Vous êtes sur la page 1sur 48

PROBLEMES ECONOMIQUES ET

SOCIAUX
Document N° 2
SEMESTRE 3 – SECTION A, B, C, D, E et F

Professeurs : DEBBAGH Bouchra

MAGDOUD Amina

Année Universitaire : 2020/2021


Encadré 1 : Relations entre progrès technique et croissance à
partir des analyses de Schumpeter.

L'intégration du progrès technique dans les théories de la croissance est une difficulté majeure
pour la théorie économique. Le progrès technique apparait le plus souvent comme un facteur
extérieur est inexpliqué.

Joseph Schumpeter (1883-1950) est l'un des rares économistes qui se sont penchés sur ce
problème, ce qui l'a éloigné de l'analyse néoclassique traditionnelle de « l'équilibre général ».
Il demeure l'une des principales références en matière d'innovation et de dynamique
économique.

I. L’ANALYSE DE SCHUMPETER

A. L'INNOVATION AU CŒUR DE LA DYNAMIQUE DU CAPITALISME


Pour Schumpeter, il ne saurait y avoir de capitalisme é l'état stable. L'évolution économique
est marquée par une série de révolutions et par l'alternance de phases d'essor et de stagnation
(cycles longs). Dans cette dynamique économique, les innovations jouent un rôle majeur. Le
progrès technique est pour Schumpeter le moteur de la croissance économique.

a. Le capitalisme est un système dynamique dont l'évolution est cyclique


Non seulement le capitalisme « n'est jamais stationnaire, mais il ne pourrait jamais le
devenir». Il évolue sans cesse mais cette évolution est heurtée : aux phases de prospérité
succèdent les phases de récession. Dès lors que l'amplitude et la périodicité de ces phases
paraissent plus ou moins régulières, il devient possible de les interpréter comme des cycles.
Schumpeter en distingue trois, qu'il tente de combiner pour expliquer l'évolution d'ensemble :
le plus long, le cycle Kondratieff (du nom d'un statisticien russe), s'étend sur environ un demi-
siècle ; il inclut six cycles de Juglar (économiste américain), puisque ceux-ci durent un peu
plus de trois ans chacun. Le cycle long est la manifestation de changements structurels ; le
cycle Juglar est le cycle des affaires, celui auquel se réfèrent généralement les conjoncturistes;
le cycle Kitchin s'explique par les variations de stocks.

L'analyse des cycles pose d'importants problèmes méthodologiques pour extraire un cycle à
partir de données statistiques mais de façon générale, on peut décomposer un cycle en quatre
phases :

 la prospérité se caractérise par l'augmentation du crédit, de la masse monétaire, des


prix, des taux d'intérêt, de la production, de l'emploi... ; c'est donc une phase
d'expansion.
 La récession se caractérise par l'inversion de ces tendances, notamment avec la baisse
de la production et de l'emploi... ; la crise est le point de retournement haut, elle
interrompt brutalement la phase de prospérité et précipite l'économie dans la récession.
 La dépression se caractérise par l'inversion de ces tendances, notamment par un
chômage de masse et la déflation ; elle peut être interprétée comme une phase de
résorption des déséquilibres antérieurs qui prépare la reprise.
 La reprise correspond, comme son nom l'indique, au redémarrage de l'économie ; c'est
aussi le point de retournement bas et le moment du cycle le plus difficile à expliquer.

Schumpeter reprend à son compte l'hypothèse de Clément Juglar selon laquelle il Faut
rechercher les causes de la récession dans la phase de prospérité qui la précède. Si les
récessions et les dépressions sont des phases « d'assainissement », de résorption des
déséquilibres et des tensions créés par les phases d'expansion qui les précèdent, alors ce sont
effectivement ces dernières qu'il convier d’expliquer.

b. Les cinq formes d'innovation


Pour Schumpeter, l’innovation est l’application industrielle d’une invention. Il distingue cinq
catégories d’innovation :

 la fabrication d'un bien nouveau différent ou l'attribution à un bien d'une qualité


nouvelle qui le rend différent (innovation de produit dont un exemple type est la Ford
T)
 l'introduction d'une méthode de production, de transport ou de commercialisation
nouvelle sans qu'il soit besoin qu'elle se fonde sur une découverte scientifiquement
nouvelle. Il peut s'agir d'un procédé commercial ; (innovation de procédé)
 l'ouverture d'un débouché nouveau, d'un marché où, jusqu'à présent, le produit n'a pas
pénétré (conquête ou création d'un marché)
 la découverte d'une nouvelle source de matières premières ou d'énergie (on peut
penser au pétrole) ;
 la réalisation d'une nouvelle organisation productive (groupes, conglomérats) ou de
nouvelles structures de marché (oligopoles, monopoles) (innovation
organisationnelle).

En termes plus contemporains, cette théorie explique la croissance économique par le progrès
technique sous ses deux formes principales : l'innovation de produit et l'innovation de
procédé.

c. Les grappes d'innovation et la destruction créatrice

Les grappes d'innovation

Pour rendre compte du caractère heurté de l'évolution, d'une croissance par «à coups », il faut
supposer que les innovations ne se répartissent pas uniformément dans le temps mais
apparaissent de façon discontinue, « en grappes » (ensemble d'innovations interdépendantes).
Schumpeter parle précisément de grappes d'innovation. Ces grappes d'innovation alimentent
la dynamique et l'essor du capitalisme, puisque lorsque les innovations se développent
l'économie connaît une phase d'expansion. A l'inverse, lorsque les effets de l'innovation
s'épuisent, l'économie traverse une phase de croissance faible, de stagnation voire de
récession.

L'expansion est générée par la dynamique de l'innovation. Les entreprises innovatrices


exploitent l'innovation et grâce au crédit bancaire génèrent l'expansion de l'investissement, la
création de nouveaux biens, la création d'emplois, la hausse du pouvoir d'achat, les profits
élevés font venir sur le marché des imitateurs qui investissent et embauchent à leur tour. La
phase de récession survient quand il y a surinvestissement. L'offre va devenir abondante, les
prix et les profits vont chuter. Avec la surchauffe, un certain nombre d'entrepreneurs ne
pourront plus assurer le remboursement de leurs emprunts ce qui entraînera des faillites avec
des conséquences sur l'emploi. Il faudra alors assainir l'économie et attendre une nouvelle
vague d'innovations pour réamorcer la croissance.

On petit en effet admettre que certaines innovations majeures (par exemple le chemin de fer)
induisent des bouleversements en chaîne (la baisse du coût du transport permet de conquérir
de nouveaux marchés, de se spécialiser...). Ces innovations représentent pour les entreprises
d'importantes opportunités de profits qui les incitent à investir, à créer des capacités de
production et des emplois. Si elles trouvent le financement requis (Schumpeter insiste à cet
égard sur l'importance du crédit bancaire), alors l'essor des branches innovatrices, entraîne le
reste de l'économie, qui s'engage dans un processus cumulatif de croissance soutenue.

La destruction créatrice

Cette évolution s'accompagne ainsi d'une transformation du tissu industriel et des structures
de l'économie. Les innovations bouleversent les conditions sociales et économiques de la
production selon un processus dialectique de destruction et construction. Les innovations ont
un aspect destructeur. elles sont responsables de la marche chaotique du capitalisme à travers
ses grandes crises périodiques. Certaines activités deviennent obsolètes : chaque vague
d'innovations périme des branches entières, obligeant des entreprises à se reconvertir ou à
fermer leurs portes, cela entraîne des destructions d'emplois et du chômage technologique.
Des modes de vie se trouvent bouleversés exemple les progrès de l'agriculture provoquent
l'exode rural, l'urbanisation s'accroît...

Mais les innovations ont aussi un aspect constructif. Elles donnent naissance à de nouvelles
activités ; des créations d'emplois en découlent ; les modes de vie changent.

La dynamique du capitalisme résulte donc d'un processus de destruction créatrice. Il n'y a pas
de croissance régulière et harmonieuse les innovations détruisent les structures anciennes et
en créent de nouvelles.

Ce qu'il conviendrait d'appeler plutôt une « création destructrice », pour désigner cette
tendance périodique à révolutionner les modes de production et de consommation, se trouvé
au cœur de" la dynamique du capitalisme. Son intensité est liée à celle de la concurrence, mais
d'une concurrence imparfaite puisque les entreprises recherchent avant tout un pouvoir de
marché.

II. L'ENTREPRENEUR SCHUMPETERIEN


a. L'idéal-type de l'entrepreneur innovant
L'entrepreneur dans le modèle de Schumpeter est d'abord un type-idéal au sens de Max
Weber. L'entrepreneur est celui qui introduit le changement en ne se conformant pas aux
routines. Il agit en effet dans l'incertain. Seule une très faible partie de la population est
capable de prendre des risques et de comprendre, parmi un nombre important d'invention,
celles qui vont satisfaire le public et avoir de l'avenir. L'entrepreneur est donc un joueur, il
parie sur l'avenir. Il n'est donc pas un simple gestionnaire.

L'entrepreneur n'est pas celui qui découvre (l'inventeur), mais celui qui surmonte toutes les
résistances liés aux habitudes, aux traditions, aux routines pour appliquer l'invention à
l'échelle industrielle et transformer ainsi la réalité économique. Tant qu'il bricole dans son
garage, Ford n'est pas encore un entrepreneur, il le devient quand il fabrique le modèle T
(innovation de produit) puis quand il introduit le convoyeur (innovation de procédé). Il cesse
de l'être lorsque sa gestion devient routinière et qu'il perd alors des parts de marché à
l'avantage de General Motors.

L'entrepreneur se distingue donc par ces traits de personnalité que nous ventent les succès
stories : c'est un homme d'action et de décision, volontaire, que les obstacles ne découragent
.pas, qui n'hésite pas à affronter l'opinion majoritaire, sait prendre des initiatives, convaincre,
imposer son autorité... Pour qualifier les motivations qui pourraient sous-tendre le
comportement de l'entrepreneur, François Perroux insiste dans son ouvrage Marx,
Schumpeter, Keynes (1993) sur « la volonté de puissance, le goût sportif, de la nouvelle
victoire à remporter, la joie de créer et de donner forme à ses conceptions ».

Les entrepreneurs sont des figures d'exception et par conséquent les innovations sont rares. En
revanche, les imitateurs sont plus nombreux et lorsque l'innovation est rentable, ils
contribuent à la diffuser. Schumpeter note à cet égard que le processus d'imitation qui
explique la diffusion de l'innovation en explique aussi la crise puisqu'il conduit des individus
moins compétents à (sur) investir dans les branches en expansion au moment où l'on se
rapproche de la saturation.

b. Un système favorable pour l'entrepreneur


Si de tels entrepreneurs sont caractéristiques du capitalisme, c'est que celui-ci a des propriétés
favorables à leur apparition. En premier lieu, la création de monnaie (financement de
l'investissement par les banques) fournit le pouvoir d'achat nécessaire au lancement de
l'innovation par des agents qui sont à priori dépourvus au départ de capital. Par ailleurs, les
règles du système capitaliste vont sélectionner des individus dotés des propriétés requises : la
propriété privée, la possibilité de protéger l'innovation par des brevets ou parfois des pratiques
monopolistiques ménagent la possibilité de succès éclatant. Ceux qui ne réussissent pas à
s'adapter sont généralement éliminés, et surtout l'incertitude du jeu « tient en haleine » les
entrepreneurs. Sélection et stimulation attirent des « parieurs » qui assureront l'innovation .

c. Le capitalisme « mine les institutions qui le protègent »


L'analyse de Schumpeter laisserait penser qu'il n une vision optimiste de l'avenir du
capitalisme dans la mesure où il observe que le progrès technique favorise une élévation du
niveau de vie dont bénéficie une grande majorité de la population y compris les ouvriers.
Pourtant Schumpeter Considère au contraire que le capitalisme est condamné, du lait même
des transformations que sa dynamique, engendre. Parmi ces transformations, il y a notamment
la concentration des entreprises et leur bureaucratisation. Malgré les opportunités temporaires
offertes dans les périodes d'innovations majeures où se créent de nouveaux marchés, la
tendance de fond est a la concentration, du fait des économies d'échelle, mais aussi pour
atteindre le seuil requis pour financer des investissements lourds dont la recherche et
développement. Or la domination des grandes entreprises annonce le déclin des entrepreneurs
; les managers, mus par une rationalité instrumentale au service de bureaucraties supplantent
ces entrepreneurs tant valorisés par Schumpeter. Surtout, le capitalisme est pour Schumpeter
d'abord un état d'esprit, tin ensemble d'institutions, un système de valeurs. Or, c'est
précisément cela qui se trouve remis en question, qu'il s'agisse de la famille, de l'entreprise
privée, de certaines règles de comportement au sein du monde des affaires...Parmi les vecteurs
de la remise en question, il y a, pour Schumpeter, la classe des intellectuels, dont le nombre
augmente avec le niveau de vie moyen qui remet en question l'économie de la libre entreprise
et la recherchent du profit. Cette montée en puissance des managers au sein des grandes
entreprises bureaucratisées et cet effritement des institutions et de l'idéologie protectrice du
capitalisme ouvrent la voie au socialisme, qui sera un système médiocre mais viable.
Schumpeter ne croit pas à une rémission pour le capitalisme. Il aurait été plus favorable à
l'exploration d'une troisième voie.

 Lorsqu'un ensemble d'innovations s'est généralisé, il nourrit une phase de prospérité,


jusqu'à ce qu'elle soit elle-même devenue une routine non susceptible de nouveaux
progrès significatifs, et que de nouveaux entrepreneurs soient ainsi incités à ouvrir de
nouvelles voies, l'exemple de plus hardis ouvrant la voie aux suivants (grappes
d'innovation). Mais ceci déstabilise l'économie : concurrence ruinant les producteurs
inadaptés, déflation résultant du remboursement du crédit nécessaire à l'innovation.
Une phase de « destruction créatrice » accompagne nécessairement la diffusion du
changement, et l'incertitude qui règne en cette période arrête provisoirement
l'apparition de nouveaux entrepreneurs.
 Notons toutefois que pour Schumpeter, la dynamique du capitalisme conduit au
crépuscule de l'entrepreneur : la bureaucratisation des entreprises et leur routinisation
mettent en péril la capacité à produire de nouvelles innovations. A terme ; c'est
l'existence même du capitalisme qui est remise en cause : celui-ci est victime de ses
succès.
III. LES PROLONGEMENTS CONTEMPORAINS

A. UNE APPROCHE RÉDUCTRICE DU ROLE DE L'ENTREPRENEUR


On peut reprocher à Schumpeter de n'avoir tenu compte que de la hardiesse, de l'esprit
d'aventure de l'entrepreneur. Peut-être ces qualités distinguent-elles les innovateurs les plus
audacieux de la majorité des dirigeants économiques, mais le capitalisme ne suppose pas un
individualisme aveugle. Le succès suppose toujours la mobilisation des hommes et le partage
des gains. Pour cela, l'entrepreneur doit posséder des qualités de négociation et surtout
anticiper la croissance économique, faute de quoi son activité tendra plus vers le
détournement de richesses comme le montrent les difficultés de développement dans certains
pays du Tiers-Monde et surtout, à l'heure actuelle, dans les pays de l'ex-Union soviétique. En
outre, la fonction de sélection des dirigeants par le capitalisme actuel doit être nuancée leurs
fautes ne sont fatales que dans les petites entreprises (qui peuvent être tout aussi innovantes
que les grandes). Les grandes sont protégées par la diversité de leurs activités et la confiance
des banques, ce qui atténue grandement les sanctions de la «destruction créatrice ». Enfin, les
critères recrutement des entrepreneurs ne favorisent pas nécessairement le type des dirigeants
décrits par Schumpeter (diplômes de grandes écoles).

B. LA QUESTION DE L'INNOVATION
Schumpeter ne s'intéresse pas véritablement aux sources de l'innovation- Il considère que
l'entrepreneur bouleverse les conditions d'un marché. Mais beaucoup d'innovations résultent
plutôt d'une recherche méthodique, planifiée et demandent des moyens dont ne disposent que
des grandes entreprises ou des organismes publics : taux d'investissement, dépenses de
recherche-développement sont des facteurs aussi fondamentaux que la sélection d'individus
dotés de la psychologie décrite par Schumpeter. L'innovation est donc aujourd'hui envisagée
comme un processus de création collective. Il ne s'agit pas d'une simple initiative d'individus
isolés. La grande taille des entreprises et la concentration peuvent ainsi favoriser l'innovation
(économie d'échelle en matière de recherche et développement, financement facilité
notamment quand la recherche est coûteuse et aléatoire...). Toutefois, les petites entreprises
peuvent trouver leur place dans les procédés d'innovation notamment lorsqu'elles sont
intégrées au sein de réseaux (comme par exemple dans la Silicon Valley).

C. CROISSANCE ET CYCLES
La notion de cycle long a été largement critiquée car il est difficile d'en repérer
empiriquement l'existence, Pour autant, les économies sont aujourd'hui plus cycliques et
imprévisibles qu'elles ne l'étaient notamment au cours des « Trente Glorieuses ». La vision
Schumpétérienne reste donc d'actualité, Par ailleurs, les théories contemporaines de la
croissance (croissance endogène) ont contribué à réhabiliter le rôle du progrès technique dans
la croissance. Le progrès technique est ainsi essentiel pour la croissance et résulte d'une
activité économique propre : il est donc endogène à l'activité économique, de même que la
croissance qui en résulte.
Encadré 2 : cycles et fluctuations Economiques

I. Définition et description
La succession plus ou moins régulière des périodes de prospérité et de dépression est un fait
historique observé depuis longtemps, et particulièrement depuis la révolution industrielle :
ainsi, la France a connu au dix-neuvième siècle des crises en 1825, 1836, 1847, 1857, 1866,
1873, 1882, 1890,1900. Si le vingtième siècle a été marqué plus par les grandes crises (1929-
33, 1975) que par les crises moyennes périodiques, on peut néanmoins se demander si ces
phénomènes de crises ne suivent pas une loi périodique ou quasi-périodique, c'est-à-dire si les
variables économiques ne sont pas soumises à des cycles. Dans cette hypothèse de
fluctuations cycliques, le comportement de certaines variables économiques (ou toutes) serait
soumis à des lois (plus ou moins complexes) qui se perpétueraient de manière quasiment
permanente et qui constitue- raient un cadre obligé de la vie économique. Si au contraire on
rejette cette hypothèse, les fluctuations conjoncturelles sont considérées comme des accidents
qui ne se répètent pas même s'ils se ressemblent, et la structure cyclique n'est au mieux qu'une
illusion d'optique. Sans prendre parti entre ces deux hypothèses, on insistera cependant dans
ce chapitre sur celle des cycles économiques, qui donne lieu des développements théoriques
plus généraux et nombreux.

1. Différents types de cycles


Les tentatives d'appréciation de la période des cycles (c'est-à-dire de leur durée) ont abouti
essentiellement à distinguer trois types de cycles (nommés selon le nom du découvreur) :

 Cycle de 40 mois ou KITCHIN


 Cycle de 8 10 ans ou JUGLAR (le plus classique)
 Cycle de 50 ans ou KONDRATIEFF

Il existe aussi des cycles d'ampleur particulière, comme les cycles saisonniers (vente de
produits solaires), ou les cycles agricoles.
FIG. 1 – Les cycles de l’économie française : 1979-2001
Variable

FIG. 2 – Les phases du cycle


Il y a plusieurs manières d’étudier diverses phases du cycle ; divers auteurs ont considéré
deux, trois, quatre ou encore cinq phases ; dans le graphique ci-dessous (2), on divise un cycle
en quatre phases1. La phase A représente la haute conjoncture, la surchauffe, ou encore le
sommet ou le pic du cycle ; c’est enfin le point de retournement, passage d’une phase de
croissance à une phase de décroissance.
La phase B est celle où la variable économique décroît : c’est la récession, le début de la
crise et de la liquidation.
La phase C est la basse conjoncture, la dépression, le creux, la crise, la liquidation. C’est le
second point de retournement.
Enfin la phase D est la reprise et l’expansion, voire la prospérité. Tous ces termes sont
évidemment indicatifs et ne visent qu’à définir des phases.

II. Morphologie des cycles économiques

Ce paragraphe décrit le comportement des diverses variables dans le cycle économique. En


effet, elles ne sont pas toutes, ni toujours synchrones.

La variable considérée comme la plus importante pour le repérage de la conjoncture est soit la
production industrielle, soit (éventuellement) le PIB qui apparaît cependant comme trop lisse.
Cette variable est considérée généralement comme centrale dans la définition des cycles.
Étudier la morphologie des cycles, c’est donc étudier le comportement des variables
économiques relativement à la variable centrale.
L’observation montre que les différentes variables peuvent, soit se comporter exactement
comme la variable centrale, soit présenter une amplitude différente, soit être décalées dans le
temps relativement à elle, soit combiner ces deux différences.

2. Variables présentant des différences d’amplitude


Ce sont des variables connaissant des cycles soit amortis, soit amplifiés, relativement à celui
de la production.
Les principales variables présentant des différences d’amplitude sont les suivantes :
 La production des biens durables (automobiles, réfrigérateurs) varie avec plus
d’amplitude que celle des biens non durables (vêtements, nourriture), qui elle-même est
plus variable que la production de services.
 les ventes des producteurs varient plus fort que celles du commerce de gros, qui
elles-mêmes varient plus que celles du commerce de détail.
 les prix industriels varient avec plus d’amplitude que les prix de gros, et a
1
Juglar par exemple distingue les trois phases de prospérité, crise et liquidation ; Jevons et le comité Harvard
ont distingué cinq phases : resserrement ou dépression, cours normal des affaires ou rétablissement, grande
animation ou prospérité, spéculation effrénée ou tension, krach ou crise industrielle.
fortiori de détail. À noter que les prix ont eu pendant longtemps un com- portement
procyclique, comportement qu’ils ont perdu en apparence au mo- ment des années de
grande inflation (deuxième moitié du XXème siècle).
 l’investissement privé connaît des fluctuations plus amples que celles de la
production et de la consommation finale.
 les profits fluctuent de manière plus ample que les autres revenus : salaires,
dividendes, intérêts.
 le taux de chômage (comportement anticyclique) a des fluctuations amorties
relativement à celles de la production.
 les taux d’intérêt ont un comportement procyclique qui est amorti pour ce qui
concerne les seuls taux long terme.

3. Variables décalées dans le temps


Une variable décalée dans le temps connaît un cycle qui est soit en avance, soit en retard sur
celui de la production.
Les principales variables en avance sur la production sont les suivantes :
 Les nouveaux projets d’investissement : création d’entreprises ; nouveaux contrats de
construction ;
 les commandes de biens d’équipement ;
 les nouvelles émissions de capital à la bourse (par contre les réalisations
d’investissements sont plus continues et présentent moins de décalages).
 les anticipations des agents semblent en avance sur la production.
 les profits unitaires sont en avance, surtout dans les phases de récession.
 les profits totaux aussi, mais avec une avance moindre.
 la productivité du travail présente une légère avance.
Au centre, synchronisé aux variations de la production, on trouve le taux de chômage (mais
amorti).
Les principales variables en retard sont :
 la durée moyenne du chômage
 le chômage de longue durée
 les stocks des entreprises
 le coût réel unitaire du travail
 la part du travail dans le revenu national (contracyclique)
 les taux d’intérêt à court terme
 la masse totale du crédit.

III. Les théories économiques du cycle

Les explications des cycles économiques se rangent en deux catégories : les unes sont
exogènes, les autres endogènes.
Les approches exogènes sont celles qui attribuent la cause des cycles ou des fluctuations à des
éléments extra-économiques. Les approches endogènes voient la cause dans la structure ou
dans le fonctionnement du système économique lui- même.
Il n’est pas toujours facile de ranger une théorie dans l’une ou l’autre de ces catégories, qui se
recouvrent en partie (par exemple, pour ceux qui pensent que la politique économique peut
causer les crises, il est difficile d’affirmer que cette politique est totalement exogène, ou
qu’elle est totalement endogène).

1. Théories éxogènes
Les théories éxogènes peuvent se référer à des phénomènes purement naturels ou des
phénomènes humains. Dans les phénomènes naturels, on a pu avancer comme cause des
cycles la fertilité du sol, qui est elle-même parfois cyclique : alors, la production agricole est
cyclique et l’ensemble de la production suit. Une autre hypothèse célèbre est celle des taches
solaires, phénomène périodique dont William Jevons au XIXème siècle avait constaté qu’il était
bien corrélé, statistiquement, aux cycles de production.
Comme facteurs humains, on cite : pour les cycles longs, les phénomènes de population, les
"grappes" de progrès technologique (Schumpeter) ; pour les cycles courts et moyens, les
phénomènes monétaires ou fiscaux - quand on les considère comme extra-économiques -, les
mécanismes politiques (élections).
Toutes ces théories éxogènes s’appuient nécessairement sur une cause extérieure, et sur un
mécanisme économique, qui transforme l’impulsion extérieure en phénomène cyclique. Ce
mécanisme doit lui-même être conforme aux lois économiques (par exemple, si un
gouvernement relance les dépenses budgétaires peu avant les élections mais les freine juste
après, il doit en résulter un effet expansionniste puis dépressionniste sur la production).

2. Théories endogènes
Ce sont les théories qui prennent comme cause des cycles des phénomènes internes au
système économique. Il peut s’agir de mécanismes monétaires, liés à la production, la
répartition du revenu.

Mécanismes monétaires La théorie du cycle de Juglar (médecin français ; 1819- 1905) est
avant tout centrée sur le crédit bancaire, qui se développe de plus en plus rapidement durant
l’expansion, jusqu’au moment où les banques sont incapables de rembourser leurs créanciers,
c’est-à-dire les déposants, qui peuvent réclamer leur or à tout moment (nous sommes au
XIXème siècle, sous le régime de l’étalon- or), alors que les banques l’ont utilisé pour financer
des crédits à court, moyen ou long terme, donc l’ont immobilisé ; l’or est indisponible et les
déposants, inquiets, vont tous demander leur dû en même temps : d’où la faillite d’une
banque, puis, par contagion (de la panique), d’autres banques parmi les moins solides.
La théorie de Juglar peut paraître imparfaite dans la mesure même où elle re- pose sur le
constat des crises bancaires, phénomène qu’on peut considérer comme propre au système
d’étalon-or, qui n’est plus en vigueur, alors que les crises existent encore.
Cette théorie reste cependant une des premières et des plus suggestives des théories
endogènes.
Chez Hawtrey, le crédit bancaire est fondamentalement instable du fait de l’in- stabilité des
réserves en or ; il en résulte des fluctuations de l’investissement qui se transmettent dans
l’économie.
Pour Wicksell, le déséquilibre monétaire est aussi la cause des cycles ; c’est la disparité entre
le taux d’intérêt naturel et le taux d’intérêt monétaire qui est le phénomène central.

Le taux naturel est celui qui résulte des seules forces réelles de l’économie : les ressources, les
techniques de production et les préférences des agents ; il égalise l’offre et la demande réelles
de fonds sur les marchés de capitaux (on voit que le taux naturel n’est pas la même chose que
le taux d’intérêt réel). Le taux monétaire est influencé, outre ces facteurs, par les facteurs
monétaires : expansion de la masse monétaire, variation du taux de change, etc.
Mais c’est le seul taux sur les marchés, le taux naturel étant invisible. Les agents fixent donc
leur conduite de prêt et d’emprunt sur le taux monétaire, mais s’il n’est pas égal au taux réel,
l’offre et la demande de fonds ne sont pas égales, ce qui entraîne des déséquilibres cumulatifs
sur les autres marchés, et donc la crise.

Utilisation du revenu Certaines théories du cycle se fondent sur une mauvaise répartition de
la dépense finale, et en particulier sur un excès d’épargne et donc une consommation
insuffisante. Les théories de la sous-consommation ont été avancées au début du XIXème
siècle par le suisse Sismondi, l’anglais Owen, puis par Hobson, un autre anglais, fin XIXème
siècle et par Keynes et les keynésiens au XXème.
De manière générale, cette approche ne constitue pas une théorie des cycles, mais une théorie
des crises qui entend expliquer le chômage durable, les dépressions persistantes. On notera
cependant qu’en combinant l’accélérateur.et le multiplicateur keynésien, des auteurs comme
Samuelson et Hicks ont pu élaborer un modèle mathématique de cycle (l’oscillateur).
On reviendra sur cette approche dans la seconde sous-partie de cette partie.
Structure de la production Selon d’autres approches, souvent qualifiées de théories du sur-
investissement, c’est un déséquilibre entre production de biens de consommation et
production de biens d’investissement (ou dans la structure de production de biens
d’investissement) qui joue le rôle moteur des crises.
Un des phénomènes qui a pu amener cette théorie est celui de projets d’investissement qu’on
n’arrive pas à terminer, faute de capitaux ; ce phénomène accompagne (et donc cause peut-être)
les crises du XIXème siècle, particulièrement dans le secteur des chemins de fer où on a vu
beaucoup de projets abandonnés. Il n’y avait donc pas assez d’épargne en face de projets
d’investissement trop ambitieux.
Sur-investissement signifie donc insuffisance d’épargne. Le russe Tugan-Baranowski
en 1894, pour les fluctuations longues, l’allemand Spiethoff en 1925, pour les cycles courts,
ont avancé cette hypothèse. La théorie autrichienne du cycle, formulée par Ludwig von Mises
( partir de 1916) et développée essentiellement par Friedrich Hayek (en 1931) constitue une
élaboration de cette idée, voisinant avec la théorie monétaire de Wicksell.
Du fait d’un désajustement entre taux réel et taux monétaire, ce dernier étant trop bas, les
investisseurs se lancent dans de nouveaux investissements, plus capitalistiques que
précédemment (ils croient que le prix du capital relativement au travail a diminué, et changent
donc la structure de leur équipement). Mais le taux naturel n’a pas changé, et ils ne pourront
réaliser les investissements en excès de l’épargne que grâce à une baisse des salaires réels,
qui constitue une épargne forcée.
Au fur et à mesure de l’expansion, les salaires réels reprennent leur niveau antérieur et le
dépassent même, et l’épargne devient réellement insuffisante ; la réalité du sur-investissement
apparaît alors à tous ; il faut revenir à des méthodes de production moins capitalistiques (ou
moins longues, car les autrichiens identifient la durée de production avec son caractère
capitalistique), c’est-à-dire liquider en partie les investissements précédents.
C’est le début de la crise, et elle durera jusqu’à ce que la structure du capital corresponde à
nouveau avec les données du marché des fonds.

Analyses modernes La théorie des cycles tente de se renouveler depuis une quinzaine
d’années. La théorie du cycle réel essaie ainsi d’élaborer une nouvelle approche fondée sur
l’hypothèse que les marchés sont toujours en équilibre, y compris pendant les cycles ; ceux-ci
ne seraient alors pas des manifestations de déséquilibres économiques, mais de variation des
anticipations des agents.

IV. Les politiques anticycliques

La politique à adopter vis–vis des fluctuations économiques dépend essentiellement des


réponses à deux questions :
1. la structure des fluctuations est-elle irrémédiablement cyclique, et pour cette raison hors de
la portée de la politique économique, ou s’agit-il simplement d’instabilité ?
Si la structure de l’économie est fondamentalement cyclique (type taches du soleil), alors on ne
peut pas eséprer abolir cette structure cyclique, mais on peut seulement prétendre l’atténuer.
Si au contraire aucune raison n’impose à l’économie cette structure périodique, alors on peut
espérer rendre, par une politique appropriée, l’économie aussi stable que possible
2. Quel est le bon modèle des fluctuations ? Il est clair que le remède sera très différent si on
adopte une théorie de la sous-consommation de ce qu’il sera si on se réfère à l’insuffisance
d’épargne (qui est le phénomène inverse).
Encadré 3 : Joseph Schumpeter, les cycles économiques et les
innovations technologiques

Joseph Aloïs Schumpeter, économiste et historien de l’économie, nait le 8 février 1883 à


Triesch, en Moravie (partie de l’ancien empire austro-hongrois). Il meurt le 8 janvier 1950 à
Taconic dans le Connecticut aux États-Unis, suite à une hémorragie cérébrale. Il est connu
pour avoir été un des fondateurs d’un certain évolutionnisme économique, ses théories étant
basées essentiellement sur les innovations technologiques.
Joseph Schumpeter s’intéresse à l’analyse de l’histoire de l’économie et au lien entre
économie et sociologie. Ses théories représentent des analyses fines de l’économie de son
temps et de la complexification des théories économiques.

Schumpeter prend comme unité sociologique le personnage de l’entrepreneur, et comme


repères historiques les grandes innovations. À partir de cela, il construit une analyse des
cycles économiques et des fluctuations de ceux-ci dans l’histoire en fonction de ses repères
historiques et sociologiques.

L’étude des cycles économiques et des innovations technologiques sont les deux apports
principaux de ses théories. Au début du XXème siècle, c’est un pas en avant conséquent dans
l’économie théorique que de montrer qu’on peut créer de nouveaux outils d’analyse de
l’histoire de l’économie, en ajoutant des variables à l’outil bien connu qu’est l’équilibre de
marché. En marge des théories classiques, Schumpeter réussit tout de même à se faire une
place importante dans les milieux intellectuels américains. Dès 1927 il enseigne à Harvard et
dès 1937 il préside l’American Economic Association.

Les cycles économiques et les innovations technologiques

L’équilibre et le « voisinage de l’équilibre »


Schumpeter prend comme premier outil d’analyse l’équilibre économique classique. En
effet, il utilise ce dernier pour montrer qu’on peut l’employer pour faire des analyses
grossières des situations économiques et des leurs causes. Notamment, la première phase de
son analyse des cycles économiques se base sur l’équilibre économique tel qu’il est théorisé
par les économistes de l’école classique.
En revanche, pour faire des analyses plus fines il faut se détacher un peu de cet équilibre.
C’est pour cela qu’il utilise souvent la notion de « voisinage de l’équilibre« , faisant
référence à une situation où l’on tendrait vers l’équilibre sans vraiment l’atteindre (du fait de
la nature abstraite de cet équilibre). Ce concept de « voisinage de l’équilibre » lui est très utile
afin d’ancrer un peu plus sa théorie dans la réalité sociale. Son but étant de confronter
l’économie et la sociologie, l’idée d’équilibre pur serait trop éloignée de la société dans
laquelle il vit pour être crédible.
L’entrepreneur – ancrage sociologique
L’entité de l’entrepreneur est le moyen qu’a trouvé Schumpeter de rapprocher ses théories
économiques des propositions de la sociologie. En effet, l’économie classique propose un
agent économique calculateur et faisant inévitablement appel à une seule et même rationalité.
Maximiser les gains en minimisant les risques, voici le seul calcul qu’exécute l’agent de
l’économie classique.
Pour se démarquer de cela, Schumpeter propose le personnage de l’entrepreneur. Celui-ci
permet d’appréhender un état d’esprit propre à des agents importants de l’économie possédant
au moins deux caractéristiques: le pouvoir de commandement au sein d’une entité quelconque
et l’accès au crédit. L’entrepreneur est un meneur dans le domaine de l’économie: il prend les
décisions et surtout il les applique. Ainsi, il doit se concentrer sur le futur proche et agir
rapidement. Il est donc impossible et improductif pour lui de prendre en compte tous les
paramètres comme le ferait le décideur de l’économie classique. L’entrepreneur de
Schumpeter se démarque encore du décideur de l’économie classique en ce sens que son but
n’est pas la maximisation de ses propres gains. En effet, l’état d’esprit de l’entrepreneur est
autre: c’est un rêveur. Il souhaite créer et prospérer en dépit des autres, il est plus intéressé par
le « territoire » que par les richesses. Le but de l’entrepreneur est de construire un empire, non
d’accumuler le plus d’argent possible.

Les « grappes » d’innovations – ancrage historique


Après la définition d’une unité sociologique, il faut passer à l’ancrage historique. À la suite de
plusieurs autres économistes, Schumpeter s’intéresse à l’évolution de l’économie dans
l’histoire, à ses crises ainsi qu’à ses années fastes. Afin de se fixer des points de repère d’où
commencer son analyse, Schumpeter identifie des « grappes d’innovations« , c’est-à-dire
des périodes données dans lesquelles des innovations ont porté leurs fruits en en ont engendré
d’autres. Le terme de grappes fait référence à toutes les innovations découlant de la première.
Par exemple, la création du réseau Internet est une innovation qui a permis des milliers
d’autres innovations. Toutes ensemble, ces dernières représentent une grappe d’innovations.
Pour pousser l’analyse le plus loin possible, il faudrait faire une étude détaillée de toutes les
implications (sociales, politiques, historiques, religieuses, etc.) qu’une seule innovation a pu
avoir. Pour faire cela avec l’exemple d’Internet, il faudrait encore attendre quelques temps
afin de pouvoir intégrer toutes les conséquences – plus ou moins éloignées dans l’espace-
temps – de cette innovation, ce qui représente un travail d’analyse colossal. C’est pourquoi
Schumpeter s’arrête aux « grappes d’innovations » permettant déjà une analyse de certaines
périodes phares de l’histoire de l’économie.

Les modèles de cycles économiques et les différentes analyses


Schumpeter s’est attelé à l’étude des cycles économiques à travers l’histoire. Cette dernière se
déroule en deux temps principaux, pour deux analyses différentes. La première est une
analyse que l’on peut qualifier de grossière, qui utilise un modèle de l’économie classique:
l’équilibre. Pour une étude à très long terme, Schumpeter défend ce modèle d’équilibre car il
représente la tendance moyenne de l’économie à travers l’histoire, sa courbe moyenne. En
effet, dans une analyse que l’on peut qualifier de « macro », Schumpeter relève deux
tendances visibles: la première est constituée de la « grappe d’innovations » et de
la prospérité qui s’ensuit; et la seconde de la fin de la croissance provoquée par la grappe et
de la récession comme conséquence de celle-ci. L’idée de cycle vient évidemment du fait
qu’après une récession vient immanquablement le temps d’une nouvelle grappe d’innovation.
La seconde analyse des cycles est un peu plus fine et se base sur ce que Schumpeter appelle «
le voisinage de l’équilibre ». Dans une situation comme celle-ci, l’économie tend vers
l’équilibre mais ne l’atteint jamais vraiment. Grâce à ce postulat supplémentaire, Schumpeter
peut relever deux tendances de plus dans l’étude des cycles. Il y a toujours la prospérité et la
récession, et viennent s’ajouter, postérieurement à ces deux phases, des phases
de dépression et de reprise. Ces deux phases représentent le lien entre les cycles. Après la
récession vient une phase de dépression qui pousse à l’innovation technologique et cette
dernière permet d’entrer dans une phase de reprise – caractérisée par des tentatives
d’innovations – précédant la phase de prospérité suivante.
L’analyse de ces cycles est pertinente du point de vue de l’analyse de l’histoire de l’économie,
mais Schumpeter voit un problème lorsque l’on veut utiliser les cycles pour prévoir ce qu’il
va arriver: il y a trop de variables inconnues pour pouvoir prédire l’avenir. De plus, des
facteurs sociaux sont à prendre en compte, puisque les agents sont capables de changer de
rationalité à tout moment, comme dans l’exemple de l’entrepreneur. C’est aussi ce qui fait de
Josef Schumpeter un économiste contemporain: il pense l’économie au-delà des théories
classiques et met en avant le fait que celles-ci sont pratiques pour un certain niveau d’analyse,
mais elles ont leurs limites, de même que la théorie des cycles économiques.

Bibliographie commentée
Schumpeter, J. A. (1999). Théorie de l’évolution économique: recherches sur le profit, le
crédit, l’intérêt et le cycle de la conjoncture. Paris: Dalloz. (Oeuvre originale publiée en
1911).
Dans cet ouvrage, Schumpeter développe ses concepts d’entrepreneur et de grappe
d’innovations. Ces derniers lui permettent de montrer l’évolution de l’histoire de l’économie à
travers des bons repères. Ici, on parle de l’évolution au sens fort, c’est-à-dire en parlant du
progrès qu’accomplissent les entrepreneurs: en menant à bien les innovations ce sont eux qui
font avancer l’économie vers un potentiel meilleur jour.
Schumpeter, J. A. (1982). Business cycles: a theoretical, historical and statistical analysis
of the capitaliste process. Philadelphie: Procupine Press. (Oeuvre originale publiée en 1939).
Cet ouvrage de Schumpeter est probablement celui qui a été le moins populaire, en partie
parce qu’il ne faisait qu’étoffer le précédent, mais il contient tout de même des éléments
importants de la pensée de l’économiste autrichien. Tout d’abord, on y remarque le début du
changement d’opinion de Schumpeter sur l’avenir du capitalisme. Ensuite, ce livre apparaît
comme précurseur en matière d’analyse historique de l’économie et du monde des affaires.
Schumpeter, J. A. (1979). Capitalisme, socialisme et démocratie. Paris: Payot. (Oeuvre
originale publiée en 1942).
C’est probablement le plus grand succès littéraire de Schumpeter. Il revient à une perspective
historique classique sur l’économie, en montrant l’évolution du capitalisme. Il passe en revue
les doctrines marxistes, auxquelles il demeurera très attaché. Ensuite, il pose une série de
questions ayant pour but de savoir si le capitalisme peut continuer à prospérer, et si le
socialisme peut émerger en cas de faillite du capitalisme. Et finalement, Schumpeter portera
une attention particulière à la démocratie et à son statut d’idéal qu’il conteste. Pour lui, il
s’agit d’un arrangement politique comme un autre, mais rien de particulier ne lui donne un
statut supérieur.
Références
Medearis, J. (2009). Joseph A. Schumpeter. New-York, Londres: Continuum.
Quiles, J.-J. (1997). Schumpeter et l’évolution économique: circuit, entrepreneur, capitalisme.
Paris: Nathan.
3. Conclusion :
quelques pistes de réflexion
pour une croissance meilleure

104.Le progrès économique nécessite inexorablement le débat, la transparence sur les motifs
de prise de décision et une liberté d’accès à l’information. Sur tous ces points, le Maroc accuse
un retard considérable.

Pour conclure ce travail, récapitulons les grandes lignes :


(a) Les progrès réalisés au cours de la décennie passée sont réels. Cependant ils sont à nuancer
car la base de comparaison, à savoir les années 90, est trompeuse. Du point de vue de
la croissance, le Maroc était à son plus bas niveau historique depuis l’indépendance à
la fin des années 90; ainsi il est aisé de mettre en avant les progrès du Maroc après cette
date.
(b) Contrairement au climat d’autosatisfaction prévalent, si le Maroc a bel et bien crû
plus rapidement depuis 2002-2003, cela s’est fait dans une conjoncture extérieure très
favorable et avec l’aide de conditions pluviométriques clémentes. Une rapide comparaison
avec la performance d’autres pays émergents remet les choses en perspective : le Maroc a
plutôt moins profité de la forte période de croissance mondiale entre 2002 et 2008 et,
à plusieurs égards, a été moins performant que ses concurrents (y compris en termes de
croissance, d’attractivité d’investissements étrangers…etc.).
(c) Les indicateurs internationaux, pour contestables qu’ils puissent être, sont relativement
unanimes : le Maroc n’a pas réalisé de progrès significatifs dans la plupart des classements.
En tant que tel, cela n’est pas un problème étant donné les méthodologies de ces travaux,
mais cela indique ;
(d) Le Maroc ne peut construire sa stratégie de développement économique sur les seuls
secteurs du tourisme, de l’immobilier et de l’infrastructure. L’immobilier est un secteur
improductif qui introduit des distorsions spéculatives et inflationnistes potentiellement
graves dans l’économie, et induits des effets négatifs tels la désindustrialisation et une
augmentation des prix des biens non échangeables. L’argument social est peu recevable,
car s’il est évident qu’une politique de logement social volontariste est une composante
clé de toute politique sociale digne de ce nom, il y a d’autres moyens d’aboutir à des
résultats meilleurs et à moindre coût. Concernant le tourisme, s’il s’agit là d’un secteur
économique à part entière qui mérite d’être encore plus développé, il ne peut à lui
seul être le moteur de croissance que certains s’imaginent. Il faut aussi réaliser qu’une
économie trop dépendante du tourisme court le risque d’une spécialisation prématurée
irréversible. Quant à l’infrastructure, il s’agit là d’une condition nécessaire mais non
suffisante à la croissance : il y a beaucoup à faire encore en la matière, mais il faut
s’astreindre à rationaliser les dépenses d’infrastructure (et notamment faire les arbitrages
qui s’imposent au regard du retard social du Maroc), éviter les éléphants blancs, mais
en aucun cas, il ne faut se faire d’illusions : s’il suffisait de construire des routes, des
ports, des aéroports et de bétonner à tout va pour devenir un pays à fort niveau de
développement, cela ce saurait…

80
105. Au total, et malgré encore une fois l’amélioration enregistrée, la croissance marocaine
demeure en deçà des niveaux nécessaires pour assurer le décollage économique du pays et lui
permettre de rejoindre le club des pays à revenus intermédiaires en l’espace d’une génération.
Pour ce faire, le Maroc devrait enregistrer en moyenne une croissance de son PIB/habitant en
termes réels de l’ordre de 5%-7% par an, soit en termes de croissance et en supposant un taux
stable d’accroissement de la population de 1%, réussir une croissance moyenne en termes
réels de 6% à 8% en moyenne. Force est de reconnaître que nous sommes encore loin du
compte.

106. Nous ne pouvons donc que conclure que le Maroc n’a pas de stratégie de développement
économique visible ou évidente. Bien que de nombreux " plans stratégiques ", politiques
sectorielles soient mis en place, il est difficile de trouver des éléments tangibles et factuels
soutenant la thèse qu’il existe bel et bien une stratégie économique cohérente. Certes, il faut
saluer les efforts faits par certains des nouveaux décideurs publics – un certain nombre d’entre
eux déployant des efforts démesurés et très probablement sincères pour mettre en œuvre leurs
actions. Hélas, l’important demeure le résultat et non l’action : malgré nos dépenses d’énergie
et d’argent, le recours aux cabinets de conseil étrangers, l’arrivée d’une nouvelle génération
de " managers " publics formés aux meilleures écoles académiques et professionnelles, sur la
dernière décennie, nous avons " fait " moins bien en matière de croissance que la Tunisie,
l’Egypte, ou la Jordanie, sans parler bien entendu des pays asiatiques ou mêmes de certains
pays d’Amérique Latine… Et encore hélas, les dernières prévisions de croissance à moyen
terme du FMI nous placent encore parmi les pays les moins performants en termes de
croissance à court terme dans la région 135.

107. Alors ? Quelles sont les causes profondes qui empêchent le développement d’une stratégie
économique cohérente qui permettrait de nous catapulter vers un autre palier de croissance ?
En ligne avec la science économique du développement, nous examinons les déterminants
profonds de la croissance qui sont aujourd’hui par les économistes du développement traitant
ces questions fondamentales : (a) la géographie (l’idée étant que les ressources naturelles d’un
pays, son climat et sa localisation géographique sont des déterminants de sa croissance) ;
(b) l’ouverture économique (la tradition économique néo-classique met en avant le rôle
du commerce comme un facteur de développement); et (c) les institutions (au sens des
déterminants des règles du jeu économique).

108. Dans le cas du Maroc, les facteurs géographie et ouverture économique sont à éliminer
car le Maroc a une position géographique d’exception et a fait le choix d’une économie
de marché ouverte avec moults accords de libre échange déjà signés (le Maroc est à 13 km
de l’Espagne qui est un pays riche et industrialisé – malgré ses difficultés actuelles –, et il
est difficile d’argumenter que le Maroc est un pays peu intégré dans les flux d’échanges
mondiaux). Restent donc les institutions…

109. Et en matière institutionnelle (au sens large du terme), force est de reconnaître que le Maroc
soufre de carences majeures. La thèse que ce rapport soutient est que l’absence d’une stratégie
de développement économique dont le Maroc pâtit est due à deux contraintes majeures, des
" méta-contraintes ": (a) un système de gouvernance économique structurellement déficient;
(b) l’analphabétisme économique des décideurs économiques – ou de certains d’entre eux en
tous cas.

135
IMF, World Economic Outlook, avril 2010.

81
110. La gouvernance économique déficiente se caractérise par : (a) un fonctionnement en
" mode dégradé " des contrôles usuels qui existent ou devraient dans le système de gouvernance
marocain – Parlement, Cour des Comptes, administration…etc ; (b) de plus en plus hélas, par
une circonvention pure et simple de ces contrôles; (c) par la prise de décisions servant sciemment
des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général; et (d) par l’absence pure et simple des
instruments de base qui caractérisent un système de gouvernance fonctionnel – par exemple, des
instances d’évaluation rigoureuse, ou des instances de vérification a priori qui pourraient éviter
l’adoption et la mise en œuvre irréfléchie de stratégies commandées à des cabinets de conseil.

111. L’analphabétisme économique lui se caractérise par la prise de décisions en toute bonne foi,
mais sans le recul et le discernement économique nécessaire. Ainsi, il est possible d’ignorer, en
toute bonne conscience et sincérité, les enseignements et les leçons de l’expérience économique.
Il est ainsi fréquent de croiser des hauts commis de l’Etat manquant d’une culture économique de
base : il leur est ainsi difficile de considérer différentes perspectives et de poser les bonnes questions
avant l’adoption d’une politique publique donnée. C’est ainsi par exemple que peu de personnes
se souviennent des risques associés à une expansion non contrôlée des entreprises publiques ou des
risques associés à la formation de bulles spéculatives, etc.

112. Bien entendu, nous ne questionnons pas les hommes, mais un système de gouvernance
économique : c’est la structure et l’organisation du système politique marocain qui, à notre sens,
piège le Maroc dans un équilibre sous-optimal. Et c’est cela qui pousse les décideurs économiques
vers les deux écueils connus de la politique publique : (a) le refus de la décision politique au
sens noble du terme – pas de réformes politiques majeures à quelques exceptions près, mais des
" plans stratégiques "; et (b) la tentation de la verticalité sectorielle au détriment de la transversalité
multisectorielle.

113. Ce système n’est aujourd’hui propice ni à faire émerger les consensus économiques (et
par extension sociaux) nécessaires, ni à faire les arbitrages requis par l’intérêt général (parfois
douloureux), ni à établir les systèmes de contrôle ex ante et ex post indissociables de la pratique
moderne de l’action publique, ni à développer les mécanismes de coordination et de transversalité
nécessaire, ni à développer les cultures de responsabilité, de transparence et de débat essentielles
pour moderniser un pays. Tous ces éléments sont consubstantiels à une stratégie de développement
économique volontaire et à la conduite rigoureuse des politiques économiques publiques. Et
c’est en ce sens que le déficit de démocratie dont souffre le Maroc se paie au prix fort en matière
économique : non pas qu’une évolution vers une démocratisation complète soit la recette magique
qui résoudrait tous nos problèmes économiques, mais c’est le seul instrument à notre disposition
pour définir, créer le consensus, faire les arbitrages nécessaires et mettre en œuvre les axes prioritaires
du développement économique du pays à moyen terme (le Maroc ayant rejeté l’option du retour
en arrière autocratique).

114. En conclusion de ce travail, nous souhaitons terminer sur une note optimiste et proposer
quelques pistes de réflexion pour prolonger le débat. Mais précisons d’emblée que nous n’avons
pas de recettes toutes faites à donner, et ce pour une raison quasiment philosophique : loin de
la tentation technocratique, nous partons d’un principe de modestie bien établi maintenant en
économie du développement. Le développement est un processus d’apprentissage et de construction
institutionnelle. Personne aujourd’hui ne peut prétendre détenir la clé du développement économique
du Maroc, car cette clé est détenue collectivement par les Marocains, leur classe politique, et leurs
dirigeants économiques et administratifs.

115. En effet, le développement économique et social ne se décrète pas, n’est pas un problème
" technique " qui se résout. Au contraire, et nous appuyant sur les avancées économiques modernes,

82
l’objectif des dirigeants économiques publics doit être avant tout d’identifier les priorités et de
faire émerger le consensus nécessaire autour de ces priorités (et bien entendu autour des moyens
nécessaires). Le but des politiques publiques réussies n’est pas de trouver la " solution " à un instant
" t " à un problème donné : c’est au contraire de construire les institutions et les mécanismes qui
pourront trouver à tout moment les solutions aux problèmes actuels et futurs qui ne manqueront
pas de se présenter. En un mot, le développement est un processus, et non une série de solutions
" techniques ", qui vise à munir les peuples des moyens (les institutions) nécessaires pour qu’ils soient
en mesure de résoudre les problèmes auxquels ils sont et seront confrontés. Et c’est pourquoi, il faut
se méfier des tentation simplistes telles que la tentation technocratique (car un technocrate est, par
définition, un homme seul et donc un " impuissant politique " lorsque son travail fondamentalement
est un travail de prise de décision politique), ou la tentation du contournement des obstacles (s’il est
légitime de séquencer les problèmes, d’être fin tacticien par moments dans le traitement politique
des questions de fond, il est moins acceptable de refuser de traiter les problèmes) ou encore la
tentation de l’activisme et du mouvement (car il faut trouver l’équilibre nécessaire entre action et
réflexion) ou enfin, la tentation de la verticalité dans la conduite des politiques publiques (car si
une action sectorielle est souvent nécessaire, il est rare qu’elle ne nécessite pas, en complément, une
action transverse).

116. Il est ainsi possible d’être optimiste aujourd’hui : les deux méta-contraintes que nous identifions
comme la cause profonde de nos maux en deuxième partie de cette contribution, ne sont pas si
difficiles que cela à lever, au moins partiellement et de manière effective. En effet, le Maroc avance
et progresse malgré tout comme l’attestent certains succès dont nous pouvons nous prévaloir dans
le domaine économique, comme par exemple la stabilité des fondamentaux macro-économiques, la
bonne tenue de notre secteur touristique, ou encore l’émergence et le développement d’entreprises
marocaines " leader " (que ce soit dans le secteur bancaire, industriel ou des technologies de
l’information).

117. Ainsi, il est aujourd’hui possible d’envisager, des manières progressives de lever partiellement les
méta-contraintes que nous évoquons : a minima, il serait possible d’exiger la transparence sur tous les
"plans" qui sont mis en œuvre; il serait possible d’envisager que les responsables gouvernementaux
exercent plus complètement leurs prérogatives; il serait possible d’imaginer un processus par lequel
un débat est organisé sur les grandes orientations économiques avant qu’elles ne soient figées dans
un contrat programme signé devant le roi; il serait possible d’exiger des dirigeants économiques
d’inclure des indicateurs d’impact appropriés et des outils de mesure de la réussite de leurs plans avant
que ceux-ci ne soient mis en œuvre 136; il serait possible d’envisager la création d’une institution de
vérification et d’analyse contradictoire des " plans " proposés ou des politiques publiques envisagées
(à l’exemple un peu du Congressional Budget Office aux États-Unis) avant que celles-ci ne soient
mises en place; il serait possible de créer une instance rigoureusement indépendante d’évaluation des
politiques publiques qui, de manière impartiale et en toute transparence, évaluerait les politiques
publiques et publierait les résultats de ces évaluations, etc.

118. Comme on peut le constater, les pistes ne manquent pas, à commencer par un effort
supplémentaire de transparence et d’acceptation du débat contradictoire d’idées, car « il faut écouter
beaucoup et parler peu pour bien agir au gouvernement d’un Etat » 137. C’est dans cette perspective que
s’inscrit cette contribution. 

136
Bien entendu, il s’agit ici d’indicateurs d’impact pertinents et non d’indicateurs d’ " exécution " ou d’avancement des
travaux (un indicateur comme la construction de X zones industrielles par exemple n’est pas réellement pertinent, car la
finalité n’est pas la construction de zones industrielles, mais bien l’emploi et la valeur ajoutée générés par ces zones).
137
Cardinal de Richelieu, " Maximes d’État ", Imprimerie Nationale, 1880.

83

Vous aimerez peut-être aussi