Vous êtes sur la page 1sur 84

=0 #5

—; ®
=X S
=<{
=0 à ®

Fa <

ÉCONOMIE SOVIÉTIQUE
AUTOPSIE D'UN
SYSTÈME

Ad
HATIER
COLLECTION

N J D U

ns

Alexandre Gourevitch

Économie soviétique,
autopsie d'un système

VF
ELAMRRER
© HATIER Paris janvier 1992
Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle, par tous procé-
dés, en tous pays, faite sans une autorisation préalable, est illicite et exposerait le contreve-
nant à des poursuites judiciaires. Réf. : loi du 11 mars 1957.
ISBN 2-218-05061-7
SOMMAIRE

PLANIFICATION : L'ÉCHEC tt nm 9

REMDIACET à MAIN INVISIDIE ss voronsoroemenenesoroesonsoee 10


L'abphlicahon du martismes..s NME TES: 10
Cenirlisation à l'extrémeriR Rs Re he 11
Équilibre planifié, équilibre illusoire... 12

LIREDE RUE DEIVE SOL UE RU Mines 13


Entreprises : l'obsession du quota 13
PAR ONTESCOEMONOO Re 14

Des courts-circuits indispensables 16


LOULOU LIÉTONRSCR es ae Te ee 17
Marchés parallèles, marché noir 18

L'agriculture parent pauvre du socialisme 21


UNÉSOCHIICCLOTOONISCEE IL ER A RER ere ET Tes 21
AOUIOSUINISANCOMPOSSDIE Re Re rese rene 22

LE DÉVELOPPEMENT DANS L'IMPASSE 25

PEU MOOVANON =. romeo 26


Usuredu modèle stalimen LE 26
ETCURONLONIALION ER NS A RE CR 28

À la recherche d’un SECONd SOUffIE 29


LDrOAUCADICINTOUTOIE 29
PAT OUUN 0 ME ITADDE---Lue-rareraconnsnrencenssemsessepeeenne 31
CPR ER HAADIOE Les
eoce ann sainte uas 34

———
#9 ———
Chapitre 3 LE TEMPS DES GRANDS DÉSORDRES 37

Trop d'argent, paS derTégUAUOn SE 38


L'inflation existe-t-elle en URSS ? 38
L'hyper-inflation toute proche... 39
Un AOL LÉPOrEN EE RER
PER ER RARE 40
La politique budgétaire à la dérive 42

L'URSS en falité;? 2. Re RP RARE AT 47


PES NONIA ES ÉCRANEES ER RE 49
Le goitre de la dettes ses Re 50
L'appel à la communauté internationale... 04

Chapitre 4 LA DÉBANDADE 5,2. R RE 57


Dans l'attente des réformes..." 58
DES MOIS. Res senc ae en EE 58
LOSGC-IIOTE TIENNEEIRE 59

Ees républiques en rébellion..." 63


Une intégration économique étroite... 63
Une arme à double tranchant... 65
GUETTES ÉCOROMNQUES re NO 68
Les moyens de l'indépendance... 69

ENJEUX enee ai
GHRONOLOGIENT AN Aa 75
CEXIQUE Rs ner 77
BIBLIQGRAPHIE se nee 0 ae 79
Introduction

L’échec du putsch du 19 août 1991 porte au communisme


le coup de grâce : après la débandade du comité insurrection-
nel, Mikhaïl Gorbatchev ne revient à Moscou que pour assis-
ter à l'interdiction du Parti communiste russe et présenter sa
démission forcée du poste de Secrétaire général du Parti com-
muniste soviétique. Le communisme est bien mort et Mikhaïl
Gorbatchev ne reste président de l'URSS que pour sauver la
fédération soviétique, ou pour veiller à ce que son éclatement
se déroule pacifiquement.
En apparence, c’est un mal politique, le renouveau nationa-
liste, qui a emporté le régime : le coup d'État s’est produit
vingt-quatre heures avant la signature d’un nouveau traité de
l’Union, redéfinissant les rapports entre l'État soviétique et les
républiques qui le constituent. En s’opposant à cet accord,
jugé trop favorable aux républiques, les putschistes espéraient
briser net l’élan nationaliste et sauver l’empire. Les événe-
ments qui ont suivi le coup d'État paraissent confirmer ce dia-
gnostic : si la chute du régime a eu pour première consé-
quence la multiplication des déclarations d'indépendance,
c’est que le mal couvait de longue date.
Pourtant, cette interprétation trahit la réalité historique.
À la veille du 19 août, la situation économique est aussi brü-
lante que la fièvre indépendantiste. L’appauvrissement accé-
léré de l'URSS est au centre des préoccupations. Il prépare
l'effondrement du régime aussi sûrement que l'agitation poli-
tique et nationaliste.
Qui plus est, le renversement du pouvoir communiste sanc-
tionne autant sa politique économique que sa nature totalitaire
ennemie des droits de l’homme. Le communisme, en effet,
avait été une conception nouvelle de la vie économique, fon-
dée sur les principes de la planification et de la collectivisation.

DO
D 7
4

Celle-ci entendait permettre à l'URSS de se prémunir contre


des fléaux jugés particuliers à l’économie de marché : infla-
tion, chômage, récessions cycliques et déficits. Or, au fil des
années, les inconvénients propres à la planification n’ont
même plus suffi à éviter l'émergence de ces insuffisances que
les autorités soviétiques prétendaient propres au capitalisme.
Dans les années 80, ses difficultés s’accumulant, l’économie
soviétique est entrée en crise.
Dans ses meilleurs moments déjà, elle ne valait pas celle
des régimes capitalistes : on a toujours vécu plus durement en
URSS qu’en Occident. Les marchandises soviétiques ont tou-
jours été de qualité inférieure et, de surcroît, moins abon-
dantes : seuls 16% des ménages soviétiques possèdent une
voiture et 28,5% une ligne de téléphone contre 74,5% et 94,5%
respectivement en France. Mais, pour beaucoup, ces résultats
devaient être imputés au retard avec lequel la Russie tsariste
était parvenue au stade industriel.
Or, ce qu’a connu l'URSS dans le premier semestre de
1991, c’est un effondrement brutal et sans précédent de ses
structures économiques. Le taux de croissance, qui se dégra-
dait depuis 1985, devient négatif en 1990. Pour la première
moitié de 1991, ce recul atteint une moyenne annuelle de 10,
voire 20%, de la richesse nationale. La perestroïka, programme
de «reconstruction» économique lancé par Gorbatchev en
1985, aboutit bien vite à l'impasse : le système ancien se
décompose, mais les autorités n’instaurent ni même ne tolè-
rent aucune solution de remplacement. Devant les magasins,
les queues s’allongent; à l’intérieur, les rayons se vident de
plus en plus complètement. Un pays fertile et abondamment
pourvu en pétrole ne peut plus se procurer ni lait ni essence.
En 1990, l’absentéisme augmente d’un tiers; les commandes
non honorées, de 100%. Le chapardage sur le lieu de travail se
multiplie.
La crise est-elle aussi profonde qu’on le prétend alors ?
L’étendue du sinistre est imprécise. C’est un fait par exemple
que la famine annoncée pour l’hiver 1990-1991 ne s’est pas

———
1 ———
Introduction

produite. Pourtant, les magasins d'État étaient plus vides


encore qu’à l’accoutumée. Mais ils ne fournissent en fait que
60% de la viande et 45% des fruits et légumes que consom-
ment les Soviétiques. Ceux-ci s’approvisionnent autrement :
ventes directes des entreprises aux salariés, marchés privés et
achats auprès des syndicats, des coopératives ou encore des
associations.
Catastrophe sans précédent ou temps simplement diffi-
ciles, quelle est la situation économique de l'URSS en août
1991 ? Dans ce contexte incertain, où la réalité est sujette à
interprétation, les événements politiques survenus à la suite
du coup d'État manqué prennent un sens bien particulier. Se
pose la question du lien entre histoire économique et événe-
ments politiques, entre la maturation lente de la première et la
succession plus rapide des seconds. Le présent ouvrage pro-
pose une interprétation économique de la chute du régime
communiste ; il tente de dresser un tableau de l’économie
soviétique, de l'impasse dans laquelle elle s’est retrouvée, et
d’en déterminer les implications politiques.
Digitized by the Internet Archive
in 2022 with funding from
Kahle/Austin Foundation

https://archive.org/details/economiesovietig0000gour
Chapitre 1 .

PLANIFICATION :
BECTES
L'activité économique en URSS est régie par la
planification centralisée, prescription aussi détaillée
que stricte, inspirée des écrits de Karl Marx.
Ce mode d'organisation original veut parvenir
à une efficacité plus grande en transformant
les comportements humains.
Trop théorique, il ne fait en définitive que heurter
la réalité jusqu'à la pervertir. En dépit d'entorses
nombreuses aux principes affichés, l'expérience
socialiste a échoué et appauvri le pays.
REMPLACER
L'AL/M ATNE, IINYIES ABHSE

L'application du marxisme

En 1928, l'URSS tourne le dos à la NEP (nouvelle politique


économique), système économique libéral adopté par Lénine
en 1921 pour ranimer une économie qu’avaient fini d’épuiser
trois années de guerre civile. Déclarant l'URSS prête pour
l'avènement du socialisme, Staline instaure la planification éco-
nomique, par laquelle les autorités fixent autoritairement l’acti-
vité économique à venir. Pourquoi ce brusque passage à
«l’économie socialiste », marqué par la collectivisation des
terres agricoles et le plan quinquennal de 1928-32 ?
Le marxisme récuse le prix dans son rôle d’indicateur de la
rareté relative des marchandises et des moyens de production :
jusqu’en 1928, c'était le prix qui, comme partout, stimulait la
production, les entreprises s’efforçant d’accroître leurs profits
en répondant aux souhaits du marché. Or, pour Marx et ses
adeptes, le prix rémunère mal les facteurs de production : alors
que le pourvoyeur de capital s'enrichit sans raison ni limite, la
main-d'œuvre est terriblement sous-payée. La dictature du pro-
létariat doit réparer cette injustice fondamentale et veiller à
plus d'équité. L'URSS se promet d'offrir des rémunérations
justes, selon la formule : «à chacun selon son travail».
La planification doit aussi apporter une croissance plus
rapide et mieux ordonnée. Là où domine le marché, la prospé-
rité générale n’est assurée que par la poursuite par chacun de

——p ———
son intérêt individuel; c’est ce que l’économiste libéral du
XVIIIe siècle Adam Smith baptisa «la main invisible». Pour
l'école marxiste, l'intérêt général est bien mieux servi s’il est
déterminé par le pouvoir communiste : le développement éco-
nomique n'est plus tributaire de comportements dictés par les
prix; il dépend du pouvoir de l’État, ou plus exactement du
Parti, qui a toute liberté pour fixer l’ordre et le rythme de son
déroulement. La planification exprime donc le volontarisme
des révolutionnaires soviétiques et reprend la conception léni-
niste d’un parti visionnaire, avant-garde du prolétariat.
Dès le premier jour, le plan reflète des priorités nouvelles,
très éloignées du cours qu’aurait suivi le marché. Staline sacri-
fie les biens de consommation et l’agriculture à l’industrie
lourde : sidérurgie, machines. En outre, pour faire de l'URSS
une grande puissance, il impose un rythme d'investissement
haletant, préférant la préparation de l'avenir à une consomma-
tion sans lendemain.
Avec le temps, la planification s’est donné une raison d’être
supplémentaire, la seule peut-être qui ait subsisté jusqu’en
1991 : son abandon au profit de l’économie de marché entraf-
nerait une flambée des prix à laquelle le pouvoir pourrait bien
ne pas survivre. Les prix ne reflétant pas les coûts, le pain et la
plupart des produits de première nécessité sont vendus bien
moins cher que leur simple coût de fabrication.

Centralisation à l'extrême

La planification requiert la centralisation des décisions. Au


niveau national, le Gosplan (Comité d’État à la planification)
fixe aux agents économiques leurs objectifs de production, en
fonction à la fois des directives issues du Parti communiste et,
dans une moindre mesure, des capacités productives des
agents. Secondé par un comité responsable des approvisionne-
ments (Gossnab), le Gosplan alloue aux entreprises les fourni-
tures dont elles ont besoin et que les secteurs en amont sont

——p ———
14

tenus de leur livrer. Ces décisions, aussi compliquées qu'’in-


nombrables, se font sur la base de «balances physiques», qui
ne tiennent compte que des volumes de biens, à l'exclusion
des prix. Déjà compliqué, le calcul se transforme en casse-tête,
la valeur relative de deux marchandises devant être appréciée
au vu non des prix, mais de leur utilité «objective» pour la réa-
lisation du plan.
La centralisation s'organise selon un schéma pyramidal :
Gosplan et Gossnab ont sous leurs ordres 28 comités d'Etat,
33 ministères fédéraux, 300 ministères régionaux, 28 minis-
tères fédéraux-régionaux et 1,3 million d'établissements de
production et de distribution.
Une organisation aussi détaillée rend indispensables les
modifications et les réajustements. Il existe trois sortes de
plans : les «perspectives», à valeur politique et idéologique,
sont établies pour dix à quinze ans; la piatiletka, plan quin-
quennal, constitue le socle du système; enfin, les plans
annuels, établis sur la base de l’année qui précède, sont desti-
nés à assurer la réalisation des plans quinquennaux en dépit
des inévitables à-coups conjoncturels.
A l'échelon de l’entreprise, la planification implique un
objectif prioritaire unique : que les quotas soient remplis, quels
que soient les produits intermédiaires disponibles, les coûts de
production et les attentes du marché. Les préoccupations des
entreprises capitalistes (profit, évolution de la demande) sont
épargnées à leurs équivalents soviétiques, pour qui les quotas
de production, en revanche, sont impératifs.

Équilibre planifié, équilibre illusoire

La planification impose que les autorités se substituent au


marché pour certains processus essentiels, telle la détermina-
tion des prix. N’assurant pas l’équilibre entre l'offre et la
demande, les prix en URSS ont pour fonction exclusive de
redistribuer les richesses. Les ventes au détail répondent à

——#
— ——
deux nécessités : concilier au pouvoir les faveurs de la popula-
tion, grâce à des prix modestes, notamment pour les produits
de première nécessité que la ménagère soviétique surveille de
près; assurer à l’État une part importante de ses revenus. En
effet, pas moins d’un quart des recettes de l’État provient de la
différence entre les prix au détail, nets des frais de distribu-
tion, et les prix de gros.
Quant aux normes quantitatives, elles doivent être le plus
élevées possible. Cette méthode, dite de la planification ten-
due, entraîne la désorganisation de toute la chaîne de produc-
tion dès que les fournitures prévues se font attendre. Mais si
le plan n’assurait pas l’utilisation maximale des ressources et
des moyens de production, les entreprises en gaspilleraient
une partie, puisqu'elles n’obéissent qu’à un impératif :
atteindre leurs quotas.
Telle est la conception volontariste qui sous-tend la planifi-
cation soviétique. La pratique en a révélé le caractère illusoire,
pervers même, puisque le comportement des agents s’en
trouve altéré.

NEO Ge QU :E
122 D 0 AR A EN

Entreprises : l’obsession du quota

L'entreprise est la première exposée : un dépassement


excessif des quotas provoquerait la hausse de ces normes par
le Gosplan. Mais, à l'inverse, elle veut obtenir les primes atta-
chées au dépassement du quota. Par conséquent, pour réali-
ser au moins la norme du plan, l’entreprise commence par lais-

jp ———
ser les autorités dans le vague sur ses capacités de production
et ses ressources. De plus, pour faire face à l’imprévu, elle se
constitue des réserves, conservant un personnel pléthorique
et accumulant les stocks de matières premières. Enfin, elle
cherche coûte que coûte à satisfaire les autorités: si le cuir
vient à manquer, elle fabrique les dernières bottes prévues par
le quota avec du carton, à moins qu’elle ne produise que les
tailles les plus petites. Pour le Gosplan, peu regardant sur la
qualité, c’est la quantité qui compte. Or, les approvisionne-
ments manquent dès qu’un fournisseur, très sollicité par le
plan, est victime d’un incident inopiné, tel qu’une panne de
machines ou un accident de transport.
Apparaît alors dans l’entreprise soviétique un personnage
qui lui est aussi particulier qu’indispensable : le tolkatch, le
«pousseur», son bon génie. Il veille à ce que l’entreprise ne
manque d'aucun produit nécessaire à la production. Dans ce
but, il se démène, il ne néglige rien; il va chercher des fourni-
tures dans une région éloignée, il corrompt tel ou tel, il entre-
tient des relations avec tous les gens susceptibles de l'aider,
leur rend des services. Il consacre toute son énergie à satisfaire
les autorités du plan, dans une légalité douteuse, elle-même
arbitrairement défendue. Le gaspillage est donc considérable.
Enfin, l’obsession du quota fait oublier toute autre préoccu-
pation: le profit n’est un souci premier pour personne. Si les
bénéfices éventuels doivent de toute façon être reversés à
l'État, les pertes sont prises en charge par l'État et aucune
entreprise n’est jamais déclarée en faillite. L'univers dans
lequel vit le chef d'entreprise soviétique, ses priorités, sont
inimaginables hors du monde communiste.

Prix, offre et demande

Au niveau national se produisent les mêmes grippages. Le


plan n’est réalisé qu’avec peine : chaque entreprise se voyant
imposer un fournisseur précis et unique, aucune d’entre elles

———p ——— s
ne remplit son quota de production si celui-ci n’assure pas ses
livraisons. C’est la conséquence du plan tendu, qui ne prévoit
aucune adaptation à des circonstances imprévues. Les objec-
tifs du plan ne sont, en définitive, jamais atteints et chaque sec-
teur souffre non seulement de ses propres insuffisances, mais
aussi de celles des secteurs dont il dépend pour ses approvi-
sionnements.
De plus, l'absence de prix significatifs empêche toute redis-
tribution progressive des ressources vers les secteurs où la
demande serait la plus forte. Dans une économie de marché,
le producteur réagit librement aux signaux que constituent les
prix;ce n’est pas le cas en URSS, où les moyens de production
sont attribués autoritairement par le pouvoir.

Prix comparés sur le marché intérieur


soviétique et sur les marchés mondiaux

Marché Marchés
intérieur mondiaux
soviétique

Pétrole (la tonne) 1,6


Cuivre (la tonne) 66,0
Feraille (la tonne) 3,3
Voiture (l'unité) 500,0
Viande (le kilo) 0,3
Blé (la tonne) TL
TV couleur (l'unité) 75,0
Ordinateur PC (l'unité) 8125,0
Magnétoscope (l'unité) | 61,0

Source : Ekonomitcheskaya gazeta ;


cité dans The Economist, Special Survey, 20 octobre 1990.
De ce fait, l'économie soviétique souffre d’une hypertrophie
du secteur secondaire, c’est-à-dire de l’industrie et, en son sein,
de l’industrie lourde : métallurgie et machines. La part respec-
tive des secteurs primaire (agriculture et mines), secondaire et
tertiaire (services) dans l'emploi est, en URSS, de 20, 36 et 44%,
contre 3, 23 et 74% aux États-Unis. À l'inverse, la production de
biens de consommation, pour lesquels la demande est forte,
est notoirement insuffisante.
Les prix sont déformés d’une manière qui illustre les priori-
tés du régime. La croissance de certains secteurs est stimulée
par les véritables subventions que leur versent les utilisateurs
de produits plus chers. L'énergie, la métallurgie et les maté-
riaux de construction sont vendus à bas prix, pour encourager
l'industrie et les investissements. À l'inverse, les industries
légères, les services et les produits agricoles atteignent en
URSS des prix anormalement élevés (le cours du blé en URSS
est le double du cours mondial; le pain n’est vendu à bas prix
que parce qu'il est subventionné).

PRE S Im OO TERw DIS ECS TARACEUNENTSS


LN Da ERE IN SA BeLilss

Face à un système si directif, et donc inefficace, la société a


réagi, en réorganisant l’activité économique, afin de mieux
prendre en compte les intérêts du consommateur, c’est-à-dire,
en définitive, de recréer des conditions de marché. L'État a
profité de sa position de force, au bénéfice de l’armée notam-
ment; mais les particuliers ont eux aussi mis en place des
courts-Circuits.

——p ————
Tout pour la défense

Les industries de l'armement pèsent lourd dans l’économie


soviétique — bien qu'il soit difficile d’avancer des chiffres pré-
cis. Ces usines emploieraient 15 à 20% des actifs. Quelque
trois cents entreprises et neuf des cinquante ministères fédé-
raux sont rattachés à ce secteur.
Quelles relations celui-ci entretient-il avec l’économie natio-
nale civile ? Il constitue à la fois l'exception à la planification
centralisée et sa conséquence naturelle.
Il représente d’abord l’aboutissement logique du système,
parce qu’il s'organise selon un principe de livraisons priori-
taires, que le plan est particulièrement apte à favoriser : les
piatiletka (plans quinquennaux) incluent dans leurs quotas les
productions d’armes, habituellement camouflées sous un cha-
pitre «constructions mécaniques». Pour l'exécution de ces
directives, les entreprises du secteur militaire ont un droit de
préemption à l'égard des entreprises civiles, qui sont tenues
de répondre à leurs requêtes toutes affaires cessantes.
Concrètement, le ministère de la Défense dispose d’orga-
nismes chargés de pourvoir aux besoins de l’industrie mili-
taire — sortes de folkatch officiels. Les entreprises, habituées
aux quotas du Gosplan et indifférentes aux signaux du mar-
ché, sont finalement bien préparées à ce mode de fonctionne-
ment. L'économie soviétique s'organise selon un schéma
pyramidal de priorités :au sommet l’armée, puis les investis-
sements et l’industrie lourde; enfin, au plus bas, les biens de
consommation.
Dans les échanges avec l'extérieur, les besoins des armées
sont à nouveau prioritaires. Mais les Etats-Unis et ses alliés
surveillent de très près les exportations stratégiques en direc-
tion du camp soviétique. C’est pourquoi l'URSS recourt très
largement à l’espionnage et au vol industriels, auxquels est
entièrement consacrée la sixième direction du KGB (contre-
espionnage et sécurité industrielle). Le secteur militaire
constitue le premier client de cette direction. Le vol à l’étran-

——
je———
ger est considéré comme un mode routinier d'acquisition, à tel
point que pour certaines pièces et techniques, aucune produc-
tion n’est seulement prévue en URSS. La navette spatiale
soviétique, par exemple, ressemble comme une sœur à Chal-
lenger, son aînée américaine.
Mais le secteur militaire fait aussi exception aux principes
généraux, dans la mesure où les intérêts de l'acheteur sont
remarquablement bien représentés. Sur certains points, l’orga-
nisation de l’industrie militaire constitue donc un désaveu offi-
ciel du système. En effet, les clients, c’est-à-dire les états-
majors du ministère de la Défense, sont mêlés à toutes les
étapes de la fabrication. Ils ont d’abord recours à la méthode
de l’appel d'offres, qui met des bureaux d’études et des entre-
prises en concurrence pour l'attribution de contrats. Puis, au
moment de la livraison, les produits sont soigneusement
contrôlés par des représentants des armées, les voenpred, qui
n’ont aucun scrupule à refuser le matériel qui ne les satisfait
pas. Pour l’entreprise, cette technique brutale peut avoir de
graves conséquences mais, pour les forces armées, elle est
une garantie sûre.
De leur côté, les particuliers ont cherché à défendre leurs
intérêts - même si leurs moyens sont infiniment plus modes-
tes que ceux de l'Etat.

Marchés parallèles, marché noir

Théoriquement, le plan mobilise tous les moyens productifs;


il devrait donc couvrir la totalité de l’activité économique.
Cependant, il existe en URSS un secteur privé parallèle bien
plus important que ne le laisseraient supposer ces principes.
Recouvrant toutes les activités productives hors quotas, licites
ou non, ce secteur n’a jamais pu être mesuré avec précision,
mais il est considérable. Les estimations varient entre 10 et 50%,
rien de moins! En 1988, des sources soviétiques officielles l'ont
évalué à 15 ou 20% de la richesse du pays.’

RS
à.
La vie quotidienne témoigne de l'importance de cette éco-
nomie souterraine. Pour le particulier, puisque c’est de lui qu’il
s’agit en premier chef, les emplettes sont un souci de tous les
jours : les magasins ne disposent que de peu d’articles, qu’on
ne peut obtenir qu'après des heures de queue. Le consomma-
teur, disons virtuel, doit donc ruser, emprunter des voies
parallèles : il s'adresse au marché noir, très onéreux, ou solli-
cite ses relations. Car tout le monde peut acheter de cette
façon, po blatou, par piston; seul le degré d'influence varie.
Les dirigeants du parti, les directeurs d’usine, peuvent
rendre des services et en réclamer. Mais le serveur n’est pas
en reste, il peut faire entrer des connaissances par la porte de
service du restaurant. La petite main est la première servie
pour les layettes qu’elle fabrique, soit qu’elle les vole, soit que
l'usine les vende en priorité à son personnel. Chaque agent
économique, aussi humble soit:il, est en position de distribuer
des faveurs, qui lui seront rendues.
Souvent, les descriptions de «la seconde économie» se fon-
dent sur la distinction entre activités légales et illégales. Mais
chacun, on le voit, est mêlé à ces fraudes, à un titre ou à un
autre. De plus, la frontière de la légalité est mouvante, tout par-
ticulièrement pendant les années de perestroïka, où une partie
du droit se trouve alignée sur la réalité. Surtout, cette distinc-
tion, aussi morale que juridique, dissimule le caractère normal
de ces trafics. La moralité en URSS réprouve le vol à l'encontre
d’un particulier, mais voler à l’État ne choque personne,
puisque c’est souvent l'unique moyen de se débrouiller.
Économie officielle et économie parallèle, en effet, loin
d’être indépendantes l’une de l’autre, se répondent, se complè-
tent ;celle-ci n’existe que du fait de celle-là, d’abord et surtout
parce que les biens de consommation sont les grands oubliés
des plans quinquennaux. La pénurie encourage l’activité pri-
vée, avec l'approbation de la loi ou sans elle. Ainsi, le manque
de voitures transforme les heureux automobilistes en taxis
occasionnels et c’est chose courante à Moscou que de voir un
conducteur s'arrêter à la hauteur d’un piéton pour lui proposer

——# ——
ses services. Les lacunes du secteur officiel donnent naissance
à une foule de substituts.
Le système de tarification suscite aussi l'initiative privée.
En effet, si les biens de consommation sont rares, ils sont
aussi bon marché, lorsqu'ils sont subventionnés. La clientèle
étant prête à payer une prime pour obtenir une marchandise
introuvable, le «trafiquant» peut prendre des risques, voyager
à la recherche de stocks. Un anekdot, histoire drôle russe, le
souligne : «Ivan, pourquoi vends-tu tes bottes 100 roubles ?
Au magasin, elles valent 50 roubles. - Mais moi aussi, Vania,
si je n’avais pas de bottes, je voudrais bien te les vendre 50
roubles au lieu de 100». Le trafiquant peut aussi verser des
dessous-de-table, car les salaires, proportionnels aux prix, sont
faibles, ce qui rend la corruption facile, tentante même. La
presse se fait quotidiennement l'écho de pots-de-vin : l'excès
de liquidités causé par le décalage entre l'offre et la demande
fait flamber les prix du marché noir; le profit ne va pas au
fabricant, mais aux intermédiaires.Les prix ne remplissent pas
leur fonction, qui devrait être de décourager la demande. La
sélection des consommateurs doit donc se faire sur d’autres
critères : «En URSS, il n'y a rien à acheter; mais on peut tout
dostat, se procurer. »
Enfin, les faiblesses des transports et de la distribution favo-
risent l'apparition de trafics à grande échelle : la maña, inatten-
due dans un Etat policier très discipliné, doit son existence et
sa force à son rôle de pourvoyeur. Les Russes emploient le mot
italien, mais le phénomène est bien ancré dans les habitudes
locales. En effet, cette maña a accès aux personnes-clefs, son
réseau d’information est étendu, elle peut organiser des trans-
ports lointains. C’est elle, bien souvent, qui achemine vers les
marchés agricoles privés du Nord les produits méridionaux,
car elle est seule à pouvoir financer le séjour sur place d’un
marchand de légumes et lui assurer des livraisons régulières.
Les autorités sont toujours promptes à dénoncer les crimes de
la mafia; mais celle-ci, on le voit, peut atténuer les effets des
défaillances du système officiel. \

7 LENOIR
En Rat CUT
Us RE
PEAR ENT © RAC Ro
DEV RSAUS CA LS MEE

Un sacrifice organisé

L'organisation de l’agriculture soviétique, et ses mauvais


résultats, portent deux fois la marque de la planification. Le
secteur agricole se caractérise d’abord, depuis 1929, par la
propriété collective des terres. Seuls quelques lopins, repré-
sentant 0,5% de la surface agricole utile, sont exploités par le
paysan pour son propre compte. Partout ailleurs, l’agriculteur
travaille pour autrui, soit pour la ferme collective, kolkhoze,
soit directement pour l'Etat, lorsqu'il est employé dans un sov-
khoze. Dans l’un et l’autre cas, le paysan n’est pas intéressé
aux résultats; sa rémunération n’est pas assise sur le rende-
ment des cultures ni sur son zèle. En Pologne, pays au climat
et au passé politique proches pourtant de ceux de l’Union
soviétique, mais où l’agriculture est toujours restée privée, la
productivité agricole est bien plus élevée.
Parallèlement, le pouvoir soviétique a délibérément choisi,
en 1928, de sacrifier l’agriculture, chargée de financer l'effort
national d'industrialisation accélérée entrepris à cette date : en
l'absence d'épargne privée, qui allait supporter le coût des
investissements industriels? Staline désigna les agriculteurs.
Une fois les terres collectivisées, les exploitations nouvelle-
ment constituées livreraient aux autorités la quasi-totalité des
récoltes, contre une rémunération très faible. De cette façon,
le pouvoir espérait détourner les bénéfices agricoles au profit
de l’industrie. En fait, la résistance fut acharnée; il y eut 20 à
30 millions de morts, à cause des famines et de la « dékoulaki-

———p} ————
sation», liquidation des «paysans riches», c’est-à-dire des agri-
culteurs opposés à la collectivisation. La production agricole
entraîna dans sa chute les revenus agricoles, qui diminuèrent
de moitié entre 1928 et 1932.
Dans les années 60, les autorités sont revenues sur cette
politique. Elles ont cherché à donner à l’agriculture un coup de
fouet, en augmentant à la fois les investissements et les rému-
nérations agricoles. C’est à cette époque que les kolkhozes,
dont les récoltes étaient achetées par l'Etat à très bas prix, ont
été progressivement remplacés par des sovkhozes, qui occu-
pent désormais les trois quarts de la superficie agricole. Mais
ces retouches n’ont suffi ni à relancer la productivité ni à hisser
l'offre au niveau de la demande. Aujourd’hui encore, le mode
de rémunération des travailleurs agricoles nuit à leur producti-
vité. C’est pourquoi les marchés privés, où les prix sont libres,
sont florissants. Ils fournissent quelque 36% de la production
agricole nationale. Même s’ils profitent aussi, à n’en pas douter,
des détournements de la production d'Etat, leurs approvision-
nements proviennent principalement des lopins privés et des
surplus kolkhoziens. Les parcelles individuelles, à elles seules,
représentent 27% de la production agricole totale et jusqu’à 50%
de certains produits, tels que les fruits.

L'auto-suffisance impossible

Premier producteur mondial d'orge, de pomme de terre ou


encore de betterave sucrière, l'URSS ne subvient pas à ses
besoins alimentaires. Dans les années 70, la balance de ses
échanges agricoles s’est brutalement dégradée, l'URSS devenant
importateur net de céréales, malgré des investissements agri-
coles en hausse de 9,5% par an au cours du plan quinquennal de
1971-1975. Mais si, entre 1970 et 1980, la production céréalière a
augmenté de 56%, à prix constants, les importations, elles, ont
crû de 350%. Le bilan actuel est très déséquilibré, la consomma-
tion soviétique de céréales dépassant de 20% la production.

————## ———
Production, importation et consommation
intérieure de céréales

1985 1986 1987 1989


Source : CEE, in Economie Européenne, #° 45, décembre 1990.

De surcroît, du fait des variations climatiques, les récoltes


disponibles varient considérablement d’une année sur l’autre.
Les Russes aiment à dire que leur agriculture a quatre enne-
mis mortels : le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. En réa-
lité, l’agriculture soviétique, accaparée par les difficultés de
chaque récolte, n’a pas consacré les efforts industriels et chi-
miques nécessaires à la diversification des cultures, à la sélec-
tion des graines ou à la protection contre les fluctuations des
températures. C’est moins le climat qui est en cause que
l’industrie agro-alimentaire et les transports soviétiques. En
1990, 30% environ de la production agricole s’est perdue, à
cause du manque de main-d'œuvre et de moyens de stockage,
de la désorganisation des transports et de la faiblesse de
l'industrie agro-alimentaire.
Les inconvénients de la planification dépassent donc large-
ment ses avantages, somme toute théoriques. L'économie
fonctionne sans se préoccuper du consommateur, dont les
intérêts sont bien mieux pris en compte dans les économies
de marché. La planification n’a pas tenu ses promesses.


3:
à fonc ral
=
dure wa
its; tes cn, :
7”
HE, Data te: hé |
ufi rires) 1
ANor uv És
Dr er Sepi
Gti jedde D
sh -) ærnriehmt
x
a vba à
Pot AE LUS M
or qe | or pt EN
u ‘ va)
î dre:

LOT: l +

PU MO 4 :

M A CEE rt
* Dir
Mr
Ae
Chapitre 2

LE DÉVELOPPEMENT
DANS L'IMPASSE
À partir des années 60, le retard de l'URSS
sur les pays les plus industrialisés s'accentue.
Le phénomène n'est pas immédiatement visible,
mais le pays est à bout de ressources.
Ses atouts naturels ont tous été exploités et la société
soviétique semble incapable d'en inventer
de nouveaux. La transition d'un modèle extensif
à une croissance intensive n'a pas lieu.
L'Union soviétique est dépourvue de toute capacité
d'innovation, facteur devenu fondamental
pour le développement économique.
Le) MP É RATE
D'INNOVATION

Usure du modèle stalinien

La mise en place par Staline d’une économie planifiée, à la


fin des années 20, a longtemps apporté au pays une croissance
rapide. Brusquement, l’ensemble des facteurs de production
se trouvait, de gré ou de force, mis au travail et la main-
d'œuvre était rapidement poussée à quitter la campagne pour
les villes, afin de participer à l’industrialisation.
Dans les années 90, les autorités n’ont plus à leur disposi-
tion de facteurs de production inutilisés : les ressources natu-
relles les plus facilement exploitables, l'énergie en particulier,
sont presque épuisées. Ainsi, aucun gros gisement de pétrole
n’a été découvert depuis le début des années 70. Les capitaux
manquent eux aussi, car le tassement de la croissance ne peut
plus être compensé par une hausse supplémentaire d’un taux
d'investissement déjà trop élevé : la part des investissements
et des dépenses militaires dans le produit national brut (PNB),
c’est-à-dire la part de la production nationale dont est privée la
population, s'élève à 40% en URSS, contre 25% seulement aux
Etats-Unis, où les dépenses militaires sont pourtant deux fois
plus élevées qu’en Europe occidentale.
Enfin, et surtout, l’évolution démographique est très défa-
vorable. La fécondité est passée de 26,7 % en 1950 à 18,9% en
1987. Entre 1950 et 1960, la population augmentait de 1,7% par
an; ce chiffre est passé à 0,9% seulement en 1980. Avec un
temps de retard, cette tendance se retrouve sur le marché du
travail :dans la période 1965-75, la population en âge de tra-
vailler (16 à 59 ans pour les hommes et 16 à 55 ans pour les

#9— ——
femmes) augmentait de 1,5% par an; vers 1989, cette hausse
n'est plus que de 0,4%. Alors que les précédents plans quin-
quennaux ont bénéficié d’une augmentation de 10 à 11 mil-
lions de la population active, cet appoint est tombé à 3 millions
sur lapériode 1986-1990.
A ceci s’ajoutent des déséquilibres géographiques : la
pénurie de main-d'œuvre de la partie européenne de l'URSS
contraste avec le dynamisme des régions musulmanes du
Sud, où la fécondité et le sous-emploi sont bien supérieurs. Or,
ces musulmans refusent d’aller chercher du travail ailleurs
dans l’Union. Ainsi, la plupart des 6,5 millions de chômeurs
officiellement reconnus habitent les régions d’Asie centrale.
Les autorités ont épuisé la plupart des solutions qui
s'offraient à elles. Rares sont les inactifs, puisque femmes et
vieillards travaillent souvent, pour compléter qui les revenus du
mari, qui une pension de retraite. L’augmentation du temps de
travail paraît impossible à imposer dans un pays où le désordre
économique exige de consacrer beaucoup de temps aux
courses quotidiennes ou à la recherche de revenus d’appoint.
Le déplacement de la main-d'œuvre d’un secteur de l’éco-
nomie à un autre pourrait constituer une solution, puisque 20%
de la population est encore occupée à des tâches agricoles,
contre 7,5% dans la Communauté européenne ou 10,7% au
Japon. Mais ce déplacement ne pourra se faire que si la pro-
ductivité agricole augmente d’abord.
Seule la démobilisation d’une partie des forces armées
pourrait rendre aux autorités une certaine marge de manœu-
vre : l'armée compte plus de 4 millions d'hommes, dont 550 000
avaient leurs garnisons en Europe de l'Est jusqu’en 1990-91.
| Mais, dans l'immédiat, cette solution, qui ne saurait de toute
| façon suffire, poserait plus de problèmes qu’elle n’en résou-
drait : il faudrait former ces troupes à un métier civil, dans un
contexte de désordre économique déjà grand, du fait de
| migrations internes considérables. Il faudrait aussi loger ces
hommes et leurs familles à proximité des centres industriels,
qui sont déjà des zones surpeuplées.

———
ps———
La crise du logement exclut toute augmentation de la popu-
lation urbaine. Voirie, égouts et transports en commun, toutes
les infrastructures sont saturées. Le manque d’appartements
retient les gens à l'endroit même où ils habitent : malgré une
surface habitable par personne inférieure de moitié à celle de
l'Allemagne, l'URSS compte 2,5 millions de couples en attente
d’un logement. Un tiers d’entre eux sont inscrits sur des listes
d'attente depuis cinq à dix ans. Aucun déplacement de main-
d'œuvre n’est donc envisageable à brève échéance.
Se trouvant à court de moyens, l'URSS doit donc passer
d’un modèle extensif à une croissance intensive : l’accroisse-
ment des richesses doit se fonder non plus sur l'augmentation
de la quantité des facteurs de production, mais sur une meil-
leure utilisation des moyens employés, sur une «productivité
croissante des facteurs ».

Erreur d'orientation

D’autres pays sont d’ailleurs soumis à la même nécessité :


l'innovation joue désormais un rôle essentiel dans le succès
des entreprises et la croissance des nations, l'espérance de vie
d’un produit ne dépassant guère deux ou trois ans, contre une
dizaine dans l'immédiat après-guerre. L'«avantage comparatif
naturel», c’est-à-dire l’atout géographique ou géologique par
exemple, a perdu de son importance. Il se perd rapidement s’il
n’est pas soigneusement cultivé : un pays qui produit des
métaux bruts bon marché sera toujours concurrencé par moins
cher que lui, et il perdra ses parts de marché, s’il ne se donne
pas d’atouts complémentaires. À la possession de ressources
naturelles telles que des minerais succèdent désormais, en tant
que facteurs de croissance économique, les ressources humai-
nes, le savoir technique ou les infrastructures — autant de fac-
teurs dont l'apparition dépend de l'initiative humaine et non
des hasards de la nature.

RS
Fonder sa croissance sur un de ces avantages comparatifs
naturels, comme l’a fait l'URSS, peut même constituer une
erreur stratégique grave. En effet, la richesse nationale dépend
alors du cours, très irrégulier, des matières premières exploi-
tées. Enfin, une croissance qui s'appuie sur la simple exploita-
tion de ressources naturelles conduit les agents et les autorités
économiques à négliger d'exploiter ou de rechercher active-
ment d’autres atouts, souvent parce que l'extraction est le
monopole d’une entreprise nationale, qui ne ressent pas le
besoin de se diversifier.
L'URSS doit donc, comme les économies de marché,
renouveler sans cesse ses avantages comparatifs et stimuler
l'esprit d'innovation, si elle veut faire cesser la détérioration
d’un niveau de vie déjà bien médiocre. Or, à l’aube de la
décennie 90, son économie n’a pas démontré une grande capa-
cité de cet ordre.

A A UMR EtSÉpEDRCCHTE
DétNSmS ER CMO AND: MSLO UP EPLE

La productivité introuvable

La nécessité de passer à une croissance intensive est appa-


rue dès les années 60. Mais l'URSS est parvenue à le dissimu-
ler à elle-même et au monde extérieur tant qu’a duré le double
effet salvateur du choc pétrolier des années 70. Entre 1972 et
1980 en effet, le premier producteur mondial de pétrole a mul-
tiplié par neuf ses exportations totales et accru d'autant ses
importations globales, réalisant de cette façon des taux de

De 0 El. .
L4

croissance proches de ceux de la décennie précédente. La


hausse des cours de l'or noir a aussi provoqué un afflux de
pétro-doilars dans les mains des pays pétroliers qui, par l'inter-
médiaire des banques occidentales, en ont prêté une bonne
partie aux pays d'Europe orientale. L'URSS s’est ainsi trouvée
déchargée de la gestion de la crise qu’avait provoquée le choc
pétrolier dans les pays satellites est-européens.
Par ailleurs, des difficultés d'interprétation statistique ont
dissimulé la dégradation générale, à défaut de l’atténuer:
d’une part, les autorités ont toujours embelli la réalité;d’autre
part, des règles comptables particulières rendent les compa-
raisons internationales très difficiles. Alors que la plupart des
comptabilités nationales suivent les règles de l'Organisation
des Nations unies (ONU), les pays communistes ont adopté
un système qui leur est propre, inspiré du marxisme et de ses
jugements sur «vraies» et «fausses» richesses : la richesse
nationale se mesure en termes non de produit national brut
(PNB), mais de PMN, produit matériel net. Celui-ci exclut les
services «non productifs » tels que la santé et l’enseignement,
ainsi que la défense. De ce seul fait, les statistiques soviétiques
sous-évalueraient de quelque 37% le PNB du pays. Les compa-
raisons internationales n’ont donc jamais été possibles, quand
bien même auraient été résolus les problèmes de taux de
change et évaluée la valeur de la production.
Dans la décennie 90, le besoin d’un second souffle apparaît
clairement : les taux de croissance officiels, pourtant suréva-
lués, sont en chute libre par rapport aux années 50 ou 60.
L'URSS aurait grand besoin de s'enrichir. Mais, à partir des
années 60, on constate une stagnation de la productivité des
facteurs, c’est-à-dire des rendements.
Malgré un niveau de départ déjà élevé, le taux d’investisse-
ment a augmenté depuis 1960, passant de 18% du PNB en
1960 à 25% en 1980;mais, dans la même période, la rentabilité
du capital a diminué de moitié! Par conséquent, l’'accumula-
tion d'équipements ne suffit même plus à compenser la baisse
de productivité. En raison notamment du manque de main-

RS
Taux officiel de croissance
du Produit matériel net

En % par an
16

1913 1921 1940 1950 1960 1970 1980 1986

Source : Annuaire statistique de l’Union soviétique.

d'œuvre, les machines neuves produisent moins que les


anciennes. L'économie soviétique ne peut donc plus faire face :
elle devrait s'engager enfin dans une croissance intensive, par
l'innovation ;mais elle s’en montre incapable. Pourquoi ?

L'innovation à la trappe

À l'échelon de l’entreprise, il n’existe aucune incitation à


innover, car tout changement provoque une désorganisation,
aussi temporaire soit-elle, de la chaîne de production et une

mr — —
PNB, productivité totale des facteurs (PTF)
et volume des facteurs de production:
évolution annuelle

Volume Volume
années PNB PTE
capital travail
2

61-70 5,0% 0,6% 8,1% 1,8%


70-80 2,7% -1,3% 7,6% 1,5%
81-85 1,9% -1,0% ÿ 6,2% 0,7%

Cité dans : William Nordhaus, Soviet Economic Reform : The


Longest Road, Brookings papers on economic activity, I, 1990.

baisse de la cadence qui compromettent la réalisation des quo-


tas de l’année. En outre, pourquoi se donner la peine d’innover
si les profits vont aux autorités centrales, qui, pour toute
récompense, imposeront des objectifs plus élevés les années
suivantes ? De plus, l'offre trouve de toute façon preneur sur le
marché, puisque la demande lui est toujours supérieure. Un
tel marché de vendeurs n’encourage pas l'introduction de nou-
veautés.
Les rapports entre les entreprises ont eux aussi un effet
dissuasif, chacune d’elles se trouvant généralement en posi-
tion de monopole dans son secteur. Conséquence du goût pro-
noncé des autorités pour le prestige des kombinats géants,
ces monopoles étouffent toutes les idées nouvelles suscep-
tibles de bousculer leurs habitudes. Là où deux ou trois entre-
prises occupent le terrain, leur taille décourage l'innovation
d’une autre manière encore, un gros groupe prenant rarement
le risque, inhérent à l'introduction de techniques ou de pro-
duits nouveaux, de remettre en cause la position dominante
dont il est le tout premier bénéficiaire. Une timidité similaire a
été observée dans les économies de marché, où les idées nou-

——p
— ——
velles viennent généralement d'entreprises de petite taille fon-
dées dans le but de les réaliser.
L'URSS subit aussi les conséquences de l’absence de mar-
chés financiers, qui prive les inventeurs du capital-risque qui
leur permettrait de réaliser leurs projets : le seul prêteur pos-
sible, c’est l'Etat. Celui-ci n’ayant pas de concurrent, les inven-
teurs soviétiques sont dépourvus de tout moyen de recours si
les autorités écartent leurs propostions. Dans les économies
de marché au contraire, les inventeurs ont l'oreille des investis-
seurs, qui savent que le risque encouru est proportionnel aux
bénéfices à attendre.
La politique d'investissement ne favorise pas elle non plus
la hausse de la productivité. Pourtant, l'URSS consacre des
moyens importants au renouvellement de ses équipements.
Mais les décisions sont prises directement par le pouvoir cen-
tral. Ne réalisant pas de profits, les entreprises n’ont pas de
leur côté les moyens d'investir. Or, les autorités ne sont pas
capables de calculer la rentabilité future de tel ou tel projet. En
effet, la théorie marxiste condamne les taux d'intérêt, qui,
rémunérant le capital, constituent pour le capitaliste un moyen
d’enrichissement immoral. Elles ont alors tendance à disper-
ser les crédits et à multiplier les projets nouveaux : en URSS,
le paysage est parsemé de chantiers inachevés. Les entre-
prises ajoutent à la confusion, car, ne payant pas d'intérêt sur
les capitaux engagés, elles réclament plus d’investissements
qu'il ne leur en faudrait, dans l'espoir de s'emparer, au fil des
années, de matériaux pour leurs besoins courants. Une fois
formées, les entités existantes, qu’elles soient administratives
ou industrielles, cherchent spontanément à s’agrandir. Les
investissements réclamés au Gosplan ne répondent pas à des
besoins réels. Avec un système d’information aussi déformant,
la politique d'investissement repose sur l’arbitraire administra-
tif. On comprend que, dans ces conditions, le renouvellement
des équipements n’apporte aucune hausse de la productivité
et qu’il ne contribue que médiocrement à une intensification
de la croissance.

—pr ———
La recherche inadaptée

Enfin, la recherche scientifique et technique souffre d’être


placée entièrement sous l'autorité de l’État, dont les priorités
ne correspondent pas spontanément aux besoins des entre-
prises ou aux attentes du marché. Les laboratoires de recher-
che sont généralement rattachés à des ministères, à l'Acadé-
mie des Sciences ou à d’autres institutions politiques ou scienti-
fiques. Leurs découvertes intéressent plus la science fonda-
mentale que les techniques industrielles. Qui plus est, elles ne
parviennent aux entreprises qu'après un long délai, évalué au
double ou au triple de celui que connaissent les économies de
marché.
De plus, l'essentiel des crédits de recherche est consacré à
l'industrie de l'armement, dont les innovations ne profitent
guère au secteur civil, trop en retard pour les appliquer à ses
produits ou à ses usines : aux Etats-Unis déjà, les retombées
sont jugées insuffisantes. Mais le gaspillage est bien plus élevé
en URSS, où l’industrie civile utilise des techniques très en
retard sur le secteur militaire et où les entreprises n’ont aucune
raison d'introduire de nouveaux produits ou de nouvelles tech-
niques de production. L'industrie soviétique de l’armement
détourne à son profit les moyens les meilleurs en hommes et en
ressources. C’est vers ce secteur bien rémunéré et prestigieux
que sont orientés 5 millions des travailleurs les plus qualifiés.
En définitive, seule une circonstance peut pousser les entre-
prises soviétiques à vouloir innover et transformer les condi-
tions dans lesquelles elles exercent leurs activités : l'irrégula-
rité des approvisionnements. Compte tenu du caractère irréa-
liste des quotas, c’est un problème très répandu. Lorsqu'une
entreprise introduit un changement dans son mode de fonc-
tionnement, c’est dans le but de s'affranchir de ses fournis-
seurs. Dans une économie de marché, ce sont les évolutions de
la demande et les progrès techniques qui incitent les entre-
prises à renouveler leurs produits ou leurs méthodes de fabri-
cation; en URSS, ce sont les défaillances des réseaux de distri-

————# ————
bution. C’est d’ailleurs un mobile contraignant et donc efficace,
dès lors que la réalisation des normes fixées par le Gosplan en
dépend. Mais si le consommateur en tire avantage, ce n’est
qu’incidemment. Généralement, c’est plutôt la technique de
production que la marchandise finale qui s'améliore. Par consé-
quent, la qualité des articles proposés peut aussi bien se dégra-
der. Le vendeur y est indifférent, puisqu'il compte de toute
façon plus de clients qu’il ne peut en satisfaire et que son seul
objectif est de satisfaire les exigences du Gosplan.
En bref, l’économie contemporaine veut une décentralisa-
tion du pouvoir de décision. Planification centralisée et innova-
tion font mauvais ménage. À cette incompatibilité s’ajoute le
souci constant qu’a le régime de décourager le progrès tech-
nique dans des domaines tels que l'informatique et la commu-
nication. Ces deux secteurs, essentiels à la croissance dans les
pays occidentaux, exigent le développement d’un réseau télé-
phonique efficace, l’utilisation généralisée d’ordinateurs, bref
la diffusion de l'information. Le pouvoir communiste redoute
une telle évolution, qui aboutirait à une circulation plus libre
des idées. La méfiance et l’ignorance de l'informatique sont
telles que même les services du Gosplan, candidat tout indi-
qué, n’ont jamais été informatisés.
L'inadaptation de l’économie planifiée aux réalités moder-
nes s’est donc accentuée à partir des années 60. Les handicaps
s'accumulent, pesant de plus en plus lourdement sur le régime
en place.
PAS,à,200 ei ra UD 2$ |
dy es n ‘np Le tatin a
At re Var FA ve dvd. PR nur
bu x Là Ar" 0 | 7.2" “xt
Fa

:LS jLERON-
Ÿ
Pit tee
qu dinpé ape
».,
n L'A ) AAC Het hs
) Mr e PEN. 23 1 :
É «1,7 die x AL A

< ROC 2
= RUONTT La
L ) =
) l'y FO: Free se Ve
3 |, 122Lu 70 CENT UN Ou Trade

“| FE
OR A
qui 1, rimes wg SR ]
Ÿ; er ME d'in Er ER: ro at al ri à
| De Ji fine Jon de RE

+
PNR
POS .
vbs= HS per
5 rt pre ‘te
|
ON ms "" FAO SAT |
à
LEA RL \ Dir cas Lib 1e Eve 110 pas l'etat Ka."FIM
D 45) 2
in MES #
dut 2
dl nn 0 jp ets MONT
, | . si à « 4 pr
_. L ALT je
Ÿ EL |

LE"

h t
à ti Le
Ed
, D .
=
pl t F

ext
î 7”
W mr” 0.

! Al

TE ”
4 vi V- Fragé

_
- - .. à
rpm ehdie vrerhe cen vds

LA
L'EST
A
00e
Lu
Chapitre 3 <

LE TEMPS
DES GRANDS
DÉSORDRES
Lorsqu'il accède au pouvoir en 1985,
Mikhaïl Gorbatchev veut rompre avec les années
précédentes, qu'il appelle « ère de stagnation »,
et moderniser l'économie. En réalité, sa politique
provoque des déséquilibres inédits, qui hypothèquent
gravement les réformes proposées :
l'inflation et l'endettement extérieur occupent
toute l'actualité et transforment les faiblesses
économiques ambiantes en une crise véritable.
DER:0 PAD' ARÉGAEANME
P A S°ÆD DORA GC Del SIP ON

L'inflation existe-t-elle en URSS ?

L'inflation peut-elle exister dans un pays où les prix sont


administrés ? Un tel système ne protège-t-il pas le pouvoir
d’achat des ménages ? Les autorités soviétiques l’affirment, fai-
sant valoir, à juste titre, que les prix ne changent qu’exception-
nellement en URSS. Mais conclure de là, à l'instar du Diction-
naire des finances et du crédit publié à Moscou en 1984, que
l'inflation est «le propre de l’économie capitaliste », c'est
confondre l'effet et les causes : l'inflation se définit par le déca-
lage entre l'offre et la demande; la hausse des prix n’en est
qu’une manifestation. Or, un tel décalage existe bien en URSS,
parce que les salaires augmentent plus vite que la production
ou parce qu’une multitude de réseaux parallèles d’approvision-
nement interceptent la production avant sa mise en vente.
Le contrôle administratif des prix n’a plus alors pour effet
que de donner à l'inflation des formes détournées, qui s’appa-
rentent à autant de rationnements, avec, tout d’abord, les
queues. Du pain aux vêtements, rien, dans les magasins
d'Etat, ne s’achète sans d’interminables files d'attente. Dans
les dernières années du régime, des coupons d’achat ont été
instaurés. En juillet 1991, par exemple, on n’achetait plus
sucre ni tabac sans de tels coupons en Lettonie; dans l’Estonie
voisine, seuls les résidents pourvus de cartes de séjour pou-
vaient acheter des ampoules électriques. Quant aux biens
durables, ils sont introuvables. Pour les voitures, des listes
d'attente de trois à cinq ans sont établies. L'apparition de mar-
chés parallèles laisse elle aussi voir cette inflation refoulée :
les prix y sont six à sept fois supérieurs aux prix officiels.

es
Le
L'hyper-inflation toute proche

L'année 1991 voit s’accélérer le phénomène. Tandis que les


ménages accumulent de l’argent faute de pouvoir le dépenser,
les prix publics, longtemps immuables, flambent. Le 2 avril
1991, a été décidée une hausse moyenne de 60% sur les prix au
détail; le coût du thé et du sucre devait doubler; celui de la
viande et du pain, tripler. Au comptoir, les hausses ont été plus
fortes encore, avec + 800% pour la viande de bœuf et + 300%
pour le lait.
Jamais la valeur en devises du rouble n’a été aussi faible :
en février 1990, le dollar s’échange à un taux de 17 roubles au
marché noir, contre un cours de 64 kopecks, le centième du
rouble, sur le marché officiel, où la prestigieuse livre sterling
sert de référence. Dix mois plus tard, le dollar vaut 32 roubles!
En juillet 1991, le cours officiel est aligné sur le marché noir.et
fixé à 35 roubles.
À cause de cette inflation, la population cherche à se défaire
au plus vite de l'argent qu’elle détient : elle achète tout ce qui
se présente, dans la certitude que la marchandise ne peut
qu'être plus chère le lendemain. La monnaie circule plus rapi-
dement que par le passé et, passant par un nombre de mains
plus grand, exerce, de ce fait même, une pression croissante
sur les prix.
Qui plus est, après la réforme monétaire de janvier 1991,
les ménages se méfient de la monnaie en circulation : voulant
priver la mafña de ses trésors accumulés, le gouvernement a,
du jour au lendemain, refusé de donner cours aux grosses
coupures, de 50 et 100 roubles. Seuls trois à quatre milliards
de roubles ont été retirés de la circulation ; mais l'expérience a
suscité la plus grande défiance à l'égard du rouble dans la
population, qui redoute son abandon pur et simple au profit
d’une autre monnaie. Leur défiance peut se nourrir d’un précé-
dent, le pouvoir soviétique ayant, en 1922, tenté de remplacer
le rouble par le tchervonets.
Dans les six premiers mois de 1991, l’hyper-inflation devient

——
ps ———
une possibilité bien réelle, avec des augmentations de prix
quotidiennes et une folle dépréciation de la monnaie. Signe
troublant, le rouble tend à disparaître des échanges, au profit
du dollar et du troc direct. Un tel phénomène s’est déjà pro-
duit par le passé, en Amérique latine par exemple, mais aussi
dans l'Allemagne démocratique de l’entre-deux-guerres, en
1923 et 1924. Les conséquences sociales en sont toujours dra-
matiques : l'ascension de Hitler a été favorisée par l'échec
monétaire et économique de la république de Weimar, l’infla-
tion de 1924 ayant provoqué une redistribution brutale et
désordonnée des richesses entre prêteurs et emprunteurs, la
ruine des retraités et de tous les détenteurs de revenus fixes,
la paralysie de l’activité économique et la stupéfaction de toute
la population. La situation économique et financière est d’autant
plus inquiétante que les autorités font preuve d’une déconcer-
tante incapacité à enrayer l'inflation.

Un flot d'épargne

Le pouvoir est d’abord responsable du décalage entre


l'offre et la demande de marchandises. L’insuffisance de la pre-
mière a déjà été évoquée. Quant à la seconde, elle semble
tirée vers des sommets, à cause de l'apparition d’une épargne
involontaire, c’est-à-dire d’argent inutilisé faute de pouvoir être
placé ou dépensé.
Les ménages épargnent une partie de leurs revenus. C’est
un phénomène normal, mais il prend d’étonnantes proportions
en URSS où, entre 1981 et 1990, l'épargne des ménages est
passée de 3 à 12% de leurs revenus. Il s’agit pour l’essentiel
d’une épargne forcée, involontaire, que les ménages ne con-
servent qu’à défaut de pouvoir faire des dépenses.
L’épargne involontaire des ménages soviétiques est esti-
mée par la CEE à 115 milliards de roubles. Car les Soviétiques
ne savent que faire de leur argent. L'immobilier, qui pourrait
en théorie absorber une grosse partie de l'épargne excéden-

————
pr—— s
"OG6T 24QW999p ‘Gp U ‘QUUS9dOMS ANUOUOIA #1 JT) : 294N0S
‘SO[qNO1I 9p SPIEIIIU US UOTJEUT)SH

2IBJUIPIIXO
‘PSGT-0L6T auuoAOU EI] e [PS9 ‘Y G'G 9p JUeJSU09 au81ed9,p XNEJ UN,P UONJOUO US ,
= )/ Fe! (ss)ond ®

99[NUMO
9A19Sq0 ouS3Jed'4
0‘PL

26€

VTT

1#
a'TG
S'eI 8°vE

0'8 T'OT
Td p

x2ITPJU9PI9X9 ousredy

0'L

ou81ed9
0'8T

uOTjeWIUOSUO)
(%)
@

XNEI
S98PU9U
_.

auS1ed
9'6

p
s = £S

9p Sp
sosuad9q
T9

a[qIuOdSIp
nu24A9Y
£
ë2
[ea]& a Fr
taire, appartient à la collectivité. Les particuliers ne peuvent en
aucun cas devenir propriétaires de leur résidence principale.
Quant aux dépôts bancaires, ils ne sont pas rémunérés.
Comment expliquer, alors, qu’un Soviétique sur deux ait
une autre source de revenu que son activité principale ? Il se
constitue un patrimoine de précaution, destiné à permettre
une dépense imprévue. Ainsi, la ménagère soviétique a tou-
jours sur elle une grosse somme d’argent et une avoska, un
sac «pour le cas où».
Le secteur des entreprises accroît encore cet excédent de
liquidités car, curieusement, il épargne plus qu’il n'emprunte.
Un tel état de fait ne se conçoit pas dans une économie de
marché où, pour financer leurs investissements, les entre-
prises ne peuvent se contenter de leurs économies, c’est-à-dire
des bénéfices non redistribués aux actionnaires : elles doivent
emprunter. Les entreprises soviétiques, au contraire, ont une
«capacité nette de financement», de 23 milliards de roubles en
1989, soit plus de 25% des investissements totaux.
C’est l'organisation du système bancaire, que la réforme de
1988 n’a pas fondamentalement changée, qui explique cette
bizarrerie. En effet, l'économie tout entière dépend, par l’inter-
médiaire de banques sectorielles monopolistiques, de la banque
centrale, Gosbank. Celle-ci a pour mission prioritaire d’aider les
entreprises à réaliser le plan. Dans ce cadre, elle leur accorde
des crédits illimités, sans chercher à évaluer les risques ni exi-
ger le paiement d'intérêts. La théorie marxiste, pour laquelle le
capital n’a pas la moindre valeur, légitime ce comportement. Les
entreprises empruntent sans discernement et détiennent de
fortes sommes sans les placer.

La politique budgétaire à la dérive

Enfin et surtout, les autorités entretiennent directement ce


phénomène inflationniste : si les liquidités en circulation
dépassent les richesses disponibles, c’est en particulier parce

——p ———— s
que l’État dépense plus d’argent qu’il n’en prélève et que, pour
financer son déficit, il imprime encore et toujours plus de
roubles. Chiffrer ce déficit n’est pas tâche facile. Les statis-
tiques officielles évaluent à 44% de la richesse nationale son
montant cumulé, mais certains emprunts sont comptabilisés
comme des recettes, ce qui diminue d’autant l'ampleur appa-
rente du déficit. En réalité, pour 1989, il faudrait ajouter au
moins 12 milliards au déficit officiel de 60 milliards.
Qui plus est, ce total croît d'année en année, du fait d’un
écart persistant entre dépenses et ressources, officiellement
évalué à 10% du PNB, mais qui pourrait être deux fois plus
élevé encore. Il s’est produit en 1991 une crise budgétaire sans
précédent, le pouvoir fédéral ne parvenant plus du tout à faire
rentrer l'argent dans ses caisses. Déjà, en 1990, l'objectif off-
ciel d’une réduction d’un quart du déficit n’avait pas été atteint.
Mais la situation empire en 1991, année où les richesses impo-
sables diminuent sous l'effet de la dégradation économique ;
où les entreprises profitent du désordre institutionnel pour se
dérober au fisc; année surtout où les républiques entrent en
rébellion ouverte contre le pouvoir fédéral, refusant de lui
reverser l'impôt qu’elles ont pour mission de prélever en son
nom (pour les quatre premiers mois de 1991, les recettes
encaissées par le pouvoir fédéral représentaient moins d’un
tiers du montant attendu). La signature d’un nouveau traité de
l’Union, attendue en août 1991, vingt-quatre heures avant le
putsch, aurait peut-être pu régler ce différend. Mais entre-
temps, l'État fédéral finançait ses dépenses en imprimant des
billets, lorsqu'il ne refusait pas simplement d’honorer ses obli-
gations. à
Pourtant, bien des gouvernements sont déficitaires. À 44%
du produit intérieur brut, le déficit cumulé de l'URSS est com-
parable à celui de la France. Mais, pour deux raisons au
moins, l'URSS est dans une position intenable en août 1991.
L'inflation ne préoccupe pas les autorités soviétiques. Dans
une économie de marché, la banque centrale a pour mission
de lutter contre l'inflation, en limitant la masse monétaire en

2 ———
14

circulation, c’est-à-dire le montant des crédits consentis aux


agents économiques. En URSS, il n’existe aucun système com-
parable. Persuadées de maîtriser l'inflation parce qu’elles
fixent seules les hausses de prix, les autorités n’accordent pas
à l’évolution de la masse monétaire la moindre importance.

LES DÉPENSES MILITAIRES


DE L'URSS
Le calcul des dépenses militaires de l'URSS n'est
pas chose facile. Si la France consacre à sa défense
2,88 % de son produit intérieur brut, très exactement,
l'URSS, elle, ne publie pas de tels chiffres. Ses
comptes budgétaires ne recensent que les dépenses de
personnel, soldats d’active et retraités. Ni les
dépenses en capital, c'est-à-dire les achats d'armes, ni
les efforts de recherche, ne sont clairement indiqués ;
ils sont imputés sur les comptes civils les plus variés,
comme l'équipement, l'éducation ou « l’économie
nationale ».

Le prix du matériel n'est pas facile à évaluer lui


non plus, car, comme pour toutes les marchandises
soviétiques, le prix des armes est parfaitement arbi-
traire. Mais comment appliquer les prix du marché
international ? On ne peut pas se fonder à la fois
sur le prix mondial des armes, en dollars, et sur la
valeur en roubles du PMN. De plus, si l'URSS a
tant d'hommes sous les drapeaux, c'est notamment
barce que la main-d'oeuvre y est bon marché :
jamais l'Amérique ne pourrait financer une armée
de quatre millions d'hommes !
Les pays occidentaux doivent donc s’en remettre à
leurs propres calculs. Les dépenses militaires ne sont
qu'évaluées, un peu arbitrairement, et c'est par le
dialogue entre spécialistes que la réalité finit par être
cernée. Les estimations avoisinent habituellement les
15 % du produit intérieur brut (PIB) ; mais elles
oscillent du simple au double, voire davantage.

Part des dépenses militaires


dans le PIB soviétique en 1989 en %

Estimations | Estimations
soviétiques | occidentales
pe

Chiffre officiel jusqu’en 1989 3,0


Chiffre officiel pour 1989 112
Belkin, Volkovski et d’autres 18-20
Gorbatchev, le 28 avril 1990 18-20
Bogomolov 20-25
SIPRI (Institut de recherche
sur la paix de Stockholm, 1980)
US. Defense Intelligence
Agency
CIA
Rand Corporation (centre de
recherche indépendant
américain) 22-28
1

Sources : The Economist, 28 janvier 1989 et Eugène Zaleski,


in Analyses de la Sédéis, juillet 1991.

Les dépenses militaires soviétiques sont donc, en tout


état de cause, infiniment supérieures à celles des
pays occidentaux, alors que pour un pays relative-
ment pauvre, consacrer un point de PNB supplémen-
taire à la défense constitue un sacrifice particulière-
ment douloureux.
Ÿ

Non content d'y être indifférent, le gouvernement s’est


condamné à ce financement monétaire du déficit public : il n’a
jamais envisagé de le couvrir autrement qu’en imprimant des
billets, alimentant ainsi l'inflation. Théoriquement, deux autres
solutions étaient possibles : une baisse des dépenses ou un
recours à l'emprunt. Mais, au moment de sa chute, le régime
n’avait encore adopté ni l'une ni l’autre. La première paraissait
impraticable, compte tenu du rôle de l'Etat dans l’économie
soviétique : si, pour réduire ses dépenses, il cesse d'investir,
tout le pays risque de s’effondrer en peu d'années.
Certes, les dépenses militaires, qui constituent quelque 20%
du PNB, pourraient, en principe, être réduites. Il en a bien été
question, vers 1988, au moment où le désarmement et les
«dividendes de la paix» occupaient le centre de l'actualité.
L'URSS parlait, alors, de «reconversion» de son industrie mili-
taire, au profit du secteur civil. Mais, qu'il ait été formulé de
bonne foi ou non, ce projet n’a pas abouti .
Emprunter ne constitue pas davantage une solution : il
n'existe en URSS aucun marché obligataire organisé, sur
lequel l'État pourrait placer les titres qu’il émettrait. Surtout,
l'État n’a personne auprès de qui emprunter. Aucun épargnant
n’est prêt à lui accorder sa confiance ; son crédit est pour ainsi
dire épuisé. Dans ces conditions, et puisque les réformes ban-
caires de 1988 et 1990 n'interdisent pas à la Gosbank de finan-
cer ce déficit, seule la planche à billets offre une porte de sor-
tie au gouvernement fédéral. Pendant l’été 1991, elle imprime
jour et nuit et seule sa capacité fixe une limite à la création
monétaire! Cette planche ne peut offrir qu’un répit, et non le
salut : le déficit budgétaire, qui va croissant, se traduit inévita-
blement par une hausse presque égale de la masse monétaire.
Le volume de liquidités en circulation dépassant la quantité de
biens disponibles, et la vitesse de circulation de la monnaie
augmentant, les prix sont soumis à une pression sans précé-
dent. L’inflation ne peut que s’accélérer, eñfler, multiplier à
l'infini les prix ou allonger les queues interminablement,
jusqu’au jour où toute la société aura été dévastée.

—#—
DURS SSL PONS A LE LITTLE2

Parallèlement à cette poussée inflationniste, une crise plus


aiguë encore se fait sentir, l'URSS ne parvenant plus à honorer
ses engagements financiers. Ses dépenses dépassant ses
gains sur les marchés internationaux, sa balance des paie-
ments, qui retrace l’ensemble des échanges avec l'étranger,
est devenue déficitaire. Pour couvrir ses dépenses, elle con-
tracte des emprunts qu’elle n’est bientôt plus capable de rem-
bourser.

COMMERCE EXTÉRIEUR
ET PLANIFICATION CENTRALISÉE
Les entreprises soviétiques ne sont pas libres de
commercer à leur guise avec le monde extérieur : le
plan deviendrait irréalisable, car une partie de la
production incluse dans les calculs du Gosplan
quitterait le pays, en échange de biens imprévus,
ou même de placements en devises. De toute façon,
le pouvoir soviétique tient à limiter le plus possible
les contacts, même commerciaux, avec l'étranger.
Les échanges sont compris non comme un mode
d’enrichissement, mais comme un troc, comme un
moyen ultime d'acquérir certains biens ou tech-
niques introuvables en URSS même. Il ne saurait
en être autrement, car, les prix intérieurs étant
arbitraires, le rouble n’a pas non plus de valeur sur
les marchés internationaux ; il est inconvertible.
L'étranger détenteur de roubles doit donc les dépen-
ser, en trouvant des marchandises d’une valeur équi-
valente à importer dans son pays : il est condamné
au troc.
Dans la pratique, un ministère spécialisé, le minis-
tère du Commerce extérieur, se charge, par l'intermé-
diaire de maisons de commerce, d'équilibrer importa-
tions et exportations, l'URSS vendant principalement
de l'énergie et de l'or, en échange de céréales et de
techniques de pointe. Étant assurée de trouver pre-
neur pour ces quelques produits, mais sachant aussi
qu'elle ne pourra pas en vendre d'autres, l'URSS sur-
évalue sa monnaïe. En définitive, c'est un obstacle
supplémentaire aux exportations.
À l’intérieur du camp socialiste, les échanges com-
merciaux se sont organisés dans un cadre institu-
tionnel prévu à cet effet : le Conseil d'assistance
économique mutuelle, CAEM ou Comecon, créé en
1949. Après la guerre, chaque pays membre a été
encouragé à se spécialiser dans tel ou tel secteur,
conformément à la « division internationaie socia-
liste du travail ». Chaque pays devait se concentrer
sur sa spécialité et échanger sa production contre
les marchandises qu'elle ne produisait pas. Mais
l'absence de prix véritables et de devises librement
convertibles, la défiance des pays satellites envers
leur « protecteur » soviétique et l’incompatiblité
entre la planification et le caractère imprévisible
des échanges extérieurs ont conduit le Comecon à
l'échec : les échanges, très limités de toute façon, se
font sur une base bilatérale, et l'URSS y est tou-
jours mêlée. En 1991, ces liens déjà lâches sont
totalement rompus, les révolutions d'Europe cen-
trale ayant entraîné la dissolution du Comecon.
La dégradation des échanges

Les échanges commerciaux de l'URSS, placés sous le


contrôle des autorités, sont modestes. Ainsi, l'URSS ne réalise
que 2% des échanges mondiaux; les États-Unis, plus de 16%.
Mais, traditionnellement, l'obligation qu'imposait le plan d’une
compensation stricte entre importations et exportations assu-
rait l'équilibre des comptes extérieurs. Or, à partir de 1988, les
importations soviétiques augmentent considérablement, le
régime cherchant, malgré la chute de la production, à procu-
rer à la population davantage de biens de consommation, dont
les importations ont doublé en 1989.
Cette politique s’est immédiatement traduite par un déficit
commercial : la balance extérieure, excédentaire en 1987,
devient, pour la première fois, déficitaire en 1989. L'excédent de
8 milliards de roubles transférables (une unité de compte sans
signification, mais seule l’évolution importe) se transforme en
un déficit de 4,2 milliards. Tous les postes ont concouru à cette
dégradation : tandis que les importations s’envolaient, les expor-
tations de biens stagnaient; le service de la dette, c’est-à-dire la
charge des remboursements d'emprunts, s’alourdissait elle
aussi; les transferts, sous forme de dons ou de prêts en prove-
nance de gouvernements étrangers, étaient quasi-nuls; enfin,
les ventes d’or stagnaient elles aussi, alors que, par le passé,
elles avaient permis à l'URSS de reprendre pied dans les
moments difficiles. Cette fois, au moment même où des besoins
financiers apparaissent, la production fléchit brutalement.
En 1991, la dégradation s’est transformée en désastre. Les
exportations de pétrole ont presque cessé, à cause à la fois de
grèves et de problèmes d'acheminement qui s’ajoutaient à
l’appauvrissement des gisements. La chute de la production a
rendu les importations plus indispensables que jamais. Ache-
tant à crédit une part croissante de ses importations, l'URSS a
dû s’endetter et emprunter à l’étranger. En juillet 1991, sa
dette extérieure brute est estimée à 64 milliards de dollars,
dont la moitié seulement sous forme de crédits à long terme.

Bu. El
À ce chiffre, on ne peut soustraire les prêts en devises de
l'URSS, parce que la solvabilité de ses débiteurs, États du
tiers-monde pour la plupart, est douteuse.

Dette extérieure brute


en monnaies convertibles

85 | 86 | 87
+

Dette totale 285113141597

Crédit long terme |16,7 | 18,1 | 20,9


(dont prêts officiels)| 0,6 | 0,7| 0,9

Crédits court terme | 12,2 | 13,3 | 18,3

Source : ministère soviétique des Finances.

Le goitre de la dette

Soixante-cinq milliards de dollars, c’est une dette exté-


rieure modeste pour un Etat, surtout si les richesses natu-
relles y abondent. Celle du Mexique, pays infiniment plus
pauvre, est près de deux fois supérieure. Et pourtant, la situa-
tion financière de l'URSS est alarmante, un problème tel qu’il
pourrait se comparer à un goitre : une excroissance apparue
rapidement, qui, chez la victime, ne provoque qu’une gêne,
mais qui obsède son entourage et le fait fuir.
Habituée à la plus grande prudence financière, l'URSS s’est
en effet laissée surprendre par ce brusque gonflement d’une
dette qu’elle gère avec maladresse. L’échéancier des rembour-
sements est très défavorable, puisque la part de la dette à long
terme constitue à peine la moitié du total. URSS doit faire
face à des échéances pressantes, car plus du tiers de sa dette
est exigible en 1991!

RS
s
Echéancier de la dette extérieure
En milliards de roubles

Total
|
[same | dont intérêts

1991 1992 1993 1994 |


Source : Banque soviétique du commerce extérieur.

L'URSS ne parvient plus à honorer ses engagements. Les


arriérés de paiement s'accumulent : officiellement chiffrés à
5,2 milliards de dollars en septembre 1990, dont 1,5 milliard
vis-à-vis des cinq pays les plus riches du monde, ils diminuent
à peine après cette date. Ces retards, sur lesquels les intérêts
ne cessent de courir, provoquent automatiquement un gonfle-
ment de la dette. Mais surtout, ils ôtent à l'URSS tout espoir de
nouveaux prêts de la part des banques, qui posent comme
condition préalable le remboursement des arriérés.
L'URSS est en définitive victime de l'excès de la largesse
des banquiers, que la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev avait
hypnotisés. En 1987, l'URSS a fait connaître son intention de
rembourser à ses créanciers britanniques les emprunts con-
tractés sous les tsars et reniés par le gouvernement révolution-
naire. Cette mesure, annoncée à grand fracas dans la presse,
a ouvert à l'URSS les portes de la première place financière
d'Europe, Londres. Entre 1986 et 1991, les prêts à l'URSS ont
plus que doublé.

EE
Qui prête à l'URSS ?
en milliards de dollars |

autres —

dette nette
banques
commerciales

prêteurs
officiels
0
1986 1987 1988 1989 1990 1991 est.

Source : BRI, IBCA et J.P. Morgan, in The Economist, 24


juin 1991.

Jusqu’en 1989, cette hausse est le fait exclusif des banques.


Cette année-là, l'engouement des banques se mue en désen-
chantement. Financièrement, économiquement, politiquement,
URSS a cessé d’être un risque tolérable : dans un contexte
économique sombre, la direction du pays s'apprête, par le biais
d'un nouveau traité de l’Union, à faire porter aux républiques
une partie des dettes de l’État fédéral. Les prêteurs occiden-
taux s'inquiètent, car jamais ces républiques n’accepteront des
charges qu’elles jugent indues. Auprès de qui les banques
pourront-elles se faire rembourser ? À partir de 1989, les prê-
teurs font machine arrière. Des prévisions établies quelques
mois avant le putsch affirmaient qu’entre 1989 et la fin de 1991,
les banques étrangères auraient réduit leurs créances sur
PURSS d’au moins un tiers. Pour se mettre à l'abri, les intérêts
privés profitaient du doublement des crédits publics, consentis
par des gouvernements soumis à une logique non financière,
mais politique.

———# ——
»s
L'AIDE INTERNATIONALE À L'URSS
Mikhaïl Gorbatchev lance à plusieurs reprises un
appel aux chefs d'État étrangers : il faut sauver la
perestroïka, dont la faillite économique est patente.
Privé de tout soutien national, M. Gorbatchev fait
dépendre son avenir politique de sa capacité à
mobiliser la communauté internationale en sa
faveur. C’est ainsi qu'une demande de trente mil-
liards de dollars par an est soumise aux sept pays
les plus industrialisés à la veille de leur rencontre
de juillet 1991 à Londres.
Or ces demandes n'ont pas été entendues. Comme la
plupart des États, les organisations internationales
ont été plus que circonspectes. La Communauté
européenne, bien que chargée de coordonner
l'ensemble de l’aide occidentale, États-Unis compris,
n'a offert que cinq milliards de francs environ : 500
millions d’écus sous forme d'aide technique et, en
juillet 1991 seulement, 250 millions d'écus d'aide
alimentaire. De son côté, la Banque européenne de
reconstruction et de développement (BERD), créée
au bénéfice particulier des anciennes économies
socialistes d'Europe, a refusé tout prêt à l'URSS,
dans l'attente d'un passage à l’économie de marché
toujours retardé.
Les crédits ont surtout servi à garantir l'exportation
de produits en provenance des pays prêteurs. Ainsi,
la France a réservé à l'achat d'appareils français et
au remboursement d'arriérés de paiement commer-
ciaux les crédits accordés à l'URSS en octobre 1990.
Seule l'Allemagne a constitué une cas à part: en
échange de son abandon de l'Allemagne de l'Est et
du retrait de ses troupes, elle a offert à l'URSS 33
milliards de dollars d'aide, sous différentes formes :
prêts, dons, garanties, crédits à l'exportation.
Se sont néanmoins trouvés quelques crédits inatten-
dus : son attitude face à l'Irak pendant la guerre du
Golfe a valu à l'URSS des prêts de 1 et 1,5 milliard
de dollars respectivement du Koweït et de l'Arabie
Saoudite. Mais les grands pays occidentaux ne se
sont pas avancés : au sommet de Houston de l'été
1990, le groupe des sept pays industrialisés s’est
dérobé à la demande pressante que lui faisaient cer-
tains de ses membres de statuer sur l'opportunité
d’une aide massive. Il a enterré la question d’une
étude sur la situation économique de l'URSS et la
politique à suivre. Réunis à Londres un an plus
tard, les Sept refusent leur aide, tant pour la dette
extérieure soviétique que pour un fonds de stabilisa-
tion monétaire, mécanisme destiné à permettre la
convertibilité du rouble. Seule une aide technique
est accordée, par l'intermédiaire du statut de
membre associé auprès de la Banque mondiale et
du Fonds monétaire international. L'URSS peut
désormais bénéficier des conseils des experts ratta-
chés à ces deux institutions.

L'appel à la communauté internationale

Car, pour reconstituer son crédit, l'URSS n’a plus qu’une


solution : faire appel aux Etats occidentaux, prêteurs d’un
genre particulier puisque capables d’accepter tous les risques
financiers en fonction d’un choix politique donné. Tel est
l'enjeu de la visite de Mikhaïl Gorbatchev, le 17 juillet 1991,
aux sept pays les plus industrialisés réunis à Londres. Publi-

——#

quement, il réclame au moins trente milliards de dollars
d'aide. Mais c’est une aide d'urgence qu'il lui faut, pour éviter
à l'URSS la cessation de paiements.
Les montants totaux peuvent même rester modestes puis-
que, dans un premier temps, l'URSS n’a besoin que de garanties
publiques lui permettant de se tourner à nouveau vers les
banques. Que le gouvernement d’un pays riche se porte garant
de la signature de URSS et celui-ci verra affluer les prêteurs.
L’enjeu est clair pour tous les Etats représentés : l'URSS est
dans une situation financière critique, mais facile à améliorer.
En lui accordant ne serait-ce qu’une partie de l’aide qu’il
réclame, le groupe des Sept permettrait à Mikhaïl Gorbatchev
d'échapper aux conséquences de la politique menée à partir
de 1986. L’effondrement économique et le refus des réformes
ne recevraient pas la moindre sanction; au contraire, le pou-
voir obtiendrait un répit aussi inespéré qu’inconditionnel.
C’est ce qui explique la fermeté des Etats occidentaux, qui ne
veulent pas accorder à Mikhaïl Gorbatchev les capitaux qui lui
permettraient de se dérober à la nécessité, c’est à dire l’enga-
gement définitif vers l'économie de marché.
| Ésilog sl ruitln uns:

| ni à ds
ba

vraie3 A food a

GC 7 Er
TER
AA ERApt rss SA
Le à EN. 8 Tr d ETAT
te -
POTÈNL
EDË LAN SE 2e dar ee
Jpsurobgee ‘ee ce! h
2 Me, AÉUROQ YrLnnte Ans Le eu |
All PMU «LIN en, M 17408) QUE HA Wisbs F L
Ai teen as en tnre | rhroupiisls bg ah"
De me -“st sen vataectres) !æ ét horse à TE
L SR dtAti MESA nn base
C 4 tinmb eétns nhéansomus. |
“ æ
, v j CRL ed ê
s g eds 2 M"
LA DÉBANDADE
Quels remèdes les autorités ont-elles voulu appliquer ?
Ont-elles rencontré le succès : le pays se dirigeait-il
vers son rétablissement économique lorsque se sont
produits les bouleversements d'août 1991 ?
Refusant depuis des mois et des années de prendre
les décisions radicales qui s'imposaient, le régime
avait perdu l'initiative : au moment du putsch,
la question ethnique et nationale était en passe
d'imposer son issue particulière à la crise
économique, par l'éclatement de l'Union soviétique.
DAN SLAL MST EUNNESE
DES RÉFORMES

Des mots...

En 1985, au moment où il lance sa politique de publicité,


glasnost, Mikhaïl Gorbatchev s'engage dans la perestroïka,
reconstruction économique.
Dans la sphère politique, il perd rapidement le contrôle de
la situation. Vers 1988, l’ordre du jour fixé, ou du moins sug-
géré, par le pouvoir, s’évanouit. Il n’est plus question de réha-
bilitation des victimes du stalinisme, du choix entre un retour
au léninisme originel et son abandon, ou de révision du rôle
du Parti communiste. Le peuple, les peuples, imposent les
termes du débat et, bien vite, de l’affrontement : l’indépen-
dance pour les républiques d'Union soviétique.
Mais, pour le pouvoir, cet emballement du débat politique
comporte au moins un avantage. En effet, l'économie passant
au second plan, la réforme de son organisation peut être ajour-
née indéfiniment. De 1986 à 1991, les Soviétiques ne débattent
que d’une chose : la démocratisation du pays, son progrès, ses
revers.
Dans la sphère économique, le président Gorbatchev se
contente des promesses les plus vagues, avec l’aide involon-
taire des pays occidentaux décidés à ne pas remarquer que le
roi est nu. Il dévoile son programme de reconstruction écono-
mique dès octobre 1985. À compter de cette date, les promes-
ses non tenues se succèdent : programme «extraordinaire » à
l'automne 1989; au printemps 1990, privatisations en bloc; le
30 août 1990, transition rapide vers l’économie de marché; en
juillet 1991, «transformation radicale ».

———#

s
1986-91 : rien

Aucune des spectaculaires réformes de fond annoncées


n’est effectivement réalisée. En décembre 1988 est lancée à
l'ONU l'idée de reconversion de l’industrie militaire. Puisque
le budget des forces armées appauvrit tant le pays, explique
Mikhaïl Gorbatchev, transformons l’industrie des armements
en usines civiles, tout en réduisant de 20, 30, voire 50%, le bud-
get de la défense. Ces promesses, quelle traduction concrète
reçoivent-elles ? Aucune, puisque l'échec est complet : entre
1985 et 1991, le budget militaire augmente de 3% par an. La
production d'équipements est réduite pour certains matériels
mais, pour d’autres, elle est plus que doublée. Quant aux
reconversions, elles devaient porter sur 500 usines de produc-
tion d'armes; en réalité, seules trois d’entre elles semblent bel
et bien avoir été reconverties.
C’est la un des exemples les plus notoires. Mais d’autres
réformes sont elles aussi abandonnées in extremis. Pour la
privatisation des terres, annoncée à grand renfort de publicité
en mars 1989, aucune réforme n’est promulguée. Le 28 février
1990, une loi agraire vient réaffirmer le principe de propriété
collective des terres.
À chaque train de réformes est attachée une série nouvelle
de conseillers. Chaque revirement provoque leur départ :
Aganbeguian d’abord, Abalkine et Ivanov ensuite, puis Chata-
line et Petrakov, dont le plan dit des cinq cents jours, pourtant
prudent, est écarté à l’automne 1990. En 1991, c’est Iavlinsky
qui, avec l'Américain Allison, assume la tâche de sauver la
perestroïka et l'économie soviétique. Mais son plan, présenté
aux conseillers du président des Etats-Unis en mai 1991, avant
le passage de Mikhaïl Gorbatchev au sommet des sept pays
les plus industrialisés de Londres, devient lettre morte après
cette rencontre. Quelques changements ont pourtant été intro-
duits, qui ne sont pas de pure forme. Mais leur emprise sur la
réalité est faible, pour plusieurs raisons : l'immensité de la
tâche à accomplir, dans un pays lui-même gigantesque; le

———p ———
L4

contexte politique défavorable aux entrepreneurs, le pas vers


l'économie de marché n’ayant pas été résolument franchi;
l'ambivalence des autorités qui, tout en encourageant l'initia-
tive privée, maintiennent leur pouvoir, sous des formes telles
que les monopoles de production.
Cette succession de réformes avortées est tout de même
parvenue à faire quelques entailles dans l’économie planifiée.
Avant d’être enterré, chaque train de réformes laissait des
traces dans la législation en vigueur. Sur plusieurs questions
importantes, des textes nouveaux ont été adoptés.

LA LÉGISLATION ÉCONOMIQUE
EN URSS ENTRE 1986 ET 1991
— Le décret du 13 janvier 1987 autorise, sous cer-
taines conditions, les investissements étrangers en
URSS ; les décrets de septembre 1987 et de décembre
1988 étendent le pouvoir des investisseurs étrangers
sur le capital et la direction des entreprises mixtes.
Le décret du 26 octobre 1990 autorise les investis-
seurs étrangers à créer des filiales à 100 %, et celui
du ler janvier 1991 autorise le rapatriement des
profits.
- La loi sur les entreprises d'État (1987) pose les
principes de l'autonomie de gestion et de la respon-
sabilité financière, les entreprises devant financer
elles-mêmes leurs investissements. En août 1989,
une nouvelle loi ouvre aux entreprises la possibilité
d'association et de transactions directes avec
l'étranger.
— La loi du 26 mai 1988 reconnaît les coopératives
(associations de trois personnes minimum). Mais
dès la loi d'octobre 1989, des restrictions apparais-
sent, supprimant les coopératives commerciales et
autorisant les autorités locales à fixer les prix par
voie d'autorité ; dans le même sens, la loi de juin
1990 impose l’utilisation d’un compte bancaire
unique, tout en interdisant les transactions au
comptant.
: La loi du 28 février 1990 réaffirme la propriété
de l’État sur les terres agricoles.
— La loi du 3 mars 1990 affirme la reconnaissance
juridique de la propriété privée, y compris par des
étrangers. Mais les décrets d'application se font
attendre.
— La loi du 11 décembre 1990 sur le secteur ban-
caire maintient la dépendance de la banque cen-
trale par rapport au pouvoir, mais le principe
d'autonomie des banques commerciales est admis.

Un amalgame de réformes particulières n’a jamais consti-


tué un ensemble cohérent susceptible d'aboutir à une écono-
mie de marché. Au moment ultime, le pouvoir a toujours fait
machine arrière. Ainsi, malgré des déclarations d'intention
répétées, jamais le droit de propriété intégral, comprenant les
droits de cession et d’héritage, n’a été instauré sous le régime
communiste.
Les réglementations nouvelles n’ont eu sur la réalité qu’un
impact limité :en 1990, la main-d'œuvre continue, dans son
écrasante majorité, de dépendre de l'Etat qui l’'emploie.
Avec trois millions d'emplois (employés et patrons confon-
dus) sur une population active d’environ 165 millions, le sec-
teur privé né des nouveaux textes est loin de bouleverser le
marché du travail! Quant à la main-d'œuvre, l’origine de ses
revenus ne lui permet pas à de s’'émanciper moralement de

———
2 ——
Répartition de la population active
par type d’employeur

en millions [en% du total


E——

Secteur public 116,6 78,7


Kolkhozes 11,6 7,8
Coopératives
de consommation 3,4 235
Agriculture privée 4,2 2,8
Service national 4,3 2,9
Travail à domicile 4,8 32
Nouveau secteur privé 3,4 20
- dont coopératives de
production D
- dont activités profes-
sionnelles individuelles

Population active
occupée
Temporairement non
occupés, invalides 2
Étudiants et stagiaires TA

Sources soviétiques, notamment Annuaire statistique 1990.

l'appareil d’État et du parti, ses employeurs. Ce qui vaut pour


le marché du travail vaut pour celui des biens : le secteur privé
n’est toléré que comme appoint, dans les secteurs les plus
désorganisés ou les plus indispensables. C’est traditionnelle-
ment le cas pour les quelque 6 000 marchés kolkhoziens. Ils
ne réalisent, au total, que 10% des ventes de produits alimen-
taires, mais leur rôle est crucial dans l’approvisionnement des
villes, auxquelles ils procurent 50 à 75% des fruits qu’elles
consomment.

RS
s
La situation n’est pas meilleure dans les secteurs qui ne se
sont ouverts à l’activité privée que sous Gorbatchev. Une loi
du 26 juin 1988 crée des «coopératives», entreprises privées
de services ou d’artisanat autonomes par rapport au plan. Plus
de dix-huit mois plus tard, seules 200 000 coopératives figu-
rent sur les registres. Leur activité ne représente que 4,4% du
PNB. Autant dire qu’elles semblent ne jamais devoir consti-
tuer le socle d’une économie de marché. Ici encore, les autori-
tés, craintives, ont voulu conserver à l’activité privée son carac-
tère marginal.
Ainsi, le régime ruse et tergiverse : il veut séduire les puis-
sances occidentales, il cède parfois à la pression de l’opinion,
qu’il a lui-même suscitée, mais le processus qu'il a lancé ne
conduit nulle part. Les autorités se révèlent incapables de trou-
ver la moindre issue à la crise économique.
Une issue se profile pourtant, au fur et à mesure que le
pouvoir central perd l'initiative. Des quatre coins de l'empire
se font entendre le mécontentement, les revendications. À la
veille du putsch du 19 août, c’est vers l'éclatement écono-
mique et politique que semble s’acheminer la crise.

a me ES
DENEPTE PE LETO N

Une intégration économique étroite

À première vue, l'emboîtement économique et commercial


des républiques aurait dû atténuer les élans nationalistes et
pousser au compromis avec le pouvoir central.

Se
à4

Les échanges internes à la fédération sont importants, plus


encore qu'entre les États membres de la Communauté euro-
péenne : pour toutes les républiques, à l'exception de la seule
Russie, les échanges avec le reste de l’Union représentent
entre 25% et 50% de leurs richesses, la moyenne soviétique
étant de 21,1%.
De surcroît, seules deux républiques ont un excédent
important en proportion de leurs richesses totales; 10 des 15
républiques, au contraire, sont déficitaires, dont 6 gravement.
Pour ces dix républiques, la fédération est une aubaine, dans
la mesure où elle finance leur déficit sans les obliger à rééqui-
librer leurs comptes extérieurs.
Ces échanges volumineux sont aussi très spécialisés. On
estime qu’un bon tiers des biens soviétiques est produit sur un
site unique. Cette spécialisation ne s'explique pas tant par la
diversité, indéniable, des sous-sols et des ressources des diffé-
rentes républiques, que par la politique délibérée des autorités :
comme pour les pays satellites, mais avec davantage de suc-
cès, le pouvoir a cherché à renforcer la communauté socia-
liste, en encourageant les républiques à se spécialiser et, de
cette façon, à dépendre les unes des autres. En termes écono-
miques, cette politique de «division socialiste du travail» exal-
tait les avantages comparatifs de chacune des parties de
l'empire. Ainsi, 75% du gaz d'URSS et 90% de son pétrole sont
produits en Russie ;la ceinture de sécurité est devenue spécia-
lité estonienne ;la seule usine de filtres à cigarettes du pays se
trouve en Arménie. Lors du tremblement de terre de l’hiver
1988-89, tous les Soviétiques, gros fumeurs, se sont trouvés
sans cigarettes.
L'importance de ces liens est accentuée par l'isolement, exté-
rieur cette fois, des républiques, dont le commerce avec le reste
du monde contribue très peu à la création de richesses : 8,3%
pour l’ensemble de l’Union soviétique, soit trois fois moins que
le commerce intra-fédéral. Cette fois encoré; la Russie est la
seule exception, puisqu'elle commerce presque autant avec
l'étranger qu'avec le reste de l'union. Partout ailleurs, le pour-

RS
centage des échanges internationaux dans le PNB des répu-
bliques oscille entre 4,5 et 7%, si l’on excepte les 8,8% de l’Esto-
nie, très liée, à tous égards, à la Finlande voisine.
Faut-il conclure que, puisque la fédération profite à la plupart
des républiques, celles-ci y sont attachées ? Ou encore que cha-
cun sait à quel appauvrissement le conduirait le démantèlement
de l'empire ? Non, en aucune raison, parce que l'intégration éco-
nomique s’est retournée contre la fédération et qu’elle attise les
dissensions, les rancœurs et les colères. Le discours politique
ne se soumet pas à la réalité économique : il l'interprète.

Une arme à double tranchant

De leur appartenance à la fédération, la plupart des répu-


bliques sont persuadées de ne pas retirer le moindre avantage
économique. Aucun pays au monde, il est vrai, ne réunit, par
la contrainte de surcroît, des contrées aussi disparates. Entre
les républiques, les écarts de revenu sont stupéfiants : du Tad-
jikistan à la Lettonie, ces revenus vont d’un peu plus de 1 000 à
plus de 2 500 roubles par habitant! Même la Communauté
européenne, qui n’est qu’un conglomérat encore lâche d'États,
ne présente pas de tels écarts. Encore ces statistiques pren-
nent-elles en compte les subventions fédérales, qui atténuent
ces inégalités. Aux yeux des républiques les plus riches, ces
redistributions de revenu sont autant d’extorsions commises
par un régime qu’elles haïssent.
De fait, seules les républiques d'Asie centrale, au poids
politique négligeable à l'échelle de la fédération, ne peuvent
avoir le moindre doute sur les bénéfices que leur procure
celle-ci. Pour les économies sous-développées de Kirghizie ou
du Tadjikistan, l’union signifie subventions, approvisionne-
ments, débouchés commerciaux éventuels, infrastructures
sanitaires et scolaires.
Ailleurs, les choses ne sont pas si simples : l’arithmétique
des avantages et des coûts de l'union est tellement compli-

re ‘es
Ÿ

quée que chaque république se croit flouée, c’est le mot, et


rêve d’une indépendance qui lui apporterait aussi la prospé-
rité. Les statistiques soviétiques ne comportant aucune pré-
sentation synthétique des subventions aux différentes répu-
bliques, chacun est libre d'interpréter la vérité, ou même de se
créer la sienne!

Produit marginal net par tête


dans les républiques

(moyenne, URSS = 100)


RSFSR " :
Ukraine

Biélorussie

Lituanie

Lettonie

Estonie

Moldavie

Arménie
Azerbaïdjan

Géorgie

Kazakhstan
Kirghizie

Tadjikistan

Turkménistan

Ouzbékistan 1988
1
Le] D [=] BR[=] [er][= © [=] 100 120 140

Source : CEE, in Économie européenne, #° 45, décembre 1990.

Les subventions aux cinq républiques d'Asie centrale


offrent un exemple concret : dans le budget de l’Union, tel
qu'il figure dans l'annuaire statistique de URSS, ces subven-

Se
tions représentent 5,9 milliards de roubles; mais le budget de
l'État, de son côté, les évalue à 8,6 milliards. Si cette diffé-
rence s’explique en partie par les dates, ces chiffres étant res-
pectivement ceux de 1989 et 1990, c’est surtout la définition
des subventions qui pose un problème : dans les statistiques
de l'État, s ajoutent entre autres, aux dotations budgétaires,
des subventions aux prix. Cette notion même est contestable
car ces subventions permettent de vendre en-dessous du prix
fédéral, mais celui-ci, on l’a vu, est lui-même arbitraire. Si les
achats de pétrole russe par l’Ouzbékistan sont subventionnés,
la fédération considère ces subventions comme égales à la
différence entre le prix en Ouzbékistan et celui ayant cours
dans le reste de l'union. Mais la Russie, elle, ne peut-elle pas
considérer qu'il lui en coûte plus encore dans la mesure où
son pétrole de toute façon lui est acheté bien moins cher que
le cours mondial ?
Des statisticiens, soviétiques et étrangers, ont cherché à
calculer quelle serait la valeur des échanges commerciaux
fédéraux en cas d’adoption des prix mondiaux. Les conclu-
sions sont intéressantes : d’après la CEE, c’est 10% du PNB
total qui changerait de mains. Mais le calcul est lui-même
faussé : le volume des échanges resterait-il le même si les prix
changeaient? Et, pour qui connaît la politique agricole de la
CEE, comment faire l'hypothèse que les échanges agricoles
entre les républiques s’effectueraient aux cours mondiaux ?
La conclusion de cet imbroglio budgétaire et comptable,
chacun la tire à sa façon : «Ce que notre pauvreté ne doit pas à
l’économie planifiée, elle le doit à la fédération ». À cette convic-
tion s’ajoute un sentiment pesant de dépendance et de vulnéra-
bilité, inspiré par l’imbrication économique des différentes
composantes de l'empire. La division socialiste du travail a, on
l'a vu, conduit à l’hyper-spécialisation. En théorie, tant que les
esprits sont unis, cette fragmentation des compétences peut
flatter les sentiments d'efficacité et de communauté des popula-
tions ainsi rapprochées. Mais le déchaînement des sentiments
nationalistes rend insupportable cette dépendance réciproque

#9 ———
L4

voulue par un régime lui-même abhorré. Les champs pétroliers


les plus exploités, par exemple, se trouvent en Russie; mais c’est
la république d'Azerbaïdjan qui fabrique le matériel d’exploi-
tation. La Russie se considère comme l'otage de ce lointain four-
nisseur.

Guerres économiques

Dans le face-à-face entre le pouvoir central et les répu-


bliques rebelles, les liens de dépendance économique sont
devenus, à la fois, un moyen de pression et un enjeu de négo-
ciation, voire d’affrontement.
Selon les circonstances, la pression économique peut pro-
venir du pouvoir fédéral ou des candidats à la sécession. C’est
pour le premier une arme toute naturelle, puisqu'il exerce son
autorité sur l’ensemble de l’Union. En mars 1990, lorsque la
Lituanie a déclaré son indépendance, c’est une véritable
guerre économique qu'a engagée contre elle l'URSS : tous les
approvisionnements en gaz et en pétrole ont été suspendus.
C'était là une mesure grave, car la Lituanie se trouvait privée
non seulement d'énergie primaire, mais aussi de matériaux
pour sa grosse raffinerie de Maziekiai. Dès lors qu'il s’inter-
disait une invasion en bonne et due forme, Mikhaïl Gorbat-
chev ne pouvait pas choisir moyen plus contraignant. Devant
l'échec de celui-ci, c’est d’ailleurs à celle-là qu’il a fini par
recourir en janvier 1991, quand les chars ont investi la capitale,
Vilnius.
Dans une moindre mesure, les républiques ont recours à
l'arme économique, elles aussi. C’est ce qu’a montré la
«guerre des viandes» entre la Biélorussie et l'Ukraine d’une
part et la Russie leur voisine de l’autre. Le prix des céréales
fourragères est augmenté de moitié au niveau fédéral en mai
1990. Dès septembre, la Russie répercute cette augmentation
sur son prix d'achat de la viande en gros, pour éliminer la
pénurie provoquée par la hausse des coûts de l'élevage. Les

——#

éleveurs biélorusses et ukrainiens préférant alors vendre leurs
bêtes au prix offert en Russie, leurs gouvernements instaurent
des contrôles à l'exportation.
La pénurie, qui souvent a un caractère local, a ainsi inspiré
toutes sortes de politiques protectionnistes de cette nature:
ici, un titre de séjour est exigé pour certains achats: là, des
postes douaniers sont instaurés, afin de décourager tout trafic
de proximité. Entre l’Estonie et la Lettonie, par exemple, une
frontière «économique» (ekonomitcheskaïa granitsa) permet
la surveillance des approvisionnements, tout en fournissant
aux deux républiques une belle occasion d'affirmer nettement
leur indépendance.

Les moyens de l'indépendance

Enfin, certaines questions économiques nourrissent la


controverse et les revendications nationalistes. Dans les négo-
ciations qu’a engagées le pouvoir fédéral avec les compo-
santes de l’union en vue d’un nouveau traité moins défavo-
rable aux républiques et destiné à apaiser les autonomistes,
les questions économiques occupent tout l’ordre du jour.
Deux des contentieux les plus âpres portent sur le contrôle
des ressources et de l’ensemble des moyens de production
d’une part et sur la fiscalité d'autre part.
Avant le coup d'Etat, les républiques contrôlent, en moyenne,
5% seulement de leur industrie, cette part ne dépassant 10% pour
aucune d’entre elles. Pour l'essentiel, c’est le Gosplan qui décide
de l’activité des entreprises. Les négociations n’ont pas réussi à
réconcilier les points de vue. Le pouvoir fédéral s’est bien dit prêt
à concéder le contrôle de 30% des industries, mais les répu-
bliques réclament bien davantage, jusqu’à 75%.
De même, les républiques n’acceptent plus de devoir resti-
tuer à l’État fédéral la plus grande part des impôts qu’elles pré-
lèvent en son nom. En principe, c’est le pouvoir fédéral qui
fixe l'emploi des recettes fiscales, sous forme de subventions à

——
jp———
Ÿ

certaines républiques, mais aussi de dépenses dites d'intérêt


général, telles que la défense. Or, ce mécanisme ne satisfait
plus les républiques, qui veulent ne devoir reverser qu’une
partie réduite de leurs recettes fiscales, sous forme de forfait.
Le gouvernement central, dont les recettes proviennent pour
moitié des impôts prélevés par les autorités fédérées locales,
n’est pas décidé à céder. La formulation du traité en discus-
sion est imprécise. Ni le partage des recettes ni leur mode de
prélèvement ne sont indiqués clairement. Autant dire qu’au
moment du coup d'Etat, c’est-à-dire vingt-quatre heures avant
l'approbation du nouveau traité de l’union par les deux pre-
miers signataires, la question n’est toujours pas tranchée.
Echappant peu à peu à la tutelle du pouvoir central, l'URSS
se désagrège sous l'effet de tiraillements internes. Aux yeux
des partisans du maintien de l’union, le putsch apparaît
comme un recours ultime, le seul qui puisse maintenir la fédé-
ration et faire cesser l’appauvrissement rapide du pays.
600600
Le putsch manqué du 19 août 1991, qui précipite l’effondre-
ment du régime, est inspiré par des préoccupations tant éco-
nomiques que politiques. Si les putschistes tentent de renver-
ser Gorbatchev, c’est dans l'espoir de sauver aussi bien l’éco-
nomie planifiée que l'unité de l'URSS. Les circonstances de la
préparation du coup d’État restent obscures, mais il est clair
que la menace d’éclatement du pays n’a pas suffi à faire agir les
conjurés : seul l'effondrement économique leur donne l'espoir
de gagner la population à leur cause. L'explosion de la misère
doit avoir inspiré à des dizaines de millions de Soviétiques la
nostalgie de l’ordre communiste. C’est le calcul du comité insur-
rectionnel. Dans un message télévisé, il s'engage à résoudre
trois problèmes : les tensions ethniques et les atteintes à l’ordre
public, mais aussi la crise économique.
«La crise du pouvoir a eu des effets catastrophiques sur
l'économie. Le mouvement chaotique et spontané vers l’écono-
mie de marché a provoqué l'explosion des égoïsmes (...).
Notre premier soin est de résoudre les problèmes de logement
et d’approvisionnement. Toutes les forces nécessaires y seront
consacrées : il s’agit des besoins les plus essentiels du pays. »
Un tel programme n’est pas irréaliste : l'économie n’a atteint
un état véritablement critique qu’à cause de sa désorganisation
soudaine et de l'effondrement de la discipline civique. Une telle
situation, un pouvoir fort doit être capable d’en venir à bout
dans les délais les plus brefs. De fait, la première mesure du
comité insurrectionnel a été d’approvisionner les magasins,
grâce aux stocks qu'avait constitués le KGB.
Le pourrissement économique ne fournit pas seulement
aux putschistes un programme politique; il influence les évé-
nements à une autre échelle, au sein de l'élite dirigeante. En
effet, l'incapacité de Gorbatchev à obtenir une aide financière

——
#7 ———
L4

substantielle fournit des arguments à ses détracteurs et les


aide à se rassembler. C’est Gorbatchev qui est visé par les
conjurés dans le message diffusé à la radio dans la matinée du
19 août: «Seules des personnes irresponsables peuvent met-
tre leur espoir dans une aide venue de l'étranger (...). Aucune
aumône ne résoudrait nos problèmes. Notre salut est dans nos
propres mains. »
L'histoire de l'URSS est jalonnée de déclarations de cette
sorte. En apparence, elles sont vagues; elles ne prennent tout
leur sens que pour les initiés, à qui elles indiquent qui est
contesté et quelle ligne politique l'emporte à tel ou tel moment.
Il est permis de supposer qu’en se rendant à Londres en
juillet pour solliciter les sept pays les plus industrialisés, Gor-
batchev a pris plus de risques qu’on ne l’imaginait alors : pour
spectaculaire qu’elle ait été, son apparition londonienne
démontre surtout, en définitive, son impuissance à obtenir la
moindre contre-partie aux folles concessions faites à l’Occi-
dent : le retrait d'Afghanistan et de tout le tiers-monde, la perte
de l’Europe de l'Est, le triomphe ménagé aux Etats-Unis dans
la guerre du golfe. Chef d'État haï chez lui, Gorbatchev avait
besoin, pour survivre, d’un soutien extérieur, économique et
financier. Lorsqu'il revient de Londres les mains vides, le chef
d’État qui réclamait aux puissances du camp ennemi trente
milliards de dollars par an a joué sa dernière carte. Sa fin est
consommée.
Il ne faut pas pour autant faire des chefs d'État participants
du sommet de Londres les responsables de l'arrestation de
Gorbatchev. Celle-ci, compte tenu de la crise économique et
politique en URSS, était inévitable. Mais ce voyage souligne à
quelle extrémité était acculé le pouvoir. À défaut d’une réforme
économique d'ensemble, les autorités avaient épuisé toutes les
solutions possibles. Se saborder en réformant l’économie ou
mourir de ne pas l'avoir réformée, le régime communiste était
condamné à cette alternative. Le putsch cherchaïit à conjurer le
cours de l’histoire; en échouant, il l’a précipité.

RS
à)

6006800
Le renversement du régime communiste n’a pas provoqué
ipso facto l'assainissement de l’économie soviétique, tant s’en
faut. La situation n’en est pas moins transformée, car désor-
mais la nécessité d’une conversion économique complémen-
taire de la révolution politique en cours s'impose à tous.
Conscients de l'effet de la faillite économique sur le régime
déchu, les nouveaux chefs de l’ex-URSS engagent leur, ou
leurs, pays, dans une réforme trop longtemps différée.
Si l’effervescence nationaliste de l’après-putsch a caché les
causes économiques de l'effondrement du régime, elle n’occu-
pera pas toujours le devant de la scène. Les difficultés écono-
miques se feront plus pressantes que jamais, éclipsant ou du
moins concurrençant de plus en plus les conflits nationaux. Les
problèmes d’approvisionnement alimentaire accapareront les
Soviétiques et chaque ménagère n’aura plus à l'esprit qu’une
préoccupation, le menu de demain. Même morte et autopsiée,
l'économie soviétique continuera d’envahir l'actualité, car de la
résurrection de ce cadavre dépendent la subsistance des
anciens sujets d'Union soviétique et l’avenir de cette grande
puissance déchue.
Lite ailfeutre PT, LE
2.00 dre ddr ri web
Ste ne did ur, sde mer
RTE
Be up eau Ahfi dmemais ee
| INR. ANR d'AEsAE gaûrÉ thiah}
et era fais aabetyehté nee plerror
dt eat 0h) ET ANR OT ENS
MU OMR A eutErTEt ordi sait ft
Lesnpdiee saigne antorrrah oi run slairétiités
Lo tes aimé halte bd Arabia pi rade
és LOI CT TETE ETAT TE IL LE, L'ART C#) ls
dit Lrélé 12» CC he 0 EITRSTIDENE À
d — Un 5 5
‘ jus” rs

L i
cIÿ |

te
CHRONOLOGIE

Octobre 1917 : Lénine prend le pouvoir dans la capitale de


l'empire russe, Pétrograd.
1918-21 : «Communisme de guerre», gestion autoritaire de
l'économie avec réquisitions agricoles, nationalisation de
l'industrie.
1921-28 : Nouvelle politique économique (NEP), économie
mixte, appel aux investisseurs étrangers et encouragement de
l'initiative privée.
1928-32 : Premier plan quinquennal ; industrialisation rapide
(+15% par an).
1929-35 : Collectivisation des terres ;famines.
1949 : Création du COMECON, Conseil d'assistance économi-
que mutuelle, réunissant l'URSS et les Etats satellites d'Europe
de l'Est.
1954 : Campagne des terres vierges pour la mise en valeur
de 42 millions d'hectares en Sibérie et au Kazakhstan. Rende-
ments médiocres.
1957 : Réforme économique mettant en place une décentrali-
sation sur une base régionale.
1965 : Réforme Kossyguine; accent mis sur les profits et les
ventes effectives ;mais le plan reste le premier critère d’appré-
ciation des résultats.
1966-67 : Réforme des prix industriels ;effet modeste car les
prix ne permettent toujours pas l’équilibrage de l'offre et de la
demande.
1970 : Mise en exploitation de Samotlor dans la région de
Tioumène en Sibérie, dernier grand champ de pétrole décou-
vert en URSS.
1979 : Réforme économique renforçant la centralisation.

RS
1982 : Construction du gazoduc d'Ourengoï reliant la Sibérie
et l’Europe occidentale.
Mars 1985 : Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir.
15 octobre 1985 : M. Gorbatchev lance son programme
réformateur ;début de la perestroïka.
1986-91 : Tergiversations et fausses réformes : change-
ments formels dans le droit des investissements étrangers, de
l'autonomie des entreprises, des coopératives de production,
de la propriété des terres, du droit de propriété et du secteur
bancaire.
2 janvier 1991 : Les billets de 50 et 100 roubles sont retirés
de la circulation.
2 avril 1991 : Hausse officielle de 60% des prix de vente au
détail, avec compensation salariale partielle.
17 juillet 1991 : M. Gorbatchev est reçu au sommet des
sept pays les plus industrialisés à Londres.
19 août 1991 : Un comité de sûreté composé de huit hommes
fait arrêter le président Gorbatchev et prend le pouvoir.
20 août 1991 : Boris Eltsine, Président de la république de
Russie, appelle à la grève générale et réclame le retour de
M. Gorbatchev. La Lettonie et l’Estonie déclarent leur indépen-
dance.
21 août 1991 : Fuite des membres du comité d'État: échec
du putsch.
22 août 1991 : Retour de Gorbatchev à Moscou. Mais, aux
yeux de tous, B. Eltsine sort grand vainqueur.
23 août 1991 : B. Eltsine interdit le Parti communiste en Rus-
sie.
24 août 1991 : M. Gorbatchev démissionne de son poste de
secrétaire général du Parti communiste d'Union soviétique.

———#
— —— s
LEXIQUE

CAEM : Conseil d'assistance économique mutuelle, appelé


aussi COMECON. Fondé en 1949 pour organiser et stimuler les
échanges commerciaux entre les pays socialistes, il compre-
nait dix membres, URSS comprise, avant sa dissolution en juin
1991.
ÉCONOMIE DE MARCHÉ : Dite aussi économie capitaliste. Sys-
tèrne libéral où l’activité est libre et où l'État n'intervient que
pour assurer le bon fonctionnement de la concurrence et en
corriger les excès.
GLASNOST : Publicité, action de rendre public. Mot d'ordre
réformateur lancé par M. Gorbatchev en 1985. La traduction
«transparence» s’explique-t-elle par une confusion avec l'anglais
«glass», verre ?
GOSBANK : Banque d'État; fait office à la fois de banque com-
merciale et de banque centrale, c’est-à-dire d'établissement de
crédit et d'organisme de surveillance.
GOSPLAN : Comité d’État à la planification;fixe les objectifs du
plan et assigne leurs quotas de production aux entreprises.
GOSSNAB : Comité d'État à l'approvisionnement; assiste le Gos-
plan en déterminant les fournitures nécessaires à la réalisation
du plan.
INDUSTRIALISATION : Développement de l’industrie, lourde sur-
tout (sidérurgie, transports, énergie). Objectif adopté par Sta-
line en 1928.
KOLKHOZE : Ferme collective, tenue de livrer au Gosplan un
quota annuel et disposant, le cas échéant, du solde des récoltes.
MAFIA : Réputée très active dans les républiques méridionales,
elle remédie à certaines des faiblesses les plus criantes du sec-
teur officiel, dans la distribution notamment.

ip —
PERESTROÏKA : Reconstruction, restructuration. Réforme éco-
nomique lancée par M. Gorbatchev en 1985 et cherchant, sans
détruire l’économie planifiée, à en améliorer le fonctionnement.
PIATILETKA : Plan quinquennal, établi par le Gosplan. C'est
l'ossature de la planification.
PMN : Produit matériel net. Mesure de la production nationale
en URSS. A la différence du produit national brut (PNB) calculé
dans le reste du monde, le PMN n’inclut pas les services que la
théorie marxiste-léniniste qualifie de «non productifs» : santé,
éducation, forces armées.
PRODUCTIVITÉ TOTALE DES FACTEURS : Rapport entre la produc-
tion et les moyens utilisés — principalement les machines et la
main-d'œuvre. Mesure d'efficacité d’une économie.
QUOTA : objectif quantitatif de production assigné aux entre-
prises par les organes du Gosplan.
SPEKOULIATSIA : Vente à prix élevé et au marché noir de mar-
chandises non disponibles dans le commerce.
SOVKHOZE : Ferme d’État, où les agriculteurs sont salariés.
BLBLEOGRAPHTIE

Abram Bergson, The Economics of Soviet Planning


(Greenwood House, 1980)
Joseph Berliner, The Innovation Decision in Soviet Indus-
try, MIT. University Press, 1976)
Christian de Boissieu et Françoise Renversez, La Question
monétaire et bancaire en URSS (Economie prospective interna-
tionale, 44, 4e trim. 1990, 35-45)
Commission des communautés européennes, DGAEF,
Stabilisation, libéralisation et dévolution de compétences. Éva-
luation de la situation économique et du processus de réforme en
Union soviétique (Economie européenne, 45, décembre 1990)
Gérard Duchêne, L'Économie de l'URSS (La Découverte,
1989)
Franklyn D. Holzman, Foreign Trade Under Central Planning,
Harvard University Press, 1976)
Marie Lavigne (dir.), Les Économies socialistes soviétique et
européennes (Armand Colin, 1983)
Alec Nove, Le Système économique d’URSS Economica, 1981)
Eugène Zaleski, Le Fardeau des dépenses militaires en URSS
(Analyses de la Sédéis, 82, juillet 1991)

N.B.: Les sources soviétiques doivent être interprétées avec prudence,


du fait de l'absence de vérifications possibles.

— pp ——
Imprimé en France par MAURY-IMPRIMEUR S.A. — 45330 Malesherbes
Dépôt légal : Janvier 1992
N° d'édition : 8737 - N° d'impression : L91/37039 E
ÉCONOMIE | Effondrement du commu-
nisme, éclatement de l'URSS...
SOVIETIQUE | et si on parlait de ce qui a
AUTOPSIE D'UN fait l'originalité première du |
= marxisme-léninisme, le système |
SYSTEME économique ? L'auteur analyse les |
mécanismes et les résultats, explique :
les causes économiques des bouleverse- |
ments soviétiques. Parce que pour évaluer :
les solutions possibles, il faut avoir compris les |
bases du système + Alexandre Gourevitch, diplômé |
de la Tufts University, de la Fletcher School et de Sciences |
Po Paris, est analyste économique et politique au département :
international d’une organisation professionnelle.

COLLECTION ENJEUX

@ Automobile : © États-Unis les armes


le nouvel ordre mondial de la puissance
© À chaque État son @ Une monnaie
chômage pour l’Europe
© Crise du syndicalisme © Pauvres en France
© L'économie à @ Économie soviétique,
l'épreuve de l'écologie autopsie d’un système
© Migrations Est-Ouest © Poiitique industrielle
Sud-Nord Etat, Europe, entreprises
© Destiers mondes @ ÀÂlarecherche
© Europes de l’énergie idéale
mutations économiques © L'argent des Français
@ Laretraite
en question
© Lafinance au service
de l’économie

Vous aimerez peut-être aussi