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MON JOURNAL
donc
Je ne suis ni écrivain, ni historienne. Je voudrais
simplement, avec les années qui passent, jeter un regard sur mes
actes et mes pensées, faire le bilan de ma vie et surtout, me faire
connaitre telle que je suis à mes enfants et mes petits-enfants. Je
voudrais leur montrer que je ne suis pas seulement la maman pleine
de défauts, ni la grand’mère pas comme les autres qu’ils ont
l’habitude de voir.
ENFANCE
Mon frère est bon élève à l’école, mais j’ai l’impression qu’il a
quelques difficultés avec l’arithmétique. Les divisions ont du mal à
rentrer. Madame Louise (elle s’appelle comme ça) s’assoit à côté de
lui avec une baguette, et, à chaque erreur, il reçoit un coup sur les
doigts. Bien sûr, plus il reçoit de coups de baguette, plus il se
trompe.... Moi, je suis de l’autre côté de la table et je me jure de ne
jamais apprendre les divisions! Je crois bien que cette expérience
m’a fâchée avec les mathématiques pour le restant de mes jours.
Personne ne sait qu’on nous bat. Romain ne dit rien, par peur. Moi
aussi j’ai peur. Un jour, je ne sais plus pour quelle raison, Madame
Louise m’attrape par les cheveux et me jette du haut d’un escalier.
Ma tête cogne sur une machine à coudre qui se trouve sur la
trajectoire. Résultat: j’ai le front ouvert. A l’école, la maîtresse
s’inquiète et me soigne, mais on lui dit que je suis tombée et ça
passe.
J’ai appris plus tard, qu’en fait, ce n’était pas Madame Louise
qui était chargée de nous garder, mais sa mère, Madame Allard qui,
sans doute se déchargeait de cette tâche sur elle. Ceci explique
peut-être pourquoi elle n’avait aucune patience avec nous et ne nous
supportait pas.
André Kolski habitant avec nous. Je ne sais pas non plus combien
de temps ils sont restés. Je pensais que c’était à Chaley, mais
Claude m’a convaincue que c’était à Lompnès. Je nous revois encore
parcourant ensemble ce long chemin pour aller à l’école.
chemin, tu vas vite dans les WC et tu attends qu’il n’y ait plus de
bruit. Alors, seulement à ce moment-là, tu iras chez la voisine du
dessus qui s’occupera de toi. » J’ai peur. Je ne veux pas d’une autre
maman! Je préfère la mienne! Quand je vois un uniforme, même de
loin, je tremble… je fais dans ma culotte… je me cache sous le lit.
Mais moi, que va-t-on faire de moi? Une année, on m’envoie dans une
ferme à Manziat en Bresse. Là au moins, je serai bien nourrie et je
serai en “sécurité”. Je suis bien, les gens sont gentils. Je fais la paix
avec les vaches et les chèvres. J’adore le lait de chèvre tout frais
tiré et encore chaud dans mon bol, le matin. Moi, qui suis privée de
sucre toute l’année (on n’avait que de la saccharine), j’aime en
manger des morceaux: ça fond dans la bouche...! C’est bon…! J’en
vole….. Je suis découverte et selon le dicton “qui vole un œuf, vole
un bœuf” Je suis traitée de voleuse et on me renvoie chez moi.
Mon oncle Stachik (le frère de mon père) vient nous voir. Il
m’apporte une poupée magnifique...qui marche. A l’époque, il y en
avait très peu. Elle marche quand on lui donne la main. Mes amies
m’envient, car c’est la seule du village. Je suis fière: je prends ma
revanche. J’adore mon oncle, non seulement pour la poupée, mais
parce qu’il me prend sur ses genoux et me raconte des histoires
merveilleuses où le monde est magnifique et où on ne fait pas de mal
aux enfants! Mes parents lui proposent de se cacher. Il ne veut pas
et retourne chez lui, à Nice (zone dite libre) où, en principe, il ne peut
rien lui arriver. Je ne l’ai plus jamais revu: il a été arrêté avec sa
femme Hélène et son fils Bernard et ils sont morts tous les trois à
Auschwitz: lui, du typhus, sa femme et son fils, dans les chambres à
gaz et le crématoire. J’ai vu leur nom, il n’y a pas longtemps, sur le
mur du Mémorial de la Shoah à Paris, ainsi que celui de ma tante
Bella et son mari Haskel Buks.
Les jours passent sans trop d’histoires, entre l’école, les levées
de drapeau au son de la Marseillaise et de l’hymne à Pétain, les
punitions (coups de pieds sous le bureau de la maîtresse ou de règle
sur les doigts), les jeux dans les champs, les inventions de ma mère
pour nous nourrir et nous habiller. C’est là que j’apprends à tricoter.
Maman pense que pendant que je tricoterai, je ne ferai pas de
bêtises. Mon premier tricot est une paire de bas avec de la laine filée
à la quenouille et tellement rugueuse que j’en ai les jambes
écorchées!
ADOLESCENCE
vécu plus de vingt ans dans une guerre quotidienne. Il est difficile
ensuite de reprendre une vie pacifique.
MA VIE D’ADULTE
dans son lycée ; Gigi, elle, est ravie de la grève car elle n’a pas
d`école....Tout est remis en question : la morale, l’éducation, le
travail...On parle du droit des femmes, de la contraception, de
l’avortement, de la solidarité... C’est un brassement d’idées
incroyable...Nous croyons que nous avons gagné... Hélas, nous
sommes trop ingénus... De Gaulle va en Allemagne parler avec le
Général Massu (un des généraux putschistes et tortionnaires
d’Algérie) pour s’assurer l’aide des troupes qui y sont cantonnées. Il
revient, dissout l’Assemblée Nationale et organise des élections qu’il
gagne largement... 80% des voix !
Les gens ont eu peur d’une intervention de l’armée... ! La déception
est grande. Malgré tout, nous avons gagné :
Une augmentation de 35% du SMIC (salaire minimum garanti)
et de 10% des salaires
La réduction des heures de travail de 40h par semaine au lieu
de 48
Cela parait évidemment peu, mais tenir une grève d’un mois sans
salaire, ce n’est pas facile surtout quand il faut donner à manger aux
enfants.
Martin Luther King serait heureux maintenant de voir un noir élu pour
la deuxième fois. Mais sans lui, sans la lutte des organisations noires
et la solidarité internationale, ce ne serait jamais arrivé. Il reste
encore beaucoup à faire dans ce sens.
Osvaldo veut aller voir ses parents à Angol, dans le sud. Nous y
allons donc, moi toujours avec Alexandra qui ne veut pas me lâcher.
Cela ne me gène pas du tout, bien au contraire, je l’ai toujours
considérée comme ma petite fille. Le frère d’Osvaldo, Hernan, est
bien sympathique, leur mère aussi. A part Hernan et sa femme ses
enfants, c’est une famille de droite. Leur beau-frère, Ricardo, est un
militaire inconditionnel de Pinochet. Je saurai par la suite, qu’il a non
seulement participé aux tortures, mais qu’il les a dirigées à Viña.
Donc il faut se taire et ignorer les provocations qui fusent autour
d’Osvaldo. A chaque fois qu’il y en a une, il me regarde et selon ma
tête, me donne un coup de pied sous la table : il faut se taire. Je ne
sais plus combien de temps nous restons, mais nous rentrons à
Santiago. Osvaldo n’avait un billet que pour un mois, le mien dure
trois mois. La veille de son départ on organise « una despedida »
(soirée d’adieu) qui dure toute la nuit. Le lendemain, nous
l’accompagnons à l’aéroport. Il passe la douane, la police, nous
attendons le départ de l’avion (en ce temps-là, l’aéroport était plus
petit et on pouvait voir les avions partir… (plus maintenant). Il nous
semble le voir monter et nous partons tranquilles. En arrivant à la
maison, on nous annonce qu’il a téléphoné et qu’il a loupé son
avion... il s’est endormi dans la salle d’attente et n’a pas entendu
l’appel ! Il faut donc aller le chercher et faire des démarches pour un
autre vol le lendemain. Nous n’avons pas le moyen de communiquer
avec Leda qui est déjà sûrement à Bruxelles (les portables
n’existaient pas). Je ne vous raconte pas l’angoisse qu’elle s’est
payée ce jour là quand elle ne l’a pas vu arriver ! C’était l’année 80,
en pleine dictature : elle le voyait déjà dans une prison quelconque !
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leçons de français, mais ce n’est pas assez. Je tricote pour les gens,
je fais des abat-jours en laine que j’ai appris à faire avec Gigi... enfin
je me débrouille. Je vends des jouets à la sauvette. Et là je vis une
expérience de solidarité magnifique : les autres vendeurs qui ont
l’habitude de voir la police arriver de loin, attrapent mon paquet en
même temps que le leur et me le sauvent ; l’un d’eux qui vendait à
peu près la même chose que moi m’envoie des clients... Haydée
aussi m’a beaucoup aidée sur ce plan là.
Pas très loin de chez moi, vivent les sœurs B. chez qui je passe
beaucoup de temps ainsi que chez mes amis Ana et Hector V. (que
j’ai connus en France). Ana est décédée il y a peu de temps dans un
accident d’autobus qui emportait un groupe d’enfants dont elle avait
la charge lors d’une sortie scolaire.
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bien... A l’arrivée à Orly, Kiko B., qui devait venir me chercher n’est
pas là (il s’était trompé d’heure….). Je demande une pièce de
monnaie à une personne qui passe et j’appelle mon père qui me dit
de prendre un taxi qu’il paiera à l’arrivée. Et me voilà donc en route
pour Soisy. J’appelle mon amie Marcelle Bernard pour qu’elle vienne
chercher les arpilleras et le matériel que j’apporte du Chili. Une fois
ce problème résolu, il me faut penser à aller chez Gigi qui va
sûrement bientôt accoucher : elle habite à Ancenis, donc il faut
prendre le train. Mon père qui, habitué à prévoir les catastrophes
financières et pour cela achète des actions SNCF qui se traduisent
en bons kilométriques, regarde combien il lui en reste : juste assez
pour aller à Ancenis. On va acheter le billet et me voilà partie. J’ai eu
juste le temps d’arriver, de dîner, d’aller me coucher et dans la nuit
Gigi et Philippe sont partis à l’hôpital.... Sébastien n’était pas seul !
Je me souviens de ce petit bout de chou qui allait partout en traînant
sa couverture dont il suçait le coin : on aurait dit un petit clochard
traînant son barda ! Il était adorable ! Puis Gigi est revenue avec
Loic, qui lui aussi était très beau. Je crois être restée quelques
temps avec eux (sûrement le temps que Gigi se remette). Je me
souviens qu’elle essayait de me faire rester en France et pour cela,
elle m’avait emmenée à une soirée d’Amnistie Internationale sur le
Chili. Il s’agissait de l’aide à une famille de Détenus Disparus de
Viña, la famille de Fernando Navarro. Ils avaient des problèmes pour
faire parvenir cette aide de manière sûre. Je leur proposais de
remettre ce paquet à destination, vu que je n’habitais pas loin, ce qui
fût accepté. Et c’est ainsi que j’ai connu la famille Navarro avec qui
je suis restée très amie. Malheureusement on a retrouvé des
ossements de Fernando dans un charnier près de Santiago (Cuesta
Barriga), et Edith, sa femme, est morte de peine la même année.
Mais je suis toujours proche de leurs filles. A ce sujet, je voudrais
expliquer ma position à propos de la lutte des familles de détenus-
disparus chiliens. Je comprends leur douleur et leur désir de
rencontrer leurs proches vifs ou morts afin de leur donner une
sépulture. Mais comment retrouver des gens jetés à la mer, brûlés
dans les campagnes ? C’est impossible... En plus la personne
politique de la famille est justement celle qui est disparue, pas
forcément celle qui reste... Lorsque, par hasard, on retrouve une
partie du corps supposée appartenir à la personne, les gens
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RETOUR AU PAYS
rien. Il est vrai qu’à cette époque, nous étions sous le gouvernement
Mitterrand qui était supposé être à gauche...
des problèmes avec le directeur qui est un jeune bureaucrate, qui n’a
vu la misère qu’à la télévision. Un jour il me dit « Les réfugiés sont
accueillis, logés, nourris, ils ne sont pas poursuivis, alors qu’ils ne
nous emmerdent pas ». L’état moral et physique des gens qui
arrivaient ne l’intéressait pas, pour lui, ils n’étaient que des numéros.
Comme j’arrive d’un pays sous dictature, mon optique est
complètement à`l’opposé, et bien sûr, ça fait des étincelles. Jusqu’au
jour où il me convoque dans son bureau pour me dire que j’étais
licenciée parceque j’étais trop… humaine ! J’ai de toute façon un
excellent souvenir de ce travail où j’ai connu des gens magnifiques
comme les frères Aguilera qu’on avait tenté d’empoisonner à la
prison de Santiago, le paraguayen Livio Gonzalez prisonnier pendant
dix ans dans les géôles du Paraguay et libéré dans un sale état,
après soixante jours de grêve de la faim. Je n’oublie pas non plus les
camarades turcs, kurdes, iraniens… J’ai beaucoup appris avec eux
sur leur vie, leurs formes de lutte, la répression qu’ils souffraient.
INSTALLATION AU CHILI
celà, nous exposons leurs cas sur les places publiques, nous
organisons des manifestations dans les rues et devant les prisons,
nous les soutenons dans leur lutte pour la liberté en allant voir les
députés, les sénateurs en exigeant une prise de position.
tres belle. Je regrette beaucoup d’en avoir été empêchée pour les
enfants de Roland, mais la, chacun doit prendre ses responsabilités.