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mise au point

Conseil aux fumeurs : mise à jour


épidémiologique et clinique

De récents rapports suisses confirment que les additifs dans


les cigarettes sont des agents susceptibles d’augmenter la con-
sommation et le potentiel de dépendance, et qu’une consulta-
tion de tabacologie spécifique pour les jeunes ne correspond
actuellement pas à un besoin. Les études observationnelles
montrent que le tabagisme est un facteur de risque de diabè-
te, qu’une consommation faible de tabac augmente le risque
de maladie, que le risque de cancer du sein chez les fumeuses
Rev Med Suisse 2006 ; 2 : 1683-8
passives est augmenté d’environ 30% et que la sécurité des
substituts de nicotine sur le plan cardiovasculaire est confir-
J. Cornuz mée. De nouvelles approches pharmacologiques sont explo-
rées, parmi lesquelles figurent la varenicline, le rimonabant,
J.-P. Zellweger le topiramate et le vaccin contre la nicotine.
Pr Jacques Cornuz et
Dr Jean-Pierre Zellweger
PMU, 1011 Lausanne

Cet article propose une mise à jour des informations et con-


seils à donner aux patients fumeurs suite à la publication de
nouvelles données épidémiologiques, cliniques et thérapeu-
Smoking cessation intervention : 2006 tiques. Nous ne reviendrons pas sur les principales orientations thérapeutiques
update et recommandations cliniques, qui ont fait l’objet de publications récentes.1
Recent Swiss reports confirmed that several
chemical products added to cigarettes may
increase the level of dependence and there- PRÉVALENCE DU TABAGISME
fore the consumption of cigarettes. Observa-
tional studies demonstrated the association Les dernières statistiques suisses montrent que 30% environ des adultes fu-
between smoking and type II diabetes, that ment, ce qui représente 1,8 million de personnes.2 Six fumeurs sur dix souhaitent
smoking one to four cigarettes daily increa- arrêter, un pourcentage qui a augmenté depuis 1992 et représente 1,1 million de
ses significantly the risk of disease and that
personnes. Chaque année, 27% des fumeurs, soit un demi-million de personnes,
the relative risk of breast cancer among non
smoking women exposed to passive smoking
font au moins une tentative sérieuse pour arrêter de fumer. Parmi ceux-ci, 16% y
is increased by 30%. The safety of nicotine parviennent notamment grâce à l’aide médicale. Les conseils donnés par les
replacement therapy for patients with cardio- médecins ont donc un impact individuel et communautaire considérable.
vascular disorders has been confirmed. Among
new pharmacological approaches, varenicline,
rimonabant, topiramate and nicotine vaccine ADDITIFS DES CIGARETTES
all appear promising.
L’Office fédéral de la santé publique a récemment publié une étude sur le
contenu en additifs des cigarettes vendues en Suisse.3 Rappelons qu’il incombe
aux autorités fédérales de réglementer les produits du tabac, y compris les addi-
tifs autorisés et qu’une cigarette peut contenir jusqu’à 25% d’additifs en plus du
tabac. Trente-deux marques de cigarettes ont été analysées : quarante-huit addi-
tifs ont été décelés, dont plusieurs ne sont pas autorisés par l’ordonnance sur le
tabac. Parmi ceux-ci, on trouve des substances aromatiques et le menthol, par
ailleurs dans des marques de cigarettes non déclarées au menthol ! Or le men-
thol retarde l’élimination de la nicotine et renforce son potentiel addictogène.
Cette étude révèle également la présence d’ammoniac et d’urée, ce qui est par-
ticulièrement inquiétant car ces substances augmentent le pH de la fumée et
favorisent ainsi la libération de nicotine. D’après les fabricants, ces additifs sont
destinés à aromatiser et à humidifier le tabac. Les milieux médicaux et de la pré-
vention du tabagisme sont bien sûr d’un autre avis : ces additifs sont surtout des
agents susceptibles d’augmenter la consommation et le potentiel de dépendance

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car ils rendent les cigarettes plus agréables et augmentent une source de consommation augmentée et de rechute
la part de nicotine sous forme de base libre. lors d’arrêt.

TABAC ET ADOLESCENTS IMPACT SUR LA SANTÉ D’UNE «PETITE»


La consommation de tabac chez les jeunes est mainte- CONSOMMATION DE CIGARETTES
nant un problème de santé publique clairement reconnu. Une nouvelle preuve de l’absence de seuil où le risque
Dans ce contexte, une étude a récemment été réalisée dans lié au tabagisme serait nul, c’est-à-dire identique à celles
le canton de Vaud afin de faire le point sur les enjeux de et ceux qui ne fument pas, a récemment été fournie par les
la consommation de tabac chez les jeunes et déterminer résultats d’une étude de cohorte réalisée auprès de plus
la nécessité de développer des prestations d’aide à la de 40 000 fumeurs norvégiens.8 Cette étude (figure 1) mon-
désaccoutumance au tabac spécifiques aux jeunes.4 tre qu’une consommation faible de tabac (une à quatre
L’initiation au tabac a lieu dans 90% des cas avant l’âge cigarettes par jour) augmente le risque de maladie cardio-
de 20 ans. En Suisse, un adolescent sur cinq environ fume vasculaire, de cancer pulmonaire et de décès. Après ajus-
régulièrement. Parmi ces jeunes-là, près de 70% fument leur tement pour les autres facteurs de risque, le risque relatif
première cigarette dès le matin et près de 60% présentent est en effet proche de 3 (2,7 pour les fumeurs et 2,9 pour
au moins deux signes de dépendance à la nicotine (appa- les femmes), voire de 5 pour le risque de décéder d’un can-
rition d’un sevrage à l’arrêt de la consommation, tentatives cer pulmonaire chez la femme. Ainsi, il est faux d’affirmer
infructueuses de contrôle ou d’arrêt de la consommation, que seule une consommation quotidienne de plus de cinq
utilisation de la substance malgré le fait qu’on sache qu’elle cigarettes/jour entraîne de graves dangers à la santé.
peut être nocive pour la santé). Plus de la moitié des jeu-
nes envisagent d’arrêter de fumer : 9% ont le projet d’arrê-
ter dans les trente jours, 17% voudraient arrêter dans les
six mois et 28% souhaiteraient arrêter à moyen ou à long
terme. Les tentatives d’arrêt du tabac ainsi que les rechu-
tes sont fréquentes à l’adolescence. La dépendance nico-
tinique, les symptômes de sevrage et le processus d’arrêt
par stades de motivation semblent être relativement sem-
blables chez les jeunes et chez les adultes. Malgré ces si-
militudes, les rares études cliniques sur les programmes de
désaccoutumance au tabac chez les jeunes montrent des
résultats décevants, en particulier un faible recrutement
pour les programmes et interventions et un taux élevé
d’abandons en cours d’intervention.5,6 Peu d’études sont
donc actuellement disponibles sur les programmes d’aide
à la désaccoutumance chez les jeunes. Une revue des rares
interventions d’aide à l’arrêt du tabac a mis en évidence un
taux d’arrêt relativement faible, de 12% à trois mois, contre
7% pour le groupe témoin.7
Les focus group réalisés dans le cadre du projet vaudois
Maladies cardio- Cancers Cancers du Toutes les
vasculaires poumon causes
avec des jeunes fumeurs âgés de 16 à 23 ans montrent que : Non-fumeurs Hommes fumeurs Femmes fumeuses
a) les jeunes essaient souvent d’arrêter de fumer ; b) les 1-4 cigarettes/jour 1-4 cigarettes/jour
arguments principaux pour l’arrêt sont la santé et l’argent ;
c) le dialogue au sujet du tabac est facile avec les jeunes Figure 1. Risques de mortalité associés à la consom-
pour autant qu’il soit non jugeant et d) les professionnels mation de 1-4 cigarettes/jour
(Selon Bjartveit, 2005).
de santé reçoivent très peu de demandes formelles d’aide
à la désaccoutumance. Une consultation de tabacologie spé-
cifique pour les jeunes ne correspond donc actuellement
pas à un besoin. Par contre, lors du dialogue au sujet du EFFET DES LIEUX DE TRAVAIL SANS FUMÉE
tabac, le contexte psychosocial dans lequel évolue un ado- L’impact d’une interdiction de la fumée au travail sur la

une revue systématique parue dans le BMJ en 2004, qui


lescent doit être évalué à la recherche de consommation prévalence du tabagisme a été clairement démontré par
d’autres substances psychoactives ou de comorbidité psy-
chiatrique, afin de repérer les situations à risque qui né- englobait essentiellement des études réalisées en Amé-
cessitent une attention particulière. Enfin, les professionnels rique du Nord.9 Ces données viennent d’être confirmées
devraient soutenir le renforcement des mesures structu- en Europe, plus spécifiquement en Irlande.10 L’enquête,
relles, particulièrement l’augmentation du prix et les lieux réalisée auprès de 769 fumeurs, trois mois avant et neuf
publics sans fumée. Les jeunes semblent en effet concer- mois après l’introduction de la réglementation exigeant
nés par l’argent dépensé pour les cigarettes et par les ris- des places de travail sans fumée, montre que parmi les
ques pour la santé. Ils reconnaissent les méfaits du taba- personnes qui ont arrêté de fumer, trois quarts déclarent
gisme passif et le fait que fumer dans les lieux publics est que, grâce à la loi, elles ont réussi à arrêter de fumer plus

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facilement et neuf sur dix que l’arrêt tabagique est plus fa- rité.13 Il existe également un gradient dose-réponse (plus
cile à respecter dans un environnement sans fumée. Parmi la consommation de tabac est importante, plus le risque
les personnes qui ont continué à fumer, deux tiers décla- augmente) et l’arrêt du tabac diminue ce risque.14 Dix pour
rent fumer moins qu’avant et près de la moitié sont relati- cent de l’incidence du diabète serait dus au tabagisme (ris-
vement prêtes à arrêter de fumer. que attribuable).

TABAC ET CANCER DU SEIN TABAC ET FONCTION RÉNALE


Les études sur l’effet du tabagisme actif et passif sur le Trois études prospectives récemment publiées permet-
cancer du sein ont récemment fait l’objet d’une revue sys- tent d’accumuler des preuves sur le lien entre tabagisme
tématique englobant dix-neuf études observationnelles.11 et atteinte de la fonction rénale. Une étude prospective
En comparaison avec les femmes non fumeuses, le risque réalisée sur 23 500 personnes pendant plus de vingt ans
de cancer du sein chez les fumeuses actives était augmen- montre un risque relatif d’insuffisance rénale de 2,5 chez
té avec un risque relatif de 1,5. Par rapport aux femmes non les fumeurs et un risque attribuable au tabac de 31%.15 Une
exposées, le risque relatif de cancer du sein chez les fu- autre étude ayant suivi des patients hypertendus pendant
meuses passives était de 1,3. Dans l’analyse de sous-grou- plus de sept ans a révélé que la fonction rénale, malgré un
pes n’incluant que les études avec quantification du degré contrôle de la tension artérielle adéquat, était aggravée par
d’exposition au tabagisme passif, ce risque relatif atteignait le tabagisme : la diminution du taux de filtration gloméru-
même 1,9 avec la mise en évidence d’un gradient dose- laire était deux fois plus importante chez les fumeurs (-0,231
réponse. Le tabagisme apparaît donc associé à une aug- versus - 0,102 ml/min/mois).16 Une troisième étude s’est
mentation de la fréquence du cancer du sein, pouvant être intéressée à l’effet du tabac sur la fonction rénale des pa-
multipliée par deux en préménopause. En attente de con- tients diabétiques : 185 patients diabétiques ont été suivis
firmation par des études prospectives de longue durée et pour une durée moyenne de cinq ans.17 Alors que la fonc-
de qualité, les fumeuses devraient être informées que des tion rénale des patients non fumeurs est restée stable du-
études suggèrent une association entre la fumée de ciga- rant le suivi, elle s’est aggravée chez les patients fumeurs,
rettes et la survenue du cancer du sein. alors même que les fumeurs étaient en moyenne plus jeu-
nes. Les fumeurs devraient donc être informés de ce nou-
veau risque et une intervention clinique visant à l’arrêt du
TABAC ET DÉPRESSION tabac devrait être entreprise chez tout patient fumeur souf-
Si le tabagisme est clairement associé à la dépression frant d’insuffisance rénale ou de diabète.
(la probabilité d’antécédents de dépression est deux à trois
fois supérieure chez les fumeurs par rapport aux non-fu- MISE AU POINT SUR LES INTERVENTIONS
meurs), la relation causale a longtemps été débattue. Cer- PHARMACOLOGIQUES (tableau 1)
tains fumeurs fument-ils parce qu’ils ont tendance à être
déprimés ou, au contraire, la fumée augmente-elle le risque Prescrire deux ou plusieurs substituts de
de dépression ? Une récente étude prospective scandinave nicotine
a évalué cette question en examinant l’association entre le Une récente revue Cochrane confirme que la bi- ou tri-
tabagisme et la survenue d’un premier épisode de dépres- thérapie de substituts nicotiniques a une efficacité supé-
sion.12 Le risque de survenue de dépression était claire-
ment associé au tabagisme avec la mise en évidence d’un Tableau 1. Recommandations pour le conseil aux
gradient dose-réponse entre le nombre de cigarettes et la fumeurs
durée de tabagisme, d’une part, et le risque de dépression,
d’autre part. Ce risque était même quatre fois plus élevé Ne pas hésiter à prescrire une bi-, voire une trithérapie
• Substituts de nicotine à action prolongée (patch transder-
pour les fumeurs de plus de vingt cigarettes/jour, comparés
mique de 16 ou 24 heures) et substituts à action rapide
aux non-fumeurs Après ajustement pour d’éventuelles va-
(inhalateur, comprimé, gomme à mâcher par exemple)
riables confondantes, l’association observée entre le taba- • Bupropion et substituts à action rapide (inhalateur, comprimé,
gisme et la dépression persiste et pourrait refléter une in- gomme à mâcher par exemple)
fluence causale directe du tabagisme sur la dépression.
Ne pas hésiter à prescrire une aide pharmacologique au-delà de
trois mois
TABAC ET DIABÈTE • Prolongation du traitement des substituts de nicotine à action
Les études observationnelles sont de plus en plus con- rapide (inhalateur, comprimé, gomme à mâcher par exemple),
cordantes à suggérer que le tabagisme est un facteur de notamment afin de permettre au patient de faire face à une
risque indépendant de diabète de type II, en raison no- demande subite en nicotine
• Pas d’augmentation des effets secondaires en cas d’emploi
tamment de la résistance à l’insuline et l’augmentation du
prolongé
tissu adipeux abdominal observées chez les fumeurs. Une • Risque de dépendance très faible
récente étude montre que les fumeurs ont un risque de dé-
velopper un diabète 2,7 fois plus grand que les personnes Rappeler que la sécurité des médicaments de première inten-
n’ayant jamais fumé, ceci après avoir tenu compte de fac- tion (substituts de nicotine et bupropion) est confirmée
teurs potentiellement «confondants», tels que la sédenta-

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rieure à une monothérapie.18 En moyenne, l’odds ratio pour doses plus faibles que les recommandations usuelles.24
l’arrêt du tabac d’une combinaison de substituts nicotini- Une faible proportion d’entre eux utilisent au contraire les
ques (versus monothérapie) est de 1,4, confirmant qu’il ne produits plus longtemps que prévu, surtout si ceux-ci sont
faut pas hésiter à combiner un substitut de courte durée en vente libre. Dans les pays où les gommes de nicotine
d’action, tel que gomme, inhalateur ou comprimé à sucer sont en vente libre, entre 5 et 46% des fumeurs continuent
ou à croquer, avec un patch de 16 ou 24 heures. à les utiliser au-delà des trois mois recommandés tradi-
tionnellement, dont une partie continuent à fumer, mais la
Poursuite du traitement au-delà de trois mois majorité des utilisateurs préviennent ainsi une reprise du
Les schémas de traitement pharmacologiques de la dés- tabagisme. Seul 1% environ développe une véritable dé-
accoutumance sont en principe limités à trois mois, mais il pendance au produit.25
existe plusieurs arguments pour remettre en question cette Par ailleurs, les taux sanguins de nicotine obtenus par
limite. En effet, le traitement a pour but non seulement d’ai- l’emploi des substituts n’atteignent pas les taux induits
der le fumeur à cesser de fumer en diminuant les symp- par la cigarette et la montée des taux est moins rapide (à
tômes de sevrage mais aussi de lui permettre d’éviter la l’exception peut-être des taux induits par l’emploi du spray
nasal).26 En outre, les effets physiologiques positifs asso-
vies subites (craving) peuvent en effet survenir longtemps
reprise du tabagisme à moyen voire à long terme. Les en-
ciés à l’usage des substituts nicotiniques sont beaucoup
après l’arrêt. Or, cette prévention à moyen et long termes plus faibles que ceux qui sont associés à la cigarette et leur
de la reprise du tabagisme est difficile. Aucune intervention potentiel addictogène est ainsi beaucoup moins marqué.19
de type comportemental n’a, par exemple, démontré son Enfin, même si certains fumeurs développent une dépen-
efficacité.19 Les fumeurs qui fument une seule cigarette dance aux produits de substitution, il n’existe aucune preu-
après une tentative d’arrêt recommencent très souvent à ve que celle-ci ait des conséquences néfastes pour la santé.
fumer dans les semaines qui suivent.8 Il est donc légitime On peut donc admettre que l’emploi des substituts nico-
d’envisager des schémas thérapeutiques qui mettent les tiniques ou des traitements pharmacologiques peut être
fumeurs à l’abri des rechutes. Plusieurs études ont récem- envisagé à long terme chez certains fumeurs très dépen-
ment montré que l’emploi prolongé des substituts à action dants. La tendance est de considérer ces fumeurs comme
rapide pouvait augmenter le taux d’abstinence à long terme. des personnes atteintes d’une forme de dépendance chro-
Dans une étude randomisée, 27,1% des fumeurs qui nique, qui nécessitent un traitement à long terme. Il est
avaient reçu un substitut à action rapide (en l’occurrence le par contre évident que la poursuite du tabagisme simulta-
spray nasal) pendant un an en plus d’un patch de nicotine nément à l’utilisation des substituts nicotiniques témoigne
pendant cinq mois étaient abstinents après un an, contre d’un échec de la tentative d’arrêt et doit inciter à repren-
10,9% de ceux qui avaient reçu un spray placebo en plus dre avec le fumeur la discussion sur les motifs et les condi-
du patch de nicotine.20 Après six ans, 16,2% des participants tions de l’arrêt.
du premier groupe étaient encore abstinents, contre 8,5%
des autres.
SÉCURITÉ DES SUBSTITUTS DE NICOTINE ET
Une étude observationnelle a montré que chez les pa-
tients libres d’utiliser des substituts nicotiniques selon leurs DU BUPROPION
besoins, et qui avaient reçu l’instruction de poursuivre le La sécurité des substituts de nicotine sur le plan cardio-
traitement au moins deux semaines après avoir ressenti vasculaire a récemment été confirmée par une étude ob-
pour la dernière fois une envie de fumer, 27% utilisaient servationnelle se basant sur un registre englobant 33 247
encore les substituts nicotiniques à six mois. Parmi eux, 65% fumeurs à qui un substitut de nicotine avait été prescrit. Il
étaient abstinents, contre 27% de ceux qui avaient cessé n’y a pas eu d’augmentation du risque d’infarctus du myo-
d’utiliser le traitement substitutif.21 carde, d’AVC ou de mort chez ces patients durant la pres-
Deux essais cliniques randomisés ont montré que l’admi- cription du substitut.27
nistration de bupropion prolongée était efficace. Le premier a Les récentes données de pharmacovigilance ont confirmé
montré qu’un traitement de six mois et un an permet d’aug- les données des essais randomisés au sujet de la sécurité
menter le taux d’abstinence ou de prolonger le délai avant la liée à la prescription de bupropion. Une étude observation-
reprise du tabagisme par rapport au groupe traité seulement nelle à large échelle sur plus de 3000 patients suivis pen-
pendant deux mois.22 Dans une autre étude, la poursuite du dant huit semaines a montré un risque de crise épileptique
bupropion combiné aux substituts nicotiniques chez des inférieur à un 1%.28
fumeurs qui avaient échoué au cours des deux premiers mois
de traitement a permis d’améliorer le taux d’abstinence à un
UN NOUVEAU MÉDICAMENT-CANDIDAT
an (10% contre 1% dans le groupe placebo).23
Aucune étude n’a montré une augmentation ou une mo- POUR AIDER LES FUMEURS : LA VARENICLINE
dification des effets secondaires en cas d’emploi prolongé. Le mécanisme d’action de la varenicline est original. Il
Par contre, vu le potentiel de dépendance induit par la ni- s’agit d’un produit dérivé d’une substance naturelle, la cy-
cotine du tabac, il est légitime de craindre que l’emploi des tisine, qui agit en tant qu’agoniste sélectif mais partiel des
substituts nicotiniques crée également une dépendance. récepteurs acétylcholinergiques de type alpha-4 bêta-2.29
Dans la pratique, le phénomène est rare, cela pour plusieurs La stimulation des récepteurs par la varenicline provoque,
raisons. D’une part, la tendance générale des fumeurs est comme la stimulation par la nicotine, une libération de do-
d’utiliser les substituts nicotiniques peu longtemps et à pamine et la cascade des réactions qui lui sont liées au

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niveau mésolimbique et préfrontal, mais la stimulation s’ac- bloquer les récepteurs du système naturel endocannabi-
compagne d’un blocage de l’effet ultérieur de la nicotine.30 noïde impliqué non seulement dans le contrôle de l’équi-
De ce fait les récepteurs occupés par la varenicline ne réa- libre énergétique, mais également dans le largage dopa-
gissent plus à la nicotine et l’apport de cette dernière ne minergique impliqué dans la dépendance au tabac. Les
provoque plus de libération de dopamine. Sur le plan pra- résultats préliminaires sont partiellement prometteurs dans
tique, il en résulte une atténuation des phénomènes de une étude avec une abstinence au terme des dix semaines
sevrage lors de l’arrêt du tabac (puisque la dopamine est de traitement de 36% dans le groupe 20 mg, versus 20%
libérée en quantité suffisante pour activer les autres cen- dans le groupe 5 mg et placebo.33 Par contre, les résultats
tres nerveux), mais une prévention des risques de reprise préliminaires d’une autre étude sont négatifs. Ces résul-
du tabagisme, puisque la nicotine administrée ou inhalée tats doivent donc être confirmés, peut-être avec d’autres
en cours de traitement reste sans effet. antagonistes CB1 et avec un suivi d’une année au moins.

d’études définitives prouvant l’efficacité de la clonidine pour


La varenicline a fait l’objet de plusieurs études de pha- Malgré des études initiales prometteuses, il n’y a pas
se II et III, dont certaines sont publiées et d’autres en voie
de publication, disponibles sous forme d’abstracts. Dans faciliter l’arrêt du tabagisme. De plus, les nombreux effets
l’étude comparant l’effet de deux doses de varenicline, du secondaires (fatigue, sécheresse de la bouche, vertiges) en

Les essais randomisés évaluant la nortriptyline (agent tri-


bupropion et d’un placebo administrés pendant six se- limitent son usage en clinique.
maines, les taux d’abstinence étaient de 28% pour la vare-
nicline faiblement dosée (0,3 mg), 37% à la dose de 1 mg/j, cyclique) ont récemment fait l’objet d’une revue systéma-
48% pour 2 x 1 mg/j, 33% pour le bupropion et 17% pour le tique dans le cadre de la collaboration Cochrane. Associé
groupe placebo.31 Le suivi à long terme des participants au patch de nicotine, ce médicament semble relativement
ayant reçu de la varenicline ou du bupropion pendant douze efficace. Cependant, la survenue de nombreux effets secon-
semaines a montré que le taux d’abstinence des partici- daires (bouche sèche, sédation) rend son utilisation en pra-
pants du groupe varenicline s’abaissait de 44% à la fin de tique clinique difficile.
la période de traitement à 22% à un an, contre 30% et 15% Des résultats préliminaires relativement encourageants
pour le groupe bupropion et 17% et 9% dans le groupe pla- sur l’efficacité à court terme ont été rapportés pour le topi-
cebo.32 Les effets indésirables observés dans les premiè-
tamatergiques AMPA/kaianate (le follow-up fut de deux à
ramate, un antiépileptique antagoniste des récepteurs glu-
res études se rapportent surtout au système digestif (nau-
sées) et au système nerveux (insomnies, rêves). Les effets douze mois dans cette observation).34 Cependant, ces ré-
indésirables sont en partie dépendants de la dose admi- sultats doivent être confirmés avant d’être transposés en
nistrée et pourraient être atténués par une administration pratique clinique quotidienne.
à dose progressive (titration) ou une administration de la
dose totale en deux demi-doses quotidiennes. La prise pon-
dérale des sujets sous traitement de varenicline semble VACCIN CONTRE LA NICOTINE
identique à celle des sujets du groupe placebo. Compte tenu du caractère hautement addictif de la nico-
Une dernière caractéristique intéressante de la vareni- tine et du fait que les traitements d’aide à l’arrêt peuvent
cline est le fait que le taux d’abstinence augmente au cours ne pas fonctionner sur le long terme, les vaccins pourraient
des premières semaines de traitement, contrairement à la constituer une alternative prometteuse pour tous ceux qui
plupart des autres traitements, probablement en raison voudraient arrêter de fumer. Le but final de la vaccination
de l’effet que possède le produit de prévenir la reprise du est d’empêcher la nicotine de passer la barrière hémato-
tabagisme. cérébrale et donc d’atteindre les récepteurs nicotiniques
cérébraux. Ainsi «bloquée» hors du cerveau, la nicotine ne
pourrait plus favoriser la transmission de certains neuro-
AUTRES SUBSTANCES EN VOIE DE
transmetteurs, dont la dopamine, responsables de la sen-
DÉVELOPPEMENT sation «positive» liée à la consommation de tabac. Le mé-
L’efficacité des substituts de nicotine et du bupropion, canisme envisagé est donc un blocage par des anticorps
certes réelle et supérieure à celle du placebo (1,7 à 2 fois), contre la nicotine. Le couple antigène (nicotine)-anticorps
reste cependant relativement modeste, comme en témoi- empêcherait la nicotine d’atteindre le cerveau.34 Dans des
gne le taux élevé de récidives (de l’ordre de 50 à 70% au conditions usuelles, c’est-à-dire lors de la consommation de
terme d’une année de suivi). Celles-ci sont souvent liées à cigarettes sans vaccination préalable, il n’y a évidemment

secondaire à la survenue de craving, c’est-à-dire des cour-


la reprise de la consommation d’une cigarette, elle-même pas de production d’anticorps contre la nicotine. Cette mo-
lécule (la nicotine) est en effet trop petite pour stimuler le
tes périodes de très forte envie de fumer. Dans ce contex- système immunitaire à produire des anticorps qui la neu-
te, de nouvelles approches pharmacologiques sont explo- traliseraient. Lorsque la molécule de nicotine est liée à une
rées. Parmi celles-ci figurent le rimonabant, la clonidine, la grande particule immunogène, en l’occurrence un ensem-
nortryptyline, le topiramate et le vaccin contre la nicotine. ble de protéines, la production d’anticorps devient dès lors

le virale non infectieuse, de type virus like particules (VLP).


Ces nouvelles approches pourraient ainsi constituer une possible. Le principe consiste donc à utiliser une particu-
approche complémentaire aux interventions actuellement

Le rimonabant est le premier représentant d’une nouvelle


recommandées en première intention. Ces VLP sont non toxiques et induisent une forte réponse
immunologique de type IgG (et non pas de type IgE). Des
classe de médicaments, les antagonistes CB1 chargés de épitopes insérés dans ce VLP sont capables d’induire une

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réponse cellulaire de type B.35 Plusieurs équipes sont ac- Implications pratiques
tuellement en train de développer un tel vaccin. Des ré-
sultats encourageants d’études de phase I et II ont été ré- > La fumée active et passive est associée à un nombre impor-
cemment publiés.36,37 Les études de phase III pourraient tant de maladies, et le risque existe pour une faible consom-
démarrer dans quelques années. mation déjà. Il est donc important que les médecins fassent
prendre conscience aux fumeurs de l’importance du problème

> Les substituts nicotiniques sont inoffensifs, même chez les


fumeurs atteints de maladies cardiovasculaires, et ils peuvent
être prescrits et employés en association, à doses élevées et
à long terme sans danger

> Plusieurs médicaments efficaces vont prochainement s’ajouter


à notre arsenal thérapeutique

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1688 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 juin 2006 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 juin 2006 0

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