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Le mariage

Quelques affirmations des réformateurs et leur pertinence pour nos réflexions actuelles

Dans sa célèbre réponse aux pharisiens, Jésus a montré une estime extraordinaire pour le ma-
riage, compris comme une union durable entre un homme et une femme (Mt 19,4-6) : «
N’avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, les fit mâle et femelle et qu’il a dit:
C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne
feront qu’une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme donc
ne sépare pas ce que Dieu a uni! » C’est donc en rappelant la création que Jésus décrit cette
union comme un projet et une forme de vie qui marque la condition humaine.
D’autres textes bibliques avancent une autre idée, celle de l’alliance : les prophètes déjà
comparent l’alliance entre Dieu et son peuple à la relation entre fiancé et fiancée. Et l’auteur de
l’épître aux Ephésiens (chap. 5) utilise la même métaphore pour parler de la relation entre Christ
et son Eglise. Ces deux pistes – le mariage comme ordre créationnel et comme alliance – mar-
quent aussi la théologie des réformateurs.
Martin Luther souligne avant tout que la relation entre homme et femme est une des meil-
leures inventions du Créateur, de sorte à ce que Dieu se réjouit lorsqu’il regarde la vie du
couple : « ‘Dieu créa l’homme de telle manière qu’il en fit un homme et une femme.’ (…) Et
cela lui a tellement plu qu’il en a dit lui-même que c’était une bonne créature. (…) tels il nous
a faits, moi et toi, tels nous sommes, moi, homme, et toi, femme ; et ces bonnes créatures, Dieu
veut qu’on les honore comme étant son œuvre divine ».1
La vie conjugale semble tellement importante qu’elle est protégée par un commandement et
que la Bible en parle avec respect, la tenant pour une institution divine : « Or, ceux-là recon-
naissent la vie conjugale qui croient fermement que Dieu a lui-même institué le mariage et qu’il
a ordonné d’unir l’homme et la femme, d’engendrer des enfants et d’en prendre soin. Pour gage
de cela, ils possèdent, en effet, la Parole de Dieu, qui les assure qu’il ne ment point (Genèse, I).
Ils ont donc aussi l’assurance que cet état plaît à Dieu en lui-même, avec toute sa réalité, ses
œuvres, ses souffrances et ce qu’il contient. »2
Jean Calvin rappelle que le mariage reflète l’union entre Christ et l’église : « Notre Seigneur
Jésus fait cet honneur au mariage, de le nommer l’image et la représentation de l’unité sainte et

1
M. Luther, De la vie conjugale, in : Luther, Œuvres, sous la direction de Marc Lienhard et Matthieu Arnold, Paris
(Gallimard, Pléiade), 1999, p. 1147−1179, p. 1149s.
2
Ibid., p. 1169.
2
sacrée qu’il a avec l’Eglise (Eph. 5 : 22-23). Que pourrait-on dire de plus pour exalter la dignité
du mariage ? »3
Les réformateurs n’oublient pas que la notion de la vie conjugale renvoie à certaines valeurs
qui s’incarnent dans cette forme de vie : notamment l’amour réciproque, la confiance et la fi-
délité, la création d’un foyer pour la génération suivante. Luther précise que le sixième com-
mandement parle de l’amour et l’estime pour l’autre : « … il faut, avant tout, que l’homme et
la femme (…) s’aiment l’un l’autre de tout leur cœur et avec une entière fidélité. ».4
En lisant de telles affirmations, on s’aperçoit que, malgré la distance de 500 ans, certaines
des valeurs exprimées nous parlent encore aujourd’hui. Aussi dans nos sociétés actuelles – au
sein desquelles se développent de nouvelles formes de vie familiale – les valeurs de la con-
fiance, de la fidélité, de l’altérité et de l’amour, d’un foyer pour les enfants et de la solidarité
intergénérationnelle restent tout à fait centrales, et la plupart des hommes et des femmes d’au-
jourd’hui essaient de les réaliser dans leurs vies relationnelles. Dans cette situation spécifique
où l’on essaie parfois d’incarner des valeurs anciennes dans des formes nouvelles, le modèle
de l’union durable entre homme et femme, ouvert pour l’accueil d’un tiers, l’enfant, peut nous
donner quelques repères : ce modèle incarne en effet trois relations fondamentales de la vie
humaine : « un lien d’alliance, un lien de filiation et un lien de fratrie ».5 Le modèle du mariage
nous rappelle que les relations familiales nécessitent, pour leur épanouissement, un engage-
ment durable. Il nous rappelle également que la confirmation publique, c’est-à-dire l’inscription
de la relation personnelle dans une institution civile, renforce l’engagement et assume le carac-
tère public des liens d’alliance, de filiation et de fratrie.
Pour la théologie chrétienne, le modèle du mariage, se fondant sur les notions de création et
d’alliance, reste le point de repère qui oriente la prédication, l’éducation et l’accompagnement
des personnes sur le plan des relations familiales. Mais ce modèle nous aide aussi à « lire » et
à « interpréter » les formes nouvelles de conjugalité dans la lumière d’un espoir : l’espoir que
les valeurs mentionnées puissent émerger dans les circonstances concrètes des fidèles, dans des
situations marquées parfois par la vulnérabilité, par le doute ou l’incertitude, par la fragilité ou
même par l’échec. Une telle démarche « heuristique » fait preuve d’une certaine modestie : face
aux fragments, fissures et ruptures de nos biographies, elle ne cesse de croire que ces fragments
peuvent devenir, dans les yeux de Dieu, un tout – un tout qui incarne, à sa manière, les valeurs

3
Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne (1541), IV, XII, 24, Éditions Kerygma/Farel, 1978, p. 238.
4
M. Luther, Le Grand Catéchisme, in : André Birmelé / Marc Lienhard, La foi des églises luthériennes. Confes-
sions et catéchismes, Paris (Cerf) 1991, p. 327−410, p. 359, no 675.
5
Karlijn Demasure, Familles recomposées. Une perspective de théologie pratique, in : INTAMS review 13 (2007),
p. 203−221, p. 206s.
3
qui donnent sens à la vie humaine en général, et plus particulièrement à la vie commune au sein
d’une famille.
K. Lehmkühler

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