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ÉCONOMIE SOVIÉTIQUE
AUTOPSIE D'UN
SYSTÈME
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HATIER
COLLECTION
N J D U
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Alexandre Gourevitch
Économie soviétique,
autopsie d'un système
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ELAMRRER
© HATIER Paris janvier 1992
Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle, par tous procé-
dés, en tous pays, faite sans une autorisation préalable, est illicite et exposerait le contreve-
nant à des poursuites judiciaires. Réf. : loi du 11 mars 1957.
ISBN 2-218-05061-7
SOMMAIRE
PLANIFICATION : L'ÉCHEC tt nm 9
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Chapitre 3 LE TEMPS DES GRANDS DÉSORDRES 37
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Introduction
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Introduction
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Chapitre 1 .
PLANIFICATION :
BECTES
L'activité économique en URSS est régie par la
planification centralisée, prescription aussi détaillée
que stricte, inspirée des écrits de Karl Marx.
Ce mode d'organisation original veut parvenir
à une efficacité plus grande en transformant
les comportements humains.
Trop théorique, il ne fait en définitive que heurter
la réalité jusqu'à la pervertir. En dépit d'entorses
nombreuses aux principes affichés, l'expérience
socialiste a échoué et appauvri le pays.
REMPLACER
L'AL/M ATNE, IINYIES ABHSE
L'application du marxisme
——p ———
son intérêt individuel; c’est ce que l’économiste libéral du
XVIIIe siècle Adam Smith baptisa «la main invisible». Pour
l'école marxiste, l'intérêt général est bien mieux servi s’il est
déterminé par le pouvoir communiste : le développement éco-
nomique n'est plus tributaire de comportements dictés par les
prix; il dépend du pouvoir de l’État, ou plus exactement du
Parti, qui a toute liberté pour fixer l’ordre et le rythme de son
déroulement. La planification exprime donc le volontarisme
des révolutionnaires soviétiques et reprend la conception léni-
niste d’un parti visionnaire, avant-garde du prolétariat.
Dès le premier jour, le plan reflète des priorités nouvelles,
très éloignées du cours qu’aurait suivi le marché. Staline sacri-
fie les biens de consommation et l’agriculture à l’industrie
lourde : sidérurgie, machines. En outre, pour faire de l'URSS
une grande puissance, il impose un rythme d'investissement
haletant, préférant la préparation de l'avenir à une consomma-
tion sans lendemain.
Avec le temps, la planification s’est donné une raison d’être
supplémentaire, la seule peut-être qui ait subsisté jusqu’en
1991 : son abandon au profit de l’économie de marché entraf-
nerait une flambée des prix à laquelle le pouvoir pourrait bien
ne pas survivre. Les prix ne reflétant pas les coûts, le pain et la
plupart des produits de première nécessité sont vendus bien
moins cher que leur simple coût de fabrication.
Centralisation à l'extrême
——p ———
14
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— ——
deux nécessités : concilier au pouvoir les faveurs de la popula-
tion, grâce à des prix modestes, notamment pour les produits
de première nécessité que la ménagère soviétique surveille de
près; assurer à l’État une part importante de ses revenus. En
effet, pas moins d’un quart des recettes de l’État provient de la
différence entre les prix au détail, nets des frais de distribu-
tion, et les prix de gros.
Quant aux normes quantitatives, elles doivent être le plus
élevées possible. Cette méthode, dite de la planification ten-
due, entraîne la désorganisation de toute la chaîne de produc-
tion dès que les fournitures prévues se font attendre. Mais si
le plan n’assurait pas l’utilisation maximale des ressources et
des moyens de production, les entreprises en gaspilleraient
une partie, puisqu'elles n’obéissent qu’à un impératif :
atteindre leurs quotas.
Telle est la conception volontariste qui sous-tend la planifi-
cation soviétique. La pratique en a révélé le caractère illusoire,
pervers même, puisque le comportement des agents s’en
trouve altéré.
NEO Ge QU :E
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ser les autorités dans le vague sur ses capacités de production
et ses ressources. De plus, pour faire face à l’imprévu, elle se
constitue des réserves, conservant un personnel pléthorique
et accumulant les stocks de matières premières. Enfin, elle
cherche coûte que coûte à satisfaire les autorités: si le cuir
vient à manquer, elle fabrique les dernières bottes prévues par
le quota avec du carton, à moins qu’elle ne produise que les
tailles les plus petites. Pour le Gosplan, peu regardant sur la
qualité, c’est la quantité qui compte. Or, les approvisionne-
ments manquent dès qu’un fournisseur, très sollicité par le
plan, est victime d’un incident inopiné, tel qu’une panne de
machines ou un accident de transport.
Apparaît alors dans l’entreprise soviétique un personnage
qui lui est aussi particulier qu’indispensable : le tolkatch, le
«pousseur», son bon génie. Il veille à ce que l’entreprise ne
manque d'aucun produit nécessaire à la production. Dans ce
but, il se démène, il ne néglige rien; il va chercher des fourni-
tures dans une région éloignée, il corrompt tel ou tel, il entre-
tient des relations avec tous les gens susceptibles de l'aider,
leur rend des services. Il consacre toute son énergie à satisfaire
les autorités du plan, dans une légalité douteuse, elle-même
arbitrairement défendue. Le gaspillage est donc considérable.
Enfin, l’obsession du quota fait oublier toute autre préoccu-
pation: le profit n’est un souci premier pour personne. Si les
bénéfices éventuels doivent de toute façon être reversés à
l'État, les pertes sont prises en charge par l'État et aucune
entreprise n’est jamais déclarée en faillite. L'univers dans
lequel vit le chef d'entreprise soviétique, ses priorités, sont
inimaginables hors du monde communiste.
———p ——— s
ne remplit son quota de production si celui-ci n’assure pas ses
livraisons. C’est la conséquence du plan tendu, qui ne prévoit
aucune adaptation à des circonstances imprévues. Les objec-
tifs du plan ne sont, en définitive, jamais atteints et chaque sec-
teur souffre non seulement de ses propres insuffisances, mais
aussi de celles des secteurs dont il dépend pour ses approvi-
sionnements.
De plus, l'absence de prix significatifs empêche toute redis-
tribution progressive des ressources vers les secteurs où la
demande serait la plus forte. Dans une économie de marché,
le producteur réagit librement aux signaux que constituent les
prix;ce n’est pas le cas en URSS, où les moyens de production
sont attribués autoritairement par le pouvoir.
Marché Marchés
intérieur mondiaux
soviétique
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Tout pour la défense
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ger est considéré comme un mode routinier d'acquisition, à tel
point que pour certaines pièces et techniques, aucune produc-
tion n’est seulement prévue en URSS. La navette spatiale
soviétique, par exemple, ressemble comme une sœur à Chal-
lenger, son aînée américaine.
Mais le secteur militaire fait aussi exception aux principes
généraux, dans la mesure où les intérêts de l'acheteur sont
remarquablement bien représentés. Sur certains points, l’orga-
nisation de l’industrie militaire constitue donc un désaveu offi-
ciel du système. En effet, les clients, c’est-à-dire les états-
majors du ministère de la Défense, sont mêlés à toutes les
étapes de la fabrication. Ils ont d’abord recours à la méthode
de l’appel d'offres, qui met des bureaux d’études et des entre-
prises en concurrence pour l'attribution de contrats. Puis, au
moment de la livraison, les produits sont soigneusement
contrôlés par des représentants des armées, les voenpred, qui
n’ont aucun scrupule à refuser le matériel qui ne les satisfait
pas. Pour l’entreprise, cette technique brutale peut avoir de
graves conséquences mais, pour les forces armées, elle est
une garantie sûre.
De leur côté, les particuliers ont cherché à défendre leurs
intérêts - même si leurs moyens sont infiniment plus modes-
tes que ceux de l'Etat.
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La vie quotidienne témoigne de l'importance de cette éco-
nomie souterraine. Pour le particulier, puisque c’est de lui qu’il
s’agit en premier chef, les emplettes sont un souci de tous les
jours : les magasins ne disposent que de peu d’articles, qu’on
ne peut obtenir qu'après des heures de queue. Le consomma-
teur, disons virtuel, doit donc ruser, emprunter des voies
parallèles : il s'adresse au marché noir, très onéreux, ou solli-
cite ses relations. Car tout le monde peut acheter de cette
façon, po blatou, par piston; seul le degré d'influence varie.
Les dirigeants du parti, les directeurs d’usine, peuvent
rendre des services et en réclamer. Mais le serveur n’est pas
en reste, il peut faire entrer des connaissances par la porte de
service du restaurant. La petite main est la première servie
pour les layettes qu’elle fabrique, soit qu’elle les vole, soit que
l'usine les vende en priorité à son personnel. Chaque agent
économique, aussi humble soit:il, est en position de distribuer
des faveurs, qui lui seront rendues.
Souvent, les descriptions de «la seconde économie» se fon-
dent sur la distinction entre activités légales et illégales. Mais
chacun, on le voit, est mêlé à ces fraudes, à un titre ou à un
autre. De plus, la frontière de la légalité est mouvante, tout par-
ticulièrement pendant les années de perestroïka, où une partie
du droit se trouve alignée sur la réalité. Surtout, cette distinc-
tion, aussi morale que juridique, dissimule le caractère normal
de ces trafics. La moralité en URSS réprouve le vol à l'encontre
d’un particulier, mais voler à l’État ne choque personne,
puisque c’est souvent l'unique moyen de se débrouiller.
Économie officielle et économie parallèle, en effet, loin
d’être indépendantes l’une de l’autre, se répondent, se complè-
tent ;celle-ci n’existe que du fait de celle-là, d’abord et surtout
parce que les biens de consommation sont les grands oubliés
des plans quinquennaux. La pénurie encourage l’activité pri-
vée, avec l'approbation de la loi ou sans elle. Ainsi, le manque
de voitures transforme les heureux automobilistes en taxis
occasionnels et c’est chose courante à Moscou que de voir un
conducteur s'arrêter à la hauteur d’un piéton pour lui proposer
——# ——
ses services. Les lacunes du secteur officiel donnent naissance
à une foule de substituts.
Le système de tarification suscite aussi l'initiative privée.
En effet, si les biens de consommation sont rares, ils sont
aussi bon marché, lorsqu'ils sont subventionnés. La clientèle
étant prête à payer une prime pour obtenir une marchandise
introuvable, le «trafiquant» peut prendre des risques, voyager
à la recherche de stocks. Un anekdot, histoire drôle russe, le
souligne : «Ivan, pourquoi vends-tu tes bottes 100 roubles ?
Au magasin, elles valent 50 roubles. - Mais moi aussi, Vania,
si je n’avais pas de bottes, je voudrais bien te les vendre 50
roubles au lieu de 100». Le trafiquant peut aussi verser des
dessous-de-table, car les salaires, proportionnels aux prix, sont
faibles, ce qui rend la corruption facile, tentante même. La
presse se fait quotidiennement l'écho de pots-de-vin : l'excès
de liquidités causé par le décalage entre l'offre et la demande
fait flamber les prix du marché noir; le profit ne va pas au
fabricant, mais aux intermédiaires.Les prix ne remplissent pas
leur fonction, qui devrait être de décourager la demande. La
sélection des consommateurs doit donc se faire sur d’autres
critères : «En URSS, il n'y a rien à acheter; mais on peut tout
dostat, se procurer. »
Enfin, les faiblesses des transports et de la distribution favo-
risent l'apparition de trafics à grande échelle : la maña, inatten-
due dans un Etat policier très discipliné, doit son existence et
sa force à son rôle de pourvoyeur. Les Russes emploient le mot
italien, mais le phénomène est bien ancré dans les habitudes
locales. En effet, cette maña a accès aux personnes-clefs, son
réseau d’information est étendu, elle peut organiser des trans-
ports lointains. C’est elle, bien souvent, qui achemine vers les
marchés agricoles privés du Nord les produits méridionaux,
car elle est seule à pouvoir financer le séjour sur place d’un
marchand de légumes et lui assurer des livraisons régulières.
Les autorités sont toujours promptes à dénoncer les crimes de
la mafia; mais celle-ci, on le voit, peut atténuer les effets des
défaillances du système officiel. \
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Un sacrifice organisé
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sation», liquidation des «paysans riches», c’est-à-dire des agri-
culteurs opposés à la collectivisation. La production agricole
entraîna dans sa chute les revenus agricoles, qui diminuèrent
de moitié entre 1928 et 1932.
Dans les années 60, les autorités sont revenues sur cette
politique. Elles ont cherché à donner à l’agriculture un coup de
fouet, en augmentant à la fois les investissements et les rému-
nérations agricoles. C’est à cette époque que les kolkhozes,
dont les récoltes étaient achetées par l'Etat à très bas prix, ont
été progressivement remplacés par des sovkhozes, qui occu-
pent désormais les trois quarts de la superficie agricole. Mais
ces retouches n’ont suffi ni à relancer la productivité ni à hisser
l'offre au niveau de la demande. Aujourd’hui encore, le mode
de rémunération des travailleurs agricoles nuit à leur producti-
vité. C’est pourquoi les marchés privés, où les prix sont libres,
sont florissants. Ils fournissent quelque 36% de la production
agricole nationale. Même s’ils profitent aussi, à n’en pas douter,
des détournements de la production d'Etat, leurs approvision-
nements proviennent principalement des lopins privés et des
surplus kolkhoziens. Les parcelles individuelles, à elles seules,
représentent 27% de la production agricole totale et jusqu’à 50%
de certains produits, tels que les fruits.
L'auto-suffisance impossible
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Production, importation et consommation
intérieure de céréales
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Chapitre 2
LE DÉVELOPPEMENT
DANS L'IMPASSE
À partir des années 60, le retard de l'URSS
sur les pays les plus industrialisés s'accentue.
Le phénomène n'est pas immédiatement visible,
mais le pays est à bout de ressources.
Ses atouts naturels ont tous été exploités et la société
soviétique semble incapable d'en inventer
de nouveaux. La transition d'un modèle extensif
à une croissance intensive n'a pas lieu.
L'Union soviétique est dépourvue de toute capacité
d'innovation, facteur devenu fondamental
pour le développement économique.
Le) MP É RATE
D'INNOVATION
#9— ——
femmes) augmentait de 1,5% par an; vers 1989, cette hausse
n'est plus que de 0,4%. Alors que les précédents plans quin-
quennaux ont bénéficié d’une augmentation de 10 à 11 mil-
lions de la population active, cet appoint est tombé à 3 millions
sur lapériode 1986-1990.
A ceci s’ajoutent des déséquilibres géographiques : la
pénurie de main-d'œuvre de la partie européenne de l'URSS
contraste avec le dynamisme des régions musulmanes du
Sud, où la fécondité et le sous-emploi sont bien supérieurs. Or,
ces musulmans refusent d’aller chercher du travail ailleurs
dans l’Union. Ainsi, la plupart des 6,5 millions de chômeurs
officiellement reconnus habitent les régions d’Asie centrale.
Les autorités ont épuisé la plupart des solutions qui
s'offraient à elles. Rares sont les inactifs, puisque femmes et
vieillards travaillent souvent, pour compléter qui les revenus du
mari, qui une pension de retraite. L’augmentation du temps de
travail paraît impossible à imposer dans un pays où le désordre
économique exige de consacrer beaucoup de temps aux
courses quotidiennes ou à la recherche de revenus d’appoint.
Le déplacement de la main-d'œuvre d’un secteur de l’éco-
nomie à un autre pourrait constituer une solution, puisque 20%
de la population est encore occupée à des tâches agricoles,
contre 7,5% dans la Communauté européenne ou 10,7% au
Japon. Mais ce déplacement ne pourra se faire que si la pro-
ductivité agricole augmente d’abord.
Seule la démobilisation d’une partie des forces armées
pourrait rendre aux autorités une certaine marge de manœu-
vre : l'armée compte plus de 4 millions d'hommes, dont 550 000
avaient leurs garnisons en Europe de l'Est jusqu’en 1990-91.
| Mais, dans l'immédiat, cette solution, qui ne saurait de toute
| façon suffire, poserait plus de problèmes qu’elle n’en résou-
drait : il faudrait former ces troupes à un métier civil, dans un
contexte de désordre économique déjà grand, du fait de
| migrations internes considérables. Il faudrait aussi loger ces
hommes et leurs familles à proximité des centres industriels,
qui sont déjà des zones surpeuplées.
———
ps———
La crise du logement exclut toute augmentation de la popu-
lation urbaine. Voirie, égouts et transports en commun, toutes
les infrastructures sont saturées. Le manque d’appartements
retient les gens à l'endroit même où ils habitent : malgré une
surface habitable par personne inférieure de moitié à celle de
l'Allemagne, l'URSS compte 2,5 millions de couples en attente
d’un logement. Un tiers d’entre eux sont inscrits sur des listes
d'attente depuis cinq à dix ans. Aucun déplacement de main-
d'œuvre n’est donc envisageable à brève échéance.
Se trouvant à court de moyens, l'URSS doit donc passer
d’un modèle extensif à une croissance intensive : l’accroisse-
ment des richesses doit se fonder non plus sur l'augmentation
de la quantité des facteurs de production, mais sur une meil-
leure utilisation des moyens employés, sur une «productivité
croissante des facteurs ».
Erreur d'orientation
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Fonder sa croissance sur un de ces avantages comparatifs
naturels, comme l’a fait l'URSS, peut même constituer une
erreur stratégique grave. En effet, la richesse nationale dépend
alors du cours, très irrégulier, des matières premières exploi-
tées. Enfin, une croissance qui s'appuie sur la simple exploita-
tion de ressources naturelles conduit les agents et les autorités
économiques à négliger d'exploiter ou de rechercher active-
ment d’autres atouts, souvent parce que l'extraction est le
monopole d’une entreprise nationale, qui ne ressent pas le
besoin de se diversifier.
L'URSS doit donc, comme les économies de marché,
renouveler sans cesse ses avantages comparatifs et stimuler
l'esprit d'innovation, si elle veut faire cesser la détérioration
d’un niveau de vie déjà bien médiocre. Or, à l’aube de la
décennie 90, son économie n’a pas démontré une grande capa-
cité de cet ordre.
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La productivité introuvable
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Taux officiel de croissance
du Produit matériel net
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L'innovation à la trappe
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PNB, productivité totale des facteurs (PTF)
et volume des facteurs de production:
évolution annuelle
Volume Volume
années PNB PTE
capital travail
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velles viennent généralement d'entreprises de petite taille fon-
dées dans le but de les réaliser.
L'URSS subit aussi les conséquences de l’absence de mar-
chés financiers, qui prive les inventeurs du capital-risque qui
leur permettrait de réaliser leurs projets : le seul prêteur pos-
sible, c’est l'Etat. Celui-ci n’ayant pas de concurrent, les inven-
teurs soviétiques sont dépourvus de tout moyen de recours si
les autorités écartent leurs propostions. Dans les économies
de marché au contraire, les inventeurs ont l'oreille des investis-
seurs, qui savent que le risque encouru est proportionnel aux
bénéfices à attendre.
La politique d'investissement ne favorise pas elle non plus
la hausse de la productivité. Pourtant, l'URSS consacre des
moyens importants au renouvellement de ses équipements.
Mais les décisions sont prises directement par le pouvoir cen-
tral. Ne réalisant pas de profits, les entreprises n’ont pas de
leur côté les moyens d'investir. Or, les autorités ne sont pas
capables de calculer la rentabilité future de tel ou tel projet. En
effet, la théorie marxiste condamne les taux d'intérêt, qui,
rémunérant le capital, constituent pour le capitaliste un moyen
d’enrichissement immoral. Elles ont alors tendance à disper-
ser les crédits et à multiplier les projets nouveaux : en URSS,
le paysage est parsemé de chantiers inachevés. Les entre-
prises ajoutent à la confusion, car, ne payant pas d'intérêt sur
les capitaux engagés, elles réclament plus d’investissements
qu'il ne leur en faudrait, dans l'espoir de s'emparer, au fil des
années, de matériaux pour leurs besoins courants. Une fois
formées, les entités existantes, qu’elles soient administratives
ou industrielles, cherchent spontanément à s’agrandir. Les
investissements réclamés au Gosplan ne répondent pas à des
besoins réels. Avec un système d’information aussi déformant,
la politique d'investissement repose sur l’arbitraire administra-
tif. On comprend que, dans ces conditions, le renouvellement
des équipements n’apporte aucune hausse de la productivité
et qu’il ne contribue que médiocrement à une intensification
de la croissance.
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La recherche inadaptée
————# ————
bution. C’est d’ailleurs un mobile contraignant et donc efficace,
dès lors que la réalisation des normes fixées par le Gosplan en
dépend. Mais si le consommateur en tire avantage, ce n’est
qu’incidemment. Généralement, c’est plutôt la technique de
production que la marchandise finale qui s'améliore. Par consé-
quent, la qualité des articles proposés peut aussi bien se dégra-
der. Le vendeur y est indifférent, puisqu'il compte de toute
façon plus de clients qu’il ne peut en satisfaire et que son seul
objectif est de satisfaire les exigences du Gosplan.
En bref, l’économie contemporaine veut une décentralisa-
tion du pouvoir de décision. Planification centralisée et innova-
tion font mauvais ménage. À cette incompatibilité s’ajoute le
souci constant qu’a le régime de décourager le progrès tech-
nique dans des domaines tels que l'informatique et la commu-
nication. Ces deux secteurs, essentiels à la croissance dans les
pays occidentaux, exigent le développement d’un réseau télé-
phonique efficace, l’utilisation généralisée d’ordinateurs, bref
la diffusion de l'information. Le pouvoir communiste redoute
une telle évolution, qui aboutirait à une circulation plus libre
des idées. La méfiance et l’ignorance de l'informatique sont
telles que même les services du Gosplan, candidat tout indi-
qué, n’ont jamais été informatisés.
L'inadaptation de l’économie planifiée aux réalités moder-
nes s’est donc accentuée à partir des années 60. Les handicaps
s'accumulent, pesant de plus en plus lourdement sur le régime
en place.
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Chapitre 3 <
LE TEMPS
DES GRANDS
DÉSORDRES
Lorsqu'il accède au pouvoir en 1985,
Mikhaïl Gorbatchev veut rompre avec les années
précédentes, qu'il appelle « ère de stagnation »,
et moderniser l'économie. En réalité, sa politique
provoque des déséquilibres inédits, qui hypothèquent
gravement les réformes proposées :
l'inflation et l'endettement extérieur occupent
toute l'actualité et transforment les faiblesses
économiques ambiantes en une crise véritable.
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L'hyper-inflation toute proche
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une possibilité bien réelle, avec des augmentations de prix
quotidiennes et une folle dépréciation de la monnaie. Signe
troublant, le rouble tend à disparaître des échanges, au profit
du dollar et du troc direct. Un tel phénomène s’est déjà pro-
duit par le passé, en Amérique latine par exemple, mais aussi
dans l'Allemagne démocratique de l’entre-deux-guerres, en
1923 et 1924. Les conséquences sociales en sont toujours dra-
matiques : l'ascension de Hitler a été favorisée par l'échec
monétaire et économique de la république de Weimar, l’infla-
tion de 1924 ayant provoqué une redistribution brutale et
désordonnée des richesses entre prêteurs et emprunteurs, la
ruine des retraités et de tous les détenteurs de revenus fixes,
la paralysie de l’activité économique et la stupéfaction de toute
la population. La situation économique et financière est d’autant
plus inquiétante que les autorités font preuve d’une déconcer-
tante incapacité à enrayer l'inflation.
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taire, appartient à la collectivité. Les particuliers ne peuvent en
aucun cas devenir propriétaires de leur résidence principale.
Quant aux dépôts bancaires, ils ne sont pas rémunérés.
Comment expliquer, alors, qu’un Soviétique sur deux ait
une autre source de revenu que son activité principale ? Il se
constitue un patrimoine de précaution, destiné à permettre
une dépense imprévue. Ainsi, la ménagère soviétique a tou-
jours sur elle une grosse somme d’argent et une avoska, un
sac «pour le cas où».
Le secteur des entreprises accroît encore cet excédent de
liquidités car, curieusement, il épargne plus qu’il n'emprunte.
Un tel état de fait ne se conçoit pas dans une économie de
marché où, pour financer leurs investissements, les entre-
prises ne peuvent se contenter de leurs économies, c’est-à-dire
des bénéfices non redistribués aux actionnaires : elles doivent
emprunter. Les entreprises soviétiques, au contraire, ont une
«capacité nette de financement», de 23 milliards de roubles en
1989, soit plus de 25% des investissements totaux.
C’est l'organisation du système bancaire, que la réforme de
1988 n’a pas fondamentalement changée, qui explique cette
bizarrerie. En effet, l'économie tout entière dépend, par l’inter-
médiaire de banques sectorielles monopolistiques, de la banque
centrale, Gosbank. Celle-ci a pour mission prioritaire d’aider les
entreprises à réaliser le plan. Dans ce cadre, elle leur accorde
des crédits illimités, sans chercher à évaluer les risques ni exi-
ger le paiement d'intérêts. La théorie marxiste, pour laquelle le
capital n’a pas la moindre valeur, légitime ce comportement. Les
entreprises empruntent sans discernement et détiennent de
fortes sommes sans les placer.
——p ———— s
que l’État dépense plus d’argent qu’il n’en prélève et que, pour
financer son déficit, il imprime encore et toujours plus de
roubles. Chiffrer ce déficit n’est pas tâche facile. Les statis-
tiques officielles évaluent à 44% de la richesse nationale son
montant cumulé, mais certains emprunts sont comptabilisés
comme des recettes, ce qui diminue d’autant l'ampleur appa-
rente du déficit. En réalité, pour 1989, il faudrait ajouter au
moins 12 milliards au déficit officiel de 60 milliards.
Qui plus est, ce total croît d'année en année, du fait d’un
écart persistant entre dépenses et ressources, officiellement
évalué à 10% du PNB, mais qui pourrait être deux fois plus
élevé encore. Il s’est produit en 1991 une crise budgétaire sans
précédent, le pouvoir fédéral ne parvenant plus du tout à faire
rentrer l'argent dans ses caisses. Déjà, en 1990, l'objectif off-
ciel d’une réduction d’un quart du déficit n’avait pas été atteint.
Mais la situation empire en 1991, année où les richesses impo-
sables diminuent sous l'effet de la dégradation économique ;
où les entreprises profitent du désordre institutionnel pour se
dérober au fisc; année surtout où les républiques entrent en
rébellion ouverte contre le pouvoir fédéral, refusant de lui
reverser l'impôt qu’elles ont pour mission de prélever en son
nom (pour les quatre premiers mois de 1991, les recettes
encaissées par le pouvoir fédéral représentaient moins d’un
tiers du montant attendu). La signature d’un nouveau traité de
l’Union, attendue en août 1991, vingt-quatre heures avant le
putsch, aurait peut-être pu régler ce différend. Mais entre-
temps, l'État fédéral finançait ses dépenses en imprimant des
billets, lorsqu'il ne refusait pas simplement d’honorer ses obli-
gations. à
Pourtant, bien des gouvernements sont déficitaires. À 44%
du produit intérieur brut, le déficit cumulé de l'URSS est com-
parable à celui de la France. Mais, pour deux raisons au
moins, l'URSS est dans une position intenable en août 1991.
L'inflation ne préoccupe pas les autorités soviétiques. Dans
une économie de marché, la banque centrale a pour mission
de lutter contre l'inflation, en limitant la masse monétaire en
2 ———
14
Estimations | Estimations
soviétiques | occidentales
pe
—#—
DURS SSL PONS A LE LITTLE2
COMMERCE EXTÉRIEUR
ET PLANIFICATION CENTRALISÉE
Les entreprises soviétiques ne sont pas libres de
commercer à leur guise avec le monde extérieur : le
plan deviendrait irréalisable, car une partie de la
production incluse dans les calculs du Gosplan
quitterait le pays, en échange de biens imprévus,
ou même de placements en devises. De toute façon,
le pouvoir soviétique tient à limiter le plus possible
les contacts, même commerciaux, avec l'étranger.
Les échanges sont compris non comme un mode
d’enrichissement, mais comme un troc, comme un
moyen ultime d'acquérir certains biens ou tech-
niques introuvables en URSS même. Il ne saurait
en être autrement, car, les prix intérieurs étant
arbitraires, le rouble n’a pas non plus de valeur sur
les marchés internationaux ; il est inconvertible.
L'étranger détenteur de roubles doit donc les dépen-
ser, en trouvant des marchandises d’une valeur équi-
valente à importer dans son pays : il est condamné
au troc.
Dans la pratique, un ministère spécialisé, le minis-
tère du Commerce extérieur, se charge, par l'intermé-
diaire de maisons de commerce, d'équilibrer importa-
tions et exportations, l'URSS vendant principalement
de l'énergie et de l'or, en échange de céréales et de
techniques de pointe. Étant assurée de trouver pre-
neur pour ces quelques produits, mais sachant aussi
qu'elle ne pourra pas en vendre d'autres, l'URSS sur-
évalue sa monnaïe. En définitive, c'est un obstacle
supplémentaire aux exportations.
À l’intérieur du camp socialiste, les échanges com-
merciaux se sont organisés dans un cadre institu-
tionnel prévu à cet effet : le Conseil d'assistance
économique mutuelle, CAEM ou Comecon, créé en
1949. Après la guerre, chaque pays membre a été
encouragé à se spécialiser dans tel ou tel secteur,
conformément à la « division internationaie socia-
liste du travail ». Chaque pays devait se concentrer
sur sa spécialité et échanger sa production contre
les marchandises qu'elle ne produisait pas. Mais
l'absence de prix véritables et de devises librement
convertibles, la défiance des pays satellites envers
leur « protecteur » soviétique et l’incompatiblité
entre la planification et le caractère imprévisible
des échanges extérieurs ont conduit le Comecon à
l'échec : les échanges, très limités de toute façon, se
font sur une base bilatérale, et l'URSS y est tou-
jours mêlée. En 1991, ces liens déjà lâches sont
totalement rompus, les révolutions d'Europe cen-
trale ayant entraîné la dissolution du Comecon.
La dégradation des échanges
Bu. El
À ce chiffre, on ne peut soustraire les prêts en devises de
l'URSS, parce que la solvabilité de ses débiteurs, États du
tiers-monde pour la plupart, est douteuse.
85 | 86 | 87
+
Le goitre de la dette
RS
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Echéancier de la dette extérieure
En milliards de roubles
Total
|
[same | dont intérêts
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Qui prête à l'URSS ?
en milliards de dollars |
autres —
dette nette
banques
commerciales
prêteurs
officiels
0
1986 1987 1988 1989 1990 1991 est.
———# ——
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L'AIDE INTERNATIONALE À L'URSS
Mikhaïl Gorbatchev lance à plusieurs reprises un
appel aux chefs d'État étrangers : il faut sauver la
perestroïka, dont la faillite économique est patente.
Privé de tout soutien national, M. Gorbatchev fait
dépendre son avenir politique de sa capacité à
mobiliser la communauté internationale en sa
faveur. C’est ainsi qu'une demande de trente mil-
liards de dollars par an est soumise aux sept pays
les plus industrialisés à la veille de leur rencontre
de juillet 1991 à Londres.
Or ces demandes n'ont pas été entendues. Comme la
plupart des États, les organisations internationales
ont été plus que circonspectes. La Communauté
européenne, bien que chargée de coordonner
l'ensemble de l’aide occidentale, États-Unis compris,
n'a offert que cinq milliards de francs environ : 500
millions d’écus sous forme d'aide technique et, en
juillet 1991 seulement, 250 millions d'écus d'aide
alimentaire. De son côté, la Banque européenne de
reconstruction et de développement (BERD), créée
au bénéfice particulier des anciennes économies
socialistes d'Europe, a refusé tout prêt à l'URSS,
dans l'attente d'un passage à l’économie de marché
toujours retardé.
Les crédits ont surtout servi à garantir l'exportation
de produits en provenance des pays prêteurs. Ainsi,
la France a réservé à l'achat d'appareils français et
au remboursement d'arriérés de paiement commer-
ciaux les crédits accordés à l'URSS en octobre 1990.
Seule l'Allemagne a constitué une cas à part: en
échange de son abandon de l'Allemagne de l'Est et
du retrait de ses troupes, elle a offert à l'URSS 33
milliards de dollars d'aide, sous différentes formes :
prêts, dons, garanties, crédits à l'exportation.
Se sont néanmoins trouvés quelques crédits inatten-
dus : son attitude face à l'Irak pendant la guerre du
Golfe a valu à l'URSS des prêts de 1 et 1,5 milliard
de dollars respectivement du Koweït et de l'Arabie
Saoudite. Mais les grands pays occidentaux ne se
sont pas avancés : au sommet de Houston de l'été
1990, le groupe des sept pays industrialisés s’est
dérobé à la demande pressante que lui faisaient cer-
tains de ses membres de statuer sur l'opportunité
d’une aide massive. Il a enterré la question d’une
étude sur la situation économique de l'URSS et la
politique à suivre. Réunis à Londres un an plus
tard, les Sept refusent leur aide, tant pour la dette
extérieure soviétique que pour un fonds de stabilisa-
tion monétaire, mécanisme destiné à permettre la
convertibilité du rouble. Seule une aide technique
est accordée, par l'intermédiaire du statut de
membre associé auprès de la Banque mondiale et
du Fonds monétaire international. L'URSS peut
désormais bénéficier des conseils des experts ratta-
chés à ces deux institutions.
——#
—
quement, il réclame au moins trente milliards de dollars
d'aide. Mais c’est une aide d'urgence qu'il lui faut, pour éviter
à l'URSS la cessation de paiements.
Les montants totaux peuvent même rester modestes puis-
que, dans un premier temps, l'URSS n’a besoin que de garanties
publiques lui permettant de se tourner à nouveau vers les
banques. Que le gouvernement d’un pays riche se porte garant
de la signature de URSS et celui-ci verra affluer les prêteurs.
L’enjeu est clair pour tous les Etats représentés : l'URSS est
dans une situation financière critique, mais facile à améliorer.
En lui accordant ne serait-ce qu’une partie de l’aide qu’il
réclame, le groupe des Sept permettrait à Mikhaïl Gorbatchev
d'échapper aux conséquences de la politique menée à partir
de 1986. L’effondrement économique et le refus des réformes
ne recevraient pas la moindre sanction; au contraire, le pou-
voir obtiendrait un répit aussi inespéré qu’inconditionnel.
C’est ce qui explique la fermeté des Etats occidentaux, qui ne
veulent pas accorder à Mikhaïl Gorbatchev les capitaux qui lui
permettraient de se dérober à la nécessité, c’est à dire l’enga-
gement définitif vers l'économie de marché.
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LA DÉBANDADE
Quels remèdes les autorités ont-elles voulu appliquer ?
Ont-elles rencontré le succès : le pays se dirigeait-il
vers son rétablissement économique lorsque se sont
produits les bouleversements d'août 1991 ?
Refusant depuis des mois et des années de prendre
les décisions radicales qui s'imposaient, le régime
avait perdu l'initiative : au moment du putsch,
la question ethnique et nationale était en passe
d'imposer son issue particulière à la crise
économique, par l'éclatement de l'Union soviétique.
DAN SLAL MST EUNNESE
DES RÉFORMES
Des mots...
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1986-91 : rien
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L4
LA LÉGISLATION ÉCONOMIQUE
EN URSS ENTRE 1986 ET 1991
— Le décret du 13 janvier 1987 autorise, sous cer-
taines conditions, les investissements étrangers en
URSS ; les décrets de septembre 1987 et de décembre
1988 étendent le pouvoir des investisseurs étrangers
sur le capital et la direction des entreprises mixtes.
Le décret du 26 octobre 1990 autorise les investis-
seurs étrangers à créer des filiales à 100 %, et celui
du ler janvier 1991 autorise le rapatriement des
profits.
- La loi sur les entreprises d'État (1987) pose les
principes de l'autonomie de gestion et de la respon-
sabilité financière, les entreprises devant financer
elles-mêmes leurs investissements. En août 1989,
une nouvelle loi ouvre aux entreprises la possibilité
d'association et de transactions directes avec
l'étranger.
— La loi du 26 mai 1988 reconnaît les coopératives
(associations de trois personnes minimum). Mais
dès la loi d'octobre 1989, des restrictions apparais-
sent, supprimant les coopératives commerciales et
autorisant les autorités locales à fixer les prix par
voie d'autorité ; dans le même sens, la loi de juin
1990 impose l’utilisation d’un compte bancaire
unique, tout en interdisant les transactions au
comptant.
: La loi du 28 février 1990 réaffirme la propriété
de l’État sur les terres agricoles.
— La loi du 3 mars 1990 affirme la reconnaissance
juridique de la propriété privée, y compris par des
étrangers. Mais les décrets d'application se font
attendre.
— La loi du 11 décembre 1990 sur le secteur ban-
caire maintient la dépendance de la banque cen-
trale par rapport au pouvoir, mais le principe
d'autonomie des banques commerciales est admis.
———
2 ——
Répartition de la population active
par type d’employeur
Population active
occupée
Temporairement non
occupés, invalides 2
Étudiants et stagiaires TA
RS
s
La situation n’est pas meilleure dans les secteurs qui ne se
sont ouverts à l’activité privée que sous Gorbatchev. Une loi
du 26 juin 1988 crée des «coopératives», entreprises privées
de services ou d’artisanat autonomes par rapport au plan. Plus
de dix-huit mois plus tard, seules 200 000 coopératives figu-
rent sur les registres. Leur activité ne représente que 4,4% du
PNB. Autant dire qu’elles semblent ne jamais devoir consti-
tuer le socle d’une économie de marché. Ici encore, les autori-
tés, craintives, ont voulu conserver à l’activité privée son carac-
tère marginal.
Ainsi, le régime ruse et tergiverse : il veut séduire les puis-
sances occidentales, il cède parfois à la pression de l’opinion,
qu’il a lui-même suscitée, mais le processus qu'il a lancé ne
conduit nulle part. Les autorités se révèlent incapables de trou-
ver la moindre issue à la crise économique.
Une issue se profile pourtant, au fur et à mesure que le
pouvoir central perd l'initiative. Des quatre coins de l'empire
se font entendre le mécontentement, les revendications. À la
veille du putsch du 19 août, c’est vers l'éclatement écono-
mique et politique que semble s’acheminer la crise.
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DENEPTE PE LETO N
Se
à4
RS
centage des échanges internationaux dans le PNB des répu-
bliques oscille entre 4,5 et 7%, si l’on excepte les 8,8% de l’Esto-
nie, très liée, à tous égards, à la Finlande voisine.
Faut-il conclure que, puisque la fédération profite à la plupart
des républiques, celles-ci y sont attachées ? Ou encore que cha-
cun sait à quel appauvrissement le conduirait le démantèlement
de l'empire ? Non, en aucune raison, parce que l'intégration éco-
nomique s’est retournée contre la fédération et qu’elle attise les
dissensions, les rancœurs et les colères. Le discours politique
ne se soumet pas à la réalité économique : il l'interprète.
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Biélorussie
Lituanie
Lettonie
Estonie
Moldavie
Arménie
Azerbaïdjan
Géorgie
Kazakhstan
Kirghizie
Tadjikistan
Turkménistan
Ouzbékistan 1988
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Se
tions représentent 5,9 milliards de roubles; mais le budget de
l'État, de son côté, les évalue à 8,6 milliards. Si cette diffé-
rence s’explique en partie par les dates, ces chiffres étant res-
pectivement ceux de 1989 et 1990, c’est surtout la définition
des subventions qui pose un problème : dans les statistiques
de l'État, s ajoutent entre autres, aux dotations budgétaires,
des subventions aux prix. Cette notion même est contestable
car ces subventions permettent de vendre en-dessous du prix
fédéral, mais celui-ci, on l’a vu, est lui-même arbitraire. Si les
achats de pétrole russe par l’Ouzbékistan sont subventionnés,
la fédération considère ces subventions comme égales à la
différence entre le prix en Ouzbékistan et celui ayant cours
dans le reste de l'union. Mais la Russie, elle, ne peut-elle pas
considérer qu'il lui en coûte plus encore dans la mesure où
son pétrole de toute façon lui est acheté bien moins cher que
le cours mondial ?
Des statisticiens, soviétiques et étrangers, ont cherché à
calculer quelle serait la valeur des échanges commerciaux
fédéraux en cas d’adoption des prix mondiaux. Les conclu-
sions sont intéressantes : d’après la CEE, c’est 10% du PNB
total qui changerait de mains. Mais le calcul est lui-même
faussé : le volume des échanges resterait-il le même si les prix
changeaient? Et, pour qui connaît la politique agricole de la
CEE, comment faire l'hypothèse que les échanges agricoles
entre les républiques s’effectueraient aux cours mondiaux ?
La conclusion de cet imbroglio budgétaire et comptable,
chacun la tire à sa façon : «Ce que notre pauvreté ne doit pas à
l’économie planifiée, elle le doit à la fédération ». À cette convic-
tion s’ajoute un sentiment pesant de dépendance et de vulnéra-
bilité, inspiré par l’imbrication économique des différentes
composantes de l'empire. La division socialiste du travail a, on
l'a vu, conduit à l’hyper-spécialisation. En théorie, tant que les
esprits sont unis, cette fragmentation des compétences peut
flatter les sentiments d'efficacité et de communauté des popula-
tions ainsi rapprochées. Mais le déchaînement des sentiments
nationalistes rend insupportable cette dépendance réciproque
#9 ———
L4
Guerres économiques
——#
—
éleveurs biélorusses et ukrainiens préférant alors vendre leurs
bêtes au prix offert en Russie, leurs gouvernements instaurent
des contrôles à l'exportation.
La pénurie, qui souvent a un caractère local, a ainsi inspiré
toutes sortes de politiques protectionnistes de cette nature:
ici, un titre de séjour est exigé pour certains achats: là, des
postes douaniers sont instaurés, afin de décourager tout trafic
de proximité. Entre l’Estonie et la Lettonie, par exemple, une
frontière «économique» (ekonomitcheskaïa granitsa) permet
la surveillance des approvisionnements, tout en fournissant
aux deux républiques une belle occasion d'affirmer nettement
leur indépendance.
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#7 ———
L4
RS
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Le renversement du régime communiste n’a pas provoqué
ipso facto l'assainissement de l’économie soviétique, tant s’en
faut. La situation n’en est pas moins transformée, car désor-
mais la nécessité d’une conversion économique complémen-
taire de la révolution politique en cours s'impose à tous.
Conscients de l'effet de la faillite économique sur le régime
déchu, les nouveaux chefs de l’ex-URSS engagent leur, ou
leurs, pays, dans une réforme trop longtemps différée.
Si l’effervescence nationaliste de l’après-putsch a caché les
causes économiques de l'effondrement du régime, elle n’occu-
pera pas toujours le devant de la scène. Les difficultés écono-
miques se feront plus pressantes que jamais, éclipsant ou du
moins concurrençant de plus en plus les conflits nationaux. Les
problèmes d’approvisionnement alimentaire accapareront les
Soviétiques et chaque ménagère n’aura plus à l'esprit qu’une
préoccupation, le menu de demain. Même morte et autopsiée,
l'économie soviétique continuera d’envahir l'actualité, car de la
résurrection de ce cadavre dépendent la subsistance des
anciens sujets d'Union soviétique et l’avenir de cette grande
puissance déchue.
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CHRONOLOGIE
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1982 : Construction du gazoduc d'Ourengoï reliant la Sibérie
et l’Europe occidentale.
Mars 1985 : Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir.
15 octobre 1985 : M. Gorbatchev lance son programme
réformateur ;début de la perestroïka.
1986-91 : Tergiversations et fausses réformes : change-
ments formels dans le droit des investissements étrangers, de
l'autonomie des entreprises, des coopératives de production,
de la propriété des terres, du droit de propriété et du secteur
bancaire.
2 janvier 1991 : Les billets de 50 et 100 roubles sont retirés
de la circulation.
2 avril 1991 : Hausse officielle de 60% des prix de vente au
détail, avec compensation salariale partielle.
17 juillet 1991 : M. Gorbatchev est reçu au sommet des
sept pays les plus industrialisés à Londres.
19 août 1991 : Un comité de sûreté composé de huit hommes
fait arrêter le président Gorbatchev et prend le pouvoir.
20 août 1991 : Boris Eltsine, Président de la république de
Russie, appelle à la grève générale et réclame le retour de
M. Gorbatchev. La Lettonie et l’Estonie déclarent leur indépen-
dance.
21 août 1991 : Fuite des membres du comité d'État: échec
du putsch.
22 août 1991 : Retour de Gorbatchev à Moscou. Mais, aux
yeux de tous, B. Eltsine sort grand vainqueur.
23 août 1991 : B. Eltsine interdit le Parti communiste en Rus-
sie.
24 août 1991 : M. Gorbatchev démissionne de son poste de
secrétaire général du Parti communiste d'Union soviétique.
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LEXIQUE
ip —
PERESTROÏKA : Reconstruction, restructuration. Réforme éco-
nomique lancée par M. Gorbatchev en 1985 et cherchant, sans
détruire l’économie planifiée, à en améliorer le fonctionnement.
PIATILETKA : Plan quinquennal, établi par le Gosplan. C'est
l'ossature de la planification.
PMN : Produit matériel net. Mesure de la production nationale
en URSS. A la différence du produit national brut (PNB) calculé
dans le reste du monde, le PMN n’inclut pas les services que la
théorie marxiste-léniniste qualifie de «non productifs» : santé,
éducation, forces armées.
PRODUCTIVITÉ TOTALE DES FACTEURS : Rapport entre la produc-
tion et les moyens utilisés — principalement les machines et la
main-d'œuvre. Mesure d'efficacité d’une économie.
QUOTA : objectif quantitatif de production assigné aux entre-
prises par les organes du Gosplan.
SPEKOULIATSIA : Vente à prix élevé et au marché noir de mar-
chandises non disponibles dans le commerce.
SOVKHOZE : Ferme d’État, où les agriculteurs sont salariés.
BLBLEOGRAPHTIE
— pp ——
Imprimé en France par MAURY-IMPRIMEUR S.A. — 45330 Malesherbes
Dépôt légal : Janvier 1992
N° d'édition : 8737 - N° d'impression : L91/37039 E
ÉCONOMIE | Effondrement du commu-
nisme, éclatement de l'URSS...
SOVIETIQUE | et si on parlait de ce qui a
AUTOPSIE D'UN fait l'originalité première du |
= marxisme-léninisme, le système |
SYSTEME économique ? L'auteur analyse les |
mécanismes et les résultats, explique :
les causes économiques des bouleverse- |
ments soviétiques. Parce que pour évaluer :
les solutions possibles, il faut avoir compris les |
bases du système + Alexandre Gourevitch, diplômé |
de la Tufts University, de la Fletcher School et de Sciences |
Po Paris, est analyste économique et politique au département :
international d’une organisation professionnelle.
COLLECTION ENJEUX