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Cerveau Psycho
Cerveau & Psycho • n°48
Stress:
?
France métro. : 6,95€, All. : 10€, Bel. : 8,20€, Can. : 11,5$, GRÈCE : 8,20€, GUAD. : 8,25€, GUY. : 8,25€, LUX. : 8,25€, Maroc : 85 MAD, MART. : 8,25€, N. CAL. : 1170CFP, POL. FR. : 1170CFP, Port. Cont.: 8,25 €, Réun. : 8,25 €, Suisse :15 FS
bon ou mauvais
➜ La méthode Coué :
des expériences la valident !
➜ Être bilingue :
un avantage pour les enfants
➜ Pourquoi la maladie
modifie-t-elle l’humeur ?
➜ La morale a-t-elle
engendré les religions ?
➜ Le bruit perturbe
l’apprentissage et la mémoire
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2011
M 07656 - 48 - F: 6,95 E - RD
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n°48 - Bimestriel novembre-décembre 2011
Cerveau Psycho
Éditorial Françoise PÉTRY
Cerveau Psycho
www.cerveauetpsycho.fr
Pour la Science,
8 rue Férou, 75278 Paris cedex 06
Standard : Tel. 01 55 42 84 00
’
hypocrisie consiste notamment à « manifester des vertus
Marketing : Élise Abib
Direction financière : Anne Gusdorf
Direction du personnel : Marc Laumet
Fabrication : Jérôme Jalabert, assisté de Marianne Sigogne
Presse et communication : Susan Mackie
Directrice de la publication et Gérante :
Sylvie Marcé
Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger
et Hervé This
Ont également participé à ce numéro :
L que l’on n’a pas ». Cette définition devrait être complétée
par ce que découvrent (ou confirment) les psychologues :
ce « vice » serait omniprésent. Même les plus vertueux
révèlent des attitudes – surtout quand ils pensent être à
l’abri du regard d’autrui – qui suffiraient à effacer le qualificatif dont
on les pare (voir Les stratégies de l’hypocrite, page 38). Le fait que cha-
cun soit hypocrite à des degrés divers selon les circonstances expli-
Bettina Debû et Hans Geisemann
que sans doute « l’impunité souveraine » évoquée par Molière.
Publicité France
Directeur de la publicité : Jean-François Guillotin
(jf.guillotin@pourlascience.fr), assisté de Nada Mellouk-Raja Une telle attitude est-elle condamnable ? Celui qui prétend à
Tél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97
Télécopieur : 01 43 25 18 29
autrui – sans en être convaincu – qu’il va réussir son entreprise,
Service abonnements
qu’il va guérir ou être enfin heureux, ment-il ? Fait-il simplement
Ginette Bouffaré : Tél. : 01 55 42 84 04 preuve d’empathie envers celui qu’il cherche à soutenir ? Pense-t-il
Espace abonnements : que sa parole finira par restaurer chez son ami l’estime de soi qu’il
http://tinyurl.com/abonnements-pourlascience
Adresse e-mail : abonnement@pourlascience.fr a perdue et la confiance en ses capacités ? Ces mécanismes de sou-
Adresse postale : tien psychologique sont ancrés dans la nature humaine. C’est
Service des abonnements - 8 rue Férou - 75278 Paris cedex 06
peut-être « mal » de mentir, mais ici cette attitude n’est pas blâma-
Commande de livres ou de magazines :
0805 655 255 (numéro vert) ble. Les frontières entre le bien et le mal reposent sur un sens
Diffusion de Pour la Science moral inné, un « organe de la morale », et n’ont pas été tracées par
Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, Québec, H3N
1W3 Canada.
les religions (voir La morale a-t-elle engendré les religions ?,
Suisse : Servidis : Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis page 32). Qu’en aurait dit le Tartuffe de Molière ?
Belgique : La Caravelle : 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles
Autres pays : Éditions Belin : 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06
Mentir pour secourir autrui est une forme de thérapie par la
Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public
français ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les
persuasion qui peut se révéler efficace pour soi-même.
documents contenus dans la revue « Cerveau & Psycho », doivent être L’autopersuasion – la méthode Coué – serait bénéfique, si l’on en
adressées par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris croit diverses études expérimentales. Se dire que tout va bien amé-
Cedex 06.© Pour la Science S.A.R.L.
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de liore son état de bien-être et sa réussite (voir La méthode Coué :
représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de ce numéro l’autosuggestion à l’œuvre, page 20). Pris dans une sorte de cercle
sont publiés en accord avec la revue Spektrum der Wissenschaft
(© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-69126, vertueux, on se sentirait plus heureux, appréciant davantage les
Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de plaisirs de la vie. Or, selon Albert Camus, « Nul homme n’est
reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans
autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de
hypocrite dans ses plaisirs » (La chute, 1956). Les psychologues
copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris). devraient étudier si les sujets pratiquant la méthode Coué sont
moins hypocrites que les autres !
Les deux
visages Cerveau Psycho
Pixel 4 images / Shutterstock
du stress
24
20
Limitless :
tout réussir, Psychologie
© Gaumont distribution 2011
mais à quel
prix ?
16
Point de vue Alain Lieury
La psychologie scientifique
doit être enseignée en terminale 14
Le cours de philosophie oublie que la psychologie ne se résume pas à Freud !
Christophe André
G Dictionnaire de la psychiatrie
Étranger
Psychopathologie des héros Sebastian Dieguez à soi-même
Un héros balzacien schizophrène
avant l’heure 80
Roxyfer / Shutterstock
Ldes’asciences
ctuacognitives
lité
Sébastien BOHLER
L’effet IKEA
référez-vous acheter une belle produit (je me suis donné du mal, donc le de l’objet (il donne l’occasion d’en parler
Évidemment, les deux objets ont la construire a beaucoup de valeur pour eux,
même valeur, mais l’illusion est tenace. mais n’en a aucune pour le futur acheteur !
Pourquoi ? Selon les auteurs de cette M. Norton et al., in Journal of Consumer
étude, la valeur ajoutée vient de l’effort Psychology, à paraître
si un carré bleu apparaît, regardez vers la même direction que lui. Les libéraux
gauche. » Ils ont observé que la direction seraient plus attachés à des idées qu’à
du regard de Berlusconi perturbait les per- des individualités.
formances des joueurs. Si un carré orange M. Liuzza et al., in PloSOne, vol. 6, p. 25117, 2011
durant trois ans et demi en moyenne, tration de plaques amyloïdes, les anti-
et celles n’en ayant jamais pris, ont dépresseurs pourraient retarder, voire
subi des tests d’imagerie cérébrale éviter, l’apparition de la maladie. À
permettant d’évaluer la quantité et la condition que les mécanismes d’ac-
répartition des plaques amyloïdes tion des antidépresseurs sur les pla-
dans leur cerveau. Celles qui avaient ques amyloïdes soient confirmés
consommé des antidépresseurs pré- chez l’homme.
sentaient deux à trois fois moins de J. Cirrito et al., in PNAS, à paraître
© Twitter®
Chaque participant remplissait aussi un questionnaire d’évaluation du humeur est décalé de deux
narcissisme, comportant des questions telles que : « Je suis plus capa- heures… tout comme le réveil.
ble que la plupart des gens » ; « J’aime être le centre de l’attention » ;
« Je veux compter aux yeux des autres » ; « J’aime mon corps » ; « J’ai
un désir de puissance ».
Les résultats ont montré que plus un leader est narcissique, moins Un singe obéissant
le choix collectif est judicieux. Les participants, bien que persuadés Il suffit de quelques électrodes et d’un boîtier
des qualités de leur leader, livrent moins d’informations à la réflexion de stimulation pour qu’un singe dont le cer-
collective. Le leader leur demande moins souvent leur avis, et des don- veau a été « déconnecté » par une section de
nées essentielles sont oubliées. la moelle épinière reproduise des gestes sim-
Contrairement au lien parfois établi implicitement entre charisme ples. La méthode consiste à implanter dans la
et leadership, cette étude montre que les leaders narcissiques, mal- moelle épinière des électrodes reliées à un
gré leur aura, ont un impact parfois désastreux sur les performan- générateur d’impulsions : chaque stimulation
ces d’un groupe. De nombreux chefs d’État ont souvent une compo- d’une des électrodes active des groupes de
sante narcissique importante. Les conséquences pour leur pays neurones moteurs qui déclenchent un mouve-
peuvent être négatives, alors même que le narcissisme semble être ment d’extension du bras. Une autre élec-
un avantage pour arriver au pouvoir... trode, implantée à proximité, commande l’ou-
verture ou la fermeture de la main. Le singe
B. Nevicka et al., in Psychological Science, vol. 22, p. 1259, 2011
peut ainsi, sur commande, tendre son bras et
saisir un objet, replier son bras et rapporter
l’objet près de lui.
Un capteur de pensées
pour automobiliste
Le neuroscientifique Stefan Haufe et ses collè-
gues de l’Université de Berlin ont mis au point
un système de détection des influx cérébraux
des conducteurs qui décèle l’intention de frei-
ner avant même que le pilote ait converti
cette intention en action. Grâce à des électro-
Dmitry Shironosov / Shutterstock
C. Vittatus ou C. Exilicauda est souvent décrite le cerveau. Or les biologistes ont découvert
lée / S
Un virus de dominant
ans les groupes, certains indivi- émis par les neurones dits pyramidaux, et dominantes que chez les souris dominées.
Le langage Ménopause
des phéromones et prise de poids
e nombreux mammifères communiquent au moyen de es changements hormonaux survenant à la ménopause
Point de vue
haque année, des centaines de mil- gie, et quelque 150 catégories. Les principaux
C
Alain Lieury
est professeur liers de lycéens de terminale décou- secteurs concernaient, d’une part, la psychopa-
de psychologie vrent le cours de philosophie. Ils s’at- thologie au sens large, tels les déficits physi-
cognitive, chargé tendent à y découvrir les philoso- ques (perte de la vue, traumatismes crâniens)
de mission par phes, psychologues ou pédagogues et les troubles psychiatriques, et, d’autre part,
la Société française
qui ont marqué l’histoire de la pensée de la psychologie de la santé et de la prévention
de psychologie,
pour la création l’Antiquité jusqu’au XXe siècle. Pourtant, si les (stress, alcoolisme, criminalité, etc.). Les autres
d’une agrégation professeurs les initient bien à Platon ou à Kant, grands domaines sont la psychologie expéri-
de sciences humaines. des sciences cognitives, ils n’aborderont que mentale et cognitive (perception, mémoire,
Freud et la psychanalyse ! Or c’est une erreur intelligence, émotions, personnalité, etc.), les
bien française de réduire la psychologie scienti- neurosciences (incluant la psychopharmacolo-
fique contemporaine à Freud et à la psychana- gie), la psychologie sociale, la psychologie du
lyse, et de croire que l’un et l’autre sont encore développement, celle de l’éducation. On trouve
influents à l’échelle mondiale. Pour nous en également des secteurs variés en psychologie
persuader, examinons le plus grand répertoire appliquée, incluant la psychologie de la
informatisé international des publications consommation, la psychologie industrielle et
ayant trait à la psychologie, PsycInfo, et la place des organisations. Il existe enfin des thèmes
que la psychanalyse y occupe. divers tels que la psychologie des arts et des
En 2005, on pouvait dénombrer environ humanités, la psychologie de la musique, la
103 000 articles et livres traitant de psycholo- psychologie militaire, la psychologie juridique
et de la police... La psychologie est aussi diverse
que les activités de l’homme. En revanche, la
Psychologie et santé Psychologie cognitive psychanalyse en tant que théorie ou que théra-
17% 16% pie ne représente que 1 722 publications, soit
1,7 pour cent de l’ensemble de ces publications
Psychanalyse
1,7% au niveau international.
Divers
Psychologie appliquée 2% Cette répartition ne se limite pas aux publi-
11% cations scientifiques, mais elle se retrouve aussi
Neurosciences
dans les manuels scolaires américains. Si Freud
14% Psychopathologie apparaît à la fois dans les théories intéressant la
28%
Psychologie Psychologie de l’éducation psychologie en général, et en tant que théorie
du développement
3% Psychologie sociale
7% spécifique dans le cadre de la psychopatholo-
9% gie, c’est-à-dire la psychanalyse, son impor-
La psychanalyse ne représentait que un pour cent des publications internationales en tance est réduite. Ainsi, en 1995, dans un des
psychologie (103 223 titres) en 2005. C’est pourtant tout ce que les bacheliers français principaux manuels américains, la théorie
apprennent des sciences cognitives. freudienne n’occupe qu’une dizaine de pages
Alain Lieury
sur 739, soit 1,3 pour cent. Même situation au d’inconscient, et ne cite plus que Freud. J’ai
Canada : j’ai dénombré cinq pages et demie, même regardé de façon plus approfondie un
incluant les psychanalystes Adler et Jung, manuel de philosophie de terminale, option
sur 378, soit 1,4 pour cent du manuel. Cette sciences et technologie (Leguil-Badal, 2007), où
place peut être encore réduite, par exemple j’ai recensé 22 textes de Freud et Lacan ; je n’y ai
dans des manuels de tradition expérimenta- vu aucun texte de psychologie cognitive, sociale
liste, comme dans la XIe édition du manuel de ou autres, et le même néant absolu quant aux
psychologie d’Atkinson : quatre pages sur 784, sciences récentes, qu’il s’agisse de cybernétique,
soit 0,5 pour cent de l’ouvrage ; dans le chapi- de sciences cognitives ou de neurosciences.
tre sur les psychothérapies écrit par Daryl Quelle perte pour la philosophie ! C’est comme
Bem, pionnier des thérapies cognitives, ces si en physique, on parlait encore de la machine
dernières sont évidemment prépondérantes et à vapeur, mais on ignorait l’énergie nucléaire, et
Freud ne trouve guère de place. comme si l’enseignement de la biologie s’arrê-
tait avant la découverte de la structure de l’ADN.
Dès lors, il n’est pas étonnant que chaque
L’exception française année 600 000 lycéens, futurs journalistes,
Ainsi, les enseignements du monde entier, médecins, politiques, aient Freud et la psycha-
États-Unis en tête, ont relégué Freud au rang nalyse pour seules références en matière de psy-
d’auteur presque banal, à l’influence décrois- chologie. Je comprends que, du fait de l’ex-
sante. Dès lors, pourquoi cette popularité spéci- trême spécialisation des matières, les philoso-
fiquement française de la psychanalyse ? Cela phes ne se sentent pas compétents pour parler
est d’autant plus curieux que le nombre de per- de psychologie scientifique, mais quelle est,
sonnes ayant suivi ou suivant une cure psycha- dans ce cas, l’utilité de la philosophie enseignée
nalytique est faible dans la population générale. au lycée ? Selon l’astrophysicien anglais
La plupart des gens vont voir leur médecin Stephen Hawking : « La philosophie est morte,
généraliste qui leur prescrit un anxiolytique ou faute d’avoir réussi à suivre les développements
un antidépresseur, domaine où les Français de la science moderne, en particulier de la phy-
sont champions du monde, puisque l’on sique. » Sans aller jusqu’à un tel jugement
compte cinq millions de consommateurs du extrême, je préconise a minima d’élargir le pro-
Prozac ou autres dérivés. gramme aux sciences humaines pour que le
Alors pourquoi la psychologie est-elle si sou- public cultivé français ait une vision plus juste Bibliographie
vent réduite à Freud et à la psychanalyse en de la psychologie scientifique.
France ? Je pense – et je ne suis pas le seul – que M. Onfray,
cette erreur de perspective vient essentielle- Le Crépuscule d’une
ment du contenu du cours de philosophie en
Pour combler le fossé idole. L’affabulation
classe de terminale, enseignement où les thè- Naturellement, il ne s’agit pas de supprimer la freudienne, Grasset,
mes liés à la psychologie ont progressivement philosophie, mais de l’inclure dans un pro- 2010.
disparu. Ainsi, dans le programme de 1941, la gramme de Sciences humaines pour les termi- Leguil-Badal,
partie consacrée à la psychologie compte nales, en donnant un aperçu de la psychologie Philosophie : Terminales
786 pages et aborde les thèmes classiques de la contemporaine, telle qu’elle existe au niveau stg/sti/stl/stss. Bordas,
2007.
perception, la mémoire, l’intelligence, la per- international, dans ses relations avec les neuros-
sonnalité, citant des auteurs spiritualistes, tel ciences et les sciences de l’ingénieur. La Société Bulletin officiel,
Programmes
Bergson, et expérimentalistes, tel Binet. Dans française de psychologie s’engage dans cette
de philosophie en classe
les années 1960, avec le manuel de Huisman et voie, avec pour objectif de proposer un CAPES et terminale des séries
Vergez, la psychologie correspondait encore à une agrégation de sciences humaines, où coexis- générales, BO 2003
peu près à un quart du programme de philoso- teraient des enseignements de philosophie, mais n° 25 du 19 juin 2003.
phie, conservant les mêmes thèmes importants. aussi de psychologie et de sociologie. Pour éviter P. Foulquié, Traité
Puis, au fil du temps, les programmes se sont que la France ne sombre dans l’ignorance vis-à- élémentaire de
mystérieusement étiolés, au point que, d’après vis de ses voisins, il faut espérer que cette propo- philosophie, tome 1,
le Bulletin officiel n° 25 du 19 juin 2003, le pro- sition sera retenue par les instances dirigeantes Psychologie, Éditions
gramme actuel ne parle plus que de conscient et de l’Éducation nationale. I École, 1914.
U
Au début du film, Eddie Morra est un écri-
réussit se trouve progressivement vain qui n’arrive pas à écrire, un mari qui n’ar-
en mesure d’affronter des difficul- rive pas à retenir sa femme et un locataire qui
tés de plus en plus importantes, n’arrive pas à payer son loyer. Un jour où il
jusqu’à devenir sénateur et… peut- traîne dans la rue en pensant au manuscrit qu’il
être même président des États-Unis d’Amérique. doit rendre et dont il n’a pas encore écrit une
En Bref Cette formidable ascension correspond évi- ligne, il rencontre le frère de son ancienne
demment à la mythologie du libéralisme amé- épouse. Celui-ci lui propose une « pilule ». Pas
• Limitless est ricain censé donner à chacun les mêmes chan- une drogue illégale, dit-il, mais une nouvelle
une fable sur le désir ces pour s’élever dans la société, y faire fortune molécule qui aurait déjà obtenu l’agrément de
de perfection, rendue et briguer des postes de pouvoir. Ce n’est pas la très puissante Food and Drugs Administration,
plus inquiétante par tout à fait faux si l’on se rappelle l’histoire l’autorité de santé qui autorise ou non la mise
les promesses réelles d’Arnold Schwarzenegger arrivé d’Autriche sans sur le marché américain des nouveaux médica-
des stimulants cognitifs un sou, et avec pour tout bagage son impres- ments. Il n’y a aucun danger, assure l’ancien
en développement. sionnante musculature ; ou celle du créateur de beau-frère, c’est un cadeau, et un beau cadeau,
• Ces composés Facebook, Mark Zuckerberg, qui est passé en car cette simple pilule vaudrait 800 dollars !
ont des effets quelques années du statut d’étudiant bouton- Pourquoi ne pas essayer ? se dit Eddie Morra. Et
secondaires et neux, timoré et méprisé à celui d’une des plus c’est là que son monde va définitivement bas-
présentent un risque grandes fortunes au monde… culer. Car cette nouvelle molécule va se révéler
de dépendance. Mais dans Limitless, réalisé par Neil Burger et capable d’augmenter sa capacité de concentra-
Ils pourraient être sorti en France le 8 juin 2011, il y a autre chose tion et d’attention, sa résistance à la fatigue et
utilisés pour tirer que la mise en valeur du talent. Ce film nous au stress, mais aussi ses facultés de mémoire.
de l’être humain laisse imaginer qu’un aussi formidable destin Il va d’abord en expérimenter l’intérêt
le rendement maximal. pourrait arriver à chacun d’entre nous, indépen- auprès de sa logeuse qui va totalement changer
• Ces questions sont damment de ses qualités ou de ses efforts. Nos d’état d’esprit à son égard. Il la croise sur le
posées par le film qui rêveries de toute puissance s’en trouvent évi- palier. Elle commence par l’insulter, et le
reprend certains demment comblées, de la même façon que celles menace de le jeter dehors pour loyer impayé.
aspects du mythe d’un enfant quand on lui raconte qu’un pauvre Eddie Morra voit dépasser de son sac un livre
faustien : pouvoir paysan est finalement devenu roi ! La différence de droit qu’il a feuilleté une bonne quinzaine
et jeunesse, mais avec est que dans Limitless, il ne s’agit pas d’un conte d’années auparavant par hasard, et sa mémoire
quelle contrepartie ? de fée intemporel, mais d’un récit de science-fic- stimulée par la drogue lui rappelle soudain
tion qui pourrait bientôt devenir réalité… exactement de quoi il s’agissait. Il parle à sa
La première question est celle de l’égalité constater que la société a déjà répondu : santé à
d’accès de tous aux bénéfices de ces composés deux vitesses, école à deux vitesses (grâce aux
pharmaceutiques. Dans Limitless, elle est réso- coachs et cours privés dont bénéficient les élèves
lue au moyen d’un artifice. Subjugué par les des milieux favorisés) et bientôt Internet à deux
effets de cette substance, Eddie Morra décide vitesses (l’instauration d’un système à très haut
de rencontrer au plus vite son beau-frère pour débit facturé plus cher par les opérateurs, et
le convaincre de lui procurer d’autres compri- réservé aux plus riches), sans compter la chi-
més miracle. Il se rend donc à son domicile, rurgie esthétique qui rajeunit les riches et le très
mais doit insister pour se faire ouvrir la porte : coûteux Viagra qui exalte leur sexualité !
son beau-frère est blessé au visage d’une façon
qui semble indiquer qu’il s’est battu récem-
ment. Avant de parler du marché qu’ils pour-
Quels effets secondaires ?
raient conclure, le beau-frère demande à Eddie Une deuxième question soulevée par l’usage
Morra d’aller lui chercher à manger. Ce que de telles substances est leur innocuité. Dans
fait Eddie Morra… Mais à son retour, il trouve Limitless, le héros ne tarde pas à comprendre
l’appartement dévasté et son beau-frère tué que l’effet de cette petite pilule est beaucoup
d’une balle dans la tête. plus complexe qu’il ne l’a d’abord cru, et qu’elle
Morra téléphone immédiatement à la police représente un vrai risque pour sa santé. En
2. La pilule du succès puis réalise soudain que les voleurs cherchaient effet, Eddie Morra décide d’aller à la source de
intellectuel et professionnel quelque chose : il s’agissait, bien évidemment, l’approvisionnement. Et comme son beau-frère
est aussi celle qui permet des précieuses pilules... Il cherche fébrilement est mort, il décide de retrouver son ancienne
de séduire les femmes. et trouve, juste avant l’arrivée de la police, la épouse. Il doit insister beaucoup pour la ren-
contrer, et comprend pourquoi aussitôt qu’il la
voit. Ce n’est plus la jolie jeune femme qu’il a
connue seulement quelques années aupara-
vant, mais une vieille femme dont la marche est
déjà difficile. En fait, lui explique-t-elle, cette
drogue n’a pas d’effets dangereux sur la santé…
tant qu’on en prend. Mais les problèmes com-
mencent dès qu’on s’arrête.
Le sevrage est terrible : le vieillissement est
considérablement accéléré, les facultés s’effon-
drent, la mort arrive… On reconnaît là l’in-
quiétude attachée, dans notre culture, à la
consommation de substances pouvant modi-
fier le fonctionnement psychique. Non seule-
© Gaumont distribution 2011
La psychologie au quotidien
L
d’autosuggestion. On croit souvent qu’il s’agit
cien français Émile Coué (1857-1926), seulement de se répéter la même chose. En réa-
encore dite méthode d’autosuggestion lité, de nombreuses méthodes sont utilisées,
consciente, est aujourd’hui bien connue consistant entre autres à faire rédiger certaines
du grand public. Mais c’est plus pour phrases à quelqu’un, à les lui faire apprendre
s’en moquer. Qui peut croire que se dire « Je par cœur, puis à les lui faire réciter.
vais bien, je vais bien, je vais bien, etc. » fasse
En Bref que j’aille réellement mieux ? Évidemment,
sous cet angle, il est naturel de se montrer dubi-
Trop beau pour être vrai ?
tatif. Toutefois, si l’on analyse le principe même On peut aussi lui dire qu’il a été remarquable
• Selon la méthode
de l’autosuggestion et les résultats de la recher- aux tests qu’il vient de passer alors que c’est
Coué, fondée sur
che scientifique réalisée sur ce sujet, on décou- faux, ou encore lui faire adopter des expres-
l’autosuggestion, on
vre que la méthode présente une certaine effica- sions de joie en stimulant, par un petit courant
peut favoriser certains
cité ! Alors que le principe de la méthode prête électrique qu’il ne ressent pas, les muscles de
comportements ou
à sourire (répéter quelque chose pour que cela son visage impliqués dans le sourire. On peut
émotions en répétant
se réalise), des travaux de recherche en psycho- montrer que l’efficacité de l’autosuggestion
sans cesse : « Je vais
logie montrent qu’un tel effet peut s’exercer, et dépend de la technique utilisée. Enfin, la troi-
bien, je vais bien… »
qu’à force d’être autosuggéré un événement a sième raison qui sème le doute sur la méthode
• Des expériences quelques chances de se produire... est la simplicité du mécanisme. En effet, la tech-
montrent que cette Si la méthode Coué laisse sceptique, c’est en nique reste d’une simplicité déroutante, bien
idée est en partie partie à cause de la multiplicité des mots qui trop simple pour être crédible. D’ailleurs, la
fondée. On pourrait sont utilisés pour décrire un même concept. méthode a du mal à s’imposer au pays de
ainsi améliorer Ainsi, on parle d’autosuggestion, d’autoaffir- Descartes. Pourtant, les recherches semblent
certaines performances mation positive, de prophéties autoréalisatrices montrer que la méthode n’est pas aussi ridicule
(intellectuelles) ou internes, de pensées positives récurrentes, de qu’il y paraît au premier abord.
comportements marquage interne, de management de soi… L’autosuggestion trouve ainsi de nombreu-
(altruistes). Certes, cette profusion de termes pourrait cor- ses applications en médecine. Christopher
• Des effets corporels respondre à de réelles nuances, mais on montre Armitage et ses collègues de l’Université de
sont même enregistrés, que ces notions se réfèrent toutes à la même Sheffield, au Royaume-Uni, ont fait compléter
tels une augmentation chose : le lien entre le fait de répéter que quel- des phrases à trous par de jeunes étudiants, de
de la température que chose va survenir et la survenue réelle de façon à ce qu’ils soient conduits à inscrire dans
corporelle et un état cet événement. Une deuxième raison de la les trous des mots tels que je, moi ou encore
de relaxation. méfiance à l’égard de la méthode Coué résulte moi-même. Par exemple : « … suis courageux. »
de la méconnaissance générale des techniques Plusieurs phrases étaient proposées, toutes
portant sur des valeurs personnelles positives, ves. Ainsi, Janine Dutcher, de l’Université
tels le courage, la persévérance, la motiva- Carnegie Mellon, à Pittsburg en Pennsylvanie, a
tion… À titre de comparaison, d’autres étu- demandé à des sujets de classer un certain
diants d’un groupe témoin remplissaient éga- nombre de valeurs par ordre d’importance
lement un formulaire ne conduisant pas à s’at- pour eux, par exemple : « Travailler dur est
tribuer des qualités personnelles. Il leur fallait essentiel » ; « Pour réussir, il faut travailler ».
simplement répondre par oui ou par non à des Simultanément, un autre groupe de sujets
questions neutres du type : « Je pense que la devait classer ces mêmes phrases en imaginant
couleur bleue va bien à la plupart des gens. » dans quelle mesure elles s’appliquaient à d’au-
Les chercheurs ont évalué la consommation tres étudiants, mais pas à eux-mêmes.
quotidienne d’alcool des étudiants avant qu’ils Par la suite, tous les sujets passaient un test
passent le test et après. Les résultats ont montré comprenant 144 exercices de difficulté variable
que la consommation d’alcool des étudiants du et portant sur de nombreuses compétences
groupe témoin n’a pas varié. Au contraire, la académiques (tests logiques, connaissances
consommation de ceux qui ont eu à s’attribuer livresques, connaissances géographiques, etc.).
les qualités contenues dans le questionnaire a Ceux qui avaient classé les valeurs par rapport
diminué de près de la moitié. Selon les auteurs à eux ont mieux réussi les tests ultérieurs que 1. Se persuader
de cette étude, le je et le moi conduisent l’indi- ceux les ayant évaluées pour autrui. Il ne serait de quelque chose
vidu à internaliser malgré lui le contenu des donc pas correct de dire que ces phrases fonc- augmente-t-il
phrases proposées, le conduisant à considérer tionnent comme un amorçage, puisque le sim- nos chances de l’obtenir ?
ces qualités comme siennes. « Autopersuadé » ple fait de les lire ne suffit pas à produire un Des expériences semblent
de sa valeur, de son courage, de sa tempérance, effet. Il faut que l’individu puisse les rattacher indiquer que c’est le cas.
il résiste mieux au désir de consommer de l’al-
cool ou d’utiliser ce dernier pour se consoler
d’une faible estime de soi.
Des applications
en médecine
Cette méthodologie consistant à faire remplir
des débuts de phrases totalement inventées
pour la circonstance s’est révélée efficace à de
nombreuses reprises. On a ainsi pu inciter des
adolescents à acheter des préservatifs ou à
mieux s’informer sur les risques liés au sida ; des
jeunes fumeurs à arrêter de fumer ou à suivre
des programmes de sevrage tabagique. Le mal
de mer peut également être mieux supporté par
l’autosuggestion. Dov Eden et Yaakov Zuk, de
l’Université de Tel-Aviv, en Israël, ont ainsi
montré que des cadets nouvellement recrutés
dans la marine israélienne souffraient moins
du mal de mer lors de leurs premières sorties
en bateau si au préalable ils avaient été
conduits à intégrer des messages tels que : « J’ai
connu le mal de mer, j’ai été capable de le sur-
monter. » Dans cette étude, les sujets correcte-
ment préparés ont consommé moins de médi-
caments contre le mal de mer que ceux d’un
Lasse Kristensen / Shutterstock - Cerveau & Psycho
2. Emile Coué (1857-1926) connut un succès abordées par un étudiant qui leur demandait un
indéniable grâce à sa méthode, qu’il diffusa peu d’argent pour faire l’appoint à une machine
de par le monde lors de voyages – ici, à café, ou bien elles constataient que quelqu’un
aux États-Unis. Ses idées connaissent aujourd’hui marchant devant elles faisait tomber un gros
un second souffle, grâce aux expériences paquet de feuilles remplies de notes de cours.
de psychologie qui confirment ses intuitions. Nous avons constaté que les personnes ayant
écrit leur propre prénom dans les phrases
incomplètes ont été plus nombreuses à donner
à lui-même, c’est-à-dire penser que ce de l’argent ou à aider autrui à ramasser ses
que décrivent ces phrases caractérise ce feuilles que celles ayant inscrit un autre pré-
qu’il est réellement, ce qu’il veut faire et nom. Encore une fois, ce ne sont pas les phrases
l’objectif qu’il cherche à atteindre. en elles-mêmes qui ont eu un impact détermi-
D’autres travaux ont également mon- nant dans cette expérience, mais le fait de s’au-
tré que l’altruisme peut être encouragé toattribuer les affirmations où sont mentionnés
par l’autoattribution de qualités. Dans des comportements altruistes. Il est à noter que
une étude menée par notre équipe, nous des résultats ont été répliqués en faisant inscrire
avons demandé à des étudiants d’ins- je à la place du prénom ; quand on demande
crire un prénom au début de phrases aux sujets de lire ces phrases utilisant je à haute
valorisant l’altruisme et la générosité. voix, la méthode est encore plus efficace que
Par exemple : « X est quelqu’un qui se s’ils écrivent sur un clavier.
préoccupe des autres », « Dès qu’il [ou En outre, l’efficacité de la méthode d’énon-
elle] le peut, Y essaie d’aider celui qui est ciation orale s’accroît encore si d’autres per-
dans le besoin ». Les participants rem- sonnes sont présentes dans la salle où a lieu
plissaient 20 phrases de ce type : une l’exercice. Se décrire comme altruiste face à
partie d’entre eux devait inscrire leur d’autres personnes semble renforcer cette qua-
prénom, tandis que d’autres devaient proposer lité morale, au moins dans les minutes qui sui-
un prénom qui n’était pas le leur. vent l’expérience. Nous avons aussi montré
Ces tests se déroulaient sur ordinateur, et l’on que la répétition de la phrase accroît le com-
3. Sur cette pochette prétendait que l’étude visait à évaluer la vitesse portement ultérieur d’aide à autrui. Répéter
d’un disque 78 tours, de frappe sur le clavier des lettres familières et plusieurs fois « J’aide les autres » nous rendrait
les grands principes de celles qui l’étaient moins... Puis ces person- encore plus secourables.
de la méthode Coué sont nes étaient remerciées et quittaient la pièce où
présentés. elles avaient passé le test. À la sortie, elles étaient Des effets physiologiques
mesurables
Ainsi, l’autosuggestion a des répercussions
sur les comportements, mais aussi sur les para-
mètres physiologiques. Le psychologue Tachiya
Yasuhisa et ses collègues de l’Université Nihon
au Japon ont mesuré la température de la peau
au bout des doigts d’étudiants subissant un test.
Une partie des sujets testés devait prononcer la
phrase suivante : « On sait que les bras sont
chauds » ; les autres devant dire : « Les vaisseaux
sanguins de mes bras sont en train de s’ouvrir et
un sang chaud envahit progressivement mes
bras ». Les mesures ont révélé que ces derniers
ont présenté une augmentation de température
plus nette que ceux du premier groupe ; en
outre, ils se sentaient plus relaxés.
Un autre aspect de l’autosuggestion, peut-
être moins connu, mais très efficace, consiste à
faire dire à quelqu’un qu’il fera telle ou telle
chose : il est avéré qu’il aura plus de chances de
la réaliser. Anthony Greenwald et ses collègues
de l’Université de l’État de l’Ohio ont montré
que cette technique est efficace pour renforcer
la participation aux élections. L’expérience s’est
déroulée, aux États-Unis, durant la campagne
Psychologie
Développement
Erica Westly
est journaliste
scientifique
à New York.
Enfants bilingues :
un avantage indéniable
L’apprentissage des langues étrangères rendrait plus créatif
et améliorerait la flexibilité mentale, la mémoire
et la capacité d’abstraction.
N
dans les mentalités. Selon cette idée fausse, l’es-
draient que leurs enfants maîtri- prit d’un enfant bilingue serait en permanence
sent une deuxième langue, mais tiraillé entre ses deux modes d’expression, ce
leurs espoirs sont souvent déçus. qui aurait des conséquences négatives sur son
En Bref Il est très difficile d’estimer le expression et ses facultés cognitives. Toutefois,
nombre d’enfants (et d’adultes) qui parlent dans une série d’études qui ont commencé
• Parler deux langues
bien deux langues. Quant à l’enseignement des en 2001, L.-A. Petitto et ses collègues ont
n’entraîne ni retard
langues à l’école, il est bien rare qu’il aboutisse découvert que les enfants exposés à deux lan-
de langage,
à un réel bilinguisme. gues avant l’âge de dix ans franchissent des éta-
ni confusion des
Cette situation est en partie due à la croyance pes clés de l’acquisition du langage, telles que la
moyens d’expression.
qu’enseigner une langue étrangère trop tôt à un production des premiers mots et l’apprentis-
• Avant même enfant pourrait conduire à des confusions et sage de la lecture, en même temps que les
de savoir parler, des retards de langage à cause d’interférences enfants qui ne parlent qu’une langue ; ils ne
les enfants exposés entre les deux langues. Cependant, depuis quel- présentent aucun signe de confusion des deux
à un environnement ques années, les scientifiques ont montré que ce langues. Ces enfants comprennent d’emblée
bilingue font preuve n’est pas le cas : apprendre deux langues en qu’ils ont accès à deux langues différentes, et la
d’une meilleure même temps pourrait au contraire faciliter le frontière entre les deux est bien nette.
flexibilité mentale. développement de certaines capacités langagiè-
• Les enfants bilingues res et cognitives. La flexibilité mentale, la pen-
sée abstraite et la mémoire de travail, une
Halte aux idées reçues
qui commencent
à parler ont forme de mémoire à court terme essentielle Des travaux récents suggèrent que non seule-
une meilleure mémoire pour l’apprentissage et la résolution des problè- ment les enfants sont capables de distinguer les
de travail, sont plus mes, en seraient améliorées. deux langues dès leur plus jeune âge, mais aussi
créatifs et maîtrisent Selon la neuroscientifique Laura-Ann Petitto, que les bénéfices cognitifs d’une exposition à
mieux les concepts de l’Université Gallaudet à Washington, le pré- une seconde langue se manifestent très tôt. Dans
abstraits. jugé selon lequel le cerveau est prédisposé à une étude de 2009 sur les bébés bilingues, les
apprendre une langue unique, est bien ancré psychologues Agnes Kovács, de l’Université
d’Europe centrale en Hongrie, et le psycholin- aussi bien que les monolingues la séquence de
guiste Jacques Mehler ont utilisé un test visuel sons à la localisation de la marionnette, antici-
pour mesurer ce que les neuroscientifiques pant son apparition du regard. Toutefois, lors-
nomment la flexibilité cognitive chez des que A. Kovács modifiait la séquence (en dépla-
enfants âgés de sept mois, ne sachant pas encore çant la marionnette), les bébés bilingues s’adap-
parler. A. Kovács désirait savoir à quelle vitesse taient en conséquence, et anticipaient l’appari-
les enfants étaient capables de s’adapter à des tion de la marionnette dans le nouveau secteur
règles changeantes. Les psychologues ont ensei- de l’écran. Les bébés monolingues ne présen-
gné aux bébés un pseudolangage constitué de taient pas cette flexibilité, et continuaient à
sons similaires à un langage. À la fin de la attendre la marionnette au même endroit.
séquence, une récompense visuelle prenant la
forme d’une marionnette apparaissait sur
un écran d’ordinateur, en un endroit
Configurer le cerveau
particulier. Les bébés étaient suppo- D’autres recherches suggèrent que l’éduca-
sés apprendre qu’un son donné tion dans un environnement bilingue améliore
annonçait l’apparition de la marion- d’autres compétences cognitives lorsque l’en-
nette à cet endroit de l’écran. Les fant apprend à parler. À la faveur d’une étude
bébés bilingues (exposés à deux lan- publiée en 2010, la psychologue Esther Adi-
gues dès leur naissance) ont associé Japha et ses collègues de l’Université Bar-Ilan en
Noam Armonn - Robert Adrian Hillman / Shutterstock
1. Savoir parler
deux langues et jouer en
adoptant l’une ou l’autre
de ces langues améliore
la flexibilité mentale.
Sept.-Oct. 2010
manquait des pétales ou des feuilles, tandis
que les enfants bilingues dessinaient des hybri-
des imaginaires, telles des « fleurs-cerfs-
volants », ce qui indiquait une meilleure maî-
2. Lorsqu’on leur demande de dessiner une fleur trise des concepts abstraits (voir la figure 2).
qui n’existe pas, les enfants âgés de quatre à cinq ans Simultanément, les données d’une étude datant
qui ne parlent qu’une langue tendent à omettre certaines de 2008 et réalisée aux États-Unis dans le labo-
parties de la fleur (à gauche). Les enfants bilingues ratoire de L.-A. Petitto suggèrent que les enfants
ajoutent souvent un contexte dessinant, par exemple, de familles anglophones scolarisés dans des éco-
une fleur en guise de porte (à droite), ce qui suggère les bilingues hispano-anglaises ont de meilleurs
que leur pensée est plus élaborée.
résultats aux tests de lecture que les enfants sco-
larisés dans des écoles strictement anglophones.
Plusieurs études ont également lié le bilin-
guisme à une amélioration de la mémoire de tal inférieur (impliqué à la fois dans le langage 3. Les enfants qui
travail, elle-même associée aux compétences en et les capacités cognitives), semblent plus acti- apprennent une seconde
lecture et en calcul. De surcroît, les bénéfices se ves chez les enfants bilingues, notamment langue à l’école
manifestent aussi dans des domaines non ver- lorsqu’ils lisent. pourraient tirer de
baux, selon la psychologue Ellen Bialystok, de Les psychologues pensent tous que pour cette pratique linguistique
l’Université York à Toronto. Elle a observé avec maîtriser vraiment une seconde langue il faut des bénéfices cognitifs
ses collègues de l’Université Nanjing en Chine, commencer tôt et la pratiquer régulièrement. dépassant le simple fait
que des enfants bilingues âgés de sept ans réus- Selon les experts, l’enfant devrait pouvoir par- d’être capables de parler
avec des étrangers.
sissent mieux que les petits ne parlant qu’une ler sa seconde langue tous les jours. Les enfants
seule langue deux tests évaluant la mémoire de qui grandissent dans des environnements mul-
travail : l’un demande de mémoriser une série tilingues y sont naturellement exposés, mais des Bibliographie
de chiffres et de les réarranger, l’autre requiert enseignements spécifiques plus intenses
de retracer une série de bonds faits par une gre- devraient être offerts aux enfants qui ne vivent J. Diamond, The benefits
nouille animée sur un écran d’ordinateur. pas dans des familles bilingues. Des écoles où of multilingualism,
Toutes ces différences cognitives suggèrent certains cours seraient enseignés dans une lan- in Science, vol. 330,
pp. 332-333, 2010.
que le fait d’apprendre une seconde langue gue telle que l’anglais, l’espagnol ou le chinois,
modifie la structure du cerveau en développe- seraient une bonne solution. Ces programmes L.-A. Petitto, New
ment. Une méthode d’imagerie cérébrale a été sont bien sûr lourds à financer et le personnel discoveries from
the bilingual brain mind
utilisée pour comparer le cerveau d’enfants difficile à recruter, mais ils se multiplient dans
across the life span :
bilingues et monolingues. Jusqu’à présent, les quelques pays, tels les États-Unis et le Canada. implications for
études indiquent que les aires cérébrales du Certains élèves parlent couramment deux lan- education, in Mind,
langage de ces enfants, qu’ils soient monolin- gues à la sortie de ces écoles. Mais les bénéfices Brain, and Education,
gues et bilingues, se développent de la même sont si évidents que cette possibilité devrait être vol. 3(4), pp. 185-197,
façon, mais certaines régions, tel le cortex fron- offerte à tous les enfants. I 2009.
Psychologie
Cognition
Jürgen Hellbrück
est professeur de
psychologie du travail,
de l’environnement
Les méfaits du bruit
et de la santé
à l’Université catholique
d’Eichstadt-Ingolstadt, Au bureau, dans la rue, dans les transports, le bruit
en Allemagne.
Sabine Schlittmeier
est omniprésent et nuit à nos capacités cognitives.
est psychologue. Les environnements bruyants perturbent
Maria Klatte
est professeur l’apprentissage chez les plus jeunes.
de psychologie
à l’Université technique
de Kaserslautern,
en Allemagne.
C
tionnelle, augmentent la pression artérielle et, à
lieu où règne le silence, et l’on se long terme, risquent de provoquer des troubles
plaint souvent d’une inévitable cardio-vasculaires. Des expériences de psycho-
pollution sonore. Pourtant, le bruit logie expérimentale montrent en outre que cer-
En Bref n’est pas une invention moderne. tains bruits réduisent nos capacités cognitives.
Un vacarme infernal emplissait déjà les rues de Dans les années 1980, les psychologues Alan
• Le bruit diminue Rome, dans l’Antiquité. Selon le poète satirique Baddeley et Pierre Salamé ont été les premiers
les capacités cognitives, Juvenal qui vécut à la fin du Ier siècle, le bruit de à s’interroger sur l’influence du bruit sur les
en particulier la la ville empêchait même l’empereur Claudius capacités cognitives. Ils ont découvert qu’un
mémoire à court terme. Drusus – renommé pour son sommeil profond – bruit de fond constitué de voix diminue l’effi-
Les voix et certains sons de dormir, et de nombreux Romains souffraient cacité de la mémoire à court terme, même
sont particulièrement d’insomnie. Quant au philosophe stoïcien lorsqu’on n’y prête pas attention, ou qu’il s’agit
néfastes. Sénèque (environ 1-65), il pensait que les voix, d’une langue inconnue.
• La capacité qu’il qualifiait de particulièrement dérangean-
de mémorisation tes, agissaient directement sur l’âme, tandis que
s’améliore souvent
Le brouhaha perturbe
d’autres sons « frappent seulement nos oreilles
lorsqu’on filtre et les emplissent ». Par ailleurs, la musique per- la mémoire
les hautes fréquences turberait parfois plus que certains sons. Quelques années auparavant, A. Baddeley
du bruit de fond. Les voix et la musique perturbent-elles les avait proposé un modèle de la mémoire de tra-
• Dans une salle pensées, comme s’en plaignait le philosophe vail, espace où les informations sont stockées
de classe, le bruit Schopenhauer (1788-1860) ? C’est vraisembla- pendant une courte durée et qui détermine ce
et les voix perturbent blement l’avis des personnes dérangées par les que l’on perçoit de façon consciente. Un tel
l’apprentissage et conversations de tous ceux qui ne cessent de processus de mémorisation à court terme sem-
la compréhension téléphoner sur leurs mobiles ou par l’inévitable ble être très sensible à la présence de voix à l’ar-
des enfants. musique de fond qui envahit les magasins et les rière-plan. Une composante importante de ce
Des matériaux centres commerciaux. C’est aussi ce que confir- modèle est la « boucle phonologique », que l’on
absorbant le bruit ment des chercheurs qui étudient les effets du peut se représenter comme une bande magné-
amélioreraient bruit. Ils ont ainsi mis en évidence que les bruits tique qui emmagasinerait en permanence les
la situation. non seulement empêchent de communiquer, sons entrant dans l’appareil auditif, et que l’on
mais aussi qu’ils constituent une tension émo- se répète. Imaginez que vous vouliez mémori-
ser un numéro de téléphone. Vous vous le répé- on parle plutôt d’un effet de sons parasites, parce Le bruit présent
tez plusieurs fois. La tâche n’est pas forcément que l’effet est provoqué par le langage, mais aussi partout n’est pas
aisée, mais elle échoue si quelqu’un parle à côté par la musique. Même la musique (uniquement seulement gênant,
de vous, les mots entendus entrant en compéti- instrumentale) perturbe la mémoire à court il est aussi délétère
tion avec les chiffres que vous essayez de graver terme – surtout si le morceau comporte des pour la mémoire
à court terme.
dans votre boucle phonologique. séquences rapides de notes, par exemple jouées
Chez les enfants,
Une expérience simple illustre la fragilité de staccato. Au contraire, les pièces musicales carac- il perturbe
cette mémoire de travail : les sujets devaient térisées par des transitions douces n’ont pas d’ef- l’apprentissage.
mémoriser des chiffres présentés sur un écran fet avéré sur la mémoire à court terme...
d’ordinateur, puis les réciter dans l’ordre. Si, au
cours de l’exercice, les sujets entendaient une L’effet néfaste des bureaux
voix peu intense qui formait un bruit de fond
– par exemple, des cotations en Bourse –, leur en open space
performance cognitive diminuait. La proportion En 1992, l’équipe du psychologue Dylan
d’erreurs augmentait parfois de 30 pour cent. Et Jones, de l’Université de Cardiff au pays de
ce, même si la voix parlait une langue étrangère, Galles, a mis en évidence que ce sont les chan-
ou prononçait des phrases lues à l’envers. gements dans le bruit de fond qui perturbent.
Diverses expériences ont montré que cet effet Dans leurs expériences, des sons répétés sans
est dû à un phénomène concernant la mémoire modification de tempo ni de volume – par
et non la perception ou l’attention. Par exemple, exemple un « Ah » qui se répète – ne diminuent
quand les sujets effectuent des tâches ne mettant pas les performances de mémorisation. Il sem-
pas en jeu la mémoire, ils ne sont pas perturbés ble donc que la propriété importante soit la
par des voix. En outre, le volume sonore n’a pas présence de brusques changements.
d’influence, du moins dans la gamme « nor- Les psychologues ne savent pas encore pour-
male » des conversations, entre 40 et 70 décibels. quoi la mémoire à court terme est si sensible au
La diminution des capacités de mémorisation ne bruit de fond. Toutefois, les conséquences pour
résulte pas d’un déficit de la perception, ou d’un la vie quotidienne sont évidentes, car la
stress, mais d’un phénomène cognitif. mémoire à court terme sert non seulement à
Les psychologues ont d’abord nommé ce phé- mémoriser des numéros de téléphone, mais
nomène effet de paroles parasites. Aujourd’hui, aussi à comprendre des phrases complexes, à
exécuter des opérations mentales ou tout sim- Nous avons confronté des sujets à ces deux
plement à mémoriser les événements et les faits. situations. Ils entendaient des phrases dans les
Les effets du bruit sont particulièrement évi- deux conditions à faible volume (35 décibels).
dents dans les grands bureaux ouverts (dits open Simultanément, ils devaient mémoriser des
space). Dans ces bureaux, on réunit jusqu’à chiffres, afin de les restituer ultérieurement
100 postes de travail sur une grande surface. En dans le bon ordre. Dans d’autres essais, pendant
général, ces postes sont séparés par des cloisons la phase de mémorisation, les sujets étaient
mobiles, ce qui procure une certaine protection exposés à des phrases non filtrées, à 55 décibels,
visuelle, mais peu d’isolation sonore – les cla- ou encore à aucun bruit.
viers cliquettent, les photocopieurs bourdon- Les résultats montrent que les voix de fond
nent, les collègues téléphonent. Et, comme filtrées diminuent beaucoup moins les capaci-
l’avait déjà montré A. Baddeley, les conversa- tés cognitives des sujets que le langage non fil-
tions perturbent les capacités cognitives. tré au même volume sonore (voir l’encadré ci-
Que pouvons-nous faire ? La méthode la plus dessous). Toutefois, ces deux variantes sont per-
efficace consiste à réduire les variations des çues comme aussi gênantes l’une que l’autre.
conversations de fond. Des absorbeurs particu- Nous observons aussi que la réduction des
liers – revêtements de plafond, sol ou mur, murs capacités cognitives ne dépend pas du volume
en matériaux poreux spéciaux – atténuent effica- des conversations : le même effet est observé
cement certaines fréquences sonores. Notre pour un volume de langage normal (55 décibels)
équipe a évalué ces possibilités avec des collègues et un chuchotement (35 décibels). Même si les
de l’Institut d’acoustique de l’Université techni- participants se disent moins gênés par les phra-
que d’Aix-la-Chapelle. ses prononcées à voix basse.
Nous avons élaboré un programme informa-
tique recréant le son de conversations venant Concevoir des salles
d’un autre bureau, dans deux conditions. Dans
la première, les bureaux sont séparés par un de classe moins bruyantes
mur double qui atténue le volume et ne laisse Dans les écoles et les crèches, les conditions
passer que des fréquences relativement basses, acoustiques jouent également un rôle impor-
de 1 000 à 4 000 hertz. Les consonnes sont alors tant : l’environnement d’apprentissage est sou-
imperceptibles, et les voyelles fusionnent pour vent bruyant. Il a été montré qu’un niveau
devenir un brouhaha incompréhensible. Dans sonore élevé fait partie des facteurs de stress les
la seconde, les bureaux sont séparés par un mur plus importants pour les enseignants. Les pre-
mince qui atténue les conversations sur tout le mières études ont révélé la présence de l’effet de
spectre des fréquences. La compréhension est sons parasites dès le CE1. Chez les élèves de CE2,
peu altérée, seul le volume est diminué. les conversions de fond diminuent jusqu’à
40 pour cent la capacité de stockage de la
mémoire à court terme. Ces résultats sont
inquiétants puisque le système cognitif, sensible
Gêne objective et subjective au bruit, est important pour l’apprentissage du
es conversations en guise de davantage d’erreurs. On a aussi
D bruit de fond perturbent à la évalué la gêne ressentie par les
fois la capacité de mémorisation sujets dans ces quatre conditions
langage et de la lecture. Lorsqu’un enfant
apprend à lire, il est important qu’il puisse dis-
tinguer chaque syllabe. Dans le même temps, la
des individus et leur bien-être. Dans par rapport à une moyenne (b). mémoire à court terme doit encore disposer de
une expérience, on a évalué le S. Schlittmeier et al., in Ergonomics, vol. 51, 2008 suffisamment de ressources pour lier les sons en
taux d’erreurs de personnes qui a Capacité de mémorisation un mot. A. Baddeley et ses collègues considèrent
devaient mémoriser des chiffres Silence 29 % la boucle phonologique comme un système
dans différentes conditions (a). Les Hautes fréquences d’apprentissage du langage qui s’est formé au
filtrées et à voix basse 33 %
sujets commettent le moins d’er- cours de l’évolution afin d’apprendre rapide-
Sans filtre de fréquences 39 %
reurs quand l’environnement est et à voix basse ment et durablement de nouveaux sons et mots.
silencieux et le plus quand les Conversations bruyantes 41 % En 2010, nous avons réalisé une étude sur le
conversations sont bruyantes. Les Nombre d’erreurs (en pour cent)
terrain pour examiner l’effet du bruit sur la
conversations à voix basse provo- capacité d’apprentissage d’environ 400 élèves
b Gêne ressentie
quent moins d’erreurs quand les de CE2. Nous avons séparé les enfants en trois
hautes fréquences sont filtrées, ce 0,2 groupes en fonction de la qualité acoustique de
1,9
qui les rend incompréhensibles. En leurs salles de classe. Afin de tester comment ils
2,2
revanche, des conversations à 3,4
traitaient les sons, nous leur avons demandé
voix basse, où l’on ne filtre pas 0 2 4
d’identifier, parmi trois mots prononcés, celui
les hautes fréquences, entraînent Aucune Moyenne Importante qui se distinguait des deux autres par le pre-
mier ou le dernier son. Des haut-parleurs pla-
Conséquences de la réverbération
En pratique, le seuil est nettement de difficultés que les adultes quand bruit
L es caractéristiques architecturales
des salles renforcent ou atténuent les
bruits parasites. Le paramètre le plus
dépassé dans de nombreuses salles de
cours. Avec une réverbération qui dure
et réverbération longue se combinent.
M. Klatte et al., in Noise and Health, vol. 12, 2010
important de l’acoustique d’une salle est longtemps, les syllabes se chevauchent
le temps de réverbération. Il détermine la en permanence, ce qui nuit à la clarté du Détérioration de la compréhension
durée pendant laquelle un son se réper- langage. De surcroît, les élèves doivent par rapport à un environnement silencieux
(en pour cent)
cute. À l’une des extrémités du spectre, faire davantage d’efforts pour compren- 30
les églises, où les sons se réverbèrent dre ce qui vient d’être dit. Cela requiert CE1
pendant plusieurs secondes de temps ; à des ressources cognitives qui sont alors CM1
l’autre, les studios d’enregistrement, où indisponibles pour la mémorisation. 20 Adultes
les sons s’atténuent en moins d’une demi- La figure montre les résultats d’une
seconde. Pour les salles de classe, le expérience mesurant la détérioration de
temps de réverbération devrait être d’en- la compréhension auditive d’élèves de 10
viron 0,6 seconde. On pourrait atteindre primaire en présence d’un bruit de fond.
cette valeur dans presque toutes les sal- Dans une salle, où la durée de réverbé-
les de classe à l’aide de revêtements du ration est courte, tous les élèves ont de Court Long
plafond et des murs absorbant le bruit. meilleurs résultats. Les enfants ont plus Temps de réverbération
cés sur le bureau de l’enseignant émettaient des voix de l’enseignant diminue avec la distance,
mots réels ou inventés. Le volume correspon- alors que le bruit de fond a la même intensité
dait à celui d’un enseignant s’exprimant d’une dans toute la salle ! Le rapport entre l’intensité
voix plutôt forte. Les résultats ont montré que du discours de l’enseignant et celle du bruit est
les élèves des salles de classe calmes distinguent d’autant plus mauvais que l’on s’éloigne au
mieux les sons que les élèves des salles bruyan- fond de la salle. En outre, dans les salles où la
tes. Le résultat ne peut pas être expliqué par des réverbération est importante, les élèves assis au
différences d’intelligence entre élèves, ni par fond ne comprennent pas un mot sur trois !
aucun autre facteur à l’exception de l’acousti-
que de la salle, qui est l’élément décisif.
Les élèves des salles bruyantes, dotées de fortes
Mettez-vous au premier rang!
réverbérations, sont gênés par le bruit pendant Dans ces conditions, se concentrer sur ce
les cours. Dans les situations d’écoute difficiles, que dit l’enseignant est presque impossible. Bibliographie
les élèves doivent en permanence faire abstrac- En revanche, les enfants ne se sentent pas par-
tion des bruits gênants et compléter les mots qui ticulièrement gênés par le bruit quand ils font M. Klatte et al., Effects
« manquent ». Cela exige plus d’efforts d’atten- leurs devoirs, mais, de toute évidence, les of classroom acoustics
on performance and
tion. Les enfants comprennent donc moins bien enfants de l’école primaire ne sont pas
well-being in elementary
que les adultes lorsqu’ils sont dans un environ- conscients du problème, et les études confir- school children : a field
nement bruyant. De nombreuses études confir- ment que le bruit est aussi néfaste quand il study, in Environment
ment que la qualité des conditions d’apprentis- s’agit de faire ses devoirs. and Behavior, vol. 42,
sage est essentielle pour les jeunes enfants. Les enfants atteints de troubles de l’appren- pp. 659-692, 2010.
En 2010, Maria Klatte a étudié les conséquen- tissage ou du développement ont souvent des D. Jones et al.,
ces de différents environnements bruyants sur la difficultés de compréhension en présence d’un Privileged acces
compréhension du langage. Dans le cadre de bruit de fond. Par ailleurs, dans ces conditions, by irrelevant speech
cette étude, quand on ajoutait un bruit de fond, la compréhension d’une langue étrangère est to short-term memory :
les capacités d’écoute des sujets étaient détério- également plus difficile. C’est le cas même pour the role of changing
rées. La capacité de compréhension des enfants les élèves qui maîtrisent parfaitement une state, in The Quarterly
du primaire diminuait en moyenne de 21 pour seconde langue et obtiennent des scores aussi Journal of Experimental
Psychology, vol. 44A,
cent, celle des adultes de 14 pour cent. Dans une bons que les autres dès lors qu’on les teste dans
pp. 645-669, 1992.
salle identique, mais mieux insonorisée, avec des des conditions d’acoustique optimales.
temps de réverbération plus courts, le même Ainsi, un environnement bruyant perturbe P. Salamé et al.,
Disruption of short-term
bruit de fond provoquait une détérioration res- l’apprentissage du langage et de la lecture. On ne
memory by unattented
pectivement de six et deux pour cent seulement ! dispose pas encore d’études sur les conséquen- speech implications for
Le bénéfice pour la qualité de l’apprentissage est ces à long terme du bruit dans les écoles primai- the structure of working
évident (voir l’encadré ci-dessus). res ou maternelles. Mais les quelques résultats memory, in Journal of
Dans les salles où l’acoustique est mauvaise, disponibles suggèrent que le développement des Verbal Learning and
la place où un enfant s’assied influe notable- capacités de langage est favorisé par le silence et Verbal Behavior, vol. 21,
ment sur sa compréhension. Le volume de la une bonne acoustique des salles de classe. I pp. 150-164, 1982.
Psychologie
Morale
La morale a-t-elle
engendré les religions ?
Nicolas Baumard est Les notions de bien et de mal sont inhérentes à toutes
psychologue, philosophe
et anthropologue les cultures. Les religions se sont greffées sur un sens
à l’Université
de Pennsylvanie. moral inné en proposant un habillage rituel et théorique.
A
moral inné. Ainsi, au cours d’une telle expé-
de biologistes, de psychologues et rience, nous avons demandé à des participants
d’anthropologues considère que de lire une série de vignettes telles que : « Jean
nous sommes dotés d’un « organe n’aime pas donner de l’argent. Alors qu’il mar-
de la morale », tout comme nous che dans la rue, un clochard lui demande de l’ar-
sommes équipés de deux bras et deux jambes ou gent. Jean l’insulte. En s’éloignant, il marche sur
d’une faculté de langage. Cet organe de la morale son lacet, tombe par terre et se casse la jambe. »
serait le produit de l’évolution et aurait été sélec-
tionné pour permettre la vie en société. Se des- Justice immanente
sine alors une histoire inverse de celle qui est
habituellement racontée. Nous ne serions pas et besoin de pénitence
moraux parce que nous sommes religieux. C’est Difficile de lire cette histoire sans penser que
En Bref bien plutôt parce que nous sommes des êtres le malheur de Jean est une juste compensation
moraux que nous sommes attirés par les mouve- de son avarice ! Nous demandions ensuite aux
• Le sens moral nous ments de réforme morale à la fois personnelle et participants de répondre à la question sui-
fait instinctivement collective que sont les grandes religions. De fait, vante : « Jean est-il tombé parce qu’il a insulté le
adhérer à des notions il semble bien que les croyances religieuses repo- clochard ? » Comme prévu, la plupart de nos
telles que « bien mal sent sur notre sens moral. participants, ne croyant pas en la justice imma-
acquis ne profite Considérons par exemple la croyance en la nente, répondaient par la négative. Toutefois, ils
jamais ». justice immanente. Partout dans le monde, on mettaient plus de temps à répondre que si on
• Les religions ont retrouve l’idée que les fautes morales seront leur présentait des histoires où le malheureux
postulé que ce sens punies par des événements funestes. Dans protagoniste n’avait pas commis de faute
universel d’une justice l’Ancien Testament, par exemple, le prophète morale. Tout se passait comme si les participants
immanente résultait Isaïe déclare : « Dites que le juste prospérera, car ne pouvaient s’empêcher de lier le méfait et l’ac-
d’une action divine. il jouira du fruit de ses œuvres. Malheur au cident, et de voir dans le second une juste rétri-
• Ce faisant, méchant ! Il sera dans l’infortune, car il recueil- bution du premier, alors même qu’ils ne
les religions lera le produit de ses mains. » Aujourd’hui croyaient pas en une punition divine. Nous
permettaient encore, l’épidémie de sida ou les attentats du avons refait la même expérience, racontant que
aux fidèles de justifier 11 septembre 2001 sont interprétés par certains Jean avait donné de l’argent à un clochard et
des intuitions morales croyants comme des punitions de Dieu à ceux qu’il avait découvert plus loin un billet tombé
qui leur venaient qui ne suivent pas ses commandements. d’un portefeuille. Dans ce cas, une heureuse sur-
en fait... naturellement. Les psychologues imaginent diverses expé- prise faisait suite à une action morale : bonne
riences qui étudient ce lien entre religion et sens action et bonne fortune sont indissociables.
Pourquoi cette association nous vient-elle mer qu’un don appelle un contre-don, qu’un 1. Le bon Samaritain,
spontanément à l’esprit ? La solution est peut- service doit être récompensé ou encore qu’une ici par Vincent van Gogh
être à chercher dans les rouages de notre sens faute doit être réparée. Et c’est ce même méca- en 1890, illustre les liens
moral. Contrairement à d’autres espèces sociales nisme qui nous fait penser que le malheur qui entre morale
comme les fourmis ou les abeilles, la coopéra- suit une faute morale vient rétablir l’équité. De et religion. Un malheureux
laissé pour mort après
tion humaine ne repose pas sur le sacrifice d’un fait, cette impression de justice immanente dis-
avoir été blessé par
individu pour le groupe, mais sur la réciprocité paraît si le malheur et la faute ne sont pas pro- des brigands est secouru
et le respect mutuel. Comme le dit l’adage : « Ne portionnés. Si, par exemple, Jean, qui n’a pas par un Samaritain qui
fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que été charitable, se fait renverser par une voiture applique la règle: « Tu
l’on te fît. » C’est ce mécanisme cognitif fondé et meurt dans l’accident, nous n’estimons pas aimeras ton prochain
sur le respect mutuel qui nous conduit à esti- que sa mort soit une compensation juste. comme toi-même. »
© Todd Gipstein / Corbis
avons tendance à l’éviter, comme s’il était Là encore donc, la morale est première et la
contaminé ; quand quelqu’un a mal agi, il doit religion seconde. Les humains prennent des
faire quelque chose, par exemple, indemniser la décisions morales et cherchent ensuite à les
victime, pour retrouver son état antérieur ; un justifier. C’est pourquoi le curé n’est pas mieux
seul méfait suffit à jeter le doute sur la réputa- placé que l’instituteur pour dire ce qui est bien
tion morale d’un individu, tout comme un seul ou mal. De fait, les psychologues ont montré
contact avec une substance contaminante suffit 3. « Respecte tes que les principes d’équité se retrouvent d’une
à rendre une personne impure. D’autres paral- parents ; ne laisse pas société à l’autre (préceptes d’assistance aux
lèles sont encore possibles. Pensons aux punir un innocent pour la pauvres, de partage équitable, etc.). À chaque
conversions religieuses. Les convertis, supposés faute que tu as commise fois, cependant, ces principes se trouvent justi-
vivre une renaissance, rompent leurs liens avec toi-même ; ne prends pas fiés par des doctrines différentes (chrétiennes,
leurs anciennes identités et, ce faisant, se libè- le bien d’autrui », stipulait musulmanes, bouddhistes, athées, etc.). En
rent de leurs anciennes fautes. Quelle meilleure le Manuel de morale outre, les commandements divins invoqués par
analogie que de dire qu’ils se sont purifiés et d’instruction civique les croyants influencent rarement leurs condui-
– lavés – par la conversion ? de la IIIe République. tes. Des commandements tels que « Tu ne tue-
« Épargne l’animal sans ras point » ou « Tu ne voleras pas » sont trop
défense », est-il
La religion pour étayer généraux pour réellement guider les croyants.
recommandé sur ce bon
point. Le parallèle avec
Les croyants savent bien qu’il est des cas où il
nos intuitions morales est permis de tuer (la légitime défense, la
les textes bibliques est
Comme la plupart de nos processus men- frappant. Mais lequel guerre juste, voire l’exercice de la justice). La
taux, nos décisions morales sont prises de a précédé l’autre dans généralité des commandements divins joue
façon inconsciente. Nous avons l’intuition la cognition humaine, d’ailleurs un rôle dans leur succès culturel : ils
qu’une action est bonne ou mauvaise sans sachant que le sens sont tellement consensuels que personne ne
nécessairement en cerner la raison exacte. Il n’y moral est inné ? trouve à y redire. Ils passent donc de généra-
a là rien d’étonnant. Nous ne savons pas non tion en génération et se trouvent acceptés,
plus comment nous analysons la hauteur d’un parce que les fidèles jugent avantageux de
son, comment nous traduisons l’informa- pouvoir justifier leurs intuitions morales en
tion bidimensionnelle envoyée par nos se référant à une autorité supérieure.
yeux en une scène tridimensionnelle, ni L’étude de notre psychologie morale per-
même pourquoi nous tombons amoureux met enfin de mieux comprendre le succès
de certaines personnes alors que d’autres quasi universel de l’idée de jugement
nous laissent de marbre. Cette expérience de
la morale a cependant des conséquences cul-
turelles puisque nous devons souvent justifier
nos choix, excuser nos actions ou condamner
les autres sans nécessairement connaître les rai-
sons profondes de nos jugements. Dans ce
contexte, la référence à une autorité divine
ajoute un certain poids à nos justifications.
Selon cette idée, les intuitions morales nous
viennent, puis nous cherchons à les appuyer
sur un corpus de textes et de croyances parta-
gées qui peut être la religion. Pensons par
exemple aux manuels de morale de la
IIIe République, pour qui cette voix morale
intérieure n’était autre que celle de Dieu.
« Avant chacun de nos actes, peut-on ainsi lire
au chapitre premier du Manuel de morale et
d’instruction civique de l’abbé Bourceau et
Raymond Fabry, la conscience nous dicte notre
devoir : « Ceci est bien, dit-elle, fais-le ; cela est
mal, évite-le. Respecte tes parents ; ne laisse pas
punir un innocent pour la faute que tu as com-
mise toi-même ; ne prends pas le bien d’au-
trui. » Ce ne sont pas des conseils qu’elle nous
donne, mais des ordres formels. Nous sommes
libres de lui désobéir, mais nous ne pouvons
faire taire sa voix. C’est donc qu’elle parle au
nom de Dieu.
divin que l’on retrouve aussi bien dans la offraient la possibilité de faire leur devoir, d’ai-
notion hindoue et bouddhiste de réincarnation der les autres et de réfléchir à la façon de
que dans l’au-delà, qu’il soit chrétien, musul- conduire une « bonne vie ».
man, voire égyptien ou grec. Pourquoi cette demande de morale a-t-elle
finalement pris la forme des religions que l’on
L’ambition connaît? Pourquoi, par exemple, le christianisme
a-t-il prévalu sur les mouvements plus philoso-
de changer le monde phiques tel l’épicurisme ou le stoïcisme, qui eux
D’où vient cette idée que le monde est juste et aussi proposaient à leurs adeptes une éthique
que les bons seront récompensés ? Depuis long- précise et exigeante, et offraient une certaine
temps, les psychologues ont observé que nous sociabilité fondée sur les banquets et les lectures?
avons tendance à justifier nos actions de façon à En réponse à cette question, on invoque souvent
apparaître sous notre meilleur jour. Lorsque les promesses du paradis et la peur de l’enfer.
nous sommes témoins d’une injustice, mais que Mais ces croyances occupent une place marginale
nous ne pouvons pas y mettre fin (et que donc chez les premiers chrétiens. Il est possible que, là
nous courons le risque de paraître égoïstes), encore, la motivation morale ait joué un rôle
nous avons tendance à condamner la victime. important. En effet, d’un point de vue moral, la
Plus généralement, il est possible que les idées religion chrétienne proposait à ses fidèles un pro-
d’un jugement dernier, d’un paradis et d’un jet: il ne s’agissait plus seulement de mener une
enfer, ou bien de réincarnation soient plébisci- vie meilleure, comme le proposaient les sectes
tées, parce qu’elles permettent de tolérer les philosophiques, mais de participer au sauvetage
injustices dont on est témoin sans donner l’im- du monde. Les chrétiens sont des « prétendants à
pression d’en être le complice : de toute façon, le la grandeur ». Ils sont là pour permettre le retour
méchant ira en enfer. Et si l’on est soi-même la du Christ et l’établissement du Royaume de Dieu.
victime, la croyance au paradis permet d’accep-
ter la situation sans se rebeller. Projet religieux
En fait, le sens moral inné et universel n’ex-
plique pas seulement le contenu, mais l’exis- et projet politique
tence même des grandes religions modernes. En d’autres termes, le christianisme a séduit le
Longtemps, les croyances surnaturelles n’ont monde antique parce qu’il proposait à tout un
pas interféré avec la morale. Elles concernaient chacun de participer à la transformation du
les phénomènes naturels, la sorcellerie, les ancê- monde. Le même élan se retrouvera à l’époque
tres, le mauvais œil, mais ne faisaient pas réfé- moderne dans les mouvements de luttes politi-
rence au bien et au mal. Puis, avec l’apparition ques et d’émancipation. Dans un petit livre inti-
des sociétés urbaines et des grands empires, les tulé Quand notre monde est devenu chrétien,
religions ont commencé à se modifier et, un l’historien Paul Veyne propose un parallèle auda-
peu partout au même moment – en Égypte, en cieux entre le projet chrétien et le projet commu-
Israël, à Rome, en Perse, en Inde, en Chine –, niste. Les deux projets s’appuient sur l’idée que le
des religions nouvelles sont apparues. monde est à la veille d’une transformation
Comment expliquer ce changement ? Il est morale radicale : « Comme on sait, il arrive
probable que la motivation morale, c’est-à-dire qu’un homme se croie appelé à changer la face
Bibliographie l’envie de mener une vie plus vertueuse, ait joué du monde. Lénine et Trotski ont pu se croire les
un rôle prépondérant. Avec le développement instruments du changement décisif de l’histoire
N. Baumard, Comment des villes et des empires, les gens ont été libérés universel. […] Au temps de Constantin, les chré-
nous sommes devenus tiens considéraient que l’Incarnation coupait en
des liens familiaux et ethniques qui, dans les
moraux, Odile Jacob,
sociétés plus primitives, limitaient leur champ deux l’histoire de l’humanité. » Au IIIe siècle, il
2010.
d’action. Ils ont ainsi pu créer une nouvelle était impensable pour les citoyens romains
P. Veyne, Quand
forme de sociabilité, fondée sur des liens d’affi- d’imaginer l’empire se transformer politique-
notre monde est devenu
chrétien, Le Seuil, 2007.
nité et des projets communs. Dans l’Empire ment (même la révolte de Spartacus ne deman-
romain, par exemple, des citoyens et des escla- dait pas la fin de l’esclavage). Cette aspiration
C.-B. Zhong et
ves, sensibles aux prédications, ont alors rejoint morale s’est donc naturellement traduite dans
K. Liljenquist, Washing
away your sins : des sectes philosophiques ou religieuses, tout un projet de transformation individuelle. Vingt
threatened morality and comme aujourd’hui, dans les sociétés moder- siècles plus tard, c’est la société que l’on cher-
physical cleansing, nes, on rejoint un parti politique, un cercle de chera à transformer. Les grandes révolutions
in Science, vol. 313, bienfaisance ou une association humanitaire. nécessitent des idéologies, qu’elles soient reli-
p. 1451, 2006. Comme aujourd’hui, ils y trouvaient probable- gieuses ou non. Le sens moral humain, hérité de
P. Boyer, Et l’homme ment une certaine chaleur humaine, ainsi qu’un millions d’années d’évolution biologique et cog-
créa les Dieux, réseau social et un lieu de culture. Avant tout, nitive, est toujours le ressort puissant dont ces
Gallimard, 2001. cependant, ces associations religieuses leur constructions ne sont que l’habillage. I
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Psychologie
sociale
Laurent Bègue
est professeur
de psychologie sociale
à l’Université
Les stratégies
de Grenoble, où
il dirige le Laboratoire
interuniversitaire
de psychologie :
de l’hypocrite
personnalité, cognition,
changement social
(EA 4145). L’hypocrisie est une caractéristique de l’homme social.
Cette posture donne lieu à divers paradoxes
où le sujet vertueux ne l’est jamais très longtemps!
« L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous de façon à produire une meilleure impression si
les vices à la mode passent pour vertus. » celle-ci est jugée par d’autres. Daniel Batson et
Molière, Dom Juan (1665) son équipe à l’Université du Kansas ont réalisé
une étude qui illustre cette définition.
e constat est sans appel : depuis
En Bref
L Molière, l’hypocrisie, qu’elle soit poli-
tique ou sociale, n’a pas disparu. Dans
Tartuffe ou Dom Juan, Molière a
moqué, raillé, critiqué l’hypocrisie.
Mais, force est de constater que près de 350 ans
plus tard, la situation n’a pas évolué. Aujourd’hui
encore, les politiques sont souvent accusés d’in-
Comment démasquer
les hypocrites ?
Les auteurs demandaient à des volontaires de
choisir entre deux tâches, l’une agréable, l’autre
non, et d’assigner à un partenaire la tâche dont
ils ne voulaient pas. La tâche intéressante consis-
• Tout le monde triche, cohérence entre leurs paroles publiques et leurs tait à passer un test où le sujet recevait, à chaque
des enfants aux adultes, actions privées. Mais comment définir l’hypo- bonne réponse, un ticket de tombola (l’enjeu de
quand ils pensent être crisie ? Pour en comprendre la logique sociale, il la tombola était un prix de 30 dollars), tandis
à l’abri des regards. convient d’en distinguer deux aspects impor- que dans l’autre tâche, on leur disait combien ils
tants : la valorisation morale recherchée par l’in- avaient donné de bonnes réponses, mais les
• Chacun chercherait
dividu, qui espère se montrer plus vertueux que sujets n’étaient pas récompensés. Les partici-
à soigner l’image
ses actes ne le révèlent, et l’écart, volontaire ou pants pouvaient soit procéder directement à l’at-
qu’il donne aux autres.
non, entre ses paroles et ses actes. L’hypocrisie tribution de la tâche, soit tirer au sort avec une
• Quand il a atteint est d’abord la conséquence de notre condition pièce de monnaie. Cette pièce leur était remise
un niveau satisfaisant sociale et de la gestion de notre image morale. dans un emballage en plastique scellé. Les candi-
d’autosatisfaction Nous examinerons ici dans quelles circonstan- dats avaient ainsi la possibilité de faire semblant
morale, le sujet oublie ces nous sommes hypocrites et pourquoi l’hy- d’avoir recours au hasard pour dissimuler le fait
ses belles intentions. pocrisie semble (avec le rire) être inhérente à la qu’ils avaient choisi la meilleure option.
• L’hypocrisie donne nature humaine. Les résultats ont montré que ceux qui n’ou-
lieu à des paradoxes Rappelons que le mot hupocritès, qui a sa vraient pas l’emballage plastifié, et qui, par consé-
où une personne place dans la plupart des langues européennes, quent, assumaient leur décision, s’octroyaient la
se jugeant exemplaire désignait, en grec, un acteur de théâtre… Ainsi, tâche la plus agréable dans plus de 80 pour cent
a parfois des conduites au sens littéral, nous sommes hypocrites quand des cas. Parmi ceux qui descellaient le sac, la
qui sont loin de l’être. nous jouons un personnage autre que le nôtre. proportion était exactement la même. Cela
Lorsque nous réalisons une action en l’orientant signifie qu’ils voulaient faire croire qu’ils s’ai-
© Images.com / Corbis
daient de la pièce pour prendre leur décision, tre écran aurait laissé croire qu’ils étaient racis- 1. Pour soigner
mais, en fait, ils ne l’utilisaient pas. tes. En revanche, quand l’évitement pouvait être son image sociale,
Une autre façon très astucieuse de démasquer imputé au contenu d’un film, ils évitaient la per- il convient de sembler
les hypocrites a été imaginée par Mark Snyder et sonne noire en prétendant préférer l’autre film. honnête, fiable, loyal
ses collègues de l’Université du Minnesota. Des et amical, comme
participants devaient évaluer un film, mais l’a montré une récente
avaient le choix entre deux écrans de télévision.
Des mots aux actes... enquête. La réalité n’est
pas nécessairement
Ces deux écrans étaient simplement séparés par Se présenter comme une personne qui sou-
à la hauteur de cette
un paravent, et les participants pouvaient aper- tient les victimes de discrimination, par exemple vision qui fait fi
cevoir une personne handicapée de dos qui était en se montrant proche des minorités ethniques, de l’hypocrisie,
déjà assise devant un des postes, et une per- tout en ayant un comportement qui ne traduit un ingrédient important
sonne non handicapée devant l’autre. pas cette attitude, résulte souvent d’une volonté de la vie en société.
Les auteurs de l’étude cherchaient à savoir si la d’apparaître sous un jour favorable. Dans une
crainte d’être perçu comme quelqu’un se détour- étude américaine datant des années 1970, on
nant d’une personne handicapée influence le évaluait les préjugés raciaux de volontaires au
comportement. Les expérimentateurs proje- moyen de questionnaires préliminaires, puis on
taient le même film ou deux films différents, et leur indiquait ensuite qu’ils allaient être interro-
les sujets pouvaient choisir celui qu’ils voulaient gés sur leurs croyances. Pour cela, ils devaient
voir. Les résultats ont montré que, dans le cas où choisir l’enquêteur au moyen de fiches qui décri-
le même film était projeté, les sujets choisis- vaient des professionnels très comparables sur
saient l’écran devant lequel était assise la per- de nombreux aspects (origine sociale, religion,
sonne handicapée, mais lorsque les deux films cursus). Seules les photographies des enquêteurs
étaient différents, ils choisissaient l’autre poste, étaient différentes : certains étaient noirs et d’au-
prétextant que c’était ce film qu’ils voulaient tres blancs. Les résultats ont montré que les per-
voir. Les participants avaient ainsi la possibilité sonnes pour lesquelles la religion était centrale
d’éviter la personne handicapée, sans l’avouer. donnaient des réponses au questionnaire préala-
Une autre étude utilisant le même dispositif a ble qui ne laissaient transparaître aucune atti-
montré que des participants pour lesquels la tude discriminatoire. Cependant, elles évitaient
religion était une dimension importante de leur tout aussi fréquemment que les autres l’enquê-
identité s’asseyaient davantage près d’une per- teur noir. Autrement dit, les croyants très enga-
sonne noire lorsque les deux films étaient iden- gés sont plus vertueux que les autres sur le
tiques, c’est-à-dire lorsque le fait de choisir l’au- papier, mais pas dans leurs actes.
Dans certains cas, la préoccupation de ne pas Nous sommes également sensibles à notre
se montrer raciste peut aller jusqu’à favoriser mise en scène quand nous nous transformons
une discrimination inversée, purement motivée en redresseurs de torts. Des anthropologues ont
par la crainte d’être montré du doigt. Dans une ainsi étudié le phénomène de « punition coû-
ancienne étude américaine, un chercheur obser- teuse » par laquelle un individu est prêt à per-
vait le sort qui était réservé aux usagers d’un dre de l’argent si cela permet qu’un adversaire
palace qui ne respectaient pas le code vestimen- n’ayant pas respecté une règle d’équité à un jeu
taire en vigueur. Lorsqu’un couple se présentait d’argent soit puni. Dans 15 sociétés différentes
au restaurant et que l’homme était habillé de incluant des groupes d’Amérique du Nord,
façon trop décontractée, leur probabilité de ne d’Amérique du Sud, d’Afrique, d’Asie et
pas être acceptés était deux fois supérieure s’ils d’Océanie, des sujets ont participé à un jeu de
étaient blancs que s’ils étaient noirs. Le maître société en ligne durant lequel ils devaient miser
d’hôtel avait pourtant de bonnes raisons d’op- des sommes d’argent sur des projets collectifs et
poser un refus aux clients peu soignés, mais la se répartir les bénéfices à la fin de la partie.
crainte d’être suspecté de racisme devait être
plus forte que celle d’être mis en cause pour
non-application des usages quant à la présenta-
Le justicier démasqué
tion vestimentaire des clients. Durant la partie, certains joueurs essayaient
L’hypocrisie est un phénomène qui traduit de minimiser leur contribution en misant des
nos motivations morales. Nous avons appris sommes inférieures à celles que la majorité pro-
que nos semblables sont sensibles, autant que posait, alors qu’à la fin de la partie, les bénéfices
étaient répartis à parts égales entre tous. Ceux
qui misaient le plus avaient la possibilité de
punir par une amende ceux qui ne misaient pas
assez, mais, d’après la règle du jeu, ils savaient
que s’ils se transformaient en justiciers, ils per-
draient eux-mêmes de l’argent. Malgré cette
pénalité, les participants préféraient punir l’au-
teur d’une injustice commise à leur encontre ou
même envers un tiers.
Une précision toutefois : les joueurs avaient
la possibilité de sanctionner les tricheurs, mais
les expérimentateurs précisaient à certains
avant l’expérience que leur rôle de « justicier »
Jean-Michel Thiriet
Dans une autre condition expérimentale, les nes se déclarant non croyantes. Par exemple,
sujets ne faisaient qu’observer l’expérience et dans une étude réalisée auprès d’un échantillon
on leur demandait s’ils jugeaient plus moraux représentatif de la population habitant en Île-de-
– ou non – les sujets qui avaient accompli la France et dans le Nord, on remettait huit euros
tâche jusqu’au bout. Les psychologues ont aux participants pour qu’ils remplissent un
constaté qu’effectivement tous jugeaient les questionnaire informatisé. À l’issue de ce test, on
sujets assidus plus moraux que celui qui avait leur proposait de céder une partie de cette
quitté son poste, sauf dans un cas. Il s’agissait somme à une association d’aide aux victimes de
des sujets participant réellement à l’expérience violences. Les résultats ont montré que ni l’im-
(pas quand ils étaient de simples spectateurs) et portance accordée à la religion ni la pratique reli-
quand ils avaient eu l’occasion, avant l’expé- gieuse n’étaient liées à la somme d’argent cédée.
rience, d’évoquer une valeur personnelle ou un
trait de leur personnalité qu’ils jugeaient impor-
tant. Ainsi, quand, dans une expérience prélimi-
naire, on les avaient interrogés sur des qualités
personnelles qui les caractérisaient (talent musi-
cal, créativité, sens de l’humour, capacités spor-
tives), l’attitude de celui qui « quittait le navire »
ne les choquait pas : quand le sujet se sent suffi-
Jean-Michel Thiriet
samment « autovalorisé », il ne ressent plus le
besoin de se transformer en justicier.
La mise en scène joue également un rôle
important dans l’évaluation de la valeur
morale des actes. Dans une étude, des enfants
âgés de 13 ans participaient à un test permet-
tant aux vainqueurs de gagner un prix. Les La religion ne semble pas motiver les conduites 3. Se transformer
expérimentateurs commençaient, dans une altruistes quand ces conduites ont un coût. Par en justiciers : certains
étape préalable, par demander aux enfants exemple, dans une étude réalisée par les sociolo- n’hésitent pas à punir
comment ils jugeaient les tricheurs. Puis le gues américains Samuel et Pearl Oliner et consa- les tricheurs, même s’ils
psychologue organisait l’exercice : après avoir crée à 219 Allemands ayant risqué leur vie pour doivent en payer le prix.
passé leur test, les enfants devaient le corriger sauver des juifs de l’extermination, il n’y avait pas
eux-mêmes. Croyant ne pas être observés, ils plus de religieux. D’autres recherches menées sur
pouvaient facilement falsifier leurs résultats. le terrain indiquent que si l’on recherche des
On faisait circuler une feuille de scores, et ils volontaires pour aider des enfants handicapés,
pensaient que s’ils y inscrivaient une note les croyants ne s’impliquent pas plus que les
supérieure à celle qu’ils avaient réellement autres. Selon certains travaux, il semblerait que
obtenue, personne ne le saurait. les personnes croyantes sont plus altruistes que
Les psychologues ont constaté qu’environ la les autres seulement quand leur attitude bénéfi-
moitié des enfants fraudent effectivement. Le cie aux personnes du groupe religieux lui-même
lendemain, les jeunes participants devaient ou à leurs proches.
remplir un questionnaire comprenant diver-
ses questions incluant une mesure de l’accep- Les situations
tabilité morale de la triche. On a ainsi mis en
évidence un effet intéressant d’autojustifica- qui favorisent l’hypocrisie
tion : les enfants qui avaient triché jugeaient la Certains contextes sociaux favorisent l’hypo-
triche plus acceptable qu’ils ne l’avaient fait crisie, notamment les situations de pouvoir, si
dans le questionnaire préalable, tandis que l’on en croit les travaux de chercheurs hollan-
ceux qui avaient résisté à la tentation de tri- dais. La première étape consistait à amorcer un
cher se montraient beaucoup plus intolérants sentiment de pouvoir en demandant aux parti-
vis-à-vis des contrevenants. cipants de se rappeler une situation où ils
La religion joue-t-elle un rôle dans les condui- avaient eu beaucoup de pouvoir, ou en leur
tes hypocrites, religion et morale étant très liées attribuant une position hiérarchique élevée
chez les croyants ? Selon de nombreuses recher- dans un jeu de rôles simulant l’organisation
ches, les personnes croyantes déclarent donner d’une entreprise. On demandait ensuite aux
davantage aux œuvres caritatives, confessionnel- participants de juger diverses transgressions
les ou non. Pourtant, les études contrôlées ne le morales et on leur donnait l’opportunité de
confirment pas : les individus qui se déclarent voler de l’argent ou de tricher dans un jeu. Les
croyants n’ont pas de conduites d’entraide ou de résultats ont confirmé que les positions de
comportements coopératifs plus que les person- pouvoir rendent plus sourcilleux quant aux
Jean-Michel Thiriet
en sorte qu’ils consacrent quelques minutes à
une recherche qui ne semblait pas être liée aux
achats qu’ils venaient de réaliser.
Dossier
44
Les deux visages
du stress 52
Pour éviter
l’épuisement
56 mental
Raphael Queruel
Cerveau
sous tension
Dossier
Mathias Schmidt,
biologiste, travaille
à l’Institut Max Planck
de psychiatrie
Les deux visages
de Munich.
Lars Schwabe
est psychologue
à l’Université de Trier,
du stress
en Allemagne.
La pression psychologique peut renforcer l’attention,
améliorer la mémoire et stimuler les capacités d’apprentissage.
Mais un excès de stress risque d’avoir les effets inverses.
U
que vous aviez beaucoup travaillé, que vous
contre les ravages dus à l’alcool vous sentiez prêt, votre performance aux exa-
– Un verre ça va, trois verres bon- mens était souvent un peu décevante. Sans
jour les dégâts – pourrait être doute vous est-il arrivé de ne pas réussir à
transposé au stress. Un peu de retrouver la bonne réponse à une question, alors
stress renforce certaines capacités cognitives, que vous la connaissiez et qu’elle vous est reve-
En Bref trop de stress nuit à la santé. En effet, si le stress nue à l’esprit quelques heures après l’examen.
a longtemps été redouté pour ses effets négatifs, Une explication possible de ce phénomène est le
• Les hormones
on lui reconnaît aussi des effets positifs et c’est stress : l’anxiété est susceptible d’avoir perturbé
de stress telles
ce que nous allons examiner ici. le rappel des informations mémorisées.
que l’adrénaline et Vous avez déjà ressenti des picotements dans
le cortisol améliorent la poitrine et une certaine oppression à l’idée
la mémoire ou d’une réunion où vous devrez prendre la parole
Émotions et mémoire
la dégradent, selon ou à cause d’une interaction tendue avec votre Cette explication peut paraître évidente, mais
le moment où elles patron. Ou encore le sentiment d’un poids sur en réalité les effets du stress sur la mémoire sont
sont libérées. les épaules devant les dossiers qui s’accumulent très nuancés. Différents travaux ont montré que
• Les hormones et qui doivent tous être rendus en fin de dans certaines circonstances, la pression psy-
de stress renforcent semaine. Ces sensations familières du stress chologique peut au contraire améliorer le rap-
ou affaiblissent peuvent nous obnubiler au point que nous pel des informations – mais pas nécessairement
les synapses, finissons par nous concentrer uniquement sur de celles que vous recherchez dans votre
les connexions nos soucis. Mais ses effets ne s’arrêtent pas là : le mémoire. Les personnes qui éprouvent de telles
entre neurones. stress peut aussi provoquer des modifications difficultés au cours d’un examen se souviennent
• Des médicaments physiologiques. Dans une situation stressante, combien elles se sont senties frustrées, voire
imitant l’action les systèmes cérébraux d’alarme déclenchent la honteuses, dans ces occasions. Les expériences
des molécules libération d’hormones qui nous préparent à chargées émotionnellement – que les émotions
d’adhérence, qui combattre ou fuir une scène dangereuse. Ces ressenties soient positives ou négatives – restent
relient les neurones, substances peuvent, entre autres, faire augmen- gravées dans la mémoire. Essayez de vous sou-
pourraient restaurer ter la tension artérielle et accélérer la fréquence venir de vos expériences les plus marquantes de
la mémoire chez cardiaque et la fréquence respiratoire (voir l’en- l’année écoulée. Il y a fort à parier qu’elles ont
des personnes cadré page 47). Elles peuvent aussi perturber les été accompagnées par une grande joie, une dou-
souffrant de troubles capacités d’apprentissage et de mémorisation. leur profonde ou un stress important.
cognitifs dus au stress. Essayez de repenser aux examens que vous Les psychologues cherchent depuis longtemps
avez passés pendant votre scolarité. Même lors- à démêler le rôle des émotions dans l’encodage
des souvenirs associés au stress. Plusieurs équi- certains des participants ont subi le test de stress
pes sont récemment arrivées à la conclusion que social de Trier, une procédure qui soumet les
les effets du stress dépendent du moment où il se sujets à une série d’expériences stressantes, par
manifeste et de sa durée : le moment détermine exemple prendre la parole devant trois person-
si l’agent stressant augmentera le rappel d’un nes jouant le rôle de dirigeants d’entreprise pour
souvenir ou le perturbera. Par ailleurs, on a essayer de décrocher un emploi, puis effectuer
montré que si un stress de courte durée stimule des opérations de calcul mental devant ce même
la mémorisation, un stress qui se prolonge est comité. Peu après, les sujets devaient se souvenir
toujours délétère. Comprendre ce qui distingue des mots qu’ils avaient appris la veille. Les résul-
les différentes réactions physiologiques à un tats ont montré que le stress diminuait le nom-
stress bref et à un stress prolongé pourrait abou- bre de mots chargés émotionnellement dont les
tir à la mise au point de nouveaux traitements sujets étaient capables de se souvenir, tandis
susceptibles de réduire, voire d’inverser, l’impact qu’il n’affectait pas le rappel des mots neutres.
néfaste du stress sur la mémoire.
En 2005, Sabrina Kuhlmann et deux de ses
collègues de l’Université de Düsseldorf, en
Souvenirs brouillés
1. Passer un examen
Allemagne, ont réalisé une expérience pour tes- Des expériences antérieures avaient montré
représente toujours
ter les effets du stress sur la mémoire. Ces psy- que l’administration de cortisol, l’hormone du
un stress important. Dans
chologues voulaient savoir si le stress perturbe stress, peut diminuer la capacité de rappel de de telles circonstances,
plutôt le rappel de souvenirs chargés émotion- souvenirs, mais l’étude de S. Kuhlmann était la beaucoup de candidats
nellement ou celui des souvenirs neutres. Ils ont première à montrer que le stress peut avoir le oublient en partie
demandé à 19 jeunes hommes de mémoriser même effet, parce qu’il provoque la libération de ce qu’ils avaient appris
une liste de 30 mots qui avaient une connota- diverses hormones, dont le cortisol. Ce résultat et croyaient connaître
tion positive, négative ou neutre. Le lendemain, pourrait expliquer pourquoi les personnes qui se parfaitement.
Pixel 4 images / Shutterstock
sentent stressées – par exemple pendant un exa- quer ces résultats apparemment contradictoi-
men ou un entretien d’embauche – ont parfois res. Selon eux, le stress stimule la mémoire s’il
des difficultés à se souvenir d’informations se produit à peu près en même temps que l’évé-
importantes que pourtant elles ont en mémoire. nement à mémoriser et si les hormones de
Initialement, cette expérience semblait contre- stress et l’événement activent les mêmes systè-
dire des études plus anciennes, selon lesquelles le mes biologiques. En d’autres termes, le stress ne
rappel d’informations chargées émotionnelle- stimule la mémoire que « s’il y a convergence
ment était amélioré par l’administration de dans le temps et dans l’espace ».
cortisol ou par des expériences stressantes. La convergence dans le temps, comme l’ex-
Dans une étude publiée en 2003, Larry Cahill et pliquent les auteurs, se produit quand les hor-
ses collègues, de l’Université de Californie à mones de stress sont libérées pendant l’événe-
Irvine, avaient demandé à 48 hommes et fem- ment à mémoriser ou juste après. Plonger les
mes de regarder une série d’images chargées mains dans l’eau glacée juste après avoir appris
émotionnellement ou neutres. Juste après, cer- une série d’images, par exemple, semble renfor-
tains des participants devaient plonger leurs cer le souvenir de ces images. Mais les hormo-
mains dans de l’eau glacée – un test qui provo- nes de stress ont l’effet opposé lorsqu’elles sont
que de l’inconfort et fait augmenter la concen- libérées avant l’événement ou longtemps après
tration sanguine en cortisol chez la plupart des – comme dans le cas de l’expérience où les
gens. Le groupe contrôle, lui, plongeait ses sujets subissaient le test de stress social de Trier
mains dans une bassine d’eau tiède. Une 24 heures après avoir appris la liste de mots.
semaine plus tard, les deux groupes passaient
un test de mémoire : les participants qui avaient La convergence dans
subi le traitement à l’eau froide se souvenaient
d’un plus grand nombre d’images que le le temps et dans l’espace
groupe contrôle. Dans les deux études, le stress Quant à la convergence dans l’espace, elle se
n’avait d’effet que sur le matériel chargé émo- produit lorsque les hormones libérées en
tionnellement, mais, dans un cas, il perturbait réponse au stress activent les mêmes circuits
la mémoire, dans l’autre il la renforçait. neuronaux que les informations à traiter et à
Comment le stress peut-il avoir des effets stocker. Cependant, ces conditions n’augmen-
opposés ? En 2006, Marian Joëls et ses collègues, tent la mémoire que si le stress est de courte
de l’Université d’Amsterdam aux Pays-Bas, ont durée. L’effet bénéfique disparaît si le stress
proposé une « théorie unificatrice » pour expli- devient chronique ou se répète trop souvent.
M. Joëls et ses collègues ont aussi proposé un
mécanisme pour expliquer comment le stress
exerce des effets opposés sur la mémoire.
L’organisme réagit en deux temps au stress. Au
début, le stress entraîne la libération d’hormo-
nes et de neurotransmetteurs qui favorisent l’at-
Lars Schwabe et al., in Learning and memory, vol.14(1-2), jan. 2007
Réponse rapide 1
En cas de stress, l’hypothalamus envoie un signal le
long des fibres du système nerveux sympathique jusqu’à la
médullosurrénale, la zone centrale de la glande surrénale,
juste au-dessus des reins. La médullosurrénale libère les hor-
mones de stress (l’adrénaline et la noradrénaline), qui pré-
parent le corps à une réponse rapide de combat ou de fuite. Hypothalamus
Les réserves d’énergie sont mobilisées ; la tension artérielle
et la fréquence cardiaque augmentent pour mieux alimenter
les muscles en nutriments ; la respiration s’amplifie de sorte
qu’une plus grande quantité d’oxygène atteint le cerveau ;
des analgésiques naturels sont libérés de façon préventive ;
et les plaquettes sont activées pour minimiser la perte de
sang en cas de blessure.
Raphael Queruel
1
Hypophyse
Hypothalamus
CRH
2 Réaction tardive
ACTH 2
Flux sanguin Cortisol Par la suite, l’hypothalamus,
l’hypophyse puis la corticosurrénale (la
zone périphérique de la glande surré-
Glande nale) libèrent successivement d’autres
surrénale hormones. D’abord, l’hormone de libé-
Rein ration de la corticotropine (CRH), qui est
produite dans l’hypothalamus, circule
jusqu’à l’hypophyse, une structure de la
taille d’une amande localisée près de la
Système nerveux
sympathique base du crâne. Ensuite la CRH déclen-
che la libération dans le sang d’une
autre hormone, l’hormone adrénocorti-
Libération d’adrénaline cotropine, (ACTH), qui circule jusqu’à la
et de noradrénaline corticosurrénale où elle déclenche la
libération du cortisol – la plus impor-
Sebastian Kaulitzki /Shutterstock - Cerveau & Psycho
est plus difficile parce que le stress du passage gagner 50 centimes en sélectionnant la carte
de l’examen se produit des heures ou des jours « gagnante » parmi les quatre cartes posées sur
après l’acquisition de l’information. la table. La moitié des joueurs avaient été sou-
Le stress n’affecte pas seulement la quantité mis au test de Trier avant de jouer.
d’information que nous mémorisons, mais Ce qu’aucun des joueurs ne savait, c’est que
aussi le type d’information. Notre mémoire la carte gagnante était toujours au même
n’est pas comme un grand tiroir dans lequel endroit – à côté de la plante. À chaque jeu, la
nous jetons tout ce que nous venons d’appren- configuration de la pièce changeait. Au début,
dre. Elle ressemble plutôt à une armoire de clas- les joueurs ne trouvaient la carte gagnante que
sement géante avec de nombreux tiroirs et des par hasard. Mais à mesure qu’ils jouaient, ils
dossiers, dont chacun contient différents types utilisaient l’une ou l’autre de deux stratégies.
d’information. Certains de ces dossiers – dont Certains joueurs utilisaient comme indice de
la mémoire épisodique, qui nous donne accès localisation possible de la carte gagnante diffé-
aux expériences que nous avons vécues – sont rents objets de la pièce, par exemple la porte, la
extrêmement sensibles au stress. La mémoire fenêtre ou l’horloge : c’est la stratégie de l’ap-
procédurale, faire du vélo ou taper à la prentissage spatial.
machine, par exemple, est peu perturbée par le D’autres joueurs utilisaient une stratégie d’ap-
stress. Ces différents systèmes de mémoire prentissage dite stimulus-réponse : ils recher-
fonctionnent en parallèle et peuvent parfois chaient une association entre la carte gagnante
entrer en compétition, et le stress fait partie des et un autre objet dans la pièce. Il nous était facile
facteurs qui déterminent lequel de ces systèmes de vérifier la stratégie utilisée par un joueur en
prend le dessus à un moment donné. déplaçant la plante et en plaçant la carte
gagnante près de la nouvelle position de la
plante ou bien en la laissant là elle se trouvait
3. Prononcer Apprentissage perturbé précédemment. Si un joueur sélectionnait la
un discours Pour tester l’effet du stress sur différentes carte qui avait toujours été dans le coin gagnant,
est une tâche jugée
stratégies d’apprentissage, nous avons réalisé nous pouvions conclure qu’il utilisait la stratégie
stressante par la plupart
une expérience en 2007 à l’Université de Trèves, d’apprentissage spatial. Au contraire, un joueur
des gens. Les scientifiques
utilisent les prises en Allemagne. Nous avons montré à des parti- qui sélectionnait la carte à côté de la plante dans
de parole en public cipants un modèle tridimensionnel de pièce sa nouvelle localisation utilisait probablement la
pour provoquer contenant une chaise, une plante et une table stratégie d’apprentissage stimulus-réponse.
un stress important chez sur laquelle se trouvaient quatre cartes tournées Les résultats ont révélé que les participants
les sujets qui participent face contre la table (voir la figure 2). Chaque qui n’avaient pas subi le test de stress utilisaient
à leurs expériences. participant a joué 13 fois à ce jeu et pouvait plutôt la stratégie d’apprentissage spatial, plus
Raphael Queruel
En 2009, nous avons confirmé l’hypothèse Récepteur
selon laquelle, sous l’effet du stress, le cerveau Neurone postsynaptique Molécule d’adhérence
préfère la mémoire rigide des « habitudes » à la
mémoire cognitive plus adaptable. Nous avons 4. Les synapses sont les espaces qui séparent les neurones et servent à la transmission
soumis la moitié de nos sujets au traitement de l’influx nerveux d’un neurone à l’autre. À chaque synapse, le neurone présynaptique
stressant de l’eau glacée pendant plusieurs libère une bouffée de neurotransmetteurs, des messagers chimiques qui traversent
minutes, tandis que les participants du groupe l’espace et se lient à leurs récepteurs situés sur le neurone postsynaptique. Des molécules
contrôle plongeaient leurs mains dans de l’eau d’adhérence cellulaire connectent les deux neurones, stabilisant la synapse. Des résultats
tiède. Ensuite, tout le monde a dû choisir entre récents indiquent que le stress perturbe la production des molécules d’adhérence
du lait chocolaté et du jus d’orange en cliquant synaptique, ce qui aurait des conséquences sur la mémoire à long terme selon que les
sur des symboles présentés sur un écran d’or- synapses sont renforcées ou affaiblies.
dinateur. Les participants ont rapidement
appris quel symbole leur fournissait la boisson
de leur choix, mais ensuite nous leur avons événements : où ai-je déjà trouvé de la nourri-
coupé l’appétit en les nourrissant de gâteaux au ture ? Où est mon nid ? Quels sont les endroits
chocolat ou d’oranges. dangereux que je dois éviter ? Pour survivre, il
Lorsqu’ils ont dû choisir à nouveau des bois- est essentiel d’avoir des souvenirs fiables des
sons, les participants du groupe contrôle qui événements menaçants, donc stressants.
avaient mangé des gâteaux au chocolat ont évité Les scientifiques ont conçu diverses méthodes
le lait chocolaté, et ceux qui avaient mangé des pour mesurer l’apprentissage et la mémoire chez
oranges évitaient le jus d’orange. Mais les sujets les animaux. Une procédure fréquemment utili-
qui avaient été stressés ne réagissaient pas de la sée a été développée en 1984 par Richard Morris,
même façon : alors qu’ils rapportaient n’avoir de l’Université de St Andrews en Écosse. Il s’agit
plus envie de la nourriture qu’ils venaient d’in- d’un labyrinthe aquatique – un grand bassin
gérer, ils continuaient à cliquer sur le symbole rempli d’eau froide. Contrairement à un laby-
associé. Ils étaient devenus victimes de leurs rinthe classique, le labyrinthe aquatique ne pré-
habitudes, fonctionnant en « pilotage automati- sente pas d’embranchements ; les rats placés
que ». D’un point de vue évolutif, l’avantage de dans le bassin ne peuvent pas voir une petite pla-
cette stratégie est évident – cela permet au cer- teforme cachée juste au-dessous de la surface de
veau de se concentrer sur les choses les plus l’eau, mais ils sont très motivés pour la trouver,
importantes en présence d’un stress. car plus vite ils la trouvent, plus vite ils peuvent
sortir de l’eau froide. Au début, un rat placé dans
l’eau ne trouve la plateforme que par hasard.
Rats stressés Mais après plusieurs essais, il apprend à utiliser
Les expériences réalisées avec des volontaires des éléments présents dans son environnement
humains peuvent contribuer à révéler les effets pour se diriger rapidement vers la plateforme.
du stress sur l’apprentissage et la mémoire, mais Les études utilisant le labyrinthe aquatique
les expériences avec des modèles animaux ont montré que les hormones de stress jouent
apportent aussi des indications. Comme nous, un rôle important dans le processus d’appren-
les rats, les souris, les poussins et autres verté- tissage chez le rat. Par exemple, en 1992, Melly
brés libèrent des hormones et des neurotrans- Oitzl et Ronald de Kloet, de l’Université de
metteurs en réponse au stress. Et comme nous, Leyde aux Pays-Bas, ont montré qu’en l’absence
les animaux doivent se souvenir des lieux et des d’hormones de stress, les performances des rats
dans le labyrinthe aquatique sont très mauvai- rones, stabilisant les synapses et permettant la
ses : après ablation des glandes surrénales res- transmission des signaux de l’un à l’autre. Les
ponsables de la libération de l’hormone de molécules d’adhérence jouent un rôle impor-
stress corticostérone (comparable au cortisol tant dans le rétablissement des contacts entre
des êtres humains), les animaux mettent beau- neurones. Elles sont aussi impliquées dans les
coup plus de temps à localiser la plateforme. modifications de la force des synapses en
Comme dans le cas de l’homme, tout dépend réponse à l’augmentation ou à la diminution
du moment où a lieu le stress. Un stress qui n’est des signaux transmis.
pas lié à la tâche d’apprentissage peut détériorer Des travaux récents suggèrent que le stress
la mémoire, comme l’ont montré David modifie la production de ces molécules d’adhé-
Diamond et ses collègues du Centre des sciences rence, ce qui influe sur la mémoire à long terme.
de santé de l’Université du Colorado dans une L’équipe de Carmen Sandi, de l’École polytech-
expérience réalisée en 1996. Ils ont d’abord nique fédérale de Lausanne, en Suisse, a décou-
entraîné des rats à rechercher de la nourriture vert que le stress active des molécules d’adhé-
cachée dans plusieurs bras d’un labyrinthe rence neuronale (NCAM) de l’hippocampe
radial à 14 branches. Après environ un mois, les – une région du cerveau essentielle à l’apprentis-
rats exploraient rarement les bras ne contenant sage de nouvelles informations et à leur consoli-
pas de nourriture. Après cette première étape, dation en mémoire à long terme. Les souris chez
les expérimentateurs retiraient les rats du laby- qui l’on empêche, par manipulation génétique,
rinthe dès qu’ils avaient trouvé quatre des sept les NCAM de s’activer présentent des déficits des
friandises. Ils les plaçaient soit dans un environ- capacités d’apprentissage et de la mémoire.
nement familier, soit dans un environnement
stressant pendant une durée plus ou moins lon- Le rôle
gue, pouvant atteindre quatre heures. Lorsque
les rats non stressés étaient remis dans le laby- des molécules d’adhérence
rinthe, ils n’avaient pas oublié où se trouvaient Quand les mécanismes cellulaires par lesquels
Bibliographie les trois friandises restantes, tandis que les rats le stress perturbe la mémoire auront été éluci-
stressés faisaient beaucoup plus d’erreurs. dés, pourra-t-on appliquer ces résultats à la mise
Dans le dédale Un stress persistant ou intense peut même au point de médicaments visant à traiter les
des mémoires. Comment dégrader les capacités cognitives à long terme. troubles cognitifs liés au stress, voire la maladie
s’y repérer ?, L’Essentiel En 2009, nous avons montré que des souris sou- d’Alzheimer ? Le projet MemStick, financé par
Cerveau&Psycho, mises à un stress chronique au début de leur vie l’Union européenne, qui étudie les effets de
n° 6, mai-juillet 2011. n’obtiennent jamais d’aussi bonnes performan- l’adhérence cellulaire en est un exemple.
V. Sterlemann at al., ces que leurs congénères non stressées à des tests L’hypothèse est simple : si les molécules d’adhé-
Chronisc social stress de mémoire réalisés quand elles sont plus âgées. rence sont responsables de la formation et de la
during adolescence stabilisation des synapses, nous devrions être
induces cognitive
capables de développer des substances analo-
impairment in aged Synapses renforcées gues qui restaurent la mémoire en reproduisant
mice, in Hippocampus,
vol. 20(5), pp. 540-549, La raison en est que les souvenirs sont gravés l’action de ces molécules. Effectivement, les
2010. dans les synapses, les connexions entre neuro- neurobiologistes ont déjà développé un pep-
L. Schwabe et al., Stress nes, par lesquels l’influx nerveux passe d’un tide mimétique des NCAM, c’est-à-dire une
prompts habit behavior neurone au suivant. L’apprentissage renforce petite protéine similaire à une portion de la
in humans, in J. of ces connexions intercellulaires. C’est ce proces- molécule NCAM. On a montré que si des rats
Neuro., vol. 29(22), sus qui permet au cerveau de stocker des infor- exposés à un stress chronique sont traités par ce
pp. 7191-98, 2009. mations et de les rappeler. Les synapses peuvent peptide, leurs performances cognitives sont
R. Bisaz et al., Learning se renforcer ou s’affaiblir au cours du temps, les moins dégradées qu’en l’absence de traitement.
under stress : a role for souvenirs étant alors conservés ou oubliés. Ce premier résultat fait naître l’espoir qu’un
the neural cell adhesion Si les hormones de stress agissent sur les cel- jour de nouveaux médicaments permettront de
molecule NCAM, in lules nerveuses au « bon moment », elles peu- réduire – voire d’inverser – les effets négatifs du
Neurobiol. of Learning vent améliorer durablement la transmission du stress sur les processus mnésiques. Il sera même
and Memory, vol. 91(4),
signal, et par conséquent le souvenir d’un événe- peut-être possible de développer des médica-
pp. 333-342, 2009.
ment ou d’un lieu particulier. Mais si les hormo- ments susceptibles d’augmenter les effets posi-
L. Schwabe et al., Stress nes ne sont pas présentes à ce moment-là, les tifs du stress sur la mémoire et le rappel des
modulates the use of
connexions entre neurones sont plus faibles, et souvenirs. Imaginez un cachet capable de vous
spatial versus stimulus-
reponse learning
les souvenirs associés seront facilement oubliés. aider à faire un sans-faute à un examen ou à un
strategies in humans, in Des molécules d’adhérence cellulaire, qui entretien d’embauche. Gageons que vous pen-
Learning and Memory, relient les cellules entre elles, pourraient être serez à cette perspective la prochaine fois que
vol. 14, pp. 109-116, essentielles aux mécanismes cellulaires de l’ap- vous vous sentirez submergé par la pression de
2007. prentissage. Ces protéines connectent les neu- la vie, du travail et même de l’amour ! I
➜
les comportements humains. Les articles font
le point sur les résultats les plus récents publiés
par les scientifiques. Clairs et bien illustrés,
ils sont accessibles et abordent des sujets variés.
➜
question à laquelle les sciences cognitives apportent
des réponses nouvelles. Sur un même thème, chaque
Prochain numéro
en kiosque numéro rassemble des articles déjà publiés dans
le 24 novembre. Cerveau & Psycho, complétés d’articles inédits.
Dossier
Robert Epstein,
professeur de
psychologie, est l’ancien
rédacteur en chef de la
Pour éviter
revue Psychology Today.
l’épuisement mental
Une nouvelle étude suggère que notre contrôle
du stress est insuffisant, mais que certaines
stratégies permettent de l’améliorer.
L
senté à Los Angeles, j’ai comparé différentes
Même les meilleures choses – le bon techniques de management du stress pour
vin, les mets fins, le sexe – peuvent identifier les plus utiles.
nous stresser. Il ne nous est tout sim- Malheureusement, tandis qu’on apprend à
plement pas possible d’échapper au lire, à écrire, à compter et tant d’autres choses,
stress. Si des niveaux élevés sont délétères pour on n’apprend jamais à contrôler son stress.
la plupart des gens, perturbant leur santé, et Nombre de personnes, qui se sentent submer-
détériorant leur humeur et leur productivité, gées par tout ce qu’elles ont à faire (payer les
beaucoup se sentent mieux quand ils sont factures, changer le pneu de la voiture, rempla-
aiguillonnés par un peu de stress. Effectivement, cer l’ampoule électrique dans la cuisine, etc.) et
peu nombreux sont ceux qui parviennent à être par tout ce que leur patron exige d’elles, ont
productifs sans être poussés par le stress, des recours à des procédés autodestructeurs. Plutôt
objectifs à tenir, par exemple. Et pourtant, je que d’affronter la difficulté, elles fuient et se
pense que le stress n’est pas forcément néces- réfugient dans les drogues ou l’alcool.
saire. Si certaines personnes sont particulière-
En Bref ment performantes dans des conditions stres- Comment évaluer
santes (par exemple les sportifs participant aux
• Peu de gens jeux Olympiques), d’autres sont tout aussi effi- le niveau de stress
apprennent comment caces alors qu’elles sont relaxées (par exemple Diverses recherches réalisées depuis quelques
gérer leur stress, ce qui les maîtres de kung-fu). Et je pense que cela décennies suggèrent qu’il existe au moins qua-
expliquerait pourquoi devrait être notre objectif : réussir à avoir une tre ensembles de capacités ou « compétences »,
on sait mal y faire face. vie productive, dans des conditions dépour- qui permettraient à chacun, après les avoir
• Si les techniques vues de stress. apprises, de mieux pour faire face au stress : le
de relaxation telles Gardons à l’esprit qu’il n’existe qu’une vague contrôle des sources (réduire ou éliminer les
que le yoga relation entre le stress – nos réactions physiolo- sources de stress), la relaxation (pratiquer des
et la méditation giques aux stimulus perçus comme mena- techniques, telles que le contrôle de sa respira-
peuvent aider, mieux çants – et les déclencheurs de notre stress – les tion ou la méditation), le contrôle des pensées
vaudrait apprendre stimulus qui nous menacent réellement. Un (apprendre à repousser les pensées irrationnel-
à éviter le stress avant embouteillage peut nous stresser un jour, mais les et à interpréter les événements), et la pré-
qu’il ne survienne. pas le lendemain. Et c’est une bonne chose, vention (planifier sa vie de façon à éviter les
• S’entraîner à gérer parce que cela suggère qu’avec un entraînement causes de stress).
son stress pourrait approprié et une bonne préparation, nous Ainsi, nous avons suivi un groupe de
nous permettre pourrions être capables de faire face aux agents 3 304 personnes, d’origines ethniques différen-
de mieux faire face stressants en toute sérénité. tes, qui étaient confrontées à divers stress. Les
aux aléas de la vie. Cela fait près de 20 ans que je m’intéresse à ce sujets étaient âgés de 10 à 86 ans (34,9 ans en
sujet, et dans un travail que j’ai récemment pré- moyenne) et environ 85 pour cent habitaient
aux États-Unis ou au Canada, les autres étant cessent de vous tourmenter. Cette compétence
originaires de 28 autres pays. améliore le contrôle de soi.
Les participants devaient répondre à un cer- Mais nous avons découvert par notre étude
tain nombre de questions sur leur catégorie que la prévention est de loin la compétence la
socio-professionnelle, puis ils indiquaient sur plus utile pour bien gérer le stress. J’ai établi
une échelle de un à dix leur niveau de stress, leur cette conclusion en utilisant une méthode
niveau moyen de bonheur et celui de leur réus- d’analyse statistique des résultats, nommée
site personnelle et professionnelle. J’avais fait analyse de régression, qui permet de décrire les
l’hypothèse que les personnes sachant bien gérer variations d'une variable (ici le stress) à celles
leur stress seraient non seulement moins stres- d’autres variables, telles que le niveau de bon-
sées, mais aussi plus heureuses, avec des vies plus heur ou le niveau de réussite. Parmi les quatre
réussies sur les plans personnel et professionnel. domaines, la prévention – planifier sa journée
En effet, le stress peut être délétère, notamment ou les mois à venir pour éviter les conditions
en perturbant les relations sociales, et même les
relations des parents avec leurs enfants.
Notre test comprenait 28 questions posées
dans un ordre aléatoire et visant à évaluer les
quatre domaines de compétences mentionnés.
« J’interprète souvent les événements de façon à
réduire le stress que je ressens » est un exemple
d’affirmation de la catégorie « contrôle des
pensées » (voir quelques exemples dans l’encadré
page 54) Pour chaque question, les sujets indi-
quaient sur une échelle de un à cinq dans quelle
mesure ils étaient d’accord ou non avec l’affir-
mation. Après le test, on leur indiquait leur
score total, les résultats pour chacun des
domaines de compétence ainsi que des infor-
mations sur la signification de ces scores.
pzAxe / Shutterstock
et bons pour des goujats. » Le problème est
résolu. Le stress est soulagé !
La morale de l’histoire est qu’il faut contrôler
le stress de façon volontariste. Inspirez profon-
2. L’incapacité ou le refus de gérer le stress peuvent avoir des effets désastreux. dément ou comptez jusqu’à dix quand vous êtes
stressé, et vous vous sentirez mieux. Mais vous
serez bien plus heureux à long terme si vous par-
venez à trouver comment éviter les situations
qui vous stressent (voir l’encadré page ci-contre).
Est-il vraiment possible de lutter plus efficace-
ment contre le stress ? Mon étude montre que que j’ai utilisé dans l’étude dont je viens de
les gens qui ont reçu un entraînement au donner les résultats. Il est apparu que, dans ce
contrôle du stress sont plus efficaces dans ce groupe, le score le plus bas a été obtenu par…
domaine que les autres ; que plus le nombre le directeur de la clinique – un ami personnel. Il
d’heures de pratique augmente, meilleur est le occupait le poste le plus stressant, et il avait
contrôle du stress. Cela suggère que quelles que souffert d’importants problèmes de santé, très
soient nos réactions naturelles face au stress, vraisemblablement dus ou aggravés par son
apprendre à le contrôler a de grandes chances stress. Les mécanismes physiologiques par les-
d’être efficace. Dans cette étude, 17 pour cent quels le stress exerce des effets délétères sur la
seulement des sujets avaient suivi un entraîne- santé sont maintenant bien connus.
ment à la gestion du stress – un chiffre qui est L’incapacité ou le refus de contrôler le stress
probablement encore bien plus faible dans la peut avoir des effets dévastateurs sur la qualité
population générale. Autre point inquiétant, les de vie. L’un des résultats les plus spectaculaires
gens se préoccupent peu de prévention ; des de la nouvelle étude est le lien direct entre les
quatre compétences testées, la prévention vient résultats au test et le niveau moyen de bonheur
en troisième position. rapporté par les gens. Autrement dit, l’étude
suggère que près de 25 pour cent du bonheur
que nous éprouvons au cours de notre vie est
Apprendre à gérer son stress lié à notre capacité à contrôler le stress. J’ai
La plus mauvaise nouvelle reste à venir : elle aussi montré que les résultats au test sont
concerne les scores globaux. Sur une échelle de mauvais quand le niveau de stress est élevé, et
100 points, les gens ont obtenu en moyenne que le succès personnel et professionnel des Bibliographie
55,3 à un test simple de gestion du stress. À un sujets est d’autant meilleur que leurs résultats M. Davis et al., The
examen, cela signifie qu’ils auraient obtenu la au test sont bons. Ralaxation and Stress
mention « insuffisant », alors que chacun est Ainsi, on peut s’entraîner à contrôler son Reduction Workbook,
confronté au quotidien à d’inévitables stress. stress et une telle pratique est profitable, les New Harbinger, 2008.
Il y a quelques années, j’ai fait une communi- plus grands bénéfices étant obtenus quand on P. Lehrer et al., Principes
cation sur la gestion du stress dans un service réussit à combattre le stress avant qu’il ne com- and Practice of Stress
de santé mentale dans le Massachusetts. Avant mence. Ces résultats nous mettent face à un Managment, Guilford
de commencer, j’avais demandé aux personnes défi : comment enseigner les techniques de ges- Press, 2007.
présentes – des administrateurs et des person- tion du stress au grand public et surtout com- R. Epstein, The Big Book
nels de la clinique – de réaliser un test de com- ment éduquer nos enfants à résister au stress of Stress Relief Games,
pétence de gestion du stress comparable à celui avant même qu’ils n’y aient été exposés ? I McGraw-Hill, 2000.
Dossier
commencé à comprendre que l’environnement ces animaux, provoquant une élévation de leur
joue un rôle essentiel. concentration sanguine d’hormones glucocor-
À l’Université Duke, aux États-Unis, l’épidé- ticoïdes. On ignore encore la raison de cette élé-
miologiste Brenda Plassman et ses collègues ont vation de la concentration des hormones de
examiné cet effet environnemental en étudiant stress – qu’elle vienne de l’impression d’être
de vrais jumeaux (homozygotes), qui ont le piégé ou de l’impossibilité de pouvoir bouger
même patrimoine génétique. Si une maladie est suffisamment, ou des deux.
strictement déterminée par les gènes, lorsqu’elle Le cortisol, une hormone glucocorticoïde qui
survient chez l’un des jumeaux, l’autre l’aura est libérée chez l’homme en cas de stress, agit
également. En analysant les données de larges sur le cerveau par le biais de récepteurs molécu-
cohortes de jumeaux homozygotes (tous des laires présents sur les neurones de nombreuses
vétérans de la Seconde Guerre mondiale) col- régions cérébrales. La liaison du cortisol à ses
lectées par l’Académie américaine des sciences récepteurs déclenche des cascades moléculaires
et le Conseil américain de la recherche, qui inhibent la communication au niveau des
B. Plassman et ses collègues ont rapporté synapses, les connexions entre les neurones. En
en 2000 que lorsqu’un jumeau avait la maladie utilisant des colorants marquant spécifique-
d’Alzheimer, ce n’était le cas pour l’autre que ment les synapses, l’équipe de M. Tuszynski a
dans 40 pour cent des cas. Cela confirmait que pu évaluer le nombre de synapses chez chacun
des facteurs non génétiques existent. Il fallait des singes. Avec une méthode similaire, les neu-
donc les trouver. Les scientifiques ont com- robiologistes ont aussi évalué la densité des pla-
mencé à explorer diverses possibilités : des pro- ques amyloïdes, un signe biologique spécifique-
blèmes de santé non détectés, des caractéristi- ment associé à la maladie d’Alzheimer.
Le stress
ques de la profession exercée par les malades, le Par rapport aux singes élevés dans des cages
niveau de leur activité physique, etc. standards, ceux qui avaient vécu dans des cages
Évidemment, le métier et le temps consacré à plus petites présentaient, en moyenne, une den-
l’exercice physique ont tous deux un effet sur le sité supérieure de plaques et moins de synapses
stress psychologique, les réactions du corps et – la même configuration est observée quand on
de l’esprit aux défis et aux changements. Mais pratique une autopsie sur le cerveau de person-
ce n’est que cette année qu’il est apparu que le nes décédées ayant eu la maladie d’Alzheimer.
stress pourrait être un élément clé du déclin Cette découverte suggère que la taille de la cage
cognitif. Pour explorer comment différents de l’animal – et peut-être le stress qu’il endure –
environnements sont susceptibles d’influer sur modifierait le cerveau de l’animal, le rendant
le développement de la maladie d’Alzheimer, le plus vulnérable à certains types de dégénéres-
neuroscientifique Mark Tuszynski et ses collè- cences du cerveau. De surcroît, ils ont constaté
gues de l’Université de Californie à San Diego que la quantité de plaques criblant le cerveau
ont examiné le cerveau de singes rhésus âgés des singes élevés dans de petites cages était
qui avaient passé leur jeunesse soit dans des extrêmement variable, ce qui indique que le
cages exiguës, soit dans des cages de taille stan- stress affecte plus ou moins ces animaux.
dard. On sait que les espaces confinés stressent Effectivement, nous connaissons tous des gens
qui semblent très affectés par des événements volontaire, est responsable des tremblements
qui ne paraissent pas particulièrement graves, observés, de la rigidité et de la détérioration de
tandis que d’autres affrontent sereinement les la coordination chez ces malades.
difficultés auxquelles ils sont exposés. Pour recréer ces déficits chez le rat, la neuros-
Bien sûr, on objectera que les observations cientifique comportementale Gerlinde Metz et
faites sur des singes vivant dans un laboratoire ses collègues de l’Université de Lethbridge à
ne sont pas un reflet fiable de la condition Alberta, au Canada, ont administré une subs-
humaine. De plus, ces résultats ne relient les tance toxique dans une aire cérébrale riche en
signes pathologiques de dégénérescence qu’aux neurones dopaminergiques. Certains des ani-
conditions de vie des singes alors qu’ils étaient maux étaient ensuite placés dans un tube de
encore jeunes. Ils ne démontrent pas que le plexiglas pendant 20 minutes par jour pendant
stress était responsable des modifications ana- deux semaines, ce qui produisait une augmen-
tomiques observées, et nous ignorons si ces tation temporaire de leur concentration san-
anomalies avaient perturbé les capacités cogni- guine d’hormone de stress. Un autre groupe
tives de ces animaux, puisque les chercheurs ne recevait des injections de corticostérone, de
les avaient pas testées. sorte que leur concentration d’hormone de
stress restait élevée pendant toute la durée de
l’expérience. L’équipe de G. Metz a ensuite testé
Stress toxique les habiletés motrices de tous ces animaux. L’un
Néanmoins, d’autres études, réalisées chez le des exercices consistait, par exemple, à glisser
rongeur, suggèrent que même un stress inter- une patte dans la fente étroite d’une boîte de
mittent peut faire pencher la balance vers la plexiglas pour en extraire une boulette de nour-
démence. En 2010, le neuropharmacologue riture. Cela exige des mouvements précis.
Karim Alkadhi et ses collègues de l’Université La substance toxique cesse d’agir quand on
de Houston ont augmenté le risque de démence arrête de l’injecter et, normalement, les capaci-
chez des rats en leur injectant de faibles doses tés motrices des rats qui en ont reçu s’amélio-
du peptide bêta-amyloïde, qui s’accumule dans rent au cours du temps. Au contraire, les ani-
les plaques séniles chez l’homme. Les cher- maux chez qui la concentration en corticosté-
cheurs ont ensuite stressé certains animaux en rone est élevée – ceux qui ont été placés dans un
introduisant un intrus dans leur cage. Comme environnement stressant et ceux qui ont reçu
prévu, les concentrations sanguines de cortico- des injections de corticostérone – continuaient
stérone, un glucocorticoïde, ont augmenté chez à avoir des difficultés à attraper des boulettes
les rats stressés. alors que les animaux non stressés avaient récu-
Ensuite, les biologistes ont placé chaque rat péré depuis longtemps. Ainsi, le stress empê-
dans un bassin. Les rats devaient atteindre une cherait les neurones dopaminergiques de répa-
plateforme affleurant à la surface pour pouvoir rer les lésions causées par la substance toxique,
sortir de l’eau – un test classique d’apprentis- de sorte que les symptômes de la maladie de
sage et de mémoire pour les rongeurs. Parkinson apparaîtraient ou se renforceraient.
Généralement, après quelques essais, un rat se
souvient du chemin ; il nage alors directement
jusqu’à la plateforme. Les performances de la
Trace indélébile
plupart des rats – y compris ceux qui avaient Grâce à ce type d’études, les scientifiques
reçu des injections de peptide bêta-amyloïde et confirment que le stress est plus qu’un revers Bibliographie
ceux qui avaient dû faire face à un intrus dans émotionnel passager. En fait, dans certaines D. Merrill et al.,
leur cage – ont été bonnes. Sauf pour les rats qui situations, le stress peut laisser une marque Association of early
avaient subi à la fois l’injection de peptide bêta- indélébile dans notre cerveau. experience with
amyloïde et qui avaient été exposés à l’intrus. Heureusement, il y a quelques bonnes nou- neurodegeneration in
Ainsi, alors que le stress à lui seul ne dégrade velles. Le stress qui contribue à la neurodégéné- aged primates, in
pas la mémoire, il ferait basculer les animaux à rescence peut être contrôlé. Tout comme les per- Neurobiology of Aging,
risque (ceux qui ont reçu du peptide bêta- sonnes présentant une hypercholestérolémie vol. 32(1), pp. 151-156,
2011.
amyloïde) vers la maladie, perturbant leurs peuvent prendre des mesures préventives pour
capacités d’apprentissage et de mémorisation. éviter les maladies cardio-vasculaires, un jour, le H. Cousijn et al.,
D’autres travaux suggèrent que le stress accé- statut APOE, par exemple, sera peut-être utilisé Acute stress modulates
genotype effects an
lérerait le déclenchement de la maladie de comme une incitation à modifier son mode de
amygdala processing in
Parkinson, une maladie neurodégénérative vie. Certaines données suggèrent que des inter- humans, in Proceedings
caractérisée d’abord par des troubles moteurs ventions aussi simples que l’exercice, la médita- of the National
plutôt que par des déficits cognitifs. La perte tion et une quantité suffisante de sommeil peu- Academy of Science
des neurones produisant la dopamine, un neu- vent nous aider à réduire le stress auquel nous USA, vol. 107(21),
rotransmetteur essentiel pour le mouvement sommes exposés chaque jour. I pp. 9 867-9 872, 2010.
Neurobiologie
Psychiatrie
Kent Kiehl
travaille à l’Université
du Nouveau-Mexique,
à Albuquerque,
Dans la tête
aux États-Unis.
Joshua Buckholtz
étudie les facteurs
génétiques
d’un psychopathe
de prédisposition
aux comportements
Les neuroscientifiques découvrent
antisociaux à que certains tueurs de sang-froid souffrent
l’Université Vanderbilt,
à Nashville dans d’une anomalie cérébrale qui les laisse dériver
le Tennessee.
dans un monde sans émotions.
L
L’émotion est fondamentalement ce qui per-
ges de violence brutale vues au met aux gens normaux de trouver un sens au
cinéma : Jack Nicholson poursuivant sa monde. Elle éclaire nos décisions « viscérales »,
famille avec une hache dans The nos liens aux personnes et aux lieux, elle nous
Shining, ou Anthony Hopkins incar- donne le sentiment d’appartenir à un groupe,
nant Hannibal Lecter, le visage enfermé dans d’avoir un but. Il est presque impossible d’ima-
une muselière renforcée pour l’empêcher de giner la vie sans sentiments – jusqu’à ce qu’on
tuer les gens en les déchiquetant avec ses dents. rencontre un psychopathe. Mais les psychopa-
Mais la vie offre d’autres images, celles de thes masquent souvent leurs déficits en se
tueurs à l’apparence agréable : les psychopathes montrant charmeurs et séduisants, et il peut
sont des gens aimables, quand ils veulent. s’écouler un certain temps avant qu’on ne réa-
Nous avons interrogé des centaines de déte- lise à qui on a affaire.
nus pour évaluer leur santé mentale. Nous
sommes habitués à côtoyer les psychopathes, et Les psychopathes sont
pourtant, se trouver en face d’un vrai psycho-
pathe peut être fascinant, autant que déstabili- difficiles à démasquer
sant. L’une des particularités les plus frappan- L’un d’entre nous (K. Kiehl) avait l’habitude
tes des psychopathes est leur manque d’empa- de demander à des doctorants inexpérimentés
thie ; ils sont capables de balayer d’un revers de d’interviewer un détenu avant de les mettre au
main les obligations sociales les plus universel- courant de son passé criminel. Ces psycholo-
les. Ils mentent et manipulent, et n’en ressen- gues en herbe ressortaient convaincus qu’une
tent ni remords ni regrets : ils n’éprouvent personne s’exprimant aussi bien, semblant tout
aucun sentiment. à fait digne de confiance, devait avoir été
emprisonnée par erreur. Du moins jusqu’à ce
qu’ils aient lu son dossier – proxénétisme, tra-
fic de drogue, fraude, vol, etc., – et qu’ils
retournent alors l’interroger, pour s’entendre
répondre : « Oh, oui, je ne voulais pas vous
raconter tous ces trucs. C’était le moi d’avant. »
Cette apparence de normalité – ce masque
de normalité – a largement compliqué l’étude
des psychopathes. Bien que coupables des com-
portements les plus irresponsables, et parfois
En Bref les plus destructeurs et violents, ils ne présen-
tent aucun signe de maladie mentale. Ils n’ont
pas d’hallucinations et n’entendent pas de voix.
• À l’aide de diverses
Ils ne sont ni confus, ni anxieux, ni dominés
méthodes de mesure
par des pulsions irrépressibles. Ils ne sont pas
de l’activité cérébrale,
non plus maladroits en société. Ils ont souvent
les scientifiques
une intelligence supérieure à la moyenne.
ont découvert que
Ajoutons qu’ils n’expriment pas de réels
les psychopathes
remords ni de désir de changer. Il a donc été
ne ressentent pas
facile de considérer les psychopathes non pas
d’émotions, ne savent
comme les victimes d’un grave dysfonctionne-
pas déchiffrer les
ment mental, mais simplement comme des
signaux émis par autrui
opportunistes. On se demandait même s’ils
et ne tirent pas de
étaient fous ou simplement mauvais.
leçons de leurs erreurs.
Du Caïn de la Bible au kunlangeta des Inuits
• Ces déficits peuvent parlant le Yupi et au arankan du Niger, presque
apparaître chez l’enfant toutes les cultures ont rapporté l’existence
dès l’âge de cinq ans. d’individus dont les comportements antiso-
• On a toujours ciaux menacent la paix des communautés. Mais
considéré que grâce aux méthodes capables d’évaluer l’acti-
©dundanim / Shutterstock
Des dizaines d’articles révèlent que les psy- paquet de 100 cartes arrangées de telle sorte
chopathes ressentent le monde différemment. que neuf des dix premières cartes étaient des
Ils ont des difficultés à émettre des jugements figures, mais seulement huit des dix suivantes,
appropriés sur les valeurs morales et à dominer sept des dix suivantes et ainsi de suite. On leur
leurs pulsions. Ils sont insensibles aux indices expliquait qu’à chaque fois qu’ils retournaient
émotionnels. En 2002, James Blair, de l’Institut une carte, ils gagnaient un point si c’était une
américain de santé mentale, a montré qu’ils ont figure, et ils perdaient un point si ce n’était pas
du mal à détecter les émotions, notamment la le cas. Il était facile de gagner des points au
peur, dans la voix d’une autre personne. Ils ont début. Cependant, à mesure que les probabili-
aussi des difficultés à identifier la peur sur un tés diminuaient, les non-psychopathes le
visage. Dans une expérience classique réalisée remarquaient et arrêtaient de jouer, générale-
en 1991, l’équipe du psychologue Robert Hare, ment après environ 50 cartes. Au contraire, les
de l’Université de Colombie-Britannique, a psychopathes continuaient jusqu’à ce qu’il ne
montré que les psychopathes ne perçoivent pas reste pratiquement plus de cartes et qu’ils aient
les nuances émotionnelles présentes dans le perdu tous leurs gains.
langage. Les chercheurs ont présenté briève- Selon J. Newman, la brutalité des psychopa-
ment des mots réels et des pseudomots à des thes résulterait d’un trouble de l’attention : ils
prisonniers, dont certains étaient des psychopa- n’enregistrent pas les nouvelles informations
thes, et leur ont demandé d’appuyer sur un lorsque leur attention est engagée dans une
bouton lorsqu’ils voyaient un vrai mot. tâche. Des recherches antérieures suggéraient
Les psychopathes étaient aussi rapides que les que les psychopathes étaient insensibles : ils ne
autres pour différencier les mots des non-mots. transpirent pas lorsqu’ils sont exposés à des
Mais l’expérience était allée un peu plus loin : odeurs nauséabondes ou quand on leur montre
parmi les mots, certains avaient une connota- des images de visages mutilés. Mais J. Newman
tion positive ou négative (« lait », « cicatrice »), et ses collègues ont récemment montré que les
tandis que d’autres étaient neutres (« crayon »). psychopathes ont des réactions physiologiques
Les non-psychopathes repéraient instantané- normales aux stimulus déplaisants, par exemple
ment les mots chargés émotionnellement ; sur la menace d’une décharge électrique – sauf
l’électroencéphalogramme, on distinguait des lorsque leur attention est focalisée sur quelque
pics de l’activité électrique reflétant des répon- chose d’autre. Quand ils se sont fixés un but,
ses cérébrales automatiques, et ils appuyaient les psychopathes continuent imperturbable-
très vite sur le bouton. Au contraire, les psycho- ment. Cette hyperfocalisation associée à une
pathes ne réagissaient pas plus vite aux mots
émotionnels qu’aux autres et leur activité céré-
brale restait stable (voir l’encadré ci-contre).
Sur une autre longueur d’onde
Hyperfocalisés
sur leur objectif
Un nombre croissant de données montre que
Q uand on montre des mots réels et des pseudomots à des sujets
sains, et qu’on leur demande de reconnaître les mots qui ont un
sens, tous reconnaissent particulièrement vite les mots qui ont une conno-
les psychopathes présentent des anomalies de la tation émotionnelle, par exemple « sang ». Au contraire, les psychopa-
compréhension du langage. Ils ont du mal à thes ne reconnaissent pas plus vite les mots chargés émotionnellement
comprendre les métaphores – par exemple, ils que les mots neutres, tels que « crayon ». Qui plus est, leur activité céré-
ont une plus grande probabilité que des sujets brale, enregistrée sur un électroencéphalogramme tend à rester identi-
standards de juger que la phrase « L’amour est que quel que soit le type de mots présentés (ci-dessous à droite), tandis
un antidote aux maux de ce monde » est néga- que cette activité change chez les autres personnes quand elles repèrent
tive. Dans une étude datant de 1999, K. Kiehl a un mot à connotation émotionnelle. Enfin, la forme des ondes cérébra-
trouvé que les psychopathes font plus d’erreurs les des psychopathes diffère notablement de ce que l’on observe chez
dans des tâches consistant à identifier des noms les sujets sains. Ces résultats suggèrent que le cerveau des psychopa-
abstraits – des mots tels que «amour», «trompe- thes fonctionne différemment de celui des autres personnes.
rie», «confiance», «dévouement» et «curiosité».
Non psychopathes Psychopathes
Un autre déficit des psychopathes concerne
les mécanismes de l’attention. Dans une expé-
rience, Joseph Newman, de l’Université de
Wisconsin-Madison, a montré que les psycho-
pathes ont du mal à changer de stratégie,
même lorsque celle choisie pour atteindre leur Mots émotionnels
objectif échoue. Dans cette expérience sur Mots neutres
ordinateur, les participants recevaient un
impulsivité marquée pourrait être à l’origine les psychopathes. Le cortex orbitofrontal est
des horreurs que peuvent commettre les psy- impliqué dans la prise de décision qui nécessite
chopathes, incapables de se détourner de leur une évaluation du risque, de la récompense et
but avant de l’avoir atteint et insensibles à tout de la punition. Les personnes ayant une lésion
ce qui pourrait les en détourner. de cette région du cerveau souffrent d’impulsi-
En 1848, un jeune homme nommé Phinéas vité et explosent quand elles ont l’impression
Gage travaillait comme contremaître sur le d’avoir subi un affront – tout comme Gage. En
chantier de construction d’une voie ferrée, dans fait, ces individus souffriraient de « psychopa-
le Vermont. Avec son équipe, il dégageait une thie acquise ».
zone rocheuse lorsqu’une explosion accidentelle
souffla sa barre de mine – une lourde barre
métallique de plus de un mètre de longueur –
Un cerveau altéré
2. Phinéas Gage,
après son accident avait
qui traversa la moitié gauche de son visage et Même si son accident l’avait transformé,
totalement changé. ressortit au sommet de son crâne. Une telle bles- Gage ne présentait pas toutes les caractéristi-
Compétent, d’humeur sure semblait devoir le tuer. Mais bien qu’« une ques de la psychopathie, par exemple l’absence
égale et responsable, demi-tasse » de son cerveau ait coulé au sol, d’empathie. On en déduit que d’autres régions
il était devenu grossier comme le nota le médecin qui le prit en charge, cérébrales sont impliquées. L’amygdale céré-
et imprévisible. Gage ne perdit apparemment pas conscience, et brale, impliquée dans la genèse de la peur, est
récupéra assez bien. Toutefois, ses collègues une des aires possibles. Les singes ayant une
remarquèrent un changement notable de sa per- lésion de l’amygdale n’ont pas peur et se diri-
sonnalité. Alors qu’avant l’accident, il avait bon gent droit sur les gens qu’ils croisent. De même,
caractère et était sensé et responsable, Gage était les psychopathes n’éprouvent aucune peur :
devenu grossier et imprévisible, contrôlé par ses lorsqu’ils sont confrontés à des images qui
passions immédiates. Le cas de Gage est devenu déclencheraient un sentiment de peur chez tout
classique en neurosciences parce qu’il révéla que un chacun, ils ne cillent pas.
le comportement, dont on pensait qu’il dépen- Mais une ou deux aires cérébrales ne suffisent
dait de la « volonté », était de nature biologique. vraisemblablement pas à produire les profonds
3. Hyperfocalisés :
Gage avait perdu l’usage d’une partie de son déficits des psychopathes. K. Kiehl a récemment
quand quelque chose
a capté leur intérêt, cerveau, le cortex préfrontal ventromédian. suggéré que la psychopathie dépendrait du sys-
les psychopathes Située derrière le front, cette région est proche tème paralimbique, un ensemble de structures
ne font plus attention du cortex orbitofrontal – dont de nombreux cérébrales interconnectées impliquées dans le
à leur environnement. scientifiques pensent qu’il fonctionne mal chez traitement des émotions, la poursuite de buts, la
motivation et l’autocontrôle (voir l’encadré page
ci-contre). Cette hypothèse est étayée par des
données d’IRMf qui révèlent un amincissement
du tissu paralimbique – ce qui indique que cette
région cérébrale est sous-développée. En plus
du cortex orbitofrontal et de l’amygdale céré-
brale, le système paralimbique comprend le
cortex cingulaire antérieur et l’insula. Le cingu-
laire antérieur régule les états émotionnels et
aide les individus à contrôler leurs pulsions et la
survenue d’erreurs dans leur comportement.
L’insula joue un rôle essentiel dans la recon-
naissance de la violation des normes sociales,
ainsi que dans le ressenti de la colère, de la peur,
de l’empathie et du dégoût. Par définition, le
psychopathe est insensible aux attentes sociales,
et, comme nous l’avons indiqué, les psychopa-
thes sont susceptibles d’avoir des seuils de
dégoût particulièrement élevés, tolérant les
odeurs et les images répugnantes avec sérénité.
L’insula est aussi impliquée dans la percep-
Galina Barskaya / Shutterstock
Cortex orbitofrontal :
Apprentissage (avec Cortex cingulaire postérieur :
récompenses et punitions), Mémoire émotionnelle,
flexibilité comportementale, traitement des émotions
contrôle des pulsions,
prise de décision
émotionnelle et sociale
Insula :
Conscience des états corporels,
perception de la douleur
Amygdale cérébrale :
Évaluation des stimulus sensoriels,
Raphael Queruel
Pôle temporal :
production des réponses émotionnelles
Intégration des émotions
et de la perception,
traitement des données sociales
erreurs et à ajuster leur comportement en fonc- pathes résidant dans les prisons aux États-Unis
tion des conséquences de ces erreurs (ce qui atteindrait 500 000, et que 250 000 autres
contribue à expliquer pourquoi ils se retrouvent vivraient en liberté. Même s’ils ne commettent Bibliographie
en prison de façon répétée, incapables de tirer pas nécessairement de crimes, on protégerait
J. Sato et al., Identification
des leçons de leurs expériences passées). d’éventuelles victimes en les aidant à contrôler of psychopathic
La psychopathie est-elle innée ou acquise ? La leur impulsivité et leur agressivité. Cependant, individuals using
réponse est probablement : les deux. Si, comme peu d’efforts ont été faits dans cette direction pattern classification
le pensent les chercheurs, les gènes rendent jusqu’à présent. Aux États-Unis encore, des of MRI images, in Social
compte de 50 pour cent de la variabilité entre milliards de dollars ont été dépensés pour la Neuroscience, à paraître.
les personnes qui présentent des traits antiso- recherche sur la dépression ; mais probable- J. Seabrook, Suffering
ciaux, cela signifie que les circonstances de la ment moins d’un million pour trouver des souls : the search for
vie sont tout aussi importantes que l’hérédité traitements contre la psychopathie. Les psy- the roots of psychopathy,
biologique. Certains psychopathes sont mar- chologues ont en partie été découragés par les in New Yorker,
qués par les cicatrices d’une enfance difficile, données suggérant que les psychopathes ne pp. 64-73, 2008.
mais d’autres sont les « moutons noirs » de peuvent être soignés. K. Kiehl, A cognitive
familles stables. Indépendamment de savoir qui Certaines études ont même montré que les neuroscience perspective
des gènes ou de l’environnement a l’importance psychopathes qui avaient bénéficié d’une théra- on psychopathy :
prépondérante, l’intervention précoce pourrait pie de groupe en prison ont révélé une plus evidence for paralimbic
system dysfunction,
être essentielle. Tout comme il y a un moment grande probabilité de commettre de nouveaux
in Psychiatry Research,
dans l’enfance où le cerveau est prêt pour crimes à leur sortie que s’ils n’avaient reçu vol. 142(2-3),
apprendre le langage, ce qui devient beaucoup aucun traitement ! Écouter les autres délin- pp. 107-128, 2006.
plus difficile par la suite, nous pensons qu’il quants se confier à un groupe n’est certainement
M. Caldwell et al., Are
pourrait exister une fenêtre temporelle précoce pas une bonne stratégie ; on sait que les psycho- violent delinquents worth
pour le développement de compétences sociales pathes ont d’excellentes capacités pour exploiter treating ? A cost-benefit
et cognitives sous-jacentes à ce que nous appe- les faiblesses des autres. Ils ont aussi des difficul- analysis, in Journal of
lons la « conscience ». tés à intégrer les idées abstraites, si bien qu’il y a research in Crime and
Les psychopathes sont mal compris. Certains peu de chances que des sermons sur la respon- Delinquency, vol. 43(2),
chercheurs estiment que le nombre de psycho- sabilité personnelle soient efficaces. pp. 148-168, 2006.
Neurobiologie
Psychiatrie
Marco Canterino
est psychologue
à la Clinique
de médecine
Étranger à soi-même
psychosomatique
de l’Université Johannes Les personnes souffrant d’un syndrome de dépersonnalisation
Gutenberg de Mainz,
dont Matthias Michal et de déréalisation perçoivent leur environnement
est le directeur adjoint.
et elles-mêmes comme irréels. Leur cerveau
semble indifférent aux émotions.
chiatre français Ludovic Dugas (1857-1943) contacts sociaux, d’un environnement chan-
introduisait le terme de dépersonnalisation. Le geant et inhabituel, ou de drogues.
système de classification de l’Organisation Depuis 2005, à la clinique et polyclinique de
mondiale de la santé, OMS, qualifie le syndrome médecine psychosomatique et de psychothéra-
de dépersonnalisation-déréalisation de trouble pie de la Faculté de médecine de Mayence,
distinct de l’image, le classant parmi les autres nous proposons une heure de consultation
troubles neurologiques (voir l’encadré ci-des- spéciale pour le trouble de dépersonnalisation.
sous) ; dans la quatrième édition du Manuel Des personnes viennent nous voir de toute
diagnostique et statistique des troubles men- l’Allemagne pour écouter nos conseils et rece-
taux de l’Association des psychiatres américains voir de l’aide. Ces personnes sont souvent pas-
(DSM-IV), le syndrome est classé dans la caté- sées par des années de diagnostics coûteux et
gorie des troubles dits dissociatifs. d’essais thérapeutiques multiples, sans que la
source du trouble soit identifiée. On leur a
Basculement dans prescrit des psychotropes – généralement sans
succès. Beaucoup trouvent le diagnostic par des
un autre monde recherches personnelles, et découvrent aussi les
Le trouble se déclare le plus souvent vers l’âge consultations que nous proposons.
de 16 ans et se manifeste aussi bien chez les Même si toutes les personnes concernées
hommes que chez les femmes, un fait rare pour souffrent de cet état de conscience modifié, la
les maladies mentales. La plupart du temps, les gêne qu’elles éprouvent au quotidien varie
sensations étranges apparaissent d’un seul notablement. Certains patients parviennent à
coup, parfois en association avec une consom- terminer leurs études, et réussissent profession-
mation de cannabis, des crises de panique ou nellement ; d’autres se sentent dépassés par tout
des douleurs. C’est ainsi que T. Martens a été ce qui les entoure et finissent par s’isoler. Ainsi,
subitement envahi par ce sentiment : « J’étais T. Martens était paniqué à l’idée d’avoir des res-
assis un soir devant mon ordinateur pour rédi- ponsabilités quand il rentrerait dans la vie
ger un devoir, lorsque brusquement tout mon active après ses études. Il avait fini par rester
environnement est devenu surréel – comme cloîtré chez ses parents et évitait tout contact
décalé, en quelque sorte. J’avais l’impression avec le monde extérieur.
d’être dans un film. » Tous les patients souffrent de cet isolement,
Souvent, le trouble devient chronique, même ainsi que du sentiment oppressant de passer à
si les symptômes varient en intensité. Ils appa- côté de leur vie. Certains vivent en couple sans
raissent généralement à cause du stress, des que leur partenaire n’ait conscience de leur
Critères diagnostiques
L e manuel de l’Organisation mondiale de la santé (ICD-10) et celui de l’Association des psychiatres des États-Unis
(DSM-IV) décrivent la dépersonnalisation en ces termes :
Au moins un des critères 1 et 2, ainsi que les critères 3 et 4 Les critères A, B, C et D doivent être remplis :
doivent être remplis : A– Sensation persistante ou récurrente d’être détaché de
1– La personne concernée perçoit ses sentiments et ses ses propres processus mentaux ou de son corps, ou d’être un
expériences comme détachés d’elle-même, lointains, ne lui observateur extérieur (comme s’il se trouvait dans un rêve).
appartenant pas. B– Durant l’expérience de dépersonnalisation, le contrôle
2– Les objets, les gens ou l’environnement semblent irréels de la réalité reste intact.
et lointains, artificiels, ternes, sans vie. C– La dépersonnalisation provoque des souffrances ou un
3– La personne touchée admet qu’un handicap important du point de vue clinique, dans tous les
changement subjectif et spontané est domaines sociaux et professionnels.
apparu, mais qu’il n’a pas été provo- D– La sensation de dépersonnalisation ne survient
qué par des événements extérieurs ou pas dans le cadre d’autres maladies telles que la schi-
par quelqu’un de particulier. zophrénie, les troubles paniques, le stress intense ou
4– Le sujet a une conscience claire de d’autres troubles dissociatifs, et n’est due ni à l’action
son état. On ne constate aucun état de directe d’une drogue, ni à une autre maladie (par exem-
confusion ni d’épilepsie. ple, une épilepsie du lobe temporal).
Activité de l’hippocampe
tel traitement, le thérapeute explique en détail s’est mis à la recherche d’un appartement pour
au patient les signes cliniques de sa maladie et pouvoir quitter la maison de ses parents.
ses causes possibles – y compris les comporte- L’absence de reconnaissance du trouble de
ments qui entretiennent les symptômes. Cette dépersonnalisation a souvent pour consé-
présentation rassure de nombreux patients, qui quence fatale de mauvais diagnostics et des pri-
se sentent pour la première fois pris au sérieux ses en charge inadaptées. Une enquête réalisée à
et s’aperçoivent qu’ils ne sont pas les seuls à l’Hôpital du Mont Sinaï à New York, portant
souffrir de ce mal. sur les traitements qu’avaient reçus 117 patients
Tenir un journal, où ils mettent par écrit atteints du syndrome de dépersonnalisation-
régulièrement leurs difficultés, peut aider les déréalisation : 11 pour cent d’entre eux avaient
patients à définir les situations qui accentuent été considérés à tort comme schizophrènes et
leurs symptômes, et celles qui les atténuent. En avaient reçu des neuroleptiques.
outre, le thérapeute les guide vers la méditation Le fait que certains psychiatres considèrent
de pleine conscience : ils apprennent par exem- les caractéristiques du syndrome de déperson-
ple à se concentrer sur leur corps pendant un nalisation-déréalisation comme des symptô-
certain temps, pendant qu’ils respirent. Comme mes prématurés non spécifiques de la schi-
l’a découvert notre équipe en 2007, la capacité zophrénie pourrait expliquer une partie de ces
des patients à focaliser leur attention diminue erreurs de diagnostic. En outre, les signes cli-
avec l’aggravation de la dépersonnalisation. La niques du syndrome de dépersonnalisation-
méditation de pleine conscience combat ce déréalisation, tout comme certains symptômes
phénomène en renforçant les perceptions cor- psychotiques, sont aussi présents dans certains
Bibliographie
porelles et émotionnelles. Le sujet reprend troubles de la personnalité. Il n’est donc pas
conscience de son corps, de ses pensées et de ses rare qu’ils soient tous mis dans le même « sac » E. Lemche et al.,
émotions, ce qui est indispensable pour avoir le psychiatrique. Cerebral and automatic
sentiment d’être soi. Lors de nos consultations, nous découvrons responses to emotional
À la suite de cette psychothérapie, les patients souvent des patients souffrant du syndrome de facial expressions in
prennent conscience de leur tendance à répri- dépersonnalisation-déréalisation, mais qui depersonalisation
mer leurs sentiments et à éviter les conflits par sont traités avec des neuroleptiques à cause disorder, in The British
peur du rejet. S’ils se débarrassent de ces peurs, d’une erreur de diagnostic. Or les psychotropes Journal of Psychiatry,
vol. 193, pp. 222-228,
ils peuvent progressivement parvenir à se perce- ne soulagent aucun de ces patients : les symptô-
2008.
voir eux-mêmes comme réels, et reconnaître mes continuent même à progresser ! Pire, ces
M. Sierra et al.,
leurs propres besoins. médicaments sont souvent accompagnés d’ef-
Automatic response in
Ce fut le cas de T. Martens : au cours de la fets secondaires, notamment des troubles the perseption of disgust
thérapie, il lui a été de plus en plus facile d’af- moteurs, une prise de poids et une perte de la and happiness in
fronter ses peurs sans aussitôt développer des libido. Une meilleure formation des thérapeu- depersonalisation
symptômes d’étrangéisation. L’entraînement à tes sur les critères de diagnostic et les possibili- disorder, in Psychiatry
surmonter ses craintes l’a aidé à vaincre sa peur tés de traitement pourraient aider un grand Research, vol. 145,
des responsabilités. Durant le traitement, il nombre de ces patients. I pp. 225-231, 2006.
Neurobiologie
Psychopathologie
L
féminine progestérone tend à aggraver la mala-
une jeune femme d’une trentaine d’an- die, si bien que l’humeur de Tina suivait son
nées, elle avait consulté des profession- cycle menstruel. Comme la maladie touche le
nels de la santé mentale durant la plus foie, le corps assimile mal les médicaments, de
grande partie de sa vie. « Un jour, je sorte qu’ils entraînent souvent de nouveaux
suis énergique et créative », m’a-t-elle dit au symptômes surprenants. La porphyrie est rare,
cours d’une de nos séances de thérapie. « Le mais ses effets sur le bien-être mental illustrent
lendemain, je suis sans but, ou je pleure, avec un concept beaucoup plus général quoique
un profond sentiment de dévalorisation. » tout aussi méconnu, à savoir que de nombreux
Tina a entendu tous les diagnostics : dépres- troubles physiques peuvent perturber notable-
sion, personnalité borderline, même schizoph- ment, mais de façon insidieuse, le fonctionne-
rénie. Les médecins ont prescrit des antidépres- ment psychique.
En Bref seurs, et plus tard des antipsychotiques. Ces
traitements n’ont fait qu’aggraver son état. Des conséquences
• La psychologie
Au début, j’ai également examiné ses trou-
somatique s’intéresse
bles à travers mes lunettes de psychologue, pen- sous-estimées
aux effets psychiques
sant qu’elle souffrait d’un trouble bipolaire. Par exemple, les inflammations qui accom-
des maladies
Plus tard toutefois, j’ai remarqué que ses chan- pagnent les infections et les maladies chroni-
physiques. Elle suscite
gements d’humeur étaient accompagnés de ques peuvent déclencher des dépressions.
un regain d’intérêt.
symptômes tels que des accélérations cardia- Tristesse et léthargie peuvent résulter de dés-
• Les inflammations, ques, des nausées et des douleurs articulaires. équilibres hormonaux ou de carences nutri-
déséquilibres En conséquence, j’ai demandé un bilan sanguin tionnelles. Des symptômes d’anxiété peuvent
hormonaux ou complet. résulter d’allergies ou d’une hyperactivité de la
carences nutritives, Peu après, un médecin a découvert la cause glande thyroïde. Et quelque chose d’aussi sim-
peuvent provoquer réelle de ses souffrances : la porphyrie, un ple qu’un manque d’eau ou de fer peuvent
des dépressions. ensemble de maladies génétiques rares qui per- interférer avec les capacités d’apprentissage, de
• Un manque d’eau turbent le métabolisme. Chez les patients souf- mémorisation et de planification.
ou de fer interfère frant de porphyrie, les précurseurs de l’hémo- Les médecins oublient souvent d’interroger
avec les capacités globine (la molécule qui transporte l’oxygène leurs patients sur leurs symptômes psychologi-
d’apprentissage, dans les globules rouges), nommés porphyri- ques. À l’inverse, les psychologues et les psy-
de mémorisation nes, s’accumulent dans divers organes, provo- chiatres traitent les troubles mentaux sans
ou de planification. quant des symptômes allant des douleurs rechercher d’éventuelles causes physiques. Mais
abdominales jusqu’à la dépression. L’hormone aujourd’hui, certains médecins et psychologues
1. La santé mentale
dépend étroitement
de celle du corps.
La recherche sur
les maladies mentales
commence à prendre
en compte cette réalité.
remettent au goût du jour une discipline vieille de la dépression. Fatigue, manque d’énergie,
de plusieurs décennies : la psychologie somati- rupture des relations sociales, mauvaise humeur
que, qui s’intéresse aux effets sur le cerveau des récurrente : face à de tels symptômes, le méde-
maladies touchant le corps. cin prescrit souvent des antidépresseurs ou une
Dans la culture occidentale, corps et esprit psychothérapie. Mais il arrive que ces traite-
ont longtemps été considérés comme distincts. ments échouent, car les racines du mal ne sont
Cette dichotomie, prônée au XVIIe siècle pas à rechercher dans le cerveau, mais dans l’or-
notamment par le philosophe René Descartes, a ganisme, souvent dans le système immunitaire.
aujourd’hui encore des conséquences sur la Les défenses du corps influent sur le cerveau
pratique médicale : les spécialistes du corps par l’intermédiaire de molécules de signalisation
ignorent ceux qui soignent l’esprit, et inverse- nommées cytokines. Ces substances traversent
ment. Certes, ce cloisonnement s’est atténué la barrière hémato-encéphalique et se lient à
depuis quelques décennies, car nous savons leurs récepteurs sur les neurones dans les struc-
maintenant que le support de l’esprit est le cer- tures cérébrales qui modulent les émotions. Les
veau, qui fait lui-même partie du corps. En neurones réagissent en libérant des substances
outre, la plupart des gens ont aussi conscience nommées neuropeptides, qui entraînent fatigue,
que les problèmes psychologiques peuvent baisse de concentration et retrait social.
déclencher des symptômes physiques – psycho-
somatiques ; ainsi, le stress provoque des Le système immunitaire
migraines ou des aigreurs d’estomac, voire des
problèmes cardiaques. au banc des accusés
L’influence inverse, c’est-à-dire celle du corps En conséquence, lorsque nous luttons contre
malade sur l’état mental – est beaucoup moins un rhume, des symptômes tels qu’un nez qui
reconnue. Pourtant, ces anomalies du fonction- coule et une gorge douloureuse sont accompa-
nement du corps peuvent altérer en profondeur gnés de sentiment d’épuisement et d’un désir
l’état mental, que ce soit des maladies rares de solitude. Il s’agit de réactions contrôlées par
comme celle de Tina ou fréquentes, tel un le cerveau qui visent à réduire l’activité physi-
rhume. Même si le terme de psychologie soma- que. Lorsque l’inflammation devient chroni-
2. Quand on est
tique a été proposé par le psychiatre allemand que, par exemple, si des bactéries se sont instal-
malade, par exemple
Karl Jaspers dès 1923, la discipline reste mécon- lées dans certains tissus, notamment la gorge
quand on est enrhumé,
on se sent fatigué et nue : une recherche de ce terme sur le site des (les amygdales) ou le nez (les sinus), la mau-
on se replie sur soi-même, publications biologiques et médicales PubMed vaise humeur devient chronique. Dans ces sites,
car les réactions du ne fait apparaître que quatre articles ! Toutefois, les agents pathogènes sont relativement proté-
système immunitaire les recherches sur le lien entre des maladies cor- gés des attaques du système immunitaire, de
contre l’agent pathogène porelles et les troubles psychiatriques sont sorte qu’ils prolifèrent et se répandent dans
influent sur le cerveau. beaucoup plus nombreuses, surtout dans le cas tout le corps, lentement, mais de façon prolon-
gée. Bien que l’on ne se sente plus malade, l’ac-
tivation permanente du système immunitaire
entretient une humeur déprimée pendant des
semaines, voire des mois.
En 2010, l’épidémiologiste Julie Pasco et ses
collègues de l’Université de Melbourne, en
Australie, ont obtenu des données suggérant
que l’inflammation chronique augmente le ris-
que de développer une dépression et pourraient
être l’une des causes de cette maladie mentale.
Pendant dix ans, ces chercheurs ont suivi
644 femmes, âgées de 20 à 84 ans, en bonne
santé mentale. Ils ont mesuré périodiquement
leur concentration sanguine de protéine C-réac-
tive, qui indique la présence d’une inflamma-
tion latente tout en recherchant de plusieurs
façons d’éventuels symptômes dépressifs. Ils
Martin Allinger / Shutterstock
troubles, ce qui suggère que cette maladie per- taire occidental typique ne consomment pas
turbe la santé mentale. Les analyses statistiques assez d’acides gras oméga 3. En outre, beaucoup
de ces résultats ont conduit les biologistes à manquent d’autres nutriments importants
conclure que l’hypothyroïdie multiplie par sept pour la stabilité émotionnelle : acide folique,
4. Simplement un peu le risque de présenter des troubles de l’humeur. vitamine B, fer et calcium.
d’eau ! Buvez de l’eau Outre les changements hormonaux, un
lorsque vous travaillez. apport insuffisant de plusieurs micronutri-
L’eau est essentielle ments tels l’acide folique, la vitamine B12, le
Le cerveau aime l’eau
au fonctionnement du calcium, le fer et les acides gras oméga 3, peut L’anxiété, proche cousine de la dépression,
cerveau. Divers travaux influer sur l’état émotionnel. Le calcium, s’appuie parfois aussi sur des bases physiques.
montrent que
notamment, est essentiel à la santé mentale ; les En premier lieu, des allergies. Elles sont sans
la déshydratation peut
réduire les capacités
neurones en ont besoin pour produire les doute à incriminer quand l’anxiété est saison-
de mémoire et impulsions électriques qu’ils utilisent pour nière. Ainsi, les acariens sont responsables d’al-
d’attention. Boire communiquer. Les carences nutritionnelles lergies masquées. Inhalées par une personne
(de l’eau !) améliore aussi peuvent aussi être en cause dans les dépressions sensible, les protéines contenues dans les déjec-
sa capacité à résoudre post-partum. Les acides gras oméga 3, particu- tions de ces animaux microscopiques provo-
les problèmes. lièrement abondants dans les poissons gras tels quent souvent des rhinites et de l’asthme.
Parfois, ces réactions allergiques passent ina-
perçues, mais la personne allergique peut pré-
senter de fortes migraines, des nausées, des cri-
ses de tachycardie, symptômes généralement
attribués à un trouble de l’anxiété.
Autre cause possible d’anxiété : les déséquili-
bres hormonaux. Avant de venir me voir, une
femme a souffert pendant plus de 20 ans de sau-
tes d’humeur allant jusqu’à des crises de rage et
d’anxiété qu’elle était incapable de contrôler, et
ce malgré toutes les psychothérapies, et autres
thérapies de méditation et de relaxation qu’elle
avait essayées... Elle se sentait constamment agi-
tée et dormait mal. Finalement, elle s’est sépa-
rée de son conjoint. Lorsqu’elle est venue me
Supri Suharjoto / Shutterstock
les personnes âgées, qui ne ressentent pas tou- provoque temporairement un brouillard men-
jours la soif. Chez elles, une hydratation insuffi- tal chez 7 à 26 pour cent des sujets.
sante peut entraîner des troubles de la parole et Enfin, des carences en certaines vitamines et
une confusion que les proches prennent sou- sels minéraux peuvent altérer la cognition.
vent, à tort, pour une démence. Dans les pays développés, environ 10 pour cent
Une étude récente suggère que notre cerveau des femmes et 25 pour cent des femmes encein-
est obligé de fournir de plus gros efforts lors- tes présentent un déficit en fer, le fer étant
que nous sommes déshydratés. En 2010, le psy- nécessaire aux globules rouges pour transporter
chiatre Matthew Kempton et ses collègues du l’oxygène. Dans une étude publiée en 2007, la
Collège royal de Londres ont demandé à nutritionniste Laura Murray-Kolb et ses collè-
dix adolescents en bonne santé de résoudre des gues, de la Faculté Johns Hopkins Bloomberg
énigmes alors qu’ils étaient en état d’hydrata- de santé publique, à Baltimore, aux États-Unis,
tion suffisante ou insuffisante. L’observation ont fait passer des tests cognitifs à 113 jeunes
de leur activité cérébrale pendant les tests a femmes, puis leur ont fait absorber pendant
révélé que, malgré des résultats équivalents, 16 semaines, soit un supplément en fer, soit un
l’activité du cerveau des adolescents déshydra- placebo. Les résultats ont montré que plus les
tés était accrue dans les régions frontales et réserves en fer d’une femme étaient faibles, plus
pariétales. Ces zones sous-tendent ce que l’on sa performance aux tests initiaux était médio-
nomme les fonctions exécutives : planification cre. En revanche, les résultats des femmes ayant
et prise de décision. Compte tenu de la limita- reçu un régime supplémenté en fer ont été
tion des ressources cérébrales, si une personne meilleurs au test suivant : meilleurs scores d’at-
n’absorbe pas une quantité d’eau suffisante tention, de mémoire et d’apprentissage, alors
pendant une période prolongée, cela signifie même qu’un bon nombre d’entre elles n’étaient
que sa capacité à traiter certains types d’infor- pas anémiques initialement. Ces résultats éta- Bibliographie
mations est réduite. blissent qu’une déficience même légère en fer B. Levant,
Même dans des conditions banales, le simple peut perturber la cognition, et qu’un apport N-3 (Omega-3) fatty
fait de boire un peu aide à mieux penser, du renforce les capacités cognitives. acids in postpartum
moins chez l’enfant. Dans une étude datant depression : implications
de 2009, les psychologues Caroline Edmonds et Ne plus séparer le corps for prevention and
Ben Jeffes, de l’Université de Londres, ont treatment, in Depression
constaté que le simple fait de donner un verre de l’esprit Research and Treatment,
d’eau à des enfants de six ou sept ans modéré- Tous ces exemples montrent qu’il est impor- art.id 467349, 2011.
ment déshydratés améliorait leurs performan- tant de considérer les maladies mentales dans le J. Bain, Testosterone and
ces mentales. Une autre étude auprès d’enfants contexte de la santé corporelle. Bien souvent, un the aging male : to treast
de sept à neuf ans a montré une performance trouble métabolique est plus facile à traiter or not to treast ?,
in Maturitas, vol. 66(1),
en progression dans un test d’attention visuelle, qu’une maladie neurologique ou psychique. Les
pp. 16-22, 2010.
réalisé après absorption d’eau. carences en vitamines et sels minéraux sont rela-
tivement simples à corriger, sous réserve que les J. Pasco, Association
of high-sensivity
Attention aux carences médecins indiquent bien les doses nécessaires, de
C-reactive protein with
fortes doses de vitamines pouvant être toxiques. de novo major
en vitamines et en fer Un remède sans danger contre les difficultés cog- depression, in British
Une inflammation peut également provo- nitives consiste à boire de l’eau, particulièrement Journal of Psychiatry,
quer des troubles cognitifs. Dans une étude pendant des examens ou au cours des tâches vol. 197, pp. 372-377,
de 2010, Clive Holmes et ses collègues de requérant une concentration importante. 2010.
l’Université de Southampton en Grande- D’autres pathologies peuvent nécessiter un H. Lieberman, Hydration
Bretagne ont montré que chez des personnes traitement. C’est le cas de certains déficits hor- and cognition :
atteintes de la maladie d’Alzheimer, et présen- monaux et des pathologies de la thyroïde ou a critical review and
tant des signes d’inflammation chronique liée d’autres maladies métaboliques engendrant des recommendations for
par exemple à de l’arthrite, les pertes de troubles de l’humeur, et qui sont généralement future research,
mémoire sur une période de six mois sont sensibles à des traitements de routine. En ce qui in Journal
of the American College
jusqu’à quatre fois plus élevées que chez celles concerne la dépression, les personnes qui ne
of Nutrition, vol. 26(5),
n’ayant pas d’inflammation. Des patients souf- sont pas soulagées par les traitements habituels, pp. 555S-561S, 2007.
frant d’inflammation de courte durée – par seront peut-être sensibles à des médicaments
R. Larisch et al.,
exemple à la suite d’une infection – présentent ciblant le système immunitaire. L’important
Depression and anxiety
un déclin encore plus rapide, probablement c’est que le médecin pose les bonnes questions in different thyroid
parce qu’une réaction immunitaire excessive pour aboutir à un diagnostic correct et trouve function states, in
tue des neurones. Les interventions chirurgica- les moyens de soulager des personnes qui vou- Hormone and Metabolic
les activent le système immunitaire de la même draient, parfois depuis des années, être de meil- Research, vol. 36(9),
façon ; elles déclenchent une inflammation qui leure humeur. I pp. 650-653, 2004.
Psychopathologie
des héros
Un héros balzacien
schizophrène avant l’heure
Sebastian Dieguez,
docteur en
Dans un roman intitulé Louis Lambert, Balzac dresse
neurosciences, travaille un portrait saisissant des symptômes de la schizophrénie.
au Laboratoire
de Sciences cognitives Au point que les psychiatres s’y référeront ultérieurement.
et neurologiques
de l’Université
de Fribourg, en Suisse.
P
Balzac, « tout y est. » Le romancier, suivi en cela
le roman Louis Lambert se distingue par les nombreux médecins qui ont étudié le
par une nature quasi clinique et appa- « cas » Lambert, divise l’évolution mentale de
raît comme une œuvre à part. Honoré son personnage en trois parties.
de Balzac (1799-1850) adresse en effet
presque explicitement son roman aux médecins
En Bref et scientifiques du futur.
Une maladie en trois phases
Ceux-ci seront présents au rendez-vous et y Pour bien comprendre l’évolution du héros,
• Dans son roman
verront la première description précise et commençons par observer la phase finale. À ce
Louis Lambert, Balzac
convaincante de la schizophrénie, avant même stade, lorsque le narrateur va lui rendre visite
dépeint avec minutie
que le terme n’ait été inventé. Ce n’est que dans la demeure où il reste cloîtré depuis plu-
trois grandes étapes
80 ans après Louis Lambert, en 1911, que le psy- sieurs années, Louis Lambert ne communique
de l’évolution
chiatre suisse Eugène Bleuler le proposera en plus, n’agit plus, et semble complètement et
de la schizophrénie. remplacement de la « démence précoce » du irrémédiablement déconnecté du monde : « Il
• Le héros est psychiatre allemand Emil Kraepelin. Bleuler, se tenait debout, les deux coudes appuyés sur la
successivement dépeint par ce nouveau qualificatif, soulignera dans la saillie formée par la boiserie, en sorte que son
comme hypersensible schizophrénie la désintégration des processus buste paraissait fléchir sous le poids de sa tête
et trop rationnel, torturé mentaux, les idées et comportements incohé- inclinée. Ses cheveux, aussi longs que ceux
par des émotions rents, la confusion de la réalité avec les halluci- d’une femme, tombaient sur ses épaules, et
contradictoires, enfin nations, la perte de contact avec la réalité. Il entouraient sa figure de manière à lui donner
muré dans l’immobilité décrira aussi les formes dites catatoniques, de la ressemblance avec les bustes qui représen-
et l’incommunicabilité. impliquant un défaut d’initiative motrice et de tent les grands hommes du siècle de Louis XIV.
• L’intuition juste communication, des mouvements stéréotypés Son visage était d’une blancheur parfaite. Il
et précise de Balzac et des postures figées, en l’absence de sénilité et frottait habituellement une de ses jambes sur
relance le débat sur de lésions organiques. l’autre par un mouvement machinal que rien
sa peur de la folie Est-ce à dire que Balzac était en avance sur n’avait pu réprimer, et le frottement continuel
et sur la présence les spécialistes de son temps ? Faut-il lui attri- des deux os produisait un bruit affreux. » Sa
possible, chez lui, buer, comme l’on fait d’aucuns, un « étonnant femme précise qu’« il lui arrive très rarement de
de signes précurseurs don de prophétie » ? Il est vrai que son roman se coucher, quoique chaque fois il dorme pen-
peut-être exacerbés frappe par sa description méticuleuse des dant plusieurs jours ». Lambert se tient jour et
par un excès de travail signes cliniques et de leur évolution. Les psy- nuit dans la même posture, « les yeux fixes, sans
et de créativité. chiatres André Devic et Georges Morin écri- jamais baisser et relever les paupières ». Il sem-
vaient même, en 1927, que dans le récit de ble avoir vieilli à une vitesse foudroyante :
La phase
des troubles émotionnels
La deuxième phase de la schizophrénie de
Louis Lambert est reconstruite sur la base de sa
correspondance retrouvée et du témoignage de
son oncle. On y découvre les troubles ayant
conduit Lambert au dernier stade de sa mala-
die. Jeune adulte, Lambert tente de vivre en
société et de travailler à ses projets d’écriture
philosophique. Curieux de tout, il semble que de
Oboznaya Kristina / Shutterstock
Seulement, il est incapable de faire éclore tous les lemment d’une inconnue croisée au théâtre et
projets et les idées – d’une ambition démesurée – ressent le désir de tuer son compagnon : « Un
qui se pressent dans son esprit. Dès lors, il se effet d’instinct bestial joint à la rapidité des jets
cloître : « Forcé de me replier sur moi-même, je presque lumineux d’une âme comprimée sous
me creuse et je souffre. » Gonflé de l’impor- la masse de ses pensées. »
tance qu’il accorde aux théories qu’il développe, Louis Lambert n’est pas seulement convaincu
il justifie son inaction en dédaignant tout ce qui du caractère révolutionnaire de ses idées, il est
s’écarte de la réflexion pure : « Je préfère la pen- habité par le vertige métaphysique que lui
sée à l’action, une idée à une affaire, la contem- imposent ses ruminations : « Partout des préci-
plation au mouvement. » pices ! partout un abîme pour la raison ! » ;
Il adopte alors une attitude de supériorité et « Non, personne dans le monde ne sait la ter-
de mépris envers les savoirs constitués – l’his- reur que ma fatale imagination me cause à moi-
toire et les sciences –, qui souffriraient d’une même. Elle m’élève souvent dans les cieux, et
« absence d’unité », absence que son génie, tout à coup me laisse tomber à terre d’une hau-
pressent-il, pourrait combler, faisant de lui le teur prodigieuse. »
« guide » dont la connaissance humaine man- À cette époque, Louis Lambert est tombé
que encore. Il s’imagine résoudre tout problème amoureux de celle qui deviendra sa femme, et
politique, « sauver le monde », et conduire l’hu- lui fait la cour par lettres interposées. Le narra-
manité vers un stade supérieur. teur relève le côté pathologique de l’écriture de
La mégalomanie est flagrante : « Je suis assu- Lambert, « hiéroglyphes » d’une « sténographie
rément occupé de pensées graves, je marche à créée par l’impatience et par la frénésie de la
certaines découvertes, une force invisible m’en- passion » ; il écrivait « sans s’apercevoir de l’im-
2. Les psychiatres traîne vers une lumière qui a brillé de bonne perfection des lignes trop lentes à formuler sa
allemand Emil Kraeplin heure dans les ténèbres de ma vie morale. » pensée ». Cette accélération de la pensée, la fuite
(1856-1926) et suisse Néanmoins, cette « force invisible » semble des idées et une tendance à la graphomanie sont
Eugen Bleuler contrecarrée par une « puissance qui me lie les également communes dans les schizophrénies
(1857-1939) ont été
mains, qui me ferme la bouche, et m’entraîne naissantes. Dans ses lettres, il dévoile ses senti-
les premiers à caractériser
en sens contraire à ma vocation ». Symptômes ments confus, et le blocage qui empêche
la schizophrénie au début
du XXe siècle. de la maladie, l’apathie, l’inhibition et l’incapa- d’éclore le génie qu’il croit tenir en lui : « Je sens
cité de s’organiser et de se motiver frappent ici en moi une vie si lumineuse qu’elle pourrait
le jeune malade sans qu’il en soit tout à fait animer un monde, et je suis enfermé dans une
conscient. Pire, ces troubles cognitifs sont attri- sorte de minéral. »
bués à une « puissance » plutôt qu’à lui-même,
suggérant un déplacement des attributions cau- La confusion des sentiments
sales, classique dans la schizophrénie débutante.
Le jeune homme aura aussi du mal à contrôler Les moments d’exaltation succèdent à la
ses impulsions, comme lorsqu’il s’éprend vio- dépression la plus profonde : « Ce bonheur me
tue, il m’accable. Ma tête est trop faible, elle
éclate sous la violence de mes pensées. Je pleure
et je ris, j’extravague » ; « Il se rencontre des
moments où l’esprit qui m’anime semble se
retirer de moi. Je suis comme abandonné par
ma force. Tout me pèse alors, chaque fibre de
mon corps devient inerte, chaque sens se
détend, mon regard s’amollit, ma langue est
glacée, l’imagination s’éteint, les désirs meu-
rent, et ma force humaine subsiste seule. »
Signe d’une confusion dans ses sentiments
amoureux, il développe également une confu-
sion entre lui-même et l’être aimé, suggérant un
délire de fusion marqué par une absence de
limites du corps propre et un fantasme de télé-
© Oberto Gili/Beateworks/Corbis
pensées, je voudrais être toi-même. » Des signes de descendre. » Pour autant, la dégradation de
inquiétants de catatonie, déjà présents lors de Lambert soulève nombre de questions : qu’est-
l’enfance, font leur réapparition : « Je suis resté il arrivé à cet « immense cerveau, qui sans doute
pendant des heures entières dans une stupeur a craqué de toutes parts comme un empire
causée par la violence de mes souhaits passion- trop vaste » ? Était-il prédisposé à la folie ?
nés, restant perdu dans le sentiment d’une
caresse comme dans un gouffre sans fond. »
Mais c’est la veille de son mariage qu’il som-
Un garçon hypersensible
brera définitivement dans la folie. Le narrateur De fait, avant d’en arriver là, Louis Lambert,
ayant rencontré l’oncle de Lambert, celui-ci lui lors de sa préadolescence, avait déjà présenté
transmet la triste nouvelle : quelques jours des signes suggérant les troubles mentaux à
avant le mariage, « Louis avait eu quelques accès venir. C’est au collège de Vendôme – que Balzac
de catalepsie bien caractérisés. Il était resté pen- lui-même fréquenta dans sa jeunesse – que
dant cinquante-neuf heures immobile, les yeux Louis Lambert et le narrateur font connais-
fixes, sans manger ni parler ». sance. Il intègre le collège à 13 ans, sur la recom-
L’accès de catalepsie passé, Lambert sombra mandation d’une célébrité le considérant
« dans une terreur profonde, dans une mélanco- comme un « futur génie ». Très tôt, Lambert se
lie que rien ne put dissiper ». Pire, il est surpris démarque de ses camarades par son intérêt
« au moment où il allait pratiquer sur lui-même pour les choses de l’esprit, et ses vifs pouvoirs
l’opération à laquelle Origène crut devoir son de concentration et de visualisation mentale :
talent ». C’est-à-dire la castration. Le jeune « Sa mémoire était prodigieuse. […] Non seule-
homme, plongé dans un état de profonde som- ment il se rappelait les objets à volonté ; mais 4. Édition de Louis
nolence et semblant incapable de reconnaître ses encore il les revoyait en lui-même situés, éclai- Lambert datant
proches, est alors emmené à Paris auprès des rés, colorés comme ils l’étaient au moment où il de 1897 et illustrée
plus grands médecins de la capitale. Esquirol les avait aperçus. » L’univers mental de Lambert par E. Toudouze.
lui-même, l’un des pionniers de la psychiatrie
moderne, le décrète incurable et suggère de le
« laisser dans la plus profonde solitude ».
Contrairement à la dernière phase de la
maladie, où Lambert est mutique et figé, la
deuxième étape de son chemin vers la folie est
riche en conflits et en émotions. Cyclothymie
balançant entre la mélancolie et l’euphorie,
retrait social de plus en plus prononcé, errance
et indécision, idées de grandeur et condescen-
dance, grandiloquence et maniérismes, gra-
phorrhée hypomaniaque (besoin pathologique
et impérieux d’écrire), impulsivité, agitation,
relâchement des associations, anxiété, stupeur,
autodépréciation, tentative d’automutilation,
crise catatonique, sentiment de passivité, délire
d’influence et de fusion : la description est
exceptionnellement riche.
Tous ces traits de la schizophrénie sont à pré-
sent bien connus et décrits, ce qui était loin
d’être le cas, et certainement pas d’une manière
aussi minutieuse, à l’époque où Balzac écrivait.
Entre les symptômes précurseurs que nous
allons maintenant examiner, et la phase catato-
nique finale, cette phase intermédiaire semble
intégrer les troubles cognitifs et affectifs de la
schizophrénie débutante aux conséquences
sociales et personnelles qu’ils entraînent. On
sait en effet que la gravité des signes dépend du
contexte socioculturel du malade. Ainsi, il sem-
ble que la composante amoureuse soit pour
beaucoup dans le basculement de Lambert dans
la folie. « Cette passion fut un abîme où le mal-
heureux jeta tout, abîme où la pensée s’effraie
semble plus riche, à ses yeux, que le monde lui- admirateur, la « philosophie » de Lambert est,
même : « Quand je veux, je tire un voile sur mes comme il se doit, « enveloppée dans les langes de
yeux. Soudain je rentre en moi-même, et j’y la phraséologie particulière aux mystographes :
trouve une chambre noire où les accidents de la diction obscure, pleine d’abstractions, sembla-
nature viennent se reproduire sous une forme ble aux « fantaisies multiformes » des « rêves
plus pure que la forme sous laquelle ils sont produits par l’opium. » Ces « théories » gagnent
d’abord apparus à mes sens extérieurs. » Son en importance pour Lambert, car elles répon-
imagination est si puissante qu’elle se confond dent à son expérience personnelle des transferts
parfois avec le réel, ainsi explique-t-il : « En entre l’imagination et la sensibilité, et il en
lisant le récit de la bataille d’Austerlitz, j’en ai vu trouve une confirmation dans une anecdote
tous les incidents. Les volées de canon, les cris vécue. Lors d’une sortie scolaire, en effet, Louis
des combattants retentissaient à mes oreilles et semble reconnaître l’endroit où il se trouve alors
m’agitaient les entrailles ; je sentais la poudre, qu’il ne s’y était jamais rendu jusqu’alors :
j’entendais le bruit des chevaux et la voix des « Mais j’ai vu cela cette nuit en rêve ! »
hommes ; j’admirais la plaine où se heurtaient Tous les détails de la scène lui étaient effecti-
des nations armées, comme si j’eusse été sur la vement apparus en songe aussi nettement qu’au
hauteur du Santon. » Et plus loin : « Si par moment même où il s’y trouve pour la première
exemple, je pense vivement à l’effet que produi- fois : « Le bouquet d’arbres sous lequel nous
rait la lame de mon canif en entrant dans ma étions, et la disposition des feuillages, la couleur
chair, j’y ressens tout à coup une douleur aiguë des eaux, les tourelles du château, les accidents,
comme si je m’étais réellement coupé : il n’y a les lointains, enfin tous les détails du site. »
de moins que le sang. » Alors qu’un neurologue contemporain inter-
préterait cet événement comme un phénomène
Une imagination exacerbée de déjà-vu, Lambert y voit la preuve que son
Bibliographie esprit peut se décorporer et l’intégrera dans ses
Dans ces instants, « il perdait en quelque conceptions « philosophiques » : « Si j’étais ici
J. Rigoli, Lire le délire, sorte la conscience de sa vie physique, et n’exis- pendant que je dormais dans mon alcôve, ce fait
Fayard, 2001.
tait plus que par le jeu tout-puissant de ses ne constitue-t-il pas une séparation complète
E. Minkowski, Au-delà organes intérieurs ». Malgré ces dispositions entre mon corps et mon être intérieur ?
du rationalisme sortant de l’ordinaire, la vie scolaire ne lui réus- N’atteste-t-il pas je ne sais quelle faculté loco-
morbide, L’Harmattan,
sit pas. Il développe même une étrange maladie, motive de l’esprit ou des effets équivalant à ceux
1997.
« fièvre » dont on sait que Balzac a aussi souf- de la locomotion du corps ? Or, si mon esprit et
J. Borel, Médecine
fert au même âge. Mal considéré par les institu- mon corps ont pu se quitter pendant le som-
et psychiatrie
teurs, déçus par cet élève qu’on leur a présenté meil, pourquoi ne les ferais-je pas également
balzaciennes :
la science dans le roman, comme un surdoué et qui ne semble que rêvas- divorcer ainsi pendant la veille ? »
José Corti, 1971. ser, il souffre également du rejet de ses camara-
P. Abely, En relisant
des, de l’air vicié de l’internat, des rudesses de Un goût prononcé
Balzac, psychiatre l’hiver, de la puanteur ambiante...
occasionnel, in Annales « Ce pauvre poète si nerveusement constitué, pour l’occultisme
Médico-Psychologiques, souvent vaporeux autant qu’une femme, Il en vient à la conclusion que « la nature
vol. 116 (2), dominé par une mélancolie chronique, tout matérielle serait pénétrable par l’esprit » et s’en-
pp. 751-761, 1958. malade de son génie comme une jeune fille l’est gage dès lors à étudier ces phénomènes en « chi-
H. Evans, Balzac de cet amour qu’elle appelle et qu’elle ignore miste de la volonté ». Le lendemain même, il
aliéniste, in Revue […], Louis Lambert souffrit donc par tous les entame un ambitieux Traité de la volonté. Hélas,
d’Histoire littéraire points où la douleur a prise sur l’âme et sur la six mois de travaux seront réduits à néant lors-
de la France, n° 2, chair. […] [Il] se réfugia dans les cieux que lui que le manuscrit est confisqué par un surveil-
pp. 249-255, 1950. entrouvrait sa pensée. » Cette dépression sem- lant, privant la postérité de « l’importance des
H. Claude ble loin d’être un simple caprice d’enfant trésors scientifiques dont les germes avortés se
et J. Lévy-Valensi, timide, ce qui n’échappe pas à son ami narra- dissipèrent en d’ignorantes mains ». Cet événe-
Un schizophrène teur : « Les soupirs de Lambert m’ont appris des ment, associé au départ du narrateur du collège,
dans « La Comédie
hymnes de tristesse bien plus pénétrants que ne plongera Lambert dans une « noire mélanco-
humaine », in Le Progrès
Médical, n°14,
le sont les plus belles pages de Werther. » lie ». Séparé de son ami, et privé de son œuvre,
pp. 587-590, 1934. De plus en plus déconnecté de la vie sociale et le narrateur tentera tout au long du récit de
active du collège, Lambert, en compagnie de son reconstituer le « système » élaboré par Lambert,
A. Devic et G. Morin,
A propos de la démence compagnon, se plonge à corps perdu dans la lit- qui tient largement du traité d’occultisme,
précoce : Balzac térature mystique et développe de vastes théo- expliquant non seulement les millénaires passés
précurseur de Bleuler, ries sur les fonctions de l’esprit humain. de l’histoire et de la pensée humaines, mais éga-
in Lyon Médical, n° 39, Largement inspirée du mystique suédois lement les phénomènes de bilocation, d’appari-
pp. 305-311,1927. Emmanuel Swedenborg, dont Balzac était un tion, de clairvoyance, de prophétie et les pres-
sentiments. Cet intérêt pour l’occulte n’étonne alors vers des systèmes rigides. Il en résulte que
d’ailleurs guère chez Balzac : on le retrouve fré- « l’individu régit sa vie uniquement d’après des
quemment dans son œuvre, par exemple dans idées et devient doctrinaire à outrance » ; il
La peau de chagrin, Le cousin Pons, Ursule cherche à tout faire entrer dans son « système ».
Mirouët et La Recherche de l’absolu… La seconde caractéristique est « l’égocentrisme
Ainsi, très jeune, Louis Lambert présentait actif », insistant davantage sur la perte de
déjà un profil psychologique particulier, et à contact avec le réel, parfois appelée « autisme »
maints égards inquiétants : repli social, apathie, au sens large.
retrait dans une intériorité proche de la transe,
perte de contact avec le réel (déréalisation),
négation du corps propre (dépersonnalisation),
Les tempêtes de la pensée
intellectualisation, hypersensibilité, imagina- L’absence de friction avec le réel vient ren-
tion débridée, épisode de déjà-vu et premiers forcer la validité interne du système idéologi-
signes de catatonie. Autant de traits caractéris- que, aussi irrationnel soit-il, et augmente donc
tiques de la psychose naissante, dont le noyau sa rigidité, son abstraction et sa résistance. Les
semble correspondre à ce que le psychiatre autres personnes perdent alors de leur substance
français Eugène Minkowski nommera « ratio- et toute capacité d’agir sur le vrai monde s’ef-
nalisme morbide » en 1923. frite. Minkowski notait ainsi : « La conscience de
Minkowski illustrait ce concept par le cas notre malade nous apparaît comme une arène,
d’un de ses patients, instituteur, qui en présen- dans laquelle se succèdent et se combattent des
tait les deux caractéristiques. La première est la principes abstraits ; il y a quelque chose d’im-
tendance à « l’attitude antithétique », c’est-à- personnel en lui. […] Il a perdu entièrement,
dire la propension à voir les choses sur un mode dirait-on, cette fibre sensible qui nous permet
binaire, visant à compenser un manque d’har- de vibrer à l’unisson avec nos semblables. »
monie avec le réel. C’est ainsi que ces patients se Sans doute Balzac évoque-t-il un trouble sem-
passionnent pour la logique, les nombres, les blable, et au passage ses doutes quant à sa propre
mécanismes, la philosophie… La pensée se tend tendance à rationaliser à outrance, quand il
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L
Pierre-Marie Lledo
est directeur par la force de son réalisme, les ima- fiction se produit lorsque le gène inoculé à la
de recherche au CNRS, ges émouvantes de singes « intelli- mère est transmis au nouveau-né. Lorsque les
chef de l’Unité gents », et par le mélange de science et chercheurs manipulent le patrimoine généti-
Perception et mémoire,
de spectacle. Le film est suffisamment que des cellules souches nerveuses, aucune
à l’Institut Pasteur.
documenté pour qu’on se pose la question : transmission à la descendance n’est observée.
qu’est-ce qui est scientifiquement validé, et Cette fois, nous basculons donc dans la fiction.
qu’est-ce qui est inventé ? Que se passe-t-il ensuite ? Le petit chimpanzé,
César (nom ô combien prédestiné) élevé par le
Une base scientifique… héros, Will, montre des signes précoces d’intel-
ligence. Âgé de deux jours, il prend tout seul
Tout commence lorsqu’une entreprise phar- son biberon ; au bout de quelques semaines, il
maceutique californienne met au point un com- manipule les appareils électroménagers pré-
posé, l’ALZ-112, dont la particularité est de sti- sents au domicile de Will, comme s’il en com-
muler la neurogenèse, c’est-à-dire la production prenait le fonctionnement. Signe d’une intelli-
de nouveaux neurones dans le cerveau adulte. À gence augmentée, César est bipède. On consi-
terme, l’objectif est de pouvoir soigner les per- dère aujourd’hui que le développement du cer-
sonnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Ce veau a été une conséquence de cette bipédie qui
thème rejoint ici une des préoccupations des aurait libéré la main et permis l’augmentation
chercheurs qui, après avoir découvert l’aptitude de la capacité crânienne.
du cerveau adulte à produire de nouveaux neu-
rones (chez l’homme, la découverte eut lieu … et une dose de fiction
en 1998), visent maintenant à tirer profit de ce
potentiel pour compenser un handicap neuro- Comme le montrent nos observations sur les
logique. Depuis cette découverte, on cherche à rongeurs de laboratoire, le gain de fonctions
modifier le génome des nouvelles cellules ner- cognitives de César est non seulement rendu
veuses afin d’en renforcer certaines fonctions, possible par une plus grande production de
telles que la prolifération, la migration, la durée nouveaux neurones, mais aussi grâce à l’envi-
de vie, l’activité électrique, etc., dans le cadre de ronnement culturel et affectif dont il bénéficie
stratégies thérapeutiques. Suivant cette démar- grâce à Will et à sa compagne. Très bonne des-
che, le chef de l’équipe de recherche, Will, teste cription donc de la problématique liée à la sti-
les capacités cérébrales de chimpanzés ayant mulation de la neurogenèse, à part l’invention
reçu l’ALZ-112, car il souhaite mener des essais de la transmission du transgène à la progéniture.
cliniques chez l’homme. La vérité subit de plus sérieuses entorses
Le film s’appuie donc sur des faits avérés. quand on fait la connaissance du père de Will :
Depuis une dizaine d’années, on sait qu’une sou- atteint de la maladie d’Alzheimer, il a oublié tout
ris adulte qui produit beaucoup plus de nou- ce que son fils a fait ces dernières années, n’est
veaux neurones a des capacités accrues de per- plus autorisé à conduire et ne sait plus jouer du
ception et de mémoire. Il existe effectivement piano. Or quand son fils lui rapporte des échan-
une corrélation entre le nombre de nouveaux tillons de médicament du laboratoire, le père
neurones et les capacités cognitives d’un sujet. Le retrouve en quelques jours ses souvenirs et ses
film évolue ici sur le terrain de la science. aptitudes, et reprend une vie normale. Fiction
Pierre-Marie Lledo
Synthèse
La personnalité évitante
Je suis nul. Les autres vont me rejeter, m’humilier.
Face à de telles craintes, le sujet évite tout contact avec autrui.
Jérôme Palazzolo,
psychiatre, est ne personnalité évitante, comme peur d’être jugé, une timidité exacerbée, une
professeur au
Département santé
de l’Université
internationale Senghor,
à Alexandrie,
en Égypte, chargé
de cours à l’Université
de Nice-Sophia
U son nom l’indique, a tendance à
éviter, mais à éviter quoi et pour
quelles raisons ? Elle évite à son
travail les situations où elle se
retrouve en groupes : elle ne participe donc pas
aux réunions, ni aux projets où elle devrait tra-
vailler avec d’autres personnes. Dans sa famille,
hypersensibilité au rejet et à la critique, et une
anxiété marquée. Ce trouble touche 0,5 à 1 pour
cent de la population générale. Sa fréquence est
élevée dans certains troubles psychiatriques,
notamment chez les personnes souffrant de
troubles anxieux. Les hommes et les femmes
sont atteints dans les mêmes proportions.
Antipolis et chercheur et avec ses amis, elle ne donne jamais son avis
associé au Laboratoire en premier. Elle attend que d’autres aient parlé
d’anthropologie et avant d’oser s’exprimer. Elle s’habille de façon à
Vivre seul au monde
de sociologie, Mémoire, ne pas se faire remarquer. Elle évite de faire part Le comportement évitant commence sou-
identité et cognition de ses propres goûts, de s’affirmer, de se vent dans la petite enfance par de la timidité, un
sociale, LASMIC, à Nice. confronter aux autres. Elle évite la vie. isolement et une peur des étrangers et des
Selon le Manuel diagnostique et statistique situations nouvelles. Cette timidité s’exacerbe
des troubles mentaux, DSM IV, la personnalité au cours de l’adolescence et au début de l’âge
évitante se définit par une inhibition sociale, un adulte, à un moment où les relations sociales
sentiment de ne pas être à la hauteur et une avec de nouvelles personnes deviennent parti-
hypersensibilité au jugement négatif d’autrui. culièrement importantes.
Le sujet doit présenter quatre des critères qui Les sujets présentant une personnalité évi-
définissent le trouble (voir l’encadré page ci- tante épient souvent les mouvements et les
contre). Ce dernier se caractérise par un repli sur expressions de ceux qu’ils rencontrent. Cette
soi dû à un manque total de confiance en soi, la attitude craintive peut susciter la dérision et la
Témoignage
e suis étudiant et j’ai 21 ans. Je dira-t-on ? ». Je passe certainement parlé de mon problème, c’était la pre-
J suis atteint d’un trouble de la per-
sonnalité évitante. Mon estime de moi
pour un paria, mais allez expliquer aux
gens que j’ai un trouble psychologique
mière fois. Mes nerfs ont lâché, je lui ai
dit que je n’étais pas dans la norme ;
et ma confiance en moi ont progressi- difficilement réversible… elle a essayé de me remonter le moral
vement été réduites à néant. Je suis Quand je parle à quelqu’un que je ne (« Qu’est-ce que la norme ? T’es
peu à peu devenu associable, excessi- connais pas, la conversation tourne rapi- mignon, tu as toute la vie devant toi,
vement timide et réservé, antipathique dement court, le « blanc » se fait sentir, assume-toi… »). Mais elle a fini par me
au possible. Logique que je vive et j’attends les questions. demander si je ne me moquais pas
reste seul… Quand il y a une soirée (et je ne vais d’elle. Là je me suis énervé, parce
Toutes les qualités sociales, telles que pas souvent en soirée, malgré les multi- qu’elle ne me comprenait pas.
l’humour, la sympathie ou le sens de la ples occasions que la vie étudiante peut Elle s’est excusée le lendemain et m’a
conversation, je n’ai jamais réussi à les offrir), je suis obligé d’enchaîner verre dit que je pouvais l’appeler si je vou-
développer. Ainsi, dans ma résidence, sur verre pour me désinhiber et aller lais. Seulement mon trouble fait que j’ai
lorsque je croise un groupe de gens, je parler aux autres… peur de l’appeler. J’ai peur de lui télé-
ne dis jamais bonjour. J’ai peur de La dernière soirée où je suis allé, j’ai phoner. Peur de la déranger. Peur
saluer mes voisins, peur du « qu’en « craqué » devant une fille : je lui ai qu’elle ne me rejette encore…
Jérôme Palazzolo
Analyses de livres
Méditer, jour après jour saire pour être pleinement conscient de l’instant, de ce
25 leçons pour vivre qu’il charrie, des tumultes internes de notre organisme
en pleine conscience et de notre esprit. De nous-mêmes.
Christophe André Chaque chapitre aborde une composante de ce que
L’iconoclaste
doit être la pleine conscience. La respiration, l’écoute, les
(300 pages, 1CD, 24,90 euros, 2011)
sensations internes, l’attention, l’observation des pen-
sées. Il suffit de quelques minutes chaque jour pour se
Méditer, ce n’est pas s’asseoir dans rendre compte que nous agissons souvent sur un mode
un fauteuil et nourrir des pensées abyssales sur le sort automatique, et sommes les jouets de nos impulsions, de
du monde. C’est développer sa conscience de soi, de ce nos tensions, de nos préoccupations parfois stériles. Dès
qui nous entoure, des sons qui résonnent autour de que nous en prenons conscience, un changement
nous, des pensées et des émotions qui nous traversent. s’opère. Nous pouvons céder à ces désirs ou préoccupa-
Ce livre nous montre comment, progressivement, adop- tions, ou les laisser céder la place à d’autres pensées,
ter la bonne tournure d’esprit et les attitudes adaptées d’autres émotions, car leur flot est ininterrompu.
pour gravir les échelons de notre conscience. Descartes nommait générosité, ou libre arbitre, l’état
Car nos actions et pensées sont rarement conscientes. où nous sommes quand, ayant conscience de nos émo-
Nous agissons sans prendre le temps de sentir ni savou- tions, nous choisissons d’en suivre le cours ou non. Ce
rer ce qui se passe au moment où nous le faisons. livre est un outil précieux, qui ne porte ses fruits que s’il
Christophe André rouvre nos yeux et nos oreilles, nous rencontre la discipline et l’assiduité de son lecteur.
apprend à prendre le petit supplément de temps néces- Sébastien Bohler
Dans votre analyse concernant le journées plus courtes à l’école pour enfants ne regardent pas la télévision
film Le gamin au vélo (voir Cerveau & mieux suivre les rythmes naturels de pour éviter l’échec scolaire, moins
Psycho n° 47), vous considérez la rési- l’attention chez l’enfant. C’est sans souffrir de troubles de l’attention,
lience comme un processus qui varie doute très bien du point de vue puis vivre plus longtemps et être
selon les circonstances et les existen- scientifique, mais comment faire en moins facilement atteint par la
ces. Il semble malgré tout que la rési- sorte que le milieu scolaire ou péris- maladie d’Alzheimer. Si l’objectif
lience puisse également être assimilée colaire prenne en charge les enfants des gouvernements est de relancer la
en partie à un trait de personnalité, et le reste du temps ? Dans certains croissance, l’éducation, le travail des
qu’il existe des personnes faisant pays, par exemple l’Allemagne où les jeunes, de minimiser les dépenses de
preuve plus que d’autres de rési- enfants n’ont pas classe l’après-midi, santé, alors la logique voudrait que
lience. C’est en tout cas une hypo- les mamans sont souvent obligées de la télévision soit peu à peu présentée
thèse qui fait l’objet d’un certain rester à la maison et ont beaucoup comme un produit néfaste comme
nombre d’études. L’existence de plus de difficultés à travailler. Les la cigarette, afin d’en réduire la
variations interindividuelles et l’im- chronobiologistes et psychologues consommation au fil du temps. Y a-
portance de l’environnement ne peu- de l’enseignement prennent-ils ces t-il une chance que cela se produise,
vent-elles être conciliées ? questions en considération ? et si non, pour quelles raisons ?
Antoine De Moor, Paris Aude Winiedsky, Boulogne Fabrice Raulic, Monsempron-Libos
En kiosque
le 14 janvier 2012
Imprimé en France – Maury Imprimeur S. A. Malesherbes – Dépôt légal octobre 2011 – N° d’édition 076048-01
– Commission paritaire : 0713 K 83412 – Distribution NMPP – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 168 612
– Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé