Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
SOCIAUX
Document N° 2
SEMESTRE 3 – SECTION A, B, C, D, E et F
MAGDOUD Amina
L'intégration du progrès technique dans les théories de la croissance est une difficulté majeure
pour la théorie économique. Le progrès technique apparait le plus souvent comme un facteur
extérieur est inexpliqué.
Joseph Schumpeter (1883-1950) est l'un des rares économistes qui se sont penchés sur ce
problème, ce qui l'a éloigné de l'analyse néoclassique traditionnelle de « l'équilibre général ».
Il demeure l'une des principales références en matière d'innovation et de dynamique
économique.
I. L’ANALYSE DE SCHUMPETER
L'analyse des cycles pose d'importants problèmes méthodologiques pour extraire un cycle à
partir de données statistiques mais de façon générale, on peut décomposer un cycle en quatre
phases :
Schumpeter reprend à son compte l'hypothèse de Clément Juglar selon laquelle il Faut
rechercher les causes de la récession dans la phase de prospérité qui la précède. Si les
récessions et les dépressions sont des phases « d'assainissement », de résorption des
déséquilibres et des tensions créés par les phases d'expansion qui les précèdent, alors ce sont
effectivement ces dernières qu'il convier d’expliquer.
En termes plus contemporains, cette théorie explique la croissance économique par le progrès
technique sous ses deux formes principales : l'innovation de produit et l'innovation de
procédé.
Pour rendre compte du caractère heurté de l'évolution, d'une croissance par «à coups », il faut
supposer que les innovations ne se répartissent pas uniformément dans le temps mais
apparaissent de façon discontinue, « en grappes » (ensemble d'innovations interdépendantes).
Schumpeter parle précisément de grappes d'innovation. Ces grappes d'innovation alimentent
la dynamique et l'essor du capitalisme, puisque lorsque les innovations se développent
l'économie connaît une phase d'expansion. A l'inverse, lorsque les effets de l'innovation
s'épuisent, l'économie traverse une phase de croissance faible, de stagnation voire de
récession.
On petit en effet admettre que certaines innovations majeures (par exemple le chemin de fer)
induisent des bouleversements en chaîne (la baisse du coût du transport permet de conquérir
de nouveaux marchés, de se spécialiser...). Ces innovations représentent pour les entreprises
d'importantes opportunités de profits qui les incitent à investir, à créer des capacités de
production et des emplois. Si elles trouvent le financement requis (Schumpeter insiste à cet
égard sur l'importance du crédit bancaire), alors l'essor des branches innovatrices, entraîne le
reste de l'économie, qui s'engage dans un processus cumulatif de croissance soutenue.
La destruction créatrice
Cette évolution s'accompagne ainsi d'une transformation du tissu industriel et des structures
de l'économie. Les innovations bouleversent les conditions sociales et économiques de la
production selon un processus dialectique de destruction et construction. Les innovations ont
un aspect destructeur. elles sont responsables de la marche chaotique du capitalisme à travers
ses grandes crises périodiques. Certaines activités deviennent obsolètes : chaque vague
d'innovations périme des branches entières, obligeant des entreprises à se reconvertir ou à
fermer leurs portes, cela entraîne des destructions d'emplois et du chômage technologique.
Des modes de vie se trouvent bouleversés exemple les progrès de l'agriculture provoquent
l'exode rural, l'urbanisation s'accroît...
Mais les innovations ont aussi un aspect constructif. Elles donnent naissance à de nouvelles
activités ; des créations d'emplois en découlent ; les modes de vie changent.
La dynamique du capitalisme résulte donc d'un processus de destruction créatrice. Il n'y a pas
de croissance régulière et harmonieuse les innovations détruisent les structures anciennes et
en créent de nouvelles.
Ce qu'il conviendrait d'appeler plutôt une « création destructrice », pour désigner cette
tendance périodique à révolutionner les modes de production et de consommation, se trouvé
au cœur de" la dynamique du capitalisme. Son intensité est liée à celle de la concurrence, mais
d'une concurrence imparfaite puisque les entreprises recherchent avant tout un pouvoir de
marché.
L'entrepreneur n'est pas celui qui découvre (l'inventeur), mais celui qui surmonte toutes les
résistances liés aux habitudes, aux traditions, aux routines pour appliquer l'invention à
l'échelle industrielle et transformer ainsi la réalité économique. Tant qu'il bricole dans son
garage, Ford n'est pas encore un entrepreneur, il le devient quand il fabrique le modèle T
(innovation de produit) puis quand il introduit le convoyeur (innovation de procédé). Il cesse
de l'être lorsque sa gestion devient routinière et qu'il perd alors des parts de marché à
l'avantage de General Motors.
L'entrepreneur se distingue donc par ces traits de personnalité que nous ventent les succès
stories : c'est un homme d'action et de décision, volontaire, que les obstacles ne découragent
.pas, qui n'hésite pas à affronter l'opinion majoritaire, sait prendre des initiatives, convaincre,
imposer son autorité... Pour qualifier les motivations qui pourraient sous-tendre le
comportement de l'entrepreneur, François Perroux insiste dans son ouvrage Marx,
Schumpeter, Keynes (1993) sur « la volonté de puissance, le goût sportif, de la nouvelle
victoire à remporter, la joie de créer et de donner forme à ses conceptions ».
Les entrepreneurs sont des figures d'exception et par conséquent les innovations sont rares. En
revanche, les imitateurs sont plus nombreux et lorsque l'innovation est rentable, ils
contribuent à la diffuser. Schumpeter note à cet égard que le processus d'imitation qui
explique la diffusion de l'innovation en explique aussi la crise puisqu'il conduit des individus
moins compétents à (sur) investir dans les branches en expansion au moment où l'on se
rapproche de la saturation.
B. LA QUESTION DE L'INNOVATION
Schumpeter ne s'intéresse pas véritablement aux sources de l'innovation- Il considère que
l'entrepreneur bouleverse les conditions d'un marché. Mais beaucoup d'innovations résultent
plutôt d'une recherche méthodique, planifiée et demandent des moyens dont ne disposent que
des grandes entreprises ou des organismes publics : taux d'investissement, dépenses de
recherche-développement sont des facteurs aussi fondamentaux que la sélection d'individus
dotés de la psychologie décrite par Schumpeter. L'innovation est donc aujourd'hui envisagée
comme un processus de création collective. Il ne s'agit pas d'une simple initiative d'individus
isolés. La grande taille des entreprises et la concentration peuvent ainsi favoriser l'innovation
(économie d'échelle en matière de recherche et développement, financement facilité
notamment quand la recherche est coûteuse et aléatoire...). Toutefois, les petites entreprises
peuvent trouver leur place dans les procédés d'innovation notamment lorsqu'elles sont
intégrées au sein de réseaux (comme par exemple dans la Silicon Valley).
C. CROISSANCE ET CYCLES
La notion de cycle long a été largement critiquée car il est difficile d'en repérer
empiriquement l'existence, Pour autant, les économies sont aujourd'hui plus cycliques et
imprévisibles qu'elles ne l'étaient notamment au cours des « Trente Glorieuses ». La vision
Schumpétérienne reste donc d'actualité, Par ailleurs, les théories contemporaines de la
croissance (croissance endogène) ont contribué à réhabiliter le rôle du progrès technique dans
la croissance. Le progrès technique est ainsi essentiel pour la croissance et résulte d'une
activité économique propre : il est donc endogène à l'activité économique, de même que la
croissance qui en résulte.
Encadré 2 : cycles et fluctuations Economiques
I. Définition et description
La succession plus ou moins régulière des périodes de prospérité et de dépression est un fait
historique observé depuis longtemps, et particulièrement depuis la révolution industrielle :
ainsi, la France a connu au dix-neuvième siècle des crises en 1825, 1836, 1847, 1857, 1866,
1873, 1882, 1890,1900. Si le vingtième siècle a été marqué plus par les grandes crises (1929-
33, 1975) que par les crises moyennes périodiques, on peut néanmoins se demander si ces
phénomènes de crises ne suivent pas une loi périodique ou quasi-périodique, c'est-à-dire si les
variables économiques ne sont pas soumises à des cycles. Dans cette hypothèse de
fluctuations cycliques, le comportement de certaines variables économiques (ou toutes) serait
soumis à des lois (plus ou moins complexes) qui se perpétueraient de manière quasiment
permanente et qui constitue- raient un cadre obligé de la vie économique. Si au contraire on
rejette cette hypothèse, les fluctuations conjoncturelles sont considérées comme des accidents
qui ne se répètent pas même s'ils se ressemblent, et la structure cyclique n'est au mieux qu'une
illusion d'optique. Sans prendre parti entre ces deux hypothèses, on insistera cependant dans
ce chapitre sur celle des cycles économiques, qui donne lieu des développements théoriques
plus généraux et nombreux.
Il existe aussi des cycles d'ampleur particulière, comme les cycles saisonniers (vente de
produits solaires), ou les cycles agricoles.
FIG. 1 – Les cycles de l’économie française : 1979-2001
Variable
La variable considérée comme la plus importante pour le repérage de la conjoncture est soit la
production industrielle, soit (éventuellement) le PIB qui apparaît cependant comme trop lisse.
Cette variable est considérée généralement comme centrale dans la définition des cycles.
Étudier la morphologie des cycles, c’est donc étudier le comportement des variables
économiques relativement à la variable centrale.
L’observation montre que les différentes variables peuvent, soit se comporter exactement
comme la variable centrale, soit présenter une amplitude différente, soit être décalées dans le
temps relativement à elle, soit combiner ces deux différences.
Les explications des cycles économiques se rangent en deux catégories : les unes sont
exogènes, les autres endogènes.
Les approches exogènes sont celles qui attribuent la cause des cycles ou des fluctuations à des
éléments extra-économiques. Les approches endogènes voient la cause dans la structure ou
dans le fonctionnement du système économique lui- même.
Il n’est pas toujours facile de ranger une théorie dans l’une ou l’autre de ces catégories, qui se
recouvrent en partie (par exemple, pour ceux qui pensent que la politique économique peut
causer les crises, il est difficile d’affirmer que cette politique est totalement exogène, ou
qu’elle est totalement endogène).
1. Théories éxogènes
Les théories éxogènes peuvent se référer à des phénomènes purement naturels ou des
phénomènes humains. Dans les phénomènes naturels, on a pu avancer comme cause des
cycles la fertilité du sol, qui est elle-même parfois cyclique : alors, la production agricole est
cyclique et l’ensemble de la production suit. Une autre hypothèse célèbre est celle des taches
solaires, phénomène périodique dont William Jevons au XIXème siècle avait constaté qu’il était
bien corrélé, statistiquement, aux cycles de production.
Comme facteurs humains, on cite : pour les cycles longs, les phénomènes de population, les
"grappes" de progrès technologique (Schumpeter) ; pour les cycles courts et moyens, les
phénomènes monétaires ou fiscaux - quand on les considère comme extra-économiques -, les
mécanismes politiques (élections).
Toutes ces théories éxogènes s’appuient nécessairement sur une cause extérieure, et sur un
mécanisme économique, qui transforme l’impulsion extérieure en phénomène cyclique. Ce
mécanisme doit lui-même être conforme aux lois économiques (par exemple, si un
gouvernement relance les dépenses budgétaires peu avant les élections mais les freine juste
après, il doit en résulter un effet expansionniste puis dépressionniste sur la production).
2. Théories endogènes
Ce sont les théories qui prennent comme cause des cycles des phénomènes internes au
système économique. Il peut s’agir de mécanismes monétaires, liés à la production, la
répartition du revenu.
Mécanismes monétaires La théorie du cycle de Juglar (médecin français ; 1819- 1905) est
avant tout centrée sur le crédit bancaire, qui se développe de plus en plus rapidement durant
l’expansion, jusqu’au moment où les banques sont incapables de rembourser leurs créanciers,
c’est-à-dire les déposants, qui peuvent réclamer leur or à tout moment (nous sommes au
XIXème siècle, sous le régime de l’étalon- or), alors que les banques l’ont utilisé pour financer
des crédits à court, moyen ou long terme, donc l’ont immobilisé ; l’or est indisponible et les
déposants, inquiets, vont tous demander leur dû en même temps : d’où la faillite d’une
banque, puis, par contagion (de la panique), d’autres banques parmi les moins solides.
La théorie de Juglar peut paraître imparfaite dans la mesure même où elle re- pose sur le
constat des crises bancaires, phénomène qu’on peut considérer comme propre au système
d’étalon-or, qui n’est plus en vigueur, alors que les crises existent encore.
Cette théorie reste cependant une des premières et des plus suggestives des théories
endogènes.
Chez Hawtrey, le crédit bancaire est fondamentalement instable du fait de l’in- stabilité des
réserves en or ; il en résulte des fluctuations de l’investissement qui se transmettent dans
l’économie.
Pour Wicksell, le déséquilibre monétaire est aussi la cause des cycles ; c’est la disparité entre
le taux d’intérêt naturel et le taux d’intérêt monétaire qui est le phénomène central.
Le taux naturel est celui qui résulte des seules forces réelles de l’économie : les ressources, les
techniques de production et les préférences des agents ; il égalise l’offre et la demande réelles
de fonds sur les marchés de capitaux (on voit que le taux naturel n’est pas la même chose que
le taux d’intérêt réel). Le taux monétaire est influencé, outre ces facteurs, par les facteurs
monétaires : expansion de la masse monétaire, variation du taux de change, etc.
Mais c’est le seul taux sur les marchés, le taux naturel étant invisible. Les agents fixent donc
leur conduite de prêt et d’emprunt sur le taux monétaire, mais s’il n’est pas égal au taux réel,
l’offre et la demande de fonds ne sont pas égales, ce qui entraîne des déséquilibres cumulatifs
sur les autres marchés, et donc la crise.
Utilisation du revenu Certaines théories du cycle se fondent sur une mauvaise répartition de
la dépense finale, et en particulier sur un excès d’épargne et donc une consommation
insuffisante. Les théories de la sous-consommation ont été avancées au début du XIXème
siècle par le suisse Sismondi, l’anglais Owen, puis par Hobson, un autre anglais, fin XIXème
siècle et par Keynes et les keynésiens au XXème.
De manière générale, cette approche ne constitue pas une théorie des cycles, mais une théorie
des crises qui entend expliquer le chômage durable, les dépressions persistantes. On notera
cependant qu’en combinant l’accélérateur.et le multiplicateur keynésien, des auteurs comme
Samuelson et Hicks ont pu élaborer un modèle mathématique de cycle (l’oscillateur).
On reviendra sur cette approche dans la seconde sous-partie de cette partie.
Structure de la production Selon d’autres approches, souvent qualifiées de théories du sur-
investissement, c’est un déséquilibre entre production de biens de consommation et
production de biens d’investissement (ou dans la structure de production de biens
d’investissement) qui joue le rôle moteur des crises.
Un des phénomènes qui a pu amener cette théorie est celui de projets d’investissement qu’on
n’arrive pas à terminer, faute de capitaux ; ce phénomène accompagne (et donc cause peut-être)
les crises du XIXème siècle, particulièrement dans le secteur des chemins de fer où on a vu
beaucoup de projets abandonnés. Il n’y avait donc pas assez d’épargne en face de projets
d’investissement trop ambitieux.
Sur-investissement signifie donc insuffisance d’épargne. Le russe Tugan-Baranowski
en 1894, pour les fluctuations longues, l’allemand Spiethoff en 1925, pour les cycles courts,
ont avancé cette hypothèse. La théorie autrichienne du cycle, formulée par Ludwig von Mises
( partir de 1916) et développée essentiellement par Friedrich Hayek (en 1931) constitue une
élaboration de cette idée, voisinant avec la théorie monétaire de Wicksell.
Du fait d’un désajustement entre taux réel et taux monétaire, ce dernier étant trop bas, les
investisseurs se lancent dans de nouveaux investissements, plus capitalistiques que
précédemment (ils croient que le prix du capital relativement au travail a diminué, et changent
donc la structure de leur équipement). Mais le taux naturel n’a pas changé, et ils ne pourront
réaliser les investissements en excès de l’épargne que grâce à une baisse des salaires réels,
qui constitue une épargne forcée.
Au fur et à mesure de l’expansion, les salaires réels reprennent leur niveau antérieur et le
dépassent même, et l’épargne devient réellement insuffisante ; la réalité du sur-investissement
apparaît alors à tous ; il faut revenir à des méthodes de production moins capitalistiques (ou
moins longues, car les autrichiens identifient la durée de production avec son caractère
capitalistique), c’est-à-dire liquider en partie les investissements précédents.
C’est le début de la crise, et elle durera jusqu’à ce que la structure du capital corresponde à
nouveau avec les données du marché des fonds.
Analyses modernes La théorie des cycles tente de se renouveler depuis une quinzaine
d’années. La théorie du cycle réel essaie ainsi d’élaborer une nouvelle approche fondée sur
l’hypothèse que les marchés sont toujours en équilibre, y compris pendant les cycles ; ceux-ci
ne seraient alors pas des manifestations de déséquilibres économiques, mais de variation des
anticipations des agents.
L’étude des cycles économiques et des innovations technologiques sont les deux apports
principaux de ses théories. Au début du XXème siècle, c’est un pas en avant conséquent dans
l’économie théorique que de montrer qu’on peut créer de nouveaux outils d’analyse de
l’histoire de l’économie, en ajoutant des variables à l’outil bien connu qu’est l’équilibre de
marché. En marge des théories classiques, Schumpeter réussit tout de même à se faire une
place importante dans les milieux intellectuels américains. Dès 1927 il enseigne à Harvard et
dès 1937 il préside l’American Economic Association.
Bibliographie commentée
Schumpeter, J. A. (1999). Théorie de l’évolution économique: recherches sur le profit, le
crédit, l’intérêt et le cycle de la conjoncture. Paris: Dalloz. (Oeuvre originale publiée en
1911).
Dans cet ouvrage, Schumpeter développe ses concepts d’entrepreneur et de grappe
d’innovations. Ces derniers lui permettent de montrer l’évolution de l’histoire de l’économie à
travers des bons repères. Ici, on parle de l’évolution au sens fort, c’est-à-dire en parlant du
progrès qu’accomplissent les entrepreneurs: en menant à bien les innovations ce sont eux qui
font avancer l’économie vers un potentiel meilleur jour.
Schumpeter, J. A. (1982). Business cycles: a theoretical, historical and statistical analysis
of the capitaliste process. Philadelphie: Procupine Press. (Oeuvre originale publiée en 1939).
Cet ouvrage de Schumpeter est probablement celui qui a été le moins populaire, en partie
parce qu’il ne faisait qu’étoffer le précédent, mais il contient tout de même des éléments
importants de la pensée de l’économiste autrichien. Tout d’abord, on y remarque le début du
changement d’opinion de Schumpeter sur l’avenir du capitalisme. Ensuite, ce livre apparaît
comme précurseur en matière d’analyse historique de l’économie et du monde des affaires.
Schumpeter, J. A. (1979). Capitalisme, socialisme et démocratie. Paris: Payot. (Oeuvre
originale publiée en 1942).
C’est probablement le plus grand succès littéraire de Schumpeter. Il revient à une perspective
historique classique sur l’économie, en montrant l’évolution du capitalisme. Il passe en revue
les doctrines marxistes, auxquelles il demeurera très attaché. Ensuite, il pose une série de
questions ayant pour but de savoir si le capitalisme peut continuer à prospérer, et si le
socialisme peut émerger en cas de faillite du capitalisme. Et finalement, Schumpeter portera
une attention particulière à la démocratie et à son statut d’idéal qu’il conteste. Pour lui, il
s’agit d’un arrangement politique comme un autre, mais rien de particulier ne lui donne un
statut supérieur.
Références
Medearis, J. (2009). Joseph A. Schumpeter. New-York, Londres: Continuum.
Quiles, J.-J. (1997). Schumpeter et l’évolution économique: circuit, entrepreneur, capitalisme.
Paris: Nathan.
3. Conclusion :
quelques pistes de réflexion
pour une croissance meilleure
104.Le progrès économique nécessite inexorablement le débat, la transparence sur les motifs
de prise de décision et une liberté d’accès à l’information. Sur tous ces points, le Maroc accuse
un retard considérable.
80
105. Au total, et malgré encore une fois l’amélioration enregistrée, la croissance marocaine
demeure en deçà des niveaux nécessaires pour assurer le décollage économique du pays et lui
permettre de rejoindre le club des pays à revenus intermédiaires en l’espace d’une génération.
Pour ce faire, le Maroc devrait enregistrer en moyenne une croissance de son PIB/habitant en
termes réels de l’ordre de 5%-7% par an, soit en termes de croissance et en supposant un taux
stable d’accroissement de la population de 1%, réussir une croissance moyenne en termes
réels de 6% à 8% en moyenne. Force est de reconnaître que nous sommes encore loin du
compte.
106. Nous ne pouvons donc que conclure que le Maroc n’a pas de stratégie de développement
économique visible ou évidente. Bien que de nombreux " plans stratégiques ", politiques
sectorielles soient mis en place, il est difficile de trouver des éléments tangibles et factuels
soutenant la thèse qu’il existe bel et bien une stratégie économique cohérente. Certes, il faut
saluer les efforts faits par certains des nouveaux décideurs publics – un certain nombre d’entre
eux déployant des efforts démesurés et très probablement sincères pour mettre en œuvre leurs
actions. Hélas, l’important demeure le résultat et non l’action : malgré nos dépenses d’énergie
et d’argent, le recours aux cabinets de conseil étrangers, l’arrivée d’une nouvelle génération
de " managers " publics formés aux meilleures écoles académiques et professionnelles, sur la
dernière décennie, nous avons " fait " moins bien en matière de croissance que la Tunisie,
l’Egypte, ou la Jordanie, sans parler bien entendu des pays asiatiques ou mêmes de certains
pays d’Amérique Latine… Et encore hélas, les dernières prévisions de croissance à moyen
terme du FMI nous placent encore parmi les pays les moins performants en termes de
croissance à court terme dans la région 135.
107. Alors ? Quelles sont les causes profondes qui empêchent le développement d’une stratégie
économique cohérente qui permettrait de nous catapulter vers un autre palier de croissance ?
En ligne avec la science économique du développement, nous examinons les déterminants
profonds de la croissance qui sont aujourd’hui par les économistes du développement traitant
ces questions fondamentales : (a) la géographie (l’idée étant que les ressources naturelles d’un
pays, son climat et sa localisation géographique sont des déterminants de sa croissance) ;
(b) l’ouverture économique (la tradition économique néo-classique met en avant le rôle
du commerce comme un facteur de développement); et (c) les institutions (au sens des
déterminants des règles du jeu économique).
108. Dans le cas du Maroc, les facteurs géographie et ouverture économique sont à éliminer
car le Maroc a une position géographique d’exception et a fait le choix d’une économie
de marché ouverte avec moults accords de libre échange déjà signés (le Maroc est à 13 km
de l’Espagne qui est un pays riche et industrialisé – malgré ses difficultés actuelles –, et il
est difficile d’argumenter que le Maroc est un pays peu intégré dans les flux d’échanges
mondiaux). Restent donc les institutions…
109. Et en matière institutionnelle (au sens large du terme), force est de reconnaître que le Maroc
soufre de carences majeures. La thèse que ce rapport soutient est que l’absence d’une stratégie
de développement économique dont le Maroc pâtit est due à deux contraintes majeures, des
" méta-contraintes ": (a) un système de gouvernance économique structurellement déficient;
(b) l’analphabétisme économique des décideurs économiques – ou de certains d’entre eux en
tous cas.
135
IMF, World Economic Outlook, avril 2010.
81
110. La gouvernance économique déficiente se caractérise par : (a) un fonctionnement en
" mode dégradé " des contrôles usuels qui existent ou devraient dans le système de gouvernance
marocain – Parlement, Cour des Comptes, administration…etc ; (b) de plus en plus hélas, par
une circonvention pure et simple de ces contrôles; (c) par la prise de décisions servant sciemment
des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général; et (d) par l’absence pure et simple des
instruments de base qui caractérisent un système de gouvernance fonctionnel – par exemple, des
instances d’évaluation rigoureuse, ou des instances de vérification a priori qui pourraient éviter
l’adoption et la mise en œuvre irréfléchie de stratégies commandées à des cabinets de conseil.
111. L’analphabétisme économique lui se caractérise par la prise de décisions en toute bonne foi,
mais sans le recul et le discernement économique nécessaire. Ainsi, il est possible d’ignorer, en
toute bonne conscience et sincérité, les enseignements et les leçons de l’expérience économique.
Il est ainsi fréquent de croiser des hauts commis de l’Etat manquant d’une culture économique de
base : il leur est ainsi difficile de considérer différentes perspectives et de poser les bonnes questions
avant l’adoption d’une politique publique donnée. C’est ainsi par exemple que peu de personnes
se souviennent des risques associés à une expansion non contrôlée des entreprises publiques ou des
risques associés à la formation de bulles spéculatives, etc.
112. Bien entendu, nous ne questionnons pas les hommes, mais un système de gouvernance
économique : c’est la structure et l’organisation du système politique marocain qui, à notre sens,
piège le Maroc dans un équilibre sous-optimal. Et c’est cela qui pousse les décideurs économiques
vers les deux écueils connus de la politique publique : (a) le refus de la décision politique au
sens noble du terme – pas de réformes politiques majeures à quelques exceptions près, mais des
" plans stratégiques "; et (b) la tentation de la verticalité sectorielle au détriment de la transversalité
multisectorielle.
113. Ce système n’est aujourd’hui propice ni à faire émerger les consensus économiques (et
par extension sociaux) nécessaires, ni à faire les arbitrages requis par l’intérêt général (parfois
douloureux), ni à établir les systèmes de contrôle ex ante et ex post indissociables de la pratique
moderne de l’action publique, ni à développer les mécanismes de coordination et de transversalité
nécessaire, ni à développer les cultures de responsabilité, de transparence et de débat essentielles
pour moderniser un pays. Tous ces éléments sont consubstantiels à une stratégie de développement
économique volontaire et à la conduite rigoureuse des politiques économiques publiques. Et
c’est en ce sens que le déficit de démocratie dont souffre le Maroc se paie au prix fort en matière
économique : non pas qu’une évolution vers une démocratisation complète soit la recette magique
qui résoudrait tous nos problèmes économiques, mais c’est le seul instrument à notre disposition
pour définir, créer le consensus, faire les arbitrages nécessaires et mettre en œuvre les axes prioritaires
du développement économique du pays à moyen terme (le Maroc ayant rejeté l’option du retour
en arrière autocratique).
114. En conclusion de ce travail, nous souhaitons terminer sur une note optimiste et proposer
quelques pistes de réflexion pour prolonger le débat. Mais précisons d’emblée que nous n’avons
pas de recettes toutes faites à donner, et ce pour une raison quasiment philosophique : loin de
la tentation technocratique, nous partons d’un principe de modestie bien établi maintenant en
économie du développement. Le développement est un processus d’apprentissage et de construction
institutionnelle. Personne aujourd’hui ne peut prétendre détenir la clé du développement économique
du Maroc, car cette clé est détenue collectivement par les Marocains, leur classe politique, et leurs
dirigeants économiques et administratifs.
115. En effet, le développement économique et social ne se décrète pas, n’est pas un problème
" technique " qui se résout. Au contraire, et nous appuyant sur les avancées économiques modernes,
82
l’objectif des dirigeants économiques publics doit être avant tout d’identifier les priorités et de
faire émerger le consensus nécessaire autour de ces priorités (et bien entendu autour des moyens
nécessaires). Le but des politiques publiques réussies n’est pas de trouver la " solution " à un instant
" t " à un problème donné : c’est au contraire de construire les institutions et les mécanismes qui
pourront trouver à tout moment les solutions aux problèmes actuels et futurs qui ne manqueront
pas de se présenter. En un mot, le développement est un processus, et non une série de solutions
" techniques ", qui vise à munir les peuples des moyens (les institutions) nécessaires pour qu’ils soient
en mesure de résoudre les problèmes auxquels ils sont et seront confrontés. Et c’est pourquoi, il faut
se méfier des tentation simplistes telles que la tentation technocratique (car un technocrate est, par
définition, un homme seul et donc un " impuissant politique " lorsque son travail fondamentalement
est un travail de prise de décision politique), ou la tentation du contournement des obstacles (s’il est
légitime de séquencer les problèmes, d’être fin tacticien par moments dans le traitement politique
des questions de fond, il est moins acceptable de refuser de traiter les problèmes) ou encore la
tentation de l’activisme et du mouvement (car il faut trouver l’équilibre nécessaire entre action et
réflexion) ou enfin, la tentation de la verticalité dans la conduite des politiques publiques (car si
une action sectorielle est souvent nécessaire, il est rare qu’elle ne nécessite pas, en complément, une
action transverse).
116. Il est ainsi possible d’être optimiste aujourd’hui : les deux méta-contraintes que nous identifions
comme la cause profonde de nos maux en deuxième partie de cette contribution, ne sont pas si
difficiles que cela à lever, au moins partiellement et de manière effective. En effet, le Maroc avance
et progresse malgré tout comme l’attestent certains succès dont nous pouvons nous prévaloir dans
le domaine économique, comme par exemple la stabilité des fondamentaux macro-économiques, la
bonne tenue de notre secteur touristique, ou encore l’émergence et le développement d’entreprises
marocaines " leader " (que ce soit dans le secteur bancaire, industriel ou des technologies de
l’information).
117. Ainsi, il est aujourd’hui possible d’envisager, des manières progressives de lever partiellement les
méta-contraintes que nous évoquons : a minima, il serait possible d’exiger la transparence sur tous les
"plans" qui sont mis en œuvre; il serait possible d’envisager que les responsables gouvernementaux
exercent plus complètement leurs prérogatives; il serait possible d’imaginer un processus par lequel
un débat est organisé sur les grandes orientations économiques avant qu’elles ne soient figées dans
un contrat programme signé devant le roi; il serait possible d’exiger des dirigeants économiques
d’inclure des indicateurs d’impact appropriés et des outils de mesure de la réussite de leurs plans avant
que ceux-ci ne soient mis en œuvre 136; il serait possible d’envisager la création d’une institution de
vérification et d’analyse contradictoire des " plans " proposés ou des politiques publiques envisagées
(à l’exemple un peu du Congressional Budget Office aux États-Unis) avant que celles-ci ne soient
mises en place; il serait possible de créer une instance rigoureusement indépendante d’évaluation des
politiques publiques qui, de manière impartiale et en toute transparence, évaluerait les politiques
publiques et publierait les résultats de ces évaluations, etc.
118. Comme on peut le constater, les pistes ne manquent pas, à commencer par un effort
supplémentaire de transparence et d’acceptation du débat contradictoire d’idées, car « il faut écouter
beaucoup et parler peu pour bien agir au gouvernement d’un Etat » 137. C’est dans cette perspective que
s’inscrit cette contribution.
136
Bien entendu, il s’agit ici d’indicateurs d’impact pertinents et non d’indicateurs d’ " exécution " ou d’avancement des
travaux (un indicateur comme la construction de X zones industrielles par exemple n’est pas réellement pertinent, car la
finalité n’est pas la construction de zones industrielles, mais bien l’emploi et la valeur ajoutée générés par ces zones).
137
Cardinal de Richelieu, " Maximes d’État ", Imprimerie Nationale, 1880.
83