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Le retour de l’autoges(on ?
Gabriel Maissin
1 A propos du livre de Thomas Coutrot Démocratie contre capitalisme, Paris, La Dispute, 2005.
Politque, La revue, Bruxelles N°43 - Avril 2006.
critique altermondialiste, de la résistance à l’Organisation Mondiale du
Commerce, des mouvements paysans, de la redynamisation des activités
coopératives et de l’économie solidaire, de l’intérêt croissant pour le
commerce équitable et le budget participatif. De l’Argentine à la France, en
passant par le Brésil ou les États-Unis, toutes ces pratiques des mouvements
sociaux peuvent être rassemblées sous le vocable de «résistances économiques
citoyennes». Son analyse, qui accorde une grande attention à ces phénomènes
émergeants, n’évite cependant pas de s’interroger sur le diagnostic qu’il faut
porter sur le mouvement ouvrier et syndical classique, à partir des
interrogations majeures du moment, celles de la condition salariale et de «la
fin du travail».
Cette présentation de l’ouvrage est cependant fort injuste. Car elle risquerait
de le faire passer pour une sorte de fuite en avant idéologique devant les
difficultés des résistances présentes et de la faible prise que semblent avoir les
anciens et les nouveaux mouvements sociaux sur l’ordre des choses. Or la
2 Ce débat est particulièrement bien alimenté dans le monde anglo-saxon. Pour une
présentation plus systématique, voir l’article de T. Coutrot, «Socialisme participatif », dans le
Dictionnaire de l’autre économie, (dir. Laville et Cattani), Desclée De Brouwer, 2005.
réflexion de Coutrot est à la fois bien ancrée dans le réel et n’esquive pas les
leçons du passé.
D’abord parce que son livre traduit un investissement de longue date dans les
mouvements sociaux. Économiste militant – il est membre du conseil
scientifique d’Attac –, il a participé aux divers forums sociaux à l’échelle
internationale. Il est également l’un des animateurs de l’Appel des économistes
pour sortir de la pensée unique et intervient dans le débat sur les questions
économiques 3. C’est aussi un chercheur qui tire sa connaissance du
néolibéralisme d’une étude de première main sur l’entreprise néolibérale 4 et
l’organisation du travail.
Cela débouche sur une série de pistes pour «une sécurité sociale professionnelle»
qui garantirait à la fois une certaine continuité de la rémunération dans les
situations de chômage, de mobilité ou de formation et la limitation du droit
de licenciement. Sans glisser dans une fuite en avant que l’on rencontre chez
certains tenants de l’allocation universelle, ou de la fin de la centralité du
travail, les propositions de Coutrot visent à garantir une sorte de droit
universel [inconditionnel] au revenu et à l’emploi. Ces mesures
s’accompagneraient d’une gestion renouvelée de ces systèmes par toutes les
parties concernées (entreprises, syndicats, associations, collectivités locales…).
Résistances économiques
Vient ensuite un bilan très documenté sur une série de réactions à la montée
en puissance de la dérégulation néolibérale des deux dernières décennies.
Cette vaste nébuleuse s’organise d’abord autour du slogan «le monde n’est
pas une marchandise». Elle exprime le refus de l’extension de la logique
marchande au vivant, à la culture, à l’ensemble des services de santé et
d’éducation… Mais, Coutrot insiste sur un autre aspect, celui de l’éxigence
d’un «contrôle citoyen de l’économie», véritable fil rouge que l’on retrouve dans
les campagnes et actions de ces mouvements. On retrouve cette exigence
démocratique du respect de la volonté et des intérêts du plus grand nombre
dans la mise en question du rôle des institutions internationales comme la
Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale
du commerce, sans oublier la Banque centrale européenne. Ce n’est pas
seulement le contenu de l’orientation néolibérale des politiques préconisées
qui sont prises sous le feu de la critique, c’est aussi et avant tout l’absence de
légitimité démocratique de ces instances pour formuler de tels diktats, sans
consultation, sans représentation et sans légitimité démocratique.
Économie solidaire
8 Voir le dossier de Politique (n°42, décembre 2005) «Le capitalisme peut-il être moral ? À propos
de la responsabilité sociale des entreprises».
sociales, ni capitalistes, ni étatiques en réaction aux effets de la crise et à la
montée du chômage.
En fait, nous dit Coutrot, ce qui se dessine à travers ces expériences et ces
mouvements sociaux, c’est non seulement une demande de nouvelles
régulations publiques face à un néolibéralisme qui ne peut tenir ses
promesses, mais c’est aussi une lente remontée des aspirations populaires à
plus d’autonomie, à une volonté d’avoir une prise sur le réel et donc aussi sur
les conditions de production de notre existence. Une revendication de
nouveaux droits, à l’horizon du prochain siècle pour l’information, le contrôle
et l’initiative dans le domaine économique. Ces aspirations et ces questions
ont déjà été posées par les tenants de l’autogestion, dont il rappelle dans un
chapitre toute l’importance dans l’histoire, y compris récente, du mouvement
ouvrier.
Voilà donc un livre qui nous en apprend beaucoup sur les mouvements
sociaux contemporains, chez nous et au loin 10, qui s’efforce de rapprocher des
phénomènes aussi éloignés que l’émergence de l’économie sociale et la
refonte nécessaire de nos systèmes de sécurité sociale. Sans tabou, il revisite
les grands débats qui ont marqué le mouvement ouvrier depuis des lustres et
tente d’intégrer les travaux les plus récents sur de nouvelles approches du
socialisme. Mais, son mérite principal reste cependant de nous avoir montré
que l’extension de la démocratie est sans doute l’arme la plus radicale que
nous ayons encore à notre disposition, malgré tout.
Gabriel Maissin
Thomas Coutrot.
9 Pour éclairer ce débat : Gabriel Maissin, Démocratie représentative, formelle et participative, les
termesd’un débat, Cahiers marxistes, mai-juin 1995. Dispoinible via academia.edu