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*Schumpeter étudie le droit et l’ économie à l’ Université de Vienne de 1901 à 1906. Il suit les
cours de Von Wieser et de Böhm-Bawerk. Dès 1908, Schumpeter publie Nature et Contenu
principal de la vie économique; il obtient en 1909 une chaire à l’université de Czernowitz
(actuellement en Ukraine). Puis en 1911, il est professeur à Graz jusqu’en 1913. Dès cette époque,
l’Université de Columbia l’invite aux Etats- Unis (1913).
*Il noue des liens avec l’austro-marxiste Otto Bauer et avec Hilferding. Mais ses principales
influences restent celles de ses professeurs Böhm-Bawerk ainsi que la lecture des oeuvres de
Walras.
*Par amitié pour Otto Bauer et contre toute attente, il accepte le poste de ministre des finances
dans un gouvernement socialiste, en 1919, dans un contexte difficile: celui de l’effondrement de la
monarchie austro-hongroise et des débuts de la République. Les contradictions financières et
politiques étant si importantes, il ne reste que peu de temps à ce poste. Puis il devient président de la
Biedermannbank à Vienne jusqu’à la faillite de celle-ci; cela met un terme à son expérience de
praticien de l’économie.
*Il retourne à sa carrière universitaire (Bonn), mais quitte l’Europe du fait de la montée du
nazisme. Bourreau de travail, généralement pessimiste, son image est celle d’un aristocrate raffiné.
Mais il sait être proche de ses étudiants: de grands disciples vont apprécier son enseignement:
E.Schneider, Stackelberg, Stolper, Sweezy et Samuelson.
*Longtemps limitée, l’audience de Schumpeter n’a cessé de croître après 1975, lorsqu’une
certaine déception s’instaura aux Etats-Unis et en Europe devant la stagflation et la crise
économique. Il devient alors habituel de renvoyer à la dynamique schumpeterienne de l’évolution
du capitalisme, même si celle-ci postule le caractère incontournable des fluctuations cycliques et
même si Schumpeter était très pessimiste quant à la survie du capitalisme.
la systématicité du progrès:
L’innovation, qui consiste à passer de l’invention à la réalisation, et qui est le propre de
l’entrepreneur, tend à devenir une routine, planifiée et organisée, prise en charge par des salariés
spécialisés. « Au romantisme des aventures commerciales d’antan succède rapidement le
prosaïsme, en notre temps où il est devenu possible de soumettre à un calcul strict tant de choses
qui naguère devaient être entrevues dans un éclair d’intuition géniale »(p.187). Comme
parallèlement les obstacles au changement tendent à se réduire au fur et à mesure que la population
dans son ensemble s’habitue au changement, le rôle essentiel de la bourgeoisie , bousculer les
routines, tend à s’effacer au profit d’une bureaucratisation de la vie économique. Ce phénomène
consacre la montée en puissance de ce que Galbraith nomme la technostructure.
Pour Schumpeter, nous assistons donc à une véritable décomposition du capitalisme. Il est
condamné à disparaître, car sa réussite rend la bourgeoisie au mieux inutile, au pire parasite: or le
capitalisme sans la bourgeoisie, pour lui, cela s’appelle le socialisme.
Pour Schumpeter, le socialisme n’est sans doute pas compatible avec la démocratie de type
bourgeoise, des années trente. Cependant, il ne pense pas que la victoire du socialisme doit conduire
inévitablement à la disparition de la démocratie car des formes différentes de ce système peuvent
exister. De plus, selon lui, compte tenu de la discipline individuelle et collective renforcée de la
société socialiste, et de l’allégeance morale spontanée des travailleurs, une telle société pourrait en
fin de compte fonctionner avec moins d’autoritarisme que le capitalisme.
La démocratie-alibi:
Il n’y a pas de relations d’implication nécessaire du socialisme et de la démocratie, puisque la
définition qu’en donne Schumpeter est avant tout instrumentale. Les voiles idéologiques dont
s’affublent les partis politiques ne sont en fait que des marche-pieds dont se servent, pour accéder
au poste de commandement, les professionnels de la politique. Schumpeter se demande si une telle
méthode de sélection restera applicable après le triomphe éventuel du socialisme et sa conclusion
VERS UNE CRITIQUE RAISONNEE DE CAPITALISME, SOCIALISME ET
DEMOCRATIE
Cependant la plus grande originalité de Schumpeter dans son livre Capitalisme, Socialisme et
Démocratie est sûrement sa vision hérétique des marchés au regard des postulats néoclassiques. Sa
réflexion sur les entreprises géantes et de leur propension, du fait de leur taille, à occuper des
positions dominantes sur le marché apparaît comme la construction d’un nouveau système théorique
de concurrence, qui va à l’encontre de l’hypothèse walrassienne d’atomicité du marché. La théorie
de Marshall-Wicksell n’avait pas perdu de vue les nombreux cas sortant du cadre de la concurrence
pure et parfaite, telle qu’ils l’avaient exposée (transparence, atomicité, homogénéité, fluidité,
mobilité, flexibilité des quantités et des prix, ce dernier point propre au modèle de l’équilibre
walrassien prenant ici une importance particulière). De même les classiques n’avaient pas négligé
les exceptions à la concurrence pure et parfaite. A.Smith a souligné l’opposition irréconciliable
entre les intérêts de chaque branche productive d’une part et ceux du public d’autre part et souligné
la facilité pour les capitalistes des se concerter, du fait de leur nombre réduit, pour agir à leur guise
sur les prix et les quantités des différents marchés. Il n’en est pas moins vrai que tous tenaient ces
cas pour des exceptions devant se normaliser à terme. Or Schumpeter écrit que la concurrence pure
et parfaite, condition de l’efficience économique maximale, n’existe pas et qu’au contraire le seul
modèle de concurrence efficient est monopolistique et qu’il est engendré par la dynamique même
qui fonde le capitalisme.
Dans cette perspective les observations de Schumpeter gardent toute leur pertinence, en
particulier en ce qui concerne la rigidité à l’entrée de certains secteurs dans les branches à haute
intensité capitalistique, autrefois la sidérurgie, aujourd’hui l’aéronautique. De même en ce qui
concerne la volonté de chaque producteur de conserver un maximum de pouvoir sur le marché, les
thèses de Schumpeter restent d’actualité. On peut citer en exemple la volonté des entreprises dont
l’activité est très liée à l’innovation technologique, d’imposer sur le marché leur produits comme
Le jugement de Schumpeter sur l’avenir du capitalisme: une vision trop pessimiste
Il est nécessaire de souligner l’enracinement de la réflexion de Schumpeter, dans l’actualité de
son époque. En effet, face au capitalisme, ce n’est pas le socialisme déliquescent de l’ère Brejnev
mais le socialisme planificateur de Staline, qui se présente comme une alternative crédible. Or
même si ce n’est pas à ce modèle que Schumpeter se réfère, il faut prendre en compte l’influence,
au moins du point de vue psychologique, de l’URSS triomphante de l’époque. Il est probable que le
pessimisme de Schumpeter a été entretenu en partie par l’aura du régime stalinien, qui a permis à la
Russie de devenir une grande puissance industrielle. De plus il faut souligner la manière dont les
contemporains voyaient le capitalisme au début des années 40. Pour beaucoup, ce régime était
profondément lié à la dépression économique mondiale dans les années 30 et avait favorisé ainsi la
montée du totalitarisme. Il est donc nécessaire de se remémorer les fractures sociales entraînées par
les excès du capitalisme pour appréhender le besoin de la population des pays européens d'un
système économique leur garantissant une plus grande protection et une meilleure qualité de vie.
L’analyse schumpéterienne est donc indissociable du plan Beveridge (1942) et du programme du
Conseil National de la Résistance, qui prévoyait en 1944 de reconstruire l’économie française
grâce à l’interventionnisme étatique et à la planification (Plan Monnet).
Cependant, sa réflexion sur le caractère inéluctable de la disparition du capitalisme apparaît a
posteriori exagérée. On peut s’interroger sur l’historicisme de la démarche de Schumpeter, lorsqu’il
se demande « s’il est tout à fait correct de considérer le capitalisme comme un type social sui-
generis -une donnée- ou s’il ne représenterait pas le dernier stade de la décomposition du régime
féodal ». Cette remarque montre le caractère paradoxal de l’analyse de Schumpeter, qui souligne
l’importance de la conjoncture lorsqu’il développe les facteurs psychologiques favorisant la
dégénérescence du capitalisme. Mais, en même temps il n’envisage pas un retournement de cette
conjoncture ce qui contribue à nourrir son pessimisme. Or la disparition des occasions
d’investissement et le déclin de la fonction entrepreneuriale ne se sont pas produits; au contraire
c’est l’inverse qui s’est produit lors des Trentes Glorieuses où l’investissement, soutenu par des
taux d’intérêt réels faibles, a joué un rôle clé. De plus, au cours des années 80, la fonction
d’entrepreneur a été réhabilitée. Mais surtout le capitalisme s’est trouvé être très supérieur au
socialisme en terme de « bien-être » et de maintien de l’ordre social. La hausse de la productivité a
bénéficié à la fois aux entrepreneurs et aux salariés.
Conclusion: il faudrait signaler la multiplicité des positions d'analyse prises par Schumpeter
successivement économiste, sociologue, historien, politologue... La diversité de ces points de vue
amène une diversité de l'analyse qui laisse à penser que l'ouvrage de Schumpeter est en fait
composer de plusieurs livres. Une conclusion peut être tirée de l'ouvrage de Francois Perroux, déjà
cité: « la distinction des points de vue de l'histoire et de l'économie fut toujours chez lui
[Schumpeter] fort claire et les vœux qu'il a formés pour la collaboration des disciplines ont été
sincères et opiniâtres.(...) Capitalisme, Socialisme et Démocratie n'est pas une histoire "raisonnée",
c'est un recueil de raisonnements et d'hypothèses qui peut aider l'historien à écrire l'histoire et
l'économiste à découvrir les uniformités de l'évolution économique au sens large, c'est à dire
nullement confondue avec l'innovation. »
BIBLIOGRAPHIE
*J.A Schumpeter, Capitalisme, Socialisme et Démocratie, Paris, Payot, 1961, trad. Gaël Fain.
*François Perroux, La Pensée économique de Schumpeter in François perroux Oeuvres Complètes,
tome 6, Théorie et histoire de la Pensée économique, Marx, Schumpeter, Keynes, 1993, Presses
Universitaires de Grenoble.
*S.M. Lipset Reflections on Capitalism, Socialism and Democracy in Journal of Democracy n°4
avril 1993.