Vous êtes sur la page 1sur 3

ENTRETIEN

Cannabis et poumon : cette fumée qui ne doit pas nous


empêcher de voir la situation en face
Canabis — Illégal et pourtant largement consommé. La forte consommation de cannabis est un échec de la
santé publique française. Le pneumologue est-il concerné ? Pourquoi ? Quel est son rôle ? Bertrand Dautzen-
berg nous répond.

Bertrand Dautzenberg
Service pneumologie et réanimation
GHU Pitié-Salpêtrière-Charles-Foix
APHP upmc
47-81, boulevard de l’Hôpital
75651 Paris Cedex 13
@: bdautz@gmail.com

Info Respiration (IR) : Que sait-on de


la nocivité du cannabis sur le poumon
en fonction de la nature du produit
consommé ?
Bertrand Dautzenberg (BD) : Les modes de
consommations du cannabis sont très divers
et leurs impacts pulmonaires notablement dif-
férents. Il est par exemple nul, ou quasiment,
pour le cannabis ingéré en space-cake ou autres
formes orales. Pour les cannabinoïdes de synthèse
les données sont actuellement très insuffisantes
et les préoccupations sanitaires sont principale-
ment neurologiques et psychiatriques tandis que
les données respiratoires sont quasi absentes. Le
pneumologue est confronté à trois principaux
modes de consommation. Par ordre d’impact
croissant on peut citer :
n La vaporisation du cannabis. Elle est émise
à partir de la plante par de gros vaporisateurs
(type Volcano) dont le consommateur inspire la
vapeur recueillie dans un sac. Cette vapeur a peu
d’effets sur la fonction respiratoire. Des données
éparses évoquent un effet bronchodilatateur du
THC.
© Imothep MS
n L’utilisation de joint de marijuana. Faite
avec uniquement de « l’herbe », sans tabac, elle
expose à la fumée du cannabis brûlée qui libère alvéolite macrophagique. Le taux de cancers France, ce mode de consommation ajoute au
environ six fois plus de particules fines PM 2.5 du poumon est aussi augmenté comme après risque précédant celui du tabagisme avec en par-
et de CO que la fumée d’une cigarette standard toute exposition répétée aux fumées. Le risque ticulier le risque de la dépendance à la nicotine
dans une machine à fumer. Elle provoque toux en fonction de la consommation est difficile à beaucoup plus forte que celle au THC du can-
et crachats avec des symptômes de bronchite chiffrer tant la prise concomitante de tabac sur nabis. Il conduit à une persistance du tabagisme
chronique tels qu’on l’observait il y a quelques le long terme est fréquente, mais un doublement et à un taux de rechute important des anciens
dizaines d’années chez les fumeurs de cigarettes du risque de cancer après la prise de vingt joints fumeurs. Ceux qui prennent le week-end un
brunes des anciennes générations (comme les années est avéré. joint associant tabac et résine de cannabis et
Gitanes, par exemple), atteinte des petites voies n Enfin l’utilisation de joints de résine de can- qui le lundi… repartent acheter un paquet de
aériennes et du poumon périphérique avec une nabis mélangée à du tabac. Très majoritaire en cigarettes.

I n f o R e s p ir a t i o n numéro 131 • f é v ri e r 2016 • www.splf.org 11


Entretien Cannabis et poumon

IR : Il y a peu de consommateurs BD : Même en regardant par la lorgnette du cours des 12 derniers mois). Les Pays-Bas qui
de cannabis qui ne soient pas aussi pneumologue, les effets cérébraux du can­ ont une réglementation, et non une prohibi-
fumeurs de tabac : les données épidé- nabis ne sauraient être passés sous silence. tion totale comme en France, observent une
miologiques peuvent-elles échapper à L’élément le plus inquiétant est le lien fort proportion moindre de consommateurs
cette intrication ? entre consommation de cannabis et schizo- (29 % dont 15 % les 12 derniers mois). Autre
BD : En France, il n’y a effectivement quasi- phrénie qui est clairement un lien de causa- constat important : aux États-Unis, la libéra-
ment aucune population qui consomme du lité. Un jeune consommant régulièrement du lisation du cannabis dans de nombreux états
cannabis sans consommer de tabac. Aussi cannabis a 3 fois plus de risques de dévelop- ne s’est pas accompagnée d’augmentation de
vous pointez là une difficulté réelle pour per une schizophrénie qu’un non-consom- la consommation des jeunes et a conduit à
bien connaître le risque pneumologique lié mateur. La prise répétée de cannabis entraîne utiliser des produits moins dangereux, en
au cannabis et il est très difficile de sortir des troubles de la concentration et altère la particulier pour les poumons. Enfin, pré-
de cette intrication avec les données épidé- mémoire à court terme utilisée pour réfléchir, cisons que l’Eurobaromètre 2014 rap-
miologiques actuelles. En Nouvelle-Zélande lire, écrire, calculer. Sa consommation est, par porte que seuls 3 % des jeunes Français sont
quelques études ont été conduites. Aux États- exemple, une cause majeure d’échecs scolaires pour une libéralisation totale du cannabis ;
Unis, le développement du cannabis vaporisé chez les collégiens et lycéens. À côté des effets 14 % demandent le statu quo pénal, 83 %
dans un pays où la consommation de tabac sanitaires, le cannabis perturbe la vie sociale voudraient que le produit soit disponible dans
et de tous les produits fumés baisse fran- et les comportements, en particulier lors de un cadre réglementaire.
chement nous permettra probablement de la conduite automobile. Les effets aigus sont
sortir un peu de cette intrication dans les très variables d’un sujet à l’autre et fonction IR : Les modes de lutte et de prévention
décennies qui viennent. Cela dit, en termes de la concentration et de la quantité de THC des États-Unis évoluent : comment ?
de pathologie respiratoire, la réflexion physio- prise. Certains cannabinoïdes sont particuliè- BD : Il y a déjà quelques années, certains états
pathologique conduit à penser que c’est bien rement dangereux, d’autres n’ont pas les effets nord-américains ont fait le choix du cannabis
l’effet fumée qui est responsable de la nocivité recherchés par les consommateurs. médical, telle la Californie qui avait institué
pulmonaire. À exposition égale en volume des cartes permettant d’acheter légalement
inhalé, que l’on fume une cigarette de tabac, IR : La France championne d’Europe du cannabis. Cela permet de réduire les pro-
une chicha, un joint de cannabis ou que l’on de la consommation : est-ce un constat blèmes, de contrôler les consommateurs,
cuisine dans un local sans cheminée, comme d’échec pour la politique de prohibition ? mais donne des vertus positives au cannabis
souvent dans les pays émergents, leurs effets BD : À mon avis oui. La France est claire- qui peuvent faire croire qu’il serait bon pour
peuvent être considérés de même ordre. ment en échec dans sa lutte contre le can- la santé. Selon la médecine fondée sur les
nabis laquelle reste figée sur la loi de 1970. preuves : les preuves positives sont ici absentes
IR : Cigarettes électroniques et Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors que ou faibles ne concernant que quelques situa-
produits dérivés du cannabis : où en depuis la loi Evin du 10 janvier 1991 la tions très particulières, des bénéfices voisins
sommes-nous ? consommation par habitant des deux princi- peuvent être obtenus autrement.
BD : Les gros vaporisateurs utilisés pour pales drogues légales en France a diminué de Certains états comme le Colorado, ont fait
vaporiser le cannabis à partir de la Marijuana 50 % pour le tabac et de 25 % pour l’alcool, un choix plus clair. Ils ont autorisé le can­nabis
permettent aux consommateurs d’inhaler le le statut pénal du cannabis est associé à une récréatif aux adultes, suivant la demande de
THC et les autres cannabinoïdes sans fumée. augmentation de 20 % de la consommation l’immense majorité des consommateurs. Le
Ils ne représentent qu’une utilisation margi- de cannabis chez les jeunes. On ne peut que recul de la consommation est encore faible,
nale en France. Dans les pays où elles sont regretter le déficit dramatique de dialogue mais ce choix a l’avantage de regarder la
légales des e-joints contenant l’un ou l’autre entre les générations sur ce sujet et l’inca- réalité en face. Il ne s’est traduit à ce jour ni
cannabinoïdes sous forme liquides sont dis- pacité d’un grand nombre de personnalités par une augmentation de la consommation,
ponibles, mais les données manquent sur les politiques à dépasser les chicaneries entre les ni par un excès d’accidents de la circulation.
effets de ces produits qui de toute façon ne différentes parties qui sont attisées par des Les dealers ont plié bagage, des boutiques se
sont quasiment pas présents en France. Une médias dont certains éléments font tout pour sont ouvertes et l’État a instauré des taxes. Aux
microcampagne de presse avait été lancée créer ou attiser ces conflits politiques afin États-Unis, chaque État a sa réglementation.
en 2015 soutenue par une association de de faire le buzz. Ces facteurs expliquent ce Si une législation devait être pensée dans le
consommateur de cannabis pour une e-ciga- regrettable premier rang européen en termes détail en France, il serait important d’analyser
rette au goût cannabis sans THC. Sa promo- de consommation de cannabis. précisément chacun de ceux faits par les États-
tion a été stoppée et actuellement il n’y a pas Ajoutons que l’OFDT démontre l’absence Unis, et ailleurs, afin de mettre en œuvre la
d’e-liquide comprenant le THC. totale de lien entre une politique répres- réglementation la plus efficace : à savoir
sive sévère et une baisse de la consomma- supprimer le commerce illicite du cannabis,
IR : Quels sont les impacts de la tion. En Europe, la France ayant l’une des améliorer les produits et développer la
consommation de cannabis sur les législations les plus sévères compte 45 % prévention afin de réduire immédiatement les
maladies psychiatriques ? de jeunes consommateurs (dont 25 % au risques puis progressivement la consommation.

12 I n f o R e s p ir a t i o n numéro 131 • f é v ri e r 2016 • www.splf.org


Entretien Cannabis et poumon

IR : Selon vous, que peut faire le pneu- mateurs se tournent vers des produits sans tabac samedi soir ou du dimanche, alors que la
mologue face aux consommateurs de en utilisant soit des plantes à fumer en remplace- majorité des consommateurs de cannabis
cannabis ? ment du tabac avec leur résine — elles sont tout sont des consommateurs de WE ;
BD : Je répondrai brièvement en trois points. aussi toxiques que le tabac mais non addictives —> 2. plus des deux tiers des fumeurs de
Le pneumologue doit : —, soit utiliser de la marijuana sans tabac. À tabac déclarent vouloir être non-fumeur,
—> 1. parler librement du cannabis, comme ceux qui veulent bien quitter les joints mais pas mais n’y arrivent pas du fait de leur dépen-
il parle du tabac ; le cannabis, conseiller la vaporisation avec les dance. Plus de 75 % des consommateurs
—> 2. informer des effets de la fumée de gros vaporisateurs en attendant l’arrêt. de cannabis peuvent ne pas consommer. La
cannabis qui en langage de patient peut être dépendance est moins souvent la cause de
présentée « comme la fumée de tabac mais en IR : Y a-t-il des spécificités du sevrage la consommation. La consommation se fait
pire », et adopter son discours à chacune des cannabique versus tabac ? pour rechercher des sensations ou un autre
pathologies ; BD : Oui, et je soulignerai ici trois différences état de conscience.
—> 3. conseiller l’abandon du produit et majeures : —> 3. enfin, il existe avec la substitution
diriger éventuellement vers une « consulta- —> 1. le tabac est fumé en immense nicotinique et les médicaments de prescrip-
tion jeune consommateur » ou un autre centre majorité par des fumeurs dépendants à la tion des traitements efficaces de la dépen-
spécialisé. nicotine. Ils fument car leurs récepteurs nico- dance tabagique. Il n’existe pas de traitement
À ceux qui ne veulent pas quitter leur joint, on tiniques « crient famine » dès l’heure du lever vraiment efficace pour le consommateur quo-
peut donner les conseils pour que les consom- le matin. Il existe très peu de fumeurs du tidien de cannabis dépendant. n

La mortalité par mucoviscidose en France est en baisse


Que nous apprennent les données du Registre en matière de mortalité ? Réponse dans le Bulletin Épidémio-
logique Hebdomadaire (BEH)

Une tendance à la baisse Sur les périodes récentes (2002-2006 et


Gil Bellis
Sur les 4 périodes quinquennales couvrant 2007-2011), la mortalité durant la petite
Institut national d’études l’étendue d’exercice du Registre, les taux de enfance (0-4 ans) a donc été inférieure de
démographiques, Paris mortalité à 0-4 ans (calculés en rapportant 1,1 point en moyenne à ce qu’elle était sur
les décès au nombre de personnes-années les périodes anciennes (1992-1996 et 1997-
de la même classe d’âges) ont été les sui- 2001) ; l’écart des niveaux de mortalité entre

M esurer avec justesse la mortalité


touchant la population atteinte
de mucoviscidose ne saurait s’effectuer sans
vants : 1992-1996 : 2,6 ‰ ; 1997-2001 :
2,2 ‰ ; 2002-2006 : 1,4 ‰ ; 2007-2011 :
1,2 ‰. À 25-29 ans (dernière classe d’âges
ces deux grandes périodes a été plus impor-
tant chez les adultes (25-29 ans) avec une
baisse de 24,1 points en moyenne. Cette
un dispositif adapté permettant, notamment, fermée construite pour cette étude) les taux baisse de la mortalité après 2002-2003 —
de rapporter les décès par classe d’âges surve- de mortalité ont atteint les niveaux suivants : années qui correspondent à la mise en place
nus durant une période donnée à l’effectif des 1992-1996 : 43,7 ‰ ; 1997-2001 : 47,3 ‰ ; du dépistage néonatal et des CRCM — a été
patients dûment diagnostiqués et soumis­au 2002-2006 : 21,8 ‰ ; 2007-2011 : 22,5 ‰. observée à tous les âges (figure 1).
risque de décéder. Ce dispositif (le Registre
français de la mucoviscidose) a été mis en
place par l’association Vaincre la Mucovis-
cidose en 1992 et s’avère aujourd’hui quasi Figure 1. Taux de mortalité par âge, Registre français de la mucoviscidose, périodes 1992-1996 à 2007-2011
exhaustif. Outil de recensement et de suivi 50
45
des patients, le Registre se prête à de nom-
40
breuses études épidémiologiques et, du fait 35
de son ancienneté, a été le témoin des actions 30
1992-1996
Taux (‰)

menées en France en faveur de la prise en 25 1997-2001


20 2002-2006
charge de cette maladie, en particulier la 2007-2011
15
généralisation du dépistage néonatal de la
10
mucoviscidose sur l’ensemble du territoire 5
national et la création des Centres de res- 0
0-4 5-9 10-14 15-19 20-24 25-29 30+
sources et de compétences de la mucovis-
Classes d'âges (ans)
cidose (CRCM) en 2002.

I n f o R e s p ir a t i o n numéro 131 • f é v ri e r 2016 • www.splf.org 13

Vous aimerez peut-être aussi