout à l’heure !
Je quitte l’appartement avec la folle envie de rejoindre Deaken et Liana.

Un week-end, est-ce que ce n’est pas amplement suffisant pour venir voir sa
fille ?!

Le seul avantage de la présence de mes parents ces deux derniers jours, c’est
qu’ils m’ont évité de penser à Joshua. Du moins, de trop y penser. Il a semé le
trouble dans ma tête. Avant, avec ses rendez-vous espacés, il maintenait une
certaine distance.

Maintenant, avec les Hamptons, cette façon de me prendre dans ses bras pour
me réconforter ou celle de s’occuper de moi, c’est un peu comme s’il avait
franchi la limite de ce qu’il avait imposé, mais sans que ce ne soit officiel. Je sais
qu’il ne veut pas s’investir, je l’ai bien compris… Mais je préférerais que les
choses soient claires entre nous. Là, je sombre de plus en plus vers des
sentiments qui, je sais, vont me poser problème. Et ce n’était pas le but premier
de cette relation. J’étais flattée du désir de Joshua, heureuse des sensations que je
ressentais et je voulais apprendre, découvrir le plaisir, pas tomber amoureuse !

Au bureau, tout est encore calme. Comme la campagne a été lancée sur les
réseaux, je m’attelle aux réactions, aux commentaires et aux statistiques de
visionnage pour faire un premier rapport lors de la réunion. Les retours et les
chiffres sont positifs, le message semble être assez bien perçu. Les commentaires
sur les réseaux sont même très encourageants !

« Merci de lever le tabou », « on se sent moins seul », « merci de lever enfin


le voile sur cette pratique détestable ! »…

Je compile tout dans un dossier avant de le partager à Abigail et Brenton à


leur arrivée. Notre travail d’équipe est récompensé !

– Kirsten, ta demande a été acceptée, m’apprend l’assistante des ressources


humaines en nous rejoignant à notre pôle.
– Super !

Elle me tend un papier que je signe avant de lui rendre. La semaine


commence plutôt bien ! Deux bonnes nouvelles en moins de trente minutes, c’est
presque compenser la présence de mes parents !
– Ta demande ? m’interroge aussitôt Brenton, ironique. Tu as eu une
promotion ? C’est le cadeau de consolation après que le boss t’a larguée pour
Miss Univers ?

Mon collègue lance un clin d’œil à l’assistante.

– C’est exactement ça, Brenton, bravo ! ironisé-je. Eh non, pas de promotion,


juste une avance sur salaire pour mon deuxième job ici.

Abigail lève un sourcil, surprise. Rapidement, je lui explique pourquoi je pars


après elle le soir. Brenton écoute à moitié, l’assistante lui propose une pause-café
plus tard dans la matinée, et Abigail ne me fait aucun commentaire. Je surveille
l’autre stagiaire, du coin de l’œil, m’attendant à ce qu’il fasse une autre
remarque déplacée, sur mes soirées passées à l’agence mais rien ne sort.

Mon agacement s’accroît quand je vois un mail dont l’expéditrice commence


à m’être un peu trop familière.

De : eunice@gmail.com
À : Campagne Bizutage
Objet : Assumez !

Vous avez ignoré tous mes précédents messages ! Tant pis pour vous, il est
temps que la vérité éclate !

En signature de ce message, un lien vers un blog, intitulé « Vie et mort d’une


bizutée ». Le premier article me glace le sang.

« Comment l’agence Art & Com vous ment !

Vous l’avez remarquée, cette nouvelle campagne sur le bizutage ? L’agence


Art & Com s’est donné du mal pour sensibiliser le grand public. L’initiative est
belle, n’est-ce pas ? Sauf que… L’envers du décor est tout autre et que le
message est avant tout hypocrite… Le bizutage n’est pas un problème pour eux,
peut-être même une pratique familière. Mais je ne vous en dis pas plus tout de
suite… Rendez-vous bientôt pour que je vous livre quelques détails sur les
coulisses de cette campagne ! »
– Abigail, on a un problème… Tu te souviens de cette nana qui nous avait
envoyé un message pour dire que notre campagne était mauvaise ? Je crois que
ça devient sérieux…

À ma tête, Abigail se lève brusquement pour venir lire derrière mon écran.

– Qu’est-ce qu’on fait ? lui demandé-je après qu’elle a terminé sa lecture.


– Tu surveilles de près ! Pas un mot à Joshua pour le moment. Si on peut
régler ça nous-mêmes autant ne pas s’attirer des ennuis !
– Mais tu es sûre que…
– Je préfère qu’on se concentre sur le positif, m’interrompt sèchement
Abigail. Si on montre à cette Eunice qu’on est complètement indifférents à ses
messages, elle finira certainement par se lasser. Ne rentre pas dans son jeu,
Kirsten, sinon, ce sera l’escalade de celle qui voudra avoir le dernier mot ! Crois-
moi, dans ces cas-là, il vaut mieux attendre que ça passe !

Je ne suis pas très convaincue. Cette Eunice en est déjà à son troisième
message, elle vient de mettre en place un blog pour parler de nous… Elle a
plutôt l’air extrêmement motivée à en découdre. Je pourrais au moins chercher
des infos sur elle ?

Je fouille dans tous les contacts, toutes les adresses mail, je vais même voir
les commentaires sur les réseaux pour vérifier si elle ne ressort pas. Cette Eunice
n’existe pas dans toutes les données que j’ai. Même son site Internet ne porte
aucune mention de son propriétaire.

Pourquoi est-ce que je mets autant de cœur à la trouver ? Parce qu’elle veut
saboter notre travail. On s’est donné du mal, je me suis donné du mal, Abigail a
travaillé comme une dingue sur cette première grosse campagne. Nous n’avons
rien à nous reprocher.

On ne mérite certainement pas qu’une haineuse anonyme vienne remettre en


question gratuitement nos efforts !

Je sais qui peut m’aider à obtenir des informations sur ce site. Ross possède
une boîte informatique où ses experts doivent certainement avoir les bons outils,
ou les logiciels, pour remonter sa trace. Mais si je l’appelle, c’est lui divulguer
que l’agence a un problème… Et lui en parler alors que Joshua n’est pas mis au
courant, c’est un peu déplacé…

Mais si je peux retrouver cette nana avant qu’elle ne fasse pire ? La


campagne sera intacte…

Que ne ferais-je pas pour éviter qu’une autre rumeur s’abatte sur nous…

Je décide finalement de faire confiance à ma chef. Je ne veux pas risquer de


divulguer des informations sur notre travail à quelqu’un d’extérieur.

La réunion se passe, nettement moins tendue que la semaine dernière. Abigail


met en avant les bons résultats de la campagne et Joshua nous félicite pour le
travail effectué. Il ne montre aucun signe particulier à mon égard et j’évite moi-
même de croiser son regard. Je sais qu’il a cette perspicacité à me comprendre, à
lire en moi. Autant éviter de lui montrer mon inquiétude et j’essaie au maximum
de feindre le plaisir de la réussite.

Tout le restant de la matinée, je traque inlassablement cette Eunice sur le


Web, partout, dans les nouveaux messages… Je suis tellement préoccupée que je
ne vois même pas l’heure passer. Jusqu’à ce que le téléphone fixe de notre pôle
me tire de ma concentration.

– Kirsten ? Tes parents sont là, m’apprend l’hôtesse d’accueil.


– Mes par…

Mince, je les ai complètement oubliés !

Je bondis littéralement et cours jusqu’à l’entrée de l’agence où mes parents


attendent avec Ross.

– Je n’ai pas vu l’heure tourner, leur dis-je en les rejoignant. J’ai tellement de
travail, je crois que je ne vais pas pouvoir venir avec vous !
– Nous sommes venus pour rien ! Dis, j’espère qu’il y a une autre Kirsten ici,
me lâche ma mère dont je remarque seulement la mauvaise humeur.
– Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?
– On a entendu deux jeunes femmes discuter en t’attendant ici. Il paraît que tu
travailles le soir pour rester plus longtemps avec un certain Joshua.

Brenton… L’assistante ce matin… Un rien peut relancer une rumeur ici ?!


– J’ai entendu dire que Joshua Carlson était un homme à femmes, ajoute
Ross. Tu ferais mieux de te méfier Kirsten. Ça peut être très mauvais pour ta
réputation.

Quel cauchemar !

J’ai l’impression d’être en train de me faire gronder ! Quel genre de rumeurs


ça pourrait donner ?

« Les parents de Kirsten lui interdisent de sortir avec Joshua. »

« Sinon quoi ? »

« Elle est privée de dessert. »

Quelle situation infantilisante !

– Bon, écoutez, finis-je par dire en essayant de garder mon calme. Je ne fais
rien de répréhensible avec mon patron et tout va bien, sauf que je dois annuler ce
déjeuner avec vous. Désolée de vous avoir fait venir jusqu’ici, ceci dit, vous
auriez pu m’appeler pour que je vous rejoigne. Je ne suis plus une petite fille
qu’on vient chercher à l’école.

Mes parents s’étonnent de mon agacement, je le vois à leurs yeux qui


s’ouvrent de plus en plus grands. J’aurai certainement droit à des reproches ce
soir, mais tant pis.

– Bon appétit Kirsten ! me lance joyeusement Abigail en sortant au même


moment.

Ma mère la suit du regard, d’une façon très appuyée, très déplacée. Je


m’apprête à le lui reprocher quand je comprends ce qui la perturbe.

Abigail porte l’étole que ma mère m’a offerte !

– À ce soir, dis-je en m’éloignant.

Je file à l’anglaise, je ne tiens pas à en entendre davantage. Et je dois


remercier Brenton. Grâce à lui, tout le monde va croire que je fais des heures
supplémentaires ici parce que je veux reconquérir Joshua.

Quelle journée !
21. Se préparer au pire

Je rentre ce soir-là en traînant des pieds. Liana et Deaken m’ont envoyé des
messages de soutien, mais je suis seule pour affronter mes parents ce soir. Ça
plus le fait que je n’ai absolument rien trouvé d’autre sur cette Eunice, ma soirée
s’annonce particulièrement joyeuse.

Il ne faudrait pas que Joshua m’invite… Je n’arriverais pas à lui cacher la


vérité plus longtemps… Pour une fois, je serais capable de lui dire non !

Et même si je trouve quelque chose sur elle. Que faire après ? Je la contacte
en personne ? Abigail m’a demandé de ne rien faire…

– Te voilà enfin ! me lance ma mère. Tu as une assiette dans le four !

Mes parents sont là, dans le salon, à m’attendre. Je fais le dos rond pour que
l’orage qui m’attend passe plus vite.

– Merci, mais je mange au bureau le soir. La journée a été bonne pour vous ?
– Très, répond mon père.
– Bon, Kirsten. Il est temps qu’on ait une discussion sérieuse tous les trois,
intervient ma mère en s’installant aux côtés de mon père dans le canapé. On
savait que ce n’était pas une bonne idée que tu viennes ici toute seule. Tu passes
trop de temps au travail, tu changes de look, il y a ces rumeurs sur toi, et ton
attitude envers nous… Quand je pense que tu as donné mon cadeau ! Ça me
faisait tellement plaisir de te l’envoyer ! Rien de tout ça ne te ressemble.
– Maman, c’est gentil, mais tu dois comprendre que je n’ai pas forcément les
mêmes goûts que toi ! Et vous vous inquiétez trop, aussi…
– C’est surtout cette vie new-yorkaise qui n’est pas bonne pour toi. Ton père a
appelé l’école, si tu veux, tu peux interrompre ton stage, en trouver un autre plus
près de la maison. Bon, il faudrait juste que tu redoubles ton année, mais avec
ton avance, ce n’est pas vraiment un problème…
– Mais arrêtez ! Je me plais dans mon stage, je n’ai pas l’intention de
changer ! Encore moins de refaire une année !
Je sens le ton monter et le regard condescendant qu’ils m’adressent tous les
deux est à deux doigts de me mettre hors de moi. Je les aime, j’ai eu une enfance
heureuse, je ne voudrais pas tout gâcher, mais je ne peux pas les laisser me
rendre malheureuse.

– Ross peut toujours te prendre dans son entreprise, il a même dit qu’il
pouvait te loger, continue mon père.
– Mais c’est pareil, je vis très bien avec Liana !
– Parlons-en de ta cousine ! Tu savais que cette boîte d’événementiel où elle
est censée travailler n’existe pas ?! Elle te ment peut-être à toi aussi… Qui sait
quelle activité trouble elle peut cacher…

Je bondis. C’en est trop.

– Comment est-ce que vous l’avez su ?


– On a demandé à Ross de chercher pour nous. On avait des doutes, ils sont
confirmés. Tu ne peux pas rester ici, Kirsten ! Vous nous avez menti toutes les
deux. Et je ne te parle pas de ton oncle. Celui-là, je l’ai rayé de ma vie ! Je lui
faisais confiance, c’est un peu comme si je lui confiais ma fille ! Et il ne m’a
jamais rien dit !
– Non mais c’est du délire, soufflé-je en les regardant. Vous vous rappelez
que je n’ai plus dix ans ?!
– On s’inquiète pour toi, Kirsten. Et maintenant qu’on en sait plus sur ta vie
ici, on est horrifiés !
– Cette discussion ne sert strictement à rien, finis-je par déclarer. Je ne
déménagerai pas d’ici, je ne quitterai pas mon stage. Vous n’avez pas à décider
pour moi de ce que je dois faire. Je me sens parfaitement bien ici et il va falloir
vous faire à cette idée. J’ai même l’intention de m’installer définitivement ici.
– Alors dans ce cas, c’est nous qui viendrons vivre à New York.

Ma mère lâche ces derniers mots comme un missile, l’air pincé et terriblement
décidé. Je secoue la tête et pars m’enfermer dans la chambre de ma cousine.

J’attrape mon téléphone, espérant trouver du réconfort auprès d’elle.

[Guerre ouverte ce soir dans le salon.


Mes parents savent pour ton faux job.
Tes parents sont bannis.
Joie.]

[Je sais, ils m’ont appelée.


Courage. Je peux rentrer pour te soutenir.
Tu tiens le coup ?]

[Je cherche un plan pour me débarrasser d’eux.


Mauvaise idée de venir ici.
Préserve-toi !]

[Si je trouve une idée lumineuse, je t’appelle.


Passe prendre un verre demain au bar,
ça te fera du bien !]

[On verra. Pas sûre d’avoir l’autorisation


de sortie… Je me demande d’ailleurs quand
mon téléphone sera confisqué…]

Notre échange dure une bonne partie de la nuit. Liana tente de plaisanter
quant à la situation. Je n’en mène pas large et je m’endors, l’esprit malmené par
des images de mes parents débarquant à l’agence pour faire un scandale et de
Joshua qui apprend l’existence d’Eunice et ses messages.

Le chaos !

***

Rêve prémonitoire… Quand j’arrive à l’agence ce matin – sans avoir croisé


mes parents, Dieu merci, Abigail est blanche et tremblante.

– Joshua nous a convoqués. On n’attendait plus que toi…

Je comprends aussitôt que ce n’est plus l’heure des félicitations quand je le


vois faire les cent pas dans son bureau. Il nous décoche un regard noir.

– Pourquoi est-ce que personne ne m’a parlé de cette Eunice et de ce blog


calomnieux ! Un des anciens étudiants m’a appelé pour me prévenir ! J’ai
regardé dans les commentaires, dans les messages, c’est le troisième qu’elle
nous adressait ! Pourquoi est-ce que ça n’a pas été traité ni pris au sérieux ?
La colère de Joshua explose.

– C’est ma faute, avance Abigail en serrant ses mains nerveusement. J’ai


demandé à Kirsten de ne pas y faire attention.
– On pensait qu’en feignant l’indifférence, elle se lasserait, ajouté-je pour
venir en aide à ma collègue mortifiée.
– Et moi, je n’étais absolument pas au courant, se défend Brenton. Si j’avais
su…
– Parce que vous ne regardez jamais les mails de la campagne ?! Bon, qui est
cette Eunice, je veux tout savoir !

Joshua s’installe derrière son bureau et il écoute attentivement tout ce que je


peux lui dire, c’est-à-dire pas grand-chose malheureusement. Il finit par se
tourner vers son écran et pianote sur son clavier.

– Est-ce qu’elle a publié quelque chose depuis hier ?


– Je ne crois pas…
– Vous vous trompez Kirsten ! Le billet du jour vient de sortir, relève
ironiquement Joshua en tournant son écran vers nous.

« L’université, berceau du mal. »

« Je ne vous apprends rien si je vous dis que c’est à l’université et sur les
campus que naissent toutes les formes du bizutage. Et c’est donc une université
qui a voulu traiter le mal par une campagne… Au lieu d’intervenir en interne, de
faire de la prévention, ou d’ouvrir un bureau d’écoute… la fac a alloué de gros
moyens financiers pour… faire des vidéos… Quelle BA pour obtenir la médaille
de l’université la plus impliquée des États-Unis ! Mais rassurez-vous, Joshua
Carlson sauvera les pauvres bizutés ! À condition que son passé ne le rattrape
pas trop vite… Il en connaît un rayon sur le sujet ! Je vous en dis plus demain ! »

Je suis pétrifiée par ce que je viens de lire, et à mes côtés Abigail a posé sa
main sur sa bouche, horrifiée.

– Je vais mettre sur le dossier un community manager pour intervenir en cas


de bad buzz. Je veux que vous soyez vigilants, que vous m’informiez de
l’évolution, des commentaires… Je vais appeler l’université de mon côté. Si
cette Eunice commence à parler de moi, je serai obligé de faire intervenir mes
avocats pour faire fermer le site. On verra alors à quel point c’est une acharnée,
ou si c’est juste un défouloir passager. Mais surtout, qu’on ne me cache plus
rien !
– Très bien Joshua, je vais me reprendre, j’aurais dû m’en occuper, je…
– Pas la peine Abigail, ce qui est fait est fait. Espérons que ça n’aille pas trop
loin. Les trolls ont la dent dure. Kirsten, restez quelques minutes de plus.
– Le savon pour Abigail et moi, les félicitations pour la petite protégée ?
murmure Brenton en passant devant moi.

Je ne relève pas mais Brenton commence à aller trop loin. C’est en partie à
cause de lui si mes parents pensent qu’ils doivent me « sauver ».

– J’ai reçu un appel de ta fac, m’apprend Joshua, glacial. Il semblerait que tu


souhaites changer de stage ? C’est cette histoire qui te fait fuir ?
– Quoi ?! Non ! Bien sûr que non ! Mes parents sont là, ils n’aiment pas ma
façon de vivre ici et ils aimeraient que je rentre avec eux. C’est sûrement mon
père qui a appelé, sans me demander mon avis. Ils sont hyper protecteurs, trop
intrusifs ! Je ne veux pas partir, encore moins avec cette crise que nous
traversons ! Je ne suis pas du genre à baisser les bras comme ça !

Joshua me sonde. Je ne cille pas.

– Est-ce que tu me racontes tout ? Il n’y a rien d’autre Kirsten ?

Je pourrais parler des bruits du couloir du moment, mais ça me paraît


tellement futile à côté de la diffamation que nous fait cette Eunice…

– Rien d’autre, soupiré-je. Mes parents sont, insupportables, à vouloir prendre


en main ma vie sans me demander mon avis. Mais je réglerai ça. Ce n’est pas
important face à ce que peut nous faire cette fille… Abigail a pris sur elle, mais
je regrette de ne pas t’avoir parlé de ça plus tôt.
– Je suis d’accord avec toi. Notre campagne ne peut pas être sabotée, ce serait
une perte énorme. Je veux régler ça vite, c’est ma priorité. Et ça passe bien avant
ce que nous vivons tous les deux.

Je me mords les lèvres pour ne pas lui demander ce que signifie pour lui « ce
que nous vivons tous les deux » et « passer bien avant ».
– J’ai besoin de toi, Kirsten.

Son regard s’est adouci.

Joshua, besoin de quelqu’un ?

– Je serai là. Le plus longtemps possible.

Ma réponse est lourde de sous-entendus, je m’en rends compte en la


prononçant. Mais je suis portée par un nouvel élan. Je ne sais pas ce que cette
Eunice compte écrire sur lui mais j’ai vu Joshua travailler des heures et des
heures sur la campagne, je sais qu’il ne mérite pas ça. Je veux qu’il sache qu’il
peut compter sur moi.

L’effet de mes paroles est immédiat. Joshua se jette sur moi, faisant basculer
la chaise sur laquelle je suis assise. Il me retient suffisamment pour que la chute
ne soit pas douloureuse sur le tapis en laine épaisse. Je pousse un cri étouffé,
surprise. Surprise par la chute, par sa réaction, par sa brusque perte de contrôle.
Il m’embrasse sauvagement.

Je comprends qu’il a besoin de moi, que c’est sa façon à lui de me le montrer.


Je ne le repousse pas, bien au contraire. On peut nous surprendre mais nous
perdons la tête tous les deux.

Nos langues s’entremêlent, nos gestes sont brusques, le désir puissant. Très
vite, Joshua sort un portefeuille de la poche de sa veste, en extrait un préservatif
qu’il enfile sur son sexe. Son pantalon est à peine baissé, ma jupe à peine
remontée sur mes cuisses, qu’il entre en moi d’un vif coup de bassin.

Nos soupirs se mélangent, nos bouches se dévorent et je m’accroche à lui.


J’étouffe mes gémissements, le plaisir monte jusqu’à ce que l’orgasme me
prenne et que Joshua soit lui aussi emporté. Il s’effondre sur moi, le temps de
reprendre son souffle. Le visage au creux de son cou, je lui caresse les cheveux
pour l’apaiser.

Je ne sais pas ce que je ressens à cet instant précis. J’ai le sentiment de lui
avoir apporté la réponse dont il avait besoin, mais je sais qu’Abigail et Brenton
attendent mon retour, que sa secrétaire pourrait venir et…
Joshua se relève et me tend la main pour m’aider à me relever.

– Est-ce que ça va ? me demande-t-il en réajustant ses habits.


– Oui…

J’essaie de reprendre un air normal dans le reflet d’une vitre. Mes mains
tremblent quand je lisse ma jupe alors que Joshua remet la chaise sur ses quatre
pieds.

Il finit par s’approcher de moi, remettre une mèche derrière mes oreilles. Il
me fait un signe de tête pour me dire que tout est en ordre.

Alors que je m’apprête à partir, il me retient, pose son front contre le mien.

– Je sais que tu seras là… Tu m’es précieuse en ce moment…

J’aurais pu bondir de joie s’il n’avait pas ajouté « en ce moment ». Il vient de


griffer mon cœur, mais je me contente de lui sourire. Et de respirer un bon coup
avant de sortir, la tête haute.

Quand je quitte son bureau, j’en veux à la terre entière. Enfin, surtout à mes
parents, à Brenton et à cette fille sortie de nulle part. Ma première cible : ma
mère. Je l’appelle sans perdre de temps.

– Que ce soit clair : je ne changerai pas de stage ni d’appartement. Je refuse


que vous interveniez dans ma vie et que vos idées, que je ne partage pas, se
répercutent sur moi et me posent des problèmes. La fac a appelé mon chef pour
leur parler de mon éventuel départ. Tu imagines un peu l’ambiance ici ?! Je suis
assez grande pour m’occuper de ma vie ! À ce soir !

Je ne lui ai pas laissé le temps de répondre. Je sais que j’aurai droit à un


sermon, autant lui éviter de se répéter ! Quant à Brenton… Je me tourne vers son
fauteuil.

Vide.

Machine à café, forcément !

Mais ce n’est pas lui que j’y trouve, c’est Tim, en compagnie de quelques
membres de l’équipe. Je lui fais un signe de tête, ma présence n’interrompt en
rien sa discussion. Pire, je crois qu’il est même plutôt satisfait que j’y assiste !

– Il ne manquerait plus que Joshua ait bizuté des étudiants, et nous serions
vraiment la risée de tout le monde dans le milieu, ironise-t-il. Je savais qu’il ne
passait pas toutes ses soirées à la bibliothèque, mais jamais je n’aurai imaginé
qu’il torturait les petits nouveaux !

Écœurant… Et ça s’appelle un ami ?

Comment peut-il raconter des trucs comme ça ? C’est l’université où Joshua


et lui ont étudié qui a commandé cette campagne, et ce n’est pas un hasard : il y
a un véritable problème avec ça dans l’établissement ! Il ne va pas nous faire
croire qu’il n’était pas au courant des soirées de bizutage et qu’il était l’élève
modèle qui n’en a même pas entendu parler !

Franchement !

Toutes les études statistiques commandées pour la campagne montrent


d’ailleurs que si les bizuts n’ont pas le choix, il en est de même pour les élèves
des années supérieures qui se sentent obligés de venir ! Alors pourquoi Tim fait-
il semblant de se poser la question ? C’est évident qu’il y a participé, Joshua
aussi. Nous ne sommes pas naïfs.

La question est : qu’ont-ils fait lors de ces fêtes ?

Qu’est-ce qu’Eunice va révéler sur Joshua ? Qu’est-ce qu’elle croit savoir


qui pourrait intéresser l’opinion publique ? Est-ce qu’elle le connaît ?

Et quelque chose s’instille en moi. Quelque chose de désagréable… J’ai


toujours eu confiance en lui, je me suis jetée corps et âme dans nos rendez-vous,
dans cette relation particulière que nous entretenons. Mais qu’est-ce que moi, je
connais de lui ? Est-ce que demain, je ne risque pas, comme tout le monde,
d’apprendre un détail de sa vie qui risque de me balayer ? De remettre en
question l’idée que je me fais de lui ?

Et si demain, je commençais vraiment à connaître Joshua ?

C’est le doute, cette vague sombre qui se propage dans mon esprit. Le doute
qui vient heurter les remparts de la confiance que j’ai en lui, naturellement. Et
j’espère très sincèrement que ce sont eux les plus solides.

Abigail est remontée comme un coucou quand je la retrouve et je tente de


faire tout mon possible pour la rassurer. Cette Eunice ne peut pas se cacher
éternellement du service informatique qui est sur le coup ! Mais la situation
s’aggrave en début d’après-midi où les commentaires se mettent à parler
d’Eunice et de son blog sur les réseaux sociaux.

On y est. J’espère qu’on ne sombre pas dans une lente descente aux enfers…

C’est le branle-bas de combat, Joshua met en place une stratégie avec le


service de communication. Et moi, je persévère à chercher cette fille, mais je ne
trouve rien, absolument rien.

– Pour une fois que je m’occupais d’un gros dossier et que tout se passait
bien, on se tape un corbeau ! Il fallait que ça tombe sur moi ! soupire Abigail, de
plus en plus nerveuse.
– Ça va aller, on va surmonter ça, tenté-je de la rassurer.
– Tu ne te rends pas compte, Kirsten ! Si cette fille raconte n’importe quoi, ou
même la vérité, sur Joshua demain, tu imagines le nombre de clients que nous
risquons de perdre ? La perte de confiance que nous allons avoir ?
– Ça ne peut pas être si dramatique, soufflé-je.
– Les effets des rumeurs peuvent être terribles ! Les gens ne chercheront pas à
savoir si c’est vrai ou non, ils suivront le mouvement du plus grand nombre !

Mon sang se glace. Je ne le sais que trop…

– On devait bosser sur la meilleure campagne de la boîte, voilà qu’elle se


transforme en pire plan de l’année. Super !

Brenton, de son côté, ne semble ni vraiment affecté ni inquiet. Cette histoire,


c’est un désagréable caillou dans sa chaussure qui risque de le ralentir dans son
ascension vers le succès. Rien de plus.

– Derrière ses airs de mec sûr de lui, je suis sûr qu’il a des fantômes dans son
placard, ajoute-t-il, insupportablement méprisant.

Mon téléphone le sauve d’une mort certaine. Ross m’appelle.


– Salut Kirsten, on commence à beaucoup parler de cette Eunice et des
prochaines révélations qu’elle pourrait faire sur ton chef. Écoute, ton agence va
traverser une sale période. Tu as travaillé sur cette campagne, tu risques d’être
directement touchée par tout ça. Il faudrait peut-être que tu penses à quitter le
navire tant qu’il est encore temps, non ? Tes parents t’ont parlé de ma
proposition ? Tu peux venir quand tu veux ! Je m’arrangerai même avec ta fac
pour t’éviter un redoublement.

Partir… Brenton le ferait. Sans hésitation. Moi, non. Je veux rester,


convaincue que Joshua n’a rien à se reprocher et qu’on peut être plus fort que
des rumeurs et des accusations sans preuves. Je ne laisserai pas tomber !

– Merci Ross, dis-je, fermée. Je ne quitterai pas ma place ici. Je suis


exactement là où je dois être. Merci de t’inquiéter pour moi, mais ce n’est pas la
peine. À bientôt.

Quand je raccroche, Brenton m’applaudit.

– On sait pourquoi tu ne veux pas quitter la boîte ! Par contre, si tu refuses la


proposition qu’on vient de te faire, tu penses que tu pourrais me l’offrir ?
– Désolée Brenton, je n’aiderai pas celui qui n’hésite pas à rabaisser les
autres, m’emporté-je. Tu es partout, tu écoutes toutes mes discussions. Ce ne
serait pas toi, celui qui lance toutes ces rumeurs sur moi ?!
– Oh, tout doux ! Ta vie ne m’intéresse pas. J’aime bien lancer des petites
piques, c’est tout ! Et lancer des rumeurs contre le boss ? Risquer de me faire
virer ? Cette agence, c’est la meilleure de tout Manhattan, je rêve d’un poste ici.
Mais je crois que je vais devoir changer mes plans, vu le fiasco qui s’annonce !

Fiasco ? Non, impossible ! Joshua empêchera ça. Il a toujours su garder le


contrôle de tout, pourquoi est-ce qu’il perdrait la main maintenant ?
22. Le silence est-il un aveu ?

Toute la soirée, je multiplie les allers et retours entre les archives et les
bureaux sans croiser une seule fois Joshua. Quand j’ose enfin frapper à la porte
de son bureau et que j’entre, je comprends à l’obscurité qui y règne qu’il est
parti.

Sans un mot pour moi.

Après avoir effectué mes heures supplémentaires, je rejoins directement Liana


et Deaken au bar sans passer par la case appartement. Hors de question de
croiser mes parents ce soir, la tension entre nous a besoin de redescendre un peu.
Surtout de mon côté !

– Installe-toi, me lance Liana en me voyant arriver. Tu as l’air à l’agonie !


– Je crois que je perds complètement le contrôle de ma vie ! Entre mes
parents qui me prennent pour une enfant de 5 ans, le mauvais buzz sur la
campagne et Joshua qui est si…
– Si ?
– Je ne sais pas en fait… Si étrange !
– Excuse-moi, intervient Deaken, mais je n’ai jamais rien compris à la nature
de votre relation. Alors je ne suis pas sûr de savoir t’aider !
– Moi non plus, je ne comprends pas, soufflé-je en attrapant ma bière.
– Logan est toujours là, si tu as besoin de te changer les idées, me propose-t-il
avec un sourire.
– Je n’ai aucune envie d’aller voir ailleurs, je ne pense qu’à mon boss, tout ne
tourne qu’autour de lui !
– Dis, tu ne serais pas tombée un peu amoureuse ? m’interroge Liana en se
penchant sur le bar.
– Non ! Je ne peux pas, impossible ! Lui et moi, ce n’est pas du tout une
histoire sérieuse. C’est impensable !

Deaken et Liana échangent un regard inquiet.


– Écoute Kirsten, continue ma cousine le plus sérieusement du monde en
venant me rejoindre, on était d’accord pour tout se dire. Et là, je vois bien que tu
es claquée et que ce mec t’obsède.
– Et franchement, ajoute Deaken, ton boss n’a pas l’air de quelqu’un de…
Comment dire… Aide-moi Liana !
– De respectable ! s’écrie-t-elle. Il prend son pied avec toi. Tant mieux si ça
lui suffit, mais toi, Kirsten ? Est-ce que ça te suffit à toi ?!

Je ne réponds pas tout de suite, touchée par la sincère inquiétude de mes amis,
mais bouleversée par la prise de conscience qui est en train de me submerger.

– Je crois… Je crois que je suis en train de tomber amoureuse de lui, avoué-je


dans un souffle.
– Oh… Il faut que tu te protèges de cette relation avant qu’elle ne soit néfaste
pour toi. Qu’elle te fasse souffrir.
– Tant que tu n’es pas « trop » amoureuse de lui, ajoute Deaken en me prenant
la main en guise de soutien. Ce sera peut-être difficile, mais il vaudrait sans
doute mieux que tu prennes tes distances… Non ?

Et s’ils avaient raison ? Si c’était la meilleure solution ? Arrêter avant de me


faire trop de mal… Le doute me prend. J’ai fait n’importe quoi en le laissant
prendre une telle place dans ma vie. Je savais que je n’arriverais pas à garder le
contrôle de la situation, que je n’ai pas la capacité de Joshua à faire la part des
choses…

Je hoche la tête sous leurs regards pleins de sollicitude.

Qu’est-ce que je vais faire ?!

– Allez, on sera là, nous, me réconforte Liana en me prenant dans ses bras.
– Et si tu n’as pas aimé Logan, j’ai un carnet de contacts bien rempli !
plaisante Deaken en me caressant doucement le bras.
– Et vous, quoi de neuf ?

Je n’ai pas envie de me perdre dans le marasme ambiant et mes amis le


comprennent très bien. J’ai surtout besoin de me changer les idées.

– Alors moi, commence Deaken, j’ai une super nouvelle pour la boutique. J’ai
un banquier dans mes clients et… on a discuté et… il a étudié mon dossier…
– Et ?!
– Il m’a décroché un prêt ! s’exclame Deaken en levant sa pinte. Je peux donc
signer le bail et… vous pouvez garder votre argent ! Kiki, offre-toi un week-end
ou des massages !
– Oui, j’y penserai… Mais félicitations !
– Moi aussi, j’ai quelque chose à vous annoncer ! intervient ma cousine. J’ai
rencontré un photographe et il a décidé de m’apprendre les techniques de prise
de vue ! Et on sort ensemble !
– C’est la soirée ! lui lance Deaken avant de se rattraper en me regardant. La
roue tourne, Kiki, ça viendra pour toi aussi.

Nous levons nos verres une deuxième fois. Depuis que je suis là, je n’ai
jamais vu ma cousine avec quelqu’un.

– Attends mais… Tu repars sur la photo ? demandé-je.


– Et tu comptes le garder plus longtemps, ce mec-là ?
– Oh, doucement tous les deux ! Alors oui Deaken, cette fois, je vais faire un
effort pour que ça dure. Tu verras quand je te le présenterai, je le sens bien. Et
oui, j’arrête la peinture ! Je me remets à la photo plus sérieusement ! Il faudrait
que je récupère mon matériel pour le vendre, mais j’ai trop peur de tomber sur
tes parents !
– Je suis désolée, promis, j’essaie de les mettre à la porte, m’excusé-je en
grimaçant. Tu me manques vraiment, même tes lubies artistiques me manquent !

Je reste le plus tard possible en leur compagnie mais quand la fatigue me


tombe dessus, je suis bien obligée de déclarer forfait.

– Ça va s’arranger, me souffle Liana en me serrant contre elle avant de partir.


Et moi aussi j’ai hâte de rentrer pour m’occuper de toi. Je suis sûre que je peux
faire ça aussi bien que ta mère !

Ma cousine est un vrai soutien, Deaken aussi. Et mes parents voudraient


m’arracher à ça ? Ils ne se rendent pas compte à quel point j’ai commencé à
m’enraciner à New York. Et qu’il sera quasiment impossible de m’en déloger !

Mes parents dorment déjà, il n’y a pas un bruit à l’appart et j’essaie de ne pas
en faire non plus. Mais impossible de ne pas remarquer sur la table du salon
l’amoncellement de prospectus, des annonces immobilières sur lesquelles trône
un mot de ma mère.

Tu as un repas qui t’attend. J’ai fait une lessive aussi.

C’est attentionné de sa part ! Même si je lui ai déjà dit que je mangeais au


boulot, elle doit penser que je ne me nourris pas assez. Malheureusement la suite
de ma lecture me fait déchanter.

Mais où sont tes anciens habits ?

Elle ne pouvait pas se contenter d’être sympa…

Qu’ils partent, vite… Je n’en peux plus !

***

La sonnette de la porte d’entrée se fait entendre alors que je suis dans la salle
de bains. Puis ce sont des coups de plus en plus impatients. Je me dépêche de
m’habiller, surprise de cette visite impromptue. Puis j’entends ma mère râler :

– Mais ça ne va pas de frapper comme ça chez les gens ? demande-t-elle


agacée.
– Excusez-moi, mais il faut absolument que je voie Kirsten !
– Elle n’est pas encore prête, et on ne…
– C’est bon, maman, je suis là ! crié-je en sortant en trombes de la salle de
bains, les cheveux encore humides.
– Ce monsieur veut que…
– C’est Joshua Carlson, maman, mon chef, ajouté-je.

Ma mère le regarde des pieds à la tête. Je croise les doigts pour qu’elle ne dise
rien…

– Tu es prête ? me demande Joshua.


– Je vais chercher mon sac…

Il est passé me prendre ?!

Je n’ai pas le temps de me poser de questions que j’entends encore ma mère


lui parler.

– Vous êtes dans une situation compliquée, vous avez prévu de réagir comme
il se doit ? Parce que je ne voudrais pas que ma fille commence sa carrière de
cette façon, vous devez être honnête avec elle, si votre agence doit couler, vous
devez au moins lui permettre de rebondir et…
– C’est bon, on peut y aller !

Je lance un regard noir à ma mère avant de refermer la porte derrière nous.

– Désolée…
– J’espère que je n’aurai pas à me séparer de toi, se contente de me glisser
Joshua en attendant l’ascenseur.

Pourquoi ? Parce qu’il a envie de me garder avec lui ou dans son agence ?

Encore une phrase ambiguë dont il a le secret…

Il se montre extrêmement silencieux le temps de la descente. Et pour la


première fois, je le soupçonne d’être victime du stress. L’article du jour doit le
perturber sinon, pourquoi venir me chercher ? Une envie subite ? Et qu’est-ce
que diront nos collègues quand ils nous verront débarquer ensemble ?

Perdue dans mes pensées, je sursaute quand l’appareil s’arrête brusquement.

– Ne t’inquiète pas, c’est moi, me dit-il aussitôt devant mon regard inquiet.
Prenons le temps, tu veux ?

En quelques secondes, je suis plaquée contre l’ascenseur. Si je veux ? Bien


sûr que je le veux, même si je sais pertinemment qu’il ne faut pas, qu’il ne faut
plus. Que chaque corps à corps est un coup de couteau dans mon cœur. Mais le
désir brusque que j’éprouve, l’excitation qui m’étreint aussitôt le ventre dès que
je sens son sexe dur contre moi me rendent faible.

Ou plutôt, impatiente qu’il me prenne.

– Kirsten…

Son parfum m’enivre, sa voix m’hypnotise et ce sont mes lèvres qui trouvent
les siennes en premier. Comment résister à ses mains sur mon corps, comment
renoncer à ça ? Ma robe tombe à mes pieds, dézippée par ses doigts habiles. Je
m’attaque à son pantalon, ose l’attirer un peu plus fort contre moi. Je sors son
sexe de son boxer, alors que Joshua me porte sur la barre de l’ascenseur pour que
je sois à la bonne hauteur. Une main sous mes fesses, il déchire de l’autre
l’emballage d’un préservatif alors que j’accentue mes caresses.

Je vois, aux traits de son visage qui se crispe, qu’il aime ce que je lui fais.

Ensuite, tout va très vite. Il me pénètre, je m’accroche à lui, mes doigts posés
sur sa nuque. Debout devant moi, ses coups de bassin sont rapides, frénétiques et
puissants. Ma position manque de confort, mais n’empêche pas le plaisir de
m’envahir.

Je chavire complètement quand ses doigts viennent attraper mon sein pour le
malaxer sans douceur, qu’il me mord le menton, le cou. Je glisse mes mains sous
sa chemise pour le sentir vibrer lui aussi. Excitée par la puissance qu’il dégage et
par la force brutale de cette parenthèse, je jouis sans retenue.

Joshua gémit presque dans la douleur, comme si cette partie de sexe n’était
qu’un exutoire pour lui. Un moyen de décompresser.

JE ne suis qu’un exutoire. Me fallait-il une autre preuve ?

Mais comme s’il avait compris le malaise soudain que je ressens, mon boss et
amant m’aide à reprendre pied, me rhabille doucement, plein d’attentions pour
moi, me troublant encore plus. Jusqu’à ce que la sonnerie de son téléphone
l’éloigne de moi.

– Joshua !

Je reconnais la voix d’Abigail… Elle crie tellement fort !

– Eunice nous a envoyé son article en avant-première et…


– On arrive, Abigail, lui dit-il d’une voix sourde.

En tapant brusquement sur le bouton d’arrêt pour remettre en marche


l’ascenseur, il m’attrape la main. Joshua a toujours besoin de mon soutien. Je
serre ses doigts contre les miens, chassant ma propre boule au ventre.
Je suis complètement maso. Je dois fuir cet homme pour me protéger de mes
sentiments, et je fonce tête baissée pour le soutenir.

Qu’a pu écrire cette Eunice sur lui pour qu’il soit si inquiet…

Se pourrait-il qu’il y ait une once de vérité dans ce qu’elle raconte ?

Joshua conduit comme un pilote de course dans la circulation déjà dense et


nous arrivons assez rapidement. Abigail est là, dans le hall d’accueil. Un instant,
je la sens tiquer quand elle nous voit passer la porte à deux, mais elle attrape
Joshua par le bras pour le mener à son ordinateur.

– Regardez, se contente-t-elle de lui dire.

Joshua s’installe à sa place, et je me mets derrière pour regarder au-dessus de


son épaule.

Et ce que je lis est tout simplement horrible.

« Soir de bizutage. »

« Installez-vous derrière votre écran, je vais vous raconter mon histoire…


Nous sommes un soir de septembre, nous avons rendez-vous, nous les nouveaux,
sur le campus pour retrouver les anciens. On ne s’attend pas à une fête de
bienvenue, on sait que nous allons vivre notre bizutage, tradition de cette
université ! Et savez-vous qui compte parmi les anciens élèves, prêt à nous faire
vivre “notre grand moment ?” Joshua Carlson en personne ! »
« Les directives sont données, nos habits troqués contre d’infâmes sacs-
poubelle. Je suis à moitié nue, il fait frais, je sens déjà que ma dignité en prend
un coup. Je vous passe les détails de notre transport au milieu d’un bois. Notre
mission, rentrer sur le campus, sans lampe, sans boussole et toujours affublés de
nos sacs. Je suis seule, je n’ai pas eu le temps de me faire des amis. Pas de
chance pour moi, je dois compter uniquement sur mon sens de l’orientation
minable. »
« Début de l’enfer et de la solitude extrême. La nuit est tombée, je ne vois
rien, je tombe, je me fais mal… Mon sac-poubelle se lacère… Je me perds plus
que je n’avance. Je n’ai personne… Et puis, enfin une route. Naïvement… Je
pense que quelqu’un aura pitié de moi et me ramènera en stop. Mais quand on
n’a pas de chance… »
« Une voiture s’arrête. Une tête familière. Matthew Flint. Souriant, il me
propose de monter. Mais pas pour me ramener. Pour stopper sa voiture quelques
mètres plus loin, pour glisser sa main sur ma cuisse. Je résiste, il est plus fort…
La suite est banale. Violée le soir de son bizutage, ça ne mérite pas une médaille,
ça ? »
« Mon généreux agresseur me ramène quand même, fier de lui. Me rappelle
que parler ne sert à rien… Je rentre dans ma chambre d’étudiante, complètement
nue. Perdue. Blessée. À jamais. »
« Mais le meilleur reste peut-être à venir. Matthew Flint était le colocataire de
Joshua Carlson à cette époque. Imaginez la soirée qu’ils ont dû passer, au chaud
chez eux, à se raconter ce grand moment ! Matthew, je l’ai compris plus tard, a
toujours été du genre à se vanter de ses exploits. Je ne doute pas un seul instant
qu’il se soit confié à Carlson, en toute confiance. Jamais mon viol n’a été puni.
Personne n’en a parlé, ni le lendemain, ni jamais. »
« Alors que Joshua Carlson se lance dans une campagne contre le bizutage,
vous ne trouvez pas ça un peu malvenu ? À moins qu’il n’ait la mémoire
courte… Joshua Carlson, ne me remerciez pas d’avoir réveillé ces doux
souvenirs. C’est votre passé et le mien. Vous ne vivez pas avec, pour moi c’est
un poids, tous les jours… »
« Parce que non… Ça ne s’est pas arrêté là… »
« À demain ! »

Je recule d’un pas… Je croise les bras sur ma poitrine, choquée. Joshua ne
bouge pas, le temps est comme suspendu.

– Joshua ? C’est quoi cette histoire ? lance Tim derrière nous.

Joshua se tourne brusquement vers lui, le regard noir, poings serrés. Puis ses
yeux tombent sur moi. Je ne sais plus quoi penser, que dire. Ce récit m’a
complètement bouleversée. Est-ce que c’est vrai ? Et surtout, qu’entend Eunice
par « non… ça ne s’est pas arrêté là » ?

– Il faut absolument retrouver cette fille ! Et Flint ! Qu’il s’explique sur cette
histoire ! lance rageusement Joshua en partant vers son bureau.

J’en reste abasourdie, sans savoir quoi penser ni comment réagir.


Et d’un coup, tous les téléphones de l’agence se mettent à sonner en même
temps. Le portable de Tim aussi, celui d’Abigail…

– L’article est en ligne, murmuré-je.


– Sauvons ce qui peut l’être encore ! nous jette Tim en partant à son tour.

Toute la journée, les journalistes nous sollicitent. Abigail passe les appels de
l’université, mais elle manque de s’évanouir quand le Département de
l’Éducation des États-Unis exige de parler à Joshua. Je la vois se décomposer au
fil des heures, mais elle fait front et je l’aide autant que je peux. Joshua n’est pas
sorti de son bureau, nous n’avons aucune directive. Aucun démenti n’a été
publié, Joshua doit vouloir attendre.

Mais attendre quoi ?!

Il faudrait qu’il vienne, qu’il s’explique, se justifie. Qu’il nous dise si oui ou
non il a protégé un viol ! Et s’il l’a fait…

Il serait comme ceux que j’ai fuis à la fac, comme ceux que je déteste…

Toute la journée, je me pose les mêmes questions. J’essaie en vain


d’approcher Joshua, mais il est sollicité de toutes parts. Pas une seule fois, il ne
m’adresse un regard. Un fossé est en train de se creuser entre nous car pour la
première fois, je ne regarde plus Joshua avec des yeux admiratifs.

Si Joshua ne parle pas… Eunice peut-être ? Abigail ne voulait pas que je la


contacte, tant pis. J’ai trop besoin de réponses maintenant et je ne risque pas de
mettre en péril le projet, puisqu’il l’est déjà ! Mais je ne peux pas lui dire que je
travaille moi aussi pour la campagne, elle va croire que je vais chercher à
défendre Joshua, à essayer de la faire revenir sur ces propos. Alors, je plonge
dans son blog, me crée un profil anonyme. Je veux juste établir un contact, on
verra bien ce que ça donnera.

« Chère Eunice, merci d’avoir eu le courage de lever le voile sur ta


souffrance. J’aurais aimé avoir le même pour me rebeller contre mes bourreaux.
Car oui, il s’agit bien de ça. De torture et de bourreau. Je comprends ta
souffrance et ta colère. J’ai tu la mienne, et aujourd’hui il faut tout reconstruire.
Si tu veux échanger avec moi, surtout n’hésite pas. Je crois que, malgré le temps
qui passe, un soutien est toujours essentiel. »

J’envoie le message en espérant qu’elle le lise. Et qu’elle me réponde surtout.

Puisque Joshua ne veut pas le faire…

J’ai l’impression d’agir en désespérée. Mais quand je vois la tête d’Abigail…

– Quelle journée ! me glisse-t-elle en partant. Et j’ai peur que celle de demain


ne soit pire !

J’attaque mon archivage avec une motivation nulle. Dans son bureau, Joshua
s’est barricadé. Je l’entends parler, discuter. Il n’a pas eu un seul instant de répit.

Le vibreur de mon téléphone me retient d’aller le voir. C’est Deaken.

– J’ai les clés de la boutique ! Viens, on est en train de faire une petite fête
improvisée !
– Oh… Je crois que je n’ai pas le cœur à ça, Deaky.
– Allez, viens ! Logan est là d’ailleurs… Tu ne peux pas rater ça !
– Ce n’est pas une bonne idée, je…
– Tu viens !

Je soupire de lassitude. Une fête, vraiment, dans ces circonstances ? Je range


rapidement, tant pis si je ne fais pas mes heures aux archives ce soir, qui s’en
souciera aujourd’hui ? J’ai surtout envie de mettre de la distance entre Joshua et
moi. Son silence me fait peur.

***

Quand j’arrive à la boutique, la fête bat déjà son plein. Deaken a installé un
petit buffet dans un coin où se mélangent tacos et pizzas. Original ! J’essaie
d’être heureuse, de partager sa joie, et vraiment, je suis contente pour lui. Quand
il me fait visiter, je réalise combien c’était le rêve de sa vie. Il me montre tout, se
projette dans les espaces : le coin essayage, le coin sur-mesure, le coin costume,
celui plus casual ou encore sportif, et, au fond, la réserve, une pièce sombre pour
le moment, qu’il arrive malgré tout à sublimer. Et je n’ai pas envie de lui gâcher
ce moment !
– Logan ! lance soudain Deaken en le voyant passer la porte d’entrée.
– Deaken, ça y est ?! s’exclame ce dernier en nous rejoignant, après avoir
traversé les espaces encore imaginaires du nouveau locataire. Préviens-moi
quand tu ouvres, je serai ton premier client ! Kirsten, ravi de te revoir…

Le ton du jeune avocat est moins enjoué que lors de notre première rencontre.
Mon silence a dû l’échauder un peu, il faut dire. Je fais un signe de tête à Deaken
pour qu’il nous laisse seuls et je rentre dans le vif du sujet sans perdre de temps.

– Je suis désolée, Logan, j’aurais dû t’appeler… Je n’ai pas d’excuses,


vraiment.
– Deaken m’a dit que tu étais occupée par ton job, je peux comprendre,
sourit-il.
– Non… Enfin oui, il y a de ça, mais… Tu ne dois pas te faire d’illusions ni
rien attendre de moi. J’ai… Quelqu’un en tête et, c’est assez confus pour que je
ne sache pas si je suis libre. Ou non.

Logan fait la moue mais il chasse rapidement sa déception. Et à nouveau son


regard pétille.

– On ne sait jamais… Quand tu y verras plus clair…


– Peut-être, admets-je. Mais…
– Viens, je vais te trouver un verre !

L’avocat m’entraîne vers le bar improvisé et me sert une coupe de champagne


dans un verre en plastique. Sa compagnie est apaisante, surtout que les choses
sont désormais claires entre nous. Mais je n’ai pas vraiment le temps d’en
profiter, puisque Liana me tombe dessus.

– Regarde, il est là ! chuchote-t-elle en m’entraînant loin de Logan.


– Qui ça ?
– Chris, mon photographe ! Viens, je vais te présenter !

Elle me plante devant un grand blond athlétique, un côté baroudeur australien


qui a dû séduire ma cousine. Nous échangeons quelques paroles, j’ai tout juste le
temps de commencer à l’apprécier que Liana l’emporte par le bras, aussi
rapidement qu’elle m’a menée à lui, vers Deaken.
Une aubaine pour moi finalement. Je n’arrive pas à me laisser prendre par la
fête et la décontraction générale. Je file en profitant du fait que Deaken et Liana
soient en pleine discussion, au fond de la boutique. Le temps de leur faire un
signe de la main et je suis déjà dehors.

Une jolie, et inattendue, surprise m’attend à l’appartement. Il est vide ! Mes


parents ont quitté les lieux non sans me laisser un petit mot.

Nous rentrons à la maison, le temps de trouver un appartement sur New York. Tu


as de quoi te nourrir dans le réfrigérateur. Remercie tout de même ta cousine de
notre part pour son accueil chez elle. Tout va bientôt s’arranger, tes parents qui
t’aiment.

Je ne sais pas si je dois pleurer ou me réjouir.

Toujours est-il que, ce soir, je dormirai dans ma chambre.


23. Violente révélation

Nous avons tous le regard tourné vers les écrans. Nous attendons
anxieusement la nouvelle publication d’Eunice. Nous gratifiera-t-elle d’une
avant-première comme hier ? J’actualise son blog et notre boîte de réception
toutes les cinq secondes à peu près… Et sur mon téléphone, je vérifie si je n’ai
pas eu de réponse de sa part.

Rien. Nulle part.

– Tu y crois, toi, à la soudaine maladie de Brenton ? demandé-je à Abigail


pour penser à autre chose. Il était en pleine forme hier.
– De toi à moi, je ne pense pas que ce soit une coïncidence, souffle ma
collègue. Il se désolidarise complètement de notre équipe. S’il ne revient pas, je
peux t’assurer que je ferai en sorte qu’il ne valide pas son stage ici ! Mais
laissons-lui le bénéfice du doute…
– Sans vouloir faire l’oiseau de mauvais augure…
– Le message ! Là ! Ouvre !

Je bondis aussi sur mon siège au cri d’Abigail.

– Tu ne veux pas attendre Joshua ?


– Je vais le prévenir tout de suite !

J’ouvre le mail alors que du bruit me parvient dans mon dos. Abigail, Tim et
Joshua m’ont rejointe. Je n’ai pas un regard pour lui. Ce matin, il n’est pas passé
me prendre comme hier. Il a dû arriver tôt, ou passer la nuit ici, parce
qu’Abigail, qui arrive aux alentours de huit heures, m’a dit l’avoir trouvé dans
son bureau en arrivant.

– Alors, voyons voir ce que cette fille nous réserve comme révélation
aujourd’hui, ironise Tim.

« Il y a toujours un après. »
« C’est comme une nouvelle vie qui commence après un bizutage qui tourne
mal. Je n’en ai parlé à personne à l’époque, je me suis enfermée sur moi-même,
un peu honteuse. Tout le monde a dépassé cette soirée de bizutage, pas moi.
Parce que le pire est arrivé. Surprise ! Je suis tombée enceinte ! »
« Douce nouvelle, n’est-ce pas ? Bien sûr, à mon âge, en première année, dans
ces conditions, la décision a été vite prise. L’avortement était inévitable. Mais là
encore tout ne s’est pas bien passé. Il y a eu des complications au cours de
l’intervention et… Je vous passe les détails sordides, vécue seule, forcément…
Quand le médecin est venu m’annoncer ma désormais stérilité, j’ai sombré
encore un peu plus… »
« Il aurait fallu que je parle, sans doute. Que je trouve un soutien. Je me suis
enfermée dans ma douleur. Alors que Matthew et Joshua riaient sur le campus,
moi… Je portais mon fardeau. Jusque-là toujours brillante, j’ai vu mes résultats
chuter. Je n’avais plus goût à rien. Trop d’injustice vous dégoûte de tout… Je
n’ai pas réussi à reprendre pied. J’avais un avenir, il a été brisé en une soirée.
J’ai fini par tout laisser tomber pour, un soir… tenter de mettre fin à mes jours. »
« Combien de destins brisés errent dans les rues ? Combien sommes-nous à
haïr le plus férocement du monde une personne qui, par ses actes, ou ses non-
actes – n’est-ce pas Joshua – nous a rendu méprisable, transformé en loque,
réduit à néant… »
« Matthew et Joshua. Je vous déteste profondément. »

Je suis prise d’une soudaine nausée. Dans mon dos, personne ne parle et
personne ne me voit essuyer une larme qui vient de rouler sur ma joue.

Personne pour l’aider…

J’ai connu cette solitude moi aussi, je sais ce que signifie de regarder les
autres vivre alors que vous êtes en dehors de tout… Et de vouloir penser au pire.

– Ce qu’a vécu cette fille est horrible ! lâche Joshua avec gravité. Il faut qu’on
la trouve, Tim ! J’ai déjà mis un détective sur Flint, j’attends de ses nouvelles. Je
n’ai rien trouvé sur lui sur Internet. Il faut qu’il paye. Mais notre priorité, c’est
de retrouver Eunice, et je mettrai tous les moyens qu’il faut pour ça !
– Et toi, Joshua, tu n’as pas de compte à rendre, de ton côté ? lui demande
Tim sans bouger d’un pouce.

Joshua revient sur ses pas et le toise.


– Je n’ai rien fait, Tim ! Je n’ai jamais été au courant de cette histoire, Flint ne
m’en a jamais parlé ! Tu étais là, avec nous ce soir-là, et dans notre groupe avec
Flint ! Tu aurais pu aussi entendre des rumeurs, des confidences, non ?! Je ne
sais pas ce que tu cherches, en me dénigrant comme ça, mais tu sais quoi ?! Ce
n’est pas ma priorité pour le moment. Cette fille-là a raté sa vie, le bizutage l’a
complètement détruite ! Nous y avons participé tous les deux : nous étions là à
les regarder partir pour cette soirée sordide, nous n’avons rien fait, rien fait pour
empêcher ce drame !
– Mais c’était la tradition, nous avons été bizutés l’année précédente, c’était
leur tour…

Abigail et moi échangeons un regard. Tim s’est bien gardé d’évoquer ce point
de détail. C’est bien ce que je soupçonnais. S’il y était lui aussi, alors il a dû la
voir ! Pourquoi Eunice ne parle-t-elle pas de Tim alors ? Et est-ce que Joshua et
Tim ont souffert de leur bizutage ? Est-ce que Joshua ne me parle pas parce qu’il
cache quelque chose ? Après avoir été bizuté, il aurait trouvé normal de se
venger des première année…

N’importe quoi. Stop.

Je n’en peux plus de cette histoire, ça remue trop de choses en moi. J’ai
besoin que Joshua me raconte sa version, en privé. J’ai juste besoin de lui,
proche de moi.

Je le suis jusque dans son bureau et je ferme la porte derrière moi. Enfin, je la
claque, tant je ne supporte plus son indifférence envers nous.

Envers moi, surtout…

– Ça ne peut plus durer, lui lâché-je quand il se retourne vers moi, surpris. J’ai
besoin que tu me parles de cette histoire ! Que tu me parles vraiment et…

Je tremble comme une feuille, mes mots sortent en cascade. Mes nerfs
lâchent… mes sentiments et le stress des dernières heures se mélangent.

– Kirsten, calme-toi, viens… me dit doucement Joshua l’air inquiet. Assieds-


toi.
– Je n’ai pas été bizutée, continué-je, incapable de m’arrêter, tellement j’en ai
gros sur le cœur. Mais un prof, à la fac, m’a harcelée, m’a… touchée, et quand
j’ai refusé de coucher avec lui, il fait courir des rumeurs sur mon compte. J’ai…
J’étais jeune, j’étais sans doute une proie facile… Personne n’a cherché à me
défendre. J’ai tout entendu sur moi, j’ai vu les regards, entendu les rires… Je
n’avais personne… J’ai perdu toute confiance en moi, toute envie de continuer à
vivre devant tant d’injustice. Je n’ai pas connu le pire comme Eunice, mais j’ai
pensé à me suicider moi aussi… Je n’en pouvais plus… Et… j’ai opté pour la
fuite… Loin de chez moi et de tout ça…

Je baisse la tête, secouée par les larmes. Je n’avais parlé de ça à personne


avant. Seule Liana et mon oncle savent ce qu’il s’est vraiment passé.

– Kirsten, tu…
– Dis-moi Joshua que tu n’es pas comme eux, l’interromps-je en le regardant
droit dans les yeux. S’il te plaît… Dis-moi que tu ne ferais jamais ça… Sinon…
Sinon, je partirai, je changerai de stage… Tu es tellement mystérieux, je n’arrive
pas à lire en toi… J’ai confiance mais l’instant d’après tu me fais douter car tu ne
me parles pas… Je n’en peux plus, Joshua, je n’en peux plus de cette
indifférence… Dis-moi, je t’en supplie dis-moi…

Tout commence à se mélanger dans ma tête. Eunice, ma propre vie, Joshua,


mes sentiments pour lui, la crainte de le perdre…

– Tu crois très sincèrement que j’aurais pu faire ça ? me demande-t-il avec


gravité.
– Je ne crois rien, je veux juste te l’entendre dire. Je ne demande qu’à te
connaître mieux pour n’avoir pas à me poser de questions sur toi. Mais c’est toi
qui ne veux pas te confier à moi !

Mes larmes continuent de couler, je renifle douloureusement. Je dois avoir


fière allure dans mon état… En plus, impossible de calmer le tremblement de
mes mains.

J’aimerais qu’il me console, qu’il me prenne dans ses bras et qu’il me souffle
de ne plus m’inquiéter.

Et c’est ce qu’il fait. À ma grande surprise. Au lieu de me mettre à la porte et


de me crier que rien de tout ça ne me regarde, Joshua me pousse à me lever pour
me serrer contre lui. Je reste figée un instant, mais c’est plus fort que moi. Je me
laisse aller à son étreinte, pose ma tête contre son torse. Sa main vient caresser
mes cheveux, tendrement.

– Tu es la première à savoir qu’il ne faut pas prendre ces rumeurs au pied de


la lettre, murmure-t-il à mon oreille. Toi plus que personne ici peux me
comprendre, je le sais d’autant plus maintenant que tu t’es confiée à moi.
Pourquoi est-ce que tu ne m’en as pas parlé plus tôt ? Si j’avais su, jamais je ne
t’aurais infligé ce dossier. Ça a dû remuer tellement de choses en toi…

Ces mots m’apaisent, je pourrais rester là des heures, bercée dans la sécurité
de ses bras. Mais il me repousse et me regarde. Un éclair de contrariété – ou de
tristesse, je ne sais pas – traverse ses yeux.

– Ce qu’Eunice raconte est vrai.

Mon cœur se brise dans ma poitrine et je dois me rattraper à son bureau pour
ne pas chanceler.

– J’étais bien là le soir du bizutage, continue-t-il en plongeant son regard dans


le mien. J’ai vu le groupe Alpha, les organisateurs de la soirée, lancer les
directives, je les ai vus tous partir dans leur sac-poubelle. Je n’ai pas bronché, je
ne suis pas intervenu pour dire que ce n’était pas une bonne idée. Mais c’est tout
ce que je sais. Flint était bien mon colocataire, mais nous n’avons jamais été
proches. J’ai déménagé assez rapidement pour vivre seul sur le campus. Lui et
moi… ça ne passait pas. Je comprends mieux pourquoi maintenant… Si j’avais
su ce qu’il avait fait, bien sûr que j’en aurais parlé !

Joshua fait une pause et se lève, cette fois pour se mettre derrière la baie
vitrée.

– Je t’assure, Kirsten, que je n’ai pas participé au bizutage et que je ne savais


rien du viol, finit-il par me dire en se retournant vers moi. Je ne me suis jamais
douté de rien. Je ne me souviens pas de cette fille, d’aucune Eunice, cette
histoire n’est jamais remontée pendant mes études, encore moins celle de sa
tentative de suicide. Je n’aurais pas pu garder un tel secret, Kirsten. Je sais que je
ne te raconte rien, que je te mets à distance de ma vie. Mais tu peux me faire
confiance. Comme toujours…
Comme toujours…

Je n’ai jamais eu de raison de douter de lui dans l’intimité. Malgré ses airs
dominateurs, il a toujours eu les gestes, l’attention et ce profond respect pour
moi. Comment un homme comme lui aurait pu être complice d’un viol alors
qu’il a su si bien prendre soin de moi ? Comment ai-je pu douter ? Joshua revient
vers moi, m’attire doucement à lui. Mes défenses, ma colère, mes questions, tout
s’envole petit à petit.

– Je ne sais pas qui est cette fille, je n’ai aucun souvenir d’elle. Mais je te
promets de ne pas laisser cette affaire sans réponse. Elle mérite qu’on s’occupe
d’elle, même s’il est un peu tard, maintenant. J’ai besoin de ton soutien, Kirsten.
Tu m’as défendu, j’ai vu dans tes yeux à quel point tu m’estimais. Je ne veux pas
te décevoir, je veux que tu restes et que tu m’aides à affronter ça. Tu as cette
sensibilité, ce regard sur les autres… Ne me quitte pas, Kirsten…

Dans ma tête, c’est les montagnes russes. Dans mon cœur et dans mon ventre
aussi. Jamais il ne s’était autant ouvert à moi, jamais même je n’aurais pensé
qu’il avait peur que moi je le quitte !

On frappe soudain à la porte, ce qui me fait bondir loin de Joshua.

– Monsieur, fait son assistante, les clients n’arrêtent pas d’appeler, on croule
sous les messages.
– Dites à tout le monde que je répondrai bientôt, lui dit-il. Mais j’ai une
urgence à régler.

Joshua se tourne vers moi. À son regard déterminé, je comprends qu’il


s’apprête à reprendre le contrôle de la situation.

– Il est temps de démêler toute cette histoire. D’accord ?

J’acquiesce, le cœur battant. Joshua m’invite dans son combat, dans sa vie.
C’est une invitation à plonger dans son passé… Et à l’aider surtout. Ses mots me
font encore vibrer…

– Kirsten, fais venir Abigail et Tim ici. On va faire le point.

En moins de cinq minutes, nous sommes tous les quatre assis en face de
Joshua. Enfin, plutôt Abigail et moi, parce que Tim a tenu à s’installer plus loin,
sur le bras d’un fauteuil, l’air de ne pas trop vouloir se mêler à tout ça.

Ce qui n’échappe pas à Joshua.

– Cette histoire nous concerne tous les deux, lui rappelle-t-il. Il n’y a que mon
nom qui est avancé, mais tu n’es pas à l’abri que le tien le soit aussi. Cette
agence, c’est nous deux. Si elle coule, ce ne sera pas uniquement ma faute, c’est
aussi parce que tu l’auras regardée couler. Si tu veux la sauver, sauver ta
réputation, ta famille qui risque aussi d’être éclaboussée, il est temps que tu
prennes tes responsabilités ! Que tu retrouves ton rôle d’ami, que tu as perdu ces
dernières semaines. Pour les autres : sachez que je n’ai jamais entendu parler
d’un viol ou d’une tentative de suicide.

Abigail hoche la tête, encourageante.

– Tim, continue Joshua, tu te joins à nous, sinon, tu peux partir d’ici. Mais je
ne tolérerai plus tes réflexions inutiles. On doit se battre aujourd’hui et
ensemble !

Tim s’apprête à riposter mais ne trouve rien à dire. Après quelques secondes
de réflexion, il vient s’asseoir avec nous.

– Qu’est-ce que tu comptes faire ? finit-il par demander à Joshua.


– Pour commencer, qu’est-ce qu’on sait sur cette Eunice ?
– Elle était en première année quand vous finissiez vos études, commencé-je.
– Tu t’en souviens ? interroge Joshua en se tournant vers Tim.
– Pas du tout. J’essaie aussi de me rappeler cette soirée, mais c’est loin ! Il y
avait du monde, beaucoup de nouvelles têtes… On ne faisait pas les
présentations à l’époque.
– Je suis comme toi, rien ne me revient précisément. Flint s’était déjà bien
échauffé avec les Alpha, mais est-ce qu’il était là au moment du départ, je n’en
ai aucune idée.

Je laisse quelques instants à Tim et Joshua pour retrouver la mémoire perdue,


des images ou des visages qui pourraient leur revenir, avant d’intervenir.

– Pour ce qui est du présent, on sait que cette Eunice a répondu à nos
échanges avec les anciens élèves. Elle devait être dans la boucle, mais je n’ai pas
ce prénom dans mon listing. J’ai… J’ai tenté de la contacter directement, mais…
– Tu as quoi ?! me demande brusquement Joshua.
– Je… Je voulais comprendre, dis-je en le regardant droit dans les yeux avant
de reprendre le fil. Le plus simple, à mon avis, serait de reprendre les agendas de
la fac, les annuaires, voir si une Eunice apparaît. Si elle était aussi brillante
qu’elle le dit, la chute de ses notes a dû être remarquée… Il y a encore d’anciens
de vos professeurs qui exercent là-bas ? On pourrait leur demander.
– Kirsten a raison, bondit Joshua de son fauteuil. Les réponses sont sans doute
dans les archives de la fac. Tim, allons-y. Abigail, si vous avez du nouveau ici,
vous n’hésitez pas à m’appeler. Kirsten, tu viens avec moi ! Je veux que tu
m’expliques tout ce que tu as fait pour essayer de remonter jusqu’à elle !

J’attrape mon sac, gagnée par une montée d’adrénaline. Nous traversons le
hall d’accueil, le pas décidé.

– Je passe prendre Annie, annonce Tim, on vous rejoint là-bas. Elle a une
mémoire des visages qui pourra nous aider.

Il nous quitte en petite foulée, mû par un nouvel état d’esprit. Le discours de


Joshua a dû lui remettre les idées en place. Tant mieux, Joshua doit apprécier de
se sentir enfin soutenu par son ami. Mais je me montre assez méfiante. Qui dit
qu’il ne lui décochera pas un nouveau pic assassin ?

– La femme de Tim ?
– Oui, c’est sur les bancs de la fac qu’ils se sont rencontrés.
– Comme quoi, il peut quand même s’y passer de jolies choses, soufflé-je
avant de m’engouffrer dans la voiture de Joshua.

Nous roulons en silence. Jusqu’à ce que Joshua se tourne vers moi.

– Et maintenant ? Tu me crois ? J’ai toute ta confiance, Kirsten ?

J’entends un fond de crainte dans ses questions. Je vois une ombre dans ses
yeux. Il a besoin d’entendre lui aussi que je suis derrière lui.

– Désolée d’avoir douté. J’aurais dû écouter mon instinct et ne pas cesser de


croire en toi. Tout ce que je peux t’apporter, je le ferai.
Joshua hoche la tête et se concentre sur la route.

À nouveau le silence. Et puis sa main qui se pose sur ma cuisse, la mienne qui
vient la recouvrir. Je crois que tout est dit, pour le moment.
24. Avis de recherche

– C’est inadmissible, Joshua ! Nous avons dépensé un très gros budget pour
cette campagne et voilà qu’elle vire au fiasco, s’emporte le doyen de la faculté.

Nous sommes introduits dans une spacieuse salle de réunion où nous nous
installons, précédant le chariot des annuaires qu’a bien voulu nous communiquer
l’administration de la fac.

– Je sais et c’est une situation compliquée, tente de le calmer Joshua. Et


croyez-moi, je suis le premier à en pâtir. Mais si nous retrouvons l’auteure de ces
messages, nous pourrons peut-être tout arranger. Ou ce qui peut encore l’être.
– Je l’espère Joshua, vraiment, je l’espère !

Le doyen nous quitte, rouge de colère. S’il avait fait son travail à l’époque,
s’il avait interdit le bizutage et mieux surveillé ses élèves, on n’en serait pas là…
Il y a de très nombreux responsables dans cette histoire, non ?

Quand Tim et sa femme nous rejoignent enfin, Annie se précipite sur Joshua
pour lui prendre la main.

– Est-ce que tu vas bien ? C’est terrible, ce qu’il se passe… Tim m’a tout
expliqué dans la voiture, je vais t’aider du mieux que je peux, mais je n’ai aucun
souvenir d’une Eunice.

Quand elle se tourne enfin vers moi, je remarque son mouvement de surprise.
Joshua aussi.

– J’ai demandé à Kirsten de venir nous prêter main-forte, lui explique-t-il.


– Très bien, se contente-t-elle de lui répondre, non sans me lancer un long
regard.

J’essaie de ne pas rougir, j’ai bien conscience que les raisons de ma présence
ne sont pas évidentes. Même si Joshua et Abigail me considèrent comme une
employée plus que comme une stagiaire : je n’ai clairement rien à faire ici.

– Je vous laisse les annuaires, je m’attaque aux dossiers des étudiants sur
Internet, dis-je pour cacher mon malaise.

J’entends Tim et Annie se lancer dans la recherche de l’annuaire des deux


promos qui les ont succédé et se laisser aller à quelques commentaires qui n’ont
rien à voir avec notre affaire. Ils retrouvent leur souvenir, des visages perdus.
Surtout, tout ça les replonge à l’époque de leur rencontre, ce n’est pas
complètement insignifiant pour eux.

C’est même assez attendrissant de les voir se rappeler leurs souvenirs.

Mon téléphone sonne, Abigail cherche à me joindre. Je sors de la salle pour la


prendre dans le couloir.

– Kirsten ? Joshua ne répond pas… J’ai une très mauvaise nouvelle !


– Brenton est revenu ? ironisé-je.
– Je préférerais ! YouTube vient de supprimer nos vidéos et je crois que les
chaînes de télévision vont commencer à faire de même.
– Oh…
– Tout ce travail pour rien… Vous trouvez quelque chose de votre côté ?
– Non pas encore… On vient seulement de commencer… Merci Abigail, je te
tiens au courant.

Je raccroche en soupirant. Les mauvaises nouvelles s’accumulent… Il serait


peut-être temps d’entrevoir un peu d’espoir avant que nous sombrions tous pour
de bon !

– Un problème ? fait une voix féminine derrière moi.

Annie se tient à quelques pas, un sourire bienveillant sur les lèvres.

– Un problème avec la diffusion de la campagne, lui dis-je simplement.


– Oh… Votre travail est mis en suspens, mais ça ne veut pas dire qu’il va
disparaître. Je les ai vus, c’était du beau boulot !
– Merci… Hum… Est-ce que je peux vous poser une question ? demandé-je
en rougissant un peu. Comment était Joshua… à la fac ?
Je brûle de savoir quel genre d’étudiant il était. Et ce tête-à-tête avec elle
tombe à point nommé… même si ce n’est pas vraiment le moment.

– Joshua ? Eh bien, il était brillant, très concentré sur ses études et la vie
associative. Il faisait aussi du sport, de l’aviron il me semble, je ne sais plus…
Ce n’est pas du tout l’homme que présente Eunice, jamais il n’aurait pu
participer de près ou de loin à un viol !
– C’est ce que je pense aussi…
– C’était un chouette garçon, mais je lui ai préféré Tim, finit-elle en riant.
– Bon, je dois prévenir Joshua… Pour les campagnes…
– Oh, Kirsten, m’arrête-t-elle. J’ai remarqué la façon dont Joshua vous couve
du regard. Il y avait déjà quelque chose entre vous au cours de la soirée, je l’ai
senti, mais là aujourd’hui, c’est différent…
– Vous vous trompez, Joshua est mon chef, commencé-je à bredouiller. Il n’y
a rien entre nous, je… Je ne suis que sa stagiaire !
– Vous n’êtes sûrement pas que ça, sinon, vous ne seriez pas là, à ses côtés,
dans ce moment difficile. Vous ne vous êtes pas demandé pourquoi vous étiez
là ? Vous ne pouvez pas nous aider à chercher ni à réveiller des souvenirs que
vous n’avez pas. Sans vous vexer, vous n’êtes pas vraiment utile… Mais votre
présence compte pour lui.

Je reste muette. Annie est perspicace, je ne me sens pas très utile… Joshua
s’occupe des dossiers, Tim et elle des annuaires. Je n’ai fait que répondre au
téléphone jusqu’à présent…

– Je vais chercher des cafés, vous en voulez un ? me demande-t-elle en


souriant.
– Oui, merci.

Je lui suis reconnaissante de ne pas en dire plus. Elle ne juge pas notre
relation et ça me fait du bien. Depuis le début, en plus des risques pour mon
avenir pro, j’ai peur du regard des autres, de ce qu’on pourrait penser de moi,
penser de nous.

Annie pense que ma présence compte pour Joshua… et je commence à le


comprendre de plus en plus. Est-ce que je dois m’en réjouir ? Que ça pourrait
être la preuve que lui aussi pourrait éprouver quelque chose pour moi ? Ou est-ce
que, passé cette crise, tout redeviendra comme avant ?
J’essaie de balayer mes interrogations pour me recentrer sur l’essentiel. Dans
ma main, mon téléphone vibre. Ma boîte de réception…

Eunice !

Elle a répondu à mon message, envoyé avec une fausse identité !

Je me précipite à l’intérieur pour montrer ça à Joshua mais je suis accueilli


par une vive discussion entre lui et Tim. Une sorte de règlement de compte entre
amis, une mise au point, à laquelle je me sens coupable d’assister. Je vais pour
repartir, mais quand Tim prononce mon prénom, je me fige.

– Et toi ? Tu as agi comme un ami ces dernières semaines ?! À me mentir,


tout le temps. Je ne te reconnais plus, plus rien n’existe à part Kirsten et ce
dossier. Tu m’as balayé de ta vie alors que nous avons toujours tout partagé !
– C’est vrai, je l’avoue, j’ai eu une relation avec Kirsten, lâche Joshua,
emporté par l’agacement. Et tu ne peux pas savoir comme ça m’a fait du bien, de
penser à autre chose que le boulot ! Je n’ai pas le droit d’être heureux, Tim ? Ou
je dois toujours m’occuper de toi ?! Tu as ta vie, tu es bon dans ce que tu fais, ta
femme est superbe. Que te faut-il de plus ?!
– J’étais jaloux, voilà ! Tu as toujours eu tout ce qu’il y a eu de mieux et
Kirsten… la façon dont elle te regarde… et tu l’as choisie pour toi alors que je
t’avais expressément demandé de bosser avec elle !
– Rassure-moi, Tim, les rumeurs… ce n’était pas toi ?
– Si ! Pour que tu comprennes qu’on ne peut pas tout le temps tout avoir au
mépris du reste du monde !

Le couperet tombe et je retiens mon souffle. Je suis abasourdie par ce que je


viens d’entendre…

– Comment est-ce que tu as su ? lui demande Joshua, maîtrisant tant bien que
mal sa colère.
– Je te connais, Joshua, depuis des années. Dès son arrivée, tu étais différent.
Ta façon de l’observer, les invitations que tu as refusées après ça… Et cette
histoire avec Miss Univers, pas à moi ! Je n’y ai pas cru une seconde. Tous les
deux vous avez essayé d’être discrets, mais toi, Joshua… Cette fille t’a marqué.
Tu aurais pu me dire qu’elle comptait pour toi, j’aurais pu t’aider à vivre cette
histoire… Mais je n’ai pas supporté que tu me méprises autant, que tu me
prennes tout ce qu’il y avait d’intéressant dans ton agence, juste parce que tu as
toujours été meilleur que moi.
– Je pouvais te pardonner la jalousie et ton manque de confiance en toi…
Mais tu lui as fait du mal à elle, tu t’es attaqué à elle, tu as joué avec sa
réputation, tu l’as isolée de ses collègues. Tu te rends compte des conséquences
que ça peut avoir ?! On nage en plein dedans ! Et elle ne le méritait pas.

Joshua est comme moi, écœuré.

Je ferme la porte bruyamment et fais semblant d’arriver et de les interrompre.


Je n’ai pas un regard pour l’ami déchu.

– Joshua, j’ai deux nouvelles, dis-je d’une voix forte. Les spots de campagnes
ne sont plus diffusés et j’ai reçu un message de la part d’Eunice.

Joshua se précipite vers moi.

– Est-ce que tu as entendu ? me demande-t-il en premier sans que Tim ne


puisse entendre.
– Oui, soufflé-je.

Il se contente de hocher la tête et réprime un geste de réconfort vers moi. La


main qu’il allait poser sur mon épaule dérive plutôt vers mon téléphone.

– Tu l’as lu ? m’interroge-t-il cette fois à voix haute.


– Non, je vous attendais.

De : Eunice
À : Julia
Re : Contact

Je compatis à ton histoire aussi. Elle n’est peut-être pas aussi violente que la
mienne comme tu dis, mais elle a débouché sur beaucoup trop de
souffrance. Ne laisse pas tout ça sous silence, parle, libère-toi. Je découvre
avec retard le soulagement que cela peut apporter.
Si tu le souhaites, tu peux te confier à moi, si tu as besoin de parler.
Dis-toi que tu vaux beaucoup plus que ces pauvres êtres stupides !
– Garde le contact avec elle, me conseille doucement Joshua en relevant la
tête. Si on ne trouve rien ici sur son identité, c’est le seul lien que nous aurons
avec elle.
– D’accord…

Joshua se replonge dans ses dossiers et Tim ne bronche pas, plongé dans ses
annuaires. Annie revient dans une ambiance très studieuse.

– Je crois que j’ai quelque chose ! nous lance soudain Joshua. J’ai un profil
qui colle, un dossier d’entrée solide, puis des notes qui chutent au début de
l’hiver… Les profs ne comprennent pas son désinvestissement complet. Pas de
trace d’elle l’année suivante !
– Son prénom ? demandé-je pleine d’espoir.
– Olivia Cowen.
– Attends, intervient Annie en attrapant un annuaire. Je regarde !

Nous l’entourons tous les trois, quand son doigt finit par tomber sur une jeune
femme brune, sans sourire.

– Si Eunice est bien un pseudo, relève Joshua. C’est Olivia qu’il faut trouver
maintenant.
25. Confrontation

– C’est quand même dingue cette histoire autour de cette campagne, souffle
Liana derrière son bar. J’imagine que ton chef et toi vous n’avez plus trop la tête
à vous voir ?
– Il est assez pris et c’est assez compliqué pour lui. Il est en première ligne et
puis…
– Oui, mais et toi, Kirsten ? Comment tu vis tout ça ? OK, c’est dramatique,
mais du coup toi ? Il te met de côté, il pense un peu à toi ?
– Je… Je ne sais pas trop, il…
– Tu veux mon avis ?

Je suis bien curieuse de savoir comment Liana réagirait à ma place…

– Ah, voilà Deaken, on va aussi avoir son avis de mec sur la situation !
Deaken, réunion !

Notre ami a à peine le temps de s’installer que Liana lui brosse un rapide topo
de ma relation avec Joshua.

– Et tu dis que son meilleur ami a vu qu’il était différent depuis qu’il te
connaît ? me demande-t-il. C’est pas mal, mais faudrait qu’il assume quand
même…
– Mais je suis sa stagiaire ! Et de toute façon, il a plus urgent à régler en ce
moment que cette histoire entre nous. Sa boîte et sa réputation sont en train de
s’écrouler. Je passe après, et c’est normal !
– Gardez votre relation secrète, c’est de toute façon ce qu’il y a de mieux à
faire… Si en plus, on apprend qu’il couche avec toi, il est fini ! C’est beaucoup
plus excitant, continue-t-il. Je peux quand même avoir une bière ?
– Le problème, c’est que tu l’as mal habitué, souffle Liana en posant un verre
devant Deaken. Tu as toujours répondu présente à tous ses appels !
– Oui mais…
– Fais-toi désirer ! Ce mec a besoin d’un électrochoc ! Il tient à toi, te
demande de l’aide, imagine déjà que tu seras toujours là pour lui. C’est trop
facile !
– Joshua n’est pas comme ça, il…
– On ne le connaît pas, on ne sait pas ce qu’il s’est vraiment passé entre vous
et on n’est pas dans sa tête non plus. Il a l’air de sincèrement tenir à toi, mais
cette relation ne te convient pas, n’est-ce pas, Kirsten ? souligne Liana. Toi, tu as
envie de plus, ton instinct te dit qu’il se passe un truc. Il faut juste peut-être
l’aider à se rendre compte qu’il faut passer un cap.
– Mais comment… Il n’a pas du tout la tête à ça en ce moment, je n’ai pas
envie de le…
– On ne te dit pas de le laisser tomber ! intervient Deaken. Tu ne le ferais pas
de toute façon. Et ça crève les yeux que tu es complètement dingue de lui ! Mais
ne lui obéis plus au doigt et à l’œil, crée le manque ! Tu verras…

J’esquisse une moue dubitative. Ne plus lui répondre, c’est aussi moins le
voir. Alors que je meurs d’envie d’être à ses côtés en ce moment même.

– Ça va aller, me souffle Liana en me caressant le bras. Et puis, tu sais que


quoi qu’il se passe, on sera là pour toi. Soit on te sortira pour te changer les
idées, soit on acceptera Joshua dans notre cercle !

Ses mots me touchent. Et c’est sur cette note que je quitte mes amis. La
journée a été longue et j’ai besoin d’un bon bain et d’une nuit récupératrice. Je
ne sais pas à quel point mes amis ont raison dans leurs conseils, je ne sais même
pas s’ils s’adaptent à ma situation… Joshua a tout de même avoué notre relation
à Tim, Annie m’a dit qu’il était différent avec moi… Ce n’est pas anodin…

Mais j’aimerais tellement que Joshua me dise, à moi, si j’ai changé quelque
chose dans sa vie, pourquoi il a besoin de moi… Je veux des mots, j’ai besoin de
l’entendre dire que je compte pour lui. Et pas que physiquement. Parce que pour
le moment, j’ai juste l’impression d’être une relation passagère qui lui change
simplement le quotidien.

***

Un message matinal de mes parents me sort du lit beaucoup plus tôt que
prévu. Et ce n’est pas pour m’annoncer une bonne nouvelle. Ils commenceront
les visites d’appartements new-yorkais la semaine prochaine, mais « que je me
rassure » : ils iront dormir à l’hôtel.

Parfait !

J’arrive à l’agence aux aurores et trouve une fois encore Joshua dans son
bureau. Nous sommes seuls, c’est peut-être l’occasion de faire un point sur ce
qu’il se passe entre nous… L’occasion de lui demander ce qu’il en est vraiment ?
Que je sache si je dois être patiente avec lui ou si au contraire, je dois me
résigner.

Mais comment lui parler de ça alors que son agence traverse une crise ? J’ai
l’impression d’être un monstre d’égoïsme à ne penser qu’à moi alors que sa
réputation est en jeu. Ma culpabilité monte en flèche quand j’aperçois à quel
point il semble soucieux, derrière son bureau.

– Est-ce que ça va ? me contenté-je de lui demander en frappant à sa porte.

Le regard qu’il pose sur moi est sombre. Non, bien sûr que ça ne va pas.

– La majorité de nos clients ont gelé leurs projets en cours chez nous, quand
certains nous ont littéralement quittés, m’explique-t-il en se levant. C’est
injuste… Je comprends la détresse de cette femme, mais les conséquences sont
énormes pour nous.
– Est-ce que tu as trouvé des informations sur cette Olivia ? Et sur Flint ?
– Je n’ai pas vraiment eu le temps à notre retour hier. Il a fallu que je
m’occupe des messages qui m’attendaient et gérer le plus urgent. Il n’est pas
question pour moi de mettre la clé sous la porte !

Joshua n’est pas abattu, loin de là, mais je comprends qu’il mène deux
batailles de front. Et visiblement, son associé n’est pas là pour lui donner un
coup de main… En plus de propager des rumeurs et de blesser son meilleur ami,
il s’avère être un piètre collaborateur. Vraiment, je déteste ce type !

– J’ai une idée, pensé-je soudain tout haut. Je vais répondre à Eunice, ou
Olivia. Et lui proposer de boire un café avec elle en priant pour qu’elle habite à
New York. Ça ne devrait pas être trop compliqué à organiser… Sauf si elle ne
veut pas se montrer, bien sûr…

Joshua se tourne vers moi et je sens son hésitation.


– Tu l’as dit toi-même, c’est le seul lien que nous avons avec elle. Il faut
l’utiliser !
– Mais je ne veux pas t’impliquer autant ! Et si elle est psychologiquement
instable, si elle s’en prend à toi ? Elle finira bien par comprendre que tu
travailles pour moi.
– Elle n’est pas instable, elle ne va pas bien… Et puis tu seras là, non ?

Ma question n’est pas anodine et il le sait. Du moins je crois.

– Bien sûr, je serai là, dit-il en s’approchant de moi. Mais…


– Alors, c’est réglé. Je vais lui envoyer un message.

Joshua me retient alors que je m’apprête à quitter son bureau. Je sens la


puissance de sa retenue, des non-dits, de cette lutte qui doit l’agiter. Je voudrais
lui hurler de me confier ce qu’il a sur le cœur, ce qu’il pense de nous… Si je
m’implique trop, si je ne dois pas faire tout ça pour lui…

– Une fois que tout sera terminé… Toi et moi, il faudra…

Qu’on parle.

La sonnerie du téléphone de son bureau l’interrompt, et une ombre repasse


dans ses yeux quand il raccroche.

– La police veut m’interroger… Une enquête a été ouverte.

La bulle de tranquillité matinale vient d’éclater. Mon cœur se serre. Si la


police entre en scène, je n’ose imaginer ce qu’il doit se passer dans son esprit…
Tout ça n’est donc pas près d’être terminé. Je retiens ma respiration, attendant
l’issue de notre entrevue. Il peut me mettre à la porte pour rester seul ou me
demander encore mon soutien.

Et me plaquer contre le mur…

Alors, je ne sais pas vraiment ce qui me prend. Avant que le téléphone ne se


remette à sonner, je cède à une brutale envie de l’embrasser, de le sentir encore
une fois « avec moi », de mener la danse. D’être plus qu’un simple exutoire. Sur
la pointe des pieds, je pose mes lèvres sur les siennes. Ça ne dure que quelques
secondes, car, manque de chance pour ma propre initiative, un bruit suspect,
comme une porte qui s’ouvre, me fait bondir de côté.

Heureusement, il n’y a rien, personne n’est entré. Je repense aux paroles de


Deaken. La situation pourrait être pire pour Joshua, ce baiser pourrait être le
dernier coup porté à sa carrière.

Je recule, évitant de croiser son regard. Je ne sais pas si je pourrais lui résister
si l’envie lui venait de me prendre ici, dans son bureau, comme la dernière fois.

– Je vais contacter Eunice… soufflé-je avant de fuir littéralement.

Je rédige un bref message sur mon téléphone, propose à l’intéressée de la voir


le plus rapidement possible. J’écris que j’ai besoin de parler, d’avoir son soutien,
ses réactions, que les messages me laissent dans ma solitude alors qu’une vraie
rencontre pourrait m’apporter plus de réconfort. Est-ce que je culpabilise de la
manipuler de cette façon ?

Je ne sais pas… Est-ce que je fais passer Joshua avant sa souffrance ? Mais il
veut l’aider, alors, je me dis que j’agis pour le bien de tous.

Quand l’article du jour paraît, nous l’accueillons sans emportement. Eunice a


publié les photos de Flint et Joshua de la fac, pointant du doigt leur réussite,
contrastant avec sa propre descente aux enfers.

Toute la journée, j’attends sa réponse. Toute la journée, je vois Joshua faire


les cent pas dans son bureau. Tim est enfin arrivé et semble l’aider avec les
appels des clients.

Il était temps !

Et puis soudain. Un mail. Eunice accepte de boire un café, en fin d’après-


midi. Elle répond à ma prétendue détresse avec bienveillance. Elle m’apporte
son soutien alors que je prépare un piège…

C’est pour le bien de tout le monde !

– Joshua ! Elle est d’accord ! crié-je presque en courant à son bureau.


Ce qu’il se passe après me laisse une impression de plan de bataille. Joshua,
Tim, Abigail et moi, nous posons tous les quatre pour nous mettre d’accord sur
la stratégie à adopter. Joshua nous explique ce qu’il tient à faire, avec Eunice, ou
Olivia. Il y pense depuis quelques jours, mais tient à avoir notre accord.

Abigail hoche la tête, mon cœur se gonfle d’espoir. Tim est dubitatif, mais son
avis ne compte plus. Maintenant, il ne reste plus qu’à convaincre Eunice…

***

Stressée est un mot bien trop faible pour décrire mon état d’esprit du moment.
Assise à ma table, dans le café proposé par Eunice, je sens toute l’importance de
ce rendez-vous peser sur mes épaules. Joshua n’est pas loin, à quelques tables de
moi. Suffisamment loin pour ne pas qu’elle remarque sa présence en arrivant,
mais assez proche pour entendre notre discussion.

J’essaie de faire abstraction de la pression. Je vais rencontrer quelqu’un de


profondément blessé et c’est dans les tristes points communs de nos histoires
respectives que je vais puiser la force de l’affronter. Parce que malgré la bonne
volonté et la bienveillance que peut éprouver Joshua, il ne peut pas comprendre
notre ressenti. Tout comme je ne pourrais jamais comprendre totalement ce qu’a
vécu Olivia qui, elle, a été violée. Certaines choses sont trop douloureuses pour
être expliquées à ceux qui ne les ont pas vécues. Mais je commence à me rendre
compte qu’essayer d’en parler vaut le coup, il suffit d’être bien entouré.

Je la reconnais dès qu’elle passe devant la baie vitrée du café. Brune comme
sur la photo, frêle comme un oiseau tombé du nid.

Eunice est donc bien Olivia.

Quand mes yeux croisent les siens, je n’y lis pas de la colère ni de la haine.
Mais elle a le regard de ceux qui ne se font plus d’illusions, le regard grave et
profond, résigné même, de ceux qui n’attendent plus rien de la vie.

– Kirsten ? me demande-t-elle d’une voix douce en s’approchant de ma table.


– Oui, c’est moi, dis-je en me levant. Merci d’avoir répondu aussi vite !
– J’ai senti que tu avais besoin de parler, me sourit-elle avant de se
commander un long café.
– Je suis assez impressionnée, lui avoué-je pour commencer à la faire parler
d’elle. J’ai devant moi Eunice, celle qui réveille les consciences !
– Oh… Je n’aime pas ce rôle de porte-parole qu’on tient à me donner ! Je
voulais juste parler de ma propre expérience. Et appelle-moi Olivia… Eunice est
un pseudo que j’ai pris pour me cacher.

J’avance avec prudence, de peur de dire ou de faire quelque chose qui


pourrait la faire partir rapidement.

– Pour te cacher ? Tu crois que ton blog pourrait t’attirer des ennuis ? lui
demandé-je, feintant la surprise.
– Des ennuis ? Ce serait quand même gonflé de la part de ceux que je cite de
me traîner au tribunal. Je ne raconte pas n’importe quoi, j’ai des preuves de mon
avortement, de ma dépression… Même la fac doit avoir mon dossier scolaire
avec mes notes désastreuses… Non, c’est juste que je ne voulais pas que mon
maigre entourage sache tout ça. À part mes parents, personne ne sait dans ma
famille.
– Tes parents t’ont soutenue à l’époque ? Moi, les miens, je n’ai pas réussi à
leur dire ce que j’ai traversé. Il n’y a que mon oncle qui a su.
– Au début, j’étais comme toi, je n’avais pas envie de les impliquer… Ils
auraient fait quoi de toute façon ? Porté plainte ? À la fac, on m’aurait regardée
comme une bête curieuse… Franchement, j’avais déjà assez à faire avec mon
propre dégoût que d’assumer en plus celui des autres. Mais au bout du compte, il
a bien fallu que je leur explique la chute de mes notes… Et mon échec.

Je laisse le silence s’installer entre nous. Je lutte pour ne pas trop m’impliquer
personnellement, mais remuer son passé réveille aussi le mien et j’ai du mal à ne
pas me rappeler comment je jouais la comédie devant mes parents, trop heureux
de mes bons résultats, alors que j’évoluais dans une profonde solitude.

– Et maintenant, ça te soulage d’en parler ? la questionné-je. Je me demande


si je devrais faire la même chose, avouer à tout le monde ce que j’ai traversé.

Je me retiens de ne pas la mitrailler de questions, de ne pas évoquer Joshua et


de lui dire qu’il n’a rien à voir avec son viol, qu’elle se méprend complètement
sur lui…

– Sincèrement… Je m’attendais à ce que ça me fasse du bien, que je ne sois


plus la seule à porter ce fardeau, m’explique-t-elle dans un triste sourire. Mais ça
ne soulage rien du tout. Je me sens toujours aussi seule.
– Alors pourquoi t’acharner sur ce Joshua Carlson ?
– M’acharner ?! s’exclame-t-elle, piquée. Je veux juste marquer les esprits !
Ce n’est pas une gentillette petite campagne qui changera les consciences ! Parce
que, c’est quoi le message de ces spots ? Que le bizutage, c’est mal ?! Merci,
mais on le savait déjà, je crois. C’est tellement hypocrite ! Surtout quand on sait
qui réalise ces campagnes, le type qui sait exactement que le pire peut arriver ! Il
n’y a pas que les gentils d’un côté et les méchants de l’autre, c’est trop facile. Le
problème est plus vaste, plus grand. Il y a ceux qui savent et font semblant de ne
rien voir. Les témoins passifs, ceux qui ne lèvent pas le petit doigt pour te venir
en aide.

Olivia s’enflamme.

– Mais il n’y avait pas que Carlson ce soir-là… Pourquoi ne pas balancer les
autres noms ?
– Tu sais qui sont les Alphas aujourd’hui ? Avocats, procureurs, des gens bien
placés qui auraient tout étouffé. Carlson me rend un grand service en n’étant
« que » dans la pub. Je n’ai pas de preuves pour faire condamner ces pourritures,
encore moins mon violeur, je peux juste me raccrocher à l’idée qu’ils tremblent
un peu chez eux à l’idée que je puisse révéler leur nom. C’est tout ce que j’ai
pour me venger… C’est une piètre satisfaction, ça ne me fait même pas plaisir,
ça ne m’apporte aucune réjouissance. Mais au moins, une fois dans leur vie, ils
sauront ce à quoi ils ont participé. Je ne me fais aucune illusion, ils sauront
balayer ça d’un revers de la main.
– Mais c’est injuste pour Josh… Carlson. Il n’a peut-être pas fait ce dont tu
l’accuses !
– Je sais, c’est injuste, je n’ai pas de preuves pour ça non plus. J’écorche sa
réputation, et alors ? Moi c’est ma vie, mes rêves, que j’ai perdus. Il s’en
remettra, moi non, je ne me relève pas de ça. Je t’ai dit, il m’a donné l’occasion
de pouvoir m’apporter une petite vengeance, l’occasion de parler et de dire ce
qu’il peut arriver dans ces bizutages. Je regrette de ne pas avoir parlé à l’époque,
ça aurait sans doute changé tellement de choses… Je le fais avec beaucoup de
retard, mais quand je vois les réactions, les messages de soutien, ceux et celles
qui comme toi, viennent partager leur souffrance, je me dis que ce que je fais ne
sert pas à rien… Tant pis pour les dommages collatéraux.
Je comprends que je n’arriverai pas à lui faire entendre raison, et Joshua ne
serait pas impliqué comme il l’est, je la soutiendrais complètement. Notre
campagne n’a pas été assez loin.

– Vous avez raison, Olivia, fait une voix masculine dans mon dos.

Joshua fait le tour de notre table, sous son regard surpris. Mais très vite, la
colère la submerge et elle se lève violemment, faisant tomber sa chaise.

– Tu m’as menti pour me faire venir ici ?! crie-t-elle en me regardant. Si vous


croyez que vous allez me faire retirer ce que j’ai dit, vous…
– Attends, dis-je en me levant moi aussi. Je n’ai pas menti, j’ai vraiment vécu
ce que je t’ai raconté. Mais je travaille aussi pour Joshua, cette campagne, j’y ai
participé très activement. On ne te fera rien changer, on ne va pas acheter ton
silence, mais on a une proposition à te faire. Reste, s’il te plaît. Ton message est
important, on veut juste essayer de trouver un moyen de s’entendre pour le
diffuser de la meilleure façon. C’est bien ce que tu veux, non ?

Olivia nous regarde l’un après l’autre.

– On a eu tout faux sur cette campagne, vous avez raison, intervient Joshua
pour l’apaiser. Je veux tout refaire, et je voudrais qu’on le fasse avec vous. Et je
vous jure que je ne savais pas, pour ce qui vous est arrivé.

Une fois encore, j’admire son calme. Joshua a en face de lui celle qui l’a
traîné dans la boue, mais ce n’est pas ce qu’il retient en premier. Il n’est pas là
pour régler ses comptes, mais pour se mettre au service de sa souffrance.

– Je vous écoute, mais je ne vous promets pas de vous suivre, lâche-t-elle, le


regard noir, avant de se rasseoir.

Alors Joshua se met à lui expliquer la même chose qu’à nous ce matin, dans
son bureau : Il veut en effet tout refaire, changer de discours. Faire intervenir
ceux qui savent mais qui gardent le silence.

– Montrer des victimes pleurer sur leurs sorts, ça ne fera rien avancer,
continue-t-il. Je doute qu’on réussisse à avoir des témoignages de ceux qui ont
été acteurs des pires atrocités, mais il faut qu’on ait les témoignages des
« agresseurs » passifs. Ceux qui protègent les bourreaux. Les victimes n’ont pas
toujours le courage de parler. Il faut faire prendre conscience aux témoins de
l’importance de leur parole. Même si on a peur, car il n’y a pas que les victimes
malheureusement qui peuvent subir la pression des bourreaux, il y a toujours un
moyen d’aider ! Il faut dire les choses pour que rien ne reste impuni.

Joshua n’a pas besoin d’en faire trop pour se montrer persuasif. Il nous a
convaincus ce matin en nous faisant réaliser qu’effectivement notre campagne
n’avait fait qu’effleurer le problème de bizutage, qu’elle n’avait en rien traité le
problème en profondeur et que les dérives allaient bien plus loin que les déjà
douloureuses humiliations.

– Je me mettrai en scène, je participerai à ce spot, ajoute-t-il, martelant la


table avec son doigt. Croyez-moi ou pas, Olivia, je n’ai réellement jamais rien su
de ce qu’il vous est arrivé. Je ne peux pas vous le prouver, mais Flint ne s’est
jamais confié à moi. Jamais je n’aurais laissé passer ça. Mais je veux témoigner
parce qu’il faut montrer à tous ce qu’il est possible de faire, aujourd’hui. Aller
voir un prof, le proviseur, la sécurité du campus, la police, la victime… Il faut
inciter les témoins à agir, montrer qu’on peut agir ! Qu’on doit agir. Je veux que
vous fassiez cette démarche avec nous.

Je retiens mon souffle, je sais qu’il est arrivé au bout de ses arguments et qu’il
revient désormais à Olivia de nous dire ce qu’elle en pense.

– Je vais y réfléchir, se contente-t-elle de nous répondre. Ça fait beaucoup


d’un coup.
– Appelez-moi, ou Kirsten. Olivia, vous pourrez vraiment apporter quelque
chose aux autres, aux étudiants actuels qui sont perdus, comme vous l’avez été.
Je me charge de trouver Flint et de trouver un moyen de lui faire payer, mais
pour le moment, nos recherches sont infructueuses.
– Je sais… Je ne l’ai pas retrouvé moi non plus, dit-elle en se levant. C’est un
peu pour ça que vous avez tout pris…
– Je ne peux même pas vous en vouloir, la rassure Joshua, compréhensif.

Quand Olivia nous quitte, il est impossible de dire si cette entrevue aura un
impact, si nous la reverrons un jour ou pas.

– C’est fait, dis-je simplement en me rasseyant. Tu as été très convaincant,


j’ai bon espoir.
– On verra, souffle Joshua, épuisé. Mais ce n’est pas fini, il faut relancer les
tournages maintenant, trouver des témoins…
– Tu veux vraiment te mettre en scène ?
– Oui. Je le ferai. Sans aucun doute. Si personne ne montre le chemin, qui le
fera ?

Si l’entrevue a été éprouvante pour nous deux, nous ne laissons rien


transparaître en arrivant à l’agence ou Abigail nous attend avec impatience. Très
vite, nous nous enfermons dans le bureau de Joshua pour élaborer un autre plan.
Nous refaisons le point sur les témoignages que nous avons déjà obtenus, sur la
façon de solliciter ceux qui sont restés sous silence…

C’est un peu comme repartir à zéro, avec une nouvelle motivation et dans
l’idée de partager un message plus puissant, plus fort encore que le précédent.
Non pas qu’il était mauvais, mais nous n’avions pas vu juste.

Pour la première fois depuis quelques jours, Joshua sourit et Abigail a


retrouvé son énergie légendaire.

– Avec ou sans Olivia, nous ferons cette nouvelle campagne. Et j’ai le


sentiment que cette fois, nous serons vraiment utiles, nous glisse-t-il alors que
nous partons.

Je laisse Abigail prendre de l’avance pour revenir vers lui.

– J’y crois moi aussi. Mais fais attention, te mettre en avant comme ça, c’est
délicat, ça peut être mal perçu et…
– Tu t’inquiètes pour moi, Kirsten ? sourit-il.
– Bien sûr que je m’inquiète ! Tu as l’air épuisé, en plus !
– C’est vrai… Quand tout ira mieux, je ne serai pas contre un peu de repos.

Il va pour ajouter quelque chose, mais son assistante entre à ce moment et je


suis contrainte de sortir de son bureau.

Abigail et moi nous mettons à pied d’œuvre. Notre travail est plus intense,
d’autant plus que Brenton est aux abonnés absents depuis le début de la crise.

S’il savait qu’il rate le plus grand challenge de son stage ici, je suis sûre qu’il
reviendrait très vite. Juste pour raconter plus tard qu’il a sauvé l’agence !
26. Du changement dans l’air

Je termine ma double journée sur les rotules. Les soirs se suivent et se


ressemblent, je suis exténuée et je n’ai qu’une envie, c’est de finir dans mon lit
avec une série. Sauf qu’en approchant de la porte de l’appartement, je
comprends que ce ne sera pas pour tout de suite.

De la musique, du monde, des bouteilles de bière et des saladiers de chips. Du


bruit, partout, dans tous les coins. Des inconnus en grande majorité peuplent
mon salon.

– Tu aurais pu me prévenir que tu faisais une fête ! dis-je en alpaguant Liana.


– Je me suis dit que ça te ferait du bien ! Et puis ça s’est un peu décidé au
dernier moment… Je ne bosse pas ce soir, j’avais envie !

J’essaie de me fondre dans la masse, mais la fatigue me met des barrières


pour faire connaissance avec tout ce monde. Je n’ai pas l’énergie pour me jeter
dans la mêlée. Mon téléphone se met à vibrer et je m’installe un peu à l’écart
pour lire le message qui vient de m’arriver.

[C’est chez vous ce bruit ? J]

[Oui désolée, on va baisser


la musique.]

[Tu peux t’éclipser


ou ta présence est essentielle ?]

Joshua veut me voir… Qu’ont dit Liana et Deaken à ce propos ? Me faire


désirer ?

[Essentielle…]

[Et si je te dis que ta présence


ici l’est encore plus ?]
[Et qui va s’occuper de mes invités ?]

[Je ne prendrai pas beaucoup de ton temps.


Enfin, ça dépendra de toi…]

[De moi ?]

[De toi, de ton besoin, tes envies… Tes désirs.


Tes invités claqueront la porte en partant.]

Je sens monter le rouge à mes joues, les frissons m’enveloppent. Il y a


longtemps que nous ne nous sommes pas retrouvés de cette façon, et mon corps
est en manque.

Manque. C’est ça justement. Je dois créer le manque !

[C’est un trop grand risque


que de leur laisser l’appart…]

Je lutte, ma raison contre mes pulsions…

[C’en est peut-être un que de me dire non…]

[Vraiment ? Je dois trembler ?]

[Trembler de désir surtout.


Mais tu enfreins une règle !]

[As-tu déjà respecté l’une de tes règles ?


Mon corps ne demande qu’à se glisser
contre le tien. Ma raison m’enferme
à double tour chez moi.]

[Je hais ta raison.]

[Je regrette cette soirée.]

[Alors viens.]

[Non. Pas ce soir.]


[Tu me rends fou…
La frustration est insupportable.]

[Je sais. C’est ce que je ressens aussi.


Penser à tes mains sur moi…]

[Je ne sais pas ce qui me retient


de venir à cette fête !
Te prendre dans ta chambre,
tes cris couverts par la musique.]

[Les invités ?]

[Je m’en fous de tes invités…]

[Et s’il y avait des collègues ?]

[Il y en a ?]

[Peut-être…]

[Tu me rends dingue.


Je te le ferai payer, la prochaine fois.
J’attendrai.]

[La prochaine fois, je dirai oui…]

[Surveille ton téléphone.


La prochaine invitation pourrait
arriver très vite.]

Notre échange cesse. J’ai chaud, je suis en nage, excitée et frustrée, mais
assez fière de moi de ne pas avoir succombé tout de suite. Sauf que je brûle de
désir et que j’ai vraiment du mal à trouver une utilité à ce refus.

Est-ce que Joshua se montrera plus impliqué dans notre relation ? Il saura au
moins que je suis capable de refuser une invitation. Il se posera des questions et
peut-être que nous aurons une vraie discussion.

Une discussion décisive…


***

À l’agence désormais, l’ambiance est électrique. Beaucoup sont au chômage


technique à cause des dossiers suspendus, et, légitimement, ils sont nombreux
aussi à s’inquiéter de l’avenir de l’agence. Mais Abigail et moi, nous ne
participons pas à ces discussions. Tout juste si nous prenons le temps de faire des
pauses-café. Je mesure la chance que j’ai d’être au cœur du projet.

Tim a remplacé Brenton sur l’aspect technique et je dois bien admettre qu’il
est hyper efficace. Je ne pensais pas qu’il accepterait de faire le travail
initialement destiné à un stagiaire même si les missions ont pris une tout autre
dimension avec le virage à cent quatre-vingts degrés de la campagne. Ces
nouveaux tournages ont un coût supplémentaire au budget initial et c’est
l’agence qui doit le supporter. Alors, Tim essaie de parer à l’essentiel en trouvant
des astuces pour que cette histoire ne dérive pas en gouffre financier.

– J’ai une idée à vous soumettre, nous lance soudain Joshua en rejoignant le
pôle.
– Dis-moi que ça ne rajoutera pas une ligne de plus dans le plan financier,
l’implore Tim.
– Je crois que ce sera la ligne la plus coûteuse, sourit Joshua. Mais la plus
utile aussi.
– Dis-nous tout, soupire l’associé.
– Les campagnes que nous lançons sont censées pousser les gens à parler,
n’est-ce pas ? Mais on sait tous que ce n’est pas facile de se confier à nos
proches, ni même d’aller voir la police.
– Je vois où tu veux en venir, percuté-je. Un numéro !
– Exactement ! On lance les campagnes et un numéro de téléphone. On crée
un centre d’appels où on demandera à des psychologues d’intervenir, des
policiers, des personnes capables d’écouter et de conseiller. Tout ça de façon
anonyme. Qu’est-ce que vous en pensez ?
– Eh bien… C’est toute une logistique qui dépasse nos compétences,
commence Abigail. Mais on ira au bout de notre message, de la prise de
conscience et de la mise en place de moyen pour soutenir victimes, témoins,
même ceux qui pourraient culpabiliser de leurs actes.
– C’est tout à fait ça ! s’enthousiasme Joshua. Tim ?
– On ne peut pas dire qu’on n’aura pas fait les efforts nécessaires pour se
refaire une bonne réputation ! Nous avons toujours la trésorerie de secours en
cas de coup dur, on peut l’utiliser pour ça… En plus on pourrait mettre à
contribution un maximum de nos salariés pour éviter un chômage technique dans
les autres services.
– Très bonne idée, Tim ! Et toi, Kirsten, ton avis ?

Joshua se tourne enfin vers moi, attentif. Il sait que mon expérience
personnelle est essentielle.

Est-ce que j’aurais moi-même appelé des inconnus pour me faire aider ? J’ai
eu de la chance d’avoir mon oncle pour me soutenir et c’est peut-être ce qui m’a
sauvée finalement. Parler à quelqu’un.

– Oui… C’est important… Et ils se sentiront peut-être moins jugés en parlant


à des inconnus, à distance comme ça, par téléphone…
– C’est ce que je pensais, dit-il en me souriant. Je m’occupe de mettre ça en
place !

Et le tourbillon reprend. Jusqu’à ce qu’un silence brutal s’abatte sur toute


l’agence.

– Joshua, Olivia Cowen est là pour vous voir.

Olivia. Eunice. Tout le monde ici la connaît sous sa véritable identité, Joshua
s’étant montré transparent quant à nos actions pour la retrouver et tenter
d’améliorer la situation. Je suis la première à me lever quand j’entends
l’assistante prononcer son nom.

Joshua l’accueille en tête à tête dans son bureau, non sans me jeter un regard
avant de fermer la porte. Concentré, déterminé.

Pendant une heure j’attends, la boule au ventre. Jusqu’à ce que la porte


s’ouvre et qu’ils nous rejoignent. Les traits de Joshua sont détendus, Olivia
sourit doucement.

– Olivia a décidé de nous rejoindre, nous apprend Joshua. Elle va travailler


avec nous et nous allons avancer tous ensemble pour offrir la campagne la plus
parfaite et efficace qui soit.
– C’est… une bonne nouvelle ! m’exclamé-je en me levant brusquement,
profondément soulagée.
– J’ai réfléchi et j’ai compris que je devais mettre ma colère au service des
autres, pas dans une vengeance stérile qui ne profiterait à personne, ajoute
Olivia. Je ferai un post sur mon blog pour expliquer ce revirement de situation.

Joshua hoche la tête. Qu’Olivia change de discours, et de ton surtout, sur son
site, est une victoire pour nous. Mais c’est ce que nous pouvions espérer de
mieux. Avec un peu de chance, les clients qui ont remis en question leur
collaboration avec l’agence reviendront sur leur décision.

Après les présentations avec Abigail et Tim, dont Olivia se souvenait très
bien, nous nous remettons au travail et l’informons de notre avancée sur cette
nouvelle campagne. Puis rendez-vous est pris avec elle pour son propre
tournage.

La situation s’améliore. Il faut croire que les choses continueront dans ce sens
et que d’ici quelques jours, nous serons en mesure de tourner définitivement la
page de ce triste épisode.

– J’espère que cette fois, ce sera la bonne, me souffle Abigail une fois seules.
Je crois que je ne suis pas près de redemander une campagne de cette
importance !
– Attends-toi plutôt à être sur tous les dossiers difficiles vu que tu as survécu
à celui-ci !
– Ma coloriste sera ravie avec tous les cheveux blancs que je vais me faire !

Pour la première fois depuis longtemps, nous rions. Signe que tout s’arrange,
non ?

Mon portable vibre sur mon bureau. C’est Liana… J’espère qu’elle ne
m’appelle pas pour me dire qu’elle organise une autre soirée, j’ai vraiment
besoin de dormir !

– Kirsten ! s’écrie-t-elle, paniquée. Deaken a eu un accident… Il… est tombé


de son échelle à la boutique et…
– Calme-toi, je ne comprends rien. Qu’est-ce qui est arrivé à Deaken ?
– Il a fait une mauvaise chute… On est à l’hôpital, il n’arrive plus à bouger
les jambes !
Non…

– Vous êtes où ? J’arrive tout de suite !

J’attrape mon sac en expliquant rapidement la situation à Abigail qui


m’autorise à partir immédiatement.

Le taxi met un temps fou à arriver à l’hôpital en question et moi à trouver


Liana dans le service des urgences.

– Tu tombes bien, il va être transféré, m’apprend-elle, nettement moins


paniqué qu’il y a vingt minutes.
– C’est vrai ? Comment il va, mieux ?!
– Oui, désolée de t’avoir fait peur, mais quand j’ai vu qu’il ne pouvait plus
bouger… Les médecins m’ont expliqué que c’était le contrecoup de la chute, ses
réflexes reviennent petit à petit. Il a gagné un bon bleu et un séjour ici pour être
surveillé.

Je souffle de soulagement, la main sur le cœur.

– Viens, on va le rejoindre, ajoute-t-elle en me prenant par le bras. Quelle


frayeur quand même ! Tu vas voir qu’il va râler maintenant !

Et ça ne rate pas. Quand nous le retrouvons, allongé dans son lit, Deaken nous
accueille, sourcils froncés, très contrarié.

– Ce n’est pas ici que je vais avancer dans mes travaux, s’agace-t-il.
– Il fallait y penser avant de jouer au funambule, répond Liana en s’asseyant
sur son lit.
– C’est juste un bleu ! Je suis sûr que demain, je gambaderai à nouveau
comme un cabri.
– En attendant, repose-toi, interviens-je. Tu as besoin de quelque chose ? De
vêtements ? Tu sais combien de temps tu restes ici ?
– Trop longtemps à mon avis, soupire-t-il. Mais non, je ne sais pas. Le
médecin a dit qu’il repasserait dans la soirée. Tout ça pour me piquer les pieds
avec des aiguilles. Les radios sont bonnes, pourquoi me garder ?!
– Sois rassuré, avec ton humeur de chien, les infirmières vont vite te mettre à
la porte ! se moque ma cousine. Et puis vu qu’elles sont juste en face de toi, elles
entendront bien tes lamentations !

Deaken lève les yeux au ciel. Pour changer de sujet, je lui demande où en sont
ses travaux. Une distraction qui fonctionne puisqu’il se lance dans l’explication
de sa décoration, de ses problèmes avec les fournisseurs et avec ses pinceaux.
Trop gros, pas assez, la peinture pas adaptée… Tout y passe !

– Mais monsieur, puisqu’on vous dit qu’on ne la trouve pas ! fait la voix
d’une infirmière dans le couloir.
– Eh bien, pas besoin de télé, tu as l’animation du service en direct de ta
chambre, plaisante Liana en passant la tête dehors.
– On m’a dit qu’elle était ici, Kirsten Lake ! Vérifiez !

Mon nom… Cette voix… Je bondis du fauteuil où je m’étais installée, sous le


regard surpris de Deaken.

– Bah mince, c’est Joshua, glissé-je à mes amis avant de le rejoindre. Qu’est-
ce que tu fais là ?
– Kirsten ! Mais… Tu es debout ?

Joshua me détaille de la tête aux pieds. Jamais je ne l’ai vu aussi inquiet !

– Oui… dis-je sans comprendre.


– Bon sang ! J’ai demandé à Abigail où tu étais et elle m’a dit qu’on t’avait
emmené à l’hôpital. J’ai fait au plus vite.
– Mais ce n’était pas pour moi, répliqué-je en souriant. Tu es sûre qu’elle t’a
dit ça ?
– Euh, non… Du coup, non je ne suis plus sûr !

Après l’inquiétude et le soulagement de me voir entière, Joshua prend un air


penaud. Un air que je ne lui connaissais pas et que je trouve absolument
adorable.

– Je crois que j’ai besoin de repos, me souffle-t-il en souriant à son tour. Mais
pourquoi tu es là ?
– Mon ami Deaken a fait une mauvaise chute. On a craint la paralysie, mais
tout va bien.
– Bonjour Joshua ! nous lance Liana d’un air très intéressé.
Ma cousine a tout entendu elle aussi et avec son petit sourire en coin, elle
profite de la situation pour faire la connaissance de Joshua. Impossible de
l’ignorer et j’entraîne Joshua vers la chambre.

Est-ce qu’on était vraiment prêt pour des présentations officielles ?

– Tu connais déjà Liana, vous êtes voisins depuis longtemps. Et Deaken.


Voici Joshua.
– Le fameux Joshua Carlson, s’exclame aussitôt mon ami en lui tendant la
main. C’est beau de se précipiter comme ça au chevet de Kirsten. Vous aviez
peur qu’il soit arrivé quelque chose à votre petite stagiaire ?
– Quelle implication de la part d’un chef… Le mien ne me passerait même
pas un appel !

Comme ça c’est clair, Joshua ne peut plus ignorer que je n’ai pas gardé le
secret de notre relation. Et je sais exactement où Deaken et ma cousine veulent
en venir. Joshua vient d’être pris au piège de ces deux-là. Ils vont chercher à lui
poser plein de questions…

– Je t’emmène boire un café, dis-je aussitôt.


– Ne nous l’enlève pas ! s’écrie Deaken. Pour une fois qu’on rencontre
quelqu’un d’attentionné.
– Et moi tes amis, s’y met Joshua à son tour.

Mon Dieu… Il ne sait pas dans quoi il vient de mettre les pieds.

Parce que je les vois, Liana et Deaken, sauter sur leur proie au moment où
Joshua baisse la garde !

– Ça va, à l’agence ? Vous vous en sortez avec ces rumeurs sur vous ?
– Kirsten nous a tout raconté, on l’a récupérée le soir complètement
dévastée…
– Deaken…
– On a traversé des moments difficiles, c’est vrai, répond tranquillement
Joshua. Kirsten est très impliquée, elle a été essentielle ces derniers jours.
– Elle est essentielle tout le temps, surenchérit Liana. La vie est plus belle
depuis qu’elle vit avec moi. Je suis sûre qu’elle a dû changer quelque chose chez
vous aussi ?
– Elle a bouleversé certaines choses oui… répond Joshua en me souriant.
– OK ! « Elle » est dans la pièce, je vous le rappelle ! Et on n’est pas là pour
moi, mais pour Deaken !
– Joshua, continue le faux paralysé. J’ouvre une boutique pour hommes. Votre
costume est impeccable, mais venez me voir, je suis sûr qu’on pourra trouver
mieux pour vous ! Enfin, venez d’abord à l’inauguration. Avec Kirsten, pourquoi
pas ?

Un ange passe…

– Je vais vous demander de sortir, intervient une infirmière qui me sauve sans
le savoir.
– Moi aussi ? ironise Deaken alors que nous quittons sa chambre.

J’espère que Liana ne va pas continuer sur le même registre !

– Je crois que Deaken ne se rend pas compte, souffle Liana. Mais il a pris du
retard dans ses travaux et jamais la boutique ne sera prête pour son inauguration.
– Pourquoi ne pas décaler la date ? demande Joshua.
– Vous voulez l’achever ?! Depuis le temps qu’il attend ça…
– Alors dans ce cas-là, il n’y a plus qu’à se retrousser les manches et lui
donner un coup de main. C’est samedi demain, c’est parfait !

Liana et moi regardons Joshua les yeux ronds.

– Tu veux… aider ?
– Oui, ton ami a besoin de nous, c’est sans hésitation.
– Oui, mais…
– OK ! m’interrompt Liana. Kirsten vous enverra l’adresse. On dit dix
heures ?
– Parfait ! Je dois retourner à l’agence, reste, me souffle-t-il en m’embrassant
sur la joue. On se voit demain.

Je regarde Joshua partir, toujours surprise par sa venue ici, son naturel face à
mes amis, sa non-réaction alors que je n’ai clairement pas respecté notre secret et
sa proposition spontanée de m’aider.

– Et tu te poses encore des questions sur lui ?


– Il n’a pas cherché à m’inviter ce soir, riposté-je faiblement, consciente que
peut-être Joshua est en train de passer le fameux cap attendu.
– Kirsten, tu le fais exprès ?! m’arrête Liana. Il se précipite à l’hôpital pour
toi, il est OK pour aider tes amis, donc passer du temps avec toi… Vous avez
tout fait à l’envers en couchant ensemble… Il repart à zéro ! Pas un mot à
Deaken mais je t’assure que pourtant je meurs d’envie de lui raconter ce qui
vient de se passer. Vivement demain pour vous voir tous les deux ensemble. Ça
promet !
27. Et soudain, s’aimer

Liana et moi sommes les premières dans la boutique de Deaken. Thermos de


café, biscuits, nous avons tout prévu pour ne pas défaillir. Le but de ce week-
end, avancer le plus possible pour rattraper le travail perdu. Si Liana est excitée
comme une puce, je suis plus dans l’angoisse. Le comportement de Joshua, la
veille, me laisse envisager de bien jolies choses, mais j’ai peur de trop
m’avancer et de me faire des idées. Liana reste persuadée que je compte
vraiment pour lui. Si je mets bout à bout tout ce que j’ai entendu sur lui et moi, si
je ne veux pas y croire, c’est parce que je ne tiens pas à me laisser aller à des
sentiments que j’essaie encore de contrôler.

Je veux l’entendre de sa bouche. Il faut que ce soit lui qui me le dise. C’est
tout ce que j’attends pour me libérer.

– Kirsten, j’ai dit bleu sur ce mur. Ça, c’est prune !


– Oh mince !
– Toi, tu as la tête ailleurs et je sais où ! Il ne devrait plus tarder !
– Non, ce n’est pas…
– C’est ça…

Je secoue la tête et tente de me concentrer sur ma peinture. Je m’applique


jusqu’à ce qu’une voix me fasse sursauter.

– Je ne te connaissais pas ce talent, sourit Joshua.

Il est à tomber dans son jean et son tee-shirt. Il me rappelle les Hamptons. Ses
yeux pétillent, il est rasé de près et je sens son parfum frais tout autour de moi.
Je réprime une envie soudaine de me serrer contre lui et de l’embrasser, mais
Liana est déjà là, à nous toiser, à moitié hilare.

– Je vous mettrais bien dans la même équipe tous les deux, mais j’ai besoin de
tes muscles. On se tutoie, n’est-ce pas ? Viens, il faut abattre une cloison !
J’enrage intérieurement qu’elle me le vole sous mes yeux, mais c’est pour la
bonne cause et ça nous évite l’embarras de choisir la façon de nous dire bonjour.
L’embrasser ? Lui faire la bise ? Voir Joshua se sentir à l’aise avec mes amis, rire
avec ma cousine, me perturbe. Hier nous devions nous cacher et aujourd’hui, il
est là. Il y a eu un changement entre nous, qui s’est opéré naturellement, sans
heurts. Et c’est assez étrange quand on y pense. Parce que, très sincèrement, je
ne sais plus comment agir avec lui !

Je l’observe du coin de l’œil, admire sa dextérité à manier la masse.

– Tu devrais lui apporter un café, me pousse Liana en m’arrachant mon


pinceau des doigts. Je comprends pourquoi ça n’avance pas entre vous ! On
dirait deux ados qui se tournent autour sans oser s’aborder !

Je souris, je dois bien admettre qu’elle a raison.

– Pause-café ! crié-je à Joshua pour qu’il interrompe ses coups.


– Pile ce dont j’avais besoin, dit-il en posant sa masse et ses lunettes de
protection.
– Merci d’être venu, soufflé-je au-dessus de mon café fumant.
– Attends…

Joshua s’approche et repousse une mèche de cheveux prête à tomber dans


mon gobelet.

– Ça me fait plaisir d’être là, continue-t-il en me couvant soudain du regard.


Je suis avec toi et…

La sonnerie de son téléphone l’interrompt.

– Excuse-moi, j’attendais cet appel.


– Pas de problème.

Joshua s’éloigne. C’est sans doute à propos du message qu’Olivia devait


publier aujourd’hui. Quand il revient vers moi, son regard est différent.

– Tout va bien ?
– Oui, souffle-t-il. Je disais donc…
– Que tu étais avec moi, continué-je sa phrase, le cœur battant d’entendre
enfin les mots tant désirés.
– Et que j’adore ça, ajoute-t-il. Je me rends compte que…
– J’ai un problème pour ouvrir mon pot de peinture, nous lance Liana du fond
de la boutique ! Josh !
– Je crois qu’on n’y arrivera pas, sourit-il.
– Non, pas ici !

Joshua me laisse, non sans caresser ma main. Mon cœur se gonfle.

Il a commencé à me parler…

Je mets du cœur à ma tâche, surprends ses regards, quand ce n’est pas ceux de
Liana qui lève les yeux au ciel. Et je souris, toute seule devant mon mur, gagnée
par une douce euphorie. J’adore moi aussi qu’il soit là…

La porte de la boutique s’ouvre, faisant tinter l’ancienne sonnette. Je me fige


quand j’aperçois l’arrivant et me tourne aussitôt vers Joshua. Il ne fait pas un pas
vers Tim, il n’a pas non plus l’air surpris de le voir ici. Quand je me retourne une
nouvelle fois vers lui, je le vois s’approcher de moi. Instinctivement, ma main se
crispe sur mon pinceau.

– Bonjour à tous, désolé de vous déranger. Kirsten, j’aimerais te parler,


commence Tim, l’air penaud.
– On n’a pas mal de travail… Ça ne peut pas attendre lundi, à l’agence ?

Impossible de ne pas lui parler sèchement. Ma rancœur est encore vive à son
égard.

– Non. Je devais m’excuser et le plus tôt est le mieux, dit-il en prenant de


l’assurance. On a discuté hier soir avec Joshua, et c’est lui qui m’a conseillé de
passer ce matin pour te répéter ce que je lui ai dit. Je suis désolé d’avoir été si
désobligeant à ton égard. Je me suis comporté comme un égoïste, comme…
– Comme quelqu’un de jaloux qui n’a pas hésité avant de salir ma réputation.
J’ai entendu votre discussion, avec Joshua, à la fac. Vous m’avez mis dans une
situation, inconfortable !
– Je sais… Je n’ai pas pensé aux conséquences. Je ne vaux pas mieux que
tous ceux qu’on montre du doigt dans notre campagne, n’est-ce pas ?
Je ne réponds rien.

– Je ne sais pas comment rattraper ça, Kirsten. Je sais que je vous ai blessée,
que j’ai aussi blessé mon meilleur ami et que j’aurais pu faire n’importe quoi et
perdre tout ce que j’ai de plus précieux au monde : ma femme qui a cru que vous
étiez ma maîtresse, mon meilleur ami et l’agence. Cette histoire m’a fait
comprendre l’importance d’être entouré alors… Je suis vraiment désolé, Kirsten.

Joshua nous regarde, bras croisés. Tim a l’air sincère mais je ne peux pas
balayer aussi facilement ce qu’il a fait ou ce qu’il a dit. Qu’il fasse ses preuves
en tant qu’ami maintenant, qu’il se montre comme il est d’habitude. Après ça,
nous verrons…

– Tenez, finis-je par lui dire en lui tendant mon pinceau. Nous ne serons pas
trop de quatre ici. Moi aussi j’ai compris quelque chose, ces dernières semaines.
Je n’ai pas envie de vous en vouloir toute ma vie. Vous m’avez blessée, j’aurais
pu perdre beaucoup plus de choses que vous ne le pensez, pas seulement un
stage. Mais vous prenez vos responsabilités, c’est déjà un bon début.

Liana m’interroge du regard quand je la rejoins pour prendre un autre poste


dans les travaux. La matinée passe à une vitesse folle et, contre toute attente,
j’arrive à rire avec Tim. Surtout quand je réalise que moi, la petite stagiaire, j’ai
réussi à embaucher mes deux boss !

Au moment où personne ne nous regarde, Joshua m’attrape par la main et


m’entraîne dans une petite pièce, que je n’avais même pas remarquée.

À peine a-t-il fermé la porte qu’il se précipite sur moi pour m’embrasser,
m’entourant le visage de ses mains. Un baiser que je savoure tant il commençait
à se faire attendre… Mais quand ses doigts se font plus entreprenants, la
déception me gagne. Je ne suis donc que ça à ses yeux ?

– Arrête, dis-je en le repoussant, gagnée par une profonde tristesse. Je ne veux


plus de ce genre de relation, je ne veux plus te voir juste pour une question de
sexe. Je ne peux pas vivre comme ça, être complètement détachée, prendre ce
que tu me donnes de temps en temps… J’ai essayé, j’ai aimé nos rencontres,
mais…
– Mais il manque quelque chose ? poursuit doucement Joshua. Tu as
l’impression que c’est trop superficiel, que c’est vide de sens… Qu’il te faut
plus ?
– Oui !

Une nouvelle fois, il m’embrasse. Et je le sens sourire contre mes lèvres !

– Pourquoi est-ce que tu…


– C’est ce que je veux aussi, murmure-t-il, radieux. Arrêter de me cacher,
t’emmener où je veux, quand je veux, sans me soucier de rien. Être avec toi, à
l’agence, partout… Je ne peux plus me passer de toi, Kirsten… J’ai eu peur plein
de fois que tu mettes fin à notre relation. Mais à chaque fois, tu arrivais à prendre
ma défense, à me soutenir. Au début, c’est vrai, je ne voulais pas m’investir,
juste me divertir un peu, prendre du bon temps… Mais c’est sans compter ton
pouvoir sur moi… Je me suis fait violence pour ne pas t’appeler tous les jours,
pour ne pas te rejoindre tout le temps. Les Hamptons… J’ai complètement perdu
le contrôle avec toi.
– Toi ? Perdre le contrôle ?
– Je suis tombé amoureux de toi, Kirsten, c’est arrivé, c’est inattendu,
soudain… Je comprendrais que tu n’en sois pas là, tout a été si compliqué ces
derniers temps… Mais je veux repartir à zéro, que tu me laisses une chance, que
tu nous laisses une chance pour être ensemble, qu’on vive comme un couple
normal.

Je fais un pas en arrière mais je m’accroche à ses bras. Ses mots, c’est plus
que ce que j’attendais. Je n’ai même jamais osé les imaginer… Joshua m’aime.

– Kirsten, ça va ?
– Oui… soufflé-je. Je ne m’attendais pas à ça, c’est tout…
– Laisse-moi te conquérir, me demande-t-il avec tant de ferveur dans les yeux
que mes doigts se crispent encore plus sur ses bras.
– Non…
– Non ?
– Je veux dire… Tu n’as pas besoin de faire ça, je suis déjà conquise,
murmuré-je. J’essaie de calmer mes sentiments pour toi depuis des semaines. Je
ne savais pas ce que tu voulais et…

Joshua me serre tellement contre lui qu’il me porte presque.


– Je prendrai soin de toi, glisse-t-il à mon oreille. Je ne veux plus de barrière
entre nous, Kirsten. J’ai envie de t’appartenir comme tu m’appartiens sans plus
aucune réticence. Je veux faire l’amour avec toi, je veux que tu te réveilles le
matin avec moi, je veux aller au bureau avec toi, je…

Joshua noie ses vœux en plongeant son visage dans mes cheveux.

– On n’avancera pas très vite si vous vous cachez dans la remise tous les
deux ! crie soudain Liana derrière la porte.

Nous nous serrons l’un contre l’autre, en évitant de rire trop fort. C’est
difficile de nous séparer. Le regard de Joshua pétille, le mien aussi. Je crois qu’il
n’y a rien à ajouter. Même Liana n’a pas besoin d’explications quand elle nous
voit sortir.

– Alors ? me demande-t-elle en me retenant par la main.


– Alors… Tu avais raison, lui soufflé-je.
– Je n’ai pas fait de fac de psycho mais je travaille dans un bar, je commence
à bien connaître la nature humaine !

J’évolue dans une bulle cotonneuse, sur un nuage. Je ne suis pas sûre de
réaliser vraiment, ni de comprendre ce que signifient très exactement les mots de
Joshua.

Enfin si… C’est pour ça que j’ai un sourire béat qui ne me quitte pas.

Mais c’est tellement… Je n’ai même pas de mot. Joshua et moi, officiel. Il
m’aime, je l’aime. Alors que tout avait l’air si compliqué avant, la situation est
devenue tellement simple ! Non vraiment, je ne réalise pas.

– Mais qu’est-ce que vous faites là !

Nous nous retournons tous d’un seul mouvement pour apercevoir Deaken, sur
le pas de la porte.

– Ils t’ont laissé sortir ? lui demande aussitôt Liana. Tu avais dit que tu
appellerais pour que je vienne te chercher !
– J’ai appelé, Lia, tu n’as jamais répondu ! J’ai cru que tu m’avais
abandonné !
– Oups… J’ai laissé mon téléphone dans mon sac…

Deaken s’approche de nous alors que nous nous regroupons pour lui crier
« surprise » ! Son regard se pose sur nous, puis sur les murs, puis de nouveau sur
nous. Joshua s’est glissé derrière moi, m’entoure de ses bras. Mon sourire
s’élargit.

On a désormais le droit de se montrer devant tout le monde !

Enfin en dehors de l’agence…

– OK, commence Deaken en croisant les bras, l’air suspicieux. Expliquez-moi


ce qui se passe ici. Aux dernières nouvelles, vous deux, ce n’était pas si clair ET
la dernière fois que j’ai mis les pieds ici, il y avait encore une cloison et des murs
marron… Soit je suis tombé sur la tête et je vogue encore dans un lourd coma,
soit ils m’ont filé un truc hyper fort à l’hôpital qui m’a fait perdre toute
conscience du temps qui passe. Alors ?
– C’est fou ce qu’on avance vite quand on est plusieurs, lui lance Liana les
mains sur les hanches. Quant à ces deux-là, ils ont eu besoin d’un petit quart
d’heure dans la remise pour enfin se dire qu’ils s’aimaient !
– Alléluia ! s’écrie Deaken en nous prenant dans ses bras, Joshua et moi.
Bienvenue dans la famille, Josh !
– Tu serres trop fort ! riposté-je, prise en sandwich entre les deux hommes.

Deaken s’écarte et je jette un regard à Tim, pour voir sa réaction. Joshua lui
avait-il parlé de ce qu’il comptait m’annoncer ? Est-ce qu’il s’était confié à lui ?
En tout cas, il n’a pas l’air surpris.

– Et moi, je suis Tim, se présente ce dernier dans un franc sourire. L’ami du


nouveau couple. Enfin, j’espère, aux yeux de Kirsten, le devenir un jour.
– Ne vous dérangez pas pour moi, tous, reprenez là où vous en étiez surtout,
vous bossez bien, nous lance Deaken en prenant le chemin de la sortie. Je vais
chercher un peu de ravitaillement !

Nous le regardons partir, surpris qu’il nous plante de cette façon.

– Eh… au fait, merci !


– Il file pour ne pas pleurer devant nous, chuchote Liana. Il va revenir…
Alors que nous reprenons pinceaux et outils, je me glisse vers Joshua.

– Entre Tim et toi ? Votre amitié ? demandé-je.


– Je connais Tim depuis des années et je tiens à notre relation. Il m’a confié
qu’il traversait une mauvaise passe, que c’était un peu compliqué avec Annie ces
derniers temps et il s’est laissé déborder par les soucis. J’ai envie d’oublier ce
qu’il a fait et de le retrouver, quand il se sentira mieux avec lui-même. Mais
aujourd’hui déjà je le retrouve un peu !

Joshua m’attire vers lui pour m’embrasser. Cette fois, pas besoin de se
précipiter ou de craindre les regards. Nous sommes ensemble. Un point c’est
tout.

Deaken revient effectivement quelques minutes plus tard, les bras chargés de
nourriture en tout genre. Une rapide pause déjeuner et nous nous remettons tous
au travail. Très vite, la boutique commence à avoir de l’allure. Il faudra
certainement encore un gros week-end de travail ici pour que tout soit terminé.

Pour clore cette journée, mémorable, Joshua se propose de nous inviter chez
lui. Une invitation qu’acceptent aussitôt mes deux compères, trop heureux de
s’offrir une soirée avec vue sur New York, mais surtout de continuer à faire
connaissance avec lui. Le courant passe bien pour le moment. Je ne pouvais
sincèrement pas rêver mieux !

***

– Tu ne rentres pas, j’imagine ? me demande Liana avec un petit sourire en


coin.
– Non, je vais rester. Pour l’aider à ranger.
– Bien sûr, pour le rangement. Eh bien, remets tout bien en ordre alors !

Je ferme la porte sur mes amis et nous nous retrouvons en tête à tête, Joshua
et moi.

Enfin seuls !

Il m’attire à lui pour m’entourer de ses bras et nous restons quelques instants
à profiter de ce retour au calme.
– Tu sais que je risque de ne plus te lâcher ? souffle-t-il à mon oreille.
– C’est un risque que j’accepte de courir…
– Alors, tu ne pars plus d’ici. Je te fais ma prisonnière.
– J’accepte. Jusqu’à demain soir, souris-je. Il faudra que je rentre pour me
changer avant de retourner à l’agence…
– Liana t’apportera une valise.
– Je ne rentre plus ?
– Non, je te garde… On a assez passé de temps à se voir en pointillé, je veux
que tu sois là, tout le temps !

Je plonge mon regard dans le sien. Ses yeux verts étincellent.

– Plus de messages pour monter te voir ?


– Tu seras déjà là.
– Plus de colis surprise ?!
– Au contraire, encore plus de cadeaux ! Je ne t’ai pas assez bien traitée ces
dernières semaines, il faut que je me rattrape.
– Détrompe-toi, lui dis-je doucement. Tu m’as traitée exactement comme il
fallait… Dans l’intimité. Tu as su…
– Quand j’ai réalisé que tu étais vierge, j’ai compris que je devais te laisser
partir, que mon désir était bien trop intense pour ton innocence. Mais je ne
pouvais pas. Alors je t’ai proposé cet arrangement que j’étais persuadé que tu
refuserais.
– Tu m’as sous-estimée.
– C’est vrai. Dire que tu m’as tapé dans l’œil avec tes cartons et quand tu t’es
réfugiée dans mes bras…
– Ce baiser… souris-je. Et c’est toi qui m’as prise dans tes bras le premier…
– Tu es sûre ?
– Certaine.
– Alors oui… Je ne voulais pas qu’il t’arrive quelque chose, pas au moment
où tu débarquais dans ma vie.
– Tu as su parfaitement cacher tout ça, souligné-je.
– Et à moi aussi.

Joshua pose ses lèvres sur les miennes et m’offre un baiser passionné, de ceux
qui vous font léviter au-dessus du sol tellement ils vous transportent.

– Je regrette que tu aies pensé que…


– Chut… l’interromps-je en posant un doigt sur ses lèvres. Je ne regrette rien
de mon côté, tu es là, je suis dans tes bras, c’est tout ce qui compte pour moi…

Cette fois, c’est moi qui l’embrasse, qui me serre contre lui. Et qui l’entraîne
vers sa chambre, qui le pousse sur son lit. C’est moi encore qui prends
l’initiative de le déshabiller. D’abord son tee-shirt puis sa ceinture puis les
boutons de son pantalon, avant de le faire glisser complètement jusqu’à ses
chevilles.

Je crois qu’il me manquait une chose pour libérer complètement ma féminité,


ma confiance en moi, une chose pour être celle qui provoque, qui montre
combien je le désire. Il me manquait son amour pour que je puisse m’offrir
pleinement, sans crainte et sans question.

Joshua me laisse faire, son regard m’enveloppe d’une profonde chaleur. Je


mords ses lèvres, embrasse son torse, son ventre. Mes mains l’explorent comme
jamais. Il est à moi désormais, complètement. Comme je suis à lui…

Au moment où j’arrive à la lisière de son boxer, je le sens frémir. Il se


redresse et me bascule sur le côté. Cette fois, c’est lui qui me domine, un large
sourire sur les lèvres.

– Je ne vais pas me laisser faire alors que tu n’es pas complètement nue toi
aussi ! Ne crois pas que ce que je viens de t’avouer change quoi que ce soit à
mon envie de te posséder.

Je fais mine de riposter, j’ai sincèrement envie de revenir sur lui, mais il est
facile pour lui de lutter contre mes assauts. En quelques minutes, je ne porte plus
rien. Même pas un sous-vêtement. Et je profite d’un relâchement de sa part pour
revenir sur lui, à califourchon.

– Laisse-moi faire…

Joshua baisse les armes et accepte de se livrer à moi. Je m’assieds sur lui, sens
son membre durcir dans son boxer et commence à bouger. Ses mains viennent se
poser d’abord sur mes hanches pour m’accompagner. J’adore le voir prendre du
plaisir, voir ses yeux s’assombrir par le désir. Quand il soupire, j’accentue le
rythme. Ses doigts viennent effleurer mes tétons durcis. Ma nouvelle assurance
fait grimper mon excitation en flèche et très vite, j’ai envie de le sentir bouger en
moi. De le chevaucher, de le faire frémir encore plus.

Je me décale un peu pour glisser mes doigts sous son boxer et lui enlever.
Prise d’une soudaine pulsion, j’embrasse son sexe. Je découvre cette peau si
fragile, ce membre puissant. Je le caresse, le lèche… Je veux tout savoir sur lui,
connaître les endroits où Joshua se cambre et ceux où il soupire. Je le prends tout
doucement dans ma bouche et l’aspire un peu… Au-dessus de moi, j’entends un
râle profond, ses doigts qui s’enfoncent dans mes cheveux… Je suis portée par le
désir de lui en donner un maximum, et ses réactions décuplent encore un peu
plus le mien.

Je me redresse, me mords les lèvres quand je croise son regard. Joshua m’a
faite femme et cette simple pensée me transcende complètement. Il comprend
mon impatience et tend sa main vers la table de nuit alors que je dévore son
corps, effleurant son sexe avec le mien…

– Kirsten, souffle-t-il pour attirer mon attention. Faisons un test, Il n’y a plus
que toi qui comptes, et ton plaisir. Je veux te faire jouir sans ce truc en latex.

Cette promesse d’exclusivité me fait frissonner.

– Toi, comme seul amant, murmuré-je en déchirant l’emballage du


préservatif. Le seul qui me touche, le seul qui m’embrasse. Je ne veux que toi. Je
t’aime aussi Joshua, plus que je ne l’aurais imaginé, plus que… Plus que tout.

Mon cœur s’emballe sous ces serments d’amour partagé. Je tremble même
quand je déroule sur son membre cette protection qui fera bientôt partie du
passé. Je suis troublée, et bouleversée, submergée par le bonheur. Si ma tête et
mon cœur vivent un vrai feu d’artifice, mon corps, lui, s’embrase de plus belle.
Faire l’amour avec un homme qu’on aime, l’expérience m’est connue. Mais
quand il vous aime en retour… Le septième ciel ne me semble pas assez haut ni
assez grand pour décrire ce nouvel élan qui me prend. Encore moins ce feu qui
m’anime soudain.

Le regard de Joshua est devenu plus sombre, plus lourd de sens. Aucun
mauvais présage à l’horizon, bien au contraire. Ce que je vois, ce que j’y lis,
c’est toute l’importance que j’ai désormais dans sa vie. Joshua a laissé tomber
ses barrières, a accepté le lâcher-prise.

Il a accepté de ne plus rien contrôler… C’est l’amour qui nous dicte ses
règles, pas l’inverse…

– Je t’aime, Kirsten. Profondément.

Ses mots nous embrasent tous les deux. Sans douceur et avec une force
presque animale, nous sautons l’un sur l’autre comme des bêtes assoiffées de
désir. Joshua me pénètre et me pilonne sauvagement, avec une rage nouvelle,
porté lui aussi par une nouvelle énergie. J’enroule mes jambes autour de son
bassin, m’accroche à lui, me cambre pour qu’il aille encore plus loin, plus fort.
J’aime cet homme, il m’aime… Moi aussi j’en veux plus et je le pousse à rouler
sur le côté. À califourchon sur lui, c’est moi qui mène le rythme, rapide et
vertigineux. Nous gémissons en écho, Joshua m’attrape le bout des seins, puis
mes fesses… Cette frénésie qui nous porte, très bestiale, décuple le plaisir.

Nous roulons encore, comme si rien ne pouvait plus nous arrêter. Ses lèvres
me dévorent, mes ongles se plantent dans son dos. J’aimerais que cette étreinte
ne s’arrête jamais, que ce feu, entre mes jambes, dans mon ventre, me consume
le plus longtemps possible. Que Joshua continue de faire courir sa langue sur
mes seins, sur ma peau…

Mon amant amoureux entre et sort, nous jouons de nos corps, de la frustration
de nous éloigner soudain l’un de l’autre, pour mieux nous retrouver. Nos corps
vibrent, nos regards restent accrochés. Ce lit est notre terrain de jeu, Joshua
guide mes mains, j’ose tout… Je me frotte à lui, contre son sexe. Comme une
envie de tout tester, tout ressentir, maintenant et tout de suite !

Mais dans un geste puissant, Joshua finit par m’attraper et pour que je ne
bouge plus, bloque mes mains au-dessus de ma tête. Alors il me pénètre, se met
à bouger en moi, à grogner… Et je jouis, je jouis dans l’extase la plus complète,
heureuse. Mon désir n’est pas complètement assouvi, mais je suis loin, là-haut,
quelque part, heureuse, conquise et… amoureuse.

Joshua me rejoint, son orgasme semble puissant, son râle est long et profond.
Quand il retombe à mes côtés, je sens son cœur battre à mille à l’heure. Un cœur
qui bat pour moi…
C’est donc ça, le bonheur…

Je me blottis contre lui, il m’entoure de ses bras, m’embrasse le front, me


couvre du drap. Et je souris. Parce que je n’ai plus besoin de partir, que lui-
même ne se glissera plus loin de moi désormais.

Aujourd’hui, ce soir, nous venons de nous engager dans une toute nouvelle
relation.
28. L’aube d’une nouvelle vie

Si notre relation a changé, ni Joshua ni moi n’avons perdu de vue que nous
avons encore une campagne à mener à son terme. C’est pourquoi le jour du
tournage de la séquence d’Olivia, le lendemain de ce week-end riche en
révélations amoureuses, nous sommes tous les deux à nouveau concentrés sur
notre sujet.

D’autant plus que vu l’état de nerfs d’Olivia, je n’ai pas vraiment le temps de
penser à autre chose.

– C’est la première fois que je vais parler de tout ça, me confie-t-elle au


maquillage. Je l’ai fait pour mon blog, mais j’étais cachée derrière un écran…
– Tu as raison d’être là, la rassuré-je. Imagine toutes ces femmes qui vont
recevoir ton message en plein cœur. Ton témoignage sera utile à tellement de
monde !
– Je le fais pour elles, me dit-elle en respirant profondément. Pour moi c’est
trop tard.

Quand elle se lève pour s’installer devant la caméra, Joshua me rejoint.

– Comment est-ce qu’elle se sent ?


– Stressée…
– J’ai une mauvaise nouvelle à lui apprendre, m’apprend-il en posant sur moi
un regard grave. Il faut qu’elle le sache avant de témoigner. C’est important.
– Mais, tu crois que ça ne va pas la…

Impossible de retenir Joshua, il est déjà près d’une Olivia dont les pupilles
dilatées trahissent sa peur.

– Je suis désolé Olivia, on a retrouvé Flint.


– Oh…

Ses doigts se crispent sur ses genoux. Je me rapproche d’elle pour la soutenir
au cas où elle flancherait.

– Il a fait une overdose fatale il y a cinq ans au cours d’une soirée, continue
Joshua en douceur.

Instinctivement, j’entoure de mon bras les épaules d’Olivia que je sens


trembler contre moi. Son bourreau est mort.

– J’ai d’autant plus de raison de témoigner aujourd’hui, finit-elle par nous dire
en se redressant. J’ai trop attendu pour parler et maintenant, personne ne sera
puni pour ce qu’on m’a fait. Je ne le souhaite à personne…

Si Olivia est profondément affectée par la nouvelle, elle ne laisse rien


transparaître quand le tournage se lance. Maintenant que je suis rassurée, c’est
sur Joshua que mon attention se porte. Il est le prochain à passer.

– Tu es sûr que tu veux toujours faire ça ? lui demandé-je, quelque peu


inquiète des conséquences.
– Je me suis engagé à le faire. Tout se passera bien, ne t’inquiète pas.

Il me presse discrètement la main. Je le sens tendu, mais dans le contrôle. Il


ne faillira pas, je ne dois même pas en douter. Mais quel regard porteront sur lui
ses clients quand ils sauront qu’il s’est personnellement impliqué ? Qu’il n’a pas
diffusé de démenti mais que bien au contraire, il va partager sa propre
expérience, avouer son ignorance, certes, mais certains croiront qu’il ne dit que
ce qui l’arrange pour ses besoins personnels…

– Notre chef est courageux quand même, me glisse Abigail quand elle me
rejoint dans l’ombre, alors que Joshua s’est installé à son tour devant la caméra.
– Très…

Et je retiens mon souffle. Mon regard oscille entre le retour caméra et son
visage. Il est beau, vraiment beau, et déterminé.

– Je m’appelle Joshua Carlson et je suis là pour vous parler de mon


expérience. J’ai été le colocataire du violeur d’Olivia Cowen. J’étais au courant
pour la soirée de bizutage, je n’y ai pas participé, mais je l’ai vue partir au milieu
des autres pour leur rite de passage. Pendant qu’un drame se jouait, j’attendais
avec quelques amis, témoins encore une fois des retours des premiers bizutés.
Est-ce que je me suis demandé s’ils risquaient quelque chose ? Non. Est-ce que
j’ai vérifié que tout le monde était rentré sain et sauf ? Non. Je n’ai pas, une
seule seconde, imaginé que je devais intervenir. Parce que j’ai eu la chance que
ma propre expérience de bizutage se soit bien passée, la chance d’avoir vécu ça
comme une fête, entouré de mes amis, insouciant et naïf certainement que j’étais
à mon entrée à la fac. Tout le monde n’a pas cette chance. Tout le monde mérite
de l’avoir. Ces rituels barbares et humiliants ne sont bons pour personne.

Joshua fait une pause, le regard plongé dans l’œil de la caméra. Je serre les
poings, plus tendue que jamais.

– Mon colocataire ne m’a jamais mis au courant de ses actes. Mais même
dans cette ignorance, aujourd’hui, je me sens coupable. Coupable de laisser
faire, coupable de me désintéresser du sort de mes camarades. Si un seul d’entre
nous avait levé une objection, une simple question, rien de tout ça ne serait peut-
être arrivé. Si l’un de nous… si j’avais osé dire tout haut, m’exprimer sur ce que
je pensais vraiment, en serions-nous là ? Par mon silence, je suis complice. Il est
temps de donner la parole au plus grand nombre. Les victimes, ce n’est pas
assez. Vous, les témoins, vous devez donner de la voix, apporter votre soutien à
ceux et celles qui en ont besoin. Parlez ! N’ayez pas peur !

Abigail renifle à mes côtés et j’efface rapidement les larmes qui coulent sur
mes joues. Les mots de Joshua sont graves, martelés avec force. Mais il lui en
coûte. Quand l’enregistrement s’arrête, je le vois baisser la tête. Plus personne ne
bouge et un silence respectueux s’impose. C’est Olivia la première qui vient
poser la main sur son épaule et lui murmure un « merci ». Joshua relève la tête et
lui sourit.

Nos regards se trouvent. Notre échange est rapide, mais j’espère qu’il a
compris toute mon admiration, tout l’amour que je lui porte. Comme je lis le sien
dans ses doux yeux verts.

Les autres tournages s’enchaînent et, sans perdre une minute, nous regardons
les rendus, organisons les témoignages, les coupes utiles à apporter. Le
réalisateur est un homme attentif et bienveillant et le courant passe parfaitement
entre lui et Joshua. Je souris en les regardant échanger leurs idées et je n’ai
aucun doute quant à la réussite de cette campagne.
Nous trouvons enfin un moment pour nous éclipser, plus tard dans la journée.
Je profite du fait d’être dans ses bras pour le féliciter, lui dire comme il a été
parfait.

– Si tu es fière de moi, alors j’ai réussi, plaisante-t-il doucement.


– Tu as réussi plus que ça ! J’ai tellement hâte d’avoir le résultat final.
– Bientôt… Je vais devoir m’absenter quelques jours, ajoute-t-il en me
caressant la joue. À mon retour, nous pourrons penser à nous. En priorité.

Il dépose un baiser sur mes lèvres avant de me quitter. Je ne sais pas où il doit
partir aussi vite, mais autant dire qu’il me manque déjà.

***

Si Joshua est très occupé de son côté, Abigail et moi ne chômons pas non plus
ces derniers jours. Nous avançons tellement bien que nous en avons
complètement oublié l’absence de Brenton ! Je suis en pause-café quand mon
téléphone se met à sonner et le numéro qui s’affiche à l’écran risque bien de
jouer avec mes nerfs.

– Maman ! Comment vas-tu ? Et Papa ? demandé-je en prenant un ton


détaché.

Depuis leur départ, je n’ai pas eu beaucoup de nouvelles… J’imagine qu’ils


ont dû mal prendre mon refus de faire ce qu’ils voulaient.

– Écoute, Kirsten, se lance-t-elle sans prendre la peine de répondre à ma


question. On a bien réfléchi avec ton père et nous ne viendrons pas nous installer
à New York.

C’est pas vrai !?

– Non, la vie est tout de même plus calme par ici. Mais nous n’avons pas dit
notre dernier mot ! Nous attendons la fin de ton stage et ton retour pour passer
ton examen ici pour discuter avec toi. Il est impensable que tu restes vivr…
– Oh, maman, excuse-moi, mais on m’appelle pour une réunion. Vous avez
raison, on reparlera de tout ça quand je reviendrai. Mais ne vous en faites pas,
tout va bien ! Bisous !
Je tiens à rester sur la note heureuse de cette bonne nouvelle plutôt que sur un
sermon où nous ne serons de toute façon pas d’accord. Quand Liana
l’apprendra… Nous avons une double raison de faire la fête ce soir !

L’assurance de ne plus avoir mes parents sur le dos à New York et


l’inauguration de la boutique de Deaken.

Dommage que Joshua ne soit pas là pour profiter de l’événement… Il aurait


bien mérité de faire une petite pause pour se changer les idées.

***

La musique bat son plein quand je pose mes talons dans la nouvelle boutique
de Deaken. Tout est prêt pour l’ouverture, il y a même déjà quelques collections
pour que les invités puissent déjà faire des achats !

On a le sens du commerce ou on ne l’a pas !

Mais alors, là où je suis le plus surprise, c’est bien de voir les œuvres de
Liana… Peintures, sculptures mais aussi des photos que je n’avais encore jamais
vues…

– Je sais ce que tu penses, me glisse Deaken en me rejoignant. Je suis fou !


– Complètement ! Mais blague à part, autant ses sculptures sont un peu
bizarres, autant ses photos sont splendides !
– Tu remarqueras que je n’ai pas pris les plus moches parmi les sculptures,
mais je devais bien ça à ma copine pour le mal qu’elle s’est donné ici, avec vous.

Nous échangeons un regard complice.

Quand je tourne la tête, je me rends compte que mon portrait est suspendu sur
un mur !

– Mais, c’est moi !


– Eh oui, toi aussi il fallait bien que je te remercie ! sourit Deaken. Tu te
souviens de cette photo ? C’est Liana qui l’avait prise…
– Bien sûr ! On revenait de notre séance shopping ! Je m’étonne que tu
accroches un mauvais souvenir pour toi ! Pour moi, c’était le début de tellement
de choses…
J’étudie mon visage alors que Deaken doit s’éclipser, accaparé par ses invités.
J’étais heureuse de débarquer ici, tellement prête à vivre de nouvelles aventures.
J’ai l’impression qu’il s’est écoulé des années depuis cette photo ! Je n’ai pas
radicalement changé, mais je ne suis plus la même…

Avant j’aurais eu honte de voir ma tête en gros plan accroché aux murs !

– Je t’ai connue avec cette fraîcheur, souffle une voix familière à mon oreille.
Ne t’en sépare jamais, c’est comme ça que tu me plais !

Je me retourne pour sauter dans ses bras. Joshua me fait la surprise de sa


présence. Moi qui ne l’attendais que demain !

– Cette photo…
– Est magnifique… Je l’achète si elle est à vendre !
– Je pense que Deaken préférerait que tu ne lui prennes quelques costumes…

Je me serre contre Joshua, heureuse de le retrouver.

– Je suis contente que tu sois là, lui confié-je en relevant la tête. Où étais-tu ?
– Et moi de pouvoir enfin m’occuper de toi et de ne plus penser qu’à nous…
Je réglais une affaire à l’autre bout du pays. Il est encore tôt pour en parler…

Nous restons accrochés l’un à l’autre, au milieu des invités, sans bouger.
Aucun de nous n’a envie de briser ces retrouvailles. Nous sommes seuls au
monde et plus rien n’a vraiment d’intérêt.

– C’est dingue l’effet que vous fait cette boutique, nous lance la voix excitée
de Liana. Vous êtes avec nous, ou on érige une zone rien que pour vous ?
– Désolé, rit Joshua. Je rentre tout juste, Kirsten me manquait et…
– OK, OK, mais venez boire une coupe avec nous quand même. Vous avez
toute la vie pour vous couper du monde, les amoureux !

Liana nous sépare d’un petit geste vif de la main et nous attrape chacun par un
bras pour nous mener au buffet.

– Je sais qu’il n’y a que Kirsten qui compte, s’exclame Deaken en tendant une
coupe à Joshua, mais il faudrait aussi que tu regardes ma collection !
– Mais vous êtes ligués contre nous, ce n’est pas possible ! leur reproché-je
gentiment.

Ma cousine et lui échangent un regard complice.

– Vous avez raison, s’excuse Joshua. J’ai toute la vie pour Kirsten, je ne suis
pas sûr qu’il en sera de même pour ce costume sombre, là. Un conseil de pro ?
– Je peux même t’emmener en cabine pour les essayages !

Liana et moi trinquons ensemble, laissant les deux hommes discuter autour de
la coupe d’une veste.

– Tu ne me quitteras pas trop vite quand même, me glisse-t-elle. Même si tu


ne vas pas trop loin, j’ai envie de te garder encore un peu avec moi !
– Oh, pas tout de suite, protesté-je. On vient tout juste de…
– Il a dit « toute la vie », Kirsten ! Et Joshua n’a pas l’air d’être un homme qui
balance n’importe quoi, comme ça !
– Non… dis-je en secouant la tête.

Si ma bouche dit non, mon cœur en revanche dit oui, mille fois oui. Ce serait
peut-être un peu tôt mais…

Pourquoi pas !

***

– J’ai le nouveau spot à vous montrer, nous lance Joshua en entrant dans la
salle de réunion, suivi d’un Tim très souriant. Il a d’ores et déjà été validé par le
recteur de l’université et par le gouvernement. Il sera diffusé dès cet après-midi
en ligne. J’espère qu’il vous plaira !

Abigail et moi avons déjà eu la chance de le voir. Nos yeux ne se portent donc
pas sur l’écran, mais sur les réactions de nos collègues. Certains arrivent à ne
rien laisser transparaître, mais je note des larmes rouler sur certaines joues. Et
quand le spot se termine, le silence s’installe. Avant que les applaudissements
n’éclatent et que l’on vienne nous féliciter.

– Parfait, sourit Joshua. Belle réaction, merci ! Je crois beaucoup en cette


campagne. Abigail et Kirsten ont réalisé un très gros travail dessus, depuis le
début. Sans elles, nous n’aurions pas obtenu un tel résultat.
Abigail rougit de s’entendre ainsi féliciter. Pour elle, c’est sa grande victoire.
Elle vient de prendre du poids dans l’agence, son implication est enfin
récompensée. Elle va tellement s’épanouir maintenant qu’elle a gagné confiance
en elle !

– Je profite de tous vous avoir sous la main pour vous annoncer quelques
nouvelles. Pour commencer, Tim nous quitte. Nous ouvrons une agence à Los
Angeles et il en prendra la responsabilité. Son poste étant désormais vacant ici à
New York, nous souhaiterions qu’Abigail le remplace et devienne la directrice
adjointe. Tu nous as montré que tu savais gérer les dossiers les plus critiques, ce
poste est fait pour toi !

Abigail n’en revient pas et se contente de hocher la tête. Le départ de Tim


passe du coup inaperçu, mais il a prévu de refaire une fête chez lui. Annie et lui
ont décidé de changer d’air, d’offrir un peu de nouveauté à leur couple et
pourquoi pas, fonder une famille.

– Je vais encore vous garder quelques minutes, enchaîne Joshua. Il y a un


point que je tiens à éclaircir concernant les rumeurs qui ont circulé au sujet de
Kirsten et moi. Ce type de relation, en temps normal, est complètement contraire
à mes principes. Mais…

Le silence se fait à nouveau et les regards se tournent vers moi. Si je savais


pour Tim et Abigail, en revanche, je n’ai aucune idée de ce que s’apprête à dire
Joshua…

– Mais, on ne commande pas des sentiments quand ils vous tombent dessus.
Donc oui, Kirsten et moi sommes bien ensemble. Certains d’entre vous jugeront
cette relation inappropriée, je peux le comprendre. Sachez quand même que nous
nous sommes rencontrés avant de savoir que nous devrions travailler ensemble.
Mais je ne renoncerai pas à Kirsten. Je l’aime, profondément et vivre sans elle
est impossible. J’ai pensé fermer l’agence pour vivre pleinement notre relation,
sans subir les rumeurs ou les jugements. J’ai aussi pensé à stopper le stage de
Kirsten ici. Mais sachez-le, Kirsten n’a pas besoin de traitement de faveur, ses
qualités professionnelles sont excellentes et je pense qu’Abigail me rejoindra sur
ce point puisqu’elle m’a demandé de l’embaucher à l’issue de son stage. Abigail,
j’espère que cette nouvelle ne te fera pas changer d’avis. Après cette réunion, Je
n’accepterai aucune rumeur, aucun sous-entendu. Kirsten est à la place qu’elle
mérite, par son travail. Et elle est plus que jamais à sa place dans ma vie.

Le regard de Joshua survole l’assemblée, scrutant les mécontents. Mais quand


Tim se met à applaudir et à féliciter son ami, la grande majorité de nos collègues
en font autant. Rouge écarlate, au bord du malaise, j’ose relever les yeux. À part
les stagiaires qui chuchotent entre eux, quelques regards curieux, rien n’annonce
un scandale à venir ! Je suis tellement soulagée !

Entre la déclaration de Joshua, le fait qu’Abigail veuille me garder, que


personne ne réagisse mal, j’ai du mal à y croire !

– Maintenant que tout est dit, je vous laisse retourner à vos dossiers. Nos
anciens clients sont revenus, nous devons leur donner entière satisfaction. Je
diffuserai les premiers chiffres de la campagne ce soir. Croisons les doigts !

J’attends que le monde soit parti pour me glisser vers Joshua et Tim.

– Je… Tu aurais pu me prévenir…


– Tu m’en aurais empêché !
– Oui mais…
– Je n’avais pas prévu de le faire mais quand Abby m’a demandé de
t’embaucher, c’était une occasion de prouver que tu n’étais pas là par hasard.

Je souris et m’approche de lui pour l’embrasser. Puisque nous n’avons plus


besoin de nous cacher…

– Mais j’ai encore très envie de nos baisers volés. C’était aussi très excitant de
nous cacher… murmuré-je à son oreille pour que Tim ne m’entende pas.
– Qui a dit que c’était terminé… Je n’ai aucune envie de brider ton désir. Il y
a notre relation officielle et notre plaisir… plus discret.

Un frisson me traverse tout le corps… Si Tim n’avait pas été là…

Quand je rejoins mon bureau, Abigail m’attend. J’ai une petite appréhension
quant à sa réaction, mais elle est au bord de l’hystérie !

– Tu te rends compte ?! Moi, la directrice adjointe ! Je n’en reviens pas !


– Je… oui… félicitations ! Et je voulais te dire que je m’excuse de t’avoir
menti.
– Écoute Kirsten, j’aurais appris ça il y a quelques semaines, je t’aurais fait
virer. Mais je sais ce que tu vaux et je vous comprends. Ma proposition est
toujours la même : veux-tu être mon assistante ?

Oh !

Trop d’émotions !

– Merci, murmuré-je au bord des larmes.


– Interdit de pleurer, sinon je vais m’y mettre aussi et une directrice adjointe,
ça ne pleure pas non ?

Nous éclatons de rire avant de reprendre notre travail. Je n’ai pas encore
sérieusement pensé à ce que serait exactement ma vie après mon stage. Mais la
forme qu’elle commence à prendre me plaît bien ! Il me reste de toute façon
encore quelques semaines à terminer avant de penser à la fin.

Ensuite, ce sera l’inconnu…

Aux côtés de Joshua.


Épilogue

Je pensais qu’il serait plus simple de revenir ici, que plus rien ne m’affecterait
désormais. Mais ce retour à Saint Cloud, pour mes derniers examens, me met
mal à l’aise. Rien n’a changé, ici. Je me suis mise un peu à l’écart, sur un banc
pour observer le spectacle des étudiants qui se retrouvent après la séparation du
stage et… Glove qui papillonne au milieu de toutes ses élèves. Le prof à
l’origine de tout mon mal-être me jette des regards ironiques.

« Tu ne veux toujours pas faire partie de mon harem ? » semble-t-il vouloir


me dire.

Toute ma promo s’est réunie et compte toujours m’isoler. Je n’ai visiblement


pas eu droit à l’invitation des heureuses retrouvailles. Mais mon regard a
complètement changé sur cette situation. Il y a quelques mois encore, j’aurais
baissé la tête. Là, je les regarde tous et leur comportement ne m’affecte pas.

J’ai gagné tellement, ces derniers mois. Je n’ai plus rien à prouver ici. Je
termine cette dernière épreuve et je rentre chez moi.

À New York.

Glove sera dans mon jury. Je me suis préparée à ne pas avoir de cadeau de sa
part. L’ultime vengeance pour ne pas avoir accepté ses avances… Pour moi,
c’est la dernière étape. Je sais que j’aurais dû le dénoncer, qu’un attouchement
est un crime, mais je n'en ai vraiment pas le courage.

Ce qui est ironique quand on pense que j’ai travaillé sur une campagne de
sensibilisation…

Mais si j’ai appris quelque chose, c’est bien que tout n’est pas toujours blanc
ou noir.

J’ai préparé cet oral à la perfection avec Abigail. Pas Joshua, parce qu’il sera
là aussi et nous avons décidé qu’il devait rester le plus impartial possible.

– Ils mériteraient tous un relooking, lance quelqu’un en s’asseyant à côté de


moi. Je comprends pourquoi tu t’habillais aussi mal ! Vous avez vraiment un
problème avec la mode, ici !
– Je n’ai pas vu un seul bar digne de ce nom ! ajoute une autre, sur ma droite
cette fois. Cet endroit me donne la chair de poule !

Deaken ?! Liana ?!

– Mais… Qu’est-ce que vous faites là ? m’exclamé-je en bondissant sur mes


pieds.
– C’est fini, le temps où tu n’avais pas de soutien ici, me glisse ma cousine en
me serrant dans ses bras. Joshua nous a proposé de venir avec lui pour te faire la
surprise. C’est ce prof, là-bas, qui t’a causé des problèmes ?
– Oui, c’est lui…
– Je vais attendre que tu finisses ton exam et que tu valides ton diplôme avant
de lui casser une rotule, ajoute-t-elle en le toisant du regard.
– Ignore-le. D’ici une heure ou deux, il aura complètement disparu de ma
vie !

Quand je serre à son tour Deaken dans mes bras, j’aperçois Joshua quelques
mètres plus loin. Nous nous contentons d’un simple signe de tête. Ici, il est mon
boss et je suis sa stagiaire.

– Je suis vraiment contente de vous voir, leur dis-je en souriant. Cet endroit
prend un tout autre aspect avec vous !
– On apporte une touche plus fun, c’est sûr, sourit Deaken.
– Bon, je dois me rendre à ma salle d’exam. On peut se retrouver dans le seul
bar sympa de la ville ?
– Tu rigoles ? On t’accompagne jusqu’au bout !

Je fais donc mon entrée dans le bâtiment sous les regards amusés,
indifférents, parfois méprisants de mes camarades de promo. Si je voulais me
concentrer avant de me lancer, c’est raté. Mais la bonne humeur que m’apportent
mes deux amis suffit déjà à lever le stress. Je rentre dans ma salle en leur
adressant un signe de la main.
– Kiki ! « Merde » pour ton exam ! me lance Deaken, sans discrétion.
Dépêche-toi de boucler tes études pour qu’on te ramène à la maison !

Je m’installe à la table alors que mes camarades prennent place dans mon dos.
C’est comme ça que ça se passe, l’oral est public et chaque étudiant est invité à
écouter les autres pour profiter des expériences vécues. Une idée qui m’aurait
fait paniquer il y a quelques mois, mais aujourd’hui, je suis complètement
indifférente… et différente !

Devant moi, le jury. Joshua discute avec mes professeurs alors que je prépare
doucement mes notes. J’arrive vraiment à contrôler la pression, je maîtrise
parfaitement mes moyens. Il faut dire que j’ai un bon coach pour ça…

– Mademoiselle Lake, le tirage au sort vous a désignée pour passer la


première. Nous vous écoutons, m’invite officiellement le directeur.

Je m’éclaircis la voix et me lance. Non seulement je maîtrise l’espace, mais je


jongle aussi avec le vidéoprojecteur, avec les documents que je leur donne. Je
fais des allers et retours à mon pupitre, je leur parle droit dans les yeux.

Le petit oiseau craintif s’est vraiment envolé !

Et viennent les questions. Et c’est Glove le premier, qui s’empresse de


prendre la parole.

– Je suis heureux de constater que New York et sa jungle urbaine ne vous ont
pas dévorée, Kirsten ! Vous nous êtes revenue entière. Nous avons pourtant eu
peur, vous qui étiez si jeune, si… angélique…

Derrière moi, des rires. Je vois du coin de l’œil que Joshua se crispe. Il sait
qui est Glove. Et je crois que, sans lui en parler, il aurait pu le deviner.

– J’ai non seulement survécu, réponds-je avec aplomb et en le regardant droit


dans les yeux. Mais, j’ai aussi beaucoup appris et découvert combien les New-
Yorkais étaient chaleureux et accueillants, moins enclins aux préjugés. Ce stage
a été une véritable révélation et une bouffée d’air frais dans ma vie.

Les questions, les vraies cette fois, me ramènent à mon travail, la campagne
notamment. Je vois l’admiration de certains de mes professeurs quand ils
comprennent le travail que nous avons effectué, et les résultats qui ont dépassé
nos attentes. Puis, c’est au tour de Joshua d’apporter son commentaire sur mon
stage. Il se lève, prend le temps.

– Kirsten s’est très vite adaptée à notre rythme et à la cadence qu’une agence
comme la nôtre demande. Je félicite ses capacités à se mettre en danger, en
quittant son univers familier pour venir se frotter à la « jungle urbaine » comme
vous le souligniez tout à l’heure, monsieur Glove. Elle ne se repose pas sur ses
acquis, elle a la hargne de ceux qui sont prêts à vivre. Et un professionnalisme
exemplaire dont on ne peut pas dire qu’il soit partagé pas tous ici. Je vous ai vu
caresser la joue d’une élève dans le couloir, dites-moi, vous intégrez ce geste
dans quel enseignement ?

Glove ne sait pas s’il doit réagir ou se taire. Devant quelqu’un comme Joshua,
il ne fait pas le poids. Tous les regards des membres du jury sont posés sur lui.
Durs. Très durs. Quelque chose n’est pas normal, je les observe tous, surprise.
Mais je n’ai pas le temps de m’interroger plus que Joshua reprend déjà la parole.

– J’ai là quelques témoignages, dit-il en venant déposer un dossier devant


Glove. Quelques plaintes à votre encontre, que j’ai déjà portées à la
connaissance de vos pairs ici présents, ainsi qu’à la police. Kirsten n’est pas en
mesure de porter plainte contre vous, elle craint les conséquences dramatiques
sur ses études. C’est le pouvoir que vous aviez sur toutes vos victimes, n’est-ce
pas ? Leur silence ou l’exclusion. Mais de mon côté, je ne crains rien, surtout pas
de vous, et je pense que vos victimes méritent qu’on leur enlève ce poids. La
police vous attend dans le couloir. Souhaitez-vous qu’elle vienne vous chercher
ici, ou préférez-vous rejoindre les agents vous-même et partir avec ce qu’il vous
reste de dignité ? Même si je doute que vous en ayez jamais eu…

Glove est livide. Dans mon dos, certains élèves applaudissent, d’autres
poussent Glove à quitter les lieux. Moi ? Je tremble devant ce dénouement, mais
je jubile intérieurement. Enfin… Je suis libérée d’un poids, je me sens respirer,
soulagée. Surtout quand Glove disparaît. Grâce à Joshua…

Mais comment ?!

– Un peu de silence je vous prie, intervient le président du jury et directeur de


notre département universitaire. Je tiens à apporter mes excuses à nos élèves qui
ont eu affaire à… à cet homme. L’expérience nous servira à être plus vigilants et
plus à l’écoute de nos élèves. Nous reprendrons les oraux après une petite pause
qui nous permettra à tous de nous recentrer sur l’essentiel : votre réussite !

Nous quittons la salle d’examen dans un grand brouhaha. Impossible pour


moi d’approcher Joshua. Une fois dehors, je n’ai plus qu’une envie. Courir loin
d’ici, profiter de cette légèreté nouvelle, de la fin de mes études… Si tout va
bien, je n’ai plus à remettre les pieds dans cet endroit. Et je cours, vraiment, ivre
de joie, laissant derrière moi mes camarades qui n’en ont jamais été.

Je cours dans les couloirs, réellement heureuse, rejoindre ceux qui sont
essentiels à ma vie désormais : Deaken et Liana. Et Joshua, quand il sera libéré
de ses contraintes.

***

– C’est enfin fini ! crié-je presque en leur sautant dans les bras.
– Tu as réussi ? C’est bon ?! s’empresse de me demander Deaken.
– Verdict dans deux heures ! On va boire un verre, je paie la première
tournée !

J’envoie un message rapide à Joshua pour qu’il sache nous retrouver alors que
déjà nous levons nos pintes dans un tintement sonore et renversant.

Une heure plus tard, Joshua et quelques responsables d’agence de la région


font leur entrée dans le bar et s’installent à une table. Mon cœur bat un peu plus
vite, parce qu’il détient l’annonce de ma réussite ou non. Et qu’il me fait
languir !

– Tu veux que j’aille le chercher ? demande Deaken.


– Non… Je crois que je sais déjà…

En effet. Joshua vient de se tourner vers moi et de me faire un clin d’œil.

J’ai réussi !

Je me tourne vers mes amis et aussitôt, Deaken et Liana se mettent à crier en


me prenant dans leur bras. Tout le monde ici, sauf Joshua, doit nous prendre pour
des fous.
Ma nouvelle vie commence maintenant !

***

– J’ai cru que cette soirée ne se terminerait jamais, me souffle Joshua en


m’attirant à lui.
– Tous ceux que tu as rencontrés devaient être trop heureux de discuter avec
toi. Tu es la référence new-yorkaise de la pub !
– Et moi, je ne rêvais que de te retrouver et de fêter ton diplôme avec toi.

Je me pelotonne contre lui, dans l’immense baignoire de la suite. Bougies,


champagne, ambiance tamisée et musique envoûtante, Joshua m’a invitée à son
hôtel de Saint Cloud pour passer la soirée avec lui.

– Maintenant que ton stage est terminé et que tu ne rentres en poste que dans
un mois, qu’est-ce que tu comptes faire ? me demande-t-il d’une voix douce.

Je me retourne vers lui pour le regarder droit dans les yeux.

– Je ne sais pas vraiment… Je pourrais rester ici et profiter de mes parents…


– Vraiment ? Tu ne m’as pas dit que le déjeuner de demain était déjà
beaucoup trop ?
– C’est vrai… Depuis qu’ils m’ont pris des rendez-vous pour des entretiens
ici, je n’ai plus envie de les croiser. Ils n’ont rien compris.
– Je serai là… Quand ils verront l’homme parfait que je suis, ils ne
t’embêteront plus à choisir pour toi.

Joshua sourit et ses yeux pétillent. Je crois qu’il ne se rend pas compte de ce
qui l’attend demain. J’attrape son visage entre mes mains pour l’embrasser. Je
n’ai aucun doute sur l’endroit où je veux passer ma vie.

– J’ai quelque chose pour toi… me glisse-t-il en attrapant une enveloppe


derrière la baignoire.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Ouvre !

Je déchire précautionneusement le papier et découvre deux billets d’avion : un


tour d’Europe !
– J’ai pensé qu’on pourrait utiliser ton temps de repos pour prendre des
vacances tous les deux… Si tu veux bien sûr…
– Si je veux ?! Mais oui ! Un mois entier ? Juste toi et moi ?
– Juste toi et moi… À Paris, à Berlin, dans les pays scandinaves… On ira
partout où tu souhaites aller !

Quel cadeau ! Je n’ai jamais pris l’avion plus loin que pour aller à New
York !

– Merci, soufflé-je.

Joshua me dépose un baiser sur le front, caresse ma joue avec son pouce. Son
regard est chaud, enveloppant. Je frissonne malgré la température de l’eau.
J’aime cet homme, j’adore aimer. Et savoir que l’on est aimée aussi, c’est se
sentir pousser des ailes !

Et comme si ça ne suffisait pas à mon trouble, ses doigts commencent


doucement à se glisser entre mes jambes, ses lèvres se posent délicatement sur
les miennes. Je lance les billets le plus loin possible pour ne pas les mouiller,
sentant la situation déraper…

Mais Joshua recule aussitôt sa tête, un sourire malicieux sur les lèvres, le
regard pétillant.

Quoi ?! Il s’arrête là ?!

– Puisque tu es d’accord pour passer le mois prochain avec moi, alors peut-
être…

Dans l’alcôve, au-dessus de notre tête, Joshua attrape cette fois un écrin. Noir,
en velours. Je suis obligée de m’accrocher à la baignoire pour ne pas succomber
à un vertige soudain. Quand son regard se repose à nouveau sur moi, je manque
de crier « oui ! ».

– Peut-être que tu accepteras de passer tous les autres mois de ta vie avec
moi ? Kirsten, toi et moi dans le monde, mais toi et moi aussi à New York, chez
nous, tous les deux. Tu seras ma priorité, toute ma vie. Ma raison de vivre, de me
battre, de remporter d’autres challenges. Je te rendrais heureuse comme je sais
que tu me rendras fou de bonheur. Je veux ta douceur, ta sagesse, ta fraîcheur, tes
yeux qui pétillent, ton corps qui vibre, ta moue boudeuse aussi, ton air si
concentré. Je te veux tout entière, Kirsten. Accepte d’être ma femme, pour
l’éternité.

Une larme coule sur ma joue. Je baisse les yeux pour regarder cette
magnifique bague scintillante en or blanc, je prends le temps de respirer, de
profiter de cet instant, de ces mots qui résonnent encore dans mon esprit. Et puis,
je replonge mon regard dans le sien.

– Oui… Oui ! OUI !

Je le laisse passer la bague en douceur à mon doigt, et je saute sur lui pour
l’embrasser, éclaboussant la pièce entière. J’ai cru ma vie se terminer à Saint
Cloud, c’est ici qu’une nouvelle commence. La plus belle, la plus magique !

FIN
Disponible :

Apprends-moi. My Stepbrother
Vic est orpheline, rebelle et blessée, seule au monde. Zach est motard, boxeur,
colérique, magnifique et irrésistible. Forcés de cohabiter sous le même toit, dans
la même famille, ils sont frère et sœur aux yeux de tous. Le seul problème ? Ils
sont irrésistiblement attirés l’un par l’autre ! Le plus beau des paris peut
entraîner la pire des chutes !

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Extrait premiers chapitres

ZLYA_001
À Anaïs et Léa, les deux petites fées à l’origine d’une pétition qui a fait naître
ce spin-off, mais aussi toute une saga.
Prologue

Aaron

J’aurais dû me douter que ce serait une soirée pourrie. Pour commencer, j’ai
été réquisitionné, contre mon gré bien sûr, pour faire du baby-sitting. Je n’ai rien
contre les gosses normalement et je n’aurais pas été contre le fait de garder Sam
mais ce soir, c’est la Saint-Valentin et c’est le jour de l’année où les femmes
célibataires sont les plus désespérées. C’est ce soir qu’elles sont le plus dociles et
qu’elles cèdent le plus facilement. Le jeu de séduction est presque trop simple
mais c’est la soirée où les hommes célibataires repartent rarement seuls.

Cela fait presque deux heures qu’aucun de nous ne pipe mot. Ce silence me
stresse presque. Putain ! Je ne pensais pas qu’un bébé était aussi long à venir.
Dans les films, les gosses arrivent en quelques minutes, mais la réalité est bien
différente. Je souffle d’impatience. Je tue le temps en vérifiant mes e-mails, en
faisant une partie de poker en ligne où je perds un peu de fric.

Face à moi, Jason, mon ami, semble mal à l’aise et agite nerveusement sa
jambe, ce qui commence sérieusement à me mettre les nerfs. Quant à Luke, mon
frère aîné, il s’occupe sur son portable, un petit sourire aux coins des lèvres. Il
parle sûrement avec une fille. Probablement son plan cul du moment.

Amber et Hunter, nos amis, arrivent alors en trombe dans la petite salle
d’attente de la maternité avec un large sourire. Ils viennent de baiser, ça se voit à
des kilomètres et ça me fait rire, bien sûr. Ils ne sont pas discrets, c’est dingue.

Amber s’assoit près de Luke après nous avoir salués. Hunter, lui, me salue en
tapotant mon épaule et se laisse tomber près d’Amber. Depuis qu’il est avec elle,
il s’est transformé en parfait toutou. Un vrai canard. On peut dire qu’Amber le
tient par les couilles. En même temps, avec une meuf comme la sienne, je lui
déconseille de faire le con. Lui aussi s’assagit et j’ai conscience que je suis en
train de perdre mes partenaires un à un pour les soirées drague.
Je n’ai rien contre les filles. Je les adore même. Mais depuis qu’elles sont
arrivées dans nos vies, celles de mes meilleurs amis du moins, tout a changé.
Fini le 3G. Fini les soirées de folie. Fini l’insouciance. Pour eux du moins.

Je sors toujours avec Luke, mon frère, mais cet abruti s’évertue à me coller la
honte à chaque sortie. C’est son truc. Bon, c’est le mien aussi et on adore se
chamailler.

Je sors avec Jason aussi, mais il est plus rationnel et taciturne. Il ne parle
jamais, comme s’il n’avait jamais rien à dire. Enfin, rarement, et ça, même avec
les filles. Il n’a jamais besoin de sortir plus de trois phrases pour repartir avec
une meuf. C’est l’effet « Jason ». Une moto, des tatouages et des airs de bad boy
qu’il ne faut pas chercher suffisent pour enflammer les petites culottes. Si je
n’avais pas une peur panique des aiguilles, j’aurais déjà de l’encre partout sur le
corps. Alors ma technique, c’est l’humour et le rentre-dedans. Je suis cash avec
les filles et elles comprennent très vite mes intentions avec elles.

Pour Luke, c’est différent. Même s’il est mon aîné, il a un visage de gamin.
Alors il joue la carte de la finesse. C’est vrai qu’il est intelligent, sûrement bien
plus que nous autres. Avec sa belle gueule et ses yeux bleus, il lui suffit de
« montrer » son esprit pour emballer une fille.

– Elle n’est pas là, ta meuf ? fait Hunter.

Je relève ma tête. Hunter fixe Luke. Sa meuf ? Quoi ? Quelle meuf ? J’ai dû
louper un épisode.

En ce moment et depuis sa dernière rupture, il y a plus d’un an désormais,


mon frère cherche une relation sérieuse. Chose que je ne comprends pas car je ne
sais pas vivre autrement qu’en profitant. J’ai du mal à comprendre que Luke et
Hunter cherchent à se caser. Avec Jason, aucun risque. Quand ça devient sérieux
avec une fille, il fait tout capoter ou la largue. Quant à Ben, je n’ai pas tout
compris à ce revirement de situation car il est le mec le plus allergique à l’amour
et à l’engagement que je connaisse. Encore plus que moi. Mais je ne dis rien, ça
ne me regarde pas, et j’adore Selena.

– Quoi ? Quelle meuf ? leur demandé-je.


Mon frère soupire d’agacement tout en mitraillant Hunter du regard.

– Celle que tu ne rencontreras jamais, raille Luke, la mâchoire serrée.

Je plisse le front. Mais quel enfoiré ! Pourquoi m’exclut-il toujours de ses


histoires ? Il ne me raconte rien. Déjà avec son ex, il avait fait ça !

– Mais vas-y ! Pourquoi ?


– Parce que t’es lourd avec les filles !
– Mais n’importe quoi ! Je ne suis pas lourd avec les filles. Franchement.

Amber laisse échapper un petit rire. Elle se fout de ma gueule, je le vois très
bien, et semble d’accord avec Luke. Ce sont des sales traîtres ! Et d’ailleurs, je
ne suis pas lourd avec les filles !

– Non, c’est vrai que tu es tout sauf entreprenant avec les filles, dit-elle. Et tu
es un modèle de fidélité et de romantisme, ça se voit à des kilomètres.
– Mais je suis fidèle…

Mes amis rient. Ils ne me prennent jamais au sérieux !

– Je crois que ton record de « fidélité » est de dix jours. Et encore, c’est parce
que tu avais chopé la grippe et que tu agonisais dans ton lit, lâche Luke.
– Pff ! Quel crétin, fait Amber.

Jason et Hunter semblent d’accord. Vraiment, ils sont vexants, je n’ai jamais
aucun soutien de leur part.

– Mais c’est vrai ! Je suis le mec le plus fidèle du monde.

Luke secoue la tête, navré.

– Mais pas avec les filles, Aaron, intervient Hunter.

Vexé, je croise les bras sur mon torse.

– Si ! Je peux être fidèle à une fille si je le veux.

Ils s’esclaffent de nouveau et Amber en pleure même de rire.


– Il est marrant, le gamin, dit Jason.
– Il n’est même pas crédible, rit Amber.
– Tu ne tiendrais pas un mois, lâche mon frère.
– Quinze jours, ce serait déjà énorme ! renchérit Amber.

Je me lève de ma chaise. Mes amis me fixent, surpris. S’il y a bien un truc


que j’adore, c’est relever les défis. Et celui-là, je peux le tenir haut la main. Ils
pensent que je ne peux pas tenir un mois, eh bien je vais leur prouver le
contraire.

– Ah ouais ? Vous me lancez un défi, là !

Bon, OK, on ne m’en a pas lancé un, mais il est hors de question que je les
laisse me ridiculiser.

– On ne joue pas avec toi, Aaron, dit Amber, lasse. Tu fais ce que tu veux.

Je plisse le front. OK, alors je m’autodéfie. Je vais leur prouver de quoi je suis
capable.

Sous leurs regards ébahis, je sors de la salle d’attente, sans un mot. Ils m’ont
gonflé et de toute façon, ça me soûle d’attendre, alors autant tuer le temps
comme on peut. Et cette chaise me faisait mal au cul.

Franchement, ils sont vraiment cons !

Je me dirige vers le bureau des infirmières et saisis un dépliant que je fais


mine de lire. Ça me laissera tout le temps pour repérer celle qui connaîtra le
Aaron le plus fidèle du monde. Je vais leur prouver que moi, Aaron Davis, je
peux être sérieux et fidèle.

Une petite blonde passe près de moi et je l’observe discrètement. Pas mal, la
fille. Un 7/10 au moins.

Mon regard balaie son corps. Petit cul sympa, visage bien agréable mais on
voit qu’elle a l’air sérieuse.

Mouais, je sens que cette fille n’est pas du genre à sucer. C’est mort. Il faut un
minimum syndical. Suivante !
Je pose mes yeux sur une brune. Malgré son visage un peu froid, elle vaut un
bon 7/10 aussi. Je la détaille sans ménagement. Ouais, elle a un cul carrément
bandant. Quand elle lève sa main jusqu’à sa nuque pour se gratter, je remarque
une bague à son annulaire. Et merde ! Elle est fiancée ou mariée, c’est bien ma
veine, putain ! Je me suis promis de ne plus toucher aux filles déjà prises, j’en ai
marre de me prendre des baffes par leurs mecs. Mais pour elle, je ferais bien une
petite entorse à cette stupide règle.

– Besoin d’informations ? entends-je derrière moi.

Je tourne mon visage et vois une petite brune, tenant un dossier dans sa main.
Elle me sourit, laissant entrevoir ses dents blanches. Elle est magnifique. Je la
lorgne de haut en bas. Putain, j’avais dit que j’arrêterais ça. Ça fait gros pervers.
Mais c’est la seule façon d’estimer la marchandise.

Mon regard se lève jusqu’à ses yeux. Oh putain ! Je plonge littéralement


dedans. Je n’ai jamais vu d’aussi beaux yeux, d’un bleu aussi profond. Je vois
qu’elle me parle mais je n’entends rien. Je m’attarde sur ses lèvres rouges et
pulpeuses que j’aimerais croquer.

Je me ressaisis quand elle plisse légèrement le front et incline sa tête. Elle


reste silencieuse en déposant un gros classeur vert pastel sur le comptoir.

Parle, abruti ! On dirait un puceau !

– Euh ? Pardon ?
– Je vois que vous regardez une information sur le don d’ovules ? Vous êtes
intéressé ?

Je pose les yeux sur le flyer rose et lis pour la première fois l’intitulé.

Bordel ! Y a qu’à moi que ça arrive !

Putain, le don d’ovules ! Je suis plus du genre à faire don de mon sperme,
mais avec coup de reins en bonus. Je n’aurais pas pu prendre un dépliant sur les
augmentations de pénis, par exemple. Ça aurait été moins gênant, même si je
n’ai pas besoin, et loin de là, de ce type d’intervention. Ma queue est absolument
géniale.
Je repose le dépliant sur le présentoir, d’une main beaucoup trop tremblante et
qui trahit ma gêne. Putain ! Moi qui ai de l’assurance, pourquoi je réagis comme
ça ?

– Euh, c’est pour ma… Ma…

La petite infirmière se met à rire. Oh merde ! J’aime bien le son de son rire.

– Mouais, j’ai compris. C’est laquelle qui vous intéresse ? Je connais tout le
monde ici, je peux peut-être vous donner quelques informations.

C’est à mon tour de rire. Sérieusement, qui est cette créature envoûtante ? Ma
conscience me gifle. Elle va me prendre pour un débile à ne pas répondre à ses
questions.

– La petite brune ? suggéré-je.


– Sophie ?

J’acquiesce, bien que je me foute de son prénom. Elle secoue la tête.

– Elle est fiancée. Avec un chirurgien. Désolée, mais vous n’avez aucune
chance.
– Ah !

Mais putain, réponds autre chose, crétin !

– Et la blonde ?
– Sandy ? C’est une pétasse. Elle est hautaine en plus. Je vous la déconseille.
Son ex a dû demander une mesure d’éloignement contre elle. Elle virait à la folle
psychopathe.

Ah ouais ! Alors c’est définitivement mort. Je ne veux pas d’emmerdes, moi !

– Quelqu’un d’autre ? me demande-t-elle.

Elle !

Je détourne enfin mon visage du sien et regarde les autres infirmières qui
s’attellent à leurs tâches. Elles sont mignonnes mais elles sont bien fades à côté
de cette fille.

Je me retourne une nouvelle fois vers cette surprenante créature.

– Et vous ?
– Moi ?

Elle semble surprise, presque gênée. Elle m’offre un petit sourire timide alors
que je hoche la tête. Je crois que je ne laisse pas cette petite infirmière
indifférente mais ça tombe bien car elle me plaît.

– Je ne pense pas être votre genre.

Sa remarque me surprend. Comment pourrait-elle le savoir, si ça avait été le


cas ?

– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Ma question la chamboule encore plus. Ses joues se teintent légèrement et elle


fuit presque mon regard. Je l’ai déstabilisée et je ne peux retenir mon sourire.

– Je suis une femme compliquée et je ne suis pas du genre à attirer un mec


comme vous.
– Vous pourriez être surprise.

Ses lèvres s’étirent poliment. Elle récupère son petit classeur vert pastel
qu’elle dépose sur son bras.

Et merde ! C’est mort !

Contre toute attente, elle sort un stylo de la poche de sa blouse rose et saisit
ma main. La sienne est douce et chaude et son contact m’électrise. Je l’observe
alors qu’elle inscrit son numéro de téléphone sur ma paume. Elle finit par relever
son visage vers moi, me forçant à plonger dans les plus beaux yeux que j’ai vus
jusque-là.

– De toute façon, vous ne me supporterez pas plus d’un mois. À vous de voir,
maintenant.
Elle m’offre un petit sourire timide puis tourne les talons.

Deux défis dans une journée ! J’aime ça ! Et je sens que le deuxième sera bien
plus agréable à relever.
1

Aaron

Mes yeux se révulsent et j’étouffe un gémissement de plaisir en m’affalant un


peu plus sur mon fauteuil.

Oh putain ! C’est le pied !

Je pose ma main sur la masse de cheveux bruns, encourageant la jeune femme


à continuer. Je suis à deux doigts d’avoir un putain d’orgasme.

– Ouais, vas-y. Plus vite, lui dis-je.

Elle ne se fait pas prier. Sérieusement, se faire sucer, c’est génial, mais au
bureau, ça l’est encore plus. Ça rend le boulot bien plus agréable, bien que mon
métier le soit déjà.

– Oh putain, lâché-je alors que mon orgasme se lâche tout autant.

J’entends un coup bref donné à la porte de mon bureau et la poignée s’abaisse


aussitôt. J’ouvre les yeux, me redresse rapidement et grimace quand je reconnais
le visage de mon visiteur.

Merde ! Ma mère !

Je râle aussitôt. Sérieusement, elle a toujours cette mauvaise manie d’entrer


sans frapper. Déjà quand j’étais ado et que je me faisais plaisir tout seul sous ma
couette, elle ne frappait jamais. Bon, OK, là, elle l’a fait. Mais n’est-elle pas
censée attendre d’être invitée à entrer ?

– Maman ? fais-je, surpris de la voir ici, une petite hésitation dans la voix.

Jenny se crispe quand elle comprend que nous ne sommes plus seuls. Elle
libère ma queue de sa bouche et la rentre vite fait dans mon boxer. Ma main
appuie un peu plus sur sa tête. Si ma mère soupçonne ce que j’étais en train de
faire, du moins, ce que Jenny était en train de me faire, je suis bon pour deux
heures de leçons de vie. Ma mère est comme ça. Elle sait que j’ai une vie
sexuelle débridée. Elle espère juste que je change. Et le plus tôt sera le mieux
selon elle.

Ma mère lève la tête de son téléphone et porte son attention sur moi. Je lui
offre un petit sourire innocent. Sûrement pas assez crédible car son front se
plisse, laissant apparaître une petite ride. Ses yeux se déportent une brève
seconde vers mon bureau. Elle soupire d’agacement puis pose un poing sur sa
hanche en inclinant la tête. Et merde, elle vient de comprendre et je suis mal.

Derrière elle, Luke, mon grand frère, a tout de suite compris, lui. Je dois avoir
la tête du mec qui vient d’avoir un orgasme.

Putain, je me hais parfois. Pourquoi je suis aussi con, sérieusement ? Je ne


pouvais pas afficher la tête du mec qui travaille, pour une fois. Bon, il faut dire
que Jenny est douée. Très douée.

– C’est bon, Jenny, tu as trouvé ton stylo ? trouvé-je comme excuse.

Je suis grillé alors autant que je subisse les remontrances de ma mère avec
mon frère pour seul témoin. Luke est habitué de toute façon et il est un très bon
allié contre notre mère. Elle a tendance à abuser, oubliant que je n’ai plus 21 ans
mais que j’en ai cinq de plus.

Comprenant qu’elle doit sortir de sa cachette, Jenny pose sa main sur mon
bureau et s’appuie dessus pour s’aider à se relever. Ma mère secoue la tête,
navrée.

– Oh bah en fait, il n’était pas tombé, dit-elle. Il est juste là.

Elle saisit un stylo sur mon bureau et le lève, pour parfaire son excuse bidon.
Elle n’est même pas crédible. Sérieusement, je devrais songer à me faire sucer
par des filles plus intelligentes, bien que cette qualité ne soit pas indispensable
pour cette activité plaisante.

– Il me semblait bien qu’il n’était pas tombé. Je ne vois pas pourquoi tu as


insisté pour…
– C’est bon, Aaron, me coupe ma mère, agacée. Mademoiselle, si vous voulez
bien nous laisser un instant. Vous continuerez à chercher votre stylo plus tard.

Jenny étire ses lèvres, mal à l’aise, et s’incline presque. Elle s’approche de la
porte, sans oublier de porter son pouce et son auriculaire à l’oreille pour me faire
comprendre qu’il faut qu’on s’appelle.

Mais oui, compte là-dessus, chérie ! Avec ce que tu viens de me faire, je vais
t’appeler dès ce soir.

Mon sourire s’efface quand je croise le regard désabusé de ma mère.

– Aaron ! Franchement ! dit-elle d’une voix pleine de sermons.


– Franchement ? dis-je. Elle est terrible. Elle sait y faire, y a pas de doute.

J’agrémente mon regard d’un petit clin d’œil. Luke pouffe de rire alors qu’il
se laisse tomber sur l’un des fauteuils face à mon bureau. Même ma mère ose un
sourire, ce qui me fait dire que je n’aurai sûrement pas le droit à sa leçon de
morale.

Ma mère fait partie des mères cool. On a toujours parlé de sexe à la maison,
sans tabou. La seule chose qu’elle nous oblige à faire, c’est nous protéger. Sauf
que j’oublie parfois ce petit détail, m’attirant quelques petits soucis de grossesses
surprises de temps en temps.

Ma mère s’assoit face à moi, pose son sac à main sur ses genoux et pince ses
lèvres.

– Tu ne peux pas te trouver une fille bien, dit-elle. Une fille avec qui tu
resterais un petit moment. Histoire de te poser un peu, de mûrir…

Et bla-bla-bla… Je ne l’entends déjà plus. Cette conversation, je l’ai entendue


un bon millier de fois. Je n’ai pas envie de me poser avec une fille. Point.
Devrais-je me forcer aussi ?

Je suis bien comme je suis. Pas de meufs, pas d’emmerdes. Je m’épargne les
bouquets de fleurs qui ne servent à rien, les conversations sur la vie de couple,
les prochaines vacances et les dîners chez belle-maman.
Bon, il est vrai que j’avais dit que j’essaierais, que je tenterais tous ces trucs
d’amoureux niais pendant un mois.

– Tu ressembles tellement à ton père, dit-elle, avec une petite pointe de


tristesse dans la voix.

Je grimace légèrement. Elle en voit des vertes et des pas mûres avec mon
paternel. Elle est cocue depuis bien longtemps avec lui. Elle a des cornes si
larges qu’elle ne passerait pas sous l’Arc de triomphe. Mais elle n’arrive tout
simplement pas à le quitter. Elle l’aime, lui aussi, mais il ne peut pas s’empêcher
d’aller voir ailleurs. La femme de ménage, sa secrétaire, une hôtesse de l’air, la
psy de leur thérapie conjugale… Les bons gros clichés. La liste est longue et ma
mère encaisse et encaisse. Au début, c’était dur, mais maintenant, elle reste forte
en gardant le sourire, ne montrant pas sa peine et gardant sa dignité. Elle finit par
s’habituer, malheureusement. Ma mère ne mérite pas de s’habituer à ça. Même si
j’aime mon père, une part de moi ne peut m’empêcher de lui en vouloir de faire
subir tout ça à la meilleure mère du monde.

– Tu as oublié que tu devais nous rejoindre pour déjeuner, dit ma mère.

Ah merde ! Ouais, j’ai carrément zappé.

– Non, non, ce n’est pas ça, mens-je. C’est juste que j’étais à fond dans le
boulot et je n’ai pas vu le temps passer. Trop de travail.
– Trop de travail ? répète ma mère. Heureusement que la petite Jenny est
venue t’aider.

Luke rit encore. Lui, en ce moment, je ne sais pas ce qu’il a mais il rigole tout
le temps. À croire qu’il fume joint sur joint. À moins qu’il prenne plus dur, bien
que ça m’étonne de lui. Luke est trop droit pour ça. Et bien trop moralisateur.
C’est un Monsieur-je-sais-tout insupportable et étriqué. Mais j’aime mon frère.

– Ouais, désolé, soufflé-je.

Je lui fais le coup du regard attendri mêlé à la culpabilité. Ça marche toujours


avec ma mère.

– Bon, reprend-elle en tournant sa tête vers Luke. On a réglé quelques détails


avec ton frère pour l’anniversaire de ton père. Nous nous sommes dit que ce
serait bien de… Luke !

Elle tourne son visage vers mon frère et souffle d’agacement.

– Tu veux bien lâcher ton téléphone cinq minutes, reprend-elle. Tu es pénible.

Luke lève les yeux de son téléphone puis le pointe vers nous. Je souris quand
je vois la petite bouille souriante de Samy, tenant fermement Léana dans ses
bras. Il est fier d’être grand frère. C’est marrant à voir et il prend son rôle très au
sérieux.

– Ben vient de m’envoyer une photo, lâche-t-il.

Ma mère prend le téléphone des mains de Luke et laisse échapper un petit


« oh » attendri. Elle est complètement gaga quand il s’agit d’enfants.

– Ils sont si mignons. Et qu’est-ce qu’elle a grandi ! Il me tarde d’être grand-


mère.

Je me tends sous sa remarque. Les gosses, je ne veux pas en entendre parler.


Je les aime bien pourtant, ils sont marrants, mais chez les autres. Et je suis bien
trop jeune pour vouloir d’une responsabilité aussi lourde.

Les lèvres de Luke s’étirent et je comprends alors.

Et merde ! Il a une meuf. Ça ne peut être que ça et c’est pour ça qu’il sourit
en permanence !

Il est amoureux. Je ne vois aucune autre explication. Putain, c’est d’un niais !
Mais c’est du Luke tout craché. Toujours à croire en l’amour, à vouloir fonder
une famille, à organiser des dîners en amoureux, à masser les pieds de sa meuf.
Je me penche aussitôt vers mon frère.

– C’est qui ? demandé-je en chuchotant.


– Personne, répond-il sèchement. Mêle-toi de ta Jenny.

Je grimace légèrement. Ma mère, elle, semble suspendue aux lèvres de son


aîné. Elle le supplie du regard. Elle ne semble pas être au courant et la
connaissant, elle le cuisinera jusqu’à ce qu’il lui dise tout. Et lui finira par céder.
Luke secoue la tête, comme pour lui faire comprendre qu’il lui en parlera plus
tard.

On dit tout à notre mère. Elle est un peu comme une copine même si nous
avons énormément de respect pour elle. Il faut dire qu’elle est tellement maligne
et obstinée qu’on préfère lui parler plutôt que de la laisser nous harceler pendant
des jours. Ava Davis est une femme tenace qui arrive toujours à ses fins.

– Pourquoi tu ne veux pas le dire devant moi ? demandé-je, légèrement vexé.


– Parce que tu vas tout balancer à tout le monde avec ta grande bouche.
– N’importe quoi ! Je suis une tombe.

Luke et ma mère secouent la tête en même temps. Sérieusement, ils ne me


prennent pas au sérieux parfois. Trop souvent même. Ça en devient vexant à
force.

– Moi, si j’avais une meuf, je te le dirais.

Luke rit aux éclats, ce qui irrite encore plus mon ego. À croire que je viens de
dire une énorme connerie.

– Toi ? Une meuf ? Il y a plus de chance qu’Obama devienne blanc.


– Tu dis n’importe quoi ! Tu vois Obama devenir blanc ?

Luke rit encore plus.

– Je te l’ai déjà dit, garde une meuf un mois et on en reparlera, petit.

Je fronce les sourcils. Je déteste quand il fait ça. Quand il me dit « petit »,
qu’il fait son grand frère. Sérieusement, c’est quoi leur problème à tous vouloir
me rabaisser ?

Je plisse les yeux et retrousse une lèvre, ce qui le fait rire. Luke sait que je
suis soûlé et il s’amuse de la situation.

Ma mère se lève alors lentement. Ni Luke ni moi nous nous attendions à son
geste.

– Bon, tu expliqueras à ton frère ce qu’on a décidé pour l’anniversaire de


votre père, Luke. J’ai un rendez-vous important. Je vous laisse vous crêper le
chignon, les filles. On s’appelle.

Elle nous souffle un baiser puis sort de mon bureau. Je déteste aussi quand
elle compare nos disputes de mecs à des chamailleries de collégiennes. C’est le
truc de ma mère, pour nous faire comprendre qu’on est débiles et immatures.
Même Luke n’aime pas ça.

Je reporte mon attention vers mon frère et secoue la tête.

– Quoi ? dit-il. Ce n’est pas comme si tu n’avais pas déjà essayé. Tu as tenu
combien de temps déjà ?

Son petit air suffisant me gonfle. Luke est le type de mec à se prendre la tête
pour tout et surtout pour rien. Et il se fait un malin plaisir à me rappeler mes
échecs et mes erreurs. Bon, sur ce point, je suis bien pire que lui.

Voyant que je ne réponds pas, il ajoute :

– Huit jours ?
– Neuf, rectifié-je en serrant les dents.

Un record pour moi !

Mais pour ma défense, cette meuf était conne. Elle ne me lâchait pas et j’en
pouvais plus de l’entendre me dire que je pouvais laisser ma brosse à dents dans
sa salle de bains et qu’elle voulait me libérer un tiroir. Elle ne faisait que de
parler, elle était pénible et collante.

J’ai voulu jouer avec la petite infirmière sexy mais quand je suis rentré de
l’hôpital, le soir de la naissance de Léana, j’ai pris une douche qui a quasi effacé
la moitié des chiffres de son numéro de téléphone. L’encre était devenue illisible.
Cette fille m’a obsédé pendant plusieurs jours et je me souviens très bien de la
réponse de la nana de l’hôpital à qui j’en ai fait la description.

« Des petites brunes sexy, y en a cent ici. Vous êtes sûr qu’elle est
infirmière ? »

J’ai eu envie de la baffer ce jour-là. Même si en fait, c’est moi que j’aurais dû
frapper pour avoir été si con. Pourquoi j’ai fait la connerie de ne pas noter son
numéro dans mon répertoire aussitôt qu’elle avait tourné les talons ? Et pourquoi
ne lui ai-je pas demandé son prénom aussi ?

Tout simplement car cette fille aux yeux bleus m’avait un peu déstabilisé. Je
me rappelle même avoir bafouillé comme un puceau.

Luke applaudit en souriant comme un con.

– Bravo, frangin ! Neuf jours ! Sans rire, je devrais t’offrir une médaille. Quel
record !
– Allez, arrête de me faire chier. Tu sais très bien que Holly était un peu
conne. J’ai pris la première venue.

C’était histoire de faire taire mon frère qui m’a relancé sur ce pari, trois jours
après la naissance de Léana. Car s’il y a bien quelque chose que je ne supporte
pas, c’est perdre. Sauf que ça s’est soldé par un échec. Il faut dire qu’au boulot,
la tentation est quotidienne.

– Hum ! Je me souviens d’une Molly mais pas d’une Holly, fait Luke.

Ah oui, c’était Molly. Je ne m’en souvenais plus. Mais c’était il y a


longtemps, c’était il y a deux mois. Une éternité.

– Ouais, à une lettre près. Enfin bon, je vois que tu esquives le sujet principal.
C’est qui ta meuf ? Je la connais ? Elle est bonne ?

Il secoue la tête une nouvelle fois. J’ai l’impression de ne faire ressentir que
de la pitié à mon entourage parfois.

– Tu comprends mieux pourquoi je ne veux pas te dire qui c’est ?


– Donc, je la connais ?

Une lueur anime son regard. Putain, oui, je la connais ! Je me demande bien
de qui il peut s’agir. Son assistante ? La prof de sport ? Luke a toujours eu le don
de tomber amoureux des filles qu’il ne fallait pas. Déjà à l’université, il était
tombé amoureux de sa prof de droit. Mon frère est maudit en amour.

– Allez, dis-moi. Je te promets que je ne dirai rien, que je ne ferai pas de


gestes ni de remarques pervers. Je lui demanderai juste la taille de sa poitrine et
comment elle est épilée.

Luke rit aux éclats. Plus d’un mec serait vexé de ma remarque ou voudrait me
foutre son poing en pleine gueule mais Luke est mon frère et surtout, il me
connaît. Il se lève alors de son fauteuil sans me quitter des yeux.

– Tu sais quoi ? Reste un mois avec une meuf et je te la présenterai.

Mes lèvres s’étirent. Voilà ce qu’il me manquait avec Holly. Non, Molly. Un
enjeu ! Et savoir qui est la fille suffisamment folle pour supporter mon frère est
un enjeu de taille.

Je me lève à mon tour et tends ma main vers lui.

– OK. Dans un mois, tu me la présenteras.

Mon frère rit. J’ai toujours aimé les défis et je suis le plus grand joueur sur
cette planète.

Il saisit alors ma main et la serre pour sceller notre accord. Il manquerait


presque un avocat pour rendre la chose officielle. Je suis con, mon frère est
avocat.

– Ça marche !

Il secoue la tête

– Tu vas perdre.
– On verra bien !

Luke rit une nouvelle fois puis tourne les talons. Il s’apprête à sortir mais se
ravise.

– C’est con ! J’aurais bien voulu te la présenter. Elle est géniale.

Il sort de mon bureau. S’il croit que je vais perdre, il se fourre le doigt dans
l’œil jusqu’au coude. Il devrait savoir que chez les Davis, on ne perd jamais et
que cette règle s’applique surtout à moi.
2

Aalya

Allez ma grande, ne te décourage pas ! Crois en toi ! Tu peux le faire.

Je pousse la porte du bâtiment administratif en prenant une grande inspiration.


Le secrétariat est bondé, rien de bien étonnant pour un vendredi matin. Je sens
que je vais en avoir pour des heures mais maintenant que je suis là, je ne me
dégonfle pas. Je n’ai pas le droit.

Je marche jusqu’à la file d’attente et m’arrête derrière une petite brune dont
ses longs cheveux ondulés tombent en cascade jusqu’à mi-dos. Je tuerais pour
avoir ses cheveux. Ils sont brillants, ils ont l’air doux, trop doux. J’ai envie de
plonger mes doigts dedans pour vérifier mon hypothèse.

Une personne quitte le comptoir et j’avance d’un pas. Plus que quatre
personnes et c’est mon tour. Sauf que d’ici à ce que je me retrouve devant la
secrétaire, mes jambes auront trouvé trente occasions de filer et de sortir de ce
bâtiment.

Reprendre mes études ? À mon âge ? Mon Dieu, quelle idée ! Je n’aurais pas
pu faire comme toutes ces filles qui viennent de sortir d’une histoire d’amour
compliquée et qui se réconfortent en changeant leur garde-robe ou leur coupe de
cheveux ? Non, il a fallu que je voie grand : changer de carrière.

Bon, il faut dire que j’y songeais depuis des mois, quelques années même.
J’aime mon boulot d’infirmière mais avoir arrêté mes études sur un coup de tête
il y a quelques années a été l’erreur de ma vie. La plus grosse du moins. Et je ne
parle pas sentimentalement parlant. Sur ce point, je n’ai fait que des erreurs. À
26 ans, j’ai l’impression que ma vie est une succession de mauvais choix.

Alors après dix jours à me morfondre au fond de ma couette, à câliner la seule


qui me sera toujours fidèle, c’est-à-dire Joy, ma petite chienne, et à bouffer
cochonneries sur cochonneries, j’ai eu un déclic en regardant un film romantique
bien fifille. Bon, en réalité, c’est Ellya, ma sœur, qui m’a fait décamper de son
canapé en jurant et en menaçant de me foutre un bon coup de pied au cul si je ne
reprenais pas ma vie en main. Et elle a raison.

Je dois reprendre le contrôle et changer les choses.

Aidée de ma sœur, j’ai fait une check-list de tout ce que j’ai regretté en
commençant bien sûr par mes relations amoureuses. Après un décompte plutôt
rapide, j’en suis venue au fait que les hommes, c’est fini ! Pour l’instant du
moins. Décision que j’ai prise après le malheureux constat que sur huit hommes,
six m’ont trompée. Aïe, le bilan fait mal rien que d’y penser.

Je dois arrêter de me reposer sur mes lauriers et ma vie doit être différente. Et
cette nouvelle vie doit commencer maintenant.

Mon plan est simple :

• Ne plus se prendre la tête pour de la merde.

• Déménager au plus vite et de préférence le plus loin de celle qui est censée
être ma meilleure amie depuis toujours.

• Saisir toutes les opportunités en pensant à moi, rien qu’à moi.

• Arrêter d’être trop gentille et savoir dire non.

• Reprendre mes études afin de réaliser mon rêve.

Voici mes cinq nouveaux principes. Fini la petite copine trop gentille qui dit
oui à tout ! Je suis une nouvelle femme, celle que tout le monde verra autrement
que comme une bonne poire qui prend toutes les gardes de ses collègues sans
avoir un merci en retour.

Sauf que tout ça, c’est plus facile à dire qu’à faire. Et que la témérité ne fait
pas partie de mes qualités premières.

La fille devant moi se retourne et m’observe un instant, surprise. Nos regards


s’accrochent et son visage d’ange me dit quelque chose. Je fronce les sourcils en
même temps qu’elle. Je l’ai déjà vue quelque part mais je ne me souviens plus
où. Elle aussi semble me reconnaître.

Elle finit par étirer ses lèvres. Elle est sur le point de me rappeler où nous
nous sommes déjà croisées.

– Tu ne serais pas infirmière ? me demande-t-elle en inclinant légèrement la


tête et en gardant son beau sourire.

Bien sûr ! À l’hôpital ! En même temps, j’y passe plus de temps que dans
mon appartement. Surtout ces temps-ci.

– Oui, tout à fait, réponds-je.

Il me semble qu’elle vient d’avoir un bébé. Une petite fille de mémoire.

– Je suis Selena. Tu t’es occupée de moi après mon accouchement.


– Comment va ta petite fille ?

Elle affiche un sourire digne d’une mère complètement gaga. Elle sort son
téléphone de son sac à main et elle le tend vers moi. Je m’attendris en voyant
deux adorables bambins.

– Léana a 6 semaines maintenant. Elle est si sage et si mignonne. Pourvu que


ça dure. Là, c’est Sam, mon fils. Il a 6 ans.
– Ils sont mignons, soufflé-je.

Je rêve d’avoir des enfants. J’adore les gosses et la naissance d’un bébé est si
magique. J’ai déjà assisté à plusieurs accouchements et ce que je préfère le plus,
ce sont les visages des parents quand ils rencontrent leur enfant pour la toute
première fois. La surprise, la joie, l’amour. Parfois, on voit de la peur. Certains
ont la crainte de ne pas réussir mais dans ces cas-là, j’aime les rassurer. C’est le
rôle d’une sage-femme aussi.

La file s’amenuise un peu plus quand un jeune homme quitte le comptoir de


l’administration.

– Tu es inscrite en quoi ? me demande-t-elle.


C’est dingue comment discuter avec elle semble si naturel.

– Pour l’instant, en rien. Je suis venue pour m’inscrire.


– C’est génial. J’ai repris mes études l’an dernier. Mais bon, avec Léana, j’ai
dû les mettre de côté quelques mois. Là, je viens pour régler mon prochain
semestre et je compte m’inscrire pour suivre les cours.
– Tu suivais tes cours à domicile ?
– Oui, mais entre Léana et Sam, j’ai l’impression de ne plus avoir le temps
pour mes cours à la maison. Alors, avec Ben, mon mari, on a décidé que je
devais affronter les amphithéâtres et les jeunes étudiants pour que je sépare bien
ma vie de maman et ma vie « professionnelle ».

Elle mime les guillemets avec ses doigts. Elle est marrante. Elle m’avait déjà
paru agréable pendant son séjour à l’hôpital, d’une douceur que chaque femme
devrait avoir.

– Oui, je comprends. Ça ne doit pas être facile de concilier les deux.

Elle hoche la tête.

– Et toi ? Ça ira pour toi de travailler et de suivre les cours en même temps ?
me demande-t-elle.

Je crois que c’est bien la première fois qu’on se soucie de moi et qu’on me
demande si ça va aller pour moi.

– Oui, ça va être dur mais je veux vraiment préparer mon diplôme de sage-
femme.
– C’est cool. Je suis sûre que tu y arriveras. Tu es faite pour ça. Tu avais été si
gentille avec moi.

Touchée, je souris en entendant son compliment. Entendre qu’on fait bien son
travail est appréciable.

Une nouvelle personne quitte la file. La prochaine, c’est Selena.

– Tu ne m’as pas dit en quoi tu étais inscrite ? demandé-je.


– Oh ! En psychologie.
Je la connais depuis seulement dix minutes que je trouve sa réponse évidente.
Elle est si ouverte, si agréable et elle s’intéresse aux gens. Je la vois très bien
dans ce domaine, même si elle conviendrait tout à fait à un métier dans
l’esthétique ou dans la mode.

Cette fille sait s’habiller et se mettre en valeur, il n’y a pas de doute. Je dois
ressembler à une fermière à ses côtés.

– C’est cool. Et tu as une idée de carrière ?


– Pas encore. Je réfléchis toujours. Mon fils dit que je devrais rester maman et
Ben m’encourage à faire ce qu’il me plaira.

Elle en a de la chance. Plus d’un mec se fout de la carrière de sa femme ou


pire encore, ne la soutient pas. Les hommes sont parfois égoïstes.

– Tu as encore le temps d’y réfléchir de toute façon. Oh ! C’est ton tour.

Elle se retourne rapidement avant de reporter son attention sur moi.

– Merci… Euh ?
– Aalya, dis-je.

C’est vrai que je ne me suis pas présentée.

– Enchantée, dit-elle. Bon, j’espère te croiser de nouveau un jour sur le


campus, dit-elle. Peut-être qu’on pourrait continuer de papoter autour d’un café
entre deux cours un de ces jours.
– Oui, ça pourrait être sympa.

Cette fille est vraiment gentille et amicale. Elle se retourne et je l’observe


extirper un dossier de son sac à main. Elle sort également un chéquier. Elle
papote avec la secrétaire, la fait rire. Elle est vraiment agréable.

J’aimerais être comme elle. Avoir son assurance. Je suis sûre que cette fille
n’a jamais manqué de rien et doit filer le parfait amour avec son Ben et sa petite
famille.

Je secoue la tête, culpabilisant de me faire une idée sur une personne alors que
je ne la connais pas du tout. Si ça se trouve, cette fille a galéré avant de trouver
son âme sœur. Peut-être a-t-elle été trompée elle aussi, à plusieurs reprises,
retirant petit à petit sa confiance aux hommes ?

Elle remercie la secrétaire, la salue puis se retourne. Nous échangeons un petit


sourire et elle pose alors sa main sur mon bras.

– À bientôt, j’espère.

Je la suis du regard jusqu’à ce qu’elle passe la porte. Oui, je l’espère aussi.

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Love Temptation. Sex Friends


Aaron est dragueur, sûr de lui et arrogant, il séduit et quitte les filles sans jamais
s’attacher. Mais quand ses amis lui lancent le défi de rester plus d’un mois avec
la même, Aaron compte bien leur prouver qu’il en est capable ! Aalya est tout
son contraire : elle s’attache trop vite et ses copains finissent toujours par la
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en vrille, pas vrai ?

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les articles 425 et suivants du Code pénal. »

© Edisource, 100 rue Petit, 75019 Paris

Juin 2019

ISBN 9791025746899

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