EPIDEMIOLOGIE ET PREVENTION DU TABAGISME
EN TUNISIE : SITUATION ACTUELLE ET PERSPECTIVE
R. FAKHFAKH*1 , M. HSAIRI1 , R. BELAAJ2,
H. BEN ROMDHANE1, N. ACHOUR1
1
Institut National de Santé Publique, 5-7 rue Khartoum Imm. Diplomate, 1002-Le Belvédère, Tunis.
2
Faculté de Médecine de Tunis. 9, avenue Zouheir Essafi, 1006, Tunis.
*
Auteur correspondant
RESUME
A partir de différentes sources de données et différentes
études, nous avons essayé de quantifier l'ampleur taba-
gique en Tunisie et sa tendance depuis les années 1970,
d’estimer ses conséquences en terme de mortalité, et de
discuter les différentes actions de lutte anti-tabac
menées jusqu’à lors : actions éducatives, mesures légis-
lative et réglementaire et politique de prix.
Les données sur les ventes de tabac ont été collectées
à partir du monopole du tabac en Tunisie. Les don-
nées de prévalence du tabac ont été recueillies à par-
tir des différentes enquêtes menées par diverses
institutions. La mortalité attribuable au tabac a été
estimée, en se basant sur la répartition des décès esti-
més par l'OMS , la prévalence tabagique et les risques
relatifs de décès calculés à partir d'enquêtes de cohorte
de suivi de fumeurs et de non fumeurs.
La consommation moyenne de tabac a augmenté de
4,96 g par adulte et par jour, en 1981, à prés de 6,3 g,
en 1993 ; mais depuis, on assiste à une légère baisse.
La prévalence du tabagisme a été de prés de 30%
pour les deux sexes confondus, dix fois plus impor-
tante (55%) chez les hommes que chez les femmes.
Chez les jeunes de 17 à 24 ans, la prévalence était de
29,2% en 1994, plus élevée chez les garçons (50%) que
chez les filles (3,9%).
La mortalité attribuable au tabac, en Tunisie, a été
estimée à 6430 décès en 1997, se répartissant en 5580
décès masculins et 850 décès féminins, soit prés de
22% des décès masculins et 4 % des décès féminins. Les
mesures de lutte anti-tabac ont été renforcées par la
promulgation d’une loi anti-tabac.
La prévalence actuelle chez les jeunes demeurant tou-
jours élevée, il est attendu que les conséquences du
tabagisme, en Tunisie, en terme de mortalité, seront
encore plus lourdes dans les deux prochaines décen-
nies, si des actions efficaces de lutte contre le taba-
gisme ne sont pas mises en place, en particulier des
mesures législatives et réglementaires, des mesures édu-
catives efficaces et des actions d’aide à l’arrêt du tabac.
Mots clefs : Tabac, Santé, Tunisie.
A r c h s . I n s t . P a s t e u r T u n i s , 2001, 7 8 (1/2/3/4)
SUMMARY
This paper describes the trends in tobacco sales and
smoking prevalence in the Tunisian population,
estimates the consequences of smoking on mortality
of this population, and discusses anti-tobacco actions:
educational actions, legislative measures and price
increases.
Sales Data were collected from the Tunisia tobacco
company. Smoking prevalence data from surveys,
conducted by several institutes, and numbers of
deaths by causes have been estimated from WHO for
the year 1998.
Tobacco sales increased from 4,96g per adult per
day, in 1981, to 6,3 g, in 1993, then decreased widely.
The proportion of smokers was 30% in 1996, 55%
among men versus 5,6% among women. Among 17
to 24 years old young adults, the proportion of smokers
was 29,2% in 1994 (50% among men versus 3,9%
among women).
Mortality attributable to tobacco in Tunisia has been
estimated to 6430 deaths in 1997 (5580 among men
versus 850 among women). These deaths represent
22% of the total male deaths and 4% of the female
ones. Anti-tobacco measures have been reinforced
by the enactment of anti-tobacco law.
Proportion of young smokers remaining elevated, it is
expected that consequences of the tobacco addiction
in Tunisia, in term of mortality, will be even heavier
in the next two decades, if efficient anti-tobacco
actions are not implemented.
Words keys: Tobacco, Health, Tunisia.
59
EPIDEMIOLOGIE ET PREVENTION DU TABAGISME
INTRODUCTION
Le tabagisme incriminé dans l’apparition des cancers
respiratoires et des cardiopathies ischémiques constitue
la principale cause évitable de mortalité dans le monde.
Le tabac est responsable de 3 millions de décès chaque
année dans le monde, dont 70% surviennent dans les
pays développés (32,33). L’OMS a estimé, en 1997, à 1100
millions le nombre de fumeurs dans le monde (39), soit le
tiers de la population mondiale âgés de 15 ans et plus.
Prés de 73% de ces fumeurs (70 millions de sexe mas-
culin, 100 millions de sexe féminin) sont dans les pays
en développement, avec une prévalence de 47% chez
les hommes et de 7% chez les femmes. Dans les pays
industrialisés, le nombre de fumeurs de sexe masculin
est estimé à 200 millions (prévalence = 42%), celui des
femmes à 100 millions (prévalence= 24%). Au cours de
ces dernières années, la prévalence tabagique a diminué
dans de nombreux pays industrialisés (34). En revanche,
dans les pays en développement, une augmentation
importante du nombre d’adultes jeunes ayant com-
mencé à fumer et de la consommation de tabac par
habitant (28) a été enregistrée.
En Tunisie, des études menées depuis une vingtaine
d’années ont montré que l’épidémie tabagique est bien
installée sous nos cieux et que la prévalence tabagique
est élevée, en particulier chez l’homme (4,8).
Le présent travail se propose d’étudier la tendance de la
consommation tabagique en Tunisie, et d’en mesurer les
conséquences sur la santé de la population tunisienne
et d’analyser les différentes actions qui ont été mises en
place pour lutter contre le tabac.
Tableau I- Prévalence tabagique d’après différentes enquêtes
Année Objet principal de l'enquête/
Population cible
1976 Epidémiologie du diabète
(9867 adultes originaires de Tunis) (4)
1981 Epidémiologie du tabagisme
(5005 adultes de 20-60 ans).
Echantillon National (8)
1996 ENBPC*
(5696 adultes âgés de 25 ans et plus )
Echantillon National (15)
1996 EFMCV **
(5771 adultes originaires de l’Ariana,
âgés de 35-65 ans )(5)
* Enquête Nationale sur les Broncho-Pneumopathies Chroniques
** Enquête sur les Facteurs de Risque des Maladies Cardio-Vasculaires
60
I- EPIDEMIOLOGIE
1- CONSOMMATION TABAGIQUE
a- Consommation globale
L’analyse de la tendance de la consommation tabagique
montre qu’il y a eu une certaine baisse depuis les années
1980. En effet, au début des années 80, des études
menées en 1976 par Ben Khelifa (4) et en 1981 par Ben
El Gharbi (8), ont permis de conclure que 40% des adultes
âgés de 20 - 60 ans (2/3 des hommes contre 11 à 13 %
des femmes) fumaient (Tableau I).
En 1996, d’après l’Enquête Nationale sur la prévalence
des Broncho- Pneumopathies Chroniques (ENBPC)(16),
l’habitude tabagique a été observée chez 30,5% des
sujets enquêtés. La prévalence tabagique des hommes
a été de 55,8%, 10 fois plus importante que celle des
femmes (5,6%) (p<0,001). La fréquence de l’habitude
tabagique diminue avec l’âge chez l’homme, passant
de 61,2% entre 25 et 34 ans à 54,2% pour les sujets âgés
de plus de 55 ans (p<0,001); cette diminution est expli-
quée par une augmentation du taux d’abandon. Ce der-
nier passe de 4,3% pour ceux âgés de 25-34 ans à 12,3%
après 55 ans.
Ces résultats correspondent à ceux trouvés dans une
enquête régionale sur la prévalence des facteurs de
risque des maladies cardio-vasculaires, menée par l’Ins-
titut National de Santé Publique, en 1996, dans la région
de l’Ariana (Tableau I) (5), auprès de 5771 adultes âgés
de 35-64 ans. Une autre étude régionale conduite dans
une communauté semi urbaine du Sahel tunisien, a rap-
porté des chiffres de prévalence tabagique différents
de ceux trouvés à l’échelle nationale (66% chez l’homme
Prévalence %
Globale Masculine Féminine
39,0 68,0 13,0
39,5 68,0 11,0
30,4 55,8 5,3
28,4 52,8 5,5
A r c h s . I n s t . P a s t e u r T u n i s , 2001

et 0,6% chez la femme) (12). Il s’agit, cependant, d’une
population sélectionnée présentant des caractéristiques
différentes de la population générale (17).
La comparaison des résultats des enquêtes menées
dans les années 90 avec celles réalisées dans les années
70-80, plaide en faveur d’une baisse sensible de la
consommation de tabac. Concernant les données de ces
enquêtes, un certain nombre d'arguments semble vali-
der ces comparaisons :
1- Toutes les enquêtes retenues dans notre analyse
ont été menées auprès d'échantillons aléatoires
validés, à l'exception de l'étude de El Gharbi pour
laquelle l'échantillon a été fait par choix raisonné.
2- La définition des fumeurs a été presque la même
dans toutes les enquêtes. Il s'agissait de sujets se
déclarant fumer au moment de l'enquête.
3- Les deux enquêtes, réalisées à la fin des années 70
(celles de Ben Khélifa et de El Gharbi), malgré les
différences dans la méthode d'échantillonnage, ont
porté sur des populations de même tranches d'âges
et ont rapporté des chiffres de prévalence simi-
laires. Ces réserves méthodologiques étant men-
tionnées, cette analyse a permis de mettre en
évidence une tendance à la baisse de la consom-
mation de tabac ces vingt dernières années.
Cette tendance est confirmée par les chiffres de ventes,
fournis par la Régie Nationale des Tabacs et des Allu-
mettes (RNTA) et la Manufacture de Tabac de Kairouan
(MTA)(18 ,19,20,21,22). En effet, rapportés à la population des
personnes âgées de 15 ans et plus, de l’année concer-
née, ces chiffres montrent qu’au cours de la période
écoulée, entre 1981 et 1999, le commerce du tabac est
passé par 3 phases (Figure 1) :
- Une première phase de croissance rapide, jusqu’en
1986, au cours de laquelle la consommation taba-
gique est passée de 4,96 g par adulte et par jour à
6,46 g par adulte/jour.
- Une deuxième phase de stabilisation (de 1986 à
1992) avec une consommation oscillant autour de
6,30 g/adulte/jour.
- Une troisième phase de décroissance (1992 à 1999),
caractérisée par une baisse sensible de
6,30g/adulte/jour à environ 5,00 g/adulte /jour.
Les statistiques de vente du tabac sont établies par la
RNTA et la MTA qui ont le monopole de production et
de vente du tabac en Tunisie. On pourrait à priori
expliquer en partie cette tendance par l'existence d'un
Tome 7 8 (1/2/3/4)
R. FAKHFAKH et COLL.
7,00 160
6,00 140
5,00
120
Prix relatif du tabac (base 100 en 1984)
100
4,00
Grammes par adulte et par jour
80
3,00
60
2,00
40
1,00 20
0,00 0
1981 1984 1987 1990 1993 1996
Ventes
Prix
Figure 1. Ventes et prix du tabac en Tunisie.
marché parallèle de vente de tabac. Cependant, les
cigarettes vendues dans le marché parallèle sont essen-
tiellement de marques étrangères ; une variation de ce
marché se répercuterait principalement sur les ventes
légales de ce type de marque. Or, il semble, d’après les
statistiques de la RNTA, que la part des ventes des ciga-
rettes étrangères est stable et ne dépasse pas les 2,5%
du total des ventes (35).
b- Consommation tabagique actuelle selon le
milieu, le niveau d’éducation et le niveau « socio-
économique » :
Selon l’étude ENBPC (16), l’habitude tabagique a été plus
répandue en milieu rural, avec une prévalence taba-
gique de 34,7% contre 27,5% en milieu urbain (P<0,01).
Elle a été aussi plus fréquente chez les hommes les
moins instruits, avec une prévalence de 57,5% chez
les analphabètes contre 39% seulement chez les sujets
de niveau universitaire (P<0,01), ainsi que chez les
sujets de faible niveau économique, avec une préva-
lence de 61% chez les ouvriers contre 48% chez les
patrons et les cadres supérieurs (P<0,01).
c- Mode de tabagisme et son intensité :
Le mode de tabagisme le plus fréquent est la cigarette
chez les hommes (84,9%); alors que les femmes prisent
(68,7%) (16). La quantité moyenne de cigarettes consom-
mées par jour a été de 17,7 cigarettes ± 9. Il n’a pas été
mis en évidence de différences significatives liées au
sexe, à l’âge, au niveau d’instruction ou au milieu.
Prés de 15 % des sujets enquêtés ont été exposés au
61
EPIDEMIOLOGIE ET PREVENTION DU TABAGISME
tabagisme passif. Cette exposition a été plus fréquente
en milieu urbain (16,5%) qu’en milieu rural (13,1%)
(p<0,001), plus chez les femmes (15,3%) que chez les
hommes (6,3%) (p<0,001).
d- Tabagisme auprès de populations spéci-
fiques :
1- Professionnels de santé : Le personnel de santé
est appelé a éduquer et à lutter contre le taba-
gisme. Il doit jouer, en particulier, le rôle d’exemple
en s’abstenant de fumer.
Toutefois, et d’après une étude menée sur un
échantillon représentatif de 274 professionnels de
santé de la région de Sousse (31), ces derniers fument
autant que la population générale (50,5%); le taux
des ex-fumeurs étant de 11,6%. Les cadres médi-
caux fument même plus que le personnel admi-
nistratif (59,2% versus 43,8%).
2- Enseignants : A travers leur rôle d’exemplarité et
d’éducation qu’ils doivent conduire auprès des
jeunes, les enseignants, à côté des professionnels
de santé, sont aussi directement impliqués dans la
lutte contre le tabagisme.
Cependant, les enseignants tunisiens semblent
fumer autant que la population générale. En effet,
dans une enquête réalisée auprès de 402 ensei-
gnants de Kalaa Kebira à Sousse, en 1992 (1), la
prévalence globale du tabagisme a été de 29,3%,
avec une prédominance masculine (51,6% des
hommes contre 3,6% des femmes). Les quatre cin-
quième de ces enseignants sont dépendants,
d’après le questionnaire de tolérance de Fages-
Tableau II- Prévalence de l’habithude tabagique chez les jeunes d’'après l'enquête "Les jeunes célibataires au quo-
tidien". Réalisée en 1994 par L’ONFP.
Catégorie
Selon le sexe
Garçons (n = 1344)
Filles (n = 1337)
Selon l’âge
Agés de 20 ans ou moins (n = 1502)
Agés de plus de 20 ans (n = 1179)
Selon la scolarité
Scolarisés (n = 1021)
Actifs occupés (n = 835)
Actifs non occupés (n = 825)
62
tröm (9), et dont la quasi totalité (89%) fume en
présence de leur élève.
e- Tabagisme des jeunes :
1- Jeunes de la population générale: D’après l’étude
de l’ONFP, menée auprès de 2681 jeunes céliba-
taires, âgés de 17 à 24 ans (25), la prévalence globale
de l’habitude tabagique est de 29,2% ; elle est plus
élevée chez les garçons que chez les filles (3,9 %)
(p<0,001) et chez les sujets de plus de 20 ans (38,5
%) que chez ceux ayant un âge inférieur (18,4%)
(p<0,001) (Tableau II). Par ailleurs, les individus
scolarisés sont moins enclins à fumer que ceux
ayant abandonné leurs études: 18 % de fumeurs
réguliers contre 38 % (p<0,001) (Tableau II); l’âge
d’initiation étant compris entre 14 ans et 18 ans (63
% de la population). La consommation moyenne
de cigarettes est de 15,9 ± 9 cigarettes/jour. Cette
consommation est plus élevée chez les garçons
(16,1 ± 9 cigarettes/j) que chez les filles (7,4 ± 9
cigarettes/j) (p<0,001). La part des gros fumeurs (20
cigarettes et plus) a été de 28,2 %.
2- Etudiants en médecine: D’après une étude longi-
tudinale auprès d’une cohorte de 257 étudiants en
médecine tunisiens inscrits en première année, en
1987-88 (10), la prévalence tabagique globale des
étudiants augmente pour passer de 24,1% en pre-
mière année (1A) à 37,1% en fin d'études de méde-
cine (FE) (p<0,0001). La prévalence tabagique des
étudiants de sexe masculin est passée de 37% en
1A à 56,6% en FE (p<0,0001) et celle de sexe fémi-
nin de 7,3% en 1A à 14,4% en FE (p<0,05), mon-
Prévalence % P
50.0
<0,001
3.9
18.4
<0,01
38.5
18.1
38.4 <0,001
27.3
A r c h s . I n s t . P a s t e u r T u n i s , 2001

trant ainsi que le programme d’enseignement médi-
cal n’a pas eu d’influence sur le comportement
tabagique des étudiants en médecine.
2- MORTALITÉ ATTRIBUABLE AU TABAC
En Tunisie, les conséquences du tabagisme sur la santé,
en terme de mortalité, ont été estimées récemment par
Fakhfakh et coll. (11) à partir des données de prévalence
tabagique, des statistiques de mortalité et des résultats
d’enquêtes ayant suivi des fumeurs et des non fumeurs.
Le nombre total de décès par sexe, pour les sujets de
plus de 25 ans, a été estimé à partir des données de
l'Institut National de Statistique pour l'année 1997 (23).
Pour l'estimation de la mortalité attribuable au tabac et
en l'absence d'un système de notification des causes de
décès en Tunisie, nous nous sommes basés sur la répar-
tition des causes de décès estimée par l’Organisation
Mondiale de la Santé pour l’année 1998 (31) pour tous les
pays membres confondus, donnant un profil de mor-
talité intermédiaire entre les pays développés et les
pays en développement.
La mortalité attribuable au tabac (MAT), en Tunisie, a
été estimée à 6430 décès en 1997; elle est beaucoup
plus importante chez l’homme que chez la femme,
puisque ces décès se répartissent en 5580 décès mas-
culins et 850 décès féminins, soit, respectivement, prés
de 22% de décès masculins et 4 % de décès féminins.
D’après cette estimation, le tabac serait responsable,
chez l’homme, de prés de 3050 décès par maladies
cardio-vasculaires et de prés de 1500 décès par cancer.
Les chiffres auxquels nous avons abouti sont comparables
à ceux de certains pays développés, tel que la France où
le tabac a causé autour de 21% des décès chez l’homme et
1% chez la femme (13), en 1990. Ils sont aussi proches des
chiffres de mortalité attribuable au tabac dans certains
pays en développement telle que la Chine où 20% des
décès masculins sont attribuables au tabac, en 1980, d'après
une étude longitudinale menée auprès de 9351 adultes de
35-64 ans (6). D'après cette étude, la mortalité attribuable au
tabac chez les femmes chinoises a été estimée à 5% pour
une prévalence tabagique de 7%. Ces chiffres de mortalité
attribuables au tabac, en Tunisie, sont préoccupants, sur-
tout que l’habitude tabagique parmi la population adulte,
en particulier masculine, reste encore élevée, même s’il
existe une tendance à la baisse.
Le tabac étant responsable actuellement de 92% des
décès par cancer chez l’homme en Tunisie, la mortalité
Tome 7 8 (1/2/3/4)
R. FAKHFAKH et COLL.
par le cancer pulmonaire est le moyen le plus spécifique
de l’extension de l’épidémie liée au tabac. En 1997, Hsairi
et al. (15) a estimé que le taux de mortalité par Cancer Bron-
cho-Pulmonaire est passé de 6,8/100000 habitants en
1998 (12,5/100.000 pour le sexe masculin et 0,92/100000
pour le sexe féminin) à 9/100000 en 1996 (17,5/100000
pour les hommes et 1,3/100000 pour les femmes), soit
une augmentation de 54% en moins de 10 ans. Selon ce
même auteur et en se basant sur l’analyse de la tendance
de la consommation tabagique, qui, comme décrit plus
haut, reste à un niveau élevé malgré une tendance à la
baisse, et sachant qu’un délai de 20 à 25 ans doit s’écou-
ler entre le début du tabagisme et celui de l’éclosion du
Cancer Broncho-Pulmonaire, il est attendu qu’à la condi-
tion que la tendance reste celle que l’on observe actuel-
lement, l’onde de l’épidémie du Cancer
Broncho-Pulmonaire continuera jusqu’à vers 2010 - 2015
et que la mortalité par Cancer Broncho-Pulmonaire serait
autour de 21,8/100000.
II- PREVENTION
Devant cette situation, différentes actions éducatives,
législatives et réglementaires ont été mises en place, et
en particulier la promulgation de la loi anti-tabac,
associée à une augmentation du prix du tabac.
1- MESURES LÉGISLATIVES
Nous vivons depuis peu sous le régime d'une loi adop-
tée le 23 Février 1998, relative à la prévention contre les
méfaits du tabac (26). Cette loi réglemente la publicité
notamment directe, la propagande et l'usage du tabac
dans les lieux publics. L'objectif général de cette loi
consiste à prévenir et à limiter la charge de morbidité,
la mortalité précoce et les souffrances humaines pro-
voquées par l'usage du tabac. Les dispositions de cette
loi se rapportent à plusieurs aspects. Cette loi interdit la
publicité directe en faveur du tabac à travers les médias
(télévision, radio, affichage), à travers les publications
destinées à la jeunesse ou à travers le parrainage des
manifestations sportives ou culturelles destinées à des
mineurs. Elle connaît 3 exceptions. La publicité à l'in-
térieur des débits de tabac, certaines manifestations
sportives réservées aux véhicules à moteur et la presse
écrite non destinée aux mineurs.
Ces exceptions sont sous conditions; la publicité dans
la presse écrite ne pouvant comporter que les mentions
et les images nécessaires à la présentation de produit.
63
EPIDEMIOLOGIE ET PREVENTION DU TABAGISME
Dans un souci de limiter les ventes, et en particulier aux
enfants, les distributeurs automatiques sont interdits.
Cette loi réglemente les informations sanitaires portées
sur les unités de conditionnement et stipule que la
vente du tabac est subordonnée à l'apposition, sur la
couverture extérieure des paquets ou des emballages
contenant des produits de tabac exposés directement au
consommateur, en caractères parfaitement apparents et
indélébiles, de la formule "Avis important: fumer nuit à
la santé". La loi stipule aussi que les teneurs moyennes
en nicotine et en goudron doivent être mentionnées sur
les unités de conditionnement. Un arrêté du ministre de
la Santé Publique du 24 février 1999 (3) a fixé les moda-
lités d'inscription de ces mentions obligatoires, les ana-
lyses permettant de mesurer la teneur en nicotine et en
goudron et les méthodes de vérification de l'exacti-
tude des mentions portées sur la couverture extérieure
des paquets et des emballages.
Un deuxième arrêté, de la même date (2), a déterminé la
teneur maximale en goudron pour les différents pro-
duits destinés à la consommation (18 mg à partir de
2003 et 12mg à partir de 2006).
Cette loi interdit de fumer dans les lieux affectés à
l'usage collectif. Un décret (N° 89-2248 du 16 novembre
1998) (7) a fixé ultérieurement les lieux affectés à usage
collectif dans lesquels il est interdit de fumer (en par-
ticulier les établissements d'enseignement et de for-
mation publics et privés, les établissements sanitaires
publics ou privés, les jardins d'enfants, crèches et kou-
teb, les locaux de loisir et de sport, destinés à accueillir
des mineurs, les mosquées et les lieux de culte, les
salles de réunion et de conférence dans les adminis-
trations publiques). Les dispositions de cette loi sont
excellentes, comparativement aux autres lois dans
d’autres pays (36), en particulier les pays en développe-
ment. Toutefois, il faut exiger l’application de cette loi
et étendre ultérieurement sa portée lorsque cela est
nécessaire. En effet, si la loi n’est pas respectée, elle est
inutile. Il est donc essentiel, si l’on veut lutter efficace-
ment contre le tabagisme, de veiller à ce que les textes
de loi soient appliqués. L’idéal serait de doter des asso-
ciations ayant une ancienneté suffisante, et connues
pour leurs actions concernant la santé publique, de
moyens leur assurant le renforcement des actions d’in-
terdiction de fumer dans les endroits publics tels que les
hôpitaux, les écoles et les transports en commun.
Il y a lieu aussi d’étendre ultérieurement cette loi à
64
l’interdiction de la publicité dans la presse écrite non
destinée aux mineurs et à l’interdiction de la publicité
indirecte. L’effet de la législation sur la diminution de la
consommation tabagique a été clairement démontré
dans certaines études. En Norvège par exemple, dans
les cinq ans qui ont suivi l’adoption de la loi relative au
tabagisme, en 1973, qui interdisait la publicité en faveur
des cigarettes, augmentait les taxes sur le tabac et
recommandait la mise en place de programmes édu-
catifs efficaces, les ventes de cigarettes ont diminué de
50%, en particulier chez les jeunes (38).
Une étude plus récente (37) a permis de démontrer
qu’une interdiction étendue de la publicité en faveur du
tabac, permet de réduire la consommation tabagique.
En revanche, une interdiction limitée a peu ou pas
d’effet sur cette consommation. D’après cette étude,
une interdiction large de la publicité en faveur du tabac,
appliquée dans tous les pays de l’OCDE, permettrait
une réduction de 5,4% de la consommation du tabac et
de 7,4% de la consommation des cigarettes.
2- ACTIONS ÉDUCATIVES
a- Population générale
Différentes campagnes et actions éducatives ont été
menées en population générale par différentes institu-
tions, organisations et sociétés savantes telles que la
Direction des Soins de Santé de Base (DSSB), l’Asso-
ciation Tunisienne de Lutte contre le Cancer (ATCC), la
Ligue Nationale de Lutte Contre la Tuberculose et les
Maladies Respiratoires et la Société Tunisienne de Pneu-
mologie. Ces actions ont consisté essentiellement à des
célébrations de la journée médicale contre le tabac le
31 mai de chaque année, à la production de spots télé-
visés et radiophoniques, à des productions d’affiches et
de dépliants et à des émissions radiophoniques et télé-
visuelles consacrées aux méfaits du tabac et à l’impor-
tance de sa prévention.
b- Population scolaire
Une large gamme d’interventions en milieu scolaire a été
à ce jour menée, en particulier par la Direction de la Méde-
cine Scolaire et Universitaire (27). Ces actions ont revêtu plu-
sieurs formes: intégrations aux programmes
d’enseignement de messages sur les risques du tabagisme
actif et passif sur la santé, «leçons dispensées par l’équipe
de santé scolaire dans les établissements primaires et
secondaires, célébrations de journées nationales et inter-
nationales dont l’un des thèmes se rapportant au tabac.
A r c h s . I n s t . P a s t e u r T u n i s , 2001

c- Prix du tabac
Le prix du tabac a augmenté de 6,5 % en moyenne par
an, entre 1984 et 1992, et de 10 % par an, entre 1992 et
1994. Il est à signaler qu’un tunisien dépense en
moyenne 3,5% de son budget annuel pour le tabac, soit
33,1 dinars en 1995, alors qu’il ne dépense en moyenne
que 49,4 dinars par an pour les soins et l’hygiène, 12,6
dinars pour le spectacle et les loisirs et 7,9 dinars pour
les vacances et les voyages (18). L’examen de la figure 1
montre que la baisse de la consommation a été conco-
mitante à la hausse des prix.
Cet effet «prix » a été observé dans d’autres pays, par-
ticulièrement en France (12). Toutefois, cette baisse pour-
rait être la résultante de l'effet des campagnes
d'information, même si menées depuis plusieurs
années, elles n'ont vu leur rythme s'intensifier que
depuis peu.
d- Aides à l’arrêt du tabac
A côté du relèvement des taxes, des mesures éducatives
et des mesures législatives et réglementaires, il existe
un type d’intervention qui peut contribuer à réduire la
consommation de tabac. Il s’agit des traitements de
sevrage tabagique et des différents types de
programmes tels que l’éducation des fumeurs, les
traitements en milieu hospitalier, les programmes de
psychothérapie et la gamme croissante de produits
pharmacologique destinés à faciliter le sevrage, comme
les substituts nicotiniques et un antidépresseur au nom
générique de bupropion. Les substituts nicotiniques
sous forme de timbre transdermique (patch), gommes,
aérosols et inhalateurs, fournissent de faibles doses de
nicotine sans apporter les autres éléments nocifs en
présence de la fumée de tabac. Une abondante
documentation a montré que, utilisés à bon escient, ils
sont considérés comme sûrs et efficaces, doublant le
taux de succès des autres tentatives de sevrage (25).
En Tunisie, certaines consultations d’aide à l’arrêt ont
démarré dans certains services hospitaliers, en
particulier des services de pneumologie, depuis prés
de deux ans. Le démarrage de ces consultations a été
accompagné par l’introduction, en Tunisie, des
substituts nicotiniques sous forme de timbre (patch).
Il y a lieu, après évaluation de leurs activités, d’étendre
ces consultations à d’autres services et d’impliquer le
médecin de première ligne dans l’aide à l’arrêt, et ceci
par l’organisation de cycles de formation sur le sevrage
tabagique. Quant aux substituts nicotiniques, il y a lieu
Tome 7 8 (1/2/3/4)
R.FAKHFAKH et COLL.
d’élargir la gamme, en particulier aux gommes. En effet,
l’existence de deux formes galéniques est utile en cas
d’intolérance ou de difficultés pratiques d’utilisation
avec l’une d’entre elles.
CONCLUSION
La consommation de tabac semble avoir baissé au cours
de ces vingt dernières années, mais reste encore à un
niveau très élevé, en particulier chez l’homme; et les
conséquences de ce tabagisme en terme de mortalité
sont considérables: un adulte de sexe masculin sur
cinq meurt du tabac. La prévalence actuelle chez les
jeunes demeurant toujours élevée, il est attendu que les
conséquences du tabagisme, en Tunisie, en terme de
mortalité, seront encore plus lourdes dans les deux
prochaines décennies, si des actions efficaces de lutte
contre le tabagisme ne sont pas mises en place. Afin de
réduire ces conséquences, il y a lieu de maintenir et de
renforcer cette tendance à la baisse de la consommation
par des actions multiples et coordonnées, visant la pré-
vention de l’installation de l’épidémie tabagique chez les
jeunes et aidant les fumeurs à arrêter de fumer.
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1999, fixant les modalités d’inscription des men-
tions qui doivent être portées sur la couverture
extérieure des paquets et des emballages contenant
des produits de tabac exposés directement au
consommateur, les méthodes d’analyse permettant
de mesurer la teneur en nicotine et en goudron
dans les dits produits ainsi que les modalités de
vérification de l’exactitude de ces mentions. Jour-
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