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578 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Drogues et sexualité

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132 Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006


6.3 Tabagisme

Hirsch, A.
(2005)
« La lutte contre la consommation de tabac : bases scientifiques et perspectives »
Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique, no 53, p. 577-580.
Recueil de textes 581

© Masson, Paris, 2005. Rev Epidemiol Sante Publique, 2005, 53 : 577-580

Éditorial

La lutte contre la consommation de tabac : bases scientifiques et perspectives


Anti-smoking campaign: scientific basis and perspectives

A. HIRSCH
Ligue Nationale Contre Le Cancer, 14, rue Corvisart, 75013 Paris. Email : hirscha@ligue-cancer.net
(Tirés à part : A. Hirsch)

D’après l’Organisation Mondiale de la Santé seuil au dessous duquel l’exposition à la fumée


(OMS), en 2005 seulement, l’usage du tabac tuera de tabac n’augmente pas le risque. Une cigarette
dans le monde 5 millions de personnes, dont la fumée quotidiennement sur une longue période
moitié dans les pays en voie de développement. accroît le risque. Il n’y a donc pas de « petits »
Les prévisions pour 2025-2030 sont de 10 mil- fumeurs, chez lesquels la consommation serait
lions de décès par an, dont 7 millions dans les sans risque, voire bénéfique. L’objectif à attein-
pays en développement. L’OMS estime que le dre est donc de cesser toute consommation et
tabac a tué 100 millions de personnes au XXe siècle toute exposition à la fumée de tabac, ce qui est en
et pourrait en tuer 1 milliard au XXIe siècle. Le complète contradiction avec les intérêts finan-
Centre International de Recherche contre le Cancer ciers de l’industrie du tabac.
(CIRC) estime que le tabagisme passif accroît le
risque de cancer du poumon et de maladies cardio- Cette épidémie des temps modernes, liée au
vasculaires de 30 %. développement de la production et de la consom-
mation de tabac, se développe en fonction de la
En France, l’INSERM a estimé, en 1999, que sur prévalence de la consommation chez l’homme.
547 377 décès (France entière, source Insee) 66 100 Elle est responsable d’une mortalité masculine,
peuvent être attribués au tabac, dont 58 700 hom- puis féminine, décalées toutes deux d’une ving-
mes. L’Académie Nationale de Médecine estime taine d’années dans le temps. Ainsi, les morts du
à 3 000 le nombre annuel de décès liés au taba- tabac sont-elles liées à son usage dans les 20
gisme passif. Ceci représente, au total, environ à 50 années précédant leur observation. Par
12 fois plus que la mortalité routière. ailleurs, le nombre de décès liés au tabac reste
L’usage quotidien et sur une longue période actuellement en plateau ou diminue dans les pays
des produits du tabac constitue la première cause industrialisés du fait de la diminution de la préva-
de mortalité prématurée. D’après les statistiques lence du tabagisme observée dans ces pays
mondiales, un fumeur régulier sur deux meurt depuis quelques décennies. Par contre, le nombre
d’une maladie liée au tabac et un sur quatre meurt de décès augmente dans les pays moins dévelop-
entre 35 et 69 ans L’usage du tabac est responsa- pés, véritable réserve de marché pour l’industrie
ble de 30 % de la mortalité par cancers, de 25 % du tabac.
de la mortalité par maladies cardiovasculaires, de Pour atteindre l’objectif d’une exposition nulle
75 % de la mortalité par maladies respiratoires à la fumée de tabac, la réduction de l’offre et de
chroniques et aggrave l’évolution des maladies la demande des produits du tabac constituent des
chroniques. En ce qui concerne plus spécifique- approches complémentaires mises en œuvre dans
ment le cancer du poumon, dont le tabac repré- le Plan Cancer (2003-2007).
sente l’agent causal dans 85 % des cas, la durée
d’exposition à la fumée intervient beaucoup plus La réglementation de l’offre comprend : 1- l’inter-
puissamment que le nombre de cigarettes fumées diction totale de la promotion et de la publicité,
par jour. Pour ce type de cancer, il n’existe pas de 2- l’augmentation annuelle et en une fois d’au
582 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

578 A. HIRSCH

moins 10 % du prix de vente, rapportée au poids la promotion des ventes par les prix avec homo-
de tabac et par l’intermédiaire des taxes du tabac, logation d’un prix seuil.
de tous les produits du tabac (le prix moyen de
Ce dispositif national est complété au niveau
vente des cigarettes a augmenté de 40 % de jan-
européen par la Directive 2001/37/CE du 5 juin
vier 2003 à janvier 2004), 3- l’impression sur les
2001, transposée par un arrêté du 5 mars 2003,
unités de conditionnement d’avertissements sani-
permettant la mise en place d’avertissements
taires pertinents, clairement lisibles et alternés,
standard uniformisés entre les États membres et
4- l’interdiction totale (c’est-à-dire sans fumoir)
l’interdiction des appellations trompeuses (du
de fumer dans les espaces clos accueillant du type « cigarettes légères »). La Directive 2003/
public et notamment les lieux de travail, 5- un 33/CE du 26 mai 2003 sur la publicité est, par
étiquetage clair et lisible des composants de la contre, moins protectrice que la législation fran-
fumée de tabac, des ingrédients et des additifs. çaise.
Par ailleurs, une information précise par des cam-
pagnes de masse et une communication au plus La diminution de la demande est encouragée
près de la population sur les effets de l’usage et par les campagnes grand public et la mise à dis-
la composition des produits du tabac doit être position des méthodes d’aide à l’arrêt. L’Institut
maintenue et renouvelée en permanence. Enfin, national de prévention et d’éducation pour la
les agissements d’une industrie régulièrement santé (Inpes) lance régulièrement des campagnes
condamnée pour son activité mensongère et informant le public sur la composition de la
manipulatrice vis-à-vis de l’ensemble de la popu- fumée de cigarette, les manipulations de l’indus-
lation, mais particulièrement des populations vul- trie, les effets sur la santé du tabagisme actif et
nérables (jeunes, pays en voie de développement, passif faisant appel à des témoignages de victi-
personnes en situation de précarité) doivent être mes. Ces campagnes sont répétitives (de nou-
publiquement dénoncés. Bien qu’un travail de veaux consommateurs potentiels arrivent tous les
titan ait, par exemple, récemment démontré [1] jours sur le marché) et renouvelées pour s’adapter
que l’industrie du tabac a, durant de nombreuses aux modes de communication jugés les plus
années, mis au point un système très sophistiqué adaptés à chaque instant.
visant à masquer les résultats de toutes les recher- L’arrêt de l’usage du tabac est bénéfique, quelles
ches mettant en évidence les effets délétères de la que soient l’ancienneté de l’usage et la quantité
consommation de tabac, ceci est très peu connu de tabac fumé. Ce gain s’observe très rapidement
du grand public et n’est pas utilisé dans la pour les infections des voies aériennes chez les
démonstration de la mise en place volontaire de jeunes enfants soumis au tabagisme de leur entou-
campagnes incitatives contraires à la santé indivi- rage, au bout de quelques mois pour les maladies
duelle et collective. cardio-vasculaires et de quelques années pour les
Le dispositif national législatif et réglementaire cancers.
comporte la loi Veil, votée en juillet 1976, et la On estime que 1,8 millions de fumeurs ont arrêté
loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, dite loi Evin. Il entre 1999 et 2004. La « dé-normalisation » de
a été complété par la loi n° 2003-715 du 31 juillet l’usage du tabac, conséquence de la réduction de
2003 visant à restreindre la consommation de l’offre, accroît puissamment l’intention d’arrêter
tabac chez les jeunes. Cette loi interdit la vente et au niveau de la population. Sur le plan individuel,
l’offre gratuite de tabac aux moins de 16 ans et les techniques d’aide à l’arrêt du tabac compren-
interdit les paquets « enfants » de moins de nent des méthodes médicamenteuses (substituts
19 cigarettes. En outre, la loi n° 2004-806 du nicotiniques et inhibiteurs de la recapture des
9 août 2004 relative à la politique de santé publi- catécholamines) et des méthodes non médicamen-
que renforce les moyens pour faire respecter teuses (conseil d’arrêt, méthodes comportementa-
l’interdiction de publicité en étendant le droit listes). Pour informer et aider les fumeurs un site
d’ester aux associations de consommateurs et aux Internet dédié à l’arrêt du tabac (www.tabac-info-
associations familiales, en étendant la responsabi- service.fr) a été lancé à l’occasion de la « Journée
lité aux personnes morales et en interdisant la mondiale sans tabac » du 31 mai 2005, en complé-
publicité par internet. Cette loi interdit, en outre, ment de la ligne téléphonique Tabac-Info-Service
Recueil de textes 583

LA LUTTE CONTRE LA CONSOMMATION DE TABAC 579

(0 825 309 310) qui répond aux questions et pro- sevrage et 53 % recommandent le timbre à la
pose un accompagnement personnalisé aux nicotine.
fumeurs désireux d’arrêter. Cette ligne a reçu
Pour prévoir les effets sur la santé dans
46 000 appels en 2004, 29 % des appelants en l’avenir, il faut disposer de données fiables sur
2002 ayant déclaré ne plus fumer quatre mois la consommation de tabac par sexe. Ne prendre
après l’entretien téléphonique. en compte que la proportion de fumeurs décla-
L’association et le maintien sur une très longue rés méconnaît le nombre de cigarettes consommées
période de l’ensemble des dispositions portant par fumeur. Les ventes de cigarettes ont baissé
sur l’offre et sur la demande des produits, l’éva- de 21 % sur la période 2003-2004, et de 13,5 %
luation des résultats et la correction des points sur la période 2002-2003. Les données des ventes
faibles du dispositif sont nécessaires pour obtenir ne sont pas ventilées par sexe, les données décla-
une amélioration significative. rées le sont. L’écart entre le nombre de cigaret-
tes vendues et celui calculé sur les données
Selon le Baromètre Santé 2004 [2], la préva- déclarées correspond à 30 % des cigarettes
lence déclarée du tabagisme (fumeur régulier vendues. Il faut donc corriger les données
fumant au moins une cigarette par jour ou fumeur déclarées pour les rendre compatibles avec les
occasionnel fumant de temps en temps) chez les données des ventes de cigarette par sexe [3].
12-75 ans est de 33 % pour les hommes et de Cet indicateur corrigé montre une baisse très
27 % pour les femmes, ce qui correspond à envi- importante de la consommation de cigarettes
ron 13,8 millions de fumeurs actuels. Ce taux chez les hommes depuis 1976 et une stabilisa-
représente par rapport aux données du Baromètre tion chez les femmes depuis 1991.
Santé 1999 une baisse observée chez les hommes
et les femmes de plus de 3 points en 5 ans. L’aug- Le tabagisme passif constitue un risque avéré
mentation continue de la prévalence chez les pour la santé. Si la réglementation est mieux res-
femmes observée depuis la fin des années 60 est pectée, en particulier dans les transports de voya-
stoppée et la prévalence féminine a baissé de geurs, la situation est préoccupante dans les
1 point par rapport à 1999. Chez les 15-19 ans, la établissements scolaires, les établissements de
prévalence du tabagisme est de 32 % pour les santé, les administrations publiques, l’hôtellerie
garçons et de 31 % pour les filles ; elle a diminué et l’industrie de la restauration. Le décret de
de 6 points chez les garçons et de 13 points chez mai 1992 prévoyant la possibilité de zones
les filles par rapport à 1999. Bien qu’il s’agisse là fumeurs doit évoluer vers une interdiction totale
de données encourageantes, l’effort doit être de fumer dans les lieux clos accueillant le public
maintenu sans aucune faiblesse pour enrayer une et, en particulier, sur les lieux de travail. Cette
tendance à la hausse, largement favorisée par les mesure, approuvée par l’opinion (en octo-
actions publicitaires directes et indirectes de bre 2004, 74 % des personnes dans les entrepri-
l’industrie du tabac. ses, 72 % dans les restaurants, 64 % dans les
cafés et 60 % dans les discothèques se pronon-
La cigarette reste le produit du tabac le plus cent en faveur de l’interdiction totale de fumer),
consommé. Toutefois, le pourcentage de Français nécessite une large concertation, notamment
déclarant fumer du tabac à rouler, moins cher à auprès des syndicats et associations profession-
l’achat, est de 7 % en 2004 contre 6 % en 1999. nelles. L’Inspection générale des affaires sociales
D’après les données du Baromètre Santé (Igas) est chargée de réunir un comité de pilotage
Médecins/Pharmaciens 2003, 29 % des médecins interministériel sur ce thème et de faire des pro-
déclarent fumer, ne serait-ce que de temps en positions fin 2005.
temps, contre 31 % en population générale (rap- Le commerce du tabac ne connaît pas de fron-
pelons que 5 à 10 % des médecins britanniques tières, et l’industrie organise la contrebande. Le
déclarent fumer). Les médecins voient de plus en tiers de la production mondiale des cigarettes cir-
plus de patients dans le cadre d’un sevrage taba- cule illégalement et échappe aux taxes. Afin
gique : 67 % ont vu un patient dans ce cas au d’enrayer cette épidémie, et notamment sa pro-
cours de la dernière semaine contre 60 % en gression dans les pays en voie de développement,
1998 ; 88 % prennent en charge à eux seuls le l’OMS a adopté la Convention cadre de lutte anti-
584 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

580 A. HIRSCH

tabac (CCLAT), votée par l’Assemblée mondiale que doivent se donner les moyens de lutter sur un
de la santé le 21 mai 2003. Ce traité est devenu pied d’égalité avec les intérêts financiers des
obligatoire le 27 février 2005 pour les pays industriels. La vraie liberté est de tenter de rester
l’ayant ratifié. La France a été la première dans maître de son destin et non de céder aux tenta-
ce cas dans l’Union Européenne, par la loi rela- tions d’une publicité mensongère, prompte à
tive à la politique de santé publique du 9 août façonner des modes de vie dangereux pour la
2004. La négociation des protocoles additionnels santé et menaçant l’environnement.
du traité, portant notamment sur la lutte contre le
commerce illicite du tabac, est placée sous la
tutelle du Ministère chargé de la santé, l’Institut RÉFÉRENCES
national du cancer étant chargé pour sa part de
1. Givelber D, Strickler L. Junking good science:
suivre les avancées de la CCLAT.
undoing Daubert v Merrill-Dow through cross-exami-
Le tabac n’est pas le seul facteur responsable nation and argument. Am J Public Health 2005; Epub
de multiples pathologies, invalidant la qualité de ahead of print.
la vie et la raccourcissant. Il est néanmoins le pre- 2. Journée mondiale sans tabac. Bulletin Épidémiologique
mier d’entre eux dans les pays développés, il Hebdomadaire 2005 ; (n° 21-22).
pourrait également le devenir dans les pays en 3. Hill C, Laplanche A. Évolution de la consommation
développement si on laisse le champ libre à de cigarettes en France par sexe, 1900-2003. Bulletin
l’industrie… Sans adopter une posture moralisa- Épidémiologique Hebdomadaire 2005 ; (n° 21-22) :
trice et répressive, les politiques de santé publi- 94-7.
Lepage, M., L. Dumas, et L. Renaud
(2005)
« Lutter contre le tabac et promouvoir l’allaitement au Québec : un défi »
Santé Publique, vol. 17, p. 637-647.
Recueil de textes 587

REVUE DE
LITTÉRATURE

Santé publique 2005, volume 17, no 4, pp. 637-648

Lutter contre le tabac


et promouvoir l’allaitement
au Québec : un défi
Fight against tobacco and promote breast-
feeding : a distinctive challenge
M. Lepage (1), L. Dumas (2), L. Renaud (3)

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Résumé : Au Québec, les taux d’allaitement sont déplorables et encore plus chez les
mères fumeuses. Les intervenants en santé publique cherchent à augmenter les taux
d’allaitement et à éliminer le tabagisme. Doit-on « prioriser » les interventions pour
lutter contre le tabac, promouvoir l’allaitement ou cibler ces deux objectifs à la fois ?
Cet article tente de trouver des réponses scientifiques à cette question à travers une
revue de littérature exhaustive des dix dernières années. On remarque que les mères
fumeuses allaitent moins, sont plus jeunes, moins scolarisées et plus défavorisées.
De plus, les mères qui allaitent et qui fument cessent plus rapidement l’allaitement
que les mères non fumeuses. Or, la période de la grossesse est un moment privilégié
pour cesser la consommation tabagique mais le taux de rechute après la naissance
est très élevé. Devant la difficulté à cesser de fumer ou à maintenir l’abstinence
tabagique, ces mères devraient malgré tout allaiter puisque les effets bénéfiques de
l’allaitement aideraient à réduire les méfaits du tabagisme. L’utilisation du timbre à
nicotine peut être envisagé dans un but d’augmenter la cessation tabagique. Jusqu’à
présent, peu d’études ont été réalisées chez les femmes allaitantes fumeuses.
L’utilisation des substituts nicotiniques sur une base plus régulière demeure un enjeu
afin de mieux évaluer les risques à court et à moyen terme.

Summary: Quebec’s breastfeeding rates are in a deplorable state, and even more so
for smoking mothers. Public health providers are trying to increase breastfeeding rates
and decrease smoking in this specific target group. Should they prioritise tobacco
cessation interventions, or breastfeeding promotion interventions, or give equal priority
to both goals at the same time? The authors attempt to scientifically answer this
question, through a comprehensive literature review over the last ten years. In general,

(1) M. Sc. N. Université de Montréal et Université du Québec en Outaouais.


(2) Ph. D. Université du Québec en Outaouais.
(3) Ph. D. Université du Québec à Montréal.

Tiré à part : M. Lepage Réception : 20/08/2004 – Acceptation : 04/03/2005


Université du Québec en Outaouais
Département des sciences infirmières
Bureau C-3333, Case Postale 1250, succursale Hull
Gatineau Québec J8X 3X7
588 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

638 M. LEPAGE, L. DUMAS, L. RENAUD

women who smoke have the tendency be younger, be less educated and more
underprivileged than mothers who do not smoke and to breastfeed less often. Smoking
mothers who do breastfeed usually wean off breastfeeding earlier than those who do
not smoke. Pregnancy is considered an ideal moment to stop smoking, but relapse
after giving birth is very high. In light of the range of difficulties faced when trying to quit
smoking, health professionals should encourage smoking mothers to breastfeed since
the benefits of breastfeeding could actually serve to reduce some of the harmful effects
related to tobacco. Nicotine patches can be prescribed to increase the chances for
successful tobacco cessation amongst these mothers. To date, few studies have been
carried out on nicotine replacement therapies and breastfeeding smokers. More
research is needed to evaluate the risks and benefits of nicotine substitutes for this
sub-group, in both the short and long term.

Mots-clés : grossesse - allaitement - tabagisme - cigarette - substituts nicotiniques -


Québec.
Key words: pregnancy - breastfeeding - tobacco smoking - cigarettes - nicotine
replacements - Quebec.

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Introduction l’allaitement ? Savons-nous qui sont
ces mères qui fument et comment les
L’augmentation des taux d’allai- influencer à allaiter et à cesser de
tement (4) et l’élimination du tabagisme fumer ?
sont des priorités de santé publique
[21, 59]. Les interventions visent
l’individu, la population et les groupes Effets du tabac
entre autres, les femmes eceintes [21]. sur l’allaitement
Dans la littérature [10, 19, 24, 32, 40,
53, 54], les effets du tabagisme durant L’allaitement est reconnu comme la
la grossesse ont davantage été étu- meilleure forme d’alimentation pour le
diés que ceux sur l’allaitement. Pour- bébé. Il est bénéfique pour le bébé et
tant, il est démontré que les mères pour la mère [3, 4, 20, 25, 36]. Mais
fumeuses allaitent moins leur bébé est-ce aussi vrai si la mère fume ?
que les non fumeuses [7, 13, 14, 16, Quels sont les effets du tabagisme sur
25, 30, 37, 42, 43, 49, 51] ; celles qui l’allaitement ?
allaitent cessent plus rapidement
Des études démontrent les effets du
[14, 16, 18, 25, 28, 34, 37, 39, 44, 49,
tabagisme sur la mère et le bébé
51, 57]. Le tabagisme prédispose-t-il
et les impacts de celui-ci sur la déci-
les mères à choisir le biberon plutôt
sion et la persistance de l’allaitement
que l’allaitement ? Est-il un facteur de
(Tableau I).
sevrage précoce de l’allaitement ?
Doit-on privilégier les interventions en Des auteurs [26, 56, 57] ont associé
cessation tabagique, promouvoir tabagisme et diminution de la pro-
l’allaitement ou cibler les deux objec- duction lactée. D’autres [3, 25] ques-
tifs à la fois ? Mais d’abord, connais- tionnent cette diminution de la
sons-nous les effets du tabac sur production du lait causée par la nico-
tine et pensent qu’il s’agit plutôt d’une
(4) Dans ce texte, le mot « allaitement » réfère à perception subjective de la diminution
l’alimentation au sein ou l’allaitement maternel. de la production [3, 25, 33]. Des
Recueil de textes 589

LUTTER CONTRE LE TABAC ET PROMOUVOIR L’ALLAITEMENT : UN DÉFI 639

Tableau I : Effets du tabagisme sur la grossesse et l’allaitement : revue de littérature.

Données Références
Les mères fumeuses Boshuizen et al. (1998) ; Donath et Amir (2003) ; Dumas et al.
allaitent moins (1999) ; Edwards et al. ; (1998) ; Hill et Aldag (1996) ; Joyce et
al. (2000) ; Leung et al. (2002) ; Nafstad et al. (1996) ; Najdawi
et Faouri (1999) ; Nolan et Goel (1995) ; Park et al. (2003) ;
Pesa et Shelton (1999) ; Riva et al. (1999) ; Scott et
Binns (1999)
Les mères fumeuses cessent Dumas et al. (1999) ; Edwards et al. (1998) ; Ekström et al.
plus rapidement l’allaitement (2003) ; Evers et al. (1998) ; Hill et Aldag (1996) ; Hortal et
al. (2001) ; Horta et al. (1997) ; Letson et al. (2002) ; Joyce et
al. (2000) ; Najdawi et Faouri (1999) ; Nolan et Goel (1995) ;
Piper et Parks (1996) ; Riva et al. (1999) ; Scott et Binns
(1999) ; Wiltshire et al. (2003)
Les mères fumeuses Amir (2001) ; Donath et Amir (2003) ; Dumas et al. (1999) ;
sont plus jeunes Hörnell et al. (1999) ; Scott et Binns (1999)
Les mères fumeuses Amir (2001) ; Donath et Amir (2003) ; Dumas et al. (1999) ;
sont moins éduquées Hörnell et al. (1999) ; Nolan et Goel (1995)
Les mères fumeuses Amir (2001) ; Dumas et al. (1999) ; Hörnell et al (1999) ; Nolan
sont plus pauvres et Goel (1995)

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Les mères fumeuses Boshuizen et al. (1998) ; Graham (1994) ; Najdawi et Faouri
ont des bébés de petit poids (1999); Vio et al. (1991)
Les mères fumeuses produisent Hopkinson et al. (1992) ; Vio et al (1991) ; Wiltshire et al.
moins de lait maternel (2003)
Le lait des mères fumeuses Hopkinson et al. (1992)
est moins gras
Les bébés des mères fumeuses Sondergaard et al. (2001)
ont des coliques

facteurs psychosociaux agiraient prématurément. Il est difficile d’isoler


davantage dans la décision d’allaiter les effets du tabagisme sur l’allaite-
ou celle de sevrer [3, 4, 33, 47]. ment car généralement, les mères qui
Physiologiquement, la production du fument lors de l’allaitement ont égale-
lait est différente d’une mère à l’autre ment fumé durant la grossesse. Le
[3, 25] ; lors de la stimulation produite tabagisme durant la grossesse est
par la tétée, la prolactine augmente plus nuisible à la santé du bébé à
pour s’ajuster aux besoins de l’enfant naître car il est en développement
et ce, peu importe que la mère fume rapide et a besoin d’oxygène. Le taba-
ou non [3]. Par contre, on sait que gisme est-il aussi nuisible lors de l’al-
chez les mères fumeuses, le taux de laitement ou si c’est la fumée secon-
nicotine est trois fois plus élevé dans daire de l’environnement qui est
le lait maternel que dans le sang de la néfaste ? Nous ne le savons pas.
mère [4]. Le lait des mères fumeuses
serait aussi moins gras [26]. En résumé, la littérature n’est pas
concluante quant aux effets du taba-
Les bébés de mères fumeuses ont gisme sur l’allaitement. Celui-ci étant
davantage de problèmes de santé mondialement reconnu comme la
[3, 7, 21, 48, 50, 54, 59] mais peut-être forme supérieure d’alimentation des
parce qu’ils naissent plus petits et/ou nourrissons, il serait opportun de
590 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

640 M. LEPAGE, L. DUMAS, L. RENAUD

recommander aussi aux mamans sion d’introduire les aliments solides,


fumeuses d’allaiter leur bébé. Par ce qui réduirait encore davantage la
contre, celles-ci choisissent-elles production de lait. Mais d’où viendrait
l’allaitement ? cette diminution initiale de la produc-
tion de lait ? D’où vient aussi cette
perception d’insuffisance de lait ?
Facteurs de décision Nous n’en savons rien.
et de persistance Il est clair que le sevrage précoce
à l’allaitement est aussi associé à des problèmes de
chez les mères fumeuses gestion quotidienne de l’allaitement et
La littérature démontre que les au manque de soutien pour les régler.
mères fumeuses allaitent moins [7, 13, Il est plausible de penser que les
14, 16, 25, 30, 35, 36, 39, 42, 43, 49, 51] mères qui ne vivent aucun problème
que les non fumeuses ; si elles allai- poursuivent l’allaitement, qu’elles
tent, elles le font moins longtemps [13, soient fumeuses ou non. Y aurait-il
14, 16, 17, 18, 25, 28, 29, 34, 37, 39, aussi l’influence du soutien social et
44, 51, 57]. Entre autres, une étude non seulement du soutien au quoti-

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auprès de 2 192 sujets a démontré dien ? On remarque entre autres que
que la consommation tabagique est le dans des pays développés très
premier facteur de risque de sevrage avancés en matière d’allaitement
précoce [49]. Il serait donc un pré- comme la Norvège (taux d’initiation de
dicteur du choix du biberon plutôt que l’allaitement > 98 % et durée moyenne
du sein et de cessation rapide de > six mois), les taux d’allaitement sont
l’allaitement [23, 34, 35, 42, 44]. aussi significativement plus élevés
chez les non fumeuses et celles qui
On décrit les mères fumeuses allaitent cessent plus rapidement que
comme étant plus jeunes [3, 13, 14, les non fumeuses [36]. Dans les pays
27, 51], moins éduquées [3, 13, 14, 27, asiatiques, les taux d’allaitement sont
39] et plus pauvres [3, 14, 37], ce qui plus faibles de façon générale et ils
correspond à l’image habituelle d’une sont aussi significativement plus bas
population dite vulnérable [52]. Pour- chez les mères fumeuses [35].
quoi ces mamans n’allaitent-elles
pas ? Et si elles décident d’allaiter, En résumé, nous ne savons pas si la
pourquoi cessent-elles précocement ? production de lait des mères fu-
Il y a peu de chance que les effets meuses est différente de celle des non
physiologiques de la nicotine jouent fumeuses et si cela pourrait mener à
un rôle dans leur décision d’allaiter [3]. des problèmes de gestion de l’allai-
L’hypothèse que les mères fumeuses tement et au sevrage précoce. Pour
connaissent bien les méfaits du tabac encourager un taux plus élevé d’allai-
et n’allaitent pas de peur que leur lait tement chez les mères fumeuses, les
soit dangereux pour leur bébé, n’est substituts nicotiniques seraient-ils un
pas fondée [3]. outil pour les aider à cesser de fumer ?

Certains auteurs allèguent que la


diminution de la production du lait Cessation tabagique
entraînerait les mamans fumeuses à et substituts nicotiniques
cesser rapidement l’allaitement [17,
28, 29, 34, 37, 43]. Cette réduction, ou Bien que la cessation tabagique soit
la perception subjective d’une diminu- recommandée avant la conception [1],
tion de lait [3, 25], entraînerait la déci- la grossesse est un contexte privilégié
Recueil de textes 591

LUTTER CONTRE LE TABAC ET PROMOUVOIR L’ALLAITEMENT : UN DÉFI 641

pour cesser [15] de fumer et il en est Actuellement, les recherches effec-


de même pour la période de l’allaite- tuées dans ce domaine sont centrées
ment [3]. Durant la période de la gros- sur la femme enceinte. Les médecins,
sesse, les recherches nord-améri- les pédiatres et les sages-femmes
caines évaluent entre 25 à 40 % le sont peu enclins à recommander leur
taux de cessation chez les gestantes utilisation chez les femmes enceintes
[15] alors qu’en France, ce taux est ou allaitantes, par manque de don-
évalué autour de 45 % [1]. Les taux de nées probantes [6, 41, 45]. Par ailleurs
rechute sont grands en postpartum en France, on recommande l’utilisa-
(entre 70 et 99 % [9,15]) et sont tion des substituts nicotiniques autant
associés à un sevrage précoce de chez la femme enceinte que chez celle
l’allaitement. qui allaite lorsque les approches
psychologiques et comportementales
Le tableau II illustre les études sur la ne fonctionnent pas [1]. Cependant, le
cessation tabagique chez les mères. buproprion est déconseillé [1].
En général, celles-ci recommencent à
fumer car elles trouvent difficile la Devons-nous utiliser ces substituts
pression sociale liée à leur nouveau nicotiniques en considérant cette

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rôle de parent [15]. incertitude scientifique durant l’allaite-
ment ? Les tenants de leur utilisation
Dans une étude qualitative de mentionnent que le tabac fumé
100 fumeuses [58], le tabagisme est contient plus de 3 800 composants
perçu par ces femmes comme une dont plusieurs cancérigènes, alors
stratégie de gestion de stress et que les substituts n’en ont qu’un, la
souvent associé à une période d’éva- nicotine [38]. Lorsqu’ils sont utilisés
sion [22]. Dans une autre étude [15], la correctement, les substituts sont effi-
norme tabagique des milieux défavo- caces [5, 11] durant la grossesse. Le
risés suggère à la femme enceinte de seraient-ils autant durant l’allai-
ne pas fumer mais le contexte taba- tement ? La recherche doit se pour-
gique omniprésent (conjoint fumeur, suivre afin de mieux connaître les
entourage fumeur…) fait en sorte que risques de leur utilisation, d’identifier
la cessation est difficile et que le taux les doses toxiques pour le nourrisson
de rechute est élevé. La rechute ne allaité et d’effectuer des essais
doit pas être une raison de cesser l’al- cliniques auprès de cette clientèle [5].
laitement. Les mères fumeuses sont
en effet encouragées à allaiter puisque En France [1], on recommande aux
l’incidence des problèmes respira- intervenants de promouvoir l’allaite-
toires est moindre chez les bébés ment dans tous les cas y compris chez
allaités par des mères fumeuses que les mères fumeuses ou sous traite-
chez les bébés nourris au biberon ment nicotinique ; valoriser leurs capa-
subissant la fumée secondaire des cités à être mères ; informer les mères
parents fumeurs [2, 4]. Les effets et les pères sur les substituts nicoti-
bénéfiques de l’allaitement pourraient niques ; encourager l’arrêt tabagique
atténuer les risques du tabac chez le et éviter l’exposition du nouveau-né à
bébé allaité [9]. la fumée secondaire (tabagisme
passif).
Des études ont démontré que l’utili-
sation des substituts nicotiniques En résumé, peu importe le pays, les
entraîne la cessation tabagique chez substituts nicotiniques peuvent être
des gestantes [24, 40, 46, 53] mais une alternative intéressante auprès
d’autres démontrent le contraire [31]. des mamans fumeuses qui tentent de
592 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

642 M. LEPAGE, L. DUMAS, L. RENAUD

Tableau II : Cessation tabagique en période périnatale : méthodes et résultats.

Auteur
Type d’étude Résultats
Pays et année de l’étude
Bonollo et al. (2002) Questionnaire distribué aux Les répondants sont peu conscients
USA (1996-1997) médecins (n = 54), infirmières des risques de la cigarette sur le dé-
praticiennes (n = 38), infirmières veloppement du fœtus et de l’enfant,
(n = 22), nutritionnistes (n = 25), chez la femme enceinte et en post-
travaillant dans 6 Centres de partum. Connaissent peu l’efficacité
Santé Communautaire (CSC) de des thérapies de remplacement de
Boston. Retour du questionnaire nicotine. Les pédiatres sont les moins
par la poste (total n = 139). sensibilisés des professionnels
de la santé pour effectuer des
interventions en cessation tabagique.
L’ensemble des professionnels
visés sous-utilisent des méthodes
reconnues en cessation tabagique
dont les substituts nicotiniques.

Edwards et Sims-Jones Étude qualitative. Entrevues La grossesse est un contexte idéal


(1998) semi structurées de primipares pour cesser la consommation taba-
Canada (1993) qui avaient cessé ou tenté de gique. Les mères recommencent à
cesser de fumer durant la gros- fumer à cause du haut niveau de

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sesse, conduites par une infir- stress qu’apporte le nouveau rôle
mière de santé publique au de parent, pour perdre du poids et à
téléphone ou en face-à-face cause des pressions sociales. L’allai-
(n = 22). tement est une raison pour maintenir
un statut de non fumeuse.

Hegaard et al. (2003) Expérimentation (n = 327) avec Les deux groupes sont comparables.
Danemark (1996-1998) groupe contrôle (n = 320) ; inter- Les femmes enceintes ayant reçu
vention multimodale avant la l’intervention ont cessé davantage de
22e semaine de grossesse pour fumer que celles qui ne l’ont pas re-
cesser de fumer (counselling in- çue (14 % vs 5 %). Les femmes qui
dividuel, possibilité de participer ont cessé de fumer consomment
à un groupe et utilisation d’un moins de caféine durant la grosses-
substitut nicotinique). Deux se, sont plus éduquées, sont moins
questionnaires auto-administrés exposées à la fumée secondaire hors
et une mesure de cotinine. de la maison et essais antérieurs de
cesser de fumer.
Kapur et al. (2001) Étude randomisée à double insu Dans le groupe expérimental,
Canada de femmes enceintes entre la 4 femmes ont cessé de fumer mais
(année non spécifiée) 12 e et la 24 e semaines de aucune dans le groupe contrôle
grossesse et fumant ≥ 15 ciga- (statistiquement non significatif). Les
rettes/jour. Un groupe reçoit les substituts nicotiniques peuvent aider
timbres à nicotine (n = 17) et certaines femmes enceintes à cesser
l’autre groupe un placebo de fumer mais demeurent question-
(n = 13). nables.
Ko et al. (1998) Analyses conduites en utilisant Au total, 38 % des femmes ont cessé
USA (1991) les données de « Enceinte et de fumer pour au moins 7 jours et
fumeuse », supplément inclus seulement 1 % n’ont pas repris après
dans « National Health Interview la naissance de leur enfant. Les
Survey (NHIS) ». Total n = 1403. mères qui ont recommencé à fumer
sont les plus âgées (> 25 ans), les
plus éduquées (> niveau secondaire)
et allaitent moins leur bébé.
Ogburn et al. (1999) Étude longitudinale avec des Pas d’évidence de problèmes fœtaux
USA mesures répétées chez des durant le traitement de cessation ta-
(année non spécifiée) femmes enceintes et fumeuses à bagique avec l’utilisation du timbre à
≥ 24 semaines de grossesse. nicotine. L’observation a été effec-
Total n = 21. tuée auprès de femmes hospitalisées
lors d’un traitement avec le timbre à
nicotine durant 4 jours.

(suite page suivante)


Recueil de textes 593

LUTTER CONTRE LE TABAC ET PROMOUVOIR L’ALLAITEMENT : UN DÉFI 643

Oncken et al. (2000) Questionnaire auto-administré Les professionnels en obstétrique se


USA (1996-1997) et distribué aux infirmières prati- sentent plus responsable que les
ciennes en obstétrique et en professionnels en pédiatrie d’interve-
pédiatrie et aux omnipraticiens nir en cessation tabagique. Le timbre
de 6 centres communautaires de de nicotine est plus recommandé
la région de Boston. Total n = 61. chez les femmes enceintes que celles
qui allaitent (44 % obstétrique vs
11 % pédiatrie). Les professionnels
en général prescriraient davantage le
timbre s’ils avaient plus de données
probantes.
Pullon et al. (2004) Évaluation d’un programme de Programme destiné aux femmes en-
Nouvelle-Zélande cessation tabagique administré ceintes et des mamans qui allaitent.
(1999-2000) par des sages-femmes, des Le programme apporte des change-
consultantes en lactation et ments positifs dans le comportement
des conseillers en cessation tabagique (cessation ou réduction).
tabagique. Au total, il y Les femmes qui réalisent un change-
avait 61 sages-femmes et ment dans leur consommation taba-
271 femmes. 1) Réponse à un gique sont plus enclines à allaiter à
questionnaire auto-admi- 4 mois après la naissance du bébé.
nistré à 4 mois post-natals Le programme n’apporte pas de
(n = 184 femmes et n = 43 sages- changement dans les taux d’allaite-
femmes). 2) Entrevues en face-à- ment (probablement parce que les
face avec échantillon repré- taux sont déjà très élevés). Par

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sentatif de femmes et de contre, la diminution du tabagisme
sages-femmes (n = 12). est liée aux attitudes positives des
sages-femmes lors d’un enseigne-
ment combiné pour diminuer le taba-
gisme et augmenter l’allaitement.

Pullon et al. (2003) Questionnaire postal chez des Les sages-femmes rapportent
Nouvelle-Zélande (2001) omnipraticiens accoucheurs et demander davantage le statut de
des sages-femmes pour déter- fumeuse des femmes enceintes. Les
miner les attitudes et les actions professionnels de la santé avouent
en regard de grossesse, allaite- une insécurité tant qu’à l’utilisation
ment et tabac (n = 458 sur un du timbre à nicotine, par manque de
total possible de 780). connaissances, de confiance et d’ex-
pertise pratique.

Schroeder et al. (2002) Étude longitudinale de femmes Au total, 38 % (8/21) des femmes
USA enceintes fumeuses ≥ 24 se- enceintes ayant utilisé le timbre ont
(année non spécifiée) maines de grossesse. Le timbre cessé de fumer durant toute la gros-
à nicotine est initié pendant sesse à l’aide du timbre nicotinique et
4 jours à l’hôpital et continué à la ce, jusqu’à 8 semaines de traitement.
maison pour 8 semaines. il y a un Le taux de rechute est de 80 %
suivi à chaque semaine durant la durant les 12 mois suivant la thérapie
grossesse et un suivi à la 4e , la au timbre à nicotine, ce qui semble
6e et le 12e mois après le début correspondre aux taux de rechute de
du traitement au timbre nicoti- la population en général. Les timbres
nique. Total n = 21. à nicotine se sont avérés efficaces
dans la cessation tabagique durant la
grossesse.

cesser leur consommation. Cette d’allaitement et à éliminer le taba-


option pourrait de plus aider les gisme. Devant ces défis, devons-nous
mamans à choisir et à poursuivre « prioriser » des interventions pour
l’allaitement. lutter contre le tabac, pour promouvoir
l’allaitement ou pour cibler les deux
objectifs à la fois ? La réalité des
Les défis en santé publique
intervenants auprès de mères fu-
Dans une optique de santé opti- meuses, c’est de travailler à la fois à
male, on cherche à augmenter les taux diminuer un comportement dangereux
594 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

644 M. LEPAGE, L. DUMAS, L. RENAUD

(tabagisme) et à promouvoir un tabagisme tout en favorisant l’allaite-


comportement sain (allaitement). ment selon les recommandations
mondiales (allaitement exclusif jusqu’à
De nos jours au Québec, le taba- 6 mois), peut-on envisager un entre-
gisme est dénormalisé, les inter- tien nicotinique de plus longue durée ?
ventions ciblant la diminution du Les risques d’utiliser ces substituts
tabagisme sont maintenant acceptées sur une période plus longue que le
autant par les fumeurs que les non traitement habituel ne sont pas
fumeurs [12] et beaucoup de progrès connus même chez les fumeurs en gé-
ont été accomplis en vue d’un envi- néral. Des études sont requises pour
ronnement sans fumée. Il en va autre- combler ce vide de connaissances.
ment avec l’allaitement tant au Qué- De plus, il faudra peser les risques
bec qu’en France. En effet, même si connus de la fumée secondaire
l’allaitement est recommandé par les [29, 48, 59] chez le bébé et la maman
intervenants en santé, les taux actuels versus les risques pour cette dyade de
d’allaitement [8] démontrent que les l’utilisation à plus long terme des sub-
sociétés françaises et québécoises stituts nicotiniques. Il s’avère aussi
sont loin de « prioriser » l’allaitement. important de poursuivre les études

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La pression sociale envers le choix de actuelles afin d’adapter individuel-
l’allaitement sur le biberon est bien lement les traitements des substituts
moindre que celle de cesser de fumer. nicotiniques à la femme enceinte et
Ainsi en informant la mère fumeuse celle qui allaite.
uniquement des effets négatifs
du tabac sur le bébé, on l’incite
insidieusement à ne pas choisir l’allai-
tement surtout si elle se sent inca- Conclusion
pable ou ne désire pas cesser de
fumer. L’allaitement exige donc que Il y a consensus des études qui dé-
les intervenants et les décideurs pro- montrent presque unanimement que
tègent, soutiennent et fassent la les mères fumeuses font partie d’une
promotion [21] de l’allaitement, en lien population dite vulnérable et choisis-
avec le programme international de sent donc moins l’allaitement comme
l’UNICEF/OMS [55]. mode d’alimentation de leur bébé.
Lorsque les mères fumeuses décident
Il semble avantageux en santé d’allaiter, elles sèvrent aussi plus rapi-
publique, devant ces priorités doubles dement. Les efforts en santé publique
(allaiter et cesser de fumer), de privilé- doivent être centrés sur cette popula-
gier des stratégies et des cibles mul- tion vulnérable à la fois au niveau de la
tiples, auprès des individus, des cessation tabagique que de la promo-
populations et des groupes plus vul- tion de l’allaitement. Les interventions
nérables, à la fois pour diminuer le individuelles et de groupe ainsi que les
tabagisme et pour promouvoir l’allai- approches populationnelles doivent
tement. Chez les mères qui sont inca- également favoriser des choix de san-
pables de cesser de fumer, on doit té : l’allaitement en dépit du tabagisme
favoriser l’allaitement et ce, en dépit et le soutien concret des femmes qui
du tabagisme. Une question demeure désirent cesser de fumer.
cependant : l’utilisation des substituts
nicotiniques peut-elle être envisagée à L’utilisation des substituts nicoti-
plus long terme c’est-à-dire au-delà niques chez la femme allaitante,
du traitement normal de trois mois ? quoique recommandée en France,
Pour limiter les conséquences du ne fait pas l’unanimité ailleurs,
Recueil de textes 595

LUTTER CONTRE LE TABAC ET PROMOUVOIR L’ALLAITEMENT : UN DÉFI 645

notamment au Québec. La question sur la nocivité de la fumée secondaire


reste entière en ce qui concerne l’utili- comparée au tabagisme maternel
sation des substituts nicotiniques sur durant l’allaitement, sur l’utilisation de
une plus longue durée que les trois substituts nicotiniques chez les mères
mois recommandés ; leur innocuité allaitantes, sur l’efficacité d’interven-
durant l’allaitement a été peu étudiée. tions auprès de ces clientes vulné-
Par ailleurs, l’allaitement chez la fem- rables. En santé publique, la double
me fumeuse doit aussi faire l’objet de priorité de soutenir des choix de
recherches, entre autres sur les santé, cessation tabagique et allaite-
conséquences de l’allaitement chez ment, exige des actions concrètes et
les mamans fumeuses et leur bébé, concertées à tous les niveaux.

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Guyon, L., C. Audet, N. April, et M. De Koninck
(2007)
« Tabagisme et grossesse. Représentations sociales
chez des mères québécoises »
Drogues, santé et société, no 6, p. 105-142.
Recueil de textes 601

Tabagisme et grossesse
Représentations sociales
chez des mères québécoises

Louise Guyon,
M. A., Coordonnatrice scientifique adjointe
Institut national de santé publique du Québec

Chantale Audet,
M. A., Professionnelle de recherche
Institut national de santé publique du Québec

Nicole April,
M.D., MPH, FRCPC, Médecin conseil
Institut national de santé publique du Québec

Maria De Koninck,
Ph. D., Professeure
Département de médecine sociale et préventive
Université Laval

Correspondance
Courriel : louise.guyon@inspq.qc.ca

Drogues, santé et société, vol. 6 n° 1, pp. 105-142 105


602 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

Résumé
Les conséquences néfastes du tabagisme pendant la grossesse
ont été largement documentées. On sait également que pendant cette
période les mères sont plus susceptibles de réduire ou cesser leur
consommation de tabac. En dépit de l’information transmise sur les
conséquences du tabagisme, certaines femmes maintiennent cette habi-
tude pendant la grossesse et cette situation se retrouve plus souvent
chez les mères de milieux défavorisés socio-économiquement. La
signification que les femmes donnent au tabagisme pendant la gros-
sesse, qu’elles soient fumeuses ou non, a cependant été peu étudiée.
Le but de cette recherche était d’identifier les représentations sociales
du tabagisme pendant la grossesse de femmes enceintes ainsi que leurs
perceptions des messages qu’elles reçoivent à cet effet.

Les données ont été recueillies à partir d’entrevues semi-dirigées


avec des femmes enceintes de milieux socioéconomiques variés. Toutes
les femmes rencontrées ont affirmé que le tabagisme pendant la gros-
sesse était nocif et qu’il devait être évité, quoique plusieurs d’entre
elles ne semblaient pas en mesure d’en identifier avec précision les
conséquences pour l’enfant à naître. Or, au-delà des connaissances
véhiculées et intégrées sur les aspects nocifs du tabagisme pendant
la grossesse, c’est bien plus l’identité sociale et ses fondements qui
vont déterminer la perception du risque et, de là, le comportement
tabagique, mais aussi, la représentation sociale dominante du tabagisme
pendant la grossesse. En effet, les normes sociales, mais aussi les
rapports sociaux, les expériences personnelles et celles de l’entourage,
construisent la perception du risque de ces femmes et agissent sur leur
potentiel à modifier leurs comportements.

Mots-clés : tabagisme, grossesse, représentations sociales,


prévention

106 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 603

Tabagisme et grossesse

Tobacco use and pregnancy


Mothers’ social representations
and perceptions in Québec

Abstract
The harmful impacts of tobacco use during pregnancy have now
been well demonstrated. It is also now known that pregnancy is a
period of many changes in which mothers-to-be are more susceptible
to reduce or totally stop their smoking. Despite the information given
about the damages of smoking, some of them keep up the habit during
their pregnancy. Those women tend to come from lower socioeconomic
statuses. The meaning women give to tobacco use during pregnancy,
whether they are smokers or not, has been little documented. The pur-
pose of this study was to identify mothers-to-be’s social representations
and perceptions regarding tobacco use during pregnancy as well as
to identify their perceptions of the information they receive.

Data was collected through semi-directed individual interviews


conducted with women from various socioeconomic settings. All the
participants said that tobacco use during pregnancy was harmful
and should be avoided. However, many of them had great difficulty
explaining why it was so and what the damages of smoking could
be. Beyond their knowledge on the harmful effects of tobacco use
during pregnancy, it is rather the social identity and its foundation
that determine their perception of risk, their choice to smoke or not
and the main social representation of tobacco use during pregnancy.
Social norms, social networks, personal experiences and those of their
network build the representation or risk and have an impact on the
capacity to change their behaviours.

Keywords: tobacco use, pregnancy, social representation,


prevention

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 107


604 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

Tabaquismo y embarazo
Representaciones sociales
en madres quebequenses

Resumen
Las consecuencias nefastas del tabaquismo durante el embarazo
han sido ampliamente documentadas. Sabemos también que, durante
este período, las mujeres son más capaces de reducir o cesar su
consumo de tabaco. A pesar de la información transmitida sobre las
consecuencias del tabaquismo, ciertas mujeres mantienen este hábito
durante el embarazo, lo que ocurre con más frecuencia entre las
madres de medios socioeconómicos desfavorecidos. Sin embargo, se
ha estudiado poco el significado que las mujeres dan al tabaquismo
durante el embarazo, sean o no fumadoras. Esta investigación tiene
como objetivo identificar las representaciones sociales del tabaquismo
durante el embarazo en mujeres encintas, así como su percepción de
los mensajes que reciben al respecto.

Los datos fueron recabados en entrevistas semidirigidas con


mujeres embarazadas de diversos medios socioeconómicos. Todas las
mujeres entrevistadas afirmaron que el tabaquismo es nocivo durante
el embarazo y que debe evitarse, aunque varias de ellas no fueron
capaces de identificar con precisión sus consecuencias para el niño
por nacer. Ahora bien, más allá de los conocimientos vehiculados
e integrados sobre los aspectos nocivos del tabaquismo durante el
embarazo, lo que va a determinar la percepción del riesgo y, a partir
de allí, el comportamiento tabáquico, es principalmente la identidad
social y sus fundamentos, y también la representación social dominante
del tabaquismo durante el embarazo. En efecto, las normas sociales,
como también las relaciones sociales, las experiencias personales y
las del entorno desarrollan la percepción del riesgo de estas mujeres
y actúan sobre su capacidad de modificar sus comportamientos.

Palabras clave: tabaquismo, embarazo, representaciones sociales,


prevención

108 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 605

Tabagisme et grossesse

I – Le tabagisme dans
le contexte de la grossesse
Souvent identifiée comme une expérience propice aux
changements dans les habitudes de vie, la grossesse est éga-
lement une période au cours de laquelle les futures mères se
voient imposer plusieurs contraintes et prescriptions à suivre
afin de la mener à terme et de mettre au monde un enfant en
bonne santé. Ces recommandations concernent des habitudes de
vie, tels l’alimentation, l’exercice physique, la consommation
d’alcool et, bien sûr, le tabagisme. À celles-ci, peuvent s’ajou-
ter le retrait préventif du milieu de travail ainsi que d’autres
exigences liées au suivi obstétrical qui semblent devenir de
plus en plus complexes. Pour plusieurs femmes, le cumul de
ces exigences devient astreignant et parfois même difficile à
gérer (Copelton, 2003 ; Jumel, 2005).
Le tabagisme est l’une des habitudes de vie le plus souvent
citée comme lourde de conséquences pour la santé maternelle
et fœtale, c’est pourquoi la pression exercée sur les femmes
enceintes pour qu’elles cessent de fumer est particulièrement
forte. Il est, en effet, désormais établi que le tabagisme est
le principal facteur de risques modifiables de la morbidité et
de la mortalité associées à la grossesse dans les pays déve-
loppés (CalEPA, 2005 ; Cnattingius, 2004). Les études s’en-
tendent généralement pour affirmer que l’infertilité et les
grossesses ectopiques sont plus fréquentes chez les mères qui
fument (Cnattingius, 2004). D’après les recensions des écrits,
le tabagisme actif en période prénatale est associé au placenta
prævia et au décollement prématuré du placenta normalement
inséré. Les conséquences de ces problèmes sont, notamment,
la naissance de bébés mort-nés ou qui décèdent dans les pre-
mières semaines de vie (Cnattingius, 2004).

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 109


606 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

Quant aux conséquences pour le fœtus, la diminution du


poids à la naissance, occasionnée par un retard de la croissance
intra-utérine, est l’effet le mieux documenté et pour lequel on
ne remet plus en doute les liens de causalité avec le tabagisme
des femmes enceintes. Après la naissance, les enfants exposés à
la fumée secondaire risquent plus d’être victimes de mort subite
du nourrisson (Borgne et Grangé, 2003 ; Cnattingius, 2004). La
recension des écrits de Guérin et coll. (2006) rapporte enfin
certains effets du tabagisme passif : insuffisance du poids à la
naissance, syndrome de mort subite du nourrisson, accouche-
ment prématuré. D’après une méta-analyse récente, le tabagisme
prénatal agirait également sur les problèmes respiratoires de
l’enfant, indépendamment de l’exposition postnatale (Pattenden
et coll., 2006).
En dépit de l’amélioration des connaissances sur les méfaits
du tabagisme, la plupart des pays développés constatent que,
parmi les fumeuses, un pourcentage élevé continue à fumer
pendant la grossesse (20 à 30 % selon Coleman et Joyce, 2003
et Connor et McIntyre, 1999, cités dans Greaves, 2003). De
plus, parmi celles qui réussissent à abandonner le tabac pen-
dant la grossesse, plusieurs vont recommencer pendant le post-
partum (Albrecht et coll., 1999 ; Orleans et coll., 2000 ; Windsor
et coll., 1986).

Prévalence du tabagisme
pendant la grossesse au Québec
D’une part, l’enquête de l’Institut de la statistique du
Québec (ISQ) sur l’allaitement au Québec révèle qu’en 2005-
2006 17,1 % des femmes disaient avoir fumé durant leur dernière
grossesse (Neill et coll., 2006). L’enquête sur la santé dans
les collectivités canadiennes de 2003, d’autre part, permet des
comparaisons avec les autres provinces et entre les niveaux
socioéconomiques (Statistique Canada ESCC, cycle 2.1, 2003).

110 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 607

Tabagisme et grossesse

Selon cette dernière, 22 % des Québécoises ayant vécu une


grossesse au cours des cinq années précédentes déclaraient avoir
fumé pendant leur grossesse, comparativement à 16 % pour
l’ensemble du Canada1 (figure 1). Les Québécoises fumeraient
significativement plus pendant la grossesse que les femmes des
autres provinces.

Figure 1 : Usage du tabac pendant la grossesse selon le niveau


socioéconomique – Québec et Canada, 2003

40
35
30
25
20
%

15
10
5
0
Pauvre Bas-moyen Moyen Élevé Total
Niveau socioéconomique

■ Québec ■ Autres provinces ■ Canada


Enquête de santé sur les collectivités canadiennes (ESCC, Cycle 2.1, 2003)

Par ailleurs, les écarts entre les niveaux socioéconomiques


sont très marqués : chez les Québécoises les mieux nanties,
8,3 % seulement ont affirmé avoir fumé pendant leur grossesse
alors que parmi les plus pauvres plus d’une femme sur trois
affirmait la même chose (ESCC, 2003). Ces écarts entre les
niveaux socioéconomiques se retrouvent dans plusieurs pays
où de telles études ont été réalisées (Cnattingius, 2004 ; Graham
et coll., 2006 ; Greaves et coll., 2003 ; Lumley et coll., 2006).

1 Dans l’interprétation de cette différence entre les deux enquêtes, il faut tenir
compte du fait que l’enquête canadienne portait sur la moyenne des cinq dernières
années (1999 à 2003) alors que celle de l’ISQ rejoignait les femmes qui avaient
accouché entre 2005 et 2006.

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 111


608 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

L’enquête canadienne nous apprend également qu’en 2003 un


pourcentage de près de 10 % de femmes enceintes, elles-mêmes
non fumeuses, vivaient avec une personne adulte qui fumait à la
maison et auraient donc été régulièrement exposées à la fumée
secondaire (ESCC, cycle 2.1, 2003).

Réseau social et tabagisme prénatal


Le partenaire de vie est une personne influente pour la
femme enceinte et son point de vue influence le tabagisme
de cette dernière (Hotham, 2002 ; Muller, 1987). Une récente
étude canadienne a innové en se penchant sur la façon dont le
tabagisme est intégré dans la relation de couple (Bottorff et coll.,
2005). Au-delà de la dépendance à la nicotine, le tabagisme
remplirait une variété de fonctions en jouant un rôle de média-
tion dans la dynamique d’interaction de couple, en servant de
mode d’expression de l’identité individuelle, de la colère et du
ressentiment ou encore de la considération, de l’empathie, du
soutien inconditionnel et finalement en offrant un contexte pour
négocier le pouvoir et le contrôle dans le couple. Le tabagisme
devient imbriqué dans la relation de couple et peut être perçu
comme une fonction du maintien de celui-ci. En mettant ainsi
l’accent sur le contexte microsocial du tabagisme des femmes,
il est possible de mieux comprendre les influences qu’elles
subissent et les difficultés qu’elles rencontrent.
Schaffer et Lia-Hoagberg (1997), pour leur part, ont com-
paré chez 101 femmes enceintes de faible revenu, l’effet du
soutien du partenaire, des membres de la famille et des amies
ainsi que des professionnels de la santé sur le recours aux soins
prénatals et sur les comportements de santé prénatals. Selon
cette étude, le soutien de leur partenaire amène les femmes à se
sentir valorisées et aimées et à recourir à des soins prénatals. Le
soutien de la famille et des amies est tout autre : c’est l’entourage
féminin de la femme enceinte, mère, belle-mère, sœurs et amies,

112 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 609

Tabagisme et grossesse

qui lui offre de l’information, des conseils et une opportunité


de discuter de la grossesse et qui influence ses comportements
de santé pendant la grossesse. C’est également dans ce réseau
féminin où elles se confient que les femmes enceintes rencon-
trent des normes plus permissives par rapport au tabagisme et
qu’elles se sentent mieux comprises et moins jugées si elles
fument (Dunn et coll., 2004). Une étude exploratoire améri-
caine réalisée auprès de 150 femmes enceintes de faible revenu
suggère qu’elles s’appuient principalement sur les membres de
leur entourage familial féminin, particulièrement leur mère, pour
obtenir des renseignements relatifs aux comportements de santé
à adopter pendant la grossesse (Lewallen, 2004).

Perception du risque lié à l’habitude tabagique


durant la grossesse
Les connaissances des femmes enceintes à propos des dan-
gers du tabagisme pendant la grossesse varient selon le statut
socioéconomique ; les femmes enceintes plus favorisées seraient
mieux informées (Haslam et Draper, 2000). Par ailleurs, même
si elles savent que la cigarette a des effets néfastes sur le fœtus,
la façon dont le tabac affecte le fœtus leur reste en grande partie
méconnue (Lendahls et coll., 2002). Le risque le plus souvent
identifié est l’augmentation des probabilités d’avoir un bébé de
petit poids (Grangé et coll., 2005a, 2005b). Déjà, lors de l’étude
québécoise de Colin et coll. (1992) réalisée auprès de femmes
enceintes issues de milieux socioéconomiques défavorisés, on
avait constaté que beaucoup de femmes n’établissaient pas le
rapport entre le poids du bébé et sa santé et avaient une percep-
tion vague des effets de la cigarette sur la santé du bébé. Ailleurs,
des données plus récentes montrent qu’aujourd’hui le petit poids
n’est pas vu par les femmes enceintes comme un problème
de santé grave ; elles croient plutôt qu’il facilite l’accouche-
ment (Haslam et Draper, 2001). L’étude de Colin rapportait que
plusieurs femmes expliquaient leur consommation tabagique par

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 113


610 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

la crainte que l’arrêt soudain du tabagisme (le sevrage) entraîne


des effets néfastes puisqu’il engendrerait un stress pour le bébé
à naître. Les femmes de l’étude de Lennon et coll. (2005) propo-
sent le même raisonnement. D’après Borgne et Grangé (2003),
nombreux sont aussi les médecins qui partagent cet avis.
Enfin, plusieurs femmes enceintes ne sont pas convaincues
de la menace réelle que représente le tabagisme pour le bébé
à naître (Haslam et Draper, 2001). Certaines d’entre elles
demeurent sceptiques devant les données scientifiques démon-
trant le risque puisque leur propre expérience et celle de leur
entourage leur prouvent le contraire ; selon ces expériences,
les bébés des femmes fumeuses se porteraient aussi bien que
les autres (Abrahamsson et coll., 2005 ; McBride, 2003 ; Tod,
2003 ; Hotham et coll., 2002).

Représentations sociales du tabagisme


pendant la grossesse
Le concept des représentations sociales constitue le filtre
par lequel les messages sont interprétés et vécus. Celles-ci per-
mettent d’identifier et de mieux comprendre la perspective des
femmes par rapport à leurs comportements et à leur environne-
ment. Jodelet (1994) définit les représentations sociales comme
étant « une forme de connaissance, socialement élaborée et par-
tagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction
d’une réalité commune à un ensemble social ». Concernant le
tabagisme pendant la grossesse, l’une des représentations qui
ressortent de la littérature est que « fumer pendant la grossesse
relève de l’égocentrisme ». Conséquemment, fumer en étant
enceinte serait un comportement honteux (Abrahamsson et coll.,
2005 ; Lendahls et coll., 2002). De leur côté, dans leur étude
portant sur la perception de l’habitude de fumer pendant la
grossesse, pour laquelle 14 groupes de discussion (focus groups)
avec des jeunes femmes ont été menés, l’équipe australienne

114 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 611

Tabagisme et grossesse

de Lennon et coll. (2005) dégage la représentation sociale sui-


vante : « une bonne mère ne fume pas durant la grossesse ».
C’est à tout le moins ce que les participantes de cette étude
perçoivent du contexte normatif dans lequel elles baignent.

II – Présentation de la recherche

Objectifs
À l’origine de l’étude présentée ici, on retrouve la convic-
tion qu’il était important de compléter et de vérifier les connais-
sances acquises afin de comprendre comment des femmes
enceintes québécoises se représentent le tabagisme pendant la
grossesse et comment elles perçoivent les messages qui leur
sont transmis à propos de l’usage du tabac. Par ailleurs, nous
considérions que, au moment de la grossesse, les femmes sont
plus susceptibles de s’intéresser à l’information qui est trans-
mise et au contenu des messages et d’y être perméables ; la
grossesse serait ainsi une période où elles peuvent acquérir plus
de connaissances et développer une motivation pour les inté-
grer dans leur comportement (Cnattingius, 2004 ; Fiore, 2000 ;
Mullen, 2004 ; USDHHS, 2004). Les objectifs spécifiques de
la recherche étaient ceux-ci :
1. Identifier les représentations des futures mères en
matière de consommation de tabac et d’alcool pendant
la grossesse ;
2. Identifier leurs perceptions des messages qui leur sont
transmis sur ces comportements ;
3. Contribuer, sur la base des connaissances acquises, à
orienter les messages et les pratiques pouvant soutenir
les femmes enceintes dans l’acquisition et le maintien
de saines habitudes de vie.

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 115


612 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

Il nous est toutefois apparu essentiel d’étudier la question


du tabagisme en le situant dans le contexte global des habitudes
de vie, c’est-à-dire en intégrant à la recherche la probléma-
tique de l’alcool puisque cette habitude est souvent associée
au tabagisme (Room, 2004).
Comment ces femmes se représentent-elles le tabagisme pen-
dant la grossesse ? Que comprennent-elles et que retiennent-elles
de l’information qu’elles reçoivent ? Quelle est leur perception de
ce qui leur est proposé, quelle interprétation en font-elles ? Quelles
sont les personnes qui jouent un rôle significatif à cet effet ? Ce
sont les questions sur lesquelles nous souhaitions nous pencher
en abordant cette recherche. Nous voulions également observer
comment cette information s’inscrit dans leur contexte conjugal,
familial et social particulier, eu égard à leurs expériences.

Méthodologie
Le recours à une approche qualitative était approprié pour
une telle recherche exploratoire, car elle permettait d’identifier
leurs représentations à partir du discours des premières concer-
nées. Le propos des femmes interrogées a ainsi été recueilli au
moyen d’entrevues semi-dirigées au cours desquelles elles ont
eu toute liberté de s’exprimer. Le contexte de l’encadrement
de la maternité a été également abordé à travers des entrevues
de groupe avec des intervenants œuvrant auprès de clientèles
prénatales. Bien qu’une telle approche n’ait aucune prétention de
représentativité statistique, elle propose toutefois des éléments
clés pour la compréhension d’une problématique telle que le
tabagisme pendant la grossesse.

Recrutement des participantes

L’environnement social et économique exerce une influence


reconnue sur le développement des représentations et l’adoption
de comportements concernant le tabac et l’alcool (Bottorff et

116 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 613

Tabagisme et grossesse

coll., 2005 ; Schaffer et coll., 1997 ; Thompson et coll., 2004 ;


Wakefield et coll., 1998), aussi les participantes à la recherche
ont-elles été sélectionnées en tenant compte de la diversité de
leurs milieux de vie. L’échantillon a été construit de manière à
permettre une certaine exemplarité en ce sens. Deux groupes de
femmes étaient visés : des femmes enceintes issues de milieux
socioéconomiques moins favorisés et des femmes enceintes de
statuts socioéconomiques moyens à élevés.
Deux centres de santé et de services sociaux (CSSS) situés dans
les deux régions visées par notre étude, soit Québec et Montréal,
ont accepté de collaborer à la recherche afin de nous aider à recruter
des femmes enceintes à travers les services offerts. Nous désirions
entrer en contact avec des femmes d’âge différent, des primipares
et des multipares, des femmes vivant en couple, d’autres monopa-
rentales. Les femmes provenant de milieux moins nantis ont été
recrutées par l’entremise du programme OLO (pour œufs, lait et
jus d’orange) qui leur est spécifiquement destiné. Les femmes pro-
venant de milieux plus aisés ont été contactées par l’intermédiaire
des cours prénatals qui sont offerts dans les CSSS.

Instruments de collecte des données

Le schéma d’entrevue proposait des questions pouvant ame-


ner les femmes enceintes à exprimer leurs points de vue, leurs
perceptions et à parler de leurs comportements. Des questions
portaient également sur l’entourage et le suivi de grossesse
afin d’identifier les personnes significatives. D’autres questions
portaient sur leurs sources d’information. Un court question-
naire concluait l’entrevue en permettant de recueillir quelques
données socioéconomiques.

Entrevues individuelles

Les participantes intéressées étaient contactées par la


professionnelle de recherche pour déterminer le moment et

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 117


614 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

le lieu de l’entrevue, laquelle se déroulait généralement à leur


domicile, mais parfois aussi dans leur milieu de travail. Elles
étaient alors informées des différents aspects de la recherche
et devaient signer un formulaire de consentement. Les entre-
vues duraient entre 30 minutes et 1 heure et 45 minutes ; elles
étaient enregistrées puis transcrites en prévision de l’analyse.
Au total, trente-trois entrevues individuelles ont été réalisées
entre avril et juin 2005, dix-huit à Montréal, quinze à Québec.
Deux entrevues n’ont pas été retenues lors de l’analyse, car les
participantes n’étaient pas représentatives du groupe (OLO ou
cours prénatals) auquel elles étaient identifiées. Au total, pour
les deux sites, 14 femmes provenaient du programme OLO et
17 ont été recrutées dans les cours prénatals.

Entrevues de groupe

Deux entrevues de groupe avec des professionnelles et


des professionnels de la santé ont été également réalisées. La
première visait à documenter les interventions existantes et à
comparer la conformité des messages utilisés avec les repré-
sentations et les perceptions des femmes. La seconde réunissait
différentes intervenantes travaillant en périnatalité et avait pour
objectif de discuter des premiers résultats de la recherche. Cette
façon de faire visait également à valider la conformité des résul-
tats avec l’expérience terrain et à déterminer des éléments qui
ne l’avaient pas encore été et devant être approfondis.

Aspects éthiques

Des mesures strictes ont été mises en place afin d’assurer


l’anonymat des participantes ainsi que la confidentialité des don-
nées recueillies. Le protocole de recherche a reçu un certificat
d’approbation éthique du Comité d’éthique de la recherche
clinique du Centre hospitalier de l’Université Laval.

118 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 615

Tabagisme et grossesse

III – Résultats
Les résultats sont présentés de manière à mettre en lumière
les différences et les convergences notées dans le discours des
femmes selon leur appartenance socioéconomique. Le point
central de l’analyse porte sur le tabac, toutefois, des parallèles
avec le discours des femmes sur la consommation d’alcool
peuvent être faits à l’occasion, car ils permettent d’illustrer
certaines différences entre l’usage des deux produits et ainsi
contribuer à améliorer notre compréhension des représentations
du tabagisme pendant la grossesse.
Des 31 participantes à la recherche, 13 étaient fumeu-
ses avant de se savoir enceintes2. Parmi ces dernières, quatre
ont déclaré avoir cessé de fumer à l’annonce de la grossesse ;
les autres ont soit diminué de façon importante ou n’ont rien
changé à leurs habitudes tabagiques. Les femmes de milieu
moins favorisé recrutées dans le programme OLO étaient plus
nombreuses à fumer que celles recrutées dans les cours préna-
tals. La plupart des fumeuses appartenant au programme OLO
ont rapporté avoir fait des efforts pour cesser de fumer sans y
être arrivées.

« Fumer pendant la grossesse, ça ne se fait pas »


Une représentation générale se dégage de cette étude : fumer
pendant la grossesse est « néfaste et inacceptable ». Cette repré-
sentation est partagée par toutes les femmes qui ont participé à
l’étude, qu’elles soient issues d’un milieu aisé ou moins nanti,
qu’elles soient non fumeuses, ex-fumeuses ou fumeuses. Les
propos des participantes ne comportent aucune équivoque à cet
égard et elles l’ont affirmé avec certitude.

2 Rappelons que notre échantillon n’est pas représentatif de la population générale


et que nous avons sur-échantillonné des femmes provenant de milieux plus défa-
vorisés, lesquels présentent habituellement des taux de tabagisme supérieurs.

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 119


616 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

« Même si je le faisais, [fumer lors de la première


grossesse] je suis très consciente que c’est complètement
stupide, que c’est une chose à ne pas faire puis que…,
je trouve ça niaiseux. Ça c’est sûr. Mais de toute façon,
même…, même quand j’étais une personne qui était
fumeuse, je rageais contre ça. Je trouve ça un risque,
c’est sûr » (Céline, 31 ans, non-fumeuse).
La condamnation du tabagisme pendant la grossesse est
univoque, se démarquant ainsi des représentations de la consom-
mation d’alcool pendant la grossesse qui sont plus floues, moins
catégoriques.
Les participantes étaient pour la plupart déjà convaincues
de la nocivité du tabagisme avant même d’être enceintes. Pour
certaines, les informations qu’elles ont reçues n’ont contribué
qu’à renforcer leur point de vue à cet effet. Cette conviction
inclut également l’exposition à la fumée de tabac. Les femmes
enceintes cherchent à éviter la fumée secondaire qu’elles per-
çoivent comme étant néfaste pour l’enfant qu’elles portent.
Plusieurs vont tenter de s’en dérober de différentes façons que ce
soit en s’abstenant de fréquenter des lieux enfumés ou en deman-
dant aux proches de ne pas fumer en leur présence. Par ailleurs,
nombreuses sont celles qui prévoient demander aux visiteurs de
fumer à l’extérieur après la naissance de leur enfant.

Des connaissances peu précises


Si la conviction que l’usage du tabac a des effets délétères
sur la grossesse semble bien ancrée dans le discours des mères,
leurs connaissances sur ses effets sont beaucoup plus floues et
incomplètes dans la plupart des cas.
Les participantes issues de milieux plus défavorisés
connaissent peu les effets du tabagisme et les dangers de la
fumée secondaire pendant la grossesse. Elles en ont mentionné

120 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 617

Tabagisme et grossesse

quelques-uns, notamment le petit poids à la naissance, des pro-


blèmes respiratoires ou la prématurité. De façon générale, elles
supposent que « ce n’est pas très bon » et que les enfants de
mères fumeuses seront plus fragiles et moins en santé que les
autres. Les connaissances sont plutôt vagues et imprécises. Les
professionnel-les rencontrés lors des groupes de discussion ont
confirmé d’ailleurs cette situation. Selon eux, les femmes de
ce groupe savent généralement qu’il est néfaste de fumer sans
nécessairement savoir pourquoi. Toutefois, ils remarquent que
leurs clientes semblent mieux renseignées sur les effets du tabac
que sur ceux de l’alcool.
Quant aux femmes de milieux plus aisés, leurs connais-
sances sur les effets du tabac pendant la grossesse sont légè-
rement plus précises que celles des femmes de l’autre groupe,
mais elles demeurent tout de même vagues. Elles ont parlé,
entre autres, de petit poids à la naissance, de prématurité, de
problèmes respiratoires ; mais plusieurs ont traité des effets en
termes moins précis, par exemple, sur l’effet des toxines :
« En tout cas, moi, la façon dont je vois ça, je suis
peut-être dans le champ, mais ce qui fait que ton bébé
se développe, tu sais il ne se développe pas tout seul
là, tu sais, ça va chercher des petites parties de toi,
puis moi je pense que la plus grosse partie, c’est dans
le sang. Fait que si tu fumes, c’est quelque chose qui
va directement dans ton sang, ça va dans tes poumons,
OK. Mais les toxines qu’il y a là-dedans s’en vont dans
ton sang. Fait que oui je pense que ça peut avoir des
impacts » (Christina, 28 ans, non-fumeuse).
Finalement, quelques-unes ont mentionné que l’exposition
du nouveau-né à la fumée secondaire peut être reliée à la mort
subite du nourrisson.

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 121


618 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

Provenance des messages


Les sources d’information sont nombreuses et variées. Les
femmes inscrites au programme OLO bénéficient d’un suivi de
grossesse plus soutenu, car, dans le cadre de ce programme,
elles rencontrent une nutritionniste et une infirmière à quel-
ques reprises, services auxquels les femmes non admissibles
à ce programme n’ont habituellement pas accès. Ces rencon-
tres sont l’occasion, pour les professionnel-les de la santé, de
transmettre de l’information ainsi que d’offrir du soutien aux
femmes enceintes. Les participantes qui étaient inscrites à ce
programme ont rapporté que ces professionnel-les sont effec-
tivement une grande source d’information pour elles.
Parmi les autres sources mentionnées par l’ensemble des
participantes, on retrouve notamment des brochures qui leur ont
été remises au CLSC ou au centre hospitalier, des revues, des
livres portant sur la maternité et les publicités sur les paquets
de cigarettes. Plusieurs femmes recrutées dans le programme
OLO rapportent toutefois ne pas lire sur la grossesse et ne pas
s’intéresser à la documentation qui leur est remise.
Le médecin qui assure le suivi de grossesse, qu’il soit
omnipraticien ou gynécologue-obstétricien, est aussi une source
d’information bien que celle-ci soit jugée plutôt limitée ; plu-
sieurs femmes ont mentionné que l’implication de ce médecin
n’allait pas au-delà de l’établissement du statut tabagique à la
première rencontre et d’un avertissement selon lequel il est
préférable de ne pas fumer au cours de cette période3.

3 Au Québec, selon une étude le l’INSPQ, 90 % des médecins s’informent du


statut tabagique de leurs patients et 82 % évaluent s’ils sont prêts à cesser de
fumer (Tremblay et coll., 2006).

122 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 619

Tabagisme et grossesse

La perception des dangers


du tabagisme et l’expérience vécue
Le discours sur la nocivité du tabac s’articule autour de
la notion de risque. Les connaissances constituent le matériel
premier qui va permettre d’estimer le risque. Nous avons vu
dans un premier temps que les connaissances sont partielles
et parfois mal comprises. Mais la perception du tabagisme et
des risques qui en découlent vont se construire à partir de la
connaissance, souvent floue, et de trois autres facteurs : l’expé-
rience ou le « savoir populaire », les rapports sociaux avec des
personnes signifiantes et un système de normes et de valeurs
qui peut être parfois complexe.

Le savoir populaire

Le savoir populaire, celui basé sur l’expérience, joue un


rôle dans le façonnement des perceptions du tabagisme pendant
la grossesse et des dangers qu’il représente, surtout si on le
compare à l’espace qu’il occupe dans le cas de l’alcool où ce
phénomène est peu présent. Les femmes se réfèrent abondam-
ment à leurs propres expériences ou à celles de membres de
leur entourage pour faire part de leurs perceptions du tabagisme
et, dans certains cas, pour soutenir et justifier les choix qu’elles
font (fumer ou ne pas fumer pendant la grossesse). Ces expé-
riences peuvent d’ailleurs être positives ou négatives.
Pour les femmes recrutées dans le programme OLO, les
expériences occupent une place prépondérante dans leur dis-
cours. Elles peuvent démontrer concrètement, par exemple, que
le tabagisme pendant la grossesse n’est pas « si dangereux » :
« Mais je me suis dit : ma mère fumait quand elle était enceinte
de moi puis, à ce que je sache, je suis normale là » (Claire,

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 123


620 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

18 ans, fumeuse). Pour d’autres, les expériences attestent plutôt


du danger de fumer lorsqu’on est enceinte :
« On a un couple d’amis, son ex-femme, elle fumait
beaucoup, beaucoup, beaucoup pendant qu’elle était
enceinte, puis sa dernière elle a des problèmes de santé,
puis justement, elle est très petite puis elle pèse vraiment
pas beaucoup là […]. Elle est vraiment toute minus.
Puis juste la fumée secondaire ça lui cause des otites qui
causent des conjonctivites qui causent des amygdalites…
C’est vraiment nocif là. Fait que si en plus tu le prends.
Tu sais tous les produits chimiques qu’il y a là-dedans,
ça ne doit pas être bon. Ça c’est ça, ce n’est pas…, c’est
loin d’une pomme. […] mais je n’ai pas vraiment lu
là-dessus là » (Catherine, 27 ans, non-fumeuse).
Les expériences servent aussi à mesurer les risques encourus
par le maintien de leur habitude tabagique et ceux-ci sont parfois
comparés à d’autres risques identifiés dans les recommandations
qui leur sont faites pendant la grossesse : « Ce n’est pas pire
que d’autre chose. Là ce n’est pas pire que manger un paquet
de chocolat ou manger un paquet de chips ou boire beaucoup,
beaucoup de liqueurs là, tu sais. Pour nous autres, c’est le
même principe » (Madeleine, 31 ans, fumeuse).
Parfois, les expériences sont en contradiction avec les mes-
sages reçus des professionnels de la santé :
« Regarde, j’ai dit : ma mère n’a pas fumé pendant
qu’elle était enceinte de moi, elle a arrêté aussitôt qu’elle
savait qu’elle était enceinte, puis je suis asthmatique.
Tout le monde que je connais ont fumé pendant leur
grossesse, puis leurs enfants sont en parfaite santé, il y
en a même qui ont plus d’énergie. Regarde. C’est quoi
l’affaire là ? » (Roxanne, 21 ans, fumeuse).

124 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 621

Tabagisme et grossesse

Pour ces mères (programme OLO), le poids des expériences


semble plus important que les connaissances dites plus « scienti-
fiques ». D’ailleurs, les intervenant-es rencontrés dans les entre-
vues de groupe ont confirmé que les expériences sont plus
significatives pour ces femmes que les connaissances qu’elles
ont ou qu’elles peuvent acquérir. Les femmes recrutées dans
les cours prénatals font également appel aux expériences, mais
dans une moindre mesure que les femmes de l’autre groupe.
Elles les ont relatées au passage mais ne semblent pas forcé-
ment leur accorder un poids aussi prédominant que ne le font
les mères de l’autre groupe.
Il est à noter que les participantes se sont davantage référées
au savoir populaire et aux expériences quand elles ont discuté
de tabagisme que lorsqu’il a été question d’alcool.

Le réseau social
Le réseau social est constitué de l’ensemble des liens signi-
ficatifs que les futures mères entretiennent avec leur entourage.
Ces rapports peuvent également influer sur les perceptions du
tabagisme et de ses risques. Nous avons rencontré des situations
où de fortes pressions pour cesser de fumer sont exercées sur
les femmes, mais aussi d’autres caractérisées par du laxisme.
L’évaluation du risque et l’acquisition des connaissances vont
aussi emprunter le chemin de ces rapports. Contrairement à ce
que nous avons observé dans le cas de l’alcool (Audet et coll.,
2006), le réseau social est très influent dans le développement
des perceptions du tabagisme pendant la grossesse.

La mère

Les femmes provenant de milieux défavorisés semblent


plus perméables aux influences de leur entourage et de leurs
proches (conjoint, mère, belle-mère, amis et collègues). La mère
est sans contredit la personne dont l’opinion sur le tabagisme

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 125


622 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

pendant la grossesse aura le plus de poids. Plusieurs partici-


pantes, notamment les fumeuses, ont rapporté que leur mère
les encourage à diminuer ou à cesser de fumer. Dans d’autres
cas, les mères vont minimiser les dangers du tabagisme en
période prénatale.

Le conjoint

Nous avons pu constater l’importance du rôle du conjoint.


Selon qu’il soit fumeur ou non, selon son degré d’implication
dans la grossesse, son opinion et son attitude peuvent varier,
mais celles-ci vont toujours jouer un rôle de premier plan.
Certaines nous ont décrit des conjoints très présents pour l’accès
à l’information et pour le soutien dans la cessation tabagique,
alors que d’autres ont vécu de véritables conflits autour du taba-
gisme : soit que le conjoint refuse lui-même de cesser de fumer,
soit qu’il exerce des pressions pour contrôler le tabagisme de la
future mère. Ces conflits sont toujours porteurs de stress et les
participantes qui les vivent nous en ont largement fait part.
Par ailleurs, les professionnel-les de la santé que nous avons
rencontrés ont parlé abondamment de l’importance des opinions
et des commentaires des membres du réseau social des femmes
enceintes. Ceux-ci jouent un rôle primordial de soutien pour
ces femmes, affirment-ils. C’est pourquoi elles valorisent leurs
opinions, connaissances et expériences.

Les professionnel-les de la santé

Pour les participantes inscrites au programme OLO, l’in-


tervention des professionnel-les rencontrées dans ce cadre va
au-delà du caractère professionnel de leur rôle. Cette relation
est particulièrement importante, car la très grande majorité
des femmes qui sont dans ce programme n’assistent pas aux
cours prénatals. Elles nous ont confié qu’une intervenante était
devenue leur confidente de telle sorte que l’information et les

126 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 623

Tabagisme et grossesse

encouragements reçus prennent alors bien plus l’apparence de


ceux d’un membre de l’entourage que de ceux d’une profes-
sionnelle du réseau de la santé.
« Bon, je ne le sais pas pour les…, si [elles] ont
toutes des enfants, mais elle, elle a eu des enfants elle
aussi là, puis là je peux jaser avec, […]. Je le sais quand
elle vient, puis en plus je jase tellement longtemps… Je
suis mémère. (Rires) Tu sais, elle est là, tu sais, puis
elle m’écoute vraiment puis elle répond vraiment à mes
questions puis, tu sais, elle est vraiment intéressée puis
ce n’est pas comme juste : “Je m’en viens faire ma job,
OK, t’as d’l’air correcte, je m’en vais… ”, puis là elle
me pose des questions. Tu sais, elle te pose des questions
par rapport à la nutrition, comment je me sens, tu sais
s’il y a eu un quelconque changement, des peurs, des
angoisses. Tu sais, elle va tout défiler là » (Pénélope,
21 ans).

Le médecin

Bien que toutes les mères de l’étude étaient suivies par un


médecin (omnipraticien ou gynécologue-obstétricien), celui-ci
n’est pas très présent dans le discours des femmes et ne semble
pas influencer outre mesure les participantes pour ce qui est du
tabagisme. Il a déjà été mentionné que les femmes recrutées
dans le programme OLO ne voient pas le médecin comme une
source importante d’information. Elles ont souvent l’impres-
sion qu’il n’est pas la bonne personne auprès de qui obtenir
de l’information. Selon elles, les rendez-vous sont expéditifs
dans certains cas et elles ne se sentent pas toujours à l’aise
de soulever les questions qui les préoccupent. La plupart ont
rapporté que le médecin s’est satisfait de leur demander si elles
fumaient. Certaines participantes ont été encouragées par leur
médecin dans leurs efforts pour diminuer ou cesser de fumer
et ont affirmé avoir été motivées par ces attitudes positives.

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 127


624 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

Selon les témoignages des informatrices, un nombre restreint


de médecins aurait expliqué les méfaits du tabagisme pendant
la grossesse.
De leur côté, les participantes provenant de milieux plus
aisés semblent plus satisfaites de leur relation avec le médecin,
bien qu’elles auraient souhaité recevoir plus d’information de sa
part et obtenir des consultations moins expéditives. Dans leur
cas, le médecin occupe un espace plus important et peut influen-
cer leurs perceptions du tabagisme pendant la grossesse.

La norme sociale ou « les femmes enceintes ont


une responsabilité envers l’enfant qu’elles portent »
Une autre représentation dominante soutient que : « Les
femmes enceintes ont une responsabilité envers l’enfant qu’elles
portent », et qu’en conséquence, elles se doivent de faire tout ce
qu’elles peuvent pour assurer son bon développement. Celle-ci
est véhiculée par les femmes enceintes et par la population en
général. De même, nous avons rencontré beaucoup d’incompré-
hension – voire une certaine intolérance – chez les non-fumeuses
ou les ex-fumeuses envers celles qui fument.
La norme sociale touchant le tabagisme pendant la grossesse
semble être à l’image de celle qui prévaut pour cette habitude
en général au Québec. Il apparaît de moins en moins bien vu
et acceptable de fumer, quel que soit le contexte ou la situa-
tion de la personne. Les femmes que nous avons rencontrées
n’échappent pas à cette norme ; elles y adhèrent pour la plupart.
Pour elles, l’image d’une femme enceinte qui fume n’est pas
acceptable. Une informatrice explique qu’elle savait, bien avant
sa grossesse, que les femmes enceintes qui fumaient étaient
mal jugées : « En tout cas […] je savais pour la cigarette que
les gens étaient bien…, Bon, si tu fumes que t’es enceinte, ça
ne passe pas, cette image-là ne passe pas » (Catherine, 27 ans,
non-fumeuse). Cette opinion est à l’opposé de celles que nous

128 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 625

Tabagisme et grossesse

avons recueillies à propos de la consommation d’alcool pendant


la grossesse ; situation pour laquelle il ne semble pas y avoir
de consensus sur les normes devant baliser le comportement
des femmes enceintes.
Le désir de se conformer aux attentes se dégage du discours
tenu par plusieurs et le normatif semble parfois plus déterminant
que la conviction profonde. Le choix est alors de s’orienter
vers un tabagisme clandestin, ou honteux. En effet, certaines
nous ont dit qu’elles se cachaient pour fumer. Les fumeuses qui
ont participé à l’étude expliquent qu’elles évitent de fumer en
public, et ce, qu’elles soient issues ou non de milieux aisés. Ces
femmes ne veulent pas être jugées, elles n’aiment pas l’image
de la femme enceinte qui fume et ont dit se sentir coupables
de fumer :
« Quand je fume ma cigarette, mes rideaux sont
fermés, je ne veux pas que la madame d’en face me
voit, parce qu’elle a un petit…, elle a des petits-enfants
puis sa sœur est enceinte aussi. Je ne veux pas qu’on me
juge sur ça. […] Fait que c’est idiot dans un certain sens
là, parce que je me sens tellement coupable de la fumer
ma cigarette là, je me cache (rires), c’est con. Mais je
la fume pareil puis elle me fait du bien » (Madeleine,
31 ans, fumeuse).
Les participantes provenant de la clientèle OLO se sont
révélées particulièrement sensibles aux regards posés sur elles
par les professionnels de la santé. Nos recherches antérieures
auprès des mères toxicomanes nous avaient amenées à des
conclusions similaires (Guyon et coll., 2002). Les professionnels
de la santé ont pour leur part confirmé que les fumeuses qu’ils
rencontrent ont tendance à se cacher pour fumer. Ils observent
que le contrôle social exercé sur les fumeuses enceintes est lourd
même quand celles-ci sont aux prises avec une dépendance dont
elles ont du mal à se départir.

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 129


626 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

En somme, la norme selon laquelle il est inacceptable pour


une femme enceinte de fumer est forte, contraignante, voire
absolue. Pour celles qui sont aux prises avec une dépendance,
il peut s’avérer difficile de vivre une grossesse dans ce contexte.
Toutes celles qui ont cessé de fumer à l’annonce de la grossesse
ont expliqué que c’est grâce à des motivations directement liées
au bébé qu’elles l’ont fait. Ce sont soit des lectures ou des
expériences autour d’elles (l’exemple d’un bébé malade) qui
les ont incitées à passer à l’acte.

IV – Discussion
Grossesse et tabagisme peuvent sembler constituer une
antinomie lors d’une première lecture des témoignages des
mères que nous avons rencontrées. L’analyse approfondie des
entrevues, leur mise en contexte en tenant compte des diffé-
rentes influences dont elles nous ont parlé de même que le
recoupement avec les propos des intervenant-es ont mis en
lumière une réalité bien plus complexe que la seule évocation
de la nocivité du tabagisme sur la grossesse, admise par toutes
les femmes rencontrées.

Le tabagisme mis en contexte


Cet article montre qu’au-delà des connaissances véhicu-
lées et intégrées sur les aspects nocifs du tabagisme pendant
la grossesse, c’est bien plus l’identité sociale et ses fonde-
ments qui vont déterminer la perception du risque et, de là, le
comportement tabagique, mais aussi, la représentation sociale
dominante du tabagisme pendant la grossesse. L’influence du
milieu, particulièrement celle du partenaire et de la famille
immédiate, ressort fortement de l’analyse et devrait constituer
une piste dans l’élaboration des messages et des programmes
destinés aux femmes enceintes. Cette étude montre également

130 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 627

Tabagisme et grossesse

les défis multiples que rencontrent les mères fumeuses, parti-


culièrement celles qui viennent de milieux défavorisés.

Le risque appréhendé et l’expérience


La notion de risque est un élément important qui ressort
des entrevues. Le message de prévention véhiculé par les
intervenantes et les intervenants ainsi que par les médias
s’appuie sur le risque scientifique qui est d’abord un concept
statistique. Il fait appel à une probabilité (par exemple : fumer
pendant la grossesse augmente le risque de retard de crois-
sance utérine). À l’opposé, le risque perçu se construit en
tenant compte d’un éventail beaucoup plus large d’éléments.
Ainsi, toutes les femmes de notre étude, comme c’était le
cas dans les études que nous avons consultées, étaient infor-
mées des risques inhérents à l’usage du tabac pendant la
grossesse, mais leur compréhension de ce risque – et sur-
tout la valeur associée qu’elles lui attribuent – peut varier
considérablement en fonction de leur expérience et de leur
environnement. Elles développent une conscience du risque
selon les connaissances qu’elles ont acquises dans le passé
à travers des expériences et des milieux divers. À travers
également les messages plus récents qu’elles reçoivent dans
le contexte d’encadrement professionnel de la grossesse qui
peut être aussi varié selon les milieux. Il ressort des propos
des femmes que nous avons rencontrées que leur perception
diffère largement selon leur situation socioéconomique. Ces
résultats à cet égard rejoignent ceux des études américaines
qui suggèrent que, chez les femmes de milieux défavorisés,
les avis des autres femmes de leur entourage sont plus valo-
risés que ceux des professionnels de la santé – ces derniers
étant perçus comme irréalistes ou basés uniquement sur des
écrits (Dunn, 2004).

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 131


628 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

Par ailleurs, elles sont confrontées à la multiplication des


conseils donnés aux femmes sur ce qu’elles doivent éviter
pendant la grossesse. Cette surenchère associe un risque à de
nombreux comportements – ou habitudes de vie – jusqu’ici
considérés sans impact sur la grossesse et l’enfant à naître, ce
qui est perçu et vécu comme une suite d’interdits sans hiérar-
chie dans la présentation de leurs conséquences. La plupart des
femmes rencontrées ont tenté de nous expliquer leur vision de
cette hiérarchisation des risques : sauf exception, celle-ci se
fondait bien plus sur leurs propres comportements et sur ceux
de leur entourage que sur des bases cognitives et scientifiques.
Par exemple, la consommation d’alcool est régulièrement mise
en balance avec celle du tabac. C’est dans ce contexte que le
statut du porteur du message prend alors une signification.
Il est intéressant de revoir cette question des interdits à la
lumière de l’expérience actuelle de la grossesse, qui est pas-
sablement différente des contextes traditionnels : d’un côté, la
somme des connaissances mises à la disposition des mères ainsi
que le cumul des tests du suivi médical agissent à la fois comme
un soutien et une source de stress, le discours des participantes
est sans équivoque à cet effet. D’un autre côté, le contexte
d’autorité scientifique et médicale où se cumulent plusieurs
prescriptions qui prennent la forme d’interdits peut être très
déstabilisant. Ce dernier aspect a été mentionné par toutes les
mères rencontrées : elles nous ont longuement parlé des interdits
alimentaires entourant la grossesse, de l’importance de l’activité
physique, de l’interdiction de caféine, d’alcool et du tabac, etc.
L’impact du tabagisme sur le devenir de la grossesse et du fœtus
peut alors se perdre dans l’ensemble des prescriptions. Et pour
les fumeuses, il pourra être perçu comme un objet de contrôle
social. Chez celles qui continuent à fumer, il y a conflit entre la
norme sociale et le comportement – mais aussi avec les valeurs
du milieu d’appartenance.

132 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 629

Tabagisme et grossesse

La grossesse, un moment privilégié


À l’origine de cette recherche, nous nous sommes appuyées
sur la prémisse, largement citée dans la littérature scientifique,
que la grossesse constitue un moment privilégié dans l’adoption
de meilleures habitudes de vie, particulièrement l’abandon du
tabagisme. Nos résultats suggèrent de poursuivre sur cette lancée.
D’abord, la motivation à protéger l’enfant et à lui donner toutes
les chances possibles est toujours présente. Ensuite, nous avons
constaté que le message sur les méfaits du tabac est bien intégré.
Dans plusieurs familles, le message est partagé et les mères reçoi-
vent alors un soutien appréciable de l’entourage. Le souci de se
conformer à une image de « bonne mère » peut également inciter
plusieurs à adopter de meilleures habitudes de vie, mais cette moti-
vation normative et morale peut être remise en question compte
tenu des effets pervers de culpabilisation qu’elle comporte. Nous
constatons, en effet, que le contexte normatif qui entoure la gros-
sesse est souvent générateur de stress et peut réduire la confiance
en ses capacités, si un soutien approprié n’est pas offert. Le cumul
des prescriptions semble vécu comme une série de contraintes
et qui, en même temps, risque de diluer l’information et de faire
perdre de vue les priorités. Les mères qui vivent dans des envi-
ronnements de fumeurs se retrouvent souvent dans des situations
de conflits, autant sur le plan des valeurs ou des normes que de
situations très pratiques à gérer. Pour celles qui n’arrivent pas à
cesser de fumer ou à protéger le bébé contre le tabagisme ambiant,
il y a un risque plus grand de marginalisation. Elles seront portées
à minimiser l’information et à se tourner vers un environnement
qui partage leurs valeurs et leurs habitudes tabagiques.
En bref, la grossesse demeure un moment privilégié parce
que les mères sont réceptives aux messages et disposées à
poser des gestes concrets, mais plusieurs éléments rattachés
au contexte même de la grossesse rendent ce momentum plus
fragile. Et le poids est encore trop souvent mis sur la respon-
sabilité des mères.

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 133


630 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

Limites de la recherche
Avant d’aborder ces points, il importe d’identifier certaines
limites qui risquent de réduire la portée de nos observations, sans
toutefois les infirmer. D’abord, le petit nombre de cas observés
ne permet pas de conclure à l’exhaustivité des situations exis-
tantes. Dès le départ, nous ne visions pas la représentativité
statistique pour l’ensemble des femmes enceintes ; nous voulions
plutôt arriver à une représentativité exemplaire qui prendrait en
compte les différentes situations socioéconomiques. Et les résul-
tats ont fait la démonstration de l’intérêt de cette démarche4. Par
ailleurs, la similarité de nos résultats avec ceux observés dans
d’autres études menées dans d’autres pays nous permet d’en
assurer la fiabilité. Également, comme il s’agit d’un domaine
largement influencé par la norme sociale – et par conséquent
sujet au déni – nous pensons qu’un certain nombre de mères
interrogées pourraient avoir tenté de diminuer l’importance de
leur consommation de tabac depuis l’annonce de la grossesse.
Les commentaires des intervenant-es rencontrés lors des focus
groups ont confirmé ces impressions et nous en avons tenu
compte dans l’interprétation des résultats.

V – Implications pour la prévention


La mise en lumière de l’importance de l’identité et de l’en-
vironnement social dans les perceptions du tabagisme chez les
femmes enceintes suggère une plus grande prise en compte des
réseaux sociaux dans l’élaboration et la diffusion des messages
à cet effet. Ceci implique une amélioration et une harmonisa-
tion des messages en faisant appel aux personnes concernées ;
c’est-à-dire en intégrant les mères elles-mêmes, leur entourage
et les professionnels impliqués.

4 Les résultats portant sur la consommation d’alcool font également état de différences
marquées à ce niveau.

134 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 631

Tabagisme et grossesse

Une attention particulière devra être portée à l’intégration


des divers messages sur les comportements préventifs destinés
aux femmes enceintes afin d’éviter que la multiplication des
prescriptions et des interdits pendant la grossesse ne résulte
en une banalisation des comportements à risque. De même,
il convient d’adopter une approche qui considère le rôle du
milieu. Ce faisant, l’information sera élaborée de façon à prendre
compte les particularités associées à l’appartenance des femmes
à des groupes sociaux dont le degré de favorisation varie et à
reconnaître que leurs expériences sont modulées par les situa-
tions socioéconomiques dans lesquelles elles évoluent.
Si le moment de la grossesse constitue un moment privilégié
pour l’acquisition de meilleures habitudes de vie, il comporte,
nous l’avons démontré, son lot de difficultés et d’interdits qui
sont autant de sources de stress pour les futures mères. C’est
pourquoi il semble pertinent d’informer les jeunes femmes sur
les effets néfastes du tabac pour elles et leurs enfants avant
qu’elles ne deviennent enceintes ; bref, agir précocement en
tentant de prévenir le tabagisme chez les adolescents et aider
les jeunes fumeuses à abandonner le tabac.
Le fait que plusieurs femmes enceintes fumeuses vont mini-
miser, voire carrément occulter, leur consommation tabagique
de crainte d’être jugées pourra inciter les professionnels de la
santé qui travaillent en maternité à adopter une attitude attentive
et empathique. Une plus grande attention pourra être portée
aux femmes de milieux défavorisés qui font face à des condi-
tions de vie difficiles rendant l’abandon du tabac plus ardu. Il
importe également que les professionnels puissent discuter de
l’importance relative des diverses recommandations entourant
la grossesse avec leurs patientes fumeuses.

Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007 135


632 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Tabac et tabagisme

Enfin, la recherche devra se poursuivre vers une meilleure


compréhension de la construction sociale du risque du tabagisme
chez les femmes enceintes, et ce, dans le contexte de l’ensemble
des habitudes de vie et des comportements préventifs recom-
mandés aux femmes enceintes.

136 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Recueil de textes 633

Tabagisme et grossesse

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142 Drogues, santé et société, vol. 6 no 1, juin 2007


Kairouz, S., A. Montreuil, I. Poulin, Y. Payette, et al.
(2007)
« Connaissance, utilisation et perception des interventions en arrêt tabagique chez
les fumeurs québécois »
Institut National de Santé Publique du Québec.
Recueil de textes 641

Connaissance, utilisation et
perception des interventions en arrêt
tabagique chez les fumeurs québécois
Résumé
Sylvia Kairouz, Annie Montreuil, Isabelle Poulin, Yves Payette, Denis
Hamel et Michèle Tremblay Institut national de santé publique du Québec

INTRODUCTION

Depuis plus de cinq ans, le ministère de la santé supporte la mise en œuvre du


Plan québécois d’abandon du tabagisme (PQAT), qui vise à promouvoir et
soutenir l’abandon de l’usage du tabac chez les fumeurs. Ainsi, en octobre
2000, les timbres et les gommes de nicotine de même que le bupropion étaient
ajoutés à la liste des médicaments couverts par le régime public et les régimes
privés d’assurance médicaments du Québec. Puis, à partir de 2002, des
services gratuits ont été graduellement implantés à l’ensemble du Québec : la
ligne téléphonique j’Arrête, le site Internet j’Arrête et plus de 130 centres
d’abandon du tabagisme. Enfin, depuis 2004, les professionnels de la santé sont
conviés à s’impliquer plus activement auprès de leur clientèle fumeuse. Des
formations, des outils d’aide à la pratique ainsi que des orientations cliniques
ont été développés spécifiquement pour les aider dans leur rôle.

Ce feuillet présente les principaux résultats d’une étude menée au printemps


2006 auprès des fumeurs et anciens fumeurs récents du Québec. Celle-ci visait
à documenter la connaissance, l’utilisation et la perception d’utilité des aides
pharmacologiques et des services en arrêt tabagique offerts dans le cadre du
PQAT. Elle visait également à documenter les pratiques de counseling en
abandon du tabac des professionnels de la santé, telles que rapportées par les
fumeurs qui les avaient consultés.
642 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

MÉTHODOLOGIE Les répondants qui ont consulté un professionnel de la


santé au cours des 12 mois précédant le sondage ont
été interrogés sur les pratiques de celui-ci en matière
Un sondage a été mené auprès d’un échantillon de counseling en abandon du tabac.
représentatif de fumeurs et d’anciens fumeurs récents
(ayant cessé de fumer au cours des deux années RÉSULTATS
précédant le sondage), âgés de 18 ans et plus, au
Québec (excluant les réserves indiennes, le Nunavik
et les Terres-Cries-de-la-Baie-James). La sélection de  Les aides pharmacologiques à l’arrêt
l’échantillon a été faite selon un plan d’échantil- tabagique
lonnage stratifié proportionnel à deux niveaux : Les fumeurs québécois connaissent très bien les timbres et les
1) sélection aléatoire des ménages dans trois strates (la gommes de nicotine.
région métropolitaine de Montréal, les autres régions
Pratiquement tous les fumeurs et anciens fumeurs
métropolitaines de recensement au Québec, et les
récents au Québec ont déjà entendu parler des
autres régions), pour un taux de réponse de 74,5%;
timbres et des gommes de nicotine (figure 1). Près de
2) sélection aléatoire d’un fumeur ou d’un ancien
6 fumeurs sur 10 connaissent le bupropion.
fumeur récent dans le ménage. Les données ont été
recueillies par entrevues téléphoniques entre le 9 et le Les timbres et les gommes de nicotine
30 mai 2006. L’échantillon final est composé de
Les timbres de nicotine (commercialisés sous le nom
2 736 fumeurs et anciens fumeurs récents.
de HabitrolMD ou NicodermMD) et les gommes de
Les données ont été pondérées en tenant compte du nicotine (NicoretteMD) apportent, sous une autre
poids de sélection et du taux de non-réponse des forme que le tabac, la nicotine dont le fumeur
ménages et des individus, et poststratifiées selon l’âge dépendant a besoin lors du sevrage tabagique.
et le sexe. Il est ainsi possible de généraliser les L’utilisation de gommes ou de timbres de nicotine
résultats à l’ensemble de la population de fumeurs et augmenterait de 1,5 à 2,0 fois les taux de cessation,
d’anciens fumeurs récents du Québec. comparé à une démarche sans médicaments (Fiore et
al., 2000; Silagy et al., 2004; Woolacott & al., 2002).
Les répondants ont été interrogés sur leur Les timbres et les gommes de nicotine sont en vente
connaissance des aides pharmacologiques et des libre au Québec et peuvent être obtenus sur
services en arrêt tabagique et leur utilisation de ces prescription pour être remboursés par les régimes
ressources au cours des deux dernières années. Les d’assurance médicaments.
personnes qui ont eu recours aux ressources ont été,
pour leur part, questionnées sur leur perception de
l’utilité de celles-ci.

vbd
2 I n s t i t u t n at i o n al de s an t é pu bl i qu e du Q u é be c
Recueil de textes 643

F I GUR E 1
Connaissance et utilisation des aides pharmacologiques et des services d’aide à l’arrêt tabagique par les fumeurs
et anciens fumeurs récents âgés de 18 ans et plus, Québec, 2006

99,3 96,5

100 78,6

59,2 62,0
80
50,8
Proportion (%)

60

40

20 30,3
23,9 Connaissance
10,9 5,2 2,7 4,0 Utilisation
0
Timbres de Gommes de Bupropion Ligne j'Arrête Site Internet Centres
nicotine nicotine d'abandon du
tabagisme

Le bupropion connaître ces médicaments pour arrêter de fumer


(figure 2). Les personnes qui connaissent le bupropion
Le chlorhydrate de bupropion commercialisé au
rapportent en avoir entendu parler surtout par les
Canada sous le nom de ZybanMD est un antidépresseur
membres de leur entourage et les professionnels de la
qui agit sur le système nerveux en diminuant les
santé.
besoins en nicotine des cellules cérébrales. Les études
évaluant l’efficacité du bupropion rapportent que Un fumeur sur trois a utilisé des timbres de nicotine au cours
l’utilisation de cette aide pharmacologique doublerait des deux années précédant le sondage
les chances de cesser de fumer (Fiore et al., 2000; Au Québec, 30 % des fumeurs et anciens fumeurs
Hughes et al., 2007; Woolacott & al., 2002). Le récents rapportent avoir utilisé des timbres de
bupropion peut être obtenu uniquement sur nicotine pour cesser de fumer au cours des deux
prescription médicale. années précédant le sondage (figure 1), ce qui
représenterait environ 450 000 personnes.
Ils en ont entendu parler surtout par la télévision, leur
entourage et les présentoirs en pharmacie Au cours de la même période, une personne sur dix
Les timbres et les gommes de nicotine sont connus (ou 160 000 personnes) a essayé les gommes de
surtout grâce à la publicité faite à la télévision. Les nicotine et cinq pour cent des fumeurs et anciens
membres de l’entourage, les présentoirs en fumeurs récents qui connaissent le bupropion
pharmacie, les dépliants, affiches ou kiosques, et les rapportent l’avoir utilisé, soit environ
professionnels de la santé contribuent aussi à faire 46 000 personnes.

Institut national de santé publique du Québec


vbd 3
644 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Les timbres de nicotine sont jugés très utiles par les partagés quant à l’utilité des gommes de nicotine. Par
utilisateurs ailleurs, 80 % des utilisateurs de bupropion avaient
Les personnes qui ont arrêté de fumer au moins une trouvé cette aide très utile.
semaine suite à l’utilisation d’une aide pharma-
cologique ont été interrogées sur l’utilité de celle-ci.
Plus de 65 % des utilisateurs de timbres de nicotine
jugeaient que cette aide avait été très utile dans leur
démarche de cessation (figure 3). Les avis étaient

F I GUR E 2
Principaux moyens de connaissance des aides pharmacologiques chez les fumeurs et anciens fumeurs récents de
18 ans et plus, Québec, 2006

Télévision
Entourage
Présentoirs en pharmacie*
Dépliant, affiche ou kiosque
100 87,3 Professionnels de la santé
85,9

73,3 73,8
80 68,4
66,0 62,6

52,6
Proportion (%)

60 47,5 49,5

38,5
33,1
40
23,4 25,0

20

0
Timbres de nicotine Gommes de nicotine Bupropion

* s'applique seulement aux timbres de nicotine et aux gommes de nicotine


Note: Les répondants pouvaient rapporter plus d'un moyen de connaissance.

vbd
4 In st i t u t n at i o n al d e san t é p u b l i q u e d u Q u é b e c
Recueil de textes 645

 La mesure de remboursement des aides Les études qui ont mesuré l’impact de la couverture
pharmacologiques à l’arrêt tabagique
des aides pharmacologiques sur les tentatives de
Les fumeurs québécois savent que les timbres de nicotine et le cessation tabagique montrent pour la plupart un effet
bupropion sont couverts par l’assurance médicaments positif sur le taux d’utilisation des aides, le taux de
La majorité des fumeurs et anciens fumeurs récents cessation et le taux d’abstinence (Kaper et al., 2005;
était au courant que les timbres de nicotine (82 %) et pour une recension d'écrits, voir Leaune et al., 2006).
le bupropion (65 %) peuvent être remboursés Pour pouvoir bénéficier de cette couverture, les
lorsqu’obtenus par prescription. Par contre, le utilisateurs doivent obtenir une prescription d’un
sondage a révélé que moins de la moitié des fumeurs médecin ou d’un professionnel de la santé habilité à
au Québec savaient que les gommes de nicotine prescrire. Depuis 2006, dans certaines régions du
bénéficient des mêmes avantages (41 %). Québec, les fumeurs peuvent obtenir une prescription
pour des timbres ou des gommes de nicotine de la
La couverture des aides pharmacologiques à part d’un intervenant en centre d’abandon du
l’arrêt tabagique tabagisme. Annuellement depuis 2000, 14 % des
fumeurs au Québec inscrits au régime public
En octobre 2000, le ministère de la Santé et des
d’assurance médicaments du Québec bénéficient du
Services sociaux du Québec (MSSS) décidait d’ajouter
remboursement d’au moins une aide pharmacologique
les timbres de nicotine, les gommes de nicotine et le
(Tremblay et al., 2007).
bupropion à la liste des médicaments couverts par le
régime général d’assurance médicaments.

F I GUR E 3
Perception d’utilité des aides pharmacologiques selon les utilisateurs qui ont arrêté de fumer pendant au moins
une semaine suite à l’utilisation, Québec, 2006

Peu ou pas du tout utile Moyennement utile Énormément ou très utile

11%
E
25%

23% E
47%

66% E
28% 80%

Timbres de nicotine Gommes de nicotine Bupropion


Note : Certaines sections des figures ne présentent pas de pourcentage car la variabilité échantillonnale très élevée de certaines données nous
empêche de les publier.
E
: variabilité échantillonnale élevée, interpréter avec prudence

Insti tut n a t io n a l de sa n t é pu bliqu e du Qu ébec


vbd 5
646 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Les utilisateurs de timbres se prévalent du remboursement Plus de 80 % des utilisateurs d’aide à l’arrêt tabagique
Selon les répondants au sondage, une majorité qui avaient obtenu une prescription rapportent avoir
d’utilisateurs de timbres de nicotine avait obtenu une été remboursés par un régime d’assurance
prescription pour cette aide (76 %), ce qui leur médicaments. La majorité des personnes remboursées
donnait la possibilité de se prévaloir de la mesure de l’étaient par un régime privé plutôt que par le régime
remboursement. Cette pratique était moins fréquente public, dans une proportion d’environ 60 %-40 %.
dans le cas des gommes puisque seulement 13 % des
Le remboursement des aides pharmacologiques à l’arrêt
utilisateurs avaient obtenu une prescription pour cette
tabagique encourage les fumeurs à essayer ce moyen pour
aide. Le bupropion est disponible uniquement sur cesser
prescription.
Entre 60 % et 75 % des utilisateurs qui ont obtenu un
remboursement jugent que cette mesure les a
encouragés à essayer les aides pharmacologiques à
l’arrêt tabagique.

F I GUR E 4
Principaux moyens de connaissance des services chez les fumeurs et anciens fumeurs récents de 18 ans et plus,
Québec, 2006

Télévision
Dépliant, affiche ou kiosque
Journal
100 Radio
86,1
Entourage
80,7

80 69,9

60,9
57,1
60 51,1
Proportion (%)

42,4
38,2 37,3
36,0 36,0 33,7 33,7
40 30,3 30,3

20

0
Ligne j'Arrête Site Internet Centres d'abandon du tabagisme

Note: Les répondants pouvaient rapporter plus d'un moyen de connaissance

vbd
6 I ns ti tut na ti ona l de s a nté publ i que du Québec
Recueil de textes 647

 Les services d’aide à l’arrêt tabagique Le site Internet j’Arrête


Les fumeurs québécois connaissent bien ces services Ce site Internet a été développé en même temps que
la ligne j’Arrête par les deux mêmes organismes, soit
Près de 80 % des fumeurs et anciens fumeurs récents
au Québec ont déjà entendu parler de la ligne j’Arrête le CQTS et la SCC. Ce service propose une approche
et plus de 60 % connaissent le site Internet j’Arrête interactive adaptée à chaque internaute et lui permet
(figure 1). La moitié des fumeurs et anciens fumeurs de poursuivre sa démarche à son rythme au cours de
récents au Québec connait les centres d’abandon du plusieurs visites. Deux interfaces sont offertes afin de
tabagisme. répondre aux préoccupations différentes des
adolescents et des adultes. Le service est disponible
La ligne téléphonique j’Arrête 24 heures sur 24 et a l’avantage d’assurer aux
utilisateurs une certaine confidentialité sans être
Depuis 2002, cette ligne sans frais offre le soutien impersonnel. Ce type d’intervention permet de
d’agents formés spécialement en arrêt tabagique. rejoindre un grand nombre de personnes à faible coût.
Ceux-ci interviennent auprès des fumeurs selon un Il est difficile actuellement d’évaluer quelles
protocole qui repose sur les étapes de changement du personnes sont rejointes par ce service et quelle est
comportement (Prochaska & DiClemente, 1983). La l’efficacité de ce type de service (Etter, 2006).
ligne téléphonique j’Arrête a été mise en place par le
Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) et la Le site Internet est le service le plus utilisé
Société canadienne du cancer (SCC). Les lignes
Le site Internet a été consulté par près d’un fumeur
téléphoniques d’aide aux fumeurs permettent d’offrir
sur quatre qui connaissait ce service, ce qui représente
de l’information sur l’arrêt tabagique et du soutien à
un peu plus de 100 000 personnes par année. La ligne
la cessation rapidement et à l’ensemble de la
j’Arrête et les centres d’abandon du tabagisme ont été
population, peu importe l’étendue du territoire
utilisés par moins de 5 % des fumeurs et anciens
géographique (Ossip-Klein & McIntosh, 2003;
fumeurs récents au cours des deux années précédant
Borland & Segan, 2006). Des études en Amérique du
le sondage (figure 1). Ainsi, chaque service serait
Nord, en Angleterre et en Australie indiquent que les
fréquenté par environ 15 000 personnes par année.
« quitlines » permettent de rejoindre entre 1 % et
Les taux d’utilisation de la ligne j’Arrête et des
6 % des fumeurs adultes (Borland & Segan, 2006;
centres d’abandon du tabagisme sont similaires à ceux
Miller et al., 2003; Ossip-Klein & McIntosh, 2003;
qu’on retrouve ailleurs pour le même genre de
Swartz et al., 2005).
services (Borland & Segan, 2006; Zhu et al., 2000;
Ils en ont entendu parler surtout par la télévision et les Miller et al., 2003; Ossip-Klein & McIntosh, 2003;
dépliants, affiches ou kiosques Swartz et al., 2005).
Les fumeurs et anciens fumeurs récents rapportent
avoir entendu parler des trois services surtout grâce à
la télévision et à des dépliants, affiches ou kiosques
(figure 4).

I ns t i t ut n a ti o n a l d e s a n té p u b l i q u e d u Q u é b e c
vbd 7
648 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Les centres d’abandon du tabagisme Le site Internet a été jugé moyennement utile par la
moitié des utilisateurs alors que l’autre moitié était
Implantés graduellement à travers le Québec entre
partagée entre ceux qui avaient trouvé le site peu ou
2002 et 2004, les centres d’abandon du tabagisme
pas utile et ceux qui l’avaient trouvé très utile. La
offrent gratuitement un ensemble de services :
majorité des utilisateurs ont jugé les centres
rencontres individuelles ou en groupe avec un
d’abandon du tabagisme très utiles pour arrêter de
intervenant spécialisé en cessation tabagique,
fumer.
références à d’autres services d’aide, remise ou envoi
de matériel, suivis à 3, 6 et 12 mois, et dans certains  Les professionnels de la santé et le counseling
centres, remise de prescriptions d’aides pharmaco- en abandon du tabac
logiques et mesure du dosage de CO expiré. En 2005,
137 centres d’abandon du tabagisme offraient tous ou Trois personnes sur quatre ont consulté un médecin au cours
une partie de ces services. La grande majorité des de l’année
centres d’abandon du tabagisme sont situés dans un Certains types de professionnels de la santé, comme
centre de santé et de services sociaux (CSSS). Les les médecins et les pharmaciens, sont en contact avec
rencontres individuelles ou de groupe en cessation une proportion importante de fumeurs. Ainsi,
tabagique semblables à celles offertes dans les centres 75 % des fumeurs et anciens fumeurs récents avaient
d’abandon du tabagisme augmenteraient de façon consulté un médecin au cours de l’année précédant le
significative les chances d’arrêter de fumer sondage, 63 % avaient consulté un pharmacien,
comparativement à des interventions moins soutenues 58 % un dentiste, 48 % une hygiéniste dentaire,
ou à une démarche sans aide (Lancaster & Stead, 39 % une infirmière et 5 % un inhalothérapeute.
2006; Stead & Lancaster, 2006).
Huit personnes interrogées sur dix croient que c’est le
Les utilisateurs sont satisfaits des services rôle du médecin d’offrir des conseils à ses patients
pour arrêter de fumer. Bien que peu de personnes
Les personnes ayant utilisé un de ces services et ayant
aient consulté un inhalothérapeute, la même
arrêté de fumer au moins une semaine suite à son
proportion (80 %) de fumeurs et d’anciens fumeurs
utilisation ont été interrogées sur leur perception de
croient que le counseling en abandon du tabac est le
son utilité pour arrêter de fumer. Les avis des
rôle de ce professionnel. Environ six personnes sur
utilisateurs de la ligne j’Arrête étaient partagés quant à
dix croient que c’est le rôle du pharmacien et de
son utilité. Le sondage ne permet pas d’obtenir une
l’infirmière et une personne sur deux croit que c’est
estimation fiable de l’utilité de ce service étant donné
le rôle du dentiste et de l’hygiéniste dentaire.
le faible nombre de personnes ayant utilisé ce service
pour cesser de fumer parmi l’échantillon (figure 5).

vbd
8 I nsti tut na ti ona l d e sa nté p ub l i q ue d u Q ué b e c
Recueil de textes 649

F I GUR E 5
Perception de l’utilité des services selon les utilisateurs qui ont arrêté de fumer pendant au moins une semaine
suite à l’utilisation, Québec, 2006

Peu ou pas du tout utile Moyennement utile Énormément


% ou très utile

E E
25% 26%
E
39%
E E
50% 25%
64%

49%

Ligne j’Arrête Site Internet j’Arrête Centres d’abandon du tabagisme


Note : Certaines sections des figures ne présentent pas de pourcentage car la variabilité échantillonnale très élevée de certaines données nous
empêche de les publier.
E
: variabilité échantillonnale élevée, interpréter avec prudence

Quatre-vingts pour cent des médecins s’informent du statut d’aide pharmacologique du médecin, principalement
tabagique de leurs patients des timbres de nicotine. Moins de 20 % ont entendu
Selon l’expérience rapportée par les fumeurs et parler des services d’aide à l’arrêt tabagique par leur
anciens fumeurs récents qui avaient consulté un médecin. Il faut toutefois préciser qu’en 2005,
professionnel de la santé au cours de l’année, près de 65 % des médecins connaissaient la ligne j’Arrête,
80 % des médecins, 50 % des dentistes et 15 % des 56 % le site Internet et 43 % les CAT
pharmaciens s’étaient informé du statut tabagique de (communication personnelle, INSPQ, 2006).
leurs patients. Comparativement aux pharmaciens et
aux dentistes, les médecins s’informaient plus souvent EN CONCLUSION
de l’intention du patient d’arrêter de fumer,
discutaient plus souvent du tabagisme avec leurs
patients, et conseillaient plus souvent d’arrêter de Cette étude permet de conclure que les fumeurs
fumer. québécois connaissent bien les ressources disponibles
pour cesser de fumer. Les timbres de nicotine et le
La moitié des patients qui se préparaient à cesser de fumer site Internet j’Arrête sont les ressources les plus
ont reçu une prescription d’aides pharmacologiques de leur utilisées par les fumeurs et anciens fumeurs récents au
médecin Québec : au moment du sondage, près d’une
Parmi les patients fumeurs qui se préparaient à arrêter personne sur trois avait déjà eu recours aux timbres de
de fumer au cours du mois suivant leur consultation, nicotine et près d’une sur quatre au site Internet.
la moitié rapporte avoir obtenu une prescription

I ns t i t ut n a ti o n a l d e s a n té p u b l i q u e d u Q u é b e c
vbd 9
650 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

Les gommes de nicotine, le bupropion, les centres ordonnances collectives. D’après les utilisateurs, les
d’abandon du tabagisme et la ligne j’Arrête ont été ressources en place semblent bien soutenir les
utilisés par un fumeur sur dix ou moins qui fumeurs qui y ont recours dans leur démarche de
connaissaient ces services. Malgré ces proportions, il cessation.
serait prématuré de conclure à une sous-utilisation de
ces ressources. En effet, les taux d’utilisation des POUR EN SAVOIR PLUS
services à l’arrêt tabagique et des aides
pharmacologiques observés dans cette étude sont
Kairouz, S., Montreuil, A., Poulin, I., Payette, Y.,
semblables aux proportions retrouvées ailleurs au
Hamel, D., & Tremblay, M. (2007). Connaissance,
Canada et dans le monde (Borland & Segan, 2006; utilisation et perception des interventions en arrêt
Miller et al., 2003; Ossip-Klein & McIntosh, 2003; tabagique chez les fumeurs québécois. Montréal,
Statistique Canada, 2005; Swartz et al., 2005; Zhu et Québec, Canada : Institut national de santé
al.,2000). publique du Québec.

Au cours de l’année précédant le sondage, une


majorité de fumeurs et d’anciens fumeurs récents ont RÉFÉRENCES
consulté un professionnel de la santé tel un médecin,
un pharmacien ou un dentiste, et ils croient que c’est Borland, R. & Segan, C. J. (2006). The potential of
le rôle de ceux-ci de donner des conseils à leurs quitlines to increase smoking cessation. Drug and
patients pour arrêter de fumer. Les médecins étaient Alcohol Review, 25, 73-78.
les professionnels qui s’informaient le plus du statut
Etter, J.-F. (2006). The internet and the industrial
tabagique et de l’intention de cesser de fumer du revolution in smoking cessation counselling. Drug
patient. Ils discutaient en plus grande proportion du and Alcohol Review, 25, 79-84.
tabagisme avec leurs patients et leur conseillaient
davantage d’arrêter de fumer. Fiore, M. C., Bailey, W. C., Cohen, S. J., & al.
(2000). Treating tobacco use and dependence: Clinical
Les utilisateurs des ressources en arrêt tabagique sont practice guideline. Rockville, MD: US Department
particulièrement satisfaits des timbres de nicotine, des of Health and Human Services, Public Health
centres d’abandon du tabagisme et de la couverture Services.
des aides à l’arrêt tabagique par l’assurance
Hughes, J. R., Stead, L. F., & Lancaster, T. (2007).
médicaments. Les timbres de nicotine représentent
Antidepressants for smoking cessation. Cochrane
une ressource intéressante car ils sont souvent
Database of Systematic Reviews.
recommandés et prescrits par les médecins. De plus,
ils sont financièrement accessibles grâce aux mesures Kaper, J., Wagena, E. J., Willemsen, M. C., & van
de remboursement des régimes d’assurance Schayck, C. P. (2005). Reimbursement for
médicaments et ils seront bientôt disponibles dans smoking cessation treatment may double the
plusieurs régions du Québec par l’entremise des abstinence rate : results of a randomized trial.
centres d’abandon du tabagisme grâce aux Addiction, 100, 1012-1020.

vbd
10 I nst i t ut nat i onal de sant é pub l i q ue du Q ué b e c
Recueil de textes 651

Lancaster, T. & Stead, L. F. (2006). Individual Statistique Canada (2005). Enquête de surveillance de
behavioural counselling for smoking cessation l'usage du tabac au Canada (section sur les foyers).
(Review). The Cochrane Collaboration.
Stead, L. F. & Lancaster, T. (2006). Group behaviour
Leaune, V., de Grosbois, S., & Guyon, L. (2006). therapy programmes for smoking cessation.
Programme québécois de remboursement des aides Cochrane Database of Systematic Reviews.
pharmacologiques à l'arrêt tabagique. Phase 1 :
Recension des écrits scientifiques sur l'efficacité et Swartz, S. H., Cowan, T. M., Klayman, J. E.,
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telephone Quitline service in the context of a mass tabagique au Québec (Phase II) : Utilisation par les
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I ns ti t ut n a t io n a l d e s a n t é p u b liq u e d u Q u é b ec
vbd 11
652 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

CONNAISSANCE, UTILISATION ET Ce document est disponible intégralement en format électronique (PDF) sur le site Web de
PERCEPTION DES INTERVENTIONS EN ARRET l’Institut national de santé publique du Québec au : http://www.inspq.qc.ca.
TABAGIQUE CHEZ LES FUMEURS Les reproductions à des fins d’étude privée ou de recherche sont autorisées en vertu de
QUEBECOIS (RESUME) l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur. Toute autre utilisation doit faire l’objet d’une
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Mise en page :
droit.auteur@cspq.gouv.qc.ca.
Sylvie Muller, Danielle Gagnon
Institut national de santé publique du Québec Les données contenues dans le document peuvent être citées, à condition d’en mentionner
la source.

e
Dépôt légal – 4 trimestre 2007
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
ISBN : 978-2-550-51594-4 (version imprimée)
ISBN : 978-2-550-51595-1 (PDF)

©Gouvernement du Québec (2007)


Khazaal, Y., J. Cornuz, et D. Zullino
(2004)
« Les troubles anxieux sont-ils associés à un tabagisme particulier? Stress-anxiété
et tabagisme »
Santé mentale au Québec, no 29, p. 73-80.
Santé mentale 29_1 16/08/04 11:03 Page 73
Recueil de textes 655

Santé mentale au Québec, 2004, XXIX, 1, 73-80 73

Les troubles anxieux sont-ils associés


à un tabagisme particulier ?
Stress-anxiété et tabagisme

Yasser Khazaal*
Jacques Cornuz **
Daniele Zullino***

Cet article explore les relations entre les troubles anxieux et le tabagisme. Des explications
possibles à ces relations sont présentées. La nicotine module probablement des structures
cérébrales impliquées dans la réponse au stress et à l’anxiété, modifiant ainsi les niveaux
d’anxiété perçus. Les troubles anxieux ne semblent pas associés à un tabagisme particulier,
mais on retrouve une plus grande fréquence des conduites tabagiques chez ces patients et une
participation du comportement tabagique dans les modalités de coping du fumeur anxieux.
La compréhension des mécanismes neurobiologiques et comportementaux sous-tendant les
relations entre tabagisme et troubles anxieux pourrait améliorer les compétences du médecin
dans l’assistance au fumeur dans son effort de désaccoutumance tabagique.

L e tabagisme est à la fois l’addiction la plus fréquente et la première


cause évitable de morbidité et mortalité. Si le problème du taba-
gisme est sérieusement considéré en général, on ne commence à s’in-
téresser au phénomène que récemment, et ceci malgré la forte préva-
lence du tabagisme chez les patients psychiatriques.
Les rapports entre tabagisme et troubles anxieux sont particulière-
ment intéressants à explorer, d’autant plus que d’une part des sensations
de relaxation sont rapportés par les fumeurs et que d’autre part la nico-
tine est connue pour avoir des effets stimulants et parfois même anx-
iogènes. Par ailleurs, des phénomènes anxieux font partie des critères du
syndrome de sevrage à la nicotine, selon le DSM IV, soulignant encore
l’impact du tabac sur la neurobiologie de l’anxiété. Il est donc pertinent
d’explorer les liens possibles entre stress, anxiété et tabagisme, non
seulement pour élaborer des stratégies de traitement et de prévention

* Département universitaire de psychiatrie adulte, Hôpital de Cery, Lausanne.


** Département de médecine, Unité de prévention, Centre hospitalier universitaire Vaudois,
Lausanne.
*** Département Universitaire de psychiatrie adulte, Hôpital de Cery, Lausanne.
Santé mentale 29_1 16/08/04 11:03 Page 74
656 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

74 Santé mentale au Québec

spécifiques au tabagisme, mais aussi pour comprendre mieux certains


aspects de la neurobiologie de l’anxiété.

Comorbidité tabagisme et troubles anxieux


De façon générale, on retrouve environ deux fois plus de dépen-
dance tabagique chez les individus souffrant de troubles anxieux que
dans la population générale. Le tabagisme est d’autant plus associé aux
troubles anxieux qu’il y a dépendance à la nicotine. Une association si-
gnificative est notamment retrouvée entre le tabagisme et le trouble
panique, l’agoraphobie, la phobie sociale, l’anxiété généralisée et l’état
de stress post traumatique. Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC)
diffère des autres troubles anxieux par une comorbidité du tabagisme
plus faible que dans la population générale, et les patients TOC fumeurs
semblent avoir moins de traits de personnalité obsessionnelle – compul-
sive que les TOC non fumeurs.
Les comorbidités constatées entre trouble anxieux et tabagisme
peuvent s’expliquer de trois manières différentes : (1) la maladie elle-
même peut amener les patients à fumer, à progresser vers une intensifi-
cation du tabagisme ou peut diminuer leur potentiel à arrêter de fumer ;
(2) fumer peut être un facteur de risque étiologique d’une maladie men-
tale donnée ; (3) des facteurs génétiques et environnementaux communs
pourraient prédisposer certains individus à développer une maladie
mentale et commencer à fumer.
Des études longitudinales ont tenté d’éclaircir ces questions en
tentant d’identifier des facteurs prédictifs d’une conduite tabagique ou
du développement d’un trouble anxieux. On a par exemple trouvé que
les adolescents et jeunes adultes ayant une anxiété sociale préexistante
sont à plus haut risque de développer par la suite une conduite tabagique
et une dépendance à la nicotine. L’anxiété est donc un facteur prédis-
posant au tabagisme. Cependant, en ce qui concerne le trouble panique,
des données prospectives montrent que le tabagisme à l’adolescence est
un fort facteur prédictif du développement ultérieur d’attaques de
panique et de trouble panique. Les patients paniqueurs fumeurs rappor-
tent plus de symptômes anxieux et ont un plus grand handicap social en
comparaison des paniqueurs non fumeurs.
Plusieurs hypothèses ont été avancées pouvant expliquer l’asso-
ciation entre trouble panique et tabagisme. La nicotine induit une libéra-
tion accrue d’adrénaline et de noradrénaline et une augmentation de la
fréquence cardiaque et de la tension artérielle. Ces signes pourraient être
impliqués dans la provocation d’attaques de panique. Des fluctuations
des taux de nicotine en lien avec l’élimination rapide de celle-ci (demi-
Santé mentale 29_1 16/08/04 11:03 Page 75
Recueil de textes 657

Les troubles anxieux sont-ils associés à un tabagisme particulier ? 75

vie : ~– 2 heures), pourraient s’accompagner de symptômes physio-


logiques de sevrage et ainsi provoquer des attaques de panique. La sen-
sibilité au CO2 a aussi été évoquée car parmi des patients souffrant de
trouble panique, les grands fumeurs se trouvent être les plus sensibles à
l’exposition au CO2, réagissant par des symptômes d’attaques de pa-
nique plus intenses.
De plus, le tabagisme entraîne des maladies ORL, pulmonaires et
cardiovasculaires, pouvant aggraver le trouble panique. Enfin, fait
intéressant, parmi les habitants de Manhattan, ceux ayant augmenté leur
tabagisme dans les 5 à 8 semaines après les attentats du 11 septembre
2001, ont été à plus haut risque de développer un état de stress post trau-
matique.

Anxiété et syndrome de sevrage à la nicotine


L’accroissement de l’anxiété fait partie des critères du syndrome
de sevrage tabagique selon le DSM IV. Celle-ci est d’habitude la plus
marquée au 2e jour, mais peut se manifester à tout autre moment du
sevrage. Le niveau d’anxiété semble aussi corrélé au degré de dépen-
dance du fumeur et il peut rapidement être diminué ou supprimé par une
substitution nicotinique. Il peut constituer un facteur important dans la
rechute tabagique.
Bien qu’il y ait une certaine corrélation entre les niveaux d’anxiété
chez le fumeur avant et durant le sevrage et que l’anxiété augmente
durant le sevrage, on constate généralement une diminution du niveau
de celle-ci en dessous du niveau avant sevrage dès la 2e à la 4e semaine
d’abstinence, se poursuivant sur 6 mois, et ceci même en absence de tout
soutien médicamenteux ou psychologique.
Ce phénomène a par exemple été rapporté de façon claire chez les
patients présentant un trouble panique ayant arrêté de fumer. La
diminution des symptômes anxieux chez ces patients semble être un
des facteurs importants du maintien de l’abstinence. Cette particularité
du trouble panique pourrait être en lien avec la diminution des apports
de CO2.
Le « Nesbitt paradox »
Un des phénomènes le plus souvent décrit et le plus intriguant du
tabagisme est le fait que la fumée puisse avoir des effets relaxants ou
stimulants, parfois même simultanément. Quand on demande aux
fumeurs leurs motivations à fumer, un grand nombre rapporte à la fois
fumer pour se relaxer et se stimuler, ce qui a pu être isolé par l’analyse
Santé mentale 29_1 16/08/04 11:03 Page 76
658 PSY 1405 - Psychologie et promotion de la santé

76 Santé mentale au Québec

factorielle de différentes échelles de motivation tabagique. Ce phéno-


mème a été appelé le Nesbitt paradox.
Au niveau neurobiologique on retrouve ce paradoxe. Ainsi comme
pour les réactions de stress, on observe une activation de l’axe hypo-
thalamo-hypophysaire pourtant associée à un sentiment subjectif de
relaxation.

Stress et tabac
Les corrélations complexes entre stimulation, relaxation et taba-
gisme ont conduit à de nombreuses études qui ont tenté de déterminer
les liens entre stress et tabac. Une augmentation du craving et de la con-
sommation de cigarettes a été retrouvée chez des fumeurs exposés à un
facteur de stress. Rappelons qu’on distingue deux types de stress.
Premièrement, le stress actif, où le sujet peut maîtriser la menace, lutter
ou fuir et, deuxièmement, le stress passif, où le sujet n’a pas ces possi-
bilités. Le premier s’accompagne d’une activation du système sympa-
thique médullosurrénalien (Noradrénaline, Adrénaline, Testostérone),
tandis que le second est associé à une activation du système hypophyso-
cortico surrénalien (ACTH, Corticostérone, Testostérone). La nicotine
stimule la production d’ACTH. Des applications répétées de nicotine
peuvent être associées à une augmentation du niveau de corticostérone
plasmatique qui diminuerait la sensibilité des récepteurs nicotiniques
participant peut-être à l’augmentation du tabagisme lors du stress.
Des études ont tenté de déterminer l’interaction entre le tabac et les
deux types de stress. En cas de stress actif, on a trouvé une addition des
effets du stress et du tabac sur la fréquence cardiaque et la tension
artérielle en particulier durant les 5 premières minutes après la prise de
cigarettes. Dans le cas de stress passif, le tabac semble masquer, voire
bloquer, les effets du stress sur l’élévation de la fréquence cardiaque et
diminuer le stress subjectif ainsi que l’effet vasoconstricteur
périphérique. On observe une diminution significative du stress subjec-
tif (mesuré à l’échelle visuelle analogique) après chaque cigarette et une
augmentation de celui-ci entre deux cigarettes (intervalle > 30 minutes).
D’autre part, la comparaison d’un groupe de non-fumeurs avec un
groupe de fumeurs et de fumeurs en abstinence forcée depuis la veille,
montre un niveau de stress plus élevé chez les fumeurs en début de
journée, avec une diminution du niveau de stress perçu en cours de
journée dans tous les groupes à l’exception de celui des fumeurs en
abstinence forcée.
Santé mentale 29_1 16/08/04 11:03 Page 77
Recueil de textes 659

Les troubles anxieux sont-ils associés à un tabagisme particulier ? 77

Hypothèses pharmacologiques
Les effets des conduites tabagiques sur la perception du stress et
les comorbidités constatées entre tabagisme et troubles anxieux ont con-
duit à explorer les liens entre la nicotine et les différents systèmes
biologiques impliqués dans l’anxiété. L’administration aiguë de nicotine
stimule les différents récepteurs nicotiniques et favorise la libération de
différents neurotransmetteurs, notamment l’acétylcholine, la noradré-
naline, la sérotonine, le GABA et le glutamate. Ces récepteurs sont de
différents types et ont différentes localisations, ce qui pourrait expliquer
la diversité et la complexité des effets de la nicotine. L’administration
chronique de nicotine augmente le nombre de récepteurs nicotiniques.
Ce phénomène est associé à une modification de la sensibilité des récep-
teurs impliquant indirectement les systèmes gabaergiques et gluta-
matergiques.
L’implication du système sérotoninergique dans les troubles
anxieux a conduit à explorer les liens entre nicotine et sérotonine. La
nicotine augmente la libération de sérotonine dans différentes aires
cérébrales malgré l’absence de récepteurs nicotiniques connus sur les
neurones sérotoninergiques. Par ailleurs, une partie des effets de la nico-
tine semblent médiée par le système sérotoninergique.
Les benzodiazépines et le système gabaergique ont un effet anxio-
lytique bien établi que des antagonistes nicotiniques ne bloquent pas
alors qu’un antagoniste benzodiazepinique bloque l’effet anxiolytique de
la nicotine. Ceci semble indiquer que l’effet « anxiolytic-like » du tabac
est médiatisé par le système benzodiazépinique et ce alors même que la
nicotine n’est pas un ligand pour les récepteurs aux benzodiazépines.
Par ailleurs, comme les benzodiazépines, la nicotine a un effet
myorelaxant, dont le mécanisme semble être une inhibition du motoneu-
rone du muscle strié squelettique.

Conclusion
Les études expérimentales concluent de manière variable à un effet
anxiogénique ou anxiolytique de la nicotine selon le modèle testé, le
mode et le lieu d’administration, et le contexte. L’effet de la fumée sur
le niveau de stress perçu est complexe, variant d’un fumeur à l’autre et
chez le même fumeur d’une situation à l’autre et au cours de l’évolution
de son tabagisme.
En dehors du phénomène clé de levée de sevrage par l’ajustement
des taux de nicotine, on peut supposer que la cigarette apporte chez le
fumeur une satisfaction immédiate en introduisant un geste et une action
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pharmacologique catalysant une tension dans un comportement taba-


gique ritualisé, associé à des notions de plaisir, de confiance et d’aug-
mentation de la concentration. La cigarette, comme toute autre modalité
de consommation du tabac, s’intègre ainsi dans les stratégies de coping
quotidien du fumeur.
Le succès de la cigarette par rapport aux autres formes de tabac est
probablement en lien avec une action quasi immédiate (~– 7 secondes),
plus renforçante et plus proche des modalités d’ajustement quotidien. Le
plus haut niveau de tension des fumeurs en début de journée et la
diminution de ce niveau dans les semaines et mois qui suivent le se-
vrage, poussent à s’interroger sur les effets anxiogènes du tabagisme qui
pourraient être liés aux micros sevrages quotidiens du fumeur et/ou aux
effets complexes du tabagisme sur les différents systèmes de neuro-
transmetteurs.
Le tabagisme ne semble par ailleurs pas être un traitement satis-
faisant des troubles anxieux sinon ne devrait-on pas retrouver moins de
troubles anxieux ou une moins grande gravité de ces troubles chez les
fumeurs ?
De manière générale les comorbidités constatées entre certains
troubles anxieux et le tabagisme ne trouvent pas une explication con-
sensuelle univoque. La cigarette pouvant être d’une part anxiogène
notamment par les sevrages répétés, d’autre part anxiolytique probable-
ment par le biais de son insertion dans le répertoire comportemental de
gestion du stress du fumeur. Une intégration de ces observations pour-
rait conduire à l’hypothèse d’interactions bidirectionnelles augmentant
à la fois le tabagisme et les symptômes anxieux. De manière plus spéci-
fique l’association entre tabagisme et trouble panique semble, à ce jour,
la plus clairement documentée dans le sens d’une induction ou du moins
d’une aggravation de ce trouble par le tabagisme probablement par des
mécanismes biologiques et physiologiques. La faible prévalence du
tabagisme chez les patients atteints de TOC offre un contraste qui méri-
terait une exploration plus spécifique.
Les troubles anxieux sont-ils donc associés à un tabagisme parti-
culier ? Au vu de ce qui précède, les troubles anxieux ne semblent pas
associés à un tabagisme particulier, en dehors d’une part de la plus
grande fréquence des conduites tabagiques chez ces patients et de la par-
ticipation du comportement tabagique dans les modalités de coping du
fumeur anxieux. Celles-ci devront être recherchées lors des tentatives de
désaccoutumance au tabac chez ces patients afin d’en optimiser les
chances de succès.
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Recueil de textes 661

Les troubles anxieux sont-ils associés à un tabagisme particulier ? 79

ABSTRACT

Are anxiety disorders associated to a particular addiction


to smoking? Stress, anxiety and nicotine addiction
This paper describes the relationship between several types of anx-
iety disorders and tobacco use. Possible explanations of those relation-
ships are presented. Nicotine probably modulates the function of path-
ways involved in stress response and anxiety in the normal brain, which
results in alterations of anxiety levels. Anxiety disorders do not seem to
be related to a particular form of tobacco consumption. However, smok-
ing is more frequent in these patients and seems to be implicated in
some of their coping strategies. Understanding neurobiological and
behavioral mechanisms underlying the association between smoking
and anxiety disorders may improve physician’s ability to assist smokers
in their efforts to quit.
RESUMEN
¿Los trastornos de ansiedad están asociados a un tabaquismo en
particular? Ansiedad-estrés y tabaquismo
Este artículo explora las relaciones entre los trastornos de ansiedad
y el tabaquismo. Se presentan las posibles explicaciones a estas rela-
ciones. La nicotina modula probablemente las estructuras cerebrales
implicadas en la respuesta al estrés y la ansiedad, modificando así los
niveles de ansiedad percibidos. Los trastornos de ansiedad no parecen
estar asociados a un tabaquismo en particular, pero encontramos una
mayor frecuencia de conductas de tabaquismo en estos pacientes y la
participación del comportamiento del tabaquismo en las modalidades de
afrontamiento (coping) del fumador ansioso. La comprensión de los
mecanismos neurobiológicos y comportamentales que sirven de base a
las relaciones entre el tabaquismo y los trastornos de ansiedad podrían
mejorar la capacidad del médico para asistir al fumador en su esfuerzo
por dejar el tabaco.
RESUMO
Os transtornos de ansiedade estão associados a um tabagismo em
particular? Estresse-ansiedade e tabagismo
Este artigo explora as relações entre os transtornos de ansiedade e
o tabagismo, e apresenta explicações possíveis a estas relações. A nicoti-
na provavelmente modula estruturas cerebrais implicadas na resposta ao
estresse e à ansiedade modificando assim os níveis de ansiedade senti-
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dos. Os transtornos de ansiedade não demonstram estar associados a um


tipo de tabagismo em particular, mas encontra-se uma maior freqüência
de condutas tabagísticas nos pacientes e uma participação do comporta-
mento tabagístico nas modalidades de coping do fumante ansioso. A
compreensão dos mecanismos neurobiológicos e comportamentais, sub-
tendendo as relações entre o tabagismo e os transtornos de ansiedade,
poderiam melhorar a habilidade do médico na assistência ao fumante em
seu esforço para perder a dependência ao tabaco.

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