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RÉCONCILITION
CAHIERS DE LA REVUE THÉOLOGIQUE DE LOUVAIN
46
COMITÉ D'ÉDITION
Édité par
Peeters
Leuven - Paris - Bristol, CT
2021
ISBN 978-90-429-4448-0
eISBN 978-90-429-4449-7
ISSN 0771-601X
Dj2021j0602jl 4
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INTRODUCTION
André WÉNIN
Directeur de la Revue théologique de Louvain
I. Clés de lecture
L'humain et ses conflits ontologiques
dans l'œuvre de Paul Tillich
INTRODUCTION
Le concept d'aliénation
Typologie d'aliénations
L 'origine de l 'aliénation
perte de soi (il découvre qu'il était nu) (Gn 3,7), et la perte du monde
symbolisé par l'expulsion du jardin (Gn 3,23).
L 'individuation et la participation
La dynamique et la forme
La liberté et la destinée
nouveau est donc une question infiniment pertinente, qui devrait pré
occuper tout homme plus que tout ce qui se trouve dans les cieux ou
sur la terre. Comparé à elle, tout le reste importe bien peu et même
n'a aucune importance57. Mais qu'est-ce que l'être nouveau ?
Bien qu'il se soit manifesté dans une persOlme vivante, l'être nou
veau a une ampleur spatiale dans la communauté de l'être nouveau et
une dimension temporelle dans l'histoire de l'être nouveau. Son appa
rition en une personne individuelle présuppose la communauté dont
il est issu et celle qu'il crée73. De plus, bien que sa personne vivante
La nouvelle création est une réalité où ce qui est séparé peut être
réuni, et cela s'est réalisé en Jésus le Christ. Dans l'humanité en géné
rai, «la puissance de l'être nouveau agit de façon préparatoire et frag
mentaire, avec des possibilités de déformation démonique. Mais elle
agit et guérit là où on l'accepte sérieusement»79 Quand on consent à
la dynamique de l'être nouveau, on fait l'expérience de l'union avec
soi-même, non dans l'orgueil ou dans la suffisance, mais dans une
acceptation profonde de soi. En s'acceptant soi-même conune quelque
chose d'une éternelle importance, d'éternellement aimé et accepté, le
dégoût et la haine de soi disparaissent. Alors la vie trouve un centre,
une orientation et une signification80.
Telle est la véritable guérison qui n'est rien d'autre qu'une union
totale de soi à soi, plutôt qu'une réunion d'une partie du corps ou de
l'esprit à l'ensemble. Car une véritable guérison n'est possible que
lorsque toute la personnalité parvient à s'unir à elle-même. Mais, pour
81 Voir Tn.LICH, Les fondations sont ébranlées, p. 106, cité par TAVARD, Initiation
à Paul Tillich, p. 1 83 .
82 Voir A. GOUNELLE, Paul Tillich. Unefai réfléchie, Lyon, Olivétan, 2013, p. 86.
83 Voir TIllICH, L 'être nouveau, p. 43.
84 TILLICH, L 'être nouveau, p. 43.
22 l-B. ZEKE
CONSIDÉRATIONS CONCLUSIVES
Bibliographie
ture et une orientation vers le futur. Par le pardon, le mal est reconnu,
mais sans que son auteur y sornbre35.
Le rejet du pardon par Nagy repose aussi sur ce qu'il décrit comme
une « générosité » du pardon36 : selon lui, celui qui pardonne garde
le pouvoir37. Par le pardon, le pouvoir de celui qui pardonne augmente
encore, ce qui suscite en retour l' accroissement de la culpabilité de
celui qui a fauté. Il en va ainsi par exemple lorsque celui qui pardonne
se réfère sans cesse à son geste de pardon38. Néanmoins, un véritable
pardon n'est jamais centré sur la domination et la soumission. Avec
Nagy, nous pouvons argumenter que le pardon implique aussi un exer
cice du pouvoir par la victime. Le pardon se présente alors comme
une mise en œuvre positive du pouvoir - et non comme un abus de
pouvoir - qui restaure l' équilibre du pouvoir perturbé et le réajuste39
Pour Nagy, enfin, le pardon méconnaîtrait (à tort) l' exigence de
punir l' auteur de l' injustice. Sa punition est au contraire nécessaire
pour que la souffrance de la victime soit reconnue au moins partiel
lement. Contrairement à ce que Nagy prétend, dans la compréhension
chrétienne du pardon, la possibilité et l'importance de la punition ne
sont pas niées et le pardon n'empêche pas qu'une sanction inter
vienne. Le pardon chrétien ne suppose pas une suppression de la jus
tice, mais une modération de la haine et de la vengeance40
Sur la base de cette analyse, il devient clair qu'en partant d'une
compréhension chrétienne du pardon, il est difficile de maintenir l'an
tithèse entre pardon et exonération soutenue par Nagy. Il n'en reste
pas moins important de préciser, comme le fait Dillen, la particularité
de l' exonération vis-à-vis du pardon, afin d'expliciter la position de
l'une vis-à-vis de l' autre et de préciser la contribution propre de l'exo
nération comme voie vers la (ré)conciliation dans une perspective
chrétienne.
En premier lieu, il est remarquable que la compréhension que Nagy
a de l'exonération semble partir du point de vue de la victime - de
concret dans lequel l' auteur a agi. À cet égard, l'exonération offre une
perspective valable pour des gens qui ont subi de graves blessures48
De cette analyse, il ressort que la compréhension de l'exonération
par Nagy peut valablement contribuer à la pensée chrétienne du conflit
intergénérationnel. La tbéologie pastorale peut elle aussi y trouver un
apport. Exonération et pardon ne sont pas dans une relation de dis
continuité, comme l' estime Nagy. Mais la perspective spécifique de
l'exonération peut offrir une contribution et un complétement au pro
cessus de pardon. Elle peut être perçue comme une étape, une condi
tion pour le pardon49 Au moyen de l'exonération, une ouverture iné
dite vers le futur peut être créée chez la victime, mais aussi chez la
persOlme exonérée, sur base de la générosité - conçue ici comme une
générosité positive - de la victimeso. À un stade ultérieur, elle pourra
donner lieu au processus du pardon, comme expression d'une ouver
ture mutuelle, qui à son tour créera les conditions pour un dépasse
ment des conflits relationnels et la guérison des blessures. Le pardon
constitue une possibilité de réconciliation, que nous pouvons conce
voir - avec Jean Monbourquette - comme une reprise d'une réelle vie
communeSl. En un certain sens, l'exonération est donc une condition
du pardon, qui à son tour, est une condition de la (ré)conciliation52
En conclusion, nous pouvons affirmer que, dans une perspective
chrétienne, l'idée d'exonération dans le contexte du conflit intergéné
rationnel peut être d'un apport significatif sur la voie vers le pardon
et la (ré)conciliation. En outre, elle peut contribuer à élargir et à enri
chir le concept de pardon, trop souvent conçu de nos jours comme
problématique.
B 1348 Louvain-fa-Neuve
- Toon OOMS
Grand Place 45 Faculté de Théologie
toonoorns@hotmail.com Institut RSCS
UCLouvain et KULeuven
BIBLIOGRAPHIE
Le livre de l' Exode est l'un des livres bibliques où les conflits sont
au rendez-vous. C'est le cas notannuent en Ex 5,2û--{), 1 ; 14,10-3 1 ;
15,22-25 ; 16, 1-3 1 ; 17,1-7 et 32,1-35 où est illustré le « conflit chro
nique qui oppose Israël à Moïse » 1 Nous nous proposons ici de foca
liser plutôt notre réflexion sur le conflit qui oppose Moïse et Pharaon
en Ex 7-11 dans une perspective synchronique. Le choix des chapitres
7 et 1 1 connue terminus ad quo et terminus ad quem s'explique du
fait que c'est au chapitre septième que connuence le récit à propos
des fléaux d'Égypte, conséquence du refus de Pharaon de laisser par
tir les Israélites. L'obstination du roi égyptien constitue le fil rouge
qui traverse toute cette section qui s'étend jusqu'en Ex Il, où inter
vient l' aunonce de la mort de tout premier-né d'Égypte.
Généralement, on parle de conflit quand il y a une confrontation
d'intérêts, de comportements, de besoins antagonistes entre deux ou
plusieurs personnes2 Cette définition n'absorbe pas toute la densité
sémantique de ce terme qui peut avoir différentes acceptions. À en
croire Y Potin, les auteurs ne se sont pas encore mis d'accord sur la
définition des genres de conflits, sur leurs causes et sur les solutions ;
néanmoins ils s'accordent pour dire que, dans la plupart des secteurs
de notre vie, les conflits interpersonnels sont aussi inévitables que
nécessaires pour la vitalité et le dynamisme des parties qui y sont
impliquées3 L'opposition ou la confrontation n'est pas un facteur
social négatif, mais plutôt constructif. Il est des situations où « nous
opposer nous donne le sentiment de ne pas être complètement écrasés
dans cette relation, cela permet à notre force de s'affirmer consciem
ment, dOlmant ainsi une vie et une réciprocité à des situations aux-
l P. BUIS, « Les conflits entre Moïse et Israël dans Exode et Nombres ;>, dans Velus
Testamentum, 28/3, 1978, p. 257.
2 C. CARRÉ, Sortir des conf/its. Le conflit c 'est la vie ! Découvrez comment commu
niquer sans violence et grandir dans le conf/it, Paris, Eyrolles, 2013, p. 17.
3 Y. POTIN, La gestion des conj/its dans les organisations, Versailles, Creg, 2009,
p. 4.
42 A. LWAMBA KAGUNGE
4 G. SIMMEL, Le conf/it, trad. Fr. S. MULLER, Saulxmes, Éd. Circé, 1992, p. 26.
5 SIMMEL, Le conf/it, p. 22.
6 J. FREUND, « Préface », dans G. SIMMEL, Le con f/it, p. 9.
7 R . Cusso et al. (éds), Le conflit social éludé, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Aca
demia, 2008, p. 8.
8 P. SOUAL, « Conflits et réconciliation dans la vie éthique selon Hegel », dans
Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, t. 201, octobre-décembre 201 1,
p. 5l4.
9 Voir HÉRACLITE, Fragments, trad. CONCHE, Paris, PUF, 1986, p. 441.
10 K. MARx, F. ENGELS, Manifeste du Parti communiste et Préfaces du {( Mani
feste », trad. L. LAFARGUE, 1 893, édition électronique (https ://www.rnarxists.org/
francais/marxlworksl1 847/00Ikmfe 1 8470000.htrnl réalisée par J.-M. Tremblay, p. 6.
11 C. :MA:rrART et al., « La sociologie du conflit et le conflit dans la sociologie ;>,
dans Cusso et al. (éds), Le conflit social éludé, p. 45.
12 SOUAL, « Conflits et réconciliation dans la vie éthique selon Hegel ;>, p. 5 1 9 .
LE CONFLIT ENTRE Mo ïsE ET PHARAON (EX 7-11) 43
1. Flexibilité mitigée
Pharaon permet que les Israélites aillent au désert mais sans s' éloi
gner, il ne revient pas sur un élément déterminant de l' exigence de
Moïse, à savoir les trois jours de marche dans le désert, laissant ainsi
délibérément planer une certaine équivoque. Pharaon admet-il que les
Israélites partent dans le désert pendant trois jours comme réclamé par
Moïse, mais sans s'éloigner de l'Égypte ? Moïse pour sa part ne réa
git pas à cette ambiguïté. Il accepte la concession faite par Pharaon,
en l'invitant toutefois à ne plus revenir sur sa parole. Pourtant, de
même que Moïse doute de la fiabilité de Pharaon, de même ce dernier
semble ne pas croire les propos de Moïse dont il fustigera les mau
vaises intentions en Ex 10,10. On le voit, la méfiance est partagée par
les deux parties dans ce conflit qui, dès lors, ne peut se résoudre.
Vient alors le troisième compromis.
Après trois autres fléaux qui ont durement frappé l'Égypte sans que
Pharaon plie, à l' annonce d'une nouvelle plaie, les sauterelles, ce der
nier est interpellé par ses serviteurs qui veulent qu'il satisfasse la
demande de Moïse de crainte que le pays ne périsse. Redoutant cepen
dant que les Israélites s'en aillent défmitivement, il autorise unique
ment les hommes à aller au désert pour offrir le sacrifice en laissant
en Égypte leurs femmes et leurs enfants. Encore une fois, Pharaon
accepte ce qu'on lui demande, mais fait tout pour ne pas compro
mettre ses chances de conserver ses esclaves. Et lorsqu'en guise de
représailles, YHWH fait monter sur l' Égypte des sauterelles qui
dévorent toute l 'herbe et tous les fruits, Pharaon reconnaît pour la
deuxième fois qu'il a péché contre YHWH18 et contre Moïse et
Aaron : il supplie pour qu'on lui pardonne sa faute et que le fléau soit
écarté (10, 16-17). Mais dès que les sauterelles disparaissent à la prière
de Moïse, YHWH endurcit encore le cœur de Pharaon au point que
ce dernier ne laisse pas partir les Israélites.
C'est alors que YHWH demande à Moïse d'étendre la main vers le
ciel pour que des ténèbres palpables recouvrent tout le pays. Confronté
18 Son premier aveu se lit en 9,27 et il intervient après que la grêle s'est abattue
sur l' Égypte. Lorsque Pharaon supplie Moïse et Aaron d'éloigner ce fléau : il promet
en échange de laisser partir Israël (v. 28), mais revient sur cette permission dès que la
plaie a cessé (v. 34-35).
LE CONFLIT ENTRE MoïsE ET PHARAON (EX 7-11) 47
D'entrée de jeu, il saute aux yeux que l' opiniâtreté de Pharaon est
telle qu'elle l'empêche de libérer les Israélites qu'il considère comme
sa propriété. Cette obstination est relatée de deux manières dans le
récit : tantôt elle est attribuée à Pharaon lui-même, tantôt elle est
1 9 « Hors d'ici ! Prends garde à toi ! Ne te présente plus devant moi, car le jour où
tu te présenteras devant moi, tu mourras ;>, Ex 10,28.
48 A. LWAMBA KAGUNGE
est dit que Dieu endurcit, c' est que la pensée sémitique ignore
volontiers les causes secondes. Toutefois, endurcir ce n' est pas
réprouver, c'est laisser le péché porter ses fruits de mort... De cet état,
l'homme porte la pleine responsabilité »26 Dans cette situation, il est
évident que Pharaon reste libre et donc responsable de ses actes. On
peut aussi affirmer que le cœur de Pharaon était déjà perverti au point
que YHWH n'avait plus besoin d'y ajouter une quelconque malveil
lance.
Aussi, du point de vue psychologique, l'attitude de Pharaon peut
être interprétée comme « une réaction de résistance intérieure à
l'homme qui, une fois déclenchée, ne peut plus être inversée, fût-ce
par la volonté individuelle »27 Et comme le souligne Grégoire de
Nysse, YHWH « ne livre ainsi à son sens pervers que celui qui y est
porté ; ce n'est pas par la volonté divine que le Pharaon s'est endurci
et la vie crapuleuse n' est pas l'œuvre de la vertu »28 Par conséquent,
l'opiniâtreté de Pharaon tire son origine de sa propre résistance à
reconnaître le nom et le pouvoir de YHWH. Qui plus est, son orgueil
n'est plus à démontrer dès lors que YHWH n'y va pas par quatre
1. Inflexibilité
CONCLUSION
Résumé - Cet article se veut une réflexion sur le conflit qui oppose Moïse
et Pharaon en Ex 7-11 et la tentative de sa résolution. Puisque le dénouement
auquel ce conflit donne lieu n'a rien de constructif, cet article tente d'éclairer
l'échec au moyen de deux analyses complémentaires correspondant aux deux
parties de l'ossature du texte. Tandis que la première passe en revue ce qui
peut paralyser le processus de résolution d'un conflit, la deuxième examine
les éléments susceptibles d'accentuer ce conflit. Les négociations entre les
protagonistes en vue d'une possible conciliation tournent vite au dialogue de
sourds. En cause, la duplicité qui accompagne toutes les démarches de Moïse
et Pharaon : chacun a un agenda caché qu'il se refuse à dévoiler, créant ainsi
un climat de méfiance dans lequel il est impossible d'imaginer une quel
conque résolution du conflit. C'est ainsi que la négociation devient un bras
de fer, à la base duquel on trouve la duplicité, l'absence de vraies conces
sions, le manque de dialogue franc, l'inflexibilité ainsi que l'obstination de
la part des protagonistes. D'un côté, Pharaon cherche à tout prix à empêcher
les Israélites de quitter l'esclavage qu'il leur impose; de l'autre côté, YHWH
et Moïse veulent coûte que coûte les en affranchir. Voilà une belle illustration
de ce qu'il est préférable d'éviter soigneusement si l'on souhaite parvenir à
la résolution positive d'un conflit.
imagine any resolution of the conflict. Thus, the negotiations become a strug
gle, at the base of which we find duplicity, the absence of real concessions,
the lack of frank dialogue, the inflexibility as well as the obstinacy on the
part of the protagonists. On the one hand, Pharaoh seeks to prevent the Isra
elites from leaving the slavery he imposes on them; on the other hand,
YHWH and Moses want to liberate them. This is a good illustration of what
must be carefully avoided if one wishes to achieve positive resolution of a
conflict.
BIBLIOGRAPHIE
par des espions (Nb 13-14). Cette révolte a pour conséquence l'er
rance et la mort de la génération de l'exode dans le désert. La présente
contribution se base sur l'un de ces textes de Nb.
Les conflits mis en récit dans ce livre sont essentiellement d'ordre
politique et religieux. Ils reflètent sans doute des enjeux historiques
et idéologiques qui ont présidé à la mise en forme du Pentateuque tel
que nous le connaissons actuellement. Ils peuvent aussi être source de
sens et de réflexion pour le lecteur contemporain.
Le texte retenu est Nb 16 qui se prolonge au chapitre 17. Cet épi
sode a ceci d'original qu'il rapporte une opposition qui n'implique pas
seulement Moïse et YHWH, mais aussi Aaron dans sa fonction sacrée
unique et éminente. C'est donc un conflit qui ne questionne pas seu
lement l' autorité dans le projet de la sortie d' Égypte, mais qui traite
aussi des rapports avec le sacré. Ces conflits en lien avec le sacré sont
parfois particulièrement aigus et complexes, d'où l'intérêt d'y consa
crer une étude. De plus, Nb 16 est un texte à la lecture particulière
ment difficile. De nombreuses hypothèses rédactionnelles ont cherché
à rendre compte de ses apparentes incohérences3 Des recherches se
sont également penchées sur des enjeux historiques qui pouvaient être
à l' origine de ce type de récit de conflits4 Ce que nous proposons ici
ne s'inscrit pas directement dans cette ligne de recherches historiques,
5 Nous prenons le texte comme un donné unifié et porteur d'tille intention, au terme
du processus rédactionnel ou état « final » (ici le texte hébreu de la Biblia Hebraica
Stuttgartensia), en essayant d'en comprendre l'intention et l'impact sm le lecteur.
6 R. ALTER, L 'art du récit biblique (le livre et le rouleau 4), Bruxelles, Lessius,
1999, p. 182-1 86, prend l'exemple de Nb 16. Sans nier le caractère composite du
texte tel qu'il nous est parvenu, il tente d'en montrer la possible cohérence et l'inté
rêt pour lUle lecture féconde : « les interventions éditoriales de l'autem ( ) laissent
...
entendre que les deux groupes de rebelles et les deux catastrophes font partie d'un
seul événement, ou, à tout le moins, de deux événements fondus l'un dans l'autre ( ) ...
je ne pense pas que ce type de confusion soit imputable à lUle quelconque négligence
éditoriale ;} (p. 185). C'est en ce sens que nous choisissons de lire un seul récit et d'y
voir des stratégies racontées dans une cohérence certes déstabilisante pOlIT le lecteur
moderne, mais riche de sens.
7 Dans la ligne d'une lecture narrative identifiant un jeu d'interprétations en Nb
16 voir F. MIRGUET, « Interprétation de récit, récit d'interprétations : l'exemple de
Nombres 1 6 ;}, dans Biblical Interpretation, 13, 2005, p. 404-417.
60 A. PIDAULT
21 Dès le début du récit de l'alliance, cette limite vers le sacré est mise en place,
notamment pom la montagne du Sinaï. Voir A. WÉNIN, « La théophanie du Sinaf(Ex
19,9 20,2 1) dans le contexte de l'Exode ,>, dans F. DUNAND, F. BOESPFLUG (éds),
Voir les Dieux, voir Dieu (Sciences de l'histoire), Strasbourg, Presses Universitaires,
2002, p. 67 : « Cette séparation rituelle d'avec le passé et d'avec la vie ordinaire est
tout à fait dans la ligne de la mise à part d'Israël annoncée par Adonaf à Moïse et déjà
acceptée par le peuple ("Vous serez pOlIT moi lUle part réservée, [ ... ] lUl royaume de
prêtres et une nation sainte" : 1 9,5-6 et 8). Ainsi, en se prêtant aux rites prescrits, Israël
concrétise dans les faits l'accord de principe qu'il a donné plus haut suite à l'offre
d'alliance. Il se montre prêt à entrer dans la différence, dans la "sainteté" que requiert
l'alliance avec Dieu ,}. Selon cette réflexion, la séparation du sacré est impliquée dans
le projet même de comrlllmiquer le sacré à Israël. En Nb 16, les opposants interprètent
à l'inverse le projet de YHWH, non comme altérité mais comme similitude. Pour plus
de détails, voir la lecture de Mrn.GUET, « Interprétation de récit, récit d'interpréta
tions ,>, p. 408-409.
22 Dans les discoms divins, le projet de dememer au milieu d'Israël est clairement
exprimé : Ex 25,8 ; 29,45-46 ; Nb 5,3. Après Nb 16, en Nb 35,34, la même sentence
est prononcée non plus au sujet du camp mais de la terre.
STRATÉGIES DE MoïsE ET DE YHWH EN NB 16 17 65
26 Les interprétations de la posture de Moïse dans ce récit sont très diverses. Par
exemple NOTH, Das vÎerte Buch Mose. Numeri, p. 1 1 1 s'étonne de la réaction de
Moïse au verset 1 5 : « Die Reaktion des "zomigen" Mose ist seltsam, weil sie auf
den besonderen Inhalt des Vorwurfs nicht einzugehen scheint ». J. DE VAULX, Les
Nombres (Soillces Bibliques), Paris, Gabalda, 1972, p. 193 parle d'« attitude libérale ;}
de Moïse aux v. 6-7 contre lUle posture exclusive aux v. 1 6- 1 8 .
27 MIRGUET, « L e motif des cassolettes en Nb 16,1-17,15 » , p . 6-8.
28 Le risque de mort par transgression de la limite entre sacré et profane est un as
pect que les révoltés oublient dans leur discoms (cf. n. 20) mais que Moïse commence
par lem rappeler. Au sujet du rapport entre le sacré et menace de mort voir WÉNIN,
« La théophanie du Sinaï(Ex 19,9 20,21) » , p. 68.
29 L'accès au sacré dépend de YHWH et non de Moïse et Aaron. Il faudra que
l'intéressé se prononce.
68 A. PIDAULT
blée d'Israël. Le but est sans doute d'éviter que la révolte la gagne
toute entière. Devant la décision divine d'en finir avec l' assemblée
(l'ajout de l'adjectif démonstratif indique qu'il s'agit de l' assemblée
des coalisés), Moïse infléchit l'ordre de YHWH en lui suggérant qu'il
vaut mieux châtier la partie, cause de la coalition, plutôt que le tout.
S'il détruit l' assemblée rebelle, c' est toute l'assemblée d'Israël qui
risque d'y passer. Si l' accusation de mort reviendra sur Moïse et
Aaron en 17,6 (<< vous avez fait mourir le peuple de YHWH » ), le
lecteur sait que Moïse a tenté (implicitement) d'éviter cette accusa
tion. Voici en effet ce que l'on peut lire aux versets 20-24 où YHWH
semble mitiger sa décision après la prière de Moïse et d'Aaron.
20
YHWH parla à Moïse et à Aaron en disant :
21
Séparez-vous du milieu de cette assemblée-ci,
«
32 Noter a posteriori l'opposition entre « tous sont consacrés » dans le discOillS des
révoltés en Nb 16,3 et « l'homme que YHWH choisira, c'est lui le consacré » (renforcé
en hébreu par la présence de l'article, 1 6,7). L'opposition de l'un contre tous est sou
vent perçue dans les conflits comme lUle logique d'exclusion.
72 A. PIDAULT
- mais aussi l' ensemble du peuple d' Israël. Cet élargissement à tout
Israël n' est pas dénué de sens. L'épisode de Qorab pourrait en effet
se reproduire dans l' avenir.
Deuxièmement, Nb 17 apporte une réponse directe aux questions
soulevées en Nb 16 au sujet d'Aaron. Les signes ordonnés par YHWH
sont clairs. (1) Aaron et sa descendance sont les seuls à être autorisés
à entrer dans le sanctuaire et à officier devant le saint : « afin que
n'approche pas un homme profane qui n'est pas de la semence d'Aa
ron, pour faire fumer la fumée d' encens en face de YHWH » . Il ne
saurait être de réponse plus claire à la controverse de Qorah. (2) La
reprise de la récrimination généralisée en 17,6 (<< toute l'assemblée »)
contre Moïse et Aaron engendre un fléau divin. L'offrande effective
de l'encens par Aaron en 17,12 (contre l'offrande des 250 en Nb 16)
stoppe ce fléau : « il (Aaron) mit l'encens et fit le rite d'expiation sur
le peuple et il se tint entre les morts et les vivants ; et la plaie fut
contenue H. L'offrande d'encens d' Aaron, à l'inverse des révoltés, ne
conduit pas à la mort mais à la vie33. (3) Le signe du rameau fleuri
ajoute ceci qu'il ne place pas Aaron seulement face aux insurgés mais
face à tout Israël : « Parle aux fils d'Israël et prends, de leur part, une
branche, une branche par maison paternelle ». Tout Israël est comme
représenté dans le sanctuaire mais seul Aaron peut vivre en présence
du saint, comme en témoigne le bâton qui fleurit. Dans ces trois cas,
Aaron peut franchir le seuil entre profane et sacré dont la frontière
touche, dans la Bible, le rapport même entre la vie et la mort.
Troisièmement, les signes ordonnés par YHWH en Nb 17 n'ont pas
seulement pour but de conclure l'affaire de Qorah, mais sont tournés
vers le futur. Le fait que ce soit Éléazar, le fils d'Aaron, qui mette en
œuvre le signe du revêtement d'autel réalisé avec le métal des casso
lettes des coupables, ainsi que la mention de « la descendance d'Aa
ron » en 17,5 donnent à ces signes une dimension d' ouverture aux
générations futures.
Nb 1 7 met donc le lecteur face à une réponse claire au sujet de la
spécificité de la fonction d'Aaron, en réponse à la révolte de Qorah
et de ses associés. Cette réponse est développée en trois temps et ne
laisse aucun doute sur l'intention divine telle qu'elle est présentée.
Celui que choisit YHWH, le consacré (cf. Nb 16,7), c'est bien Aaron.
33 Mn.GROM, Numbers, p. 140 : « The same tire pan that brought death to the
lUlauthorized 250 averts death in the bands of the authorized ».
74 A. PIDAULT
34 MILGROM, Numbers, p. 145 lit la fin abrupte du chapitre comme lUle ouverture
à Nb 18,1-7 : « The Israelites begin to dread the Tabernacle and will TIot corne near it.
To allay their fright, they are given the assurance that henceforth priests and Levites
alone will bear the responsibility for encroachment ;}.
STRATÉGIES DE Moï sE ET DE YHWH EN NB 16 17 75
Pour conclure cette lecture, en prenant l' ensemble des deux cha
pitres, il est intéressant de considérer que la réponse du principal inté
ressé dans le conflit, c'est-à-dire YHWH, est différée jusqu'au chapitre
17. En effet, c'est lui qui doit se prononcer et choisir le « consacré » ,
selon la stratégie de Moïse exposée dès 16,4. Moïse et Aaron sont
accusés de s'élever au-dessus de l'assemblée. Ils sont accusés de faire
mourir le peuple. Pourtant l' institution aaronide et la position
mosaïque remontent à YHWH lui-même (selon le livre de l'Exode) et
ne résultent pas d'auto-proclamations - ce que prétendent Qorah et
ceux qui le suivent. Mais la présence du personnage divin reste cachée
derrière les agissements de Moïse et Aaron. On comprend dès lors
que, même en 17,6, tout Israël pense que Moïse et Aaron sont les
auteurs de la mort du peuple, alors qu'ils exécutent les ordres de
YHWH. Il faudra sans doute un signe venant de l'intérieur du sanc
tuaire (le bâton fleuri) pour permettre d'entrevoir que le « problème »
vient de la divinité elle-même et non de ses représentants et de leur
possible illégitimité.
CONCLUSION
Summary - Among various stories of rebellion of Israel in the Bible (in the
book of Numbers in particular), there is the rebellion of Qorah, Datan and
Abiram (Num. 16-17). This rebellion targets not only the authority of Moses
but also that of Aaron and ils priesthood, making this text a report of a par
ticular conflict about the sacred institutions of Israel. Through a close reading
of the actions of sorne of the protagonisls (Moses and Yhwh), this article
exposes the different strategies elaborated in the narrative in order to stop
the rebellion.
BIBLIOGRAPHIE
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6 S. R. DRIVER, A Critical and Exegetical Commentary on Deuteronomy (The
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RAD, Deuteronomy (The Old Testament Library), Philadelphia, PA, Westminster,
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(eds), De Fructu Oris Sui: Essays in Honour ofAdrianus van Selms (Pretoria Ori
ental Series, 9), Leiden, Brill, 1971, p. 85-98, esp. 92-98; D. T. OLSON, Deuteronomy
and the Death ofMoses: A Theological Reading, Minneapolis, Fortress, 1994, p. 139;
D. 1. BLOCK, How 1 Love Your Torah, 0 Lord! Studies in the Book ofDeuteronomy,
Eugene, OR Cascade Books, 201 1, p. 166.
7 S. WEITZMAN, "Lessons from the Dying: The Role of Deuteronomy 32 in its
Narrative Setting", in Harvard Theological Review, 87, 1994, p. 377-393, esp. 379.
8 U. CASSUTO, "The Song of Moses (Deuteronomy Chapter XXXII)", in ID.,
Biblical and Oriental Studies, vol. 1, trans. Israel Abrahams, Jerusalem, Magnes,
1973, p. 41 -46.
9 M. THIESSEN, "The FOTIn and Function of the Song of Moses (Deuteronomy
32:1-43)", in Journal of Biblical Literature, 123, 2004, p. 401-424. See also J. W.
WATTS, Psalm and Story: Inset Hymns in Hebrew Narrative (coll. Journal for the
Study of the Old Testament. Supplements, 139), Sheffield, Academic Press, 1992, p.
15.
10 G. A. F. KNIGHT, The Song of Moses: A Theological Quarry, Grand Rapids,
MI, Eerdmans, 1995, p. 44.
11 R. E. GARTON, Mirages in the Desert: The Tradition-historical Developments
ofthe Story ofMassah-Mribah (Beihefte zur Zeitschriftfor die alttestamentliche Wzs
senschafl, 492), Berlin, Walter de Gruyter, 2017, p. 95.
12 GARTON, Mirages in the Desert, p. 99-100; P. SANDERS, The Provenance of
Deuteronomy 32 (Oudtestamentische Studiën, 37), Leiden, Brill, 1996, p. 429-43 1 .
1 3 GARTON, Mirages in the Desert, 96.
CONFLICT AND RECONCILIATION IN THE SONG OF MOSES 81
COMPOSITION OF A LAWSUIT
Moreover, several scholars who have devoted their time and energy
in studying the Song of Moses hold that it cannot be regarded as a
lawsuit due to the final part of the Song, where instead of bringing
about divine punislnnent, YHWH relents and Israel survives its God's
anger. In the latter part of this paper, it will be shown what the purpose
of this lawsuit is. Paul Sanders seerns right in contending that before
one ventures into a diachronic analysis of the Song of Moses, atten
tion should be paid "to discover the thernatic coherence in the song
as weil as the relationship between the different forrns incorporating
there"17 Note also the telling rernarks of Gary Harlan Hall, who sug
gests it best to understand the Song of Moses as a covenant lawsuit.
According to Hall, the Song of Moses cornes after the covenant
renewal as depicted in chs 29-30 as weil as the indictrnents enurne
rated in 3 1 : 16-1 8.27-29. "Thernatically," holds Hall, "it agrees with
the covenant ernphasis of the book, even if the covenant is not expli
citly referred to in the Song"18
Having given sorne general observations on the understanding of
the Song of Moses, we will take recourse to Pietro Bovati for our
analysis to see it as a lawsuit. As Bovati has propounded, rîb is a
controversy or a juridical crisis between two parties who had a juri
dical bond between thern19 He sketches out different stages in this
juridical crisis. Firstly, the accusation is laid by the aggrieved party.
Then the accused is required to respond to the allegation. The accused
party rnay admit guilt or protest his innocence by providing sufficient
reasons. If guilt is adrnitted and pardon sought, conflict can be
resolved through reconciliation. However, it is possible that the accu
ser does not oblige to pardon, in which case the controversy conti
nues. The accused is given sentence according to the rneasure of
wrong he has cornrnitted. Moreover, it is also admissible that the
accused does not plead guilty, in which case, the controversy again
goes an20.
Bovati regards lawsuit as a dialogue, in which the disputant is cal
led to account. Charges are levelled with words of accusation. In this
regard, the accuser rnakes reference to a third party which is taken as
How does this lawsuit begin in the Song of Moses? The plaintiff in
Deut 32 is the Lord hirnself. The accused party is the people of Israel.
The 'drarna' unfolds in the following:
1 . vv 1-6: Introduction of the case,
.
3. vv 15-18: lndictment
.
4. vv 19-26: Sentence
.
5. vv 27-33: Repentance
.
1 . Following Wright, in this lawsuit, the heavens and the earth are
sununoned as witnesses in verse 1 . The calling upon of the heavens
and the earth is not unique in the Song of Moses though. These ele
ments are called upon also in Deut 4:26; 30: 19 and 3 1 :28. Moreover,
this type of forrnula is found elsewhere in Isa 1 :2; Micah 6:2; Jer 2: 12
and Ps 50:4, with an allusion also in Job 20:2725 It should be borne
in mind, however, that the heavens and the earth are not solely called
upon as witnesses in a lawsuit. In other parts of the Hebrew Bible,
they are invoked, for example, to praise God for his wonderful deeds
(cf. Ps 89:5); they are called upon to shout for God (cf. Isa 44:23),
etc. In our context, nonetheless, their main function is to act as wit
nesses. According to Jeffrey Tigay, the purpose of invoking the
heavens and the earth is that they may be "objective onlookers". Tigay
accentuates that they serve as witnesses of justice of ail the charges
that the Song levels against Israel. Moreover, they also witness to "the
faimess of ]srael's punishment"26 Vv. 4-6 introduce the main themes
of the Song: the Lord is just and upright (v. 4) but Israel is corrupt (v.
5). The opening charge is laid against the accused in the present tense
in v. 6: "Do you thus repay the Lord?" According to John Wiebe, "the
lawsuit against God's people is not described as a past event but as a
present reality about to begin"27 These three verses, narnely 4-6, in a
nutshell convey God's justice as weil as disloyalty of IsraeF8
2. In the speech of prosecution (vv. 7-14), emphasis is laid on ail
the benevolent acts the Lord has wrought on behalf of the people of
Israel. The praise of God for his benefactions is frequent in the litnrgy
(cf. Deut 26:5-9). Tigay speaks about the recitation of such benefac
tions in two contexts. In liturgy they are used to express gratitnde to
God. In other places, as in the Song, they are used as a basis to rebuke
the people for their apostasy29 Verse 9 occupies prominence insofar
as it points out Israel's special position as "the Lord's portion", "the
lot of his inheritance". The nation of Israel is not given to any other
deity. Moreover, Israel is made to recall the blessing and care shown
by its God through a nurnber of verbs: he found, he led, he instructed,
he kept (vv. 10,1 1); he carried (v. 1 1), set atop the heights, fed, nursed
(v. 13)30. Similar kind of prosecution speech can also be seen in Hos
9: 10; 1 1 : 1-4 and 1 3 :4-5; Micah 6:3_431 The allusion to the desert
experience is portrayed in vv 10- 12 while vv 13-14 highlight on the
. .
30 D. T. OLSON, "God for Us, God against Us: Singing the Pentateuch's Songs of
Praise in Exodus 15 and Deuteronorny 32", in Theology Today, 70, 2013, p. 54-61,
esp. 57.
3 1 See WIEBE, "The FOTIn, Setting and Meaning", p. 132.
32 WIEBE, "The FOITll, Setting and Meaning", p. 133.
33 WIEBE, "The FOTIn, Setting and Meaning", p. 133-134.
34 R. D. NELSON, Deuteronomy: A Commentary (coll. Old Testament Library),
Louisville, Westminster John Knox Press, 2002, p. 373.
35 TIGAY, Deuteronomy, p. 294; J. R. LUNDBOM, Deuteronomy: A Commentary,
Grand Rapids, MI, Eerdmans, 2013, p. 887.
86 A. J. KHOKHA.R
three verses are pagan nations (the enemy)40, others contend that they
refer to Israel41 Taking Israel as the subject of vv. 28-30 seems more
plausible. It is due to their lack of counsel and understanding that they
go behind foreign gods. Verse 29 seems to suggest a longing for wis
dom and understanding. This aspiration of the poet does not appear
to be for the enemy. Wiebe sees a movement of cornrnunal larnenta
tion from vv. 27-39 in which they finally realize that their power is
gone (v. 36) and that they could only be saved by the Lord (v. 39).
Seeing that his people's power is gone, God would revoke his anger
against them (v. 36)42
Before we corne to our final section, a few remarks seem in place
conceming Wiebe's analysis of the Song of Moses. Wiebe's proposi
tion that the Song of Moses is a whole unit seems quite plausible. He
calls this poetic section as "a deliberative rîb", and contends that it is
a modified forrn of rîb or covenant lawsuit. This deliberative rîb,
according to hirn, has a heavenly court setting where YHWH'S delibe
ration takes place. Wiebe, however, does not elaborate on the chief
purpose of this deliberation. As he rightly states, this deliberation is
in direct response to the act of remorse or repentance rnanifested by
the accused party. But the motif of this deliberation is not spelled out
satisfactorily43.
As Bovati has recently shown, the main intention ofthe whole legal
process of rîb is full restoration of justice. Moreover, the sociological
environrnent of this process is not the court but the family. To quote
Bovati, "the rîb is that process, which, while remaining within the
farnily, intends to preserve the spirit of benevolence, intended to give
life, not to die"44.
6. In the first part of this paper we have seen Bovati stating that in
a controversy, rîb between God and His people - and in our case, in
the Song of Moses - the chief purpose is not punishrnent but a right
relationship with the guiltyl5. In this sense, Jean-Pierre Sonnet reco
guises a unique character of the Song that deserves a mention.
Eisewhere, when God relents and forgives the people of Israel, it is
due to the intervention of Moses. Thus, in Deut 9: 19.26, Moses
remembers the incident at Horeb and reminds the people that it was
due to his intercession that God did not bring upon them the punish
ment he had intended. In the Song of Moses, however, God relents
without any mediation from Moses46 Wiebe sees in the words "Is not
this laid up in store with me, and sealed up among my treasures?" (v.
34) a rhetorical deliberation, which is in direct response to the remorse
shown by the people of Israel. Verses 27-33 constitute an important
part in making God change his ruind about annihilating the people of
Israel. It is not Israel but the enemy which deserves punishment.
Having, therefore, seen the laments ofhis people, God deliberates and
states that he has noted the evils of the enemy and these evils are
"stored up" in his rnind47.
The conflict in the Song of Moses receives ils fmal judgement in
verse 35. The controversy cornes to a settlement as God, who is the
accuser, pronounces his verdict. Vengeance and retribution belong to
him (v. 35). It is he himselfwho will avenge Israel's enemies. While
declaring his sentence, God first mocks Israel for having relied on
foreigu gods. Moreover, he reminds them that it is only he indeed who
can save them (vv. 37-39). He swears by "lifting his hand" (v. 40) that
he will avenge his people, and repay the enemy48 The conflict, the
refore, cornes to an end and reconciliation is reached about by a
solenrn declaration of praise of God (v. 43). In the words of John
Thompson, "He [God] not only forgives His people but covers over
their offence"49.
CONCLUSION
Summary - Right from the very first book of the Hebrew Bible, several
texts present conflict situations. Since conflict has become a part of life -
between individuals, families, neighbours, working groups, regions, nations
- religious texts such as the Bible are evoked to study this complex issue in
order to live a life of communion. The Song of Moses (Deut 32) presents a
situation of conflict - between YHWH and the People of Israel - and is
regarded as an accusatory speech. Israel is a perverse and a crooked genera
tion that has grown fat and forgotten its God. The situation of conflict inten
sifies when YH\VH threatens to hide his face from them beeause they have
provoked him to anger. However, YH\VH reverses his attitude towards his
people, and that too, unlike elsewhere (cf. Deut 9:26), without any interven
tion by Moses. In this present paper, the foeus is on the following questions:
\Vhat issues of eonfliet the Song of Moses presents? \Vhat is at stake in this
eonfliet? How does reeoneiliation between YH\VH and the People of Israel
lake place?
90 A. J. KHOKHA.R
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CONFLICT AND RECONCILIATION IN THE SONG OF MOSES 91
AmÈNES ou JÉRUSALEM ?
travaille pom la réputation et celui qui travaille pom la vie ? Entre lUl acteur de paroles
et un actem d'actions ? Entre lUl bâtisseur et lUl destructem ? Entre un corruptem de la
vérité et son restamateill, entre son volem et son gardien ? » Pour une étude avancée,
voir l-C. FREDOUILLE, Tertullien et la conversion de la culture antique, Paris, Études
Augustiniennes, 1972.
3 B. POUDERON, « Les premiers chrétiens et la culture grecque », dans l-M.
MAYEUR, C. et L. PIETR!, A. VAUCHEZ, M. VENARD (éds), Histoire du christianisme,
t. 1 , Le nouveau peuple (Des origines à 250), Paris, Desclée, 2000, p. 8 1 7 . Voir aussi
A. PUECH, Les apologistes grecs du I� siècle de notre ère, Paris, Hachette, 1 9 1 2 ; R.
JOLY, Christianisme et philosophie. Études sur Justin et les Apologistes grecs du I�
siècle, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1973 ; R. M. GRANT, Greek
Apologists of the Second Century, Philadelphia, The Westminster Press, 1988 ; B.
POUDERON, Les Apologistes grecs du second siècle, Paris, Cerf, 2005.
, La Puissance d'en-haut (Lc 24,49 ; Ac 1,8), le Paraclet (In 14,16.26 ; 1 5,26).
98 L ZHANG
5 Les chrétiens et les Grecs ont lUl point de vue différent par rapport à la littéra
ture classique et aux auteurs comme Homère et Hésiode : pOlIT les lUlS, ce sont plutôt
des poètes, mais pOlIT les autres, plutôt des « théologiens ;>, au sens où ils avaient
introduit lUle croyance aux dieux. Voir ATHÉNAGORE, Supplique au sujet des chrétiens
et Sur la résurrection des morts, introduction, texte et traduction par B. POUDERON
(Sources Chrétiennes, 379), Paris, Cerf, 1992 (Supplique, 17, 1, p. 123) : « J'affirme
que ce sont Orphée, Homère et Hésiode qui ont attribué une généalogie et des noms
à ceux qu'ils prétendent être des dieux. ,} Clément d'Alexandrie insiste sur le fait
que l'étude est quand même importante et nécessaire. Voir CLÉMENT D'ALEXANDRIE,
Stromate, l, 6, 35, 2, trad. M. CASTER (SolITces Chrétiennes, 30), Paris, Cerf, 1951, p.
71 : « Nous disons que même sans savoir lire on peut être fidèle, mais nous convenons
aussi que comprendre les doctrines de la foi est impossible sans étude. ,}
6 G. DORIVAL, « L'apologétique chrétienne et la culture grecque ,>, dans B. POUDE
RON, J. DORÉ (éds), Les apologistes chrétiens et la culture grecque, Paris, Beauchesne,
1998, p. 424.
7 Mais quel est le sens exact de ce titre pOlIT lUl chrétien ? Selon B. Pouderon, il
LES PÈRES APOLOGISTES FACE À LA CULTURE GRECQUE 99
ACCUSATION ET RÉFUTATION
exemples. Il place Aristide, Athénagore, Justin et presque tous les autres Apologistes
du ne siècle au cas (c) auquel il faut ajouter Origène, les Cappadociens et Augustin, à
l'exception de Tatien qui est, selon l'auteur, le seul exemple pour le cas (a), et de Clé
ment d'Alexandrie qui est pour le cas (b). Il montre des exemples comme Minucius
Felix, Boèce et Synésios de Cyrène pour le cas (d) et l'autem de l'Areopagitica pOlIT
le cas (e).
1 3 DORIVAL, « L'apologétique chrétielllle ,>, p. 426.
14 ARISTIDE, Apologie 8-13, trad. B. POUDERON et M.-J. PIERRE avec la collabora
tion de B. OUTTIER et M. GUIORGADZÉ (Sources Chrétiennes, 470), Paris, Cerf, 2003,
p. 269-285 (sauf indication, la traduction citée ici est d'après la version grecque).
1 5 DORIVAL, « L'apologétique chrétienne ,>, p. 424.
16 Les apologétiques chrétiennes suivent généralement une structure assez ty-
LES PÈRES APOLOGISTES FACE À LA CULTURE GRECQUE 101
Pour concilier les points de vue, voire résoudre les conflits, le pre
mier pas est de comprendre et de trouver où la question se situe exac
tement. Pourquoi les chrétiens sont-ils maltraités ? Quelles sont les
raisons des accusations et des persécutions ? Comme nous venons de
le dire, les Apologistes dénoncent le fait que les chrétiens sont souvent
accusés à cause de leur nom, le nomen christianum. « Quel est le chef
d'accusation pour lequel, alors qu'il n'a été convaincu ni d'adultère,
ni de débauche, ni de meurtre, ni de brigandage, ni de vol, ni d'avoir
commis le moindre délit, mais qu'il a avoué seulement répondre au
nom de chrétien, tu as condamné cet homme à mort ? »17 Ou encore
« c'est à cause de notre nom que nous sommes détestés »18. Ce juge
ment est contraire à la raison puisque « le seul énoncé d'un nom
n'autorise aucun jugement, ni en bien ni en mal, si l'on fait abstrac
tion des actions qui tombent sous le coup de ce nom » 19 S'en prendre
aux chrétiens sans examiner leurs actions n'est ni juste ni raisOlmable.
De plus, Justin continue avec un peu d'humour et un jeu de mots entre
Xpl(nÔç (Christ) et XP'lGTÔÇ (excellent), « si l'on s'en tient au nom
dont on nous fait grief, il se trouve que nous sommes des citoyens
excellents (XP'lGTÔmWl 1l1HlPX0f.1CV) »20, ou encore, « on nous accuse,
en effet, d'être chrétiens (XplGnuvo! yàp elVUl KUTllyopoilvmç) ; or
il n'est pas juste de haïr ce qui est excellent (Tà Di: XP'lGTàv f.11GElG9Ul
où OiKUlOV) »21 En plus du nomen christianum, les chrétiens ont subi
pique, par exemple, les deux Apologies de Justin, et L 'Apologie à Diognète, avec
modification selon le besoin des différents autems.
17 JUSTIN, Apologie pour les chrétiens, II, 2, 16, trad. C. MUNIER (Sources Chré
tiennes, 507), Paris, Cerf, 2006, p. 325-327.
18 ATHÉNAGORE, Supplique, 1 , 2, p. 73 ; voir aussi 2, 1, p. 75 : « Mais si l'accusa
tion ne tient qu'à notre nom. . . ;} ; 2, 4, p. 77-79 : « Nous demandons donc à bénéficier,
nous aussi, du traitement commun à tous, c'est-à-dire à ne pas être haïs et châtiés parce
que nous sommes chrétiens car en quoi un nom ferait-il de nous des méchants ? ;}
1 9 JUSTIN, Apologie, l, 4, 1 , p. 133 ; voir aussi l, 4, 3, p. 135 ; l, 7, 4, p. 143-145.
Dans un article, A. Hayes traite la question de la signification de l'identité des chré
tiens selon Justin, une question qui n'est pas facile mais qui est nécessaire : A. D. R.
HAYES, « Justin's Christian Philosophy: New possibilities for Relations between Jews,
Graeco-Romans and Christians ;}, dans C. METHUEN, A. SPICER, J. WOLFFEN (éds),
Christianity and religious plurality, Woodbridge-Rochester, The Boydell Press, 2015,
p. 14-32.
20 JUSTIN, Apologie, l, 4, 1 , p. 1 3 3 .
21 JUSTIN, Apologie, l , 4 , 5, p. 135 ; voir aussi l, 46, 4 , p. 251-253.
102 L ZHANG
3 1 « Seul Origène, dans le Contre Celse, introduit lUle nuance dans ce concert de
condamnations du polythéisme : certes, il critique la religion grecque, mais il accorde
lUle valeur certaine à la religion de Balaam et des mages, qui, grâce à l'inspiration
divine, ont été capables de prédire la venue du Sauveur et de reconnaître la rnessianité
de l'enfant Jésus avant les Juifs. » DORIVAL, « L'apologétique chrétienne ,>, p. 425.
Voir aussi M. FÉDOU, Christianisme et religions païennes dans le Contre Celse d'Ori
gène (Théologie historique, 81), Paris, Beauchesne, 1988, p. 420-470.
32 ARIsTIDE, Apologie, 8- 13, p. 269-285.
33 TATIEN, Discours, 4, 4, p. 592 ; voir aussi 12, 6, p. 600 : « Voilà, Grecs, ceux
que vous adorez ; pourtant, ils sont nés de la matière et sont bien éloignés du bon
ordre. ;}
34 TATIEN, Discours, 4, 5, p. 592 ; voir aussi ARIsTIDE, Apologie, 1, 2, p. 257 ;
JUSTIN, Apologie, II, 10, 1 , p. 349 ; II, 13, 1, p. 361 ; ÀmÉNAGORE, Supplique, 15-16,
p. 1 1 7-123.
35 ARISTIDE, Apologie, 8, 2, p. 269 ; JUSTIN, Apologie, l, 2 1 , 4, p. 189 ; II, 12,
5, p. 359 ; TATIEN, Discours, 8, p. 594-596 ; ÀmÉNAGORE, Supplique, 34, 2, p. 201 ;
CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Protreptique, II, 33, 6, trad. C. MONDÉSERT (Sources Chré
tiennes, 2bis), 3e édition, Paris, Cerf, 1976, p. 89.
36 ARISTIDE, Apologie, 8, p. 269 ; JUSTIN, Apologie, 1, 14, 1-2, p. 163-165 ; II, 2,
1, p. 321 ; ATHÉNAGORE, Supplique, 34, 2-3, p. 201.
37 ARIsTIDE, Apologie, 8, p. 269 ; 17, 2 (version syriaque), p. 249-251 ; JUSTIN,
Apologie, l, 27, 1 , p. 203 ; TATIEN, Discours, 28, 3, p. 615 ; ArHÉNAGORE, Supplique,
34, 2, p. 201 .
38 JUSTIN, Apologie, l, 14, 2-3, p. 163-165 ; ArHÉNAGORE, Supplique, 35, 4-6, p.
104 L ZHANG
puisque « tout le monde est d'avis qu'il est beau d'imiter les dieux » 39
Les Grecs pratiquent également l'exposition des enfants40, l' avorte
rnent41, la prostitution42, la pédérastie43.
Les Apologistes polémiquent aussi contre la philosophie. D'après
Gilles Doriva144, leurs principaux arguments sont au nombre de quatre,
et ils ont tous des antécédents chez les païens. 1) L'argument tiré de
la vie des philosophes qui dément leur prétention à atteindre la vérité :
l'intempérance de Diogène, la débauche d'Aristippe, la gourmandise
de Platon et la flatterie d'Aristote à l'égard d'Alexandre45 ; 2) l'argu
ment de l'immoralité de la philosophie : l'orgueil d'Héraclite4', le
parricide et l'anthropophagie de Diogène, l'inceste et la pédérastie
d'Épicure47 ; 3) l'argument de l'inutilité et la vanité de la philoso
phie48 ; 4) l'argument du désaccord entre les philosophes par opposi
tion à l'unité de la foi chrétienne49 : la morale stoïcienne contredit
elle-même la théorie du destinso. En fait, on peut prolonger la liste de
203-205.
39 JUSTIN, Apologie, l, 2 1 , 4, p. 189.
40 JUSTIN, Apologie, l, 27, 1-3, p. 203.
41 ÀmÉNAGORE, Supplique, 35, 6, p. 205 ; CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Le Péda
gogue II, 10, 96, 1, trad. C. MONDÉSERT (Sources Chrétiennes, 108), Paris, Cerf, 1 965,
p. 185.
42 JUSTIN, Apologie, l, 27, 4-5, p. 203-205. Justin souligne que certains com
mettent la prostitution à l'intérieur de leur propre famille : « Certains vont jusqu'à
prostituer leurs propres enfants et lems épouses. . . ,>, mais c'est bien ce que fait Zeus,
qui s'unit incestueusernent à sa mère Rhéa, à sa fille Coré, voir ArHÉNAGORE, Sup
plique, 32, 1 , p. 193-195.
43 ÀmÉNAGORE, Supplique, 34, 2-3, p. 201 ; CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Le Péda
gogue, III, 3, 2 1 , 2, trad. C. MONDÉSERT et C. MATRAY (Soillces Chrétiennes, 158),
Paris, Cerf, 1 970, p. 5 1 .
44 DORIVAL, « L'apologétique chrétienne ,>, p . 447-451 .
45 TATIEN, Discours, 2, p. 589-590.
46 TATIEN, Discours, 3, p. 590.
47 THÉOPHll..E D'ANTIOCHE, À Autolycus, III, 5-6, trad. J. SENDER (Soillces Chré
tielll1es, 20), Paris, Cerf, 1 948, p. 213-217.
48 THÉOPHll..E D'ANTIOCHE, À Autolycus, III, 2, p. 207-209 : « Qu'a-t-il servi
à Homère ... ou à Hésiode ... ou à Orphée. . . ? [ ... ] À quoi servirent à Euripide, à So
phocle . . . à Ménandre . . . à Arisophane ... ou à Hérodote et à Thucydide ? [ ... ] Qu'a servi
à Platon l'éducation qu'il institua ? à tous les autres philosophes leurs théories ? car je
ne veux pas les émunérer tous, tant ils sont nombreux. Cela dit pour montrer l'inutilité,
l'impiété de leurs excogitations. ,}
49 JUSTIN, Apologie, l, 4, 8, p. 137 ; TATIEN, Discours, 3, 7, p. 591 ; AmÉNAGORE,
Supplique, 7, 2, p. 93 ; THÉOPHILE D'ANTIOCHE, À Autolycus, III, 3, p. 2 1 1 ; CLÉMENT
D'ALEXANDRIE, Stromate, l, 13, 57, 1, p. 9 1 .
50 JUSTIN, Apologie, II, 6(7), p. 335-339. Par exemple, des différentes doctrines
LES PÈRES APOLOGISTES FACE À LA CULTURE GRECQUE 105
sur Dieu, la matière, la forme et le monde. Voir TATIEN, Discours, 25, p. 612-613.
5 1 TATIEN, Discours, 26, 6, p. 613. Mais ce n'est pas le cas pOlIT un vrai chrétien
puisque la doctrine lui demande non pas des discOillS mais des actions, voir JUSTIN,
Apologie, l, 16, 8, p. 175 ; et de plus, beaucoup de chrétiens sont incapables de faire un
raisonnement sur la doctrine chrétienne mais lems actes témoignent de sa valem, voir
ATHÉNAGORE, Supplique, I l , 3-4, p. 105-107 ; 33,4, p. 199 ; THÉOPHll.E D'ANTIOCHE,
À Autolycus, l, 1, p. 59.
52 JUSTIN, Apologie, II, 10, 1-3, p. 349 : « Il est évident que notre doctrine sm
passe toute doctrine humaine, du fait que le principe rationnel intégral est devenu le
Christ [ . . . ]. Tout ce que depuis toujoms les philosophes ou les législateurs ont procla
mé et découvert d'excellent, a été atteint péniblement par eux grâce à lem recherche et
à lem réflexion touchant partiellement le Logos ;} ; voir aussi TATIEN, Discours, 12, 9,
p. 600 ; CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Protreptique, X, 1 12, 2, p. 1 80.
53 Tatien et Tertullien refusent « absolument d'utiliser la philosophie et la mytho
logie grecques pour faire comprendre les doctrines chrétiennes ;}. DORIVAL, « L'apo
logétique chrétienne ;>, p. 427.
54 Comme Justin et Clément d'Alexandrie. C de Vogel, en analysant la question
de « common ground ;} entre le platonisme et le christianisme, pense que c'est sur les
« rational grounds ;} auxquels croient les platoniciens que prennent appui des chrétiens
qui « assimilated them in order to integrate them in their 0"Wll belief ;} (DE VOGEL,
Platonism and Christianity, p. 27-28).
106 L ZHANG
avec les Juifs et avec les païens55. Son double titre, « philosophe et
martyr » , manifeste bien son attitude positive envers la philosophie et
sa foi solide dans la doctrine chrétienne56 qui est pour lui comme
« une philosophie divine »57 et « l'unique philosophie sûre et profi
table »58 qui est « supérieure à toute humaine philosophie »59
Justin raconte qu'il a parcouru les différentes philosophies60 : le
stoïcisme, l'aristotélisme, le pythagorisme et le platonisme. Mais ses
connaissances philosophiques ne se limitent pas à ces quatre écoles,
comme en témoignent ses écrits : il cOlmaît aussi le socratisrne, l' épi
curisme, le cynisme", etc. Cependant, même si Justin pense que « la
philosophie est un très grand bien, le plus précieux aux yeux de Dieu,
à qui seule elle nous conduit et nous unit [ . . . ] c'est une science unique
que la philosophie »62, il ne trouve pas une vérité totale et convain
cante dans ces philosophies humaines puisque à ses yeux, elles
contiennent des choses fausses et erronées par opposition à la foi
chrétienne. Prenons un exemple. Les doctrines des Stoïciens « ont été
excellentes, au moins dans leur discours éthique »63, affirme Justin
qui, en revanche, condanrne leur doctrine de « la fatalité du destin »64
en soulignant l'importance de la liberté et de la responsabilité de
l'homme, puisque « ce n'est pas non plus d'après un destin fatal que
les hommes accomplissent ou subissent ce qui arrive, mais chacun fait
ces démons, « qui sont aussi les instigateurs des cultes païens » 80.
Dans ce sens, Socrate est « un clnétien » avant la venue du Clnist
puisque « personne ne s'est laissé persuader par Socrate de mourir
pour cette doctrine, mais par le Clnist, que même Socrate a connu
partiellement »81
Mais lorsque Socrate, à la lumière de la raison véritable (My'P àÀTjesT)
[ . ] s'efforça de tirer ces choses au clair et de détourner les hommes
. .
ment chez les Grecs, par la bouche de Socrate, que ces faits ont été
dénoncés à la lumière de la raison (imo ÀÔYou), mais aussi chez les
barbares, par le Logos lui-même (lm' aùro'Ù TOD Aôyou), revêtu d'une
fOlme sensible, devenu homme et appelé Jésus-Christ.82
CONCLUSION
Si les auteurs des apologies à partir du III' siècle sont plutôt des
« chrétiens de naissance » 84, ce ne fut pas le cas pour les Pères apo
logistes du n' siècle, qui sont généralement des « païens convertis ».
Même si les Pères sont fervents de la foi chrétienne, ils ont vécu dans
un monde hellénisé, suivi une éducation grecque, connu profondé
ment la culture grecque85. Les Pères, en plus de l'Écriture sainte,
source première et fondamentale, utilisent la richesse culturelle
grecque pour réfuter les doctrines erronées et pour défendre efficace
ment la rationalité et la vérité de la doctrine chrétienne. Les paroles
de Joseph Doré méritent d'être citées ici : « Ce fut une grande aven
ture que la rencontre de la foi chrétienne avec la culture grecque au
tout début du Christianisme ! Ce fut, ni plus ni moins, la rencontre et
l' affrontement de deux visions du monde et de deux systèmes de
valeurs : foi et démarche confessante d'un côté, rationalité et méthode
philosophique de l'autre. Allait-il être possible d'assumer le double
héritage du judaïsme et de l'hellénisme, de revendiquer la double
fidélité à la foi chrétienne s'offrant à prendre le relais de la loi juive,
et à la raison devenue grecque ? [ ] Sereines et réussies, ou conflic
. . .
84 Les chrétiens sont-ils une nouvelle « race ;} au-dessus des barbares, des Grecs
et des Juifs selon Aristide ? Voir ARISTIDE, Apologie, 2, 2 (version syriaque), p. 1 89 :
« Il existe quatre races d'hommes en ce monde : les barbares et les Grecs, les Juifs
et les chrétiens. ;} Reprise en 2, 4 (version syriaque), p. 1 9 1 . Oui et non. Ils sont un
peuple nouveau qui peut participer intégralement au Logos divin grâce à l'Incarna
tion et la Passion du Christ. Mais en même temps, il n'y a plus ni Juifs, ni Grecs, ni
barbares puisque tous sont un dans le Christ. Ainsi, la « race chrétienne ;} ne doit pas
être comprise comme ce qui se distingue des barbares, des Juifs ou des Grecs. Voir
aussi D. K. BUELL, Pourquoi cette race nouvelle ? Le raisonnement ethnique dans le
christianisme despremiers siècles. Traduit de l'anglais par C. EHLINGER (Patrimoines.
Christianisme ancien), Paris, Cerf, 2012.
85 Venant d'une autre culture pour étudier la théologie selon une manière occi
dentale, je trouve que, dans ces conflits, l'enjeu de la culture n'est pas le seul : il y a
aussi celui du langage, du concept : le langage, le concept et la mentalité sont étroite
ment liés, en effet.
LES PÈRES APOLOGISTES FACE À LA CULTURE GRECQUE 111
nations (Mt 28: 19), the first disciples begin to announce the Good News to
the Gentiles, like the Apostle Paul who teaches that there is no more distinc
tion between Greeks and Jews, because all are one in Christ (Gal 3:28; Col
3: 11). However, this path to the other nations, especially to the Greeks and
Romans, is not without difficulties and conflicts, one of the mûst remarkable
conflicts being the cultural conflict that we find in almost all the Fathers of
the Church, especially in the apologist Fathers. What is the position of the
Apologists regarding Greek culture and particularly philosophy? Sorne are
rather positive and seek inculturation or even Christianization of the Greek
culture (Justin, Clement of Alexandria); others are rather negative, opposing
an almost total refusaI ofthis culture (Tatian, Tertullian). The purpose ofthis
paper is to analyze the various attitudes of the Apologists, Justin in particular,
in front of Greek culture.
BIBLIOGRAPHIE
Travaux contemporains
ALEXANDRE M., « Apologétique judéo-hellénistique et premières
apologies chrétiennes » , dans B. POUDERON, J. DORÉ (éds), Les apo
logistes chrétiens et la culture grecque, Paris, Beauchesne, 1998,
p. 1-40.
BOBICHON P., « Les enseignements juif, païen, hérétique et chrétien
dans l'œuvre de Justin Martyr », dans Revue des Études Augusti
niennes, 45, 1999, p. 233-259.
BORGEN P., Early Christianity andHellenistic Judaism, Édimbourg,
T&T Clark, 1996.
BUELL D. K., Pourquoi cette race nouvelle ? Le raisonnement eth
nique dans le christianisme des premiers siècles. Traduit de l'anglais
par C. EHLINGER (Patrimoines. Christianisme ancien), Paris, Cerf,
2012.
DE VOGEL C., « Platonism and Christianity. A Mere Antagonism or
a profound Cornrnon Ground », dans Vigiliae Christianae, 39, 1985,
p. 1-62.
DORIVAL G., « L'apologétique chrétienne et la culture grecque »,
dans B. POUDERON, J. DORÉ (éds), Les apologistes chrétiens et la
culture grecque, Paris, Beauchesne, 1998, p. 423-465.
FÉDOU M., Christianisme et religions païennes dans le Contre
Celse d'Origène (Théologie historique, 8 1), Paris, Beauchesne, 1988.
FREDOUILLE J.-c., Tertullien et la conversion de la culture antique,
Paris, Études Augustiniennes, 1972.
LES PÈRES APOLOGISTES FACE À LA CULTURE GRECQUE 115
terres ancestrales et l'exil devient leur pain quotidienll Une des forces
du négationnisme turc est que le gouvernement de la nouvelle Répu
blique est composé d'anciens membres du Comité Union et Progrès
(CUP). Mustafa Kemal, lui-même membre du comité unioniste, pré
side son pays avec les acteurs du génocide. La liste des unionistes
convertis dans les gouvernements successifs de la Turquie est telle
ment longue qu'il n'est pas difficile de penser que l'idéologie kéma
liste est 1 'héritière d'une logique nationaliste transmise par les anciens
cadres du gouvernement ottoman qui a décidé l' extermination des
minorités chrétiennesl2.
17 A.E. UZUNDERE, lnsanlik Suçu ; Igdir ve Çevresinde Enneniler 'in Türk Kirimi,
Ankara, Türk Tarih Kurumu Basirnevi, 2002.
18 Rosoux, « Réconciliation post conflit : à la recherche d'une typologie ,>, p. 569-
572.
124 F. GABRIEL
5. Le rôle de la religion
30 http://repairfuture.netlindex.php/frll-identite-point-de-vue-de-turquieI191 5-a-
detruit-I-espoir-d-avenir-de-Ia-societe-assyrienne (vu le 2010412017).
130 F. GABRIEL
leur population. Cent ans après 1915, la blessure est toujours là, elle
est transmise de père en fils et de grands-parents à petits-enfants,
jusqu l à l' épuisement des mémoires.
C'est en se retranchant derrière le principe de la souveraineté natio
nale que le gouvernement turc présidé par Mustafa Kemal refuse de
collaborer avec les Occidentaux afin de sanctionner les auteurs du
génocide. Pour ce gouvernement, ({ une nation ne peut être châtiée par
une violation de sa souveraineté » et toute tentative en ce sens est
considérée comme une agression. Pour le Mouvement national turc,
punir les coupables revient à porter un coup à l'indépendance natio
nale. Ces anciens cadres encouragent les nouveaux massacres, spo
lient les biens des minorités, organisent l'occultation de l'histoire,
transforment le génocide en déni et en négationnisme. Face à ce géno
cide de 1915, le devoir et le but de la nouvelle République d'Atatürk
est de laver 1 'honneur de ceux que ces cadres remplacent sur la scène
politique turque. La négation du génocide par la République turque
peut se comprendre comme relevant de l'idéologie de la continuité du
nationalisme turc transmis depuis le XIX' siècle jusqu'à nos jours.
Il est également difficile d'affirmer que la volonté des pays victo
rieux de la Première Guerre mondiale, tout particulièrement celle des
Anglais, est uniquement basée sur les principes universalistes comme
les ({ droits de l'homme » et non sur des intérêts économiques. Ce qui
est sûr, c'est que, dès qu'il y a conflit d'intérêts, les principes univer
salistes sont tout simplement abandonnés et un relâchement des efforts
internationaux à ce sujet se fait sentir dans les rangs des Occidentaux.
La question est celle-ci : si la sanction des auteurs du génocide n'avait
pas été liée à la partition du territoire anatolien, le négationnisme turc
n'aurait-il pas été fort différent3l ?
La reconnaissance du génocide met en péril 1 ' avènement même de
la République de Turquie. Car la survie de cette République implique
que les gouvernements successifs parlent le moins possible du géno
cide et même le cachent. Avec la naissance en 1923 de la République
de Turquie, c'est le déni du génocide et la négation des victimes.
Toute remise en cause de ces vérités historiques menace l'existence
de la Turquie et tous les Turcs qui s'identifient à elle. Le négation
nisme turc est lié à l'histoire même de la Turquie. D'où l'encadrement
Summary More than a hundred years after the 1915 genocide, the path of
-
reconciliation between Turks and Syriacs is far from being possible for both
peoples. The very idea is blocked by the negationism of the Turkish Repu
blic, as weU as by the distrust and contempt of the Syriacs towards the
Turkish rulers. The consequence of this situation is that the Syriac survivors
create an identity of isolation and withdrawal, and flee a country that casts
doubt on historical evidence. How could the Syriacs, without the recognition
of the genocide by Turkey, enter into dialogue with the Turks? We try here
to provide sorne insights.
BIBLIOGRAPHIE
2 Dans un article de 2014, Henri DERROITTE identifie comme enjeu rnajem pOlIT
l'école catholique actuelle la question de l'avenir dans les termes suivants : « com
ment penser l'école catholique au XXIe siècle dans le contexte sécularisé et phrraliste
de l'Occident ? ;} (H. DERROITTE, « De la Déclaration Gravissimum Educationis à nos
jours. Réflexions sur l'éducation chrétielllle ,>, dans RTL, 45, 2014, p. 383). En France,
François MOOG réfléchit également à « la pertinence d'une institution catholique
reconnue par la loi comme partenaire de l' État dans sa mission éducative » (p. MOOG,
À quoi sert ['école catholique. Sa mission d'évangélisation dans la société actuelle,
Paris, Bayard, 2012, p. 1 1 ).
3 Le directem général de l'enseignement catholique flamand s'inspire de la no
tion d'« interruption » du théologien catholique allemand Jean-Baptiste Metz. Lie
ven Boeve s'approprie donc ce concept en insistant sm la recontextualisation du récit
chrétien dans la société post-moderne (cf. L. BOEvE, « La définition la plus courte de
la religion : interruption », dans Vie consacrée, 200311, p. 28-3 1).
REPRÉSENTATIONS RELIGIEUSES DES JEUNES ET {( ÉCOLE DU DIALOGUE » 139
Définition
deux tempéraments, entre la ville et la campagne, entre les classes sociales, entre la
réalité et l'imaginaire, entre la théorie et la pratique, entre l'hétéronomie et la théono
mie, entre la théologie et la philosophie, entre l' Église et la société, entre la religion
et la culture, entre le luthérianisme et le socialisme, entre l'idéalisme et le marxisme,
entre le pays natal et la terre étrangère (voir « Aux frontières. Esquisse autobiogra
phique [1 936] ,} dans TILUCH, Documents biographiques, p. 13-62).
7 P. Trr..ucH, Documents biographiques, p. 62. « Each possibility that l have
discussed, however, l have discussed in its relationship to another possibility the way
they are opposed, the way they can be correlated. This is the dialectic of existence;
each of life's possibilities drives of its 0\Vll accord to a bOlUldary and beyond the
bOlUldary where it meets that which limits it. The man who stands on many boundaries
140 V PATIGNY - G. LEGRAND
experiences the lUlfest, insecmity, and inner limitation of existence in rnany fOTIns ;}
(TILLICH, The boundary ofour being, p. 349).
8 De fait, saisi par le sentiment d'insécurité, il ne parvient pas à vaincre l'angoisse
de ce qui est autre, de ce qui est étranger à lui de l'autre côté de la limite.
9 P. Tn.LICH, « Frontières », dans ID., Auxfrontières de la religion et de la science,
Paris, Le Centurion Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1970, p. 46. « Man will die
Grenze, die man nicht überschreiten konnte, ausloschen, indern man das Frernde zers
t6rt;> (p. Tn.LICH, Impressionen und Ref/exionen. Gesammelte Werke XIII, Stuttgart,
Evangelisches Verlagswerk, 1972, p. 422).
REPRÉSENTATIONS RELIGIEUSES DES JEUNES ET {( ÉCOLE DU DIALOGUE » 141
as long as there is religion the sacramental basis cannot disappear. 1t can, however,
be broken and transcended. This bas happened in two directions, the rnystical
and the ethical, according to the two elernents of the experience of the holy - the
experience of the holy as being and the experience of the holy as what ought to be.
There is no holiness and therefore no living religion without both elernents, but the
predominance of the rnystical elernent in aIl India-bom religions is obvious, as weIl
as the predominance of the social-ethical elernent in those born of Israel. This gives
to the dialogue a prelirninary place within the encounters of the religion proper. ;} (p.
TIllICH, « Christianity and the Encounter ofWorld Religions ;} dans ID., Writings on
religion, Berlin, de Gruyter, 1988, p. 3 1 1 ), ou encore, voir Tn.LICH, Le christianisme
et la rencontre des religions, p. 457-458.
1 3 P. TILLICH, Substance catholique et principe protestant, Paris, Cerf Genève,
Labor et Fides Québec, Presses de l'Université Laval, 1995, p. 177 : « Bien sûr, le
protestantisme ne peut pas accepter la solution hétéronome du catholicisme tardif, qui
fait de l' Église romaine le juge souverain en matière de métaphysique et d'éthique
philosophique. Cette solution découle nécessairement de l'absolutisme sacramentel
du catholicisme romain, et son rejet découle nécessairement de l'autocritique escha
tologique des Églises protestantes. ;} « Of course, Protestantism cannot accept the
heteronomous solution of later Catholicism according to which the Roman Chmch is
the final judge of metaphysics and philosophical ethics. This solution is a necessary
consequence of the sacramental absolutism of Roman Catholicism and its rejection
is a necessary consequence of the eschatological self-criticism of the Protestant
churches ;} (P. Tn.LICH, « The Permanent Significance of the Catholic Church for
Protestantism ;>, dans ID., Theological writings, Berlin, de Gruyter, 1992, p. 242).
1 4 TILLICH, Le christianisme et la rencontre des religions, p. 281-337.
REPRÉSENTATIONS RELIGIEUSES DES JEUNES ET {( ÉCOLE DU DIALOGUE » 143
Cette angoisse demande donc selon lui une réponse protestante par
une théorie de la justification adaptée à notre temps. Il écrit : seuls
« le courage d'accepter d'être accepté » et « l'affIrmation de soi »
permettent de répondre à cette triple angoisse de la mort, de la culpa
bilité et de l'absurde21 Aussi, la rencontre de l'autre, qui permet d'en
revenir à la rencontre avec soi-même à travers ses propres limites, et
l' acceptation de celles-ci, relationnelles ou essentielles, constituent
véritablement ce lieu privilégié de connaissance et de reconnaissance.
Étant donné que nous sommes des êtres relationnels, il est impor
tant de travailler à la fois sur ses propres représentations mais égale
ment sur la manière dont on reçoit et accueille les représentations des
autres. Lorsque nous nous trouvons aux frontières dont parle Paul
Tillich, si l'on n'est pas prêt à accueillir les représentations de l'autre,
même différentes des nôtres, les conflits ne pourront être évités ni la
conciliation privilégiée. Ce sont nos représentations qui nous per
mettent d'entrer en contact avec les autres, et plus nos représentations
se rapprochent ou s'accordent de celles de notre interlocuteur, plus la
relation que nous aurons avec lui sera aisée. Cela ne signifie certaine
ment pas que nous devons nous accorder sur tout, cela signifie que
nous devons prendre pour nôtres des représentations suffisamment
ouvertes pour accueillir celles de l' autre. Paul Tillich parle, nous
l'avons dit, de trois types de frontières, le croyant face au non-croyant,
le catholique face au protestant, le croyant face à un autrement
croyant, et quelle que soit cette frontière, c'est l'acceptation d'une
confrontation entre nos représentations respectives qui permet d' ou
vrir le dialogue. Mais avant tout, une prise de conscience de ses
propres représentations est nécessaire afrn de rendre possible un dia
logue.
UN EXEMPLE DE RÉCONCILIATION
DANS L'ÉCOLE CATIIOLIQUE FLAMANDE
SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES
Dans cet article, nous avons pris le parti de soutenir que l'autre
nous « interrompt » dans notre compréhension de la foi chrétienne par
sa propre interprétation et sa propre appropriation issues de son expé
rience de vie. Dans le cadre de l'école catholique flamande du dia
logue, cette interruption, qui revisite de manière originale la méthode
de la corrélation4" combinée à une méthode pédagogique de notre
temps qui fait émerger les représentations religieuses, produit ad extra
une re-contextualisation de l'évangile porteuse de sens pour notre
temps et éveille ad intra des compréhensions nouvelles du message
chrétien. Le concept de « frontières » chez Paul Tillich constitue en
quelque sorte un préalable implicite à cette réflexion et nous sommes
heureux de le mettre au jour : afin de permettre le dialogue et afin
d'expliciter les représentations religieuses, la seule position tenable
est celle « sur la frontière ». C'est là, et là seulement, que les conflits
pourront être évités ; c'est en adoptant cette posture que l'on pourra
établir une zone de conciliation pour un meilleur vivre-ensemble ;
c' est là enfin qu'il faut être capable de se tenir pour voir un jour
émerger la paix entre les peuples. Certes, se tenir à la frontière n'est
pas une position confortable, mais c'est la seule qui nous permettra
d' atteindre la connaissance et la reconnaissance de notre essence
même.
B 1348 Louvain-fa-Neuve
- Vanessa PATIGNY
Grand-Place, 45 / L3.01.0l Geoffrey LEGRAND
vanessa.patigny@uclouvain.be Faculté de théologie
geoffrey.legrand@uclouvain.be Institut RSCS
UCLouvain
lation TI'est pas avant tout une technique pédagogique mais bien lUle structure fonda
mentale de l'être humain.
156 V PATIGNY - G. LEGRAND
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
celui-ci soit accompli. C'est seulement si ces mots sont prononcés par
un ministre habilité, face à une personne demandant le baptême et
accompagné du geste de l'eau, que l' acte illocutoire sera celui de
baptiser réellement la personne. Dans ce cas, Austin parle d'un acte
illocutoire performatif (du verbe anglais to perform)3 Il distingue
ainsi deux types d'acte illocutoire. L'un qui sert à informer ou à
décrire (par exemple : « les fleurs poussent au printemps ,,), l'autre
qui accomplit une action par son énonciation comme c' est le cas pour
la formule du baptême. Par contre, si tous les éléments ne sont pas
réunis pour que le baptême puisse être valide (le ministre n'est pas
habilité, par exemple), le performatif est alors un échec (Infelicities)4
selon la terminologie d'Austin : malgré une intension performative,
la chose n l est pas accomplie, car les conditions nécessaires ne sont
pas réunies. Dans son ouvrage, c'est sur cet acte illocutoire qu'Austin
s'attarde particulièrement puisque son objectif est de montrer la
manière dont le langage devient performatif'.
Enfin, la locution « je te baptise » implique également un acte
perlocutoire : celui de produire des réactions, des sentiments chez les
personnes présentes. Les parents de l'enfant ressentiront probable
ment de la fierté, exprimeront leur amour ; les paroissiens présents
pourront reconnaître dans le baptisé un nouveau membre de leur com
munauté, etc. Austin ne s'arrête pas particulièrement sur cet acte de
langage. Il me semble cependant qu'en ce qui concerne la liturgie, la
catégorie de l'acte perlocutoire est primordiale. En effet, tout comme
les différents actes de langage sont simultanés dans l'énonciation, la
liturgie est une combinaison de différents actes simultanés : elle est
performative, action réalisée, par ses aspects illocutoires, mais elle est
aussi, par ses aspects perlocutoires, communication et elle implique
un changement chez celui qui y assiste et y participe.
LA COMMUNICATION ET LE CHANGEMENT
PAR L'ACTE PERLOCUTOIRE DE LA LITURGIE
plus vivante que toutes les paroles et les dénominations négatives que
nous avons pu trouver.9
tir cette dose émotionnelle afin d'induire les affects voulus chez les
participantslO Dans la visée de la réconciliation, il sera notamment
important de mettre en valeur le don que l'homme Jésus fait de lui
même pour vous et pour la multitude, pour toi comme pour les autres.
L'officiant doit oser transmettre que ce don fait par le Christ est offert
à tous afm que le participant puisse se dire : « ce don est offert à moi
comme aux autres. Je suis considéré par le Christ infiniment plus que
je ne le mérite, j ' accepte donc que d'autres soient également considé
rés plus qu'ils ne le méritent peut-être » .
Il s'agit ici d'inviter le participant à changer de système de réfé
rence, d'induire chez lui un changement 2 selon la proposition de
l' école de Palo Alto. Le récit de l' Institution va introduire un tiers
dans le conflit au sein de la communauté. Un tiers qui ne prend pas
parti, un tiers infiniment aimant qui est prêt à laisser couler son sang
pour les uns comme pour les autres. La fraction du pain peut ici sou
ligner la violence à laquelle le Christ se livre : le pain déchiré avec
force, sans douceur, peut renvoyer aux chairs de Jésus se brisant sur
la croix et accentuer ainsi la valeur de ce don effectuéll
L' évocation de ce tiers dont la façon d'être est tout autre que la
nôtre est susceptible de permettre la modification du système de réfé
rence, en l'occurrence celui du conflit (changement de type 2). Le
passage par le registre émotionnel permet plus facilement d'atteindre
12 Il faut évidemment que l'assemblée soit consciente qu'il s'agit d'lUle parole de
Jésus. Dans le cas contraire, le possessif renverrait au célébrant et n'aillait plus de
sens. La citation de Jean 14 doit donc être précédée d'une contextualisation : « Le soir
où il allait être livré, notre Seignem Jésus-Christ a dit ». Cette introduction, en rappe
lant le contexte de la trahison et de la passion, insiste encore une fois sur la présence
contre toute attente de cette paix qui n 'est pas du monde dans ce monde marqué par
les conflits.
L'ACTION PERLOCUTOIRE DES PAROLES BIBLIQUES 167
Mon dernier exemple relève d'un autre contexte que celui de l'eu
charistie puisqu'il vient de la liturgie du baptême. Dans le cadre d'un
baptême célébré à l'intérieur de l' assemblée dominicale, on pourrait
ajouter la lecture de la péricope de Galates 3 ,26-28 : ({ Tous, vous êtes,
par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. Oui, vous tous qui avez été
baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n'y a plus ni Juif ni
Grec ; il n'y a plus ni esclave ni homme libre ; il n'y a plus l'homme
et la femme ; car tous, vous n'êtes qu'un en Jésus Christ. »
Cette citation de l'apôtre a ceci d' intéressant qu'elle produit une
tension entre la réalité vécue et l'énonciation. Les distinctions entre
Juifs et Grecs, esclaves et hommes libres, hommes et femmes, sont,
pour les auditeurs de l'apôtre, des séparations sociales fortes et bien
réelles. C'est sur la base de ces distinctions que la société est
construite. Les mots de Paul entrent en conflit direct avec la vision du
réel qui est celle de son auditoire. Rationnellement, on pourra seule
ment dire que son affirmation est tout simplement fausse. Cependant,
elle va créer chez les auditeurs de Paul un effet perlocutoire de per
plexité et de réévaluation des valeurs : ({ l'appartenance au Christ est
plus importante que les valeurs discriminantes de notre société » .
Mais si cette péricope semble particulièrement parlante et efficace,
elle se heurte à un problème de taille dans notre société contempo
raine : celui de la traduction. En effet, son efficacité perlocutoire vient
justement du fait qu'elle contredit les distinctions les plus importantes
qui régissent la communauté. Ces distinctions n'étant plus celles d'au-
L'ACTION PERLOCUTOIRE DES PAROLES BIBLIQUES 169
CONCLUSION
J'évoquais au début de cette brève étude le fait que les conflits dans
un cadre paroissial peuvent être particulièrement profonds parce qu'ils
touchent aux systèmes de valeurs des personnes, à leurs convictions.
Même un conflit sur un sujet aussi mondain que l'organisation du
menu de la kermesse peut déboucher sur des interrogations en termes
de valeur : « cornrnent admettre que de tels conflits peuvent advenir
en une cornrnunauté qui prend cornrne base la prédication d'amour et
de tolérance du Christ ? » Travailler sur le système de valeurs et leur
hiérarchie implique un changement 2 dont parle l'école de Palo Alto.
Je crois avoir montré que la liturgie, en cornrnuniquant de manière
perlocutoire à l'aide des affects, est particulièrement adaptée pour
entntmer ce type de changement.
Résumé - Face aux conflits présents dans sa communauté, que peut faire le
ministre de celle-ci pour permettre leur résolution ? Un lieu d'apaisement
possible pourrait être la liturgie. En effet, celle-ci, et notamment les paroles
bibliques qu'elle contient, jouit d'un statut d'autorité qui dépasse largement
celle de la parole du ministre. Dans le même temps, elle est perçue comme
moins directe, plus éloignée de la réalité vécue. Ce double statut autorité/
distance de la parole biblique dans le cadre liturgique permet d'éviter l'intru
sion dans le conflit. Ne parlant pas directement de la situation concrète qui
préoccupe telle ou telle personne, la parole biblique pourra pourtant per
mettre de désamorcer le conflit par l'effet perlocutoire produit par l'énoncia
tion des textes dans le cœur des paroissiens.
L'ACTION PERLOCUTOIRE DES PAROLES BIBLIQUES 171
Summary - About the conflicts present in his community, what can do the
minister to allow their resolution? A possible place of appeasement could be
the liturgy. Indeed, in particular the Biblical words which it contains, enjoy
a status of authority which exceeds the word of the minister. At the same
time, it is perceived as less direct, more distant from reality. This dual author
ity/distance status of the biblical word in the liturgical setting avoids intru
sion into the conflict. By not speaking directly about the concrete situation
that preoccupies this or that person, the biblical word can nevertheless make
it possible to defuse the conflict by the perlocutionary effect produced by the
enunciation of the texts in the heart of the parishioners.
BIBLIOGRAPHIE
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1970 (1962: How to do things with words).
GUARDINI R., La messe, trad. Pie DUPLOYÉ, Paris, Cerf, 19652
(1957) (1939: Besinnung vor der Feier der heiligen Messe).
KOURILSKY-BELLIARD F. , Du désir au plaisir de changer. Com
prendre et provoquer le changement, Paris, Dunod, 1 9992 (1995).
OTTO R., Le sacré. L 'élément non rationnel dans l 'idée du divin et
sa relation avec le rationnel, trad. A. JUNDT, Paris, Payot, 20014, 1 949
(1917: Das Heilige. Über das Irrationale in der Idee des Got/lichen
und sein Verhdltnis zum Rationalen).
WATZLAWICK P., Le langage du changement. Éléments de commu
nication thérapeutique, trad. J. WIENER-RENUCCI, D. BANSARD, Paris,
Seuil, 1980 (1978: The Language of Change. Elements ofTherapeutic
Communication).
Investir la condition baptismale
pour dépasser le conflit lié à l 'intégration d'une
identité sexuelle
Force est de constater que la rupture n' est pas forcément consom
mée. Certains itinéraires de vie manifestent au contraire que le conflit,
toujours latent, n'est plus un obstacle insurmontable à la réconcilia
tion des identités personnelle et communautaire".
Ce dépassement se fait parfois par le biais d'une mobilisation forte
de la condition baptismale comme moyen efficace pour transcender
les discours convenus. Non seulement la personne se trouve ainsi
rassurée dans sa condition d'enfant de Dieu et de membre du peuple
chrétien, elle est aussi encouragée par des perspectives réalistes et
précises dans sa quête d'une vie bonne.
réponses, lUle eau vive, celle que Dieu lui-même nous donne. ;} Réj/exions pastorales
et témoignages, p. 175.
11 Réj/exions pastorales et témoignages, p. 186.
12 Réflexions pastorales et témoignages, p. 190.
1 3 La Communion Béthanie offre peu de littérature. Une enquête a été éditée en
2015 par lUl jomnaliste indépendant autour de 12 visages membres de la Communion.
A. BAIL, Homosexuels et transgenres, chercheurs de Dieu, Bruyères-le-Châtel, Nou
velle Cité, 2015.
14 l-M. DUNANT, Libre. De la honte à la lumière, Paris, Presses de la Renais
sance, 20 I l .
INVESTIR LA CONDITION BAPTISMALE 179
Le Dieu de l' Évangile n'est jamais indifférent à ce qui est humain. Mon
humanité comportait cette attirance homosexuelle et elle n'empêchait
pas le Christ de me toucher profondément. Je n'avais pas choisi, ni le
don de la foi, ni l'homosexualité. Mais je pouvais choisir de vivre serei
nement, de manière libre et responsable, ma démarche chrétienne dans
mon corps d'homosexueP6.
1 5 Nous sommes interpellé dès les premières pages du récit lorsque le persollllage,
jelUle adolescent, subit avec plus ou moins de consentement les attouchements d'un
adulte dans des toilettes à Lomdes (!). L'autem semble jongler (inconsciemment ?)
avec l'eau impropre des toilettes, lieu de honte et de culpabilité, avec l'eau pme de
la grotte et du Gave de Pau, derrière laquelle on devine l'eau baptismale.
16 DUNANT, Libre. De la honte à la lumière, p. 114.
1 80 B. VANDENBULCKE
des mots renouvelés, des comportements justes, des signes ajustés pour
les accompagner dans l'estime et le respect des cheminements particu
liers20 .
24 Une enquête menée par la sociologue Martine Gross en 2005 tend à montrer
que plus lUle personne homosexuelle est impliquée dans la vie d'lUle comrlllmauté
paroissiale, plus lui est facilitée la gestion personnelle de son identité chrétienne de
personne homosexuelle. Une participation accrue à la vie de l' Église tendrait à effa
cer les aspérités des diSCOillS officiels au profit d'un sentiment d'appartenance à une
communauté qui deviendrait premier dans la conciliation des identités chrétiennes et
homosexuelles. Ce processus s'élaborerait au travers de stratégies d'aménagements
et de réinterprétations où le diSCOillS magistériel est maintenu à distance : « le conflit
,
identitaire semble trouver une résolution par la représentation de l'Eglise comme
elle-même compartimentée. Doctrine de l' Eglise catholique et pratiques pastorales
deviennent deux entités distinctes dans des compartiments étanches. » M. GROSS,
« De la honte à la revendication identitaire. Être catholique et homosexuel en
France ,>, dans C. BÉRAUD, F. GUGELOT, 1. SAINT-MARTIN (éds), Catholicisme en
tensions, Paris, Editions de l' Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2012, p.
227.
25 Illustration n'est pas raison, mais nous choisissons de rapporter le témoignage
suivant parce qu'il constitue de façon exemplative ce que nous pressentons comme
1 84 B. VANDENBULCKE
ressort. Il s'agit ici d'un dialogue entre un pastem et lUl chrétien qui, après avoir
écouté au culte lUl commentaire sur Gn 1 2 à propos de la création de l'homme et
de la femme, demande au pasteur si sa vie depuis quinze ans avec un autre homme
peut être considérée comme bénédiction de Dieu. Voici la suite : « Le pastem me
répondit : "ce TI 'est pas moi qui peut répondre à cette question, mais vous ! Êtes-vous
heureux dans votre couple, ou heureux tout court ?" Je lui dis : "Oui ! Vous savez,
Dieu me parle intérieurement depuis que je suis tout petit, et après avoir eu ma pre
mière relation avec un garçon, ce dialogue n'a pas cessé, Dieu est resté aimant
comme avant. Aujourd'hui, mon couple ressemble à tous les couples de mon
immeuble ( . . . ). Du côté spirituel, je suis convaincu d'être associé aux promesses de
Dieu, à sa vie, à sa mort et à sa Résurrection. Je pèche comme tout le monde : par
manque d'espérance, par attachement aux biens, . . . Comme tout lUl chacun j'avance
sur le chemin de la conversion, sûr de l'amour de Dieu." ;} J. PRALONG, Qui suis-je
B 1348 Louvain-fa-Neuve
- Bruno VANDENBULCKE
Rue du Discobole 2 Faculté de théologie
bnmo.vandenbulcke@uclouvain.be Institut RSCS
UCLouvain
BIBLIOGRAHIE
Site Internet :
http://www.devenirunenchrist.net/articles/articlesitems/synode.htrnl
(dernière consultation : 15-09- 17)
Table des matières
Introduction
1. Clés de lecture
Jean-Baptiste ZEKE, L 'humain et ses conj/its ontologiques dans ['œuvre de
Paul Tillich ........................................................................................................ 3
Toon OOMS, Le concept d'exonération comme voie vers la (ré)conciliation.
Une théorie du conflit intergénérationnel chez Iwin Boszonnenyi-Nagy ....... 27
IV En pratique ...
VanessaPATIGNY, Geoffrey LEGRAND, Conf/its, conciliation, réconciliation.
Les représentations religieuses des jeunes et {( l'école du dialogue »
comme application du concept de {( frontières » de Paul Tillich .................. 137
Christophe COLLAUD, L 'action perlocutoire des paroles bibliques dans la
liturgie au sein d'une communauté en conf/it ............................................... 159
Bnmo VANDENBULCKE, Investir la condition baptismale pour dépasser le
conf/it lié à l'intégration d'une identité sexuelle. Itinéraires croisés des
associations Devenir Un en Christ et La CommlUlion Béthanie .................. 1 73