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La consommation d’alcool des jeunes :

ce que nous apprennent les enquêtes


Où en sont les jeunes Français dans leur consommation d’alcool ? Si l’on observe une
baisse de la fréquence moyenne de la consommation, on constate une hausse des ivresses
à 15 et à 17 ans. La sociabilité et le contexte socio-éco-familial influencent les com-
portements d’alcoolisation. Présentation des résultats des enquêtes les plus récentes.

Plusieurs enquêtes permettent de auprès des jeunes de 17 ans ; en 2005, contextes de consommation, et des fac-
décrire la consommation d’alcool chez 29 393 jeunes ont été interrogés par teurs associés. La répétition des enquê-
les jeunes de façon quantitative. Les autoquestionnaire (2-4) ; tes dans le temps permet de mesurer
résultats présentés ici sont issus de trois • HBSC (Health Behaviour in School- l’évolution de ces indicateurs.
enquêtes : aged Children), enquête quadriennale
• le Baromètre santé, enquête quin- internationale menée en milieu scolaire Initiation à l’alcool
quennale réalisée par l’INPES et menée et réalisée, en France, par le service Selon Escapad, l’expérimentation
par téléphone auprès de la population médical du rectorat de Toulouse en d’alcool concerne plus de neuf jeunes
générale ; lors de la dernière vague, en collaboration avec l’Inserm : en 2006, de 17 ans sur dix (92 %). D’après l’en-
2005, 30 514 personnes âgées de 12 à 7 154 élèves de 11, 13 et 15 ans ont été quête HBSC, à 11 ans, 59 % des élèves
75 ans ont été interrogées (1, 2). L’ex- interrogés, par autoquestionnaire (5). déclarent avoir déjà bu de l’alcool au
ploitation présentée ici concerne les 18- cours de leur vie ; ils sont 72 % à l’âge
25 ans ; Ces enquêtes fournissent des indi- de 13 ans et 84 % à 15 ans.
• Escapad (Enquête sur la santé et les cateurs relatifs à divers aspects du phé-
consommations lors de la Journée d’ap- nomène : il s’agit principalement de L’âge moyen lors de la première
pel de préparation à la défense), l’expérimentation, de la fréquence de consommation, pour les élèves de
enquête biennale réalisée par l’OFDT consommation et des ivresses, des 15 ans, est légèrement plus bas chez les
garçons (13,3 ans) que chez les filles
(13,5 ans).
Répartition géographique des ivresses alcooliques
au cours des douze derniers mois, à 17 ans Ces chiffres reflètent l’ancrage cultu-
(en pourcentage) rel de l’alcool dans notre société. Nous
ne disposons pas de données en faveur
45 d’une précocité plus grande des
consommations.
44 42
56 Fréquence de consommation
36 52 49 À 15 ans, 58 % des élèves déclarent
69 46 avoir consommé de l’alcool au moins
54 une fois au cours du mois ; les jeunes
46 57
55 de 17 ans sont 79 % à être dans ce cas.
La consommation régulière (au moins
55 dix fois au cours des trente derniers
Lecture : en région Centre, 53 jours) concerne 9 % des élèves de
56
46 % des jeunes de 17 ans 51 15 ans et 12 % des jeunes de 17 ans.
ont déclaré au moins une ivresse Quel que soit l’âge, les garçons sont
56
au cours des douze mois beaucoup plus nombreux que les filles
précédant l’enquête. 58 51 à consommer régulièrement de l’alcool
55
(deux fois plus nombreux à 15 ans et
Sources : Beck F., Legleye S., 50 trois fois à 17 ans).
Le Nézet O., Spilka S. Atlas régional
des consommations d’alcool 2005.
Données INPES/OFDT. Saint-Denis : Ivresses
INPES, coll. Études santé territoires,
2008 : 264 p.
La proportion d’élèves déclarant
avoir déjà été ivres au cours de leur vie

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passe de 6 % parmi les élèves de 11 ans, l’avoir fait au moins trois fois et 2 % au discothèques) et le domicile parental
à 16 % à l’âge de 13 ans et 41 % à 15 ans. moins dix fois, l’écart entre les sexes sont les lieux de consommation les plus
étant d’autant plus marqué que la fré- cités, les lieux publics ouverts et l’école
À 17 ans, plus d’un jeune sur deux quence de ce comportement est élevée. arrivant ensuite. De plus, les propor-
(57 %) a déjà connu l’ivresse et près C’est surtout la répétition de ces consom- tions de consommateurs réguliers et de
d’un sur deux (49 %) a été ivre dans mations ponctuelles importantes qui jeunes déclarant des ivresses répétées
l’année précédant l’enquête. L’ivresse constitue un motif de préoccupation. sont corrélées à la fréquence de sorties
régulière (au moins dix fois au cours dans les bars ou à celles des soirées
des douze derniers mois) concerne La consommation de cinq verres ou entre amis. Cela suggère que les
10 % des jeunes de cet âge. plus en une occasion est l’indicateur consommations d’alcool des jeunes de
communément retenu pour approcher 17 ans ont lieu, la plupart du temps,
Chez les 18-25 ans, 34 % ont été ivres le phénomène du binge drinking. dans un cadre festif et convivial.
dans l’année et 6 % l’ont été de façon Cependant, le terme anglais implique
régulière. Là encore, l’ivresse est un une notion de temps (concentration Ce lien entre sociabilité et consom-
comportement très masculin : ainsi, les des consommations sur une période mation est également retrouvé dans
garçons de 17 ans sont 1,4 fois plus courte) ainsi qu’une intention : attein- l’enquête HBSC : à l’âge de 15 ans, on
nombreux que les filles à avoir été ivres dre l’ivresse. Ces notions n’apparais- observe une corrélation entre la fré-
dans l’année, ce ratio s’élevant à 2,8 sent pas explicitement dans l’indicateur quence des soirées entre amis et l’usage
pour les ivresses régulières. présenté ici : ce dernier recouvre donc régulier.
une réalité plus large que le seul binge
L’âge moyen de la première ivresse, drinking. Facteurs sociodémographiques
estimé par les jeunes de 17 ans, est de associés à l’alcoolisation
15,1 ans (15,0 ans chez les garçons et Contextes de consommation L’élévation du milieu social et éco-
15,3 ans chez les filles). À l’âge de 17 ans, la plupart des nomique de la famille est associée,
consommations d’alcool ont lieu le dans Escapad, à une consommation
Consommations ponctuelles week-end, avec des amis. Les consom- régulière croissante d’alcool et à des
importantes1 mations solitaires ou en semaine s’avè- ivresses répétées plus répandues chez
Parmi les jeunes de 17 ans qui ont bu rent plutôt rares. En revanche, les les jeunes de 17 ans. Ce phénomène
au cours des trente derniers jours, 46 % consommations avec les parents sont peut s’expliquer notamment par les res-
disent avoir consommé cinq verres ou assez communes. sources financières de la famille, la
plus en une seule occasion, au moins consommation d’alcool étant ainsi plus
une fois dans le mois (56 % des garçons, Le domicile privé ou celui des amis, limitée pour les jeunes issus de milieux
36 % des filles). Ils sont 18 % à déclarer les débits de boissons (bars, pubs puis plus modestes.

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un tableau plus nuancé que ne le sug-
Les jeunes Français au sein de l’Union européenne gèrent certains discours centrés sur la
Avec 7 % d’usagers réguliers d’alcool à 16 ans, la France se situe dans le dernier tiers des répétition de comportements tels que
pays européens, l’usage régulier d’alcool variant entre 25 % (Pays-Bas) et 3 % (Finlande). l’ivresse et les consommations exces-
Concernant l’ivresse, la France est au 32e rang européen avec 43 % déclarant avoir déjà été sives : sans nier leur caractère préoc-
ivres (le premier pays étant le Danemark avec 85 %). Pour les ivresses plus récentes, la pro- cupant, ces comportements apparais-
portion d’élèves âgés de 16 ans déclarant avoir été ivres au moins une fois au cours des sent ne concerner qu’une minorité de
douze derniers mois est nettement plus faible que l’ensemble des pays européens (29 % contre jeunes, tandis que les données relatives
53 % en moyenne). à l’évolution des consommations invi-
tent à des conclusions mitigées.
Sources : Hibell B., Andersson B., Bjarnason T., Ahlström S., Balakireva O., Kokkevi A., Morgan M. The ESPAD
Report 2003. Alcohol and other drug use among students in 35 european countries. Stockholm : The Swe-
dish Council for Information on Alcohol and Other Drugs, CAN, 2004 : 450 p. Juliette Guillemont
Chargée d’études,
coordinatrice du programme Alcool,
François Beck
De même, la situation familiale (12 % versus 15 %). Cependant, en Chef du département Observation
apparaît elle aussi fortement associée parallèle, on observe une augmentation et analyse des comportements de santé,
à la consommation d’alcool. Les jeunes des ivresses : à 17 ans, la prévalence de direction des Affaires scientifiques, INPES.
dont les parents ne vivent pas ensem- l’ivresse dans l’année est en effet passée
ble, qui vivent en internat ou hors de de 46 % en 2003 à 49 %, et celle des
leur foyer, s’avèrent plus fréquemment ivresses régulières de 7 % à 10 %. De 1. Alors que l’ivresse peut renvoyer à des perceptions
individuelles très diverses, la notion de consommation
consommateurs réguliers d’alcool et même, chez les élèves de 15 ans, l’ex- ponctuelle importante correspond ici à une définition
déclarent davantage d’ivresses répé- périmentation de l’ivresse est passée de plus factuelle : cinq verres ou plus en une seule occa-
sion. Bien que ces deux indicateurs soient traités ici
tées. Il est possible que l’absence de 30 % en 2002 à 41 % en 2006. L’âge de façon indépendante, ivresse et consommation
l’un ou des deux parents entraîne une moyen de la première ivresse déclaré ponctuelle importante représentent deux facettes d’un
augmentation des opportunités de par les jeunes de 17 ans n’a, en revan- même phénomène.
consommer. che, pas évolué. La baisse de la fré-
quence de consommation et l’augmen-
L’enquête HBSC montre des résultats tation de celle des ivresses peuvent
similaires pour les élèves de 11 à 15 ans : sembler contradictoires à première ◗ Références
milieu social favorisé et vie dans une vue ; elles ne sont pourtant pas incom- bibliographiques
famille recomposée ou monoparentale patibles, notamment en raison du carac-
sont associés à la consommation d’al- tère ponctuel des épisodes d’ivresse et (1) Legleye S., Beck F. Alcool : une baisse
cool et à l’ivresse. du côté subjectif de la notion même sensible des niveaux de consommation. In :
d’ivresse qui peut, elle aussi, évoluer Beck F., Guilbert P., Gautier A. (dir.) Baro-
Évolutions dans le temps. Quant aux 18-25 ans, les mètre santé 2005. Attitudes et comporte-
On note, chez les jeunes, une baisse résultats du Baromètre santé font état ments de santé. Saint-Denis : INPES, coll.
globale de la fréquence de consomma- d’une baisse de la fréquence de Baromètres santé, 2007 : 113-154.
tion. Entre 2003 et 2005, Escapad mon- consommation mais aussi des ivresses (2) Legleye S., Le Nézet O., Spilka S.,
tre ainsi une diminution de l’usage entre 2000 et 2005. Beck F. Les usages de drogues des adoles-
actuel (au moins une fois au cours du cents et des jeunes adultes entre 2000 et
mois : 79 % en 2005 versus 82 % en Ces résultats concernant l’alcoolisa- 2005, France. BEH 2008 ; (13) : 89-92.
2003) et de la consommation régulière tion des jeunes permettent d’en dresser (3) Legleye S., Beck F., Spilka S., Le
Nézet O. Drogues à l’adolescence en 2005.
Niveaux, contextes d’usage et évolutions à
17 ans en France. Résultats de la cinquième
Quels sont les risques ? enquête nationale Escapad. Saint-Denis :
Au regard de leurs modes de consommation d’alcool, les risques auxquels les jeunes s’expo- OFDT, 2007 : 77 p.
sent sont en premier lieu ceux qui sont liés aux effets immédiats du produit. L’alcool provoque (4) Beck F., Legleye S., Spilka S. Les dro-
en effet une désinhibition, une diminution du contrôle de soi, une altération des réflexes et de gues à 17 ans. Évolutions, contextes d’usa-
la vigilance, une perturbation de la vision, une mauvaise coordination des mouvements, une ges et prises de risque. Tendances, sep-
somnolence, etc. Les risques qui en découlent sont les accidents de la route ou domestiques, tembre 2006 ; (49) : 4 p.
les violences – agies ou subies –, les rapports sexuels non voulus ou non protégés. En outre, (5) Legleye S., Le Nézet O., Spilka S., Jans-
l’ingestion de doses très élevées peut mener au coma éthylique, dont l’issue risque, faute de sen E., Godeau E., Beck F. Tabac, alcool,
soins, d’être fatale. cannabis et autres drogues illicites. In :
Mais la consommation d’alcool pendant l’adolescence comporte également des risques différés. Godeau E., Arnaud C., Navarro F. (dir.). La
Ainsi, l’alcool a un effet délétère sur le développement de certaines régions cérébrales ne ter- santé des élèves de 11 à 15 ans en
minant leur maturation qu’en fin d’adolescence ; plus la consommation d’alcool commence à un France/2006. Données françaises de l’en-
âge précoce, plus les dommages sont importants. Enfin, une initiation précoce à l’alcool et quête internationale Health Behaviour in
une consommation excessive à l’adolescence sont des facteurs de risque d’usages problé- School-aged Children (HBSC). Saint-Denis :
matiques ultérieurs. INPES, coll. Études santé, 2008 : 128-162.

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