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Goetschel Roland. Adieu à Emmanuel Lévinas. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 70, fascicule 3, 1996. pp. 388-393;
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1996_num_70_3_3374
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Emmanuel Lévinas
volonté divine. Elle n'est pas non plus l'approche des historiens et
des philologues, spécialistes patentés des études juives qui
renouvellent à propos du Talmud un travail de déconstruction du texte déjà
pratiqué sur la Bible. Labeur qui risque de réduire à l'insignifiance
ce qui est parole vivante et l'est demeurée malgré sa mise par écrit
en pesants traités.
Paradoxalement, c'est peut-être contre ce risque, que peut nous
prémunir la philosophie. Philosophie et philologie sont deux filles de
l'esprit occidental, dont la première doit se charger de limiter les
débordements de l'autre !
Pour le dire dans un autre langage, il nous faut parler grec en
entendant par grec le langage de l'Occident, celui de l'universel,
entendons à la fois le langage de la raison et celui de tous les hommes
d'aujourd'hui, afin que le message de l'humanité de l'humain articulé
par la Bible puisse transir le discours de l'universel prononcé par
l'Europe.
Il existe en effet une affinité profonde entre le Talmud et la
philosophie. On rencontre un profond respect pour les sages de la Grèce
auprès des sages du Talmud ; si le Talmud n'est pas philosophie, il
déborde de ces expériences dont se nourrissent les philosophes. En
s'immergeant dans l'océan du Talmud, Lévinas tente, comme il l'a
écrit de : « remonter aux structures ou modalités d'un spirituel qui
s'y prête, qui y consent et même y tend. Structures et modalités
dissimulées sous la conscience représentative et conceptuelle, déjà
intéressée par le monde et, ainsi absorbée par l'être ; dissimulées, mais
se laissant discerner par une phénoménologie attentive aux horizons
du conscient, et, en ce sens, malgré le recours aux documents, aux
formulations bibliques et talmudiques - phénoménologie, antérieure
à la théologie qui prendrait ces emprunts pour prémisses ».
Ce qui fonde cette phénoménologie du Talmud, c'est l'intime
conviction qu'au-delà de leur signification religieuse ces textes ne
sont pas seulement transposables en un langage philosophique, mais
qu'ils se réfèrent à des problèmes philosophiques. La voie royale pour
accéder à cette pensée du Talmud consiste à partir des problèmes
concrets et des situations concrètes de notre existence pour retrouver
ce que laissent à entendre les sages qui n'arrêtent pas de débattre tout
au long des milliers de folios du Talmud. La foi juive va d'abord à
r intelligence des sages, emounat hakhamim. Croire que les sages
étaient vraiment des sages dans ce qu'ils nous rapportent de la Bible.
Cette sagesse des sages est susceptible d'anticiper le sens de toute
expérience. Pour reprendre les mots de Lévinas : « Nous partons de
l'idée que la pensée géniale est une pensée où tout a été pensé, même
la société industrielle ou la technocratie moderne ».
ADIEU À EMMANUEL LÉ VIN AS 391
Roland Goetschel
Université de Paris IV